DfCTfONWinE ENCYOLOPÉDIOIJE
SCÏENCT^S MÉDICALES
TARIS. — TYI'OGUAPIIIE A. LAIIURE.
Rue de Fleunis, 9.
DICTIONNAIRE ENCYCinPÉDIQUE
nO
DES
SCIENCES MÉDICALES
DIRECTEURS
A. DECIIAMCRE — L LEREBOULLET
DEi8CiAi885 nEi'uisisas
Directeur-Adjoint : L. hahn
COI.LABOUATEUKS : MM. LES DOCTEURS
ABCIIAMBAULI, ARI.OING, ARNOIILD (j.), AKNOZAN, ABSONVAI. (d'), AUBRY (J.), AUVARD, AXENFELD, BAILLAROER
BAIII.ON, IIAI.UIANI, 1)AI.L, BARIÉ, BARTIl, BAZIN, BEAUGBAND, BÉCLABD, BÉIIIEB, BENEDEN (VAN), UEBCER,
BERNriEIM, BKUTIM.ON, UEBTI.V-SANS, BESNIER (ERXESt), UI.ACIIE, UT.ACIIEZ, BI.ANf.IlARD (r.), Bl.ABEZ, BOINET,
BOISSEAU, nORDIER, UORIUS, liOUClIACOIJRT, UOUCIIARII (Cll.), BODCIIEREAII, IlOUtSSON, IIOUI.AND (P.), UOUI.EY (il./
BOUREL-RONCIÈRE, BOURfiOriV, HOIIBRU, IlOl'BSIER, UOIISQIIET, IlOUVIER, BOVEK, BRASSAC, IIROCA, UROCIIIM, BBOUARDEI.,
BROWN-SÉQUARU, IIRUN, BIIRCKKR, UIBLUREAIY, DUSSARI), CAIIIAT, CaLMEII,, CAMI'ANA, CABI.ET (G.), CERISE, CIIAMIIARD
CBARCOT, CIIABVOT, CIIASSAIGNAC, CriAUVEAU, ClIAIIVEI., CIIÉREAIJ, ClIERVIN, CIIOIIPPE, CHRÉTIEN, CHRISTIAN,
CI.EBMONT, COLIN (l.), CURMI., COTABD, COUI.IER, COURTÏ, COVNE, DAI.I.Y, DAVAINE, DECIIAMIIRE (a.), DELENS,
DELIOUX DE SAVICNAC, DEI.ORE, DELPECII, DEMANGE, DENONVIl.LIERS, DEI'AUI,, DIDAY, DOLBEAU, UUliUlSSON, DU CAZAI,,
DUCI.ADX, DUCUET, DIUABDIN-BEAUMETZ, DUPLAY (s.), DUREAU, DUTROUI.AU, DUWEZ, DUZÉA, EGGER, ÉI.OY, ÉLÏ,
falbet (j.), farabeijf, féi.izet, féris, ferranu, fleubv (de), foli.in, fonssagrives, forgue, fournier (e.),
fodrnier (il.), franck-françois, gai.tier-uoissière, gariel, gavarret, gayet, gayraud, gervais (p.), gii.i.ettf,
oihaud-teul.on, collley, granclleb, grasset, greeniiii.i., grisolle, gubler, guéniot, guéralvll, guii.lard,
GUILLAUME, CUILLEMIN, GUÏ0n(f.), IlAllN (l.), IIAMELIN, IIAÏEM, IIECIIT, IIECKEL, IIENNEGUY, IIÉNOCQUE, IIEBRMANN,
IIEYDENREICII, IIOVELACQUE, IIUMREHT, IIUTINEL, ISAMBERT, JACQUEMIEB, JUIIEL-RÉNOY, KARTII, KELSCII, KIRMISSON,
KRISIIAUER, LAIJllÉ (lÉOn), LARRÉE, LAUORDE, LABOULBÈNE, LACASSAGNE, LADREIT DE LA CIIARRIÈRE, LAGNEAU [G.),
LAGRANGE, LANCEBEAUi, LARCIIER (o.), LAUBE, LAVEBAN, I.AVERAN (a,), LAYET, LECLERC (l.), LECORCIIÉ,
LE DOOULE, LEFÈVRE (eU.), LEFORT (lÉOn), LEGOUESI, LEGOYT, LEGROS, LEGROUX, LEREBOULLET, LEROUX,
LE ROY DE MÉRICOUBT, LETOUBNEAU, LEVEN, LÉVY (mICIIEI.), LIÉGEOIS, LIÉTARD, LINAS, LIOUVILLE, LITTRÉ, L0N<:ET,
LOiNGUET, LUIZ, MAGITOT (E.), MAIIÉ, MALAGUTTI, MARCHAND, MAREV, MARIE, MARTIN (a.-J.), MARTINS, MASSE,
MATHIEU, MERKI.EN, MERRÏ-DELADOST, MICHEL (dE NANCY), MILLARD, MDLLIÈRE (DANIEL), MONOD (CH.), UONTAMFR,
MORACUE, MORAT, UOREL (b. A.), MOSSÉ, MUSELIER, NICAISE, NUEL, OUÉDÉNARE, OLLIER, ONIMUS, ORFILA (l.),
OUSTALET, l'AJOT, PARCHAPPE, l'ARROI, PASTEUR, PAULET, PÉCHOLIER, PERRIN (MAURICE), PETER (m.), PETIT (a.)
PETIT (l.-II.), PEYROT, PICQUÉ, PIGNOT, PINARD, PINGAUD, PITRES, POLAILLON, PONCET (aNT.), POTAIN,
POUCHET (GAISR.), POZZI, RAULIN, RAYMOND, RECLUS, RÉGIS, REGNAIIU, BEGNAUI.D, BENAUD (l.), BENAUT, BENIlU,
RENDU, BETTERER, RRY, BEYNAL, BICHE, RICKLIN, RITTI, ROBIN (aLBEBI), BOBIN (CII.), BOCIIABD, BOCHAS (de),
ROCIIEFORT, ROGER (il.), BOIIUEB, BOI.LET, BOTIREAU, ROUGET, ROYER (CLÉMENCE), SAINTE-CLAIRE DEVILLE (il.),
SANNÉ, SANSON, SAUVAGE, Sr.HLTZENBERGER (Cil.), SCIIUTZENUERGER (P.), SÉDILLOT, SÉE (MARC), SERVIER,
SEÏNES (de), SINÉTÏ (ue), SIRY, SOUDEIBAN (l.), SPILLMANN (e.), STÉPIIANOS (CLÔN), STRAUSS (il.), TABTIVEL,
TESTELIN, TESTUT, THIUIEBGE, THOMAS (L.), TILLAUl (p.), TOURBES, TOUUNEUÏ, TRÉLAT (u.), TBIPIEK (i.ÉON),
TROISIER, VAI.LIN, VARIONÏ (I)E), VELPEAU, VERNEUIL, VÉZIAN, VIALD-GRAND-MARAIS, VIDAL (ÉMj^IDiU, YILLEMIN
VINCENT, VOIILEMIER, VI Ll'IAN, WARIOMONT, WERTHElMEIl, WIDAL WM.LM, WORM^
QUATRIÈME SKUU;
F — K
TOME TREIZIÈME
HÉM — HÉR
PARIS
C,^ IMAMS
ASSELIN ET HOUZEAU
LIBRAIRES DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE
Plupfi lie rÉcole-(lc-Mi'(li^i'iiie
G. MASSON
LIIIRAIRE DE L ACADEMIE DE MEhECINE
I BouleiarJ Saint-Cermaio, en fare de l'École de Hédecioe
MDC.CCLXXXVllI
■.'Ma
DICTIONNAIRE
ENCYCLOPÉDIQUE
PES
SCIENCES MÉDICALES
UË9IATOCÈLE l'ACil.^ALE. Celle dénomination, imposée par Heisler, est
impropre el devrait disparaître de la nosographie : hémalocèle signifie hernie ou
tumeur sanguine : or le sang peut manquer dans les hématocèles. Nous préfére-
rions les noms de vaginalite chronique proposé par certains auteurs, el de
périorchite employé par Koolier. Encore semblent-ils mieux applicables aux
vieilles iiydrocèles à parois altérées ou aux adhérences des deux feuillets de la
séreuse. Le terme de pachyvaginalite nous paraît seul donner une notion
exacte sur ran;itomie pathologique qu'il rattache d'un mot aux lésions sem-
blables des méninges. Aussi dirons-nous, et ce sera notre déflnition : la pachy-
vaginalite, mal nommée hémalocèle vaginale, est une affcclion caractérisée par
un épaississemcnt considérable, une abondante néoformation des parois de la
séreuse qui enveloppe la glande spermatique.
Historique. Nos vieux auteurs ne mentionnent pas l'héiuatocèle. Ambroise
Paré nous décrit a la hargne cliarneiise, la hargne venteuse, la hargne vari-
queuse, la hargne humorale, la hargne aqueuse nommée hydrocèle », mais nous
ne trouvons nulle part la moindre allusion aux néomembranes de la vaginale el
aux épanchements sanguins qui souvent distendent la séreuse. Les chirurgiens
du siècle suivant ne sont pas mieux renseignés. Cependant on rencontre çà et
là, au hasard des observations, quelques cas non douteux de pachvvaginalite.
Saviard, sous le titre de : Hydrocèle extraordinaire et Autre hydrocèle, nous
parle « d'un courrier de Bourdeaux nommé Monsieur Framboise » qui, en 1697,
vit son scrotum prendre un volume considérable; la tumeur était dure, non
fluctuante, sauf en un point; la bourse fut ouverte avec un cautère et il s'en
écoula « une bonne chopine d'une couleur noirâtre et semblable à la laveure
d'un sang corrompu. » La guérison fut obtenue par bourgeonnement. D'ailleurs,
plus de cent ans auparavant, Vigo, en 1532, ne semblait-il pas connaîre la pachy-
vaginalite et la distinguer du sarcocèle malin?... « Et après l'ouverture faite,
DICT. ENC. 4* s. Xllf. ]
2 IIEMATOCÈLE.
ifault regarder si le testicule n'est point corrompu; il fault séparer toute la car-
iiosité avec un instrument convenable ei; bien tranchant et l'ôter et, pour réduire
le testicule en son premier lieu, fault coudre l'incision... »
Au dix-huitième siècle, John Hunier pose nettement la question : La séreuse
contient parfois du sang dont l'extra vasation n'est pas toujours le « résultat immé-
<liat d'une violence extérieure ; elle peut être l'effet d'une action morbide ou
d'un mode particulier de sécrétion. » Cet admirable analyste avait bien vu que
la pachyvaginalite ne ressemble point aux suffusions ordinaires, les violences
extérieures manquant souvent dans les commémoralifs. II sut reconnaître,
distinction bien rare à cette époque, que cette tumeur épaisse, dure et soulevée
par de volumineux caillots, n'était point un cancer hématode. Elle donne « la
sensation d'une hydrocèle obscure ou de quelque cliose d'intei'médiaire entre
riiydrocèle et le squirrbe du testicule; l'incertitude est telle, qu'il a toujours
conseillé de faire une ponction » Mais l'ensemble des caractères qui permettent
ie diagnostic est encore assez indécis pour que l'illustre physiologiste s'y trompe
lui-même, et de ses deux observations l'une a certainement trait à un carcinome.
Cette doctrine, peu claire déj:'i, va s'obscurcir encore chez les auteurs du
commencement de ce siècle, sauf peut-être cliez Aslley Cooper. Celui-ci, du
moins, sait que l'hématocèle n'est pas toujours d'origine traumatique, et il cite
deux observations où l'épanchement du sang et l'épaississement de la vaginale
survinrent sans que le malade put invoquer la moindre violence extérieure.
<]ependant, lorsqu'on veut remonter un peu haut dans l'histoire de l'affection
<jui nous occupe, il faut éviter une erreur fondamentale, il faut savoir que nos
prédécesseurs, en cela plus sages que nous, n'étiquetaient pas d'un même nom
des affections aussi dissemblables que la contusion des bourses et la pachy-
\agiiialite. Sous le nom d'hématocèle, ils décrivaient « un épancbement sanguin
brusquement survenu dans la vaginale à l'occasion d'une violence extérieure »,
affection d'un médiocre intérêt et dont l'étude se confond avec celle des trauma-
lismes des bourses. Par celui de « hydrocèle à parois épaisses », ils entendaieni
une altération de la séreuse qui se développe lentement et que caractérise la
formation de néomembranes à vaisseaux nombreux et de rupture facile.
Ne nous a-t-on pas dit que Boyer ignorait la pachyvaginalite parce que, sous
ie nom d'hématocèle, il décrit un épancbement sanguin provoqué par une con-
tusion violente, ou par la piqûre d'un vaisseau dans la ponction de l'hydrocèle?
J\Iais qu'on arrive au chapitre De quelques tumeurs des bourses auxquelles ou
n donné improprement le nom de sarcocèles, on y trouveia une étude précise
dont nous devons au lecteur l'analyse rapide. « La vaginale acquieit une épais-
seur considérable. Dans quelques cas elle est telle, et d'une si grande consis-
tance, que la tumeur présente les apparences du sarcocèle, sans être cancéreuse
toutefois, puisque, le plus souvent, le testicule ne participe eu rien à l'affection
•de ses enveloppes. Le mal a été tout d'abord une hydrocèle simple; ensuite la
séreuse s'est épaissie par une inflammation chronique survenue spontanément
ou déterminée par une contusion. » Boyer nous rapporte trois cas où la castra-
tion permit d'étudier la tumeur. Dans le premier, « la vaginale était épaisse
de 8 à 10 lignes, son tissu lardacé contenait plusieurs foyers ichoreux; sa cavité
était remplie de sérosité sanguinolente, le testicule occupait la partie postérieure
et n'offrait aucune altération de forme, de volume ou de tissu. » Dans le deuxième,
« le liquide était semblable à de la décoction de café, la vaginale avait environ
ij lignes, et sa surface était couverte de concrétions membraniformes, comme
• UÉMATOCELE. 5
celles qu'on rencontre dans les autres séreuses chroniquement enflammées. »
Enfin, dans la troisième, il « s'écoule un liquide noirâtre, épais, semblable à
du sang coagulé; la vaginale a une épaisseur et une dureté considérables sans
que la glande soit affectée. » On le voit, l'esquisse est exacte, il ne manque
qu'un mot pour désigner ces tumeurs « auxquelles on a improprement donné
le nom de sarcocèles. »
La doctrine est la mémo dans l'œuvre da Duj)uylrcn; il fait de la pachyvagi-
nalite une simple variété de l'hydrocèle, mais la description en est bien moins
nette. « Quelquefois, nous dit-il, j'ai vu le feuillet séreux être le siège d'exha-
lations sanguines plus ou moins abondantes ou présenter des plaques osseuses
d'une étendue variable. » Il cite trois observations dont deux sont des types
d'bématocèle, « liquide couleur lie de vin, roussâtre et inodore, analogue à
celui que l'on trouve dans les cellules des tumeurs dégénérées; vaginale épaissie
et inégale, testicule sain. » Mais le chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu n'entre
dans aucun détail et reste muet sur les symptômes, le diagnostic ou la patho-
génie de celte affection. Blandin est aussi peu prolixe et il nous parle d'hydro-
cèles dont les parois « sont épaisses de plusieurs lignes, opaques, dures,
cartilagineuses, et dans les cas rares de consistance ostéo-crétacée...; elles se
sont accrues par superposition de couches pseudo-membraneuses, n On trouve
dans les cavités de la sérosité des flocons albumincux ou du sang.
Ce sont là des descriptions bien vagues, et il faut reconnaître que vers cette
époque, aux environs de 1840, la pacliyvaginalite est mal connue. Jules Cloquet,
dans le Dictionnaire en 50 volumes, dit que l'hématocèle succède toujours à
une ponction des bourses; la vaginale, longtemps distendue par la sérosité, est
sillonnée, suivant Pott, par des vaisseaux sanguins variqueux; la peinte du
trocart ou de la lancette en ouvre quelques-uns et l'épanchement se produit.
Roux nous donne une opinion curieuse à l'article Testicule du même diction-
naire : la vaginale ou pérididyme est parfois atteinte de sarcocèle. Mais qu'on
se garde bien, insiste-t-il, de considérer comme sarcocèle tout épaississement du
pérididyme; dans quelques hydrocèles anciennes, la poche a beaucoup d'épais-
seur, et ce qu'on prendrait facilement pour une véritable induration n'est
qu'un dépôt de fausses membranes consécutif à des inflammations chroniques
ou répétées. La doctrine ancienne est là tout entière : on ne sait faire le départ
de la pacbyvaginalite, que l'on confond dans ses formes légères avec l'hydrocèle;
avec le cancer lorsque ses altérations sont avancées et étendues.
La thèse d'Ernest Cloquet, à la date de 1846, est considérée comme de
majeure importance dans l'histoire de l'hématocèle. Nous ne partageons pas cet
enthousiasme; bien des opinions y sont errone'es. Cloquet s'empare d'une idée
développée déjà par Velpeau : la pacbyvaginalite aurait pour origine une effusion
sanguine dans la séreuse dont les parois s'épaississent par dépôts successifs de
fibrine et par exsudation de lymphe plastique. Il y aurait donc à la fois produc-
tion de fausses membranes et de néomembranes. Quant à l'hémorrhagie géné-
ratrice de l'affection, elle est tantôt traumatique et succède à une contusion ou
à une ponction d'hydrocèle simple; elle est tantôt spontanée, et l'auteur cite
huit observations où la tumeur est survenue sans qu'on puisse trouver la
moindre violence extérieure pour en expliquer l'apparition. Là est le seul point
bien observé, car, en définitive, Cloquet met au premier rang l'effusion san-
guine, épisode pourtant sans importance qu'il regarde comme la génératrice de
l'épaississement des parois, le phénomène primordial, celui qui domine l'his-
4 HEMATOCELE.
loire de l'affection. Comment d'ailleurs explique-t-il l'iiémorrliagie? D'après
lui, l'exhalation sanguine est sous la dépendance d'une hydrocèle pre'existante
ou d'une dilatation des vaisseaux qui serpentent à la surface d'une séreuse. 11
invoque même une perversion dans l'exhalation modifiée souvent parla puberté. »
Celte pathogénie est pauvre; elle ne lient aucun compte des excellents matériaux
amassés depuis le dix-septième siècle : aussi, malgré le retentissement de celte
thèse, nous préférons la brève description de Hunier et surtout le sobre tableau
tracé de main de maître par Boyer.
Le mémoire de Gosselin, dans les Archives générales de médecine, marque
un tournant de la question. 11 sépare nettement l'hématocèle traumatique parié-
tale, effuse dans les enveloppes du scrotum, de l'hématocèle spontanée de Cloquet.
L'auteur renoue la tradition rompue depuis Boyer et prouve que l'épaississe-
ment de la séreuse précède l'épanchement sanguin; les vaisseaux jeunes et
friables de la ncomembrane se déchirent et inondent la vaginale que viennent
obstruer les caillots. L'hémorrhagie est un résultat, et non un point de départ
comme le voulait Velpeau. Il est à regretter que l'éminent clinicien ait adopté
la désignation sans relief d'héniatotèle consécutive. Pourquoi no pas lui substi-
tuer celle de « vaginalite pseudo-membraneuse » qu'il prononce au cours de
son travail? 11 eût relégué au rang qui lui convient cet épisode — sans grande
importance et qui du reste fait parfois défaut — de l'irruption du sang dans
la séreuse, pour fixer d'abord l'attention sur le point capital, l'épaississement
de la séreuse, la néoformalion des tissus.
L'objection est si pressante que Jamain, dans sa remarquable thèse d'agréga-
tion et dans le cinquième volume des Éléments de pathologie chirurgicale de
Nélaton, rédigé par lui, se demande : « Lorsque le liquide contenu dans le
kyste est séreux, doit-on considérer l'affection comme une hématocèle? Quoi
qu'il en soit, comme c'est surtout l'état de la poche qui donne le cachet spécial
à l'affection que nous décrivons, nous rapprocherons celte forme de l'hématocèle
proprement dite. » Il eût été plus hardi, non de rapprocher, mais de confondre
les pachyvaginalites séreuses et sanguines. Il l'aurait fait sans doute, s'il avait,
comme nous et comme tant d'autres, retiré par deux ponctions successives,
d'abord une substance épaisse, brun chocolat, et une seconde fois un liquide
transparent, citrin, semblable à celui d'une hydrocèle banale. En vérité, a-t-on
pu dans un cas pareil porter d'abord le diagnostic d'hématocèle, puis celui
d'hydrocèle, et quelques globules rouges en plus ou en moins suffisent-ils pour
faire glisser, de l'une dans l'autre, deux affections d'une marche et d'une théra-
peutique si différentes?
Désormais la doctrine est stable; nous la trouvons remarquablement exposée
par Kocher dans le Compendium de Pitha et Billroth, sous le nom de péri-
orchile plastique; il nous y donne une étude excellente des diverses formes de la
pachyvaginalite, dont il a le tort, cependant, de trop multiplier les variétés. Les
contemporains n'ajoutent que peu aux connaissances déjà acquises. Nous essaie-
rons cependant d'éclairer l'anatomie pathologique de la pachyvagiiialite par les
recherches des médecins sur les inflammations plastiques et hémorrhagipares des
méninges, du péritoine, des plèvres et du péricarde. Nous ajouterons quelques
notions étiologiques nouvelles ; avec Tédenat, nous montrerons que les hémalo-
cèles sont parfois d'origine syphilitique; nous avons depuis longtemps insisté
sur les périorchites d'origine tuberculeuse : nous généralisons maintenant tous
ces faits et pour nous, comme pour Kocher, la pachy vaginalite est, dans l'im-
IIÉMATOCELE. 5
mense majorité des cas, pour ne pas dire toujours, non une m:iladie primitive
de la séreuse, mais une affection consécutive à une lésion épididymairc.
Anatomie pathologique. Les altérations de la vaginale ne retentissent guère
sur les tuniques scrotales. La celluleuse, l'érythroïde, le dartos et le scrotum,
n'ont subi que des atteintes légères ou nulles. Dans les H7 observations que
nous avons compulsées, nous ne trouvons que quelques cas d'épaississement et
d'induration, un œdème chronique des enveloppes; leur paroi cependant a pu
mesurer jusqu'à 2 centimètres, un tissu lardacé les constitue, strié çà et là de
cristaux hémaliques; la peau est rugueuse, chagrinée, violacée ou rouge; des
vaisseaux la sillonnent comme on en voit dans certaines dégénérescences cancé-
reuses. Gérin Roze a publié une observation d'hématocèlc bilatérale où les
tuniques scrotales, épaisses de 2 centimètres 1/2, faisaient' croire au premier
abord à une bourse éléphantiaque. Ces troubles nutritifs et circulatoires sont
d'habitude le fait d'indammations aiguës ou larvées que provoquent les froisse-
ments ou les contusions sur l'organe malade ; parfois même la vaginale se fissure,
et nous-même avons vu, deux fois, le sang amassé dans la séreuse ou épanché
des vaisseaux rompus s'infiltrer en longues traînées ecchymotiques. Annandale
nous parle d'une hématocèle d;>tant de vingt-sept ans, grosse comme une tète
d'adulte et divisée en deux poches dont l'une était la vaginale, tandis que l'autre,
creusée lors d'un traumatisme, avait envahi le périnée et la racine de la cuisse;
cas semblable de Thicbault : la vaginale, distendue par 2 litres de liquide
chocolat, communiquait avec un kyste pariétal très-volumineux, par l'orifice
artificiel qu'un coup de trocart avait créé dans une ponction antérieure.
Autrement fréquentes sont les lésions du testicule et de l'épididyme, et nous
ne voulons parler ici que des lésions grossières, celles qu'ont pu noter les
chirurgiens au cours de leurs opérations. Souvent, il est vrai, ils se taisent sur
l'état de la glande, mais les observations sont nombreuses oii l'on constate des
dégénérescences. 11 en est d'évidemment secondaires et pi'ovoquées par la com-
pression; l'organe est enserré dans des couches de tissu fibreux dont on ne le
dégage que par une véritable sculpture; il a sa forme ordinaire, mais il est
anémié et la spermatogenèse y est nulle ou moins active; d'autres fois l'albu-
ginée est altérée, épaissie, les travées fibreuses empiètent sur les tubes sémini-
fères atrophiés, et la glande perdue dans la masse morbide est aplatie, rubanée,
et semble faire partie de la paroi kysti(jue. Il est des cas où une dissection
attentive n'a pas permis de reconnaître les vestiges de la glande. Besnier et
Godard nous parlent d'un testicule aplati, allongé, à tunique albuginée épaissie;
son parenchyme est pâle, décoloré, ramolli; l'examen microscopique n'y montre
que de rares animalcules. Velpeau incise une hématocèle et cherche inutilement
la glande; l'opéré meurt. A l'autopsie, on la découvre au milieu des masses
corticales, mais absolument membraniforme. Dolbeau châtre un prêtre pour une
tumeur vieille de vingt ans, l'examen ne permet pas de retrouver les éléments
de l'épididynie et du testicule. Nous pourrions multiplier les exemples de dispa-
rition complète ou d'atrophie considérable et citer les observations de Dupuytren,
de JBrodie, de Curling, de Dubreuil, de Chaillier, de Gripat, plus deux faits
personnels qui établissent sans conteste la grande fréquence de ces altérations.
On a voulu déterminer la place exacte qu'occupe la glande dans les néofor-
mations de la pachyvaginalife; point intéressant lorsque le chirurgien ponctionne,
incise ou décortique la tumeur. D'ordinaire elle est, comme dans l'hydrocèle,
accolée vers la partie moyenne du segment postérieur. En effet, si le dévelop-
6 HEMATOCKLE.
pement est régulier, l'épancbement séreux ou sanguin distend la vaginale doublée
de ses néomenibranes; elles cèdent et la cavité se forme surtout en haut et en
avant. Aussi, dans les explorations cliniques, est-ce en arrière qu'on essaie de
provoquer par la compression la sensation spéciale de testicule froissé; mais
les anomalies sont fréquentes. Parfois le liquide exagère le eul-de-sac qui existe
entre le testicule et l'épididyme, et celui-ci s'étale sur l'un des pôles de la
tumeur, tandis que celui-là est refoulé vers l'autre pôle; néanmoins l'épididyme
en forme de croissant adhère encore au testicule par sa tête et par sa queue;
le corps seul s'en est éloigné. Parfois des adhérences partielles des deux feuillets
de la vaginale n'ont laissé libre qu'une faible portion de la séreuse, siège de la
future hématocèle. Si cette cavité se trouve en bas et en avant, son extension
rejettera la glande en haut et en arrière; eu bas, si la cavité est en haut. Et
nous ne parlons pas ici des inversions, qui sont loin d'être rares ; lorsque l'organe
sera atrophié, voilé par des néoniembranes trop abondantes, ou qu'il aura perdu
sa sensibilité spéciale, le chirurgien pourra blesser, malgré une incision correcte,
le testicule ou ses annexes. Nous avons ainsi fendu un épididyme, faible malheur,
car les lé'sions étaient assez ])rofondes pour nécessiter la castration.
La séreuse épaissie et ses néomenibranes limitent une cavité dont les variétés
sont, pour ainsi dire, infinies. Elle est parfois assez considérable pour contenir
i , 2 ou 0 litres de liquide. Nous avons opéré à Lariboisière un individu dont
la vaginale était distendue par 1500 grammes de sang et de caillots. Dans une
observation de Gérin Roze, l'hématocèle est bilatérale; des deux tumeurs, l'une
renferme 1000 grammes et l'aulre 2000 grammes d'une substance visqueuse
et noirâtre. Ces cas, pour n'être pas In règle, se montrent assez souvent, et les
pachyvaginalites sont une des affections qui peuvent donner aux bourses le plus
grand développement; encore ne parlons-nous pas ici de ces cas exceptionnels
dont Rochard n'a pu réunir que trois et oîi il existe deux poches, l'une dans le
scrotum, l'autre dans la cavité abdominale, et qui communiquent par un goulet
rétréci à travers le trajet inguinal. Une de ces hématocèles « en bissac » con-
tenait 5 litres de substance hématique. Les pachyvaginalites ordinaires ren-
ferment de 50 à 500 grammes de liquide, mais la quantité peut être moindre
et à peine trouve-t-on quelques grammes de sang sous les épaisses couches
stratifiées. Sur un sujet de l'école pratique, le liquide faisait défaut, il n'existait
qu'une poussière hématique peu abondante et quelques cristaux de cholestérine.
On ne saurait toujours dire, d'ailleurs, si ces substances, sérosité, sang, caillots,
cristaux de toute sorte, sont bien dans la cavité de la vaginale, et s'il ne s'agit
pas de lacune ou de kyste creusé entre deux néomembranes. Fleury (de Cler-
raont) a vu un vestige de la séreuse distendu par un peu de liquide et, en avant
d'elle, un large espace rempli de sang modifié se développer au milieu des
feuillets durs et fibro-cartilagineux des néomembranes.
Par définition même, le liquide de l'hématocèle devrait êti'e du sang et des
caillots. Le plus souvent il en est ainsi ; leur consistance et leur aspect sont
d'ailleurs très-variables. Parfois, c'est une masse homogène, une substance
visqueuse et épaisse, pailletée de cholestérine, noirâtre, lie de vin, chocolat ou
marc de café, et dans ces nuances on a épuisé tous les genres de comparaison.
Parfois le contenu est en proportion inégale, soUde et liquide; il n'est pas rare
de trouver du sang presque pur, d'effusion en apparence récente, où surnagent
des flocons fibrineux rouges ou gris et pleins d'hématies ou de leucocytes. Mais
les liquides clairs, à peu près limpides, citrins ou verdâtres, ne sont pas rares.
IlÉMATOCELE. 7
Gripat cite un cas où la tumeur datait de trente ans; le contenu était d'une
transparence parfaite. Bauchet, Levasseur, nous donnent, à eux deux, quatre
observations, et nous possédons six faits personnels de pachyvagioaiite à contenu
séreux. Dans deux de ces cas, la ponction donna un liquide hématique une
première fois, et sc'rcux une seconde. Mieux encore, celte année même, nous
avons soigné un individu dont la tumeur droite était distendue par de la sérosité
citrine, et la gauche par un licpiide brun, sirupeux et rempli de globules
rouges. Chaillier a publié un exemple semblable. On a cité des hématocèles à
liquide blanc ou galactocèles, des cholécèles, à liquide semblable à de la bile.
Disons enfin que dans les tumeurs à loges multiples, dues à des cloisons de la
séreuse ou à des lacunes entre les feuillets stratifiés, les différents kystes nous
offrent toutes les variétés possibles.
Les néomembranes présentent des variétés plus nombreuses encore, mais
tout d'abord il nous faudrait déterminer où finit la vaginalite chronique et où
commence la pachyvaginalite. Nous avons vu que les hydrocèles à parois épaisses
de Boyer, de Dupuytren et de Blandin, rentrent pour la plupart dans la classe
des hématocèles; nous avons publié avec Brissaud des observations où la séreuse
épaissie et recouverte d'arboi'isalions vasculaires pouvait être considérée comme
un premier degré de l'affection qui nous occupe. Avant nous, en 1870, Malassez
étudie un cas où le feuillet pariétal de la vaginale est blindé de plaques sail-
lantes, hyalines et d'une dureté cartilagineuse; elles sont formées à leur surface
de lames superposées, peu vasculaires, comme celles des fibromes cornéens;
dans leur profondeur, la structure change, la substance fondamentale devient
onduleuse, fibrillaire, parcourue par des faisceaux ramifiés; le feuillet viscéral
est, lui aussi, épais, irrégulier, rugueux. Il faut tenir compte de ces faits, mais
n'oublions pas que nombre de ces vaginalites chroniques durent des années,
incrustant tout au plus leurs plaques fibreuses de concrétions calcaires, sans
accumuler les unes sur les autres les couches stratifiées des néomembranes.
Elles diffèrent par conséquent des pachyvaginalites dont le tissu reste embryon-
naire et dont les feuillets se superposent incessamment.
D'après l'épaisseur, la consistance et l'ancienneté de leurs néomembranes,
les pachyvaginalites sont divisées par M. Gosselin en premier, deuxième et troi-
sième degré. Djus le premier, la séreuse ne mesure guère que 1 à 2 millimètres ;
elle est encore souple et molle et, lorsqu'on a enlevé les caillots qui l'encom-
brent, elle revient sur elle-même adossant son feuillet pariétal à son feuillet
viscéral. Les couches superficielles de ces stratifications, celles qui sont au con-
tact du liquide, sont tapissées de dépôts de fibrine inéguliers et qui donnent
à sa surface un aspect tomenteux et semblable à la peau du crapaud ou du caï-
mam. On les gratte avec les ongles et on trouve la néomembrane plus résis-
tante, quoique friable cependant, puisqu'on peut en déchirer des lambeaux. On
les sépare assez aisément de la vaginale, plus blanche et plus mince. Son
épaisseur n'est pas partout égale : en général elle est moindre en avant et en.
haut, dans les points les plus éloignés du testicule. Ces strates se multiplient
en arrière, au point de réflexion de la vaginale sur la glande. Aussi, même dans
les hématocèles au premier degré, l'épididyme est perdu dans une atmosphère
fibreuse dont on l'isole à grand'peine. Même inégalité dans les néomembranes
du feuillet viscéral ; d'un façon absolue, elles sont beaucoup moins épaisses que
celles du feuillet pariétal ; souvent même elles font défaut. En définitive, lorsque
la glande est en position normale, c'est en arrière, autour de l'épididyme, que
8 HÉMATOC
s'accumulent les tissus neoformés. Récemment nous avons contrôlé de l'œil et
du doigt toutes ces particularite's de la pachvyaginalite au premier degré chez
un major d'artillerie dont nous avons incisé la vaginale, altérée depuis moins
d'un an.
Le deuxième degré, qui se confond, à ses limites, avec le premier et le troi-
sième, se caractérise par une épaisseur plus considérable, 2 ou 5 milli-
mètres environ; les strates sont beaucoup plus nombreuses; cependant elles
restent flexibles, encore assez pour permettre, après évacuation de la poche,
l'oblitération du kyste hématique. Les dépôts fibrineux sont abondants à la
surface libre, irrégulière et tonientensc; la surface profonde adhère mal, et
d'ordinaire il suffit d'une traction peu considérable pour la décoller. Parfois
une spatule, le manche d'un scalpel, en certains points le bistouri ou les ciseaux,
deviennent nécessaires. Les vaisseaux sont abondants et fragiles; leurs parois
dilatées forment de véritables ampoules, des anévrysmes miliaires; leur tunique
se rompt et l'on trouve de petits lacs sanguins que remplacent des caillots et
plus tard des cristaux d'hématoïdine. L'organisation des strates est plus avancée;
des faisceaux fibreux se montrent au milieu des éléments jeunes et de la matière
amorphe. Nous pensons que la consistance, plus que l'épaisseur des parois,
doit déterminer le degré de la pachyvaginalile, car il en est de fort anciennes
dont les enveloppes dures, fibro-carlllagineuses et déjà incrustées de sels
calcaires, mesurent à peine 2 à 5 millimètres.
Le troisième degré est celui que nous observons plus fréquemment dans
nos hôpitaux. Comme la tumeur est d'ordinaire indolente, les néomembranes
s'organisent sans bruit et n'augmenlent que peu le volume des bourses, si
tant est qu'un traumatisme ne déchire les jeunes vaisseaux et ne provoque un
épanchement dans la cavité vaginale. Les lésions peuvent être déjà fort avancées
lorsque les pachyvaginalites sont soumises à notre examen. Les parois ne s'effa-
cent plus après l'évacuation du kyste; on les déprime comme une ventouse en
caoutchouc, mais elles reprennent bientôt leur forme première. Leur épaisseur
varie de quelques millimètres à 1, 2, 5, 4 centimètres. Nous avons opéré à
Lariboisière un maraîcher dont les néomembranes mesuraient 5 centimètres
en arrière et en haut ; un cas à peu près semblable est signalé par Polaillon :
les vaisseaux du cordon qui émergeaient d'une pareille masse battaient comme
des radiales, et leur ensemble avait a le volume d'un intestin distendu. » Par-
fois les couches juxtaposées s'écartent, sous la pression du sang épanché et for-
ment un kyste dont la substance, suivant son âge, est rouge, noire, brunâtre ou
ocreuse. Les strates superficielles, celles qui limitent la cavité kystique, sont les
plus anciennes; elles sont plus denses, moins vasculaires, et incrustées de sels
calcaires. Chez un vieillard de Bicètre dont la tumeur contenait 1 litre 1/2
de sang et de caillots, ces concrétions pierreuses tapissaient la néo-membrane
d'un revêtement intégral. Astley Cooper et Kocher ont vu des dépôts superficiels
ossifiés.
Cette division de Cosselin en trois degrés est contestable. Nous la préférons
cependant à la classification de Kociier, qui distingue trois formes de « périor-
chite chronique. » D'abord, sa première variété, la périorchite « adhésive, » ne
rentre pas dans notre description. Elle consiste dans une obHtération de la
cavité par fusion des deux feuillets de la vaginale. Cette « symphyse » de la
séreuse, si fréquente après les orchites et que provoquent si souvent les injec-
tions de teinture d'iode, diffère trop de notre pachyvaginalite pour que nous en
IIÉMATOCÈLE. 9
fassions ici l'étude. Sa deuxième variété, la périorchite « prolifcrative ou défor-
mante », que caractérise un épaississement considérable des parois avec cavité
persistante à l'état de fente étroite, ne se distingue que bien peu de la troisième
variété, la périorchite « hémorrhagique ou vasculaire », car la couleur et la
nature de l'épanchement, séreux dans un cas, sanguin dans l'autre, ne suffisent
pas pour légitimer même une simple variété. Koclier invoque bien un autre
caractère, l'épaississement plus considérable de la périorchite déformante et
la tendance de son tissu embryonnaire à dexenir adulte, mais nos recherches
ne justifient pas cette assertion, et la vaginale était distendue par du sang
et de volumineux caillots dans un de nos faits où les parois mesuraient plus
de 5 cenlimèlres. Il n'est pas rare non plus de trouver des pachyvagina-
lites hémorrhagiques dont les néomembranes sont •«fibreuses, du moins en
grande partie.
Le mode de formation de ces néomembranes rappelle Irait pour trait le déve-
loppement des couches stratifiées de la pachyméningitc, la mieux étudiée des
inflammations chroniques des séreuses : un petit caillot fibrincux se dépose sur
la séreuse sans l'altérer, malgré son adhérence il ne paraît, au microscope,
constitué que par un réseau où les leucocytes abondent; on trouve bien quel-
ques globules rouges, mais disséminés, tandis que les globules blancs sont
groupés en amas qui ne sont autre chose que des centies de coagulation. Dès
le début, rinflanunation chronique est donc sèche; bientôt ce petit caillot
fibrineux s'étend et prend les apparences d'une lamelle facile à décoller avec
l'ongle, sans adhérence intime avec le revêtement endolhélial. Ce n'est qu'une
sorte de placage, car l'endothélium est sain et, lorsque la lamelle est enlevée,
alors même que son épaisseur égale 1/2 millimètre, la sénnse sous-jaccnte
n'a subi aucune altération, à tel point qu'une fois la fibrine détachée on n'en
saurait plus trouver le siège primitif. La fausse membrane, encore simple
coaguluni emprisonnant des leucocytes dans ses mailles, commence à s'orga-
niser. Sa couleur se modifie ; elle devient plus blanche, plus résistante, et ses
leucocytes, loin de mourir, se transforment en cellules étoilées qui deviennent
bientôt cellules à grands prolongements angioplastiques : dès lors nous avons
une petite néomembrane qui contracte des adhérences plus intimes avec les
parois de la séreuse, dont l'épithélium se laisse pénétrer par des pointes angio-
plastiques.
Les cellules angioplastiques vont parcourir le cycle de leur évolution natu-
relle : elles deviennent des vaisseaux sanguins qui s'alimentent aux réseaux
sous-séreux. Ces capillaires ont d'énormes dimensions; ce sont, pour la plupart,
de petites artérioles possédant une tunique moyenne et une tunique adventice,
mais les anastomoses sont rares entre les vaisseaux de la néomembrane et ceux
du tissu sous-séreux ; les adhérences, plus résistantes cependant qu'au premier
jour, ne sont jamais bien intimes; quelle que soit l'épaisseur de la néomem-
brane, elle se détache facilement et la séreuse sous-jacente conserve son apparence
normale et son aspect primitif. La fragilité des parois vasculaires en explique
la facile rupture et les hématomes qui s'accumulent parfois entre la séreuse et
la néomembrane. La collection se résorbe le plus souvent et ne laisse à sa place
qu'un interstice ocreux, mais elle peut persister lorsqu'elle est plus abondante
et le sang rester liquide presque indéfiniment. Quoi qu'il en soit, le dépôt cruo-
rique sert d'appel à une nouvelle formation fibrineuse d'où résulte un nouveau
placage, de nouvelles néomembranes, des formations vasculaires nouvelles, avec
10 IIÉMATOCÈLE.
de nouvelles hémorrhagies. Et c'est ainsi que la séreuse accumule ses stratifi-
cations.
Nous avons vu que la rupture des gros capillaires peut amener des épanclie-
ments sanguins considérables, véritables hématomes situés entre les stratifica-
tions de la néomembrane; mais, d'autres fois, le sang fait irruption à la surface
de la néoniembrane et comble l'ancienne cavité d'un mélange de sérosité et de
sang. Souvent le liquide ne remplit qu'imparl'aitcmcnt la poche ; l'exsudation
fibrineuse établit alors des adhérences entre les deux feuillets ; la fusion est
plus ou moins étendue : de là le volume plus ou moins considérable de la
cavité kystique. D'après ce qui précède, on comprend les variétés que présentent
nos pachyvaginalites : ou bien l'hématocèle est un épaississement de la vaginale
composé de couches stratifiées avec infiltrations hémorrhagiques, et, dans ce
cas, il existe tantôt une adhérence générale des deux feuillets, tantôt un écarte-
ment de ceux-ci par un liquide citrin d'hydrocèle; ou bien la vaginale est
remplie par du sang, plus ou moins foncé selon l'ancienneté de son effusion.
11 arrive même à ne plus avoir de coloration rouge, mais seulement au bout
d'un temps très-long.
Étiologie. Nous venons de voir combien sont peu précises les limites de la
pachyvaginalite : ou ne sait où elle commence et où finissent certaines hydro-
cèles à parois épaisses. Aussi ne peut-on se prononcer sur la fréquence absolue
de cette affection, assez rare, si on l'entend à la manière des anciens auteurs,
de rencontre courante, si nous comptons comme iiématocèle un épanchemcnt
verdâtre ou citrin qu'enveloppe une séreuse liyperplasiée. Cette année, dans
notre petit service de l'hôpital Broussais, nous n'avons traité qu'une Iiématocèle
au vieux sens du mot, tandis que nous avons excisé cinq vaginales, épaisses de
2 à 5 millimètres, chagrinées, rugueuses, et abondamment vascularisées. Nous
les rangeons, sans respect, ou, pour mieux dire, par respect de la nosographie,
parmi les pacliyvaginalites dont la classe s'étend ainsi au détriment de l'iiy-
drocèle.
C'est une affection de tous les climats : elle doit être très- fréquente en
Egypte. Osman Wacil ne dit-il pas qu'au Caire les vaginalites chroniques sont
si nombreuses qu'un spécialiste a pu faire une fortune « considérable )) en
les opérant à 60 centimes ? Elles est à peu près de tous les âges, pourtant
exceptionnelle avant la puberté, et, si Bryant nous parle d'un enfant de deux ans
atteint d'hématocèle, dans nos 117 observations nous n'en trouvons que 5 où
la pachyvaginalite ait débuté avant douze ans. 4 seulement des 48 faits de
Kocher ont trait à des individus au-dessous de vingt. La fréquence s'accroît
avec l'âge ; on rencontre surtout ces tumeurs dans les services de vieillards, et
c'est de Bicêtre que je tiens mes cas les plus nombreux. La statistique do
Kocher et celle de Jamain confirment la nôtre : 55 individus sur 48 et 15 sur 25
avaient dépassé la quarantaine. On a incriminé certaines professions : les cava-
liers dont les bourses trop longues heurtent sans cesse le pommeau de la selle
sont parmi les plus souvent atteints.
Certes, le traumatisme joue un rôle considérable dans la production des
hématocèles. mais il y en a beaucoup qui naissent et se développent d'une
manière insidieuse, et les malades ne peuvent retrouver dans leur mémoire le
souvenir d'une violence quelconque. Près d'un tiers de nos observations ren-
trent dans cette catégorie; encore, parmi ceux qui accusent un effort ou un
coup, nous soupçonnons que souvent ce traumatisme a été l'occasion d'un exa-
HÉMATOCÈLE. 11
men attentif de la glande, où l'on a reconnu une tumeur déjà existante dont le
volume, du reste, a pu s'accroître d'une manière subite. Nous devons tenir
compte de toutes ces causes d'erreur, mais un traumatisme indiscutable se
découvre à l'origine de trop de pachyvaginalites et chez des individus évidem-
ment intacts jusque-là, pour qu'on ose révoquer en doute sa valeur pathogénique.
Un malade de Chassaignac saute, pour se mettre en selle, sur un cheval lancé
au galop. Un de nos clients provoque l'apparition de la maladie en rapprochant
violemment les cuisses. Les coups de poing, les coups de pied, les pressions
et les pincements dans les jeux ou dans les pugilats, les chutes à califourchon,
les contusions sur les coins de table, sur les barrières, contre des pieux, se
retrouvent en nombre d'observations.
Les ponctions d'hydrocèle sont une des causes le plus souvent invoquées. Ou
évacue la vaginale, on fait une injection, et la tumeur récidive avec des parois
épaisses et du liquide brun noir ou chocolat. L'inflammation provoquée par
l'iode peut bien irriter la séreuse, mais nous croyons que, le plus souvent, la
pachyvaginalite existe déjà ; c'est même à sa présence qu'est dû l'échec du trai-
tement : les feuillets trop rigides n'ont pu se juxtaposer et la fusion n'a pas eu
lieu. Nous admettons cependant que telle vaginalite chronique dont révolution
lente eût abouti à quelque plaque dense et ])eu vasculaire s'accroisse tout à
coup et se double de néomembranes embryonnaires irriguées par des vaisseaux
sans résistance et que rompra le premier choc. En résumé, la ponction et l'in-
jection iodée n'ont fait qu'aggraver une pachyvaginalile en formation ou déjà
formée, car ici nous ne voulons pas parler des cas incontestables où, dans le
traitement de l'hydrocèle, un vaisseau de la glande a été ouvert par la pointe
du trocart. Nous laissons aussi de côté les faits où le sang provient d'une source
extra-vaginale et pénètre dans la séreuse par l'orifice qu'a créé le trocart. Ces
accidents étaient beaucoup plus fréquents lorsqu'on se servait de la lancette,
qu'on ne faisait pas d'injections et qu'on permettait au malade de reprendre
aussitôt ses occupations. La section des tissus était plus grande, le retrait des
parois plus brusque, la pression exercée sur la vaginale cessait plus vite, la
marche pouvait provoquer la rupture des petits vaisseaux : toutes raisons qui
suffisent pour expliquer l'hémorrhagie. Mais ces épanchements sanguins ne nous
regardent pas, et nous ne comprenons guère'quc Rocher leur consacre, dans ses
excellents travaux, un article à part sous le nom d'hématocèles Iraumatiques. Il
s'agit d'une simple complication à signaler tout au plus à propos du trtiitemeut
de l'hydrocèle.
L'effort est incriminé dans un très-grand nombre d'observations : ici encore
une distinction est à faire. Très-souvent la pachyvaginalite existe déjà, les feuil-
lets de la séreuse sont épaissis et les vaisseaux jeunes qui les parcourent se
rompent sous l'influence d'une tension plus grande. La tumeur alors double
ou triple de volume. Mais du sang peut-il s'épancher dans une vaginale saine,
sous l'impulsion d'un effort? Des observations indiscutables le prouvent. Au
cours d'une secousse de toux survient, chez un cordonnier cité par Svalin, une
large ecchymose du scrotum ; on incise, et l'on trouve, en dehors de la suffu-
sion sanguine pariétale, un gros caillot qui distendait la séreuse. L'hémorrhagie
avait pour cause la rupture d'un vaisseau artériel de la tête de l'épididyme.
Rocher cite le cas d'un lieutenant qui, au commandement de « Marche! »
s'élance et sent une douleur très-vive, la bourse se tuméfie et noircit, et l'on
relire de la cavité vaginale deux verres de sang noirâtre.
12 IIÉMATOCÈLE
Une expérience de Kocher nous donne l'explication de ce phénomène bizarre.
Sur le cadavre d'un homme jeune et vigoureux, le cordon spermatique est mis
à nu et on lie une canule le long du canal déférent; on pousse une injection
de gélatine; elle produit une tuméfaction de la grosseur du poing, qui cache
en partie le teslicule : la masse molle a pénétré dans le tissu cellulaire qui
entoure l'épididyme et affleure le bord postérieur du testicule ; en ce point la
vaginale, soulevée par la gélatine, est fortement tendue et présente une foule de
petites fissures à travers lesquelles l'injection filtre diuis la cavité de la séreuse,
<|ui contient une couche de gélatine épaisse de 1 centimètre. Pendant l'effort,
le sang de l'abdomen est refoulé dans les vaisseaux qui peuvent se rompre, un
hématome dilTus du cordon spermatique se produit, il fuse sous la séreuse, la
perfore, et l'épanchemcnt sanguin inlra-vaginal est bientôt constitué.
Donc les violences sur le scrotum, les ponctions dans les hydrocèles, l'effort
et la (( j)resse abdominale », peuvent provoquer dans la vaginale une irruption
de sang qui provient du testicule ou de l'épididyme, des enveloppes des bourses
ou de la séreuse elle-même. Cet épanchement, simple épisode dans l'étude des
traiimatismes de la glande ou de la contusion dos boiu'ses, nous intéresse pour-
tant, car, selon les idées de Velpoau, il peut avoir pour conséquence une pachy-
vaginalite véritable, non, comme le voulait l'illustre clinicien, par une organi-
sation directe du sang, mais ce sang irrite la séreuse comme le ferait \in corps
étranger : les globules blancs, issus p^r diapédèse, s'organisent alors en néomem-
branes. Me voyons-nous pas même certains hématomes des mailles cellulaires
sous-cutanées, en particulier les '( hématocèles pariétales » de Béraud, s'en-
tourer de strates multiples, de couches concentriques épaisses? Or le tissu con-
jonclif est moins apte que les séreuses à l'organisation de ces néomembranes.
Gosselin discute ce point dans son fameux article des Archives, mais, s'il conclut
à la possibilité de la pachyvaginalite, il ne croit guère à sa fréquence, et pour
lui les tumeurs consécutives à une hémorrhagie traumatiquo ne fourniraient
(|u"iin maigre apport au nombre total des hématocèles. Ne sait-on pas, depuis
les expériences de Trousseau, que le sang « non enflammé » injecté dans les
séieuses se résorbe le plus souvent sans en altérer les parois?
Mais il faudrait s'entendre sur ces mots de pachyvaginalite « primitive » ou
« spontanée ». La pathologie générale nous apprend que les séreuses, peu
susceptibles par elles-mêmes, sont au contraire très-sensibles aux altérations
des organes quelles enveloppent. Les arthrites aiguës ou chroniques deviennent
(le plus en plus une affection des extrémités osseuses ; les synovites sont souvent
des ténosites ; les pleurésies évoquent l'idée d'une lésion pulmonaire, et, pour
ce qui est de la glande spermatique, M. Panas ne soutient-il pas depuis long-
temps que les hydrocèles ont pour origine quelque tare de l'organe? Pour nous,
notre conviction est faite, et nous en dirons autant de l'hématocèle. Je sais bien
((ue, dans certaines observations, testicule et épididyme sont déclarés sains,
mais je m'imagine que nombre de poussées fluxionnaires, de congestions de
courte durée, de contusions légères et répétées, peuvent, à cliaque coup, laisser
un stigmate sur la séreuse, qui s'épaissit de plus en plus. JN'expliqne-t-on pas
ainsi les adhérences pleurales que révèlent les autopsies, les fibromes cornéens
du foie et de la rate, les « leucomes » du péricarde et nos pachyvaginalites
spontanées? Dans les irritations habituelles et non perçues, tant elles sont faibles,
comme la contusion des bourses du cavalier sur le pommeau de la selle, la
glande souffre plus que la séreuse, mais la congestion momentanée dans la pre-
HÉMATOCELE. 15
mière se réporcute sur la seconde qui réagiL par la production d'une néo-
membrane. Nous parlerons à celte place de l'inlluence incontestable des hernies
scrotales, influence que nous ne voyons pourtant mentionnée nulle part. Les
irritations du sac doivent retentir sur la vaginale qui lui est juxtaposée : en
tout cas, dans nos 117 observations, nous en trouvons près d'un tiers où il y a
coïncidence, et la licrnie est toujours du même côté que l'iiémalocèle.
On admet que les inflammations aiguës de la vaginale sont secondaires la
plupart du temps. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour les inflammations
chroniques? D'ailleurs, les altérations visibles et sensibles de la glande sont très-
fréquentes et nous en trouvons un bon nombre d'exemples dans nos 117 obser-
vations. Moulinié constate dans une hématocèle bilatérale l'atrophie du testicule
droit et l'hypertrophie du gauche. Dans une seconde observation la glande est
dure, luméhée, raboteuse, el l'épididyme considérablement développé. Dans le
fait de Bouchard, le testicule inclus dans les membranes ne mesure que la moi-
tié du volume habituel ; l'épididyme du congénère est induré. Quénu cite un
cas où l'épididyme est tuméiié et dur. Ericksen j)arle d'un kyste sanguin intra-
épididymaire et Poinsot d'un ramollissement de la glande. Les néomembranes
provoquées par les affections induscutables du testicule ne sont pas rares; nous
les avons rencontrées dans ([uelques cas do sarcome, et notre thèse de doctorat
sur la tuberculose du testicule contient une foule d'exemples où des périépi-
didymites et des pcriorcbites très-intenses enveloppaient des organes dégénérés.
Quelques auteurs, Chassaignac entre autres, ont aussi pailé d'hématocèles pro-
voquées par la tuberculose.
Enfin Tédenat et nous-même n'avons-nous jias appelé récemment l'attention
sur les pachyvaginalites survenues au cours d'une syphilis de la glande? Dans
notre mémoire de 1882, nous insistons sur les néomembranes épaisses qui
entourent l'épididyme d'une atmosphère fibreuse de 1 ou 2 centimètres; nous
montrons que dans les formes scléro-gommeuses les deux feuillets de la séreuse
hypertrophiée se fusionnent, et nous relatons un cas où les enveloppes des
bourses se confondaient en une membrane unique de consistance fibro-cartilagi-
neuse. Le tissu scléreux formait une coque qui triplait le volume de l'épididyme ;
le canal déférent à son origine et les vaisseaux du cordon étaient perdus dans
cette gangue. Tédenat nous montre des néomembranes vascularisées circon-
scrivant une cavité remplie de liquide hématique. Nous exhumons un vieux
cas de Nélaton où une tumeur des bourses, vieille de sept ou huit mois, se
rompt pendant une marche forcée, et une ecchymose énorme apparaît au scrotum :
on ponctionne la vaginale, d'où il s'écoule 80 grammes de sang ; le testicule est
« engorgé, » indolore, les membranes qui l'enveloppent sont épaissies. On donne
par doses ascendantes jusqu'à 20 grammes d'iodure de potassium par jour, et
la tumeur disparaît. En ce moment nous observons un cas remarquable : un
malade entre à Broussais pour une double pachyvaginalite : ponction et issue à
droite de 250 grammes de liquide séreux ; à gauche, de 80 grammes de liquide
hématique. La vaginale est encore flexible et revient sur elle-même à droite ; à
gauche elle crépite comme du cuir neuf et s'aplatit comme une ventouse en
caoutchouc. Des deux côtés nous reconnaissons les signes du testicule syphili-
tique : indolence, dureté ligneuse, irrégularité de la glande : 6 grammes
d'iodure de potassium, et la tumeur fond sous nos yeux, la pachyvaginalite
s'assouplit et nous touchions à la guérison totale, lorsque le malade, fort
indocile, quitta furtivement l'hôpital.
14 HÉMATUCÈLE.
La pachyvaginalite est donc pour nous une affection secondaire; une lésion,
cachée ou patente, de la glande sjiermatique, la précède et l'engendre ; l'inflam-
nialion du viscère a comme corollaire l'inllammation de la séreuse, qui devient
parfois la maladie principale. Voici comment nous et notre ami Ed. Brissaud,
qui nous a beaucoup aidé dans ce travail, reflet de notre commune opinion,
comprenons rencliaînenient et la succession des phénomènes. La glande est
irritée, la circulation se ralentit et les globules blancs quittent les vaisseaux au
niveau des bouches absorbantes. Ces leucocvtes sont un centre de coagulation
pour la fibrine qui s'étale en minces couches au-dessus de l'épithélium sain
encore ; l'exsudat fibrineux ne se dépose pas indistinctement dans tous les
points ; il s'accumule dans les régions où les lymphatiques viscéraux sont le
plus abondants et, règle générale, plus sont étroites les connexions des lym-
phatiques viscéraux avec les lymphatiques sous-séreux, plus facile et plus intense
sera la réaction de la séreuse. Celte loi nous explique une particularité bien
remarquable, l'abondance des néomembranes au niveau de l'épididyme, leur
absence ou leur extrême ténuité à la surface du testicule.
En effet, les lymphatiques de la membrane alhuginée n'ont aucune connexion
avec ceux du feuillet séreux qui l'enveloppe et les uns et les autres, sans réseau
commun et sans anastomose, convergent vers l'épididyme. On n'a point ces
inosculalions à \)\e\n canal observées à la plèvre, au péricarde et au péritoine.
Celle indépendance singulière, ce manque de solidarité cesse au niveau de l'épi-
didyme où capillau'es séreux et parenchymateux se mêlent et confluent. Aussi,
selon la règle, le testicule et son albuginée réagissent à peine sur la séreuse,
presque toujours intacte, tandis que lépididynic imprime à son feuillet une
activité remarquable. Et les occasions sont nombreuses : l'épididyme est bien
souvent malade, ce n'est point un conduit excréteur banal — ce rôle est dévolu
au canal déférent — c'est un organe très-délicat et sensible par excellence. Son
atmosphère celluleuse lâche le protège à peine, tandis que le testicule est à l'abri
sous sa carapace albuginiquc ; sa richesse vasculaire est extrême; il est le centre
d'irradiation des artères, le point de convergence des veines, et à ses lympha-
tiques il ajoute ceux du lesticnle. Aussi voit-on se développer dans l'épididyme
les inflammations qui, parties de l'urèlhre, ont traversé impunément la prostate,
les canaux éjaculaleurs, les vésicules séminales et le long trajet du canal
déférent.
La conclusion est facile à tirer : la pathologie générale nous apprend que les
inflammations des séreuses sont presque toujours secondaires ; elles succèdent
aux lésions des organes qu'elles enveloppent. La vaginale n'échappe point à cette
loi, et l'examen des conditions étiologiques, la lecture des observations, nous
montrent que l'hématocèle, en particulier, doit avoir pour origine non une
irritation directe, mais quelque affection de la glande spermatique. Encore
faut -il distinguer, et nous voyons que le testicule, isolé dans sa membrane
albuginée, sans relation intime avec le feuillet de sa séreuse, est à peu près
sans influence sur la production des néomembranes absentes ou peu épaisses à
son niveau. Au contraire, l'épididyme délicat, sensible, mal protégé, très-vascu-
laire, réagit d'autant plus sur la vaginale que leur deux réseaux lymphatiques
s'anastomosent largement : c'est donc à son niveau que s'accumuleront les néo-
membranes, et leurs feuillets seront d'autant plus épais qu'ils se rapprocheront
de ce centre originel.
Symptômes. La pachyvaginalite « moyenne » , celle qui nous servira de type,
IIÉMATOCÈLE. 15
est une tumeur du volume d'un œuf de dinde, piriforme ou arrondie, en général
unilatérale. La peau qui la recouvre est souple, normale, à peine un peu tendue ;
la surface en est lisse, sans rugosités, sans bosselures ; elle est résistante, mais
élastique, et la pression qu'on exerce en un point se transmet dans son intégra-
lité à toute la périphérie, sauf en arrière, où l'on trouve un tissu d'une densité
différente, saillant et qui, lorsqu'on le pince, réveille chez le malade la sen-
sation spéciale du testicule froissé. Si on interpose les bourses soulevées à
une lumière et à l'œil du chirurgien, on n'aperçoit aucune transparence. La
ponction donne issue à un liquide rouge, brun, chocolat ou noirâtre; la cavité
ne s'affaisse pas complètement, et ses parois rigides rappellent le parchemin ou
le cuir neuf. Ou reste, le patient raconte que l'affection, née peut-être à l'occasion
d'un coup, s'est développée lentement, d'une manière insidieuse, bien que, en
une ou deux circonstances, un heurt, une fatigue excessive, aient provoqué tout
à coup une sorte de poussée aiguë ; jiuis tout est rentré dans l'ordre et la masse
slalionnaire évolue, ne gênant guère que par son volume et par son poids. Elle
s'éternise ainsi des mois et des années sans troubler autrement l'organisme.
Tel est l'aspect ordinaire de la pachyvaginalite, mais il n'est pas un des traits
de ce tableau qui ne puisse se modilier.
C'est ainsi que le volume est des plus variables : on a cité des hématocèles
grosses à peine comme une noix et Marcé a vu, dans un cas de pachyvaginalite
bilatérale, l'une des tumeurs coiffer le testicule d'un kyste à parois libro-carti-
lagineuses, épaisses de 5 millimètres et distendues par du liquide chocolat :
l'ensemble avait les dimensions du pouce. D'autre part, le développement peut
être excessif; dans 11 de nos 117 observations les bourses étaient comparables
à une tête d'adulte; dans un cas de Polaillon, le scrotum mesurait 58 centi-
mètres de circonférence. H en est qui contiennent 2 litres, 2 litres 1/2, 5 litres
de liquide : telle est l'observation de Rochard, où la tumeur, non contente de
distendre les bourses, s'étranglait à travers le canal inguinal et s'épanouissait
dans l'abdomen jusqu'à la hauteur de l'ombilic, lluguier et Dupuytren ont vu
chacun un cas analogue. Ce sont là les fameuses hydro-hématocèles en bissac
dont le nom a prêté déjà à tant de confusion. Entre les grosses et les petites
pachyvaginalites s'échelonnent tous les degrés intermédiaires.
La forme est plus constante, la tumeur est en général ovalaire, allongée, avec
une sorte de côte un peu saillante en arrière, au niveau du point où d'habitude
se trouve la glande spermatique. Dans d'autres cas, elle est presque ronde, et la
régularité de sa courbe n'est troublée que par la voussure du testicule sain
appliqué sur l'un des côtés de la tumeur. Assez souvent la pacliyvaginalile est
bilatérale — 22 fois sur 117 observations — et les boui'ses prennent des aspects
différents selon la prédominance de l'une ou l'autre séreuse dont les lésions ne
sont pas toujours identiques. Les parois de l'une peuvent être épaisses, fibro-
cavtilagineuses, crétacées, distendues par une substance hémalique ; les feuillets
de l'autre sont souples encore et remplis d'un liquide citrin. Dupuytren, Vel-
peau, Gosselin, Duhamel, Chaillier, en ont cité des exemples, et nous en possé-
dons deux dont l'un a trait à une hématocèle d'origine syphilitique.
La peau, avons-nous dit, est souple, normale, parfois un peu tendue. On l'a
trouvée cependant épaissie, rouge, et comme atteinte d' œdème chronique. Dans
un fait déjà cité de Gérin Roze, le scrotum était dur, violacé, comme éléphan-
tiaque, et sa surface de section mesurait 2 centimètres 1/2. L'hyperplasie se
montrait très-notable encore dans un cas de Garcia ; les téguments étaient bruns
d6 HÉMATOCKLE.
et sillonnés par des veines ybondanles et volumineuses. Ces vaisseaux, que l'on
retrouve dans les observalioas de l'oiasot, de l'olailion, d'Oré et de Dcm:\rquay,
ont été causes de cerlaines erreurs de diagnostic et d'une castration trop lifilive.
On comprend l'origine de ces altérations de la peau : l'inflammation n'est pas
toujours limitée à la vaginale; elle gagne les couches sous-jacentes et se traduit
par des œdèmes chroniques et des troubles circulatoires.
L'i palpalion est loin de donner des sensations toujours identiques, et si, d'or-
dinaire, la peau roule sur une tumeur lisse, égale, sans bosselures, de nom-
breuses observations relatent des rugosités, des saillies, des dépressions. Le doigt
est arrêté par une dureté ligneuse ou s'enfonce dans des tissus qui cèdent faci-
lement. Et, de fait, les néomembranes de la pachyvaginalite n'ont point partout
même épaisseur. A couches redoublées en certains endroits, (îbrn-cartilagineuses,
blindées de sels calcaires, elles sont souples, amincies en d'autres, et le liquide
les distend d'une manière inégale. 11 n'est pas besoin de remonter à l'observa-
tion de Saviard oii « M. Bessière découvrit ua petit endroit oij l'on sentait
(|uclque peu de mollesse n, et où l'on apjdiqua le cautère; les faits abondent :
Bauchet signale des bosselures dans deux cas, et Cauchois insiste sur l'inégalité
des parois qui cèdent en quelques points. Dans quelques faits, la cavité, à demi-
vide, produit sous la pression une crépitation parcheminée. Rien n'est plus
inconstant que la fluctuation, d'habitude obscure, mais indiscutable. D'autres
fois la consistance est pierreuse à tel point que l'on a pu croire à de l'enchon-
drome. Dans une observation de Gérard Laurent, la dureté était intermittente,
la tumeur diminuait à la suite de transpirations, ou après des urines très-
copieuses .
La présence de la glande spermalique en arrière oîi elle forme une légère
saillie est un signe d'une grande importance et la recherche doit en être faite
avec le plus grand soin, mais l'anatomie pathologique nous en a appris déjà l'in-
constance: le testicule peut être en inversion ou aplati, atrophié, perdu dans
une gangue fibreuse ; sa sensibilité est obtuse ou abolie et la pression ne réveille
aucune sensation spéciale dans cette masse scléreuse qui n'a ni forme ni struc-
ture. Que de fois, même lorsque les lésions sont loin d'être aus.si profondes, les
investigations du chirurgien ont été infructueuses! Deniarquay, Velpeau, Gos-
sclin, Uichct, Verneuil, Poinsot, Polaillon, Trélat, Donnay, explorent en vain la
tumeur dans tous les sens. Nous voyons dans nos notes que, sur 15 observations
pei'sonnelles, 5 fois la position de la glande n'a pu être déterminée ; dans un
autre cas elle le fut, mais d'une manière erronée, comme le démonti'a l'examen
de la tumeur après castration. Avec notre conception de l'hématocèle, l'opacité
elle-même n'est pas un signe constant et, dans les cas de liquide citrin, on
observe la transparence, si la cavité est très-distendue et si les néomembranes
ne sont pas trop épaisses.
L'absence de douleur est de règle; elle peut être absolue et certains malades
n'ont même pas ces tiraillements dans l'aîne, ces pesanteurs du périnée et des
lombes qui accompagnent les tumeurs volumineuses des bourses, mais d'autres
fois les souffrances sont vives, et nous ne parlons pas ici de celles qui peuvent
survenir à l'occasion d'une contusion des bourses et d'une suppuration du kyste
sanguin. Non, le scrotum est bien soutenu, l'hématome n'est pas échauffé, et
cependant des élancements, des irradiations fort pénibles, se font sentir. A l'époque
où la douleur éveillait facilement l'idée de cancer, on s'y est trompé et, sur ce
signe, Dupuytren a pratiqué la castration pour une hématocèle qu'il croyait être
HÉMATOCÈLE. 17
un sarcocèle; Baiicliet, Ballue, Gosselin, Poinsot, Cloquet, pour ne citer que
ceux-là, ont publié des faits où la pachyvaginalite s'accompagnait de douleurs
plus ou moins intenses. Chez un de nos clients nerveux, inquiet, un peu liypo-
chondriaque, les élancements étaient intolérables et la palpation des bourses
impossible.
L'évolution de riicmatocèle est essentiellement chronique. Au début le patient
croit que le testicule atteint est simplement plus gros ; la tumeur augmente peu
à peu et finit par gêner grâce à son poids et à son volume. Des malades ont gardé
quarante ans leur pachyvaginalite sans en éprouver d'autre trouble. La marche
peut être la même quand uu traumatisme est à l'origine du mal : il y a eu
souffrance vive, gonflement, ecchymose, inflammation de la glande, puis ces
phénomènes se dissipent, sauf la tuméfaction qui s'accroît. Les cas d'indolence
complète sans épisodes aigus sont rares ; à l'occasion d'un lieiu-t, d'une violence
quelconque, d'une maladie générale, et quelquefois spontanément, les bourses
grossissent tout à coup, elles doublent ou triplent de volume, le scrotum et le
fourreau de la verge noircissent et leur coloration changeante vient déceler
l'existence d'un épanchement sanguin dans l'épaisseur des tissus.
Les observations en abondent : Déuucé nous raconte qu'un individu, atteint
d'hématocèle depuis deux ans, se réveille en sursaut pendant la nuit ; il a senti
un craquement dans les bourses et s'aperçoit que sou scrotum est déjà tout
noir; les néomembranes fissurées avaient permis au sang de fuser dans les
bourses. Nélaton a publié un cas et Ernest Cloquet deux cas qui sont absolu-
ment semblables. Le malade de Godard et Besnier avait sa tumeur depuis sept
ans : il se heurte, elle grossit, s'enflamme, et l'incision devient nécessaire. Dans
un fait de Jouon, l'hématocèle datait de sept mois : elle s'accroît tout à coup à
la suite d'un violent effort. Dans celui dePeulevey, c'est une séance de lilliotritie
qui provoque l'augmentation de volume et les phénomènes douloureux. Dans
celui de Cauchois, une variole hémorrhagiciue éclate et la tumeur, stalionnaire
depuis dix ans, acquiert un développement et une tension extrêmes. Les fatigues
du mariage doublent une pachyvaginalite observée par Ballue, et une autre
traitée par Thibault. Cet accroissement subit de la tumeur a son explication dans
la rupture des vaisseaux fragiles de la néomembrane. Le sang s'épanche dans la
cavité qu'il distend ou entre les feuillets des parois qu'il sépare. Ainsi se déve-
loppent des kystes liématiques plus ou moins volumineux. La pression est
parfois assez forte pour franchir les limites de la vaginale hyperplasiée qui se
fissure, et le liquide fuse dans les enveloppes scrotales : d'où les colorations
noires et marbrées, les ecchymoses à teinte changeante. Le sang a pu même
s'amasser hors de la vaginale et de ses néomembranes et former dans les enve-
loppes scrotales un hématome en communication avec la cavité séreuse. Nous
avons déjà signalé le remarquable exemple qu'en donne Annandale : la poche
pariétale empiétait sur le périnée et sur la racine de la cuisse.
Le traumatisme peut être l'occasion d'une poussée inflammatoire : le kyste
s'échauffe et du pus se mélange aux substances liématiques ; le scrotum gonfle
et rougit; des douleurs éclatent ; la tension est extrême, l'état général devient
grave et la vie est menacée, si une rapide évacuation du pus, provoquée ou spon-
tanée, ne conjure l'empoisonnement septique. Lorsque le phlegmon s'ouvre de
lui-même, en général une eschare se forme, qui se soulève, et un flot de pus et
de caillots putrides s'écoule à l'extérieur. On cite quelques cas où les néomem-
branes se dctacJient en bloc ; Panas les vit tomber au trentième jour. Les parois
DXT. EXU. i" S. XUI. 2
18 HÉMATOCÈLE.
granulent alors jusqu'à oblitérer la cavité, mais parlois une fistule persiste, et
il faudra, pour la tarir, une intervention chirurgicale, Gosselin a dû pratiquer
une double décortication dans une bémalocèle bilatérale abcédée et devenue
fistulcuse après une injection de teinture d'iode.
Ces phlegmons développés en pleine pachyvaginalite sont loin d'être toujours
innocents : ils ont provoqué de nombreux désastres, et la mort par infection
purulente termine plus d'une observation d'hématocèle. Les simples ponctions
exploratrices suffisent pour déterminer rinflammation du kyste, sa suppuration
et la pyohémie. Dans la seule thèse de Donnay nous en trouvons 7 cas, et
l'auteur n'aurait eu qu'à feuilleter quelques recueils pour en décupler facile-
ment le nombre. Tout conspire pour engendrer les accidents septiques : la région
peu propre ù l'asepsie ; la proximité du méat urinaire et de l'anus , surtout la
structure des néomembranes à tissu embryonnaire, à vaisseaux mous et fragiles,
toujours ouverts pour l'absorption des substances virulentes. A cette heure, le
danger a beaucoup diminué ; nous pourrions cependant citer un cas où une
pachyvaginalite énorme traitée par l'incision et pansée sous un Lister rigoureux
granulait depuis huit jours lorsque l'opéré, sous l'influence d'une émotion
morale violente, est pris d'un frisson et meurt au bout de quarante-huit heures.
Nous tenons d'un de nos amis le fait suivant : pachyvaginalite du volume
d'une tête d'enfmt; une ponction exploratrice donne issue à quelques grammes
de liquide sanguin. Trois jours après fièvre vive; la bourse se tuméfie, et un
emphysème sous-cutané envahit la paroi abdominale jusqu'à la poitrine. Les
conjonctives sont ictériques, la température s'élève à près de 40 degrés ; l'épi-
derme du scrotum est soulevé par une phlyctène gangreneuse d'où s'exhale une
odeur de macération cadavérique. Une large incision livre passage à un flot de
liquide fétide. La cavité est lavée avec soin, mais des accidents redoutables s'al-
lument, on veut pratiquer la décortication; on y renonce après une vaine
recherche du testicule ; on lie le cordon, aussi volumineux que l'index et le
médius réunis, et on extirpe la tumeur. On badigeonne la perte de substance
avec du chlorure de zinc au 1/8; on draine, on suture, et la guérison a été
complète.
Nous avons observé à Bicêtre des accidents graves chez un individu de soixante-
douze ans dont la tumeur était vieille de quatorze ans. Comme elle grossissait
et fatiguait le malade, nous y plantons le Irocart et 500 grammes de liquide s'en
écoulent. iNous lavons la cavité avec une solution phéniquée à 2 1/2 pour 100.
Dès le lendemain, douleur vive, gonflement et rougeur des bourses, funiculite
qui remonte jusque dans le trajet inguinal. Une incision de la vaginale donne
issue à des caillots fétides et à des gaz. La |)oche est incrustée de sels calcaires
qui lui forment une carapace; tout le segment antérieur du kyste est enlevé de
deux coups de ciseaux; la température redevient normale et la suppuration est
peu abondante. Tous les trois ou quatre jours se détache quelque fragment des
concrétions intérieures, mais, cinq mois après notre intervention, il existe
encore des plaques sous les téguments en partie cicatrisés, car une fistule per-
siste par où notre stylet se heurte à des îlots crétacés.
DiAGiNOSTic. Lorsqu'une hématocèle se présente avec ses caractères clas-
siques, tumeur de volume moyen, piriforme ou arrondie, lisse, sans bosselures,
élastique, fluctuante et opaque, avec la glande refoulée en arrière ; lorsque, par
surcroît, ses parois rigides crépitent comme du cuir neuf, on ne saurait avoir le
moindre doute sur l'existence d'une pachyvaginalite, surtout lorsque la bourse
IIÉMATOGKLE. 19
indolente s'est accrue lentement ou par à-coiips subits et dure depuis des années^
sans retentir sur l'organisme par un affaiblissement des forces ou par de la
cacbexie. Mais ne savons-nous pas que cbacun de ces signes peut manquer ou
même être remplacé par un si-ne contraire? Et l'on voit des pacliyvaginalites,
petites ou énormes, de consistance molle ou ligneuse, bosselées, rugueuses, de
l'orme régulière, transparentes même, ou sans localisation du teslicnle atropbié
ou perdu ; la marcbe de l'affection peut être rapide et, dans quelques cas, on a
noté un élat général misérable.
Lorsque la tumeur se présente ainsi « comme une énigme à deviner », toutes
les erreurs sont possibles, et toutes ont été commises. Nous puisons au hasard
dans les observations : Ricord et Demarquay déclarent (ju'un testicule est tuber-
culeux, la castration prouve qu'il s'agit d'une bémalocèle. Cruveilbier fils dans
un cas, Benjamin Anger dans un autre, croient à un encbondrome ; la dissection
leur montre une accumulation de ncomembranes ligneuses. Roycr et Descliamps
pensent extirper un kyste, ils n'enlèvent chacun qu'une séreuse épaissie ; Diipuy-
tren, Poinsot, Oré, diagnostiquent un hydrosarcocèle, on constate, pièces en
main, toutes les altérations d'un kyste hématique. L'inverse est plus fréquent
encore : hématocèle d'un sac herniaire prise par Bourdon pour une liématocèle
vaginale ; sarcome névroglique du testicule et de ses enveloppes déclaré pachy-
vaginalite par Verneuil ; myxonie drainé par Trélat. qui suppose un épanchemcnt
sanguin dans la séreuse; carcinome développé en quatre ans, à la suite d'un
traumatisme, et considéré par Uichet comme une hématocèle. Gosselin, Le Fort,
Berger, ont commis de semblables méprises. En 1851, Vidal de Cassis présenta
à ses collègues de la Société de chirurgie un individu porteur d'une tumeur da
bourses; Chassaignac et Maisonneuve concluent à une hématocèle, Guersant et
Vidal à un cancer, Giraldès à un encbondrome et Denonvilliers ne se pro-
nonce pas.
Nous croyons qu'à cette heure les éléments du diagnostic sont moins précaires.
Les tumeurs du testicule sont mieux étudiées, et, si les erreurs sont toujours
possibles, elles deviennent moins fréquentes. Nous ne chercherons pas à distin-
guer les héraatocèles des hydrocèles à parois épaisses, puisque nous les considé-
rons comme de même origine et que n ous rangeons les unes et les autres dans
nos pachyvaginalites. Parmi les tumeurs liquides, nous ne voyons guère que les-
hématocèles d'un sac herniaire et les hémato cèles d'un kyste spermatique avec
lesquelles la confusion soit possible. Dan s le cas de Bourdon, la tumeur était
absolument irréductible, fluctuante, opaque, san s gargouillements, mais un peu
sonore en haut; les adhérences des intestins empêchaient le reflux du liquida
dans le péritoine. On ponctionne et il s'écoule 4 litres de substance semblable à.
du curaçao; on cherche en vain la position du testicule; il est facile de com-
prendre que, dans ce cas, l'autopsie ait seule établi le diagnostic d'hématocèle
d'un sac herniaire. Certains épaississements vasculaires des parois d'un kyste
spermatique avec effusion de sang dans la cavité sont encore bien difficiles à
reconnaître : on n'y parviendra que par la détermination précise du testicule-
situé en bas de la tumeur et par la recherche altentive des spermatozoïdes dans
le liquide et sur les caillots.
C'est avec les tumeurs solides et très-dures, le squirrhe, les enchondromes^
que les pachyvaginalites petites, à parois épaisses, ligneuses,' incrustées de sels
calcaires, ont été surtout confondues. Lorsque l'hématocèle est volumineuse,
irrégulière, bosselée^ résistante par places et dépressible en certains points, on
20 IIÉMATOCÈLE.
pourra les prendre pour des tumeurs mixtes du testicule, pour desence'plialoïdes
à marche rapide, de surface inégale aussi et où les parties solides alternent
avec des kystes et des tissus ramollis et régresses ; lorsqu'on se rappelle en outre
que ces néoplasmes malins se développent parfois à l'occasion d'un coup, qu'un
traumatisme peut doubler ou tripler leur volume, presque aussi rapidement que
pour une pachyvaginalite dont les vaisseaux sont rompus, on comprend les hési-
tations, les incertitudes, et finalement la méprise du chirurgien. En pareil cas, le
plus siir indice est encore la recherche du testicule ; si on le trouve en arrière
avec sa sensibilité caractéristique, il y a des chances pour la pachyvaginalite :
mais combien sont nombreuses les causes d'erreur! l'inversion de la glande, son
atrophie, l'épaississement des néomembranes.
Il nous reste la ponction exploratrice : le liquide hématique d'une part et la
palpation qui permet de reconnaître les altérations de la vaginale sont des signes
pathognomoniques. Encore faut-il savoir que parfois la ponction a été blanche
dans une véritable pachyvaginalite. Le kyste hématique peut être presque obli-
téré, et les néomembranes constituent la totalité de la tumeur ; dans d'autres
cas il n'y a môme pas de liquide, mais des flocons d'albumine, des caillots
cruoriques qui obslruenl la canule : rien ne s'ccoule au dehors. Enfin la pointe
du trocart peut refouler devant elle un des feuillets stratifiés des parois; elle
s'en coiffe sans pénétrer dans l'intérieur de la séreuse. Nous trouverions dans
nos notes un fait clinique pour légitimer chacune de ces assertions ; ne cite-t-on
pas même des cas oii l'instrument traverse la cavité et s'engage dans l'épaisseur
de la glande qui donne à peine quelques gouttes de sang?
La ponction n'est pas seulement infidèle, elle est dangereuse, et nous connais-
sons des accidents qu'elle a provoqués, même quand on l'entoure de précautions
antiseptiques. Eu quelques heures, en quelques jours, des décompositions
putrides se font dans la cavité, et des phlegmons diffus, des gangrènes envahis-
santes, des septicémies, des infections purulentes, en ont été la conséquence. Ce
n'est pas tout, le trocart a pu provoquer des hémorrhagies; Bouilly en a cité un
exemple; nous pourrions y ajouter le fait de Polaillon, celui de Yelpeau et celui
de Percival Pott, oii l'écoulement sanguin dura plus de quatre jours et faillit
emporter le malade. Aussi préférons-nous à la ponction l'incision franche et
large sous le chloroforme ; on divise couche par couche, on évite le testicule
inversé et l'épididyme refoulé, on peut lier les vaisseaux au fur et à mesure
qu'on les coupe; d'ailleurs on n'a point fait un délabrement inutile, puisque
celte incision exploratrice sera, ou l'opération tout entière, ou le premier temps
de l'opération.
Pronostic. Pour avoir beaucoup perdu de sa gravité, la pachyvaginalite n'en
reste pas moins une affection sérieuse qui peut compromettre la vie. Tant que
son évolution est froide, la tumeur n'est gênante que par son poids, les tiraille-
ments qu'elle provoque et les rares douleurs qui s'irradient dans l'aîne ou dans
les lombes. Elle est encore une difformité que dissimulent mal nos vêtements
masculins. Mais les hématocèles s'enflamment et nous avons vu quelle fièvre
septique elles peuvent allumer. Lorsque le phlegmon se circonscrit et que les
accidents restent locaux, la gangrène des néomembranes et leur chute sont par-
fois suivies d'une guérison radicale, mais des fistules peuvent persister, et nous
avons cité une observation de Gosselin et un fait personnel où les incrustations
pierreuses de la paroi s'opposaient encore plusieurs mois après la suppuration
des bourses à la cicatrisation de la cavité.
IlÉMATOGÈLE. 21
Quand le chirurgien intervient, son acte opératoire n'est pas toujours inno-
cent, et même depuis l'antisepsie des inflammations éclatent qui peuvent avoir
la gravité des suppurations spontanées. Les injections iode'es, si bénignes dans
les liydrocèles à parois souples, deviennent dangereuses dans les pachyvagina-
lites où la poche, épaissie et rigide, ne peut revenir sur elle-même. Elle se rem-
plit d'air, les liquides se décomposent, des gaz putrides se forment, et l'empoi-
sonnement septique est imminent. Nous avons relevé plus de 50 observations
oii ces accidents ont débuté, pour avorter le plus souvent, il est vrai, après une
intervention énergique. Mais les cas de morl ne sont pas rares ; Gosselin, Demar-
quay, Donnay, Lannelongue, en ont cité des exemples.
Et puis la fonction est souvent compromise : elle l'est d'une manière excep-
tionnelle par le volume de la tumeur. Un de nos malades, dont la verge dispa-
raissait derrière la double saillie d'une pachyvaginalite bilatérale, en était devenu
impuissant. Berger rapporte le cas d'un individu qu'une hématoccle droite avait
rais dans une situation semblable ; les rapports purent reprendre après la castra-
tion. Ces faits sont rares, mais ce qui ne l'est pas, c'est la perte de la virilité
par trouble de la spermatogénèse. Lorsqu'une seule glande est atteinte et que
l'autre est saine, passe encore, muis lorsque les deux testicules sont pris, le cas
est grave. Nous avons vu que souvent les canalicules séminifèrcs sont anémiés,
atrophiés par la compression des néomembranes ou étouffés par les tissus sclé-
rosés développés en plein parenchyme, nous ne reviundrons pas sur ce point que
Gossehn a bien mis en lumière ; il nous dit que, si parfois on trouve encore
quelque animalcule, le plus souvent les tubes n'en contiennent pas.
Et la spermatogénèse ne fùt-elle pas entravée ou supprimée, nous doutons
que la semence put franchir l'épididyme étalé comme un ruban dans la paioi
kystique ou étouffe par la gangue fibreuse plus abondante à son niveau que
partout ailleurs. Elle forme là des couches redoublées qui opposent un obstacle
mécanique à l'excrétion du sperme. Gosselin, cependant, a vu, sous une petite
pression, le liquide, poussé dans le canal déférent, parcourir le tube enroulé de
l'épididyme et arriver jusqu'aux cônes ; ces cas doivent être d'autant plus rares
que l'organe est altéré pour son propre compte, indépendamment des néomem-
branes qui l'enveloppent ; ces dernières même seraient le plus souvent consécu-
tives, ainsi que nous avons essayé de l'établir à propos de la pathogénie.
Ce n'est pas à dire que nous sacrifierions sans regret une glande, même
inutile, et nous trouvons irréprochables la plupart des arguments qu'invoque
M. Gosselin en faveur de la conservation. Avec la sécurité que donnent les pan-
sements antiseptiques, nous devons préférer, s'il est possible, le traitement qui
garde le testicule : d'abord parce que dans des cas très-rares il sécrète des
spermatozoïdes, puis, lorsque la fonction est abolie, il laisse à l'opéré, non-
seulement l'illusion d'une fécondité qu'il ja 'a plus, mais parfois la réalité d'une
puissance incontestable. Dans sa Lettre à M. Polaillon, M. Gosselin nous parle
d'un individu atteint de pachyvaginalite bilatérale et chez qui l'injection iodée
avait provoqué une double suppuration et une fistule double. Le chirurgien de
la Charité pratiqua la décorticaticn; la virilité fut conservée; le malade avait
des rapports sexuels avec émission d'un liquide dans lequel, du reste, on ne
trouva jamais la présence de spermatozoïdes.
Traitement. La pachyvaginalite ne guérit pas spontanément, et les cas où
ses néomembranes et son kyste restent stationnaires sans accroissement subit,
sans fissure, sans ecchymose scrotale et sans menace d'inflammation, sont même
22 IIÉMATOCÊLE.
assez rares. (In pouvait autrefois, lorsque l'infection purulente guettait tout
opéré, attendre les complications, car les interventions dans les hématocèles se
chiffraient par une mortalité de d5 à oO pour 100. Maintenant l'indication est
précise, et reconnaître une pacliyvaginalite, c'est du même 'coup décider qu'on
se prépare à opérer. Les méthodes sont très-nombreuses, mais l'ordre commence
à se faire dans le chaos des procédés qui, pour la plupart, ne peuvent être ni
écartés ni généralisés. Ils répondent chacun à une indication spéciale, et l'on a
recours à l'un ou à l'autre suivant l'ancienneté et l'épaisseur des néomembranes,
selon que la glande est intègre ou altérée.
Quand les néomembranes sont jeunes et souples, et qu'après l'évacuation du
liquide les deux feuillets de la séreuse se juxtaposent, comme dans l'hydrocèle
simple, Y injection iodée, nous dit-on, est efficace et sans danger. Rien que dans
les recueils on trouve quelques faits authentiques de guérison, nous ne recom-
mandons pas ce procédé ; la récidive est de règle, le kyste se remplit de nou-
veau et la tumeur reprend une marche ascendante. Ne lisons-nous pas dans la
plupart des observations que des injections ont été faites, mais sans succès, et
qu'au bout d'un ou deux mois on a dû recourir à une méthode plus radicale?
La perte de temps n'est pas l'inconvénient unique, et nous avons cité de fré-
quentes complications, hémorrhagies dans la poche, inflammation, gangrène,
septicémie : il faut alors intervenir, quelquefois trop tard, et au milieu d'un
état général grave. Jlieux eût valu accepter d'emblée le procédé que les acci-
dents actuels nous forcent de clioisir.
Donnerons-nous quelques faits à l'appui de cette opinion ? Demarquay, Chas-
saignac, Velpeau, Donnay, Thibault, Gloquet, Bauchet, Nélaton, Polt, tous les
chirurgiens, pourrions-nous dire, ont publié un ou plusieurs exemples de réci-
dive. Tous ou presque tous ont encore signalé des accidents inflammatoires
ou gangreneux. Nous avons pratiqué trois fois des injections iodées ou phéni-
quées ; une fois le kyste se reproduisit rapidement, deux fois la tumeur
s'échauffa et, sous peine de voir éclater des complications redoutables, nous
dûmes fendre la vaginale dans toute sa hauteur. Dans ces trois cas, il nous a
été possible d'étudier les modifications que subissent les parois de l'hématocèle
sous l'influence de l'inflammation aiguë ; la cavité est cloisonnée en tous sens
par des diaphragmes fibrineux limitant des alvéoles irréguliers, indépendants
les uns des autres, et qui contiennent un liquide de coloration souvent diffé-
rente. Outre ces lames fibrineuses parfois incomplètes, dentelées, percées à jour,
avec des pi'olongements analogues aux cordages tendineux du cœur, la séreuse
est tapissée de caillots décolorés semblables à des rayons de miel, et abondant
surtout au point oii le feuillet pariétal se réfléchit pour envelopper la glande.
Ces récidives fréquentes et ces complications imminentes nous font donc
repousser l'injection, même dans les cas de pachyvaginalite au premier degré,
et, d'emblée, nous avons recours à Vincision. On examine l'épaisseur de k
séreuse et, si les feuillets en sont encore souples, on excise la partie antérieure,
ne laissant, en dehors et en dedans, que juste ce qu'il faut du feuillet pariétal
pour reformer une cavité; nous opérons, en un mot, comme pour la cure radi-
cale de l'hydrocèle, selon l'ancienne méthode, renouvelée récemment par
Volkmann et Juillard. Les deux lambeaux de la séreuse sont suturés en avant
par quelques fils de catgut très-fins, pour que la résorption en soit facile, puis
nous mettons un petit drain entre la vaginale ainsi reconstituée et l'incision
scrotale dont les deux lèvres ont été rapprochées par des points au crin de Flo-
HÉMATOCELE. 25
rence. Cette pratique est sûre, nous y avons eu recours cinq fois cette année à
Broussais, et cinq fois le succès a été complet : du douzième au dix -septième
jour, nos opérés ont quitté l'hôpital. Charles Nélaton, qui nous a succédé dans
le service, a traité de la même manière, et avec semblable résultat, une héma-
tocèle récidivée après injection de teinture d'iode.
Lorsque les néomembranes ne sont plus flexibles, cette excision partielle avec
reconstitution de la cavité vaginale n'est plus possible ; on se trouve alors en pré-
sence du drainage, de X'incision simple, de V incision avec excision partielle,
de Y excision totale, de la décorlication et de la castration. Nous ne parlerons
guère du drainage, défendu cependant par Cliassaignac et par Uichet : il compte
des succès, mais aussi de nombreux revers; d'ailleurs, n'est-il pas une sorte de
sous-procédé de l'incision, laissant comme elle subsister les néomembranes
dans toute leur épaisseur et la cavité kystique dans toute son étendue, mais
moins franche qu'elle, et mettant moins à l'abri des rétentions de pus et des
inflammations consécutives? On ne voit guère ce que l'on fait; le trocart aveugle
perfore parfois l'épididyme séparé du testicule, ou le testicule inversé. Aussi,
entre deux opérations incomplètes, nous préférerions l'incision comme plus nette
et plus efficace.
Cette incision doit se faire couche par couche, à la partie antérieure de la
tumeur, et comprendre toute la iiauteur du kyste hématique. On avance len-
tement en se préoccupant de la position du testicule et de l'épididyme, souvent
hors de leur place habituelle. L'œil est un conseil insuffisant, car les néomem-
branes peuvent, avec leur coloration et leur structure changeante, simuler tous les
tissus normaux ou pathologiques ; le doigt est un meilleur guide : si le malade
ne dort pas, la pression réveille la sensibilité spéciale de la glande; s'il dort, la
palpation révèle au niveau du testicule une mollesse particulière. Qaand ce
mode de recherche n'amène aucun résultat, le testicule est altéré et la section
serait moins grave. Dès que la cavité est largement ouverte, on la lave avec la
liqueur de Van Swieten, on en saupoudre la surface avec de l'iodoforme, et on
remplit la poche d'ouate hydrophile; les bourses, bien maintenues par un spica
ou par un suspensoir large et souple, sont recouvertes de gutta-percha laminée
qui, par sa mince feuille malléable, protège le pansement contre l'accès de
l'urine.
La vaginale ouverte par l'incision se dépouille d'abord de ses couches fibri-
neuses, puis elle se recouvre de bourgeons charnus et une membrane vermeille
ou rosée remplace la surfjice inégale et tomenteuse de l'ancienne néomembrane.
La granulation est surtout abondante dans la profondeur au point de réflexion
de la séreuse : cette dépression est bien vite comblée; les deux feuillets s'ac-
colent et s'unissent, de la profondeur vers la superficie; à la section cutanée les
deux lèvres doivent être écartées jusqu'à cicatrisation complète de la cavité sous-
jacente. Il y a trois ans, nous avons incisé une pachyvaginalite dont les néo-
membranes mesuraient 5 millimètres d'épaisseur. Le kyste, assez vaste pour
contenir un œuf, s'est oblitéré en vingt-cinq jours. Notre opéré, major dans un
régiment d'artillerie, est revenu nous voir après une campagne lointaine et des
plus fatigantes : l'hématocèle n'a pas reparu, et il ne reste, comme vestige de
notre intervention, qu'une cicatrice linéaire, adhérant à la face antérieure du
testicule. Les néomerabranes des parois, les masses fibreuses qui entouraient
l'épididyme, se sont résorbées, et les deux glandes ont maintenant un aspect, une
forme et une consistance à peu près semblables.
24 IIÉMATOCÈLE.
Nous avons opéré, à l'hôpital du Midi, un menuisier de trente-sept ans, chez
qui deux ponctions simples avaient été déjà pratiquées ; chaque fois la tumeur
avait repris son volume primitif, et, lorsque nous l'examinons, elle était grosse
comme un œuf de dinde : une incision est faite à la partie antérieure de la
tumeur, et nous pénétrons dans la cavité que remplissent, avec des caillots
fibrineux et cruoriques abondants, 250 grammes de liquide hématique. La
séreuse est recouverte d'une couche continue de fibrine aréolaire qu'on détache
avec l'ongle; sa surface est chagrinée, irréguhère, irriguée par de nombreux
vaisseaux; elle est épaisse de oà4 millimètres, friable, et se déchire facilement.
La néoniembrane viscérale non moins vasculairc est beaucoup plus mince : le
simple passage de l'éponge ouvre les capillaires dilatés d'où s'échappe une vraie
pluie de sang ; la cavité lavée avec une solution phéniquée est remplie de tarla-
tane. L'opération a été faite le 28 août; le 21 septembre notre menuisier quittait
l'hôpital ne conservant de sa pachyvaginalile qu'une cicatrice linéaire sur le
scrotum.
Ce sont là de bons résultats, mais on ne les obtiendra guère que dans les cas
où les néomembranes sont encore souples et peu épaisses. Lorsqu'elles sont
vieilles et calcaires, elles deviennent un maigre sol pour le développement des
bourgeons charnus rares et peu vivaces. On ne saurait d'ailleurs faire disparaître
les amas séreux, les épanchements sanguins qui séparent souvent les divers
feuillets de la paroi kystique; cependant, même lorsque la pachyvaginalite est
jeune, nous préférons à l'incision le procédé de Juillard, plus rapide, plus sur et
plus exempt de danger. Nous avons vu, pour un cas où nous pratiquerions
maintenant la castration, un malade de Lariboisière emporté en deux jours par
une septicémie suraigué. Blanriin, Gosselin, Demarquay, Deuonvilliers, Nélaton,
Curling, ont constaté des faits semblables. Dans 16 observations relevées par
Béraud, l'incision simple a provoqué 6 fois la mort, 4 fois des accidents fort
graves, gangrène, infection putride, et les malades n'ont guéri qu'après avoir
couru de grands dangers ; 2 fois on fut obligé de pratiquer la castration, 1 fois
la cicatrisation ne fut obtenue qu'au bout de trois mois, et 2 fois seulement le
résultat fut bon. Il faut savoir aussi qu'elle est souvent inefficace : chez un de
nos opérés, les plaques calcaires des néomembranes n'étaient pas éliminées au
bout de quatre mois et il restait à ce moment une fistule intarissable. Bérard,
Gosselin, Roux, ont publié des faits semblables. Voilà pourquoi nous rejetons
l'incision dans les pachyvaginalites anciennes, parce qu'on observe des suppu-
rations abondantes, des complications redoutables, une réparation des plus
lentes qui peut même ne pas être complète; dans les pachyvaginalites jeunes,
parce que l'opération de Juillard est plus efficace.
L'excision totale ne se contente pas, comme le procédé précédent, d'ouvrir la
cavité sur sa face antérieure; les deux segments ou les deux valves, l'interne
et l'externe, sont isolés avec le bistouri jusqu'à leur insertion postérieure sur la
glande, puis on les sectionne avec les ciseaux. Cette méthode est radicale ; elle
ne laisse pas de tissus altérés, mal nourris, peu propres au développement des
bourgeons charnus, mais elle favorise les hémorrhagies et n'est trop souvent
qu'une mauvaise castration. Le testicule, caché dans les enveloppes du kyste
hématique, est difficile à reconnaître; parfois une sensibilité spéciale, une mol-
lesse plus grande, une sorte de fluctuation, indiquent sa place, et en en évite la
section ; mais l'épididyme étalé comme un ruban dans les couches stratifiées,
les éléments du cordon épars dans la paroi, échappent à toute recherche, et l'on
IIÉMATOCÈLE. 25
ne compte plus les observations où l'instrument tranchant a compromis l'inté-
grité de la glande spermatique. Gosselin, après sa première incision, examine la
coupe des enveloppes, Fépididyme s'y trouvait compris; il dut finir par une
castration.
La décorlicalion est peut-être, après la castration, le plus ancien des procédés :
elle fut exécutée par Savard au dix-seplième siècle; dans la première de ses
deux observations d' « hydrocèles singulières », il enleva la fausse membrane
« comme on sépare la membrane interne des gésiers de la volaille ». Malgaigne
y revient en 18i8 et llaltier, qui en publie l'observation dans la Revue médico-
chirurgicale, croit à la nouveauté de la mclhode. Mais ce n'est qu'en 1851, dans
un remarquable mémoire, que Gosselin décrit nettement la décortication. Plus
tard, il la commente, l'explique, la développe, l'appuie sur de nombreuses
observations dans les articles de nos recueils, dans les discussions de nos sociétés
savantes, dans les cliniques de la Charité. L'année dernière, à propos d'une
discussion à la Société de chirurgie où la décortication avait été quelque peu
malmenée, M. Gosselin reprend la plume et, dans une lettre publiée par les
Archives générales de médecine, expose à nouveau les avantages du procédé.
« Débarrasser les malades par une opération qui ne soit pas plus dangereuse
que la castration et qui les guérisse vite eu laissant intacts le testicule et ses
dépendances, tel est le problème à résoudre. La solution en est simple : l'in-
flexibilité des parois, les dangers de l'inflammation consécutive, les lenteurs de
la cicatrisation, sont dues à la présence d'une fausse membrane mal organisée et
très-peu adhérente; ôtez-la sans enlever aucune des parties naturelles ». Voici
comment l'auteur pratique cette opération qui se compose de trois temps prin-
cipaux. 11 essaie de déterminer la position exacte du testicule, afin de ne pas le
blesser ; si la glande ne se révèle pas par la sensation spéciale qu'éveille la
pression, le cliirurgien est tenu à la plus grande prudence dans ses incisions.
On fait, sur la partie antérieure de la tumeur, une section verticale, et l'on divise
les tissus couclie par couche. Lorsqu'il n'en reste plus qu'une petite épaisseur,
on plonge le bistouri en bas de l'incision que l'on agr;mdit un peu en se dirigeant
vers le haut; le li(juicle s'écoule, on cherche si le testicule n'est pas compris
dans la partie antérieure des enveloppes et, dès qu'on a reconnu qu'il n'en est
rien, on élargit encore la section avec un bistouri boutonné.
Le deuxième temps consiste dans le décollement de la fausse membrane : on
se sert des doigts comme on fait pour détacher une écorce d'orange ou de
citron; des tractions légères suffisent à déchirer les adhérences molles qui
unissent les néomembranes aux feuillets séreux. On saisit avec des pinces sur
un côté de l'incision la couche la plus interne et la plus dense, on l'attire
en dedans, tandis qu'avec les doigts de l'autre main on retient les enveloppes.
Si l'on éprouve trop de résistance, on donne quelques coups de bistouri ou de
ciseaux. Dès qu'un espace commence à s'établir entre les deux feuillets, on
achève la séparation avec le doigt, le manche d'un scalpel ou une spatule,
pendant qu'avec l'autre main on exerce toujours des tractions sur la fausse
membrane. Lorsqu'on arrive à la partie; postérieure, dans le voisinage du testi-
cule, là où la pseudo-membrane est plus adhérente, on s'arrête, et on fait le
décollement de la même manière, du côté opposé. Il ne reste plus, et c'est là le
troisième temps, qu'à exciser les deux valves flottantes : le bistouri et les
ciseaux coupent la fausse membrane décollée au niveau du point où elle est
adhérente. Le sang qui s'écoule se tarit promptement. Avec les pansements
26 IIÉMAÏOCÈLE.
anciens, on ne cherchait pas la réunion immédiate; maintenant on pratiquerait,
je crois, le drainage et la suture.
M. Gosselin compare la décortication à la castration, la dernière des méthodes
dont il nous reste ù parler et dont nous n'avons pas à décrire ici le manuel
opératoire. La décortication lui semble préférable, car elle procure, nous dit-il,
une guérison aussi prompte, tout en respectant les organes sécréteurs du sperme.
La première de ces assertions est contestable, et si autrefois l'une et l'autre de
ces méthodes n'amenait la cicatrisation qu'après suppuration abondante, à cette
heure, avec l'asepsie, la castration, opération réglée, nette, facile en plein tissu
sain, sera mieux drainée, mieux suturée et plus vite guérie que la décortication,
qui laisse au-dessous d'elle des vaisseaux à hémostase plus difficile, une large
surface contuse et arrachée, dans un tissu fibro-séreux enflammé chroniquement.
Mais nous n'insistons pas sur cet argument, car quelques jours de plus ou de
moins pour obtenir la cicatrisation ne sont pas un avantage tel que nous le
préférions à celui de conserver au malade l'intégrité des voies spermatiques.
Malheureusement, il n'en est pas toujours ainsi ; l'anatomie pathologique
nous a montré que dans les pachyvaginaliles anciennes le testicule est atrophié
et perdu au milieu de masses fibreuses; même pièces en main, sa présence n'a
pas toujours été reconnue. En pareil cas, comment en éviter la blessure et l'extir-
pation? La décortication ne sera-t-elie pas impossible? Qu'on le veuille ou
qu'on ne le veuille pas, la castration s'impose ; en emportant les fausses mem-
branes, on extirpera tout ou partie de la glande. Mieux vaut alors agir de parti-
pris : l'opération y gagnera en vitesse et en sûreté. D'ailleurs, autant vaudrait
laisser "un lambeau de néomembrane que cet organe « flétri », sans forme, sans
structure et surtout sans fonction. Les tubes séminifères, étouffés dans une
gangue scléreuse, ne sont plus déroulables, et ce qui pei'siste de leur épithé-
lium est devenu impropre aux délicates métamorphoses de la spermatogenèse.
M. Gosselin lui-même nous a fourni, dans ses travaux antérieurs, les documents
les plus précieux sur cette question, et ses recherches nous démontrent qu'en
pareil cas la décortication conserverait, non le testicule, mais l'illusion d'un
testicule.
Nous ne voyons pas trop l'avantage de conserver un tel moignon quand la
pachyvaginalite est unilatérale. Le malade fait assez facilement l'abandon d'une
glande ; il sait assez de physiologie pour connaître la fausseté du vieux jeu de
mots : Te?tis iinus, testis niillus. Mais nous deviendrons aussi conservateur que
M. Gosselin du testicule « moral », si l'bématocèle est bilatérale. Nous nous
livrerions aune recherche patiente, minutieuse, difficile, incertaine, pour essayer
de conserver à l'opéré l'apparence d'au moins une glande spermatique. Nous ne
croyonfe pas que dans ces cas extrêmes — je ne dis pas la fécondité, — mais la
virilité soit sauvée du naufrage, mais il restera l'espérance et, grâce à son espèce
de fibrome, au fond de ses bourses plates, le malade se dit qu'un jour sans
doute reviendront les attributs de ce qu'il nomme son testicule.
Nous avons raillé comme tant d'autres « l'illusion consolante » sous les espèces
d'un scrotum fisluleux et suppurant, couvert de cataplasmes ; l'expérience nous
a converti : Un jeune homme nous consulte pour un double sarcocèle tubercu-
leux; à gauche, plus de glande; l'épididyme s'est évacué par une foule de fis-
tules qui trouent le scrotum, et le testicule n'est plus qu'une albuginée dis-
tendue par le pus. Nous l'enlevons et le malade, après cette première mutilation,
reste gai, bien que la seconde glande, très-altérée, ne se prête ni aux éjacu-
HKMATOCÈLE (bihliograpiiie). 27
lations ni même aux érections. Au bout de deux ans, les dégâts deviennent si
profonds que je pratique, non une castration nouvelle — la nature l'avait déjà
faite, — mais uu grattage de ses abcès, une sorte de régularisation de son
scrotum en écumoire. Depuis, tout accident a cessé : notre jeune homme ne passe
plus des heures à garnir ses bourses de linges et d'émoUients; il monte à
cheval, il chasse, il marche, il dunse, tous plaisirs qu'il n'avait plus goîités
depuis deux ans : eh bien, il est devenu triste, morose, désolé. A sa dernière
visite il me disait : « J'ai un si grand regret de n'avoir jamais commis de
faute ! »
S'il nous fallait résumer en quelques lignes notre opinion sur les diverses
méthodes opératoires qui se disputent l'hématocèle, nous dirions : Tout dépend
de l'ancienneté et de l'étendue des néomembranes. Au début, lorsqu'elles sont
encore jeunes et souples, au lieu de perdre son temps à des injections iodées,
douloureuses et qui aggravent le mal, nous pratiquerions l'opération de Juillard
pour la cure radicale de l'hydrocèle. Si les parois sont épaisses et rigides, leur
conservation partielle pour la reconstitution de la vaginale n'est plus possible :
alors, laissant de côté le drainage, l'incision simple, l'excision partielle ou
totale, nous aurions recours à la décortication de M. Gosselin, ne nous résolvant
à la castration que dans les cas, malheureusement peu rares, où le testicule
atrophié, scléreux, perdu dans la séreuse hyperplasiée, serait d'une recherche
trop difficile ; encore tenterions-nous cette recherche et reviendrions-nous à la
décortication ou du moins à son semblant, si la pachyvaginahte était bilatérale.
Ici comme ailleurs la forme emporte le fond et nous savons que l'opéré veut,
quand même, croire à sa virilité. Paul Reclus.
BiBiiocnAPHiE. — AsTiEY CoopER. Œuvrcs chirurgicales, trad. franc. Paris, 1857, p. 492. —
Baudens. Gazette des hôpitaux, 1866, p. 186. — Bégis. Mémoire de chirurgie militaire,
t. LUI. — Benjamin Bell. Œuvres complètes de chirurgie, traduction de Bosquillon, t. I",
p. 274. — Béral'D. Considérations sur l'hématocèle ou épanchements sanguins du scrotum.
Archives générales de médecine, mars 1851. — Bertrandi. De l'Itgdrocèle. Mémoires de
l'Académie de chirurgie, t. IV. — Bi.andin. Art. Htdrocèle. In Dictionnaire de médecine et
de chirurgie pratiques en 15 volumes, t. X, p. 110, 1833. — Bocqïïet. De l'hématocèle vagi-
nale et de son traitement. Thèse de F'aris, 1857. — Bouchard. Hématocèle de la tunique
vaginale simulant un sarcocèle. In Bulletin de la Société analomique, 1865, p. 226. —
BoDiLLY. Manuel de path. externe; vag inalite chronique, t. IV, p. 230. — Bouisson. Recher-
ches cliniques sur les variétés et le traitement de l'hématocèle. lu Tribut, à la chirurgie,
t. II, p. 411. — Bocllet. Considérations sur l'anatomie, la physiologie pathologique et le
traitement de l'hématocèle de la tunique vaginale. Thèse de Paris, 1869. — Boyer (Phi-
lippe). Traité des mal. chirurg., 5° édit. Notes par Philippe Boyer, t. VI. — Boyer.
Traité des mal. chirurg., 4' édit., 1. X, p. 303. — Brodie. Disparition des testicules sans
vestiges dans les tiéo?nembranes. In On diseases of the testicle. London Médical and
Physical Journal, vol. LVIII, p. 299. — Bulteau. Yaginalite tuberculeuse. In Bull, de la
Société anatomique, 1875, p. 747. — Cauchoix. Bulletin de la Société anatomique, 1872,
p. 240 et 289. — Cloqdet (Ernest). De l'hématocèle vaginale. Thèse de Paris, t. III, n" 6,
1846. — Cloqcet (Jules). Hématocèle, dans le Dictionnaire de médecine en 30 vol., t. XV,
p. 101, 2« édit., 1837. — Curling. Hématocèle. In Maladies des testicules, trad. l'ranç.,
1857, p. 233. — Curling. Transactions médico-chirurgicales, t. 33. — Davaike (Casimir).
De l'hématocèle de la tunique vaginale. Thèse de Paris, 1857, t. XIV, n° 428. — Delhaye.
De l'hématocèle de l'épididyme. Thèse de Paris, 1877. — Demabquaï. Traitement de l'héma-
tocèle vaginale par le drainage. In Gazette des hôpitaux, 1869, p. 24. — Desprès. Deux
cas d'hématocèles pariétales du scrotum autour d'une hydrocèle. h\ Gazette des hôpitaux,
1881, p. 390. — DoNN.iY. De l'hématocèle de la tunique vaginale et de ses complications à
la suite des ponctions exploratrices. Thèse de Paris, 1877, n" 190. — Ddhamel. Bull, de la
Soc. anat., 1849, p. 206. — Dupdytren. Clinique chirurgicale, t. IV, p. 459. — Du même.
Journal analytique, 1828. — Faedurnoux. Contribution à l'étude des hydrocèles récidivées.
Thèse de Païus, 1885. — Fano. Quelques remarques sur le traitement de V hématocèle va-
ginale spontanée. In Union médicale, 1865. 2° série, t. 28, p. 340. — Flagani. Collezione
28 HÉMATOCHYLURIE.
d'osservalioni, t. II. — Follet. Suite de l'ancien Journal de médecine, t. XIII, p. 421. —
FOLLiN et Ddplat. Traité élémentaire de pathologie externe, t. VII, p. 26i. — Gentilhomme.
Recherches sur l'origine et la nature de la néomembrane dans Vhématocèlc vaginale. In
Soc. méd. de Reims, bulletin 8, p. 19. — Gosselin. Recherches sur l'épaississement pseudo-
membraneux de la tunique vaginale dans l'hydrocèle et rhématocèle, et sur son traitement.
In Archives générales de médecine, septemLre 1851. — De même. Maladies du testicule de
Curling, traduct. franc., notes et additions, p. 250. —Du même. Kystes de Vcpididijmeetdu
testicule. In Arch. génér. de méd., 5° série, t. XYI. — Du même. Oblitération des voies sper-
matiques. In Arch. génér. de méd., ¥ série, t. XIV. — Do même. Héinalocèle vaginale. In
Clinique chirurgicale de la Charité, 1875, t. II, p. 419. — Du même. Double hématocèle
suppurée, traitée et guérie par la décortication. In Gazette des hôpitaux. 1807, p. 567. —
Do MÊME. Lettre sur le traitement de V hématocèle . In Archives générales de médecine, 1885,
p. 5. — Gottlieb Riciiter. Elementi di chirurgia. Pavie, 1806, p. 34. — Guilleml-». Des
Injdro-hématocèles de la tunique vaginale et de leur traitement. Thèse de Paris, 1878,
n" 416. — GuiLLON. De Vhémalocèle vaginale. Thèse de Paris, 1877. — IIeisteh. Inslilu-
tiones chirurgicœ. Amsterdam, 1750, 2° partie, 5° sect., chap. cxxiii. — Holke. Three
Cases of Hemalocelc. In Drit. Med. Journ., 26 avril, I, p. 463 [Revue d'Ilayem, 1873). —
IluNTER (John). Hématocèle specî/ica testis. Û'^uvres complètes de llunter, traduction de
Richelot, 1839, t. I, p. 700. — Imbeut de Lonnes. Traité de l'hydrocèle, de rhématocèle,
p. 315. Paris, 1785. — Jauain. De l'hématocèle du scrotum. Thèse pour l'agrégation en chi-
rurgie, 1853. — JoiLLARD. Revue de chirurgie, février 1884. — Kocuer. Handbuch der Chi-
rurgie von Pitha iind Ditlroth, lid. III, Ablh. », 8. — Kusteu. Ueber Hydrocele und Hà-
matocele. In Med. chir. Centi-alblalt, 1882, p. 483. — Lan.nelongue. Hématocèle vaginale.
In Nouveau Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. XVII, p. 276, 1873. —
Lenoir. Gazelle des hôpitaux. 1846, p. 15. — Levassecr. De l'hydrocèle et de l'hématocèle
de la tunique vaginale. Thèse de Paris, 1857. — Loreta. Intorno ail' ematocele délia tunica
vaginale del testicnlû (in-S". Bologne). — Malgaigne et Hattier. Revue médico-chirurgicale,
t. IV, p. 313. — Mazzom. Idrocele proliférante vastissimo. In Med. et de chir. Roma,
1880, p. 68. — iMo.NLiNiÉ (J.). De quelques particularités dans la forme, la nature et le
traitement de l'hydrocèle et de l'hématocèle. In journal /'Expérience, 1840, n° 134, p. 49.
— Ambroise Paré. Les œuvres d'Ambroise Paré, 8' livre, p. 200, 12" édit., Lyon, 1664. —
Pasqiier. Dégénérescence calcaire de la fausse membrane formant une coque continue.
In Mémoires de chirurgie militaire, t. LUI. — Pelletan. Hydro-hématocèle par effort. In
Clinique chirurgicale, Paris, 1810, t. II, p. 202. — Petit (J.-L.). Œuvres complètes, édition
de Limoges, 1857, p. 750. — Poulet et Bousqcet. Traité de pathologie externe, t. III,
p. 393. — Pott. OEuvres chirurgicales, Paris, 1777, p. 159. — Reclus. De la syphilis du
testicule. Paris, 1882, et Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Testi-
cule. — Du MÊME. Du tubercule, du testicule et de l'orchite tuberculeuse. Thèse de Paris,
1876. — RiCHET. Hydro-hématocèle. In Praticien, 1879, p. 519. — Do même. Hématocèle
volumineuse, drainage de la cavité vaginale. Guérison. In France médicale, 1885, p. 375.
— RociiARD. Notes sur les hématocèles de la tunique vaginale qui remontent dans l'abdo-
men à travers le canal inguinal. In Union médicale, 1860, 2° série, t. VII, p. 359. —
Roche et Saxsos. Hydrocele, dans Nouveaux éléments de pathologie médico-chirurgicale.
ch. I, p. 348, 3° èdit., 1837. — Roux. Art. Sarcocèle, dans le Dictionnaire de médecine en
^Q volumes, t. XXIX, p. 499, 2° édit., 1844, — Saviard. D'une autre hydrocele. In Nouveau
Recueil d'observations chirurgicales, 1702, p. 125. — Tédenat. Vaginalites syphilitiques.
In Mém. de chirurgie, l''' série, 2" édit., p. 20. — Thibault. Hématocèle vaginale com-
pliquée d'hématocèle pariétale par suite d'une ponction faite avec le Irocarl. In Gazette
des hôpitaux, 1878, p. 172. — Velpeau. Thèse. De la contusion, etc., 1833. Du même. Traité
de médecine opératoire, 1832. hi Presse médicale, 1837. — Du même. De l'hématocèle, dans
les Leçons orales de clinique chirurgicale, t. II, p. 381, 1841. — Vidal de Cassis. Traité de
path. externe, t. V, p. 525. — Du même. Presse médicale, 1837. — Vigo. Édit. de 1552,
liv. II, chap. VI. — Volkmaxn. Cwe radicale de l'hydrocèle. In Berlin, klin. Wochenschrift,
13' année, 1876, p. 2.1, résumé dans Hayem, t. VI, p. 751.— Wacil Osmas. De l'hydrocèle
vaginale, ses rapports avec l'hématocèle spontanée. Thèse de Paris, 1879. P. R.
HÉUATOCHLORiiVE. Ce nom a été donné par Preyer au pigment trouvé
dans le bord du placenta de la chienne et qui est de coloration verle ; ce pigment
a été signalé comme formé de biliverdine par Hoppe-Seyler et Etti. A. H.
HÉMATOCHYLURIE. Voij. Hématurie Eindémique.
HÉMATOME 29
nÉMATOCRISTAI.LIKE. Voij. HlÎMOGi.Olil.NR.
HÉMATOCYAÎVIIVE. Voy. IlÉMACïAM-NE.
HÉMATODE (FojNGus). Voy. FoNGus, p. 287.
HÉMATOÏDlXE. C'4r'*Az''0'\ Substance cristallisée en aiguilles microsco-
piques, d'un rouge vif, qu'on rencontre dans les anciens foyers liémorrliagiques.
L'hématoidine est insoluble dans l'eau, l'alcool, l'élhcr, l'acide acétique, soluble
dans l'ammoniaque. On a cru longtemps qu'elle était identique avec la biliru-
bine, mais celle-ci a des proi)riétés et une composition différentes : G'^I'^Az^O''.
On a extrait des corpuscules jaunes et rouges de l'ovaire de la vacbe une
variété d'bématoïdine soluble dans le cbloroforme, le sulfure de carbone, l'acide
acétique crislallisable cbaud, insoluble dans Canimoniaque et la plupart des
autres réactifs. 11 s'agit peut-être là d'un corps dilférenl de riiémaloïdine
[voy. Hémato-lutéine).
Du reste, l'existence de l'iiémaloïdine en tant que principe immédiat a été
constatée par Cb. Robin et par lloppe-Seyler. L. Un.
UÉ.WATOÏiXE. Nom donné par Preyer à un produit de dédoublement de
riiémoglobine qui est probablement un mélange d'bémaline et d'Iiématopor-
pbyriue. ^- H-
IIÉMATO-LUTÉIXE OU IIÉMO-LUTÉIXE. Matière pigmentaire jaune
extraite des corps jaunes de l'ovaire de la vacbe, considérée par les uns comme
formée de biliverdine, par d'autres comme un composé distinct de la biliverdine
et del'hématine (Gorup-Besanez, Traité de physiologie chimique, édition fran-
çaise, t. I", p. 280). A. II.
nÉmATOmE. Le mot hématome, d'après son sens étymologique, signifie
tumeur constituée par du sang. Ce nom est surtout appliqué aux collec-
tions sanguines d'origine traumalique, mais on l'emploie aussi nour désigner
certaines tumeurs bématiques nées spontanément et il semble qu'on puisse
aujourd'bui mettre ces faits en série. Notre tâclie, pour cela, sera d'ailleurs des
plus aisées, car nous n'aurons qu'à renvoyer aux articles déjà parus ou à paraître
dans le Dictionnaire.
Parmi les tumeurs sanguines d'origine Iraumatique, il en est qui tirent un
caractère tout spécial, au double point de vue clinique et thérapeutique, de leur
communication avec un vaisseau artériel important, dont la blessure leur a
donné naissance ; à celles-là on doit donner le nom d'anévrysmes (voy. Artères,
Plaies, AfiÉvnYSMEs), tout en reconnaissant qu'il y a une gradation insensible
de l'hémorrhagie cellulaire de Cruveilbier au véritable auévrysme diffus.
Le nom à'hématome traumalique est, en somme, réservé aux épanchements
sanguins produits par une contusion [voy. ce mot). Certains d'entre eux méritent
d'être étudiés à part, et nous signalerons ici l'allure et l'étiologie toutes parti-
culières de certaines tumeurs sanguines de la voûte du crâne {voy. Céphalema-
TOME et Crâne, p. 580), du pavillon de l'oreille {voy. Oreille, p. 174).
L'évolution anatomo-patbologique de la masse hématique qui forme toutes ces
tumeurs n'a pas à être reprise ici. Nous ne ferons que mentionner un faits r
JO HÉMATOPOTE.
lequel il y a quelques années l'oncet (de Lyon) a attiré l'attention. Nous voulons
parler de l'ictère hémaphéique consécutif à la résorption des vastes épanche -
ments sanguins. Nous signalerons encore la persistance d'une tumeur (Ibrineuse
(ïrélat), d'une collection scro-sanguine d'où certains kystes néogènes héma-
tiques {voy. Kystes). Ces modifications tardives peuvent donner naissance à
quelques erreurs de diagnostic. D'autre part, elles conduisent à des interven-
tions chirurgicales spéciales, car ces reliquats de contusion doivent être extirpés
comme de véritables tumeurs.
A côté de ces hématomes traumaliqiies, il en est d'autres où aucune injure
extérieure ne semble inlervenir, et ces hématomes spontanés ont donné lieu à
des discussions nombreuses, d'abord limitées à quehiues faits particuliers, puiî
généralisées. Autour de ces collections sanguines, en effet, on trouve une paroi
pseudo-membraneuse où des dépôts stalifiés de fibrine entremêlés de quelques
petits loyers hémorrhagiques reposent sur une couche de granulations inllamma-
toires pourvues de vaisseaux très-déliés et fragiles. Longtemps on a admis que
la fausse membrane était une conséquence de l'épanchement sanguin, mais on
a reconnu ensuite qu'il s'agissait d'une néo-membrane et non d'une pseudo-
membrane ; que cette néo-membrane était cause et non effet de l'hémorrhagie.
Cela a d'abord été l'iudié pour l'hémorrhagie méningée, à laquelle les travaux
allemands ont fait attribuer le nom à'hématome delà dure-mère [voy. Méninges,
p. 538), pour 17iema^ocè/e vaginale {voy. ce mot). 11 y a avant tout inflamma-
tion, d'où pachyméningile, pachyvaginalite. Plus récemment aussi, des faits
du même ordre ont été observés dans le péritoine, et la pachypéritonite est
venue expliquer certaines liématocèles rétro-utérines [voy. ce mot et Pelvi-
pébitonite) ; le même processus peut engendrer certaines pleurésies et péricar-
dites hémorrhagiques {voy. ces mots). Dans les articulations enfin, la pachysyno-
vile hémorrhagiqiie existe également, et nous citerons à ce propos une observation
de Saxtorph reproduite par Jalaguier {De l'arthrotomie, th. d'agr. en chir.,
1886). Un peut donc dire, d'une manière générale, que toutes les séreuses sont
exposées à ces inflammations lentes, remplaçant la surface séreuse par une
paroi embryonnaire, dont les vaisseaux fragiles se rompent et sont la cause
d'épanchemcnts sanguins enkystés, auxquels on peut appliquer le nom générique
d'hématome. Mais nous n'avons pas besoin de faire une étude d'ensemble sur ce
point. On trouvera tous les renseignements nécessaires dans les articles auxquels
nous venons de renvoyer. A. Broca.
HÉDIATOMÉTRE. Voy. llÉMODYÎiAMOMÈTRE.
HÉM.4.TOMYÉLIE. Variété d'hémorrhagie rachidienne {voy. Moelle, Patho-
logie, p. 784). L. Hs.
HÉMA.TOPOTE (Atfza, «to;, sang, et ttôtoç, buveur). On désigne sous ce
nom un genre d'insectes Diptères brachocères, de la famille des Tabanidœ ou
Taons {voy. Taons), établi par Meigen en 1803, adopté par Latreille, Fabricius,
Macquart. Les caractères des Hématopotes sont tirés de la forme des antennes
longues et avancées, point d'ocelles, les ailes couchées en toit, rapprochées au
repos, avec la première cellule sous-marginale appendiculée. Les mâles diffèrent
des femelles par leurs yeux très-grands et velus, par leur trompe horizontale,
tandis qu'elle est verticale chez celles-ci. La face, avec une ligne enfoncée de
IIÉMATOPOTE. 51
chaque côté chez le niàle, offre de nombreux poils; le front chez la femelle est
large et saillant. Le premier article des antennes du mâle est velu, oblong, épais,
tandis qu'il a une forme conique et qu'il est glabre dans l'autre sexe.
Les femelles des Hématopotes sont avides de sang ; les mâles sont rares,
tandis que les femelles très-nombreuses, tiès-communes surtout dans les bois,
tourmentent les grands quadrupèdes et l'homme, en se posant sur les parties
découvertes du corps et en enfonçant leur puissante armure buccale dans les
téguments.
L'fhEMATOPOTA PLUvuLis Linué {Tabanus, 1761), Ilœmatopota pluvialis
Meigen, longue de 8 à 10 millimètres, est noirâtre en-dessus, cendrée en-dessous
avec la face d'un gris clair; trompe noire, palpes jaunâtres. Les antennes à
peine plus longues que la tète, à premier article épais et ovale, base de la troi-
sième division fauve; une bande noire, luisante, sur le devant du front. Les
^eux verdàtres, à partie inférieure pourpre avec des lignes jaunâtres sinuées.
Thorax à trois lignes blanchâtres longitudinales. Abdomen à ligne dorsale, deux
rangs de taches blanc jaunâtre sur les côtés, bord postérieur des segments blanc
ou cendré jaunâtre ; les trois premiers segments latéralement fauves chez le
luâle. Pattes noires, base des jambes antérieure fauve ou jaunâtre, ainsi que
deux anneaux sur les autres tibias et presque tout le premier article des tarses.
Ailes d'un gris brun, marbrées et tachées de blanc; quelques-unes des taches
sont circulaires. Le mâle a les yeux contigus sans bande frontale.
Cette espèce d'IIématopote, la plus abondanic dans nos climats, est parfois
tellement commune, principalement de juin, juillet, jusqu'à la fin de septembre,
qu'il est incommode, surtout quand le temps est couvert et orageux (d'où son
nom A' Ilœmatopota pluvialis) de pouvoir traverser les endroits boisés. Les
paysans et les chasseurs de la Champagne, de l'Anjou, des Landes, etc., la
connaissent sous le nom de Petit Taon ou de Taon gris. Les essaims à vol lourd
de ces buveurs de sang tourbillonnent, puis s'abattent brusquement sur l'homme,
sur les animaux, chevaux et bœufs, et dès qu'ils sont posés entament la peau et
font sentir une piqûre dont la douleur est ordinairement de courte durée. Les
animaux deviennent ensanglantés, ils cherchent à fuir en pressant le pas. Hors
du couvert, les Hématopotes sont moins redoutables, devenant plus clairsemés.
La piqûre de l'insecte normal est ordinairement sans résultat désagréable ou
fâcheux. Pour ma part, j'ai été piqué un grand nombre de fois; à deux reprises
seulement j'ai éprouvé un effet très-marqué, assez prolongé, parce que l'Hcma-
topote avait dû piquer avant moi quelque animal malade. Une première fois, à
Bar-sur-Seine, j'ai enlevé une Hématopote qui venait d'introduire son rostre sur
le dos de ma main droite; il s'écoula une gouttelette de sang. La nuit suivante,
la main était enflée. Le docteur Cartereau, avec lequel je me trouvais, me donna
de l'eau fortement phéniquée et, après quelques applications internes, l'enflure
n'eut pas de suite; elle disparut en quatre jours.
Au mois d'août 1882, le H. à cinq heures du soir, en Anjou, une petite
douleur au médius gauche me fit regarder la main sur laquelle une Hématopote
était posée. J'enlevai l'insecte, je constatai une forte piqûre d'oià je fis couler
par pression une gouttelette de sang. Peu après autour du point touché, placé
exactement à la base du médius, sur la phalange un peu en dedans, il existait
un point central ecchymotique, avec un cercle élevé, pâle, et autour une aréole
rosée de 1 centimètre de diamètre. Quelques heures plus tard, œdème dur, peu
étendu; le doigt est facilement pUé, puis dans la soirée sur le dos de la main
52 IIEMATOPOTE.
des taches rouges, des marbrures par places qui arrivèrent à se confondre.
Pendant la nuit, douleur légère ou plutôt sensation de tension et de gonllement
du dos de la main.
Le lendemain 12 août, l'endroit piqué offre une élévation légère à dépression
centrale. La teinte est un peu jaunâtre, à reflet fauve rougeâtre, bien visible à
contre-jour. Le gonflement du médius atteint la deuxième phalange; le dos de la
main est œdématié, empâté, gardant l'impression du doigt. La douleur est très-
sujiportahle. — Le soir douleur plus vive, gonflement et rougeur marqués. Petites
élevures autour de la piqûre s'étendant vers le haut de la main; articulation
métacarpo-phalangienne sensible à la pression, main pliée avec peine; pour tout
traitement lavages à l'eau fraîche, — Le 15, peu do sommeil, lourdeur delà
main, tension, engourdissement. Petites papules autour de la piqûre, pas de
vésicules. Moins de douleur qu'liier à la pression de l'articulation métacarpo-
phalangienne, rien sur le bras comme lymphangite, pas de douleur ni de gonfle-
ment intra-axillaire; mal local, appétit conservé. Le soir toujours œdème,
rougeur diffuse. — Le 14, lourdeur de la main, surtout autour de la piqûre, œdème
moins étendu, mais marqué sur le dos de la main. Démangeaisons vives autour
du point piqué, saillies rugueuses moins prononcées. — Le 15, nuit sans douleur
dans la main. Rougeur uniforme, d'un rouge net et sans teinte assombrie,
œdème devenu dur autour de la piqûre. — Le 16, la main se ferme avec facilité,
aucune douleur spontanée articulaire, il faut presser fortement sur les deux
extrémités métacarpo-phalangienne du médius pour produire de la douleur,
prurit léger de l'endroit piqué, s'exaspérant dès qu'un grattage a eu lieu.
Rougeur nette, vive, se produisant alors en petite zone élevée, périphérique, sur
le dos de la main, teinte jaunâtre, rappelant la lin des ecchymoses; cette teinte
s'efface par pression. — Le 17, toujours élevure de la partie piquée, dont le
centre est blanc jaunâtre avec une rougeur rosée, surtout en haut et en bas.
— Le 18, encore rougeur légère avec démangeaisons par instants. Sensibilité
à une foite pression sur l'articulation métacarpo-phalangienne du médius. —
Le 21, il existe toujours une petite élévation rouge et sous une très-forte pres-
sion l'articulation précitée est douloureuse. — Le 22, en mouillant avec l'eau ou
la salive la petite saillie, on y distingue des points jaunâtres placés sous l'épi-
derme, dans le derme. Desquamation autour de la piqûre. — Le 28, hier et avant-
hier constatation de petits points jaunâtres profonds autour de la piqûre. Aujour-
d'hui, point exact piqué devenu sec et corné. — Le 50, hier le point corné est
tombé; autour il reste une élevure d'un rouge vineux, de la grandeur d'une len-
tille. — Octobre, j'ai énucléé deux fois avec la pointe d'une épingle le point
piqué et quelques-uns des points jaunes, .le n'observe plus qu'une tache rouge
qui fin octobre avait disparu.
N'ayant à ma disposition en ce moment aucun instrument d'optique à fort
grossissement, je n'ai pu examiner le contenu des points jaunâtres.
La larve de V Hœmatopota pluvialis a été trouvée par Edouard Perris et
décrite par lui avec grand soin dans les Insectes du Pin maritime {Annales de
la Société entomologique de France, ¥ série, t. X, p. 196-201, pi. 11,
fig. 62 à 69, 1870). Suivant son habitude, Perris compare cette larve à celle des
Tabaniens; il représente aussi la nymphe et montre les stigmates thoraciques
et abdominaux. Fabricius avait avancé que les larves à'Hématopote vivaient dans
le fumier; je serais porté à croire qu'elles doivent plutôt se trouver dans la terre
ou le terreau.
IIÉMATOSCOPIE.
35
L'Hematopota italica Mcigeii (1804). — //. longicornis et tenuicornis
Macquart, a les mêmes mœurs que VH. pluviale, mais elle est moins com-
mune et un peu plus grande. Sa couleur est plus noire ; les antennes sont
une fois et demie plus longues que la tète, le premier article cylindrique
est d'un brun noir. L'abdomen est peu tacbé, le bord postérieur des seg-
ments est nettement blanchâtre on blanc {voy. Diptèues, Insectes, Simulies,
Taons). A. Laboulbène.
UÉMATOPORPllYniXE. Yoij. Hkmoglobi.ne.
nÉnATOR.%€iil^. Variétcd'hemorrhagie raciiidienne [voy. Moelle, Patho-
logie, p. 776). L. Hn.
nÉMATOSCOPIE. IIKMATOSCOPE. IlÉHATO - SPECTROSCOPES.
L'hématoscopie est la méthode d'analyse du sang que j'ai instituée; elle est
basée sur l'examen spectroscopique du sang et l'emploi d'instruments de préci
sioa appelés iiématoscopes, hémato-spectroscopes. Elle comprend deux modes
d'observation : i" l'analyse spectrale du sang pur, non dilué, déterminant la
quantité d'oxyhémoglohine contenue dans le sang; 2" l'élude de la durée de la
réduction de l'osybcmoglobinepar l'examen spectroscopique de l'ongle du pouce.
Le rapport entre ces deux données établit l'évaluation de l'activité de la réduc-
tion de l'oxyhémoglobine dans le pouce. Les procédés accessoires d'examen
diaphanomélrique, de reproduction photographique, viennent compléter l'étude
du sang par cette méthode iComptes rendus de l'Acnd. des se, 2 nov. 18S6).
L Mesure de la quantité d'oxyuemoglobine. Le dosage de la quantité
d'oxyhénioglobine du sang se pratique au moyen de l'hématoscope d'Iiénocquc.
L'héniatoscope est essentiellement constitué par deux lames de verre de
largeur inégale. Elles sont superposées de lagon que, maintenues en contact
à'I'une de leurs extrémités, elles s'écartent à Taulre extrémité d'une distance
de 30 millièmes de millimètres, limitant ainsi un espace prismatique capillaire;
la position des lames est assurée au nioven de deux agrafes en laiton nickelé,
supportées par la lame de verre inférieure, et formant deux coulisses dans
lesquelles la lamelle supérieure est introduite à frottement doux {voy. fig. i).
f5J553S^r*
{— , — — ^
^ ^0 20 30 ^0 SO 6%
Fig. 1. — Ilémaloscope vu de face, grandeur naturelle.
La disposition de ces diverses parties est représentée en coupe dans la
figure 2,
La lame inférieure (/i) est séparée de la lamelle supérieure (/s) par un
espace prismatique S représenté en noir (et un peu exagéré dans la figure).
La lame inférieure porte à ses deux extrémités les agrafes de laiton, celle de
gauche a, g, maintient les lames en contact, celle de droite présente un talon
DICT. ENC 4" S. XIIL 3
54 IIEMATOSGOPIE.
{t), ayant 5 dixièmes de millimètres d'épaisseur, qui détermine l'écartement des
deux lames ; ces deux agrafes forment les deux rainures ou coulisses dans
lesquelles la lamelle supérieure glisse à frottement doux {voy. lig. 1 et 2).
Une échelle graduée en millimètres est gravée sur la plaque inférieure, elle
s'étend de 0 à GO millimètres. Il résulte de celte disposition que, si l'on fait
pénétrer du sang entre les deux lames, celui-ci forme une couche dont l'épais-
Lt é
Fig. 2. — Coupe do l liémaloscope.
seur varie de gauche à droite entre 0 et 500 millièmes de millimètres ou
micra.
On peut mesurer l'épaisseur de cette couche au niveau de chaque division
de l'éclicUe : en effet, chaque longueur de 1 millimètre correspond à 5 mil-
lièmes de millimètres, en d'autres termes, la pente de la lamelle supérieure est
de 5 millièmes de millimètres pour 1 millimètre.
Pour calculer l'épaisseur en millièmes de millimètres ou micra il faut simple-
ment multiplier le chiffre de réchelle par 5.
Lorsqu'on introduit du sang entre les deux lames en en déposant quelques
gouttes sur la tranche inférieure, ce liquide pénètre par capillarité et s'étend
en couche d'une épaisseur graduellement progressive, de sorte que la colora-
tion nulle à U devient rougeàtre, rouge, carminée et de plus en plus intense
vers 60.
Le sang présente donc une teinte progressivement plus foncée de gauche à
droite, ainsi qu'on peut le voir dans la figure 1. Il est évident que la teinte sera
d'autant plus foncée que le sang contiendra une plus grande quantité d'oxyhé-
moglobine ou matière colorante active, ce qui permet la mesure comparative
et même quantitative de la richesse du sang en matière colorante active.
Introduction du sang dans l'hématoscope. Pour examiner le sang recueilli
sur un animal, il suffit d'en laisser tomber quelques gouttes dans la rainure
inférieure que forment les plaques de verre, au-dessus de l'inscription « héma-
toscope d'Uénocque », en inclinant les plaques de façon que le sang pénètre
entre elles par l'action de la pesanteur et par capillarité.
La capacité de l'espace prismatique est de 90 millimètres cubes, mais en
pratique il faut obtenir six gouttes de sang pour bien remplir l'hématoscope.
Pour examiner le sang de l'homme il faut pratiquer à la partie externe de
la pulpe du petit doigt une piqûre à l'aide d'une lancette ou, de préférence,
au moyen de Vaiguille hématoscopiqne ; disposée de manière à pouvoir prati-
quer une piqûre ne dépassant pas une étendue linéaire de 1 millimètre ; cette
lancette minuscule porte un talon qui en limite la pénétration dans les tissus,
elle peut être rendue aseptique par le flambage, ou par tout autre moyen.
Pour faire pénétrer le sang entre les lames, on applique le bord inférieur de
l'hématoscope au niveau de la piqûre, et le sang tomhant directement dans la
rainure se distribue également entre les deux lames :
L'hématoscope simpliûe l'analyse spectrale de la matière colorante du sang et
de ses diverses modifications.
En effet, si l'hématoscope chargé de sang pur est placé devant la fente d'un
IIlUlATOSCOPIE. 55
speciroscopc, on peut étudier les bandes d'absorption que présente l'ox^hémo-
"lobine sous dilTérenlcs épaisseurs. En faisant mouvoir lentement riiématoscope
de "auche à droite, on constatera successivement l'apparition des deux bandes
d'absorption caracléristiqiies de V oxyhémoglobine, puis leur élargissement, et
enfui leur confusion, en même temps que la disparition de l'espace vert qui les
séparait ; en d'autres termes, on observe le sang sous des épaisseurs variant de
0 à 500 millièmes de millimètre, et par conséquent c'est à peu près comme si
l'on examinait des dilutions graduées de sang variant entre 1/00 et 1 (en admet-
tant que le liquide servant à la dilution n'ait aucune action sur les principes
colorés du sang) [Comptes rendus de la Soc. de biuL, p. 700, 760, i iC [188ij).
Toute modification de la matière colorante est facilement étudiée ; le mélange
d'oxyhémoglobine et d'hémoglobine réduite, la présence de la métliémoglobine,
de l'hémoglobine oxycarbonée, et en définitive tous les dérivés de l'hémoglobine,
présentent dans l'hématoscope leurs réactions spectrales caractéristiques.
L'hématoscope peut servir non-seulement à l'analyse qualitative de ces divers
composés, mais encore à l'analyse quantitative du plus important d'entre eux,
l"oxyhémoglobine [Comptes rendus de la Soc. de biol., p. 12, 62, 70, 081 [1885]).
Principe de la méthode. Lorsqu'on examine avec le spectroscope le sang
contenu dans l'hématoscope, et qu'on étudie l'espace intermédiaire entre le
moment d'apparition des deux bandes caractéristiques de l'oxyliémoglubine et
celui où les bandes sont confondues, c'est-à-dire la disparition du vert, on
perçoit, à une certaine épaisseur du sang, un aspect caractéristique des bandes,
que j'ai décrit sous le nom de phénomène des deux bandes également obscures
et qui peut être formulé comme il suit :
Théorème. Le sang contenant 14 pour 100 d'oxyhémoglobine, examiné à la
lumière du jour sous une épaisseur de 70 millièmes de millimèlre avec un
spectroscope à vision directe, à une dislance ne dépassant pas 1 millimètre,
présente les deux bandes caractéristiques de l'oxyhémoglobine avec une teinte
noire également obscure. Elles ont aussi une étendue égale dans le spectre, si on
les mesure en longueurs d'ondes ; elles occupent les espaces de 550 à 550 et de
570 à 590 millionimètres ou ),.
U est facile de comprendre que le phénomène des deux bandes égales étant
pris pour type se produira sous des épaisseurs différentes suivant que le sang
est ]dus ou moins riche en matière colorante active ou oxyhémoglobine, et,
lorsqu'on étudiera le sang dans un hématoscope, on percevra les deux bandes
égales sous une épaisseur d'autant plus grande que le sang sera plus anémique.
C'est l'étude de la loi de ces variations qui permet de faire l'analyse quanti-
tative de l'oxyhémoglobine avec l'hématoscope.
Procédés. Tous les spectroscopes peuvent servir à examiner le sang dans
l'hématoscope, à condition d'appliquer la plaque sur la fente, ou à distance fixe,
de l'éclairer convenablement et d'en présenter successivement les diverses divi-
sions de 0 à 60, au-dessous de la fente.
Le premier procédé très-simple est applicable aux examens rapides que com-
portent la clinique et les expérimentations on les observations doivent être
multipliées en un court espace temps.
11 consiste à examiner le sang à l'aide d'un spectroscope à vision directe :
tenant l'hématoscope de la main gauche et verticalement, on se place devant une
fenêtre de façon à recevoir la lumière solaire diffuse ou d'un rédecteur de
porcelaine blanche.
56 IIKMATOSCOPIE.
Prenant le spectroscopc de la main droite, on applique la fente en dedans de
l'agrafe ganche de riiématoscope, près du zéro, et on fait glisser l'instrument de
façon à examiner successivement les diverses parties de la division 0 à la divi-
sion 60.
On peut ainsi observer des phénomènes identiques à ceux que présente
l'exaniea de solutions plus ou moins concentrées de sang. Les deux bandes
apparaissent vers 5 à i niillimèlres ; elles deviennent plus foncées, égales vers
14; puis elles s'élargissent en s'estompant vers leurs bords, l'espace intermé-
diaire "vert se rétrécit, diminue, et entin disparaît.
On note les divisions auxquelles ces trois phénomènes sont observés, de façon
à pouvoir comparer les trois résultats.
Une rclielle de concordance permet de lire sans calculs la quantité d'oxylié-
moglobine contenue dans le sang, sous les diverses épaisseurs auxquelles on
observe le phénomène des deux bandes égales. Il est indispensable, si l'on veut
pouvoir comparer et discuter les résultats obtenus, de les exprimer suivant cette
notation (|ui est basée sur les lois (ïahwrption spectroscopiqiie, et sur des
examens ré|)étés de sang pur, de sang défibriné, de sang dont le fer a été dosé,
et dont la capacité respiratoire a été mesurée.
Cette échelle indique quelle est la quantité d'oxyhémoglobine correspondante
à la distance en millimctres à laquelle la fente du spectroscope est placée pour
constater le phénomène des deux bandes égales.
Dans le second procédé, au lieu de pratiquer les recherches avec les mouve-
ments de la main, on emploie des appareils dénommés hémato-spectroscopes qui
sont disposés de manière (jue, l'hématoscope étant fixé sur un support com-
parable à celui d'un microsco[)e, on peut exécuter tous les mouvements méca-
niquement et en outre, grâce à une échelle latérale, détermmer en longueur
d'onde l'étendue et la position des bandes. Ces appareils servent à l'étude et à la
démonstration. Enfin Y hémalo-^pectroscope double, instrument formé de deux
hématoscopos à vision directe réunis sur une fente commune, permet à deux
personnes d'étudier les phénomènes spectroscopiques et de se contrôler récipro-
quement dans leurs examens. En somme, avec l'hématoscope on détermine la
quantité d'oxyhémoglobine, on connaît la richesse du sang en matière colorante
active; il reste à apprécier la durée de le réduction de l'oxyhémoglobine dans les
tissus.
11. Mesure oe i.\ durée de la réduction de l'oxyhémoglobine a la surface sous-
usGuÉALE DU l'OLCE. Lorsqu'on examine à la lumière du jour la surface de
l'ongle du pouce avec un spectroscope à vision directe, on aperçoit la première
bande d'absorption du sang, masquant le jaune et s'étendant à droite de la
raie I); quelquefois ou reconnaît aussi un peu pins loin vers la raie E, dans le
jaune vert, la seconde bande, mais plus étroite et moins foncée. Si l'on applique
autour de la première phalange du pouce une forte ligature avec un tube de
caoutchouc, et «pie l'on observe l'ongle avec le spectroscope, on voit, au bout de
quelques secondes, la deuxième bande pâlir et disparaître, puis après un temps
de vingt-cinq à trente-cinq secondes on voit apparaître le jaune, la première
bande pâlit peu à peu et finit par disparaître, de sorte que le spectre est con-
tinu, quoique présentant assez longtemps une légère teinte sombre entre D et
E. Ces phénomènes se succèdent en un temps variable, entre quarante et quatre-
vingt-dix secondes. J'appelle virage le moment d'apparition du jaune, et durée
delà réduction tout le temps qui sépare l'application de la ligature de la dispa-
UKMATOSCOPIE. 37
ritiou complète de la bande principale (a), la seule dont on ait à se pre'occuper.
Aussitôt qu'on enlève la ligature, on voit réapparaître celte bande et elle olïre
même une plus grande intensité qu'avant l'application du lien.
Ces phénomènes s'expliquent facilement : en eiïet, la ligature isole dans le
pouce une certaine quantité de sang artérialisé, on perçoit pendant quelque
temps les bandes de l'hémoglobine oxygénée, puis la réduction par les échanges
interstitiels se fait, l'oxygène est consommé et, l'hémoglobine réduite ne présen-
tant pas de bande d'absorption assez intense pour être perçue à travers l'ongle,
le spectre réapparaît sans bande d'absorption.
Diverses expériences ont démontré que le sang extrait alors de la pulpe du
pouce est de coloration veineuse et contient de l'hémoglobine réduite. On peut
donc considérer la durée de la réduction comme représentant le temps néces-
saire pour la consommation de l'oxygène du sang dans le riche réseau vasculaire
placé sous l'ongle du pouce.
Pour apprécier cette durée de réduction il faut procéder méthodiquement;
on peut pour la clinique se servir d'un spectroscope à vision directe tel que le
fabrique à Paris M. Lutz, suivant mes indications, ou bien des petits spec-
troscppes de poche de Duboscq, de Nachet, de Verlein, etc. Le sujet à observer
étant placé près d'une fenêtre de façon que l'ongle reçoive la lumière solaire
plus ou moiuj diffuse, on applique la pai'tie inférieure du dis(jue qui porte la
fente sur la portion cutanée de la phalangette du pouce située entre la lunule et
l'articulation de la phalangette, on incHne le spectroscope au-dessus de l'ongle
de façon à voir le spectre et la bande a de l'oxyliémoglobine, et alors on
enroule rapidement autour de la phalange un tube de caoutchouc de façon à
faire une ligature bien serrée ; on note alors au moyen de la montre à secondes
le moment où la bande caractéristique disparaît, et l'on a ainsi la durée de la
réduction [Gazette hebdom., 1886, p. 69r>).
La durée de réduction varie entre vingt-cinq et quatre-vingt-dix secondes, la
moyenne oscille entre cinquante-cinq et soixante-cinq secondes, elle varie chez le
même individu suivant les diverses conditions de l'état physiologique, la diète,
le repos, le sommeil, l'état de la digestion, les efforts, l'influence du froid, des
bains, des ablutions, mais ces variations sont peu étendues et passagères. Les
oscillations normales se font entre cinquante-cinq et soixante-cinq secondes, des
efforts répétés, les bains, peuvent faire varier la durée entre quarante-cinq et
soixante secondes, mais les modifications sont bien plus considérables suivant
les états pathologiques et suivant les médications. Je n'insiste pas sur les nom-
breuses observations que j'ai faites à ce sujet, parce que, la durée de la réduction
dépendant non-seulement de l'activité des échanges entre le sang et les tissus,
mais aussi de la richesse du sang en oxyhémoglobine, il est indispensable de
réunir ces deux facteurs et de les comparer l'un avec l'autre pour apprécier
l'activité des échanges qui déterminent la réduction de l'oxyhémoglobine ou en
d'autres termes la consommation de l'oxygène.
m. Mesure de l'activité de la réductio.n. Pour rendre ces résultats compa-
rables, il a fallu établir une unité d'activité de réduction et je l'ai déterminée
de la manière suivante :
L'expérience m'a montré que chez l'homme vigoureux et bien portant dont le
sang contient 14 pour 100 à' oxyhémoglobine la durée de réduction est de
soixante-dix secondes, chez les individus dont le sang contient 13 pour 100
d'oxyhémoglobine la durée de réduction est de soixante-cinq secondes. Si l'on
58 IIÉMATOSCOPIE.
admet que la réduction se fait uniformément, on conclura que le premier en
une seconde aurait consommé 14/70 pour 100; le second 13/65 pour 100, soit
l'un et l'autre 0,2 de la quantité d'oxyhémoglobine du sang. C'est cette quan-
tité qui est prise ]iour unité d'activité de réduction et une formule très-simple
permet de calculer l'activité correspondante à des durées de rédaction et à des
quantités d'oxyhémoglobine déterminées.
.,..,,, ,, . quantité d'oxyliémoglobine . ,, ,
L activité de réduction ou £= -, — -, — , , , — ^ X<J, en d autres
durée de réduction
termes, l'activité de réduction exprimée en unités d'activité est égale à 5 fois le
quotient du chiffre exprimant la quantité d'oxyhémoglobine pour 100 par le
chiffre exprimant la durée de la réduction. Dans la pratique cette formule peut
être simplifiée de la manière suivante : on divise par 2 le quotient de lu quan-
tité par la durée et l'on multiplie ]iar 10.
L'activité de réduction ainsi évaluée exprime l'activité des échanges entre le
sang et les tissus dans une partie de l'organisme, la phalange du pouce, c'est-à-
dire un organe comprenant la peau et son tissu sous-cutané, les vaisseaux sous-
cpidermiques, en plus du tissu tendineux et un os : la phalangette. On peut
considérer les résultats obtenus comme exprimant une grande partie des. phé-
nomènes d'échanges et en particulier le phénomène de la consommation de
l'oxygène du sang par les tissus; nous possédons par conséquent un moyen nou-
veau d'apprécier l'activité des échanges et l'élude de ses variations, dans l'état
de maladie, qui offre une importance considérable.
Variations de racllvUé de réduction. J'ai fait un grand nombre d'observa-
tions sur les modifications de l'activité chez deux cents individus différents et
dans les conditions les plus diverses de santé, de maladie, et sous l'influence
des médications les plus habituellement appliquées.
Je ne puis ici qu'en résumer les principaux résultats. L'activité de réduction
oscille au-dessus et au-dessous de la normale égale à 1. Elle peut être voisine
de la normale, c'est-à-dire de 0,80 à 120. Elle peut être augmentée et exa-
gérée, c'est-à-dire de 1,25 à 2,50. Elle peut être diminuée, c'est-à-dire de
0,40 à 0,75.
La diminution de Vaclivité a varié entre 0,40 et 0,75 dans 25 cas, dans
9 cas, elle a été voisine de la moitié de la normale, dans 16 cas, elle est
au-dessous des 3/4 de celle-ci. Il s'agît dans la plupart des observations de
chloro-anémies, d'anémies par métrorrhagies répétées et dephthisie. L'activité la
plus faible a été trouvée dans des cas d'anémie pernicieuse, d'anémie chez des
cuisiniers, enfin dans le diabète et chez des épileptiques.
En génénil, la diminution d'activité est en rapport direct avec la diminution
d'oxyhémoglobine, mais il y a des exceptions. Par exemple, des épiletiques avec
11 et 13 pour 100 d'oxyhémoglobine ont présenté une activité faible de 0,60.
Dans un cas d'embarras gastrique avec 13 pour 100, l'activité n'était que 0,75.
Dans la chlorose avec 11 pour 100, l'activité peut descendre à 0,60. Dans la
croissance au moment de l'établissement des règles, j'ai noté une activité de
12 pour 100 d'oxyhémoglobine; enfin, chez les individus obèses, l'activité se
ralentitnotablement et indépendamment de l'anémie.
h' augmentation de Vactivité de réduction a été observée dans 29 cas se
répartissant ainsi: 9 cas de 1,50 à 1,75 et même 2, soit 1 fois 1/2 à 2 fois la
normale, avec une quantité d'oxyhémoglobine de 8 à 14 pour 100; 15 cas de
1,40 à 1,45, avec une quantité d'oxyhémoglobine de 10 à 14,5 pour 100;
HÉMATOSCOPIE. 59
ô cas de 1,22 ù 1,26, avec une quantité d'oxyhcmoglobine de 10 à M, 5 pour
100.
Ces faits comprennent des observations prises à l'état de santé, ou chez des
hommes à tempérament sanguin, des arthritiques, des herpétiques, pendant les
manifestations congestives ou inflammatoires, telles que les congestions pulmo-
naires, l'angine et la fièvre herpétique, les accès de rhumatisme subaigu, le
purpura rhumatismal, enfin certains cas de glycosurie.
L'exagération de l'activité peut avoir lieu même avec des quantités d'oxyhé-
moglobine faibles, de 8 à 9 ou 9,5 pour 100 dans l'irritation spinale,
l'alcoolisme, chez des individus sanguins à la suite d'hémorrhagies.
L'influence de douches chaudes, de bains de piscine, peut doubler momen-
tanément l'activité de réduction. Une marche prolongée, des efforts musculaires
répétés, augmentent l'activité de réduclion.
L'activité moyenne, c'est-à-dire variant de 0,80 à 1 et 1,2, a été obsei'vée dans
cent soixante-quinze cas et dans des conditions si variées qu'il n'est pas possible
d'en donner un résumé même succinct. Un fait prédominant et remarquable
est que l'activité de réduction peut al teindre la normale, alors même qu'il
y a une quantité faible d'oxyliémotrlobinc : par exemple, chez un goutteux,
à la fin d'un accès, l'activité a été de 1 avec 7,5 pour 100 d'oxyhcmoglobine;
elle a été également normale avec 9 pour 100 chez un arthritique alcoolique,
avec 9,0 pour 100 chez une cuisinière anémiée, avec 9 pour 100 chez une tuber-
culeuse, 10 pour 100 chez une femme affectée d'asystolie. 11 n'est pas rare de
trouver l'activité normale avec 11 pour 100, et ce fait s'est présenté chez
plusieurs médecins.
Il s'établit dans ces cas une sorte de compensation entre la durée de la
réduction et la quantité d'oxyhémoglobine, d'où il résulte qu'avec un sang
pauvre les fonctions s'exécutent d'une manière satisfaisante, grâce au ralentis-
sement ou à la rapidité des échanges suivant les cas, mais cet équilibre peut
être rompu par une complication accidentelle ou pathogénique. C'est ce que
l'étude de l'activité de réduction démontre, soit dans le sens de la diminution,
comme chez les chlorotiques au moment de l'établissement des règles et pen-
dant la croissance, soit dans le sens de l'exagération, comme chez les arthri-
tiques, les herpétiques, les cardiaques, les emphysémateux.
Applications thérapeutiques. Les médications produisant des modifications
de l'activité de la réduction, qu'il est très-intéressant de constater et de suivre
dans le cours du traitement, afin d'apprécier l'effet produit par les agents thé-
rapeutiques sur la quantité d'oxyhémoglobine et sur l'activité des échanges. C'est
ainsi qu'on peut déterminer l'action de la médication ferrugineuse arsenicale,
sulfureuse, par l'arséniate de fer, les alcalins, les iodures, et en général de
tous les médicaments qui agissent sur la composition du sang ou modifient la
nutrition.
Par exemple, chez un pléthorique emphysémateux, l'iodure de potassium à
la dose quotidienne de 1 gramme pendant vingt jours a modifié l'activité de
réduction de façon à l'abaisser de 1,25 à 0,80, en même temps que la quantité
d'oxyhémoglobine est descendue à 15 pour 100. Dans des conditions opposées
un vieillard athéromateux, avec congestion pulmonaire, dyspnée, cyanose des
extrémités, présentait une hématose incomplète, de façon que le sang ne ren-
fermait que 9 pour 100 d'oxyhémoglobine mélangée avec de l'hémoglobine
réduite et une activité de 0,50 ou moitié de la normale ; chez ce malade l'u-
40 IIÉMATOSCOPIE.
sage de l'iodure de sodium (6 grammes en six jours) a doublé l'activité de la
réduction, c'est-à-dire l'a ramenée à l'unité, pendant que le sang renfermait
10 pour 100 d'oxyhémoglobine.
L'héniatoscopie offre une utilité incontestable pour l'étude des médications
thermales ou hydrothérapiques ; elle permet d'apprécier l'action thermale
et hydrorainérale pour ainsi dire jour par jour et avec les incidents divers qui
peuvent se produire : c'est ainsi que j'ai constaté que les grandes douches d'Aix
peuvent amener l'exagération de l'activité de réduction de 1 à 2 et même davan-
tage. La piscine avec mouvements de natation a amené une élévation de l'acti-
vité de 1,20 à 2,50, c'est-à-dire qu'elle a doublé. De même à Saint-Ilonoré-les-
Bains j'ai constaté une augmentation de l'activité de réduction. A la suite de
bains de piscine, celle-ci s'est élevée dans les premieis bains de 0,75 à i ou
de 1 à 1,25, la rapidité de la réduction après la piscine a été observée chez
plusieurs individus concurremment avec l'élévation du pouls.
I/hématoscopie permet en outre de reconnaître le mélange de l'hémoglobine
réduite avec l'oxyhémoglobine, et ce phénomène se produit dans les états
asphyxiques, dans l'agonie, dans l'état de cyanose et en général lorsque l'héma-
tose e>t incomplète; ce mélange existe daus le cas de maladie bleue où il est
cependant possible d'observer le pliénoinène de la réduction au pouce.
L'héniatoscopie peut démontrer la présence de la méthémoglobine dans le
sang, mais jusqu'à présent cette constatation n'a été faite que sur des animaux.
Les applications de l'hématoscopie à la physiologie et à la toxicologie ne sont
pas encore nombreuses, cependant mes recherches sur la paraldéhyde, sur l'anti-
pyrine, l'acétophénol. la thalline et l'anlifibrine, ont démontré que, lors même
que ces toxiques donnés comme agents thérapeutiques n'amènent pas de pro-
fondes modifications dans le sang, ils agissent sur l'activité de la réduction en
même temps que sur la quantité d'oxyhémoglobine contenue dans le sang.
A doios toxiques, on pourra retrouver par Ihématoscopie la méthémoglobine
et même en apprécier la quantité relative. J'ai pu ainsi déterminer chez ce
cobaye l'époque d'apparition de la transformation du sang en méthémoglobine
et la durée de l'élimination de la méthémoglobine. Les deux modes d'examen
du sang qui constituent l'hématoscopie peuvent être employés conjointement ou
séparément [Comptes rendus de la Soc. de bioL, 1885, p. 669; 1884, p. 146).
Chez les cobayes on peut étudier la durée de la réduction par un procédé
analogue à celui de l'examen du pouce chez l'homme : en effet, si l'on examine
au spectroscope la surface plantaire de ces animaux lorsque celle-ci n'est pas
noire, on peut observer la bande principale de l'oxyhémoglobine et, si l'on
applique une ligature avec un tube de caoutchouc autour du cou-de-pied, on
peut observer la disparition de la bande et mesurer la durée de réduction : celle-
ci est en moyenne de 00 à 70 chez les cobayes dont le sang contient 15 à
14 pour 100 d'oxyhémoglobine.
Les procédés complémentaires de l'hématoscopie sont la reproduction photo-
graphique du sang contenu dans l'hématoscope, et l'étude diaphanométrique ou
chromométrique du sang à l'aide d'un hématoscope d'émail.
La photographie du sang sera décrite à l'article Photographie (médicale) du
Dictionnaire, il nous suffit de dire qu'elle est un moyen de contrôler les résultats
observés au spectroscope. Le second procédé est basé sur l'appréciation de la
transparence du sang observé en couche mince d'épaisseur progressive.
Sur une plaque d'émail blanc sur laquelle sont tracés des chiffres, des lettres
HÉMATOXYLON (emploi). 41
et (les divisions millimétriques servant d'échelle, on superpose l'iiémaloscope
chargé de sang. La partie peu épaisse et peu colorée du sang laisse lire les
lettres et les chiffres, mais les uns et les autres disparaissent dans la partie
épaisse et plus colorée; il est évident qu'on lira d'autant plus de lettres et de
chiffres que le sang sera moins chargé de matière colorante ou oxyhénioglohine.
L'échelle de cliiffres a été établie de façon que les chiffres correspondent à
des quantités d'oxyhémoglohine déterminées, et le dernier cliiffre lu distinc-
tement indique la quantité d'oxyhémoglobide contenue dans 100 grammes de
san"' avec une approximation suffisante pour que ces résultats soient com|)a-
rables. Le procédé diaphanométrique permet d'ajiprécier la quantité d'oxyhé-
mo"lobine et surtout la présence d'hémoglobine réduite dans le sang extrait des
vaisseaux et introduit dans l'hématoscope. A. IIiïinocque.
HÉMATOSIXE. Lecanu a décrit sous ce nom l'hématine {voy. Hémo-
glouise). a. 11.
nÉMATOXYLii\E. C'H'^O^ -f-o(l*0. Matière colorante, isolée du Lois de
campêche pour la première fois, en 1810, par Chevreul, sous le nom àliématine;
ce nom a été changé depuis en celui dliématoxyline pour ne pas la confondre
avec l'hématine du sang. En ISiS, Erdmann a extrait ce corps, non plus au
moyen de l'eau et de l'alcool, comme ses prédécesseurs, mais au moyen de l'éthcr,
et l'a obtenu sous forme de petits prismes jaune de miel, dont la poudre est
blanche ou jaune pâle ; ces cristaux possèdent une saveur douceâtre qui rappelle
celle du jus de réglisse et se dissolvent peu dans l'eau froide, aisément dans
l'eau chaude, l'alcool et l'élher, qu'ils colorent en jaune. L'hématoxyline se dissout
dans les alcalis avec une coloration rouge pourpre ou violette qui passe au jaune,
puis au brun. L'alun et les sels de plomb la précipitent de ses solnlions.
La solution ammoniacale laisse déposer par évaporation des cristaux violet
foncé (ïhématéine ammoniaque ou hématéate d'ammoniaque, dont 0. liesse,
en 1858, a déterminé délinitivement la composition, ainsi que celle de l'héma-
toxyline. Vhématéine (CHV''O^YAz s'obtient en précipitant la solution d'héma-
téine ammoniaque par l'acide acétique; elle constitue un dépôt rouge brun,
volumineux. On peut l'obtenir sous forme de grains cristallins d'un noir violacé,
à reflets métalliques; elle se dissout dans l'eau et la colore en pourpre foncé.
Elle repasse à l'état d'hématoxyline quand on la traite par le zinc et l'acide sul-
urique, ou par l'acide sulfureux.
L'hématéine colore l'alcool en brun rouge et l'éther en jaune d'ambre ; elle
'précipite en bleu les sels de plomb et de cuivre. Enfin sa solution ammoniacale
donne avec la plupart des sels métalliques des laques bleues ou violettes. C'est
l'hématéine qui agit dans la teinture par le campêche.
Rappelons encore que l'hématoxyline est très-employée dans la technique
histologique à l'état de solution dans l'alcool ; ce réactif colore spécialement les
noyaux des cellules. On l'emploie en outre mélangée avec l'éosine.
L'hématoxyline n'est guère employée en médecine {voy. Hiîmatoxylo>). L. Hk.
nÉMATOXYLOlX. g I. Botanique. Voy. CamPÊCHE, 1" sér., t. XII, p. 30.
§ II. Emploi médical. C'est en 1746 que ce médicament fut introduit
pour la première fois dans la pharraaoopée de Londres sous le nom de Lignum
42 UÊMATOXYLON (emploi).
tinctile Campechense. Aujourd'hui ce sont les médecins de langue anglaise
qui le prescrivent encore soit en Grande-Bretagne, soit aux colonies.
L'hémaloxylum n'est autre que les copeaux du bois de Campèclie, employé
dans l'industrie et désigné par les botanistes sous le nom (Vllematoxylon Cam-
pcchianum {Logwood, Peachwood ou Campechy-ivood des Anglais; Kam-
peschenholz et Blauholz des Allemands et Campeggo des Italiens).
Importé sous forme de bûches de teinte brun noirâtre à l'extérieur, rouge
foncé ù l'intérieur, ce bois est réduit en copeaux de couleur d'un rouge vio-
lacé, d'odeur douce et de saveur astringente, qualités qu'ils partagent avec les
produits d'autres végétaux de la famille des Légiimineuses-Césalpiniées.
La substance colorante qu'il renferme a reçu le nom d'hématoxyline. Les
copeaux de bonne provenance en contiennent 9 à 10 pour 100 de leur poids.
Action et usages THÉRArEUTiQUE?. Les propriétés physiologiques du bois de
Campèclie et de l'hématoxyline sont encore à étudier. On le considère cependant
et on l'emploie comme astringent et comme tonique.
En Angleterre, Ralfe, Corrigan, Wilks, Wilshire, Budd, ont fait connaître
des cas de dysenterie et de diarrhées rebelles contre lesquelles ils en firent
usage avec succès. On l'a recommandé également contre la diarrhée chronique
des enfants, mais en remarquant la IVéquence des phlébites après son admi-
nistration.
C'est encore à titre d'astringent et de tonique que l'hematoxylon a été admi-
nistré contre les fièvres adynamiques des pays chauds, que M. Cotton l'a employé
comme topique sur les plaies et que l'extrait de Campèche a servi au pansement
des cancers, des fongus hématodes et des ulcères phagédéniqucs dans les obser-
vations publiées en Angleterre par Woodward, Dermates et autres.
Mode d'administration et doses. La décoction de bois de Campèclie s'obtient
avec un mélange de 50 grammes de bois de Campèche et de Ss^TS de cannelle
pour 000 grammes d'eau. Telle est la décoction antidy sente rique de Ralfe.
Le même observateur recommande encore Vextrait aqueux du bois de Cam-
pèche., préparé par l'infusion pendant vingt-quatre heures d'une partie du bois
concassé dans dix parties d'eau bouillante. On réduit ensuite au bain-marie
jusqu'à consistance convenable. La dose d'extrait varie de 10 à 50 grammes.
Dans le traitement de la dysenterie, Ralfe combine l'emploi de l'hématoxyline
avec celui de l'huile de ricin. D'après ses statistiques, il aurait obtenu six gué-
risons dans une série de onze dysentériques chez lesquels la durée du traitement
aurait été de trente-trois jours. Comme le remarquent les auteurs qui ont fait
l'essai de ce médicament, ces statistiques ne sauraient être décisives, puisque
dans plusieurs cas le médecin anglais prescrivait l'ipécacuanha en même temps
que l'extrait de Campèche.
Un des effets les plus constants est la coloration rouge des urines après
l'administration de la décoction de bois de Campèche. Quant aux vertus théra-
peutiques de ce bois, elles sont fort douteuses. Ch. Éloy,
Bibliographie. — Corrigan. The L. Med. Becoi-d, 1848, t. I, p. 43. — Hutchinso\. Eodcm
loco, 1858, p. 276. — Budd. Eodem loco, 1856, p. 49.— Wilks. Med. Times and Gaz., 1862,
t. I, p. 258. — AYiLSHiRE. The Lancet, 1862, t. II, p. 63. — Desmartes. Eodem loco, 1862,
t. II, p. 252. Woodward. Eodem loco, 1862, t. II, p. 362. — Cottox. Med. Times and Gaz.,
1875, t. II, p. 125. — Flùckiger et IIanbury. Histoire des drogues d'origine végétale, trad.
par de Lancssan, 1878. — Ralfe. The Lancet, 1880, t. I, p. 321. — Gdeler et LAnuÉ. Com-
mentaires thérapeutiques du Codex, 1885, p. 43. — Roux. Traité des maladies des pays
chauds, 1886. Ch. É.
HÉMATOZOAIRES. 43
nËMATOZOAiUE!^. On appelle Hématozoaires {auj.a, sang; 'ÇSio-j, animal)
les animaux qui vivent, soit normalement, soit accidentellement, dans le sang
d'autres animaux. Ces parasites ne constituent point un groupe zoologique na-
turel, puisqu'on trouve parmi eux des Protozoaires et des Vers (Trématodes,
TS^ématodes).
Une étude générale des hématozoaires ne saurait être présentée ici, en raison
même de la grande diversité de ces êtres. Nous ne pouvons que considérer suc-
cessivement les liématozoîiires appartenant aux différents groupes zoologiques.
Si nous devions n'envisager ici que ceux de ces aniniaux qui se peuvent ob-
server chez l'Homme, notre làclic serait aisée : il nous suffirait de faire l'iiistoirc
de la Bilharzia haematobia, de consacrer quelques lignes à un helminthe dou-
teux, Hexathyridium venariim, et de dire quelques mots des cas, d'ailleurs
fort rares, où des Distomes erratiques ont été rencontrés dans l'appareil circula-
toire; il nous faudrait encore r.ittacher secondairement à notre étude la Filaria
sangiunis hominis qui, malgré son nom, est réellement parasite du système
lymphatique, mais dont les embryons se trouvent en grande abondance dans le
sang (Foî/. Helminthes, n° 34). Ainsi compris, cet article exposerait sans doute
ce qu'on sait à l'heure actuelle des hématozoaires de l'Homme, mais il ne don-
nerait qu'une idée fort imparlai te des hématozoaires en général et de leur
importance pathologique : nous étudierons donc non-seulement les hématozoaires
de l'Homme, mais aussi ceux des divers animaux.
Hématozoaires appartenant au groupe des Protozoaires. Les Protozoaires
hémalobies appartiennent au groupe des Flagellés. Dans l'état actuel de nos
connaissances, il serait prématuré de charcher à en donner une classification
méthodique : leur structure et surtout leur provenance sont en effet si impar-
faitement connues, que certains auteurs se refusent encore à les considérer connue
des parasites véritables et ne voient en eux que de simples éléments anatomiques
modifiés.
Des recherches ultérieures démontreront sans doute leur présence possible
dans le sang d'animaux appartenant aux différents ordres de Vertébrés. Jusqu'à
présent, on les a surtout l'encontrés chez les animaux à sang froid (Batraciens,
Poissons). Hs semblent être rares chez les Oiseaux; quant aux Mammifères, on
ne les connaît encore que chez les Rongeurs et les Insectivores.
Kûnstler a rencontré un organisme de ce genre dans le sang du Cobaye. Avant
lui, Gros, Chaussât et Lewis, avaient vu des parasites analogues.
Gros assure que le sang d'un Mulot lui a présenté des « vermicules » si nom-
breux, que tous les globules en avaient l'air animés. Ces hématozoaires étaient
si petits qu'ils étaient à peine reconnaissables à un grossissement de 400 dia-
mètres. Suivant le même observateur, le sang des Taupes renferme souvent les
mêmes animalcules.
Chaussât a rencontré plusieurs fois dans le sang du Rat noir [Mus rallus Lin.)
des animalcules microscopiques ayant la forme de Filaiies : leurs mouvements
étaient très rapides. Ces parasites ne s'observent presque jamais chez les jeunes
Rats, mais se voient presque toujours chez les adultes : Chaussât semble les
considérer comme de jeunes Nématodes, mais nous ne doutons pas qu'ils
soient fort analogues, sinon identiques à ceux dont il va être question ; la même
remarque est applicable aux hématozoaires signalés par Gros.
Lewis a observé à Calcutta, dans le sang de plusieurs Mus decumanus et
Mus rufescens en parfaite santé, un nombre considérable d'organismes en forme
44 HEMATOZOAIRES.
(le bâtonnets, capables de modifier plus ou moins leur forme et pourvus, à l'une
de leurs exlnémilés, d'un long flngellum au moyen duquel ils se déplacent avec
une grande vivacité; l'animalcule en mouvement a son flagellum dirigé eu
arrière. Le corps est transparent, auhiste, long de 20 à 50 j/ et large de 0,8
à 1 p; le flagellum est d'une extrême finesse et au moins aussi long que le
corps.
Les organismes dont il s'agit appartiennent incontestablement au groupe des
Flagellés, plus spécialement à celui des Monades ; ils diffèrent des TrA'panosomes
par l'absence de membrane ondulante. Ces parasites sont très-fréquents dans les
espèces dont nous avons cité les noms, puisque Lewis les a rencontrés dans
29 pour 100 des cas. Ils n'exercent aucune inHueuce sur la santé de l'animal.
Récemment, Danilewsky les a désignés sous le nom à'Herpetomo7ias Lewisi.
C'est à Wedl que revient le mérite d'avoir le premier constaté d'une façon
certaine l'existence de Protozoaires dans le sang des Oiseaux; ses descriptions
sont mallieureusement trop vagues pour qu'on puisse se prononcer sur la véri-
table nature des organismes observés par lui. Il décrit et figure chez Loxia
coccothraustes des hématozoaires ovales, à peu près aussi gros qu'un globule
sanguin et dont l'un des pôles, séparé par un étranglement, porte une couronne
de cils vibratiles; l'organisme tourne en rond sur lui-même.
Wedl signale encore, chez le même Oiseau, l'existence d'hématozoaires si
nombreux que chaque goutte de sang en renfermait de 50 à 50; ils mesuraient
75 à 130 [X de long sur 5 à 6 u de large et se déplaçaient par un mouvement
en hélice; ils étaient assez épaissis, effilés à une extrémité, obtus à l'autre.
Ces organismes, que Wedl décrit trop sommaiiement, ont la plus grande ana-
logie avec les hématozoaires décrits plus haut chez le Rat. Ils ne ressemblent
pas moins à ceux que Danilewsky a observés chez des Oiseaux de groupes assez
divers [Accipitridae, Laniadae, Corvini, etc.). Le naturaliste de Gharkow rat-
tache, il est vrai, ces productions aux Cytozoaires, dont il sera question plus
loin, et veut voir en elles déjeunes Grégarines,
Ce dernier observateur a encore rencontré dans le sang des Oiseaux un Trypa-
nosoma avium, organisme fusiforme plus ou moins allongé, effilé à ses deux
extrémités. L'une de celles-ci porte un flagellum assez long, de la base duquel
part une membrane ondulante qui s'étend jusqu'à l'extrémité opposée, en faisant
autour du corps un à deux tours de spire. Le corps renferme un noyau arrondi
et homogène; au moment de la mort apparaissent aussi des vacuoles qui parfois
se fusionnent en une seule. Cet hématozoaire se meut en spirale: le flagellum
est dirigé en avant. Les j)lus grands individus sont trois à cinq fois aussi longs
qu'un globule rouge du sang.
Le sang des Chéloniens peut également renfermer des parasites de cet ordre :
Leydig y a observé des Trypanosomes et Kûnstler a vu chez la Tortue boueuse
« un parasite fort rare, qu'il croit être très-voisin du Trypanosoma. »
Danilewsky nous a fourni à ce propos des renseignements plus précis. Dans
le sang de Tortues [Emys lutraria) qui étaient restées plusieurs mois sans
manger et se trouvaient par conséquent fort amaigries, cet observateur a trouvé
un nombre immense de Monades très mobiles; ces mêmes parasites se voyaient
aussi dans la lymphe, l'urine, la bile, etc. C'étaient des Hexamitus, c'est-à-dire
des Flagellés caractérisés par la présence de quatre flagellums mobiles eu avant
et de deux longs tentacules immobiles en arrière.
Quant à la provenance de ces Monades hématobies, Danilewsky pense qu'elles
HÉMATOZOAIRES. i5
sont venues de l'inleslin et que les alte'rations subies par la muqueuse intesti-
nale pendant la période d'inanition ont favorisé leur passage dans le sang.
La première observation de Protozoaires dans le sang des Batraciens est due
a Glû^eet date de 1842. Cet observateur trouva dans le cœur d'une Grenouille
un or"-anisme microscopique de forme allongée, terminé en pointe à ses deux
extrémités et portant sur le cùté droit trois appendices assez longs (probable-
ment une membrane ondulante] qu'il faisait mouvoir avec beaucoup de rapidité ;
en même temps il se déplaçait très- vivement. Le corps était transparent et ne
présentait pas la moindre trace d'organisation.
Peu de temps après, ce même animalcule fut retrouvé par Mayer, qui lui
donna le nom iVAma'ba rotatoria, i)uis par Gruby, qui le désigna sous celui de
Trypano!^oma sanguiiiis.
Von Siebold admit l'identité de VAinœba rotatoria Mayer avec le Tri/pano-
soma sancjninis Gruby : semblable manière de voir a été adoptée par Cbaussat,
auquel le Trypanosome n'a pas paru aussi rare qu'à Gruby.
Wedl, en 1850, retrouva cet organisme dans le sang de la Hainette. Hay
Lankester le revit chez la Grenouille en 1871 ; le croyant nouveau, il lui donna
le nom d'Undidina ranarnm. Par la suile, Grassi le vit également chez la Rai-
nette et le Crapaud commun. Davaine, au dire de Chaussât, l'avait lui-même
observé chez l'Alyle accoucheur; on l'a vu encore chez les têtards.
On considère actuellement les Trypanosomes comme des êtres particuliers :
on s'accorde à les ranger parmi les Flagellés, dont ils constituent le genre le
plus simple. Mais, avant que cette notion fût généralement admise, on a émis
sur leur nature les opinions les plus diverses. Remak, Creplin et von Siebold,
ne pouvaient consentir à voir en eux de véritables animaux; ce dernier auteur
les considérait comme des membranes flottantes, de provenance inconnue. Gaule
a émis une opinion non moins s-ingulière : pour lui, il ne s'agirait point là de
parasites, mais de simples leucocytes, dont il aurait pu suivre sous le micro-
scope la transformation en Trypanosomes; inversement, les Trypanosomes pour-
raient redevenir des globules blancs.
Le Trypanosome n'est point le seul Protozoaire qui se rencontre dans le sang
de la Grenouille. Mayer y a encore observé un autre organisme, qu'il appela
Paramaecium loricalum ou coslalum. Cet hématozoaire a clé revu et figuré par
Wedl chez la Grenouille (fig. 5, h, i; fig. 6) et chez la Rainette (fig. 9 et 10);
Ràttig, Gaule et Grassi, eurent également l'occasion de l'observer : ce dernier
lui donna le nom de Paramecioides coslalus.
Enfin, Danilewsky a pu rencontrer encore, dans le sang de Grenouilles qui
avaient passé l'hiver dans le laboratoire, des llexamitus analogues à ceux qu'il
avait vus déjà chez la Tortue.
Les Protozoaires hématobies sont connus chez les Poissons depuis 1841. A
cette époque, Valentin décrivit dans le sang de la Truite commune des animal-
cules longs de 7 à 15 ;/, doués de mouvements amiboïdes ; ils exécutaient des
mouvements très-rapides, le plus souvent sans changer de place, mais pouvaient
aussi se déplacer, en décrivant dans leur marche de véritables cercles.
Remak observa lui-même dans le sang de la plupart des Poissons de rivière,
et particulièrement chez le Brochet, des hématozoaires qui n'étaient sans doute
autre chose que des Trypanosomes. Il leur recoimaît une partie membraneuse
transparente et des prolongements dentés, qui disparaissent quand l'animalcule
reste en repos. C'est assurément le même organisme qui a été revu par Berg et
40 HÉMATOZOAIRES.
Creplin chez le Brochet et par Gros chez diverses espèces (Goujon, Motelle,
Perche, Sterlet, Lotte, Tanche, etc.) : les animalcules de la Motelle étaient nom-
breux, très-vifs, amiboïdes, et présentaient l'aspect d'un ruban qui se tord et se
plisse dans tous les sens; ils étaient longs de 43 ^, larges de 1 p seulement.
Gros dit encore avoir vu quelques-uns de ces organismes à l'intérieur des glo-
bules sanguins; peut-être s'agit-il, dans cette observation, des curieuses pro-
ductions cellulaires que nous étudierons plus loin sous le nom de Cytozoaires.
Un hématozoaire différent de ceux-ci a été rencontré par Chaussât dans le
sang du Barbeau : cet auteur le compare avec raison à VAmœba rotnloria Mayer,
qui n'est, comme nous l'avons dit, qu'une forme du ïrypanosome de la Gre-
nouille.
VYedl a observé dans le sang de la Tanche des parasites fort analogues à ceux
qu'avait décrits Uemak; il les retrouva chez le Goujon et vit en même temps,
chez ce dernier, des organismes différents qu'il appela Glohularia radiata san-
gulnis. Il est difficile de se prononcer sur la nature de ce dernier, dont la
description est incomplète et les dessins assez imparf.iits : on est frappé seule-
ment de son analogie avec Trichodina pedic}il)tx, Infusoire péritriche assez fré-
quent dans l'intestin de la Grenouille. L'helminthologiste viennois rencontra
également dans le sang du Goujon et de la Tanche, parfois en nombre considé-
rahle, des « petites Pilaires n un peu plus longues que les globules rouges. Ces
productions ressemblent beaucoup à celles que Gros a observées chez la Motelle
et, comme celles-ci, doivent sans doute être considérées comme des Cytozoaires.
Uneétude plus récente, et aussi plus complète, des hématozoaires des Poissons,
est due à Mitrophanow. Le naturaliste moscovite décrit sous le nom d'Haema-
iornoiias cobUis un organisme rencontré par lui dans le sang de Cobitisfûssilis.
C'est un étie long de 50 à 40 u, large de 1 à 1,5 pt, doué d'une extrême agilité;
le corps piésente sur un de ses côtés une large membrane ondulante entourée
en spirale et est pourvu, à l'une de ses extrémités, d'un long flagellum qui
est toujours dirigé en avant pendant la marche. Au moment de la mort, fla-
gellum et membrane se rétractent et l'organisme prend l'aspect d'un simple
grumeau sarcodique.
Mitrophanow lait également connaître sous le nom d' Ilœmatomonas carassii
un hématozoaire de Carassius vulgnris. Ce nouvel organisme est très-semblable
au précédent, si ce n'est que sa taille est plus forte, sa membrane ondulante
plus étroite et son agilité moins grande.
Enfin, Danilewsky a retrouvé ces mêmes organismes chez différents Poissons
[Cypriniis carpio, C tinca, Cobitis fossilis, C. barbatida, Esox lucius. Perça
flitviatilis, etc.). 11 leur donne le nom de Trypanosoma pisciiun et en distingue
deux variétés, qui correspondent assez exactement à celles qu'a reconnues Mitro-
phanow.
CvrozoAir.ES. Nous devons maintenant dire quelques mots de productions
singulières que Ray Lankester avait aperçues déjà dans le sang de la Grenouille
en 1871, mais dont l'étude détaillée a été faite par Gaule et par Danilewsky.
En examinant les globules rouges du sang de Grenouille défibriné et porté à
une température de 50 à 52" C, dans une solution de chlorure de sodium à
0,6 jjour lUO, Gaule vit apparaître dans la cellule, à côté du noyau, des cor-
puscules mobiles, allongés et pointus à leurs deux extrémités (fig. 1, B). Ces
corpuscules, que Gaule appelle Cytozoaires, sortent de la cellule, qu'ils peuvent
traîner un certain temps après eux, accomplissent des mouvements pendant un
UÉMATOZOAIRES.
47
laps de temps plus ou moins long, puis entrent en repos, meurent et dispa-
raissent par dissolution dans le plasma.
Les Cytozoaires ne sont point préformés dans le sang; ce ne seraient point
davantage des parasites, et l'opinion d'Arndt, qui les prenait pour des Spirncliètes,
serait inexacte. 11 faudrait les considérer comme des particules de la substance
du noyau.
Dans des organes comme la rate, le foie, la moelle des os, ils se développent
A
B
Fig. 1. — Cytozoaires de la Grenouille, d'après Gaule.
A. Cellule splénique avec Cytozoaires. — B. Globule rouge du sang dont le protoplasma renferme un
Cytozoaire.
aux dépens des hématies bien plus facilement et bien plus vite que dans le sang
lui-même. Pour la rate, l'intervention de la chaleur est inutile et il suffit
d'ajouter la solution saline au suc de cet organe pour les voir apparaître ; Gaule
pense même que les globules rouges acquièrent seulement dans la rate la faculté
de leur donner naissance. Il est du reste à noter qu'ils se développent tout aussi
bien dans les cellules propres de la rate (ûg. 1, A), dans les cellules hépatiques
et dans les cellules de la moelle des os.
L'époque à laquelle les Cytozoaires se montrent le plus facilement, et en plus
grand nombre, coïncide avec le moment où la Grenouille ne prend plus aucun
aliment et vit uniquement des réserves qu'elle a faites pendant sa période d'ac-
tivité ; ce sera, pour les grosses Grenouilles en automne, pour les petites au
printemps.
Ces organismes s'observent également dans les tissus des animaux vivants.
Qu'on fixe instantanément les tissus par le sublimé corrosif en solution aqueuse
concentrée ou par l'acide nitrique à 5 pour 100 et qu'on fasse intervenir les
réactifs colorants (violet de gentiane), on verra fréquemment dans les cellules,
à côté des noyaux, de petits « noyaux accessoires » qui se comportent à l'égard
des réactifs de la môme façon que le noyau lui-même et qui ne sont autre chose
que les Cytozoaires.
Si on chssocie dans l'acide osmique une rate fraîche de Grenouille, on ne
trouve point de Cytozoaires et on ne voit dans chaque cellule que le noyau et le
protoplasma granuleux, mais, si on laisse mourir les éléments de la rate et
qu'ensuite on provoque, par les moyens énoncés plus haut, l'apparition de ces
organismes, on pourra dès lors les fixer par l'acide osmique.
Ces productions ont une structure compliquée : par l'action des réactifs, on
48 IIÉMÂTOZOAIUKS.
y peut reconnaître un noyau et un protoplasma formé de deux substances bien
distinctes : l'une, qui se colore par la nigrosine, occupe les deux extrémités;
l'autre, sur laquelle se porte l'éosine, se présente sous l'aspect de deux grains
entourés d'un espace clair et disposés de chaque côté du novau.
I,es hématies ne sont pas les seuls éléments capables de produire des Cyto-
zoaires, encore que le phénomène s'observe plus aisément chez elles : chaque
espèce de cellule peut avoir les siens. De plus, leur aspect varie d'une espèce
animale à l'autre : ceux de la Grenouille rousse (hffèrcnt de ceux de la Gre-
nouille verte. Chez les Batraciens urodèles (Salamandre, Triton), ils sont, comme
les globules rouges, de grandes dimensions, et présentent un llagellum. Les héma-
tozoaires flagellés que Danilewsky a trouvés chez la Tortue et dont nous avons
parlé plus haut ne seraient autre chose que des Cytozoaires, d'ajirès l'opinion de
Gaule, (^hez l'Homme lui-même, on peut observer de semblables organismes, et
on en reconnaîtrait même deux lormes : l'une Oagellée, l'autre vermiculaire,
comme chez la Grenouille; ils prennent naissance au moment précis où le sang
quitte les vaisseaux et se tondent aussitôt dans le plasma : pour les voir, il tant
donc avoir recours à des i)iocédés de fixation instantanée.
Quelle est la signification physiologique des Cytozoaires? A l'état normal,
c'est seulement dans la rate, quelquefois aussi pourtant dans le foie, qu'ils sor-
tent des globules sanguins : ils pénètrent alors à l'intérieur de certaines cellules
spléniques ])articulicrement riches en protoplasma. Ces cellules, que Gaule dé-
signe sous le nom de cellules nourricières, lorment des amas épars dans la
substance de la rate, à la façon des follicules chez les Mammifères : c'est à leur
intérieur que prendraient naissance les jeunes hématies.
En automne, les Cytozoaires commencent à s'emmagasiner dans les cellules
nourricières. Celles-ci augmentent alors de taille et se chargent, vers le milieu
de l'hiver, d'un pigment particulier ayant la même couleur que l'hémoglobine.
Au commencement du printemps, on distingue déjà à leur intérieur de jeunes
globules rouges, qui seront mis en liberté au moment où l'animal sortira de son
sommeil hivernal.
Tandis que les jeunes hématies se forment de la sorte, les vieilles, celles qui
ont donné naissance aux Cytozoaires, se détruisent peu à peu : elles s'accumu-
lent dans la rate et dans le foie. Pendant l'hiver, la masse totale du sang de la
Grenouille va donc sans cesse en diminuant; au printemps, elle augmente brus-
quement.
11 est intéressant de remarquer que certaines conditions peuvent provoquer
l'apparition de ces phénomènes qui, normalement, s'accomplissent pendant la
saison froide : la captivité, un hiver particulièrement chaud, la sécheresse, la
lumière, sont de ce nombre. Il en est de même pour certains poisons : par
exemple, une dose de 0,6 à 1 milligramme de pilocarpine détermine la pro-
duction de jeunes globules rouges dans l'espace de quelques heures : on voit
alors le nombre des globules augmenter dans une proportion considérable, grâce
à l'apparition d'éléments encore incomplètement développés.
Telle est, exposée dans ses traits essentiels, la théorie de Gaule. Pour cet au-
teur, les Cytozoaires ne seraient nullement des parasites, mais bien des produc-
tions normales de l'organisme. Nous devons ajouter que cette opinion, défendue
avec persévérance par son auteur, n'a rencontré jusqu'à ce jour que des con-
tradicteurs.
Ray Lankester n'hésite pas à considérer les Cytozoaires du sang de la Gre-
HÉMATOZOAIRES.
49
nouille comme de véritables parasites ; il veut y reconnaître les corpuscules
lalciformcs d'un Sporozoaire (Coccidie) et propose de leur donner le nom de
Drepanidirnn ranarum.
L'étude de ces productions a été reprise avec détails par Danilewsky. A
l'exemple de Ray Lankester, le naturaliste russe les considère comme des para-
sites, qu'il rattache aux Sporozoaires; il les décrit sous le nom général de Ilaemo-
gregarina.
Cliez les Oiseaux, les Cytozoaires prennent encore naissance à l'intérieur des
hématies : ils grandissent peu à peu, s'allongent et prennent une forme vermi-
culaire; ils finissent par devenir libres et |)ar acquérir un noyau. Nous avons
indiqué plus haut, à propos des Protozoaires hématobies des Batraciens, quelles
semblaient être alors leurs relations avec les organismes fdariformes qu'il n'est
point rare de voir nager librement dans le plasma.
Danilewsky a pu suivre d'une façon plus complète l'évolution des Cytozoaires
chez la Tortue {Emys lutraria). Ces organismes se montrent enfouis dans la
substance d'un plus ou moins grand nombre de globules rouges, à côté du
noyau (fig. 2, A, C, C, D) ; on peut les voir encore, mais bien plus rarement.
A
Fig. 2. — Haemogregarina Stepanowi des globules rouges du sang de la Toriue (Emys lutraria)
d'après Danilewsky.
A, B, C, D, différentes formes de Cytozoaires renfermés daus les globules rouges, à côté du noyau. —
E, F, le Cytozaire sort du globule. — G, Cytozoaire nageant librement dans le plasma sanguin.
nageant dans le plasma, G. Les globules qui les hébergent ne se distinguent des
normaux ni par la forme ni par la structure; on les voit seulement acquérir
de grandes dimensions, quand le parasite augmente lui-même de taille et
acquiert son complet développement. Celui-ci tranche sur la substance du
globule par sa plus grande transparence et par son aspect gris clair; il rejette
le noyau sur le côté. Quand il a atteint son maximum de taille, il peut mesurer
jusqu'à 50 |x, c'est-à-dire qu'il est souvent plus de deux fois plus long que le
globule, à l'intérieur duquel il se replie sur lui-même.
La croissance du parasite se fait aux dépens de la substance du globule, qu'il
absorbe peu à peu : ce dernier est réduit finalement à une mince couche péri-
phérique, qui forme autour du Cytozoaire une sorte de capsule incolore. Quand
celui-ci a achevé sa croissance, il déchire son enveloppe, E, F, et commence à
nager dans le plasma ; jusqu'alors il était resté immobile ; les restes du globule
DICT, EKC. 1" s. Xllf. 4
50 HÉMATOZOAIRES.
se retrouvent alors dans le sang, sous forme d'un sac percé à l'une de ses
extrémités ; le noyau se voit encore à l'intérieur ou à côté de ce sac.
Le Cytozoaire devenu libre a une structure des plus simples, G : c'est un
corps cylindrique, allongé; l'une des extrémités est arrondie et dirigée en avant,
l'autre est effilée et tournée en arrière. La partie moyenne du corps renferme un
noyau elliptique, pourvu d'un nucléole.
Lu forme libre représenterait l'état adulte d'un Sporozoaire que Danilewsky
appelle Haemogregarina Stepanowi. L'opinion du naturaliste russe diffère donc
notablement de celle de Ray Lankester, qui rattachait aussi les Cytozoaires aux
Sporozoaires, mais les considérait comme analogues aux corpuscules falciformes.
Les Cytozoaires du Lézard [Lacerta viridis, L. agills) ressemblent beaucoup
aux précédents : ils sont parfois si nombreux, qu'on les trouve chez plus de
20 pour 100 des globules. Pour la commodité de la description, on en peut
distinguer deux formes, l'une inlra-cellulaire, l'autre libre dans le plasma, mais
ces deux formes ne représentent que deux états successifs d'un même parasite;
les animalcules libres sont toujours bien plus rares que les intra-ccllulaires,
Danilewsky distingue encore trois formes parmi ces derniers.
Tous ces faits rendent assurément fort vraisemblable l'opinion d'après laquelle
les Cytozoaires, loin d'avoir la signification et l'importance hislogénique qui
leur est attribuée par Gaule, seraient de simples parasites du groupe des Spo-
rozoaires. Néanmoins, dans l'état actuel de la science, il est bien difficile de se
prononcer sur ce point. On n'est pas mieux fixé sur l'origine de ces parasites
et sur leur mode de pénétration dans le sang.
Les Cytozoaires n'ont pas encore été étudiés d'une fa^on suivie dans le sang
de l'Homme, bien que Gaule dise les y avoir rencontrés. Danilew.->ky croit pou-
voir leur rapporter les organismes trouvés dans le sang par Richard, Laveran,
Marcbiafava et Celli, dans les cas de malaria. En effet, les « éléments cylin-
driques en croissant » décrits par Laveran et les « formes en croissant » signalées
par Marcbiafava et Celli se développent à l'intérieur des globules rouges.
Hématozoaires appartenant au groupe ues Trématodes. A part les Bilharzies,
dont nous aurons à parler longuement à la fin de ce chapitre, les Trématodes se
voient rarement dans le sang. Parmi les observations actuellement connues,
quelques-unes sont indiscutables, quelques autres sont douteuses : de ce nombre
est celle de Treutler, sur laquelle les auteurs sont loin d'être d'accord.
Cet auteur a décrit, en 1793, sous le nom A' Hexalhyridium venanim, un
Ver plat qu'il aurait extrait de la veine tibiale antérieure, ouverte spontanément,
chez un jeune homme, pendant que celui-ci se baignait à la rivière.
L'observation de Treutler a donné lieu à bien des controverses : il était en effet
difficile de l'admettre, tant qu'on ne connaissait point d'exemples plus authen-
tiques de la présence de Distomes dans les vaisseaux sanguins. Mais ce fait,
longtemps considéré comme douteux, est aujourd'hui démontré. On peut donc
admettre que les Hexathyridiiim venarum de Treutler n'étaient autre chose
que des Disloma lanceolatum ou, plus vraisemblablement, de jeunes D. liepa-
ticum, ainsi que semblent l'indiquer les ramifications latérales portées par chacun
des deux caecums intestinaux.
Un cas plus remarquable, et dont l'authenticité ne peut être l'objet du plus
léger doute, est celui de Duval, professeur d'analomie à l'École de médecine de
Rennes. On en trouvera l'histoire détaillée à l'article Douves.
Il convient de rapprocher de ce cas ceux où des Distoraes ont été trouvés dans
HÉMATOZOAIRES.
al
des tumeurs sous-cutauées. Ces Vers, sans aucun doute, e'iaient primitivement
libres dans le sans : entraînés avec celui-ci, ils se sont arrêtés dans les capil-
laires et leur présence s'nst manifestée par la production d'une tumeur. A cette
catégorie appartiennent les cas de Giesker, de Penn Ilarris, de Fox et de Dionis
des Carrières, dont on trouvera le résume à l'article Douves.
A côté de ces observations, citons encore celles de Leared, de Scbmitz et de
von Baer, qui, il est vrai, ne se rapportent pas à l'Homme. Le premier de ces
iiuteurs a trouvé, dans les cavités du cœur d'une Tortue, de jeunes Distonies
longs de 5 millimètres, larges de i millimètre environ : il leur donna le nom de
Distoma constrictum. Des œufs qui provenaient sans doute de ce parasite
étaient en suspension dans le sang; ces mêmes œufs ont encore été rencontrés
dans le cœur d'une autre Tortue appartenant à une espèce différente.
Schmitz a observé à Berlin, en 1826, dans les vaisseaux mésentériques du
Sonneur à ventre de feu [Bombinalor igneus), des hématozoaires dont il donne
une description trop incomplète pour qu'on puisse les classer si!uement. H
semble du moins probable qu'il s'agissait de petits Trémalodes; Diesing leur a
donné le nom dllexathyridium affine, les rangeant ainsi dans le même groupe
que le parasite vu par Treutler.
Des hématozoaires appartenant à l'ordre des Trématodes ont encore été trouvés
par von Baer dans le sang de certains Mollusques lamellibranches [Anodonta
ventricosa) : ce célèbre anatomiste leur donna le nom de Distoma duplicalum.
Ils nageaient librement dans le sang de l'oreillette et du ventricule et des para-
sites de même espèce se trouvaient logés dans l'organe de Bojanus, sous la peau
du dos, dans le foie, le pied, les branchies, etc.
BiLUARziA HAEMATOBiA Gobbold. Ce Trcuiatode appartient à un groupe remar-
quable de Distomes unisexués. Il a été découvert
en 1851 dans le sang de la veine porte par Bil-
harz, alors professeur à l'École de médecine du
Caire. On trouvera à l'article Bein, relativement
à cet helminthe, quelques documents auxquels il
ne sera pas bors de propos d'adjoindre ici le ré-
sultat d'observations plus récentes.
Le mâle (fig. 5, f,g,li) est long de II à 14 mil-
limètres; sa largeur peut atteindre 1 millimètre;
il est à peu près gros comme un Oxjure et d'un
blanc d'opale. L'extrémité antérieure du corps est
nettement aplatie et porte les ventouses : celles-ci
sont à peu près d'égale taille, situées à peu de
distance l'une de l'autre, et font une notable saillie
à la surface du corps ; elles ont un diamètre d'en-
viron 260 IL.
En arrière de la ventouse ventrale, le corps
s'épaissit assez brusquement, puis conserve la
même épaisseur jusqu'à l'extrémité caudale, ter-
minée en pointe arrondie. Le corps semble tout
d'abord cylindrique, mais un examen plus attentif
permet de reconnaître qu'il est lui-même aplati,
plus aplati même que la partie antérieure. L'apparence cylindrique tient à ce
que la face ventrale s'est enroulée sur elle-même en gouttière; cet enroule
Fig. 3. — Bilharzies mâle et femelle
fortement grossies, d'après Bilharz.
a,b,c, femelle en partie contenue
dans le canal gynécopliore du mâ-
le. — f, g, II, le mâle. — t, ven-
touse buccale. — k, ventouse ven-
trale.
52 HEMATOZOAIRES.
ment est si complet, que les deux bords chevauchent l'un sur l'autre. 11 se forme
de la sorte, à lu partie postérieure du corps du mâle, un canal incomplètement
clos qui sert d'abri à la femelle. Ce canal a été reconnu par Bilharz, qui lui
donna le nom de canalis gynaecophorus ; quand la femelle est fécondée et
qu'elle grossit par suite du développement des œufs, les lèvres du canal s'écar-
tent l'une de l'autre, mais jamais assez pour ne plus la retenir et pour la laisser
tomber.
La partie antérieui'e du corps n'occupe que la huitième ou la neuvième partie
de la longueur totale; le tégument en est lisse et mou. Le reste du corps est au
contraire orné, sur sa face supérieure ou externe, d'un grand nombre de papilles
surmontées de petites épines. La face ventrale, c'est-à-dire l'intérieur du canal
gynécophore, est elle-même pourvue d'innombrables petites saillies coniqvies,
très-serrées les unes contre les autres; seule, la ligne médiane du canal reste
lisse. Les deux ventouses ont \in aspect chagriné, grâce à la juxtaposition d'un
nombre considérable de granules aplatis qui se trouvent disposés à leur sur-
lace interne.
Au-dessous de la cuticule se voit une double assise musculaire : la couche
longitudinale, (jui est la plus importante, est formée de cellules fusiformes,
parallèles entre elles, bien distinctes les unes des autres et longues de 50 p;
Ja couche diagonale est constituée par des faisceaux très-espaces les uns des
autres. Le parenchyme du corps est formé de cellules conjonctives serrées, dont
le noyau mesure 4 \>.. L'enroulement de la partie postérieure du corps n'est
point dii à l'action des muscles.
L'appareil excréteur est représenté par deux canaux clairs et étroits, de
largeur inégale, non ramifiés, qui sont situés dans les parties latérales du
corps, mais se réunissent en arrière, suivant la ligne médiane, en un canal
unique; celui-ci, après un court trajet, s'ouvre à l'extrémité de la queue. Au
point où les deux branches latérales s'anastomosent, on voit également aboutir
un fin canalicule, qu'il est possible de suivre quelque temps sur la ligne
médiane.
Le tube digestif commence à la ventouse antérieure ou buccale ; il se renfle
en un pharynx de petites dimensions, puis se continue, sous forme d'un canal
étroit et sinueux, jusqu'à la ventouse ventrale ou postérieure. Immédiatement
en avant de celle-ci, il se divise en deux branches, dont chacune se porte dans
la partie latérale correspondante et présente un diamètre transversal de 40 ja
au maximum. Les deux branches intestinales poursuivent leur trajet d'avant en
îirrière, puis finissent par se réunir en un seul cfecum, dont le fond se trouve
situé à peu près à 0'""%34 de l'extrémité caudale.
Les organes génitaux ont une structure des plus simples. Un peu en arrière
de la ventouse postérieure, au point précis oii la partie antérieure du corps,
lisse et aplatie, se continue avec la partie postérieure, on voit cinq à six vési-
cules testiculaires arrondies, serrées les unes contre les autres, larges de 120 ;:a
et disposées en alternance suivant la longueur. Ces vésicules aboutissent à un
canal déférent que limite une paroi propre et qui s'ouvre presque aussitôt dans
le fond du canal gynécophore par un orifice qui semble être circonscrit par un
bourrelet. A sa terminaison, ce canal présente du côté gauche un diverticule
constitué par une vésicule séminale à paroi contractile. L'appareil copulateur
fait défaut : il n'existe pas de poche du cirre.
La femelle (fig. o, a, h, c) est plus longue que le mâle, dont elle diffère con-
HÉMATOZOAIRES. t;5
sidérablement par sa complication anatomique; elle mesure de 15 à 20 milli-
mètres. Son corps est plus élancé, presque cylindrique, et rappelle par son
aspect général celui des Nématodes. Elle est d'une grande ténuité, fine comme
un fil de soie, et passe aisément inaperçue dans le sang de la veine porte, si on
n'a soin de verser celui-ci en mince nappe sur une assiette, pour l'examiner
attentivement : elle se présente alors sous la l'orme d'un filament blanchâtre,
tandis que le mâle, environ quatre fois plus épais, est enroulé sur lui-même
en une sorte de grumeau.
Sur une coupe transversale, le corps de la femelle présente une forme très-
variable. Depuis la ventouse buccale jusqu'à la ventouse ventrale, la section a
l'aspect d'un ovale aplati. La distance entre ces deux ventouses est seulement
de 0"'",225, malgré la taille relativement considérable de l'animal; elles font
saillie à la surface du corps et ont un diamètre de 0""",08. A la ventouse pos-
térieure commence un profond sillon qui s'étend le long de la ligne médiane
de la face ventrale et qui correspond au canal gynécophore du mâle; ce sillon
s'efface vers la partie moyenne du corps, mais réapparaît dans la région caudale
et se continue jusqu'à l'extrémité postérieure.
Le corps s'épaissit progressivement d'avant en arrière et son épaisseur va de
Qmm 07 à 0'"'",28. La cuticule n'ost pas complètement lisse, mais porte de fines
épines cylindriques, qui sont particulièrement développées dans la région cau-
dale, où elles forment un revêtement serré à la surface du sillon ventral : ces
épines sont dirigées en avant et s'opposent peut-être à ce que la femelle glisse
dans le canal gynéco))liore.
La ventouse buccale, étirée en avant en une pointe mousse et profondément
échancrée sur les côtés, conduit par lui étroit orifice dans un large pharynx en
forme de bocal et à faible musculature. A celui-ci fait suite un œsophage sinueux
qui, immédiatement en avant de la ventouse ventrale, se divise en deux bran-
ches dont la largeur est considérable, mais qui se rétrécissent notablement, aux
points ou les organes génitaux viennent à les comprimer. En arrière de ces der-
niers, les deux branches intestinales se réunissent, comme chez le mâle, en
un tube assez large, qui se contourne d'ordinaire légèrement en spirale et se
termine en un cul-de-sac dont le fond est séparé de l'extrémité caudale par
une distance de 0™™,12 à O^^jSS.
Dans les premières portions du tube digestif, l'épithélium est souvent mal
développé, surbaissé, indistinct; plus loin, mais surtout après la fusion des
deux branches latérales, il est encore irrégulier, mais devient plus puissant,
sans que pourtant on y puisse recoimaître de hautes cellules cylindriques. Les
cellules cubiques ou cylindriques surbaissées portent à leur surface libre des
filaments protoplasmiques granuleux analogues à ceux qu'a décrits Sommer
chez la Douve hépatique. Ces prolongements remplissent en grande partie la
cavité intestinale; ils se séparent parfois des éléments sous-jacents, sous forme
de masse cohérente, et laissent derrière eux des cellules à contours bien accu-
sés et à sommet arrondi. Plus l'intestin est étroit, plus sa paroi devient visible ;
celle-ci est certainement contractile, bien qu'on ne puisse encore rien dire de
précis sur les muscles qui entrent dans sa structure.
L'appareil excréteur est très-développé ; sa disposition générale est la même
que chez le mâle. Deux larges canaux, qui occupent les côtés et qu'il est facile
de suivre jusque vers le milieu de la longueur du corps, s'anastomosent entre
eux; à leur confluent aboutit également un petit canal médian. Ces différents
oi HEMATOZOAIRES.
canaux sont tapissés par un é(iitliélium vibratile; ils constituent par leur ren-
contre une poche collectrice longue de 80 à 180 pi; cette poche communique
avec l'extérieur au moyeu d'un orifice étroit et contractile, percé à l'extrémitt'
caudale.
Les organes génitaux femelles ont la même structure générale que chez les
Dislomes, si ce n'est qu'ils sont plus dissociés, en raison de l'allongement
exceptionnel du corps.
L'ovaire ou germigène est de forme ovale allongée; on le trouve dans l'angle
que constituent les deux branches intestinales en se fusionnant en un cul-de-sac
unique. Il est lobé, épais, long de 0'""',4 ; son épithélium est formé de cellules
polyédriques très-distinctes et de taille différente, suivant leur état de maturité.
Les cellules ovulaires les plus mûres sont ovales et entourées d'une couche d'al-
bumine, substance qui s'accumule çà et là en grande quantité à l'intérieur de
l'ovaire et sépare les ovules les uns des autres.
De l'extrémité postérieure de l'ovaire part un canal qui se réfléchit aussitôt
en avant et se dirige vers l'orifice sexuel : ce canal est l'oviducte ; on voit sou-
vent à son intérieur des ovules en plus ou moins grand nombre, reconnaissables
à la réfringence de leur vésicule germinative. Après un assez long trajet, il
s'est uni au conduit qui provient des vitellogènes.
Ceux-ci sont représentés par deux organes glandulaires longs de 12 à 14 mil-
limètres et situés de chaque lôlé du cœcum intestinal. Ils émettent de toutes
parts des canaux courts et à mince paroi, de l'union desquels résulte un canal
unique, le conduit vitellin.
L'oviducte et le conduit vitellin suivent la même direction ; ils s'enroulent
l'un autour de l'autre, mais sans quitter pourtant la ligne médiane, serrés
qu'ils sont de part et d'antre par les branches intestinales. Ils sont d'ailleurs
assez faciles à distinguer l'un de l'autre : le conduit vitellin augmente progres-
sivement de calibre, jusqu'à acquérir une largeur à peu peu près égale à celle
de l'oviducte; il est en outre caractérisé par son contenu, formé d'éléments
vitellins cellulaires, à grosses granulations, agglomérés entre eux et de même
taille que les ovules.
L'oviducte et le canal vitellin finissent donc par s'anastomoser : le canal
unique qui résulte de leur fusion se jette immédiatement dans la glande coquil-
lière. Celle-ci a la forme d'un fruit légèrement effilé par sa partie supérieure
et supporté par un court pédoncule; elle semble ne pouvoir contenir qu'un
seul œuf à la fois. Elle est revêtue intérieurement d'un épithélium glandulaire,
dont les cellules cubiques sont disposées en séries longitudinales, ce qui déter-
mine une sorte de striation ; cet épithélium se surbaisse peu à peu, pour se
continuer jusque dans le pédoncule. Le produit sécrété par la glande se dispose
autour de l'œuf dont il forme la coquille; la cavité du pédoncule produit elle-
même l'éperon dont tout à l'heure nous reconnaîtrons l'existence à la surface de
l'œuf. Cet éperon, d'après Frifsch, serait exactement terminal, quand l'utérus
débouche dans le fond même de la glande coquillière; il serait latéral, quand
l'orifice utérin est situé eu dehors de l'axe de la glande.
Par son extrémité antérieure, située à 0"'°',6 en arrière de la ventouse ventrale,
la glande coquillière donne naissance à l'utérus, canal large et sinueux, limité
par une mince paroi, qui se dirige d'arrière en avant et se termine par un
rétrécissement subit. Au delà de celui-ci se voit une chambre spacieuse, à paroi
épaissie, longue de 160 u, large de 100 p.. Cette chambre ou réservoir séminal
IIÉMATOZOAIRliS.
55
se continue finalement par un vagin étroit et musculeux, long de 180 pt, large
de 50 u., qui débouche au dehors par une vulve située immédiatement en arrière
de la ventouse ventrale, comme l'orifice sexuel du màle.
Nous avons dit déjà que Je canal gynécophore, formé par l'enroulement du
corps du màle sur lui-même, était destiné à donner abri à la femelle, lors de
l'accouplement. Le corps de cette dernière est trop long pour être contenu en
entier dans le canal : il s'en échappe par chacune de ses extrémités, mais sur-
tout en arrière; les parties qui sont ainsi pendantes représentent plus de la
moitié de la longueur totale de la femelle-
Lcs deux animaux en copulation sont disposés ventre à ventre. Par suite de
l'absence de tout organe d'accouplement, le sperme s'écoule dans le canal gyné-
cophore et fuse sans doute, le long du sillon ventral de la femelle, jusqu'à
l'orifice vaginal qui l'aspire par capillarité. Cette manière de voir est d'autant
plus vraisemblable, qu'on n'a pas observé jusqu'à présent d'une façon certaine
le canal de Laurer qui, chez les Distomes, servirait de poche copulatrice et fait
communiquer avec l'extérieur le point du tube génital femelle où l'oviducle et
le conduit vitallin se fusionnent.
L'œuf (lîg. 4, a, b) est de forme allongée, assez régulièrement ovale, et
mesure 160 ,a sur GO //; il porte à l'un de
ses pôles un éperon effilé, long de 20 pt et
terminé par une pointe très-acérée. A part
cet appendice, dont le rôle important va
nous être révélé tout à l'heure, la coque de
l'œuf est absolument lisse; elle est du reste
très-mince, doublée intérieurement d'une
seconde enveloppe ovulaire et dépourvue du
clapet caractéristique de l'œuf des Dis-
tomes hermaphrodites.
L'éperon est d'ordinaire exactement po-
laire, c'est-à-dire situé à l'une des extré-
mités du grand axe de l'œuf; parfois, il est
plus ou moins latéral : nous avons indiqué
plus haut quelle disposition anatomique
semblait être cause de cette variation. Cer-
tains observateurs ont voulu en conclure à
l'existence de deux espèces distinctes de
Bilharzies, mais cette manière de voir doit
être définitivement rejetée : on trouve en effet
tous les intermédiaires entre l'œuf à éperon polaire et l'œuf à éperon franche-
ment latéral. De même, on peut voir, dans certains cas, l'éperon diminuer de
taille, au point que l'œuf semble dépourvu d'appendice, mais on ne saurait
considérer cette variété d'ovule comme caractéristique d'une espèce particulière
de Bilharzie, puisque, cette fois encore, on peut trouver toutes les transitions
entre l'œuf à éperon et l'œuf à coque inerme : Harley admettait que cette der-
nière variété était propre à l'espèce nominale Bilharzia capensis, du Gap de
Bonne-Espérance, alors que B. hcematobia d'Egypte avait toujours des ovules
éperonnés.
L'embryon ne se développe qu'après la ponte, mais son évolution commence
fréquemment avant que l'œuf soit expulsé : aussi, en examinant avec attea-
Fig. 4. — Œufj de Bilharzia haemalobia.
a, œufs renfermés dans un mucus épais
(LO diamètres). — b, œufs contenus dans
l'urine (100 diamètres). — c, embryons
libres ciliés.
56 IIÉMATOZOAlRIiS.
lion un assez grand nombre d'ovules éliminés avec l'urine, en trouve-t-on tou-
jours quelques-uns à Tintérieur desquels l'embryon est déjà complètement
l'ormé.
La segmentation est totale et semble être régulière. Elle aboutit à la formation
d'un embryon cilié, assez semblable à celui des Distomes et ressemblant, comme
lui, à un Infusoire holotriche; sa masse interne est encore remplie par un amas
cellulaire et ne présente aucune trace de différenciation. Cependant une cavité
somatique n£ tarde pas à se creuser, en même temps que k région céplialique
se trouve indiquée par la production d'une sorte de mamelon conique, au niveau
duquel les cils vibratiles disparaissent. En ce même point naît alors par inva-
gination un organe particulier qui plonge dans la cavité somatique ; on voit en
même temps apparaître, vers le pôle opposé, deux ou trois grosses masses
arrondies et réfringentes, véritables germes de Rédies qui se meuvent librement
dans la cavité et dont le nombre ira en augmentant.
Le caecum ne se développe parfois qu'après l'éclosion; plus rarement, ses
brancbes latérales se sont déjà formées avant l'éclosion.
Jusqu'à ce moment, l'embryon était demeuré immobile; il devient alors le
siège de vigoureuses contractions, qui se produisent surtout dans la région
antérieure. Celle-ci vient lieurler par saccades et à de courts intervalles la paroi
de l'ovule, qu'elle clicrche à briser comme ferait un bélier. Sous ces chocs
répétés, la coque se déchire longitudinalemeut sur ^s deux tiers de sa longueur;
presque toujours la jucmière rupture se fait entre l'éperon et la région médiane.
L'embryon apparaît donc au dehors, mais il est rare qu'il parvienne ù se dégager
d'un seul coup, et de nouveaux efforts sont nécessaires pour qu'il puisse atteindre
ce résultat. Au moment de sa sortie, il s'élrangle en son milieu à la façon d'un
sablier, par suite de l'étroitesse de la déchirure pratiquée dans la coque ; quand
il est définitivement mis en liberté, sa forme redevient promptement ovalaire
(fig. 4, c). ^
La rapidité avec laquelle l'embryon sort de l'œuf varie notablement suivant la
nature du liquide au sein duquel se l'ait l'éclosion : d'après Cobbold, deux
minutes sufhraient dans l'eau pure; si l'on ajoute quelques traces d'urine,
l'éclosion serait beaucoup plus lente et exigerait cinquante-cinq minutes; elle
ne se ferait pas dans l'urine pure et les embi^ons ne donneraient aucun signe
de vitalité. Zancarol a eu pourtant l'occasion de trouver l'embryon libre dans
la vessie et même dans le parenchyme rénal ou dans la muqueuse du gros
intestin.
A partir du moment de l'éclosion, le tégument cihé de l'embryon s'épaissit
notablement et l'on voit s'y développer un appareil aquifère, constitué essen-
tiellement par deux troncs principaux qui se dirigent d'avant en arrière en sui-
vant un trajet sinueux et en émettant un certain nombre de brandies anaslo-
motiques; on ne trouve pas de pore excréteur à l'extrémité postérieure.
Pendant que cet appareil se développe, le caecum que nous avons vu se former
au pôle antérieur de l'embryon donne bientôt naissance, par une invagination
nouvelle, à deux poches latérales, que Cobbold croit pouvoir comparer aux lem-
nisques des Échinorhynques. Finalement, les masses sarcodiques réfringentes
augmentent de nombre et de volume, à l'intérieur de la cavité somatique.
Quand la formation de ces corpuscules a pris fin, l'embryon cilié ne tarde pas
à se ronipre : les globules sarcodiques, dans lesquels il faut sans doute voir des
Rédies en voie de développement, sont ainsi mis en liberté, et on les trouve
HÉMATOZOAIRES. 57
nageant et se contractant au sein du liquide amijiant. L'embryon se vide donc
peu à peu, comme le lait le Sporocyste des Distomes; quand tous les globules se
sont séparés de lui, il continue encore à nager pendant quelque temps, bien que
réduit à sa cuticule ciliée.
A cela se bornent nos connaissances sur le développement de la Bilbarzie; les
phases ultérieures de l'évolution sont encore inconnues et on ne pourrait sans
doute les étudier avec succès que dans les pays infestés. Cobbold a entrepris le
premier des expériences d'infestation avec l'embryon infusoriforme : il le mit en
présence de Mollusques d'eau douce, de petits Crustacés, de Poissons; il essaya
de faire pénétrer les œufs cliez des larves de Diptères, chez des Entomostracés,
des Écrevisses, des Limnées, des l'alucHues, des Planorbes, et chez d'autres
espèces de Mollusques fluviatiles : toutes ces tentatives demeurèrent infruc-
tueuses, il vit simplement les embryons éclore et émettre leurs germes contrac-
tiles. Dans une autre série d'expériences, le même observateur put voir l'embryon
essayer de pénétrer dans le corps de V Hélix alliaria.
Des tentatives du même genre furent faites par llarley : pensant que la Bilbarzie
se développait directement, sans passer par un bote intermédiaire, ce dernier
fit avaler des embryons à des animaux vertébrés tels que le Chien et le Lapin:
il n'obtint aucun résultat.
Cette môme question fut encore reprise, sans plus de succès, par Sonsino;
les expériences étaient faites avec des œufs sépaiés de l'urine aussi soigneuse-
ment que possible, puis divisés en deux lots : un premier lot servait pour les
expériences faites directement sous le microscope, le reste était mis dans un
aquarium renfermant un certain nombre de Gastro|iodes d'eau douce [Yivipara
nnicolor, Cleopatra cijclostomoides, CL bulimoides, Physa alexandrina et
Melaniatuherculata] ; on ne retrouva pas la moindre trace des œufs ni de leurs
coques dans aucun organe de ces Mollusques, malgré l'examen le plus attentif.
Le résultat ne fut pas plus favorable avec des larves d'Insectes, avec de petits
Coléoptères ou Névroptères aquatiques.
En présence de tentatives aussi infructueuses, Sonsino considère comme assez
probable que la Dilharzie, qui s'éloigne à tant de points de vue des autres genres
de Distoracs, ait pour hôtes intermédiaires des animaux appartenant à d'autres
classes que ceux chez lesquels se fixent ces derniers, ou même puisse accomplir
tout son cycle évolutif en passant par une première phase de liberté dans les
eaux, puis en pénétrant chez un hôte unique et déflnitif (Homme, Singe) ; peut-
être même se développerait-elle sans génération alternante.
Nous croyons devoir faire les plus expresses réserves à l'égard de cette opinion;
malgré l'insuccès des expériences que nous venons de rapporter, il demeure
probable que la Bilbarzie passe par un hôte intermédiaire et que celui-ci est un
Gastropode.
L'infestation se fait par les eaux de boisson, soit qu'on ingère l'hôte inter-
médiaire lui-même, et alors il s'agirait d'un Mollusque de petites dimensions, soit
plutôt qu'on avale la Gercaire nageant librement dans l'eau. Cette larve, autant
qu'on en peut juger par analogie, doit être armée d'une dent perforante, grâce
à laquelle elle s'enfonce dans les parois intestinales et tombe dans une des
branches d'origine de la veine porte.
On a supposé que le parasite pénétrait dans l'organisme à travers la peau et,
par suite, on a interdit formellement les bains de rivière. Cette interdiction
ne nous semble aucunement justifiée : encore que nous ignorions les phases
58 HÉMATOZOAIRES.
ultimes du développement, il y a de sérieuses raisons d'admettre que l'helminthe
pénètre réellement par la voie que nous avons indiquée plus haut. C'est donc
l'usage d'eau non filtrée ou bouillie qu'il faut rigoureusement proscrire dans les
pays contaminés; l'usage des bains est iiidilférent.
La Bilharzie se rencontre à l'état adulte dans la veine portî et ses branches
(notamment dans la veine splénique) dans la veine rénale et dans les plexus
veineux de la vessie et du rectum. On a vu de quelle manière la larve pouvait
s'introduire dans le système porte, mais la présence du parasite dans les veines
du petit bassin ou dans les branches de la veine cave est moins facile à com-
prendre. Le fait n'est pourtant pas inexplicable.
Les veines du système porte sont, comme on sait, dépourvues de valvules :
rien ne s'oppose donc à ce que la Bilharzie descende, par la veine mésentériquo
inférieure, jusque dans les veines rectales. De celles-ci elle peut passer égale-
ment dans les veines hémorrhoïdales moyennes et inférieures, qui s'anastomosent
avec les branches pelviennes de la veine cave; des hémorrhoïdales inférieures
elle peut remonter dans les veines honteuses internes et gagner les veines vési-
cales par l'intermédiaire du plexus de Santorini.
Le parasite se nourrit de sang : on en retrouve les globules en grand nombre
dans son tube digestif. Kiichenmeisler admet qu'il puise ce sang dans les vasa
vasorum bien plus que dans le torrent circulatoire au sein duquel il est plongé;
cette opinion nous semble peu soutenable.
Les œufs sont pondus par amas dans les vaisseaux sanguins : le cours du sang
les entraîne dans les capillaires de divers organes, où ils s'accumulent et déter-
minent à la longue des lésions dont la nature est très variable, suivant l'organe
qui en est le siège. Ces lésions et les symptômes qui les accompagnent ont été
étudiés déjà par de nombreux observateurs : Bilharz, Griesinger, Harley, Sonsino,
Mantcy, Guillemard, etc. Les recherches les plus complètes et les plus récentes
sont dues à Zancarol, Damaschino, Belleli et Kartulis.
Quand le parasite est logé dans les plexus veineux de la vessie, les voies uri-
naires deviennent le siège de graves lésions pouvant amener la mort. La vessie
présente des dimensions fort réduites, mais ses parois sont extraordinairement
épaisses; la muqueuse est indurée en certains points par des dépôts d'acide
urique, mais la lésion principale consiste en des ulcérations recouvertes de pus
sanieux.
En incisant l'organe, on constate que la muqueuse est très-épaissie ; elle crie
sous le couteau et a presque la consistance crétacée. Au microscope, le chorion
muqueux se montre infiltré d'un grand nombre de leucocytes et d'une petite
quantité d'oeufs. Ceux-ci sont au contraire en extrême abondance dans le tissu
conjonctif sous-muqueux ; ils remplissent également la lumière des vaisseaux
sanguins. La plupart de ces œufs sont morts et ont subi déjà la dégénérescence
calcaire, mais quelques-uns, pondus plus récemment, étaient encore vivants au
moment de l'autopsie : ils sont reconnaissables à ce qu'ils fixent plus ou moins
énergiquement les réactifs colorants. 11 est intéressant de noter que, suivant
Sonsino et Belleli, les œufs qui farcissent ainsi les parois de la vessie sont presque
toujours armés d'un éperon terminal, tandis que les œufs dont nous constate-
rons plus tard la pi'ésence dans l'épaisseur du rectum ont d'ordinaire un éperon
latéral.
La couche musculaire de la vessie a acquis elle-même une épaisseur considé-
rable : le tissu conjonctif intermusculaire est hypertrophié, mais l'hypertrophie
HEMATOZOAIRES. 59
porte principalement sur les fibres musculaires. Celles-ci sont tout à fait nor-
males; la dégénérescence hyaline qu'on leur a parfois attribuée n'est peut-être
qu'un phénomène cadavérique. Dans les parties les plus superticielles de la
tunique musculaire on trouve encore un assez grand nombre d'amas d'œufs,
notamment au voisinage des vaisseaux. Des œufs isolés s'observent encore dans
les parties profondes, mais on les voit devenir de plus en plus rares à mesure
qu'on se rapproche de la couche conjonctive sous-périlonéale et finalement ils ne
se rencontrent ])lus au sein de cette dernière. Nous avons dit déjà que la vessie
était considérablement rétrécie : sa cavité intérieure est si restreinte que par-
fois elle peut à peine contenir une grosse noix. Cette modification tient unique-
ment à l'épaississement excessif de la couche musculaire.
Quant au fait que les œufs s'accumulent surtout dans la couche sous-muqueuse
de la vessie, il semble tenir à une cause purement mécanique. Les veinules de la
couche muqueuse sont de dimensions capillaires et sont, par conséquent, trop
étroites pour livrer passage aux œufs : ceux-ci s'arrêtent donc dans les vaisseaux
plus larges de la couche sous-muqueuse; il en résulte que des ruptures vascu-
laires se feront dans ce même tissu, au sein duquel les œufs pourront de la sorte
s'accumuler en extrême abondance et d'une façon continue.
Les œufs qui se déposent ainsi dans la couche sous-muqueuse se comportent
à la façon de corps étrangers, et leur présence, jointe aux hémorrhagies consé-
cutives à la rupture des veinules, suffit à expliquer les lésions présentées par la
vessie. L'inflammation de la muqueuse est le phénomène initial : au début, les
éléments cellulaires se multiplient activement, des lambeaux d'épithélium se
détachent; par la suite peuvent intervenir des altérations secondaires de l'urine,^
la muqueuse peut s'ulcérer et suppurer, des dépôts uriques ou calcaires se font
dans son épaisseur et finalement elle s'hypertrophie de façon à présenter à sa
surface des sortes de verrues ou de papilles.
Ces papilles s'observent fréquemment : elles se hérissent en colonnes et sont
de plus grande taille que dans les cas de catarrhe simple de la vessie. 11 faut
reconnaître aussi qu'il est difficile de rencontrer des circonstances qui favorisent
davantage la production d'un catarrhe exceptionnellement grave : le passage des
œufs dans les veines vésicales est continu, l'accumulation de ceux-ci dans les
tissus va sans cesse en augmentant et les altérations consécutives de l'urine vont
elles-mêmes en s'exagérant.
Les œufs ne se trouvent qu'en très-petite quantité dans l'épaisseur de la couche
musculeuse : aussi l'énorme hypertrophie de cette dernière ne peut-elle être
attribuée à la présence de ces corps étrangers; elle est plutôt consécutive au
catarrhe de la muqueuse.
Des lésions analogues à celles que nous venons de rencontrer dans la vessie
s'observent également dans le tiers inférieur des uretères. Ici les œufs sont en
très-petit nombre, en sorte que la lésion doit encore être considérée comme con-
sécutive à la lésion vésicale et à l'altération de l'urine : comme il arrive dans les
cas de catarrhe chronique de la vessie, la lésion se propage le long de l'uretère
et remonte finalement jusqu'au bassinet et au rein. L'uretère est élargi, tortueux
et rétréci par places ; sa muqueuse est irrégulière et comme tomenteuse ; d'autres
fois, son canal demeure à peu près normal, mais sa paroi acquiert une énorme
épaisseur.
Les modifications dont les uretères sont le siège ont un retentissement immé-
diat sur le rein. Par suite des rétrécissements que nous avons signalés sur le
60 HÉMATOZOAIRES.
trajet de ces conduits, le cours de l'urine se trouve plus ou moins gèué, d'autant
plus que le rétrécissement va parfois jusqu'à l'oblitération complète : l'urine
s'accumule en amont de l'obstacle, d'où les dilatations dont nous avons égale-
ment parlé. Le même effet mécanique détermine, dans les cas particulièrement
graves, une profonde altération des reins : l'organe augmente considérablement
de volume, le bassinet se dilate, la distinction des deux substances corticale et
médullaire devient fort difficile et le tissu rénal peut se réduire à une couche
presque homogène, bosselée et dont l'épaisseur est au plus de 5 à 4 millimètres;
çà et là, quelques petits abcès miliaires se voient dans le parenchyme, surtout à
la surface. 11 s'agit, en somme, d'une véritable hydronéphrose, qui détermine
tout d'.-ibord des lésions atrophiquos du rein et qui finalement peut tuer le
malade par urémie ; la mort arrive encore assez souvent par albuminurie.
Par quelle voie les œufs de la Bilharzie arrivent-ils jusqu'aux uretères? Les
veines de ces organes vont se jeter, les supérieures dans la veine rénale, les
movennes dans la veine sperinatique et les inférieures dans la veine ihaque pri-
mitive. L'œuf, pondu dans les plexus du petit bassin, peut être entraîné par le
courant sanguin jusque dans les veines hypogastrique et iliaque primitive ; mais,
en raison de son inertie, on ne conçoit guère comment il peut remonter de cette
dernière jusque dans l'épaisseur de l'uretère. Aussi doit-on croire à une migra-
tion accomplie par la femelle suivant le trajet que nous venons d'indiquer plutôt
qu'à une communication anastomotique entre les veines du petit bassin et celles
de la partie inférieure de l'uretère.
Cette migration est, d'autre part, le seul phénomène qui nous explique les cas
où les œufs se rencontrent dans le rein, dans le bassinet et dans les portions
supérieures de l'uretère. Les œufs sont toujours trop peu nombreux dans le
parenchyme rénal pour qu'on puisse leur attribuer les graves lésions dont nous
avons décrit plus haut le type extrême: dans des cas plus bénins, l'affection
rénale consiste en une simple inflammation, eu une néphrite parenchymateuse;
il peut se former aussi des kystes ou des calculs rénaux (d'où les coliques néphré-
tiques notées déjà par Ilarley), l'organe peut devenir le siège d'une cirrhose plus
ou moins intense.
Le point de départ est, comme nous l'avons vu, l'altération vésicale : celle-ci
consiste essentiellement en une cystite chronique avec hypertrophie de la tunique
musculeuse. Dans les premiers temps, la maladie est caractérisée par une héma-
turie fréquente, s'accompagnant de cuisantes douleurs et de ténesme. L'Iiématurie
a semblé si caractéristique que l'on désigne ordinairement sous le nom d'héma-
turie d'Égyple la maladie parasitaire qui nous occupe, maladie dont suivant la
gravité des cas les manifestations sont diverses et qu'il serait préférable d'appeler
bilharziose. Le passage du sang dans l'urine ne se fait pas dans le rein au
niveau du glomérule de Malpighi, mais bien dans l'uretère ou dans la vessie :
nous savons déjà que les œufs du parasite s'accumulent dans les capillaires de
ces organes et eu provoquent la rupture; la petite liémorrhagie ainsi produite
se fraie un chemin vers la cavité de la vessie d'autant plus aisément que la
muqueuse est elle-même fortement enflammée et que son épithéliura se
desquame.
L'urine est d'abord tout entière sanguinolente, mais peu à peu elle devient
plus claire, et c'est seulement à la fin de la miction que sont expulsés des flocons
muco-purulents, à l'intérieur desquels le microscope permet toujours de recon-
naître la présence d'un grand nombre d'œufs et même d'embryons libres. On
HÉMATOZOAIRES. 61
trouve encore dans l'urine des lambeaux d'épitliélium, de nombreux globules
de pus et une quantité variable d'œufs et parfois même d'embryons libres.
Ajoutons que le diagnostic de bilharziose ne saurait être porté avec certitude,
tant qu'on n'a pas rencontré dans l'urine l'œuf caractéristique.
Nous avons vu que des calculs se forment parfois dans le rein. De semblables
productions pathologiques prennent encore plus souvent naissance dans la
vessie. Le nodule central de ces calculs est toujours constitué par un ou plu-
sieurs œufs.'
On doit encore ranger au nombre des accidents consécutifs à l'accumulation
des œufs dans l'épaisseur de la vessie la production fréquente de fistules uri-
naires, qui viennent s'ouvrir à la surface du périnée, plus rarement dans le
rectum. Ces fistules s'établissent dans les cas les plus graves, quand des infiltra-
tions purulentes, parties de la muqueuse, se répandent dans toute l'épaisseur
de la vessie, puis se fraient un chemin au dehors. Dans certains cas, on voit
pourtant la fistule s'établir chez des individus ne présentant que des lésions
vésicales peu accusées et s'ouvrir dans la portion membraneuse de l'urèthre : la
fistule est alors probablement occasionnée par des abcès dus eux-mêmes à
l'ariêt des œufs dans l'épaisseur des tissus du périnée.
Pour en finir avec les lésions de l'appareil gcnito-urinaire, ajoutons que les
œufs lie la IJilharzie se rencontrent encore très-fréquemment dans les vésicules
séminales et dans la prostate; ces organes sont alors plus ou moins hyper-
trophiés.
Le gros intestin, et en particulier le rectum, présente ordinairement des
lésions analogues à celles que nous venons de décrire longuement dans la
vesîie et les organes voisins. La surface muqueuse est hérissée d'une foule de
saillies mamelonnées et rapprochées les unes des autres. Ces saillies, très-volu-
mineuses pour la plupart, ressemblent à de petits polypes dont la longueur
atteint et dépasse parfois 10 à 15 millimètres; leur surface est légèrement
villeuse et est criblée de petits orifices glandulaires. Dans l'intervalle de ces
tumeurs, la muqueuse intestinale est tantôt d'aspect à peu près normal, tantôt
au contraire lisse et comme vernissée ; ce dernier aspect lient à ce qu'une cica-
trice s'est formée à l'endroit qu'occupait précédemment une ulcération consécu-
tive à une perte de substance.
Si l'on fait au niveau des saillies polypiformes une section comprenant toute
l'épaisseur de l'intestin, on constate que les œufs du parasite sont surtout
accumulés dans l'épaisseur de la couche muqueuse, à l'intérieur de laquelle ils
forment des amas considérables, visibles à l'œil nu : à la lumière oblique, ces
amas se présentent sous l'aspect de trauiées miroitantes, ayant jusqu'à 1 mil-
limètre 1/4 d'épaisseur et se poursuivant au sein même des excroissances
morbides. On voit en outre un certain nombre d'œufs épars dans la muqueuse,
entre les glandes en tube ou plus rarement dans leur lumière; quelques autres
sont logés dans les follicules clos. En revanche, on n'en rencontre aucun ni
dans l'épaisseur même des tuniques musculaires, ni dans la couche sous-
séreuse.
Sonsino, Zancarol et Damaschino s'accordent à reconnaître que la plupart des
œufs renfermes dans l'épaisseur du gros intestin ont une épine latérale; Belleli
dit au contraire que cet appendice est d'ordinaire exactement terminal. Cette
différence d'opinion entre des observateurs également distingués montre bien le
peu d'importance qu'il faut attribuer à l'éperon, puisque sa situation est diffé-
6-2 HÉMATOZOAIRES.
rente sur les œufs pondus par deux individus distincts et peut-être même varie
sur les œufs d'un même individu.
L'examen histologique démontre que les productions polypiformes sont en
grande partie constituées par la muqueuse ; dans leur partie axile pénètre pour-
tant une mince couche de tissu sous-muqueux. Le point le plus intéressant est,
sans contredit, le développement excessif des glandes en tube, hypertrophie
décrite d'abord par Zancarol et Damaschlno, puis revue par Kartulis et Belleli.
Ces glandes, dont la longueur normale est d'environ 0'"™,5, atteignent parfois
jusqu'à 2 ou 5 millimètres, et même jusqu'à 5'""', 5 de longueur ; leur diamètre
transversal mesure jusqu'à 0'"'",06 et même 0"™,08, en sorte qu'elles sont
perceptibles à l'œil nu.
Dans l'intervalle des productions polypiformes, la muqueuse montre les alté-
rations classiques de la dysenterie chronique. Toutes les tuniques de l'intestin
présentent des traces non équivoques d'un processus phlegmasique à évolution
lente. La sous-muqueuse, indépendamment des œufs dont elle est en quelque
sorte criblée et qui se disposent de façon que leur grand axe soit parallèle à
la surface intestinale, est très-épaissie et partout infiltrée d'une grande quan-
tité de petites cellules rondes. Les couches musculaires elles-mêmes sont nota-
blement hypertrophiées et peuvent être trois fois plus épaisses qu'à l'état normal.
Les ruptures capillaires qui se produisent dans la muqueuse ont pour but de
déterminer de légères hémorrhagies rectales, qui viennent s'ajouter à la dysen-
terie. On trouve alors dans les matières fécales des œufs en plus ou moins
grande abondance. Il est à remarquer que ceux-ci sont d'ordinaire infiniment
plus nombreux dans la vessie que dans le rectum : alors que la vessie présente
les lésions les plus graves et que l'urine renferme une masse d'œufs, il n'est pas
rare de ne noter aucune altération de l'intestin et de ne trouver aucun œuf dans
les excréments. 11 est enfin des cas exceptionnels oîi les lésions du rectum
prédominent.
Les lésions que nous avons jusqu'à présent étudiées sont les plus importantes
et les plus constantes, mais les œufs de Bilharzie peuvent encore être portés
dans d'autres organes et y provoquer des altérations dont nous devons dire
quelques mots.
Les ganglions mésentériques sont fréquemment hypertrophiés : leur substance
est comme tuméfiée et présente en son centre de petits foyers hémorrhagiques ;
on y trouve également des œufs, ainsi que Zancarol l'a constaté le premier.
Leuckart admettait que les œufs doivent se rencontrer dans le foie : la
démonstration de ce fait intéressant est due à -Kartulis. Dans deux foies prove-
nant d'individus ayant succombé à la bilharziose, cet observateur a trouvé une
grande quantité d'œufs : l'organe est légèrement cirrhotique; il est dur et
opaque. Les œufs sont accumulés d'ordinaire dans les branches de la veine porte,
mais on les voit aussi dans le parenchyme hépatique, où ils ont pénétré par
déchirure des parois vasculaires. Ils se tiennent alors en petit nombre dans les
espaces iaterlobulaires ; plus rarement ils pénètrent dans les lobules eux-
mêmes, mais sans s'écarter de la périphérie. Quand ils séjournent depuis long-
temps dans le parenchyme, ils s'entourent d'une couche conjonctive qui devient
progressivement plus compacte et plus épaisse.
La présence des œufs dans le foie jette un jour nouveau dans l'étiologie de
certaines maladies hépatiques qu'on observe en Egypte. On doit néanmoins se
garder d'attacher une trop grande importance pathogénique à ces œufs qui,
HÉMATOZOAIRES. 65
comme nous l'avons vu, sont toujours en fort petit nombre et s'enkystent dans
une coque conjonctive; il importe notamment de ne pas considérer la Billiarzie
ou son œuf comme la cause de l'hépatite suppurée des pays chauds, erreur qui
trop longtemps a eu cours dans la science.
Les œufs de la Billiarzie n'ont pas encore été observés dans certains organes,
tels que la rate, le pancréas et l'estomac, dont le sang se déverse dans la veine
porte. En revanclie, on les a trouvés dans des organes tels que le poumon, qui
sont tributaires de la circulation veineuse générale. Ce fait n'a rien de surpre-
nant, quand on se rappelle quelles larges anastomoses font communiquer les
plexus veineux de la vessie avec la veine hypogaslrique et, par son intermé-
diaire, avec la veine cave inférieure ; peut-être même le Ver adulte suit-il cette
même route, ainsi que nous l'avons supposé plus haut en signalant la présence
des œufs dans le parenchyme du rein.
La découverte des œufs dans le tissu pulmonaire est due à Mackie. L'obser-
vation a été faite chez un individu mort de pyémie consécutive à une cystite
purulente. Le poumon renfermait un grand nombre d'abcès métastatiques de
volume variable, les plus gros ne dépassant pas la taille d'une petite noisette;
ces abcès étaient limités par un tissu nécrosé; leur contenu était formé de pus
sanieux. A part les points où ils siégeaient, le reste du poumon était absolu-
ment sain. Dans le pus des abcès et dans le tissu pulmonaire frais, on trouvait
quelques œufs, logés en dehors des vaisseaux sanguins, dans le tissu conjonclif
intra-lobulaire et dans le tissu péribronchique.
Dans cette longue étude anatomo-pathologique, nous avons cherché surtout à
montrer quelles lésions pouvaient produire les œufs de la Billiarzie, dans les
cas les plus graves. On peut établir en règle générale que la gravité des sym-
ptômes et des lésions est en raison directe du nombre des parasites logés dans les
vaisseaux. Kartulis a trouvé dans les veines du système porte d'un seul individu
jusqu'à 500 Vers, dont la plupart étaient en voie d'accouplement; le nombre
des parasites est parfois encore plus considérable.
Ce ne sont là. fort heureusement, que des cas exceptionnels. Le plus souvent
l'affection est assez bénigne, sans doute parce que les parasites sont en petit
nombre; elle se réduit alors à une cystite chronique peu intense, présentant des
exacerbations au cours desquelles le patient émet à la fin de la miction un peu
de sang mêlé à du mucus filant. La maladie peut durer des années sans s'ag-
graver davantage, sans même que le malade juge à propos de consulter un
médecin.
Quand, par exception, la maladie s'aggrave au point d'amener la mort,
celle-ci peut survenir de diverses manières : par rupture de la vessie, par pyélo-
néphrite ascendante, par urémie, par albuminurie; le malade peut encore
mourir dans le marasme, épuisé par la dysenterie ou par l'anémie consécutive à
des hématuries abondantes et répétées.
11 est donc tout à fait inexact de considérer la bilharziose comme une affec-
tion toujours mortelle ; il est aussi peu justifié de la croire incurable ; quoi
qu'en dise Cobbold, qui condamnait tout traitement, médical ou chirurgical, et
qui se bornait à prescrire aux malades de bonnes conditions climatologiques,
des toniques généraux et des moyens analogues pour seconder les efforts cura-
tifs de la nature, le traitement est souvent suivi de succès. Dans les cas de
moyenne intensité, et ce sont les plus communs, on peut procurer au malade
une amélioration notable, au point de le considérer comme guéri.
O'é HEMATOZOAIRES.
Diverses médications ont été proposées, mais les résultats n'ont pas toujours
été des plus satisfaisants. Fouquet semble avoir obtenu des succès remarquables
par l'emploi des antlielmintbiques, administrés avec persistance et à doses peu
élevées. Il emploie les capsules d'extrait élbéréde Fougère mâle qui se trouvent
dans le commerce: il donne d'abord une capsule par jour, puis deux, une avant
chacun des deux principaux repas de la journée; chez les individus vigoureux,
on peut porter la dose à trois capsules par jour. On continue ainsi jusqu'à ce
que la guérison paraisse acquise; à partir de ce moment, on donne encore
pendant un mois une seule capsule par jour, afin d'éviter plus sùrenient le
retour de tout accident. Pendant le cours du traitement, on prescrit encore au
malade un régime tonique, des frictions stimulantes, l'hydrothérapie et, comme
moyen prophylactique, l'usage d'eau filtrée ou bouillie.
A ce traitement général il est avantageux d'adjoindre, au moins dans les cas
les plus graves, un traitement local, consistant en injections intra-vésicales
d'une solution de bichlorure de mercure à 1/5000. Ces injections, répétées
chaque matin, sont facilement supportées par le malade; elles sont très-efficaces
et, dès le troisième ou le quatrième jour, la cystite diminue considérablement.
On fait, avec un égal succès, des injections au nitrate d'argent, à l'acide phé-
nique ou à l'acide boriijue. Ces mêmes substances rendent encore de grands
services pour le traitement local des phénomènes intestinaux ; on les administre
sous forme de lavements.
Itans certains cas, l'intervention chirurgicale peut devenir nécessaire. Quand
l'hématurie et la cystite sont très-graves, .Alackie n'hésite pas à pratiquer la
cystotomie; le plus souvent, l'hématurie cesse instantanément et les lavages
intra-vésicaux amènent une amélioration qui est presque équivalente à la gué-
rison. L'ablation des tumeurs rectales se fait avec l'écraseur ou par toute autre
mélliode ; le traitement des fistules urinaires se fait par les procédés habituels.
La bilharziose, dont 1' « hématurie d'Egypte » n'est que la manifestation la
plus ordinaire, n'a encore été observée qu'en Afrique ou chez des individus
ayant fait dans ce continent un séjour plus ou moins long. Comme on sait, le
parasite qui la cause a été découvert en Egypte, et c'est encore dans ce pays
que la maladie semble être le plus répandue. Elle y est si fréquente que Grie-
singer trouvait le Ver H7 fois sur 565 autopsies, et Sonsino 50 fois sur 54 autop-
sies de sujets arabes ; ces chiffres suffisent à montrer que le parasite reste très-
fréquemment à peu près inoffensif, sans doute parce que le patient n'a été
soumis qu'accidentellement et pendant un temps fort court aux causes d'infes-
tation.
La race semble n'être pas sans influence sur la production de la maladie,
mais ce n'est là qu'une simple apparence, due à ce que certaines castes, par
leur habitat et par leur genre de vie, se trouvent particulièrement exposées à
ses atteintes. C'est ainsi que l'hématurie est surtout fréquente dans les villages
et chez les individus de la classe pauvre qui ne font jamais usage d'eau filtrée;
elle est plus rare chez les femmes. D'après Bilharz, les Fellahs et les Coptes sont
le plus fréquemment atteints; on observe la maladie chez la moitié des indi-
vidus, puis viennent, par ordre de fréquence, les Nubiens et les Nègres. Quant
à la provenance du parasite, Belleli accuse formellement l'eau du Nil et note
qu'il est à peu près inconnu dans les villes qui reçoivent de l'eau filtrée.
La bilharziose s'observe dans toute l'Egypte, notamment dans le delta du
Nil. Les médecins qui nous ont laissé des relations de l'expédition d'Egypte en
HÉMATOZOAIRES. 65
1799, ont noté que les soldats français avaient souffert d'hématurie; il est à
peu près certain que ces désordres étaient causés par la Bilharzie.
D'Egypte le parasite s'étend tout le long de la côte orientale d'Afrique jus-
qu'au cap de Bonne-Espérance; il est vrai que sa présence n'a pas été suffisam-
ment observée sur toute l'étendue du littoral, mais on l'a notée sur des points
si divers, qu'on est autorisé à penser que des reclierclies ultérieures nous la
feront connaître dans les régions où on ne l'a point encore signalée. Les habi-
tants du Tibbu, duTciad, du Darfour et du Kordofan, sont fréquemment atteints
d'hématuries que Nachtigall attribue à la Bilharzie. Au bord du lac Nyassa et
dans tout le bassin du Zambèzc, les habitants sont également atteints d'héma-
turie et en font remonter la cause à des Vers quiis verraient sortir de temps en
temps par le canal de l'urèthre.
Le parasite a été du moins reconnu d'une façon certaine à Zanzibar, à ^'atal
(Cobbold), à Pietermaritzburg (Allen). On le voit aussi, mais plus rarement, dans
la Cafrerie anglaise; Spredy l'a observé à East London, ville côtière à l'embou-
chure du Buffalo, et à King-AVilliams-Town, ville située plus haut sur ce même
ileuve; on ne le cite pas plus avant dans les terres. On le rencontre assez fré-
quemment au Cap, oîi John Harley l'a vu le premier en 1864; on l'a vu notam-
ment à Uitenhage, ville située sur le Zw;u'lekop river, à 5 lieues de son embou-
chure dans la baie d'Algoa, et à Porl-Élisabeth, ville située sur la baie même et
tirant ses légumes d'Uitenhage.
Quant aux cas que certains auteurs disent avoir observés à Madagascar, à
Maurice et à La Réunion, nous les considérons comme insuffisamment démon-
trés et nous les rapportons à l'hématurie intertropicalc, causée par la Pilaire
du sang.
Nous avons vu déjà que Sonsino a découvert chez le Bœuf et le Mouton une
espèce particulière de Bilharzie, qu'il appelle Bilharzia crassa. L'espèce
B. hœmatobla n'est point particulière à l'Homme; Cobbold l'a retrouvée chez
un Singe égyptien (Cerco/;i7/iecus fuliginosm), mort au Jardin zoologique de
Londres.
Hématozoaires appartenant ad groupe des Némâtodes. La présence possible
de Nématodes dans le sang de l'Homme est aujourd'hui un fait acquis; nous
avons parlé ailleurs [voij. Helminthes, n'^ 54) de la Pilaire du sang, dont les
larves se rencontrent en nombre immense dans les vaisseaux sanguins, chez les
individus atteints d'hémato-chylurie et d'éléphantiasis des Arabes.
Cet helminthe est le seul Nématode dont l'existence dans le sang humain est
certaine, mais on est autorisé à penser que le sang est sinon le séjour habituel,
du moins le lieu de passage et le moyen de transport d'un certain nombre de
Vers qui se trouvent disséminés en divers organes, plus ou moins loin des voies
respiratoires et digestives, qui sont la voie d'infestation la plus habituelle.
L'opinion que nous émettons ici est notamment applicable aux embryons de la
Trichine, aux larves du Leptodera ISiellyi, aux Filaria Loa, F. labiaîis et
F. oculi huviani.
Des faits nombreux, empruntés à la pathologie et à l'helminthologie comparées,
viennent corroborer notre manière de voir : en effet, les cas sont loin d'être
rares, et nous aurons par la suite à en citer quelques-uns, oii l'on trouve tout
à la fois dans le sang et dans les organes une seule et même espèce d'helminthes.
En ce qui concerne la Filaria oculi humani, la certitude est même à peu près
absolue, si on considère que la F. papillo?a, qui se voit dans l'œil du Cheval
DICT. EKC. i' s. XIII. 5
66 HÉMATOZOAIRES.
dans les mêmes conditions, a été rencontrée on bien d'autres points du corps
par divers observateurs, et particulièrement dans le sang par Cobbold.
On sait d'ailleurs que l'embryon hexacanthe des Ta;nias, pour passer de 1 in-
testin dans l'organe au sein duquel il doit se transformer en Cysticorque ou en
Écbinocoque, se laisse ordinairement porter par le courant sanguin. Si le Cijstt-
cercus pislfonnis du Lapin se développe de préférence dans le foie, cela tient,
comme l'a montré Laulanié, à ce que l'embryon hexacanthe dont il provient a
été amené dans le viscère par la veine porte.
L'opinion que le sang de l'Homme peut parfois contenir des Vers est fort
ancienne : un grand nombre d'auteurs ont prétendu avoir rencontré des hel-
minthes dans le cœur ou dans les vaisseaux, mais l'examen attentif de leurs
écrits amène à conclure que, le plus souvent, on a pris pour des parasites de
simples caillots fibrineux et que, dans d'autres cas, l'existence d'un véritable
hématozoaire n'a pas été constatée d'une manière positive.
Sans outrer dans lo détail de ces observations, rappelons celles qui ont été le
plus souvent citées ou reproduites. Les faits rapportés par Welsch et par Poli-
sius, à propos de Vers vus dans le cœur de l'Homme, ne sauraient être admis;
ces auteurs ont pris évidemment pour des helminthes des concrétions fibri-
neuses. La même remarque est applicable à plusieurs observations citées par
Senac.
Les laits dont font mention Borelli, Peter de Castro, Kircher, etc., r.e
méritent pas davantage créance; il en est de même pour les prétendues
observations de Bartholin, de Fabrice d'Acquapendente, de Spigel, etc. Les
auteurs, dans tous ces cas, ne donnent ni descriptions, ni dessins, mais se
bornent à de simples assertions. — On trouvera dans le livre de Davaine la
liste à peu près complète et la critique de ces anciennes observations de Vers
dans le sang.
S'il est rare, à part les cas d'hématurie intertropicale ou d'éléphantiasis des
Arabes, de trouver des Nématodes libres dans la cavité du cœur ou des vais-
seaux sanguins de l'Homme, une semblable trouvaille n'est pas rare chtz les
animaux ; dans certaines espèces, elle peut même être considérée comme assez
commune.
Dans l'état actuel de nos connaissances, le Chien est le Mammifère dont le
sang renferme le plus souvent des Nématodes ; on en connaît au moins quatre
espèces, mais ne se rencontrant pas toutes avec une égale fréquence. Sans
attacher plus d'importance qu'il ne convient à une observation de Jones (de
Philadelphie), qui aurait recueilli un Slrongle géant {Eustrongi/lus gigas Die-
sing) dans le cœur d'un Chien, en même temps que cinq Filaires [Filaria
immitis Leidy), nous croyons devoir dire quelques mots de certains autres
hématozoaires plus communs et aussi plus importants.
Stro.ngylus vasorum Baillet. 1866. Cet helminthe a été découvert en 1833
par Serres, professeur à l'Ecole vétérinaire de Toulouse, dans le cœur droit et
jusque dans les plus fines branches de l'artère pulmonaire d'un Chien ; il s'y
trouvait en quantité innombrable ; l'orifice de l'artère pulmonaire était presque
entièrement bouché par de petits pelotons vermineux. La mort subite à laquelle
avait succombé l'animal trouvait son explication dans ce nombre prodigieux
d'entozoaires. L'animal fut décrit par Baillet, auquel Serres en remit, à quatre
reprises, quelques exemplaires.
M. Laulanié a récemment ajouté des faits importants à l'histoire du parasite;
HÉMATOZOAIRES. 67
il a fait connaître son mode de reproduction, ses migrations et les lésions qu'il
produit.
Les embryons devenus libres seraient déglutis accidentellement par des Chiens
et subiraient dans l'appareil digestif ou le système veineux de ces derniers les
modifications qui les amènent à l'état adulte dans le cœur droit. Laulanié tire
du moins cette conclusion d'expériences dans lesquelles un grand nombre de
Chiens, à qui il avait fait manger des fragments de poumon atteint de granulie
parasitaire, ont offert à l'autopsie, pratiquée un mois après l'infestation, toutes
les altérations caractéristiques de la strongylosc. Ainsi s'expliquerait comment
cette affection peut revêtir la l'orme cnzoûli(iue et atteindre plusieurs Chiens
dans une seule meute.
M. Laulanié a décrit avec soin les lésions produites par l'œuf dans le tissu
pulmonaire. L'animal adulte n'est pas davantage un parasite indifférent; sa pré-
sence détermine une artérite. Les produits de l'inflammation vasculaire affectent
ici une forme très-irrégulière, celle de bourgeons, de lames ou cordons résis-
tants et anastomosés; la paroi interne étalée de l'artère offre alors un aspect
réticulaire comparable à celui qui caractérise la surface des oreillettes, sauf,
bien entendu, le volume des travées, qui est jieu considérable.
Ces lésions ne sont pas constantes, mais, à la limite du territoire pulmonaire
affecté par la granulose et du territoire sain, les petites branches artérielles
présentent toujours une thrombose plus ou moins étendue. La lumière du vais-
seau est remplie par un caillot dur et jaunâtre : celui-ci est libre par son extré-
mité centrale et plonge par l'extrémité périphérique dans un foyer d'endarté-
rite au delà duquel le vaisseau paraît singulièrement rétréci, sinon oblitéré.
Strongylus slbolatus Cobbold, 1879. Cet helminthe a été découvert par
Leisering (de Dresde), qui lui donna le nom à' Ilœmatozoon siibulatum ; il
habite le système veineux du Chien. Il n'a encore été vu que deux fois, en 1864
et 1865. Dans le premier cas, on en trouva de trente à trente-cinq exemplaires
dans une sorte de nodule que présentait le poumon ; dans le second cas, on le
renco'.tra dans la veine dorsale de la verge, dans les tissus des corps caverneux;
chaque goutte de sang en renfermait de quatre à six.
FiLARiA 1M5IITIS Leidy, 1856. Cette Filaire habite le cœur droit et les artères
pulmonaires du Chien; on ne trouve souvent qu'un ]ietit nombre d'individus
(7 dans le cas de Silva Araujo) , mais parfois les Vers sont au nombre de
plusieurs centaines, comme dans le cas rapporté par Mégnin ; les cavités du
cœur sont alors obstruées par une sorte de bouchou qui en occupe tout
1 espace et qui est constitué par les païasites enchevêtrés les uns dans les
autres d'une façon inextricable. On trouve en moyenne un mâle pour deux
femelles; dans un cas, Manson a compté 41 Vers, dont 15 mâles et 28 femelles;
parfois pourtant, comme dans le cas de Silva Araujo, on ne rencontre que
des màlcs.
En raison de leur étroitesse, qui est inférieure à celle des globules rouges,
les embryons sont entraînés dans tout l'organisme par le torrent circula-
toire; on les trouve dans le sang pris en un point quelconque du corps et leur
nombre est si considérable que Gruby etDelafond n'exagèrent certainement pas,
et sont peut-être même au-dessous de la vérité, en l'évaluant à 11000 ou
224 000, suivant les cas. On observe parfois ces hématozoaires alors que le
cœur ne renferme pas la Filaire adulte ; celle-ci se retrouve alors dans le tissu
conjonctif sous-cutané, comme Ercolani l'a fait vair.
68 HÉMATOZOAIRES.
On ignore encore quel sort est réservé à ces embryons. Il est probable qu'ils
doivent sortir des vaisseaux sanguins pour continuer leur évolution dans un
hôte intermédiaire, comme l'ait la Pilaire du sang humain. Bancrolt dit avoir vu
des embryons dans l'intestin des Trichodectes, Insectes qui vivent dans le pelage
du Chien, et considère ces Hémiptères comme les véritables hôtes intermédiaires;
cette manière de voir est peu admissible, car il n'est point prouvé que les Tri-
chodectes sucent le sang.
Quoi qu'il en soit, les embryons de la Filaire peuvent circuler pendant long-
temps avec le sang du Chien ; Gruby et Delafond ont pu les observer pendant
des années sur un même animal, sans les voir subir la moindre transformation.
Us sont capables de passer du sang de la mère dans celui du fœtus, comme
l'ont démontre Galeb et l'ourquier, mais il ne faudrait pas partir de là pour
expliquer la propagation du parasite et son endémicité. Plus d'un auteur a pré-
tendu que celui-ci pouvait se transmettre par hérédité; cette opinion insoute-
nable a eu un regain d'actualité à la suite des observations de Galeb et Pour-
quier ; elle n'en est pas moins inexacte, car il nous semble amplement démontré
que l'embryon ne peut devenir adulte dans les vaisseaux de l'animal chez lequel
il a pris naissance.
La Filaire du sang du Chien n'est pas un parasite très-rare. Elle avait déjà
été vue en K\irope par différents anatomistes, quand Gruby et Delafond la ren-
contrèrent à leur tour et firent sur sa fréquence d'intéressantes observations;
ils la trouvèrent 5 fois sur 250 Chiens. Chaussât examina plusieurs animaux,
mais sans la rencontrer. Elle a été retrouvée en Danemark par Krabbe; aux
Etats-Unis, par Jones, Leidy et Schuppert ; au Brésil, par SilvaAraujo. Nulle part
elle n'est plus fréquente qu'aux Indes et en Chine, où Lewis et Manson l'ont
bien étudiée; elle est aussi très-commune au Japon.
Manson considère cet helminthe comme assez inoffensif. C'est là une exagéra-
tion évidente. Le Chien peut sans doute rester quelque temps sans être incom-
modé, mais tôt ou tard se manifestent des accidents dont la gravité est ordinai-
rement subordonnée au nombre des Vers adultes contenus dans le cœur ou les
artères pulmonaires ; les fonctions du cœur se trouvent gênées, le cours du sang
vers le poumon peut être entravé, d'où des symptômes variables sur la nature
desquels il est difficile de se prononcer. Assez souvent l'animal semble présenter
des accès d'hydrophobie (cas d'Osborne, de Rivolta et de lloysted) ; la mort
arrive plus ou moins rapidement (cas de Schuppnrt). Les embryons, en raison
de leur petite taille, qui leur permet de circuler dans les vaisseaux les plus
déliés, ne paraissent pas avoir grande influence sur la santé; Gruby et Delafond
ont gardé vivants, pendant des années, des Chiens dans le sang desquels on en
rencontrait des quantités innombrables.
Spiroptera sakguinoleîjta Rudolpbi, 1819. Cet helminthe, signalé pour la
première fois par Redi en 1684, se rencontre chez le Chien, le Loup et le
Renard, dans des tumeurs de l'œsophage ou de l'estomac ou libre dans la cavité
de ces organes. Le Spiroplère ensanglanté, ainsi nommé à cause de sa coloration
rouge de sang, se rencontre encore parfois dans des tumeurs de l'aorte. Ce fait,
constaté tout d'abord par Morgagni et Courten, a été révoqué en doute par les
meilleures autorités : il est pourtant incontestable, comme le prouvent de ré-
centes observations.
Patrick Manson en Chine et Lewis aux Indes ont en effet fréquemment observé,
sur le trajet de l'aorte du Chien, des tumeurs vermineuses dues à ce parasite.
HÉMATOZOAIRES. 69
Ces tumeurs sont tle grosseur variable, depuis la taille d'un grain de plomb de
chasse jusqu'à celle d'une noisette ou d'une noix. Les plus petites renferment des
Nématodes à l'état larvaire, les plus grosses contiennent des animaux adultes,
parfois au nombre de cinq à six. Les dernières mues du parasite et son passage
à l'état sexué s'accomplissent à l'intérieur de ces tumeurs. Celles-ci font saillie
à la face externe du vaisseau, dont elles rendent la paroi mince et fragile. Quel-
quefois le Ver rampe entre les tuniques de l'aorte et fait sortir par un petit
orifice l'une de ses extrémités, qui pend alors librement dans la cavité de l'ar-
tère ; on peut voir alors le calibre du vaisseau presque oblitéré par un caillot
formé autour de l'helminthe.
La tumeur vermincuse se vide parfois dans l'aorte : on trouve alors dans le
sang des œufs ou des embryons à différents degrés de développement; l'animal
adulte n'y a pas été rencontré.
Les tumeurs dont nous venons de parler ont encore été vues par Oreste sur
le trajet de l'aorte thoracique : elles renfermaient jusqu'à dix-sept Vers. Enlin
Mégnin a montré que, lorsqu'elles siègent sur l'aorte abdominale, elles peuvent
causer la mort subite de l'animal qui les héberge, par rupture du vaisseau.
Manson avait constaté d'autre part que la rupture dos tumeurs aortiques ou
œsophagiennes pouvait déterminer des pleurésies et que la pénétration des œufs
dans les capillaires de la moelle épinière occasionnait parfois la paralysie des
membres postérieurs.
Siiva Araujo a retrouvé au Brésil le Spiroptère ensanglanté, mais constaté la
production de tumeurs aortiques.
Pas plus que les Carnassiers les Pinnipèdes ne sont à l'abri de l'attaque des
hématozoaires. A quelques semaines d'intervalle, Joly (de Toulouse), J. Leidy
(de Philadelphie) etC. Ileller (de Vienne), firent connaître des Nématodes trouvés
dans le cœur droit du Phoca vilidina. Leidy leur donna le nom de Filaria
spirocauda et Joly celui de F. cordis pliocae, qu'ils doivent conserver, la prio-
rité appartenant au naturaliste français. C'est peut-être eucore la même espèce,
ou du moins une espèce voisine, que Cobbold a décrite chez le Stemmalopiis
cristatus sous le nom de F. Iiebetata.
Nous ne connaissons qu'une seule observation de Nématode dans le sang des
Ruminants : elle se rapporte à la Filaria Evansi, découverte par Evans chez un
Chameau et décrite par Lewis.
Il n'est point rare d'observer des Nématodes dans le sang des Solipèdes, encore
que ce phénomène soit moins fréquent que chez le Chien : c'est chez le Cheval
que la plupart des cas ont été constatés.
ScLERosTOMA EQuiNUM Dujardiu, 1845. Le Sclérostome du Cheval ou Strongle
armé des vétérinaires [Strongylus armatus Rudolphi) vit dans le caecum du
Cheval, de l'Ane, du Mulet et de quelques autres Équidés.
Les œufs sont expulsés avec les matières fécales ; en quelques jours ils
éclosent dans l'eau ou dans les excréments. Les embryons ressemblent à de
petits Rhabditis; quand ils ont achevé leurs premiers développements, ou bien
si les conditions favorables à leur évolution viennent à leur manquer, ils muent
et s'enferment dans leur vieux tégument comme dans un étui : Baillet a pu
les conserver ainsi en vie latente pendant plusieurs mois. Amenés dans l'intestin
du Cheval par les eaux de boisson, ils sortent de leur capsule, traversent les
parois intestinales et pénètrent dans les vaisseaux sanguins, oiî ils peuvent sé-
journer plus ou moins longtemps. On ne sait pas encore si leur passage dans
70 HÉMATOZOAIRES.
le sang est normal ou simplement accidentel; il est du moins certain que le
phénomène s'accomplit avec une extrême fréquence.
Quoi qu'il en soit, le parasite s'observe principalement dans l'artère mésen-
térique antérieure ou grande mésentérique, où Ruysch l'a rencontré pour la
première fois en IGOo.
A la suite de Ruysch, le Sclérostome du Cheval a été rencontré par un grand
nombre d'observateurs : on trouvera dans le mémoire de Rayer le résumé de
leurs travaux, ainsi qu'une étude des lésions produites par le parasite.
Les individus renfermés dans les vaisseaux sont à l'état larvaire; leur bouche
est déjà armée de denlicules et la bourse caudale trilobée du mâle est indi-
quée : les sexes sont donc reconnaissables, mais les organes génitaux ne sont
pas encore développés. Nous avons dit que les Vers siégeaient de préférence dans
la grande mésentérique, mais on les voit encore dans les artères hépatique,
rénales, testiculairos, ainsi que dans les branches de la mésentérique qui se
rendent au cùlon et au caecum; par exception, on les a rencontrés dans l'artère
occipitale. On les a trouvés aussi dans le pancréas, dans le foie et dans les
tuniques du testicule. Enfin, Valentin rapporte qu'on en vit un exemplaire
dans la veine porte à l'Ecole vélérinoire de Berne.
Ces Vers sont loin d'être inolfensifs : ils déterminent des anévrysmes vcrmi-
neux, au niveau desquels se développe un caillot adhérent à la paroi du vais-
seau et offrant ù sa surface des dépressions qui donnent abri aux helminthes :
ceux-ci sont ordinairement peu nombreux, ils sont colorés en rose ou en rouge
par le sang qu'ils ont avalé et mesurent en moyenne de 1 à 3 centimètres de
longueur.
Les anévrysmes vermineux sont très-fréquents; il est rare de ne point les
rencontrer chez les vieux Chevaux. Ils ne se rompent qu'exceptionnellement,
leur paroi acquérant une épaisseur considérable et subissant même la dégéné-
rescence calcaire. Eu revanche, le caillot formé à leur intérieur est souvent le
point de départ d'embolies ayant pour conséquence de graves accidents que
Bollingcr a étudiés avec soin sous le nom de « colique des Chevaux. »
Dans les cas où le Ver s'ari'ête dans le foie, il peut amener dans cet organe de
profondes altérations. Mégnin a vu le lobe moyen du foie d'un Cheval trans-
formé en une véritable tumeur fibro-plastique dans laquelle le tissu propre du
foie avait complètement disparu. Ce lobe était parsemé dans toute son étendue
de petits kystes sanguins contenant chacun un helminthe replié sur lui-même.
Les vaisseaux qui parcouraient la tumeur contenaient des helminthes sem-
blables, à divers degrés de développement.
Cagny et Railliet considèrent le passage du parasite dans les vaisseaux comme
un phénomène normal. Pour eux, les Vers reviennent définitivement dans
l'intestin, après avoir formé ces petits kystes sous-muqueux si communs
dans le caecum et dont chacun renferme une jeune larve de Sclérostome
enroulée sur elle-même : celle-ci s'accroît peu à peu, de même que celle
des anévrysmes, rompt son kyste et tombe dans l'intestin, où elle acquiert sa
maturité sexuelle.
FiLARiA PAPiLLOSA Rudolphi, 1810. Cet helminthe se loge dans le thorax,
l'abdomen, les méninges, le tissu conjonctif, les muscles, etc.; son habitat est
variable, et on le trouve encore très-fréquemment dans la chambre postérieure
de l'œil. Il se rencontre chez le Cheval, l'Ane, le Mulet et les Ruminants à
cornes.
HÉMATOZOAIRES. 71
Dans les cas où le Ver adulte s'observe chez le Cheval, il est fréquent de ren-
contrer la larve dans le sang. La première observation de ce genre est due à
Wedl. En Égyplc, Sonsino a pu constater aussi la coexistence de la Filaire adulte
■dans les viscères abdominaux et de larves dans le sang ; il décrivit ces dernières
sous le nom de Filarin sangiiinis equi. Enfin, Lange rapporte que Jakimoff
trouva dans le sang d'un Cheval hématurique des larves de Filaire en telle
abondance, que chaque goutte de sang en contenait deux ou trois; l'autopsie du
Cheval n'a pas été faite.
On n'est pas encore fixi' sur la véritable nature des Nématodes rencontrés par
Burke dans le sang et l'urine de Chevaux affecl('s d'induenza : ce sont des hel-
minthes longs de 6 centimètres auxquels Burke donne le nom àllœinatobium
equi.
Les Cétacés semblent être eux-mêmes fréquemment atteints d'Iiématozoaires;
ceux-ci se rencontrent exclusivement dans le système veineux, où ils acquièrent
leur complet développement. Ils ont été étudiés chez le Marsouin {Delpliinus
phocasna) par un grand nombre d'observateurs, entre autres par lUidolphi,
Raspail, von Baer et Davaine : on les rencontre principalement dans le cœur
droit et dans l'artère pulmonaire et ses brandies; le système à sang rouge n'en
renferme pas.
L'hématozoaire du Marsouin a été appelé Strongylns inflexus par Rudolphi,
Sir. inflexus var. major par Raspail, Pseudalius filum par Dujardin, Prosthe
cosacter inflexus par Diesing : aucun de ces noms ne saurait convenir, mais le
nom définitif doit être Pseudalius inflexus.
D'autres helminthes vivent encore dans le sang du Marsouin : dans les sinus
de la base du crâne et dans les vaisseaux du poumon se trouve le Stenurus in-
flexus Dujardin {Strongylus inflexus Rud. Str. minor Kuhn, Str. vagans
Eschricht, Prosthecosacter minor Diesing). Dans les vaisseaux pulmonaires du
même animal, on trouve encore le Pr. convolutus Diesing {Str. comiolutus
Kuhn); dans les sinus crâniens du Narval, le Pharurus alatus R. Leuckart;
dans les corps caverneux du pénis du Balaenoptera rostrata, la Filaria cras-
sicaîfrfa Creplin.
Bien qu'on ne connaisse encore que fort peu de chose de l'helmintho-
logie des Edentés, on sait pourtant que ces animaux peuvent liéberger égale-
ment des hématozoaires. Da Silva Araujo rapporte que le professeur Rosendo,
de l'Université de Bahia, rencontra dans le cœur d'un Tatou trois Vers longs
de 3 centimètres et larges d'à peu près 1 millimètre; ils avaient l'aspect de
■Filaires.
Nous abordons maintenant l'étude des hématozoaires des Oiseaux. Ces para-
sites ne sont pas rares, mais ils semblent être surtout abondants dans le sang
des Corbeaux.
La première observation d'hématozoaires chez les Oiseaux est due à Barkow,
qui aurait trouvé dans le ventricule droit du cœur d'un Héron [Ardea cinerea)
deux Nématodes que l'on conserve, au dire de Creplin, au Musée zootomique de
Greifswald.
Gros a signalé le premier, en 1845, un hématozoaire microscopique, parti-
culier aux Corbeaux et ayant l'apparence d'une Filaire. Bien que des myriades
de ces Filaires se rencontrent dans le sang, les organes de l'Oiseau n'offrent
aucune lésion qu'on puisse leur attribuer.
Le professeur Ecker, de Bàle, a également constaté la présence de larves
72 HÉMATOZOAIRES.
de Filaires dans le sang de onze Freux {Corvus friigilegus), notamment dans
le cœur, dans les \eines pulmonaires et dans l'aorle. C'étaient des animal-
cules longs de 100 p., larges de 5 à G jy. , animés de mouvements très-
rapides ; l'eau les tuait presque instantanément. Le mésentère de ces mêmes
Oiseaux renfermait des Filaires adultes, longues de 2 ou 5 lignes, libres ou
enkystées et pleines d'embryons un peu plus petits que les hématozoaires.
Ecker pense que les embryons pondus pénètrent dans les vaisseaux, d'où ils
sortent, après un séjour plus ou moins long, pour se développer dans diffé-
rents organes.
Des hématozoaires analogues ont encore été vus dans le sang du Freux par
FoUin, Rayer et Ch. Robin. Cette observation est rapportée par Chaussât, qui
reproduit même (pi. II, lig. 2) un dessin de Robin.
Ilerbst, en 1852, vit égalemment déjeunes Nématodes dans le sang de divers
Oiseaux (Corneille, Choucas, Geai, Autour, etc.). Il les prit pour des Trichina
spiralis, mais Diesing crut devoir les rapporter à son espèce nominale Tr. af-
finis : il est difficile, en raison de la connaissance incomplète que nous en avons,
de leur donner un nom spécifique; il est du moins certain que ce ne sont point
des Trichines.
Nous en dirons autant des Nématodes à l'état larvaiie que Borell observa en
1874 dans le sang d'un Corbeau et qu'il considéra également comme des Tri-
chines : ces vermisseaux longs de 150 p, larges de -4 pt, très-agiles, étaient très-
abondants dans les veines et dans les artères; on les trouvait encore dans la bile,
dans l'humeur aqueuse et dans le corps vitré. Ajoutons entin que Jakimoff,
élève du professeur Lange, de Kazan, a trouvé lui-même dans le sang des Cor-
neilles une grande quantité d'hématozoaires.
On ne sait rien encore de Texistence de Nématodes dans le sang des Reptiles,
à moins que la Filaria cistudinis, décrite par Leidy comme provenant du cœur
de la Cistudo carolina, ne soit un véritable hématozoaire : la description de
cet auteur n'est pas suffisamment précise, et il est difficile de dire si l'hel-
minthe a été trouvé dans l'épaisseur ou dans la cavité de l'organe.
Des Nématodes à l'état larvaire ont été vus maintes fois dans le sang de la
Grenouille. La première observation est due à Valentin. De son côté. Cari Vogt
observa des helminthes analogues dans les capillaires de la membrane nicti-
tante d'une Grenouille qui venait d'être tuée, puis dans tous les vaisseaux san-
guins de ce même Batracien ; par la suite, il retrouva des Vers semblables dans
le sang de plusieurs Grenouilles. C'étaient des animalcules très-agiles, obtus à
une extrémité, effilés à l'autre ; leur longueur était à peu près égale à trois fois
le grand diamètre d'un globule rouge, leur largeur était celle de ce même
globule vu de profil. Vogt admet que ces embryons de Filaire circulent ainsi
dans tout le corps pendant un certain temps : ils finissent par s'arrêter dans
les viscères, s'y enkystent, achèvent leur développement et arrivent à matu-
rité sexuelle; ils tomberaient alors dans la cavité abdominale et donneraient
naissance à des embryons qui pénétreraient dans les gros vaisseaux pour recom-
mencer le même cycle.
Cette opinion a été confirmée par les observations de Vulpian. Chez plu-
sieurs Grenouilles dont le sang renfermait des hématozoaires cet habile ob-
servateur a toujours rencontré dans la cavité générale, au milieu des gros
vaisseaux de la base du cœur , des Filaires adultes , enroulées sur elles-
mêmes et pleines d'un nombre incalculable d'embryons vivants; ceux-ci
HEMATURIE. 75
étaient en tout point identiques aux jeunes Ncmatodes du sang; ils sont
longs d'environ 100 jz. La façon dont ils pénètrent dans les vaisseaux n'est pas
encore élucidée.
La première observation de Nématodes dans le sang des Poissons est due
à Prenant. Cet auteur décrit sous le nom de Filaria oblurans un Ver long
de do à 20 centimètres et provenant des artères branchiales du Brochet;
le parasite se rencontre aussi parfois dans la cavité branchiale. Tous les indi-
vidus observés étaient des femelles ; celles-ci sont d'ordinaire remplies d'em-
bryons. Raphaël Blanchard.
HÉMATURIE. Dkfinitiox. L'hématurie consiste dans l'émission d'un
liquide urinaire contenant du sang en mélange; c'est cette excrétion simul-
tanée et mêlée du sang et de Vurine qui constitue le caractère important en
clinique et le point délicat en définition. Par cette acception, en effet, le sujet
se trouve allégé des écoulements sanguins qui suintent du méat en dehors du
moment de la miction; par là aussi on sépare, ù l'exemple de Thompson, de
l'hématurie ces uréthrorrhagies, contemporaines de la miction, mais qui pro-
viennent d'une atteinte traumatique faite à l'urèthrc antérieur : en ces cas, en
effet, l'urine et le sang ne se brassent point en un mélange plus ou moins
intime; ou bien le sang côtoie le jet urinaire en jet isolé, ou bien il le suit ou
le précède, mais sans jamais se mêler à lui. Au contraire, et nous y insiste-
rons, les traumatismes uréthraux, en arrière du sphincter de la région mem-
braneuse, se comporlent, au point de vue de l'hématurie, comme les altéralions
vésicales elles-mêmes : coloration brun foncé des urines, caillots, mélange du
sang et de l'urine, l'analogie symptomatique est complète. 11 nous paraît donc
qu'on doit accepter au chapitre Hématurie ces uréthrorrhagies par traumatisme
de l'urèthre postérieur, et que, en formule définitive, l'apparition du sang pen-
dant la miction et son mélange à l'urine sont les deux termes qui définissent
l'hématurie.
Cette définition étant admise, la question que nous allons traiter se pose dans
les termes suivants : Voici une urine sanglante : d'oij ce sang provient-il '.'Quelle
est la valeur diagnostique de ce pissement sanguin? Quelles lésions peuvent
produire ce symptôme, et suivant quelle fréquence relative? Quel pronostic
entraîne-t-il et quel traitement peut-il réclamer? C'est qu'en effet (et Thompson
combat celte tendance qui fait d'un phénomène symptomatique une véritable
entité fixe) Thématurie n'est qu'un symptôme : son étude ne peut donc être
qu'un chapitre de diagnostic différentiel. Or, on comprend quelle difficulté
clinique il y a à préciser la source de l'hémorrhagie dans cet appareil urinaire
si complexe qui des corpuscules de Malpighi s'étend jusqu'au méat externe ;
combien c'est une enquête délicate que d'en apprécier la cause productrice
quand on songe aux lésions multiples (traumatismes et corps étrangers; lésions
inflammatoires et congestives ; altérations organiques) qui peuvent atteindre les
divers départements des voies urinaires.
Eu face d'un échantillon d'urines sanglantes, c'est donc un problème complexe
que d'indiquer la signification diagnostique de cette hématurie. Et on ne peut
le résoudre que par une analyse méthodique des symptômes : l'examen attentit
des urines, l'étude du malade dans laquelle on recherche quelles peuvent
être, pour les" différentes régions de l'appareil urinaire, les différentes causes
provocatrices de l'hémorrhagie, et aussi quels en sont les procédés palliogé-
74 HÉMATURIE.
niques, telle est la marche liabituellement suivie dans l'examen clinique ; tel
aussi sera notre plan.
Examen des uri>es. Caractères généraux. Si l'on excepte les cas dans
lesquels le sang plus ou moins pur apparaît soit à l'état liquide, soit à l'état
solide, il faut convenir que les caractères physiques des urines hématuriques
exposent à de nombreuses chances d'erreur. C'est qu'en effet la coloration rouge
peut être produite par une série de principes très-variés : les uns sont de nature
végétale (séné, rhubarbe, semen-contra), les seconds ont une origine minérale
(acide phénique), les derniers et les plus importants proviennent de l'organisme
(bile, matières colorantes du sang, hématine, héniatoïdine, hémoglobine). Si la
distinction entre l'iiématurie et ces diverses urines rouges est relativement
facile, il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de l'Iiémoglobinurie. C'est qu'en
effet les ressemblances entre l'hématurie et l'hémoglobinurie sont nombreuses
ot profondes : aussi une série d'altérations urinaires, indûment attribuées
jusqu'ici à l'hématurie, ont-elles dû rentrer dans le domaine de Yhémoglobl-
nurie {roij. ce mot). En présence de ces réelles difficultés, il importe donc de
baser le diagnostic des urines hématuriques :
i° Sur l'examen microscopique du dépôt et de l'urine;
2" Sur l'analyse sjiectroscopique :
5" Sur les recherches chimiques.
Ces points bien établis permettront alors de déceler aisément dans les urines
rouges le principe végétal, minéral ou organique, auquel est due cette coloration
rougeâtre si fertile en erreurs.
Examen microscopique. Globules sanguins. Les hématies sont rarement en
piles comme dans les préparations histologiques du sang; le plus ordinairement
elles se présentent à l'état isolé. Les globules sanguins ont alors une forme
arrondie, discoïde; leur centre est aplati, leur coloration est jaunâtre. Leur
diamètre est de 6 à 7 millièmes de millimètre, leur épaisseur est habituelle-
ment do 2p; quelques globules sont crénelés, mûriformes. Dans les urines très-
concentrées, acides, riches en sels minéraux, les globules prennent quelquefois
un aspect comparable à celui des marrons d'Inde (Ultzmann). Dans une urine
acide, les globules restent intacts pendant deux ou trois jours, mais dans les
urines alcalines ils ne tardent pas à se déformer, à se gonfler ; leur contour
devient festonné. Enfin, si le liquide est ammoniacal, les globules se transforment
en petites utricules sphéroïdales qui se décolorent et finissent par se vider. Le
globule peut se trouver réduit à une enveloppe dégonflée, l'hémoglobine diffuse,
et le stroma disparaît.
La recherche de ces hématies est facile; si le sang est en petite quantité,
l'examen d'une gouttelette du dépôt de l'urine devient alors nécessaire. Rare-
ment la diffusion de l'hémoglobine nécessite l'emploi des réactifs colorants tels
que l'iode et la fuchsine. D'après Beale, les globules sanguins pourraient être
confondus avec des spores analogues de forme et de couleur. Ces spores se
distinguent des globules du sang, à un très-fort grossissement, par une certaine
variabilité de leurs dimensions, le développement fréquent d'expansions germi-
natives arrondies, leur pullulation rapide dans l'urine placée dans un endroit
chaud et l'absence d'albumine (Danlos). Il ne faut pas non plus confondre les
hématies soit avec de petites formations discoïdes d'oxalate de chaux, soit avec
des nogaux cVépithélium rénal. A l'état isolé, les globules sanguins ne peuvent
donner d'indications sur leur provenance. Cependant Friedreich considère les
IIÉMATURIK. 75
mouvements amiboïdes et la scission des corpuscules sanguins comme des
signes des he'morrhagies rénales [Virchow's Archiv, Bd. XIV). D'après Beale,
lorsque le sang séjourne quelque temps dans les tubuli avant de passer dans
l'urine, on trouve des cristaux d'une apparence étoilée irrégulière.
Cylindres fibrineux. Mais lorsque les globules sanguins sont imprimés à la
surface des cylindres fibrincux plus ou moins allongés, du diamètre d'un cana-
licule uriuilerc,on peut alors allirmer l'origine rénale de riiématurie. Ce moule
(ibrineux ne se détache pas toujours dans son entier du canalicule droit qui le
contient, il se morcelle, il apparaît alors dans l'urine sous la forme de petites
masses fibrineuses irrégulières. Enfin ces globules sont quelquefois moulés sur
des caillots allongés, vermiformcs, décolorés, d'aspect fibrineux ou gélatineux.
Lorsque la fibrine du sang se présente sous la forme de caillots noirs, cet
examen est naturellement inutile.
Les urines hématuriques contiennent non-seulement la partie solide du sang
(globules, fibrine), mais elles renferment encore la partie liquide, le sérum.
Comme le sérum possède de l'albumine, toute uriuc sanguinolente est forcé-
ment albumineuse ; si la quantité d'albumine est trop forte, elle provient
encore d'une autre source, d'une affection des reins, par exemple.
Mais l'urine peut renfermer les éléments du sang sous une autre forme. Si le
sang est extravasé dans l'urine longtemps avant l'émission, ou si l'urine est
déjà décomposée, les globules détruits ne forment plus qu'un dépôt rougeâtre.
Cela arrive toutes les fois qu'une urine sanglante est devenue ammoniacale dans
la vessie. Dans ces conditions, lumatière colorante du sang, l'hémoglobine, est
mélangée à l'urine et dissoute dans ce liquide, et dès lors ces urines ne s'éclair-
cissent pas par le repos (Y von).
L'examen spectrosco pique et l'analyse chimique font reconnaître cette
matière colorante du sang et permettent de faire le diagnostic avec les urines
colorées en rouge par des principes végétaux, minéraux ou organiques. Mais il
ne faut pas oublier que ces deux derniers procédés ne s'adressent qu'à l'hémo-
globine, et, lorsqu'on voudra nettement distinguer l'hématurie de l'hémoglobi-
nurie paroxystique ou symptomatique, il sera nécessaire de procéder à l'examen
microscopique et de trouver l'élément caractéristique, le globule sanguin. Étu-
dions ces deux moyens de diagnostic.
Analyse spectroscopique. On aperçoit un spectre interrompu par deux
bandes noires : l'une est située dans h jaiine, l'autre dans le vert. Ce spectre,
désigné sous le nom de spectre de l'oxyhémoglobine oxygénée, peut être encore
obtenu avec une dilutionjde sang à un dix-millième (Hoppe-Seyler). Si, dans
l'urine sanguinolente, on verse quelques gouttes de sulfhydrate d'ammoniaque,
au lieu d'une bande d'absorption, on n'en observe plus qu'une seule.
Recherches chimiques. Les procédés chimiques ont une moindre valeur que
l'examen microscopique.
1" Alraèn a proposé de caractériser la présence du sang par son action bien
connue sur la teinture de gaïac. On mêle dans un tube à essai quelques centi-
mètres cubes de teinture de gaïac avec une quantité égale d'essence de térében-
thine et on l'agite, puis on ajoute l'urine : si elle ne renferme pas de sang, il
se produit un précipité bleu verdâtre, tandis que le précipité est d'un bleu
intense, si l'urine contient du sang.
2" Un second procédé pratique pour la recherche clinique du sang dans l'ui'ine
est basé sur l'action de la potasse. Si l'on fait chauffer le dépôt dans un tube
76 HÉMATURIE.
avec une pastille de potasse caustique, on obtient une coloration brune avec
reflets verts par réflexion ; cette coloration est due à l'héniatine, qui prend nais-
sance dans ces conditions. On peut faire cette réaction sur l'urine même, sans
attendre qu'elle ait déposé, si elle renferme une quantité assez considérable de
sang (Yvon). Le précipité hématique se dissout dans l'acide acétique en donnant
jne teinte rouge qui se décolore peu à peu à l'air (Neubauer). Il faut éviter
de le confondre avec un précipité de couleur analogue déterminé par la potasse
dans les urines qui contiennent le prncipe courant du sene, de la rhubarbe
(A. clirysophunique) ou celui du semen-conlra : « mais celui-ci n'est pas di-
cbroique et se dissout dans l'acide acétique sous forme d'un liquide jaune citron
qui prend à l'air une teinte violette ; de plus, l'urine n'est pas albumineuse,
elle est jaune brune, plutôt ictérique que sanguinolente, avant d'être alcalinisée,
et la couleur rouge développée par la potasse disparaît par l'addition d'un
acide » (Ultzmann). Enfin l'examen spcctroscopiquc fera facilement reconnaître
les urines hématuriqucs.
Principes minéraux. A côté de ces principes végétaux susceptibles de
donner aux urines une coloration analogue à celle des urines hématuriques, il
faut placer certaines substances minérales telles que ïacide phénique, par
exemple. Cette substance donne aux urines une coloration noirâtre qui peut
prêter à l'erreur. Mais ces urines ont une teinte un peu vert foncé que l'on
n'observe jamais dans l'bématurie, elles ne contiennent pas d'albumine, elles
dégagent sous l'influence de l'acide sulfurique une odeur caractéristique d'acide
phénique, etc.
Principes organiques. Enfin des principes provenant de l'organisme: héma-
toïdine, mélanine, bile, héraaphéine, peuvent faire prendre aux urines une colo-
ration qui parfois est presque identique à celle des urines hématuriques. Il
importe de fan-e la distinction de l'hématurie avec les diverses urines qui n'ont
avec elle d'autre ressemblance que la coloration rouge. Une note de M. le
docteur Gorre (de Brest [insérée dans laGaseMe hebdomadaire du 15 mai 1881])
résume bien les différents caractères différentiels des urines rouges.
1° Urines colorées par le sang en nature, sanglantes ou sanguinolentes
(hématurie vraie). Globules constatés au microscope dans les urines; bandes
de réduction de l'hémoglobine au spectroscope, albumine en notable proportion
dans le liquide.
2" Urines colorées par l'hémoglobine [hémoglobinurie). Pas de globules au
microscope, ou globules hors de proportion numérique avec l'intensité de la
coloration rouge des urines ; bandes de réduction caractéristiques : l'une
étroite, foncée, nette comme un trait d'encie, dans le jaune, rapprochée de la
ligne D de Fraunhôfer; l'autre plus large, mais moins foncée, sur la limite du
jaune et du vert, rapprochée de la ligne E ; albumine en proportion notable
dans le liquide.
o" Uriiies colorées par l'héniatine [hématinurie). La transformation de
l'hémoglobine en hématineest exceptionnelle dans l'organisme; elle aurait pour
caractères l'absence de globules au microscope et la bande unique de réduction
de l'hématine sur la limite du jaune et de l'orangé (entre G et D, hématine
alcaline) ou en plein orangé (c, hématine acide).
A" Urines colorées par la mélanine [mélanurie vraie, mélaninurie). Ge
sont celles de l'état mélanénique à tous ses degrés ; elles sont caractérisées par
la présence de granulations pigmentaires, immédiatement dérivées de l'hématine.
HÉMATURIE. 77
5° Urines colorées par l'hémaphéine et les principes suppose's analogues.
Certaines urines qui se produisent au cours d'afleclions fébriles sont colore'es
par un principe (urosacine, uroérythrine) formé en quantité considérable aux
dépens du sang ou par un principe très-voisin, l'uroxanthine ou l'iiémaphéine.
A l'examen spectroscopique, ces premières urines donnent une bande ordinai-
rement peu foncée dans la portion du vert qui avoisine le bleu et une pénombre
étendue sur le bleu, l'indigo et le violet. Ces urines ne renferment pas de glo-
bules et elles ne sont pas albumineuses.
6° Urines colorées par la bile [cholyurie). Ces urines ont souvent un aspect
rougeàtre; elles donnent par l'acide azotique une coloration spéciale; le pigment
biliaire verdit, puis devient jaune acajou, et le spectroscopc donne avec une
pénombre étendue sur les rayons extrêmes une bande diffuse, peu foncée, dans
la portion dn vert qui avoisine le jaune.
Principaux spécimens cliiniques d'urines sanglantes. Mais il y a une grande
diversité de types d'urines sanglantes, et il convient d'en présenter les princi-
paux spécimens cliniques. M. Guyon en a fait une étude remarquable. Si l'on
examine l'urine d'un bématurique dans un vase h essai, on la voit s'éclaircir
plus ou moins complètement et se disposer en deux zones, tantôt nettement
séparées, tantôt presque confondues ; au-dessous d'une coucbe liquide surna-
geant on voit une bande inférieure qui constitue le dépôt, mélange de sang et
d'autres matières. Son apparence est variable : tantôt c'est un dépôt jaunâtre,
à striations sanguines délicates, qui rappellent, par leurs dispositions en lignes
ondulées séparant le dépôt en plusieurs couches, l'apparence de strates géolo-
giques ; tantôt c'est une masse fdante, visqueuse et glaireuse, adhérente aux
parois du vase, ponctuée de toute part de filets sanglants qui la colorent vive-
ment. Dans ces deux types d'urines sanguinolentes le sang est mélangé au
dépôt purulent ; la couche liquide, au contraire, l'urine surnageant, demeure
incolore ou tailjlement colorée : suivant lu très-heureuse expression de M. Guyon,
(( le pus a englué les globules sanguins ».
D'autres échantillons d'urines sanglantes montrent bien quelques glaires et
flocons muco-purulents, mais qui demeurent distincts du dépôt sanguin. C'est,
en ces cas, l'urine qui, à la zone supérieure, se colore d'une teinte sanglante;
à la moindre agitation d'ailleurs toutes les couches présentent une rougeur
uniforme.
Les premiers spécimens sont les urines sanglantes qu'on observe dans les
cystites : la valeur séméiologique de ces dépôts composés de sang et de pus, de
ces glaires hémo-purulentes, est donc importante. S'il s'agit, au contraire, de
ces types d'urines rouges à dépôts purement sanglants, l'examen des échantil-
lons urinaires perd sa valeur diagnostique pour l'appréciation exacte de la nature
et du siège de la lésion hémorrhagipare. Voici quel est l'aspect habituel de ces
dépôts sanglants ; ils présentent deux parties distinctes : des caillots et une
sorte de crème rougeàtre. « Les caillots, dit M. le professeur Guyon, sont plus
ou moins nombreux, assez mous, très-faciles à dissocier ; lorsqu'on n'agite pas
le contenu des vases, ils conservent à peu près la forme sous laquelle ils ont
€té rendus. La plupart sont irréguliers; si on pouvait définir leur forme, on les
<lirait semi-ovoïdes. Dans quelques circonstances, l'indécision de la forme
n'existe plus; le caillot est franchement allongé, quelquefois assez délié, ver-
miforme, d'autres fois plus épais, en forme de sangsue bien gorgée. Nous avons,
Jans bien des circonstances cherché à savoir si cette forme bien définie avait
78 HÉMMUUIE.
une signification précise. Le seul résflltat auquel nous soyons arrive, c'est à
constater que les caillots allongés se forment souvent dans l'urèthre, dans sa
partie profonde, comme dans sa partie antérieure; mais il ne nous a jamais été
permis de voir, comme d'aulres observateurs paraissent l'aioir fait, que les
caillots allongés et déliés eussent l'uretère pour origine ». La configuration des
caillots ne peut donc devenir un élément de diagnostic du siège de la cause de
l'hématurie; les formes en sont indistinctes et variables. Uizmann admet cepen-
dant qvie « l'on peut quelquefois, d'après la forme des caillots, déterminer avec
certitude le siège de l'iiémorrhagie; si les coagula sont allongés et en petit
bâtonnet, ils reproduisent le moule des conduits urinifères, et l'hémorrhagie
provient du rein ; si au contraire les caillots sont irréguliers et grossiers, l'hé-
maturie est d'origine vésicale )>.
La coloration des caillots est importante à considérer; ils sont généralement
de teinte noire, quelquefois de nuance rouge foncé, parfois rouge vif; ils peu-
vent aussi se présenter sous l'apparence de masses fibrineuses, décolorées ;
parfois encore un pi([ucté sanglant ponctue le fond grisâtre du caillot. Ainsi que
le fait remarquer M. Guyon, il y a un intérêt de diagnostic différentiel à la
mention de ces coagula librineux, dépouillés de toute coloration béraatique :
souvent, en effet, le malade s'en] alarme et les considère comme des morceaux
de chair dont l'expulsion l'épouvante; le médecin y reconnaît la plupart du
temps de simples llocons fibrineux ; l'évacuation de véritables fragments de
tissus néoplasiques demeure un fait clinique rare, mais qu'il est possible d'ob-
server et (ju'il est utile de rappeler.
Quant à la couche urinaire qui surnage au-dessus de ces dépôts sanglants, la
coloration varie de nuance et d'intensité. Ce n'est, comme nous l'avons vu, que
dans les urines hématuriqucs des cystites, au-dessus de ces dépôts mélangés de
sang et de pus, que le liquide urinaire demeure incolore ; en tous les autres
échantillons d'urines sanglantes, au contraire, on voit dans le verre à essai la
zone supérieure teintée d'une rougeur variable ; les principes colorants héma-
tiques sont dilués dans l'uiine, et d'autant plus complètement que la densité du
liquide s'atténue. Dans les urines aqueuses, en effet, la fonte globulaire s'ac-
centue, la coagulation se retarde et les caillots se désagrègent ; et c'est là un
résultat thérapeutique utile qu'on obtient en prescrivant aux hématuriques des
boissons délayantes. Ajoutons ici que la puissance de coloration du liquide
sanguin est telle qu'une héraorrhagie médiocre suffit à teindre une quantité
considérable de liquide urinaire : c'est une considération qui a sa valeur
clini(]ue, et qu'il faut rappeler pour éviter toute fausse alerte et toute appré-
ciation inexacte de la spoliation sanguine, en face d'une perte hématurique
inquiétante.
La nuance est un élément qui se doit étudier à côté de V intensité chroma-
tique. Ici, il y a une riche gamme de teintes qui varie du rouge clair, du rouge
rosé (rouge sirop de groseilles) aux variétés éclatantes ou foncées du rouge. Et
dans ces teintes assombries les types de coloration sont variés : ce sont des
teintes troubles, grisâtres, parfois tirant sur l'orange, pour lesquels d'ailleurs
on multiplie les comparaisons et les appellations. On les dénomme : « urines
couleur de fumée » (Thompson) ; on les compare à un mélange d'urine et de
marc de café, ou bien encore d'urine et de suie ; on en rapproche la teinte du
porter et des bières brunes anglaises. Tout cela est variable et sans signification
diagnostique absolue; la coloration brunâtre n'est point, comme on l'a prétendu,
HÉMATURIE. 79
un indice de l'origine rénale de l'hémorrhagie. Sans doute, c'est un fait admis
qu'après un certain temps de contact avec l'urine le sang perd sa couleur ver-
meille et tire au brun : il est donc rationnel d'admettre avec Thompson que le
sau"- venu d'un département reculé de l'appareil urinaire, à moins d'être très-
abondant, teint on brun le liquide urinaire ; qu'au contraire une urine d'un
rouge vif est l'indice probable d'une hémorrhagie plus voisine, et d'origine vési-
cale. Mais c'est là un élément de diagnostic bien infidèle; après des lithotrities,
après des fausses routes, on voit des malades pisser des urines brunes, tandis
que des urines rutilantes peuvent être, comme l'a montré M. Guyon, fournies
par un malade atteint de cancer du rein. Au lieu de voir dans la coloration un
signe patliognomonique de la provenance de l'hémorrhagie, il faut donc n'y voir
qu'une probabilité diagnostique, qu'un élément contingent, variable suivant
l'abondance de l'écoulement sanguin, la durée de son contact avec l'urine,
l'intensité de son mélange.
De cette étude des variétés d'urines sanglantes il faut conclure qu'il est, en
général, impossible à la simple inspection d'accoler à chaque échantillon
urinaire son étiquette clinique exacte. En dehors en effet de ces urines hé-
mopyuriques de la cystite (qu'on nous passe le mot en raison de sa commo-
dité) à dépôt purulent caractéristique ponctué ou strié de sang, on ne peut
point conclure de l'examen des urines sanglantes à la nature ou au siège
de la lésion hémorrbagipare. C'est à l'examen du malade qu'il faut demander
ce moyen de diagno>^lic édologique: l'hématurie ne se présentera point avec
la même allure clinique chez le calculeux, chez le prostatique, chez le néo-
plasique; elle ne relèvera point, en ces divers cas, des mêmes causes pro-
vocatrices et des mêmes conditions palhogéniques ; c'est la description de
ces tableaux symptomatiques différents qu'il nous faut faire maintenant, c'est
aussi la discussion des divers procédés pathogéniques qu'il nous faut entre-
prendre.
Étant donné un échantillon d'urine sanglante, il faut, ainsi que le dit
Thompson, « passer en revue, comme si vous les comptiez sur les doigts, les
sources les plus ordinaires de l'extravasation sanguine, les reins, la vessie, la
prostate, l'urèthre ». De plus, pour chacun de ces départements de l'appareil
urinaire, la lésion hémorrbagipare peut varier : la cause de l'hématurie peut
être : 1° mécanique (traumatisme ou corps étrangers) ; 2" inflammatoire et con-
gestive; Z" organique.
1" Hématurie d'origine traiimatiquedans les traumatismes de l'urèthre. Les
hématuries dans les traumatismes uréthraux peuvent se rapporter à deux types
bien distincts. Elles peuvent se produire ou dans l'urèthre antérieur qui s'étend
du méat au pubis ou dans l'urèthre profond, qui va du pubis au col de la
vessie. Yoici, par exemple, un blennorrhagien qui se rompt la corde ; un rétréci
chez lequel on vient de faire la section opératoire d'un rétrécissement situé dans
la région pénienne ou bulbaire; un blessé dont l'urèthre subit une rupture trau-
matique en sa portion libre ou en avant du sphincter membraneux : en ces cas
l'uréthrorrhagie est continue. « véritable épistaxis uréthrale » (Guyon), et sans
rapport avec la miction. Que si le traumatisme atteint l'urèthre dans sa région
post-sphinctérienne, l'uréthrorrhagie prend l'allure d'une hématurie vésicale ;
un rétentionniste habitué à se sonder se fait une fausse route prostatique ; une
chute avec fracture du pubis déchire l'urèthre en sa région profonde ; les
mictions sanglantes se présentent alors avec les caractères des hématuries par
80 HÉMATURIE.
lésions de la vessie : mélange intime du sang avec le liquide urinaire, colora-
tion brun foncé et caillots de toute sorte dans les urines ; l'analogie clinique est
complète avec une hématurie dont la source est dans les voies urinaires supé-
rieures.
!2" Hématurie dans les traiimatismes de la vessie et des reins. L'hématurie
trauniatique dans les cas de plaie de la vessie n'est point à étudier longuement
ici ; elle n'est en ces cas qu'un détail clinique surajouté à un appareil sympto-
malique caractéristique. Le sang s'accumule généralement dans le réservoir
urinaire, d'où il s'écoule au dehors, soit par la plaie elle-même, soit par
l'urèthre; tantôt il se mélange à l'urine, tantôt, dans le cas d'hémorrhagie abon-
dante, il se coagule et provoque une obstruction mécanique du col ou le déve-
loppement d'une cystite intense. Les lésions traumatiques atteignant isolément
l'uretère sont une rareté clinique, et l'hématurie y a été exceptionnellement ob-
servée. Au contraire, l'hématurie fait rarement défaut dans les cas de trauma-
tisme rénal : elle en est le sym})lômc capital et palhognnmonique. Les mictions
sanglantes, constantes et copieuses, qui suivent la contusion et la blessure des
reins, peuvent se montrer sous des aspects différents : les caillots peuvent être
plus ou moins abondants, le sang peut être plus ou moins complètement dilué ;
la constatation au microscope de globules sanguins moulés sur des tubes urini-
fères devient un indice précieux de l'origine rénale de l'hémorrliagie. Ajou-
tons, pour compléter cette brève esquisse clinique, que l'hématurie peut être
immédiate et se montrer dès la première miction; que parfois elle est tardive
et n'apparaît qu'après quelques jours; que. dans quelques cas, un bouchon
librineux obturant l'uretère, on voit riiématurie se suspendre, la douleur
prendre une exacerbation soudaine, le ventre se ballonner et les vomissements
apparaître, puis l'uretère se désencombre, riiématurie réapparaît ; quelquefois
ces oscillations et ces alternatives se peuvent répéter.
A côté des traumatismes francs, il faut étudier l'influence de certaines causes
provocatrices de l'hématurie qui ne sont, pour ainsi parler, que des trauma
atténués et continus. En voici le plus intéressant type clinique : à la suite d'un
excès de fatigue, d'une secousse inopportune, d'une marche forcée, d'une course
en voiture, un malade qui auparavant aura présenté un dépôt briqueté dans
ses urines, qui aura expulsé quelques graviers et souffert de quelques crises
néphrétiques, qui urinera plus souvent le jour et pendant le mouvement, qui
pourra ressentir comme un coup d'aiguille vers l'extrémité du pénis à la fin de
la miction, ce malade aura une miction sanglante. Notons ici que cette héma-
turie peut survenir sans trouble antécédent et se montrer comme le premier
symptôme révélateur d'un calcul rénal. En tous cas, le malade se repose,
s'abstient de tout mouvement exagéré, les symptômes douloureux s'atténuent,
et les urines reprennent leur coloration normale.
Cette histoire clinique est pathognomonique et ces hématuries d'un ordre
mécanique spécial sont le propre des calculeux. Cette subordination de leur
pissement sanguin à la fatigue et au mouvement est un trait clinique bien
personnel.
Le mécanisme pathogénique semble ici indiscutable : c'est le calcul secoué
dans la cavité vésicale, qui en contusionne les parois et provoque la rupture
vasculaire. Cela est si vrai que, suivant la remarque de M. Guyon, tel malade
qui ne peut aller en voiture à deux ou quatre roues, parce qu'il souffre, parce
qu'il pisse du sang, supporte bien le chemin de fer, et supporte mieux encore
HEMATURIE. 81
l'omnibus et surtout l'impériale, dont le mouvement plus étendu, non saccadé,
n'imprime à la pierre ni secousses brusques, ni ébranlement considérable.
Toutefois, le trauma vésical est-il la condition exclusive et immédiate des
hématuries des calculeux? Son influence étiologique est prépondérante, à coup
sûr; mais elle s'exerce grâce à des causes auxiliaires. Assurément, c'est un
point bien établi de la physiologie vésicale (Guyon) que la vessie, si excitable
par la distension, est obscurément sensible au contact; il est dénionlré que la
pierre la plus irrégulière peut demeurer longtemps silencieuse et tolérée. Mais
il est indéniable aussi que la présence des calculs détermine une hyperémie
vésicale ; si la vessie saine tolère bien les concrétions calculeuses, il n'en est
plus de même de la vessie enflammée dont la sensibilité au contact s'exagère, et
pour laquelle la pierre devient une épine excitatrice qui provoque des phéno-
mènes congestifs. Sans doute, ainsi que nous l'avons entendu enseigner par
M. Guyon, la cystite des calculeux est plus rare et surtout plus tardive que l'on
ne l'admet classiquement, mais il convient d'établir des distinctions cliniques :
la cystite est fréquente dans les cas de calculs phosphatiques, les urines puru-
lentes sont alors alcalines et souvent ammoniacales; la cystite est d'ailleurs ici
la cause et non la conséquence du calcul ; la vessie d'un pareil calculeux se
vide mal; il y a stagnation urinaire, distension et congestion : ce sont là des
termes cliniquement enchahiés. En une vessie ainsi altérée, toute secousse du
calcul devient un traumatisme fâcheux : autant l'hématurie est, dans ces cas,
fréquente et facilement provoquée, autant elle est rare quand il s'agit de ces
calculs d'acide urique, d'urates, d'oxalato de chaux, de provenance rénale, et
qui ne s'accompagnent que de modifications insigniiiantes de la muqueuse vési-
cale, bien que cependant les chances de cystite augmentent beaucoup avec
l'ancienneté et le volume du calcul. C'est à ces mêmes conclusions qu'Ulzmann
s'arrête : « C'est dans les cas de calculs phosphatiques ou oxaliques qu'on
rencontre habituellement les plus fortes hématuries ; les calculs lisses d'acide
urique ne provoquent que de médiocres héraorrhagies. Le poids de la pierre
importe aussi beaucoup : tandis que les calculs lourds d'oxalates et d'urates
déterminent de violentes hématuries, les pierres légères de cystine sont rare-
ment accompagnées de mictions sanglantes » .
L'hématurie symptoraatique du calcul rénal est spontanée ou déterminée par
la fatigue et les secousses : c'est ainsi que l'équitation et les cahots de voiture la
provoquaient chez Sydenham, qui était goutteux et calculeux. Elle est parfois
l'unique symptôme de la lithiase rénale ; parfois aussi elle peut par sa fré-
quence anémier le malade, au point de simuler un cancer rénal. Dans quelques
cas, l'hématurie, qui durait depuis plusieurs jours, disparaît brusquement pour
reparaître ensuite ; sa disparition est accompagnée de douleurs sur le trajet de
l'uretère ; les urines deviennent limpides et normales ; celte brusque suspension
de l'hématurie tient à l'obstruction de l'urelère par un caillot tîbrineux. Lecorché
admet que beaucoup d'hématuries dites essentielles, à retours paroxystiques,
reconnaissent pour cause la formation dans la portion droite des canalicules
urinifères ou dans les tubes de Bellini des calculs d'oxalate de chaux moulés
sur ces canalicules. C'est à l'irritation déterminée dans les l'eins par ces calculs
que seraient dues ces hématuries paroxystiques qui ne cessent qu'après l'expul-
sion de la concrétion rénale ; elles reparaissent au bout d'un temps plus ou
moins long, après la reproduction du calcul oxalique intra-canalicuiaire.
A côté de ces hématuries par irritation traumatique due à des calculs vé.'i-
DICT. EKC. 4° s. XIH, 6
82 HÉMATURIE.
eaux ou rénaux il convient de placer des formes cliniques que leur étiologie en
rapproche : ici, c'est un parasite qui joue le rôle de corps étranger et de cause
liémorrhagipare.
Parasites. Les principaux parasites du rein susceptibles de déterminer
l'hématurie sont au nombre de trois : 1» le strongle géant; 2" le pentastome
denticulé; 5" le distoma hœmatobium. Ils ont été étudiés et décrits au mot
Hématozoaires {voy. ce mot).
Hématuries d'origine inflammatoire oa congestive. Il est des hématuries dont
la cause provocatrice est une altération phlegmasique ou simplement hyperé-
niique des voies urinaires. Mais, en pratique, ces groupes étiologiques ne sont
point aussi nettement distincts. Dans l'hématurie des néoplasiques, par exemple,
nous verrons quel rôle important revient à l'élément congestion, quelle part
étiologique secondaire est attribuable à l'altération organique des parois vési-
cales. Même remarque pour l'iiématurie de la tuberculose vésicale, symptôme
presque initial et qui l'ait cortège à la période congestive : il y a donc là des
influences étiologiques associées ; c'est en raison de cette patliogénie complexe
qu'il nous faut étudier, comme deux groupes étiologiques voisins, les hématuries
d'origine inllammatoire et les hématuries d'origine congestive : nous ferons
ainsi un rapprochement utile et nous aurons une transition commode entre les
hématuries congestives et les hématuries par lésions organiques, puisque dans
les néoplasmes et dans les tubercules de la vessie les mictions sanglantes
relèvent d'un processus congestif plus encore que de destructions ulcéreuses.
Hématuries inflammatoires dans les phlegmasies uréthrales. L'hématurie
dans les phlegmasies uréthrales est une variété clinique sur laquelle il n'est
point nécessaire d'insister. Dans une blennorrhagie uréthrale, il peut, ainsi que
l'a établi Diday, sortir du sang par le canal dans quatre cas distincts : 1" quand
la blennorrhagie est suraiguë, par intensité du travail phlegmasique et à l'occa-
sion du moindre traumatisme : alors, le sang est combiné à la sécrétion puru-
lente; 2° pendant les érections forcées et après la rupture de la corde par redres-
sement violent du canal érigé ; c'est alors un sang pur qui s'écoule, c'est une
uréthrorrhagie qui se fait goutte à goutte en dehors des mictions; o" à la suite
d'injections caustiques de nitrate d'argent : alors le sang sort mêlé, mais non
combiné avec l'urine, et il sort dès le commencement de l'émission de l'urine;
ce qui distingue ce cas du quatrième, hématurie à la suite d'une cystite où le
sang ne commence à couler qu'à la fin de la miction.
Dans l'inflammation chronique de la portion prostatique de l'urèthre, l'héma-
turie peut se montrer le plus souvent après une blennorrhagie opiniâtre; un
homme de vingt à trente ans voit apparaître chez lui et d'une façon graduelle
les symptômes suivants : mictions fréquentes suivies de douleurs à l'extrémité
du pénis, de temps en temps un peu de sang vient rougir les dernières gouttes
d'urine qui se trouble et renferme un dépôt muco-purulent ; sentiment de
chaleur et de pesanteur au périnée et vers le rectum ; tous ces malaises s'aggravent
par l'exercice et la fatigue. Ce tableau clinique peut donner l'illusion d'un
calcul; les anamnestiques et la sensibilité au cathéter dans la portion prosta-
tique de l'urèthre permettent d'établir le diagnostic.
Dans la cystite. L'hématurie s'observe dans les différentes formes de la
cystite : elle se répète sans cause appréciable, persiste assez longtemps, ne se
calme ni par le repos, ni par le lit; on peut la rencontrer aussi bien dans la
cystite aiguë que dans la cystite chronique, dans la cystite du col que dans la
HÉMATURIE. 85
cystite du corps. Elle est surtout intense dans les cystites aiguës et souvent
localisées qui compliquent la hlennorrhagie. Nous ne pouvons ici que tracer à
grands traits l'esquisse clinique de ces hématuries. Voici un malade atteint de
cystite du col : extrême fréquence des envies d'uriner ; douleur intense qui
accompagne le début et surtout la fin de la miction et détermine un spasme et
des épreintes pénibles. Ce spasme douloureux peut provoquer un léger écoule-
ment du sang dû à une sorte d'expression de la muqueuse hypérémiée ; on n'observe
ordinairement d'hémorrliagie appréciable que d'une façon tout à fait passagère,
et le plus souvent l'exhalation sanguine, insuffisante pour modifier la coloration
de l'urine, s'attache seulement au produit de sécrétion du col. Nous avons plus
haut mentionné quelle valeur diagnostique M. le professeur Guyon attribue à la
présence au fond du verre à examen de ces grumeaux muco-purulents striés de
sang; même caractère de dépôt purulent dans la cystite du corps : en ces cas,
l'hématurie s'accompagne d'irradiations douloureuses à siège hypogastrique
plutôt que périnéal. Nous n'étudions pas ici l'hématurie de la cystite tubercu-
leuse; nous la plaçons au groupe des hématuries par lésions organiques de la
vessie. Est-il nécessaire, pour que la miction sanglante se produise dans la
cystite, qu'il y ait ulcération, ou bien l'hyperémie de la muqueuse suffit-elle à
former l'extravasation sanguine? 11 serait difficile d'admettre que dans les
cystites blennorrhagiques où le début est si rapide et l'hématurie souvent
intense il y ait un travail ulcératif. Il est aussi bien rare que l'autopsie montre
des ulcérations dans les cas de cystite chronique avec hématurie abondante ; en
ce cas, il est possible que l'émigration globulaire à travers les vaisseaux intacts
joue le principal rôle dans la production de ces hémorrhagies : les modifications
de pression intra-vasculaire, les désordres de l'innervation vaso-motrice, les
phénomènes congestifs, sont les causes productrices dominantes de l'exhalation
sanguine et nous sommes ici encore conduits à reconnaître le rôle pathologique
considérable de la fluxion hyperémique.
Pyélite. Qu'elle soit consécutive à un empoisonnement (canlharide, téré-
benthine), qu'elle survienne dans la fièvre typhoïde, la pyémie, le typhus, la
scarlatine, la rougeole, le charbon, etc., la pyélite s'accompagne d'urines héma-
turiques.
D'après Lécorché, un des premiers symptômes de la pyélite catarrhale est le
pissement de sang, mais le plus ordinairement le pus a précédé l'apparition du
sang. C'est dans cette hémorrhagie pyélitique que l'on peut constater ces caillots
vermiformes. La présence, dans les sédiments, de cylindres fibrineux qui rap-
pellent le diamètre des tubes deBellini, distingue l'hématurie rénale, canalicu-
laire, de l'hémorrhagie pyélitique ; ce signe offre d'autant plus d'importance que
la pyélite occasionnée par les dyscrasies, les exanthèmes, s'accompagne d'héma-
turies abondantes. Elles dépassent de beaucoup en quantité les hémorrhagies
paroxystiques produites par les calculs.
La pyélite provoquée par des parasites ou des néoplasies est en connexion avec
une production analogue des reins.
Néphrites aiguës. Les urines hématuriques sont fréquentes dans les 7iéphrites
aiguës, qu'elles soient ou non produites par les maladies infectieuses. L'hémor-
rhagie est un accident initial surtout marqué dans les formes désignées par
Wagner sous le nom de formes hémorrhagiques catarrhales du mal de Bright.
En voici des exemples : ainsi un scarlatineux, à la période de desquamation,
se refroidit. L'urine devient rare, épaisse, brune, noirâtre ou rosée, suivant la
84 HÉMATURIE.
proportion de sang. La coloration rougeâtre ressemble souvent à celle île la
lavure de chair. Rarement on a noté l'émission de sang pur. Les sédiments
contiennent des cylindres fd)rincux et un grand nombre de globules sanguins
tuméfiés, parfois ratatinés et en partie déformés. D'après Bull, lorsque les
lésions prédominent notablement dans le tissu interstitiel, l'hématurie est la
règle. La néphrite aiguë s'observe aussi dans les brûlures étendues, la diphthérie
et plus rarement dans les exanthèmes fébriles (variole, rougeole, érysipèle),
dans le cours de la fièvre typhoïde, de la fièvre récinrente (Ponfick), de la
méningite cérébro-spinale, de la fièvre intermittente, de la fièvre jaune.
Néphrites septiqnes. Dans ces cas, l'hématurie est rare et habituellement
les globules sanguins et les leucocytes sont peu abondants (Labadie-Lagrave).
Dans la néphrite parenchymateuse chronique, une coloration rougeâtre due
à la présence des éléments du sang dans le liquide est chose rare.
Dans la néphrite interstitielle chronique, seul l'appareil génito-urinaire est
habituellement respecté par la tendance hémorrhagique si particuhère à l'une
des périodes de l'affection (Labadie-Lagrave). Enfin l'hématurie ne se rencontre
dans la néphrite amyloide que lorsqu'à cette dégénérescence s'est ajoutée de
la néphrite parcnciiymateuse (Lécorché). Dickinson n'a trouvé l'hématurie que
4 fois sur 48 cas de néphrite amyloide, mais la néphrite interstitielle peut
entraîner des hématuries par un autre mécanisme; sous l'influence de la
dégénérescence athéromatcuse liée à la néphrite interstitielle il survient chez
les vieillards des hémorrhagies du bassinet qui déterminent parfois des héma-
turies abondantes (Lécorché).
Hématuries dans les maladies générales. Pathogénie. Ce serait une
erreur de croire que les hématuries observées dans les maladies infectieuses
sont toujours liées à une néphrite : ainsi que l'a fait justement remarquer
Labadie-Lî grave, « très-souvent l'hématurie se produit en pleine période d'érup-
tion chez les scarlatineux, à une époque où les complications rénales ne se
rencontrent qu'exceptionnellement. Chez les varioleux, l'hématurie a pour
siège habituel la muqueuse des calices et des bassinets ; c'est du moins ce qui
résulte des recherches d'Oscar Unrub. Sur 212 autopsies de varioleux pratiquées
par Unrub à Dresde, 28 fois les bassinets étaient la source d'hémorrhagies
abondantes. » Le point de départ de ces hématuries d'origine infectieuse
devient encore plus difficile à préciser, si les recherches de Forster et Klebs sont
suffisamment établies. Ces auteurs rapprochent des cystites puerpérales décrites
par Hervieux les inflammations graves de la vessie qui, sous l'influence d'orga-
nismes inférieurs retrouvés dans l'urine, peuvent se développer dans la pyohé-
mie, le typhus, la variole, la scarlatine et le choléra.
Enfin, dans les formes malignes de la scarlatine, de la rougeole, de la
variole, les altérations du sang déterminent une sorte de diathèse hémorrha-
gique. Au milieu de ces hémorrhagies multiples et variées, l'hématurie n'ap-
paraît que comme un épiphénomène d'une signification pronostique de la plus
haute gravité (Sydenham). Il faut rapprocher de ces faits les hématuries de
l'ictère grave, de la peste, de la fièvre jaune, du scorbut. Dans toutes ces
maladies infectieuses, les altérations sanguines jouent le principal rôle et faci-
litent singulièrement l'extravasation du sang, non-seulement dans les reins,
mais encore au niveau des bassinets et de la vessie ; souvent en pareil cas les
globules sont détruits et les modifications de l'urine se rapportent alors à
l'hémoglobinurie. C'est surtout dans les différentes formes de l'irapaludisrae
HEMATURFE. 85
que cette distinction présente de telles difficultés, que l'on comprend bien la
variété des opinions soutenues à propos de la fièvre bilieuse héniorrhagique, la
fièvre bilieuse mélanuriquc.
Impaludisme. Dans ces manifestations de l'impaludisme les urines sont
souvent rutilantes au moment de l'émission; elles ont l'aspect sanguinolent
absolument comme si elles étaient composées de véritable sang pur. Mais, dans
h fièvre bilieuse mélmmriqiie, Daullé, Béranger-Féraud, Trouette, n'ont jamais
retrouvé les globules sanguins mentionnés par Hugolin {Arch. de méd. navale,
1865), Borius et Pellarin. De plus, l'examen spectroscopique des urines noires,
fait par Corre et Yenturini, a prouvé que les deux bandes d'absorption se rap-
portent bien à l'hémoglobine {Arch. de méd. navale, -1878). D'après Béranger-
Féraud, il faudrait distinguer cette fièvre bilieuse mélanurique de la fièvre
bilieuse hématurique. Mais la plupart des médecins qui ont observé au Sénégal
et aux Antilles les considèrent comme une seule entité morbide. Les observa-
tions de Dutrouleau, Lebeau, Le Roy de Méricourt, ont exagéré la fréquence de
l'hématurie vraie dans la fièvre palustre pseudo-continue, grave, rémittente,
biliaire, dans la fièvre bilieuse hématurique : il n'est pas étonnant que les
hématies disparaissent rapidement dans les urines des malades atteints de fièvre
bilieuse. Les histologistes savent bien que la bile détruit rapidement les glo-
bules du sang. « L'action de la bile sur les globules sanguins a été expérimentée
par Kùhne. Elle est extrêmement curieuse : les globules pâlissent d'abord, puis
tout à coup disparaissent sans laisser aucune trace » (Banvier, Traité de
technique histologique, p. 188.
Enfin, dans un travail tout récent sur la Malarial Ilœmaturia (ihe Médical
News, p. 251, mai 1883), James Tison distingue deux formes d'accidents
hématuriques liés à la malaria. Lsl pfe?nière forme, bénigne et légère, a déjà été
l'objet des recherches de Dressler {Virchow's Arch., 1854) et de Ilarley [Medico-
Chir. Trans., 1865). Elle consiste dans l'apparition d'urines sanguinolentes,
qui reviennent quotidiennement ou par intervalles, d'une façon paroxystique,
chez des sujets en puissance d'accès palustres ou antérieurement atteints de
fièvres intermittentes. Les urines sont fortement teintées en rouge, très-albumi-
neuses, mais pauvres en globules; souvent même on ne trouve pas une seule
hématie sous le champ du microscope. 11 s'agit donc là d'une variété d'hémo-
globinurie en rapport avec l'impaludisme. La forme grave de l'hématurie
paludéenne ne se rencontre guère que sous les tropiques et dans le sud de
l'Amérique. Au bout d'un ou deux accès de fièvre apparaît une urine noire,
acajou, très-abondante, dont l'écoulement dure aussi deux ou trois heures. Des
vomissements, parfois des hématémèses, comme dans la fièvre jaune, se
montrent concurremment avec un ictère intense. La mort peut survenir au
milieu de ces accidents pernicieux, plus souvent un nouvel accès emporte le
malade. Ici encore l'examen de l'urine montre qu'il s'agit d'une hémoglobi-
nurie et non d'une hématurie véritable (in Revue des sciences médicales,
Hayem, 24'= année, 1884). L'hématurie apparaît aussi dans une autre série
d'états généraux :
Ainsi, sur 216 cas d'hémophilie, Grandidier a noté 11 fois l'héma-
turie ;
Dans la leucocythémie, Isambert a mentionné 2 fois l'hématurie sur 41 cas ;
L'hématurie est encore signalée dans le scorbut, dans le purpura hemor-
rhagica.
86 HÉMATURIE.
Autant dans les premières maladies l'altération sanguine et vasculaire joue
un rôle capital, autant dans certaines liématuries du purpura hémorrhagica
l'action nerveuse serait prépondérante.
Hématuries d'origine congestive. Les hématuries, qui reconnaissent pour
facteur étiologique prépondérant la congestion, offrent un très-grand intérêt
clinique; cet élément hyperémique doit être étudié comme cause productrice
des mictions sanglantes qu'on observe chez les prostatiques, les rétrécis, les
néoplasiques, les malades atteints de tuberculose urinaire. C'est surtout avec
les travaux de M. le professeur Guyon et de l'école de Necker que se soDt
dégagées ces notions étiologiques nouvelles sur le rôle des phénomènes con-
gestifsen pathologie urinaire; c'est dans la thèse de notre ami Tuflier qu'elles
ont trouvé leur expression claire et complète.
Hématuries supplémentaires. Voici d'abord une catégorie de faits où le
rôle pathogénique de l'hyperémie est indiscutable; qu'un écoulement sanguin
habituel vienne à être supprimé, que l'appareil urinaire soit le siège d'une
fluxion pathologique continue, on voit alors en ce cas la dilatation congestive
des vaisseaux de la muqueuse urinaire préparer l'hématurie en ces points où
le régime circulatoire est ainsi modiiié.
Ces hématuries sont étudiées avec soin par les vieux auteurs (Pinel, Salm\ith,
Choppart). Dans certains cas, le mécanisme pathogénique est simple et indis-
cutable ; c'est le procédé de la fluxion compensatrice en toute sa netteté. En
d'autres cas, ce sont des fatigues, des contusions continues, qui congestionnent
les voies urinaires et préparent l'hématuiie (hématurie des cavaliers) ; quel-
quefois enfin il existe un développement marqué du réseau veineux, sous-
muqueux au niveau du bas-fond et du col vésical; les veines dilatées se
développent eu bourrelets variqueux : de là des envies fréquentes d'uriner et
une dysurie qui peut aller jusqu'à la rétention. Le malade éprouve de la
pesanteur à l'hypogastre, au périnée, à l'anus, puis il rend par l'urèthre une
grande quantité de sang et se trouve soulagé jusqu'à une nouvelle crise dysu-
rique. L'hématurie peut être parfois assez abondante pour devenir mortelle
(fait de Laugier rapporté par Guyon). Ces varices vésicales, signalées par Bonet,
Morgagni, Vidal, Guyon, Baraduc, n'ont encore qu'une histoire clinique ina-
chevée et qu'une démonstration anatomique incomplète; on conçoit cependant
combien est prédisposé à la stase sanguine et à la dilatation variqueuse cet
appareil veineux de la vessie au triple réseau (sous-muqueux, intermusculaire
et sous-péritonéal).
Hématuries par hyperémie rénale. Les hématuries par x.tase ou fluxion
rénale surviennent : 1" dans les hijperémies des reins; 2'^ dans la thrombose
des veines du rein; 3» dans les infarctus, les embolies.
\° Hyperémie des reins. « D'après les observations de Liebermeister,
lorsque l'hyperémie par stase est assez considérable pour donner lieu à une
exsudation d'albumine, l'apparition simultanée du sang dans l'urine est si
fréquente, que l'existence d'albumine dans l'urine sans trace de sang permet
d'exclure avec vraisemblance une simple hyperémie par stase et tend à faire
admettre un trouble inflammatoire de la nutrition. Ce fait pathologique que l'on
constate dans chaque affection du cœur de longue durée et qu'on peut y pour-
suivre dans ses différentes phases répond à une expérimentation physiologique :
après la ligature de la veine rénale ou de la veine cave, au-dessus de l'embou-
chure de la veine rénale, on observe constamment de l'albuminurie et de
HÉMATURIE. 87
l'hémalurie » (Niemeyer, t. II, 1869). Celte dernière expérience est renouvelée
en partie dans les thromboses des veines rénales.
2" Thromboses des veines du rein. Ces lésions se rencontrent principale-
ment chez les nourrissons atteints d'athrepsie. L'urine est rare, d'un brun noir,
et les sédiments renferment des cylindres rénaux et des corpuscules sanguins
agglomérés. Ces faits ont été décrits d'une façon magistrale par Parrot. Chez
les adultes, ces hématuries s'observent dans les états cachectiques, la fièvre
puerpérale, et dans les thromboses résultant de la compression exercée par les
tumeurs voisines du bile.
0" Enfin, dans les infarctus hémorrhagiques, l'urine prend une coloration
d'un brun foncé, quelquefois noirâtre. A l'examen microscopique, on y découvre
des globules rouges en grand nombre. Ces modifications de l'urine sont passa-
gères. La brusque apparition d'une douleur lombaire unilatérale avec hématurie
et albuminurie chez un sujet atteint de rhumatisme articulaire aigu, d'endo-
cardite ou de toute autre affection prédisposant aux embolies artérielles, le
peu de durée de ces accidents, permettent le diagnostic de l'infarctus du rein.
A moins qu'une stase extrême ne provoque une hématurie abondante, le plus
ordinairement la congestion passive des reins n'enlrauie l'cxtravasation que d'un
petit nombre de globules rouges ; la coloration rouge foncé des urines tient à la
présence d'une grande quantité d'acide urique et d'urates.
Hijperémie aiguë. Mais il n'en est plus de même dans les hyperémies
aiguës consécutives à l'absorption de cantliarides, d'essence de térébenthine,
d'essence de moutarde, de baume du Pérou, de sublimé, d'arsenic, de sulfate
de quinine. Dans les premiers cas surtout, l'urine trouble, de couleur foncée,
noirâtre, tient en suspension un grand nombre de globules rouges plus ou
moins altérés et renferme des quantités notables d'albumine et de fibrine.
Mais souvent aussi ces hyperémies aiguës confinent à l'inflammation franche,
et les remarquables expériences de M. Cornil et de M. Browicz démontrent
que, chez les animaux, la cantharidine en injections sous-cutanées développe
une néphrite parenchymateuse aiguë. A côté de ces hématuries par hypérémie,
il est nécessaire de placer les hématuries dites névropalhiques qui résultent,
elles aussi, d'une dilatation vasculaire par action vaso-motrice.
Hématuries névropathiques. Dans l'étude des hémorrhagies il y a un élé-
ment qui a été souvent négligé, c'est l'élément nerveux. JI existe une classe
d'hématuries sans lésions vasculaires, sans altération du sang, et ces hémorrhagies
sont sous la dépendance immédiate du système nerveux. M. Lancereaux cite un
certain nombre de cas de ces hématuries névropathiques déjà mentionnées par
Latour (d'Orléans), Van Hur, Lordat, Gendrin, Parrot, et étudiées au point de
vue expérimental par M. le professeur Yulpian. D'après M. Lancereaux, qui a
fait une bonne étude des faits de ce genre, ces hémorrhagies d'origine nerveuse
sont assez ordinairement précédées de sensations douloureuses; d'autres fois, elles
apparaissent après une vive émotion, une grande colère, une frayeur soudaine
ou une attaque de nerfs. Elles ont pour caractères de ne produire que peu de
désordres fonctionnels et de ne pas altérer, comme les hémorrhagies d'une
autre origine, la santé générale. La marche de ces hématuries, rarement con-
tinue, est le plus souvent intermittente, quelquefois périodique; la récidive est
la règle. Quant slu pronostic, il est relativement bénin; pourtant une mort
rapide en a quelquefois été la conséquence {Traité d'anatomie pathologique,
Lancereaux, t. I, p. 562). Leur étiologie est assez vague. Les agents physiques
88 HÉMATURIE,
prédisposent à ces hématuries. Latour (d'Orléans) raconte qu'un évêque, fai-
sant sa tournée pastorale pendant une grande chaleur^ fut pris d'hématurie dans
sa voiture (Lancereaux) . Parmi les influences pathologiques se présentent tout
d'abord les névroses, et avant tout Vhijstérie. L'épilepsie est quelquefois suivie
des mêmes accidents. Les lésions matérielles des yierfs et des centres nerveux
sont dans quihpies cas l'origine de ces hémorrhagies (Marrotte, Charcot, Olli-
vier) . En ce qui concerne leur pathogénie, on croit que le système nerveux agit
directement sur les vaisseaux pour en produire soit la dilatation, soit le resser-
rement. Il y a probablement diapédèse et non rupture des vaisseaux.
IlÉMATORiE CHEZ LES PROSTATIQUES. Abordons maintenant l'étude de l'hé-
maturie des prostatiques, qui est un type clinique d'observation fréquente.
L'iiématuric est, après la rétention, une des complications les plus fréquentes
de riiypcrtiophie prostatique. Elle est rare pendant la première période de la
maladie, alors qu'il n'y a encore que la fréquence nocturne des mictions, la
lenteur et la faiblesse du jet d'urine; elle apparaît le plus souvent dans la
seconde période, alors que le prostatique ne vide plus sa vessie et que l'urine
stagne dans le bas-fond vésical (voy. Prostate). Le pissement de sang chez le
prostatique i)out succéder à un calliétliérisme, même prudent; il peut aussi
apparaître spontanément comme traduction symptomalique de l'état congestif
de la vessie. Quand l'hématurie succède à un cathétérisme, elle peut survenir
par éraillure traumalique de la muqueuse ou sans blessure du canal. Dans le
premier cas, ce qui frappe, c'est la disproportion du trauma uréthral insigni-
fiant et de l'hémorrliagie abondante, persistante et rebelle.
Parfois l'urèlhre cathétérisé n'a subi aucune atteinte traumatique, et cepen-
dant il survient spontanément une hémorrhagie si abondante, si persistante, que
le malade peut succomber à ces pertes hématuriques. On trouve dans le Boston
Médical de 1881 l'observation d'une de ces hématuries spontanées, à termi-
naison funeste.
Les pertes hématuriques incoercibles et mortelles sont chez les^ prostatiques
les formes cliniques rares ; elles peuvent aller jusqu'à provoquer une crise syn-
copale (cas de Chopart) ; le plus souvent, l'hématurie s'arrête après une durée
moyenne de deux à trois jours (statistique de Benoît [Étude sur rhématurie dans
la rétention d'urine] th. de Paris, 1886), portant sur 17 cas). — C'est souvent
après le premier ca^étérisme, dans un cas de rétention, que se fait un écou-
lement d'urines noirâtres, fortement hémaliques ; plus souvent encore, c'est au
cours d'une évacuation méthodiquemeut conduite que l'hématurie apparaît.
Voici, par exemple, un rélentionniste dont la vessie distendue et impuissante à
se vider retient 2 à 5 litres d'urine; on fait l'évacuation, par cathétérisme
intermittent et progressif, jusqu'à réduire à une minime quantité la retenue de
l'urine : l'urine s'est écoulée d'abord claire, puis rosée, puis sanguinolente,
enfin c'est du sang pur qui est évacué.
11 est évident, en tous ces cas, qu'il y a disproportion entre le trauma du
cathétérisme et l'abondante hématurie qui le suit. Pour qu'une insignifiante
éraillure, accident négligeabled'exploration, pour qu'un cathétérisme correct et
prudent, puissent devenir les causes occasionnelles d'écoulements hémorrha-
giques semblables, il faut des influences pathogéniques auxiliaires, il faut une
congestion des plexus veineux pelviens, et un état de fluxion hyperémique des
voies urinaires, toutes prêtes à saigner au moindre prétexte traumatique.
On sait que, chez le vieillard, le système veineux prostatique, quintuple, décuple
HÉMATURIE. 89
même (Tuffier) ses dimensions premières : l'appareil artériel, au contraire, se
modifie peu ; bien plus, il devient le siège d'une endartérite qui en rétrécit le
calibre et affaiblit l'impulsion à tergo. On voit quel état de gêne circulatoire
crée cette disposition d'un appareil artériel sclérosé et affaibli venant se perdre
en un lac veineux anormalement développé ; on conçoit aussi avec quelle faci-
lité retentiront sur ce système circulatoire tout prêt à la stase toute difficulté
dans l'évacuation veineuse, tout rajitus congestif dans les plexus voisins. Qu'une
constipation liabituelle, que des excès sexuels, que l'apparition d'un flux liémor-
rboïdaire, entravent la déplétion des veines du petit bassin, les plexus péri-
prostatiques et périvésicaux, en connexion vasculaire directe avec ces voies vei-
neuses, subiront une dilatation congestive ; de même, un refroidissement
amenant une congestion vésicale violente, des excès de boissons forçant la vessie
à un fonctionnement exagéré, les fatigues d'un voyage, une station assise pro-
longée, congestionneront cet appareil veineux à circulation languissante : de là
une liyperémie vésico-prostatique qui fait que la moindre offense traumatique,
le cathétérisme le plus méthodique deviendront l'occasion d'hématuries abon-
dantes. Notons à ce sujet que cet état de congestion passive ne se limite point à
la vessie; chez les prostatiques rétentionnistes, il y a un état de congestion per-
manente de toutes les voies urinaires, de la prostate jusqu'au rein, et la polyurie
est l'indice clinique de cette vascularisation rénale exagérée. Tout cet appareil
congestionné est prêt à l'hémorrhagie ou à l'inflammation : entre les trois
organes de celte triade urinaire, prostate, vessie et reins, il y a une association
pathologique intime qui fait qu'aucun ne peut s'hyporémier ou s'enflammer
isolément. On peut donc se demander si, chez les prostatiques, l'hématurie peut
être produite par l'extravasation sanguine au niveau du rein hyperémié : c'est
peu admissible, car le rein laisse difficilement passer le fluide sanguin. 11 faut,
ainsi que le dit ïuffîer, les lésions très-étendues du carcinome rénal ou l'inflam-
mation suraiguë d'une néphrite parenchymateuse pour provoquer une hémorrha-
gie abondante : le rein témoigne sa congestion par la polyurie plutôt que par
l'hématurie. Cependant, dans un cas, Picard [France médicale, 1879) a noté
des foyers hémorrhagiques disséminés dans le parenchyme rénal.
En formule résumée, l'hématurie des prostatiijues est donc d'ordre congestif :
il nous faut maintenant pénétrer plus avant dans l'analyse de son procédé
pathogénique. C'est un thème, brillamment développé par quelques auteurs
(Thompson, Leçons cliniques), que le parallèle pathologique de lutérus et de la
prostate : or, en demeurant sur le terrain théorique, comment ne point rap-
procher ces métrorrhagies réflexes provoquées par la présence de fibromes intra-
utérins, des hématuries que déterminent par fluxion hyperéniique les fibromes
intra-prostatiques, sans ulcérations de la muqueuse du canal ou de la vessie ?
c'est un rapprochement légitime et une analogie clinique intéressante. — Quant
aux causes déterminantes de la rupture vasculaire en ces voies urinaires ainsi
hyperémiées, elles sont multiples et de valeur discutable : Benoît en a étudié,
dans sa thèse, le mécanisme pathogénique. Les uns voient dans l'hématurie le
résultat d'une véritable expression de la muqueuse vésicale, congestionnée, par
h tunique musculaire revenant sur elle-même et vidant comme une éponge les
plexus veineux gorgés de sang (Mercier, Reliquet) ; quelques autres, dans les cas
où l'atonie vésicale est complète et où la paroi est impuissante à se contracter,
parlent d'une succion opérée par la vessie sur ses propres parois ; d'autres font
jouer un rôle considérable à la décompression brusque qui succède à l'évacuation,
90 HÉMATURIE.
quelquelbis incorrectement faite, d'une vessie liabituée à la distension (Legrand,
Union médicale, 1860. — Picard, France médicale, 1879. — Yoillemier et
Ledentu). Le mieux est d'admettre, avec éclectisme, ces diverses iniluences : on
comprend que dans ces vessies de prostatiques où les faisceaux musculaires,
ceux surtout de la couche plexiforme, siiypertrophient en colonnes saillantes
(thèse de Jean), où le glissement des couches les unes sur les autres est gêné
par le travail de prolifération scléreuse qui amène la fusion de la muqueuse
avec la celluleuse sous-jacente, la circulation veineuse pariétale de la vessie
éprouve des obstacles; on comprend aussi qu'une vessie chroniquement dis-
tendue, hyperémiée, trouve dans la masse liquide retenue une contre-pression
utile; cet appui intérieur vient-il à être brusquement supprimé, les capillaires
gorgés éclatent, et l'hématurie apparaît à mesure que l'urine s'évacue et que les
vaisseaux, désormais sans soutien, se dilatent. C'est une hémorrliagie ex vacuo
dont les types cliniques analogues sont noml)reux : hémorrhagies pleurales à la
suite d'une thoracentèse trop radicale ; infiltration sanguine sous-péritonéale
après une ponction d'ascite (Verneuil).
On peut donc conclure que, chez le prostatique, ce qui prépare l'hématurie
c'est la congestion réflexe ou niécani(|ue de tout l'appareil urinaire; ce qui la
provoque, c'est ou une occasion trauniatique (cathétérisme), ou une déplétion
trop rapide du globe vésical chroniquement distendu.
llémahirie chez les rétrécis. Chez les rétrécis, les phénomènes congestifs
n'ont point la même importance, comme conditions productrices de l'hématurie.
A la suite d'un excès de boisson, d'une fatigue sexuelle, d'un refroidissement,
un malade jeune, ancien blennhorragiquc, est pris d'une rétention complète
d'urine : le cathéter explorateur est arrêté dans la région périnéo-scrotale; celte
rétention brusque est d'ordre congcstif et cède à une médication antiphlogis-
tique; que si, au contraire, on veut à tout prix forcer l'obstacle uréthral, ce
sont des hémorrhagies redoutables qui sont le résultat de ce cathétérisme inop-
portun. Le plus souvent alors c'est une fausse route qui conduit dans la vessie.
Alors que l'hématurie constitue, chez le prostatique, une complication redou-
table, elle n'offre donc chez le rétréci qu'un médiocre intérêt clinique. C'est que
l'état dos voies urinaires est différent dans les deux cas : alors que la vessie du
prostatique rétentionnisle, congestionnée et distendue, perd son énergie contrac-
tile, alors que son rein et sa prostate s'hyperémient passivement, au contraire,
la vessie des rétrécis reste le plus souvent puissante, en dépit du degré avancé
de la coarctation uréthrale : par là est supprimé cette influence de la stagnation
urinaire, si féconde en poussées congestives rétlexes; par là est évité ce danger
des hématuries par évacuation d'une vessie habituellement distendue. Ce qui
prouve que l'obstacle uréthral n'est point tout, mais que le maintien de la
vigueur contractile du muscle vésical, la régularité de la circulation veineuse
pelvienne, l'intégrité de la propulsion cardiaque et de l'élasticité artérielle, sont
des éléments prépondérants en la production de ces hématuries par hyperémie
des voies urinaires.
Il est des cas, toutefois, oiî la vessie des rétrécis ne conserve point son inté-
grité de structure et de fonctions : en ces types si bien décrits par M. le profes-
seur Guyon [Atlas des maladies des voies génito-urinaires, p. 144) sous le nom
de cystite interstitielle, le globe vésical ratatiné et sclérosé se cache derrière le
pubis, où il est enveloppé dans une couche fibreuse dense. C'est que le muscle
vésical est ici envahi par une abondante prolifération conjonctive qui étouffe
HÉMATURIE. 9t
l'élément contractile; on comprend que le jeu des fibres vésicales soit singuliè-
rement entravé par ce tissu scléreux ; on comprend aussi que le réservoir vésical
devienne inextensible et intolérant. De là des mictions fréquentes; de là un état
congestif de la muqueuse urinaire; de là une bématurie qui a le plus souvent
un caractère intermittent, apparaissant et disparaissant sans cause connue,
souvent assez abondante pour donner une teinte rouge foncée à l'urine, ne se
montrant pas babituellement sous la forme de stries sanglantes, comme c'est le
cas pour les cystites aiguës du col. — L'autopsie fournit en ces cas la raison
anatomique de ces bématuries chez les rétrécis à petites vessies contractées : on
trouve la muqueuse sclérosée, contenant en son épaisseur des traînées embryon-
naires ; elle est fortement arborisée, rouge et tonienteuse; elle offre par place
des tacbes rougeàtres, violacées, eccbymotiques : on croirait voir une plaie dont
les bourgeons sont œdéraatiés et eccbymotiques (Guyon et Bazy). On conçoit
dès lors avec quelle facilité se produira une hcmorrhagie intra-cavitaire ; deux
conditions viennent encore favoriser cette production ; en ces parois vésicales
hypertrophiées par la néoformation conjonctive, les vaisseaux présentent une
augmentation de leur volume et une prolifération pariétale embryonnaire : de
là un afflux sanguin plus considérable, de là une fragilité des parois vasculaires,
toutes conditions favorables à l'Iiémorrbagie inlra-vésicale.
Hématuries par lésions organiques. Hématuries dans les néoplasmes vési-
eaux. L'hématurie est un des symptômes fondamentaux des néoplasmes de la
vessie; c'est M. le professeur Guyon qui en a écrit l'étude clinique la plus com-
plète : grâce à son enseignement, grâce à la thèse de Tuffier, ce point intéressant
de séméiologie vésicale est maintenant précisé, au point de vue de sa valeur
diagnostique, de ses conditions productives et de son procédé patbogénique
[voy. Vessie).
C'est qu'en effet ces bématuries des néoplasiques présentent des particularités
sjTnptomatiques qui jusqu'à présent étaient demeurées obscures et inexpli-
quées : elles sont persistantes ; elles surviennent sans cause appréciable et dis-
paraissent sans raison déterminée ; elles sont abondantes et s'accroissent avec les
progrès évolutifs de la tumeur vésicale. Voilà, esquissée à grands traits, la phy-
sionomie clinique de l'hématurie des néoplasiques, bien différente, on le voit,
de l'hématurie des calculeux que la fatigue provoque et que le repos suspend ;
bien distincte aussi des mictions sanglantes des tuberculeux peu abondantes,
symptôme de début disparaissant quand les lésions atteignent un degré avancé.
Si, dans les néoplasmes en général, les hémorrhagies rebelles et dangereuses
sont le propre des tumeurs dites malignes, et le résultat de destructions ulcé-
reuses par le processus morbide, au contraire, quand il s'agit de tumeur vési-
cale, cette règle n'est plus applicable : une petite tumeur paplUomateuse non
ulcérée, un myome de volume médiocre, suffisant à provoquer une hémorrhagie
dangereuse.
Vlzmann (Uebei' Hœmaturie, etc., 1878) a appelé l'attention sur un carac-
tère particulier que lui ont présenté les urines dans trois cas de tumeurs
villeuses. « Ces urines, de couleur rouge jaunâtre, se coagulent vite après leur
émission, et forment une masse adhérente au vase qui les contient. Stein a
observé le même phénomène chez un de ses malades atteints de cancer villeux ».
11 explique ainsi cette hématurie : « Les puissantes contractions de la vessie
empêchent la circulation de retour dans les villosités et produi.sent la tur-
gescence des petits vaisseaux; si la tension est trop grande, les vaisseaux se
92 HÉMATURIE.
rompent et une hémorrhagie se produit; si la tension est plus faible, le plasma
seul transsude et sa fibrine se coagule aussilôt après l'admission des urines. En
im mot, il y a fibrinurie » .
Qu'on accepte ce mécanisme de l'exsudation sanguine sans solution de conti-
nuité de la muqueuse, ou que, avec plus de vérité analoniique, on admette
qu'une tissure vasculairc a permis l'iiéniorrhagie, il n'en faut pas moins recon-
naître un rôle considérable à la turgescence congestive des voies urinaires. La
disproportion manifeste entre la lésion analomique, souvent simple fissure insigni-
fiante et difficilement retrouvée à l'examen nécropsique, et ces hémorrhagies
abondantes, rebelles, quelquefois mortelles, indique qu'il faut pour expliquer
des accidents aussi graves, aussi persistants, d'autres facteurs palhogéniques
qu'une rupture vasculaire restreinte, qu'un frottement liypotliétique de la paroi
de la vessie sur la surface bourgeonnante de la tumeur, souvent non ulcérée.
Ainsi que le dit Hollin (thèse de Paris, 1885), « partant de ce principe que ces
bcnuiturics sont capricieuses, que l'extirpation ne provoque pas d'écoulement
sanguin en proportion avec les hémorrhagies spontanées, il faut chercher comme
clément palhogénique un processus qui présente les mêmes variations brusques,
les mêmes effets violents et rapides, les mêmes atténuations subites ». Or,
comment ne point rapprocher ces hématuries des néoplasiques, avec leurs
caprices, leurs soudainetés, leurs fugacités, des phénomènes congestifs si mobiles
en leurs manifestations, si irréguliers en leurs causes, si variables en leurs
troubles dynamiques?
Comment ne point opposer à ces hémorrhagies spontanées abondantes des
néoplasmes vésicaux ce fait qu'on peut les gratter et les extirper à sec sans
perte sanglante? Comment ne point rappeler qu'une sonde à demeure supprime
ces hématuries, alors que ce contact devrait aggraver ces accidents, s'il s'agissait
d' hémorrhagies mécaniques? Comment ne point citer les faits nécropsiques
démontrant l'existence do cet état congcstif? (Observations de Féré.) Comment ne
pas mentionner que dans certains cas le mécanisme de la congestion réflexe est
indéniable (hématuiie après un cathétérisme, après un travail vésical exagéré)?
Gomme le dit Tuffier, « la vessie est un organe essentiellement congestif, et
par son anatomie, et par sa physiologie : sa congestion est son mode de réaction
le plus fréquent : dès lors, la présence d'un néoplasme doit être pour l'organe
une cause excitatrice incessante. Il se fait sous cette influence une vaso-dilatation
du côté de la vessie : d'où ruptures consécutives des vaisseaux friables du néo-
plasme ». Ce qui fiivorise, en effet, ces ruptures hémorrhagiques, ce sont les
conditions de structure et de fragilité vasculaire des tissus néoplasiques
{voy. Vessie).
Hématurie dans la tuberculose vésicale. Un malade de vingt à quarante ans,
jusqu'alors bien portant, a pissé du sang en plus ou moins grande quantité, et
cela sans douleur, sans cause locale plausible. Puis, soit que cette miction san-
glante demeure isolée, soit qu'elle se reproduise par répétitions, le col vésical
se contracture spasmodiquement; les envies d'uriner deviennent de plus en plus
fréquentes et impérieuses; les mictions sont douloureuses au commencement et
à la fin, le repos ne les calme pohit; le malade expulse à grand'peine de sa
vessie quelques gouttes d'urine, laissant au fond du vase un dépôt purulent
à stries sanglantes, et par intervalles rend abondamment une urine, tantôt
claire, presque normale (urine nerveuse), tantôt trouble et colorée (urine des
affections pi-ofondes du rein). On explore l'urèthre, une blennorrhée existe dans
HEMATURIE. 95
sa partie profonde; on examine la vessie, elle est petite ou dilate'e; le col est
douloureux, le bas-fond induré ; les épididymes souvent sont hypertrophiés et
noueux; la palpation de la région rénale est douloureuse et la prostate se
montre bosselée.
Tel est le tableau symptomatique résumé d'une hématurie dans la tubercu-
lose vésicale : ici encore le rôle de la congestion est manifeste et prépondérant.
C'est un parallèle partout re]»roduit que celui qui rapproche de la tuberculose
pulmonaire la cystite tuberculeuse. Sans forcer les analogies cliniques, on peut
voir dans les hémoptysies initiales le symptôme correspondant aux hématuries
prémonitoires : l'expectoration bacillaire devient l'analogue de la pyurie bacil-
laire; aux élancements douloureux périnéo-péniens répondent les points névral-
giques intercostaux et les quintes de toux douloureuses. Ce rapprochement est
légitime; c'est que dans la plithisie vésicale comme dans la tuberculose du
poumon les phénomènes congestifs ont un rôle considérable. De même, en effet,
que la tuberculose traduit l'envahissement pulmonaire à son début par d'abon-
dants crachements de sang, de même l'hématurie, véritable hémoptysie vésicale,
est un symptôme précoce de la cystite tuberculeuse. Dans les deux cas, l'hé-
morrhagie n'est point le fait de la lésion destructive, de la fonte caséeuse de
l'organe tuberculisé; deux arguments le prouvent : l'abondance de la perte
hémorrhagique, alors que les altérations sont encore peu étendues, et son atté-
nuation à mesure que les lésions s'aggravent. C'est donc la congestion prétuber-
culeuse qui constitue le facteur pathogénique dominant de ces hématuries.
Voici, en effet, un malade, dont les lésions tuberculeuses n'ont encore provoqué
aucun travail ulcéreux, aucune induration vésicale notable. Cependant les dou-
leurs vésicales deviennent violentes et répétées; les hématuries sont abondantes,
capricieuses. Chez ce malade, qu'on place une sonde à demeure; si les mictions
douloureuse s et sanglantes persistent et légitiment une intervention décisive,
qu'on pratique la boutonnière périnéale de Thompson ou mieux la taille hypo-
gastrique : ûès qu'on a suprimé l'activité contractile du muscle vésical, dès que
le réservoir urinaire est mis au repos, la congestion disparaît et l'hématurie
douloureuse se dissipe. C'est un résultat thérapeutique remarquable que nous
avons pu constater dans le service de M. Guyon : dès que la vessie fermée revient
à sa besogne de réservoir contractile, l'hyperémie réapparaît, et avec elle l'hé-
maturie. Ces hématuries congestives de la cystite bacillaire sont d'ailleurs aidées
par toutes les conditions qui hyperémient la vessie : c'est ainsi que les retenues
d'urine, le décubitus, le flux menstruel, peuvent exagérer cette réplétion vascu-
laire des plexus vésicaux et provoquer les mictions sanglantes.
Cancer du rein. Dans le cancer du rein, les hématuries sont fréquentes.
Elles apparaissent dans les proportions de 51/59 (Roberts), 24/50 (Ebstein). Dans
ces cas, l'hématurie a pour principal caractère d'être intermittente. Elle se
montre sans cause appréciable, à des intervalles irréguliers de quelques jours à
quelques semaines. Cette hématurie ne se présente pas toujours avec les mêmes
particularités : \° Dans les cas de Roberts, l'hématurie existe au début, dure
quelques semaines, puis cesse tout à coup pour ne plus repai'aître. Parfois le sang
disparaît subitement quand l'uretère est obstrué par des caillots ou quand il est
comprimé par la masse cancéreuse. En général, suivant M. Lancereaux, l'héma-
turie se fait remarquer par sa persistance dans les premiers temps du mal;
2° quelquefois l'hématurie ne se produit qu'à la fin, bien après la tumeur can-
ce'reuse. Dans le fait de Townsend, l'hématurie n'eut lieu que quelques joui's
U HÉMATURIE.
avant la mort. Parfois ce n'est qu'à la suite d'un traumatisme que l'écoulement
survient; c'est ce qui arriva dans le cas de Brinton dans lequel on trouva à l'au-
topsie un cancer du rein qui ne s'était révélé par aucune autre manifestation.
Tantôt l'hématurie est pour ainsi dire excessive, elle est alors suivie d'un état
général des plus graves; tantôt le sang n'est reconnaissable qu'au microscope.
Mais le plus souvent le sang colore assez fortement l'urine qui contient des
cylindres parsemés de globules sanguins. On observe quelquefois des cellules
provenant du néoplasme (Moore). L'urine renferme aussi des caillots qui sont
vermifovmes lorsqu'ils ont été pour ainsi dire moulés dans les uretères.
Tuberculose rénale. Dans la dégénérescence caaéeuse des bassinets et des
reins, l'urine présente ordinairement les caractères de la pyélite avec hémor-
rhagie. Le sédiment est abondant et l'examen microscopique y fait découvrir des
globules rouges, des globules de pus, des détritus caséeux, des cellules épithé-
liales provenant du revêtement des voies urinaires, quelquefois aussi des fibres
élastiques et des fragments de tissu conjonctif. D'après Lebert et Vogel la pré-
sence au milieu de ces détritus de masses caséeuses insolubles dans l'acide acé-
tique devient caractéristique. Souvent aussi l'hématurie est transitoire et ne se
montre qu'au début. Le plus souvent, il n'existe dans l'urine que de légères
stries sanguinolentes. Mais ces modilications des urines appartiennent le plus
souvent à la [tyélite purulente et ne caractérisent que médiocrement la tubercu-
lose rénale dont le diagnostic sera corroboré par les anamnestiques et l'examea
général du malade.
Diagnostic difféiientiel. Une urine sanglante étant donnée, une double
question se pose : Quelle est la nature de la lésion ? Quel en est le siège ? Voilà le
problème diagnostique : quels seront, en cette enquête clinique, nos éléments d'in-
formation, quels renseignements utiles pourront nous être fournis par les moyens
habituels d'investigation : interrogatoire méthodique et clair du malade, examen
des sécrétions, observation clinique, exploration manuelle et instrumentale?
Examen des urines. Prenons, par exemple, comme premier élément d'en-
quête, Vexamendes urines sanglantes : nous avons déjà vu que nous n'y trou-
verons point de renseignement diagnostique bien précis. A part les dépôts puru-
lents, mélangés de sang, caractéristiques de la cystite, dont nous avons longue-
ment étudiés la valeur séméiologique, où trouverons-nous, au simple examen,
un élément de diagnostic décisif? Sera-ce dans la coloration, aux teintes som-
bres dans l'hémorrhagie rénale, aux nuances rutilantes dans les hématuries
d'origine moins éloignée? Mais nous avons démontré quelles réserves il conve-
nait de faire sur la valeur symplomatique de la nuance des urines brunes.
— Sera-ce dans la forme des caillots ? Mais ils sont polymorphes et le plus souvent
indistincts. — Sera-ce dans l'examen microscopique de débris néoplasiques?
C'est possible, mais cela est rare. Cependant Thompson insiste sur cet examen
des dépôts urinaires qui peuvent contenir des débris organiques, véritables
épaves détachées de la tumeur; de Volkmann put, à l'examen de fragments
néoplasiques, diagnostiquer un myome vésical. Ce n'est que la constatation, au
microscope, de la présence d'épithélium rénal, ou mieux encore de cylindres
protéiques, qui serait un exact renseignement et deviendrait un indice indéniable
dans le cas d'une néphrite existante. On peut enfin, comme l'a conseillé Reli-
quet (Société de médecine, novembre 1885), être mis sur la voie d'une affection
des reins par l'analyse des urines et la constatation de la diminution de l'urée,
indice de l'insuffisance rénale.
HÉMATURIE. 95
Examen des conditions productrices et de Vallure clinique. Si l'examen
des mictions sanglantes est peu instructif, il n'en est pas de même de la déter-
mination de leurs conditions productrices. Y a-t-il eu traumatisme antérieur?
Gela devient un élément précieux d'enquête : éliminons, dès l'abord, les contu-
sions dorso-lombaires violentes, les atteintes traumatiques graves du rein, de la
vessie, de l'urèthre ; rien de plus simple alors que d'établir le lien entre l'bé-
maturie et sa cause. Faisons aussi des réserves sur la part étiologique prépon-
dérante que le malade est toujours disposé à accorder aux causes traumatiques;
tel cancéreux attribuera ses troubles vésicaux à un traumatisme trop ancien
pour être coupable : il faut donc suspecter toute bématurie non immédiatement
consécutive au traumatisme, sans rapport avec lui et sans régularité.
Ces cas éliminés et ces réserves faites, voici une de ces actions traumatiques
souvent incriminées par les malades (fatigues, secousses, mouvements exagérés),
qui est suivie d'une bématurie; le repos la supprime; l'indication diagnos-
tique est ici précise ; ce malade est calculeux, et l'exploration vésicale vous le
démontre.
Les mêmes traumatismes provoquent le pissemcnt de sang dans le cas de
lithiase rénale : ici, des éléments auxiliaires du diagnostic interviennent; les
crises de coliques néphrétiques à irradiations douloureuses voisines, la sensi-
bilité lombaire, les complications possibles des concrétions rénales (hydro-
néphrose et pyélo-néphrite) sont des détails symptomatiques utiles à rappeler.
Quelle différence clinique entre cette hématurie du calculeux que le repos
suspend et ces pissements sanguins irréguliers, spontanés, abondants, que le
repos ne modifie point, que le décubitus même prolongé est impuissant à arrê-
ter! Aux hématuries de ce type répondent des affections diverses; on peut
les observer dans les différentes formes de la cystite; on les observe surtout
dans les néoplasmes et dans la tuberculose de la vessie. Dans les hématuries
par cystite chronique, les douleurs et le trouble des urines ont précédé le pisse-
ment de sang ; elles sont spontanées et à répétition comme les hémorrhagies des
tumeurs, mais elle ne sont pas aussi prolongées et sont rarement indolentes.
Leur marche, leur abondance très-variable qui en fait tantôt de véritables héma-
turies, tantôt de simples stries sanglantes dans l'urine; l'efficacité d'un traite-
ment convenable qui reste au contraire sans action sur les hématuries sympto-
matiques de la tuberculose ou des néoplasmes de la vessie : voilà autant
d'éléments utilisables pour un diagnoctic différentiel.
C'est entre l'hématurie des néoplasiques et celle des tuberculeux que des
difficultés de diagnostic peuvent se poser et se discuter. Toutes deux indiffé-
rentes à l'influence du repos, elles sont toutes deux capricieuses, persistantes
et spontanées ; cette spontanéité est un signe commun, et sur ce point, néopla-
sie cancéreuse et néoplasie bacillaire se touchent. Il est aussi un caractère
commun qui les rapproche : la quantité de sang ne demeure point égale pen-
dant le cours d'une même miction; claire ou à peine teintée au début de
l'expulsion, l'urine se fonce en couleur, à mesure ({ue par la déplétion vési-
cale la pression intérieure diminue; l'épreuve de la miction en des verres
successifs est démonstrative, chez le tuberculeux, comme chez le néoplasique.
Mais la marche de l'hématurie les différencie, dans les deux cas : alors que,
dans les néoplasmes de la vessie, les hémorrhagies vont en se rapprochant
et en augmentant (rarement elles disparaissent spontanément sans laisser de
traces), celles de la cystite tuberculeuse N'ont ordinairement en s'atténuant.
96 HEMATURIE.
quoique l'affection progresse et s'aggrave ; alors que les premières peuvent durer
plusieurs années sans s'accompagner de cystite, et qu'après que l'hématurie a
cessé les urines reprennent leur aspect normal jusqu'à une nouvelle crise héma-
turique, au contraire on voit les tuberculeux vésicaux présenter bientôt des
urines troubles et le douloureux cortège de la cystite. Rappelons que la limpi-
dité des urines contribua ù consolider, dans l'esprit de M. Bazy, l'opinion que
son malade avait, non pas de la cystite, mais une tumeur vésicale; à la lin,
toutefois, les urines des néoplasiques se troublent, deviennent épaisses, flocon-
neuses, boueuses, et peuvent surtout dans les tumeurs malignes présenter une
odeur infecte de macération analomique. Ajoutons que les pissements des
tuberculeux sont peu sanglants (bien que l'hématurie prémonitoire soit quel-
quefois abondante), qu'au contraire les cancéreux urinent beaucoup de sang;
ajoutons aussi les plus grands intervalles qui séparent, du moins au début, les
apparitions de l'hématurie chez les néoplasiques; joignons-y l'époque d'appari-
tion de la maladie (les néoplasmes se montrent dans le jeune âge et dans la
vieillesse, la tuberculose chez les adultes), et nous aurons complété la mention
de ces symptômes distinctifs fournis par l'étude de la marche des symptômes.
Seuls les néoplasmes du rein peuvent donner lieu ù des hématuries de même
allure clinique (jue les mictions sanglantes qui accompagnent les tumeurs vési-
cales : l'existence de crises douloureuses analogues aux coliques néphrétiques;
la moindre durée des hématuries; les plus longs intermèdes entre leurs appari-
tions; l'examen de la région rénale, la constatation d'unvariuocèle symptomatique
d'une tumeur ri'nale, seront des ressources utilisables de diagnostic différentiel.
Quant à faire le diagnostic histologique du néoplasme vésical, c'est une difficulté
de clinique qu'on ne peut résoudre qu'avec les renseignements habituels : étude
de fragments du néoplasme (naturellement expulsés ou chirurgicalement extir-
pés) ; étude de l'état général du malade et de la marche de l'affection (durée
indéterminée du fongus bénin; accalmies complètes et souvent prolongées). De
l'hématurie, on ne peut rien conclure, puisque les tumeurs vésicales bénignes
saignent plus que les néoplasmes histologiquement malins.
Le repos et le décubitus prolongé qui, nous l'avons vu, suppriment l'hématurie
des calculeux et demeurent sans influence notable sur les mictions sanglantes
des néoplasiques et des tuberculeux, vont devenir chez certains malades un
facteur étiologique important; et cette influence étiologique est un précieux
renseignement de diagnostic. Voici un homme déjà avancé en âge, dont nous
avons plus longuement retracé l'histoire clinique, qui se plaint d'une fréquence
nocturne de la miction, surtout accentuée pendant la deuxième moitié de la
nuit, d'érections douloureuses, d'impuissance et de chute du jet urinaire, et qui
devient incapable de vider sa vessie; vienne une cause de stase vésico-protas-
tique : la rétention apparaît, et l'hématurie se montre à la première évacuation
vésicale. Ici l'image chnique est bien distincte : il s'agit d'une hématurie chez
un prostatique.
La fréquence et la durée des hématuries peuvent-elles fournir au diagnostic
des renseignements importants? Ainsi que le dit M. Guyon, leur fréquence n"a
de -valeur symptomatique réelle que si la réapparition du sang est indépendante
de toute cause appréciable. Le renouvellement des accès, lorsqu'il n'est pas pro-
voqué, est un indice grave qui permet de penser à une lésion organique, telle
que le fongus, le tubercule ou le cancer. La persistance de l'hématurie suffit
pour faire soupçonner la présence d'une tumeur du réservoir urinaire.
HÉMATURIE. 97
Symptômes généraux concomitants. L'hématurie se présente parfois, comme
un simple détail symptoaiatii|ue, dans une affeclion dont le diagnostic s'impose:
ainsi, les hématuries du scorhut et du purpura ; les hématuries des lièvres
éruptives et des maladies infectieuses. L'hématurie n'est plus alors qu'un sym-
ptôme surajouté : tout l'intérêt clinique se reporte sur l'affection primitive.
Examen objectif du malade. Restent enfin, comme procédés d'investiga-
tion clinique, l'examen local et l'exploration des voies urinaires, qui seuls
peuvent prononcer en certains cas d'indécision diagnostique. L'exploration de
la région lombaire, la constatation précise de la douleur rénale provoquée, vien-
dront confirmer un diagnostic d'hématurie rénale. Si l'on hésite entre une
tuberculose et un néoplasme de la vessie, le palper hypogastriqne combiné au
toucher rectal pourra ajouter une notion décisive ; au lieu de l'épaississement
et de l'hypertrophie de la vessie tuberculeuse développée en une tumeur ovoïde
rétro-pubienne, on découvrira, dans certains cas de néoplasmes viscéraux malins,
des masses morbides développées en bosselures appréciables, en reliefs mame-
lonnées, en plaques indurées : la tumeur est le plus souvent accessible à l'in-
vestigation rectale. Comme nouveaux éléments d'information, on recherchera le
retentissement néoplasique dans les ganglions iliaques; on notera les nodosités
épididymaires, les bosselures des vésicules séminales et de la prostate, qui
feront reconnaître la tuberculisation génito-urinaire.
Enfin, après avoir ainsi épuisé tous ces moyens d'enquête clinique, le cathé-
térisme explorateur sera la suprême ressource de précision diagnostique. Mais
il convient de l'employer avec indications et précautions : le passage du cathé-
ter explorateur est mal toléré par les tuberculeux^ difficilement supporté dans
les cas de fongns bénin : chez le cancéreux, il peut [uovoquer des troubles dou-
loureux de la miction, des crises longues et rebelles. II faut, à ce propos, rap-
peler les utiles préceptes de M. le professeur Guyon : « Je vous engage à ne
pas pratiquer le cathétérisme explorateur dans les cas de cancer, à moins d'in-
certitude dans le diagnostic, et d'une façon générale à n'en user qu'avec beau-
coup de discrétion lorsque vous serez en présence de malades qui ont à plu-
sieurs reprises pissé du sang, sous toute autre influence que celle des secousses,
ou des mouvements, ou des congestions actives de la cystite. » En général donc la
riche symptoraatologie des néoplasmes vésicaux doit dispenser de l'intervention
exploratrice-, toutefois, la nécessité d'un diagnostic rigoureux et d'une action
thérapeutique précisée autorisent l'infraction à cette règle.
Que dire maintenant des opérations exploratrices (dilatation des conduits
naturels et incisions vésicales), sinon qu'en France un intérêt de diagnostic
pur ne suffit point à justifier ces interventions ; elles ne deviennent légitimes
que quand elles sont un temps opératoire préliminaire, et quand elles servent
en même temps à reconnaître et à traiter l'affection productrice de l'hématurie.
Traitement. La thérapeutique de l'hématurie a bénéficié des révisions
pathogéniques et des acquisitions physiologiques nouvelles ; cette démonstration
clinique du rôle des processus congestifs en pathologie urinaire, cette notion
neuve de la sensibilité vésicale à la distension, ont éclairé et guidé l'interven-
tion thérapeutique. En même temps que s'est établie l'influence pathologique
de l'hyperémie dans les bémorrhagies de l'appareil urinaire, la symptomato-
logie des tumeurs de la vessie a été débarrassée par M. le professeur Guyon de
ses obscurités diagnostiques, et la méthode antiseptique a permis une chirurgie
plus heureusement active ; nous avons appris à diagnostiquer plus tôt et a
DTCT. ENC. 4' s. XII f. 7
98 HÉMATURIE.
traiter plus radicalement les tumeurs vésicalcs et leurs hématuries sjmpto-
maliques.
Ces remarques de thérapeutique générale une fois établies, discutons les cas
différents et les différentes ressources de traitement. Et d'abord faisons une
brève étude de thérapeutique préventive : elle est, en certains cas, de toute
importance. S'agit-il, en effet, d'un protastique démontré, comme ici la con-
gestion c'est l'ennemi, c'est à prévenir ou à combattre cet accident qu'on doit
s'appliquer. U y a toute une hygiène des voies urinaires qu'il faut observer
pour empocher la stase des plexus vésico-prostatiques : les refroidissements,
les fatigues exagérées, les excès sexuels, les retenues volontaires d'urine, sont
des menaces de congestion vésicalc. On les évitera; on prescrira une alimenta-
tion modérée, un exercice régulier, des frictions sèches; on aidera à la régula-
rité circulatoire par quelques grammes d'iodure de potassium. La constipation
engorge les 'plexus prostatiques ; on doit maintenir vide le rectum des prosta-
tiques par les laxatifs légers, par les lavements réguliers, et non par les pra-
tiques qui amènent une hypcrémie hémorrhoïdaire. Si le prostatique ne vide
plus sa vessie, si l'urine stagne dans le bas-fond, la distension vésicale, source
de congestions vésico-rénales, doit être combattue par le calhélérisme, mais non
point par une évacuation complète, en un seul coup, supprimant soudainement
la contre-pression salutaire qu'exerce la masse liquide intra-vésicale sur les
parois chroniquement distendues et hyperémiées, et provoquant une abondante
hémorrhagie exvacuo. Suivant la formule de M. Guyon, la vessie doit être vidée
progressivement, par soustractions successives, jusqu'à sa mise à sec, après
cinq à six jours de cathétérisme, et antiseptiquement, c'est-à-dire en rempla-
çant le quart du liquide enlevé par une solution boriquée à 4 pour JOO. Ces
précautions hygiéniques sont applicables à l'hémorrhagie des néoplasmes et de
la tuberculose de la vessie; les mêmes influences qui peuvent hyperémier les
voies urinaires et provoquer le raptus hémorrhagiqne doivent être évitées avec
la même attention. Chez les calculeux, ce sont les mouvements exagérés, les
secousses, les excès de fatigue, qui provoquent les crises hématuriques ; le repos
en est le traitement efficace; s'il s'agit de calcul vésical, l'action opératoire
s'impose, et l'extraction supprime le symptôme en supprimant la cause.
Supposons maintenant l'hématurie établie, et cherchons à en préciser les
indications et les ressources thérapeutiques. S'il s'agit d'une simple uré-
throrrhagie survenue au cours d'une phlegmasie ni étlirale (rupture de la corde,
par exemple), l'hémostase est aisée : la compression de l'urèthre sur une sonde
suffit à arrêter le suintement sanguin. Quand on se trouve en présence d'une
hématurie vraie, on peut, à l'exemple de Reliquef (Société de médecine, 14 novem-
bre 1885), sans s'inquiéter des origines probables du sang, courir sus à la cause la
plus fréquente de congestion des voies urinaires ; la stagnation fécale dans le
gros intestin. « J'impose toujours, dit Reliquet, le grand lavement donné matin
et soir, le malade étant couché sur le côté droit, la canule souple en gomme
introduite d'au moins 10 centimètres dans le rectum, et le liquide n'arrivant
que très-lentement dans l'intestin. J'ai vu chez plusieurs malades l'hématurie
cesser immédiatement. Je me rappellerai toujours un malade chez lequel l'accu-
mulation des matières dans l'intestin avait fait croire à un cancer de cet organe,
et dont l'hématurie cessa dès qu'on eut vidé et maintenu vide l'intestin. »
Toutes les ressources de la méthode antiphlogistique peuvent être concurera-
ment mises en oeuvre ; un grand bain chaud et prolongé, une saignée locale
HÉMATURIE. î^9
■de quinze ou vingt sangsues au perine'c, aideront à la décongestion des voies
urinaires.
Tout cela rentre dans les indications générales et les ressources thérapeutiques
communes aux diverses variétés d'hématurie; qu'on y ajoute le régime hémo-
statique (repos, température fraîclie, aliments froids) ; les prescriptions ohligées,
mais trop souvent inefficaces, d'agents plus ou moins puissants (potions tan-
niques, perchlorure de fer, ergot et injections d'ergotine, infusé de matico), et
l'on aura complété tout l'arsenal du traitement médical usuel. Et ces ressources
constituent bien souvent les seules armes contre les hémorrhagies urinaires
■dont le point de départ est en amont de la vessie : que l'épanchement sanguin
provienne d'une dégénérescence organique du rein, ou d'une irritation par un
calcul, le repos et le décubitus horizontal sont les premiers et les meilleurs
remèdes.
Quand il s'agit d'une abondante hémorrhagie vésico-prostatique, quand le?
caillots intra-vésicaux solliciteront douloureusement la contraction de la pocha
urinaire, les narcotiques seront utiles pour supprimer ce ténesmc et cesépreintes.
Les réfrigérants pourront aussi rendre service : un sachet de glace à l'hypo-
fraslre, un morceau de glace dans le rectum, sont des expédients thérapeutiques
à ne point négliger.
Ici se place un point souvent débattu de pratique chirurgicale. Dans les cas
d'hématurie avec rétention urinaire et distension vésicale, quelle doit être la
«enduite du chirurgien? On ne peut ici hxer une formule opératoire absolue,
et se déclarer partisan exclusif de l'abstention ou de l'évacuation vésicale; c'est
dans l'appréciation judicieuse des cas qu'on trouve les indications d'interven-
tion. La formation de caillots dans la vessie est de règle constante dans les cas
d'hémorrhagie rénale ou vésicale abondante, mais il est rare de voir un bou-
chon cruorique obstruer hermétiquement le col vésical ; le plus souvent le
caillot, progressivement engagé dans l'urèthre, s'effile, se segmente, s'expulse,
sans que la véritable rétention ajjparaisse (l cas sur 40 hématuriques, Guyonj.
Cet accident ne se montre guère que dans les essais de miction debout; si au
■contraire (et c'est une position instinctive que prennent les vieux hématu-
riques) le malade urine dans le décubitus dorsal, le bassin relevé de façon à
modifier l'orientation de l'axe vésical et à faire tomber dans le bas-fond le cail-
lot obturateur, la miction devient facile ; le repos et les boissons abondantes
qui dissocient les coagula complètent ce traitement exclusivement médical. Le
cathétérisme ne sera donc, en ces cas, qu'une ressource exceptionnelle; c'est
souvent d'ailleurs un moyen dangereux. La partie oculaire de la sonde s'obstrue,
en effet, plus aisément encore que le col cervical; les injections poussées pour
désencombrer ces orifices ne font qu'ajouter au trop-plein vésical et à la disten-
sion angoissante, et les caillots font soupape et retiennent le liquide injecté : si
alors on veut recourir à l'aspiration, aux évacuations forcées, on ne fait qu'aug-
menter les dangers de l'hématurie. Donc, ainsi que le prescrit Guyon, « si la
rétention d'urine est purement accidentelle et n'est que le fait de Thématuric
elle-même, n'intervenez à l'aide du cathétérisme que s'il vous est bien démontré
qu'il est impossible de s'en abstenir. » C'est aussi la règle indiquée par Thompson :
il Quant à la sonde, laissez-la décote, si vous pouvez vous en passer. Il y a des
personnes qui se font un épouvantall de l'existence d'un volumineux caillot
dans la vessie, et je sais des chirurgiens qui n'ont pas reculé devant une cysto-
tomie sus-pubienne dans le seul but d'évacuer un coagulum sanguin. Vous
100 IIKMATURIK.
aurez biea soin de laisser ce caillot Iranquille : racliun cuiiLiiiue de l'urme le
liquéfiera et l'expulsera peu à peu. »
Mais voici un cas qui réclame une conduite chirurgicale différente : l'héma-
turie est survenue chez un malade qui depuis longtemps est impuissante vider
sa vessie; l'urine sanglante ne peut être expulsée, et les coagula sanguins
encombrent le globe vésical distendu. Le cathétérisme évacuateur devient alors
obligatoire en ces cas de rétentions anciennes compliquées d'hématurie, mais
c est très-souvent une difliculté que de déblayer le réservoir urinc^ire. Le cathé-
ter est introduit, rien n'est expulsé. Les injections pénètrent dans la vessie,
mais les caillots qui obstruent la partie oculaire de l'instrument les retiennent.
Ln ces dillicullés d'évacuation, on essaiera, quchiuefois avec succès, une grosse
sonde, 22 à 24, à grands yeux; on aura soin de sonder le malade couché; on
clierchora à déplacer les caillots par une })vession hyi>ogastrique, en faisant faire
au malade quelques effets de toux ou d'expulsion modérée. Si ces subterfuges
sont ineflicaces, il faudra recourir à l'aspiration avec une seringue à hydrocèle
ou une pompe stomacale; il faudra as])irer à petits coups, courts et brusques,
plutôt pour dé[)lacer les caillots que pour obtenir par une évacuation forcée
l'expulsion violente des caillots cruoriques.
Ce n'est qu'après ces premiers et indispensables résultats que des lavages
antisepli<pies peuvent compléter le nettoyage vésical, et qu'on peut utiliser les
injections astringentes : ces dernières, en effet, ])oussées en pleine crise héma-
turique, agissent beaucoup plus sur le liquide épanché que sur les parois du
réservoir vésical; leur effet, très- malencontreux, est la coagulation du sang et
la formation de caillots durs, difficiles à dissocier et à expulser. Les injections
hémostatiques ne sont utilement poussées qu'au déclin des hématuries et après
évacuation vésicale.
Les progrès dans l'étude clinique des néoplasmes vésicaux (tumeurs et tuber-
cules), les notions nouvelles sur le procédé pathogénique de leurs complications
liématuriques, ont eu, comme résultat, de diriger l'action thérapeutique et d'en
préciser les ressources. Puisque l'hémorrhagie des néoplasmes et des tubercules
vésicaux est d'origine congestive, c'est cette congestion qu'il faut combattre :
or c'est une cause puissante d hyperémie pour le réservoir vésical que sa
besogne de contraction ; le meilleur moyen de le décongestionner, c'est de le
placer au repos. Lors donc que les ressources médicales et les précautions
hygiéniques, plus haut énoncées, se seront montrées impuissantes contre l'hy-
perémie vésicale; lorsque les hématuries, persistantes et abondantes, menaceront
la vie du malade, on pourra se résoudre à cette intervention soit par la bou-
tonnière périnéale de Thompson, soit plutôt par la cystotomie sus-pubienne,
dont nous avons pu constater les heureux résultats dans le service de M. le pro-
fesseur Guyon ; on transformera la vessie, de réservoir contractile exposé à la
fatigue, à la distension et à l'hyperémie, en un simple conduit inerte. Nous
n'avons point à exposer ici les procédés opératoires ni les indications d'opérations :
tous ces détails sont entrés dans la pratique chirurgicale commune. Quand il
s'agit d'une tumeur polypiforrae, bien circonscrite, facilement accessible, histo-
logiquement bénigne, l'incision hypogastrique permet l'extirpation radicale et
la guérison complète; lorsque c'est une masse néoplasique, à Lirge base étalée
et infiltrée, dont on ne peut racler que la superficie, même en l'absence d'une
éradication complète, le résultat est remarquable; la mise en non-activité (qu'on
nous passe le mot) de la vessie supprime les hémorrhagies abondantes, les
HÉMATURIE. lOi
épreintes douloureuses, la dislension hyperémiante. La boutonnière périnéale
ou l'incision hypogastrique ont la même efficacité thérapeutique contre les
hématuries de la cystite bacillaire : le muscle vésical une fois mis au repos, la
congestion disparaît et l'hématurie se supprime. Forgde et Boinet.
néiMATURiE EXDÉMIQL'E DES PAYS CHAUDS. Que faut-il entendre,
actuellement, par ce terme général, hématurie endémique des pays chauds ?
Jusqu'ici, on a toujours englobé sous cette dénomination Vhématurie dite
d'Egypte, du. Cap, etc., qui reconnaît pour cause indiscutée le distome de Bil-
harz, et Vhémato-chylurie, confondant ainsi dans une même description deux
maladies aussi distinctes par leur étiologie que par leurs caractères cliniques.
Un seul symptôme, pourtant, leur est commun, le pissement de sang, et encore
semble-t-il manquer parfois dans la chylurie proprement dite, car il est des
urines qui présentent d'emblée une apparence purement chyleuse, mais par
ailleurs rien ne justifie ce rapprochement: la cause essentielle probable (le
parasite), les troubles morbides, l'anatomie pathologique, le pronostic surtout,
le traitement même, tout diffère ; la distribution géographique sert elle-même
de caractère différentiel, car on n'a encore rencontré le distome hnematobie qu'en
Afrique, et la chylurie a été vue presque partout dans les zones chaudes, Brésil,
Antilles, Inde, Chine, Océanie et Afrique également ; enfin son symptôme patho-
gnomonique, la lactescence de l'urine, est étranger à l'hématurie par Bilharzia.
Il importerait donc de mettre fin à cette confusion en dissociant à l'avenir l'histoire
des deux maladies; dès 1878, nous en avions montré la nécessité [Arch. méd.,
nov., t. XXIX), mais dans ce présent travail une description séparée exposant à
des répétitions et à des longueurs, nous avons cru devoir rattacher, chemin fai-
sant, à ïhémato-chylurie endémique proprement dite, l'étude comparative des
caractères spéciaux à la cystite vermineuse de Bilharz. L'histoire naturelle du
distome hœmatobie a été traitée aux mots Ueins, Distome, Entozoaires; elle
n'entrera pas dans le cadre de cette étude.
Hémato-chyldrie endémique des pays chauds. Maladie endémique dans les
régions tropicales et sub-tropicales, très-rare partout ailleurs, offrant comme
caractère le plus saillant l'émission d'urines sanglantes, ou lactescentes, ou
mixtes, se coagulant spontanément; le plus souvent chronique et d'une durée
variable, irrégulièrement périodique dans ses manifestations, assez rarement
grave, et susceptible de guérison spontanée, tels sont ses traits les plus généraux.
Ajoutons que les caractères anormaux de l'urine sont vraisemblablement dus à
des ruptures des capillaires lymphatiques et sanguins de l'appareil urinaire et
que la maladie, du moins dans les zones chaudes, ne représente aujourd'hui,
d'après l'opinion la plus générale, qu'une modalité d'un groupe d'états patholo-
giques assez nombreux, le plus souvent isolés, parfois simultanés ou alternant
entre eux, et toujours coexistant avec la présence d'entozoaires particuliers.
Ses synonymies répondent pour la plupart aux théories qui, tour à tour, ont
prévalu, et leur multiplicité montre combien a été jugée difficile la caractérisa-
tion nosologique de cette énigmatique maladie : Pyurie lactée (Sauvages,
Vieussens, Diemerbroeck) ; diabète laiteux duBrés'd ; pohjurie caséeuse (Alibert) ;
lacturie, galacturie, urines laiteuses, lactescentes, appellations anciennes qui
ne s'appliquent qu'aux caractères objectifs de l'urine, car sa composition ne
rappelle en rien celle du lait ; glus, de Linné, genre GXGIX ; urines chyleuses
(Klug, Requin); hutyracées (F. Martins) ; graisseuses (Pereira Rego) ; albumino-
102 HÉMATURIE.
graisseuses (Bouclmt) ; chylurie (Proiit) ; chylorrhée (Ploucquet) ; diabète chy-
leux (Imbert) ; lymphiirie, lymphorrhée rénale, bjmphorrhagie de l'appareil
nropoétique (Giibler) ; pimélurie endémique des pays chauds (Boucliardat) ;
albumino-pimélnrie (Marlins Costa, P. Guimaràes) ; hématurie tropicale, i7iter-
//•op/ca/e (Sigaud), terme impropre, caria maladie se rencontre jusqu'aux 55 degrés
latitude ; intennitlente , endémique de l'Ile de France (Ghopotin, Salesse); chy-
leuse, chyloïde (Crevaux) ; hématurie essentielle endémique (Rayer) ; hémato-hjm-
phurie (Sonsino) ; enfin, hémo-chylurie, ou mieux hémato-chylurie de Prout et
des Brésiliens, dernier terme ^*<> l'usage a consacré. Il exprime la coexistence
des deux symptômes objectifs fondamentaux, la présence du sang dans l'urine
et l'apparence cbyleuse de celle-ci; nous l'adoptons, quoiqu'il soit aussi possible
de quelques critiques: il y a bien, en effet, pissenient de sang, hématurie vraie,
avec contraction de la vessie et présence constante d'hématies dans l'urine, mais
le terme complémentaire chylurie, pissement de chyle, est discutable en ce qu'il
implique trop rigoureusement l'idée du passage du chyle dans les voies urinaircs,
fait probable, il est vrai, et considéré comme réel par quelques-uns (Beale,
V. Percira, Manson, etc.), mais dont l'anatomie pathologique n'a pas encore
fourni la preuve certaine. 11 ne faut donc l'entendre que sous la réserve d'une
certaine restriction dans son sens étymologique ; jusqu'à plus ample imformé,
il doit désigner, non un pissement de chyle proprement dit, mais l'émission
dune urine qui rappelle jusqu'à un certain point l'aspect du chyle et en con-
tient les éléments principaux, des globules, de l'albumine et de la graisse. Du
reste, ce mot chylurie a pris droit de domicile dans le langage médical depuis
Prout (1818) ; il est court, euphonique, expressif, et à ces divers titres il mérite
d'être conservé. L'hématurie par Bilharzia porte généralement le nom d'héma-
turie d'Egypte, du Cap, de l'Ile de France, etc.
Étiologie. La découverte d'entozoaires embryonnaires dans l'urine et dans
le sang des chyluriques, et plus tard de progéniteurs, en divers pays d'endémie,
Australie, Chine, Inde et Brésil, a été le point de départ d'une théorie pathogé-
nique qui sera exposée plus loin ; mais en dehors de cette cause, essentielle pour
la plupart, hypothétique pour d'autres, on a invoqué des causes prédisposantes
ou occasionnelles dont le rôle et la valeur sont diversement appréciés.
A. Causes somatiques. La maladie frappe tous les âges, de la première
enfance à la vieillesse, mais dans une proportion très-inégale.
Pour les Brésiliens, le sexe féminin y prédispose, du moins dans leur pays;
les comptes rendus de l'Académie de médecine de Rio (1835-1856), les statis-
tiques de S. Lima, 10 femmes sur 18 cas; d'A. Couto, 4 sur 6; de J. da Silva,
40 sur 65 cas, etc., semblaient avoir établi ce fait d'une façon indiscutable. Ce
rapport a été contesté par J. de Moura (1877) qui, sur un total de 99 faits, est
arrivé à une proportion inverse, 47 femmes et 52 hommes ; Claudio de Lima a
relevé 15 hommes et 11 femmes et C. Rebello signale, sur 90 bématuriques,
55 hommes, 52 femmes, 5 inconnus. Cassien, qui à la Réunion n'a trouvé que
2 femmes sur 12 sujets, en a conclu aussi à l'influence prépondérante du sexe
masculin; Torres-Ilomem, à Rio, ne comptait, en 1877, que des hommes dans sa
pratique. D'un autre côté, Clarac dit que la maladie à la Martinique paraît
incomparablement plus fréquente chez la femme. Les opinions ne sont pas moins
divergentes au sujet de l'hématurie d'Egypte qui, selon Bilharz, s'adresserait
moins souvent au sexe féminin, mais pour Sonsino c'est une erreur attri-
buable à l'absence de femmes dans les hôpitaux du Caire, et il croit que la
HÉMATURIE. 10')
Bilharzia s'attaque indifféremment aux deux sexes. C'est donc une question îi
revoir.
Quelle est l'influence du rôle physiologique dévolu à la femme? Existe-t-il
une relation entre ses fonctions génésiques et les manifestations de la maladie?
Peu de renseignements précis à cet égard ; la plupart nous viennent des méde-
cins brésiliens. L'état de gestation ne serait pas sans action, paraît-il, sur l'ex-
plosion et la marche des accès chyleux.
La race ne crée pas d'immunité: si aux Mascareignes et au Brésil les Créoles
sont surtout prédisposés (15 Brésiliens sur 18 cas, S. Lima, A. da Luz, Azéma),
les Européens qui font un long séjour dans ces pays contractent aussi des héma-
turies continues, simples ou mixtes.
B. Causes cosmiques. Domaine géographique. La coexistence d'ento-
zoaires identiques dans la chylurie et dans quelques autres maladies plus spé-
cialement propres aux pays chauds également soulève de telles présomptions de
communauté étiologique qu'il y aurait lieu, aujourd'hui, d'étudier de front la
distribution géographique de ces affections. Ce serait surcharger ce travail, et
nous renverrons à l'article Éléphantiasis, en nous bornant à signaler ici cette
corrélation fréijuente sur laquelle nous reviendrons plus loin.
La chylurie ne se rencontre guère que dans les pays à température moyenne
élevée ; on ne connaît qu'un assez petit nombre de faits plus ou moins authen-
tiques d'urines lactescentes chez des sujets n'ayant jamais quitté l'Europe.
Asie. Les Anglais ont signalé la chylurie à Bombay (Carter, Makuna), à
Calcutta (Lewis), à Amoï (Chine, P. Manson), dans l'empire de Siam ; Crevaux
mentionne un cas observé à Saigon. Baelz et Rémy, parmi les parasites des
japonais, indiquent la filaria sanguinis hominis (1885) ; la maladie filarienne,
d'après Scheube, au Japon, est presque exclusivement limitée à Kiu-Siu, la plus
méridionale des quatre grandes îles, et aux ilôts voisins, Goto, Hirado-Shima,
Amakusa, etc. ; elle serait fort rare et non indigène sur Nippon et inconnue dans
Yeso. Van Leent ne s'est jamais trouvé en présence de l'hématurie endémique
dans les possessions néerlandaises de la Malaisie durant un séjour de dix ans, et les
médecins du pays n'en voient jamais ; il croit qu'elle n'existe ni à Batavia, ni dans
les îles de la Sonde ; pourtant Bouchardat a traité, à Paris, un sujet atteint
d'urines chyleuses contractées à Java.
Afrique septentrionale. Les pissements de sang par cystite vermineuse de
Bilharz sont d'une extrême fréquence en Egypte et en Nubie, chez les Fellahs
et les Coptes, d'après Renault, Bilharz, Griesinger, A. Reyer, Sonsino, Zancarol,
Mackie, etc. Fouquet, du Caire (1884), dit que les Européens sont moins atteints
que les Arabes. L'hématurie chyleuse s'y rencontre également (Lombard, Son-
sino, Fayrer), mais moins fréquente qu'au Brésil et dans l'Inde; les seuls ren-
seignements que l'on possède sur sa fréquence relative dans ces pays ont été
fournis par Pr. Sonsino qui, sur 10 cas d'infection filarienne, en a compté 5 avec
lymphurie (1882). Leared dit l'hématurie fréquente en Algérie et au Maroc;
Cauvet a également retrouvé à Alger les caractères de l'endémie tropicale, sauf la
lactescence.
Afrique orientale. On rencontre à Madagascar l'hématurie pure ou chyleuse ;
Grenet, qui dit la première fréquente à Mayotte, n'en a pourtant relevé que 9 cas
dans l'espace de quatre années passées sur l'ilôt de Dzaoudzi et chez des enfants
mozambiques ; nous n'en avons pas vu un seul pendant une année de séjour dans
cette même colonie; elle y est, croyons-nous, moins commune qu'on ne l'a dit.
lui HEMATURIE.
Deblenne cite 2 observalions à Nossi-Bé. Citer Maurice et la Réunion, c'est rap
peler la patrie classique de l'endéniie; les premières observations nous sont
\enues des Mascareignes ; en 1812, CbapoUn voyait des pissements de sang chez
tous les enfants de l'île de France, mais il ne cite que 4 cas d'urines chyleuses.
Au dire de Salesse (1834) les trois quarts des enfants de Maurice sont atteints
d'hématurie, mais il ne parle pas du caractère graisseux de l'urine ;à la Réunion,
les enfants sont quelquefois atteints, mais dans une proportion bien moindre que
ne l'indique le médecin de Maurice (Cassien) ; les médecins de la marine sont
unanimes à reconnaître que la maladie y est assez rare. Cependant Nativel (1886)
affirme qu'à Bourbon les cas de chylurie sont tellement nombreux qu'un tiers
seulement de la population est épargné (?).
Afrique occidentale et centrale. Griffon du Bellay, seul, signale un cas de
chylurie chez un laplot, au Gabon [Arcli. méd., nov., t. 1); c'est à la Cùle-d'Or
qu'on a plus spécialement rencontré le craw-craw (O'Neill).
Amérique seidentrioncde. La Nouvelle-Orléans, Vera-Gruz, possèdent l'hémato-
chylurie (Juvenof), qui a peut-être été observée aussi dans la Caroline du Sud.
« L'urine est quelquefois pàlo comme du lait et de l'eau, spécialement pendant
les chaleurs de l'clc et chez les petits garçons au-dessous de sept ans; on pense
que cet état indique la présence de vers » (L. Clialmers, cité par Rayer). On cite
.un cas provenant des Rermudes ; elle n'a pas été signalée dans le Centre-Amérique.
Antilles. Beale à Cuba, Debout à Port-au-Prince, Thomas à la Barbade,
mentionnent de nombreux cas de chylurie ; Rufs de Lavison affirme que l'héma-
turie, telle qu'elle est décrite pour les îles Mauiice et Bourbon, n'existe pas à la
Martinique ; il signale pourtant 5 cas d'urines blanchâtres dites chyleuses, dont
2 chez des Nègres ; Saint-Val cite un fait dans la même île ; nous pouvons certi-
fier, d'après des renseignements dignes de confiance, que la chyluiie n'y est pas
une maladie rare et qu'elle y est assez souvent observée depuis que l'attention
a été appelée sur ce sujet. A la Guadeloupe, dit Crevaux, elle est considérée
comme une curiosité pathologique ; pourtant, Venturini en a observé 2 cas en
1878. Bence Jones l'a vue chez un Anglais ayant passé la majeure partie de sa
vie à la Havane.
Amérique méridionale. Puerto-Cabello et la Guayra (Juvenot) ; Guyane
anglaise (Bouyum et Hillis); semble beaucoup plus rare à la Guyane française où
Dupont n'a observé que 5 cas en sept ans. Yan Leent n'en fait pas mention dans
la pathologie de la Guyane néerlandaise. C'est au Brésil que la maladie a été le
mieux étudiée (diabète laiteux du Brésil), mais on y a exagéré sa fréquence.
Nous croyons avec Souza Lima, J. de Moura, et d'après les chiffres fournis par
les médecins brésiliens, qu'elle est moins commune à Rio et à Bahia qu'on ne
le suppose, et on peut en dire autant du Brésil en général. Parmi une clientèle
étendue, S. Lima, à Bahia, n'avait enregistré en 1876 que 18 cas; Wucherer,
en cinq ou six ans, n'a pu réunir que 28 observations appartenant à divers méde-
xins ; A. Couto n'apporte qu'un faible contingent ; à Rio-de-Janeiro, Torres-
Horaem ne mentionne que 12 cas dans sa pratique (1877) ; Joâo et José Silva,
14 observations, etc. Les médecins brésiliens, loin d'être a appelés chaque jour
à traiter la maladie » (Juvenot), la considèrent comme relativement rare. Nous
avons séjourné trois ans sur les côtes du Brésil sans la rencontrer dans nos équi-
pages, et les rapports des médecins de la marine sur ces mêmes campagnes n'en
font aucune mention. Juvenot dit qu'elle existe à l'embouchure des Amazones ;
elle ne doit pas y être commune ; C. du Rocha n'en a jamais trouvé un seul
HÉMATURIE. 105
exemple sur plus de 1000 malades et durant un assez long séjour dans le fleuve ;
F. S. Castro l'a pourtant rencontrée au Para ; on la voit aussi à Maranhâo. Pour
ce qui est de l'inténeur, Noranha Gonzaga, d'après W. Lee, médecin anglais à
S. Joâo d'Ël-Rei, a signalé dans la province de Minas une grande fréquence de la
maladie et sa prédilection pour les âges de quarante, cinquante ans, et pour la
vieillesse. Ces faits ont été contestés par Felicio dos Santos qui, pendant dix ans
de pratique médicale dans le nord de la province, n'a jamais observé un cas de
chylurie; Er. Ottoni, après plusieurs années de séjour dans ces mêmes régions,
affirme ne pas l'avoir trouvée plus fréquente qu'à Rio et sans prédilection marquée
pour l'âge avancé (C. liebello). A. da Luz nous a communiqué 4 observations
provenant de Valença. Peu de renseignements sur les provinces méridionales ; la
maladie serait assez commune à Santos (llavelburg), inconnue ou fort rare à
Sainte-Catherine et dans la colonie d'itajahy (Martins Mendes). J. de Moura, qui
accuse la race africaine d'avoir importé au Brésil les Boubas, la lèpi'e grecque,
l'aïnhum, l'hypohémie interlropicale et d'autres maladies encore, se demande si
la chylurie est réellement une espèce uosologique engendrée dans le pays sous
l'influence des conditions climatologiques du milieu, ou si elle est aussi le fait
de l'importation, comme le dragonneau peut-être; question que les documents
brésiliens sont pour le moment impuissanls à résoudre.
D'après Juvenot, l'hématurie simple ou cliyleuse existerait sur les deux rives
de la Plata et des grands fleuves qui s'y déversent. Nous avons passé, à plusieurs
reprises, de longs mois sur rade de Montevideo, visité l'hôpital français, et n'y
avons jamais vu la maladie ; elle doit être au moins fort mre dans le bassin de
la Plata. P. Guimaràes ne l'a jamais rencontrée à Montevideo, Buenos-Ayres,
Corrientes, Bella-Vista, Rosario, etc., et sur les rives de la Plata et de ses affluents
on a vu seulement des hématuries ordinaires. C'est aussi sur des témoignages
très-vagues que Juvenot en a signalé l'existence sur les côtes du Chili et du Pérou.
Océanie. Jusqu'en 1877, la chylurie n'avait encore été constatée qu'en
Australie (Queens'land) par Bancroft ; mais cette même année Chassaniol et
Guyot observaient à Taïti un cas des mieux caractérisés, chez un Européen habi-
tant le pays depuis trente ans, et retrouvaient le ver de Wucherer avec tous ses
caractères. Loupy l'a rencontrée en Nouvelle-Calédonie chez un indigène des
Nouvelles-Hébrides (Nielly, Path. exotique).
L'hématurie par Bilharzia possède un domaine géographique beaucoup plus
restreint, car jusqu'ici on n'a rencontré le dislome hœmatobie que sur le con-
tinent africain, quelques îles avoisinantes, et peut-être le long de la côte arabe de
la mer Rouge. Elle abonde en Egypte; sur 500 enfants de l'école de Tantah
examinés en 1880 parSonsino, plus du tiers étaient ou avaient été hématuriques,
et dans 75 examens de la vessie, seulement, post mortem, 38 fois il a découvert
la présence du ver; il est convaincu que parmi tous ceux, quelle que soit la race,
Arabes, Coptes, Nubiens, étrangers, qui boivent des eaux impures, il n'en est
guère qui n'aient souffert de la Bilharzia dans le cours d'une longue vie. Dans
tout le bassin du Zambèse et sur les rives du lac Nyassa, l'hématurie serait fort
commune, d'après Kirch. En diverses localités de la pointe sud de l'Afrique, le
long de la côte sud-est, dans la baie d'AIgoa, à Uitenhage, fort Beaufort, Alice,
Grahamstown, et en quelques points de la Gafrerie libre (Spranger], la maladie
est assez répandue, ainsi que dans la colonie du Cap et à Natal (Dunstroville,
Spranger, Rubidxe, Harley, Guiilemard) ; la plupart des jeunes garçons à Pieter-
maritzburg en sont atteints (Batho, Ariny Med. Rep., vol. XII), exagération pro-
lOti IIKMATURIE.
bable, traprès Guillemard, Men que l'hémalurie soit assez fréquente dans cette
ville. Guillemard incline à penser qu'elle existe aussi sur la côte occidentale et
probablement dans lintérieur, sur les rives de l'Orange. Le distome se retrouve
à coup sur à Maurice (Harley), on ne sait trop s'il existe à la Réunion; il est
extrêmement probable que Ibématurie que l'on observe en quelques points de
Madagascar reconnaît cette dernière cause, mais ceci est encore conjectural ; en
tout cas, c'est le distome que Corre, Bréjon et Deblenne, ont vu à Nossi-bé ; Corre
y aurait peut-être aussi rencontré le verde Bancroft (Deblenne, tli. Paris, p. 256).
Cette revue nous conduit à conclure que l'hématurie des pays chauds, pure,
graisseuse ou mixte, associée au dislome ou à la filaire ^vuchérienne, ou à ces
deux entozoaires à la fois, est exclusivement bornée aux latitudes chaudes, mais
que son domaine géographique franchit en bien des points la limite des tro-
piques et s'étend entre les 55''* parallèles dans les deux hémisphères ; au delà de
ces limites générales, elle perd le caractère d'endémicité.
L'hématurie chyleuse s'améliore et guérit souvent, non toujours, par un séjour
prolongé dans les climats tempérés et froids, ou par l'ascension à des altitudes
qui rappellent les conditions thermiques de ces climats; on la rencontre sur le
littoral de la Réunion, climat hyperthermique (moyenne annuelle supérieure à
-h 20 degrés, Fonssagrives), mais elle ne se développe jamais dans les localités
élevées de lîle qui jouissent d'une température fraîche ou tempérée ; à Salazie
(872 mètres d'allitude, température moyenne -h 19 degrés) on ne l'observe que sur
des malades provenant des parties basses et chaudes de l'île. Harley affirme, de
même, qu'elle est inconnue dans les terres élevées de la colonie du Cap. La cha-
leur joue donc un rôle prépondérant unanimement admis; doit-on attribuer la
même importance aux autres éléments météorologiques, aux conditions topogra-
phiques, géologiques, etc., des régions où la maladie règne avec le caractère
d'endémicité? Causes banales, invoquées trop souvent et qui ne peuvent, il nous
semble, entrer en ligne de compte. Chaque pays, chaque localité, possède du
reste une telle multiplicité, une telle inconstance d'éléments contradictoires,,
que la valeur éliologique de ces influences si variées échappe a toute analyse :
c'est ainsi que l'hématurie, endémique à Bahia, ville niontueuse où elle se
montre aussi bien dans la partie basse que dans les quartiers secs et salubres
des hauteurs, se voit également dans les plaines inondées et marécageuses de
Calcutta (S. Lima). Comment admettre avec Manson l'influence exclusive du
voisinage de la mer et des vents marins, alors que la maladie est inconnue à
Formose (Myers) et qu'on l'observe dans la province de Minas au Brésil?
Les conditions climatologiques des pays d'endémie, l'action des saisons surtout^
ont souvent été interrogées et leur influence a été exagérée à ce point qu'un rôle
pathogénique exclusif a été attribué aux climats caractérisés par un excès de
chaleur et d'humidité, à l'association des pluies torrentielles et des chaleurs
excessives des hivernages, etc., opinion qui, du reste, n'a guère trouvé de par-
tisans au Brésil; Souza Lima la repousse et pour J. de Moura le climat ne pos-
sède qu'une influence indirecte sur la genèse de la maladie. Azéma, au contraire,
accuse avant tout les influences de climat auxquelles seraient uniquement subor-
donnés les troubles physio-pathologiques et les modifications subies, dans les
pays chauds, par le système lymphatique et par les grands appareils organiques »
ces modifications, innées chez le Créole, ne seraient acquises qu'après plusieurs
années par l'Européen en voie d'indigénisation ; elles se traduisent chez l'un et
chez l'autre par un ensemble d'altérations dans lesquelles prédominent la sur-
HÉMATURIE. 107
charge et la distension des vaisseaux blancs et qui aboutit, en passant par l'ané-
mie, à une diallièse lymphatique particulière, toute diftercnte de celle qui con-
fine à la scrofule et propre aux pays chauds (ÏV. de la li/mph. end.). Mais on
ne devient pas forcément lymphatiqne par un séjour de cinq ou six ans à la
Réunion ou à Maurice, et chez un anémique la réplétion du système lympha-
tique n'entraîne pas nécessairement l'explosion d'un accès de chylurie, pas plus
que Taiiparition d'un éléphantiasis ou d'intumescences inguinales. Par ailleurs,
rien de plus variable que l'induence des saisons sur le développement et sur la
marche si capricieuse de la maladie.
L'hématurie d'Egypte diflère de la chylurie par l'époque de ses explosions et
par la régularité de ses retours paroxystiques : elle apparaît, en effet, plus
fréquemment de juin à juillet et août, et devient plus rare de septembre à
janvier (Copland, art. Worms; Davaiue, Entoz., p. 318).
C. Causes pathologiques. Dans ce groupe étiologique, il importe de men-
tionner plus spécialement les relations qu'on a reconnues en divers pays, Drésil,
Inde, Chine, Australie, entre la chylurie et certains états morbides, et sur les-
quelles on s'est appuyé pour en éclairer la palhogénie. Dès 1855, Meirelles, à
Rio de Janeiro, faisait remarquer que le plus grand nombre des chyluriques
sont lymphatiques et sujets aux érysipèles ; une chylurique présentait des
attaques périodiques d'érysipèle tous les quinze jours ; la maladie cessa par
un voyage en Europe, mais se reproduisit par le retour au Brésil. Chez une
négresse, la chylurie précédait presque toujours les accès d'épilepsie ou d'érysi-
pèle éléphantique auxquels elle était sujette (De Simoni et Jubim); le Brésilien
observé par Caffeet Rayer avait souvent éprouvé sur les jambes, dans son enfance»
des éruptions qu'il caractérisait d'érysipèles erratiques, et qui reparaissaient
périodiquement toutes les semaines; Catta Prêta, Souza Lima (1864), ont vu
deux malades dont les urines devenaient laiteuses toutes les fois qu'ils étaient
pris d'érysipèle du scrotum; une malade de J. Sylva, souffrant depuis long-
temps de fréquents accès d'érysipèle et de lymphatites, est prise brusquement,
en pleine période d'allaitement; la chylurie cesse pendant un violent accès
d'érysipèle du sein, pour revenir après la guérison. Martins Costa mentionne
également la coexistence des deux maladies. S. Araujo a rapporté, en 1877, ce
fait curieux d'un individu sujet depuis neuf ans à des érysipèles périodiques du
scrotum, et qui fut pris successivement de chylurie, de craw-craw et d'élé-
phancie scrotale avec lymphectasies. Ferreira Pinto (1858) a vu l'éléphancie
coïncider avec des urines cliyleuses ; W. Roberts a observé, en Europe, un cas
de pachydermie lymphorrhagique de l'hypogastre chez un individu atteint en
même temps de chylurie ; aux Indes et eu Chine, la chylurie accompagne sou-
vent le lympho-scrotura (Lewis, Manson, etc.); Bancroft, en Australie, a vu ces
urines associées à des abcès lymphangiliques, des hydrocèles ; Chassaniol, à des
hémoptysies, etc.. Nous reviendrons plus lard sur ces rapports à propos des
théories pathogéniques.
La maladie a quelquefois marché de front avec une phthisie commençante,
une fois avec une hépatite clu-onique (Sigaud) ; ailleurs, elle alternait avec des
diarrhées sanglantes ou chyleuses, ou avec une affection bronchique fluxionnaire
et de l'asthme (Jubim), ou bien c'est un épanchement séreux du cerveau,
suivi d'hémiplégie, qui entraîne la mort. Cassien signale comme cause occa-
sionnelle la détérioration de la constitution à la suite d'une fièvre typhoïde;
Torres Horaem, la coqueluche chez un enfant de deux ans. J. Silva a fait jouer
108 HEMATURIE.
un rôle éliologique à la syphilis et à la lèpre : deux de ses malades sont lépreux,
et il rattache cet étal à la syphilis; quelques-uns sont syphilitiques par leurs
ascendants; chez d'autres, la chylurie coïncide avec une éruption dartreuse liée
à la vérole; l'un a des boubas et sa fille est lépreuse, etc. Jubim, de Siraoni,
de Bento da Roza, A. Chevalier, ont vu aussi des syphilitiques avec des urines
cliyleuses, mais combien d'autres véroles qui n'ont jamais été chyluriques !
On a quelquefois observé des urines blanchâtres dans le carreau et dans cer-
taines maladies du pancréas (Chomel, Moyse). Quelques médecins anglais ne
sont pas éloignés d'admettre une corrélation entre la maladie et l'imprégnation
malarienne (obs. de Habersbon, Listen, Monvcnoux) ; jusqu'ici on ne possède,
à ce sujet, rien de positif qui autorise à voir dans l'association de la fièvre
intermittente et de la chylurie autre chose qu'une pure coïncidence facile à
expliquer, du reste, par le rapprochement du domaine géograpbique des deux
maladies [voij. Elépuamiasis).
Les médecins de la Réunion ont trop volontiers mis en cause l'abus d'une
alimentation riche en condiments excitants, poivre, piment, gingembre, etc. ;
l'usage en est tellement répandu, et les cas d'hématurie sont comparativement
si rares, que cet élément éliologique doit être tenu pour très-problématique.
Salcsse avait aussi accusé les mets épicés, la masturbation chez les enfants, et
la mauvaise (pialito des eaux, dernière cause possible, probable même, si ces
eaux sont réellement le véhicule d'enlozoaires aptes à se développer dans l'or-
ganisme. Leared attribue la maladie, en Algérie et au Maroc, à l'excès de l'huile
d'olives dans l'alimentation, cxplicntion hypothétique qui ne pourrait s'appliquer
qu'à un état graisseux accidentel des urines, et non à l'hénio-chylnrie vraie.
Voici maintenant d'autres causes plus ou moins problématiques et le plus
souvent inexplicables : l'affection s'est parfois déclarée après un bain glacé
de rivière, le corps étant en transpiration (Crevaux), ou à la suite d'une équita-
tion prolongée ; un médecin de Rio voit ses accès chyleux reparaître toutes les
fois qu'il fait un trajet en voiture après ses repas, à ce point qu'il peut provo-
quer à volonté une attaque; W. Roberts cite un cas provoqué par un ébranle-
ment physique et moral dans une rencontre de deux trains, etc. On a invoqué
sans preuves à l'appui l'influence des professions sédentaires et de celles qui
exposent à l'action d'une chaleur continue, maréchal-ferrant, boulanger, cui-
sinier, etc.; les chauffeurs de nos navires n'ont jamais été, que nous sachions, plus
particulièrement atteints dans les régions tropicales ; enfin, l'abus de l'alcool,
une alimentation trop riche en graisse, etc. En somme, il est souvent impossible
d'assigner une cause prédisposante ou occasionnelle justifiée.
D. Causes spécifiques. Hérédité. Son rôle n'est pas déterminé. Pour ce
qui est de la transmissibilité d'un sujet à l'autre, W'ucherer dit que tous les
cas qu'il a observés étaient sporadiques, et il ne connaît pas d'exemple d'atteintes
simultanées dans une même maison.
Symptomatologie. Presque toujours l'accès chyleux se déclare brusquement
et surprend le sujet en pleine santé, sans le plus léger prodrome ; parfois il
n'y a eu qu'un malaise insignifiant, et le patient constate tout à coup, et non
sans effroi, l'aspect insolite de ses urines. Ce mode de début est commun au
Brésil (V. Pereira, J. dos Reys, C. Rebelle), et à la Réunion (Gassien). Quel-
quefois, seul accident précurseur, une diarrhée séreuse survenant sans cause
appréciable, ou une soif insatiable quelque heures après les repas, quelle que soit
du reste la nature de l'alimentation (Mar tins Costa), ou une diarrhée sanguino
HÉMATURIE. 109
lente avec phénomènes d'entérite assez intense (Ferrand). Assez souvent, pour-
tant, l'invasion est précédée de légères douleurs lombaires ayant plutôt le carac-
tère de douleurs musculaires que de douleurs rénales proprement dites, ou
d'une sensation de tension et de pesanteur dans les lombes et au périnée;
d'autres fois leur point de départ est dans le rein même, et elles se propagent
alors par les uretères jusqu'à la vessie, et s'étendent même au cordon, au testi-
cule et à la cuisse (Wiiclierer) ; en général passagères, elles cessent d'ordinaire
avec l'apparition du sang; ou bien c'est une sensation de battement dans les
reins, sensation subite, très-violente, et dont la disparition est aussi brusque
que le début. Dans quelques cas, très-rares, l'invasion s'est accompagnée de
véritables col.ques néphrétiques, avec rétraction des testicules, accidents qu'on
a expliqués [tâv la coexistence d'une gravelle urique qui n'existe presque jamais
au Brésil et dans l'Inde, et que P. Guimaràes met plus justement sur le compte
de coagula dans les bassinets et les uretères; ou bien encore ce sont de vives
douleurs vésicales se propageant jusqu'à l'extrémité du gland, et très-souvent
de l'ischurie (Sonsino, P. Guimaràes). Dans la période d'état, le symptôme
douleur disparaît presque toujours pour ne plus revenir qu'à de longs inter-
valles, lors de quelque recrudescence, par exemple. Ces paroxymes douloureux
semblent plus s[)écialement liés aux périodes hématuriques; quand l'urine
prend l'aspect franchement laiteux, la douleur s'apaise ou disparaît, d'oii quel-
ques auteurs ont conclu que le phénomène douleur, dans sa plus grande acuité,
correspond à la déchirure des capillaires sanguins en quelque point des voies
uiinaires (reins ou vessie) ; cependant, nous avons assisté à la Réunion à une
crise cliyleuse pure, avec urines très-abondantes, sans dysurie, mais accom-
pagnée de douleurs hypogastriques assez intenses pour éveiller des idées de
suicide.
En général, peu de retentissement vers l'appareil digestif; un peu d'inappé-
tence, de l'anorexie, précédant chaque accès, des nausées, plus rarement des
vomissements. V. Pereira a noté des digestions difliciles et de la flatulence;
ilalfe, de la dyspepsie avec douleurs gastriques et coliques suivies de jaunisse;
une malade de Gubbitt se plaignait de perte d'appétit, de douleurs épigastriques
après les repas, de céphalalgies avec nausées, palpitations et autres symptômes
dyspeptiques; J. Silva mentionne ces mêmes phénomènes alternant avec une
exagération notable de l'appétit. Ces accidents se dissipent, d'ordinaire, une
lois l'accès établi, et l'appétit augmente, comme chez le Brésilien de Rayer ;
Certains malades sont boulimiques (Gaffe, Crevaux), fait que V. Pereira explique
par une hypocholie due à la soustraction des principes gras, et à la nécessité,
pour l'organisme, de contre-balancer ses pertes par l'acquisition de nouveaux
éléments. Havelburg a noté une soif inextinguible chez une femme. La constipa-
tion est assez habituelle; Crevaux l'attribue également à l'élimination de la
graisse et à la diminution corrélative de la bile sécrétée en moindre quantité,
ce qui n'a pas été véritié; cependant les fonctions du foie ont paru troublées
dans quelques cas très-rares; Crevaux a constaté des douleurs dans l'hypochondre
droit ; Sigaud une hépatite chronique concomitante ; Ralfe une jaunisse passa-
gère. Ce point appelle de nouvelles recherches.
Du côté de la circulation, quelques accès hématuriques ont été précédés de
frissons et accompagnés d'un état fébrile d'une durée variable de un à trois et
dix jours (Crevaux), qui cessait avec l'apparition du sang. Cette réaction fébrile
du début est fort rare au Brésil ; S. Lima ne l'a jamais constatée, et à
no HÉMATURIE.
Bahia l'iiématurie chyleuse est généralemeat considérée comme une affection
essentiellement apyrétique ; elle a été notée, cependant, par Ferrand, Damas-
chino et Scheube.
On a rarement évalué avec exactitude la quantité de sang perdue; à lile de
France, chez les enfants, elle est parfois si faible qu'il ne se forme pas de cail-
lots, et l'émission de l'urine n'éprouvant aucun obstacle se fait sans douleur
(Rayer). Chassaniol a vu les pertes s'élever à un demi-litre par vingt-quatre
heures, et pendant plusieurs jours. Les hémorrhagies du début sont peut-être
les plus abondantes, mais presque jamais assez copieuses pour entraîner des
accidents ; on a pourtant noté, au moment des crises, spécialement chez les
enfants, des frissons, de l'anxiété, le refroidissement des extrémités, des sueurs
froides, l'altération des traits, un certain degré d'accélération, de concentration
et de faiblesse du pouls, enfin tous les signes ordinaires des hémorrhagies abon-
dantes, mais ces cas sont rares. Au bout d'un temps variable, le sang diminue
et disparaît; le malade pourrait se croire guéri, mais ce n'est qu'un temps
d'arrêt, une intermittence qui varie de quelques jours à plusieurs mois; une
nouvelle attaque ne tarde pas à ramener la même série d'accidents.
On ne possède rien de précis sur les rapports de l'hématurie avec les autres
écoulements de sang pathologiques ou physiologiques. Grevaux a noté, comme
phénomènes précurseurs pendant un an, des épistaxis abondantes qui cessèrent
avec l'invasion de la maladie; Chassaniol, des hémoptysies rebelles précédant
de six mois l'accès hém;iturique et disparaissant ensuite graduellement; dans des
cas de ce genre, il serait intéressant de s'assurer si les caillots hémoptoïques con-
tiennent le même helminthe que ceux de l'urine. Chez une malade de Cassien,
la menstruation, peu abondante depuis le passage du sang dans les urines,
devint très-copieuse après la guérison de l'hématurie.
Ces déperditions, à la longue, retentissent plus ou moins sur la santé générale;
on lit partout que les malades, malgré quelques années d'urines chyleuses, con-
servent généralement les apparences d'une bonne santé : il y a, en effet, quel-
quefois de l'embonpoint (G. Bird, Gosset, Cassien, S. Lima), mais presque tou-
jours, surtout lorsque les urines ont été longtemps sanguinolentes, on découvre
des signes d'anémie plus ou moins prononcée ; « ces malades se fatiguent promp-
tement, sont apathiques, sans courage, sans énergie et sans forces, mènent une
vie molle et efféminée, redoutent la marche qui a pour effet d'augmenter la
sensation de pesanteur dans la région lombaire, et le plus petit exercice phv-
sique » (Cassien). Salesse dit qu'ils sont en général d'une faible constitution et
ont le teint pâle; J. de Moura, qu'ils sont maigres et parfois d'une extrême
maigreur. Le Brésilien de Rayer, qui paraissait jouir d'une santé assez bonne,
était moins bien portant quand l'urine devenait fortement laiteuse ; une malade
de Cubbitt était incapable de tout effort, avait diminué de poids et présentait
d'autres symptômes d'affaiblissement général; im chylurique de Sonsino,
émacié et très-faible, ne pouvait supporter aucune fatigue, la marche était chan-
celante, et il se plaignait de spasmes dans les fléchisseurs des mains et d'en-
gourdissement dans les jambes; celui de Ferrand accusait une fatigue assez
marquée et une faiblesse générale ; l'examen du sang décela une diminution
notable des hématies. « Généralement, les malades se sentent affaiblis par ce
drainage de la lymphe, et au bout de quelque temps deviennent maigres et éma-
ciés ; quelquefois cependant cette perte de lymphe est bien supportée, ce qu'on
peut attribuer aux bonnes conditions hygiéniques du malade » (Sonsino). Un
HÉMATURIE. 111
créole de Maurice était atteint de pétéchies (Rayer) ; un autre, d'amaurose qui
avait coïncidé avec l'époque de la transformation de l'hématurie en urines cliy-
leuses; Sonsino relate une double luxation du cristallin, etc. Cependant, ces
complications sont tout à fait exceptionnelles; à Maurice, la maladie n'entrave
pas l'évolution physiologique des enfants; le malade de Crevaux avait été atteint
à quatorze ans, mais n'en a pas moins continué à grandir et à se développer.
Les fonctions de reproduction chez l'homme ne subissent aucune atteinte ;
Miranda Azevedo rapporte, il est vrai, une anaphrodisie succédant à la dispari-
tion des urines laiteuses, mais c'est le seul fait de ce genre qui ait été signalé.
Du côté de V appareil urinaire, les symptômes sont des plus caractéristiques.
D'ordinaire, la miction a lieu sans douleur, sans ardeur, sans prurit, exactement
comme dans l'état normal, mais elle peut être précédée de fréquentes envies
d'uriner, et à chaque fois il est émis une petite quantité d'urine (Salesse). Clarac
a connu une jeune femme de dix-neuf ans, chylurique, qui dans son enfance
était l'objet des railleries de ses compagnes, « tant elle urinait souvent » [comm.
manuscr.). Les dernières contractions de la vessie peuvent aussi s'accompagner
de douleurs vives et cuisantes, mais ce fait est plus spécial à l'hématurie d'Égyple.
L'expulsion des coagula accumulés dans la vessie peut provoquer aussi de très-
vives douleurs et devient dans les premiers temps Tine préoccupation continuelle
pour le malade ; des accidents de dysurie, d'ischurie, de strangurie, peuvent
survenir et exiger l'intervention du cathétérisme; J. dos Reys fut une fois
obligé de dilater le canal. Cependant il est rare que l'intervention chirurgicale
devienne nécessaire ; quand la vessie est pleine, les caillots franchissent l'urèthre
sous l'impulsion de contractions énergiques; au bout de vin^t-quatre heures
ils commencent, du reste, à se désagréger, et n'offrent plus de résistance; les
urines, généralement acides, deviennent alors alcalines et laissent déposer
des cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien. M. G. Theodoro, Argollo,
V. Pereira, ont signalé des palpitations cardiaques pendant l'expulsion des
urines chargées de gros caillots.
Urines. A. Caractères physiques. Ils diffèrent sensiblement dans l'héma-
turie de Bilharzia et dans la chylurie {voy. Dugnostic). Les urines hémato-
chyleuses, au moment de l'émission, affectent des colorations très-variées :
rouges sang, ou d'un blanc laiteux comme une émulsion, dans les cas les plus
tranchés, elles sont parfois seulement rosées ou légèrement sanguinolentes ; ou
bien, limpides et naturelles à la sortie, elles deviennent opalines après un repos
de quelques heures, et présentent alors des reflets ambrés, azurés, marbrés, etc.
On a admis dans la maladie deux périodes, distinctes souvent, mais non tou-
jours, et caractérisées par la différence de couleur des urines : une période
hématurique franche, celle du début, et une autre signalée par l'apparition de
la graisse et de l'aspect chyleux, et J.-J. Silva a même vu, dans ces périodes,
deux entités morbides, hématurie et chylurie, ce qui est vrai, s'il ne s'agit que
de l'hématurie par Bilharzia, dans laquelle on ne rencontre jamais l'aspect chy-
leux, mais ce qui n'est plus justifié par l'observation clinique en ce qui concerne
l'hémo -chylurie proprement dite. Ici, une des périodes peut manquer, la der-
nière, par exemple, et après une ou plusieurs atteintes d'hématurie simple les
urines reviennent définitivement à l'état normal, et la guérison a lieu sans
autre transformation; ou bien le sang paraît faire défaut, quoique ces urines,
quelque lactescentes qu'elles apparaissent, renferment toujours des hématies:
mais, en ne tenant compte que de la couleur, il est certain que fréquemment au
112 HKMATURIE.
Brésil les urines sont cliyleuses d'emblée (J.-J. Silva, S. Araujo), malgré l'asser-
tion coiiUaire de Rayer, Requin, etc., pour lesquels la chylurie n'est jamais
primitive, et de S. Lima, qui ne connaît non plus un seul cas où les urines se
soient montrées purement laiteuses dès les premiers jours de l'invasion, ses
malades ayant accusé unanimement la présence du sang en proportion variable
dans la péiiode initiale. Mais d'autres cas observés au Brésil ne peuvent laisser
de doutes ; Bueno Mamoré, à Belem du Para, cite un fait très-précis dans
lequel il n'a jamais remarqué l'aspect sanguinolent, soit avant, soit après les
accès chylcux ; Walers, Araujo, J. Silva, Sonsino, ont relaté des faits semblables;
Lewis dit même que le mot bématurie serait un terme impropre dans quelques
cas, vu que parfois, du début jusqu'à la tin de l'allaquo, il est impossible de
découvrir des traces de matière colorante rouge dans l'urine, et il cite un créole
européen de l'Inde qui, à la troisième attaque, n'y avait jamais constaté la plus
légère trace de sang. Cependant la maladie débute souvent aussi par un pisse-
nient de sang pur, ou par des urines sanguinolentes, l'aspect laiteux n'appa-
laissant que consécutivement; la couleur varie alors du rose, ou llcur de pêcber,
ou teinte cbair uniforme, à celle du vin de Porto (Hellis), ou au rouge foncé;
ou bien on aperçoit seulement des traînées roses ou rougeâlres et quelques
moules fibreux ou sanglants que le malade prend pour des lambeaux de chair
(Sonsino). Avec le temjis, la proportion dii sang diminue peu à peu, et la teinte
devient uniformément laiteuse, ou chocolat (Chassaniol), ce qui est plus rare,
ou plus souvent café an lait, nuances dont l'urine est redevable à un mélange
de sang en proportions variables; pourtant, J.-J. da Silva a vu des urines café
au lait, dans lesquelles le sang manquait (?j et dont la coloration provenait,
dit-il, de l'acide urique en poudre amorpbe tenu en suspension par l'albumine.
Prout a donné le nom de lymphatiques [lijmphous) à des urines dans les-
quelles la graisse ne se montre qu'en faible proportion, et qui, dépourvues de la
teinte opaque des urines dites chyleuses, contiennent néanmoins de l'albumine
et de la' fibrine, et se coagulent spontanément. Cet aspect particulier, assez
mal défmi et qui semblerait impliquer la présence de la lymphe seule, n'aurait
pas encore été rencontré au Brésil.
Sous diverses influences mal appréciées, l'aspect et la composition de l'urine
changent, non-seulement d'un jour à l'autre, mais pour ainsi dire à toutes les
heures de la journée, et jusque dans une même miction. Quand l'affection est
bénigne, l'urine du matin est généralement moins trouble, et à première vue
se rapproche de l'urine normale ; elle est de couleur citrine, sans pellicule
crémeuse à sa surface, mais donne encore un coagulum sensible par la chaleur
et l'acide azotique. Meirelles avait signalé dès 1855 qu'au lit les urines restent
limpides, fait confirmé depuis par Bence Jones, Cassien, F. dos Santos, mais
contredit par d'autres observations de Bueno Mamoré, de Crevaux et de Sonsino :
ce dernier dit que le décubilus et le séjour au lit semblent faciliter l'échappe-
ment de la lymphe ; P. Guimarâes et C. Rebello ont vu l'urine rosée le matin
et laiteuse dans la soirée ; Sonsino, café au lait ou brune dans le jour et plutôt
blanche au réveil ; ou bien le sang ne se montre que dans la seconde partie de
la nuit, de douze à six heures du malin, et dans la journée les urines restent
simplement lactescentes (Ferrand). On possède deux observations (Oehme,
Siegmund), de malades n'ayant jamais quitté l'Allemagne centrale et chez
lesquels l'urine chyleuse n'était invariablement excrétée qu'une fois dans les
vingt-quatre heures, et la nuit à partir de deux ou trois heures du matin ; le
HÉMATURIE. US
jour, l'urine était normale; le malade d'Oehme était atteint de cancer stomacal.
Quelle explication donner à cet autre fait non moins bizarre rapporté par Acker-
mann? l'urine était parfaitement normale quand le malade se coucliait sur 1&
côté droit, et reprenait l'aspect chyleux aussitôt qu'il se levait. Ce sont les urines-
du jour et celles du soir qui présentent manifestement la couche crémeuse
(Ch. Robin); elles sont sensiblement plus blanches trois ou quatre heures après'
le repas (Cussien, Obs. IV ; Dickman) ; chez un malade de Bence Jones, l'urine
était plus fréquemment chyleuse après un repas de viande qu'après lingestiort
d'aliments végétaux ; elle reprenait sa transparence pendant le reste du jour.
Pourtant, ce n'est pas une règle générale que l'excès des matières grasses ani-
males dans le régime influe sensiblement sur la couleur de l'urine; Scheube a
bien vu chez un Japonais la graisse augmenter par l'usage de l'huile de foie de
morue, mais Brieger dit, au contraire, que ce médicament n'exerce aucune
influence; toutefois, la matière grasse diminua (juand il soumit son malade à
un régime privé de graisse. Par ailleurs, aucun fait nouveau n'a confirmé l'as-
sertion de Leared au sujet de l'abus de l'huile d'olives. Moitessier, comparant
les urines du matin, des repas, et des boissons, n'a trouvé aucune concordance
entre leur aspect et leur composilion, et les condilions [diysiologiques de son,
malade. L'abstinence, pourtant, n'<;st pas sans action : Moriissou a vu une juive
dont l'urine devenait beaucoup plus claire pendant la période du jeune annuel.
Chez la malade de Cubbilt toute fatigue du corps ou de l'esprit, tout effort inac-
coutumé, toute excitation, la veille, l'ennui, le chagrin, avaient pour effet d'exa-
gérer immédiatement l'aspect laiteux de l'urine; l'eau-de-vie la rendait transpa-
rente. Cassien dit, au contraire, que l'alcool a pour effet immédiat d'augmenter
la proportion du sang. Sous l'influence du repos ou d'un exercice modéré, le
dépôt est seulement rosé ; une marche forcée ou un long trajet en voiture ou
à cheval rendent l'urine sanguinolente dans toute sa masse; chez un malade de
Goodwin, tout travail pénible ramène la coloration chyleuse; un cbylurique-
provoque à volonté un accès par un trajet en voiture après ses repas, etc. Ces
faits n'ont rien de constant : chez le Brésilien de Rayer, l'équitation a quel-
quefois ramené passagèrement les urines à l'état normal; on a vu aussi le sang,
diminuer après un bain froid ou une marche forcée ; Salesse dit que chez un de
ses malades indemne de graviers les excès vénériens ou ceux de la table ren-;
daient parfois les urines moins sanglantes; chez le même, le sperme épanché^
dans des pollutions nocturnes était sanguinolent. Noronha Gonzaga affirme aussi
qu'après le coït l'urine semble faire retour à son aspect normal. Il est, du reste,!
fort rare que l'aspect laiteux persiste d'une façon constante ; il y a de temps en
temps, sinon cessation complète, du moins rémission plus ou moins marquée'
dans l'abondance de l'émission sanguine ou lactescente. Tantôt la chylurie
alterne avec le pissement de sang ou l'accompagne; celui-ci a disparu depuis->
longtemps déjà que les urines se montrent encore laiteuses ou qu'elles le
deviennent pour la première fois (Robin). Un Portugais cité par Meirelles pissait^'
une fois par jour du sang pur aussitôt coagulé ; d'autres fois l'urine était claire^
ou bien café au lait et trouble. Roza rapporte que chez un viveur le coagulum-
prenait souvent une teinte azurée.
Les urines reprennent parfois leur aspect habituel pendant une maladie inter-
currente ; chez l'un, la chylurie disparaît pendant deux mois à la suite d'une
fièvre pernicieuse syncopale (J. Moura); pendant une angine, chez un autre
(Salesse), ou un accès de goutte (Rayer), ou à l'occasion d'un embarras gastriqxie
WCT. EKC. i* j. XllJ. 8
114 HÉMATURIE.
(ébrile (Ferrand). Nativel avance que les exacerbations dans la coloration lai-
teuse coïncident d'ordinaire avec des accès de fièvre palustre, fait qu'on ne
trouve mentionné par aucun observateur. Nous avons signalé ralteruance des
périodes liémato-cliyluriques, de l'érysipèle et des lympliorrliagies cutanées.
L'urine conserve généralement Vodeur qui lui est propre ; Sobrini et Jubim
lui ont trouve' celle du blanc d'oeuf; Cubbitt, de pommes mûres ; llavelburg,
une forte odeur de graisse; pour Rosenstein, elle est fade comme celle d'un
extrait végétal en voie de décomposition ou d'un sirop; le malade de Crevaux ia
comparait à celle du café au lait; Mébu aurait perçu une odeur de lait tellement
prononcée qu'il soupçonna tout d'abord une supercherie. Au bout de vingt-
quatre heures, elle devient ammoniacale, puis suH'hydrique et des plus repous-
santes (Jubim, Crevaux). Ces urines se putrériei4 rapidement chez quelques
malades, moins vite chez d'autres ; la décomposition serait d'autant plus prompte
qu'elles sont plus chargées de caillots rouges, et quelquefois tellement rapide
qu'elle a lieu aussitôt après la miction; pourtant, Chassaiiiol en a vu de com-
plélenient blanches dont l'otleur au sortir même du canal était extrêmement
fétide et fortement ammoniacale; d'autres Ibis, on peut les garder deux et trois
jours sans qu'elles s'allèrent assez pour offenser l'odorat (J. de Moura, Bouchut),,
B. Caractères chimiques. En règle générale, les urines sont acides aa
moment de l'émission, alcalines parfois (Ralfe, Souza-Lima), réaction que leur
imprime une grande quantité de phosphate ammoniaco-magnésien (Priestley),
ou un commencement d'altération dans la vessie ; on les a trouvées neutres
quelquefois (Hillis).
La qualification ù'albumino-graisseiises rappelle la présence constante, mais
en pi'oportions variables, de deux éléments étrangers, l'albumine et la graisse.
Débarrassée préalablement de la matière grasse par l'éther ou le chloroforme,
l'urine présente toutes les réactions des urines albumineuses dans la maladie de
Briglit; elle donne par l'acide nitrique et par la chaleur un coagulum épais,
blanc ou jaunâtre, qui offre au microscope les caractères de l'albumine (Gubler),
€t qui s'étend parfois au 1/5 ou à la 1/2 du liquide total; quand la matière
blanche n'est pas en forte proportion et que l'urine est alcaline, la chaleur seule
peut ne pas donner de coagulum, et pour l'obtenir il faut ajouter quelques
gouttes d'acide acétique. Quelquefois on n'obtient qu'un léger précipité ; vers
la fin de la maladie et près de la guérison on n'en trouve plus. Dans la période
d'état, l'urine, quoique accidentellement claire, contient presque toujours de
l'albumine (elle manquait dans une analyse de Cubitt), et celle-ci peut se coa-
guler spontanément par le refroidissement. Cette coagulation spontanée serait
la règle, d'après Wucherer; une fois opérée, ni la chaleur ni l'acide azotique ne
produisent plus de coagulum. Bence Joues a montré que l'albumine cessait
d'être rendue pendant le repos absolu {Phil. Trans., 1850). Fait remarquable,
malgré la présence presque constante de l'albuminurie, il est extrêmement rare
de trouver de l'œdème des extrémités ou des signes d'hydropisies ; nous avons
relevé deux faits seulement où l'œdème a été signalé, dans un cas cité par
Priestley, chez un enfant mort tuberculeux avec les lésions rénales de la maladie
de Bright, et dans un autre rapporté par Lewis chez une femme qui présenta
une ou deux fois de l'œdème de la face et des membres. Les quantités d'albu-
mine sont variables; en général, l'urine en renferme une proportion égale ou un
peu supérieure à celle de la graisse ; pour 1000 : Cubitt, 15 dans les urines lai-
teuses du matin, 0 dans les urines transparentes de la journée ; Bence Jones,
HÉMATURIE. 115
14,0") et 15,95; Ouévenne, 7; Bouchardal, 2,1 • Waters, 6; Ralfc, 14,5; Damas-
chi'no, 20,65; Scheube, G à 27; W. Begbie, 1,70; Nienieyer, 6,18 et 5,15;
Moitessier, 11,2; Barbour, 28 et 15,9; Brieger, 2,6 à 4; Coliignon, 19,4;
Nativei, 6, etc. ; les analyses de Lehmann et de Le Conte n'en font pas mention.
C'est principalement derulbumine du sérum, mais les rechercbes de Thudichum,
E"-<Tel et Oebni, ont prouvé qu'à côté d'elle existait encore au moins une autre
espèce d'albumine (Spring) ; Boucbut et Senator ont vu le précipité obtenu par
l'acide nitrique se dissoudre par la chaleur et reparaître par le refroidisse-
ment : l'albumine s'y trouverait donc en partie à l'état modifié (albuminose).
Pour Méhu, l'albumine facilite l'émulsion de la matière grasse et la rend plus
stable. Quant à la caséine que l'on a prétendu avoir extraite des urines dites
laiteuses [voy. Ch. Robin et Verdeil, Chimanat., t. 111, p. 545), et que l'acide
acétique n'a jamais révélée, on sait aujourd'hui que ce n'est autre chose que de
l'albumine (Ch- Robin). Le tannin et l'alcool donnent des précipités très-abon-
dants.
Quand on a éliminé la matière grasse par le chloroforme ou l'éther, l'albu-
mine par la chideur, qu'on a filtré et évaporé à consistance sirupeuse, si l'on
ajoute au liquide restant quelques gouttes d'acide azotique, on obtient encore
ime certaine quantité de cristaux d'azotate d'urée. « La petite proportion de
l'urée et des autres principes fixes montre qu'il y a là un état général, ou au
moins de l'excrétion urinaire qui est morbide » Ch. Robin).
La matière blanche n'est qu'en partie et lentement soluble dans l'éther ; 2 à
5 heures de contact sont généralement nécessaires pour obtenir la transparence
duhquide; il faut souvent attendre 12 heures et agiter pour que la réaction
soit complète. L'éther qui surnage prend une teinte jaunâtre ; décanté et éva-
poré, il laisse un résidu de même couleur, onctueux au toucher, faisant tache
sur le papier, saponifiable par les alcalis, et dégageant par la combustion
l'odeur de l'acroléine (Sonsino), rappelant, en un mot, tous les caractères de la
graisse. La quantité de graisse atteint quelquefois 40 pour 1000 et au delà
(47, Miller Ord) ; cependant, en général, elle n'est que de 5 à 15 (Ch. Robin);
5 à 15 (Bouchut); d'autres analyses ont fourni : Bouchardat, 13 et 25; Qué-
venne, 19; Cubitt, 13,9; Bence Jones, 7,46 et 8,57; Crevaux, 22; Le Conte,
11,8 à 19 et 20; Watters, 9,9; Ralfe, 7,8; Eggel, 7; B. Scheube, 6 à 33;
Ferrand, 8,27; Barbour, 1,5 et 59,1; Brieger,^0,30 à 7,2; Ollivier, 0,42;
Coliignon, 8,12; Méhu, 4,25 et 8,37; Nativei, 9,4, etc.; seule une analyse
de Lehmann n'en accuse pas de traces. Isolée, cette graisse est neutre (Eggel,
Ackermann), ou à l'état d'acide gras, acide sébacique (Scheube), mais ne possé-
dant qu'une action très-faible sur le tournesol; une partie seulement est soluble
dans l'alcool chaud ou froid. Elle est douée d'une odeur aromatique (Quévenne,
Bouchardat) comparée parfois à celle du beurre de cacao, ou rappelant celle de
l'acide benzoïqne dont Bouchardat a trouvé des traces. Les opinions varient sur
sa nature; on en a fait une graisse phosphorée comme la lécythine; pour Thu-
dichum (1864) c'est un composé de palmitine et d'acide stéarique émulsionnés
par le sulfate de soude; Ord y a trouvé de l'oléine, de la palmitine et de la
stéarine, et une petite quantité d'acides gras d'un point de fusion différent des
acides stéarique ou margarique. D'après Rosenstein et Ackermann, elle serait
maintenue en émulsionpar l'albnmine. Elle fond à 36-58" (Ackermann). Lang-
gaard a vérifié la présence de la cholestérine et de la lécythine {Arch. f. Anat.
med. physiol., t. LXXYI, p. 545).
116 HÉMATURIE.
En dehors de ces éléments constants, albumine et graisse, il s'ajoute encore
le plus souvent de la fibrine, quelquefois en notable proportion, qui entre dans
la composition des caillots; Golding Bird, Magalhaès, Yogel, la signalent
dans plusieurs analyses, et la coagulation spontanée de l'urine en est une autre
preuve ; chez le sujet de Ferrand, il existait, pour 1000 d'urine, 0,58 de fibrine
« aussi élastique que celle du sang récemment sorti de ses vaisseaux ou du
liquide de la pleurésie franche récente » (Méhu). Selon Thudichum, elle se pré-
sente sous forme de caillots ou de pellicules renfermant des globules sanguins
et s'élevant au sommet du liquide par le repos; ils sont retenus par le filtre;
lorsque la fibrine se présente à l'état de simple coagulum, celui-ci peut être
petit et n'occuper que le centre du récipient, ou bien c'est la masse entière de
j'urine qui se prend en un blor tremblotant qui reproduit la forme du vase. Dans
l'un et l'autre cas, le coagulum brisé par l'agitation se sépare en deux parties,
l'une fluide et séreuse, plus ou moins opalescente ou laiteuse, comme l'urine
elle-même, et qui, par le repos, présente bientôt une couche crémeuse à sa
surface, l'autre constituée par une masse fibrineuse délicate, petite en compa-
raison du volume primitif de la masse coagulée, d'apparence charnue, et en
général plus ou moins colorée en rose par les hématies. Ce sont ces caillots
fibrineux qui, se formant parfois dans la vessie même, apportent des obstacles
à la miction. Pour A. Schmidt, l'urine doit contenir en dissolution les éléments
chimiques nécessaires à la production de la fibrine, à savoir : la substance
fibrinogène, la substance fibrino-plastique et le ferment de la fibrine ; quand
l'uriue chyleuse ne se coagule pas, c'est la première qui paraît faire défaut
(Spring).
Les éléments inorganiques de l'urine normale ne paraissent pas, dans la
majorité des cas, modifiés dans l'urine chyleuse. 11 est pourtant des circon-
stances où l'acide urique s'est présenté en excès, libre, et formant un dépôt
scdimentaire plus ou moins abondant ; on a même vu parfois l'urine graisseuse
alterner avec des urines sanglantes chargées d'acide urique : de là le rôle qu'on
a fait jouer à la gravelle dans la production de l'hématurie endémique, ainsi
qu'il sera dit plus loin. Cette complication serait, dit-on, commune à Maurice,
tant dans les urines sanguinolentes que dans les urines chyleuses ; Rayer en
rapporte plusieurs cas, avec coliques néphrétiques et émission de graviers, et
s'est appuyé sur ce fait pour diviser ïhématurie essentielle endémique en
hématurie simple, avec gravelle urique et chyleuse. Salesse rapporte qu'un de
ses malades, sujet aux coliques néphrétiques, rendait des graviers; chez un autre,
l'urine déposait un sédiment rougeàtre, rugueux au toucher. Cassien n'en fait
pas mention à l'île Bourbon ; au Brésil, le fait doit être fort rare ; à part Paula
Candido (1855), qui dit avoir constaté de l'acide urique libre et rarement de
l'urée, et J.-j. Silva (1875), qui aurait trouvé cet acide à l'état amorphe dans
une urine purement chyleuse, les médecins brésiliens ne mentionnent pas cette
complication ; Wucherer ignore si la présence des graviers a été constatée dans
le pays ; A. Couto n'en a jamais vu ; les analyses de Bouchardat, Cubbitt, Watters,
Lehmann, ne signalent que des quantités très-faibles ou des traces d'acide
uriaue libre ; beaucoup d'autres ne la mentionnent pas. Mais ceci ne s'applique
nu'à l'hémalochylurie ; dans l'hématurie d'Egypte, les concrétions urinaires,
Erraviers et calculs, sont une conséquence commune de la présence du distome,
los œufs de la bilharzia pouvant par eux-mêmes en constituer les noyaux, comme
Sonsino s'en est assuré.
HÉMATURIE. 117
Si la maladie était seulement une lymphurie , on devrait trouver toujours
dans les urines une certaine quantité de sucre, la lymphe étant constamment
plus chargée de glycose que le chyle. Or, la présence du sucre a été rarement
constatée. Nisseron, il est vrai, a mentionné l'action réductrice de ces urines
sur la liqueur cupro-potassique, mais Gubler qui, par la liqueur de Barreswill,
a vu la couleur du réactif virer au violet, ajoute que l'ébuUition prolongée ne
détermine pas de précipité jaune; Cassien dit également que le même réactif ne
provoque pas de précipité d'oxydule de cuivre ; Priestley, Bouchut, A. Pinto.
Scheube, Ilavelburg et d'autres, n'ont jamais obtenu de sucre; Bouchardat l'a
recherché par la polarisation et par l'ébuUition avec un excès de chaux sans en
découvrir une quantité appréciable, et il en conclut que, bien qu'on ait avancé
que le diabète sucré suivait souvent le diabète chyleux, les preuves de cette
coexistence font complètement défaut. G. llarley a néanmoins soutenu que la
glycosurie pouvait être associée à l'urine chyleuse, et que des observations de
Babington on pouvait presque conclure que la présence du sucre dans le sang
prédispose à la chylurie ; Babington, ayant examiné le sang d'un grand nombre
de diabétiques, les aurait trouvés positivement atteints de piarrhémie {Cijclop.
of Anat. and plnjs., Todd). Morrisson pense aussi que la glycosurie peut pré-
céder la chylurie et lui donner naissance. En présence de ces assertions contra-
dictoires, il est prudent d'attendre de nouvelles observations.
En résumé, l'urine chyleuse diffère de l'urine normale par la présence de la
matière grasse, de l'albumine, de la fibrine et de l'acide benzoïque (Bouchardat),
et éventuellement de l'acide urique et du sucre; privée de ces éléments, elle
reproduit les principes caractéristiques de l'urine normale.
G. Caractères microscopiques . Us sont [des plus remarquables. Outre les
entozoaires dont il sera question plus lom, on rencontre de nombreux éléments
figurés. La teinte cerise, rouge, ou plus ou moins rosée de l'urine ou du dépôt,
est due presque uniquement à des hématies, c 11 s'agit ici de véritable sang, et
non d'une simple coloration sanguinolente provenant de la dissolution des cor-
puscules sanguins, semblable à celle qui se rencontre dans certains cas de fièvres
graves, d'intoxication par l'arsenic, etc., que Vogel appelle /iema/m2<r/e. Ici, on
retrouve les globules sanguins intacts » (Wucherer). Un grossissement de 350 à
400 diamètres suffit pour les bien voir ; leur présence est constante, quoique
souvent l'aspect extérieur de l'urine ne l'indique pas; Coquerel les a toujours
rencontrés chez les malades de Cassien. Dans des urines blanches, avec le compte-
globules de Malassez, Crevaux en a compté 11 000 par millimètre cube, preuve
que, si la teinte lactescente masque la couleur rouge des hématies, la coexistence
de celles-ci avec la graisse n'en est pas moins constante. Beconnaissables à leur
coloration jaunâtre, à leur groupement, à leur insolubilité dans l'eau, les glo-
bules hématiques des urines diffèrent cependant des mêmes éléments dans le
sang normal ; un certain nombre seulement conservent leur forme de disques
bi-concaves ; beaucoup sont devenus complètement globuleux, d'un diamètre
inférieur à celui des corpuscules sanguins, et se sont décolorés. Il se produit ici
ce qui se passe quand le sang a séjourné dans l'urine, dans l'albuminurie avec
Héphrorrliagie, par exemple ; sous l'influence de phénomènes diosmotiques,
l'hématosine s'échappe des globules, ceux-ci absorbent de l'eau et se gonflent en
se décolorant. Ils représentent alors non plus des disques rougeàtres, mais des
utricules sphériques à peu près incolores et dont il est facile de reconnaître
l'origine par l'ammoniaque qui les dissout immédiatement, ou par l'acide acé-
118 HÉMATURIE.
tique qui dissout seulement leur enveloppe et met le noyau en liberté. Cette
configuration tout accirientelle n'aurait-ellc pas induit en erreur Wucherer,
V. Pereira, etc., qui ont pris ces hématies déformées pour des globules blancs
du sang, et par suite ont supposé que ces derniers circulaient dans le sang en
proportion beaucoup plus considérable qu'à l'étal normal, ce qui n'est pas suf-
fisamment démontré? Ces globules déformés mesurent 1/200'' de millimètre
environ en moins que les globules bi-concaves, et cette diminution de diamètre
doit avoir pour cause le passage de l'état discoïde à l'état spliéroïdal (Crevaux).
Régulièrement spliériques et lisses pour la plupart, parfois avec un double
contour, ils offrent aussi nue surface chagrinée, ou bien sont crénelés sur leur
pourtour par de petits prolongements qui leur donnent un aspect framboise',,
yiùiiforme. D'autres ont la forme d'un bonnet ou d'une coupe, d'autres enfin
sont ovoïdes (Crevaux).
Parmi les hématies, on distingue des corpuscules lymphatiques, globules
blancs, analogues 5 ceux du sang, plus volumineux, et d'autant plus nombreux
que les caillots sont plus opaques. Leur proportion est d'environ 1 pour 500, un
peu plus forte que dans le sang normal, i pour 400 (Longet), ou 355 (Moles-
choit), 2 à 5 pour iOOO (Frey). On reconnaît aussi au microscope que l'aspect
laiteux est dû cssoulielloment à des granulations de nature graisseuse dans un
état de division extrême ; sous 300 à 350 diamètres, elles n'apparaissent que
comme une fine poussière disséminée dans tout le liquide et agitée d'un mou-
vement brownien continuel. Les filtres en papier ne les retiennent pas aussi :
l'urine filtrée reste-telle aussi trouble qu'auparavant. Le crémor de la surface est
formé par une agglomération plus grande de granulations. Elles ne se rassem-
blent ni ne se déposent par le repos ; elles sont brillantes et trop ténues pour
paraître jaunes au centre comme les gouttes ordinaires dégraisse: c'est une véri-
table émulsion. Piabuteau estime leur diamètre variable à l/oOO'' de millimètre,
Bouchardat à 1/800% Gubler à 1/600°. Ces molécules sontsolubles dans l'élher,
mais, la dissolution n'ayant pas lieu instantanément, on est porté à supposer
qu'elles sont revêtues d'une mince enveloppe protéique ; celle-ci détruite par la
décomposition putride de l'urine ou par l'acide acétique, la grr,isse est mise en
liberté et se réunit en gros globules huileux. Les urines chyleuses ne renfer-
ment, en fait de matières grasses, que ces granulations pulvérulentes, différant
en cela des urines grasses, qui sont caractérisées par la présence, soit d'une
couche huileuse plus ou moins divisée et surnageante, soit de gouttes grais-
seuses à la surface ou dans la masse, qui réfiactent fortement la lumière. Les
observations de Goquerel ne lui ont jamais montré que de la graisse à l'état
moléculaire, et jamais de globules granuleux ni huileux comparables aux glo-
bules du lait. Pourtant, Bence Jones, Beale, ^Yaters, Lhérilier, Franz Simon»
disent avoir observé d'emblée des globules de graisse et d'huile dans l'urine, et
l'on a vu parfois des urines laiteuses présentant sous le champ du microscope
une multitude de globules huileux bien définis; Crevaux a rencontré ces glo-
bules dans des urines examinées au sortir de l'urèlhre, avant tout phénomène de
décomposition : ils sont caractérisés, dit-il, par leur forme sphérique, l'incon-
stance de leur volume, et surtout par leur forte réfringence; les uns ne sont
qu'un peu plus volumineux que les granulations moléculaires, d'autres ont à
peu près le diamètre des globules blancs du sang, et ils s'en distinguent par
leur aspect plus brillant, mais il ajoute que : plus les urines ont séjourné dans
la vessie, plus elles contiennent de globules huileux. Ces faits ne représentent
HEMATURIE.] 119
^as pourtant la règle commune ; en général, la présence de ces globules serait le
signe patliognomonique de la dégénérescence graisseuse des voies urinaires dans
la maladie de Bright, parenchyme et cellules épithéliales des reins, cellules épi-
Ihéliales des uretères, de la vessie ; dans les urines chyleuses, au contraire, la
graisse paraît être de nouvelle formation et semblable à la graisse émulsionnée
qui se rencontre dans le chyle et dans le sang après la digestion, ou dans le
sang des animaux soumis à l'engraissement forcé. 11 est évident, d'ailleurs,
qu'il ne s'agit pas ici d'une dégénérescence des icins, supposition qu'excluent la
marche et la terminaison habituellement heureuse de la maladie (Wucherer).
Outre ces éléments, hématies, leucocytes, granules graisseux, etc., « l'urine
contient une innombrable quantité de cylindres librineux semblables à ceux que
l'on observe dans beaucoup d'affections des reins, mais ici ils sont transparents
et tellement décolorés qu'il est difficile de les distinguer. Quand l'urine est très-
laiteuse, ils se reconnaissent mieux à l'aspect de tubes vides, translucides, de
forme allongée, où manquent les molécules graisseuses. Rarement ils sont gra-
nuleux, et il ne nous souvient pas de les avoir vus contenir des corpuscules san-
guins ou porter, adhérents à leur surface, des cellules épithéliales des tubes
urinifères » (Wucherer). Cassien et Primavcra ont vu de leur côté des cylindres
hyalins brillants et blanchâtres, probablement fournis ])ar la fibrine coagulée et
moulée dans les tubes urinifères ; ils se rencontrent aussi dans le mal de Bright,
mais accompagnés de globules graisseux et huileux et de cellules rénales altérées.
De l'absence des corpuscules sanguins dans ces cylindres librineux ^Yucherer
avait conclu que le sang ne vient pas des tubuli, mais, tout en faisant des
réserves, faute de données nécroscopiques, il ajoute que « de la présence simul-
tanée du sang et des tubes fîbrineux cylindriques, qui sont déjà une preuve suf-
fisante d'une affection rénale, il résulte d'une manière à peu près évidente que
le sang dans l'urine des hématuriques provient des reins ». D'un autre côté,.
Priestley, Niemeyer, St. Mackenzie, n'ont pas trouvé ces cylindres de l'urine, et
Scheube en nie formellement la présence ; la curieuse autopsie d'Havelburg
permet, en effet, de supposer que l'appareil rénal n'est ni toujours, ni exclusi-
vement, le siège de l'hémorrhagie.
Les cellules épithéliales qu'on découvre isolées ou en groupes proviennent de-
tous les points des voies urinaires, calices, uretères, vessie, etc. ; quelques-unes,
prismatiques, contiennent un ou plusieurs noyaux; Mitchell Bruce en a vu
suinter de grosses gouttes huileuses ; elle sont tout à fait identiques aux cellules
du rein figurées par Beale (Crevaux). Gubler a découvert également un grand
nombre d'animalcules infusoires d'une ténuité excessive et d'une forme impos-
sible à déterminer, même à un grossissement de 500 diamètres; on y trouve
presque toujours de grandes quantités de vibrions (Wucherer). Des cristaux de
phosphate ammoniaco-magnésien se forment lorsque l'urine devient fétide; oa
les trouve parfois sous forme de petits graviers ou nageant dans la pellicule
superficielle du liquide, associés à de petits corps informes, jaunes, verts et
blancs (Crevaux). Enfin, le microscope dévoile la présence d'organismes parasi-
taires qui seront étudiés plus loin {voij. Nature de la maladie).
Diagnostic différentiel. Quand la maladie se présente d'emblée sous sa
forme laiteuse, ou quand, ayant débuté par des pissements de sang pur, elle
passe à la période chyliforme, le diagnostic s'appuie sur un ensemble de
symptômes tellement caractéristiques qu'il serait bien difficile de la mécon-
naître.
'120 HÉMATURIE,
Les urines jumenteuses ou purulentes pourraient, au premier aoord, entraî-
ner une méprise; la gravelle phosphatique, certaines néphrites, une marclie
forcée après un repas copieux (Requin), etc., expliquent l'aspect trouble et
Wancliàtre des premières, dû à des urates et phosphates à l'état de particules
■ténues et rendues insolubles par l'alcalinité accidentelle de l'urine. Mais ces
urines sont toujours alcalines au moment de l'émission; dans le cas de phos-
phates, l'opacité disparaît par l'addition de l'acide acétique; l'urine chargée
■d'urates reprend sa transparence par la chaleur, qui n'y détermine pas de coagu-
lum ; elle ne contient pas, en efiet, d'albumine. Sous le microscope, on trouve
•le plus généralement une poudre amorphe (phosphate calcique) et des cristaux
«caractéristiques de phosphate ammoniaco-magnésicn ; pas de traces de granules
graisseux, pas de globules sanguins, p;is d'organismes vivants.
L'urine purulente est liée à quelque inllammalion aiguë ou chronique de
Tappareil génito-urinaire, pyélite, néphrite, cystite, etc. Il y a eu, au début,
des phénomènes indammaloires locaux qui n'ont pas été sans retentissement sur
l'état général, cl l'on retrouve, soit dans le passé, soit dans les symptômes
présents, des caractères qui assurent le diagnostic différentiel. L'urine puru-
lente est alcaline et dépose par le repos une couche plus ou moins épaisse d'un
blanc mat qui est du pus; le liquide surnageant reste légèrement trouble, mais
ne se prend pas en coagulum gélatineux comme dans la chylurie; le refroidis-
sement ne détermine [)as de crémor à la surface. S'il reste des doutes, traiter
i'urinc par l'étlicr ; on voit bientôt surnager, si elle est chyleuse, une masse de
gros globules huileux comparables aux yeux du bouillon, fait qui suffit pour
en déterminer la nature. Un dépôt purulent agité avec partie égale d'une solution
<le potasse se prend en ime masse gélatineuse, dense, transparente, plus ou
■moins adhérente au vase ; dans le liquide décanté et traité par l'acide azotique ou
la chaleur il se forme un précipité d'albumine provenant du sérum, réactions
les plus sîires pour déterminer la présence du pus (G. Bird). Enlin, chercher
les globules purulents reconnaissables à leur surface grenue et à leurs bords
irréguliers. L'ammoniaque ferait reconnaître les urines chargées de pus et de
mucus à la fois.
Dans les urines grasses proprement dites (lipurie) on dislingue facilement au
microscope de nombreuses gouttelettes fortement réfringentes qui ne sont qu'acci-
-dentelles dans l'urine chyleuse : ce sont des globules gras beaucoup plus gros
que dans la chylurie. Ces urines peuvent être parfois albumineuses, mais ne
-montrent jamais les éléments du chyle. La matière grasse est principalement
formée de margarine; l'oléine domine dans les urines huileuses (élaiurie) ; dans
•ces dernières, la surface du liquide est recouverte d'une couche huileuse surna-
g;eante, pellicule surmontée elle-même de petits cristaux d'acide urique, d'urate
d'ammoniaque et de phosphate ammoniaco-magnésien. Elles diffèrent des précé-
dentes en ce que la matière grasse y est à l'état liquide. D'après Rassmann (1S80),
-dans l'urine grasse par dégénérescence du système uropoétique la graisse se
«•encontre, non-seulement à la surface du récipient sous forme de gouttelettes,
mais aussi dans le sédiment sous forme de petites molécules ou gouttelettes,
-renfermées dans les cellules épithéliales, dans les globules purulents ou les
cylindres urinaires.
Quant aux urines véritablement laiteuses, si l'on soupçonnait quelque super-
■cherie, chez des hystériques particulièrement, le cathétérisme, l'acide acétique
■et la présence des globules laiteux, suffiraient pour la dévoiler.
HÉMATURIE. 121
• La polyurie, simple ou glycosiqiie, a de tels caractères qu'il nous semble
inutile de nous arrêter sur son diagnostic différentiel.
îDans la période d'hématurie pure, lors de la première atteinte surtout, le
diagnostic peut liésiter entre diverses maladies des pays chauds donnant aussi
des urines rougies par le sang. Ainsi, il est d'un haut intérêt de distinguer
l'hématurie par Bilharzia et l'hémato-chylnrie, car, bien que rapprochées par
des analogies symptomaliques et par une origine parasitaire, elles diffèrent l'une
de l'autre au point de vue pathogénique comme sous le rapport du pronostic.
En dehors même des éléments de diagnostic fournis par les localités et par les
entozoaires, une analyse attentive des symptômes permettra de les distinguer:
l'hématurie d'Egypte possède des signes cliniques très-spéciaux, assez uniformes
en général, quel que soit le mode, peu variable du reste, suivant lequel a débuté
l'attaque : le pissement de sang est rarement le premier et le seul symptôme ;
le plus souvent il a été précédé par une irritation de la vessie et par des mic-
tions douloureuses, avec sensation de brûlure, lorsque le col et l'urèthre sont
envahis, ce qui a lieu en règle générale. Le malade a ressenti tout à coup, en
nrinant, une vive douleur dans le canal, douleur dont l'acuité va en croissant,
ou bien elle siège au périnée et s'accompagne d'un besoin fréquent d'uriner ; au
bout de quelque temps, un mois plus ou moins, il peut se produire une rémis-
sion attribuable à une sorte de tolérance de la vessie et de l'urèthre. Assez sou-
vent aussi des douleurs hypogaslriques, ni aiguës ni durables en général, mais
qui parfois reviennent par paroxysmes, sont accrues par l'exercice, et courbent
le malade pendant la marche (Guillemard) ; quelquefois enfin, mais plus rare-
ment, des douleurs à l'anus et dans les aines, et une excitation assez habituelle
des organes génitaux; Guillemard cite un malade qui avait quatre et cinq pol-
lutions nocturnes. La durée de l'attaque varie; pendant les périodes de calme,
la santé est assez bonne, les fonctions digestives restent intactes, mais il y a de
l'amaigrissement, une diminution de poids et des signes d'anémie ; le malade
se sent faible, irritable, et répugne à tout exercice; malgré l'absence de douleurs
et de malaise, il est rare qu'il accuse un étal de santé satisf lisant ; il persiste
des signes d'irritation constante du côté de la vessie, spécialement lorsque le
malade reste abstême ; quelques douleurs hypogaslriques ou rectales, de temps
en temps des douleurs lancinantes au périnée et dans l'urèthre, assez vives et
assez soudaines pour provoquer un cri involontaire, mais aussi fugitives qu'elles
sont aiguës; parfois enfin une douleur obtuse à la base du sacrum (Guillemard).
Quelques malades perçoivent, disent-ils, les mouvements de l'helminthe dans
l'urèthre, fait possible, vu les dimensions du ver, 9 à 11 millimètres (Sonsino).
Comme dans les hémorrhagies de la vessie et de l'urèthre, l'émission du sang a
lieu presque toujours à la fin de la miction (Renoult, Sonsino, Guillemard], le
sang ne colore que les derniers jets, et à ce moment seulement le malade expulse
une cuillerée à thé environ d'urine sanguinolente ; il est tout à fait exceptionnel
que le liquide rendu soit purement sanglant, bien que le sujet evpulse quelque-
fois des caillots de sang assez épais pour entraver le jet de l'urine. Pour Son-
sino, l'issue du sang avec les dernières gouttes de l'urine seulement est plutôt
'un signe de Bilharzia que d'infection par la lilaire; l'hématurie abondante et
soudaine a plutôt une origine filarienne. D'après Salesse, quand le sang pro-
•vient des reins, les caillots sortent au commencement ou à la fin de la miction,
■et les douleurs se portent à l'extrémité du gland ; quand il provient de la vessie,
4a douleur siège dans cet organe et à l'anus. Le linge est souvent taché en rouge
122 HÉMATURIE.
par une pelile qiKnUilc tic sang cl (l'urine mélangés qui, après la miction, »
séjourné dans l'urèthre et ne s ecliappc que quelques instants plus tard ; il
semblerait que l'énergie des muscles accélérateurs de l'urine a diminué; u»
malade de Guillemard obviait à cette difficulté d'urination en pressant avecla
main le long du canal jusqu'à la fin de la miction.
Il est donc rare que l'urine des bilharziques contienne du sang pur; celle du
début est souvent transparente, claire, ambrée, et la présence du sang ne s'y
révèle que sous lornu? de points nombreux, d'un rouge brillant, de la grosseur
d'une tète d'épingle, qui finissent par se tasser au fond du verre ; parfois le sang
n'apparaît (|u'au bout de un ou deux mois, et toujours dans les derniers jets de
l'urine, l'ius lard, on trouve du sang, des mucosités, de l'albumine qui manque
au début, ou du pus, mais jamais de graisse; « j'ai examiné plusieurs centaines-
de sujets atteints de Bilbarzia, jamais elle ne donne lieu à une lymplio.Tliagie »
(Sonsino). L'urine peut offrir un aspect lacté quand elle contient beaucoup dfr
pus ou une grande quantité de phosphates et d'urates, mais jamais, dans ces-
cas, elle ne se coagule spontanément; de plus, l'opacité due à des phosphates
disparait par l'addition de quehiues gouttes d'acide acétique, et la chaleur seule
rend leur transparence aux urines chargées d'urates (Sonsino).
L'accès franchement établi, la quantité d'urine varie de 15 à 1800 grammes
et plus par jour, (|uatre mictions on moyenne; la vacuité de la vessie détermine
toujours do telles douleurs (jue quelques malades prennent l'habitude de n'uriner
qu'une fois par jour (Guillemard). L'urine du matin est la plus trouble, mais
la moins chargée de ces corps étrangers désignés par les Anglais sous le nom de
détritus de la hilharzia; rarement aussi des caillots sanguins, sauf quelques
petits copgula expulsés par le premier jet; réaction ordinairement acide et cou-
leur un peu foncée, odeur particulière forte et douceâtre. Dans la journée,
l'urine est plus pâle, mais très-trouble également, neutre ou alcaline en géné-
ral, contenant une grande quantité de détritus. Au moment du coucher, beau-
coup plus claire, elle présente ordinairement deux ou trois caillots de sang sou-
vent volumineux et une assez l'orte propoition de ces débris. Ces états divers de
l'urine, caractéristiques de cette hématurie, se lient invariablement à ces Irois^
moments de la miction. L'albumine manque souvent au début, ou bien ne se
trouve qu'on faible quantité; au bout de quelques mois, l'urine est le plus sou-
vent acide ou neutre.
Les détritus fournissent des caractères pathognomoniques. On voit flotter,
jusqu'au moment où ils se déposent, de nombreux filaments incolores, tronqués,
longs de 2 à 3 centimètres et plus ; les plus petits sont simples, les plus longs,
souvent'rameux, avec des extrémités recourbées, tous offrant dans leur épaisseur
de petites taches d'un blanc opaque, ou jaunes, ])lus rarement rouges. Au fond
du verre s'amasse un dépôt caractéristique dans lequel on trouve : 1° des petites
masses arrondies, opaques, de la grosseur d'une tète d'épingle, blanches, jau-
nâtres ou d'un rouge vif; 2" des plaques sanguines dont quelques-unes ont le
diamètre d'un schelling; 5° des corps d'un rouge vif de sang, ressemblant tout
à fait à de petits fragments, souvent avec deux ou trois ramifications, de toutes
grandeurs jusqu'à 1 à 2 centimètres de longueur sur 58/100 de millimètre à
2""", 5 en largeur; leur surface externe est formée d'une mince membrane
blanche qui se prolonge souvent au delà des extrémités ; ils sont cylindriques,
mais parfois avec de légers renflements fusiformes. Ces longs filaments blao-
châtres ou rouges-sang, caractéristiques de cette hématurie, sont formés de
HÉMATURIE. 12/>
fibres homogènes et de cellules muqueuses constituant une sorte de stroma dans
lequel sont enfouis des œufs en grand nombre, du pus, du sang, des cellules-
épilhéliales ou pigmentaires, des granulations et autres débris; d'autres œufs
sont libres d'adhérences, d'autres agrégés en blocs de 20 à 50. Enfin, on trouve
quelques moules rénaux finement granuleux, mais peu abondants en moyenne.
La nature de ces filaments semblables à des tronçons veineux n'a pas reçu d'expli-
cation satisfaisante ; Harley croit qu'ils sont formés par le mucus provenant des
cavités où le distome a élu domicile, et où les corpuscules muqueux se multi-
plient sous l'influence de l'irritation provoquée par le parasite et par ses œufs,
puis il arrive un moment où ce mucus, repousse au dehors sous forme de moules
grossiers par la production incessante des œufs, apparaît dans l'urine sous
l'aspect de petites pelotes ou de rubans. Le reste des dépôts organiques est prin-
cipalement formé d'hémalies, de globules de pus et de débris épithéliaux ; ces
derniers, nombreux, comprennent des cellules de toute dimension et de toute
figure, quoique les formes prismatique et conique soient rares; quelques-unes
proviennent des reins, mais la plupart, ovales et de grandes dimensions, sont
d'origine extra-rénale; enfin, des granulations pigmentaires amorphes et libres.
A mesure que la maladie progresse, le nombre croissant des cellules de pus
indique que le distome a déterminé un certain degré d'inllammation autour des
points où il a éln domicile, et, en effet, les désordres de l'urine par bilharzia
durent des années, et le liquide excrété finit par revêtir les caractères propres à
l'urine de la cystite. Enfin, lorsque la maladie a déjà une certaine durée, on
aperçoit au fond du verre des flocons jaunes ou gris-foncé dans lesquels on
découvre les œufs du distome.
En fait de dépôts inorganiques, on trouve parfois des cristaux de phosphate
ammoniaco-magnésien et du phosphate amorphe de chaux ; les cristaux d'acide
urique sont assez peu communs, ainsi que ceux d'oxalate de chaux, mais assez
souvent on rencontre de petites masses arrondies, jaunes ou rougeàtres, sans-
apparence cristalline, couvertes de petites protubérances, et de formes irrégu-
lières; ce sont de petits calculs d'acide urique probablement (Guillemard). La
gravelle et les calculs accompagnent, en effet, très-fréquemment, l'hématurie de
bilharzia, car les flocons muqueux qui contiennent les œufs peuvent constituer
par eux-mêmes des noyaux, comme Sonsino s'en est assuré, et cette complication
si fréquente est une preuve manifeste de la nature parasitaire de l'hématurie
d'Egypte : or, aucun fait n'autorise à admettre que la maladie filarienue puisse
donner lieu, par ce procédé, à la foimation de calculs ; on a rarement trouvé
chez les chyluriques des œufs de némato'ides dans les urines, ce sont des' larves
qu'on y rencontre, ce qui peut expliquer l'absence des concrétions dans cette
forme d'hématurie par la différence des entozoaires.
Contrairement aussi à ce qui se passe dans la chylurie, il est rare que l'héma-
turie d'Egypte procède par crises intermittentes laissant entre elles de longues
périodes de guérison apparente; ces rémissions ne dépassent pas quelques jours
ou quelques mois. Elle peut cependant disparaître après une durée de plusieurs
années, modification qui semble souvent se produire vers l'âge de la puberté, à
Maurice, ainsi que Chapotin l'avait remarqué, mais ce n'est pas le cas le plus
commun, comme on l'a dit. J. Harley croit que cette amélioration apparente est
probablement due à l'enkystement du distome. Un fait certain, c'est que l'héma-
turie de bilharzia s'adresse le plus ordinairement aux jeunes enfants à partir de
3 ans (Guillemard) ; on l'a vue cependant débuter dans l'âge mûr (50 ans, Ensor).
124 HÉMATURIE.
et même dans la vieillesse (76 ans, Spranger). L'affection qui offre avec elle le
plus d'analogie serait le calcul vésical ; la douleur, l'irritation de la vessie, le
ténesme et enfin l'expulsion de quelques gouttes de sang à la fin de la miction,
sont des symptômes communs; par le catliéte'risme même on peut quelquefois
rencontrer des surfaces raboteuses qui pourraient être prises pour des calculs
(Leuckart), mais elles sont immobiles et donnent une sorte de toucber laineux;
enfin, ni les cabots de la voiture, ni les autres mouvements, ne provoquent de
douleur; il n'y a pas de douleur dans le gland, et pas de sensation de corps
étrangers dans la vessie.
D'un autre côté, dans l'infection par le ver de Bilbarz, outre les désordres de
la fonction urinaire, djsurie, iscburie, cystite subaiguë (Guillemard), on trouve
des accidents inflammatoires, de la fièvre, des troubles gastro-intestinaux, depuis
le simple calarrbe jusqu'à la diarrliée muco-sanguinoleute et à la dysenterie,
phénomènes assez exceptionnels dans l'autre hématurie, et des symptômes
rapides d'anémie en rapport avec la répétition des pertes sanguines ; les forces
déclinent, puis surviennent la cichexie et la mort amenée le plus souvent par
la dysenterie, la pneumonie, l'urémie, ou quelque autre maladie aiguë à forme
typhoïde. Ces inflammations pulmonaires, terminaison fréquente de l'belmin-
tbiasc de la lîilliarzia, seraient, d'après Vircliow et Kirkes, des pneumonies
cnd)oli(pies provocpiées par le trans[)Ort des œufs que Griesinger a trouvés dans
le cœur gauche. Ces symptômes et d'autres encore sont étrangers à l'hémato-
chylurie : ainsi, riiémalurie d'Egypte est plus fréquente en été (le printemps
serait ré|ioque du développement des cercairex (Cobboid) ; l'autre se déclare au
Brésil dans toutes les saisons indifférennnent; jusqu'ici, du reste, on n'a trouvé
le ver de Billharz ni dans l'Inde, ni au Brésil, ni en Chine. En tout cas, la
recherche microscopique des entozoaires tranchera la question.
On se demande comment, dans la période hémalurique, la maladie a pu être
confondue avec les hémorrhagies rénales de certaines pyrexies graves des pays
chauds, la fièvre jaune, la fièvre bilieuse hématurique, les fièvres palustres de
type périodicjue avec urines rouges. Klebs a bien signalé des hématuries dans
des fièvres rémittentes relevant du miasme paludéen et guéries par la quinine
[Handb. der palh. Anal., 1870); Elliotson en a observé dans la période de
concentration, Gcrgères dans le stade de chaleur; J. Tyson a décrit {the )Ied.
JSewa, 1885) sous le titre de Malarial llœmaluria,e\, chez des impaludés, une
forme d'hématurie grave qui ne semble être que l'accès icléro-hémorrhagique,
et une forme bénigne, signalée déjà par Harley [Med.-Chir. Trans., 1865),
caractérisée par des urines sanguinolentes, à retours paroxystiques; dans cette
dernière forme, « les urines sont fortement teintées en rouge, ti ès-albumineuses,
mais pauvres en globules ; souvent même il y a absence complète d'hématies. 11
s'agit donc là d'une variété d'hémoglobinurie en rapport avec l'impaludisme.
Quand ce symptôme est prononcé, il s'associe fréquemment à la présence d'un
ictère léger, d'origine évidemment hémaphéique « (Hayem. 1884). Mais ces
néphrorrhagies, ou ces colorations de l'urine, s'accompagnent d'accidents géné-
raux assez accusés pour rendre toute méprise impossible. Dans l'hématurie
tropicale, le pissement de sang constitue pour ainsi dire toute la maladie, la
présence des hématies est constante, et le retentissement des désordres matériels
de l'appareil uropoétique est à peu près nul sur l'état général. Quant aux néphror-
rhagies de la fièvre jaune, de l'ictère grave, etc., elles coïncident avec d'autres
hémorrhagies membraneuses et parenchymateuses toujours abondantes, et repré-
HÉMATURIE. 125
sentent une complication d'un état général toujours empreint d'un cachet de
haute gravité.
Il est pourtant une affection décrite par Pavy et Wickham Legg sous le nom
d'hemalurie à paroxysmes qui pourrait causer quelque embarras. Elle est
caractérisée par la présence dans l'urine d'une certaine quantité de sang ou
d'éléments chimiques du sang (llématinurie), et par des symptômes généraux
qui rappellent assez bien ceux de la fièvre intermittente. Après l'émission d'urines
chargées de sang, la sécrétion rénale reprend rapidement ses caractères normaux
et les garde jusqu'à la prochaine attaque. Legg l'a décrite comme une hématurie
d'hiver, ne s'observant guère que chez les hommes, et ne se rencontrant que
dans les pays humides et par les temps froids en Angleterre. Pourtant Druilt
assure que les médecins de l'Inde sont habitués à la rencontrer dans ce pays, et
le nombre des faits observés s'accroît dans les pays chauds et dans les contrées
à malaria. Dans le tiers des cas on a noté la préexistence d'une fièvre intermit-
tente et parfois de l'ictère accompagnant la fièvre ou existant seul. Les urines
ne contiennent ni œufs ni parasites ; l'anatomie morbide est inconnue, faute
d'autopsies. Ces retours paroxystiques établissent entre les deux maladies cer-
taines analogies qui expliquent peut-être comment quelques médecins anglais
ont cru découvrir des rapports entre la chylurie, l'éléphantiasis, etc., d'une part,
et l'intoxication paludéenne de l'autre {On paroxijsmal Hœmaturia iSaint-Bar-
thol. Hosp. Reports, 1874, v. X, p. 71]).
Le pissement de sang est un symptôme commun à une foule d'autres états
pathologiques des organes urinaires, reins, uretères, vessie, etc., sur lesquels
nous ne pouvons nous arrêter, car les circonstances qui les accompagnent excluent
toute difiicullé de diagnostic. Dans l'hématurie tropicale, toute l'affection se
résume pour ainsi dire en une miction sanglante, sans autres accidents; ce
symptôme n'est que secondaire dans les autres. La marche offre aussi des carac-
tères très-différents : l'invasion, dans l'hématurie commune, est presque toujours
précédée de (roubles fonctionnels ou pathologiques, généraux ou locaux, plus ou
moins accusés ; dans l'autre, elle est ordinairement subite, et la maladie ne se
révèle souvent que par l'aspect insolite de l'urine. La première continue tant
que persistent les désordres locaux ou généraux qui l'ont déterminée et l'état
général est subordonné à leur gravité ; la seconde a une marche intermittente
avec des intervalles très-inégaux, et plus rarement continue; l'altération de la
santé n'est en rapport, ni avec sa durée, ni avec sa résistance aux moyens théra-
peutiques.
L'hématurie vraie et l'hématinurie n'ont de commun que la coloration de
l'urine; outre les renseignements fournis par le poids spécifique, les dépôts, la
présence des globules sanguins et autres éléments morphologiques, il y aurait
lieu de rechercher les entozoaires propres à l'hématurie endémique. Du reste,
toutes les fois que, dans les pays chauds, on se trouve en présence d'urines
sanglantes que ne justifie pas un état pathologique générrâ nettement accusé,
il importe d'en faire un examen microscopique attentif. Pour la distinction
entre les entozoaires des organes urinaires, échinocoques, distome hsematobie,
Strongles, etc., nous renvoyons aux Traités d'helminthologie et aux articles
Reins, Helmi.mhes, etc., du Dictionnaire.
Marche. Durée. Terminaison. Pronostic. Entre l'action des causes,
quelle que .soit leur nature, et les premières manifestations de la chylurie,
quel serait l'intervalle, ou, si l'on veut, quelle est la durée de la période d'in-
126 HÉMATURIE.
ciibation? Aucun renseignement positif à cet égard; Azéma croit qu'un long
■séjour dans les pays d'endémie est nécessaire; les Brésiliens semblent professer
celte même manière de voir. Nous rappelleron?, sans commentaires, ce cas
•observé par Daniaschiuo d'un nègre de Zanzibar atteint brusquement de chylurie
avec filaires dans le sang après un séjour de six ans à Paris, et celui d'Ollivier,
presque identique. Celte période d'incubation serait quelquefois assez longue
■ dans l'hématurie de Bilharz; un malade de Guillemard fut atteint neuf mois
après son départ de l'Afrique méridionale, alors qu'un de ses compagnons de
voyage était pris depuis plus d'un an; mais beaucoup de coolies des plantations,
à Natal, deviennent billiarziquos six mois après leur arrivée dans la colonie;
dans un cas cité par ftoberts, l'iiématurie commença quatre mois après l'arrivée
au Caire.
Née souvent sans cause appréciable et d'une façon subite, cessant parfois
Ijrusqueuient pour ne plus reparaître, rhémato-chylurie affecte presque toujours
vue marche chronique capricieuse, irrégulière, et variable même suivant les
pays. Au Brésil, elle survient par accès plus ou moins longs, dont les intervalles
peuvent franchir des années (jusqu'à dix ans, Martins Costa) pendant lesquelles
les patients jouissent d'une santé plus ou moins parfaite. Sonsino rapporte une
observation analogue chez une malade (ilariée qui n'eut que deux attaques à
vingt-cinq ans d'intervalle. En règle générale, ces intermittences, avec le temps,
deviennent plus rares et plus courtes, et la maladie devenue continue marche
vers la chronicité; les lésions sont sans doute plus profondes et plus étendues.
A Bourbon et à Maurice, ces périodes d'intermittence seraient moins tranchées,
■et la marche est plus ordinairement continue à partir de l'invasion ; plusieurs
médecins ont conseillé de respecter la maladie quand elle revêt une allure
périodique.
Rarement un seul accès; quelquefois aussi tout se borne à la première période,
c'est-à-dire à l'hématurie pure qui peut, comme à Maurice surtout, durer très-
longtemps et même sans que la transformation chyleuse apparaisse jamais. Rien
de plus variable que la durée des attaques : quelques heures, quelques jours,
deux et trois semaines chez les uns, plusieurs mois ou des années chez d'autres.
Chez le malade de Crevaux, les accès duraient quatre mois environ, séparés par
des périodes au moins égales pendant lesquelles les urines restaient complè-
tement limpides ; le début de chaque nouvelle crise était marqué par des urines
sanguinolentes qui ne passaient à l'état chyleux qu'au bout de quelques jours.
Sonsino a noté une attaque dont la durée fut de trente-deux mois ; Scheube, de
deux ans. ha durée de la maladie reste indéterminée; abandonnée à elle-même,
l'affection peut guérir spontanément, même sans émigration, au bout d'un temps
très-variable, mais fréquemment aussi, en dépit de tous les moyens, elle se
prolonge pendant une longue période de l'existence que le plus souvent elle ne
semble point compromettre ; une dame créole morte à 80 ans était chylurique
depuis 50 ans (Cassien) ; une juive de 55 ans, depuis plos de 20 ans (Sonsino) ;
-deux malades de S. Lima étaient atteints depuis 14 et 22 ans, etc.
La maladie se termine, ou par disparition spontanée, ou par une guérison
plus ou moins solide, ou bien elle accompagne l'individu jusqu'à la mort déter-
minée toutefois, le plus ordinairement, par une autre maladie.
Le pronostic n'a rien de grave dans la majorité des cas, et il est étonnant com-
bien peu l'affection retentit parfois sur la santé générale, même après de longues
années. Les forces ne s'altèrent que peu à peu, et la maladie n'affecte un carac-
HÉMATURIE. 127
tère dangereux et ne se lerniine fatalement que par exception (Ilirsch). Dans un
«as cité par Eilioston, elle durait depuis 28 ans, avec quelques répits, et n'avait
pas sensiblement affecté la santé générale; chez une malade de J.-J. Silva, elle
avait commencé pendant une première grossesse et avait duré treize ans et
huit mois pendant lesquels il y eut trois couches heureuses; l'individu dont parle
Abernethy était gros et fort après douze ans de maladie. Ces exemples sont
nombreux.
Les hémorrhagies sont rarement assez abondantes pour inspirer des inquié-
tudes immédiates; elles ont pu parfois se produire par rupture des vaisseaux
sanofuins de l'appareil urinaire pendant des efforts de miction; mais, lorsque les
accès se rapprochent, que les déperditions sanguines sont ahoiulau:es des
troubles sérieux dans les fonctions d'assimilation et dénutrition peuvent survenir,
déterminer un état cachectique irréparable, et prédisposer ainsi à l'explosion de
la tuberculose pulmonaire. Cette dernière complication n'est pas rare; Sigaud,
ïloberts, Isaacs, Priestley, Sonsino, Martius Costa, J. de Mouia, A. du Luz, en
rapportent des exemples ; J.-J. Silva a noté huit cas où la maladie se compliqua
■de tuberculose généralisée. La néphrite catarrhale ou parenchymateuse, les con-
gestions rénales, les douleurs, les coliques néphrétiques, les accidents de dysurie
■et d'ischurie par coagula intra-vésicaux, représentent d'autres com|)lications non
moins graves qui, non enrayées, peuvent conduire à l'affaiblissement et au
marasme. La maladie semble plus sévère au Brésil qu'à la Réunion; Wucherer
cite. deux cas dans lesquels la mort est survenue. pendant les attaques. La perle
continue d'albumine ne peut que constituer une feicheuse prédisposition à des
désordres ultérieurs. Dans le petit nombre de faits observés en Europe, la
maladie se serait parfois associée à une polyurie glycosiqae, complication qui
entraîne une grande gravité dans le pronostic. Sonsino estime que la présence
de la Filaria sangiiinis hominis doit être considérée comme une éventualité
«érieuse, bien que certains sujets porteurs de ce ver n'offrent aucun désordre
grave appréciable pendant longtemps : « S'il peut sortir à travers un abcès
glandulaire, comme cela est présumable, il peut aussi parfois se frayer une issue
à travers quelque organe important et y provoquer ou des abcès, ou des throm-
boses, ou des embolies, et des accidents graves et même mortels : on doit donc
le regarder comme un parasite dangereux qui menace constamment la vie de
l'hôte qui en est porteur ».
AiWTOMiE PATHOLOGIQUE. Les reuseigiiemcuts nécroscopi-ques, dans l'héma-
turie chyleuse, sont tout à fait insuffisants ; la maladie entrahie rarement la
mort; dans l'Inde et en Chine les préjugés sociaux et religieux des indigènes
s'opposent aux néeropsies, et depuis la découverte de Wuclierer nous ne connais-
sons qu'une seule autopsie pratiquée au Brésil, celle de llavelburg. Quelques
examens macroscopiques datant déjà d'époques éloignées n'ont rien appris de
satisfaisant.
Les lésions anatomiques du distome hœmalobie, étudiées par Bilbarz, Grie-
singer, Leuckart, J. Harley, Sonsino, Zancarol, Mackie, etc., sont mieuv connues.
Dans l'appareil urinaire, le parasite envahit les veines vésicales, celles du rein,
de l'uretère et de l'urèthre; sans action ff.cheuse peut-être dans les troncs, il
détermine des désordres variés dans les capillaires et dans les muqueuses. Par
sa présence seule ou par l'accumulation de ses œufs, il provoque une irritation
bientôt suivie de phénomènes inflammatoires plus ou moins circonscrits dont les
effets varient avec la localisation du narasite. Du côté de la vessie, tt aussi des
128 HÉMATURIE.
uretères, les altérations débutent habituellement par une inflammation catar-
rhalc; dans une première période, on trouve sur la muqueuse des plaques
saillantes, lisses, d'un rouge foncé, circonscrites par des capillaires variqueux;
CCS taches varient de la dimension d'une lentille à celle d'un schelling; Sonsino
en a trouvé de forme annulaire, du diamètre d'une pièce de 5 francs, à centre
normal, à périphérie grise ou rougeâlre, inégale, rugueuse, granulée. Elles
siègent en un point quelconque de lu vessie et peuvent môme couvrir plus de la
moitié de sa muqueuse ; habituellement c'est sur la paroi postérieure et sur le
fond qu'on les rencontre; le trigone, rarement envahi par les infarctus hémorrha-
giques, garde ordinairement sa couleur normale (Sonsino). A leur surface s'étale
une couche constituée par du mucus et des cellules cpilhéliales, qu'on peut sou-
lever sous forme d'une mince pellicule, et qui recouvre un fond piqueté de points
sanglants. Le mucus vésical et l'urine, le sang extravasé des plaques, la muqueuse
congestionnée et même le tissu conjonctif sous-muqueux, renferment d'innom-
brables quantités d'œufs de distome qui, parfois, semblent simplement déposés
à la superficie, et ailleurs sont réunis en masses par une membrane d'enveloppe.
Généralement, ces œufs s'offrent sous toutes les phases de leur développement
jusqu'à l'embryon mùr, et l'on peut même souvent distinguer des coques crevées
et vides que les embryons ont déjà abandonnées. Dans la plupart des cas, cette
inflammation aboutit à l'absorption des liquides exsudés et à l'induration des
vaisseaux obstrués.
Parfois, au lieu des altérations ci-dessus, c'est un épaississement incolore,
pigmenté, sans traces de sang, souvent jaune ou vert, coriace comme après un
certain temps de séjour dans l'alcool, et d'un aspect finement grenu. On y voit
quelques grains brillants qui crient sous le scalpel ; ce sont des œufs du distome,^
mais vides depuis longtemps et pour la plupart remplis de carbonate de chaux.
Plus tard, il arrive souvent qu'à la surface des plaques s'étend une couche
rugueuse de l'épaisseur d'une toile, assez fortement adhérente et formée de
cellules épilhéliales désagrégées; elle correspond à la pellicule déjà signalée sur
la muqueuse pendant la période inflammatoire aiguë; ces couches contiennent
les mêmes œufs que la couche coriace plus profonde, mais, de plus, un grand
nombre de concrétions plus ou moins volumineuses jusqu'à la dimension d'un
grain de millet, et qui semblent pour la plupart formées d'acide urique. Ces
concrétions adhèrent quelquefois làcbement à la couche rugueuse, mais parfois
aussi elles y sont étroitement incluses, et d'après les caractères de leur noyau
semblent s'être formées par incrustation sur les œufs du distome. On trouve
parmi ces concrétions de petites molécules microscopiques d'urate d'ammoniaque.
A un degré plus avancé de la maladie, la muqueuse vésicale est surmontée
d'excroissances particulières, groupées ou isolées, assez semblables à des con-
dylomes ou à des productioni polypiformos pédiculées ou non, de figure très-
variée et du volume d'un pois à celui d'un haricot ou d'une fève; elles sont
mollasses, jaunâtres, ou d'une couleur vineuse due aux nombreux vaisseaux
sanguins qui les parcourent. Leur surface est verruqueuse, arrondie, facilement
saignante, et souvent couverte d'une croûte formée en partie par les œufs, en
partie par les sels de l'urine, comme les concrétions superficielles des plaques. A
la section, la muqueuse est épaissie, le tissu conjonctif sous-muqueux, base de
ces productions, hypertrophié. Ces tissus sont pénétrés par un riche réseau de
capillaires quelquefois très-dilatés, et çà et là convertis en cavités assez larges,
pour contenir souvent des spécimens adultes du distome. Dans le parenchyme de
HÉMATURIE. 1-29
ces excroissances formé principalemeal de tissu sous-muqueux on rencontre un
grand nombre d'œufs, pour la plupart encore peu développes, Zancarol n'y
aurait trouvé que des œufs à épine terminale, tandis que les mêmes productions
polypifonnes de l'intestin ne possèdent que des œufs à épine latérale.
L'explication de ces deux formes si différentes d'altérations anatomiques,
plaques et excroissances, est assez embarrassante; Leuckurl fait remarquer qu'il
existe entre ces deux types de nombreux états intermédiaires, souvent dans la
même vessie, ce qui prouverait que les deux foimes ne sont que des phases
différentes du même processus : « La différence provient peut-être de ce que
dans un cas ce sont les œufs, dans l'autre les animaux vivants, qui agissent
comme corps irritants sur la muqueuse et le tissu sous-muqueux « (Leuckart).
Grenet, à Mayolte, chez des négrillons mozambiques, a vu la muqueuse du
trigone épaissie, formant une plaque grise devenue rude au toucher par un
dépôt de sels ; il y a trouvé un petit corps pédicule grisâtre, analogue par la
forme et le volume à la glande pinéale.
A ce degré avancé la vessie a quelquefois une ampleur inusitée (Sonsino) ; ses
tuniques sont épaissies; la muqueuse garde néanmoins sa consistance normale
(Davaine), mais le tissu sous-muqueux « est souvent d'un jaune grisâtre,
ramolli, difflueiit, infiltré de sang coagulé et de pigment ». La tunique muscu-
laire de la vessie et des uretères, quoique rjremcnt altérée même vers la lin de
la maladie, shypertrophie facilement; Zaucarol cite un cas où celle de la vessie
atteignait 2 centimètres d'épaisseur. Une fois seulement on a rencontré sur la
séreuse vésicale et la couche voisine du péritoine des excroissances avec pigment
très-foncé et semblables à des crêtes de coq (Leuckart). Dans un cas observé par
Bilharz, l'inflammation primitive avait abouti à l'ulcération, sans induration ni
hypertrophie polypiforme ; la paroi postérieure de la vessie, dans l'étendue d'un
écu, était indurée et coriace, et sur le plancher existait un ulcère du diamètre
d'une pièce de 50 centimes, rugueux et pulpeux, circonscrit par des bords
tuméfiés d'un rouge foncé, rappelant les ulcérations du gros intestin dans la
dysenterie; le plancher contenait des coques d'œuf.
Dans les uretères, ces mêmes désordres anatomo-pathologiques se présentent
d'habitude sous forme de dépôts annulaires qui rétrécissent le calibre du conduit
au point qu'un stylet très-tin n'y pénètre que difficilement. Cette constriction se
produit le plus communément très-bas, au point même où l'uretère s'ouvre dans
la vessie, et la dilatation qui en est la conséquence s'étend alors au conduit tout
entier, puis au bassinet et aux calices ; Bilharz et Zancarol rapportent deux cas
d'hydronéphrose atrophique du rein par oblitération complète des uretères.
Zancarol n'admet pas que les alléralious habituellement trouvées dans les
reins soient, comme celles de la vessie et de l'uretère, le résultat direct de la
présence du parasite; il fait remarquer que les œufs et les embryons sont prin-
cipalement confinés dans les parties les plus déclives des voies urinaires, et il
pense que les altérations rénales sont subordonnées à la cystite. Des lésions sem-
blables à celles de la vessie et des uretères ont bien été rencontrées sur la
muqueuse du bassinet, mais ces cas sont plus rares : « La muqueuse du bassinet
et des calices est injectée ; les reins sont généralement volumineux et gorgés de
sang. Ces organes finissent par subir une dégénérescence graisseuse, ou bien
l'on observe la pyélite, la dilatation du bassinet et des calices, et l'atrophie de
la substance rénale » (Davaine). On trouve aussi des graviers dans les reins.
Nature et pathogénie. C'est la question, sinon la plus obscure, du moins
DICT, E.NC. i" s. XIII. 9
150 HEMATURIE.
la plus embrouillée de l'histoire de la maladie. Propre aux pays chauds, extrê-
mement rare dans les autres climats, la chylurie n a été l'objet de bonnes obser-
vations qu'à partir de 1812; jusque-lîi, on ne rencontre que des cas d'une
authenticité douteuse, et presque tous observés en Europe.
En somme, jusqu'à 1850, l'étiologie reste complètement hypothétique, et les
théories tour à tour proposées, chylaemie, piarrhémie, etc., sont impuissantes
à éclairer la nature et la pathogénie de l'affection. La découverte de Bilharz fut
le point de départ d'une doctrine nouvelle; en 1851, il découvre dans le système
porte les premiers spécimens du parasite qui a gardé son nom, et démontre la
nature parasitaire de l'hématurie d'Egypte; Griesinger le rencontre également
dans les plexus veineux du rectum et de la vessie ; Reinhard, Lautner, trouvent
ses œufs dans le parenchyme du foie, entre les tuniques de l'intestin grêle, mais
surtout et en énorme quantité dans la muqueuse et le tissu cellulaire sous-
muqueux de la vessie, des uretères, des vésicules séminales et du rectum;
A. Reyer saisit des distomes vivants dans la vessie, etc. La coïncidence du para-
site, les désordres en rapport constant avec le nombre des entozoaires, l'évolution
parallèle du distome et de la maladie, ne laissaient aucun doute sur les relations
de cause à effet entre la Bilharzia et cette forme d'hématurie signalée depuis long-
temps par Larrey, Renoult, etc., et qui mériterait à juste titre le nom de cystite
vermineuse endémique d'Egypte proposé par J. Rochard. Ce n'est pourtant que
dix ans plus tard qu'on a cherché, en divers pays, à vérifier si les hématuries
de forme endémique n'étaient pas aussi subordonnées à l'existence du même
parasite, et il est surprenant que ces découvertes soient restées si longtemps
ignorées en dehors du milieu où elles s'étaient produites. Les médecins de Cap-
Town, longtemps avant la découverte de Bilharz, avaient cependant soupçonné
que l'affection devait avoir pour cause première quelque altération des muqueuses
uriuaires par des parasites; en 1864, J. llarley, confirmant cette hypothèse par
des observations directes, rencontre dans les urines des embryons, puis des œufs
et des fragments d'un distome auquel il donna le nom de Bilharzia ou Dislo-
vium capetisis, convaincu qu'il s'agissait d'une espèce distincte du dislome
hsematobie, erreur que Cobbold a, depuis, réfutée. Mais jusqu'en 1869 ces
recherches semblent complètement méconnues; Juvenot, iN'oronha Gonzaga,
Catta Prêta, qui écrivaient deux et trois ans après la découverte de Bilharz,
paraissent l'avoir ignorée; Gubler expose en 1858, sans mentionner le parasite,
sa théorie de la lymphurie; Dutt et Carter dans leurs observations (1862) mettent
seulement en relief la part que prend le système lymphatique dans la production
de la chylurie; ^\'aters ne voit dans la maladie qu'un relâchement des capillaires
du rein; Owem Rees et Babington signalent la présence du sucre; Priestley
apporte une observation suivie d'autopsie; Fr. Pavy (1865) cherche à démontrer
que la chylurie est due à un trouble de l'assimilation; Bouchardat lui impose
le nom àepimélurie. Ackermann, L. Beale, donnent de bonnes descriptions de
la maladie, etc. Nulle part il n'est question de parasites. En 1865 également
l'Académie de médecine de Rio revient sur ce sujet sans que l'association de ces
corps animés soit signalée; A.-J. Souza Lima et J. Pereira Guimaràes (thèses
de Rio, 1864) semblent avoir ignoré les travaux de Bilharz; pour le premier, la
maladie dépend d'un vice de l'assimilation dû à une chylohémie par atonie des
lymphatiques et spécialement des chylifères. Cette même aimée pourtant,
Demarquay avait publié une observation d'hydrocèle chyleuse des bourses avec
présence d'animalcules particuliers dont les caractères sont identiques à ceux de
HÉMATURIE. 151
la filaire de Wucherer et de Lewis, et que Davaine considéra comme des néma-
toïdes embryonnaires ; le malade était originaire de la Havane, mais ce fait passa
inaperçu, et c'est trois ans après seulement que les faits signalés en Egypte et
au Cap ont conduit indirectement aux curieuses découvertes qu'il nous reste à
exposer.
En 1806, Otto Wucherer(à Bahia), rechercliant vainement les œufs du distorae
de Bilharz si faciles à reconnaître à leurs dimensions et à leur conliguratioiii
spéciale, découvre dans les coagula d'urines cbyleuses, et au milieu des globules
sanguins, des embryons d'un nématoïde et des œufs tout différents, et acquiert
bientôt la conviction que, si l'Iiéniatnrie d'Egypte, du Cap, de Maurice, est due
au distome hœmatobie, celle du Brésil devait avoir une autre origine. Ses
recherches dans le sang aboutirent à un résultat négatif. Leuckart vit dans ces
parasites des embryons d'un nématoïde inconnu, de la famille des Strongylides,
qui devait habiter un point quelconque des voies urinaires, les reins probablement,
en raison des cylindres fibrineux mêlés aux résidus de l'urine; il trouva, de plus,
des œufs, mais dont les dimensions ne lui parurent avoir aucune connexion
avec celle des embryons. Wucherer les avait déjà vus sans y attacher d'impor-
tance, etCrevaux les chercha vainement plus tard; depuis, ils ont été retrouvés
avec leur couleur marron, leur contenu granuleux, leur forme ovoïde ou sphé-
rique, et un grand diamètre d'environ 25-50 fz, par S. Lima, S. Araujo, Paci-
fico, A. Couto, V. Pereira, Cobbold et Cauvet.
En 1868, Salisbury, en Amérique, rencontre aussi dans les urines d'une
femme atteinte de cystinurie, sans hématurie ni chylurie, des ovules et des
embryons d'un nématoïde qu'il crut devoir placer dans le genre trichine et
nommer trichina cystica ; mais l'entité du nématoïde de Salisbury est resiée
très-indécise, soit comme espèce distincte, soit dans ses rapports avec la Bil-
harzia et avec la filaire de Wucherer. En 1870, Crevaux observe dans les urines
d'un jeune créole chyluri(iue de la Guadeloupe, et retrouve pendant quatre années
consécutives, des vers en tout semblables à ceux de Wucherer, et que Davaine
et Balbiani considèrent comme des embryons d'un nématoïde. Peu après, les
Anglais font connaître des recherches fécondes en résultats inattendus : Sp. Cob-
bold rencontre dans l'urine d'une petite fdle atteinte d'hématurie endémique
de Natal, non-seulement les œufs de la Bilharzia, mais aussi d'autres œufs
(une cinquantaine) d'où s'échappaient des embryons d'un nématoïde ayant toute
l'apparence des vers du Brésil ; l'enfant, au dire de sa mère, aurait rendu
longtemps auparavant, par l'urèthre, trois petits vers filiformes de la longueur
du doigt, peut-être, d'après Cobbold, des spécimens sexuellement mûrs de la
tilaire de Bancroft découverte plus tard (?). Les différences observées entre les
œufs et les embryons excluaient, du reste, toute affinité spécifique entre ce
nématoïde et le distome haematobie. Ce n'était pas non plus le ver de Bilharz:
sous des phases différentes de développement, car on ne retrouvait ici, ni les
dimensions, ni les cils, ni les papilles buccales, ni l'estomac rudiraentaire de
l'embryon du distome. Cobbold en conclut à la coexistence des deux vers ei>
Afrique, coexistence que les observations ultérieures de P. Sonsino et de Fayrer
ont confirmée. En mars 1870, J.-R. Lewis et Cminingham, dans l'Inde, avaient
aussi découvert dans les mines chyleuses de très-petits vers filiformes, très-
actifs, dépourvus de bouche et d'anus, et enveloj)pés d'une gaine transparente.
Jusque-là l'urine semblait être l'unique habitat du parasite, mais en juillet 1872
Lewis le retrouve dans la circulation, dans le sang d'un Hindou atteint de
152 HÉMATURIF.
diarrhée chronique, et au mois d'octobre suivant il aperçoit des embryons
microscopiques dans le sang du même chyliiriquc dont les urines, deux ans
auparavant, lui avaient fourni les premiers microzoaires. D'après Parkes
et Busk, ils appartenaient auxiliaires. Lewis, les considérant comme des héma-
tozoaires, leur donna provisoirement le nom de Filaria sanguinls hominis, et les
regarda comme les plus importants des hématozoaires. Plus tard, et chez plus de
trente sujets chyluriques observés jusqu'en 1875, il retrouve constanmient ces
mêmes formes embryonnaires dans l'urine, ou dans le sang, ou dans ces deux
liquides à la fois et dans divcr^es sécrétions, constate que la plupart de ces
malades étaient atteints en même temps d'élépiiantiasis ou de lymphectasies
scrotales, et recueille l'embryon dans le liquide exsudé par les tissus malades ;
à plusieurs reprises aussi, le parasite était rencontré dans le sang d'individus
sains et en ap|)arence bien portants.
En 1875, Ch. Hobin reconnaît le même entozoaire dans un dépôt d'urines
chyleuses provenant de la Réunion (Foncervincs), et peu après (févr. 1874)
Prospère Sonsino, à Zagazig, cherchant à s'assurer si la Bilharzia n'avait pas
dans le système circulatoire une distribution plus générale qu'on ne le sup-
posait, découvre dans le sang d'un juif égyptien, hématurique par Bilharzia,
sans lymphurie toutefois, un ver nématoide nageant au milieu des globules et
semblable au vers décrit par Lewis chez les chyluriques de Calcutta ; cependant,
l'élui d'enveloppe manquait, et le ver ne fut pas recherché dans l'urine. Sonsino
en fit une espèce distincte sous le nom de Filaria sanguinls hominis jEgijptiaca.
Depuis, reconnaissant que cette enveloppe n'est pas constante et qu'elle ne
représente probablement que la première membrane tégumentaire, c'est-à-dire
une simple mue de l'embryon, il n'a plus hésité à admettre l'identité du ver
observé en Egypte et de celui que Lewis a découvert dans l'Inde. Tous ces para-
sites embryonnaires observés au Brésil, à la Guadeloupe, dans l'Inde, à la
Réunion, en Egypte, offraient dans leurs caractères la plus complète similitude.
Silva Lima, qui a pu comparer, à l'hôpital Neltley, des lilaires envoyées par
Lewis, ne doute nullement de l'identité des deux vers trouvés au Brésil et dans
l'Inde; c'était aussi l'opinion de Crevaux.
Peu après, nouvelles découvertes de Lewis tendant à établir des affinités étio-
logiques, soupçonnées déjà par sir J. Fayrer, entre la chylurie et d'autres affec-
tions plus spécialement propres aux pays chauds. Il signale la coexistence
fréquente de l'cléphancic (éléphuntiasis des Arabes) et de l'hématurie chyleuse
chez le même individu, et constate la présence des mêmes entozoaires dans le
sang, dans l'urine chyleuse et dans la lymphe extraite des tumeurs éléphan-
toïdes elles-mêmes. Dans l'interprétation pathologique de ces faits, il présente
la cliylurie etrêléphancie comme associées à la présence de l'hématozoaire; voici
ses conclusions : dans les régions tropicales, le sang est assez souvent envahi
par des microzoaires filiformes qui peuvent y pulluler longtemps sans révéler
leur présence parmi trouble quelconque, mais qui, à un moment donaé, peuvent
déterminer de graves accidents. Ceux-ci se manifestent sous deux modes princi-
paux : ]iar issue dans un canal excréteur quelconque, et apparition du parasite
dans les urines, les larmes, les produits sécrétoires de l'intestin, etc., et par
des épanchements dans le tissu cellulaire sous-cutané ; ils sont dus probablement
à ties obstructions mécaniques des lymphatiques par des tumeurs vermineuses
pariétales, ou à la formation d'embolies, ou à des ruptures des parois délicates
fies capillaires .•^angnins, lymphatiques ou chyleux, par l'accumulation accidentelle
HEMATURIE. 155
des filaires, et à l'cxtr.ivasation des liquides nourriciers dans divers organes; eu
général, l'état chyieux de l'urine ne constitue qu'un des symptômes, mais un
des plus caractéristiques, de ce désordre circulatoire. Lewis conseille enfin de
toujours soumettre le sang à l'examen microscopique, beaucoup de manifesta-
tions obscures, de phénomènes jusqu'ici inexplicables dans la pitliologie tropi-
cale, pouvant être éventuellement rapportés à la même cause ou à une cause de
même ordre.
L'identité étiologique et pathogcniquc des deux maladies, cliylurie et élé-
phancie, ne fut d'abord acceptée au Brésil qu'avec une certaine réserve, car
jusqu'en 1877 le sang et les écoulements lympliorriiéiijues des clépliantiasis du
scrotum et des jambes n'avaient fourni que des résultats négatifs, et il en avait
été de même toutes les fois qu'on avait cberclié les filaiies dans le sang des.
chvlurlques. Mais bientôt (février 1877), F. dos Santos reconnaît dans le sang
d'une tumeur élépbanliasique du scotum la Wiichereria filaria, identique à
celle de la cliylurie, et quelques mois plus tard (20 septembre) la retrouve
chez deux sujets dans le liquide de lymphorrhagies cutanées provenant de jambes
élépliantiqnes ; S. Araujo et V. Percii'a, à lialiia, rencontrent des filaires vivantes
dans la Ivmphe exsudant d'un scrotum éléphantiasiqne, chez un hémato-cliylu-
rique atteint en môme temps de lymplio-scrolum et de craw-craw, et en 1878 •
le premier recueille la même microlilaiie dans le sang d'une région parfiute-
ment saine, sur un malade porteur de varices lymphatiques des bourses. Déjà à
Rio-de-Janeiro (décembre 1877) P. S. Mngalhâes l'avait reconnue dans l'épais-
seur même des tissus du scrotum chez un malade opéré par Saboia, et ea
mars 1878 il l'apercevait de nouveau dans le sang et dans la lymphe d'une
femme atteinte d'éléphantiasis lympli;ingieclode de la grande lèvre. Le ver était
semblable aux filaires des urines cliyleuses et mesurait 32/100 de millimètres en^
lon^'ueur, dimension que lui assignentLeuckart et Lewis, 1/5 de millimètre, mais-
supérieure à celle qu'iudiquent d'autres obseivaleurs (Corre,20/100). Ces dimen-
sions importent peu, en somme, car il est certain que les filaires de l'urine n'ont
pas toujours une longueur rigoureusement égale; l'extrémité céphalique se
détachait avec un double contour très-manifeste, rappelant l'étui d'enveloppe-
signalé par Lewis.
Un an après la publication des travaux de Lewi.-;, Patrick Manson, d'AmoiV
appelle de nouveau l'attention sur la coïncidence de l'hémato-cbylurie. dn.
lympho-scrotum, du lymphocèle, etc., et, s'appuyant sur des observations irrécu-
sables, plaide cette même cause de l'identité étiologique probable entre ces
afiections si dissemblables en apparence. Ses recherches lui montrent la filaire
chez de nombreux malades parmi lesquels plusieurs étaient précisément atteints.,
ou de chylurie, ou d'éléphancie, ou des deux affections à la fois, ou de diverses
maladies offrant avec ces dernières des rapports plus ou moins étroits. 11 ra[)-
porle l'aspect lactescent de l'urine au passage du chyle, et avec Beale et
W. Pioberts pense que cet état chyieux dépend de conditions particulières des
lymphatiques dans quelque point de l'appareil urinaire, conditions semblables à
celles qu'on a rencontrées dans des cas connus de lymphorrhagies en divers
points du corps. S'appuyant sur des observations multiples, il conclut : 1° à la
rupture des lymphatiques obstrués et variqueux, rupture ouvrant un passage
au chyle ou à la lymphe vers les voies urinaires ; 2" à l'éliologie commune de
l'hémato-chylurie, de l'éléphantiasis et du lympho-scrotum. 11 fait en outre re-
marquer que ces maladies sont endémiques dans les mômes pays, et qu'elles
iôi HÉMATURIE.
offrent des rémittences et des intermittences dans leurs symptômes les plus
aigus; que, patbologiquement, elles sont presque identiques; qu'on rencontre
ciiez toutes un état particulier du sang (les parasites de Lewis) et qu'enfin
elles coexistent, ou alternent, ou se succèdent souvent chez le même individu.
Vers la même époque, 1875, on mentionnait, mais cette fois en dehors de
toute connexion avec l'appareil urinaire, diverses découvertes de micro-organismes
dans lesquelles on a cru trouver des analogies qui les feraient rentrer dans la
catégorie des faits révélés par Lewis. O'Neill avait rencontré chez des nègres de
la Côte d'Or atteints d'une éruption cutanée désignée dans le pays sous le nom
de craw-craw , et dans des lames minces du derme excisées à la base des papules
des filaires vivantes offrant la configuration et l'aiiilité motrice qui caractérisent
celles de Wucherer et de Lewis ; leurs dimensions s'en rapprochaient aussi plus
ou moins. L'observation ne dit pas si les préparations contenaient aussi du sang,
ce qui est supposable, les papules ayant été coupées au ras de leur base; le sang
des régions saines ne fut pas examiné, et on ne sait s'il contenait ou non les
mêmes parasites. Un second fait qui ressemble étroitement au précédent a été
observé au Brésil; c'est encore la découveite d'une filaire avec des caractères et
dans des conditions identiques par S. Araujo, en 1875 également. On trouve ici
les mêmes papules, le même animalcule vivant, semblable par son aspect et ses
dimensions à celui du craw-craw d'Afrique et au ver de ^Yucherer. S. Araujo, qui
l'avait d'abord considéré comme une espèce parasitaire nouvelle [Filaria derma-
themica) et avait donné à la maladie le nom de filariose, a reconnu depuis que
sa filaire n'est autre que celle de Wucherer et de Lewis ; il est convaincu que les
vers siègent dans Ifs capillaires du derme, mais ne s'est pas assuré si la circu-
lation générale contenait ou non le parasite rencontré dans les papules. Toute-
fois, si l'observation d'O'Neiil est insuffisante pour déterminer l'espèce du
iiiicrozoaire du craw-craw (Xielly, Un cas de dermatose parasitaire), il est
difficile en se reportant à la description et aux figures du mémoire de S. Araujo
de ne pas reconnaître d'intimes analogies entre sa filaire et celle de Wucherer.
Mentionnons, pour mémoire seulement, les entozoaires trouvés en 1874 par
F. Winckell dans un épanchement ascitique chyliforme chez une femme ayant
habité Surinam; Winckell signale la ressemblance qui existe entre ces animal-
cules filiformes et la filaire de l'Inde, mais les dimensions, la présence de cils
sur l'extrémité céphalique, l'absence du fourreau d'enveloppe, ne permettent
pas de ranger ces organismes dans les embryons filaires de Lewis. La même
année, B. Cauvet avait aussi découvert dans l'urine d'un Arabe algérien atteint
d'hématurie intermittente non chyleuse : 1" des œufs à divers états de dévelop-
pement, depuis la formation de deux gros noyaux jusqu'à celle d'un embryon
cylindrique enroulé sur lui-même ; 1° un embryon à extrémité antérieure
arrondie et obtuse, et effilé à son extrémité caudale : « Je pense, dit-il, que ce
ver est probablement celui que Wucherer et Crevaux ont trouvé dans l'hématurie
intertropicale, celui dont Leuckart découvrit les œufs, mais dont il ne put éta-
blir la nature. »
Enfin, en 1876, Cobbold découvre dans du sang recueilli par Bancroft chez
on chylurique de Brisbane (Queens'land, Australie) une vingtaine de ces micro-
zoaires semblables à ceux de l'Inde, et des œufs de nématoïde ; peu après, Chas-
saniol et Guyot constatent à Taïti l'existence de la chylurie associée à la filaire
Wuchérienne, et en 1878 Venturini recueille des filaires dans l'urine et dans
le sang d'un créole de la Guadeloupe. Mais jusqu'en 1876 on n'avait vu que
HEMATURIE. 135
les parasites enibryonnaii-es; la découverte d'une première forme de progéni-
teur appartient à Bancroft : le 21 décembre 1876, il recueille cinq spécimens
du ver adulte, l'un dans un abcès lymphangitique du bras, mais qui était mort,
les autres dans une hydroccle du cordon, pelotonnés sur eux-mêmes et qui
s'engagèrent dans l'œil du trocart. 11 put les garder vivants pendant un jour ;
ils avaient l'épaisseur d'un cheveu et 7 à 10 centimètres de longueur (54 pouces
anglais); des embryons en nombre prodigieux s'échappaient par deux ouvertures
vers le centre du corps. Bancroft avait déjà constaté à cette époque la présence
d'embryons dans une vingtaine de cas, et il vit dans sa découverte la solution
pathogéuique de la chylurie, de certains abcès lymphatiques spontanés et d'hydro-
cèles à liquide librineux ou chyleux, de varices molles particulières de l'aine, etc.
La colonie de Brisbane ne lui avait fourni aucun cas d'éléphantiasis des jambes
ou des bourses. Sp. Cobbold donne bientôt après (1877) la description de ces
filaires adultes sous le nom de Filaria Bancrofti, en l'honneur du médecin de
Brisbane dont la découverte justifiait les présomptions qui avait fait naître celles
de Wuclierer et de Lewis. 11 n'hésite plus dès lors à admettre l'action commune
de filaires microscopiques dans tout un groupe de processus morbides jusque-là
fort obscurs quant à leur mode d'origine; de plus, à son sens, toutes les diverses
formes larvales décrites par Wuclierer, Salisbury, Lewis, Crevaux, Sonsino,
S. Lima, Bancroft, et par lui-même, se rapportent à une seule et même espèce
[Lancet, 6 octobre 1877), assertion que ne légitime pas encore l'élude impar-
faite de tous ces spécimens tant embryonnaires qu'adultes.
Ces découvertes, et deux autres de Manson en 1880, portent à cinq ou six
pour le moment le nombre des progéniteurs nématoïdes connus donnant nais-
sance à des formes embryonnaires qui, toutes, rappellent exactement la Filaria
Wiichereri. Ces parasites adultes sont-ils identiques? Est-ce le même entozoaire
que Bancroft a découvert en Australie, Lewis à Calcutta, S. Araujo à Bahia,
F. Santos et J. de Moura à Bio-de-Janeiro, Manson en Chine? L'anatomie de ces
divers spécimens ne permet pas encore d'affirmer leur identité spécifique ; les
descriptions et les figures de Cobbold et de Lewis offrent de grandes analogies,
mais aussi des différences faciles à saisir. Quoi qu'il en soit, après ces décou-
vertes le rôle pathogéuique du parasite devenait de plus en plus probable, mais
son histoire naturelle, même après la découverte de ces formes sexuées, restait
encore fort obscure; sa provenance, son habitat, sa forme dans le monde exté-
rieur, son mode et sa voie de pénétration dans l'organisme, le degré d'évo-
lution sous lequel il l'envahit (ovulaire ou larval, agame ou sexué), sou habitat
organique à l'état adulte, le sort ultérieur des embryons rejetés au dehors, etc.,
toutes ces questions n'avaient pas encore reçu de solution. C'est en 1877 seu-
lement que P. Manson a publié sur les maladies filariennes à Amoi des statistiques
et des déc-ouvertes infiniment curieuses, complétées eu 1885-1884, par lesquelles
il croit être parvenu à révéler toute la série des transformations intermédiaires
entre l'état embryonnaire et l'état adulte du parasite. 11 a reconnu que la pre-
mière phase de l'évolution de la filaire s'effectue dans la lymphe et le sang ; elle
est représentée par les jeunes d'une filaire mûre vivant dans les vaisseaux lym-
phatiques, et qui pénètrent dans la circulation sanguine en même temps que
la lymphe : mais ces embryons n'arrivent pas à maturité dans le corps humain,
du moins on n'a trouvé jusqu'ici chez l'homme aucune forme intermédiaire
entre la filaire adulte et son embryon ; aucun fait ne prouve que dans l'orga-
nisme humain le développement du parasite dépasse la forme embryonnaire, et
iô6 HÉMATURIE.
dans celle-ci on n'a découvert non plus aucun détail de structure qui autorise à
penser qu'il puisse passer d'un sujet à l'autre. 11 était donc présumable que,
comme plusieurs autres parasites, l'embryon filaire a besoin d'emprunter les
services d'un hôte intermédiaire apte à le soustraire du sang humain, à le nourrir
jusqu'à ce qu'il soit organisé pour une vie indépendante, et à le placer dans
des conditions favorables qui lui permettent l'accès dans son hôte définitif. De
plus, l'animal servant d'intermédiaire devait avoir une distribution géographique
en corrélation avec celle de la fdaire, et il lallait aussi qu'il fût nocturne dans
ses habitudes, dernière condition indiquée par ce fait bizarre dans l'histoire de
la filaire que l'embryon n'apparaît dans le sang que pendant la nuit. Pour
Manson, cet hôte intermédiaire n'est autre que le moustique (Culex) qui, par
ses habitudes nocturnes, par sa diffusion dans les régions chaudes, et par le
milieu où finalement il vient déposer ses œufs et mourir, est l'animal le plus
apte à réaliser toutes ces conditions requises. L'idée que le moustique pouvait
ici jouer le rôle d'habitat transitoire a dû, sans doute, se présenter à l'esprit
de plusieurs observateurs. Bancroft écrivant à Cobbold (the Lancet, i2 jan-
vier 1878) faisait incidemment cette remarque : « Je me suis demandé si les
moustiques pouvaient sucer les hématozoaires et les transporter dans l'eau ;
ils paraissent y mourir. » La démonstration pratique du fait appartient à
P. Manson: il s'est procuré des moustiques gorgés du sang de sujets infectés
par des microfilaires, et il a vu que l'hématozoaire, qui avait pénétré dans l'es-
tomac de l'insecte sous la forme d'un animalcule sans structure apparente, le
(juittait a])rès avoir passé par une série de transformations au terme desquelles
il se présente très-agrandi, pourvu d'un tube digestif et peut-être d'organes de
génération, dépouillé de sa gahie embryonnaire, et devenu par ailleurs apte à
une existence indépendante. A ce moment la filaire s'échappe dans l'eau où le
moustique est venu mourir après sa ponte, et le parasite mis en liberté se trouve
ainsi dans les conditions les plus favorables pour être introduit de nouveau dans
l'organisme humain par l'intermédiaire de l'eau.
Comment a lieu cette introduction? Il n'est guère possible de le dire aujour-
d'hui, mais deux hypothèses sont acceptables : ou bien, et c'est le cas le plus
probable, le parasite en voie de maturation est ingéré avec l'eau potable et se
Iraye une roule à travers les parois du tube digestif jusqu'au point où il doit se
fixer définitivement, c'est-cà-dire jusqu'au système lymphatique selon toute pro-
.babilité;encepoint son développement est achevé, la fécondation s'est effectuée,
et finalement les embryons sont déversés dans la circulation lymphatique, puis
dans le torrent sanguin p^r essaims successifs et en quantités innombrables; le
cycle génétique que parcourt l'animal est ainsi parachevé ; ou bien pénètre-
t-il peut-être par les téguments; c'est la première [hypothèse de Manson. qui
pensait pouvoir expliquer ainsi la fréquence de Léléphancie des jambes chez
les Chinois « qui marchent souvent dans l'eau ». S. Araujo, comparant les dimen-
sions de sa Filaria devmalhemica et celles des orifices cutanés des glandes
sudoripares et des follicules pileux-sébacés, avait pensé que l'introduction
devait s'opérer par ces voies, de même que la Filaria sangiiinolenta du chien
pénètre très-probablement par les follicules muqueux de l'œsophage, et que
le parasite entrait dans l'organisme à l'état de larve ou d'ovule. Il rapporte
qu'un Portugais fut atteint de craw-craw et de lymphectasies scrotales à la suite
de bains pris dans la lagune de Feiticeira, province de Bahia, lagune connue
des riverains comme provoquant le développement de la première de ces derma-
-HEMATURIE. 157
toses; mais cet homme e'tait depuis longtemps sujet à des e'rysipèles du scrotum,
était porteur d'une ele'pliancic scrotale et avait été cliylurique; du reste, rien
ne confirme encore )a croyance populaire des riverains à la nocuité de ces eaux
(Gaz. méd. Bahia, 1877), et d'un autre côté les observations de Manson sont en
désaccord avec l'hypothèse de S. Araujo ; ce n'est ni à l'état larval ni à l'état
ovnlaire que le parasite s'introduit dans l'organisme; si la filaire pénètre chez
l'homme par la peau, ce doit être sous la forme et arrivée au degré de dévelop-
pement qu'elle possède au sortir de l'estomac ou des tissus du moustique ; à et
moment elle mesure de o à 5/100 de millimètres en largeur et pourrait encore,
il est vrai, franchir les canaux excréteurs des grosses glandes sudoripares dont
quelques-unes ont un diamètre de 10 à 15/100 de millimètres; mais jusqu'ici
cette pénétration n'a pas été démontrée, quoique le fait soit acceptable. P. S. de
Magalhàes croit avoir retrouvé la filaire dans les eaux de la Garioca (Rio-de-Janeiro),
mais la description qu'il en donne s'éloigne trop des caractères indiqués par
Manson dans le développement de la Fihiria snnguinis hominis pour qu'il soit
permis d'affirmer l'identité de ces vers; les nématoides aquatiques comprennent,
du reste, de très-nombreuses espèces qu'il est fort difficile de déterminer dans
leurs formes embryonnaires; Cobbold, malgré les analogies entre ceux de la
Garioca et du Jardin botanique de Hio, et les embryons de Wucherer, se refuse
à admettre toute relation génétique entre ces animalcules.
Quoi qu'il en soit, la découverte de Manson, bientôt confirmée partiellement
par Lewis dans l'Inde, établissait une analogie remarquable entre la Filaria san-
guinis hominh et les autres entozoaires qui ne parcourent leur cercle génétique
complet qu'à la condition de passer par deux organismes différents, tels le taînia
etledragonneau; elle démontrait lanécessitéd'un intermédiaire, le moustique, pour
onduire le parasite à son état parfait. De plus, pour son auteur, elle établit les
rapports de cause à effet entre la lilaire et la chylurie et l'éléphancie ; elle rend
compte pourquoi le domaine de ce groupe morbide complexe qu'il a désigné
sous le nom de maladie éléphanfo'ide est limité à certaines zones du globe, et
pourquoi ces maladies sont endémiques là seulement où pullule le moustique ;
pourquoi aussi elles sont plus communes dans certaines régions que dans d'autres
oij le moustique est rare oU représenté peut-être par une espèce incapable de con-
duire les filaires au delà de l'état embryonnaire (Myers, à Formose). Manson
explique encore de cette façon l'importation de la maladie dans des pays jusque-
là indemnes, tel le développement de l'éléphantiasis à la Barbade oii il était
inconnu il y a un siècle et demi, et où il se serait multiplié rapidement après
l'immigration de sujets infectés de filaires, assertion contestable, du reste. D'un
autre côté, le fait de la migration de la filaire par le moustique rend probable,
sinon certaine, cette source d'infection déjà soupçonnée par S. Lima, les eaux
stagnantes où vont mourir les moustiques, et qui, ingérées en boisson, transpor-
tent dans l'organisme le ver déjà en voie de maturation : ainsi s'expliquerait
l'endémicilé de l'éléphantiasis et des autres affections lilariennes dans les loca-
lités marécageuses, même en l'absence des manifestations malariennes; d'après
Kôniger, l'éléphantiasis est si commun aux Samoa que 50 pour 100 de la popu-
lation mâle en sont atteints, et il est de notoriété que le mal se développe sur-
tout dans les campements voisins des étangs; cependant la malaria est inconnue
dans le pays (H. Barth).
Résumons ce long historique. Les premières théories ne voient dansl'hémato-
chylurie qu'un écoulement inexpliqué de lait, de chyle ou de lymphe, ou un flux
138 HEMATURIE.
• éliminatoire de sang et de graisse non comburée par suite d'un vice de l'héma-
tose ou d'un trouble physiologique de l'assimilation ; plus tard, c'est le parasi-
tisme de la Bilharzia qui est mis en cause, mais, localisé en Afrique, il n'explique
d'ailleurs que le symptôme hématurie; à partir de 18G6, la chylurie devient la
maladie du ver de Wucherer, et tout d'abord rien ne fait soupçonner que le
■ domaine pathogénique du parasite s'étende au delà de l'appareil uropoétique ;
enfin, aujourd'hui, loin de constituer une entité morbide, elle ne représente
qu'un des processus symptomatiques de l'envahissement de l'appareil circula-
toire tout entier, vaisseaux lymphatiques et sanguins, par ce même parasite à
l'état adulte et larval, les autres étant constitués, suivant le siège et le degré de
développement de l'entozoaire, par divers états pathologiques, éléphancie, intu-
mescences ganglionnaires, etc.
Traitement. La thérapeutique de l'hématurie chyleuse porte nécessairement
l'empreinte des doctrines pathogéniques qui ont successivement prévalu : aussi
voit-on s'y coudoyçr les médications les plus disparates, aussi mobiles que les
'théories, et toutes revendiquant des succès que justifie plus sûrement l'évolution
même de la maladie ou l'intermission spontanée et plus ou moins durable des
symptômes.
S'il est vrai que, dans le cycle vital du parasite, le moustique soit l'agent
•intermédiaire de l'infection, la règle de conduite est toute tracée: dans les
lieux d'endémie, s'abstenir, en bains, en boissons, des eaux marécageuses,
• refuge habiluel de l'insecte, et n'user que d'eaux épurées par l'ébuUition et le
filtrage; rejeter de l'alimentation les poissons, les viandes même que leur degré
de cuisson ou leur mode d'apprêt ne purifient pas des organismes inférieurs à
l'état de vie (précaution qui s'adresse surtout à la prophylaxie du distome) ; se
défier des causes de débilitation et d'anémie si puissantes dans l'explosion des
accès chyleux, c'est là tout ce qu'une prophylaxie rationnellement basée sur la
'théorie parasitaire est actuellement à même de conseiller.
Le traitement curatif emprunte ses moyens à l'hygiène et à la matière médi-
cale. Bouchardat, d'après cette théorie inadmissible que la maladie est liée à un
■ excès de graisse dans les liquides de l'organisme, conseillait d'équilibrer la
dépense et la réparation des éléments de calorificatioH par une grande sobriété,
et par l'abstention, autant que possible, de tous les aliments hydrocarbonés,
graisses, huiles, beurre, boissons alcooliques, que l'on remplacera par le thé ou
Je café ; peu de sucre, et une alimentation féculente modérée ; préférer le pain
de gluten; les herbes, les fruits dans une juste mesure, des viandes grillées
dégraissées et en quantités proportionnelles aux forces dépensées par l'exercice
et par la gymnastique; une utilisation aussi régulière et aussi énergique que
possible des forces; des bains froids chaque jour, des ablutions fraîches deux ou
trois fois dans les vingt-quatre heures; régulariser les garde-robes par l'habi-
tude des heures. Eh bien, la diète des aliments gras n'a donné, au Brésil,
aucun bon résultat, et les Brésiliens ont démontré l'insuccès et les inconvénients
des exercices gymnastiques ; Sonsino en est arrivé à conseiller le repos. D'un
autre côté, dans les observations de Leared et de Barbour, on voit les stimulants
alcooliques procurer toujours un amendement temporaire.
Pour les partisans delà doctrine parasitaire, le traitement doit viser avant tout
l'infection, et chercher à débarrasser l'économie des entozoaires par des moyens
• ou agents anthelminthiques ou parasiticides appropriés. Or il s'agirait d'atteindre,
non-seulement les embryons dans l'appai-eil urinaire,le sang et la lymphe, mais
HEMATURIE. 159
aussi les progéniteurs eux-mêmos. Mais jusqu'ici, dans la chylurie, l'habitat
■organique de ces derniers n'est que vaguement soupçonné, et l'on ne possède
aucun moven d'action capable de tuer les vers et de les expulser. Plusieurs
■observations établissent, il est vrai, que l'homme peut en être délivré par
quelque procédé naturel ; on a saisi les progénileurs dans des abcès lymphatiques
•du bras (Bancroft, F. dos Sanlos, Carter, J. de Moura), dans des tumeurs super-
ficielles {Helminthoma elaslica, de Bancroft), dans le liquide des lympho-
•cèlcs, etc.. On peut supposer qu'ils peuvent également être expulsés avec
l'urine chyleuse, mais, en somme, on ne possède aucun moyen propre à provo-
quer ou à faciliter cette terminaison favorable. Le problème serait de reconnaître
l'habitat du ver-parent avec une exactitude suflisante pour l'extraire, s'il est
possible, ce qui ne semble pas réalisable pour ce qui est de la ohylurio. Man-
son, dans un cas de lympho-scrotum, a pu satisfaire à cette indication par
l'ablation des tissus qui contenaient une femelle adulte ; de même Lewis,
dans l'Inde. Chez le chylurique de Ferrand (comme dans les observations de
farter, de Manson, Chauvef, Barbour, etc.), il existait un ganglion inguinal
volumineux et douloureux, et Damaschino s'est demandé s'il n'y avait pas lieu
■de l'extirper.
Pour ce qui est des embryons, Myers a montré (1881) que le bisulfate de
quinine, l'acide salicylique, l'acide arsénieux, Id santonine, étaient impuissants
à détruire leur vitalité, et que les doses nécessaires pour les tuer seraient toxiques
pour le patient lui-même ; Magalhâes croit que la glycérine possède une action
désorganisatrice très-rapide sur ces microzoaires, mais il ne sait quelle serait son
■efûcacité dans la chylurie (fi^c/s. lued. Bahia, sept. 1881). S. Lima, cherchant un
agent toxique et se fondant sur l'élimination rapide de l'iodure de potassium
par l'urine, a essayé les préparations d'iode à l'intérieur. Les résultats sem-
blèrent d'abord satisfaisants ; les urines recouvraient leur aspect normal au bout
de quinze à vingt jours; mais d'autres essais infirmèrent ces premiers succès;
■chez plusieurs malades, l'iodure rosia impuissant, et échoua même là où, dans
une précédente période hématurique, il semblait avoir procuré la guérison.
■C. Rebello a bien noté un fait où la chylurie disparut avec une rapidité surpre-
nante; Davis (de Bombay) quatre cas associés au rhumatisme et guéris par
l'iodure de potassium, mais, en somme, l'iode et ses composés, soit comme
altérants, soit comme parasiticides, ne possèdent pas de propriétés curatives, ni
plus certaines, ni plus constantes que tous les autres médicaments employés
jusqu'ici. Pacifico a expérimenté une fois l'acide salicylique; l'accès disparut, et
cinq mois plus tard l'urine ne présentait plus aucun caractère chyleux. Mais
que conclure d'un seul essai? Quant à la glycérine (Magalhâes), elle n'a encore
■été essayée que dans un cas d'hydrocèle chyleuse. Bouchut conseille le cousso et
l'huile éthérée de fougère mâle; S. Araujo dit avoir obtenu plus sûrement la
destruction des embryons dans un cas de lympho-scrotum, par une sorte de
fulguration au moyen de décharges électriques {(jaz. med. Bahia, nov. 1877);
c'est la seule observation de ce genre que l'on possède.
Le nombre des médications et des agents médicamenteux expérimentés dans
cette maladie est considérable ; la plupart ne possèdent qu'une action temporaire
ou inconstante.
Les laxatifs, peu employés généralement, sauf indication particulière, ont
été conseillés par I. Betoldi (de San-Paolo) , qui aurait obtenu deux guéri-
soas par l'eau-de-vie allemande, et qui explique ces succès par la déplétion
140 HÉMATURIE.
des chvlifères et l'arrêt du passage du chyle dans les urines. Quelle que soit la
valeur de cette explication, c'est une médication qui doit être maniée avec
prudence.
Les médecins de Maurice, au Brésil, Jubim et Imbert, ont pratiqué jadis des
émissions sanguines, mais non sans inconvénients; elles sont condamnées aujour-
d'hui à juste titre, il n'existe déjà que trop de causes de débilitalion. P. Guima-
ràes estiuic qu'en présence d'accidents inllammatoires. fort rares du reste, vers
l'appareil urinaire, et avec indication des antiphlogistiques, il faudrait préférer
les ventouses aux saignées.
Les révulsifs n'ont pas mieux réussi ; Jubim a essaye vainement les vésica-
t(»ires associés à la noix d'acajou pour éviter le stimulus des cantharides sur la
vessie et les reins.
Les diurétiques onl parfois suspendu les accès chyleiix; (( sans répondre à
l'indication causale, la médication diurétique peut venir en aide au traitement
en diluant l'urine, facilitant son émission, et peut-être en activant l'élimination
des embryons » (C. liobello). On a donné dans ce but la busscrole (Valiadâo), la
digitale, la pariétaire, etc., en déconseillant le nitrate de potasse comme trop
hyposthénisant (Torres llomem). Quelques médecins brésiliens, qui ont cru à la
nature nerveuse de la maladie, ont associé aux diurétiques, et non sans succès
quelquefois, les antispasmodiques et les toniques, et obtenu des guérisons par la
valériane et le fer (de Simoni, Valbidào, J. dos Reis), ou par la belladone et la
jusquiamc indiquées par Hooper.
Mais c'est aux astringents et aux toniques amers qu'on s'est adressé avec le
plus de profit ; Sonsino pense que les premiers peuvent atténuer l'écoulement
lymphuri(pie par leur action sur les parois des vaisseaux ruptures ou sur le
plasma lui-même. Le quiuquina et la limonade sulfurique ont donné à Meirelles
un certain nombre de guérisons; P. Guimaràes a retiré du fer et du quinquina
associés des résultats avantageux; il a aussi essayé en bains et à l'intérieur
l'écorce ôe pdo pereira, dont l'alcaloïde, la péreirinc, permettrait peut-être un
dosage plus exact [voy. Pereira). La flore brésilienne est riclie en astringents
énergiques qui n'ont pas tous été soumis à l'expérimentation : Vabutua, la
monœsia; les diverses écorces connues sous le nom de barhalimào ; la feuille de
Yaraça (goyavier), \a.camhalha ou Curatella americana (DiUéniacées), l'oreille
de chat, Vaoeii'a ou pistachier bonduc, le pdn pomho, etc.. L'extrait de ratanhia
à hautes doses a quelquefois produit une modification favorable chez les malades
de Cassien; le sang diminuait rapidement, la teinte laiteuse disparaissait, et
les urines reprenaient leur aspect normal; plusieurs fois pourtant jI est resté
impuissant. L'acide tannique, employé souvent à la Réunion, est loin de posséder
l'efficacité que les Anglais attribuent à l'acide gallique; Bence Jones, Priestley,
Goodwin, et les médecins du gouvernement à Maurice, Sonsino, en Egypte, dans
la lymphurie, ont obtenu de ce dernier des effets très-remarquables et quelques
guérisons ; il posséderait une action astrictive sur les canalicules urinaires. Il
est certain qu'il dissipe promptement l'aspect chyleux de l'urine et fait dispa-
raître l'albumine. Goodwin (1856) l'a donné à la dose quotidienne de 6 grammes,
Waters a poussé jusqu'à 9 grammes, en atténuant ensuite peu à peu les doses.
Ce médicament a produit parfois un obscurcissement passager de la vue et un
peu de surdité; Priestley fut obligé de le suspendre, en raison de l'intolérance
gastrique (L. Beale). La décoction d'écorce du Rhizophora racemosa [Rhizo-
phora mangle L.) a été préconisée par Bouyun (de Demerara), à la dose de
HÉMATURIE. 141
50 "Tammes pai" jour à l'intérieui"; Marlius classe celte écorce parmi les astrin-
o-ents les plus énergiques, et c'est sans doute cette propriété qui en a justifié
l'emploi dans la chylurie; pour Copland, elle augmente la sécrétion urinaire tout
en en modifiant les caractères, el n'est pas sans influence sur la santé générale
(Copland, Med. Dict., vol. III, p. 1221) ; Hillis, à la Guyane anglaise, en a retiré
un bénéfice réel. Wucherer avait essayé le perclilorure de 1er; Cassien l'a vu
réussir, à hautes doses, comme hémostatique, chez une malade réduite par les
hématuries à la dernière extrémité; Dutt a guéri par ce sel un Hindou atteint de
chylurie et dyspeptique; A. Gouto dit que pendant l'emploi de cette préparation,
et vingt-quatre à quarante-huit heures après, l'iu'ine est débarrassée d'embryons,
mais qu'ils reparaissent lorsqu'on suspend le médicament. Sonsino met en pre-
mière ligne l'acide gallique et la teinture de perchlorure de fer. Quelques
malades de Prout ont obtenu un soulagement temporaire parles acides minéraux,
l'alun et l'acétate de plomb ; l'opium a également enrayé la marche pendant un
certain temps; Bence Jones donne la préiérence aux astringents, tannin, azotate
d'argent, etc. En résumé, les astringents, végétaux surtout, rendent de bons ser-
vices à titre d'hémostatiques, mais en dehors de cette indication il y a peu à
compter sur eux pour assurer une guérison définitive; C. Rehello leur attribue
cependant une action parasiticide.
Les ferrugineux trouvent généralement l'opportunité de leur emploi chez les
sujets affaiblis par des pertes sanguines abondantes, et dont il importe de sou-
tenir la santé générale; ils ont donné les meilleurs résultats. Gaffe, Rayer, les ont
recommandés, Imbert rapporte la cure de trois malades par le carbonate de fer.
U faut choisir de préférence les sels de fer qui ne constipent pas, lactate,
citrate, iodure.
Les balsamiques comptent quelques cas de guérison; Salesse cite un créole de
Maurice qui, atteint d'hématurie rebelle et d'uréthrite, guérit de ces deux mala-
dies par l'usage du baume de copahu. S. Lima ne se prononce pas sur la valeur
de ce médicament; il n'a été employé à Bahia que dans deux occasions, une
fois avec un semblant de bénéfice, l'autre fois sans prolit, ou plutôt avec aggra-
vation de l'hématurie. Le matico, essayé par Bence Jones, procurait quelque
soulagement. Sonsino a obtenu par l'huile jaune de Santal, 20 à 25 gouttes, trois
fois par jour, la guérison rapide d'une attaque de cliylurie, mais sans disparition
des filaires.
Silva Lima mentionne avec éloge des pilules employées au Para pai' F. da
Silva Castro, el ainsi composées : ergot de seigle, en poudre très-récente, 10 cen-
tigrammes ; iodure de fer, 5 centigrammes; extrait de cachou, q. s. pour
i pilule. Faire 55 pilules ; 1 le matm, 1 le soir, avec infusion de Polygala
paraensis {Cadmembéca, au Brésil). Deux cas traités par le médecin du Para
ont été suivis de guérison; en 1875, S. Lima a employé ces pilules,' au nombre
de trente-quatre, chez une malade à son sixième ou septième accès: l'hématurie
disparut aussitôt après la dernière pilule; quelques mois plus tard commença
une nouvelle période hématurique qui coïncida, comme précédemment, avec
l'état de grossesse ; la chylurie continua après l'accouchement, puis il survint
une paralysie béribérique ; par les bains de mer, des pilules de sulfate de 1er,
de quinine, de strychnine, et l'extrait d'aloès, les deux maladies disparurent en
deux mois.
Ghapotin cite un cas d'hématurie continue, chez un créole de Maurice, suivie
<i'urines chyleuses, et guérie par la teinture de cautliarides.
J42 HÉMATL'RIE.
Dans les cas de complication de gravelle urique, les alcalins, sons la forme de-
l'ean de Vichy, seraient parfaitement justiûés; Roza cite nne femme de soixante
ans qui guérit par l'emploi des bains de mer et de l'eau de Vichy, mais il ne
dit pas si les urines contenaient de l'acide urique libre. Le soufre, intiis et
extra, et l'arsenic, auraient été suivis de bons effets dans une complication de
diathèse dartreuse. Torres Homem recommande les fleurs de soufre associées
au suc exprimé du persil commun, ou au sulfate de quinine et au carbonate de
fer, et ainsi que Wucherer, pour prévenir les pertes excessives d'albumine, les
capsules de térébenthine ; J. Moura a réussi au moyen de très-petites quantités^
d'essence de térébenthine chez un malade qui n'avait obtenu aucun bon résultat
par de fortes doses; quelques médecins ont cru reconnaître dans ce médicament
une action parasiticide (Satterlh\Yaite, 1884); d'autres le considèrent comme un
simple modilicaleur du système nerveux. A. Pinto et A. Rego ont essayé avec
profit l'eau de Seltz et les Eaux-Bonnes ; cependant ces dernières n'ont donné
aucun résultat à C. Rebello.
Divers produits de la pharmacopée brésilienne auraient, à des titres divers,
fourni des succès : la fécule de Jacatiipé [Pacinjrrhisus angulatus Benth),
mélangée au suc de citron, contre les accidents hcmaturiques (J.-J. Silva, L.-A.
Pinto, Miranda, Azevedo, P. Hego, A. Dego) ; C. Rebello n'en a pourtant retiré
aucun bénéfice; les décoctions de l'Amor do campo {amour des champs, zornia
selon ?sic. Moveira, lied ysarum selon J.-J. Silva) ; la Canna de brejo hranca
(Alpinia spicata, Amomacées], VHerva pomhinha {Phyllantus mycrophillus
de }tlàrlms, Euphorbiacées) ; lejapecanga {Herreira salsaparrilha, Smilacées),
la Quintefeuille [Bignoniacées], astringent vanté par Valladâo ; la Sensilive
[Miynosa pudica, Légumineuses), associée au fer par Godoy Botelho ; la Barba de
paca {Rosacées); la Bidens pilosa, picâo {Composées; Foriu. de Cherno-
vitz), etc.. Citons enfin l'huile de foie de morue, la quinine, l'acide phénique,
la strychnine, l'aloès, le café noir (HomoUe), etc., et nous en aurons fini avec
cette longue liste d'agents médicamenteux dont l'action variable n'a abouti le
plus souvent qu'à l'impuissance.
C'est de l'hydrothérapie qu'on doit attendre les plus sûrs bénéfices; elle a été
de tout temps employée au Brésil (Jubim, Rosa), et c'est le traitement le plus
iiabituellement suivi à la Réunion sous forme de bains de mer ou de rivière, ces
derniers préférables à cause de leur plus basse température. Cassien a employé
les douches générales en pluie, très-courtes, et les douches en jet sur la région
lombaire, qui agissent mieux dans les premiers jours du traitement ; il cite
quatre cas de guérison presque complète, et une seule récidive chez un malade
qui cessa trop tôt la médication. La dm'ée du traitement est, en effet, une con-
dition de succès ; quelquefois, dès les premières applications froides, les urines
reprennent 'leur limpidité; cesser brusquement serait appeler une rechute. Le
traitement sera donc prolongé longtemps encore après la disparition des acci-
dents, surtout si la maladie est ancienne. Après guérison et retour dans les
cUmats chauds, le malade devra se soumettre à l'usage journalier des bains
froids et des applications froides sur la région rénale. Pendant tout le traite-
ment recommander l'exercice musculaire, mais modéré ; Sonsino estime même
que le repos peut contribuer puissamment à diminuer les pertes lymphorrha-
fiques. Cassien prescrit une bonne hygiène, un régime tonique, fortifiant, par
les viandes grillées, le vin, le fer, le quinquina, les amers; Sonsino croit pour-
tant qu'il faut être circonspect sous ce point de vue, une trop grande distension
HÉMATURIE. 145-
des lymphatiques pouvant entraver la guérison des points qui ont souffert de
l'obstruction causée par les vers [Lancet, mai 1882, p. 555).
La maladie étant spéciale aux pays chauds, on a été naturellement conduit à-
conseiller l'émigration vers des climats tempérés ou froids ; les créoles de la
Réunion vont demander la guérison aux localités élevées et fraîches de l'île,
aux thermes de Salazie, etc.. ; d'autres viennent en Europe; plusieurs malades
de Rio-de-Janeiro ont été temporairement délivrés par un séjour dans la Plata
(C. Rebello), ou ont guéri dans les hauteurs et sous le climat plus tempéré de
Friburgo, de Pétropolis, etc.. (Martins Costa); Makuna a vu également uU'
séjour de quelques semaines dans les sanatoires de Mahabalechwer, de Matherun,
de Khandala, dissiper l'état chyleux de l'urine et ramener les apparences de la^
santé. Ce changement de climat, si habituellement recommandé et en général
très-favorable, offre partout des contre-indications ; il convient quand la maladie
est récente ou ne remonte pas au delà de deux ou trois ans ; au delà de ce terme,
il semble inutile et même nuisible, surtout lorsque la constitution générale est
profondément altérée (Gassien). D'un autre côté, il arrive souvent que la maladie
qui a cédé par le déplacement reparaît par le retour dans les pays chauds, fait
signalé par Salesse, Cassien, Makuna, Moura, Torres-Homem, etc..
Dickinson, partisan de la théorie de la chylorrhéc, et admettant le regorge-
ment du chyle du canal thoracique vers les lymphatiques rénaux, a employé la
compression au moyen d'un tourniquet abdominal dont une pelote était placée-
sur la dernière vertèbre lombaire : l'effet fut immédiat, l'urine revint à sa cou-
leur normale, et la quantité de matière chyleuse dans l'urine tomba au-dessous
du huitième de son chiffre précédent (Lancet, 8 déc 1875). Chez un malade de
Bence Jones, la compression au moyen d'une ceinture serrée avait soulagé \n
douleur et rendu l'urine un peu moins chyleuse.
En somme, on ne possède aucun agent thérapeutique sur lequel on puisse
compter d'une façon certaine ; tel paraît réussir dans un cas qui échoue dans un
autre, ou qui, après un premier succès, reste impuissant chez le même malade
lors d'une nouvelle période hématurique. 11 n'est pas rare que la maladie dispa-
raisse spontanément au bout de quelques mois, d'une année, et cette disparitioa
peut coïncider avec l'emploi d'un traitement auquel on aurait tort de rapporter
l'honneur de la guérison, car plus tard c'est en vain peut-être qu'on lui deman-
dera les mêmes services. « Mon observation persoiuielle, dit S. Lima, ne m'in-
spire de confiance en aucun de ces agents pharmaceutiques. Je compte davantage
sur les ressources d'une bonne hygiène, tant qu'une connaissance plus parfaite
de l'étiologie et de la pathogénie de l'affection, et surtout une expérience cli-
nique plus étendue, ne nous auront pas conduits à une médication rationnelle et
efficace. »
L'intervention chirurgicale peut devenir nécessaire dans les cas où des caillots
fibrineux déterminent des accidents de dysurie ou une rétention d'urine; ces
cas sont assez rares, du reste, et exigeraient le cathélérisme ou des injections
délayantes dans la vessie, mais le plus souvent, au prix de quelques efforts, les
malades arrivent à expulser ces caillots et à se soustraire à une opération qu'ils
redoutent.
On n'est pas mieux armé contre l'hématurie par Bilharzia ; la térébenthine,
l'huile de Dippel, l'asa foetida, le copahu, le cubèbe, la santonine, le buchu,
l'iodure de potassium, ont tous échoué comme agents parasiticides. L'extrait de
fougère mâle associé à l'essence de térébenthine a été recommandé par J.Harley
144 IIÉMATL'RIE.
comme eflicace pour activer l'évacualioii des œufs ; la térébenthine ne pourrait
être prescrite qu'avec réserve, si les reins son!, malades. J. Worlabet aurait
obtenu des résultats excellents de ces deux médicaments associés à l'intérieur
et en injections hypodermiques.
En 1869, J. Ilarley a essayé des injections médicamenteuses dans la vessie;
des infusions d'absinthe et de quassia amara restèrent sans résultat, mais l'huile
de fougère mâle (O^^oO à 1 gramme) provoqua une vive irritation et des con-
tractions énergiques de la vessie, avec expulsion d'œufs nombreux; elle fut
impuissante puurlant à tuer les parasites. Allen (1882) aurait obtenu plusieurs
guérisons par injections veineuses d'une solution alcoolique de santonine. Quant
aux injections vcsicales d'iodure de potassium (0*^'%50 à l^-'^oO pour 160 grammes
d'eau), seules ou alternant avec celles d'huile de fougère, elles n'ont pas mieux
réussi que ces dernières ; le sel était promptement absorbé, et il survenait des
symptômes de catarrhe sans irritation vésicale. Harley avait présenté ce mode
de traitement comme efficace pour déblayer la vessie des produits du parasite
au fur et à mesure de leur formation, et comme capable de tuer les vers
adultes, mais au bout de quelques mois son malade continuait à rendre des
œufs. Dans un fait cité par Guillemard ce traitement a eu des conséquences
déplorables : il s'ensuivit une cystite et une néphrite aigués, et Guillemard juge
cette méthode extrêmement dangereuse. Golbold y est formellement opposé :
« Notre but, dit-il, doit être, non d'intervenir, mais d'aider les efforts de la
nature qui tend à la guérison au moyen d'obstacles artificiels apportés à l'écou-
lement sanguin; de celle façon, la santé se soutient jusqu'au moment où les
parasites meurent ou cessent d'être nuisibles, G'est là le principe qui doit guider
dans le traitement des désordres provoqués par la Billiarzia... Si vous calhété-
risez et employez des injections médicamenteuses, vous faites plus de mal que
de bien ». Sonsino va même plus loin, et soutient que ce serait une erreur en
pratique de provoquer la mort du parasite, même si cela était possible, en raison
des dangers consécutifs d'embolisme ou de septicémie ; le traitement doit avoir
pour objectif plutôt le soutien de la sanlé générale et l'atténuation de tous les
symptômes fâcheux qui peuvent survenir, que la destruction du distome lui-
même. G'est ainsi que l'on devra surveiller attentivement tout signe de calcul
vésical ou rénal; dans ce dernier cas, des délayants et surtout du repos; si
l'urine est acide, quelques alcalins, acétate ou citrate de potasse, qui seront
utiles comme préventifs de la formation de l'acide urique ou des dépôts d'oxa-
late de chaux (Guillemard); un régime analeptique, mais non stimulant; repas
peu copieux, maisj fréquents ; éviter les vins généreux et les repas prolongés.
L'expérience a bientôt instruit le malade du bien-être obtenu par des urines
abondantes, et en général il est inutile de lui recommander un large emploi des
boissons (Guillemard). Disons enfin que la lithotritie ou la taille trouvent assez
souvent leur indication dans l'hématuiie de Bilharz.
Le mode de pénétration du ver dans l'économie étant inconnu, la prophylaxie
de l'infection n'est basée que sur des conjectures. Dans les pays d'endémie, toute
eau potable doit être bouillie et filtrée; rechercher celle des puits profonds ou
des sources, éviter toute eau provenant des étangs, des marais, etc.. ; s'abstenir
des bains de rivière, rejeter le cresson, les poissons et les crustacés d'eau
douce; avertir enfin tout porteur du distome de Bilharz de la possibilité où il
est de devenir lui-même une source d'infection pour les autres.
BOCREL-ROACIÈRE.
HÉMÉRALOPIE. 145
HÉnEIVTERIE. Voi/. HiRUDiNÉES.
HÉMÉRALOPIE. On désigne sous ce nom, un état pathologique de la
vision caractérisé par l'impossibilité plus ou moins complète de voir la nuit,
alors que, pendant le jour, le sujet qui en est atteint ne s'aperçoit d'aucun
trouble spécial.
Si elle se montre chez des individus dont l'œil est indemne de toute lésion
apparente, l'héméralopie est dite idiopathique, elle est au contraire symptoma-
tique, si elle accompagne certaines affections bien caractérisées et bien connues
pour la tenir sous leur dépendance. Nous nous occuperons surtout de la pre-
mière, la seconde se trouvant mentionnée et décrite dans les articles de ce Dic-
tionnaire, consacrés aux diverses maladies oculaires capables de l'engendrer.
Le plus souvent elle est épidémique, c'est-à-dire apparaît à la fois sur un
grand nombre de sujets placés dans des conditions hygiéniques semblables et
soumis aux mêmes influences; plus rarement, elle frappe des individus isolés.
Connue depuis la plus haute antiquité par les médecins de tous les pays,
l'héméralopie a une histoire que nous ne pouvons nous dispenser de résumer,
ce qui nous permettra, en passant, de poser et de résoudre bon nombre de pro-
blèmes se rattachant soit à l'idée qu'il faut s'en faire, soit au nom même qu'on
lui a donné.
Un des points les plus curieux de cette histoire, c'est la fortune diverse qu'a
subie le nom même de la maladie. En effet, à la place de l'expression héméralo-
pie, nous trouvons dans les écrits les plus anciens sa conlre-parlie nyctalopie, et
les descriptions du mal données par les auteurs ne nous laissent aucun doute
sur le sens qu'ils lui attribuaient. Un seul, et c'est le premier, le plus impor-
tant, Hippocrate, fait exception en désignant sous le nom de nyctalopes les gens qui
voient la nuit. Cette contradiction soulève un problème singulier et qui mérite
d'être éclairci, celui de savoir si le père de la médecine a connu la cécité noc-
turne. Pour le résoudre nous devons entrer dans des détails de grammaire et de
lexicographie à la suite de Greenhill et de Tweedy, dont les savantes discussions
nous serviront de guide. Dans les Prorrethica au livre II, §§ 33 et 34, Hippocrate
désigne sous le nom de nyctalopes les gens qui voient la nuit, 01 Si t»5; vuxtoî
ôpôJvTEç, oOî cïi vu/.-aXoja; xaî.eopiîv : par conséquent les gens qui voient le jour
seront héméralopes. Ou le passage des Prorrethica ne signifie rien, ou il faut
l'appliquer à une affection toute différente de celle qui nous occupe, à la photo-
phobie, suivant l'interprétation du professeur Auguste Hirsch, de Berhn. Dans le
cas contraire, il faut admettre qu'Hippocrate a ignoré un état qu'ont décrit
presque tous les auteurs de l'antiquité, fait si surprenant, qu'il nous oblige à
serrer de plus près notre texte et à examiner si quelque erreur ne s'y est pas
glissée.
Aristûte, Pline, Galien, Oribase, Celse, Aétius, Al. de Tralles, Paul d'Égine
et autres, se sont servis du mot nyctalopie dans le sens de cécité nocturne: c'est
là un fait que leur description de la maladie met hors de doute. Hippocrate
emploie la même expression dans un sens exactement contraire : faut-il croire
qu'il ne connaissait pas la maladie ou que, l'ayant connue, il ne l'a pas décrite?
Un fait aussi étrange a frappé plusieurs maîtres de la philologie moderne et ils
ont préféré y voir le résultat d'une faute de copie, plutôt que l'expression exacte
de la vérité.
Déjà Ghamseru, en 1786, dans son mémoire adressé à la Société de médecine,
DICT. ENC. i° S. XIII. 10
146 HEMÉRALOPIE.
avait remarqué que dans un manuscrit des œuvres hippocraliques datant du qua-
torzième siècle le mot où/ devant ôpûiizsç avait été effacé, mais que sa trace
était encore visible. Le savant Goray, qui connaissait celte remarque de Gham-
seru, s'en référant à son tour à Gelse, qui sans aucun doute avait dû traduire
les Prorretliica, pensa qu'en effet la négation avait du exister dans les textes
primitifs, comme en faisaient foi les Commentaires de Galien concluant dans le
même sens. Ces raisons ont paru assez fortes pour qu'en 1864 Emmerius ait
donné une édition importante des œuvres llippocratiquesdans laquelle les textes
ont été rétablis dans le sens de cette version. Ainsi s'est trouvé effacée une
discoi'dance incompréhensible, et l'accord s'est fait entre tous les savants de
l'antiquité sur le vrai sens du mot nyctalopie.
Voilà donc, dans toute cette période reculée, ce mot en possession d'exprimer
la cécité nocturne, tandis que celui d'héméralopie dont nous nous servons
aujourd'hui pour dire la même chose ne serait, d'après Greenhill, écrit qu'une
fois dans un auteur grec, et cela sans explication aucune sur son véritable sens.
Il n'est pas sans intérêt de savoir pourquoi et comment s'est faite la substilution.
Tweedy en donne une explication assez ingénieuse. Il suppose que, jusqu'au
milieu du di.v-scpticme siècle, la plupart des écrivains s'en étaient surtout tenus
aux textes de Galion, d'Aristotc, de Pline, etc., parce que les ouvrages de ces
maîtres étaient, plus que ceux d'IIippocrate, accessibles à leurs recherches.
Galien avait défini le terme mjctalopes : ceux qui ne voient pas la nuit, c'en
était assez pour qu'on se fiât à sa parole sans remonter au texte original du
père de la médecine, mais voilà que de 1588 à 1665 trois éditions de S3S œuvres
parurent, celles de Mercurialis, de Foesius et de Van der Linden : or, comme
toutes trois disaient nyctalopes ceux qui voient la nuit, on abandonna peu à
peu une expression qui ne pouvait plus s'adapter à la réalité des choses. Le sens
sacré d'Hippocrate ne pouvant être touché, on fut conduit à employer pour exprimer
la cécité nocturne, non plus le mot nyctalopie, mais bien sa contre-partie, c'est-à-
dire l'expression héméralopie. Paré, Guillemeau et Plempius, furent les premiers
à entrer dans cette voie où ils furent bientôt suivis par la foule grossissante
des auteurs modernes. Aujourd'hui Jiéméralopie a une véritable possession
d'état, tout le monde s'en sert et, sauf deux ou trois récalcitrants, s'accorde sur
sa signification : il nous semble donc inutile de la changer et, tout en appréciant
la justesse plus grande du moi nyctamblyopie proposé par Quaghno, nous l'avons
inscrite en tête de cet article.
Ce point établi, revenons en arrière et essayons de nous faire une idée des
notions que possédaient les Anciens sur l'héméralopie. Celse qui la décrit
sous le nom d'imbecillilas oculorum, nous dit qu'elle n'attaque pas les femmes
bien réglées et que, pour la guérir, il faut employer le jus qui^découle d'un
foie de bouc, ce qui prouve entre parenthèse que c'est bien l'affection telle
que nous la connaissons qu'il avait en vue. Paul d'Égine, Aétius et Actua-
rius, au point de vue thérapeutique, poursuivent la tradition de Celse, qui
se continue ensuite à travers tout le moyen âge. Il faut arriver à Bontius
pour trouver cette importante notion que la maladie est une de celles
qui frappent les voyageurs de la mer des Indes, ce qui lui implique un carac-
tère épidémique et surtout la rattache à un ordre de causes dont, plus tard,
Boerhaave et maître Jan feront une étude plus approfondie. Peuà peu l'héméra-
lopie prend sa place dans tous les traités d'ophthalmologic, aussi bien en France
qu'en Allemagne, en Angleterre qu'en Italie. Dans la période moderne de son
IIÉMÉRALOPIE. 147
histoire, nous devons signaler les années qni s'écoulent entre 1845 et 1885,
pendant lesquelles paraissent d'innombrables mémoires partis surtout de la main
des chirurgiens de la marine et de l'armée, qui, tout en nous donnant d'inté-
ressantes descriptions des épidémies observées, s'efforcent de fixer certains points
spéciaux de pathologie, d'étiologic et de thérapeutique. Puis, comme il arriva
toujours après tout effort scientifique, le mouvement se ralentit et nous n'aurons
plus à citer de travail récent sur la matière.
Le résultat positif de tous les travaux que nous venons de passer en revue,
c'est que l'héméralopie doit être considérée sous deux aspects différents : d'abord
comme une maladie spéciale dont la cécité nocturne est le caractère le plus signi-
ficatif, ensuite comme un symptôme commun à plusieurs affections très-diffé-
rentes et s'y rattachant par des liens plus ou moins évidents. Cette façon de
l'envisager nous trace dans notre exposition une division toute naturelle. D'un
côté se place l'héméralopie idiopathique, de l'autre l'héméralopie symptomatique.
C'est à la première que nous consacrerons presque exclusivement cet article.
Héméralopie idiopathique. Si nous pouvions trouver à cette maladie une carao
lériîtique anatomique, c'est par elle que nous devrions en déterminer la nature.
Malheureuseusement l'état actuel de nos connaissances ne nous permet pas cette
détermination, et nous serons obligé de nous contenter d'en tracer le tableau
par des traits que nous emprunterons à la symptomatologie, à l'étiologie et à la
marche de l'affection.
Le signe le plus frappant consiste en ce que Yhéméralope, qui jouit ou paraît
jouir d'une vue convenable tant que le soleil est sur l'horizon, devient aveugle
dès que cet aslre se couche. Cet tains auteurs, frappés de l'iiifliience de la dispa-
rition de la lumière solaire, ont été jusqu'à diie que le patient ne saurait rien
voir sans elle, et qu'au milieu des brumes les plus épaisses il peut dire le moment
précis oii le soleil disparaît de l'horizon.
Queymard (thèse de Montpellier, 1878) soutient cette opinion et Desmarres, dans
son Traité des maladies des yeux, 1858, p. 495, s'en montre le partisan non
moins résolu. Il affirme que le même homme qui ne peut rien voir, le soleil
une fois couché, pourra très-bien, pendant le jour, travailler dans une cave à la
lueur d'une bougie. Le fait est plus que discutable, et déjà en 1816 Payen affir-
mait dans sa thèse que la lumière artificielle est toujours visible pour l'héméra-
lope, quoiqu'elle l'éclairé insuffisamment. Aujourd'hui tout le monde tend à
admettre que la cécité nocturne apparaît à toute heure, dès que la lumière,
quelle qu'en soit la source, devient trop faible pour le sujet affecté. La maladie
serait donc, comme le pense Baizeau, continue et non intermittente, ai l'affaiblis-
sement de la vue existerait aussi bien le jour que la nuit. On a même essayé de
calculer la perte que subit la vision dès qu'on diminue l'éclairage, et de Wecker,
dans sa Thérapeutique oculaire, 1879, dit que dans un œil affecté l'acuité cen-
trale baisse dans la proportion de 1 à 40 et même 60, comparativement à ce qui
arrive dans l'œil sain,
M. Boudet (thèse de Montpellier, 1875) s'était déjà posé la question de savoir
quelle était l'intensité minime de la lumière nécessaire à un héméralope.
Empêché d'y répondre à cause du défaut de procédés photoméh'iques un peu
sûrs et de la variabilité des sujets, il s'était arrêté à la méthode de M. Pirion,
médecin de la marine. Cette méthode consiste à faire regarder simultanément la
lumière d'une même bougie à un héméralope et à un sujet sain, en les obligeant
tous les deux à s'éloigner ensemble de la source lumineuse. Cette expé-
148 HEMERALOPIE.
rience donne à notre auteur, comme résultat, une infériorité pour le malade
représentée par le chiffre 134. Reconnaissant alors l'impossibilité d'établir des
différences absolues, il préféra adopter une classification plus large, et en somme
assez pratique. Il propose de ranger au point de vue de la capacité de voir tous
les sujets dans une des six catégories suivantes :
]" Ceux qui ne peuvent pas distinguer nettement la lune;
2° Ceux qui peuvent distinguer la lune ;
3° Ceux qui voient Sirius et les planètes ;
4° Ceux qui distinguent les étoiles de première grandeur, la clarté lunaire
et la lueur phosphorescente de la mer;
5° Ceux qui distinguent les étoiles de deuxième grandeur ;
6" Ceux qui voient les étoiles de troisième grandeur et la clarté d'une atmo-
sphère sereine.
D'après M. Boudet, tous les héméralopes se trouvent dans les quatre premières
lasses: aucun d'eux n'a pu reconnaître les étoiles de deuxième et troisième
grandeur. Nous avouons que, en l'absence de mensuration plus précise, nous goû-
tons assez cette manière d'apprécier la valeur de la vision nocturne. Elle démontre,
dans tous les cas, que l'héniéralopie se présente à tous les degrés, depuis la cécité
nocturne la plus absolue jusqu'à l'état normal, et elle justifie la classification
que l'on a établie en héméralopie complète et héméralopie incomplète. Cela dit,
voyons comment se manifeste ce trouble singulier de la vision.
J'emprunterai une grande partie de cette description à la thèse de E. Comme,
dans laquelle ce sujet me parait particulièrement bien traité.
Aussitôt que le soleil vient de se coucher, un nuage semble s'interposer entre
l'œil et les objets, nuage qui va s'épaississant de plus en plus. Très-souvent les
malades qui s'observent constatent une espèce d'hémiopie. La partie inférieure
du champ visuel est obscurcie et le brouillard qui masque les objets situés en bas
s'élève de plus en plus. L'héméralope ne distingue bientôt que la silhouette de
tout ce qui l'entoure se projetant sur le ciel lumineux. Les objets, ne laissant plus
voir que leurs parties les plus éclairées, perdent leurs véritables formes et ne
sont plus reconnus. Les malades disent qu'ils voient tout comme à la lueur d'un
incendie. La perspective k son tour est supprimée et à mesure que l'obscurité
augmente la vision se perd de plus en^plus.
Ainsi que nous l'avons dit, la torpeur héméralopique se montre à des degrés
très-variables. Au grand jour le malade y voit très-bien, mais il suffit souvent
d'une diminution très faible de la lumière pour le troubler : témoin un tinion-
nier qui y voyait très-bien sur le pont et qui avait grand'peine à se conduire
dans un carré bien éclairé cependant. Dans les cas légers, on peut voir l'héméra-
lopie diminuer, si la lune se lève. Il va sans dire que M. Comme reconnaît l'exi-
stence d'un trouble visuel diurne chez ses sujets, et il est même d'accord avec
M. Chaussonnet pour dire que quelquefois l'amblyopie cesse d'être intermittente
pour durer jour et nuit.
Un symptônie important signalé encore par M. Gomme, c'est la diplopie qui
se manifeste chez le patient lorsque celui-ci regarde une bougie à 4, 5 ou
6 mètres et plus. Quelquefois il y a de la polyopie. D'ordinaire la diplopie
s'accompagne d'un léger strabisme et Vidal de Cassis dit avec raison qu'elle en
est la conséquence. Quant à la polyopie, elle serait le résultat d'une accommo-
dation insuffisante et de la formation de foyers multiques par les divers secteurs
inégalement réfringents du cristallin. Quoi qu'il en soit de la cause du phénomène,
IlEMERALOPIE. 149
notons qu'il ne se produit pas toujours, même lorsqu'on s'astreint aux précau-
tions recommandées par l'auteur de ne se servir que d'une lumière très-faible.
La torpeur rétinienne n'est pas toujours uniformément répandue sur la surface
de la membrane et, lorsqu'on montre au malade un petit objet, œlui-ci ne le per-
çoit pas toujours immédiatement ; il a besoin d'un instant pour s'orienter et,
lorsqu'il déclare le reconnaître on s'aperçoit souvent, non sans surprise, que son
axe visuel n'est point dirigé sur l'objet fixé. Nous connaissons très-bien ce phé-
nomène que nous caractérisons de perte de la vision centrale. Le plus souvent,
c'est bien sur la macula que porte le scotome, mais fréquemment aussi il se
manifeste dans d'autres régions, à la périphérie, par exemple. Lorsque les lacunes
du champ visuel sont nombreuses, elles se trahissent par une singulière attitude
du sujet, qui regarde les corps comme s'il les cherchait à travers les éclalrcies
d'un feuillage; s'ils sont volumineux, il ne les voit qu'incomplétementet il en trouve
la surface comme semée de trous et de lacunes plus ou moms nombreuses et
plus ou moins irrégulières. Les symptômes extérieurs par lesquels se trahissent
encore les altérations sont l'impossibilité où se trouvent les héméralopes de
distinguer les objets placés près d'eux. Cela prouve que leur champ visuel est
rétréci surtout en haut, comme le démontrent des recherches plus directes et
plus précises.
Les symptômes fonctionnels ainsi reconnus — et nous pensons avoir signalé
tous ceux qui sont le plus communément admis, — passons aux signes objectifs,
c'est-à-dire à ceux qui sont susceptibles d'être saisis par l'observateur.
En première ligne, nous signalerons la dilatation et la paresse pupillaircs,
admises par presque tous les auteurs et particulièrement par les Anglais. Elles
sont plus ou moins considérables, mais semblent exister, même dans les cas les
plus légers; seulement elles ne se manifestent d'une façon bien nette que si l'on
examine les malades la nuit et à la lumière d'une bougie. A la lumière du jour,
ou à un éclairage un peu intense, le phénomène disparaît et l'activité irienne se
montre à peu près égale chez l'héméralope et chez le sujet sain, à moins qu'il
n'existe, ainsi que M. Gomme l'a observé deux fois, une conjonctivite capable
d'entraîner dans la membrane contractile un certain degré d'inertie. La dila-
tation n'est pas toujours régulière; Cunier dit en avoir vu une hexagonale et
Ouvrard une rectangulaire.
Boudet, voulant apprécier la valeur de celte dilatation, a fait construire une
échelle pupillaire comparative formée de cercles noirs collés sur un carton blanc
et croissant de millimètre en millimètre. 11 a vu pendant le jour, chez ses malades,
une dilatation moyenne de 6 à 8 millimètres. L'accroissement, pendant la nuit,
était très sensible; il variait de 1 millimètre à 1 millimètre 1/2; aune faible
lumière il était de 9 millimètres 1/2. Cependant chez quelques sujets la pupille
restait, même dans ces conditions, à 7 millimètres 1/2. Sur les sujets en voie de
guérison, l'ouverture pupillaire se montrait de plus en plus sensible à la lumière.
Comme M. Coquerel l'a avancé, la dilatation et la paresse pupillaires sont donc
la règle dans l'héméralopie, et ce n'est que par exception que Wenzel a pu signaler
des cas dans lesquels il existait un myosis intense.
On cite encore comme symptôme d'héméralopie des douleurs oculaires qui
peuvent se montrer avant ou après que la maladie a éclaté. M. Gomme ne
les a observées que très-rarement, sous forme de tension dont les malades se
plaignent après avoir fait de longs et infructueux efforts pour voir pendant
la nuit.
150 HÉMÉRALOPIE.
Chaussonnet (thèse, \S10) a encore signalé une conjonctivite qui se dévelop-
perait sons l'influence de l'héméralopie, ou peut-être aussi sous celle des
causes qui ont engendré la maladie. Sichel, qui n'avait pas vu d'épidémie de
cécité nocturne, pensait que cette conjonctivite catarrhale pourrait en être le
prodrome, sinon la cause, et Gosselin tlit qu'il a vu une blépharite catarrhale
se montrer avant l'héméralopie chez des soldats du 5*= bataillon de chasseurs à
pieds et du 75' de ligne atteints épidémiquement à Paris.
Les paupières sont parfois gonflées, rouges ou violacées, surtout chez les
blonds. Tantôt l'injection est uniforme, tantôt elle se fait par des arborisations
partant des culs-de-sac pour se diriger vers la cornée, tantôt occupant l'espace
interpalpébral sur le globe oculaire. Dans quelques cas, qui ne sont pas rares,
on voit la conjonctive bulbaire sèche, terne, comme détachée de la sclérotique;
d'autres fois elle est plissée et ressemble à une mince couche de graisse figée
sur l'eau.
Cette altération, signalée aussi par Ouvrard, nous paraît confondue à tort par
Chaussonnet avec ce qu'a décrit Bitot (de Bordeaux) et presque en même temps
que lui M. Villemin, professeur au Val-de-Gràce. Nous devons nous arrêter un
instant sur la lésion décrite par ces auteurs, soit à cause de leur notoriété, soit
surtout à cause de l'importance qu'ils ont voulu lui attribuer.
Le premier, dans un mémoire intitulé Lésion conjonctivale non encore
décrite coïncidayH avec rhémeralopie et publié dans la Gazette hebdomadaire,
t. X, p. 284, raconte qu'il a examiné à l'hospice des Enfants-Trouvés de Bor-
deaux 29 héméralopes dont 19 garçons et 10 filles, et que chez tous il a
observé une lésion conjonctivale placée aux extrémités du diamètre horizontal
de la cornée, le plus généralement en dehors. Cette lésion consiste en une tache
de couleur nacrée argentée. On dirait un agrégat de petit points ou de minces
linéaments dont on pourrait comparer l'ensemble à une plaque d'écume blanche
et à demi figée. Cette couleur varie peu, seulement elle est plus ou moins vive
selon les sujets et selon l'époque où la tache est observée. Quand elle doit dis-
paraître sa couleur commence à devenir moins éclatante.
La forme de cette tache diffère non-seulement selon les sujets, mais encore
aux deux yeux du même individu. En général, elle est triangulaire à sommet
externe; la base voisine de la cornée est un peu concave. Elle semble formée de
parties qui ne paraissent pas liées entre elles, ce qui devient très-apparent, si
l'on cherche à plisser la conjonctive par le jeu des paupières.
La tache héméralopique est d'autant plus étendue que la cécité nocturne est
plus complète. Elle était très-grande chez un sujet qui ne pouvait distinguer
aucun objet après le coucher du soleil ; elle n'a jamais élé aussi grande chez
les personnes capables de distinguer le soir, quoique d'une manière confuse.
Chez un certain nombre de sujets la découverte de cette tache a amené celle de
l'héméralopie qui, jusque-là, avait échappé à l'observation.
Enfin la marche de cette tache est en rapport avec celle de la maladie, gran-
•dissant et décroissant avec elle.
Après cette citation presque textuelle de la partie essentielle du travail de
Bitot, pas n'est besoin de nous étendre sur celui de Yillemin, publié dans le
même journal et à la page 532 du même volume. Sous le titre : De Valtération
épilhéliale de la conjonctive dans l'héméralopie, le professeur du Val-de-Grâce
confirme les observations de son prédécesseur, en y ajoutant quelques traits,
puis il entre dans une explication théorique que nous aurons à examiner dans
IIÉMÉRALOPIE. 151
une autre partie de ce travail. Ce que nous devons étudier ici, c'est la réalité du
symptôme et sa connexito avec la maladie qui nous occupe.
N'ayant jamais observé d'épidémie de cécité nocturne et n'ayant pas eu
roccasion de fixer notre attention sur d'autres espèces que les symptomaliques,
nous n'avons pas eu celle de vérifier les faits avancés par Ouvrard, Bitot et
Villemin, mais nous ne pouvons nous empêcher d'être frappé de ce que, depuis
la publication de leurs travaux, aucun auteur ne les a suivis et n'a admis la
réalité de leurs observations. A la rigueur, on pourrait comprendre qu'un sym-
ptôme délicat ait pu échapper à l'attention de gens non prévenus, mais comment
supposer qu'une fois avertis, et sachant ce qu'ils cherchaient, ils soient obligés
de déclarer qu'ils n'ont rien pu trouver? C'est cependant ce qui est arrivé pour
Netter, Marlialis, Comme et tant d'autres qui, depuis 1863, ont écrit sur la cécité
nocturne et n'ont pas admis la tache héméralopique. Si donc nous pouvons
accepter certaines conjonctivites comme un symptôme fréquent de la maladie,
nous devons observer la plus grande réserve à propos de l'altération épithéliale
en question.
Une des raisons pour lesquelles on s'est évertué à chercher les lésions anato-
miques même les plus superficielles et les plus légères pour expliquer la cécité
nocturne, c'est qu'il répugnait à la plupart des bons esprits d'y voir comme
Nélaton une simple névrose optique, ou comme d'autres une sorte de fièvre
intermittente s'attaquant à l'œil, et cela parce que l'examen ophthalmoscopique
n'avait rien révélé.
Nous touchons là à un point délicat de notre sujet ; nous allons l'aborder en
toute liberté et compléter avec son élude le tableau symptomatique que nous
avons entrepris de tracer. N'ayant pas vu nous-môme l'héméralopie essentielle,
nous ne pouvons formuler aucune opinion personnelle sur l'état du fond de
l'œil pendant cette maladie; d'une autre part nous lisons de tous côtés que l'état
de la rétine ne présente rien de particulier à l'examen ophthalmoscopique, ce qui
nous conduit à penser que, si l'héméralopie est produite par une lésion quel-
conque des membranes profondes, ces lésions doivent être très-délicates à obser-
ver. Or, dans nos recherches bibliographiques, nous avons trouvé que, en 1866,
Quaglino a publié dans le Journal d'ophthalmologie qu'il dirigeait alors les
résultats d'une étude attentive qu'il avait faite sur trente soldats provenant du
«amp d'instruction de Somma et qui étaient venus à l'hôpital del Monasterio
Maggiore de Milan pour y être traités d'une héméralopie essentielle et épidé-
mique.
A'^oici les altérations constantes qu'il aurait observées chez eux :
1° Une teinte blanc grisâtre de toute la surface de la rétine, surtout au
pourtour de la pupille et le long des vaisseaux rétiniens, s'étendant quelque-
fois jusqu'au disque lui-même. Cette altération est plus ou moins prononcée
suivant l'importance des cas et elle empêche de voir la vascularisation de la
choroïde sous-jacente ;
2» Une congestion évidente des vaisseaux veineux, qui sont tortueux et con-
tiennent un sang noirâtre;
3° Des artères centrales souvent augmentées de volume sur la papille, mais
qui, dès que la maladie est ancienne, semblent plus petites et cachées çà et là
par le parenchyme rétinien hypertrophié en apparence.
Quaglino avait encore remarqué que :
4° Dans bon nombre de cas, quand la maladie est récente, on observe une
152 HÉMÉRALOPIE.
coloration rose de la papille due à une injection très-fine des capillaires et au
développement des vaisseaux collatéraux. En outre, les réseaux des vasa vorti-
cosa de la choroïde semblent plus pleins et plus serrés ;
5" L'aspect terne de la rétine se dissipe avec le temps jusqu'au rétablissement
de la complète transparence des parties, mais les artères ainsi que les veines
diminuent de calibre, les contours de la papille deviennent irréguliers et frangés
par des raies de pigment noir ;
6* Lorsque la maladie s'est répétée plusieurs fois et si l'amblyopie devient
persistante, aux apparences ci-dessus décrites se substituent celles de l'atrophie
réelle.
A son tour le docteur Martialis, médecin de première classe de la marine,
publia en 1868, dans son Mémoire sur Vhéméralopie, les remarques suivantes :
« A un degré plus avancé la rétine perd sa transparence, non pas immédia-
tement dans toute son étendue, exception rare que j'ai pourtant deux fois
observée, mais par plaques irrégulières, envoyant dos prolongements opalescents
aux vaisseaux, aux veines surtout, dont les parois semblent la source de cette
transsudation séreuse qui finit par envahir complètement la rétine. A mesure
que la maladie parcourt ses phases les phénomènes vasculaires s'accusent ; le
système veineux semble y prendre la part la plus large. Tandis que les artères
enserrées par l'exsudation semblent se rétrécir, s'effiler et même disparaître
dans quelques points, les veines se gonflent, deviennent foncées et tortueuses
jusqu'à en paraître moniliformes. Un degré de plus et les plus graves lésions
peuvent se montrer, telles que la rupture des veines et la production de petits
lacus hémorrhagiques, sur la papille nu la surface de la rétine ». Le travail de
Martialis est accompagné d'une planche contenant des figures, sur lesquelles le
seul phénomène bien caractéristique est la dilatation et la teinte foncée des
veines comparée au rétrécissement des artères.
Ce sont encore les mêmes signes que notre ami le professeur Poucet a fait
connaître dans un article delà Gazette des hôpitaux de 1869. A cette époque il
venait d'observer une grande épidémie d'héméralopie pendant laquelle il avait
fait sur trente malades des observations ophthalmoscopiques presque journalières :
il en résultait qu'au miroir la maladie se caractérise par une anémie des artères
de la rétine, qui seraient exlraordinairement pâles et grêles et montreraient
dans le voisinage de la papille seulement leurs doubles contours. Les veines, au
contraire, seraient gonflées et sombres surtout en rapport avec la vacuité des-
artères. La papille est souvent, mais non constamment injectée en rouge.
L'œdème du disque optique et de la rétine signalé par les médecins italiens
serait, selon Poucet, fréquent, mais non pathognomonique ; il est la conséquence
de l'anémie des vaisseaux et s'étend le long de leurs parois.
Galezowski nous apprend à son tour que, dans tous les cas observés par lui,
la rétine présentait des altérations dues à la contraction spasmodique des artères
centrales, contraction qui pouvait aller jusqu'à simuler une interruption du
vaisseau, et la membrane nerveuse semblait, dans ces cas-là, couverte d'un
léger voile.
Enfin, en mai 1871, le professeur Reymond (de Turin), ayant eu l'occasion de
visiter les élèves d'un collège de cette ville qui, soumis à un régime déplorable,
présentaient presque tous les carêmes des cas nombreux d'héméralopie, observa
sur eux, d'une façon constante, mais à des degrés plus ou moins prononcés, les
lésions rétiniennes observées par le professeur Quaglino. Seulement, dans tous
HEMÉRALOPIE. 155
les cas où il lui fut permis de suivre la marclie du mal, du commencement à la
fin, la le'sion clioroïdienne lui parut précéder la formation des exsudats réti-
niens. Il crut aussi remarquer, en même temps que l'hyperémie de la papille,
un léger dépôt pigmentaire dans la région de la choroïde qui correspond à la
pénétration des nerfs ciliaires postérieurs, soit au dedans, soit en dehors de la
macula. Les exsudats lui semblèrent aussi pénétrer plus profondément dans les
couches de la rétine. Après la disparition de ces exsudats dont l'étendue n'était
pas toujours en rapport avec la gravité du mal, mais paraissait en relation avec
son début, Reymond constata toujours des signes d'atrophie plus ou moins pro-
noncée des cellules pigmentaires et l'oblitération plus ou moins avancée de
quelques vasa vorticosa.
Aucune nouvelle recherche n'a été faite, que nous sachions, au sujet des
signes ophthalmoscopiques de l'héméralopie essentielle, et nous voyons qu'en
somme ils se bornent :
l» A une dilatation des veines;
2» A un rétrécissement des artères ;
5° A la production d'un œdème ou d'exsudats péripapillaires et péri-
vasculaires ;
A° A des altérations pigmentaires de la choroïde et à l'atrophie de quelques
veines de cette membrane. Joignons-les donc à la symptomatologie de l'hémé-
ralopie et complétons ainsi le tableau de cette affection en Aiisant remarquer que
les lésions anatomiques de la rétine et de la choroïde nous mèneront sui- le
terrain des affections où la vision nocturne, perdant un peu de sa personnalité
pathologique, tend à prendre le caractère d'un simple symptôme. Leur nature
fugitive, dans les cas récents, nous expliquera aussi comment ils ont pu échapper
à l'observation de médecins, sans doute très-instruits, mais pas toujours
préparés par leurs études à saisir les nuances délicates des lésions du fond de
l'œil.
Si maintenant nous voulons résumer en quelques lignes le tableau symptoma-
tique de l'héméralopie essentielle soit sous sa forme épidémique, soit sous sa
forme endémique ou sporadique, nous dirons que c'est une maladie caracté-
risée :
1° Par une baisse anormale de l'acuïté visuelle pendant la nuit, mettant les
sujets hors d'état de se livrer à des occupations que pendant le jour ils n'ont
aucune peine à accomplir ;
2" Par la présence d'une sorte de brouillard qui, dès que le soleil est couché,
semble monter du sol et dérober au patient la vue des objets placés devant
lui;
o" Par la baisse corrélative de l'acuïté visuelle pendant le jour et la possibilité
pour le sujet de voir à une lumière diffuse d'une certaine intensité; ce qui en
définitive implique des degrés très-variables dans la maladie;
4" Par la mydriase et la paresse pupillaire;
5° Par un défaut d'accommodation et un certain déficit de la convergence
(Comme) ;
6° Par des douleurs vaiiables de l'œil et de son voisinage;
7" Par des phénomènes plus ou moins accusés de conjonctivite (Gosselin) ;
8" Par des variations de calibre dans les vaisseaux centraux; rétrécisse-
ment des artères, dilatation des veines (Quaglino, Martialis (Poucet, de Cluny),
Galezowski, Reymond ;
^5i HÉMÉRALOPIE.
9" Par la formation d'œdèmes ou d'exsudats rétiniens, par des altérations
pigmentaires de la choroïde et finalement par des lésions atrophiques du côté
du nerf de la vision (Quaglino, Martialis, Reymond).
A présent que nous savons reconnaître riiéméralopie, essayons d'en recher-
cher les causes en songeant qu'ici plus que jamais nous devons ne nous prcoc-
cnperque de l'héméralopie essentielle ou idiopathique.
Étiologie; Les causes de l'hémorrhagie sont générales et particulières, ce qui
nous conduit à les classer dans deux chapitres.
a. Causes générales. En première ligne nous devons signaler les influences
climatologiques, puisqu'on leur a fait jouer un très-grand rôle dans le développe-
ment épidermique de la maladie. Le meilleur moyen de les faire connaître, c'est
de mettre sous les yeux du lecteur un abrégé de chapitre de Géographie médi-
cale que Falk a consacré à ce sujet.
Depuis l'épidémie observée par Sauvage à la fin du siècle dernier aux envi-
rons de Montpellier, on en a observé un certain nombre en France et notamment
à Strasbourg, à Paris, à Lyon, à Metz, à Verdun, à la Roche-Guyon, à Âix,
Angoulême, Dunkerque et Mont-Dauphin. On en a vu aussi en différents points
de l'Allemagne, ensuite à Lisbonne, Cadix et Gibraltar, puis à Bologne, Malte,
ainsi qu'en Hongrie et à Constantinople. En Russie, la maladie serait très-fré-
quente surtout en Podolie, dans les Provinces maritimes occidentales et en
Finlande. En Angleterre et en Ecosse, l'héméralopie n'a jamais été épidémique,
on n'y voit, paraît-il, que les personnes revenant des Indes qui en soient affec-
tées ; en Irlande, au contraire, l'affection se présenterait fréquemment. Elle se
montre épidémique et endémique à la fois dans toute l'Amérique, dans le
Labrador, à Terre-Neuve et dans les États du Sud de la Grande Confédération.
A Mexico, sur les côtes Mosquetos, à Saint-Domingue, dans les Indes Occiden-
tales britanniques et au Brésil, elle est très-fréquente.
On la retrouve encore communément en Arabie, dans les Indes Orientales et
aussi dans les Indes intérieures et surtout en Chine. Enfin en Algérie et à l'île
Bourbon elle est fréquente, et dans le Sahara ainsi qu'en Egypte elle est endé-
mique; il en est de même à Honolulu. C'est surtout dans les ports qu'on la
rencontre, et elle est épidémique sur les navires et particulièrement dans les
régions équatoriales. La côte occidentale de l'Amérique du Sud est regardée
généralement comme un foyer d'héméralopie pour les équipages, et cependant à
terre cette affection est si rare, que beaucoup de personnes n'en ont jamais
entendu parler. La mer des Indes elles mers de Chine ont aussi leur réputation
faite relativement à la question qui nous occupe. Généralement les épidémies
déclarées à bord pendant les campagnes dans ces mers lointaines, cessent à la
rentrée dans les eaux européennes.
La première réflexion que fasse naître l'étude de la distribution géographique
de l'héméralopie, c'est que cette affection se trouve à peu près partout; dans les
pays froids comme dans les pays chauds ou tempérés, sous les ciels éclatants de
lumière comme sous ceux qui sont le plus ordinairement voilés par les brumes,
dans les climats secs comme dans les climats humides. Ce n'est donc pas à des
causes inhérentes, à la latitude, à la nature du ciel ou à la nature du sol, ni
même à l'influence du séjour à la surface des mers, qu'il faut attribuer son déve-
loppement. Il est nécessaire de serrer la question de plus près, et d'exa-
miner à quelle catégorie de sujets l'affection s'adresse le plus particulièrement.
C'est spécialement aux marins et aux soldats et, si l'on en pouvait douter, il
HÉMÉRALOPIE. 155
suffirait de songer que la plupart des documents qui nous sont fournis sur
l'héméralopie proviennent des médecins de la marine et des médecins militaires.
Presque seuls ils ont observé des épidémies, alors que la plupart des autres
hommes de l'art, exerçant dans les conditions habituelles, non-seulement n'en
ont jamais vu, mais encore n'en ont pas rencontré un seul cas. A côté des marins
et des soldats les seules victimes du mal que l'ont ait encore citées sont les
prisonniers et aussi les habitants de certaines comm.unautés destinées ou non à
l'enseignement, comme des maisons d'éducation, des couvents, des pénitenciers.
L'épidémie de la Roche-Guyon est peut-être la seule qui ait éclaté dans une
population civile. Il résulte de ces faits qu'on ne saurait attribuer une sérieuse
influence aux conditions telluriques ou cosmiques et qu'il faut porter son atten-
tion sur toutes celles dans lesquelles peuvent se trouver les gens appelés à vivre
en commun et à faire un service d'une nature spéciale.
La vie en commun, dans des locaux comme les casernes, les navires, les pri-
sons, les pénitenciers et les couvents, implique la soumission à des conditions
communes au pnint de vue de l'hygiène générale, de la nourriture, du vêtement,
du coucher, de l'aération et de l'exercice. Si les unes et les autres sont défec-
tueuses, tout le monde en souffre. Si les vivres sont insuffisants ou avariés, si
l'aération est mauvaise, le vêtement mal compris, si l'exercice va jusqu'à la
fatigue et au surmenage, tous les membres de la communauté auront à en pâtir
et l'on ne verra échapper aux conséquences d'un pareil état de choses que ceux
qui, par leur situation, sont en mesure de se défendre contre elles. C'est préci-
sément ce qui arrive pour l'héméralopie, et on ne la voit sévir que sur la foule,
tandis qu'elle épargne les officiers, les sous-officiers, et en généra! tout le per-
sonnel dirigeant, habituellement mieux nourri, mieux logé, mieux vêtu et
moins fatigué. C'est ce qui résulte clairement des remarques de M. Laveran,
<lans son mémoire de 1858, et de toutes celles publiées, à tant de reprises et
d'époques diverses, par les médecins de l'armée et de la marine.
Comme les mauvaises conditions hygiéniques d'une con)niunauté peuvent se
produire sous tous les climats et sous toutes les latitudes, il n'est pas surpre-
nant que partout elles produisent leurs effets, sans avoir besoin d'être même
aidées par les influences plus ou moins mystérieuses et vagues de l'air et des
lieux. Tout au plus pourrait-on accepter celles des contrées marécageuses, si
elles se montraient d'une façon régulière et surtout si elles semblaient, à un
certain degré, nécessaires. Mais il n'en est rien, et il serait aussi "facile de citer
des contrées humides où la cécité nocturne ne s'est jamais montrée que des
pays élevés et secs où on l'a rencontrée plusieurs fois épidémiquement. Si dans
les expéditions navales on l'a observée sur les mers les plus diverses, c'est dire
aussi que le climat marin n'exerce pas d'influence particulière.
Cette cause générale ainsi éliminée, nous avons à rechercher quelles peuvent
être dans la vie des communautés, les causes particulières qui peuvent être
signalées.
Le fait de l'immunité complète et absolue des chefs est très-significatif. En
effet, il est des influences auxquelles ils sont soumis aussi bien que leurs
subordonnés, et il en est d'autres auxquelles ils échappent par leurs positions
mêmes. Passons en revue les unes et les autres. Les influences communes sont
celles du climat, que nous avons éliminées, celles de l'air, de la lumière, du
temps chaud ou froid, sec ou humide, et encore l'homme gradé peut-il, dans
une certaine mesure, s'y soustraire ; mais celles qui pèsent de tout leur poids sur
156 HÉMÉRALOPIE.
le simple soldat, le marin, le prisonnier ou l'élève d'un pensionnat, sont la nour-
riture, le vêtement et par-dessus tout la fatigue, ou, si l'on veut, l'exercice.
Tout le monde sait que, dans les administrations les mieux réglées et les plus
largement pourvues, les denrées alimentaires sont soumises au point de vue de
la suffisance et de la qualité à des fluctuations en quelque sorte nécessaires, et
cela même en temps de paix. Qui n'a entendu dire que des approvisionnements
ont été à un moment donné insuffisants ou avariés, sans qu'on pût ni les
augmenter en temps utile ni les supprimer, faute de pouvoir les remplacer !
Dans les longues campagnes maritimes on a vu, par exemple, les vivres, puis la
viande de boucherie, manquer par le fait d'une longue traversée ou d'événements
imprévus, et les équipages être condamnés à vivre de viandes salées et de légumes
secs. Les mémoires des chirurgiens de la marine sont pleins de doléances à cet
endroit et, si ce fait peut se produire en temps de paix, combien ne doit-il pas
être plus gi^ave et plus fréquent en temps de guerre ! Or c'est précisément pen-
dant ces périodes de pénurie ou de mauvaise alimentation que l'on voit se mani-
fester le plus sûrement les épidémies d'héméralopie. C'est aussi pour des raisons
analogues que naissent celles que l'on observe dant les prisons, les pénitenciers
et les couvents. Nous savons, en effet, que c'est surtout à la fin du carême qu'elles
se montrent dans les communautés religieuses et que quelquefois elles sont
amenées dans certains pensionnais par un esprit d'économie que Charles Dickens
a immortalisé dans son célèbre roman de Nicolas Nickleby.
Si nous passons au vêtement, nous pouvons présenter des lemarques analo-
gues. Qui dit uniforme dit nécessairement une moyenne de tenue qui ne saurait
s'adapter aux circonstances extrêmes et, si, pour des raisons faciles à comprendre,
ces circonstances viennent à se produire d'une façon par trop persistante, les
sujets auront beaucoup à souffrir de ce chef.
11 en est de même pour la fatigue. Supportable dans les conditions ordinaires
de la vie du soldat et du marin, elle peut cesser de l'être pour bien des raisons
multiples et atteindre des proportions qui, à la longue, sont capables de miner
les constitutions les plus robustes.
Tous ceux qui, comme nous, voudront prendre la peine de lire les travaux où
se trouve retracée l'histoire de la cécité nocturne épidémique, pourront se con-
vaincre que l'insuffisance ou l'altération de la nourriture, l'imperfection du
vêtement et l'excès de la fatigue, sont les causes qui se montrent à l'origine de
toutes les épidémies, souvent réunies ensemble, et quelquefois isolées une à
une ou deux à deux.
Ce que nous savons des cas endémiques et des cas sporadiques corrobore
encore le fait, car nous savons pertinemment qu'ils se montrent toujours sur des
sujets affaiblis : témoin les mendiants de Turin. Quant à l'opinion depuis des
siècles accréditée que la maladie atteint les Indiens et les Chinois à cause du
riz dont ils se nourrissent, elle est encore en notre faveur, puisque nous
savons que la graminée en question est la plus pauvre en éléments réellement
nutritifs.
En continuant, suivant la méthode que nous avons adoptée, à serrer de plus
en plus près la question éliologique, nous en venons à nous demander quelle
est, parmi les trois causes signalées ci-dessus, la plus efficace pour la production
de riiéméralopie. La réponse est en réalité embarassante, tant ces trois influences
se tiennent et s'enchevêtrent ensemble. Nous pourrons faire observer cependant
que dans les épidémies des soldats c'est le surmenage qui semble décidément
HÉMÉRALOPIE. 457
prendre le dessus. En France spécialement et en pleine paix, nous savons que les
hommes ne sont pas trop mal nourris et que leur équipement ne laisse pas grand'
chose à désirer : c'est donc l'influence des exercices, du service de la nuit, des
longues marches, qu'il faut invoquer. D'après WeberetM. Desmarets, les factions
et les marches nocturnes auraient un effet évident, mais il n'est pas si évident
que cela, puisque bon nombre de leurs collègues n'en ont rien dit ou n'en ont
parlé que pour le nier.
En somme, il résulte de l'étude à laquelle nous venons de nous livrer que les
seules causes générales que l'on puisse attribuer à l'héméralopie, sont celles qui
portent une atteinte profonde et prolongée aux forces des sujets, qui nuisent
à leur constitution par le fait d'une déséquilibration entre l'apport et la dépense,
qui créent, en un mot, ce qu'on a appelé avec tant de force et de justesse la misère
physiologique. Avec une telle conception, bien des points obscurs ou controversés
s'affirment et s'éclaircissent, et certains rapports souvent signalés se montrent en
quelque sorte nécessaires. On comprend que d'autres épidémies viennent atteindre
à la fois des êtres affaiblis et on ne s'étonne plus de voir le scorbut en particu-
lier, le fléau des hommes de mer pendant les longues et pénibles traversées,
apparaître en même temps que la cécité nocturne, puis c'est la grippe ou bien
ces variétés de l'état catarrhal qui naissent et se pro[)agent si facilement sur des
êtres bien préparés. Les influences paludéennes, sur lesquelles trop d'auteurs
ont insisté pour que nous ne soyons pas obligés d'en tenir compte, peuvent encore
à notre avis s'expliquer assez facilement. Il n'est pas en effet d'influence plus
largement et plus promptement débilitante que celles de ces agents miasmatiques
dont on commence à comprendre de nos jours la véritable nature. Ce que la
privation, la fatigue, l'insomnie, la douleur même, ne sauraient accomplir qu'avec
un temps assez long, ces agents redoutables l'accomplissent en quelques jours
et souvent en quelques heures. Nous savons tous les conséquences terribles pour
les constitutions les plus robustes d'une exposition, même courte, aux infections
paludéennes, et tous les jours nous voyons que, sans créer la fièvre intermittente,
elle engendre des débilitations profondes et prolongées. Dans notre pensée l'action
des marécages est de produire une brusque misère physiologique et de prédis-
poser rapidement les sujets à l'apparition de l'iiéméralopie ; nous n'irons pas plus
loin, et nous n'admettrons pas la maladie oculaire comme une manifestation
<lu paludisme, d'abord parce qu'elle ne saurait être regardée comme une com-
pagne même rare de la fièvre, et parce qu'elle n'a d'intermittent que l'apparence.
Comme tout ne saurait être clair dans un pareil sujet, il restera bien à expliquer
les faits d'épidémicilé signalés par Weber, faits relatifs aux casernes Sainte-Mar-
guerite et de la citadelle à Strasbourg et à celle d'Arène à Besançon, mais il nous
semble qu'on pourrait les faire dériver de quelques circonstances locales
semblables à celles qui, à Mont-Dauphin, sous les yeux de M. Deconihout, firent
développer presque toutes les héméralopies dans le même quartier d'une grande
caserne. Quant au fait d'avoir vu au camp du Nord cinq hommes venus de la
caserne Sainte-Marguerite de Strasbourg frappés seuls au milieu du bataillon
dans lequel ils avaient été versés, il prouve seulement que ces hommes avaient
apporté avec eux le germe de leur maladie ou, en d'autres termes, la débihta-
tion organique indispensable à sa manifestation.
Une fois établi l'influence des circonstances hygiéniques dans lesquelles se
trouvent placés les sujets, il faut examiner si nous rencontrerons des prédispositions
appartenant à l'individu lui-même. 11 est naturel de penser que tous ceux qui,
158 IIÉMÉRALOPIE.
par leur tempérament ou leur conslituliou, sont plus disposés que les autres à
être iniluencés par les causes débilitantes, sei'ont par là même plus aptes à
contracter l'héméralopie. Sous ce rapport la question de race peut être posée. On
a dit en effet, de Wecker entre autres, que les nègres échappent toujours à la
maladie, mais Killary, d'après Baizeau, affirme qu'aux colonies les nègres four-
nissent plus d'héméralopes que les blancs, et Boudet a pu constater qu'aux
Antilles les hommes de couleur sont très-susceptibles de contracter la cécité
nocturne. De son côté Boyer, dans son Traité des maladies chirurgicales, cite le
Père d'Entrecolles qui, dans une lettre, aurait écrit qu'en Chine la maladie est
très-commune, mais cela ne prouve pas que ce soit une question de race, parce
que dans ce pays il existe des causes toutes particulières de débilitation ducs à la
culture du riz. Si tous ces documents infirment l'influence des races dans le
développement de la maladie qui nous occupe, le fait qu'elle existe sur toute la
surface du globe nous défend de croire à sa prédilection pour quelques-unes des
familles qui l'habitent.
Dubois (thèse de Paris, 1879) a recherché le teint et la couleur des yeux chez
les hommes de son bord frappés d'héméralopie pendant une longue campagne
du Pacifique. Il a trouvé :
li MonHs ÔD aux yeux bleus.
ol cliàlains 2G — rou\.
13 lu'uns 9 — noir>.
Nozcran également dans sa thèse, oii le tempérament des malades a été relevé,
dit qu'ils étaient tous lymphatiques, à barbes et cheveux châtain clair, et pré-
sentaient sur le corps des taches de rousseur. Bonnafy, Lolier, médecins à bord du
Ducouëdic, 1846-1849, Guérin-Méueville, ont fait des observations analogues,
et Coquerel a vu jusqu'à dix récidives du mal chez un matelot dont les yeux
étaient bleus. D'oii il résulte que les yeux dépourvus de pigment sont évidem-
ment plus prédisposés. Et comme la plupart des malades avaient la peau fine et
les chairs flasques, il en résulte que le tempérament lymphatique constituerait
une prédisposition ; c'est aussi ce tempérament qui se montre le plus favorable
aux rechutes. Dubois a fait encore une constatation curieuse touchant le poids
des malades atteints de cécité nocturne ; il l'a trouvé augmenté, mais il pense
que cette augmentation est due à la suffusion séreuse dont ils étaient atteints
pour la plupart. En somme, il résulte de cette enquête que c'est encore à titre
de facteur de la débilitation que le tempérament intervient dans le développe-
ment de la maladie. Nous n'avons à peu près rien à dire de l'âge et du sexe à
propos de l'étiologie de la cécité nocturne. Les femmes sont très-rarement expo-
sées à la contracter; nous devons cependant citer ici l'observation riipportée par
M. Demeulater d'une femme qui fut héméi'alope pendant ses deux grossesses,
et plus fortement à la seconde qu'à la première. Nous avons vu aussi que les
enfants et les jeunes gens sont atteints dans les maisons d'éducation et les
pénitenciers.
Bien que nous nous soyons aussi expliqué en passant sur l'influence de cer-
taines maladies pour favoriser le développement de l'héméralopie, nous devons
y revenir ici à cause de l'importance que certains auteurs y ont attachée. Le
scorbut est en première ligne.
C.KuUner {SchmidC s Jarbucher der Medicin, t. CXXV, p. 228) déclare d'après
ses observations que l'héméralopie est d'origine scorbutique. Comme dit : La
liÉMÉRALOl'IE. 159
seconde fois que celte allection se montra à bord du Limier, l'apparitiou du
scoibut était imminente. Ollivier (thèse Montpellier, 1847) déclare avoir vu
rhéméralopie éclater au milieu du scorbut. Pirion a vu à bord du Colbert le
scorbut et l'héméralopie se montrer concurremment. Rivière (thèse Montpellier,
1864) dit qu'à bord de la Cordelière il n'a jamais vu l'héméralopie se déclarer
chez un homme sain; tous étaient anémiés, scorbutiques ou scrolùleux. Dubois,
Savalier et Bonnafy, pensent que, si lesdeux affections ne se montrent pas tou-
jours ensemble, il y a cependant une relation entre elles prouvée par leur fré-
quente coïncidence. C'est donc un fait absolument certain et dont nous devons
tenir compte.
L'héméralopie se montre fréquemment dans le cours des maladies hépatiques.
Scarpa, Slrambio, Sticmeyer, Bamberger, Frerich, Jules Simon, ont signalé ce
fait en y appuyant plus ou moins, Steiwag et de Wecker l'ont confirmé et Qua-
glino a eu l'occasion de faire deux autopsies d'héméralopcs atteints de lésions du
foie. Les travaux les plus récents sur ce sujet sont ceux de Strauss, deGoreccki,
de Cornillon, et enfin les mémoires que Parinaud a fait paraître en i^^ï dans
les Archives générales de médecine, presque en même temps que la thèse de
Mouly et un mémoire de Funiagalli. Parinaud donne quatre observations, deux
d'hypertrophie, une de cirrhose paludéenne et une de cirrhose hypcrtrophique,
compliquées de cécité nocturne : il en tire même des conclusions sur la nature
du mal, que nous ferons connaître et discuterons plus tard.
Nous devons être très-réservé sur l'influence étiologique de ces maladies et
dire qu'il n'y a là qu'une coïncidence et non pas un rapport nécessaire de cause
à effet. La misère organique dont nous avons rais en relief toute l'importance poui-
le développement de l'héméralopie n'a pas en effet d'expression plus complète
que le scorbut, et d'un autre côté nul n'ignore qu'il n'est pas de maladies plus
propres que celle du foie à détériorer l'organisme, et par conséquent à y pré-
parer la rétine à la cécité nocturne.
D'après Gubler, cette même cécité peut survenir après toutes les affections
aiguës, quelles qu'elles soient, diphthérie, fièvre typhoïde, dysenterie, bron-
chite, etc., etc. La grossesse, l'albuminurie, l'intoxication saturnine, la pellagre,
y ont donné lieu et elle a disparu avec elles.
b. Causes particulières ou directes. Une fois cette étude des causes prédis-
posantes terminée, nous devons rechercher s'il existe des causes directes de la
cécité nocturne; nous trouverons encore sur ce point beaucoup d'opinions diver-
gentes.
D'après Sanson, Siebel et la plupart des médecins de la marine, l'héméralopie
serait une insensibilité de la rétine succédant à la stimulation par une lumière
trop vive ; d'après Bonnafy, elle serait semblable à la surdité des ouvriers qui
travaillent au milieu d'un , bruit intense. M. Fonssagrives, dans son Traité
d'hygiène navale, s'exprime ainsi : « Il en est de la rétine comme de tous les
autres organes : sa surstimulation prolongée ne peut qu'entraîner avec le temps
sa paralysie. La clarté sidérale devient à la longue incapable, dans les pays
chauds, de stimuler une rétine affadie par des sensations lumineuses trop
vives. »
Colin (thèse de Paris, 1865) fait remarquer que sous les tropiques l'hémé-
ralopie est très-fréquente et que nos marins en sont vivement affectés. Au con-
traire, elle est très-rare dans nos climats. Quelle peut être la raison de cette
différence, sinon l'influence d'une vive lumière? « Celui, dit M. Coquerel, qui
160 HEMÉRALOPIE.
n'a pas été témoin du brillant éclat du soleil du tropique peut à peine se faire
une idée des flots de lumière qui inondent tous les objets sous la zone torride ;
en effet il faut une certaine habitude pour pouvoir considérer un instant, sans
trop de fatigue, les corps fortement éclairés par le soleil. »
Hubner, Barre, Doumic, Netter, Deconihout, Siebel, Fleury, Alb. de Graefe,
W'hatson et Baldy, déclarent qu'il suffit de considérer les conditions dans lesquelles
l'hémcralopie règne à bord des navires pour se convaincre du rôle de la lumière.
Elle éclate en pleine mer, sous les tropiques où le ciel est toujours clair et la
lumière éblouissante, elle frappe les calfats, les gabiers et tous ceux que leur
devoir tient sans défense contre son inlUience.
Ce n'est pas seulement l'influence directe de la lumière qui peut être mise eu
cause, mais aussi sa réverbération sur la mer; sur la neige, comme en Russie,
en Suède et en Norvège (Nélafon) ; sur le sable, comme à Aden (Gliaussonnet);
sur les murs blanchis à la chaux (Icard).
Il semble donc que l'influence de cet agent est incontestable, mais notre con-
viction s'ébranle, si des travaux des médecins de marine nous passons à ceux de
l'armée.
Tandis que quelques-uns partagent l'opinion de leurs confrères, bon nombre
restent dans le doute et font remarquer que cette cause ne saurait être tou-
jours invoquée : témoin le fait curieux que les citadelles des bords du Rhin,
situées dans un pays habituellement voilé de brumes, sont le siège de fréquentes
épidémies.
Encore quelques-uns, comme Weber, vont-ils jusqu'à invoquer une influence
toute contraire, celle des marches et des factions de nuit : témoin ces soldats
qui sont devenus héméralopes après une marche de nuit dans la Campagne
romaine, ou le matin en descendant de garde, et ces marins qui ont été frappés
après avoir couché sur le pont d'un navire.
Icard, dans un travail intéressant relatif à une petite épidémie observée par
lui à Lyon en 1860, fait ressortir les effets du contraste de la fraîcheur des nuits
avec la chaleur des jours, et il invoque en faveur de cette thèse l'opinion de
Baizeau.
Je dois faire observer que, en fait, la plupart des épidémies ont éclaté pendant
l'été et que, d'après Biard, les mois les plus féconds en cécités nocturnes sont,
dans notre climat, avril, mai et juin. 11 serait à propos de se demander si, à
côté des rayons lumineux, et plus qu'eux peut-être, les rayons chimiques ne
seraient pas capables de jouer un rôle étiologique.
A cette question nous ne saurions repondre, n'ayant pas d'expérience per-
sonnelle et n'ayant trouvé le sujet traité par aucun des auteurs que nous avons
consulté.
On a encore invoqué l'influence de la lune, et nous devons dire que cette cause
est très-populaire dans la marine, où elle satisfait un certain penchant naturel
à faire de cet astre un artisan de malheur. Comme c'est pendant la nuit que
l'héméralopie exerce ses ravages, et que c'est pendant la nuit que la lune entre
en action, le rapport est simple et satisfaisant. Fonssagrives ne serait pas éloigné
d'admettre cette influence, et Payen l'accepte parce qu'il aurait rencontré plus
de malades pendant la pleine lune. En revanche, ni Chaussonnet, ni beaucoup
d'autres, ne l'ont remarquée. Guillaume Pison, Bajou à Cayenne, Leroy à bord
de la Persévérante, comme eux ne l'admettent pas, et nous ne pouvons nous
empêcher de remarquer que les phases de l'astre nocturne ne semblent influencer
IIÉMÉRALOPIE. 161
en rien le mal, et qu'au contraire sa clarté apporte aux héme'ralopes un véri-
table soulagement.
Maintenant, si nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur l'étiologie que nous
venons d'étudier en détail, nous reconnaissons bien vite que, pour arriver à
quelque chose de satisfaisant, nous devons nous garder de trop restreindre notre
point de vue et de prendre à partie telle ou telle circonstance, pour l'admettre
sans réserve ou pour la combattre sans merci. L'héméralopie est une résultante,
non-seulement des causes générales, des causes individuelles et des causes
immédiates ou particulières, mais encore de leur combinaison et des propor-
tions avec lesquelles elles entrent dans l'ensemble.
Cette manière de juger explique bien des faits contradictoires en apparence,
et nous fait écliapper à des surprises sans fondements. Si la débilitation est
nécessaire au développement de l'héméralopie, encore est-il que tous les genres
de débilitation n'y préparent pas. 11 faut regarder comme nécessaire celle qui
résulte des troubles nutritifs, des congestions abdominales et des altérations du
sang, leur conséquence naturelle. Les misères de l'inanition, de l'alcoolisme, de
la syphilis, celles de beaucoup de dialhèses, comme la cancéreuse et l'herpé-
tique, etc., y paraissent beaucoup moins favorables.
Les dispositions générales une fois acquises, il faut encore, pour que la maladie
éclate, des conditions particulières de tempérament ou de prédispositions con-
jonctivales ou pigmentaires ; et encore cela ne suffit-il pas, et il devient néces-
saire que le sujet ainsi prédisposé soit soumis aux causes occasionnelles : à la
vive lumière, à la brusque différence d'un jour très-chaud à une nuit très-
froide, à une réverbération intense, à un travail nocturne, à une marche dans
un pays humide et brumeux. Et qui ne comprend que, de la combinaison de
ces trois ordres de causes, résultent les variétés innombrables des cas, celles
des épidémies et surtout la possibilité de ces faits si étranges d'individus sur-
pris par la maladie au milieu des populations q\ii restent indemnes, bien
qu'habitant les mêmes localités et soumises aux mêmes inlluences.
Aujourd'hui que la connaissance des micro-organismes a imprimé des modi-
fications si profondes à nos idées sur Lépidémicité, il serait bon, peut-être,
d'examiner à ce point de vue nouveau l'étiologie de l'héméralopie ; mais nous
ne devons pas oublier que la nature de ce travail nous interdit formellement
toute tentative dans ce sens. Nous sommes ici pour enregistrer les connaissances
actuelles de la science, et non pour nous livrer à des discussions théoriques.
Natdre de l'héméralopie. Nous devons la chercher : 1" dans l'examen direct
des yeux qui sont atteints de cette maladie; 2" dans l'étude ophlhalmoscopique;
5° dans l'examen fonctionnel de l'organe visuel. C'est ce que nous allons faire
niétnodiquement dans ce chapitre.
1° Les autopsies d'yeux atteints à'héméralopie essentielle sont très-rares, et
surtout très-incomplètes, et nous pouvons dire d'ores et déjà que peu de savants
sont capables de mener à bien des recherches nécroscopiques sur des rétines
malades. Aussi saisissons-nous cette occasion pour donner à ceux de nos con-
frères à qui échei-rait la précieuse occasion de faire l'autopsie d'un œil atteint
de l'affection qui nous occupe de le placer dans les liquides conservateurs et de
l'envoyer aux hommes reconnus compétents en matière d'histologie.
Ceci dit, nous lisons dans le Journal universel des sciences médicales, 1829,
ime note de Chauffard d'Avignon, disant que dans l'autopsie d'un héméralope
ayant succombé à une hémoptysie l'élat du nerf optiqueetceluiderœilétaientles
DICT. E.\c A" s. XllI. 11
162 HÉMERALOPIE.
suivants : Le névrilème faisant suite à la pie-mère était injecté, mais le nerf
lui-même ne présentait pas de lésion. Dans l'orbite, il était pressé par l'extrême
turgescence d'une foule de vaisseaux sanguins tapissant la dure-mère — Le gan-
glion ophthalmique était très-rougeâtre. L'artère centrale très-gontlée laissait à
la section écouler une goutte de sang. Entre la choroïde et la sclérotique existait
une véritable suffusion sanguine et des taches hémorrhagiques ; la choroïde était
de couleur rougeâtre et sanglante.
Dans son Traité des maladies des yeux Mackensie rapporte qu'en dissé-
quant l'œil d'un sourd-muet atteint d'héméralopie il aurait trouvé la rétine
semée de taches noires irrégulières, et nous trouvons dans les Archives géné-
rales de médecine un cas de Teissier oii aurait été observée une atropine des
deux nerfs optiques avec ramollissement de leur partie centrale. Mack, cité par
Chaussonnet, aurait trouvé encore des taches noires. Dans un cinquième et der-
nier cas, Laveran n'aurait rien vu, ni à l'œil nu ni au microscope.
Depuis 1870, je ne sache pas qu'on ait publié d'autopsie nouvelle. 11 suffit de
celles que je viens de signaler, pour voir qu'elles sont hors d'état de fournir la
moindre notion précise sur les lésions oculaires capables d'engendrer l'hémé-
ralopie. Serons-nous plus heureux avec l'examen ophlhalmuscopique?
2» En parlant des symptômes objectifs, nous avons raconté tout au long les
résultats des recherches oplithalmoscopiques deQuaglino, dePoncet, de Marlialis,
Reymond et Galezowski. Les faits bien et dûment constatés sont : un rétrécisse-
ment des artères; une dilatation des veines, un état d'œdème de la rétine
autour de la pupille et le long des vaisseaux rétiniens. Les accumulations
pigmentaires signalées autour de la papille sont admises moins universellement.
Il va sans dire que nous ne mentionnons pas ici les taches noires des rétinites
pigmentaires, parce que celles-ci se lient à l'héméralopie symptomatique dont
nous ne parlons pas dans cette partie de notre travail.
Que dire encore des symptômes conjonctivaux, soit de nature franchement
catarrhale comme ceux admis par Gosselin, soit ceux de nature épithéliale obser-
vés par Ouvrard, Bitot et Villemin? Ici encore le bagage est assez mince et
aucun de ces faits ne saurait être pathognomonique de l'héméralopie, puis-
qu'on les a vus souvent paraître sans elle, et elle sans eux.
Restent les phénomènes fonctionnels; les uns sont très-nets, très-précis,
admis par tout le monde; les autres plus ou moins connus et plus ou moins
discutés. Le premier de tous est la cécité nocturne à ses différents degrés, la
cécité pour le rouge carmin et le bleu, d'après Ferster, la cécité pour le bleu,
d'après Macé et Nicati, puis la paresse papillaire ainsi que sa dilatation, la
paresse accommodative. C'est avec cet ensemble de symptômes qu'il s'agit d'ex-
pliquer la maladie.
Nous citerons d'abord les opinions auxquelles nous ne voulons pas nous
arrêter, parce qu'elles ne nous semblent que de simples vues de l'esprit, ne s'ap-
puyant en réalité sur rien. Ainsi on a dit que l'héméralopie était une mani-
festation du paludisme, une sorte de fièvre larvée; qu'elle était une simple
névrose, une torpeur de la rétine causée par une exposition trop prolongée à
une lumière éblouissante, toutes manières de voir qui semblent mettre en cause
une altération sine materiâ de l'appareil nerveux, quelque chose d'analogue à
la berlue des Anciens ; des mots et rien de plus. Galezowski, en signalant avec
minutie le fait du rétrécissement des artères et en faisant de la maladie une
sorte d'ischémie artérielle dépendant d'une altération du sympathique, nous
-^ HÉMÉRALOPIE. 163
semble aussi n'avoir émis qu'une hypothèse, assez difficile à justifier. Nous
nous demandons comment jamais elle n'est en rapport avec l'anémie générale,
«t comment aussi elle n'est jamais unilatérale, comme cela devrait être vrai-
semblablement, si le spasme vasculaire devait en être la véritable cause.
Nous repousserons aussi l'idée de Bonnafy, qui, attachant une importance
«xagérée aux phénomènes pupillaires et accommodatifs, nous dit que l'héméra-
lopie n'est pas autre chose qu'une paralysie momentanée du muscle ciliaire.
Tout an plus, en pareil cas, admettrions-nous le trouble de la vision, mais non
pas la cécité.
Nous attacherons plus d'importance aux opinions de Poncet, de Quaglino, de
Fumagalh, de Martialis, de Netter, etc., qui, tenant compte des troubles obser-
vés dans la circulation, cherchent à en déduire les altérations de la membrane
nerveuse, capables de l'empêcher de percevoir nettement sans le secours d'une
lumière intense. Pour bien les suivre dans l'exposition de leurs vues, et appré-
cier les raisons qui les leur ont fait adopter, nous sommes obligé d'entrer dans
des détails qui nous feront connaître l'héméralopie mieux que nous ne l'avons
fait encore.
Nous avons dit que la cécité nocturne était observée comme symptôme de
quelques affections bien déterminées de la membrane nerveuse. Dans la rétinite
pigmentaire, par exemple, on la rencontre toujours, et cette maladie est caracté-
risée par une lésion très-nette et parfaitement déliiiie : l'invasion du pigment
dans les couches rétiniennes et particulièrement autour des vaisseaux. Or, dans
cette maladie, on est frappé d'une chose en étudiant le champ visuel, c'est que
l'acuité est restée très-satisfaisante dans les points où elle existe, tandis qu'elle
est énormément diminuée ou même éteinte dans toutes les régions où la
lésion se montre ou va se montrer. Lorsque la rétinite pigmentaire a marché
très-régulièrement et très-longtemps, il lui arrive de réduire le champ visuel
â une zone périmaculaire très-restreinte, et de mettre les malades dans l'état
d'un homme sain qui, suivant l'expression de Liebreich, serait obligé de regar-
der à travers un étroit cornet à parois opaques et ouvert à ses deux extrémités.
<3r, celui qui voudra essayer de circuler la nuit, dans ces conditions, verra bien
A'ite qu'il en est incapable et que par ce simple artifice il s'est rendu hémérolape.
Les symptômes sont si exactement pareils dans l'héméralopie de la rétinite
pigmentaire et ceux de la cécité nocturne essentielle épidémique, qu'il y a lieu
■de supposer que cette dernière résulte aussi de la création de lacunes dans la
rétine et parlant dans le champ visuel, lacunes ophthalmoscopiquement invi-
sibles, mais dont les troubles de la circulation seraient la manifestation.
Pieymond (de Turin), dans un mémoire publié en 1871, sous le titre de
Interprétation de ïhéméralopie, est arrivé à la même hypothèse par les obser-
vations suivantes :
Partant de ce fait que l'œil sain garde sensiblement la même acuité lors-
qu on fait diminuer l'éclairage dans certaines limites, pourvu que les variations
soient assez lentes pour que la rétine puisse s'adapter, il a cherché ce qui aiTi-
verait pour un œil héméralope non amblyope, et il a vu avec l'appareil de
Fôrster que les limites de variation d'éclairage permises et le temps de l'adap-
tation rétinienne restaient sensiblement les mêmes.
De même pour l'œil sain et l'œil héméralope non amblyope, la limite au delà
de laquelle l'acuité visuelle baisse est la même, ce qui, entre parenthèse ren-
verse toute idée de torpeur de la rétine. Mais là ou l'œil sain et l'œil héméra-
164 IlÉMERÂLOPIE.
lope vont différer, c'est lorsque, l'acinté baissant par suite de la diminution de
l'éclairage, on fera la comparaison des angles visuels nécessaires à l'un et à
l'autre. Tandis que pour le premier cet angle augmentera régulièrement, pour
le second il fera à un moment donné un brusque saut. Le moment de ce saut
marquera donc l'instant initial do l'héméralopie, et sa grandeur en dira l'inten-
sité : c'est pour cela que Raymond propose de lui donner le nom d'angle hémé-
ralogique. C'est pour expliquer ce fait que notre auteur en est venu à supposer
que parmi les parties de l'appareil sensoriel chargées de perceçoir l'image des
objets il devait eu exister chez l'héméralope d'insensibles, partant d'inu-
tiles, et qu'en conséquence l'image devait grandir beaucoup pour en atteindre
d'autres. Cette hypothèse, il pensa l'avoir vérifiée dans cinq observations
qu'on lira avec intérêt à la fin de son mémoire. Voilà donc un point de la
nyclalopie essentielle à peu près éclairci, car personne ne saurait mettre en
doute l'exactitude des recherches de l'éminent observateur de Turin. II montre
que les causes des deux héméralopies seraient en réalité semblables, seulement
les unes sont vues et connues, tandis qu'on ne voit les autres que par leur reflet.
On sait, en effet, que les perturbations vasculaires ne sont que bien rarement
uniques et exclusives; le plus habituellement elles indiquent une lésion préa-
lable ou ne tarderont pas à en faire naître, et c'est cette lésion qu'il faut cher-
cher. Pour la trouver, dans notre cas, il faudrait que tombât entre les mains
d'un histologiste émcrite un œil d'héméralope, et que cet œil put être pré-
paré dans les conditions de fraîcheur indispensables à la fixation d'altérations
que la moindre putréfaction fera disparaître à coup sûr. C'est là une bonne
fortune qui ne s'est pas encore produite; en attendant, nous devons nous borner
à de simple hypothèses. Pour les uns, l'épanchement d'abord séreux, puis plus
ou moins exsudatif, qui se produit consécutivement à un trouble par stase de la
circulation, se répandrait dans la rétine et y étoufferait les éléments sensoriels,
particulièrement les cônes et les bâtonnets. Pour d'autres, il se produirait des
altérations dans le tissu rétinien lui-même dont la sensibilité à la perception
deviendrait de moins en moins vive. Parmi ces dernières opinions, celle de
Netter sur le rôle conpressif du pigment rétinien accumulé autour de la papille
mérite une mention spéciale, soit à cause de son originalité, soit à cause de
l'ardeur avec laquelle son auteur l'a défendue, soit surtout parce qu'elle a été
le point de départ d'ua traitement qui a joui d'une véritable vogue.
Netter se base sur le fait anatomique signalé par Martialis de l'accumulation
anormale du pigment chez les héméralopes; pour lui, c'est là le fait jmncipal
et incontestable. Physiologiquement il explique cette accumulation de la manière
suivante : L'action du soleil est hors de doute pour la formation du pigment, et
il n'en veut pour preuve que les taches brunes qui accompagnent ou suivent sur
la peau les coups de soleil; c'est même, entre parenthèse, cette action observée
sur lui-même qui l'a mis sur la voie de sa théorie. Sur la rétine pourvue, comme
on le sait, d'une couche polygonale pigmentée, cette action est en quelque sorte
naturelle et se trouve en rapport avec des phénomènes physiologiques qu'il faut
analyser.
Lorsqu'un homme sain et un héméralope quittant brusquement la lumière
du jour entrent ensemble dans un cabinet ténébreux, tous deux restent plongés
dans une cécité absolue, mais avec le temps la vue leur revient à l'un et à
l'autre, seulement le temps est beaucoup plus court pour le premier que pour
le second. La raison en est que l'action du soleil a développé chez l'un et chez
HÉMÊRALOPIE. d65
l'autre des quantités très-différentes de pigment dont la résorption doit s'ef-
fectuer, pour que la vision s'exerce dans l'obscurité. Le développement exagéré
du pigment, s'explique par l'action immodérée de la lumière chez des hommes
qui y sont prédisposés par des troubles organiques, et ainsi intervient l'étio-
logie classique. Mais ce pigment ne reste pas confiné dans les cellules, ses récep-
tacles habituels, et surtout ne reste pas inoffensif. Soit qu'il se déplace par des
mouvements amiboïdes, soit qu'il soit mis en liberté par l'altération des cellules,
il entre en migration et vient peu à peu, cheminant à travers les couches de la
rétine, s'accumuler autour du nerf optique qu'il comprime. De là une gêne cir-
culatoire, qui se trahit par le rétrécissement des artères et la dilatation des
veines.
Telle est en peu de mots toute la théorie de Netter. Le lecteur qui sera inté-
ressé par elle pourra l'U chercher les preuves dans les différents travaux de l'au-
teur et spécialement dans sa dernière lettre aux Annales cl" oculistique de 1876,
tome LXXV. Il y verra comment il y met à profit certaines données récentes, de
son temps, sur la formation du pigment, les migrations cellulaires et les circu-
lations locales; il y trouvera même un lien très-naturel entre la maladie essen-
tielle et la maladie symptomatique, et comment les enfants nouveau-nés exposés
sans précautions suffisantes à la lumière solaire peuvent devenir d'abord des
héméralopes intermittents et curables, puis des héméi'alopes incurables par
rétinite pigmentaire ; il comprendra enfin l'action curalive des cabinets ténébreux,
l'obscurité favorisant la résorption du pigment.
Tout cela est à coup sûr bien ordonné et ingénieux, il n'y manque absolu-
ment que la rigueur de l'observation, et la démonstration des faits destinés à
l'étayer. L'accumulation pigmentaire autour de la papille optique n'est rien
moins que certaine; l'influence compressive de ces grains migrateurs est pure-
ment hypothétique, l'influence des cabinets ténébreux est loin d'être admise
par tout le monde, et, récemment encore, Poucet nous écrivait que les expé-
riences faites sur ce point par >^etter lui-même, ne lui avaient pas paru le
moins du monde démonstratives. Le public médical en a jugé ainsi, car la
question est restée ouverte et depuis quinze ans beaucoup d'autres opinions se
sont produites.
La relation incontestable de l'héméralopie avec les affections hépatiques a
surtout attiré l'attention et servi de base aux tentatives faites pour l'expHquer.
Suivant Cornillon, la relation serait directe, comme en témoignent les varia-
tions corrélatives des deux maladies. Mais Parinaud, non content de cette simple
affirmation, a voulu chercher par quel intermédiaire elles correspondent. Il a
supposé que le pourpre rétinien, dont les travaux de Boll et de Kiihne, venaient
de mettre en lumière et l'existence et la fonction physiologique, ne pouvait plus
être formé dans des conditions convenables par un sang profondément vicié, et
qu'il en résultait, dans la vision, des perturbations sur l'explication desquelles il
n'insiste pas. Nous aurions voulu que M. Nouly dans sa thèse imitât cette sage
réserve, parce qu'il nous semble n'avoir qu'une idée fort incomplète de la forma-
tion de ce pourpre, de ses usages et de sa destruction. Quant aux études de Straus,
de Brouardel et de Vulpian, sur les altérations du sang par les maladies du foie,
elles nous montrent bien que l'œil, comme tous les autres organes, peut en
être affecté, mais elles ne nous disent rien sur le mécanisme par lequel se pro-
duit la cécité nocturne. Il est intéressant de les rapprocher des lésions rénales
entraînant l'héméralopie, comme on en a cité des exemples.
166 IIÉMÉRALOPIE.
Somme toute, si on laisse de côté les explications théoriques qui ont la pré-
tention un peu Iiâlive d'expliquer des phénomènes connus par des lésions encore
douteuses, au moyen d'une physiologie dans l'enfance, on arrive à cette con-
viction que presque tous les auteurs qui se sont occupés de l'héméralopie la
comprennent comme une lésion rétinienne, plus ou moins disséminée dans son
étendue, mais paraissant se localiser du côté de ses éléments percepteurs et de
sa couche pigmentée, lésion préparée par une profonde débilitation de l'orga-
nisme et mise en branle par des influences directes, parmi lesquelles la lumière
semble jouer un rôle important.
Les choses en sont restées là jusqu'en 1881, époque à laquelle J. Macé et
W. Nicati envoyèrent une note à l'Académie des sciences, pour démontrer que
l'héméralopie n'était en définitive qu'un daltonisme pour le bleu, et cela con-
trairement aux opinions émises par Parinaud. Dans les cas cités par celui-ci, il
y avait toujours coïncidence d'ictère, ce qui explique précisément le daltonisme
en question. Quant à l'explication théorique du fait, les autours de la note la
font ressortir de leurs recherches sur l'action héméralopisante, qu'on nous par-
donne ce mot, des verres jaunes et rouges, qui arrêtent le bleu, et à un moindre
degré des verres verts, qui le laissent passer en grande partie. Ils pensent encore
que les éléments pour le bleu sont particulièrement sensibles aux faibles impres-
sions lumineuses, et voilà pourquoi leur absence se fait sentir particulièrement
la nuit et au crépuscule. Nous sommes prêts à acquiescer aux résultats si inté-
ressants et aux recherches si bien conduites de Nicati et Macé, mais en cliniciens
nous continuons à nous demander pour quelle raison se montre le daltonisme
pour le bleu, à quelles lésions rétiniennes il correspond, et comment il découle
des influences incontestables que nous avons signalées. Avec et même sans
réponse, nous sommes prêts avec eux à repousser l'idée de la torpeur rétinienne
que nous avons déjà vu battre en brèche par la théorie de Raymond.
Marche et durée. Ce n'est qu'exceptionnellement que l'héméralopie débute
brusquement. Ghaussonnet et Comme ont vu chacun un cas de ce genre et Payen
en cite un troisième. Habituellement la vue se trouble, un soir après un service
exceptionnel par un jour très-clair. Le trouble dure un quart d'heure ou une
demi-heure le premier jour; il est plus long et plus prononcé le second; peu à
peu il arrive à durer toute la nuit. Rarement le mal diminue dans les premiers
jours, et c'est seulement par des'nuits de lune. Avec le temps la vue se montre
trouble même dans les lieux éclairés, si on laisse le malade livré à lui-même et
sans soins.
La dilatation pupillaire se montre à des époques variables, presque jamai.s^
dans les premiers jours. Au bout de quinze jours à un mois arrivent le larmoie-
ment et la sécrétion muco-albumineuse. Le myosis et la photophobie se montrent
plus tôt ou plus tard. Le trouble de l'humeur aqueuse et la déformation de la
pupille se voient rarement dans les cas graves.
La sécheresse de la muqueuse et son plissement sont plus communs et con-
stituent un symptôme tardif.
L'héméralopie en voie de guérisonpeut, en un jour, revenir à son état pri-
mitif, si le malade s'expose à une vive lumière, surtout s'il a été traité par l'obs-
curité. Sa durée est très-variable ; huit jours selon les uns, quinze jours selon
les autres; d'après Boudet sa durée moyenne serait de dix à douze jours. Cepen-
dant on l'a vue persister des mois et même des années. Elle guérit spontanément,
si on la soustrait aux causes qui l'ont engendrée et à l'influence de la lumière
HEMER\L0P1E. 167
qui la provoque et l'entretient. Mais, si on laisse les patients dans le même
milieu, si les conditions liygiéniques ne changent pas, ni l'état de l'atmosphère,
aucun traitement ne saurait les guérir.
Certains auteurs regardent la cécité nocturne comme toujours bénigne.
Bomfield, qui a traité plus de trois cents malades, lésa tous vus guérir. Audouit,
qui a dépouillé plus de vingt rapports, a trouvé cependant cinq ou six cas qui
se sont terminés par l'amaurosc. Mackenzie, Dulrouleau, Rivière, Martialis,
disent qu'elle cause souvent une cécité incurable. Nous avons vu comment Netter
explique, chez les enfants, le passage de l'hémérolopie curable à l'hémérolopie
incurable.
Méreau pense qu'elle peut donner une conjonctivite chronique et Tavignot
croit qu'elle peut devenir chronique et stationnaire. Chaussonnet la juge le
plus souvent bénigne et toute sa gravité tient à son épidémicité. Elle apporte de
grands troubles dans le service d'un navire, par le nombre des matelots qu'elle
frappe et les conditions dans lesquelles elle se montre. Sa guérison est toujours
rapide et facile, un peu plus lente cependant que la marclie progressive du mal.
Elle a grande tendance à récidiver et un homme sera d'autant plus sùromen
frappé qu'il l'aura déjà été plusieurs fois. Boyer cite le cas d'un sujet qui depuis
sa trente-troisième année était atteint tous les printemps d'héméralopie. La
promptitude des récidives peut être telle, qu'on pourrait dire qu'on ne guérit
pas la maladie dans les parages oi'i on l'a contractée.
Comme complications on peut signaler le nystagmus observé cliez des mineurs
par Dransart et par Wieden.
Diagnostic. Il doit avoir pour but : i° d'ét;iblir la réalité de la maladie;
2" de la distinguer des héméralopies symplomatiques.
On comprend que, pendant les épidémies qui éclatent à bord d'un navire,
dans une Ctiserne, dans un pénitencier ou une prison, bon nombre d'hommes,
voyant leurs camarades dispensés des corvées, soumis à un excellent régime,
veuillent, au prix de quelques ennuis, jouir des mêmes avantages, et comme
d'un autre côté les modèles ne leur manquent pas, ils arrivent promptement à
une parfaite simulation de la cécité nocturne. Les signes objectifs faisant défaut
pour reconnaître la fraude, on comprend que Chaussonnet ait pu écrire que la
simulation de l'héméralopie est impossible à découvrir. Pour notre part, nous
sommes disposé à penser comme lui et, si nous remontons à des souvenirs loin-
tains, nous dirons que, dans l'épidémie observée aux Collinettes à Lyon par
notre confrère Icard, nous avons souvent pensé que les effets si rapides des
cabinets ténébreux et de l'huile de foie de morue s'adressaient bien à quelques
simulateurs.
Le diagnostic entre l'héméralopie essentielle et l'héméralopie symptomatique
est au contraire toujours possible, facile même. 11 n'en était pas de même
autrefois où l'on confondait volontiers les deux maladies et où on les décrivait
ensemble. Aujourd'hui que nous connaissons bien la rétinile pigmentaire dans
son altération anatomique, un examen ophthalmoscopique rapide nous permettra
de faire sa part; même dans ces cas si rares où les lésions noires de la rétine à
peine existantes ne sont représentées que par des macules infiniment dispersées
et difficiles à découvrir, l'erreur ne saurait subsister. La rétinite pigmentaire a
sa physionomie propre et caractéristique; elle seule fournit les cas hérédi-
taires, elle seule les maladies de longue durée et fatales, et par-dessus tout elle
n'est jamais épidémique.
168 HÉMÉRALOPIE.
Nous eu dirons autant du dia^^nostic différentiel entre notre tiéméralopie et
celle qui survient pendant la marche de quelques amauroses et se présentent
comme la conséquence d'une véritable impuissance de la rétine. Les malades
qui en devraient offrir le type sont ceux frappés d'atrophie papillaire : or, il
n'en est rien et, quoique nous ayons bien souvent cherché à analyser leurs
impressions de la nuit et même à les surveiller le soir, jamais nous n'avons tiré,
ni de leurs réponses, ni de leurs gestes, ni de leurs habitudes, la conclusion
qu'ils eussent rien de commun avec les héméralopes.
Il semble vraiment qu'il soit nécessaire que le champ visuel soit alléré d'une
certaine façon, c'est-à-dire par la présence de lacunes plus ou moins étendues et
plus ou moins disséminées, pour que la cécité nocturne se révèle. Je voudrais
pouvoir parler par expérience de l'interprétation originale que Macé et Xicati
ont donnée de la maladie et dire quelles en sont les conséquences au point de
vue du diagnostic, malheureusement les occasions m'ont manqué pour en vérifier
l'exactitude. J'ajouterai que ce que je me permettrai d'appeler la théorie des
lacunes nous permet de comprendre pourquoi l'iiéméralopie se rencontre chez
les alcooliques, les gens atteints de décollement de la rétine, de choroïdite dis-
séminée, de rétinite albuminurique, etc., mais toutes ces affections ont des
caractères si tranchés qu'il est impossible de les méconnaître.
Traitement. Il va nous présenter le reflet de toutes les idées que l'on s'est
faites sur la nature de la maladie; toutefois parmi ses ressources nous allons en
rencontrer quelques-unes plus ou moins bizarres ayant traversé les âges pour
arriver jusqu'à nous et recevoir les témoignages les plus approbateurs et en
apparence les plus scientifiquement motivés. En première ligne, nous signa-
lerons les fumigations avec la décoction bouillante des foies d'animaux, bœuf,
brebis, bouc, chèvre, renard et même chat.
Ce remède est d'origine hippocratique et le père de la médecine conseillait le
foie de bœuf. L'imagination des médecins, j'allais dire des artistes, a fait inter-
venir les autres animaux. Oribase, Paul d'Égine et surtout Galien, se sont faits
sous ce rapport les continuateurs d'Hippocrate.
Au seizième siècle A. Paré a tour à tour conseillé, déconseillé et reconseillé
les mêmes fumigations. En Allemagne, elles sont devenues d'un usage vulgaire et,
si nous en croyons Chaussonnet, elles ont été vantées par Zsimandy, Karvy, à
Vienne, Kreuser à Stuttgard, Fuesselin à Briichsall, Halle à Brun. En France,
Fonssagrives, Neboux, Baizeau et Jobit, se sont faits leurs prôneurs, et IluLbeuet
les a employées en Russie. Elles figurent comme agent thérapeutique dans tous
les ouvrages dydactiques, dans tous les mémoires, et dans bon nombre elles sont
l'objet d'une véritable apologie. En Italie, Quagliano et Fumagalli les préconisent.
II ne leur a pas manqué la con;écration populaire, et Boudet nous raconte
qu'au bagne de Toulon les forçats faisaient main basse sur les foies de bœuf et
s'en servaient en fumigations pour la préservation de leurs yeux.
Pour être si longtemps en possession de la confiance publique, il faut que ces
fumigations jouissent d'une réelle efficacité, et les médecins qui les emploient
ont essayé de s'en expliquer l'action. Ils se sont partagés en deux camps : 1° ceux
qui n'y voient que l'influence de la vapeur d'eau ; 2"» ceux qui attribuent au foie
lui-même et surtout au fiel une réelle valeur thérapeutique. M. Baizeau s'est
fait le champion de la première opinion, et Fonssagrives, puis Dumas (de Cette),
ont défendu la seconde : l'hygiéniste de la marine est même tellement con-
vaincu de son opinion, qu'il engage à faire des collyres avec les différents prin-
IIEMERALOPIE. 169
cipes gras de la bile et ensuite à les essayer sur les yeux des héméralopes. A la
vérité l'introduction dans les formules des muts c/io/a/es, toraiœholates, donnent
à la chose une apparence scientitlque, mais ne nous apprend rien. Les médecins
de la marine, au moins la plupart, ne paraissent avoir qu'une foi médiocre dans
le bizarre médicament ; nous en dirions autant de quelques chirurgiens mili-
taires. Pour nous, n'ayant sur ce sujet aucune expe'rience, nous nous contentons
d'enregistrer les opinions de confrères qui ont vu, et de signaler en lui accordant
l'importance qu'il mérite, le fait de la persistance si prolongée de l'emploi en
thérapeutique du remède d'IIippocrate.
Les idées que nous avons prêtées à Baizeau devaient l'entraîner à l'emploi des
fumigations avec la simple vapeurd'eau chaude, mais, comme probablement elles
étaient restées inefiicaces entre ses mains ou celles de ses collègues, il y Joignit
1 ammoniaque, guidé sans doute par cette idée théorique que dans une maladie
torpide lien ne devait être plus utile que l'action excitante de ce médicament.
Abordons maintenant l'emploi de l'huile de foie de morue à la dose de deux
cuillerées à bouche administrées aux patients le matin à jeun. C'est à M. Des-
ponts qu'est due l'initiative de ce tra-tement.
Il le lit connaître dans un travail adressé en 1863 à l'Académie de médecine
-et sur lequel Gosselin fut appelé à faire un rapport. Celui-ci fut servi à point par
l'apparition dans quelques casernes de Paris d'une épidémie d'héméralopie qui
lui permit d'étudier son sujet sur le vif. C'est grâce à cette coïncidence favorable
qu'il put établir un rapport qui est devenu classique et dans lequel ont puisé
tous ceux qui ont écrit depuis sur le même sujet. Gosselin expérimenta lui-
même l'huile de foie de morue administrée selon la méthode de Desponts et eu
éprouva de si bons effets, qu'il en devint, comme ce dernier, un ardent défen-
seur. Bon nombre de médecins de la marine, dont nous avons eu les thèses sous
les yeux, bon nombre aussi de chirurgiens militaires, se sont bien trouvés de ce
remède, et l'on peut dire qu'il est entré dans la thérapeutique classique de l'hé-
méralopie. Nous ferons remarquer que le goût nauséabond de ce médicament et
la répugnance en quelque sorte instinctive qu'il inspire, surtout aux jeunes
gens, pourraient bien expliquer par une raison étrangère à la médecine l'action,
souvent d'une rapidité extraordinaire, qu'on lui attribue. 11 y a bien peut-être
quelques simulateurs parmi ces gens guéris en deux jours.
Quoi qu'il en soit, on peut dire aussi que l'huile de foie de morue, étant un
reconstituant de premier ordre, peut bien jouer un rôle utile, en s'adressant à
des constitutions débilitées comme celles de presque tous les hémérulopcs.
En fait de médicaments généraux s'adressant directement à la cécité nocturne,
on a conseillé les toniques, le fer et le quinquina, et ceux qui considéraient le
mal comme lié à une influence palustre n'ont pas manqué d'ordonner le
sulfate de quinine, dont l'emploi ne s'est, du reste, jamais généralisé. Le froid
en application sur les yeux a été également recommandé.
Ceux qui voyaient dans la maladie une affection torpide, une espèce d'araau-
rose asthénique, ont conseillé l'emploi de la stryclmine soit à l'intérieur, soit,
comme Quaglino, en injections hypodermiques. Les effets en auraient été
souvent heureux. Ceux au contraire qui étaient plus frappés des phénomènes
liyperesthésiques comme maux de tète, rougeur des conjonctives, larmoie-
ments, etc., ont plus volontiers ordonné des émissions sanguines générales ou
locales, des purgations répétées au tartre stibié et au calomel, ou encore des
purgatifs résineux, comme l'aloès, destinés à décongestionner la choroïde. Ils
170 IIÉMÉriALOPIE.
ont encore applique des vésicatoires aux tempes ou d'autres révulsifs cutanés.
Les Anglais, comme ils le font pour la plupart des maladies, ont donné, mais
sans grand succès, les mcrcuriaux. Nous ne saurions nous empêcher de nous
étonner de voir des médications altérantes adaptées à des malades particulièrement
débilités et en état de misère physiologique, et nous no sommes pas surpris de
lire presque partout que, le traitement débilitant étant resté sans succès, on
dut passer à autre chose.
Jusqu'ici nous nous sommes borné à parler des moyens mis en œuvre pour
atteindre le mal à travers la constitution ; nous allons maintenant faire mention
d'un traitement reposant sur une base pliysiologi([ue et ayant la prétention de
soustraire l'organe visuel à la cause même qui engendre la maladie : je veux
parler des cabinets ténébreux préconisés par M. Netter avec toute l'ardeur d'une
conviction sincère.
Nous avons dit autre part que ce chirurgien militaire attribuait l'héméra-
lopie à l'accumulation autour de la papille d'un pigment immodérément fourni
par l'action d'une lumière intense et continue. De là à conseiller le séjour dans
l'obscurité pour favoriser la résorption du pigment il n'y avait qu'un pas, qui
lut bientôt franchi, et M. Netter ne traita bientôt plus ses malades que par
renijjloi des cabinets ténébreux. Les résultats qu'il a signalés et dont quelques-
uns sont consignés dans la thèse de Baldy ne sauraient être plus avantageux et
la question serait absolument jugée, s'il fallait s'en rapporter sans critique à
M. Netter.
Malheureusement bon nombre de ceux qui ont assisté à ses expériences n'en
sont pas sortis aussi convaincus que lui et nous connaissons plusieurs médecins
qui ne croient pas à la réalité de ses résultats, soit qu'il les ait vus avec trop
d'enthousiasme, soit qu'il ait été trompé par certains simulateurs, pour qui les
cal)inets noirs étaient aussi redoutables que l'huile de foie de morue. Voici,
d'après Chaussonnet, une statistique qui prouve que l'obscurité ne guérit pas
seule l'héméralopie. A la fin de février et au commencement de mars 1865, il
eut 14 guérisons spontanées, par suite de simple changement de climat et de
l'arrivée de son navire dans des pays où le marin pouvait se reposer et se récon-
forter. En mars, juin, juillet et août, il soigna 60 cas, dont 24 par l'obscurité et
les vésicatoires volants. La durée moyenne pour ceux-ci fut de 14 jours 1/10 et
elle fut de 16 jours pour ceux traités par l'obscurité seule. Il faut remarquer
cependant que tous les cas traités ainsi étaient considérés comme graves. Ghaus-
sonnet croyait cependant si bien à l'avantage de soustraire les patients à la
lumière qu'il leur fit porter des lunettes colorées et fumées avec quelque avan-
tage; il avoue que, sur 12 sujets ainsi munis, il eut 7 récidives plus ou moins
rapides.
Après tous ces moyens, nous devons signaler un certain nombre de médi-
caments appliqués sur l'œil spécialement. Leur emploi porte encore le caractère
d'un empirisme plus ou moins éclairé ou la trace d'une préoccupation théorique.
Un remède populaire dans l'Inde, c'est la mousse de savon introduite dans l'œil;
O'Briare lui attribue des guérisons sur les bateliers du Gange. Dans la seconde
figurent les collyres à l'ésérine recommandés par Galezowski pour rétrécir la
pupille et favoriser l'accommodation, mais nous ne pouvons nous empêcher de
faire remarquer que c'est là un singulier médicament pour un médecin qui croit
à une ischémie de la rétine.
Si nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur le traitement de l'Iiéniéralopie,
IlÉMÉRALOPIE (bibliographie). 171
nous ne tardons pas à nous apercevoir qu'il n'existe contre cette maladie aucune
médication vraiment spécifique ; que d'abord il est des cas qui échappent à toute
médication et qui méritent d'être classés à part, si on ne veut pas embrouiller la
question comme à plaisir. Ensuite rhéméralopie essentielle elle-même échappe
à toute action directe, précisément parce qu'elle est la résultante des causes
multiples sur lesquelles nous nous sommes longuement étendu à propos de
l'étiologie.
Dans les cas où la cécité nocturne frappe eu vertu d'une cause épidémique
des hommes encore robustes, nous pensons que c'est le cas de recourir au
cabinet ténébreux de Netter, avec purgatif, et à quelques révulsifs légers. Si elle
s'adresse à des hommes débilités, il faut surtout faire de la prophylaxie, sous-
traire ses malades aux causes qui les détériorent et les rendre à une bonne et
solide hygiène. Enfin, si elle l'ait des victimes parmi ceux qu'a déjà frappés une
autre atJéction, c'est vers la cure de cette affection que doivent se diriger tous
les efforts de la médication, surtout si on a des raisons de penser qu'elle tienne
sous sa dépendance la cécité nocturne. Gayet.
BiDLioGnAPHiE. — Prorretkica, liv. II, g§ 53-34 — Galien. De Oculis, part. IV, cliap. ii. —
Celse. Lib. VI, secl. 6, n° 58. — Sauber (P. -A. -G.). De nyclalopia. Jcikc, 4695. — Maître
i\y. Traité des maladies de Vœil, 1707. — Bontils. De medicina Indorum, ctiap. 16. De
cxcilaie, de dcblUlute visu. — Rost (J.-C.). Von de)' iS'yctalopia d. i. nâclUlicher Blind-
heit. In Samml. von Nalur- uvd Med.-Gesch., 1719. Leipzig u. Budissien, 1751, IX, 370,
572. — OvelgC'n (R.-F.). Nyclalopia hereditaria. In Acla Acad. Nal. (litrios. Norimb.,
1744, VII, 76. — BoEBHAAVE. Prœlccliones publicœ de morbis oculorum. Gôllingue, 1746.
— Bach (.\.-M.). De mjclalopia seu visu nocturno, s. in-4°. Francol'. ad Viad., 1754. —
Bergen (C.-A.) el AVeise (J.-C). De nyclalopia seu cœcilale noclurna. Francof. ad Viad.,
1754. — FoLRNiER. Observations sur l'/iéiiiéralopie. In liée, périod. d'obs. de méd., de
chir. el de pharm. Taris, 1856, IV, 170-182. — I'ye (S.). Of a Periodical Blindness. In Med.
Obs, Soc. Phys. London, 1757, I, 111-125. — Dujardin. Observations sur l hémcralopie el la
nyctalopie. In Journ. de méd., chir. et pharm. Paris, 1765, XIX, 347-350. — Rothe (C.-G.).
De nyclalopia ac hemeralopia. visu simplici et duplici, in 4°. Jena, 1774. — HehebdEiN' (^\.)•
On Ihe Miglit Blindness. In Med. Tr. Roy. Coll. Phys. London, 1785, S-" Ed., I, 60-65. —
Du même. Of a Peculiar Affection of t/ie Eyes. In ibidem, 1815, IV, 56-64. — Saillant. Mé-
moire sur l'espèce de nyctalopie ou vue de nuit, dont parle llippocrale. In Hist. de la
Soc. roy. de méd., 1786. Paris, 1790, XIII, p. 2, 121-129.— SAnvAGES. Nosot. méthod. —
Chamseru (de). Recherches sur la nyctalopie ou Vaveuglement de nuit, maladie qui règne
tous les ans dans le printemps aux environs de la Roche-Guyon. In Hist. de la Soc. roy.
de 7néd., 1786. Paris, 1790, VIII, pi. 2. 130-178. — Guthpie. Observations on the Kuritsha
SIepota, or on Blindness of Russia. In Med. Comment., 1794. London, 1795, décade 2,
IX, 284-291. — Dn sième. Some Account of the Dysopia. In Mem. Med. Soc. London, 1795,
IV, 568-578. — BoGEL. Eine Hemeralopie, mit einem sonderbai-en Lichthunger verbunden.
In Journ. f. die chir. Geburtsh. u. gerichtl. Arzneihunde. Jena, 1797, I, 9ô-lUl. — Dupont.
Extrait d'un mémoire sur la goutte sereine nocturne épidcmiquc ou nyctalopie, avec les
réflexions et observations de Roussille-Cliamseru. In Rec. périodique de ta Soc. de méd.
de Paris, 1797, II, 80-147. — Capox (J.-B.). Diss. sur la nyctalopie ou vue de nuit, in-8\
Paris, 1805, XI. — Dodhaist (P.). Sur Vhéméralopie ou l'aveuglement de nuit, in-4°. Stras-
bourg, 1806. — Pentland (J.). A Case of Nyclalopia. In Dublin Med. and Phys. Essays,
1807, l, 135-138. — IIdfeland (C.-'\V.). Ueber deu Magnelismus nebst Geschic/ile einer merk-
wiudigen voUkcmmenen Tageblindheit (Nyctalopie und Photophobie), ivclche nachdreijàh-
riger Daiier durch den Magnelismus vôllig gcheilt wurde. In Journal der pract. Heilk.
Berlin, 1809, XXIX, 8 St., 1-68. — Forbes (J.). Observations on Tropical Nyclalopia. In
Edinb. Med. and S. Jounia/, 1811, VII, 417-419. — Isbell (J.). Case of periodical Day-
Blindness. In Edinb. Med. and S. Journal, 1813, IX, 269. — Bamphield (R.-W.). Praclical
Essay on Hemeralopia, or Nighl-Blindness, commonly c'alled Nyclalopia, as it Affecls
Seamen and others in the East- and West-lndes, China the Medilcrranean, and ail Tro-
pical Climates; in which a successfull Method of Curring the Discases is dctailled. In
Med. Chir. Tr. London, 1814, Y, 52-66. — Bailli (H.). Observations on Hemeralopia or
Night-Blindness. In Med. Chir. Journ. and Rev. London, 1810, II, 179-182. — Païen (C.-V.).
Sur l' hémcralopie, ou cécité nocturne, in-4'. Paris, 1816. — Chauffakc. Parlicularilcs ana-
172 HÉMÉRALOPIE (bibliographie).
forniques rencontrées dans les yeux et le trajet des nerfs optiques d'un adulte atteint d'hé-
méralopie. In Journ. univ. des se. méd. Paris, 1820, liv. 89-91. — Durend (C). Sur l'he'iiié-
ralopie, in-4°. Strasbourg, 1825. — Burden (T. -P.). Nyctalopia. In American Med. Rev.
Philadelpliie, 1826, III, 353-555. — Richter(H.-C.-E.). Diss.med. exhibens très hemeralopiœ
seu cœcitatis noclurnœ congenitœ casus, additis quibusdam adnotaiionibus hune morbum
in universum speclantibus , in-4°. Jense, 1828. — Watts (J.). jr. Case of Nyctalopia. In
Neiv-York Med. and Phys. Journ., 1828, VII, ll-Tô. — Jobet. Thèse de Montpellier, 1829.
— Davenport (E.-J.). Case of Nyctalopia with Spontaneous Recovery. In Boston Med. and
Surg. Journ., 1851-1835, XI, s. 15-17. — Du même. Case of Nyctalopia Idiopathic. In ibid.,
1855, XII, 51. — RoTHE. Ueber eine llemeralopia epidemica uiitcr den Militârstrâflingen
zu Torgau. In Med. Zeitung. Berlin, 1855, II, 109. — Casper (J.-H.). Hemeralopie in epide-
mischer Form. In Wochenschrift f. die ges. Heilk. Berlin, 1833, I, 73-77. — Heidexreich.
Ein sellener Fall von Nyclalopie. In Zcitschr. f. die Ophth. Dresden, 1855, III, 209-214.
— Decokiuout. Observations sur l'héméralopie, recueillies dans le mois d'avril 1835 à Mont-
Dauphin, dép. des Hautes- Alpes. In Rec. des méni. de méd. milit. Paris, 1854, XXXVI,
76-90. — EiiiiLE (F.-E.). De hemeralopia, in-S". Tubingœ, 1834. — Teissier. Observation
d'héméralopie avec amaurose incomplète ; ramollissement et atrophie des nerfs optiques.
In Bull, de la Soc. anat. de Paris, 1834, IX, 104-106. — Kôchling (A.). MerkwUrdige Hei-
lung einer Nachtblindheit [tlœmeralopia). In Arcli. f. med. Erfahrungen. Berlin, 1834, I,
67. — Kredel (R.). Hemeralopie und Nyctalopie. In Ann. der ges. Heilkunde. Berlin,
1834, XXX, 201-208. — Bexedict. Veber Hemeralopie. In May. f. die ges. Heilk. Berlin,
1835, 372-374, XLIV. — Alençon. Hemeralopie sympathique observée chez un enfant
de onze ans et dû à la présence d'entozoaires dans le tube intestinal. In Journ. d. conn.
méd. chirurgie. Paris, 1855-1830, III, 110. — Krieg. Bemei-kungen ûber die Nachtblind-
heit. In Journ. der Chirurgie u. Augenheilkunde. Berlin, 1856, XXIV. 129-155. — Wittcke.
Fâlle von Hemeralopie. Iii Klin. Zeitschrift f. Chirurgie u. Augenheilkunde. Halle, 1856,
1857, I, 215. — Redss. Beobachtungen ûber die Nachtblindheit. In Med. Corr.-Bl. des
wûrtemberger ârzll. Vereines. Stuttgart, 1856, VI, 115. — Raige-Delorme. Hemeralopie. In
Dict. de méd., 2" éd. Paris, 1857, XV, 114-123. — Cunier (P.). Histoire d'une hemeralopie
héréditaire depuis deux siècles dans une famille de la com}nune de Wendémier près
Montpellier. In Annales de la Société de médecine de Gand, 1858, IV, 585-595, 5 tab. —
"Warton (W.-L.). Cases of Hemeralopia Cured by the Exclusion of Light. In Amer. Journ.
Med. Se. Philadelphia, 1859, XXVI, 95. — Fleury (E.). Note sur l'héméralopie épidémique.
In Ann. d'ocul. Bruxelles, 1859, II, 107-209, et Gaz. méd. de Paris, 1840, 2" s., VIII, 50-
54. — Cane (R.-B.) Cases of a Night » or « Moon-Blindness » atid of Ordinary Amaurosis,
caused by Onanism and inordinate Venery. lu Dublin Journ. Med. Se, 1840-1841, XVIIl,
160-181. — BiARD. Mémoire sur l'héméralopie et l'emploi du nitrate d'argent dans le
traitement de cette maladie. In Rec. de mém. de méd. mil. Paris, 1840, XLIX, 109-120.
— Valette (J.-R.-J.). Note sur la nature et le traitement de l'héméralopie. \\\ Rec. de mém.
de méd. mil. Paris, 1840, XLIX, 120-129. Also (.ibslr.). Gazette médicale de Montpellier,
1840-1841, I, n" 5. — Marin (0.). Amaurosis crepuscularis, endemisk vid Carlsborg. In Hy-
giea. Stockholm, 1840, II, 549-552. — Blasvillain (E.). De l'héméralopie, in-4''. Strasbourg,
1841. — Chomel. Hemeralopie pseudo-chronique simple ; j^henotiiènes remarquables ayant
T^récédé cette affection. Insuffisance des moyens théi-apeutiques jusqu'alors employés. In.
Gazette des hôpitaux. Paris, 1841, 2° s., III, 55. — Fréchier. Un mol sur une hemeralopie
qui règne épidémiquement sur le dép. des Bouches-du-Rliône. In Bull. gén. de thérap.,
etc. Paris, 1841, XX, 248. — Schilbach (F.). Ein Fall von Scheinsehn oder Sehen im Dun-
keln. In Zeitschrift f. die Staatsarzneikunde. Erlangen, 1842, XLIII, 190-198. — Thorn-
To.v (J.). Case of Hemeralopia. In London Med. Gaz., 1842, XXX, 105. — Béer (L.). Ueber
Nyctamblyojne und Hemeramblyopie. In Med. Jahrb. des k. k. ôsterr. Staates. Wien,
1844, 164-268, XLIX. — Grant (J.). Nyctalopia. In Cycl. Pract. Med. [Tweedie]. Philadel-
phia, 1845, III, 391-405. — IIepp. Nachtrâgliche Bemerkungen zu einem friiher mitge-
theilten Faite von Nachtblindheit. In Verhandl. des Vereins pfàlz. jErzie, 1845. Kaisers-
lautern, 1846, 55-55. — Netter (A.). Considérations sur l'héméralopie. In Gaz. méd. de
Paris, 1845, 2" s., XIII, 132-137. — Robert. Cas d'héméralopie chez un ouvrier travaillant
dans une carrière de grès; guérison. In Gazette des hôpil., Paris, 1846, 2"= s., VIII, 242.
— Guéprate (A.). Hemeralopie des pays chauds ; observations médicales recueillies à bord
de la frégate « l'Armide » ; mission de Madagascar, 1846. In Gaz. méd. de Montpellier,
1847-1848, VIII, 6. — Fuss. Ueber Hemeralopie. In Verm. Abhandl. von einer Gesellschaft
pract. .Erzte zu St.~Petersburq, 1855, v. 259-244. — Du même. Hemeralopien wàhrend der
grossen Fasten des Jahres, 1854. In Zeitschrift f. die ges. Med. Hamburg, 1846, XXXI,
559-542. — BelliiNgham (O.-B.). Case of Hemeralopia. In Dublin Med. Press, 1847, XVIII,
194. — Stievenaht. Note sur une hemeralopie héréditaire. In Ann. d'ocul. Bruxelles, 1847,
XVIII, 165. — Coquerel [C). De la cécité nocturne, in-4°. Paris, 1849. —Le Frapper. Thèse
IIÉMÉRALOPIE (bibliographie). 175
de Montpellier, 1850. — ïavignot. Réflexions pratiques sur une héinéralopie chronique
guérie après dix-huit ans de durée. In Gazette des hôpit., Paris, 1850, 3^ s., II, 427. —
Patézon (J.). de Vhéméralopie considérée surtout chez les soldats, m-¥. Paris, 1851. —
GossELiN. Bull, de l'Acad. de méd., du 15 juillet 1855. — Gunsburg. llàmeralopie und
Stôrung des Ackomodations-Vermôgens ; Schnellblindheit. In Zeilschrift f. klinische Med.
Breslau, 1853, IV, 408. — Eichmann. Hemeralopie und Nyctalopie. In Allgem. med. Cenlral-
Zeitung. Berlin, 1854, XXIII, 641-644. — Fenner (C.-S.). Hemeralopie. In JY. d'orl. méd.
se. journ., 1854-1855, XI, 200. — Krecser. Ueber die ISachtbliudheil. In Med. Corr.-Blatt
des wiirtemb. ârzll. Vereins. Stnttgart, 185i, XXIV, 121-123. — L. Hemernlopia epidemica
unter den Mannschaflen des 19 Infanterie-Régiments. In Med. Zeitung. Berlin, 1854, III,
204. — AuDOuiT. De l' hemeralopie. In Arch. d'ophth. Paris, 1855, IV, 80-106. — Du même.
De l'héméralopie. Paris, 1855. — Geissler (P.-A.-E.). De cœcitate crepusculari, 10-8°. Lip-
siœ, 1855. — Du même. Uemeralcpie und Nyctalopie. In Med. Zeitung Russlands. St.-Pe-
tersburjjS 1855, XII, 355, 301, 368. — Nicollis ^G.-.\.). Scurvy and lîemeralopia. In Med.
Times and Gaz. London, 1855, n. s., XI, 96. — Tatum (R.-II.). A Case of Night-Dlindness.
In Virginia Med. and Surg. Journ. Riclimond, 1855, IV, 470. — Williams (E ). Hemeralopia
or Night-Blindness. hi Wesl-Lancet. Cincinnati, 1855, XVI, 528-558. — Fôrster (R.). Ueber
Hemeralopie. Ausz. sus den Uebers. der Arb.und Verhnnd. der schles. Gesellschait f. vaterl.
Kultur. In Jahresb. der med. Soc. Breslau, 1856, 15-77. — Wendes (M.-H. de N. Sa). Quatro
casos de hemeralopia observados na clinica ophthalmica do hospital militar de Lisboa ;
cura ; reflexôes. In Eschol. de med. Lisboa, 1856, VII, 215-'il7. — Pizzocaro. Emeralopia;
buoni effetti dalla fumigazione di collito di fegato. In Gazz. med. ilal. lomb. Wilano,
1856, 4" s., I, 385. — IUlatorio. Acerca de hemeralopia que n'estes ultimo tempos se tem
manifestado con dcsusada frequencia nos corpos da guainiçào de Lisboa. In Eschol.
de med. Lisboa, 1856, VIII, 377. — Rosmini (G.). Cenni sulla mcmoria del doit. A. Quaglino
intorno alV emeralopia cd ai vapori di fegato di viontone quai meizo specefico per curarla.
In Ann. univ. di med. Milano, 1856, CLVIII, 485. — Allé. Ueber die Ueilung der Nacht-
blindheit diirch den Gehrauch der cjekochten Ochsenleber. In OEsterr. Zeitschr. f. pract.
Heilkunde. Wien, 1857, III, 446. — Blower (W.). Nyctalopia. In Assoc. Med. Journ. Lon-
don, 1857, 924. — Fôrster (R.). Ueber Hemeralopie und die Anwendung eines Pholometcrs
im Gebiete der Ophthalmologie, in-S". Breslau, 1857. — Guémar. Considérations sur Vhé-
méi-alopie. Extrait d'un rapport de . . . chirurgien-major de la frégate « VAlceste », cam-
pagne de l'Océan Pacifique en 1854-1856. In Compt. rend, de la Société de biologie, 1856.
Paris, 1857, 2° s., III, 248-251. — Lestrille. Note sur l'héméralopie. In Gaz. des hôpitaux.
Paris, 1857, XXX, 94. — Zsigmondy (A.). Beitrâge zitr Heilung der Nachtblindheit durch den
Gebrauch von gekochter Ochsenleber. In OEsterr. Zeitschr. fur prakt. Heilkunde. Wien,
1857, III, 118-120. — Baizeau. Note sur le traitetnent de V hemeralopie. In Union médicale,
1858, — CiiiRALT (V.). Sobre el tralamiento de la hemeralopia. In Siglo med. .Madrid, 1858,
-V, 387. — Du MÊME. Sobre la hemeralopia. In Ibidem, 1863, X, 756. — Dëval (G.) Considé-
rations pratiques sur les principales variétés de l'hénm-alopie et sur le traitement qui
leur est applicable. In Bull. gén. de thérapeutique, etc. Paris, 1858, LV, 248, 303. — Du
MÊME. Note sur l' hemeralopie ; observation d'un cas de ce genre, rapidement guéri à l'aide
des vapeurs azotées. In Union médicale. Paris, 1858, XII, 310. — Doujiic. Note sur l'hémé-
ralopie et spécialement sur son traitement par les fumigations. In Bull. gén. de thérap.
Paris, 1858, LY, 175-180. — Guépin (fils). Deux observations cl' hemeralopie. In Annales
d'ocul. Bruxelles, 1838, XXXIX, 48-51. — Laveran. Note sur la nature de l'héméralopie.
In Rec. de mém. de méd. mil. Paris, 1858, 2= s., XXI, 233-238. — Meuer (E.-T.). Hemera-
lopie. In Geneesk. Tijdsckr. v. Nederl, Indie. Batav., 1858-1859, VI, 072-674. — Neboux.
Note sur une épidémie d' hemeralopie; importance du foie de bœuf pour le traitement de
cette maladie. In Bull. gén. de thérap., etc. Paris, 1858, LV, 416-419. — Netter (A.). Lettre
sur l'héméralopie. In Union médicale. Paris, 1858, XII, 396. — Du même. Du traitement de
l'héméralopie par l'obscurité. In ibidem, 450-455. — Du même. Cause nocturne et traitement
de l'héméralojne. In Annales d'hygiène. Paris, 1858, 2° s., X, 207-210. — Du même. Note
sur l'héméralopie épidémique. In Gazelle médicale de Strasbourg, 1858, XVIII, p. 195-200.
— OuvRARD (G. -F.). Quelques remarques sur l'héméralopie, surveillée à bord du a Lavoisier »
pendant une campagne en Océanie, in-4'>. Paris, 1858. — De Paula Garrido (F.). De la
hemeralopia 6 ceguera nocturna. In Memor. de sanid. de ejercito. Madrid, 1858-1860, 260,
320, 385, 598. — Torresini (M.). Sopra i vapori di fegato di manzo nelV emeralopia. In
Gazz. med. ilal. lomb. Milano, 1858, 4= s., III, 45. — Du même. Quatro casi di emeralopia
osservati nelV esercito. In ibidem, 1864, 5° s., III, 333. — Oueymard. Thèse de Montpellier,
1858. — Baldy (E.-L.). De l'héméralopie épidémique, in-4°. Strasbourg, 1859. — Bardinet.
De l'héméralopie observée en Limousin sous diverses formes, sporadique, endémique et épi-
démique. In Manuel de l'hôpital. Paris, 1859, VII, 286, 293, 298. 510, 518, 324. —Barbe.
Gazette des hôjntaux, -iS^d, p. 421. — Bryson (A.). Night-Blindness in Connection with
174 IIÉMÉRALOPIE (bibliographie).
Scurvij. In Ophth. llosp. Hep. London, 1859-1860, II, 40-4Ô. — Giiaefe (A.). Beilrâge zum
We&en der Hemeralopie. In ibidem, 1839, v. 1, Abtli. 112-127. — Prighard (A.). Nyctalopia.
In Brit. Med. Jourii. London, 1859, 447. — Vallin (E.). De i héméialopie syniplomatique.
In Mollit, des hôpitaux, l'ai^is, 1859, Vil, 581-583. — Babrés. Notes sur un cas d'héinéra-
lopie. In Journ. de niéd., chirurf/ie et pharm. de Toulouse, 1860-1863, V, 244. — Coindet
(L.). A propos de Vhêméralopie. In Gaz. Iiebdom. de méd. Paris, 1860, 2° s., 471. — De
Gbazia (A.). Nueva nota clinica acerc.a de la cficacia del lugado asado en el tratamiento
de la hemeralopia. \n Siglo med. Madrid, 1860, VII, 609-611. Mereau (A.). De Vhêméralo-
pie ou cécité nocturne considérée sourtout au point de vue de l'étiologie et du traitement,
in-4°, Paris, 1860. — Pinelli. Due casid'emeralopia guariti nel civico spedale di Trieste.
in Gazz. med. ilal. pror. vente. Padova, 1860, III, 357. — Weber. Recherches sur l'hémé-
ralopie et en particulier sur V héméralopie épidémique de l'armée. In Rec. de mém. de
med. milit. Paris, 1860, 3° s., III, 122-139. — Blessig. Ueber Xerose des Bindehaulepithels
nnd deren Beziehung zur Hemeralopie. In St.-Petersburger med. Zeitschr , 1861, XI, 345-
344. — Baizeau. De V héméralopie épidémique. In Recueil de mém. de méd. milit. Paris,
1861, 5' s., VI, 81-177. — Fromulleu (sen.). Dunkelsehen [Ny/itaphobia) Memorabilien. Ileil-
bronn, 1862. VU. 2'25. — Kozeluk (G.). Intermittirende Hemeralopie in Begleitung eiiies
Tertian-Wechselfiebers. In Spilat-Zeilung. Wien, 1862, 485. — Desponts (E.). De l'héméra-
lopie. Traitement de celle maladie par Vhuile de foie de morue à l'intérieur. Rapp. de
GosseUn. In Bull, de l'Acad. de méd. Paris, 1861, 2, XXVII, 1016-1025. — Du jième. In Union
tnédic. Paris, 1862, 2° s., XXI, 53-60. — Mendes (J.-C). Estudo sobre a hemeralopia a pro-
posito dos casos observados na guarniçûo de Lisboa. OH'crecido a Academia real das
sciencias de Lisboa, in-8''. lisboa, 1862. — Du même. Escholiaste med. Lisboa, XIII, 22, 39,
55, 70, 83, 106. — Netter. Nouveau mémoire sur l' héméralopie épidémique et le traitement
de cette maladie par les cabinets ténébreux. In Gazette médicale de Strasbourg, 1862,
XXII, 165-186; 1865, XXUI, 9-21. — Citot, Mémoire sur une lésion conjonctivale non
encore décrite, coïncidant avec Vhêméralopie. In Bull, de VAcad. de méd. Paris, 1862 à
1863, XXVIIl, 619, 624. — Du même. Journ. de méd. de Bordeaux, 1863, 1862, VIII, 241.
253. — Du »iÈME. Gazette médicale de Paris, 1863, XVIII, 435 à 438. — Du mê.me. Gaz. hebd.
de méd. Paris, 1803, X, 284 à 288. — Eitnek. Eine Epidémie von Hemeralopie. Beobachtet
A\x{ Sr. Maj. Schiff « Arcona », wâhrend der ostasiatischen Expédition. In Deutsche Klinik.
Berlin, 1863, XV, 245-248. — Desponts (E.). Traitement de Vhêméralopie par Vhuile de
morue à Vintérieur, in-S". Paris. 1863. — Icard. Notes sur quelques cas d'héméralopie ob-
servés à Vhôpilal militaire des Collinettes. In Mém. et Compt. rend, de la Société des se.
méd. de Lyon, 1862-1863, II, 157-171. — Du même. Gaz. méd. de Lyon, 1863, XV, 269-296.
— Lig.meue. Cenni di alcuni casi di emeralopia. In Giorn. di med. mil. Torino, 1803, XI,
545-548. — NozERAN (A.). Quelques considérations sur Vhêméralopie observée à bord de la
frégate- amirale la a Pallas », e« cours de campagne sur VOcéan pacifique, 1862-1863. In
Montpellier méd-, 1864, XII, 247-257. — Arlt (G.-F.). Veber Betinilis, Nyctalopia. In Med.
Jahrb. Wien. 1866, XII, 115, 122. — Du même. In Hist. Ber. ûber die Augenklinik, in-8',
1865-1865. Wien, 1867, 123-132. — Yillemin (J.-A.). De Valtératlon êpithéliale de la con-
jonctive oculaire dans Vhêméralopie. In Gaz. hebdom., 1863, X, 332-335. — Desmobets. De
l'insuffisance des traitements employés pour combattre Vhêméralopie épidémique. In ibid.,
1863, 3" s., IX, 275-287. — Do Cunka Bëlem (A.-M.). Différentes consideraçôes sobre a heme-
ralopia, a proposito dos casos Iratados no hospital permanente de Lisboa. In Eschol. de
med. Lisboa, 1864, XV, 53-71. — Kuttner (C). Ueber Hemeralopie. In St.-Petersb. med.
Zeitschr., 1864, 65-77. — Quaglino (A.). Studi pratici su Vemeralopia. In Gazz. med. ital.
lomb. Milano, 1856, 4" s., I, 271, 280 (See also infra Rosnimi G.). — Du même. Délie condi-
zione morbose delV emeralopia. In Ibidem, 1864, 5" s., III, 365-367. — Rivière (P.). Elude
sur V héméralopie obsei-vée à bord de la corvette « la Cordelière » pendant une campagne
■dans la mer des Indes, année 1858-1861, in-4°. Montpellier, 1864. — Colin (G.). De Vhêmé-
ralopie et de son traitement, in-4°. Paris, 1865. — Nozeran (A.). De Vhêméralopie des
pays chauds, in-4''. Montpellier, 1865. — Pirion. Considérations sur Vhêméralopie et sur
le scorbut. In Arch. de méd. nav. Paris, 1865, IV, 403-424. — Spengleb. Hemeralopie bei
Schwangeren. In Monatsschrift f. Geburtsk. und Frauenkr. Berlin, 1815, XXV, 61-65. —
Carter (R.-B.). Nyctalopia. In Med. Times and Gaz. London, 1866, I, 509. — Haïs (W.).
Nyctalopia. In Cinc. Journ. Med., 1866, I, 315. — Hicks (R.-J.). Nighl-Blindness in the
■Confédérale Army. In South. Med. Trans. and Surg. Journal, August 1866-1867, 5° s., I,
471-475. — DuMÈME. Richmond Med. Journ., 1867, III, 34-38. — Hulke (J.-W.). Night-Blittd-
ness. In Med. Times and Gaz. London, 1866, I, 633. — Junker (F.-E.). On Night-Blindness.
In Med. Times and Gaz. London, 1866, II, 71. — Walton (H.). Night-Blindness. In Med.
Times and Gaz. London, 1866, I, 169. — Cases. De Vhêméralopie fausse et vraie. In France
médicale. Paris, 1867, XIV, 474. — Gabdser (W.-E.). Case of Hemeralopia Successfully
■ireated by Sirychia and Opium combined. In Amer. Journ. Med. Se. Philadelphia, 1867,
HÉMÉKALOPIE (bibliographie). 175
11. s., LUI, 556. — Laïcocic (T.). On. a Suggeslcd Cause of Nyctalopia, or Night-Blindiiess.
fil Med. Times and Gaz. Loiiilon, 18G7, I, 550-552. — Saltor (J.). De la henieralopia como
cfeclo de los miasmas paludicas, y de la afasia como consecuencia de la caguexia palu-
dica en los ninos. In Compiladur med. Barcelona, 1867-1868, III, 557-559. — Manzoni (A.).
Délia emeralopia. In Riv. clin, di Bologna, 1867, VI, 57-45. — Waciis. Hcmeralopie: drille
Nieder/cuiifï, Nachtblindheit zu Ende der Schwangerscliaft bis in die erslen Tage des
WochenheUes. In Monalsuchr. f. Geburtsk. u. Frauenkr. lierlin, 1807, XXX, 24-32. —
LiGEY. Un cas dhéméralopie. In Courrier méd. Paris, 1868, XVIH, 171. — Aui.t (C-F.).
Retinilis Nyclalopica. Transi, by J. P. Weightnian. Philadelpliia, 1861. Voy. encore infra,
Caleffi (C). Délia cura délia emeralopia negli spedali militari italiani. In Giorn. di
med. mil. Torino, 1868, XVI, 25-50. — Henbard. Considérations sur l' héméralopie ou
cécité nocturne. In Arcli. méd. belges. Bruxelles, 1868, 2° s., VIII, 21-26. — Mautialis. De
l héméralopie. In Arch. de méd. nav. Paris, 1868, IX, 38-19, 1 pi. — Robinson. Reinarks on
Night-Blindness, wilh Noies of a Case. In Lancet. London, 1868, I, 685. — Dickinson (W.).
Retinilis Nyclalopica. In Med. arch. St. -Louis, 1869, 111, 10-15. — Discussione suW eme-
ralopia. In Giorn. d. r. Accad. di med. di Torino, 1869, 5° s., VIII, 89-110. — Galezowski
(X.). De rhéméralopie endémique et de son traitement pur la calabarine. In Gazette des
hôpitaux. Paris, 1869, XLII, 491. — Leedosi (E.-C). A Case of Night-Rlindness, from
Worms in llie Intestinal Canal, successfully Ireated. In Arn. Journ. Med. Se. Philadelpliia,
1869, n. s , LVIII, 102. — Mitciieli-. Hœmeralopia, with Retinal Exlravasion. In New-Orl.
Journ. Med., 1869, XXII, 802. — Bonnafy (G.). Considérations sur V héméralopie, in-4''.
Paris, ISTO. — Cmaussonnet. De l'héméralopie aiguë, m-¥. Paris, 1870. — Dupiehhis. Traite-
ment de l' héméralopie. In Mém. et bull. de la Soc. de méd. de Rordeau.T. Bordeaux, 1870,
18-19. — Whisiiaw (J.-C). Nyctalopia San. In Rep. Oudh. Lucknow, 1870, 6. — Du.mke. Die
Nachlblindhcil unler den franzôsischen Kriegsgefangenen za Lin</en. In Arch. f. palh.
Anat , etc. Berlin, 1871, 111, 570. — CmsoiiM (J.-J.). Night-Blindness of seven Months'
Duralion, resisting the Usual Treatment, but promptly relieved by the Hypodermic Use
cf Strychnia. In JSalt. Med. Journ. Trans. Bull., 1871, II, 592-598. — Mora. llcmeratopia ;
cura pella strychnina. In Cor?-eio med. de Lisboa, 1871-1872, I, 55-57. — Bauoffio (F.).
Délia hemeralopia e specialemenle dclla refrazione epcrmetropica che l'accompagnia. In
Sperimentale. Florenze, 1872, XXIX, 125-150; aiso reperint. — Fcmagalli (A.). Sulla pato-
genesi dell' emeralopia essenziale. In Ann. di ottalm. Milano, 1872-1875, II, 471-494. —
Faucon (A.). De l'héméralopie épidémique envisagée au point de vue de la simulation. In
Journ. d'ophthalm. Gar.,1872, I, 558-359. — Grosoli [Ci.). Una epidemia di emeralopia. In
Ann. un. di med. Milano, 1872, CCXXI, 493-515. — Netter. Traitement général de l'hémé~
ralopie par les cabinets ténébreux. In Gazette des hôpitaux de Paris, 1872, XLV, 522-552.
— Bédie. Sur l'héméralopie. In Lyon médical, 1873, t. XII, 344. — Cocdet. De l'héméra-
lopie et en particulier de l'héméralopie dans les pays chauds, in-4'>. Montpellier, 1873. —
Die epidemisch aufiretende Nachlblindheit. In Berlin» klin. Wochenschr., 1873, X, 252. —
Franco. Cécité nocturne; administration de foie de bœuf comme aliment pendant sept jours.
Guérison. In Journ. d'ocul. et chir. Paris, 1873-1874, I, 174. — Fitzgerald (C.-E.). Case of
congénital Nyctalopia, commonly termed Hemeralopia. In Irish. Hosp. Gaz. Dublin, 1875,
I, 216-218. — Fritsch, dit Lang. Note sur i héméralopie. In Mém. et compt. rend, de la
Soc. de méd. de Lyon, 1873, 1874, XIII, pi. 1, 49-56. — Do même. Lyon médical, 1873, XII,
565-571. — SwANZï (ll.-R.). Cases of Congénital Hemeralopia. In Irish Hosp. Gaz. Dublin
1875, I, 84-86. — Thomas (L.). Héméralopie congénitale idiopathique. In Rec. de trav. de
la Soc. méd. d'Indre-et-Loire, 1872. Tours, 1875, 87-90. — \Valker. Cases of Night-Blind-
ness and of Détache d Retina. la Liverpool and Manchester Med. and Surg. Rep. Liverpooi,
1873. I, 181-189. — KôHiG (II.). Zwei Beobachtungen von mangcUiafter Entwickelung der
Chorioides, verbunden mit Héméralopie, in-8°. Greifswald, 1874. — Roustan (F.). Traite-
ment par la lumière des maladies des yeux et en particulier de l'héméralopie. Jlontpellier,
1874. — GuAiTA (L.). Un caso d'emeralopia cou litnilazione periferica del campo visivo
guarita colle injezioni ipodermiche di stricnina. In Ann. di ottalm. Milano, 1875, IV, 155 à
159. — Olshausen. Ein Fall von Héméralopie in den letzten Wochen der Graviditât und
lien ersten Tagen des Wochenbettes. In Berliuer klin. Wochenschrift, ^815, \U, 583. —
RoussET (L.). Quelques considérations cliniques sur l'héméralopie essentielle, in-4°. Paris,
1875. — Reïmond (C.). Inlerprelazione dell' emeralopia. In Giorn. d. r. Accad. di med. di
Torino, 1871, 5= s.. X, 215, 225, 410, 520, 705; 1872, 5= s., XI. 401. — Du même. Stato tor-
pido e stati emeralopici délia retina. In Annal, di ottalm., Milano, 1875, IV, 40-112. —Del
Castillo (R.). Delà hemeralopia. In Madalucia med. Cordoba, 1876, I, 65-72. — Lettre sur
l'héméralopie et l'affection dite rétinite pigmentaire. In Ann. d'ocul. Bruxelles, 1876,
LXXV, 198; LXXVI, 99. — Bleynie [L.).\ Héméralopie entée sur une amidyopie asthénique
avec coloration bleue de l'humeur aqueuse, suivie de quelques considérations sur la théo-
rie des couleurs des corps sur la physiologie de la rétine et sur te daltonisme. In Journ.
176 IIÉMÉRALOPIE (bibliographie).
Soc. de méd. et depharmacie de la IJaute-Vienne. Limoges, 1877, II, H7-120. — Trapenabd
(G.). Uc'méralopie essentielle. In Compt. rend, de la Soc. de se. méd. de Gannat, 1877,
XXXI, 52-57. — YiEussE. i/ne nouvelle forme d' héméralopie , dite « héméi-alopie tempoj-aire
congénitale-». In Ga%. hebd.de méd. Paris, 1878, 2° s., XV, 667-669. — Comme (A.). Quel-
ques considérations sur l'héméralopie épidêmique. Observée à bord de l'aviso « le Limier»,
pendant la campagne de l'océan Pacifique, 1876, Paris, 1879. — Dubois (E.). Considérations
sur l'héméralopie. Paris, 1879. — Pinto (G.). Dreve estudo sobre a hemeralopia essencial.
Correio med. de lisboa, 1879, \'III, 215, 233, 260; 1880, IX, 7. — Mecklenburg. Hemeralo-
pia epidemica im Gefângniss des Deulsch-Croner Kreisgerichts. In Allg. med. Cenlral-
Zeitung. Berlin, 1855, XXIY, 75-75. — Du même. Pilocarpinum hydrochloricum gegen acute
Hemeralopie. In Berliner klin. Wochenschr., 1880, XVII, 633. — Greenhill (VV.-II.). On the
Meaning of the Word « Nyctalojna » and « Hemeralopia » with a Critieal Examinalion of
the Use of thèse Words in the Ancient Greek and Latin Authors. In Ophth. Hosp. Eep.
London, 1880-1882, X, 284-292. — Pagenstecher (IL). Synapse schemalica de un casa de
cegueira crepuscular « hemeralopia » herediiaria, passando do avôao neto e seguindo
assim pelo ratno mascusUno sômente. In Period. de ophth. prat. Lisboa, 1880, II, n° 1,
50. — Tweedy (J.). On the Meaning of the Words « Ntjctalopia y> and «. Hemeralopia -d as
disc/osed by an Examinalion of the Diseases dcscribed under thèse Ternis by the Ancient
and Modem Médical Authors. In Ophth. Hosp. l'.ep. London, 1880-1882, X, 415-436. —
Garau y Alemany (J.). De la hemeralopia, y su frequencia en el soldado. In Rev. esp. de
oftahn. sif., etc. Madrid, 1881, ano IV, II, 282, 559. — Macé et Nicati. Hemeralopie et tor-
peur béticieiine, deux formes opposées du Daltonisme. In Compt. 7-end. de l'Acad. des se,
juin 1881, — Du même. Contribution à l'étude du champ visuel des couleurs. In Archives
d'ophtalm., sept., oct. 1881. — Mouly (P.). Contribution à l'étude de l' hemeralopie dans
les affections hépaliques, iii-i". Paris, 1881. — Nazareth (J.). Da hemeralopia. In Coimbra
med., 1881, I, 5-8. — Pabinaud. L'héméralopie et les fonctions du pourpre visuel. In Cpt.
rend, de l'Acad. des se. Paris, 1881, XGIII, 286. — Du même. De l'héméralopie dans les
affections du foie et de la nature de la cécité nocturne. In Archives générales de médecine.
Paris, 1881, 1, 403-414. — PFLiiGER. Slammbaum einer Familie, in welcher Hemeralopie
neben hochgradiger Myopie sich forterbt. In Univ. Augenbl. in Bern, 1881, 1885, 54-59,
1 pi. — Saltini. Sur l'usage du sulfate de quinine dans le traitement de l'héméralopie
essentielle. ïn Congr. périod. internat. d'ophlhi7i., 1880. Milan, 1881, VI, pi. 277. — On même.
impiego del bisolfato di chinino nella cura delV emeralopia idiopalica. In Ann. di ottalm.
Pavia, 1881, X,. 44-49. — Dransart. Du nystagmus et de l' hemeralopie chez les mineurs. In
Annales d'ocul. Bruxelles, 1882, XXXVllI, 150-156. — Dumas. Sur l'efficacité des fumi-
gations de foie de bœuf dans l'héméralopie aiguë el sur l'héméralopie héréditaire. In
Gai. hebd. de méd. Paris, 1882, 2° s., XIX, 460-465. — J'ernandez-Cabo {k.). La hemeralo-
pia. In Bol. de med., I, av. San Fernando, 1882, V, 1-12. — Gillis (P.). Hemeralopie. In
Gas hebd. des se. méd. de Montpellier, 1881, III, 601, 615; 1882, IV, 2. — Michel (J.).
Veber die sogenannte Tagblindheit. In Sitzungsbericht der phys. med. Gesellschafl zu
Wurzb., 1881, 75-75. — Du mèhe. Bericht iiber das Vorkommen der « Nachtblindheit » i»j
Arbeitshause Hebdorf. In AirztL. Intell.-Blatt. Mûnchen, 1882, XXIX, 535, 349. — Martin
[k). Etude sur une récidive d' hemeralopie dite essentielle à la suite d'un ictère catarrhal
traité par la médication alcaline. In Mouvement médical. Paris, 1877, XV, 508. — Dn
même. Le sulfate d'ésérine dans le traitement de l' hemeralopie essentielle. In Bull, de la
Soc. de méd. prat. de Paris, 1882, 1885, 20-25. — Poncet (F.). Épidémie d'hémeralopie à
Strasbourg en 1869. In Gaz. hebd. de méd. de Paris, 1869. 2'^ s , YI, 456. — Du même.
Nîjctalopie. In N. Dict. de méd. et chir. prat. Paris, 1877, XXIV, 205-210. — Du même, ^ote
sur l'héméralopie [image ophthalmoscopique). In Compt. rend, de la Soc. de biol., 1881.
Paris, 1882, 1" s., III, 157. — De Gouyea (II.). Coniribuiçào para o estudo da hemeralopia
e a xerophlhalmia por vicio de nutriçâo. In Gaz. med. Brazil. Eio de Janeiro, 1882,
I, 13, 07, m, 159, 2 diag., 212, 1 pi. — De même. In Arch. f Ophth. Berlin, 1885, XXIX,
1 Abtli., 107-200. — Vélakdi (E.). Délia emeralopia e sua patogenesi. In Boll. d'ocul.
Fireiize, 1883-1884, VI, 270-278. — Zimmermann (C.). A Beview of the Théories of Hemera-
lopia with a Case of Niglit-Blindness from Miasmatic Influences affecting four Children
of the same Family. In Arch. Ophlh. New-York, 1885, XII, 190-200. — Aguil.ar Blaneh.
Reflexiones sobre la hemeralopia a proposito de un caso curado con la faradisacion. In
Cron. med. Yalencia, 1885-1884, VIT, 257-296. — Du même. In Rec. d'ophthalm. Paris,
1884, 1885, YI, 135-142. —Charpentier (A.). Élude d'un cas d'hémeralopie dans le cours
d'une cirrhose hijpertrophique. lu Arch. d'ophth. Paris, 1884, IV, 570-579. — Chibret. Un
cas extraordinaire d'hémeralopie congénitale. In Arch. d'ophth. Paris, 1884, IV, 79-85. —
Fontan (J.). De l'héméralopie tropicale. In Rec. d'ophth. Paris, 1882, 5' s., IV, 577-604,
1 pi. —Du Même. Un diagnostic positif de l'héméialopie essentielle. In Bull, et mém. de la
Soc. franc, d'ophth. Paris, 1884, II, 111-121. — Du même. Arch. de méd. nav. Paris, 1884,
IIÉMIANESTlIESiji'. 177
XLI 524-329. — Gbanizo (F.). Sobre la keineralopia observada en los soldados dcl ejercito
de Cuba. In Gac. de saiiid. mil. Madrid, 1884, X, 489-493. — Jœlson (K.). Gemeralopija u
soper, kûk shedslvie nedostalochnago prodovolstvija. In Voyenno med. Journ. St.-Pé(ers-
boui'O' 188i, GXLIV, pt. 3, 11-18. — Rivmpoldi (R.). Annotazioni intorno la emeralopia cosi
delta p.ssenziale. In Ann. di oUalm. Pavia, 1884, Xlll, 298-511. G.
HEMÉRIS. La plante désignée sous ce nom dans Pline est une espèce de
chêne, probablement le Quercus robur L. Ed. Lef.
IIÉMÉROCILLE [H emerocallh L.). Genre de plantes de lo famille des
Liliacées et du groupe des Asphodélées. Ce sont des herbes vivaces, à racines
fibreuses ou tubéreuses, à feuilles linéaires, toutes radicales, du centre des-
quelles s'élève une hampe fistuleuse, simple ou rameuse, terminée par de
grandes Heurs jaunes ou rougeàtres. Ces fleurs ont un périanthe simple, infun-
dibulirorme, à tube court et à limbe partagé en six divisions, un androcée com-
posé de six étamines insérées sous la gorge du périanthe, et un ovaire supère,
surmonté d'un style filiforme, à stigmate capité. Le fruit est une capsule
charnue-coriace, dont les (rois loges renferment chacune plusieurs graines
arrondies.
Les llémérocalles n'offrent aucun intérêt pour la médecine. Quelques espèces
sont cultivées communément dans les jardins à cause de la beauté et de l'odeur
suave de leurs fleurs. Tel est notamment \'H. flava L,, qui est bien connu sous
les noms vulgaires de Lis asphodèle, Lis jaune, Lis jonquille, Belle de jour.
C'est à ce litre également qu'on cultive le Funkia subcordata Sj)reng., plante
voisine des llémérocalles, qui est YHemerocallis japonica de Tliunberg et
l'Hémérocalle du Japon des fleuristes. Ses fleurs blanches, très-odorantes, ont
servi, dit-on, à faire une liqueur de table à laquelle on a attribué des propriétés
digestives. Ed. Lef.
HÉinÉROS. Nom grec ancien du Sambucus nigra L. [voy. Soreau).
Ed. Lef.
HÉMÉROSICHYS. Dioscoridc a désigné sous ce nom le Ciicumis sativus L.
{voy. Cokcombre). Ed. Lef.
HÉMEROTES. Nom ancien de VEryihrcea centaurium Pers. {voy. Erythrée
et Centaurée). Ed. Lef.
HÉMIAXESTSIÉSIE. C'est la perte de la sensibilité dans tous ses modes
limitée à une moitié du corps: si nous supposons un plan passant par la lirrne
des apophyses épineuses et la pointe du sternum, et que toutes les parties qui
sont du côté gauche de ce plan soient privées de sensibilité, si la vue, l'ouïe,
l'odorat, le goût du côté gauche, sont abolis, il y a hémianesthésie gauche. On
voit par cette définition que nous excluons de ce chapitre les pertes de sensi-
bilité d'origine spinale, qui respectent les sens spéciaux, la sensibilité de la face,
ainsi que les anesthésies dues à des lésions de la protubérance ou aneslhésics
mésocéphaliques. Les auteurs qui se sont occupés de l'hémianesthésie ont lon^^-
temps regardé ce symptôme comme l'apanage exclusif de l'hystérie (Briquet,
Landouzy, Gendrin). Cependant Demeaux (1845) avait déjà vu que l'hémianes-
DICT. ENC. 4° s. XIII. 12
178 IIÉMIANESTIIÉSIE.
thésie peut accompagner l'hémiplégie; il en cite un cas à la fin de sa thèse
inaugurale; Andral avait fait la même observation, mais, â partir des travaux de
Ludwig Turck (1859), les faits de coïncidence entre l'hémianesthésie et l'hémi-
plégie se sont multipliés. C'est même l'étude attentive de ces faits qui a permis
de trouver quelle était la région du cerveau dont la lésion produisait l'hémi-
anesthésie. A partir du jour où cette découverte fut bien établie, fut corroborée
par des observations nombreuses, par des expériences sur les animaux (Veysière,
Carville et Duret), l'hémianesthésie de cause cérébrale entrait dans le domaine
pathologique ; c'est là la deuxième phase de l'histoire de l'hémianesthésie. Puis
on ne tarda pas à remarquer que l'hémianesthésie de cause centrale avait abso-
lument les mêmes allures que l'hémianesthésie hystérique : de là l'idée bien
scientificiuc d'englober dans l'hémianesthésie de cause cérébrale les troubles de
sensibilité hystérique. On fut longtemps arrêté avant d'arriver à cette générali-
sation par les hémianesthésies survenant chez des hommes à la suite de chutes,
de coups, d'émotions vives; ce n'est qu'à grand'peine qu'on finit par admettre
la nature hystérique de ces manifestations. Mais, les faits d'hystérie chez
l'homme se multipliant chaque jour, on accepte aujourd'hui volontiers l'hémi-
anesthésie hystérique masculine et, bien que dans ces cas comme dans ceux
d'hystérie féminine la lésion cérébrale n'ait pas encore été démontrée, tout
porte à croire qu'elle existe et qu'elle a pour siège les mêmes parties du cer-
veau dont les lésions amènent l'hémianesthésie de cause cérébrale.
On voit par ce rapide coup d'oeil d'ensemble de quelle importance est
l'étude de l'hémianesthésie de cause cérébrale. C'est L. Turck (de Vienne) qui
le premier indique le siège de la lésion encéphalique , puis Charcot pré-
cise davantage; MM. Veyssière, Raymond, en reproduisant expérimentalement
l'hémianesthésie, appuient les conclusions du maître, auxquelles les thèses de
Lépine, Rendu, le travail de Magnan (1874), achèvent de donner une sanction
définitive. Le travail publié en 1876 par Raymond {Étude sur Vhémichorée,
l'hémianesthésie et les tremblements symptomatiques) résume très-bien tout ce
que nous savons actuellement sur la question. La lésion, quelle qu'en soit la
nature, intéresse un territoire très-nettement délimité : c'est le tiers postérieur
de la capsule interne. Nous ne pouvons que renvoyer pour cette étude anato-
mique à l'excellent article Encéphale de ce Dictionnaire ; on y verra, en résumé,
qu'il existe un faisceau spécial de la capsule interne qui sert de carrefour à
toutes les fibres sensitives destinées à une moitié du corps, même à celles des
sens spéciaux, et que l'hémianesthésie est souvent liée à la lésion de ce dépar
tement; nous disons souvent et non toujours. Nous venons en effet de perdre
un malade dont M. Delorme a relaté l'histoire à la Société de chirurgie (juillet
1886) et qui, à la suite d'une colossale hémorrhagie de la méningée moyenne
gauche, avait tout le cerveau gauche comprimé, tassé, déjeté vers la droite, avec
effacement du ventricule latéral, sans trace d'anesthésie ni de paralysie motrice.
Il n'avait qu'une anesthésie de la cornée et une dilatation de la pupille du côté
gauche. Mais on est habitué en pathologie cérébrale à rencontrer ces grosses
exceptions qui, sans confirmer la règle, ne l'infirment pas à l'absolu. La lésion
est le plus souvent le résultat d'ime hémorrhagie dont le foyer affecte la forme
linéaire aplatie en boutonnière. On retrouve toujours ces foyers sous forme de
cicatrices ocreuses, longitudinales, tout à fait linéaires, vestiges de lésions
guéries ayant provoqué une hémianesthésie passagère. Dans d'autres cas d'hé-
miajiesthésie transitoire, les faisceaux sensitifg ne sont que comprimée p^ç des
IIÉMIANESTHESIE. 17»
liémorrhaTies qui siègent dans leur voisinage. Il est inutile de dire que la lésion
est rarement limitée à la région du cerveau, qui préside à la sensibilité, et qu'elle
empiète le plus souvent sur les foyers voisins {voy. IIémichorée) : de là la l'ré-
nuente association de l'hémianesthésie avec l'hémichorée, l'hémiathétose et
l'hémiplégie.
Symptômes. Cette coïncidence si fréquente de troubles de la motilité rend
difficile l'étude symptomalique de l'hémianesthésie causée par des lésions céré-
brales, mais, comme elle a absolument les mêmes caractères que l'hémianesthésie
des hystériques, laquelle n'est ordinairement pas compliquée par des phéno-
mènes moteurs, il nous semble que l'étude didactique des symptômes doit être
faite sur les hémianesthésiques hystériques.
Troubles de la sensibilité générale. Dans notre définition nous avons dit
que l'hémianesthésie était constituée par l'abolition de la sensibilité d'une moitié
du corps; la vérité est qu'elle empiète de 1 à 2 centimètres au niveau de h
lio-ne médiane, en avant et en arrière sur le côté resté sain. Dans les cas typiques
tous les modes de la sensibilité commune sont atteints, sensibilité au tact, à la
douleur, à la chaleur et à l'électricilé; l'insensibilité peut même s'étendre aux
parties profondes et les malades perdent le sens musculaire; leurs muscles
peuvent être excités par l'électrisatioii sans qu'ils en aient la moindre conscience.
Ils perdent dans le lit la notion de la situation de leurs membres. Les mem-
branes muqueuses ne sont pas épargnées. La conjonctive peut être iusensibl-î
sans que la cornée le soit : c'est ce qui arrive le plus souvent dans l'hémianes-
thésie, tout comme dans l'empoisonnement par la strychnine, tandis que dans
l'empoisonnement par l'éther c'est la conjonctive qui perd la première sa sen-
sibilité : c'est que la conjonctive reçoit les nerfs ciliaires directs de la 5'' paire,
tandis que la cornée est innervée par les rameaux émanant du ganglion
ophthalmique. Mais il peut arriver que la conjonctive et la cornée soient à la'
fois anesthésiques : dans ces cas le contact d'un corps étranger sur la cornée du
côté anesthésique ne provoque aucune douleur ni aucun mouvement du globe
oculaire, et cependant les larmes coulent immédiatement. On peut rapprocher
ce fait de ce qui se passe chez les hystériques anestbcsiques chez lesquelles les
mamelons du sein, le clitoris, bien qu'insensibles au toucher, conservent la
faculté de s'ériger au moindre contact (Briquet).
Les sens spéciaux sont également atteints, non-seulement ceux dont les nerfs
sont d'origine bulbaire, goût, ouïe, mais encore l'odorat et la vue. M. Magnan
a étudié avec soin les perturbations de l'odorat, de Touïe et du goùl. MM. Ga-
lezowski et Landolt ont très-bien décrit les troubles de la vision (Landolt, 1875).
L'amblyopie hystérique, à part sa mobilité, est identique à celle qui est causée
par une lésion organique, bien que l'examen ophtlialmoscopique ne révèle rien.
La pupille du côté aneslhé'sié se contracte par l'exposition brusque à la lumière,
même chez les malades qui ne peuvent distinguer le jour de la nuit. L'acuïté
visuelle peut être réduite à zéro ou seulement diminuée dans une mesure
variable; il existe en outre un rétrécissement concentrique du champ visjuel et
une perversion du sens des couleurs. On a cru longtemps que cette perversion
n'était soumise à aucune loi; on sait aujourd'hui que le pliénomène est soumis
à des lois constantes, mais, pour bien le comprendre, il faut se rappeler que,
même à l'état normal, toutes les parties du champ visuel ne sont pas également
aptes à percevoir les couleurs : ainsi c'est pour le bleu que le champ visuel est
le plus étendu, tandis que le viélet n'est perçu que par les prties centrales de
180 HbnIIAiNESTHESlE.
Ja rétine; entre ces deux extrêmes se placent le jaune, l'orange, le rouge et le
vert : or dans l'état pathologique ces cercles, correspondant aux limites de la
vision pour cliaque couleur, se rétrécissent concentriquement, de sorte que celui
'lu violet peut se rétrécir au point de devenir nul; le malade ne voit plus alors
les couleurs violettes, tandis qu'il continue à voir les autres, puis ce sera le
lour du vert, du rouge; le jaune et le bleu persistent jusqu'à la dernière
limite; à partir du moment où ces dernières couleurs cessent d'être appréciables,
les objets n'apparaissent plus que sous un aspect uniformément terne. Dans
l'hyslérie, ces troubles visuels survivent souvent à la disparition des autres
Iroubles de la sensibilité; ils constituent un des stigmates les plus constants
et peuvent avoir une extrême importance diagnostique. M. Feré a démontré
<|u'ils ne se rencontraient que quand l'iiémianeslbésie atteignait les téguments
<le l'œil ou les régions cutanées avoisiuantes.
Tous les troubles de la sensibilité ont un caractère commun et véritablement
inexplicable : c'est de passer inaperçus aux yeux du malade et d'avoir besoin
d'être cherchés pour être trouvés. Dans certains cas exceptionnels les malades
accusent leur anesthésie, ils sentent moins bien le sol du côté gauche que du
coté droit; ils disent qu'ils sont obligés de surveiller leurs mouvements, de
bien regarder avant de descendre d'un trottoir; ils accusent la gène que leur
cause l'obscurité, un certain degré d'inhabilité de la main aneslhésiée, souvent
ils se brûlent sans le savoir et s'en aperçoivent aux plaies consécutives; ils
appellent alors l'attention du médecin sur cette circonstance. Mais ce sont là
des faits exce})tionnels; habituellement les liéniianesthésiques n'accusent aucun
trouble fonctionnel et les perversions les plus marquées de la sensibilité doivent
être recherchées par le médecin. Lasègue a signalé depuis longtemps ce curieux
«hénomène : « U semble, dit-il, que le fait d'être privé des notions que fournit
■ Je contact doit apporter un obstacle aux actes les plus nécessaires de la vie et
■cependant il est d'expérience que les hystériques non encore éclairées par les
investigalions d'un médecin ne font pas mention de l'anesthésie. J'ai examiné
à ce point de vue un grand nombre de filles affectées d'hystérie, d'une intelli-
o-ence plus que moyenne, je les ai sollicitées avec de vives instances à ne rien
omettre des incommodités qu'elles éprouvaient et je n'en ai pas encore rencontré
une qui fît sponlanément figurer l'anesthésie parmi les accidents dont elle avait
à se plaindre » (Lasègue, Arch. gén. de méd., 1864). U est vrai de dire que
dans riiémiuncsthésie hystérique la sensibilité cutanée n'est atteinte souvent
que dans un de ses modes, à savoir la sensibilité à la douleur : tel est le cas
d'un jeune malade dont M. Ramey a présenté l'observation à la Société de bio-
logie en juillet 1886.
Il avait de l'hémianalgésie absolue à gauche, avec perte du sens thermique
et trouble des sens, mais il av;iit conservé le sens musculaire et un toucher
très-délicat; il différenciait par leur poids une pièce de 1 franc d'une pièce de
2 francs; il sentait les saillies et les dépressions de ces pièces, reconnaissait un
crayon cylindrique d'un crayon à facettes, ne se trompait pas sur l'effort qu'il
fallait faire pour accomplir tel ou tel mouvement. Bref, la persistance de ces
modes de sensibilité lui suffisait pour les usages ordinaires de la vie, c'est
pourquoi il nous affirmait de la meilleure foi du monde ne jamais s'être douté
de son analgésie, et cependant elle était incontestable; on pouvait percer la peau
de part en part sans faire sourdre une goutte de. sang. Elle était susceptible de
passer de l'autre côté du corps sous l'influence de l'or, de l'aimant, de la seule
HKMIANESTHESIE. 18t
suggestion, et c'est elle d'ailleurs qui a mis sur la vole du diagnostic. Dans une
longue auto-observation le malade, très-leltré et très-fin observateur, ne faisait
grâce d'aucun des détails de sou bistoire palbologicjue et il ne mentionnait pas
son hémianalgésie et la perte absolue de sens thermique. Comment cependant
comprendre, pour ne citer qu'un détail, que dans ses ablutions quotidiennes il
n'ait pas été frappé de la différence de sensation que produisait l'eau froide à
droite et à gauche? Le problème reste donc tout entier.
Nous croyons avoir remarqué que dans l'hcmiauesthésie de cause cérébrale
la même indifférence n'existait pas, que les malades s'en plaignaient le plus
souvent; c'est là un point à revoir; mais ce détail n'est vraiment pas suffisant
pour différencier l'aneslliésie d'origine centrale de l'aneslliésie hystérique cl
pour renverser la théorie que l'école actuelle s'efforce d'établir et qui a pour
but évident la suppression de toutes les maladies aine maleriâ. Nous venons
de décrire l'hémianesthésie typique, elle se rencontre rarement aussi parfaite
et le plus souvent elle est incomplète, c'est-à-dire que la sensibilité est non pas
abolie, mais seulement diminuée. Celle des sens spéciaux, celle des muqueuses,
peut môme n'être qu'effleurép, et d'autre part les anesthcsies du toucher, de la
douleur, de la température, peuvent être isolées; l'analgésie en particulier se
rencontre souvent avec la persistance de la sensibilité tactile. En un mot, toutes
les combinaisons sont possibles, et il suffit qu'un certain nombre de perturba-
tions de la sensibilité se trouvent réunies sur un même côté du corps pour que
cliniquemcnt il y ait hémianesthésie. C'est dans ces cas que l'esthéidomètre,
employé suivant les règles indiquées par Magnan, peut rendre des services pour
apprécier le degré de l'anesthésie et pour suivre les progrès de la maladie, soit
qu'elle s'aggiave, soit qu'elle s'atténue. C'est également dans ces cas incomplets
qu'il serait intéressant de mesurer la vitesse du courant nerveux au moyen de
l'appareil imaginé en 1886 par M. d'Arsonval et que Brown-Sécpiard a déjà
utilisé pour mesurer la vitesse du courant nerveux chez les malades atteints
d'hémiplégie spinale avec hyperestbésie ; il l'a trouvée une fois et demie plus
grande qu'à l'état normal; il est probable que chez les anestliésiques il y aurait
variation en sens inverse.
L'hypereslhésie accompagne souvent l'hémianesthésie incomplète, et les-
mêmes nerfs dont les extrémités cutanées sont insensibles peuvent être le siège
d'une sensibilité exagérée dans une autre partie de leur Irajel. Ces faits s'obser-
vent journellement, non-seulement dans l'hémianesthésie, mais dans les anes-
thésies partielles; ils ne motivent pas de plus longs commentaires. Le côté
anesthésié a souvent une température inférieure de 1 et même 2 degrés à la
température du côté sain. Le début peut être brusque dans toutes les hémi-
anesthésies comme il peut être insidieux, et c'est le cas le plus fréquent, la
perversion, puis l'abolition de la sensibilité gagnant progressivement les diverses
parties de la moitié du corps. La durée peut être indéfinie, si la lésion centrale
est elle-même définitive, mais en général la sensibilité revient peu à peu quand
la lésion subit une régression, ce qui est le cas le plus habituel. Dans l'hyslérie,
le retour de la sensibilité est moins rapide qu'on ne le croit généralement; les
coups de théâtre, les guérisons miraculeuses et subites, sont tout à fait l'excep-
tion; le retour progressif à la normale est la règle et même, quand tout paraît
être rentré dans l'ordre, il n'est pas rare en bien cherchant de retrouver des
stigmates tels que : plaques d'aneslhésie incomplète, persistance d'un léger
degré de rétrécissement du champ visuel, etc.
{82 IlEMUNESTHESlE.
Nous venons d'étudier riiémiancslhésie dégagée de tout phénomène moteur
pt nous avons vu que dans ces cas l'incertitude de certains mouvements, l'inha-
bilité manuelle, s'expliquaient facilement par la nécessité de faire intervenir la
vue dans l'accomplissement des opérations qui d'hahitude s'exécutent sous la
seule direction du toucher. Ces faits sont la règle dans l'hémianesthésie hysté-
ri([iie, mais dans l'hémianesthésie provoquée par de grosses lésions cérébrales
il est rare que les centres voisins ne soient pas intéressés et qu'il n'y ait pas en
même temps hémiplégie ou contractures, ou hémichorée, ou hémiathétose.
Autant est rare l'hémianesthésie dans l'hémiplégie, autant est fréquente l'hémi-
plégie chez les hémianesthésiques céi'ébraux. II n'est pas rare non plus de
trouver l'iiémichorée associée à l'hémianesthésie. Dans les cas d'hémichorée
symptomatique {voij. Hémichorée), cette coïncidence est la règle et s'explique
facilement par la proximité des foyers de l'hémichorée et de l'hémianesthésie
(voy. ENCÉrHALE). Mais elle s'observe aussi dans les cas d'hémichorée dite essen-
tielle (Moyoier), et ce n'est pas là le moindre des arguments que nous ayons
invoqué pour essayer de prouver que l'hémichorée dite essentielle est destinée
à disparaître devant les progrès de l'anatomie pathologique; de même l'hémi-
athétose est très-rare chez les hémianesthésiques et l'hémianestliésie est la règle
chez les alhétosiques. C'est à ce point que Paul Oulmont dans son Étude cli-
nique mr l'athétose (1878) cherche à démontrer que sur 27 observations
d'hémathétose il y a eu 26 fois de l'hémianesthésie du même côté, soit perma-
nente, soit le plus souvent transitoire; sur les 27 cas, il s'en trouvait en effet
12 où l'hémianesthésie persistait à un degré variable, et en analysant les
15 autres il n'en restait que 9 où l'on pouvait démontrer l'absence actuelle de
Tanesthésie, et sur ces 9 il n'y en avait qu'un où l'mtégrité de la sensibilité
ait été constatée dès le début. Dans son observation XVIII il cite une hémianes-
thésie qui, après avoir duré neuf ans, a disparu totalement sans que l'athétose
concomitante ait subi la moindre modification. Ces faits prouvent à la fois l'in-
dépendance des deux syndromes et la proximité des régions dont la lésion leur
donne naissance.
Étiologie. C'est par le fait de l'athérome des artères et de leur fragilité
que se produisent les plus nombreux cas de lésions cérébrales amenant l'hémi-
anesthésie {voy. IlÉMORRHAGiE cérébrale), et c'cst saus doute parce qu'elle amène
l'athérome artériel que l'intoxication chronique par l'alcool joue dans l'histoire
de l'hémianesthésie le rôle important que nous allons signaler. Nombreuses
sont les observations d'hémianesthésie chez les alcooliques. iM. Debove en a relaté
un cas très-intéressant en 1879, et avant lui M. Magnan avait appelé l'attention
sur ce sujet [Gaz. hebd., 1875). Dans son important travail sur l'alcoolisme,
cet auteur public 6 observations détaillées et il consacre tout un article à
l'étiide symptomatique de l'hémianesthésie des alcooliques, qui, à son avis, ne
diffère d'ailleurs en rien de celle des hystériques, bien qu'elle se rattache à
une lésion matérielle. Il faut, dit-il, « que l'altération matérielle porte sur un
point déterminé de l'encéphale ; c'est une question de siège, de topographie,
plutôt que de nature de la lésion. » Quelques-unes de ces observations ont été
complétées par Yirenque (thèse, 1874).
Tout comme l'alcoolisme, ei sans doute au même titre, le saturnisme peut
provoquer l'hémianesthésie. M. Raymond en a publié en 1875 la première
observation connue.
La syphilis, qui chez la femme provoque si souvent au début de la périotle
IIÉMIANESTUESIE. 185
secondaire des troubles varies de la sensibilité, n'amène jamais d'hémianestbésie.
Dans les remarquables rechercbes de M. Fournier sur ce sujet {Annales de
dermatologie, 1. 1, 1869), dans la thèse de son élève Moustapha-Faïd (Paris, 1870),
dans ses Leçons cliniques de 1881, l'éminent professeur insiste sur la fréquence
de ces troubles, qui en font une manifestation banale de la syphilis secondaire
de la femme, et qui consistent soit en analgésie simple, soit en analgésie avec
aneslhésie, ou avec perte du sens musculaire. Cette analgésie est générale, elle
s'étend alors de la tête aux pieds ou partielle, mais alors elle est symétrique,
circonscrite aux extrémités des membres, à la face dorsale de la main ou des
mains; elle a une prédilection inexplicable pour les seins; enfin sa distribution
est remarquablement irrégulière, sous forme d'îlots. Bref, elle se différencie de
mille laçons de l'anesthésie et de l'analgésie hystériques et n'affecte aucune
prédilection pour la moitié du corps. Mais la syphilis peut, chacim le sait,
réveiller une hystérie éteinte, et même créer de toutes pièces une hystérie qui
mériterait le nom d'accident secondaire ; il ne serait pas impossible que dans
ces cas l'hcmianesthésie put se rencontrer; les observations de M. Fournier
n'en font cependant pas mention. Si l'on songe que cette hystérie secondaire
diffère de la véritable hystérie par bien des traits, entre autres par sa curabilité
sous l'influence du traitement spécifique, on ne s'étonnera pas qu'elle en diflère
par ses symptômes et que l'héniianesthésie n'y ait pas encore été rencontrée.
Même rareté de l'hémianesthésie dans la syphilis tertiaire. Dans l'hémiplégie
syphilitique tertiaire, la sensibilité reste indemne, mais on a dit à tort qu'elle
est toujours respectée, car M. Fournier a observé des cas assez nombreux où
elle était éraoussée, et d'autres exceptionnels, mais incontestables, où elle était
abolie. L'hémianesthésie intéressait alors à la fois la sensibilité générale et les
sens spéciaux de la moitié du corps; il y a, comme le dit M. Fournier, une
<juestion de siège et non de nature de lésions, la qualité syphilitique de la lésion
reste sans efiet dans l'espèce et, si l'hémiplégie syphilitique ne s'accompagne que
rarement d'iiémianesthésie, c'est que a ses localisations anatomiques ne se font
que rarement au niveau des districts cérébraux qui tiennent sous leur dépen-
dance les phénomènes de sensibilité » (Fournier, La syphilis du cerveau,
p. 446).
Enfin à l'hystérie appartiennent les plus nombreux cas d'hémianesthésie. On
sait la fréquence de l'hémianesthésie hystérique chez la femme, et les études
récentes démontrent qu'elle est plus fréquente chez l'homme qu'on ne l'avait cru
pendant longtemps; elles démontrent surtout ce fait intéressant que l'hystérie
éclate souvent chez l'homme inopinément, à la suite d'un traumatisme quel-
conque. Y aurait-il dans ces cas lésion matérielle? Alors ils ne seraient plus
de l'hystérie dans le sens classique du mot ; ou bien tous les cas d'hémianes-
thésie dite hystérique sont-ils liés à des lésions matérielles, mais temporaires ?
€'est probable, mais non encore démontré. L'importance de cette question
nous excite à résumer les discussions soulevées sur ce sujet à la Société médi-
cale des hôpitaux dans ces deux dernières années. M. Debove, dès 1869, avait
publié un mémoire intitulé : Recherches sur l'hémianesthésie accompagnée
d'hémiplégie motrice, dliémichorée , de contracture, et sur leur curabilité
par les agents esthésiogènes, mais à cette époque il croyait qu'il ne s'agissait pas
d'hystérie parce que ses maladies étaient des hommes; plus tard, son opinion
se modifia, il publiait en 1882 un mémoire sur l'hystérie fruste, en 1884 il
revenait sur ce sujet, enfin, en 1885, 27 novembre, il présenta à la Société un;
184 IlÉMIANESTllÉSIE.
homme robuste, sans attaques ni vertiges, qui venait pour des douleurs très-
vives dans ie genou et la jambe droites; il avait de riiémiparésie et de l'hémi-
anesthésie; il était très hypnotisable et très-suggestionable. Ce n'était pas un
simulateur, c'était un hystérique incontestable. Le 13 novembre 1885, M. Rendu
présente un homme indemne de tout antécédent qui tout à coup devient parésié
du côté droit avec anestliésie profonde absolue de tout le membre supérieur
gauche, perte de la perception de la position du membre quand il ne le voit
pas, aneslhésie musculaire et articulaire, sensibilité électrique nulle, moins
abolie au tronc et à la face; l'aneslhésie atteignait les muqueuses. Le malade se
mordait en mangeant, son champ visuel était diminué, l'ouïe, l'olfaction, le
goût, étaient abolis à gauche, et quelques jours après l'hémianesthésie cutanée
et musculaire disparaissait : c'était encore un cas d'bémianesthésie hystérique.
Telle fut en aernière analyse l'opinion de MM. Rendu, Troisier, etc. Peu après,
27 novembre 1885, M. Féréol présente deux hystériques masculins. Le premier
a^ait de i'Iiémianesthésie gauche complète générale; l'examen du champ visuel
fait par M. Charcot était confirmatif; il ne dépassait pas 20 degrés dans la
demi-circonférence interne, etc. Cette hémianesthésie existait de longue date
quand survint une paralysie hystérique suivie d'atrophie. Le deuxième malade
avait aussi de l'hémianesthésie gauche avec amblyopie, polyopie monoculaire
gauche, ptosis double plus prononcé à gauche et paralysies associées intéressant
presque tous les mouvements des yeux, diplopie consécutive, inégalité pupillaire,
réflexe aboli pour l'accommodation, etc. 11 avait eu à l'âge de quatre ans un formi-
dable accident qui le tint trois ans au lit. C'était encore un hystérique non
douteux. Quelques semaines après M. Millard présente un homme robuste, mais
très-nerveux, qui, après avoir eu de l'hémiparésie gauche momentanée, entre à
Reaujon avec hémiparésie et hémianesthésie gauche, analgésie, perte du sens
musculaire, etc. ; vingt jours après il était presque guéri.
Enfin un malade que M. Troisier présente à la Société médicale des hôpitaux
en juillet 1885 et avril 1886, malade qui a fait le sujet d'une clinique de
M. Charcot (voy. Sem. méd., n° 15, 1886), a fini par guérir de sa paralysie
sous l'influence d'une violente colère, mais il conserva longtemps les stigmates
de l'hystérie et de l'hémianesthésie du côté droit. Duponchel, dans un travail
sur l'hystérie dans l'armée (1886), cite des laits analogues, desquels il résulte
que l'hémianesthésie hystérique est relativement fréquente chez l'homme. Pour
Debove l'hémianesthésie est presque toujours hystérique, même quand elle sur-
vient cJiez l'homme et même quand elle est précédée d'accidents apoplccti-
formes. Une observation publiée par M. Vulpian [Revue de méd., 1881) est
bien démonstrative à cet égard. Quant à l'hémianesthésie sans lésion organique
des saturnins, des alcooliques, Debove n'hésite pas à la considérer encore comme
relevant de l'hystérie ; seulement dans ces cas l'hystérie est symptomatique,
assimilable de tous points aux épilepsiessymptomatiques d'intoxications (Debove,
Congrès de INancy, 1886; Achard, thèse de Paris, 1886).
Diagnostic. Nous avons dit que l'hémianesthésie, pour être trouvée, devait
être cherchée par le médecin. Cette recherche a une importance extrême et doit
toujours être faite ; elle peut mettre sur la voie d'une hystérie méconnue, car
l'hystérie n'est pas toujours accompagnée d'attaques, de vapeurs, de mobilité
de caractère, etc. Les hommes hystériques sont sombres, mélancoliques, ne
répondent pas du tout à l'idée qu'on se faisait autrefois de cette grave maladie.
Ils peuvent n'avoir ni attaques, ni vertiges, ni troubles nerveux révélateurs, ni
HEMIANESTIIÉSIE. 185
zones hyslc'rogènes, et être hc'mianestlu'siques. La de'couverle de leur hémianes-
thésie leur peut donc êlrc profiluljle. Tel est le cas de ce malade que nous avons
vu à l'hôpital Saint-Martin, qui, très-bien portant du reste, avait depuis long-
temps des phénomènes passagers de rétention d'urine, assez importants à un
moment donne pour avoir justifié, sinon motivé, l'uréthrotomie interne. Cette
grave opération n'avait d'ailleurs été suivie d'aucune amélioration; par moment,
les sondes de petit calibre étaient difficilement introduites, d'autres fois on
faisait sans peine pénétrer de grosses sondes. Bref, le diagnostic était resté
longtemps indécis, jusqu'au jour où l'exploration de la sensibilité fit découvrir
une hémianalgésie gauche absolue. Le diagnostic d'hystérie fut de suite con-
firmé par les recherches sur l'ouïe, la vue; le malade fut alors hypnotisé, et di;s
la deuxième séance M. Ramey lui suggéra une guérison définitive qui ne s'est
pas démentie depuis cinq mois. Ce malade que nous voyons souvent n'est pas
un simulateur; on ne pousse pas la simulation jusqu'à subir l'uréthrotomie
interne; la recherche de l'Iiémianesthésie lui a épargné de nouvelles interven-
tions chirurgicales, elle lui a été absolument profitable et, nous le répétons,
c'est l'hémianesthésie seule qui a mis sur la voie du diagnostic. Hàtons-nous
de dire qu'elle est parfois simulée par lus hystériques; si l'exploration n'est
pas douloureuse et qu'elle ne consiste qu'en pincements, chatouillements, etc.,
l'impassibilité des malades affirmant qu'ils ne sentent rien n'a aucune valeur
diagnostique. Il faut en effet toujours se tenir en garde contre les caprices inex-
plicables, les fantaisies des hystériques, qui aiment par-dessus toute chose à
tromper, à mentir pour mentir. Mais l'absence d'écoulement sanguin à la suite
des piqûres est un signe plus certain d'Iiémianeslhésie.
Diagnostic différemiel. Rien ne serait plus difficile que de différencier
l'hémianesthésie hystérique de l'hémianesthésie de cause cérébrale, si l'on se
bornait à étudier les troubles de la sensibilité. Tout au plus peut-on dire que
l'hémianesthésie hystérique a pour le côté gauche une prédilection qu'on n'ob-
serve ni dans l'hémianesthésie de cause cérébrale, ni dans l'hémianesthésie
alcoolique (Magnan); mais, en étudiant le malade, ses antécédents, son âge, le
début de son liémianesthésie, il est rare qu'on n'arrive pas au diagnostic.
Les anesthésiques hystériques sont en général facilement hypnotisables, et
pendant le sommeil provoqué rien n'est plus facile que de faire pour un instant
passer leur anesthésie d'un côté du corps à l'autre, sous l'inlluence de l'aimant,
d'un métal de la suggestion. C'est le phénomène du transfert {voij. ce mot) qu'il
est moins facile d'obtenir dans les liémianeslhésies à grosses lésions cérébrales.
Dans ces dernières, d'ailleurs, il y a, comme nous l'avons dit, concomitance
fréquente d'hémichorée, de paralysie, de troubles trophiques, etc. Quant à
différencier l'hémianesthésie véritable des anesthésies d'origine spinale ou méso-
céphaliques, c'est en général facile.
L'hémianesthésie peut en effet être d'origine spinale et accompagner l'hémi-
plégie, mais dans ces cas elle respecte la face, les sens spéciaux, et siège du côté
opposé au côté paralysé. Sorel {Arch. de méd. milit., mai 1886) en a relaté
deux exemples concluants.
De même dans les anesthésies mésocéphaliques la face est respectée et il y a
des phénomènes de paralysie alterne qui permettent d'arriver au diagnostic.
^ Pronostic. Le pronostic varie singulièrement suivant la cause qui a produit
l'hémianesthésie; si elle est d'origine hystérique, elle peut durer indéfiniment
ou disparaître sans laisser de traces. Nous avons vu d'ailleurs qu'elle n'était pas
•186 IIÉMIANESTHÉSIE (bibliographie).
gênante pour les malades. Si elle est d'origine centrale, son importance s'eflace
devant celle de la lésion mère.
Le traitement est d'importance minime dans les cas de lésions cérébrales. Il
est évident que, si l'on soupçonnait la syphilis comme cause d'iiémianesthésie,
on recourrait au traitement spécifique énergique, avec quelques chances d'in-
tervenir utilement. Mais, dans la grande majorité des cas, la thérapeutique est
impuissante. L'hémianesthésie disparaît souvent seule quand la lésion cérébrale
vieillit, quand le volume du caillot générateur diminue, etc. ; mais rien ne
l'atténue quand la lésion cérébrale persiste. M. Magnan, qui avait fondé quelque
espoir sur l'action des courants continus {Gaz. méd., 1877), nous a dit que
l'amélioration obtenue par ce moyen n'avait été que passagère.
Dans l'hémianesthésie hystérique il est important de soumettre les malades
à l'action des divers métaux {voij. Métallothkkapie), parce que les métaux
qui produisent le transfert sont précisément ceux auxquels les malades sont
sensibles, et en les leur administrant à l'intérieur on parvient à modifier
non-seulement l'hémianesthésie, mais la maladie principale [voij. Hystérie).
Bernheim {De la suggestion et de ses applications thérapeutiques, 1886) fonde
de grands espoirs sur l'emploi delà suggestion dans l'héniianesthésie hystérique.
Son observation Vlll est très-concluante : La suggestion hypnotique agissait sur
la sensibihté de l'appareil visuel avec la même intensité que l'aimantation
réelle. Bien plus, un simulacre d'aimantation produisait identiquement les
mêmes effets, au point que M. Bernheim se demande si l'aimantation n'a pas une
vertu suggestive et si la suggestion ne s'associe pas bien souvent à l'insu du
malade et même du médecin à beaucoup de manipulations thérapeutiques.
L'observation X est également démonstrative; dans la suivante la guérison a été
définitive. Il n'est pas jusqu'à l'hémianesthésie de cause cérébrale que M. Bern-
heim n'espère modilier avantageusement par la suggestion; tel a été le cas du
■malade de l'observation IV : âgé de soixante-deux ans, atteint d'hémiplégie
gauche avec hémianesthésie. L'aimant sans suggestion avait dans ce cas été d'un
effet nul, et l'aimant avec -suggestion sans sommeil amena un retour rapide de
la sensibilité. Ce sont là des faits très-intéressants, mais encore à l'étude, sur
lesquels nous ne pouvons pas nous appesantir davantage. Burlureaux.
Bibliographie. — Turxii. Unilatéral Anesthesia wilhout Impairment of Motor Power
occurring suddenly in the Subject of Heart Disease. In Med. Times, 1871. — Veysière.
Recherches expér. sur l'hémianesthésie de cause cérébrale. In Arch. de phys., 1874. —
Du MÊME. Uecherches cliniques et expérimentales sur Vhéni. de cause cérébrale. Tliése de
iParis, 1874/ — W'ilks. Remarks on llemianesthesia and ils Cure. In Brit. Med. Journal,
1879.
Hémianesthésie hystérique. — Martin. Hémian. sensorielle et générale du côté gauche
chez un garçon de onze ans. In Bull, de la Société clin. Paris, 1877. — Potain. Hémian.
hystérique anormale, avec contracture et tremblement du membre inférieur. In Progrès
méd., 1879. — Riciiet (G.). lYofe sur l'état fonctionnel des nerfs dans l' hémian. hystérique.
In Gaz. méd. de Paris, 187(3. — Vigourocx. De l'action du magnétisme et de l'électricité
statique sur l'hémianesthésie hystérique. In Gaz. méd. de Paris, 1878. — Weber (S. C). Hé-
mianesthésie hystérique. In Boston Med. and Surg. Journal , 1874, — Rusconi. Studj
clinici di metallocopia e xiloscopia in un caso di emianestesia islerica. In Gaz. med.
ital. Milan, 1S85. — Ebell (A.). De anesthesia per totum corporis latus sinistrum diffusa.
Berolini, 1862. — Schœpfer (V. A.). Considération sur un cas d' hémianesthésie avec mou-
vements ataxiques succédant à une hémiplégie du même côté. Paris, 1876. — Virenqle. De
r hémianesthésie. Thèse de Paris, 1874. — Adradas. Las hemianesthesias. la An. de cien,
med. Madrid, 1876. — Dover. Hépatite légère, insensibilité de tout le côté gauche du corps.
In Gaz. méd. de Paris, 1835. — Broculn. De l'hémianesthésie de cause cérébrale. In Gaz.
des hôpitaux. Paris, 1874. — Caizergries. Hémianesthésie d'origine cérébrale, survenue
IIEMICIIOREE. 187
dans le cours cVun rhumatisme. In Montpellier méd., 1878. — Charcot. Sur Vlicmian.
d'origine cérébrale cl sur les troubles île la vue qui V accompagnent. In Progrès méd., 1870.
CoiiTY. Ce l'hcmianesthésie mésocéphaliijue. Iii Gaz. hebd. Paris, 1877. — Debove. Noie
sur un cas d'hémiancsthcsie d'origine alcoolique. In Progrès méd. Paris, 1879. — Guasset.
Note sur les effets de la faradisation cutanée dans V hémianesthésie d'origine cérébrale.
In Arch. de phys., 1876. — Kinnicut. Hemianesthesia ivith Partial Ilemiplcgia. In Trans.
Am. Neurol. Ass. New- York, 1877. — Landouzy. Ilcniianesthcsie chez tin enfant de douze
ans. In Gaz. méd. de Paris, 187C. — Magnak. l)e Vticmianeslhésie dans l'alcoolisme chro-
nique. In Gaz. hebd. Paris, 1873. — Du même. Action des courants continus dans le traite-
vient de V hémianesthésie. In Gaz. méd. de Paris, 1877. — Miin-En (F). Hémianesthésie.
ïn Berl. Idin. Wochensclirift, 1878. — Oulmont. Hémianesthésie temporaire de cause céré-
brale. In Progrès méd. Paris, 1877. — Pitbes. Sur l'hcmianesthésie d'origine cérébrale et
■sur les troubles de la vue qui l'accompagnent. lu Progrès méd., 1870. — Ravjiond. Hémia-
nesthésie de cause cérébrale. In Bull, de la Soc. anat., 1875. — Rayx(plds. Hemianesthesia
in the Clinic of Prof. Charcot. In Lancet, 1877. — Skerkitt. Cas of Functional Hemia-
nesthesia ivith Muscular liigidity. In Drilish Med. Journal, 1878. — Soclier. Héndaneslhé-
sie de cause cérébrale avec paralysie alterne. In Lyon méd., 1875. — Tripier. De l'hcmian.
incomplète de cause cérébrale. In Gaz. méd. Paris, 1877. B.
HÉMIACÉI'HALES (Ây.tau, moitié, a privatif, y-zioàh, tête). Nom donné
par Is. Geoffroy-Saint-IIilaire à des monstres du groupe des Paracé pliai iens
[voij. ce mot et Omphalosites). 0. L.
HÉMBCHORÉf:. Définition. L'hémichorée ou chorée unilatérale est
cette chorée partielle qui atteint tout un côté du corps, sans jamais envahir
l'autre côté. Dans la plupart des cas, la chorée généralisée débute par une
chorée partielle et souvent par une chorée unilatérale; riiémichorée, en d'autres
termes, e.'-t souvent le prélude d'une chorée généralisée, mais cette hémichorée
passagère n'est pas celle qui fait l'objet de cet article dans lequel nous ne vou-
ions étudier que l'hémichorée persistante, limitée pendant toute la durée de la
maladie au côté primitivement atteint. Disons cependant un mot de la fré-
quence de l'hémichorée passagère. D'après certains auteurs l'invasion d'une
moitié du corps est la règle générale; Sée l'a notée 97 fois dans 154 observa-
tions; Roussel donne une proportion de 29 sur 97. Mais dans la plupart de ces
observations la chorée ne reste pas localisée à une moitié du corps ; après
Z, 8, 10 jours, elle gagne l'autre côté, de sorte que l'immense majorité de ces
cas d'hémichorée ni> sont pas de notre domaine. Quant à l'iiémichoréc qui reste
telle pendant toute la durée de la maladie, tUe est infiniment moins fréquente.
Smith l'a notée 55 fois sur 150 cas, Sée 64 fois sur 225.
Elle est plus fréquente à gauche qu'à droite ; la prédilection de la chorée
pour le côté gaucbe se vérifie dans ces cas; on sait que la chorée généralisée
prédomine à gauche deux fois plus souvent qu'à droite, que les chorées partielles
à un bras, par exemple, sont plus fréquentes à gauche qu'à droite dans le rap-
port de 10 à 6. Il n'est pas étonnant que ce rapport subsiste pour les hémi-
chovées proprement dites; on en rencontre 57 gauches contre 27 droites (Sée),
18 gauches pour 15 droites (Smith). Déjà Ervart [Dissertatio de ch. S. Viti.
Edimbourg, 1760), Dehaen, Gardane, ont insisté sur cette prédominance qui après
avoir été contestée par A. Dugès {Essai physiologico pathologique. Paris, 1825)
a trouvé une sanction définitive dans l'observation clinique.
Dans l'état actuel de la science, il y a lieu d'admettre l'hémichorée sans
lésions et l'hémichorée avec lésions cérébrales, jusqu'au jour où une obser-
vation plus fine aura démontré que l'hémichorée sans lésions, et considérée
jusqu'alors comme essentielle, est due comme l'hémichorée symptomatique à
188 IIÉMICIIORÉE.
des lésions d'un département bien déterminé du cerveau. Quand cette vérilc
sera bien admise pour l'hémichorée, quand il sera démontré que l'bémichorée
essentielle n'existe pas, on pourra étendre à la cborée généralisée ces pré-
cieuses acquisitions et la cliorce généralisée essentielle ou sine maleriâ aura
cessé d'exister. C'est par les lésions de l'hémichorée qu'on arrivera à con-
naître celles de la chorée; c'est en allant du simple au composé qu'on par-
viendra à éclairer l'histoire si controversée des lésions de la chorée, à anéantir
le dogme de la chorée essentielle. Pour la ronoaissance des localisations céré-
brales, rien ne vaut l'élude des affections partielles ; les études les plus minu-
tieuses sur la périencéphalile diffuse généralisée ne feront jamais avancer d'un
pas la question des localisations cérébrales, de même les études sur la chorée
généralisée avec troubles psychiques sensitifs et moteurs ne vaudront jamais
les éludes faites sur l'hémichorée, surtout si, comme il arrive souvent, l'hcmi-
chorée se présente sans troubles sensitifs ou psychiques concomitants. A ce
titre l'hémichorée mérite d'être considérée, non pas seulement comme une
variété clinique de la chorée, mais comme une affection d'une importance capi-
tale, devant donner la clef de l'histoire de la chorée. C'est pour le pathologiste
une mine féconde qu'ont d'ailleurs déjà exploitée avec un soin jaloux Charcot,
Raymond et plusieurs autres savants que n'effraierait pas la dénomination de
« localisateurs à outrance. » Malheureusement ces études sont encore de date
récente; déplus, les cas d'hémichorée avec constatation anatomique ne se pré-
sentent pas souvent ; en outre , bon nombre d'hémichorées guérissent après
1, 2 ou 5 mois, et les choréiques guéris emportent avec eux leur secret. Force
est donc d'admetli^e jusqu'à nouvel ordre des hémichorées sans lésions connues
que, pour nous conformer au langage traditionnel, nous appellerons essentielles,
et des hémichorées avec lésions ou hémichorées symplomatiques, dont l'étude
nous arrêtera plus longtemps. 11 y a certainement entre ces deux variétés (l'hé-
michorée une parenté intime semblable à celle qui existe entre l'hémianesthésie hys-
térique sans lésions appréciables et l'hémianesthésie de cause cérébrale, mais
dont la science moderne n'est pas encore arrivée à élucider le mystère.
IlÉMicuoRÉE ESSENTIELLE. Sou éliologic cst la même que celle de la chorée
du même nom, mais nous ne pouvons pas mieux faire que de renvoyer le lec-
teur à l'article Daînse de Saim-Guy de ce Dictionnaire. Les considérations rela-
tives à l'hérédité nerveuse, aux impressions morales, au sexe, à l'âge, aux
rapports qu'il y a entre le rhumatisme et la chorée, s'appliquent de tous points
à l'hémichorée. Relativement à l'âge, l'hémichorée peut comme la chorée atteindre
les adultes, voire même les vieillards, et ne pas laisser de traces anatomiques;
elle peut aussi disparaître après avoir duré un ou deux mois ; elle ne diffère en
rien, dans ce cas, de la chorée vulgaire des enfants. Disons cependant que le
plus souvent l'hémichorée essentielle des adultes et surtout des vieillards s'ac-
compagne de troubles psychiques (Anstie, the Praclilioner. Aug. 1874); que la
chorée de la seconde puberté dure en général de six à sept mois et laisse sou-
vent après elle des désordres mentaux qui se réparent en grande partie; que la
chorée des femmes enceintes peut durer tout le temps de la grossesse, provoquer
la folie gravidique, s'améliorer par l'accouchement, si la femme renonce à allaiter,
et qu'après trente ans le pronostic s'assombrit, l'hémichorée devenant tenace
et s'accompagnant souvent d'une déchéance progressive des facultés mentales.
Lorain {Arch. gén. de méd., 1875, 6e série) rapporte plusieurs observations
de chorée partielle d'abord, puis générale, chez des femmes ayant éprouvé des
HEMlCIiOREE. 189
émotions soudaines dans le cours de la menstruation, et Vassicht (thèse de
Paris, 1885), dans sa thèse Sur la chorée des adultes^ relate également plusieurs
cas d'hcmichorée transitoire survenant sous diverses influences ou sans cause
connue chez des adultes ou des vieillards. Mais le plus bel exemple d'hémicliorée
essentielle chez les vieillards est celui que II. Roger {Un. méd., 21 septembre
1854, tome VUI) a signalé à la Société médi('ale des hôpitaux de 1854 chez une
dame de quatre-vingts ans ; cette personne, aussi bien portante que son âge le
comportait, fut prise sans cause connue d'hémicliorée droite qui alla en s'aggra-
vant au point d'empêcher la malade de marcher, de manger seule, mais qui
décrut graduellement à partir du troisième septénaire pour disparaître quinze
jours après.
Les troubles moteurs de l'hémichorée essentielle sont exactement ceux de la
chorée. Rappelons-en les principaux caractères. Les mouvements sont brusques,
instables, irréguliers, bizarres, survenant au repos, ordinairement disparaissant
pendant le sommeil; c'est une véritable folie du mouvement (Bouillaud) exas-
pérée par l'attention et à laquelle l'intelligence assiste impuissante. Notons
cependant qu'il est rare de voir dans l'hémichorée les mouvements présenter le
désordre excessif qu'on observe dans les chorées généralisées graves et qui
compromettent l'alimentation, la station, le sommeil. Les pupilles peuvent dans
l'hémichorée prendre part au désordre musculaire : c'est ainsi que la pupille
du côté atteint est souvent dilatée pendant toute la durée de la maladie
(Hasse, Uosenthal, Ziemsscn). Quant aux troubles sensitifs et psychiques, ils
font le plus souvent défaut, du moins dans l'hémifliorée des jeunes gens. Le
docteur Moynier a cependant démontré que l'anesthésie peut exister du côté
atteint, et nous avons vu que dans la chorée des adultes et des vieillards les
troubles intellectuels sont loin d'être l'exception.
Hémichorée symptomatique ou AVEC LÉSIONS CÉRÉBRALES. Elle avaït été entrevue
par Travers en 1855, par Rodd [CUnical Lectures, 1855), qui cite quelques
cas avec autopsie; par Aitken, par Uunglinghs-Jackson [Edinb. Med. Journ.,
1868 et 18P>9), par Tuckvel (1867 et 1869); mais presque tous ces auteurs
croyaient avoir affaire à la chorée ordinaire et enregistraient comme lésions
appartenant à la chorée les altérations cérébrales les plus disparates. Ce n'est
qu'en 1875 que M. Charcot apporta la lumière dans cette étude; dès cette
année il consacra deux conférences à l'hémichorée symptomatique; depuis cette
époque il a plusieurs fois repris cette importante question {voy. entre autres
Progrès médical, n"^ A et 6, 1875). MM. Yeyssière et Lépine dans leurs thèses ont
développé les idées du maître en ajoutant quelques observations. Le docteur
Raymond a fait en 1876 sur l'hémichorée, l'hémianesthésie et les tremblements
symptomatiques, une étude des plus intéressantes que nous mettons à contri-
bution. Mitchell (de Philadelphie) avait aussi dès 1874 indiqué les hémichorées
survenant chez les adultes et les vieillards hémiplégies; il ajoute même que les
étals choréiforraes qui persistent depuis la naissance sont la conséquence de
paralysies intra-utérines qui se sont en partie guéries. C'est le plus souvent à la
suite des hémiplégies que surviennent les hémichorées symptomatiques, alors
que la paralysie du mouvement commence à guérir. D'abord faibles, peu étendus,
les mouvements augmentent d'amplitude assez rapidement et persistent jusqu'à
la mort des malades avec tous leurs caractères, qui sont identiques à ceux de
l'hémichorée essentielle. Les malades sont généralement revenus à la santé,
quand ils deviennent choréiques ; leur sommeil est bon, leur appétit parfait,
190 UEMICHORÉE.
leur intelligence est intacte, mais ils sont rendus plus ou moins infirmes par
la parésie qui persiste au côté atteint et par les secousses choréiques qui
entravent leurs mouvements.
En outre, il est rare qu'il n'y ait pas un certain degré de contracture et une
liémianeslliésie qui a pour caractère d'être complète, absolue, de porter sur
tous les modes de la sensibilité : froid, chaud, douleur, tact, sensibilité élec-
trique, sans épargner les sens spéciaux. Elle est semblable en tous points à
celle des hystériques ovariennes; elle n'en diffère que par sa persistance : elle
dure en effet indéfiniment, jusqu'à la mort des malades.
L'hémichorée est quelquefois, mais rarement, prœhéniiplégique ; dans ces cas,^
les mouvements choréiques s'établissent aussitôt après l'attaque apoplectique,
persistent quelques jours, puis sont remplacés par l'hémiplégie; comme dans
les cas précédents, ils sont presque toujours accompagnés dliémianesthésie. Si le
malade a plusieurs apoplexies successives, on peut chaque fois voir reparaître
l'hémichorée, qui précède toujours l'hémiplégie.
L'hémichorée peut enfin dépendre de tumeurs cérébrales et d'atrophie céré-
brale partielle, remontant à une maladie cérébrale de l'enfance ou même de la
vie intra-utérine (thèse de Cotaid), mais alors elle est accompagnée de troubles
psycliiques ou somaliques variés et l'hémianeblhésie fait déluut dans les cas
observés jusqu'à ce jour. Dans tous ces cas d'hémichorée liée à des lésions céré-
brales, le problème anatomo-pathologique est loin d'être aussi simple qu'il
semblerait de prime abord, à cause de la complexité habituelle des lésions; les
foyers circonscrits sont en effet l'exception. Cependant, en analysant de près les
observations, en instituant des expériences sur les animaux, Raymond a pu
arriver à la conclusion suivante avec toutes les appaiences de la vérité. C'est
que « la lésion de l'ensemble du faisceau qui, dans le pied de la couronne
rayonnante, se trouve en avant, en dehors de fibres sensilives, et qui se com-
pose des masses blanches, en rapport avec la partie postérieure de la couche
optique, produit par compression, par irritation ou par déchirure, l'hémichorée
symptomatique » ; ce faisceau correspond exactement à la distribution de l'ar-
tère optique postérieure, branche de la céiébrale postérieure; c'est l'artère de
l'hémichorée, tandis que l'artère lenticulo-optique qui vient de la sylvienne
est l'artère de l'hémianesthésie (Raymond, Anatomie pathologique du système
nerveux, Paris, 1886). Pénétrons plus avant dans l'étude de la lésion cérébrale;
14 observations de la thèse de Raymond sont muettes à ce sujet (1870) parce
qu'elles manquent du contrôle auatomique ; mais 10 observations a'hémichorée
post ou prœ paralytique démontrent que c'est une hémorrhagie le plus souvent,
et quelquefois un ramollissement (obs. XVIII) de la région signalée plus haut,
qui a causé l'hémichorée. Dans le cas d'hémorrhagie, le foyer est plus ou
moins ocreux, selon la durée de la survie. Dans le cas de ramollissement, il y a
soit de la diffluence de la substance blanche avec nombreux corps granulés au
microscope, soit des lacunes indiquant une lésion ancienne comme dans l'obser-
vation XXII. Dans rhéniichorée symptomatique de l'atrophie cérébrale, les
lésions sont trop diffuses pour qu'on puisse rien conclure sur la localisation de
la lésion spéciale à l'hémichorée; d'ailleurs les autopsies sont peu nombreuses.
Quant à l'hémichorée provoquée par des tumeurs cérébrales, elles est rare et
les lésions n'en sont pas assez connues. Nous en avons trouvé une observation
dans le travail de Sée (p. 387) qui, bien que peu concluante en faveur de
notre thèse, nous semble devoir être relatée. 11 s'agit d'une enfant de deux ans
HÉMICIIORÉE. 19t
et trois mois qui fut prise à la suite de la rougeole de tuberculisation pulmo-
naire et cérébrale; la première manifestation fut une cliorée très-nette du bras
et de la jambe gauche qui n'empêchait pas l'enfant de se lever; pendant les
sept premiers jours suivants, la chorée alla en augmentant d'intensité et en
gagnant tout le visage et le tronc. A l'autopsie, on trouva une augmentation
de la sérosité sous-araclinoïdienne, injection de la pic-mère et six tubercules
cérébraux à la surface supérieure et postérieure de l'hémisphère droit, à la
partie moyenne du bord supérieur, à l'extrémité antérieure du même hémi-
sphère et à la partie postérieure interne de l'hémisphère gauche du cervelet,
tous les tissus de l'encéphale étant paifaitement sains. De nouvelles observa-
tions sont donc encore nécessaires pour permettre d'affirmer la constance des
lésions de la capsule interne dans l'hémichorée symptomatique.
Fréquence. La fréquence de l'hémichorée symptomatique est assez consi-
dérable, puisque sur 100 hémiplégiques prises au hasard à la Salpêtrière
M. Raymond en a trouvé 5 cas.
Pronostic. Il est subordonné à l'importance de la lésion cérébrale origi-
nelle; il est des malades atteints d'hémichorée post-hémorrhagique qui vivent
jusqu'à dix ans après leur attaque, en d'autres termes, l'apparition du tremble-
ment choréique ne paraît avoir aucune importance spéciale au point de vue du
pronostic, cpiand il survient après la paralysie ; quand au contraire il survient
immédiatement après l'ictus et qu'il précède la paralysie, il est en général du
plus fâcheux augure.
Diagnostic. L'hémichorée symptomatique peut être confondue avec l'hémi-
chorée ordinaire et avec un certain nombre d'affections du système nerveux
caractérisées soit par du tremblement hémilatéral, soit par de l'incoordination
motrice d'un seul côté du corps.
Diagnostic d'avec l'hémichorée essentielle. Age. Les éléments du dia-
gnostic ne sont ni l'âge du malade, ni les symptômes observés.
Bien que l'hémichorée symptomatique survienne le plus souvent comme
l'hémorrhagie cérébrale, chez des sujets âgés, on ne peut pas conclure de l'âge
de la personne à la nature de l'hémichorée, puisque nous avons vu que l'hémi-
chorée essentielle se rencontre chez les adultes et même chez les vieillards.
Les symptômes de l'hémichorée essentielle sont tellement semblables à ceux
de l'hémichorée due à des lésions cérébrales, que de l'aveu de tous les auteurs
il serait impossible en voyant un hémichoréique de se prononcer sur la nature
de l'affection. L'anesthésie est, il est vrai, plus fréquente dans l'hémichorée
symptomatique, mais elle peut se rencontrer dans l'hémichorée essentielle. C'est
la marche et la durée de la maladie qui doivent mettre le médecin sur la voie.
L'hémichorée essentielle n'a pas un début brusque, l'hémichorée praehémorrha-
gique a un début subit et la post-liémorrhagique a été précédée de phénomènes
paralytiques qui manquent à l'hémichorée essentielle. L'essentielle rétrocède le
plus souvent; celle qui est symptomatique est au contraire définitive et per-
siste sans aggravation ni ainélioration pendant des mois et des années.
Quant à diflerencier l'hémichorée des autres maladies similaires du système
nerveux, rien n'est en général plus facile : 1" le tremblement hémi-latéral
des hémiplégiques ne se produit pas pendant le repos, il est accompagné d'une
exagération des réflexes tendineux et d'un certain degré de contracture et
d'atrophie des muscles ; 2° le tremblement unilatéral, qui peut survenir à titre
exceptionnel chez les sujets atteints d'atrophie cérébrale, ressemble de tous
162 HEMICIIORLE.
points au tremblement des hémiplégiques; il est aussi en rapport avec une
sclérose secondaire des cordons latéraux et n'a rien de commun avec Thémi-
chorée; 3" de même une plaque de sclérose primitive d'un cordon latéral pi'o-
voquerait des tremblements disparaissant pendant le repos; 4° dans la contrac-
ture unilatérale des hystériques, la trémulation des parties contraclurces consiste
en oscillations rapides et toujours dans le même sens ; l'ataxie locomotrice, le
tremblement de la paralysie générale, de l'alcoolisme, ne sont jamais assez
limités à un côté du corps pour qu'il y ait à établir le diagnostic d'avec l'hé-
micliorée. 11 n'en est pas de même du tremblement qu'on appelle à tort trem-
blement sénile qu'il est quelquefois difficile au début de diflérencier de l'hémi-
chorée parce que: 1" il commence toujours par quelques groupes musculaires avant
d'êtie généralisé : c'est ainsi qu'il peut affecter la tête ou le tronc ou le bras
seulement; d'autre part il n'est pas l'apanage des vieillards, puisque sur les
2000 vieillards de la Salpêtrière on ne voit qu'un très-petit nombre de trem-
bleurs et la plupart ont commencé à trembler avant d'être vieillards (Charcot,
leçon orale, 1880).
Te même il n'est pas toujours très-facile de différencier au premier coup
d'œil l'hémichorée de la paralysie agitante; nous en avons vu en 1885, dans le
service de M. Diiguet, un cas où la prédominance du tremblement au côté
gauche du corps était absolument marquée ; on aurait pu confondre avec
l'hémichorée, mais dans ce cas, comme dans tous ceux de maladie de Parkinson,
le tremblement était constitué par des oscillations rapides et régulières ; la
malade paraissait soudée tout d'une pièce, son visage était un masque immo-
bile, elle accusait une sensation perpétuelle de chaleur, etc. , tous phénomènes
venant en aide au diagnostic.
Diagnostic différeistiel de l'hémichorée et de l'hémiathétose. Nous insis-
terons d'autant plus sur ce paragraphe que les auteurs l'ont plus légèrement
effleuré. Dans son article Chorée du Nouveau Dictionnaire de médecine et de
chirurgie pratiques U. i. Simon n'y fait aucune allusion, et dans son article
Danse de Saint-Guy de ce Dictionnaire M. Raymond dit seulement qu'il lui
semble inutile d'insister sur le diagnostic « de la chorée et de l'épilepsie de
l'athétose. » Il y a cependant entre les deux affections des rapports assez
intimes, puisque Bernhardt [Prog. méd., 1877, n"17) considère l'hémiathétose
comme une forme clinique de l'hémichorée. Bien qu'ils proposent de lui conserver
le nom de maladie de Hammond, Charcot et Bourneville ne sont pas éloignés
d'admettre cette manière de voir qui est aussi formulée par Grasset. Dans une
revue critique de 1877 [Montpelliermédical] cet auteur, après avoir dépouillé
29 observations et en avoir exclu 10 comme insuffisantes, arrive à conclure que
l'hémiathétose n'est le plus souvent qu'une variété de chorée post-hémiplégique,
mais que ce peut être la manifestation de la névrose chorée. Sans aller aussi loin
Duguet [Gaz. des hôpit., 1885) estime que les deux affections ont une étroite
parenté par leurs symptômes et surtout par le siège de leurs localisations. La
première autopsie qui ait révélé Li locaUsation de l'athétose est celle où
Rosenbach trouva un foyer circonscrit jaune grisâtre à l'extrémité postéro-infé-
rieure et externe du noyau lenticulaire droit, ayant 1 centimètre de long sur
4 millimètres de large. Depuis cette époque diverses nécropsies ont démontré
que les localisations de l'hémichorée, de riiémianeshésie et de l'hémiathétose,
étaient très-voisines ; c'est ce qui explique que dans certains cas l'hémiathé-
tose et l'hémichorée peuvent s'emprunter quelques particularités symptoma-
IIÉMICIIORÉE. 193
tiques propres à rendre le diagnostic délicat. Mais le plus souvent les deux
affections sont facilement reconnaissables : dans rhémiathétose, en effet, ce ne
sont le plus souvent que les doigts et les orteils qui sont le siège de mou-
vements involontaires; il est rare que la main tout entière et le pied soient
affectés; il est plus rare encore de voir les muscles de la face et du corps
prendre part aux mouvements cliorciformes. Mais ce sont surtout les caraclèresK
de ces mouvements qui permettent d'affirmer le diagnostic. Ils sont toujours
lents, disgracieux, les doigts remuent sans cesse comme des tentacules de
poulpe et la main ne peut rien tenir ; chaque doigt jouit d'une indépendance
complète et se meut pour son propre compte avec une tendance constante à'
prendre des attitudes forcées; les mouvements d'extension, de flexion, d'adduc-
tion, de circumduclion, etc., se combinent de mille façons et défient toute de-
scription ; aux orteils au contraire, les mouvements de llexion sont les plus,
habituels, sauf pour le gros orteil, qui est surtout inquiété par des mouvements
d'extension. Quand le poignet et le cou-de-pied sont intéressés, la main et le
pied ont des mouvements de circiimduclion très-lents d'inclinaison sur le bord
externe ou interne, de flexion, d'extension forcées ; à la longue les ligaments
se relâchent et les articulations se déforment. A la face les contractions mus-
culaires sont faibles et ressemblent à des tics nerveux; ces mouvements, peu>
modifiées et parfois exagérés parla volonté, persistent dans le repos et souvent
dans le sommeil; ils se compliquent ordinairement de contractures passagères
ou spasmes intermittents pouvant atteindre tous les segments du membre supé-
rieur, mais dépassant rarement le cou-de-pied. Tout comme l'hémichorée
symptomatique, l'fiémiatliétose coïncide souvent avec l'hémiancslliésie du même
côté et elle persiste indéfiniment sans amélioration appréciable; le plus souvent
la lésion est à extension progressive et l'hémiplégie vient après l'alhétose. Ajou-
tons que l'athétose est le plus souvent limitée, du début à la fin, à un côté du
corps, comme l'hémichorée symptomatique.
Le traitement do l'hémichorée symptomatique n'existe pas ; les nombreuses mé-
dications qui l'éussissent dans les cas de chorée essentielle échouent fatalement,
quand il s'agit de chorée symptomatique, et c'est ce qui légitime ce que nous
disions à propos du diagnostic. Dans les cas douteux, c'est l'évolution de la ma-
ladie, c'est la façon dont elle résiste au temps et aux médicaments qui permet
le plus souvent d'affirmer l'hémichorée symptomatique. Il est regrettable que les
bains galvaniques, qui ont donné à M. Constantin Paul des résultats si encoura-
geants, dans les cas non-seulement d'Iiémichorée essentielle, mais encore dans
bon nombre de cas de tremblements symptomatiques et dans divers troubles de
la coordination du mouvement (Congrès de Reims, 15 aoiàt 1880), n'aient pas
encore été essayés dans l'hémichorée symptomatique (communication orale de
M. Paul). Quant aux autres agents thérapeutiques qui ont été essayés, nous n'en
donnons même pas la nomenclature, car ils sont aussi nombreux qu'insuffisants.
L'hémichorée essentielle au contraire guérit tout aussi facilement que la
chorée du même n^m, et par les mêmes moyens; seule la chorée des vieiU
lards est tenace, le plus souvent incurable ; à ce titre elle se rapproche de
l'hémichorée symptomatique et établit une transitiou naturelle entre ces deux
grands groupes de chorée que nous avons systématiquement opposés l'un à
l'autre pour l'étude, mais qui en réalité ont des affinités incontestables, inca-
pables d'échapper à tout esprit généralisateur, c'est-à-dire véritablement scien-
tifique, BURLUREAUX.
DICT. ENC. i' s. XIJL 15
194 IIÉMIDAGTYLE.
Bibliographie. — Sandras. De la chorée et principalement des chorées partielles. lu Un.
méd., 1852. — Aran (F. -A.). Observation de chorée unilatérale datant de jjlusieurs années,
guérie en quelques jours par V administration des arsénieux. In Bull, de thérap., avril
1856. — MoNciiTON (S. -T.). Ilemiplegia and Hemichorea. In British Med Journ., 3 0ct. 1863.
— Callach. Chorée unilatérale droite datant de deux ans et demi, guérie en deux mois et
demi par l'acide arsénieux. In Rev. de thérap. méd.-chir., n" 17, 1866. — Monchton. Brit.
Med. Journ.. 3 Nov. 1866, p. 498. — Jackson (J. Huglings). Observations on Ihe Phijsiology
and Pathology of Hemichorea. In Edinb. Med. Journ., October 1868, p. 294-305. — Ogle.
brit. and For. Medico-Chir. Review, 1868, vol. XLI, n" 208. — Mbrchinson. Chorea of first
Unilatéral [left] ; thec Gen. and Several Goods Effects of Slnjchnina. In Brit. Med. Journ.,
Aug-. 21, 1869. —Du même. Trans. of the Pathol. Society ofLondon, 1871, vol. XXII, p. 119.
— FooT (A.-W ). Unilatéral Chorea Disease of the « corpus striatum » andOplic Thalamus on
the Side Opposite affected. In the Dublin Journal of Med. Sciences, October, 1873. —
MiTCiiELL (S.-V.). Pust-paralytic Chorea. In Ainér.Jêurn. of Med. Se, 1874. — Boyer (Cl. de).
Société anatomique, 50 juillet 1875. Bulletins, 50° année, 2" série, t. XX, p. 551. — Guérin.
Hémichorée gauche survenue trois mois auparavant sans cause appréciable. Souffle sys-
tolique de la pointe. Thèse de Paris, 1870, p. 68. — Dickinson-Houship. Hémichorée gauche
(obs. 61). — IUyiSiond (F.). U hétnianesthésie , V hémichorée et les tremblements symplomatiques.
Thèse de Paris, 1876. — Gowers (W.-R.). On Athetosic and Post-Hemiplegie disorders of
Movement. In Med-Chir. Tr. Lond., 1876. — Russell. A Case of Unilatéral Chorea wilh Organic
Cérébral llemianacslhesia and crossed Amblyopia, Albuminuria. In Med. Times and Gaz.,
Sept. 15, 187.S. — BoucAUD. A propos d'un cas d'hémichorée. In Mém. et Compte rend, de la
Soc. des se. méd. de Lyon; Lyon méd., 1877. — Ferrier. Hémichorée. In Brit. Med. Journ.,
London, 1877, p. 137. — Fynlayson. Hémichorée compliquée d'hémiplégie. In Glrisgow Med.
Journ., 1S77, vol. IX, p. 345-352, 1877. — Russell (James). Note on a Case of Hemichorea
with Anaesthesia and Impairment of Spécial Sensé. In Med. Times and Gaz., 5 Jaiiuary 1877,
p. 8. — Thermes. Obs. d'hémich. droite, la France méd., 1877. — Ringer (S.). Note sur un
cas d'alhétose précédé d'hémiplégie et d'hémianesthésie. In Practitioner. London, 1877. —
Bernidel (P.). Hémiplégie gauche, légère hémich. Trans. In Gaz. 7néd. de Paris, 1878.
— Oulmont. Élude clinique de l'alhélose. Paris, 1878. — Révillon (V.). Hémichorée. In Gaz.
des hôp. Paris, 1878. — BouRNEvar.E. Chorée des vieillards. In Progr. méd. Paris, 1878. —
Charcot (J.-X.). On Chorea in Old Pcopl. h\ Med. Times and Gaz. London, 1878. — Balfour.
Unilatéral Alhetosis Implication. Hand and Foot. In Edimb. Med. Journ., 1878, XXIV, 73.
— BovLTER. Left Hemichorea Saint-Bart. Hosp. Rep. London, t. XV, p. 193-207. 1879. —
GRiiSSET. Hémich. post.'hémipl. , héniianesthésie. Foyer hémorrh. dans le noyau lenticul. et la
caps, interne du côté opposé. In Gaz. hebd. de méd. de Paris, 1879. — Levi. Hémichorée
gauche ; récidive, insuccès du bromure, guérison par le chloral, l'oxyde de zinc et la valé-
riane. In Giorn.-veneto di se. med. Yenezia, 1879. — Tison (E.). Athétose post-hémiplégique
du membre infér. In Gaz. des hôp. Paris, 1879. — Carrier. Sur un cas d'hémathétose. In
Dijon méd., 1879, t. XXXI, p. 249-255, 1879. — De Boyer. Cas d'hémichorée post-hémiplé-
gique. In Bull, de la Soc. an., 1879. — Meunier. Notes piour servir à l'hist. de la chorée vulg.
chez les vieillards, 1879. — ISader (J.). Einseitige mit besonderen Eigenthum liehkeiten.
In Med.-Chir. Centralblatt. AVien., 1879. — Leiciitenstein. Cas d'hémich. post-hémipl. In
Deutsch.-med. Wochenschr. Berlin, 1880. — Bacon. Chorée des vieillards. In Journ. Med. Se.
London, 1880. — Broadbent. Hémichorée gauche; mort. In Brit. Med. Journ. London, 1881,
p. 49. — SciiMiTT et Parisot. Note sur un cas d'hémich. essentielle. In Rev. 7néd. de l'Est.
^ancy, 1881. — Laners. Nosographie des chorées. Thèse d'agrégation. Paris, 1866. B.
DÉmiCRÂi^IE. Voy. Migraine.
HÉHIDACTYLE. On désigne sous ce nom les Geckotiens {voy. ce mot)
qui ont les doigts élargis à leur base et en disque du milieu duquel s'élèvent les
deux dernières phalanges, qui sont grêles ; la base inférieure de ce disque est
revêtue de feuillets entuilés, le plus souvent échancrés en chevron. Le pouce
peut être élargi dans toute sa longueur et formé de lames sous-digitales ou être,
au contraire, rétréci à la pointe; dans ce dernier cas, le pouce est parfois
allongé, parfois très-court; chez certaines espèces les doigts sont à demi palmés,
chez d'autres ils sont absolument libres.
L'espèce la plus connue du genre est l'Hémidactyle verruculeux [Hemidactylus
verruculatus] , qui se trouve sur tout le pourtour de la Méditerranée, en Egypte,
UÉMIOPIE, 195
dans le sud de la France, en Italie, en Sicile, en Dalraatie, dans les îles Ioniennes,
■en Grèce, en Turquie, dans les îles de l'Archipel, principalement dans les Cyclades ;
en Afrique, il a été signalé au Sénégal, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en
Egypte, au Sennâar et en Abyssinie; on l'a recueilli en divers points de Syrie, de
Palestine, de Perse, de l'Arabie Pétrée.
L'ïlémidaclyle \erruculeux a la tête courte, le museau fort obtus, les
doigts médiocrement élargis, la queue ronde ; les écailles du dos sont entre-
mêlées de tubercules nombreux; la taille maximum arrive à 12 centimètres.
La coloration est, le plus souvent, grisâtre ou rougeâtre avec des marbrures
brunes; le plus ordinairement, on voit une bande noire entre l'œil et la
narine. H.-E. Sauvage.
Bibliographie. — Cuvieh. Règne animal, t. II. — Giuy ap. Gbiffitii (Ed.). The Animal King-
dom arrangea in ConfortnitywWi ils Organisation, t. IX. — Duméril et Bibron. Erpétologie
générale, t. III, 1856. £. S.
HÉMIEIVCÉPII4LES. Monstres dont le cerveau est à peu près normal,
mais qui ne possèdent pas d'organes des sens. L. Hn.
HÉniiniÈLES (wwu-r, moitié; fiÉ^oç, membre). Monstres ecirome7ie«s {voy,
ce mot). 0. L.
llËmiHELLlQUE (Acide). CIPO". Isofflérique avec l'acide trimésique,
l'acide liémimellique prend naissance, en même temps que de l'anhydride phta-
lique, lorsqu'on chauffe l'acide hydromellophaniquc avec l'acide sulfurique con-
centré. Il se présente en aiguilles incolores, peu solubles dans l'eau. L'acide
«hlorhydrique le précipite de sa solution aqueuse concentrée. II est fusible vers
185 degrés et à une température supérieure se dédouble en acide benzoïque et
en anhydride phtalique. L. Hn.
HÉMI1\E. Nom donné par Teichmann au chlorhydrate d'hématine [voy.
Hématine et article Sang [Médecine légale), p. 650, t. VI, 3^ série). L. Hn.
HÉITIIOPIE ou HÉWIAXOPSIE. Ilemiopia (de ^ji^to-vç, moitié, et o'tttso--
fiat, voir; allemand, Halhsichtiçjkeit ; anglais et espagnol, Ilemiopia; ita-
lien, emiopia) est la perte unilatérale de la vision binoculaire. Elle est
horizontale ou verticale. Dans l'hémiopie horizontale, le malade ne voit que
la partie soit supérieure, soit plutôt inférieure des objets. La démarcation
entre la partie de l'objet qui est vue nettement et celle qui n'est vue que
■confusément n'est jamais une ligne horizontale : c'est plutôt une zone plus
ou moins étendue. Ce trouble visuel peut n'atteindre qu'un œil, il est en
général passager, à moins qu'il ne soit lié à un décollement de la rétine ;
il se rencontre souvent dans la syphilis cérébrale, avec ou sans ptosis conco-
mitant.
Mais c'est surtout l'hémiopie verticale qui a attiré l'attention des neuro-patho-
logistes et provoqué des travaux considérables, en ces dernières années : disons
tout de suite qu'elle n'a rien de commun avec l'amblyopie hystérique. Elle atteint
toujours les deux yeux, ce qui prouve son origine centrale; elle s'explique par
196 IIÉMIOPIE. •
la décussation des nerfs optiques. Ces nerfs A et B, avant de sortir du crâne,
s'entre-croisent imparfaitement.
On comprend dès lors qu'une tumeur qui comprime l'extrémité A rendra in-
sensible les deux moitiés droites de chaque rétine AA : dès lors, les moitiés
gauches (BB) fonctionnant seules, la partie droite de l'objet sera seule perçue;
un seul œil ou les deux yeux regardant ensemble ne verront que la moitié de
l'objet : c'est l'hémiopie homonyme. Si, au contraire, une tumeur siège à l'entre-
croisement des nerfs, elle rendra
insensible les deux moitiés inter-
nes des rétines A et B. L'œil droit
verra donc la moitié gauche et
l'œil gauche la moitié droite de
l'objet; les deux yeux regardant
ensemble verront l'objet dans son
entier, c'est là l'hémiopie croisée
dite aussi hétéronyme latérale.
Telles étaient à peu près les con-
clusions du travail présenté par
de Graefe à la Société de biologie
eu 1866.
Mais, depuis celte époque, la pathogénie de l'hémiopie s'est singulièrement
obscurcie, en même temps que se multipliaient les observations et les travaux
anatomiques. On crut un moment que la lésion de \a. baadelette optique du côté
opposé ou de la région cérébrale circonvoisine était la condition sine quâ non
du symptôme hémiopie homonyme (Charcot, Abadie, H. Jackson, Bemy et
Prévost), puis de nouvelles observations vinrent démontrer que la lésion pro-
ductrice de l'hémiopie pouvait être corticale ; c'est la coïncidence relativement fré-
quente de l'hémiopie avec une certaine variété d'aphasie (cécité verbale) qui a
mis les savants sur cette nouvelle voie. On avait noté depuis longtemps la
coïncidence fréquente de l'hémianopsie avec l'aphasie. Des 1875, Gi'asset l'avait
constatée [Monlpellier médical): Schœn {Traité du champ visuel, 1874, cité par
Staber, Archives d'ophthalmologie, 1885, p. 155) avait conclu de quatre obser-
vations qu'elle était constante; en 1876, Galezowsky cite un cas d'hémiopie
qu'il appelle aphasique (Rev. d'opth.).
Les thèses àeBcWouard [De l'hémianopsie, 1880) et de Gilles en contiennent de
nombreux exemples. Feré {Contribution à l'étude des troubles de la vision,
1882) insiste aussi sur ce sujet, mais aucun de ces auteurs n'avait spécifié de
quelle forme d'aphasie il s'agissait; seul Vernike, dans son observation 5, a relaté
la coïncidence de l'hémiopie droite avec la cécité des mots. C'est Bernard, élève
de Charcot, qui le premier a affirmé la relation dont il s'agit comme constante.
« L'hémiopie n'a jamais fait défaut, dit-il, dans les cas de cécité verbale où l'exa-
men de la vue a été convenablement pratiqué. » 11 ne faut cependant pas oublier
que non-seulement l'hémianopsie droite peut ne pas s'accompagner de cécité
verbale, mais encore qu'elle persiste alors que la cécité verbale concomitante
est arrivée à guérison (Macbridge, the American Journalof Neurology, 1885;
Samelsohn, Berlin, 1882).
On sait que la cécité verbale consiste dans l'abolition plus ou moins complète
de la mémoire des signes figurés ; elle met les malades dans l'impossibilité de
lire les lettres, les syllabes, les mots placés sous leurs yeux. Le malade voit les
IIÉMIOPIE. 197
signes, mais n'en peut interpréter la signlficalion. Or l'observation i de la thèse
de Bernard (Paris, janvier 1885) mentionne le fait suivant : Un malade qui
avait été paralysé du côté droit et qui était atteint de cécité verbale voulut ua
mois après son accident, bien guéri de sa paralysie, essayer déjouer au billard,
mais il ne put le faire, bien qu'ayant ses mouvements libres, parce qu'il ne
voyait que la moitié du tapis vert, la moitié de la bille, et qu'il perdait les billes
de vue, lorsqu'elles entraient dans la partie droite du champ visuel.
L'examen ophthalmoscopique démontra qu'il n'existait aucune modification
du fond de l'œil, mais une étude régulière de la fonction visuelle fit découvrir
que l'hémianopsie latérale homonyme droite était limitée par une ligne parfaite-
ment verticale, passant par le point de fixation. En même temps qu'une éduca-
tion méthodique fit disparaître la cécité verbale, l'hémianopsie se modifia con-
curramment. De même dans l'observation 2 il y avait de l'hémiopie latérale
droite typique chez un malade atteint d'amnésie générale et devenu plus tard
paralytique.
Étant donné cette parenté entre la cécité verbale et l'hémianopsie, on est on
droit de conclure à l'identité des lésions de ces deux symptôines : or les huit
autopsies bien faites, dont Bernard relate les détails, démontrent assez nette-
ment que les lésions cérébrales dont dépend la cécité verbale occupent la partie
postérieure du lobule pariétal inlérieur gauche. Pitres {voy. Encéphale) accepte
aussi cette localisation. « Lobule pariétal inférieur et partie antérieure de la
région occipitale. » En outre, « les lésions destructives du centre ovale situées au-
dessous des régions de l'écorce, qui ont des fonctions sensorielles nettement dé-
finies, déterminent les mêmes troubles que les lésions destructives de ces régions
corticales elles-mêmes » (Pitres).
C'est ainsi que la lésion de la substance blanche sous-jacente à l'écorce au
niveau du lobule pariétal inférieur et de la partie antérieure du lobe occipital
provoque aussi l'hémiopie : c'est ce qui résulte nettement d'une observation de
Westphall dans laquelle un ramollissement de la substance blanche du lobe
occipital et du lobe pariétal qui respectait l'écorce était accompagnée d'hémiopie
latérale homonyme. Eu même temps l'expérimentation venait donner sa sanction
à l'observation clinique. Les travaux de Munch sur les chiens et les singes
semblent bien établir que les lésions de l'écorce d'un hémisphère entraînent
l'hémianopsie homonyme. Ceux de Luciani, de Tamburini, de Goltz, de Ferrier,
David, aboutissent aux mêmes conclusions. Celles des recherches toutes récentes
que M. Lannegràce vient d'exposer au Congrès de Nancy de \ 880 sont encore
plus précises. En pratiquant des extirpations cérébrales partielles au moyen
du thermocautère, cet auteur a cru pouvoir démontrer : l"quc les lésions uni-
latérales donnent des troubles temporaires : "2" que les lésions occipitales pro-
duisent surtout des troubles dimidiés. Elles donnent, dit--il, plus spécialement
lieu à une hémiamblyopie latérale homonyme paraissant s'atténuer dans la région
de la macula lutea (zone sensorielle).
La zone sensorielle correspond au centre visuel de Munch. « Cette région semble
bien en rapport par sa partie latérale externe avec la moitié externe de la rétine
du même côté et par sa partie latérale interne avec la moitié latérale interne de
la rétine du côté opposé; mais les faits ne permettent pas encore une affirma-
tion absolue » (Lannegràce). Ce sont là des études fort délicates, et, à vrai dire, de
nouvelles recherches sont encore nécessaires pour élucider la question. Il arrive
en effet que les mêmes lésions qui provoquent l'hémiopie se traduisent chez
198 HÉMIOPIE (bibliographie).
d'autres malades par de l'amblyopie croisée (Féré, thèse, 1882, et Archives de
Neur., 1880). C'est ce qui fait dire à cet auteur dans son dernier travail (Ana-
tomie médicale du système nerveux, p. 528) que les connexions de la rétine
avec les différentes parties du cerveau ne sont encore établies que sur des
hypothèses. Aucun fait anatoinique précis ne peut rendre compte à la fois de
l'amblyopie croisée et de l'hémianopsie, cl les constructions schématiques les
plus ingénieuses ne font que prouver l'inextricable difficulté de cette étude.
Après le schéma de Charcot est venu celui de Féré. Puis Grasset [Traité
des maladies du système nerveux, 1886) a cru devoir en proposer un autre
à triple entre-croisement pour expliquer les faits dans lesquels il y a à la fois
amblyopie et hémianopsie. D'après cet auteur, les faits cliniques forcent à
admettre :
1° Que les fibres internes s'entre-croisent au chiasma, tandis que les fibres
externes continuent directement;
2° Que les fibres externes s'entre-croisent quelque part en arrière du chiasma^
de sorte que l'entre-croisement est alors complet pour toutes les fibres optiques,
et que dans chaque capsule interne se trouvent réunies toutes les fibres de l'œil
opposé ;
0" Que les fibres externes subissent un second entre-croisement au delà de la
capsule interne avant d'aboutir aux circonvolutions, de sorte que chaque lobe
occipital contiendrait les fibres externes de l'œil du même côté, et les fibres
internes de l'œil opposé. L'auteur reconnaît que « le schéma est un peu com-
plexe, mais les faits à expliquer le sont eux-mêmes » : Ce schéma de Grasset est
sévèrement jugé par Séguin, qui en propose un autre considéré par Féré comme
« parfaitement insuffisant » . En résumé, l'hémiopie homonyme est produite par
une lésion, soit de la bandelette optique, soit de la région du lobule pariétal
inférieur. Quant à la nature de cette lésion, nous ne pouvons pas la préciser,
étant donné que nous n'avons trouvé que quinze autopsies. Ce qu'on peut affirmer,
c'est qu'elle est souvent transitoire, comme le symptôme auquel elle donne
naissance.
Il est possible qu'elle soit souvent de nature syphilitique, bien que M. Fournier
n'en fasse aucune mention dans son traité de la Syphilis cérébrale. Quand elle
n'est pas accompagnée d'autres troubles visuels, l'hémiopie est une infirmité
peu gênante, compatible avec les exigences de la vie quotidienne; notons cepen-
dant qu'elle compromet l'écriture et la lecture. Quelques malades n'écrivent
que sur une partie de la page ; ils ne hasardent pas la plume dans la partie
obscure du champ visuel. De même, elle gêne la lecture en cachant au malade
une partie du mot qu'il lit.
L'hémiopie est quelquefois persistante, mais le plus souvent elle est passa-
gère. Elle coïncide très souvent avec la déviation conjuguée de la tête et des
yeux, elle est alors un indice certain d'une grave maladie encéphalique (Go-
wers). Elle alterne parfois avec la migraine ophthalmique. Rappelons que ce
n'est qu'un symptôme qui emprunte sa gravité à celle de la lésion originelle
et qui n'est justiciable d'aucun traitement spécial, sauf le cas où la syphilis
serait en cause. Bdrlureaux.
Bibliographie. — Westpiiall. Soc. de psych. et mal. nerveuses, etc. Berlin, novembre-
1881. — Gnauck. Un cas d' hémianopsie hétéronyme latérale. In Neur. Centralblatl, t883.
Feré. Contr. à l'étude des troubles fonct. de la vision, 1882, et trois autopsies pour
servir à la localisation cérébrale des troubles visuels. In Arch. de Neur., mars 1885. —
IIP^MIPIIRACTE. 199
Bauium. Ilemianopia. In Brilish Med. Journ. London, 1885. — Vossius (A.)- Ejn Fall von
hilat. temporal Hemianopsie. In Arch. f. Ophlli. Berlin, 188i. — AVillbrand (H.). Ueber
conccntruche Gcsichfsfeldeinschrânkiing bei funclionellen Stôrmigen der Gross/iiriirinde
und ûber Incongruenz hemianopischer Gesichtsfetddefecte. In Klin. Monatsbl. f. Augenh.
Stuttgart, 1883. — Keil (Wilhelni). Beitrâge zkv lAtteratur der temporalen Hemianopie.
Halle, 1885. —Bull (C.-S.). Two Cases of Unilatéral Temporal llcmianopsia. In New-York
Med., 1885. — Philippsen (H.). Om den halvsidige Blindhed {Hemianopsia). Kjobenh., 1885.
Seguin (E.-C). A Conlribulion to llie Patliology of Hemianopsia of Central Origin, Case
wilh Spécimen. In Med. News, riiiladeiphia, 1885, also : Stirg. Journal. Boston, 1885. —
Armaignac (II.). Observation d'hémiopie avec cécité des mots, retour de la faculté de lire
m
mais persistance de ihémiopie. In Rev. clin, d'ocul. Paris, 1884. — Fouseca (L. da). /7e-
mionopsia latéral izquiei-da; majoras importants. In Rev. des sciences méd. Barcel., 1884.
B.
nÉMlPAGES (-Âpto-uç, moilié, Tiriywai fixer). Monstres monomphaliens
{voy. ce mot). 0. L.
nÉMlPHRACTE. Le genre Hemiphractiis, établi par Wagler en 1850
pour des Batraciens anoures qui pré?entent ce caractère d'avoir des dents aux
deux mâchoires. La mâchoire inférieure, qui est complètement ossifiée, est
armée, en effet, d'une forte dent et d'une série de petites dents. D'après Paul
Brocchi, ces dents sont essentiellement composées de tissu osseux recouvert
d'une couche amorphe qui ressemble beaucoup à de la vitro-dentine ; il y a, en
tous cas, une différence considérable entre les organes qui arment la mandibule
de l'Hémiphracte et les dents ordinaires des autres Batraciens anoures, dents
composées d'une couche de dentine formée de tubes fixes et d'une substance
intermédiaire de couleur claire. Les fronto-pariétaux s'articulent avec des os
particuliers que l'on peut regarder comme une dépendance du tympanique, de
telle sorte que toute la portion latérale et postérieure du crâne est formée par
les tympaniques et par l'os carré ou jtigal de Cuvier. La colonne vertébrale se
compose de neuf vertèbres, auxquelles il faut joindre le coccyx; les corps de ces
vertèbres sont unis entre eux par un condyle reçu dans une cavité, mais ce
condyle, au lieu de se trouver à la face postérieure de la vertèbre, comme
c'est le cas ordinaire chez les Batraciens anoures, se trouve à la face anté-
rieure, ainsi qu'on le voit chez le Sonneur pluvial [voy. Discoglosse): le coccyx
s'arlicule par deux condyles. Les coracoïdes et le épicoracoïdes sont parallèles
et le cartilage épicoracoïdien est remarquable par sa grande largeur. Le
vomer et les palatins sont garnis de dents; les doigts ne sont pas dilatés en
disques.
Les deux espèces du genre Hemiphractus {H. arcuatus Spx ; H. divaricalus
Cp.)''habitent le Para, l'Écuadar, la Colombie.
Le genre Hemiphractus est le type de la famille des Hémiphractidées de
Cope; outre ce genre, la famille comprend le genre Ceratohyla, de l'Écuadar,
caractérisé par la dilatation des doigts, et le genre Amphodus, du Brésil,
qui, avec la même disposition des membres, présente des dents sur le para-
sphénoïde. H.-E. S.\UVAGE.
BiLiioGKAPHiE. — Spix ct Martins. Itcr pcr Brasilians, 1817-1820. —Wagler. Isis, 1828,
p. 743. — Du MÊME. System der Amphilnen, 1830. — Espada. Faunœ neotropicalis spe-
ctes quœdam nondum cognilœ. In Jornal de se. physicas e naturals. Lisboa, n"> 9, 1870.
— Cope. Journ. de l'Acad. Philad., t. YI, 1866.— Peters. Mon. Berl. Akad., 1863, 1872.
— Brocchi (P.). Recherches sur l'osléologie d'un batracien anoure provenant du Brésil,
r Hemiphractus. In Bibl. école hautes études, t. XVI, 1877. — Du même. Sur un squelette
d' Hemiphractus. In Comptes rendus de l'Ac. se., 2 octobre 1876. — Boulerger (G.). Cat.
Batracia Salientia in ihe Coll. of ihe British Muséum, p. 451, 1882. E. S.
200 HÉMIPLÉGIE.
llÉraiPIlVK^UE (Acide). C'^II^'^O'''. U se forme en même temps que de la
cotarnine, de la méconine et de l'acide opianique, en oxydant la narcotine au
moyen de l'acide nitrique étendu ou du peroxyde de manganèse et de l'acide
sulfurique; on l'obtient encore par oxydation de l'acide opianique. L'acide hémi-
pinique est en prismes rhomboïdaux obliques, incolores, renfermant générale-
ment deux molécules d'eau de crislallisaiion qu'ils perdent à 100 degrés. Il est
peu soluble dans l'eau froide, plus facilement dans l'alcool et l'élher. Il fond à
181-182 degrés et fournit un anhydride fusible à 166-167 degrés. Lorsqu'on le
cbauffe longtemps à 180 degrés avec 10 parties d'acide chlorhydrique concentré,
il donne de l'acide protocatécliique et de l'acide mélbylprotocatécliique. Soumis
à la température de 'âiO degrés en présence de la potasse caustique, il fournit
uniquement de l'acide protocatécliique et, avec la chaux sodée, laisse dégager
J'éther diméthylique de la pyrocatéchine. L. Hn.
IIEIIIPLÈGIE Eiv gê;\Ïi:ral. L'hémiplégie ou paralysie limitée à un
côté du corps est le résultat de lésions diverses et le symptôme d'un grand
nombre de maladies déjà décrites en divers articles de ce Dictionnaire. On trou-
vera donc à l'arlicle Paiulysie l'indication des conditions palhogéniques et des
modalités diverses de l'hémiplégie, et aux mois : Ckrveac, Chorée, IIvsterie,
Méniages, Moelle, ScLÉr.osE en i'Laques, Paralysie agitante, etc., etc., la des-
cription des diverses formes de l'hémiplégie. L. L.
nÉMlPLÊGlE SPASMODIQUE «\FAXT1LE. DÉFINITION. Nous décri-
rons ici non pas d'une Aiçon générale l'hémiplégie chez les enfants, mais plus
particulièrement cet aspect spécial de l'hémiplégie infoniile connu sous le nom
d'hémiplégie cérébrale infantile, d'hémiplégie spasmodique infantile, dont la
place en nosologie pure est peut-être assez mal délimitée, mais qui jouit en
clinique d'une individualité bien caractérisée.
A la vérité le terme d'hémiplégie spasmodique infantile est loin de défier
toute discussion : on verra, par exemple, que dans certains cas le caractère de
celte paralysie est loin d'être trcs-spasmodique. Aussi, si nous ne supprimons
pas cette épithète, c'est surtout à cause de l'embarras où nous nous trouvons
de lui en substituer une autre pour indiquer qu'il est ici question non pas
d'une hémiplégie quelconque, de cause cérébrale, survenant chez un enfant
(méningite tuberculeuse, tubercules ou tumeurs cérébrales, etc.), mais d'une
forme clinique spéciale.
Tout en faisant de ce type l'objet de l'étude actuelle, nous aurons cepemlant
l'occasion dans le courant de cet article de parler quelquefois des autres mani-
festations hémiplégiques qui peuvent se voir dans l'enfance, mais ce ne sera,
nous tenons à le répéter, que d'une façon accidentelle.
Ajoutons, pour éviter tout malentendu, que, bien que formant en clinique,
au point de vue purement objectif, un groupe assez homogène, l'hémiplégie
spasmodique inhmtile n'est ni une maladie, ni même une affection spé-
ciale, mais bien une expression symptomatique qui semble être fonction de
trois facteurs principaux : l'' le jeune âge du sujet qui se trouve ainsi atteint
pendant sa période de développement; 2» la participation de Vécorce céré-
brale aux lésions (abstraction faite de la nature et même de la localisation
étroite de celles-ci); 5" un laps de temps suffisant pour l'évolution complète
•des symptômes.
HÉMIPLÉGIE. 201
Historique. 11 semble peu utile de rechercher chez les auteurs du siècle
dernier les observations isolées ayant trait ù l'affection qui nous occupe, car
aucun à notre connaissance n'a essayé d'en faire une étude particulière. Que
riiémiplégie infantile ait existé de tout temps, cela ne fait d'ailleurs aucun
doute, et à ce point de vue le meilleur document est incontestablement, comme
l'u fait remarquer M. le professeur Cliarcot, le célèbre tableau du Pied-bot^ de
Ribera (1588-1656), qui peut à bon droit passer pour un exemple typique de
cette infirmité.
L'étude méthodique de cette forme morbide ne date, il faut bien le dire, que
du commencement du siècle, c'est le mémoire de Cazauvielh « sur l'agénésie
cérébrale et la paralysie congéniale » qui marque le début de cette étude (1827).
Cazauvielh était à cette époque interne à la Salpèlrière, il avait eu sous les yeux
un assez grand nombre de cas de ce genre, la description qu'il en donne, les
réflexions qu'il y joint, sont des plus remarquables; qu'on en juge : Non-seule-
ment il avait fort bien vu le défaut de développement des membres et notam-
ment celui du squelette, l'intégrité relative des muscles du tronc, la prédomi-
nance de cette atrophie sur le membre supérieur, mais encore il signale
l'hémichorée et l'hémiathétose, et dans ses autopsies on trouve des exemples de
lésions en foyer, de sclérose lobaire, etc., en un mot, ce travail contenait
en germe l'indication de presque tout ce qui devait dans la suite être con-
sidéré comme donnant à l'hémiplégie infantile une physionomie si parti-
culière.
Cruveilhier, dans son atlas, en figure des exemples et cherche à classer au point
de vue purement anatomo-pathologique les différents cas d'atrophie cérébrale
qu'il avait été à même d'étudier.
Lallemand (1854) rassemble le plus grand nombre des cas d'atrophie céré-
brale publiés à cette époque et montre qu'ils sont presque toujours secondaires,
qu'ils reconnaissent pour cause non pas un simple arrêt de développement,
mais un processus inflammatoire, une véritable encéphalite.
Un peu plus tard Turner (1856) pendant son internat à la Salpêtrière dirige
spécialement ses études sur l'atrophie croisée du cervelet par rapport à l'atro-
phie cérébrale et en établit la fréquence.
Tous ces travaux avaient permis de rassembler une quantité de matériaux
précieux, il restait à mettre ceux-ci en œuvre, à les classer, à édifier, grâce à
eux, une œuvre d'ensemble : c'est ce que Cotard (1868) eut le mérite de faire.
La description clinique qu'il donna de l'hémiplégie infantile est fort exacte,
quoique un peu incomplète sur certains points ; quant à sa description anatomo-
pathologique, on verra, par les nombreux emprunts faits dans le cours de cet
article, qu'elle est restée tout à fait intacte ; on y a peu ajouté, on n'en a pour
ainsi dire rien retranché et, même actuellement, nous n'en connaissons aucune
autre aussi complète.
M. le professeur Charcot, qui avait inspiré la thèse de Cotard et qui chaque
année consacrait quelques-unes de ses leçons à l'hémiplégie infantile, continua à
diriger de ce côté les recherches de ses élèves, thèse de Raymond (1870) sur
l'hémichorée, thèse d'Oulmont (1878) sur Vathétose.
Peu à peu, l'aspect clinique de l'hémiplégie infantile se dessinait ainsi de traits
plus nets, pi-enait un relief plus accentué; les travaux de Bourneville [Icono-
* Musée du Louvre, salle Lacaze.
202 IlÉMh'LÉGIE.
graphie photographique de la Salpêtrière, 1878) et de son élève "Wuillamier
(1882) vinrent encore puissamment contribuer à l'étude de cette question,
nul mieux qu'eux ne nous semble avoir compris l'évolution du syndrome bcmi-
plégie infantile, nul aussi bien qu'eux n'a décrit l'épilepsie d'un caractère
si singulier qui l'accompagne ordinairement et en fait pour ainsi dire partie-
intégrante.
Dans les autres pays l'étude de l'hémiplégie spasmodique infantile ne semble
pas, du moins avant ces dernières années, avoir été l'objet d'une série de tra-
vaux aussi fournie que celle dont nous avons parlé plus haut.
En Angleterre, nous signalerons les mémoires de Robert-Eoyd (1 856) Sur
V atrophie du cerveau, plus récemment ceux de Ross, de Hadden, qui contiennent
des i'aits intéressants, de Samuel Gee, etc. ; en Amérique, le travail de Hammond
sur Vathélose, celui de Mac-Nutl (1885), dans lequel on trouve un des rares
examens microscopiques d'atrophie cérébrale qui aient été faits jusqu'ici; en
Italie les travaux de Bianchi sur la porencéphalie. 11 faut aussi réserver une
mention spéciale pour la thèse de Gaudard (Genève, 1884), dans laquelle on
trouve rassemblés nu grand nombre de documents jusque-là épars.
En Allemagne, le premier travail sur ce sujet, d'après les différents auteurs
que nous avons pu consulter, est la thèse inaugurale do Ilenoch * de Atrophia
cerehri (1812).
En 1860, Heine, dans son Traité de la paralysie spinale infantile, donne d&
celte affection mie description très-satisfaisante; c'est à cet auteur qu'on doit
le nom de hemiplegia spastica cerebralis.
Puis le silence se fait de nouveau sur cette question; on s'en tient à la de-
scription de Heine; les différents articles des manuels de Ziemssen et deGerhardt,.
où on pourrait s'attendre à trouver une élude spéciale de l'hémiplégie infantile,,
contiennent peu de détails sur ce sujet. Cependant Bernhardt (1876), Seetig-
mûller (1879), Henoch (1881), consacrent à cette affection quelques pages inté-
ressantes; Forster (1880) avait mis en lumière quelques-uns des traits du tableau
clinique.
En 1882, Kundrat vient avec son mémoire Sur la porencéphalie apporter, au
point de vue anatomo-pathologique, d'importants documents. Mais jusqu'alors
aucune description méthodique n'avait été tentée en Allemagne : aussi s'ex-
plique-t-on aisément la faveur avec laquelle fut accueillie la communication
de Strûmpell au Congrès de Magdebourg (1884). Cette communication conte-
nait, en effet, un résumé clair et exact des principaux caractères de cette affec-
tion, résumé tout à fait concordant d'ailleurs avec les conclusions auxquelles
étaient arrivés déjà les auteurs français précédemment cités; de plus Strûmpell
proposait d'adopter un nom particulier, celui de poliencéphalite aiguë; ce nom
fit fortune et, un peu grâce à lui, certains médecins en vinrent à s'imaginer qu'il
s'agissait d'une maladie nouvelle. Ce fut là comme le signal de nombreux
travaux parmi lesquels il faut citer le mémoire de Bernhardt (1885) empreint
d'un esprit critique fort judicieux et dans lequel l'aphasie chez les enfants est
étudiée avec un soin tout particulier, celui de Wallcnberg (1886), monographie
très-complète inspirée par le professeur von Dusch, la communication de Kast
au Congrès de Baden-Baden, etc. Dans tous ces derniers travaux, nous sommes
heureux de le reconnaître, la part de l'école de la Salpêtrière a été très-loyale-
1 II nous a été impossible de nous procurer ce travail, et nous ne savons si l'hémiplégie
infantile y a été traitée d'une façon particulière.
IIÉMII'LÉGIE. 20S
ment faite et les conclusions auxquelles elle était arrivée ont été parfois com-
battues, mais au moins signalées. Quelques autres auteurs, au contraire, et, si
nous en parlons ici, c'est à cause de leurs nationalités diverses, ont absolument
négligé d'en faire la moindre mention. La chose est d'autant plus singulière que,
comme il s'agit là le plus souvent de revues générales, on aurait cru être en
droit de s'attendre à y trouver sinon une érudition très-étendue, du moins quelques
reclierclies bibliographiques élémentaires. La conclusion, qui, à notre avis, se
dégage nettement de cet historique, c'est que, si l'on compare l'évolution de nos
connaissances sur l'hémiplégie spasniodique infantile , dans les différents
centres scientifiques il est impossible de méconnaître que l'école de la Sal])è-
trière peut à bon droit revendiquer une large part, tant au point de vue de la
priorité de ses études sur ce sujet qu'à celui des résultats auxquels celles-ci
ont abouti.
Étiologie. Causes. L'étiologie de l'hémiplégie spasmodique infantile est
assez difficile à élucider, vu l'âge auquel elle survient ordinairement, les enfants
étant trop jeunes pour donner aucun renseignement, vu aussi Finlervalle de
temps souvent considérable qui s écoule entre son début et le moment do l'ob-
servalion médicale.
Lorsque l'affection cérébrale est congénitale ou tout au moins se montre dès la
naissance, un certain nombi*e de causes pourraient, dit-on, être invoquées, telles
que traumatisme ayant porté sur le ventre de la mère, émotion vive de celle-ci ;^
une autre moins banale et sur laquelle insistent plusieurs auteurs serait Vas-
phyxie pendant le travail de l'accouchement, asphyxie qui donnerait lieu à une
hémorrhagie cérébrale ou méningée; il est certain que, dans les cas congéni-
taux, on constate assez souvent (Ross, Ranke, etc.) une durée exagérée du tra-
vail de l'accouchement, ou bien encore une présentation vicieuse. Y a-t-il dans
ce cas hémorrhagie intra-crànienne par stase sanguine ou par traumatisme du
crâne? c'est ce qu'il est difficile d'établir.
Quand l'hémiplégie s'est montrée plus ou moins longtemps après la naissance
on invoque certaines causes dont quelques-unes banales, telles que la présence
de vers intestinaux, le travail de la dentition, les émotions, l'influence du
froid, etc. ; d'autres, au contraire, telles que ['hérédité, semblent avoir une
influence plus manifeste.
L'hérédité neuropathologique se retrouve eu effet chez un certain nombre
de malades, mais il est bon d'en préciser le sens : en effet, comme le fait remar-
quer Wuillamier, ce n'est pas d'une hérédité homologue qu'il s'agit ici : « Aucun
des malades qui nous ont occupé, dit-il, n'est l'enfant de parents épileptiques ;
pour cette forme de l'épilepsie, de même que pour l'épilepsie vulgaire, nous
avons noté chez les ascendants de nos malades toutes les autres affections qui
prédisposent les générations suivantes aux maladies nerveuses : excès alcoo-
liques, apoplexie, convulsions, chorée, hystérie, aliénation mentale, suicide, etc.»
Et, en effet, dans un certain nombre d'observations on trouve chez plusieurs des
ascendants les affections nerveuses les plus variées. Dans un cas, cependant,
on voit l'hémiplégie infantile frapper plusieurs membres d'une même famille ;
vu la rareté du fait, on ne peut dire s'il s'agit là d'une coïncidence fortuite. Le
fait est emprunté à la thèse de van der Eyden, nous en devons la traduction à
l'obligeance de M. le docteur Thijssen : « Catherine B..., âgée de dix-sept ans,,
a depuis sa naissance une paralysie du côté gauche et des attaques. La malade
a un frère âgé de ((uinze ans, qui comme elle a une atrophie du côté gauche.
204 HÉMIPLÉGIE.
mais qui ne présente pas d'attaques. La main de celui-ci est aussi en prona-
tion, mais les doigts sont en flexion permanente ; il a aussi un pied-bot équin.
Trois frères ou sœurs qui avaient aussi une affection du côté gauche à leur
naissance sont morts jeunes de convulsions. »
Mais, s'il est vrai que l'hérédité peut comme cause prédisposante avoir une
importance notable, est-il juste de lui reconnaître la même valeur comme cause
efficiente? nous ne le croyons pas, la cause réelle de la lésion cérébrale primi-
tive doit, à notre avis, pour la grande majorité des cas, être recherchée ailleurs.
C'est dans l'inlluence de certaines maladies générales de nature plus ou moins
nettement infectieuse que nous la trouverons.
La connaissance des relations entre les maladies infectieuses et l'hémiplégie
spasmodique infantile n'est d'ailleurs pas récente : c'est ainsi, par exemple, que
Cotard (1858) mentionne ^( l'inlbience des fièvres exanthématiques » ; que
Benedikt (1868) avance que « l'hémiplégie spasmodique infantile se montre avec
une fré(iuence particulière après les maladies fébriles aiguës, notamment les
exanthèmes ». Heine en cite des exemples, et depuis lors les faits de ce genre
sont devenus nombreux (Gaudard, Striimpell, Jcndrassik et Marie, Wallen-
berg, etc.); Ricliardièrc dans sa thèse émet l'opinion que, lorsque l'hémiplégie
débute avant l'âge de deux ans, elle reconnaît le plus souvent comme cause
l'hérédité nerveuse, l'alcoolisme des parents, les émotions morales dans la gros-
sesse, etc., tandis qu'après deux ans, à part le traumatisme, elle est surtout
produite par les maladies infectieuses. Parmi celles de ces maladies qui
amènent le plus souvent l'hémiplégie on peut citer en première ligne la scarla-
tine, puis la rougeole, la fièvre typhoïde; on a observé aussi cet accident dans
la diphthérie, dans la fièvre rémittente, la \accine, les oreillons, enfin dans la
maladie de Werliiof et dans la coqueluche (s'agissait-il simplement dans ce der-
nier cas d'une de ces hémorrhagies par suite d'efforts de toux qui sont loin
d'être rares dans la coqueluche?). Etant donné ces faits, une question se pose,
d'un intérêt tout particulier, celle des relations de l'hémiplégie infantile avec
la syphilis héréditaire. Quelques auteurs ont publié des cas oii l'existence de
celle-ci est indéniable : J. Simon dans ses Leçons sur la sclérose cérébrale msiste
sur l'existence chez quelques parents d'antécédents syphilitiques; G. Sée a
observé une sclérose cérébrale peut-être consécutive à une méningo-encéphalite
chez une petite fille qui avait présenté des accidents très-nets de syphilis héré-
ditaire; Jendrassik et Marie parlent aussi d'une pe'ile fille hémiplégique chez
laquelle l'existence de l'hérédo-syphilis était rendue fort probable par l'existence
d'une kératite interstitielle; Gaudard (observations II et Vlll) rapporte dans sa
thèse deux faits dans lesquels la syphilis a été constatée de la façon la plus for-
melle : aussi est-ce le document le plus précis que l'on ait jusqu'ici sur cette
question. D'autre part, à Rio-Janeiro, Moncorvo a, dans un travail intéressant
sur la sclérose en plaques chez les enfants, publié un cas d'hémiplégie infan-
tile (car à notre avis ce n'est pas là un exemple de sclérose en plaques) chez
une petite fille syphilitique, mais le fait est susceptible d'une autre interpréta-
tion car il y avait coïncidence de variole. H semble donc bien établi que la
syphilis héréditaire peut produire riiémiplégie infantile, mais avec quelle fré-
quence? Ici les documents faisant complètement défaut, nous avons cherché à
nous rendre compte par nous-même du nombre de cas de syphilis héréditaire qu'on
pouvait rencontrer parmi les malades atteints d'hémiplégie infantile spasmo-
dique* nous avons examiné à ce point de vue spécial sept filles du service de
IIEMIPLEGÎE. 205
M. Charcot à la Salpètrière et quatorze liommes adultes du service de M. Bour-
neville à Bicêtre; sur aucun de ces malades la sypliilis héréditaire n'était évi-
dente, chez trois des hommes et chez une des filles il existait des érosions den-
taires assez nettes, mais sans aucun caractère pathognomonique, et d'ailleurs
on ne trouvait aucun autre stigmate qui permît de faire le diagnostic de vérole
congénitale. La syphilis héréditaire scmhle donc, s'il faut en croire la série que
nous avons eue sous les yeux, ne jouer dans la production de l'hémiplégie infan-
tile spasmodique qu'un rôle des plus secondaires. Nous ne pouvons donc que
souscrire pleinement aux lignes suivantes tirées du livre de M. le P'^ Fournier sur
la syphilis héréditaire tardive : « Enfin rhémi|jlégie, soit généralisée, soit par-
tielle, a été rencontiée en quelques cas; mais elle est rare, très-rare même en tant
que symptôme de la première période. Presque toujours elle conslitue une nia-
nifeslalion plus ou moins tardive, et souvent encore un épiphénomène voisin de
la terminaison fatale. A ce dernier propos, notons au passage une différence digne
de remarque entre la syphilis cérébrale des jeunes sujets et celle de l'adulte.
Chez l'adulte, c'est chose assez commime de voir une hémiplégie précédée ou
non de quelques prodromes marquer le début d'une encéplialopathie si»écifique,
tandis que ce même fait est relativement exceptionnel dans le jeune âge. »
En résumé, l'influence des maladies infectieuses sur la production de l'hémi-
plégie infantile nous semble s'appuyer sur une telle réunion de documents qu'il est
impossible de la méconnaître; quant à expliquer k façon dont elle s'exerce,
cela n'est pas actuellement en notre pouvoir. Peut-être même les procédés sont-
il multiples, il y aurait alors tantôt endocardite et embolie, tantôt artérite ame-
nant soit une thrombose, soit une hémorrhagie, tantôt enfin méuingo-encépha-
lite chronique par action directe de la maladie sur la séreuse ; mais ce ne sont
là que des hypothèses. Quoi qu'il en soit, du fait de cette modalité étiologique
un rapprochement s'impose entre l'hémiplégie spasmodique infantile et la
paralysie spinale atropliique de l'enfance, car on sait avec quelle fréquence
cette dernière se montre au cours des maladies infectieuses, notamment des
exanthèmes propres au jeune âge. L'une et l'autre affection ont un mode de
production tout à fait analogue, la lésion primitive est la même pour toutes
deux, la seule différence est dans son siège : ici cerveau, là moelle. Quant à vou-
loir avec Strùmpell pousser plus loin l'analogie et prétendre reconnaître pour
l'hémiplégie spasmodique une lésion spéciale,, systématique, pour ainsi dire, et
étroitement localisée à la substance grise du cerveau (poliencéphalite), nous
avons déjà dit combien cette tentative nous paraissait peu fondée, combien les
faits s'accordaient peu avec elle. Mais, ce côté anatomique de la question étant
mis à part, les analogies qui au point de vue de la pathologie générale unissent
ces deux affections sont des plus étroites; qu'on en juge par le fait suivant
dû à P. J. Môbius; nous avons eu l'occasion de le citer dans un article du
Progrès médical et si nous tenons aie rappeler ici, c'est qu'il vaut à lui seul
toutes les démonstrations. Le frère et la sœur, âgés le premier de trois ans, la
seconde de un an et demi, après avoir présenté tous deux des symptômes géné-
raux (fièvre, état gastrique, etc.) pendant quelques jours, furent presque simul-
tanément atteints, la sœur de paralysie atrophique spinale, le frère d'hémiplégie
spasmodique infantile. 11 est vraisemblable que chez tous deux la maladie géné-
rale initiale était la même, seule la localisation des lésions dans le système
nerveux fut différente.
Sexe. Les renseignements sur ce sujet sont malaisés à réunir, car, les sta-
^06 HÉMIPLÉGIE.
tistiques les plus nombreuses ayant été généralement dressées dans des asiles
spéciaux où se trouvent soit seulement des filles, soit seulement des garçons,
on conçoit qu'elles ne sont guère comparables les unes aux autres; cependant
il est vraisemblable que les deux sexes sont à peu près également frappés par
l'hémiplégie infantile spasmodique; dans la statistique la plus nombreuse, celle
de Wallenberg, figurent 89 cas du sexe féminin, contre 71 du sexe masculin,
chiffres en définilive à peu près égaux.
Age. Ici il y a, croyons-nous, lieu de faire une distinction. Il ne s'agit pss
en effet de ranger en un seul bloc tous les cas d'hémiplégie survenant chez des
enfants ou des adolescents, de compter comme hémiplégie infantile tous cens
qui peuvent se produire depuis la naissance jusqu'à l'âge de 14, 15 et 16 ans,
comme l'ont fait Gaudard et Wallenberg. Ce serait, nous l'avons déjà dit, faire
l'histoire de Vhémiplégie chez les enfants, mais non celle de Vhémiplégie
spasmodique infantile, deux choses, en somme, fort distinctes, puisque celle-ci
a un aspect clinique tout spécial qui s'élève au rang d'un véritable syndrome,
tandis que celle-là peut, dans son expression symptomatique, ne différer en
rien de ce qui s'observe chez l'adulte. Ce qu'il est donc tout d'abord nécessaire
de fixer, c'est l'âge passé lequel l'hémiplégie spasmodique infantile ne se pro-
duit plus, puisque, comme on l'a vu en tête de cet article, pour que ce syndrome
puisse se montrer dans son plein développement, une des conditions nécessaires,
t'est que le début ait eu lieu à un âge encore assez tendre. On comprend
combien la fixation de cet âge maximum est arbitraire dans l'état actuel de la
science, et combien les différences individuelles peuvent apporter des modifi-
cations à ce sujet; cependant, d'après l'examen d'un grand nombre d'observa-
tions, d'après ce que nous avons pu voir par nous-même, nous pensons qu'a-
près 9 ans on ne doit plus compter que l'hémiplégie chez un enfant puisse
prendre les caractères propres de l'hémiplégie spasmodique infantile, et c'est
là un âge extrême, car dans la majorité des cas on verra qu'en somme c'est à
un début beaucoup plus précoce que le développement de celle-ci correspond.
Cela posé, quel est l'âge auquel se montre le plus souvent l'hémiplégie céré-
brale infantile? La statistique de Wallenberg peut donner d'utiles renseigne-
ments sur ce sujet, mais on devra se souvenir qu'elle a été dressée pour les cas
d'hémiplégie chez les enfants, d'une façon générale, et non spécialement pour
les cas d'hémiplégie spasmodique infantile. Sur 160 observations cet auteur a
trouvé que dans 19 l'affection était congénitale, 55 fois le début avait eu lieu
dans la première année, 29 fois dans la 2'^, 17 fois dans la 3^, 9 fois dans la
4% 9 fois dans la 5% 13 fois dans la 6% 6 fois dans la 7% 4 fois dans la 8%
5 fois dans la 9^, etc. Strùnipell au contraire qui, lui, n'a eu en vue que l'hé-
miplégie spasmodique infantile (la poliencéphalite), donne les chiffres suivants
qui à notre avis sont beaucoup plus conformes à la réalité des faits : sur 24 cas
le début s'était fait 7 fois avant la fin de la première année, 8 fois entre 1 et
2 ans, 4 fois entre 2 et 3 ans, dans les autres cas à un âge plus avancé,
mais dans des limites telles qu'au moment des premiers accidents le plus
jeune des malades avait 4 semaines, le plus âgé 6 ans. Eu résumé, ce qu'il
faut retenir au sujet de l'âge, c'est que l'hémiplégie spasmodique est quel-
quefois congénitale, qu'elle est surtout fréquente dans les 3 premières années
de la vie, qu'elle est rare à partir de l'âge de 4 ou 5 ans et ne peut proba-
blement plus se développer avec ses caractères spéciaux quand l'enfant a atteint
l'âge de 9 ans.
HÉMIPLÉGIE. 207
Anatomie rATHOi.oGiQi'E. Nos connalssancos à ce sujet sont encore bien inconi-
plèles et ne remontent guère qu'au travail deCotard; les faits recueillis par
Cazauvielh, par Tiirner et par les autres auteurs, tout exacts qu'ils fussent,
restaient trop isolés pour qu'on en tirât quelque profit; Cotard sut les grouper
avec métliode et les interpréter suivant les règles d'ime critique judicieuse.
Nous ferons de fréquents emprunts à sa description.
11 nous semble plus logique de commencer l'étude de Tanatomie patholo-
gique de l'hémiplégie spasmodique infantile en mettant tout d'abord sous les
yeux du lecteur ce qui se voit le plus fréquemment dans les autopsies, c'est-
à-dire un cerveau déjà profondément altéré, porteur de lésions anciennes qui
ont elles-mêmes subi de très-grandes modifications, au point de devenir souvent
méconnaissables. Après avoir pris une connaissance suffisante des pièces de ce
genre qui sont en somme caractéristiques de l'hémiplégie infantile observée
dans une période déjà avancée de son évolution, il sera temps de recliercher
quelle est la nature initiale de ces lésions, quelles sont les altérations qui se
montrent tout à fait au début de l'affection.
A. Lésions primitives. (Avec Cotard il faut entendre par ce mot non pas
le premier stade du processus morbide, mais simplement les altérations pré-
sentées au moment de l'autopsie par la partie du cerveau qui a été primiti-
vement atteinte.) Elles peuvent se montrer sous l'un des aspects suivants :
1» Plaques jaunes. Cette altération se présente sous forme de plaques
irrégulières, jaunâtres ou ocrées, de dimension variable; à leur niveau, les
circonvolutions sont rétractées, IVoncées, et même complètement atrophiées; la
plaque jaune tout entière l'orme une dépression assez profonde à la surface du
cerveau. Cette dépression est d'ailleurs d'autant plus prononcée que le ramollis-
sement qui a été le point de départ de la plaque jaune s'étendait plus loin en
profondeur; on trouve même des plaques jaunes qui pénètrent jusqu'au voisi-
nage du ventricule.
2° Kystes et infiltration cellulense. Celle-ci consiste en des cavités anfrac-
tueuses, tapissées en tous sens par des brides ou des cloisons incomplètes et
formant des sortes de cellules remplies d'un liquide d'abord laiteux qui peut
devenir transparent quand la lésion est très-ancienne. Quant aux kystes, ils
sont de forme assez régulière, à bords indurés et colorés en jaune brun ; quel-
quefois ils sont remplacés par des cicatrices linéaires dures et colorées. Tantôt
ces kystes sont petits, tapissés d'une fine membrane cellulense, à parois lisses,
traversés de quelques brides seulement; ils sont généralement situés vers les
parties centrales de l'hémisphère dont ils ont déterminé consécutivement l'atro-
phie et ne présentent plus dans leurs parois de matière colorante ocrée, le
liquide qu'ils contiennent est devenu limpide et incolore. Tantôt ces kystes
sont vastes, remplis de sérosité, et occupent la place d'une partie considérable
de l'hémisphère. Dans d'autres cas encore ils semblent appartenir aux méninges.
Jusqu'à présent nous avons reproduit à peu près textuellement la description
de Cotard; nous arrivons à sa troisième classe qu'il intitule : Cas caractérisés
surtout par l'atrophie et la disparition complète de la substance nerveuse;
nous croyons préférable de désigner ces cas sous le nom qui a été aujourd'hui
généralement adopté, celui de porencéphalie.
5" Porencéphalie. Ce nom a été créé par Hischl et s'applique à des pertes
de substance en forme de cavités (porus) situées à la surface du cerveau, qui
tantôt s'ouvrent dans l'arachnoïde, tantôt en sont séparées par une membrane
208 HÉMIPLÉGIE.
fournie par rarachnoïde elle-même; elles s'enfoncent plus ou moins dans la
substance cérébrale, quelquefois jusqu'à l'épendyme, souvent même elles
pénètrent à travers celui-ci jusque dans la cavité des ventricules. Turner avait
déjà rapporté des cas qui, suivant toute vraisemblance, appartiennent à cette
catégorie; mais de plus cette lésion était déjà très-bien connue de Cotard, qui
lui assigne les caractères suivants : Une portion de la substance nerveuse de
l'hémisphère a disparu, et dans une étendue plus ou moins considérable les
méninges se trouvent accolées à la membrane ventriculaire; entre ces deux
membranes serpentent des vaisseaux, et vers la limite de la perte de substance
les circonvolutions froncées et ratatinées se transforment en une substance
gélatineuse avant de disparaître complètement. Cette altération est souvent
très-étendue et occupe toute la partie supérieure de l'hémisplière. » On voit
que la description de Cotard est en somme très-nette et très-précise, et que pour
être la première en date elle n'en est pas plus mauvaise. Plus récemment,
Kundrat (1882) a fait de la [lorencéphalie, de ses caractères et de son mode de
production, une étude spéciale qui constitue le document le plus important que
nous ayons actuellement siu' ce sujet : aussi aurons-nous à mettre plus d'une
fois son mémoire à contribution.
4° Sclérose lobaire primitive. Il sera uniquement question ici de celte
forme de sclérose lobaire qui paraît se développer spontanément sans être pré-
cédée d'aucune autre lésion grossière du cerveau ou des méninges. Quant à la
sclérose lobaire secondaire, un paragraphe spécial lui sera consacré à propos
des lésions secondaires. L'aspect d'un cerveau atteint de sclérose lobaire primi-
tive est tout à fait particulier, tout l'hémisphère malade présente une diminution
de volume souvent considérable : c'est ainsi que, dans un cas dont nous avons
publié l'autopsie en collaboration avec E. Jendrassik, la longueur de l'hémi-
sphère malade était inférieure de 15 millimètres à celle de l'hémisphère sain,
sou épaisseur moindre de 32 millimètres; le sillon de Rolando mesurait à
droite 120 millimètres, à gauche seulement 68. L'hémisphère ainsi atrophié
fait, on le conçoit, un contraste singulier avec celui du côté sain qui le déborde
de toutes parts. De plus, les circonvolutions de l'hémisphère malade ont
éprouvé une sorte de ratatinement tel qu'elles peuvent ne plus présenter qu'une
épaisseur de 2, 3, 4 millimètres, tandis que celles du côté opposé en ont une
de 1 centimètre et plus encore; quelquefois aussi elles sont comme froncées,
comme parsemées d'empreintes punctifornies rappelant assez bien l'aspect du
bois vermoulu (Pozzi). Mais, fait remarquable et caractéristique de cette variété
de lésions encéphaliques, la forme générale de l'hémisphère est bien conservée ;
il n'y a pas de perte de substance, pas de trace de lésion en foyer, le trajet des
circonvolutions est normal et n'a subi aucune interruption, en un mot, c'est, du
moins au point de vue de la pure moiphologie, un hémisphère normal ramené
à une échelle inférieure à celle sur laquelle est formé son congénère. Il ne
faudrait pas d'ailleurs croire que la sclérose lobaire frappe toujours la totalité
de l'hémisphère d'une façon assez égaie pour arriver à en faire pour ainsi dire
une réduction géométrique; loin de là, dans la majorité des cas, sinon dans
tous, la sclérose porte plus spécialement sur certains lobes. On constate alors
que certaines parties du cerveau sont beaucoup moins atrophiées que d'autres,
quelquefois même on trouve des circonvolutions qui sont presque intactes comme
volume. Nous n'insisterons pas plus longtemps sur l'aspect macroscopique de
cette lésion primitive; on trouvei^a tous les détails nécessaires dans la thèse de
HÉMIPLÉGIE. 209
H. Richardière (1885), qui a fait de la sclérose lobaire une c'iude des plus
complètes.
Comme nous le dirons plus loin, ces quatre principaux types des lésions
encéphaliques productrices du tableau clinique liémiplcgie infantile ont
entre eux les plus étroites analogies au point de vue de la cause, au point de
vue du processus initial, ils sont en effet tous quatre d'origine vasculaire,
et les symptômes qu'ils déterminent peuvent être considérés comme uni-
voques. Ces quatre types constituent donc bien, comme l'avait dit Cotard,
l'ensemble de Tanatomie pathologique de riiémiplégie spasmodiquc infantile.
Il en est cependant un cinquième, tout différent par sou origine, par sa nature,
et aussi par certaines particularités de son expression clinique, qu'il nous
semble nécessaire d'ajouter à la description de Cotard, car ce cinquième type
de lésions peut, lui aussi, donner naissance à un ensemble symptomatique (brt
analogue à celui de l'hémiplégie spasmodique infantile vulgaire : nous voulons
ici parler de la méningo-encéphalite tout particulièrement signalée dans plu-
sieurs observations de Bourneville et de ses élèves (Bourncville, Comptes rendus
de Bicêtre pour 1882, p. 107; pour 4883, p. 109; Bourncville et Wuillamicr,
Arch. de neuroL, t. 111, p. 327); c'est aussi à cette forme que nous semblent
devoir se rattacher la plupart des cas décrits par M. Jules Simon sous le nom
de sclérose cérébrale chez les enfants.
5" Méningo-encéphalite. Cette lésion (il est bien entendu qu'il s'agit ici
d'une méningo-encéphalite chronique durant depuis des aimées, et non de la
méningo-encéphalite à marche aiguë, qui se termine par une marche rapide)
est surtout caractérisée par une telle adhérence de la pie-mère avec l'écorce,
qu'en enlevant cette membrane on voit toute la couche de substance grise
suivre la pie-mère, laissant à nu le squelette de substance blanche des circon-
volutions; la substance blanche ainsi mise à nu est indurée, ferme, hérissée de
petites crêtes dont la saillie est rendue encore plus visible par l'immersion
dans l'eau; d'autre part, il reste une véritable coque résultant de la soudure
de la pie-mère à la substance grise et reproduisant par les reliefs et ses dépres-
sions le moule des circonvolutions ainsi dépouillées. Dans les 3 cas de Bour-
neville cités plus haut, et probablement dans presque tous les cas, les lésions
occupaient les deux hémisphères, et ce fait se comprend d'autant mieux qu'ici
la lésion est d'origine méningée et qu'il y a par conséquent beaucoup moins de
chances de la voir se localiser à un seul hémisphère que si elle élait comme dans
les 4 types précédents d'origine vasculaire. Cependant les lésions de méningo-
encéphahte prédominent souvent assez sur un hémisphère peur donner naissance
à une hémiplégie évoluant, elle aussi, d'une façon chronique; c'est la raison pour
laquelle nous avons cru devoir introduire ce cinquième type, bien qu'en réalité,
nous le répétons, l'hémiplégie infantile spasmodique ne se produise dans cette
forme de lésions que d'une façon pour ainsi dire fortuite, et en présentant le
plus souvent des caractères tout particuliers.
Il est aussi nécessaire de dire quelques mots d'une autre forme de sclérose
cérébrale qui nous semble s'éloigner beaucoup trop par ses symptômes des
types précédents pour que nous puissions la comprendre dans la description
anatomo-pathologique de l'hémiplégie infantile spasmodique. Cette forme a
été particulièrement étudiée par MM. Bourneville et Brissaud. Elle constitue,
d'après la description de ces auteurs, une affection superiicielle du cerveau
siégeant dans les parties grises de l'écorce, quoique envahissant cependant
DICT. EKC. 4° S. XIII. 14
210 HÉMIPLÉGIE.
un peu les parties blanches, car le lissu scléreux se continue sans délimi-
taliou nette avec les parties saines. Les nodules sont exclusivement composés
de tissu conjonctif, ils ne contiennent ni fibres ni cellules nerveuses; on n'y
rencontre pas non plus de fins vaisseaux, seuls ceux d'un certain calibre
semblent y pénétrer. Il n'existe aucune altération des méninges. Celte lésion,
que MM. Bournevilie et Brissaud considèrent comme une polio-encéphallle tubé-
reuse, est regardée, peut-être non sans raison, par Fûrstner et Stiihlinger, comme
une production gliomateuse. Dans aucun des cas où cette sclérose tubéreuse a
été trouvée à l'autopsie elle ne s'est accompagnée du syndrome de l'hémiplégie
infantile spasmodique : aussi avons-nous pensé que, s'il est bon d'en signaler
ici l'existence pour éviter tout malentendu ; il serait d'autre part tout à fait
hors de propos de la ranger parmi les types anatomo-pathologiques qui donnent
naissance à l'hémiplégie inl'anlile spasmodique.
Il reste maintenant à se demander de quelle nature sont les lésions formant
les quatre premiers types, celles qui en somme appartiennent le plus étroitement
à notre sujet. La question est, jusqu'à un certain point, embarrassante, car il
est rare de faire des autopsies d'hémiplégie infantile à une période assez
rapprochée du début*. Lorsqu'on a cette heureuse fortune, les lésions que l'on
rencontre ont généralement un aspect si différent de celui des lésions plus
anciennes qu'il est fort difficile de dire dans quel type une évolution ultérieure
les aurait fait rentrer.
Cependant, en utilisant les quelques documents qui existent sur ce sujet et
aussi en s'aidant de l'aspect présenté par les lésions qui ne sont pas encore
tout à fait parvenues au terme de leur évolution, on ne tarde pas à se con-
vaincre ([u'en réalité, chez l'enfant comme chez l'adulte, c'est dans un grand
nombre de cas à ïhémorrhagie ou au ramollissement cérébral par thrombose
ou embolie qu'il faut faire remonter la responsabilité de l'hémiplégie. D'après
Cotard, les kystes seraient dus le plus souvent à la transformation d'anciens
foyers hémorrhagiques; on peut aussi, d'après lui, se demander s'il n'y a pas
dans quelques cas des foyers d'hémorrhagie méningée ou plutôt sous-méningée,
caria cavité de l'arachnoïde est généralement saine, (inânl clvlx plaques jaunes^
elles sont le reliquat d'anciens foyers de ramollissement. Dans un certain nombre
de cas, d'ailleurs, on a pu constater directement l'existence de ce ramollisse-
ment (Norman Moore, Jules Simon, E. Revilliod, etc.); ces deux derniers
auteurs ont même pu démontrer l'oblitération du vaisseau oblitéré par throm-
bose; dans l'observation de E. Revilliod où l'autopsie, chez un enfant de trois
ans et demi, fut faite six semaines après le début des accidents; la sylvienne
droite était obturée, le ramollissement comprenait le lobe frontal et les 3/4
inférieurs du lobe pariétal.
L'obstruction permanente ou transitoire des veines et des sinus semble,
dans les hémorrhagies et les ramollissements de l'enfance, jouer un rôle impor-
tant. M. Ilutinel, dans sa thèse, insiste tout particulièrement sur ces faits; il a
montré que le plus souvent chez les nouveau-nés le ramollissement rouge était
1 Parmi les douze cas qui figurent en tête du tableau dressé par Wallenberg, dans lesquels
on aurait pu examiner les lésions à une époque rapprochée du début, il y en a au moins
huit qui nous semblent, pour obéir à une méthode rigoureuse, ne devoir pas être comptés,
car ils ont tirait à des enfants de 9, 10, 13 et même 16 ans : or à cet âge les symptômes dé-
terminés par les lésions cérébrales ne sont plus tout à fait ceux de l'hémiplégie infantile
spasmodique, et nous aurons plus loin l'occasion de fixer approximativement à 9 ans l'âge
maximum où les lésions cérébrales peuvent encore détei'miner ces symptômes.
HÉMIPLÉGIE. 2H
dû à des thromboses dans le système \eineux encéphalique; dans les cas oii
celles-ci n'existaient pas, il admet que la stagnation d'un sang noir et poisseux
dans les veines peut s'opposer assez à l'irrigation des éléments nerveux pour en
amener la destruction. Si, au point de vue symptomatique, les malades observés
par cet auteur n'ont guère présenté l'aspect de l'hémiplégie spasmodique, cela
tient suivant toute vraisemblance à ce qu'il s'agissait d'une catégorie toute
spéciale de cas dans lesquels la survie n'était i>as assez longue pour permettre
le développement de celle-ci. En effet, par suite de l'état prononcé d'athrepsic
dans lequel se trouvaient la plupart de ces enfants, par suite aussi de l'extension
des lésions, la mort était généralement très-rapide. Rappelons encore les travaux
de von Dusch et de Parrot sur les thromboses du système veineux encéphalique
«hez les nouveau-nés. De même pour Gowers les hémiplégies subites de l'en-
fance seraient duos souvent à la thrombose du sinus longitudinal supérieur ou
des veines qui s'y jettent. Quant au ramoll hibernent blanc décrit par Parrot et
attribué par lui à la stéatose de l'encéphale, d'accord avec M. llutinel, nous ne
pensons pas qu'il puisse jamais produire l'hémiplégie spasmodique infantile,
car il semble toujours entraîner la mort à bref délai.
L'origine vasculaire des deux premiers types de lésion peut donc être consi-
dérée comme bien établie : en est-il de même pour les deux autres types'?
Oui, suivant toute vraisemblance. Pour le troisième type, la porencéphalie, que
Cotard considérait comme particulièrement liée à l'encéphalite traumatique,
les recherches de Kundrat ont parfaitement montré que cette lésion est toujours
en rapport avec, un territoire artériel et est par conséquent d'origine vasculaire.
Dans 27 cas (dont 19 congénitaux, 8 survenus postérieurement) cet auteur a
trouvé que la lésion siégeait nettement dans le territoire de l'artère cérébrale
moyenne; dans 5 cas, c'était sur le territoire de l'artère cérébrale antérieure;
enfin, dans 5 cas sur celui de l'artère cérébrale postérieure. Quant m processus
même par lequel se produit la lésion cérébi'ale dans le territoire artériel, Kun-
drat l'attribue à une anémie due surtout à la faiblesse du cœur du fœtus ou de
l'enfant; faiblesse produite elle-même soit par des troubles de la nutrition
générale, soit par une gêne dans la circulation placentaire. Cette anémie
pourrait encore être consécutive à la compression du crâne, ou h des hémorrha-
gies au moment de l'accouchement. En somme, on le voit, c'est l'anémie sans
lésions artérielles primitives que vise spécialement le professeur Kundrat ; cette
anémie amènerait une encéphalite productrice de la porencéphalie (même pour
les cas congénitaux), et caractérisée par une prolifération accentuée des vais-
* Il est bien entendu que la méningo-encéplialite constitue un type tout à fait à part
n'appartenant que d'une façon accessoire et occasionnelle à l'hémiplégie infantile spasmo-
dique, et qu'elle devra par conséquent n'être nullement comprise dans les descriptions géné-
rales s'appliquant aux quatre formes. Lorsqu'il devra être question d'elle, il en sera fait une
mention spéciale. Nous ferons aussi remarquer que dans les quatre types précédents les
méninges sont saines et s'enlèvent assez facilement ; si quelquefois on les trouve un peu
épaissies, cela tient vraisemblablement non à une lésion primitive, mais plutôt à une irri-
tation secondaire déterminée soit par l'extension du processus cortical, soit par la disten-
sion que détermine dans la pie-mère l'infiltration dont elle est le siège par suite de l'épan-
chement séreux intra-ai^achnoidien auquel Cotard attribue (probablement à juste titre) un
caractère tout à fait passif. — Quant à l'état des méninges particulièrement dans la poren-
céphalie, Kundrat insiste, lui aussi, sur ce fait qu'elles restent intactes (il l'attribue à leur
richesse plus grande en vaisseaux qui leur permet de ne pas éprouver de l'anémie les mêmes
effets délétères que la substance cérébrale), cependant au niveau même de la perte de
substance la pie-mère fait presque toujours défaut, c'est tout au plus si l'on trouve au-
dessus un léger voile membraneux ; celui-ci ne serait formé que par l'arachnoïde.
212 HÉMIPLÉGIE.
seaux qui cependant resteraient intacts et parfaitement perméables. Kundrat
insiste d'autant plus sur ce point que Klebs dit avoir observé le rétrécisse-
ment et l'oblitération de ces vaisseaux ; d'après le premier de ces auteurs, ces
lésions seraient seulement secondaires à la porencéphalie, mais jamais primi-
tives. Quant ù nous, il nous paraît difficile d'être aussi absolu, et nous croyons
que suivant toute vraisemblance la lésion vasculaire initiale, ici encore, doit
être dans bien des cas une liémorrbagie ou plutôt une Ibrombose.
Quant au quatrième type, à la sclérose lobaire yrimillve, les données macro-
scopiques et microscopiques permettent, ainsi que l'ont fait Jendrassik et Marie,
de le rattacher également à une lésion vasculaire primitive : en effet, lorsque,
au lieu d'un cerveau atteint de sclérose lombaire généralisée, on examine un de
ceux où, comme nous l'avons dit, elle porte plus spécialement sur telle ou telle
région, on ne tarde pas à se convaincre que dans ce cas la distribution de la
sclérose est tout à fait concordante avec celle du réseau artériel. De plus, dans
les cas, peu nombreux d'ailleurs, où la sclérose atteint les deux hémisphères au
lieu de rester comme d'habitude localisée à l'un d'eux, on constate qu'elle se
répartit presque toujours d'une façon symétrique et frappe soit les deux lobes
frontaux, soit les deux lobes occipitaux (cas de Ricliardière). On conçoit com-
bien cette disposition symétrique vient plaider en faveur d'une origine arté-
rielle de la lésion, car, lorsque le processus est tout autre, comme, par
exemple, dans la niéningo-encéphalite qui est souvent bilatérale, les lésions
sont disséminées sans aucun ordre, sans la moindre symétrie. De plus, au
microscope, Jendrassik et Marie ont dans deux cas trouvé des lésions vascu-
laires ou plutôt périvasculaires si prononcées (dilatation des espaces périvas-
culaires, envahissement de ceux-ci par du tissu conjonctif en prolifération, et
quelquefois soudure de la gaine et du vaisseau), qu'il semble bien qu'il s'a-
gisse là de lésions portant primitivement sur le système circulatoire. Mais,
quant à la nature de ce processus primitif, nous avouons l'impossibilité de
l'expliquer actuellement. S'agit-il d'une thrombose avec embolies canalisées
dans la suite? S'agit-il d'une simple artérite infectieuse sans oblitération du
vaisseau ou avec obstruction passagère? c'est ce que les documents actuels ne
permettent nullement de décider.
Il y aurait lieu de parler aussi des relations que peut affecter Vencéphalite
congénitale de Virchow avec l'hémiplégie infantile spasmodique, malheureu-
sement nos connaissances sur ce sujet sont encore bien peu avancées, puisque
l'existence même de cette lésion n'est pas admise d'une façon unanime (Jas-
trowitz, etc.). Nous ignorons absolument si cette encéphalite peut dans cer-
tains cas donner naissance au syndrome que nous étudions ; il faut cependant
mentionner ici l'opinion de von Limbeck; d'après cet auteur, l'encéphaUte
congénitale de Yirchow pourrait, par la réunion et la fusion de plusieurs
foyers voisins, amener un ramollissement cérébral et plus tard par l'intermé-
diaire de celui-ci une porencéphalie. Il sera utile que de nouveaux faits vins-
sent confirmer une hypothèse qui, au premier abord, ne semble pas très-vrai-
semblable.
A propos d'encéphalite, nous devons dire quelques mots de la poliencéphalite
de Strùmpell (le terme de poliencéphalite, employé déjà par Wernicke et par
Bourneville et Brissaud, a été appliqué par ces auteurs à des lésions tout à fait
différentes de celles que Strùmpell a eues en vue). Pour cet observateur,
l'hémiplégie spasmodique infantile avec les caractères particuliers qu'on lui
UÉMIPLEGIE. 215
connaît serait toujours due à une encéphalite spécialement localisée à la sub-
stance grise des circonvolutions, et, dans tous les cas anciens appartenant à
cette catégorie, ou trouverait des pertes de substance porencéplialiques dans le
territoire moteur de l'écorce; cette dernière assertion nous semble absolument
inexacte. Quant au stade aigu de cette inflammation, on n'aurait encore sur lui,
au point de vue anatomo-pathologique, que des renseignements bien insuffisants.
Telle est l'opinion émise par Strûmpell ; elle est à notre avis beaucoup trop
exclusive, et de plus en désaccord avec un trop grand nombre de faits pour
qu'on puisse l'adopter ou même l'admettre d'une façon générale.
Donc, pour résumer ce qui a trait aux lésions primitives, elles peuvent macro-
scopiquement se diviser en quatre types principaux :
Plaques jaunes;
Kystes et infiltration celluleuse;
l'orencéphalie ;
Sclérose lobaire jJrimitive.
Un cinquième type ne produit que par occasion l'iiémiplégie spasmodique
infantile : c'est la ménhujo-encéphalile chronique.
Sauf ce dernier type, tous les autres relèvent d'altérations vasculaires (hémor-
rhagies, thrombose, embolie, artérite (?) ou péri vasculaires, dont elles ne sont
qu'une conséquence plus ou moins éloignée.
B. Lésions secondaires. Celles-ci ont dans l'hémiplégie infantile spasmo-
dique un Intérêt tout particulier, car d'une part elles s'étendent à presque tout
le système nerveux, d'autre part les progrès de leur évolution sont tels que
souvent et par leur étendue et par les symptômes 'qu'elles déterminent elles
prennent une prépondérance considérable sur les lésions primitives. En un
mot, et on ne saurait trop insister sur ce point, dans l'hémiplégie infantile
spasmodique la lésion finit par vivre pour ainsi dire d'une existence propre,
grâce à laquelle elle se perpétue et s'étend aux dépens de l'hémisphère atteint,
et cela en général pendant de longues années.
Les lésions secondaires se retrouvent dans les hémisphères, dans le cervelet,
le bulbe et la moelle.
Hémisphères. On peut admettre, en règle générale, que l'hémisphère sur
lequel portait la lésion primitive offre au bout d'un certain temps les marques
manifestes d'altérations secondaires; ces marques sont V atrophie et la sclérose.
L'atrophie est souvent très-marquée et l'hémisphère malade présente cette dimi-
nution de poids, cette réduction de toutes les dimensions que nous avons déjà
signalées à propos de la sclérose lobaire et sur lesquelles il est inutile de revenir,
car l'aspect d'un hémisphère atteint de sclérose lobaire primitive est tout à fait
analogue à celui d'un hémisphère atteint de sclérose lobaire secondaire. Cepen-
dant dans ce dernier cas, surtout si la lésion primitive ne remonte pas à l'âge
le plus tendre, l'atrophie est généralement moins marquée, elle est plus étroite-
ment localisée au voisinage de la lésion. La forme des circonvolutions au niveau
et à l'entouv de la lésion primitive est un indice dont Kundrat a notamment
montré toute l'importance. D'après cet auteur, il serait possible par l'aspect de
la surface des hémisphères de reconnaître si un cas de porencéphalie est congé-
nital ou non ; dans le premier cas, les circonvolutions situées à la périphérie du
foyer sont orientées en rayons dirigés vers le milieu de ce foyer, elles sont
comme attirées par celui-ci, et elles se prolongent pour ainsi dire jusqu'au fond
de la cavité; dans la porencéphalie non congénitale, au contraire, on ne trouve
214 HÉMIPLÉGIE.
pas cette disposition radiée et les circonvolutions sont coupées assez nettement
par les bords de la cavité et ne se prolongent pas dans son intérieur.
Quant à la sclérose, elle se révèle suffisamment par l'induration de la sub-
stance cérébrale, qui dans certains cas devient telle que l'hémisphère prend une
consistance assez analogue à celle du cuir, en même temps sa résistance
augmente et pour en séparer un fragment il devient nécessaire de faire un
effort, de déchirer le tissu cérébral qui se détache alors en foi'mant une sorte
de lanière.
Au point de vue microscopique, les documents sont en nombre très-restreint,
et encore ne s'appliquent-ils guère qu'à des cas de sclérose lobaire (Robin,
Ilayem, Jendrassik et Marie, Richardière, Mac Nutt) ; dans un cas de Jendrassik
et Marie, on trouvait la névroglie dans un état de prolifération des plus accen-
tués, elle formait d'épaisses travées dirigées le plus souvent d'une façon assez
sensiblement radiée, comme si ces travées constituaient des groupes appartenant
à un système anatomique dont le centre (vaisseaux?) n'était pas nettement
déterminé; ces travées principales étaient reliées les unes aux autres par des
faisceaux plus minces ayant une direction perpendiculaire à celle des premières.
La réunion de tous ces faisceaux produisait une sorte de feutrage d'un aspect
assez régulier, affectant même, grâce à la disposition radiée, l'apparence de
certaines formes cristallines. Le nombre des noyaux est augmenté, il existe une
quantité plus ou moins considérable de cellules araignées. Les fibres nerveuses
éprouvent sinon une disparition complète, dans les circonvolutions atteintes par
la sclérose et dans la substance blanche sous-jacente, du moins une diminution
considérable; il en est de même des cellules nervemes. De plus, les espaces
périvasculaires sont considérablement dilatés, au [loint d'acquérii' un diamètre
cinq ou six fois plus grand que celui du vaisseau qui en occupe le centre; le
vaisseau lui-même, outre les altérations qu'il peut présenter, décrit une série de
simiodtés qui lui donnent un aspect tout à fait singulier et suivant toute vrai-
semblance doivent être rapportées à la rétraction éprouvée par le tissu cérébi'al.
C'est par un raisonnement analogue que Jendrassik et Marie expliquent le fait
que, sur les coupes des parties atteintes, les vaisseaux semblent beaucoup plus
nombreux à l'œil nu que sur des coupes similaires de l'hémisphère sain : en
effet, par suite de la rétraction considérable subie par la substance blanche, les
vaisseaux, dont le nombre n'a probablement pas varié, se trouvant répartis sur
un espace moindre, paraissent beaucoup plus nombreux. Enfin, il est un autre
résultat de l'examen microscopique sur lequel ces auteurs insistent tout parti-
culièrement : c'est la présence d'abondants corps granuleux, soit dans les mailles^
du tissu cérébral, soit dans les espaces périvasculaires. L'existence de ces cor-
puscules aurait, d'après Jendrassik et Marie, une signification toute particulière,
étant donné l'époque très-éloignée à laquelle dans leurs deux cas remontait la
lésion primitive (cas I, intervalle de 9 ans; cas H, intervalle de 5 ans 1/2). En
effet, dans ces cas, la présence des corps granuleux ne pouvait être mise sur le
compte de la résorption d'éléments dont la destruction remonterait à l'époque
de la lésion primitive, puisque dans la sclérose lobaire primitive il n'existe
aucun foyer d'hémorrhagie ou de ramollissement dans lequel les matières grais-
seuses auraient pu être retenues pendant m\ temps plus ou moins long pour
être reprises ensuite par les cellules lymphatiques sous la forme de corps gra-
nuleux. Et même, en admettant qu'à l'époque du début il y eût eu une
destruction assez considérable d'éléments nerveux, il est évident que la résorp-
HÉMIPLÉGIE. 215
tion en aurait dû s'accomplir complètement dans un espace de temps bien
moindre^ II semble donc ncccssaiie d'admettre qu'on se trouve là en pré-
sence d'un processus encore en pleine activité, processus soit spécial, soit
analogue à celui des dégénérations secondaires constatées dans d'autres points
de l'axe encépbalo-médullaire. Nous verrons à propos des symptômes les
conclusions qui peuvent être tirées de ce fait au point de vue de leur évo-
lution.
Outre l'atropbie et la sclérose des circonvolutions et des centres blancs, il
reste à signaler comme lésions secondaires dans les liémisplières : les altéra-
tions des noyaux gris centraux et la dilatation venir iculaire.
Les ganglions centraux (couche optique et corps strié) ne semblent pas se
comporter toujoui's d'une façon identique et, si nous prenons les chiffres fournis
par H. Richardière, nous voyons que, dans 8 observations de sclérose lobaire,
ces ganglions étaient aussi atrophiés et sclérosés, tandis que dans 1 autres
cas on les avait trouvés sains ; la même inconstance existe dans les autres types
anatomo-pathologiques de l'hémiplégie infantile spasmodique. Celte inconstance
est vraisemblablement due à des différences dans l'étendue et l'intensité des
lésions cortico-niédullaires, mais nous ignorons encore les lois qui la régissent.
Quant à la lésion primitive des ganglions centraux, lUchardière dit ne l'avoir
jamais vue signalée.
La dilatation ventriculaire est sinon constante, du moins très-fréquente, elle
peut avoir un développement considérable, à tel point que l'hémisphère malade
ne représente plus qu'une sorte de coque dont les parois amincies n'ont que
quelques millimètres d'épaisseur. Dans un cas de Jendrassik et Marie, la cavité
formée par le ventricule latéral dilaté avait une capacité d'environ 60 grammes,
et l'air qui y restait logé, lorsqu'après avoir examiné l'hémisphère on le replaçait
dans le liquide conservateur, suffisait à faire flotter tout l'hémisphère à la
surface du liquide. Au moment de l'autopsie, les ventricules dilatés contiennent
ordinairement une assez grande quantité de sérosité; nous avons déjà vu que
la pie-mère contient quelquefois aussi dans ses mailles une certaine quantité de
liquide séreux.
Cervelet. Les lésions secondaires du cervelet dans l'hémiplégie infantile
spasmodique ont été surtout étudiées par Vulpian et par Turner; celui-ci a
montré que, en règle générale, on constatait dans ce cas une atrophie du lobe du
cervelet du côté opposé à celui de l'hémisphère cérébral sclérosé. Le poids du
cervelet peut tomber de 175 grammes, chiffre normal, à 95 ou même moins:
l'inégalité des deux lobes est alors des plus apparentes.
Dans la protubérance, le bulhe et la moelle, on trouve presque toujours une
sclérose descendante assez prononcée du faisceau pyramidal, quelquefois, au
contraire, celle-ci est très-peu marquée, elle pourrait même faire défaut d^s
des cas tout à fait exceptionnels. On observerait quelquefois aussi une inégalité
de volume entre les deux colonnes de substance grise de la moelle, celle du côté
opposé à la lésion hémisphérique étant moins large que l'autre. Quant aux
cellules ganglionnaires de la moelle du côté opposé à la lésion cérébrale, il ne
* H. Ricliardiére a, lui aussi, dans un cas de sclérose lobaire constaté l'existence de nom-
breux corps granuleux, bien que l'autopsie eût été faite deux ans après le début des acci-
dents. — Dans l'observation xn de la thèse de M. le professeur Ilayem on trouve signalée la
présence de corps granuleux assez abondants quoi que la date de la lésion initiale fût très-
éloignée.
'216 HÉMIPLÉGIE.
semble pas établi d'une façon certaine qu'elles aient subi une altération notable.
Schrôder van der Kolk et Cotard auraient constaté dans 2 cas l'atrophie de
quelques racines nerveuses et des ganglions du grand sympathique corres-
pondants.
Quant aux nerfs périphériques et aux muscles, bien qu'il y ait une atrophie
très-marquée des membres paralysés, ils ne paraissent pas présenter de lésions
grossières, mais les documents manquent au point de vue microscopique.
Nous aurons, à propos des symptômes, à revenir sur les altérations du sqiie-
lelle en général ; il est nécessaire de signaler ici les modifications que subit la
configuration du crâne.
Déformations du crâne. Celles-ci ont été très-bien décrites par Cotard; cet
auteur fait remarquer avec raison ([u'oUes ne se montrent généralement d'une
façon accentuée que lorsque la lésion cérébrale remonte aux premières années
de l'existcacc ou à la vie iulra-utérine, et que, si même dans ces cas on ne la
constate pas toujours, c'est que souvent la substance cérébrale détruite serait
remplacée par un kyste ou par une accumulation assez considérable de liquide
dans les ventricules. Cependant ces déformations peuvent se montrer même
quand la lésion n'a pas été précoce, et dans quelques observations elles exis-
taient, bien que le début des accidents ne remontât qu'à l'àge de six ou
sept ans.
La configuration intérieure du crâne suit en général assez exactement les
contours de la déformation cérébrale; lorsque tout l'hémisphère est atrophié
ainsi que le lobe opposé du cervelet, on trouve les fosses antérieure et moyenne
correspondantes et la fossette occipitale du côté opposé notablement rétrécies.
La base du crâne elle-même peut éprouver des déformations accentuées : il en
est ainsi, par exemple, dans l'observation XIV de Wuillamier : « La moitié
gauche de la base du crâne est notablement déformée, la fosse coronale gauche
est plus saillante que la droite, presque unie. La fosse sphénoidale est plus
étroite que celle du côté opposé. L'apophyse crista galli est déjetée à gauche, en
sorte que la gouttière ethmoïdale est à peine marquée. La selle turcique est
très-étroite. Les apophyses clinoïdes antérieures et postérieures ne sont distantes
les unes des autres que de 2 ou 5 millimètres, la lame quadrilatère est très-
déprimée et se continue directement avec la gouttière basilaire. »
Dans un cas (Bell) la dure-mère avait éprouvé une ossification tellement pro-
noncée que l'hémisphère atrophié semblait être enfermé dans une seconde boîte
osseuse.
L'épaisseur des parois du crâne est souvent augmentée; dans certains cas
celles-ci paraissent même comme boursouflées, la voûte orbilaire est dédoublée
en deux lames entre lesquelles se trouvent de vastes cellules qui semblent être
une expansion des sinus frontaux.
La forme extérieure du crâne peut quelquefois ne pas éprouver de modifica-
tion notable, bien que la configuration intérieure de celui-ci soit altérée, cela
tient alors à ce que la diminution de la capacité du crâne s'est faite presque
uniquement par le retrait de la table interne. Lorsqu'au contraire il existe une
déformation notable de l'extérieur du crâne, celle-ci correspond assez exacte-
ment à la partie atrophiée du cerveau, le crâne est aplati, tantôt en avant,
tantôt sur le côté, suivant le siège de la lésion cérébrale.
Enfin, beaucoup plus rarement (2 cas seulement) on a signalé au niveau de
la lésion cérébrale une véritable perte de substance des os du crâne. Dans
HÉMIPLÉGIE. 217
l'observation de Meschede, qui fut suivie d'autopsie, on constata que la perte de
substance osseuse était fermée par une membrane fibreuse et qu'il existait dans
la région sous-jacente de l'hémisphère une cavité de dimensions à peu près
correspondantes à la perte de substance ; cette cavité était remplie d'un liquide
séreux et communiquait avec le ventricule latéral, en un mot, il s'agissait d'une
porencéphalie ; il est curieux de constater à la fois une perte de substance céré-
brale et crânienne à localisation tout à l'ait correspondante. C'est probablement,
ainsi que le dit Ross, une lésion analogue que présentait la petite fille dont il
a rapporté l'observation : elle était hémiplégique du côté gauche, cl depuis sa
naissance on avait remarqué une perte de substance dans son pariétal droit.
Symptômes. Tableau général. Etant donné ce que, dans la définition, nous
avons dit du sujet à trailer dans cet article, on concevra qu'il ne soit pas im-
possible de faire une description générale s'appliquant à tout un groupe de
malades qui, on dépit de lésions primitives souvent fort dissemblables présentent
une expression symptomalique commune.
L'aspect sous lequel se présente et évolue l'hémiplégie spasmodique infantile
est ordinairement le suivant : à la naissance ou dans les premiers mois qui suivent
celle-ci, l'enfant est pris plus ou moins subitement de convulsions durant de
une à plusieurs heures ; lorsque celles-ci sont terminées, on constate la paralysie
d'un côté du corps ; d'abord flasque, cette paralysie ne tarde pas à prendre des
caractères spasmodiques, et au bout de quelques mois une sorte de contracture
amène des déviations notables dans la direction des membres ; en même temps
on remarque un défaut d'accroissement assez prononcé de ceux-ci; dans d'autres
cas la contracture et l'arrêt de développement n'existent pas, mais les extré-
mités sont animées de mouvements involontaires d'aspects variés ; ces mouve-
ments peuvent d'ailleurs coïncider avec la contracture. Souvent aussi il existe
une diminution assez marquée de l'intelligence. Mais ce n'est pas tout, au bout
d'un temps variable, de quelques jours à plusieurs années, on voit survenir
des attaques épilepliformes présentant des caractères spéciaux. Dès lors le malade
présente au complet l'aspect clinique de l'hémiplégie infantile spasmodique qu'il
nous reste à étudier dans ses détails.
Début. La manifestation capitale, celle qui appelle immédiatement l'at-
tention des parents, c'est l'attaque éclamptique qui, dans la grande majorité
des cas, semble être le phénomène initial. Nous disons semble être parce
qu'en effet ce n'est là quelquefois qu'une apparence : dans certains cas, en
effet, si on interroge avec soin les parents, on finit par acquérir la certitude
que déjà depuis quelques jours l'enfant était un peu souffrant, qu'il était gro-
gnon, qu'il présentait quelques troubles gastriques. Dans d'autres cas cependant
les convulsions sont réellement survenues comme un coup de foudre sans que
rien dans la manière d'être de l'enfant eût pu les faire présager; dans un cer-
tain nombre d'observations on les a même vues se montrer pendant que les enfants
étaient en train de jouer.
Ces convulsions, fort analogues d'ailleurs dans leur ensemble, présentent
cependant en général quelques caractères spéciaux. Le plus souvent elles sont
unilatérales., ou du moins occupent un côté du corps avec une prédominance
marquée, se montrent tout d'abord de ce côté et ne s'étendent aux quatre
membres qu'au bout de quelques instants. Il est exceptionnel de n'observer
qu'une seule attaque éclamptique, le plus souvent celles-ci se fusionnent de
telle sorte qu'elles déterminent un véritable état de mal se prolongeant quel-
218 HÉMIPLÉGIE.
ques heures ou plus encore, état de mal pendant lequel il existe une élévation
appréciable de la température centrale (Bourneville), puis une accalmie survient,
les convulsions sont suspendues, elles recommenceront dans quelques heures,
et cela à plusieurs reprises, de façon à constituer une série d'accès, ou bien elles
sont définitivement terminées, c'est alors que les parents remarquent que les
membres d'un côté sont plus flasques, que l'enfant s'en sert mal ou même pas
du tout, en un mot, qu'il existe une hémiplégie. Dans certains cas, cette hémi-
plégie se montre dès le premier accès de convulsions, dans d'autres seulement
au second, au troisième ; quelquefois elle est très-accusée dès l'abord, ou bien
au contraire si peu prononcée qu'elle n'attire nullement l'attention ; il est des
cas enfin où elle n'existe pas et ne se montre que plus tardivement ainsi que
nous aurons l'occasion de le voir. Comme nous l'avons déjà dit, les moda-
lités les plus diverses peuvent être observées, c'est ainsi, par exemple, que les
convulsions peuvent être localisées uniquement à un membre, soit seulement
au début, soit même pendant toute leur durée. Enfin, les convulsions peuvent
manquer absolument, mais cela surtout chez les enfants déjà âgés de trois ou
quatre ans, il y a le plus souvent alors pertede connaissance, le petit malade tombe
et quand il revient à lui on constate l'hémiplégie; déjà ici, on le voit, l'analogie
avec ce (jui se passe chez l'adulte commence à se montrer, c'est pour ainsi dire
l'ébauche de l'attaque d'apoplexie. Quelques parents prétendent même n'avoir
jamais observé chez leurs enfants frappés d'hémiplégie ni convulsions ni même
perle de connaissance; ce début latent, pour ainsi dire, n'est pas impossible,
à la rigueur, mais on sait combien les renseignements de cette nature sont sujets
à caution, et l'on doit en tout cas considérer ce mode de début comme tout à
fait exceptionnel.
Très-rarement aussi on a vu après les convulsions l'hémiplégie disparaître
aussitôt ou même ne pas se montrer nettement, puis plus tard au bout de un,
deux ou trois ans, en même temps apparaissaient des accès d'épilepsie, l'hé-
miplégie survenait et ne tardait pas à présenter les caractères qui lui sont spé-
ciaux. C'est là une nouvelle preuve de la tendance qu'ont chez ces malades les
lésions à se perpétuer d'une façon active pendant un laps de temps souvent fort
long. On retrouvera cette même tendance à propos de l'apparition tardive de
l'atliétosc dans quelques cas, et surtout de l'épilepsie.
Mais, en général, dès que la lésion est constituée, l'hémiplégie existe, et dans
le cours de son évolution elle va prendre les caractères qui lui sont propres ;
nous aurons aussi à parler des troubles de l'intelligeMce et de la parole qui
peuvent se montrer pendant la période des convulsions et persister après
elles.
Hémiplégie. L'hémiplégie est de beaucoup plus fréquente que les monoplé-
gies; les monoplégles pures peuvent même être considérées comme rares, mais
il s'en faut que toujours la paralysie frappe avec une égale intensité le membre
inférieur et le supérieur. Ce dernier est en général beaucoup plus atteint que
l'autre, et c'est un fait qui n'avait pas échappé aux plus anciens observateurs
que bien des malades marchent d'une façon assez convenable, tandis que leur
membre supérieur est condamné à une inactivité presque complète. Quelquefois
au contraire la paralysie ne se borne pas à l'affaiblissement d'un des membres
inférieurs suivant le mode hémiplégique vulgaire, elle les atteint tous les deux,
la marche devient alors très-difficile et présente des caractères spasraodiques
très-accentués (observation de Hadden) ; il est probable que cette paraplégie
HEMIPLEGIE. 219
reconnaît la même cause que celle qui survient dans l'hémiplégie des adultes
et a fait l'objet de remarquables études de la part de M. Brissaud et de M. le
professeur Pitres.
Enfin, il n'est pas très-rare d'observer chez les enfants une hémiplégie double^
les quatre membres sont alors paralysés, cette hémiplégie peut être double d'em-
blée, ou au contraire survenir en deux attaques bien distinctes comme dans le cas
de Norman Moore et dans celui de Kast ; cette hémiplégie double est souvent
incomplète et les enfants ne sont pas alors absolument paralysés, mais ont dans
les mouvements une lenteur et une maladresse singulières, et dans ces cas, comme
ou le verra au diagnostic, la distinction avec le tabès dorsal spasmodique peut
n'être pas sans difficultés.
Certains groupes musculaires sont plus particulièrement atteints par la
paralysie, mais ce serait aller trop loin que de prétendre avec Gaudard que la
localisation de la paralysie se fait invariablement au membre supérieur dans le
groupe du radial et au membre inférieur dans le groupe du scialique poplité
externe. Le plus ordinairement les extrémités sont beaucoup plus paralysées
que les segments du membre plus rapprochés du tronc, quelquefois même on
peut voir l'avant-bras, ou même la main seule paralysée ; dans ce cas la jambe
n'est généralement pas atteinte; assez souvent aussi tout le membre supérieur
a été paralysé, au début, mais dans la suite la puissance motrice est revenue
dans la plus grande partie de celui-ci, et ce ne sont guère que les mouvements
propres de la main qui restent incomplets. On sait que c'est là un caractère
assez fréquent des paralysies d'origine corticale.
Jusqu'à présent il n'a pas encore été question ici de la participation de la
face à l'hémiplégie; voici ce que dit Cotard à ce sujet : « L'hémiplégie faciale
est commune, mais habituellement |ieu prononcée; il existe seulement une
légère déviation de la bouche, un peu de flaccidité de la joue, très-rarement
une légère déviation de la langue. La déviation de la face a été constatée neuf
fois dans nos observations, quatre fois on a noté qu'elle n'existait pjs ». Il est
certain en effet que dans l'hémiplégie infantile spasmodique la paralysie du
facial inférieur est moins fréquente et moins prononcée (du moins pour les cas
déjà un peu anciens) que dans l'hémiplégie des adultes; de plus, il est rare de
constater dans la première la déviation de la langue, si fréquente au contraire
dans ia seconde. On peut en conclure que l'hémiplégie faciale a chez les enfants
une grande tendance à disparaître ou du moins à s'atténuer d'une façon très-
notable. Nous avons, chez une malade du service de M. Charcot, constaté l'exis-
tence d'une contracture secondaire du facial inférieur du côté où siégeait
l'hémiplégie. Dans quelques cas aussi on voit ïathétose se montrer et très-nette-
ment sur les muscles de la face du côté paralysé. Un autre phénomène intéres-
sant que l'on remarque dans quelques cas du côté de la face est une asymétrie
plus ou moins prononcée du visage, due à un certain degré d'atrophie du même
côté que l'hémiplégie. Quelquefois aussi la fente palpébiale de ce côté est
moins largement ouverte que de l'autre et probablement pour cette raison l'œil
semble plus petit. Quant aux mucles des yeux, leur intégrité dans la grande
majorité des cas mérite une mention toute spéciale ; en règle générale, il n'y a
pas de paralysie des paupières ni des muscles rotateurs de l'œil, il n'y a pas
non plus de nystagmus ; cependant chez quelques malades on a pu voir ce der-
nier phénomène, ou bien encore du strabisme se montrer dans le cours de l'hé-
miplégie spasmodique infantile, mais c'est là une véritable rareté, et proba-
220 UÉMIPLÉGIE.
blement il s'agissait dans presque tous ces cas d'une méningo-encéplialite
chronique.
Les troubles vaso-moteurs sont quelquefois assez marqués du côté hémiplé-
gique, les membres ont alors une coloration plus rouge, leur température est
un peu moins élevée que celle du côté sain.
Dans certains cas, des craquements articulaires d'une certaine intensité ont
été signalés par M. Bourneville dans les membres du côté paralysé; quelque-
fois aussi cet auteur a constaté dans ceux-ci des douleurs, véritables arthral-
gies revenant par crises , principalement lors des variations brusques de
température.
Quant aux réactions électriques des muscles paralysés, tous les auteurs sont
d'accord pour reconnaître qu'elles ne sont pas sensiblement modifiées. C'est
tout au plus si l'excitabilité est un peu diminuée, comme dans un cas de Fôster
où « l'excitabilité musculaire faradique était, du moins au début, un peu dimi-
nuée pour les muscles paralysés, de plus sur les nerfs de ce côté il fallait des
courants un peu plus forts pour obtenir KaSZ ». 11 n'y a pas de réaction de
dégénération. Iladden parle, il est vrai, d'un cas où la EaR aurait été constaté,
mais ce fait est tellement en contradiction avec ce qu'ont vu tous les autres
observateurs, qu'il ne doit être accepté que sous toutes réserves.
En résumé, à part quelques détails, tout cela ne s'éloigne guère de ce qui
se voit dans l'hémiplégie vulgaire des adultes : ce n'est qu'au bout de plusieurs
mois à un an et plus que les membres paralysés auront pris réellement tous
les caractères propres à ceux frappés par l'hémiplégie spasmodique infantile :
c'est donc à cette époque qu'il faut se transporter pour examiner l'aspect que
présentent alors les malades.
Ccl aspect n'est d'ailleurs pas absolument identique chez tous les malades, et
l'on peut à cet égard distinguer, croyons-nous, deux types principaux : A type
avec contracture et déformation prononcées des membres; B type avec athétose
vraie. Celte distinction nous semble être tout à fait conforme à ce qui se voit en
clinique; elle est très nette pour les cas bien tranchés, mais seulement pour
ceux-ci, car, entre ces deux types, on trouve des formes de transition nom-
breuses et diverses.
A. Type avec contracture et déformations prononcées des membres.
Dans ces cas, l'aspect des malades est tout à fait singulier : le membre supérieur
se fait tout d'abord remarquer par son atrophie et par son altitude, le bras est
généralement parallèle à l'axe du tronc ou un peu oblique de haut en bas,
d'avant en arrière, et assez rapproché du corps; ïavant-bras est fléchi à peu
près à angle droit, quelquefois dirigé en avant, le plus souvent en dedans, de
façon qu'il s'applique sur les parties latérales du thorax et sur la région épi-
gastrique; il est de plus eu pronation. Le poignet est dans une flexion forcée
telle que la face palmaire de la main peut s'appliquer par toute son étendue
sur la face antéro-interne de l'avant-bras. L'extrémité inférieure de l'avant-bras
se trouve alors constituée non plus par les apophyses styloïdes du cubitus et du
radius, mais par la surface articulaire du carpe, qui se trouve ainsi complète-
ment renversée et regarde en bas, au lieu d'être dirigée en haut comme à l'état
normal. La main a généralement subi en outre de cette flexion une déviation
plus ou moins accentuée vers le bord cubital, elle est considérablement atrophiée
ainsi que l'avant-bras, et la forme spéciale qu'elle affecte contribue encore à
diminuer ses dimensions apparentes. Cette forme consiste en ce que la face pal-
IIÉMIPLKGIE. 221
maire prend une disposition très-prononcée en gouttière par suite de l'opposition
persistante du pouce, le diamètre transversal de la main se trouve ainsi nota-
blement diminué, sa face dorsale a un aspect tout à fait arrondi assez particulier,
que M. le professeur Bouchard a déjà parfaitement caractérisé, dans son mémoire
de 1866, par les lignes suivantes : « La main, qui est le plus souvent en flexion,
au lieu d'accuser par des angles saillants les articulations, présente au contraire
par sa région dorsale une surface régulièrement convexe qui se continue sans
soubresaut de l'avant-bras jusqu'aux dernières phalanges. Cette forme particu-
lière est sans doute le résultat de l'atrophie du tissu osseux et des éminences
articulaires, atrophie à laquelle ne participe pas le tissu cellulaire sous-cutané. »
Quant aux doigts, ils sont eux aussi moins développés que du côté sain, et se
montrent tantôt fléchis en griffe, tantôt au contraire étendus.
Le membre inférieur présente une paralysie avec atrophie qui, pour être un
peu moins prononcée que celle du membre supérieur, ne laisse pas que de lui
être tout à fait analogue. A part un léger degré de flexion du genou qui n'existe
pas toujours, ce qui frappe surtout la vue, c'est la déformation du pied qui est
souvent des plus considérables. Cette déformation consiste ordinairement en un
pied-bot équin, ou varus équin, et peut être telle que grùce à elle et à l'atropliic
du membre le malade marche littéralement sur ses orteils ; il n'est pas rare
non plus, dans les cas où elle est très-prononcée, d'observer une subluxation
plus ou moins accentuée de l'astragale analogue à celle qui a été signalée plus
haut pour la surface articulaire supérieure du carpe.
Pour compléter l'aspect que présentent les membres dans ce type d'hémiplé-
gie infantile, il faut ajouter que Vexagération des réflexes tendineux y est la
règle.
B. Type avec athétose vraie. Ici les caractères de l'hémiplégie sont tout
différents, les membres ne sont plus atrophiés, contractures, immobiles : on leur
trouve au contraire des dimensions presque égales à celles du côté sain et, loin
d'être le siège d'aucune contracture permanente, ils présentent une mobilité anor-
male qui se traduit par une suite presque ininterrompue de mouvements ; de
plus, dans ce type les réflexes tendineux, au lieu d'être très-exagérés, sont
presque normaux. Si nous employons ici le terme d'athétose vraie, c'est qu'il
nous a semblé qu'au point de vue clinique il existait une distinction assez
nette ^ entre les malades présentant les signes d'une athétose classique et ceux
chez lesquels on observait seulement des manifestations athétosiques, d'un
caractère moins net, dont il sera question plus bas.
Tels sont les deux principaux types cliniques de l'hémiplégie spasniodique
infantile, mais, comme nous l'avons déjà dit, les formes de transition sont
nombreuses, chacun des symptômes qui constituent l'hémiplégie spasmodique
infantile peut revêtir des modalités diverses, aussi est-il nécessaire de procéder
à l'étude détaillée de ceux-ci.
Atrophie. Cette atrophie que nous avons vue si marquée dans le type A
porte surtout le côté hémiplégie, mais est plus prononcée sur les membres;
sur ceux-ci elle affecte en même temps les parties molles et le squelette, de
1 Nous tenons à répéter qu'il s'agit ici bien plus de nuances que de différences parfaite-
ment tranchées dans tous les cas; il existe en effet des formes de transition tellement nom-
breuses que la distinction de ces deux variétés peut être quelquefois un peu artificielle.
Cependant au point de vue de la description et de l'étude du syndrome nous croyons cette
distinction avantageuse.
2-22 HÉMIPLÉGIE.
telle sorte que leurs dimensions sont moindres que du côté sain, non-seulement
quant à l'épaisseur, mais aussi quant à la longueur. Dans la majorité des cas,
l'atrophie est plus marquée à l'extrémité du membre qu'à sa racine, cependant
dans un cas Schroder van der Kolk aurait constaté que l'atrophie était plus
prononcée pour les os à la racine du membre, pour les muscles à son extrémité.
Quelquefois elle frappe le membre en masse , quelquefois au contraire elle
semble porter surtout sur certains groupes musculaires (groupe antérieur au
bras, groupe postérieur à la jambe, Wuillamier). Mais, outre les extrémités et
la face, elle peut siéger dans d'autres régions du côté hémiplégie, le tronc est
parfois imparfaitement développé de ce côté, la cage tboracique plus étroite
(45 centimètres et plus), la clavicule plus courte, le bassin étroit et oblique,
le rachis courbé de façon à présenter une convexité assez prononcée du côté
sain. Mais, ainsi que le faisait déjà remarquer Cazauvielh, l'atrophie est toujours
beaucoup plus marquée pour les membres que pour le tronc. D'autres organes
encore peuvent présenter une diminution de volume du côté paralysé, on a dans
des cas très-rares observé ce fait pour l'oeil, l'oreille, le testicule; l'atrophie de
la mamelle signalée d'abord par Cazauvielh semble au contraire être assez
fréquente.
Telle se montre l'atrophie dans le type A ; dans le type B au contraire, dans
les cas iVntliétoxe vraie, il en est tout autrement, c'est à peine si elle existe, la
différence de volume entre les deux côtés n'atteint guère que quelques milli-
mètres, quelquefois même on n'en constate aucune. Mieux encore, on peut
observer une hypertrophie des muscles atteints, c'est là un fait parfaitement
établi par tous les auteurs qui se sont occupés de l'athétose.
Pour ce qui est du degré que peut acquérir cette atrophie, on ne peut guère
accepter l'opinion émise dans quelques travaux récents (Gaudard, Fôster, etc.)
que jamais il ne serait très-prononcé. « Chez l'enfant hémiplégique, la diminution
de volume des membres, quoique commune, n'a guère d'importance, car elle
n'est jamais considérable et chez nos malades elle n'a jamais dépassé 1 cen-
timètre à 1'"",.^ au pourtour du bras et du mollet. Les membres ne présentent
donc pas ce décroît considérable que l'on observe dans la paralysie spinale
infantile » (Gaudard). C'est là une erreur absolue : sans être aussi prononcée
qu'elle l'est quelquefois dans la paralysie spinale de l'enfance, l'atrophie de
l'hémiplégie spasmoclique infantile peut donner pour le membre supérieur une
diminution en longueur de 5 à 6 centimètres, et en largeur (avant-bras) de
o à 5 centimètres ; de pareils exemples ne sont pas très-rares, et M. Bourne-
ville en a rapporté plusieurs.
A quelle époque de l'affection se montre celte atrophie? Sur cette question
le document le plus important est le travail de Fôster. Cet auteur a eu la bonne
fortune d'observer dans l'hôpital des enfants de Dresde plusieurs cas d'hémiplé-
gie cérébrale infantile peu de temps après le début. C'est ainsi qu'il a pu déjà
constater une atrophie de 1 centimètre pour le membre supérieur dans un cas
où la paralysie datait de sept mois ; dans deux autres cas oîj la paralysie ne
remontait qu'à douze et à vingt-trois semaines, l'infériorité dans la longueur
du membre n'existait pas encore. Quant à l'atrophie des muscles paralysés, à
l'amaigrissement du membre, Fôrster dit « qu'il survient ordinairement modéré
au bout de quelques semaines et ne subit guère d'aggravation dans la suite ».
C'est ainsi que chez un des enfants qu'il a observés treize jours après le début
de la paralysie il n'y avait pas d'amaigrissememt du membre, tandis que six
HÉMIPLÉGIE. <>2
:o
semaines plus tard il y avait 5 millimètres de diiïérence pour le bras et 7 mil-
limètres pour le mollet. Cliez d'autres malades le même auteur a vu l'infério-
rité de volume, constatée de trois à cinq semaines après le début de la para-
lysie, rester la même après plusieurs mois.
De tout cela Forsler conclut que l'atropliie reste bientôt stationnaire et n'est
jamais considérable ; on a vu plus baut que cette conclusion ne pouvait être
admise. Peut-être expliquerait-on dans une certaine mesure les résultats aux-
quels est arrivé Fovster en disùngnanlV atrophie proprement dite, consistant en
une véritable diminution de volume, et Y inégalité de volume des deux membres
par suite d'un arrêt de développement ; la première est évidemment très peu
accentuée, il est même probable qu'elle manque assez souvent ; quant à la
seconde, c'est une quantité essentiellement relative, puisqu'elle est constituée
par la différence entre un membre qui se développe normalement et son cou'
"énère qui se développe moins bien : à ce point de vue on ne doit donc pas dire
quel'atropbie puisse être stationnaire, puisque, tant que durera le développement
du membre sain, celte différence pourra s'accroître. La diirée de la paralysie
doit donc ici entrer en ligne de compte d'une façon très-sérieuse. Il y a encore un
autreélément qui ne doit pas être négligé, c'est ïâge du sujetau moment de l'in-
vasion de riiémiplégie; plus en effet celui-ci sera jeune, plus il y aura de chances
pour que le volume des deux membres soit inégal, puisque le développement
de l'un d'eux aura été plus tôt entravé. Enfin le facteur dont l'importance est
peut-être capitale, et dont dépendent vraisemblablement les différences souvent
considérables que présentent les malades au point de vue de l'intensité de
l'atrophie, c'est le degré d'altération du faisceau pyramidal; son rôle est pro-
bablement prépondérant, car à une paralysie complète correspond généralement
une atrophie très -accentuée.
Contracture. On a vu, à propos de la description du type A, les déformations
que pouvait produire la contracture dans certains cas; il s'agit alors d'une con-
tracture compliquée de rétractions musculaires et fibreuses, c'est à celles-ci
qu'il faut attribuer la persistance de l'attitude vicieuse, l'impossibilité de
redresser les déformations articulaires ; il se peut même que la contracture ait
dans les cas anciens cessé presque complètement par une sorte d'atrophie simple
secondaire des muscles, et que cependant les membres conservent encore leur
attitude vicieuse uniquement par suite de l'existence de ces rétractions.
D'autre part dans le type B, dans l'athétose vraie, la contracture fait com-
plètement défaut. Mais, entre ces deux extrêmes, on observe des degrés fort
variables, très-souvent il n'y a pas de rétractions, la contracture seule existe,
les articulations peuvent alors par une traction un peu prolongée et progressive
être ramenées à leur situation normale et restent ainsi pendant quelques mo-
ments encore après que la traction a cessé. Dans certains cas la contracture,
lorsqu'elle est modérée, peut s'accompagner de phénomènes bizarres à l'occasion
des mouvements volontaires ; ces phénomènes ont été décrits pour la première
fois d'une façon très-nette par M. Charcot dans sa thèse (1853). « Un certain
nombre de ces infirmes, dit-il en parlant des malades atteintes d'hémiplégie infan-
tile spasmodique, ont les muscles extenseurs et fléchisseurs des membres d'un
côté du corps dans un état de tension continue; si elles veulent étendre les
mains fléchies, à peine celles-ci ont dépassé le point qui sépare la flexion de
l'extension qu'elles passent brusquement, convulsivement; à l'extension si,
leurs mains étendues exécutent un mouvement de flexion, le même phénomène
224 HÉMIPLÉGIE.
se manifeste en sens inverse.... Cependant il n'y a chez ces inûrmes aucune
lésion des articulations. » Benedikt (1868) a observé aussi des phénomènes
analogues. Dans certains cas, dit-il, si le pouce se trouvant en opposition accen-
tuée on enjoint au malade de le mettre en abduction et que, malgré ses efforts,
il n'ait pu y réussir, il se peut qu'en lui disant de le mettre davantage en oppo-
tion on le voie tout d'un coup sauter en abduction comme mû par un ressort.
Cette contracture, comme d'ailleurs celle de l'hSmiplégie des adultes, augmente
par l'exposition au froid et sous l'influence des mouvements, diminue par la
chaleur, par le séjour au lit; elle est surtout marquée au niveau des extrémités
des membres supérieur et inférieur. Mais plus souvent que celle-ci elle offre ce
caractère d'être variable de siège et d'intensité, quelquefois même pour ainsi
dire intermittente. Dans certains cas même, ce n'est pas à proprement parler
une contracture véritable qu'on observe, mais, comme le dit Benedikt, des ten-
sions musculaires {Muslielspauniimjen) anormales. Ces tensions musculaires
peuvent occuper alternativement tantôt un groupe musculaire, tantôt un autre;
c'est ainsi que, d'après cet auteur, le malade peut, suivant le moment où on
l'examine, présenter un pied-bot tantôt talus, tantôt équin, tantôt varus. Ici on
est en présence d'un phénomène nouveau, ce n'est plus tout à fait de la con-
tracture, ce n'est pas encore tout à fait de l'athétose, mais un degré de plus dans
cette série de transitions presque insensibles, et on se trouve en face de mouve-
menls athélosiques parfaitement caractérisés.
Athétose. Monvemenls athétosiques, etc. Dans ce paragraphe il sera non-
seulement question de l'alhétose, mais encore d'un certain nombre de mouve-
ments involontaires qui s'observent dans l'hémiplégie spasmodique infantile.
Pour ce qui est de l'athétose, nous avons déjà eu l'occasion de dire que clinique-
ment Valhélose vraie devait être distinguée de certaines manifestations analogues
qui seraient désignées sous le nom de mouvements athétosiques ; dans l'un et
l'autre cas on constate bien une mobilité anormale des doigts, mais ce qui
caractérise l'athétose vraie, c'est le degré bien moins accusé de la paralysie,
l'absence de contracture et d'atrophie, l'exaltation moindz'e des réflexes tendi-
neux et aussi un développement plus grand, une portée plus considérable des
mouvements des doigts. Nous appellerons au contraire mouvements athétosiques
ceux qui, se produisant dans les membres nettement paralysés, présentent un
degré plus ou moins marqué de contracture et d'atrophie, et une notable exagé-
ration des réflexes tendineux; ces mouvements sont beaucoup plus limités que
ceux de l'athétose vraie, au lieu de ce renversement, de cet épanouissement
complet de la main et des doigts, qui est propre à celle-ci, ils ne produisent le
plus souvent qu'un degré modéré d'écartement des doigts tel que la main res-
semble à une sorte de trépied à cinq branches. Peu marqués au repos, ils s'exa-
gèrent très- notablement pendant les mouvements volontaires; c'est très-vraisem-
blablement aux mouvements athétosiques, sinon à l'athétose vraie, que peut se
rapporter le passage suivant du mémoire de Cazauvielh (1827) : « Une particu-
larité, dont mon attention a été vivement frappée et que je ne m'explique pas
encore, c'est l'écartement forcé des doigts du pied et surtout de la main en
forme d'éventail. La séparation des phalanges est d'autant plus prononcée que
ces individus veulent exécuter de plus grands mouvements. Il leur est impos-
sible, si les membres sont en mouvement, de réunir les doigts. » C'est là d'ail-
leurs, on le sait, un caractère commun avec les mouvements associés qui s'ob-
servent très-fréquemment et à un degré ordinairement très-marqué dans-
IIKMIPLKGIE. 225
l'hémiplégie spasmodique infantile. Mais il ne saurait entrer Jans le cadre de
cet article de donner une description détaillée de ces troubles de mouvement;
on trouvera à cet égard tous les renseignements nécessaires dans la thèse de
Oulmont sur l'Athétose. De même que l'athétose vraie, ïhémichorée (dont Ray-
mond l'un des premiers a signalé des cas dans l'hémiplégie infantile) ne s'ac-
compagne généralement pas d'une paralysie très-accentuée, non plus que de
phénomènes évidents de contracture; ici les mouvements ne sont plus localisés
aux extrémités comme dans l'athétose, ils s'étendent à tout le membre (presque
toujours membre supérieur) et décrivent des courbes beaucoup plus étendues;
ils s'exagèrent eux aussi très-notablement à l'occasion des mouvements volon-
taires. En somme, de l'aspect présenté par les malades atteints d'hémiehorée ou
d'athétosc vraie il semble que l'on puisse conclure que dans ces cas le laisceau
pyramidal n'est pas ou est à peine altéré, tandis que chez les individus pré-
sentant les mouvements athétosiques ce faisceau est le siège de lésions assez
marquées, d'où la production d'une paralysie plus intense, de contracture,
d'atrophie, d'exagération des réflexes tendineux.
Enfin, dans certains cas, on a observé des mouvements d'un caractère un peu
différent, et ne pouvant guère être rangés dans l'une des catégories précédentes :
tantôt il s'agit de désordres moteurs à caractère ataxique, tantôt d'un tremble-
ment plus ou moins prononcé surtout pendant l'exécution des mouvements
volontaires; enfin, dans un cas de Taylor, il est question d'un entant atteint
d'hémiplégie infantile spasmodique chez lequel, à la suite d'un bruit inattendu
ou d'une légère tape sur la tête, on voyait le membre supérieur })aralysé être
vivement projeté en dehors et former un angle droit avec le tronc ; le coude, le
poignet et les doigts se mettaient en extension ; cet état durait environ trente
secondes, puis il se faisait un relâchement progressif des muscles du membre
supérieur. Mais ce sont là en somme des phénomènes rares, et les types les plus
fréquents de beaucoup sont ceux indiqués précédemment.
Réflexes. Comme on a déjà eu l'occasion de le voir par ce qui précède, l'état
des réflexes tendineux n'est pas toujours identique dans l'hémiplégie infantile
spasmodique; si l'on a affaire au type A (contracture des membres paralysés),
ils sont très-nettement exagérés ; si c'est au type B (athétose vraie), ils sont
presque normaux*. On ne saurait donc assigner à ces réflexes un caractère iden-
tique, et cette façon d'envisager les choses permet d'expliquer aisément les diver-
gences qui ont pu à ce sujet se produire entre les différents auteurs. L'exaltation
des réflexes tendineux peut aller jusqu'à l'apparition du clonus du pied, mais
cela n'a pas lieu dans la majorité des cas. Assez souvent le réflexe rotulien est
notablement augmenté aussi du côté sain, il semble que ce soit là comme un
premier indice de la paraplégie spasmodique qui se montre quelquefois dans l'hé-
miplégie infantile spasmodique et dont il a été question plus haut.
Quant aux réflexes culanés, Wallenberg dans deux cas les a tout d'abord
trouvés exagérés, puis les a vus s'affaiblir par la suite. Chez un de ses malades
* Les réflexes tendineux dans l'athétose vraie sont souvent assez difficiles à rechercher.
Au pi'emier abord on pourrait croire qu'ils manquent complètement, mais cette absence
n'est qu'apparente et est due à l'état de tension dans lequel se trouvent d'une façon presque
continue les muscles de la cuisse. Si on persiste à percuter pendant une ou deux minutes
le tendon l'otulien, il survient un moment où un relâchement musculaire se fait qui pei-met
d'obtenir le réflexe, on voit alors que, si celui-ci n'est souvent pas très-ample, il est cepen-
dant un peu brusque, de sorte que dans la majorité des cas on peut le considérer comme un
peu plus fort qu'à l'état normal.
DICT. ENC. i' S. XIII. 15
226 HEMIPLÉrxIE.
le réflexe abdominal faisait défaut ; il en était de même dans une hémiplégie
infantile observée par Hadden et de plus le réflexe crémastérien manquait lui
aussi dans ce cas.
Sensibilité. La question des troubles de la sensibilité dans l'hémiplégie in-
fantile spasmodique est traitée d'une façon un peu différente par les auteurs
qui s'en sont occupés. Oulmont considère que, dans la grande majorité des cas
d'hémiaihétose et probablement même dans la totalité, l'hémianesliiésie a existé,
sinon d'une façon permanente, du moins pendant les premiers temps qui suivent
le début; d'après lui, si on ne retrouve pas plus souvent cette hémianesthésie,
c'est que, dans le plus grand nombre des cas, on ne voit les malades que long-
temps après la période initiale de la paralysie et à ce moment l'hémiuneslhésie,
qui est en somme un symptôme Irès-fugace, a eu tout le temps de disparaître
entièrement. Malgré ces conditions défavorables, il signale cependant l'existence
de troubles de la sensibilité dans presque tous les cas d'atrophie cérébrale qu'il
a observés. Raymond, au contraire, dans sa thèse, dit n'avoir jamais vu l'hémi-
anesthésie dans l'hérniplégie infantile qu'une seule fois, et dans ce tas il n'y avait
pas d'hémichorée. Chez un certain nombre de malades que nous avons person-
nellement examinés à ce sujet, jamais nous n'avons constaté d'hémianesthésie
véritable, mais quehiuefois il existait une diminution assez nette de la sensi-
bilité, tous ces malades d'ailleurs étaient depuis plusieurs années déjà poirteurs
de leur hémiplégie, de sorte que nous sommes sans renseignements sur l'état de
la sensibilité au moment de l'apparition de celle-ci. Mais, avec la majorité des
auteurs, ou peut, croyons-nous, admettre que dans l'hémiplégie infantile spasmo-
dique le côté paralysé peut présenter en certains cas des troubles plus ou
moins accentués de la sensibilité; ces troubles ])euvent consister soit en une
anesthésie véritable, comme, par exemple, dans le cas de Norris Wolfenden, où
celle-ci dura plusieurs semaines après le début des accidents, soit en une simple
diminution de la sensibilité.
Quant aux troubles des sens spéciaux, on a déjà vu qu'ils sont extrêmement
rares; cependant, d'après la statistique dressée par Wallenberg, dans trois cas il
y aurait eu diminution de l'ouïe du côté paralysé, dans neuf cas des troubles
de la vue. Quoi qu'il en soit, lorsque les sens spéciaux sont affectés, c'est là en
général un indice assez vraisemblable de l'existence d'une méningo-encéphalite
chronique.
Troubles intellectuels. Aphasie. 11 est fréquent chez les individus atteints
dhémiplégie infantile spasmodique de voir l'intelligence ne pas acquérir son
développement normal. Faut-il dire que cette déchéance ou plutôt cette infé-
riorité intellectuelle existe dans tous les cas ? A notre avis, ce serait aller trop
loin : il y a en effet des cas, et ici nous sommes tout à fait d'accoid avec Gau-
dard et Wallenberg, où l'intelligence peut être considérée comme à peu près
normale. C'est ainsi, par exemple, que nous connaissons un caissier d'une grande
administration dont les membres du côté gauche présentent à n'en pas douter
les traces d'une hémiplégie infantile spasmodique, et qui cependant remplit
d'une façon très-satisfaisante ses délicates fonctions ; il est seulement un peu
irascible, et aurait quelque tendance à la salacité, mais sans qu'il y ait là
d'ailleurs rien de nettement pathologique. Cependant comme règle générale on
peut en effet avancer que l'intelligence est atteinte, mais cela suivant des degrés
très-divers, et à ce point de vue la classification établie par Bourneville et
Wuillamier est tout à fuit légitime. Ces auteurs distinguent trois catégories :
HEMIPLEGIE. 227
l'enfant est ou idiot, on imbécile ou simplement arriéré; d'après Bourneville,
il y aurait même une relation assez étroite entre le degré de rhémijdégie et
celui de l'état intellectuel, il est certain en effet que les enfants idiots présen
tent ordinairement une hémiplégie beaucoup plus accentuée que ceux qui sont
seulement arriérés ; mais il ne faudrait cependant pas considérer cela comme
une règle absolue, les exceptions seraient trop fréquentes. Enfin les troubles
intellectuels sont ordinairement plus marqués chez les enfants atteints d'hémi-
plégie double (cas de Hadden, de Kast, etc.).
Le côté sur lequel siège l'hémiplégie ne semble pas, du moins d'après les
recherches de Cotard et celles de Gaudard, exercer une influence manifeste sur
le degré de la déchéance intellectuelle. Mais, comme nous venons de le dire,
lorsque l'hémiplégie est double, on voit l'idiotie se montrer d'une façon beaucoup
plus fréquente et avec une intensité plus marquée.
Un point qui a été mis tout particulièrement en relief par Bourneville, c'est
la façon dont se comportent ces troubles intellectuels. Cet auteur a montré que
presque toujours, loin de s'accroître comme on pourrait s'y attendre, ils restent
plutôt stalionnaires; de sorte que, dans l'héMiiplégic infantile, on n'observerait
que très-rarement cet état de démence progressive si fréquent chez les anciens
épileptiques. Bien plus, l'éminent médecin de Bicêtre a, grâce à ses efforts
persévérants, prouvé que l'intelligence de ces malades était susceptible d'être
développée par une éducation méthodique, et dans les ateliers de sa division on
n'en est plus à compter les exemples de ce genre. Cependant, bien qu'ordinai-
rement l'affaiblissement intellectuel n'ait pas de tendance à augmenter, il est
nécessaire de tenir compte de l'opinion contraire exprimée par quelques au-
teurs : c'est ainsi que Bernhardt, Ross, etc., ont vu des cas d'hémiplégie infan-
tile où la déchéance intellectuelle s'accentuait progressivement jusqu'à aboutir
à l'idiotie complète; il est probable que ces cas rentrent, du moins pour la plu-
part, dans la catégorie de ceux qui reconnaissent pour substratum anatomique
la raéningo-encéphalite dont on a déjà eu plusieurs fois l'occasion de relever
la tendance vers une marche progressive. Nous avons cependant eu l'occasion
d'observer dans le service de M. Charcot une malade d'une soixantaine d'années
atteinte d'hémiplégie infantile spasmodique avec épilepsie chez laquelle survint
une démence progressive, et l'autopsie ne permit de constater qu'une sclérose
cérébrale sans méningo-eneéphalile.
Quant à Vaphasie, voici ce que dit Cotard : « Il est extrêmement remarquable
que, quel que soit le côté de la lésion cérébrale, les individus hémiplégiques
depuis leur enfance ne présentent jamais d'aphasie, c'est-à-dire d'abolition de
la faculté du langage, avec conservation plus ou moins complète de l'intelli-
gence... et cela même quand tout l'hémisphère gauche est atrophié ». Cette pro-
position très-absolue dans sa forme a rencontre des contradicteurs; parmi ceux-ci,
il faut surtout citer Bernhardt, qui a consacré une partie de son intéressant
travail à l'étude de l'aphasie chez les enfants. Il est bien certain, ainsi que
l'a montré le professeur de Berlin, qu'il peut exister de l'aphasie chez les
malades atteints d'hémiplégie infantile spasmodique, et cependant la remarque
de Cotard conserve toute sa valeur, l'aphasie est très-rare dans cette hémiplégie
lorsqu'elle est parvenue à un certain degré d'évolution. Ici en effet l'aphasie ne
s'observe guère qu'immédiatement après le début, pendant les premières semaines
qui suivent les convulsions initiales, puis elle disparaît progressivement, au point
de ne laisser le plus souvent aucune trace. Voici, d'après Bernhardt, la classifi-
228 HÉMIPLÉGIE
cation que l'on peut adopter pour la plupart des cas : 1" on a af taire à des enfants
atteints d'hémiplégie depuis un an ou plus, et alors, ou bien a on ne constate
rien d'anormal du côté de l'intelligence ni de la parole, ou bien p ces enfants sont
tellement idiots qu'il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il ne parlent pas, ce n'est
plus là une aphasie véritable, c'est un manque de l'intelligence en général;
'i'-' on a affaire à des enfants qui viennent d'être atteints d'hémiplégie seule-
ment qiiel(|ues jours auparavant, et qui parlant bien déjà se trouvent présenter
des symptômes trcs-nels d'aphasie motrice, quoique leur intelligence soil intacte.
11 est fort probable que, dans l'espace de quelques mois à un an, ces enfants
rentreront eux aussi dans la classe a de la catégorie 1°.
Une autre classification également intéressante du même auteur est celle qui
envisage les cas d'aphasie au point de vue du degré de développement qu'avait
la faculté du langage lors du début des. accidents : — A, les enfants ont été
frappés d'hémiplégie tout jeunes, alors qu'ils n'avaient pas encore commencé à
parler: dans ce ca;, on observe un gr?nd retard dans l'apparition de la parole,
quelcpiefois môme, mais beaucoup pin: rarement, une absence à peu près com-
plète de celle-ci. — li, les enfants on; été frappés d'hémiplégie alors qu'ils par-
laient déjà : dans ce cas l'aphasie pont être absolue pendant quelques heures,
([uelques jours, ou même plus longlem;is, mais elle disparaît en général tout à
fait dans la suite, ou bien elle persiste d'une façon incomplète, les entants con-
servant alors la faculté de répéter les mots qu'ils ne prononcent pas spontané-
ment; quelquefois encore l'aphasie a tout à fait disparu, mais, par suite d'une
parésie tenace du voile du palais, ou dr toute autre cause, il subsiste un certain
degré de dysphasie ou même, dans certains cas, une akataphasie (exemple :
langage à l'intinitif).
En résumé, la conclusion de Bernhardt est la suivante : « Chez les enfants ce
n'est qtie dans un nombre relativement irès-faiblc de cas que V aphasie persiste
comme symptôme permanent « ; on voit combien cette conclusion diffère peu
de la proposition de Cotard reproduite plus haut. Ce fait est d'autant plus
remarquable qu'on peut, ainsi qu'on en a cité des exemples, voir l'absence d'a-
phasie coïncider avec une atrophie considérable de l'hémisphère gauche. Quelle
est la raison de cette anomalie? Cotard pense que cette absence d'aphasie tient
à ce qu'il s'établit une suppléance fonctionnelle par l'hémisphère droit d'autant
plus aisément qu'il n'existe encore aucune faculté acquise, et que les notions
nécessaires à l'exercice de la parole peuvent ainsi s'emmagasiner directement
dans le cerveau droit. L'explication est rationnelle, mais peut-elle bien s'ap-
pliquer réellement à tous les cas?
On a publié des cas dans lesquels des troubles du langage auraient été con-
statés au cours d'une hémiplégie ^«wc/fe; mais s'agissait-il là réellement d'apha-
sie, ces troubles n'étaient-ils pas plutôt dus soit à l'affaiblissement intellectuel,
soit à une difficulté de l'articulation provenant d'un certain degré de parésie du
voile du palais?
Quant à {"aphasie sensorielle (car jusqu'à présent c'est de l'aphasie motrice
qu'd a été question), quant à Valexie, à Vagraphie, etc., Bernhaidt avoue
n'avoir pu obtenir à ce sujet aucune observation concluante, et fait remarquer,
ajuste titre, combien des constatations de ce genre doivent être difficiles chez
d'aussi jeunes enfants.
Épilepsie. Les attaques comitiales font pour ainsi dire partie du tableau
clinique de l'hémiplégie spasmodique infantile, tant leur fréquence y est
HÉMIPLÉGIE. 229
•n'ande; on peut cependant observer des cas dans lesquels l'cpilepsic ne se
montre pas, mais on doit bien prendre garde que, son apparition pouvant se
faii'e à des dates fort variables, il faut avoir suivi les malades pendant de longues
années pour être en droit d'affirmer l'absence des manifestations comitiales.
C'est là encore une raison pour laquelle il nous semble actuellement impossible
d'exprimer par des cliiffres le degré de fréquence des manifestations comitiales
dans l'héraiplcgie spasmodique infantile.
L'étude de cette forme d'épilepsie a été faite d'une façon très-complète par
M. Bourneville et par son élève Wuillamier ; ces auteurs ont su mettre les pre-
miers eu relief un certain nombre de caractères qui donnent à cette forme un
aspect spécial et la distinguent de l'épilepsie vulgaire.
Le début de l'épilepsie dans l'Iiémiplégie spasmodique infantile présente ceci
de particulier qu'il peut se faire à des époques très-différentes : tantôt on verra
l'attaque comitiale se montrer quatre ou cinq jours après l'apparition des acci-
dents initiaux, tantôt au contraire elle ne surviendra que bien plus tard, alors
que rien ne pouvait faire prévoir une semblable complication, au bout de cinq
à six ans, plus encore. Cette apparition tardive de l'épilepsie constitue un fait
des plus singuliers, Jendrassik et Marie se sont demande si elle ne serait pas
en rapport avec la présence des corps granuleux qu'ils ont signalée dans le cer-
veau de ces malades cl qui semble indiquer que même après quatre, cinq, six
ans, il subsiste dans la substance cérébrale un processus irritatif qui se traduirait
anatomiquement par la présence de ces éléments, et cliniquement par l'appari-
tion et la persistance de l'épilepsie.
Quant aux caractères qui donnent à cette forme d'épilepsie une physio-
nomie spéciale, il faut signaler, surlout dans les premiers temps, quand
cette épiiepsie est « encore jeune » (Wuillamier), la grande fréquence de l'aura.
Lorsque, ainsi que le font remarquer Bourneville et Wuillamier, les enfants
sont encore trop petits pour bien localiser leurs sensations, cette aura ne se
traduit guère que par les appels suivants : « Maman, je vais être malade », ou
bien : « Ça me prend, » etc.. Mais, quand ils sont un peu plus âgés, ils indi-
quent comme phénomène précurseur de l'attaque un fourmillement, un engour-
dissement, des secousses, des douleurs dans le membre paralysé (surtout dans
le membre supérieur) ; quelquefois encore c'est une impulsion en avant, des
palpitations, une douleur épigastrique, etc. La présence de cette aura explique
très-bien que, le malade pouvant prendre ses pi'écautions, les chutes soient peu
fréquentes, d'oii la rareté des cicatrices sur le front de ces malades. Lorsque des
chutes ont lieu, c'est presque toujours du côté paralysé.
Le début de l'attaque est ordinairement silencieux, c'est-à-dire qu'on n'ob-
serve presque jamais ce cri initial que signalent les auteurs dans l'épilepsie
vulgaire. Un assez grand nombre de malades n'éprouvent pas, surtout dans les
premiers temps, de perte de connaissance. Dans certains cas, ces convulsions
s'arrêtent à la période tonique, les mouvements cloniques ne se montrent pas.
Un autre caractère qui, ainsi que le précédent, indique bien les analogies qui
existent entre les manifestations convulsives de l'hémiplégie spasmodique infan-
tile et l'épilepsie corticale, jacksonienne, c'est la localisation de l'attaque aux
membres du côté paralysé. Cette localisation peut être dans certains cas tout à
fait exclusive, mais le plus souvent elle n'a lieu que pour le commencement de
l'attaque ; au bout de quelques secondes, les secousses ne tardent pas à gagner
les membres du côté sain, les convulsions deviennent alors générales.
250 HÉMIPLÉGIE.
Enfin, chez d'autres malades, les deux côtés sont affectés d'une façon simul-
tanée et l'attaque serait absolument identique à celles de l'épilepsie vulgaire,
si quelques légères différences ne se montraient encore le plus souvent à un
observateur attentif, différences consistant dans Vabsence d'écume et de bave
sanglante (ces malades ne se mordraient presque jamais la langue); presque
jamais non plus il n'y a dans cette forme à' évacuations involontaires. En outre
les accès se terminent en général brusquement, il n'y a pas de période de stertor
ni de coma ; aussitôt les secousses arrêtées, les malades retrouvent la connais-
sance et reprennent leurs jeux ou leurs travaux comme si de rien n'était. Enfin,
Bourneville et Wuillamier n'ont jamais observé chez ces épileptiques de mani-
festations délirantes, d'impulsions ni isolées, ni consécutives à des accès. De
même les étourdissements, les vertiges, les absences, seraient chez eux relative-
ment rares. D'abord diurnes, les accès finissent par devenir diurnes et nocturnes;
ils peiivent être sériels, mais l'état de mal ainsi constitué diffère de l'état de
mal vulgaire en ce que la température ne s'élève pas aussi rapidement que
d'ordinaire et dépasse rarement 58", 5; de plus les malades ne sont pas plongés
dans un coma profond, mais seulement dans un état d'obnubilation, d'hé-
bétude.
Mais toutes ces différences ne tardent pas à disparaître à mesure que l'épi-
lepsie devient jdus ancienne, et au bout de quelques années elles peuvent s'ef-
facer à peu près entièrement; l'aspect présenté parles malades dans leurs accès
ne diffère plus alors sensiblement, ce qui se voit dans l'épilepsie vulgaire.
On a déjà dit plus haut que la démence ne s'observait guère chez les hémi-
plégiques épileptiques, contrairement à ce qui a lieu dans l'épilepsie vulgaire.
Nous aurons, à propos du pronostic, l'occasion d'insister sur la tendance que
présentent ces manifestations coniitiales à disparaître spontanément vers l'âge
de trente-cinq à quarante ans.
Diagnostic. Le diagnostic de l'hémiplégie infantile spasmodique doit être
fait: A, avec les affections s'accompagnant d'hémiplégie, mais d'une hémiplégie
dont l'évolution n'esl pas analogue à celle qui fait le sujet de cet article; B, avec
les affections dont quelques-uns des symptômes peuvent simuler ceux de l'hémi-
plégie infantile spasmodique; il faudra enfin G chercher à reconnaître chez les
malades qui présentent ce syndrome clinique quelle est la variété de lésion pri-
mitive qui lui a donné naissance.
A. Ainsi qu'il ressort des remarques faites au commencement de cet article,
le nom d'hémiplégie infantile spasmodique ne doit pas être considéré comme
signifiant purement et simplement : hémiplégie chez un enfant; il désigne une
variété spéciale d'hémiplégie survenant, il est vrai, chez des enfants, mais s'accom-
pagnant de phénomènes particuliers, revêtant une évolution spéciale, consti-
tuant, en un mot, un syndrome à part. 11 y a donc lieu de distinguer cette
variété d'hémiplégie de celles qui, se produisant par un processus tout autre,
présentent une évolution et des phénomènes tout différents. Dans cet ordre
d'idées, c'est surtout la méningite tuberculeuse et les tumeurs cérébrales qu'il
faut avoir en vue. 11 semble, au premier abord, qu'd n'y ait guère lieu à confu-
sion entre la méningite tuberculeuse et l'hémiplégie spasmodique infantile, car
autant l'évolution de la première est rapide, autant celle de la seconde est lente:
aussi n'est-ce pas dans la période avancée de celle-ci qu'on trouve l'occasion de
faire ce diagnostic, mais tout à fait au début, dans la période des convulsions.
La difficulté peut être insurmontable, cependant, en ayant présent à l'esprit le
HEMIPLEGIE. 231
tableau clinique si complexe de la méningite tuberculeuse, on arrivera le plus
souvent à la dépister ; les prodromes auront été plus prolongés, la fièvre plus
vive, les convulsions moins localisées, à début moins nettement unilatéral,
d'autres phénomènes enfin coïncideront presque toujours, tels que strabisme,
nystagmus, raideur de la nuque, rétraction du ventre, cris hydrencéphali-
ques, etc., qui font au contraire défaut dans l'iiémiplégic spasmodique infan-
tile. Enfin l'hémiplégie elle-même sera ordinairement moins complète, son
intensité pourra même varier entre deux examens et d'autres paralysies l'accom-
pagneront ou se montreront avant elle. Cependant il est bon de se souvenir que,
dans certains cas (Seeligmùiler, Henoch, Rendu, etc.), on a vu l'hémiplégie se
montrer de la façon la plus nette au cours de la méningite tuberculeuse.
Dans quelques cas même, la méningite prenant une marche moins aiguë, le
diagnostic pourra devenir beaucoup plus ardu encore; mais dans ces cas les
symptômes se rapprocheront davantage de ceux dus aux tumeurs cérébrales que
de ceux qui appartiennent à l'hémiplégie spasmodique infantile.
Quant aux tumeurs cérébrales, s'il est vrai que dans quelques cas elles
amènent l'hémiplégie, c'est d'une façon en général beaucoup plus lente, plus
progressive; les convulsions ne constituent pas alors le phénomène tout à
fait initial comme dans l'hémiplégie spasmodique infantile proprement dite,
elles ne prennent pas non plus ce caractère « d'état de mal » si fréquent dans
celle-ci. Enfin d'autres symptômes mettront sur la voie du diagnostic : cépha-
lalgie persistante et localisée, vomissements continuels en dehors même des
attaques de convulsions, phénomènes oculaires, strabisme, névrite optique, etc.
De plus, dans les cas où la survie est suffisamment longue, l'aspect des membres
hémiplégiques ne devient jamais identique' à celui que l'on observe dans
l'hémiplégie spasmodique infantile typique; on ne constate pas ces rétractions,
ces déformations, celte atrophie si marquée souvent dans celle-ci. Cependant,
comme nous avons eu l'occasion de le constater dans certains cas, l'athétose ou
l'hémichorée peuvent être très-prononcées et il n'y a ni contracture fixe, ni
atrophie du membre ; c'est avec ces cas surtout que l'hémiplégie infantile par
tumeur cérébrale présenterait quelque ressemblance.
11 est chez les enfants une forme d'hémiplégie qui, à l'encontre des affections
dont il a été jusqu'ici question, peut offrir les plus grandes difficultés de dia-
gnostic, c'est Vhémiplegie choréique particulièrement signalée par Todd et
récemment étudiée avec les autres paralysies de la chorée dans la thèse de
Ollive. Certes dans la chorée il est rare de voir survenir une hémiplégie com-
plète, bien que le fait ait été constaté (Charcot), mais on sait d'autre part que la
danse de Saint-Guy a une tendance toute particulière aux manifestations unila-
térales, aussi ne doit-on pas s'étonner de trouver les formes de transition les
plus variées entre la simple parésie et l'hémiplégie complète. La difficulté du
diagnostic est encore accrue par ce fait que, dans l'hémiplégie spasmodique
infantile, aussi bien que dans la danse de Saint-Guy, les mouvements choréiques
font pour ainsi dire partie intégrante du tableau clinique. On arrivera cepen-
dant à distinguer ces deux affections l'une de l'autre en se souvenant que
l'hémiplégie choréique se montre généralement à un âge plus avancé (de sept
* M. Hiitinel, dont on connaît la haute compétence sur ce sujet, nous a dit cependant avoir
observé chez des enfants des cas de tubercules cérébraux à évolution très-lente dans lesquels
l'hémiplégie avait les caracières de l'hémiplégie spasmodiiiue infantile. Ces faits, croyons-
nous, doivent être consiaérés comme tout à tait exceptionnels.
252 HÉMIPLÉGIE.
à quinze ans), qu'elle présente non plus une exagération, mais une abolition des
réflexes tendineux ; son évolution est beaucoup plus rapide (quelques jours à
un ou deux mois) et se termine par la guérison complèle ; jamais elle ne se
complique d'attaques d'épilepsie ; enfin, dans la majorité des cas, on trouvera du
côté hémiplégie la douleur ovarienne dont nous avons montré la fréquence dans
la cliorée de Sydenhara.
Dans l'hémiplégie hystérique les mêmes caractères permettront de faire le
diagnostic, celui-ci pourra cependant être rendu particulièrement difficile par
l'une des deux circonstances suivantes : la présence d'attaques d'hystérie qui
pourraient être aisément confondues avec des attaques d'épilepsie, ou bien
l'existence d'un certain degré d'atrophie des membres paralysés (on sait en
effet que, dans ces derniers temps, M. le professeur Charcot a appelé l'attention
sur l'atrophie dans les paralysies hystériques, et l'observation publiée par
M. A. Chauffard a montré que chez les enfants celle atrophie pouvait acquérir un
degré très-notable : c'est donc là un fait qu'il est nécessaire de ne pas perdre de
vue).
R. Parmi les affections qui peuvent par quelques-uns de leurs symptômes
simuler l'aspect de l'hémiplégie infantile spasmodique, il faut citer en première
ligne la paralysie spinale atrophique infantile. Dans ces deux affections on
peut constater eu effet le début par des convulsions, ainsi que la paralysie et
l'atrophie des membres atteints : aussi dans quelques cas, assez rares, il est
vrai, le diagnostic, à première vue, ne sera pas sans difficulté. Pour éviter toute
erreur, il suffira de se rappeler que dans la paralysie spinale infantile les con-
vulsions ne débutent pas par un côté du corps, d'une façon aussi nettement
hémiplégique que loistju'il s'agit d'une lésion cérébrale. Il est de plus assez rare
que les deux membres d'un cùlé soient atteints dans la paralysie spinale infan-
tile ; le plus souvent on constatera une disposition beaucoup moins régulière de
la paralysie, quelques groupes musculaires se montreront épargnés alors que
d'autres situés à une plus grande distance seront atteints. Dans le cas enfin
où. la disposition hémiplégique existerait réellement, les caractères objectifs sui-
vants permettraient encore de faire aiî^ément le diagnostic: dans la paralysie spi-
nale infantile, il s'agit d'une paralysie flasque dans laquelle les réflexes tendineux
sont abolis, qui ne s'accompagne jamais de contracture, mais au contraire d'une
laxité toute spéciale des articulations ; enfin dans cette affection on constate au
début la réaction de dégénération sur les muscles atteints, plus tard enfin
toute excitabilité électrique peut-être anéantie : or rien d'analogue ne se voit
dans l'hémiplégie infantile spasmodique.
Le tahes dorsal spasmodique peut aussi ressembler à l'hémiplégie inflmtile
spasmodique, quand elle est double ou qu'elle affecte la forme paraplégique
dont il a clé question plus haut. Nous voulons plus particulièrement parler ici
du tabès dorsal spasmodique, tel qu'il se montre chez les enfants, tel que l'ont
spécialement décrit Little et Piupprecht et dont voici un tableau sommaire. Les
enfants n'apprennent à marcher que tardivement, en moyenne vers l'âge de
quatre ans ; leur démarche est spasmodique, double pied-bot, adduction, flexion
et l'otation en dedans des cuisses ; les réflexes tendineux sont exagérés, quel-
quefois la raideur envahit les quatre membres, mais cependant on peut dire que
les bras sont bien plus rarement atteints que les jambes. Dans un assez grand
nombre de cas il y a certains troubles du côté des muscles des yeux, de la
face et du gosier (strabisme spasmodique, grimaces spasmodiques, articulation
HÉMIPLÉGIE. 255
spasmodique et même dans un cas déglutition spasmodique); la plupart des
malades semblent un peu slupides et ne savent apprendre àparlerqu'entredeux et
six ans, cependant ils ne manquent nullement d'intelligence et apprennent
bien au collège; ce qui est défectueux en eux, ce n'est pas l'intelligence, c'est
plutôt un état spasmodique qui fait obstacle au jeu des muscles dont l'intelli-
gence se sert pour s'exprimer. Très-souvent, ainsi que l'a montré Little, ces
enfants sont nés avant terme, d'où, suivant toute vraisemblance, le développe-
ment incomplet du faisceau pyramidal. On voit qu'en somme, si jusqu'à un
certain point ce tableau clinique peut faire penser à celui présenté par l'hémi-
plégie infantile double ou par la forme paraplégique, il existe cependant des
différences capitales. En effet, dans le tabès siiasmodique, il n'y a jamais de
convulsions au début (ce fait est très-important et montre que l'on a affaire
à une affection toujours congénitale) ; les membres inférieurs sont le plus
souvent seuls atteints ou tout au moins ils le sont toujours beaucoup plus que
les supérieurs et jamais ceux-ci ne présentent la moindre atrophie ou la moindre
déformation : on sait que tout au contraire dans l'hémiplégie infantile spasmo-
dique les membres supérieurs sont toujours beaucoup plus atteints que les
inférieurs. Enfin, dans le tabès spasmodique, on ne voit jamais d'attaques
d'épilepsie se montrer dans le cours de l'affection.
Chez les jeunes enfants, on peut encore observer une forme de paralysie
qui dans certaines circonstances simule jusqu'à un certain point l'hémiplégie
infantile : c'est la pseudo-parahjsie syphilitique, dont on doit surtout la
description aux travaux de MM. Parrot et Troisier. A la vérité, il est rare que
cette pseudo-paralysie se présente sous l'aspect hémiplégique, et M. Dreyfous,
dans une revue très-complèle sur ce sujet, n'en cite qu'un seul cas (Van Har-
lingen), mais quelquel'ois elle frappe à la fois un bras et les deux jambes et
dans ces cas on pourrait la confondre avec l'hémiplégie à forme paraplégique.
Les éléments du diagnostic consisteront, ainsi que le fait remarquer M. Troisier,
dans la tuméfaction, et quelquefois la crépitation au niveau des jointures, dans
l'existence de douleurs souvent fort vives au niveau des membres paralysés,
dans l'absence de paralysie de la face, dans la conservation des mouvements
volontaires (très-nets, bien que peu étendus) des extrémités (main, doigts,
pied), souvent aussi dans la présence simultanée d'éruptions syphilitiques sur le
corps de l'enfant.
II faut signaler aussi chez les nouveau-nés cette variété de paralysie obsté-
tricale, consistant en une monoplégic brachiale avec hémiplégie faciale (Danyau,
Guéniot, in Duchenne, de Boulogne, Électr. /oc), qui pourrait fort bien de prime
abord en imposer pour une paralysie d'origine cérébrale. On sait, d'après les
travaux de Duchenne, qu'il s'agit là du moins pour le bras d'une paralysie
radiculaire produite par l'application du forceps, que celte paralysie est loca-
lisée dans les muscles deltoïde, sous-épineux et iléchisseurs de l'avant-bras sur
le bras, et caractérisée par l'abaissement du membre qui s'applique alors contre
le tronc, par la rotation du bras en dedans et par l'extension de l'avant-bras sur
le bras ; les réactions électriques sont souvent modifiées (réaction de dégénéra-
tion complète ou incomplète, diminution ou disparition de l'excitabilité fara-
dique). Ces caractères suffiront pour éviter de confondre cette forme de paralysie
obstétricale avec l'hémiplégie cérébrale infantile.
G. Reste la question de savoir à quelle variété de lésion primitive on a affaire.
Ici le diagnostic devient extrêmement difficile, on peut même dire le plus sou-
^34 HÉMIPLÉGIE.
vent impossible, entre les quatre premiers types dont l'étude a été faite au cha-
pitre consacré à l'anatomie pathologique. L'impuissance où nous nous trouvons
n'a d'ailleurs guère lieu de surprendre, puisqu'en somme, nous l'avons vu, ces
quatre types ont un point de départ commun, une lésion vascnlaire, un aboutis-
sant unique, la sclérose et l'atrophie consécutives de l'hémisphère. Et du reste
chez l'adulte, alors même qu'on peut assister au début de l'hémiplégie et qu'on
se trouve en présence de symptômes plus tranchés, est-il donc toujours si aisé
de faire ailleurs que dans les livres le diagnostic entre le ramollissement et l'hé-
morrhagie cérébrale. La distinction en somme n'importe guère ici, puisque
chacun de ces types an;\tomo-palhologiques présente au point de vue clinique une
('volulion identique ; il n'en est pas de même pour le cinquième type, la mé-
ningo-encépholite chronique : ici en effet l'évolution est tout autre et au point
de vue du j)ronostic nous avons un intérêt réel à savoir la reconnaître. Dans
un certain nombre de cas, ce diagnostic, quoique difficile, peut cependant être
fait. Lorsqu'on examine avec soin les observations suivies d'autopsie, dans les-
quelles l'existence de la meningo-encéphalite a été nettement établie, notamment
celles de Bourneville et de ses élèves, on voit que presque toujours l'aspect
clinique a été plus ou moins différent de celui qui accompagne les quatre pre-
miers types. Dans la meningo-encéphalite, en effet, les troubles moteurs sont
assez souvent bilatéraux et, quoique prédominants sur un côté du corps au point
d'amener une véritable hémiplégie, ils ne laissent pas de se montrer d'une façon
plus ou moins marquée sur l'autre côté; quelquefois aussi, mais beaucoup plus
rarement, on observerait des troubles oculaires (nystagmus, strabisme, etc.).
Enfin, et c'est là un symptôme plus constant, chez ces malades l'intelligence
ne se conserve pas sans changement notable dans l'état où l'avaient laissée les
accidents initiaux ; contrairement à ce qui a généralement lieu dans l'hémi-
plégie spasmodique infantile, on la voit dans la meningo-encéphalite chronique
diminuer de plus en plus et arriver progressivement jusqu'à l'idiotie. 11 ne
faudrait évidemment pas croire que l'idiotie ne puisse s'observer dans les autres
types anatomiques d'hémiplégie infantile, loin de là, mais alors l'idiotie a existé
dès les premiers accidents ou peu après, elle n'est pas survenue progressive-
ment dans un espace de temps relativement assez long.
Marche et pronostic. S'il est vrai que le plus souvent les lésions cérébrales
qui produisent l'hémiplégie spasmodique infantile permettent une survie très-
lonf ne, il est cependant des cas où la mort peut arriver pendant les accidents
initiaux; il est fort probable qu'il en est ainsi pour un certain nombre des
enfants dont le décès est enregistré dans les statistiques médicales sous le nom
de « méningite ». Cette période des accidents initiaux une fois passée, la vie est
moins directement menacée, l'enfant n'est plus un malade, c'est un infirme
-dont l'hémiplégie pourra s'accompagner d'une contracture et de déformations
telles que les membres de tout un côté du corps soient frappés d'une impotence
complète ; quelquefois au contraire l'hémiplégie rétrocédera en grande partie et
ne laissera que des traces peu marquées. Mais, dans les cas même les plus favo-
rables au point de vue des manifestations paralytiques, restera suspendue pen-
dant de longues années sur la tête de ces enfants une menace terrible, celle de
l'épilepsie. Celle-ci peut à elle seule devenir une cause de mort par suite de la
répétition et de la prolongation des accès amenant un véritable état de mal avec
toutes ses conséquences; c'est là ce que Bourneville et Wuillamicr appellent la
période grave de l'affection. Mais, ainsi que l'ont montré ces auteurs, si le
HÉMIPLÉGIE. 235
malade survit à cette période, le pronostic va s'amender d'une façon très-notable,
car d'une part on a vu qu'ici, du moins dans la majorité des cas, il n'y a pas à
craindre la démence progressive, cet aboutissant si fréquent de l'épilepsie vul-
gaire ; d'autre part, ces manifestations comitiales présentent une tendance natu-
relle à disparaître. En effet, d'après Wuillamier, lorsque les malades atteints
d'liémiplén;ie infantile spasmodiquc sont arrivés vers ITif^e de trente ans, les
accès d'épilepsie deviennent de moins en moins nombreux, si bien qu'ils finis-
sent souvent par disparaître d'une façon complète à l'âge de quarante ou cin-
quante ans ; quelquefois même cette heureuse terminaison a lieu beaucoup plus
tôt encore. Rien alors ne menace plus l'existence, du moins par le fait de l'hé-
miplégie spasmodique infantile, aussi n'cst-il pas rare de voir ces infirmes
atteindre un âge avancé.
Traitement. Dans l'impuissance où l'on se trouve d'agir directement sur
la lésion productrice de riiémiplégie infantile spasmodique, on conçoit que le
traitement ne puisse guère s'appliquer qu'aux symptômes. Au début, dans la
période éclamptique on aura recours aux petites émissions sanguines (sangsues
aux apophyses mastoïdes), aux vésicatoires à la nuque, aux affusions froides
sur la tète, aux grands bains tièdes; à l'intérieur on prescrira les bromures, le
chloral, le musc à la dose de 40 centigrammes à 1 gramme (Grisolle), le chlo-
roforme en inhalations (West). On aura soin d'entretenir la liberté du ventre.
Si les accidents surviennent dans le cours d'une maladie générale bien déter-
minée (fièvres exanlhémaliques, etc.), on devra traiter énergiquement celle-ci.
Une fois cette période passée, lorsque l'enfant est plutôt un infirme qu'un
malade, contre la paralysie on emploiera l'électricité ; voici à cet égard la
conduite que conseille Gaudard : Le traitement faradique ne doit être commencé
qu'environ un mois après la disparition des symptômes aigus initiaux, il doit
•être continué longtemps, le courant devra être faible, les séances ne dureront
que dix à quinze minutes, une séance tous les deux jours. Quand l'enfant est
trop jeune on pourra le mettre dans un baquet métallique plein d'eau tiède qui
sera relié à l'appareil électrique, de façon à tenir lieu d'électrode. Bernhardt
préfère l'électrisation galvanique, pourvu qu'elle soit faite par une personne
exercée, sinon on fera de courtes séances de faradisatiou.
Pour prévenir les déformations^ il sera bon de pratiquer sur les membres et
les articulations des manipulations méthodiques, une sorte de massage fait par
le médecin avant les séances d'électrisation et par les parents dans l'intervalle
de celles-ci. 11 faudra ne pas laisser marcher trop tôt le malade et avoir soin
que son pied soit bien maintenu par la bottine.
Quand les déformations existent, il y aura lieu de faire usage d'appareils
orthopédiques (Gaudard recommande particulièrement le sabot de Venel). Enfin,
dans les cas oii elles seront trop accentuées, on pourra avoir recours à des opéra-
tions chirurgicales pour redresser les membres et combattre la rigidité articu-
laire. Quant à l'élongalioii des nerfs préconisée par Morton, on doit faire bien
■des réserves à son égard.
Chez les malades atteints d'épilepsie, il y aura lieu d'administrer d'une façon
prolongée les bromures alcalins suivant des doses suffisantes, variables selon
l âge des sujets. Bernhardt va même jusqu'à recommander de donner ce médica-
ment ainsi que l'iodure de potussium d'une façon préventive, pour tâcher
d'éviter T apparition de l'épilepsie.
11 ne faudra pas oublier non plus que les troubles de Vintelligence et du
256 IIKMIPLÉGIE (bibliographie).
langage sont susceptibles eux aussi d'éprouver une amélioration considérable
par l'emploi d'une gymnastique intellectuelle méthodique. Les remarquables
résultats obtenus à cet égard par M. Bourneville doivent servir d'encouragement
et d'exemple pour le traitement des enfants arriérés ou imbéciles atteints
d'hémiplégie spasniodique infantile. Pierre Marie.
Bibliographie. — Benedikt. Eleklrolherapie. Wien, 18G8. — Du même. Neiveiipalhologie
und Elektrolhe7-apie. Leipzig, 1874. — Beiiniiabdt (M.). Ein neuer Beitrag zur Lehre von der
Athetosc. lii Deutsche med. Wochenschrift, 1876, n° 48. — De bième. Ueber die spaslischc
Ctrebralparalyse un Kindesalter. In Virchow's Arch., Cil, p. 26. — Bourneville et Pegnard.
Iconographie pliotographique de la Salpêlricre. Paris, 1878. — Bourneville. Comptes ren-
dus du service de Uicêtre. — Bourneville et Brissaud. Arch. de NeuroL, 1880. — Bre5chet.
Arch. gén. de méd., 1831. — Brissavd. llecherches anatomo-pathologiqiœs el physiologi-
ques sur la contracture permanente des hémiplégiques. Thèse de Paris, 1880. — Du même.
Lésions analomiques et mécanisme de l'athclose. In Gaz. hehd., 1880. — Cazauvielh. Arch.
gén. de méd., 1827. — Ciiarcot. Sur la goutte asthénique primitive. Tlièse de Paris, 1853.
— Chauffard (A.), f^ote sur un cas d'atrophie musculaire el osseuse du membre supérieur
gauche résultant d'une monoplég'ie iiystéro-traumalique chez un adolscent. In Gaz. hebd.,
1886, 341. — Constant. Gazette méd., 183i. — Cotard (.1.). Etude sur l'atrophie cérébrale.
Thèse de Paris, 1868. — CnuvriLiiiEn. Atlas d'anatomie pathologique et anatomie patholo-
gigue, liv. XXXVII. — Delhomme. Contribution à l'étude de l'atrophie cérébrale infantile.
fhèse de Paris, 1882. — Dresciifeld. Sur quelques cas d'athétose. In ilevue mensuelle de
méd. el de chir., 1878. — Diuîykous (F.). De la pseudo-paralysie syphilitique {maladie de
Parrot). In Itev. de méd., 1885. — Dusch (vox). Zeitschrift fur rat. Med., VII, 1809. —
DuGÈs. Èphcmérides médicales de Montpellier, 18'26. — Iiyden (van der). De cérébrale Kin-
derverlamming. Academisch Proefschrift. Uti'echt, 1877. — Fôrster (R.). Mittheilungen
ûber die im neuen Dresdner Kinderhospitalc in den erslen beiden Jahren nach seiner Er-
ôffnuiig zur Beobachtung gekommenen Lâhmungen. In Jahrb. f. Kindsrheilk- N. F., XV,
1880, 261. — Fournieb. Syphilis héréditaire tardive. Paris, 1886. — FCrstxer et StOhlingeb.
Ueber GUose und Ilôlilcnbildiing in der [[irnrinde. In Arch. f. Psych., XVII, 1. — Gau-
DARD (E.). Contribution à l'étude de Vhémiplégie cérébrale infantile. Thèse de Genève,
1884, — Gee (S.). SI. Barth. llosp. Hep., XIII et XVI. — Geriiardt. Hemiplegia spastica
infanlilis. In Lehrb. der Kinderkrankh., 1881, p. 660. — Gowebs. Lectures on the Diagno-
sis of Diseuses of the Brain, 188o, p. 194. — GREiDENBEiio (B.). Ueber die postliemiplegi-
schen Bewegungsstôrungen. In Arcli. f. Psych., 1886, XVII, 1-15L — Hadden. Trans.Path.
Soc, XXXIIl. — Du même. On Infantile Spasinodic Paralysis. In Brain, octobre, 1883. —
11ani>foiid (H.). On cérébral infantile Paralysis. In Brain, Jiily, 1886. — Haïem. Anatomie
pathologique et physiol. des encéphalites. Tlièse de Paris, 1868. — Heine (J. von). Spinale
Kinder lâhmung. Stuttgart, 1860. — Hexoch (E.). Die atrophische Cerebrallàhmung . In Vor-
leningen ûber Kinderkrankh. Berlin, 1881, 236. — Du jiéme. De Atrophia cerebri. hiaug.
Dissert., 1842. — Heubner. l'eber cérébrale Kinderlàhmung. In Wiener med. EL, 1885.
— Hutinel. Contribution à l'étude des troubles de la circulation veineuse chez l'enfant,
et en particulier chez le nouveau-né. Thèse de Paris, 1877. — Jendrassik et Marie. Coii-
tribution à l'étude de V hémiatrophie cérébrale par sclérose lobaire. In Arch. de Physiol-,
1885, 51. — Kast. Zur Anatomie der cerebralen Kinderlàhmung. Elfte Wanderversammlung
sùdw.-deutscher Neurologen zu Baden-Baden. In Neurol. Cbl., 1886, p. 330. — Kundrat.
Die Porencephalie, 1882. — ^allemand. Itecherchcs anatomo-pathologiques sur l'encéphale.
Vni'^° lettre. — Langenbecr. Deutsche Klinik, 1863, p. 51. — Limbeck (R. vox). Zur Kennt-
niss der Encephalilis congenita und ihrer Bezithung zur Porencephalie. \n Zeitschrift f.
Heilk. Prag, 1886, VII, 87. — Marie (P.). Hémiplégie infantile el maladies infectieuses. In
Progrès médical, 1885. — Mills [Ch.-K.]. l'aralysie infantile spasniodique. In New-York
Med. Record, 1879, 461. — Mubius (P.-J.). SchmidCs Jahrb., 1884, CCIV, 155. — Moore
(Norman). A Case of Sclerosis of the cérébral Cortex with two other Examples of cérébral
Diseuse in Children. In St. Barth. Hosp. Rep., XV, 63. — Morton. A Contribution to the
Subject ofNerve Stretching. In Journ. of Nerv. and Ment. Dis., 1882, I, 133. — Morgagni.
¥111'°'' lettre. — Mac Nutt. Double infantile spasiic Hemiplegia. In Americ. Journ. of
Med. Se, 1885, p. 58. — Oulmont. Étude clinique sur Vathétose. Thèse de Paris, 1878. —
Parrot. Ramollissement cérébral chez les enfants. In Archives de Physiol., 1873. —
Pinel (fils). Mémoire sur l'induration du cervau. In Journ. de physiol. de Magendie, 1822.
— Ranke (H.). Ueber cerebi-ale Kinderlàhmung. In Jahrb. f. Kinderheilk. N. P., XXIV,
1886, p. 78. — Ratmoxd. Étude anatomique, physiologique et clinique sur Vhémichorée, etc.
Thèse de Paris, 1876, — Rendu. Cas d'hémiplégie dans la méningite tuberculeuse. Thèse de
Paris, 1873. — Richardière. Étude sur les scléroses encéphaliques primitives de l'enfance
HÉMIPTÈRES. 237
Thèse de Paris, 1885. — Richter (Ed.). PoUcncephaiitis infantiUs. Thèse de Berlin, 1886.
Ross (J.)- On the Spasmodic Paralyses of Infancij. In Braiii, 1882, 1883. — Rostan-
Traité du ramollissement cérébral. — Uiforma Medica. Sulla paralisi cérébrale infantile,
t) août 1886. — Seeligmiiller. Ueber cérébrale Lâhmungen ini Kindesalter. In Jahrb. fur
liinderheilk. N. F., XIII, 1879, 317. — Simon (J.). De la sclérose cérébrale citez les enfants.
In Vicv. mens, des rnalad. de Vcnfance, déc. 1883, janv. 1884. — Soltmanx (0.). Die func-
tionellen Nerrenlirankheiten . In fierhardl's Ilandb. der Kindkranhh., V, 1. — Steffen (A.).
Die Krankheiten des Gehirns im Kindesalter. In ibidem, V, 2. — StrCmpell (A.). Ueber die
acuie Encephalitis der Kinder (Poliencephalitis acuta, cérébrale Kinder làhmung). In
.lahrb. f. Kinderlieilk. N. F., XXII, 1884, 173. — Taylor. Infantile Hemip/egia ivilh unu-
suai Rcflexphenomena. In Itritish Med. Journ., 1883, I, 1124. — Todd. Clinical Lectures
on Parahjsis. I.ondon, 1856, p. 312. — Tnotsinn. Uull. de la Soc. méd. des hôp., 7 avril
1883. — Valiantin. Hémiplégie clin les enfants. Thèse de Paris, 1875. — Vizioli. Emiple-
qia cérébrale spastica. In il Morgagni, 1880, et Giornalc di Nciiropatologia, 1886, 276. —
Wallenberg (A.). Ein Beitrag ;wr Lehre von den cerebralen Kindcrlâhmungen. In Jahrb.
f. Kinderheilk. N. F., 1886, XXIV, 384. — Wuii.i.amier (Th.). De l'épilepsic dans l'hémiplé-
gie spasmodique infantile. TU. de Paris, 1882. — Wolfenden (Norris). Practitioner, sep-
tembre 1886. — Les Bulletins de la Société anatomique contiennent un grand nombre
d'autopsies d'hémiplégie infantile. P. M.
HÉMIPTÈRES (de ^ui, demi; TrTcpôv, [aile). Ordre d'Insectes, établi par
Linné, à métamorphoses incomplètes, ordinairement à quatre ailes et pourvus
d'un bec ou rostre articulé qui leur a fait aussi donner le nom de Rhynchotes
(pîi'^y^oç, bec). L'appellation d'Hémiptères provient de la conformation des ailes
supérieures, qui sont le plus ordinairement composées de deux parties, l'une
plus ou moins coriace ^et basilaire, l'autre membraneuse vers le sommet ou
apicale, mais cette dénomination ne s'applique rigoureusement qu'à une partie
des insectes Rbynclioles.
La présence d'un bec ou rostre de succion, articulé, s'étendant sous la poi-
trine, non enroulé au repos, muni de soies internes, caractérise nettement les
insectes qui font le sujet de cet article, et ce caractère, ainsi que celui de méta-
morphoses incomplètes, reste constant malgré des formes variées et des modifi-
cations alaires importantes.
Les Hémiptères, dont un grand nombre sont connus sous les noms vulgaires
de Punaises, de Cigales, de Cochenilles, de Pucerons, vivent du suc des plantes,
parfois du sang des animaux piqués par leur bec ou rostre. A l'état de déve-
loppement complet ou de perfectose, ils offrent à considérer : 1» la tète; 2" le
thorax et o" l'abdomen.
1" La tête est ordinairement triangulaire, emboîtée plus ou moins profondé-
ment dans le thorax, rarement portée sur un cou. Les yeux à facettes et laté-
raux sont constants ; en outre, sur le vertex on trouve les ocelles sous forme
de points bombés, ronds et lisses, qui manquent très-rarement. Les antennes sont
généralement grêles, parfois renflées ou épaissies à leur extrémité ; d'autres fois,
au contraire, terminées par une soie très-fine ou sétacées ; jamais elles ne pré-
sentent de dents ou de feuillets lamelliformes. Le bec ou rostre composant
l'appareil buccal est cylindrique, conique ou filiforme, parfois arqué, assez
court, mais plus fréquemment droit et couché sur la poitrine. Il se compose
■d'une gaîne, d'une goultièi^e articulée servant de fourreau ou d'enveloppe aux
jsoies buccales; c'est en résumé un demi-tube, composé de 4 articles, reposant
J'uii dans l'autre par leur extrémité postérieure, d'où le nom d'Arthrognathes
{ipOpov, yi/âôoî, bec à jointures), donné par Spinola. A l'intérieur sont 4 soies,
dont les deux extérieures représentent les mandibules des insectes broyeurs, les
<leux extérieures engaînées étant les analogues des mâchoires ou maxilles. Ces
258 HEMIPTERES.
deux dernières soies buccales sont parfois difficiles à séparer et quelques au-
teurs n'ont admis à tort que 2 soies latérales et 1 centrale, 5 en tout. Les
liquides peuvent facilement monter entre ces soies ou lancettes perforantes, par
capillarité encore plus que par succion, et dont les mouvements ont lieu par de
petits muscles placés à leur base. La gaine est formée par la lèvre inférieure,
et en dessus s'applique la lèvre supérieure ou labre, provenant du bord anté-
rieur de la tète, court, triangulaire, rarement allongé. Burmeister regardait
comme des palpes labiaux les prolongements de la lèvre inférieure engainante,
mais il est plus naturel d'admettre l'absence des palpes, tant labiaux que maxil-
laires, CCS derniers n'offrant aucun vestige.
2" Le thorax se compose de trois parties, celle qui forme le prothorax est
ordinairement la plus développée sous forme de trapèze ou d'hexagone transver-
sal; les angles latéro-postérieurs sont souvent saillants, parfois épineux, les côtés
peuvent être dilates, lamelleux. Dans plusieurs groupes d'hémiplères homoptères
le prothorax est réduit à un anneau antérieur et le mésothorax prend un grand
développement (Cigales, Pucerons). L'écusson, ordinairement petit, est grand
chez les Pentatomes et recouvre même parfois les ailes et l'abdomen (Scutel-
1ères). Le dessous du thorax présente le prosternum, sillonné fréijuemment à la
partie antérieure avec une pointe dirigée en arrière, un mésosternuni souvent
»',arénc, enfin le niétastcrnum. Près de la jonction de ce dernier avec le méso-
sternum et sur le côté on remarque les ouvertures des glandes qui fournissent
le fluide particulier, odorant et souvent si désagréable, des hémiptères; ce sont
les ostioles odorifiques, faciles à reconnaître sur les Pentaloraides et les
Lygéides, sous forme d'ouvertures oblongues, entourées d'une surface mate,
ou recouvertes d'une couche mince du produit de la sécrétion. Les ostioles
odorifiques paraissent manquer chez un grand nombre d'hémiptères.
Les ailes, à l'état le plus complet de développement, sont au nombre de
quatre, mais chez les Coccidiens les mâles n'en ont que deux et les femelles
sont aptères. Les deux ailes supérieures ont fait caractériser l'ordre entier, elles
sont d'une consistance plus solide que les inférieures et elles portent le nom
d'hémélylres ou demi-élytres, la partie basilaire fortement coriacée se nomme
corie, la portion restante ou membraneuse simplement : membrane. Quand les
quatre ailes existent, mais entièrement membraneuses, parcourues principale-
ment par des nervures longitudinales, les insectes rhynchotes sont réellement
Homoptères {o^.bç, semblable, pareil, et Tzrspbv, aile) par rapport aux Hémiptères
vrais, pourvus d'hémélytres. Je dois ajouter que la corie, ou partie chilineuse
plus épaisse, piésenle un pli longitudinal oblique allant de la base à l'angle
interne de la membrane, limitant une portion touchant à la suture et appelée
clavus. En outre, chez les Capsides, une petite pièce nommée cuneus est placée
à l'extrémité externe de la corie dont elle est séparée par un pli et souvent par
une écbancrure sur le bord externe. Enfin, la corie est souvent courte, mais ne
manque presque jamais, tandis que la membrane disparaît : alors l'insecte est
brachyptère. Celte modification peut se rencontrer seulement chez les femelles
ou chez quelques individus d'une espèce qui alors présente les deux formes
macroptère et brachyptère. Plusieurs Hémiptères restent aptères dans les deux
sexes ; ils sont comme des larves pourvues d'appareils sexuels comparables aux
Orthoptères Phasmiens demeurés aptères et parmi les Vertébrés aux Axolotls
non transformés, larves ovigères d'Amblystomes. J'ai déjà dit que parfois les
femelles seules sont aptères, analogues de la sorte aux femelles de Lampyres, de
HÉMIPTÈRES. 259
Drilus, chez les Coléoptères, à celles des Psychides chez les Lépidoptères {voy.
Coléoptères, Lépidoptères, Papillons).
Les pattes sont généralement grêles, rarement fortes, très-variées de formes.
Les antérieures peuvent dans certains groupes saisir ou arrêter une proie ; elles
ont des cuisses courtes et épaisses, armées d'épines, avec les jambes arquées ;
ces pattes sont dites ravisseuses.
Le plus souvent les six pattes sont conformées pour la marche, plus rarement
pour le saut (Cicadelles, Psylles adultes). Les Ilydrocosises ou Punaises d'eau
ont les postérieures comprimées, munies de soies serrées, et servant à la nata-
tion. Les tarses ont deux ou trois articles, rarement un seul; le dernier article
est terminé par deux crochets fins et aigus, recourbés, ayant quelquefois enire
eux une petite pelote arrondie, membraneuse, aidant l'insecte à se fixer aux
objets lisses et servant aussi d'organe tactile. Dans la région sternale, on trouve
ordinairement au thorax deux paires de stigmates, la première paire située entre le
prosternum et le mésosternum, cachée par le bord des hanches antérieures, la
seconde paire placée entie le mésosternum et le métasternum.
0" L'abdomen des hémiptères est ordinairement composé de 6, quelquefois
de 8 ou 9 segments chitineux. Il tient en avant au métathorax ; la partie infé-
rieure ou ventrale se réunit à la supérieure en formant un bord plus ou moins
tranchant appelé connexivum, qui déborde souvent les élytres et qui est
stigmatifère. Chaque segment a deux stigmates, un de chaque côté, excepté le
dernier qui en est dépourvu. Ces stigmates sont très-modifiés dans les Nèpes et
les Ranatres. Le dernier segment abdominal est enchâssé par la base dans le
précédent; à l'extrémité en dessous sont les organes sexuels externes. Chez la
femelle, il existe ordinairement deux plaques vulvaires réunies, qui paraissent
n'en former qu'une seule, fendue longitudinalement au milieu; mais quelque-
fois il y a 4, 5, même 7 plaques. Le mâle est pourvu d'une plaque anale non
fendue et souvent bombée. Un oviscapte ou tarière est parfois visible chez les
femelles, sortant entre les plaques vulvaires ; la tarière sert à percer le paren-
chyme des plantes ou à déposer des œufs dans la terre. Léon Dufour avait
remarqué à ce sujet que le nombre des plaques vulvaires diminue à mesure
que l'oviscapte se perfectionne, ainsi il est de 7 à 8 dans les Hémiptères à long
écusson qui n'ont aucune trace de tarière; chez d'autres à petit oviscapte caché
le nombre des plaques est réduit à quatre, enfin dans la plupart des llomo-
ptères chez lesquels cet organe est au maximum de développement il n'y a que
deux panneaux vulvaires.
Les organes internes composant les appareils de la digestion, delà respiration,
de la circuLition, de la génération, ceux des sécrétions, ont été d'abord étudiés
par Ramdohr, surtout par Léon Dufour, etc. Voici un aperçu de la structure
intérieure des Hémiptères :
L'appareil digestif est constitué par un tube alimentaire de longueur variable,
faisant parfois des replis sur lui-même (Cigales), dépourvu de gésier et de
papilles extérieures ou villosités. Les glandes salivaires remarquables sont
disposées tantôt en sachets bi- ou trilobés, tantôt en ulricules agglomérées, en
pelotons ou en grappes, avec des dilatations ou réservoirs salivaires. Les vais-
seaux de Malpighi sont au nombre de 1 ou 2 paires, insérés immédiatement sur
l'intestin ou par l'intermédiaire d'une ou deux dilatations.
L'appareil respiratoire est composé de trachées tubulaires et aussi de trachées
utriculaires, aboutissant à des stigmates de position variable. H y a une ou deux
240 HÉMIPTÈRES.
paires de stigmates tlioraciques, et de 4, 6 à 7 paires de stigmates abdominaux.
Le cœur a la forme d'un long vaisseau dorsal.
Les organes génitaux mâles sont formes d'une paire de testicules uni ou
multicapsulaires, suivis de conduits déférents plus ou moins repliés, de vési-
cules séminales, enfin d'un canal éjaculateur terminé par le pénis entouré d'une
armure copulatrice. Les organes génitaux femelles comprennent deux ovaires
dont les gaines ovigères tantôt en nombre déterminé, tantôt innombrables, sont
uni- ou mulliloculaires, suivies d'un oviducte, de glandes annexées, enlin d'un
oviscapte dans plusieurs genres.
Le système nerveux se compose de ganglions cérébroïdes, plus de ganglions
tlioraciques avec prolongement racliidien pourvu de paires symétriques de nerfs.
Un tissu adipeux splancbnique, plus ou moins abondant, remplit les inter-
stices des viscères.
J'ai déjà indiqué (page 238) les glandes odorifères qui s'ouvrent chez l'insecte
parfait par des ostioles sous-thoraciques.
Les Hémiptères odorants se trouvent principalement parmi les Géocorises ; le
nom de l'unaise est devenu typique pour indiquer une odeur repoussante. La
sécrétion est volontaire et l'insecte irrité ou menacé de danger la produit seu-
lement alors. Léon Dufour a remarqué avec soin que la grande Punaise grise
commune {Wtaphiçjaster griseus ou punclipennis) ne répand aucune odeur, si
elle est tranquille, mais, si elle est saisie avec une pince et immergée sur l'eau,
on voit aussitôt s'élever de son corps de petites bulles gazeuses qui, venant à la
surface par volatilisation du liquide séciété, exhalent l'effluve caractéristique.
Cette vapeur est acre et elle a une action irritante sur les yeux ; de plus elle
tache les doigts en brun ou en jauncàtre comme certains acides minéraux.
L'organe odorilique consiste en une bourse assez grande, paire et parfois
au nombre d'une double paire placée dans l'intérieur et à la base ventrale de
l'abdomen, sous les organes digestifs. La forme est ovalaire ou arrondie, la
couleur jaunâtre ou orangée; j'ai indiqué la place des poches odorifiques chez
l'adulte, mais à l'état de larve ou de nymphe, d'après Kùnckel, les mêmes
insectes ont les glandes odorifiques placées à la partie supérieure de l'abdo-
men sous le tégument. Deux scutelles indiquent sur les arceaux de la région
dorsale la présence de ces glandes, chacun offre deux ostioles servant à la sortie
du liquide odorant, qui se volatilise tout de suite. Ainsi, depuis la naissance jus-
qu'à la dernière mue, l'appareil odorifique serait une dépendance de la région
supérieure ; après la dernière mue, à l'époque de perfectose, il devient une
dépendance de la région ventrale. Les glandes de la larve s'atrophient lorsque
l'organe destiné à les remplacer se forme à la partie inférieure du corps. En
résumé, le nouvel organe semblable au premier occupe la situation qui con-
vient pour la défense de l'animal qui en est pourvu.
L'odeur de toutes les Punaises est loin d'être aussi fétide que celle du Cimex
griseus-; certaines espèces répandent l'odeur de pomme, de jacinthe, du gro-
seiller noir; elle est parfois acétique ou thymique. Les Punaises d'eau, comme
les Naucores, ont une odeur acre, les Notonectes une émanation vireuse, les
Corises rappellent celle de la Punaise des bois, toutefois Léon Dufour n'a trouvé
chez ces insectes aucun organe comparable aux glandes des Géocorises : leur
odeur proviendrait-elle do glandes anales? De nouvelles recherches éclairciraient
ce point intéressant d'anatomie.
Les Hémiptères ont des familles remarquables par des sécrétions cireuses.
HEMIPTERES. 241
solubles soit dans l'alcool, soit dans l'élher, développées parfois en filaments
situés à l'exlrémité du corps (Lystrides, Ftata, certains Fulgores et Aphides,
Schizoneura, Adelges, etc ) ou répandus sur celui-ci (Larves et Nymphes
à'Aleurodes, Cocciens, Dactylopius adonidum, Orthezia, etc.). Les Aphrophora
larvaires s'entourent d'une sorte d'écume, semblable à de la salive, et ces amas
sont vulgairement connus sous les noms de crachats de coucou, de larmes des
saules, d'écume du piintemps. Us contiennent une ou plusieurs larves, pré-
servées contre la dessiccation, l'attaque des oiseaux et des parasites ordinaires.
L'écume est rejelée par l'anus sous forme de bulles gazeuses, les bulles suc-
cessivement produites et réunies forment les amas écumeux. La larve retirée de
l'écume est inhabile à la produire, si elle n'a plus de sève à sucer. Les nymphes
opèrent leur transformation dans l'amas écumeux, elles savent faire dessécher
la matière qui les couvre, il se forme un vide dans la masse, une sorte de
voûte close ; c'est dans cette cellule voûtée que la nymphe quitte sa dépouille,
qui se fend sur la tète, puis sur le thorax, et enfin où elle étend ses ailes.
Certaines sécrétions s'observent sur les Pucerons [voy. Pucerons) ou les tuber-
cules du corps de divers Coccides, par exemple, la gomme laque [voy. Coche-
nilles, Carterialacca,l- XVlll, p. 195). La fumagineou morphée se développe
sur le miellat produit par divers Pucerons et Cochenilles [voy. CocuENn-i.ES,
loc. cit., p. 187). Ce miellat, d'une nature très-sucrée, rendu même par des
hémiptères sans cornicules, ni mamelons ou tubercules, par des Rhizobiiis, etc.,
est éjaculé ou rendu en quelque sorte par l'anus.
La phosphorescence a été attribuée au célèbre Fulgore porte-lanterne, Fulgora
laternaria Linné, Grand porte-lanterne des Indes Occidenlales [voy. Fulgore)-
Sibylle deMérian, qui avait signalé ce fait, est très-explicite, mais la phosphores-
cence de ce curieux hémiptère est de plus en plus révoquée en doute. Rien ne
rappelle sur la tête du grand Fulgore la disposition des organes lumineux des
Lampyres, des Pyrophores, ou d'aulres insectes phosphorescents. Y avait-il
quelque Élatéride parmi les Fulgores dont la célèbre observatrice dit avoir
observé la lumière? Une récente et très-intéressante communication laite à la
Société entoraologique de France paraît contraire à la propriété lumineuse du
Fulgora laternaria [Annales de la Société entomologique de France, séance du
22 juin 1886, bulletin, page c).
Les Hémiptères ne produisent pas en volant un bourdonnement comparable
à celui des Di|)tères ou un bruit comme celui de divers Papillons [Chelonia
pudica, Setina, Sphinx atropos). Latreille signale à peine un froissement des
parties membraneuses chez la PoUymorpha histtnx ou lacininta, et le frotte-
ment du rostre contre le sternum dans les grandes espèces de Réduves rappelle
le bruit des Cerambyx chez les Coléoptères, il cesse lorsque le rostre est coupé.
La stridulation ou le chant des Cigales a été célébré depuis l'anlicjuité [voy.
Cigales). Réaumur a fait connaître le premier le mécanisme à l'aide duquel les
mâles des Cigales produisent leur bruit musical caractéristique. Doyère, Solier,
Goureau, ont étudié les organes sonores et le professeur Carlet, de Grenoble, en a
donné une description avec représentation très-soignée dans les Annales des
sciences naturelles de 1877.
Un grand nombre d'Hémiptères ne vivent qu'une saison sous leur dernier état
complet ou de perfectose. Il y u même parmi les Géocorises des femelles fécon-
dées ou des larves et nymphes qui résistent à l'hiver, cachées sous des pierres,
des feuilles, des écorces, dans les fentes des murailles, entre les parois et les
DICT. ENC. 4* S. XIII. 10
242 IIKMll'TEllIiS.
volets des ouveilures closes de nos habitations. Les llydrocorises résistent
cachées au bord des eaux, ou dans le sable, la vase. Les Coccidiens et les Ph7jl-
loxera sont des plus intéressants sous le rapport de leur conservation, ils
olTrent des œufs de plusieurs sortes et, coninu; je l'ai déjà fait remarquer, ils
possèdent une multiplicité exlraordinaire de formes et de reproduction [voy.
Coi;nKMM,i:s, I'uceuo.ns, Phylloxéra).
On ne connaît (jue quelc|ues espèces gallicoles parmi les Géocorises, ce sont
les Monanthia clavicornis et Monanlhia leucru, celui-ci connu de Réauniur'
et produisant une hypertrophie de la corolle chez le Teucrium chamœdrys.
(Juebpies Psyllideâ du genre Trioza donnent naissance à des productions gal-
laires. Mais les Pucerons occasionnent sur un grand nombre de végétaux des
galles curieuses. Les Pemj.higns du téiébintlle, les galles du Caroub de Judée,
bazgenges des Turcs, sont tous gallicoles, les galles noires des pistachiers, les
galles de Chine ou Poey-tse, celles du Myrobalan citrin, enfin celles des peu-
pliers, soit la galle en spirale i\\i |)éliole ou celles des feuilles, sont très remar-
quables. Les galles de l'Ormeau, au nombre de six au moins, mettent sur la
voie de Pucerons iTiigratcurs tantôt vivant sur les racines des Graminées, tantôt
dans des galles de feuilles sur les arbres.
Lu curieux détail de mœurs a étéolleit par V Acantho^onui ou Elasmolhetus
iiilerslincluf. Limi. ou yrixeua L. non Fabr., betuhedc Géer, qui est une espèce
de Punaise vivant sur le bouleau. Dé Géer dit qu'ayant trouvé plusieurs iemelles
de cette espèce au commencement de juillet, chacune était accouipagnée de ses
petits au nombre de trente à quarante. La mère se tenait près d'eux, sur les
chatons du bouleau ou sur une feuille; dès qu'elle changeait déplace, les petits
la suivaient, faisant halle quand elle s'arrêtait. Elle les promenait ainsi à la
.manière d'une poule pour ses poussins. De Géer dit qu'il vit une fois une do
>ccs mères battre des ailes avec un mouvement très-rapide, sans chanijer de
place, et comme pour éloigner un danger. C'est surtout contie le mâle que cette
mère inqiiièle se met en défense parce qu'il cherche à piquer et à détruire sa
postérité. Les larves quittent la mèie quand elles sont devenues assez fortes
itour n'avoir plus besoin de son secours efficace.
Parmi les Hémiptères vivant non point immergés, mais à la surface de l'eau,
s; les Gerris se tiennent sur les eaux tranquilles, de curieux Hémiptères du
"enre Haluhates et Halobalodes se li'ouvent en mer sur les fucus et les algues
flottantes, souvent fort loin des côtes, surtout sur les fucus à vésicules gonllées,
appelés raisins des tropiques. Ces Halobates sont parlbis attachés à des animaux,
Salpa, Phy><alia, etc.; ils habilenl les mers les plus chaudes, dans l'Atlantique,
autour du Cafi de Matlagascar, aux environs d'Aden et près des Célèbes. Dans
les voyages du Talisman, on a rencontré deux Halobates entre les Açores et
les îles du cap Vert.
Les Parasites des Hémiptères sont peu nombreux. Les plus remarquables sont
{esOcyptei-a, mouches à larves créophages vivant dans les Penla tomes. LéonDufour
a décrit, dans les Annales des sciences naturelles (t. X, p. 248, planche XI,
li». 2 et 5, 1827), les mœurs extrêmement remarquables des larves de YOcyptera
bicolor, et Kûnckel a vérifié et représenté de nouveau ces faits intéressants.
Les rares jmrasites des Aphidiehs gallicoles, surtout du Phylloxéra, ne peuvent
nous rendre que peu de services.
On trouve des Hémiptères fossiles dans les terrains jurassiques, types lacustres,
Naucores, Bélostomes, Nèpes. Les terrains tertiaires et le succin renferment des
IIÉWIPTEIIES. 245
espèces plus nombreuses et plus variées (?;oî/. Gii. Buongniart, Revue scientifique ,
août 1885, p. 278).
Œuf. Les œufs des Insectes hémiptères varient pour la forme. Chez les
Géocorises ou Punaises terrestres, ils sont ordinairement disposés sur les feuilles
ou les tiges des plantes, en rangées transversales, et collés par un bout. Leur
forme rappelle ainsi celle d'un barrillet, ovahiire ou cylindrique, aplati aux deux
extrémités. Il en est de blanchâtres, lisses, gris de perle, parfois irisés, ou velus,
«pineux, ornés de dessins à réseaux, de bandes circulaires, de points plus
foncés. L'extrémité supérieure s'enlève au moment de l'éclosion comme une
calotte ou opercule. Les œufs des Gerris sont allongés, non tronqués à un des
bouts. Chez les llydrocorises, les Nèpcs ont des œufs couronnés de sept
fdets cylindriques, les Ranatra n'ont que deux filets. Des Corises exotiques
mexicaines pondent un nombre considérable d'œufs qui servent à ralimentation.
ainsi que je le dirai plus bas [voy. p. 244).
Les œufs des Cigales et des Cicadelles indigènes sont oblongs, cylindroïdes
et blanchâtres, introduits par la tarière des lémelles dans les branches, les
tiges des arbres et des plantes ; ceux de V Issus apterus sont en amas et recou-
verts de terre, déposés sur les échalas dans les vignes. Les œufs des Goccides
«t des Phylloxéra sont tout à fait spéciaux et remarquables, surtout l'œuf unique,
dit œuf d'hiver. Le corps desséché de la mère protège les œufs chez beaucoup
de Gallinsectes [voy. Galliinsectes, Cochenilles).
Larve. La plupart des larves chez les Hémiptères ressemblent beaucoup à
l'insecte parfait et n'en diffèrent que par une forme plus ramassée, ainsi que
par le manque d'ailes ou d'organes sexuels. Dès leur naissance, elles présentent la
disposition générale du corps, toutefois les antennes sont plus grêles, moins arti-
culées, le rostre ainsi que les pattes moins bien formés. Les ocelles peuvent
faire défaut et les yeux avec un réseau moindre que chez l'adulte. Après deux,
trois ou quatre mues, la larve montre de courts fourreaux ou moignons alaires;
après une dernière mue, ordinairement la cinquième, apparaît la nymphe. Sou-
vent il n'y a pas un passage brusque de la larve à la nymphe; les rudiments d'ailes
paraissent après la première, il y a de h sorte des transitions insensibles,
«onime chez beaucoup de Névroptères, Libellules, Ephémères [voy. Névroptères
€t ÛRTHOI'TÈRES).
Au contraire de ce qui a heu chez les Géocorises, les larves des Cigales res-
semblent moins à l'adulte, elles sont trapues, couvertes d'une peau résistante,
vivent en terre, suçant les racines des aibres, et ne parvenant à l'état parfait
qu'au bout d'un temps parfois très-long; les pattes antérieures sont remarqua-
blement fortes, épineuses, propres à fouir le sol et à cheminer dttns un terrain
compacte. Les larves de certains Cercopiens sont entourées de l'écume spumeuse
dont j'ai déjà parlé (ijoî/. p. 241). Les derniers Hémiptères à organisation moins
complète ou dégradée, les Psylles, les Aphidiens, les Aleurodes, les Phylloxères,
les Goccides, ont des larves parfois assez différentes de l'état parfait ou de per-
fectose.
Nymphe. L'état de nymphe s'établit d'une manière peu sensible, après une
mue des téguments, dans la plupart des premiers groupes d'Hémiptères. Quand
il est plus marqué, on voit apparaître les moignons des ailes, qui après une der-
nière mue laissent développer les ailes définitives. Beaucoup d'espèces adultes et
pourvues d'organes génitaux restent sous la forme nymphale.
Chez les Gerr/.-i laciistris la larve naissante, longue d'un millimètre, offre son
244 HEMIPTERES.
abdomen rélraclé, paraissant nul; à la quatrième mue des moignons d'iié-
mélytres épais et luisants se montrent, avec un abdomen court et pointu ; à la cin-
quième mue, l'abdomen devient aussi long que le reste du corps et les moignons,
qui n'ont pas cliangé de dimension jusqu'au dernier moment, sont remplacés par
des ailes qui s'étendent jusqu'à l'extrémité.
Les nymplies des Cigales de nos climats, pourvues de moignons d'ailes, sortent
de terre et grimpent le long des troncs d'arbres, mettant en action les tarses
des grosses pattes antérieures cacbés dans une rainure cbcz la larve. J'ai souvent
trouvé à Agen la peau de ces nymphes, avec une fente dorsale, retenues
accrochées aux ceps de vigne ou aux échalas par les ongles des tarses et les
épines des jambes, l'insecte parfait s'étant dépouillé de la peau nympliale le
soir ou pendant la nuit. Chez les Apliropbores, la nymphe se trouve dans la
cavité préparée par la larve dans l'amas écunieux déposé sur les plantes, saules,
luzernes, graminées. Les Membracides njmphales sont moins bizarrement déve-
loppées que les adultes. Les nymphes d'Aleurodes sucent les plantes comme les
larves, mais sont immobiles. L'état de nymphe est peu marqué chez les Pucerons
et les Coccidés.
Hémiptères utiles. On trouve bien moins d'insectes utiles que de nuisibles
chez les llémiplères. Ceux qui font la chasse aux autres nous servent indirec-
tement et leur action doit être signalée. Ainsi la Zicrona cœndea poursuit sur
la vigne les Altises; les Gonocerm, les Anthocoris, attaquent les petites chenilles,
les Pucerons; les Réduvides, surtout le Rediiviiis personalus, dont la larve noc-
turne fait la guerre aux Punaises des lits, les Harpactor, sont carnassiers.
La Cochenille du cactus, la Carteria de la laque et autre Coccidés, sont utiles
{voy. Coche.mlle). Enfm deux es|.èces de Corises américaines servent à l'ali-
mentation. LesCorixa mercenaria et C. /emorata Guérin-Méneville, du Mexique,
pondent des œufs qui, de temps immémorial, bien antérieur à la conquête
espagnole, ont été recueillis dans un but alimentaire. Les indigènes vont à la
recherche de ces œufs dans les lacs de Chalco et de Tezcuco, entre lesquels est
bâtie la ville de Mexico; des faisceaux de jonc, disposés verticalement à quelque
distance du rivage, sont reliés par des boucles de jonc permettant de les retirer
lorsqu'ils seront couverts d'un énorme nombre d'œufs. Les Corises venant
pondre sur ces faisceaux, chaque brin de jonc est au bout de quinze jours
entièrement recouvert d'œufs. On retire alors les faisceaux que l'on l'ait sécher
au soleil, puis on les bat sur de grands draps pour en détacher les innom-
brables œufs qu'ils portent. Les faisceaux remis ensuite dans l'eau servent à
une récolte nouvelle. Les œufs mondés, tamisés, sont mis en sacs comme de la
farine et vendus pour fabriquer après cuisson des espèces de galettes appelées
Ilautlé, d'un goût rappelant le fromage elle poisson, très-recherchées à Mexico:
l'empereur Maximilien, de tragique mémoire, les aimait, dit-on, beaucoup. De
plus, à l'aide de filets ou Iroubleaux, on prend de grandes quantités de Corises
qui sont vendues séchées dans les rues de Mexico pour nourrir, sous le nom de
Mosquitos, les oiseaux en cage. Enfin, au fond des deux lacs précités, il se forme
un véritable terrain oolithique par suite du dépôt des œufs de Corises, dépôt
qui va croissant d'année en année et dont il serait bien difficile d'expliquer la
véritable cause sans la connaissance enlomologique de son origine.
Les anciens Grecs, au dire d'Aristote, mangeaient les Cigales plein( s d'œufs et
nicmc lesC'ixales non développées, avant qu'elles eussent dépouillé leurenveloppe.
HÉMIPTKRES. 245
Avaient-ils connu les larves ou plutôt s'agit-il de quelque autre insecte lar
vaire?
La piqûre de certaines Cigales [Cicada orni L.; 6'. pimctata P'al).) détermi-
nerait sur le Fraxinus rotundifolia, après le départ de l'insecte, l'extravasa-
tion du suc très-sucré, appelé manne : mais c'est par des incisions qu'on se pro-
cure la plus grande partie de la manne et les Cigales y concourent peu. La
manne du Tamarisc est produite par la piqûre d'une Cochenille {Coccus ou Gos-
syparia manniparus [voy. Cocuenilles et Manne]).
Hémiptères nuisibles. Les Hémiptères sont nuisibles, tan( à l'état de larve
ou de nymphe qu'à celui d'insecte parlait, quand ils sucent avec leur rostre les
parties tendres des végétaux. Les cultures potagères ont à souffrir des attaques
de plusipiu's Géocorises, leSehirus bicolor, les Strachia ornata et oleracea, etc.
VEiirygaster maiirus ipique sur les épis de froment les jeunes grains en forma-
tion. Plusieurs Pentatomes communiquent aux fruits sur lesquels elles ont passé
une odeur infecte; les Tingis du poirier, connus sous le nom de tigres, sont
redoutables, car ils vivent en familles nombreuses sous les feuilles dont ils cri-
blent de piqûres, la face inférieure; ils attaquent surtout les arbres en espalier.
La trop commune Punaise des lits, Cimex [Acanthia) leclularius Linné, est
un hémiptère cosmopolite nocturne vivant de sang et déterminant par sa salive
une tache rougeàtre au point piqué. Elle s'engourdit l'hiver et pullule dans les
lieux obscurs, les fentes des lits en bois, sous les papiers de tenture {voy.
Punaise).
Les Réduviens ont une piqûre redoutable à cause de la douleur vive qui en
résulte surtout pour les grandes espèces. Cette piqûre donne une sensation de
choc électrique. Les Araignées ne touchent point avant qu'il soit mourant au
Reduvius personatus souvent arrêté dans leur toiles. Aucune de ces piqûres
n'a causé d'accidents graves même pour les espèces exotiques et quoi qu'on ait
dit. Les Naucores, les Nèpes, les Notonectes, piquent fortement, je puis l'affirmer
pour en avoir ressenti les effets; il faut les prendre avec précaution, elles pro-
mènent leur rostre court dans tous les sens.
Dans les groupes des Psylliens, Aphidiens, Phylloxériens et Cochenilles, le
plus grand nombre est nuisible. Tels sont les PsyUapyrielP. pyrisuga du poi-
rier, les Aphides des genres Scliiioneura, Pemphigus, le trop célèbre et redou-
table Phylloxéra vastatrix [voy. Phylloxéra), qui menace de détruire non-
seulement nos vignobles français, mais ceux de l'Europe entière. J'ai déjà insisté
sur les Cochenilles nuisibles de divers genres [voy. Cochenilles).
Avant d'arriver à la classification des Hémiptères, un coup d'œil sur l'en-
semble de cet ordre d'Insectes en fera comprendre les principales divisions. J'ai
fait observer que les caractères du rostre et des métamorphoses incomplètes
caractérisaient mieux les Rhynchotes que le système alaire : en effet, les deux
principales divisions de cet ordre ne se ressemblent qu'incomplètement.
Le sous-ordre des Hémiptères vrais ou Hétéroptères {i^zpbç, autre, différent,
itTepôv, aile), fondé par Latreille, a pour caractères la différence des deux portions
des ailes supérieures ou hémélytres, coriaces sur la corie et membraneuses dans
leur région terminale. Le rostre naît du front, le prothorax est beaucoup plus
grand que les deux autres segments thoraciques. Ils sont tantôt phytophages,
parfois carnassiers ou polyphages. Les uns sont aériens ou Géocorises, les autres
aquatiques, amphibies ou Hydrocorises. Les premiers ont des antennes décou-
246 HÉMIPTÈRES.
vertes, allongées, tandis que les seconds ont les antennes très-petites, cachées,
et ils forment le passage aux Ilomoptères, dont les antennes sont petites.
LesPentatomeset les Scutellères sont remarquables par leurs antennes ordinai-
rement de cinq articles et leur écusson grand, arrivant même à couvrir tout
l'abdomen. Les Coréides et les Lygéides ont les téguments solides, ainsi que les
Tingides, remarquables par leur ailes supérieures homogènes, réticulées forte-
ment, sans distinction nette decorieet de membrane. LesMiris et les Capsides eut
les téguments d'une grande mollesse. Les Arades ont le corps aplali comme la
Punaise des lits, type des Cimex.
Les Réduviens, les fdilbrmes Ploiaria, sont suivis de genres courant ou avan-
çant à la surface de l'eau [Uydrometra, Gerris, Halobates, Velia).
Les llydrocoriscs comprennent les Galgulos exotiques, les Naucores, les Mèpes,
Ranatrcs, les grands Belostomes colosses des Ilétéroptères, les Corises et les
Notonectcs. Tous ces insectes sont carnassiers, vivant de proie et souvent se dévo-
rant entre eux.
Dans le sous-ordre des Hémiptères Ilomoptères (ôpd;, pareil, urepàv, aile) les ailes,
à peu d'exceptions près, sont membraneuses dans leurs deux paires; si les anté-
rieures sont plus dures et fortement chitineuses, elles sont de consistance égale,
sans corie et sans membrane séparées. Le rostre de trois articles apparents
naît du bas de la tète au-dessous des yeux entre les pattes antérieures, d'où le
nom de Collirostres ou d'Auchénorhynques {xbxîiv, cou, p'jyx.°^, bec) ; les antennes
sont courtes, terminées par une soie fine. Les femelles sont pourvues d'une
tarière ou oviscapte; le régime est végétal.
Les Cicadides ou stridulants sont les géants des Ilomoptères propres aux
régions chaudes du globe, les Fulgorides n'ont en France qu'un représentant,
Dictyophana europœa. Les Lystres, les Fiâtes, ont une sécrétion de longs fila-
ments de matière cireuse blanche sur l'abdomen. Les Merabracides sont très-
remarquables par leurs formes extraordinaires. Les Issus, lesDelphax, les Cerco-
pides, sont des insectes sauteurs, comme beaucoup de petites Giccadelles, les
Tettigones, les Typhlocybes, etc., etc.
Les Sternorhynques terminent la série des Ilomoptères, leur organisation est
remarquable, quoique simplifiée; ils ont été appelés Phytophtires on Poux des
plantes. Leur rostre ou suçoir semble prendre son origine au-dessous de la tête,
au devant du sternum, entre les pattes antérieures (a-rÉpvov, sternum, pvy/oç,
bec) ; ce rostre manque parfois dans l'un des sexes et les mâles n'ont alors que
deux ailes. Ces insectes restent fixés aux végétaux, non plus d'une manière
intermittente comme les Homoptères ordinaires, mais d'une manière continue,
parfois pendant toute leur existence.
Les Psyllides ou Faux-pucerons ont des larves et nymphes qui ne sautent pas
comme l'insecte parfait, nuisibles par leur succion, occasionnant sur les bour-
geons ou les fleurs des productions galloïdes. Les Livies se trouvent sur les
joncs. L'immense famille des Aphides, absolument nuisible, comprend ces légions
de Pucerons qui pullulent sur les plantes, les pousses tendres des arbres, les
racines, et parmi lesquels se trouvent le Puceron lanigère [Schizoneura lanigei^a)
et le trop fameux Phylloxéra vaslatrix. Les Pucerons ailés se distinguent des
Psylles en ce qu'ils ne sautent pas, qu'ils'sont très-souvent aptères, vivant parfois
sous terre, enfin parce qu'ils se multiplient par des générations spéciales.
Leur corps est très-mou, souvent recouvert d'une matière cotonneuse {voy.
IIÉMITKRIKS. 2i7
Pucerons). Les genres Aphis, Lachnun, Pemphigm, Adelges et autres sont
bien moins à redouter que le Phylloxéra île la viyiie [voy. Phylloxéra).
Les Coccitles sont les derniers llomoptères, n'ayant pas de rostre chez les
mâles, et avec des femelles immobiles après leur ponte, sauf les Orthezia. Les
dépiédalions de ces insectes ne sont pas assez compensées par la Cochenille et
les divers Coccidés utiles {voy. Cochemlles).
Classification. Linné, créateur de Tordre des Hémiptères dans la première
ébauche de son SyMema nalurœ, en 1755, leur donnait pour caractères d'avoir
quatre ailes, dont les deux supérieures à demi membraneuses. Dans la douzième
édition de son célèbre ouvrage il lait entrer parmi les Hémiptères, les OrUiop-
tères actuels qu'il avait d'abord placés parmi les Coléoptères. De Géer appelait
Hémiptères les Blattes et les Sauterelles; il donnait le nom de Sipbonata aux
Cigales et aux Pucerons, celui»de Dermaptera aux Punaises terrestres et aqua-
itiques, enfin celui de Proboscidea aux Cochenilles. Geoffroy, le premier, établit
les Hémiptères comme ordre à part des Orthoptères, ayant les ailes supérieures
presque semblables à des étuis, la bouche armée d'une trompe aigué, repliée
en dessous et le long du corps. Fabricius comprenait dans ses Rhyngota les
Hémiptères vrais et des Pulicidcs ou Siphonaptères. Latreille, en i,810, adopta
l'oidre des Hémiptères avec les deux sous-ordres llétéroptères et llomoptères, que
Leach en 1817 élevait au rang d'ordres nouveaux. Actuellement la division de
Latreille est généralement suivie.
On vient de voir que Fabricius avait compris les Poux ou PedicuU parmi les
Hémiptères actuels ; Burmeister a partagé cette manière de voir. Gervais et van
Beneden, dans leur Zoologie médicale (t. I, page 576, 1859), regardent les Pédi-
cuhdcs ou Épizoïques comme un sous-ordre aberrant des Hémiptères, restant con-
stammQnt aptères qu dépourvus d'ailes.
Les Podiuelles ont de même été placées à la suite (ies Hémiptères, comrrjo
autre sous-ordre aberrant, p,nr les auteurs précités, Gervais et van Beneden [Zoo-
logie médicale, t. 1, page 582-o85, 18à*J). Cette place ne peut être maintenue
aux Poduielles ni aux Smiuthures; j'ai démontré que [\inurida maritimçL,
espèce très-curieuse de Poduride [Annales de la Société entomologiqiie de
France, 1864, pages 711 et 715, planche XI, figures 10, H et l'i), est munie
d'organes buccaux masticateurs compliqués et caractéristiques, ne l'éloignaqt
pas absolument des ïhysanoures [voy. Névroptères et Thysakoures).
Voici un aperçu des diverses familles des insectes hémiptères :
IlÉTÉRopTÈREs. Géocoriscs : Scutelleridœ, Pentatomidœ, Coreidse, Lijgeidœ,
Phymalidœ, Tingidœ , Aradidœ, Capsidœ , Cimicidse, Reduvidse, Saldidœ,
Hydrometridœ, Gerridœ. — Hydrocorises : Pelogonidœ, Naucoridœ, Nepidœ,
Notonectidœ, Coriùdœ.
HoMOPTÈREs. Auchénorhynques : Cicadidœ, Fulgoridce, Lystridx, Membra-
cidse, Cercopidœ, Ulopidœ, Jassidœ, Tettiyonidœ. .— Sternoihynques :, Psyl-
lidœ, Aphidse, Aleurodidse, Coccidœ. A. Laroulbène.
OÉMISTOME. Voy. Trématodes.
HÉMITÉBIES {r'pitau, moitié, Tsoa;, monstre). Sous ce nom, Is. Geoffroy-
Saint-Hilaire a désigné, d'ensemble, tous les vices de coniprmation et les variétés
analomiques auxquels il a donné également le nom A' anomalies simples, et
qui, n'étant d'ailleurs pas capables d'entraver notablement l'acçoipplissement
248 HÉMOGLOBINE.
lies grandes fonctions, consistent surtout en des anomalies de volume, de forme,
de couleur, de consistance, de position ou de connexions, de nombre et même
d'existence d'organes ou de parties d'organes. 0. L.
IIÉMITRITÉE (Fièvre). C'est le type de fièvre appelé demi-tierce {voy.
Intermittente). L. Un.
IIE91MIIVG (WiLLUM-DooGi.\s). Né à Saxmundham, dans le comté de Suffolk,
le 14 novembre IS-iS. 11 fit ses études médicales au Collège royal de Londres, en
1868, devint membre du Collège royal des chirurgiens on 1875 et fut admis
la même année felloiv du Collège des chirurgiens d'Edimbourg. Il commença la
pratique de la médecine avec son père, et fut quelque temps attaché comme
chirurgien adjoint à un hôpital, mais l'état de sa santé l'obligea à quitter Londres
pour résider à la campagne à Bournemouth où il mourut le 9 décembre 1881. 11
s'était occupé surtout des maladies des oreilles et il a publié dans les principaux
journaux de médecine de Londres un certain nombre d'articles ayant l'olologie
pour objet. L'un de ses ouvrages, The Otology of the Last Ten Years (1880),
a été traduit en français. Nous nous bornerons à citer de lui :
I. Olorrhœn, ils Varielics, Causes, Complications and Treatment. Londres, 1876, in-8°.
— IL Trealmenl of Certain Forms of Tinnitus Aurium. In Med. Press and Circular, 1877.
A. D.
IIÉMOCIIROMOGÈIVE. Voy. HÉMOGLOBINE.
ilÉMOCYAMll^E. Nom donné par Frédéricq à une substance albuminoïde
incolore contenue dans le sang (ou hémolymphe) de certains mollusques, et qui
bleuit au contact de l'air et de l'oxygène; c'est elle qui fixerait l'oxygène pour
'échanger avec les tissus remplissant une fonction analogue à celle de l'hémo-
globine chez les animaux supérieurs. On doit la distinguer de l'hémacyanine et
de l'hématocyanine, qui désignent un produit de décomposition de la matière
colorante de la bile ou du sang que les recherches de Simon, Sanson, Lassaigne
et Lecanu, ont fait connaître sans en déterminer nettement la composition
(Frédéricq, Bull. deVAc. royale de Belgique , t. XLVI, n" H ; Kruckenberger,
Grundziiye einer vergleichend. Physiolog. der Farhslof(e, p. 99, Ileidel-
berg, 1884). A. 11.
IIÉMODROMOGRAPIIE. Voy. CIRCULATION, p. 420.
llÉmODROlllOlllÈTRE. Voy. Circulation, p. 418 et 420.
HÉMODYlVAnoinÈTRE. C'est l'hémomètre {voy. Circulation, p. 414).
L. Hn.
HÉMOeLOBIWE. Physiologie (syn. he'matoglohuUne, hémntocristal-
liney cruorine). On désigne sous ce nom la matière colorante du sang qui
constitue la masse des globules rouges ; elle est cristallisable, elle présente des
réactions spectroscopiques caractéristiques, et la propriété remarquable de fixer
l'oxygène en combinaison instable; elle existe dans le sang à l'état d'hémoglo'
bine oxygénée et à l'état d'hémoglobine réduite.
Uii^MôGLOBiNE. 24y
Cette matière colorante a été depuis longtemps isolée à l'état de cristaux
microscopiques par Hùnefeld, Reichert, Kolliker, Leydig. Francke décrivit le
moyen de l'extrait du sang de la rate (1851), et Kunde (1851) en détermina
la préparation méthodique. Ces observateurs n'observaient les cristaux du sang
qu'en quantités très-petites et les étudiaient au microscope. Lehmann, sous le
nom d'hématocristalline, en a donne des figures qui sont actuellement encore
reproduites dans certains livres classiques sous le nom de cristaux d'hémoglo-
bine; malgré la dilTérence de dénomination, il a eu le mérite d'étudier les
formes cristallines diverses de la matière colorante du sang chez différents
animaux.
C'est lloppe-Seyler qui, le premier, découvrit les caractères spectroscopiques
de l'hémoglobine et fixa pour longtemps les incertitudes des chimistes au sujet
delà matière colorante du sang. Il montra que l'hémoglobine, matière colorante
principale du sang veineux, se transforme pendant la respiration en oxyhémo-
globiue, matière colorante principale du sang artériel en absorbant de l'oxygène,
et que réciproquement l'oxyhémoglobine du sang artériel échangeant avec les
tissus son oxygène redevient hémoglobine. 11 établit définitivement une distinc-
tion entre l'hémoglobine et l'hématine, et montra que l'oxyhémoglobine extraite
du sang des animaux et cristallisée présente des propriétés spectroscopiques et
chimiques identiques à celles de la matière colorante du sang artériel.
A partir de ce moment, les travaux de Scbmidt, de Valcntin (1865), de Stokes
(1864), de Preyer (1868), constituent la période initiale de la découverte de
l'hémoglobine. Depuis les vingt dernières années, les recherches ont été nom-
breuses et onl; fait accomplir de grands progrès que nous signalerons au cours
de cet article.
L'usage a consacré le mot oxyhémoglobine pour désigner l'hémoglobine
oxygénée, et il est préférable d'employer ce mot pour éviter toute confusion. Le
terme hémoglobine devrait toujours être réservé pour exprimer la matière
colorante du sang, sans distinction de l'état d'oxygénation ou de l'état de
réduction. Les produits de décomposition de l'hémoglobine sont nombreux,
nous décriions les principaux que l'on peut grouper ainsi qu'il suit :
L'oxyhémoglobine, privée d'oxygène, se transforme en hémoglobine réduite ;
privée d'une partie de son oxygène, elle forme la méthémoglobine.
L'oxyhémoglobine traitée par les acides se transforme en hématine.
L'hémoglobine réduite se transforme sous l'influence des acides en hématine
réduite ou hémochromogène.
L'hématoporphyrine, appelée aussi hématine sans fer, l'hématosine, l'Iiéma-
toïdine, sont aussi des dérivés de l'oxyhémoglobine et de l'hémoglobine ayant
pour caractère commun l'absence du fer.
OxïHÉMOGLOBiKE. Préparation. Les nombreux procédés employés reposent
sur ce principe général que l'oxyhémoglobine doit être séparée du stroma des
globules pour être soumise à la cristallisation. Le moyen le plus simple a été
employé par Rollet, il consiste à détruire le globule par la congélation. On
laisse tomber goutte à goutte du sang défibriné de cobaye dans un vase entouré
d'un mélange réfrigérant, puis on porte le sang rapidement à la température
de 20 degrés, le sérum est coloré par l'oxyhémoglobine dissoute ; en répétant
plusieurs fois l'opération, il se forme spontanément des cristaux d'oxyhémo-
globine, ou bien il suffit d'ajouter de l'alcool ou do l'éther à la solution pour
obtenir des cristaux d 'oxyhémoglobine.
250 HEMOGLOBINE.
Pour l'examen microscopique des cristaux dhémoglobine, on em|jloiera les
procédés suivants : On dépose sur une lame de verre une goutte de sang défi-
briné de cobaye ou de chien, on la laisse évaporer jusqu'à ce que les bords
commencent à se dessécher, ensuite on laisse tomber au centre une goutte d'e;ui
et on recouvre avec la lamelle de verre, on assiste à la formation des cristaux.
On peut aussi ajouter \me goutte d'éther ou de cliloroforme à une goutte de
sang défibriué et recouvrir avec la lamelle. Un piocédé très-simple que j'ai
employé souvent consiste à recueillir du sang de cobaye dans du sulfate de soude
en solution et à le traiter par l'éther.
Pour examiner au spectroscope l'oxyhémogiobine, il suffit de diluer du sang
dans de l'eau et d'en étudier les réactions dans une cuvette prismatique, dans
la cuvette de Preyer ou dans un hématoscope. Lorsqu'il s'agit d'obtenir des
quantités d'oxyliémuglobine assez notables pour en l'aire l'analyse ou s'en servir
pour établir des dilutions graduées, les procédés sont beaucoup plus compli-
qués, 11 est indispensable de consulter les monographies et les traités de chimie
pour exécuter pratiquement ces préparations, c'est pourquoi nous nous conten-
tons de résumer les principaux d'entre eux.
Procédés^ de Hoppe-Seijler. Le sang défibrint' avec 10 fois au moins son
volume d'une solution de chlorure de soilium renfermant 1 volume d'une solu-
tion saturée de ce sel pour 14 volumes d'eau (9 pour 19). On laisse reposer un à
deux jours à une basse température jusqu'à ce que les globules se soient presque
complètement déposés au fond du vase. Le liquide est alors décanté. La masse
formée par les globules est additionnée d'une petite quantité d'eau et d'une
quantité égale d'éther. Le mélange est agité, puis, l'éther ayant été décanté, ou
filtre à la température de 0 degré, et l'on ajoute au liquide un quart de son
volume d'alcool refroidi à 0 degré. On laisse reposer la liqueur pendant quelques
jours à une lempérature de — 5 à — 10 degrés. On obtient ainsi une masse
cristalline, contenant des substances albumineuses mélangées à des cristaux
d'oxyhérnoglobine. Pour obtenir ces derniers à l'état pur, il faut faire plusieurs
cristallisations successives ; pour cela la masse cristalline est recueillie sur un
filtre à 0 degré, et traitée par un peu d'eau à 40 degrés; l'hémoglobine se
redissout, et on la fait de nouveau cristalliser par l'addition d'un quart de son
volume d'alcool et en la laissant au repos plusieurs jours à une tempé-
rature au-dessous de 0 degré. La théorie de cette préparation est simple, l'ad-
dition de solution de sel marin a pour but de séparer les globules ; l'eau et
l'éther dissolvent la matière colorante; en ajoutant l'alcool à la solution
aqueuse, on diminue la solubilité de l'hémoglobine, d'où la cristallisation plus
facile.
Le procédé de Kiihne repose sur ce principe que le sang du cheval main-
tenu à température basse laisse déposer les globules rouges et permet de les
isoler du sérum, et sur l'action destructive de la bile sur le stroma des glo-
bules.
Le sang du cheval est recueilli dans une éprouvetteque l'on refroidit de manière
à empêcher la coagulation. Les globules se déposent et se séparent du plasma.
On décante ce liquide et l'on ajoute aux globules 1 gramme de bile cristallisée
par COO centimètres cubes de sang. Les globules se dissolvent, ou les sépare du
dépôt fibrineux qui se forme, et on ajoute à la liqueur de l'alcool à 90 degrés
acidulé avec de l'acide acétique. On laisse reposer à 0 degré et l'oxyhémogiobine
se précipite en masse cristalline.
HEMOGLOBINE. 251'
\u& procédé de Preyer repose sur la dissolution de l'hémoglobine par des con-
gélations successives et l'emploi de l'alcool, il demande comme les précédents
des manipulations répétées et qui exposent à de grandes pertes de la matière
colorante; ils doivent être pratiqués en hiver et par des températures très-
basses.
Propriétés phijsiques. Les cristaux d'oxyhémoglobine se présentent sous
l'aspect d'une poudre rouge clair, dans laquelle le microscope fait voir des
formes cristallines variables suivant les animaux d'où provient le sang. Preyer
les a décrites dans 47 espèces de Vertébrés, et ses résultats ont été reproduits et
complétés par llenninger. Elles appartiennent pour la plupart au système rhom-
bique. Tels sont les cristaux du sang de l'homme, du chien, du cobaye, du
lapin, du chat, du cheval, du lion, du couguar, du Fdk marmorala. Chez le
Cobaye l'aspect de ces cristaux ressemble à celui de tétraèdres, mais en réalité
ils forment des moitiés de pyramides rhombiques (Lang).
Chez l'homme, les cristaux forment des rectangles allongés, rhombes, à angle
de 54°,6, ou des prismes à six pans; ils appartiennent au système cristallin
orthorhombique (Funke, Von Lang).
Chez quelques animaux, l'écureuil, le hamster, la souris, les cristaux ont la
forme de tablettes hexagonales (système hexagonal). Enfin, chez le cheval, l'hé-
moglobine a été obtenue sous deux aspects, tables rhombiques et prismes longs
et en aiguilles.
Ces différences dans la cristallisation se retrouvent pour la solubilité des
diverses ox\ hémoglobines qui sont dissoutes par l'eau en quantité variable. Les
cristaux les moins solubles, comme ceux du cochon d'Inde et du chien, sont les
plus faciles à préparer par les procédés indiqués précédemment. La solubilité
varie avec la température, elle est plus prononcée avec les températures élevées,
c'est pourquoi l'on redissout les cristaux avec de l'eau à 20 ou 50 degrés.
Lehmann a trouvé que la solubilité de l'oxyliémoglobine du cobaye est de
16 pour 100, mais lloppe-Seyler indique pour l'oxyhémoglobine du chien
2 pour 100 à 5 degrés centigrades.
L'oxyhémoglobine est soluble dans les dissolutions très-étendues d'alcalis,
d'ammoniaque et de carbonates alcalins, mais elle s'y altère au bout de quelques
jours, elle se dissout et se conserve au contraire dans la glycérine et les solutions
étendues d'albumine, de sucre, de lait, de raisin et de canne ; elle est soluble
dans l'urine, les solutions d'urée, les diverses humeurs de l'écoELomie, mais
elle s'y altère rapidement.
L'oxyhémoglobine est insoluble dans l'alcool absolu, elle se décompose rapi-
dement dans l'alcool étendu d'eau, elle est également insoluble dans l'éther, les
essences, les huiles, le chloroforme, la créosote, le sulfure de carbone.
Propriétés optiques. Les cristaux d'oxyhémoglobine ont une coloration
rubis éclatante lorsqu'on les examine au microscope, ils sont biréfringents et
d'une grande transparence, mais ces caractères disparaissent lorsqu'il y a
mélange d'hémoglobine amorphe, ou d'hémoglobine réduite, ou bien un commen-
cement d'altération.
Les réactions spectroscopiques de l'oxyhémoglobine offrent une importance
considérable en hématologie, elles ont été décrites dans divers articles de ce
Dictionnaire (article Sang [Médecine légale], Tourdcs ; article Spectroscope
\ Biologie], Eénocqne, et aussi dans l'article Hématoscope, Hénocque).
Je rappelle ici que l'oxyhémoglobine en solutions, et suivant l'épaisseur exa-
252 IIÉMOGLOBINI-:.
minée, offre deux bandes caractéristiques situées à droite de D et à gauche de E,
c'est-à-dire dans le jaune ; ces deux bandes se retrouvent dans des solutions
très-faibles, à condition d'augmenter l'épaisseur de la couche de liquide : en effet,
Hoppe-Seyler a montré qu'on peut encore voir les deux bandes en examinant des
5olulions de 1/100 milligramme pour 1 centimètre cube d'eau, soit 1/100 000.
J'ai constaté qu'on peut voir ces deux bandes en observant les cristaux d'oxyhé-
moglobine disposés en simple couche entre deux lames de verre, à l'aide du
micro-spectroscope.
La détermination de la position précise de ces deux bandes « et p a été l'objet
de recherches qui n'ont pas donné des résultats tout à fait concordants, parce
que les divers observateurs n'ont pas ramené leurs mesures à des quantités
bien déterminées d'oxyhémoglobinc. Cependant Jiiderholm a trouvé que les
parties moyennes de ces bandes correspondent pour la bande a à 577,5 "k et pour
la bande [i à 559,5 X ou millionièmes de millimètres. De mon côté, j'ai établi
que, lorsqu'on examine une dilution d'oxyhémoglobine ou même le sang à une
certaine épaisseur, on observe le phénomène des deux bandes également
obscures, et occupant des espaces égaux en longueur d'onde : or, les deux
bandes mesurent alors « = 590 à 570 millioniinèties. j3 = 555à 553 millioni-
mètres : la partie moyenne est donc pour a 580 et pour p 540 millionimètres ;
ces résultats conlirnicnt ceux de Jaderholm.
Propriétés chimiques. L'oxyhémoglobine desséchée dans le vide au-dessous
de 0 degré peut être conservée dans des tubes de verre fermés, à la température
ordinaire ; elle peut êlre chauffée jusqu'à 100 degrés sans être altérée, placée sur
une lame de platine à une température plus élevée elle se boursoufle, s'enflamme,
donne une odeur de corne grillée et laisse un résidu d'oxyde ferrique ronge
brun.
Exposée à l'humidité ou dissoute dans l'eau, elle s'altère rapidement ; chauffée
quelque temps à 70 ou 80 degrés, elle se transforme en hématine et en matière
albuminoide. L'alcool étendu mélangé d'ammoniaque, l'eau de chlore, l'acide
acétique, décolorent les cristaux d'oxyhémoglobine. L'acétate de plomb et le sous-
acétate de plomb ne précipitent pas l'oxybéraoglobine de ses solutions.
Les acides en solution aqueuse produisent des précipités de substances albu-
minoïdes colorés en brun par l'hématine. Les acides acétique, oxalique, phos-
phorique, tartrique, décomposent l'oxyhémoglobine en la dédoublant en héma-
tine et en matière albuminoide ou bien en la transformant d'abord en
mélhémoglobine. Les alcalis agissent plus lentement, cependant la potasse
caustique, l'ammoniaque, amènent à des degrés divers la transformation en héma-
tine et en mélhémoglobine.
Les réactions les plus remarquables sont celles que produisent les agents
réducteurs, ceux-ci enlèvent à l'oxyhémoglobine son oxygène et la transforment
en hémoglobine réduite. On verra plus loin quelle est l'importance de ce dépla-
cement de l'oxygène.
Composition de l'oxyhémoglobine. Elle n'est pas encore déterminée défini-
tivement, en ce sens que nous ne possédons pas la formule rationnelle de cette
substance, mais seulement des formules empiriques. Cependant les analyses de
Schmidt, Hoppe-Seyler, Biicheler, Preyer, Kossel, Otto, Hufner et Zinoffsky, ont
fait connaître les particularités les plus importantes de la composition de l'oxy-
hémoglobine. Nous résumons dans le tableau suivant les premières analyses de
Hoppe-Seyler, de Schmidt, de Kossel (cheval), d'Otto (porc) :
HEMOGLOBINE.
253
Carbone
Hydrogène
Azole
Oxygène
Soufre
Fer
Aciile phosplioriquo
Eau de cristallisation.
SCIIMIDT ET IIOrPE-SEVLEn.
Chien.
52,83
7,32
16,17
21, Si
0,39
0,45
100,00
3 à -i
Oie.
54,26
7,10
16,21
20,69
0,51
0,43
0,77
100,00
lour lOU.
Cochon (l'Inde.
Écureuil.
51,12
51,09
7,36
7,39
16,78
16,09
20,68
21,44
0,58
0,10
0,48
0,59
M
»
100,00
100,00
7 pour 100.
6 p. 100.
KOSSEL.
Cheval.
54,87
6,97
17,51
19,73
0,63
0,47
100,00
9 p. 100.
. OTTO.
Poic.
51,17
7,38
16,23
21,36
0,66
0,43
lUO.OO
Ce tableau montre que roxyliénioglobine présente des différences très-minimes
de composition chez les divers animaux et en outre qu'elle diffère des matières
albuminoïdes par la présence du fer.
Les principes les plus importants de l'oxyliémoglobinc sont le fer, le soufre
et l'oxygène.
Fer et soufre. C'est l'oxyhémoglobine qui contient tout le fer du sang, il
importe par conséquent de connaître la quantité exacte de ce corps et aussi sa
proportion relative par rapport au soufre; le tableau suivant donne les résultats
obtenus par divers auteurs :
Soufre pour 100. Fer pour 100.
i Schmidt 0, 66 0, 43
Chiens. . 5 Hoppe-Seyicr 0, 57 0, 45
f Iloppe-Seylet- 0, 44 0, 42
Biicheler ' . . . 0, 65 0, 43
BiRheler 0, 64 0, 47
, Bùchelcr » 0, 46
Cheval. . { ,^^^^^1 p^g3 0^ ^7
Ollo 0, 67 0, 45
Zinolfsky 0,389 0,335
On voit par ce tableau que les résultats présentent des différences notables
qui probablement sont dus à ce que la plupart des observateurs ont opéré sur
de faibles quantités d'oxyhcmoglobine. Zinoffsky, quia disposé de quantités plus
considérables, et dont les analyses ont été faites avec grand soin, donne des
chiffres fort différents. On admettait généralement q\ie l'oxyliémoglobine des
divers animaux renfermait 0,42 pour 100 de fer.
Or les analyses de M. Zinoffsky ne donnent que 39 pour 100; ce résultat
offre une grande importance pour certains procédés d'évaluation de l'hémo-
globine contenue dans le sang, ainsi que nous le verrons plus loin; lisent
en outre pour conséquence de spécifier la relation qui existe entre le fer et le
soufre de l'oxyhémoglobine : en effet, celle-ci renferme, suivant Zinoffsky, 1 atome
de fer pour 2 atomes de soufie, ce serait une combinaison définie.
L'oxygène contenu dans l'oxyhémoglobine est à l'état de combinaison faible :
en effet, les cristaux humides ou les solutions d'oxyhémoglobine exposés dans le
vide dégagent de l'oxygène. L'évaluation de cette quantité d'oxygène a été faite
par diverses méthodes, Hopt)e-Seyler et Strassburg ont trouvé que la proportion
d'oxygène est de TS-^sOo à 118",4 d'o.xyhémoglobine poiu' 100 grammes d'oxy-
hémoglobine à 0 degré et 76 centimètres de pression. Dybkowski (1866) a obtenu
254 lIÉMÛGLOBliNE.
lo6'',6 pouf 100 grammes; Preyer (1866) 171 cenlimèties cubes en moyenne,
soit 0«%2-445 d'oxygène pour 100 grammes d'oxyliémoglobine ; enfin Hufner,
sur 10 recherches, a obtenu en moyenne 159'*=,2 à 0 degré et 76 centimètres de
pression. Ces diverses données ont permis d'établir les formules suivantes de
l'oxyliémoglobinc :
Carbone. Hyilrogèuo. Azole. Oxygène. Fer.
Formule de Hufner 630 102.o 16i 89 53
Formule (h; Preyer 600 960 15t 179 53
Formule de Ziuotfsky 712 1150 2U 243 52
La nature intime de 1 oxyliémoglobine n'est donc pas encore complètement
•délînie, la présence du fer a été considérée comme la cause de cette combi-
naison faible de l'oxygène, mais la relation précise entre le fer et la fixation de
l'oxygène n'est pas encore démontrée; ce qu'il importe de constater, au point
de vue de la physiologie et du rôle de l'oxyhémoglobiue, c'est que la propriété
de fixer l'oxygène et de le dégager par la réduction se manifeste encore plus
complètement à l'intérieur des tissus vivants par l'intermédiaire des globules
rouges (c'est-à-dire de l'oxyhémoglobiue unie au slroma des hématies) que dans
les solutions d'oxyliémoglobine. En effet, dans les échanges qui se font entre le
sang et les tissus la réduction ou dégagement d'oxygène s'opère sans aucune
altération de l'hémoglobine, tandis que dans les solutions d'oxyhémoglobine in
viiro il se produit concurremment avec la réduction une transformation partielle
^n hématine.
HÉMOGLOiiixE uKDuiTE. C'cst la suhslaHce colorante principale du sang veineux,
elle est caractérisée à l'analyse spectroscopique par une bande unique large,
un peu diffuse et moins obscure vers les bords qu'au centre; cette bande occupe
les 3/4 de l'espace DE et dépasse un peu la ligne D vers G, c'est-à-dire l'espace
jaune vert, ainsi que Slokes l'a décrit le premier en 1864, en donnant à l'hémo-
"lobine réduite le nom de « purple cruorine » (1864). En dilution au centième, elle
occupe en longueurs d'onde l'espace situé entre 572 et 542 millionimètres, sui-
vant Yierordt, et, si on l'examine dans le sang réduit, en couche mince de 70 à
100 millièmes de millimètres, elle s'étend entre 590 et 540 niillionimèlres
(Ijénocque) ; on peut considérer la partie centrale moyenne comme répondant à
560 millionimètres. On trouvera à l'article Spegtroscope li complément de ces
réactions, le troisième spectre de la figure 1, page 20, est celui de l'hémoglobide
réduite. L'hémoglobine réduite agitée à l'air ou en présence de l'oxygène se
transforme en oxyhémoglobine. On peut donc, avec une même solution ou avec
«e même sang, préparer l'hémoglobine réduite en séparant l'oxygène de loxyliémo-
fflobine par l'action du vide, puis reproduire l'oxyhémoglobine par l'agitation
dans l'air. L'analyse spectrale fait ainsi constater que la matière colorante du
sauo' est bien unique. L'hémoglobine existe dans le sang veineux, mais elle y est
toujours mélangée avec une quantité presque égale d'oxyhémoglobine; néan-
moins si on extrait du sang des vaisseaux d'un doigt qui a été lié pendant
nlusieurs minutes et est cyanose, le sang ne contient que de l'hémoglobine
léduite (Hénocque). Suivant Hufner le sang de la veine crurale du chien contient
7 155 grammes d'hémoglobine réduite et 9,955 grammes d'oxyhémoglobine,
tandis que le sang de l'artère crurale contient 1,022 grammes d'hémoglobine
réduite et 14,510 grammes d'oxyhémoglobine.
L'tiérao"lobine réduite cristallise difficilement parce qu'elle est plus soluble
lllÎMUGLOmNE. 255
dans Teaii que l'oxyhérnogloblne, cependant il résulte des recherches de RoUet
et de Kûline que ces cristaux dilTèrent suivant les animaux observés.
Tous lesagenlsqiii séparent l'oxygène de l'oxyhénioglobine peuvent servir debase
à un procédé de préparation de l'hémoglobine réduite : c'est ainsi que Stokes la
prépaiait en faisant reagir sur du sangdélibriné dilué dans l'eau quelques gouttes
d'un liquide (dit de Stokes) composé d'une solution de sulfate de protoxyde de
fer additionnée d'acide tartrique neutralisé par l'ammoniaque.
On peut se servir de sulfure d'ammonium (Hoppe-Seyler), de solutions tartro-
ammoniacales de chlorure d'étain (Nawrocki).
Enfin on peut chasser l'oxygène de loxyliémoglbbine par un courant d'hydro-
"ène ou par l'azote, et même l'acide carbonique, mais le meilleur procédé pour
obtenir l'hémoglobine au moyen de l'oxyhémoglobiue cristallisée consiste à
absorber l'oxygène dans le vide. Wurtz le décrit ainsi qu'il suit : on délaye dans
l'eau l'oxyhémoglobine cristallisée, on introduit la bouillie dans lu pompe à
mercure et l'on fait le vide à plusieurs reprises, en remplaçant l'eau qui s'éva-
pore; les cristaux se dissolvent et, lorsque l'action du vide a été suffisamment
prolongée, la solution montre la bande d'absorption caractéristique de l'hémo-
clobine réduite. Cette solution se dessèche dans le vide ou dans l'air sec en une
masse amorphe sans fournir de cristaux.
L'hémoglobine réduite peut absorber l'oxygène lorsqu'on l'expose à l'air, elle
absorbe aussi l'oxyde de carbone et lebioxyde d'azote enfermant des combinai-
sons qui sont décrites plus loin. L'hémoglobine en solution aqueuse est coagulée
])ar l'ébullition en donnant un précipité rouge et une liqueur colorée en rouge.
L'un et l'autre renferment un produit de dédoublement voisin de l'hémaline et
queHoppo-SeyIer a désigné sous le nom d'hcmochromogène. Les alcalis en solution
aqueusiî ou alcoolique décomposent l'hémoglobine en albuminate alcalin et en
hémochromogène (il en est de même de l'acide phosphorique, de l'acide tar-
trique étendu). Les acides organiques ou inorganiques forts, l'alun, l'acide oxalique
étendu, transforment riicmoglobine réduite en hémochromogène qui est elle-même
lapidement décomposée en hématoporphyrine.
Hémoglobine oxijcarhonée. Cette combinaison de l'hémoglobine avec le
carljone se forme lorsqu'on traite les solutions d'hémoglobine par l'oxyde de
carbone, elle se forme dans le sang des animaux asphyxiés par l'oxyde de car-
bone. Claude Bernard le premier a démontré que l'oxyde de carbone chasse
l'oxygène contenu dans les globules rouges et cette découverte a été l'origine
de méthodes très-précises d'analyse des gaz du sang. Ce phénomène a été
étudié ensuite par Meyer, Donders et Zùntz, puis par Hufuer, qui a trouvé que
100 grammes d'hémoglobine lixent 159 centimètres cubes d'oxygène à 0 degré
et 760""". L'oxyde de carbone remplace dans l'oxyhémoglobine l'oxygène mo-
lécule par molécule et forme l'hémoglobine oxycarbonée, qu'on peut ob-
tenir en cristaux isomorphes avec ceux de l'oxyhémoglobine. Ils sont solubles
dans l'eau et leur dissolution a une couleur rutilante analogue à celle du sang
artériel. 5
En dilutions étendues elle jirésenle deux bandes caractéristiques qui ressemblent
à celles de l'oxyhémoglobine, mais elles sont plus rapprochées de E [voy. Spec-
TRoscoPE, page 20, deuxième spectre de la figure i, et article SAJic, page 618,
spectre de l'hémoglobine oxycarbonée). Suivant Hoppe-Seyler, si les deux bandes
d'oxyhémoglobine sont observées entre 578 et 539 raillionimètres, celles de
l'hémoglobine oxycarbonée occupent l'espace entre 572 et 555. Jàderholm a
256 HÉMOGLOBINE.
donné des chiffres différents qui sont plus exacts, le milieu de la bande « est à
572 et le milieu de p à 535 millioniraètres (wo?/. Oxyhémoglobine, page 10).
L'hémoglobine oxycarbonée est plus stable que l'oxyhémoglobine, cependant
on peut par le vide enlever la majeure partie de l'oxyde de carbone; l'hydrogène
chasse ce gaz, mais cette combinaison résiste à la putréfaction pendant très-
longtemps. Les oxydants neutres la transforment en une matière semblable à la
méthémoglobine. L'étude de l'aclion de l'oxyde de carbone sur rhéuioglobine.
présente une grande importance en séméiologie et en médecine légale.
hliémoglobine peut former des combinaisons définies avec d'autres gaz : tels
sont le bioxyde d'azote (Henïiann), l'acétylène (Liebreich), le cyanogène (Lan-
kestei), l'acide cyanhydrique (Iloppe-Seyler). Les caractères de ces composés ont
été résumés dans la tiiè<e de Fumouze, monographie la plus complète qui ait
été publiée en France jusqu'en 1871.
MÉTHiÏMOGLor.iNE. Ce produit se forme spontanément par la décomposition de
l'oxyliémoglobine en solution exposée à l'air pendant un certain temps. La colo-
ration rouge disparaît peu à peu et est remplacée par une teinte brun rougeâtre
qui rappelle celle du sang traité par le nitrite d'amyle (Gamgee) ou celle des
liquides de l'économie contenant du sang épanché (hydrocèles, kystes hématiques,
urine bématurique). Iloppe-Seyler, qui le premier l'a décrit en 1865, a donné à
ce dérivé de l'hémoglobine le nom de méthémoglobine.
La méthémoglobine peut être préparée directement avec l'oxyhémoglobine
exposée à l'air en vase clos pendant plusieurs mois (Preyer), mais on l'obtient
par un grand nombre de réactions.
C'est ainsi que la plupart des substances oxydantes transforment l'hémoglobine
réduite et l'oxyhémoglobine en méthémoglobine : tels sont le permanganate de
potasse (Macmunn), le chlorate de potasse (Marchand), les nitrites (Gamgee.
Jolyet, Macmunn, llénocque, llayem), l'iode, l'acide osmique (Marchand), le fcrro-
cyanure de potassium. Cette transformation peut se faire dans l'organisme même
sous l'influence de divers médicaments, ainsi que nous le verrons plus loin.
La méthémoglobine présente des l'éactions spectrales caractéristiques, très-
importantes à connaître.
Lorsqu'on examine le sang contenant de la méthémoglobine sous une faible
épaisseur (80 à 250 millièmes de millimètres), on aperçoit deux bandes sem-
blables à celles de l'oxyliémoglobine et une troisième bande située entre G et D :
par exemple, si les deux bandes j3 et a occupent les espaces 555 à 555 et 557 à
559 millionimètres, la troisième bande caractéristique de la méthémoglobine
occupe l'espace de G05 à 615 millionimètres. En d'autres termes, outre les deux
bandes placées dans le jaune et le jaune vert il y a une troisième bande dans le
rouge orange.
Ces réactions spectroscopiques varient suivant qu'on examine la méthémoglo-
bine dans une solution acide ou une solution alcaline. Ilenninger a donné de ces
spectres caractéristiques la description suivante. En solution aqueuse, c'est-à-dire
légèrement acide au papier, on observe une bande très-nette dans le rouge, entre
G et l) un peu plus près de G, à partir de D tout le spectre est sombre, mais par
la dilution on voit apparaître une bande très-peu foncée entre D et E tout près
de D, puis un peu avant E l'intensité lumineuse commence de nouveau à
décroître et atteint avant F un minimum limitant une large bande très-foncée
qui se détache assez bien sur le fond sombre du spectre; vers la laie F, on
HEMOGLOBINE. 257
observe imc faible éclaircie bleue, les radiations indigo et violettes étant totale-
ment absorbées (Henninger, in Dictionnaire de Wurtz, Supplément, p. 905).
Les solutions de méthémoglobine rendues alcalines par une goutte de potasse
présentent un spectre bien différent. La bande dans le rouge a disparu et à sa
place on observe trois bandes, une pâle avant D et deux autres entre D et E, qui
pourraient être confondues avec les bandes a et p de roxybémoglobine (llen-
nino^er). Cette description répond à celle que j'ai donnée plus haut de la réaction
du sang contenant de la méthémoglobine.
La méthémoglobine est soluble dans l'eau, 100 centimètres cubes d'eau dis-
solvent 5851 grammes à 0 degré ; elle a été obtenue à l'état de cristallin par Hufner
et Otto (1885), quiontobtenu avec le sang du porc des cristaux fins en aiguilles
lorniant une masse rouge brunâtre.
Sous l'inttuence des agents réducteurs (le sulfure d'ammonium, riiydrosulfitc
de sodium neutralisé, etc.), la méthémoglobine se transforme eu hémoglobine
réduite et celle-ci peut de nouveau être transformée en oxyhémoglobine ou en
méthémoglobine, mais le passage de l'hémoglobine à la méthémoglobine est
direct, et l'on n'observe jamais la production intermédiaire d'oxyhémoglobine ; ce
fait est important au jioint de vue de la théorie du mode de constitution de ce
principe.
La nature de la méthémoglobine n'est pas encore précisée. Hoppe-Seyler l'a
d'abord considérée comme un produit de transformation intermédiaire entre
l'hémoglobine et l'hématine, mais Kùhne s'efforça de démontrer que la méthé-
moglobine n'était qu'un mélange d'albumine, d'hémoglobine et d'hématine. Iloppe-
Seyler adopta cette opinion; Preyer, au contraire, apporta de nouveaux arguments
démontrant que la méthémoglobine doit être considérée comme un principe par-
ticulier dérivé de la métliémoglobine, et cette opinion a prévalu. La quantité
d'oxygène contenue dans la méthémoglobine n'a pas été délinitivement établie,
cependant la plupart des auteurs admet que la méthémoglobine renferme moins
d'oxygène que l'oxyhémoglobinc (Hoppe-Seyler, Marchand, Weyl et Anrep, Hen-
ninger), contrairement à l'opinion de Sorby et Jàderhoim, d'après laquelle la
méthémoglobine serait un peroxyde d'hémoglobine. Eu résumé, la méthémo-
globine serait une combinaison de l'hémoglobine avec l'oxygène, intermédiaii'e
entre l'oxyhémoglobine et l'hémoglobine. Cependant ces deux substances ne sont
pas des combinaisons oxygénées de même ordre; ainsi que La montré Henninger,
dans l'oxyhémoglobine une molécule entière d'oxygène (0-) est fixée sur une
molécule d'hémoglobine contenant un atome de 1er ; c'est une sorte de combi-
naison moléculaire facilement dissociable. Dans la méthémoglobine, par contre,
l'oxygène semble s'être porté sur l'atome de fer, cet atome qui se trouve à
l'état de minimum dans l'hémoglobine étant passé au maximum d'oxydation
{Comptes rendus de la Soc. debioL, n" 57, 1882, p. 712).
11 est probable qu'il existe d'autres combinaisons entre l'oxygène et l'hémo-
globine, ainsi quil semble résulter des recherches de Marchand, et des travaux
plus récents de Nencki sur la yarahémoglohine, combinaison très-voisine de
l'oxyliémoglobine qui aurait été signalée pour la première fois par Reichert.
Hématine ou hématine brune, oxyhématine. Ce dérivé de l'hémoglobine
avait été décrit en 1857 par Lecanu, sous le nom d'hématosine; elle se produit
par l'action des acides, des bases de l'alcool, del'étheret de l'ozone, sur Ihémo-
globine. On la rencontre accidentellement dans les foyers hémorrhagiques, da«s
le canal intestinal et l'estomac à la suite de l'action du suc gastrique sur le
CICT, EXC. i' ?. ■yill. 17
258 IIÉMOGLOBIÏNE.
sang exlravasé, et dans le melœna, dans l'hématurie. Elle présente une compo-
sition fixe; suivant Hoppe-Seyler elle a pour formule G"*H'"'Az^Fe^O"', elle
renferme 8,82 pour 100 de fer. Desséchée, elle se présente sous forme d'une
poudre d'aspect métallique, brun rougeâtre, elle u'cst altérée par la chaleur
qu'au delà de 180 degrés; elle brûle à l'air sans se boursoufler et laisse
12,6 pour 100 d'oxyde ferrique pur.
Elle est insoluble dans l'alcool, l'eau et le chloroforme, mais se dissout dans
l'alcool acidulé ou alcalinisé, et les dissolutions sont brunes et dicliroïques.
Le procédé le plus précis pour préparer l'hématine est celui de M. Cazeneuve t
on agite à plusieurs reprises du sang fibrine avec deux fois son volume d'éther
du commerce contenant au moins 25 pour 100 d'alcool. Le sang étant coagulé,
on décante l'éther au bout de vingt-quatre heures, et on épuise le coagulum par
l'éther à 56 degrés, tenant en dissolution 2 pour 100 d'acide oxalique. Cette
teinture colorée en rouge brun par l'hématine est saturée par de l'éther chargé
de gaz ammoniac. L'hématine ainsi précipitée est recueillie, lavée à l'eau, à
l'alcool, à l'éther. L'hématine se présente sous trois formes auxquelles corres-
pondent des caractères speclroscopiques différents qui ont été décrits dans
l'article Spectroscoi'ie, page 25, et (jui sont figurés page 20 (4", 5*, 6" spectre),
et article Sakg, page 618.
L'hématine, sous l'influence de divers réactifs, se décompose en une série de
composés, qui présentent un grand intérêt dans l'étude théorique des matières
colorantes du sang, mais sont moins importantes pour les applications à la méde-
cine : telles sont riiématoporphyrine et l'hémochromogène, l'hématoline, l'hé-
matoïdine. Elle forme avec les acides divers composés dont le plus intéressant
est le chlorhydrate (Thématine ou hémine, dont l'étude est fort importante au
point de vue de la médecine légale; c'est pourquoi les caractères en ont été-
décrits par M. Tourdes à l'article Saxg {Médecine légale,^. 618).
L'hémochromogène ou hématine réduite, ou hématine rouge a pour formule
C^'^IP^Az^FeO*, elle se forme dans la décomposition de l'hémoglobine réduite par
les alcalis et les acides ou les agents réducteurs; sa propriété la plus caractéris-
tique et analogue à celle de l'hémoglobine réduite est d'absorber l'oxygène de
l'air et de se transformer de nouveau en oxyhématine. Ce corps a été découvert
par Stokes en 1864; il lui a donné le nom d'hématine réduite, mais Hoppe-
Seyler l'a étudié plus complètement sous le nom d'hémochromogène. L'expression
d'hématine réduite convient mieux parce qu'elle répond à l'affinité de ce corps
pour l'oxygène. Elle n'est connue que par ses caractères spectraux et quelques
réactions de ses solutions. Les acides la décomposent en la séparant du fer et la
transformant en hématoporphyrine, l'acide sulfurique la décompose d'une
façon analogue en hématoline, qui est aussi un dérivé de l'hématine.
L'hématoporphïrine ou hématine privée de fer, décrite par Mulder et
Hoppe-Seyler. est un corps brun ayant pour formule G''*H''Az^O'*, peu soluble
dans l'eau et que l'on obtient par l'action de l'acide sulfurique concentré sur
l'hématine. Elle présente un spectre caractéristique, formé de deux bandes
d'absorption ; la première, étroite, située entre C et D, occupant un espace de
longueur d'ordre de 595 à 665 millimètres; la seconde, beaucoup plus large,
s'étendant de 550 à 585 millimètres.
L'hématoline, Vhématoïne, sont des dérivés analogues à l'hématoporphyrine,
car ils sont comme celle-ci dépourvus de fer; il en est de même des autres-
corps incomplètement définis, tels que l'hématosine de Jolly et Paquelin.
HÉMOGLOBINE. 259
V hematoïdine est un des produits de décomposition de l'hémoglobine dans
les tissus vivants qui ont été rencontrés dans rorgonisme; découverte par Virchow
dans des foyers liémorrhagiques anciens, elle a été trouvée par Robin dans un
kyste du foie. Les analyses de Robin et Riche ont démontré qu'elle est exempte
de fer, et M. Gantier en a donné la formule suivante : G-'^H-'^AzO". On trouvera
la desciiption et les lipures des cristaux d'hématoïdiiie dans Wuriz [Chimie
orqaniqne, t. 1, p. oi9) et dans Robin [Trailé des humeuvf^, p. (30o).
Dosage de L'ntMO(;r.oiuiNE. Jusqu'à présent ou s'est préoccupé surtout de
doser l'osybémoglobine; cependant il est possible de doser l'hénioglobine réduite
et quelques essais ont été tentés pour le dosage de l'hématine et de la niéthé-
moglobine.
Les divers procédés peuvent, ainsi que l'a fait Lambling dans une monographie
remarquable, être réunis en trois groupes : les méthodes chimiques, les méthodes
coloriniétriques, les méthodes spectroscopiques et spectropbotométriques.
Les méthodes chimiques comprennent le dosage de rbémoglobine par le fer,
par riiémaline, parla quantité d'oxygène absorbée par l'action décolorimétrique
du chlore.
Dosage de l' hémoglobine par le fer. Ce procédé, le plus ancien, a clé
institué par Pelouze. On opère sur 100 granmies de sang dcfibriné, qui est
d'abord évaporé dans une capsule de platine, le résidu est calciné au rouge
sombre en évitant le boursoullemeut, puis traité par 20 ou oO centimètres
cubes d'acide chlorhydrique étendu de son volume d'eau ; on ajoute au liquide
bouillant 20 à 30 centimètres cubes d'eau et l'on décante le liquide filtré. Le
résidu est incinéré à nouveau et l'on filtre les eaux de lavage. On reprend le
nouveau résidu par l'acide chlorhydri<iue et l'on répète l'extraction et l'inciné-
ration trois ou quatre fois. On incinère le filtre, et les cendres dissoutes donnent
un liquide jaune et limpide renfermant le fer à l'état de sel ferrique. On le
transforme en sel fei'reux; à cet el'fet, le liquide est inlioduit dans un ballon
avec du zinc divisé, très-pur, dans lecjuel on fait passer un courant d'acide
carbonique; on chauffe et l'on dose le fer par l'hyjiermanganate de potassium,
suivant le procédé de Pelouze.
Étant donné le poids du fer obtenu par l'analyse, on calcule la quantité
correspondante d'oxj hémoglobine.
On admet que l'oxyhémoglobine contient 0,42 pour 100 de fer chez les divers
animaux .par conséquent on a la proportion suivante : 100: 0,42 = .z;/'
ou X = fx jjjc^ = /"x 258, 1 .
Cette méthode de dosage présente des inconvénients graves, elle suppose
d'a'Dord que le chiffre de 0,42 pour 100 de fer dans l'oxyliémoglobineest normal
et constant chez divers^ animaux : or il n'en est pas ainsi, ce chiffre est une
moyenne et bien plus les travaux deZinoffsky démontrent que cette quantité de
fer a été exagérée, elle serait suivant lui de 0,59 pour 100, de sorte que le
coefficient 258 devrait être remplacé par 520. Les résultats obtenus suivant
qu'on accepte l'un ou l'autre coefficient varient considérablement : par exemple,
une analyse que j'ai fait pratiquer au laboratoire de M. Pellet, le 5 décembre
1885, comprenant 175 grammes du sang extrait par une saignée chez une
femme âgée atteinte d'affection du cœur, a donné une [iroportion de fer de
0,496 pour 100; avecle coefficient classique le sang renfermerait 11,7 pour 100
d'oxyhémoglobine, avec celui de Zinoffsky il contiendrait 15 pour 100 d'oxy-
260 HÉMOGLOBINE.
hémoj^lobine. On remarquera de plus que toute erreur portant sur la quantité
de fer (5 centigrammes au maximum) se trouve multipliée par un coefficient de
520 ou 238, et par conséquent je ne crois pas qu'on puisse compter sur cette
méthode de dosage pour des recherches délicates.
Dosage de V hémoglobine par la qiiantilé d'hématine formée. Ce pro-
cédé consiste à transformer l'hémoglobine en hématine; primitivement on trans-
formait l'oxybénioglobine en hématine par l'action d'un acide et l'on pesait
riiéniatine. A chaque gramme de cette substance correspondrait 2i8%ol d'oxy-
hémoglobine (Brozeit). Ce procédé a été dernièrement modifié par Mùller.
qui étudie par le spectroscope la quantité d'acide nitrique rendue nécessaire
pour réduire l'oxyliémoglobine dissoute dans la glycérine.
II est basé sur ce fait que l'oxyhémoglobine du sang recueilli dans la glycé-
rine ne s'altère pas, et montre les deux bandes caractéristiques; mais, si l'on
ajoute peu à peu de l'acide nitrique très-dilué, la transformation en hématine
s'opère graduellement, les deux bandes disparaissent et sont remplacées par les
bandes caractéristiques de l'hématine acide. L'évaluation repose sur cette expé-
rience fondamentale : pour faire disparaître les deux bandes d'oxyhémoglobine
dans du sang contenant 9,85 pour 100 d'oxyhémoglobine et dissous à la dose
de 4 centimètres cubes pour 20 centimètres cubes, soit une dilution de sang à
2 pour 100 dans la glycérine, il faut employer 6,95 centimètres cubes d'une
dilution aqueuse de 2 pour 100 d'acide nitrique (de poids spécifique 1,185).
Les résultats obtenus par Miïller sont généralement plus faibles que les chiffres
des autres observateurs.
Dosage de l'oxyliémoglobine par Vo.rygène absorbé. On admet théorique-
ment, d'après les calculs de lloppe-Seyler, que dans l'oxyliémoglobiiie un atome
d'oxygène correspond à un atorne de fer. 11 y aurait donc pour 100 grammes
d'oxyhémoglobine 12 grammes d'oxygène ou 83 centimètres cubes d'oxygène,
en admettant la moyenne de 0,42 |)our 100 de fer dans l'oxyhémoglobine; mais
les chiffres déduits des expérimentations prouvent que 100 grammes d'oxylié-
inoglobine contiennent Os'',24 ou 167*^^'', 38 d'oxygène.
On a appelé capacité respiratoire la quantité maxima d'oxygène absorbée par
le sang, c'est-à-dire par l'oxyhémoglobine, et l'on comprend que tout procédé
qui permettra d'extraire tout l'oxygèue du sang ou d'une solution d'oxyhémo-
globine donnera le moyen de calculer la quantité d'oxyhémoglobine correspon-
dante à la capacité respiratoire.
Malheureusement, malgré les travaux de lloppe-Seyler, Dybkowski, Preyer,
Pflùger, la quantité normale d'oxygène correspondant à un poids déterminé
d'oxyhémoglobine n'est pas encore établie rigoureusement. Cependant on peut
accepter comme constante d'absorption quci l'''',67 d'oxygène correspondent à
1 gramme d'oxyhémoglobine.
Les procédés les plus anciennement employés ont été l'extraction de l'oxygène
par le vide; ils ont été perfectionnés en suivant les progrès de l'instrumentation
technique des; pompes à mercure.
Les appareils de lloppe-Seyler, Ilelmoltz, Schmidt, de Mathieu et Urbain, de
Noël, de Pflûger et de Busch, sont décrits dans les traités de technique physio-
logique, et en particulier d;ms la monographie de Regnard {Sur les combustions
respiratoires), la thèse de Noël, le Manuel de laboratoire de physiologie de
Burdon Sanderson, Foster et Brunton, dans la Physiologische methodik de
U, Gsp''l*^*'i^'"' ^^^^^ '"^^ travaux des auteurs précédemment cités.
HÉMOGLOBINE 261
Le procédé de Claude Bernard est basé sur ce fait découvert par l'illustre
physiologiste, à savoir que l'oxyde de carbone se substitue volume .î volume à
l'oxygène de l'oxybémoglobine. Il consiste à agiter le sang dans un tube rempli à
moitié d'oxyde de carbone pur et préparé en décomposant le ferrocyanure de
potassium par l'acide sulfurique concentré. Ou agite de temps en temps et après
six à huit heures on transvase les gaz dans un tube gradué étroit ou à l'aide de
la potasse et de l'acide pyrogalli(}ue ; on détermine les quantités relatives d'oxy-
gène et acide carbonique.
Dosage de l'oxygène par Vhyposxilfite de soude. Schiitzenberger et Risler
ont utilisé la propriété de l'bydrosultite de soude d'absorber l'oxygène et les
réactions de l'indigo blanc et de l'indigo bleu pour constituer un procédé très-
ingénieux d'analyse volumétrique qui a été appliqué par Quinquaud à des
études cliniques; Lambling a fait l'exposé et la critique de ce procédé dans sa
thèse, page 38 et suivantes.
Dosage de Ihémoglohhie par le chlore. De'colorime'trie. M. Quinquaud a
décrit sous ce nom un procédé basé sur ce principe qu'une solution d'eau de
chlore titrée par l'acide arsénieux et le sulfate d'indigo décolore sous un certain
volume une quantité déterminée d'oxybémoglobine.
Méthodes calorimétriques ou chromométriques. Les j)lus importantes sont
celles de Hoppe-Seyler, de Malassez, d'Hayem, de Mantegazza, qui sont décrites
dans l'article Sang, page 527, et sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Il faut
y ajouter les procédés suivants :
1» Le procédé de Worm Millier, dans lequel on colore une quantité d'eau
connue en ajoutant le sang à examiner de façon à obtenir une couleur type
déterminée d'avance. La quantité de sang ajoutée donne la quantité d'oxybé-
moglobine ;
2° Le procédé de Jolyet et Laffont, basé sur l'emploi du colorimètre de
Duboscq, et dans lequel on compare la solution du sang à une solution de
picrocarminate d'ammoniaque ;
3" Le chromocytomètre de Bizzozero sert à la fois de compte-globules oii
cytomètre et de chromomètre ; il constitue une sorte de lactoscope de Donné en
miniature, il nécessite l'emploi d'un étalon coloré préparé d'avance, et, comme
dans tous les procédés précédents, on opère sur du sang dilué.
Tous les procédés colorimétriques présentent un désavantage auquel s'ajoute
la difficulté de l'appréciation des teintes, des solutions, de la construction de
l'étalon de comparaison.
Méthodes spectroscopiques. Procédé de Preyer (1866). Preyer a le premier
utilisé l'analyse spectrale pour le dosage de l'oxybémoglobine. Il a pris pour
principe que toute dissolution sanguine, ayant un pouvoir absorbant équivalent
à celui d'une solution titrée d'oxybémoglobine, contient une quantité d'oxybé-
moglobine égale à celle de la dissolution, et en outre que la solution d'oxybé-
moglobine, à un certain degré de dilution, laisse apparaître le vert au niveau
de la raie B.
Les instruments nécessaires à cette analyse sont un spectroscope, une cuve
« hématinométrique », c'est-à-dire une cuvette de verre en forme de parallé-
lipipède rectangulaire, à faces parallèles écartées de 1 centimètre, une pipette
graduée à 1/100 de centimètre cube et une source lumineuse constante (lampe
de pétrole).
On commence par placer devant la fente du spectroscope à une distance fixe
262 HÉMOGLOBINE.
une solution d'oxyliénioglobine pure concentrée, contenue dans l'iiémalinomètre,
on y ajoute peu à peu de l'eau, de façon qu'on voie apparaître près de la
raie B une bande verte qui s'élargit, si l'on augmente la quantité d'eau. Évapo-
rant 40 centiuiètres cubes de cette solution normale, on y détermine la quan-
tité d'oxyhémoglobine. Preyer employait des solutions à 0,8 pour 100. On
remplace alors la solution par le sang.iî examiner, eu ayant soin de conserver la
même distance, la même largeur de fente et la même lumière. On introduit
ainsi dans l'hématinomètre environ 0,5 centimètres cubes de sang défibiiné, et
l'on ajoute lentement de l'eau avec la pipette. On cesse la dilution aussitôt
qu'on voit apparaître une bande verte.
La formule suivante permet de constater la quantité d'oxyhémoglobine de
100 centimètres cubes de sang suivant la quantité e d'eau ajoutée, S est le
volume sanguin, h la quantité d'oxybcmoglobine de la solution normale, la
/j Ip _|_ s
quantité d'oxyhémoglobine ou x = — — ^ — '-
Ce procédé qui, entre les mains de l'auteur, a donné de bons résultats, offre
cet inconvénient qu'on ne peut établir par tâtonnements ni vérifier le moment
de rap]);\rition du vert; Lambling l'a modifié en se servant de la même manière
d'un spectroseope de Donné dans lequel il plaçait le sang dilué.
Procédé d'Uénocqiie. Pour éviter les inconvénients des dilutions, j'ai ima-
giné r/;ertzatos("07Je ou cuvette prismatique capillaire qui permet d'examiner le
sang non dilué sous des épaisseurs très-faibles, mais progressivement variables
et mesurées en millimètres. Ce procédé est décrit à l'article IltMATOscorF,. Si
l'on emploie le spectroseope double h fente uiiicpie, on peut faire l'examen à
deux personnes, et déterminer le moment d'apparition du phénomène des deux
bandes égales en longueur d'onde et eu obscurité, ce qui constitue un procédé
en quelque sorte photométrique, plus facile à déterminer rigoureusement que
l'apparitiou du vert. La lumière du jour convient pour cette étude mieux encore
que les sources lumineuses artificielles. Ce procédé a l'avantage de permettre
l'examen spectroscopique du sang tel qu'il sort des vaisseaux et sans dilu'ions,
en outre on peut déterminer le phénomène des deux bandes par une série de
lectures et par des tâtonnements aussi répétés qu'il es;t nécessaire.
Méthode?, spectrophotométrkjuex. Vierordt a créé une méthode générale
d'analyse quantitative basée sur le pouvoir absorbant des solutions coloréps par
rapport à la lumière. Les principes en sont complexes, mais il est nécessaire
d'en faire un exposé résumé.
On sait qu'une solution laisse d'autant moins passer les rayons lumineux
qu'elle contient une plus grande quantité de matière colorante, et l'expérience
nous permet d'apprécier empiriquement la concentration ou la richesse en
matière colorante d'une solution colorée, le vin, par exemple, par un simple
examen : or il est possible d'évaluer très-iùgourcusement la quantité de matière
colorante d'une solution en mesurant l'affaiblissement qu'elle produit dans les
rayons lumineux et surtout pour certains i^ayons colorés tels que ceux d'une
région déterminée du spectre.
Tous les procédés spectrophotométriques reposent sur ce principe que les
substances colorées possèdent un pouvoir absorbant constant pour certaines
régions du spectre, c'est-à-dire pour une plage lumineuse de longueurs d'ondes
déterminées.
De plus, on peut apprécier le pouvoir absorbant de deux solutions d'une
HÉMOGLOBINE. 265
matière colorante eu indiquant les épaisseurs de chacune d'elles nécessaires
pour réduire un même faisceau lumineux à une môme fraction de sou intensité
primitive. L'intensité lumineuse primitive étant égale à 1, on peut prendre
pour mesure du pouvoir absorbant d'une solution colorée l'épaisseur nécessaire
pour réduire de 1/10 cette intensité. C'est le principe de la méthode géné-
rale de Bunsen et Hoscoe, qui ont appelé coefficienl d'extinction la valeur
réciproque de l'épaisseur qui produit l'affaiblissement constant. Les coefficients
d'extinction sont proportionnels à la concentration de la solution, c'est-à-dire à
la proportion de substance colorante renfermée dans une épaisseur donnée de la
solution. Si l'on représente par rt et par c le coefficient d'extinction, le rapport
a
de ces deux nombres- est une quantité constante et s'appelle le rapport (Val
c
sorption.
On a pu ainsi déterminer pour diverses substances le rapport d'absorption en
calculant le coefficient d'extinction de solutions titrées, et réciproquement on
peut déduire du coefficient d'extinction le titre d'une solution colorée, c'est-à-
dire la quantité de matière colorante. Tels sont ces principes que Vierordt a
appliqués à l'analyse quantitative de l'oxyhémoglobine.
Procédé de Vierordt. L'appareil employé i)ar Vierordt est un spectroplioto-
mètre, c'est-à-dire un spectroscope dans lequel la partie mobile de la fente est
partagée en deux parties égales indépendantes pouvant être rapprochées par une
vis microspectrique mesurant bien exactement à 1/100 de millimètre près. 11
résulte de cette disposition que l'on peut obtenir avec une source lumineuse
deux spectres superposés. On place une solution colorée devant la fente supé-
rieure et l'on fait varier les largeurs des fentes de façon que la plage étudiée
du spectre libre présente le même éclat que la plage correspondante et super-
posée du spectre affaibli par la substance colorée. On dé(hiit le coefficient d'ab-
sorption de la largeur de la fente. On peut isoler une plage déterminée du
sppxtre, par exemple, celle qui correspond à la bande de l'oxyhémoglobine. au
moyen d'un diaphragme disposé dans l'oculaire. Ce procédé a permis à Vierordt
de fonder méthodiquement l'analyse quantitative des liquides renfermant une
ou plusieurs substances colorantes, d'en formuler les lois et de les appliquer au
dosage de f oxyliémoglobine et même- de l'hémoglobine.
Des perfectionnements fort importants ont été apportés par l'application des
lois de la polarisation à la spectrophotométrie, ainsi que l'écrit M. Branly
(thèse, p. 11) : « Deux dispositions principales ont été imaginées : ou bien
les deux images polarisées à angle droit sont amenées au contact, ou bien
on les fait empiéter l'une sur l'autre et on reçoit la partie commune sur un
polariscope. »
Le spectropholomètre de Glahn est le type de la première disposition ; il
■comprend un spectroscope, c'est-à-dire un collimateur, un prisme et une
lunette; entre la lentille du collimateur et le prisme sont intercalées les pièces
du photomètre, à savoir un prisme biréfringent, un prisme de Wollaston et un
nicol. Le prisme Wollaston donne naissance à deux images que la rotation du nicol
permet d'amener à l'égalité d'éclat. Le nicol produit donc ici le même effet que
Ja fente variable de Vierordt. La fente verticale du collimateur est divisée en
deux par une bande horizontale de laiton noirci. La lumière qui vient de chaque
demi-fente est dédoublée par le prisme de Wollaston.
Le spectrophotomètre de Hiifner est basé sur le même principe que le pré-
264 HÉMOGLOBINE.
céclenl, mais il est disposé en spectroscope à vision directe et d'un mouvement
beaucoup plus simple.
Le spectrophotomètre à faisceaiuc superposés de Branly repose sur ce prin-
cipe que les deux faisceaux polarisés sont en partie superposés, et qu'ils sont
examinés avec un polariscope. Cet appareil fort ingénieux a donné des résultats
très-précis sur le dosage de l'oxyliémoglobine consignés dans la thèse de
M. Branly (Paris, 1882, n" 207).
Qr/ANTiTi': d'oxyhémoglobine contenue dans le sang et ses vAr.iATioNS. Les
procédés précédents ont permis d'établir les limites de variations de la quantité
d'oxyhémoglobine à l'état de santé chez l'homme et chez un grand nombre
d'animaux. Nous ne résumerons ici que les résultats les plus importants par le
nombre des observations et la rigueur des procédés. On peut les résumer ainsi
qu'il suit :
Auteurs. Hommes. Femmes. Procédé.
Becquerel et Rodier, résultats
calculés parPreyer 12,09 à 13,07 11,37 à 13,69 Dosage par le fer.
Quinckc » 14,1 à 14.i Piocédé de Preyer modifié.
Quinquaud 12,5 » 10,7 » Procédé de Quinquaud.
Otto 13,50 à 15,30 11,58 à 14,46 SpeclrophDtomelriemoy.de
23 hommes et 23 femmes.
J'ai publié à la Société de biologie une statistique bien plus étendue. En effet,
sur 208 individus observés, mettant de côté 58 malades, j'ai trouvé :
Chez 50 une proportion de. . . . 13 à 14,5 pour 100 d'oxyhémoglobine.
Chez 34 — .... 12 pour 100 —
Chez 36 — .... 11 à 11,5 pour 100 —
Mais ces derniers sont à la limite de l'état de santé et de l'anémie ou de tous
autres troubles pathologiques.
Les maladies amènent une diminution de 10 à 6 pour 100 sans que la vie soit
nécessairement compromise.
La normale chez l'homme bien portant de vingt à cinquante ans est de 14
pour 100 ; elle est plutôt de 13 pour 100 chez l'habitant des grandes villes.
Au point de vue du sexe, les chiffres se répartissent ainsi :
A 14 pour 100 et au-dessus 24 hommes et 6 femmes.
A 13 pour lOO — 14 hommes et 6 femmes.
On peut donc considérer que la quantité d'oxyhémoglobine normale de l'homme
adulte vigoureux est de 14 pour 100, celle de la femme est de 13 à 15,5 pour
100, et les oscillations physiologiques non encore pathologiques varient pour
les deux sexes entre 12 et 14,5. Le maximum observé nous paraît avoir été de
15 pour 100, le minimum compatible avec l'état de santé est de 11 à 11,5 pour
100. Au-dessous de ce chiffre, il y a des troubles de l'hématopoèse ou des
lésions organiques.
Chez les animaux, les observations ont été encore plus nombreuses, surtout
pour les Mammifères domestiques.
Nous les résumerons sous forme de tableau :
Smge .- flénocque (1 fois 14; 1 foisl5; 2 fois 10) 10 à 14
Chien : Preyer, pour 100 15,5
— S'jhbolin 9,57 à 13,80
— Hoppe-Seyler 12 à 14,5
Otto (16 chiens), méthode speclropholoiuétrique.. 12 à 15,98
Ilénocque (22 chiens), liématoscope 14 à 14,5
11 MOGLOBINE. 265
Cheval : Nasse : 11,62
— Quinquaud 10,6
(Ces chiffres sont éviJemiiicnt inférieurs à la moyenne normale).
Bœuf : Pelouze 11,45 à 15,01
— Preyer 13,65
— Subbolin. 12,1
— Quinquaud 10,8
Veau : Preyer 10,12
Subbotin 8,42 à 9,25
— Quinquaud 7,6
Porc . Pelouze 12,03 à 14,17
— Preyer 14,36
— Quinquaud 13,8
Lapin : .Subbolin 7,10 à 9,50
— ; Otto (25 lapins) 7,80 à 10,76
1 — ' ' Hénocque . 8 à 12
Cobaye : Hénocque (27 cobayes) 15 à 14,5
La quantité de 14 pour 100 peut être considérée comme la normale du sang
de cobaye artériel défibriné, ainsi que je l'ai constaté maintes fois en dehors des
observations notées ci-dessus.
Pigeon : Hénocque (11 pigeons) 9 à 11,5 pour 100
Lézard : Id. (en été) 7 à J3 —
— Id. (en hiver et dans l'inanition). . . 2 û C — •
Outre ces résultats, Korniloff, Vierordt, ont indiqué les coefficients d'extinc-
tion de l'oxyliémoglobine. Ce sont, suivant Vierordt et Korniloff :
Homme, 1,215. Mammifères, 0,957. Oiseaux, 0,781. Reptiles, 435. Amphi-
biens, 0,389. Poissons, 0,556.
La quantité d'oxyhémoglobine varie avec le sexe. Elle est un peu plus faible
chez les femmes que chez l'homme, et chez les Mammifères plus faible chez la
femelle que chez le mâle. Elle est au contraire plus forte chez les enfants
nouveau-nés. Suivant Leichtenstein, les proportions de matière colorante sont :
De 1 à 3 jours 100
De 1/2 à 5 ans 53
De 5 à 13 ans 58
De 15 à 25 ans 64
De 23 à 43 ans 72
De 43 à 60 ans.. 63
Déjà Denis avait constaté par le dosage du fer la proportion élevée de matière
colorante du nouveau-né. Convert et Naunyn l'ont constatée par la méthode
de Preyer.
Il y aurait des variations quotidiennes de l'oxyhémoglobine suivant Vierordt et
Leichtenstein, il y a une augmentation après le repas de midi. L'usage
de boissons aqueuses en excès ne la modifie pas; au contraire l'abstention de
boissons et les sueurs répétées augmentent la proportion d'oxyhémoglobine
(Leichtenstein).
L'inanition modifie peu la quantité d'oxyhémoglobine. Subbotin a trouvé chez
un chien inanitié le premier jour 13,8 pour 100, et le trente-huitième jour 13,38.
Les variations pathologiques de la quantité d'oxyhémoglobine sont très-
variables, mais elles offrent toujours une importance considérable pour la
pathogénie comme pour la thérapeutique. Les recherches spectroscopiques ont
ouvert à l'observation clinique une nouvelle voie dans laquelle les travaux sont
■266 HÉMOGLOBINE.
encore peu nombreux, mais suffisants pour démontrer l'utilité pratique de ces
études.
Ainsi que l'a faitWurtz, nous résumerons en un tableau les résultats obtenus
par divers auteurs en y ajoutant ceux qui nous sont personnels et qui com-
prennent actuellement près d'un millier d'observations sur 250 personnes dif-
férentes.
Les variations de l'oxyhémoglobiue dans les maladies offrent au médecin un
intérêt considérable, malheureusement elles n'ont été étudiées que par un petit
■nombre d'auteurs; depuis les observations faites par le dosage du fer d'Andral et
Gavarret, de Becquerel, Rodier, Denis et d'autres qui ont étudié la quantité de fer
contenue dans le sang, ont cependant donné des résultais importants, mais les
procédés nouveaux de dosage de l'oxyghémolobine permettront de multiplier les
observations, et nous pouvons déjà signaler les résultats précis obtenus plus par-
ticulièrement par Quincke, Subbotin, Quinquaud, Hénocque, etc.
Les anémies forment plusieurs groupes d'affections protopathiques et sympto-
matiques qui fournissent dans leur évolution les variations les plus étendues.
C'est ainsi que dans la chlorose et l'anémie essentielle Subbotin a vu la quan-
tité descendre à 5, à 4,63 pour 100; Quincke a noté 5,5 pour 100; Quin-
quaud, 6,2,7,8, 5,9, 7,2; j'ai trouvé sur des individus présentant une quantité,
sur 41, d'oxyliémoglobinc variant de 9,5 à 5,5 pour 100 ; j'ai trouvé 50 chlo-
rotiques (dont 4 hommes) pour lesquels la quantité a été la suivante :
17 présentant de Sa V>,5 pour 100.
7 — de . 7 à 7.3 —
1 — à 6,3 —
1 — à 3 —
3 — à 4 —
1 — à 3,3 —
Les chiffres de 5,5 pour 100 et un des chiffres de 4 pour 100 se rapportent
à de l'anémie cachectique, des malades sont morts, et des deux autres l'une est
vivante et l'autre a été perdue de vue.
Chez les 10 autres individus, il s'agit d'anémie symptomatique, d'une
cachexie dans la plupart des cas. Nous aurons à les classer plus loin.
Les hémorrhagies n'amènent de changements importants que si les pertes
de sang sont très-abondantes et répétées. Chez une femme de l'hôpital d'Aix,
•qui avait eu des hémorrhagies considérables à la suite de l'accouchement, j'ai
constaté un abaissement de l'oxyhémoglobine à 4,5 pour 100.
Les hémorrhagies modérées ont une action moindre : ainsi, à la suite d'hémo-
ptysie, j'ai noté dans 2 cas 9 et 11,5 pour 100. Une épistaxis abondante a
abaissé l'oxyhémoglobine à 9,5 pour 100 et deux jours après la quantité attei-
gnait 11,5 pour 100. Le fait de la rénovation rapide à la suite d'héraorrhagie
est d'ailleurs établi depuis longtemps et a été maintes fois constaté expérimen-
talement et cliniquement, c'est pourquoi j'ajouterai seulement trois exemples :
•celui de la marquise X... qui, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, présentait 14 pour
100 d'oxyhémoglobine ; à la suite d'une hémorrhagie cérébrale légère, la quantité
restait encore à 12 pour 100, et aussi le cas d'une femme atteinte de cancer
utérin avec métrorrhagies répétées, dont le sang contenait encore 10 pour 100
d'oxyhémoglobine, enfin celui d'une femme atteinte de corps fibreux avec
métrorrhagies très-abondantes qui présentait 11 pour 100 d'oxyhémoglobine.
hsi pléthore est rarement observée dans les grandes villes, surtout si l'on ne
HÉMOGLOBINE. 267
considère comme exagères que les chiffres de 14,5 à 15 pour 100 d'oxybémo-
globine, il faut tenir compte de l'état habituel de l'individu : ainsi j'ai vu plu-
sieurs fois à l'âge de la ménopause les troubles congeslifs coïncider avec les
chiffres de 15 à 14 pour 100. J'ai observé chez une jeune femme aménorrhéique
Jusqu'à 15 pour 100 d'oxybémoglobine, à la suite de plusieurs mois sans règles.
Chez un avoué de Paris, avec 14 pour 100, j'ai observé des troubles attribuables
à la pléthore.
La tuberculose présente de grandes variations, suivant les périodes.
Quinquaud a trouvé les quantités suivantes :
1" (leRTO.
2'
■ (IcKré.
.'" (li?sié.
Tuberculose :
10,0
8,6
l.S
11,0
10,6
6,'2
9,6
11,0
10.6
11,5
8,6
6,7
Granulie :
6,7
7,6
2,7
8,1
2' semaine.
5° semaine.
12,7
1.i,6
8.0
7
Mes relevés ont donné (sur 8 malades) :
i" degré. 2" (lepré. 5" degré.
12 10 G-, 8,ri
12 » 7,5 8,8 5,9 (oUservés sur un même inalale).
« » 7,8 8,3 (oliscrvôs .-iiir un im'tinc malade).
» » 6,5 7 (à 110 jours d'intervalle).
Dans la fièvre typhoïde :
Quinquaud a trouvé 10,1 9,1 11,3 12,5
1" semaine.
Quineke 12,9
Hénocqne (forme simple, lille de 10 ans) .... 9,5
Id. (forme adynamique 7 » »
€nncer de l'estomnc : Qiiin([uniid 4,2 3,8 4,8 1,5
Diabète : Quineke, sujet gras 15,4
— Quineke, jeune lille 14,4
— Subbotin, jeune lille 11,57
— Subliotin, jeune fille 10,90
— Hénocque («lycosurie in(erniiltente), 2 à 8 pour 100 de sucie.. 6,3 à 11,5
— IJ. (diabète faible), 10 à 20 pour 100 de sucre 12
— Id. (diabète modéré), femme, 20 pour 100 11,5
Épilepsie : Hénocque, pour 100 9 12 13
■Chorée : Hénocque, pour 100 11,5
Irritation spinale : Hénocque 8 à 12
■Sclérose de la moelle : Quinquaud 9,1 9,6 10,1
Maladie de Pott : Quinquaud 7,2 6,7 7,02
■Ostéomijélile du tibia : Hénocque (enfanl ie iù ans) 8
Phlébite et septicémie : Hénocque 7,5
Endocardite ulcéreuse : Hénocque 11,5 7 9
Rhumatisme : Hénocque (rhumatisme aigu) . . . . . 9,5 à 6,5
— Id. (rhumatisme, purpura rhumatismal) 9,5
Coutte : Hénocque (à la lin d'un accès). 11
— Id. (névralgie goutteuse) 9àll
Maladie de Bright : (imnqxn^LVii 10 11,0 8.17 9 6
Néphrites: Quineke 10 5 10,7 8 5
Les manifestations herpétiques, les diverses phases des cardiopathies, l'arthri-
tisme, l'emphysème, donnent des chiffres trop variables pour que je les repro-
duise, mais, pour terminer, je citerai la diminution de l'oxyhémoglobine dans la
26S HÉMOGLOBINE.
cirrhose (10,1 Quincke), la leucocythémie (5,8 Quincke), l'entérite chronique
(9 pour dOO, Hénocque).
Les variations de l'hémoglobine suivant les médications sont fort utiles à
étudier dans la clinique et la thérapeutique. En ne tenant compte que des
observations cliniques, on ne trouve pas de travaux étendus à ce sujet en dehors
des observations d'Andral et Gavarret, Becquerel et Rodier, Denis, Malasscz,
Hayem {voy. articles Sang, Fkr et Hématoscopie), cependant depuis quelques
années on a commencé l'étude de l'action d'un grand nombre de substances
médicamenteuses sur la composition du sang, soit pour la quantité, soit pour
les transformations que celle-ci peut subir. Les recherches faites par Hayem,
Lépine, Loye, Quinquaud, Hénocque, Huchard, Éloy, la plupart publiées à la
Société de biologie, sur lesnilrites d'amyle, de sodium, la paraldéhyde, l'acéto-
pliénole, la kairine, l'antifébrine, expérimentalement et cliniquement, ont fondé
les bases d'un moyen d'étude nouveau et déjà fécond en résultats. Néanmoins
l'expérimentation et la toxicologie ont jusqu'à présent fourni plus de documents
que les recherches cliniques comprenant l'évaluation rigoureuse de l'oxyhémo-
globine. J'ai employé dans des cas nombreux mes procédés héraatoscopiques,
mais je n'en ai pas encore publié les résultats, car en pareille matière il faut
multi|»licr les observations avant de conclure. Cependant pour l'action du fer,
de l'iodure de potassium, de l'arsenic, des alcalins, des traitements par les
agents physiques, les variations d'oxyhémoglobine peuvent en quelques jours, eu
quelques semaines, donner des renseignements sur le mode d'action de ces
moyens thérapeutiques, les quantités d'oxyhémoglobine ne varient souvent que
de 1 à 2 pour 100, comme pour le fer, les alcalins, l'iodure, et en une ou
deux semaines. Mais ces différences sont suffisantes pour apprécier l'action
thérapeutique.
Dosage de Vhémoglobine réduite. W a été fait par Hûfner, au moyen de la
méthode spectrophotométrique, dans le but de déterminer les quantités relatives
de l'oxyhémoglobine et de l'hémoglobine réduites dans le sang veineux et le sang
artériel. Les analyses d'Hufner sur le sang du chien ont donné :
Pour le sang de la veine crurale :
Hémoglobine réduite 7,153 grammes.
Oxyhémoglobine 9,955 —
Total 17,110 grammes.
Pour le sang de l'artère crurale :
Hémoglobine réduile 1,022 grammes.
Oxyhémoglobine 11,310 —
Total 13,552 grammes.
En dehors de ces faits, on n'a pas jusqu'à présent attaché d'importance à
l'analyse quantitative de l'hémoglobine; il serait cependant intéressant de savoir
quelle est la quantité relative d'hémoglobine et d'oxyhémoglobine pouvant exister
dans le sang veineux ou artériel, sans compromettre l'existence. Divers travaux
ont été faits dans ce sens. Stroganoff a montré, en observant directement l'artère
carotide et la veine jugulaire au spectroscope, que chez l'animal qu'on asphyxie
le sang contient encore une certaine proportion d'hémoglobine jusqu'à la der-
nière contraction cardiaque. Mais, immédiatement après, le sang artériel et le
sang veineux ne contiennent que de l'hémoglobine réduite.
HÉMOGLOBINE. 269
Mac Mann a vu que, dans lu mort par asphyxie, on trouve l'hémoglobine
réduite dans le sang des diverses cavités cardiaques et de l'aorte.
J'ai constaté moi-même chez un cliien un lait analogue.
Au moment de l'agonie, le sang des capillaires renferme des quantités
d'hémoglobine de plus en plus prédominantes, je l'ai constaté chez une femme
mourant d'affection cardiaque avec hypostase pulmonaire.
11 serait très-intéressant d'étudier ces phénomènes au point de vue de la
médecine légale et aussi du diagnostic de la mort prochaine et du rnomentum
mortis. Il est certain que dans la mort subite, dans la mort avec arrêt des
échanges (par exemple, chez les foudroyés, certains noyés, les morts par trau-
matisme du bulbe), le sang peut rester rouge même dans les veines et contenir
une certaine quantité d'oxyhémoglobine longtemps après la mort, mais, lorsque
le sang capillaire et à plus forte raison le sang artériel ne contiennent que de
l'hémoglobine réduite, la mort est établie, les échanges ont ccïsé. Je rappelle
cependant que pour une portion des membres circonscrite, comme un doigt,
l'asphyxie locale peut être complète, le sang ne contenant que de l'hémoglobine
réduite et à peine de l'oxyliémoglobine comme à la suite d'une ligature prolongée,
sans que l'organisme soit atteint par cette suspension partielle des échanges.
Recherche de la mélhemoylobine. 11 n'y a pas de pi'océdé exact de dosage
de la méthéraoglobine, et jusqu'à présent l'on s'est contenté de la conslatatioii
de l'existence de ce principe dans le sang, et même, à part quelques cas toxico-
logiques [voij. art. Hémoglobinurie), on n'a constaté l'existence de la mélhé-
moglobine dans le sang que chez des animaux on expérimentation. Il importe
néanmoins de signaler les essais tentés dans cette voie.
J'ai le premier montré qu'à l'aide de l'examen speclroscopique du sang dans
des godets de porcelaine on peut déterminer dans les expérimentations le
moment où la méthéraoglobine apparaît dans le sang, suivre la durée de la
transformation, et enfui étudier la période d'élimination (Société de biologie,
22 décembre 1883). J'ai montré en outre que. si l'on emploie le nitritc d'anyle
etlenitritede sodium, l'élimination commence avec la transformation, ce qui rend
fort difficile, sinon impossible, l'appréciation de la quantité de méthémoglobine
produite dans le sang par certains agents avec nos moyens actuels d'investi-
gation.
En effet, ainsi que je l'ai démontré, les diverses phases de l'intoxication par
formation de méthémoglobine, telle qu'on l'obtient chez les animaux en injectant
le nitrite de sodium ou du niliite d'anyle sous la peau ou dans le péritoine,
peuvent être représentées sous forme de courbes qui mettent en évidence ce fait
que la production de la méthémoglobine commence avec l'absorption du médi-
cament, qu'elle continue pendant un certain temps, et que la disparition est
d'abord graduelle pendant quelques minutes, puis s'accélère bruï.quenient.
Lorsqu'on emploie des doses successives et peu intenses, les phénomènes se pro-
longent, l'altération du sang n'arrive pas à son maximum d'intensité, il y a des
oscillations qui peuvent durer plusieurs heures. L'éliniin;>tion se fait par les
poumons, par les sécrétions salivaires et rénales {voy. IIémooloblnurie) suivant
le mode d'administration. Le sang est altéré en masse, si l'absorption est rapide
et considérable, mais, si l'absorption est jjrogressive, la production de méthémo-
globine peut être réduite à un minimum tel que l'acte respiratoire suffise à
l'oxygénation de l'hémoglobine, et même à la transformation de la méthémo-
globine.
270 HÉMOGLOBINE.
Dans ces conditions, il est difficile d'apprécier exactement la quantité de
mctliémogloliine existant dans le sang.
Les recherches de Gamgee, Mac Munn, lîabuteau, ne contredisent en rien ces
résultais, et celles de Jolyet et Regnard les confirment; ces auteurs ont trouvé
que dans Faction du nitrite d'amyle sur le sang la capacité respiratoire diminue
de façon à ne représenter que 1/5 de la capacité avant roxpériencc. Toutes pro-
portions gardées, ce serait comme si la quantité d'oxj hémoglobine diminuait de
15 à 3 pour 100. Hayem évalue à 10 pour 100 de la matière colorante du sang
la quantité de métliémoglobine nécessaire pour obtenir la troisième bande carac-
téristique (De la métliémoc/lobine, in Rev. des cours scient if., 5 juin 1886,
p. 718).
Des expériences récentes m'ont amené à celte conclusion, que la transfor-
mation de l'oxyliémoglobine en métliémoglobine, par- les diverses substances
toxiques ou médicamenteuses, est précédée d'une diniiniition de la quantité
d'oxyhémoglobine. C'est ainsi que dans une expérience faite avec M. Laborde et
M. Weill (thèse de Paris, 1887), 5 grammes d'acétanylidine ayant été injectés
dans l'estomac d'un chien, la quantité d'oxyhémoglobiiie descend de 11 à 8 et
6 pour 100 en l'espace de deux heures et la bande caractéristique de la métlié-
moglobine n'n[)paraît tpi'à ce moment, cette réaction spectroscopique se pro-
nonçant ultéricnrenient de plus en plus.
On rapprochera de ces faits les observations citées à l'article Hémoglodinurie.
h'Iiémaline ne se rencontre qu'accidentellement dans l'économie, elle ne peut
être évaluée quantitativement que par la méthode des pesées, elle pourrait
d'ailleurs servir au dosage de la matière colorante du sang, dans les humeurs ou
les produits d'excrétion, l'urine on particulier.
Rùi;E DE L'HÉMOGLoriiNE ET DE SES DÉRIVÉS. Ainsi qu'oH a pu le voir dans le
chapitres précédents, l'hémoglobine en tant que matière colorante du sang est
surtout connue à l'état de combinaison avec l'oxygène ou hémoglobine oxygénée;
la nature d'hémoglobine réduite est moins bien définie et l'étude de ses dérivés
n'a pas encore permis d'en tracer l'histoire complète.
L'hémoglobine est donc la matière colorante du sang unique, renfermée dans
le globule louge, et dont la propriété capitale est aussi bien un phénomène
physique qu'ime fonction physiologique, celle de fixer l'oxygène en combinaison
labile ou faible sous une couleur déterminée, mais aussi de le dégager sous l'in-
lluence des échanges interstitiels dans les tissus, comme sous l'influence du
vide ou des agents réducteurs in vitro.
L'analogie (pii existe entre les propriétés de l'oxyhémoglobine cristallisée et
celles des globules rouges du sang semblerait indiquer que les fonctions de ces
derniers correspondent aux propriétés physiques et chimiques de l'hémoglobine.
Cette proportion n'est vraie que dans son ensemble, car l'identité de l'hémo-
globine cristallisée et de la matière colorante du sang n'est pas absolue, ainsi
que nous le démontrerons plus loin. Néanmoins le rôle physiologique de l'hémo-
globine est intimement lié à celui des globules rouges.
L'hémoglobine apparaît de très-bonne heure dans les vaisseaux de l'embryon,
mais nous ne savons pas comment se fait l'union de cette substance avec le
stroma globulaire. Nous constatons que sous l'influence de la chaleur, de la con-
gélation suivie de réchauffement, et dans certains cas pathologiques (hémoglobin-
hémie), l'hémoglobine apparaît à l'état de gouttelettes réfringentes colorées
dans le sérum du sang, constituant une partie des microcytes. Ces gouttelettes
HÉMOGLOBINE. 271
existent presque toujours dans le sérum fin sang coagulé : il est en effet diflicile
d'obtenir par la coagulation spontanée du sang, chez l'homnie surtout, un sérum
entièrement dépourvu d'hémoglobine. C'est pourquoi rien ne prouve que ces
CTOuttelettes d'hémoglobine ne soient pas un produit de désintégration ou d'alté-
ration des globules rouges, plutôt que la première apparition de la substance
colorante avant son union avec les globules rouges. Nous ne savons pas où se
fait cette combinaison de l'hémoglobine avec le stroma globulaire, en un mot,
comment la substance chimique devient élément vivant de l'organisme.
L'histoire de l'hématopoèsc n'est pas mieux élucidée que celle de l'hé-
raato"enèse, de sorte que nous sommes dans l'ignorance des phases d'appa-
rition et de renouvellement de l'hémoglobine, mais nous connaissons mieux le
rôle physiologique essentiel. Nous savons que l'hémoglobine des globules fixe
l'oxygène, dans lu respiration, plus complètement encore qu'il n'existe dans
l'oxvhémoglobine cristallisée. Celle-ci cependant absorbe pour 1 gramme un
peu plus de 1 centimètre cube d'oxygène : or, dans son passage à travers les
poumons, le sang, l'hémoglobine, présentent une puissance d'absorption, une
capacité respiratoire, au moins égales. Il semble même que dans l'acte respira-
toire l'hémoglobine, à l'état d'activité, l'hémoglobine du globule rouge, enfin,
riiéinoglobine « vivante m, si l'on [)crmet le mot, fixe l'oxygène en un état de
combinaison particulier, et que la chimie n'a pas encore déterminé, bien qu'elle
l'ait désigné sous le nom d'élat de diasociaUon.
Govup Besanez a soutenu cette hypothèse, que dans les globules rouges l'oxy-
gène est à l'état d'ozone 0'\ expliquant ainsi l'activité des oxydations qui se
produisent dans l'organisme par les échanges entre le sang et les tissus, mais
d'autres physiologistes, avec Iloppe-Seyler, sont d'opinion que cet état naissant
de l'oxygène qui se dégage de la combinaison avec l'hémoglobine ou avec le
globule suffit pour expliquer l'énergie de son action sur les tissus.
Quoi qu'il en soit, le sang à son issue du poumon doit renfermer son maxi-
mum d'hémoglobine oxygénée, il est complètement artérialisé (la démonstra-
tion n'a pas été faite expérimentalement au point de vue du dosage de l'oxy-
hémoglobine dans les veines pulmonaires, mais elle mérite d'être tentée).
Le sang artérialisé transporte l'oxyhémoglobine dans les tissus par les capil-
laires, et c'est dans ces réseaux vasculaires que s'opèrent les échanges entre le
sang et les tissus ou du moins les phénomènes primaires de la respiration dite
interstitielle, et l'histologie ainsi que la coloration du sang a permis d'établir
la distinction entre le sang des artères et le sang des veines ; de même, il est
facile d'observer directement le phénomène de nutrition interstitielle par lequel
l'oxyhémoglobine abandonne aux éléments du tissu l'oxygène fixé pendant la
respiration, c'est-à-dire le phénomène de réduction de l'hémoglobine.
En effet, on peut démontrer cette action réductrice non-seulement par les
agents chimiques, mais aussi en mettant en présence les solutions d'oxyhémo-
globine et divers tissus, tels que des muscles frais ; on assiste alors à la réduc-
tion de l'hémoglobine ; la démonstration est encore bien plus évidente lorsqu'on
examine les tissus vivants. Grâce aux recherches de Preyer, de Yierordt, de
Stroganoff, de Fumouze, nous savons qu'on peut observer dans les tissus] sui-
vants la réduction de l'oxyhémoglobine, et j'ai rendu cet examen méthodique
(voy. Hématoscopie), de façon que non-seulement on peut assister à la réduc-
tion de l'hémoglobine dans un organe isolé par une ligature (la phalange du-
pouce), mais aussi en apprécier les diverses phases.
272 HÉMOGLOBINE (bibliographie).
II est donc bien démontré que l'hémoglobine oxygénée est l'agent intermé-
diaire des oxydations interstitielles. Le sang devenu veineux au sortir des capil-
laires transporte l'hémoglobine réduite, toujours combinée avec les hématies,
vers le cœur droit, puis par l'artère pulmonaire, qui doit renfermer la plus
grande quantité d'hémoglobine réduite vers les poumons. Nous ne connaissons
presque rien des phénomènes intermédiaires qui peuvent s'effectuer dans ce
trajet, nous ne savons quelle influence exerce sur l'hémoglobine du sang vei-
neux l'absorption si considérable de la muqueuse digestive et de ses vaisseaux,
non plus que l'introduction du contenu des vaisseaux lymphatiques et chylifères;
en définitive, nous devons reconnaître que nous n'avons sur ce sujet de physio-
logie générale que des hypothèses à proposer. Nous ne saurions mieux exprimer
l'état de la science qu'en reproduisant les conclusions que M. Beaunisa formu-
lées dans son Traité de physiologie, à savoir que, dans le parcours de l'hémo-
globine à travers l'appareil circulatoire, une partie de celle ci est détruite et
donne naissance à un certain nombre de produits de décomposition, mais que
nous ne connaissons pas exactement la quantité de cette destruction ni la nature
des produits qui en lésultent. II semble cependant démontré que c'est dans le
foie que se passent les phénomènes les plus importants de l'élimination des pro-
duits dérivés de l'hémoglobine. L'hémoglobine s'y transformerait en hydro-
biliruhine qui produirait elle-même la bilirubine. Celle-ci est éliminée par l'ex-
crétion biliaire et aussi par la sécrétion urinaire, sous forme d'nrobiline. Les
transformations sont plus multiples , et nous en ignorons certainement un
grand nombre, elles ont été étudiées sous le nom de matières pigmentaires, dont
la plus importanteJ[est la mélanine. Ayant constaté l'insuflisance des notions
que nous possédons sur les transformations de l'hémoglobine dans les tissus,
nous devons reconnaître que les progrès accomplis dans les procédés de l'ana-
lyse chimique biologique et l'emploi de l'analyse spectroscopique ont amené
ce premier résultat important que les données des problèmes à résoudre sont
précisées, et les méthodes pour les étudier sont multiples, dans l'ordre chi-
mique et physique ou physiologique. A. Hénocque.
Bibliographie. — JNous n'iiiduiucrons ici que les ouvrages cités dans cet article, la biblio-
ffpaphie étant ^en grande partie faite aux articles Spectroscopie, Sang, Hématies. — Bikfalvi.
Darslellung der Hœminkrystalle miltelst Jod und Bromthalium. — Brozeit. Jahresbericht
Tkierch. 1871, p- 85. — Convekt et Nalny.n. Corresp. Blatt fur schweizer yErzte, 1811,
_^ 5()1_ DïBKOwsKi. In Iloppe-Seyler, mediz.-theorische Vntersuchungen, 1. 1, p. 128 et 195.
— FuxKE. De sanguine venœ linalis. Diss. Lipsiœ, et Zeitschr. fur rat. Med., neue Folge,
I p. 172, 1851 ; H, p. 199 et 588, 1872. — Gréiiant. Mesure du plus grand volume d'oxy-
gène que le sang peut absorber. In Comptes rendus de la Soc. de biologie, 1874. — He.nmn-
GER. Article Hémoglobine. la Supplément au Dictionnaire de Wurtz, et Comptes rendus de
la Soc. de biologie, 188j. — IIenocque. Recherches hématoscopiques sur la quantité d'oxy-
hémoglobine chez l'homme cl divers animaux. In Comptes rendus de la Soc. de biologie,
1880 p. 'i9ô- — Du MiiME. Étude spectroscopique de l'action du nilrile de sodium sur le
sang. In ibidem, 1883, p. 63. — Du même. L'hémaloscopie. In Gaz. hebd. de méd. et de
chirurgie, n° 43, 22 octobre 1886 et suivants. — Hermann. Archiv fur Anat. und Physiol.,
181)5, p. 469. — Uoppe-Sevler. Archiv fur patàol. Anatomie, Bd. XXIII, p. 446, 1862, et
Bd. XXIX, p. 233 et 597, 1864, et Physiologische Chemie., Tlieil III, p. 574. Berlin, 1879. —
IIiiFNER u. Otto. Ueber kryslallinisches Methœmoglobin. In Zeitschr. f. physiol. Chemie,
BJ. VII Heft I, p. 63, 1883. — Huenefeld. Chemismus in der thieHschen Organisation,
p 160, Leipzig, 1840. — Korniloff. Zeitschrift f. liiologie, \U, p. 315, 1876. — Kossel.
Zeitschrifl far physiol. Chemie, Bd. U, p. 150. 1878. — Kunde (F.). Zeitschrift f. ration.
Medicin. N. F., t. U, p. 271, 1851. — Lambling. Des procédés de dosage de l'hémoglobine.
Thèse de î«ancy, 1882. — Lankesteu. Archiv v. Pflûger, 1809, p. 491. — Leumamn. Silzungs-
bericht der sàchs. Gesellsch. der Wiss. yyiath. naturiviss., C. I, 1852, p. 23 et 78. 1853,
p. 5, et Lehrbuch der physiol. Chemie, 1850, t. II, p. 175. — Leichtenstern. Untersuchun-
IIÉMOGLOBINURIE. 275
qen ûber den HœmoglohingehaU des Blutes. Leipzig-, 1878. — Leydig. Zeitsclirift fûrwiss.
Zoologie, 1849, t. I, p. IKJ. — Lieuheich. Berichl (1er dculscli. Chenu Gesellsch. zu Berlin,
1868, p. 220. — Mac Muxn. The Spectroscope in Medicin. Philadelphia, 1880. — Marciumi.
Virchow's Archiv, t. LXXVII, p. 488. — M.atiiieu et Uhbain. Du gaz du sang. In Archives de
Physiologie. Paris, 1872. — Meyer. De sanguine oxijdo-carbon. infect. Breslau, 1858. lu
Zeitschrift /. rat. Med., t. IH, p. 83, 1859. - MOller. bine neue Méthode zur quantitativen
Beslimmung des Oxyhœmnglobins ini Blute der Uaussaugethiere. In Archiv fur Thierkeil-
kunde, XII, p. 98. — Nencki. Veber das Parahœmoglobine. In Archiv fur experini. Pathol.
und PharntakoL, Bd. XX, Heft v el vi, p. 332, 1886. — Noël. Élude générale sur les varia-
tions physiologiques des gaz du sang. Thèse de Paris, 1876. — PnEVEH. Médical Centralblatl,
1806, n°2I. — Du même. Pflûger's Archiv, 1868, t. I, p. 395. — Du même. Die Blutkry stalle.
Jena, 1871. — Du même. De Hcemoglobino observation. Diss. Bonn, 1860. — Du même. Ueber
einige Eigenschaflen des Hœmoglobins und des Melhœnioglobens. In Archiv de Pfliiger.
1808, p. 395. — Rf-Gnard. Recherclies expérimentales sur les variations pathologiques des
combustions respiratoires. Paris, 1879. — Reicheut. Arch. f. Anat. und Physiologie, 1849,
p. 197. — ScHMiDT bel Bottciier. Ueber Blutknjstalle. Dorpat, 1802. In Ai-ch. f. pathol.
Anat., XXIX, p. 18, 180i. — Sorbv. Quarterly Microscopic Journal, 1870. — Stokes. Philo-
sophical Magnz., novembre 1864, p. 591. — Du même. On the Réduction and Oxydation of
the Colouring Malterof the Blood. In Proc. Roy. Soc, vol. XUI, p. 353. — Strogan'off. Sui-
te processus d'oxydation dans le sang normal et asphyxie. In Pflûger's Archiv, Bd. XII. —
SuBBOriN. Zeitschrift fur Biologie, Vil, ]). 185, 1871. — Valentin. Der Gebrauch des Spectro-
skops. Leipzig et lleidelberg;, 1883. — Woums Mi i.ler. Cm Forkoldel imellem Blod lezemernes
Anlal og Blodcts Faroekraft. Christiania, 1870. A. H.
HÉ.liOGLOBLLii%iE. Synonyme d'Hémoglobine {Voy. ce mot).
llÉllOGLOBll\tRlE (IlÉMATiJNURiE. Métiikmoglobinurie). I. Le terme
hémoglobinurie désigne un état de l'urine caractérisé par la présence de la
matière colorante du sang avec absence de globules rouges. L'expression d'iiéma-
tinurie a d'abord été employée dans le même sens, et celle de métliémoglo-
binurie spécifie la présence d'une des substances dérivées de rbémoglobine.
Nous croyons devoir adopter déOnitivement le mot hémoglobinurie, d'abord
parce qu'il est plus général et s'applique -à tous les dérivés de la matière colo-
rante du sang tels que la mclbémoglobinc, l'oxyhémoglobine, l'Iiématiue, ou
autres composés, et ensuite jjarce que les caractères de ces trois substances
peuvent se retrouver dans l'urine d'un même individu atteint d'hémoglobinurie
suivant certaines conditions d'examen.
G'est llarley qui décrivit en 18G5 le premier fait d'bématinurie, et Popper
qui définit l'iiémoglobinurie (18G8), plus récemment Iloppe-Seyler a démontré
la fréquence de la métbénioglobinurie.
L'hémoglobinurie a été rencontrée dans des circonstances très-diverses comme
conséquence d'altérations profondes du sang, mais elle constitue le symptôme
caractéristiquo d'un état morbide particulier, désigné sous le nom d'béniO"lo-
binurie paroxystique ou essenlielle, de sorte qu'on doit distinguer les hémo'^lobi-
nuries symptonialiques ou deutéropalliiquesde l'bémoglobinurie idiopatbique.
L'Iiémoglobinurie symplomalique d'une altération du sang peut être produite
expérimentalement par la transfusion du sang d'un animal à un autre d'espèce
différente, par les injections intra-veineuses aqueuses, les injections sous-cuta-
nées d'éther, de glycérine, de sel, des acides biliaires, de l'eau distillée (Pon-
fick, Bridges, Adams, etc.), de nitrile de sodium (Henocquc).
L'hémoglobinurie a été observée chez l'homme, d'une part dans diverses
intoxications telles que l'empoisonnement par l'hydrogène arsénié (Vo"-eI,
Wachter, Eitner), par l'acide chlorhydrique (Naunyn), l'acide sulfurique (Bam-
berger), l'acide pyrogallique (Neisser), le chlorate de potasse (Hofmeier, Mar-
DICT. ENC. 4° s. X1I[. J8
274 HEMOGLOBINURIE.
chand, Dresclifekl, etc.), par le naphtol (Neisser), par l'acide pliénique (Niedeii),
par le toluylène diamine (Affaniasscfj, par le phosphore, par l'hydrogène
sulfuré, et enfin par certains champignons (Bostroem, Ponfick) ; d'autre part,
riiémoglobinurie a été constatée dans certaines maladies infectieuses ou dans
lesquelles le sang est profondément altéré telles que l'ictère grave (Legg, Murri),
les embolies graisseuses et les brûlures (Scriba, Riedel), le typhus abdominal
(Yogel, Naunyn, Immermann), la scarlatine (lleubner), les fièvres paludéennes
graves (Soltnilcoff).
PATiioGÉ.Nn-: DE i,'HÉM0GL0Bir<E. L'hémogloblue n'existe dans l'économie qu'à
l'état de combinaison avec les éléments figurés du sang, les globules rouges ou
hématies; elle constitue une grande partie de leur masse; mais, en dehors des
caractères chimiques de l'hémoglobine et do son rôle dans la respiration pul-
monaire et dans les phénomènes d'échanges qui s'opèrent dans les tissus, nous
ne connaissons presque rien sur la phase initiale de la combinaison ou sur le
mode de séparation de l'hcmoglobine et des globules rouges.
L'expérimentation fait connaître une partie des phénomènes de la séparation
ou plutôt de l'élimination de l'hémoglobine.
Un grand nombre de substances déterminent la destruction des globules rouges,
lorsqu'elles sont portées dans le couiant de la circulation directement, ou par
injection sous-cutanée, ou par absorption à travers le tube digestif; la plupart de
ces substances agissent in vitro sur le sang en détruisant les globules rouges,
mais les phénomènes qui se passent lorsqu'on agit sur le sang vivant circulant
ne sont pas tout à fait semblables.
Les substances qui détruisent les globules rouges agissent à la fois physique-
ment et chimiquement, soit qu'elles désagrègent les globules, soit qu'elles
en séparent seulement la matière colorante : on peut donc les diviser en
deux groupes, l'un comprenant le chlorate de potasse, le naphtol, l'acide
pyrogallique, le suc de certaines morilles, l'hydrogène arsénié, l'iode, la gly-
cérine, l'éther, etc.; au second groupe appartiennent l'aniline, l'aniline di-
métliylique. Quel que soit le mode d'action de ces substances que Fonfick
désigne sous le nom général de cijlhémolitiqiie (destructeur des globules du
sang), il a pour résultat Vhémoglobinhémie, et alors on peut constater dans le
sérum du sang la présence de l'hémoglobine à l'état d'oxyhémoglobine et même
de méthémoglobine.
Les résidus des globules sanguins, s'accumulent dans divers organes, le foie,
la rate, la moelle des os, et surtout dans les reins; quant à la matière colorante,
elle peut exceptionnellement se déposer dans le derme, mais elle est elle-même
éliminée en majeure partie par les reins.
L'hémoglobinhémie peut exister indépendamment de l'hémoglobinurie, les
expériences ont démontré que l'hémoglobinurie ne se produit que si l'iiémoglo-
binhémie est prononcée; les injections intra- veineuses, les injections dans les
vaisseaux du sang d'un animal d'espèce différente, les injections sous-cutanées
de sang ou d'hémoglobine, telles que les ont pratiquées Ponfick, et plus récem-
ment Lebedeff, Litten, Beneczù, sont plus particulièrement décisives pour
prouver que le sérum doit contenir une solution assez concentrée d'hémoglobine
avant que l'hémoglobinurie s'établisse. Les recherches de Litten sur ce sujet
sont pai'ticulièrement remarquables parce qu'il a expérimenté avec l'aniline,
qui sépare l'hémoglobine d'avec les globules, laissant le stroma de ces éléments
sous forme d'anneaux, incolores : il a pu ainsi constater que les débris des glo-
IIÉMOGLOBINUKIE. 275
bules s'accumulent dans différents organes, la rate, le foie et les os, mais
surtout les reins.
L'élimination de l'hémoglobine par les reins étant un acte non physiologique
amène des troubles plus ou moins prononcés dans ces organes ; déjà par la
simple injection d'hémoglobine dans le sang (Litten) on peut observer une
accumulation d'hémoglobine à l'état de coagulum dans les canalicules de la
substance médullaire (Litten) ; si l'hémoglobinurie est confirmée, quelle qu'en
soit l'origine, on retrouve des altérations plus ou moins prononcées qu'Adams,
Ponfick, Marchand, Bohm, Masius, Lehedeff, ont étudiées dans l'hémoglobi-
nurie par l'iode, la glycérine, l'hydrogène arsénié, le chlorate de potasse. A un
premier degré on retrouve riiémoglobine coagulée sous forme de cylindres, de
oouttelettes, mélangée à de l'albumine; celle-ci renferme des granulations
colorées, ou même des débris globulaires qui ressemblent à des corpuscules
rouges, néanmoins l'épithélium des tubuli reste intact, cette exsudation se
rencontre dans les tubes de substance médullaire, dans les tubes droits et les
tubuli contorti. A un degré plus avancé, les glomérules eux-mêmes présentent
une exsudation entre la capsule et les vaisseaux, ceux-ci peuvent être remplis
par de l'hémoglobine et des débris de corpuscules rouges, et enfin vers les
papilles les tubes peuvent être remplis de sortes de cylindres formés d'albumine
et d'hémoglobine. Ce n'est qu'à un degré plus grave de l'empoisonnement qu'on
observe une néphrite interstitielle. Cornil a fait remarquer l'analogie qui existe
entre ces lésions et celles que produit l'empoisonnement par la cantharide.
c'est-à-dire une néphrite diffuse subaïgue pour les petites doses, et, si l'empoi-
sonnement est plus lent, il s'y ajoute une néphrite interstitielle {Manuel d'histo-
logie pathologique, de Cornil et Ranvier, p. 560).
En définitive, les lésions rénales sont évidemment la conséquence de l'élimi-
nation de l'hémoglobine et non la cause de la séparation de l'hémoglobine, ainsi
qu'on l'a supposé. Tels sont les enseignements de l'expérimentation ; si nous les
rapprochons des observations cliniques, nous retrouvons dans la plupart des cas
où l'hémoglobinurie est de cause toxique des conditions analogues à celles de
l'expérimentation, et c'est dans ces observations qu'on a pu retrouver des
altérations des reins analogues à celles que nous venons de décrire; dans ces cas,
la nature de la substance cylhémolytique est facile à constater, et le méca-
nisme de l'hémoglobinurie, en ce que nous pouvons apprécier, ne varie que
suivant le mode d'action chimique et physique de la substance.
Il est bien plus difficile d'expliquer les hémoglobinuries survenant à la suite
des brûlures, des embolies graisseuses ; la substance cythémoly tique est ici
difficile à définir et nous verrons que, pour l'hémoglobinurie paroxystique ou
à frigore^ la théorie est encore plus compliquée.
Faut-il admettre que sous certaines influences il se développe dans l'orga-
nisme une substance cydiémoly tique, qu'on a cru pouvoir faire dériver du
foie ou de foyers quelconques de destruction des globules rouges dans les
téguments ou dans divers viscères? L'argument péremptoire. c'est-à-dire la con-
statation de cette substance, manque absolument. Il serait plus rationnel de
supposer que sous certaines influences le développement, l'évolution, la trans-
formation des gloliules rouges, peuvent être troublés par l'intermédiaire du sys-
tème nerveux, d'où le nom d'hémoglobinurie nerveuse, et l'on pourrait alors
en rapprocher l'hémoglobinurie produite parles injections sous-cutanées d'iode,
de glycérine, en si petite quantité que la destruction globulaire locale ne paraît
270 IIÉM0GL08INURIE.
pas assez abondante pour expliquer la présence de l'hémoglobine dans l'urine.
Ces théories et ces hypothèses ont pour résultat de démontrer la complexité des
phénomènes sans les résoudre d'une manière satisfaisante.
Méthémoglobinurie et hémalinurie. Les doimées précédentes ne s'appli-
quent qu'à riiémoglobinurie vraie, mais depuis que Iloppe Seyler, Mac
Munn, etc., ont démontré que très-souvent l'urine contient de la métliémoglo-
bine, on s'est posé cette question, de savoir s'il n'y a pas une méthémoglobi-
nurie véritable ; l'expérimentation a démontré que l'oxyliémoglobine se trans-
forme facilement en méthémoglobine dans l'urine, et qu'il ne s'agit là que d'un
phénomène secondaire; il en serait de môme pour les cas où l'on constate dans
l'urine les réactions de l'hématine, mais jusqu'à présent l'on n'a pas constaté
ciiez l'honmie vivant la présence de la méthémoglobine dans le sérum du sang,
de sorte qu'on ne peut admettre comme démontrée la méthémoglobinhémie
qui serait l'origine de l'élimination de la méthémoglobine par les reins. 11 faut
cependant signaler que la transformation de l'hémoglobine en méthémoglo-
bine dans le sang est un des phénomènes constants observés dans certaines
intoxications, en particulier par le chlorate de potasse, les nilrites, les vapeurs
iiitreuscs, l'hydrogène arsénié ; malheurcuseuient ces faits n'ont pas été étudiés
d'une manière précise au point de vue de la méthémoglobinurie. Il n'en est
pas moins utile de signaler l'importance de ce problème, qui pourra être résolu
expérimentalement ou même cliniquement dans les cas toxicologiques, à condi-
tion qu'on ait toin de faiie l'examen spectroscopique et microscopique du sang,
du sérum du sang et de l'urine fraîche.
Séméiologie. Caractères de l'urine. Les symptômes qui accompagnent
riiémoglobinurie ne peuvent être le sujet d'une étude générale, parce qu'ils pré-
sentent les plus grandes variations dans riiémoglobinurie toxique, où ils se
confondent avec les autres phénomènes de l'intoxication, ce n'est que dans
l'hémoglobinurie paroxystique à friyore que l'on a pu séparer et mettre en relief
un groupe symptomatique caractéristique, et l'on devra se reporter aux cha-
pitres suivants pour en connaître la description. C'est dans l'étude de l'urine
que l'on peut trouver les seuls caractères communs aux diverses espèces d'hé-
moglobinurie : en effet, l'état de l'urine constituant l'hémoglobinurie, il importe
d'indiquer les moyens de diagnostiquer la présence de l'hémoglobine et de ses
dérivés dans l'urine.
En pratique, c'est la coloration de l'urine qui attire l'attention du malade
ou du médecin qui, dans toute intoxication réelle ou soupçonnée, doit faire l'exa-
men et l'analyse de l'urine. La coloration rougeàtre ou brunâtre, ou même
rouge rubis, peut exister dans l'hématurie, ou dans l'hémoglobinurie, il en est
de même de la réaction p;ir la teinture de gaiac, de la réaction de Ileller p.u'
la potasse, lesquelles indiquent seulement la présence de la matière colorante
du sang; le simple examen spectroscopique démontre avec la plus grande faci-
lité l'état de la matière colorante en suspension, oxyhémoglobine, ou méthé-
moglobine, ou hématine. Mais l'examen microscopique, en démontrant l'absence
de globules rouges du sang dans l'urine, permet de distinguer définitivement
l'hémoglobinurie de l'hématurie.
L'examen microscopique n'a pas seulement cette importance d'ordre négatif,
car il fait en outre retrouver une matière colorante granuleuse, dérivée de la
matière colorante du sang, à l'état libre ou amorphe, ou bien d'amas granu-
leux et globuleux, ou enfin ayant l'aspect de cylindres brunâtres. Ces i-eliquats
IlÉMOGLOBINURIE. 277
sont semblables aux exsudats retrouvés dans les reins ; la matière colorée peut
avoir l'aspect de globules rouges déformés, mais il sera facile de faire la dis-
tinction en employant les réactifs qui mettent en évidence le stroraa des globules
]OUges, tels que l'eau iodn-iodurée, l'acide osmique, la potasse, etc.
L'analyse chimique des urines démontre la présence de l'albumine coagu-
lable par la chaleur ou l'acide nitrique, mais aussi quelques caractères particu-
liers tels que la solubilité plus grande dans un excès d'acide, qui semblent se
rapporter à la globuline provenant des reins. La recherche de l'urée, de l'acide
urique et des matières colorantes biliaires, offre une grande importance parce
qu'elle pourra nous éclairer sur les conditions dos fonctions biliaires dans l'hé-
moglobinurie. L'examen spectroscopique n'est pas seulement utile à pratiquer
à première vue de l'urine pour diagnostiquer la présence de l'hémoglobine ou de
ses dérivés, il doit être effectué avec la plus grande précision et méthodique-
ment dès que l'absence des globules rouges est démontrée. Il faudra examiner à
part les dépôts, et l'urine elle-même, rechercher les caractères spectroscopiques
de l'oxyhémoglobine, c'est-à-dire les deux bandes caractéristiques variant sui-
vant la concentration de l'hémoglobine; si l'urine renferme une quantité assez
grande d'hémoglobine pour qu'on ne puisse distinguer les deux bandes séparées,
il faudi'a examiner l'urine sous une faible épaisseur, ce qui vaut mieux que la
diluer. La position et les caractères des deux bandes d'oxyhémoglobine, ainsi
que l'aspect de la bande unique de l'hémoglobine réduite lorsqu'on ajoute à
l'urine hémoglobinurique du sulfbydiate d'ammoniaque, la recherche des trois
bandes caractéristiques de la méthémoglobine, d'ailleurs facile à exécuter même
à la simple inspection avec un spectroscope à vision directe, tels sont les signes
spectroscopiques qui assureront le diagnostic très-complet, et sur lesquels nous
n'insistons pas parce qu'ils sont décrits dans les trois articles : S AîiG {Toxicologie) ,
Specteoscoi'ie (Clinique), WÉwoGhoniisE et ses dérives.
Jusqu'à présent l'analyse quantitative de l'hémoglobine contenue dans les
urines n'a pas été faite avec précision. Ralfe a construit une échelle chromo-
métrique permettant d'apprécier cette quantité en rapprochant la couleur de
l'urine hémoglobinurique de celle d'une dilution de sang dans l'urine. Hayem
a fait une évaluation approximative analogue, et je ne doute pas qu'il soit
facile d'arriver à un procédé plus exact, en utilisant les méthodes chromomé-
triques appliquées à l'étude du sang et de l'hémoglobine, ou simplement en
étudiant l'urine sous des épaisseurs progressivement variées, à l'aide du spec-
troscope et en employant une cuvette prismatique assez large et graduée, ainsi
que je l'ai fait dans un cas d'hémoglobinurie que j'ai observé avec le D'' Salle
pendant l'impression de cet article.
Beneczu transforme l'hémoglobine de l'urine en hématine, par l'action de la
chaleur et de l'alcool contenant de l'acide sulfurique. L'hématine acide ainsi
obtenue est analysée quantitativement par la méthode spectrophotométriqne.
II. Hémoglobinubie paroxystique ou à frigore. Synonymie : Intermittent
Hsematuria (llarley) ; Winter Hœmaturia (hématurie hivernale [Hassall]);
Paroxysmal Ecematuria (Pavy) ; Paroxysmal Exmatinuria (Roberts, etc.);
hémoglobinurie périodique (Lichtheim).
Cet état morbide a été décrit pour la première fois en Angleterre par Ilarley
(1814), puis par Hassall (1865) et Pavy (1866), et le nom de maladie de Harley
qu'on lui donne quelquefois en Angleterre est bien mérité; il fut dès cette
époque étudié en Angleterre par Gull (1866), Greenhow (1868), Dickinson, Legg
278 IIÉMOGLOBINURIE.
(1874), Roberts (1872), Foirest Finlaysoa et Adam (1879), Mac Kenzie (1879-
1884), en même temps que diverses observations ont été [lubliées par Laycock
(1871), Habcrshon, Matlbew Davis (1870), Druitt (1873), Beale (1875), Adam
Wilks (1879), Malthew Cliarteris, Neale (1879), Stone, Day, Godsou (1880),
Saundby (1880 à 1882), Morris (1884). Il n'a été étudié que plus tard en
Allemagne; Popper a bien décrit une hémoglobinurie nerveuse, Lebert et
Leuccbi en ont publié en 1872 une observation très-complète, puis vinrent les
observations et les études de Lichtheim (1878), Kuessner (1878), de llosenbach
(1880), Soltnikofr (1880), Lœtz, Stuubing, Eiehbaum '^1881), Boas (1881),
Ileinemann (1885).
En Italie, Murri, Sylvestrini, de 1880 à 1884, ont fait connaître l'hémoglobi-
nurie comme un état morbide spécial, et bien caractérisé non-seulement parles
réactions chimiques, mais par son origine animale, le froid, la syphilis.
A Amsterdam, Van Rosscm, en 1877, a résumé dans une thèse les faits connus
à cette époque, et en Amérique on compte les deux observations de Jacobi et
de Gordon Murril en 1882.
Enfin on France, olI la maladie doit être rare, les premières observations d'hé-
moglobinurie ont été faites par Clément (1880), Corre, Mesnel, Ducazal, Torio,
Lépine, llenrot (1881), et les revues critiques de liamlot, de Dreyfus Brisac,
d'Eloy, les thèses de Brejon, de Barriou. ont contribué à fiiire connaître les
caractères qui distinguent l'hémoglobinurie paroxystique à frigore comme une
entité morbide. Nous avons pu ainsi recueillir un ensemble de plus de LXX obser-
vations d'hémoglobinurie paroxystique vraie et une douzaine de faits qui ne
présentent pas de caractères suffisants pour être acceptés comme appartenant à
l'hémoglobinurie paroxystique ou qui en diffèrent par certains caractères.
Symptomatologu:. L'hémoglobinurie se manifeste sous forme d'accès plus ou
moins répétés à des intervalles très-variables, mais présentant comme caractère
commun un début brusque, survenant le plus ordinairement à la suite de
l'action du froid, s'accompagnant d'un certain nombre de phénomènes généraux
et produisant l'apparition de l'urine caractéristique. La plupart des observations
peuvent être ramenées à un type moyen : un individu en apparence bien portant,
ayant éprouvé l'atteinte du froid, ressent brusquement un frisson, ou seulement
des frissonnements, il pâlit, les extrémités sont refroidies, pâles, cyanosées, et en
même temps le malade éprouve un malaise général consistant en tintements
d'oreilles, éblouissoments, sensation de vertige, des douleurs de tête, un senti-
ment de constriction, de pesanteur douloureuse à l'épigastrc, dans le ventre, à la
région vésicale, aux reins, ou enfin des irradiations douloureuses avec faiblesse
dans les membres inférieurs. Bientôt il y a une réaction légère, la peau devient
plus chaude, le pouls s'élève un peu et le malade éprouvant le besoin d'uriner
rend des urines plus ou moins colorées en rouge, en rouge brun, dites couleurs
de vin de Porto, de vin de Bordeaux, de Porter ou de café. Cet accès peut durer
quelques heures pendant lesquelles les urines présentent des colorations varia-
bles ainsi que des caractères chimiques dépendant de la présence de l'albumine
et de la matière colorante du sang plus ou moins modifiée, mais reconnaissable
par ses réactions spectroscopiques ou chimiques, tandis qu'à l'examen microsco-
pique on ne peut retrouver des globules rouges de sang. En même temps que
l'urine se décolore l'accès se termine, laissant au malade un sentiment de pro-
stration légère ou d'accablement, qui cesse bientôt sans que la réaction devienne
bien vive. 11 semble à ceux des malades qui ont eu des fièvres intermittentes
IlKMOGLOBINURli:. i2a
qu'ils aient éprouve une sorte d'accès incomplet. Ces accès peuvent se renou-
veler à quelques jours d'intervalle sous l'induence du froid, leur apparition
peut être provoquée, ils se répètent d'eux-mêmes jusqu'à 5, 6 ou 8 fois en
quelques jours, puis à quelques mois d'intervalle, ou même ne se produisent que
dans la saison froide, à plusieurs années de distance.
Chacun de ces caractères de l'hémoglobinurie doit être examiné en particulier.
11 est assez difficile de connaître rigoureusement les symptômes initiaux, parce
que le médecin a rarement l'occasion d'y assister, et que, dans les cas où l'on a
pu provoquer artificiellement l'accès par l'action du froid, les symptômes parais-
sent atténués, comme d'ailleurs la plupart des autres signes. Cependant pour la
plupart des cas un frisson précède l'apparition de l'urine rouge, quelquefois on
a d'abord observé des bâillements répétés, des pandiculations avec extension des
membres. Ce frisson peut être léger, ou être aussi complet que dans un accès
violent de fièvre ; les malades qui ont eu plusieurs accès arrivent souvent à recon-
naître la sensation de froid qui les annonce, celle-ci peut être bornée aux extré-
mités ou envahir tout le corps. Dans les cas d'accès provoqués (Mesnet, Kuessner,
l'iosenbach) le frisson initial manque souvent ; la sensation de froid peut être
bornée à la partie refroidie. Dans un cas de Strubing le froid et la cbaleur ont
manqué, Rosenbacli a signalé pareil fait pour les accès en été. La peau présente
quelquefois l'aspect de chair de poule et même une éruption d'urticaire étendue
en diverses parties du corps ou limitée aux parties exposées au froid (Mackenzie,
Forest, Lichlbeim, Kuessner). Dans la période qu'on peut appeler algide il y a de
la pâleur, une teinte cyanique et môme subictérique, surtout au nez, aux
oreilles et aux mains, l'aspect livide peut être semblable à celui qu'on observe
dans (( l'asphyxie locale » (Mackenzie).
La soif peut présenter une grande intensité au début de l'accès (Mackenzie,
Boas), mais elle accompagne plutôt les transpirations et les sueurs profuses qui
existent quelquefois dans la période de réaction.
Les sensations douloureuses, rarement très-intenses, ont principalement pour
siège la tête (céphalée plus ou moins marquée), puis l'abdomen (coliques, dou-
leurs, pesanteurs), endolorissement aux hypochondres et à la région lombaire
(tension pénible, sensibilité à la pression), enfin le thorax, puis la région épigas-
trique, où elles se manifestent sous forme d'oppression, de suffocation, de pesan-
teur, quelquefois avec nausées et vomissements. En même temps la percussion
et la palpation de l'estomac, de la rate, du foie, des reins, est douloureuse, et
l'on peut constater des signes d'hypertrophie spléniquc ou hépatique. La dou-
leur siégeant aux diverses parties des voies urinaires ne se borne pas toujours
à une sensation pénible de pesanteur, à une sensibilité à la pression des reins
et de la vessie, quelquefois elle s'irradie dans les fosses iliaques et jusqu'aux
testicules et acquiert une grande intensité (Clément, Dickinson). La miction
n est cependant pas douloureuse aux diverses périodes de l'accès.
Les accès ont peu de retentissement sur les centres nerveux; en dehors du ver-
tige au début, de la sensation de fatigue, d'affaissement, et quelquefois de la
prostration qui suit ces attaques, on n'a pas observé de troubles de l'intelligence.
Les variations du pouls sont en général peu prononcées, il y a ordinairement
une augmentation de 10 à 15 pulsations pendant l'accès, il y a de 70, 80 à
88 pulsations par minute et exceptionnellement 108 (Saundby). Au début des
accès l'élévation du pouls n'est pas en rapport avec celle de la température.
La température est le plus souvent modifiée au moment de l'accès, elle s'élève
280 IIÉMOGLOBINURIE.
rapidement en moins d'un quart d'heure à un degré voisin de son maximum,
mais les observations sont très-variables à cet égard. Tandis que dans les accès
provoqués l'élévation de température manque souvent (Boas, Kuessner), elle peut
atteindre 40 degrés (Murri, Heinemann), 40», 6 (Saundby). Dans quelques cas
la marche de la température a pu être suivie dans les diverses phases de l'accès;
les résultais de ces observations doivent être signalés. Greenhow l'un des pre-
miers a constaté chez un malade dans trois accès les températures de 59°, 5 avec
un pouls à HO, puis dans les accès suivants 37", 6 avec pouls à 86 et 90.
Matthew Charteris a suivi la température à des intei'valles Irès-rapprochés, à
partir du début du frisson il a noté à 4 heures 15 minutes du soir ol°,h;k
5 heures 15 minutes 37°,6 ; à 6 heures 30 minutes 57<',9 ; à 7 heures 30 minutes
o7",9; à 9 heures 15 minutes 37", 9; à 10 heures 37", 8; à 11 heures 57°, 8; à
'l iieures du matin 57", 2 ; à 8 heures du matin 56", 7. M. Matthew Charteris a
fait remarquer que l'élévation de la température coïncide avec l'émission des
urines sanguinolentes et les deux phénomènes ont duré à peu près le même temps
dans plusieurs accès. Dans deux cas où le malade prenait des accès en s'expo-
sant à l'air, la température s'éleva de 35", 5 à 57", 1 en 2 heures et à 57", 9 une
heure i)lus tard. Dans un antre accès, où l'on fit une injection de pilocarpine,
la teiiq)éralure resta à 57", 4.
Rosenbach a pu étudier chez un enfant le début de l'accès ; examinant l'urine
immédiatement après l'apparition des prodromes, il constata l'absence d'hémo-
globine, avec présence d'albumine, en même temps la température rectale était
(le 57",4 et quelques minutes a])rès le début de l'accès la température était de
58", 8, puis 10 minutes plus tard de 59", 1 ; à ce moment (20 minutes après la
miction précédente) l'urine rendue renfermait de l'hémoglobine. Un quart d'heure
plus tard, la température s'éleva à 59", 5, puis descendit graduellement de façon
à revenir à la normale en une demi-heure.
Du Gazai chez un malade ayant le pouls à 68 degrés et la température axillaire
56",9 détermine un accès par une promenade au dehors à la' température de
1 1 degrés ; il observe au bout d'une heure un quart le début de l'accès avec le pouls
petit, serré, à 60 degrés, et la température axillaire à 57 degrés, une heure après
celle-ci s'élève à 58°, 7 et elle atteignit jusqu'à 40 degrés. 11 faut conclure de ces
exemples que l'accès s'accompagne ordinairement d'une élévation de température
qui, sans être aussi prononcée que dans les accès de fièvre intermittente, n'en
présente pas moins une progression rapide et une défervescence brusque.
Caractères de l'urine. La coloration anormale de l'urine est le symptôme
qui a fait connaître l'hémoglobinurie ; il ne faut pas croire que la coloration rouge
(les urines rouges à frigore de Torio) existe constamment, au contraire, on
observe une série de colorations qui ont été désignées sous des appellations très-
diverses : c'est ainsi qu'en Angleterre on a comparé ces urines au vin de
Porto, de Xérès, à l'indigo, au mahogany, à la suie, au porter ; en France, en
Allemagne, en Italie, au café, au chocolat, ou plus simplement aux couleurs
variant du louge au rouge brun foncé. En l'ésumé, ainsi que l'a montré M. Mesnet,
on peut observer dans les divers échantillons une gamme ascendante du rouge
jaune au brun rouge et brun noir et une gamme descendante inverse du brun
noir au rouge et rouge jaune. L'intensité de la coloration correspond à la quan-
tité d'hémoglobine contenue dans l'urine (Murri, Du Gazai, etc.), elle se présente
ordinairement à son maximum au début de l'attaque pour diminuer rapidement,
mais il y a des variations nombreuses. C'est ainsi que dans les cas de Mackenzie,
HÊMOGLOBINURIE. '281
Du Cazal, Rosenbach, Barrion, la gamme descendante a e'té seule observée,
tandis que Mesnet dans les accès provoqués a observé la gamme ascendante ; ces
divergences peuvent dépendre de la marche différente des accès et aussi de
l'état deréplétion de la vessie au moment de l'accès; suivant Mackenzie, Kuessner
et autres, dans les accès provoqués la teinte est souvent en rapport avec la durée
de l'exposition au froid et le degré de refroidissement. L'urine de l'accès est
ordinairement trouble et laisse précipiter par le repos un dépôt brunâtre,
tandis que la partie liquide offre une teinte sanguinolente plus ou moins intense.
11 importe d'étudier séparément les caractères de l'urine et ceux du dépôt.
Les réactions chimiques ordinaires montrent en général une acidité prononcée,
mais ce sont la réaction par l'acide azotique ou réaction de Heller et la réaction
par la teinture de gaïac qui caractérisent la présence de l'albumine et de la
matière colorante du sang; cette dernière réaction très-employée en Angleterre
permet suivant Mackenzie de reconnaître la matière colorante du sang alors que
l'urine est à peine plus colorée que normalement.
Les examens avec le spectroscoque et le microscope présentent une importance
bien plus grande, ainsi que nous le montrerons à propos du diagnostic, mais
dans ce chapitre nous nous bornerons à l'examen des principaux éléments de
l'urine, c'esl-à-dire que nous étudierons d';ibord la matière colorante de l'urine,
la matière albumineuse , les dépôts et la composition chimique des urines
paroxysmales.
Hémoglobine ou matière colorante du sang. Les premiers observateurs ont
bien noté la présence de la matière colorante du sang sous forme d'hématine, de
cristaux d'hématine et de granules colorés (GuU, Harley, Greenhow,Robcrts, etc.),
mais Gscheidlen, dans le cas de Lebert et Secchi, -187!2, nous paraît avoir le pre-
mier nettement précisé la présence de l'hémoglobine par ses caractères spectro-
scopiques : il a, en effet, observé et décrit les deux bandes caractéristiques de
l'oxyhémoglobine dans l'urine d'un malade, et de plus la transformation de
ces deux bandes en bande unique d'hémoglobine réduite, sous rinduence du
sulfure d'ammonium, et enfin l'action de l'oxyde de carbone déterminant l'ap-
parition des deux bandes caractéristiques résistant à l'action du sulfhydrate
d'ammonium, d'oii il a conclu à la présence d'oxyhémoglobine et d'hémoglobine
réduite. Quelques années plus tard, Robert et Kuessner (1878), Mackenzie, Mac
Munn, Van Rossem, Neale (1879), Saundby, et dès lors tous les observateurs, ont
appliqué l'examen spectroscopique à l'étude de ces urines.
Il résulte de tous ces faits que très-souvent la matière colorante est altérée et
se présente sous la forme de méthémoglobine. Mac Munn et les observateurs les
plus récents, en Allemagne principalement, ont insisté sur la fréquence de cette
modification de l'hémoglobine, de sorte qu'on pourrait aussi bien donner le nom
de méthémoglobinurie que celui d'hémoglobinurie à un grand nombre d'obser-
vations; cependant, pour bien des cas, les caractères de l'oxyhémoglobine ont été
nettement observés, et Mackenzie a démontré que l'on peut constater tantôt
l'oxyhémoglobine, tantôt la méthémoglobine, suivant que l'urine est plus ou
moins récemment émise ; d'autres observateurs, et en particulier Forrest et Fin-
layson (1879), Ralfe, Hayem, ont également constaté ces transformations de
l'hémoglobine par l'urine. Chez le malade du D"- Salle, dans un accès provoqué
j'ai constaté, en faisant l'examen de l'urine à 30 minutes d'intervalle, l'apparition
de la méthémoglobine dans l'urine au sixième examen ; la transformation n'a
pas dû se faire dans la vessie, mais probablement dans les reins.
282 HÉMOGLOBINURIE.
C'est aussi à une altération plus profonde de riiémoglobine qu'il faut rap-
porter les exemples d'hématinurie vraie, c'est-à-dire ceux dans lesquels le spectro-
scope a démontré les caractères de l'iiématine et principalement de l'iiématine
acide. Il est probable que dans ces cas il y a eu des altérations particulières de
l'urine soit dans la vessie (par excès d'oxalates, par exemple), soit dans l'urine
après son émission.
La quantité d'bémoglobine oxygénée, on réduite, ou celle de la mélbémoglo-
bine, doit être en rapport avec l'intensité de coloration de l'urine, mais jusqu'à
présent l'on n'a pas appliqué de méthode précise à cette évaluation. Hayem dans
le cas de Mesnet estimait à peu près à 7 pour 100 la quantité de sang contenue
dans l'urine. M. Salie l'a estimée à 12 pour 100 maximum et dans l'expérience
précédente je l'ai appréciée à 7 do sang pour 100 d'urine.
Nous indiquerons à propos du diagnostic les caractères spectroscopiques et
chimiques de ces diverses substances.
L'albumine accompagne l'hémoglobine dans les urines hémoglobinuriques,
elle la précède quelquefois (Roscnbach); elle semble être en rapport avec la
quantité de matière colorante, enfin elle peut persister dans l'urine après les
accès et dans leur intervalle (Mackenzie, Saundby, Forrest, Jacoby).Elle présente
les caractères ordinaires de l'albumine du sérum, elle est coagulable par la
chaleur, par l'acide nitrique (réaction d'Ileller); quelques auteurs ont signalé
des caractères particuliers à cette albumine.: telle serait sa facilité à se dissoudre
rapidement dans l'acide nitrique (Harley). GuU a pensé que c'était de la globu-
line, Lichtheim a remarqué qu'elle flottait à la surface de l'urine, enfin Saundby
a démontré, en traitant par le sulfate de magnésie l'urine hémoglobinurique,
qu'elle renferme à la fois de la paraglobuline et de l'albumine du sérum.
Le dépôt de l'urine est brunâtre, couleur de café noir, plus ou moins abondant,
mais ne manquant presque jamais; il a été dans un grand nombre de cas examiné
avec soin au microscope et il présente cette première particularité que l'on
n'y retrouve pas de globules rouges du sang, ou bien, lorsqu'il renferme quelques
globules, ceux-ci sont altérés et en nombre très- restreint et nullement en rapport
avec la coloration rouge due à l'hémoglobine ; l'absence des globules rouges est
caractéristique de l'hémogiobinurie; dans la plupart des cas, on ne retrouve
même plus les débris des globules ni leur membrane d'enveloppe. L'examen
microscopique démontre au contraire la présence d'éléments fort importants, ce
sont des débris de cylindres rénaux, et une matière granuleuse colorée.
Les cylindres ont l'aspect hyalin, ou bien ils sont granuleux, et très-souvent
ils sont pigmentés ; depuis que Harley les a signalés, ils ont été trouvés dans
presque tous les cas. Cependant ils peuvent manquer. Leur coloration brunâtre
est due à la présence d'un pigment dérivé de la matière colorante du sang, et
aussi, suivant Beale, à la présence d'urates.
Ces débris de cylindres ressemblent à ceux que Ponfick a décrits dans l'urine
après la transfusion. La matière granuleuse amorphe du dépôt est brunâtre, elle
renferme quelquefois des cristaux d'hématine (Gull), d'hématoïdine (Neale), ou
des cristaux bleuâtres ou noirâtres mal définis et mélangés à des urates et à des
oxalates.
Les oxalates sont souvent très-abondants, et quelques auteurs leur ont attribué
un rôle important, sinon prépondérant, dans les altérations de la matière colo-
rante et des globules du sang.
En général, ces urines sont très-acides, leur densité est élevée, elles renferment
HEMÛGLOBINURIE. 285-
(.les quantités d'urée variables qui, mesurées dans quelques cas, dépassaient la
moyenne. La densité est naturellement un peu élevée et la quantité totale d'urine
souvent exagérée.
Les matières colorantes biliaires, Turobiline ou matière colorante de l'urine,
ont été signalées dans certains cas, mais leur présence et leur quantité n'offrent
ni constance ni importance démontrées.
Dans l'intervalle des accès, l'urine « interparoxysmale » paraît dans la majo-
rité des cas à peu près normale, de sorte que pendant des mois, des années, le&
malades ne remarquent pas de coloration anormale, mais, lorsque les accès sont
rapprochés, l'on peut trouver soit des traces d'hémoglobine, soit de l'albumine,
ensemble ou séparément, enfin dans quelques cas (Lépine, Saundby, Legg) on
reconnaît des caractères d'une affection rénale ou même d'un calcul, comme
dans l'observation de Sutlon [Hunlerian Society Reports, 1878, p. 53).
h'étude du sang chez les hémoglobinuriques présente une grande importance
pour la pathogénie, mais elle n'a été faite que par un petit nombre d'obser-
vateurs, et les résultats de leurs recherches seront facilement résumés. En effet,
au point de vue de l'aspect général du sang, l'on a signalé soit une facilité plus
grande à la coagulation, soit une tendance à l'hémorrhagie (à la suite de l'appli-
cation de ventouses). L'étude histologique des globules a donné des résultats fort
contradictoires : en effet, tandis que Lebert, Kuessner, Rosenbach, Clément,
Lépine, n'ont pas observé d'altérations spéciales des globules, même pendant
l'accès, Murri et Boas ont décrit très-minutieusement les altérations des globules,
qu'ils considèrent comme caractéristiques, et qu'ils ont observées au moment
des accès, dans les mains et les doigts refroidis chez des hémoglobinuriques;
suivant Murri les globules rouges ont souvent la forme d'anneaux à centre
transparent, ils sont souvent déformés, brisés, plissés et, au moment d'un accè&
déterminé par le froid, le sang des parties refroidies présente des globules
altérés, quelques-uns à peine reconnuissables, les autres enroulés, à contours
peu distincts. Boas, étudiant comparativement le sang des parties refroidies et
des parties non atteintes, a trouvé dans les premières les globules rouges plus
gros, plus mats, moins colorés, gonllés, ovales, en fuseau, ou triangulaires,
avec des contours effacés; de plus, ils ne se mettaient pas en piles de monnaies.
Suivant Boas les hématies résistent moins à l'action du froid et à celle de l'élec-
tricité. Mackenzie, Adams, Wilck, ont également remarqué cette diminution de
la disparition en piles de monnaie ; Wilck a signalé aussi l'excès de fibrine.
Hayem a conclu, de l'examen du sang du malade de Mesnet, que les éléments
anatomiques n'étaient pas sensiblement altérés, que les hématies n'étaient pas
plus vulnérables que celles du sang sain, que le sang subit au moment du
paroxysme une certaine altération, puisqu'il présente alors et seulement dans
ces conditions les caractères atténués du sang phlegmasique, qui peuvent d'ail-
leurs se retrouver dans certains cas d'hémorrbagie.
L'étude du sang du malade est résumée par Hayem dans l'observation de
Mesnet :
Sous l'influence des pertes d'hémoglobine, le malade était devenu anémique.
Les globules rouges étaient peu altérés et leur contenu en hémoglobine était
presque égal à celui des globules normaux (premier degré de l'aglobulie). Ils
n'étaient pas déformés et à 2 degrés centigrades ils n'ont subi aucune modifi-
cation sensible. Pendant les accès, o fois sur 3, c'est-à-dire constamment,
léger épaississement du réticulum fibrineux et disposition particulière des
284 IIÉMOGLOBINURIE.
piles d'hématies ; ces deux pliénomènes étaient transitoires comme l'Iiémoglobi-
nurie elle-même et sous sa dépendance. En(in, au moment de la perte hémoglo-
binurique, légère augmentation de globules blancs, diminution assez sensible
de globules rouges et, deux jours après, poussée d'hématoblastes et de globules
nains indiquant dans l'évolution du sang une suractivité plus accusée qu'on
n'aurait pu s'y attendre après une bémorrhngie en apparence si peu abondante.
La quantité des globules rouges a été étudiée dans quelques cas. Clément a
compté o 900 000 globules rouges chez son malade; Lépine, après avoir constaté
2 810 000 globules rouges à l'entrée du malade, vit ce nombre s'élever à
4000 000 à la sortie; Goelz, dans un cas récent d'hémogiobinurie chez une
enfant de neuf ans atteinte de syphilis héréditaire, compta 1 800 000 aussitôt
après les accès, 2 500 000 entre les accès, et 4 000 000 après le traitement.
Le sérum du sang a été trouvé coloré par l'hémoglobine dans un certain nombre
de cas : c'est ainsi que Kuessner l'a observé dans six accès ; Lichtheim, Fleischer,
ont retrouvé l'hémoglobine dans le sérum du sang provenant de ventouses
scarifiées ou à l'état de gouttelettes dans lu sérosité du vésicatoire; Stolnikoff,
Du Cazal, ont signalé la coloration du sérum ; enfin Boas a constaté la présence
de l'hémoglobine dans le sérum du sang extrait pendant l'accès.
Dans une publication récente (Revue des cours scientifiques, 5 juin \%%Q,
p. 518), llayem rapporte qu'il a retrouvé l'oxyhémoglobine dans le sérum du
sang de malades hérnoglobinuriques et que la quantité de matière colorante du
sang dissoute dans le sérum chez ces malades lui a paru aussi abondante en
dehors des accès que pendant les accès eux-mêmes. Chez le malade du D'' Salle
j'ai trouvé en dehors de l'accès la quantité de 8 pour 100 d'oxyhémoglobinedans
le sang, et pendant l'accès seulement 7 pour 100; le sérum en dehors de l'accès
contenait ta peine 1 pour 100 d'oxyhémoglobine, pendant l'accès il en contenait
au moins le double.
Marche. Dorée. Pronostic. L'hémoglobinurie se présente sous forme
d'accès qui peuvent se reproduire pendant plusieurs jours de suite, et sembler
ainsi intermittents, bien qu'on n'ait pas observé l'intermittence vraie. Ordinai-
rement, les accès reviennent à des intervalles prolongés, plusieurs mois, quelques
années même; on peut citer des exemples de durée dépassant plus de dix années
pendant lesquelles il y a eu rémission pendant plusieurs années sans accès; la
plupart des malades ont été guéris ou bien ont été perdus de vue. 11 n'y a que
4 cas de terminaison mortelle, Henrot, Murri, 2 cas, Otto, et dans ces faits,
la mort est survenue par des complications, la tuberculose, affection rénale, ou
autre maladie intercurrente, de sorte que le pronostic de cette maladie ne peut
être considéré comme grève, mais il serait difficile d'assigner une période cer-
taine à l'évolution des accès ; il ne semble pas qu'on puisse considérer les affec-
tions rénales et les complications pulmonaires comme constituant une période
terminale de laquelle chaque accès pourrait rapprocher le malade ; il faut donc
avouer que les documents positifs manquent pour établir le pronostic de l'hémo-
globinurie paroxysmale, qu'on doit se borner à ce fait que les cas de termi-
naison fatale dus essentiellement à l'hémoglobinurie paroxystique à frigore en
dehors de ceux que nous avons cités sont ignorés.
Les résidtats des autopsies connus dans 4 cas (Henrot, Murri, Otto) n'ont
pas présenté de caractères pouvant élucider l'origine de l'hémoglobinurie ;
néanmoins dans 5 de ces autopsies il y avait des altérations rénales. Henrot,
dont le malade a succombé à la phlhisie, dit que « les reins présentaient un
n
IIÉMOGLOBINURIK. 285
aspect tout à fait particulier; les pyramides ayant conservé leur forme normale
et fortement colorées en rouge semblent incrustées dans une masse colloïde uni-
formément jaune, résistante et dépourvue de vaisseaux «.
Les lésions observées par le docteur Oueillot étaient celles d'une néphrite
interstitielle avancée d;ins son évolution. Il y avait dans le tissu conjonclif
une exsudation de matière colorante du sang, se montrant sous l'aspect de
iirains d'hématosine.
i]tiologie. L'hémoglobinurie a été observée à des âges très-divers, et surtout
chez les hommes.
Van Rosseni, en 1879, ne signale que 1 cas chez la femme pour 30 chez
riiomme.
Sur 67 cas que j'ai analysés, j'ai trouvé 59 cas cliez l'homme et seulement
8 chez la femme.
Au point de vue de l'âge, il résulte de ces statistiques que c'est depuis
l'enfance jusqu'à l'âge moyen que l'hémoglobinurie a été observée, la plus
jeune malade avait 9 mois, les deux plus âgés 62 ans.
Les observations de Van Ilossem se divisent ainsi qu'il suit :
Première année. . . . • • 1 cas.
De 5 à 10 ans 3
10 à 20 ans i
20 à 30 ans' 7
50 à 40 ans 8
iO ù 45 ans 6
50 à 60 ans 1
Ma statistique, ne comprenant que les faits dont les renseignements sont com-
plets et précis, donne les résultats suivants :
De 1 à 10 ans 6 cas dont o an-dessous do 5 ans.
11 à 20 ans 6 ca^^.
21 à 30 ans • . . 12 cas.
51 à 40 ans 16 cas et de plus 11 cas d'âge moyen.
41 à 50 ans 4 cas.
51 à 62 ans 7 cas dont 2 ù 62 ans.
Pour les femmes, les cas se répartissent ainsi :
9 mois, '2 ans 1/2, 9 ans, 16 ans, 55 ans et âge moyen (Goetz, Gull, Day,
Godson, Adam, Cône, Saundby, Werlh).
Si l'on réunissait tous les faits décrits sous le nom d'hémoglobinurie ou
d'hématinurie publiés en Amérique et en Europe, on obtiendrait une centaine
de cas observés en l'espace de vingt années, depuis la découverte de cet état
morbide. Au premier rang des causes de l'hémoglobinurie il faut placer le
froid : c'est en effet, dans la grande majorité des cas, sous l'influence d'un refroi-
dissement, que l'hémoglobinurie apparaît; bien plus, nous avons vu qu'il est
possible de produire l'accès par le refroidissement (Kuessner, Mesnet, Rosen-
bach. Boas, Salle) ; l'importance de cette influence est telle qu'on peut avec
raison désigner l'hémoglobinurie paroxystique sous le nom d'hémoglobinurie
à frigore. Murri a démontré que la syphilis peut être considérée comme l'une des
causes prédisposantes à l'hémoglobinurie. Si l'on lient compte de la fréquence
de la syphilis chez les hémoglobinuriques, sur 36 cas analysés par lui il a
trouvé 15 fois la coexistence de la syphilis, 14 fois ses indications ont manqué,
dans 5 cas l'absence de syphilis était signalée, dans 2 cas il y eut doute. 11
faut y ajouter 1 cas récent d'hémoglobinurie chez une petite tille atteinte de
^86 IIÉMOGLOBINURIE.
Tsyphilis héréditaire (Goetz). A l'appui de cette action de la syphilis, Muni a cité
de nombreux cas observes par lui et par d'autres où le traitement mercuriel
semble avoir amené une amélioration rapide et la disparition des accès.
Chez un bon nombre de malades, en Angleterre surtout, l'existence d'acci-
dents paludéens a été signalée; les faits de ce genre ont été principalement
observés chez des malades qui avaient voyagé dans les Indes ou séjourné dans
les pays où les accidents paludéens sont à l'état endémique, mais dans la plus
grande partie des observations l'influence paludéenne n'existait pas.
11 en est de même pour le rôle des fatigues, des efforts, des excès de coït et
de l'alcoolisme; ces diverses conditions ne peuvent être citées qu'à titre de
particularités exceptionnelles ; enfin deux cas semblent devoir être considérés
comme héréditaires, ce sont ceux de Saundby où un jeune homme et sa sœur
ont été atteints d'hémoglobinurie, le père ayant présenté des symptômes qu'on
peut rapporter à cette affection.
Telles sont les causes ordinaires de l'hémoglobinurie. dont nous apprécierons
l'importance au point de vue de la pathogéiiie de l'hémoglobinurie.
Pathogénie de l'hêmoglouinurie. Les détails dans lesquels nous sommes
entré à propos de l'hémoglobinurie en général nous permettent de discuter
brièvement les diverses théories qui ont été proposées pour expliquer l'hémoglo-
binurie paroxystique, parce que nous ne nous plaçons ici qu'au point de vue des
documents cliniques. Dans tous les cas, il faut admettre que l'hémoglobine
contenue dans des corpuscules du sang ne peut apparaître dans l'urine qu'à la
suite de la destruction de ces globules, et celle-ci ne peut se faire que dans la
vessie, dans les reins, ou dans une partie quelconque de l'organisme. Cette alté-
ration ne peut provenir d'un état particulier de l'urine, de sa densité, de la
présence des oxalates ou du sérum plus ou moins modifié, ainsi que l'ont pensé
Legg, Greenhaw,Thudichum, Van Rossem, etc., parce que, dans cette hypothèse,
on retrouverait encore des globules plus ou moins altérés dans l'urine fraîche-
ment émise : or il est suffisamment démontré que l'on peut ne retrouver dans
ce liquide aucune trace de globules et de plus que, lorsque du sang est intro-
duit dans l'urine des hémoglobinuriques, les corpuscules restent longtemps sans
présenter d'altérations (Clément, Hayem, Boas, etc.).
L'origine rénale de l'hémoglobinurie mérite plutôt d'être discutée, parce
qu'elle a été admise par de nombreux auteurs (Mackenzie, Rosenbach, Lé-
pine, etc.) et qu'elle repose sur des arguments en apparence très-sérieux. En
effet, l'on retrouve dans l'urine des moules protéiques, des produits d'exsudation
rénale, des tubuli ou cylindres granuleux, pigmentés, de véritables moules
formés d'une substance albuminoïde, colloïde, renfermant des détritus de glo-
bules rouges, une substance granuleuse colorée et dérivant de la matière colo-
rante du sang, et dans les rares autopsies l'on a constaté des altérations rénales
qui peuvent être rapprochées de celles qui se présentent dans l'hémoglobinurie
d'origine toxique.
La cause de cette destruction des globules dans les reins pouiTait être aussi
rattachée à une action vaso-motrice ; sous l'influence du froid, il se fait une
anémie dans une certaine étendue de la peau, ayant pour conséquence une
hypeiémie rénale et une destruction des globules, soit par compression méca-
nique (Mackenzie, Rosenbach), soit sous une influence spéciale des centres vaso-
moteurs (Bartels, Bolkin), et à l'appui de cette hypothèse Rosenbach invoque les
cas où il n'a pu reconnaître ni la présence d'hémoglobine dans le sérum du
IIÊMOGLOBINURIE. 287
sang, ni les altérations caractéristiques des globules. Cette théorie ne peut expli-
quer tous les faits, elle semble plutôt devoir être appliquée à des cas d'iiémo-
globinurie fausse ou d'hémoglobinurie compliquant une affection rt'nale, comme
dans le fait de Lépine. Les lésions rénales, si peu prononcées qu'elles ^nt été
mises en doute, ne font pas comprendre la soudaineté et la rapidité de l'élimi-
nation de l'hémoglobine, elles sont plutôt le résultat que la cause de l'hémoglo-
binurie.
Dans ces deux hypothèses on suppose qu'il n'y a pas préalablement hémoglo-
binhémie, c'est-à-dire production d'hémoglobine dans le sang par destruction des
globules rouges; il n'en est plus de même de la troisième théorie qui, émise par
Lichtheim. a été admise en Allemagne par Kuessner, Boas, et soutenue en Italie
avec une grande vigueur par Marri, elle pourrait se lésumer par ces mots :
l'hémoglobinhémie précède l'hémoglobinurie.
Cette théorie s'adapte parfaitement aux observations dans lesquelles on a
trouvé le sérum coloré par l'oxyhémoglobine (Kuessner, Boas, Clément, Du Cazal,
Hénocque, et des hématies altérées (Murri, etc.) ; elle expliquerait pourquoi
la fièvre est d'autant plus marquée que la surface refroidie est plus grande,
c'est-à-dire que la destruction des globules a été plus intense, si l'on accepte
comme démontré que l'altération globulaire s'opère dans les capillaires de la
partie refroidie, ainsi que Boas l'a constaté. Les mêmes auteurs qui soutiennent
cette théorie (Litten, Ponfick, etc.) admettent que la destruction globulaire
peut se faire dans le foie (qui a été trouvé tuméfié pendant les accès, Murri), dans
la rate, enfin dans la moelle des os. Des objections fort graves ont été adressées à
cette interprétation pathogénique, comment admettre l'hémoglobinhémie préalable
quand on ne retrouve pas d'hémoglobine dans le sérum et qu'un examen très-atten-
tif ne révèle aucune altération globulaire particulière (Mesnet) ? 11 ne suffirait pas
ici d'opposer les observateurs aux observateurs ou d'invoquer une différence
dans le procédé des recherches : on ne pourrait que supposer qu'il peut y avoir
une rapidité de destruction telle que les résultats intermédiaires peuvent échapper
à la constatation, ou que les détritus sont conservés dans certains organes ; cette
hypothèse admissible, s'il s'agit seulement de détritus des membranes globu-
laires, ne saurait expliquer l'absence d'hémoglobine dissoute dans le sérum. Si
l'on veut se borner aux résultats de la clinique, il faut constater que de nou-
velles observations peuvent seules élucider cette question pathogénique. Enfin
l'hémoglobinhémie n'explique pas pourquoi chez certains individus le froid
produit des résultats aussi exceptionnels, de sorte qu'il a bien fallu admettre
h priori que les globules rouges présentent chez les malades une résistance
d'autant moins grande au froid qu'ils ont une organisation moins complète ;
malheureusement tout ce que l'on a pu ohserver sur la constitution de ces
globules se borne à des modifications difficiles à définir, telles que diffusion
des contours, variation dans la coagulation et la disposition des globules en
couronne; les altérations globulaires décrites par Murri ne font pas reconnaître
une modification spéciale et originelle des globules.
Nous ne sommes pas beaucoup plus instruits du mécanisme immédiat de la
destruction, en quelque endroit qu'elle s'exécute. L'hypothèse par laquelle ou
admet que le foie laisserait dans le sang un pigment ou une substance spéciale
qui détruirait les globules rouges ne repose pas sur des preuves suffisantes. Eu
définitive, nos connaissances sur le mode de développement des hématies et sur
leur disparition ne sont elles-mêmes pas assez précises pour nous expliquer
288 HÉMOGLOBINUIIIE.
comment le froid agit sur la destruction des globules, et dans le domaine des
hypothèses nous pourrions supposer que le système nerveux lui-même agit sur
les globules au moment même de leur formation, que l'hémoglobine se sépa-
rerait des globules à leur origine.
L'influence du froid, celle de la syphilis, celle du miasme paludéen, tels sont
les trois facteurs que l'on retrouve pour remplacer l'agent toxicohémique des
hémoglobinuries par empoisonnement; et il est bien évident que le froid n'est
qu'une cause occasionnelle déterminante et que la cause prédisposante est un
état particulier du sang ou des organes hématopoétiques ^ produit par la
syphilis, le paludisme, ou exceptionnellement individuelle et héréditaire. Quelle
que soit la théorie qu'on accepte, il faut reconnaître que « l'hémoglobinurie
paroxystique ou à frigore » véritable constitue une entité pathologique qu'il
importe de séparer dans un cadre nosologique spécial, pour la distinguer des
hémoglobinuries toxiques et symptomatiques en la rapprochant des tropho-
névroses.
Le DIAGNOSTIC de l'hémoglobinurie à frigore a pour base l'apparition des
urines rouges, que le malade remarque le plus souvent lui-même. L'examen
spectroscopiquc l'ait reconnaître la présence de la matière colorante du sang, soit
sous l'état d'hémoglobine ou bien de méthémoglobine, et l'examen micro-
scopique démontre l'absence de globules du sang. Le diagnostic se complétera
par l'étude de la coloration produite par la teinture de gaïac, la production
de cristaux d'hémine (par le procédé de Teichmann), enfin l'analyse chimique
de l'urine, la recherche de l'albumine, tels sont les moyens qui permettent
de diagnostiquer l'hémoglobinurie. Le début brusque sous l'influence du
froid, la relation d'accès antécédents, les commémoratifs, l'absence de cause
toxique, feront distinguer l'hémoglobinurie à frigore des autres formes d'hémo-
globinurie.
Les procédés de diagnostic sont décrits en détail à propos de l'hémoglobinurie
en général {voy. p. 27G), et nous n'avons pas à les reproduire, mais nous signa-
lerons les points les plus importants du diagnostic qui permettront d'élucider
l'histoire de cet état morbide. Mackenzie, dont nous traduisons les conclusions,
recommande de diriger avec soin les investigations sur l'observation des sym-
ptômes suivants :
1" L'examen microscopique du sang entre les accès, pendant l'accès, dans les
parties exposées au froid ou refroidies expérimentalement, avec ligature préa-
lable ou sans ligature ;
2° L'examen pendant le paroxysme, avec le spectroscope ou la réaction du
ga'iac, du sérum du sang obtenu par les ventouses et le vésicatoire ;
5° Rechercher si l'albumine précède l'apparition de la coloration rouge des
urines, et si elle persiste api'ès la disparition de la matière colorante du sang.
Traitemeint. Un grand nombre de substances ont été essayées dans les diverses
périodes de l'hémoglobinurie, mais la plupart n'ont pas donné de résultats dignes
d'être exposés. Nous nous bornerons à signaler les indications thérapeutiques
générales.
Il convient avant tout d'éviter l'action du froid, on maintiendra les malades
à la chambre, bien couverts, en même temps qu'on les soumettra à une médi-
cation tonique basée sur l'usage des préparations de quinquina et les prépa-
rations ferrugineuses. La quinine sera administrée, si la température s'élève,
s'il y a le moindre commémoralif d'influence paludéenne; chez les syphilitiques
HÉMOGLOBINURIE (bibliographie). 289
et même dnns les cas douteux le traitement spécifique mercuriel devra être
employé, car ce traitement a re'ussi dans des cas nombreux.
Comme médication préventive, l'emploi des douches froides ou des bains de mer
a donné des résultats variables, et il peut être prescrit utilement comme un
moyeu d'habituer les malades à l'impression du froid : par conséquent, l'admi-
nistration des douches réclame des précautions minutieuses.
L'ergotine, le perclilorure de fer, la strychnine, la teinture d'Eucalyptus, la
pilocarpine, l'acide gallique, les sels ammoniacaux, ont été essayés, mais sans
produire l'arrêt des accès ni une amélioration bien précise. A. Hénocque.
Bibliographie. — Nous réunissons sous ua nnème titre les indications bibliograpliiques
ayant rapporta l'Iiémoglobinurie en général, l'hémoglobinurie paroxystique, l'hématurie et
Vhémalinuvie intermittentes, paroxysmales ou périodiques. — Adams. Hœmoglobin-Ausschei-
dung in cler Niere, in-8°. Leipzig, 1880. In Ccnlralbl. f. med. Wissensck., 1881, 15. — Afa-
nassiewBaîibergeb. Uémoglobinurie dans un cas d'empoisonnement par l'acide sul fur ique.
In Centralblalt f. med. Wisnenschaften, 1874, 271. — BAiinioN ISaiitels. Conlribution à
l'élude de l'hcmoglobinurie essentielle paroxystique, 1884. Thèse de Paris, ii° 281. —
Beale (L.). Bénéficiai Effecls of Quinine in so-called Inlermillent Hœmalinuria. In Praclilio-
ner. London, 1868, I, 75-76. — Du jiiome. Case o[' inlermillent Uœmalinuria. XnNed. Times
and'Gazelle. London, 1875, I, 4i0. — Beybie (J. W.). Hœmalinuria. In Edinburgh Med.
Journ., 1874-1875, XX, 1005-lOlC.— Bland(J.J.). Malarial Uœmatimiria.ln South Prac-
litioner Nashville, 1885, V, 500. — Boas. Ein Beitrag zur Lehre von der paro.rysmalen
Hâmoglobinurie. In Deiitsches Arch. f. klinische Medicin. Leipzig, 1882, 5, XXXII, 555. —
Berghebixi. Vn casa di emoglobino-albiunimir'ia pa7-ossistica. In Gaz. med. ital. prov.
venete. Padova, 1881, XXIV, 255. — Bostrum Dotkin. Morcliel-Vergi^tung. In Centralblalt f.
die med. Wiss., 1881, 21. — Bbadley (li.-G.). Malarial Ilœmaturia. In On Swamp Fevcr
Mississipi Valley M. Monlh. Mernphis, 1881,1, 157. — Du même. Hœmaturia ofinlermilleni
Characler. In Med. Hec. New-York, 187C, XI, 504. — Bbejon. Du diagnostic différentiel de
l'hématurie et de l'Iiémoglobinurie principalement dans quelques maladies endémiques
des pays chauds, ia-i", thèse de Paris, 1881. — Cauvet (B.). Examen de l'urine d'un
Arabe, atteint d' hématurie intermittente. In Archives de méd. nav. Paris, 1876, XXVI, 500.
— Ceci (A.). Prof. Murri's Untei-suchungen ûber die Erkàllungs-Hâmoglobinurie. In Allg.
Wiener med. Zlg., 1880, XXV, 572, 592, 599. — Charteris Mattiiew. Clinicat Lecture on
Hœmalinuria. lu Lancet. London, 1879, II, 506. — Clément (E.). Observation d'kémoglo-
binurie intermittente. In Lyon médical, 1880, XXXIV, 84, et Mém. et Comptes rendus de
la Soc. de se. méd. de Lyon. 1881, XX, p. 2-70. — Coure (A.). De l'Iiémoglobinurie par-
oxystique et de la fièvre bilieuse nié la nur ique ou hématurique des pays chauds. In Arch-
méd. nav. Paris, 1881, XXXV, 161. — D. (Anonyme). Periodic hœmoglobinuria. In Med.
Times and Gaz. London, 1879, I, 215. — Daï (W. II.). Paroxysmal on Intermittent Hœma-
turia in ayoung Child following supposed Injury. In Lancet. London, 1880, II, 356. —
UiCKiNsON (VV. H.). Ilotes of Four Cases of Intermittent Hœmaluria. In Med.-chir. Times-
London, 1865, XIVIII, 175. — Du mèhie. Case of Inlermillent Ilœmaturia. In Tr. Path. Soc.
Lundon, 1864-1865, XVI, 174. — Dreyfus-Brisac (L.). De l'Iiémoglobinurie paroxystique ou
« à frigorei). In Gaz. hebd. de méd. et de chir. Paris, 1881, 246. — Dueschfeld and Stockes.
On the Hœmoglobinuria produced by large Doses of Chlorate of l'otash. In Trans. internai
Med. Congress. London, 1881, I, 598, — Druitt (L.). Paroxysmal on Inlermillent Hœmo-
globinuria. In Engl. M- Monlh. Newton Connert., 1882, II, 210. — Druitt (II.). Intermit-
tent Hœmatinuria. In Med. Times and Gaz. London, 1875, 1, 408, 461 et 489. — Du Cazal.
Observation d'hémoglobinurie « à frigore ». In Gaz. hebd. de médecine et de chir., 1881,
n°' 50-805; Bull, et mém. de la Soc. méd. des hôpitaux de Paris, 1882, XVIII, 354; Union
méd. Paris, 1882, 145. — Eitneu. Mehrere Faite von Hâmoglobinurie, hervorgerufeti durch
Einathmen von Arsenik-Wasserstoffgas. In Bcrl. klin. Wochenschrift, 1880, XVII, 256. —
Éloy. Union médicale, 17 lévrier 1885. — Fleischer. Ueber eine neiie Form von Hâmoglo-
binurie beim Menschen. In Berl. kl. Wochensch-ift, 1881, XVIIf, 691. — Flint. Hœmoglo-
binuria. In Med. Bec. Nevi'-York, 1879, XV, 552. — Forrest, Finlayson and Adams. Two
Cases of Paroxysmal Hœmatinuria with Note on the Spectroscopic Examinalion, in-8°.
Glasgow, 187'.*, and Glasgoiv Med. Journ., 1879, 417-474. — Francis. Periodic Hœmaturia.
]n Indian M. Gaz. Calcutta, 1868, III, 277. — Gouson (C). Notes of a Case of Paroxysmal
Hœmatinuria. In St. Barth. Hosp. Bep. London, 1877, XIII, 165. — Gcelet. A Case of
Paroxijsmal Hœmatinuria with Unusnal Bcgularity of the Paroxysmal. In Amer. Journal
of Med. Se, 1879, 285.— Greenhow (E. H.}. Fowc Cases of Intermittent on Paroxysmal
DICT. E.NC. i" S. XIll. 19
200 IlÉMOGLOBINURIE (bibliographie).
llœmatinuria. In Tr. clin. Soc. London, 18G8, I, 40, et Edinb. Med. Journal, 1867, 990. —
Gniiin. Case of Malarial Hœmaluria successfully trealed on the Mercurial Plan. In Med .
and Surg. Ueporler. Philadelphia, 1878, XXXIX, 43. — Gull. Case of Intermittent Hœma-
turia. In Guy's Hospital Rep. London. 1886, XII, 381. — IIalershon. Case of Intermittent
Uœmalinuria. In Lancet. London, 1870, I, 158. — Hammarstbn. Fait auf llânioglobinuri.
In Upsale Làkarcf. Fôrli., 1880, XVI, 35-01. — IIam.mo-nds (J. D.). Malarial flœmaturia.
In Neir-Grleans Med. and Sui-g. Journal, 1879, 449. — Harley (C). On intcrmillent Hœma-
luria irilh Remarks upon ils Pathologij and Treatnient. In Med.-Chir. Transact. London
1805. 101, 175. — Du MÊME. The Urine of Intermittent Hœmaturia. In Tr. palh. Soc.
London, 1804-1805, XVI, 08. — IIassall (.\. H.). On Intermittent or Winter Hœmaturia.
In Lancel. London, 1865, II, 568. — IIenbot (II.). Hémoglobinurie. In Union méd. et scient,
du nord-est. Reims, 1882, VI, 20, etCompt. Rend, de l'Association f-anç. pour l'avanc. des
sciences. Blois, 1884, 470. — Heubneii. Hémoglobinurie dans la scarlatine. In Deutsche
Arch. f. kl. Med., XXIII, 202. — Jones (J.). Malarial Hœmaturia. Natural Ilistort] and
Treatment illustrated bij Cases. In New-Orleaus Med. and Surg. Journal, 1877, V, 576. —
KoBEuT und KuEssNER. Ein Fall von periodischer Ilâmoglobinurie. In Berl. klin. IVoctien-
schrift, 1878, 635. — Kuessner. Paroxysmal Hœmoglobinurie. In Deutsche med. Wochen-
schri/t. Berlin, 1879, 475. — Lambris (b. F.). Uuggernergnier-Congestie [Hœmoglobinurie].
In Tijdschr. v. Vcrartsenijk. en veetelt. Amsterdam, 1879, X, I. — Lebedeff (S. A.). Zur
Kenntniss der feineren Verànderungen der ^ieren bei der Hœmoglohin-Ausscheidunq,
In Archiu f. pathol. Anal. Berlin, 1883, XCI, 267. — Lebert. Ein Fall von Ilâmoglobinurie.
In Berl. klin. )Vochcnschrift, 1872, 1\, 257. — Legg. On paroxysmal Hœmaturia. In
Si. Uartliol. Hospital Reports. London, 1874, X, 71. — Lépine. Contribution à l'étude de
riiémoglohinnrie paroxystique. In Rev. mensuelle de méd. et de chir., Paris, 1880, IV, 722,
Lyon mrdical, 14 août I8S1, 494. — Levi (JI.R.). Délia emoglobinuria ad accessi da freddo
ed accenno alla jn-etesa inlossicazione chinica. In lo Sperimentale, 1881, XLVII, 360. —
LiciiTiiEiM. Ueber penodische Ilâmoglobinurie. In Sammlung klinischer Vorlrâge. Leipzig,
1878, n» 134. Medic. Presse u. Circular. London, 1879, XXVII, 39. — Littes. Ueber lia-
moglobinôhrie und Hâmoglobinurir. In Deutsche med. Wochenschrift, Berlin, 18s3, IX,
73(3. — Macuenzie (S.). A Case of Paro.rysmal Ilœtnoglobinuria, with Remarks on ils Nature
In Lancet. London, 1879, II, 110-155. — Du même. On Paroxysmal Hœmoglobinuria. Ibid.^
1884, 1, 150, 198, 245. — Mackenzie and Sau.nddy. Collective Investigation of Disease; Pa-
roxysmal Hœmoglobinuria. In Dritish Med. Journal. London, 1884, I, 189. — Vo.v Mass-
VELT (C. G.). Gewal vanintermitterendeNierblœding. In Genesk. Tijdschr. van de Zeemagt.
Grabenliage, 1808, VII, 140. — Marthéw (C. M.). Case of Intermittent or Paroxysmal Hœma-
turia. In Lancet. London, 1870, I, 900. — Meck. Malarial Hœmaturia. In Amer. Med.
' Biweakly. Lonisville, 1879, X, 190. — Mesnet. Mémoire sur V hémoglobinurie dite par-
oxystique, qu'il propose d'appeler hémoglobinurie à frigore. In Bull, de l'Ac. de méd. de
Paris, 1881. 2» s., t. X, 572. — Du mèjie. De l' hémoglobinurie à frigore. In Arch. gén. de méd.
Paris, 1881, 513. — ÎIettenheimer. Wiirzburger med. Zeitschrift, 1862, n" 1. — Mohrill
(F. G.]. A Case of Hœmoglobinuria. In Boston Med. a. S. Journal, 1882, CVl.'lOS. — IIorris.
A Case of Récurrent llœmatinuria. In British Med. Journal. London, 1885, I, 557. —
MuRCHiNSON. Intermittent Ilcematuria. In Tr. Path. Soc. London, 1864-1865, XVI, 185. —
MuRRi (A.). Dell' emoglobinuria da freddo. In Riv. clin di Bologna, 1879, IX, 55, 97, 289,
321. Ibid. Extrait in Med. Times and Gaz., 5 août 1882. Ibid. Emoglobinuria sifilide. Ibid. In
Riv. clin, di Bologna, IV, V, 1885. — ^ii.m\>i. Hématurie dans l'empoisonnement par l'acide
chlor hydrique. In Dubois-Reymond's Archiv, 1808, 415. — Neale. Paro.rysmal Hœmaturia.
London, 1879, II, 725. — Neisser. Die Ilâmoglobinurie cneugende Wirhung des Naphtols.
In Centralblalt fiir die med. Wissensch. Berlin, 1881, XIX, 545. — Orsi. Caso di ematuria
rénale amorfa con doppia intermittenza. In Gaz. med. ital. lomb. Jlilano, 1878, V, 3, II,
21, 51, 41. — Otto. Ein Fall von periodischer Ilâmoglobinurie. In Berl. klin. Wochenschr.,
1882, XIX, 591. — pyETz. Observations d' hémoglobinurie paroxystique. — Pauli. Weitere
Beitrâge iur periodischen Ilâmoglobinurie. In Memorabilien. Ileilbronn, 1880, XXV, 565. —
Paxy (F. VV.). On Paroxysmal Hœmaturia. In Lancet. London, 1860, II, 53. — Du jiême.
Urine from a Case of paroxysmal Hœmaturia. In Tr. Path. Soc. London, 1871, IV, 74.—
Popper. JServôse Hâmoglobinurie. In Oesterr. Zeitschr. fiir prakt. Heilk. Wien, 1868, XIV,
657. _ Ueber Hœmoglobinurie. In Ibid., 1869, XV, 751, 751, 790, 855, 920, 959. — Ramlot,
De la pathogénie del'hémoglobinurie « à fr'igore y> , revue critique. In Rev. mens, de méd. et
de chir. Paris, 1880, IV, 755. — Riedel. Hémoglobinurie par embolie graisseuse. In Deut-
sche Zeitschrift fur Chir., 1880, Bd. 12, 118. — Ritter. Hœmoglobinuria neonatorum
epidemica. In Prager med. Wochenschrift, 1879-1883. — Rosexbach (0.). Beitrâge zur
Lehre von der periodischen Hâmoglobinurie. In Berl. kl. Wochenschr., 1880, XVII, 152-
^51. _ Saundbv. Case ofcontinued Hœmoglobinuria apparenthy Hereditary. In Med. Times
a. Gaz. London, 1880, I, 470. — Du même. On two Cases of Paroxysmal Hœmoglobinuria.
IIÉMOI'IIILIE. 291
Med. Times and Gazelle. London, 1882, I, IIG. — Paroxysmal Uœmoqlobinuria. Ibid,
224. SciiwAN. llémorjlobi nwie 2'roduile par la glycérine. In Cenlralblall fïtr med. Wis-
.^ciischafteii, 16 août 1879. — Scrida. Uémuglobinurie par embolie graisseuse. In
Deutsche Zeilschrift fur Chir., 1879, XII, 13. — Siluekmann. Ueber Hâmoglobinurie. Breslau,
1880. In Mrztl. Zeilschr., II, 90. — Silvestrini (G.). UUeriori osservazioni sulla malallia
di Dressler ed emoglobino-albuminuria parossistica.ln Si'allanzani. 31odena,1881, X, G5. —
Sulla einoglobiiio-albtuninuria parosiistica, in-8"Milano, 188.'. — Silvestiuni et Conti. Sulla
malatlia di Dressler ed emoglobino-albuminuria parossislica, studio clinico ed anatomo-
palologico. In Spallanzani. Modena, 1880, IX, 47'i. — Ibid. Menioria seconda. In Speri-
inenlale. Fireuze, 1881, LVII, 478. — Southeï. Inlermitlent Hœynaturla in a CliiUl. Lancel.
Loadon, 1870, II, 532. — Stevens. Intermittent Ilœmaturia of more llian Twentij Years
durating in an aged Women. In Bril. Med. Journal. Louisiane, 1871, II, 525. — Stolni-
Row. Uœmoqlobinurie. In St. Petersburg med. Wochenschrift, 1880, V. 225. — Sgone. A
Case of Uœmoglobinuria. In iMed. Tim. and Gaz. Loudun, 1880, 1, 170. — STitiiuiNG. Pa-
roxysmale Ilœmoglobinurie. In Deutsche med. WochenscJivifl. Berlin, 1882, VIII, 1. —
Trezevant.^ Case of Paroxysmal Hœmnlnria. In Trans. South. Car. Med. Assoc. Charles-
lown, 1876, I. — Tyson. Microscopical Spécimens of Urine in Intermettent Ilœmaturia. In
Med. Times. Philadelphia, 1870, I, 284. — Clinical Lecture on Intermiltent Ilœmaturia. In
Ibid., 429. — Ughetti. Sull intossicazione chinica ciel prof. Tomaselli e l' emoglobino-albu-
minuria del prof. Silvestrini-Conti. Iii Osservalore med. Palermo, 1881, s. 3, XI, 3. —
Verco. Paroxysmal Hœmatinuria. In Australia med. Gaz. Sydney, 1882, n" 219. — "Vogel.
Harn-Analyse in Krankkeilen der liarnbereitendcn Organe. In Virchow's Ilandbuch der
speciellen Pathologie u. Tlierap. Bd. VI, 2° Ablli., p. 559. — Wertii. Ein Fall von Hâ-
moglobinurie unter der Geburt beobachtel. In Arch. fïtr Gynâk. Berlin, 1881, XVII, 122. —
WiLKES. A Case of Ucemoglobinuria, Gangrené of the Fingers, associatcd with Prolonged
Suppuration, la Med. Times and Gazelle. London, 1879, II, 207. — Wilthshire. Urine from
a Case of Intermiltent Hcemaluria. In Tr. Patk. Soc. London, 18G7, XVIII, 180. — Wuit-
siTT. Some Bemarlis on the Disease slyled Material Hemorrhagic Fcver, Swamp Fever,
Hœmaturia. In Hichmond and Loiiisville Médical Journal. 1878, XXV, 521. — Wolff.
Ueber paroxysmale Hâmoglobinurie. In lireslauer àrztliche Zeilschrift, 1883, V, 125.
— Zk>i (G.). Sulla patogenesi dell' emoglobinuria da freddo. In il Morgagni. Napoli, 1885,
XXV, 497. A. II.
HiïMOMArvoMÈrRE. Tout manomètre appliqué à la mensuration de la
tension du sang : tel est l'hémomètre {voy. CincuLATio>", p. 414), le manomètre
compensateur de Marey {ibid., p. 415). L. Hn.
HÉiUOlHÈTRE. Voy. IlÉMOJIANOMÈTIiE.
HÉMOPHILIE. Définition. On désigne sous le nom d'iiémophilie une
disposition congénitale et héréditaire aux liémorrhagies. Celte expression, dé-
livée de deux mots grecs («ïf/ta, sang, et yt/ta, amitié), n'est pas heureuse au
point de vue étymologique, mais elle est consacrée par l'usage, et cela suffit.
KUe a prévalu sm* une foule d'autres dénominations, successivement proposées
et qu'il est inutile de reproduire. Ce qui importe davantage, c'est de rechercher
s'il existe bien réellement une entité paliiologique qui mérite ce nom et qui
réponde à la définition qui précède. Voyons d'abord comment elle a pris droit
(le domicile dans la science.
HisToiiiQUE. Ou a remarqué, de tout temps, que certains individus avaient
une disposition particulière à perdre beaucoup de sang, h l'occasion de la
moindre blessure, mais c'est Albucasis qui a le premier signalé la transmissi-
bilité de cette dialhèse par voie d'hérédité. Depuis celte époque, la même obser-
vation se trouve consignée de loin en loin dans les ouvrages de médecine, à
l'occasion de quelque fuit particulier. Toutefois, ce n'est qu'au commencement
de ce siècle que les médecins américains Otto, Rusch, Boaniley, Hay, en ont
pu rassembler un nombre suffisant d'observations, pour eu tracer l'histoire et
292 HÉMOPHILIE.
{lour la décrire comme une maladie à part. En Allemagne, les travaux de Nasse
appelèrent l'attention sur elle en 1845; Schœnlein lui donna une place dans
le cadre nosologique, et Vircliow la lui conserva, sous le nom d'hémophilie, dans
le grand ouvrage de pathologie et de thérapeutique qu'il publia, quelques
années après, en colloboration avec Vogel,lleebra, Wiiitrich etLebert.Ce dernier
avait fait connaître riiémophilie en France, dès 1857, dans ses recherches sur
les causes, les symptômes et le traitement des hémorrhagies constitutionnelles.
C'est en effet dans ce groupe d'affections qu'on la rangeait alors, et les diction-
naires de médecine publiés depuis le commencement du siècle, et (pii repro-
duisent iidèlement l'état de la science à l'époque où ils ont paru, lui consacrent
quelques lignes à l'article des hémorrhagies. C'est ainsi qu'il en est traité dans
]e gvdud Dictionnaire des aciences médicales (t. XX, p. 552, 1817), dans le
Répertoire cjénéral des sciences médicales (t. XV, p. 156, 1857), et dans le
Compendiuin de médecine pratique (t. IV, p. 466, 1841). Ce n'est qu'ulté-
rieurement qu'on a donné une place à part à l'hémophilie et qu'on l'a considérée
comme une individualité morbide. L'importante monographie publiée à Leipzig
par Grandidier (de Cassel), en 1855, y a bcr.ucoup contribué. La plupart des
auteurs qui ont écrit depuis sur ce sujet ont adopté ses idées et mainlenanl
tous les traités de pathologie interne et tous les dictionnaires lui consacrent
un article particulier.
Malgré cette unanimité, les esprits sévères en matière de nosologie se de-
mandent si c'est avec raison qu'on a créé cette maladie nouvelle et si l'on n'a
|)as englobé sous son nom une foule d'états pathologiques différents, n'ayant
entre eux de commun que la disposition hémorrhagique. Tous les chirurgiens
savent en effet qu'on observe des hémorrhagies très-difficiles à arrêter chez
les blessés qui ont déjà perdu beaucoup de sang ou qui ont été épuisés par
la pourriture d'hôpital, par un long séjour dans les hôpitaux; personne n'a
lu pensée d'invoquer pour expliquer cette complication une disposition orga-
nique particulière. Les hémorihagies spontanées qu'on observe dans le scorbut,
le purpura, les maladies infectieuses, ne sont également qu'un symptôme. On
peut en dire autant de l'hémalidrose qui se montre parfois dans la fièvre jaune
et dans certaines névroses. Il y a loin de là à l'hémophilie telle qu'on l'a
comprend aujourd'hui, à celte diathèse compatible avec la santé et ne se tra-
duisant que par une étrange disposition aux hémorrhagies et la diflicullé
qu'on éprouve à arrêter le sang lorsqu'il a commencé à couler. Il est certain
pourtant que, lorsqu'on analyse les observations nombreuses publiées par les
auteurs, on ne peut pas se refuser à reconnaître que le plus grand nombre
d'entre elles ne peuvent se rapporter à aucune autre maladie connue et qu'il
y a, dans l'uniformité des symptômes observés, une telle concordance qu'il faut
t)ien admettre cette diathèse spéciale, quelque étrange qu'elle soit. Grandidier,
dont nous avons eu déjà l'occasion de citer le premier travail, a réuni, dans un
mémoire publié huit ans plus lard, une série d'observations paraissant tout à
fait probantes. Il a trouvé l'hémophilie signalée dans 174 familles compre-
nant 512 ])ersoniies. D'auties faits ont été rapportés depuis, qui paraissent mé-
riter toute coi]tiance, et il n'est guère de médecin ayant une pratique un peu
étendue (|ui n'ait eu l'occasion de rencontrer, dans le cours de sa carrière, des
individus bien portants en apparence, chez lesquels l'avulsion d'une dent on
l'application de ([uelques sangsues suffisait pour mettre la vie en péril. Nous
concluons de ce qui précède que c'est avec raison qu'on a donné une place
iiEiioi>ii.;jK, 'yyj
à part, dans le cadre nosologique, ù cette singulière affection, et qu'il y a lieu
de la lui conserver.
Étiologie. L'hérédité est, comme nous l'avons dit, un des caractères essen-
tiels de l'hémophilie. C'est le triste apanage d'un certain nombre de familles.
Il en est dans lesquelles on a pu la constater dans quatre on cinq vénérations
successives. Gomme toutes les maladies héréditaires, elle franchit souvent une
"énération. La transmission se fuit le plus souvent par la mère. La tille issm-
d'une famille hémophilique, exemple elle-même de la diathèse, ainsi que son
mari, engendre des lîls qui en sont atteints, des filles qui ne le sont pas,
mais qui sont destinées à transmettre à leur tour cet héritage à leurs enfants
mâles.
Dans sa monographie sur les hémorrhagies traumatiques, L.-J. Sanson raconte
qu'Applelon, qui dans son jeune âge avait été sujet aux hémorrhagies spon-
tanées, succomba à un écoulement de sang par la muqueuse uréthrale et par
la surface d'une eschare de la hanche. Sur 17 enfants ou petits-enfants qu'il
eut, 5 succombèrent à la suite de blessures insignifiantes; les autres furent
sujets à des hémorrhagies spontanées qui entraînèrent la mort de quelques-uns
d'entre eux. Dans sa thèse de concours sur l'hércdité dans les maladies, M. Lere-
houllet cite un cas très-intéressant d'hémophilie héréditaire. Dans les familles
où celte disposition existe, on la constate chez un peu plus de la moitié des
enfants (55 pour 100, d'après les chiftres de Grandidier). Les cas d'hémophilie
isolés et sans antécédents sont très-rares.
Les premières manifestations de la diathèse hémorrhagique peuvent se mon-
trer à la fin de la première année ; jamais on ne l'a observée après la vingt-
deuxième. On ne cite même que deux cas oîi la première perte de sang ait été
aussi tardive, et tous deux ont été observés dans la même famille, où le père et
le fils sont morts, tous deux au même âge et tous deux à la suite d'hémorrhagies
nasale et intestinale. Par contre, on voit des hémophiliques arriver à un âge
assez avancé. Steiumetz et Grandidier en citent trois qui ne sont morts qu'à
soixante-deux, soixante-cinq et soixante-dix ans.
Les femmes, ainsi que nous l'avons déjà dit, y sont beaucoup moins sujettes
que les hommes. On avait même prétendu que cette diathèse était exclusive au
sexe masculin, mais il existe au moins seize faits authentiques d'hémorrhagies
mortelles chez des jeunes filles ou sur des femmes hémophiliques et, dans le
nombre, il en est une qui a été observée par Wachsmann, et qui succomba à la
suite de la rupture de 1 hymen. La proportion entre les deux sexes établie par
Lange et acceptée par Virchow est d'une femme pour sept hommes. La mens-
truation s'établit prématurément chez les jeunes tilles hémophiliques. Gran-
didier l'a vue apparaître à huit ans, Uhde à treize, Heyfelder à douze. Les règles
sont abondantes et de longue durée. Dans les familles où cette diathèse existe
les femmes qui en sont exemptes sont cependant, au dire de Viéli, sujettes à
l'avortement. Grandidier dit, au contraire, que chez les hémophiliques la gros-
sesse arrive le plus souvent à terme et ne s'accompagne pas d'hémorrhagies
plus abondantes que chez les autres femmes. A l'époque de la ménopause, la
diathèse a disparu.
La constitution des sujets hémophiliques ne se fait remarquer par aucune
particularité constante. En général, ils ont la peau fine, blanche, transparente,
les yeux bleus et les cheveux blonds, les attributs du tempérament lymphatique,
en un mot; mais il en est qui offrent toutes les apparences de la force et de
294 HÉMOPHILIE.
la sanlé, qui ont la peau brune, les muscles vigoureux, qui sont gais, actifs,
intelligents.
L'inlluence de l'hygiène paraît nulle. L'hémophilie est aussi fréquente chez
les riches que chez, les pauvres, chez les gens qui se nourrissent mal que cliez
ceux dont l'alimentation ne laisse rien à désirer. On l'observe à la campaane
comme à la ville. Certaines races y paraissent prédisposées : les israélites et les
musulmans, par exemple. On a remarqué que les familles décimées par l'hémo-
philie compensaient les perles qu'elles subissent par une remarquable fécon-
dité. On a compté 204 enfants sur 21 familles : soit 9,5 par famille, et c'est à
peu près le double de la moyenne.
L'hémophilie est plus commune dans les pays scpfcntrinnaux. Son domaine
géographique s'étend eu Europe du 43' degré de lattitudc jusqu'au QQ'' et en
Amérique du ôZ^ au 45''. D'après les relevés les plus complets, l'Allemagne figure
pour 48 sur 100 dans la totalité des faits publiés, l'Angleterre pour 18, la Suisse
pour 9, la France pour 8,5. On cite dfs localités où l'hémophilie est en quelque
sorte endémique. D'après le docteur Viéli, de Rhaezuens, village situé près de
Terma dans les Alpes Dhétiques et par une altitude de plus de 1600 mètres, on
compte dans cette bourgade quinze ou vingt habitants hémophiliques. C'est au
printemps et en autonme ([ue les manifestations spontanées de la maladie se pro-
duisent le plus souvent. Martin croit, au contraire, qu'elles sont surtout à craindre
pendant les chaleurs de l'été, après les grands froids et les orages. D'autres
observateurs, comme Tardieu, font ressortir l'influence des temps humides et
des saisons pluvieuses. Une émotion morale vive suffit parfois pour les faire
éclater. On a vu des tumeurs sanguines, des épistaxis rebelles survenir, après
un accès de colère. On cite même des cas étranges dans lesquels l'hémophilie
se serait montrée chez des enfants à la suite d'émotions vives survenues pendant
la grossesse de la mère. Telle est l'observation rapportée par le docteur André et
dans laquelle il est question d'un ménage exempt de toute diathèse hémorrha-
gique, de toute prédisposition licréditaire, et ayant donné le jour à deux enfants
également indemnes. Dans le cours de sa troisième grossesse, la mère éprouve
une émotion violente; l'enfant qu'elle portait meurt six semaines après sa nais-
sance d'hémorrhagies spontanées par le cuir chevelu et la pulpe des doigts;
deux autres enfants venus plus tard et allaités par leur mère meurent de la
même façon à l'âge de deuv mois. 11 existe également des exemples d'hémophilie
survenant chez des enfants à la mamelle, h la suite d'émotions vives éprouvées
par la mère. Le plus remarquable des cas de ce genre est celui qui a été observé
par Ghelius (d'I'leidelberg). Le nourrisson avait neuf mois; il était robuste et
bien portant ; la mère lui donne le sein après une syncope causée par une émotion
terrible : l'enfant pâlit, l'hémophilie s'accentue, il meurt dans une dernière hémor-
rhagie, et tous les enfants qui naissent ensuite sont atteints de la même affection.
Ces faits sont tellement étranges qu'on serait tenté de les révoquer en doute,
malgré l'autorité des observateurs qui les racontent, s'ils n'étaient pas si nom-
breux et si concordants.
SvMPTOMATOLOGiE. L'iiémophilie a pour symptômes essentiels : des hémor-
rhagies Iraumatiques ou spontanées extrêmement rebelles; des péléehies, des
ecchymoses, des tumeurs sanguines qui ne sont que des expressions différentes
d'un même fait pathologique et, comme phénomènes accessoires, des douleurs
articulaires. Gintrac signale de plus, comme coïncidence fréquente, les névroses
convulsives.
HÉMOPHILIE. 205
Les héraorrliagies traumatiques les plus rebelles se produisent chez les hémo-
philiques à l'occasion des blessures les plus insignifiantes. Elles sont remar-
quables par leur durée, leur ténacité et la disproportion qui existe entre l'impor-
tance de la lésion et le danger qu'elle fait courir. Ainsi dans la statistique des
cas mortels relevés parGraudidier, on voit figurer, en première ligne, les gerçures
de la peau ou des lèvres, qui ont causé 14 décès, les plaies légères du cuir che-
velu, qui en ont détern)iné H , les morsures de la langue par les dents des malades,
qui en ont fait périr 7, et les saignements de nez suite de chute ou de contusions,
qui ont entrahié 5 fois la mort. Quant aux opérations, ce sont également les plus
insignifiantes qui ont eu les suites les plus latales. Les avulsions de dents et les
applications de sangsues sont surtout à redouter. Les saignées sont moins souvent
suivies d'hémorrhagies qu'on ne pourrait le croire, pourvu qu'on ait soin de serrer
suffisamment le bandage. Le docteur Betli rapporte l'histoire d'une femme hcmo-
philique qui fut saignée douze fois, dans le cours d'une pleurésie, sans qu'il en
résultât d'accidents. Dans les 42 cas relevés par Grandidier, on compte 10 extrac-
tions de dents, 8 saignées, 4 applications de sangsues, 4 de ventouses scarifiées
et 4 circoncisions. On y voit même ligurer des opérations non sanglantes, telles
que des appositions de ventouses sèches ou de vésicatoires.
Fordyce avait déjà remarqué que les déchirures, les érosions, les plaies super-
ficielles, sont plus redoutables que les sections nettes et profondes produites par
l'instrument tranchant. Lorsque la mort survient, à la suite d'une ligature d'artère
ou d'une amputation, ce n'est pas par les gros vaisseaux que le sang s'écoule,
il s'échappe, en bavant, par les capillaires, et suinte de toute la surface de la plaie.
Les hémori'hagies spontanées se font plus souvent par les muqueuses que par
la peau et surtout que parles séreuses. Les épistaxis figurent dans les statistiques
pour la moitié des cas et pour le tiers des décès; les liémorrhagies buccales et
intestinales viennent ensuite; les hémoptysies marchent en quatrième lieu; les
hématuries, les métrorrhagies, les écoulements de sang par le vagin, l'urèthre,
et par la pulpe des doigts, terminent la série. Ce n'est pas toujours par le même
point que le sang coule chez le même individu, et certains auteurs prétendent
qu'on peut observer des hémorrhagies spontanées incoercibles sur des sujets
chez lesquels les hémorrhagies traumatiques s'arrêtent facilement.
L'écoulement de sang peut arriver subitement, sans phénomènes précurseurs;
cependant, dans la majorité des cas, il est annoncé par des phénomènes de
congestion portant le plus souvent sur la tète. Ce sont des bourdonnements
d'oreille que les malades comparent au bruit d'un moulin, une surdité inter-
mittente, des troubles de la vue; d'autres se plaignent de vertiges, de bouffées
de chaleur, et chez quelques-uns ces sensations se traduisent à l'extérieur par
l'injection des capillaires de la face, par des dilatations vasculaires formant un
réseau à larges mailles étendu sur les joues et les oreilles.
Les hémorrhagies spontanées se font aussi par les capillaires. Le sang coule
en nappe; on le voit suinter par gouttelettes de la suriace saignante, qui res-
semble à une éponge. Ce qui caractérise ces hémorrhagies, c'est leur durée et
leur ténacité. Quand la terminaison doit être funeste, elle est lente à venir.
Les épistaxis durent cinq, six et même sept jours. Hay-Roberts a vu le sang
couler, pendant vingt-deux jours, à la suite d'une extraction de dent, et Uhde
parle d'une hématurie qui dura près d'un mois. Par contre, Escherich a vu
la mort survenir en quarante-quatre heures à la suite d'une petite blessure
reçue dans un duel.
-^6 IIÉMOl'llILIE.
La quantité totale de sang perdue, dcp\iis l'invasion jusqu'à la mort, varie
suivant les cas, entre 1 et 12 litres. On a vu des malades perdre 2 litres de
sang, dans un jour, après l'avulsion d'une dent. On en cite un qui, après en
avoir perdu, par l'anus, un plein seau en une heure, resta tout un jour comme
mort et finit par se rétablir. Il n'y a donc rien de plus variable que la quantité
de sang qu'un hémopliilique peut perdre dans un temps donné.
Les pétéchies, les ecchymoses, les tumeurs sanguines, ne sont que des hémor-
rhagies interstitielles, de nature spontanée ou traumatique, dont le sang est
retenu dans les mailles du tissu. Les premières varient de dimension, depuis
celle d'une tète d'épingle jusqu'à la largeur d'une pièce de 5 francs. Elles
passent par tontes les teintes des taches eccliymotiques. Elles peuvent se ren-
contrer sur toutes les parties du corp<, mais, en général, on les observe sur
les membres inférieurs, le scrotum ou les fesses, parfois sur le cuir chevelu. On
eu a aussi rencontré sur les viscères. Le bord antérieur du foie, la base du poumon,
la muqueuse gastrique, la langue, le voile du palais, sont leurs sièges de prédi-
lection. Les taches apparaissent tantôt spontanément, tantôt à la suite d'une
contusion légère ou d'une simple pression. Elles sont souvent les signes précur-
seurs d'une hémorrhagie spontanée; parfois, au contraire, elles sont l'annonce
d'im changement favorable dans la santé et signalent la cessation d'une hémor-
rhagie ou de douleurs articulaires. Parfois elles constituent à elles seules toute Ja
maladie.
Lorsque l'hémorrhagie interstitielle est trop abondante, le sang s'accumule par
places et forme des tumeurs sanguines dont le volume atteint parfois celui de la
tète d'un enfant. Elles sont d'une couleur bleuâtre, tirant sur le noir, avec un
bord rouge qui disparaît le })remier, quand la résorption se produit. Elles sont
molles et fluctuantes quand elles renferment du sang liquide, dures lorsqu'elles
contiennent des caillots, et toujours assez douloureuses à la pression. Celle-ci
fait immédiatement apparaître un cercle ecchymotique autour de la tumeur,
ce qui ne se produit jamais, en pareil cas, chez les sujets exempts de cette
diathèse. Celles qui sont produites par des contusions peuvent se montrer par-
tout, mais les tumeurs spontanées s'observent le plus souvent aux environs
des fausses côtes, dans la région lombaire, à la racine des cuisses et autour
des genoux.
Les tumeurs sanguines, comme les ecchymoses, sont précédées par des phéno-
mènes de congestion analogues à ceux q\u annoncent les hémorrhagies ; elles
peuvent alterner avec celles-ci, ou les remplacer; elles peuvent enfui devenir
mortelles. Matzenbecher a cité le cas d'un jeune homme qui succomba à la suite
d'une tumeur sanguine étendue à tout le tissu cellulaire du thorax.
Les douleurs articulaires sont des arthrites rbumaloides. Dans les familles
hémophiliques, il est rare qu'un des membres au moins n'en soit pas atteint.
Elles peuvent apparaître dès le plus jeune âge, et avant toute espèce d'hémor-
rhagie. Elles alternent souvent d'ailleurs avec ces dernières, ainsi qu'avec les
tumeurs sanguines. Elles se déplacent, comme les arthrites rhumatismales,
et affectent comme elles les grandes articulations. Elles passent de l'une à
l'autre et se fixent définitivement au bout de quelques jours sur une des join-
tures principales. C'est habituellement sur le genou. Sur 45 cas relevés par
Grandidier, toutes les articulations ont été prises 9 fois; le genou 15 fois; le
pied 7 fois; la hanche 5 fois; l'épaule 4 fois; le coude 4 fois; la main et les
doigts, 1 fois.
HEMOPHILIE. 297
Les douleurs articulaires durent habituellement huit ou neuf jours. Elles
se montrent d'ordinaire en automne, et le froid humide les exaspère. Elles sont
variables d'intensité, rémittentes ou intermittentes, avec des exacerbations vespé-
rales, et parfois assez vives pour rendre tout mouvement impossible. Le gon-
flement peut manquer; pourtant il existe dans la majorité des cas. Les arti-
culations tuméfiées donnent à la pression la même sensation que les tumeurs
blanches.
Les ecchymoses qui se montrent parfois à leur niveau sont causées par les
mouvements, par la palpation, et se produisent par le même mécanisme que
celles qui entourent les tumeurs sanguines. Sauf cet accident de coloration, les
téguments ne changent [las d'aspect; ils ne présentent ni rougeur, ni élévation
de température. La facilité avec laquelle les eccliymoses se produisent a fait
penser à quelques auteurs que la douleur et le gonflement étaient le résultat
d'un épanchement sanguin intra-articulaire. C'est Dubois (de Neufchàlel) qui a
émis le premier cette opinion à laquelle Fournier et ïardieu se sont ralliés ;
mais le docteur ScheIT, dans ses recherches historiques sur l'hémophilie, fait
observer avec raison que, s'il y avait toujours épanchement de sang dans l'arti-
culation, on ne verrait pas la douleur se mobiliser comme elle le fait et tous les
accidents disparaîlre en quelques jours. D'ailleurs, dans les autopsies qu'on a
faites, on n'a jamais trouvé de sang dans les jointures.
Les accidents dont les articulations sont le siège chez les hémophiliques se
•rapprochent des arthrites rhumatismales par la mobilité et le caractère de la
douleur ; ils en diffèrent par leur peu de durée, par l'absence de lièvre et de
rougeur, enfin par te fait que d'habitude ils ne laissent pas de traces. On cite
cependant quelques cas dans lesquels les articulations se sont del'ormées à la
longue. Ce sont donc, comme le dit Schcff, des douleui's pseudo- rhumatis-
males.
Ouant aux névroses convulsives que Gintrac range parmi les affections qui
coïncident souvent avec l'hémophilie, la plupart des auteurs ne les considèrent
que comme la conséquence de l'état d'anémie amené par les pertes de sang.
Diagnostic. Les symptômes que nous venons de passer en revue sont assez
caractéristiques pour empêcher de confondre l'hémophilie avec les autres maladies
qui s'accompagnent de pertes de sang. Dans aucune d'entre elles, en effet, on
n'observe ces hémorrhagies interminables, incoercibles, existant depuis l'en-
fance et se transmettant par voie d'hérédité. Les ecchymoses, les tumeurs san-
guines, apparaissant sans motifs, ou à l'occasion de la contusion la plus légère,
enfin les arthralgies mobiles et apyrétiques, sont des phénomènes absolument
propres à l'hémophilie. Elles ne permettent pas de la confondre avec le scorbut,
qui ne se montre que dans des conditions spéciales et qui disparaît avec elles, ni
avec le purpura, affection essentiellement transitoire, souvent épidémique, et
dans le cours de laquelle les hémorrhagies n'ont ni la même abondance, ni la
même ténacité. Il serait plus difficile encore de confondre la maladie qui nous
occupe avec l'hématidrose, qui se manifeste parfois dans les maladies nerveuses.
Les sueurs de sang qu'on observe alors ne sont ni héréditaires, ni abondantes, ni
incoercibles. Elles ne mettent pas la vie en danger et ne se montrent pas à la
suite des blessures légères. Quant aux hémorrhagies passives qui surviennent
parfois dans le cours des maladies infectieuses et notamment dans la fièvre
jaune, il faudrait y mettre de la bonne volonté pour les confondre avec celles de
l'hémophilie. Nous en dirons autant de l'eiTcur de diagnostic qui consisterait
298 HÉMOPHILIE.
à prendre les douleurs articulaires de celte dernière affection pour des arthrites
rhumatismales.
La seule maladie qui se rapproche par quelques-uns de ses caractères de
celle qui fait l'objet de cet article est la leucocythémie. La confusion a été faite
j)lus d'une fois. Ainsi le fait cité par Laveran {Gazette hebdomadaire, 1857,
p. 621) n'est évidemment qu'un cas de leucocythémie. Il y est q\iestion d'un
jeune soldat, entré au Val-de-Gràce dans un état profond d'anémie, la face et les
téguments boursouflés, la lèvre bleuâtre, la rate énorme, le sang décomposé,
et chez lequel les hémorrhagies ne survinrent qu'à la suite de cette altération
j)rofonde de l'économie. Les hémophiliques ne présentent rien de semblable. Ils
jouissent d'une bonne santé apparente, jusqu'au jour où les hémorrhagies se
produisent. On ne constate chez eux ni hypertrophie de la rate, ni augmentation
<le volume du foie, ni engorgement des ganglions lymphatiques. Enfin, l'altéra-
tion remarquable du sang qui a donné son nom à la leucocythémie ne s'observe
pas chez les hémophiliques, et cela suffit pour séparer complètement les deux
maladies et pour rendre toute erreur de diagnostic difficile pour un esprit
attentif.
Marche et pronostic. L'hémophilie est une maladie essentiellement grave.
Lorsque l'art ne parvient pas à en triompher, elle marche fatalement vers une
terminaison funeste. Les hémorrhagies se succèdent à des intervalles de plus en
plus rapprochés et deviennent de plus en plus tenaces, à mesure que le sang
s'appauvrit, que le sujet devient plus anémique et plus débile. La moi t arrive
le plus souvent, dans les cas funestes, avant la vingt et unième année ; cet âge
lïaMchi, les chances dévie augmentent, (lependant Grandidier a vu mourir des
malades à quarante-cinq et à cinquante ans. Chez ceux qui survivent, les hémor-
rhagies deviennent de plus en plus rares. Parfois même elles cessent tout à fait,
à l'occasion d'une maladie intercurrente. On les voit alors faire place à des accès
d'asthme, à des rhumatismes avec déformations articulaires, dans quelques cas
même à de véritables tumeurs blanches. Grâce à cette transformation ou à la
diminution des hémorrhagies, les hémophiliques atteignent parlbis l'âge de
soixante et même de soixante-dix ans, ainsi que nous en avons cité des exemples.
Quoi qu'il en soit, c'est toujours un état pathologique des plus menaçants et le
pronostic est d'autant plus grave que le sujet est plus jeune, les hémorihagies
plus fréquentes et plus opiniâtres. Elles sont plus redoutables que les tumeurs
sanguines et que les ecchymoses, et parmi les hémorrhagies c'est l'épistaxis qui
tient le premier rang, sous le rapport de la gravité du pronostic.
Anatomie et PHïsioLOGiE PATHOLOGIQUES. L'occasiou de pratiquer l'autopsie
de sujets m.orts d'hémophilie s'est présentée très-souvent, mais ces recherches
n'ont rien appris de positif au sujet des lésions anatomiques qui tiennent cette
maladie sous leur dépendance. Les cadavres sont exsangues; la peau, d'une cou-
leur de cire, présente parfois des ecchymoses, mais on n'a pas trouvé de lésion
viscérale constante et, dans le cas de douleurs articulaires, on n'a pas rencontré
de sang dans les jointures. L'altération qui a été le plus fréquemment signalée
est celle des vaisseaux sanguins. Elle a été reconnue parHooper, Wilson, Schlie-
man, Virchow, Gavoy, Fischer (d'Llm), William Legg, Grandidier, etc. Magnus
Huss est très-explicite à son égard. 11 dit que, dans les autopsies bien faites,
on trouve toujours des lésions du système artériel et que, dans celles où on a
rencontré les vaisseaux avec leur structure normale, les recherches, qui sont
très-dtfficiles, avaient été mal faites. Percy Kidd a trouvé, chez un sujet mort
HEMOPHILIE. 299
d'épistaxis et de stomatorrliagie, la tunique musculaire des artérioles de la
muqueuse buccale transformée en un tissu mal cleTini et légèrement opaque.
Les artérioles, les veinules, les capillaires, étaient oblitérés sur différents points
par des amas cellulaires résultant de la prolifération de l'endolbéliura. Celte
observation est unique; toutefois la plupart des observateurs admettent une
altération congénitale de texture des petits vaisseaux. Celle-ci est caractérisée
par la ténuité extrême des artérioles et plus particulièrement de leur tunique
moyeinie, laquelle est mince, transparente, a disparu sur certains points et a été
remplacée sur d'autres par des plaques graisseuses, suivant ainsi la loi des or-
ganes atrophiés.
Le sang a été plus souvent examiné que les vaisseaux et on n'y a pas trouvé
d'altération constante. On a noté qu'au début il était fortement coloré et qu'il
se coagulait promptement, qu'il devenait de moins en moins rouge et de plus eu
plus aqueux, à mesure que les hémorrhagies se prolongeaient. 11 serait difficile
qu'il en fût autrement. 11 est probable que les auteurs qui ont noté sa teinte
claire et son défaut de consistance avaient eu affaire à du sang de malades déjà
épuisés.
L'analyse chimique a donné des résultats tout aussi négatifs. La seule qui ait
été publiée est celle du docteur Heyland (de Liibeck). 11 a trouvé sur 1000 par-
ties de liquide 700 parties d'eau, 137 de globules et 4 de fibrine. C'était,
comme on le voit, un sang Irès-iiche. La proportion des matériaux solides
diminue nécessairement à mesure que le sang coule, mais il en est exactement
de même chez les blessés qui ne sont atteints d'aucune diathèse. L'examen mi-
croscopique n'a pas été plus fructueux. Le professeur Diiflos (de Breslau) a
analysé du sang recueilli par Wachsmuth sur un enfant Iiémopliilique atteint
d'épistaxis. 11 l'a examiné avec le microscope de Purkinge et n'y a rien décou-
vert d'anormal. Le professeur Hayem nous a dit également n'avoir rien trouvé
de particulier dans le sang d'un malade atteint de cette affection. Ce sujet appelle
évidemment de nouvelles recherches, cependant on peut conclure de celles qui
ont été faites déjà que le sang n'est pas aussi profondément altéré dans l'hé-
mophilie que dans une foule de maladies où il reste pourtant dans ses vais-
seaux. On ne voit pas d'hémorrhagies rebelles chez les chlorotiques, chez les
anémiques, malgré l'abaissement considérable du chiffre des globules. Dans
ses expériences sur les animaux, M. Hayem est arrivé, par des saignées succes-
sives, à abaisser le chiffre des globules de moitié et celui de la fdjrinc de plus
d'un tiers, sans déterminer la diathèse hémorrhagique dont nous nous occu-
pons. Dans les maladies infectieuses où le sang est si profondément altéré, les
hémorrhagies n'ont ni la même abondance, ni la même ténacité; enfin, dans la
leucocythémie, elles ne se montrent qu'à la périoile ultime, alors que la fai-
blesse est arrivée à son comble, que l'anorexie, la diarrhée, les vomissements,
l'ascite, la dyspnée et la fièvre hectique, ont amené le malade au dernier degré
d'épuisement {voy. Leucocythémie, 2'' série, t. II, p. 519).
En résumé, l'opinion la plus généralement répandue consiste à considérer
cette disposition du sang à sortir de ses vaisseaux, jusqu'à la mort des sujets,
comme tenant aune autre cause qu'une altération de ce fluide. Celle-ci ne peut
intervenir que comme élément secondaire. La plupart des auteurs inclinent à
penser que c'est dans la texture des vaisseaux qu'il faut chercher la cause de
l'hémophilie. S'appuyant sur les recherches nécroscopiques que nous avons in-
diquées, ils pensent que l'amincissement des artérioles, que la disparition de
01 0 IIKMOI'IIII.IE.
leur tunique moyenne, ont pour effet d'affaiblir leurs parois, de leur enlever
leur propriété contractile et de les mettre par là dans l'impossibilité de rétrécir
leur calibre pour retenir le sang. Tous ne se rendent pas compte des faits de
la même manière. Yirchow pense que, chez les hémophiliques, il existe un état
fœtal permanent du cœur, compliijué de l'étroitesse des gros vaisseaux, faisant
varier le calibre relatif de ces conduits et les disposant à se rompre. Meynel et
Lemp admettent un développement incomplet, un vice congénital de structure
du système capillaire; Blagden invoque l'amincissement des tuniques artérielles;
Grandidier et Wickham Legg, tout en reconnaissant l'atrophie de la tunique
contractile des vaisseaux, accusent en même temps le système nerveux qui les
anime. Us pensent que c'est le défaut d'action des nerfs vaso-moteurs qui pro-
duit la paralysie des petits vaisseaux et les met dans l'impossibilité de résister
à la pression du sang. Wedemeyer croit comme eux à la paralysie des capil-
laires; enfui M. Lancereaux, se plaçant à un autre point de vue, range l'hémo-
philie dans la classe des affections nerveuses, à cause du caractère mobile et
capricieux des pertes de sang, de la constitution émotive des sujets qui les pré-
sentent et de l'influence qu'exercent sur leur retour toutes les causes qui trou-
blent l'action du système \aso -moteur. Les troubles qui précèdent les hémor-
rhagies, les bouffées de chaleur, les palpitations, les vertiges, qui en sont les
piodromes, tout, jusqu'à l'hérédité elle-même, porte M. Lancereaux à attribuer
à l'hémophilie une origine nerveuse.
11 est certain qu'une lésion de structure congénitale et toujours la même ne
saurait rendre compte de la mobilité de ces phénomènes et de l'influence que
les impressions morales exercent sur le\ir production ; mais il faut reconnaître
aussi que les troubles nerveux les plus graves seraient incapables de produire
d'aussi redoutables hémorrhagies, s'il n'existait pas dans le système vasculaire
une cause matérielle de leur production. Il est donc rationnel de faire la part de
ces deux éléments et d'admettre que la fragilité héréditaire des petits vaisseaux
et l'énergie anormale du cœur sont les conditions primordiales de l'hémophilie;
que les accidents se produisent sous l'influence de troubles nerveux qui portent
à la fois leur action sur le centre circulatoire et sur le système vaso-moteur, et
qu'enfin l'appauvrissement du sang causé par les hémorrhagies répétées vient
s'ajouter à ces causes, eu aggravant la situation.
Celte théorie éclectique est celle qui nous paraît aujourd'hui la plus plausible,
mais il ne faut pas perdre de vue qu'elle ne repose que sur des hypothèses, et
que le sujet appelle de nouvelles recherches. Il est à désirer que les médecins
qui ont l'occasion d'observer des hémophiliques étudient le sang avec le plus
grand soin et aux différentes phases de la maladie. On ne saurait trop les
engager, lorsqu'ils ont l'occasion de faire des autopsies, à porter leur atten-
tion d'une manière spéciale sur la structure intime des petits vaisseaux. En
faisant ces recherches avec la précision qu'il est possible de leur donner au-
jourd'hui, il y a lieu d'espérer qu'on trouvera le solution de cet intéressant
problème.
Traitemeint. La thérapeutique n'est pas aussi désarmée qu'on le croyait
autrefois en face de l'hémophilie. Le médecin peut, dans une certaine mesure,
prévenir les hémorrhagies et les arrêter lorsqu'elles se produisent. 11 peut même,
par un traitement bien dirigé et suivi avec persévérance, modifier la diathèse
et conduire le sujet à l'âge où d'ordinaire elle ne détermine plus d'accidents
mortels.
HEMOPHILIE. 301
Dans les familles hémophiliques, la prophylaxie doit commencer à la nais-
sance. Le médecin fera bien de défendre l'allaitement aux mères atteintes de
cette diatlièse héréditaire. Il devra surveiller l'éducation des enfants, leur inter-
dire les occupations et les jeux qui les exposent à se blesser et surtout s'abs-
tenir chez eux de toute opération sanglante, à moins de la nécessité la |)liis
absolue. 11 y aura lieu de leur prescrire un régime réparateur sans être tro|)
stimulant. 11 est permis de penser que l'hydrothérapie, qui n'a pas encore été
rationnellement expérimentée dans ce cas, donnerait de bons résultats, comme
pratique hygiénique pour fortifier les enfants, en accroissant la tonicité de leurs
tissus, et comme moyen thérapeutique au moment des hémorrhagies.
Le changement de climat doit être conseillé aux nialadcs des contrées
septentrionales lorsque leur situation de fortune le permet. L'hémophilie
est une maladie des pays froids : il est donc rationnel de diriger les gens
qui en sont atteints sur les régions méridionales où on ne l'observe pas.
A l'appui de ce conseil, Gintrac cite le cas d'un jeune homme de quatorze
ans atteint d'épistaxis qui mettaient, ses jours en péril. En désespoir de cause,
on l'envoya à Nice. Ses saignements de nez cessèrent complètement tant qu'il
fut dans le Midi, mais ils recommencèrent, deux ans après, lorsqu'il revint
à Paris.
Nous avons dit que les hémorrhagies spontanées, les ecchymoses et les
douleurs articulaires, étaient le plus souvent précédées de phénomènes con-
gestifs avec suractivité cardiaque et tendance aux fluxions ; ces prodromes
peuvent être efficacement combattus et les accidents consécutifs prévenus par
une médication appropriée. A une époque où il était de règle de traiter les
hémorrhagies internes par la saignée, on n'a pas manqué d'y avoir recours chez
les hémophiliques. C'est même à cette occasion qu'on a remarqué que cette
petite opération était chez eux sans danger, pourvu que le bandage lût suffi-
samment serré. Wachsmuth, qui a eu souvent recours à la phlébotomie, ne la
conseille toutefois que chez les sujets dont la constitution la comporte et qui
l'ont déjà supportée sans inconvénient. Aujourd'hui qu'on ne saigne plus pei-
sonne, pas même les apoplectiques, il ne viendra à l'idée d'aucun médecin
d'ouvrir la veine chez un malade qui est précisément menacé de mourir à la
suite de ])erles de sang. Aussi la plupart des médecins qui ont eu l'occasion de
traiter cette maladie, Otte, Fordyce, par exemple, se sont-ils bornés à prescrire
les boissons acidulés, les pédiluves sinapisés et le sulfate de soude comme déri-
vatif intestinal et comme moyen de désemplir la circulation, en provoquant
d'abondantes évacuations séreuses. Ce médicament a d'abord été employé empi-
riquement en Amérique, dans une famille dont la plupart des membres étaient
atteints d'hémopliilit;. Depuis on y a eu recours dans d'autres pays et avec des
résultats irès-divers. Waschmuth, Mutzenbecher, Finger, lui ont dû des succès
remarquables; Elsaîsser, Rieken, Schœnlein, Ficlis, n'en ont rien retiré. Il est
à peine besoin de dire que, s'il est rationnel de l'enq^loyer dans le cours de la
période congestive, il serait dangereux d'y recourir lorsque les hémorrhagies
ont épuisé le malade et altéré la composition du sang.
La digitale trouve aussi son emploi pendant ces prodromes, et surtout dans
le cas où la suractivité de l'action cardiaque se traduit par l'accélération du
pouls.
Lorsque cette médication n'a pas triomphé de l'état fluxionnaire, que les
hémorrhagies, que les épancheraents sanguins sont survenus, de nouvelles indi-
cOl HÉMOPHILIE.
calions surgissent. La plupart des médecins qui se sont occupés de ce sujet
pensent que, lorsque les malades n'ont pas été affoiblis par des hémorrhagies
antérieures, que la congestion a été bien marquée et que le sang a encore toute
sa richesse, il faut le laisser couler quelque temps avant de l'arrêter. On sait, en
effet, qu'en dehors de toute diallièse les hémorrhagies qui se produisent chez
des sujets jeunes, sanguins, ont besoin de se satisfaire, que les épistaxis qu'on
voit survenir au printemps cliez les jeunes filles blondes au teint rosé, à la peau
blanche, reviennent, quoi qu'on fasse, jusqu'à ce qu'elles aient perdu une
certaine quantité de sang. Il en est de même chez les hémophiliques qui ont
encore toute leur vigueur. En s'efforçant d'arrêter dès le début une perte de
sang peu inquiétante par elle-même, on s'exposerait à provoquer une hémor-
rhagie interne ou une congestion viscérale plus grave, ou même à donner lieu
à une attaque d'apoplexie.
C'est au médecin qu'il appartient d'apprécier le moment précis où il convient
d'intervenir, et les moyens dont il dispose diffèrent suivant l'accident dont il
s'agit.
Lorsqu'il se trouve en face d'une hémorrhagie interne, il n'a à sa disposition
que des moyens indirects : les révulsifs cutanés, appliqués sur les extrémités,
les pédiluves irritants, l'eau froide et enlin les médicaments dits hémostatiques.
L'hydrothérapie, dans ce cas, ne doit plus consister seulement dans les afiusions
froides, comme lorsqu'elle fait partie du régime : il faut recourir aux douches
et surtout aux douches en pluie iine, à forte pression, appliquées sur les pieds.
Ginlrac a vu ce moyen suivi des effets les plus remarquables, chez une femme
atteinte à la fois d'hémorrhagies graves et d'accès hystériques.
Les médicaments liémostatiques usités dans ce cas sont : le tannin, l'ergotine,
l'acétate de plomb et les préparations martiales. Le tannin et l'ergotine sont
surtout indiqués. Ce dernier médicament a été prescrit par Viély, par Wachsmutz
et par d'autres médecins à la dose de 3 ou 4 grammes. On pourrait aujourd'hui
substituer avec avantage à cet extrait le principe actif de l'ergot de seigle
découvert en 1875 par Tanret, Vergotinine, dont on a obtenu de très-bons
eflets dans les hémorrhagies internes et en particulier dans les métrorrhagies
causées par les fibromes utérins. Dans ce dernier cas, c'est aux injections hypo-
dermiques qu'on a recours, et le médicament s'emploie à la dose de 1/4; à 1/2
milligramme; mais, chez les hémophiliques, la crainte de provoquer une hémor-
rhagie par la petite piqûre de l'aiguille tubulce, doit faire préférer le sirop de
Tanret.
L'acétate de plomb, comme tous les sels de ce métal, a la réputation d'aug-
menter la coagulabilité du sang : on a par conséquent dû l'employer dans l'hémo-
philie et le docteur Cécy, en l'administrant à la dose de 15 centigrammes, est
parvenu à arrêter une hémorrhagie qui dui'ait depuis six jours. C'est toutefois
un agent un peu suspect et son administration fait toujours craindre des acci-
dents saturnins.
L'utilité des préparations martiales a été de tout temps reconnue, dans cette
maladie oîi le sang est si rapidement appauvri. Slieglitz a fait connaître jadis le
fait de deux frères hémophiliques guéris par l'emploi de l'eau de Schwalbach.
Les vertus de cette eau minérale ont été vantées depuis par lleyfelder, Martin,
Yiéli et même par Grandidier. Toutefois les ferrugineux sont contre-indiqués
pendant la période congestive et au début des hémorrhagies, lorsque le sang n'a
encore rien perdu de sa richesse. Dans le cas où il y a lieu de recourir aux pré-
HÉMOPHILIE. S05
parations martiales, on pourrait employer le perclilorure de fer, qui est en même
temps reconstituant et hémostatique. C'est à ce dernier titre qu'on a prescrit
l'essence de térébenthine. Le docteur Abt (d'Esbach) a rapporté trois cas d'hé-
mophilie dans lesquels elle a fait merveille. Il s'agissait de sujets de neuf, de
dix-neuf et de vini^t-trois ans, tombés dans un état de mort apparente, par suite
d'héniorriiayies répétées. On avait usé de tous les moyens internes et externes
usités en pareil cas. Le docteur Abt leur administra de 20 à 50 gouttes d'essence
de térébenthine, de deux en deux heures, et les hémorrhagies s'arrêtèrent à la
fin de la journée.
Coates, Steinmetz, Ricken, ont préconisé l'opium à dose élevée; Ileyland a
vanté la strychnine, mais l'efficacité de ces moyens ne repose pas sur des obser-
vations suffisantes.
Lorsqu'il s'agit d'hémorrhagies accessibles aux moyens chirurgicaux, les res-
sources de la thérapeutique sont plus grandes, mais il faut encore ici faire la
part de la diathèse. Les pratiques qui réussissent le mieux, celles qu'on peut
considérer comme infaillibles dans les hémorrhagies traumatiques ordinaires,
échouent le plus souvent chez les hémophiliques. Ainsi, il ne ftuit pas compter,
dans ce cas, sur la cautérisation au fer rouge, ni sur la ligature des artères.
Le fer rouge arrête le sang pour un instant, mais il commence à filtrer, très-
peu de temps après son application, le long des bords de l'eschare, et il repaît
tout à fait quand elle se détache. Coates y a eu recours huit fois sans succès.
11 est inutile de dire que les caustiques, même coagulants, sont encore moins
efficaces.
La ligature du tronc artériel qui se distribue à la partie blessée n'arrête
pas l'écoulement du sang qui continue à suinter en bavant par les capil-
laires. Elle ne fait que lui ouvrir une porte de plus. Le moyen par e»cccllence,
c'est la compression, lorsqu'elle est applicable. Elle nous inspire beaucoup
plus de confiance que les liqueurs hémostatiques, comme l'eau de Pagliari
ou de Léchelle, que la créosote, la solution d'alun, l'eau vinaigrée et sur-
tout que le perchlorure de îev, le plus détestable de ces agents, parce qu'il
n'arrête pas le sang et qu'il Ibrme avec lui un magna noir sous lequel on ne
voit plus ce qui se passe. Les eaux hémostatiques, les poudres astringentes,
absorbantes, peuvent venir en aide à la compression, mais à titre de simples
adjuvants.
Quand la blessure siège sur un des membres, l'application d'un morceau
d'agaric par sa face tomenteuse, une compression graduée et un bandage com-
mençant par les doigts ou par les orteils, suivant le cas, constituent la pratique
la plus sûre et la meilleure. Si on a affaire à une piqûre de sangsue, à une
petite plaie simple ou à une érosion, on peut recourir à une ferre-fine, ou mieux
à une pince à mors plats et à pression continue, parce que les petites dents
aiguës de la serre-fine peuvent déchirer l'épiderme. Dans les cas où on se
trouve en présence d'une épistaxis rebelle, que les moj'ens usités en pareil cas
ont échoué, il ne faut pas hésiter à faire le tamponnement des fosses nasales.
Dans les hémorrhagies intestinales, les lavements d'eau glacée additionnée de
perchlorure de fer trouvent leur emploi. Dans les hématémèses rebelles, on aura
recours avec avantage aux applications de glace sur l'hypogastre, et dans les
métrorrliagies, en dehors de l'état puerpéral, au tamponnement du vagin.
Enfin, dans les cas désespérés, on trouvera une dernière ressource dans la
transfusion du sang. Samuel Lane sauva, par ce moyen la vie à un enfant qu'il
504 HÉMOPTYSIE.
avait opéré d'un strabisme convergent et qui allait mourir à la suite d'hémor-
rhagies répétées se produisant par l'incision de la conjonctive. M. Roussel dit
avoir obtenu deux guérisons par ce moyen et il affirme que les malades n'ont
pas eu d'Iiëuiorrhagie nouvelle après la transfusion.
Les eccliymoses et les tumeurs sanguines ne réclament pas de traitement par-
ticulier. 11 va sans dire qu'il faut bien se garder d'inciser ces dernières.
Les douleurs articulaires se traitent par le repos, les applications calmantes
ou résolutives, suivant que c'est la douleur ou le gonflement qui domine.
ElG. PiOCllARD.
BiDLtOGnAPHiE. — Blagden. London Medico-chirurgical Transaction, 1817, t. YIII, p. 224.
— LuiEUT. Causes, symptômes, traitement des heniorrhagies constitutionnelles. In Arch.
de médecine, septembre 1857. — Dubois. Hémorrhaphilic. In Gaz. médicale de Paris, iSZS,
p. 45. — Lane. Lancet, octobre 1840, p. 185. — Du miîjie. Archives de médecine, février
1841, p. 234. — WiLsoN et Warduop. Deux observations d'extraction de dent, suivie d'Iir-
ntorrhngie mortelle. In thc Lancet, octobre 1840, p. 187. — Tardieu. Diathèse hémorrha-
i/ique avec douleurs articulaires. In Archives de médecine, 3' s., t. X, p. 185, 1841. —
VVoLFF. Diathèse hémorrhagique héréditaire. Thèses de doctoral de Strasbourg-, 1884. —
Dequevauvilliers. De la dis])osition aux hcmorrhagies et des soins au moyen desquels on
peut la prévenir. Thèse de Paris, 1844. — Yasse. Correspondemblatt rheinisch-westphàl.
JJrzte, 1845, n» 14. — Uiide. Deutsche Klinik, 1850, p. 539. — Bordmann. Hémophilie. Th.
de Strasbourg, 1851. — Scii.neff. Recherches historiques sur l'hémophilie. In Gaz. méd. de
Paris, p. 071, 707, 733, 1855. — Granuuheu. Die Hémophilie oder die Bluterkrankheit.
Leipzig, 1855. — Du même. Bericfit ûber die neueren Beobachiungen ûber Hémophilie. In
Schmidl's Jabrbiïcher, 1803, fid. CXVII, p. 529. — Fischer (d'Ulm). Schmidl's Jahrbûcher,
1855, Bd. LXXXVII, p. 136. — Laveran. Hémophilie avec leucocythémie et altération de In
raie. In Gazette hebdomadaire, 1857, p. 621. — Lemp. De hemophilia nonnuUa. In Disser-
Inlion inaugurale. Berolini, 1857. — Gavoy. Hcmophilie. Thèse de doctorat de Strasbourg,
18(51. — l'uiTz (E.). De l'hémophilie. In Archives de médecine, 1805, t. I, p. 591. —
Darblade. De l'hémophilie. Thèse de doctorat de Paris, 1863. — Saint-Vel. Hémophilie. In
Union médicale. Paris, 1865, p. 515. — Otte. Ueber die Bluterkrankheit. Leipzig, 186"".
Giraudeau. De l' hémophilie. Thèse de doctorat de Paris, 1866. — Delmas. Hémophilie. In
.Journal de médecine de Bordeaux, 1868. — Magnus liuss. Hémophilie. In Archives de méd.,
août 1857, et Gazette médicale de Paris, 1859, p. 218. — Reinert. Ueber Hémophilie. In
Dissertation inaugurale. Gijttingen, 1869. — Jaccoud. Pathologie interne, 1876, p. 13. —
\VicKHAM Legg (J.). a Treatise on Hemophilia. London, 1872. — Schutz. Die Lehre von der
Constitution. Berlin, 1872, p. 19. — Gintrac (Henri). Article Hémophilie. In Dictionnaire de
médecine et de chirurgie pratiques, t. XVII, p. 563, 1873. — Lancereaux (E.). Anatomic
/lalhologigue, t. I, p. 565. Paris, 1877. — Hayem (G.). Leçons sur les modifications du
.^ang. Paris, 1882. — Grenaudieu (L.). Contribution à l'étude de l'hémophilie. Thèse de doc-
torat de Paris, 1882. E. K.
HËnoPis. Voy. llmuDiisÉEs.
HÉMOPTYSIE. Définitioîs. Hémoplijs'ie (de «Ipa, sang, et de n-mi-j, cra-
cher) veut dire crachement de sang. L'usage n'a fait appliquer le mot hémoptysie
qu'aux crachements de sang ayant leur origine dans un point quelconque des
voies aériennes, et non point à ceux qui proviennent des fosses nasales ou du
pharynx.
L'hémoptysie n^est qu'un symptôme dont la cause, le siège et les caractères,
sont extrêmement variables. On ne saurait, à l'exemple de Ghomel et de Béliicr
et Hardv, la définir un crachement de sang provenant de l'hémorrhagie de la
muqueuae des voies aériennes, depuis le larynx jusqu'aux dernières bronches,
car cette hémorrhagie peut siéger dans le parenchyme pulmonaire aussi bien que
sur la muqueuse bronchique. L'hémoptysie n'est pas non plus, comme le veulent
les auteurs du Compendium, une éjection de sang provenant de l'appareil respi-
ratoire, car il peut y avoir hémorrhagie pulmonaire sans éjection de sang, et
HÉMOPTYSIE. 505
d'un autre côté le sang, quoique rejeté par les voies aériennes, peut avoir sa
source dans un organe voisin.
Pour ces motifs, nous préférons nous en tenir à la définition de Jaccoud,
laquelle a l'avantage de ne rien préjuger quant à la cause du crachement de
sang et de prévenir toute confusion entre cette cause et son symptôme. Donc,
avec cet auteur, nous dirons que Vhémoptyxie est un crachement de sang
reconnaissant pour cause soit une hémorrhagie de l'appareil respiratoire^
soit l'irruption dans les voies aériennes du sang provenant d'un organe voisin.
Historique. L'histoire de l'hémoptysie se confond en grande partie avec
celle de la phthisie et de l'apoplexie pulmonaires {voy. ces mots). Ilippocrate
mentionne l'hémoptysie dans plusieurs de ses ouvrages; il en est de même
d'Ârétée, de Galien et de Celse, mais les médecins de l'antiquité ne se sont
occupés de ce symptôme qu'à un point de vue tout à fait général et ont insisté
moins sur sa valeur séméiologique que sur sa description et sur son traitement.
Bocrhaave et Van Swieten parlent dans maint endroit de l'hémoptysie, mais
leurs idées jetées au hasard ne se rattachent à aucune doctrine fixe. Hoffmann
et Morton, dans le dernier siècle, montrèrent les premiers le lien qui rattache
l'hémoptysie à la tuberculose pulmonaire, mais ce n'est que de Laennec et de
son immortelle découverte que datent les études plus précises sur le siège, la
source et l'importance séméiotique de ce symptôme.
Laennec le premier a décrit l'hémoptysie bronchique, tout en en indiquant
l'origine plus spécialement tuberculeuse ainsi que les caractères qui la séparent
de l'hémoptysie consécutive à l'apoplexie pulmonaire. Contrairement à Hoffmann
et à Morton, il enseigna que l'hémoptysie est l'effet et non la cause de la tuber-
culose pulmonaire et rejeta la doctrine de la phthisie ab hemoptœ. Cette doctrine,
combattue également par Louis et Andral et reprise de nos jours par Niemeyer,
n'a pas fait son chemin dans la science et la plupart des palhologistes se rallient
aujourd'hui à l'opinion de Laennec, confirmée d'ailleurs par les expériences de
Perl et Lipmann et de Sommerbrodl (1870-1871).
Les travaux de Schrœder Van der Kolk et de N. Guillot sur les vaisseaux de
nouvelle formation dans la tuberculose pulmonaire, comme les études cliniques
de Graves, ont montré que l'hémoptysie de la tuberculose crue a sa source habi-
tuelle dans les artères bronchiques. Les recherches récentes de Rinddeisch ont
mis en lumière le mécanisme qui préside à la rupture de ces vaisseaux. Enfin
aux travaux de Rokitansky et surtout à ceux de Rasmussen, publiés en 1868, on
doit la découverte de ces petits anévrysmes de l'artère pulmonaire dont la rupture
détermine les hémoptysies ultimes de la tuberculose.
Quant à l'hémoptysie liée à l'apoplexie pulmonaire, c'est encore Laennec qui
en a créé en quelque sorte l'anatomie pathologique, bien que les infarctus
hémoptoïques aient été entrevus avant lui par Ha lier, par Burns et par Latour,
d'Orléans, en 1815. S'il est vrai que les signes de l'hémoptysie pulmonaire
donnés par Laennec sont entachés d'erreur sur plus d'un point, sa description
magistrale des lésions de l'apoplexie pulmonaire n'en est pas moins restée
intacte et classique. Cruveilhier, Andral, Bouillaud, complétèrent, en les confir-
mant, le« travaux anatomiques de leur devancier.
Virchow ouvrit un horizon nouveau à la pathogénie de l'hémoptysie paren-
chymateuse en démontrant dès 1846 que certaines hémoptysies ne relèvent que
d'une embolie de l'artère pulmonaire. Depuis lors et grâce aux travaux ulté-
rieurs de Rokitansky, Cohn, Dittricb, Bull, Lancereaux, Fellz, etc., l'histoire
DICT. ESC. i' s. XIIL 20
306 HÉMOPTYSIE.
des infarctus liémoptoïquos va se confondant de plus en plus avec celle de
l'embolie pulmonaire et la pathouénie de l'hémorrhagie parenchymateuse s'en
trouve notablement élucidée et simplifiée.
Louis et Rufz fuient les premiers à montrer que l'hémoptysie parenchyma-
teuse n'est pas exclusivement tributaire des affections du cœur et qu'elle peut
éclater aussi dans les fièvres graves. Enfin, grâce aux oliservalions de Cru-
veilliier, Cliarcot, Aug. Ollivier, Carré, et aux expériences de Claude Bernard,
Longet et Brown-Séquard, ou sait aujourd'hui que certaines hémoptysies
pulmonaires se rattachent uniquement à des lésions très-variables du système
nerveux.
Divisio.N. Nous nous abstenons de reproduire les diverses divisions des
hémoptysies admises par les auteurs. La plupart d'entre elles, plus arbitraires
que cliniques, jettent la confusion dans l'esprit. Au lieu de diviser les hémo-
ptysies d'après leur mécanisme et leur cause pi'obable, nous préférons passer
en revue les diffci'cntes affections et les différentes circonstances où Ihémoptysie
se produit et expliquer, chemin faisant, et autant que faire se peut, le méca-
nisme qui, dans chaque cas donné, préside à la production de l'hémorrhagie.
Nous sommes amené de la sorte à diviser les hémoptysies en deux grandes classes :
I" Les hémoptysies sijmptomntiques, c'est-à-dire celles qui se rattachent à
une affection pnîexistante du poumon ou de tout autre organe. Telles sont les
hémoptysies de la tuberculose pulmonaire et des autres afiéctions du poumon,
les hémoptysies dues aux affections du cœur et des vaisseaux, les hémoptysies
liées aux affections nerveuses, à la grossesse, à l'impaludisme, etc. ;
2" Les liémopii/si'^s essentielles, de cause purement physique ou dynamique,
et indépendantes d'une affection antérieure du poumon ou d'un autre organe.
Telles sont les hémoptysies supplémentaires, les hémoptysies par suite d'effort,
par suite du froid, par raréfaction de l'air, et enfin les hémoptysies traumatiques.
Étiologie et PATHOGÉiME. Il résulte des recherches de Charcot et de Bouchard
que 1rs arlérioles les plus fines sont susceptibles de présenter des altérations
semblahles à celles des grosses artères. D'autre part, les travaux de Robin, de
Vircho\v,de Feltz, etc., ont établi que normalement les capillaires sont dépourvus
de stomates ou d'ouvertures capables de laisser passer les globules sanguins
sous l'influence d'une forte pression. Il n'est donc plus permis d'admettre
l'hémorrhagie par simple diapédèse comme l'ont crue possible Bichat, Laennec,
Clioincl, Grisolle, Cohnheim, etc. L'hémorrhagie, quel que soit l'organe où elle
siège, ne peut s'effectuer que par la rupture des capillaires sous l'influence
d'une cause quelcon([ue.
Or la rupture pathologique de ces vaisseaux reconnaît deux causes princi-
pales : 1" une altération morbide de leurs parois qui les l'end plus fragiles;
2° un excès de pression intérieure de la colonne sanguine qui distend les vais-
seaux et finalement les rompt. En d'autres termes, dans l'appareil respiratoire
comme partout ailleurs, l'hémorrhagie, si elle n'est pas traumatique, est dyscra-
sique ou mécanique. Très-souvent les deux causes se réunissent pour se prêter
un mutuel concours. Bien plus, l'une des deux est, comme nous le verrons,
susceptible d'engendrer l'autre.
L'étude pathogénique des diverses sortes d'hémoptysie que nous allons passer
en revue aura donc pour objet de déterminer le mécanisme qui, dans chaque
cas spécial, produit la rupture des vaisseaux.
Mais, pour bien faire saisir la pathogénie des hémoptysies, il est bon de
HÉMOPTYSIE. 307
rappeler sommairement la disposition anatoniiqiie des vaisseaux de l'appareil
pulmonaire.
Le système circulatoire du poumon comprend trois ordres principaux de vais-
seaux : 1° l'artère pulmonaire qui charrie du sang noir destiné à s'oxygéner et à
devenir rouge dans les alvéoles pulmonaires; 2» les artères bronchiques qui
renferment du sang rouge artériel destiné à la nutrition du parenchyme; 3» les
veines pulmonaires et les veines bronchiques.
L'artère pulmonaire suit pas à pas les divisions des bronches auxquelles elle
€St accolée jusque dans les alvéoles. Ses rameaux se rendent dans les parois des
alvéoles pulmonaires, ils sont terminaux, c'est-à-dire que l'artériole qui se
rend dans chaque lobule pulmonaire ne se lie par aucune anastomose aux
artères des lobules voisins, et il en est ainsi jusque dans les plus petits vaisseaux
des lobules (Litten et Kûtner, Rindfleicli). S'il n'existe pas d'anastomose arté-
rielle entre plusieurs lobules de voisinage, leurs anastomoses veineuses sont au
contraire larges et multiples.
Les artères bronchiques se distribuent dans la muqueuse des bronches et se
terminent au niveau des canaux alvéolaires par une houppe vasculaire qui se
perd dans les parois bronchiques et sur les alvéoles péribionchiques (Kiitner).
L'artère bronchique est donc, elle aussi, et jusqu'à un certain point, une artère
lobulaire, mais elle ne saurait suppléer l'artère pulmonaire, car il n'existe
aucune anastomose entre les deux systèmes (Cohnheim). Ces deux systèmes,
bien qu'ils s'anastomosent avec le même système de capillaires, sont distincts et
indépendants, si bien qu'une injection poussée dans les artères bronchiques ne
passe pas dans les vaisseaux qui se ramifient sur les cellules aériennes et vice
versa (Graves); aussi bien l'obstruction de l'artère pulmonaire ne produit qu'une
anémie locale en aval de l'obstacle et ne peut déterminer directement et à elle
seule la gangrène pulmonaire, parce que l'artère bronchique continue à nourrir
le poumon, tandis que l'oblitération de l'artère bronchique entraine fatalement
le sphacèle du segment pulmonaire correspondant.
Les veines du poumon correspondent aux deux systèmes artériels : il y a donc
<les veines pulmonaires et des veines bronchiques qui s'anastomosent entre elles
par des voies très-multiples, contrairement aux deux systèmes artériels. Les
veines pulmonaires naissent dans les alvéoles du réseau capillaire de l'artère
pulmonaire; toutes s'anastomosent entre elles et forment dans chaque poumon
un seul grand réseau. Parmi les veines bronchiques, les unes naissent dans les
derniers rameaux bronchiques (veines broncho-pulmonaires) et sont constituées
par des tubes membraneux, minces, permettant au sang de l'artère bronchique
devenu veineux de s'hématoser au contact de l'air (Le Fort). Les veines bron-
chiques proprement dites naissent dans les premières divisions des bronches,
leur sang est et reste veineux et s'en retourne au cœur droit par la veine azygos
et le tronc brachio-céphalique. Ces deux ordres de vaisseaux s'anastomosent
entre eux non par des capillaires, mais par des bronches de dérivation assez grosses.
Se basant sur la disposition anatomique des vaisseaux, Graves a admis, avec
raison, et d'après ses propres expériences, deux classes d'hémoptysies : l'une qui
procède des artères bronchiques, l'autre des arlèies pulmonaires. Dans le pre-
mier cas, le sang s'épanche dans les bronches; dans le second, il tombe en
partie dans les cellules pulmonaires et en partie s'infiltre dans le tissu cellulaire
interalvéolaire oij il reste emprisonné.
En résumé, l'hémorrhagie peut se faire par les artères bronchiques ou par les
308 HÉMOPTYSIE.
artères pulmonaires, mais, comme elle peut provenir à la fois des deux ordres de
vaisseaux et même des veines pulmonaires et des veines bronchiques, il s'ensuit
que la coloration du sang expulsé n'a aucun caractère fixe et que dans la pra-
tique il n'est pas toujours facile, comme nous le verrons, de discerner la source
vasculaire de telle ou telle hémoptysie.
PREMIERE CLASSE. Hémoptysies symptomatiques. [° Hémoptysie dans la
tuberculose pulmonaire. Cette hémoptysie est de beaucoup la plus fréquente.
Sans doute, et même en dehors des hémoptysies liées aux aifections du cœur, il
en est un grand nombre, ainsi qu'on le verra, qui procèdent de causes tout
autres que la tuberculose, mais ces hémoptysies sont si rares et si exception-
nelles, beaucoup d'entre elles sont elles-mêmes si suspectes d'origine néopla-
sique, qu'en thèse générale il est permis de dire que la plupart des hémoptysies
tant soit peu abondantes et durables, se rattachent plus ou moins immédiatement
à la tuberculose. Et lorsque nous voyons des auteurs, tels que Laennec, Louis,
Andral, Pidoux, soutenir cette dernière opinion, d'après leurs propres statistiques,
et d'autres, comme Trousseau, affirmer que la moitié au moins des iiémoptysies
sont liées à une cause étrangère à la tuberculose, la contradiction entre ces maîtres
autorisés est plus apparente que réelle. Leur divergence nous paraît tenir à ce
qu'un grand nombre d'hémoptysies ne semblent reconnaître une origine étrangère
à la tuberculose que parce que (fait très-consolant d'ailleurs) elles n'aboutissent pas
à la phtilisie. On sait en effet qu'on peut être tuberculeux sans devenir phthisique,
le tubercule, pour une cause ou pour une autre, étant susceptible de s'arrêter dans
son évolution. Qui n'a vu des malades cracher des flots de sang à une certaine
époque de leur vie, présenter même des craquements dans le sommet du
poumon, et retrouver ensuite une santé parfaite, sans plus offrir aucun signe
local de tuberculose? L'autopsie des vieillards ne montre-t-elle pas journelle-
ment dans leurs poumons des traces de cavernules, des tubercules devenus
inertes ou crétacés et qui avaient passé inaperçus pendant la vie? Dès lors, bien
des hémoptysies se rattachant à des tuberculoses latentes ou abortives ont pu être
attribuées à des causes étrangères à cette affection. Quant aux cas, rares d'ail-
leurs, où l'autopsie a fait trouver des poumons intacts chez des sujets atteints
d'hémoptysies multiples pendant leur vie, que prouvent-ils? qu'il y a des
hémoplysies indépendantes de la tuberculose, ce que nous sommes loin de nier.
Mais ces faits exceptionnels n'infirment pas la règle que nous avons posée.
On a admis trois sortes d'hémoptysies tuberculeuses: 1" l'hémoptysie prodro-
mique ou prémonitoire, qui se produit avant l'apparition des signes locaux de
la tuberculose; 2" l'hémoptysie concomitante, qui coïncide avec le tubercule
confirmé et cru ; 5" l'hémoptysie îdtime, qui s'observe pendant la période cavi-
taire ou d'ulcération.
La pathogénie de cette dernière variété n'est pas la même que celle des deux
premières.
a. Hémoptysies prodromiques et concomitantes. Les travaux anatomiques
modernes ne permettent plus de nier le rapport de cause à effet qui existe entre
le développement même du tubercule et la production de l'hémoptysie prodro-
niique. U est des tubercules si petits qu'aucun signe local ne peut les révéler,
mais ils n'en sont pas moins susceptibles de provoquer une hémorrhagie. U en
est d'autres, également muets à l'auscultation, qui, après avoir donné naissance
à une hémoptysie, avortent, se résorbent, ou bien deviennent fibreux ou crétacés.
HEMOPTYSIE. 309
L'absence des signes ste'thoscopiques au moment de l'hémoptysie n'implique
donc pas l'absence du tubercule, pas plus que l'abondance de l'hémorrhagie
n'implique une tuberculose étendue, car aux tubercules les plus petits peuvent
se rattacher les hémorrhagies les plus considérables et vice versa. Donc, à vrai
dire, il n'existe pas d'hémoptysie prodroraique, car, dès que le crachement de
sang se déclare, un tubercule est formé ou en voie de formation. Il y a des
hémoptysies mitiales, c'est-à-dire qui marquent le début de la tuberculose,
mais toutes sont concomitantes, en ce sens qu'elles coïncident déjà avec un
tubercule cru hémorrhagipare, si petit soit-il.
On a expliqué l'hémoptysie de la période de crudité des tubercules par la
congestion qui accompagne leur formation même, par l'aftlux sanguin que
réclament dès le début de la néoplasie les éléments qui concourent à sa création
(Villemin). Mais cette fluxion active et purement vitale, qui peut se propager
sur tout l'appareil respiratoire et jusqu'à la muqueuse nasale, n'accompagne pas
constamment le développement du tubercule, ainsi que l'a démontré Cornil, et,
lorsqu'elle existe, elle ne nous paraît pas suffire à elle seule à la production de
l'hémorrhagie, si déjà les capillaires n'ont subi une altération propre à favoriser
leur rupture.
Certains auteurs, Niemeyer entre autres, ont bien invoqué, pour expliquer
l'hémoptysie initiale, la faiblesse et la fragilité natives que présenteraient les
vaisseaux chei! les sujets nés de parents scrofuleux, rachitiques, hémophili-
ques, etc., et par cela même prédisposés à la tuberculose. Mais celte friabilité
vasculaire n'a pas été anatomiqueraeiit prouvée. Sans la nier pourtant, car il
est rationnel de l'admettre chez des sujets atteints d'un vice général de la nutri-
tion, nous croyons que de même que la congestion elle ne peut suffire à elle
seule à déterminer l'hémorrhagie. Elle peut agir comme cause prédisposante et,
de ce chef, prédisposer à la rupture des vaisseaux distendus déjà par la congestion,
c'est-à-dire par un excès de pression. Excès de pression d'un côté et altération
morbide des vaisseaux de l'autre, telles sont en définitive les deux conditions
dont la réunion paraît nécessaire pour produire l'hémorrhagie dans la période de
crudité du tubercule. Quant à la cause immédiate de la rupture vasculaire, elle
est d'ordre mécanique et non d'ordre purement dynamique et fluxionnaire, et la
fréquence de l'hémorrhagie dès le début de la tuberculose s'explique par le
siège des granulations dans les parois mêmes des vaisseaux. Les travaux de
Rinddeisch rendent bien compte du mécanisme qui préside à la rupture [des
vaisseaux. Cet observateur a montré que les cellules embryonnaires dont se
compose le néoplasme tuberculeux envahissent non-seulement les parois des
bronchioles et des alvéoles, mais aussi les parois mêmes des vaisseaux et plus
spécialement celles des artères bronchiques qui lînissent par s'oblitérer en grande
partie. « L'examen de ce processus, dit Balzer, fait également comprendre com-
ment l'hémoptysie peut se produire à la période dite de congestion prémoni-
toire, alors que, l'intikration des cellules embryonnaires commençant dans les
parois vasculaires, la granulation n'est pas encore visible à l'œil nu. »
Cette infiltration embryonnaire des parois vasculaires devient une double
cause d'hémorrhagie ; elle prédispose les vaisseaux à la rupture et en les oblité-
rant en grand nombre, elle élève la pression sanguine dans les vaisseaux restés
perméables et qui sui)portent maintenant toute la charge répartie auparavant
entre des canaux plus nombreux. Sous l'influence de cette pression exagérée, les
aisseaux, dont les uns sont de nouvelle formation et partant plus tendres, ij l
310 IIÉMOPTISIE.
les autres ont subi déjà la de'générescence granulo-graisseuse (Yvert), se dilatent,
puis se l'ompent sous le moindre effort ou même spontanément et sous la seule
impulsion de la systole cardiaque. Tel est le mécanisme de l'he'moptysie dans la
tuberculose crue. C'est la théorie de la fluxion collatérale émise par N. Guillol,
soutenue par Virchow et confirmée par les travaux de Rindfleisch.
Selon M. Peter, si la fluxion collatérale était toute mécanique, elle ne devrait
jamais cesser, mais plutôt augmenter, et l'hémorrhagie devrait être constante
dans la tuberculose. A cela on peut répondre que, si l'hémorrhagie s'arrête ou
même fait défaut dans certaines tuberculoses, cela tient sans doute à ce que la
plupart des vaisseaux du foyer tuberculeux ont été oblitérés, ou encore à ce que
leurs parois ne sont pas suffisamment altérées dans tous les cas pour céder à la
pression collatérale.
Une fois sorti des vaisseaux, le sang, ne pouvant plus s'écouler vers l'acinus,
remonte dans la trachée par suite des efforts expirateurs et de la toux. Son
ascension est falicitée d'ailleurs par la forme de plus en plus évasée qu'affectent
les bronches et par la légèreté spécifique qu'il acquiert en se mêlant à l'air.
Quels sont les vaisseaux qui fournissent le sang dans la période de crudité des
tubercules? Selon Graves, l'hémorrhagie procéderait exclusivement des artères
bronchiques, mais, s'il en est ainsi le plus souvent, l'opinion du pathologiste
anglais n'en est pas moins trop absolue. Les hémorrhagies tuberculeuses sont
alvéolo-bronchiques. Balzer les a vues externes et interstitielles dans un certain
nombre d'autopsies; Ilérard et Gornil ont observé un cas de ce genre dans le
cours d'une phthisie aiguë à forme typhoïde. Damaschino a vu des hémoptysies
précoces procéder d'un anévrysme d'une bronche de l'artère pulmonaire. Sans
doute, riiémoptysie tuberculeuse est due le plus souvent à la rupture des vais-
seaux bronchiques, mais elle peut avoir aussi sa source, comme on vient de le
voir, dans les vaisseaux pulmonaires qui commencent à ramper à la surface des
parois alvéolaires.
En résumé, l'hémoptysie liée aux tubercules crus dérive de l'oblitération d'u»
certain nombre de vaisseaux, et par suite d'une pression exagérée dans les
vaisseaux collatéraux dilatés, et plus ou moins altérés dans leur texture. Le sang
extravasé a sa source le plus souvent dans les artères bronchiques, très-rare-
ment dans les vaisseaux pulmonaires.
b. Hémoptysies tuberculeuses ultimes ou cavitaires. Cette hémoptysie par-
faitement étudiée par Jaccoud, qui lui a donné le nom d'hémoptysie secondaire
ou tardive, est plus rare que celle dont il vient d'être question, mais générale-
ment plus abondante et plus immédiatement dangereuse. Elle se produit dans
la période de ramollissement du tubercule et siège dans les cavernes. Jaccoud
attribue la rareté relative de cette hémoptysie à l'oblitération successive des
branches vasculaires au niveau des parties ulcérées, et cela par suite d'une sorte
de })neumonie scléreuse interstitielle développée autour des foyers tuberculeux.
Yvert a vu lui aussi autour des cavernes une sorte de coque fibreuse épaisse de
près de i centimètre ; de plus, les rameaux de l'artère pulmonaire arrivés à une
certaine distance de cette coque étaient oblitérés par un tissu conjonctif infiltré
dans la tunique adventice et n'offraient plus trace de lumière.
On n'admet plus aujourd'hui qu'au moment du ramollissement tuberculeux
le travail ulcératif envahit les branches vasculaires restées perméables et les
ouvre, en déterminant ainsi l'hémorrhagie. Les travaux de Rokitansky et surtout
ceux de Rasmussen ont jeté un jour nouveau sur le mécanisme de l'hémoptysie
IIÉMOPTYSIM. 511
cavitaire. Rokitansky avait fait voir déjà que rhémonliagie provient toujours
(les branches de l'artère pulmonaire plus ou moins dénudées et saillantes, mais
Kasmussen le premier a décrit en 1868 les petits anévrysmes dont la rupture
détermine l'hémorrhagie {voy. Phthisie). Ces anévrysmes, quelquefois au nombre
de trois ou quatre, portent sur les branches de bifurcation de troisième et qua-
trième ordre, soit même sur ceux des ramusculcs lobulaires; ils varient de la
grosseur d'un pois à celle d'une aveline; tantôt saccifoi'mes et tantôt cylin-
driques, ils font plus ou moins saillie dans la caverne et présentent une fissure
à leur sommet. U y a aussi des anévrysmes faux, et dans ces cas l'artère
communique avec une caverne tuberculeuse remplie de caillots fibrineux
(Damaschino). La formation des anévrysmes serait due, suivant Fraentzel, à la
compression exercée sur les vaisseaux par le néoplasme ; selon Uokitansky, à la
destruction du tissu pulmonaire qui sert d'appui aux vaisseaux dont les parois
sont d'ailleurs devenues granulo-graisseuses (Rasmussen) ou sont le siège d'une
endartérite avec dégénérescence caséeuse (Damaschino). Quoi qu'il eu soit, ces
anévrysmes ont été observés depuis dans prescjue tous les poumons à cavernes,
mais leur rupture, pour être imminente, n'est pourtant pas fatale. Jaccoud
attribue cette rupture à l'excès de pression résultant de l'oblitération partielle,
muis constante, des artères pulmonaires, oblitération qui marche de pair avec
la destruction du poumon. Si les vaisseaux sont anévrysmatiques, cette cause
est d'autant plus efficace et plus rapide, mais la destruction des tissus ambiants
serait une condition suffisante, La rareté relative des hémorrhagies secondaires
chez les malades porteurs de cavernes s'expli(|uc, d'après le même auteur, par
l'insuffisance de la valvule tricuspide, insuffisance qu'il a constatée dans la
plupart des phthisies à large destruction, mais qu'on ne reconnaît pas toujours
pendant la vie. Cette insuffisance, en faisant relluer vers l'oreillette une partie
de l'ondée sanguine, a pour effet d'abaisser la pression dans les artères pulmo-
naires et de prévenir ainsi la rupture des vaisseaux.
L'hémorrhagie ultime de la phthisie n'est pas constamment mortelle, ainsi
qu'en témoignent les faits rapportés par Cotton et Fraentzel. Souvent l'hémo-
ptysie se reproduit à plusieurs reprises et tue par épuisement. L'arrêt de l'hémor-
rhagie est due à des caillots hémostatiques. Les observations de Damaschino,
Powel, Cotton, Rendu, etc., ont démontré que ces caillots ne sont pas toujours
cruoriques, mais très-souvent fibrineux. Ces caillots rendent compte de l'arrêt
facile des héraoptysies, mais expliquent en même temps leur facile i-eproduction
par la rétraction du coagulum fibrineux.
Les hémoptysies, qu'on voit coïncider parfois avec la dilalation des bronches
paraissent, elles aussi, résulter de la rupture de petits anévrysmes de l'artère
pulmonaire. Powel a observé ces anévrysmes dans 4 cas de bronchectasie,
Dejean, dans sa thèse inaugurale, cite, lui aussi, une douzaine de cas de dila-
tation bronchique où la rupture d'anévrysmes capillaires a paru être la cause
de l'hémoptysie.
Si l'hémoptysie de la tuberculose crue a presque toujours sa source dans les
artères bronchiques, les hémoptysies tardives proviennent constamment des
artères pulmonaires. Cependant, d'après Damaschino, certaines hémoptysies
précoces proviendraient, elles aussi, d'anévrysmes de l'artère pulmonaire, ané-
vrysmes dont la fissure se cicatriserait pour un temps plus ou moins long. On
a mentionné aussi des hémoptysies procédant de la rupture d'une veine pulmo-
naire, de l'effraction d'un vaisseau malade rampant dans la paroi d'une caverne
312 HÉMOPTYSIE.
ou de la rupture de l'aorte près de sa crosse, mais ce sont là des cas tout à fait
exceptionnels.
En résumé, la rupture vasculaire, dans les hémorrhagies cavitaires, paraît
résulter, d'une part, de l'oblilération d'un certain nombre de rameaux de l'artère
pulmonaire par la sclérose interstitielle développée dans les parois des cavernes,
d'autre part, et conséquemment, de l'exagéralion de la pression sanguine dans
les vaisseaux pulmonaires restés perméables et devenus d'autant plus fragiles
qu'ils sont enflammés, dégénérés, anévrysmatiques et privés de leur soutien
naturel par la destruction du parenchyme pulmonaire.
Phlhisis ab hemopke. A l'hémoptysie tuberculeuse se rattache la question
depuis longtemps controversée de la phthisie considérée comme résultat de
riiémorrliagie elle-même. Hippocrate avait admis déjà que la phthisie était la
consé(|uence de l'hémorrhagie pulmonaire. Hoffmann, Baumes, Morton surtout,
soutinrent la môme thèse. Laennec vint, qui alfirma que l'hémoptysie était
l'effet et non la cause de la phlhisie. Louis et Andral abondèrent dans son sens.
De nos jours, Niemeyer, Tessier (de Lyon) et après eux Jaccoud, ont repris et
soutenu la théorie de Morton. Selon Niemeyer, lorsqu'une hémorrhagie bron-
chique laisse séjourner du sang coagulé dans les bronches et dans les alvéoles,
ce sang devient un agent irritant pour les parties avec lesquelles il est en con-
tact et il en lésullerait fréquemment une transformation caséeuse du sang ainsi
que du tissu pulmonaire enflammé. Niemeyer va jusqu'à qualifier d'exceptions
rares les faits où l'hémoptysie n'a pas été le phénomène primordial et la phthisie
caséeuse le fait consécutif. Jaccoud, adoptant une théorie moyenne entre celle
de Laennec et celle de Niemeyer, croit à l'existence d'un hémoptysie primitive,
cause de l'altération du poumon, et d'une hémoptysie secondaire, effet de
lésions préexistantes. 11 est acquis, pour lui, que l'hémoptysie génératrice de la
phlhisie détermine la phthisie pneumonique, mais pour qu'il en soit ainsi une
prédispositioji préalable du sujet serait nécessaire.
Inventée quelque peu pour le besoin de la cause et pour prouver l'existence
de phthisies accidentelles et caséeuses, la théorie de Niemeyer ne lient ni devant
les données de la clinique ni devant les résultats de l'expérimentation directe
sur les animaux.
En effet, si le sang pouvait séjourner dans les bronches et y jouer le rôle de
corps étranger, on ne s'expliquerait pas l'innocuité des hémoptysies trauma-
tiques et des hémoptysies cardiaques qui, elles, jamais ne sont accompagnées ni
suivies de productions caséeuses. Dans le cerveau, dans le rein, dans le foie,
dans les grandes cavités, on ne voit jamais le processus tuberculeux naître d'une
hémorrhagie. D'ailleurs, rien ne prouve qu'après une hémoptysie il reste des
caillots dans les fines bronches et dans les alvéoles, car le plus souvent l'auscul-
tation ne révèle rien immédiatement après les grandes hémoptysies, et l'hémor-
rhagie, loin de provoquer la suffocation, soulage le plus souvent (Y vert). Les
fibres lisses des bronchioles découvertes par Reiseissen n'out-elles pas pour rôle
de se contracter à la suite de la toux réflexe provoquée par les corps irritants
et d'expulser non-seulement les liquides, mais parfois même de petits caillots
vermicul aires, comme l'a observé Yvert? Enfin, si la phthisie est le résultat de
l'hémoptysie, pourquoi cette phthisie ne se déclare-t-elle souvent que deux ou
trois mois après l'hémorrhagie et non immédiatement? Ajoutons que la plupart
des partisans de la phthisis ab hemoptce admettent qu'elle ne prend naissance
qu'en vertu d'une prédisposition spéciale à la pneumonie caséeuse. N'est-ce pas
HÉMOPTYSIE. 513
avouer que la phthisie se serait déclarée tôt ou tard sans le secours de l'hémoptysie ?
« Pour que l'interprétation de Niemeyer fût acceptahle, dit avec raison M. De-
boves, il faudrait d'abord que l'on trouvât aux liémoptysies prétendues généra-
trices de la plitliisie une cause autre que la tuberculose elle-même. Grâce aux
recherches modernes, il est permis d'affirmer que l'hémoptysie n'est jamais que
le premier signe de la maladie, car dans le sang cxpecloré lliller a reconnu la
présence du bacille tuberculeux, et a pu conclure de là que l'Iiémoptysie était
l'effet et non la cause de la tuberculose ».
Du reste, les recherches de Perl et Lipmann, faites en 1870 sur des lapins et
des chiens, avaient démontré déjà que le sang pris dans la veine jugulaire de
ces animaux et introduit ensuite dans leur canal aérien s'y coagule, puis dispa-
raît graduellement sans laisser de trace de travail inflammatoire. Sommerbrodt,
continuant les expériences de Perl et de Lipmann, n'a trouvé aucune lésion des
alvéoles au microscope, mais on a constaté les signes d'une pneumonie catar-
rhale qui disparaissait sans laisser la moindre trace. Bien qu'il ne soit pas
permis de conclure d'une façon absolue de l'animal à l'homme, ces expériences
ont leur valeur. Jaccoud, pour en expliquer les résultats négatifs, invoque
l'absence de la fluxion active qui seule, selon lui, est capable de produire une
irritation inflammatoire. Mais rien ne prouve la possibilité de cette fluxion
active en l'absence d'un tubercule préexistant, et tout démontre le mal fondé de
la théorie de Niemeyer.
2° Hémoptysies dans les affections non tuberculeuses du poumon et des voies
aériennes, a. Pneumonies. Si rien n'est plus comnmn que les crachats san-
guinolents dans la pneumonie, rien n'y est plus rare que la véritable hémoptysie
se traduisant par l'expectoration d'une grande quantité de sang pur. Pourtant le
fait a été observé quelquefois. Laenncc, Gendrin, Dauvergne père, Jaccoud, en ont
rapporté chacun un ou plusieurs exemples. Ces hémoptysies n'assombrissent pas,
en général, le pronostic de la pneumonie. Yvert explique leur production par la
dilatation vasculaire considérable qui s'opérerait dans le poumon tout comme sur
la joue et en général sur toute la moitié de la tête située du même côté que la
lésion pulmonaire. L'irritation dont le poumon est le siège se transmettrait aux
ganglions intra-thoraciques du grand sympathique d'où partent les nerfs vaso-
moteurs du poumon, et de là une dilatation des capillaires avec diminution de
résistance de leurs parois. La rupture des vaisseaux serait d'ailleurs favorisée
par l'énergie des battements du cœur surexcité par l'irritation que les anasto-
moses nerveuses transmettent aux ganglions cardiaques. Le cracbat rouillé ne
serait qu'une hémoptysie réduite, mais de ce crachat à l'hémoptysie vraie il
n'y aurait qu'un pas. Celle-ci, quand elle éclate, serait la suite de l'acuité
extrême de l'inilammation. Cette explication, assurément très-ingénieuse, est
plus théorique qu'anatomique. 11 nous semble que la compression exercée par
l'exsudat pneumonique sur les vaisseaux d'ailleurs très-liyperémiés et plus ou
moins altérés dans leur texture rend compte de la l'upture de ces vaisseaux et
par suite de la production des crachats rouilles et de l'hémoptysie dans certains
cas particuliers. Balzer attribue l'hémorrhagie diffuse qu'il a rencontrée dans
certaines broncho-pneumonies à la congestion des lobules déterminée par l'absence
d'air dans les bronchioles obstruées par les produits inflammatoires et à l'altération
consécutive des capillaires. En somme, la pathogénie de l'hémoptysie pneumonique
comme celle des crachats rouilles présente encore bien des points obscurs.
b. Cancer du poumon, hydatides, etc. Les néoplasmes non tuberculeux du
514 HÉMOPTYSIE.
poumon lels que. le cancer, le chondrome, le fibrome, les kystes hydatiques,
donnent naissance à des liémoplysies dont la patliogénie ne diffère guère de
celle de l'hémoptysie tuberculeuse. Il est permis d'admettre, par analogie, que
les liémorrhagies coïncidant avec le développement même du néoplasme relèvent,
elles aussi, d'une oblitération partielle des vaisseaux par ce néoplasme et de la
rupture par fluxion collatérale des vaisseaux demeurés perméables ; que pendant
la période d'ulcération de la masse néophisique les vaisseaux d'ancienne et de nou-
velle formation, d'ailleurs d'une mollesse, d'une ténuité et d'ime fragilité extrêmes,
se rompent par un mécanisme qui ne diffère guère de celui des liémorrhagies
de la période ulcéreuse de la tuberculose. L'abondance et la ténuité des vais-
seaux rendent compte d'ailleurs de l'abondance et delà fréquence de l'hémoptysie.
Si les liémorrhagies sont beaucoup plus communes à la suite du cancer qu'à
k suite des fibromes, des tumeurs ostéoïdes et des tumeurs érectiles du poumon,
cela tient sans doute à ce que tous ces derniers produits n'ont pas de période
de ramollissement. Dans les kystes hydatiques du poumon, l'hémoptysie est au
contraire d'une iVéqucnce extrême.
Dans ces diverses nfléctions du [)oumon, l'hémoptysie peut avoir sa source
aussi souvent et même plus souvent dans le système des vaisseaux pulmonaires
que dans celui des vaisseaux bronchiques, car tous deux se distribuent dans
l'épaisseur du lobule (Balzer).
c. La gangrène du poumon s'accompagne fréquemment d'hémoptysie. Ou
sait aujourd'hui que celte gangrène résulte le plus souvent d'une obstruction
d'une branche de l'artère pulmonaire ou de l'artère bronchique, mais l'hémo-
ptysie qui en résulte provient presque toujours de la rupture des vaisseaux
pulmonaires, grâce à la désorganisation rapide de tous les éléments du paren-
chyme. Le petit cracbement de sang qui marque ordinairement le début de la-
gangrène paraît procéder de l'hyperémie considérable avec altération des parois
vasculaires qui résulte de l'obstruction même du vaisseau iFernet). Plus tard,
lorsque les parties gangrenées commencent à s'éliminer, il se produit plus ou
moins rapidement des cavernes en même temps que des ulcérations et des
sections vasculaires suivies d'hémoptysies abondantes et parfois mortelles. Si
l'élimination des parties sphacélées s'opère lentement, comme c'est le cas le
plus fréquent, la caverne, suivant Yvert, s'entourerait d'un tissu scléreux qui
oblitère un grand nombre de vaisseaux et rend aussi l'hémoptysie moins abondante.
d. La laryngite calarrliale avec congestion vive et épaisissement de la mu-
queuse donne lieu parfois à des crachements de sang peu abondants, peu ou
point aérés, mêlés le plus souvent de mucosités et se reproduisant tantôt le
matin, tantôt le soir. Dans ces cas, le laryngoscope fait constater la présence de
petits caillots sanguins sur les replis du larynx et sur les cordes vocales ; cer-
tains sujets sont particulièrement disposés à ces laryngites hémorrhagipares,
indépendantes de toute trace de tuberculose (Stépanow, Rethi, Strùbing). D'au-
tres fois l'hémorrhagie laryngée est provoquée mécaniquement par les efforts de
toux ou de vomissement, mais alors elle est favorisée par des altérations vascu-
laires se rattachant soit à quelque état infectieux ou hémophylique, soit à la
grossesse (Fraenkel).
La simple bronchite aiguë ou chronique donne naissance quelquefois à des
crachats sanglants dus soit à la rupture des vaisseaux bronchiques par les efforts
de toux, soit à l'état fongueux de la muqueuse chroniquement enllammée. Cla-
Yosteck a constaté des liémorrhagies répétées dans la bronchite membrani forme.
HÉMOPTYSIE. 515
5" Hemoptysies dans les affecliom de Vappareil circulatoire. Ces hémo-
ptysies sont les plus fréquentes après celles de la tuberculose pulmonaire. Elles
peuvent dépendre :
a. D'une obstruction artérielle déterminée par une embolie pulmonaire ;
h. D'une affection organique du cœur ;
c. D'une altération spéciale et idiopatliique des vaisseaux pulmonaires.
Les lésions anatomo-pathologiques aftérentes aux hemoptysies provenant de
l'appareil circulatoire ont été décrites sous le nom impropre A' apoplexie pulmo-
naire, appellation qui, comme le dit Jaccoud, n'est justiliée ni par l'analyse des
symptômes ni par celle des lésions. Ces lésions se présentent sous deux aspects
différents : tantôt elles constituent les infarctus hémopto'iques circonscrits si
bien décrits par Laennec, tantôt des foyers sanguins diffus plus ou moins vastes
accompagnés ou non de décliirure du poumon. Ces lésions seront étudiées îi
l'article Hémorrhagie pulmonaire {voy. ce mot). Bornons-nous à quelques consi-
dérations sommaires.
Les infarctus hémopto'iques relèvent généralement de l'obstruction d'une
branche de l'artère pulmonaire, mais, comme nous le verrons, ce sont les veines
pulmonaires qui fournissent le sang de l'hémorrhagie. Quant aux hémorrhagies
en foyer diffus, elles tiennent le plus souvent à la rupture des vaisseaux intra-
lobulaires et surtout des capillaires, qui se brisent d'autant plus facilement
qu'ils sont placés à l'extrémité de deux courants sanguins et que leurs parois sont
fort mal soutenues par le parenchyme du lobule (Duguet). V infarctus on noyau
hémoptoïque circonscrit est le plus souvent le résultat de Vemholie pulmonaire.
Les foyers difftis avec ou sans dilacération du tissu pulmonaire paraissent être
plus spécialement la lésion anatomique des ][vmoi)l]'s'\es par stase sanguine dues
aux affections du cœur et des hemoptysies par altération propre des vaisseaux.
a. Mécanisme de Vhémoptysie par embolie. L'embolie pulmonaire, on le
sait, peut prendre naissance dans l'artère pulmonaire même (phthisie, emphy-
sème, épanchement pleurélique, etc.) ; elle peut s'être détachée de la veine d'un
organe éloigné (varices, fractures, cachexies, etc.) ; enfin, et ce dernier cas
paraît être plus commun qu'on ne l'a supposé jusqu'ici, elle peut provenir des
concrétions fibrineuses dont l'oreillette droite est si fréquemment le siège dans
les affections de la valvule mitrale. La théorie actuellement en vogue veut même
que toutes les hémorrhagies liées aux affections du cœur soient d'origine embo-
lique (Gerhardt). Cette assertion nous paraît trop absolue. Cependant, si l'on
considère que sur 59 infarctus relevés par Bochdaleck 38 dépendaient d'une
affection du cœur, et que Wrang a trouvé 12 fois des lésions cardiaques dans
17 cas d'embolie, il est permis de conclure de là que les affections du centre
circulatoire sont une des causes les plus communes de l'hémoptysie par embolie
pulmonaire. Les lésions de l'orifice aortique s'accompagnent moins souvent d'em-
bolies que les lésions de l'orifice mitral. L'endocardite ulcéreuse et la péricardite
peuvent, elles aussi, donner naissance à des hemoptysies par embolie pulmonaire.
L'infarctus de l'embolie est toujours le résultat de l'obstruction d'un rameaU'
terminal lobulaire ou acineux de l'artère pulmonaire. Par cela même qu'il est
terminal et qu'il ne s'anastomose avec aucune artériole voisine capable de four-
nir une circulation collatérale, l'obstruction artérielle est suivie tout d'abord
de l'anémie des vaisseaux situés au delà de l'obstacle; mais bientôt cette ané-
mie est remplacée par une forte congestion, parce que sous l'influence de la-
tension vasculaire générale le sang du tronc veineux voisin n'a pas tardé à
316 HEMOTTYSIE.
refluer dans les capillaires correspondants au tronc artériel oblitéré. Cette stase
sanguine, cet excès de pression intra-vasculaire, déterminent dans les parois des
vaisseaux congestionnés des altérations particulières qui en facilitent la rupture.
Pour Duguet et Ranvier, ces altérations seraient de nature inflammatoire, pour
d'autres c'est une dégénérescence granuleuse rapide (Bertin et Colmhein). Presque
toujours un certain temps, variant de quelques heures à quelques jours, s'écoule
entre l'arrêt de l'embolie et la rupture des vaisseaux.
En résumé, l'bémoplysie consécutive à l'embolie procède de la rupture des
capillaires de l'artère pulmonaire altérés préalablement sous l'influence de la
stase sanguine développée en aval de l'obstruction artérielle. Le sang de cette
hémoptysie est fourni par les veines pulmonaires. La lésion anatomique habi-
tuelle de l'embolie est l'infarctus au noyau hémoptoïque circonscrit.
b. Mécanisme de l'hémoptysie dans les affections du cœur. La cause pre-
mière de celte hémoptysie réside dans l'excès de tension dont les capillaires pul-
monaires sont le siège. C'est dans l'insuffisance et surtout dans le rétrécissement
de l'orifice mitral que cette tension atteint sou maximum, et c'est aussi à la suite
de ces deux lésions que les hémorrhagies pulmonaires s'observent le plus fréquem-
ment. Elles sont très-rares dans l'insuffisance et dans le rétrécissement aortiques.
Un obstacle placé à l'orifice mitral amène la stagnation du sang dans l'oreil-
lette gauche, et par suite une gène toujours croissante dans la progression du
sang qui revient par les veines pulmonaires. De là excès de tension dans ces
veines d'abord, puis dans les capillaires qui les pre'cèdent, et enfin dans les
artères pulmonaires. Le poumon placé à proximité du cœur reçoit donc par la
petite circulation le premier coutre-coup de la gène circulatoire développée dans
le cœur gauche. Le plus souvent le ventricule droit s'hypertrophie et redouble
d'efforts pour faire cheminer le sang dans l'artère pulmonaire et ramener l'équi-
libre dans la circulation du poumon. Mais, à la longue, le muscle cardiaque
succombe dans sa lutte contre la stase sanguine ; les vaisseaux, sous l'influence
d'une tension exagérée, deviennent variqueux, présentent des dilatations ampul-
laires (Biihl) et finalement subissent la dégénérescence granulo-graisseuse.
Cette déchéance des vaisseaux est favorisée d'ailleurs par la nutrition défec-
tueuse de leurs parois imprégnées d'un sang mal oxygéné (Peter) . Ainsi l'excès
de tension des vaisseaux amène leur dilatation, laquelle engendre l'altération
de leur parois et par suite leur rupture. Tout, on le voit, s'enchaîne ici et
s'entr'aide pour provoquer l'hémorrhagie. Mais toutes ces lésions ne s'établis-
sent qu'à la longue et leurs effets ne se font sentir que dans la période ultime
de l'affection cai'diaque, alors que la gène circulatoire a atteint son apogée.
En résumé, l'hémoptysie liée aux affections du cœur est le résultat de la
stase sanguine développée dans les veines pulmonaires et dans les artères pul-
monaires, sous l'influence d'un obstacle placé le plus souvent à l'orifice mitral.
Cette hémoptysie se traduit habituellement, dans le poumon, par des foyers
diffus avec ou sans déchirure du parenchyme.
Aux affections du système circulatoire susceptibles de produire l'hémoptysie
il faut ajouter les anévrysmes de l'aorte qui déterminent des hémorrhagies fou-
droyantes et mortelles, lorsqu'ils viennent à s'ouvrir dans la trachée, dans
l'une des bronches ou bien dans le parenchyme pulmonaire même.
Quelquefois la tumeur anévrysmale engendre l'hémoptysie par la compression
qu'elle exerce sur les veines pulmonaires et par la congestion passive du pou-
mon qui en résulte (Fernet).
IIKMOPTYSIK. 317
C. Hémoptysie par altération propre des vaisseaux. Ces sortes d'hémopty-
sies s'observent dans les fièvres graves adynamiques et dans les intoxications,
notamment dans la diphlhérie, la fièvre typhoïde, le purpura, le scorbut, le
diabète, la maladie de Bright, l'ictère grave, les empoisonnements par le phos-
phore et l'arsenic, etc. Dans tous ces cas, l'hémorrbagie est le résultat de la
friabilité excessive des vaisseaux altérés dans leur texture et entachés générale-
ment de dégénérescence granulo-graisseuse. Quant à la dégénérescence athéro-
mateuse des vaisseaux pulmonaires, elle s'observe rarement. Il en est de même
de la dégénérescence amyloïde. Cependant Balzer en a vu un cas lié à une sup-
puration osseuse. Les hémorrhagies par altération propre des vaisseaux pulmo-
naires ne paraissent provenir que des capillaires; elles se font par foyers diffus,
comme celles qui résultent des affections du cœnr, mais sans déchirure du paren-
chyme; elles siègent dans les parties les plus déclives du poumon. Très-fré-
quemment elles n'aboutissent pas à l'hémorrhagie, parce que les bronches sont
plus ou moins encombrées de mucosités qui s'opposent à l'issue du sang et parce
que les malades plongés dans l'adynamie n'ont pas la force d'expectorer.
Autrefois on attribuait ces hémoptysies à la diffluence du sang, mais nous
savons que le sang, quelle que soit sa consistance, ne peut passer à travers les
parois vascnlaires. Sa diffluence, de même que la friabilité des vaisseaux, est le
résultat de l'intoxication et l'hémorrhagie procède uniquement de la rupture
des capillaires dégénérés.
L'hémoptysie qui s'observe parfois dans les chloroses anciennes et dans l'ané-
mie tient sans doute, elle aussi, à la fragilité exagérée des capillaires mal
nourris par un sang pauvre en globules rouges (Potain).
A" Hémoptysies dans la grossesse. Nous plaçons à dessein ces hémoptysies à
la suite de celles qui relèvent de l'appareil circulatoire, parce que la plupart
d'entre elles dépendent d'une affection du cœur antérieure à la gestation et
aggravée par elle. M. Peter, qui a exposé magistralement l'origine do ces hémo-
ptysies, fait remarquer qu'elles surviennent presque toujours au cinquième mois
de la grossesse, alors que le fœtus devenu plus voluminux a besoin d'une
masse de sang plus considérable pour sa nutrition. 11 s'ensuit que les contractions
du cœur de la mère doivent redoubler d'énergie, à cette époque, pour lancer la
masse de sang devenue nécessaire. De là hypertrophie physiologique du cœur
gauche et par suite pression plus considérable dans le système vasculaire, ten-
dance à la congestion et à la stase. Si déjà le cœur est atteint d'insuffisance mitrale
(et c'est toujours cette lésion qu'a observée M. Peter), la stase pulmonaire en
sera d'autant plus marquée et les hémoptysies d'autant plus piomptes à éclater.
Quant aux hémoptysies imputables à la grossesse seule et sans intervention
d'une lésion cardiaque antérieure, elles sont tout à fait exceptionnelles. Churchill,
Trousseau, Nuthe, etc., les avaient signalées déjà, et Comhy en a publié récem-
ment un cas emprunté à la clinique de Siredey. Ces hémoptysies partielles de
la grossesse ne doivent être acceptées qu'avec réserve, car elles peuvent tenir et
tiennent le plus souvent à une tuberculose latente dont l'évolution ne se fera
qu'après la délivrance. Les hémoptysies nées de l'aggravation d'une affection
cardiaque déjà existante nous paraissent seules acceptables.
5" Hémoptysies d'origine nerveuse ou cérébrale. Ces hémoptysies d'ail-
leurs très-rares se rapprochent au point de vue de leur anatomie pathologique
des hémoptysies par altération propre des vaisseaux dont il a été question plus
haut. Comme celles-ci, elles se traduisent dans le poumon par des foyers san-
518 I1ÉM0PTY.S1E.
guins diffus sans déchirure pulmonaire, mais elles en diffèrent en ce que la
cause de l'effraction vasculaire n'est plus placée directement dans les vaisseaux,
mais bien dans les centres nerveux. Ces liémorrhagies restent le plus souvent
latentes et ne se manifestent que rarement par une hémoptysie. Elles se pro-
duisent bien plus rapidement que les liémorrhagies d'origine embolique.
Carré a rapporté plusieurs cas d'hémoptysie dans Vhystérie, indépendants de
tout trouble menstruel et sans signes stéthoscopiques du côté de la poitrine.
Nous avons ol)servé nous-même chez une jeune fille hystérique, et à la suite
d'un sommeil léthargique prolongé , un cas d'hémoptysie très-abondante sans
trouble menstruel, sans signes d'affection pulmonaire et sans explosion tuber-
culeuse ultérieure. Carré a vu également l'hémoptysie dans la cliorée, dans
l'épilepsie et dans l'hypochondrie ; exceptionnellement, dans ces cas, elle coïn-
cidait avec des lésions pulmonaires.
OUivier a montre que les liémorrhagies cérébrales sont suivies souvent de
véritables infarctus pulmonaires siégeant dans le côté opposé à la lésion céré-
brale, quelquefois de pneumonies hypostatiques. Les mêmes lésions ont été
observées dans le ramoHisscment cérébral, dans la méningite tuberculeuse
(Uilliet et Barthez), dans la folie et jusque dans les traumatismes du cj'àne.
Carré fait procéder toutes les hémoptysies nerveuses d'une paralysie des
vaso-moteurs consécutive à un état morbide des organes centraux. Cette opinion
est d'accord avec les expériences des physiologistes. En effet, Rouget, Traube,
Cl. Bernard et d'autres, ont démontré que la section du pneumogastrique sur les
animaux est suivie de congestion cl d'hémorrhagie du parenchyme pulmonaire.
Brown Séquard a vu des liémorrhagies du poumon succéder à la lésion des
pédoncules, de la protubérance et du bulbe. Selon ce physiologiste, la lésion de
toutes ces parties produirait une irritation des vaso-moteurs du poumon, par
l'intermédiaire du premier ganglion du sympathique cervical. Les capillaires
se rompraient sous la pression du sang qu'y ferait affluer la contraction des
artérioles et des veinules. Selon Schiff et Vulpian, il se produirait non une con-
traction, mais une dilatation paralytique des capillaires.
Les hémoptysies suite d'impressions morales, telles que la colère, la frayeur,
paraissent se rattacher elles aussi à une paralysie des vaso-moteurs suivie de la
dilatation de capillaires dont la rupture est d'ailleurs ftivorisée par les contrac-
tions énergiques du cœur qu'on observe en pareil cas. Ce phénomène n'est pas
sans analogie avec la rougeur de la face accompagnée de palpitations, qui se
remarque chez les gens timides et impressionnés subitement.
6° Hémoptysies intermittentes. Cette forme d'hémoptysie a été mentionnée
dès 1815 dans la thèse de Millet sur les fièvres pernicieuses de Rome. Castau,
en 1867, en a publié un certain nombre de cas dont deux lui sont personnels.
Les médecins militaires qui ont pratiqué dans les pays à malaria, tels que Rome
et l'Algérie, ont presque tous constaté des faits du même genre. Nous avons
observé nous-même plusieurs faits de même nature pendant notre séjour en
Algérie, mais il s'agissait là moins d'hémoptysies vraies que de pneumonies ou
plutôt de congestions pulmonaires avec crachats sanguinolents, se reproduisant
à chaque accès fébrile, s'accompagnant de dyspnée et se caractérisant par des
bouffées de râle sous-crépitant fin, sans matité thoracique. Tous ces phéno-
mènes disparaissaient complètement avec la défervescence. Pour Grisolle, qui n'a
pas pratiqué dans les pays paludéens, l'intermittence de l'hémoptysie ne serait
qu'une simple forme assez commune de cette hémorrhagie, sans lien authen-
HÉMOPTYSIE. 519
tique avec l'intoxication maremmatique. L'efficacité incontestable du sulfate de
quinine contre ces hémoptysies ne milite pas en faveur de cette opinion.
Le mécanisme de l'hémoptysie intermittente n'est pas encore bien élucidé.
Fourère de Courson, qui a observé des hémoptysies intermittentes dans une
contrée marécageuse, admet simplement que le mouvement fluxionnaire qui
dans l'intoxication paludéenne se dirige le plus souvent vers la rate et le foie
est détourné ici vers les poumons. C'est expliquer le fait par le fait lui-même.
Pour Yvert, le mécanisme de l'hémoptysie intermittente ne diffère pas de
celui de l'hémoptysie à frigore dont il sera question plus loin. L'hémorrhagie
serait le résultat d'un afflux trop rapide et tout mécanique du sang vers les
capillaires du poumon par suite de la contraction des artérioles périphériques
pendant le stade de froid de l'accès fébrile. La rareté de ces congestions hémo-
ptoïques s'expliquerait par la rareté même de la forme larvée pneumonique et
par l'absence des dispositions individuelles à l'hémoptysie chez la plupart des
sujets qui en sont atteints. L'auteur ne dit pas en quoi consistent ces disposi-
tions individuelles. Ne serait-ce pas dans une fragilité particulière des vaisseaux,
née sous l'influence de l'intoxication palustre et analogue à la friabilité vascu-
laire qui s'observe dans les fièvres infectieuses? Nous serions d'autant plus
porté à le croire que nous n'avons observé persoimellement les congestions
hémoptoïques intermittentes que chez des sujets anémiés par un long séjour en
Algérie et épuisés par de nombreuses atteintes de fièvre intermittente.
7" Hémoptysies arthritiques. Sous ce nom M. Uuchard a décrit récemment
des hémoptysies qui seraient le résultat de l'action congestive exercée par l'arthri-
tisme sur les diflérents organes et appareils. Ces hémoptysies se reconnaîtraient
à leur invasion brusque, leur disparition rapide, leurs relations avec les influences
barométriques, leur alternance avec les fluxions articulaires, leur apparition le
plus souvent nocturne. De plus, elles ne diminueraient point les forces ni l'em-
bonpoint des malades.
Ce dernier caractère manque de valeur, car il est quantité d'hémoptysies
tuberculeuses qui ne font pas maigrir non plus les malades et qui guérissent
temporairement ou même définitivement, parce que le tubercule qui leur a
donné naissance a avorté ou s'est transformé en un tissu inoffensif.
Parmi les observations d'hémoptysie arthritique rapportées par M. Huchard,
une seule lui est personnelle, et c'est la seule aussi qui ait été suivie d'autopsie.
Le sujet ne fut pas trouvé tuberculeux, il est vrai, mais il n'est pas prouvé non
plus suffisamment qu'il fût arthritique. Dans les autres observations il s'agit
tantôt de congestions pulmonaires sans hémoptysie., qui ne sauraient entrer
en ligne de compte, tantôt d'hémoptysies véritables, mais, ces dernières n'ayant
pas été contrôlées par l'autopsie, rien ne prouve qu'elles n'aient pas été le sym-
ptôme initial d'une tuberculose à évolution chronique et lente.
Nous ne voulons pas nier l'hémoptysie d'origine arthritique, mais jusqu'ici
elle ne nous paraît pas démontrée suffisamment par les faits.
DEUXIEME CLASSE. Hémoptysies non symptomatiques ou essentielles. Sous
ce titre nous rangeons des hémoptysies pouvant se produire dans des circonstances
très-diverses et indépendamment de toute affection du poumon, du cœur ou de
tout autre organe. Telles sont les hémoptysies par refroidissement, par suite
d'effort, par diminution de la pression atmosphérique, etc. L'hémoptysie sup-
plémentaire, en tant qu'elle ne relève que d'un déplacement purement dyna-
320 HÉMOPTYSIE.
mique des règles, peut être rangée, elle aussi, dans cette catégorie. Ces sortes
d'hémoptysies ont quelques traits communs: elles ne relèvent d'aucune lésion ou
maladie antérieure ; toutes peuvent s'expliquer par les simples lois de la physio-
logie ou de la jihysique ; dans toutes aussi le sang a sa source indifféremment
dans les capillaires du système bronchique ou du système pulmonaire.
4" Héjnoptyde supplémentaire. On appelle ainsi tout écoulement de sang
détourné de son siège habituel et se faisant jour par l'appareil pulmonaire.
L'Iiémoplysic supplémentaire des règles est la plus fréquente et la plus incon-
testable de toutes. Bien moins commune et d'une authenticité plus douteuse sont
les liémoplysies consécutives à la suppression d'un flux hémorihoïdaire, d'une
épislaxis, ou à l'omission d'une saignée habituelle, etc. 11 est peu de médecins
qui n'aient observé des hémoptysies supplémentaires du flux menstruel. Pinel
cite une femme de la Salpètrière qui pendant quarante-deux an? eut une hémo-
ptysie menstruelle abondante à la suite d'une suppression brusque de ses règles.
Bricude, dans Y Encyclopédie viéthodique, parle d'une femme âgée de soixante ans
qui n'avait eu qu'une seule fois ses règles par les voies ordinaires. Ce sont là
les deux faits les plus remarquables. P. Franck, Brièrc de Boismont, Trousseau, etc.,
ont cité des cas plus ou moins semblables aux précédents, mais moins caracté-
ristiques.
Voici comment on a expliqué la production des hémoptysies supplémentaires.
L'excès de la masse sanguine résultant de la suppression même des règles
amène dans tout l'appareil circulatoire une pléthore incompatible avec la capa-
cité de cet appareil. Sous l'influence de la pression intra-vasculaire résultant de
cette pli'thore le sang se fraie un chemin à travers les poumons, et cela pour
deux raisons : d'abord, parce que dans l'âge adulte toutes les congestions se
portent avec prédiieclion du côté de l'appareil respiratoire doué, à cette époque,
d'un surcroît tout particulier de vitalité ; ensuite, parce que les derniers rameaux
de l'artère pulmonaire sont excessivement ténus et très-mal soutenus par les
parois alvéolaires. De ces deux causes réunies, ténuité extrême des capillaires et
augmentation de la pression intra-vasculaire, résulterait l'hémoptysie.
Envisagée ainsi, l'hémoptysie supplémentaire peut être rangée parmi les cra-
chements de sang non symptomatiques et essentiels, mais ces hémoptysies succé-
danées des règles sont-elles bien toujours le résultat d'un simple acte vital, d'un
processus purement dynamique, sans que l'état antérieur du poumon y soit pour
quelque chose? Ce n'est pas l'avis de la plupart des observateurs. Les uns, comme
Trousseau, tout en admettant l'existence d'hémoptysies essentiellement et vrai-
ment supplémentaires, reconnaissent que les tubercules par la fluxion qu'ils
provoquent autour d'eux peuvent être une cause prédisposante à la déviation
pulmonaire. D'autres croient que la suppression des règles n'est pas la cause,
mais le plus souvent l'effet d'une tuberculose déjà existante, et que les hémo-
ptysies mensuelles sont le résultat constant ou presque constant d'une congestiou
plus vive développée chaque mois autour des tubercules (Andral, Nienieyer,
ridoux, etc.); que les femmes atteintes d'hémoptysies supplémentaires et qu'on
a perdues de vue ont pu devenir et sont devenues fréquemmeirt tuberculeuses à
un âge déjà avancé; que les hémorrhagies supplémentaires siégeant dans les
organes parenchymateux indiquent presque toujours une maladie de ces organes
mêmes dont les vaisseaux s'ouvrent sous l'effort hémorrhagique coïncidant avec
la période menstruelle (Stoltz). Que conclure de tout cela? qu'il existe des
hémoptysies véritablement supplémentaires, mais qu'il n'en faut pas moins se
HEMOPTYSIE. 521
méfier des jeunes filles régle'es par le poumon et n'admettre l'hémoptysie pure-
ment supplémentaire que si par un examen minutieux et répété à de longs
intervalles on a pu s'assurer de l'intégrité persistante des poumons.
2» Hémoptysie « à frigore ». Le froid vif, surtout s'il succède à une chaleur
trop élevée, est susceptible, dit-on, de déterminer l'hémoptysie. Andral en a
rapporté plusieurs exemples dans sa clinique. Yvert en a vu deux cas chez des
militaires. Pendant la retraite de Russie, bien des soldats rendaient du sang par
la bouche et par le nez, sous l'influence du froid. On a accusé aussi les bains
froids qu'on administre aux typhoïdiques de déterminer des hémoptysies chez
ces malades. Yoici quel serait, d'après Yvert, le mécanisme de ces sortes d'hémor-
rhagies. Le froid intense et subit resserre tout d'abord tous les capillaires de la
peau : de là reflux du sang vers les organes intérieurs, particulièrement vers ceux
qui sont les plus riches en vaisseaux, tel que le poumon. La concentration des
artérioles périphériques augmente la tension du système aortique et le ventricule
"auche luttant avec peine contre cet obstacle se contracte moins fréquemment
et, par suite, lance moins de sang dans l'aorte. De là stase sanguine dans l'oreil-
lette gauche, puis dans les veines et enfin dans les capillaires pulmonaires, qui
se rompent sous cet excès de tension. Celte explication, fort ingénieuse d'ail-
leurs, a le défaut d'être Ir-^jj mécanique. N'est-il pas probable que l'action du
froid a été favorisée dans la plupart des jas et en particulier chez les typhoï-
diques par une altération préalable des vaisseaux, et que bien des hémorrhagies
mises exclusivement sur le compte du froid pouvaient se rattacher aussi bien à
une tuberculose concomitante?
3° Hémoptysies suite d'un effort violent. Ces hémoptysies proviennent de
l'occlusion plus ou moins complète de la glotte au moment où l'elfort se produit.
L'occlusion de la glotte, en s'opposant à la sortie de l'air, augmente la pression
intraalvéolaire. De là compression des rameaux de l'artère pulmonaire qui ram-
pent dans les parois vésiciilaires, puis stase sanguine en amont de l'obstacle, en
même temps qu'augmentation de la pression intra-vasculaire du sang sous l'in-
fluence des efforts toujours croissants du cœur pour lutter contre l'obstacle;
finalement, si l'effort se prolonge, rupture des vaisseaux. Ainsi s'expliquent les
hémoptysies qui surviennent dans les efforts de la défécation, de la miction, de
l'accouchement, dans l'action de soulever un fardeau, de crier, de chanter, etc.
L'effort, ainsi que le froid dont il a été question précédemment, peuvent être
et sont souvent la cause occasionnelle plutôt que la causedéterminante de l'hémo-
ptysie. « Ces causes, a dit avec raison Grisolle, sont sans contredit suffisantes
pour provoquer une hémoptysie grave, mais presque toutes ont rarement cet
effet chez les sujets bien constitués, de sorte ({ue, si le crachement de sang sur-
vient à la suite d'une de ces causes, il n'en faut pas moins rechercher s'il
n'existe déjà une de ces lésions graves dont l'hémoptysie est le plus souvent le
symptôme. »
4" Hémoptysie par diminution de la pression atmosphérique. Les hémor-
rhagies qu'on observe chez les personnes qui ont gravi de hautes montagnes ou
qui se sont élevées en ballon à des altitudes considérables trouvent leur explica-
tion naturelle dans la diminution de la pression atmosphérique supportée parV-
corps de l'homme et dans le défaut d'équilibre entre la pesanteur de l'air et l\
force d'impulsion que le cœur transmet à la colonne sanguine jusqu'aux extré-
mités des capillaires. C'est sous cette double influence que s'opère la rupture
des parois saines des capillaires.
DIOT. E.VC. 4= s. XIII. 21
322 HÉMOPTYSIE.
Ces sortes criicmorrhagies n'apparaissent qu'à 5 à 6000 mètres d'altitude.
Dans les altitudes moindres (celles de 15 à 1900 mètres), il est au contraire
d'observation (jue les liémoptysies font défaut le plus souvent et que même elles
cessent chez ceux qui en sont atteints. Ce phénomène singulier est dû, d'après
Jaccoud, à ce que dans Ja réparlilion circulatoire créée par les dépressions baro-
métriques les poumons doivent être assimilés non pas aux organes périphé-
riques, lesquels se congestionnent sous l'influence des altitudes, mais aux organes
profonds qui, eux, s'anémient au contraire. Tout porte à croire que les choses
doivent se passer de la même manière et même d'une façon plus accentuée dans
les altitudes extrêmes; qu'en conséquence la théorie de Jaccoud est aussi vraie à
5000 mètres de hauteur qu'à 2000 mètres et que par suite les crachemeiiU de
sang observés dans les altitudes extrêmes sont probablement non pas des
liémoptysies vraies, mais de simples hémorrhagies buccales, ou bien des épistaxis
tombées dans l'arrière-gorge et rejetées par la bouche.
5" liémoptysies traumatiques. l>ans les hémoptysies chirurgicales, tout le
réseau vasculaire du poumon est susceptible d'être atteint par déchirure directe.
La section des vaisseaux peut résulter d'une plaie pénétrante de poitrine occa-
sionnée par instrument tranchant, ou par coup de feu, d'une fracture de côte
avec enfoncement ou d'une simple contusion plus ou moins violente de la cage
thoracique avec rupture des capillaires sous la seule influence du choc.
Nous rangerons aussi parmi les hémoptysies traumatiques celles qu'on observe
chez les personnes exposées à l'inhalation de certains gaz ou de poussières irri-
tantes. Ces hémoptysies peu abondantes et ne consistant généralement qu'en
quelques crachais sanglants nous paraissent être le résultat de l'action trauma-
tique exercée sur la muqueuse des bronches par les corpuscules irritants.
Causes prédisposantes de l hémoptysie. Il existe chez certains sujets une
disposition toute spéciale aux hémorrhagies et aux crachements de sang en par-
ticulier; chez eux l'iiémoptysie éclate sous l'influence de la cause la plus banale
et qui serait restée sans effet sur un terrain moins bien préparé. C'est l'hémo-
philie, véritable dialhèse hémorrhagipare, souvent héréditaire et qui, selon
Rokitansky et Virchow, s'accompagnerait tantôt d'une ténuité extrême, tantôt
d'une dégénérescence granulo-graisseuse des capillaires.
Ouant aux prédispositions liées à l'âge, au sexe, aux climats, etc., leur impor-
tance est beaucoup moindre.
L'hémoptysie est exceptionnelle chez les enfants, même lorsqu'ils sont tuber-
culeux. Rillet et Barthez n'ont recueilli que deux cas d'hémoptysie primitive
ehez des jeunes filles de douze à quatorze ans. Les crachements de sang sont
î'apanao-e de l'âge adulte comme la tuberculose pulmonaire dont ils relèvent le
plus souvent. Le vieillard est plus particulièrement sujet aux hémoptysies d'ori-
gine cardio-vasculaire, le jeune homme aux hémoptysies de nature tuberculeuse.
D'après la majorité des observateurs, l'hémoptysie serait plus commune chez la
femme que chez l'homme. Pour expliquer sa prédominance dans le sexe féminin,
on a invoqué les hémoptysies par déviation menstruelle, la compression de la
poitrine par le corset (Requin), l'érélhisme du système nerveux et les altérations
vasculaires probables de la chloro -anémie.
Les professions nécessitant des attitudes vicieuses du tronc, comme celles de
cordonnier de tailleur, etc., prédisposent, dit-on, à l'hémoptysie, mais la cause
en est moins dans ces professions mêmes que dans la débilité native des sujets,
que pour cela même, on destine aux métiers sédentaires.
HÉMOPTYSIE. 525
Certains climats, tels que les côtes occidentales de l'Amcrique du Nord, dis-
poseraient, d'après Blascke, chirurgien de la marine russe, à des hémoptysies
sans gravité. On s'explique difficilement cette inlluence climatologique. Ce qui
est certain, c'est que l'hémoptysie est fréquente surtout dans les pays où la
tuberculose est elle-même plus commune.
Symptômes. L'hémoptysie peut éclater brusquement et sans phénomènes pro-
dromiques, surtout lorsqu'elle est de nature traumatique on le résultat <le la
rupture d'un anévrysme de l'aorte. Le plus souvent cependant elle est précédée
de certains signes précurseurs qui ne sont autres que ceux de la congestion pul-
monaire, tels que malaise général, sensation de cbaleur dans la poitrine, parti-
culièrement derrière le sternum, ou dans les épaules, loux sèche accomjtagnée
de dyspnée et de goût métallique dans la bouche ; parfois refroidissement des
extrémités, lassitude, alternatives de rougeur et de pâleur de la face, céphalalgie,
palpitations, accélération et renforcement du pouls. Ces accidents ne durent en
général que quelques heures, mais on les voit parfois précéder de plusieurs jours
l'éruption du sang.
Souvent on entend dans l'intérieur de la poitrine une sorte de bruissement ou
de bouillonnement perçu également \)i\v le malade et produit par le mélange de
l'air et du sang avant l'expectoration de ce liquide. Ce phénomène indique que le
sang a déjà fait irruption dans les bronches : il ne constitue donc pas, à vrai dire,
un signe prodromique (Cliomel et Reynaud).
Le mode d'expulsion du sang par la bouche varie suivant l'abondance de l'iié-
morrbagie. Si le sang est en faible quantité, il remonte petit à petit dans la
trachée et dans le larynx et de là dans l'arrière-gorge, sans provoquer do toux,
puis il est rejeté de la bouche par simple expuition. Lorsque la quantité de sang
est de moyenne abondance et exbalée lentement, sa présence dans les voies
aériennes provoque le plus souvent un chatouillement laryngé accompagné de
toux, et le sang est rejeté par expectoration sous forme de crachats plus ou
moins nombreux et volumineux. Le sang est-il en grande quantité et exhalé
rapidement, il détermine une anxiété subite, une véritable suffocation avec con-
traction énergique des muscles expirateurs et il se précipite par Ilots à travers
la trachée, le pharynx, la bouche et quelquefois les narines. Cette éruption
brusque ressemble à un vomissement, et c'est ainsi qu'on la qualifie vulgairement.
Du reste, la titillation de la luette provoquée par le passage du sang amène parfois
de véritables vomissements alimentaires dont les produits se mêlent au sang.
Ces trois modes d'expulsion du sang ne s'excluent pas l'un l'autre. Si l'hémor-
rhagie est peu abondante, le sang rendu d'abord par expectoration et à la suite
d'efforts de toux peut ensuite, à mesure qu'il diminue, monter sans toux dans
le pharynx et s'échapper par simple expuition. Quelquefois on observe l'ordre
inverse: expuition, expectoration et enfin vomissements, si la quantité de sang
rendu augmente progressivement.
Les symptômes généraux qui accompagnent l'hémoptysie sont autant d'ordre
moral que d'ordre physique. Chacun sait la terreur piofonde qui s'empare du
malade à la vue du sang qui s'échappe de sa poitrine, surtout s'il en est à sa
première hémoptysie. La pâleur de sa face, le tremblement et l'accélération de
son pouls, parfois même la syncope qui termine le tout, peuvent être aussi bien
le résultat d'une imagination alarmée que l'effet de la perte du sang, surtout
lorsque celte perte n'est pas considérable. Toutefois, si l'hémorrhagie est très-
abondante, elle peut par elle-même provoquer ces mêmes symptômes.
524 HÉMOPTYSIE.
Chez certains malades l'hémoplysie, sans être critique dans le vrai sens du
mot, amène un véritable soulagement en mettant fin à la dyspnée et à l'angoisse
qui précèdent l'Iiémorrliagie. D'autres lois la dyspnée persiste malgré l'hémoptysie.
La fièvre manque le plus souvent dans l'hémoptysie. Lorsqu'elle existe, elle
est tantôt antérieure, tantôt consécutive à l'hémorrhagic et ne dépend pas d'elle,
mais des poussées inflammatoires qui accompagnent ou qui suivent son explo-
sion. La température, dans ces cas, dépasse rarement 39 à 40 degrés le soir et
38 degrés le matin.
La (jnantilé du sang fourni pa.' l'hémoptysie varie à l'infini : elle peut se
réduire à un ou plusieurs crachats sanglants pesant à peine quelques grammes,
comme elle peut s'élever à plusieurs livres. Laennec parle d'un jeune homme
qui rejeta 5 kilogrammes de sang en vingt-quatre heures et d'un autre malade
qui en rendit 50 livres en quinze jours, mais ce sont là des faits exceptionnels.
En général, le sang rejeté par l'hémoptysie est aéré, vermeil, spumeux, quelque
peu dil'lluent. Toutefois ces caractères ne sont pas toujours aussi tranchés. Ainsi
le sang, alors même qu'il vient des artères bronchiques, peut être noir d'emblée,
s'il est peu abondant et s'il a séjourne pendant quelque temps dans les bronches,
sans subir le contact de l'air. Du reste, à la fin de toute hémoptysie, le sang,
qu'elle qu'ait été sou abondance au début, prend une couleur noirâtre parce que
les derniers crachats ont séjourné plus ou moins longtemps dans les bronches.
L'état spumeux du sang ne dépend que du mélange de ce liquide avec l'air,
mélange qui s'opère j)lusou moins facilement suivant la quantité de sang rejetée
et suivant la promptitude avec laquelle s'échappe le liquide. S'il est en petite
quantité, il n'est pas spumeux, mais, lorsqu'il s'échappe brusquement et abon-
damment, il se brasse avec l'air des bronches et devient spumeux lors même que
l'hémorrhagie est parenchymateuse (Trousseau).
Les signes slélhoscopiques de l'hémoptysie tuberculeuse sont de peu d'impor-
tance et manquent le plus souvent. La poitrine reste presque toujours sonore, la
respiration est parfois voilée ou plus rude ; assez souvent quelques râles rauqueux
ou sous-orépitants s'entendent vers la racine des bronches. Ces râles peuvent tenir
aussi bien aux tubercules qu'à l'hémorrhagie. Pour qu'ils eussent de la valeur, dit
avec raison Trousseau, ils devraient s'entendre seulement avant l'hémoptysie et
ne plus se reproduire après sa cessation.
Dans l'hémoptysie d'origine cardio-vasculaire ou parenchymateuse, l'ausculta-
tion ne donne le plus souvent que des résultats négatifs. Avec les noyaux liémor-
rhagiques disséminés et profonds, la matité fait défaut et elle n'apparaît qu'au
niveau des infarctus volumineux et superficiels. L'absence du murmure respira-
toire signalée par Laennec au niveau des noyaux peut être constatée tout au
plus dans les foyers superficiels, et quant au râle crépitant du même auteur, il
manque le plus souvent. Plus fréquemment on entend des râles sibilants, ron-
flants ou muqueux. qui paraissent dépendre plutôt de la bronchite que d'une
hémorrhàgie. Gendriii, Walshe, etc., ont constaté parfois du souflle tubaire au
niveau des noyaux volumineux. Nous l'avons rencontré nous-nième dans un cai
d'hémoptysie d'origine cardiaque concurremment avec des râles crépitants tins qui
auraient pu faire croire à une pneumonie, si la fièvre n'avait fait défaut.
Marche. Durée. Tkrmi.\aisoiv. La marche de l'hémoptysie varie avec la
cause qui la détermine et avec les individualités. Tel a des crachats peu abon-
dants, des gorgées de sang se reproduisant pendant quelques jours; tel autre
qui tout d'abord n'a rendu que quelques crachats isolés vomit plus taid de
HÉMOPTYSIE. 525
flots de sang, puis l'hémoptysie diminue petit à petit el se termine par des cra-
chements noirâtres, plus ou moins mêlés de mucosités rappelant celles de la
pneumonie ; tel autre encore a d'emblée une hémoptysie très-abondante dont la
durée ne dépasse pas un jour. Enfin il arrive parfois que les crachats sanglants
se prolongent pendant des semaines et des mois et se i-eproduisent sans cause
connue ou à la suite d'un effort, d'une quinte de toux, etc. Quelquefois les
crachements de sang surviennent pendant plusieurs semaines au moment du
réveil. Ils seraient alors le résultat d'une hyperémie passive qui s'exaspère
pendant le sommeil, mais qui disparaît à la longue avec le ralentissement du
processus tuberculeux (Sokolowski).
Au bout d'un temps variable l'hémoptysie s'arrête spontanément ou sous l'in-
fluence du traitement. Rarement elle est incoercible, rarement aussi elle est
unique. Ordinairement elle se reproduit à plusieurs reprises, à intervalles irré-
guliers ou bien mensuels, si elle dépend de la déviation des règles. Dans la
tuberculose, l'hémoptysie est tantôt unique, tantôt à répétition. Chez les hémo-
philes elle peut persister pendant de longues années jusqu'à guérison de la
dialhèse ou jusqu'à épuisement mortel (Jaccoud).
Du reste, l'hémoptysie détermine rarement la mort, à moins qu'elle ne soit
•excessivement abondante et qu'elle ne provienne de la rupture d'un aiiévrysme
de l'aorte ou d'une déchirure violente du poumon par un foyer hémorrhagique.
Dans ces cas elle tue par asphyxie plutôt que par épuisement.
La phthisie, nous l'avons dit dtîjà, est l'aboutissant ordinaire, mais non fatal,
■de l'hémoptysie tuberculeuse. Les malades peuvent se rétablir passagèrement
ou même définitivement après une ou plusieurs hémorrhagies. Rarement les
signes physiques de la tuberculose éclatent après une première hémoptysie.
Diagnostic. Une hémoptysie étant donnée, il s'agit de savoir : 1° si elle pro-
vient l'éellement des voies aériennes et non d'un organe voisin ; 2» quels en sont
le siège et l'origine. En d'autres termes, il faut faire le diagnostic différentiel
€t le diaguostio de la cause.
a. Diagnostic différentiel. La stomaiorrhagie ne peut être confondue avec
l'hémoptysie que si pendant le décubitus dorsal le sang vient à tomber dans le
pharynx et à être rejeté à travers la bouche par les secousses de toux qu'il
provoque. Dans les cas douteux il suffit, pour éviter l'erreur, de faire pencher en
avant la tête du malade : la toux cessera immédiatement. Du reste, l'examen
attentif de la bouche finit presque toujours par faire découvrir le point où siège
l'hcmorrhagie.
L'épislaxis peut simuler une hémoptysie, lorsque le sang s'échappe exclusi-
vement par les fosses nasales postérieures et que, mêlé de bulles d'air, il est
chassé de l'arrière-gorge à travers la houche par une toux continuelle, mais, dans
-ce cas, il est rare qu'on ne trouve pas un peu de sang dans les narines anté-
rieures; de plus, en inclinant Ja tête du malade en avant, on fait écouler le
sang par le nez et l'inspection de l'arrière-gorge laisse voir des trahiées de sang
descendant des narines dans le pharynx. D'ailleurs, l'épistaxis, quelle qu'en soit
l'abondance, ne s'accompagne ni de dyspnée ni de bouillonnement, et le sang
qu'il fournit est noirâtre et peu ou point mêlé d'air.
Uhématémèse se distingue en général sans grande difficulté de l'hémoptysie.
Dans celle-ci, le sang est habituellement vermeil, spumeux, iluide, rejeté par
expectoration et avec des secousses de toux; dans l'hématémèse il est noir, en
partie coagulé, mêlé d'aliments, expulsé par des efforts de vomissement, etfré-
326 HEMOPTYSIE.
quemmcnt les selles sont sanglantes. Il y a néanmoins des exceptions capables
(l'obscurcir le diagnostic. Ainsi, lorsque le sang de rbématémèse n'a pas séjourné
longtemps dans l'estomac, il peut être vermeil et pur comme dans l'hémoptysie
broncliique. D'un autre côté, la titillation de la luette par le sang venant des
bronches est susceptible de déterminer de véritables vomissements alimentaires
comme dans l'hématémèso. Enfin, si le sang vient à passer des bronches dans le
pharynx et dans l'estomac, il peut en résulter des selles sanglantes. Sans doute,
l'hémoptysie s'accompagne habituellement de douleurs pectorales, de dyspnée,
l'hématémèse de douleurs épigastriques sans signes stélhoscopiques, mais, lorsque
ces symplômcs viennent eux-mêmes à l'aire déi'ant, le diagnostic ne devient pos-
sible qu'autant qu'on a pu constater d'une manière certaine la cause généra-
trice de l'hémorrhagie.
Dans certains pays, il arrive parfois que de très-petites sangsues avalées avec
l'eau qui les renferme vont se fixer dans les profondeurs du pharynx oii elles
grossissent et se développent lentement en se gorgeant de sang; leur trop-plein
s'échappe alors sous Ibrme d'une hémorrhagie intermittente capable de simuler
une hémoptysie. Nous avons observé un exemple de ce genre pendant notre
séjour en Algérie. Un militaire presque aphone et qui avait singulièrement
dépéri et p;di rendait journellement depuis six semaines des crachats sanglants
et noirs accompagnés de toux. L'examen de la poitrine étant resté négatif, on
crut à une phthisie laryngée, lorsqu'un jour le malade, après avoir fumé, rendit
dans un effort de vomissement une énorme sangsue gonflée de sang. L'hémor-
rhagie s'arrêta dès le lendemain, l'aphonie, due sans doute à la compression du
larynx par la sangsue, disparut au bout de quelques jours. Dans les hémoptysies
d'origine douteuse, il est donc bon, surtout dans certains cas, d'inspecter scru-
puleusement l'arrière-gorge. Si l'on aperçoit la sangsue, on l'extraira avec des
pinces, et, si elle est invisible, son expulsion par la fumée de tabac ou par des
saraarismes d'eau salée lèvera tous les doutes.
b. Diagnostic de la cause et du siège. La tuberculose pulmonaire et les
affections de l'appareil circulatoire étant les deux causes les plus fréquentes de
l'hémoptysie, c'est sur ces causes que nous nous appesantirons plus spécialement.
L'hémoptvsie de la tuberculose a été appelée par Laennec hémoptysie bron-
chique, comme ayant sa source dans les artères de la muqueuse des bronches.
11 en est ainsi pendant la période de crudité des tubercules, mais, dans la période
caverneuse, le sang, nous l'avons vu, vient de l'artère pulmonaire. 11 serait
donc plus juste d'appliquer à ces hémoptysies le terme générique d'hémoptysie
tuberculeuse.
L'hémoptysie liée aux affections du cœur et des vaisseaux pulmonaires se
traduit dans le poumon par des infarctus et des foyers hémorrhagiques, par une
infiltration du parenchyme appelée à tort apoplexie pulmonaire. Nous l'appel-
lerons indifféremment hémoptysie cardio-vasculaire d'après ses origines et
hémoptysie parenchymateuse ou pulmonaire d'après son siège anatomique.
Le sanw de l'hémoptysie tuberculeuse est généralement aéré, vermeil et
spumeux, celui de l'hémoptysie parenchymateuse est presque toujours noirâtre,
ocreux ou couleur de jus de réglisse, peu ou point spumeux, d'une odeur parfois
ai-^relette (Guéneau de Mussy). D'après Graves, le sang de l'hémorrhagie bron-
chique serait toujours rouge, à moins qu'il n'ait séjourné longtemps dans les
bronches; celui de l'hémorrhagie parenchymateuse serait constamment noir et
ne deviendrait rouge que s'il a été aéré au contact de l'air dans les alvéoles. Cette
HÉMOPTYSIE. 527
distinction n'est pas réalisable dans la pratique, comme le dit avec raison
M. Jaccoud, ni suffisante en théorie.
En effet, dans la période ulcéreuse de la pluliisie, l'hémoptysie, quoique
tuberculeuse, fournit du sang noir purce qu'elle provient non des artères bron-
chiques, mais de l'artère pulmonaire, qui ne contient que du sang noir. D'un
autre côté, dans l'hémoptysie parenchymateuse, la coloration noirâtre du sang
lient plus à son séjour prolongé dans les bronches qu'à son origine vasculaire, et
c'est pour ce motif que dans le cas d'une embolie pulmonaire le sang cxtravasé
est très-souvent noir, bien qu'il ait alors sa source dans les veines pulmonaires
qui charrient du sang rouge. Enfin, dans certaines hémoptysies, le sang peut
provenir à la fois des artères bronchiques et des artères pulmonaires. De là des
nuances intermédiaires entre le rouge et le noir. De tout cela il résulte que la
coloration du sang n'a aucune valeur diagnostique, comme l'a si bien établi
Trousseau. 11 en est de même de son état spumeux qui, nous l'avons dit, ne
dépend le plus souvent que de l'abondance et de la vitesse plus ou moins grandes
de l'écoulement sanguin.
L'hémoptysie tuberculeuse serait, d'après Laenncc, toujours moins abondante
que l'hémoptysie parenchymateuse ou cardio-vasculaire. Cette assertion est trop
absolue, car, s'il est des hémoptysies tuberculeuses peu considérables, il en est
aussi qui foudroient le malade par leur abondance. Généralement copieuse,
lorsqu'elle est initiale ou prodromique, l'hémoptysie tuberculeuse l'est beaucoup
moins dans la tuberculose confirmée et prend parfois des proportions énormes
dans la période ultime ou cavitaire. L'hémoptysie parenchymateuse est presque
toujours peu abondante, contrairement à l'assertion de l^aennec (Duguet) ; elle
est un symptôme tardif et terminal des affections cardiaques, tandis que l'hémo-
ptysie tuberculeuse ouvre généralement la scène dans la maladie dont elle relève.
Dans l'hémoptysie tuberculeuse, l'éruption du sang, annoncée habituellement
par des signes précurseurs, s'opère facilement et rai)idement et dure en général
peu longtemps. L'hémoptysie cardio-vasculaire, au contraire, débute généra-
lement d'une façon brusque et sans prodromes. Le crachement est lent et se
fait par petites quantités à la fois, 10 à 120 grammes dans vingt-quatre heures,
et cela pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines. Cette persistance de l'hé-
moptysie est, d'après Grisolle, un signe des plus importants, si bien que du
sang rejeté sans interruption pendant un septénaire indiquerait à coup sur,
d'après cet auteur, l'existence de noyaux apoplectiques.
L'hémoptysie tuberculeuse s'accompagne ou est suivie souvent d'un élat
fébrile lié aux poussées inflammatoires qui, elles-mêmes, accompagnent ou sui-
vent l'hémorrhagie. Dans l'hémoptysie parenchymateuse, au contraire, la fièvre
manque constamment d'après Duguet et, lorsqu'elle existe, elle procède non de
l'hémorrhagie même, mais de l'affection qui a donné naissance à cet accident.
L'hémoptysie parenchymateuse s'accompagne habituellement d'une dys[inée
subite portée parfois jusqu'à l'orthopnée avec douleurs thoraciques profondes
et obtuses. Duguet fait de cette dyspnée concomitante le meilleur signe de
l'hémorrhagie parenchymateuse.
L'hémoptysie qui relève d'une embolie pulmonaire est au contraire précédée
d'un accès de dyspnée subit avec battements irréguliers et tumultueux du cœur,
cyanose ou pâleur faciale, refroidissement des extrémités. Dans les hémoptysies
tuberculeuses la dyspnée n'est ni si constante ni si marquée et elle disparaît
souvent par le fait même de la déplétion sanguine.
328 HÉMOPTYSIE.
Tels sont les caractères différentiels de l'Iiémoptysie tuberculeuse et de
riiémoptysie parencliymateuse. Ces caractères peuvent suffire quelquefois à eux
seuls pour faire reconnaître la source et le siège anatomique de l'hémorrhagie,
mais ils sont tellement variables que, dans la plupart des cas, le diagnostic delà
lésion hémorrliagipare serait impossible, s'il n'était éclairé par les antécédents
du malade, par l'examen de l'ensemble symptomatique et par les conditions
organiques de l'appareil cardio-pulmonaire.
Du reste, aujourd'hui le microscope vient en aide au diagnostic de l'hémo-
ptysie tubercruleuse. D'après M. G. Sée, la présence des bacilles de Koch dans
les crachats sanglants permettrait d'affirmer sûrement l'origine tuberculeuse de
l'hémorrhagie. lliller, Cramer, Strauss, Hugueney et d'autres ont diagnostiqué
ainsi chez des sujets sains en apparence la nature tuberculeuse des hémoptysies
même initiales.
L'hémoptysie qui siège dans le larynx et dans la trachée ne se distingue pas
sans peine de l'hémoptysie bronchique. On a dit que l'hémoptysie laryngée se
produit surtout le matin, au réveil, en donnant issue à du sang rouge, spumeux,
plus ou moins coagulé (s'il vient des ventricules), tantôt et le plus souvent à
des mucosités sanguinolentes rejetées ordinairement sans toux violente et par
expuition.
Quant au sang originaire de la trachée, il serait généralement en petite
quantité, mêlé de stries et rejeté sans effort et par expuition (Double). Ces dis-
tinctions plus suhliles que cliniques n'ont pas grande utilité et le diagnostic de
la lésion hémorrliagique du larynx se fera plus sûrement à l'aide du laryngo-
scope que d'après l'aspect et le mode d'expulsion du sang.
Pronostic. L'hémoptysie n'est pas grave par elle-même, à moins qu'elle ne
soit foudroyante et déterminée par la rupture d'un gros vaisseau ou d'un ané-
vrysme de l'aorte. Elle s'arrête presque toujours spontanément et offre rarement
un danger immédiat. Sa gravité dépend des lésions dont elle est le symptôme et
qui, elles, sont presque toujours sérieuses par elles-mêmes. L'hémoptysie bron-
chique, en effet, se relie presque constamment à la tuberculose pulmonaire,
l'hémoptysie parenchymateuse aux affections du cœur.
L'hémoptysie peut devenir grave par son abondance, en ce sens que, sans
déterminer la mort, elle laisse à sa suite un degré de faiblesse et d'anémie
propres à hâter la terminaison fatale.
Le pronostic éloigné de l'hémoptysie tuberculeuse est plus grave que son
pronostic immédiat. Lorsqu'elle se renouvelle cinq à dix fois pendant un grand
nombre d'années, sans autre conséquence, elle devient moins inquiétante
(Chomel et Reynaud). On cite des personnages, tels que Grétry et Gerdy, qui,
malgré de nombreuses hémoptysies, n'en sont pas moins arrivés à un âge avancé,
mais ce sont là des faits tout à fait exceptionnels et le plus souvent les hémo-
ptysies répétées aboutissent à la phlhisie.
Lorsque la toux éclate et persiste après l'hémoptysie, c'est un mauvais signe.
La gravité de l'hémoptysie parenchymateuse n'est pas subordonnée à son
abondance, mais au nombre et à l'étendue des foyers hémorrhagiques. Si
l'hémoptysie survient dans le cours d'une affection du cœur, elle indique tou-
jours que cette affection a atteint sa dernière limite et que la gène circulatoire
est arrivée à son comble. Grisolle croit l'hémoptysie parenchymateuse toujours
mortelle, mais c'est plutôt l'affection dont elle dépend qui compromet la vie.
Dauvei'gne a vu deux cas d'hémorrhagie pulmonaire non suivis de mort.
HÉMOPTYSIE. 329
L'hémoptysie des fièvres graves est toujours un symptôme fâcheux.
L'hémoptysie supplémentaire n'est elle-même pas inoffensive, puisqu'elle
peut se lier à une tuberculose déjà existante ou la déterminer, en cas de prédis-
position, par les congestions mensuelles qu'elle provoque dans le poumon.
Y a-t-il des hémoptysies critiques? Cette question n'est pas tranchée, et les
observations cliniques propres à la résoudre sont aussi rares que peu probantes.
S'il est des hémoptysies qui n'aggravent pas la maladie dont elles sont le sym-
ptôme, il est dilfieile d'en citer qui aient amené la guérison de telle ou telle
affection, en jouant le rôle d'une crise. 11 en est cependant qui, sans être vérita-
blement critiques, sont salutaires, en ce sens qu'elles amènent un soulagement
incontestable en mettant fin à la dyspnée congestive. Chacun a pu constater ce
fait dans la tuberculose pulmonaire. On a cité aussi certains pléthoriques que
soulageaient des hémoptysies périodiques et qui malgré de nombreuses hémor-
rhagies ont pu atteindre un âge très-avancé. Nous en avons vu un exemple frap-
pant chez un homme de constitution vigoureuse et très-sanguine qui depuis de
longues années avait une ou deux fois par an des crachements de sang abondants.
Cbaque hémoptysie mettait fin chez lui à une céphalalgie intense accompagnée
de congestion de la face. Lorsqu'en temps utile il se faisait appliquer des
sangsues à l'anus, il évitait du même coup et sa céphalalgie et son hémoptysie.
11 mourut à l'âge de soixante-cinq ans d'une congestion cérébrale.
Traitement. « L'hémoptysie, a dit avec raison Pidoux, fait le désespoir et la
confusion de la thérapeutique. Le grand nombre de moyens qu'on a vantés contre
elle prouve bien qu'il n'y en a pas qui soit d'une valeur sûre ». En effet,
tantôt les agents les plus puissants échouent là où réussiront ensuite les
remèdes les plus anodins; tantôt on épuise toute une série de médications, et
c'est la dernière employée qui emporte les honneurs de la cure, bien qu'elle n'y
soit pour rien. Tout cela parce que l'hémoptysie est extrêmement inégale dans
sa durée et exceptionnellement mortelle et que le plus souvent, alors même
qu'elle est très-abondante, elle guérit aussi bien abandonnée à elle-même qu'at-
taquée à outrance par des remèdes parfois plus nuisibles qu'utiles. Est-ce à dire
que les moyens dont nous disposons soient tous également inefficaces et qu'il
faille rester inactif en face d'un malheureux (jui crache le sang? Non, il n'est
pas permis de se croiser les bras devant un malade terrifié, devant des parents
inquiets et prêts à suppléer à l'inaction du médecin par un empirisme grossier
et quelquefois pernicieux. Il appartient dès lors à la sagacité du praticien de
choisir parmi les nombreuses médications préconisées contre l'hémoptysie celles
dont l'action est à la fois la moins incertaine et la moins nuisible. Examinons
rapidement la valeur de ces médications dont les principales sont les narcotiques,
les astringents, les médicaments cardio-vasculaires, etc.
a. Les révulsifs tels que les pédiluves, les maniluves, les sinapismes, les
applications de linge très-chaud (Taylor), les ventouses, dont le but est d'attirer
le sang du poumon vers la périphérie, peuvent suffire, conjointement avec les
moyens hygiéniques, à mettre fin à une hémoptysie peu abondante, mais ils
seraient impuissants à arrêter à eux seuls une hémorrhagie considérable. La
ventouse Junod, la hgature des membres, sont des révulsifs puissants appli-
cables dans les hémoptysies très-abondantes ou rebelles. Le vésicatoire loco
dolenti vanté par Jaccoud, ainsi que les pointes de feu, nous paraissent rarement
utiles. Les pointes de feu, loin d'arrêter l'hémoptysie, sont même capables de
la provoquer, surtout chez les arthritiques et les nerveux (Renault). Ce sont des
330 HÉMOPTYSIE.
moyens à action généralement lente, plus efficaces contre le processus inflani-
maloirepérituberculeux que contre l'hémoptysie elle-même.
La saignée est, elle aussi, un révulsif, en ce sens que éloignant du poumon et
(lu système circulatoire général une partie de la masse sanguine, elle prévient
ainsi la rupture d'autres vaisseaux. A ce titre, elle est rarement indiquée dans
les hémoptysies tuberculeuses qui, elles, s'accompagnent plus souvent d'anémie
que de pléthore, mais elle peut rendre de grands services, comme nous le
verrons, dans les hémoptysies d'origine cardio-vasculaire.
b. Les narcotiques et particulièrement l'opium porté à la dose de 25 à 40 centi-
grammes d'extrait, ont été vantés par Graves, Béhier, Jaccoud, Dumas (de Mont-
pellier), etc. Graves regarde l'opium comme un styptique puissant. Nous l'avons
expérimenté nous-même bien souvent et nous serions en peine de mettre un
vrai succès à son actif. Son seul et vrai avantage est de diminuer les secousses
de toux, partant de mettre la poitrine au repos et de contribuer ainsi indirec-
tement à l'hémostase. On peut en dire autant de la belladone et du bromure de
potassium.
c. Les axtringenta usités contre l'hcmoptysie comprennent particulièrement
le sous-acélatc de plomb vanté par Graves, le ratanliia, « remède aussi classique
qu'inefficace » (Peter), le perchlorure de fer, qui irrite souvent l'estomac et pro-
voque des vomissements, etc. Ces agents arrêteraient l'hémoptysie en rendant le
sang plus plastique et plus coagulable. Théorie pure et que la clinique ne con-
firme pas. Du reste, avant de se mêler au sang, ces médicaments ne sont-ils pas
décomposés dans les voies digestives? Mais, quand même ils conserveraient
jusqu'au bout leurs propriétés styptiques, il leur faudrait, pour agir sur le point
hémorrhagipare, convertir préalablement la masse sanguine en un immense
boudin, suivant l'expression spirituelle de M. Peter.
Aux astringents appartient aussi la glace, très-employée par les Allemands en
application sur la poitrine. En théorie, la glace est contre-indiquée, car elle
tend à refouler le sang des téguments vers le poumon ; dans la pratique, si elle
n'est pas nuisible, elle est loin en tout cas d'agir avec la rapidité et l'eflicacité
qu'on lui attribue en Allemagne. ^Jous ne l'avons pas vue, quant à nous, réussir
plus souvent que nombre d'autres moyens réputés moins puissants qu'elle.
d. Médicaments cardio-vasculaires. Ils iniluencent directement le cœur
ou les vaisseaux dont ils provoquent la contraction. Tels sont l'ergot de seigle,
les vomitifs, la digitale, les trois agents dont l'action anti-hémoptoïque est la
moins contestable.
L'ergot de seigle et son dérivé l'ergotinc n'ont pas, il est vrai, sur le poumon,
l'action élective qu'ils exercent sur l'utérus, mais on ne saurait leur contester
une influence fréquemment heureuse, quoique peu durable, sur l'hémoptysie.
L'ergot, comme Holms l'a démontré le premier en 1870, contracte les vaisseaux,
diminue leur calibre et les anémie; il paraît agir directement sur la fibre
musculaire lisse sans l'intermédiaire du système vaso-moteur (Peton). L'ergot
et l'ergotine sont doués d'une activité à peu près identique. L'ergotine injectée
sous la peau nous a paru en général agir plus promptement, mais non plus
sûrement, que lorsqu'elle est prise par la bouche.
Les vomitifs et l'ipéca en particulier, déjà vantés contre l'hémoptysie par
Raglivi et Stoll et popularisés par Trousseau, sont doués d'une action hémosta-
tique remarquable. Malheureusement, ce moyen redouté du malade et de son
entourage est pour cela même moins utilisable dans la pratique civile que dans
HÉMOPTYSIE. 531
les hôpitaux. Les vomitifs, selon Peter, grâce aux efforts respiratoires qu'ils
provoquent, introduiraient une grande quantité d'air dans les vésicules et ten-
draient à refouler mécaniquement le sang en comprimant la surface des vésicules,
mais, comme l'état nauséeux suffit à lui seul pour arrêter l'hémoptysie, c'est
moins dans une action purement mécanique qu'il faut placer la cause de
l'hémostase que dans une impression spéciale exercée sur la muqueuse gastrique,
propagée de là au centre nerveux sympathique, puis réfléchie par les ganglions
du système vaso-moteur (Gubler). De là la contraction des vaisseaivx, la petitesse
du pouls et la pâleur des téguments, de là aussi l'hémostase.
Si l'ergot et les vomitifs influencent les vaisseaux, la digitale influence le
cœur et peut contribuer à arrêter les crachements de sang, en ralentissant et
en régularisant la circulation. Mais, comme nous le dirons plus loin, son
influence est plus évidente dans l'hémoptysie d'origine cardiaque que dans celle
de la tuberculose. Le Convallaria maialis, la caféine, etc., sont comme la
digitale des toniques du cœur et, à ce titre, ils peuvent, eux aussi, exercer une
action favorable sur l'hémoptysie.
Aux moyens rationnels que nous venons d'énumérer il faut ajouter un certain
nombre d'agents empiriques. Tels sont : le copahu et les térébenthines, qui
eurent dans la composition des eaux de Léchelle, de Tisserand, etc., médication
vantée par les uns, lejetée par les autres, au demeurant fort infidèle; la
terpine, dérivé de la térébenthine et vantés récemment par G. Sée, comme
dessiccant et comme constricteur des vaisseaux de la muqueuse bronchique, le
sel de cuisine, préconisé par les Anglais, l'extrait de guy de chêne, la teinture
de chardon-marie, employée en Russie par Lesenewich et d'autres, autant de
médicaments dont la valeur n'est pas encore sanctionnée par l'expérience, etc.
Telles sont les armes dont nous disposons contre l'hémoptysie. En somme,
nos ressources sont bien restreintes, car seuls l'ergot de seigle et les vomitifs
paraissent susceptibles d'influencer directement la circulation pulmonaire.
Viennent ensuite sur un plan inférieur et dans l'ordre de leui' activité : la
saignée, la digitale et enfin les révulsifs. Examinons maintenant les indications
et le mode d'emploi de ces différents moyens suivant la cause et suivant la
gravité de l'hémoptysie.
Et d'abord il est un certain nombre de moyens généraux et hygiéniques
applicables à toute hémoptysie, quelle qu'en soit l'origine. Ainsi, avant tout
on cherchera à calmer la terreur du malade, en évitant de paraître ému soi-
même, en l'assurant qu'on ne meurt pas d'hémoptysie, que celle dont il souffre
peut devenir une crise salutaire, etc. Avec un peu de tact et d'habileté, il est
rare qu'on ne parvienne pas à calmer le patient et son entourage. Le malade
sera placé dans un endroit frais et aéré, dans la position demi-assise, la tête
reposant sur des oreillers de crin. Il évitera tout effort, tout mouvement brusque,
résistera autant que possible au besoin de tousser et gardera le silence le plus
absolu. Enfin, il ne prendra que des boissons glacées et acidulés et des aliments
froids-
Hemophjsie tuberculeuse. Dans la période de crudité ou antécavitaire de
la tuberculose, lorsque l'hémorrhagie est peu abondante et ne consiste que dans
l'émission successive et plus ou moins durable de quelques crachats sanglants,
les moyens hygiéniques que nous venons d'énumérer joints à un peu d'opium
pour calmer la toux suffisent le plus souvent pour enrayer l'hémoptysie. Celle-ci
se prolonge-t-elle ou devient-elle plus abondante, sans être excessive, on recouiTa
532 HÉMOPTYSIE.
aux révulsifs et au besoin au seigle ergoté (1 à 3 grammes par jour jusqu'à
apparition de fourmillements dans les doigts et dans les orteils) ou à l'ergotine,
1 à 4 grammes à l'intérieur dans les vingt-quatre heures, ou bien i gramme
en injection sous-cutanée de la solution suivante :
Ergotuie 2
Eau I
Glycérine i
(Moutard-Martin.)
L'ergotinine, bien plus active que l'ergotine, est, pour cela même, plus
difficile à manier. On peut la donner à l'intérieur à la dose d'un quart de milli-
gramme à un milligramme et demi ou en injection sous-cutanée : 3 à 10 gouttes
d'une solution de un milligramme pour un centimètre cube d'eau (Tanret).
Dans la période ultime de la plilliisie pulmonaire, l'hémoptysie se reproduit
souvent malgré tout et menace parfois la vie du malade par son extrême abon-
dance. Comme l'héniorrhagie, dans ces cas, provient de la rupture des petits
anévrysmes de l'artère pulmonaire, les vomitifs et les nauséeux se trouvent
parfaitement indiqués, puisqu'ils ont pour effet de ralentir la circulation, de
diminuer les contractions du cœur et de favoriser ainsi la formation du caillot
hémostatique. Lu digitale, il est vrai, ralentit elle aussi la ciiculation, mais
comme elle renfozxe en même temps les contractions cardiaques, son emploi
nous paraît moins justifié que celui des nauséeux. Quant à l'ergotine, qui se
borne à contracter les fibres musculaires des artérioles sans ralentir la circula-
tion, elle ne saurait contribuer à la formation du caillot obturateur de la fissure
anévrysmale (Poupon).
Trousseau donnait la poudre d'ipéca à la dose de 3 à 4 grammes dans les
vingt-quatre heures, de manière à produire de violents vomissements. Nous
préférons avec M. Peter donner l'ipéca, le tartre stibié ou même le kermès à
doses fractionnées de dix en dix minutes, de façon à ne déterminer qu'un état
nauséeux, ce qui suffit pour inlluencer l'hémorrhagie.
Si l'hémoptysie résiste même aux vomitifs et aux nauséeux, ce sera le cas de
recourir à la ventouse Junod ou à la ligature des membres.
Contre l'hémoptysie tuberculeuse fébrile, M. Jaccoud conseille les vomitifs,
tandis que M. Peter les proscrit d'une manière formelle. Nous estimons que le
traitement de l'hémoptysie fébrile ne doit guère différer de celui de l'hémoptysie
apyrétique. Du reste, l'hémorrhagie compliquée de fièvre affecte une marche
cyclique que les moyens les plus puissants ne parviennent généralement pas à
enrayer. Mieux vaut donc ne pas fatiguer le malade par des médications trop
énergiques et s'en tenir aux moyens hygiéniques, aux moyens doux et même à
l'expectation. Seul le seigle ergoté associé au sulfate de quinine nous a rendu
quelques services dans les hémoptysies fébriles d'une certaine abond.uice (ergot
de seigle 2 grammes, sulfate de quinine 1 gramme, en 4 doses, de trois en trois
heures). Du reste, le sulfate de quinine s'adresse lui aussi quelque peu à la con-
tractilité des vaisseaux. Ce^ deux médicaments réunis trouvent encore leur
indication dans ces hémoptysies rebelles qui se reproduisent périodiquement et
surtout le matin.
Hémoptysies d'origine cardiaque et vascidaire. Les crachements de sang
liés aux affections du cœur sont les seuls qui, à notre avis, justifient l'emploi
des émissions sanguines. Celles-ci sont indiquées surtout lorsque l'hémorrhagie
s'accompagne d'une dyspnée considérable et de cyanose. Une saignée faite en
HÉMOPTYSIE. 533
temps utile suffit pour diminuer la prcLsion inlra-vasculaire et pour mettre fm
à la stase sanguine cause de l'hémoptysio.
La digitale, qui renforce et régularise l'action du cœur, trouve, elle aussi, son
emploi dans l'hémoptysie cardiaque, suite d'asystolie; mais, lorsque l'hémor-
rhagie met la vie en danger par son abondance, nous préférons la saignée à la
digitale, dont l'action ne se fait sentir liabituellcment qu'au bout de vingt-quatre
à quarante-huit heures. Saignée et digitale sont à rejeter, si déjà la cachexie
cardiaque s'est déclarée. Elles seraient dès lors plus nuisibles qu'utiles et
devront céder la place à la caféine, aux stimulants et aux alcooliques (vin de
Madère, alcool, etc.). Tous ces moyens n'excluent pas l'emploi des révulsifs
puissants, surtout si l'Iiémorrhagie est excessive et rebelle. Les vomitifs, les
affusions froides conseillées par Laennec, l'application de la glace sur la poi-
trine, ne nous paraissent indiqués que dans les cas très-graves et lorsque les
moyens précités sont restés sans effet.
L'hémoptysie suite d'embolie pulmonaire comporte elle aussi l'emploi de la
saignée et de la digitale pour combattre la stase sanguine et régulariser la cir-
culation. Du reste, l'hémoptysie par embolie est rarement grave et inquiétante
et son traitement se confond avec celui de l'embolie elle-même.
L'hémoptysie des fièvres graves adyuamiques due à la rupture des capillaires
pulmonaires altérés réclame l'usage des stimulants, des toniques, des boissons
acidulés, au besoin l'emploi des révulsifs et du seigle ergoté. Le traitement des
hémoptysies liées au scorbut et au purpura est celui de ces affections mêmes.
Hémoptysie intermittente. Le sulfate de quinine est, cela va sans dire, le
remède spécifique et presque toujours efficace de l'hémoptysie d'origine palu-
déenne.
Hémoptysie supplémentaire. Ici l'indication capitale est de ramener vers
ses voies naturelles le flux menstruel dévié vers les poumons. Nous ne croyons
pas qu'il faille respecter cette hémoptysie, comme on l'a conseillé, la congestion
mensuelle des poumons étant, nous l'avons vu, susceptible de favoriser l'éclo-
sion de la tuberculose chez les personnes prédisposées à cette affection. Pour
rappeler le flux menstruel vers l'utérus, on appliquera à l'époque des règles
quelques sangsues au haut des cuisses, aux genoux ou à l'anus; on donnera en
même temps des emménagogues et des pédiluves sinapisés; enfin on traitera
l'état général ou l'affection utérine cause de la déviation menstruelle.
Traitement prophylactique. La prophylaxie de l'hémoptysie se confond
avec celle des différentes affections susceptibles de lui donner naissance. L'hé-
moptysie comporte cependant quelques précautions spéciales qui s'adressent à
ce symptôme même. Pour éviter le retour des crachements de sang, les per-
sonnes qui y sont sujettes devront mener une vie calme et régulière, éviter la
lecture à haute voix, le chant, les efforts musculaires, les milieux surchauffés,
les excès, les marches précipitées, les aliments excitants et en général tout ce
qui est susceptible d'accélérer la circulation et par suite de produire la conges-
tion du poumon. On évitera aussi l'usage des ferrugineux et de l'arsenic, médi-
caments congestifs, partant hémorrhagipares.
Nous avons vu que l'hémoptysie tuberculeuse diminue ou même disparaît
sans retour sous l'influence des altitudes, autant par le fait même de la raré-
faction de l'air que parce que la tuberculose elle-même est susceptible de
s'enrayer par le séjour sur les hautes montagnes. Nous avons connu pour notre
part deux tuberculeux tourmentés par de fréquents crachements de sang et qui
334 IIKMOPTYSIE (bibliographie).
ont vu cesser complolement leurs liémoptysies dès les premiers temps de leur
séjour dans l'Enyadinc suisse que nous leur avions conseillé d'habiter tempo-
rairement. Tous deux étaient atteints d'une tuberculose à forme torpide et
apyrétique, la seule qui paraisse indiquer le séjour des altitudes. Quant à
l'hémoptysie de la phthisie créthique et lebrile, le séjour des hauteurs lui serait
tout à lait préjudiciable d'après M. .laccoud, tandis qu'elle s'accommoderait
mieux des réjjions méridionales et chaudes. Cependant cette règle n'a rien
d'absolu et « le jugement doit être dirigé exclusivement par l'appréciation de la
modalité réactionnelle du malade » (Jaccoud). V. Widal.
Bibliographie. — Pinei, et nmciiETEAU. Dicl. (h.t se. méd. en 60 vol., art. Hémoptysie, 1817,
t. XX. — lîoL'ssET. Des recherchci sur les hémoptysies, 1827. — Laennec. Traite' de l'aus-
cuUation pratique, t. I, p. 103, 5'^ édit., 1851. — Andbal. Clinique médicale, t. IV, 1834.
— CiiOMEL et Reysacd. Dict. de vie'd. en 5(1 roL, arl. Hémoptvsie, 1837, t. XV. — Gexdbin. Traité
pitysiolof/ique de méd. pratique, l'aris, 1838, t. I, p. 130. — Monneret et Fi.eury. Compendium
de médecine, art. Hémoptysie, t. IV, 1841. — II. Guéxeau de Mussï. Sur Vapopl. jnilmonaire.
Thèse, 1844. — TAnniEU. Manuel de patliol. et de cliniq. médic. Paris, 1848. — Béuier. fies
heureii.v effets de l'opium à haute dose contre les liémorrhaqies. In Bull, de la Soc. méd.
des hôpit., 185'J. — ttoKiTAxsKY. Lclirbuch drr pathologisclt. Anatoniie. Vienne, 1864. —
Rilliet et Babthez. Traité cliniq. et praliq. des maladies des enfants, 1861. — Gbaves.
Leçons de cliniq. méd., annotées par Jaccoud, 1862, t. II, p. 101. — Rasmusses (Valdemar).
Von der lltrmoptys. namentlicltder Iclalcn in anatomischcr und klinisclier Deziehitng. 1868.
— Niemeveh. ,I. Einiçjc llrnirrl.ungen iiberdas Verliâltniss der Ilâmoploe zur Lungenschuind-
sucht. In herlincr klinisclie Wocli., 1819. — UinDEB-SANDEBsos. PfUhisis ab hd-moptoe. \i\lhe
Lancet, 1869. — Ch. Boicuabh. De la pathogénie des hémorrh. Thèse d'agré";., 18G9. —
J. M. Castéras. De l'apoplexie pulmonaire. Thèse de Paris, 1869. — Perl et Lipmasx. Expe-
rinientellcr lieitraq zur l.ehre von der Lungeiib/utiing. In Virchow's Archiv. 1870. — N. Feltz.
Traité clinique et expérimental des embolies capillaires. Paris, 1870. — I'eteb. Héinoplys.
tuberc, phthisis ab /urmoptie. Iii Union méd., 187(1, t. I. — Sohmebbrodt. Le sang épanché
dans les voies aériennes a-t-il joué un rôle dans la p7-oduction de la phthisie? In Virchow's
Archiv-, t. XXXV, 1871. — L. Colin. De l'hémoptysie dans les embolies capill. des poumons.
In Gaz. hebdom., 1871. n° 27. — Jaccoud. Traité de palhol. interne, t. II, p. 18, 1872. —
Du MÈjiE, Leçons de cliniq. méd. faites à l'hôpit. I.ariboisière. Paris, 1875, p. 299. — Duguet.
De l'apoplexie pulm. Thèse d'agrég. Paris, 1872. — Pidoux. Études générales etpratiq. sur
la phthisie, p. 119, 1873. — Peter. Leçons de clinique médicale. Paris, 18"5. — II. C. Lom-
bard. Les climats des montagnes considérés au point de vue médical. Genève, 1873. —
Recoil (It.). Traitem. de l'hémoptysie. Thèse de l'aris, 1873. — Yvebt. Élude sur la pathogén.
des liémoptysies. Tlièse de Paris, 1875. — G. Sée. Traitement de l'héinopt. In Gaz. des
hôpit , 1874. — II. Debell. Analyse de cent cas d'hémopt. In Mcdico-chirttrg. Transact.,
t. LXXVIl, 1874. — Trousseau. Clinique méd. de l'Hôtel-Dieu, t.I, p. 606. — Williams (James
[d'Edimbourg]). Ercjot de seigle dans Vhémopl-ijsie. In the Lancet, 15 nov. 1875, p. 696. —
Olivier. De l'apoplc.rie pulmonaire unilatérale. In Arch. gén. de méd., 1875. — G. Sée. De
la forme hémopluiq. des mal. du cœur. In France méd.. 1875, n° 57. — Roli.et (E). Hémopi.
chez les vieillards. In Wiener mediz. Presse, jaiiv. 1873. — Fbaentzel. Deobachtuiigcn iiber
das Vorkomnien grosser Lutigenblutungen, Une Ursachen und Verlauf. in Charité-Annalen,
1875. — Thomas. Hémopt. dans la vieillesse. Thèse de Paris, 1875. — Pinel. Hcmorrh. pulm.
en rapport avec les lés. du cerveau, 1876. — Picot. Les grands processus morbides, t. I,
p. 155 et suiv., 1876. — Carré. De l hémopi. nerveuse. In Archiv. gén. de méd., janv., févr.,
mars 1877. — Powel Douglas. Clin. Lectures on Excavation of ÏAtng in Phthisis. Lecture,
V. In Lancet. décembre 1877. — Balzer. Des hémorrh. pulm. dans la broncho-pneu-
monie. Soc. anat., 1878. — Peter. Du traitement des tubercules. In Bull, gén- de thérap.,
t. XCVI, p. 443, 1879. — Solorowski. Einige prahtiscbe Bemerkungen iiber den Verlauf der
in der Lungenschwindsucht vorkommenden Blutungen. In Deutsche med. IFoc/«.,ii°* 3-5, 1879.
Damaschino. Ilémoplys. foudroy. chez les phtliisiques. In Gaz- des hôpit., n° 52, 1879. —
Balzer. Art. Poimox. Embolie, hémorrhagie pulm., elc. In Nouv. Dict. de méd. et de chirurg.
Brfl^i'g., 1880. — Damaschino. Des hémoptys. chez les phthisiq. In Ga-^. méd. de Paris, n°' 33
et 36, 1881. — Jaccold. Curabililé de la phthisie pulm.; effet des altitudes sur l' hémoptys-,
jggl. — Dauvebgse père. De l' hémopt. et de son traitem. In Bull. gén. de thér., 1. 1, 1881,
p. 484. — DiEDLAFOT. Manuel de pathotog. int., 1881. — Comby. Ilémoplys. survenues au cin-
quième mois de la grossesse. In France médicale, juillet 1881. — Hochard. Hémoptys. arthri-
tiques. Communication à l'Association pour l'avancement des sciences. Rouen, août 1885.
I1Ê>{0RRUAGIE. 535
— Df.boves. Leçons sui- l'ctiologie de la tuberculose. In Semaine médicale, 14 juin 1883. —
Poupos. Des ane'vrysmes de l'artère pulm. et des hémoptys. incoercibles. In France médi-
cale, n°' 56, 57, 58. 1884. — Rethi. Zur Kasuistik der Laryngit. hemorrhag. In Wiener
medic. Presse, 1884, p. 1179. — Stepanow. L'eber Laryngit. hemorrhag. In Monatschr. fur
Heilk., 1884, p. 2. — Lebreton. Des manifestations pulmonaires cha les arthritiques. In
Archiv. gén. de médecine, avril 1885, p. 447. — Fkiillade. Contrib. à l'élude des hemorrhag.
palustres. Thèse de Paris, 1885. — AIodzon. De la valeur séméiotique des hémopt. dans
certaines formes de maladies du ccpur, 1885. — Taïlor (C.).On llemoptysis and is Treatment.
In the Lancet, juin 1884. — Dejean. Contrib. à l'étud. des hémopt. non tubcrcul. de la
dilatât, bronchique. Thèse de Paris, 188G. — Renault. Des pointes de feu et des hémoptys.
consécutiv. à leur emploi dans le traitent, de la pkthis. pulm. Thèse de Lyon. 1886. —
P. StrCbisg. Laryngitis hemorrh. ^Yiesbaden, 1886. — Voy. aussi les traités de pathologie
interne de Niemeyeb, Monnehet, Grisolle, le Guide du médecin praticien de Yalleix, etc. V. W.
UÉMORRUAGIE {Mi/.ofjpocyioc, de aîfxa, sang, et pi^Y^uai OU priyu, je romps OU
je brise); c'est le phénomène, constamment pathologique, en dehors du cas par-
ticulier de la menstruation, en vertu duquel le sang complet, c'est-à-dire con-
stitué par son plasma et par les éléments globulaires des doux ordres, louges et
blancs, sort des vaisseau.^ sanguins ou du cœur pour se répandre soit à la
surface des membranes, soit dans les espaces interorganiques.
La définition de l'hémorrliagie, telle qu'elle vient d'être donnée, est la seule
qui convienne véritablement à ce phénomène. On ne peut plus dire aujourd'hui
avec Rostan qu'il se produit une hémorrhagie « toutes les fois que la partie
colorante du sang s'échappe des conduits qui le renferment naturellement »
(Rostan, Traité élémentaire de diagnostic. Paris, Réchet, 1826, t. II, p. 87).
La caractéristique du sang n'est pas en effet dans ses seuls globules, non plus
que, par exemple, celle du tissu cartilagineux ne réside dans les seules cellules
fixes de ce tissu. iNous avons vu (voy. Sang [Pathologie générale]}, en effet, que
le sang est un tissu complexe, formé par l'union d'un plasma qui représente
la substance fondamentale, et de globules rouges et blancs, formations proto-
plasmiques qui donnent au sang son type dans la série des tissus. En dehors du
circuit fermé qui renferme le sang complet, c'est-à-dire formé de son plasma
chargé de sels, de substances albuminoïdes, de fibrinogène, plasma uni aux
globules rouges et aux cellules lymphatiques en proportions variables, il est
yrai, mais définies cependant d'une manière générale; comme on l'observe dans
toutes les parties de l'organisme qui vivent, on peut voir isolément s'cxtravaser :
1° la portion non fibrineuse du plasma et les globules blancs : c'est Vœdème
simple; 2" le plasma tout entier avec les globules blancs : c'est Vœdème inflam-
matoire ; 5° l'hémoglobine dissoute avec les globules blancs et le plasma: on
en a un exemple dans Vhémoglobinurie. Mais, quand simultanément le plasma
tout entier, les globules rouges et les globules blancs, sortent du circuit vascu-
laire sanguin, il ne s'agit plus, comme dans le cas précédent, d'une transsu-
dation élective ne renfermant qu'un ou quelques-uns des éléments constitutifs
du sang, mais bien d'une hémorrhagie vraie : car le sang tout entier est jeté
hors des vaisseaux, soit sur des surfaces [hémorrhagies membraneuses), soit
dans les espaces interorganiques qu'il développe [hémorrhagies interstitielles).
La masse du sang subit de ce chef une spoliation, minime ou grande, dont les
conséquences sont désormais inévitables. L'ensemble des phénomènes anormaux
qui précèdent commandent, accompagnent et suivent la perte de sang jusqu'au
moment où le circuit sanguin est redevenu un système clos dans lequel la masse
du liquide nutritif est régénérée, constitue ce qu'en pathologie générale on nomme
un syndrome : c'est le syndrome hemorrhag iqiie.
536 HÉMORRIlAGin.
Le sang, pris dans les divers points du circuit circulatoire, n'est jamais iden-
tique à lui-même, bien qu'il conserve, dans l'association de ses éléments consti-
tutifs divers, une homogénéité générale qui suffit à le caractériser et à le faire
reconnaître en tant que sang. S'il en était autrement, le sang serait, comme la
salive, le suc gastrique, la bile et l'uiine, une humeur formée à l'état fixe en
vue de certains usages mais non un tissu vivant. Ainsi donc la proportion des
globules, des cellules lymphatiques, des albuminoïdes et de la fibrine du
plasma, etc., peuvent varier sans que le sang ainsi modifié cesse d'être du sano^
complet et vrai. Dans l'hémorrhagie il peut en être de même. Ou bien le sang
s'échappe des vaisseaux en masse et tel qu'il y était contenu, c'est-à-dire avec
ses proportions normales de globules et de plasma pour le point intéressé; ou
bien au contraire, en sortant des vaisseaux, les proportions des éléments consti-
tutifs du liquide sanguin se trouvent modifiées par une sorte d'élection opérée
par la paroi à travers laquelle il prend son issue. Le sang extravasé peut être
alors plus ou moins riche eu globules, en plasma, ce dernier peut être plus ou
moins chargé de fibrinogène, etc. Nous réserverons aux hémorrhagies du pre-
mier genre le nom d'hemorrhagieti complèles ou massives, nous donnerons à
celles du second genre le nom d'hémorrhagles incomplètes ou électives. Si ces
dénominations n'avaient pour but que d'introduire de nouveaux termes dans
une nomenclature déjà surchargée, nous ne les proposerions pas ; mais nous
verrons bientôt qu'elles ont leur utilité, parce que la distinction proposée pour
les termes répond à la division pathogénique des hémorihagies qui, dans l'état
actuel de la science, se présente naturellement et s'impose même à l'esprit.
D'une manière générale, l'hémorrhagie est artérielle, vetneme ou capillaire,
suivant que le sang s'échappe d'un vaisseau appartenant à l'un des trois ordres
précités. Lorsque le sang sort d'une artère ou d'une veine avec des caractères
qui le font reconnaître de prime abord pour du sang rouge et oxygéné, ou au
contraire noir et réduit, l'hémorrhagie est toujours complète ou massive. Les
hémorrhagies électives ont pour unique origine les vaisseaux capillaires, c'est-
à-dire les points mêmes du circuit vasculaire où le sang présente normalement
une constitution variable, et où la paroi vasculaire possède la propriété d'exercer
une action sur le liquide coniplexe qui la doit traverser pour s'extravaser. Aussi
rien n'est plus variable que l'apparence du sang qui s'écoule des vaisseaux
interposes aux artères et aux veines {hémorrhagies par anastomose d'Hérophile).
Tantôt cette apparence est celle du sang artériel, tantôt celle du sang veineux;
d'autres fois le liquide sanguin est pâle et comme mélangé à de la sérosité :
aussi Galien insistait-il avec raison sur les modifications apportées à l'aspect du
sang par l'état tonique ou atonique des vaisseaux dans les hémorrhagies par
anastomose ; nous reconnaîtrons plus loin que ce grand physiologiste avait véri-
tablement pressenti la pathogénie exacte des hémorrhagies capillaires.
De tout temps, Ihémorrhagie a attiré l'attention des médecins et des philo-
sophes. On reconnut vite en effet que, dans de nombreuses circonstances, la
vie s'en allait avec le sang versé à flots par les blessures. Pour Moïse, le sang
est l'âme de toute chair {Anima omnis carnis in sanguine est, Lévit., cap. xvii,
li); pour Homère, l'àme fuit avec le sang des héros frappés par l'épée, et, pour
faire un instant vivre, respirer et parler les ombres, il leur faut faire boire le
sauT des victimes. La physiologie moderne, en les précisant, a justifié ces
antiques vues; elle a montré que le sang est l'instrument fondamental de la
respiration, le véhicule des actions vitales rapides et auxquelles la lymphe ne
IIÉMORRIIAGIE. 537
suffit pins. Il est l'origine de toute force musculaire chez les Vertébre's, car c'est
lui qui fabrique et cède aux muscles rélément respiratoire et capital de leur
mvosine : rhémoglobine musculaire (Kûhne).
Dans cet ordre d'idées la perte sanguine intense, locale ou disséminée comme
on le voit dans les états hémorrhagiques à déterminations multiples, prend une
importance immense. Cette perte sanguine, en spoliant l'organisme de sa réserve
respiratoire, agit à la façon des poisons du sang qui détruisent celte réserve ou
en adultèrent la qualité. De là, et au travers des âges, l'instante et incessante
préoccupation des médecins relativement aux causes, aux effets, à la signification
do"'matique des divers processus hémorrhagiques que l'on observe en clinique;
de là les classifications multiples, fondées les unes exclusivement sur les théories
en faveur, les autres sur l'observation pure, d'autres enfin sur l'observation
clinique adaptée et comme ployée aux besoins de la théorie régnante. De Galien
à Gendrin, ces nomenclatures scolastiques des hémorrhagies se succèdent sans
éclaircir la question; nous ne les reproduirons pas et nous croyons même
inutile de les discuter. La période scientifique ne commence, pour les hémor-
rha<Ties, qu'avec les recherches de Colmlieim sur la diapédèse en Allemagne, en
France avec la thèse d'agrégation du professeur Bouchard, qui fit faire à la ques-
tion pathogénique un pas immense par la découverte des anévrysmes capillaires,
et aux idées duquel, dans le cours de cet article, nous ferons de nombreux
emprunts. Aujourd'hui encore, bien des points particuliers restent obscurs,
néanmoins, dans l'histoire des hémorrhagies ; de nombreux problèmes à cet
égard ne sont pas même posés : force est donc aujourd'liui de soumettre au lecteur
l'état de la science sous la forme d'une synthèse incomplète. Quoi qu'il en soit,
au point de vue de la pathologie générale, on doit aujourd'hui se demander :
1» Une hémorrhagie étant donnée et son origine vasculaire reconnue, quel
est le mécanisme en vertu duquel elle s'est effectuée; en d'autres termes,
quelle est sa patuogénie ?
2° Quels effets exerce sur l'organisme une hémorrhagie dont on connaît l'ori-
gine vasculaire, dont on a aussi la cause ; quel est, en un mot, I'effet phïsiolo-
GIQDE d'oNE perte DE SANG?
5° En présence de l'hémorrhagie, comment l'organisme se défend-il ? Quel
est le mécanisme de I'hémostase, c'est-à-dire comment se reconstitue le système
vasculaire à l'état de circuit fermé? Gomment d'autre part la perte sanguine est
elle réparée ; quel est le mode de régénération du sang perdu ?
¥ Quelle est enfin la signification clinique du syndrome hémorrhagique,
constitué par l'ensemble des circonstances et des phénomènes qui commandent,
accompagnent la perle sanguine, et apparaissent enfin dans sa période de res-
tauration? Que signifie l'hémorrhagie au point de vue du diagnostic, du
PRONOSTIC et du TRAITEMENT, considérés en thèse générale?
Nous essayerons, dans les paragraphes qui vont suivre, de traiter sommaire
ment ces questions diverses, d'attaquer certaines des difficultés qu'elles compor-
tent, d'en élucider quelques-unes, sans avoir la prétention de pouvoir toutes les
résoudre. Malgré les progrès incessants de la physiologie expérimentale appli-
quée à la médecine, la pathologie générale des hémorrhagies reste encore pleine
d'obscurités. Dans nombre de cas et à leur propos, le mérite du pathologiste
doit consister à reconnaître ce que l'on ignore encore, à signaler des lacunes, à
proposer des problèmes plutôt que d'exposer des théories. L'histoire des hémor-
rhagies est peut-être la mieux faite pour montrer, en effet, que les théories les
DICT. ENC. 4" S. XIII. 22
?58 HÉMORRHAGIE.
plus séduisantes ne font que passer ; celle de la science expérimentale a par
contre assez montré déjà que tout problème posé sous une forme simple est tôt
ou tard résolu dans l'avenir.
I. Pathogénie des hémorrhagies. Dès l'origine de la médecine, on eut cette
notion fondamentale que le sang est contenu dans un système de canaux fermés.
Les traumatismes ouvrent ces vaisseaux et le sang se répand soit au dehors, soit
dans les espaces interorganiques. Ici il n'y a point de doute sur la pathooénie*
il s'agit des plaies des vaisseaux, des vulnérations de Cœlius Aurelianus et de
Bacchius.
Mais en dehors de tout traumatisme appréciable, et comme spontanément
l'hémorrliagie se produit souvent chez les malades. Comment alors le san"
sort-il de ses vaisseaux? 11 les rompt dans tous les cas, dit l'École asclépiadique;
le mot même d'hémorrhagie ne signifie du reste autre chose (\uéruption de
sang, c'est-à-dire issue de ce liquide par rupture ou par fracture des canaux
qui, dans l'état normal, sont destinés à le contenir. En d'autres termes, l'issue
spontanée du sang sur les surfaces ou dans l'épaisseur des tissus du corps n'a
point d'autre mécanisme qne l'effraction des parois vasculaires : c'est la théorie
exclusive du rhexis {prili-;, rupture).
En face de cette tliéorie et se joignant à elle sans l'exclure, s'en éleva bientôt
une autre, diamétralement opposée : elle a pour auteur Hérophile et parta^^era
désormais avec la première la faveur ou la défaveur des écoles. C'est la théorie
de la diapédèse. Hérophile admet en effet une première classe d'hémorrha^ies :
celles par incisure, c'est-à-dire par ouverture matérielle et visible du vaisseau.
Dans une seconde classe il range les effusions de sang qui ne s'accompagnent ou
plutôt ne sont la conséquence d'aucune ouverture vasculaire appréciable ; ce
sont les hémorrhagies sans incisures comprenant celles produites : 1° par raré-
faction; 2'^ par atonie vasculaire; auxquelles il joint les pertes sanguines :
3" par atonie des vaisseaux et 4" par transsudation de leur contenu, les parois
restant intactes.
Telle est à peu près aussi la théorie de Démétrius d'vVpamée. Outre l'Iiénior-
rhagie par rhexis, ou rupture, par diahrose ou érosion, par diérèse ou débi-
tement (variétés de la première), il admet celles par diapédèseou transsudation
et celle par anastomose, c'est-à-dire par élargissement des pores qu'il croyait,
avec ses contemporains, exister à l'extrémité des vaisseaux, car l'antiquité igno-
rait, comme on sait, l'existence des capillaires.
Jusque-là, la pathogénie des hémorrhagies reste exclusivement rapportée aux
altérations du vaisseau. Ce dernier est atteint par le traumatisme, ou modifié
par la maladie de manière à devenir, pour des raisons diverses, perméable au
sang qu'il devrait retenir. Avec Cœlius Aurelianus et Galien apparaît une nou-
velle notion, celle de la lésion du sang. Le premier fait entrer en effet la
putridiié du liquide sanguin en ligne de compte dans ses causes cardinales de
l'hémorrhagie ; le second admet que l'hémorrliagie peut se produire en vertu :
1» de l'impossibilité où se trouve la partie vascularisée à retenir le sang;
2" d'une maladie des vaisseaux; 5° d'une altération du sang qui, ajoute-t-il,
est attiré vers les parties lorsqu'il est devenu propre à éroder les vaisseaux
(Galien, De sijmptomatum causis, édit. de Kûhne, t. VII, p. 253).
Ainsi, à côlé de la notion de l'hémorrhagie de cause organique prend nais-
sance et vient se ranger celle d'hémorrhagie de cause dyscrasique, et dès le
début Galien a spécifié que, dans celte dernière, le sang malade peut devenir
IIÉMORRIIAGIE. 55
l'agent actif de l'ouverture îles vaisseaux ; il semble èlre appelé sur certains
points pour y devenir l'instrument de ruptures vasculaires. Paracei.se devait
plus tard développer celte idée et proposer sa théorie de la corrosion par les
sels acres du sang. Avec Van llelmont, une troisième conception palhogénique
va se faire jour : celle de raclion nerveuse, qu'il symbolise à sa manière en lui
donnant le nom d'arcliée. Pour lui, l'archée, èlre de raison présidant aux actions
locales, incommodé par l'àcreté ou la surabondance du sang dans une région,
ouvre à ce liquide des orifices d'échappement et l'hémorrhagie a lieu. Mais il
peut arriver que sa fureur aveugle dépasse le but, et qu'il pratique son hémor-
rhagie ou en trop grande quantité, ou dans un organe trop délicat et indispen-
sable à la vie ; le médecin doit alors intervenir, calmer, terrifier même l'archée
par sa médication. De semblables idées ne pouvaient guère exciter, même à
l'époque oiî elles furent émises, que de Pétonnement parmi les médecins. Elles
ne faisaient cependant que pressentir, sous une forme excentrique, celles de
Stahl sur le même sujet et qui eurent une fortune tout aulre. « Ce grand
médecin, qui (disent Pinel et Bricheleau. In Dicl. des sciences médicales, art.
Hlmorrhagie) dédaigna toute application frivole de la physique aux lois de
l'économie animale », pour combaltre les iatro-mécaniciens réduisant de sou
temps, avec Borelli, toute question de circulation à des problèmes d'hydrosta-
tique, introduisit en pathologie l'action de l'âme. L'àme de Stahl, « indépen-
dante, autonome, irresponsable, connaît, jusque dans ses divisions les plus
ténues, la constitution de l'organisme ; elle a conscience du moindre change-
ment qui s'y opère; elle sait, de science certaine, que tel changement va devenir
nuisible ; elle sait, par sa nature, quel est le moyeu d'y remédier » (Bouchard,
Palhog. des hémorrhagies, p. 9). Pour ce faire, le cas échéant, elle ouvre les
vaisseaux et crée des hémorrhagies. Les effusions sanguines ainsi produites en
vertu de l'activité médicale de l'àme sont celles que Stahl nomme hémorrhagies
actives; celles que le corps subit en vertu d'un traumatisme extérieur sont les
hémorhagies passives, expressions qui, pour Stahl, n'avaient nullement la
signification qu'on leur attribue aujourd'hui, il est bon de le faire remarquer
en passant.
Les théories de Van llelmont et de Stahl sont maintenant oubliées ; on ne
leur accorde plus en médecine aucune importance. Elles renfermaient cependant
un germe de vérité. ÎS'ous connaissons aujourd'hui, grâce aux recherches immor-
telles de Claude Bernard, l'agent mystérieux qui, comme l'archée de Van
llelmont, comme l'àme de Stahl, ouvre ou ferme la porle aux congestions vas-
culaires et peut les laisser aller jusqu'à l'hémorrhagie : c'est le système nerveui
vaso-moteur. Ce sont ces congestions hémorrhagipares souvent subites, ces
raplus, ce moUmen hemorrhayicum, dont les anciens observateurs et parm>i
eux Beil avaient constaté l'existence, et qu'ils expliquaient comme ils pouvaient,
à l'aide des ressources bien restreintes de la science de leur temps. En résumé :
lésion des vaisseaux, lésions du sang, actions nerveuses sympathiques : tel est
le trépied palhogénique de l'hémoirhagie établi par la majorité des auteurs qui
se sont succédé; et si l'on réduit à ses termes simples la dogmatique, variée
dans sa forme, des écoles médicales diverses, depuis Érasistrate jusqu'à Cohn-
heim, on reconnaît qu'en définitive les hémorrhagies, quant au mécanisme de
leur production, ont été distinguées en hémorrhagies par rhexis ou éruplives, et
en hémorrhagies par transsitdation ou diapédétiques. Quant à leurs causes, elles
ont été rangées sous trois chefs : hémorrhagies angiopathiques, hémorrhagies
340 HÉMORRHAGIE.
neuropathiques, hémorrliagies hémopathiques; division étiologique qui est au
fond celle des auteurs du Compendium et qui, en 1873, est encore pleinement
adoptée par Lancercaux {Traité d'anatomie pathologique, t. 1, p. 548).
Comment, à l'aide des notions actuellement acquises, pouvons-nous prendre
une idée générale du mécanisme des hémorrliagies diverses? Tel est le problème
qui surgit à la suite de l'historique sommaire qui vient d'être exposé et qui n'a
d'autre prétention que de montrer la succession des idées médicales qui se sont
produites sur le sujet : idées au fonJ peu nombreuses représentant des concep-
tions très-simples résultant d'une physiologie riidimentaire et constamment
caractérisée par l'à-pcu-près. Aujourd'hui, grâce aux travaux de Vierordt, de
Cliauveau et Marey, de V'ulpian et de leurs élèves, nous possédons sur la circu-
lation une série de notions bien délinies. L'anatomie générale normale et
pathologique nous fournit également des notions précises sur les dispositions
normales et les lésions des trois termes en présence, et qui dominent l'histoire
tout entière des hémorrhagies; les vaisseaiu, le sang, le système nerveux. C'est
à l'aide des connaissances p05,ilivês émanant de ces sources multiples qu'il faut
tenter l'exphcatiou des phénomènes palliologiques. Avant tout, il est indispen-
sable de se faire une idée exacte du régime circulatoire normal, afin d'établir
les circonstances dans lesquelles, un trouble de ce régime survenant, les con-
ditions essentielles des hémorrliagies d'ordre médical, c'est-à-dire se produisant
en dehors du traumatisme, arrivent à se réaliser.
Idée générale du régime circulatoire normal. Le sang, lancé par le cœur
sous une pression qui ne dépasse guère, chez l'homme, 19 centimètres de
mercure, s'engage dans les artères crosses et de là dans les artères de distri-
bution. Les artères crosses ne sont autre chose que dos réservoirs contractiles
dont la musculature propre ne peut avoir d'eflet accélérateur appréciable sur le
sang contenu, et dont la seule action semble devoir être de réagir sur le liquide
sanguin en s'opposant à la distension trop considérable de la paroi vasculaire.
De plus, ces grands réservoirs sanguins sont élastiques et, ainsi que l'a démontré
Marey, tendent constamment à transformer le mouvement intermittent du sang
lancé par les secousses cardiaques équidistantes en un écoulement régulier et •
continu. Dans les artères de distribution, les muscles vasculaires, de plexi-
formes qu'ils étaient et disposés pour la résistance à la dilatation, deviennent
exclusivement annuhiires. Leur nombre, leur épaisseur, s'accroissent constam-
ment à mesure que l'on se rapproche des petites artères. Quand la vague san-
guine a dépassé ces dernières, elle s'engage dans les artérioles, dont la structure
est exactement celle des capillaires, sauf que la membrane propre, supportant
l'endothélium, est doublée d'une couche continue de fibres musculaires dispo-
sées comme des anneaux complets et dont les ventres contractiles sont super-
posés d'une façon toute particulière. Le milieu de ces ventres ne se succède
pas, de cellule eu cellule, suivant l'une des génératrices du cylindre représenté
par le vaisseau, mais bien suivant une hélice. De la sorte, si l'on suppose que,
dans toute la longueur de l'artéiiole, les fibres musculaires lisses entrent simul-
tanément en action, non-seulement le cylindre vasculaire deviendra un cylindre
semblable de moindre section, mais subira l'atténuation de son diamètre par
une sorte de torsion brusque, condition éminemment favorable à la régulation
rapide du cours du sang dans les capillaires, et permettant aux artérioles
d'ouvrir ou de fermer presque instantanément l'accès du liquide qu'elles char-
rient dans les réseaux vasculaires, inertes parce qu'ils ne sont plus musclés.
IIEMORRHAGIE. 541
Dans ces réseaux capillaires, le sang coule avec une vitesse uniforme variant
d'un 1/2 millimètre à 1 millimètre environ par seconde (Vierordl) et avec une
tension sur laquelle nous ne possédons malheureusement que des données
imparfaites, puis il passe de là dans les veinules. A l'inverse des artérioles, les
veinules ne possèdent pas de muscles. Ce sont d'énormes capillaires à paroi?
simplement endolliéliales, sans dispositions valvnlaires aucunes, et dans lesquels
le sang des réseaux prend librement place sans que la paroi veineuse puisse
réagir autrement que par son élasticité. Les veinules, inertes, à parois exten-
sibles, mais d'une extrême minceur, constituent de la sorte dans l'arbre circu-
latoire ce que nous appellerons un point faible. Elles sont forcées de recevoir
et de débiter aux petites veines tout le sang qu'elles ont reçu des réseaux
capillaires, emplis eux-mêmes au gré des artérioles contractiles, plus ou moins
ouvertes ou fermées. Aussi verrons-nous la veinule intéressée dans tous les cas
oij l'œdème, les transsudations colorées, les hémorrhagies électives ou mas-
sives, se produisent au sein des tissus.
Des veinules le sang passe dans les petites veines, puis de là dans les veines
collectrices et dans les veines réservoirs, telles que les caves ou les jugulaires,
par exemple. Là son cours, secondé par Ja vis à tergo, favorisé par les valvules
quand il doit marcher contre la pesanteur, accéléré au voisinage de la poitrine
par l'aspiration thoracique, devient moins régulier que dans les capillaires et
les veinules. Les veines proprement dites, extrêmement extensibles, doublées de
muscles longitudinaux et plexiformes, parfois aussi bien munies de muscles
annulaires que les artères quand elles sont engagées dans certaines régions
(grande veine du triceps fémoral, par exemple) ne sont plus des points faibles de
l'arbre circulatoire, aussi ne les voit-on guère éclater que sous des pressions
excessives, véritables traumatismes dont un exemple est fourni par l'hémor-
rhagie méningée du produit de la conception dont la tête a été énergiquement
et longtemps comprimée au passage (Virchow). Des grandes veines collectrices
le sang revient au'cœur droit, puis est lancé dans l'appareil pulmonaire. Ici de
nouveau nous trouvons un point faible dails les réseaux capillaires et les vei-
nules des alvéoles. Les vaisseaux alvéolaires commandés par des artérioles ter-
minales, formant des réseaux autonomes par conséquent, sont en réalité exposés,
car l'endothélium qui les protège, du côté de l'alvéole, n'est qu'un vernis
souple d'une extrême minceur. Soumis avec les parois alvéolaires à des mou-
vements alternatifs d'expansion et de retrait, ils subissent en outre l'action de
la pression négative qui, à chaque inspiration, se produit dans la cavité pleu-
rale. C'est là, nous le verrons plus loin, une nouvelle cause de vulnérabilité.
Repris par les veines pulmonaires, le sang revient enfin dans le cœur gauche à
son point de départ, d'où il sera de nouveau lancé dans les artères : le cycle
circulatoire est alors terminé.
Toutes les actions sanguines importantes ont les réseaux capillaires pour
théâtre; les vaisseaux de distribution, les artères, ceux de retour, les veines
proprement dites, ne sont que de simples trajets sanguins; dans les capillaires
seuls le sang vit de sa vie fonctionnelle, c'est-à-dire entre en jeu à la fois
comme agent nutritif et comme agent respirateur. C'est au niveau des capil-
laires, en un mot, que s'effectue la diapédèse normale qui donne aux tissus le
plasma nutritif, les éléments mobiles et figurés de la lymphe, et qui toujours,
et partout où elle s'exécute, s'accompagne d'une déperdition plus ou moins
importante de globules rouges du sang, c'est-à-dire d'une hémorrhagie élective
3-i'2 IIÉMORRHAGIE.
ca miniature : hémorrhagie, parce que tous les éléments typiques du sang,
globules et plasma, font issue hors des vaisseaux ; hémorrhagie éleclive, parce
que les éléments du liquide nutritif ne sont pas groupés, dans l'exsudat, avec
leurs proportions normales.
Je n'ai pas à décrire ici le pliénomène bien connu de la diapédèse, établi par
Cohnheim en 1867 par des expériences mémorables {Ueber Entziindung und
Eiterwig, in Virchow's ArcJnv, Ud. XL, S. i, 18G7), et dont aujourd'hui per-
sonne ne songe même plus à contester la réalité. Il me suffira de préciser
quelques-unes des conditions nécessaires à sa production. Parmi ces conditions,
la plus importante paraît être le ralentissement du cours du sang dans les
réseaux capillaires. Dans la lame natatoire transparente d'un têtard de gre-
nouille la circulation capillaire s'effectue avec régularité et sans que la diapé-
dèse se produise sous les yeux de l'observateur qui examine les vaisseaux au
microscope. 11 n'en est plus de même sur le têtard cnrarisé, c'est-à-dire chez
celui dont les muscles vasculaires ont été mis en état de relâchement au niveau
des arlérioles. Dans un système de vaisseaux soumis à l'intoxication curarique,
en effet, l'afflux sanguin vers les capillaires s'effectue à plein débit; les vei-
nules deviennent insuffisantes à recevoir le sang en excès, le réseau capillaire se
remplit au maximum d'un liquide qui ne chemine plus qu'avec une lenteur
extrême et dont la tension s'élève rapidement. Le plasma sanguin transsude
alors sous forme de liquide albumineux incoagulable spontanément ; il se fait
un petit œdème de la région. En même temps les globules blancs, sous l'action
de la haute pression, de la stase incomplète et de l'abondante production
d'oxygène au sein de la colonne sanguine dont le cours s'est ralenti, adhèrent
aux surfaces vasculaires, les perforent par leurs pseudopodes et émigrent dans
les tissus. On sait en effet que ce qui réveille au plus haut degré les propriétés
locomotrices chez les globules blancs, c'est la présence de l'oxygène (Ranvier).
Or, dans un vaisseau dont la circulation n'est plus modérée par les contractions
de l'artère que commande le système auquel il appartient, le sang se comporte
comme il le ferait, s'il existait en aval un obstacle à sa progression. Les globules
rouges s'accumulent alors dans une colonne dont la hauteur répond à la zone
même du ralentissement circulatoire. Ces globules accumulés n'ont pas perdu
en s'arrètant leur propriété maîtresse, qui est de rayonner l'oxygène autour
d'eux. Mais ce rayonnement, au lieu de se distribuer en marche et sur une
grande longueur, s effectue sur place, de façon à bientôt saturer l'espace clos
répondant à l'accumulation globulaire. Les globules blancs, dans ce milieu sur-
oxygéné, sont alors dans les conditions nécessaires et suffisantes pour enh'er en
activité, et émigrent hors des vaisseaux en en trouant les parois par leurs mou-
vements pi'opres.
Mais en sortant ainsi brusquement au travers des capillaires les cellules lym-
phatiques déterminent dans la paroi de ces derniers des sortes d'ouvertures
temporaires analogues à celles que ferait une aiguille dans un mur de géla-
tine, et qui se ferment ensuite derrière eux. Cette fermeture ne se fait néan-
moins pas assez vite pour empêcher un certain nombre de globules rouges
contenus, sous pression, dans le vaisseau dilaté, de se précipiter à la suite des
blancs et de passer avec eux. Le phénomène devient surtout sensible dans la
diapédèse qui accompagne les congestions intenses : alors l'infiltration du point
hyperémié renferme à la fois de la sérosité, des globules blancs et des globules
rouges répandus dans les espaces interorganiques. Ces globules rouges subis-
IIÉ.AIORRIIAGIE. 545
sent, dans ce cas, les mélamorphoses régressives du sang épanché. De là la
teinte légèrement eccliyrnolique et parfois même contusit'orme, consécutive à
certaines congestions intenses du tégument cutané, par exemple {imj. Derma-
toses [Anatomie pathologique générale]).
Or, et c'est là le point important où je voulais arriver, la diapédèse normale
est une des fonctions cardinales du système capillaire sanguin ; c'est à ce point
que l'on peut affirmer que, tout acte nutritif important commandant ce phéno-
mène, le régime circulatoire normal est, pour les capillaires sanguing, une
succession d'actes diapédéliques variahles. Si en effet le sang nous fait respirer,
ce sont les éléments cellulaires de la lymphe et du sang, les globules blancs,
qui nous font vivre. Ils le font en nourrissant les éléments différenciés de nos
organes et de nos tissus, en leur distribuant, entre autres substances, le glyco-
gène, des graisses et l'oxygène lui-même dont ils se sont saturés dans le sang.
Les artérioles contractiles et qui peuvent être, tout d'un coup, ou relâchées ou
resserrées, distribuent cette diapédèse au prorata des besoins de la respiration
et de la nutrition interstitielles. Les vaso-moteurs artériolaires font des réseaux
capillaires, en contractant, ou en relâchant les sphincters en hélice des artérioles
qui les conmiandent, des aires de pleine, de moyenne ou de minime circula-
tion. Dans les premières seulement la diapédèse s'effectue, l'écoulement que
l'on pourrait nommer indifférent, sans valeur fonctionnelle, se produit seul
dans les autres, exactement comme il le fait dans les canaux de distribution et
dans les veines, sur le trajet desquelles il ne s'opère point d'échanges entre le
sang et les tissus. Ainsi donc « l'action du cœur, la tension artérielle, la tension
veineuse, induencent la circulation capillaire, mais elle garde en quelque sorte
son autonomie, ou plutôt elle est plus directement placée sous la dépendance
du système nerveux que sous celle des autres parties de l'arbre circulatoire.
Cette indépendance que conserve le système capillaire vis-à-vis du système
artériel dont il est tributaire et du système veineux qu'il alimente, il la doit
aux gardiens, placés à ses frontières, qui règlent et modèrent l'importation et
l'exportation, qui peuvent abaisser tellement les barrières qu'il n'est plus, pour
ainsi dire, qu'un lieu de transit par l'intermédiaire duquel le système artériel
entre en libre communication avec le système veineux, qui les relèvent parfois
au point de l'isoler complètement, qui tantôt, fermant la sortie et facilitant
l'entrée, emmagasinent les produits, tantôt, s'opposant à l'entrée, facilitent
l'écoulement et réalisent ainsi, au gré du système nerveux, ce que j'appellerai
volontiers une échelle mobile physiologique. Ce rôle modérateur est rempli par
les éléments musculaires des petits vaisseaux qui, presque aussi délicats que les
capillaires, sont aussi plus extensibles et, grâce à la prédominance de leurs
éléments musculaires, plus énergiquement contractiles que les artères et surtout
que les veines. Leur extensibilité l'emporte aussi de beaucoup sur celle des
capillaires proprement dits, car ces derniers, même sous les plus fortes pres-
sions, atteignent difficilement un élargissement égal au quart de leur diamètre
habituel. C'est à la combinaison des contractions et des dilatations de ces arté-
rioles et de ces veinules que sont dues les particularités du mouvement du sang
dans les capillaires (Bouchard, Pathogénie des hémorrhagies, p. 15, 16). Jointe
à la notion exacte des effets de la diapédèse, cette description magistrale, que
j'ai voulu reproduire en entier, donne l'idée la plus exacte et la meilleure du
régime circulatoire propre aux capillaires sanguins.
il importe actuellement de faire remarquer que la diapédèse, partout oià elle
344 IlÉMORRHAGIE.
s'exécute largement, crée un véritable traumatisme des vaisseaux qu'elle crible
de pores temporaires. Les points où elle s'exécute habituellement et où les
globules blancs partent par masses des vaisseaux répondent naturellement à un
ordre nouveau de points faibles. Là, en effet, les capillaires et les veinules sont
incessamment traversés p;u- les éléments migrateurs : leur paroi tend à devenir
poreuse en s'adaptant en quelque sorte à sa fonction habituelle. Sans doute les
stomates temporaires se referment comme un carreau de colle de Flandre
ramollie dans lequel on tirerait un coup de fusil chargé de cendrée, mais, de
même que, sur un tel carreau Tonne saurait multiplier les perforations sans en
détruire la continuité, de même les réseaux capillaires qui sont le siège habi-
tuel de la diapédèse massive d'ordre congestif semblent sous cette influence
devenir plus friables. J'ai fait connaître un point de l'organisme placé dans ces
conditions : c'est la région de l'intestin répondant aux follicules isolés et
agminés. Tout récemment Waldeyer et Stôhr ont reproduit mes observations et
les ont étendues à l'appareil lymplioïde du pharynx. En décrivant les systèmes
de thèques intra-épitliéliales, lacunes des épithéliums où viennent s'accumuler
les cellules lymphatiques, j'ai aussi fait voir que les épithéliums sont inces-
samment traversés par les globules blancs qui viennent ainsi former les éléments
du mucus des surfaces. Donc, sur tous les points de l'organisme qui sont les
voies d'émission des globules lymphatiques du groupe aberrant (je nomme
ainsi l'ensemble des cellules migratrices qui n'accomplissent pas leur voyage
cyclique du sang dans les voies lymphatiques à travers les tissus et de ces voies
dans le sang), les vaisseaux sanguins sont habituellement criblés de pores tem-
poraires et dans un état continuel de diérèse ou raréfaction, pour emplover un
terme emprunté à la vieille terminologie de Démetrius d'Apamée. Et que nous
apprend à son tour la clinique au sujet de ces points reconnus faibles anatomi-
quement? Qu'ils sont en réalité des lieux de prédilection pour l'hémorrhagie. Ce
sont les muqueuses qui saignent le plus volontiers et, parmi elles : celle de
l'intestin au niveau des plaques de Peyer; celle de l'estomac, semée de points
lymphatiques; celle de l'arrière-gorge au niveau de la glande diffuse lympha-
tique de Lacauchie ; celle enfin des fosses nasales, qui possède une surface déli-
cate et très-analogue à celle du pharynx.
Il existe un second mode de diapédèse qu'il convient de mettre en regard de
la diapédèse congestive, due à la pleine circulation commandée par l'ouverture
des artérioles à plein débit, par suite de la paralysie vaso-motrice de leurs fibres
musculaires hélicoïdales : c'est la diapédèse consécutive à la stase. Cohiiheim
[Vebcr venose Stannng, in Yirchow's Archiv, Bd. XLl, S. 220, 1867) examine la
membrane digitale d'une grenouille dont il lie la veine fémorale. Après quel-
ques modifications circulatoires, le cours du sang se ralentit dans les capillaires,
les globules rouges se pressent les uns contre les autres et remplissent la
lumière entière du vaisseau; l'abondance de ces globules est telle, qu'ils sem-
blent former une masse uniforme où l'on ne peut distinguer isolément aucuQ
d'eux. Au bout d'environ quarante-cinq minutes, sur le bord externe du vais-
seau l'on voit apparaître une saillie jaune et de tous points semblable à la
substance des globules rouges. Il s'agit en réalité de globules sanguins qui
passent un à un et tombent dans les espaces inter-organiques. Avant comme
après l'issue de ces globules on ne peut constater aucune trace de déchirure.
Ils ont passé, à la façon des globules blancs dans la diapédèse congestive, à travers
la paroi du vaisseau comme dans une lame de gélatine ramollie, se frayant une
HÉMORRHAGIE. 545
voie qui, immédiatement après leur passage, s'est referme'e derrière eux (Bou-
chard, loc. cit., p. 22).
Les globules rouges étant inertes, la pression intra-vasculaire seule, quand
elle a dépassé certaines limites, les chasse donc à travers la paroi mince des
capillaires ou des veinules en même temps que le liquide de l'œdème par stase,
ou passif, satellite nécessaire et constant du phénomène au même titre que
l'œdème actif, ou d'origine congeslive. l'est de la diapédèse par congestion.
Mais l'oblitération veineuse a par elle-même une autre importance : elle paraît
agir sur les vaisseaux capillaires situés au-dessous d'elle, et, quand elle a été
maintenue pendant un certain temps, elle les met en état de raréfaction diéré-
tique. Le fait a été pleinement démontré par mon ami le professeur Tarchanoff
(de Saint-Pétersbourg) : au bout de quarante-huit heures, chez la grenouille, les
vaisseaux aboutissant aux veines ligaturées ne tiennent plus les injections pous-
sées même sous faible pression : leurs parois sont donc ramollies et le sang les
traverse aisément pour s'extravaser, comme le prouvent les îlots de globules
rouges nombreux que l'on trouve alors dans les espaces interorganiques. Nous
aurons l'occasion de revenir sur ces faits à propos des hémorrhagics consécu-
tives à l'oblitération des veines et dont plusieurs auteurs, en particulier le profes-
seur Lépine, ont rapporté des exemples authentiques.
Comme on le voit, les artères de distribution et les veines proprement dites,
à plus forte raison le cœur, sont disposés de manière à n'offrir pour ainsi dire
aucun point faible dans l'état normal. Leur régime circulatoire est un régime
d'écoulement, de transit, dont les variations sont incapables de déterminer
l'issue du sang au travers des parois vasculaires. Le régime circulatoire des seuls
capillaires, par la diapédèse active dont ces vaisseaux inertes sont le théâtre,
parle retentissement des oblitérations veineuses sur la résistance de leurs parois,
par certaines particularités de situation, d'exposition, de variations dans les
modes et l'intensité du courant qui les traverse, crée des conditions souvent
favorables à l'issue du sang. La diapédèse crée dans le système vasculaire norma-
lement clos des ouvertures minuscules et temporaires, mais qui peuvent être à
un moment donné assez nombreuses pour transformer le canal vasculaire momen-
tanément en une sorte de drain poreux. C'est là un mode d'effraction, de
rupture ou de rhexis, à la fois microscopique et momentané.
C'est dans ce sens restreint qu'il convient, je crois, de comprendre l'héraor-
rhagie par diapédèse. Cette hémorrhagie, exagération du processus normal dans
lequel l'issue des globules blancs et de la sérosité s'accompagne toujours de
celle d'un certain nombre de globules rouges, est le résultat de ruptures multi-
ples et comme ponctuées des vaisseaux. Ces derniers ne laissent pas passer les
éléments divers du sang comme le ferait un filtre, mais bien comme le ferait
un crible. Toujours aussi l'inlluence de la paroi, restée relativement intacte,
s'exerce sur le sang qui sourd au travers d'elle; cette paroi ne laisse pas sortir
le sang en masse, tel qu'il était dans le vaisseau; elle modifie les proportions de
ses éléments dans l'exsudat. La nappe hémorrhagique est alors formée par du
sang, mais dans ce sang le rapport des globules rouges an plasma ou aux
globules blancs a subi une variation notable en vertu d'une sorte d'élection
particulière. C'est pourquoi j'appellerai souvent les hémorrhagies diapédétiques
des hémorrhagies éleclives. Quant à celles qui se produisent en vertu d'une
rupture vraie, persistante, appréciable aux investigations anatomo-pathologiques,
et qui sont de beaucoup les plus nombreuses, je leur conserverai, à l'exemple
546 IIEMORRHÂGIE.
de Cohnlieim, la vieille dénoniinalion àliemorrhagies par rhexis. Je les appel-
lerai aussi indifféremment hémorrliagies massives, parce que d'un vaisseau
rompu véritablement le sang sort en masse et exactement tel qu'il était constitué
dans la portion du circuit circulatoire qui a subi l'effraction.
Conditions essentielles des hémorrhagies par rupture vasculaire, massives
ou par rhexis. Pour qu'un vaisseau sanguin, artériel, veineux ou capillaire, se
rompe et laisse écouler le sang au dehors, soit à la surface des membranes, soit
dans les espaces interorganiques, il faut et il suftit que sa paroi soit ouverte,
ou en vertu d'une action mécanique, telle que la section, l'écrasement, l'arra-
chement ou la divulsion. ou par un processus ulcéra tif. De là une première divi-
sion des hémorrhagies par rhexis en hémorrhagies de cause mécanique et en
hémorrhagies de cause organique. Toutes les hémorrhagies traumatiques
appartiennent au premier genre et en fournissent les types; des hémorrhagies
telles que celles que l'on voit survenir dans l'ulcère perforant gastrique ou
duodénal sont des exemples du second. Enfin, dans certaines circonstances,
telles que celles qui se trouvent réalisées dans les anévrysmes des divers ordres,
c'est à la fois à une maladie du vaisseau déterminant la fragilité de sa paroi, et
à une rupture de cette paroi engendrée par des causes de nature mécanique,
qu'est due l'effraction sanguine interstitielle ou en surface. Ce sont donc là des
hémorrhagies mixtes que l'on pourra nommer, si l'on tient à multiplier les
distinctions, organo-mécaniques. En réalité d'ailleurs la pathogénie des hémor-
rhagies, sauf le cas de vulnération proprement dite, est toujours complexe, et ce
n'est que par une sorte de dissociation artificielle que l'on arrive à catégoriser,
sous divers chefs généraux les causes maîtresses des éruptions sanguines de
types divers. Dans toute hémnrrhagie spontanée l'on peut èlre certain, en effet,
qu'une série d'actions physiologiques, et non pas une seule, ont été mises enjeu
])our concouiir au résultat final : la perte de sang.
A. Hémorrhagies de cause mécanique. Nous n'avons pas à nous occuper ici
des hémorrhagies traumatiques, dont l'histoire et la pathogénie toutes particu-
lières seront exposées dans la partie chirurgicale de cet article. Nous ne devons
chercher que la pathogénie des ruptures vasculaires que l'on appelle impropre-
ment spontanées et qui, pour cette simple raison qu'elles naissent eu dehors de
tout traumatisme appréciable, rentrent dans le cadre des hémorrhagies d'ordre
médical. Il est cependant un cas où les vaisseaux sanguins capillaires, atteints
par un agent vulnéi'ant de nature toute particulière, donnent naissance à des
hémorrhagies qui échappent entièrement à la chirurgie : c'est celui où les
capillaires du poumon sont atteints par certains gaz, tels que l'acide sulfureux,
le chlore, l'acide Ouorhydrique, l'hypoazotide, par exemple. Dans ce cas, fréquem-
ment les réseaux pulmonaires deviennent le lieu d'une hémorrhagie passagère.
Une anxiété précordiale cousidéiablo se produit, une toux spasmodique et sèche
prend naissance, et le malade crache avec effroi une certaine quantité de sang
spumeux. En réalité, il s'agit ici d'une véritable vulnération des capillaires
alvéolaires par des substances actives qui, même sous la forme gazeuse, atta-
quent vivement et mécaniquement la paroi des petits vaisseaux. Mais le phéno-
mène est complexe, et pour s'en convaincre il suffit d'observer comment les
mêmes gaz agissent sur la conjonctive. Une sensation de fourmillement et de
picotement se produit comme à la suite de l'introduction d'un corps étranger
dans le repli conjonctival. Bientôt la conjonctive rougit; ses petits vaisseaux se
dilatent et, si l'action des gaz vulnérants est trop longtemps continuée, ils
IIÉMORRIIAGIE. 347
montrent sur leur trajet de petits points ecchymotiques. Il n'y a donc point,
dans ce cas, une action traumatiquc simple, mais une irritation locale intense
qui à la fois agit matériellement sur le vaisseau, et d'un autre côté devient le
point de départ d'une hyperémie réflexe bientôt poussée jusqu'à l'effraction des
vaisseaux lésés par le sang qui les gorge. J'ai insisté à dessein sur ces faits pour
bien montrer qu'en deliors d'un coup de couteau qui sectionne une artère, une
veine, ou une nappe de capillaires, la patliogénie des liémorrbagies survenant
dans des circonstances initiales d'ordre purement mécanique vient toujours se
compliquer de phénomènes étrangers à la cause maîtresse, et qui sont le résultat
de la réaction de l'organisme devant elle : réaction produite avec toute l'absence
de simplicité qu'elle comporte.
Si l'on suppose normale la paroi d'un vaisseau qui, par hypothèse, va être
intéressé dans le cas d'une hémorrhagie par rhexis, la rupture de ce vaisseau ne
peut s'effectuer qu'en vertu d'un mécanisme unique : l'augmentation localisée
de la pression intra-vasculaire devenant égale et supérieure à la résistance de la
paroi. Cette augmentation de pression peut elle-même résulter, soit d'une exagé-
ration de la tension du sang, soit de la diminution de la pression extérieure et
de l'appui que les parties ambiantes apportent au vaisseau. A l'exemple de
Bouchard, nous allons examiner successivement ces deux grands groupes patlio-
géniques.
a. Ruptures vasculaires dues à une exagération de la tension du sang dans
les vaisseaux. Lorsque, dans un segment donné d'un cylindre vasculairc, la
tension du sang s'accroît même progressivement, la pression latérale a^MSsant
contre la paroi subit une augmentation proportionnelle suivant une certaine loi.
Cette paroi vasculaire, sollicitée par une force agissant de dedans en dehors, se
distend en s'amincissant. Tant que la pression latérale reste inférieure ou égale
à l'élasticité de la membrane vasculaire, cette dernière résiste. Mais il arrive
un moment oii, la pression continuant à croître, elle dépasse la limite d'élas-
ticité de la membrane du vaisseau. Ce dernier se i-ompt alors et le sang fait
effraction au dehors par la perle de substance résultant de la rupture. S'il
s'agit d'un vaisseau dépourvu de muscles, comme un capillaire ou une veinule,
le mécanisme général de la rupture se trouve réduit aux termes énoncés; s'il
s'agit au contraire d'un vaisseau musclé, les fibres annulaires ou longitudinales,
ou encore plexiformes, ajoutent leur résistance de contractilité et d'élasticité
propres à l'élasticité des portions non contractiles de la paroi, et la dilatation du
vaisseau est moins facile. Mais bientôt, lorsque la tension intra-vasculaire con-
tinue à s'accroître, les muscles sont frappés d'atonie permanente par l'effet
même de la distension soutenue. De nouveau tout se réduit alors à une question
de limite d'élasticité ; quand cette limite est franchie, la rupture a lieu connue
pour un vaisseau inerte. Enfin, lorsque les vaisseaux, musclés on non, sont
préalablement malades, ou qu'ils sont naturellement friables comme on les voit
régulièrement dans l'état embryonnaire, la cause que nous étudions exerce ses
effets avec une facilité plus grande encore que dans les deux cas précédents.
L'exagération delà tension du sang dans les vaisseaux est donc, suivant la judi-
cieuse remarque de Bouchard, la cause en quelque sorte maîtresse de toute
hémorrhagie par rupture : son étude analytique constitue par suite l'introduction
naturelle à la pathogénie de ces dernières.
Dans l'état sain, ni le cœur ni les artères ne peuvent se rompre par exagéra-
tion de la tension. En dehors du traumatisme, les hémorrhagies intra-péricardi-
548 IIÉMORIUIAGÎE.
ques p;ir rupture de la paroi cardiaque ne s'observent que dans les cas où cette
paroi a été profondément modifiée par des lésions d'ordres divers (Le Piez,
Ruptures du cœur, thèse de Paris, 1872). En effet, le cœur n'est soumis
qu'aux seuls effets de la tension sanguine qu'il engendre lui-même et ne cédera
aux efforts de ce sang que si quelque point de sa paroi a cessé d'être contractile
et est devenu friable (Douchard). Les artères saines, bien que subissant passi-
vement l'effort du sang, ne se rompent pas plus que le cœur par l'augmenta-
tion de la pression intra-vasculaire, car leur limite d'élasticité étant supérieure
à quatre atmosphères (Wintringham, An Expérimental Inquiry on some Parts of
the Animal Structure, 1740, p. -49) et, d'autre part, la tension du sang dans
l'arbre artériel atteignant un quart d'atmosphère comme maximum (Volkmann,
Hœmodijnamik), les conditions de la rupture par excès de tension ne sont
jamais réalisées dans ces vaisseaux, à moins que leurs parois ne soient modifiées
par la maladie.
Les conditions de résistance des diverses portions de l'arbre veineux sont,
contrairement à ce que l'on observe dans l'arbre artériel, éminemment variables.
Certaines veines, comme la veine musculaire du triceps, étant constituées d'une
façon si semblable à celle des artères qu'il est à peine possible de les distinguer
de ces vaisseaux, se trouvent par conséquent, au point de vue de la solidité,
exactement leurs égales. D'autres, telles que les veines superficielles, la saphène,
par exemple, sont au contraire des réservoirs extensibles, se prêtant à des varia-
lions considérables de volume; mais leur paroi, mal musclée et surtout musclée
d'une façon discontinue, ne présente guère de résistance active en dehors de son
élasticité propre. Les points dépourvus de muscles soit annulaires, soit longitu-
dinaux, sont en outre des points faibles. Il est vrai que la tension du sang dans
les veines est constamment très-inférieure à celle qui existe dans les artères
(tension de la carotide 166'"'",55; dans la jugulaire 27""", 5 d'après Yolkmann).
Si donc une veine n'est pas malade préalablement, il n'est guère possible qu'elle
se rompe sous l'effort latéral dû à la tension du sang, sauf duns le cas où des
agents extérieurs interviennent et, comprimant brusquement la région, obligent
le sang à remonter contre son courant normal. C'est ainsi qu'on peut expliquer
les déchirures des sinus de la dure-mère chez le nouveau-né, à la suite de
contractions utérines violentes qui expriment du corps et chassent vers la tète,
déjà en partie dégagée, une masse considérable du sang de l'enfant. C'est égale-
ment ainsi que peuvent s'expliquer les éclatements des veines du cou et de la
face chez les individus dont la poitrine a été brusquement écrasée (Bouchard,
loc. cit., p. 54).
Examinons maintenant les conditions de résistance dans lesquelles se trouvent
placés les vaisseaux inertes, c'est-à-dire les réseaux capillaires et les veinules.
Ici nous nous plaçons au cœur même du sujet, car c'est par cette partie de
l'arbre circulatoire que s'opèrent presque exclusivement les hémorrhagies
spontanées.
Les capillaires vrais, réduits à un vernis endothélial et à une membrane
propre si mince qu'elle a été contestée par Eberth, ne sont extensibles que dans
des proportions très-restreintes. La limite d'élasticité de leur paroi est rapide-
ment atteinte et dépassée par les injections employées en anatomie, et l'on voit
les ruptures se faire à leur niveau; les veinules sont plus extensibles de beau-
coup : non-seulement parce que leur paroi propre devient plus épaisse, mais
encore parce que le vaisseau commence à s'isoler au sein du tissu conjonctif, au
IIÉMORRHAGIE. o49
lieu d'y être en quelque sorte creuse à l'état de trajet. Quant aux artcrioles, elles
participent, nous l'avons vu, à la solidité des artères; à cause de leurs muscles
propres disposés en couche continue. Dans l'état normal, les réseaux capillaires
reçoivent le sang débité par les artérioles au prorata des besoins circulatoires de
la région. Par des mouvements d'ouverture et de fermeture insensibles, les
vaisseaux d'apport contractiles distribuent le liquide nourricier de manière à
établir dans les réseaux inertes un régime d'écoulement régulier et uniforme.
Lorsque la section transversale des capillaires est devenue assez réduite pour
que les lois de la capillarité viennent modifier le régime de l'écoulement, la
vitesse du liquide en mouvement est réglée par une loi purement physique. Elle
varie proportionnellement à la charge engendrée par le travail du cœur, au carré
du diamètre des capillaires et d'une façon inversement proportionnelle à leur
longueur (Poiseuille).
Au moment oià chaque capillaire se jette dans une veinule, cette dernière,
dont le diamètre est considérable et supérieur aux dimensions des capillaires les
plus larges, reçoit le sang dans sa cavité, et ce liquide n'est plus soumis aux
modifications particulières imprimées par la capillarité aux lois ordinaires de
l'écoulement. Or on sait que, lorsqu'un liquide en mouvement dans un système
continu de canaux passe brusquement d'un tube de petite section à un tube de
section très-large, sa vitesse est ralentie et sa tension, c'est-à-dire l'effort qu'il
exerce contre la paroi, est augmenté pioportionnellement, suivant une certaine
loi, à la diminution delà vitesse. L'énergie dont est doué un liquide qui s'écoule sous
l'influence d'une charge de valeur quelconque est en effet décomposable en deux
portions, l'une, employée à faire mouvoir le liquide, n'est qu'une partie de la
force motrice nécessaire et suffisante à mettre le liquide en mouvement; le reste
subsiste sous forme de pression latérale, égale à l'origine et de signe contraire
à la résistance que le liquide rencontrera dans le reste de son parcours. Or, au
point de raccord d'un tube étroit avec un tube plus large et en vertu de la
continuité de la veine fluide établie par Léonard de Vinci, il se produira une
diminution soudaine de la vitesse. En revanche, la pression latérale, ou tension
intra-vasculaire, s'élèvera à l'endroit où le tuyau s'élargit brusquement, car, en
"vertu de l'inertie de la matière, le liquide tend à conserver sa vitesse acquise,
et la perte d'une certaine quantité de cette vitesse entraîne une augmentation de
pression des molécules les unes contre les autres et contre les parois de la
conduite (Wundt-Monnoyer, Trad. élém. de physique médicale, 1884, p. 162).
Des phénomènes absolument inverses se produiraient, si la veine fluide passait
d'un canal à large section dans un autre à section beaucoup plus petite, ce qui,
soit dit en passant, montre que la tension du sang est de beaucoup plus élevée
•dans les réseaux capillaires bipolaires admirables que dans leurs vaisseaux
efférents : par exemple, dans les capillaires sanguins du glomérule de Malpighi.
Ainsi donc c'est à l'origine des veinules que le sang des vaisseaux inertes
acquiert brusquement et dans des conditions de choc contre la paroi, très-atté-
nuées, il est vrai, dans l'état normal, mais qui dans certaines circonstances
peuvent s'exagérer d'une façon notable, la tension maxima que l'on observe dans
le domaine de l'arbre veineux. Aussi sur le cadavre, qui présente un système
vasculaire dont le mouvement s'est arrêté peu après la dernière systole cardiaque,
on trouve les artérioles vides, les réseaux capillaires renfermant quelques glo-
bules sanguins, et les veinules ordinairement distendues par le sang. Les vei-
nules sont les lieux d'élection des distensions sanguines, des hautes pressions
550 HKMORRllAGIE.
veineuses et des stases, conclusions auxquelles était airivé Bouchanl en vertu de
considérations un peu dillérentes. Il a montré en outre que la limite de la
résistance des réseaux inertes à la tension intva-vasculaire artificiellement déve-
loppée à l'aide de ventouses est de beaucoup abaissée par l'état de dilatation
de ces réseaux. Quand ils forment des aires de pleine circulation par suite de la
paralysie des muscles des artérioles, comme on l'observe dans certains états
morbides, une ventouse ordinaire suffit, sur la peau de l'avant-bras ou du tronc,
pour déterminer une ecchymose, tandis que dans l'état sain, lorsque la circu-
lation capillaire est réduite pas l'activité des vaso-constricteurs, il faut faire
supporter parfois une pression de 78 centimètres de mercure aux petits vais-
seaux pour les rompre et obtenir une suffusion de sang. En effet, quand les .
capillaires sont déjà gorgés de sang, la résistance de la paroi est diminuée de la
différence existant entre le développement maximum que puisse supporter le
vaisseau et sa dilatation préalable. De plus la membrane vasculaire est dans ces
conditions énervée en partie par l'effet mécanique lui-même de la distension
soutenue et par les actions vulnérantes exercées sur elle avec une grande activité
dans de pareilles conditions, par les globules blancs en cours de diapédèse, ainsi
que nous l'avons vu plus haut. Dans cet ordre d'idées, Bouchard parait avoir
raison de soutenir que « l'état de la dilatation vasculaire est, pour la pathogénie
des bi'niorriiagies, un éh'ment bien plus important (pie la tension du sang »
(Houchanl, toc. cit., p. 53).
Les capillaires sanguins et les veinules sont donc les points de l'arbre san-
guin qui constituent, de par leurs dispositions anatomiques et les conditions
spéciales de leur régime circulatoire, en quelque sorte les lieux d'élection des
hémorrhagies. Maintenant il convient de se demander sous quelles inlluences la
rupture de ces capillaires et surtout des veinules, point faible du réseau, peut
arriver à s'effectuer. Théoriquement, trois conditions peuvent déterminer l'écla-
tement des vaisseaux inertes ; ce sont : 1» l'augmentation de la tension artérielle;
2" l'augmentation de la tension veineuse; 5° l'accroissement de la tension dans
les réseaux capillaires. Ces trois hypothèses les supposent sains.
\° h' auçimentaiion de la tension artérielle, ainsi que le fait judicieusement
remarquer Bouchard, ne saurait guère faire éclater des capillaires sains, bien
gardés par leurs artérioles. puisque cette tension ne s'élève guère au-dessus de
19 centimètres de mercure et que les capillaires de l'avant-bras résistent à
78 centimètres de pression mercurielle. H est vrai que les capillaires n'ont pas
tous cette même résistance et que dans les points faibles (alvéole pulmonaire,
muqueuse utérine, muqueuse pharyngo-nasale) une tension sanguine beaucoup
moindre suffirait sans doute à déterminer des ruptures. L'état de pléthore,
c'est-à-dire l'augmentation excessive et contre nature de la masse totale du sang,
pourrait être considéré à priori comme capable de déterminer la rupture des
capillaires de ces points faibles, devenant ainsi la cause d'un genre d'héinor-
rhagie que Galien mettait au premier rang: l'hémorrhagie par impossibilité où
est la partie de laisser prendre place au sang. Cela pourrait être vrai, s'il
existait en effet une pléthore telle que l'entendaient les Anciens : un état carac-
térisé réellement par une énorme surabondance de sang. Mais la réalité de cet
état n'est rien moins que démontrée; la pléthore semble n'être autre chose
qu'une habitude morbide de l'organisme à répartir le sang, en quelque sorte par
llux, dans certaines régions; à créer dans ces régions, telles que la face et cer-
tains points du tégument, des aires de pleine circulation.- La pléthore est avant
IIÉMORRHAGIE. 551
tout la maladie aux mouvements vasculaires désordonne's (Douchard), c'est-à-
dire une maladie où les actions nerveuses vaso-motrices prennent la part la plus
large dans la production des congestions hemorrhagipares. D'ailleurs les expé-
riences faites par une série de physiologistes et de médecins pour arriver à
reproduire artificiellement les conditions théoriques de la pléthore n'ont abouti
à aucun résultat. Pour augmenter la tension artérielle, Bouchard, après avoir
lié les quatre jugulaires à un chien, injecte dans ses veines près de deux litres
d'eau sans obtenir autre chose que quelques suffisions sanguines dans le tissu
connectif lâche, la conjonctive, les lobules pulmonaires sous-pleuraux et les
glomérules de Malpighi. Il convient de faire remarquer que cependant l'eau
pure dissout les globules rouges, gonfle et ramollit les parois des petits vais-
seaux et par conséquent met le système des capillaires dans un véritable état de
moindre résistance. Selon moi, les quelques traces d'hémorrluigie qu'on observe
en pareil cas sont dues bien plus à l'action de l'eau qu'à l'élévation de la ten-
sion artérielle : pas une hémorrhagie importante n'a lieu. Il en est à peu près de
même dans les essais de pléthores locales. Bouchard lie l'aorle abdominale dun
lapin à 5 centimètres au-dessous du rein, lie la veine rénale gauche, puis pousse
dans le bout supérieur de l'aorte 50 grammes d'eau tiède. L'animal meurt sans
avoir présenté d'hémorrhagio intorstilielle du rein droit ni d'hémiiturie. Le rein
gauche seul présentait des points hémoirhagiques principalement au niveau des
vaisseaux intertubulaires ; encore ces effractions étaient peu abondantes, et l'on
peut dire que le mécanisme qui les a fait naître est irréalisable en pathologie
(ligature de la veine coïncidant avec l'augmentation de la tension sanguine portée
à son maximum). Cardans de pareilles conditions la tension dans les capillaires,
le cours du sang étant arrêté dans la veine, devient égale à celle existant à
l'origine de l'aorte, c'est-à-dire à la pression latérale exercée sur les parois du
cœur, et cela en vertu du principe de l'égalité des pressions dans les vases com-
municants.
Aussi la pathologie ne fournit guère que le cas deGendrin (gaslrorrhagie con-
sécutive à la compression de l'aorte abdominale par une tumeur), comme
exemple d'hémorrbagie imputable à l'excès de la tension artérielle. Quant à
celles que l'on a voulu attribuer à l'excès de tension consécutif à l'hypertrophie
cardiaque, et parmi elles l'hémorrhagie cérébrale, on sait maintenant (Charcot
et Bouchard) qu'elles ne ressortissent point du tout exclusivement à cette cause.
Ce sont des hémorrhagies de cause organique, dues à des anévrysmes capillaires
que Bouchard a le premier, dans un travail justement célèbre, découverts,
décrits, et auxquels il a assigné leur véritable valeur dans la palhogénie des
hémorrhagies cérébrales. L'hypertrophie du cœur, nous loferons voir plus tard,
joue dans ce cas le simple rôle de cause adjuvante. En résumé donc l'exagéra-
tion de la tension artérielle est incapable de rompre des vaisseaux inertes sains,
bien piotégés par le jeu des artérioles contractiles qui commandent leur régime
circulatoire. Il n'y a point à proprement parler d'hémorrhagies capillaires par
rhexis ressortissant à cette cause.
2" Il en est tout autrement de V augmentation de la tension veineutte, soit
agissant seule comme cause (veine maîtresse liée ou spontanément oblitérée), soit
combinée avec l'augmentation de la tension artérielle. Quand Bouchard fait une
pléthore artificielle par l'injection d'eau, les hémorrhagies ne se montrent que
là où il a interrompu le cours du sang en retour : dans la tète, les quatre jugus
laires étant liées, dans le rein dont la veine éraulgente a été ligaturée. iNou-
552 IlÉMORRHAGIEo
venons de voir ce qui se passe dans ce cas : la tension intro-vasculaire, au lieu
de décroître de l'origine à la terminaison du circuit où se meut le sang, devient
égale partout et la rnptui'e s'effectue au niveau des points faibles, c'est-à-dire au
voisinage des veinules. Les points faibles sont tous les réseaux nettement bipo-
laires, artériels, veineux ou artério-veineux, tels que ceux des glomérules du
rein, des alvéoles pulmonaires, des coronœ tubulorum de la muqueuse stoma-
cale [voij. Estomac, Anatomie). Sur ce dernier point on voit se produire des
ruptures vascnlaires consécutives soit à la cirrhose alrophique poussée à
l'extrême (Ânt. Fauvel), soit à lu pyléplilébite : affections agissant sur la veine
porte à peu près exactement à la manière d'une ligature. Bouchard a
constaté, dans le service de Béhier, des foyers d'apoplexie pulmonaire con-
sécutifs à des thromboses des veines aboutissant à l'infarctus hémoptoïque.
Barth a cité un cas d'hémorrhagie de la rate par oblitération de la veine
splénique : de son côté, en effet, le système vasculaire de la rate est aussi
un point faible à cause de la délicatesse de ses artérioles de ses veinules,
et des phénomènes incessants de diapédèse dont son système caverneux est le
siège. Nous avons vu en effet que les réseaux capillaires et les veinules, répon-
dant à une veine efférentc liée ou oblitérée, outre qu'ils sont incessamment
soumis à d'innombrables perforations microscopiques de la part des globules
blancs, subissent un ramollissement à la suite duquel ils laissent diffuser même
les substances colloïdes des masses à injection. On reconnaît ici que, l'oblitéra-
tion veineuse s'accompagnant régulièrement de lésions de nutrition des petits
vaisseaux, l'hémorrhagie qui en résulte procède d'une double cause au moins et
rentre dans le cadre des ruptures sanguines de nature organo-mécaniquc. Ainsi
s'explique la rapidité avec laquelle les obstructions des sinus cérébraux s'accom-
pagnent d'extravasations sanguines dans les réseaux merles du cerveau, des
méninges et même de la rétine. Ici le siège veinulaire de l'hémorrhagie est
nettement indiqué par ce fait que les suffiisions ont pour siège initial les gaines
lymphatiques des capillaires veineux (Bouchard).
Malgré les conditions défavorables auxquelles est soumis le sang qui remonte
dans les veines des membres contre la pesanteur et l'insuffisance des valvules
de Fabrice d'Acquapendente consécutive à la turgescence extrême des grandes
veines, les oblitérations ou les ligatures veineuses (phlébites et thromboses)
s'accompagnent rarement de ruptures vasculaires. Ce n'est que dans des cas
tout à fait exceptionnels (Cruveilhier-Lèpine) que l'on voit des ecchymoses
sous-cutanées ou profondes succéder à la thrombose des veines d'un membre.
Dans un cas de pemphigus hémorrhagique et gangreneux, j'ai vu moi-même
l'hémorrhagie avoir pour cause de petites thromboses des veines de distribution
du tégument. Les recherches de Banvier sur l'œdème expérimental, concourent
à jeter une certaine lumière sur de semblables faits. Il a démontré que, même
pour produire l'œdème, il ne suffit pas d'interrompre totalement la circulation
en retour sur des points de l'organisme tels que les membres, où le système
des petits vaisseaux ne présente pas à proprement parler de points faibles,
analogues à ceux du poumon, des glomérules du rein ou des réseaux super-
ficiels de certaines muqueuses. Il faut en outre que le système nerveux moteur-
vasculaire intervienne pour créer dans la partie des aires de pleine circula-
tion et par conséquent de tension intra-capillaire très-haute. Nous reviendrohs
du reste sur ce point en parlant des hémorrhagies de cause vaso-motrice qui
vont nous occuper dans un instant.
HÉMORRIIAGIE. 553
Mais ce que ne peut faire à elle seule l'iaterriiption du cours du sang veineux
dans les régions dé])ourvues de points faibles, Veffort, joint à la suspension du
mouvement du sang dans les veines collectrices peut arriver à l'effectuer. On
sait que pendant la mastication, chez le cheval, la compression des veines jugu-
laires par le jeu des muscles masticateurs peut faire monter la tension du
san" de ce vaisseau de 3'^'",5 de mercure à 15 centimètres, c'est-à-dire
créer contre la paroi une poussée latérale peu différente de celle qui existe dans
le système artériel près de son origine au cœur. Dans ces conditions, on voit
s'effectuer fréquemment des ruptures veineuses. De cette même façon s'expli-
quent les hémorrhagies qui surviennent si fréquemment dans la coqueluche. On
voit alors le sang faire irruption, à la suite de grandes quintes, par le nez,
l'oreille, la bouche, en même temps que l'immense effort qui accompagne la
toux acquiert une puissance mécanique capable de faire éclater la membrane du
tympan. Des hémorrhagies interstitielles, des ecchymoses, s'effectuent aussi dans
ce cas sur la conjonctive, dans la rétine et la choroïde, à la peau. Des ruptures
vasculaires analogues peuvent s'observer dans le vomissement, les efforts pro-
longés et énergiques de défécation, et d'une manière générale dans toutes les
grandes convulsions. La contraction des muscles pendant l'effort tend en effet à
vider de sang le système vasculaire abilominal et à augmenter par suite la
tension veineuse dans la tête et dans les membres. En outre le cours du sang est
arrêté dans les veines et souvent même l'action musculaire le fait refluer contre
son cours habituel dans les régions où, comme dans la tète et le col, les
veines sont dépourvues de valvules. Aussi, cliez les enfants atteints de coque-
luche, les hémorrhagies se produisent lé plus ordinairement à la face et, chez près
d'un tiers des épileptiques, on voit survenir, à la suite des grandes attaques, un
pointillé hémorrhagique de la tête et du cou. Cette variété d'hémorrhagie, dont
un exemple resté célèbre a élé donné par Boerhaave (ecchymose totale du tégu-
ment), doit être soigneusement distinguée de quelques autres qui surviennent
chez les épileptiques soit à litre d'aura, soit à la façon de phénomènes critiques
consécutifs à l'accès et sur lesquelles nous aurons lieu de revenir dans un
instant. 11 s'agit en effet dans ce cas d'hémorrhagies par action vaso-molrice.
3" Ruptures vasculaires par augmentation de la tension du sany dans les
réseaux inertes ou par actions vasomotrices : Hémorrhagies neuropathiques
par rhexis. Lorsqu'on vertu d'une influence quelconque, soit directe, soit
réflexe, les muscles moteurs vasculaires des artérioles qui commandent la circu-
lation des réseaux inertes sont paralysés, le sang coule eu liberté du système
artériel dans ces réseaux et au bout d'un tenqjs plus ou moins long les distend
au maximum en créant à ce niveau des aires de pleine circulation. Cette réplé-
tion n'est jamais subite; elle ne s'effectue point en vertu d'un mécanisme ana-
logue au choc : en effet, les muscles annulaires des vaisseaux possèdent, comme
tous les muscles lisses, la seule propriété de se contracter lentement et d'une
manière prolongée, soutenue ; ils se décontractent de la même façon. Le sang
n'arrive donc jamais dans les réseaux inertes à la façon d'une vague à mouve-
ment rapide, pouvant déterminer par son heurt la rupture d'un capillaire ou
d'une veinule; on peut aisément en acquérir la preuve en examinent le procédé
suivi par la roséole émotive pour se former sur la poitrine d'une femme que
l'on découvre brusquement. La peau est d'abord blanche, puis, au bout de quel-
ques instants, elle se nuage faiblement de rose par places. Les aires roses
s'accroissent progressivement, deviennent purpurines et enfm écarlates; ensuite,
DicT. ENC, 4° s. Xin. 23
3à4 HlhFORRIIAGIE.
l'émotion se calmant, tout repasse lentement par la même série de phases, mais
cette fois dune manière décroissante; et la lésion si nette, devenant même parfois
légèrement papuleuse ou ortiée chez certaines hystériques, s'évanouit sans laisser
de traces. Les fluxions congeslives dues à la paralysie des nerfs moteurs vascu-
laircs ne s'exécutent pas autrement dans les réseaux capillaires profonds qu'à
la surface du tégument; il faut toujours un certain temps pour les produire.
11 est absoUiment inutile aujourd'hui d'entrer dans aucune discussion
théorique au sujet des actions vaso-motrices; les faits établis par Cl. Bernard
ne sont plus contestés par personne, tant pour ce qui regarde les phénomènes
de vaso-constriction que pour ce qui a trait à ceux de vaso-dilatation, c'est-a-dire
aux nerfs moteurs glandulaires dont le type peut être pris dans la corde du
tympan. C'est par le mécanisme de la paralysie des muscles des artérioles ou
des petites artères commandant la circulation d'une région soit étendue, soit
répondant à des cônes vasculaires, s'il s'agit des muqueuses ou de la peau,
groupés en petit nombre ou même isolés, que se font les fluxions sanguines
actives. Examinons brièvement les modifications qui surviennent dans ces par-
ties, siège de la lluxion sanguine, véritable lièvre locale de Heil, et qui procèdent
du régime nouveau d'écoulement du sang dans les réseaux capillaires. Sur une
certaine longueur, \arialiie avec l'intensité, et ce que l'on pourrait appeler
l'étendue de la paralysie des sphincters nmsculaircs hélicoïdaux, l'artériole
intéressée se dilate et devient par conséquent, à partir d'un certain point, une
conduite bien notablement élargie. Un second élargissement existe, nous le
savons, au pôle oppose du réseau inerte : il est représenté par la veinule. Le
sang se précipite librement dans ce système par la porte largement ouverte de
l'artériole ])aralvsée; il le distend au maximum et sa vitesse subit alors un ralen-
tissement bien connu. La résistance à l'écoulement diminue alors, puisqu'elle
est, en vertu d'une loi d'hydro-dynamique aussi bien connue, proportionnelle à
la fois i!i la vitesse du liquide en mouvement et à son carré (R = Ki^H-K'iiS
K et K', représentant deux coeflicients expérimentaux variables). Mais à l'entrée
et à la sortie, dans l'aire de l'artériole dilatée (premier point élargi) et dans celle
de la veinule (deuxième point élai'gi), en même temps que la vitesse diminue
la tension subit un accroissement proportionnel. Quelles qu'aient été les discus-
sions et les divergences sur ce point, le phénomène doit se produire nécessaire-
ment dès que la veine liquide reste, (ce qui est expérimentalement constaté),
continue dans tout le circuit sanguin. C'est là en eflét une conséquence du
principe de la conservation de l'énergie et absolument nécessaire dans le cas
considéré, puisque la force vive perdue doit se retrouver, et qu'il n'y a pas ici à
invoquer une augmentation de la chaleur développée par les frottements, ces
frottements subissant, dans les points où la conduite devient plus large, une
diminution notable. Ainsi donc, dans le cas réalisé par la pleine circulation
d'un réseau capillaire, la tension, l'effort contre la paroi, s'élève aux deux
pôles du réseau : dans Vartériole brusquement élargie et au niveau de la
veinule. C'est aussi sur ces points que l'hémorrhagie se produit, ainsi que le
démontre pleinement l'histologie pathologique, mais beaucoup plus souvent au
niveau de la veinule que de l'artériole. Ce dernier fait a son explication toute
naturelle dans la résistance infiniment supérieure des parois de l'artériole, dont
la limite d'élasticité est de beaucoup plus considérable, parce qu'à celle de la
membrane propre vient s'ajouter l'élasticité des muscles annulaires spiraux.
La physiologie expérimentale nous montre que, sur ces points où la tension du
HÉMORRIIAGIE, 555
sang subit un accroissement brusque, des ruptures vasculaires peuvent se pro-
duire consécutivemeut à la paralysie des nerfs vasculaires, dans les cas où cette
dernière a déterminé des fluxions sanguines au niveau de réseaux délicats tels
que ceux de la pituilaire. Cl. Bernard a vu en effet parfois l'épistaxis suivre la
section du sympathique au cou. Mais ce fait est exceptionnel, les lésions du
grand sympathique, en déterminant l'atonie des artérioles et en produisant
dans leurs aires de distribution des byperémies intenses et soutenues, ne font
ordinairemeut que créer des conditions favorables à la production des liémor
rhagies. Ces conditions, nous le savons, consistent principalement dans la
distension des vaisseaux inertes et dans le ramollissement de leurs parois consé-
cutifs à l'augmentation de la diapédèse. Dans cet état, les vaisseaux ne suppor-
tent plus une augmentation de tension artérielle qui, dans l'état ordinaire, celui
du réoime normal et modéré de circulation, aurait été absolument incapable de
les rompre; le fait a été directement démontré par Bouchard. C'est pourquoi les
byperémies vaso-motrices, telles que, par exemple, les différents érythèmes que
l'on peut observer sur la peau, depuis la roséole émotive jusqu'à l'érythème
papuleux (pour ne parler que de lésions vasculaires d'analyse extrêmement
simple et facile, puis(iu'elles sont pendant la vie sous les yeux mêmes de l'obser-
vateur), ne s'accompagnent ordinairement pas de phénomènes bémorrhagiques.
Dans certaines conditions cependant à la congestion simple peut dans ce cas se
joindre l'œdème, soit léger et satel lite de la congestion , soit intense et produisant une
inondation séreuse dont le type est la papule anémique de l'urticaire. Un pas de
plus, la lésion devient hémorrbagique, et l'étude de l'érythème exsudatif multi-
forme, polymorphe, d'ilébra, montre que fréquemment ce pas est franchi, A côté
d'une tache congestive on en trouve une congestive et papuleuse, plus loin
existe parfois une plaque d'urticaire et enfin, au centre de certaines taches papu-
leuses, on voit une ecchymose dilfuse ou même une véritable petite apoplexie
sanguine de la peau.
J'insiste ici à dessein sur ce fait, parce qu'il est la clef des héraorrhagies de
cause nerveuse et qu'il réalise sous les yeux du médecin une véritable expérience
physiologique. Bien que nous ignorions en effet à quel mode d'excitation répondent
les nerfs vasculaires pour créer les lésions multiformes de l'érytbèine polymorphe,
nous constatons nellement que, par une série de passages insensibles, et en
croissant progressivement d'intensité, l'atonie des petits vaisseaux contractiles
peut amener la série des lésions suivantes : énjlhème simple, œdème congestif,
œdème vrai ou inondation séreuse, he'morrhagie élective ou diffuse, liémor-
rhagie en foyer.
Les lésions de certains nerfs, mais surtout celles des centres nerveux,
semblent avoir sur la production des hémorrhagies neuro-paralytiques une
influence prépondérante. Si pendant l'hiver on coupe le pneumogastriqua d'un
chien et qu'on l'abandonne ensuite pendant la nuit et sans nourriture, il meurt
le plus ordinairement avec une grande rapidité. L'inlluence du froid vient dans
ce cas se joindre aux autres effets de la section nerveuse. Dans ces conditions,
Morat et Colrat ont constaté qu'il se produit dans le poumon des nappes
d'apoplexie diffuse, de véritables hépaiisations du parenchyme pulmonaire par
du sang pur. J'ai pu voir avec eux ces noyaux apoplectiques qui tombent au fond
de l'eau comme des pierres et dans lesquels l'examen histologique montre les
alvéoles entièrement gorgés de sang pur sur de vastes surfaces. L'action hémor-
rhagipare des lésions des centres myélencéphaliques est aussi bien connue, en
356 IIÉMORRHAGIE.
physiologie, depuis les expériences de Brown-Séquard {Bull, de la Soc. de Mol.,
t. III, p. IIC). En sectionnant un corps restiforme, il détermine chez le cobaye
des hémorrhagics sous-cutanécs dans l'oreille du côté lésé; en piquant la moelle
vers la dixième vertèbre dorsale, en n'intéressant même qu'une moitié latérale
de la moelle, il produit une hémorrhagie dans l'une ou l'autre capsule surrénale
ou à la fois dans les deux. On pourrait maintenant multiplier les exemples et
rapporter en détail les observations de Pincus et Samuel {die trophischen
Nerven. Leipzig, 18G0) et de Schiff {Lezzioni, etc., p. 287, 298, 595, 595). Il
suffit de dire ici qu'il est absolument démontré aujourd'hui que des lésions des
centres nerveux, faites expérimentalement, déterminent à distance, dans des
organes divers et particulièrement dans ceux dont les roseaux inertes présentent
des conditions de moindre résistance, des poinls faibles (poumon, plèvre,
péricarde, glomérule du rein, etc.), des liémorrhagies en nappe ou en foyer, des
ecchymoses ou des foyers d'apoplexie.
Ainsi, sous l'iullncnce d'actions vaso-paralytiques ayant leur origine dans des
mouvements nerveux partis des centres myélencéplialiques, ou de centres péri-
plu'ri(pies tels que les ganglions semi-lunaires du grand sympathique (Pincus et
Samuel), la tension intra-vasculaire peut s'accroître dans les réseaux inertes au
point de faire éclater leurs parois et de produire une hémorrhagie en foyer. Un
loyer apoplectique ne peut, en effet, résulter, l'anatomie pathologique le
démontre, que d'une rupture vasculaire. Cette rupture peut s'effectuer sur un
vaisseau volumineux et en un seul point ou sur plusieurs petits vaisseaux à la
fois et à des intervalles très-rapprochés. Il en résulte un flot de sang. Ce flot
sanguin, s'il est de petit volume, forme un foyer apoplectique capillaire ou
une gouttelette sanguine qui s'écoule, s'il s'agit d'une éruption faite sur une
surface; s'il est considérable, il constitue une hémorrhagie en surface importante
ou une apoplexie diffuse.
Mais la rupture peut s'opérer autrement, sur un grand nombre de poinls à la
fois, dans tout le domaine d'un large réseau de capillaires dont les aires sont
réunies entre elles par des anastomoses nombreuses. Ainsi se produisent,
interstitiellcmeiit, les grandes nappes hémorrhagiques telles que, par exemple,
celle de la maladie de Werliioff. Lorsqu'au contraire le sang peut s'écouler au
dehors, il le fait par une sorte de ruissellement. C'est ce que l'on observe en
particulier dans l'hématidrose ou dans le phénomène connu sous le nom de
larmes de sang. Je cite encore ici ces exemples parce qu'on les a vraiment sous
les yeux et qu'en réalité il s'agit ici de véritables liémorrhagies exposées.
Pendant la durée du phénomène, le sang coule comme d'une source, et il s'agit
bien ici de sang complet, tel qu'il peut et doit être épanché par une série de
mptures vasculnircs, car on a pu reconnaître ses qualités organoleptiques et
physiques, compter ses globules et le voir se coaguler à la façon de celui d'une
saignée capillaire faite à l'aide d'une ventouse. Dans ce cas aussi, la glande
émet le sang comme elle ferait la sécrétion normale, sous l'influence d'un
nerf moteur glandulaire, mais, au lieu d'extraire du liquide nutritif les produits
de cette sécrétion, elle laisse passer sans choisir le sang tout entier, nous
essayerons de déterminer un peu plus loin par quel mécanisme.
Après avoir établi l'existence des liémorrhagies de cause nerveuse, et indiqué
l'importance prépondérante que prennent, dans leur production certains cordons
nerveux tels que le pneumogastrique ou les nerfs glandulaires, et les centres
nerveux myélencéphaliques et périphériques, il convient de catégoriser, au point
HÉMORRIIAGIE. 557
de vue de la palhologie générale, ces actions nerveuses diverses, et de les placer
en regard des faits cliniques observés. Nous ferons remarquer pourtant aupara-
vant que toute hémorrhagie de cause nerveuse peut être unique, comme celle,
par exemple, qui se produira à distance à la suite d'une excitation trauma-
tique ou spontanée des centres, ou renouvelée d'une façon qui peut varier.
Quand les conditions déterminantes de l'hémorrhagie nerveuse se reproduisent
irrégulièrement, comme c'est le cas dans les héniorrliagies dues à ce que l'on
appelle la pléthore, il s'agit d'un phénomène à retour irrégulier; mais fréquem-
ment aussi les fluxions hémorrhagipares de cause nerveuse affectent dans leurs
retours un certain rhythme : ce sont les hémorrhagies à périodes dont le type
est la llnxion cataniéniale dans l'état normal et dont on peut, en pathologie,
citer de nombreux exemples, parmi eux la fièvie comitialehémoptoïquc de Torti.
Enfin les hémorrhagies peuvent paraître à la façon de satellites de certains états
névropathiques : telles sont celles qui ec montrent à la façon d'aura, au début
des attaques épileptiques, ou à titre de phénomènes critiques à la suite de ces
mêmes attaques (Raynaud et Rengade).
Cela posé, les hémorrhagies qui, en pathologie, reconnaissent une cause
nerveuse, peuvent être rangées sous deux chefs principaux : hémorrhagies par
action nerveiise directe et hémorrhagies réflexes.
Sous le premier titre nous rangerons celles qui sont dues à une lésion d'un
nerf ou d'un centre agissant directement, pour produire l'hémorrhagie, dans
l'aire de distribution nerveuse commandée par ce centre ou par ce nerf lui-
même. C'est ainsi que la névrite ou plutôt la périnévrite (œdème aigu) du nerf
atteint de zoster peut exercer à la périphérie une action telle, que la phlyctène
devient héraorrhagique et se remplit de sang pur (zona hémorrhagique). De
même, dans la prosopalgie, Rrown-Séquard a vu dans un cas la congestion,
satellite du mal, aller jusqu'à la rupture et donner lieu à des ecchymoses
faciales spontanées.
Les hémorrhagies déterminées à distance dans certains organes par des lésions
du système central tiennent le milieu entre les hémorrhagies par action nerveuse
directe et les hémorrhagies réflexes.
Nous venons de voir qu'en lésant traumatiquemeut le pont de Yarole ou la
moelle épinière Rrown-Séquard détermine des hémorrhagies à distance. Cette
notion doit être transportée dans le domaine pathologique. En 1851, Rreschet
{Arch. deméd., t. XXV, p. 101) avait déjà observé qu'une hémorrhagie de la
substance grise de la moelle accompagnée d'une inflammation consécutive (?) de
cette même substance s'était accompagnée aussi d'une hémorrhagie de rein.
Andral, dans sa clinique, signalait (t. V, p. 519-o25), chez les apoplectiques, la
rougeur persistante de la muqueuse gastrique et de celle de l'déon, et dans un
cas une érosion hémorrhagique de l'estomac. Ces observations se multiplient
dans le travail intéressant d'Emile Coutagne {Des hémorrhagies gastriques et
intestinales dans les maladies chroniques du cerveau, in Gaz. méd. de Lijon-,
1865). Enfin Charcot, en 1867 (Rouchard, loc. cit., p. 82), insiste sur les
arborisations avec ecchymoses de la muqueuse stomacale et du péricràne à la
suite des lésions rapides de la substance cérébrale par hémorrhagie ou ramollis-
sement. II fait observer que dans un cas ces ecchymoses occupent sous le
péricràne seulement le côté opposé à la lésion encéphalique et se limitent
exactement par la ligne médiane. Cette dernière remarque présente un intérêt
très-grand; elle fait voir que l'action d'arrêt qui détermine les phénomènes
558 IIÉMORRHAGIE.
(i'heniiplégie croisée, porte non-seulement sur les muscles striés, mais aussi sur
les muscles lisses dans le domaine de la paralysie produite : c'est-à-dire en
réalité sur les nerfs commandant le mouvement des muscles des deux ordres.
Cet arrêt, il importe de le faire remarquer, semble se produire en vertu d'une
sorte d'inhibition faite à distance, et brusquement, au moment même où la
lésion centrale détruit l'équilibre nerveux comme par une sorte de clioc. 11 est
difficile ici de déterminer si ce choc est imputable plutôt à la lésion elle-même,
circonscrite et limitée à un foyer, ou plutôt à l'état apoplectique, dans les cas
d'ecchymoses multiples cutanées ou viscérales, se produisant du côté paralysé
dans un très-grand nombre de cas d'apoplexie, suite d'hémorrhagiecérébr;deou
de ramollissement, comme l'ont définitivement démontré les observations
d'Ang. Ollivier, de Baréty (Soc. de biologie, 1874). A mes yeux, l'influence
prépondérante de la lésion agissant par elle-même, et en dehors du choc apoplec-
tique proprement dit, ne saurait êlre considérée comme douteuse. J'ai vu, en
effet, un phénomène d'ordre très-analogue à la congestion neuro-paralytique
hémorrliagipare, l'œdème aigu, envahir un membre plusieurs heures avant
qu'une attaque d'apoplexie vînt révéler l'existence d'un ramollissement par
thrombose, et paralyser le bras déjà œdématié. Du reste, les ecchymoses et même
parfois les noyaux d'apoplexie pulmonaire que l'on rencontre chez les animaux
abattus, chez les hommes décapités et chez les pendus dont les vertèbres sont
brisées, montrent bien la relation directe existant entre la lésion des centres
nerveux et les hémorrhagies faites brusquement à distance en vertu d'une action
neuro-paralytique rapidement portée à son maximum et aboutissant à des
ruptures vascnlaires. Brown-Séquaid a de plus démontré que celte action à
dislance s'exerce constamment par l'intermédiaire de la moelle et des ganglions
des paires rachidiennes; elle ne suit pas la voie des cordons nerveux, tels que
le vague, par exemple, pour le cas particulier des hémorrhagies du poumon
consécutives aux lésions expérimentales du pont de Yarole, car, si l'on coupe la
moelle en travers entre la 6" et la 1" vertèbre cervicale, ces hémorrhagies ne se
produisent plus sous l'influence d'aucune excitation ni mutilation (Brown-
Séquard, On ecchymose and other Effusions of Blood caused by a Nervous
Influence. In Arch. of. Scientific and Practical Medicine, 1875, p 148).
Les lésions de certains points des centres nerveux et d'une manière générale
celles qui rompent net ré([uilibre de ces centres exercent donc, dans des
régions probablement déterminées suivant le point lésé (Ex. : corrélation des lésions
du pont de Varole avec l'hémorrhagie pulmonaire), une action neuroparalytique
sur les nerfs moteurs vasculaires; voilà en quoi l'on peut ici partiellement
invoquer un effet direct. D'autre part, en passant par les ganglions des paires
rachidiennes, ces actions y doivent subir des modifications comme dans tous les
cas où un rideau ganglionnaire est interposé entre une incitation partie de la
moelle et le point de l'économie qui doit la recevoir. C'est donc avec raison que
dans l'espèce Vulpian propose d'admettre que l'hémorrhagie produite, à la
périphérie, en divers'points du côté hémiplégie, est le résultat d'une paralysie
réflexe des muscles vasculaires. Mais il importe de distinguer cette action
réflexe, partielle et en quelque sorte secondaire, des grands réflexes qui, dans
la catégorie d'hémorrhagies qui va maintenant nous occuper, déterminent ces
dernières en vertu de mouvements fluxionnaires généraux ne ressortissant,
du moins, d'une façon saisissable, à aucune localisation exacte et limitée dans
les centres.
IIÉMORRHAGIE. 559
Les hémorrhagies re'/Ze.res proprement dites sont produites, le système nerveux
central ne pre'sentant aucune lésion circonscrite, par le mécanisme d'actions
fluxionnaires sur les parties qui vont en devenir le siège. Ces actions fluxion-
naircs sont de types éminemment variables et, si j'essaye ici de les catégoriser,
c'est uniquement en vue des besoins de l'exposition didactique qui constitue, en
patbologie générale, à proprement parler la métbode.
A. Flux liémorrhagipares réflexes propren.ent dits. Tout flux hémorrha-
gipare d'origine réflexe est le résultat d'une brusque variation du régime
circulatoire dans les réseaux vasculaires. A un moment donné, et de par une
action nerveuse prenant son point de départ à la périphérie, puis réfléchie par
les centres sur un autre point, celui qui va devenir le lieu de l'hémorrliagie, les
artérioles paralysées ouvrent la voie au sang qui se précipite dans les réseaux
inertes et, sur les points où la tension est devenue suifîsante pour triompher de
la résistance de la paroi, rompt ou divulse cette dernière en devenant ainsi
l'instrument d'une hémorrhagie par rhexis ou par diabrose. Parfois aussi la
rupture n'a pas lieu dans le sens macroscopicpic du mot et une hémorrhagie
incomplète ou élective se produit. Mais ici nous laissons celte forme de côté,
tout en faisant remarquer que les actions fluxionnaires qui le plus souvent la
déterminent ne sont pas fondamentalement distinctes de celles qui, dans d'autres
cas, occasionnent des ruptures. Pour mettre en train le mouvement fluxionnaire
dans une région, il faut le concours de deux circonstances : un point doit exister
(pars mandans) qui devient le point de départ de l'impression ])erçue par le
centre nerveux sans intervention du sensorium commune et réfléchie par ce
-centre sur la région qui doit recevoir le mouvement fluxionnaire {pars reci-
piens); cette région est ordinairement préparée pathologiquement au phénomène
morbide dont elle va devenir le théâtre ; c'est un lieu de moindre résistance
organique ou un point faible du réseau circulatoire, tel, par exemple, que le
poumon, le rein, une membrane ou un parenchyme à capillaires délicats, mal
soutenus ou exposés. Nous comprendrons, sous le terme de flux hémorrhagipares
réflexes proprement dits, ceux qui prennent leur origine dans une pars man-
dans bien déterminée et non pas dans un état du système nerveux tellement
incertain qu'il soit impossible au pathologiste et au clinicieu de saisir le fil dont
l'origine est le point de départ de l'action réflexe.
Il ne saurait être question ici d'établir la liste entière des hémorrhagies
réflexes proprement dites, telles que nous venons de les définir, mais il convient
d'en citer quelques exemples en choisissant les plus typiques. Une première
cause d'iiémorrhagies de cet ordre est l'action du froid. Le froid intense,
■exerçant son action sur l'ensemble des réseaux vasculaires du tégument, ne
:tarde pas, on le sait, à mettre des artérioles en état de contraction tonique. Il
eu résulte une variation brusque du régime circulatoire du corps entier. La
tension artérielle est augmentée par suite de l'accroissement des résistances
périphériques dû à l'anémie des réseaux cutanés. Dans cet état, les centres
nerveux ouvrent par action réflexe, largement, les artérioles qui commandent la
circulation des réseaux capillaires viscéraux. Le poumon, Tinleslin, les
muqueuses, les centres nerveux encéphaliques, deviennent le siège d'aires nom-
breuses de pleine circulation, comme l'oreille après la section du sympathique
au cou chez le lapin, et cette pleine circulation s'effectue sous une tension arté-
rielle accrue. En réalité, ces organes se trouvent dans les conditions réalisées
par l'expérience de Bouchard [loc. cit., p. 80) dans laquelle, à la suite d'une
Ô60 IIÉMORRllÂGIE.
section unilatérale du sympathique du cou, l'on ne voit d'abord se produire dans
l'oreille du lapin en expérience que la congestion habituelle, mais où l'on
constate l'apparition de ruptures vasculaires et d'ecchymoses, dès que, par la
ligature de l'aorte abdominale et l'injection d'une minime quantité d'eau dans
le bout central du vaisseau lié, on a sulfisamment accru la pression latérale du
sang dans les réseaux congestionnés.
Les hémorrhagies viscérales consécutives à l'action du froid ne sont pas rares dans
les régions polaires quand la température descend à — 40 degrés Réaumur et qu'il
fait du vent (Bogorodsky), elles se produisent chez les Groenlandais, les Esquimaux
ou les Kamschadalcs,sousfornie d'épistaxis fréquentes et plus rarement sous celle
d'hémoptysies. On connaît la statistique d'Alison et d'Ileberden (Alison, Outlines
of Plujsiology and PatJiologij), qui font voir qu'i'n regard des froids terribles de
1799 on constate une augmentation considérable dans le chiffre des apoplexies
cérébrales. Le cas de Bamberger, cité par Bouchard, est tout aussi instructif. Un
jeune homme échaulfc par le travail se jette dans une rivière, perd connaissance
et reste hémiplégique pendant plusieurs mois. Ici le flux amené par ce froid avait
sans doute agi sur des vaisseaux déjà malades, anévrysmaliques, constituant une
pars recipiens de la fluxion mal disposée pour y résister, mais qui, sans cette
circonstance, auraient encore probablement tenu bien longtemps.
Dans (juebjues circonstances, la chaleur excessive peut devenir de son côté
l'origine d'hémorrhagies à la peau. Mais elle agit d'une façon tout autre que le
froid, en frappant d'atonie tous les petits vaisseaux contractiles du tégument et
en les faisant ainsi devenir le siége'd'une circulation d'une intensité extrême, en
même temps que très-probablement elle ramollit les parois capillaires en vertu
d'une action purement physique. Quoi qu'il en soit de cette explication, Cl. Ber-
nard a constaté à plusieurs reprises l'existence d'ecchymoses sur des lapins
morts à la suite dune élévation trop considérable de la température de l'air
au sein duquel il les confinait afin d'étudier les effets de l'accroissement de la
chaleur ambiante sur l'organisme.
Il est d'observation vulgaire (|ue l'excitation de certains organes détermine
sur place ou à distance des fluxions liémorrhagipares. C'est ainsi qu'on peut
expliquer les hémorrhagies utérines ou vésicales, ou encore les néphrorrhagies
consécutives à l'abus du coït, à l'existence de corps fibreux interstitiels; les
épistaxis satellites d'altérations viscérales siégeant du même côté, par exemple,
celles qui se produisent par la narine droite dans une pneumonie droite (Bou-
chard), ou par la narine gauche dans les affections hépatiques, suivant l'antique
remarque de Galien. L'irritation nerveuse peut donc se réfléchir, sous forme de
fluxion hémorrhagipare, ou sur le point irrité, ou, suivant l'enchainement
anatomique des éléments nerveux, provoquer la congestion et rompre les vais-
seaux dans un autre organe. C'est ici qu'apparaît pleinement le rôle de la pars
recipiens. L'observation clinique montre que, dans la majorité des cas, elle
constitue, de par ses aptitudes pathologiques chez le sujet, un lieu de moindre
résistance.
Cela est surtout vrai des hémorrhagies dites supplémentaires, soit du flux
cataménial, soit de tout autre flux tel que l'héraorrhoïdaire. Le mouvement de
répartition désordonnée du sang, qui a pour point de départ les modifications
survenues dans le régime circulatoire habituel des parties mandantes : le système
utéro-ovarien ou les réseaux hémorrhoïdaires, détermine alors de préférence la
réplétion au maximum des vaisseaux d'organes qui sont le siège habituel de
IIÉMORRIIAGIE. 501
déterminations congestives. C'est ainsi que les hémoptysies supplémentaires ou
satellites des règles s'observent de préférence chez les femmes dont les poumons
sont, ou ont été autrefois envahis par des tubercules ou qui sont, chez certains
arthritiques, le lieu de prédilection des congestions symptomatiques de la goutte
viscérale. J'ai pu, durant de longues années, observer cette forme d'hémoptysie
chez une personne issue d'une race de goutteux, dont les enfants sont goutteux
aussi presque tous et qui, depuis vingt ans que je l'ausculte, ne m'a pas fourni
le moindre signe de la tuberculisatiou pulmonaire inconnue dans sa famille.
Mais, par contre, elle est prise tous les deux ou trois ans de congestions pulmo-
naires intenses, fugaces, accompagnées d'intolérables douleurs intercostales, se
caractérisant par une pluie de râles d'œdème dans toute la hauteur du poumon
intéressé, et s'accompagnant de crachats rouilles. De même la suppression des
hémorrhoides peut donner naissance à des hémorrhagies massives de l'estomac
chez les anciens alcooliques. J'ai eu l'occasion d'en observer un cas trois jours
après l'enlèvement d'un paquet hémorrhoïdal volumineux fait à l'aide de l'écra-
seur linéaire. Le vomissement de sang fut si considérable et si répété que la
mort fut imminente et que le malade fut, dans sa convalescence compliquée
d'un état liydrémique marqué, emporté par une pneumonie intercurrente. Il
n'avait ni cancer, ni ulcère de l'estomac, mais les lésions ordinaires de la
gastrite atrophique des buveurs (roy. Estomac \ Pathologie générale]). L'exis-
tence des hémorrhagies supplémentaires a été de nos jours vivement contestée;
les exemples précédents, choisis entre mille, montrent cependant qu on doit en
admettre la réalité. Mais on doit toujours soupçonner d'un état morbide anté-
rieur les organes situés à distance de la pars mandans et qui deviennent le
siège de l'écoulement du sang : car, dans la majorité des cas, le système nerveux
semble choisir un organe. malade, prédisposé aux ruptures vasculaires, pour y
réfléchir la congestion hémorrhagipare. Quelle est maintenant la raison déter-
minante de ce choix? Nous l'ignorons. Nous constatons simplement ici l'exacti-
lude du vieil adage uhi stimulus, ihi fluxus ; cependant, si l'on voulait faire
une hypothèse, on pourrait faire intervenir parmi les raisons du choix fait par
le réflexe qui détermine l'hémorrhagie la Ihcorie de la succion [succion power)
reproduite sous une forme scientifique et acceptable jusqu'à un certain point
par Diaper, et étudiée soigneusement il y a vingt ans déjà par Brown-Séquard
{Course of Lectures of the Physiology and Palhology of Central Nervous Sys-
tem, p. 174, et lecture X, passim. Philadelphia, 4850). Si dans un réseau
vasculaire existe, de par une lésion quelconque, un mouvement nutritif exagéré,
comme pourrait l'être celui déterminé par une épine inflammatoire, les actions
chimiques qui se passent entre le sang et les tissus sont aussi exagérées, et,
suivant Draper, il se passe sur ce point des phénomènes physiques intra-capil-
laires qui ont pour résultat un appel de sang. Si, en effet, on réunit par une
mèche de coton deux capsules contenant l'une une base, l'autre un acide,
un courant s'établira de l'une de ces capsules dans l'autre, et d'une manière
d'autant plus active que, les liqueurs étant plus concentrées, les actions chi-
miques acquerront plus d'intensité. Je me borne à formuler ici cette théorie,
et, à l'exemple de Bouchard, je ne crois pas avoir à la juger.
Je prendrai un dernier exemple d'hémorrhagies réflexes proprement dites
dans le purpura, local ou généralisé, de cause traumatique, étudié tout récem-
ment par Paul Berne (Étude sur quelques cas de purpura traumatique, thèse
de Paris, 1884). Cette forme dhémorrhagie établit en effet une transition natu-
'362 IIÉMORRIIAGIE.
■relie entre les hémorrhagies réflexes dont la partie mandante est bien déterminée
•et celles qui sont la conséquence d'une action directe sur les centres d'un choc
émotif. Berne a montré que parfois, à la suite d'un traumatisme, on voit
apparaître des taches purpuriques plus ou moins loin de l'endroit directement
atteint par le traumatisme, mais dans la région traumatisée. 11 y a dans ce
premier cas réaction hémorrhagipaie sur. le point lésé et cette réaction paraît
être en rapport avec une lésion circonscrite des filets nerveux. Dans d'antres cas
le purpura se généralise : il semble donc que la lésion nerveuse localisée et le
choc Irauniatique se combinent pour déterminer une action diffuse sur la moelle,
■congeslive dans l'hypothèse de l'auteur, et aboutissant à la réllexion d'actions
hémorrhagipares disséminées sur une multitude de points, c'est-à-dire à un
molimen hémorrhagique analogue à celui de la péliose.
B. Flux hémorrhagipares réflexes d'origine émotive. Nous avons étudié
en son lieu la roséole émotive et nous avons vu qu'elle peut être poussée
jusqu'à la production d'un érylhème exsudalif. Chez quelques sujets elle devient
orliée, l'augnicntation de la tension du s:mg dans les vaisseaux inertes, consé-
cutive à la paralysie des artérioles conmiandant la circulation dans chaque tache,
est assez considérable pour amener la transsudation séreuse, l'œdème aigu de
l'aire vasculaire intéressée. Un pas de plus, et le sang sortirait des vaisseaux.
Or la ])athologie nous montre que ce pas peut être franchi. Connue le froid, le
choc émotif bouleverse le régime circulatoire normal. Une émotion morale
vive permet de suivre ces variations circulatoires sur la face elle-même, qui
•rougit et pâlit tour à tour. Parfois le spasme émotif, intéressant certains vais-
seaux dans l'aire desquels s'effectuait une hémorrliagie, supprime cette dernière
•d'un coup; c'est ce qui arrive pour les règles dans nombre de cas. .Mais les
congestions émotives peuvent par contre être si intenses qu'elles déterminent
l'héniorrhagie, font saigner du nez, ou cracher, ou même suer (Parrot) le sang
•chez les prédisposés à ces trois formes d'hémorrhagies, chez les chlorotiques ou
les phtilisiques, par exemple. D'autres fois, mais plus rarement, le choc émotil
agit à la façon du choc traumatiqiie dont nous venons de signnler, avec Berne,
l'inlluence hémorrhagipare. Il semble créer d'emblée une diathèse hémorrha-
gique réalisant le syndrome de la maladie de Werlhoff. C'est ainsi que se pas-
sèrent les choses dans le cas célèbre de Gilibert. A Lyon, durant la Terreur, un
homme est arrêté par méprise, puis bientôt mis en liberté. En rentrant dans sa
maison il s'aperçoit qu'il est couvert de taches purpuriques, il aune épistaxis lé-
gère, puis quelques jours après il est pris d'un énorme melaîna et meurt sur sa
chaise percée, tué par la perte excessive de sang. Le cas rapporté par Lancereaux
[Analomie pathologique, t. I, p. 562) est absolument du même ordre. Un
ouvrier éprouve une frayeur profonde en manquant de briser un meuble de
prix; presque immédiatement il est pris d'épistaxis, de stomatorrhagies, qui se
renouvellent et qui Tépuisent, puis viennent un purpura, des épistaxis nou-
velles, et le malade meurt couvert de taches pui'puriques, et présentant des
points ecchymotiques multiples dans les méninges et dans le cerveau.
Ainsi une émotion morale vive peut déterminer, en dehors de toute irritation
grave localisée, une perturbation du système nerveux telle, qu'elle aboutit à des
mouvements fluxionnaires assez intenses pour déterminer une hémorrliagie, et
môme pour étabhr à demeure dans l'organisme la tendance aux hémorrhagies
multiples, disséminées et répétées, \a. diathèse hémorrhagique, en un mot. Mais
c'est surtout chez les sujets dont le système nerveux est déjà doué d'une suscep-
IIÉMOIIRIIAGIE. 5G5
libilité maladive; chez les femmes, chez les névropathes du sexe masculin,
chez ceux qu'en un mot l'on pourrait grouper sous le nom de nerveux, et qui
deviennent ï^i aisément névrosiqiies, que l'on voit le choc émotif exercer se'i'ieu-
sement de préférence la série de ses effets nuisibles, et parmi eux les conges-
tions hémorrhagipares. Cette considération nous amène à nous occuper dès
maintenant des hémorrhagies qui, à la façon de phénomènes satellites ou de
conséquences, se produisent suivant divers modes dans le cours des névroses
vraies.
C. Flux hémorrhagipares réflexes et cVorigine névrosique. Nous pren-
drons pour type les hémorrhagies symptomatiques de l'épilepsie; ces hémor-
rhagies peuvent se montrer soit comme aura, soit au contraire comme pliéno-
mènes critiques à la suite de l'accès, enfin elles se produisent parfois pendant
sa durée, en dehors de tout effet mécanique appréciable que l'on puisse rapporter
à l'effort. Ces phénomènes hémorrhagiques ont été surtout étudiés par Rengade
et Raynaud [Recherches statistiques sur les accidents produits par Vaccès
épileptiqué) et affectent le plus ordinairement l'apparence de pliénomènes
consécutifs à l'accès. On a cité le cas d'un épileptiqué (jui, à la suite de chaque
attaque, avait une hémoptysie abondante. Chez d'autres, il se produit une
hématémèse, une entérorrhagie avec mélaîna, un pissemcnt de sang ou un
accès d'hématidrose, ou sueur sanglante siégeant de préférence à la paume
des mains et parfois au niveau des parties génitales.
Les hémorrhagies symptomatiques de ïhy^térie sont encore plus fréquentes
que celles satellites du mal comitial, et aucun médecin ne met aujourd'hui
leur existence en doute. Leur rclat'ion avec les accès est beaucoup moins nette,
ce qui du reste n'est nullement étonnant dans une maladie à manifestations
irrégulières et désordonnées, et dont toutes les déterminations symptomatiques
sont soumises à la même loi d'irrégularité. L'une des manifestations hémor-
rhagiques de l'hystérie les plus communes est sans contredit la fausse hémo-
ptysie, qui se produit ordinairement au début ou au cours de ces sortes d'accès
légèrement fébriles, accompagnés d'état saburral, de fétidité prononcée de
l'haleine, d'anorexie et d'un peu de fièvre, que Lorain avait l'habitude de
<lésigner sous le nom de fièvre hystérique. Des congestions plus ou moins per-
sistantes de la face, de la poitrine, du tronc à sa partie supérieure et des
extrémités, se montrent dans ce cas. La cavité gutturale participe à cet état
congeslif, analogue à celui qu'on rencontre chez certains aménorrhéiques, et
un stillicidium sanguin se foit, soit dans le cavum des fosses nasales (point
faible à cause de la disposition des vaisseaux au niveau de la glande de Lacau-
chie), soit sur la muqueuse de Schneider ou enfin à la sertissure des dents. Les
malades rendent du sang noir mêlé intimement à la salive et qu'on ne peut
vraiment confondre avec celui qui résulte d'une hémorrhagic bronchique. Mais
dans certains cas des hémoptysies vraies se produisent et peuvent simuler celles
des tuberculeux. Tel est le cas du jeune homme hystérique cité par Debove et
qu'il guérit par la suralimentation associée au traitement approprié à sa névrose.
Lancereaux [lac. cit.) rapporte des cas de ce genre et signale aussi des gastror-
rhagies, des épistaxis et des hémorrhagies interstitielles principalement, dit-il,
du côté gauche le plus ordinairement ancsthésié. Mais de toutes les hémorrhagies
liées à l'état hystérique les plus remnrquables sont celles des sujets stigmatisés.
Ces hémorrhagies, dont le type peut être fourni par celles de la jeune malade
du Bois-d'Haine, Louise Lateau (Warloraont, Bévue scientifique, 10 avril 1875),
364 IlÉMORRHAGIE.
se produisent sur des points précis ù la situation desquels la malade attache
une importance dogmatique. Ce sont, par exemple, les points du te'guraenl
répondant aux plaies sacrées du Christ. A des jours fixes, on voit sourdre du
sang à la place désignée comme ayant été percée de clous, de coups de lance,
déchirée par les épines de la couronne. Le sang coule de là comme d'une
source, à peu près comme on le voit dans l'iiématidrose. Dans les intervalles
des accès hémorrhagiques il existe à peine un point rouge révélant une habi-
tude congestive et une auréole ecchymotique légère, indi |uant qu'à chaque
poussée héniorrliagipare le sang s'est épanché en une petite nappe interstitielle.
Les relations de ces sortes d'héniorrhagie avec la névrose hystérique, les in-
fluences psychiques d'ordre émotif, et la sueur de sang d'origine névrosique,
apparaissent d'elles-mêmes aux yeux du médecin. Mais il est vrai de dire que
leur mécanisme intime échappe ahsolument à l'analyse : aussi, dans de pareils
faits, le vulgaire continuera longtemps à voir des miracles.
La sueur de sany, les larmes de sang, sont des phénomènes du même ordre,
liés égalenient soit avec l'hystérie, soit avec les états névropathiques ou névral-
giques divers, comme mon maître Parrot l'a si bien montré dans son travail
justement célèbre sur l'hémalidrose. Ici, il s'agit de déterminations hémor-
rhagiparcs sur les nerfs moteui's glandulaires qui, ainsi que l'ont mis hors de
doute les recherches de Navrocki, Luchsinger et Yulpian, exercent sur les glandes
sudoriparcs la même influence que la corde du tympan sur la sous-maxillaire,
ou la branche lacrymale du rameau de Willis sur la glande aquipare de l'orbite,
la lacrymale, identique dans sa structure et son fonctionnement à la parotide.
Le sang qui sort en rosée par les orifices émissaires des glandes sudoripares
dans la sueur de sang ou dans les pleurs de sang est complet et le plus souvent
spontanément coagulable (Parrot, Damalix). Il s'agit donc ici d'hémorrhagies
véritables, mais l'anatomie pathologique ne nous a pas encore montré s'il s'agit
dans ces cas de ruptures vascuiaires ou d'hémorrhagies diapédétiques. Ce que
nous savons de l'état des glandes animées par des nerfs moteurs glandulaires
au moment oii elles sont en pleine activité ne nous renseigne pas suffisamment
sur le mécanisme possible de l'hémorrhagie. La fluxion locale amenée autour
de la glande par l'inertie des vaisseaux afférents au moment où elle se met en
activité est toujours intense et se marque par l'œdème périglandulaire. Dans
l'état sudoral soutenu, de même que pendant le fonctionnement de la glande
lacrymale, le tissu connectif lâche qui entoure la glande est gorgé de sérosité
et d'innombrables globules blancs. Mais de là à l'hémorrhagie il y a loin
encore, surtout si l'on prend soin de remarquer que les effusions de larmes les
plus continues, de même que la prolongation d'un état sudoral intense tel que
celui que l'on observe dans les deux ou trois premiers jours de la variole, ne
donnent jamais lieu ni à des larmes, ni à de la sueur de sang, même dans les
cas de variole héraorrhagique. La physiologie et l'anatomie pathologiques des
effusions de sang par voie glandulaire et résultant d'un réflexe localisé sur les
nerfs qui mettent les glandes en mouvement restent donc extrêmement
obscures.
Avant de passer à l'étude pathogénique des hémorrhagies réflexes qui nous
restent à étudier, et dans lesquelles l'origine du mouvement congestif n'est
plus exclusivement renfermée dans le domaine du système nerveux, mais paraît
prendre sa source dans une incitation émanant du liquide sanguin modifié par
la maladie, nous devons dire un mot de cet état mal défini que l'on appelle la
HÉMORRHAGIE. 365
pléthore sanguine et qui, pour les anciens médecins, occupait l'un des premiers
rangs parmi les troubles généraux de l'organisme au point de vue de l'influence
hémorrhagipare. Pour tout le monde, pendant bien longtemps, la pléthore
caractérisée par la surabondance et la richesse excessive du sang considéré en
tant qu'agent et instrument de la nutrition était la cause maîtresse des hémor-
rhagies, en vertu même de cette idée galéniquc que l'éruption du sang s'opère
quand et toutes les fois que les parties destinées à le recevoir ne peuvent plus
lui permettre de prendre place.
Et de fait, il s'agit ici de la pléthore de Galien, la pléthore af/jiasa, dont on
a beaucoup plus parlé en termes vagues qu'on ne l'a décrite et définie exacte-
ment, même comme syndrome. C'est cet état que Gendrin {Trait, phil. de
méd. pratique, t. I, p. 24) décrivait en 1858 sous le nom de polyaimie, « La
pléthore générale, disait-il, que nous désignons aussi sous le nom à'étal fluxion-
naire ou de polyaimie, se caractérise par l'apparence d'une surabondance de
sang dans les vaisseaux ou d'une aclion exagérée de tout l'appareil sanguin à
sang rouge. » Pour lui donc déjà, comme pour la plupart des médecins de nos
jours, la pléthore avait cessé d'être comprise comme un état résultant de
l'augmentation proprement dite de la masse ou de la richesse globulaire du
sang pour devenir un état caractérisé par des congestions faciles, répétées, en
un mot, par des mouvements de répartition désordonnés et habituels du sang
dans diverses régions. C'est aussi de cette manière que la conçoit Bouchard. En
réalité, on sait à peine très-approximativement quelle est la masse du sang chez
quelques animaux, grâce aux recherches de Malassez sur ce point et aux métliodes
qu'il a établies pour les effectuer : méthodes qui supposent que l'on recueille
tout le sang, qu'on lave les vaisseaux, qu'on traite les organes réduits en hachis
par le sérum artificiel. Cela revient à dire qu'on est loin de savoir comment
chez l'homme malade varie la crase du sang au point de vue de sa masse
totale. On est donc réduit à constater des apparences de surabondance de sang
dans certaines régions : congestions de la lace amenant l'injection des conjonc-
tives, la pesanteur de tête, des bourdonnements d'oreilles, des vertiges, tumé-
faction des veines périphériques, agitation, fourmillements, tendance au sommeil
qui est troublé par des rêves comme chez les alcooliques; pouls plein et large
à diastole artérielle soutenue ; enfin battements énergiques du cœur à l'habitude
et palpitations passagères : tel est le tableau de la pléthore esquissé par les
auteurs classiques. iMais en dehors de cette sorte de physionomie générale de
l'état pléthorique on n'a rien approfondi. Les uns font de la pléthore générale
le satellite obligé de la constitution sanguine ; les autres le rattachent de préfé-
rence à la constitution bilieuse. Tous s'accordent à dire que cet état, lorsqu'il
est entièrement développé cliez un sujet, ne subsiste avec tous ses caractères
que d'une façon épisodique. « La terminaison de la pléthore se fait souvent
d'une manière lente et sans phénomènes appréciables; d'autres fois, cet état
cesse subitement après une sueur spontanée abondante, ou un flux d'urines, ou
par des évacuations alvines d'une abondance extraordinaire, mais le plus souvent
c'est la production d'une hémorrhagie qui termine subitement cet état morbide »
(Gendrin, loc. cit., t. I, p. 25).
Au fur et à mesure que la science médicale progresse, certains états morbides
dans lesquels l'habitude congestive est accusée, venant à être distingués des
autres avec lesquels ils étaient restés jusque-là confondus, se détachent du
groupe des pléthores essentielles et se réduisent à leur valeur, celle d'états
565 UÉMOHRHAGIE.
congeslifs symptomatiques. C'est ainsi que la fausse pléthore des glycosuriques
est devenue un simple attribut du diabète. AcUiellement même l'apparence
pléthorique des arthritiques et de certains herpétiques est très-généralement
reconnue comme n'indiqu;int nullement chez l'individu la surabondance de la
masse totale du sang, mais bien une tendance diathésique aux mouvements
fluxiormaires vers la tête, les extrémités, le système 'vasculaire abdominal
(Luton). Cela revient à dire que les hémorrhagies dites pléthoriques, lorsqu'elles
se produisent, ne sont autre chose que le résultat de mouvements fluxionnaires
réflexes habituels et poussés à l'extrême. Ce ne sont point des hémorrhagies de
cause hémopathique, mais d'origine purement nerveuse. D'ailleurs le système
nerveux tout entier est alors nettement touché Les malaises engendrés par
l'habitude congestive de certains réseaux vasculaires se caractérisent par l'an-
goisse, la dyspnée, la tension des hypochondres, aboutissant à un état mélanco-
lique et parfois même à des vésanies. Quoi de plus semblable à l'état de tension
générale cl d'équilibre instable du système nerveux qui précède chez les femmes
l'hémorrliagie menstruelle physiologique, et qui s'accompagne si souvent de
congestions extra-utérines parfois poussées jusqu'à l'ecchymose, comme on le
voit aux paupières dans certains sujets I Le tout aboutit à une épistaxis, ou à
une poussée héuiorrhoïdaire suivie de Uux hémorrhagique. Au bout d'un certain
temps, parfois à des époques périodiques, les congestions habituelles s'exagèrent
de nouveau, les malaises se reproduisent, une nouvelle hémorrhagie s'effectue
au niveau des mêmes points, qui sont des loci minoris resistenliœ. Une habitude
morbide, analogue à l'habitude cataméniale chez la femme, s'établit alors.
Luton me paraît avoir grandement raison lorsqu'il comprend ainsi (Dictionnaire
de médecine et de chirurgie pratiques, art. Pléthore, p. 159) la pléthore,
mais il me semble par contre moins bien inspiré en continuant à attribuer cet
étal à une surabondance de la masse totale du sang que personne jusqu'ici n'a
pu conslaler.
D. Flux hémorrhagipares réflexe?, d'origine dyscrasique. 11 est mainte-
nant certain que le sang est incapable d'ouvrir les vaisseaux qui le renferment
par la simple action de ses éléments propres sur les parois vasculaires, à moins
qu'on n'invoque l'activité des globules blancs qui, eux, sont parfaitement aptes
à traverser les membranes des petits vaisseaux dans le phénomène de la diapé-
dèse. Mais ce phénomène est si général dans l'état sain et dans l'état morbide,
il est si nettement en relation avec les variations de vitesse, du cours du sang
et de tension intra-vasculaire de ce même liquide, que les effets de la diapédèse
doivent être considérés entièrement à part, en tant que favorisant, préparant ou
même créant les conditions nécessaires et suffisantes à la production des hémor-
rhagies. De plus, quand le sang se coagule dans les vaisseaux et est emporté à
l'état d'emboles, ou que les globules blancs devenus trop nombreux, trop
volumineux ou même en partie inertes, comme il arrive dans la leucémie
(OUivier et Ranvier), déterminent par leur arrêt sur un point des obstructions
vasculaires, origine d'hémoiThigies réalisant le type des infarctus, l'éruption
de sang, comme nous le verrons plus loin, est de cause à la fois organique et
mécanique, et mérite encore dans ce cas d'être considérée à part. Il en est de
même quand le sang entraîne dans son cours et vient bloquer sur des éperons
séparant de tout petits vaisseaux des colonies parasitaires de mycodermes (par
exemple, Actinomycose) ou de schizomycètes (par exemple, Pyémie, Septicémie,
Morve). L'hémorrhagie, quand elle se produit, est alors la conséquence de
IlÉMORRHAGIE. Ô67
l'arrêt du petit embolus, et non celle de l'empoisonnement du sang à proprement
parler.
Le sang coule donc inerte dans les vaisseaux, même lorsqu'il est empoi-
sonné, comme, par exemple, dans le cas d'intoxication par l'oxyde de carbone ou
les cyanures, qui ont accaparé l'hémoglobine et spolie les globules rouges de
l'oxygène qui leur donne toute leur valeur. Lorsque des hémonhagies se pro-
duisent, conséculivement à un empoisonnement du sang de cause chimique,
parasitaire ou zymotique (sous ce nom l'on doit encore désigner les intoxications
dont le principe est inconnu et n'a pu encore êlre ramené aux deux formes^
précédentes), le pathologiste est en droit d'iucriminer deux circonstances bémor-
rhagipares principales : 1° l'action sur les petits vaisseaux des particules du
poison disséminées par le courant circulatoire; 2° l'action du sang empoisonné
sur l'ensemble du système nerveux. Le vieil adage Sanguis moderator nervo-
rum reste eu effet toujours applicable, et, si les lésions nodulaires déterminées
par la dissémination des agents de l'empoisonnement peuvent créer sur place
des réactions inflammatoires, nécrosiques ou hémorrhagiques, rentrant néces-
sairement dans le cadre des causes de l'hémorrhagie d'origine organique, on
doit d'aulre part mettre en ligne de compte les manifestations congcslives qui
résultent de l'action du sang empoisonné sur les centres nerveux. Ce sont ces
manifestations dont je veux signaler l'existence dans ce paragraphe. Quant
aux actions locales exercées par les molécules du poison réparties sur divers
points, nous nous en occuperons plus loin.
Nous avons vu que le choc émotif ou un traumatisme peuvent devenir l'origine
de réflexes congestifs hémorrhagipares disséminés et aboutissant à la produc-
tion d'un exanthème pétéchial, d'un purpura. C'est très-probablement à un
mécanisme analogue, mais dont l'origine est dans l'action du sang empoisonné
sur les centres nerveux, que sont dus les exanthèmes hémorrhagiques de la
péHose rhumatismale et des fièvres graves : variole, rougeole, scarlatine, dans
leur forme hémorrhagique. Nous ne savons pas encore si ici le contage participe,
par son action locale, à la production des ruptures vasculaires. Au demeurant,
la cause qui détermine l'hémorrhagie paraît surtout résider dans l'intensité
même de la congestion réflexe au niveau des points où elle se produit normale-
ment, disséminée au gré du système nerveux, qui choisit véritablement les aires
vasculaires à paralyser pour y distribuer les lésions élémentaires de l'exanthème.
C'est ce que montre bien l'étude de l'érythème polymorphe, auquel j'ai si
souvent fait allusion dans cet article, et où l'on voit réunies, dans une même
efflorescence cutanée, des lésions disparates allant de l'érythème à l'hémor-
rhagie en passant par une forme intermédiaire, l'œdème aigu. Mais, en dehors
de cette notion générale, nous devons reconnaître que la pathogénie de l'hémor-
rhagie, dans une lésion élémentaire telle qu'une pustule variolique, par exemple,
est encore tout ce qu'il y a en physiologie pathologique de plus obscur. Sans
doute beaucoup de causes secondaires, en dehors ou à coté de l'intensité de la
fluxion localisée, interviennent pour réaliser l'hémorrhagie : par exemple, le
ramollissement des vaisseaux peut êlre consécutif à la diapédèse intense au
niveau de la pustule, car ce ramollissement est norm;ilement si marqué qu'ils
ne tieiineut plus les injections même de bleu soluble pratiquées sous faible
pression. Ce simple exemple montre bien la complexité du sujet qui nous
occupe et justifie les réserves que nous devons faire à chaque pas.
Il faut néanmoins reconnaître que les congestions réflexes d'origine toxique
368 IIÉMORRHAGIE.
prennent une large part à la production des hcmorrhagies dans les intoxications,
soit par des agents chimiques (iodisme — intoxication arsenicale, — intoxication
par les acides forts et les dissolvants du sang, gallates alcalins et acides biliaires),
soit par les poisons zymotiques, parasitaires avérés ou non encore reconnus.
L'influence nerveuse est évidente dans les hémorrhagies périodiques d'origine
palustre (fièvre hémoptoïque) ou dans celles qui se produisent à titre de satel-
lites des névralgies également rhythmées (Marotte), qui vraisemblablement ne
sont autre chose que des formes larvées de la malaria. Elle est moins évidente
dans les hémorrhagies symptomatiques du typhus exanthématique, do la peste
et du scorbut, bien que, dans ces dernières maladies, la forme exanthématique
même des lésions hémorrhagiques montre qu'il y a eu, dans l'organisme, un
effort de dislribulion, électif en quelque sorte, dont le système nerveux semble
seul capable.
Les hémorrhagies ducs à une intoxication du sang par les matières putrides
forment, au sein des hémorrhagies de cause dyscrasique, un groupe naturel
sur lequel il importe, je crois, d'insister un moment. L'exanthème de la péliose,
l'érythèmc noueux, l'érythème polymorphe, de même que les taches ecchyrao-
tiqucs en nappes dissémincfes à la surface du tégument dans la maladie de
Werlhoff et dans le scorbut, me paraissent être, dans leur production, sensible-
ment influencés par une série de circonstances étiologiques similaires entre
elles et qui aboutissent toutes ou presque toutes à la notion de putridité. Pour
les formes diverses de la péliose (et sous ce nom commun je renferme les pur-
puras dits rhumatismaux, l'érythème noueux, l'érythèmc polymorphe), outre
l'inllucnce des saisons de transition et de l'humidito, conditions d'ailleurs très-
favorables au développement des fermentations putrides, j'ai pu relever dans
une nombreuse série d'observations l'inlhience de la putridité proprement dite.
Mon maître, Ch. Lailler, lait remarquer la fréquence du purpura chez les ramas-'
seurs de sang des abattoirs, les garçons de cuisine, les garçons marchands de
vin, les cuisinières, tous sujets qui vivent incessamment au milieu des détritus
organiques. C'est chez les laveuses et les blanchisseuses, c'est-à-dire chez des
femmes qui manient le linge souillé et souvent putride, qu'on voit de préférence
se montrer l'érythème noueux. Enfin j'ai pu voir, avec mon collègue le profes-
seur Teissier, un cas d'érythème polymorphe grave, terminé par des accidents
caractéristiques et mortels de septicémie subaiguë, chez un brasseur sans cesse
confiné dans des caves à fermentation. On connaît d'autre part les relations du
scorbut avec l'alimentation par les conserves et les produits alimentaires avariés
qui redeviennent en usage pendant les longs voyages de mer, les sièges et les
famines. 11 est donc hautement probable que les hémorrhagies exanthémaliques
ou pseudo-exanthémaliques du groupe précité sont surtout la conséquence
d'états morbides engendres par l'introduclion des matières putrides ou de pto-
maïnes dans l'organisme de sujets d'ailleurs préparés à les recevoir et à leur
permettre de fermenter (arthritiques). Cette introduction fait éclater une série
d'états morbides dont le premier terme peut être pris dans l'érythème poly-
morphe et le dernier peut être représenté par le scorbut. Dans cette conception,
le caractère hémorrhagique de ces exanthèmes non contagieux, satellites de
maladies dont le caractère infectieux se marque fréquemment par des déter-
minations cardiaques, cérébrales ou rénales, s'expliquerait par l'influence hémor-
rhagipare de l'élément putride, établie d'une manière complète par les expé-
riences de Gaspard [Journal de physiologie de Magendie, 1822-1824, t. II
HÉMORRJIAGIE. 569
et IV) et plus tard de Stich [Charité-Annalen, t. III, p. 192, 1852). La distri-
bution de ces hémorrhagies suivant un exanthème figuré, comme dans le pur-
pura traumatique ou émotif, représenterait la part prise par l'action réflexe du
système nerveux.
L'influence de l'ictère sur l'hémorrhagie mérite aussi de nous occuper un
instant à pari. Ici le sang, chargé d'une partie des principes de la bile, a subi
un véritalDle empoisonnement à cause très-probablement de l'action dissolvante
des sels biliaires sur les globules rouges et de leur action sur l'hémoglobine.
Cette action suffit-elle pour motiver les phénomènes hémorrliagiques de l'ictère
<irave, de la fièvre jaune, du typhus ictérode d'Antoine Fauvel? Évidemment non,
si l'on admet qu'une simple lésion du sang lui-même est incapable de déter-
miner autre chose qu'une transsudation colorée consécutive à sa dissolution.
Mais l'influence sur le système nerveux s'exerce probablement dans ces cas
comme dans une série d'autres intoxications; de plus, nous ignorons ici
s'il ne se produit pas de lésions d'origine parasitaire pouvant devenir çà et là
l'origine de ruptures vasculaires. Ce point ne sera détermine que lorsque l'étio-
logie des ictères graves aura été élucidée, et, malgré quelques tentatives faites
dans ce sens, nous pouvons conclure avec Hochard que la question est loin d'être
mûre. Mais il est un point de l'histoire de l'ictère sur lequel je veux appeler
ici l'attention du lecteur : c'est l'action de celte intoxication du sang sur le
système musculaire. On sait que les muscles striés doivent leur couleur rouge
à une variété de l'hémoglobine (hémoglobine mmculaire, Kûhne). Cette hémo-
globine capte l'oxygène, respire comme celle des globules sanguins. Les sels
biliaires exercent aussi sur elle leur action nocive : de là l'asthénie musculaire
profonde des ictères intenses, la paresse des muscles moteurs valvulaires du
cœur et les souffles ictériques par insuffisance musculaire de Ciément-Gangolphe.
Nous ignorons si les muscles lisses possèdent une substance analogue à la
matière colorante rouge de la niyosine, mais ce qui paraît certain, c'est qu'ils
sont également influencés par l'ictère. Je viens d'en observer un exemple sai-
sissant. Une femme grosse, atteinte depuis longtemps de coliques hépatiques,
prend un ictère permanent dû à l'enchatonnement d'un calcul dans le canal
cholédoque. Dans ces conditions elle accouche. Après la délivrance, malgré
l'ergot, malgré les injections réitérées d'eau phéniquée chaude, l'utérus reste
inerte et la malade meurt en trois jours d'hémorrhagies utérines incoercibles.
La matrice était saine, sans traces d'endométrite, sans la moindre rétention
placentaire, mais elle n'avait pour ainsi dire subi aucune rétraction. Voilà donc
une hémorrhagie due à l'inertie de fibres lisses qui, il est vrai de le dire,
prennent en partie pendant la gestation le caractère de muscles à contraction
brusque ; mais il se pourrait que des actions analogues se passassent du côté des
muscles moteurs des artérioles et jouassent le rôle d'adjuvants importants des
actions fluxionnaires hémorrhagipares réfléchies par les centres nerveux sur
divers points dans les formes graves ou persistantes de l'ictère. Ce qui paraît
bien démontrer l'influence hémorrhagipare de cet état, c'est cet autre fait,
précisé par Lancereaux [lac. cit., p. 572), que les cirrhoses de forme hyper-
trophique, c'est-à-dire celles qui s'accompagnent le plus ordinairement d'ictère,
sont aussi celles dans lesquelles on observe de préférence les hémorrhagies
disséminées, autres que celles résultant de la stase excessive du sang dans les
réseaux capillaires aboutissant à la veine porte.
11 est encore aujourd'hui impossible de dire ou même de supposer pourquoi
DICT. EAC. 4' 8. XIII, 24
.^70 HÉMORRHAGIE.
les affections spléniques, et en particulier les hyperplasies de la rate (Lancereaux) ,
sont parfois accompagnées d'épistaxis, d'hémorrhagies gingivales ou intestinales,
enfin d'ecchymoses diverses. Des effets analogues s'observent dans les maladies
chroniques et notamment dans la cirrhose du rein. Mais ici il y a lieu de tenir
compte, non-seulement de l'intoxication du sang par les matières extractives,
mais encore de l'artério-sclérose généralisée qui accompagne ordinaii'enient le
mal de Bright chronique aboutissant au petit rein contracté. C'est ainsi que la
relation manifeste entre la néphrite interstitielle et l'hémorrhagie cérébrale
repose avant tout sur la coexistence de lésions vasculaires étendues avec l'état
dyscrasique particulier à cette forme de néphrite, et qui mérite mieux que
toutes les autres albuminuries chroniques le nom de diabète leucomùriqiie
proposé par mon maître Guhlcr {voy. Albuminurie). Mais les influences dyscra-
siques ne sont pas moins à considérer dans la production des hémorrhagies au
cours du mal de Bright. La bronchite albuminurique, œdème mobile du poumon
que l'on observe si souvent dans la néphrite chronique mixte, peut devenir et
devient souvent une congestion fluxionnaire poussée jusqu'à l'hémorrhagie,
élective, il est vrai, le plus souvent, et d'ordre diapédétique. J'ai vu d'autre part,
avec H. Mollière, une malade que je suis encore avec intérêt et qui, atteinte
pendant plus de six mois d'albuminurie intermittente, voyait à chaque attaque
son tégument se couvrir de purpura. Ici le purpura successif était nettement
conjugué à l'albuminurie, et ce que nous avons dit plus haut de cet exanthème
hémorihagique nous permet, je crois, de le prendre comme exemple de con-
gestions hémorrhagipares d'origine nerveuse mises en train et renouvelées long-
temps par une cause dyscrasique découlant elle-même d'une maladie de reins.
Nous considérons ici, on le voit, les hémorrhagies dyscrasiques par altération
du sang (Compendium) ou hémopathiques (Lancereaux) à un point de vue tout
particulier. Pour nous, les lésions du sang ne peuvent créer que des lésions
secondes, devenant hémorrhagipares, soit par thrombose, soit par embolie déter-
minée par un caillot ou un corps étranger — ou bien, en agissant sur le système
nerveux, elles le sollicitent à déterminer par son action propre des fluxions
réflexes aboutissant à l'hémorrhagie. Dans nombre d'intoxications, et notamment
dans les zymoses et les maladies infectieuses, ces deux causes se conjuguent
assez ordinairement pour produire les déterminations hémorrhagiques. C'est là
en effet maintenant, croyons-nous, la seule manière de comprendre les hémor-
rhagies des dyscrasies à l'aide des données actuelles fournies par la médecine
expérimentale, la physiologie et l'anatomie pathologiques. Dans cette conception,
la maladie du sang devient, non plus l'agent direct, mais le primiim movens
de l'hémorrhagie, celui qui met son processus complexe en action.
Ainsi l'augmentation de la tension veineuse, de la tension artérielle, l'ouver-
ture à gueule bée des artérioles par les réflexes vaso-moteurs, le sang restant
inerte, sauf l'action adjuvante exercée parla diapédèse sur le ramollissement des
vaisseaux (Cohnheim, Tarchanoff) : telles sont les causes complexes des hémor-
rhagies par rhexis, causes que nous venons d'étudier à l'état de dissociation
pour les nécessités de l'analyse, mais qui, dans la plupart des hémorrhagies,
s'associent entre elles pour en devenir comme autant de facteurs multiples que
le clinicien doit toujours songer à réunir.
Une dernière cause d'hémorrhagies de cause mécanique nous reste à signaler,
c'est la diminution subite de la pression intra-vasculaire due soit aux variations
atmosphériques, soit aux ascensions sur les montagnes ou en ballon, soit à la
IIÉMORRIIAGIE. 371
<lécompression brusque après un séjour dans une enceinte close, telle que a
cloche à plongeur. Les Anciens connaissaient déjà bien ces hémorrhagies dont
ils ignoraient le mécanisme exact, et Mcad paraît même en avoir pressenti la
pathogénie. Il rapporte qu'au moment où, en février 1687, à neuf heures du
matin, le baromètre s'était abaisse à Edimbourg de beaucoup au-dessous du
point où il était jamais descendu, Pitcairu fut pris d'angoisse subite et peu
après d'épistaxis. Au même instant, le professeur Gockburn périssait subitement
d'hémoptysie, et cinq ou six autres malades de la ville étaient pris d'hémor-
rhagies diverses. Les hémorrhagies sont aussi un des symptômes ordinaires du
mal des montagnes; enfin l'accident célèl)re de Crocé-Spinelli et Sivel offre un
exemple des accidents hémorrliagiques qui se peuvent produire dans les liantes
ascensions en ballon. Chez les plongeurs, les hémorrhagies ne sont pas rares;
■ce sont souvent des hématomyélies, des hémorrhagies cérébrales, des hémo-
ptysies, etc., bref, des ruptures des points ûiibles ou mal soutenus du réseau
capillaire sanguin. Les recherches de Paul Bert ont fixé la science sur le méca-
nisme de ces hémorrhagies, formulé d'ailleurs déjà depuis longtemps très-exac-
tement par Boucliard. Quand la [iression atmosphérique croît, le coefficient de
solubilité des gaz dar .- le sang s'élève et ces gaz s'y accumulent, au contact de
l'air dans le poumon, à l'état dissous. Vienne une brusque décompression, le
coefficient de solubilité des gaz dans le sang subit une diminution corrélative.
Le sang bout dans les vaisseaux comme de l'eau aéi'ée dans le vide, les gaz
dissous reprenant subitement l'état aériforme. La force d'expansion des bulles
l'ompt alors purement et simplement les petits vaisseaux ou, s'ils résistent, ces
bulles forment des chapelets d'embolies gazeuses qui ne tardent pas à inter-
rompre la circulation et à amener des ruptures en amont d'elles, parce qu'alors
la tension du sang s'accroît dans le vaisseau oblitéré jusqu'à égaler, en vertu
du principe de Pascal, la tension artérielle à l'origine de l'aorte, et qu'à une
pareille pression latérale la paroi des vaisseaux inertes ne peut le plus souvent
pas résister.
Dans d'autres circonstances, la diminution de pression barométrique au voi-
sinage des vaisseaux devient une cause sinon déterminante, du moins adjuvante
de l'hémorrhagie. C'est ainsi que les réseaux vasculaires de la plèvre et du
péricarde, soumis pendant l'inspiration (plèvre) ou à chaque systole à une
pression négative, se rompent aisément pendant ces deux actes, pourvu que
leurs parois aient été ramollies par le fait d'une inflammation ou soient revenues
à l'état embryonnaire, ou enfin soient à l'état même de néoformation, comme
on l'observe dans les néomembranes pleurétiques ou péricardiques ; et de fait,
■dans les autopsies, on trouve le plus ordinairement une série de petits foyers
■apoplectiques dans l'épaisseur ou à la surface de ces exsudats membraniformes.
Des ruptures analogues s'opèrent quand on applique des ventouses sur le tégu-
ment. Mais, ainsi que Bouchard l'a fait observer, si les vaisseaux sont absolument
sains, on obtient très-difficilement l'ecchymose; s'ils sont déjà rendus plus
sensibles par un état morbide, tel que l'état fébrile en général, les ecchymoses
se produisent déjà plus facilement. Chez les phthisiques fébricitants atteints de
cyanose l'ecchymose s'obtient de suite au contraire, même par l'application du
stéthoscope biauriculaire à ventouse de Constantin Paul. Ces différences tiennent
manifestement à l'impressionnabilité variable des nerfs moteurs vasculaires et
des muscles eux-mêmes en présence des actions directes. On sait en effet que
la tonicité musculaire est énormément diminuée par l'élévation permanente de
372 HÉMORUllAGIE.
la température. Chez le fébricitant, la succion d'une ventouse très-faible suffit à
énerver les vaisseaux contractiles et à triompher de la résistance de leur paroi
musculaire. En retirant la ventouse à temps, on constate de plus un fait inté-
ressant L'ecchymose est toujours précédée de petits nuages bleu-noir, qui, si
!a décompression est suspendue, persistent quelques instants et ensuite s'elfacent.
Ces nuages sont formés par les veinules distendues au maximum, ce qui montre
bien que, dans de telles conditions et conformément à la théorie, ce sont elles
({ui portent tout l'effort et qui donnent issue au sang. Car, si l'on marque le
nuage de congestion veinulaire passive, et que l'on réapplique la ventouse, on
le voit occuper le centre de la nappe ecchymotique quand l'hémorrliagie inter-
stitielle s'est effectuée.
Enfin la déi-ompression brusque d'une région peut aussi donner lieu, dans
les points de moindre résistance du réseau vasculaire adjacent au point com-
primé, à des hémorrhagies diverses. On peut prendre pour type de ces hémor-
rhagies celles qui se produisent dans la rétine à la suite de la paracentèse
oculaire, ou encore celles consécutives à la ponction ou mieux encoie à l'éva-
cuation large des kystes très-distendus. C'est ainsi que l'ouverture des kystes
du corps thyroïde donne lieu le plus souvent à une véritable pluie de sang qui
parfois peut prendre les proportions d'un accident inquiétant, et qui a son
origine dans la décompression brusque des vaisseaux friables et par places
embryonnaires des parois du kyste.
B. llÉMORUHAGiEs DE CAi'SE ORGANIQUE. Lcs causcs quc uous vcHons d'étudicr
ont, dans la pathogénie des hémorrhagies, une importance prépondérante en ce
qu'elles se reproduisent, le plus souvent, même pour déterminer l'effraction par
le sang et les ruptures des vaisseaux malades. Elles agissent alors avec une
intensité beaucoup plus considérable que sur des vaisseaux sains, puisque,
capables même de rompre ces derniers, elles opèrent leuis effets sur des canaux
dont les résistances pariétales ont, par le fait des lésions qu'ils ont subies,
diminué dans des proportions souvent considérables. 11 ne saurait entrer dans
le plan de cet article de donner une description anatomique complète de cha-
cune des lésions vasculaires qui deviennent de la sorte des circonstances
éminemment favorables à la production des hémorrhagies spontanées. Je me
contenterai donc de les signaler par groupes de lésions similaires, et je n'entrerai
dans les détails qu'autant qu'ils me sembleront apporter, dans la question de
pure pathogénie qui m'occupe ici, des éclaircissements véritables. D'une manière
générale, les lésions des vaisseaux que l'on peut considérer comme des causes
efficaces d'hémorrhagies peuvent être rangées sous trois chefs : A. lésions en-
traînant la friabilité du vaisseau en diminuant sa résistance pariétale et en
abaissant sa limite d'élasticité : ce sont là deux termes absolument corrélatifs;
B, lésions consécutives à l'oblitération, sur un point, de la conduite vasculaire,
artérielle, veineuse ou capillaire; C, lésions ulcéreuses, ouvrant le vaisseau
comme elles feraient un foyer liquide adjacent. Les hémorrliagies qui font
suite à ces différentes lésions pourraient de leur côté être groupées sous les
termes suivants : a. effractions d'origine angiopathique proprement dites;
b. effractions par thrombose et par embolie ; c. effractions par lacération.
A . Lésions entraînant la friabilité du vaisseau, a. Effractions angiopaihiques
proprement dites. L'altération vasculaire qui joue à ce point de vue le rôle le
plus important est Vanéurysme, quelle qu'en soit d'ailleurs la cause {voy. Ané-
vrysme). On sait que dans ce cas, non-seulement au niveau du point anévrysma-
IlfiMORRlIAGIE. 375
tique, la paroi vasciilaire a subi des modifications entraînant la diminution
extrême de la résistance latérale sous l'elTort du sang ; par suite notamment de
la dégénérescence hyaline décrite dans ces dernières années, de la sorte de fonte
que subit la formation élastique (jui donne au vaisseau sa résistance véritable et
de l'état d'inflammation chronique des tissus péi'ivasculaires, qui, en subissant
les effets ordinaires des plilcgmasies lentes, deviennent embryonnaires et perdent
toute solidarité, mais encore la poche anévrysmale exerce elle-même, ainsi que
Ta montré Marey, une action très-marquée sur la tension du sang en amont d'elle,
et agit à son voisinage pour l'élever notablement. Si donc le vaisseau est malade
dans les environs de la dilatation, ce qui arrive en effet dans la majorité des
cas, les conditions les plus favorables sont réunies pour prédisposer aux ruptures
la conduite vasculaire ainsi modifiée. Cela est surtout vrai quand il s'agit d'ané-
vrysmes capillaires, tels que ceux décrits par Charcot et Bouchard dans les artères
du cerveau et Liouville à leur suite dans une série d'autres organes, mais peut-
être, il faut l'avouer, admis par ce dernier dans une mesure un peu trop large.
En effet, dans ce cas il n'existe gnère de dispositions analogues à celles que l'on
observe dans les tumeurs anévrysmales de grande dimension ; la défense par des
caillots actifs est à peu près nulle, les petites dimensions du vaisseau lésé ne
permettant pas rédificaliou de cette barrière dans des proportions élevées. Quoi
qu'il en soit, il est à peu près inutile d'insister ici sur le mécanisme des ruptures
vasculaires d'origine anévrysmale, étudié dans ses détails à propos des ané-
vrysmes en général {voy. ce mot). Il suffit de faire remarquer que, depuis les
recherches de Rassmussen, on doit admettre que nombre des hémorrhagies ter-
minales, chez les tuberculeux excavés, prennent leur origine dans des anévrysmes
des vaisseaux des parois des cavernes ou des brides qui les traversent. On sait
en effet que les parois des excavations tuberculeuses formées lentement sont
constituées par un tissu fibreux tout à fait analogue à celui des tendons, tissu
pauvre en vaisseaux capillaires et qui, au contact des produits accumulés dans
la caverne et par sa propre évolution, subit incessamment une désintégration
moléculaire. Les parois des vaisseaux de distribution englobés dans le tissu sclé-
reux qui limite l'excavation sont atteintes à leur tour par cette désintégration et.
quand par la fonte du tissu élastique au point attaqué ils ont sur ce point
perdu l'élasticité qui leur est propre, la poussée latérale effectuée par le sang
qui circule dans leur intérieur devient le point de départ de la formation de
petits anévrysmes qui, ultérieurement, deviennent l'origine d'hémoptysies
foudroyantes.
Les anévrysmes capillaires des centres nerveux et tout spécialement du cer-
veau sont actuellement, sans conteste, la cause à laquelle il convient de rap-
porter l'hémorrhagie cérébrale. Les recherches de Bouchard sur ce point ne lais-
sent plus aucun doute à cet égard, et l'influence de l'état hypothétique décrit
par Rochoux sous le nom de ramollissement hémorrhagipare ne mérite plus
guère d'être prise en considération. Quant aux causes prochaines du développe-
ment de ces petits anévrysmes multiples dans certaines régions du cerveau, qui
sont devenues à proprement parler les aires vasculaires de l'hémorrhagie céré-
brale (artères lenticulo- striées et lenticulo- optiques), leur étude ressortit à
l'histoire de l'hémorrhagie cérébrale elle-même. Nous ferons seulement remarquer
qu'ici, comme à peu près partout ailleurs, les causes de l'effraction vasculaire
sont toujours multiples. C'est ainsi que, dans un très-grand nombre de cas. la
sénilité artérielle amenée soit par les progrès de l'âge, soit par des conditions
374 HÉMORRHAGIE.
dyscrasiques telles que l'alcoolisme, soit par un e'tat morbide du système vascu-
laire entier consécutif aux lésions cardiaques d'orifice, crée d'abord la dispo-
sition anévrysniale et avec elle les conditions premières d'une héniorrbagie pour
un terme plus ou moins éloigné. Dans ces conditions les causes efficientes, telles
que l'hypertrophie du cœur, les efforts exagérés, l'aclioii du froid, etc., c'est-
à-dire celles qui concourent à élever la tension artérielle, peuvent prendre une
efficacité qu'elles n'auraient point acquise, si les vaisseaux eussent été normaux.
Le meilleur exemple que l'on puisse choisir est, dans cet ordre d'idées, l'héinor-
rhagie cérébrale que l'on a si souvent l'occasion d'observer dans le cours de la
néphrite interstitielle chronique dominante. Cette maladie du rein s'accompagne
en effet d'une arlério-sclérose généralisée qui devient elle-même l'origine
d'anévrysmes capillaires dans le cerveau ; elle est en outre le point de départ
ordinaire d'une hypertrophie cardiaque. Dans ces conditions la maladie des vais-
seaux, en présence de l'augmentation de l'énergie cardiaque consécutive à
l'hypertrophie, suppose presque nécessairement, pour un terme plus ou moins
éloigné, la rupture des anévrysmes capillaires à l'occasion d'une circonstance
quelconque amenant l'accroissement brusque et notable de la tension intra-vas-
culaire. De fait, en clinique, on reconnaît que les termes morbides néphrite
interstitielle, hypertrophie du cœur, he'morrhagie cérébrale, sont étroitement
conjugues entre eux.
h'endcniérite déformante, c'est-à-dire la lésion athéromateuse des vaisseaux
artériels, ne conduit pas ordinairement à l'hémorrhagie par rupture de ces der-
niers; c'est assez exceptionnellement, quoique à une époque rapprochée de nous
on ait cru le contraire, qu'on voit céder la paroi artérielle en présence de cette
maladie, sauf au niveau des points anévrysmatiques quand, dans certaines cir-
constances, elle a concouru à favoriser la production. C'est cependant à des lésions
d'alhérome que paraît devoir être rapportée la forme singulière d'hémorrhagie
des calices et du bassinet qu'Aug. Ollivier a fait connaître sous le nom de pyélo-
néphrite hémato-fihriiieiise. Dans certains points faibles du système vasculaire,
et en particulier au niveau de la muqueuse de la cloison des fosses nasales,
l'athérome des petites artères de distribution peut aussi devenir l'origine d'hémor-
rhagies. Ainsi que l'a fait voir récemment Michel, les épistaxis que l'on observe
pour ainsi dire à répétition chez certains malades (parmi lesquels il convient
avant tout de citer les aortiques et les brighliques) auraient pour origine des
sortes de petits anévrysmes cirsoïdes minuscules produits par l'athérome des
petits vaisseaux. Il faut alors, pour faire cesser les épistaxis récidivantes, détruire
en masse le point lésé à l'aide du cautère actuel. Pour mon compte personnel,
je n'hésite pas à rapprocher ce fait de l'existence également fréquente de l'ozène,.
c'est-à-dire des ulcérations atones de la muqueuse de Schneider et de celle du
cavum des fosses nasales, chez les malades atteints depuis longtemps d'insuffi-
sance et de rétrécissement aortiques, ou encore de néphrite interstitielle domi-
nante avec artério-sclérose généralisée et hypertrophie du cœur.
L'athérome artériel, s'il n'est pas très-fréquemment le point de départ d'hémor-
rhagies en vertu même des lésions locales qu'il inflige aux parois vasculaires,
en peut devenir par contre une cause adjuvante sérieuse par les modifications
qu'il introduit, par le fait de la rigidité vasculaire, dans le régime d'écoulement
du sang dans ses vaisseaux de distribution. Le mouvement du liquide sanguin
n'est dès lors plus rendu continu par l'effet de l'élasticité artérielle, et le sang
aborde par saccades les réseaux capillaires inertes. Mais ce n'est pas ici le lieu
HEMORRHAGIE. 575
d'insister davantage sur ce point de pathogénie qui rentre dans le cadre des actions
de cause mécanique : tant il est vrai que les distinctions que l'on a l'habitude de
faire en pathologie générale sont tout artificielles et simplement motivées par les
besoins de la description didactique !
Une cause puissante d'hémorrhagies d'origine organique qu'il nous fjiut main-
tenant aborder, c'est Vétat ectasiqiie des vaisseaux. Au point de vue purement mé-
canique, l'importance de cette cause apparaît d'elle-même, si l'on considère qu'un
vaisseau distendu, en cédant déjà à l'action mécanique exercée contre sa paroi,
a naturellement vu s'abaisser d'autant la résistance de celte dernière ; il est plus
près d'acquérir sa limite d'élasticité qu'un vaisseau vide. Mais en même temps,
dans tout vaisseau ectasié, la paroi a subi en outre des modifications organiques
qui changent souvent du tout au tout les conditions de sa résistance. C'est ainsi
que les veines variqueuses ont des parois en partie revenues à l'état embryon-
naire. Aussi, sous l'influence d'efforts qui n'auraient eu aucune action sur des
vaisseaux sains, ou d'augmentations de pression intra-veineuse telles que celles
qui résultent de l'oblitération de la fémorale, par exemple, on peut voir se
rompre des varices ou des tumeurs érecliles congénitales ou acquises. L'influence
même de la pesanteur arrive parfois à déterminer la rupture des veines dilatées,
chez les individus porteurs d'ulcères variqueux (Bouchard, loc. cil., p. 68).
Mais les hémorrhagies par rupture des vaisseaux ectasiés sont surtout ordinaires
dans les néoplasies télangieclasiques, telles que les diverses variétés du sarcome
médullaire (fongus hématode des anciens auteurs), ou dans le lipome télangiecta-
sique de Monod, enfin dans les diverses tumeurs érectiles; toutes productions où
l'on rencontre abondamment répandus des vaisseaux des trois ordres à la fois
ectasiques et peu solides, parce qu'ils sont embryonnaires ou sans cesse en voie
d'extension par foi'mation de bourgeons angioplastiques.
L'état embryonnaire est en effet extrêmement favorable à la production des
ruptures vasculaires. Dans cet état les vaisseaux, même ceux de distribution de
calibre moyen ou simplement non capillaire, sont déjà friables; les réseaux capil-
laires proprement dits le sont au plus haut degré. Tous ceux qui s'occupent
d'anatomie fine savent qu'il est à peu près impossible de faire des injections,
chez le fœtus, avec des masses à la gélatine ; et même, en injectant du bleu de
prusse soluble dans l'eau à l'aide d'un appareil à boules, il se produit une série
de ruptures. La raison principale en est que les vaisseaux de distribution pos-
sèdent à ce moment un endartère et un endoveine incomplets ou même nuls
(l'aorte d'un fœtus de trois mois et demi n'a pas d'endartère), et que la formation
élastique, qui donne toute leur solidité à leurs parois, n'est pas encore diffé-
renciée au sein de ces dernières. Quant aux vaisseaux capillaires développés, on
le sait, le plus ordinairement aux dépens de réseaux vasoformatifs (Ranvier),
leur paroi est encore jusqu'à un certain degré protoplasmiqiie.
Ils ne sont ni extensibles ni résistants : aussi la moindre augmentation de
la tension intra-vasculaire suffit à les rompre. Chez le très-jeune fœtus, tout
changement brusque du régime circulatoire normal aboutit à des hémorrhagies
interstitielles multiples. Aussi je n'ai pas trouvé, depuis dix ans, un seul fœtus
humain abortif intact au point de vue, vascul aire. Quelle que soit la cause de
l'avortement, on trouve des hémorrhagies capillaires partout, même aux orteils
et aux doigts.
Si l'on transporte ces données dans la pathologie, on a facilement la clef des
hémorrhagies qui se produisent si aisément, et en vertu d'augmentations de ten-
576 HÉMORRHAGIE.
sion intra-vascnlaire souvent si peu appréciables, dans les réseaux capillaires de
nouvelle formation, dans les plaies bourgeonnantes, enfin dans les fausses mem-
branes récemment vascularisécs ou dans les néomembranes, telles que celles de
la pachyméningitc hémorrhagiquc. Il suffit d'imprégner d'argent, comme je l'ai
fait avec Pierre't, la surface libre d'une membrane de pachyméningite ou même
des lambeaux de cette dernière clivée en lames à l'aide d'une pince, pour déli-
miter les vaisseaux et constater qu'ils conservent indéfiniment la constitution des
capillaires en voie d'extension, c'est-à-dire leur extrême délicatesse, leurs points
d'accroissement et leurs bourgeons latéraiix d'anastomose en forme de larges
culs-de-sac. Il n'est donc pas étonnant qu'ils se rompent, à la manière des vais-
seaux du fœtus abortif, sous l'influence de variations du régime d'écoulement
du sang qui auraient été sans aucune influence sur des réseaux vasculaires entiè-
rement développés à l'état adulte. Ainsi se comprennent aisément l'héraorrhagie
méningée consécutive à la pacbyméningite, l'hématocèle suite de pelvi-péritonite
et, d'une manière générale, toutes les liémorrhagies du même ordre qu'il est à
peu près inutile d'énumérer ici.
Nous ignorons absolument s-i, chez les hémophiles, les vaisseaux devenus
adultes doivent leur excessive vulnérabilité à une friabilité analogue à celle qui
existe dans les capillaires embryonnaires ou eu voie de croissance. On a souvent
cherché dans des lésions de la paroi vasculaire l'explication de cette prédisposi-
tion singulière aux hémorrhagies sans pouvoir arriver à aucune notion anatomo-
pathologique positive. L'hémophilie est ordinairement héréditaire. Hughes (Case of
Heredilanj Hemorrhagic Tendency, in American Journ. ofMedic. Science, 1842,
t. XI, p. 542) cite une famille dans laquelle, pendant quatre ou cinq générations,
tous les individus mâles étaients sujets à des hémorrhagies survenues en vertu
des causes occasionnelles les plus futiles, mais qui étaient incoercibles et dont
plusieurs moururent. Dubois (de Neuchâtel) rapporte un cas analogue : c'est celui
de la famille Garube où trois enfants moururent d'hémorrhagie que rien ne put
arrêter: l'un à la suite d'une application de ventouses scarifiées autour du genou;
un second pour s'être excorié la peau de la tempe contre l'angle d'une table; le
troisième à la suite d'une application de deux sangsues à l'épaule [Gazette médi-
cale, 1838, p. 43). Dès 1851 on pouvait citer plus de 100 exemples de familles
où existait une semblable prédisposition héréditaire aux hémorrhagies, ainsi
qu'un grand nombre de cas isolés (Bordmann, De l'hémophilie, ou de la diathèxe
hémorrhagique congénitale, thèse de Strasbourg, 1851). Il est du reste fait
mention de l'hémophilie dans les écrits des médecins de l'École arabe et notam-
ment dans le livre de la théorie et de la pratique d'Alsaharàve ou Albucasis,
qui vivait vers le douzième siècle [Liber theoricœ nec non practicœ Ahaharavii
è manuscr. arab. latine versus à P. RiciOy 1619, fol. 114, chap. xv). L'hémo-
philie est donc un état pathologique parfaitement défini, mais dont la pathogénie
n'est guère mieux connue aujourd'hui qu'à l'époque des premières observations
qu'on en a données. Il est pi'obable que plusieurs facteurs concourent, avec la
friabilité congénitale des vaisseaux, à la production des pertes de sang chez les
hémophiles. En dehors du traumatisme, en effet, les actions émotives et d'une
manière générale l'influence du système nerveux jouent un rôle incontestable
dans la genèse des hémorrhagies. C'est ainsi que Lancereaux fait observer avec
raison que, lorsqu'elles se produisent spontanément, elles sont mobiles, capri-
cieuses, intermittentes et même périodiques, à la façon des hémorrhagies de
cause nerveuse; qu'elles apparaissent souvent à la suite d'une fatigue, d'un
HEMORRHAGIE. 377
repas, d'un écart de régime, toutes conditions dans lesquelles le système nerveux
vaso-moteur a été troublé ; que, lorsqu'elles sont la conséquence d'un trauma-
tisme, ce dernier a le plus souvent mis en jeu la sensibilité cutanée. Les hémor-
rhagies suite de plaies insignifiantes intéressant le tégument saignent en effet
davantage et s'arrêtent moins aisément chez l'hémophile que celles consécutives
à des plaies profondes (Lancereaux, loc. cit., p. 565-566). Enfin, dans la ques-
tion de l'hémostase, il convient aussi dans ce cas de faire intervenir le sang qui,
dans l'hémophilie, paraît quelquefois dépourvu de hbrinogène, si bien que dans
un cas cité par Tardieu {Arch. génér. de médecine, 1841, S*" série, t. XI) il ne
s'était pas coagulé six heures après sa sortie des vaisseaux, bien qae maintenu
au repos et en contact avec l'air. Les vaisseaux par leur friabilité, le système
nerveux par la facilité avec laquelle les mouvements hémorrhagiques congestifs
sont mis en action, le sang par son incoagulabilité, concourent donc ensemble à
la production des hémorrhagies, à leur incoercibilité et partant à leur gravité
dans la diathèse hémorrhagique constitutionnelle ou hémophilie.
B. Lésions entraînant l'oblitération du vaisseau, h. Effractions suite de
thromboses ou d'embolies. Nous avons étudié l'influence de la thrombose sur
la production des hémorrhagies en parlant des effractions vasculaires consécu-
tives à l'élévation de la tension du sang dans les troncs veineux qui commandent
la circulation en retour; nous n'y reviendrons pas. Il convient maintenant
d'aborder l'histoire des processus hémorrhagiques consécutifs à certaines embolies.
On sait que, dans les artères de la circulation générale, les embolies, à moins
d'être très-multiples dans une même région, n'agissent pas autrement que les
ligatures vasculaires: elles ne déterminent ni arrêt de la circulation, ni gan-
grène, ni hémorrhagie. Mais, s'il s'agit d'une embolie intéressant une artère ter-
minale, il n'en est plus ainsi, du moins régulièrement. Je puis citer du fait un
exemple frappant, pris parmi beaucoup d'autres qu'on pourrait donner. Pendant
mon cliuicat, dans le service de Bouillaud suppléé par Lancereaux, un homme
de cinquante sept ans entra le 8 novembre 1875 à la Charité, salle Saint-Jean-de-
Dieu, n° 16, pour une insuftisance mitrale large avec rupture des tendons val-
vulaires antérieurs et endocardite chronique, avec caillots anciens de l'auricule
droite. Le 22 novembre, dans la soirée, le malade fut pris d'élancements dans
la main gauche et l'avant-bras, avec engourdissement notable et refroidissement.
La main ne pouvait plus être fermée et peu d'heures après le début des accidents
elle était devenue livide, très-douloureuse, donnant 30", 4 seulement au thermo-
mètre de surface, tandis que du côté opposé sa similaire en donnait 36°,8. Le
lendemain, plus de fourmillements dans la main gauche, douleur légère à la
pression dans l'aisselle; il existe encore quelques douleurs lancinantes dans
le membre supérieur dont la température est toujours abaissée. Le 29 novembre
les mouvements sont aussi faciles, la température aussi élevée dans le bras et la
main gauches que dans les droits. Le 1^"^ décembre le malade essaye de se lever,
mais à peine est-il hors de son lit qu'il tombe sur le carreau de la salle et meurt
en trois minutes environ. A l'autopsie, on trouve l'humérale gauche oblitérée par
un caillot ancien de 2 centimètres de long à l'union du tiers supérieur et du
tiers moyen; la radiale renfermait du sang liquide; après quelques troubles
ischémiques la circulation s'était rétablie. Le rein droit présentait sur sa face
antérieure et à sa partie moyenne un gros infarctus ancien ; il en existait un tout
semblable dans le rein gauche. Enfin à partir de 1 mètre au-dessous du pylore
l'intestin grêle était plein de sang et sa paroi était le siège d'une infiltration
378 HÉMORRIIAGIE.
diffuse de sang noir intéressant toutes les tuniques et répandue sur une étendue
de plus de o mètres. Une apoplexie intestinale diffuse était donc l'origine de
l'hémorrhagie terminale qui avait tué le malade comme par un ictus. On trouva
l'artère mésentérique supérieure oblitérée par un caillot ancien de 2 centimètres
et demi de long. Chez un même sujet et suivant la région intéressée l'embolie
avait donc produit : a, une ischémie temporaire; b, des infarctus secs, sans
hémorrhagie; c, une énorme hémorrhagic en surface.
Ces effets variables de lésions fondamentalement identiques sont aisés à expli-
quer. Dans une région où existent de nombreuses anastomoses, l'oblitération d'un
gros tronc artériel par l'embolus agit à la façon d'une simple ligature. 11 en est
de même dans le poumon quand on y détermine des embolies d'un certain
volume, on introduisant, par exemple, dans la jugulaire de petites boulettes de
cire à cacheter ou des graines de diamètre variable. Dans ce cas (Ranvier),le vais-
seau oblitéré présente, en amont et en aval de l'obstacle, des branches anasto-
motiques qui rétablissent la circulation. Mais, quand on injecte des poussières
impalpables, telles que do la poudre de lycopode ou du pollen de sapin, les
embolies minuscules s'engagent dans des artérioles qui, telles que celles de la
portion du poumon voisine de la plèvre, sont absolument terminales. L'infarctus
hémoptoïque rouge se produit alors, précédé par l'œdème de l'aire vasculaire
anémiée et consiste dans l'envahissement des alvéoles par le sang, dont la vitesse
est rapidement annulée, dont la tension s'augmente en proportion tout à fait
inverse et qui rompt les capillaires ou passe au travers d'eux par diapédèse après
quoi il se coagule. Ainsi se forme Vinfardiis hémoptoïque de Laennec, mais les
questions de mécanique circulatoire ne sont pas les seules qu'il faille faire inter-
venir dans sa production, pas plus que dans celle de l'hémorrhagie massive, de
l'hémoptysie satellite de l'apoplexie pulmonaire qui peut se montrer ou manquer,
concurremment à la formation de l'infarctus.
On est aujourd'hui d'accord pour éliminer l'influence de la fluxion collatérale
admise par Virchow pour expliquer comment une aire vasculaire rendue exsangue
par l'oblitération de l'artère qui la commande arrive à être envahie par le sang
qui s'y extravase sous forme d'hémorrhagie interstitielle. PourYirchow [Handbuch
der speciellen Palhol. und Thérapie, 1855, t. 1, p. 156) de même que pour
Cohn [die Embolie und ihre Folgen nach Experimenten an Tlneren, etc.
Breslau, 1850) le sang ne pouvant pénétrer le cône vasculaire anémié s'engage
dans les voies collatérales et les gorge, au pourtour de ce cône exsangue, au
point de les rompre. Mais c'est là une vue théorique. Outre que dans le foie,
dans le rein, la pression latérale engendrée par le flux collatéral autour des
infarctus n'arrive point à rompre les vaisseaux capillaires, il est aisé de constater
expérimentalement que, au pourtour des aires vasculaires anémiées par des
boulettes de cire à cacheter hincées dans le système veineux, le parenchyme pul-
monaire ne dessine pas de marge congestive. La congestion veineuse en retour
qui, d'après Lépine {Physiologie pathologique des lésions produites par les
embolies. In Gaz. médic. de Paris, 1872, p. 276-285), se produit dans l'aire ané-
miée jusqu'à ce que, dans cette dernière, le sang ait acquis la même pression que
dans l'arbre veineux, est aussi insuffisante, je crois, pour expliquer à elle seule
l'hémorrhagie. La véritable raison de l'effraction vasculaire a en réalité été indi-
quée par mon maître Ranvier {Manuel d'histologie pathologique, p. 81, et thèse
d'agrégation de Duguet, 1872). Elle réside dans ce fait que l'embole amène par
sa présence une irritation de la paroi vasculaire qui s'enflamme à sou niveau,
HÉMORRIIAGIE. 57^
perd de sa solidité et finit par se rompre immédiatement on arrière de l'embolus
sous l'elTort de la pression sanguine qui, sur ce point, toute la vitesse du liquide
sanguin étant éteinte par son arrêt, devient égale à la tension vasculaire à l'ori-
gine de l'aorte. L'artère redevenue embryonnaire cède alors d'un coup, ou bien
le sang s'infiltre dans ses parois en les lamellisant par une sorte de diabrose;
enfin le sang gagne la gaîne lymphatique et de là le cône vasculaire anémié dont
les vaisseaux capillau'es, à la suite de l'anémie même de la région, sont d'ail-
leurs devenus friables et peuvent se rompre ou laisser sortir le sang par
diapédèse sous l'influence de la haute tension veineuse. Les conclusions de
Ranvier, comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre, n'ont reçu aucune modifica-
tion par les recherches toutes récentes de Pourcelot [Formalion de ïhémorrhagie
dans l'infarctus emboliqiie du poumon. Thèse de Lyon, 1884), inspirées par
L. Bard, mais il a mis en lumière un fait important, c'est l'influence de la sep-
ticité ou de l'asepticité de l'embolus sur la réaction des parois artérielles. Quand
l'erabole est septique, l'artériole pulmonaire embolisée est absolument revenue
à l'état embryonnaire au bout de dix-sept heures et sa lumière est remplie de
globules blancs au-dessus de l'obstacle ; quand il est aseptique, on trouve à peine
des traces d'inflammation.
Ainsi donc, au niveau de l'embolus les vaisseaux deviennent très-friables
parce qu'ils s'enflamment, et il se crée un point faible sur lequel agissent : en
amont la tension artérielle telle qu'elle est à l'origine de l'aorte, en aval la ten-
sion veineuse telle qu'elle est dans les veines réservoirs, et ceci en vertu même
du principe bien connu de Pascal, puisque le sang ne se meut plus dans les vais-
seaux intéressés. De plus, au voisinage de la plèvre, là où se font à peu près
exclusivement les infarctus hémoptoïques, il existe pendant chaque inspiration
une tension négative. Enfin l'on sait que le dispositif anatomique des réseaux
vasculaires du poumon en fait aussi des points faibles. Toutes les conditions
sont donc ici réunies pour que la rupture se produise ou du moins que les
actions diapédétiques s'exercent largement. Cela explique pourquoi, consécutive-
ment aux embolies et à l'infarctus qui en résulte, on observe plus souvent que
partout ailleurs des hémorrhagies massives dans le parenchyme pulmonaire.
Mais il y a une autre raison : c'est le voisinage de l'aii* qui, dans les alvéoles
perméables, arrive au contact de la marge de l'infarctus. Dans ces conditions le
foyer embolisé, déjà envahi par le sang qui a rempli ses alvéoles, se trouve
transformé en une petite collection sanguine exposée. 11 se produit alors à son
niveau des phénomènes inflammatoires sur lesquels a insisté avec juste raison
Balzer (article Hémorrhagie pulmonaire, in Nouv. Dict. deméd. et de chir. pra-
tiques, t. XXIX) et qui s'accompagnent de ramollissement des vaisseaux, prin-
cipalement sur les limites de l'infarctus et des portions du poumon qui l'envi-
ronnent. De là très-vraisemblablement les hémorrhagies successives qui se
produisent dans certains cas d'apoplexie pulmonaire. Si l'infarctus, ce qui se voit
quelquefois surtout dans les embolies septiques consécutives y l'endocardite ulcé-
reuse, se trouve placé dans des conditions qui le rapprochent de plus en plus
d'un foyer sanguin exposé, la terminaison par gangrène, accompagnée d'érosions
multipliées des vaisseaux (d'origine nécrosique), peut être observée et n'est
même pas rare.
La production d'héraorrhagies à une grande distance d'un embolus, comme
dans le cas d'oblitération de la mésaraïque que j'ai rapporté plus haut, conduit
nenser que les réseaux terminaux commandés par l'artère embolisée subissent
580 HÉMORRIIAGIE.
plus ou moins rapidement, par le fait de l'embolie, des lésions de nutrition
analogues à celles expérimentalement de'montrées par Cohnheim et Tarchanolï
à la suite de la ligature des veines. Us subissent uu ramollissement qui ne leur
permet plus de retenir le sang sous la pression ordinaire. Dans notre observa-
tion, en effet, il n'existait aucune maladie juxtamuqueuse; une oblitération
unique de la grande mésaraique fut seule mise en lumière par une dissection
minutieuse. Du reste l'bémorrhagie s'était faite en nappe dans tout le départe-
ment commandé par la grande mésenlérique. Dans ces conditions lu stase existant
dans le domaine de la veine porte, du fait de la congestion hépatique d'origine
asystolique, put arriver à exercer des effets suffisants pour triompher de la
résistance des parois vasculaires dans la zone anémiée, et ne produisit aucune
hémorrhagie dans celle que commandait la mésentérique inférieure, où la pleine
circulation s'était maintenue.
Les exemples qui piécèdent concourent donc ;i démontrer que l'embolie des
petits vaisseaux détermine sur place, au niveau même du caillot embolisant, le
ramollissement vasculaire par inflammation de la paroi et à distance le ramol-
lissement des réseaux capillaires inertes par suite de l'anémie, ces vaisseaux ne
vivant, en réalité, de leur vie propre et surtout ne respirant que par le sang
même qui les traverse parce qu'ils sont dépourvus de vasa vasoriim. Or on sait
que l'anoxémie est l'une des causes les plus puissantes de la désintégration
granulo-graisseuse des éléments anatomiques. On voit donc que, par sou action
directe et à distance sur les vaisseaux, l'embolie (et ceci pourrait aussi s'appliquer
à la thrombose veineuse) exerce une influence très- favorable à la production des
hémorrhagies par rupture, surtout là oii les réseaux vasculaires constituent des
points faibles du circuit parce qu'ils sont exposés sur des surfaces (muqueuses)
ou mal soutenus (poumonj.
Plus encore peut-être que les embolies des artères et des artérioles, celles
des capillaires vrais deviennent l'origine de processus hémorrhagiques surtout
lorsqu'elles sont multipliées dans une aire vasculaire donnée. Fellz, dans son
Traité clinique des embolies capillaires, a soigneusement étudié cette cause
d'éruption sanguine et l'a mise hors de conteste. Les effets des embolus volu-
mineux sur la paroi vasculaire, après ce que nous venons de dire des embolies
artérielles et artériolaires, se comprennent pour ainsi dire d'eux-mêmes. Ln fait
très-intéressant, qui a été mis en lumière par Ollivier et Ranvier {Mém. de la
Soc. de biologie, série 4, t. IV, p. 246, nouvelle ohs. pour servira l'histoire de
la leucémie, Arch. de physiologie, 1869, p. 487), c'est que dans la leucocylhémie
ces embolies sont produites par les globules blancs. Les cellules lymphatiques
peuvent en effet devenir assez nombreuses pour obstruer les capillaires, et comme
elles adhèrent aux parois des vaisseaux lorsqu'elles viennent à les toucher, pour
ne plus avancer ensuite qu'en vertu de leurs mouvements pseudopodiques, il
en résulte que ces éléments, amenés en grand nombre par le courant sanguin et
restant ensuite en retard quand ils se sont fixés à la paroi, s'accumulent sur
le point qui est le siège de leur fixation et arrivent à oblitérer la lumière du capil-
laire. En outre j'ai montré [Rech. sur les éléments cellulaires du sang, in Arch.
de physiologie, 1881) que chez certains leucémiques il existe de véritables glo-
bules blancs géants, mesurant de 12 à 19 a de diamètre et à peu près dépourvus
de mouvements araiboïdes. Ces globules énormes et inertes, incapables par con-
séquent de réduire leurs dimensions par leur action propre, huit fois plus volu-
mineux que les globules rouges, peuvent donc aisément jouer le rôle d'embolus,
HÉMORRHAGIE. 581
puisque certains capillaires sont à peine plus larges que le diamètre des globules
rouges du sang. Ils pourront donc s'arrêter dans les réseaux capillaires à la façon
de grains de pollen et devenir la source d'hémorrhagies, en déterminant autour
d'eux le ramollissement de la paroi vasculaire et sa rupture ou son érosion par
diabrose diapédotiquc immédiatement en amont de l'obstacle formé par eux.
Aux embolies orijaniqnes, cnioriqiies, leucocijthùjues, dont je viens de parler,
il fautjoindre actuellement celles de ?ia/î//"e/jrtmsz7a»-e. La migration des colonies
de schizomycètes soit sous forme bacillaire, soit sous celle de zooglœas, et l'arrêt
de ces masses parasitaires pour former des embolies suivies ou non de ruptures
vasculaires en amont, n'est plus à démontrer. Cbez des nouveau-nés présentant
des bémorrbagies multiples en dehors de tout traumatisme, liémorrhagies que
déprime abord on songeait à mettre sur le compte d'une diathèse hémophilique,
Rlebs {Aerztl. Correspondenzhlatt f. Bôhmen) et Weigert (cité par Cohnbeim,
Path. génér. , art. Hémorrhagie) ont montré que l'origine des foyers hémorrliagiques
consistait en embolies multiples de nature bactérienne. Tout récemment Padrone
a proposé la même exi)lication pour les bémorrbagies multiples de certaines
péîioses rhumatismales. Dans cette conception, le purpura de la péliose serait
déterminé par l'arrêt d'une série de colonies parasitaires dans les réseaux vascu-
laires du tégument. 11 convient, je crois, de n'accepter qu'avec réserve, jusqu'ici
du moins, les faits particuliers de ce genre; mais ce que nous savons maintenant
des maladies infectieuses permet de faire entrer du moins les embolies parasi-
taires dans le cadre des causes capables de produire l'bémorrbagie à la suite de
l'oblitération embolique des petits vaisseaux.
C. Lésions entraînant Fouverture du vaisseau, c. Hémorrhagies d'origine
ulcéreuse. On sait comment et dans quelles conditions se produit l'ulcération;
ce phénomène suppose toujours la désintégration moléculaire des parties vivantes,
le plus souvent effectuée dans l'aire de distribution d'un vaisseau sanguin oîi la
circul.ition ne s'opère plus avec une intensité et une régularité suffisantes pour
permettre à la nutrition des pnrties commandées de demeurer en activité. C'est
ainsi que l'ulcération termine les processus inllammatoires qui s'accompagnent
d'endartérite oblitérante. A la peau, les artérioles se capillarisant suivant un
cône à base tournée vers l'épiderme, toutes les ulcérations élémentaires présen-
tent une configuration arrondie suivant un élément de section conique ; je
reviens à cet exemple [voij. Dermatoses lAnntomie pathologique générale^ parce
qu'il fait bien comprendre l'influence des vaisseaux dans le mécanisme intime
de l'ulcération. En dehors de là les ulcérations peuvent être divisées en trois
ordres : gangreneuses, nécrobiotiques ou inflammatoires. A ces trois ordres
ressortissent trois catégories d'hémorrhagies possibles et prenant leur origine
dans le processus ulcératif.
1° Hémorrhagies ulcéreuses d'origine gangreneuse. Quand une eschare
renferme un vaisseau dans son trajet, au moment de la séparation du mort et
du vif, il peut se faire que sur ses limites ce vaisseau ne soit pas oblitéré, d'une
façon solide, par le processus d'endartérite ou d'endophlébite ordinaire. La chute
de l'eschare l'ouvre alors et une hémorrhagie se produit. 11 est absolument
inutile d'insister davantage ici sur ce point de pathogénie. C'est à cet ordre de
causes, il convient cependant de le faire remarquer, qu'est due dans la majorité
des cas l'hémorrhagie intestinale de la dotliiénentérie. La lésion des plaques de
Payer peut en effet, on le sait, conduire à la production d'une plaque de gan-
grène supei'ûcielle intéressant la portion de la muqueuse intestinale qui les
"382 IIÉMORRHAGIE.
recouvre. Celte muqueuse, en effet, est tlisposée en une lame mince, trouée au
niveau de chaque saillie ou tête folliculaire pour recevoir le mamelon de cette
dernière et ne communiquant avec les parties profondes que par des ponts
étroits occupant les intervalles des follicules. C'est par ces ponts que passent
les vaisseaux sanguins et lymphatiques qui lui donnent sa vitalité. Lorsque
l'engorgement folliculaire est porté à l'exlrème, les vaisseaux précités sont effacés
mécaniquement et le voile muqueux superficiel qu'ils nourrissaient est frappé de
mort. De là la possibilité d'une liémorrhagie au moment de la chute de l'eschare
quand cette dernière a été formée brusquement et sans intervention possible de
phénomènes inflammatoires. L'absence ordinaire d'hémorrhagies dans le cas
d'ulcérations tuberculeuses des plaques de Peyer, souvent si semblables aux ulcé-
rations dothiénentériques que toute destruction à l'œil nu, du côté de la
muqueuse, ne peut être faite, tient au contraire au mécanisme presque exclusi-
vement inflammatoire et lent qui a présidé à la formation delà lésion.
2° Hémorrhagies ulcéreuses d'origine nécrobiotique. Ce sont les hémorrha-
gies satellites des ulcères atones ; elles ont pour type celles qui accompagnent
ou compliquent l'ulcère perforant de l'estomac, du duodénum, plus rarement
l'ulcère perforant du pied, enfin certaines hémorrhagies produites dans les
parois ou cloisons de certaines cavernes tuberculeuses, absolument en dehors
de toute disposition anévrysmale préalable. La désintégration moléculaire inces-
sante dont l'ulcère est le siège gagne de proche en proche sans qu'il se produise
sur ses limites la moindre réaction inflammatoire du moins dans la majorité
des cas. Celte désintégration arrive à intéresser la paroi d'un vaisseau compris
dans son aire et, quand elle a attaqué cette paroi de façon à la rendre incapable
de résister aux variations ordinaires du régime circulatoire dans la région, un
mouvement congestif accidentel, un effort de toux ou de défécation, suffisent à
déterminer l'effraction vasculaire. L'hémorrbagie suit, avec le type réactionnel
particulier commandé par le point même de l'économie où elle s'effectue.
D'autres fois c'est en réalité l'ulcère qui ouvre le vaisseau, et l'on voit Thémor-
rhagie se produire en dehors de toute circonstance occasionnelle à laquelle on
puisse imputer une rupture.
Les hémorrhagies dont les ulcères variqueux atones du tégument sont fréquem-
ment le point de départ et le siège s'effectuent suivant un mode très-analogue.
Mais ici la cause est complexe: les vaisseaux sont malades, à parois ectasiques
souvent communicantes, comme on le voit dans les angiomes, et il existe une
inflammation clironique des tissus. Aussi les ruptures à l'occasion d'efforts, de
longue station debout, etc., sont-elles plus fréquemment observées que les
ulcérations véritables par désintégration de la paroi vasculaire. Cette catégorie,
en réalité, établit la transition naturelle de la précédente à celle qui va suivre.
5° Hémorrhagies ulcéreuses d'origine infiammatiore. Lorsque l'inflamma-
tion se produit au voisinage d'une masse de vaisseaux malades, comme c'est le
cas dans l'ulcère variqueux, ou mieux encore dans les tumeurs érectiles ou
vasculaires quelconques, et qu'elle aboutit à l'ulcération de la peau ou d'une
muqueuse, cette ulcération peut intéresser la paroi des vaisseaux adjacents et
déterminer une hémorrhagie. Mais en dehors de ce cas particulier l'on peut dire
que l'inflammation proprement dite a peu de tendance à produire l'ulcération
des vaisseaux. Ces derniers en effet, s'ils sont influencés par elle, y participent
et s'oblitèrent par endartérite ou endophlébite; le plus souvent ils sont respectés.
Le passage de vaisseaux sanguins, surtout artériels, à travers un foyer phlegmo-
HÉMORRHAGIE. 58â
neux qui les dissèque sans les détruire, est depuis longtemps classique. 11 con-
vient cependant de faire remarquer que l'inllammation catarrhale de certaines
muqueuses ne respecte pas toujours les vaisseaux sanguins adjacents : elle les
■ouvre par le mécanisme des ulcérations catarrliales. C'est ce qui arrive dans
l'eûtérite dysentérique et mieux encore dans le coryza. L'épistaxis du coryza
survient ordinairement vers le déclin de cette affection, qu'elle qu'en soit d'ail-
leurs la cause ; c'est au moment où des croûtes molles se sont étalées à la surface
■de la muqueuse, recouvrant de petites ulcérations superficielles et ponctuées,
qu'on voit l'hémorrliagie survenir, principalement au moment des efforts ou
dans l'action de se moucher. Avec les croûtes une petite eschare pelliculaire
s'enlève de la surface de l'ulcération et le sang sort des capillaires érodés. Mais
en réalité l'inflammation, en dehors de ces cas particuliers, ne saurait être con-
sidérée comme une puissante cause directe d'hémorrhagies massives par rupture,
érosion ou ulcération des vaisseaux. Nous allons voir dans un instant que, tout
au contraire, elle joje un rôle des plus importants dans le mécanisme de la
production des hémorrhagies diapédétiques ou électives, dont nous allons dès à
iprésent aborder l'étude pathogénique.
Rôle de la diapédèse daks les pfutes de sang : hémoriihagies électives.
Nous avons déjà vu que le ])hénoniène de la diapédèse, en déterminant, lorsqu'il
i5 'opère largement dans une aire vasculaire, le ramollissement des parois des
capillaires, des veinules et même des artérioles, joue un rôle important dans la
production des hémorrhagies par rupture. La membrane vasculaire qui a été
percée de stomates temporaires a perdu sa solidité; elle est facilement éraillée
ensuite par l'effort du sang qui peut, sans fendre. le vaisseau en long ou le rompre
net en travers, exercer une sorte de divulsion sur sa membrane propre et réaliser
ainsi ce que Demetrius d'A pâmée nommait la diahrose, ou effraction par érail-
lure. Mais actuellement une autre question se présente; le sang complet, avec
tous ses principes : son plasma entier, ses deux ordres de globules en proportions
normales les uns par rapport aux autres et par rapport au plasma, peut-il sortir
■des vaisseaux sous l'influence d'une simple action diapcdétique?
Dans l'état actuel de la science, il est extrêmement difficile de répondre à
cette question ; comme le fait remarquer lui-même Cohnheim (art. IIémorrhagie
de sa Pathologie générale), le plus souvent le clinicien est hors d'état de déter-
miner si une hémorrhagie donnée est due à la diapédèse ou au rhexis. Même
lans les hémorrhagies congestives qui sont le résultat d'une action motrice
glandulaire excessive ou anormale, telles que la sueur ou les larmes de sang,
quand on voit le sang complet, coagulable, sortir comme en vertu d'une sorte
de sécrétion, on peut bien dire que la diapédèse joue un grand rôle dans le phé-
nomène, et même le plus grand dans les cas où il n'existe pas, au niveau du
point qui a donné issue au sang, de nappe ecchymotique interstitielle. En effet,
l'absence d'ecchymose montre que le liquide sorti des vaisseaux n'a pas fait une
brusque irruption, comme massive, dans les espaces interorganiques. Mais
d'autre part il serait téméraire d'affirmer que, dans tous ses points, le réseau
vasculaire envahi par la congestion hémorrhagipare a résisté sans se rompre. Ce
point particulier appelle donc de nouvelles recherches, et ce n'est nullement par
des raisonnements ou des inductions qu'un tel })roblème peut être résolu.
Mais il est des pertes de sang que j'ai proposé de nommer électives et dans
lesquelles le liquide nourricier se présente aux yeux de l'observateur avec des
caractères anormaux, montrant qu'il a subi, sur son trajet des vaisseaux à
(
384 HÉMORRIIAGIE.
l'extérieur ou dans les espaces inlerorganlques, des changements de constitution
qui supposent l'existence d'un véritable processus de filtration. Ce sang peut
être, par exemple, incoagulable, comme celui des menstrues : il a donc laissé en
chemin une partie ou la totalité de ses éléments fibrinogènes. Il peut présenter
une abondance anormale de globules blancs, un plus petit nombre de globules
rouges. En s'extravasant, il a donc subi de la part des parois vasculaires une
sorte de choix dans les principes constitutifs ou les éléments figurés qui doivent
passer tandis que d'autres sont retenus. Or la diapédèse seule est capable
d'exercer ce choix, celte action élective qui donne à l'exsudat sanguin ses carac-
tères distinclifs et, comme nous allons le voir dans un instant, sa physionomie
propre au processus hémorrhagique.
A une époque rapprochée de nous, mais où le phénomène de la diapédèse était
encore contesté, les auteurs cherchaient à expliquer les différences existant entre
le sang des règles et le sang normal par son mélange avec le mucus vaginal,
l'existence d'acides, etc. {voij. ME^sTRUA.Tlo^). On sait aujourd'hui que ce sang
est de beaucoup moins riche en globules rouges que le sang ordinaire et que, s'il
renferme de la fibrine, c'est dans un état tout particulier, comme l'avait fait voir
il y a longtemps Denis (de Commercy). C'est donc un sang séreux, pauciglobu-
laire, ne donnant pas le coagulum fibrineux normal, et en réalité modifié au
passage. C'est pourquoi je nie ranf^c du cùlé de ceux qui voient dans l'éruption
des règles un phénomène diapédique, phénomène qui se sépare nettement des
hémorrhagies utérines par rhexis qui donnent du sang complet et coagulable.
Mais il faut abandonner ici ce sujet, la menstruation ne rentrant pas à vrai dire
dans le cath'e des phénomènes morbides, et étudier les hémorrhagies électives sur
un autre terrain.
Au cours de cet article j'ai souvent pris pour exemple l'affection cutanée
variable décrite par Hébra sous le nom d'érythème polymorphe parce qu'elle
donne la clef des congestions hémorrhagipares en les reliant en série à celles qui
ne le sont pas. Je veux encore y revenir et faire remarquer que, sur un même
sujet l'on peut trouver, de par une même cause morbigène agissant à des
degrés d'intensité divers, à la fois des lésions congestives simples, des lésions
d'œdème blanc ou anémique (urticaire), des lésions œdémateuses colorées plus
ou moins par le sang (œdème hématique), des ecchymoses vraies, mais dès le
début peu intenses, enfin des aires hémorrhagiques véritables, formant dans le
tégument nouùre et constituées par du sang complet qui coagule interstitielle-
ment. Cette succession de lésions, croissantes de la congestion simple à 1 lié-
morrhagie proprement dite, avec des hémorrhagies incomplètes pour intermé-
diaires, et que, dans la maladie d'Ilébra, nous voyous se former et passer de
l'une à l'autre sous nos yeux, est un phénomène tout à fait fréquent en pathologie.
Les hémorrhagies incomplètes ou électives se retrouvent, avec des caractères
analogues à ceux qu'elles affectent dans la peau, dans une série d'états morbides
auxquels elles impriment le cachet hémorrhagique. Leur étude est donc de la
plus haute importance pour le pathologiste quand bien même, la plupart du
temps, elles diffèrent des hémorrhagies proprement dites à la fois par l'origine,
le mécanisme, l'évolution et enlin par la signification séméiotique.
Considérons une phlyctène du zona ; il s'agit ici d'un œdème aigu congestif
de cause nerveuse. L'inondation séreuse a été brusque et a soulevé les couches
épidermiques du tégument au niveau du point faible de l'ectoderme : la ligne
granuleuse. Le liquide qui remplit la phlyctène est formé de plasma coagulable
IIÉMORRIIAGIE. 385
rempli de globules blancs, mais constamment aussi on en rencontre des rouges.
Il n'y a pas là de vaisseaux rompus, mais issue des hématies avec les leucocytes,
comme dans toute diapédèse active. Examinons maintenant avec soin toutes les
phlyctènes de l'éruption; à peu près constamment, comme l'a indiqué mon
maître Ch. Lailler, on trouvera une ou deux plilyctènes plus ou moins nettement
hémorrhagiques, c'est-à-dire contenant assez de globules rouges du sang pour
prendre à l'œil nu la teinte caractéristique. Enfin, dans le zoster hémorrhagique,
toutes les phlyctènes ou presque toutes contiendront un liquide offrant les carac-
tères extérieurs du sang, mais, si l'on compte les globules blancs et les rouges,
on verra que, dans la majorité des cas, le sang est analogue à du sang leucé-
mique, c'est-à-dire présente un globule blanc pour trois rouges, ou même
nombre égal, eufin et même plus souvent les globules blancs l'emportent par le
nombre. Sous cette lésion, point d'ecchymose en nappe dans le derme.
Voilà donc un exsudât hémorrhagique parce qu'il a la couleur, la coagulabi-
lité du sang, mais qui en réalité n'est qu'un liquide séparé du sang par transsu-
datiou élective à travers la paroi des vaisseaux en diapédèse, et différant abso-
lument du sang circulant pris par piqûre immédiatement en dehors, ou sous la
phlyctène : sang qui a gardé ses proportions normales de globules rouges et de
blancs, tandis que celui de la phlyctène les a perdues.
Dans certains cas de zona hémorrhagique cependant, mais à vrai dire dans
le plus petit nombre, le sang est complet et analogue à celui des vaisseaux. Il
en est de même dans l'érythème polymorphe. Diverses coupes de la peau d'une
même région peuvent en effet montrer, sur des lésions voisines : 1" la congestion
simple; 2" l'œdème séreux; 3" l'œtlème hémati(iue; 4° un foyer ecchymotique
parfait. La détermination cutanée peut donc varier d'une inondation séreuse à
une inondation sanguine, avec tous les intermédiaires qui appartiennent natu-
rellement à l'ordre des hémorrhagies électives. Dans la portion où il n'existe
que de l'œdème, on trouve de nombreux globules blancs et seulement quelques
rouges tlans les espaces interorganiques. Là où existe l'œdème hématique, terme
le moins élevé de l'hémorrhagie élective, la proportion des globules rouges peut
augmenter jusqu'à donner à la préparation non colorée une teinte rouge de
sang, mais il n'y a point de coagulation librineuse. Là où existe une hémorrhagic
vraie, le foyer eccliymotique existe avec ses caractères, et présentera ultérieu-
rement son évolution propre. Très-vraisemblablement, sur ce point, l'effort de
diapédèse a exercé ses effets et en même temps des ruptures musculaires se sont
produites.
Ces hémorrhagies par rupture qui se produisent dans des aires vasculaires
déjà intéressées par la congestion neuro-paralytique, déjà modifiées aussi par la
diapédèse, nous sont déjà connues : nous les avons étudiées plus haut sous le
nom à' hémorrhagies congestives et nous ne reviendrons pas sur leur palhogénie.
Ce sont celles des exanthèmes hémorrhagiques, du purpura, du scorbut, des
maladies générales à détermination pétéchiale. Les congestions d'origine ner-
veuse, les embolies capillaires microbiennes, les effets de la diapédèse, enfin les
modifications éprouvées par le sang sous l'influence des divers états dyscrasiques,
constituent autant de facteurs de leur production. Ces facteurs, dans chaque
maladie^ à hémorrhagies, sont conjugués entre eux diversement, de façon que
leur produit, la résultante de leurs actions combinées, la lésion hémorrhagique,
en un mot, est variable d'aspect, d'étendue, d'évoluliou. Je fais ici cette remarque
pour faire observer au lecteur, une fois de plus, (|ue les actes de physiologie
DICT. ESC. i" s. XIH. "ij
386 JJKMORRIIAGIE.
palliologi(jiie tiui conimandcnl la production des hémorrliagies sont très-com-
plexes, et qu'après les avoir dissociés artificiellement pour en faire letude en
pathologisle il faut ensuite dans chaque cas particulier les grouper en clinicien
pour leur assigner les dilïurences spécifiques qui leur sont propres.
Lorsqu'au contraire aucune rupture n'a eu lieu, qu'il s'agit seulement d'un
œdème congestif devenu sanglant par le mélange d'une forte proportion de
globules rouges, on se trouve en présence de cette variété d'iiéniorrhagie élective
que nous nommerons congestion kémorrhagique.
Nous prendrons dans les lésions de la morve {voy. Morve) le tvpe de la con-
gestion liémorrhagique. Toute lésion morveuse nodulaire s'accompagne d'une
liémorrliagie dont le liquide coagule et devient le milieu où va évoluer le nodule
morveux. Mais il ne s'agit pas ici d'une nappe de sang vraiment pur, comme
celle d'un noyau apoplectique. Dans le poumon, par exemple, on voit chez le
cheval certains alvéoles remplis de globules rouges et n'en renfermant que peu
de blancs, mais toujours en proportion plus considérable que dans le san^ cir-
culant. Dans d'autres alvéoles les globules blancs sont plus nombreux; dans
d'autres enfin ils sont en majorité. On ne trouve pas d'ailleurs des caillots intra-
vasculaires. Les éléments du sang sont sortis en masse, mais non librement; en
émigrant des vaisseaux au dehors, le sang a été modifié dans ses proportions, ce
qui est le propre des hémorrhagies électives. Dans certaines formes de tubercu-
lose, et notamment dans la pneumonie tuberculeuse héraorrhagique, forme
rai)idement dégénérative et qui rentre dans le cadre des plithisies aiguës (c'est-
à-dire lébriles, du début du processus pneumonique à la production de l'ulcère
sinueux de Portai qu'on observe toujours dans ce cas,) on voit se produire dans
le poumon, par îlots ou par nappes, des congestions hémorrliagiques très-
analogues à celles de la morve. On pourrait multiplier ces exemples, mais les
deux précédents sufliseut, je crois, pour donner une idée générale du processus
de cette variété importante d'hémorrhagie élective.
L'œdème hématUjue, c'est-à-dire formé par un exsudât renfermant assez de
sang pour devenir coloré, est de beaucoup plus répandu en pathologie que la
congestion liémorrhagique. Nous en prendrons le type le plus accusé dans deux
alfections absolument disparates entre elles : la pneumonie fibrineuse et \'hé-
malurie paroxystique des pays chauds.
Dans la pneumonie fibrineuse lobaire, pneumonie franche des auteurs,
l'exsudat alvéolaire est formé i)ar un œdème inflammatoire hématique. Les
alvéoles sont remplis de globules blancs enserres par un réseau de fibrine, et
constamment de globules rouges plus ou moins nombreux, mais qui le sont
toujours assez pour donner à la granulation d'Andral sa coloration rouge (indu-
ration ou hépalisation rouge) et aux crachats du début leur caractère sanglant.
Dans les masses de cet exsudât se trouvent les sphérobactéries des trois ordres
décrites pai" Friedlànder, Talamou et Afanassiew (Cornil, Acad. de médecine,
juin 1884). Dans la pneumonie tuberculeuse lobaire à granulations confluentes,
l'exsudat, qui est à la fois formé par de la fibrine et des cellules endothéliales
revenues à la forme sphérique, est également rendu rosé par des globules rouges,
mais ces derniers sont moins nombreux que dans celui de la pneumonie franche.
Il est probable que le rein, chez les malades atteints d'hématurie paroxystique
de l'île de France, est le siège d'un œdème analogue. Quoi qu'il en soit. Rayer
avait fait depuis longtemps remarquer que, même dans le cas où les urines
semblaient purement laiteuses, la tache du linge rosée sur ses bords indiquait la
UÉMORRHAGIE. 587
présence d'une cei'taiiie quantité de sang. Si l'on fait abstraction de certaines
urines purement chyleuses, et dans lesquelles on ne trouve que de très-iines
;jranulations graisseuses divisées et suspendues comme dans une émulsion, on
trouve dans la majorité des cas les urines avec les caractères suivants, que j'ai
pu constater dans nombre d'échantillons d'urine provenant d'une fdle névropathe
qu'observait mon maître Ant. Fauvel. Ces urines sont d'un blanc rosé ou d'un
rouge p;ile, elles coagulent s[jonlanément et le caillot, mou et peu rélractile,
est foimé de magnifiques réseaux de fibrine enserrant des globules blancs
toujours plus nombreux que les rouges. Ici la nature diapédétique de rhémor-
rhagie saute d'elle-même aux yeux. L'urine est ensanglantée par du sang plus
que leucémique, puisque les globules blancs dominent et que le sang circulant
des vaisseaux a sa constitution normale et sa proportion régulière de globules
rouges et blancs. Le choix des éléments, et leur nouvelle répartition dans l'urine
hémorrhagique n'ont pu être manifestement faits que par la paroi vasculaire
non rompue.
On sait actuellement que la pneumonie fibrineuse est une affection parasitaire;
suivant Crevaux, il en est de même de l'hématurie paroxystique. Nous ignorons,
il est vrai, le rôle exact joué par les parasites, ici très-divers, dans le méca-
nisme de riiémorrhagie élective, mais ce que l'on observe dans l'albuminurie
semble indiquer qu'ici la constitution propre, la cras.e du sang, ne saurait être
considérée comme un élément indittérent. Bien que, comme nous l'avons fait
voir, les qualités du sang ne puissent, par leur action sur les parois vasculaires,
jouer qu'un rôle très-accessoire dans le mécanisme des hémorrhagies, dans
l'albuminurie, par exemple, il est incontestable que ce liquide est devenu apte
à transsuder dans des proportions beaucoup plus larges qu'à l'état normal.
Aussi, lorsqu'à la place de l'œdème mobile, commandé par la pesanteur, propre
à certaines formes (néphrite aiguë congestive, néphrite chronique mixte) de la
maladie de Brighl, il se produit, ce qui n'est pas rare, des déterminations
congestives, par exemple, dans le poumon ou l'urbi'e bronchique, les œdèmes
hématiques ou même les hémorrhagies congestives se produisent avec la plus
grande facilité. C'est là un des caractères connus de la bronchite albuminurique,
et j'observe dans ce moment même une malade chez laquelle les poussées de
bronchite, qui sont depuis deux ans à répétition, ont débuté par une hémoptysie.
Plus souvent les crachats sont analogues à du blanc d'œuf battu et couverts
d'une écume sanglante quand on les a recueillis dans le crachoir. L'œdème aigu
qui se produit dans le poumon chez les albuminuriques a donc une tendance à
devenir hématique que n'a pas l'œdème ordinaire. J'ai constaté en effet que
dans un cas d'œdème aigu devenu en quelques heures mortel chez un individu
porteur d'un épithéliome mucoïde du poumon l'exsudat avait été intense au
point de rompre les alvéoles sur nombre de points, sans nulle part présenter le
caractère hématique. La congestion pulmonaire des goutteux peut au contraire
aboutir à un œdème tout à fait semblable à celui de la bronchite albuminurique ;
j'en puis citer un cas remarquable, que je sais depuis plus de douze ans. Brus-
quement, chez la malade, goutteuse héréditaire, un point de côté névralgique
s'établit, crée des douleurs atroces analogues par leur intensité à celles de la
colique néphrétique, puis des râles hullaires apparaissent à la base et dans la
région moyenne du poumon; il survient de la toux déchirante avec crachats
spumeux, rosés d'abord, puis tout à fait sanglants. Au bout de quelques heures
tout rentre dans l'ordre. J'ai assisté à six attaques semblables et je me suis
588 UEMORRHAGIE.
assuré positivement qu'en dehors de la diallièse goutteuse on ne peut rapporter
ces poussées d'œdème aigu à aucune cause; les accès sont absolument apyrétiques
et la malade n'est nullement tuberculeuse.
Tout ce que je \iens de dire des hémorrhagies incomplètes par diapédèse, ou
he'morrhagies électives, suffira, je pense, pour montrer le rôle que joue ce mode
de perte de sang dans l'immense série de lésions de nature congestive que l'ana-
tomie et la physiologie pathologiques nous font de jour en jour mieux connaître.
Ces hémorrhagies diapédéliques, satellites ordinaires de toute inflammation ou
de toute congestion soutenues ou fréquemment répétées, donnent la clef d'une
série de lésions que l'on retrouve dans les tissus et les organes à l'état de traces :
pigmentations ponctuées, en traînées ou en foyers, taches sepia d'Andral, bandes
de sclérose semées de grains noirs, colorations fauves ou brunes diffuses, tels
sont les vestiges ordinaires de ces actes de diapédèse poussés jusqu'à l'éniptioQ
d'une partie des éléments constitutifs du sang. Mais le plus ordinairement ces
processus ne se trahissent guère, en tantqu'hémorrhagies, aux yeux du clinicien.
Ce n'est que dans le cas d'expectoration colorée ou d'urines renfermant une
notable (juantité de globules rouges (ju'on est mis sur la trace de leur existence.
Les hémorrhagies diapédéliques sont notamment les satellites ordinaires des
affections rénales aiguës ou chroniques. L'urine de la néphrite aiguë des deux
modes, dégénérative ou congestive, doit son reflet rougeàtre et son aspect de
bouillon trouble aux éléments du sang qu'elle contient ; l'urine pâle des
brightiques renferme toujours, comme l'a autrefois soutenu avec raison Rayer,
des globules rouges du sang plus ou moins nombreux. Toute inflammation,
tout effort congestif habituel ou permanent, est donc une cause de spoliation
sanguine, minime, il est vrai, et ne jouant en tant qu'hémorrhagie qu'un l'ôle le
plus souvent négligeable dans le processus, mais qui, lorsqu'on est placé dans
des conditions convenables pour la constater, peut souvent concourir à en fake
reconnaître l'existence ou même le lieu. C'est ainsi que, lorsqu'on trouve dans
un sédiment urinaire des cylindres formés par de la fibrine englobant des glo-
bules rouges, on peut affirmer que l'hématurie, qui dans ces cas peut être ou
évidente ou au contraire difficile à reconnaître à l'œil nu, a précisément son
siège dans les tubes droits ou contournés, c'est-à-dire s'effectue en plein paren-
chyme rénal.
Je n'ai plus maintenant à dire qu'un mot des transsudations hématiques, non
pour les décrire, mais pour les définir et les éliminer du cadre des hémorrhagies.
Le type de ces transsudations doit être pris dans Yhémogloh'murie [voij. ce mot);
le liquide exsudé présente ici l'aspect et surtout la couleur du sang, mais n'est
pas constitué par le sang lui-même ; il est formé d'une solution d'hémoglobine et
ne renferme point de globules. Il s'agit donc ici d'une simple transsudation
colorée, opérée par diapédèse; les vaisseaux, remplis d'un liquide formé à la
fois par du sang vrai et par un plasma transformé en une solution d'hémoglo-
bine plus ou moins riche, ont laissé diffuser la partie séreuse de cette solution;
mais il n'y a là rien qui réponde à la définition d'une hémorrhagie proprement
dite. Le liquide des œdèmes, dans quelques cas, est teint de cette façon par la
matière colorante du sang; c'est ce qui arrive fréquemment à la suite des
morsures de serpents et, notamment dans nos climats, de la vipère. Le membre
mordu se tuméfie et prend une coloration bleuâtre en même temps qu'il se
refroidit. Si l'on fait une incision, l'on voit le tissu cellulaire gorgé d'un liquide
œdémateux, présentant la coloration d'une gelée de groseilles, mais qui n"est
IIEMORRHAGIE. 583
nullement formé par du sang, ainsi que l'ont montré il y a déjà longtemps
Chéron et Goujon {Union médicale, 16 février 1869). La teinte diffuse assez
analogue aux restes d'une ecchymose, et qui donne souvent au tégument des
cardiaques asystoliques une coloration d'un rouge faible verdàtre, comme
dichroique, m'a paru déterminée par une transsudation analogue. Les espaces
interorganiques du derme et du tissu cellulaire sous-cutané ne renferment
aucunement les éléments du sang, mais une sérosité peu abondante, teinte dif-
fusément et d'une manière très-faible par de l'hémoglobine dissoute, et qui
optiquement se comporte comme une solution d'hémoglobine très-étendue,
c'est-à-dire laisse passer, non plus seulement les rayons rouges du spectre, mais
les rayons orangés et verts. La teinte rose hortensia que prend la substance grise
des centres nerveux dans les fièvres graves liyperpyrétiques doit être aussi rangée
dans le cadre de Iranssudations hématiques dues à une dissolution partielle de
la matière colorante des globules rouges du sang.
Nous voici parvenus à la fin de la longue étude pathogénique qui constitue
«n réa-lité le fond de cet article et qui lui donne en majeure partie son intérêt.
Comme on le voit, j'ai paru éliminer du cadre des causes actuelles de l'hémor-
rhagie les altérations du sang; je n'ai pas donné place à ce que de nos jours
encore on appelle les hémorrhagies hémopalhiques. Je n'ai cependant pas voulu
indiquer par là que les variations de la crase sanguine n'aient sur la production
des hémorrhagies aucune action. L'inlluence des états dyscrasiques dans Tétio-
logie des pertes de sang a été à juste tilre reconnue dès l'origine même de la
médecine et reste absolument maintenue, avec toute sa valeur, par la tradition,
mailles empoisonnements des divers ordres ne paraissent avoir d'autre rôle, en
physiologie pathologique, que de préparer le processus complexe qui aboutit à
la production des hémorrhagies spontanées symptomatiques des intoxications.
Sous leur influence le sang peut devenir plus diffusible, les parois vasculaires
subir des modifications de nutrition qui favorisent les phénomènes de diapédèse
ou de rupture ; le courant sanguin peut charrier des parasites qui deviennent, à
un moment donné, en se multipliant et se mobilisant ensuite dans les vaisseaux,
l'origine d'embolies capillaires suivies d'hémorrhagies consécutives. Mais en
■dehors de là, par lui-même, par son action propre sur les vaisseaux, le sang,
lorsqu'il circule, paraît incapable de déterminer dos ruptures, des érosions ou
<les ulcérations vasculaires: il ne joue donc aucun rôle dans le mécanisme direct
des éruptions de sang, à quelque catégorie d'ailleurs que ces éruptions appar-
tiennent. Ce n'est qu'en impressionnant d'une certaine façon le système nerveux
anormalement irrigué par lui, en devenant l'origine, de cette façon, des
congestions hémorrhagipares, que le liquide nourricier devenu toxique ou
septique arrive à déterminer, mais alors par une voie tout à fait détournée, des
hémorrhagies localisées dans les réseaux vasculaires de tel ou tel organe ou au
contraire disséminées sur un grand nombre de points.
Il résulte de là que les rapports des phénomènes hémorrhagiques avec les
intoxications du sang doivent être étudiés, non pas dans le chapitre de la patho-
génie réservé à l'analyse du mécanisme de ces dernières, mais dans le chapitre
de la séméiologie. L'état dyscrasique, en effet, s'il ne modifie pas les conditions
générales qui commandent l'issue du sang hors des vaisseaux par diapédèse ou
par rupture, imprime constamment, par contre, au syndrome hémorrhagique,
un cachet absolument particulier. Pour prendre un exemple, les hémorrhagies
n'ont pas, dans une variole noire, un mécanisme propre qui commande l'issue
590 HKMORRIUGIE.
du sang par un mode sensiblement différent de celui qu'on observe dans une
hémorrhagie supplémentaire ou émotive. Mais les conditions dans lesquelles se
produisent ces hémorrhagies, leur évolution, leur retentissement sur l'orga-
nisme, enfin leur valeur séméiologique et pronostique, sont tout différents', et h
physionomie clinique du syndrome, similaire dans toutes les pyrexies hémorrha-
giques, est absolument autre que celle qu'il affecte, avec des caractères éga-
lement communs, dans tout le groupe des hémorrhagies émotives ou supplé-
mentaires des divers ordres.
II. Effets physiologiques de la perte de s.vng. La masse totale des globules
du sang constitue notre richesse respiratoire; son plasma représente la majeure
partie de notre richesse nutritive en cours de distribution ; ses globules blancs
sont, en tant qu'éléments actifs de la lymphe, les agents par excellence des
mouvements d'échange entre le liquide sanguin et les tissus. Toute perte mas-
sive et importante de sang amène aussi des troubles dans la respiration et la
nutrition interstitielles, et ces troubles sont d'autant plus profonds et rapi-
dement produits que l'hémorrhagie est plus considérable et plus rapide. Quand
au contraire les pertes de sang sont espacées, leurs effets sur l'organisme, les
phénomènes consécutifs à la spoliation sanguine, sont moins marqués; l'animal
réagit en régénérant, d'une façon très-aclive, le sang qu'il a perdu; et, si la
source de déperdition vient à cesser d'exister, l'équilibre se rétablit lentement,
par le mécanisme d'une l'econstitution progressive du liquide nourricier soustrait
aux vaisseaux.
Toute hémorrhagie qui consiste en un écoulement sanguin notable en nappe
ou en jet détermine rapidement la mort, si elle est continue, c'est-à-dire lorsque
l'hémostase, spontanée ou provoquée, ne s'effectue pas. Les premiers effets
d'une telle hémorrhagie sont, chez l'homme, un sentiment de terreur, puis de
défaillance et de refroidissement, bientôt suivis d'accélération du pouls et de
ralentissement de la respiration. La face se décolore, les sens s'obnubilent, les
mouvements volontaires deviennent d'abord pénibles, puis impossibles : enfin la
sensibilité se perd, la nausée survient, les yeux se voilent: on tombe en syncope.
Si la perte de sang s'exagère encore, les battements du cœur deviennent de plus
en plus rares, la respiration est petite et laborieuse, des convulsions réitérées
surviennent avec des déjections alvines et vésicales involontaires ; presque tout
indice de vie disparait alors et à cet état de mort apparente succède enfin la
mort elle-même. L'ouverture d'un gros vaisseau, tel que la carotide, la fémorale
ou la jugulaire interne,, amène cette série d'accidents et leur terminaison
fatale en quelques minutes.
Tel est le tableau sommaire de la perte de sang massive, continue, de 1 hé-
morrhagie déperditive, comme on pourrait aussi la nommer parce qu'elle a
pour résultat une déperdition véritable du sang. Toute hémorrhagie est de ce
type lorsque les limites de la perte compatible avec la survie sont atteintes,
dépassées ou même simplement rapprochées (5'2 pour 100 des globules, \ierordt).
Dans ces conditions, quand bien même l'hémostase est effectuée avant la mort,
l'animal ou l'homme ne se rétabhssent pas, ou ne le font que temporairement ;
laterminaison fatale suit à brève échéance parce que ce qui reste d'éléments respi-
rateurs dans le sang ne suffit pas à entretenir les oxydations interstitielles. Le
plasma, comme nous le verrons dans un instant, est rapidement remplacé par
l'eau des boissons, mais sans avoir récupéré ses propriétés alibiles ordinaires,
IIEMORRIIA.GIE. 391
nécessaires à l'alimentation interstitielle des éléments spécialisés des organes et
des tissus. Ces éléments se comportent alors à peu près comme dans le cas où
une intoxication grave par l'oxyde de carbone est venue paralyser déflnitivement,
au point de vue respiratoire, un nombre trop considérable de globules rouges -,
ils subissent sur un grand nombre de points la dégénération graisseuse, qui
devient principalemeut apparente et massive dans les trois grands organes actifs
par excellence, et dont l'intégrité simultanée est nécessaire à la vie : le myocarde,
le foie, la substance corticale des reins.
Lorsque, sans atteindre les limites de la perte de sang au delà de laquelle la
survie ne peut plus se maintenir, l'hémorrhagie a été néanmoins considérable
au point de soustraire aux vaisseaux une (juantité très-importante du liquide
nourricier, les effets généraux sur l'organisme, immédiats et consécutifs, sont
d'un tvpe tout particulier et elle peut être distinguée sous le nom de spolia-
trice. Dans une première période, celle où s'effectue la perte de sang, on
observe une série de phénomènes qui prennent leur origine dans l'évacuation
brusque des vaisseaux; dans une seconde, caractérisée par la reconstitution plus
ou moins complète de la masse du sang considéré en tant que liquide, reconsti-
tution qui s'opère par l'absorjition de l'eau des boissons ou des liquides intersti-
tiels, ['état hydiéinique prend naissance, et avec lui un régime tout spécial de
la nutrition et des autres grandes fonctions; enfin dans une troisième période,
et plus ou moins lentement, les éléments globulaires se reproduisent, rendent au
sang hydrémique, progressivement, ses caractères ordinaires; le plasma
redevient de son côté normal : la véritable convalescence de l'hémorrhagie
s'établit alors.
L'hémorrhagie simplement déplétive, celle qui s'accompagne d'une perle
notable de sang, mais trop peu importante pour exercer sur la masse du liquide
nourricier une action spoliatrice appréciable, n'intéresse au contraire que tem-
porairement l'organisme en faisant varier le régime circulatoire habituel pendant
un temps ordinairement court. Une perte de sang telle que celle déterminée par
la phlébotomie, ou par une épistaxis abondante, et ne dépassant pas 500 ou
400 grammes de sang chez l'homme, peut être prise pour type de cette variété
d'hémorrhagie. Elle ne détermine dans la circulation, la répartition du sang
dans les différentes aires vasculaires, et dans les fonctions, que des variations
temporaires dont l'influence est à peu près nulle sur la nutrition.
Mais il n'en est plus de même lorsque la perte de sang, à dose déplétive, est
répétée un certain nombre de fois à intervalles rapprochés, comme il arrive
dans les hémorrhagies réitérées ou dans les saignées faites d'après la formule de
Bouillaud : coup sur coup. L'influence sur les fonctions et sur l'organisme
entier est alors profonde; les phénomènes réactionnels acquièrent une physiono-
mie propre. Cependant les effets des hémorrhagies réitérées ne sont pas identiques
à ceux d'une hémorrbagie spoliatrice qui aurait soustrait à la circulation la
même somme de sang. La raison en est que, dans les intervalles des hémorrhagies,
la régénération du sang s'opère avec une activité très-grande, de telle sorte que
des pertes sanguines abondantes et renouvelées, qui dans un certain laps de
temps ont amené la soustraction d'une quantité de liquide nourricier supérieure
même à celle qui existait dans l'organisme à un moment donné quelconque, ont
pu être observées sans entraîner la mort. Tels sont des cas cités par Ilaller
[Elemenla physioligiœ, t. 11, p. 5) parmi lesquels j'en retiendrai seulement
trois. Dans le premier, il s'agit d'un jeune homme qui, dans l'espace de dix
592 IlÉMORRHAGIE.
jours, perdit 75 livres de sang, quantité dépassant la moitié du poids de son
corps et correspondant pour le moins à trois ou quatre fois celle de la masse
entière du liquide en circulation dans ses vaisseaux. Dans le second, un malade
hémorrhoïdaire évacua pendant deux mois 5 livres de sang par jour, en tout
510 livres, à peu près deux fois le poids total de son corps. Entiu, dans le troi-
sième cas, une jeune fille, pendant quatorze mois, fut saignée de deux jours
l'un et perdit en outre, par la menstruation, 125 onces de sang par mois; en
résumé, la somme du sang soustrait atteignit environ 100 kilogrammes. De
pareils exemples n'étaient pas rares à l'époque où les saignées étaient, comme
méthode de traitement, à leur apogée, et l'on peut citer à ce propos l'histoire
de cette femme qui, en vingt-huit ans, avait été saignée 5500 fois (Omodei-
Cavalli, Storia ragionata di straordinaria malaltia dur. da venColto anni;
Milan, 1854 [voy. Ayinali univermli di medicina, 1855, t. XVI, p. 495]).
Les hémorrhagies déperditivcs elles-mêmes, lorsqu'elles sont arrêtées sur la
limite de la perle compatible avec la survie, peuvent être suivies d'une prompte
régénération du sang. C'est ce qui ressort nettement des expériences de Piorry
[Note sur les émissions sanguines. In Arch. ge'n. de médecine, 1826, t. X,
p. 158), qui, ayant arrêté une première saignée au moment où l'hémorrhagie
allait devenir mortelle, a pu, tout en maintenant l'animal à la diète, en obtenir
le lendemain encore 10 et 18 onces de sang, et le saigner de nouveau sans qu'il
niouràt après un ou deux jours de repos.
Les petites hémorrhagies disséminées, telles que celles des exanthèmes pété-
chiaux dont le purpura est lo type, n'exercent sur l'organisme, en tant que pertes
de sang, qu'une induence négligeable. Mais les conditions dans lesquelles elles
se produisent ont, elles aussi, une physionomie toute spéciale, et donnent au
syndrome hémorrhagique un cachet particulier. Au point de vue séméiotique,
le syndrome hémorrhagique devra donc être étudié cliniquement pics loin dans
les cas spéciaux : a, d'hémorrhagies déperdilives ; h, d'hémorrhagies spoliatrices;
c, d'hémorrhagie déplétive isolée ou réitérée; d, d'hémorrhagies disséminées.
Mais c'est là une étude de synthèse, et qui doit être nécessairement précédée
d'un travail d'analyse qui, seul, peut mettre en lumière l'effet de la perte de
sang sur chacune des grandes fonctions. Ce travail a été fait surtout, dans ces
derniers temps, par Vinay, avec la collaboration, pour certains points, du
professeur S. Arloing; et il a servi de base à l'intéressante thèse d'agré-
gation du premier de ces deux auteurs {Des émissions sanguines dans les mala-
dies aiguës, Paris, 1880), à laquelle je vais emprunter la majorité des détails
suivants :
L'influence de la perte de sang par la saignée sur les grandes fonctions doit
être, au point de vue analytique où nous nous plaçons, étudiée successivement en
tant qu'elle agit : 1° sur la circulation elle-même et sur le régime circulatoire;
2" sur l'absorption générale; 5" sur la crase sanguine; 4" sur la respiration;
5° sur le système musculaire; 6° sur la chaleur animale; 7" sur la nutrition;
8" enfin sur l'innervation générale et le système nerveux. Nous allons voir, dans
chaque paragraphe répondant à cette division, qu'il se produit du chef de la
spoliation sanguine une ou plusieurs modifications importantes dans chacune
des fonctions précitées, ce qui revient à dire que l'économie tout entière est
alors mise dans des conditions nouvelles, dont l'ensemhle constitue Yétat
hémorrhagique, qui se révèle au clinicien sous forme d'un syndrome parti-
culier, le syndrome hémorrhagique auquel nous avons déjà fait allusion.
HÉMORRHAGIE. 395
1" Modifications de la circulation sur les pertes de sang. Ces modifications
sont, sans contredit, de toutes les plus éclatantes, puisque le régime circulatoire
est directement intéressé et changé par l'issue au dehors du liquide nourricier.
Étudiées autrefois par Ilales, et de nos jours par Marey, Chauveau, Buisson, et
cliniquement par Lorain, elles ont été l'ohjet de recherches nouvelles et Irès-
intéressantes de la part de Viuay et Ârloing.
a. Pression artérielle. Si l'on ouvre et ferme alternativement une veine un
peu importante, le système vasculaire se vide peu à peu et la pression baisse
dans l'arbre veineux, puis dans l'arbre artériel. Pendant chaque saignée et un
instant après, la pression manométrique s'abaisse, puis, quand la veine est
fermée, remonte lentement et se fixe à un niveau inlérieur à celui qu'elle attei-
gnait avant l'ouverture du vaisseau. « Si l'on évacue plus du quart de la
quantité de sang qu'un animal perd avant de mourir, la pression artérielle offre
des oscillations profondes qui s'accentuent de plus en plus, et se rattachent à
des modifications alternatives et réciproques des capillaires et du cœur » (Vinav,
loco citato, p. 21-22). Il résulte de cette observation que la saignée simplement
déplétive n exerce sur la pression artérielle quune influence tout à fait tem-
poraire, tandis que les saignées abondantes et réitérées, donnant lieu à des
pertes de sang déperditives ou largement spoliatrices, en entraînant de grandes
oscillations dans la pression artérielle, introduisent dans la circulation sanguine
un régime tout particulier comparable à celui qui résulte des grandes actions
vasomotrices, soit émotives, soit, suivant la comparaison de Vinay, analogues
aux effets de la réfrigération du corps et de la période de réaction qui lui fait
suite.
Un second fait intéressant mis en lumière par Vinay et Arloing, c'est que les
diminutions que subit la pression artérielle par les saignées réitérées ne sont
pas proportionnelles à la quantité de sang extraite des vaisseaux. Les premières
saignées produisent une dépression moins considérable que les saignées ulté-
rieures ; pour obtenir une chute de pression égale au 1/5 ou au 1/6 de la pression
normale, il faut en outre évacuer un tiers environ de la masse totale du sang.
Ainsi donc le système cardio-vasculaire réagit contre les causes de dépression
artérielle engendrées par l'hémorrhagie même dans l'hémorrhagie spohatrice,
mais cette réaction est d'autant moins efficace que la perte de sang se rapproche
•davantage du type déperditif, notion de toute importance pour le clinicien, au
point de vue de la valeur des hémorrhagies larges et réitérées quant à leur action
pathogénique ou même thérapeutique sur l'organisme, et quant à leur pronostic
(Vinay, loc. cit., p, 25-24).
b. Modifications de la fréquence du pouls, de sa force et de sa forme.
Marey pensait que l'accélération du pouls après la saignée déplétive était un fait
constant; Lorain avait constaté que cette accélération est seulement fréquente.
Vinay et Arloing ont déterminé les conditions dans lesquelles cette fréquence
€xiste et celles dans lesquelles au contraire on ne l'observe pas. Pendant les
hémorrhagies graduées, poursuivies jusqu'à la mort des animaux, ils ont
■en effet observé que : a, la fréquence du pouls augmente tant que la diminution
de la pression artérielle ne dépasse pas le tiers de la normale; b, elle revient à
peu près à son chiffre initial pendant que la pression demeure comprise entre
le tiers et le cinquième de cette même normale ; c, enfin elle augmente de
nouveau quand la pression tombe au-dessous de la limite (I/o) précitée. Il
résulte de là que dans l'hémorrhagie déplétive la fréquence du pouls est la
594 IIKMORRIIAGIK.
l'ègle, et que le ralentissement relatif de ce même pouls, ou les alternatives
(l'accélération et de lenteur, indices des grandes oscillations de pression carac-
téristiques de l'hémorrhagie spoliatrice sur le point de devenir déperditive,
c'est-à-dire mortelle, sont un signe réactionnel appartenant aux formes graves
de l'hémorrhagie, et acquérant, de ce chef, une importance de haute valeur
pour le clinicien.
C'est une idée traditionnelle en médecine que celle en vertu de laquelle on
admet que VampUlmle du pouls s'accroît sous l'influence des saignées et des
hémorrhagies larges amenant une déplétion un peu notable du système circula-
toire. Maximilien StoU, tout en indiquant ce relèvement du pouls comme pos-
sible, ne semblait pas cependant croire, comme on le fit généralement après les
travaux de Haies, que le phénomène se produisît en règle après toute évacuation
sanguine abondante ; il se bornait à dire : « Pulsus nonnunquàm debilis, venœ
sectionne faclâ, fit fortior », ce qui est bien loin d'indiquer la constance du
relèvement. Les expériences de Vinay et Arloing plaident exactement dans le
même sens que l'aphorisme de StoU que je viens de rappeler. Us ont observé les
modifications de l'amplitude du pouls de la carotide de l'àne, soumis à la saignée
déperditive par la jugulaire. Les indications étaient fournies à l'aide d'un tube
brancht'' latéralement et mis en communication avec l'artère. Ce tube se rendait
à la fois dans un manomètre inscriplenr et dans un sphygmoscope, disposition
qui permettait d'enregistrer simultanément les variations de la pression arté-
rielle et de la force du pouls. Dans ces conditions, pendant que le sang s'écoule
de la jugulaire et que la pression baisse dans la carotide, V amplitude des pul-
sations diminue. Après la saignée, la pression se relève graduellement, et l'am-
plitude des pulsations augmente légèrement tout en restant avi-dessous de l'am-
plitude normale. Ces modifications vont en s'accusant de plus en plus au fur et à
mesure que le sang s'écoule au dehors ; en même temps l'accélération des mou-
vements cardiaques s'effectue d'une manière progressive. Parfois, au cours
d'une basse pression, l'amplitude du pouls subit un accroissement momentané,
mais ce résultat s'observe toujours simultanément avec une période de ralentis-
sement des mouvements du cœur. 11 résulte de là qu'à l'état physiologique :
1° la force du pouls diminue, si le cœur s'accélère (ce qui est la règle sous l'in-
fluence des petites saignées et des saignées moyenne) ; 2° la force du pouls
augmente, si le cœur se ralentit, ce qui est une exception, toujours passagère,
dans le cours d'une expérience.
En présence des assertions contraires de Lorain, et de ce fait démontré par
Marey que, dans la majorité des cas, l'augmentation de l'amplitude du pouls est
produite par l'abaissement de la pression artérielle, les conclusions de Vinay et
Arloing pourraient sembler paradoxales : mais il importe de rappeler ici que
l'amplitude du pouls est mesurée par la différence entre la tension (c'est-à-dire la
pression latérale qui meut la paroi) pendant la diastole et pendant la systole. Si
l'on suppose, par la pensée, le vaisseau artériel coupé en travers au point de la
pulsation, la hauteur de celte dernière est donnée par la différence entre le
rayon du cercle de coupe du vaisseau distendu au maximum pendant la systole,
et le rayon du cercle de coupe de ce même vaisseau incomplètement rempli dans
les intervalles diastoliques. Il est certain que si, sur un schéma de la circu-
lation, on évacue une portion du liquide sans faire varier la vitesse et l'énergie
de la contraction du cœur artificiel, le pouls deviendra plus ample, puisque, dans
les intervalles des systoles, les artères sont relativement vides, et que leur cercle
HKMORRHAGIE. 595
de coupe est de plus petit rayon. La différence R — r (R représentant le rayon
de dilatation systoliquc et ?■ le rayon de dilatation diastoliqiie) qui représente
l'amplitude du pouls prend en effet une valeur plus grande, puisque /■ diminue.
Mais d'autre part on sait que R et r sont chacun proportionnels à la tension,
c'est-à-dire à la pression latérale contre la paroi, et que cette tension, égale et
de signe contraire, en un point donné du circuit vasculaire, à la résistance que
le liquide en mouvement a à surmonter en aval, est elle-même mesurée par la
différence entre l'énergie développée par le cœur et la force vive du sang en
mouvement au point considéré, force vive qui est fonction de la vitesse du sang
au même point, at qui croit ou décroit avec elle.
De la sorte, si la vitesse du cours du sang s'accroît, la pression latérale qui
commande l'amplituile du pouls en mettant la paroi artérielle en mouvement
diminue et conséquemment la hauteur de la pulsation diminue aussi propor-
tionnellement. Le problème est donc ramené, pour l'explication des faits qui
ici sont positifs et manifestés par les tracés, à l'étude des variations de la vitesse
du cours du sang pendant et à la suite de la saignée. Cette étude a été faite par
Vinay et Arloing chez les grands animaux à l'aide de l'héniodromographe de
Chauveau, concurremment avec celle des variations de la pression artéiielle et
du pouls, au cours d'hémorrhagies veineuses ou artérielles graduellement pour-
suivies jusqu'à la mort. « Pendant une piemière période qui répond à l'évacuation
du premier tiers environ de la masse sanguine, la vitesse diastolique augmente
et la vitesse systolique diminue. La seconde péi'iode, qui correspond à l'éva-
cuation du second tiers de la masse du sang, est caractérisée par le retour de la
vitesse diastolique à l'élat normal et par V augmentation de la vitesse systolique;
enfin la troisième période est caractérisée par la diminution de la vitesse dia-
stolique, qui peu à peu devient nulle, et par une vi'esse diastolique forte, mais
brève, excepté dans les derniers moments de la vie de l'animal, où elle s'affaiblit »
(Vinay, loc. cit., p. 29). La tension latérale variant en raison inverse de la vitesse
et R et r lui étant proporlionnels, il est aisé de déduire ce que deviendrait l'am-
plitude du pouls (R — r), pendant les trois périodes précitées, dans le cas
particidier cii l'énergie cardiaque ne subirait aucune variation. Soient Nd la
vitesse diastolique, Ys la vitesse systolique, T la tension systolique et t la tension
diastolique; marquons par les indices -h et — l'augmentation et la diminution
de valeur de ces termes, et nous verrons que l'on a :
A. Dans la première période, qui représente une hémorrhagie fortement déplé-
tive :
l Vs \d.
M, ) -t- +
* '' ■> T t ramplituJe du pouls iR — r) croil.
■+■ —
r. r.
Ceci explique les observations des Anciens, de Stoll, de Haies, et celles de
Lorain, et l'on doit admettre que, dans certaines circonstances oii, consécutivement
à la saignée, on a observé le relèvement du pouls, le cœur n'avait varié ni en
vitesse ni en énergie, condition qui peut très-bien se réaliser dans l'état patho-
logique, mais qui, nous le verrons dans un instant, ne s'observe pas chez les
animaux saignés dans l'état sain.
R. Dans la deuxième période, qui représente une hémorrhagie largement
spoliatrice, on aura :
396 HÉMORRUAGIE.
Vs Vrf.
( ' 1 T /la valeur (H — r) mesurant l'amplitude du pouls décroil,
R 7.
C. Enfin, dans la troisième période réalisant le type de l'iiémorrhagie déperdi-
tive, les mêmes conside'rations montrent que (R — r) croît de nouveau ; c'est là
aussi ce que montrent les tracés du pouls. Immédiatement avant la chute défini-
tive de la pression les pulsations ont une grande amplitude, et prennent ensuite,
après cette chute, la forme caractéristique des pulsations du rétrécissement
aortique.
Mais en dehors de 1 état pathologique les hémorrhagies déplétives ne s'accom-
pagnent pas de relèvement du pouls. C'est que, dans ces circonstances, comme
l'ont bien montré Vinay et Arloing, le cœur change son rhylhme, et que ce
dernier s'accélère, probablement sous l'influence d'une dilatation des arlérioles
périphériques. Les résistances diminuant alors, l'énergie systolique s'amoindrit
proportionnellement, et R diminue, d'où aussi diminution 'de l'amplitude du
pouls. Donc en dehors de l'état fébrile, et par le fait même de l'hémorrhagie de
moyenne intensité, l'amplitude du pouls ne doit pas augmenter, mais au
contraire diminuer, comme l'indique en effet l'expérience, à moins qu'une
action nerveuse particulière ne vienne à se produire : sur le pneumogastrique,
pour ralentir les battements du cœur, ou pour anémier par vaso-constriction de
grands territoires capillaires, comme on l'observe parfois à titre d'accident sous
rinfluenee de l'émotion; dans ces conditions seulement le pouls subit un relè-
vement passager, comme le montre aussi l'observation clinique de quelques cas.
2° Influence de la perte de sang sur l'absorption. Comme toute perte de
liquide, celle du sang doit être réparée, et le premier effet réactionnel qu'elle
produit, c'est d'activer l'absorption par les vaisseaux des divers ordres. Cette
suractivité a été mise hors de doute par Magendie, qui a montré que les pliéno-
mènes d'intoxication consécutifs à l'inlroduction de poison dans les séreuses
se développent beaucoup plus hâtivement après une hémorrhagie que dans l'état
normal. De leur côté les cliniciens ont observé que les résorptions purulentes
ou putrides sont favorisées par les saignées, que Lisfranc, pour cette raison,
rejetait au moment oîi les plaies suppurent [Méd. opérât., 1. 1, p. 159), et que,
dans le même ordre d'idées, Leroy (de Bélhune), cité par Vinay, excluait de la
thérapeutique de la dothiénentérie au moment où les plaques de Peyer étaient
considérées par lui comme en suppuration.
A la suite d'une hémorrhagie déplétive peu intense, l'activité de l'absorption
interstitielle augmentée et quelques boissons suffisent à ramener la masse du
sang, considérée, en tant que volume total duliquide nourricier, à ses propor-
tions normales; mais, dans les hémorrhagies spoliatrices, c'est à de grandes
masses de boissons que l'organisme emprunte les matériaux liquides du nou-
veau plasma. C'est alors que l'on voit, comme le remarquait Lorain, le malade
boire infiniment plus qu'il ne rend de liquide par les urines, qui restent peu
abondantes ou mêmes rares. En même temps se développe l'état que l'on a
appelé hydrémique, avec la pléthore séreuse, les souffles cardio-vasculaires, et
tout le cortège des phénomènes qui lui donnent son type, que nous décrirons
au chapitre de la séméiologie.
ô" Influence de Vhémorrhagie sur la crase sanguine. Dans une moyenne
IIKMORRH.VGIE. 397
faite à l'aide de trois observations, Vinay a établi que l'influence d'une bémor-
rhagie déple'tive telle qu'une saignée d'environ 500 centimètres cubes est déjà
très-appréciable sur la ricbesse globulaire du sang circuhint dans les capillaires
généraux. Si, par exemple, il existait 4 980 000 globules rouges par millimètre
cubes (procédé deHayem), on n'en trouve plus que 5 880 000. Du fait seul de
l'opération, la perte globulaire dans les réseanx répartiteurs du liquide nour-
ricier a dépassé i 000 000 par millimètre cube de sang circulant. Quand l'hé-
raorrliagie se poursuit jusqu'à devenir spoliatrice ou dépcrditive, la proportion
des globules s'abaisse d'une manière continue; le sang qui s'écoule en dernier
lieu est plus ricbe en eau et plus pauvre en globules que celui qui est sorti tout
d'abord de la veine, ce qui montre que, durant l'iiémorrhagie elle-même, l'ab-
sorption séreuse s'effectue activement. Mais en outre Tolmatscheff, qui a flùt
cette observation {Hoppe-Seylers med. chem. Unters., 1867, p. 296-404). a
constaté en outre un fait extrêmement important. Le sang est, à volume égal,
notablement appauvri en hémoglobine à la fin de la saignée. Il semblerait donc
que, sous l'influence même de la perte de sang, les globules rouges subsistants
eussent une tendance à se décharger d'une portion de leur substance active,
l'hémoglobine, qui leur donne toute leur valeur en tant que monnaie respira-
toire distribuée aux éléments fixes des tissus. Un pareil fait, dont on sent toute
l'importance au point de vue des effets ultérieurs de l'hémorrhagie, mériterait
d'être dégagé positivement chez les animaux supérieurs ; mais chez les animaux
à sang froid, à globules cellulaires, tels que la grenouille, il est extrêmement
facile de le mettre en évidence, comme je l'ai démontré il y a déjà plusieurs
années. Lorsque l'on a saigné une grenouille à blanc en lui ouvrant le cœur, et
qu'on dispose ensuite un système convenable de sutures, l'animal survit plu-
sieurs jours et l'on peut observer les effets de l'hémorrh.igie sur les globules
rouges instantanément fixés par l'acide osmique en solution à 1 pour 100.
On voit alors que les 2/5 au moins de ces globules ont subi une altération pro-
fonde.
Ils se déchargent en effet de leur hémoglobine, mais d'une façon très-
variable. Les globules jeunes, à noyaux aisément colorables et à dimensions
réduites, perdent leur hémoglobine, sauf au pourtour du noyau, qui se déve-
loppe et revient à la forme ronde. Les globules avancés en âge, de grande
dimension et à noyau desséché, non colorable par les réactifs, se comportent
delà même façon. Seuls les globules adultes restent inaltérés; ils gardent à
peu près tous leur hémoglobine, et leurs noyaux, teints faiblement par la pur-
purine et le carmm, restent mùriformes et ne se développent pas. Ces globules
restés intacts forment environ le tiers du nombre total. Je crois pouvoir con-
clure de là avec quelque vraisemblance que les globules lésés par l'hémorrhagie
sont principalement d'une part les globules encore jeunes et dont le noyau
acquiert une nouvelle vitalité sous l'influence de l'irritation, et d'autre part les
globules déjà anciennement formés, et dont la vitalité est près d'être épuisée.
Dans cette conception, l'hémorrhagie léserait les globules faibles, en voie de
développement ou arrivés au ternie de leur évolution vitale; il n'y aurait de
respectés entièrement que les éléments en pleine activité fonctionnelle. Mais
jusqu'ici nous ne sommes autorisés à transporter les notions précédentes dans
la pathologie humaine qu'à litre d'hypothèses peut-être vraisemblables, mais
manquant absolument encore de démonstration. Nous savons en effet que,
parmi les globules rouges, il en est un certain nombre qui sont plus vulné-
59S UÉMORRIIAGIE.
râbles ; mais les raisons de celte vulnérabilité, les caractères précis des globules
jeunes ot de ceux qui sont arrivés au terme de leur évolution vitale, nous
échappent encore absolument, malgré les recherches de Hayem, de Lépine et
enfin du professeur Mayel.
La production d'une leucocytose post-liémorrbagique, admise comme la règle
par 0. Weber [in Pitha et Billiolh) et plusieurs autres auteurs parmi lesquels
il convient de citer Erb et Manassein, paraît moins, d'après les recherches
récentes de Malassez (Soc. de biologie, 15 novembre 1879), le fait de l'hémor-
rbagie elle-même, agissant sur la crase du sang, que du traumatisme qui l'ac-
compagne dans la saignée expérimentale. Ce point particulier appelle donc de
nouvelles recherches.
Inversement, le fait positivement acquis de la déglobulisation momentanée
du sang sous l'induence même de simples hémorrhagies déplétives semble com»
mander, comme conséquence immédiate et nécessaire, une modification assez
grande de la proportion absolue et relative des gaz du sang. Pour Mathieu et
Urbain [Arch. de physiologie, 1872), cette modification s'eiï'ectue même pour
les très-petites perles de sang; il suffirait d'extraire à un chien 20 centi-
mètres cubes de sang artériel ])Our trouver, dans une saignée ultérieure égale-
ment de 20 centimètres cubes, notablement moins d'acide carbonique et d'oxy-
gène que dans l'échantillon précédent. La valeur moyenne de cette diminution
a même été indiquée par eux : elle serait de 2'^^So après une saignée de 60 cen-
timètres cubes et de 3", 9 après une émission sanguine de 150 centimètres
cubes. Paul Berl [Pression barométrique , p. 625) n'a par contre jamais observé
une variation aussi considérable entre la teneur gazeuse des échantillons de
sang successivement tirés des vaisseaux. 11 cite un exemple dans lequel la pro-
portion des gaz avait à peine chungé dans trois prises de sang artériel, faites en
l'espace d'une heure et demie. Mais Jûrgensen et Ilùfner ont constaté que dans
l'hémorrhagie spoliatrice qui résulte de l'extraction du quart de la masse totale
du sang chez un chien la quantité d'oxygène contenue dans 100 volumes de
sang avait diminué de moitié (plus exactement dans le rapport de 24/12,8). De
leur côté Vinay et Arloing [loc. cit., p. 58-40) ont essayé d'indiquer le rapport
qui peut exister entre la modilication du chiffre des gaz, la quantité de sang
évacuée et le poids du corps; ce qui est en réalité le seul moyen de faire servir
l'observation aux indications des saignées et d'éclairer la pathologie des hémor-
rhagies au point de vue de leurs effets sur la capacité respiratoire du sang
subsistant, notion qui, on le comprend, est, dans l'espèce, de toute importance.
De trois expériences faites à ce point de vue sur le chien Yinay et Arloing ont
conclu « que les émissions sanguines produisent une diminution de la propor-
tion absolue de l'acide carbonique et de l'oxygène du sang artériel. En outre, la
proportion relative des deux gaz est modifiée : aussi l'oyxgène subit une dimi-
nution proportionnellement plus considérable que l'acide carbonique. De plus,
l'influence d'une saignée sur les gaz du sang se fait sentir non-seulement
immédiatement après l'évacuation sanguine, mais se poursuit encore le lende-
main et probablement les jours suivants » (exp. II). D'autre part, « des émis-
sions égales au quart ou au tiers de la masse du sang, c'est-à-dire dans des
conditions de volume comparables avec les exigences de la pratique médicale
(et j'ajouterai qui représentent des hémorrhagies spoliatrices), diminuent l'oxy-
génation du sang, ralentissent les combustions qui aboutissent à la formation
de l'acide carbonique, et déterminent des phénomènes de sédation qu'il ne faut
IIÉMORRIIAGIE. 599:
pas confondre avec un simple effet de déplétion de l'appareil circulatoire. »
Enfin, aux changements observés dans la richesse gazeuse du sang répondent
des variations absolument parallèles de la proportion des gaz expirés. Chez un
premier chien, Vinay et Arloing trouvent 4,1 d'acide carbonique pour 100 volumes
de gaz expirés; une heure après une saignée égale au quart de la masse totale
du sang 100 volumes de gaz expirés ne renferment plus que 2,4 de C0-. Chez
un second chien, avant l'extraction du tiers de la masse sanguine, l'analyse
révèle pour 100 volumes de gaz expirés :
CD' =3,6
0 = 16,8
Après l'hémorrhagie on obtient :
CD'' =2,7
0 = 17,7
Donc la saignée, les hémorrhagies spoliatrices, déglobulisent le sang et abais-
sent la capacité respiratoire du sang subsistant, puisqu'après la perte sanguine
l'absorption de l'oxygène est diminuée et que l'excrétion du produit des com-
bustions organiques d'ordre gazeux, l'acide carbonique, représentant pour une
grande part la réduction de l'oxygène dans les tissus, est également diminuée. La
large perte de sang spolie donc l'organisme, abaisse le titre respiratoire des glo-
bules subsistants; c'est là une preuve indirecte en faveur de l'hypothèse que nous
avons formulée, à savoir que l'hémorrhagie, agissant par elle-même, lèse les
globules demeurés en circulation en les dépouillant d'une partie de leur hémo-
globine.
Lésions du plasma. Nous avons vu que, consécutivement à la perle de sang,
l'absorption interstitielle subit un accroissement notable. Le courant dialytique
se renverse en partie et les vaisseaux semblent momentanément drainer les
tissus pour reconstituer la partie liquide du sang. C'est vraisemblablement à
cette nouvelle direction du courant qu'est due l'augmentation considérable de la
proportion des peptones dans le liquide nourricier après une hémorrhagie abon-
dante. D'Arsonval, qui a découvert ce fait et l'a communiqué à Vinay (thèse
citée, p. 42-45), a constaté que, dans le sang du chien, on trouve à l'étal normal
très-peu de peptones, tandis qu'après l'hémorrhagie il arrive un moment oii le
sang est chargé et ne contient plus de fibrine. Le sérum d'un tel sang change
l'albumine en peptone, intervertit le sucre de canne, transforme l'amidon en
glycose « exactement comme le ferait une infusion de pancréas ». Il semble donc
que les tissus aient alors laissé passer dans le sang une jiartle des ferments
solubles qu'ils possèdent, et qui, comme l'a constaté Ranvier, excercent sur les
éléments anatomiques eux-mêmes qui en sont chargés leur action autodigestive
dans de pareilles conditions. Si l'on joint à cette notion la dilution du plasma
subsistant par l'absorption des boissons, phénomène qui s'opère à la suite des
hémorrhagies abondantes et devient l'origine de l'état hydrémique, on s'explique
plus facilement l'altération des globules rouges restants, et le départ d'une
portion de leur matière colorante. On sait en effet [voy. Sang [Pathologie
générale]) que l'abaissement de la densité du plasma détermine ce départ et
que, d'un autre côté, quand dans une préparation de sang maintenu dans la
chambre humide et à air l'autodigeslion des globules blancs, très-chargés de
ferment, commence à s'effectuer, le plasma se colore par l'hémoglobine dont se
déchargent les globules rouges. Le sang subsistant après une hémorrhagie se
400 UÉMORRHAGIE.
trouve en réalilé, comme nous venons do le voir, ilans des conditions analogues;
et ces conditions ne sauraient être considérées sans preuve contraire comme ne
jouant aucun rôle dans l'abaissement du titre hémoglobique des globules
demeurés en circulation.
Ce que l'on sait de la fibrine de la lymphe montre que ce produit est le
résultat terminal d'une portion de l'activité de ce liquide nourricier, puisque la
lymphe des espaces intérorganiques n'en contient pas et qu'elle apparaît au
contraire dans les lymphatiques collecteurs, alors qne le rôle de la lymphe, au
point de vue des actions vitales, semble momentanément terminé. Si l'on
transporte ces notions au sang, on peut prévoir à priori que l'hémorrhagie,
abaissant la proportion des échanges respiratoires et nutritifs propres au sang,
et ce au prorata de son abondance, doit aussi abaisser proportionnellement le
taux de la fibrine dans le sang subsistant. On a cru longtemps le contraire
(Andral et Gavarret — P. Schiitzemberger) . mais les pesées de Brûcke ont clos défi-
nitivement le débat et confirmé l'opinion ancienne de Magendie. Les chirurgiens
n'ont d'ailleurs jamais ignoré que les pertes sanguines diminuent la plasticité du
sang et rendent presque impossible la formation d'un coagulum parla méthode
de Valsalva (Vinay). Aujourd'hui donc nous savons positivement que la pro-
portion de fibrine (hi sang, bien loin d'augmenter, diminue constamment après
les hémorihagies. Dans ces conditions, le sang devient, il est vrai, plus couenneux,
mais simplement parce que, la coagulation étant très-retardée, la précipitation
des globules rouges au fond du vase a mieux le temps de s'efl'ectuer, et que le
caillot en est complètement dégagé dans une grande hauteur, comme il arrive
normalemont chez le cheval, uniquement parce que le sang de cet animal se
coagule avec une lenteur extrême.
4" Influence de l'hémorrhagie sur les mouvements musculaires. Chez les
animaux supérieurs et chez l'homme, la substance propre des muscles à con-
traction brusque, et plus précisément la partie contractile de cotte substance
(disques épais) est chargée de myosine qui elle-même emprunte au sang la
majeure partie d'un de ses éléments constitutifs les plus importants : Vhe'mo-
(jtobine musculaire, découverte par Kûhne. Si l'expérience montre qu'une
hémorrhagie déplétive isolée n'exerce sur la molilité qu'une influence si peu
appréciable qu'on la peut considérer à bon droit comme nulle, il n'en est plus
de même lorsque la perte de sang est réitérée ou qu'elle est effectuée d'emblée
à la dose spoliatrice. Dans ces conditions le sang évacué est soustrait au sys-
tème musculaire en tant qu'élément de son activité et que réserve d'hémoglo-
bine, et le sang subsistant, ayant de son côté une moindre teneur eu hémoglo-
bine, il en résulte qu'au delà d'une certaine limite la fonction musculaire du
mode brusque se trouve compromise. Tous les cliniciens ont constaté dans ces
cas l'insuffisance musculaire, l'excitabilité et l'amoindrissement de la tonicité
des muscles soumis à la volonté; ce sont là même les phénomènes bien connus
de l'anémie musculaire : ceux qu'on observe aussi à la suite des intoxications
oxycarboniques et dans l'ictère persistant, c'est-à-dire dans les cas où l'hémo-
globine de l'organisme est rendue inerte ou directement attaquée par un poison.
Et s'il ne fallait pas craindre d'imprimer à l'expression du fait un caractère
paradoxal, on pourrait presque dire que l'hémorrhagie spoliatrice agit à la façon
d'un poison des muscles. Il convient aussi de faire remarquer que le cœur,
muscle rouge par excellence, subit nécessairement une part de l'action, spolia-
trice de l'hémoglobine, créée par le fait même de l'hémorrhagie. La faiblesse
IIÉMORRIIAGIE. 401
des baUemenls cardiaques, les palpitations, l'aihylliraie que l'on observe fré-
quemment, peuvent être, je crois, en partie considérées comme imputables à cette
cause. De plus, l'inertie partielle des muscles moteurs valvulaires est ici vrai-
semblablement, de même que dans l'ictère (Clénient-Gantiolplie), un facteur
important de la production des souffles de la pointe, que l'on voit parfois se
développer au cours de l'état hydrémique post-hémorrhagique, c'est-à-dire au
moment même où la dilution du plasma par les liquides absorbés est portée au
maximum, et oii elle a déjà pu exercer son action sur les globules, en détermi-
nant chez les plus vulnérables d'entre eux le départ de l'hémoglobine. 11 serait
intéressant de savoir si, dans ce cas, les globules incolores (invisibles de Norris)
sont plus abondants qu'à l'état normal dans le sang subsistant, et je regette de
ne pouvoir faire ici qu'indiquer cette expérience, qui pourrait apporter une cer-
taine clarté dans la question de la déglobulisation post-hémorrhagique.
5° Influence de la perte du sang sur larespiratioti. En étudiant l'influence
de l'héniorrhagie sur le sang lui-même, sur la proportion des gaz qu'il contient
et sur le système musculaire, nous avons suffisamment montré son action sur
la respiration interstitielle et nous avons vu qu'elle en réduit l'activité. Il con-
vient maintenant de dire un mot de ses effets sur la mécanique respiratoire.
En réalité, ces effets sont le résultat de l'anémie des centres nerveux, dont
le jeu plus ou moins modifié commande les mouvements respiratoires associés
et leur donne leur type. Dans les hémorrhagies déperdilives, les convulsions
générales qui précèdent la mort sont dues à cette anémie cérébro-bulbaire
[Kxxssmsiui et! ennev, Moleschotl' s Untersucliungen, 111, 1857). Dans les hémor-
rhagies de moyenne intensité, du type largement déplétif, 0. Weber, Leich-
tenstern [Zeilschrift fur Biologie, Bd. VII, "2 Heft) et Bauer {Geschichte der
Aderlàsse, Munich, 1870) ont constaté que les mouvements respiratoires dimi-
nuent d'amplitude et de nombre, mais les modifications sont temporaires et
peuvent être suivies d'une accélération de la respiration temporaire aussi.
Les hémorrhagies proprement dites, celles qui surviennent en dehors de la
fièvre, n'ont donc par elles-mêmes qu'une influence peu considérable sur la
mécanique respiratoire. Mais dans l'état fébrile il semble qu'il n'en soit plus
de même, principalement dans les cas oii la fièvre est commandée par une affec-
tion pulmonaire d'ordre congestif. Dans ces conditions, la saignée déplétive
coupe souvent court à la dyspnée en abaissant considérablement le nombre des
mouvements respiratoires à la minute. C'est ainsi que Vinay {loc. cit., p. 44)
cite un malade de Peter, atteint de pneumonie, et chez lequel la respiration, qui
donnait soixante-huit à la minute, fut ramenée à quarante-huit après une
saignée. Une pareille notion est de tout intérêt et doit être soigneusement
retenue, et l'on ne doit pas oublier que l'hémorrhagie exerce sur l'organisme
du fébricitant dyspnéique une action toute particulière. Je pourrais ajouter
qu'en dehors de la fièvre, satellite de la pneumonie ou de la bronchite capil-
laire, et de ce chef s'accompagnant de dyspnée, il est d'autres circonstances où
l'émission sanguine exerce sur la respiration de l'apyrétique la même action
sédative. Chez les cardiaques dyspnéiques et chez les malades atteints de dyspnée
uréraique, la saignée ramène presque constamment le nombre des respirations
à un chiffre inférieur à celui qu'on peut observer immédiatement avant l'ou-
verture de la veine. Il résulte de là, tout naturellement, que l'action des pertes
de sang sur les grandes fonctions et en particulier sur la respiration ne peut
être entièrement transportée du domaine de la physiologie expérimentale dans
DICT. ENC. -4" s. Xlll.' 26
402 IIEMORRHÂGIE.
celui de la clinique. C'est dire que l'hémorihagie, considérée en tant que mé-
thode thérapeutique et en lant qu'accident des maladies exerçant des effets
variables avec les états morbides divers, doit être étudiée à ce point de vue
beaucoup plus au lit des malades, et empiriquement, que par des expériences
ordinaires de laboratoire {l'oy. Saignée).
6" Influence de la perte de sang sur la chaleur animale et la nutrition.
En abaissant le taux des actes respiratoires interstitiels par la déglobulisation
de la masse sanguine et l'altération du titre respiratoire des globules rouges
subsistants, en agissant d'une manière analogue sur l'hémoglobine musculaire
de manière à diminuer la puissance des agents actifs du mouvement, l'hémor-
rhagie peut être considérée à priori comme une cause d'abaissement de la cha-
leur animale, puisqu'elle en compromet les deux principales sources : les actions
chimiques interstitielles et les mouvements musculaires. Depuis les premières
observations de Marshall-IIall, qui constata que la température subit un abaisse-
ment après les grandes saignées, la plupart des observateurs et expérimenta-
teurs qui se sont succédé ont confirmé la réalité de ce mouvement hypother-
niique consécutif à l'hémorrhagie. Mais il s'agit d'un abaissement passager
(Traube, Gex. Beitr., Bd. II, p. 27)6) qui, chez les fébricitants, supprime la
recrudescence vespérale, par exemple; après quoi, si l'on ne réitère pas l'émis-
sion sanguine, on observe un notable relèvement de la courbe thermique
(Maurice, Des modifications morbides de la température animale dans les
affections fébriles, thèse de Paris, 1855; Billet, thèse de Strasbourg, 1869).
Nous reviendrons dans un instant sur ce fait particulier de relèvement. Quant
à l'étendue de l'abaissement, elle varie de quelques dixièmes de degré à 1 et
même 2 degrés (Galzucy, Centralblalt f. medic. Wiss., 1871, p. 53). Dans de
pareilles limites, mon maître Lorain avait raison de quahfier la satisfaction que
l'on peut tirer d'une émission sanguine comme éminemment passagère, mais
il avait peut-être moins de raisons d'ajouter qu'elle est absolument illusoire
(Lorain, Journ. de l'anat. et de laphysiol., 1870).
Chez l'homme et dans l'état sain, la perte sanguine abaissse plus facilement
et plus constamment la chaleur centrale que dans l'état de maladie (Lorain-
Bauer). Chez les animaux également sains Bicrensprung [Millier s Archiv, 1851,
p. 126) a vu la température s'élever, au moment de la saignée, de quelques
dixièmes de degré, puis s'abaisser notablement dans le nycthémère suivant en
atteignant le minimum six à huit heures après l'émission pour s'élever de nou-
veau et regagner lentement la normale. Cette ascension lente est coupée d'ime
augmentation brusque de la température qui indique que le traumatisme
effectué lors de l'ouverture du vaisseau fait sentir ses effets généraux, mais cette
augmentation thermique épiphénoménale est éminemment transitoire, et la tem-
pérature retombe ensuite au-dessous de la normale pendant un temps qui n'a
pas encore été exactement déterminé.
Ce sont là les effets propres de l'hémorrhagie sur l'organisme, en tant qu'a-
gissant sur la calorification. Bien que, durant la fièvre, il se produise après la
perte de sang un abaissement de température analogue à celui qui se montre
dans l'état sain, on voit que cet abaissement n'est ni aussi intense, ni surtout
aussi durable chez le fébricitant que chez l'homme ou l'animal en état de santé
ou du moins d'apyrexie. On a cessé en effet actuellement de croire, avec Lorain,
que le sang soit le véhicule exclusif de la chaleur; on sait que la fièvre [voy. ce
mot) est surtout commandée, dans ses effets calorifiques, par une action ner-
UÉMORRHAGIE. 405
veuse centrale, exagérée sous l'influence de la cause morbigène dont l'état
fébrile est l'une des expressions. Conformément à la théorie, chez l'homme ou
l'animal sain, nous voyons l'abaissement thermique post-hémorrhagique se pro-
duire avec constance et régularité; dans la fièvre, cet abaissement se produit
encore, mais il a à lutter contre une cause thermogène puissante, qui résulte
de l'état fébrile lui-même, et qui souvent l'emporte avec une plus ou moins
•rrande rapidité, de manière à effacer les effets anticalorifiques de l'hémoriiiagle
au bout de peu de temps, à moins que, comme le fait remarquer Maurice, cette
dernière ne soit réitérée ; et cela uniquement parce que la spoliation sanguine
n"a sur la production de la chaleur centrale qu'un effet de durée limitée, taudis
que la thermogénie fébrile exerce une action incessamment renouvelée. C'est
dans ces conditions que l'axiome de Lorain, en vertu duquel ce maître a
déclaré les effets des saignées éminemment passagers et illusoires, reprend
absolument sa valeur.
Mais ici, comme dans tout ce qui est d'ordre pathologique, c'est-à-dire émi-
nemment complexe, nous allons tomber dans un cercle vicieux. Si la grande
liémorrhagie, que nous supposerons spontanée pour n'avoir pas à tenir compte
des effets réactionnels dépendant du traumatisme, abaisse parfois la tempéra-
ture jusqu'à produire le coUapsus, il est de règle de voir, au bout de quelques
jours, la lièvre se rallumer et devenir plus intense qu'avant la perte de sang.
C'est ce qui arrive, au cours de la dothiénentérie, à la suite des hémorrhagies
intestinales ; un semblable effet se produit aussi très-souvent à la suite de
grandes pertes de sang par la muqueuse interne, puerpérales ou autres. En
dehors de toute septicémie puerpérale, j'ai vu souvent et surtout à la suite
d'avortements au deuxième ou troisième mois des hémorrhagies formidables se
produire, puis au bout de trois, quatre ou cinq jours d'hypothermie, le ther-
momètre indiquant 56°, 5 ou 57 degrés seulement dans le rectum, la fièvre
naître et durer plusieurs jours, au milieu du complexus ordinaire de l'état
hydrémique consécutif à l'hémorrhagie spoliatrice. C'est que, dans ces cas, la
déglobulisalion rapide détermine, en outre de ses effets immédiats, une série de
réactions d'ordre nutritif de la part de l'organisme spolié. Et ces réactions
semblent être la règle dans les cas oîi la déglobulisation se combine avec
l'abaissement excessif du titre hémoglobine des globules rouges. Dans la chlo-
rose vraie, on observe en effet un mouvement fébrile quotidien assez léger,
mais qui n'a pas échappé aux investigateurs contemporains (Humbert Mollière
et Leclerc). Aucun autre état morbide ne reproduit, au même titre que la chlo-
rose, la dyscrasie sanguine consécutive à l'hémorrhagie spoliatrice, c'est pourquoi
j'ai choisi cet exemple qui nous conduit directement à étudier l'influence des
pertes de sang sur la nutrition générale et sur le système nerveux.
Après une hémorrhagie large, exerçant sur la masse du sang une action
spoliatrice, nous avons vu le sang, privé par la perte d'une partie de sa puis-
sance respiratoire, subir une perte secondaire en hémoglobine qui amoindrit
encore sa valeur. Les combinaisons interstitielles deviennent moins intenses,
l'acide carbonique exhalé diminue de quantité, la chaleur, dans l'organisme
sain spolié, devient pour un temps hyponormale. En présence de pareils effets,
tout indique que la nutrition s'amoindrit, devient retardante, suivant l'heu-
reuse et exacte expression de Ch. Bouchard. Mais en même temps l'organisme
réagit; certains organes, rais en activité par la nécessité de réaction créée par
la perte, vont exercer une action vicariante : les uns pour régénérer le sang
404 HÉMORRHAGIE.
dans ses éléments plasmatiques et globulaires, les autres pour faire face à ce
que l'on pourrait appeler le bilan provisoire de l'organisme. Ces deux courants
se mêlent et se confondent dans la période post-hémorrhagique, et l'état actuel de
nos connaissances ne permet guère de les séparer.
Cependant, au point de vue do la nutrition et des effets de ses variations
brusques sur les éléments anatomiqucs, il convient de distinguer ces derniers
les uns des autres et de former deux catégories. Certains éléments très-haute-
ment différenciés : les cellules nerveuses, musculaires striées, musculaires car-
diaques, glandulaires, ont besoin pour vivre el fonctionner régulièrement du
secours d'éléments moins exclusivement spécialisés, tels que les globules blancs
du sang et de la lynijilie, los globules rouges du sang, les éléments cellulaires
fixes du tissu connectif lâche, qui leur apportent les matériaux de leur nutri-
tion tout préparés ou emmagasinent des matériaux transformables dans leur
intérieur, à la façon de réserves placées pour ainsi dire à proximité et aisément
distribuables, ultérieurement, par les agents répartiteurs mobiles, tels que les
globules blancs ou le plasma sanguin et lymphatique. Chez les animaux supé-
rieurs et chez l'homme, le sang domine tout ce système de nutrition à double
jeu. Il fournit le nutriment respiratoire ou alibile; il fournit aussi l'agent
répartiteur. Si le sang est lésé, réduit dans ses qualités nourricières par la
perte sanguine et par ses effets consécutifs réfléchis sur le sang lui-même, la
matière à distribuer est moins abondante, les agents répartiteurs actifs, les
globules blancs, voient leur vitalité, leur mobilité, leur reproductibilité même,
atténuées par l'anoxémie, car ils respirent, vivent eux-mêmes, avant de faire
vivre et respirer les autres éléments. Ces derniers, qui ne savent plus que faire
du mouvement, de l'influx nerveux, des opérations sécrétoires, etc., et qui
sont incapables de se nourrir par eux-mêmes, souffrent ou fonctionnent irrégu-
lièrement ou même meurent. L'anoxémie générale du système musculaire, par
exemple, dans les cas d'intoxication par l'oxyde de carbone, entraîne parfois à
terme, ainsi que je crois l'avoir démontré, la dégénération graisseuse de la
substance contractile du myocarde, et le même effet s'observe dans le foie et
dans le rein. De même, pour l'hémorrhagie, Perl {Ueber den Einflitss der Anœmie
aitf die Errtœhrung des Herzmmkeh. In Virchoiv's Archiv, 1873, p. 59-51)
a montré expérimentalement que la dégénération graisseuse du cœur peut être
provoquée par des saignées abondantes, dans lesquelles la quantité de sang
soustraite à l'économie s'élève à 3 ou 5,5 pour 100 du poids du corps, et
qu'on répète tous les cinq ou sept jours chez le chien. Au bout de cinq à onze
émissions sanguines de ce taux, le marasme survient, et l'on trouve à l'autopsia
les fibres musculaires cardiaques dégénérées. Voici donc des éléments qui
meurent et, avant de mourir, en vertu de la nutrition incomplète et retardante
à laquelle ils sont soumis, font évoluer en graisse une partie de leurs matériaux
constitutifs. Sans que les effets soient aussi éclatants, dans une série de tissus
la même évolution s'opère : aussi To!matcheffa-t-il constaté directement que, à la
suite des hémorrhagies expérimentales répétées, le sang et les tissus renîérment
une proportion exagérée de matières grasses.
La proportion delà substance glycogène augmente également. Claude Bernard,
qui a constaté ce fait [Leçons sin- le diabète), l'attribue à l'effort régénérateur
de l'organisme. Mais il est aussi naturel d'admettre que le glycogène produit,
peut-être, ta la vérité, en quantité exagérée, ne peut plus être brûlé dans un
organisme dont la nutrition retarde et où l'anoxémie règne en maîtresse. 11 est
HÉMORRHAGIE. 405
surabondant et très-probablement aussi évolue partiellement en graisse dans les
tissus, comme on le voit faire dans les globules blancs du sang leucémique où
l'on peut saisir la série de transitions suivantes : globules liyalins chargés de
glycogène, globules semés de grains viteliinoïdes au sein du glycogène moins
abondant, globules à grains graisseux. Les grains viteliinoïdes, qui se teignent
en brun par l'iode à la façon du glycogène, en rouge brique par l'éosine à la
façon des graisses du tissu adipeux des poissons, et que l'osmium laisse inco-
lores comme il le fait pour certaines vésicules adipeuses de ces mêmes Vertébrés,
semblent en effet n'être rien autre chose que de la graisse en train de se former
aux dépens de la substance glycogène dont les globules blancs hyalins sont
chargés.
D'un autre côté, le professeur Lépine {Compte rendu de la Soc. de biologie,
1880) a montré que, chez les chiens à l'inanition, après les saignées, l'excrétion
de l'acide phospliorique et de l'azote des urines augmente disproportionnelle-
ment avec l'urée, qui est du reste également augmentée (Bauer). Les éléments
spécialisés désassimilent donc activement; leur vitalité tend à s'annuler même :
c'est ce qui résulte, en particulier pour le tissu osseux, des expériences de
Gabetin [Cenlralblatt fiir Chirurgie, 1874, n" 2), qui a montré que l'état
hydrémique, engendré par des saignées successives chez des chiens et des pou-
lets, ralentit d'une façon tout à fait notable la formation du cal et la consolida-
tion des fractures.
Ainsi donc la spoliation hémorrhagique, en faisant évoluer en graisses les
matières extractives autres que l'urée, c'est-à-dire une notable portion des maté-
riaux organiques transformables, et d'un autre côté en activant la désassimi-
lation, en atténuant les propriétés formalives des éléments des tissus très-
différenciés (Gabetin), paraît bien introduire daus l'organisme le complexus de
la nutrition retardante.
Cependant, d'un autre côté, malgré la diminution de la quantité des urines
émises et l'augmentation parallèle de leur densité la proportion d'urée s accroît
à la suite des hémorrhagies (Bauer), ce qui semble indiquer une activité plus
considérable des combustions oiganiques dans le domaine d'une certaine caté-
gorie d'éléments anatomiques et de tissus. En même temps que, de par l'ab-
sorption accrue, le sang draine les parties liquides des tissus pour reconstituer
sa propre masse fluide, et que des produits nombreux de désassimilation, des
ferments solubles, des chromogènes résultant de la destruction des substances
capables de fournir des pigments, l'hémoglobine, par exemple, passent dans le
sang et sont rejetés par les émonctoires, un certain nombre d'éléments, ceux
qui ne sont pas hautement différenciés et absolument fixés pour une fonction
exclusive, et aussi ceux qui ont pour rôle la reproduction des globules san-
guins, entrent en activité. Très-probablement alors les globules blancs du sang
et de la lymphe, les éléments cellulaires de la moelle rouge des os, dont les
propriétés hémopoétiques ont été mises hors de doute par les recherches de
Bizzozero, de Foa et Salvioli, et enfin de Malassez, les cellules conjonctives des
réseaux capillaires, qui ne cessent pas de jouer pendant toute la vie un rôle vaso-
formatif, tous ces éléments et d'autres travaillent à reproduire les éléments
figurés du liquide nourricier, soustraits par la perte elle-même ou modifiés en
vertu de l'action altérante consécutive à cette dernière et s'exerçant sur l'hé-
moglobine du sang subsistant. Les éléments anatomiques que je viens de signaler
ont en effet, en vertu de leurs différenciations toujours rudimentaires, la pro-
406 IIEMORRIIAGIE.
priété de réagir activement contre les causes morbigènes par des actes de
nutrition accrue, de réparation et de développement. Eux seuls ont conservé la
propriété de construire des formations complexes, tandis que les éléments très-
difiérenciés ne savent réagir contre les troubles de nutrition qui les atteignent
qu'eu se désassimilant, en entrant en décbéance fonctionnelle d'abord, organique
ensuite, et enfin en mourant. On comprend dès maintenant que, dans le com-
plexus post-Iiémorrbagique, aux phénomènes qui sont l'indice de l'abaissement
de la nutrition interstitielle, de la déchéance des tissus musculaire, glandu-
laire et nerveux, de leur mort partielle même, viennent s'en mêler d'autres
révélant l'existence, dans certaines régions de l'organisme atteint, d'un pro-
cédé nutritif tout contraire supposant des opérations très-activées, qui tou-
jours s'accompagnent de combustions organiques complètes, aboutissant, en
ce qui regarde particulièrement les molécules quaternaires, à la formation do
l'urée.
7" Influence sur le système nerveux. L'espèce de paradoxe que présente à
l'observateur l'étude analytique de la nutrition dans la période consécutive aux
iiémorrhagies déperditives larges ou aux pertes de sang exerçant un elfet spo-
lialif véritable, étant de la sorte expliqué, autant du moins que le pathologiste
le peut faire en utilisant, pour son raisonnement, les données scientifiques posi-
tives que nous possédons, il convient d'insister un instant sur les troubles
apportés par l'iiémorrliagie dans le fonctionnement du système nerveux. Ces
troubles paraissent être de deux ordres: les uns sont commandés par l'anoxémie,
dont les conditions sont réalisées par la perte d'une portion notable ou consi-
dérable de la masse sanguine ; les autres sont le résultat de la nutrition irré-
gulière des éléments nerveux. Les premiers sont donc surtout les satellites de
la période de perte ; les seconds sont plus particulièrement liés à la période
d'bydrémie post-bémorrbagique.
Les expériences déjà ancieimes de Kussmaul et Tenner [MoleschotCs Untersu-
chungen, 1857) ont montré que l'interruption subite et totale du cours du sang
dans l'encéphale entier détermine des convulsions épileptiforraes. Des effets
très-semblables sont obtenus lorsque, permettant à l'irrigation sanguine intra-
encépbalique de s'effectuer, on limite la quantité d'oxygène i^espiré par l'animal
et qu'on détermine aussi l'asphyxie. Enfin les expériences bien connues et déci-
sives de Brown-Séquard et de Vulpian ont montré depuis que le sang oxygéné
ou rouge entretient seul l'activité normale des centres nerveux, et que le sang
noir privé d'oxygène joue le rôle d'un excitant avant de tuer les éléments des
tissus encéphaliques par défaut de respiration interstitielle. Ici le sang veineux
n'agit nullement (P. Bert, Pfliiger) par l'acide carbonique qu'il renferme, mais
bien par l'absence d'oxygène, et Luchsinger [Pflûgers Archiv, XVI, p. 510),
étudiant méthodiquement les effets de l'asphyxie et de l'anémie sur les centres
nerveux, arrive à celte même conclusion, formulée déjà antérieurement par Vul-
pian, que la soustraction du sang ou celle de l'oxygène de ce liquide détermi-
nent dans les centres moteurs un état particulier d'excitation dont la syncope,
par arrêt consécutif à la suractivité du vague, et les phénomènes convulsifs,
la contraction des réservoirs à parois musculaires (vessie, gros intestin, etc.),
qu'on observe dans les grandes hémorrhagies, sont l'expression réactionnelle.
C'est aussi à cette excitabilité qu'il convient de rapporter avec Vinay les sueurs
ubites et profuses, la nausée, les vomissements et enfin les modifications de
pression vasculaire, de vitesse du sang, de rhythme cardiaque, que l'on observe
IIÉMORRHAGIE. 407
au moment même où s'effectue la perte de sang du mode largement spoliateur
ou mieux encore du mode déperditif.
Quant aux pliénoniènes ressortissant à la malnutrition post-hémorrhagique, ils
sont loin d'avoir, en t^nt que réactions observables, le même éclat que les pré-
cédentes. Il est rare d'observer, à la suite des grandes hémorrhagies, des para-
lysies transitoires analogues à celles que l'on a signalées à la suite de l'intoxi-
cation par l'oxyde de carbone. Cependant l'affaiblissement de la vue, de l'ouïe,
les phénomènes auditifs d'ordre subjectif, tels que les tintements d'oreille,
montrent que l'innervation reste pendant un certain temps profondément
troublée. Les névralgies et parmi elles la céphalalgie avec sensation de vacuité
et tendance à la nausée, l'atténuation souvent considérable des fonctions céré-
brales, l'émotivité extrême, les sueurs su])ites, profuses, variables, les œdèmes,
tous phénomènes sur lesquels nous reviendrons en faisant l'étude clinique du
syndrome post-hémorrhagique, doivent être rapportés à la nutrition incomplète,
retardante, du système nerveux tout entier dans cette période, nutrition retar-
dante dont l'émission exagérée du phosphore (acide phospliorique, Lépine)
indique suffisamment la tendance à la désassimilation, à la déchéance immi-
nente, s'exerçant dans le domaine des éléments anatomiques caractéristiques
des centres et des cordons conducteurs nerveux. Dans ces conditions le vieil
axiome san(juis moderator nervoritm rend encore le mieux compte aux clini-
ciens actuels des troubles moteurs et sensitifs dont le système nerveux devient
ordinairement le théâtre dans la période consécutive aux larges hémorrhagies.
Ainsi la perte de sang, même unique et effectuée à dose simplement déplé-
tive, est, suivant l'expression très-exacte de Ilirtz, un altérant aigu retentissant
sur l'organisme entier à la fois par le choc, la lupture brusque du régime cir-
culatoire habituel, par l'anoxémie relative qui en est la suite et par un retard
dans l'activité de la nutrition de tous les tissus qui succède régulièrement à
l'anoxémie et est pour ainsi dire engendré ou induit par elle. En même temps
l'organisme désassimile largement, en rejetant par masses et par la voie des
émonctoires, les produits des actions chimiques devenues incomplètes, hâtives,
et en vertu desquelles, par exemple, la molécule quaternaire, au lieu de donner
de l'urée évolue en acide urique, la molécule hydrocarbonée évolue en graisse,
la substance glycogène ne subit plus sa combustion complète. Si l'hémorrhagie
même large ne se répèle pas, ce mouvement nutritif retardant qui en est la
conséquence n'a qu'une existence transitoire; la dyscrasie post-hémorrhagique n'est
qu'un épisode. Mais, si la perte de sang est d'emblée spoliatrice, ou si elle le
devient par suite de la répétition de l'hémorrhagie à brefs intervalles, l'état di-
hydrémique s'établit et avec lui un mode de nutrition, de respiration inter-
stitielle, de réactions musculaires, glandulaires, nerveuses et trophiques, tout
particulier, qui réalise les conditions d'un véritable état cachectique, et qui en
fournit au clinicien le tableau frappant. Le mouvement désassimilateur prédo-
mine, du moins en apparence, pendant un certain temps. L'homme ou l'animal,
incapables de mouvements musculaires soutenus, exposé à des syncopes réité-
rées, élaborant incomplètement les agents de ses sécrétions récrémentitielles,
perdant l'appétit, digère incomplètement aussi et difficilement. Des névralgies
mobiles ou au contraire localisées et tenaces se produisent; des actions neuro-
vasculaires exagérées deviennent l'origine de l'œdème des extrémités; la mort
dans le marasme ou par suite dune affection intercurrente peut terminer la
scène. Cependant le plus ordinairement, et à moins que la limite de la perte
408 HKMORRHA.GIE.
sanguine compatible avec la survie ne soit très-approche'e, l'organisme se défend;
au début par l'hémostase spontanée, s'il s'agit d'une hémorrhagie capable d'arrêt;
dans la suite par la régénération active des éléments du sang. Il convient donc
de passer maintenant à l'étude de l'hémostase et de dire ensuite quelques mots
de la poussée sanguiformative post-hémorrhagique.
III. L'hkmostase et la réparation du sang. Dans les hémorrhagies par
diapédèse ou électives, l'issue du sang ne s'effectue, nous l'avons vu, que par
l'exagération même des conditions ordinaires de la Iranssudation. La paroi
vasculaire n'est pas rompue; le liquide épanché, bien que renfermant tous les
éléments du sang, les réunit dans des proportions anormales, qui ne sont plus
celles existant dans le liquide charrié par les vaisseaux. Un tel mode d'hémor-
rhagie ne peut être longtemps soutenu ; de deux choses l'une : ou la lésion se
poursuit jusqu'à la rupture, ou au contraire, les conditions anormales de stase
incomplète et de haute pression cessant d'exister, la diapédèse excessive ne
s'effectue plus et tout rentre dans l'ordre. Mais dans ces conditions mêmes la
paroi lésée par la diapédèse excessive doit subir une réparation. On sait, par les
expériences de Tarchanoff, que la stase soutenue dans un vaisseau est bientôt
suivie d'un ramollissement tel de sa paroi qu'il ne tient plus les injections les
plus ménagées. D'un autre côté Zahn a montré que les lésions les plus minimes
des vaisseaux mésenlériques de la grenouille, par exemple, lésions telles que
celles résultant d'un léger choc sur le vaisseau ou de l'application d'une goutte
de collodion à sa surface externe, lèsent l'endothélium qui forme la paroi
propre, en contact avec le sang circulant (W. Zahn, Untersuchimgen iiber
Thrombose, Bildung der Thrombose. In Virchow's Archiv, Bd. LXll, p. 81-
124, 1873). On voit alors les lignes de ciment devenir plus larges entre les
cellules endothéliales, ou même l'endothélium desquamer et disparaître au
point lésé. Les imprégnations d'argent montrent nettement la solution de conti-
nuité. L'argent est réduit en brun et forme une large tache, irrégulière et
diffuse, en se fixant sur la membrane propre du vaisseau dont l'endothélium a
desquamé. Or, un fait d'une extrême importance découvert par Zahn et qui
doit être soigneusement retenu, c'est que des globules blancs plus ou moins
nombreux sont dans ce cas venus se fixer sur la partie dénudée, y former un
petit amas de cellules indifférentes agglutinées, rappelant l'aspect des plaques à
noyaux multiples. C'est cet amas qui, par sa présence, concourt mécaniquement
à arrêter la transsudation hématique, et qui, d'un autre côté, constitue le
matériel de la reconstitution, de la réparation de la paroi intéressée. II répond
donc à une double fonction, hémostatique d'abord, cicatricielle ensuite. Il est
probable, mais non démontré, que c'est en effet aux dépens des globules blancs
fixés contre la paroi au point dénudé que l'endothélium du vaisseau se restaure.
Ce que l'on sait du moins de la réparation de l'endothélium des tr.vvées du
grand épiploon vient à l'appui de cette hypothèse. En effet, dans la péritonite
expérimentale, produite par injection de nitrate d'argent dans le péritoine du
cobaye ou du rat, on voit l'endothélium des travées revenir à l'état embryon-
naire, reprendre des mouvements amiboïdes, desquamer, laisser des travées
connectives nues. Puis, quand l'inflammation se calme, des cellules embryon-
naires quelconques, globules blancs de la lymphe ou cellules endothéliales
ramenées à l'état indifférent, viennent de nouveau se fixer sur les travées et
contribuent les uns comme les autres à reconstituer le revêtement eudothélial
HEMORRIIAGIE. 409
[voy. Épithélial [Tissu]). Toute lésion, si légère qu'elle soit, et pourvu qu'elle
ait amené en un lieu donné la chute de Tendothélium vasculaire, doit être ainsi
réparée par un véritable processus de cicatrisation. Même dans les cas d'effrac-
tion de la paroi ce processus cicatriciel joue le rôle principal dans l'hémostase
définitive, comme je vais le montrer tout a l'heure.
Quand un vaisseau est divisé ou que ses parois sont divulsées par diatrose, le
sang complet et avec ses proportions normales d'éléments constitutifs s'écoule au
dehors; l'hémorrhagie est complète et massive. Au bout d'un certain temps, à
moins que le vaisseau ne soit trop gros ou que des conditions particulières (par
exemple, plaies de la paume de la main) ne le maintiennent béant quand il s'agit
d'une artère, l'hémorrhagie s'arrête spontanément, parfois à la suite de la pre-
mière syncope de position, souvent aussi avant l'apparition de cette dernière.
Dans une plaie exposée, le plus souvent la compression aidant, le sang épanché
exposé à l'air se coagule autour du vaisseau; dans les espaces interorganiques,
une collection sanguine interstitielle se forme, etc. Quel est maintenant le méca-
nisme de cette hémostase et quel processus la rendra définitive? C'est là un
problème dont, depuis le milieu du dix-huitième siècle, les médecins et les
expérimentateurs ont incessamment cherché la solution.
En 1731, J.-L. Petit montra d'abord que l'agent immédiat de l'hémostase est
un coagulum sanguin en forme de clou, dont la tête, ou « couvercle », aveugle
antérieurement la voie ouverte dans la paroi, et dont la tige, ou « bouchon »,
est engagée dans l'intérieur du vaisseau ouvert. Pour J.-L. Petit, un tel caillot
serait la cause de l'hémostase immédiate, qui deviendrait définitive parce que
le caillot contracterait des adhérences solides avec la paroi et finirait par la
réédifier par une sorte d'organisation qui lui serait propre. Mais cette théorie si
simple rencontra des contradicteurs. Mojaud (1736), tout en admettant l'exis-
tence du caillot interne, considérait la rétractilité des vaisseaux comme l'agent
vraiment actif de l'hémostase. Pouteau (17G0) faisait tout consister dans le
gonflement des tissus avoisinants et niait l'existence du caillot. Les idées de
J.-L. Petit ne furent pas moins combattues par Kirkland, White, J. Bell, tout
admises qu'elles étaient par la majorité des contemporains. Enfin, au commen-
cement de ce siècle, J.-F.-D. Jones attaqua directement le problème par l'expéri-
mentation, et fit faire à la question un pas capital. Il fit voir en effet que con-
stamment il existe, sur les bords mêmes de la plaie vasculaire et indépendamment
des caillots de sang vrai, un épanchement de lymphe plastique qui devient
l'organe même de la cicatrisation vasculaire.
« La suppression permanente de l'hémorrhagie, dit-il, dépend principalement
de ce caillot de lymphe ». Il le faisait, il est vrai, venir d'une transsudation des
vasa vasorwn opérée consécutivement à l'inflammation traumatique de la
paroi vasculaire.
Aujourd'hui nous savons que J.-L. Petit d'une part, J.-F.-D. Jones de l'autre,
avaient à la fois tort et raison. 11 existe deux modes d'hémostases souvent com-
binés entre eux, mais ayant chacun pour agent actif un caillot ou thrombus
très-différents l'un de l'autre. L'un de ces caillots, le thromhus lymphatique ou
blanc, répond à l'aveuglement actif de la voie de perte et à la cicatrisation de la
paroi. C'est le thromhus de cicatrisation ; l'autre, le thromhus hématique ou
rouge, répond à l'oblitération de la lumière du vaisseau sur une certaine éten-
due. Les conditions dans lesquelles se développent ces deux sortes de caillots
sont toutes différentes et il importe de les préciser.
410 UEMORRIIAGIE.
A. Thrombus de cicatrisation. Tltrombus blanc ou hjmphaliqiie. C'est au
professeur N. Zahn (de Genève) que revient l'honneur d'avoir ramené la question
dans l'ordre d'ide'es ouvert par les premières observations de Jones et d'avoir
établi sur des bases solides le processus de l'Iiémostase en le rapportant à sa
véritable cause : l'activité des cellules lymphatiques. En 1871, Zahn [Central-
blatl f. d. med. Wisse7îschaflen, n" 9, 1872) montra d'abord chez la grenouille,
ensuite chez les divers Mammileres, que l'arrêt du sang dans un vaisseau ouvert
par piqûre, fissure ou section, s'opère toujours par le même mécanisme et de
la façon suivante :
Une veine du mésentère de la grenouille est ouverte latéralement : le sang fait
irruption au dehors par la perte de substance en formant une véritable veine
lluide en mince paroi ; dans le vaisseau lésé se produisent alors deux courants
convergeant vers l'orifice, l'un suivant la direction normale du sang de la péri-
phérie vers le cœur, l'autre venant en sens inverse et retournant vers la péri-
phérie. Au niveau de la plaie, ces courants se précipitent l'un sur l'autre et
après leur réunion forment le jet éruplif. Le sang extravasé se coagule peu à
peu à une certaine distance du vaisseau ouvert ; en même temps de nombreux
globules blancs se rassemblent dans l'intérieur de la veine, le long de la paroi
et des deux côtés, les uns roulant avec lenteur le long de cette paroi, les autres
s'y attachant momentanément pour en être de nouveau arrachés par le mou-
vement du sang. Arrivés au niveau de la déchirure, ces globules blancs y adhèrent
fortement; d'autres venus ensuite se fixent sur les premiers, et, petit à petit,
les globules blancs continuant à s'accumuler les uns sur les autres et à adhérer
entre eux, il se forme de la sorte une espèce de rempart annulaire partant
des bords de la déchirure et faisant fortement saillie en dehors, à la façon d'un
champignon ou d'une tête de clou. Ce rempart est exclusivement formé par
des globules blancs et bientôt il constitue un obstacle à l'effusion du sang suffi-
sant pour arrêter momentanément l'hémorrhagie. A ce moment la masse de
globules lymphatiques adhérents les uns aux autres affecte exactement la con-
figuration d'un bouton de manchelte ou jumelle, dont la tête répond au cham-
pignon extérieur, le col à la perte de substance du vaisseau, le pied à la por-
tion intra-vasculaire du thrombus, qui s'étale le long de la membrane interne
à la façon d'un disque, de chaque côté de l'ouverture, en faisant sa saillie
maxima dans la lumière vasculaire au niveau de la perte de substance.
Avec l'arrêt de l'hémorrhagie coincïde la disparition du courant sanguin
rétrograde qui formait l'une des branches de la veine fluide. Le cours normal
du sang reprend alors lentement, puis s'accroît, et il arrive un instant où la
tension latérale reprend assez de force pour triompher de la résistance au
thrombus. Ce dernier peut être arraché d'un bloc et l'hémorrhagie se repro-
duit, le sang coulant dans une sorte d'entonnoir de globules blancs, formé par
les cellules lymphatiques adhéi entes à la membrane interne et aux lèvres de la
plaie. D'autres fois le sang pénètre le thrombus comme le fait l'eau d'un tor-
rent d'une digue de terre molle; il se crée dans la masse de globules agglutinés
une sorte de trajet poreux. Peu à peu le thrombus se reforme, l'hémorrhagie
cesse une seconde fois. Enfin, après une série d'hémostases temporaires et d'hé-
morrhagies secondaires réitérées, à un moment donné, la tension intra-vascu-
laire, affaiblie par les hémorrhagies successives, ne peut plus récupérer la force
nécessaire pour éloigner de nouveau le caillot lymphatique obturateur. Dès
lors l'oblitération devient définitive, la voie du sang est aveuglée; le processus
HEMORRHAGIE. 4H
de l'hémostase lymphatique est terminé, celui de la réparation de la paroi vas-
culaire commence.
Dans les sections en travers des petits vaisseaux, le même phénomène est
observé, à cela près que le caillot lymphatique ai'fecte la forme d'un clou de
tapissier dont la tige est intra-vasculaire et oblitère la lumière du vaisseau, et
dont la tète coiffe à la façon d'un chapeau ou d'un champignon l'aire de section
qu'elle recouvre comme le ferait un couvercle. Toute proportion gardée, les cail-
lots lymphatiques obturateurs des plaies artérielles sont plus volumineux que
ceux des veines (Pitres), vraisemblablement parce que les artères restent béantes
au lieu de subir, comme les veines après leur ouverture, un affaissement qui
diminue considérablement l'aire de la section. Lorsqu'il s'agit de vaisseaux trop
volumineux, tels que les artères crosses ou les grosses artères de distribution,
le caillot lymphatique, ayant à recouvrir une aire immense, se forme trop len-
tement pour aveugler la lumière du vaisseau en temps utile, et d'autre part, quand
bien même il se formerait, il serait incapable de résister au choc du courant
sanguin. Dans ces conditions, à moins que la compression soutenue ou la liga-
ture ne viennent en aide au processus d'hémostase, l'iiémorrhagie continue et
devient fatalement déperditive et mortelle, (juand l'orifice de section de l'ar-
tère est artificiellement rétréci, le processus indiqué par Jones se reproduit exac-
tement, et l'on trouve toujours entre le caillot sanguin extérieur [couvercle de
J.-L. Petit) et le caillot intérieur [bouchon de J.-L. Petit), sur lequel nous
reviendrons plus loin, un caillot blanc formé par les éléments mêmes de la
lymphe.
Le caillot lymphatique de Jones et de Zahn a donc, dans la question de l'hé-
mostase, une importance tout à fait prépondérante, puisqu'il en paraît bien être
le véritable agent actif. De plus, il a pour le médecin une valeur d'autant plus
considérable qu'il est exclusivement, ou à peu près, la condition nécessaire de
l'arrêt spontané des hémorrhagies avec continuation du cours du sang dans les
aires vasculaires qui en ont été le théâtre. Zahn a en effet démontré que, pour
que ce caillot se forme, il est absolument nécessaire que le cours du sang ne
soit pas interrompu dans le vaisseau lésé. Enfin il a été également mis hois de
doute ce fait d'une extrême importance en la matière : à savoir que l'arrêt des
globules blancs et leur accumulation en un point pour former un caillot lym-
phatique sont commandés directement par la lésion de l'endothélium vasculaire.
Que ce soit par piqûre, plaie, élongation du vaisseau ou irritation de sa surface
interne par le nitrate d'argent que la desquamation, la solution de continuité
ou la mobilisation des éléments du vernis endothélial, aient été provoquées, le
résultat est le même : il se forme un caillot lymphatique au point lésé (Z;ilm,
De la formation des thrombus. In Revue médicale de la Suisse romande, 1881,
p. 27), pourvu que la vitesse du cours du sang soit en même temps ralentie.
Au bout de très-peu de temps, les globules agglomérés pour former le caillot
lymphatique sont comme fondus les uns avec les autres en une seule masse ;
on ne parvient plus à les dissocier en éléments cellulaires distincts, ayant une
limite et une individualité propres à la façon des globules blancs de la lymphe
et du sang. Ils sont noyés dans une sorte de gangue granuleuse dont les grains
sont animés d'un vif mouvement brownien. Pitres [Sur les caillots qui déter-
minent T hémostase. In Arch. de phijsioL, 1876, p. 245) considère de telles
granulations comme le produit d'une désintégration des cellules lymphatiques
et s'efibrce d'autre part de montrer que la iibrine ne prend aucune part à la
412 IlÉMORRHAGIE.
constitution du thrombus blanc {loc. cit., p. 245-246). Zahn croit au con-
traire {CentraWlatt, loc. cit., p. 88-89) que dans les thromboses lymphatiques
« des niasses cellulaires évidentes peuvent prendre en peu de temps le caractère
de la fdjrine », et Bizzozero pense expliquer la présence de la fibrine dans le
thrombus blanc par l'action particulière des plaquettes, identiques d'ailleurs
aux prétendus hématoblastes de Hayem et aux granulations élémentaires de
Donné, qu'il a récemment décrites dans le sang circulant des Mammifères {Arch,
italiennes de biologie, t. I). Ces plaquettes formeraient nécessairement partie
intégrante des thrombus blancs et mixtes, et leur dissolution dans le plasma
chargé de fibrinogène aurait pour conséquence la production de la fibrine. En
réalité, je pense que la formation de la fibrine au niveau des thrombus lym-
phatiques est, quand elle s'effectue, un fait absolument secondaire, et que dans
le caillot hémostatique les globules blancs se sont fondus en une seule masse,
de manière à simuler une immense cellule à noyaux multiples, comme il arrive
dans les pièges de Ziegler introduits dans la cavité péritonéale. On sait que
dans ces pièges, formés de deux lamelles couvre-objet accolées et interceptant
un espace capillaire, les cellules migratrices s'introduisent, s'agglutinent les
unes aux autres, prolifèrent même dans cet état, et finissent par former d'im-
menses celhiles à noyaux multiples ou cellules géantes.
Quel est maintenant le sort ultérieur du caillot lymphatique? Au bout d'un
ten)[»s variable, on constate que la plaie vasculaire est définitivement fermée et
que l'cudothélium a repris ses caractères normaux. Très-probablement cet
endothélium est reformé aux dépens des cellules embryonnaires du thrombus;
de même les diverses formations entrant dans la constitution du vaisseau,
quand il s'agit d'une artère ou d'une veine, se reconstituent par le procédé
habituel de réparation des pertes de substance des divers tissus. Mais, dans ses
détails, le processus n'a pas été analysé jusqu'ici. Les notions qui se dégagent
de l'étude du thrombus lymphatique sont donc seulement les suivantes :
Le caillot lymphatique est le résultat de la lésion de l'endothélium vascu-
laire inséparable de la rupture du vaisseau et du ralentissement du cours du
sang consécutif à la perte sanguine. Ainsi deux circonstances, qui initialement
favorisaient l'hémorrhagie ou en étaient la conséquence immédiate, deviennent
Jes conditions principales de l'hémostase faite dans les conditions les meilleures
pour le retour à l'état normul, puisqu'on même temps que la blessure vascu-
laire se restaure la circulation se rétablit avec son régime de plus en plus
régulier dans les aires vasculaires intéressées. Il n'en est plus de même lorsque
le cours du sang est suspendu dans le segment vasculaire dont la paroi a été
ouverte et que ce segment possède une longueur suffisante, à partir de la pre-
mière voie collatérale, pour constituer un diverticule d'une certaine impor-
tance. Dans ces dernières conditions, en effet, le processus est tout autre : il
aboutit à la formation d'un caillot formé par le sang lui-même, globules blancs,
rouges et plasma subissant la coagulation pour former un thrombus hématique
qui déterminera fatalement, dans ses limites, l'oblitération de la lumière du
vaisseau.
B. Thrombus d'oblitération, thrombus rouge ou hématique. Un vaisseau
dans lequel le sang ne circule plus s'enflamme rapidement et fatalement; nous
en avons trouvé la preuve dans les lésions de la paroi consécutives à l'oblitéra-
tion par embolie. L'inflammation est subaiguë, l'endothélium est ramené à
l'état embryonnaire et desquame. Dans ces conditions le plasma sanguin est
HÉMORRHAGIE. 415
frappé de mort, la fibrine s'y développe à l'ctat fibrilliiire et le sang se prend
en caillot rouge. D'une manière générale, celle lésion de l'endolhélium est la
cause toujours prochaine de la coagulalion du sang en masse, qu'il s'agisse
d'ailleurs d'une thrombose raaraslique ou d'une autre consécutive à la section,
la rupture ou la ligature du vaisseau. Nous n'avons pas à discuter ici le mode
de formation des thrombus oblitérants à développement spontané {voy. Throm-
bose PiiLEGMATiA ALBA. DOLE.Ns), mais bien à montrer ce qui arrive lorsque, un
vaisseau avant été divisé, et l'hémostase s'étant ensuite opérée soit spontané-
ment, par un thrombus blanc, soit artificiellement par une ligature, tout un
segment vasculaire est devenu un cul-de-sac à l'intérieur duquel le sang ne
se meut plus.
Le caillot rouge, formé par le sang pris en gelée comme dans un vase de verre,
constitue le bouchon classique de J.-L. Petit, bouchon qui remonte ordinaire-
ment jusqu'au voisinage de la première collatérale. L'existence de ce bouchon,
formé de sang coagulé, est tout à fait éphémère : le thrombus va rapidement
s'organiser par la substitution ordinaire en pareil cas. A la place du moule de
fibrine englobant les éléments figurés du ?ang va se développer, en effet, une
végétation connective et vasculaire, déterminant en fin de compte une oblitéra-
tion plus ou moins exacte de la lumière des vaisseaux; processus absolument
parallèle de celui qui, dans une séreuse enflammée, transforme les pseudo-
membranes en néomembranes, et aboutit à la formation d'une symphyse soudant
les parois à l'aide de tractus conjonctifs vascularisés, en effaçant la cavité de la
séreuse intéressée dans les limites de l'inflammalion fibrineuse.
Dans les limites du segment oblitéré, la ligne endothéliale a disparu; je n'ai
jamais rencontré, comme Ziegler {loc. cit., vol. I, p. M), de thrombus rouge
recouvert d'un endotbélium continu dans sa portion libre, confinant au sang
circulant; mais comme lui j'ai toujours constaté que là où le caillot est
adhérent aux parois l'endothéliura de l'endoveine ou de l'endartère n'existe
plus. Le tissu connectif particulier de ces deux membranes et le tissu cellu-
laire lâche de l'adventice sont alors le siège d'une infiltration lymphatique.
Tout à fait au début du processus oblitérant, on voit partir de la membrane
interne, et s'engager dans le caillot, de grandes cellules rameuses présentant tout
à fait le caraclère des éléments vasculaires vaso-formatifs. Ces cellules sont
d'abord entourées de globules blancs actifs de la lymphe et du sang; plus tard,
on reconnaît qu'elles sont le centre de bourgeons de tissu conjonctif qui prend
très-rapidement la constitution du tissu fibreux, et qui végèle dans le caillot
hématique stratifié en zones concentriques en coupant ces dernières dans divers
sens, c'est-à-dire en se comportant à l'égard du thrombus comme envers un
corps inerte. Dans les veines, c'est ordinairement d'un seul côté de la paroi que
part le bourgeon fibreux oblitérateur, du moins il paraît en être ainsi dans les
coupes transversales. Mais l'étude des coupes parallèles à l'axe du vaisseau
montre que d'une série de points des bourgeons semblables prennent naissance
sur la paroi, qui se trouve bientôt hérissée d'une série d'élevurcs dont les extré-
mités libres s'engrènent les unes dans les autres, à distance d'abord et restant
séparées par des bandes du caillot primitif, puis qui ne tardent pas à se rejoindre.
Elles s'accèdent, se déforment par pression réciproque, ou se soudent les unes
aux autres de manière à former des ponts continus. Au bout d'un certain temps
la lumière du vaisseau est de la sorte solidement oblitérée par une néo-
formation fibreuse, solide comme un tendon et présentant une structure histo-
414 HÉMORRIUGIE.
logique très-semblable à celle des tendons eux-mêmes. Les vaisseaux formant
primitivement l'axe de pareils bourgeons, et anastomosés les uns avec les autres
en réseaux irréguliers, se comportent ensuite exactement à la façon de ceux
développés dans les fongosités d'une tendinite végétante non tuberculeuse. Pris
dans le tissu fibreux de cicatrice, ils subissent les eflets de la rétraction dont Je
tissu qui les environne est le siège, ils dimiiuient de volume et souvent dispa-
raissent, le sang ne circulant plus dans leurs voies devenues étroites. Souvent
même (endophlébilc oblitérante) certaines portions des bourgeons fibreux deve-
nus exsangues par oblitération de leurs axes vasculaires, non-seulement ne
vivent plus de la vie obscure du tissu tendineux, mais encore subissent une
sorte de ramollissement colloïde. En résumé, la lumière du vaisseau est défini-
tivement effacée, le segment primitivement occupé par le thrombus rouge est
transformé en un cordon fibreux. L'iiémoslase est ainsi rendue définitive. Un
tissu cicatriciel analogue se développe, surtout dans les artères, du côté de l'ad-
ventice et à l'exlrémilé sectionnée ou rompue du vaisseau, sous le thrombus
blanc hémoslatiiiuc ou la ligature {voy., pour l'organisation du thrombus héma-
tique : SchuUz, Dcnlsche Zeitschrift. f. Chirurgie, M. IX. — Raab, Archiv f.
Uin. Chiriirg., Bd. XXlll, et Virclioiv's Arcliiv, Bd. LXXV. — Vi\eàe[, Deutsche
Zeitschrift f. Chir., 1877. — Baumgarten : Die sogenannte Organisation des
Thrombus. Leipzig, 1877. — Durante, Wiener med. Jahrbiicher, Bd. Ilf, Th. IV.
— Scnflleben, V irchow' s Archiv, Bd. LXXVII. — Tillmanns. Virchow' s Archiv,
Bd. LXXVIII. — Auerbach, Ueber die Oblitération der Arlerien nach Ligatur.
Dissert, inaug. Bonn, 1877).
En réalité donc, et comme le soutient avec raison Ziegler, le processus de
l'hémostase définitive par organisation du caillot n'est nullement un processus
spécial, il ressemble aux conséquences ordinaires de l'inflammation des surfaces
séreuses. 11 a pour étapes : 1° la chute de l'endothélium et l'inflammation de
la paroi ; 2'^ la coagulation du liquide de la cavité ; 3" la végétation de la paroi
dans le coagulum et l'effacement de la cavité par symphyse, le caillot jouant,
comme l'exsudat fibrineux, le rôle d'un corps inerte qui n'est que le conduc-
teur de la végétation vasculaire et connective. Une éponge préparée fixée à
demeure dans une plaie est envahie de la même manière par les bourgeons
charnus. Quant au rôle de l'endothélium vasculaire ramené par l'inflammation
à l'état indifférent, et à celui des globules blancs du sang emprisonné dans le
caillot hématique, il semble tout à fait secondaire; la végétation oblitérante
part de la paroi vasculaire, de l'endartère et des vaisseaux sanguins {vasa vaso-
rum suhjacents), dont les pointes d'accroissement sontl'origine des vaisseaux qui
forment l'axe des bourgeons fibreux.
Le processus d'oblitération que nous venons de décrire ne s'effectue pleine-
ment que si la paroi vasculaire qui doit en être l'origine est saine et apte à
réagir. Si au contraire cette paroi est mise en état de moindre vitalité ou privée
de vie par la contusion, l'attrition des parties au delà du traumatisme apparent,
ou par un état d'intoxication zymotique quelconque (septicémie, pyémie, gan-
grènes extensives), le bouchon sanguin de J.-L. Petit se forme, il est vrai, en
amont de la ligature, mais il n'est pas envahi par la néoformation fibreuse. 11
se ramollit au bout d'un certain temps, et l'on voit alors s'effectuer des héraor-
rhagies secondaires, dont les conditions d'apparition ont été étudiées en parti-
culier par les chirurgiens.
Los plaies latérales, par incision ou piqûres, des vaisseaux de distribution,
HÉMORRIIAGIlî. 415
artériels ou veineux, se cicatrisent par un mécanisme très-analogue à celui qui
est mis en jeu par les solutions transversales et complètes de continuité. L'hé-
morrhagie, quand elle peut s'arrêter, c'est-à-dire quand il ne s'agit pas d'une
très-grosse artère, prend fin par la formation d'un thrombus blanc qui oblitère
les lèvres de la pluie (Schultz) et ensuite s'organise en tissu conjonctif. En arrière
de ce thrombus blanc il s'en forme parfois un rouge affectant également le
caractère pariétal : c'est ce qui, par exemple, peut se produire dans l'aorte et les
autres vaisseaux artériels de très-gros calibre. Ces caillots rouges s'organisent
alors avec une extrême lenteur (Ziegler), ou même ne subissent que des rudi-
ments d'organisation dans les parties immédiatement adjacentes à la paroi inté-
ressée; c'est aussi de celte façon que se comportent les caillots très-actifs des
poches anévrysmales. Il résulte de là un amoindrissement considérable de la
solidité de la cicatrice et la possibilité d'hémorrhagies secondaires qu'en réalité
l'on observe presque en règle dans ces cas. Si l'on cherche la raison du fait, on
la trouve naturellement dans l'application de la loi même de formation des
caillots hématiques. Pour que ces caillots se forment régulièrement, il faut, en
effet, que le cours du sang soit suspendu dans le segment vasculaire considéré,
condition qui ne se réalise pas dans les plaies latérales des grosses artères. Au
contraire, le thrombus blanc, s'édifiant dans des conditions tout à fait inverses,
arrive à se produire, à moins que la pression intra- vasculaire ne reste constam-
ment suffisante pour le désagréger au fur et à mesure de sa formation. C'est ce
qui arrive dans les très-grosses artères ou les artères crosses, telles que la pul-
monaire et l'aorte. Dans les artères de petit calibre, au contraire, l'action muscu-
laire mise enjeu tend à restreindre le débit sanguin, la pression latérale n'est
pas aussi forte ; le thrombus de cicatrisation peut se produire et, dans la plupart
des cas, suffit pour amener l'hémostase définitive. Après quoi la paroi vasculaire
subit la restauration sans qu'il se produise de caillot rouge latéral. Dans ce cas,
la cicatrice se présente comme un simple épaississement des parois sur le trajet
du vaisseau. D'autres fois on trouve la lumière vasculaire traversée par des fila-
ments connectifs disposés en trabécules, à la façon des adhérences filamenteuses
des membranes séreuses (Ziegler) : il est dès lors probable que derrière le
thrombus blanc il s'en est formé un rouge, et qu'au travers de ce dernier les
parois vasculaires ont poussé des bourgeons filiformes qui, en fin de compte,
après la résorption du sang coagulé, cloisonnent la cavité du vaisseau comme
d'une dentelle à larges mailles sans nullement entraver la circulation.
Telle est l'histoire sommaire de l'hémostase post-hémorrhagique ; il nous reste
maintenant à savoir ce que devient, dans le cas d'une hémorrhagie interstitielle,
le sang épanché dans les espaces interorganiques, et comment après toute
perte sanguine compatible avec la survie les éléments anatomiques du sang
arrivent à se régénérer ?
Nous n'entrerons dans aucun nouveau détail important à propos de la pre-
mière question, qui a été traitée à l'article Sa.ng dans le paragraphe consacré à
l'histoire et à l'évolution des ecchymoses. 11 convient cependant de dire un mot
de la pigmentation des organes consécutive à la résorption des grandes masses
de sang extravasé, pigmentation dont l'observation de Hidenlang {Virchoiv's
Archiv, Bd LXXIX) fournit un exemple typique et remarquable. Il s'agissait
d'un malade mort de purpura hémorrhagique, avec de grandes taches ecchymo-
tiques du type de Werlhof. Les parenchymes du foie, de la rate, du pancréas, des
reins, et ceux d'une série d'autres organes, présentaient des cellules infiltrées
416 HÉMORRIIAGIE.
de pigment noir ou brun jaunâtre, et des granulations ou des masses noires,
brunes ou jaunes libres dans les espaces interorganiques. Quand le sang e'panché
interstitiellement est abondant, et que les extravasations se repètent à inter-
valles suffisamment rapprochés, il peut donc en résulter une pigmentation
abondante et disséminée dans les divers organes et dans les tissus connectils du
type modelé. Le pigment résultant, comme on sait, de la destruction des glo-
bules rouges captés, morcelés et transformés par les globules blancs migrateurs,
présente d'ailleurs des variations intéressantes dans sa constitution. Dans les
pigmentations toutes récentes, il est formé par des produits véritablement
hématiqiies, tels que l'hématoïdineou la bilirubine, par exemple, substances qui
dérivent directement de l'hémoglobine ; mais il peut acquérir plus tard une
constitution plus simple, et l'on peut voir les granulations pigmentaires formées
par des albuminatcs de fer dont les uns sont incolores, les autres colorés
(Quincke, Deutsches Archiv f. klinische Med., Bd. XXVII), ou même par un oxyde
de fer hydraté particulier (Kunkel, Virchow's Archir, Bd. LXXXl), de telle
sorte que les résidus de la transformation globulaire semblent se dépouiller par
degrés de leur nature organique complexe et tendent progressivement à repro-
duire dos composés purement métalliques, peut-être pour être ultérieurement
en partie résorbés sous cette forme, comme certains le pensent (Ziegler, loc.
cit., p. o3, vol. I, disp. I), enfui de concourir à la métallisation d'une nouvelle
hémoglobine et rentrer de la sorte dans la crase sanguine en vertu d'un mou-
vement cyclique intérieur.
Mais il est une portion du sang extravasé qui sort de l'organisme par les
c'monctoires également à l'état de pigment. Soit que ce pigment soit emporté
par les cellules lymphatiques du groupe aberrant et rejeté à la surface des
muqueuses, ce qui est un mode d'élimination général des substances étrangères
pulvérulentes assez répandu, soitque, résorbés par les vaisseaux sanguins, ils soient
éliminés par les sécrétions excrémentitielles et notamment par les urines sous
forme d'urobiline, ainsi que l'a constaté Kunkel [Virchow's Archiv, Bd. LXXIX).
Dans ces conditions, si l'élimination s'effectue très-largement par la voie rénale,
le rein devient lui-même le siège d'une pigmentation souvent abondante, et
l'on trouve les grains de pigment partie dans les glomérules, partie dans les
canalicules urinifères, partie enlin dans les espaces interlobulaires qui jouent
ici le rôle d'espaces connectifs. Ponfick (Berliner klinische Wochenschrift, 1877)
a démontré que dans certains cas cette infiltration pigmentaire des reins s'ac-
compagne de notables altérations de structure et de troubles fonctionnels carac-
térisés par la formation de cylindres et de dégénération graisseuse de l'épithé-
lium sécréteur. Ainsi donc le sang extravasé interstitiellement et réduit en
pigment par les cellules migratices, est ou éliminé comme un corps étranger,
ou fixé dans les tissus à l'état de grains disséminés qui, prenant peu à peu la
constitution des composés ferreux inorganiques, deviennent en fin de compte
l'origine d'une sorte de sidérose interstitielle (Quincke) qui peut-être constitue
une réserve de fer assimilable. Dans cette conception, le sang épanché ne serait
pas perdu dans toutes ses parties et fournirait à l'organisme, pour sa part, un
élément de régénération de la substance respiratoire, de l'hémoglobine du sang
qui doit se régénérer après chaque perte.
Poussée sanguiformative post-hémorrhagiqite. Nous avons déjà vu combien
la régénéralion du sang s'effectue rapidement après chaque perte ; un dernier
exemple de l'activité reproductrice qui s'exerce alors peut être encore utilement
IIKMORRIIÂGIE. 417
fourni au lecteur. « Girard, ayant tiré à une jument de taille moyenne 10 kilo-
grammes de sang le premier jour, 10 le deuxième, 8 le troisième, 8 le qua-
trième, 7 le cinquième, 9 le sixième, recueillit encore à l'ouverture du cadavre,
après celte dernière saignée, 5 kilogrammes de liquide : en tout 57 kilogram-
mes. Comme celle dernière qiiaïUilé représente environ deux fois celle qui devait
être contenue dans les vaisseaux au début de l'expérience, il en résulte qu'en
six ou sept jours il s'est formé une masse de sang équivalente à celle existant au
début )) (Colin, Physiologie comp. des animaux domestiques, t. Il, p. 561).
Il était intéressant de rechercher si les éléments figurés du sang, et en particu-
lier les globules rouges, se régénèrent avec la même rapidité. Dans ce but, Lau-
lanié (thèse deVinay, p. 51, 'ô'I) lit trois expériences en se servant dcsmétliodes
de Malassez, c'est-à-dire, selon moi, des procédés les plus parfaits de numéra-
tion des éléments figurés du sang. La piemière de ces expériences montre avec
quelle surprenante rapidité le nombre des globules revient à la normale après
une saignée unique spoliatrice, dans laquelle on avait enlevé à un mouton
200 grammes de sang sur une n\asse totale d'environ 735 grammes, c'est-à-
dire près du tiers de cette masse elle-même :
Nombre des globules
avant la saignée.
i, heures soir, i février N = 4,973,300
10 heures malin, 5 février IN == 2,856,500 (après saignée)
— 6 février N = -1,132,300
— 7 février .N = i,lU,400
— 8 février N = 4,072,400
La régénération fut donc très-brusque au début, en dix-huit heures le nombre
des globules s'était sensiblement rapproché de la normale ; elle s'eifectua
ensuite progressivement, mais lentement, en quatre jours, chez un animal très-
avancé en âge. Dans une seconde expérience, faite sur le chien, le retour à la
normale n'était pas eflectué encore au bout de huit jours, et là régénération subit
des oscillations négatives. En réalité, on peut conclure de ces expériences qu'une
perle de sang unique et massive se restaure avec une rapidité considérable.
La troisième expérience de Laulanié est encore plus instructive ; elle montre
que la régénération s'opère avec activité malgré des pertes réitérées : elle jette
donc un très-grand jour sur la marche de lu réparation dans les hémorrhagies
successives, telles qu'on les observe si souvent en clinique.
Exp. m. 9 février, jument de quinze ans, vigoureuse. IN = 4 414 408.
On pratique une saignée de 6 kilogi animes :
10 février N = 3,384,000
Nouvelle saignée de 5 kilogrammes.
11 février N = 3,087,220
-Nouvelle saignée de 6 kilogrammes.
12 féviicr N = 2,827,200
13 lévrier I\' = 2,889,200
13 février M = 3,410.000
17 février N = 3,936,000
Ainsi donc, en cinq jours le rétablissement de la crase du sang au point de
vue du nombre des globules rouges est presque complet.
Plus récemment, le professeur Hayem a poursuivi la question dans ses détails
et, à la suite d'un grand nombre d'expériences dont on trouvera le détail dans
ses Leçons sur les modifications du sang (p. 243 à 259), il est arrivé à consi-
dérer comme acquis les résultats généraux suivants [lac. cit., p. 259) :
DICT. ENC. 4' s. XIII. 27
418 hkmorhiiagie.
A. « Une perte de sang unique, fuilile, ne dépassant pas (pour le chien)
i,57 ou 1,75 pour 100 du poids du corps, ne produit qu'une anémie le'gère.
Cependant, lorsqu'elle atteint ce chiffre, elle cause un abaissement du nombre
des globules qui persiste pendant dix-huit à vingt jours » (chilTre notablement
supérieur à celui qui résulterait de la généralisation des expériences de Laulanié).
« Les fortes hémoirhagies sont suivies d'une diminution dans le nombre des
globules, qui n'arrive pas immédintement à son maximum. Le sang semble se
diluer peu à peu, et le chiffre le pins bas est atteint au bout d'un nombre de
jours qui varie avec l'importance de l'hémorrhagie et s'élève à huit ou dix jours
pour une peite d'environ 5 pour 100 du poids du corps. Puis la ligne d'ascen-
sion s'établit d'une manière irrégulière, assez lentement ; la durée de la répa-
ration varie d'ailleurs nécessairement avec l'abondance de la perte et les
conditions dans lesquelles se trouve le sujet en expérience. »
B. (I Lessai(/rtees multiples, faites à courts intervalles, produisent des effets
analogues à une saignée unique abondante. Plus les saignées sont rapprochées,
plus les effets qu'on en obtient resomblent à ceux d'une saignée unique et forte,
la masse du sang mettant plusieurs jours à se reformer, et plus aussi, par
conséquent j l'anémie produile est intense. C'est ce qu'on voit dans les saignées
coup sur coup. Dans l'expérience XXXVIll de Ilayem, une séi'ic de saignées, ne
s'élevant qu'au vingt-unième du poids du corps, détermine une anémie aussi
grande que les saignées un peu plus espacées s'élevant jusqu'au quatorzième de
ce poids. )i Toutes ces conclusions ne s'appli(juent, bien entendu, qu'aux hémor-
rhagies traumaliques, les seules comparables aux hémorrliagies expérimen-
tales, et nullement à celles de sétats morbides. Le minimum des globules subsis-
tant par unité de volume du sang circulant, le temps de réparation, la
physionomie générale de l'anémie post-hémorrhagique, sont alors tout particu-
liers dans chaque série de circonstances morbides variables où peuvent se pro-
duire les pertes de sang, uniques ou réitérées. La physiologie pathologique expé-
rimentale ne constitue donc qu'une sorte de limite, autour de laquelle oscillent
les cas observés en clinique sans jamais ordinairement confondre la couibe de
leur propre processus avec celle des expériences; uniquement parce que la
maladie crée des conditions que les expériences ne peuvent pas reproduire,
soit parce qu'elles ne sont pas déterminées, soit parce que, le fussent-elles, on
ne saurait les reproduire dans l'expérimentation.
Ainsi la portion liquide du sang, après chaque perte, revient à flots dans les
vaisseaux sanguins par suite de l'ingestion exagérée des boissons et de la
suractivité de l'absorption veineuse, et eu même temps les globules rouges se
régénèrent avec une énorme rapidité. Le fait constaté, peut-on aller plus loin
et se demander d'où viennent ces nouveaux globules ?
Cette question n'est autre, au fond, que celle de l'origine des éléments non
cellulaires du sang des Mammifères ; ici nous abordons, il faut bien le recon-
naître, un problème qui n'est résolu que pour quelques cas particuliers, et
dont la solution nous échappe absolument dans sa formule générale.
Le sang des Mammifères, considéré chez l'embryon et le fœtus, se déve-
loppe sous deux formes et par deux poussées très-différentes. La première pous-
sée sanguiformative, celle des îlots de Wolf et de Pander de l'aire vasculaire,
aboutit à la formation, aux dépens de cellules indifférentes qui se chargent
d'hémoglobine dans leur portion protoplasmique, de globules disccides ou
elliptiques munis d'un noyau. Le sang du Mammifère est à celte période mor-
IIÉMORRHAGIE 419
phologiquement identique au sang d'ovipai-e. Ce mode sanguiformateur, qui
donne naissance à ce que j'appelle le sang primordial, n'a qu'une existence
éphémère. Chez le mouton, dans la troisième semaine à partir de la féconda-
tion de l'œuf, on voit circuler à côté des globules à noyau des globules sanguins
qui n'en possèdent pas, et qui sont-d'abord spbériques : ce sont les globules du
sang défiiiitif. A ce moment globules à noyau et globules non nucléés circulent
côte à côte dans les vaisseaux et exercent dans l'organisme embryonnaire des
fonctions équivalentes : le sang est mixte ou fœtal. Mais peu à peu tous les
globules nucléés disparaissent, et le sang est à peu près exclusivement composé,
à la naissance, de globules rouges dépourvus de noyau et qui ont pris la confi-
guration connue de disques biconcaves. A ce moment, et à partir même du
troisième mois de la vie intra-utérine chez l'homme, on peut saisir le mode de
formation des globules définitifs dans un grand nombre de points de l'orga-
nisme; il suffit pour cela d'étudier les réseaux vaso-formatifs. Les réseaux de
capillaires du tissu connectif lâche et des membranes séreuses se développent
«n elfet à distance des fusées vasculaires artério-veineuses de distribution par-
ties du système cardiaque et, avant que ces réseaux aient été atteints par les
fusées, alors qu'ils sont encore isolés de toute relation avec les expansions par-
ties du cœui', on voit les globules rouges discoïdes du sang définitif se déve-
lopper in situ dans leurs branches pleines, au sein du protoplasma des éléments
cellulaires vaso-formateurs ramifiés (Ranvier). Et ce sont là de vrais globules,
de petit volume, il est vrai, mais chargés d'hémoglobine et se montrant tels en
présence des réactifs histochimiques : le liquide de Miiller, l'iode, ou l'éosine
qui les feint en rouge de brique. 11 ne s'agit pas, comme le croit Hayem {loc. cit.,
p. 524), de granulations éosinophjles ou de globulins de Donné, auxquels il
donne improprement le nom d'hématoblastes, mais de globules rouges véri-
tables, et reconnaissables en sette qualité par tout hislologiste un peu exercé.
Donc, au moment de la grande poussée vasculaire qui tend à substituer au sang
primordial le sang définitif, sur une multitude de points le sang à globules non
cellulaires se développe en même temps que les vaisseaux capillaires par une
différenciation remarquable, la cellule vaso-formative dessine un réseau par sa
végétation et devient une cellule rameuse à noyaux multiples, puis, tandis qu'au
centre du boyau profoplasmique plein et ramifié, des globules rouges non cellu-
laires sont élaborés par le protoplasma (qui leur construit leur stroma et leur
-distribue l'hémoglobine comme par une sorte de sécrétion) , à la périphérie chacun
des noyaux émanés des bipartitions successives du noyau primitif de la cellule
indifférente, origine de tout le système, individualise autour de lui une portion
du protoplasma pariétal et devient une cellule endolhéliale. La double fusée
bourgeonnant du système cardiaque, atteignant enfin les pointes d'accroissement
du réseau vaso-formatif, les creuse, les canalise vraisemblablement par l'activité
propre des globules blancs du sang déjà circulant, et en même temps un nou-
veau dépSitement vasculaire, une nouvelle aire capillaire, sont ouverts, et une
parcelle de sang nouveau se trouve mobilisée et jetée dans la circulation. Voilà
pour la poussée secondaire ou hémovasculaire.
Sans aucun doute, jusqu'au terme de la croissance de l'individu, il se forme
de nouveaux réseaux vasculaires. Il s'en forme même toujours, quoique bien
moins activement, dans l'état adulte et pendant toute la durée de l'existence.
C'est là une source iniportante de rénovation du sang, mais elle ne l'est pas
assez pour rendre compte de la régénération rapide du liquide nourricier, soit
420 HÉMORRIIAGIE.
après une hémorrliagie spoliatrice, que les jeunes supportent même moins bien
que les individus vieux, soit après une maladie générale quelconque s'accompa-
gnant (et ces états morbides sont nombreux) de destructions globulaires mas-
sives. Quand la grande poussée liémovasculaire est terminée, ou plutôt quand
son activité a été atténuée au point de ne plus permettre de supposer qu'elle
est incapable de l'aire les frais des restaurations sanguines, d'oii viennent les
globules du ;:aiig?
Les globules sanguins de l'bomme et des Mammifères, éléments non cellu-
laires et en outre très-spécialisés pour la respiration, paraissent s'user assez
rapidement dans l'organisme. Quincke {Deutsches Archiv f. klin. Med.,
Bd. XXVII) évalue seulement à deux ou trois semaines la durée de leur existence
dans le sang circulant; entraînés liors de ce sang par la diapédèse qui s'exécute
incessamment dans les aires capillaires, ils sont perdus pour la masse sanguine,
voués à une destruction certaine par les globules blancs migrateurs. 11 faut donc
que cbez l'adulte il y ait des sources incessantes de rénovation des globules
rouges. Les recherches de Bizzozero, de Foa et Salvioli et de Malassez, ont mis
hors de doute ce fait cpi'une de ces sources réside dans la moelle rouge des os.
Dans la moelle rouge existent des éléments cellulaires imprégnés d'hémoglo-
bine : les cellules rouges, qui incessamment donnent des bourgeons sans noyaux,
d'aspect, de réactions, de résistance et de dimension identiques aux jeunes
globules encore non discoïdes des espèces animales correspondantes. Chez le che-
vreau ces gemmes ont le diamètre exact des plus petits globules du chevreau;
il en est de même chez le lapin, etc. La seule question qui subsiste à leur égard,
c'est (le savoir comment ils se mobilisent et entrent dans les vaisseaux sanguins
autour desquels ils sont nés (Malassez, Archives de physiologie, 1882). Les
expériences de Malassez et de Picard, bien connues, en montrant que la rate
purgée de sang renferme de fortes proportions d'hémoglobine, et les observations
ultérieures de Malassez, qui a retrouvé dans ce même organe des cellules
rouges bourgeonnantes, semblent bien indiquer que cette sorte de ganglion san-
guin joue aussi un rôle important dans la régénération du sang ; mais ce sont
là malheureusement des points particuliers. .Nous savons que dans l'orga-
nisme adulte il est deux tissus, celui de la rate et celui de la moelle osseuse
rouge, où prennent naissance, et en grand nombre, des globules rouges du sang
définitif. Ces deux milieux sanguiformateurs paraissent, d'autre part, insuffi-
sants pour rendre compte, par leur activité unique, de la régénération rapide
du sang consécutive aux pertes massives de ce liquide nourricier.
Dans la période post-hémorrhagique, au moment où le sang se régénère, la
rate subit une hypertrophie sur laquelle Lediberder et Fauvel ont les premiers,
appelé l'attention {De Ihématémèse. In Recueil des frav. de la Sociélé médi-
cale d'observation, 1858). Ce phénomène a été depuis étudié avec plus de pré-
cision par Vulpian et Dechambre [Gazelle hebd. de méd. et de chir., p. lUo,
1866), qui ont montré que chez les chiens non saignés le rapport du poids de
la rate à celui du corps est J/o88,59 en moyenne, tandis qu& chez ceux qu'on a
saignés il est de 1/267,75 et de 1/255,56, si l'on considère le poids inullime de
l'animal, celui que l'on constate au terme des expériences. Ilayem [lac. cit.,
p. 318) a de son côté retrouvé cette augmentation de volume de la rate et des
cellules rouges dans son parenchyme. Pour ce qui regarde la moelle osseuse,
divers auteurs ont constaté, à la suite des grandes pertes- de sang, son retour à
l'état fœtal, c'est-à-dire à celui de moelle rouge dans des points où normale-
HEMORïïHAGIE. 421
ment elle prend chez l'adulte le caractère adipeux. Litten et Orth [l'eber
Verànderunçjen des Markes in Rôhrenknochen nnler verschiedenen patho-
logischen Verhàllnissm. In Berliner klin. Wochenschr., S. 745, 1877) ont
même dans ces conditions trouvé des cellules rouges dans le sang circuhmt
du chien soumis à de copieuses saignées, assertion qui, de même que le retour
de la moelle adipeuse à l'état fœtal, est catégoriquement contestée par le pro-
fesseur Hayem.
Quoi qu'il en soit, il me paraît incontestable que ni l'activité de la rate ni
celle de la moelle osseuse ne peuvent expliquer à elles seules la rapide régéné-
ration du sang à la suite d'une perte massive et telle, par exemple, que la montre
la première expérience de Laulanié. Pour expliquer les phénomènes observes il
est absolument nécessaire d'admettre que les nouveaux globules du sang se
reforment sur une multitude de points en dehors de la moelle osseuse rouge et
du parencbyme de la rate. A partir de cette notion, en vertu de laquelle on est
amené à considérer les foyers sanguiformateurs comme extrêmement multiples,
et le sang comme se formant partout où pénètrent les vaisseaux sanguins, on
entre dans le domaine des hypothèses. Parmi ces hypothèses, il y en a quelques-
unes de plausibles et qu'on fera bien de poursuivre pour les confirmer ou les
infirmer; il en est d'autres qui, au contraire, sont absolument gratuites et ne
soutiennent pas l'examen.
Remak, probablement guidé par des idées embryologiques d'ailleurs très-
justes, n'était pas éloigné de considérer les éléments globulaires discoïdes du
sang comme résultant d'une élaboration particulière des cellules endothéliales
des petits vaisseaux. Nous avons vu que dans les réseaux vaso-formatifs il en
est bien ainsi à l'origine : le sang et la paroi vasculaire sont le résultat des
différenciations partielles d'un seul et môme élément cellulaire, primitive-
ment indifférent au sein d'une plaque ou tache laiteuse. Mais il s'agit ici d'un
phénomène initial, transitoire, et qui ne se peut reproduire que s'il se fait
dans l'organisme adulte de nouveaux réseaux capillaires. A ma connaissance,
personne n'a constaté, à la suite des hémorrhagies, un retour à l'activité initiale
dansl'endothélium des peiits vaisseaux; cet endothélium reste avec ses caractères
ordinaires, et formé d'une mince lame protoplasmique transparente. On n'a
pas vu non plus les pointes d'accroissement, qui subsistent toujours à l'état plus
ou moins grêle dans les intervalles des capillaires là où les vésicules adipeuses
ne se sont pas développées, revenir de l'état fœtal et édifier des globules
rouges. De nouvelles recherches seraient cependant nécessaires au sujet des
modifications de ce que l'on a^ppelte le périthélium, c'est-à-dire l'ensemble des
cellules fixes provenant des éléments non transformés de la tache laiteuse ini-
tiale. Ces éléments, restes d'un milieu initialement sanguiformateur, subissent
des modifications très-semblables à celles de la moelle osseuse ; ils se trans-
forment aussi en vésicules adipeuses. Or nous avons vu quelles relations histo-
chimiquos existent entre la substance glycogène, les granulations éosinophiles,
certaines graisses offrant les réactions colorées de l'hémoglobine en présence de
l'éosnie, et l'hémoglobine elle-même.
Il se pourrait donc que ces éléments, à la façon des éléments sanguiforma-
teurs avérés, fussent aptes à prendre une double voie dans leur évolution, et
tantôt à concourir à la formation de nouveaux globules, tantôt à former des
graisses au lieu et place de l'hémoglobine. Cependant j'ai hâte de dire que je
n'ai jamais trouvé, excepté chez des fœtus ou les jeunes, d'éléments périthé-
4-22 HÉMORRIIAGIE.
liaux renfermant des globales rouges inclus dans leur masse protoplasmique,
ou colorés diffusément en rouge caractéristique par l'hémoglobine.
Comme d'autre part rien jusqu'ici n'est venu à l'appui de l'hypothèse d'une
multi|ilication des globules rouges discoïdes du sang circulant par division ou
bipartition, et que ces mêmes globules rouges ne donnent naissance à des
bourgeons que lorsqu'ils sont frappés de mort, auquel cas le pseudo-bour-
geonnement répond simplement au phénomène bien connu de l'émission des
boules sarcodiques, la question de la rénovation des globules rouges, en dehors
de la moelle osseuse et de la rate, demeure environnée d'une obscurité com-
plète, et cela, on est forcé de l'avouer, même après la tentative d'explication
fournie par Ilayem, c'est-à-dire par la notion de ce qu'il appelle des héma-
toblasles.
Les hématoblastes de Ilayem, petits corpuscules de 1 à 4 millièmes de
millimètres de diamètre, souvent discoïdes et biconcaves comme les globules
rouges, et présentant une coloration nulle, jaune, rose pâle ou rose verdâtre,
sont des éléments très-altérables cl depuis longtemps décrits par Donné sous
le nom de (jlobulins, par Zimmernian sous celui de granulations élémentaires.
Bizzozero a démontré d'une façon définitive que ce sont bien là des éléments
normaux du sang circulant, car il les a vus dans les vaisseaux chez l'animal
vivant; il donne à ces corpuscules le nom de plarpteltes ou de piastrines
(BlutpliUlchen) et, à l'exemple de tous les histologistes sans exception, il leur
refuse absolument la qualité d'hématoblastes, c'est-à-dire d'éléments sangui-
formaleurs. Par contre, avec Ilayem, il leur fait jouer un rôle important dans
le phénomène de la coagulation. Ces plaquettes, lorsquelles se dissolvent ou
difliisent dans le plasma chargé de fibrinogène, mettraient alors en train la
formation de la fibrine. A ce titre elles entreraient pour une part essentielle
dans le procédé de formation des thrombus blancs ou mixtes (Dizzozero :
Centralblatt f. med. Wissensch., 1882, et Archives italiennes de biol., t. I,
n" 1), opinion qu'il est intéressant de rapprocher de celle de Ranvier, qui tend
à considérer les granulations élémentaires comme des particules de fibrine à
l'état non fibrillaire.
Si l'on admet avec Uayem que ces petits corpuscules ne sont autre chose
que des embryons de globules rouges qui vont continuer à croître dans le
sang, en se chargeant progressivement aussi d'hémoglobine, le problème de
l'origine des globules rouges est reculé, mais non résolu, car d'où viennent les
hématoblastes? Quels éléments anatoraiques les forment ? en effet, aujourd'hui
l'on a cessé de croire à la génération des éléments figurés au sein des blastèmas,
ainsi que Ch. Robin nommait le procédé de genèse. Personne jusqu'ici n'a pu
répondre à cette question, y compris Hayem [loc. cit., p. 324). D'autre part,
nous savons, par les mensurations de Malassez, que les globules rouges foraiés-
par le bourgeonnement des cellules médullaires ont à peu près exactement, dès
l'origine, les dimensions des plus petits globules rouges légitimes du sang
circulant, et non pas les dimensions réduites des hématoblastes ou plaquettes
du sang. Dans un même organisme, à un même moment (car la formation du
sang dans la moelle restée rouge est continue), il y aurait donc deux procédés
distincts pour engendrer un seul et même élément ; ici se formeraient des bour-
geons globulaires mûrs, jetant dans la circulation les éléments respiratoires
avec leur diamètre, leur charge hémoglobique, voisins de l'état normal ; là au
contiaire les jeunes globules seraient lancés dans le sang à l'état de germes
IIEMORRHAGIE. 425
ruJimentaircs par leurs dimensions, au début non chargés d'hémoglobine, vul-
nérables à un haut degré et tout à fait disproportionnellement à leurs similaires
créés par les coliulcs rouges de la moelle. Il est bien dillicile d'accepter une
telle conception.
Ces réserves faites, nous devons signaler les recherches, très-intéressantes
d'ailleurs, poursuivies par une série d'observateurs et surtout par llavem, se
rapportant à la constitution anatomique du sang duns la période de restauration
post-hémorrbagique.
Le premier, Ilayem constata qu'à la suite des grandes destructions sanguines,
et alors que le sang est en rénovation, le nombre des globules rouges de pelite
taille (5 à 4 u) qu'il nomma globules nains devient de beaucoup supérieur
à C3 qu'il était dans l'étal normal. Cette observation fut contirmée par les
recherches de Lépine et Germont, (jui retrouvèrent ces mêmes globules nains
dans les premières heures qui suivent les larges saignées {Jsote relative à
l'influence des saignées dans l'apparition dans le sang humain de petits
globules rouges, Société de biolog. In Gaz. méd. de [^aris, p. 296, 1877). J'ai
moi-même constamment vérifié le fait dans une série de circonstances hémor-
rhagiques diverses : hémorrhagies spontanées, ménorrliagies, saignées géné-
rales. Ces petits globules mesurant 4, 5, ou 6 fx, sont ordinairement sphériques,
vivement colorés par l'hémoglobine, et se tournent en calottes comme les grands
et en même temps qu'eux. Ce sont bien là des globules du sang, et non,
comme le croit Ilayem {lac. cit., p. 2C7) des produits de préparation, car dans
mes examens de sang, sans aucune exception, j'opère sur une goutte fixée par
la chute dans une solution d'acide osmique à 1 pour 100, procédé qui fixe net
tous les éléments figurés de ce liquide dans leur l'orme exacte, et définitive-
ment. Dès que le sang entre en rénovation, de petits globu'es jeunes, compa-
rables aux bourgeons globulaires des cellules rouges de la moelle osseuse, font
donc leur apparition et circulent avec le sang subsistant.
Ce sont ces nouveaux globules qui viennent réparer la perte. Leur pelit
volume, leur saturation encore incomplète au point de vue de l'hémoglobine,
supposent mécessairement aussi une capacité respiratoire individuelle faible.
D'autre part, comme on sait, le sang subsistant est lésé dans les hémorrhagies
répétées expérimentalement, ses globules prennent des caractères analogues à
ceux du sang chlorotique (Ilayem). H résulte de là qu'en pleine réparation, si
l'on divise la quantité d'hémoglobine contenue, par exemple, dans l'unité de
volume du sang circulant, par le chiffre des globules, normaux ou nains conte-
nus dans celte même unité, le rapport, qui représente la valeur respiratoire
individuelle moyenne de chaque globule, subit un abaissement qui peut
atteindre 0,50 de sa valeur normale (Ilayem, loc. cit., p. 280). En un mot, au
début de la période réparatrice, l'organisme jette dans la circulation de nou-
veaux éléments globulaires très-nombreux, mais hâtivement élaborés et qui,
si l'on considère l'hémoglobine du sang comme l'analogue du métal précieux
des monnaies, sont de titre respiratoire inférieur. Il convient cependant que
leur petit diamètre et leur multiplicité sont des conditions favorables à l'activité
des échanges par les surfaces libres, ces échanges étant manifestement plus
favorisés dans deux petits globules dont la somme des volumes est égale au
volume d'un grand ; mais nous ignorons si cette activité plus grande des
échanges suffit pour compenser l'abaissement du titre en hémoglobine. Cet
abaissement, peu important dans les pertes sanguines faibles, peut d'ailleurs,
424 HÉMORRIIAGIE.
d'après Ilayeni {loc. cit., p. 292), atteindre de 5 à 10 pour 100 dans les hémor-
rhagies uniques et massives, et il arrive à son mnximun\ au moment où le
chiffre des globules rouges commence à se relever; il en est de même dans les
saignées réitérées coup sur coup, qui au fond agissent à la façon d'une liémor-
rhagie spoliatrice unique. Quant aux saignées lentement espacées, de façon que
les nouvelles perles soient el'fccluées lorsque la régénération commandée par la
perle précédente a déjà commencé, elles s'accompagnent d'un abaissement du
titre globulaire autrement marqué et persistant (Hayem) et, quand on a réitéré
plusieurs fois les hémorrhagies dans ces conditions, le sang du chien, par
exemple, prend absolument les caractères de celui des anémies chroniques :
globules volumineux, pâles, nombreux globules nains, proportion considérable
de granulations élémentaires, instabilité très-grande du nombre des globules du
sang circulant dans les capillaires à des époques très-rapprochées et même d'un
jour à l'autre (Ilayem, loc. cit., p. 293).
Nous devons maintenant signaler ici le point le plus nouveau des recherches
de Ilayem, point intéressant, bien que nous ne puissions lui accorder toute
l'importance que lui attribue l'aulem- qui, il faut le reconnaître, poursuit ses
recherches et soutient ses théories avec une persévérence et un talent considé-
rables depuis déjà plusieurs années. Les granulations élémentaires, les héniato-
blastes de Ilayem ou plaquettes de Bizzozero, subissent, pendant la durée de ce
que Hayem nomme avec raison la crise hématique post-hémorrhagique, des
variations de nombre parfaitement régulières. Après toute perte de sang, le
nombre des hématoblastes s'accroît dans le sang circulant ; après avoir baissé
sous le coup immédiat de la perte, il augmente considérablement au nionienl où
commence la réparation sanguine. Puis, à mesure que le sang redevient plus
riche en globules rouges, le nombre des hématoblastes se rapproche de la
normale. Lorsqu'on soumet un animal à des saignées uniques ou coup sur
coup, on assiste toujours à une crise hématoblastique qui accompagne ou suit de
près le minimum des globules rouges, et l'on voit alors le nombre de ces cor-
puscules doubler ou tripler. Dans les hémorrhagies expérimentales espacées,
chaque nouvelle perte de sang fait baisser d'une manière plus ou moins sensible
le nombre des hématoblastes; après quoi, lorsque l'anémie post-hémonhagique
a atteint son plus haut degré, le nombre de ces corpuscules s'accroît rapide-
ment, se triple parfois, et cette poussée tout à fait brusque et éphémère est le
signal de la réparation définitive. La courbe des hématoblastes tombe brusque-
ment et celle du nombre des globules rouge se relève (Hayem, loc. cit., p. 269,
275).
Cette marche du phénomène n'est pas, il faut bien le reconnaître, favorable à
l'hypothèse si brillamment soutenue par Hayem, mais plutôt par des arguments
que par des faits. La poussée hématoblastique ou, pour ne rien préjuger, corpuscu-
laire, si elle jetait d'un coup dans le sang une multitude de globules rouges
embryonnaires rapidement transformables, serait nécessairement suivie d'une
augmentation également I rusque du nombre des globules sanguins avérés. Il
n'en est rien, la réparation sanguine se poursuit lentement après le signal donne
par la crue hématoblastique qui coïncide avec le maximum de l'anémie. Si l'on
considère avec Bizzozero les piastrines comme liées étroitement à l'acte de
coagulation du plasma ; si l'on y voit comme Banvier, Gubler et moi, des parti-
cules d'un albuminoïde à l'état corpusculaire et apte à donner naissance à de la
iibrine, à la suite de la plus minime vulnération du sang, si, en un mot, on
IIEMORRHAGIE. 425
considère les plaquettes, piastrines, granulations élémentaires ou hématoblastes,
comme on les voudra appeler, comme un produit de déchet du sang circulant
analogue à la fibrine qui en est un véritable, l'accroissement de ces corpuscules
dans le sang, lors de l'acmé ou summum de l'anémie consécutive aux pertes de
sang, hémorrhagiques ou autres, se comprendrait de lui-même sans qu'il fût
besoin d'invoquer entre ces corpuscules et les globules sanguins véritables
une parenté, une filiation qui, quelque séduisante qu'elle puisse paraître de
prime abord, n'est justifiée par aucun fait positif, tandis que d'autres faits,
parfaitement acquis et certains, la rendent entièrement inadmissible pour tous
ceux qui ont fait de la morphologie et du développement connus du sang une
étude sérieuse en écartant toute conception à priori.
IV. Le syndrome hémourhagique. Au point de vue symptomatique direct les
diverses hémorrhagies ne se ressemblent pas. Une saignée de 100 grammes,
faite chez un individu, même malade, ne détermine aucun trouble important et
la perte est vite réparée. La même quantité de sang, émise au dehors en vertu
d'une hémoptysie, s'accompagne d'un complexus morbide tout autre et qui
appelle l'attention. Enlin, si ces 100 grammes de sang se sont extravascs dans
la substance cérébrale, les réactions symptomatiques n'ont avec la perte de sang
aucune relation, et ce sont celles commandées par les lésions nerveuses qui
prennent le pas et dominent tout. Quelques gouttes de sang extravasées dans le
tissu du hulbe amènent la mort ou tout au moins des troubles graves, tandis
que la perte égale faite par la peau n'est pas même un accident. 11 suit de là
que chaque hémorrhagie reconnue en clinique comme espèce distincte : hémo-
ptysie, hématémèse, llux hémorrhoïdal, etc. {voy. ces mots), doit être décrite
à part; son histoire forme un chapitre spécial de pathologie desciiptive. Ce n'est
pas à dire pour cela que l'hémorrhagie, considérée au point de vue élevé de la
pathologie générale, n'ait pas d'histoire symptomatique propre, et que, dans
cet ordre d'idées, tout doive se borner à l'étude des causes, du mécanisme,
des effets sur l'organisme et de l'évolution des lésions. Cette élude, que nous
venons de faire longuement, parce que son importance est de premier ordre,
doit être complétée, au point de vue des symptômes et de la séméiologie, par
celle du complexus réactionnel, ce que je propose d'appeler le syndrome hémor-
rhagique.
Considérons l'hémorrhagie en tant que perte de sang, abstraction faite de sou
irvOuence prochaine, mécanique, sur les organes au niveau desquels elle s'est
effectuée. Nous voyons que suivant que cette hémorrhagie est déperd idve, spo-
liatrice, déplétive ou disséminée, suivant le mode exanthématique dont le type
est le purpura, sous chacune de ces formes elle s'accompagne d'un cortège de
phénomènes réactionnels communs, d'un cortège de conséquences communes
aussi dans les pertes de sang de même type. La physionomie clinique de l'hémor-
rhagie prend alors un caractère particulier, commandé par son mode et jusqu'à
un certain point indépendant de la cause qui la fait naître, de l'état sain ou
préalablement morbide de l'organisme affecté. Dans ces conditions, on n'a plus
seulement affaire à un symptôme, la perle de sang par rupture ou diapédèse,
mais à une série de symptômes seconds, commandés par l'effusion sanguine, en
dépendant, et groupés autour d'elle avec une physionomie individuelle. Et les
conséquences suivent, également commandées par le mode hémorrhagique et
unies à ce dernier par une relation de cause à effet. C'est dans ce sens que je
426 HÉMORRIIÂGIE.
comprends le lermc de syndrome hémorrh civique, et je vais essayer, ces pré-
misses posées, d'en donner la descriplion.
Hémorrhagie du type déperditif. Il s'agit ici d'une hémorrhagie mortelle,
dans laquelle le système vasculaire se vide par la plaie, le point de rupture ou
l'ulcère qui se sont produits. La rupture d'un anévrysme de l'aorte, l'ouverture
d'un yros vaisseau tel que la fémorale, l' hémorrhagie souvent incoercible
satellite des plaies de la paume de la main, peuvent être avantageusement prises
pour exemples de cette variété d'iiémorrliagie.
Quand le vaisseau intéressé est trop volumineux, comme il arrive dans les
plaies de l'artère fémorale ou de la veine jugulaire interne, le sang fuit et
s'écoule à flots avec une telle rapidité que la mort arrive au bout de quelques
minutes, précédée des phénomènes convulsifs que nous avons signales plus
haut. L'homme est alors véritablement saigné comme un animal à l'abattoir;
mais, quand il s'agit de vaisseaux moins volumineux, tels que les branches de
l'arcade palmaire, ou de vaisseaux capillaires donnant uue pluie de sang, comme
il arrive dans les liémorrhagies dues à une implantation vicieuse du placenta
sur le col, le tableau clinique est tout autre. La déperdition s'effectue lente-
ment, mais avec régularité, et, lorsque la perte a dépassé la limite compatible
avec la survie, bien qu'il reste encore dans le système vasculaire une grande
quantité de sang, la mort est inévitable.
Si en effet on s'en rapporte aux anciennes évaluations de Welcker faites chez
trois suppliciés, et à celles plus récentes de Tarchanoff {Die Beslimmting der
Bhdsnieuge am lebenden Menxchen. In Arch. f. die gesammte. Physiologie,
Bd. XXIII, Bd. XXIV, 1880), on peut évaluer la masse totale du sang à 1/15,
J/15,G ou 1/14 du poids du corps, chiffre qui d'ailleurs paraît trop faible, si
on le compare au même rapport établi avec plus de précision che^ divers Mammi-
fères supérieurs (Hayem, loc. cit., p. 85). Or une saignée de 2 kilogrammes
à 2''«,5U0 chez l'homme entraîne ordinairement la mort ou la rend imminente
et, si l'on rapporte ce chiffre au poids moyen de l'homme qui est d'environ
60 kilogrammes, on voit que la perte compatible avec la survie est inférieure
à 5/120 = 1/24 du poids du corps; chiffre très-sensiblement comparable à ceux
établis anciennement par Ilerbst chez le chien (de 1/10 à 1/20), le mouton (1/22),
l'àne (1/25), le lapin (1/24 [Herbst, Commenlar. hist., crit. et anat. phys. de
sanguinis (juantitate. Goeltingen, 1822j), et que les recherches ultérieures de
Wanner [Journ. de chinirg., 1844, p. 232) et de Kirmisson (th. d'agrégation,
1880) ont à très-peu près confirmés. Mais il convient de faire remarquer, avec
llay^m, que cette limite e^t variable avec l'étal des individus soumis à la perte
sanguine, et que l'état de maladie ou d'anémie préalable la modifie plus ou
moins sensiblement. Quoi qu'il en soit, lorsque l'hémorrhagie est continue,
incoercible, et qu'elle s'effectue avec une certaine lenteur, comme dans le cas
que j'ai pris pour exemple, celui d'une plaie de la paume de la main, le
tableau symptomatique de l'hémonhagie déperditive se déroule avec les carac-
tères suivants :
L'homme a été blessé par un couteau ou un bris de verre; il est debout et,
aussitôt qu'il voit le sang couler à flots, il cherche à l'arrêter et n'y parvient pas,
ceux qui l'assistent n'y parviennent pas davantage. Pendant que l'on essaye
d'arrêter le sang, que l'on court à la recherche d'un médecin, le sang continue
à couler et la perte prend déjà les proportions d'une large saignée. Le cœur bat
vite, les respirations sont larges et ample*. Souvent alors, à la vue du sang
llKMOIiUllAGIE. 427
qu'il perd et de l'inanité des efforts que l'on fait pour l'arrêter, le blessé est
frappé d'une terreur subite. II pâlit, ses yeux se voilent, la nausée survient, un
nuage neir couvre la vue; il demande à s'asseoir, à peine assis il est pris d'une
sueur froide ou visqueuse, il perd l'équilibre et tombe en syncope.
Cette syncope n'est pas une syncope vraie, c'est une défaillance, une lypo-
thymie émotive, due à la terreur inspirée par la blessure et la vue du sang. Le
cœur continue à battre, faiblement, il est vrai, le sang coule moins rapidement
par la blessure. Bientôt la position borizontale, un cordial, raniment le malade,
I hémorrhagie alors reprend son cours et son débit normaux. Dans cette cir-
constance la lypolhyraie, qui n'est nullement en rapport avec la quantité de
sang déjà perdu, et qui peut survenir tout à fait au début, quanti l'écoulement
est insignifiant encore, n'est autre chose qu'un épiphénomène émotif et nulle-
ment un symptôme de la perte elle-même. Si le mabide est ferme et inaccessible
à la peur, la lypolhymie, en effet, ne se produit pas.
Le sang continue à couler, la perte et déjà considérable, un affaiblissement
progressif se produit en même temps qu'une sensation impérieuse de soif. Si le
blessé est debout ou assis, mais toujours après un temps relativement long à
partir de l'ouverture du vaisseau, brusquement et sans prodiome aucun, une
défaillance d'un genre tout à fait différent de celle que nous venons de décrire
se produit. Celte syncope brusque, syncope de position de Mnrsh ill-IIall [An
Expérimental Investigation on tlie Effects of Loss of Blood. In Medico-Chir^
Transact., t.XYILp. 250; 1852), est due à ce que le sang est déjà suffisamment
diminué dans la masse pour ne plus suffire à la pleine circulation des organes
tels que les centres nerveux intra-encéphaliques, qu'il n'aborde qu'en sens con-
traire de la pesanteur. Le cœur, dans cet état syncopal vrai, ne bat plus qu'à
intervalles extrêmement éloignés, le pouls est filiforme ; l'bémorrhagie s'arrête
presque, le sang ne coulant plus qu'en bavant. La respiration est atténuée,
presque suspendue. A ce moment, s'il s'agit de petits vaisseaux artéiiels ou de
veines de moyen calibre, r!iémosta>e provisoire peut s'effectuer, car ici sont
réalisées les conditions mêmes de formation de l'agent actif de l'Iiémostase, du
tbrombus blanc. Mais, si l'on couche le malade, la syncope cesse vite, les batte-
ments du cœur reprennent leur force, les battements des artères périphériques
leur énergie, et au bout d'un instant l'hémorrhagie reparaît avec ses caractères,
soit parce qu'il ne s'est pas formé de caillots cicatrisateui s à cause de la brève
durée de l'état de syncope, soit parce que ces caillots, à peine édifiés et encore
peu solides, ont été balayés par le jet sanguin lors du retour du cœur à son
rhythme et à sou énergie ordkiaires.
Plusieurs fois, si l'on maintient le malade assis, la syncope de position peut
. se répéter, mais il arrive un moment où, l'affaiblissement progressif croissant, la
résolution des membres s'opère; le blessé s'affaisse et ne se relèvera plus. La soif
s'accuse; la face, toutes les parties du tégument, se décolorent et prennent cette
teinte blafarde et un peu jaunâtre, comme cireuse, qu'il est difficile de décrire,
mais que reconnaissent bien ceux qui ont vu de près le cadavre d'un guillotiné.
En même temps le corps se refroidit, surtout aux extrémités : les mains et les
pieds se glacent. Sur le front, la paume des mains et la plante des pieds,
l'épigastre, apparaît une sueur visqueuse analogue à celle des animaux (cheval,
âne) soumis à une longue et douloureuse vivisection. Les idées, intactes jusque-
là, se troublent alors ; il semble au patient que sa tête soit vide, et une céphalée
intense, qui s'exagère au moindre mouvement spontané ou provoqué, ou même
428 HÉMORRIIAGIE.
dans les inspirations larges, se produit et augmente encore l'anxiété. Le tableau
clinique est alors très-exactement celui que Sanson a tracé magistralement sous
le nom d'anémie irawnatique aiguë {Des hémorrhagies tinnmatiqites. Thèse de
concours. 1856). Bientôt des vertiges, des nausées, se produisent ; le pouls devient
petit, irrégulier, avec des intermittences fausses, prenant ainsi les caractères
du pouls de l'asyslolie, tandis que le cœur bat avec une extrême vitesse, en
donnant au malade la sensation et l'angoisse dyspnéique d'une palpitation vio-
lente. L'anémie, qui était nulle en réalité au premier stade, celui de la lypo-
thymie émotive, qui n'était que relative au second, marqué par la syncope de
position, va maintenant devenir absolue et commander la syncope terminale,
celle qu'aucune position, aucune excitation ni aucun secours, ne font cesser, et
qui n'est elle-même qu'un des incidents, mais le plus frappant de tous, de ce
que Marsliall-lJall nommait la résolution immédiate des forces; mode particulier
à l'iiémorrhagic de la production de la mort instantanée, et qui coupe court
aux manifestations de la vie d'ensemble de l'organisme, qui n'a plus assez de
sang pour satisfaire au minimum de circulation compatible avec l'activité du
système nerveux.
A l'inverse de la syncope émotive et de la syncope déposition qui surviennent
brust|uemcnt sans aucun prodrome, celte syncope est annoncée par des phéno-
mènes préliminaires dont l'importance diagnostique et pronostique est très-
grande. L'anémie qui précède la période terminale n'est plus, comme précé-
demment, relative; elle est absolue : le cœur bat sur une masse de sang
insuffisante et sur laquelle il ne peut plus prendre un point d'appui pour sa
contraction ventriculaire. Ses pulsations déterminent alors de minimes soulève-
ments des artères péiiphériques; ce n'est que par intervalles, et seulement
lorsque les mouvements respiratoires plus amples ont déterminé un afflux plus
considérable de sang dans le cœur, qu'il se produit un battement efficace. De là
le pouls d'apparence mitrale, qui est un des premiers signes du danger immi-
nent. Le rliylhme respiiatoire se modifie en effet alors et prend plus ou moins le
rhythme de Cheyne-Stokes, c'est-à-dire qu'il se produit des séries d'inspirations
profondes, répétées suivant un mode subintrant, séparées par des périodes d'apnée.
On peut alors être certain que le sang ne circule plus en quantité suffisante dans
le cerveau et dans le bulbe, et que les centres nerveux vont être excités par anémie.
C'est alors que se produisent des phénomènes convulsifs sur lesquels les auteurs
ont tant insisté et auxquels .Marshall-Hall attribue la signification de phénomènes
agoniques.
Ces phénomènes coHvuIsifs se montrent en effet au moment où l'état syncopal
s'établit, et nous avons vu que cette syncope est définitive, bien que le cœur
batte encore à intervalles éloignés quelque temps après que l'état de mort appa-
rente s'est produit. Ils consistent dans une série de mouvements pupillaires,
l'exagération de la respiration du type de Cheyne et la production, d'une manière,
il est vrai, inconstante (Hayem), de selles et d'émissions d'urines involontaires.
Les convulsions tétaniques, brèves et répétées, se montrent aussi parfois, comme
il arrive chez les animaux saignés dans la position couchée oii Paul Bert leur a
reconnu la signification absolue de phénomènes agoniques. Bientôt après les
pupilles se dilatent, la respiration cesse de s'effectuer totalement. La déperdition
a été complète et la mort a lieu par le cerveau et le bulbe. Bien que le cœur
batte encore (Marshall-Hall), tout retour à la vie est impossible, à moins qu'on
n'introduise dans le système circulatoire du sang nouveau vivant et complet; nous
HÉMORRIIAGIE. 429
verrons plus loin d'ailleurs jusqu'à quel point on peut compter sur ce moyen
extrême de faire revivre l'organisme quand la limite de la perle de sang com-
patible avec la survie a été atteinte et dépassée.
Cependant, dans ces coadilions, et ainsi que l'ont montré les expériences
célèbres de Brown-Séquard, les tissus vivent encore pendant un certain temps.
Les nerfs sont excitables, les muscles et les organes glandulaires gardent pen-
dant beaucoup plus longtemps (jue les nerfs et les centres leur intégrité vitale.
Le cœur cependant perd rapidement toute excitabilité. Vingt minutes après la
décollation, cbez l'bomme (le supplicié Gonnacbon, octobre 1885) il est inerte,
tandis que les muscles ordinaires, tels que le biceps, resteront excitables méca-
niquement pendant encore plusieurs beures; son myocarde est souple tout aussi
bien dans la portion ventriculaire que dans la région auriculaire. Le cœur, dans
la mort par hémorrhagie consécutive à la décollation, s'arrête dans la diastole
après s'êlre complètement vidé. Une lieure environ après la mort il présente un
aspect tout difféient. La rigidité cadavérique le met en état de systole appa-
rente; les ventricules sont durs, la cavité du gauche est presque entièrement
effacée. Sur une coupe transversale, on croirait être en présence d'un cœur
atteint d'hypertrophie concentrique telle que la décrivait Bertin. J'insiste à
dessein sur ces faits, qui ont en médecine légale une grande importance et que
j'ai pu constater déjà cbez deux supplioiés. Si maintenant on ouvre le cadavre
de l'individu mort d'Iiémorrhagie, on trouve ses muqueuses pâles, celle de
l'estomac et de l'intestin avec la coloration exacte de la substance grise des
circonvolutions cérébrales, et entièrement exsangues en apparence. Mais en
réalité les vaisseaux veineux tels (|ue les caves, les veines pulmonaires, les
azygos et les sinus oâniens, renferment encore beaucoup de sang. Les réseaux
capillaires des divers organes, et même des lames du tissu conjonclif lâche»
sont encore faiblement injectés partout. La mort est survenue parce que le sang
n'était plus en ({uantité suffisante dans l'arbre vasculaire pour y circuler, e,t ce
qui précède permet de comprendre comment une injection de sérum peut
momentanément ranimer un Mammifère en état de nioit apparente à la suite
de saignée à blanc. Dans ces conditions en effet le cœur, remis en présence
d'une masse liquide suffisante, reprend ses mouvements efficaces, et le sang
dilué peut encore pendant un certain temps circuler dans les tissus, dans les-
centres nerveux, et y entretenir la vie.
En résumé, le syndrome hémorrhagique, dans la perte de sang excessive
et mortelle, est la reproduction de l'état décrit par Sanson sous le nom
d'anémie traumalique aiguë. Il constitue Vétat de perte et aboutit en fin de
compte à l'anémie à vacuo des Anciens. Le malade marche à la mort en traver-
sant trois périodes : la première, période déplétive, est ou non signalée par la
lypotbymie purement nerveuse due à la terreur ou même à la simple émotion
engendrée par la vue du sang; la seconde période, spoliative, aboutit à la syn-
cope de position, brusque et sans prodromes et qu'on peut faire cesser toujours;
la troisième, période déperditive, est marquée par l'anémie progressive, les
troubles nerveux commandés par cette dernière, et aboutit à la résolution immé-
diate des forces, ou mort instantanée par excitation anémique du bulbe et du
cerveau.
Si donc une hémorrhagie est arrêtée avant que la limite de la perte compa-
tible avec la survie soit dépassée, c'est-à-dire avant que les phénomènes pré-
curseurs de la syncope terminale et irréparable aient fuit leur apparition, le
430 IIÉ.MOIIRHAGIK.
processus liémon-liagique ne parcourt que ses deux premières e'tapes, et la vie
^e maiutionl, vui cerluiu temps du moins. Examinons maintenant les modifica-
tions apportées au syndrome lorsque l'hémorrhagie est de la sorte ramenée au
type que nous avons désigné sous le nom d'hémorrhagie spoliatrice.
Hémorrhagie du type spoUatif. Supposons en premier lieu une perte
unique et excessive de sang, mais qui a pu être arrêtée avant que la syncope
irrép.irable ait pu se produire. La mort ne s'ensuivra pas moins, non plus
immédiatement, mais dans un terme plus ou moins rapproché. Quand la perte
est extrême, et que la limite de la déperdition compatible avec la survie a été'
presque atteinte, le tableau clinique est Irès-peii différent de celui que présente
une liémorrliagie immédiatement mortelle ; au lieu de la résolution immédiate
des forces, on observe un état lypotbymique particulier qui en réalité constitue
une imminence continuelle de mort.
Les synco|ies incomplètes se succèdent à intervalles brefs, au milieu des
symptômes ordinaires de l'anémie aiguë et de l'affaissement des forces or^a-
niqiies. Les pupilles sont dilatées, une nausée continuelle tourmente le malade
et n'a pas d'issue par le vomissement ; les efforts musculaires intenses néces-
saires à cet acte étant impossibles ; ou bien encore les vomissements se pro-
duisent, interrompant la prostration extrême et déterminant de cruelles exacer-
bations dans la céphalalgie qui est intense, diffuse, et qui souvent constitue le
principal symptôme dont se plaigne le malade malgré son affaiblissement. Cet
état se maintient parfois, à la suite, par exemple, des grandes hémorrhagies
utérines, pomlant douze, vingt-quatre, quarante-huit heures et même davan-
tage. Le délire survient alors, souvent accompagné d'hallucinations terrifiantes;
des mouvements convulsifs partiels se produisent. Enfin le malade tombe dans
un état semi-comateux, puis dans le coma, et la mort survient au milieu des
phénomènes de la résolution générale. Elle est alors produite par un mode
tout particulier que Marsliall-llall nomme la défaillance graduelle, terme
excellent et (jui fait image en rappelant l'état subsyncopal, ou de lypolhymie
continue, qui dans cette circonstance constitue à propre^nent parler le symptôme
saillant du syndrome.
Lorsque la perle unique et massive est encore énorme, mais notablement
inférieure cependant à la limite compatible avec la survie, de deux choses l'une :
ou la mort peut suivre, mais à long terme et par im mécanisme tout autre que
dans le cas précédent, ou la guérison peut avoir lieu. Le plus souvent en pareil
cas tout dépend des circonstances accidentelles qui interviennent après l'arrêt
de l'écoulement du sang, des soins p;irticuliers plus ou moins opportuns donnés
au malade, de sa résistance individuelle qui est variable. Telle perte large qui
ne tuera pas un individu vigoureux simplement blessé par un instrument tran-
chant touchant un gros vaisseau sans grand traumatisme amènera la mort, si
l'hémorrhiigie s'accompagne, chez un individu d'égale résistance, d'un choc
traumatique considérable ou d'influences démoralisantes telles qu'on les observe
«n temps de guerre chez les blessés du parti vaincu, ou enfin s'il s'agit d'un
malade fébricitant, comme un dothiénentérique. Après l'arrêt de l'hémorrhjPgi»,
on peut alors observer quelques-uns des phénomènes de la défaillance gra-
duelle, tels que, par exemple, la tendance aux lypothymies subintrantes dans les
premières heures après (|ue le sang a cessé de couler, mais bientôt on constate
un amendement. Le malade pâle, abattu, sans force, presque incapable de se
mouvoir ou couvert de sueur au moindre effort, est tourmenté par la céphalée
UEMOURIIAGIE. 431
continuelle, la nausée, qui s'exaspèrent à chaque cliangement de position. La
soif est vive, inextinguible, l'appétit nul. Une faiblesse extrême, que l'inappé-
tence absolue ne permet pas de combattre par l'alimentation, met le malade
dans un état véritable d'équilibre instable. Il a constamment froid, et le moindre
refroidissement hâte en réalité la terminaison fatale. Ses téguments sont déco-
lorés, souvent d'une couleur jaune subictérique, sans ictère biliaire aucun ; les
traits sont tirés, les yeux brillants; le sommeil vrai reste nul. taudis que la
somnolence, effet de la prostration générale, est continuelle. Le patient reste
dans le décubitus dorsal, immobile, inerte, les yeux brillants et les conjonc-
tives légèrement injectées, les pupilles dilatées. Souvent il a conscience de son
état-, il se sent perdu, il le dit. La mort survient alors dans une sorte de ma-
rasme aigu au bout de cinq ou six jours, d'un septénaire et parfois davantage.
A l'autopsie on trouve le cœur, le foie, le rein, avec les caractères de l'anémie
aiguë des tissus et de la dégénération graisseuse. La graisse est en fines parti-
cules extrêmement nombreuses, au sein des épitbéliums rénal et hépatique,
semant le protoplasma comme si ce dernier eût subi une dégénération grais-
seuse in situ. Et de fait la terminaison fatale s'est effectuée par jture insuf-
fisance des combustions, par défaut de l'hémalose interstitielle, et non plus
par arrêt anémique du fonctionnement du système nerveux central, comme
dans les deux modes d'hémorrhagie précédents. Là, l'inertie d'un seul système
anatoniique, celui qui commande tous les autres, avait amené la mort, tandis
que les muscles, les glandes, les tissus et organes du groupe connectif, restaient
vivants encore pour un certain temps. Ici ce sont les tissus eux-mêmes qui
meurent et avant de mourir subissent des dédoublements préalables de leurs
albuminoïdes constitutifs, comme on l'observe dans l'anémie essentielle pro-
gressive et dans les intoxications mortelles à terme par l'oxyde de carbone.
Mais, quand la résistance du sujet, les bonnes conditions de milieu, d'hygiène
et de traitement, consécutives à l'hémorrhagie, entrent en ligne d'une manière
suffisante pour combattre cette tendance à l'anoxémie interstitielle et à ses effets
nuisibles, l'organisme peut triompher et la survie se maintenir soit pendant un
temps fort long, soit d'une manière absolue. Que la mort survienne ou non
d'ailleurs, la terminaison fatale n'est plus, quand elle se produit, sous la dépen-
dance immédiate de la perte sanguine. On voit alors disparaître progressive-
ment la tendance à la nausée et au vomissement; la langue qui était sèche
redevient humide. Le pouls se relève, et tout en restant vite, mou, dicrote, il
reprend une amplitude normale. Le tracé sphygmographique ne donne plus une
ascension oblique terminée par une pointe mousse, mais une ascension droite
qui parfois, sous les fortes pressions de la vis (Lorain), dessine un crochet ana-
logue à celui de la maladie de (]orrigan. Les palpitations sont plus rares, la
céphalée continuelle s'atténue. Enfin l'on voit naître, puis se développer de
jour en jour du côté des vaisseaux, de nouveaux phénomènes : les soufiles et
les murmures anémiques. L'appétit rehaît et bientôt à l'état d'anémie aiguë
ex vacuo immédiatement consécutive à l'hémorrhagie succède un autre état
pathologique moins grave, Vétat hydrémique dont nous allons nous occuper en
détail un peu plus loin et qui, s'il n'est pas troublé et aggravé par de nou-
velles pertes, servira d'intermédiaire entre l'état d'anémie grave initial et l'état
de santé, tandis que dans le cas contraire il ne sera qu'une simple étape entre
cet état d'anémie et la mort amenée par la cachexie séreuse.
Considérons maintenant l'ensemble des symptômes qui constituent le syn-
432 IIÉMORRHAGIE.
drome hémorrliagique dans les pertes de sang réitérées, c'esl-à-dire dans la
variété d'iiémorrhagies spolialricos qui intéressent le médecin au plus haut
degré, comme le fuit avec raison remarquer le professeur Hayem, qui a eu Je
mérite très-grand d'attirer sur ce point l'attention des patholopstes. Sans
parler en effet des saignées coup sur coup, d'après la formule de Bouillaud, et
qui sont justement proscrites de la pratique actuelle, combien sont fréquentes
en clinique ces liémorrliagies répétées : hémoptysies à répétition, métrorrliagies
satellites de l'épitliélioma du col et des fibromes de l'utérus, et enfin, en chi-
rurgie, hémorihagies traumatiques secondaires (Hayem, loc. cit., p. 154)! Il
est de toute importance d'insister ici avec détails sur ces perles de sang qui, se
succédant à intervalles rappiochés, se l'épèlent avant que la réparation corré-
lative à l'effusion précédente ait eu le* temps de s'effectuer, et superposent par
suite les effets immédiats des hémorrhagics à leurs effets consécutifs.
Le plus ordinairement les premières perles ne produisent qu'un effet général
déplétif; si l'on met à part les phénomènes d'origine purement émotive qui
accompagnent une eflusion insolite de sang, surtout quand il s'agit d'une
hémorrliagie interne et tout particulièrement de celles qui se font avec un
appareil symplomaliquc mouvementé, telles que l'hémoptysie ou l'hématémèse,
l'organisme supporte sans grande réaction apparente des lién)orrliagies même
rapprochées, pourvu que chaque émission ne dépasse pas 200, 500 ou même
400 grammes (Hayem), quantités qui du reste sont rarement atteintes dans les
liémorrliagies spontanées dont on s'occupe en médecine. Il importe cependant de
leniarquer qu'il n'en est plus du tout ainsi quand il existe un éiat morbide
préalable, tel qu'une fièvre typhoïde, par exemple. Là une perte unique peut
déjà déterminer une notable oppression des forces et jiarfois même un collapsiis
temporaire. J'ai même vu une hémoptysie donner lieu, chez un malade qui
n'est pas devenu phthisique ultérieurement, à une syncope de position après la
seconde perte de sang. Mais en réalité l'on n'observe ordinairement dans ces cas
qu'une anémie passagère, ou bien, si les pertes de sang modérées se sont
répétées à des intervalles d'un jour, par exemple, pendant huit ou dix jours, une
sorte d'état de pseudo-chlorose sur lequel Hayem a appelé justement l'attention
et dans lequel il a même fait voir que le sang prend jusqu'à un certain point les
caractères particuliers à celui des cliloroliques véritables {voy. Sa>g [Pathologie
générale]). C'est notamment ce qui arrivait aux malades de Bouillaud et de ses
imitateurs à la suite des saignées coup sur coup.
Mais il importe de faire remarquer que les liémorrliagies répétées, lorsqu'elles
ont une signification diathésique, comme c'est le cas pour l'hémoplv^ie d'ori-
gine tubeiculeuse et pour les hémorihagies gastro-intestinales syraptomaliiiues
du cancer de l'estomac ou de l'intestin, sont ordinairement le signal dune
recrudescence dans la rapidité d'évoluiion des lésions spéciliques qui les provo-
quent. A l'anémie temporaire consécutive à l'hémorrhagie elle-même, et placée
sous sa dépendance directe, vient alors s'ajouter l'augment de l'anémie diathé-
sique, déterminé lui-même par l'atténuation de la résistance organique à la
cause morbigène. On tombe ainsi dans un cercle vicieux qu'il suffit de signaler
ici, et dont l'élude particulière de chaque variété d'hémorrhagie permet seule de
déterminer l'importance dans les cas particuhers {voy. Hémoptysie, Hématémèse,
Métrorrhagie, etc.).
Mais, quand les pertes sont larges à chaque émission et se répètent fréquem-
rnent. il n'en est plus de même. Si la réj-élition s'effectue à brève échéance, de
IIÉMORRIIAGIE. 453
façon à déterminer des hémorrhagies subiiUrantes, le syndrome reproduit alors
le type de rhémorrbagle déperditive, à symptômes simplement échelonnés sur
un plus long espace de temps. La résistance de l'organisme aux saignées abon-
dantes et très-rapprochées est en effet sensiblement la même que pour une perte
unique représentant la somme de toutes les pertes fractionnaires ; le fait a été
constaté positivement pour le chien par le professeur llayem. Si la répétition
est plus espacée, la régénération du sang déjà commencée entre les pertes
vient davantage au secours de l'organisme; la spoliation est plus lente à s'effec-
tuer, mais aussi, pour toute perte ultérieure d'abondance excessive, la limite
de la résistance s'abaisse. Et l'on comprend qu'il en soit ainsi, puisque le sang
nouveau est incomplètement formé, et le sang subsistant également de faible
valeur respiratoire, lésé comme nous l'avons fait voir plus haut. Dans ces
conditions l'anémie ex vaciio s'accuse rapidement après chaque perte. La pâleur
cendrée des téguments s'accuse. Les muqueuses deviennent exsangues, l'éUt
lypothjmique est imminent dès qu'on fait retourner ou asseoir le malade dans
son lit. Le moindre mouvement amène une inexprimable fatigue, la sueur du
front, des extrémités, l'exaspération de la céphalée. Dans les hémoptysies abon-
dantes et répétées cet effet est surtout marqué. Quand la toux revient, rame-
nant l'expuition sanguine, le malade se dresse sur son lit, couvert de sueur, en
proie à la fois à la toux douloureuse, à la nausée, à une douleur de tète atroce
qu'exaspère chaque secousse de toux et, l'hémorrhagie arrêtée, il retombe
inerte, dans un étal de syncope imminente en apparence disproportionnée avec
la perte qui souvent est minime. Je choisis à dessein cet exemple parce
qu'il est le plus saisissant de tous et que le médecin l'a trop souvent sous les
yeux pour ne pas s'y reporter aisément, mais les phénomènes sont très-ana-
logues dans les autres hémorrhagies abondantes et réitérées. En réalité, si l'on
voulait caractériser en une phrase la physionomie symptomatique de la période
de pertes sanguines répétées, on pourrait lui donner le nom de période d'anémie
aiguë douloureuse. Le malade en effet souffre de tout. Le moindre bruit, le
moindre mouvement, exaspèrent sa céphalée, et il lui semble recevoir des
coups de marteau à la nuque ou sur le front. Il éprouve des vertiges, des
bourdonnements d'oreilles ; des névralgies excessivement douloureuses de la
face, des espaces intercostaux, des sciatiques dans les pertes utérines renou-
velées, naissent souvent et demeurent fixes ou attestent un caractère ambulant.
L'anorexie est complète, la langue sèche, la soif vive, et par surcroît, le plus
ordinairement, une constipation opiniâtre vient apporter au malade un nouveau
tourment.
C'est ordinairement dans cette période que l'on observe quelquefois, mais
non constamment, ce complexus particuher, prémonitoire de la reproduction de
l'hémorrhagie, que les Anciens appelaient le molimen hémorrhagiqiie, et qu'ils
ne définissaient du reste que très-vaguement (voy. Geudrin, Trait, phit. de
méd. prat., t. I, p. 30, 51]. Ils le considéraient comme indiquant sa venue au
malade, c'est-à-dire la mise en train du mouvement fluxionnaire hémorrha-
gique, par des sensations vagues d'anxiété, de chaleur intérieure prédominant
au futur; le siège de l'éruption du sang de plénitude, accompagnée d'une
douleur gravative obtuse, et d'un pouls dur, serré, dicrote, la diastole artérielle
étant courte et brusque. « En même temps ou peu après, dit Gendrin, les
symptômes d'hémorrhagie se manifestent. »
Sans vouloir discuter ici longuement l'importance et la réalité de ce molimen
DicT. E.NC. 4' s. XIII. 28
434 HÉMORRHAGIE.
hémorrhagiquc des Anciens et de son expression symptomatique considérée en
tant que prodrome de la récidive hémorrhagique imminente, je dois faire
remarquer que chez certains sujets, et principalement dans le cas où les pertes
de sang sont à la fois peu copieuses et assez espacées, il se produit parfois,
mais dans des conditions qui sont encore tout à fait indéterminées, un complexus
qui rappelle absolument la symptomatologie du molimen hémorrhagique : c'est
Vétat de réaction excessive de Marshall-Hall.
Ce mode particulier de réaction a été surtout bien décrit par Hayem : « C'est
un état d'éréthisme vasculairc. Le cœur bat avec violence; les pulsations fré-
quentes de 100 à 120, pleines, larges, se font sentir dans les petites artères où
habituellement on no peut les percevoir ; les inspirations sont précipitées, entre-
coupées par des soupirs et des pandiculations. Les tempes battent; il se produit
des sifllements dans les oreilles, des sensations lumineuses comparables à des
phospliènes, la tête est comme étreinte dans un cercle de fer. Le malade, en
proie à une exaltation et à une inquiétude continuelles, présente une extrême
irritabilité ; enfin la température s'élève légèrement au-dessus de la normale »
(comme dans la chlorose [llaycni, loc. cit., p. 156]). 11 s'agit ici d'une série de
phénomènes comparables à ceux qui se produisent si fréquemment dans les
névroses vaso-motrices, et tout particulièrement chez certains sujets atteinis de
la maladie de Basedow. Réduite à des périodes passagères satellites de la période
fluxionnaire qui précède chaque récidive dans les hémorrhagies spontanées réci-
divantes, la réaction excessive, devenue en quelque sorte un épiphénomène pré-
curseur, rend de la sorte compte des prodromes vagues et mal définis observés
par les Anciens, et mis par eux sur le compte du molimen hémorrhagique. Et,
comme le molimen hémorrhagique, la réaction excessive s'observe tantôt dans
un cas, tantôt manque dans un autre, en présence d'un organisme similaire et
de pertes comparables, sans que l'on sache aucunement la raison de sa produc-
tion ou de son absence dans le complexus.
Lorsque les hémorrhagies continuent à se reproduire par intervalles trop
courts pour que la régénération se soit opérée complètement entre deux pertes
successives, la réaction exagérée, lorsqu'elle existe, fait place à un état d'anémie
particulier dont nous avons souvent parlé déj\ et qu'il faut maintenant décrire.
L'état à'hydrémie post -hémorrhagique se produit.
L'eau des boissons et les liquides interstitiels hâtivement résorbés ont recon-
stitué la masse du sang considéré en tant que masse fluide ; mais ce n'est plus
le sang, c'est une dilution de globules sanguins qui, pendant du moins un
certain temps, circule dans les vaisseaux. \]ne femme avorte à deux mois et
demi ou accouche avec une implantation vicieuse du placenta sur le col ; le
sang coule en une seule hëmorrhagie spoliatrice d'emblée, ou bien les pertes
se répètent jusqu'à effet spoliateur. Pendant la période d'anémie aiguë, avant
la reconstitution du plasma, il n'existe à la base du cœur, dans la région indi-
quée par Skoda et Traube, aucun murmure anémique. Pendant l'état de perte
continue ou subcontinue, il ne se produit pas de bruit anormal. Si à partir de
là on ausculte chaque jour, on voit le début de la période hydrémique se
marquer par la naissance des souffles au point d'élection ; ces souffles sont
systoliques, doux, identiques à ceux de la chlorose; faibles d'abord, ils se ren-
forcent rapidement et peuvent, lorsque l'état de réaction excessive se produit,
acquérir le timbre rude et l'intensité des bruits de scie ou de lime, décrits
chez les animaux rendus artificiellement hydrémiques par Marshall-Hall. Dans
HÉMORRHAGIE. 455
ces conditions, en effet, raccélération des battements du cœur et l'énergie des
systoles renforcées par l'état d'érélliisme cardiaque créent les conditions néces-
saires et suffisantes pour la production des souffles de vitesse, analosues à ceux
qui naissent dans la fièvre intense. Et d'un autre côté la dilution du sang, en
rendant ce liquide plus facilement vibrant sous un même effort, favorise la
production des bruits anormaux, des souffles que j'appelle, avec Potain et
Malassez, souffles de faible densité. Le pouls est dicrote, mou, vite, souvent
à grande amplitude sous les fortes pressions de la vis au spbygmographe ; le
sang dilué, vibrant dans les vaisseaux avec facilité, chante spontanément et
sans pression dans les artères : on peut s'en convaincre en appliquant le sté-
thoscope à ventouse de Constantin Paul sur les gros vaisseaux. Cet instrument
précieux, qui, loin de déterminer un rétrécissement artificiel, fait légèrement
le vide au-dessous de lui, permet d'entendre un souffle doux, systoiique, qui
se prolonge jusque sur la crurale. Au cou, le bruit de diable naît, le sang qui
coule dans les artères produisant un murmure. Je n'insiste pas sur la théorie
de ces bruits qui trouve ailleurs son explication {l'oy. AiXÉjjie, Chlorose,
ArscuLTATioN). Leur naissance indique sûrement, quelques jours après une
large perte de sang, l'établissement de l'état hydrcmique, et souvent même
ils sont perçus du malade sous forme de sifflements rhythmiques dans la tète,
surtout lorsqu'elle repose latéralement sur l'oreiller. Souvent alors, en auscul-
tant l'œil ou la tempe, on perçoit le souffle céphalique, sur lequel le professeur
R. Tripier a justement insisté, dans ces dernières années, comme symptôme
des anémies intenses avec hydiémie.
En Idéalité, la première période de l'état hydrémique post-hémorrhagique est
marquée par un véritable état de pléthore aqueuse. Il n'y a point d'amaigi'is-
sement ; les téguments pâles et d'aspect exsangue recouvrent des masses adi-
peuses conservées. A part la céphalalgie qui, sans être continue comme dans
l'anémie aiguë, reparaît dans des circonstances qui dans l'état normal ne l'au-
raient nullement fait naître, par exemple, à la suite d'une très-vive émotion,
d'une course ou d'une ascension laborieuse, d'un choc, à part un état habituel
d'anxiété précordiale qui ne manque jamais, un malaise général et une ten-
dance à la nausée assez habituelle, avec constipation à peu près constante et
opiniâtre, l'aspect général est satisfaisant comme dans la chlorose au début.
Mais l'organisme est éminemment vulnérable; si les pertes se reproduisent
fortement au milieu de l'état hydrémique, ou si l'alimentation est mauvaise, si
elle se fait mal par suite de l'inappétence et des perversions du goût que l'on
observe quelquefois comme dans tout état d'anémie prononcée, le malade entre
dans une période nouvelle, celle de la pseudo-chlorose. Son état reproduit alors
à peu près exactement le tableau de la maladie de Varandal, même au point
de vue de l'état anatoraique du sang, comme l'a fait voir le premier llayem.
Tout l'organisme languit, la fébricule chlorotique, décrite si exactement par
mes amis II. Mollière et Leclerc {Elévation de la temp. centr. chez les chloro-
iiqiies, par H. Mollière. Soc. des sciences médicales de Lyon, 1884), se déve-
loppe soit sous le type subcontinu, soit sous le type exacerbant. Parfois la régu-
larité des époques cataméniales se trouble. Enfin, après un temps très-long et
sous l'influence d'une médication ferrugineuse appropriée ou au contraire spon-
tanément, la santé se rétablit ad integrum. Mais dans d'autres cas, malheureu-
sement assez fréquents, surtout chez les individus mal nourris et do condition
misérable qui forment la population des hôpitaux, l'état pseudo-chlcrotique
436 HfiMORRHAGlE.
aboutit, comme dans la chlorose grave, à la cachexie avec inappétence absolue,
torpeur physique et intellectuelle. Les œdèmes marastiques des membres infé-
rieurs apparaissent alors et la mort survient, soit par affaiblissement progressif,
soit par le mécanisme de l'aiiasarque généralisée : c'est la cachexie séreuse
analogue à celle qu'on rencontre dans une série d'étals graves. La convalescence
ne se fait pas; la mort est alors la conséquence, ici encore, de l'hématose
insuffisante, devenue définitive après une lutte longue et douloureuse dans
laquelle la réparation du sang est rendue impossible par le défaut de résistance
de l'organisme éprouvé par la spoliation.
llémorrhagies déplélives. A l'inverse des deux formes précédentes, les hémor-
rhagics déplélives, qui se limitent chez l'homme à des pertes de 100 grammes
à un domi-kilogramme de sang circulant, ne déterminent jamais la mort chez
l'individu sain ou peu malade, du moins par elles-mêmes et agissant en temps
que pertes de sang. Leurs effets sont absolument transitoires. Les grandes
pertes déplélives peuvent cependant (Marshall-Hall) s'accompagner d'une pé-
riode de réaction prononcée aboutissant à un état d'affaiblissement général
durable avec pâleur, oppression dos forces, sensation continue de constriction
prcslernale et souffles anémiques transitoires. Les petites pertes n'exercent au
contraire point d'effets apparents. Après l'hémorrhagie, la langue est sèche, la
soif vive, la cérébration peut être transitoii'ement incertaine, et il survient des
sueurs profuses. Mais l'appétit est conservé, le sommeil bon, et la réparation
sanguine se poursuit régulièrement sans encombre, souvent avec une rapidité
extraordinaire et dont les expériences de Laulanié rendent cependant bien compte.
C'est qu'alors rien ne vient entraver le processus régulier de la restauration du
liquide nourricier. La perte sanguine a été, dans ces circonstances, un épiphé-
nomène passager et sans aucune import;mc\
Mais dans l'état de maladie il n'en (>st plus ainsi. La perte sanguine de
500 grammes, qui, cliez un adulte sain et opéré traumaliquement par ouverture
simiile du vaisseau, n'aurait eu aucune conséquence grave, devient le point de
départ de complications souvent formidables cliez un individu de même force
initiale, mais en puissance actuelle de dotbiénentérie ou de tuberculose, pour
citer deux cas que la plupart des cliniciens ont eu souvent l'occasion d'observer
à ce point de vue. Je n'insisterai pas sur l'importance de la moindre hémor-
rhagie intestinale chez le typlioïijue, mais je citerai un cas d'hémorrhagie à dose
déplélive ayant amené, dans le cours d'une tuberculose chronique, la mort
rapide et à échéance brève, de façon que la relation de cause à effet ne puisse
faire un doute pour le clinicien. Un jeune homme prend une pleurésie sèche,
puis des indurations des deux sommets, il sort au bord de la Méditerranée par
un temps de mistral et peu après est pris d'une épistaxis abondante, difficile à
réprimer, mais non de nature à inspiier de prime abord de grandes craintes.
La fièvre survient et, moins d'un septénaire après, le malade meurt avec tous
les signes d'une généralisation de sa tuberculose à la muqueuse des bronches,
du larynx et de la trachée. C'est dans le même ordre d'idées que Yinay a dû
avouer que jusqu'ici l'on ne sait à peu près rien de la physiologie patholo-
gique générale des saignées faites dans un but thérapeutique, uniquement
parce qu'elles sont toujours effectuées de nos jours sur les individus atteints
de maladies diverses dont l'action propre vient profondément modifier les effets
que la perle sanguine aurait opérés sur l'organisme demeuré sain. Dans le
paragraphe suivant nous allons voir que des hémorrhagies encore moins impor-
IIÉMORRll.VGIE. 437
tantes que les plus discrètes émissions sanguines de type déplétif acquièrent
une importance et une valeur séméiologique encore plus grandes. Le purpura,
les éruplions hémorrhagiques et les alTections scorbutiques, sont les types du
genre.
Hémorrhagies disséminées, exanthèmes hémorrhagiques. Nous arrivons ici
à la forme la plus saisissante, mais aussi lu [ilus variable, la moins connue
dans ses causes et dans son essence, du syndrome bémorrhagique.
Dans cette forme il ne s'agit plus de pertes sanguines à sources uniques,
agissant suivant un des trois modes précités, mais d'iiémorrhagies multiples ayant
par leurs déterminations cutanées ou muqueuses pris le masque des exanlbèmes
et des énanlbèmes. Une efflorescencc bémorrhagique se montre à la peau, tandis
que fréquemment, par les surfaces muqueuses ou plus généralement épilbéliales
diverses, des fluxions hémorrhagipares mettent en train des hémorrhagies de
mode successif, comme elles le sont du reste à la peau. C'est à la fois la diathèse
-péiéchyzante et hémorrhagique des Anciens, et l'état bémorrhagique marqué
par des déperditions multiples, s'opérant par toutes les voies, et dont Lucain
traçait un sombre tableau, poussé à outrance, lorsqu'il décrivait les effets de la
morsure du serpent Iiœmorrhoïs sur les soldats de Caton, atteints bien plus
vraisemblablement de scorbut :
Sic omnia membra
Emisere simul rutitatum sanguine virus.
Sanguis ei'ant tacryraœ, qua-cumque foramina norit
IIuiDor, ab his largns manat cruor; ora ledundant
Et pjtnl;o nares, sudor rubet; omnia plenis
Membra fluunt venis, totum est pro vulnere corpus.
Luc. Pharsal., IX, 806.
Ce tableau formé par le poêle dépeint en réalité, très-collectivement, il faut
le dire, l'état de perte par toutes les voies qu'on observe parfois dans les pur-
puras hémorrhagiques, à l'exception peut-être des sueurs et des pleurs de sang,
qui ne font guère partie du syndrome de ce mode. Le syndrome des hémorrha-
gies disséminées et multiples est eu effet des plus variables, et il est rare de
voir tous les modes de perte réalisés chez un même sujet. Nous allons, dans la
description symptomatique qui va suivre, procéder du simple au composé et,
prenant les hémorrhagies multiples dans ce qu'elles ont de plus réduit, con-
duire le lecteur pas à pas aux formes que l'on pourrait appeler supérieures, si
l'on place au point culminant de la description l'état bémorrhagique satellite
des fièvres exanthématiques malignes, telles que la variole, la scarlatine, la rou-
geole ou la suette miliaiie, s'accompagnaut d'effusions sanguines par toutes les
voies et de pétéchies cutanées.
Ainsi que nous l'avons vu déjà au cbai)ilre de la pathogénie, dans les hémor-
rhagies disséminées du mode exanthématiqiie, la source de déperdition n'est
plus unique; elle est multiple et un grand nombre de réseaux capillaires
sanguins sont en même temps, et ordinairement dans des systèmes anatomiques
identiques ou similaires, le siège d'un effort hémorrhagipare cpi, en réalité,
s'opère en vertu d'une poussée congestive hors de proportion avec la résistance
des vaisseaux. Ces termes traduisent du reste exactement celui de molimen
hemorrhagicum familier aux anciens auteurs, et qu'on a cliangé récemment
pour celui à'angionévrose, qui n'est pas lui même beaucoup jdus clair que la
force catalylique des chimistes. Un effort congestif disséminé, de nature
438 HÉMORRHAGIE.
évidemment fluxionnaire, puisque sur nombre de points il aboutit seulement à
l'œdème, se produit alors à la manière du rheitma d'Alexandre de Tralles.
Flux vers les surfaces épithéliales (peau, muqueuses, cavités articulaires); flux
vers les espaces interorgarniques (tissu cellulaire sous-cutané ou intermuscu-
laire); enfin et plus rarement flux vers les membranes séreuses vraies, dépen-
dantes de la cavité pleuro-péritonéale ou de ses cloisonnements : telle est la
répartition ordinaire de cet ordre de mouvements hémorrhagiques aboutissant,
sur les points vascularisés, à des effusions sanguines distantes les unes des
autres, sur les points qui ne le sont pas, comme l'endocarde, à des lésions
forniatives consécutives à l'œdème congestif et analogues à celles du rhuma-
tisme vrai, de la fièvre rhumatismale.
Mais à cette similitude de distribution des localisations s'arrête l'analogie du
processus que nous décrivons avec le rhumatisme vrai, celui qui cloue au lit
avec une fièvre ardente d'abord, ensuite sudorale, avec des manifestations
articulaires ou viscérales, les malades prédestinés par leur constitution et qui
auront fatalement des récidives du même mal, agissant chroniquement à la fois
sur les articles et sur l'endocarde pour y former des lésions persistantes. A vrai
dire, le rhumatisme légitime n'est qu'un cas particulier des affections à mani-
festations fluxionnaircs disséminées et multiples; il fait partie d'un groupe de
maladies à tendances similaires, rien de plus. Il n'est pas la scarlatine qui a
ses manifestations cardiaques, séreuses et articulaires, pouvant aboutir aux
mêmes conséquences chroniques; il n'est pas la blennorrhagie, affection rhuma-
togène à titre égal; il n'est pas la septicémie légère, qui détermine aussi des
localisations fluxionnaircs sur les séreuses articulaires, les séreuses splanchniques.
Le poi^on n'est pas le même, et la preuve est faite pour la septicémie et la
chaudepisse, dont on connaît les contages figurés, spécifiques l'un et l'autre;
les effets sont analogues, si on les prend en masse, mais différents, si on les
analyse. Le rhumatisme aigu et la septicémie sont tous deux capables do créer
des lésions cardiaques, soit l'insuffisance mitrale par endocardite déformante.
J'ai suivi déjà bien des rhumatisants, je n'en connais aucun dont l'endocardite
n'ait été progressive, ne soit devenue lésion d'orifice prenant à un moment
donné le pas en tant que maladie du cœur. Je connais depuis vingt ans des
septicémiques guéris et porteurs d'énormes lésions mitrales qui ne donnent lieu
à aucun accident. L'un d'eux fut mon camarade d'internat, le plus infatigable
gymnaste que j'aie connu, malgré uu souffle mitral perceptible à distance, et
qu'il porte encore sans accident aucun imputable à une maladie du cœur. Toute
cette discussion était nécessaire, car en abordant l'histoire clinique des liémor-
rhagies disséminées et de forme exanthématique nous entrons ipso facto dans
la question de leurs relations avec ce que l'on a nommé la diathése rhumatis-
male, mot qui suppose une sorte de grand souffle morbide régnant sur une
série de manifestations disparates, et les reliant dans une seule et même expres-
sion diathésique dont nous allons sous peu avoir à discuter la réalité.
Les hémorrhagies multiples que nous décrivons ont toutes leur expression à
la peau par des lésions pétéchiales disséminées. On entend par pétéchies des
taches hémorrhagiques, ne s'effaçant pas sous le doigt ni par la tension forte
de la peau entre deux doigts exerçant leur traction en sens opposé, petites ; les
pétéchies sont rondes, ou légèrement ovalaircs, festonnées sur leur marge à la
coupe. Elles siègent ordinairement concentriquement au point d'insertion d'un poil
follet. Elles passent par toutes les phases de l'hémorrhagie, sanglantes d'abord
HÉMORRHAGIE. 439
€l purpurines, elles virent au bleu pourpré, puis entrent dans la phase éphé-
lidienne on eWes sont semblables aux macules pigmentaires d'origine solaire;
enfin, elles s'effacent après s'être réduites à des traces fauves à peine percep-
tibles. Parfois elles s'accompagnent d'une légère papulation souvent prurigineuse
[lichen hémorrhagiqiie). Les dimensions maxima des pétcchies sont l'aire de
l'ongle de l'index ; au delà de ces dimensions elles deviennent, en terminologie
cutanée, des ecchymoses ; quand elles sont étendues en traînées ou en vergetures,
elles prennent le nom de vibices, et enfin, quand sous une ecchymose existe une
collection sous-cutanée ou sous-muqueuse de sang épanché dans le tissu con-
nectif lâche, on lui donne le nom à.' ecchymome . Dans certaines circonstances,
une pétéchie ou une hémorrhagie diffuse de la membrane, qui toujours alors
est du type malpighien (peau-muqueuse bucco-œsophagienne, etc.), est sur-
montée d'une bulle à contenu hémorrhagique. Les pustules vraies elles-mêmes
peuvent être envahies par le sang. Telles sont les diiférentes modalités qu'on
observe dans les exanthèmes hémorrhagiques, la forme huileuse ou pustuleuse
appartenant exclusivement à l'ecloderme et à ses dérivés demeurés épithéliaux.
1° Exanthèmes hémorrhagiques d'origine cachectique. Un exanthème
hémorrhagique à petites macules discrètes siégeant sur les membres surtout
inférieurs apparaît souvent au cours des états cachectiques. Les macules
naissent par poussées discrètes, sans fluxions prémonitoires du cou, des articula-
tions, ordinairement du moins. Le purpura senilis, celui des tuberculeux
cachectiques sans albuminurie, des cancéreux, des individus minés par les
affections intestinales chroniques (Hénoch), ne s'accompagnent guère de sym-
ptômes qui leur soient propres. Ils ne constituent, en tant qu'hémorrhagie,
qu'une déperdition tout à fait négligeable, sans effet aucun sur le fonctionne-
ment général de la circulation. Ils sont bornés à la peau de certaines régions et
n'ont qu'une importance purement pronostique. Leur apparition, au milieu
d'un état d'asthénie commandée par d'autres causes, et qu'ils n'influencent pas
sensiblement, indique à peu près constamment un état grave, et c'est là, en
réalité, ce à quoi se réduit leur histoire.
2" Hémorrhagies disséminées de cause toxique. Là encore le syndrome
hémorrhagique est borné à son expression cutanée Le purpura iodique (Four-
nier, Auspitz), satellite de l'ergotisme (Lailler), de l'intoxication par les vapeurs
benzoïnées (T. Fox), se limite aux membres et ne s'accompagne ordinairement
d'aucun phénomène particulier. Il indique seulement un degré d'imprégnation
de léconomie par le poison arrivé au voisinage de son apogée, et sa constatation
doit dans la majorité des cas servir d'indication formelle soit à la modération
dans l'administration de l'agent thérapeutique, soit à l'introduction des mesures
d'hygiène préventive, s'il s'agit d'une intoxication professionnelle.
La tendance aux hémorrhagies disséminées que l'on observe à la suite de la
morsure de certains serpents est encore d'origine toxique, mais ici il s'agit d'un
venin, d'une substance animale peut-être de l'ordre des plomaïnes et qui, dans
certaines circonstances, paraît agir en mettant en train la tendance aux mouve-
ments fluxionnaires à déterminations multiples aboutissant à l'hémorrhagie.
Ces manifestations établissent un lien naturel entre les hémorrhagies multiples
développées par les cachexies et les toxémies, et celles qui ressortissent aux
états morbides qui vont maintenant nous occuper.
0" Hémorrhagies disséminées du type rhumatiforme. Manifestations
hémorrhagiques liées à la péliose. Nous n'avons pas à faire ici l'histoire du
440 IIÉMORRIIAGIE.
purpura successif, mais à insister sur son allure générale clinique considérée
dans son ensemble et dans ses variétés les plus importantes. Lorsque l'iiémor-
rhagie cutanée va se produire, elle est annoncée par une série de symptômes.
Ordinairement un mouvement fébrile léger, ou simplement un état général de
lassitude extrême, d'inertie musculaire, d'inappétence et d'insomnie, accom-
pagnées d'une tendance extrême à la tristesse; bref, les signes plus ou moins
majjifestes d'une dépression physique et morale (Lewin) : tels sont les prolégo-
gcmènes les moins inconstants du mal. A ce moment, la période de fluxion
douloureuse préhémorrbngique prend naissance. Des douleurs parfois légères,
parfois aussi vives que celles du rhumatisme aigu, se font sentir dans les princi-
pales jointures et plus communément dans les genoux, les articulations tibio-
tarsicnne ou médio-tarsienne, le long des gaines tendineuses, du fascia lala,
ou enfin, mais plus rarement, dans toutes les jointures. Ces dernières se gonflent
souvent comme dans le rhumatisme, mais pas d'une manière constante; la
peau qui les recouvre n'est pas envahie par l'érythème lisse. Bref, il existe un
état de fluxion douloureuse dans les régions qui vont devenir le siège des
hémorihagies disséminées sur la peau, mais qui ne reproduit qu'exceptionnel-
lement les caractères de la fluxion rhumatismale légitime, comme l'ont montré
H. MoUière et Perroud. Au bout de douze à vingt-quatre heures, la période
hémorrhagique commence, et l'exanthème pétéchial se distribue sous forme de
macules de dimensions variables, avec prédilection pour les jambes, les cuisses,
la région fessière, l'abdomen, plus rarement les bras. La paume des mains
et la plante des pieds sont ordinairement respectées, ainsi que la face; il existe
cependant des cas de purpura absolument généralisé. Cette distribution, on le
voit tout de suite, leproduit à très-peu près celle de l'érythème polymorphe
d'Hébra, qui, à bien des points de vue, offre avec la péliose des points de connexion
et d'ordre tel, que certains dermatologistes, parmi lesquels Kaposi [Leçons sur les
jïialadies de la peau, édit. française), font des deux dermatoses de simples
variétés d'un mal identique. Quoi qu'il en soit, avec l'éruption se termine la
poussée, formée des trois termes successifs que nous venons d'indiquer : dépres-
sion initiale, période arthralgique, période pétéchiale. A moins qu'il ne
s'agisse de cas graves, la fièvre tombe alors ; les douleurs articulaires s'atténuent,
puis disparaissent ; l'exanthème hémorrhagique subit les phases de l'ecchymose
et prend le caractère éphélidien. Mais ordinairement aussi chaque atteinte se
compose de poussées successives semblables entre elles et séparées par des inter-
valles rarement rapprochés à la distance d'un ou deux jours, plus souvent
espacés d'un demi-septenaire ou d'un septénaire entier. C'est ainsi que le
purpura successif, le plus ordinaire, évolue dans l'espace de trois à six semaines.
De telle façon que, sur un même sujet, on voit réunies les unes à côté des
autres des ecchymoses évoluées et devenues éphélidiennes, des ecchymoses
bleuâtres ou rouge foncé, des pétéchies récentes enfin, qui chacune, par le
degré de transformation qui leur est propre, marquent l'époque de chaque
poussée d'âge différent auxquelles elles appartiennent.
Souvent, sous cette forme, si semblable à l'érythème polymorphe, récidivant
comme lui, chez le même individu, au printemps et à l'automne, et qui comme
lui reconnaît pour principaux facteurs étiologiques : le froid humide, le séjour
et surtout le confinement dans des milieux putrides, la fluxion articulaire, dont
j'ai eu l'occasion de constater la nature en tant qu'hémorrhagie élective, et
l'exanthème pétéchial, ne sont pas les seules expressions du mal. Des hémor-
llÉMORUllAGIt:. 441
rhagies multiples se produisent, principalement du côté du rein, également
sous la forme incomplète ou élective, comme dans les articulations. L'urine
devient albumineuse et doit celle réaction à des globules sanguins plus ou
moins nombreux. Des purpuras successifs d'une longueur extrême, durant des
mois ou des années, sont de la sorte marqués par l'alternance des poussées pété-
chiales avec les poussées d'albuminurie (Kaposi), ou les hémorrhagies électives
par voie rénale coïncident avec chaque manifestation arthralgique et exanthé-
matique (H. Mollière).
Chez certains malades, l'habitude hémorrhagique s'établit à partir d'un
certain moment, parfois chez les femmes à l'époque de la puberté : dès lors,
plusieurs fois par année ou même régulièrement à chaque époque cataméniale,
une poussée purpurique avec arthralgie s'établit, et les règles coulent d'une
façon démesurée; il y a à la fois ménorrhagie et hémorrhagie disséminée sur le
tégument. Dans un cas que j'observe en ce moment dans mon service, cette
habitude des poussées purpuriques cataméniales s'établit à l'âge de douze ans,
et les éruptions de pétéchies confliientes se succédèrent, entées les unes sur les
autres, jusqu'à quatorze ans, de façon à constituer un étal de purpura permanent.
Chaque échéance mensuelle était alors marquée par une épislaxis abondante à
l'excès, et qui laissait après elle une anémie pseudo-chlorolicjue marquée. La
malade ne fut cependant réglée qu'à quinze ans. Restée sujette aux épistaxis
jusqu'à vingt-trois ans, à partir de là jusqu'à trente et un ans, elle n'eut plus
ni purpura, ni hémorrhagies. Mais depuis lors les éruptions purpuriques repa-
rurent, redevinrent subintrantes et n'ont presque pas cessé depuis. Celle femme
a maintenant trente-neuf ans, ses époques se sont progressivement rapprochées,
s'accompagnent d'épistaxis répétées, sont excessivement abondantes; il se produit
parfois de véritables métrorrhagies sans rapport avec les époques menstruelles.
Elle est entrée à l'hôpital en pleine éruption purpurique et peu après a été prise
d'épistaxis répétées, véritablement spoliatrices, qui, après s'être accompagnées
des phénomènes ordinaires de l'anémie aiguë par perte de sang, et si graves
que sa vie a été tenue en suspens durant plusieurs semaines, ont déterminé un
état permanent de pseudo-chlorose dont la convalescence, coupée de petites
reprises de purpura, dure encore.
Ce fait, auquel il ne serait pas difficile de trouver des similaires dans la
pratique de chacun, devait être cité pour servir de type à cette forme de péliose
que l'on pourrait appeler le purpura hémorrhagique chronique et successif.
Dans d'autres cas non moins fréquents, le caractère hémorrhagique de la péliose
accusé par des pertes multiples et par toutes les voies, par de grandes ecchy-
moses, par des épanchements sanguins intra-musculaires, parfois par l'endo-
cardite, indique l'existence de ce que l'on a nommé le purpura hémorrhagique
aigu avec arthralgies : le rhumatisme hémorrhagique de Humbert Mollière et
de Perroud, de Constantin Paul.
Enfin, et c'est là principalement sur quoi les auteurs qui font rentrer la
péliose dans le cadre des maladies rhumatismales au point d'en faire un cas
particulier du rhumatisme vrai, du rhumatisme articulaire aigu, c'est que
.parfois le purpura se monire chez des rhumatisants avérés, soit pendant le
cours, soit dans les intervalles des poussées rhumatismales aiguës, soit enfin
chez d'anciens rhumatisants porteurs de lésions cardiaques. Mais avec E. Besnier
{voy. art. Rhumatisme, p. 612) je suis d'avis qu'il y a lieu de repousser éner-
giquement cette manière de voir, et je pense qu'il y a abus à rattacher au
442 UÊMORUHAGIE.
rhumatisme primitif une affection uniquement parce qu'elle présente dans
son cours quelque localisation articulaire ou même cardiaque. Assurément cer-
tains individus, les arthritiques, sont constitués de telle façon que des causes
multiples, qui chez d'autres n'auraient pas eu la même action, deviennent chez
eux capables de mettre en train une série de mouvements fluxionnaires ana-
logues à ceux qui forment le caractère majeur de l'entité morbide à laquelle
on devrait réserver le nom de fièvre rhumatismale, de rhumatisme aigu, mais
à part cela, dans les soi-disant rhumatismes scarlatineux, puerpéral, blennor-
rhagique, hémorrhagique, l'analyse clinique et anatomo-pathologique, l'étiologie,
permettent de trouver des différences au moins de même ordre que celles qui
séparent les différentes variétés de roséole les unes des autres, l'exanthème de
la scarlatine, de la variole, de l'érysipèle et de la brûlure entre eux. Non-seule-
ment, dans le purpura arthralgique, existent les hémorrhagies entièrement
•étrangères au processus du rhumatisme aigu, mais je puis dire que l'épanche-
ment des articulations et des bourses séreuses est, lui aussi, tout différent de
l'épanchement rhumatismal , il est hémorrhagique toujours à nn certain degré.
Le liquide renferme une quantité plus ou moins grande de globules rouges. La
congestion fluxionnaire qui, dans le rhumatisme aigu, aboutit à un épancheraent
de sérosité citrine, détermine ici une hémorrhagie élective, analogue à celle
qui crée l'albuminurie, analogue aux suintements sanguins des muqueuses. J'en
ai eu en particulier la preuve dans un cas oîi, une bourse séreuse sous-cutanée
ayant fortuitement suppuré au cours d'un érythème noueux à caractère pélé-
•chial, le contenu anormal de cette poche fut trouvé formé par un véritable
abcès sanguin. De plus, les lésions cardiaques sont rares et elles ne donnent
guère naissance à des maladies d'orifices progressives. Les arthropathies sont
elles-mêmes mobiles, fugaces, ne reproduisant par aucun trait, comme le fait
judicieusement remarquer Besnier, les caractères bien connus des arthropathies
du rhumatisme aigu proprement dit.
S'il est un état morbide dont il faille au contraire rapprocher les pélioses,
au point de les identifier souvent avec lui sur nombre de points d'éliologie, de
symptomatologie et d'évolution, c'est le scorbut {voy. ce mot). Le syndrome
clinique des hémorrhagies du scorbut et celui de la péliose présentent en effet
•des lignes générales semblables. Ici la période initiale de dépression physique
et morale et celle d'arthralgie ne manquent jamais et semblent portées à leur
maximum. « L'inactivité, dit Lind {Traité du scorbut, in-12. Paris, 1756,
p. 207), l'amour du repos, se montrent dès le début; les malades ne peuvent
surmonter la répugnance qu'ils ont à se mouvoir, ils ressentent des douleurs
générales dans tous les os, mais surtout dans les jointures des membres infé-
rieurs, dans les genoux et dans les lombes; les douleurs scorbutiques, en
général, sont très-sujettes à changer de place, et toute espèce de mouvements
les augmentent toujours. » La raideur douloureuse des tendons, le gonflement
des genoux, sont toujours, d'après Lind, des symptômes prématurés; après quoi
la période héraorrhogique commence.
Comme dans la péliose, mais plus largement, la fluxion hémorrhagipare
distribue sur le tégument des pétéchies, des eccliymoses. Les hémorrhagies
interstitielles se font même dans les masses musculaires, qu'elles solidifient et
enraidissent à la façon d'injections interstitielles de gélatine. Ces pétéchies se
succèdent par poussées. Enfin, comme dans les cas graves, aigus ou chroniques
de la péliose, surviennent les hémorrhagies par toutes les voies : celles que
HÉMORRIIAGIK. 445
signalait Boerhaave (Co?iiment. In Aphorism., in-4». Paris, 1771), « il survient
des hémorrhagies souvent mortelles par la peau môme, sans apparence de
plaies, par les lèvres, les gencives, la bouche, le nez, les poumons, l'estomac,
le foie, la rate, le pancréas, les intestins, les reins, etc. » Dans des formes
moins graves, toutes les conséquences ordinaires des hémorrhagies répétées se
produisent alors. La pâleur, la faiblesse, sont extrêmes; l'état de lipothymie
imminente devient permanent et tout mouvement brusque peut déterminer la
syncope de position. « S'il arrive aux scorbutiques, dit Forestus (t. Il, lib. XX,
obs. 2, p. 418) d'essayer de s'asseoir, aussitôt ils défaillent et tombent en syn-
cope, comme si la respiration leur manquait, et dès qu'ils se recouchent ils
reviennent à eux et respirent plus librement. » L'anxiété précordiale, si carac-
téristique de l'état post-hémorrhagique après les pertes devenues spoliatrices
par leur répétition, est constant chez les malades et empêche tout mouvement.
Cette dyspnée du mouvement avait frappé Doerhaave qui disait : Difftcitis, anhe-
losa, ad motus vel parvos, ferè deficiens respiratio {lac. cit., p. 602). Enfin,
les souflles anémiques naissent à la région précordiale et dans les vaisseaux du
cou (Andral). Cet état, s'il se prolonge, aboutit au marasme et à la cachexie
séreuse, avec œdème ; anasarque et mort par les progrès des œdèmes, ou par la
production d'épanchements pleuraux passifs, ou enfin par l'exagération de la
diarrhée coUiquative qui survient alors.
En réalité donc, le syndrome hémorrhagique, dans le purpura, n'est-ce que
le diminutif de celui du scorbut; et encore est-il des cas graves, comme celui
■({ue cite Kaposi {loc. cit., t. II, p. 72) où dans le purpura la mort survient au
milieu de phénomènes scorbutiques. Au point de vue de la pathologie générale,
nous sommes donc pleinement autorisés à rapprocher les deux affections, engen-
drées l'une et l'autre la plupart du temps par des causes analogues : le froid
humide, le confinement, l'action des matières organiques putrides, se dévelop-
pant avec un complexus similaire, marqué par des processus hémorrhagiques
du même ordre, des arthralgies de mode presque identique. Dans cet ordre
d'idées, le purpura arthralgique successif, le purpura hémorrhagique et le
scorbut, forment les termes d'une série ascendante dans laquelle les hémor-
rhagies disséminées et multiples prennent un développement progressif, arrivant
au maximum dans l'état scorbutique, véritable type clinique des hémorrhagies
d'origine fluxionnaire et s'accompagnant d'arthralgies.
4° Pseudo-exanthèmes hémorrhagiques. Dans le complexus réalisé par les
affections ressortissant à la péliose et au scorbut, les hémorrhagies, on vient de
le voir, tiennent une place considérable, aussi bien comme symptôme que par
les conséquences qui en résultent, puisque dans certains cas elles peuvent
devenir spoliatrices et déperditives, menacer directement le malade de mort ou
le tuer par leur action propre. Dans les pseudo-exanthèmes de Bazin, justement
réunis en une commune entité, variable seulement dans ses expressions, et dé-
signée par Hébra sous le nom coUecii[ d'érythème polymorphe, les manifestations
hémorrhagiques cessent de jouer un rôle important. En tant que pertes de sang,
elles n'ont plus la même valeur; le syndrome hémorrhagique est en effet nul
■dans ce cas. Le caractère hémorrhagique des efflorescences papuleuses ou hui-
leuses, disposées en forme de taches disséminées ou de lésions figurées en
cocardes ou en anneaux, et toujours sur des portions restreintes du tégument
(dos des pieds, des mains, plus rarement tronc et face), n'est jamais assez con-
sidérable pour supposer une extravasation capable de retentir sur la conslitu-
444 HÉMORRHAGIK.
lion générale du système sanguin. L'érytlième papuleux, noueux, les divers
hydroas, les éryllièmes niarginés, Jes éruptions pcmphigoïdes hémorrhagiques
développées avec fièvre, avec localisations extra-cutanées, s'accompagnant d'ar-
thralgies comme le purpura successif, et affectant comme lui un caractère
saisonnier, sont des affections très-voisines des pélioses, affectant avec elles
des liens de parenté reconnue certaine aujourd'hui : ce sont des affections ap-
partenant manifestement à un même groupe morbide. Le seul côté par lequel
l'érythème polymorphe se rattache aux hémorrhagies est la forme que prend
quelquefois la détermination rénale qui lui est propre. J'ai pu observer fré-
quemment l'albuminurie au cours de l'érytlième exsudatif, quel que soit son
mode, excepté peut-être l'érythème noueux contusiforme. Pourvu que la fièvre
soit intense, que l'exanthème faux, non contagieux et récidivant, imite dans
ses allures une fièvre exanthématique grave, telle que la scarlatine ou la rou-
geole, on est exposé à \oir se développer une néphrite avec urines troubles,
couleur de bouillon de bœuf aigri, et donnant naissance à un précipité d'albu-
mine rétractile. I/examen des sédiments montre le plus souvent alors que
l'intlammatlon rénale est accompagnée d'une bémorrhagie élective; les globules
rouges sont nombreux. Comme la fluxion cutanée, la fluxion rénale est poussée
jusqu'à l'exsudation sanguine par diapédèse. Dans quelques cas, tels que ceux
cités par Kaposi {loc. cit., t. I, p. 375), il se fait un écoulement sanguin
véritable, abondant, et qui peut devenir grave. Selon cet auteur, le même
fait aurait été observé au cours de l'érytlième noueux contusiforme, affection
qui, d'après lui, devrait toujours conduire le médecin à se méfier d'une bémor-
rhagie par le rein.
Ainsi, jusqu'à présent, nous avons constaté l'existence des hémorrhagies dis-
séminées dans les états morbides qui, en cela, mais en cela seulement semblables
au rhumatisme vrai, ont pour caractère particulier de s'accompagner de mou-
vements fluxionnaires mobiles frappant à la fois les surfaces revêtues d'épithé-
lium, les séreuses articulaires dont la constitution anatomique est analogue, et
certaines séreuses. Le premier groupe est celui des pélioses arlhralgiques; le
second, celui des pseudo-exanthèmes non transmissibles d'individu à individu,
infectieux peut-être, mais certainement non contagieux. Dans ce second cas le
syndrome hémorrhagique est en réalité annulé la plupart du temps, sauf dans
son expression extérieure et pour ainsi dire optique, celle qui fait constater la
nature hémorrhagique des lésions élémentaires des divers ordres. 11 n'en est
plus de même dans lespyrexies exanthémaliques véritablement contagieuses, dont
les types sont fournis par la variole, la rougeole et la scarlatine. Les formes
hémorrhagiques de ces fièvres ont au contraire, et au plus haut degré, un carac-
tère spécial que les cliniciens ont tous, et depuis bien longtemps, considéré
comme étroitement lié à la gravité, à la malignité de la maladie.
5" Exanthèmes hémorrhagiques. Fièvres e'ruptives hémorrhagiques mali-
gnes. Dans certaines circonstances dont la détermination exacte nous échappe
absolument, mais qui coïncident toujours avec un état d'intoxication de la plus
haute gravité, les exanthèmes fébriles contagieux: la variole, la scarlatine, la
rougeole et aussi la suttte miliaire (Morlon), s'accompagnent d'un complexus
hémorrhagique. Ces maladies prennent le t]'^e pétéchysant (Compendium). On
voit alors les eftlorescences qui leur sont propres devenir hémorrhagiques, ou
être précédées ou suivies d'hémorrhagies par diverses voies. La variole hémor-
rhagique, variole maligne sanglante (variolse snnguinex), peut être prise à bon
HÉMORRHAGIK. 445
droit pour type et mérite d'attirer l'altentioa [voy. Variole) à ce point de vue.
Lorsque les manifestations cutanées diverses de la variole prennent le carac-
tère hémorrhagique, et que se produisent des perles de sang par les surfaces
muqueuses, le médecin peut élre assuré qu'il est on présence d'un état grave.
Cette règle de clinique demeure même vraie quand il s'agit de l'exantlième pré-
curseur de l'éruption variolique auquel on a donné le nom de rash {roy. ce
mot). Le caractère de l'exanthème prodromique est d'être polymorphe; il est
constitué par des érythèmes ou lisses ou figurés, parfois orties et même vési-
culeux par places. Souvent, et surtout chez la femme, il est mélangé de pétéchies
et la tendance hémorrhagique s'accuse en même temps assez fréquemment par
l'apparition des règles, qui avancent sur leur époque et sont rendues plus abon-
dantes par le fait de la maladie : phénomène que Gubler comparait à l'épistaxis
prodromique des fièvres graves. Lorsque ces pertes sont très-abondantes et que
l'éruption pétéchiale se fait par poussées réitérées, le rasli, au dire d'ilébra,
constitue un prolégomène de variole grave, mais cette assertion ne peut être
prise dans un sens absolu, car, le polymorphisme de l'éruption prodromique de
la variole étant connu, l'apparition de lésions hémorrhagiques parmi les autres,
à moins que ce phénomène ne soit en effet très-intense, ne me paraît pas devoir
comporter un pronostic sensiblement plus grave que ne l'est celui que fournit,
dans l'érythème polymorphe d'Hébra, l'apparition de l'élément hémorrhagique
dans les lésions élémentaires si variables de cette affection. Cela dit, nous avons
maintenant à considérer les caractères particuliers au syndrome hémorrhagique
du mode disséminé: 1" dans les varioles hémorrhagiques ; 2" dans les hémor-
rhagies liées aux varioles autres que la variole maligne et que l'on pourrait
appeler hémorrhngies varioleuses.
a. Les varioles hémorrhagiques sont celles dans lesquelles les hémorrhagies
disséminées, exanthématiques ou produites par des localisations sur les muqueuses
(exanthèmes) ou les parenchymes divers, tiennent le premier rang parmi les
symptômes et dominent la scène morbide tout entière. La tendance aux hémor-
rhagies prime tout et a fait admettre par la majorité des auteurs classiques
l'existence, dans ce cas, d'une sorte de décomposition du sang, notion à laquelle,
depuis les travaux de Weigert, on a substitué la notion de l'intoxication du sang
par des schizophytes, en même temps qu'on faisait intervenir dans la formation
de toutes les lésions éruptives ou autres la présence de colonies parasitaires
constituant des embolies infectieuses. Bfen que jusqu'à présent, il faut le dire,
on soit encore très-peu avancé dans la connaissance du mécanisme intime des
lésions et qu'à vrai dire on ignore pourquoi ici elles restent pustuleuses, tandis
que là elles deviendront hémorrhagiques, il n'en est pas moins vrai que, clini-
quement, la tendance aux hémorrhagies multiples indique à n'en pas douter une
infection totale, profonde, et contre laquelle l'organisme est d'ores et déjà inca-
pable de lutter.
Le synJrome hémorrhagique, dans cette forme de variole, maligne entre toutes,
se présente à l'observateur avec trois modalités dont les deux premières sont
excessivement rares : le purpura variolique, qui paraît le mieux répondre à la
variole éiysipélateuse de Morton, à la variole morbilleuse de Borsieri, occupe dans
celle triade le premier rang en tant qu'état hémorrhagique grave. C'est aussi, et
heureusement, la moins fréquente des formes hémorrhagiques de la variole. A
peu près aussi peu fréquente, mais presque aussi grave, est la forme pustuleuse
hémorrhagique confluenle. Enfin la fornie pustuleuse hémorrhagique semi-con-
446 IIEMORRHAGIE.
fluenteou discrète, la confluente putride de Ilaller, occupe le troisième rang dans
l'ordre de la gravité, le premier dans l'ordre de fréquence.
1" Le purpura variolique, bien décrit par Kaposi [loc. cit., t. I, p. 320),
apparaît ordinairement au quatrième jour, à partir du début de la maladie, au
milieu des symptômes ordinaires d'une variole grave et au cours d'une fièvre
intense. Le tégument se couvre alors d'une efflorescence d'un pourpre foncé,
accompagnée d'œdème congeslif, tout comme dans l'érysipèle {variole érysipé-
lateuse, Morton) ou la rougeole confluente (F. morbilleuse, Morton, Borsieri).
La rougeur est cependant diffuse et occupe le visage, ce qui, avec les phéno-
mènes généraux et la douleur lombaire, devenue exacerbative, déchirante, et qui
absorbe à elle seule toute l'attention du patient, ne permet pas de rapporter
l'exanthème pourpré à un érysipèlc ou à une rougeole. Bientôt et très-rapide-
ment les hémorrhagies cutanées paraissent, comme si sur une multitude de
points la congestion, devenue excessive, triomphait de la résistance des petits vais-
seaux. La conjonctive, de la cornée à l'angle interne ou externe de l'œil, est tra-
versée par une ecchymose en forme de triangle ou de sablier. Sur le tronc, le
bas-ventre, les membres, apparaissent des pétéchies lenticulaires ou ponctuées,
d'un pourpre violet et ne s'effaçant pas sous le doigt, tandis que la rougeur
congestive qu'elles couvrent de mouchetures s'efface par la tension de la peau.
Rapidement ces taches deviennent extensives comme des gouttes d'huile semées
sur un papier à filtrer (Kaposi) ; en quelques heures elles s'étalent, se confon-
dent, confluent en grandes plaques ecchymotiques lisses analogues aux ecchy-
moses de position des cadavres. En même temps de nouvelles macules hémor-
rluigiques naissent dans les intervalles des premières, s'étendent à leur tour. Les
muqueuses du type malpighien deviennent le siège d'une série d'éruptions
hémorrhagiques analogues. Parfois la conjonctivite devient entièrement sanglante
et la cornée semble entourée d'un chémosis hémorrhagique. La muqueuse
buccale, celle de la gorge, celle de la vessie, deviennent aussi le lieu de poussées
hémorrhagiques analogues. Le malade rend du sang par les narines, par les
urines, il a la bouche sèche, fuligineuse et sanglante, crache le sang en pelotons
fétides ou tout pur. Des selles sanguinolentes ou véritablement mélaeniques, des
pertes utérines chez les femmes, surviennent alors. Et signa in pejus ruunt,
donec anima deficiat, comme le disait Arétée des symptômes du croup. En peu
d'heures, douze, vingt-quatre, trente-six heures au plus après l'apparition de la
rougeur diffuse, en même temps que l'extravasation du sang se fait partout à la
peau, dans les parenchymes, jusque dans les gaines lamelleuses des nerfs
(Neumann, Zuelzer, Kaposi) et par les surfaces épilhéliales du tractus digestif
ou des voies urinaires, on voit succéder à l'anxiété douloureuse, à l'énorme
dyspnée du début, un état d'obnubilation intellectuelle, de stupeur. La respiration
devient irrégulière, le pouls petit, filiforme, la sterteur survient et le malade
meurt couvert de vergetures hémorrhagiques comme un cadavre, l'écume san-
glante à la bouche. Telle est l'évolution pour ainsi dire foudroyante du mal. Le
syndrome hémorrhagique est ici marqué par une sorte de fuite du sang en des
points et par des voies multiples, mettant pour ainsi dire en instance continuelle
d'ecchymose l'organisme entier. Avant que l'exanthème pustuleux caractéristique
ait apparu sous sa forme prépustuleuse, la terminaison fatale est arrivée. D'autres
fois, dans les dernières heures de la vie et tandis qu'encore « une efflorescence
érysipélateuse se manifeste sur différentes parties du corps, la face se couvre tout
à coup d'un nombre prodigieux de pustules qui naissent tumultueusement en
HÉMORKHAGIE. 44T
uneseulefois » (P.Frank, Traité de méd. pratique, 1. 1, p. 285, in-4», Paris, 1842).
Dans des cas encore plus rares, puisque dans toute ma pratique je n'en ai
observé qu'un seul, dans le service de mon maître Cii. Lailler (salle Saint-
Louis, 1870, à riiôpilal Saint-Louis), le purpura variolique affecte les allures d'une
pélipse rhumatismale ordinaire. Dans le cas que j'ai observé il s'agissait d'un
homme de quarante-cinq ans, alcoolique, dont les membres et une partie du
tronc se couvrirent en une seule poussée de pétéchies de la largeur de l'ongle,
nombreuses, mais non conflucntes. Le quatrième jour après cette éruption
l'homme, qui souffrait des jointures, mais surtout des lombes, avec une fièvre
modérée, est pris dans la nuit d'une rougeur diffuse de tout le corps, avec vomis-
sements, température de 4i», 5 et anxiété précordiale et dyspnée terribles. Auzias
Turenne, qui assistait à la visite, diagnostique une rougeole maligne. Le malade
meurt à midi, et dans la soirée, en visitant son cadavre au dépôt des morts, je
constate l'existence sur la face et sur toute la peau de la papulation serrée
caractéristique de l'éruption variolique à son début. Voici donc une variété de
variole maligne tuant en moins de douze heures et où le purpura, qui d'ailleurs
n'avait rien de commun avec un raxh ordinaire, a affecté le caractère d'exan-
thème hémorrhagique précurseur: de purpura prévariolique malin.
2" La variole confluente hémorrhagique a des allures tout autres. Dans le
purpura variolique, les héniorrhagies exanthématiques et disséminées appar-
tiennent à la période du mal antérieure à l'éruption varioleuse, à l'apparition
des pustules et de la papulation qui les précède. Le syndrome se résout en un
effort congestif intense et général, semant partout les héniorrhagies ponctuées.
Dans la variole confluente hémorrhagique, la fluxion hémorrhagique ne précède
plus, elle accompagne l'éruption typique ; elle introduit dans sa lésion élémentaire
l'élément hémorrhagie. Dans cette forme, précédée ou non d'un rash qui peut
être congestif ou partiellement hémorrhagique, et au milieu de symptômes géné-
raux graves, au troisième ou au quatrième jour de l'éruption, cette dernière est
annoncée par des douleurs lombaires plus aiguës et par des douleurs dans la
continuité des membres inférieurs. Un œdème dur donnant au tégument des
jambes, des cuisses, de l'hypogastre, la dureté de la cire ou du bois, se produit
alors, et le premier indice de papulation apparaît par un état chagriné de la peau,
que le doigt superflciellement promené sur le tégument fait aisément sentir.
Les élevures qui donnent cette sensation chagrinée sont innombrables, confluentes,
forment chacune une petite nouûre dans le derme, nouùre empâtée dans l'œdème
dur étendu en nappe. Au second jour de l'éruption, chaque nouùre minuscule
apparaît avec un caractère hémorrhagique comme une pétéchie noueuse pro-
fonde, d'un bleu noir, vue par transparence à travers les couches supertîcielles
translucides du tégument cutané. En même temps que les pustules lèvent, ces
hémorrhagies s'agrandissent, confluent, forment des nappes ecchymotiques à relief
chagriné et à grains de plus en plus gros. Sur d'autres points où les pustules
hémorrhagiques sont moins confluentes, des pétéchies intercalaires, extra-pustu-
leuses, des taches de purpura vrai, extensives comme celles du purpura vario-
lique, prennent naissance et s'étendent rapidement. C'est évidemment là la pre-
mière variété de variole hémorrhagique décrite par Mead en ces termes : « Vidi
« enim cum in ipso morbi principio tubercula minuta, sanguine atro turgida,
« reprsesentarent, qualia in cute forcipe compressa evenire soient. Has autem
« macula; purpureaîque interspersse, cujusmodi in vera peste describunt medici,
« mox exceperunt. Saepius autem accedit ut pustulse confertim erumpentes
4i8 IIÉMORRIIAGIE.
« tertio vel quarto post die, cum jam maturescere deberent, lividaî et subcruentae
« évadant, maculis nigris per totum corpus sparsis; quaî intra diem unum, aut
« alterum, morteni adventantem prœnunliant. Ha; enitn verœ sunt grangrenae.
« Sœpissime hoc teinpore sanguis tenuis non ex ore tantum, naribus et oculis
« émanât, sed per cunctos etiam corporis meatus, maxiineque urinœ itijiere
« perfluit, quo etiam primis a^gritudinis diebus nonnunquam egreditur. De
« génère confluentium bas esse variolas ipsis oculis patescit » (Mead, Opéra
medica, t. I, lib. de varlolis et morbiUis, p. 18-19. GcettingiE, 1848). Le
nom de variole confluente hémorrhaç/ique de Mead doit donc être réservé à
cette forme, dont la terminaison s'effectue avec les mêmes pbénoraènes réaclion-
nels que dans la précédente, mais où le syndrome hémorrbagique est différent
parce qu'il est le salcllite de l'éruption conduenle, qu'il marque de son cachet et
qu'il accompagne, au lieu de se manifester prématurément et d'empêcher la pro-
duction de l'ellloresccnce typique en prenant sa place, et en amenant la mort
avant que l'éruption variolique ait eu le temps de se manifester ni même le plus
souvent de s'indiquer par une ébauche de papulation.
5° Variole hémorrhagique semi-confluente . Confluente hémorrhagique
putride de IJaller. Dans celle troisième forme, le mouvement hémorrhagique
est non plus isochrone, mais postérieur à l'éruption pustuleuse. C'est vers le
second ou le troisième jour de celte dernière, lorsqu'elle est formée, que les pré-
pustules ou les pustules déjà parfaites se remplissent de sang, et que les nou-
velles pustules (jui naissent au fur et à mesure que l'éruption se poursuit sur
le corps prennent le caractère hémorrhagique, en même temps que des taches
de purpura ou des exanthèmes miliaires prennent place dans les intervalles des
pustules. Les cracliements de sang, les hématuries, etc., naissent alors, et la
mort survient en vingt-quatre ou quarar.te-huit heures. Parfois même la ten-
dance hémorrhagique se manifeste à cette époque de l'éruption dans des varioles
en réalité peu coniluentes et en apparence peu graves. Sans exacerbation des
douleurs lombaires ni de l'anxiété générale, les hématuries ou des épistaxis se
produisent, l'intelligence restant nelle et la fièvre modérée. Mais les pustules
hémorrhagiques se llétrissent au lieu de su[qiurer, elles sont sèches et siliqueuses,
et eu peu d'heures un état typhoïde survient qui tue le malade. A la rapidité
près, les trois formes de variole hémorrhagique amènent donc la mort, les deux
premières fatalement, la forme purpurique tuant avant le quatrième jour, la
forme confluente du quatrième au cinquième, la semi-confluente avant la période
de suppuration. Au point de vue séméiolique, le syndrome hémorrhagique dans
ce cas reste donc en réalité identique à lui-même. Il est la marque d'une intoxi-
cation sans remède, maligne, comme le disaient les Anciens.
b. Les hémorrhagies varioliques doivent être soigneusement distinguées des
varioles hémorrhagiques dont nous venons de donner, au point de vue de l'impor-
tance prise en particulier par les effusions sanguines dans le complexus morbide
général, une description sommaire que le lecteur devra compléter en consultant
l'article Variole {voy. ce mot). Le syndrome est en effet alors tout autre. Sou-
vent des varioles graves, mais non malignes, quelquefois même des varioles de
moyenne intensité, s'accompagnent d'hémorrhagies. Le malade est-il atteint de
varices ou porte-t-il l'empreinte encore maculeuse d'un Aésicatoire récent, les
pustules de ces régions, présentant des lieux de moindre résistance à l'effort
éruplif, pourront devenir hémorrhagiques, intercalées de péléchies, sans pour cela
que cet accident hémorrhagique soit l'indice d'une particulière malignité. De
IIÉMORRIIAGIE. 449
même, chez les enfants atteints de coryza scrot'uleux, la période de l'éruplion
amène des épistaxis; chez les femmes souvent, au milieu de la variole, les règles
surviennent en avance et sous forme ménorrhagique. Enfin chez les alcooliques,
les cachectiques, les vieillards, l'éruption variolique peut prendre le caractère
hémorrhagique par places. Dans ces cas les pertes de sang massives n'ont
d'autre importance que d'agir avec une intensité disproportionnée avec leur
quantité, comme dans la fièvre typhoïde, par exemple; les liémorrhagies dissé-
minées n'ont d'importance qu'en ce qu'elles révèlent un mauvais état antérieur
de l'organisme. Mais l'association seule des hémorrhagies exanthémaliques et
des pertes par toutes les voies, avec un état fébrile hyperpyrétique et une série
de symptômes réactionnels immédiatement graves et intéressant simultanément
les principaux appareils organiques, voilà ce qui caractérise le syndrome hémor-
rhagique des fièvres malignes. Nous pourrions répéter, avec les variantes sympto-
matiques qui leur sont propres, les descriptions de ce syndrome dans la scarla-
tine, la rougeole etlasuette maligne hémorrhagiques, mais nous pensons que ce
que nous venons de dire de la variole hémorrhagique, type véritable du genre et
le plus fréquemment réalisé, suffit pour bien établir la valeur nosologique et
séméiotique des hémorrhagies du même mode, soit exanthèmes hémorrhagiques,
soit hémorrhagies exanlhémaliques dans les autres fièvres éruptives [voy. Scar-
latine, Rougeole, Suette miliaire, Dengue, etc.).
Si maintenant nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur les hémorrhagies
disséminées suivant un mode éruptif, nous pouvons reconnaître que dans ce
mode le syndrome hémorriiagique reste, sa gravité pronostique variable suivant
les cas mise à part, sinon absolument identique, du moins comparable à lui-même,
si on le considère dans ses lignes. Certes, rien n'est moins comparable qu'un
purpura arthralgique successif et qu'un purpura variolique, mais tous les deux
naissant en vertu de mouvements (luxionnaires à déterminations disséminées
touchant toutes les surfaces épilhéliales, ou les pouvant toucher toutes et ayant
une prédilection pour celles des jointures, oîi elles déterminent des gonflements
douloureux, mobiles et transitoires. L'atroce douleur des jointures et de la con-
tinuité des membres dans les deux premières formes de la variole hémorrha-
gique en est bien la preuve. Si cependant on voulait faire une coupure dans le
groupe éminemment naturel des homorrhagies exanthémaliques, il conviendrait
peut-être de l'opérer en fiiveur des éruptions aptes seulement à devenir hémor-
rhagiques et à les séparer des éruptions hémorrhagiques cVemhlée. L'érythème
polymorphe poussé jusqu'à l'hémorrhagie, le rash variolique devenu pétéchial
à cause même de l'intensité de l'effort congestif qui commande l'éruption, les
exanthèmes spécifiques devenant par places, comme certaines varioles, hémorrha-
giques par une sorte d'accident inhérent non à la nature de la maladie, mais à
la violence du mouvement fluxionnairc engeufîrant les lésions cutané'îs ou
muqueuses élémentaires, n'ont en effet ni la même gravité, ni les mêmes allures
que les éruptions hémorrhagiques d'emblée et qui, par leur essence même, doivent
s'accompagner de l'extravasation disséminée du sang, sous peine de perdre leur
type propre et de n'exister pas.
Ce caractère congestif à déterminations multiples n'existe plus aussi régulière-
ment dans les hémorrhagies multiples et disséminées des pyrexies non exanthé-
matiques, c'est-à-dire qui ne s'accompagnent pas d'efflorescences typiques à la
peau comme la variole, la scarlatine et la rougeole. Dans la fièvre jaune, dans
l'ictère grave, quelle qu'en soit la cause, les tendances hémorrhagiques font
DICT. ENC. x" s. XUI. 29
450 HÉMORRIIAGIE.
partie intégrante de la maladie et, pourvu que cette dernière atteigne un certain
degré de gravité, elles apparaissent comme des éléments réguliers du complexus
morbide dans son mode intense. Ce sont là des éléments hémorrhagiques des
pyrexies non exanthématiques bien différents des accidents hémorrhagiqties de
certaines autres pyrexies. Dans la fièvre typhoïde, par exemple, à part les épistaxis
du début qui ne sont pas constantes, le processus morbide régulier de la maladie,
quelque grave qu'elle soit, n'exige pour être rendu complet, porté à son
summum même, l'existence nécessaire d'aucune hémorrhagie. L'héraorrhagie
intestinale, dont les conditions productrices et déterminantes nous sont encore
inconnues, peut en effet ou ne pas se produire ou se produire dans des cas en
apparence légers aussi bien que dans des cas graves : elle constitue donc un
simple accident, une complication, et non en réalité im membre essentiel de la
symptomatologie dotliiénentérique. Nous ne pouvons ici {voy. Fièvre jaune,
Ictère [grave], Fièvre typhoïde, etc.) entrer dans les détails absolument spéciaux
au sujet de la physionomie propre au syndrome hémorrhagique dans ces diverses
maladies fébriles. Nous devons faire seulement remarquer que, si l'on compare
les pertes sanguines effectives avec leurs effets réactionnels sur l'organisme
infecté qui en est le théâtre, an constate toujours entre les deux une dispro-
portion évidente. Des hémorrhagies qui n'auraient pas même été déplétives chez
un individu sain deviennent spoliatrices ou même déperditives chez un malade
atteint de dothiénentérie, de dysenterie, d'hépatite diffuse avec ictère. II n'existe
en effet plus alors de proportionnalité entre la perte et la résistance possible.
De là les effets de collapsus subit qu'on observe parfois pour des perles peu
massives dans la lièvre typhoïde; de là dans les pyrexies analogues le danger des
saignées larges ou répétées coup sur coup ; de là ce fait bien connu des médecins
des hôpitaux d'enfants que dans la diphthérie accompagnée de bronchite capil-
laire une ventouse scarifiée crée parfois une déperdition sanguine véritable et
hâte la mort subite quand cette même ventouse aidée par l'action de l'ipéca fait
tomber souvent net la suffocation d'une bronchite capillaire non symptomatique
d'un état infectieux ou d'une fièvre éruptive.
Nous venons de passer en revue les modalités principales du syndrome hémor-
rhagique, c'est-à-dire de l'hcmorrhagie considérée dans ses modes d'expression
divers, dans les réactions qu'elle commande sous ses formes diverses, et consi-
dérée en tant que perte, en tant qu'effusion sanguine unique ou multiple. Il
résulte de cette étude que, pour agir en tant qu' hémorrhagie et autrement que
comme un pur symptôme de valeur variable, la perte de sang doit être de
quelque importance. 11 résulte encore de là que les hémorrhagies incomplètes
ou électives, qiii en réalité ne soustraient qu'infiniment peu de chose à la masse
totale du sang, n'ont aucune valeur en tant que perles, et que leur importance
reste entièrement symptomatique : tel est le cas, par exemple, du crachat rouillé
de la pneumonie.
Y. Diagnostic général des hémorrhagies. Dans toute hémorrhagie, le
médecin peut avoir à se poser ce triple problème : Le liquide extravasé est-il
du sang? D'où vient ce sang; de quel vaisseau, de quel tissu ou de quel organe?
Quelle est la cause de l'hémorrhagie reconnue comme telle et avérée?
a. Le sang. Une plaie, une solution de continuité traumatique ou de causa
ulcéreuse quelconque donne naissance à un écoulement sanguin. Le sang artériel
aillit par un mouvement continu, avec des redoublements isochrones aux
IIÉMORRHAGIE. 4M
systoles cardiaques; le liquide est rouge de brique clair, animé; le sang colle
aux doigts, aux vêtements, à la manière des substances gommeuses. Une tache
d'un pareil sang sur une élorfe fait épaisseur, la brosse ne la désagrège pas après
dessèchement. Ce sont là des caractères connus de tous les chirurgiens et de
tous les physiologistes opérateurs et qui rendraient puéril un examen spectro-
scopique, montrant les deux bandes caractéristiques du sang oxygéné. Un pareil
sang est évidemment d'origine artérielle. Le sang est noir, couleur de vin rouge
avec nue nuance de pourpre violette, il coule en jet continu, il imbibe les
étoffes en s'élendant et colle peu à la peau. Desséché sur une pièce de vêtement,
il se désagrège sous la brosse, il s'écaille sur la peau sans adhérer. C'est du
sang veineux qui montrerait la bande unique et large de l'hcmogiobine réduite.
Un sang à caractères intermédiaires, coulant en pluie, ou qui sourd en rosée des
tissus traumatisés, ou spontanément par les surfaces libres, sera reconnu aisé-
ment pour du sang des capillaires. Dans ces trois cas, il n'y a pas d'erreur
possible, sauf lorsqu'il s'agit d'un pissement de sang. Le sang, mêlé à l'urine ou
excrété par l'urèthre de façon à paraître pur, doit être examiné au microscope,
seul juge dans ce cas en dernier ressort. Il est en effet des hcmoglobinuries
massives et très-colorées qui simulent l'écoulement vrai du liquide sanguin. Le
spectroscope serait insuffisant : il montrerait les raies de l'hémoglobine. Le
microscope montre ou ne montre pas les globules rouges, et indique qu'il y a
une hémorrhagie véritable ou une hémorrhagie fausse. Jamais en effet, si elle
altère les globules rouges jusqu'à un certain point, l'urine, quelque modifiée
qu'elle soit, ne les fait tous disparaître.
De plus, s'il s'agit d'une iiémorrhagie vraie, complète ou massive, renfermant
tous les éléments du sang, une goutte du liquide rouge, placée sur la lame de
verre, recouverte d'une lamelle et abandonnée un quart d'heure dans la chambre
humide, coagule et donne naissance à un réseau fibrineux. Rien n'est alors plus
facile que de mettre en évidence ce réseau en faisant passer par capillarité un
courant d'eau distillée sous la lamelle. Les globules sont dissous, et, si l'on
introduit, également par capillarité, de l'eau iodée ou de riodsérum,leréliculum
fibrineux apparaît comme une dentelle, avec les globules blancs et les granula-
tions élémentaires (hématoblastes de Ilayem) à ses points nodaux.
11 n'en est plus de même lorsqu'il s'agit d'une hémorrhagie élective, ou
dans laquelle le sang est mêlé à des substances qui ont pu l'altérer. Le sang
alors ne coagule plus entre la lame et la lamelle, mais il montre les globules
rouges ou intacts, ou déformés. En chauffant une goutte du liquide suspect
avec du sel marin et une goutte d'acide acétique sur la flamme d'une lampe
à alcool, on voit apparaître les petits cristaux noirs, caractéristiques, en forme
de losanges équilatéraux, qui indiquent l'existence du chlorhydrate dliématine
ou he'mine, que les globules rouges du sang, en de telles conditions, peuvent
seuls fournir.
Un pigment noir déposé interstiliellemcnt, et soupçonné d'être d'origine
hématique, se révélera comme tel par la présence des cristaux d'hémine, qui
souvent existent sans aucune manipulation, et qui apparaissent toujours par la
manœuvre précédemment indiquée quand la masse pignientaire formée par le
sang modifié n'est pas trop ancienne. Dans le cas contraire, l'anatomo-patholo-
giste aurait encore la ressource des réactions histochimiques indiquées par
Quincke [loc. cit.) pour déceler dans un pigment quelconque la présence des
albuminales ou des oxydes de fer, pieuves de l'origine hématique de ce pigment.
452 IIÉMORRIIAGIK.
L'hûmorrhagie est interstitielle, inaccessible. Sur la itoau lu niarclie bien
connue tle l'eccliymose : la coloration d'abord vermeille, puis rouge sombre,
puis verdâlre ou jaune, l'existence de ces teintes se succédant en cocarde de la
partie centrale de la lésion à la périphérie, l'ont reconnaître sur la peau l'existence
d'une liémorrhagie subjacente. Très-ancienne, cette liémoriliagie ne se marque
plus que par une éplicliile jaune, diflicilement différenciable d'une tacbe solaire,
mais que sa position et souvent le voisinage de lésions héraorrhagiques plus
récentes et moins évoluées permettent la plupart du temps de reconnaître.
Quant à l'ecchymose des muqueuses du type malpighien, telles que celles de la
bouche, du pharynx, du vagin, elle est si semblable à la fuliginosité qu'il est
nécessaire d'attendre qu'elle desquame, de prendre alors les lambeaux isolés
devenus libres spontanément, puis de les dissocier dans un sérum artificiel pour
mettre en évidence les globules rouges ou leur débris, et faire le diagnostic au
microscope ou par les réactions de l'héminc. A vrai dire, dans la majorité des
cas, cette recherche ne présente pas en clinique un grand intérêt.
Le lieu de l'hcmorrhagie, le point lésé, l'exsudat, sont non-seulement inacces-
sibles, mais pour le moment hors de vue. Tel est le cas de l'hémorrhagie intes-
tinale au premier moment de l'observation; si l'on assiste au début du processus,
en attendant le méitcna, l'on aura les signes présomptifs de riiémorrliagie que
viendra plus tard affirmer indiscutablement l'excrétion du sang. Le malade
pâlit, prend une tendance aux lypothymies de position ; si la fièvre existe, il se
produit un coup de collapsus. Les extrémités se refroidissent; le tableau bien
connu de l'état de perte, de déperdition sanguine, est réalisé; et l'on peut
supposer rationnellement alors que le sang fuit en masse sur un point de l'orga-
nisme que l'état antérieur du patient fait d'ailleurs la plupart du temps aisément
soupçonner. 11 en est de même dans les traumatismes, quand un vaisseau
inaccessible est ouvert et épanche son contenu dans les cavités naturelles quel-
conques. Le tableau clinique des héraorrhagies internes est d'ailleurs bien
connu; il est saisissant et, quand il se idéalise, il met ordinairement le médecin
très-rapidement sur la voie du diagnostic. Nous ne parlons pas ici, bien entendu,
des hémorrhagies intéressant le jeu des centres nerveux. Une hémorrhagie
ménino-ée, cérébrale, médullaire, s'indiquent, en effet, par des symptômes tout
spéciaux dans la production desquels la perte sanguine, considérée en elle-même,
joue un rôle absolument effacé, tandis que les effets mécaniques de l'effusion
de sang, agissant sur des parties qui commandent des réactions symptomatiques
de premier ordre, prennent alors le pas et conduisent directement au diagnostic
{votj. Cerveau, Miînixces, Encéphale, etc.).
b. Origine du sang. Dans les hémorrhagies traumatiques, la situation de la
lésion, rex[>loration, la compression des vaisseaux commandant la circulation
du point lésé, peuvent souvent donner un renseignement positif sur l'origine de
l'hémorrhagie, en tant qu'elle est le lésultat de l'ouverture do telle ou telle
artère. En pathologie interne, il n'y a guère que les hémorrhagies foudroyantes
dues à la rupture des anévrysmes ou aux lésions ulcéreuses gastro-intestinales
qui, dans certaines circonstances, puissent fournir des notions d'origine absolu-
ment positives. Néanmoins, il est des cas où, en dehors de la notion plus ou
moins générale qui ressort de la voie que prend le sang pour s'écouler, on est
mis à même, par l'examen attentif du produit de l'effusion, d'en indiquer
l'origine viscérale précise; nous allons donner comme exemples quelques-uns
de ces cas.
IIÉMORRIIAGIE. 453
1» Le sang sort par la bouclis; il peut venir de la bouche même, des fosses
nasales, des voies aériennes, de la portion sus-pylorique du tube digestif.
Il s'agit, bien entendu, d'un liquide ayant le caractère du sang à l'état massif
et non de stries sanguines. Le sang venu de la bouclie est incoagulable, mêlé
de salive, les narines tamponnées, la toux et la respiration suspendues; son
écoulement est exagéré par la succion. Si l'on examine la cavité buccale après
l'avoir lavée à l'eau froide, on voit la source du sang au niveau d'une ulcération
quelconque, le plus souvent à la serti'^,sure des dents. Telles sont les principales
conditions diagnostiques de la stomatorrkagie.
Le sang sort par la bouche intacte, la respiration et la toux suspendues. Le
tamponnement du cavum des fosses nasales (tamponnement postérieur) l'arrête;
il vient du nez. Un gros pinceau porté au fond de la gorge arrête l'écoulement,
le nez étant mis hors de cause par l'examen rhinoscopique après nettoiement; le
sang vient du cavum des fosses nasales, de la glande de Lacauchie (amygdale
pharyngienne), si souvent l'origine des épistaxis du début et des fuliginosités
sanglantes du cours de la fièvre typhoïde, et véritable plaque de Peyer occu-
pant la partie supérieure du piiarynx.
Dans l'hémoptysie violente, le sang sort à la fois Jpar la bouche et par le nez,
et la nausée naît en même temps. La plupart du temps le malade croit si
bien i'ohuV le sang que tous les hémoptoïques interrogés à Ihôpital accusent
le vomissement de sang comme correspondant à leur accident, le crachement de
sang répondant pour eux simplement à l'expulsion de crachats marqués de stries
sanglantes. Outre les caractères bien connus de l'expulsion : sang spumeux,
vermeil, battu avec l'air, éclaboussant le crachoir et les vêtements, le médecin
possède, pour faire son diagnostic, deux autres points de repère d'égale impor-
tance.
Le premier est l'existence dans un point du poumon, celui qui correspond à
riiémorrhagie, des râles hémoptoïques. Ces râles sont de petits craquements
fins, venant en bouffées humides, et reproduisant en une sorte d'écho le i^ediix
pneumonique. Très-limités, se réduisant de jour en jour, les râles hémoploïques
disparaissent peu après le retour de l'expectoration à l'état exsangue, et font
place ou non aux bruits anormaux fixes symptomaliques des lésions bémorrha-
gipares quand, au moment de l'hémorrhagie, ces lésions existent, ce qui n'a pas
toujours lieu, à l'état déjà distinct.
En second lieu, après toute hémorrhagie d'origine pulmonaire, pendant
plusieurs jours, le malade expectore des crachats colorés, d'abords sanglants et
vermeils, puis bruns, enfin jaune verdàlre. Une parcelle de ces crachats examinée
au microscope montre alors les globules rouges englobes dans du mucus et
rangés en files, et d'énormes cellules embryonnaires répondant à l'endothélium
alvéolaire desquamé, cellules faciles à reconnaître des globules lymphatiques
par leurs dimensions et renfermant des globules inclus ou des globules déjà
morcelés, enfin des grains de pigment, ou diffusément colorés par l'hémoglobine,
et prenant alors une teinte rouge brique caractéristique, si on traite la prépara-
tion par une solution faible d'éosine.
D'emblée les crachats sanglants de l'apoplexie pulmonaire, les crachats
rouilles de la pneumonie fibrineuse, présentent ce caractère, qui permet d'affirmer
d'une manière certaine que le sang expectoré a pris son origine en plein paren-
chyme du poumon.
Au contraire, le sang de l'hématémèse, noir et disposé en stries de place en
454 IIÉMORRHAGIE.
place dans une sorte de glaire (cancer stomacal à forme vulgaire) ou rejeté en
masse, avec l'aspect des sauces de civet, est acide et présente des globules
déformés, crénelés, morcelés, avec une absence complète de ces grandes cellules
endothélialcs alvéolaires ramenées à l'état granuleux, et à la forme ovale ou
ronde, par le processus à la fois desquamatif et irritatif qui prend naissance
lorsque le sang s'exlravase dans le parenchyme pulmonaire et y joue le rôle d'un
corps étranger. Il est à peine besoin de dire que, depuis qu'on a pris l'habitude
de faire l'examen microscopique des matières rejetées, il est impossible de
confondre les vomissements noirs d'origine hématique avec ceux qui doivent
cette coloration aux sarcines.
2" Le sang est expulsé par l'anus; il peut être le résultat d'une hémorrhagie
ayant son origine dans des hémorrhoïdes ; ce sera alors du sang pur, coagulable,
émis ordinairement lors des efforts de défécation, souillant les fèces rejetées.
L'examen par le toucher montrera l'existence d'une production hémorrhoïdaire.
Il n'existe pas d'hémorrhoïdes, le sang est mêlé de mucus analogue au blanc
d'oeuf, il existe des signes de rétrécissement rectal; on sera mis sur la voie
d'une tumeur du rectum, d'un adénome ou d'un carcinome colloïdes, ou d'un
épitliélioma : néoplasmes le plus souvent accessibles au toucher et dont fréquem-
ment des fragments enlrauiés par les efforts de défécation toujours laljorieux
pourront, si l'on prend le soin de les soumettre à l'examen microscopique, lever
tous les doutes sur la variété de tumeur cancéreuse à laquelle on a affaire. On
connaît depuis longtemps le caractère à la fois muqueux et sanglant, l'aspect
de lavure de chair des selles dysentériques {voij. Dysejxterie), nous n'y insiste-
rons donc pas. D'une manière générale, on peut faire remarquer que, le plus
ordinairement, le sang qui provient des portions de l'intestin situées au-dessous
de la valvule de Bauhin, c'est-à-dire le sang qui est le signe d'héniorrhagies por-
tant sur le gros intestin, l'S iliaque et le rectum, est émis sans avoir éprouvé les
effets de la digestion intestinale. Le mélœna, c'est-à-dire le sang noir, couleur de
sauce de civet et présentant des giobides altérés, déformés, agglomérés en masses
mijriformes, comme dans l'hématémèse d'origine stomacale, prend au contraire
son origine dans le petit intestin, le duodénum, ou n'est sorti par l'anus que
par suite du passage du contenu hémori'hagique de l'estomac dans 1 intestin
grêle. Il importe seulement de faire remarquer que, même en dehors des cas où
une hémorrhagie très-abondante s'est effectuée dans le canal alimentaire, et où le
sang, rejeté très-rapidement par l'anus, n'a pas eu le temps de subir de notables
altérations et reste rouge, avec la plupart de ses propriétés organoleptiques
ordinaires, des pertes de sang modérées, retenues pendant un temps parfois
assez long dans le petit intestin, donnent lieu "à l'émission par l'anus d'un
produit peu différent par son aspect du sang pur lorsque les fonctions digestives
de l'inleslin sont momentanément entravées. C'est ainsi que j'ai pu voir, dans
la fièvre typhoïde, le sang des hémorrhagies intestinales ne point du tout
présenter les caractères du mélœna. Il est vrai que dans un de ces cas l'autopsie
a permis de constater à l'union de l'S iliaque et du rectum une série d'ulcéra-
tions à l'emporte-pièce, les unes guéries, les autres encore en activité, et qui, ne
siégeant sur aucun organe lymphoïde analogue aux plaques de Peyer, pouvaient
être considérées comme des ulcérations ectopiques. Il faudrait donc songer à de
pareilles ulcérations lorsque, dans le cours d'une fièvre typhoïde, on voit des
hémorrhagies intestinales réitérées et peu abondantes se produire, souillant les
inges de corps exactement à la façon du sang des menstrues.
HÉMORRHAGIE. 455
5" Lorsque le sang sort par la vulve, il peut prendre sou origine dans une
rupture de l'hymen, ce dont il est aisé de s'apercevoir de suite; autrement, dans
la grande majorité des cas, il provient de l'utérus, car les affections hémorrhagi-
pares du vagin sont de véritables exceptions. 11 convient alors de faire le diagnostic
de la cause, de déterminer la lésion ou le trouble fonctionnel hémorrhagipares
[voy. Menstruation, Ménorrhagie, Utérus, Accouchement, Avortement, Métror-
rhagie). Je ferai seulement remarquer à ce propos que, pendant la pliase géni-
tale de la vie de la femme, la métrorrhagie est le plus souvent due à l'avorte-
ment, tandis qu'avant la puberté elle est le plus souvent déterminée par l'action
de maladies générales, et après la ménopause par les diverses néoplasies de
l'appareil utéro-ovarien. En cas de soupçon d'avortement, les parties solides du
sang rejeté, les caillots, les apparences de membranes, doivent être soigneuse-
ment recueillis, dissociés par l'agitation dans un verre d'eau et soumis à l'examen
microscopique. L'Iiémorrliagie abortive est en effet caractérisée d'une façon
indiscutable par la présence, au sein du liquide rejeté, des villosifés choriales
ou des débris de membranes ou de placenta. Dans plusieurs examens médico-
légaux, j'ai pu de cette façon établir, d'une manière incontestaljle, l'origine
abortive du sang expulsé par la vulve et qui, sans celte preuve décisive, pouvait
être tout aussi bien rapporté à une métrorrhagie de cause quelconque, étrangère
à l'avortement, ou encore à une dysménorrhée pseudo-membraneuse (Rames,
Soc. méd. des hôpitaux, 1873).
4° Le sang sort par le méat urinaire : il y a hématurie. Pas plus que dans les
trois alinéas précédents je ne chercherai à faire ici la séméiotique complète de
riiémorrhagie s'exerçant par cette voie {voy. Hématurie). Je veux seulement
indiquer les circonstances dans lesquelles l'examen du sang lui-même donne un
renseignement immédiat et positif sur la partie des voies urinaires qui l'a
fourni.
Lorsque le sang mêlé aux urines a son origine dans une hémoi'rhagie rénale
intra-canaliculaire, ce qui souvent a lieu dans la gravelle microscopique en
particulier, le sédiment renferme non-seulement des globules rouges libres, mais
encore de nombreux cylindres tout à fait particuliers et sur lesquels j'insiste à
dessein parce que, bien que connus, ils ne me paraissent pas avoir suffisam-
ment attiré l'attention des cliniciens : ce sont les cylindres fibrineux hémor-
rhagiqiies, véritables caillots minuscules ayant la forme des tubes droits ou
contournés, plus fréquemment celle des premiers que celle des seconds. Ils sont
formés de fibrine fihrillaire enserrant des globules rouges comme dans un
coagulum ordinaire. Toutes les fois qu'on les rencontrera, l'on pourra dire
qu'une hémorrhagie s'est effectuée en plein parenchyme rénal, et que le sang
s'est épanché dans les tubuli. Les cylindres hyalins, colloïdes, granulo-graisseux
ou hyalins épithéliaux, sont ordinairement accompagnés, dans les néphrites des
divers ordres, de globules rouges indiquant la probabilité d'une hémorrhagie
rénale, mais non une certitude absolue de l'existence de cette dernière.
Lorsque par l'urèthre sont expulsés des caillots ayant la forme des uretères,
parfois celles des papilles, des bassinets, on est en présence du inictus vernii-
formis cruentus des anciens auteurs, indiquant une pyélite hémato-fibreuse
(Ollivier) ou un trauma des uretères ayant déterminé leur réplétion avec coagu-
lation sur place : bref, on a affaire à une effusion de sang de l'uretère ou du
bassinet.
Enfin, quand les urines rouges, ou lactescentes et rosées, ou d'un blanc de
456 IIÉMORRIIAGIE.
luit, coagulent et donnent un caillot mou, caséiforme, constitué par un réseau
de fibrine élégant, enserrant dans ses mailles des globules rouges et des glo-
bules blancs, les derniers en nombre considérable que les premiers, on est en
présence d'une hémorrhngie élective du rein, d'un cas d'hématurie analogue
à celle des pays chauds et de l'ile de France, mais qui ne reconnaît pas tou-
jours cette cause exotique, car j'ai eu l'occasion d'observer, avec mon maître
Ant. Fauvel, une hémorrliagie de cet ordre chez une hystérique.
En dehors de ces trois cas, l'examen du sang sorti par l'urèthre n'apprend
rien de positif sur le siège de l'hémorrhagie, et l'on est obligé d'avoir recours
au groupement des symptômes qui accompagnent l'émission sanguine pour
établir sa valeur séméiologique.
c. Diagnostic de la cause. 11 conviendrait maintenant, une héraorrhagie
étant donnée, son siège étant déterminé, de faire le diagnostic de la cause.
Mais ce diagnostic ne peut, on le conçoit, être développé autrement que pour
chaque cas particulier. C'est donc dans les articles Stomatoruhagie, Épistaxis,
IIÉMATÉMKSE, HÉMOPTYSIE, EiSTÉnORRHAGIE, MÉTRORRHAGIE, HÉMATURIE, llÉMATI-
DRosE, Plupur.v, ctc, ctc, quc le lecteur devra naturellement aller chercher les
éléments de son instruction à cet égard.
Yl. Pronostic et traitement des hémorrhagies. Dans toute perte de sang, le
pronostic immédiat est fourni, quelle que soit la nature causale de la perte,
par l'iutensilé de cette dernière et par la façon dont elle menace ou ne menace
pas, en tant qu'effusion sanguine, la vie de l'individu. Chez un individu sain,
une hémorrhagie déplétive est sans importance ; elle en acquiert une variable
suivant les cas chez un sujet atteint par une maladie générale.
Dans une perte de sang d'abord déplétive, puis qui se poursuit, l'apparition
de la syncope de position a une valeur pronostique précise : elle indique que
très-prochainement la perte sanguine va revêtir le type spoliatif.
Enfin les prodromes de la syncope irrémédiable, celle qui annonce la résolu-
tion immédiate des forces, c'est-à-dire la mort imminente, indiquent que l'hémor-
rhagie va devenir prochainement déperditive et que. môme après l'arrêt du
sang, s'il est effectué à ce moment même, la vie du malade est grandement en
danger parce qu'il ne se rétablira peut-être pas. Dans ces conditions qui sont
celles de l'anémie aiguë, l'existence d'un état subsyncopal persistant, le main-
tien de l'hypothermie, les irrégularités des mouvements respiratoires et car-
diaques, le délire, sont autant de signes pronostiques défavorables, tandis que
l'atténuation rapide de l'état syncopal, le réchauffement progressif, l'absence
de délire, d'hallucinations ou de douleurs névralgiques atroces, le retour de
l'appétit, l'apparition des sueurs profuses et chaudes, sont ordinairement les
phénomènes avant-coureurs de la convalescence, ou du moins rendent plus vrai-
semblable le triomphe définitif de l'organisme contre la perle de sang poussée
à l'extrême.
Dans la convalescence de forme si hautement anémique qui suit les hémor-
rhagies largement spoliatrices d'emblée, ou qui le sont devenues par suite de
la répétition des pertes de sang, la persistance de l'état-pseudo-chlorotique
malgré le régime analeptique, les troubles digestifs, enfin la production des
œdèmes, constituent des signes de très-mauvais augure, car ils sont les avant-
coureurs du marasme dans lequel succombent souvent, et parfois après un long
temps à partir de la dernière perte sanguine, les malades soumis aux héinor
IIÉMORRIIAGIE.
40 <
rhagies du lype spoliateur. Tel est, par exemple, le cas des femmes épuisées par
une série de métrorrhagies symptomatiques de myomes utérins, et qui meurent
en proie à la cachexie séreuse alors que depuis plusieurs semaines elles ont cessé
de perdre du sang.
D'une manière générale, le pronostic des hémorrhagies spontanément réité-
rées et s'eftectuant par une seule et même voie est toujours plus sérieux que
celui des pertes uniques ; et plus les pertes se réitèrent, plus on doit, comme
nous l'avons déjà souvent répété dans cet article, leur accorder d'importance
au point de vue de la gravité pronostique propre à chacune d'elles prise en par-
ticulier. En effet, après les hémorrhagies du début, celles qui suivent ont une
action de plus en plus spoliatrice sur l'organisme, si bien qu'une effusion qui,
sur un individu sain, et constituant une première saignée, n'aurait eu aucune
influence appréciable, devient mortelle chez un autre d'égale force en puissance
d'anémie grave post-hémorrhagique.
Ainsi les hémorrhagies réitérées par une voie unique sont ordinairement plus
graves que les hémorrhagies qui ne se réitèrent pas ; celles qui se font simulta-
nément en un seul temps, en une môme poussée, par diverses voies, le plus
ordinairement à la peau et sur les muqueuses, ont une signification pronostique
toujours sérieuse, bien qu'à un autre point de vue. Ces hémorrhagies s'eftectuant
d'après un mode exanthématique, même quand il s'agit du plus simple purpura
artlu'algique, indiquent toujours un mauvais état de l'organisme, une dyscrasie
sanguine d'origine toxique, infectieuse ou cachecliqne, ou une sldération du
système nerveux, comme on le voit dans le purpura émotif. Quant à l'état
observé dans les fièvres malignes, dans le scorbut grave, dans l'ictère grave et
la fièvre jaune, c'est-à-dire la dyscrasie liémorrhagit|ue en vertu de laquelle le
sang fuit par toutes les surfaces, exposées ou profondes, et s'épanche même
dans les espaces interorganiques du tissu connectif, il constitue un véritable
état d'instance de perte, par tous les modes et par toutes les voies, dont, en
général, la signification pronosti(|ue est des plus graves, soit immédiatement,
soit à terme. En effet l'hémophilie et la diatlièse hémorrhagique non congéni-
tale et chronique, dont j'ai rapporté dans cet article plusieurs exemples, abou-
tissent dans la majorité des cas à une terminaison fatale du lait de l'hémor-
rhagie, bien qu'on soit loin, dans cette forme, de la gravité presque sans pardon
des hémorrhagies mulliples et disséminées satellites des fièvres, telles que la
variole noire.
11 convient enfin de faire remarquer que le tout petit enfant, le grand vieil-
lard, le cachectique à un degré quelconque, l'individu en puissance de l'une
quelconque des maladies développées sous l'influence de la nutrition retardante,
pour employer l'expression compréhensive et pittoresque de Bouchard, se com-
porte jusqu'à un certain point, devant l'hémorrliagie, à la façon de celui dont
l'organisme est affaibli par un état fébrile grave. L'hémorrhagie prend alors un
caractère spoliatif ou même déperditif, en apparence peu en rapport avec sa
masse. Je ne développerai pas davantage cette notion, d'ailleurs tout à fait tra-
ditionnelle et acceptée aujourd'hui par tous, bien qu'il fût aisé de l'étayer par
de nombreux exemples ; ce serait franchir les bornes de cet article, déjà étendu,
pour entrer nécessairement dans le domaine de la pathologie descriptive.
Je viens d'essayer d'esquisser, dans les lignes qui précèdent, la prognose
générale des hémorrhagies des quatre principaux types considérées exclusive-
ment en tant que pertes de sang. C'est là en effet ce que l'on pourrait nommer
458 UÉMORRHAGIE.
le pronostic fixe de l'hémorrliagie, parce que jusqu'à' un certain point il est
directement commandé par ce phénomène, par son mode, par sa mosse ou sa
répétition, enfin par les qualités réactionnelles communes à tous les organismes
qui en peuvent devenir le théâtre. Mais dans chaque cas particulier dhémor-
rhagie il est une prognose d'un caractère tout à fait différent, et qui se déduit,
non plus de la perte de sang elle-même, considérée comme phénomène patho-
logique isolé, mais bien des causes et de la nature changeantes, pour chaque
variété, des conditions hémorrhagipares introduites dans l'organisme par tel ou
tel état morbide. Ceci revient à dire que le premier genre de pronostic fixe, parce
qu'il est fondé sur le symptôme considéré exclusivement et en lui-même, et
toujours à ce point de vue comparable à lui-même,'est purement symptomatique,
tandis que le second genre, éminemment variable, est en réalité pathogéniqite
et emprunte toutes ses notions aux circonstances spéciales dans lesquelles s'est
produite l'hémorrhagie, et qui en ont déterminé l'apparition, réglé l'évolution
suivant un certain type. En tant que pertes de sang, deux hémoptysies peuvent
être identiques, ainsi que par leur action immédiate sur la circulation et la
nutrition. Cependant, si l'une est le résultat de l'inhalation de gaz irritant, tels
que l'acide sulfureux ou l'hypoazotide, et si l'autre montre son origine tubercu-
leuse par les parasites que renferme le sang expulsé, il n'y aura aucune res-
semblance entre le pronostic pathogénique des deux. Un exemple aussi frappant
est fourni par la métrorrhagie. Là une perte identique comme forme et qui
peut être indifféremment ou déplétive, ou spoliatrice, ou même dans quelques
cas déperditive et mortelle, peut être la conséquence ou d'un flux menstruel
exagéré, ou de la présence d'un corps fibreux, ou de l'existence d'un cancer,
ou encore de la production d'un avortement ; conditions si différentes et dispa-
rates entre elles d'une hémorrhagie du même mode qu'il suffit d'énoncer la
similitude du symptôme et la diversité de ses causes productrices pour faire
bien comprendre que la prognose pathogénique ne peut être exposée qu'à propos
de chaque variété d'hémorrhagie [voy. Hémoptysie, Hkjiatémèse, Métrorrha-
gie, etc.) et non pas dans un chapitre de pathologie générale consacré à l'étude
de l'hémorrhagie considérée également en général.
C0NSTBÉRATI0>S GÉNÉRALES SUR LE TRAITEMENT DES IlÉMORRHAGTES, LeS trois
indications qui dominent la thérapeutique des hémorrhagies, quelles qu'elles
soient, sont les suivantes: 1" arrêter Técoulement du sang; 2" prévenir le retour
de l'hémorrhagie arrêtée ; o° favoriser la régénération du sang soustrait au
système circulatoire.
1° Arrêt du sang, hémostase ihérapeulique. Au dire de certains cliniciens
l'indication de l'arrêt du sang n'est pas fournie par toutes les hémorrhagies
sans distinction. Il en est, dit Fonssagrives [Traité de thérapeutique appliquée,
t. I, p. 358), qui doivent être ou respectées, ou qui doivent être simplement
l'objet d'une expectation armée. Cette restriction, que faisaient très-fréquem-
ment les médecins anciens préoccupés de la répercussion, s'applique surtout
aux flux habituels tels que les hémorrhoïdes ; en parlant des hémorrhagies
supplémentaires j'ai moi-même cité un cas de gastrorrhagie développée mani-
festement sous l'influence de l'ablation d'un volumineux paquet hcmorrhoïdaire.
Nélaton (cité par Fonssagrives) avait même constaté que la suppression des
hémorrhagies habituelles, même chez les anémiques, devait être effectuée avec
précaution et une certaine lenteur; il avait vu, à la suite d'ablation de polypes
HÉMORRHAGIE. 459
utérins, naître du côté des poumons ou de la tête des dispositions congestives
parfois redoutables. Il en serait de même de certaines hémoptysies tuberculeuses
de nature congestive « favorables, dit Fonssagrives, en ce sens qu'elles détrui-
sent la congestion qui les a provoquées, et enlèvent ainsi au poumon une cause
d'inflammation ou de dépôt de nouveaux tubercules ». Ce n'est pas ici, je
crois, le lieu de discuter le bien-fondé de semblables opinions {voy. Hémor-
RHOÏDES, Métrorrhagie, Hémoi'tysie) . A notre avis, lorsqu'on se trouve en pré-
sence d'une bémorrhagie, il est toujours un moment où l'expectation armée
motivée par la crainte des congestions supplémentaires cesse d'avoir la raison
d'être : c'est quand la perte de sang, par sa masse et sa prolongation, si elle
s'effectue en une fois, par sa répétition, s'il s'agit d'une bémorrbagie à retours,
cesse d'être simplement une bémorrhagie déplétive pour passer au type spo-
liatif. L'bémorrbagie spoliatrice peut en effet, si elle se poursuit, amener à
terme une issue fatale par l'anémie aiguë ou la pseudo-chlorose post-hémorrha-
giques, quand bien même elle ne passerait pas immédiatement à l'état d'hémor-
rhagie déperditive et rapidement mortelle en cette qualité.
Dans ces conditions, l'Iiémoxtaite artificielle provoquée s'impose comme
thérapeutique et doit être effectuée dans le plus bref délai. Si les vaisseaux sont
accessibles, la ligature, la torsion, procédés chirurgicaux dont nous n'avons
pas à parler, la compression des surfaces saignantes (tamponnement vagino-
utérin, des fosses nasales, etc.), l'application des poudresstyptiques (tannin, alun,
perchlorure de fer, etc.), trouveront leur emploi, leurs indications et contre-
indications qui, dans certaines variétés d'hémorrhagies chirurgicales, sont for-
melles. En médecine, le problème de l'hémostase est ordinairement beaucoup
plus difficile à résoudre, parce qu'il est ramené à ce cas particulier : arrêter
îine effusion sanguine dont la source est inaccessible, c'est-à-dire encore faire
l'hémostase à dislance.
Nous connaissons les conditions de cette hémostase : il ne suffit plus, comme
dans la plaie exposée, de lier ou de tordre un vaisseau isolable ou d'arrêter la
rosée sanguine d'une aire capillaire intéressée par l'application de substances
coagulantes ou d'agents appropriés de compression. La barrière provisoire
dressée contre l'effusion sanguine, soit par la coagulation extérieure du sang
répandu autour du vaisseau lésé, soit par la compression qui permet au pro-
cessus de cicatrisation pariétale de s'effectuer et' d'opposer un obstacle que la
pression sanguine atténuée ne peut plus rompre, cette barrière n'existe plus et
il est impossible de l'élever par des moyens indirects. Tout se réduit alors à
favoriser l édification du thrombus de cicatrisation formé par les globules
blancs. Pour cela, il est nécessaire de mettre l'aire hémorrbagique et plus
généralement le champ circulatoire dans les conditions nécessaires et suffisant<îs
précisément pour la réalisation de ce mode d'hémostase. Ceci revient à dire
qu'il faut que la circulation du champ hémorrbagique, tout en n'étant pas arrê-
tée net comme dans le cas précédent, soit très-raientie et s'effectue sous une
pression faible, engendrant une composante latérale minima, condition par
excellence du maintien en place du caillot cicatrisateur.
1" Mode d'action. Compression artérielle à distance. Ce moyen est néces-
sairement restreint aux cas oiî l'artère qui commande le champ héraorrhagique
est accessible à la compression, que l'on opère alors d'une manière prolongée
et soutenue. Le champ hémorrbagique est dorénavant mis dans les meilleures
conditions pour la formation d'un caillot. De plus, comme le fait avec raison
460 IIÉMORRIIAGIE.
remarquer le professeur Fonssagrivcs [loc cit., p. 564), la compression, en
dilatant les coUatérales, crée des courants dérive's qui, eu changeant profondé-
ment le régime circulatoire de la région, contribuent à tarir le courant sanguin
commandant la perte, comme on le verra faire un peu plus loin à la dérivation
par les grandes ventouses. On peut citer comme applications de ce moyen
d'iiémostase la compression de la carotide dans le cas d'épistaxis rebelle, celle
de Taortc dans les métrorrliagies incoercibles, telles que celles dues à la vi-
cieuse implantation du placenta sur le col.
2» Mode d'action. Dérivation. Dans les hémorrhagies qui vont devenir
spoliatrices et qui intéressent assez la masse du sang pour en modifier la répar-
tition en la faisant devenir insuffisante pour certaines parties, la nature emploie
pour ainsi dire comme un remède la lypolhymic ou syncope de position. Pen-
dant cette syncope, le cœur ne bat plus qu'à intervalles très-éloignés; un spasme
général s'empare des petits vaisseaux. Le sang ne coule plus que goutte à
goutte par la plaie exposée, origine de la perte, et parfois'mème comme dans
la saignée faite dans un but tliérapeulique et poussée jusqu'à la syncope,
l'écoulement du sang s'arrête définitivement.
La mélliodc déiivative, en réalité, excite ce mécanisme naturel; elle com-
prend : a, la i^aignée; b, la conlre-fliixion sanguine; c, h dérivation par les
ventouses ; d, la ligature des membres. Chacun de ces moyens, dont l'emploi et
surtout le clioix ne peuvent être indiqués qu'à propos de chaque cas particulier
d'hémorrhagie, repose en réalité sur une seule et même notion physiologique :
la rupture momentanée du régime circulatoire dans la région qui est le siège
de la perte de sang. Brusquement alors, et comme par l'effet d'une sorte de
choc, le sang, sollicité dans le sens où s'opère la dérivation, tend à affluer vers
Je point d'application de cette dernière, de telle façon que, si la dérivation a
été bien faite et son point d'application bien choisi, le champ hémorrhagique
devient une aire de circulation minima, condition essentielle de la formation
du caillot cicatrisatcur.
a. Saignée dérivatire. « Pratiquer une saignée dans une hémorrhagie
abondante, dit Fonssagrives, c'est faire souvent de la thérapeutique très-correcte
et économiser le sang des malades. La quantité de ce fluide que leur enlève la
saignée est, en effet, bien moindre que celle qu'ils auraient perdue par la per-
sistance de l'hémorrhagie; seulement ce n'est pas un moyen qu'on puisse
employer dans tous les cas et d'une façon banale. On en abusait autrefois; il
faut bien reconnaître qu'on n'en use pas assez aujourd'hui et qu'on se prive sans
motifs d'une ressource souvent précieuse » [loc. cit., p. 565), et il ajoute : « .\
quel praticien n'est-il pas arrivé de voir 150 à 200 grammes de sang retirés
par la saignée du bras arrêter brusquement une hémorrhagie? »
En réalité, l'usage de la saignée dérivative est à peu près complètement aban-
donné aujourd'iiui par tous les médecins. L'exemple indiqué par Fonssagrives
montre du reste que c'est principalement pour arrêter les hémorrhagies pulmo-
naires qu'on l'a employée. Comnie ces hémorrhagies, sauf celles qui sont la
conséquence de la rupture d'un gros vaisseau dans une caverne, le plus sou-
vent sont rarement incoercibles d'emblée, et conséquemment ne réclament
pas une médication tout à fait en dehors des méthodes ordinaires d'hémostase,
on se trouvera, je crois, rarement amené à faire usage de ce moyen qui agit sur-
tout par le choc cardio-vasculaire qu'il produit, mais dont l'efficacité n'est après
tout nullement incontestable. La saignée agit ici comme elle le fait sur les con-
IIÉMORRIIAGIE. 401
"estions viscérales, c'est-à-dire comme un très-puissant, sinon toujours très-sùr
moyen de dérivation.
b. La contre-fluxion sanguine (Fonssagrives) exerce une action encore plus
visiblement dérivntive : elle consiste à faire naître une congestion artificielle en
un point du circuit vasculaire tout différent et le plus souvent éloigné du champ
hémorrhagique, afin de changer brusquement le régime circulatoire au profit du
champ irrité qui devient, suivant le vieil aphorisme ubi stimulus, ibi fluxus, le
lieu de prédilection des actions congestives, et peut par suite les absorber au
point d'entraîner la transformation du lieu de l'hémorrhagie en une aire de
circulation rainima ou même insuffisante. Tels sont les pédiluves chauds et
irritants, les sinapismes, l'urtication, les purgatifs résineux (Fonssagrives),
employés d'une manière soutenue. En réalité, dans cette classe d'agents médi-
camenteux nous trouvons des adjuvants de l'hémostase, spontanée ou provoquée,
dont l'emploi est souvent d'une grande utilité, bien que la plupart du temps
ils ne jouent dans la thérapeutique des hémorrhagies que le rôle de simples
auxiliaires.
c. Dérivation par les ventouses. Appliquées en petit nombre ou même au
nombre de 15 à 20, les ventouses sèches ordinaires rendent souvent de grands
services dans l'arrêt provoqué des hémorrhagies. Dans ce cas elles rentrent
d'ailleurs dans le cadre des agents de contre -lluxion sanguine. Mais il n'en est
plus ainsi quand on couvre les membres de ventouses appliquées très-rapide-
ment, ou qu'on met en usage les énormes ventouses imaginées par Junod. On
sait que dans ce cas, non-seulement on fait affiner dans les membres une énorme
quantité de sang, mais encore que l'on exerce une action générale. Le cœur
est parfois mis, si la masse sanguine attirée et immobilisée dans la ventouse
est suffisante, dans des conditions très-semblables à celles qui, dans les hémor-
rhagies, déterminent la syncope de position. Brusquement le sang fait défaut
au cœur ou du moins la masse sur laquelle il s'appuie pour battre subit un tel
changement, qu'il se produit des faux pas cardiaques et souvent même une
syncope, commandée par la variation subite du régime hydrodynamique de
circulation du sang. La ventousation large par la méthode de Junod agit en
outre puissamment par effet de choc, il y a pâleur subite, frissonnement, et en
réalité spasme sinon général, du moins très-étendu des capillaires. Voilà donc
un moyen puissant d'hémostase, et qui a fait ses preuves depuis longtemps,
mais qui doit être manié avec soin et une grande prudence, si l'on réfléchit aux
dangers de la syncope dans les hémorrhagies, principalement dans celles à retours.
d. La ligature des membres, vieux moyen indiqué par Fernel, agit abso-
lument à la façon des grandes ventouses, dont elle n'a du reste aucun des
inconvénients. Piorry [Courrier médical, janvier 1865, et Bulletin de théra-
peutique, t. LXIV, p. 27G), qui a vivement et à juste titre insisté sur cette
pratique, en a réglé l'emploi; il lie fortement les quatre membres, les place
dans une situation déclive, et l'ecommande en même temps aux malades de
respirer fréquemment et largement. J'ai vu la ligature des membres ari'èter en
quelques minutes une gastrorrhagie qui menaçait de devenir mortelle, cas qui
peut faire pendant à celui de Piorry, dans lequel une hémoptysie, qui allait
devenir déperditive et résistait aux autres moyens, céda net à celui-là en moins
de soixante secondes.
Troisième mode d'action. Modificateurs cardio-vasculaires. Médication vaso-
constrictive. La plupart du temps les hémorrhagies viscérales que le médecin
46-2 UÉMORRHAGIE.
est appelé à combattre s'accompagnent d'un mouvement congestif intense. Le
champ de l'iiémorrliagie est placé au centre d'une aire de pleine circulation ou
même d'une aire de circulation maxima, puisqu'elle a donné lieu à des effrac-
tions vasculaires ou à des divulsions ou diabroses. Si, dans ces conditions, on
arrive à mettre en état de constriction les musles vasculaires qui commandent ce
mouvement congestionnel excessif, et qui l'entretiennent par leur inertie, on
pourra obtenir l'iiémostase par formation d'un caillot lymphatique. Telle est la
théorie d'une médication aujourd'hui solidement établie, mais que la phvsiologie
actuelle ne fait qu'expliquer dans son action, car ici il nous faut avouer que
nous devons tout à l'empirisme des anciens et même des modernes.
C'est ainsi que le froid a été de tout temps, pour ainsi dire, appliqué pour
arrêter les hémorrhagies. L'application de compresses froides sur le frout, ou la
vulgaire pratique de l'apposition d'un objet métallique, à'îine clef, entre les
deux épaules, pour arrêter une épistaxis, sont des moyens hémostatiques de con-
naissance vulgaire. Or l'application de la clef dans le dos ou de tout autre objet
très-froid donne immédiatement naissance à un léger frisson. A'oii-seulement
donc le froid ajipliqué directement sur le champ hémorrhagique fait contracter
les vaisseaux de cette aire, et conséquemment restreint l'activité circulatoire sur
ce point, mais encore agit sur les petits vaisseaux en général. Le phénomène
de ['onglée, la tache anémique persistante qui se fait à la peau sur le point
d'application d'un morceau de glace ou de la pulvérisation de l'éther par un
appareil de Richardson, montrent d'ailleurs que l'effet vaso-constricteur du froid
est à la fois très-énergique et d'assez longue durée. Théoriquement du reste, on
sait que la réfrigération augmente la tonicité musculaire.
Certaines hémorrhagies étrangères au domaine chirurgical et que l'on pourrait
nommer semi-accessibles, parce qu'elles s'effectuent sur des points de l'orga-
nisme auxquels on peut faire arriver certains agents médicamenteux, devien-
nent fréquemment justiciables de l'action hémostatique du froid considéré en
tant que topique. Telles sont, par exemple, les épistaxis, les hématémèses, les
hématuries d'origine vésicale, certaines métrorrhagies. Les injections d'eau
froide ou glacée dans les fosses nasales, le vagin, la cavité de l'utérus (hémor-
rhagies puerpérales. Roper), le gros intestin, la vessie, déterminent souvent
l'hémostase en cas d'hémorrhagies de ces cavités. On connaît l'observation [Bidl.
de thérapeutique, t. LX, p. 157) d'hématémèse menaçant directement l'exis-
tence, et qui céda à l'ingestion de morceaux de glace saupoudrés d'alun. Dans
les hémoptysies massives, et qui ne cèdent pas aux moyens ordinaires, Fonssa-
grives propose l'emploi de pulvérisations d'eau glacée que l'outillage médical
actuel rend en effet très aisément praticables, et qui du reste en pareil cas,
quelle que soit leur action directe sur le foyer de l'hémorrbagie, serviront tou-
jours utilement pour rendre fraîche l'atmosphère de l'hémoptoïque : condition
traditionnelle de milieu imposée à ces malades, et qu'actuellement il sera facile
de réaliser en tout local et en toute saison.
L'action topique du froid peut être encore utilisée, bien que moins directe-
ment, dans le traitement des hémorrhagies, en l'exerçant sur toute une région
voisine ou adjacente. C'est ainsi que Valleix {Guide du médecin praticien, 1845,
t. Il, p. 49) conseille de placer sur la poitrine des hémoptoïques des compresses
arrosées d'éther, moyen auquel ou peut substituer avec avantage la pulvérisation
de ce même liquide. De même le maintien de vessies pleines de glace pilée sur
le front, dans le cas d'épistaxis incoercibles, ou sur l'iiypogastre, dans celui de
e
HÉMORRUAGIE. 465
métrorihagies menaçantes, est parfois d'une incontestable utilité. A l'action semi-
topique (lu réfrigérant s'ajoute, dans ce cas, son action vaso-conslrictive géné-
rale, déterminée sur l'ensemble des vaisseaux contractiles par le mécanisme
d'un réflexe.
L'action topique de la chaleur, entre 40 et 50 degrés, est tout à fait compa-
rable à celle du froid et peut être utilisée comme hémostalique dans certaines
circonstances déterminées. Fonssagrives fait remarquer que Trousseau, llemet,
Windelband, Jœtz, ont cité des cas d'épistaxis, de métrorrhagie, arrêtées loca-
lement par des injections d'eau à 40 degrés. Actuellement, dans plusieurs
services d'accouchement, à Lyon, les injections intra-utérines d'eau à 50 degrés,
d'après la méthode de Ricord, sont communément employées avec avantage dans
le traitement des hémorrhagies post-puerpérales. La brusque élévation de tem-
pérature agit en effet sur les muscles de façon à les faire contracter par excita-
tion directe, mais cette contraction a le défaut d'être très-passagère et de faire
bientôt place à un état paralytique marqué. En augmentant la contractiUté
musculaire, la chaleur diminue en effet sensiblement la tonicité; ce mode
d'action est bien mis d'ailleurs en lumière par la rapide production des éry-
thèmes des brûlures, après une courte période d'anémie parfois même extrê-
mement diflicile à saisir.
Pour terminer la revue des agents hémostatiques physiques, nous devons dire
un mot de l'électricité. L'électricité n'a guère été appliquée comme hémostatique
qu'aux pertes utérines soit déterminées par l'inertie dans l'état puerpéral, soit
dues à d'autres causes (Thomas Radford). On emploie dans ce cas la faradisation
[voy. Métrorrhagie). Disons tout de suite qu'il s'agit ici d'une méthode d'exception,
car ici l'action tétanisante des secousses faradiques s'exerce principalement sur
le muscle utérin, et c'est par le retrait de ce dernier, c'est-à-dire en réalité par
compression, que le plus souvent on arrive à obtenir un effet hémostatique.
INous arrivons maintenant aux acjenls hémostatiques médicamenteux : au
premier rang l'on doit placer les médicaments vaso-constricteurs qui ont pour
type le seigle ergoté.
L'ergot de seigle n'est autre chose que le mycélium du Claviceps piirpurea,
parasite de l'ovaire, puis des caryopses du seigle, du blé, et de plusieurs autres
graminées. Ce que l'on appelle l'ergotine (Bonjean, Wiggers) n'est nullement un
alcaloïde, c'est un extrait du médicament, préparé de diverses manières et auquel
il me paraît, ainsi qu'à beaucoup d'autres thérapeutistes, le plus souvent avan-
tageux de préférer l'ergot lui-même, qui contient tous les principes du médi-
cament et qui, sauf dans le cas d'injections sous-cutanées d'après la méthode
d'Yvon, n'est pas d'une administration plus difficile.
Administrée à la dose de 1 à 4 grammes, par exemple, à l'état de suspension
dans un julep que l'on administre par cuillerées plus ou moins rapprochées
suivant que les indications hémostatiques sont plus ou moins pressantes, la
poudre d'ergot exerce le plus ordinairement, sur toutes les hémorrhagies inac-
cessibles qui n'ont pas pour origine un lésion étendue d'un gros vaisseau, une
influence des plus manifestes et souvent des plus rapides. C'est le médicament
hémostatique par excellence des métiorrhagies puerpéiales, des ménorrhagies,
et même on l'a vu souvent agir efficacement sur l'utérus atteint par la dégéné-
rescence cancéreuse, ou devenu le siège de corps fibreux. Les hémoptysies, les
épistaxis, les gastrorrhagies mêmes, sont souvent arrêtées, quoique moins sûre-
ment que les pertes utérines, par l'administration de l'ergot. La valeur hémo-
4(J4 IIEMORRIIAGIE.
statique de cette drogue, aflirme'e par l'empirisme des Anciens et aujourd'hui
devenue traditionnelle, est d'ailleurs pleinement justifiée par ce que l'on sait de
l'action physiologique du médicament. L'ergot de seigle en effet, même employé
comme topique, agit énergiquement et iii silu sur les muscles lisses moteurs
vasculaires. « Lorsque le sang s'écoule en nappe d'une surface externe, l'appli-
cation topique d'une infusion d'ergot l'arrête bientôt » (Uabuteau, Élém. de
thérapeiit., 1875, p. 744). Introduit dans la circulation par absorption sur les
muqueuses, ou consécutivement à l'injection hypodermique, il provoque uiie
contraction sensible et soutenue des artérioles que Holmes (1869) a constatée
directement sous le microscope chez les animaux inférieurs tels que la gre-
nouille. Chez les Mammifères et chez l'homme, les effets de l'ergot ne sont pas
moins manifestes. Un spasme général de tous les petits vaisseaux contractiles
fait pâlir la peau, la pupille se dilate, les battements du cœur se ralentissent;
la pression vasculaire augmente sous l'influence de l'obstacle opposé au débit
sanguin par le spasme des artérioles qui commandent les aires vasculaires;
corrélativement, la diurèse se trouve activée. Le sang s'accumule dans les veines,
et, ce qui montre bien qu'il s'agit ici d'une contraction efficace des vaisseaux,
rétrécissant leur lumière au point de mettre les champs hémorrhagiques dans
les meilleures conditions pour l'iiémostase, souvent chez les animaux en expé-
rience ou chez les malades soumis à des doses massives l'ouverture des veines
est suivie d'un écoulement sanguin difficile, incomplet, et non plus du jet ordi-
naire. Les sphacèles des extrémités observés dans l'ergotisme viennent encore à
l'appui de la démonstration. Aussi depuis Courhaut (1828) admet-on que le
seigle ergoté est un agent puissant de constriction vasculaire, et les recherches
de G. Sée (1846), de Sovet (1848), de Brown-Séquard etdeHolmes (1809), ont
donné depuis une démonstration complète de l'action musculaire et vaso-
constriclive du médicament.
Il résulte de là que, dans les liémorrhagies viscérales que le médecin est
appelé à combattre, le seigle ergoté doit être considéré comme l'hémostatique le
plus puissant. A la dose que nous avons indiquée (4 grammes par jour) il peut
être administré sans aucun danger d'ergotisme, ni gangreneux, ni convulsif,
pendant quatre ou cinq jours. L'hémoptysie, les épistaxis rebelles et récidi-
vantes, les hcmorrhagies utérines sont souvent rapidement arrêtées par l'ergot.
Mais, pour faire une médication hémostatique rationnelle et efficace, il convient
souvent de l'associer à des adjuvants eux-mêmes puissants, agissant de leur côté
sur la circulation ou les muscles moteurs vasculaires périphériques. C'est pour-
quoi, d'une manière générale, j'ai dans ma pratique l'habitude de combattre
les hémorrhagies à la fois par la poudre d'ergot, la digitale, les astringents et
aussi très-souvent par l'ipéca.
Depuis longtemps classique en Angleterre, le traitement des hémorrhagies par
la digitale a été formulée de la manière suivante, en 1855, par Péreira [Materia
medica and Therapeiitics, t. Il, p. 555, cité par Fonssagrives). « Dans les
hémorrhagies actives des organes internes accompagnées d'un pouls vif et fort
la digitale est souvent utile comme sédative ; l'épistaxis, l'hémorrhagie pulmo-
naire et la métrorrhagie, sont les formes d'hémorrhagies dans lesquelles, le plus
fréquemment, l'emploi de ce médicament est avantageux ». Plus tard Dicken-
son (1856), puis Trousseau (1861), constatèrent l'efficacité de la digitale à haute
dose (8 grammes en infusion dans 500 grammes d'eau) dansj les métrorrhagies,
et depuis lors ce médicament a pris un rang important dans la pratique. Je
IIKMORRIIAGIE. /,0o
crois, avec Fonssagrives, que les proprie'tés hémostatiques de la digitale ont leur
raison d'être non pas dans une action énergique sur les muscles moteurs vascu-
laires, mais bien dans l'action sédative et surtout régulatrice qu'elle exerce sur
le mouvement circulatoire général. Dans la production des ruptures vasculaires,
les congestions intenses, brusques, les coups fluxionnaires, comme on les pour-
rait nommer, jouent un rôle d'une extrême importance et que nous avons essayé,
au chapitre de la pathogénie, de mettre en lumière comme il convient, ha régu-
lation forcée des mouvements du cœur, le ralentissement des systoles qui
deviennent espacées artificiellement et d'égale puissance, l'impossibilité où se
trouve alors l'organe central d'entrer en suractivité momentanée, bref, la suspen-
sion de toute tachycardie, de toute palpitation pendant une longue période, tout
cela concourt certainement à créer une uniformité constante du régime circula-
toire, condition adjuvante par excellence de la production de l'hémostase sponta-
née. Il sera donc prudent d'associer, dans la majorité des cas, la digitale à l'ergot
soit en la donnant arec lui (15 à 20 gouttes de teinture alcoolique ou 40 grammes
lie sirop) dans la même potion, soit en l'administrant isolément en macération.
Ici, comme dans les affections cardiaques accompagnées d'arijythmie, la dose de
25 à 20 centigrammes de poudre de feuilles suffit pour obtenir une action séda-
tive marquée : il est donc la plupart du temps inutile d'employer les fortes
doses à la façon de Trousseau (8 gr;immcs jiour 500 d'eau) et en tout cas il
serait dangereux d'adopter la pratique de Ilowship-Dickenson, qui donnait la
dose énorme de 15 à 45 grammes de feuilles, en infusion dans un 1/2 litre
de véhicule à prendre dans les vingt-quatre heures.
On peut rattacher le plomb à la série des médicaments hémostatiques par
action musculaire. L'influence du plomb sur les muscles est assez connue, celle
qu'il exerce sur les fibres hsses des artérioles l'est beaucoup moins; cependant,
dans l'intoxication saturnine, ces vaisseaux semblent être dans un état de demi-
contracture. Malassez a constaté que les parois vasculaires sont alors plus rigides,
Hitzig a même vu les veines collectrices d'un certain volume, telles que celles
du dos de la main, présenter sous l'influence du plomb des zones de contracture
annulaire. Enfin mon maître Gubler admettait que la pùleur des saturnins était
en grande partie due à un spasme des vaisseaux cutanés ; il en trouvait la preuve
dans ce fait que les frictions énergiques, en paralysant les artérioles par un
mécanisme bien connu, font souvent disparaître l'anesthésie saturnine. La dimi-
nution du volume du foie pendant l'accès de colique-arlhralgie, bien mise en
lumière par le professeur Potain, plaide dans le même sens, car le paren-
chyme hépatique ne renferme d'autres muscles que ceux des vaisseaux et ne
peut en conséquence diminuer de volume que par la contraction de ces der-
niers. Toutes ces raisons justifient théoriquement l'emploi des préparations de
plomb comme adjuvants de l'hémostase (Sirus-Pirondi, Union médic. de Pro-
vence, aoiît et sept., 1868) dans certaines hémorrhagies telles que l'hémoptysie
que d'autres moyens n'ont pu parvenir à maîtriser. Mais, comme le lait remar-
quer Fonssagrives, en pareil cas l'administration des sels de plomb tel que
Vacétate plomhiqiie à la dose de 50 ou 40 centigrammes par jour doit consti-
tuer une pratique éminemment transitoire, sans quoi les accidents d'intoxication
saturnine ne tarderaient pas à se produire, comme dans les essais de Beau
dirigés contre la tuberculose.
Enfin l'ipe'ca, administré surtout à dose fractionnée de manière à produire un
état nauséeux, a donné fréquemment des résultats remarquables comme hémo-
466 IIÉMORRIIAGIE.
statique interne, surtout dans les liémoptysies des tuberculeux que l'on arrête
le plus souvent par ce moyen et d'une manière rapide (50 centigrammes d'iprca
en 10 doses, prises d'heure en heure). Son action est moins certaine, mais
cependant utile, dans les cpistaxis et les niétrorrliagies ; elle est très-ancienne-
ment connue, et Baglivi pouvait déjà vanter l'ipécacuanha comme un infailUbile
remedium in fluxibus dysentericis aliisque hœmorrhagiis. Bien que l'ipéca,
de même que le tartre stibié, doive être considéré, quant à son action physiolo-
gique, comme un médicament diminuant la contractilité musculaire, il ne paraît
pas avoir cette propriété sédative pour les muscles lisses de toutes les régions.
Outre en effet qu'il diminue le nombre et la fréquence des mouvements car-
diaques, et agit en cette qualité comme un sédatif de la circulation, Pécholier
(cité par Rabuteau) a trouvé les poumons exsangues chez les animaux empoi-
sonnés par l'émétinc. L'action qu'il exerce sur l'hémorrhagie pulmonaire en
particulier est donc bien justifiée par ses propriétés physiologiques. De plus, en
créant l'état nauséeux, avec l'imminence continuelle de défaillance ou de lypo-
thymie qui l'accompagne, sorte d'état subsyncopal continu accompagné de pâleur
et de refroidissement de la peau, l'ipéca agit en réalité de façons très-diverses,
mais en grande partie par l'imitation de l'état syncopal si favorable à l'hémo-
stase. 11 doit donc être considéré comme un remède des plus importants des
hémorrhagies d'ordre médical, et souvent son action vient heureusement s'ajouter
à celle des autres hémostatiques alors qu'il n'est pas, comme dans l'hémorrhagie
bronchique, l'agent hémostatique pour ainsi dire de choix.
Nous devons maintenant aborder brièvement l'iiisloire des hémostatiques
a&tringents comprenant : l" le perchlorure de fer; 2° le groupe des tanniques;
5" V alcool; 4" les acides; 6° les balsamiques et similaires. Disons tout de suite
que, dans l'hémostase à distance et effectuée par voie médicamenteuse, il ne
s'agit plus ici en réalité que de simples adjuvants.
Perchlorure de fer. Employé autrement que comme topique sur une sur-
face cruentée ou à l'état d'injection dans les tissus ou dans un vaisseau, c'est-
à-dire introduit dans les voies digestives par la bouche, le perchlorure de fer
cesse absolument d'agir comme coagulant. Rabuteau a suffisamment démontré
que dans l'estomac les sels ferriques sont ramenés à l'état de sels au minimum,
et qu'en particulier le perchlorure n'est absorbé qu'à l'état de protochlorure.
C'est donc en réalité ce dernier sel, qui n'exerce aucune action coagulante sur
le sang, qui est absorbé. Et du reste il ne saurait en être autrement, car on peut
se demander à bon droit pourquoi le perchlorure, en admettant qu'il fût
absorbé comme tel et passât ensuite dans la circulation, attendrait, pour exercer
son action coagulante, le moment précis oîi le mouvement circulatoire l'amè-
nerait dans l'aire Iiémorrhagique. Ce n'est que dans le cas où l'on aurait affaire
à une hémorrhagie accessible par le médicament, et telle, par exemple, qu'une
gastrorrhagie, une hénioirhagie du gros intestin, etc., que l'on pourrait compter
sur l'action topique. On ferait ingérer alors, comme le conseille Fonssagrives
[loc. cit., p. 54o), 10 gouttes de perchlorure de fer dans une demi-verrée d'eau
glacée, de demi-heure en demi-heure, jusqu'à concurrence de 40 gouttes. En
lavements, la dose peut-être sans inconvénient beaucoup augmentée, tout en
ayant soin d'éviter de la porter jusqu'à la possibilité d'une action caustique
directe. De même, dans les hémoptysies, la pulvérisation d'eau chargée de per-
chlorure de fer a réussi dans un cas dont Fonssagrives fut témoin. Mais le
médicament employé à l'intérieur, c'est-à-dire modifié par l'absorption stomacale,
s
HKMORRHAGIE. 4ô7
devient absolument infidèle ; non pas que dans certaines circonstances il n'ait
donné de bons résultats; mais alors il agit simplement comme astringent, à la
façon de la ratanliia et du tannin, qui ont, à un dci^fé infiniment moindre que
l'ergot, il est vrai, une action cependant très-évidenle sur la circulation géné-
rale en ralentissant les mouvements cardiaques, et sur les muscles lisses des
vaisseaux dont ils déterminent le spasme.
De plus, le perclilorure de fer dans une série d'hémorrliagics de cause dyscra'
sique, et principalement dans les hémorrliagies dont les purpuras peuvent être
pris comme les types, exerce son action médicamenteuse avec une réelle activité
(Humbert Mollière) non-seulement parce que le sel de fer agit comme styplique
sur les muscles vasculaires, mais encore qu'il excerce l'action commune des
ferrugineux et combat les lésions du sang qui sont alors presque toujours graves
et jouent dans la production des pertes sanguines le rôle détourné, mais très-
actif, que nous avons essayé de mettre en lumière au chapitre de la pathogénie.
Le sel de fer est alors à la fois un tonique des vaisseaux et un élément de répa-
ration pour le sang.
En dehors de leur action topique, les tannirjnes ne gardent de celte double
action que l'élément styplique qui les rend toniques des vaisseaux et sédatif;
du muscle cardiaque. Le tannin en effet précipilc l'ulhumine, se fixe sur les
malièies animales et, mis en contact avec le s^ang, forme avec les matières
protéiques de ce liquide des combinaisons insolubles. C'est pourquoi il arrête
l'effusion du sang lorsqu'on le dépose sur les surfaces vulnciées. Mais pi'is à
l'intérieur il n'exerce plus que ses effets généraux. Les substances tanno'i-
diques (cachou, sang-dragon, tormentille, ratanhia, bistorte], et enfin l'alun,
agissent de la même manière, mais on doit les considérer comme de simples
adjuvants d'une médication plus active, par l'ergot, la digitale ou l'ipéca.
L'action des acides est encore plus faible. Les boissons froides acidulés telles
que l'eau de seltz ou mieux de la limonade sulfurique sont néanmoins restées
dans la pratique. On les donne conmie tisanes aux malades atteints d'hémor-
rhagies viscérales, principalement dans le cas d'hémoptysie, de métrorrhagie ou
d'hématurie, et moins communément dans le purpura.
L'alcool à hautes doses semble exercer une action qui tient le milieu entre
celle des astringents et celle des acides. Il semble jouir réellement de propriétés
hémostatiques remarquables, surtout dans le cas de pertes utérines abondantes ;
les observations de Campbell (Union médicale, 1860), de Béhicr {l'oy. Alcool,
Alcoolisme), de Debout [Bullet. de thérap., 1859, t. LVl), ne laissent aucun
doute à cet égard. La teinture de cannelle (Tanner) doit probablement une
partie de ses propriétés, qui la faisaient considérer par Van Swieten comme une
sorte de quinqui7ia des métrorrhagies, à l'alcool qu'elle contient. L'alcool,
lorsqu'il passe dans le sang, ralentit la circulation non-seulement en vertu d'ime
action sur les centres nerveux et le cœur, mais en réalité, comme l'a démonlié
Poiseuille, parce qu'il ralentit notablement le cours des liquides dans les
canaux capillaires, toutes choses égales d'ailleurs (Cl, Bernard, Subst. toxiques
et médicam., p. 81). En agissant ainsi, il réalise l'une des conditions cardi-
nales de l'hémostase, puisqu'il rend le cours du sang très-sensiblement plus
lent dans l'aire vasculaire de l'hémorrhagie.
Les balsamiques, et parmi eux au premier rang la teinture de benjoin, ej^er-
cent dans quelques circonstances et surtout comme topiques une action
hémostatique parfois marquée. Veau de Pagliari doit son efficacité eu partie
468 HÉMORUHâGIE.
à l'alun qui entre en même temps dans sa composition. L'eau de Tisserand es[
préparée avec du sang-dragon et de la térébenthine des Vosges; celle de Broc-
chieri est purement balsamique, c'est une macération de copeaux de sapin
distillée ensuite. Nous ne citons ces préparations que pour mémoire, car elles
sont presque exclusivement réservées à l'usage externe et en conséquence ressor-
tissent à l'hémostase chirurgicale.
Après cette longue énuméiation de médicaments, nous voudrions poser, dans
leur généralité, les principes fondamentaux qui doivent guider le médecin dans les
tentatives d'hémostase indirecte ou à distance qu'il est si souvent appelé à faire
ou du moins à entreprendre dans les diverses hémorrhagies viscérales, inacces-
sibles à l'action chirurgicale ou à celle des topiques. Mais, en réalité, cette étude
d'ensemble ne peut être faite ici avec quelque fruit. (Ihaque Viiriété d'hémor-
rhagie fournit en etfet des indications spéciales, et qui le plus souvent lui
appartiennent en propre. Il ne nous reste donc maintenant qu'à aborder une
dernière question, et qui est d'une importance extrême parce qu'elle s'adresse
indistinctement à toutes les licmorrhagies incoercibles : c'est la question des
indications de la transfusion.
Une hémorrhagie quelconque ne peut être arrêtée, ou bien elle ne l'a élé
que sur les limites précises de la déperdition. Dans le premier cas le malade
va mourir en état de perte, la syncope définitive s'annonoe par ses prodromes
bien connus; dans le second cas, il est dans l'état d'anémie traumatique aiguë,
menacé de mort à chaque instant par le moindre accident. 11 faut donc ou
gagner du temps pour l'hémostase en restituant à l'orgiinismc assez de sang
pour maintenir la survie pendant que l'on continue à chercher à aveugler la
voie de déperdition, ou bien il faut venir au secours de la réparation qui
menace d'être insuffisante en rendant cette fois-ci encore à la circulation une
masse de sang satisfaisant aux besoins de la vie, dût celte masse introduite
n'être qu'un sang d'attente, un sang provisoire. C'est alors que se pose le
problème de la transfusion.
Nous avons dit (art. Sang [Pathologie géne'rale]) il y a quelques années déjà
ce que nous pensons en principe de la transfusion. Nous avons fait voir que
toute modification dans les qualités et la densité du liquide nourricier d'un
animal détermine, lorsque ce liquide a été introduit dans les veines d'un autre
de la même espèce, des lésions du sang subsistant et la mort sinon immédiate,
du moins à terme bref, des éléments globulaires introduits dans une circulation
étrangère. Théoriquement donc la transfusion était considérée alors, par mon
éminent maître Gubler et par moi, comme ne pouvant devenir une opération
utile qu'autant qu'elle consisterait dans la substitution au sang perdu d'un
sang identique dans toutes ses parties, moiphologiqucment et fonctionnellemenf,
c'est-à-dire du sang complet et vivant d'un antre animal sain de la même
espèce; et encore, au point de vue de l'anatomie et de la physiologie générales,
cette proposition nous avait paru comporter des réserves. Le sang est éminem-
ment vulnérable; son issue hors des vaisseaux et son trajet, si court qu'il soit,
à travers un appareil, indispensable dans tous les cas de transfusion {voij.
Transflsio.n), ne peut s'effectuer sans altération; quand bien même cette alté-
ration n'est pas saisissable par nos méthodes actuelles d'investigation, elle n'en
existe pas moins. Aucun physiologiste ne pourrait répondre d'éviter tout accident
en réunissant par un système quelconque de canaux, si court qu'il soit, la veine
juaulaire droite d'un chien avec sa jugulaire gauche. Si l'on transporte une
IlEMORRHAGIE. 469
pareille notion dans la pratique de la transfusion, l'on reconnaît tout de suite
qu'il ne peut s'agir que d'une méthode de pure exception et que, en thérapeu-
tique, on ne doit jamais employer que comme une sorte de pis-aller, lorsque
toutes les autres méthodes ont échoué et que véritablement on est forcé de recon-
naître que, la vie s'en allant avec le sang, comme le disaient les Anciens, il
ne reste plus de chance de salut que dans une tentative périlleuse.
C'est avec une vive satisfaction que j'ai vu Hayem adopter ces vues, que de
mon côté je défends depuis plus de dix ans. Son étude sur la transfusion et
tout spécialement le chapitre consacré à Vutilité de cette opération constituent
en vérité un modèle de saine thérapeutique et de critique physiologique appliquée
à la médecine qui aurait dû faire considérer d'ores et déjà la question de la
transfusion comme jugée, par tous ceux du moins qui ont fait une étude un
peu attentive de la constitution du sang (Ilayem, loc. cil., p. 457-489).
Admettant avec raison que les prodromes positifs de la syncope irrémédiable,
par exemple, chez le chien les convulsions générales (P. Bert), constituent un
signe certain d'hémorrhagie déperditive, mortelle, quand bien même on arrêterait
l'effusion sanguine en fermant les vaisseaux, Hayem a cherché, avec une piéci-
sioii à laquelle n'avait songé aucun de ses devanciers, à savoir si, dans cet état
véritablement désespéré, la transfusion, sans laquelle la mort eût été non pas
possible et probable, comme dans la plupart des observations existant dans la
science, mais inévitable, pouvait ou non déterminer la survie. Dans ces condi-
tions, il a vu que le sang dé fibrine, injecté dans les vaisseaux de l'iinimal
convulsé, qui va mourir dans quelques minutes, si l'on s'en tient à l'expeclation,
ranime la vie pour un temps variable entre dix et vingt-quatre heures. Une
véritable résurrection s'opère d'abord, puis les animaux meurent, comme l'avait
affirmé Magendie, de telle sorte que, « quand on remplace par du sang déti-
briné une quantité de sang dont la perte serait immédiatement mortelle, on ne
fiiit que retarder la mort » (p. 470). La survie après l'injection d'un pareil
sang n'est jamais observée que lorsque la limite de la perte compatible avec
l'existence na pas été atteinte, circonstance qui doit être retenue et qui est la
clef même du mode d'action de ces transfusions non restitutrices que l'on
pourrait nommer transfusions de secours, ou transfusions récrémentitielles, dont
nous parlerons un peu plus loin.
Comme l'avait fait déjà remarquer Magendie, les animaux, après la transfusion
de sang défibriné, périssent dans une sorte d'état d'asphyxie après avoir été
ranimés temporairement. Cependant, comme l'a démontré Hayem, les globules
rouges du sang transfusé n'ont pas perdu la propriété de se charger d'oxygène
dans le poumon. Le sang transfusé est à peu de chose près aussi chargé d'hémo-
globine que le sang complet; sa valeur chromométrique varie peu, le sang après
la transfusion (six heures) 'montre à peu près la même teneur en gaz principaux:
acide carbonique, azote et oxygène {loc. cit., p. 474). Mais un fait important,
c'est que le sang transfusé après défibrination est en instance continuelle de
destruction, tout aussi bien dans la transfusion de chien à chien que dans celle
de cobaye à grenouille, comme Gubler et moi l'avions indiqué en 1878 (art.
Sasg). Après la transfusion de sang défibriné, le liquide nourricier laisse cristal-
liser sur le porte-objet du microscope son hémoglobine comme si on l'avait
traité par l'éther. Les autopsies montrent un état analogue à celui connu des
pathologistes sous le nom de sang laqué ou dissous, bien que sans hémoglobi-
nurie (Hayem, toc. cit., p, 475). En réalité donc, à l'état exsangue produit par
'.70 11 KM OH RUA (.11'.
I;i jiL'ilc de sung ou a substitué, pai la transfusion de sang détibriné, une
maladie du sang excessivement grave, et qui prend le pas, entraînant la mort à
brève échéance après une résurrection temporaire, à moins que le sang altéré
introduit par la transfusion ne soit sensiblement négligeable par rapport à la
masse du sang tout entier, c'est-à-dire « mélangé avec une dose de sang qui
pourrait à elle seule suffire, ou peu s'en faut, à l'entretien de la vie (Hayera).
11 résulte de là que la transfusion faite avec du sang défibriné doit être rejetée
comme méthode de restitution sanguine dans l'hémorrhagie vraiment déper-
dilivc, c'est-à-dire qui, par l'étendue, la masse de la perte, condamne vrai-
ment à mort le patient. Les prodromes de la syncope définitive, les mouve-
ments convulsifs généraux, n'ont reçu que par des expériences toutes récentes
de Bcrt leur signification pronostique précise, et qui indique la mort nécessaire
] ar insuffisance absolue du sang. Les anciennes observations de transfusion
avec le sang défibriné, dans les hémorrhagies graves, perdent donc toute lem-
valeur et ne doivent plus entrer en ligne de compte, comme le fait remarquer
Ilayeni.
Il en est tout autrement de la transfusion opérée avec le sang complet, comme
l'avait déjà vu Moncoq {Transfusion instantanée du sang, 1874); chez le
chien condamné à mort par la perte de J/14'' de son poids (la limite admise
pour lui étant de i/18'') et qui présentait des convulsions indicatrices de la
syncope irrémédiable, 250 grammes de sang emprunté à la veine crurale d'un
autre chien suffirent pour déterminer la survie et l'animal se rétablit. Les
expériences récentes de llajem ont confirmé de peint en point ce résultat, et il a
vu que la quantité de liquide à introduire pour déterminer la survie peut être
réduite à un peu plus de la moitié du sang perdu (170 grammes, par exemple,
pour une perte de 405 grammes). Hayera s'est servi de l'appareil très-ingénieux
de Roussel, qui depuis {Progrès médical, octobre 1884) a donné la consécration
au principe en opérant chez l'homme avec succès, lorsque les phénomènes
positifs de la syncope mortelle s'étaient accusés déjà par les convulsions géné-
rales. La question théorique est donc jugée, et, en cas d'hémorrhagie déperdi-
tive, la transfusion du sang complet constitue la seule méthode capable de
sauver les malades.
Reste maintenant à trancher une dernière question : celle de l'utihte des
injections intra- veineuses de sérum naturel ou artificiel.
Nous avons vu que, chez un Mammifère ou un homme mourant d'hémorrhagie
déperditive, le système vasculaire est loin d'être vide de sang au moment oiî la
mort a lieu. Le jeu du cœur cesse de pouvoir s'effectuer (Goltz) surtout parce
que ïappui du sang manque à sa contraction ventriculaire, de telle sorte que
la syncope irrémédiable se produit à un moment où les vaisseaux contiennent
encore une quantité de liquide respiratoire suffisante (si elle était mobilisée et
si le mécanisme hydrodynamique de la circulation n'était pas compromis par
insuffisance de la masse liquide à mouvoir) pour faire face temporairement aux
besoins de la respiration interstitielle. Mobiliser cette masse de sang subsistant,
en la diluant par un liquide qui n'altère pas les globules rouges, rendre ainsi
le jeu du cœur possible jusqu'à ce que la régénération ait commencé à réparer
la perte, tel est le principe des injections intra-veineuses de sérum. Quant aux
injections d'eau faites par la vieille méthode de Golson, reprise par Lorain avec
succès dans un cas unique (choléra), elles sont définitivement jugées théorique-
ment et pratiquement, puisque leur premier effet est de détruire les globules
HEMORRIIAGIE. 471
rouges déjà lésés et trop rares du sang qui subsiste, et que l'on veut répartir
en le diluant.
Avec le sérum naturel, Eulemburg et Landois, ainsi que Brown-Séquard,
n'avaient pas réussi à déterminer le retour à la vie chez le chien soumis à la
saignée déperditive; Hayem {loc. cit., p. 477) a au contraire fait la même
expérience, dans des conditions bien déterminées et où la mort par hémorrhagie
allait sûrement suivre la perte sanguine. 11 a montré que l'injection de sérum
naturel, faite à un animal qui mourrait sûrement de l'hémorrhagie poussée à
l'extrême, peut lui sauver positivement la vie; mais il n'en est plus de même
quand cet animal est tout à fait sur le point de mourir. Quant aux injections
des divers sérums artificiels et notamment d'eau salée, préconisées par Kroneckcr
et Sander (6 grammes ou 78'", 50 de sel marin et 5 centigrammes d'hydrate de
sodium par litre), elles ont déterminé les résultats ordinaires des injections
salines. Une résurrection momentanée s'opère, mais les animaux meurent ensuite
beaucoup plus vite que si l'on eût pratiqué chez eux l'injection intra-veineuse
de sang délibriné. Comme llayem a toujours opéré chez des animaux présentant
les convulsions indicatrices de la mort certaine, les résultats qu'il indique
doivent être seuls pris en considération. Les expériences plus récentes de Schwartz
montrent néanmoins que le problème reste ouvert. Pour le moment, en tout
cas, la question de la transfusion comme remède de l'hémorrliagie déperditive
se réduit à ceci : l°la transfusion du sang défibriné est inutile; 2'^ l'injection
intra-veineuse du sérum naturel a au contraire son utilité, mais n'est pas effi-
cace d'une manière constante, ni lorsque le transfusé est trop près de la mort;
0° l'injection d'eau salée constitue une méthode téméraire, et que l'on doit
absolument rejeter en tant que méthode exclusive (nous verrons pourquoi tout
à l'heure) ; 4" enfin la seule transfusion vraiment efficace est celle du sang pur,
vivant, d'un animal de la même espèce.
Brown-Séquard (cité par Landois in Transfusion des Blutes, p. 98) avait fait
remarquer il y a longtemps déjà que l'on peut arriver à ranimer des animaux
sur le point de mourir d'hémorrhagie en leur injectant un sérum additionné
de sang vivant dans les proportions d'au moins 3 à 4 volumes pour 10 de
sérum. C'est là en réalité le principe de ce que l'on pourrait appeler : principe de
la transfusion mixte. Il ne faut pas en effet conserver d'illusion sur le rôle que
joue, chez le transfusé, le sang du transfuseur. 11 est toujours introduit vulnéré
par son passage au travers des appareils; la vie ultérieure des globules rouges
devient de la sorte très-courte : un pareil sang ne peut donc être considéré que
comme essentiellement provisoire. Si donc on l'introduit avec un mélange arti-
ficiel d'eau et de sels ne tuant pas traumatiquement les globules rouges, comme
le fait l'eau, on peut espérer de la sorte économiser le sang du sujet transfu-
seur et, par le liquide privé de globules, satisfaire à la mobilisation et à la
répartition du sang qui reste encore dans les vaisseaux. D'ailleurs, sans entrer
ici {voy. TRA^'SFUSI0-^) dans les détails techniques de la transfusion, ni prétendre
faire un choix parmi les appareils proposés, je ferai simplement observer qu'il
en est un, celui de Bousscl, dont l'organisme principal, la ventouse à scarifi-
cateur, est d'un maniement très-délicat qui donne souvent lieu à des mécomptes ;
il en est un autre, celui de Dieulafoy, qui, supposant l'introduction d'une
canule dans la veine de l'individu qui donne le sang, constitue un véritable
danger pour ce dernier. L'appareil très-simple, proposé dernièrement par
Bouveret, et qui peut à la fois servir aux injections intra-veineuses de sérum
472 IlÉMORililAtilE.
et à la transfusion, nie i)araU au contraire réunir tous les avantages. Que l'on
veuille tenter une transfusion de sang complet ou une transfusion mixte, on
opère alors avec une égale facilité et d'après le choix du moment, qui, dans ce
cas, s'impose avec une brièveté de discussion dont chacun se rend bien compte,
puisqu'on agit en face d'un individu en imminence continuelle de mort.
En résumé, lorsque à la suite de larges pertes de sang les animaux ou l'homme
sont dans un état de faiblesse et de résolution qui parfois simulent la mort
imminente, mais qui n'entraîneraient pas cerlainemenl Ja moit, les méthodes de
mobilisation du sang, pourvu qu'elles aient pour agents des liquides n'exerçant
sur les globules rouges subsistants aucune influence destructive, rappellent les
sujets à la vie très-rapidement : qu'il s'agisse d'ailleurs d'injections de sérum
artificiel, de sang défibriné ou encore d'une transfusion mixte. Lorsque l'hémor-
rhagie est vraiment déperditive, au contraire, il n'y a plus qu'un remède sérieux,
c'est la transfusion de sang complet, et comme dans la pratique, ainsi que le fait
avec raison remarquer H;iyem [loc. cit., p. 486), le plus ordinairement une telle
transfusion est irréalisable en tant qu'opération d'urgence, puisque dans uii
laboratoire convenablement agencé elle est toujours délicate et donne souvent
lieu à des mécomptes, on est forcé de conclure que la transfusion in extremis
est en clinique une méthode d'exception toujours incertaine, toujours périlleuse
pour le sujet transfuseur, et à laquelle il ne convient de s'adresser que dans des
cas très-rares, sous peine de faire une thérapeutique téméraire. A plus forlc
raison doit-on la condamner comme remède de l'hydrémie post-hémorrhagiquc
grave, du moins jusqu'au moment où l'inslrumentalion aura été perfectionnée
et où certains appareils dont le principe semble excellent, tels que celui deBou-
veret, auront fait détinitivement leurs })reuves.
2° Thérapeutique générale des liémorrhagies à retours. L'héraorrhagie qui
menaçait d'être déperditive est arrêtée, le malade est néanmoins, comme nous
l'avons fait voir, dans un état grave oii chaque perte nouvelle de sang qu'il
éprouvera exercera des effets spoliateurs croissant, pour ainsi dire, en progression
géométrique avec le nombre des liémorrhagies secondaires. Il importe donc au
plus haut point d'éviter les retours de ces hémorrhagies s'effectuant soit par la
même voie que précédemment, soit par d'autres. La thérapeutique pour cet objet
ne dispose, il faut le reconnaître, que de moyens limités dont aucun n'est d'ail-
leurs certain.
Tout malade qui vient de subir une perte grave et dont on redoute la récidive
doit être tenu au repos absolu. L'influence des mouvements généraux actifs, des
efforts, etc., sur la destruction des caillots hémostatiques, est trop évidente, et
d'ailleurs nous en avons assez parlé pour que cette condition du repos apparaisse
aux yeux du lecteur avec toute son importance. C'est pourquoi dans certaines
circonstances, et afin d'assurer un repos absolu, il convient d'employer largement
l'opium. Max Simon {Bulletin de thérapeutique, t. XV, p. 521, 1845) dans la
métrorrhagie, Béhier [Soc. méd. des hôpitaux, 1859) après Forget (1844) dans
l'hémoptysie, ont montré les avantages positifs de la médication opiacée très-
anciennement préconisée par Frank. En réalité, cette méthode assure surtout le
repos avec un calme sommeil, et pour arriver à ce résultat l'opium brut paraît
l'agent le plus convenable. En pareil cas, c'est à ce médicament que je m'adresse
et aussi à la narcéine, dont les effets congestionnants sont moins considérables
que ceux du médicament complet. Dans les métrorrhagies graves dont il redoutait
la récidive, mon maître Loraiu opérait comme Max Simon et en outre badi-
IIÉMORRIIÂGIE. 475
geonnail le ventre au collodion en prévenant la patiente que le fendillement
de cet enduit annoncerait le retour de la perte; la malade e'vitait alors tout
mouvement par crainte d'une hémorrhagie nouvelle.
Un second agent très-prëcieux est le froid. Une vessie de glace en permanence
sur le front et maintenue pendant trois nycthémères me permit cette année
d'éviter la récidive d'épistaxis qui allaient devenir déperd itives chez une malade
atteinte de diathèse hémorrhagique acquise, avec purpura successif presque
permanent. En thèse générale, le patient doit être maintenu dans un endroit frais,
absorber des boissons froides ou même glacées. 11 est inutile d'insister sur celte
pratique que la théorie justifie pleinement et qui est consacrée par la tradition.
En même temps que l'on agit par le repos et le froid, il convient à la fois de
régulariser la circulation par la digitale, afin d'éviter, tandis qu'elle est ainsi
dominée, les mouvements fluxionnaires brusques qui ont une si grande impor-
tance, nous l'avons vu, en tant qu'agents liémorrhagipares. Il faut aussi agir sur
les petits vaisseaux par l'ergot de seigle donné à dose soutenue. En réalité, de la
sorte on ferme la plupart des portes des aires capillaires qui pourraient devenir
le siège d'une trop pleine circulation. Les vaisseaux de distribution ne peuvent
plus verser que le minimum de sang par des artérioles dont le débit a diminué
nécessairement par suite de la demi-contraction de leurs muscles annulaires.
Dans certaines circonstances il est avantageux d'adjoindre à ces effets ceux de
l'ipéca que l'on donne à dose fractionnée (50 centigrammes en iO pa([uets pen-
dant vingt-quatre lieures), ou des dérivatifs tels que les pédiluves sinapisés, les
ventouses, etc.
Telle est la ligne générale que Ton doit suivre pendant les premières périodes
de l'état d'hydrémie post-héiuorrhagique dans les cas où l'on redoute la repro-
duction des pertes de sang. En dehors de là, chaque espèce particulière d'hémor-
rhagie donne lieu à des indications spéciales qui ne sauraient être indiquées ici.
Nous devons dire toutefois que certaines hémorrhagies récidivantes s'effectuent
rhythmiquement à la façon d'accès de fièvre comitiale. La fièvre intermittente
hémoptoïque est le type du genre. Dans les pays soumis à rinfluence maremma-
lique, il n'est pas jusqu'aux hémorrhagies traumatiques qui ne soient influencées
par la périodicité (Modone, 1850, Gaz. méiL, 4 juillet. — Bouisson, Bullet. de
lhci'.,t. XLVI, 1854, p. i2 et 102). Ces sortes de fièvres palustres anomales sont
accompagnées alors d'un flux hémorrhagiparequi s'effectue dans la période ordi-
nairement dévolue à la sudation, c'est-à-dire dans le stade terminal de l'accès.
Elles sont de ce chef justiciables du sulfate de quinine donné suivant la formule
bien connue de Bretonneau.
Un dernier cas particulier qui donne lieu à des considérations thérapeutiques
générales, c'est celui de l'hémorrhagie récidivante et manifestement hémor-
rhagie supplémentaire. Outre les moyens ordinaires, on conseille alors d'essayer
de rétablir le flux sanguin supprimé, par exemple, l'écoulement hémorrhoïdaire.
Celte pratique, justifiée par la tradition, n'est d'ailleurs nullement en désaccord
avec la théorie actuelle, qui à la vague notion de la pléthore locale a fait suc-
céder celle des mouvements fluxionnaires brusques à déterminations diverses
engendrés sous l'influence du système nerveux central. En vertu des mêmes con-
sidérations les phénomènes du moliraen hémorrhagique peuvent, dans certaines
conditions, être heureusement influencés par la saignée, les dérivations larges
du côté du tube digestif ou de l'appareil urinaire, etc., car il ne s'agit là que de
mouvements neuroparalytiques tumultueux qu'une action dépressive sur le sys-
474 HÉMORRIIAGIE.
lème vasculaire, telle qu'est la saignée, fait souvent cesser, comme le montre
l'observation clinique déjà Irès-ancieime.
Tout ce qui vient d'être dit s'applique surtout, on le conçoit, aux hémorrhagies
larges et récidivantes qui compromettent immédiatement l'existence par la perte
de sang qu'elles déterminent. Il est maintenant un autre cas dont il importe de
parler brièvement, les bémorrhagics récidivantes sous la forme déplélive et
créant des pertes minimes à chaque fois, mais se composant de façon à créer
en fin de compte un état d'anémie grave qui peut aboutir au marasme et à la
mort. Dans ce cas on doit à la fois essayer d'agir sur l'origine des hémorrhagies
et de déterminer l'hcmostase définitive et en même temps de relever l'orga-
nisme par un traitement tonique dont la base consiste dans l'emploi du fer,
des médicaments tanniques, de l'hydrothérapie, etc. Tel est le cas de l'iiémor-
rhagie récidivante de la chlorose : hémorrhagie qui le plus souvent s'effectue sous
la forme de ménorrhagies, spoliatrices parfois, à chaque époque ou plusieurs fois
par an, La leucémie constitue un état encore plus grave. Dans ces cas il convient
d'employer le perchlorure de fer, qui agit à la fois comme ferrugineux recon-
stituant et comme styptique, tonique des vaisseaux. Il convient seulement de
faire remarquer que ce tniitement, qui convient à la chlorose et même rend d'in-
contestables services dans l'iiémophilie congénitale ou acquise, n'exerce qu'une
influence très-restreinte sur les hémorrhagies de cause leucémique, dues avant
tout à des embolies de globules blancs.
Quant à Vélat hémorrhacjujue, celui dans lequel le sang a tendance à faire
effusion par toutes les voies et à s'extravaser en exanthèmes ou en exanthèmes
pétéchiaux, il constitue, comme on l'a vu, un danger d'intensité très-variable.
L'érythènie noueux étant, au point de vue de la perte du sang, un accident négli-
geable, le purpura successif peut au contraire revêtir un caractère de gravité très-
grand, dont l'état scorbutique complètement développé fournit le type majeur.
Dans ces états presque constamment déterminés par l'action synergique du froid
humide et des intoxications par les matières putrides s'exerçant toutes les deux
sur des organismes prédisposés comme le sont ceux des arthritiques, l'alimen-
tation tonique, analeptique, l'emploi du fer et surtout du perchlorure, comme
l'a judicieusement fait observer Humbert MoUièrc, occupent sans contredit le
premier rang; et l'on trouve alors de puissants adjuvants dans la série des médi-
caments antiscorbutiques. Mais, si jusqu'à un certain point la thérapeutique est
puissante à l'égard des liémorrhagies disséminées de cet ordre, elle reste com-
plètement désarmée en présence des états hémorrhagiques sateUites et sympto-
matiques des fièvres graves : variole hémorrhagique, ictère grave, typhus ictérode
ou amaril. Dans ces conditions les hémorrhagies multiples sont l'indice d'un
envahissement total et suraigu de l'organisme par le contage le plus ordinaire-
ment animé et parasite; ce n'est plus l'hémorrhagie qu'il faudrait combattre,
c'est sa cause. Aussi les styptiques, les toniques, l'ergot, arriveraient-ils dans ces
cas à maîtriser l'effusion du sang sur les points multiples oii elle s'opère, que
le médecin n'y aurait gagné (ce à quoi il est même douteux qu'il réussisse) que
la suppression d'un symptôme particulièrement émouvant. La malignité, sui-
vant l'expression de l'École à laquelle du reste il est encore impossible de
substituer une autre notion, la malignité subsiste, et c'est elle et non quelques
exanthèmes pétéchiaux qui tuent alors le malade.
5" Thérapeutique générale de l'hémorrhagie pendant le stade de régéné-
ration du sang. Nous avons vu que, tandis que l'hémorrhagie simplement
lli;\IOi;iU10Ïl).\I.KS. 473
(léplétive constitue eu tant que perle pure et simple un épisode insignifiant au
point de vue de la santé générale, le malade frappé d'hémorrhagie spoliatrice
est, après l'arrêt de cette perte, un convalescent d'une maladie grave. Dans les
premiers temps et contrairement à ce que l'on est forcé de faire au moment où
subsiste encore l'indication de l'hémostase, un tel malade doit être soigneuse-
ment garanti contre le froid qui parfois exerce sur lui une action vraiment vul-
nérante ou même le tue. A ce moment la nutrition est au plus haut point l'etar-
dante; l'alimentation très-analeptique et progressivement augmentée est donc
indiquée : le lait, le vin et l'alcool doivent être utilisés largement. La respiration
interstitielle, à laquelle suffisent à peine les anciens globules lésés par l'hémor-
rliagie et les nouveaux jetés dans la circulation hâtivement et à peine formés,
est également incomplète : d'où les stéatoses viscérales possibles et qui souvent
créent secondairement le danger dominant, comme dans les cas d'anémie perni-
cieuse de Perl. C'est alors que, comme dans la chlorose, on retire des avantages
incontestables soit des bains d'air comprimé, soit des inhalations d'oxygène.
Enfin et avant tout, lorsque la période première que l'on pourrait appeler jjeVzWe
de indnération a été dépassée sans incident, une indication de premier ordre se
pose : c'est la médication ferrugineuse. Il faut en effet fournir à la poussée
sanguiformative, et en abondance, le métal nécessaire à la formation de la nou-
velle hémoglobine. L'observation a du reste montré à llayem que le sang pré-
sente alors les lésions matérielles caractéristiques de la chlorose ; les globules
ont un gros stroma, peu d'hémoglobine; ils représentent une monnaie de titre
inférieur, tenant plus de place dans les vaisseaux qu'elle n'a d'action. Sans doute
dans les pertes uniques ou réitérées par petites masses, ou enfin répétées large-
ment chez un individu d'ailleurs sain, le fer introduit par l'alimentation suffit à
la réparation globulaire. Il n'en est plus de même dans les grandes pertes spo-
liatrices, surtout faites en plusieurs temps ou s'exerçant sur des accouchées, sur
des convalescents de fièvres graves, etc. Dans ces conditions les indications du
fer deviennent au moins aussi impérieuses que dans la chlorose; le médica-
ment se doit administrer à peu près de la même façon, sauf modilications
introduites par les circonstances particulières. Il est même avantageux de
commencer l'administration très-près de l'hémorrhagie, en ayant alors seule-
ment soin de s'adresser au perchlorure de fer, qui agit à la fois comme
styptique, satisfaisant aux dernières indications du maintien de l'hémostase
déjà acquise et comme apportant aux nouveaux globules le métal précieux sans
lequel ils ne peuvent devenir parfaits, ni acquérir le maximum si désirable de
leur activité respiratoire. J. Rehaut.
HÉMORRHOiO.VL (NeRF). VoiJ. SaCRÉ (PlcxUs).
HÉmoRRiioiDiL (Plexus). Voij. Sympathique {Grand) et HémokrhoÏ-
DALES, p. 477.
HÉ.nORRaoÎDAïvES (ARTÈRES ET VEi.NEs). A. Artères. Jusqu'à Haller
(1775), on n'admettait que deux ordres d'artères rectales, les internes fournies
par la mésentérique inférieure, les externes fournies indirectement par l'hypo-
gastrique. Depuis Ihdler, on décrit une troisième artère, dite moyenne, pro-
venant de l'hypogastrique directement. Les hémonhoidales internes sont appe-
lées aussi supérieures, les externes intérieures.
476 JIÉMORRHOÏDALES.
1° Artères hémorrho'idales supérieures ou inlernes. Elles viennent de
l'aorte abdominale par la mésentérique inl'érieure, dont elles sont les branches
terminales. Elles se comportent d'une façon différente dans les divers segments
du rectum. — Dans \a première portion du rectum, les artères liémorrboïdales
supérieures, situées tout d'abord dans le mésorectum avecle tronc artériel dont
elles émanent, se portent bientôt vers le bord postérieur du rectum et s'y
divisent en deux groupes de rameaux qui contournent, dans une direction plus
ou moins perpeutliculaire à l'organe, les faces latérales de celui-ci, et vont s'é-
panouir à la surface de sa tunique musculeuse en arcades arboriformes à la
manière des coliques gauches et droites. — Dans la seconde portion du rectum,
la mésentéiique inférieure, qui a suivi jusque-là un trajet plus ou moins parallèle
à Taxe de l'intestin, se divise, après qu'elle a atteint le bord intérieur du méso-
rectum, en deux branches principales. Celles-ci, s'écartant aussitôt l'une de
l'autre, abordent les faces latérales du rectum et les longent •ensuite jusqu'à
l'anus par im trajet qui, de postérieures, les rend antérieures au voisinage du
tiers inférieur. Sur leur trajet spiroïde ou oblique, ces deux branches émettent
des rameaux qui se répandent sur les faces antérieures et postérieures. Le pro-
l'esseur Sappey, que nous suivons, dit que la portion de la mésentérique qui
fournit aux deux tiers inférieurs du rectum se divise quelquefois en trois
branches ; dans ce cas, il y en a une qui longe la face postérieure du rectum,
pendant que les deux autres côtoient ses faces latérales. Cette troisième branche
([)ostérieure) est quelquefois fournie par l'une des deux terminales précitées. —
Dans la troisième portion du rectum, les deux ou trois terminales ci-dessus se
prolongent sous la forme de deux ou trois rameaux terminaux qui vont traverser
la tunique musculeuse et ramper ensuite sous la muqueuse jusqu'à l'anus. Ces
rameaux terminaux de la troisième portion se comportent comme ceux de la
seconde : après avoir traversé la tunique musculeuse, ils se ramifient encore eu
artérioles qui jaillissent en rayons d'étoile d'un même point, puis s'anasto-
mosent et s'épuisent dans la muqueuse.
2'^ Artères hémorrhoïdales moyennes. Cette artère vient habituellement du
tronc de l'hypogastrique ; si elle varie dans son origine, elle varie aussi dans son
calibre, qui est grêle en général. Lorsqu'elle manque, elle est remplacée par des
branches de diverses sources, et plus particulièrement par des branches de
l'ischiatique et de la honteuse interne (Cruveilbier). Chez Yhomme. son trajet
est situé entre le rectum et le bas-fond de la vessie. Longeant en dehors les
vésicules séminales, puis s'appliquant sur les parties latérales et inférieures de
la prostate, l'hémorrhoïdale moyenne distribue la plupart de ses rameaux aux
vésicules séminales, à la prostate et à la paroi postérieure de la vessie. Des
rameaux grêles et peu nombreux se perdent dans les tuniques du rectum où ils
s'anastomosent avec les artérioles terminales des hémorrhoïdales supérieures,
ultime épanouissement de l'artère mésentérique inférieure, et avec ks hémor-
rhoïdales inférieures, collatérales de la honteuse interne. Quelquefois l'artère
hémorrhoïdale moyenne fournit l'artère déférentielle chez l'homme, et l'artère
vaginale chez la femme. Chez la femme, elle descend entre le rectum et le
vagin et distribue ses rameaux en plus grande abondance au vagin qu'au rectum.
3° Artères hémorrhoïdales inférieures. Au nombre d'une à trois ou quatre
de chaque côté, elles naissent de la honteuse interne et parlant de l'hypo-
gastrique. Sur le trajet qu'elles parcourent de l'espace ischiatique à la branche
ischio-pubienne eu convergeant vers l'anus, elles serpentent au sein du tissu
HKMORRHOÏUALES. 477
cellulo-adipeux qui remplit la fosse ischio-rectale. Elles se distribuent au
sphincter externe de l'anus, à la peau et à la couche graisseuse sous-jacente.
Elles appartiennent donc plutôt à la région anale qu'au rectum.
En résumé, les véritables artères hémorrhoïdales sont les supérieures, qui
fournissent à toutes les parties du rectum. Les hémorrhoïdales moyennes, qui
s'anastomosent avec les supérieures et les inférieures, ont surtout pour rôle
d'établir une communication entre l'aorte abdominale par la mésentérique in-
férieure et les artères iliaques primitives, branches terminales du même tronc,
par les honteuses internes et les hypogastriques. Le même but est rempli par
les hémorrhoïdales inférieures. La circulation artérielle dans le rectum se trouve
ainsi assurée par trois sources capables de se suppléer au besoin.
B. Veixes hémorrhoïdales. Le sang veineux du rectum est collecté en
majeure partie par la veine mésentérique inférieure ou petite mésaraïque, c'est-
à-dire par la veine porte. On décrit des veines hémorrhoïdales : 1" supérieures,
'2" moyennes, o" inférieures. Toutes les veines du rectum sont anastomosées
entre elles et forment deux réseaux ou plexus, l'un sous-muqueux, l'autre sous-
musculaire, enveloppant le rectum dans toule sa hauteur comme d'un double
manchon, ou plutôt d'un double filet vasculaire. De ces plexus hémorrhoïdaux
partent les trois ordres de veines signalées et si différentes d'importance.
1° Lq plexus sous-musculaire est le moins important; il repose en bas sur
le sphincter externe de l'anus. Il communique par de nombreuses anastomoses
avec le plexus vésical chez l'homme et le plexus vaginal chez la femme, et se
jette dans les veines hémorrhoïdales moyennes et inférieures, branches de la
veine hypogastrique. Disons un mot de ces dernières. Les veines hémorrhoï-
dales moyennes sont au nombre de quatre (Sappey) ; elles peuvent manquer.
Lorsque les artères hémorrhoïdales moyennes se terminent exclusivement dans
le rectum, elles n'ont pas de veines qui leur correspondent. Si ces artères se
terminent en partie dans le rectum, en partie dans les vésicules séminales et la
prostate ou le vagin, alors elles sont accompagnées d'une veine qui prend son
origine non dans le rectum même, mais dans les autres organes énumérés.
Elles se rendent à l'hypogastrique. — Les reines hémorrhoïdales inférieures.
au nombre de quatre ou six, se voient au pourtour de l'anus; elles sont peu
volumineuses et se rendent aux veines honteuses internes, branches de la veine
hypogastrique. Leur importance vient de ce (ju'elles relient d'une façon plus
constante que les moyennes le système veineux général au système porte en
s'anastomosanl avec les veines hémorrhoïdales supérieures par leurs radicules
plexiformes. Cette communication est démontrée par le scalpel et les injections
pénétrantes. Celles-ci passent de la veine porte aux veines hémorrhoïdales sup{''-
rienres, puis aux veines hémorrhoïdales inférieures, et de ces dernières elles
passent dans les veines honteuses internes, et finalement parviennent au tronc
des veines hypogastriques et iliaques primitives, origine de la veine cave infé-
rieure (Sappey). Ces injections pénétrantes poussées par la veine cave remplissent,
on le comprend, non-seulement les canaux du plexus sous-musculaire, mais aussi
et surtout ceux du plexus sous-muqueux, d'où naissent les reines hémorrhoï-
dales supérieures. Comme les artères hémorrhoïdales supérieures, les veines
hémorrhoïdales supérieures sont les vrais canaux de la circulation rectale plus
riche que celle des autres parties du tube intestinal. Autant les moyennes et les
inférieures sont grêles et variables de nombre, autant les supérieures sont remar-
quables par leur nombre et leur volume. Il en résulte (|ue le rectum est plus
478 HKMORRHOIDES.
immédiatement, à l'e'tat anatomique et normal comme à l'état pathologique,
sous la dépendance du système porte que du système général de la circulation.
2" Le plexus som-muqueux est formé par les radicules venant de la muqueuse.
Ces veinules forment dans l'épaisseur de la tunique celluleuse le réseau sous-
muqueux qui est surtout développé et riche dans le tiers inférieur du rectum,
au niveau de l'anus, particulièrement au niveau des replis semi-lunaires. C'est
cette portion inférieure du réseau sous-muqueux qui est le siège fréquent des
tumeurs hémorrhoïdales et qu'on désigne communément sous le nom de plexus
hémorrho'idal. — Lorsqu'on relève et renverse la muqueuse d'un rectum dé-
taché, étalé et fixé sur une planche de liège, on voit, citez tous les sujets, les
veinules présenter des dilatations ampullaircs, parfois très-multipliées, dont les
dimensions varient du volume d'un grain de millet à celui d'une lentille
(Cruveilhier, Sappey et les auteurs). Ce sont ces dilatations qu'on trouve même
assez souvent chez les enfants, et qu'on décèle à l'aide des injections coagulantes
ou hydriques, qui peuvent devenir le point de départ des tumeurs hénionhoï-
dales. De ce plexus sous-muqueux émanent une dizaine de branches veineuses,
d'un volume toujours notable, qui montent sous la muqueuse jusqu'à une
hauteur de 10 à 12 centimètres, puis perforent la tunique musculaire du rectum,
les unes obliquement, les autres perpendiculairement, pour s'engager dans le
mésorectum, en suivant le trajet des artères hémorrhoïdales supérieures, et se
jeter dans la petite mésaraïque. Parmi ces branches, les plus remarquables sont
celles qui répondent au sphincter interne de l'anus auquel elles donnent parfois
un aspect caverneux, même chez les sujets qui n'ont jamais été affectes d'hémor-
rhoïdes. D'après M. Duret {Archiv. ge'n. de médecine, déc. 1879 et janv. 188G),
ces mêmes branches émanant du plexus sous-muqueux et formant les veines
hémorrhoïdales supérieures se terminent chacune à leur partie inférieure par
une petite ampoule ovalnire, de la grosseur d'un grain de blé à celle d'un pois,
])lacée à un peu plus de 1 centimètre au-dessus de l'anus, c'est-à-dire au niveau
des valvules de Morgagni. De chacune de ces ampoules part une veinule qui,
traversant les fibres musculaires inférieures du sphincter interne et supérieures
du sphincter externe, va se jeter dans un des rameaux d'origine des veines
hémorrhoïdales moyennes et inférieures, reliant ainsi la circulation porte à la
circulation cave et constituant pour cette dernière autant de canaux de dériva-
tion. Les dilatations ampullaires étaient connues de tous les auteurs; on les
voyait sur le trajet, M. Duret les voit à la terminaison des veines, mais il en fait
partir une veinule; c'est une interprétation différente. E. Yi.ncext.
OÉMORRIIOÏDES. Déflmtion. Si l'on s'en tient à l'étymologie, hémor-
rho'ide (de aTu.«, sang, et piw, je coule) signifie écoulement de sang et, par
suite, est synonyme d'hémorrhagio. La perte de sang est le symptôme qui a
le plus l'rappé l'attention, et c'est elle qu'on a voulu rappeler en donnant son
nom à la maladie que nous avons à décrire. Cette appellation fut ensuite
appliquée à des flux sanguins ayant un autre siège que la région anale. Ou
rencontie dans les auteurs anciens les expressions àliémorrhoïdes vésicales,
àliémorrho'ides buccales, nasales, utérines, stomacales, etc., par lesquelles sont
désignées certaines hémorrhagies provenant de la vessie, de la bouche, du
nez, etc., et paraissant se distinguer, comme les hémorrhagies ano-rectales, par
leur passivité, leur origine veineuse, et surtout par une sorte de périodicité.
Aujourd'hui, l'acception du terme hémorrhdide est plus restreinte.
HÉMORRIIOÏDES. 479
Hémorrhoïde désigne une affeclion morbide particulière de la re'gion ano-
rectale qui se caractérise par un écoulement de sang et des tumeurs vasculaires.
Les héraorrhoïdes, dit M. Gosselin, sont des tumeurs variqueuses de la région
anale susceptibles de fournir du sang à certains moments.
D'après M. Duplay {Traité élémentaire de pathologie externe, par Follin et
Duplay, t. VI, p. 144), « on désigne aujourd'hui sous le nom d'hémorrhoïdes
la dilatation variqueuse des veines de l'anus et de l'extrémité inférieure du
rectum. »
Quant à M. Lannelongue, dans son article Hémoruhoïdes du Nouveau diction-
naire de médecine et de chirurgie pratiques, page 404 ,il constate que « l'usage,
de nos jours a voulu qu'il (le mot hémorrhoïde) ne soit plus consacré qu'à
désigner la dilatation variqueuse des veines de l'extrémité inférieure du rectum
et de l'anus, ou les flux sanguins qui se font dans la dernière portion du canal
intestinal. » Mais, dit-il, l'origine du flux sanguin est loin de ne prêter à aucune
espèce d'équivoque. Emane-t-il de varices déjà formées, ou les précède-t-il, et
dans quelle mesure contribue-t-il à les produire?
Nul doute, cette questiou n'est pas résolue, et il est probable qu'elle ne le
sera pas de longtemps, parce que les malades ne réclament nos soins que lorsque
la maladie est constituée. Ce n'est point à la période préparatoire que l'on consulte
et surtout qu'on demande ou accepte un examen local. Nous ne pouvons donc
savoir si la iluxion sanguine a servi de prélude à la tumeur ou si cette dernière
en est la cause première et incitaliice. Mais ce que nous savons bien, c'est que
la maladie dite hémorrhoïdaire se présente habituellement à nous avec les
traits cliniques suivants : tumeurs sanguines dans la région ano-rectale, écou-
lement de sang actuel ou passé. Une définition, en médecine comme ailleurs,
pour être adéquate à son objet, n'a qu'à reproduire ses traits principaux indis-
cutés. Elle doit indiquer la nature, le siège du mal et son caractère le plus
typique. C'est pourquoi je définirai les hémorrhoïdes :
Des tumeurs vasculaires sanguines, le plus souvent veineuses, siégeant à
ïextrémité inférieure du rectum ou au niveau de l'anus et donnant lieu
habituellement à des hémorrhagies spontanées spéciales. Je dis tumeurs,
parce que nous ne comprenons pas aujourd'hui les hémorrhoïdes sans des dila-
tations vasculaires faisant relief, formant tumeur. Je dis vasculaires sanguines
pour écarter toute confusion avec des tumeurs lymphatiques ou autres; je dis
le plus souvent veineuses et non toujours veineuses pour tenir compte de cer-
taines hémorrhoïdes à sang artériel. Je dis donnant lieu habituellement et non
toujours à des hémorrhagies, parce que, si l'écoulement sanguin est un des
traits les plus caractéristiques des hémorrhoïdes, ce n'est cependant point un
symptôme indispensable à leur détermination nosologique; la tumeur vascu-
laire peut exister sans hémorrhagie. Je dis enfin hémorrhagies spontanées et
spéciales, parce que les pertes de sang liées à l'existence de ces tumeurs vascu-
laires sanguines de la région ano-rectale se produisent sans l'intervention d'un
traumatisme, par un mécanisme spécial dans son jeu, ses effets et ses retours
plus ou moins périodiques, ainsi qu'on le verra plus loin.
Division et anatomie pathologique des hémorrhoïdes. On a toujours dis-
tingué depuis Avicenne (Avicenna, Canon medicinœ, lib. 111, t. I, p. 855,
Venet. 1595) deux grandes classes d'hémorrhoïdes : les hémorrhoïdes internes
{profùndœ) et les hémorrlioïdes externes {exterius natœ), différentes par leur
siège, par leur étiologie, leur origine anatomique et leur traitement. Les hémor-
480 HÊMORRllOÏDES.
rhoïdes externes occupent la marge de l'anus, les internes l'intérieur du rectum
jusqu'à une hauteur qui n'excède pas 10 centimètres ; les premières au-dessous
du sphincter externe, les secondes au-dessus, les unes sous-cutanées, les autres
sous-muqueu$es. Entre ces deux classes il s'en place une intermédiaire qui
résulte de l'empiétement de l'une des deux premières sur le territoire de sa
voisine : ce sont les hémorrhoïdes cutanéo-miiqueuses ou muco-culanées. Celle
classification topographique est admise de tout le monde. Mais l'accord cesse
d'exister pour la classification des espèces anatomiques de ces tumeurs ano-
rectales vasculaires.
Si l'on lient compte des apparences et de la plupart des opinions émises,
on peut distinguer : pour les Hémorrhoïdes externes, les types suivants : —
a. varices simples; — b. varices ampidlaires; c. varices capillaires simples;
— d. varices capillaires érectiles; — e. varices avec thromboses et ktjstes; —
ï. varices desséchées ou marisques ; — g. hémorrhoïdes artérielles. Ces types
ne se présentent pas le plus souvent isolés, ils se combinent : de là des variétés
infinies de nature complexe et d'aspect variable. Les Hémorrhoïdes internes se
présentent à des péiiodes diverses de formation pour quelques auteurs, ou sous
des types particuliers d'après d'autres : — a. hémorrhoïdes internes capillaires;
— b. Iiémorrituïdea inlernes-artérielles; — d. hémorrhoïdes internes veineuses.
Allingham [Maladies du rectum, 1877) distingue deux sortes d'hémorrhoïdes
externes : la première n'est qu'une hypertrophie ou excroissance de la peau ; la
seconde est une tumeur sanguine veineuse. Cette seconde forme est la véritable
hémorrhoïde. Quelques-uns y voient, dit-il, le résultat de coagulations sanguines
dans des veines variqueuses, d'autres les expliquent par des cxtiavasations dans le
lissu conjoncliL « Je crois que ces deux manières de voir sont exactes; j'ai trouvé
un caillot dans un sac formé de tissu cellulaire enflammé et condensé, et j'ai aussi
pu chasser le sang dans la veine. » Quant aux hémorrhoïdes internes, Allingham
dit qu'elles peuvent être si petites, qu'elles ressemblent à un amas de vaisseaux
capillaires dilatés avec épaississement du tissu ambiant, ou atteindre le volume
d'un œuf de poule. Il en dislingue trois espèces bien tranchées qui se succèdent :
1° Hémorrhoïdes capillaires. Elles sont petites, framboisées, à surface gra-
nuleuse, spongieuses; elles saignent au moindre contact; souvent situées assez
haut dans rinteslin, elles peuvent saigner beaucoup; elles sont formées par des
capillaires hypertrophiés et. du tissu conjonctif spongieux et ressemblent, en
somme, à des nœvi maternels;
2° Hémorrhoïdes artérielles. De volume variable, quehfuefois considérable,
elles sont luisantes et douces au toucher ou dures, vasculaires, elles saignent
dès qu'on les gratte, en répandant en abondance un sang très-rouge qui s'échappe
en jet d'artère; une artère y aboutit, on la sent battre avec autant de force que
la radiale, dont elle atteint quelquefois le volume; cette hémorrhoïde est com-
posée d'un amas d'artères et de veines largement anastomosées et tortueuses et
dun stroma de grandes cellules et de lissu conjonctif;
3° Hémorrhoïdes veineuses. Les veines prédominent dans ce type qui atteint
souvent le volume d'un œuf de poule; l'hémorrhoïde est bleuâtre, elle sort
facilement et souvent reste toujours dehors; elle saigne peu, mais, si on la pique,
il s'en écoule du sang veineux ou artériel. Ce genre d'hémorrhoïdes se rencontre
particulièrement chez les multipares à gros utérus rétroversé, à l'âge critique,
ou chez les hommes atteints d'hypertrophie ou d'induration du foie, chez les
buveurs d'alcool. L'auteur anglais admet donc, comme Raige-Delorme et d'autres,
HÉMORRHOÏDES. 481
des hémorrhoïdes formées par les capillaires et les artères, soit des hémorrhoïdes
érectiles. Ce n'est point là une idée neuve, mais ce que la manière de voir
d'AUingham offre de particulier, c'est la succession de l'hémorrhoide veineuse
aux hémorrhoïdes capillaires et artérielles.
D'après Allingham, d'après M. Mollière, qui l'interprète et le complète, les
varices rectales commencent par des dilatations capillaires analogues à celles
qui se voient sur les membres. L'une des aigrettes, des houppes du réseau
rectal, se dilate, se transforme en tumeur qui s'isole et se pédiculise quelquefois
comme un véritable polype. Au bout d'un certain temps, l'inflammation déter-
mine l'oblitération des capillaires. Mais au-dessous d'eux et en raison même de
cette oblitération les veines se dilatent et se tiansforment en de véritables
varices. Ces varices, très-superficielles et très-fines au début, disent-ils, sont dif-
ficilement appréciables à l'examen direct, mais elles ne tarderont pas à se
tuméfier. L'inflatumation, avant de provoquer l'état variqueux proprement dit,
fait passer les hémorrhoïdes de l'état capillaire à l'état artériel; l'hémorrhoide
est alors plus volumineuje qu'au début. L'hémorrhoide artérielle est composée
d'un nombre considérable d'artères et de veines qui semblent s'anastomoser
directement entre elles, qui sont entrelacées si étroitement et si intimement
entre elles, unies par du tissu conjonctif, qu'il est à peu près impossible d'en
déterminer les rapports. Ces tumeurs, qui s'ulcèrent, s'enflamment avec une
grande facilité, ne restent pas cachées longtemps dans le rectum, provoquent
des sécrétions de mucosités irritantes, ensuite des érosions, des ulcérations au
pourtour de l'anus avec des végétations analogues à celles des organes génitaux
des prostituées. Les mêmes auteurs prétendent que la transformation des hémor-
rhoïdes capillaires et des hémorrhoïdes artérielles en hémorrhoïdes veineuses ne
peut se nier. Us admettent toutefois que l'hémorrhoïde veineuse jieut apparaître
d'emblée, mais alors elle est surtout symptomatique. Ils font remarq\ier que
les veines qui constituent les hémorrhoïdes internes sont les veines de la mu-
queuse rectale ; que celles des autres tuniques intestinales restent indemnes;
que la muqueuse n'adhère que tardivement à l'hémorrhoïde, lorsque les périodes
artérielle et capillaire ont précédé la période veineuse, et que, lorsque la phléb-
ectasie envahit d'emblée les veines d'un certain calibre, il se forme entre elles
et la muqueuse de petites bourses séreuses accidentelles que Verneuil a signalées
le premier. L'hyperthrophie du tissu cellulaire sous-muqueux et périvasculaire
ne survient par phlébite et cellulite que lorsque les hémorrhoïdes sont devenues
procidentes. Ces trois types ne sont pas d'ordinaire isolés et il n'est pas impos-
sible qu'une phlébectasie primitive et poussée très-loin se propage des veines
aux capillaires et aux artérioles. C'est donc une succession de phénomènes
inverse de ce que nos auteurs regardent comme la règle. L'hémorrhoïde interne
est donc pour eux initialement une tumeur érectile. Cependant M. Mollière fait
la réflexion suivante « : Ces hémorrhoïdes érectiles ont-elles le tissu des tumeurs
érectiles? Non, car ces tumeurs veineuses ne sont aussi que des varices; ce sont
des varices capillaires, comme les a appelées Cruveilliier, varices analogues à
celles que l'on trouve parfois sur les membres en même temps que les dilata-
tions siégeant sur des vaisseaux plus volumineux. Elles ont peut-être pour siège
les capillaires veineux, c'est-à-dire le réseau qui précède immédiatement les
capillaires vrais; mais il existe aussi des dilatations variqueuses, des ramifica-
tions ultimes des troncs veineux formant des tumeurs qui, suivant Cruveilhier,
ne sont pas érectiles, et par là l'illustre professeur entendait dire qu'elles ne
DICT. ENC. 4° s. XIII. 31
482 HÉMORRHOÏDES.
contiennent pas des vacuoles communiquant entre elles pour former un système
de lacunes, mais sont constituées par une série de veinules dilatées marchant
parallèlement les unes aux autres entourées de tissu cellulaire abondant. ')
M. Mollière reconnaît ailleurs que la phlébectasie peut précéder les dilatations
artérielles, et nous notons ce passage, parce que nous ne croyons pas, pour
notre part, à l'origine capillaire ou artérielle soit des liémorrhoïdes internes, soit
des hémorrhoïdes externes, n'ayant rien observé en faveur de cette idée. « Ce
qu'il faut savoir, dit-il, c'est que dans ces hémorrhoïdes sèches ou veineuses,
peu importe, il se développe parfois, sous l'influence de l'inflammation, des arté-
rioles volumineuses qui deviennent à certains moments la source d'hémorrhagies
abondantes. »
Il nous semble qu'on a pris les accidents pour la cause et que l'hémorrhoïde
est originellement une phlébectasie cylindrique, fusiforme ou sacciforme, et que
les dilatations capillaires ou artérielles, soit de la muqueuse, soit de la peau,
ne sont que des accidents consécutifs dus à l'action de présence de l'ectasie
veineuse primordiale, à la pression, à l'élranglement, à l'inflammation.
Rindfleisch (p. 236 et suiv., Traité d'hht. pathoL, trad. de Gross) classe les
liémorrhoïdes dans les phlébectasies et considère le plexus hémorrhoïdal comme
le mieux disposé pour la formation des tumeurs variqueuses. Cela tient, dit-il,
à la communication de ce plexus avec la veine porte (veines hémorrhoïdales
internes), d'où il résulte que la circulation du sang dans ces veines se trouve
soumise aux mêmes conditions défavorables que dans la veine porte, sans pro-
fiter des effets bienfaisants de la contraction des muscles abdominaux qui favo-
rise le cours du sang dans la veine porte; en second lieu, la prédisposition de
ces plexus à la phlébectasie s'explique par les hyperémies prolongées et souvent
répétées qu'y provoque l'exercice des fonctions sexuelles. L'ectasie du plexus
hémorrhoïdal (la véritable affection hémorrhoïdale) commence par une injection
des veines de transition qui sont situées dans le tissu conjoncl if lâche sous-
muqueux du rectum tout près de l'ouverture anale. Il s'y joint bientôt un
catarrhe avec légère hyperplasie des glandes muqueuses. Plus tard, ces altéra-
tions passent au second plan, la phlébectasie détermine la formation de gros
paquets variqueux qui soulèvent la muqueuse et forment une couronne de replis
transversaux autour de l'anus. Enfin, l'ectasie se concentre sur un ou plusieurs
points de ces replis, y produit des nodosités arrondies et plus tard des tumeurs
fongueuses d'un volume assez considérable. La coupe d'un nodule hémorrhoïdal
un peu gros montre déjà à l'œil nu que la masse principale de son tissu est
de nature spongieuse. Les pores sont formés par la section des vaisseaux, les
cloisons par la fusion des parois des veines dilatées et variqueuses. On peut se
tendre compte de cette structure en admettant que, sous l'influence de l'aug-
mentation prolongée de la pression sanguine, l'ectasie des veines détermine
l'atrophie du tissu conjonclif interposé, et que finalement il ne reste plus que
les parois vasculaires. 11 n'est pas rare de voir une induration inflammatoire
survenir dans le voisinage de ces nodules veineux, et, dans leur intérieur, il se
forme par-ci, par-là, des coagulations sanguines qui déterminent des gangrènes
partielles. Ces gangrènes partielles font communiquer ensemble les replis vei-
neux adossés ou causent des ulcérations plus ou moins fongueuses, suppurantes
ou saignantes des bourrelets. Dans sa simplicité, la tumeur hémorrhoïdale est
donc formée uniquement par la dilatation d'une veine. Cette vérité a été mise
en évidence par les dissections de Blandin et de Jobeit, par les injections de
HÉMOKRHUIUES. 485
Brodie, de Smith, de Verneuil, de Gosselin (voy. {Artères et Veineu] Hémor-
RHOÏDALES de 06 Dicl.). Une injection poussée par la veine porte rem[)lit toujours
la totalité des bosselures variqueuses, quand celles-ci sont encore perméables,
quand elles ne renferment pas de sang coagulé, quand l'inflanimation n'a pas obli-
téré les vaisseaux variqueux. L'injection poussée par les artères mésentériques
et par les vaisseaux hémorrhoïdaiix moyen et inférieur ne gonfle pas les hérnor-
rhoïdes. Sur la muqueuse saine et dans les cas d'iiémorrlioides peu développées,
l'injection poussée par la veine porte ne passe jamais dans les veines hémor-
rhoïdales moyenne et inférieure, et M. Verneuil {voy. thèse Germain) en conclut
que l'existence des anastomoses admises par les auteurs entre toutes les veines
héraorrhoïdales est tout au moins douteuse; mais, dit M. Mollière, il ne faut
pas oublier que les injections de M. Verneuil par la veine porte ont été poussées
du centre à la périphérie; les résultats ne seraient probablement pas les mêmes,
si l'on avait pu les pousser en sens inverse, c'est-à-dire des capillaires vers le
cœur. Le professeur Gosselin a fait remarquer avec raison que, pour tirer une
preuve irréfragable de l'expérience des injections en faveur de la nature veineuse
des hémorrhoïdes, il fallait être sur que les veines dont on faisait l'injection et
la préparation avaient bien appartenu à un sujet hémorrhoïdaire. Gosselin put
faire des expériences en 1864 sur le cadavre d'un homme âgé de soixante-deux
ans et qui avait eu des hémorrhoïdes internes pendant vingt-cinq ans. Ses hémor-
rhoïdes, constatées pendant la vie, avaient disparu après la mort, comme il
arrive le plus souvent pour les hémorrhoïdes internes rentrées ou qui n'ont pas
été longtemps procidentes; sur le cadavre, elles contiennent une très-petite
quantité de sang et dans les autopsies on ne les remarque même pas. Gosselin
pratiqua sur ce sujet l'hydrotomie dans la veine mésentérique inférieure. L'in-
jection d'eau passa dans les tumeurs et en fit reparaître tous les reliefs, plus sur
les bourrelets internes que sur les externes. Une injection de suif coloré en bleu
par le tronc de la mésentérique inférieure et par la veine dorsale de la verge,
branche de la honteuse interne qui fournit les veines hémorrhoïdales inférieures,
procura les résultats suivants : réseau veineux bien injecté entre la muqueuse
et la couche musculaire de l'intestin, réseau à mailles de plus en plus serrées
de haut en bas, dessinant des lignes courbes à convexité inférieure correspon-
dant aux valvules semi-lunaires de Morgagni. M. Gosselin s'est assuré que ces
veines, au lieu de former des réseaux inextricables, se terminaient presque toutes
en culs-de-sac disposés à la façon des fils d'une aigrette, suivant l'expression de
M. Verneuil. Ces culs-de sac ne sont pas ou ne sont que peu anastomosés. Les
varices n'arrivaient pas jusqu'aux hémorrhoïdes externes; celles-ci se conti-
nuaient avec les hémorrhoïdales inférieures qui n'avaient pas d'anastomoses
avec les ampliations en aigrettes des veines hémorrhoïdales supérieures. Il est
douteux, dit-il, qu'on voie jamais les hémorrhoïdes externes formées par les
veines hémorrhoïdales supérieures. Le professeur Gosselin conclut de ses expé-
riences cadavériques sur un hémorrhoïdaire que les hémorrhoïdes internes sont
à leur début et dans toute la durée de leur existence constituées par des varices
remarquablement abondantes, sans hypertrophie ni de la muqueuse rectale, ni
du tissu cellulaire sous-jacent; le prolapsus, quand il se produit, s'explique par
la distension et l'amincissement que font éprouver à la muqueuse l'accumula-
tion énorme du sang dans des varices éminemment dilatables et la laxité devenue
plus grande du tissu cellulaire sous-jacent. Les varices dépendent, pour les
hémorrhoïdes externes, des veines hémorrhoïdales inférieures, pour les hémor-
484 HEMORRHOÏDES.
rhoïdes internes, des veines hémorrhoïdales supérieures, sans qu'il y ait de com-
munication directe, ou du moins très-large, entre les premières et les secondes.
Si l'on dissèque la région ano-rectale d'une femme morte de suites de couches
avec des hémorrhoïdes externes commençantes, on trouve une ou deux veines
dilatées se continuant en haut avec les hémorrhoïdales supérieures, branches
terminales de la petite mésaraïque, en bas avec les hémorrhoïdales inférieures,
branches de la honteuse interne. Tel est le début. Après un certain temps, les
hémorrhoïdes externes sont formées tout à la fois par les varices et par le tissu
conjonclif qui s'est hypertrophié. Ces varices se transforment comme les varices
d'autres régions du corps; la pression et l'irritation incessantes résultant de la
défécation et de la station assise enflamment les varices, et les phlébites récidi-
vantes causent : la coagulation du sang, l'oblitération de la veine en deçà et au
delà de la coagulation, à la longue, une résorption du caillot, l'inflammation
par voisinage du tissu cellulaire ambiant. Au contraire, avec le temps, les
hémorrhoïdes internes s'accroissent par l'addition de nouvelles varices, sans
qu'il s'y ajoute des modifications du tissu cellulaire. L'origine est identique
pour les deux espèces d'hémorrhoïdes, la différence de siège explique seule la
différence de structure, les hémorrhoïdes externes étant par leur situation
beaucoup plus exposées à la plilébile et le tissu cellulaire de la région anale
ayant une tendance à l'épaississement qui n'existe pas dans les points plus
élevés du rectum. Les kystes de Récamier et de Cullen ne sont que le résultat
de l'extravasation du sang dans le tissu cellulaire à la suite d'une phlébite qui a
déterminé la perforation d'une paroi veineuse ectasiée; l'inflammation a pu
déterminer la sclérose du paquet veineux et ne laisser subsister que le kyste
sanguin secondaire. L'aspect caverneux, éreclile, d'un nodule hémorrhoïdal,
résulte de l'union, de la soudure des veines dilatées d'un ou de plusieurs bour-
relets, de la perforation des parois veineuses adossées.
Pour terminer cette étude anatomo-pathologique nous dirons que Froriep a
démontré que la couche interne des loges appartient bien aux veines. La dissec-
tion a encore démontré que sur les tumeurs hémorrhoïdales il existe souvent
une expansion des fibres musculaires des sphincters, dont les unes sont amin-
cies, les autres hypertrophiées. On y trouve encore un réseau artériel considé-
rable et des filets nerveux. La présence de ces derniers rend compte de la
sensibilité parfois extrême des bourrelets hémorrhoïdaux. Enfin, on a trouvé
(J.-L. Petit) dans quelques dissections que les troncs veineux partant des plexus
hémorrhoïdaux ectasiés et rampant sous la muqueuse présentaient un calibre
très-augmenté dans une étendue de 21 à 24 centimètres.
En résumé, les tumeurs hémorrhoïdales sont, du début à la fin, des dilatations
veineuses, des varices, et les additions anatomiques qui s'ajoutent à la phlébec-
tasie initiale sont des accidents secondaires, propres surtout aux hémorrhoïdes
externes. Cette doctrine est conforme à l'exposé de Virchow et de Ranvier, dans
les ouvrages desquels on trouvera les notions historiques et histologiques néces-
saires pour compléter cette partie de noire article.
Étiologie. Pathogéme. L'affection hémorrhoïdaire est des plus communes;
les causes en sont variées et disparates. Au point de vue de l'étiologie, on doit
distinguer les hémorrhoïdes qui tiennent à une affection purement locale d'avec
celles qui dépendent d'une autre maladie et en sont un des symptômes. On doit
donc admettre des hémorrhoïdes idiopathiques et des hémorrhoïdes sympto-
nw tiques.
HÉMORRHOÏDES. 485
Étiologie et pathogénie des hémorrhoïdes idiopathiques. Ces hémorrhoides
sont l'apanage de l'âge mûr et de la vieillesse. On les rencontre quelquefois
chez les enfants. Delarroque, Klein, Trnka, Lanuelongue et d'autres, en ont cité
des exemples. Elles paraissent plus fréquentes chez les femmes, mais, si l'on
retranche du calcul les hémorrhoides symptomatiques de la grossesse ou d'une
tumeur abdominale, on est amené à reconnaître que les hémorrhoïdes idiopa-
thiques sont plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes. Tous les
tempéraments, toutes les constitutions, peuvent présenter l'affection hémor-
rhoidaire; néanmoins il est d'observation qu'elle se montre de préférence chez
les sujets sanguins, pléthoriques ou bilieux, chez les herpétiques et les goutteux,
et qu'on voit quelquefois une attaque de goutte remplacée par une crise d'hémor-
rhoïde et vice versa. L'hérédité transmettant le tempérament transmet la dispo-
sition aux hémorrhoïdes et non l'affection hémorrhoïdaire, comme on l'a dit;
ime vie oisive, sédentaire, une alimentation trop succulente, certaines professions
qui exigent la station assise ou debout prolongée, sont des conditions favorables
à la naissance des hémorrhoïdes, la constitution prédisposante existant.
Pathogénie. Deux théories sont en présence : 1" celle du bol fécal, si j'ose ainsi
parler, du bol fécal compresseur, agissant sur les veines rectales à la façon du doigt
et de la bande appliqués sur le trajet de la veine humérale pour la saignée au pli
du coude, à la façon de la jarretière qui favorise les varices de la jambe; 2° celle
de la fluxion, théorie ancienne qui assimile l'hémorrhoïde à la menstruation et
en fait le produit d'une sorte d'érection rectale plus ou moins périodique.
Théorie de la stase mécanique. Cette théorie s'appuie sur les considéra-
tions anatomiques et physiologiques ci-après : déclivité des veines du rectum,
absence de valvules dans le système porte. Verneuil et Gosselin ajoutent à ces
causes ce fait que les veines hémorrhoïdales traversent les parois musculaires du
rectum et sont étranglées à ce niveau. Pour eux c'est là la cause la plus active
de la formation des tumeurs hémorrhoïdales. Nous n'avons pas à décrire ici la
circulation ano-rectale (voy. Hémorrhoïdales [Artères et Veines] de ce Dict.).
Nous rappellerons seulement que les veines rectales s'étalent en deux réseaux,
l'un sous-musculaire, l'autre sous-muqueux et que ces vaissexiux s'envoient des
anastomoses au travers des tuniques du rectum. Le réseau sous-musculaire qui
entoure le sphincter externe se jette dans les veines hémorrhoïdales moyennes
et inférieures, branches de l'hypogastrique; le réseau sous-muqueux a été bien
étudié par M. Duret; très-riche au niveau de l'anus, ce réseau se concrète en
une dizaine de branches veineuses qui montent en rampant sous la muqueuse
jusqu'à une hauteur de 10 à 12 centimètres. A ce niveau, ces veines perforent
la paroi musculaire du rectum, cheminent ensuite dans le mésorectum et vont
enfin se jeter dans la petite mésaraïque, l'une des origines de la veine porte.
D'après M. Duret, qui a enrichi de détails intéressants les travaux de Verneuil
et de Gosselin, ces mêmes branches se terminent chacune à leur partie inférieure
par une ampoule ovalaire de la grosseur d'un grain de blé à celui d'un pois,
placée à un peu plus de 1 centimètre au-dessus de l'anus, c'est-à-dire au niveau
des valvules de Morgagni. De chacune de ces petites ampoules part une veinule
qui, traversant les fibres musculaires inférieures du sphincter externe, vont se
jeter dans un des rameaux d'origine des veines hémorrhoïdales moyennes et
inférieures, reliant ainsi la circulation porte à la circulation cave et constituant
pour la première autant de canaux de dérivation. Lorsque les sphincters se con-
tractent, ces canaux sont oblitérés et le sang ne peut plus se dériver, s'échapper
486 IIÉMORRHOÏDES.
du côté des veines hémorrhoïdales externes et moyennes, ni de celles-ci vers
les veines hémorrhoïdales supérieures. Dans tous les efforts, il y a tension, |)ar
presse abdominale, dans le système porte, et dans les efforts de la défécation
la compression du bol fécal induré exerce, d'autre part, un refoulement de haut
en bas du sang des veines liémorrhoïdales supérieures. La constipation est habi-
tuelle chez les hémorrhoïdaires. Gosselin, Yerneuil, Esmarch et la plupart des
auteurs, insistent beaucoup sur celte circonstance. Les causes mécaniques énu-
mérées, en se répétant, peuvent rendre permanente la distension des veines rec-
tales. On ne peut le nier, les conditions anatomiques et les efforts de la défé-
cation expliquent d'une manière assez satisfaisante la formation des hémorrhoïdes
internes. Mais cette théorie mécanique reste impuissante, dit M. Duplay, pour
expliquer le mode de production des hémorrhoïdes externes. « Aussi, tout en
admettant l'influence incontestable des conditions anatomiques signalées précé-
demment, influence qui trouve à s'exercer dans les efforts, on est toujours con-
traint d'en revenir à la vieille idée de la fluxion hémorrhoïdaire admise au dix-
huitième siècle par Stahl et son école et qui, tout obscure qu'elle soit encore,
s'explique jusqu'à un certain point par les troubles vaso-moteurs. »
Théorie de la fluxion hémorrhoidaire. Elle objecte à celle de la stase
mécanique exclusive que, si les hémorrhoïdes étaient toujours dues à des obstacles
circulatoires, elles devraient, une fois formées, être persistantes et ne pas être
sujettes à disparaître et à reparaître alternativement sans cause mécanique appré-
ciable. On lait remarquer que, dans certains cas d'hémorrhoïdes procideiites,
bien que le bourrelet hémorrhoïdal soit resté mou et dépressible, il est impos-
sible de le maintenir réduit, même à l'aide d'appareils appropriés et après
réduction parfaite. Ce n'est plus la contraction du sphincter qui s'oppose alors
à la déplétion de la tumeur. « Il existe donc une influence morbide active
capable d'accroître et de maintenir le développement de la tumeur. C'est cette
influence que nous désignons sous le nom de congestion ou de fluxion » (Duplay).
On nous permettra de demander si l'auteur est bien sûr de tenir suffisamment
compte de l'élément spasme qui naît de l'existence des fissures dont s'accom-
pagnent si souvent les hémorrhoïdes, et de la part du sphincter interne et peut-
être aussi des fibres musculaires du rectum entre lesquelles passent les veines
hémorrhoïdales en cause. On réduit l'hémorrhoïde au-dessus du sphincter
externe et non au-dessus du sphincter interne, ce qui serait parfois nécessaire,
et l'on ne peut rien contre l'étranglement transpariétal. Cette réflexion faite, je
poursuis l'exposé de la théorie de la fluxion. On la compare à l'effort périodique
de la menstruation, on la compare aux afflux sanguins qui semblent se produire
d'une manière plus ou moins passagère du côté des articulations atteintes de
goutte aiguë. On dit encore, ce qui est vrai, que les érections prolongées, les
excès de coït, les plaisirs de la table, l'abus des boissons alcooliques, l'équita-
tion, l'usage des purgatifs drastiques, et notamment de l'aloès, rappellent une
congestion douloureuse de leurs varices rectales chez les hémorrhoïdaires. Cer-
taines femmes éprouvent une fluxion rectale au moment de leurs règles, même
la procidence de bourrelets hémorrhoïdaux. Quelques-unes ont des règles supplé-
mentaires par l'anus. Des individus pléthoriques sont soulagés par la perte de
sang qui se fait plus ou moins périodiquement au niveau de leurs hémorrhoïdes ;
ils souffrent de malaises, de plénitude dans le bassin et le rectum, tant que
leur flux hémorrhoïdal n'a pas paru. On fait remarquer enfin que les hémor-
rhoïdaires sont généralement des goutteux et des rhumatisants, et que souvent
UEMORRHOÏDE.S. -485
on voit une crise de goutte éclater à la suite de la cessation d'une crise hémor-
rhoïdale et inversement. Personne ne peut nier cette association de l'affection
hémorrhoïdaire avec la constitution rhumatismale et goutteuse, personne ne
peut niei- non plus que la suppression du flux rectal n'amène, chez certains dia-
thésiques, une altération de de la santé et môme parfois des accidents graves.
Il est diflîcile de savoir si c'est la fluxion hémorrhoidale qui commence ou si
c'est la stase mécanique. Il y a tant de gens constipés qui ne souffrent pas
d'hémorrhoïdes, et il y a tant de gens qui ont des fluxions hémorrhoïdaires et
qui ne sont pas goutteux ! Si l'on admet que la stase commence, on pourra dire
que les inflammations, les érosions des bourrelets, provoquent du spasme des
sphincters, des fibres musculaires de la région, lequel a pour effet de chasser
les hémorrhoïdes, de les faire gonfler, de les étrangler et de mettre en scène ce
qu'on appelle la congestion ou fluxion. Si l'on admet que la fluxion est initiale,
on dira avec Duplay et l'école stahlienne que les hémorrhoïdes internes déter-
minées et rendues turgescentes par la fluxion peuvent par leur présence irriter
les fibres musculaires qui se contracteront par action réflexe, chasseront les
bourrelets et les étrangleront. M. Duplay ne croit pas cependant que le jeu des
sphincters soit nécessaire à la production de la procidence. » Quoique le mouve-
ment fluxionnaire puisse, suivant nous, être quelquefois assez énergique pour
chasser les dilatations variqueuses en dehors de l'anus, nous pensons que les
efforts du malade pour aller à la selle, la pression d'un bol fécal volumineux
sur les tumeurs hémorrhoidales toutes formées, doivent avoir une influence
marquée sur leur entraînement au dehors de l'anus. Nous croyons aussi qu'une
fois procidentes le sphincter les étreiut et en augmente encore le volume en
gênant la circulation. « Pour nous, la théorie de la stase mécanique nous paraît
plus physiologique et les retours fluxionnaires exacerbants nous paraîtraient
dépendre de spasmes portant non-seulement sur les sphincters, mais sur toutes
les fibres musculaires du rectum dans la région intéressée ; spasmes causés soit
par des excitations diverses, telles que, par exemple, celles des fonctions géné-
siques, soit par des érosions et des fissures ù la surface ou dans les intervalles
des bourrelets. On sait que la dilatation forcée des sphincters guérit les spasmes
de ces fissures et partant la fluxion hémorrhoïdaire. Ce fait donne à réfléchir.
Nous nous abstiendrons de formuler des conclusions absolues dans ce débat
éternel, où chaque camp possède sans doute une part de vérité.
Étiologie et pathogénie des hémorrhoïdes symplomaliques. Ces hémor-
rhoïdes sont dites passives par opposition aux précédentes qui sont dites actives
dans le langage des partisans de la fluxion. Elles accompagnent une jnaladie ou
un état dont elles sont un symptôme. M. Mollière a exposé mieux que personne
avant lui cette catégorie d'hémorrhoïdes. Celles-ci se présentent comme sym-
ptômes dans : a, maladies des organes pelviens; b, maladies ou états des
organes abdominaux; c, maladies des organes thoraciques.
a. Organes pelviens. On voit des hémorrhoïdes survenir dans les maladies
du rectum, de la vessie, de la prostate, de l'urèthre, de l'utérus. Dans le rétré-
cissement du rectum, l'hémorrhoïde se forme au-dessous du point coarcté par
suite de l'étranglement des veines par le tissu cicatriciel, au niveau du point
où elles perforent les tuniques intestinales pour entrer dans le méso-rectum.
Les inflammations chroniques du rectum, la dysenterie, donnent lieu à des
hémorrhoïdes par le même mécanisme, les polypes par le spasme incessant
qu'ils causent, le cancer par l'étranglement des veines, mais tardivement. La
488 HÉMORRHOiDES.
plupart des affections vésicales chez l'homme s'accompagnent de dilatations
dans les plexus veineux du petit bassin, plexus qui sont anastomosés avec les
veines hémorrhoïdales. Il est très-fre'quent de voir atteints d'he'morrhoïdes ceux
qui soufflent de cystite chronique ou calculeuse; le te'nesme qui accompagne
particulièrement celle-ci favorise la formation des hémorrhoïdes. Les hypertro-
phies de la prostate déterminent la formation d'hémorrhoidos, plutôt, probable-
ment, à cause des efforts de la miction laborieuse, que par les modifications de
la circulation dans les plexus vésico-prostatiques. M. Mollière, dont on sait la
théorie, dit que ces hémorrhoïdes symptomatiques se produisent en quelque
sorte d'emblée sans passer par les périodes capillaire et artérielle. Les rétrécis-
sements anciens et serrés de l'urèlhre provoquent les hémorrhoïdes par les
efforts de la miction assez rarement. Presque toutes les maladies de la matrice
peuvent s'accompagner d'hémorrhoïdes, par le fait de la congestion ou de la
stase sanguine. On peut ranger dans cette catégorie ou dans la suivante les
hémorrhoïdes symptomatiques de la grossesse; elles ne se présentent quelquefois
qu'au moment de l'accouchement et seulement dans les suites de couches.
h. Organes abdominaux. Relativement aux hémorrhoïdes symptomatiques
des maladies des organes abdominaux, nous signalerons celles qui dépendent
de l'hypertrophie des ganglions méseiitériques ou prévertébraux, des maladies
du foie, des tumeurs liquides ou solides des reins, de la rate, des ovaires, de
l'utérus. On insistait beaucoup jadis sur l'étiologie des hémorrhoïdes dans les
maladies du foie. J.-L. Petit avait dit : « L'obstruction du foie est par rapport
aux veines liémorrhoïdales ce que les jarretières trop serrées sont aux veines des
jambes et ce que la ligature est à la saignée. » Cependant les hémorrhoïdes ne
sont pas très-fréquentes chez les malades atteints de cirrhose hépatique. Est-ce
la constipation, est-ce l'ascite qui les explique? Peut-être les deux. 11 ne faudrait
pas confondre le flux hémorrhoïdal avec le mélsena et surtout avec ce qu'on
appelle le flux hépatique.
c. Organes thoraciques. Les maladies des organes thoraciques qui entravent
la circulation générale en retour donnent lieu à des hémorrhoïdes symptoma-
tiques chez les cardiaques; ces bourrelets saignent facilement et sont des sou-
papes de sûreté qu'il faut respecter dans une certaine mesure. Les hémorrhoïdes
symptomatiques des asthmatiques, des emphysémateux, sont moins à respecter,
mais celles des phthisiques ne doivent pas être supprimées, si elles ne spolient
pas trop de sang; il faut même les rappeler, si elles ont cessé de couler (Trous-
seau). En résumé, on range dans la catégorie des hémorrhoïdes symptomatiques
toutes celles qui sont dues à un obstacle, local ou éloigné, et plus ou moins per-
manent, à la circulation en retour par la veine hypogastrique ou par la veine
porte, ou même par les veines caves.
SïMPTOMATOLOGiE. Nous décrirons les caractères communs aux diverses formes
d'hémorrhoïdes et les caractères particuliers aux principales variétés.
Prodromes et symplomatologie générale. Il s'agit ici des symptômes de la
CRISE HÉMORRHoÏDAiRE. Scs prodronies consistent en sensations gravatives du côté
du petit bassin, du rectum, de l'anus. Le malade éprouve une sensation de
chaleur et de prurit à l'anus, ses selles sont difficiles, douloureuses, quelquefois
un petit suintement séreux, blanchâtre ou muqueux, apparaît à l'anus. Ces
symptômes accompagnés fi^équemraent de lombago, de dysurie, de douleurs
abdominales vagues, de perte d'appétit, de nausées et d'un malaise général, peu-
vent ne durer que quelques heures, mais ils persistent habituellement deux ou
HÉMORRHOÏDES. 489
trois jours, quelquefois un septénaire. Ils se jugent tantôt par un suintement
sanc^uin, au moment d'une garde-robe, qui apparaît recouverte de stries d'un
sanf' plus ou moins vermeil, ou par une véritable hémorrhagie ; d'autres fois ils
s'évanouissent sans qu'on observe aucune évacuation sanguine ; enfin ils lais-
sent après leur disparition une ou plusieurs tumeurs hémorrhoïdales, ou pas du
tout. Le plus souvent l'établissement des bourrelets veineux ne se fait qu'à la
suite de congestions répétées. D'autres ibis les tumeurs bémorrhoïdales sem-
blent s'installer lentement et sourdement et préexister manifestement à ce
qu'on est convenu d'appeler la congestion hémorrhoïdaire et en être la cause
provocatrice ou exarcerbante. L'affection hémorrhoïdaire se révèle souvent pour la
première fois, à la suite d'un écart de régime, d'une marche forcée, d'un long
voyage en chemin de fer, d'un exercice à cheval excessif, d'excès alcooliques
ou vénériens. Lorsqu'elle est constituée, les crises plus ou moins périodiques
retiennent sous l'influence des causes précitées et quelquefois de causes bien
légères en elles-mêmes, et, à un degré variable, avec leur cortège de malaise
o-énéral, de sensations gravatives rectales, de pesanteur de tète, de vertiges même,
de mouvement fébrile quelquefois, de gastralgie, de flatuosités, d'envies fré-
quentes d'aller à la selle, d'eflbrts inutiles de défécation, — lorsqu'il y a, comme
c'est la règle, constipation opiniâtre, — ou de selles douloureuses, déchirantes —
surtout s'il existe des fissures, — d'écoulement de sang plus ou moins abondants,
ou d'écoulement de mucosités irritantes et prurigineuses (leucorrhée, hémor-
rhoïdes blanches des auteurs), de douleurs ano-périnéales s'irradiant au sacrum,
aux cuisses, au lombes, à l'urèthre, au col de la vessie, au vagin, à l'utérus,
de sensations de chaleur et de plénitude dans la sphère pelvienne, d'excitations
génitales insolites et parfois d'apparitions ou d'issue de bourrelets veineux
d'une sensibilité extrême qui rend la station debout ou assise pénible comme
le moindre mouvement au lit, surtout lorsque l'inflammation ou l'étranglement
de ces bourrelets surviennent pour aboutir soit au phlegmon résorbable, soit à
la gangrène. Les crises légères laissent le malade dans un état de bien-être
relatif, surtout si le sujet est pléthorique et si les hémorrhoïdes saignent modé-
rément. Les crises graves laissent le patient dans un état de prostration très-
prononcé et son faciès trahit les souffrances qu'il a endurées et les pertes de sang
qu'il a éprouvées. Voici le portrait de l 'hémorrhoïdaire tracé par M. de Montègre :
« 11 est grand, plutôt maigre que gras, il a le teint plombé et jaunâtre, de
grosses veines serpentent sur ses bras, ses mains, ses jambes et ses pieds; il a
les cheveux noirs, un feu sombre anime ses regards, il est brusque, emporté,
ses passions sont violentes, ses résolutions tenaces ; il est gros mangeur, mais
indifférent sur le choix des aliments, souvent tourmenté de flatuosités et presque
toujours constipé. Ce portrait ressemble beaucoup à celui du bilieux mélanco-
lique, ce qui est conforme à l'opinion de l'illustre Stahl, qui déclare que les
hommes de cette espèce sont plus exposés que les autres aux hémorrhoïdes :
Subjectis accidere solet facilius hic fluxus sanguineo-cholericis et sanguineo-
melancholicls plethora affectis » [Dus. de hœmorrh. intern. collet, [de Mon-
tègre, p. 47, Traité des hémorrhoïdes. Paris, 1817]).
Symptomatologie particulière aux diverses formes. Hémorrhoïdes externes.
Les hémorrhoïdes externes se montrent flasques ou. turgescentes ou enflammées.
Leur aspect extérieur varie suivant ces états et suivant qu'elles sont cutanées,
muqueuses on cutanéo-muqueuses. Elles sont solitaires ou multiples; leur siège
habituel est sur les côtés de l'anus, rarement en avant ou en arrière, à moins
490 HEMORRHOÏDES.
qu'elles ne forment un bourrelet circulaire complet, lequel bourrelet est mame-
lonné. Elles se distinguent des hémorrhoïdes internes en ce qu'elles siègent
au-dessous du sphincter et qu'elles ont toujours été au dehors; elles ne saignent
pas en général et sont dites fermées ; elles sont plus sujettes à s'enflammer et à
fournir un suintement prurigineux. Leur volume varie de celui d'un haricot,
d'une noisette, à celui d'une noix. Les hémorrhoïdes externes peuvent se pré-
senter, avons-nous dit, sous trois états ; de flaccidité, de turgescence, ou d'in-
flammation. A l'état de flaccidité, c'est-à-dire, dans l'intervalle des crises con-
gestives, elles se présentent sous la forme de prolongements ou de bosselures
cutanées; elles sont flasques, souples, indolentes, à surface plissée; lorsqu'il y
a plusieurs bourrelets, ceux-ci sont séparés les uns des autres par des sillons
plus ou moins profonds et sanieux. S'il y a eu des inflammations antérieures,
ces bourrelets offrent une consistance variable qu'on qualifie avec raison de
condylomateuse. Il ne faut pas confondre les hémorrhoïdes externes flasques avec
des plis radiés de l'anus plus développés que normalement chez certains sujets.
Nous avons trouvé bien souvent des enfants qui avaient les plis saillants au
moment de la naissance. Virchow fait aussi cette remarque : que l'on trouve
souvent au pourtour de l'anus toutes sortes de replis et de saillies (carunculae)
qui ne sont rien autre chose que des duplicatures simples ou œdémateuses de
la peau et qui sont quelquefois très-peu vasculaires. Ce ne sont pas là non plus
des marisques ; celles-ci sont d'anciens bourrelets veineux plus ou moins sclé-
rosés qui ont perdu toute connexion avec la veine ectasiée et qui ont cessé de
subir les fluctuationsde turgescence et de flaccidité. — A l'état de turgescence, la
surface des bourrelets devient lisse, tendue, dure ; la forme devient plus arrondie,
la coloration rosée dans la portion cutanée de leur sac, violacée dans la portion
muqueuse, ou violacée dans la totalité de leur enveloppe ou la presque totalité,
lorsque la muqueuse rectale procidente, relâchée, a glissé au dehors et recou-
vert petit à petit le bourrelet sous-sphinctérien. C'est par les auaranestiques
qu'on distinguera cette dernière forme externe muqueuse d'avec les hémorrhoïdes
internes procidentes, mais qui ont été primitivement et toujours sous-muqueuses.
La turgescence critique n'empêche pas toujours de pouvoir exprimer le sang
des bourrelets variqueux par une étreinte soutenue entre les doigts, ce qui
prouve leur dépendance dun vaisseau ectasié et ce qui élimine l'hypothèse d'un
kyste ou d'un polype. Le soulagement procuré par cette manœuvre ne dure pas
longtemps, car la turgescence ne tarde pas à reparaître. Cet état de turgescence
dure autant que la crise hémorrhoïdale dont elle manifeste l'existence et tout rentre
à peu près dans l'ordre. La fréquence et l'intensité de ses retours déterminent
quelquefois un écoulement sanguin peu important, et plus souvent un degi'é
variable d'inflammation dans les bourrelets et à leur périphérie. — Lorsque la
crise se complique d'inflammation locale, le bourrelet garde les caractères de
l'état turgescent et en acquiert de nouveaux propres à cette complication ; la région
ano-périnéale est plus douloureuse, il y a de l'œdème, du gonflement, des batte-
ments au niveau et au pourtour des bourrelets. Le ténesme anal et vésical est
plus marqué, et il y a de la fièvre. L'inflammation se termine le plus souvent
par résolution ; mais sa répétition peut amener l'isolement des origines vascu-
laires de la tumeur par l'organisation d'un caillot oblitérateur, par la transfor-
mation scléreuse du tissu veineux et du tissu cellulaire ambiant. Le bourrelet se
transforme alors en une excroissance œdémateuse, indolente, rosée. Cette termi-
naison n'est pas cependanttoujours aussi heureuse qu'elle peut le paraître, car
HEMORRHOÏDKS. 491
ces bourrelets sclérosés subissant des frottements continuels peuvent s'excorier, se
gercer, sur leurs saillies ou dans leurs sillons intercalaires, et devenir ainsi le
point de départ d'une fissure à l'anus. Ces bourrelets indurés se distinguent des
marisqiies en ce que celles-ci sont des bourrelets qui ont abouti par résolution
intégrale à la formation de prolongements cutanés, flétris, tandis que les bourrelets
indurés dont nous parlons ici ont le volume et la forme d'un bourrelet turgescent ;
ils n'ont pas encore atteint la résolution complète comme les marisques, qui ne
sont plus, en quelque sorte, que les sacs herniaires vides de varices liémorrhoï-
dales disparues. 11 est rare que l'inflammation aboutisse à la suppuration des bour-
relets ; il est aussi peu fréquent que le tissu cellulaire voisin enflammé secondaire-
ment suppure. Dans ce cas, l'abcès peut donner naissance à des fistules pénétrant
dans les bourrelets mêmes ou à des fistules anales sous-cutanées, indépendantes
ou eu relation avec les précédentes. Les diverses formes et les divers états des
hémorrhoïdes externes peuvent s'accompagner d'érythèmes, d'eczémas dans les
régions anale, périnéale, fessière, à des degrés variables suivant le tempérament,
les habitudes de propreté et le genre de vie des sujets. C'est une source de
démangeaisons, de gênes et quelquefois de souffrances intolérables.
Hémorbhoïdes iiNTERKES. L'épillièle le dit, le caractère dislinctif de ces
hémorrhoïdes est de siéger à l'intérieur du rectum, de n'être point visibles.
Cependant cette latence n'est pas permanente. On parle même d'hémorroïdes
internes qui sortent au dehors à la première crise. Il serait donc plus exact de
les appeler sous-muqueuses, ce caractère ne subissant pas d'exception. Négligeant
les cas exceptionnels, nous continuerons à les appeler internes suivant l'usage.
Elles peuvent remonter plus ou moins haut jusqu'à l'S iliaque du côlon
(J.-L. Petit). Comme ces hémorrhoïdes originellement cachées arrivent au
dehors après un certain nombre de poussées congeslives ou par le fait du relâ-
chement de la muqueuse rectale et des sphincters, il y a lieu de distinguer des
hémorrhoïdes internes non procidentes, c'est le début, et des hémorrhoïdes
internes procidentes, c'est la suile possible. La procidence est réductible ou
irréductible. Les hémorrhoïdes internes subissent aussi les fluctuations de flac-
cidité et de turgescence (la crise) et quelquefois d'inflammation, comme les
hémorrhoïdes externes, mais leurs complications particulières sont les hémor-
rhagies plus ou moins abondantes et l'étranglement.
Hémorrhoïdes internes non procidentes. Elles se révèlent par les phéno-
mènes de la fluxion, de la crise hémorrhoïdaire que nous avons décrite et sur
laquelle nous ne reviendrons pas. Quelquefois tout est subjectif ou il n'apparaît
qu'une striation sanguine sur le bol fécal expulsé avec peine et douleur, après
quelques jours de constipation et de malaise. D'autres fois l'hémorrhagie est
plus abondante. Le sang n'est pas digéré comme celui qui provient des parties
plus élevées du tube intestinal, il n'est pas sanieux et d'odeur infecte comme
celui du cancer ulcéré; il est naturel, comme au sortir d'un vaisseau. Il ne
coule pas toujours d'une façon continue pendant la crise; il se collecte quelque-
fois dans l'ampoule rectale et est expulsé en masse comme un bol fécal. La
quantité de sang perdu d'un coup ou dans les jours de la crise est quelquefois
très-considérable. M. de Montègre [loc. cit.) rapporte l'observation de gens qui
ont été trouvés au lit baignant dans leur sang à leur première crise. Il mentionne
aussi des pertes de sang atteignant des proportions phénoménales et qui parais-
sent appartenir au domaine de la fable. 11 n'est pas douteux cependant que cer-
taines hémorrhoïdes internes saignent beaucoup et que la spoliation qu'elles
492 HÉMORRHOÏDES.
causent amène, en se répétant, les malades à un degré d'anémie qui exige abso-
lument une intervention chirurgicale sous peine de mort.
D'où vient le sang? Il paraît bien naturel de répondre ([u'il vient des veines
ectasiées, soit par suite de la rupture, par excès de tension et de distension, soit
par suite de l'usure ulcérative de leur paroi et des tissus ambiants. Quelques-
uns, partisans de l'origine artérielle de ces tumeurs, objectent que le sang est
quelquefois rouge comme du sang artériel, que, si l'on peut attirer au dehors
le paquet hémorrhoïdal , on voit quelquefois le sang jaillir en jet saccadé;
d'autres, partisans de l'exhalation au traver s des tissus, disent que le toucher et
la vue ne parviennent pas toujours à découvrir l'orifice qui donne le sang. Ces
objections ne sont pas sérieuses. Le toucher rectal, que la douleur et le spasme
anal rendent souvent impraticaljle, ne peut pas même constater les bourrelets
hémorrhoïdaires, à moins qu'ils ne soient pédicules et indurés, ce qui esl rare;
à plus forte raison ne peut-on lui demander de sentir un orifice souvent imper-
ceptible à la vue. Il n'est pas non plus surprenant que la vue ne renseigne pas
toujours exactement On peut bien, avec les doigts recourbés en crochet ou avec
un ballon introduit vide, puis gonflé, dans l'ampoule rectale, ou en faisant
exécuter au sujet des efforts de défécation, attirer au dehors la muqueuse et les
paquets variqueux qu'elle recouvre, mais, si l'on ne voit pas d'orifice sur les
parties ainsi herniées, peut-on en conclure qu'il n'en existe pas et que le sang
transsude au travers des tissus? On ne peut affirmer que tous les bourrelets
sont sortis et il est impossible d'étaler et d'explorer complètement les plis et
replis de la muqueuse. Le sang, en coulant incessamment, peut cacher l'orifice,
et enfin ce mécanisme hémorrhagique est irrationnel dans l'espèce. On répond
aux partisans de l'origine artérielle que le sang du système porte est plus ruti-
lant que celui du reste de l'arbre veineux ; que le sang des anémiques, et les
hémorrhoïdaires le sont ou le deviennent, est rutilant dans la veine, enfin que
le sang de toute veine étranglée en amont de la solution de continuité peut
s'échapper en jet saccadé. Nous admettons cependant que des artérioles dévelop-
pées secondairement sur la muqueuse ou dans le tissu cellulaire entourant un
bourrelet variqueux et plus ou moins enflammé puissent à l'occasion constituer
riiémorrhagie ou y contribuer. En somme, pour les hémorrhagies des hémor-
rhoïdes en général, nous dirons que la source artérielle est l'exception, l'accident —
l'exhalation sanguine une hypothèse gratuite ou une exception, — l'hémorrhagie
par rupture ou usure d'un point du paquet veineux la règle pour les pertes de
sang hémorrhoïdales importantes. Les suintements sanguins qui ne donnent que
des stries marbrant le bol fécal ne proviennent probablement que d'excoriations
fissuraires des sillons intercalaires, ou d'exulcérations de la surface des bourrelets.
Hémorrhoides internes procidentes. Ce sont des expulsées ; elles sont restées
plus ou moins longtemps cachées dans le rectum, ne se révélant que par les
symptômes de la fluxion. Une débâcle fécale ou une crise plus intense les a
entraînées au delà de la barrière sphinctérienne, où elles se montrent recouvertes
d'un sac muqueux violacé, mou, lisse, arrondi et d'un volume variable. La
pression avec les doigts y constate de la fluctuation ou de la rénitence, de la
réductibilité plus ou moins totale par expression du contenu sanguin comme
et mieux que dans les hémorrhoides externes turgescentes. Le plus souvent ces
bourrelets ne sont que momentanément expulsés, pendant une crise; ils ren-
trent d'eux-mêmes après une garde-robe, ou une légère pression suffit pour les
rapatrier. D'autres fois leur volume ou la laxité de la muqueuse prolabée ou les
HÉMORRHOÏDES. 495
contractions spasmodiques des sphincters qu'elles ont franchis les empêchent
de réintégrer leur domicile. Il y a donc des hémorrhoïdes internes procidentes
qui sont les unes réduclibles, les autres irréductibles.
Eémorrhoïdes internes procidentes réductibles. La procidence ne tient pas
à une pédiculisation proprement dite des bourrelets internes ; le plus souvent
elle est la conséquence d'un glissement, d'un relâchement de la muqueuse.
Si les bourrelets sont nombreux, on voit un segment annulaire ou semi-annu-
laire festonné faire hernie. Le prolapsus de la muqueuse présente générale-
ment une teinte violacée dans les parties saillantes en ronde bosse qui recou-
vrent les bourrelets variqueux. On ne peut nier cependant que des bourrelets
arrivent à se pédiculiser à la longue, mais leur pédicule muqueux est toujours
large. Comme il est très-fréquent de voir les personnes qui ont des hémorrhoïdes
internes affligées en même temps d'hémorrhoïdes externes, il est très-fréquent
aussi d'observer simultanément la congestion des deux espèces d'hémorroïdes,
les externes avec leurs bourrelets rosés, les internes avec leurs bourrelets viola-
cés. On peut même observer trois et quatre étages de bourrelets à teinte variable,
suivant leur niveau et leur revêtement sacculaire. Les hémorrhoïdes internes
procidentes et réductibles sont les unes facilement réductibles, d'autres diftici-
lement réductibles ; les unes procidentes d'une manière continue ou presque
continue, les autres procidentes seulement au moment des crises. La première
catégorie appartient aux sphincters fatigués par l'âge ou paralysés par une mala-
die des centres. Les hémorrhoïdaires vieillis ou à sphincters naturellement
lâches ont cette infirmité désagréable de ne pouvoir aller à la selle, défaire une
marche, un effort, sans que leurs bourrelets internes s'expulsent. Il est vrai
que de légères pressions suffisent pour faire rentrer leurs hémorrhoïdes et
qu'en général les pertes de sang qu'elles causent ne sont pas considérables.
Chez des hémorroïdaires jeunes non affaiblis par des hémorrhagies ou chez les
hémorrhoïdaires de tout âge à sphincters vigoureux la réduction possible peut
être très-difficile, et l'étranglement passager que subissent les bourrelets her-
nies peut entraîner les phénomènes de douleurs multiples que nous avons déjà
énumérés. La réduction sjiontanée ou provoquée n'est quelquefois précédée
d'aucune déplétion sanguine, mais le plus habituellement les efforts de déféca-
tions provoquent une hémorrhagie à la suite de laquelle les bourrelets amoin-
dris peuvent rentrer. Nous avons dit que la perte du sang varie beaucoup et
nous en avons indiqué le mécanisme à propos des hémori hoïdes externes. La
rupture des varices rectales paraît bien s'expliquer ici par la conslriction des
bourrelets. Le ténesme anal et ses irradiations seront d'autant plus énergiques
que des tissures compliqueront la situation.
Hémorrhoïdes internes procidentes irréductibles. L'irréductibilité des bour-
relets est probablement toujours sous la dépendance du ténesme inhérent aux
fissures ano-rectales qui accompagnent les hémorrhoïdes. L'irréductibilité est un
accident rare, si l'on n'envisage cet accident que dans sa forme active et non dans
sa forme paralytique ; la forme active de l'irréductibilité est liée à un spasme
incoercible des sphincters ; ceux-ci ne cèdent pas et la crise ne prend fin qu'avec
la diminution de volume des bourrelets ou l'emploi de la dilatation forcée ou de
l'un des moyens de diérèse ou d'exérèse que nous verrons plus loin. Les bourrelets
irréductibles extrêmement tendus, violacés, noirâtres, présentent quelquefois
des points grisâtres qui annoncent un sphacèle imminent. La région ano-
périnéale est également tendue, rouge, œdémateuse et douloureuse. On s'efforce
41U HÉMOHRHOÏDES.
en vain de réduire les hémorrhoïdes au prix de douleurs excessives, le sphincter
qui les étreint se laisse refouler, mais non franchir. Les applications chaudes
ne réussissent pas mieux que les froides à calmer le ténesme, les besoins inces-
sants d'aller à la garde-robe et les besoins d'uriner. Les moindres mouvements
exaspèrent la douleur, le ventre se ballonne, devient sensible ; l'exaltation ner-
veuse est quelquefois très-grande, mais il n'y a pas généralement de fièvre
marquée. Celte crise d'irréductibilité active qui éclate parfois au premier pro-
lapsus ne peut durer indéfiniment. Au bout d'un temps variable, elle se juge
soit par l'éclatement des bourrelets et l'issue d'une quantité de sang variable, soit
par leur spliacèle partiel ou total. La teiminai^on par gangrène peut être un mode
de guérisou définitive. On cite des cas où le sphacèle de toutes les portions
herniées et étranglées, en guérissant des hémorrhoïdes, a constitué ultérieure-
ment une autre affection, celle du rétrécissement cicatriciel de l'anus. La déplé-
lion hémorrhagique et le sphacèle ne sont pas les seules terminaisons de l'irré-
ductibilité. On peut voir exceptionnellement une terminaison par suppuration,
et alors on a vu quelquefois la phlébite suppurative engendrer l'infection puru-
lente et fatale. Cet accident n'a pas été signalé pour les hémorrhoïdes externes,
(jue nous sachions. Comme suite de la suppuration, on peut voiries décollements
laisser des fistules à l'anus. Cette inflammation des bourrelets hernies n'aboutit
pas toujours à la gangrène ou à la suppuration; dans les étranglements de
moyenne intensité, il peut ne se produire qu'une endo-mé.<ophlébite scléro-
sante. Alors les bourrelets réintégrés, après leur diminution ou la cessation du
spasme anal, entretiennent une redite catarrhale qui se manifeste par diverses
sensations et un écoulement de mucosités irritantes et prurigineuses (hémorrhoïdes
blanches internes). En résumé, l'irréductibilité se juge à la suite d'une diminu-
tion de volume des bourrelets par évacuation sanguine, destruction gangreneuse
ou suppuration, ou sclérose. Elle peut se juger aussi par la cessation du spasme
sphinctérien sous Tinfluence d'une narcose thérapeutique, ou mieux d'une dila-
tation brusque, mais ici l'on intervient et nous entrons dans le domaine du
traitement.
DiAG.NosTic. L'anatomie pathologique et la symptomatologie étant connues,
il suffit d'énumérer les affections ano-rectales avec lesquelles on pourrait con-
fondre les hémorrhoïdes pour ne point s'égarer sur leur diagnostic. Les fistules
et les fissures à l'anus simples ne sont pas accompagnées de bourrelets, mais
ceux-ci peuvent s'accompagner de ces deux affections qui compliquent et aggra-
vent la situation de l'hémorrhoïdaire. Les tumeurs autres que les hémorrhoïdes
de la région sont des cancers, des polypes muqueu\ ou des condjlomes. Les
tumeurs épithéliales non ulcérées, qu'on pourrait prendre pour des bourrelets
variqueux externes, s'en distinguent par leur dureté spéciale, et, si elles sont
ulcérées, par leur suintement sanieux, fétide, roussâtre, par les douleurs con-
stantes qu'elles causent et par la cachexie dont elles ne tardent pas à s'accom-
pagner. Les polypes de l'anus ou plutôt du rectum, qu'on pourrait confondre
avec des hémorrhoïdes internes, sont plus particulièrement l'apanage de l'enfance ;
ils sont vraiment pédicules, blanchâtres ou rosés et peu dépressibles. Sur 2000 à
5000 enfants observés dans notre service de chirurgie nous n'avons rencontré
que deux fois des hémorrhoïdes. Les condylomes, qu'on pourrait confondre avec
(les hémorrhoïdes externes flasques ou des marisques, siègent de préférence au
niveau de la commissure postérieure de l'anus ; ils représentent une hypertro-
phie du derme cutané, ils sont plats ou rugueux. Les végétations n'offrent pas
HÉMORRHOÏDES. 495
non plus de difiiculté. Il importe, lorsqu'on a reconnu, ce qui est toujours facile,
la présence des héniorrhoïdes, d'établir si elles sont idiopathiques ou syniptoma-
tiques. La conduite à tenir devant différer, on examinera donc avec soin l'état du
cœur, des poumons, de la rate, des reins, de l'abdomen, de la région prostatique
et vésicale chez l'homme, de la sphère utéro-ovarionne chez la femme.
Pronostic. Les hémorrhoïdes ne constituent pas en général une affection
sérieuse. Les hémorrhagies, les phénomènes d'étranglement, de sphacèle, d'in-
llammation, liés à de violentes crises de spasme sphinctérien, en font très-rare-
ment une maladie grave, qui expose le malade à de vives souffrances et à des
dangers pour sa vie. On sait que les Anciens les considéraient comme un émonc-
toire salutaire pour le trop-plein de la bile et de la pituite et qu'aujourd'hui,
si l'on est plus éloigné d'y voir un bienfait de la nature prévoyante, on admet
encore que les goutteux, les asthmatiques, les em[)hysémateux, les cardiopathes,
les phthisiques, les pléthoriques, retirent un bénéfice si incontestable de leur
llux héniorrhoïdal, qu'il est d'usage thérapeutique de le rappeler quand il s'est
arrêté, et même de provoquer la naissance d'hémorrhoïdes, si le sujet n'en a
pas eu jusqu'alors.
Traitement. Avant de parler du traitement proprement dit, disons un mot
de Vliygiène des hémorrlioïdaires, qui est, en général, plus importante que les
opérations, pour le plus grand nombre. Elle se résume presque dans la formule
ancienne : Qui hene purgat benêt sanat. Jusqu'à présent M. Després, qui
traite les hémorrhoïdes internes par la constipation provoquée, ne paraît pas
avoir fait beaucoup de prosélytes. La stase veineuse est causée ou augmentée par
la constipation si fréquente chez les hémorrhoidaires. On combat la constipation
par la combinaison ou l'emploi alternatif des purgatifs doux et des lavements
d'eau froide. En rendant les selles liquides, les purgatifs atténuent ou suppri-
ment la principale cause des phlébeclasies rectales et de leurs complications. Il
faut rejeter les drastiques, qui sont réputés augmenter la congestion des organes
du bassin. L'huile de ricin, la magnésie, la rhubarbe, les eaux minérales
magnésiennes, sodiques, les poudres de sels de soude et de magnésie, etc.,
sont les agents purgatifs à préférer. On prescrira surtout les lavements froids
lorsque les hémorrhoïdes s'accompagneront de rectite avec écoulement mucoïde
prurigineux ou de sang en trop grande abondance. L'addition d'une substance
astringente, ratanhia, alun, eau de Pagliari, etc., augmente l'efficacité du lave-
ment froid localement sans préjudice de son action déplélive. Il est très-utile d'ob •
tenir que le sujet se présente à heure fixe chaque jour à la garde-robe, le matin,
après le premier déjeuner, lequel aura été précédé de l'ingestion d'une prise
laxative ou d'une verrée d'eau minérale purgative. C'est le soir que cette pré-
caution devrait être prise, dans le cas de facilité de procidence à l'occasion des
selles. Le lavement froid ou tiède sera pris aussi dans le cas d'inefficacité du
laxatif matutinal, à une même heure déterminée. L'ordre et la discipline régnant
dans le tube instestinal, il faut que le sujet mène une vie exempte de toute intem-
pérance : modération dans le boire, le manger et les jouissances génésiques. Il
lui faut de l'exercice en plein air ; une heure ou deux de promenade sont néces-
saires à ceux que leur profession retient assis la majeure partie de la journée ;
proscription pour eux du rond de cuir classique. Les bureaucrates devraient
avoir leur appartement dans la banlieue des villes, afin d'être obligés de marcher
un peu chaque jour.
La pharmacopée actuelle offre avec recommandation les remèdes suivant?
496 HÉMORRHOÏDES.
contre la congestion hémorrhoïdale : l'extrait decapsicum à la dose de 5 pilules
de 0,20 à prendre chaque jour aux repas; l'extrait fluide d'hammamclis virgi-
nica, 30 à 60 gouttes, 3 fois par jour, ou l'hammaméline en pilules de 2 à
1 0 centigrammes.
Doit-on opérer, doit-on supprimer les he'morrhoïdes? Chez les maniaques,
l'apparition des varices ou d'Iiémorrhoides fait cesser la manie (Aph. Yl). Ceux
qui ont des hémorrhoïdes ne sont sujets ni à la pleurésie, ni à la péripneumo-
nie, ni à la phagédénie, ni aux furoncles, ni aux pustules, ni peut-être à la
lèpre et non plus peut-être à l'alplios ; il est de fait que guéris intempestive-
raent plusieurs n'ont pas tardé à être pris de ces maladies et cela d'une manière
funeste [De hum. Hipp.). Ces apliorismes d'Hippocrate ont fait loi dans l'anti-
quité, comme on le voit dans le passage suivant de Rufus qui peut leur servir
de commentaire : « Les sécrétions de sang qui se font par les hémorrhoïdes gué-
rissent la mélancolie et toute espèce de manie, elles guérissent aussi l'épilepsie,
le vertige qui vient de la tète et le crachement de sang; il ne surviendra non
plus ni pleurésie, ni péripneumonie, ni fièvre ardente (causus), ni aucune
antre maladie suraiguë, quand on a des hémorrhoïdes ; il ne se formera pas
même d'ulcère malin ni aucune de ces efflorescences morbides qui se portent
à l'extérieur, comme les lèpres, les lichens et autres aspérités semblables. Mais
pourquoi énumérer un à un les faits, tandis qu'il m'est possible de dire en général
que les hémorrhoïdes sont un grand obstacle à la formation des maladies et une
solution pour celles qui existent déjà? » [Oribase, XLV, 50' édit. gr. format.
Busemaker et Daremberg. 1 862) . — On ne considère plus aujourd'hui les hémor-
rhoïdes comme des paratonnerres providentiels et des noli me tangere. On
n'hésite pas à les traiter, à les diminuer, à les supprimer, lorsqu'elles donnent
lieu à des hémorrhagies abondantes et fréquentes, lorsqu'elles s'étranglent, lors-
qu'elles s'enflamment, lorsqu'elles sont trop volumineuses et gênent l'exercice de
certaines fonctions. Il est certain que le Père de la médecine avait en vue les
hémorrlioïdes symptomatiques ou les hémorrhoïdes idiopathiques bénignes des
goutteux et d'autres diathésiques, lorsqu'il défendait d'y toucher, et non les
hémorrhoïdes idiopathiques à complications graves, puisqu'il enseignait avec tant
d'énergie à les brûler et à les détruire. C'est une distinction capitale qu'il faisait
sans doute mentalement dans ses aphorismes contradictoires et peut-être mutilés.
A. Traitement des hémorrhoïdes symptomatiques, des hémorrhoïdes idio-
pathiques inopérables, des hémorrhoïdes chez les femmes en état de puerpéra-
lité. Dans les cas d'hémorrhoïdes symptomatiques on ne doit pas faire d'opéra-
tion ayant pour but la destruction des bourrelets. La médication doit s'adresser à
la cause palhogénique : rétrécissement du rectum cicatriciel ou néoplasique,
maladies de la prostate, de l'urèthre, de la vessie, etc., maladies de l'abdomen,
du foie, de la rate, du cœur, des poumons, de l'utérus, des ovaires. Améliorer
l'état du sujet dans ces diverses maladies sera le moyen le plus sur d'améliorer
son état au point de vue des hémorrhoïdes. Les affections viscérales sont une
contre-indication à toute opération. Nous ferions cependant exception pour la
dilatation dans le cas de vive souffrance. On doit se borner à rendre par des pal-
liatifs l'infirmité moins pénible [voy. ci-dessus Hygiène). La même conduite
sera observée à l'égard des hémorrhoïdes idiopathiques qui , sans déterminer
d'hémonhagie, sont toujours ou presque toujours procidentes par paralysie ou
défaut de tonicité du sphincter. En pareil cas, oiî la réduction est facile, on la
maintient à l'aide de ce bandage hémorrhoïdal, qui a été surtout fait pour les
HÉMORRIIOÏDES. 497
liémorrhoïdes externes et la chute du rectum. L'oljturateur de Bérenger-Féraud
sert à contenir les bourrelets et la muqueuse prolabée et eu même temps à
employer des médicaments modificateurs. Winternitz a fait un appareil réfri-
gérant pour calmer les douleurs hémorrhoïdales qu'on ne veut pas opérer.
F. Arzberg a proposé un appareil réfrigérant dans le but de guérir les hémor-
rboïdes en réveillant la tonicité des vaisseaux octasiés. Les hémorrhoïdes des
femmes enceintes sont assez fréquentes, 6 à 10 pour 100. C'est surtout pendant
les suites de couches qu'elles deviennent turgescentes. Nous croyons que cela
est dû aux fissures anales qui accompagnent la distension de l'anus pendant
le travail. Pendant la grossesse on doit s'abstenir de toute intervention opéra-
toire; les purgatifs, les lavements froids, les cataplasmes froids, suffisent en
général. Dans le cas d'étranglements invincibles par les palliatifs et les nar-
cotiques, on pourrait recourir à la dilatation brusque ; ce trauma n'est rien en
comparaison des douleurs et de l'ébranlement général causés par l'étranTJoment
de bourrelets hémorrhoïdaux. Pendant le travail, on pourrait faire le débri-
dement latéral de Tarnier pour éviter aux bourrelets d'être compromis dans
une rupture du périnée. Pendant les suites de couches, ne pas se presser d'in-
tervenir; les hémorrhoïdes de la grossesse guérissent d'elles-mêmes le plus sou-
vent. S'il est besoin, on en aidera la réduction à l'aide d'un morceau de lint
enduit d'une pommade au sublimé 1 pour 1000; celte pommade sera aussi
efticace que l'onguent populeiim et la poudre de rue et de sabine, et ce sera plus
dans l'esprit de l'antisepsie. En dehors de la puerpéralité, on fera ce que la néces-
sité réclamera, lorsque les hémorrhoïdes ne subiront pas l'involution po^-t
partum.
B. Traitement des hémorrhoïdes idiopathiqiies externes. Lorsqu'elles
sont flasques, indolentes, molles, c'est une légère incommodité pnur laquelle
il n'y a pas de traitement à instituer : hygiène et propreté. Rien à faire non plus
lorsqu'elles sont sèches, verruqueuses ; les enlever d'un coup de ciseaux ou
avec le thermocautère, si elles devenaient gênantes. Lorsqu'elles sont légèrement
gonflées, pendant les crises, on obtient un apaisement dans la douleur, les
démangeaisons, la gène, par le repos, par un régime frugal, par l'hygiène, les
purgatifs salins et les lavements froids. Même volumineuses, elles peuvent dispa-
raître sans laisser de trace lorsque le malade s'applique à supprimer la cause de
la stase, c'est-à-dire la constipation. La plupart du temps, il suffit de les tenir
propres en les lavant matin et soir avec une éponge froide. Si elles suintent,
on peut y appliquer, au lit, des compresses d'eau blanche ou d'une solution de
sulfate de zinc. AUingham conseille la glycérine à l'acide tannique. Les Anglais
font encore volontiers usage de compound gall ointement, mélange d'acétate de
plomb, de graisse et de poudre de noix^de galle, ou encore d'une pommade au
calomel. Lorsque les bourrelets externes s'enflamment, la première chose à
faire est de rester au lit ; une simple application de compresses d'eau froide ou
d'une vessie de glace suffit pour tempérer l'inflammation, surtout si le sujet
se tient couché sur le ventre. La vessie de glace réussit mieux que le cataplasme
chaud ou le bain de siège chaud. Les cataplasmes froids, les bains de siège
froids, sont quelquefois mal supportés par certains sujets. Récaraier avait alors
conseillé la mise d'une sangsue sur les bourrelets tuméfiés. Les inflammations
érysipélateuses et suppuratives provoquées par la piqûre de sangsue loco dolenti
ont déterminé les praticiens à les faire placer au pourtour de l'anus. Quand
les sangsues sont tombées, on entretient l'écoulement de sang à l'aide de cata-
DICT E\C. i" s. Xllf. 52
-498 IIÉMORRIIOÏDES.
plasmes chauds. Ces moyens ne réussissent pas toujours; les bourrelets restent
jjleuâtres, tendus et sensibles, remplis qu'ils sont de caillots qui ne sortent pas
par les piqûres des sangsues, ni par les mouchetures punctiformes que font
quelques médecins. En ouvrant à ces caillots une issue au moyen d'une grande
incision on soulage si!irement et l'on guérit l'adicalement, surtout lorsque cette
transfixion est suivie de l'excision du bourrelet. Esmarch n'a pas vu d'hémor-
rhagie survenir ainsi. Dans tous les cas, une ou deux pinces hémoslaliques en
viendraient aisément à bout. L'excision des bourrelets tlasques n'offre pas de
danger non plus. Lorsque des bourrelets externes anciens, indurés ou flasques,
et des marisques, entourent l'anus comme d'un cercle de haillons cutanés qui
suintent, s'ulcèrent, s'enflamment, ou rétrécissent, le passage des matières, ou
gênent la station assise et la marche, on est autorisé à les enlever par le procédé
d'exérèse qu'on voudra. Nous donnons la préférence au thermocautère employé
au rouge cerise; avec lui, pas d'héniorrhagie à craindre ni de septo-pyobémie.
Tout le monde s'accorde à dire, depuis Ilippocrate, qu'il faut être ménager de
la peau, ne pas abraser toutes les saillies de la région anale, afm de ne pas avoir
plus tard un rétrécissement à l'anus.
C. Traitement des hémorrhdides idlopathiqiies ikteio'ES. Comme le dit
très-bien M. Mollière dans sou excellent Traité des maladies du rectum, il ne
peut être question ici, habituellement, d'uneguérison radicale; l'ectasie veineuse
récidive ou continue dans les parties profondes, lorsque les varices superficielles
ont été oblitérées ou retranchées. « Toute notre attention doit se borner à faire
disparaître les symptômes pénibles auxquels l'affection donne lieu. » On aura
rendu grand service, cependant, en rendant l'infirmité supportable et en en pré-
venant ou guérissant les complications graves. Les hémorrhoïdes internes qui ne
sortent pas, ou qui sorties rentrent d'elles-mêmes après la défécation, n'exigent
aucun traitement; il siiflit, à leur égard, d'observer les règles hygiéniques pré-
citées et qui ont pour but : la liberté du ventre, la propreté de l'ampoule rectale
et de la région anale. Les hémorrhoïdes internes, qui ne donnent lieu qu'à nu
flux de sang peu abondant, doivent être respectées : c'est un régulateur de la
circulation, une soupape de sûreté pour bien des gens. Les deux complications
qui appellent l'attention et réclament le secours du chirurgien sont Vhémor-
rhagie et V étranglement.
Traitement des hémorrhoïdes internes fliienies. L'hémorrhagie abondante
par des bourrelets internes hernies ou non doit être combattue par des boissons
froides, des lavements froids (eau boriquée et pagliarisée), des bains de siège
froids. Nous avons retiré grand avantage de lavements d'eau boriquée 4 pour 10(1,
additionnés d'une ou deux cuillerées à soupe d'eau de Pagliari par litre. On a
conseillé aussi le perchlorure de fer dilué dans de l'eau froide; des glaçons
polis ou enveloppés de baudruche ou de soie proteclive rendent service comme
suppositoires hémostatiques et analgésiques. Erichscu recommande des injec-
tions d'essence de térébenthine ou le tamponnement avec de la charpie impré-
gnée du même liquide. En Angleterre, on prescrit souvent un électuairc de
poivre noir et de séné. Nous conseillerions, dans le cas d'hémorrhagie réfractaire
à l'eau glacée pagliarisée, le tamponnement à l'aide de bourdonnets de coton
salicvlique saupoudrés d'iodoforrae. Ces bourdonnets réunis en quene de cerf-
volant devraient être introduits au spéculum, comme on procède pour le tam-
ponnement du vagin. Pour user du fer rouge en pareil cas, il faudrait savoir le
siège exact de la source hémorrhagique et pouvoir limiter les dangereuses irra-
jIEMORRHOÏDES. 499
(liations du cautère actuel. Tels sont les moyens de combattre le flux hcmnr-
rlioïdal excessif. Mais on peut être amené à intervenir en sens inverse. Il s'agit
d'un artlnitique, son flux hémorrhoïdal s'est tari et il est pris subitement d'hé-
moptysie, de douleurs articulaires, d'éruptions diverses, de malaises et de souf-
frances multiples. Dans ce cas, il faut rappeler les pertes sanguines babituelles
par les veines rectales suivant le conseil des praticiens les plus autorisés, cela
n'est pas douteux. On y parvient en faisant prendre des bains de siège, des lave-
ments chauds, en soumettant la région périnéale à des fomentations chaudes,
en y mettant des ventouses, des sangsues, en irritant l'anus et le rectum par des
suppositoires stibiés ou aloétiques, en faisant ingérer 50 centigrammes d'aloès
par jour (Trousseau).
Traitement des hémorrJw'ides internes procidentes. Si elles sont réduc-
tibles, peu douloureuses, et saignent peu, les soins habituels suffisent et le
malade n'a qu'à pratiquer le taxis avec les doigts enduits d'un corps gras ou
mieux avec une compresse ou une éponge imbibée d'eau froide. Bransby Cooper
recommande de faire contracter l'habitude d'aller chaque soir à la garde-robe,
le repos au lit qui suit permettant au rectum de se remettre en place, tandis
que, si le sujet va à la selle le matin après le déjeuner, les affaires lui interdisent
le repos; le sphincter et le releveur de l'anus doivent alors suffire seuls, sans le
concours et malgré la pesanteur, à la tâche de remonter le rectum et les bour-
relets veineux ectasiés. Lorsque la procidence s'accentue, le sujet arrive à ne
pouvoir réduire ses bourrelets qu'au lit dans la position horizontale et abdomino-
pectorale. Les accidents de procidence, en se répétant, entraînent des accidents
d'inflammation, de spasmes, de douleurs, à' étranglement, en \in mot, qui ren-
dent la situation du malade bien pénible. On le fera coucher sur le ventre, on
appliquera une vessie de glace sur les bourrelets enduits de vaseline, au proto-
chlorure ou aubichlorure d'hydargyre, de cold-cream, de pommade belladonée,
à même, ou étendus sur un linge fin. Il peut être utile de mettre quelques
sangsues sur le périnée, et de faire une injection hypodermique de morphine et
d'atropine. Ces moyens conjurent ou tempèrent habituellement la crise d'étran-
glement et préviennent le sphacèle. Tout le monde convient qu'il est inopportun
de faire une opération de diérèse ou d'exérèse pendant ime crise et de chercher
à réduire les bourrelets menacés ou frappés de gangrène. Quelques-uns préten-
dent obtenir du soulagement en ponctionnant avec une aiguille les bourrelets
turgescents. On peut faire cette concession, à la condition que l'aiguille soit
rendue aseptique par la flamme. Nous croyons qu'il n'est pas imprudent et qu'il
vaut mieux pendant une crise grave, lorsque les moyens précités ont échoué,
endormir le malade et lui pratiquer la dilatation forcée du sphincter, car c'est
la contracture du sphincter anal qui joue le principal rôle dans les accidents
d'étranglement, d'irréductibilité, d'hémorrhagie, de gangrène. On profite habi-
tuellement d'une accalmie pour la pratiquer. Nous croyons qu'elle doit être mise
en œuvre dès que l'impuissance des autres moyens non opératoires est évidente.
Actions opératoires dirigées contre les hémorrhoïdes internes idiopathiques.
1. Dilatation forcée du sphincter. C'est à M. Gayet (de Lyon) qu'est dû ce
procédé si fécond en résultats; son élève, le docteur Fontan, a tiré des idées et
des faits de son maître le sujet de mémoires intéressants. Presque en même
temps le professeur Yerneuil ariivait à la même conception et ii la même pra-
tique {roi/, les thèses de Cristoforis, Wannebrouq, Monod, Pouzot). La dilata-
lion du sjdiiiiclcr se fait au mieux, dit-on, avec les doigts et sans aneslhésie,
500 HÉMORRHOÏDES.
comme dans le procédé de Nélaton pour la fissure à l'anus, car c'est bien ici
une fissure à l'anus qu'il faut combattie. Celte façon d'agir nous paraît barbare
et imprudente. Nous aimons mieux endormir le malade et nous servir d'un
instrument au lieu des pouces. Le vieux spéculum d'Ambroise Parré fait mer-
veille; le spéculum de Weiss ou celui de Nicaise, de Larrey et Demarquay, d'A-
mussat, sont plus élégants et suffisent. Le spéculum uteri convient moins; il
est trop gros pour l'introduction, et l'écartement de ses brancbes ne rompt pas le
sphincter. Il y a peu de douleurs dysuriques après cette opération inoffensive
et le sphincter forcé ne tarde pas à reprendre sa tonicité et ses fonctions. Il est
bien certain que les liémorrhoïdes ne sont pas supprimées, mais la procidence
se passe ensuite d'une façon tolérable comme dans les cas de sphincter para-
lysé. La congestion hémorrhoïdale disparaît peu à peu et les bourrelets rentrent.
Lue seule séance suffit quelquefois pour empêcher le retour de la contracture et
partant de l'étranglement, de l'irréductibilité, des hémorrhagie graves, do la
gangrène. La dilatation forcée ne s'applique qu'aux cas oii il y a contracture,
et c'est le plus souvent. Lorsqu'il y a procidence avec parésie ou paralysie, il
n'y a pas lieu de dilater, ot, comme il n'y a pas d'étranglement, il suffit d'em-
ployer les moyens indiqués contre la douleur et l'hémorrhagic et, dans l'habitude
de la vie, de soutenir ces bourrelets avec le bandage spécial, ou simplement à
l'aide d'une serviette, comme font les femmes au moment de leurs règles. Lorsque
la dilatation échoue, lorsque les bourrelets, soit hernies, soit intra-rectaux, sai-
gnent abondamment ou sont enflammés, il faut en venir à de véritables opéra-
tions ; t'est ce qui nous reste à exposer.
II. Excision. « Apres avoir fait sortir le fondement le plus possible, on le
lotionnera avec de l'eau chaude, puis on excisera le sommet des hémorrhoides
et, pour l'appliquer sur l'incision, on préparera d'avance le médicament suivant :
urinez dans un vase de cuivre et répandez dans l'urine de la fleur de cuivre
calcinée et linement pulvérisée, puis laissez dissoudre et agitez le vase, faites
dessécher au soleil. Une fois la dessiccation accomplie, raclez et pilez tin.
Appliquez ce médicament à l'anus, recouvert d'une compresse imbibée d'huile
et par-dessus fixez une éponge avec un bandage » (Hippocrate). L'excision est
le procédé le plus simple et le plus expcditif : une pince, des ciseaux et de la
témérité. Discute en Angleterre par sir Astley Cooper, Ashton, Brodie, Everod
Homes, Cline, Syme, etc., ce procédé doit être rejeté, parceque, malgré le tam-
ponnement et la cautérisation hémostatique, il expose à des hémorrhagies graves,
mortelles, et à des infections purulentes fatales. L'antisepsie ne pouvant être
entièrement réalisée dans cette région, par le tamponnement, même composé des
objets les plus aseptiques, il ne faudrait pas se laisser entraîner à un retour
vers un passé condamné. L'excision sanglante ne doit être admise que pour
les bourrelets externes.
m. Écrasement linéaire (Chassaignac). Dans le fallacieux espoir de prévenir
la pyohémie, les hémorrhagies primitives et secondaires et la douleur, Chas-
saignac appliqua sa méthode de l'écrasement linéaire, annulaire ou latéral, aux
bourrelets liémorrhoïdaux. Mais les assertions si encourageantes de l'auteur
[Opérât, chirurgicales, t. Il, p. 755 et suiv.) ne se sont pas vérifiées. L'écrase-
ment linéaire est aujourd'hui rejeté, parce qu'il expose à des hémorrhagies
secondaires mortelles, à linfection purulente et au rétrécissement de l'anus. Li
chaîne de l'écraseur enlève plus de tissus qu'on n'en a saisi au début de la con-
slriction. Teserano (1879) aurait inventé un écraseur linéaire spécial pour
IIÉMORRHOÏDES. 501
enlever les bourrelets en trente-six heures ; c'est prolonger le supplice avec les
mêmes dangers.
lY. Ligature. Après plusieurs faits malheureux d'excision, Âstley Cooper
proposa la ligature des bourrelets. « Les chirurgiens timides enlèvent ces
tumeurs par la ligature », a dit Cline. Malgré cette appréciation témérairement
dédaigneuse, la ligature est devenue et est restée la méthode la plus usuelle
en Angleterre. Le procédé consiste à entourer successivement la base des bour-
relets avec un fil fort et à le serrer vigoureusement avant de les refouler dans
le rectum. On a écrit qu'Hippocrate liait les hémorrlioides avec un fil de laine.
Nous ne trouvons aucune indication de ce genre dans la Chirurgie cVllippo-
crate de Pétrequin. Celse (premier siècle), Aétius (cinquième siècle), Pau
d'Égine (septième siècle), pratiquaient la ligature en plusieurs séances. Si
plura, non omnia simid, ne tempore eodeni undique cicatrices tenerx sinl
(Celse). J.-L. Petit la pratiqua après les insuccès que lui donna l'excision, mais
il échoua. Ses malades moururent comme s'ils avaient eu un étranglement her-
niaire. On reproche à ce procédé de déterminer une vive inflammation, la
pyohémie, le tétanos, des douleurs atroces. En France, le professeur Gosseliii
a déclaré qu'il rejetait la ligature, malgré la préférence que Curling et Holmes
lui accordent. Les chirurgiens anglais disent avec raison que les accidents signa-
lés sont dus uniquement à la mauvaise exécution du procédé. Si on ne lie pas
très-énergiquement la base du bourrelet, celui-ci ne meurt pas complètement
ni son pédicule non plus, et il se fait une résorption putride par l'intermé-
diaire des vaisseaux qui ont échappé à la constriction (Syme). Les éléments
nerveux serrés, mais non étouffés, traduisent leur état sous la ligature par des
douleurs atroces. Syme, Lane,Gowland, Curling, Holmes, Fergusson, Âllingham,
et tous les chirurgiens anglais, ont apporté à l'actif de la défense de la ligature
des milliers de succès. Tous les chirurgiens qui suivent leur méthode en ont
obtenu les mêmes résultats. On a cité, et même en Angleterre, il est vrai,
5 ou 6 cas de tétanos, mais c'était dans une année où le tétanos régnait épidé-
niiqucment. Le procédé suivi est celui que Salmon régla dès le début. Le
voici en quelques lignes. Le malade étant purgé la veille, le rectum rendu libre
et propre par un lavement deux heures avant l'opération, on procède à l'anes-
thésie. On se donne du jour, s'il est besoin, avec le spéculum univalvc de
Syme, ou avec l'un des spécula ani dérivés de celui d'Ambroise Paré. On sai-
sit les uns après les autres les bourrelets avec un crochet ou avec une pince
longue semblable aux pinces de Nélaton ou de Péan (pince de Ashton) pour
l'ovariotomie. 11 vaut mieux se servir de ces pinces à cuillères en forme d'anneau
mousse que de pinces à griffes comme celles de Museux, de Lûer, de Bryant, etc
Ensuite on abaisse le bourrelet. Il ne faut pas placer la ligature telle quelle sur le
pédicule. La mortification du pédicule ne serait pas obtenue et les douleurs
seraient vives. 11 faut, au préalable, avec des ciseaux courbés sur le plat, inciser
la muqueuse à son point de fusion avec la peau et la disséquer de la tunique
musculeuse, de bas en haut, jusqu'au quart supérieur de la base du bourrelet,
niveau où se trouvent les vaisseaux nourriciers de la tumeur. Cette dissection
n'entraîne qu'un écoulement de sang insignifiant, qu'on modère avec un jet
d'eau boriquéc froide. Cela fait, on place le fil constricteur. Allingham et les
Anglais se servent d'un cordonnet de soie très-résistant. Je crois qu'on peut
substituer avantageusement au cordonnet de soie un cordonnet de caoutchouc.
Telle est la pratique que nous suivons. Il ne faut pas nouer le fil de caoutchouc,
b02 11ÉM0I\R110ÏI)ES.
le nœud se relâcherait; il faut, quand l'anse est mise à cheval sur le pédi-
cule prépare, passer ses deux chefs dans un anneau de plomb. On fait glisser
contre le pédicule cet anneau en tirant sur les chefs très-vigoureusement. Lors-
qu'on est, arrivé au maximum de tension, on écrase avec une pince ad hoc
l'anneau de plomb sur les fils qui se trouvent fixés plus sûrement ainsi que par
le nœud le plus ingénieux. L'opération est finie. On enduit le bourrelet d'un
corps gras. Nous donnons la préférence à la vaseline sublimée et iodoforniée.
Ensuite on réduit. Quelques-uns retranchent la partie la plus saillante du bour-
relet. Nous croyons qu'il faut s'en abstenir, pour que la ligature ne glisse pas.
Allingham complète l'opération des bourrelets internes par l'excision des niaris-
ques et des hémorrhoïdes externes qui coexistent souvent avec les hémonhoïdes
internes. On donne après l'opération un lavement laudanisé et l'on place sur le
périnée une masse d'ouate qu'on fixe à l'aide d'un bandage en T. Les ligatures
tombent au bout de six à sept jours. 11 est bon de constiper le sujet jusqu'à ce
moment. L'auteur anglais exige quinze jours de repos au lit après l'opéralioii.
La ligature est le procédé le plus inoffensif et le plus sûr, il doit rester; il
doit être prél'éré lorsque les bourrelets sont pédicules ou facilement pédiculi-
saljles et haut placés. Ce n'est pas à dire qu'il soit toujours exempt de douleur,
même bien correcicment exécuté. 11 faut compter avec l'état névropathique des
sujets et savoir en prendre son parti. Bodenhamer [New-ïork Med. Record,
1880) fait la ligature en plusieurs séances; il ne lie jamais plus d'un bourrelet
chaque fois; il se sert d'un fil de soie serré juste pour suspendre la circulation;
il ne comprend pas tout le nodule dans la ligature et il en laisse une partie qui
s'élimine d'elle-même. Les gros nodules sont liés en plusieurs fois. On passe
une aiguille courbe munie d'un fil double un peu au-dessus de la base de la
tumeur et chaque fil est serré séparément. Il faut inciser la peau ou le tissu
mucoso-cutané dans le point où la ligature doit être placée afin de la rendre
moins douloureuse. Dans bien des cas, lorsque les malades ne consentent pas à
laisser inciser la peau, Bodenhamer a fait la ligature sous-cutanée. Pour les nodules
intei'nes, pour les tissus mous et succulents, Bodenhamer a quelquefois recours à
la ligature temporaire qu'il laisse quinze à vingt minutes en place; au bout de
cinq à huit jours, la tumeur a disparu. Quant aux nodules irrités et enflammés,
il faut d'abord combattre l'inflammation.
V. Cautérisation. Elle est actuelle ou potentielle, c'est-à-dire qu'elle s'ob-
tient, soit avec le fer rouge, avec l'anse galvanique, soit avec des caustiques,
les uns liquides, les autres solides.
1. Cautérisation avec le fer rouge. Hippocrate la pratiquait avec une audace
étonnante. « Vos fers étant chauffés à blanc, vous aurez soin de cautériser
jusqu'à dessiccation et de ne pas les appliquer mollement comme si l'on faisait
une onction avec une spatule; il importe de ne laisser aucune hémorrhoïde sans
la toucher au fer rouge ; toutes doivent être cautérisées. » Quand il pratiquait
l'excision, il arrêtait l'hémorrhagic en faj^^nt agir objectivement le fer rouge
introduit dans le rectum à la faveur d'un spéculum ani et plaçait ensuite sa
fleur de cuivre macérée dans l'urine. 11 ne craignait pas d'aller dessécher les
bourrelets héraorrhoïdaux dans le rectum avec le fer rouge en se frayant la voie
avec sa canule de cuivre semblable au roseau phragmatite {Arundo vallatoria,
Dioscoride). La cautérisation liippocratique, pratiquée avec enthousiame, puis
abandonnée pendant des siècles ou employée seulement comme moyen hémosta-
fique après l'excision, fut remise en honneur par Bégin, Phil. Boycr, Yclpeau,
IIÉMORRIIOÏDES. 50")
Nélaton; Denonvilliers, Gosselin, Richet, etc. La cautérisation ignée s'exécute de
plusieurs manières. Nous la résumons sous les chefs suivants : «, cautérisation,
destruction totale ; è, cautérisation radicale combinée avec l'excision sanglante
ou l'excision ignée et l'écrasement du pédicule à l'aide d'un clanip; c, superfi-
cielle; cl, galvanique.
a. Cautérisation ignée totale et destructive. Ce procédé, suivi surtout dans
les temps modernes par Boyer, détruisait à grands coups de fer rouge tous les
bourrelets; tout le segment inférieur du rectum s'en allait en escliares et la cure
était radicale, mais incurable aussi était le rétrécissement qui suivait. A ce
défaut grave il faut joindre riiémorrbagie secondaire et la pyohémic, et l'on
comprendra l'abandon de ce procédé brutal.
b. Emploi du fer rouge combiné avec les excisions et l' étranglement par un
clamp. Pour prévenir l'hémorrhagie en écrasant les vaisseaux et les rétré-
cissements ultérieurs, on s'applique dans ce procédé mixte à n'enlever que les
bourrelets saillants, à ménager la muqueuse intermédiaire. On se sert dans ce
but d'un clamp, d'une pince qui limite l'action du feu en écrasant les vaisseaux
et tous les tissus en amont. On attire au dehors les bourrelets au moyen d'une
pince à mors fenèlrée (forceps hémorrhoïdal d'Ashton et ses similaires) qui
ne blesse pas les tissus. On se fraie la voie avec un spéculum dilatateur de
l'anus. La tumeur saisie et attirée au dehors, on la tord pour en pédiculiser la
base, puis on saisit celle-ci entre les mors de l'un des clamps de Smiih, de Lee,
d'Allingliam, de Gowland, bien supérieurs à la pince de Langenbeck. Ces clamps
anglais, par les plaques en ivoire qui recouvrent leurs mors, remplissent le rôle
d'isolateurs en même temps qu'ils maintiennent le bourrelet au dehors et inter-
rompent toute circulation dans le pédicule. On excise au bistouri ou aux
ciseaux le bourrelet, et avec un fer rouge cerise on dessèche la surface d'exci-
sion jusqu'à ce qu'aucune goutte de sang ne sourde, lorsqu'on relâche la
striction du clamp. Ce procédé est excellent dans son but et son instrumentation.
Mais on peut le réaliser plus simplement. Guersant le faisait avec ses pinces-cau-
tères en forme de tenailles de menuisier ou de tenailles casse-sucre ; Piichet, avec
son cautère-écraseur à anneaux de bois ; mais on ne peut avoir la même sécurité
avec ces cautères qu'avec l'écraseur-clamp. Desgranges le réalise mieux avec
l'entérotome de Dupuytren, et d'autres avec la pince à phimosis. On protège
les tissus voisins contre l'irradiation calorique en les recouvrant de la capsule
de Jobert, et mieux de compresses, de planchettes, de morceaux de cartons
mouillés. Pour nous, nous nous servons en guise de clamp de la pince à phi-
mosis de Collin. Le malade endormi, nous faisons, avant de procéder à la cau-
térisation comme avant de procéder à la ligature, une dilatation extrême du
sphincter à l'aide du dilatateur anal, nous nous donnons ainsi du jour pour voir
et saisir les bourrelets et nous prévenons le spasme énergique qui suivrait
l'opération sans cette dilatation paralysante. Avec des pinces de Nélaton ou de
Péan, ou de simples pinces à pansement de l'utérus, nous saisissons successive-
ment les bourrelets saillants; nous enlevons le spéculum et nous amenons au
dehors les tètes des bourrelets en tirant graduellement sur les pinces ; la pince
à phimosis est placée à la distance de 1 ou 2 centimètres au-dessus des pinces
fixatrices et avec le thermocautère cultellaire nous faisons l'excision du bour-
relet et le dessèchement lent du pédicule. Le lavage à l'eau boriquée glacée
fait, les surfaces sont enduites de vaseline sublimée et iodoformée; on réduit.
On reproche à la cautérisation ignée la dysurie post-opératoire, des pyohémies,
504 lIEMORRIIOiDES.
des érysipèlcs, des douleurs, des liémorrliagies consécutives, des rétrécisse-
ments rectaux. C'est le cliché de la cautérisation hippocratique, laquelle ne res-
semble en rien à celle que nous venons d'exposer. M. Mollière dit qu'il ne faut
pas l'employer lorsque les bourrelets sont haut placés et à large base; nous ne
sommes pas tout à fait de son avis, car nous pensons que la contre-indication
n'existe que lorsqu'ils ne sont pas pédiculisables par une torsion légère et lorsque
de gi'os vaisseaux battent dans le pédicule. Dans ce cas, la ligature serait préfé-
rable peut-être, ou un autre procédé de cautérisation. M. Mollière croit aussi
que la cautérisation ignée destructive est à laisser, lorsqu'il y a complication
d'hémorrhoïdcs externes, l'expérience ayant démontré que l'opération n'est pas
innocente en pareil cas. Nous ne partageons pas entièrement cette restriction;
l'antisepsie, même imparfaite, permet aujourd'hui de tenter ce qui eût été
téméraire jadis.
c. Cautérisation ignée superficielle. Demarqnay avait pensé éviter tous les
reproclies adressés au fer ronge en limitant l'action du feu à la surface des
bourrelets. Ce procédé douloureux qui rappelle la spatule d'ilippocratc est inef-
ficace.
d. Cautérisation ignée interstitielle. Elle consiste à porter des pointes de
fou de thermocautère dans l'épaisseur des bourrelets, comme on le fait pour les
tumeurs érectilcs. Ce procédé n'a chance de réussir qu'avec des tumeurs
hémorrhoïdalcs petites. Gosselin et Verneuil le recommandent. Il mérite donc
d'être pris en sérieuse considération.
e. Cautérisation galvanique. On peut avec le galvano-cautère opérer l'abla-
tion des bourrelets en plaçant une anse de fil de platine autour du pédicule et
en le chauffant peu. C'est ainsi que procède Esmarch, avec succès, dit-il. A priori
cette section galvano-caustique paraît devoir exposer à l'hémorrhagie comme une
excision sanglante. On peut obtenir, comme avec les pointes de feu, la sclérose
atrophique des bourrelets en les pénétrant de pointes galvano-caustiques. On fait
ainsi de la cautérisation interstitielle. Les thèses de Calmeille et de Lartiscn
inspirées par Verneuil sont favorables à cette pratique du maître.
2. Cautérisation potentielle. « Si vous ne voulez pratiquer ni cautérisation
ni incision, commencez par d'abondantes fomentations d'eau chaude, puis ren-
versez le fondement et appliquez de la myrrhe et de la noix de galle finement
pulvérisée, de l'alun d'Egypte calciné, une partie et demie relativement au reste
et autant de noir de cordonnier, le tout employé à sec. L'hémorrhoïde, par
l'action de ces médicaments, sera éliminée comme un morceau de peau cauté-
risée. On renouvelle le pansement jusqu'à ce qu'on ait fait disparaître toutes les
hémorrhoïdes. On peut opérer de même avec une demi-partie de chalcitis calci-
née. Si vous voulez traiter avec des suppositoires, prenez un os de sèche, un
tiers de molybdène (massicot), de l'asphalte, de l'alun, un peu de fleur (de
cuivre), de la noix de galle, un peu de vert-de-gris; incorporez le tout avec du
miel cuit et faites-en un suppositoire allongé que vous appliquerez jusqu'à ce
que les hémorrhoïdes aient disparu » (Hippocrate). Les caustiques employés,
solides ou liquides, se proposent de réaliser une cautérisation superficielle
capable de provoquer un retrait cicatriciel qui diminuera la tumeur, ou une
cautérisation profonde destructive, ou encore, étant portés dans le sein d'un
bourrelet, d'y déterminer un travail inflammatoire aboutissant à la sclérose atro-
phiante ou à la gangrène destructive.
a. La cautérisatiou potentielle superficielle s'obtient à l'aide de liquides
IIEMORRllOiDES. 505
corrosifs et de poudres ou pâtes escharoliqucs : acide sulfurique, nitrate acide
de mercure, acide chromique, acide nitrique, beurre d'antimoine, pâte de Can-
quoin, caustique de Filhos, caustique de Vienne, etc. Parmi les caustiques
employés superficiellement, Vacide nitrique a eu, il y a quelques années, une
faveur très-grande. La cautérisation avec l'acide azotique proposée par Houston
en 1845, puis par Lee, Fergusson, Dowel, Curling, Smith, a conquis pendant
quelque temps toutes les faveurs en France sous le patronage de Gosselin, eu
Allemagne sous celui de Billroth. Les régions ano-périnéale et fessière étant
enduites d'un corps gras protecteur, les bourrelets étaient tirés au dehors et tou-
chés avec un pinceau d'amiante imprégné d'acide nitrique, et, lorsque leur
surface blanchissait, on enlevait l'excès d'acide par un lavage. On séchait, on
enduisait d'Imile et l'on réduisait. Ce que nous mettons au passé est encore le
présent pour d'autres. L'expérience semble cependant avoir prouvé qu'Ashtou
avait raison de dire que ce procédé ménageait autant de déceptions à l'opérateur
qu'à l'opéré. En effet, il y aie plus souvent récidive, les eschares dures causent
de grandes douleurs avant leur élimination, et ce travail se fait en exposant à
tous les dangers d'hémorrhagie secondaire et de pyohémie. On cite plus tard des
rétrécissements et des fissures.
b. La cautérisation /;o<eM//e//e destructive profonde s'obtient surtout à l'aide
de la potasse, du caustique de Filhos, de la pâte de Canquoin au chlorure de
zinc ou de la pâte de Vienne. Amussat, avec ses pinces, employait la pâte de
Vienne ef , afin de préserver le rectum du coulage de l'escharotique, il était oblige
de retenir le bourrelet au dehors jusqu'à la fin, ce qui était horriblement dou-
loureux et n'était pas dans l'intérêt de la peau. Jobert se servait de sa capsule
protectrice pour isoler les bourrelets, les tenir dehors et appliquer le caustique
de Filiios. Valette (de Lyon) mettait du Canquoin avec ses ingénieuses pinces à
rainure; la nature du caustique et la sécurité donnée par les pinces permet-
taient de réintégrer le bourrelet; c'était un petit soulagement. Ces procédés de
cautérisation nous paraissent devoir être rejetés; ils causent, durant de longues
heures et de longs jours, des douleurs atroces; l'élimination plus ou moins lente
des eschares expose à la pyohémie, auxhémorrhagies secondaires, et la rétraction
cicatricielle consécutive amène des rétrécissements de l'anus.
c. Le rétrécissement voulu de l'anus a été recherché par Voillemier et
d'autres comme moyen palliatif, soit en faisant des traînées de pâte de Vienne, ou
de canquoin, soit eu faisant des raies de feu à la marge de l'anus. Cette cauté-
risation radiée a pour but d'empêcher la procidence et partant l'étranglement
de se produire, en rendant l'orifice infranchissable. Le remède est pire que
le mal.
d. Injections caustiques parenchymateuses. On appelle ce procédé améri-
cain. Il consiste à injecter avec une seringue de Pravaz dans les tumeurs
hémorrboïdales un mélange à parties égales de glycérine et d'acide phénique
(Blackwood) , de l'alcool, une solution de chlorure de zinc. Les charlatans amé-
ricains et leurs similaires prétendent avoir vu disparaître des hémorrhoïdes de
la grosseur d'un petit œuf de poule sans laisser la moindre trace en vi?igt-quatre
heures (voy. Journal de Bruxelles, 1880). Éverète, ayant cru remarquer que,
dans les veines hémorrboïdales, la tunique moyenne conserve un caractère muscu-
leux, surtout dans le cas d'hémorrhoïdes chroniques, a imaginé d'instituer un
traitement, qu'il qualifie de physiologique, par les injections d'ergotine. « L'in-
jection d'ergotine est suivie d'une douleur intense qui fait bientôt place à un
50G IIÉMORRIIOIDE^.
sentiment de rétraction (!). Les tumeurs se ratatinent sans que rien s élimine
dans la plupart des cas. La guérison est acheve'e en quelques jours (!). » Les
solutions d'ergotine sont acides et agissent, si elles agissent, comme caustiques.
Bodenhamer reconnaît qu'entre ses mains le procédé des cliarlatans américains
a donné des abcès, des fistules, des fissures, et il le repousse comme manquant
de sûreté et d'innocuité.
VI. Torsion et émicléation. Rappelons, pour mémoire, qu'Hipocra te enlevait
quelquefois les hémorrhoïdes par torsion, énucléation et extirpation. « Cela
n'est pas plus difficile que de faire cheminer le doigt entre la peau et la cliair
du mouton qu'on écorche; opérez tout en causant et sans prévenir de ce que
vous faites. » 11 n'y a bien ici de mouton que le patient. Ce procédé barbare se
juge de lui-même.
Cumplicalions des opérations portant sur les hémorrhuides. Soins antisep-
tiques à prendre dans ces opérations. M. Mollière a parfaitement raison de dire
que tous les procédés sont sujets à des complications, ont de mauvais côtés.
La ligature la plus méthodique peut causer des douleurs violentes chez certains
sujets névropathes ; les cautérisations ignées et les injections caustiques parcn-
clijmatcuses les plus bénignes en apparence sont parfois suivies de douleurs
intenses. En général, les caustiques causent plus de douleur le jour de l'opé-
ration et les semaines qui suivent, tandis que la ligature élastique bien faite ne
donne lieu qu'à des douleurs passagères. Les complications post-opératoires
iont : i° des ténesmes violents, des contractures horribles des sphincters anaux.
On préviendra cette complication, si l'on a soin de faire précéder l'opération,
coamie nous l'avons dit, d'une dilatation forcée avec le spéculum d'Ambroise
Paré. Si cette précaution n'a pas été prise, on modérera le ténesme par un
bandage compressif fait de masses de coton salicylique et d'un bandage en T.
La compression doit être aidée de l'administration de narcotiques larrji manu.
Avant de placer le bandage compressif, on aura soin d'introduire dans le rectum
un suppositoire composé comme suit : beurre de cacao, 2 grammes, extrait
tliébaïque, 5 centigrammes; iodoforme, 5U centigrammes. Le chloral, le bro-
mure de potassium, seront donnés à haute dose. On fera surtout des injections
hypodermiques de la solution de morphine 1 centigramme, atropine 1 milli-
gramme, par gramme. Les douleurs, les se7isations de bmlure, obligent quel-
quefois à ne laisser que peu d'heures la compression périnéale. On alterne alors
par la voie rectale l'action des suppositoires opiacés et des lavements glaces, de
la glace en fragments, ou de la réfrigération avec l'appareil d'Arzberg, ou à
l'aide de l'ampoule de Bérenger-Féraud, laquelle permet l'introduction de
pommades calmantes. Le froid non-seulement calme le ténesme, calme la
douleur, calme la cuisson, mais il arrête les hémorrhagies.
Quand on pratiquait l'excision sanglante, on avait souvent des hémorrhagies
graves, immédiates ou secondaires, contre lesquelles on employait le fer rouge et
pour lesquelles on pourrait employer aujourd'hui de longues pinces hémostatiques
à demeure comme dans l'hystérectomie vaginale, si les vaisseaux pouvaient êlie
saisis à la faveur du spéculum. Les hémorrhagies des autres procédés sont
secondaires et rares, à moins qu'il ne s'agisse d'un hémophyle ou d'un vieillard
atone. On essaierait d'abord les lavements froids d'eau boriquée additionnée
d'eau dePagliari et de morceaux de glace et, si la perte était sérieuse et persis-
tante, on procéderait au tamponnement coinposé et fait conmie nous l'avons
indiqué. Surveiller le malade; une hémorrhagie interne peut se produire, si le
IIÉMORRIIUÏDKS. b07
tamponnement ne remonte pas assez haut et n'est pas assez compressif. Une
troisième complication très-fréquente à Ja suite des opérations anales est la
rétention d'urine. Le choc opératoire peut même arrêter momentanément les
ibnction des reins. 11 détermine la rétention d'urine par spasme de l'urèlhrc,
par spasme du col ou par compression mécanique de la vessie lorsqu'on a tam-
ponné. Pour l'anurie, il faut donner, dès qu'il est possible, des boissons en
abondance, et détendre la puissance réflexe en administrant les antispasmo-
diques. Pour la rétention spasmodique, il faut donner les antispasmodiques
encore, mais il faut vider aussi la vessie par le cathétérisrac avec une petite
sonde. .Nous ne serions pas bien partisan, en général, de faire la ponction vé;i-
cale capillaire qui a été proposée dans la rétention mécanique, elle cessera avec
le tamponnement et il suflit de sonder en attendant avec une petite sonde, ce
qui est possible. La pijohémie, la septo-pyohémie, qui trouvent les plexus veineux
ouverts par les opérations sur les héraorrhoides, emportaient jadis beaucoup de
patients. La gravité de ces opérations a diminué sous ce rapport comme sous les
autres. Les dangers de la région exigent l'emploi de précautions antiseptiques
avant, pendant et après les o[)érations sur les hémorrhoïdes. Nous recommandons
beaucoup riodoforme soit pour les pièces qui servent au tamponnement, soit
pour les suppositoires. Avant, pendant et après l'opération, les lavages et les
lavements à l'eau boriquée sont utiles, nécessaires et inoffensifs. Jusqu'à la com-
plète cicatrisation (dix à quinze jours), nous faisons donner des lavements bori-
ques 5 ou 4 fois par jour.
Quel procédé opératoire mérite la préférence? Aucun procédé ne peut être
préconisé à l'exclusion des autres. Si l'on pouvait exprimer une préférence,
nous dirions : pour les hémorrhoïdes externes, excision au thermocautère, si
leur volume est peu considérable; sinon, cautérisation, ignipuncture parenchyma-
teuse au thermocautère ou au galvano-cautère ; — pour les hémorrhoïdes internes,
ligature élastique, si elles sont pédiculées ou si elles siègent haut et sont pédi-
culisables; cautérisation ou ablation ignée, si elles ont une base large pouvant
être pédiculisée à l'aide d'un clamp et si elles ne siègent pas trop haut; cauté-
risation parenchymaleuse ignée, si elles ne sont pas pédiculisables. Nous le répé-
tons, ces opérations ne doivent être pratiquées que lorsqu'on a vainement essayé
plusieurs fois l'action de la dilatation forcée du sphincter, opération non sanglante
qui suffit très -souvent àconjurer, et définitivement, tous les accidents, etprocure
une guérison relative. Quand on est décidé à opérer et qu'on a fait choix
d'un procédé, doit-on enlever tous les bourrelets? Oa est à peu près unanime
à dire qu'il ne faut pas abraser tout ce qui fait saillie à la surface de la muqueuse
rectale. On doit se borner à supprimer les bourrelets les plus saillants et
attendre, s'il n'y a pas d'indication pour la vie. La contradiction signalée, à
cet égard, dans les livres hippocratiques, entre les aphorismes qui disent de
conserver au moins une hémorrhoïde, et le Traité des hémorrhoïdes qui
dit de les retrancher toutes, n'est qu'apparente. Pétrequin nous fournit, avec
sa grande autorité d'érudit et de praticien, la réponse à la question posée :
« Une longue pratique de la chirurgie m'a conduit a faire une distinction
que je retrouve dans Ambroise Paré et Ravaton {Chir. moderne, 1776, t. II,
]). 245). ■ Quand le malade est profondément épuisé par des hémorrhoïdes
fluentes, il faut les opérer toutes, si l'on veut sauver la vie ; mais, quand il
n'est pas dans un état aussi grave, on peut en conserver une. Le livre des
hémorrhoïdes répond au premier cas et les aphorismes au deuxième. 11 est bicu
i)08 IIEMOSPASIE.
entendu qu'il faut toujours un traitement approprié pour suppléer au flux
supprimé, et même avec ce moyen on peut toujours enlever toutes les tu-
meurs » (Pétrequin, Aperçu historique sur la chirurgie des hémnrrhoides et
des fistules à l'anus). E. ViiNcem.
UËMOSPASIE (de ati:;i.a, sang, et (77râw, j'attire). Nom donné à une méthode
thérapeutique attractive ou révulsive, qui consiste à déplacer et attirer sur une
surface plus ou moins étendue du corps une masse de sang que l'on soustrait
ainsi momentanément de la circulation, dans le but de décongestionner un
organe ou un point quelconque de l'économie. C'est une application en grand
et sur une surface plus étendue de l'ancienne méthode des ventouses. Aussi l'a-
t-on désignée quelquefois sous le nom de grandes ventouses ou de ventouses
monstres de Junod, du nom de son inventeur.
L'hémospasie, en effet, a été instituée et formulée par Junod à la suite d'un
grvind nombre d'expériences, d'applications cliniques et de publications qui
embrassent une ])ériode d'une trentaine d'années environ, de 1853, époque de
la soutenance de sa llièsc inaugurale sur ce sujet et de ses ])reniières communi-
cations à l'Académie des sciences, jusqu'en 1875, date de son dernier ouvrage.
Elle est fondée sur ce double principe de physique et de physiologie, savoir :
que toute partie de la surface du corps qui est momentanément soustraite à la
pression atmosphérique, sous l'influence des pressions internes rendues prédomi-
nantes par défaut d'équilibration, devient le siège d'un al'llux des liquides ou
congestion artificielle. La visée de Junod s'était d'abord élevée plus haut. H
avait embrassé dans ses premières études le problème beaucoup plus général
de l'influence sur la surface du corps des modifications introduites dans la
pression atmosphérique, soit augmentée, soit diminuée : d'où il se propo-
sait de déduire tout un système de traitement aérothérapique par les bains
d'air comprimé, les bains d'air raréfié et l'hémospasie, c'est-à-dire la raréfac-
tion partielle. Il a été question ailleurs des effets des bains d'air comprimé
et des bains d'air raréfié {voij. les mots Bains, âtmosphèue et Paelmothk-
iupie). Nous ne nous occuperons ici que de l'hémospasie ou révulsion par la
raréfaction localisée.
L'hémospasie ou congestion artificielle locale plus ou moins étendue, provoquée
dans un but thérapeutique, s'obtient au moyen d'appareils qui, bien que basés
sur le même principe que la ventouse, sont un peu })lus compliqués à raison
des effets beaucoup plus intenses qu'on se propose d'en obtenir et nécessitent
par conséquent une description spéciale.
Appareils Jiémospasiques. Ces appareils ont été conçus et confectionnés en
vue de soustraire à l'action de la pression atmosphérique, non plus une petite
surface de la peau, comme on le fait avec les ventouses communes, mais une
étendue plus ou moins considérable, telle qu'un membre, un bras, une jambe
ou même les deux jambes ou les deux bras simultanément, le bassin, etc. Us
consistent : l'' en des récipients en métal ou eu cristal, de dimensions et de
formes variées suivant les parties qu'ils doivent embrasser ; 2° en manchons de
métal s'adaptant au récipient par un système d'emboîtement, lesquels sont
recouverts de manchons de soie et de caoutchouc superposés dépassant les limites
des premiers; o" en une bande de caoutchouc s'appliquant sur les bords de
chacune des extrémités de ce triple manchon imperméable, de manière à les
maintenir et à intercepter hermétiquement le passage de l'air; i" une pompe
HÉMOSPASIE. 509
aspirante munie d'un tube flexible est adaptée à frottement au récipient pour
y faire le vide.
L'appareil destiné à faire l'hémospase de la jambe, la plus usuelle, a reçu de
l'inventeur le nom d'appareil scélique (de (tzé^oç, jambe). Un appareil analogue
est destiné à faire l'hémospase du bras. Divers appareils sons les noms de réci-
pient pelvien ou hémisomatique, de récipient abdominal, de récipient latéro-
thoracique, de récipient précordial, scapulo-thoracique, vertébral, cervical,
enfin de récipient somatique, permettant d'hémospasier tout le corps, la tête
exceptée, répondent aux indications multiples et variées de l'hémospasie.
Le but qu'on se propose par l'application de l'hémospase, son mode d'action,
ses effets physiologiques et thérapeutiques, demandent quelques développements.
Voici d'abord quels sont les effets physiologiques de l'hémospase, d'après des
expériences faites sur l'homme sain. Ces expériences ont été faites sur un jeune
étudiant en médecine qui a bien voulu s'y prêter. On a expérimenté sur lui
successivement ies trois degrés d'hémospase, l'hémospase simple, celle qui
consiste à ne soumettre au vide qu'un segment de membre, une jambe, par
exemple, ou un avant-bras ; l'hyperhémospase, embrassant une surface beaucoup
plus étendue, les deux extrémités inférieures simultanément, par exemple, et
l'hémospase poussée jusqu'à la lipothymie, consistant à faire le vide sur de plus
larges surfaces encore au moyen d'une double dérivation méroscélique associée,
cest-à-dire portant sur les deux membres inférieurs simultanément soumis au
vide dans les 4/5 de leur longueur, ou bien par l'emploi de ce que Junod a
appelé le décliveur, lit mobile sur lequel on place le malade ou le sujet en
expérimentation, après lui avoir donné une inclinaison approchant presque de
la verticale, de manière à faciliter la dérivation et à lui imprimer une action
énergique et rapide. 11 est bien entendu que le vide est plus ou moins complet,
selon l'intensité d'effet que l'on veut obtenir.
He'inospase simple. M. X.... étant à jeun, ayant le pouls à 71, la tempé-
rature axillaire à 57 degrés, respiration If^, on place l'une de ses jambes dans
un récipient en cristal, permettant de suivre de l'œil les effets de la dérivation
(il est huit heures). Dès qu'une large portion des téguments de la jambe est
soustraite à la pression atmosphérique, les vaisseaux capillaires se gonflent,
la jambe rougit et il se produit une sensation de chaleur locale et un léger
prurit, le pouls s'élève et devient fréquent, mais pour diminuer de force
presque aussitôt.
Au bout de quarante-cinq minutes, la face commence à pâlir, la température
des téguments s'abaisse, surtout dans les régions supérieures, les inspirations
sont plus profondes, la voix moins forte.
Dix minutes plus tard (à huit heures cinquante-cinq minutes) le pouls est à
82, son volume est diminué de plus de moitié, la température axillaire est
descendue à 56 degrés, respiration 17. La jambe mesurait 10 centimètres en
plus de son périmètre normal dans sa plus grande surface hémospasiée.
Hypérhémospase. M. X — , ayant les deux extrémités inférieures emboîtées
dans un récipient de cristal, est placé sur le décliveur dans un position presque
verticale. On fait le vide. L'expérience est commencée à neuf heures; à neuf heures
quinze minutes son pouls était à 84 et devenait fdiforme, la température axil-
laire était à 56°. 5, ses inspirations 16; affaiblissement marque de la voix;
il survient des bâillements fréquents. Cinq minutes après, à neuf heures vingt
minutes, le pouls tombait à 40. A ce moment, une douce chaleur s'élevait de
510 IIÉMOSPASIE,
l'épigaslre pour so porter au Iront qui se couvre d'une légère sueur. A neuf
heuresvingt-cinq la pupille tHait dilatée, la vue voilée, l'odorat et le goiit presque
éteints, le tact obtus, tintements d'oreille; température axillaire 56 degrés;
15 inspirations. A neuf heures trente, abaissement de la température devenue
incommode aux oreilles, la température de la langue elle-même est abaissée. A
l'aisselle le thermomètre donne SS^ô. Les forces se trouvent réduites au point
de pouvoir à peine soulever le bras. Les objets ne sont plus vus qu'à travers un
brouillard, les facultés intellectuelles demeurant d'ailleurs intactes. A neuf heures
trente-cinq, le pouls était devenu insensible à la radiale, mais il était encore
perceptible à la temporale; température axillaire 55 degrés, inspirations 14.
A neuf heures quarante minutes pulsations devenues imperceptibles à la tempo-
lale; l'anesthésie était devenue graduellement complète; syncope.
On en était arrivé ainsi graduellement à l'hémospase lipolhymique.
La rentrée de l'air dans les récipients et l'abaissement du décliveur sufflrent
pour obtenir presque instantanément le rétablissement de la circulation, ainsi
que de toutes les autres fonctions. Les téguments hémospasiés étaient parsemés
de points pourprés. La circonférence des extrémités était considérablement
augmenti'c, tandis que les régions supérieures du corps avaient subi une dimi-
nution sensible. Le lendemain les extrémités hémospasiées conservaient encore une
augmentation de 2 centimètres. Dès le troisième jour, toute trace avait disparu.
L'idée première qui a présidé à la conception de l'hémospasie comme méthode
thérapeutique a été de substituer, pour un certain ordre d'indications, aux émis-
sions sanguines générales ou locales, qui entraînent nécessairement une déper-
dition dans la masse du sang en circulation, toujours préjudiciable au maintien
des forces et à l'équilibre des fonctions, un simple déplacement momentané
d'une masse équivalente, avec possibilité de restitution. C'est donc une véritable
dérivation du iluide sanguin opérée sans déperdition, sur un point déterminé
du corps, au profit de la partie fiuxionnée ou congestionnée. Grâce à cette condi-
tion de simple déplacement, l'hémospase peut être plus ou moins prolongée, on
répétée à des intervalles plus ou moins rapprochés, suivant les nécessitsés, sans
qu'il en résulte de danger ni d'accidents notables.
Quelles sont les indications de l'hémospasie, ou, en d'autres termes, quels
sont les éléments pathologiques qu'elle est le plus directement susceptible de
combattre?
On peut placer en première ligne les congestions ou hyperémies. L'action
manifestement révulsive de l'hémospasie lui assigne, en effet, à côté de la
saignée et de préférence à elle, dans certaines circonstances, une place légitime.
Mais dans quelles conditions des hyperémies est-elle plus particulièrement indi-
quée et en quels lieux et par quels modes doit-elle être employée?
Pour l'inventeur de la méthode, de quelque nature que soit la congestion,
quelle qu'en soit la cause et quels que soient les organes qui en sont le siège,
il ne saurait exister aucune dissidence sur la nécessité de détourner au plus
tôt le cours du sang par les révulsifs. S'agil-il d'une congestion prélude ou
début d'une plilegmasie menaçant soit la tète, soit la poitrine ou les organes
abdominaux, une prompte hémospase simple ou double sur les extrémités
inférieures pourra non-seulement, dans le cas de congestion cérébrale, par
exemple, prévenir une apoplexie et ses suites, mais celle-ci même déjà réalisée
pourra être enrayée ou très atténuée dans ses effets. La dérivation est-elle indi-
quée par des congestions dans les régions hypogastriques, il y aura lieu de
IIÉMOSPASIE. 5U
recourir à une liémospase de l'une ou l'autre dos extrémités supérieures ou de
ces deux extrémités simultanément, à laquelle on peut joindre le dérivateur
abdominal. Pour les congestions du tube intestinal, de son enveloppe séreuse,
des glandes mésentériques, l'hémospase devra être également appliquée aux
extrémités supérieures et on l'étendra aux extrémités inférieures, s'il est néces-
saire d'augmenter la puissance de l'action révulsive.
En faisant cesser les congestions on prévient les accidents qui en pourraient
résulter, hémorrliagies, inflammations, hyperémies, névroses. Le médecin n'est-
il appelé qu'après que ces accidents ont éclaté, la révulsion hémospasique n'en
sera pas encore moins utile, surtout pour les cas d'hémorrhagies internes ou
externes.
Dans les mflammations, l'action de l'hémospasie, moins rapide que dans les
hémorrliagies, n'en a pas moins pour résultat de diminuer l'intensité des phéno-
mènes locaux.
L'hémospasie, dont un des effets est de diminuer les sécrétions, trouve aussi
ses indications dans les cas de suffusions séreuses qui suivent la méningite,
la péricardite, la pleurésie et la péritonite.
Dans les névroses, l'hémospasie est d'autant plus efficace que la maladie se
rattache plus directement à la congestion d'un organe. Enhn l'hémospasie trouve
encore ses indications dans le cours du traitement des maladies générales (lièvres
typhoïdes, ciioléra, fièvres éruptives), pour combattre les congestions secondaires
ou passives dont elles sont souvent accompagnées.
La pratique chirurgicale peut aussi utiliser la révulsion hémospasique, soit
dans les cas de commotion du cerveau résultant d'un coup ou d'une chute,
soit dans les contusions du thorax ou de l'abdomen, dans le traitement des plaies
ou des fractures ou à la suite de certaines opérations.
Les principales contre-indications du traitement hémospasique seraient la
période cataméniale, la gestation au moins jusqu'au sixième mois, l'existence
sur les parties à hémospasier de varices, de phlébite, de lésions physiques telles
que celles qui résultent de l'application récente d'un vésicatoire, d'un séton,
une contusion, etc. Encore moyennant certaines précautions et une graduation
convenablement réglée dans l'application les inconvénients qui en pourraient
résulter peuvent-ils être facilement évités. L'hémospasie, d'ailleurs, doit tou-
jours être proportionnée dans son énergie aux forces du sujet et à l'état des
principaux organes de la circulation.
Tout en acceptant, pour la plupart, ces indications appuyées d'ailleurs par
un assez grand nombre d'observations justihcalives, nous ferons quelques réserves
à l'égard de ce que nous paraît avoir d'un peu trop absolu la première proposi-
tion de Junod lorsqu'il dit, par exemple : « De quelque nature que soit la con-
gestion et quelle qu'en soit la cause, il ne saurait exister de dissidence sur la
nécessité de détourner au plus tôt le cours du sang. » Autant cette proposition
nous semble juste, en tant qu'elle s'applique aux congestions ou hyperémies
actives, aux fluxions proprement dites, autant nous croyons qu'elle demande de
réserve et de restrictions pour les congestions ou hyperémies passives, c'est-à-
dire celles qui consistent en une stase sanguine avec ralentissement du cours du
sang, due soit à une compression pu à tout autre obstacle direct au cours du
sang, soit à des altérations des parois vasculaires, sclérose, dégénérescence
graisseuse, athéromateuse ou calcaire, soit à une diminution de la force impul-
sive du cœur, l'indication causale étant dans tous ces cas la plus impérative et
512 HÉMOSPASIE.
la première à satisfaire. Nous ferons aussi quelques réserves relativement au fait
de la réintégration dans la circulation générale du sang déplacé, réintégration
qui n'est jamais absolument complète, une partie de ce sang s'élant extravasée
à travers les capillaires à l'état eccliymotique.
Yoici, quant à l'application de la mélliode, quelques-unes des règles formu-
lées par son auteur.
Dans le traitement des maladies chroniques, dit Junod, la durée des hémo-
spases est ordinairement d'une heure en moyenne, mais cette durée peut et doit
varier suivant l'étendue de la surface à hémospasier, la force du sujet et sur-
tout suivant la nature et l'intensité de l'état fluxionnaire que l'on se propose de
combattre. 11 est tel cas où, dans la mesure de ce que comporte la conslitulion
du sujet d'une part et de l'autre l'intensité du mal à conjurer, la durée de
la séance d'hémospasie devra être de plusieurs heures et être renouvelée do
\ingt-quotre en vingt-quatre heures. Lorsqu'il s'agit d'une congestion ou d'une
jililegmasie aiguë d'une certaine intensité, il peut être nécessaire de la renou-
veler à des intervalles beaucoup plus rapprochés.
L'énergie des hémospases dépendant de leur durée, du degré de vide obtenu
et de l'étendue de la surface sur laquelle on opère, doit naturellement être cal-
culée d'après les indications fournies par chaque cas particuher. Il y a, en outre,
à tenir compte de la diversité des effets dérivatifs de l'hémospase selon qu'elle
s'applique aux membres supérieurs, aux membres inférieurs, sur telle ou telle
autre portion plus ou moins étendue on sur la totalité du corps. Le lieu d'élec-
tion pour l'application dans un cas donné n'est pas indifférent ; il est indiqué
par la nature des troubles circulatoires, par le siège, l'étendue et l'intensité des
états lluxiounaires ou phlegmasiques auxquels on a affaire.
En général, les dérivations méroscélique (de y:r,p6;, cuisse, et rr/.û.o:, jambe)
et scélique, doubles ou simples, sont celles auxquelles on doit avoir le plus
souvent recours. Dans le traitement de l'aménorrhée, les dérivateurs mérique,
pelvien on méroscélique, paraissent avoir souvent réussi.
Pour les hémorrhagies utérines, c'est l'hémospase sur les bras qui est le
mieux indiquée. Ce mode de dérivation s'est montré également efficace dans le
traitement de certaines affections du cœur et des organes pulmonaires.
L'emploi du dérivaleur abdominal est indiqué dans le traitement de plusieurs
des affections aiguës et chroniques des organes abdominaux.
L'appareil qui s'applique autour du cou est spécialement destine à combattre
les inllammations des organes sous-jacents.
Enfin, quant au récipient somatique, qui en raison de la grande surface sur
laquelle il agit dépasse beaucoup en puissance tous les autres, il ne produit en
revanche qu'un déplacement moins persistant. On n'a d'ailleurs que rarement
l'occasion d'y recourir et dans les cas seulement qui ne demandent qu'un effet
rapide et passager.
Nous ne saurions trop recommander, en terminant, une grande prudence
et surtout une active surveillance dans l'usage de ces appareils, dont les
effets peuvent n'être pas toujours aussi simples et aussi inoffensifs que cela
semblerait ressortir des expériences et des observations rapportées dans les
diverses publications de leur inventeur. Ce ne serait sans doute pas tou-
jours impunément qu'on pousserait l'hémospase jusqu'à la syncope et qu'on
déplacerait brusquement une aussi considérable masse de sang que celle qu'en-
traînerait, par exemple, l'application du récipient somatique. Ces appréhensions.
HEMOSTASE. 515
autant peut-être que la difficulté d'avoir toujours sous la main une série
d'appareils qui ne laissent pas que d'être assez compliqués et de nécessiter un
certain entretien, expliquent pourquoi l'emploi de cette méthode paraît être
resté confiné jusqu'à présent dans d'assez étroites limites {voy. les articles
Congestion, Fluxion, Dérivation et Révulsion). Brochin.
HÉMOSTASE. Arrêt du sang. L'hémostase peut être spontanée ou arti^
ficielle, survenir sans ouverture de vaisseaux ou après hémorrhagie.
Vhémostase spontanée se produit sans ouverture vasculairc dans les coagu-
lations du sang qui surviennent en cas de phlébite, d'artérite, d'anévrysnies, de
phlegmasia alha dolens, de thrombose {voij. ces différents mots) ; à la suite
d'ouvertures vasculaires, elle a lieu par un mécanisme qui a été décrit suffi-
samment à propos des plaies artérielles et veineuses {voy. les articles Artère,
Veine et Hémorrhagie).
Vliémostase artificielle, ou chirurgicale, doit être examinée à divers points
de vue, suivant qu'elle est pratiquée avant, pendant ou après une opération, ou
à la suite d'une blessure, ou pour une hémorrhagie pathologique, ou pour des
affections vasculaires.
Les moyens employés pour pratiquer l'hémostase chirurgicale rentrent dans
plusieurs catégories :
1° Effacement du calibre des vaisseaux sans destruction des parois : com-
pression médiate par acupressure,unciprcssion; compression digitale; compres-
sion par divers instruments plus ou moins compliqués : garrots, tourniquets;
compression par la bande élastique; compression par la position donnée aux
membres : flexion ou extension forcées ; tamponnement.
2" Destruction partielle des parois avec coagulation consécutive du sang
dans les vaisseaux : ligature, torsion, forcipressure.
3" Destruction complète des parois avec coagulation du sang et hémostase
définitive d'emblée : opérations avec l'écraseur, le thermo- ou le galvano-cautère,
la ligature élastique; applications de fer rouge.
i° Action directe on indirecte de moyens agissant siir le sang plutôt que
sur les vaisseaux : cautérisations diverses dans les varices, les tumeurs érec-
tiles; galvano-puncture, injections coagulantes, application du froid dans les
anévrysmes; applications de styptiques sur les plaies, etc.
5° Médication interne : iodure de potassium; régime débilitant; ergotine;
sulfate de quinine; digitale, etc.
Un certain nombre de ces moyens ont déjà été exposés suffisamment dans
d'autres articles de ce Dictionnaire; nous y renvoyons le lecteur {voy. Acupressure,
Amputation, Anévrysme, Artère, Cautérisation, Compression; Ecrasement linéaire;
Galvano-puncture; Ligature, etc.). Nous insisterons seulement sur quelques-
uns d'entre eux qui n'ont pu être décrits au moment de la rédaction de ces
articles.
Hémostase par ia compression élastique. Ce moyen a été appliqué daUS Ics
amputations, résections, ablations de tumeurs, etc., au traitement des ané-
vrysmes des membres, des hémorrhagies traumatiques, etc.
I. Amputations. Divers chirurgiens avaient déjà songé à rendre et à conserver
le membre exsangue pendant l'opération, en s'opposant à l'afflux du sang au
moyen de la compression avec une bande roulée sur tout le membre ou un lien
DICT. ENfi. i° s Yiii 53
514 HEMOSTASE.
appliqué à sa racine ; cette dernière idée remonte même à Ambroise Paré ;
Chassaignac en 1856, Grandesso Silvestri en 1862, A. Richard en 1863, avaient
remplacé la simple corde par le lien de caoutchouc. Le refoulement du sang de
l'extrémité du membre vers la racine est moins ancien ; d'après Reclus, Brun-
ningliausen a conseillé, chez les personnes faibles et ayant peu de sang à perdre,
d'envelopper le membre d'une bande de flanelle jusqu'au point oii l'incision
doit être faite, et cela dans le but de diminuer la perte du sang veineux. C'est
dans le même but d'économiser le sang artériel ou veineux qu'ont été faites
plus récemment toutes les applications de l'hémostase préventive dans les opéra-
tions. En 1852, Clover. ayant à pratiquer une amputation de cuisse, fit élever le
membre, l'entoura depuis les orteils jusqu'au périnée avec une bande étroite en
serrant fortement, et appliqua le tourniquet par-dessus ce bandage. C'est à peine
s'il y eut du sang perdu. Esmarch lui-même employait ce moyen d'expulsion du
sang veineux dès 1855; M. Félix Guyon, en 1872, pratiqua, dans quatre grandes
amputations, l'élévation du membre avec la compression de l'artère principale
à la racine; enfin, en 1875, M. Lannelongue pratiqua la désarticulation de la
hanche après avoir lié l'artère fémorale et entouré le membre d'une bande serrée
depuis les orteils jusqu'au tronc (Reclus, Des mesures propres à ménager le sang
pendant les opérations chirurgicales. Thèse d'agrég. en chir., 1880, p. 85).
C'est en 1875, au Congrès des chirurgiens allemands réunis à Berlin,
qu'Esmarch communiqua le manuel opératoire et les premiers résultats fournis
par l'ischémie préalable au moyen de la compression par un bandage élastique
dans les amputations. C'est pourquoi on a donné à la nouvelle méthode le nom
d'Esmarch, bien que la priorité appartienne aux chirurgiens nommés plus haut,
en particulier à Silvestri {voy. la discussion sur ce sujet à la Société de chirur-
gie en 1875).
La plupart des chirurgiens ne tardèrent pas à appliquer la compression élas-
tique, à en étudier les avantages et les inconvénients, à l'employer dans d'autres
cas oià l'ischémie des tissus ou l'hémostase dans les gros vaisseaux paraissait
utile, et aujourd'hui elle est presque universellement adoptée.
Son mode d'apphcation est des plus simples : on enroule autour du membre,
depuis son extrémité jusqu'à sa racine, une bande en caoutchouc de 6 centi-
mètres de large et suffisamment longue, en ayant sDin de ne pas recouvrir les
tours de bande les uns par les autres ; en serrant assez fort et en allant lente-
ment, on refoule progressivement le sang et on arrête le bandage soit à la racine
du membre quand il s'agit d'une amputation de la cuisse ou du bras, soit un
peu au-dessus du siège présumé de la base des lambeaux lorsqu'il s'agit d'une
amputation de l'avant-bras ou de la jambe. La bande une fois roulée autour du
membre, on attend un peu pour que la compression élastique chasse complète-
ment le sang des tissus, puis on applique sur le dernier tour de bande un lien
constricteur également en caoutchouc, de la grosseur du doigt, terminé à une
de ses extrémités par une barrette ou crochet, et à l'autre par une chaînette; on
fixe ce lien en faisant entrer la barrette ou le crochet dans un des anneaux de la
chaînette. On déroule alors la bande comme on la roulée, c'est-à-dire de l'ex-
trémité à la racine. La pression exercée n'a pas besoin d'être très-forte, puisque
Houzé de l'Aulnoit a calculé qu'il fallait une traction d'environ 12 kilogrammes
pour le bras et de 15 kilogrammes pour la cuisse.
La bande est généralement appliquée à nu sur la peau, en ayant soin toute-
fois de remplir d'ouate les dépressions (creux poplité) pour que la compression
HEMOSTASE. 515
soit égale, mais, lorsqu'il existe des plaies ou autres lésions, certaines précau-
tions sont à prendre.
En cas de plaie simple, on se borne à la recouvrir de taffetas gomme'; lors-
qu'il existe des plaies enflammées, phlegmoneuses, des arthrites suppurées,
fongueuses, causes de l'amputation, il est prudent de n'exercer aucune com-
pression à leur niveau pour ne pas détacher des caillots sepliques qui, entraînés
dans l'appareil circulatoire, iraient provoquer par embolie des accidents "raves
dans d'autres régions.
On a reproché à la compression élastique divers inconvénients que nous allons
examiner {voy. la thèse de M. de Lagorce, Paris, 1879. — Bibliographie),
Douleur. Dans les opérations pratiquées pendant l'anesthésie, comme les
amputations, la douleur n'est pas perçue, mais dans les opérations sans anesthé-
sie, comme les ligatures d'artères blessées, la cure des anévrysmes, les malades
accusent d'abord une sensation de gêne, d'engourdissement, des fourmillements,
et au bout d'un certain temps des douleurs qui, dans plusieurs cas, ont été assez
vives pour qu'on fût obligé d'avoir recours au chloroforme.
Anesthésie. Dans plusieurs cas, au contraire, on a constaté une anesthésie
facile à expliquer soit par l'anémie du membre, soit par la compression des
nerfs (Krishaber, Chauvel, Nicaise) ; il existe en même temps un abaissement de
température de plusieurs degrés (Laborde, Morel d'Arleux). Cette anesthésie
permit à Esmarch de pratiquer l'ablation d'ongles incarnés, des amputations de
phalanges, mais on ne pourrait pratiquer d'opérations importantes, car Nicaise
a trouvé que l'anesthésie n'existait pas dans la profondeur des tissus.
Paralysies. On a observé chez beaucoup de sujets, à la suite de la com-
pression prolongée pendant une demi-heure environ, des troubles passaoers de
l'innervation, mais plusieurs auteurs, Langenbeck, Nicaise, etc., ont signalé
des cas de paralysie persistante des muscles innervés par le médian et le cubital.
Rarement on a observé ces phénomènes de paralysie au membre inférieur.
Les douleurs et les paralysies dont nous venons de parler ont été attribuées
au lien élastique de petit volume (tube) auquel on reproche encore de se briser
parfois quand il est soumis à une forte traction, et d'être difficile à placer et à
enlever, à cause de la disposition du crochet et de la chaînette (Chauvel).
Pour remédier à ces inconvénients, M. Nicaise imagina de se servir d'une bande
moins étroite et moins dure, en tissu élastique, portant dix anneaux sur une
de ses faces, et terminée à l'une de ses extrémités par un crochet et un anneau
de préhension. Les anneaux permettent d'exercer une constriction suifisante, à la
volonté de l'opérateur. L'opération étant terminée et les artères visibles liées,
on desserre progressivement la bande anneau par anneau ; au moment où le
sang sort des artérioles, on applique rapidement sur elles des pinces à forci-
pressure, puis la bande est resserrée; on fait de nouvelles ligatures; celles-ci
terminées, la bande est desserrée de nouveau ; il ne reste que quelques petites
artérioles à lier, et l'écoulement de sang est insignifiant.
Pâleur des tissus. La décoloration des tissus due à l'ischémie peut devenir
une source de difficultés pour le chirurgien; on ne peut distinguer les artères
des nerfs; la limite de l'os sain d'avec l'os malade (Nicaise) ; les extrémités séparées
d'un tendon qu'on veut réunir (D. MoUière); les artérioles et les veines qui
seront la caus^; d'une hémorrhagie ultérieure. D. Mollière a proposé, pour pré-
venir ces difficultés, de ne commencer l'application de la bande qu'au-dessus du
point où doit être pratiquée l'opération; de celte manière, le segment du
516 HEMOSTASE.
membre situé au-dessous renferme encore une certaine quantité de sang qui
colore assez les tissus pour permettre de les reconnaître.
Infiltration sanguine interstitielle. Cet accident a été signalé par M. Augier;
à la suite d'une application trop brusque ou trop rapide de la bande, il se fit
dans les muscles une infiltration sanguine due à la rupture de quelques vaisseaux
de petit volume. Il convient donc de rouler lentement la bande sans trop serrer,
pour éviter cette rupture (thèse de doct., Paris, 1874).
Ile'morrhagies consécutives. Cet accident a été le plus fréquent et celui
contre lequel s'est le plus exercée la sagacité des chirurgiens. Les liémorrhagies
consécutives aux amputations (rarement on les observe après les autres opéra-
tions, sauf les résections, où elles surviennent bien moins souvent toutefois)
peuvent être rangées en trois groupes : 1° hémorrhagies immédiates, survenant
sous forme de pluie veineuse et artérielle au moment où l'on enlève la bande
élastique; 2° hémorrhagies précoces, survenant 24 ou 56 heures au plus tard
après l'opération, ordinairement de o i\ Q heures après l'enlèvement des liens
constricteurs : c'est un suintement général rutilant, sans tendance à s'arrêter
spontanément, et dû à la béance de quelques petites artcrioles qui n'ont pu être
liées. Ces deux variétés d'hémorrhagics, surtout la première, ont pour cause
une paralysie des vaso-moteurs, due à la constriclion prolongée du membre, et qui
se fait sentir à toute son épaisseur; les capillaires et les petits vaisseaux restent
paralysés pendant un certain temps, et le sang s'écoule de leurs orifices pendant
tout le temps qu'ils restent sans se contracter. La peau, d'abord d'une pâleur
livide, se congestionne et acquiert peu à peu une rougeur érysipélateuse sous l'in-
fluence de cette congestion passive ; o» hémorrhagies tardives, apparaissant au
bout de plusieurs jours, communes à toutes les opérations et déterminées par
une ligature mal faite, l'indocilité du malade, l'athérome artériel, un mauvais
état général de l'opéré (Outrait, Lyon médical, 1875, t. XYIll, p. 555, 598).
M. de Lagorce, qui a étudié particulièrement cette complication (thèse de
doct., Paris, 1879), dit que beaucoup de chirurgiens ont renoncé à cette ischémie
préalable à cause de la grande quantité de sang perdue après l'opération. La
compression en est bien la cause, comme l'ont démontré certains cas : par
exemple, Létiévant ampute à un blessé les deux cuisses écrasées par un wagon;
d'un côté il applique la bande élastique et il survient une hémorrhagic con-
sécutive considérable; de l'autre on ne l'applique pas, et on n'a qu'un suinte-
ment sanguin insignifiant.
Divers procédés ont été employés pour remédier aux hémorrhagies consécutives.
M. D. MoUière laisse au-dessous de la compression, comme nous l'avons dit,
une certaine quantité de sang qui s'écoule pendant l'opération et suffit pour
indiquer le siège des petits vaisseaux qu'il faut lier avant d'enlever la bande
élastique.
M. Nicaise, après avoir fait la ligature de tous les vaisseaux visibles, applique
à la surface de la plaie une grosse éponge imbibée d'une solution phéniquée à
2,5 pour 100; la paume de la main appuie sur celte éponge et exerce une
certaine compression à la surface de la plaie. On enlève alors le lien constric-
teur; la peau se congestionne d'abord, puis la congestion disparaît peu à peu
et alors seulement on retire l'éponge; les capillaires sont rétractés, et, s'il reste
encore quelques arlérioles ouvertes, on les saisit avec des pinces à forcipressurc
et ou les lie ensuite. On procède enfin au pansement.
Houzé de l'Aulnoit, comme nous le verrons plus loin, arrête celte hémor-
HÉMOSTASE. 517
rliagle primitive en tenant le membre dans une situation verticale jusqu'à ce
que tout écoulement sanguin ait cessé.
Riedinger fit cesser la paralysie des vaso-moteurs à l'aide d'un appareil
d'induction dont un des pôles était placé au voisinage immédiat de la plaie et
l'autre directement sur celle-ci; dans bien des cas les deux pôles furent appli-
qués sur la plaie {Centralbl. f. Chir., 1870, p. 705).
Esmarch donne une douche glacée sur la plaie au moyen d'un irrigateur
chargé d'une solution phéniquée faible, au moment oîi se fait la congestion, et
où le sang commence à jaillir de toute la surface cruentée.
M. Verneuil a employé avec avantage la pulvérisation phéniquée, aussitôt
après l'opération; il excite ainsi les libres contractiles des capillaires et Thémor-
rhagie s'arrête. Il fut amené à agir ainsi à la suite d'accidents de septicémie
survenus chez un sujet amputé de la cuisse et auquel il avait appliqué le panse-
ment ouaté; le sang qui avait suinté après l'application du pansement s'était
putréfié, et l'ascension de la température, sans complication appréciable pouvant
l'expliquer, conduisit le chirurgien à enlever l'ouate et à découvrir la cause de
l'accident (Mém. de chir., t. 11, p. 280).
Gangrène des lambeaux. Bien que cet accident paraisse devoir survenir par
suite des troubles circulatoires qui se manifestent sous l'influence de la com-
pression, il n'a été signalé que par Bruns, dans deux cas, et encore n'y en a-t-il
qu'un seul où l'on doive l'attribuer à cette compression.
Phlébite variqueuse. La présence de varices aux membres inférieurs paraît
constituer une contre-indication à l'emploi de la compression élastique dans les
opérations sur le pied. En effet, dans un cas cité par M. Augier, il survint une
phlébite de la saphène externe suivie de deux abcès au niveau même du point
comprimé par le lien.
II. Autres opérations. La compression élastique a été pratiquée sans modi-
fications du manuel opératoire exposé précédemment dans les résections arti-
culaires, l'amputation de la verge, des ablations de tumeurs des membres^
des extractions de séquestres, la recherche de bouts artériels dans une plaie.
DeLagorce rapporte plusieurs faits de ce genre dus àNicaisc, LeDeutu, Le Fort.
En pareil cas, la compression élastique peut être quelquefois plus nuisible
qu'utile; chez un blessé atteint de plaie de l'artère cubitale, M. Verneuil n'a pu
trouver ce vaisseau, qui présentait une anomalie de siège; il fallut enlever la
bande et laisser jaillir le sang pour découvrir et fermer la source de l'hémor-
rhagie [Bull, de la Soc. de chir., 1877, p. 678).
Signalons encore l'application que B. Cohn a faite de la compression élastique
au traitement des phlegmons des membi'es; grâce à l'ischémie, il obtint une
diminution immédiate et durable du gonflement et de la douleur, dans deux cas
de phlegmon et dans un cas de tumeur blanche du genou il y eut une amélio-
ration très-marquée [Berliner klinische Wochenschr., 1877, p. 647).
III. A>ÉVRYSMES DES MEMBRES. L'appUcation de la compression élastique au
traitement de ces affections a été proposée presque à la même époque (1875) en
Italie par G. démenti, de Padoue, et en Angleterre par Walter Reid, chirurgien
de la marine. On trouvera les documents relatifs à cette question aux sources
suivantes : Waquet, thèse de doct., Paris, 1877; — L.-H. Petit, Bull. gén. de
thérap., mai et juin 1878; — G. Poinsot, Bull, et mém. de la Soc. de chir.,
1880, p. 570, et 1881, p. 42; — Titans, of the internat, med. Congress,
London, 1881,t, II.
518 HÉMOSTASE.
Le mode d'application de la bande élastique dans le traitement des anévrysmes
ne diffère pas sensiblement de celui auquel on a recours dans l'amputation.
Le but que s'est proposé la grande majorité des cbirurgiens a été l'arrêt total
du sang dans tout le membre : aussi la compression a-t elle toujours été assez
forte, mais en même temps, comme on voulait éviter de briser ks caillots qui
auraient pu se trouver dans le sac, on a cessé de comprimer depuis la limite
inférieure de l'anévrysme jusqu'à sa partie supérieure. Dans ce but, la bande
étant roulée avec soin depuis les orteils jusqu'à la limite inférieure de l'ané-
vrysme, on l'a arrêtée en ce point et on en a pris une autre pour la partie située
au-dessus de la tumeur, ou bien, on a simplement fait passer, sans serrer, la
bande sur l'anévrysme pour recommencer la pression au-dessus. Les uns ont mis
une coucbe d'ouate sur la tumeur; les autres ont laissé celle-ci à découvert;
quelques chirurgiens, avant d'appli(iuer la bande élastique, ont roulé sur le
membre une bande de flanelle en s'arrètant aussi au niveau de l'anévrysme, etc.
Une précaution importante consiste à faire tenir le malade debout dès que la
bande élastique est arrivée à la limite inférieure du sac, afin de remplir celui-ci
de sang. On termine ensuite le bandage et on replace le malade dans son lit,
la jambe étendue horizontalement ou un peu élevée sur des coussins.
On a proposé, pour activer la formation des caillots dans le sac, de faire,
après l'application do la bande claslitiue, des injections coagulantes (Reid), ou
la galvano-puncturc (C.ampbcU), ou enfin d'exercer de légères manipulations
non pour détacher les caillots déjà formés, mais pour favoriser le dépôt de
nouvelles couches de fibrine sur les caillots existants déjà.
La durée moyenne de la compression est d'une heure ; dans quelques cas on
l'a prolongée deux heures, deux heures et demie et une fois six heures, quoique
sans succès ; une autre fois sept heures vingt minutes (Weir), mais avec des
accidents consécutifs graves {voy. plus loin).
Après l'ablation du bandage, la coagulation du sang dans le sac n'étant pas
complète, on a comprimé l'artère au-dessus soit avec un tourniquet, ou un sac de
plomb, soit avec le doigt. Cette compression adjuvante peut être faite pendant
quatre ou cinq heures, puis on explorera le sac et, si les battements s'y font
encore sentir, on la continuera quelque temps encore pour recommencer ensuite
le même examen. On ne la cessera qu'après la disparition complète des batte-
ments et la solidiijcation du contenu du sac. Si néanmoins les battements per-
sistaient plusieurs jours, il ne faudrait pas en conclure à un insuccès définitif
de la compression élastique; on pourrait encore faire une nouvelle application
de la bande, comme Sydney Jones, Manifold, etc., et obtenir, comme eux, un
bon résultat.
Les succès fournis par ce mode de traitement plaident beaucoup en sa faveur,
puisque sur 57 cas recueillis par Poinsot il y eut 27 guérisons, soit 72,97
pour 100 de succès, sans aucun accident grave directement imputable à la com-
pression élastique. Cette méthode a réussi d'ailleurs dans plusieurs cas où les
autres moyens de compression avaient échoué; elle ne nécessite aucune habileté
spéciale, aucun appareil particulier, est d'une application facile et amène rapi-
ment la guérison : il paraît donc indiqué d'y avoir recours avant d'essayer une
autre méthode ou un autre procédé, son emploi n'empêchant point la mise en
œuvre ultérieure de ces procédés ou méthodes.
Les anévrysmes poplités, les plus fréquents de tous, ont été le plus souvent
traités par la compression élastique; celle-ci convient également aux anévrysmes
HÉMOSTASE. 519
de la partie inférieure de l'artère fémorale, de la tibiale antérieure et postérieure,
aux anévrysmes du membre supérieur, mais non à ceux de la racine du bras
ou de la cuisse. Les anévrysmes traumaliques paraissent guérir mieux que les
anévrysmes spontanés, et les circonscrits que les diffus, bien que Gersuny et
Raab aient cité deux beaux cas de guérison de ce dernier genre. L'insuccès dans
la cure des anévrysmes spontanés, d'origine le plus souvent atliéromateuse,
paraît tenir à ce que l'athérome artériel s'oppose à l'effacement du calibre du
vaisseau par la compression médiate et par suite n'empêche pas l'afflux du sang
dans le sac anévrysmal.
Les accidents consécutifs à la compression élastique dans le traitement des
anévrysmes des membi'es paraissent très-rares, bien que plusieurs malades fussent
débilités, alcooliques, ou atteints de syphilis, d'albuminurie, etc.
Cependant on s'est demandé si la quantité de sang refoulée dans le système
circulatoire d'individus atteints d'anévrysmes, et par cela même d'une altération
assez profonde et plus ou moins étendue des parois vasculaires, n'exercerait pas
une influence nocive sur d'autres points de ce système.
D'après de Lagorce, « Bruns a essayé de reclierclier la quantité de sang que la
compression élastique pouvait refouler du membre ischémie vers le tronc; les
expériences qu'il a instituées à ce sujet lui font admettre que le pied et la jambe,
par exemple, ne renferment que 144 centimètres cubes de sang, dont 70 centièmes
seulement sont refoulés vers le tronc par la bande élastique. La pléthore relative
qui succède à l'application de la bande se manifeste à peine du côté de la circulation.
Suivant MM. Chauvel et Leroy, le pouls serait très-légèrement ralenti de quelques
pulsations et quelquefois resterait normal. Le tracé sphygmographique présen-
terait des caractères opposés à ceux que Marey donne comm.e caractéristiques de
l'augmentation dépression; la ligne d'ascension serait plus longue et plus droite
qu'à l'état normal, à sommet très-aigu, avec un dicrotisme plus accentué; les
bruits du cœur seraient momentanément mieux frappés. La température subit
des modifications insignifiantes, la respiration est normale ; on a signalé seulement
quelques cas de syncope et de malaise qui ont nécessité la levée de l'appareil. »
Dans un cas deWagstaffe, le malade, atteint d'anévrysme poplité, guérit par-
faitement par la compression élastique, mais cinq mois après il mourut subite-
ment de rupture d'un anévrysme de l'aorte dans le péricarde. On peut admettre
que le refoulement du sang par la compression élastique a exercé sur le dévelop-
pement de l'anévrysme secondaire une certaine influence, car chez un malade
de Weir, atteint de dégénérescence graisseuse du cœur, la mort survint vingt-
sept heures après la cessation de la compression faite pour un anévrysme poplité.
M. Verneuil, qui rapporte ce fait, pense que la mort doit être attribuée à l'état
morbide antérieur du cœur, et peut-être des poumons atteints de tuberculose.
La compression avait été prolongée, dans deux séances successives, quatre heures
trente-cinq miimtes et sept heures vingt minutes, ce qui est excessif: aussi dès
le lendemain y eut-il sphacèle des orteils.
Dans un autre cas, de Rivington, il existait de l'œdème du membre; on
appliqua néanmoins la compression élastique, qui fut suivie également de spha-
cèle. La compression élastique prolongée paraît donc contre-indiquée dans les
cas où il existe en même temps une affection du système circulatoire {Bull, de
la Soc. de chir., 1880, p. 577).
La douleur constatée dans la plupart des observations a été assez vive dans
quelques cas pour forcer le chirurgien à enlever la bande et à renoncer à la
5-20 HÉMOSTASE.
méthode; cette douleur n'est pas particulière à la compression élastique, car
elle a été notée de même lorsqu'on a employé les divers autres modes de com-
pression mécanique et la compression digitale. Néanmoins la compression exercée
avec le lien constricteur ayant paru insupportable, on a cru devoir l'alténuev à
l'aide de l'anesthésie, soit locale, par les injections hypodermiques de morphine,
soit générale, par les inhalations d'éther ou de chloroforme. On a pu ainsi prolonger
suffisamment la compression pour obtenir la solidification du sang dans le sac.
lY. Signalons encore une belle application de la bande élastique pour remédier
aux hémorrhagies puerpérales graves. Dans un cas de ce genre, M. le docteur
Prouff, de Plouescat (Finistère), appelé auprès d'une femme presque exsangue,
appliqua d'abord une bande élastique sur tout le membre inférieur droit; un
mieux sensible survint; des douleurs se manifestant dans le membre, on enleva
la bande, mais après en avoir appliqué une seconde sur le membre gauche. Au
bout de deux heures de celle auto-transfusion (Guéniot). On enleva définitive-
ment la bande. La guérison eut lieu sans encombre {Bull, et mém. de la Soc,
de chir., 1879, p. 500).
Forcipressure. Ce mot, Créé par M. Verneuil, sert à désigner l'emploi des
pinces comme moyen d'hémostase par compression d'un vaisseau entre les mors
de ces pinces laissées à demeure pendant un temps plus ou moins long, variant
de quelques minutes à plusieurs heures.
Ce moyen a déjà été pratiqué à la fin du siècle dernier par Desault et Percy.
Sans vouloir insister ici sur l'historique de la forcipressure, qui a été traité
avec tous ses détails par M. Yerneuil dans le mémoire qu'il a lu à la Société de
chirurgie en 1875, nous pouvons dire que divers chirurgiens ont eu recours
pendant les opérations à l'hémostase temporaire au moyen de pinces à verrous,
de serres-fines (Vidal de Cassis, Ancelet), de serres-fortes (Sédillot), jusqu'au jour
où, en 1865, M. Kœberlé modifia la pince à anneaux de Charrière en y ajoutant
un cran d'arrêt, et songea à l'utiliser comme agent d'hémostase en chirurgie
courante; cette pince figurait à l'Exposition universelle de 1867; les pinces
hémostatiques, proposées de nouveau en 1867 par ÎNunneley (de Leeds), furent
modifiées en 1868 par M. Péan, qui en fit construire de divers modèles dans le
but de les employer d'une manière exclusive dans les opérations.
Les documents relatifs à celte question ont été communiqués en 1874 à la
Société de chiruigie par M. Kœberlé, puis par M. Yerneuil eu novembre 1874 et
le 4 janvier 1875, etc. : c'est le premier travail complet sur la question; le 16 et
le 23 janvier 1875 parurent dans la Gazette médicale de Paris les leçons de
M. Péan, professées l'année précédente et recueillies par MM. Deny et Exchaquet.
M. Kœberlé fit connaître qu'il employait ses pinces comme moyen d'hémostase
définitive sur les petits vaisseaux, et seulement comme moyen temporaire sur
les artères de gros calibre. Sur celles-ci il appliquait un fil à ligature à la fin
de l'opération. M. Péan voulait supprimer complètement la ligature et employer
les pinces d'une manière méthodique, raisonnée, pour obtenir l'hémostase tem-
poraire, définitive et préventive, pour toutes les artères et dans les opérations
de longue durée [voy. la thèse de Delage, Paris, 1878). La publication de ces
travaux a contribué pour une large part à vulgariser d'une manière définitive la
forcipressure en chirurgie opératoire.
Les premières applications de la forcipressure ont été faites dans des circon-
stances imprévues où le chirurgien s'est trouvé dans l'impossibilité absolue d'ar-
HEMOSTASE. 521
rèter l'hémorrhagie d'une autre manière; ayant une pince sous la main, il l'a
placée sur le vaisseau et l'a laissée jusqu'à ce qu'il pensât que l'hémostase était
assurée.
Cette forcipressure de nécessité, comme l'a appelée M. Verneuil, a été prati-
quée avec des pinces diverses, soit la pince à pansement, soit la pince à liga-
ture, la serre-fine, etc. Les bons résultats obtenus dans ces cas, qui paraissaient
désespérés, ont attiré peu à peu l'attention des chirurgiens sur cette méthode,
jusqu'au jour où la réunion par M. Verneuil des faits publiés mit en lumière
d'une manière définitive tous les services qu'on en pouvait attendre.
La fabrication de pinces pouvant répondre à tous les besoins permit alors
d'employer la forcipressure dans presque toutes les opérations sanglantes. M. Ver-
neuil avait en effet démontré : que la forcipressure était d'une exécution facile
et rapide, peu douloureuse, permettant aux chirurgiens d'opérer presque sans
aides; que le séjour des pinces au milieu des tissus était absolument inoffensif
et ne donnait lieu à aucun travail inflammatoire. Mais, bien qu'il eiit ajouté
qu'elle n'exigeait aucun instrument spécial, on ne pouvait cependant, pour les
opérations dans les cavités, s'en tenir à la pince à pansement ou à polypes ;
aussi les varia-t-on de mille manières.
Les instruments dont on s'est servi sont en effet de divers modèles comme
longueur, épaisseur et disposition des branches, et des mors, qui sont droits,
courbés en T, triangulaires, losangiques, etc. Leur mode d'application diffère
suivant l'organe opéré, et nous devons renvoyer aux opérations pratiquées sur
les divers organes {langue, utérus, amputatio7is, ablations de tumeurs, etc.).
Dans les opérations sur la surface externe du corps on applique facilement les
pinces sur tous les vaisseaux, au fur et à mesure de leur division, et on ne fait
la ligature qu'à la fin ou lorsque le nombre des pinces dans le champ opéra-
toire devient gênant pour le chirurgien. Cette application successive des pinces
au cours d'une opération diminue beaucoup la durée de celle-ci. Lorsque par
suite de la situation profonde du vaisseau la ligature est trop difficile ou parfois
impossible, on peut laisser la pince en place vingt -quatre ou quarante-huit
heures jusqu'à ce que la formation du caillot ait assuré l'hémostase.
Celle-ci se produit par l'écrasement des tuniques interne et moyenne de l'ar-
tère et par la formation d'un caillot; dans les petites artères, l'écrasement suffit
à lui seul pour assurer l'hémostase; on peut alors retirer les pinces au bout
d'un quart d'heure, d'une demi-heure, c'est-à-dire après l'opération, avant le
pansement; pour les artères de moyen calibre, du volume de la l'adialc ou des
artères utérines, par exemple, il faut laisser les pinces en place de vingt-quatre à
quarante-huit heures. Les tuniques artérielles adhèrent alors entre elles, et,
avec l'aide du caillot, cet accolement des parois constitue l'hémostase tempo-
raire; il se développe ensuite une endartérite, localisée à l'extrémité des vaisseaux,
dont les végétations forment une cicatrice qui détermine l'hémostase définitive.
Ces termes d'hémostase préventive, temporaire et définitive, ont encore été
employés dans un autre sens par M. Péan.
L'hémostase préventive se pratique dans certaines régions où les pinces peu-
vent être appliquées sur les vaisseaux importants qui s'y rendent et empêcher
ainsi l'hémorrhagie pendant l'opération : telles sont les ablations de tumeurs
pédiculées, les opérations sur les lèvres, les joues, le nez, la langue; sur les
lèvres du bec-de-lièvre pendant l'avivement pour empêcher Thémorrhagie par
les coronaii'es labiales; sur le scrotum pendant la castration; sur les ligamentii
522 HÉMOSTASE.
larges de l'utérus pendant l'hystérectoraie vaginale (Richelot). Les pinces peuvent
rester jusqu'à ce qu'on pense que le caillot est forme', comme dans la castration
et l'hystérectomie, ou être enlevées après l'application des épingles ou des sutures,
comme dans le bec-de-lièvre.
V hémostase temporaire consiste dans l'application des pinces sur les vais-
seaux divisés dans une opération, ou après celle-ci quand on enlève la bande
élastique, par exemple, après les amputations suivies d'hémorrhagies en nappe.
Lorsque tons les vaisseaux sont saisis et l'bémorrhagie arrêtée, on jette un fil
sur les plus gros, on tord les plus petits, et on enlève les pinces au fur et à mesure
pour procéder au pansement ou aux sutures, comme dans l'ovariotomie, ou dans
les opérations oià il est nécessaire de ne pas laisser de corps étranger dans la plaie.
V hémostase définit ire consiste à laisser les pinces sur les vaisseaux depuis
le moment de l'opéralion jusqu'à celui où on pense que le caillot est assez
résistant pour former une barrière efficace au sang. Elle remplace alors la liga-
ture, mais ne peut s'appliquer aux artères d'un gros calibre, à la fémorale, par
exemple. Dans les amputations pratiquées de cette manière, les pinces sont
ramenées dans les angles de la plaie, qu'on réunit et qu'on panse comme à l'or-
dinauc, les pinces servant en quelque sorte de drain. On les entoure d'ouate
antiseptique, de gaze iodoformée, etc., pour qu'elles n'irritent pas les tissus. On
agit de même pour les pinces laissées dans le vagin après l'hystérectomie. On
peut remplacer les pinces par un drain après leur ablation.
La forcipressure a été aussi employée à la cure des anévrysmes, en appliquant
une pince au lieu de la ligature sur l'artère mise à nu au-dessus de la tumeur,
mais cette manière de faire est restée à l'état d'exception.
Uncipresslon. Ce moyen, imaginé par Vanzetli (de Padoue) pour arrêter les
hémorrbagies artérielles, consiste à appliquer dans une plaie profonde, dont on
ne peut pratiquer l'hémostase par les moyens ordinaires, des crochets portés
dans le fond de la plaie ; ces crochets maintiennent les bords de la plaie écartés,
et, par suite de leur pression sur le vaisseau, ou du changement de direction
qu'ils lui impriment, arrêtent l'hémorrhagie. Comme ces crochets doivent rester
assez longtemps en place, vingt-quatre à quarante-huit heures, et qu'il faut
obtenir une tension continue, on les fixe à un gros fil et l'autre extrémité de
celui-ci à im point immobile, le bois du lit, un bâton, ou mieux l'appareil des-
tiné à immobiliser le membre. La douleur causée par les crochets est, en général,
passagère et moindre que celle que produirait une pince.
M. Verneuil, qui fit un rapport sur le mémoire de Yanzetti à la Société de
chirurgie, dit que l'uncipression est passible d'un certain nombre des objections
justement adressées à l'acupressure, dont elle se rapproche d'ailleurs sous plus
d'un rapport (Bull, de la Soc. de chir., 1874, p. 562).
Quoi qu'il en soit, la grande vogue obtenue par la forcipressure depuis cette
époque a fait oublier l'uncipression.
Hémostase par attitude du membre. La flexion OU l'extension forcées de
l'avant-bras sur le bras déterminent l'arrêt du pouls radial; dans la demi-
flexion du membre, on obtient le même résultat par une contraction volontaire
et énergique du biceps; c'est sur la circulation artérielle qu'on a prise par ces
moyens, qui ont déjà été appliqués plus d'une fois; l'hémorrhagie de la main
s'arrête en pareil cas par suspension de l'abord du sang, et l'hémostase exige
HÉMOSTASE. 525
une tension violente du tendon aponévrotique du biceps. La même attitude du
membre, sans contraction volontaire du muscle, peut ne pas modifier l'apport
du sang artériel, mais gêner seulement le retour veineux, parce qu'alors l'ex-
pansion fibreuse du biceps n'est pas suffisamment tendue pour effacer le calibre
des deux ordres de vaisseaux.
Dans un cas d h-imorrhagie provenant de l'incision d'un panaris du pouce,
mais incoercible parce que le membre était dans celte atiitude, M. Yerneuil
ordonna au malade de laisser retomber son bras et fit cesser toute contraction
musculaire; l'hémorrhagie s'arrêta aussitôt {Gaz. hehd., 1862, p. 645).
Dans une intéressante thèse soutenue en 1867 sur les mouvements forcés et
leur emploi thérapeutique, M. Merlateau a démontré que l'extension forcée
pouvait diminuer et même arrêter complètement la circulation du sang dans les
artères en déterminant l'aplatissement des vaisseaux, et que la flexion forcée
pouvait obtenir le même résultat en produisant un angle aigu du vaisseau au
niveau de la flexion. On trouvera dans cette thèse tous les documents relatifs à
la question et en particulier ceux qui ont été fournis à l'auteur par M. Verneuil
sur les modifications de la circulation du membre supérieur pendant la flexion
forcée de l'avant-bras sur le bras {Juiirn. de physioL, 1858, t. 1, p. 506).
La thèse de iM. Stopin (Paris, 1869) renferme encore, sur le traitement de
l'anévrysme poplité par la flexion de la jambe sur la cuisse, des documents
nombreux qui n'ont pu être insérés dans l'article Axévrysme.
Élévation verticale du membre. Ce procédé d'hémostase a été imaginé et
érigé en précepte par Houzé de l'Aulnoit en 1876. 11 consiste, après une blessure
vasculaire ou une opération (amputation de parties des membres), à maintenir le
membre entier ou le moignon dans la position verticale pendant un temps qui
varie de deux à huit heures, lorsqu'on ne peut faire la ligature.
En 1849, Malgaigne avait tenté d'obtenir l'hémostase en fléchissant à angle
droit l'avant-bras sur le bras et en maintenant l'avant-bras dans une position
verticale à l'aide de coussins, mais celte idée était tombée dans l'oubli.
Houzé de l'Aulnoit recommandait d'avoir recours à l'élévation verticale du
membre après avoir enlevé le bande élastique. Si les vaisseaux principaux du
membre donnent, on en fait la ligature, sans s'occuper des petits vaisseaux, qui
se ferment par la position verticale.
Lorsque l'hémorrhagie est arrêtée et la plaie exsangue, on peut appliquer le
pansement, qui est toujours antiseptique. Eu 1881, au moment de la commu-
nication de ce procédé au Congrès de l'Association française pour l'avancement
des sciences, à Alger, Houzé de l'Aulnoit l'avait employé avec succès dans vingt
cas : quatre grandes amputations, dont une de l'avant-bras au tiers moyen, une
désarticulation du poignet chez un adulte et une de jambe au tiers supérieur
chez un enfant, et une autre chez un adulte, avec ligature seulement des gros
troncs; — se[jt amputations de doigts; — six cas d'hémorrhagie de la main ou
de l'avant-bras ; — deux résections très-étendues du tibia (vo(/. Comptes rendus
du Congrès d'Alger, p. 812, et aussi la thèse de Prévost, Lille, 1881).
Ce procédé fut aussi l'objet d'une communication de Lister à l'Académie de
médecine de Paris en 1878; il démontra les effets physiologiques de l'élévation
verticale du membre sur la circulation, qui est très-ralentie et même suspendue
dans les artères, et la reconnut comme moyen puissant d'hémostase. U l'avait
employée avec succès dans une désarticulation du poignet où il n'avait pu trouver
l'artère cubitale qui continuait à donner du sang.
524 HÉMOSTASE.
M. Gosselin, en 1878, et M. Desprës, en 1879, y eurent également recours
avec succès dans plusieurs cas d'hémorrhagie de la paume de la main [voy.
la thèse de Zigliara, Paris, 1879).
En 1880, Esraarcli, sans citer les travaux antérieurs, fit au Congrès de Berlin
une communication sur le même sujet.
Houzé de l'Aulnoit recommande de se mettre en garde contre quelques causes
d'insuccès; l'hémorrhagie peut survenir après le pansement, si celui-ci exerce
une compression trop forte au-dessus du foyer traumatique : il faut donc avoir
soin que la compression soit exactement répartie, ou plus forte à l'extrémité du
moignon que dans le reste du pansement; elle peut encore avoir lieu par suite
d'un épanchement de sang sous la peau ou sous l'aponévrose par le fait du
pansement et comprimant les veines au-dessus de la plaie; enfin, par l'étran-
glement des parties molles, dû à l'inflammation des tissus situés entre les
vaisseaux divisés et la partie supérieure du membre.
De rhémostase dans les amputations sans compression préalable» M. \orneiul
a préconisé en 1870 une mélliode opératoire consistant à faire l'amputation des
membres comme s'il s'agissait d'enlever une tumeur, c'ost-à-dire de sectionner
les tissus à petits coups, tout en donnant aux lambeaux la forme voulue, et de
lier les vaisseaux au fur et à mesure de leur division. Xolre maître avait été
conduit à cliercher les procédés de celte méthode à la suite de quelques cas de
phlébite survenue après la compression digitale au pli de l'ahie dans les ampu-
tations de la cuisse et de la jambe; les malades étant morts de pyohémie, on
avait pensé que cette complication pouvait être attribuée jusqu'à un certain
point à la pénétration de fragments de caillots septiques dans le torrent circu-
latoire et provenant de la phlébite ingumale. J'ai moi-même contribué à établir
l'importance de ces accidents [Gaz. hebd., 1870, p. 456) et un autre élève de
M. Yerneuil, M. Pillet, a décrit dans sa thèse (1872) tous les procédés appli-
cables aux différentes amputations sans compression préalable de l'artère
principale du membre. Voici comment il résume les préceptes généraux à suivre
dans ces opérations :
Les temps de l'amputation sont exécutés de façon que l'hémostase des gros
vaisseaux se fasse au début, dans le cours ou à la fin de l'opération.
La ligature des petites artères se fera absolument comme dans l'ablation d'un
cancer du sein, par exemple, c'ost-à-dire à mesure que les vaisseaux seront
coupés. Si le chirurgien trouve gênant de quitter à ce moment le couteau pour
la pince, il pourra toujours utiliser un procédé employé déjà par M. Maisonneuve
et d'autres chirurgiens et qui consiste à saisir les vaisseaux avec des pinces à
verrou de petites dimensions, qui ne gênent en rien les mouvements de l'opéra-
teur (l'emploi des pinces hémostatiques, qui n'était pas encore vulgarisé à
cette époque, trouverait aujourd'hui son application tout indiquée dans ce genre
d'opérations, et y rendrait de grands services).
Les instruments tranchants à employer se réduisent à un simple petit couteau
solidement emmanché, à tranchant droit ou convexe, à lame robuste, longue de
12 à 15 centimètres. A la rigueur un simple bistouri à lame fixe pourrait suffire.
On se servira de préférence du procédé à lambeaux : antérieur et postérieur.
Dans le premier temps, le chirurgien trace avec la pointe du couteau les lam-
beaux au moyen d'une incision comprenant la peau et le tissu cellulaire sous-
cutané. 11 procède alors à la recherche de l'artère principale, si elle est super-
HEMOSTASE. 523
ficielle, sinon il cherchera à la découvrir en se servant des donne'es anatomiques
connues. Il suffira la plupart du temps de couper un ou deux muscles recouvrant
l'artère et les veines et nerfs qui l'accompagnent.
Cela fait, la rétraction des fibres musculaires coupées laisse libre un vaste
espace dans lequel le chirurgien peut introduire son doigt et, en écartant ou
même déchirant les parties situées au-dessus du point où doit se faire l'ampu-
tation, chercher sans craindre de causer des accidents dans ces parties, puis-
qu'elles doivent être sacrifiées.
La position de l'artère bien établie par le toucher et la vue, il ne reste plus
qu'à l'isoler au moyen d'une sonde cannelée, à la soulever avec une aiguille de Des-
champs munie d'un fil, et à la lier. Dans certains régions, où les artères présenlent
de larges anastomoses, comme à l'avant-bras et à la jambe, il est bon de mettre
une double ligature et de couper le vaisseau entre les deux fils : on évite ainsi
i"af(]ux du sang par le bout inférieur, qui donne presque autant que le supérieur.
M. Yerneuil recommande aussi de lier les grosses veines, car chez certains
sujets le reflux physiologique ou pouls veineux s'étend souvent très-loin et, si les
valvules de la veine étaient insuffisantes, on pourrait avoir à craindre des hémor-
rhagies veineuses. Ces ligatures ne présentent, du reste, aucun inconvénient, et
de nombreux chirurgiens y ont recours sans scrupule dans les amputations.
Les vaisseaux liés, on achève le lambeau jusqu'à l'os, en taillant les chairs
en biseau et de dehors en dedans. On dénude l'os et on fait avec la pointe du
bistouri une incision circulaire du périoste, au point où doit se faire la section.
Le premier lambeau ainsi terminé, on procède de la même manière pour le
second, et on sectionne l'os selon la méthode habituelle.
M. Yerneuil s'est aussi servi d'un second procédé aussi facile que celui que
nous venons de décrire, quoique au premier abord il semble présenter de grandes
difficultés. 11 achève d'abord son premier lambeau (antérieur) de la façon indi-
quée précédemment, puis il dénude l'os en avant et un peu sur les côtés, passe
un instrument quelconque, une paire de ciseaux courbes de préférence, entre
l'os et les parties molles sous-jacentes, en ayant soin de le raser le plus près
possible, et il le sectionne avant de s'occuper du lambeau postérieur. L'os scié, il
taille ce lambeau de dehors en dedans, ou de dedans en dehors, selon qu'il le
trouve plus commode.
Comme M. Yerneuil le disait plus récemment, ces essais ont perdu beaucoup
de leur valeur depuis les belles applications de l'ischémie artificielle à la chirurgie
opératoire des membres ; on trouvera plus aisé de rouler une bande de caoutchouc
que d'aller à la recherche des vaisseaux, ce qui exige sans contredit des connais-
sances anatomiques précises. Mais il peut se trouver encore certains cas parti-
culiers où ces procédés seront utiles et les chirurgiens feront bien de s'y exercer.
En effet, outre qu'on pourrait bien n'avoir à sa disposition ni aide habile pour
faire la compression, ni bande de caoutchouc, il ne faut pas oublier que l'ischémie
artificielle n'est pas exempte d'inconvénients : aussi pour certaines opérations,
telles que la désarticulation de l'épaule et de la hanche, l'amputation du bras
et de l'avant-bras, ces procédés sont-ils aussi bons que possible (Yerneuil, Mém.
dechir., t. II, p. 12, 1878).
Hémostase chirurgicale par médication interne. Lorsque l'Ilémorrhagie qui
survient à la suite de plaies accidentelles ou chirurgicales est sous la dépendance
de l'état constitutionnel du sujet, par exemple, chez les cardiaques, les liépa-
526 HEMOSTASE.
tiques, les paludiques, la médication interne a été employée avec succès pour
arrêter l'écoulement du sang. Chez les cardiaques, la digitale, chez les palu-
diques, le sulfate de quinine, administrés comme d'ordinaire, ont déterminé
ce résultat (Verneuil, Mém. de chir., t. III).
Un des plus beaux succès obtenus par l'emploi du sulfate de quinine a été
relaté par M. llémard. A la suite de l'extraction d'une dent survint une hémor-
rhagie que ne purent arrêter ni les tamponnements de l'alvéole, ni les cautéri-
sations au fer rouge, ni la ligature de la carotide primitive. 11 survint même
des héraorrhagies par la plaie de la ligature. Les pertes sanguines ne cessèrent
qu'après l'administration du sulfate de quinine. Le malade était albuminurique,
et c'est à cette dyscrasie que M. Yerneuil a attribué la persistance de l'écoule-
ment sanguin [Bull, et mém. de la Soc. de chir., 1879, p. 552), On trouvera
d'autres faits du même genre dans la thèse de M. Luigi : Contribution à l'his-
toire de Vhémorrhagie comécutive à V extraction des dents, Paris, 1876.
Chez les sujets atteints d'une affection du foie, on observe souvent, entre autres
liémoriliagies, des épistaxis rebelles à tous les traitements. M. Verneuil, se fon-
dant sur la relation qui existe entre l'affection du foie et l'épistaxis, a fait appli-
quer, dans plusieurs cas où cette affection était manifeste, un vésicatoire sur
la région hépatique, et arrêté définitivement l'hémorrhagie. L'emploi de ce moyen
révulsif n'est pas nouveau, puisque Galien recommandait d'appliquer des ven-
touses sur le foie lorsque le sang coulait par la narine droite et sur la rate
quand il coulait par la narine gauche, mais il était resté dans le domaine de
l'empirisme, puisqu'on ignorait la relation pathogénique qui existe entre les
affections du foie et les hémorrhagies, et était d'ailleurs tombé dans l'oubli le
plus profond {Congrès de l'Association française, à Reiras, 1880, p. 990, et
Acad. de méd., séance du 26 avril 1887).
M. Alex. Harkin, de Belfast, a aussi employé avec succès l'application des
vésicatoires sur la région hépatique dans des cas d'héraorrhagies nasales, buc-
cales, hémorrhoïdales, survenues chez des sujets présentant une affection du foie
{the Lancet, 30 octobre 1886, t. II, p. 815).
Association des différents procédés d'hémostase- Dans une grande opération,
il est rare qu'on n'ait recours qu'à un seul des moyens énumérés précédemment.
Le plus souvent on fait appel successivement ou simultanément à plusieurs
d'entre eux.
Dans une amputation de membre, par exemple, on applique d'abord soit la
bande élastique, soit le tourniquet, soit la compression digitale de l'artère prin-
cipale à la racine du membre, ou bien on pratique la ligature de cette artère au
niveau de la base des lambeaux, etc. Pendant l'opération, quelques vaisseaux
venant à donner, on les oblitère par la forcipressure ou par la compression
digitale. Après la section du membre, on fait la ligature des vaisseaux princi-
paux, on applique encore des pinces sur les artérioles béantes, ou une éponge
imbibée d'une solution antiseptique froide, etc.
Dans les ablations de tumeurs, on exécute la section des tissus avec l'écraseur
linéaire, ou le galvano-cautère, ou le thermocautère, ou la ligature élastique,
tous procédés qui réalisent l'hémostase en même temps que la diérèse ; ou bien
on applique des pinces sur les vaisseaux avant ou après leur section, ou bien
encore on en fait la ligature double, et on coupe les tissus entre les deux ligatures.
Après les opérations, on a recours à divers moyens destinés à favoriser l'hémo-
HEMPEL. 527
stase définitive dans les vaisseaux, ou à prévenir les hémorrhagies secondaires :
pansements antiseptiques, qui provoquent le resserrement des vaisseaux, ou
évitent l'inflammation de la plaie, la destruction des extrémite's ou de la conti-
nuité des vaisseaux dénudés, le ramollissement des caillots, ramollissement qui
se produit si souvent chez les opérés atteints de fièvre septique; — médication
interne à l'aide de médicaments au premier rang desquels se place le sulfate de
quinine, puis l'ergotine, etc.
C'est surtout dans l'ablation des tumeurs sanguines, des angiomes, que l'asso-
ciation de moyens hémostatiques nombreux est nécessaire. Un fait communiqué
à la Société de chirurgie par M. Richelot en est un exemple remarquable.
Dans un cas de tumeur érectile volumineuse du front, dont les vaisseaux
afférents et efférents étaient très-augmentés de volume, M. Verneuil applique
d'abord une bande élastique autour de la tête pour emprisonner le sang dans la
tumeur et empêcher l'accès du sang par la périphérie. Mais le sang abonde de
la profondeur par les artères dilatées des os du crâne, et une double hémor-
rhagie a lieu par la petite plaie d'une ponction évacuatrice et par une ulcération
de la tumeur : on en fait l'hémostase avec la forcipressure. On trace alors une
incision autour de la tumeur avec le galvano-cautère, mais le sang jaillit des
deux lèvres de l'incision et on applique des pinces à pression continue ; chaque
fois qu'on approche d'une grosse veine, on fait à droite et à gauche du vaisseau
une ponction profonde et on passe au-dessous de lui une sonde cannelée qui
sert à glisser un stylet muni d'un fil ; on cherche alors à couper la veine entre
les deux ligatures, mais les fils sont tropVapprochés ou les vaisseaux mal étreints :
un flot de sang jaillit sous le couteau, on l'arrête par la forcipressure. Le pour-
tour de la tumeur est ainsi séparé avec le galvano-cautère, les ligatures succes-
sives et la forcipressure; enfin la tumeur ne lient plus que par le milieu de sa
base; on la détache rapidement du crâne; trois ou quatre jets de sang rutilant
s'élèvent de la voûte osseuse; impossible de placer des pinces sur les orifices
des vaisseaux crâniens dilatés ; la compression digitale aussitôt exercée par les
aides permet au chirurgien d'abattre en quelques instants les dernières adhé-
rences de la tumeur; il reste une vaste surface de la voûte crânienne dénudée,
sur laquelle le fer rouge est appliqué sans que l'hémorrhagie s'arrête. Des ron-
delles d'amadou maintenues avec les doigts triomphent enfin de l'écoulement
et l'opération est terminée. Au cinquième jour, la température ayant monté à
39 degrés, on fit des pulvérisations phéniquées sur la plaie et on administra le
sulfate de quinine. La guérison fut assez rapide.
Ainsi dans ce cas on a employé la bande élastique, le galvano-cautère,
la forcipressure, la ligature, la compression digitale, la cautérisation, la com-
pression avec des rondelles d'amadou, et enfin le sulfate de quinine. C'était un
cas compliqué nécessitant des moyens complexes. Dans une autre région (Tillaux)
on aurait pu encore combiner l'écraseur pour pédiculiser la tumeur et l'anse
galvanique pour la disséquer [Bulletins et mémoires de la Société de chirurgie,
1881, p. 637). L.-H. Petit.
HÉIU0TACH09IËTRE. Foî/. CIRCULATION, p 419.
HEMPEL (Adolph-Friedr.-Heinr.). Médecin allemand, né à Neustrelitz, le
5 août 1767, mort a Gottingue, le 28 février 1834. Il fut nommé privat-docent
dans cette ville en 1789, professeur extraordinaire en 18U8, enfin professeur
528 HENKE.
ordinaire en 1819, et enseigna l'anatomie avec un grand succès. Ses principaux
ouvrages sont: Anfangsgriinde der Anatomie. Gôttingen, 1801, in-8'', et nom-
breuses éditions ; Einleitung in die Physiologie and Pathologie, Gôttingen,
1818, in-8°; plusieurs éditions. L. Hn.
HEX'CKEL 00 nEKKEL (Joachim-Friedrich). Chirurgien et accoucheur
allemand, né à HoUand, le 4 mars 1712, mort à Berlin le l*""" juillet 1779, Il
étudia à Konigsberg, à Berlin et à Paris, servit dans l'armée, fut reçu docteur
à Francfort-sur-l'Oder en 17 45, puis enseigna la chirurgie à Berlin et à la mort
de Meckcl fut nommé directeur de la clinique d'accouchements. Henkel con-
tribua à propager en Allemagne les principes de Rœderer et de Fried. Il était
membre correspondant de l'Académie royale de cliirurgie. 11 a publié à Berhn
un grand nombre de monographies et de recueils d'observations chirurgicales et
obstétricales qui renferment des faits intéressants. L. Hn.
IIEXDRICKSZ (PiETEiî). Né en 1779 à Enkhuizen dans les Pays-Bas. II fit
partie du corps de santé militaire de son pays. Chirurgien de 5" classe en 1791,
attaché à divers hôpitaux, il devint professeur exlraordinaire en 1818 à Gro-
ninguc etprofesseur ordinaire à Amsterdam en 1828. Il s'occupa surtout d'ophthal-
mologic et fut le fondateur d'un institut spécial qu'il dirigea jusqu'à sa mort en
1845. Nous citerons de lui:
I. BIjdragen tôt den tegcnwoordigen staat van het animalisch magnelismus in ans
vaderland. Groningue, 1814, 1818, in-8°, édition allemande par Fr. Berd. Halle, 1818, in-8°.
— W.Ordeelkundigebesclirijvtng vaneenige de?- voornaamste Itcelkundige operatiën verrigt
id het iiosQcomium academicum te Groningen, années 1810 à 1815. Groningue, 1816, in-S";
année 1816-1817, Amsterdam, 1822. — III. Oratio de chirurgorum nostratium laudibus
optimis excolendœ artis'chirurgiœ incitamenlis. Groningue, 1810. — IV. Over de aanwending
van de herooking van Morveau en van het chlorutetuni sodae in het %iektenhuis te
Groningen. Groningue, 1827, in-8°. — V. Kort ovenicht vegcns de behandelde lijders en
ven'ichte operatiën in het nosocomiumte Groningen, 1826-1827. Groningen, 1828, in-8°.—
VI. Oratio de medicina et chirurgia non sine utriusque damna separandis. Amsterdam,
1829, in-S». A. D.
UEXDY (James). Médecin anglais, reçu docteur à Edimbourg en 177-4,
médecin général de la milice, l'un des médecins du dispensaire général de la
Barbade, s'occupa spécialement de recherches sur le système lymphatique
(Edimbourg, 1774; Londres, 1775) et chercha à démontrer que la maladie dite
des Barbades a son siège dans ce système {Treat. on the Glandular Disease
of the Barbadoes, London, 1784, in-8°; trad. en fr. in Mém. Soc. méd.
d'émul. de Paris, t. IV. Un nouvel opuscule sur ce sujet parut à Londres en
1789). L. Hn.
nErvKE (Adolph-Christ.-Heinr.). Médecin allemand, né à Brunswick, le
12 avril 1775, mort à Erlangen, le 8 août 1843. Nommé professeur extraordi-
naire dans cette ville en 1806, il obtint en 1816 la chaire de clinique et de
médecine légale et la direction de l'Institut clinique de l'Université.
L'ouvrage le plus important de Henke est : Lehrbuch der gerichtl. Medicin,
Berlin, 1812, in-8''; 12«édit. par Bergmann, ibid., 1851, in-8». Citons encore:
Handhuch der allgem. u. spec. Pathologie, Berlin, 1806-1808, 5 vol. in-8°;
Darstell. u. Kritik der Lehre von den Krisen, Kûrnberg, 1806, in-8''; Handb.
zur Erkemi. u. Heilung der Kinderkrankheiten, Frankf. a. M. 1809, in-S";
HENNÉ. 52
plusieurs éditions; enfin Abhandl. ans dem Gebiete der gerichtl. Médicin ,
Bamberg, 1815-1820, 4 vol. in-8°. Henke publia depuis 1821 une importante
collection, le Zeîïsc/tn/i! fiir Staalsarzneikunde, et collabora à plusieurs autres
recueils. L. Hn.
HEIVKEL. Fo//.Henckel.
HE\XE (Friedr.-Gust.-Jakob). Célèbre anatoralste et physiologiste alle-
mand, né à Fûrth, le 9 juillet 1809, mort à Gotlingue, le 13 mai 1885.
Nommé prosecleur à Berlin en 1854, il à&y'xni privat-docenl en 1857, fut pro-
fesseur d'anatomie à Zurich de 1840 à 1844, puis passa à Heidelberg avec le
même titre, obtint, en 1849, la direction de l'Institut anatomique de cette ville
et fit des cours suivis sur l'anatomie, la physiologie, l'anthropologie et même la
pathologie. En 185*2, Henle passa à Goltingue, où il dirigea l'Institut anato-
mique et enseigna jusqu'à sa mort.
Henle est le fondateur de l'École rationaliste allemande ; il remit en honneur
la névropathologie et chercha à fonder la pathologie et la thérapeutique entière-
ment sur la physiologie; c'était une tentative prématurée. Citons à cet égard son
Handbuch der l'alionellen Pathologie, Braunschweig, 1846-1852, in-8». On
sait que Henle a opposé au système cellulaire de Virchow une théorie des
blastèmes assez analogue à celle de Robin; il a publié plusieurs monographies
touchant à ce sujet. Son œuvre capitale est néanmoins le Handbuch der syste-
mat. Anatomie der Menschen, Braunschweig, 1855-1864, 2 vol, in-8°, par
lequel il se plaça au premier rang des anatomistes. Mentionnons encore la part
prise par Henle à la rédaction du Zeitschr. f. ration. Medicin, du Mûller's Archiv,
du Cansiatt's Jahresbericht, etc. L. Hn.
HEIXXÉ. Nom français (par corruption de l'arabe al hanneh) du Laivsonia
alba Lamk (L. spinosa L. — L. inermis Roxb. — L. purpurea Lamk), de la
famille des Lythrariacées, série des Salicaires, arbuste africain et indien, cultivé
dans tout l'Orient, observé aussi à Chypre, célèbre de temps immémorial pour le
suc jaune-rougeàtre de ses feuilles qui sert à colorer les ongles, les cheveux, etc.
Les Egyptiens en teignaient certaines parties du corps de leurs momies. Les per-
sonnes de haute naissance avaient seules d'abord le droit d'en faire usage. Belon
rapporte que la culture de cette plante en Egypte était réservée aux pachas qui en
tiraient de grands revenus et l'expédiaient à Constantinople. Les fleurs, qui ont
4-mères, 8-andres, avec un ovaire 4-Ioculaire, ont une odeur forte, hircine.
Les femmes d'Orient en placent dans leurs appartements, et l'on en prépare une
eau distillée qui sert comme cosmétique. De notre temps, les femmes d'Europe
ont teint leurs cheveux avec le Henné en roux ou en rouge. Cette teinture paraît
inoffensive, mais elle est peu durable. En Orient, on a teint avec le Henné les
crins des chevaux, les peaux, la laine. Il contient, suivant Berthollet, de l'acide
gallique, et forme de l'encre avec les sels de fer. Dans l'Inde, d'après Ainslie
(Mat. med. ind., II, 190), la plante sert au traitement des affections cutanées,
principalement de la lèpre, soit topiquement, soit en extrait préparé avec les
feuilles. Voy. Poulaletsje. H. Bn.
BiBLioGRAPHiK. — L., Gen., n. 482. — DC. Prodr., III, 90. — Mér. et de L., Dicl. Mat. méd.,
IV, 78. — RosENTH., Syn. pi. diaphor., 912. — Clke, in Hook. f. FI. Brit. Ind., II, 575. —
H. Bx, Hist. des pL, VI, 433, 445, 453, lig. 407-409. H. Bx.
DICT. ENC. i' S. XIII. 34
550 HENNINGS.
DEI\KEBA\'E. Voy. JusQDIVME.
BENXEBOni (Station marise). Dans le département du Morbihan, dans
l'arrondissement et à 16 kilomètres de Lorient, chef-lieu de canton, est une
jolie ville maritime peuplée de 5600 habitants, à l'embouchure du Blavet, avec
un petit port pouvant recevoir des navires de tonnage moyen (chemin de fer de
Lorient, d'où une voiture conduit en une heure et demie ou deux heures). La
ville n'est remarquable que par un beau pont suspendu, et par une église
gothique bien conservée. Hennebon était place forte au quatorzième siècle, et
Charles de Blois y assiégea vainement Jeanne de Montfort. La plage est unie et
dépourvue de galets, mais les baigneurs doivent aller assez loin pour trouver
la haute mer et prendre des bains, où l'eau salée ne soit pas mêlée à l'eau du
Blavet. La station marine d'Hennebon est fréquentée seulement par les popula-
tions voisines des départements de l'Ouest. Elles y trouvent une vie confortable
et à bon marché. A. R.
IIElWEIS' (John). Médecin militaire anglais, né à Castlebar (Mayo), en
Irlande, le 21 avril 1779, mort à Gibraltar, de la fièvre jaune, le 5 no-
vembre 1828. 11 servit avec distinction dans la campagne d'Espagne, puis à
Waterloo. 11 fut nommé, en 1815, Depittu Impector des hôpitaux, et en 1817
premier officier médical pour l'Ecosse, en 1820 pour la Méditerranée, etc. 11 est
l'auteur d'un ouvrage capital : Principles of the Military Surgery, etc., 5« édit.,
London, 1829, in-8", et d'une esquisse de topographie médicale de la Méditer-
ranée (London, 1830, in-8''). L. llx.
HEKXIXGER (Les DEUx).
Iienninger (Johann-Sigismc.nd). Médecin allemand, mort en 1719, était,
depuis 1704 professeur d'anatomie à l'Université de Strasbourg. Il a laissé un
grand nombre de dissertations anatomiques et une nouvelle édition de la Matière
médicale de Paul Hermann. L. His'.
Henninger (Arthur). Né en 1850, à Obernssel, près "Wiesbaden (Nassau),
fit ses études à Paris et devint en 1872 le préparateur de M'urtz; peu après il
obtint les lettres de grande naturalisation. Reçu docteur en médecine en 1878,
après une thèse remarquable Sur les peplones, il fut aussitôt après nommé
professeur agrégé à la Faculté de Paris, après un brillant concours, et suppléa
son maître. Son enseignement à la faculté et ses travaux scientifiques attirèrent
l'attention sur lui et, lors de la création de l'école de chimie industrielle, on
lui confia la place de professeur malgré son jeune âge. Il rédigeait la partie
physiologique du Bulletin de la Soc. chimique et de grands articles pour le
Dict. de chimie, dont il était le sous-directeur. Le travail le plus important
dont il se soit occupé est relatif à la réduction par l'acide formique des alcools
polyatomiques et spécialement de l'érythrite ; il découvrit un grand nombre de
corps nouveaux dans le cours de ses recherches. Henninger mourut jeune, en
novembre 1884. L. Hn.
HEX\'L\GS (Wilhelm). Né à Gluckstadt le 27 juillet 1716. Il alla se fixer
à Copenhague, où il devint successivement professeur d'anatomie et de clii-
HENSCHEL (Les deux). 551
rurgie à l'Université, directeur de l'Académie de chirurgie et membre du Conseil
royal de justice. Il est mort le 26 janvier 1794. On connaît de lui :
Beschreibung von den Keiimeichen und der Kur der Entsûndung des Magens und der
edârme. Copenhague, 1777, in-S"; ibid., 1795; édit. danoise. Wiborg, 1778, in-8». A. D.
HENRI DE MON'DEVILLE. Voy. Heruondaville.
DEKBIQIJES (Jorge-Henriquë). Était, au seizième siècle, premier profes-
seur de philosophie à Salaraanque et de médecine à Coïmbre ; il développait les
doctrines d'Avicenne. Entre autres ouvrages on a de lui : De regimine cibi ac
potus, Salamanque, 1594, in-4°, et Tractado delperfeito medico, Salamanque,
1595, in4». L. Hn.
HEIVRT (Les).
Henry (Noël-Étienne). Pharmacien et chimiste, né à Beauvais, le 26 no-
vembre 1769, mort à Paris, du choléra, le 50 juillet 1832. Nommé en 1797
sous-chef de la pharmacie centrale des hôpitaux, directeur en 1805, puis en 18(14
professeur à l'École de pharmacie. 11 était chargé par le conseil général des
hospices de la surveillance du service pharmaceutique dans les hôpitaux et les
bureaux de bienfaisance. L'Académie de médecine lui ouvrit ses portes en 1820,
Henry a pubhé, avec son fds : Manuel d'analyse chimique des eaux miné-
rates^elc, Paris, 1825, in-S", et avec Guibourt, Pharmacopée raisonnée, etc. ;
il a coopéré à la rédaction du Codex et écrit une foule d'articles pour les
recueils de chimie, de pharmacie, etc. L. Hn.
Henry (Étiense-Ossian). Fils du précédent, né à Paris, le 27 no-
vembre 1798, était agrégé à l'École de pharmacie, sous-chef à la pharmacie
centrale des hôpitaux, puis directeur d\\ laboratoire de l'Académie de médecine,
dont il était membre. Il a publié une foule de travaux sur les principes actifs
des végétaux, sur les eaux minérales; il a donné entre autres un procédé pour
obtenir en grand le sulfate de quinine, qui lui a valu le prix Montyon. L. Hn.
Henry (William). Médecin et chimiste anglais, né à Manchester, le 12 dé-
cembre 1774, mort à Pendlebury, près Manchester, le 2 septembre 1836. Son
père, Thomas-Henry (1754-1816), était lui-même médecin et pharmacien dis-
tingué et entre autres travaux avait donné la traduction des Mémoires de Lavoi-
sier Swr l'air atmosphérique.
William Henry, reçu docteur à Edimbourg en 1807, exerça son art dans sa
ville natale, puis prit la direction de l'établissement chimique de son père. Ses
Eléments of Expérimental Chemistry (London, 1799, 2 vol. in-S"; 11* édit.,
London, 1829, 2 vol. in-8'') sont populaires en Angleterre. On trouve de lui un
grand nombre de m.émoires sur la chimie dans les recueils de la Société royale et de
la Société philosophique de Manchester; plusieurs ont été couronnés. L. Hn.
H£]VSCHEL (Les deux).
Henschel (Elias). Né à Breslau, le 4 avril 1755, mort dans cette ville le
20 août 1859. Reçu docteur à Halle en 1787, il se livra spécialement aux
accouchements, propagea la vaccination et dirigea plusieurs hospices. L'un des
premiers il décrivit la phlegmatia alha dolens comme une affection distincte.
53-2 HÉPATIQUE.
On a de lui un grand nombre de monographies et beaucoup d'articles insérés
dans les journaux d'accouchements. L. Hi\.
Henschel (Aug.-Wilh.-Edu.-Theod.). Fils du précédent, né à Breslau le
20 décembre 1790, mort dans cette ville le 24 juillet 1856. Il étudia à plu-
sieurs Universités d'Allemagne, fut reçu docteur à Breslau en 1812 et passa
l'examen d'état à Berlin, en 1814. En 1816, il fut nommé privat-docent,
en 1821 professeur extraordinaire, en 1852 professeur ordinaire à l'Univer-
sité. Il s'occupa surtout de pathologie générale, d'histoire de la médecine et
de botanique. 11 publia de 1846 à 18oo Janiis, Zeitschr. f. Geschichte u.
Litteratiir der Medicin, 5 vol. in-8"; la plupart de ses écrits sont insérés dans
ce recueil. L. Hn.
HEIVSLER (Phimpp-Gabriel). Médecin danois, né à Oldensworth, le H dé-
cembre 1733, mort à Kiel, le 31 décembre 1805. D'abord pensionné à Altona,
il exerça, depuis 1775, les fonctions de médecin particulier du roi de Dane-
mark, puis en 1780 devint professeur de médecine à Kiel.
llensler contribua à l'établissement de l'iiôpital d'Altona, à la rédaction de la
pharmacopée dimoise, etc. On lui doit un grand nombre de bons ouvrages;
mentionnons seulement : Geschichte der Lustseuche, die znEnde des XV.Jahr-
hunderts in Europa Ausbrach, Altona, 1785-1781), 2 vol. in-S", ouvrage
d'une très-grande importance pour l'histoire de la médecine au moyen âge;
l'ouvrage intitulé : Vom ahendlàndlichen Aussatze im Mittelaller, etc., Ham-
burg, 1790, in-8", est tout aussi important. L. Hn.
nEKSLER OU nEXSSLER (Philipp-Ic.naz). Physiologiste allemand, né à
Uothenburg en 1795, exerça d'abord la médecine à Wurtzbourg, puis en 1825
fut privat-docent à Munich, en 1829 à Wurtzbourg, oij il fut nommé professeur
ordinaire de physiologie peu après. Son ouvrage le plus important est relatif
aux fonctions du système nerveux : Neue Lehren im Gebiete der physiol. Ana-
tomie und der Physiologie des Menschen. Niirnberg, 1824-1826, in-S". Il a
publié en outre des ouvrages sur le magnétisme animal. L. Hx.
nÉPATALGiE. Voy. Foie.
nÉPATiQL'E. Ce nom a été donné, dans le langage vulgaire, à plusieurs
plantes qui étaient préconisées jadis comme remèdes contre les maladies du
foie. Ainsi on appelle :
Hépatique blanche ou Hépatique noble, le Parnassia pahistris L., qui est
VHepatica alba de Cordus et des pharmacopées allemandes {voy. Parnassie) ;
Hépatique étoilée ou Hépatique des bois, VAsperula odorata L. ou Hepatica
stellata de Tabernsemontanus {voy. Aspép.ule) ;
Hépatique des fontaines, le Marchantia polymorpha L. [Hepatica fontana
de Bauhin) et le Fegatella offtcinalis Raddi {Marchantia conica L.), qui est
YHerba Hepaticœ fontinalis des anciennes pharmacopées [voy. MauchaiMie) ;
Hépatique des jardins, V Anémone hepatica L., qui est V Herbe à la Trinité
des Français, le Fegatella nobile des Italiens, VHepatica trifolia de Clusius,
VHepatica triloba de Chaix et VHepatica nobilis des Officines {voy. Anémone);
HÉPATIQUES. 555
Hépatique des marais ou Hépatique dorée, le Chrysosplenium allernifo-
lium L. ouHepatica aurea des anciennes pharmacopées {voy. Dorine).
Ed. Lef.
HÉPATIQUE (Artère). Branche de hifurcation droite du tronc cœliaque
[voy. ce mot).
HÉPATIQUE (Canal). Voy. Biliaires {Voies).
HÉPATIQUE (Plexus). Voy. Sympathique.
HÉPATIQUES (Veines sus-). Voy. Foie.
HÉPATIQUES {Hepaticx kddLïis,.). Les végétaux connus sous la dénomi-
nation d' Hépatiques appartiennent à la grande division des Cryptogames cellu-
laires et constituent, dans leur ensemble, uu groupe de même importance que
celui des Mousses. Ce sont de petites plantes verdàtres, très-délicates, qui n'at-
tirent pas ratteulion, mais qui, vues à la loupe, sont extrêmement élégantes de
formes et très-variées. Elles se rencontrent un peu partout, principalement sur
le tronc des vieux arbres, sur la terre, dans les endroits ombragés et humides,
sur les talus des chemins creux, sur le bord des fontaines, au pied des murs, sur
les rochers humides, dans les puits, quelques-unes même à la surface des eaux
dormantes. La plupart sont en pleine végétation dès les premières journées
humides et chaudes du printemps.
Les organes de la végétation consistent soit dans une tige cylindrique, simple
ou ramifiée, couverte de feuilles, de formes variables, placées de chaque côté
sur deux lignes parallèles {Hépatiques caulescentes ou musco'ides), soit dans
une expansion foliacée membraneuse plus ou moins considérable (fronde ou
thalle), qui rampe à la surface du sol, auquel elle se fixe par de nombreux poils
radiculaires naissant de sa face inférieure {Hépatiques foliacées, membraneuses
ou lichénoïdes) .
Dans les Hépatiques muscoïdes, les feuilles sont toujours dépourvues de ner-
vures et réduites à un seul rang de cellules. Leur tige, dénuée d'épiderme, est
constituée par un parenchyme homogène. Les feuilles sont fréquemment imbri-
quées les unes sur les autres comme les tuiles d'un toit et présentent, -à la base,
des lobes très» diversement conformés appelés Auricules. Elles sont, dans certains
cas, entre-mêlées de feuilles accessoires, analogues à des stipules, auxquelles on
donne le nom d' Amphigastres et qui sont disposées tantôt sur un seul rang
{Amphig astres monastiques), tantôt sur deux rangs {Amphigastres distiques).
Dans les Hépatiques lichénoïdes, la face supérieure des frondes est marquée
parfois de lignes verdàtres qui se croisent en biais et la divisent régulièrement
en une foule de petits losanges d'un vert foncé, dont le centre est occupé par
un stomate; c'est ce qui a lieu notamment chez les Marchantia et les Riccia.
Les Hépatiques sont monoïques ou dioïques, c'est-à-dire que les Anthéridies
ou organes mâles ne sont pas portées sur les mêmes rameaux ou sur les mêmes
individus que les Archégones ou organes femelles. Ces organes reproducteurs
{Anthéridies et Archégones) se développent tantôt à l'aisselle des feuilles ou à
l'extrémité de la tige et des rameaux, tantôt directement sur les frondes, soit sur
eurs bords, soit sur le milieu de leur surface. Ces organes reproducteurs
554 HÉPATIQUES {COLIQUES).
peuvent être sessiles ou pédicellés. Les Anthéridies ou organes mâles sont des
vésicules sphériques ou oblongues, remplies d'une substance mucilagineuse
qui se coagule et se divise en plusieurs cellules discoïdes de très-petite dimen-
sion ; de ces cellules sortent, à la maturité, des anthérozoïdes filiformes,
roulés en spirale et munis chacun de deux longs cils vibratiles au moyen des-
quels ils exécutent des mouvements très-actifs. Fréquemment, les anthe'ridies
sont pourvues d'un périgone formé, dans les Hépatiques muscdides, de
feuilles florales plus ou moins modifiées, devenues membraneuses et semblables
à des écailles.
he.'i Archégones on organes femelles sont, en général, réunies par groupes dans
un involucre commun, formé par des expansions foliacées et auquel on a donné
le nom de périchèse. Mais le plus ordinairement un seul de ces archégones se
développe, tandis que les autres se présentent sous la forme de filaments cloi-
sonnés stériles appelés paraphyses. Après la fécondation, cet Archégone devient
un sporange, sorte de capsule qui tantôt se flétrit et se rompt, tantôt s'ouvre par
des dents ou des valves, au nombre de deux ou de quatre. Ce sporange contient,
outre des cellules-mères sphéroïdes, au sein de chacune desquelles se déve-
loppent quatre spores sphériques, des cellules fusiformes très-allongées, appli-
(juées à la paroi interne du sporange et qui se divisent chacune en deux lanières
spirales, très-hygrométri(|ues, nommées Élatères, dont les mouvements de
torsion aident puissamment à la dissémination des spores disposées autour
d'elles. Celles-ci germent à la surface de la terre humide et produisent des
filaments cellulaires, constituant un protonéma, s\it lequel se développent ulté-
rieurement les tii.'^es ou les frondes.
Le mode de reproduction dont nous venons de parler n'est pas le seul qu'on
observe dans les Hépatiques. Ces plantes, en effet, se multiplient fréquemment
et abondamment au moyen de bourgeons ou innovations qui se développent soit
sur les frondes, soit à l'aisselle des feuilles, s'allongent et ne tardent pas à se
séparer de la plante-mère pour former de nouvelles plantes. Très-souvent encore,
surtout dans les Hépatiques lichénoïdes, se développent, sur la face supérieure
des frondes, des appareils gemmipares, constitués par des conceptacles parti-
culiers (en forme des bouteilles dans les Blasia, de corbeilles dans les Marchan-
da), contenant des sporules vertes ou propagules, qui, devenues libres, germent
sur le sol humide et donnent naissance à de nouveaux individus.
A l'exception du Marchantia polynwrpha L. et du Fegatella officinalis Raddi
{Marchantia conica L.), que l'on a préconisés jadis contre les affections du foie
(t'O^.MARCHANTiE),Ies Hépatiqucs n'offrent aucun intérêt au point de vue médical.
Elles comprennent les quatre familles suivantes : l" Jdagermaxmacées (genres :
Jungermannia L., Frullania Radd., Scapania Dum., Plagiochila Dum., etc.);
2" A.MHOCÉROTÉES (genre : Anthoceros Mich.) ; 5" Ricciées (genres : Riccia Mich.,
Sphœrocarpus Mich., etc.); 4° Marchantiées (genres : Marchantia Mich., Fega-
tella Radd., L^inularia Mich., etc.). Ed. Lef.
nÉPATiQL'ES (Coliques). On désigne sous le nom de colique hépatique,
colique du foie, un ensemble de phénomènes douloureux, paroxystiques, de
nature spéciale, d'intensité variable, souvent accompagnés ou suivis d'ictère et
ayant leur siège ou leur point de départ dans l'appareil hépatique.
L'expérience a montré que dans l'immense majorité des cas ces phénomènes
douloureux sont dus à la présence ou à la progression de calculs dans les voies
HEPATIQUES (COLIOUES). • 555
biliaires. D'où une tendance assez justifiée à regarder la colique hépatique
comme une crise douloureuse caractéristique de l'existence et surtout de la
migration des calculs du foie. Mais, ainsi que le font très-judicieusement remar-
quer Barth et Besnier [Affection cakuleuse des voies biliaires, t. IX de ce Dic-
tionnaire, p. 416), « si les calculs sont incontestablement la cause la plus
commune de la colique hépatique, ils n'en sont pas la cause exclusive, et il faut
prendre garde dans la pratique de considérer le diagnostic de colique hépa-
tique comme équivalent toujours au diagnostic de colique calculeuse. » Des
parasites du foie, de l'intestin (hydatides, douves, ascarides), divers corps étran-
gers de petit volume, peuvent, en pénétrant dans les voies biliaires, donner nais-
sance au complexus syraptomatique qui constitue la colique hépatique (voij.
article Foie [Kystes hydatiqiies] dans ce Dictionnaire; voi/. aussi Bonfils, Des
lésions et phénomènes pathologiques déterminés par la présence des vers asca-
rides lombricoïdes dans les voies biliaires, in Archives gén. de méd., 1858,
vol. 1, p. 661). Enfin, on peut encore admettre une colique hépatique simplement
d'origine nerveuse due à la névralgie du plexus hépatique. Bien que celte der-
nière variété soit assurément fort rare, nous ne nous croyons pas autorisé à
repousser l'existence d'une hépatalgie analogue aux affections douloureuses dési-
gnées sous les noms de gastralgie, entéralgie.
Ces réserves posées, afin d'établir dès le début une division étiologique dans
l'histoire du syndrome dont nous avons à nous occuper, nous prendrons comme
type la colique hépatique d'origine calculeuse. Au chapitre Diagnostic, nous
chercherons à savoir si, une fois la nature de la crise reconnue, il est encore
possible d'en préciser la cause.
Nous n'avons pas à tracer ici l'historique de la cholélithiase dont les lignes
principales ont été déjà indiquées dans le remarquable article de MM. Barth et
Besnier. Depuis sa publication (1869), de nombreux travaux sont venus faire
mieux connaître les diverses manifestations cliniques et la pathogénie de la
colique hépatique, les conséquences prochaines ou éloignées qu'elle peut
entraîner, le traitement qu'il faut lui opposer. Parmi les médecins qui, dans
cette période, ont apporté leur contribution à cette étude, dont nous nous sommes
occupé dans un précédent travail [Accidents de la lithiase biliaire. Paris, 1880),
nous devons citer surtout Charcot et ses élèves Mégnin, Hanot, Begnard, Gom-
bault, Vulpian, Potain, Bouchard, Dujardin-Beaumetz, Fabre, Laborde, Peter,
Bendu, Sénac, Durand-Fardel, Willemin, Cornillon, J. Cyr, en France; Frerichs,
Wolff, Simanowsky, en Allemagne; Murchison, W. Legg, G. Harley, en Angle-
terre; Both en Suisse; Foa et Salvioli en Italie. Nous renvoyons le lecteur
désireux de connaître de plus amples détails sur cet historique à la thèse de
Muleur [Essai historique sur Vaffection calculeuse du foie depuis Hippocrate
jusqu'à Pujol. Paris, 1884, n" 320), qui se termine par les lignes suivantes
destinées à donner une vue d'ensemble des progrès réalisés sur ce sujet pendant
la période contemporaine : « Nous sommes parvenu au terme de notre étude,
laissant la question en bon chemin. La clinique, l'histologie, la chimie biolo-
gique, vont continuer les efforts des siècles précédents. Les Pujol, les Portai,
les Fauconneau-Dufresne, les Trousseau et la phalange des cliniciens contempo-
rains, vont étudier encore, vulgariser surtout une maladie longtemps méconnue.
Les uns, suivant la route marquée par Trousseau, élargiront le champ de l'ob-
servation en découvrant les formes frustes ; M. Sénac insistera sur les gastralgies
536 • UÉtÂTIQUES (COLIQUES).
prémonitoires ; Frerichs, Charcot — ajoutons Pemberton, Budd, Mouneret —
appuieront sur le frisson révélateur du passage des concrétions et les fièvres
hépataigiques; M. Potain étudiera les affections cardiaques que les coliques
hépatiques peuvent déterminer par dilatation secondaire du ventricule droit;
M. Bouchard, en reliant la lithiase hépatique au vaste gi'oupe des maladies par
ralentissement de la nutrition, élargira son cadre et lui donnera le caractère
d'une maladie générale de toute la substance. Mais il serait injuste d'oublier
ce que l'affection calculeuse doit aux savantes recherches des Thénard, des
Bouisson, des Robin, des Frerichs, des Lulon, qui ont largement contribué par
leurs savantes recherches à asseoir les bases sur lesquelles repose la doctrine
médicale de la lithiase biliaire. »
Étiologie. Au commencement du siècle, Pujol (de Castres), qui a décrit la
colique hépatique avec un grand sens clinique {Mémoire très-récemment composé
sur la colique hépatique de cause calculeuse. In Œuvres de médecine pra-
tique, t. IV, 1825), déclarait que sur 40 malades atteints de cette affection
c'est à peine s'il s'en trouve un dont la maladie reconnaisse une autre cause
que les concrétions biliaires. En 1851 Beau, appuyé sur l'opinion de Chomel,
retournant celte proposition, soutenait que sur 50 à 40 cas de colique hépatique
c'est à peine s'il s'en trouve un dans lequel l'examen des selles permette de
.reconnaître l'existence des cholélithes, et, malgré les ouvrages de Bouisson et
Fauconneau-Dufresne, ébranlait les idées reçues sur la fréquence de la colique
hépatique d'origine calculeuse. L'observation s'est prononcée en faveur de
Pujol ; on peut même avancer que la proportion indiquée par ce médecin est
au-dessous de la réalité.
La colique non calculeuse peut être due, comme nous l'avons dit en com-
mençant, soit à la pénétration de parasites ou de corps étrangers dans les voies
biliaires, soit à une névralgie du plexus hépatique.
Les documents sont bien rares qui permettent d'établir la réalité d'une hépa-
falgie par simple irritation nerveuse, déterminée par les causes générales
entraînant les autres névralgies viscérales. On a cité cependant comme causes
prédisposantes les grandes névroses (hystérie, épilepsie), le tempérament ner-
veux, et comme causes occasionnelles une mauvaise hygiène alimentaire, l'abus
des aliments épicés (Beau), les émotions morales. Frerichs rapporte, dans son
Traité des maladies du foie (p. 869, 4'^ édition), une observation où par ex-
clusion, il semble bien qu'on doive admettre le diagnostic d'hépatalgie simple.
D'autre part, afin de montrer combien cette affection est peu fréquente, Mur-
chison a publié, dans la deuxième édition de son Traité, l'observation d'un
malade cité dans la première édition comme atteint d'hépatalgie simple et chez
lequel l'autopsie vint prouver l'existence de calculs.
Les coliques d'origine calculeuse, comme leur nom l'indique, sont produites
par des concrétions biliaires plus ou moins volumineuses : calculs, gravelle,
sables, bile épaissie, etc. Nous n'entreprendrons pas ici l'exposé des conditions
étiologiques et pathogéniques de l'affection calculeuse du foie (diathèse arthi'i-
tique, hérédité, tempérament, âge, sexe, alimentation, genre de vie, émotions
morales, etc.), déjà passées en revue dans une autre partie de ce Recueil.
Rappelons cependant que, dans ces derniers temps, la lithiase biliaire a pu être
logiquement considérée comme une maladie par ralentissement de la nutrition.
Ses relations avec divers états diathésiques, signalées par plusieurs auteurs, ont
été analysées dans un esprit nouveau, et soigneusement mises en lumière par
IIÉPATIQUKS (COLIQUES). ' ÔÔ7
M. le professeur Bouchard, dont les leçons ont établi que c'est cette modification
constitutionnelle héréditaire ou acquise qui entraîne la formation des calculs
{Maladies par ralentissement delà nutrition. Paris, 1882; voy. aussi Boinet,
Les parentés 7norb ides. Thèse d'agrég., 1886). Mais, si nous tenons pour con-
nue la palhogéniô de la lithiase biliaire, nous devons examiner du moins les
diverses circonstances qui, une fois les cholélithes formés, facilitent ou déter-
minent l'explosion des accidents douloureux, c'est-à-dire les causes prédispo-
santes et occasionnelles de la colique hépatique.
Causes prédisposantes. Age. Les coliques hépatiques présentent leur
maximum de fréquence de vingt-cinq à quarante-cinq ans, c'est-à-dire à la
période moyenne de la vie. D'après divers auteurs, il y aurait une remarque
importante à faire à ce sujet. Chez la femme, les accès seraient le plus souvent
observés pendant la période active de la vie sexuelle, de vingt à quarante ans.
Chez l'homme, ce serait à une période plus avancée. Les statistiques sur les-
quelles reposent ces assertions, dues pour la plupart à des médecins de stations
thermales où l'on envoie de toutes parts les cholélithiasiques, sont passibles
d'une objection : elles relatent généralement l'âge des malades au moment de
l'observation, et non celui auquel le sujet a été primitivement frappé. MM. Sénac
et Cyr ont noté cette période de début dans un nombre de cas assez considérable;
nous reproduisons ici leurs statistiques :
SÉNAC. CÏR.
De 1 à 10 ans 3 2 5
il à 20 an» i
20 à 50 ans 28
30 à iO ans 28
40 à 50 ans 19
50 à 60 ans 21
60 à 80 ans 6
18
22
208
236
185
213
91
110
48
69
6
12
Total 109 558 667
Les résultats concordants obtenus par ces deux auteurs établissent que c'est
de vingt à quarante ans que les crises douloureuses se montrent pour la pre-
mière fois, et qu'il est très-rare de les voir paraître après soixante ou soixante-
cinq ans, si elles n'existaient déjà auparavant.
Et cependant la lithiase biliaire est très-fréquente précisément dans la période
avancée de la vie. On sait qu'il est assez commun de trouver des cholélithes
à l'autopsie des vieillards. Harley {Diseases of hiver. London, 1883), d'après
les résultats publiés par les auteurs européens qui se sont occupés de l'affection
calculeuse du foie, donne les chiffres suivants comme indiquant approximative-
ment la proportion des concrétions biliaires aux diflérents âges. Sur 1000 cas on
en trouverait :
Chez des personnes au delà de 40 ans 750
— entre 30 et 40 ans 200
— — 20 et 50 ans 40
— au-dessous de 20 ans 20
En étudiant la physiologie pathologique de l'accès, nous donnerons les raisons
qui servent à expliquer la rareté relative des coliques hépatiques franches à
l'époque où la lithiase biliaire offre son maximum de fréquence.
Sexe. Les coliques du foie s'observent plus souvent chez la femme que chez
5.58 HEPATIQUES (CULKJUES).
l'homme. Bien qu"il soit difficile d'établir une proportion exacte, on peut
admettre le rapport de 2 à 1 ; celui de 3 à 2 a été souvent indiqué.
Malades. Femmes. Hoinnics.
Flein (cité pnr Froriclis) a compté sur. . 620 577 215
Durand-Fa idcl 250 li2 88
Sénac 467 268 199
Willemin 2559 1559 780
5636 2546 lôOO
La lithiase biliaire, cause habituelle des coliques hépatiques, est plus fré-
quente chez la femme. On trouve beaucoup plus de cholélithes aux autopsies de
la Salpètrière qu'à celles de Bicêtre. Sur 2038 autopsies pratiquées à Bàle en
huit ans et demi, Roth a trouvé 106 fois des calculs biliaires, soit une propor-
tion de H,\S pour 100. Le chiffre d'autopsies d'hommes et de femmes étant
sensiblement le même, la fréquence des calculs biliaires chez les premiers est
de 4,7 pour 100 et de 11,7 chez les femmes {Beobachtungen ither die Gallen-
sleinkolik; in Corr. Bl. fur Scim. Aerzte, 1881, et Rev. se. méd., juillet 1885).
Ces chiffres concordent très-bien avec ceux de F'iedlcv {Jahresher. der Gesellsch.
f. Naliir- und lledk. zit Dresden, 1879), 7 pour 100 sur l'ensemble des autop-
sies, 4 pour 100 chez les hommes, 9 pour 100 chez les femmes.
D'un autre côté, les crises douloureuses non calculeuses, sont probablement
aussi plus communes chez le sexe féminin. La menstruation, la grossesse, les
maladies de l'utérus, la vie sédentaire, l'abus du corset (?), ont été invoqués
conmie causes de cette plus grande fréquence dont les chiffres rapportés plus
haut ne donneraient, d'après quelques auteurs, qu'une idée insuffisante. D'après
les statistiques de Bouchard, Cyr, plus restreintes il est vrai, le rapport serait
de 4 à 1.
Toutes ces causes, comme l'a montré M. Bouchard, ont un effet commun.
Les maladies utérines, par le repos forcé qu'elles imposent, par les préoccu-
pations morales qu'elles provoquent, paraissent agir surtout en entraînant un
retard dans la nutrition, et c'est probablement par ce même mécanisme qu'agit
la grossesse. De plus, encore dans ce dernier cas — sans parler des modifications
qui se produisent dans le foie pendant la gestation — la dimension de l'utérus,
gênant par son volume progressivement croissant le libre jeu des organes
abdominaux, peut bien aussi intervenir en favorisant mécaniquement la stagna-
tion de la bile.
Tempérament. Les tempéraments nerveux et bilieux sembleraient être des
causes prédisposantes des coliques hépatiques, mais celles-ci ont été bien sou-
vent observées chez des individus à tempérament sanguin ou congestif.
Causes occasionnelles. Dans la grande majorité des cas, la crise doulou-
reuse se montre lorsque « la vésicule chargée de concrétions, venant à se con-
tracter efficacement sur elles, les pousse dans le conduit cystique et tend à les
faire marcher vers le tube intestinal. Le chemin est long et étroit et ce travail
ne peut se faire qu'avec du temps et beaucoup de souffrance] » (Pujol). Donc
toutes les circonstances qui auront pour effet de solliciter la contraction des
voies biliaires chez un sujet atteint de cholélilhiase peuvent jouer le rôle de
causes occasionnelles.
Au premier rang de celles-ci il convient de placer la digestion. C'est en
général trois ou quatre heures après le repas, au moment où la vésicule se con-
tracte pour projeter vers l'intestin par « une sorte d'éjaculation » la bile accu-
e
e
HEPATIQUES (COLKJUES). 559
mulée dans sa cavité que l'on voit éclater les coliques hépatiques. Parfois,
lorsque la vésicule est déjà distendue, il suffit de l'arrivée des aliments dans
l'estomac pour exciter cette contraction. La colique se montre alors immédiate-
ment après le repas, ou même pendant celui-ci. Les excitations du tube digestif,
quelle qu'en soit la nature, repas trop copieux, indigestions, purgatifs, peuvent
encore amener ce même résultat par voie réflexe ou directement quand l'esto-
mac dilaté vient restreindre la place occupée par la vésicule augmentée de
volume. Dans plusieurs cas, en effet, on a pu noter la distension de cet organe
précédant de quelques jours ou quelques semaines l'apparition des coliques
(Willemin, Charcot).
A côté de ces causes nous l'angerons ensuite les traumatismes portant sur
l'épigastre ou l'iiypochondre, les mouvements spontanés ou provoqués (saut,
effort violent, courses à pied ou à cheval, le cahot d'une voiture, etc.). Il n'est
pas rare non plus de voir les émotions morales vives déterminer l'apparition
d'une crise.
Toutes les manifestations de la vie sexuelle de la femme, la menstruation,
l'avorteraent, la grossesse, l'accouchement et les suites de couches, méritent
d'être regardées comme causes occasionnelles très-fréquentes de la colique hépa-
tique. La grossesse a parfois déterminé l'apparition de crises hépatiques qui
sont ensuite revenues régulièrement à chaque grossesse, soit pendant la gesta-
tion, soit pendant la période puerpérale. Par contre, chez certaines femmes
sujettes à ces accidents, on a pu les voir cesser pendant le cours de la gestation.
La menstruation peut amener le retour presque périodique dos crises. Ce
fait a depuis longtemps frappé les observateurs. Nous avons, pour notre compte,
l'occasion de suivre depuis plus de cinq ans un exemple de ce genre, et dans
lequel les phénomènes ont varié depuis la crampe d'estomac jusqu'à la crise
atrocement douloureuse amenant la syncope.
Le traitement thermal est souvent la cause de l'apparition des coliques chez
les individus qui n'ont encore que des troubles mal définis dus à la cholélithiase.
Nous citerons enfin parmi les causes déterminantes plus rarement observées
la ménopause, la suppression d'un flux habituel (hémorrhoïdes), de manifesta-
tions arthritiques, eczéma, etc.
Symptômes. Qu'elle survienne spontanément ou qu'elle ait été déterminée
par les causes que nous venons d'énumérer rapidement, la colique hépatique
ne se présente pas toujours avec les mêmes caractères. Tantôt ceux-ci sont nets,
bien tranchés; tantôt, au contraire, les symptômes ne paraissent offrir rien qui
attire immédiatement l'attention du côté du foie. La colique est alors constituée
par des manifestations de la crise ordinaire très-atténuées dans leur intensité,
ou bien par un seul des symptômes du syndrome classique. Ce sont dans ces
cas de simples crampes d'estomac sans ictère ou suivies le lendemain d'une
teinte foncée des urines; des troubles dyspeptiques; un ictère plus ou moins
marqué; des frissons répétés, parfois même de vrais accès de fièvre hépatal-
gique; autant de signes dont la signification échappe complètement ou ne
devient sensible que si l'attention est déjà sollicitée par les antécédents. A côté
de ces deux variétés cliniques auxquelles on peut réserver le nom d'accès franc
dans le premier cas, d'accès à forme fruste dans le second, il existe encore des
accès à forme larvée dont le diagnostic offre les plus grandes chances d'erreur,
à moins qu'on ne soit prévenu, ou qu'un ictère survenant après les névralgies
^iO HÉPATIQUES (COLIQUES).
diverses par lesquelles se traduit alors la crise hépatiqiie n'éveille les soupçons
du médecin. Les accès frustes, à forme pseudo-gastralgique, sont, au contraire,
aujourd'hui assez bien connus, grâce aux travaux ou aux leçons de Fauconneau-
Dufresne, Scuac, Cornillon, Trousseau, Murchison [voy. aussi sur ce sujet deux
thèses de Paris : Lefranc, De quelques phénomènes initiaux de la lithiase
biliaire envisagés au point de vue du diagnostic, i8Si,n°^Q^; 0\i\e, Formes
cliniques de la colique hépatique, 1885, n° 94).
Accès franc II est très-rare que l'accès franc de colique hépatique éclate
brusquement chez uu individu jusque là en pleine santé. D'habitude, il sur-
vient chez des sujets ayant déjà présenté divers troubles fonctionnels attribués
au tempérament arthritique : migraines, dyspepsie, crampes d'estomac, tension
plus ou moins vive dans Thypochondre droit, etc. Cette période prodromale a,
comme nous le verrons plus bas, une valeur séraéiologique spéciale. Ses mani-
festations doivent être séparées des phénomènes avant-coureurs immédiats de la
crise auxquels nous réservons le nom de prodromes et sur la nature desquels
le patient ne se trompe guère dès qu'il les a une fois éprouvés.
Les prodromes de la crise sont constitués chez les uns par une sorte de
malaise, une excitation nerveuse plus grande, des bâillements, des pandicula-
tions, une migraine; chez d'autres, au contraire, par un sentiment de mieux
être (Durand- Fardel). Parfois il existe un certain degré d'anxiété, un état
d'oppression, des frissonnements, souvent enfin une douleur sourde dans le
côté droit, qui, d'abord peu marquée, se prononce ensuite davantage et arrive à
acquérir une grande intensité. Au lieu d'une douleur, le malade n'accuse dans
quelques circonstances qu'un sentiment de gêne, de tension dans l'hypochondre,
« il sent son foie. » Il est probable que l'examen direct de la région endolorie
pratiqué à ce moment permettrait de constater soit une augmentation de volume
de cet organe, soit la distension de la vésicule biliaire, mais on n'a que rare-
ment l'occasion de le faire dans la période prodromique de l'accès.
Que la crise aiguë soit précédée de prodromes, ou qu'elle fasse explosion
d'emblée, la douleur en est le phénomène prédominant, capital, autour duquel
évolue toute la scène pathologique. Vive, intense, elle éclate d'ordinaire quel-
ques heures après les repas, siège surtout à l'épigastre (point épigastrique),
dans la région du foie et de la vésicule (point cystique); par exception, elle
occupe l'hypochondre gauche. Elle s'irradie souvent en arrière vers le miheude la
colonne dorsale (point dorsal), plus en dehors vers l'angle inférieur de l'onio-
j)late droite, l'épine de cet os (point scapulaire) et dans tout le bras correspon-
dant. Elle peut encore rayonner en haut vers le sein et la clavicule. Plus
rarement les irradiations douloureuses ont lieu par en bas vers les fosses
iliaques, l'hypogastre, et jusque vers les testicules. Trousseau, Barth etBesnier,
Lange et quelques autres auteurs, ont observé ces irradiations descendantes dont
l'existence est contestée par Murchison {voy. aussi Cornillon, Caractères géné-
raux des localisations douloureuses dans les coliques hépatique et néphrétique,
in Mélanges de médecine. Vichy, 1884). Cette douleur s'accompagne souvent
de frissons, d'angoisse. Par son caractère exacerbant, elle ne tarde pas à pro-
voquer les nausées et les vomissements.
Des frissons plus ou moins violents peuvent se montrer dès le début, avec ou
sans élévation de température; parfois ils constituent le phénomène initial et
précèdent la douleur. Le thermomètre peut atteindre 39, 40 degrés ou plus, il
y a alors un véritable accès fébrile.
HÉPATIQUES (COLIQUES). 541
Les vomissements, quand la colique survient pendant la pe'riode de digestion,
sont d'abord alimentaires ; puis, quand l'estomac s'est débarrasse' de son contenu,
ils deviennent glaireux, se produisent au milieu d'efforts qui brisent les forces;
enfin ils peuvent être bilieux ou même constitués par un flot de bile. Un sou-
lagement momentané succède souvent à cette évacuation de bile, qui a pour
effet de diminuer la distension douloureuse des réservoirs et canaux biliaires.
Dans quelques cas, l'intolérance de l'estomac est telle, qu'on voit les nausées et
les efforts de vomissements se reproduire dès que l'on tente de faire prendre un
médicament ou la moindre boisson au malade.
D'ordinaire, pendant la crise, les garde-robes sont rares ou supprimées; quel-
quefois, au contraire, il existe de la diarrhée.
Pendant ces paroxysmes le ventre est tendu, douloureux, surtout dans la
région de la vésicule, où la moindre pression augmente les souffrances, de
manière à rendre la plupart du temps toute exploration directe impossible. Pen-
dant l'accalmie, en procédant doucement, avec beaucoup de prudence, après
avoir pris soin de mettre dans le relâchement ks muscles de l'abdomen, on
peut arriver à constater l'état du foie et de la vésicule souvent augmentés de
volume. Pujol attachait une grande valeur diagnostique à cette augmentation
de volume, ainsi qu'à la douleur réveillée par la simple pression au niveau de
la vésicule. Quelquefois la palpation permet d'obtenir une sensation spéciale due
à la collision des calculs. Le bruit ainsi provoqué a été comparé à celui que
produiraient des noix dans un sac à moitié vide (J.-L. Petit). Comme ce bruisse-
ment, peu marqué quand il existe, est plus nettement perceptible à la main
qu'à l'oreille, quelques médecins ont conseillé de le rechercher avec le stétho-
scope. Il est inutile de dire que ce moyen ne saurait être employé pendant les
paroxysmes, car alors la moindre pression peut être absolument intolérable.
Il n'est pas rare, en effet, de voir à ce moment les malades rejeter leurs couver-
tures et même ne pouvoir supporter le contact de leurs vêtements.
D'après les investigations de M. Peter, il ressort que la température de
l'hypochondre droit au moment de la crise surpasse de quelques dixièmes de
degré celle du côté opposé. Quelquefois même, comme cela résulte d'observations
communiquées par ce professeur et reproduites par nous dans un précédent
travail, la température morbide locale est plus élevée que la température axil-
laire prise au même moment. Dans ces derniers cas, il est probable qu'il ne
s'agit pas seulement d'une hyperémie réflexe consécutive à la douleur et qu'il
y a une lésion inflammatoire locale profonde déjà constituée {voy. Thebmo-
MÉTRiE MÉDICALE daus cc Dictionnairc).
Les phénomènes généraux ainsi que Vaspect du malade diffèrent pendant
les crises suivant l'intensité et la durée des paroxysmes, suivant encore que
ceux-ci sont plus ou moins rapprochés. De là une grande variété de formes
cliniques. Dans les cas ordinaires, quand la crise est franche, de moyenne inten-
sité, la température centrale ne varie pas. L'apyrexie est la règle. Nous avons
vu cependant que parfois il survient un grand frisson avec élévation de la
chaleur à 40 degrés et même au delà, mais souvent alors il existe déjà à ce
moment des lésions inflammatoires du foie ou des canaux biliaires.
Le pouls est d'ordinaire petit, serré, stomacal, sans augmentation de fréquence.
Le nombre des pulsations serait même, d'après quelques auteurs, sensiblement
diminué (5 à 10 de moins par minute, Wolff). Cet état du pouls, auquel il con-
vient d'ajouter une grande importance pour le diagnostic, n'est pas toujours le
542 HÉPATIQUES (COLIQUES).
même : en effet, le pouls peut être fréquent (Fauconneau-Dufresne), présenter
des irrégularités. Ces dernières s'expliquent facilement par le trouble nerveux
dans lequel les coliques même de moyenne intensité jettent les patients.
Pendant la crise la face est pâle, tirée, les traits souvent décomposés, les
extrémités froides. La sueur couvre le front, des frissonnements nerveux, des
secousses musculaires d'origine réflexe, parcourent et agitent le corps. Chez les
sujets très-excitables, chez les femmes nerveuses particulièrement, chez les
individus déjà atteints d'hysléiie ou d'épilepsie, la crise douloureuse peut
amener des convulsions généralisées hystéri formes ou épileptiformes. Parmi les
autres troubles généraux qui accompagnent l'attaque, on voit survenir quelquefois
une sorte d'hyperesthésie généralisée, qui trouve son explication, tant qu'elle
reste modérée et transitoire, dans l'éréthisme du système nerveux causé par la
douleur.
Quand la crise est plus violente, quand les accès se suivent presque sans
laisser de répit, le tableau change et devient plus grave. La douleur arrive
parfois alors à être atroce. Elle étreint les malheureux patients qui ne trouvent
plus de termes pour exprimer les horribles souffrances qu'ils endurent; elle
arrache des larmes aux hommes les plus courageux et peut les pousser jusqu'à
leur faire chercher dans une tentative de suicide le soulagement de leurs tor-
tures. Elle jette tout l'organisme, principalement le système nerveux, dans un
trouble si profond, que l'on voit alors survenir du délire, des convulsions, des
lipothymies, des syncopes et la mort subite même, à l'acmé du paroxysme
douloureux.
Heureusement, ce n'est que dans des cas assez rares que la douleur atteint ce
summum d'intensité capable d'entraîner ces redoutables complications dont
nous chercherons plus loin à pénétrer le mécanisme et' la production. Dans
beaucoup de cas cependant la douleur, sans s'élever à cette hauteur, ne laisse
pas que d'être très-pénible et de donner à l'accès une physionomie différente,
il est vrai, suivant l'individualité morbide du sujet, mais s' éloignant déjà un
peu du type que nous avons pris plus haut comme représentant une crise de
moyenne intensité. Les malades se plaignent alors que « quelque chose leur
tord, leur déchire, leur brûle les entrailles » ; les uns font entendre de dou-
loureux gémissements, les autres se raidissent contre la souffrance la face et
les membres convulsés dans un effort qu'ils croient utile pour hâter leur déli-
vrance. Les femmes qui ont eu des enfants comparent Jes douleurs de la crise
à celles de l'accouchement, et comme d'autres médecins nous en avons entendu
répéter que les douleurs de l'enfantement « ne sont rien » auprès des souf-
frances qu'elles subissent en ce moment.
C'est dans ces cas que l'on voit les pauvres calculeux prendre les positions
les plus diverses pour chercher à atténuer la douleur qui les tord. Tantôt assis
sur le lit, le tronc fléchi en avant, ils appuient la main sur la région meurtrie;
d'autres fois, accroupis ou couchés sur le côté, ils gardent l'immobilité de peur
de réveiller la souffrance dès que celle-ci leur laisse le moindre répit. Tantôt
au contraire, dans une agitation continuelle, ils se jettent à droite, à gauche,
se roulent sur le lit, se lèvent, marchent dans la chambre, et ne s'an'êtent
que si une sensation plus aiguë épuise leurs forces, ou si la crise tend à se
calmer.
Par contre, dans certains accès la douleur ne revêt pas une acuité aussi
grande que celle dont nous avons parlé au début. Ce sont des crampes, des
HEPATIQUES (COLIQUES). 545
tiraillements d'estomac alternant avec une douleur sourde, tormineuse, suscep-
tible de provoquer les nausées et le vomissement, ou bien encore la douleur
vive, intense, détermine la plupart des symptômes de l'attaque franche, mais elle
est de peu de durée et, dès qu'elle a cessé, il ne se produit pas de nouvelles exa-
cerbations. Ces formes légères tiennent le milieu entre les accès d'intensité
moyenne et les formes frustes constituées par de simples crampes d'estomac
ou par les divers troubles observés pendant la période dite prodromale, latente,
et qui sont en réalité de vrais accès atténués. Nous ne faisons que les signaler
en ce moment, pour ne pas interrompre l'histoire de la colique hépatique telle
qu'on la voit évoluer dans ses formes franches.
Victère, et par là on entendait l'ictère bien visible, a été pendant longtemps
regardé, avec la douleur et son cortège de troubles gastriques, comme le signe
pathognomonique de la colique hépatique. En réalité il s'en faut de beaucoup
qu'il en soit toujours ainsi. La jaunisse peut faire complètement défaut dans
des cas de colique hépatique avérée. Pujol avait déjà insisté sur ce point, cepen-
dant cette opinion pleinement confirmée par les observations ultérieures n'a
fait que lentement son chemin : « Combien de cas de colique hépatique passent
inaperçus, disait encore M. le professeur Vulpian dans son cours de la Faculté
(1874), parce que l'on s'imagine trop facilement que la production d'un ictère
plus ou moins prononcé est nécessaire au diagnostic ! » On peut se faire approxi-
mativement une idée de la proportion considérable des cas dans lesquels la jaunisse
fait défaut, si on se rapporte à la statistique, partout citée, du docteur Wolff.
Ce praticien ayant eu la patience de chercher les concrétions biliaires dans les
selles de tous ses malades atteints de colique du foie et en ayant constamment
trouvé, a cependant noté 25 fois l'absence d'ictère sur 45 observations, c'est-
à-dire dans un peu plus de la moitié des cas. A ce sujet, faisons remarquer dès
maintenant que, d'après les faits rapportés par Wolff et par d'autres médecins,
ce n'est point uniquement du volume ou de la forme des calculs que dépend
l'apparition de l'ictère. Nous reviendrons sur ce sujet en étudiant la physiologie
pathologique de l'accès.
Quand l'ictère survient, son époque d'apparition par rapport à la douleur,
son étendue, son degré, sont essentiellement variables. Il se montre quelquefois
pendant l'accès ou le suit de près au point d'être assez prononcé six à douze heures
après le début d'une colique; habituellement il ne se développe que le lende-
main ou le surlendemain de l'attaque. 11 peut se généraliser à toute l'étendue
du tégument et même prendre une teinte foncée dans les cas d'enclavement du
calcul. D'ordinaire, il est léger, passager; souvent il ne se traduit que par une
teinte subictérique de la cornée, du pourtour des ailes du nez, et par la couleur
spéciale de l'urine.
Les urines rendues pendant et après l'accès doivent être examinées avec soin.
Généralement claires, nerveuses, au début, elles deviennent plus denses et hautes
en couleur vers la fin ou après la crise. Elles se troublent alors facilement par
le refroidissement et laissent déposer une certaine quantité de sédiments ura-
tiques capables de masquer leur teinte ictérique, si celle-ci est peu prononcée.
Il importe d'être prévenu de ce fait, afin que ce dépôt d'urates ne fasse pas
croire que la colique était d'origine néphrétique, ainsi que l'erreur a été quel-
quefois commise. D'ailleurs, même dans ce cas, en agitant l'urine dans le vase,
on peut voir sur les bords des retlets verts qui trahissent l'élimination d'une
quantité anormale de pigment biliaire par le rein. Après la crise les urines
su HÉPATIQUES (COLIQUES).
gardent souvent pendant plusieurs jours une couleur verte ou acajou foncé dont
la teinte diminue progressivement au fur et à mesure que diminuent ou se
transforment les pigments biliaires {voy. Ictère).
L'urine filtrée traitée par l'acide nitrique nitreux offre d'ordinaire une teinte
verte caractéristique de ce pigment avant que l'ictéritie soit visible sur les tégu-
ments ou dans les culs-de-sac de la conjonctive. Cette réaction s'observerait
d'après Durand-Fardel dans tous les cas de colique calculeuse. Nous regardons,
pour nous, comme très-probable que, si, au lieu de chercher uniquement la teinte
ictérique sur les muqueuses ou sur les téguments, on cherchait à déceler l'ic-
tère par la réaction de Gmelin, on reconnaîtrait bientôt que ce symptôme
accompagne la colique hépatique bien plus souvent qu'on ne le pense aujourd'hui.
A la suite de la colique hépatique, MM. Lépine et Guérin ont trouvé la quan-
tité de soufre incomplètement oxydé augmentée dans les urines {Revue de mé-
decine, 1881, p. 918). D'autres auteurs ont signalé dans cette affection une
diminution de l'excrétion d'urée, comme cela arrive dans les troubles fonctionnels
ou organiques duloie(roi/. Brouardel, Vitrée et le foie; in Arch. de ph., 1876).
Dans l'observation présentée par Regnard à la Société de biologie en 1873, les
crises de colique s'accompagnaient d'accès de fièvre : or, contrairement à ce qu'on
JUILLET 1S73 AOUT 1S73
Temp'"?
î: 23 2^ :biiC.27 2% 29 3oJ31j 1 2 3 "f & 6 7 8 9 10 il 12 13 lit 15 16 17 18 is'zo 21 22 2'J
-r— _Lj_ _L pS4 \ m^ ^! \m \i^\ \m m m m m
39°
' 1 il
^35i--_i_J u^l.. _ 4 1 1 1 IJ L 1
309 4-41,1 ,1
38°
^ .vlL-^-,^ y 1 i 1 -, il j
37°
3C°
35°
Ml] P A "r T ' 71 1 1 T'"""'Tr""" i"'"
wîYK \ ru i i i T • 1 ^ ■'
\ ^- k A, -; !/■ fi /\ ,' ^ \ : \ :
109 1 , M : ' ' ' M i j> ; ,'! .' > ,L ' ' .' >/ _
3'f°
33°
59 1 1 -J._L_L '1 .^1 M^ _L .- L_
09 1 ILL^ ^___..__^^^_-_-^iL_^.__.. ^L
. Température
vjrée i™ Jours d accès fébriles
pouvait attendre, l'urée diminuait le jour de l'attaque et augmentait les jours
suivants pendant l'apyrexie. La figure ci-contre traduit d'une manière évidente
cette opposition entre l'augmentation de température et la diminution de l'urée
régulièrement constatée pendant plusieurs accès et mise en courbe par
M. Regnard. Malheureusement cette remarquable observation est restée, croyons-
nous, jusqu'à ce jour, unique dans la science. Les relations qui existent entre les
maladies du foie et la diminution de l'urée urinaire ne sont pas encore aujour-
d'hui entièrement élucidées. Les recherches de Debove (juin 1884) sembleraient
faire admettre, contrairement à la thèse de l'uréogénie hépatique que nous avons
défendue à la suite de maîtres éminents, qu'il y a, dans quelques cas, plutôt un
trouble dans l'excrétion qu'un défaut de production. Lécorché et Talamon.
dans quelques observations de lithiase biliaire avec fièvre, ont trouvé l'urée diini-
HEPATIQUES (COLIQUES). Ô45
nuée les jours où se montrait l'élévation de la température ; dans d'autres ils
ont — comme cela est aussi noté dans un cas de Brouardel — plutôt trou-vé le
contraire. Mais l'analyse quantitative des autres éléments de l'urine montrait
qu'il y avait diminution générale de ces éléments (acide urique, acide phospho-
rique) en même temps que diminution de la quantité d'urée quand celle-ci
coïncidait avec un accès. De plus, ces auteurs mentionnent que cette diminution
de l'urée a pu être observée, même dans certains cas d'accès palustres fiancs,
contrairement à ce qui a lieu ordinairement {Études médicales faites à la
Maison municipale de santé, Paris, 1881). Il y a donc dans cette question
des inconnues à dégager ; nous ne pouvons que signaler ici la difficulté, insister
davantage nous entraînerait d'ailleurs hors de notre sujet.
Marche. Durée. Terminaison. La durée d'une crise aiguë de colique
hépatique échappe à toute appréciation exacte. Le mode de début plus ou moins
violent ne permet pas de préjuger ce que va être l'attaque. Elle peut disparaître
après un temps assez court une, deux heures, ou même moins ; elle peut se
prolonger pendant plusieurs jours et même plusieurs semaines. 11 y a alors des
périodes d'exacerbation et dapaiseraent relatif dans lesquelles la douleur ne se
fait plus sentir que d'une manière sourde, annonçant au malade que tout n'est
pas fini, qu'il reste sous le coup d'une recrudescence. Celles-ci peuvent être plus
ou moins éloignées les unes des autres. Willemin a cité une observation dans
laquelle pendant quatre mois les accès furent presque subintrants.
Quelques auteurs pensent que le calcul, après s'être engagé dans le canal cho-
lédoque, plus large que le cystique, occasionne moins de douleur et qu'il est la
cause de nouvelles souffrances au moment oii il franchit l'orifice duodénal.
Théoriquement cette supposition est plausible; en fait, elle se trouve plus d'une
fois vérifiée, mais la douleur est surtout en rapport avec la configuration exté-
rieure des calculs et le spasme des canaux. Les cholélithes anguleux, les mûri-
formes, qui irritent la muqueuse et peuvent l'ulcérer en s'accrochant à ses plis
par leur aspérités, sont bien plus à craindre que les concrétions lisses, arrondies,
La terminaison est souvent brusque. On la compare à celle de la parturition.
Parfois la crise offre une marche assez régulière : la douleur débute progressive-
ment, acquiert son summum d'intensité, reste à son apogée un temps variable,
puis diminue et enfin, après une exacerbation qui serait produite par le passage
du calcul dans le détroit de l'ampoule de Water, cesse u comme par enchante-
ment » quand le cholélithe est chassé dans le duodénum. Une sensation particu-
lière accompagne quelquefois cette disparition presque soudaine de la douleur.
Les malades la comparent à un corps étranger qui tombe dans l'intestin, à un
ressort qui se détend dans le côté (Macquart, in thèse de Guilbert, 1838).
En général un grand soulagement et un sentiment de bien-être succèdent à
cet heureux dénoùment. Souvent aussi le malade conserve quelque temps encore
une tension pénible à l'épigastre ou à l'hypocliondre, une courbature générale;
d'autres fois, c'est un engourdissement persistant de l'épaule, du bras droit,
quand les douleurs ont été très-vives dans cette région.
La terminaison favorable presque soudaine peut s'observer même dans les cas
où le malade semble exposé aux plus grands dangers. Chez un homme de qua-
rante-cinq ans, d'une constitution vigoureuse, en proie à une crise extrêmement
douloureuse, on craignait une mort prochaine. Les médecins étaient en consul-
tation dans une salle voisine quand on vint leur annoncer que les douleurs avaient
subitement cessé et le malade reprit sa sécurité accoutumée. Le lendemain
DicT. KNc. 4° s. XIII, 51
546 HEPATIQUES (COLIQUES).
expulsion d'une quarantaine de calculs du volume d'un petit pois (obs. de
Ségalas, in Fauconneau-Dufresne).
Des phénomènes qui ressemblent aux phénomènes critiques ont quelquefois
marqué la fin de l'accès. On a pu noter une sorte de débâcle bilieuse se répétant
après chaque colique, comme cela avait lieu chez une malade d'Andral ; d'autres
fois ce serait une sueur abondante, d'une odeur désagréable et pouvant teindre
le linge en jaune, bien qu'il n'y ait pas d'ictère prononcé (Fauconneau-Dufresne).
La fin de la crise n'indique pas toujours l'arrivée du calcul dans l'intestin.
Celui-ci peut s'arrêter dans le canal cystique, tomber dans la vésicule. Dans les
cas où il est éliminé régulièrement, par les voies naturelles, il ne tarde pas à
être chassé avec les selles, le lendemain ou le surlendemain de l'accès. Il ne
faut pas oublier pourtant que « le corps du délit » peut n'être expulsé au dehors
qu'après plusieurs jours. C'est ce qui arrivait à une malade de Trousseau qui ne
rendait les calculs que du troisième au cinquième jour après l'attaque.
Les concrétions parvenues dans l'intestin, à moins que leur volume ne soit
très-considérable, sont généralement évacuées sans donner lieu à de nouveaux
symptômes. L'expulsion de très-gros calculs aurait pu faire naître a des dou-
leurs analogues à celles de l'accouchement. » Celle d'une quantité considérable
de graviers a pu aussi produire de nouvelles souffrances, au moment des garde-
robes (Trousseau),
L'examen des matières fécales doit être fait avec le plus grand soin, et pen-
dant plusieurs jours, si l'on veut être certain d'y trouver les concrétions biliaires
qu'elles peuvent entraîner. Malgré le côté répugnant, le meilleur moyen est de
les faire passer sous un courant d'eau à travers un tamis, après les avoir préa-
lablement désinfectées au moyen d'une solution de permanganate de potasse
(un dé à coudre pour un litre d'eau, comme le recommande Cyr). 11 faut se sou-
venir que. si on se contente de jeter les matières fécales dans l'eau, les choléhtlies
ne surnagent pas. Enfin cette méthode a l'avantage de permettre de recueillir
tout ce qui est expulsé et de constater, dans quelques cas, la fragmentation d'un
calcul plus ou moins gros qu'il est possible de reconstituer avec ces débris,
comme M. Charcot en a montré des exemples. Van Swieten avait déjà observé
cette particularité chez sa belle-mère. Celte fragmentation, qu'elle soit spontanée
ou provoquée par les contractions de la vésicule, explique comment de volu-
mineux calculs peuvent déterminer indirectement la colique hépatique quand
ils sont trop gros pour s'engager eux-mêmes dans les voies bihaires.
Le nombre des calculs et concrétions expulsés avec les garde-robes peut être
Irès-considérable, surtout quand il s'agit de gravelle ou de petits graviers. On
a cité des exemples où il constituaient une sorte de grappe. Trousseau rapporte
le cas d'un malade qui expulsa une quantité de graviers assez abondante pour
remplir le volume des deux mains. M. le professeur Combal nous a parlé d'une
de ses clientes qui en rendit une quantité bien plus considérable. Dans ces cas
l'éYacuation se fait en plusieurs fois, soit le jour de l'accès, soit les jours suivants.
Arrivées dans l'intestin, au lieu d'être éliminées naturellement, les concrétions
biliaires peuvent pénétrant dans le csecum. l'appendice vermiculaire et devenir
l'origine d'une typhlite, d'une pérityphlite ; si elles sont volumineuses ou nom-
breuses, elles peuvent être entravées dans leur marche et donner lieu à des phé-
nomènes d'obstruction. Nous ne faisons que mentionner ici ces accidents, qui
paraissent d'ailleurs plus fréquonts lorsque de gros calculs sont passés dans l'iu-
HÉPATKJUES (COLIQUES). 547
lestin à travers une fistule biliaire que quand il s'agit de cholélitlies ayant donné
lieu aux phénomènes douloureux de la migration par les voies normales {voy.
Obstruction intestinale).
Dans quelques cas exceptionnels, au lieu d'être chassés avec les garde-robes,
les calculs sont rejetés par les vomissements. Fauconncau-Dufresne n'avait pu
réunir que huit exemples de cette terminaison anormale, nous en avons réuni
une quinzaine dans notre thèse d'agrégation. Récemment J. Cyr [Traité cité
p, 255) en faisait connaître deux nouveaux cas personnels, auxquels nous pou-
vons ajouter un cas inédit dont nous devons communication à M. le professeur
Dubrueil (de Montpellier). Les calculs recueillis, soumis à l'analyse de notre
collègue Hamelin, étaient constitués presque complètement par de la cholcstérine.
Pour expliquer la présence de ces concrétions dans l'estomac on ne saurait
admettre aujourd'hui l'opinion de Morgagni d'après laquelle celles-ci se for-
meraient aux dépens de la bile ayant séjourné dans l'estomac. Le mécanisme
paraît être le suivant : tantôt les cholélitlies remontent sous l'influence de mou-
vement antipéristaltiques et forcent le pylore; tantôt ils pénètrent dans l'estomac
à travers une fistule établie entre la vésicule biliaire et les parois de cet organe.
Celte dernière hypothèse semble la seule admissible quand leur volume est con-
sidérable ou bien quand d'autres calculs sont rejetés ultérieurement par la
même voie après de nouvelles coliques et surtout si ce phénomène se reproduit
sans être précédé de phénomènes douloureux (obs. du docteur C. Piion, in
Fauconneau-Dufresne ; de Pujol, mémoire cité, p. 379 ; de Bouisson, La bile et
ses maladies, p. 205, du docteur Jeaffreson, in Murchison, p. 498). 11 est d'ailleurs
à remarquer que dans la plupart des cas le rejet des calculs ne coïncide pas avec
une amélioration de l'état du patient. Les douleurs et les vomissements persistent
souvent et peuvent même subir une recrudescence. Dans ces conditions on doit
fortement soupçonner qu'il y a eu production d'une fistule gastro-biliaire.
Lacolique hépatique ne se termine pas toujours d'une manière simple. Si
dans les cas les plus heureux on la voit cesser presque soudainement au moment
où le cholélithe arrive dans l'intestin ou tombe dans la vésicule, si la même
chose peut se produire quand la crise douloureuse est due à des hydatides et
surtout quand elle est de nature névralgique, cependant il s'en faut que l'issue
soit toujours heureuse. Non-seulement, comme on l'a vu plus haut, dans les
cas de lithiase biliaire, il est possible que les paroxymes se produisent à des
périodes assez rapprochées pendant plusieurs jours et laissent le malade dans
un profond état d'accablement, mais encore l'excès de la douleur peut provoquer
de redoutables complications qui, au point de vue pathogénique et clinique,
doivent être séparées des complications dues aux lésions anatomiques secon-
dairement développées sous l'influence d'un corps étranger enclavé dans les voies
biliaires et des troubles de nutrition qui accompagnent les ictères chroniques.
D'un autre côté la crise douloureuse est loin d'offrir toujours l'intensité de
l'accès paroxystique dont nous avons cherché ù rendre les traits essentiels. L'ex-
périence montre que les accès aigus sont généralement précédés (85 fois sur 100,
Sénac) pendant une période plus ou moins longue de troubles divers auxquels
les auteurs avaient donné le nom de prodromes éloignés de la colique hépatique.
Nous allons décrire maintenant les troubles de cette période prodromale, nous
verrons ensuite en étudiant la physiologie pathologique de l'accès qu'ils ne
sont autre chose que l'atténuation des phénomènes ordmaires de la crise, tandis
548 HÉPATIQUES (COLIQUES).
que l'exagération de ces mêmes phénomènes constitue les coniplicatiom men-
tionnées plus haut comme terminaison possible de l'accès franc, suraigu ; c'est
ainsi que nous serons ramené à l'étude des complications.
FoBMEs FRUSTES. On doit en distinguer plusieurs variétés selon la prédomi-
nance de tel ou tel symptôme de la crise hépatique franche : douleur d'estomac,
troubles dyspeptiques, ictère, phénomènes généraux, frissons, fièvre hépatique.
Les troubles déïignés sous le nom de prodromes éloignés de la colique hépa-
tique peuvent à eux seuls constituer toute la maladie ou exister pendant plu-
sieurs années avant que se montre une crise aiguë. Dans la statistique de Sénac
citée plus haut, 65 malades sur 100 ont accusé des prodromes gastriques;
quelques-uns avaient été traités longtemps pour une gastralgie, (20), pour une
dyspepsie (19), d'autres ne désignaient leurs souffrances que sous le terme vague
de crampes d'estomac (26). 11 paraît bien évident que ces accidents constituent
de vraies attaques légères de coliques hépatiques, surtout quand il s'y joint des
vomissements et plus tard « une légère teinte ictérique de la conjonctive et des
côtés du nez. »
Dans d'autres cas, les faits ont un caractère moins net. Tantôt ce sont de
simples indigestions ayant une grande facilité à se produire, tantôt des tiraille-
menls d'estomac, des digestions pénibles. L'attention dès le début est parfois
attirée sur le foie par des douleurs vagues sourdes tensives, occupant l'hypo-
chondre droit, l'épigastre, et se reproduisant par accès, mais en général leur
cause échappe au médecin. D'ailleurs ce mode de début est bien plus rare que
le précédent (7 pour 100, Sénac) et, comme il s'accompagne assez souvent d'un
léger degré de congestion réflexe du foie, on prend l'effet pour la cause et on
ne songe pas à la lithiase biliaire. 11 est fréquent en effet de trouver chez un
malade avant la première attaque de colique hépatique à caractères nettement
tranchés le foie augmenté de volume et douloureux à la pression.
On admet généralement aujourd'hui que tous ces phénomènes constituent de
vraies attaques de coliques frustes dont les traits principaux sont mal accen-
tués, dont plusieurs manquent, mais il est facile de reconnaître que l'accès aigii
franc, quand il survient, ne diffère des accès atténués qui l'ont précédé que par
sa plus grande intensité. On n'hésite pas à faire ce diagnostic, si, comme cela arrive
fréquemment, on constate ces symptômes chez un malade ayant déjà souffert
d'une attaque bien caractérisée, et en effet bien souvent alors, si on examine
avec soin les matières fécales, on y trouve de petits calculs. Quelques auteurs
admettent que dans ces dernières conditions les cholélilhes plus petits ou moias
rugueux passent plus facilement à travers une voie déjà frayée.
Celte explication peut être vraie dans un certain nombre de cas, mais il n en
demeure pas moins établi que, toutes les fois qu'on verra un malade se plaindre
de gastralgies, de crampes d'estomac, si les douleurs surviennent deux, trois
ou quatre heures après les repas et semblent affecter une sorte d'intermittence,
si elles disparaissent assez rapidement pour ne se montrer qu'après un espace
de temps plus ou moins long, ou bien si chez les femmes qui en sont prin-
cipalement atteintes on les voit coïncider avec le retour des règles, avec une
grossesse, le médecin doit chercher avec soin si les urines ne présentent pas la
réaction de la bile, il doit recommander aux malades d'examiner pendant plu-
sieurs jours leurs garde-robes, enfin il doit encore porter son attention sur
toutes les conditions étiologiques qui favorisent la production ou le retour des
HEPATIQUES (COLIQUES). 549
coliques hépatiques. Ces recherches pourront le plus souvent fournir les élé-
ments d'un diagnostic d'autant plus utile à porter que l'intervention thérapeu-
tique aura beaucoup plus de chances de succès à ce moment qu'elle n'en aura
plus tard.
Parfois, mais le fait est relativement peu fréquent, les crampes d'estomac, les
troubles dyspeptiques, sont à peine marqués, et c'est h jaunisse qn'\ constitue à
peu près le seul phénomène de la colique du foie. On est porté dans ces cas
à attribuer l'ictère à une angiocholite catarrhale ou à toute autr* cause de
rétention biliaire. Il faut cependant être prévenu que la cholélithiase peut dans
quelques cas, contrairement à ce qui a lieu d'habitude, donner naissance à un
ictère évident, sans que celui-ci soit précédé d'une crise douloureuse très -nette.
On doit donc, en présence d'un malade devenu ictérique, sans cause facile à
saisir, se rappeler qu'il peut s'agir d'une colique hépatique fruste et diriger
dans ce sens l'examen et l'interrogatoire. Le même fait, on le comprend, peut
aussi se produire quand des corps étrangers autres que des calculs ont pénétré
dans les canaux biliaires.
L'attaque de colique franche, bien qu'elle soit ordinairement apyrétique, peut
s'accompagner, nous l'avons vu plus haut, de frissons avec élévation de tempé-
rature et même d'un véritable accès de fièvre. Pemberton, Budd, Monneret,
Frerichs. avaient déjà signalé ces phénomènes fébriles dans la colique hépatique.
Budd avait même comparé ces frissons à ceux déterminés par le cathétérisme de
l'urèthre. Mais ce sont les travaux de M. Charcot et de ses élèves qui ont mis
en relief toute la valeur séméiologique des accidents fébriles qui peuvent soit
accompagner les coliques caractérisées, soit constituer seuls une des formes
frustes les plus importantes de la hthiase biliaire {voy. Charcot, loc. cit.,
p. 159, et th. de Magnin, 1869, Accidents de la lithiase biliaire). Pour ce
professeur, il faudrait distinguer les accès de fièvre hépatalgique, satellites de
la migration d'un calcul, irréguliers dans leur apparition comme la colique
hépatique, prenant fin dès que lacholélithea été expulsée et la vraie fièvre inter-
mittente hépatique ou biliaire, dans laquelle les accès de fièvre se reproduisent
suivant un type plus ou moins régulier, rappelant par leurs caractères aussi
bien que par leur retour réglé, les accès de l'impaludisme. Cette fièvre inter-
mittente syniptomatique se montre surtout dans l'occlusion et la suppuration
des voies biliaires, quelle qu'en soit la cause. Elle semble donc mériter d'être
regardée comme une complication : nous en reparlerons, en effet, quand nous
étudierons celles-ci, mais nous devons mentionner ici que, si ces accès de fièvn
intermittente surviennent habituellement chez des individus ayant déjà eu dei
coliques hépatiques, ou bien au cours d'un ictère chronique, ils peuvent aussi
se montrer sans qu'il y ait jamais eu de coliques bien évidentes. Ce serait le
cas des calculs intra-hépatiques et des sables biliaires dont ces accès constituent
la principale et souvent la seule manifestation clinique. Chez un même individu,
il est possible de voir le passage des calculs être marqué par des coliques hépa-
tiques sans frisson, par des coliques avec frisson, et par des accès fébriles sans
accompagnement de douleur (Charcot). Le médecin doit donc être prévenu que
les phénomènes fébriles peuvent constituer une des formes frustes de la colique
hépatique. Chez le vieillard en particulier un frisson plus ou moins intense,
même sans douleur, surtout s'il se reproduit plusieurs fois, vers le soir, doit
attirer l'attention du médecin vers le foie. Il n'est pas rare alors de découvrir
dans les antécédents du malade quelques signes qui viennent ajouter da sérieuses
550. HÉPATIQUES (COLIQUES).
présonii)lions à ce diagnostic. La piésence du pigment biliaire dans l'urine, uu
ictère plus ou moins caractérisé, changent ces présomptions en certitude.
Formes larvées. Dans quelques cas, la présence dans les voies biliaires de
calculs, de sables, au lieu de donner lieu à ces formes frustes de la colique hépa-
tique, donne simplement naissance à des phénomènes nerveux dont l'interpré-
tation reste obscure ou erronée jusqu'au jour où, soit un léger ictère, soit une
expulsion de cholélithes, vient mettre sur la voie du diagnostic et permet d'in-
stituer un traitement approprié qui fait disparaître ou améliore très-notablement
ces désordres. Parmi ces accidents auxquels le nom de fowies larvées convient
mieux que celui de formes frustes, il faut signaler en première ligne les mi-
(/rames signalées par M. Potain (Des synergies morbides, 1879) et Potain, certains
troubles hystériques accompagnant des troubles digestifs, comme M. Yulpianena
rapporté un bel exemple dans ses Leçons cliniques de la Charité (1879), une né-
vralgie de l'épaule (Sénac), une névralgie sus-oi'bitaire (Potain), des accès d'angine
de poitrine (Buc(|uoy, Iluchard, Gairdner, Esbach), des accès d'asthme (Broabdent).
Si la présence des calculs ou d'autres corps étrangers dans les voies biliaires
détermine des troubles d'intensité si variables, nous ne saurions terminer ce
chapitre sans rappeler que chez certains individus elle peut ne produire aucune
espèce d'accidents. Tantôt alors elle reste absolument latente et l'existence de
ces corps étrangers n'est révélée qu'à l'autopsie, comme cela arrive assez souvent
pour la lithiase biliaire. Tantôt, et cela se voit de préférence chez les gens âgés,
on constate la présence de calculs dans les garde-robes sans que le sujet ait
éprouvé des troubles fonctionnels capables de donner l'éveil sur cette migration.
Quelles sont les raisons qui rendent le tableau clinique si variable suivant les
individus, les sexes, les âges? Comment agissent les causes qui déterminent lu
production ou le retour des accès? Telles sont les questions que nous devons
aborder maintenant. .1 priori, on comprend qu'elles ne sont pas susceptibles
d'une explication simple. Les différences individuelles de tempérament, le mode
de réaction particulière de chaque malade ainsi que l'état organique spécial
dans lequel il se trouve au moment de l'accès, voilà autant de facteurs dont il
faut tenir compte. Toutefois l'étude de la physiologie pathologique de ces
coliques à caractères différents permet de proposer une explication générale
qui, si elle ne s'applique point à tous les cas, donne du moins une idée synthé-
tique suffisante. Elle montre d'abord que l'accès normal est la résultante de
phénomènes réflexes ayant pour origine l'irritation des conduits biliaires et que
les causes déterminant plus spécialement la production ou le retour de ces
accès doivent leur influence à ce qu'elles entraînent soit directement, soit indi-
rectement, cette irritation. Ce premier point admis, il devient plus facile de
chercher dans l'atténuation ou l'exagération de ces réflexes, dans leurs irradia-
tions peu habituelles, l'explication des formes atténuées ou larvées, et celle des
complications fréquentes ou rares de la colique hépatique.
Physiologie pathologiqoe de l'accès. En I87o,Muron, introduisant un stylet
de trousse dans le canal cholédoque d'un chien, vit l'animal manifester une vive
douleur, en même temps le stylet était serré par une constriction soudaine,
spasraodique. du conduit, de sorte qu'un léger effort fut nécessaire pour retirer
l'instrument introduit sans difficulté. Cette expérience réalisée accidentellement
devait être l'origine de l'étude expérimentale du spasme douloureux des voies
biliaires bientôt entreprise et heureusement poursuivie par MM. Dujardin-
HÉPATIQUES (COLIQUES). 551
Beâumetz {Bull, àe thér., 1875), Laborde {ihid., 1874), Audigé (th. de Paris,
1874), etc. A la suite de leurs expériences faites sur des chiens et dans lesquelles
ils avaient déterminé des excitations électriques, mécaniques et chimiques, de
la muqueuse des voies biliaires, ces auteurs avaient conclu que la vésicule, le
canal cystique et le cholédoque, possèdent des parois très-nettement contractiles
et une muqueuse très-sensible. Dans une de ses expériences, Laborde avait même
produit les phénomènes de la colique hépatique en introduisant de petits calculs
de cholestérine dans le cholédoque. A la suite de cette introduction, l'animal
fut pris de douleurs, de vomissements, les urines devinrent rapidement icté-
riques et, fait intéressant, à l'autopsie on put constater que deux de ces calculs
étaient remontés jusque dans la vésicule biliaire, tandis que quatre autres étaient
retombés dans l'intestin. Ces faits intéressants, mais trop peu nombreux, n'en-
traînèrent pas immédiatement la conviction générale. M. le professeur Vulpian
disait (Cours de l'Ecole de médecine, 1874) que ses expériences maintes fois
répétées sur le chien, bien qu'elles lui eussent démontré la contractilité des
voies biliaires, ne lui permettaient pas d'adopter sans réserves les conclusions
de M. Laborde. La question a été récemment reprise par Simanowsky [Zur Frage
iiber die Gallensteinkolik. In Zeit. kl. Med., Bd., V, p. 501). Cet auteur dans le
but d'élucider divers points de la physiologie de la colique hépatique, a établi
des fistules biliaires chez les chiens et soumis la vésicule à diverses excitations.
11 a vu d'abord que l'introduction des électrodes ou de tout autre corps étranger
dans la vésicule provoquait une vive douleur et une contracture cessant après
quelques instants, mais pouvant se reproduire. De plus cette excitation détermi-
nait parfois des vomissements. Douleur due à la présence d'un corps étranger
dans les voies cholédoques, contraction réflexe douloureuse de ces conduits,
vomissements, possibilité de la production d'un ictère, n'a-t-on pas ainsi fait naître
expérimentalement chez le chien les symptômes principaux de la colique hépa-
tique chez l'homme? Cependant, pour que la comparaison ait toute sa valeur,
une condition est indispensable : il fout que chez l'homme et chez le chien les
voies biliaires possèdent une structure très-analogue, sinon identique.
L'existence de nerfs dans la muqueuse de ces conduits chez l'honmie est
admise par tous les auteurs et décrite dans tous les traités classiques d'anatomie.
La distribution des nerfs dans les voies biliaires extra-hépatiques vient d'être
récemment bien étudiée en France par Variot {Journal d'anatomie de
Robin, 1882, p. 600). Cet anatomiste a montré que les nerfs émanés du plexus
solaire forment des réseaux nerveux à larges mailles auxquels sont sui'ajoutés
en certains points, principalement autour de l'embouchure du cholédoque dans
l'ampoule de Water, de petits ganglions nerveux formés d'un nombre variable
de cellules arrondies ou polyédriques pressées les unes contre les autres (10 à
20). Chez les animaux dont les conduits biliaires offrent une musculature consi-
dérable cette disposition, qui rappelle celle des plexus d'Auerbach, entre les
deux lames de l'intestin, est très-apparente {voy. aussi Léo Gerlach, Central-
blatt, 1873, cité par Variot). Elle paraît évidemment en rapport avec la pré-
sence des fibres musculaires, lisses dans ces organes. Bien que cette disposition
n'ait pu être directement constatée chez l'homme, il est probable à priori qu'il
existe aussi chez lui dans les régions les mieux pourvues de fibres musculaires
(vésicule, canal cholédoque, voisinage de l'ampoule de Water) des plexus
ganglionnaires émettant des filets destinés, les uns à ces fibres lisses, les autres
sensitifs allant vers la surface libre de la muqueuse. Gliniquement et physiolo-
552 HÉPATIQDES (COLIQUES).
giqtiemenl l'existence de ces filets sensitifs n'est que trop prouvée par la douleur
dont l'irritation des conduits biliaires devient la cause.
Quant aux éléments musculaires nettement constatés chez le chien et qui
chez les grands animaux peuvent arriver à constituer une vraie couche muscu-
laire, existent-ils chez l'homme en quantité suffisante pour que leur conlractilité
joue un rôle efficace dans la pathogénie de la colique hépatique? L'électrisation
de ces conduits faite immédiatement après la mort a donné des résultats contra-
dictoires à Henle d'une part, àDittrich, Gerlach, Hertz, d'autre part (cités par
Charcot). Si l'occasion se présente rarement de constater dans les mêmes
circonstances les faits avancés par ces auteurs, il n'en est plus de même pour la
vérification anatomique de la structure des conduits biliaires pouvant nous
amener au même résultat. En effet, la contractilité ne peut exister nettement
sans qu'il y ait une musculature capable de la produire et d'être nettement
reconnue au moins par l'examen histologique. D'après les recherches de Gran-
cher, Renaut, Legros, Charcot, Pitres, Variot, ces fibres ne formeraient qu'une
couche longitudinale plus ou moins épaisse souvent discontinue, et il faudrait
adopter une opinion intermédiaire entre l'avis de quelques anatomistes qui
admettent une couche musculaire assez complexe (Sappey) et l'avis des auteurs
portés à regarder l'existence de fibres musculaires comme très-problématique au
delà de la vésicule et du canal cystique (Robin, Henle, Kôlliker, Frey, Virchow).
Il existe des différences individuelles au point de vue de la musculature des
canaux biliaires ; de plus, celle-ci a paru généralement plus faible et moins
marquée chez les vieillards que chez les adultes et les enfants. Charcot et Pitres
ont trouvé les fibres lisses plus abondantes chez un sujet de dix ans et chez un
autre de trente ans que chez des vieillards où il n'était plus guère possible de
les reconnaître. I)ans les recherches que nous avons faites avec Hippolyte Martin
sur la musculature des gros canaux biliaires chez l'enfant, nous avons trouvé
de rares fibres dans le canal cystique, des fibres plus nombreuses dans le canal
cholédoque. La disposition des faisceaux musculaires n'était pas toujours la
même; les faisceaux longitudinaux prédominaient de beaucoup. Chez un enfant
de trois mois il existait une vraie tunique musculaire dans laquelle on pouvait
distinguer deux plans, l'un interne formé de fibres longitudinales sous-muqueuses,
l'autre externe circulaire plus épais que le précédent. Cette dernière disposition
n'est sans doute pas fréquente, mais l'examen des préparations éloigne la sup-
position émise par M. Dujardin-Beaumetz qu'il existait chez ce dernier sujet
une disposition morbide.
Le résultat de ces recherches nous sert à comprendre pourquoi dans les faits
pathologiques c'est principalement sur le cholédoque que l'on trouve les fibres
musculaires hypertrophiées (Bouisson, liaynaud et Sabourin, etc.).
Au point de vue théorique et pratique, ces notions d'anatomie normale sont
importantes à connaître, pour comprendre la série d'accidents déterminés par
un corps étranger développé ou introduit accidentellement dans les canaux
biliaires. Ce corps étranger, un calcul, pour prendre l'exemple le plus fréquent
et qui nous convient le mieux, pourra être toléré pendant un temps plus ou moins
long, mais il vient d'ordinaire un moment où l'organisme fait effort pour se
débarrasser de cet irritant et l'expulser. La migration ainsi provoquée amène
le cholélithe au contact de parties qui n'y étant point habituées réagissent et
entraînent des phénomènes complexes dont le mécanisme peut être exposé de
la façon suivante :
HEPATIQUES (COLIQUES). 553
1» L'irritation des nerfs de la muqueuse provoque une douleur locale plus
ou moins vive suivant la richesse du plexus nerveux et l'excitabilité propre du
sujet. Cette douleur devient le point de départ d'un spasme réflexe d'autant plus
énergique que la couche musculaire est plus nettement dessinée. La contracture
ainsi déterminée peut, si elle est très-forte, diminuer assez le calibre du canal
pour empêcher la progression du calcul et augmenter la souffrance en appli-
quant fortement la muqueuse contre celui-ci. Au contraire, si les parois sont
pauvres en éléments musculaires, leur contraction incapable de s'élever jusqu'au
spasme laisse progresser le calcul vers l'intestin et la douleur est moins mar-
quée. La vis à tergo due à la bile, diminuée ou annihilée dans le cas précédent
par l'effet du spasme, vient ajouter ici son effet utile à celui de la contraction
musculaire. Les concrétions offrant des aspérités irrégulières (calculs miiriformes)
capables d'accrocher ou d'érailler la muqueuse déterminent la douleur plus
facilement que les calculs lisses et arrondis : aussi l'intensité de la douleur ne
saurait-elle fournir une indication sur le volume du calcul.
L'irritation des filets nerveux peut retentir à distance directement ou indi-
rectement sur des organes en connexion immédiate ou éloignée avec le point
lésé. C'est ainsi que les douleurs s'irradient plus ou moins loin et (\\ig par
l'intermédiaire des nerfs du bulbe, de la moelle et du grand sympathique, les
autres viscères et même le système musculaire général peuvent devenir le siège
de troubles morbides d'ordre réflexe.
2" L'irritation locale et la douleur déterminent une fluxion irritative, localisée
et passagère, si la cause qui la produit cesse bientôt. Les désordres vont plus
loin, si la colique hépatique dure longtemps (formes chroniques, prolongées). Il
se développe dans ces cas une congestion chronique ou, à un degré plus élevé,
une inflammation qui, limitée d'abord aux canaux, gagne ensuite le parenchyme
iiépatique.
5° L'obstruction du conduit biliaire, causée par la présence du corps étranger
et secondairement par la contraction spasmodique du canal, détermine un ictère
plus ou moins net, selon que l'entrave à la circulation de la bile a été plus ou
moins complète. Celui-ci est souvent à peine marqué et décelé seulement par
la présence du pigment biliaire dans les urines quand l'écoulement n'a été
gêné que d'une manière incomplète et transitoire. Si le calcul, au lieu de pro-
gresser vers l'intestin, s'enclave dans le cholédoque, alors surviennent les lésions
anatomiques et les troubles progressifs de la nutrition générale entraînés par
l'obstruction du canal cholédoque {voy. ce mot et Ictère chromque). Mais nous
n'avons à nous occuper ici que de la colique hépatique.
Ce que nous venons de voir laisse comprendre que, si l'excitabilité du sujet
est peu considérable ou l'excitation peu vive, le syndrome qui constitue l'accès
sera peu marqué. Chez le vieillard nous trouvons réunies les deux conditions
qui rendent, chacune isolément, la colique hépatique plus rare ou moins dou-
loureuse : diminution de l'excitabilité, atrophie des éléments musculaires. Chez
la femme, qui tient de différentes conditions inhérentes à son sexe une fâcheuse
prédisposition à la lithiase biliaire, l'excitabilité plus grande du système ner-
veux rend les crises plus fréquentes.
La même théorie permet d'interpréter d'une façon rationnelle l'action de cer-
taines causes qui paraissent avoir une influence très-nette sur la production ou
le retour des crises, ainsi que l'influence de l'âge sur l'époque d'apparition des
coliques hépatiques. Ces causes agissent les unes sans doute en augmentant
o54 HÉPATIQUES (COLIQUES).
rirritabililé générale du sujet (menstruation, début de la grossesse, émotions
morales), les autres en entraînant soit directement, soit indirectement, la contrac-
tion de la vésicule (efforts, traumatismes, heures de la digestion, repas, purga-
tifs, hypersécrétion biliaire, médication thermale alcaline, etc.), d'autres enfin
par l'effet combiné de ces deux causes (grossesse, accouchement). Remarquons
encore que la lithiase biliaire, cause la plus fréquente des coliques hépatiques,
s'observe surtout chez les arthritiques, gens ordinairement à système nerveux
facilement excitable.
La colique hépatique comme l'affection calculeuse du foie est extrêmement
rare chez l'enfant; la plupart des Traités des maladies de l'enfance ne la men-
tionnent même pas. Chez le nouveau-né, contrairement à Valleix, Parrot n'a
presque jamais trouvé ni sables, ni calculs biliaires. On trouve dans les auteurs
7 cas d'ictère calculeux observés très-peu de temps après la naissance (Lieutaud,
Portai, 2; Cruveilhier, 2; Bouisson, Cuffer). A cette période, en général, il n'y
a pas de colique hépatique et rapidement on voit paraître d'ordinaire les symp-
tômes d'un ictère grave par obstruction. Dunbar Walker a pu cependant con-
stater l'expulsion de trois petits calculs hépatiques coïncidant avec la fin d'une
crise douloureuse aiguë chez un enfant âgé de trois mois {Brit. Med. Joiirn.,
avril, mai, 1882, p. 575-804). M. Mercat a publié dans sa thèse {Fréquence
relative de la colique hépatique chez Venfant. Paris, 1882, n" 52) avec les
faits que nous avions déjà réunis deux nouveaux cas de colique hépatique
observés chez des enfants de dix et onze ans, dans le service de M. Cadet de
Gassicourt. Nous en ajouterons un autre inédit dont nous devons communication
à 31. le docteur Bellissent (de Fitou). Une fillette de douze ans environ, après une
attaque de colique hépatique aiguë, mais non suivie d'ictère, rendit plusieurs
calculs dont la présence fut constatée dans les garde-robes.
La lithiase biliaire se développe à la période moyenne de la vie, et c'est aussi
à cette époque, que se trouvent réalisées les conditions les plus favorables à l'ap-
parition de la colique iiépatique. Au début, pendant la période de formation
des calculs, quand il n'y a encore que des sables ou de la boue biliaire, les
phénomènes sont atténués (formes frustes, crampes d'estomac, frissons, fièvre
hépatalgique). Ce n'est que plus tard, quand les cholélithes ont déjà certaines
dimensions, ou quand la gravelle est assez abondante, que les vraies coliques
éclatent. Rappelons toutefois que celle-ci peut être la première manifestation
clinique de la lithiase.
Dans tout ce qui précède nous avons eu spécialement en vue le spasme dou-
loureux et les phénomènes habituels de la colique du foie, mais, comme l'a dit
J. Frank : « Les calculs biliaires, qui distendent violemment les voies de la bile,
mettent enjeu toutes les sympathies ». La douleur qui entraîne par voie réflexe
la congestion du foie, les crises gastriques, les vomissements, fait aussi sentir
ses effets sur le cœur, sur les vaisseaux et sur le système nerveux.
Si ces réflexes prennent une grande intensité, ou s'ils déterminent l'appari-
tion de phénomènes anormaux graves, on voit alors survenir des complications
à l'élude desquelles nous arrivons maintenant. Quelques-unes de ces complica-
tions ont été réalisées expérimentalement par Morel et Arloing (th. de Lyon,
1879, n" 27) et par Simanowsky, après l'excitation de la vésicule biliaire (trav.
cité. Anal, in Bev. se. méd., juillet 1885). Les premiers auteurs, en excitant le
foie ou pinçant la vésicule biliaire, sont parvenus à déterminer une augmenta-
tion de la tension dans le système cardio-pulmonaire, d'où l'explication des
HEPATIOUKS (COLIQUES). 55o
troubles pulmonaiies et cardiaques que l'on trouve dans la colique hépatique.
Le second a vu les excitations expérimentales déterminer l'accélération des mou-
vements respiratoires, 20 à 70 par minute, l'animal devenir raide pendant les
excitations, et parfois à la fin de l'expérience il a noté une parésie des mem-
bres postérieurs persistant pendant longtemps.
Voyons maintenant comment ces complications se présentent en clinique. Au
point de vue pathogénique, nous venons dr voir comment elles se rattachent
toutes à la même cause. Au point de vue clinique on peut les diviser en deux
groupes: les unes ne sont que l'exagération des phénomènes habituellement
observés prenant une importance symptomatique ou une gravité immédiate
exceptionnelle (lipothymie, syncope, algidité, vomissements incoercibles, pliéno-
niènes d'étranglement interne, ou de choc, convulsions, etc.) ; les autres, moins
bruyantes et par suite paraissant moins dangereuses, frappent moins l'attention
au moment de l'attaque, mais offrent cependant une grande importance (troubles
et altérations cardio-pulmonaires).
CoMPLiCATio.NS. Lipothymie. Syncope. Shoch. Mort subite. En décri-
vant les symptômes de la colique hépatique, nous avons dit qu'elle pouvait dans
les cas de douleurs très-intenses être aggravée par une lipotliymie ou une syn-
cope. Ces deux états s'observent assez souvent chez les sujets à tempérament
nerveux très-développé. Cette défaillance et cet arrêt du cœur sont souvent
précédés de frissons, et surtout de refroidissonent des extrémités. L'algiditt'
peut même s'étendre davantage et, quand le patient tombe en lipothymie ou en
syncope, son état peut être rapproché de celui des blessés en état de choc
traumatique ou plus exactement des malades dont les organes innervés par le
grand sympathique abdominal (intestin, péritoine, testicule) viennent de subir
. une grave attomte. Pour cxpliquei' phvsiologiquement ces accidents, nous rap-
pellerons avec M. (^harcol « les expériences de Brown-Séquard dans lesquelles
ce physiologiste déterminait une irritation des ganglions semi-lunaires, qui con-
courent à l'innervation des voies biliaires. L'excitation morbide partie du point
irrité arrive par la moelle épinière jusqu'au bulbe où elle se réfléchit sur les
nerfs pneumogastriques et occasionne finalement, si l'irritation est intense, un
arrêt du cœur en diastole, c'est-à dire une syncope : portée moins loin l'irrita-
tion déterminerait une diminution plus ou moins durable de la force du cœur
qui se traduit alors par une lipothymie ». D'après M. Charcot {loc. cit., p. 155j,
ce serait un tort d'attribuer ces complications à l'intensité des douleurs, puis-
qu'elles surviennent dans des cas où celles-ci n'offrent rien d'exceptionnel ou
même sont peu accentuées. Le fait est réel, mais il est permis de penser que,
plus la douleur est forte, plus le réflexe qu'elle provoque sera puissant pour
arrêter le cœur en diastole et entraîner la mort subite. Ainsi s'expliquerait pour
nous, lasyncope qui survient au début d'une attaque après une douleur atroce,
comme cela arriva à « l'un des ministres les plus éloquents du roi Louis-Philippe
(jui l'avait éprouvée si subitement et si violemment qu'une syncope en avait été
la conséquence ». Et encore l'observation de celte malade du docteur Curry qui,
après avoir passé une bonne nuit, se plaint au réveil d'une vive douleur à l'esto-
mac et de nausées. Elle demande une infusion de mélisse et meurt en la buvant.
A l'autopsie, on trouve tout le corps en bon état, excepté le conduit cholédoque
qui était fort enflammé et plusieurs calculs dans la vésicule » {in Fauconneau-
Dufresne, p. 186).
Le plus souvent lasyncope ne survient qu'après des attaques successives etrap-
556 HÉPATIQUES (COLIQUES).
prochées, quand le malade est dans un état d'accablement général et d'éréthisme
nerveux facile à comprendre. La douleur est alors ressentie avec une intensité
extrême; dans- ces conditions, si le calcul en se déplaçant détermine une nou-
velle souffrance aiguë, celle-ci peut amener un réflexe fatal (obs. de Cornillon,
Vichy médical, 1878; de Leigh, Médical Times, 1867, cités parCyr). C'est que
maintenant la résistance du sujet est épuisée, et on peut admettre qu'il se passe
quelque chose d'analogue à ce que nous voyons dans le tétanos, où la moindre
excitation entraîne des convulsions réflexes formidables.
Mort rapide. La mort subite est cependant extrêmement rare dans la colique
hépatique. Dans la grande majorité des cas les lipothymies et les syncopes n'en-
traînent pas immédiatement un dénoùment fatal. Quand celui-ci se produit, il
est le résultat de la gravité progressivement croissante des symptômes observés
chez un individu sujet aux coliques. A l'autopsie, il n'est point rare alors de
trouver quelque lésion du foie, du rein (obs. de Pujol, Durand-Fardel, Bogros,
Jacques et Anselme, Compaignac, Delaunay, Wood, Maschka, Murchison, etc.), ou
une maladie du cœur, ou bien encore une pleurésie suppurée et une anémie
profonde (Ruelle et Quinquaud, Bull, de la Soc. de clin, de Paris, 1882).
L'existence de l'albuminurie, celle du diabète, facilitent aussi la production des
complications. On comprend que la mort rapide survenue dans ces conditions
ne puisse être imputée uniquement au réflexe douloureux et qu'on doive tenir
compte des lésions préexistantes. Dans quelques cas, la mort survenue assez
rapidement a été précédée de coma (Murchison, Cjr), d'algidité centrale (Fabre
[de Marseille]).
Dans quelques circontances, la mort rapide, dans le cours d'une attaque, est
produite par des lésions préparées sourdement déjà depuis longtemps, au moment
où une crise aiguë leur fournit l'occasion de se révéler. C'est ce qui a lieu, par
exemple, dans les cas de péritonite par propagation, de perforation, de rupture
de la vésicule ou des gros canaux biliaires, d'hémorrhagie par ulcération d'un
vaisseau, particulièrement de la veine porte, etc. {voy. Voies biliaires : Patho-
logie). Ces dernières complications sont d'ordinaire fatales à bref délai. Dans
l'étude des complications de la lithiase biliaire, on les rattache à la migration
des calculs hors des voies naturelles, mais nous ne devons pas oublier qu'elles
peuvent terminer brutalement une colique hépatique au moment où rien ne
fait redouter un pareil danger.
Parfois encore la mort peut être entraînée ou précédée par des vomissements
incoercibles, par un ensemble clinique rappelant V étranglement herniaire.
Tels sont les cas de Durand-Fardel {Arch. méd., 1840, et Union méd., 1870);
ceux de llabershones, de Williamson (the Lancet, 1879, cités par J. Cyr), celui
très-intéressant communiqué par Brouardel à la Société de médecine légale (Ann.
d'hyg. et de méd. piibl., 1882, p. 270). Dans ce dernier, il s'agissait d'une
femme de trente ans prise brusquement en chemin de fer de douleurs intenses
et de vomissements, quelques instants après avoir pris une boisson froide. Le
médecin appelé en toute hâte diagnostiqua bien une colique hépatique, mais les
phénomènes sétant rapidement terminés par la mort on soupçonna un empoi-
sonnement. Une autopsie médico-légale fut ordonnée. L'examen du cadavre permit
de constater l'existence de 71 calculs dans la vésicule et d'un petit cholélithe à
facettes arrêté au niveau de l'ampoule de Water et faisant déjà saillie dans la
cavité intestinale.
Dans la plupart des cas de mort rapide précédemment rapportés, on a trouvé
HEPATIQUES (COLIQUES). 557
à l'autopsie un calcul arrêté en ce même point. Il y a là assurément plus qu'une
simple coïncidence. Le lecteur peut se souvenir que, d'après les recherches de
Variot, il existe précisément à ce niveau, chez les animaux, un riche collier
composé de nombreux ganglions nerveux. Il en est probablement de même chez
l'homme, d'oii probablement aussi des réflexes plus intenses dont la gravité
devient rapidement sérieuse, quand un calcul est arrêté en cet endroit, surtout
dans les cas où la vitalité du malade est déjà atténuée par l'existence d'une
lésion organique du cœur ou du poumon.
Le syndrome douloureux de l'étranglement herniaire qui vient compliquer la
colique hépatique ne se termine pas toujours d'une manière aussi grave. Il
peut cesser brusquement et bientôt après ov consta te l'expulsion du calcul dans
les garde-robes, comme cela est arrivé dans les cas de Mayo [Gaz. méd. de
Paris, 1843) et de Marotte (Soc. méd. des hop., 1856). Dans ces deux cas, les
accidents cessèrent tout d'un coup après l'exploration de la paroi. Béhier au
sujet du malade de M. Marotte émettait déjà l'hypothèse que l'on avait pu avoir
affaire à des phénomènes nerveux analogues à ceux que l'on observe lors du
pincement d'une anse intestinale, et produits par la présence du calcul arrêté à
l'orifice de l'ampoule de Water.
Dans quelques cas enfin les vomissements sont assez fréquents pour laisser
craindre qu'ils seront incoercibles, puis progressivement les phénomènes se
calment. Les choses se sont ainsi passées dans l'observation du docteur Petit que
nous avons mentiv/imée parmi les rares exemples de calculs rejetés par l'estomac.
Les vomissements avaient duré onze jours consécutifs et, au dire de l'entourage
du malade, on eut à jeter « 58 cuvettes plus ou moins remplies de déjections
gastriques ».
Troubles nerveux. Convulsions. Paralysies. Les complications de la
colique hépatique semblent dans d'autres circonstances retentir plus spécia-
lement sur le système nerveux de la vie de relation.
Les phénomènes nerveux peuvent par leur exagération dominer immédiate-
ment la scène morbide, ou bien constituer des complications dont l'effet se
prolonge après la terminaison de la crise. Parmi les premiers, citons les convul-
sions généralisées à tout le corps, qui chez les sujets très-excitables peuvent
remplacer les simples mouvements réflexes se faisant sentir habituellement dans
diverses parties du corps. Ces convulsions revêtent la forme de crises convul-
sives d'hystérie, plus rarement celle de ïéclampne (Bax de Gorbie), de la
catalepsie (Bouisson, p, 205), Elles ont pu être limitées à une moitié du corps
{hémiconvulsions de Duparcque) ; ces dernières cependant doivent être assez
rares, car depuis le mémoire de Duparcque [Hevue médicale, 1844), nous ne
croyons pas qu'il ait été publié de nouveaux cas de cette nature. Une malade
de Sénac a présenté une épilepsie partielle limitée à la moitié droite de la face
(p. 125). ^
Quand l'ébranlement de l'organisme produit par la colique hépatique est pro-
fond, on peut observer des troubles de la parole, des troubles de l'intelligence,
une perte de la mémoire; M, le docteur Cyr a vu l'aphasie survenir pendant
une colique hépatique et être suivie d'une hémiplégie droite qui disparut après
quatre ou cinq jours.
Divers troubles de la motilité ont été observés à la suite des attaques de coliques
hépatiques violentes. Dans leur degré le plus léger, ces troubles assez fréquents
sont constitués par un engourdissement, une parésie passagère du bras droit
558 HÉPATIQUES (COLIQUES).
que nous avons déjà signalée, mais on peut voir survenir une yrstie paraplégie
(Ti'ousseau et Peter) . De Gennes a rapporté deux observations de monoplégie
brachiale droite, avec anesthésie [Bull, de la Soc. clin, de Paris, 1885, p. 91).
Le docteur Bourdichon (thèse inaugur. Paris, 1884, n° 559, Des paralysies
dans le cours de la colique hépatique) a étudié ces faits d'ailleurs assez rares.
Trousseau avait rapproché au point de vue pathogénique la paraplégie qu'il
avait observée des paraplégies réflexes compliquant les affections des voies uri-
naires. C'esl en effet aux paralysies réflexes que doivent être rapportées les
paralysies se montrant sur des régions dont les nerfs ne sont pas en connexion
anatomique avec les nerfs du foie. De Gennes et Bourdichon, suivant l'exemple
de Peter, ont admis que dans les nionoplégics ou parésies brachiales qui suc-
cèdent aux névralgies du membre supérieur satellites de la colique hépatique
le phrénique sert d'intermédiaire entre les nerfs du foie et ceux du bras.
La colique hépatique peut aussi déterminer des troubles divers de la sensibi-
lité, par exemple, de Vhyperesthésie généralisée à tout le corps avec maximum
dans le tronc et les membres supérieurs (Trousseau, Peter). Les troubles de la
sensibilité dans un cas rapporté par Fabre avaient fait diagnostiquer une affec-
tion de la moelle. L'analyse des urines, la teinte subictérique, la sensibilité de
la vésicule à la pression, permirent de rectifier ce diagnostic.
Enfin Vhéméralopie a été rencontrée d'une manière peu fréquente il est
vrai, chez des cholélithiasiques, comme chez d'autres malades atteints d'affec-
tions du foie (Gornillon).
Nous avons signalé plus haut, en parlant des manifestations frustes de la
colique hépatique, que celle-ci pouvait se manifester par des phénomènes fébriles,
fièvre hépatalgique et fièvre intermittente hépatique. La fièvre hépatique n'ap-
partient pas en propre à l'histoire des coliques du foie. Elle peut en être une
manifestation larvée, ou bien exister à titre de complication résultant d'une
angiocholite suppurée, d'une obstruction biliaire. Elle ne diffère pas, dans ces
cas, des accès produits par l'angiocholile ou l'obstruction des canaux cholé-
doques, quelle qu'en soit la cause. Cette fièvre intermittente, bien qu'elle soit
surtout fréquente dans la lithiase biliaire, ainsi que l'avait déjà indiqué Monneret,
se rattache donc à la pathologie générale du foie. Comme elle a déjà été traitée
en partie dans ce recueil, nous n'avons pas à insister ici longuement sur son
histoire [voy les articles Foie et Voies bilures [Pathologie]). Rappelons cepen-
dant que, pour expliquer ces phénomènes fébriles, M. Charcot admettait l'exis-
tence d'un ferment, d'un micro-organisme de nature particulière se développant
dans les voies biliaires au contact de la bile altérée. Les récentes recherches de
Netter et Martha viennent de laisser entrevoir que cette hypothèse pourrait se
trouver confirmée dans un avenir peu éloigné, en même temps qu'elles ont étabU
que ïendocardite végétante îdcéreuse doit être rangée parmi les complications
possibles de la lithiase biliaire. Ces auteurs ont pu réunir cinq observations
d'endocardite végétante consécutive soit à des coliques hépatiques, soit à la
Intention biliaire.
Comment expliquer la pathogénie de cette nouvelle complication jusqu'ici
peu soupçonnée et qui intéresse doublement le médecin et par sa gravité et
par sou mode de développement? On sait que l'endocardite végétante ufcé-
reuse a pu être considérée comme constituant plutôt un syndrome anatomique
et clinique accompagnant des aflections trè.-;-(li verses qu'une véritable entité
HEPATIQUES (COLIQUES). 559
morbide. Or, dans les cas d'endocardite végétante ulcéreuse étudiée par Nelter
et Martha, ces médecins ont trouvé des organismes allongés bacillaires dont
l'habitat normal est le tube digestif. Ils ont admis que ces organismes, qui se
trouvent habituellement dans l'intestin grêle et remontent à une faible hauteur
dans les gros conduits qui s'ouvrent dans cet organe, se répandent dans les
conduits biliaires dilatés, lorsqu'il existe de la rétention biliaire. Ces germes
passeraient alors des petits foyers d'angiocholite dans le sang et, en se fixant et
se multipliant sur les valvules, amèneraient l'endocardite végétante ulcéreuse.
La similitude des micro-organismes trouvés dans le foie et sur la valvule mitrale
plaiderait en faveur de cette hypothèse. De plus, la courbe de la température
annexée à l'observation montre que chez le malade de Nelter et Martha la crise
hépatique s'était compliquée d'accès de fièvre intermittente irrégulière [Endo-
cardite végétante ulcéreuse dans les affections des voies biliaires. In Arch.
de physioL, juillet 1886).
Complications cardiaques et pulmonaires. Elles sont constituées soit par
l'exagération des troubles fonctionnels cardiaques ou pulmonaires qui accom-
pagnent ordinairement la colique hépatique, soit par des altérations anatomiques
plus ou moins marquées. Dans le premier groupe nous rangerons la dyspnée,
V oppression très-pénible, qui dans quelques cas semblent primer l'impor-
tance de la douleur, une toux fatigante répétée, de violentes palpitations,
Varhythmie cardiaque. Ces phénomènes peuvent survivre à l'attaque de colique
hépatique; quelquefois ils existent seuls et constituent des formes frustes de
la maladie.
Les palpitations et l'arliythmie sont des troubles fréquemment observés, au
cours de la lithiase biliaire, en l'absence de crise douloureuse aiguë. Stokes les
signalait déjà dans son Traité des maladies du cœur, et, depuis cette époque,
elles ont été bien souvent constatées. Les troubles pulmonaires, quoique plus
rares, s'observent cependant aussi. C'est ainsi que nous interpréterions les
attaques de colique se présentant sous forme d'accès d'asthme dont Broabdent
a parlé au Congrès médical de Londres (1886). Chez un malade de M. Potain
la crise commençait d'habitude par une dyspnée extrême.
Les altérations fonctionnelles produites sous l'influence de la colique hépa-
tique peuvent être transitoires, tout comme la crise aiguë qui les provoque. Mais,
si les crises se renouvellent très-souvent, si elles sont très-rapprochées, surtout
enfin si l'inùtation qui leur sert de point de départ devient permanente comme
cela a lieu dans les cas où le corps étranger cause de la colique du foie s'enclave,
obstrue les voies biliaires, les altérations anatomiques prennent alors naissance
et deviennent parfois définitives. L'étude clinique et pathogéniqne de ces com-
plications a été faite essentiellement dans ces dix dernières années. Elle est due
presque exclusivement aux travaux des médecins français. Nous allons en exposer
rapidement l'histoire.
A. Poumon. Noël Guéneau de Mussy, un des premiers, a indiqué l'exis-
tence de la congestion pulmonaire dans la colique hépatique : « Avec la con-
gestion qui accompagne très-souvent les coliques j'ai plusieurs fois observé une
complication qui mérite d'être signalée, c'est un état congestif de la base du
poumon droit, attesté par des râles crépitants fins et nombreux, de la toux, de
la fièvre, une expectoration visqueuse. Cette congestion limitée à la base dis-
paraît en deux ou trois jours sous l'action de ventouses scarifiées et de vésica-
toircs. Ce n'était pas une combinaison fortuite de,, pneumonie et de coliques
560 HÉPATIQUES (ËOLIQUESl
hépatiques, c'était une congestion limitée passagère, connexe à l'irritation et à la
congestion hépatique et disparaissant avec elle, exprimant cette solidarité entre
le foie et le poumon dont témoigne l'extrême fréquence des congestions hépa-
tiques dans les pneumonies » {Cl. méd., t. Il, p. 75).
Si la congestion pulmonaire limitée à la base reconnaît pour cause dans quel-
ques cas le voisinage du foie hyperémié, plus souvent peut-être elle est d'origine
réflexe, par exemple, quand elle s'étend à tout le poumon droit. On peut
admettre dans ces cas que le réflexe douloureux qui détermine la congestion
hépatique ne se limite pas exactement au foie, mais s'étend aux organes voisins
(diaphragme, nerf phrénique, poumons). M. Peter admet que les irradiations
douloureuses dans l'épaule et le bras droits reconnaissent souvent pour cause la
congestion du névrilème du phrénique. Les anastomoses et la distribution de
ce nerf ont fait naître cette hypothèse qui, on le voit, pourrait se trouver véri-
fiée dans quelque cas.
Fabre (de Marseille) a signalé aussi les congestions pulmonaires et les consi-
dère également comme d'origine réflexe. « Ces congestions, dit-il, ont quelquefois,
mais non toujours, les allures et la marche rapide des congestions accidentelles :
elles sont à répétition. Telles vous les avez vues chez un malade qui a suc-
combé à la gravelle biliaire l'été dernier » {Relations pathogéniques des centres
nerveux. Paris, 1880, p. 17). Orda signalé des faits du même genre au Congrès
médical de Londres (1886).
Ces congestions pulmonaires peuvent s'accompagner d'un certain degré de
pleurésie, et il n'est pas rare de constater un peu de frottement à la base chez
les malades atteints de colique hépatique.
Au lieu de déterminer une congestion, l'excitation douloureuse réfléchie sur
le grand sympathique peut déterminer au contraire de l'ischémie. Cette anémie
pulmonaire retentit, à son tour, sur la circulation cardiaque : alors on peut
entendre un souffle au cœur, et nous allons voir maintenant comment se pro-
duisent les altérations fonctionnelles et les lésions d'orifice que ces souffles tra-
duisent.
B. Troubles et lésions cardiaques. Stokes avait déjà entrevu {Traité des
maladies du cœur, p. 165, 251, 502, traduction de Senac. Paris, 1864) que
les palpitations et l'irrégularité du cœur peuvent constituer des accidents car-
diaques sympathiques de l'état de l'estomac ou du foie. A propos de l'obser-
vation célèbre de Colles, il montre que le foie et le cœur offrent des relations
pathologiques que le médecin ne doit pas méconnaître. Au sujet des palpita-
tions nerveuses liées à un trouble des fonctions gastriques ou hépatiques, il
s'exprime de la façon suivante : « Elles paraissent dépendre de quelque sympa-
thie organique ou locale. Que ce soit à l'estomac ou au foie qu'on doive les
attribuer, ces palpitations peuvent persister pendant longtemps ; si c'est le foie
qui est atteint, elles offrent parfois des périodes de rémission remarquables. Tôt
ou tard il se produit une altération organique du cœur, cet organe s'affaiblit,
se dilate et peut passer à l'état d'hypertrophie » (p. 502).
Après cet aperçu clinique si juste, Stokes ne cherche pas à pénétrer le méca-
nisme des relations pathogéniques qu'il vient de faire ressortir. Le fait lui-
même est négligé ou du moins n'attire pas l'attention des médecins qui écrivent
sur les maladies du foie ou du cœur après l'auteur anglais. Murchison signal»
cependant les palpitations et les irrégularités cardiaques dans ses leçons sur les
maladies du foie; pour lui, ce serait l'altération du sang qui agirait principa-
HÉPATIQUES (COLIQUES). 5G1
lement dans ces cas. En France, Gangolphe (Ihèse de Paris, 1875) étudie le
bruit de souffle qui accompagne Victère. Il est à remarquer que sur 9 obser-
vations contenues dans son mémoire quatre sont des exemples de coliques
hépatiques. Gangolphe localise ce souffle à la pointe et le regarde comme sym-
ptomatique d'une lésion mitrale passagère due à la parésie des muscles papil-
laires consécutive probablement ù la présence du pigment biliaire dans le sang.
Ces idées sont acceptées par Fabre [Gaz. des hôp., 1877). La question de ces
souffles cardiaques devait être bientôt abordée par notre excellent maître M. le
professeur Potain. La manière dont il a envisagé la production et la localisation
des cardiopathies secondaires consécutives aux altérations gastro-hépatiques diffère
de celle admise par les auteurs précédents. Les faits et les idées exposés par
lui au Congrès pour l'avancement des sciences à Paris [Noie sur un point de la
pathogénie des dilatations cardiaques d'origine gastro -hépatique, 1878) con-
stituaient à ce moment, on peut le dire, un sujet absolument neuf; ils sont
devenus le point de départ d'une série de travaux qui ont confirmé les vues du
savant professeur de Necker en les modiliant seulement sur un point de détail.
Nous ne pouvons étudier ici dans son ensemble cette question, quoiqu'elle soit
toute récente encore. Nous devons nous borner aux cardiopathies qui se montrent
comme complications de la colique hépatique, mais non sans faire remarquer
que la colique du foie est la principale, sinon l'unique cause de ces lésions
cardiaques, comme le voudrait M. Lancereaux. Nous renvoyons pour plus de
détails aux travaux où cette question a été traitée à un \ oint de vue plus
général (Morel, thèse de Lyon, 1879, déjà citée. — Destureaux, De la dilatation
du cœur droit d'origine gastrique. Th. de Paris, 1879. — Teissier, Congrès
de Montpellier, 1878. — Franck, Gaz. hehd. de méd. et de chirurgie, 1879.
— Mossé, thèse de concours, 1880. — Rendu, De l'influence des maladies du
cœur sur les maladies du foie et réciproquement, mémoire couronné en 1881
par l'Académie de médecine, qui mérite une mention spéciale. — F nhve, Nouveaux
fragments de clinique médicale, 1883. — Barié, Revue de médecine, 1883).
En quoi consistent ces cardiopathies secondaires consécutives aux coliques hépa-
tiques et déterminées par elles ? Ce n'est pas en une insuffisance mitrale, comme
l'avaient pensé les premiers observateurs. Le souffle perçu dans la région de la
pointe, près du bord droit du sternum, est un souffle tricuspidien. Il s'agit
d'une dilatation du cœur droit, portant exclusivement sur cette portion de
l'organe ou s'y produisant du moins d'une façon prédominante, ainsi que l'a
établi M. Potain. L'extension de la malité précordiale, la déviation en dehors de
la pointe non abaissée, l'exagération des bruits dans la région des cavités droites,
semblent localiser suffisamment le diagnostic alors que la résistance du cœur
faiblit, mais n'est pas encore vaincue. Dans les cas extrêmes, c'est une insuffi-
sance tricuspide qui s'établit d'emblée d'une façon aiguë avec tous ses caractères
ordinaires. On trouve dans la thèse de Mahot, interne de iM. Potain, une très-
belle observation de ce genre qui a été le point de départ des recherches de ce
professeur {Sur les battements du foie. Paris, 1859).
Comment expliquer le mécanisme de cette dilatation cardiaque consécutive à
la colique hépatique? Elle ne saurait être attribuée à l'action parésianle exercée
sur les parois du ventricule droit par les acides biliaires passés dans le sang,
puisqu'on la voit se produire dans des cas où l'ictère fait défaut, et aussi dans les
affections douloureuses de l'estomac et de l'intestin. En auscultant soigneuse-
ment le cœur droit, M. Potain remarqua que le second bruit dans l'artère
DICT. ENC. i" s. XIII. 50
o62 HÉPATIQUES (COLIQUES).
pulmonaire était toujours exagéré et plus éclatant que de coutume, traduisant
ainsi une augmentation de pression dans l'artère pulmonaire. Puisque le ven-
tricule droit se laissait distendre, il fallait donc chercher la cause de l'excès de
pression dans l'artère pulmonaire et celle de l'exagération du second bruit qui en
est la conséquence dans un obstacle inaccoutumé apporté à la circulation arté-
rielle dans les capillaires du poumon : or dans ces cas la sonorité thoracique
était augmentée. On ne pouvait donc supposer qu'il y avait de la congestion
pulmonaire, comme cela se produit parfois, nous l'avons vu plus haut, et il
ne restait plus, pour expliquer l'obstacle exagéré éprouvé par la circulation du
sang dans le poumon, que l'hypothèse d'un excès de tonicité vasculaire. Telle
fut la conclusion à laquelle l'analyse rigoureusement déduite des symptômes
chniques exactement observés conduisit M. Potain. Cette exagération de tonicité
ne pouvant être le fait de l'excitation des capillaires du poumon par les acides
biliaires (par les raisons déjà données plus haut), le savant clinicien de Necker
admit que l'excitation portée sur la muqueuse des canaux hépatiques stimule
par voie réflexe la vaso-motricité pulmonaire et augmente la tonicité vasculaire
dans cet organe. Tous ces faits cliniques et leur explication générale ont été
confirmés par les expériences et les recherches ultérieures de Morel et Arloing,
Teissier, etc., etc. Il est aujourd'hui admis que cette élévation de pression vascu-
laire pulmonaire, sous laquelle fléchit le cœur droit, est le résultat d'une action
réflexe dont le point de départ est l'excitation douloureuse de la muqueuse
biliaire. Seulement cette excitation, au lieu de cheminer, à l'aller comme au
retour, à travers le pneumogastrique, ainsi que l'avait pensé M. Potain, « (*st con-
duite par les filets sympathiques jusqu'au bulbe et réfléchie de là vers les
organes cardio-pulmonaires par la moelle et les filets sympathiques » (Morel et
Arloing). La contraction exagérée des capillaires du poumon provoquée par voie
réflexe détermine une ischémie pulmonaire. Cette ischémie, intermittente, comme
le spasme douloureux des voies biliaires suscité par le passage du calcul, peut
avoir une durée plus ou moins longue. Elle nous aide à comprendre l'anxiété
respiratoire qui accompagne la colique hépatique, par laquelle elle débute par-
fois (Potain) ou même qu'elle peut contribuer à masquer, ainsi que nous l'avons
dit plus haut.
Les troubles cardiaques liés à la colique hépatique, ordinairement passagers
comme la crise douloureuse elle-même, peuvent aussi persister quand celle-ci
se prolonge, surtout dans les cas d'obstruction. L'obstacle persistant, le cœur
droit s'hypertrophie peu à peu pour lutter contre lui, ainsi que cela a lieu du
reste dans tous les cas d'obstacle à la circulation pulmonaire. Il finit même par
céder et alors, au lieu d'un simple trouble fonctionnel, c'est une véritable maladie
du cœur qui se trouve réalisée par la dilatation et l'hypertrophie du ventricule
droit et finalement l'asystolie. Ce fait s'est produit dans un cas d'ictère chronique
que M. Potain eut l'occasion d'observer avec le docteur Augier et dans lequel la
dilatation cardiaque droite, s'exagérant progressivement, au fur et à mesure que
persistaient et s'aggravaient les accidents déterminés par un calcul engagé dans
le canal cholédoque, finit par amener au bout de plusieurs mois les conséquences
les plus graves de l'insuffisance tricuspide et de l'asystolie. Dans le mémoire de
Rendu quelques observations, sans avoir la gravité de celle-ci, nous présentent
cependant le souffle tricuspidien et les symptômes qui l'accompagnent persistant
pendant un temps plus ou moins long.
Nous avons insisté sur les complications cardio-pulmonairos, car elles con-
HÉPATIQUES (COLIQUES). 5fiô
stiluent un chapitre encore peu connu des complications de la colique hépatique
et sur lequel les classiques ne contiennent que peu de détails. Leur étude a
conduit M. Potain à cette conclusion clinique intéressante et nouvelle : « Il existe
un bruit de galop du bord droit du cœur lié à la dilatation droite d'origine
aastro-hépatique comme le bruit de galop gauche est lié à l'hypertrophie d'ori-
fjine brightique. Il permet, sans être plus pathognomonique que ce dernier,
d'arriver au diagnostic étiologique, à la condition qu'il n'existe pas d'affection
pulmonaire ancienne susceptible d'entraîner pour sa part la dilatation du cœur
droit ».
En résumé, une attaque de colique hépatique aiguë peut entraîner une dila-
tation cardiaque : celle-ci est temporaire et disparaît avec la cause qui l'a fait
naître, mais, si la cause persiste, l'effet persiste également et une maladie du
cœur se trouve ainsi constituée qui peut avoir pour terminaison l'asystolie et
toutes ses conséquences. Cette dernière est fort rare.
Est-il possible à priori de savoir si l'intensité de la colique hépatique déter-
minera telle ou telle complication? Si les complications cardiaques en parti-
culier affecteront telle ou telle forme? La physiologie pathologique ne nous a
rien appiis encore de positif à ce sujet. A l'exemple de M. Rendu, nous sommes
encore obligé, pour expliquer ces formes cliniques variables (palpitations, arhyth-
niie, dilatation), d'invoquer les dispositions particulières individuelles et peut-
être une plus grande susceptibilité héréditaire ou acquise de cet organe.
Diagnostic. Il présente deux points à résoudre : i" établir le diagnosticdif-
férentiel, c'est-à-dire éliminer les diverses affections pouvant être confondues
avec la colique du foie; 2° celle-ci reconnue, faire \e diagnostic de la cause,
c'est-à-dire, grouper les différents symptômes permettant de penser que l'on a
affaire à une colique du foie simple (hépatalgie) ou à une colique hépatique
due à la présence de corps étrangers (calculs, hydatides, etc.).
Le diagnostic différentiel parfois très-facile peut souvent donner lieu à quelques
difficultés, surtout quand il s'agit des formes frustes et des formes larvées.
En présence de l'ensemble clinique suivant : douleur spontanée dans l'épi-
gastre et l'hypochondre droit, irradiée vers l'épaule, exagérée par la pression
ou la palpation, tension douloureuse dans la région de la vésicule, nausées,
vomissements, légère teinte ictérique, le médecin pense bientôt à une colique
hépatique. Pour compléter le diagnostic, il est très-utile d'interroger le malade,
de savoir s'il a déjà présenté des crises douloureuses de cette nature, ou des
crampes survenant deux, trois heures après les repas; il faut ensuite recom-
mander de conserver les urines et chercher la réaction caractéristique du pigment
biliaire. Nous savons en effet que sa présence peut y être décelée même quand il
n'y a pas suffusion ictérique de la conjonctive.
Mais les choses ne se présentent pas toujours avec cette netteté et dans quelques
circonstances le diagnostic doit être attentivement discuté. Dans les conditions
ordinaires les principales affections qui pourraient être confondues avec la colique
du foie sont: la colique néphrétique, la gastralgie, la colique d'entrailles, plus
rarement la colique de plomb, l'étranglement interne, ou enfin la pleurésie sèche
et la pleurodynie du côté droit. Pendant la grossesse et après l'accouchement la
colique hépatique peut être confondue avec les troubles gastriques déterminés
par la gestation et avec la péritonite puerpérale.
i" La colique néphrétique quand elle siège à droite pourrait donner lieu à
quelque difficulté, surtout pendant l'attaque; toutefois, on doit avoir égard aux
564 HÉPATIQUES (COLIQUES).
circonstances suivantes qui peuvent même durant la crise permettre le diagnostic.
Le foie n'est pas tuméfié, douloureux, la région de la vésicule n'offre pas, lors-
qu'on la déprime légèrement, cette douleur presque patliognomonique sur laquelle
nous avons insisté. Les irradiations douloureuses se font plus nettement et plus
franchement suivant le trajet de l'uretère, le testicule est rétracté vers l'anneau.
Ces deux derniers signes, bien qu'ils y soient rares, peuvent exister cependant
dans la colique hépatique, mais en règle générale on peut dire que les irra-
diations douloureuses ont lieu dans celle-ci surtout par en haut vers l'épaule,
qu'elles se font au contraire par en bas vers l'hypogastre dans la colique néphré-
tique. Les vomissements, très-fréquents dans la première, peuvent m.anquer dans
la seconde. Après la crise, l'examen des urines principalement et celui des
garde-robes rendent le diagnostic plus facile. On ne rencontre à ce moment de
"vraies difficultés que si, par hasard, les deux lithiases coexistent chez le même
individu, ainsi que cela arrive chez quelques goutteux.
La gastralgie peut dans certains cas être confondue avec la colique hépatique ;
elle débute alors brusquement par une douleur vive, violente, à l'épigastre.
s'irradiant vers diverses parties du ventre, dans le dos, vers les épaules et les
parois thoraciques, puis surviennent les nausées et les vomissements de matières
alimentaires et de bile; le pouls cependant reste petit. Après une heure ou deux
en général, tout rentre progressivement dans l'ordre, la crise est passée, le calme
renaît jusqu'au prochain accès. Ce tableau se retrouve en partie dans la colique
hépatique, mais ce qu'on ne voit pas dans la gastralgie, c'est la douleur plus
spécialement limitée à l'hypochondre droit exaspérée par la pression de la vési-
cule biliaire, c'est l'apparition d'un ictère plus ou moins marqué généralement
quelques heures après la crise douloureuse, c'est la présence du calcul incriminé
dans les selles rendues par le malade. Il existe encore un point de dissemblance
entre ces deux coliques, c'est le caractère de la douleur : calmée le plus souvent
par une pression exercée méthodiquement, sans secousses, avec la paume de la
main, sur l'épigastre, dans la gastralgie, elle est exaspérée par la pression dans
l'affection calculeuse; cette douleur enfin, cessant complètement ou diminuant
beaucoup d'intensité par instant pour reparaître avec violence dans la première,
offre en général des intermissions moins marquées dans la seconde, qui cesse
souvent tout d'un coup au moment oii le corps étranger arrive dans l'intestin.
11 faut de plus tenir compte de l'état particulier ou constitutionnel du gastral-
giquc chez qui les antécédents diathésiqucs, les symptômes concomitants de
chlorose, de nervosisme ou d'hystérie, apportent un nouvel élément pour le
diagnostic.
Quant aux fausses gastralgies, qui ne sont que les formes fmstes deh colique
hépatique, nous renvoyons à ce que nous avons dit quand nous nous sommes
occupe des crampes d'estomac et des troubles dyspeptiques, sjTnptomatiques de
la lithiase biliaire. Fauconneau-Dufresne les avait déjà signalées ; Trousseau,
Sénac surtout, Daraaschino, Cornillon. ont aussi montré la signification de ces
pseudo-gastralgies. Nous avons à notre tour cherché à en faire ressortir toute la
valeur séméiologique. Le praticien ne saurait trop se souvenir que les crampes
d'estomac et les divers troubles qui s'y rapportent, survenant deux ou trois heures
après les repas d'une façon intermittente, sous l'influence des causes qui déter-
minent habituellement l'apparition de la colique hépatique, offrent de grandes
chances pour n'être autre chose que des formes atténuées de cette dernière,
La colique nerveuse, V enterai yie, offre quelquefois de nombreux points de
HÉPATIQUES (COLIQUES). 5CÔ
ressemblance avec la colique hépatique. Toutes deux peuvent se manifester par
des douleurs vives et irradiées, des phénomènes sympathiques, au milieu d'un
état général resté satisfaisant, mais dans l'entéralgie la douleur siège au pour-
tour de l'ombilic, ou dans le sens du trajet des intestins, s'accompagne de météo-
risme, rarement de vomissements. La douleur est beaucoup plus vive dans la
colique hépatique, elle a son maximum dans l'hypociiondre droit, les vomisse-
ments sont presque constants; les urines indiquent la présence du pigment
biliaire.
Nous ne faisons que mentionner en'^'passant la colique de plomb et l'étran-
glement interne, qui n'ont pas besoin d'être différenciés longuement de la colique
hépatique. Un examen superficiel seul pourrait expliipier celte erreur, bien
entendu, exception faite pour les cas où la colique hépatique détermine des acci-
dents analogues à ceux de Télranglement herniaire et ceux plus rares où les
efforts entraînent l'étranglement d'une hernie pendant les paroxysmes doulou-
reux (Trousseau, CL me'd., p. 2-49). Esbach a rapporté aussi une observation
de colique saturnine dans laquelle l'origine de l'intoxication (injections d'eau
blanche depuis quinze ans) était assez diflicile à soupçonner et pouvait laisser
croire à l'existence d'une colique hépatique {Les calculs urinaires et biliaires,
Paris, 188j, p. 226). L'odeur de l'haleine et l'existence du liseré permirent de
reconnaître la nature des accidents.
Parmi les circonstances qui peuvent rendre hésitant le diagnostic de la colique
hépatique nous citerons encore l'existence d'une diarrhée coïncidant avec le
refroidissement des extrémités dont nous avons parlé en étudiant les symptômes
de l'attaque. Dans ces cas, on comprend que dans certaines conditions le malade
et son entourage aient pu redouter une invasion de choléra (obs. 1 et 2, th. de
Magnin). La méprise peut être rendue plus facile encore en temps d'épidémie,
niais elle n'est pas de longue durée.
Chez quelques sujets la colique hépatique est accompagnée de frissons et
d'élévation de la température. Chez les gens âgés en particulier nous savons que
ces accès peuvent être la seule manifestation de la migration des calculs ; nous
avons dit plus haut que l'existence d'accès de fièvre intermittente chez le vieil-
lard doit appeler l'attention vers le foie et faire scruter les antécédents du
malade. C'est ainsi que nous avons pu reconnaître la nature de cette fièvre sym-
ptomatique chez une dame de quatre-vingt-deux ans. L'apparition d'un ictère vint
confirmer le diagnostic quelques jours plus tard. Ilapiielons de plus que les accès
de fièvre palustre surviennent de préférence le matin — quoique ceci soit loin
d'être une règle absolue — et que, contrairement à ce qui a été constate dans
quelques cas de fièvre intermittente hépatique, l'urée est augmentée dans l'urine
excrétée après les accès de fièvres intermittentes légitimes. Le sulfate de quinine,
qui d'ordinaire coupe les accès palustres, échoue souvent contre la fièvre inter-
mittente hépatique, mais souvent aussi il réussit à faire disparaître les accès
fébriles liés à une affection du foie.
Dans quelques cas où la douleur due aux calculs revêt les apparences d'un
point de côté sans grande acuité, à marche irrégulière, sa véritable cause peut
demeurer entièrement méconnue, et on l'attribue à un léger degré de pleuro-
dynie droite ou de pleurésie sèche. L'auscultation méthodique, les antécédents
du malade, l'état du foie, mais surtout l'état des fonctions digeslives, le retour
des douleurs sous forme irrégulière, parfois suivies d'une teinte subictérique des
conjonctives ou des urines, doivent empêcher l'erreur, en attirant vivement
566 HÉPATIQUES (COLIOUES).
l'altention du coté du foie alors même qu'il existe à la base quelques frottements.
La névralgie intercostale pourrait dans quelques cas laisser place au doute
quand elle siège au niveau de la région hépatique. L'existence des points doulou-
reux, les irradiations douloureuses, les symptômes morbides concomitants, les
antécédents morbides, le tempérament de la malade, examinés attentivement,
permettront en général de faire le diagnostic. Celui-ci peut être malaisé, si les
deux affections coexistent, comme cela peut arriver chez les femmes.
Pendant la grossesse, les crises frustes sont souvent méconnues, car on ne
soupçonne pas leur existence et l'on attribue les crampes d'estomac et les vomis-
sements qui les accompagnent parfois à l'état dans lequel se trouve la femme. On
ne doit pas oublier que la gestation et l'accouchement sont non-seulement des
causes qui favorisent beaucoup la production de la lithiase, mais encore constituent
des causes occasionnelles fréquentes de colique hépatique. Pendant la grossesse,
les formes frustes paraissent proportionnellement plus fréquentes ; après l'accou-
chement et pendant les suites des couches ce serait jilutôt l'attaque aiguë que
l'on voit paraître. Le jiraticien ne doit pas oublier ces faits déj'a connus en partie
depuis un certain temps et sur l'importance desquels l'atlenlion a été récem-
ment attirée à juste titre par les travaux de Iluchard, Cyr, Hailey, Bcrline-Hering
(thèse de Paris, 1883), Dreyfus-Crisac. Après l'accouchement, il n'est pas rare de
voir la colique hépatique se montrer sous forme d'une vive douleur accompagnée
d'un frisson, pail'ois d'un acceès de lièvre. On comprend facilement qu'à ce
moment de tels symptômes aient pu faire croire plus d'une fois à une péritonite
(Huchard, Harley, etc.). Il est inutile d'insister sur l'intérêt qu'il y a à avoir
reconnu dans ces cas l'existence de la lithiase pendant la grossesse, si celle-ci
s'est déjà manifestée. Dans tous les cas, le médecin prévenu de la possibilité de
ces accidents doit se tenir sur ses gardes. Le siège du maximum de la douleur
(épigastre, hypochondrc, point dorsal, irradiation vers l'épaule), l'aspect de la
malade, le soulagement relatif qui survient parfois après les vomissements, la
couleur des urines, leur composition ainsi que celle des garde-robes, la nature
des lochies, l'indolence relative de l'iiypogastre à la pression, comparée à l'extrême
sensibilité des régions sus-ombilicales, sont autant de symptômes qui peuvent
mettre sur la voie du diagnostic. Toutefois celui-ci ne laisse pas que d'être par-
fois assez difficile et quelques médecins très-habiles ont pu s'y tromper.
Quant aux formes larvées, il faut en avoir l'intuition pour faire le diagnostic.
Aussi, quand il se trouve en présence de névralgies ou de névroses (migraines.
asthme, angine de poitrine, etc.) à allures irrégulières, intermittentes, coïnci-
dant ou alternant avec des troubles de l'appareil digestif, et dont l'étiologie lui
échappe, le médecin doit fixer son attention sur toutes les circonstances qui peu-
vent éclairer son diagnostic. II doit chercher attentivement si un léger ictère
succède à ces crises, surveiller la manière dont s'effectuent les fonctions de l'es-
tomac et du foie, analyser les urines, et recommander au malade de s'assurer si
les garde-robes ne renferment pas de concrétions biliaires. C'est en procédant de
cette manière que nous sommes arrivé au diagnostic, chez une malade dont les
crises de douleur ovarienne alternant ou coïncidant avec des migraines nous
avaient laissé un certain temps hésitant sur la nature de l'affection.
Après avoir dans ce qui précède établi le diagnostic différentiel de la colique
hépatique, il nous reste maintenant à examiner le second point du problème que
nous nous sommes proposé, c'est-à-dire à grouper les symptômes qui permettent
de faire le diagnostic étiologiquc de la colique hépatique.
HÉPATIQUES (COLIQUES). 567
Existe-t-il une névralgie du foie ou des voies biliaires, capable de revêtir les
caractères du syndrome douloureux dont nous' avons donné la desci'iption? Si
oui, corament la reconnaître? Dans le cas où la colique hépatique est due à
un corps étranger, est-il possible d'en reconnaître la nature, d'en préciser le
siège? Telles sont les questions que nous allons rapidement chercher à ré-
soudre.
Vhépatatgie, c'est-à-dire la névralgie idiopathique du foie, sans l'existence
de corps étrangers dans les voies biliaires, est assurément bien rare ; aujour-
d'hui plusieurs médecins ne sont pas très-éloignés d'en regarder l'existence
comme hypothétique. Cependant, si elle doit être considérée, et à très-bon droit,
comme exceptionnelle, les exemples rapportés dans la clinique d'Andral et le
traité de Frerichs doivent en faire admettre l'existence. Aussi, quand l'examen des
garde-robes et des urines régulièrement continué est resté sans résultat, si l'on a
affaire à une jeune fille névropathique sujette aux névralgies, chez laquelle les
douleurs du foie alternent ou coexistent avec d'autres névralgies, ou bien encore
dans les mêmes conditions à un sujet goutteux, rhumatisant, on peut j)ar exclu-
sion songer à l'hépatalgie, mais, nous le répétons, ces faits sont rares. Dans les
cas douteux on ne doit pas s'en rapporter aux malades pour l'examen des garde-
robes, la présence de concrétions biliaires a été en effet plusieurs fois constatée
par le médecin alors que l'examen fait par le malade avait été regardé comme
douteux [votj. obs. de Murchison, p. 490, dans laquelle l'existence d'une hépa-
talgie calculeuse fut reconnue à l'autopsie chez un sujet d'abord regardé comme
atteint simplement de névralgie du foie par ce médecin dont la compétence ne
saurait être mise en doute) .
Si la réunion des signes précédemment décrits permet par exclusion de recon-
naître une attaque de colique hépatique, si l'extrême fréquence de la lithiase
biliaire, comme cause de ce genre de colique, permet de supposer avec grande
probabilité que l'on est en présence d'une affection calculeuse du foie, il n'existe
cependant qu'un signe réellement pathognonomique de la colique calculeuse : c'est
la présence du cholélithe ou des sables biliaires dans les garde-robes.
Nous avons vu que des corps étrangers, des vers intestinaux, des douves ou
des hydatides introduits accidentellement dans le cholédoque, ou par rupture
dans les canaux hépatiques, peuvent donner lieu à tous les symptômes de la
colique hépatique. Le diagnostic étiologique dans tous ces cas est très-difficile,
sinon impossible, si l'on en excepte les circonstances peu fréquentes où l'on a
pu, avant l'attaque, soupçonner l'existence d'un kyste hydatique, et celles dans
lesquelles le malade rend par les garde-robes des hydatides soit isolées, soit
mêlées à des calculs biliaires, comme dans l'exemple du docteur Perrin (m
Fauconneau-Dufresne, p. 292).
On no doit pas oublier d'ailleurs que la bile tue les hydatides et que, si celles-
ci peuvent pénétrer par rupture dans les voies biliaires à une époque où le kyste
est déjà volumineux, le développement d'hydatides dans leur intérieur doit être
tout à fait exceptionnel.
L'examen des garde-robes du malade, fait avec les précautions que nous avons
indiquées et continué, s'il est nécessaire, pendant plusieurs jours, à l'exemple du
docteur Wolff, permettra presque toujours de trouver « le corps du délit » dans
le cas de colique calculeuse. Son absence ne suffirait pas d'ailleurs à prouver
qu'il n'existe point de lithiase biliaire. Nous savons que non-seulement les
calculs engagés dans le canal cystique, mais même ceux introduits expérimeB-
508 HEPATIQUES (COLIQUES).
talement dans le canal cholédoque, peuvent remonter jusque dans la vésicule,
au lieu de tomber dans l'intestin.
Les concrétions biliaires qu'on peut retrouver dans les garde-robes sont très-
variables de forme, de nombre, de volume et même de composition. Nous ne
dirons ici qu'un mot de ce qui peut servir pour le diagnostic clinique immédiat
{voij. pour plus de détails l'art, de MM. Barth et Besnier).
Leur volume va depuis celui de petits grains de sable (gravelle, sables, boue
biliaire) jusqu'à celui d'un œuf de pigeon, d'un œuf de poule (Pujol, Imbert
de Montpellier, J.-L. Petit, etc. Vogland [Annales des Curieux de la Nature,
cité par Pnjol) aurait môme vu un calcul atteignant le volume d'une orange.
Quoique les canaux biliaires se laissent facilement dilater, on pense que, quand
son volume atteint ou dépasse celui d'une noix, le cbolélitbe expulsé n'a pu
parvenir dans l'intestin qu'à travers une fistule sourdement établie.
Le sable et les petites concrétions sont d'ordinaire brun-noiràtre (Fauconneau-
Dufresne, gravelle mélanique de Willemin). La loupe ou le microscope, quand
leur couleur laisse quelque doute, permettent facilement de les distinguer des
corpuscules durs provenant de l'ingestion de certains fruits et qui ont traversé
le tube digestif sans subir de grandes modificalions (pulpe de certaines poires,
akènes de fraises, pépins, etc.). Les concrétions plus volumineuses sont au con-
traire généralement blanc-jaunàtre quand elles ont été lavées et desséchées
(calculs de cholcstérine). Quand elles sont petites elles peuvent être à demi
transparentes, présenter une forme arrondie analogue à de petites perles.
L'existence de facettes plus ou moins régulières à la surface des choléhthes
est attribuée à la pression exercée dans les voies biliaires par d'autres concré-
tions semblables : aussi cette disposition a-t-elle une valeur séméiologique que
le médecin ne doit pas ignorer.
Les calculs de cholcstérine présentent à la coupe une cassure brillante, et
laissent voir souvent de petites paillettes cristallines analogues à du mica; ils
brûlent à la lumière en donnant une flamme blanche et ne laissent que peu de
résidu.
Pendant les attaques de colique hépatique les symptômes permettent-ils de
porter un diagnostic précis relativement au siège, au volume des calculs? Quelques
auteurs (Fauconneau-Dufresne, Frerichs) ont décrit isolément la symptomato-
logie des calculs engagés dans les diverses parties des voies biliaires, mais il est
facile de voir que ces descriptions n'ont pas de caractères tranchés. Trousseau
d'ailleurs renonçait à cette précision. Tout au plus pourrait-on relever dans la
description de la colique hépatique quelques symptômes qui permettent de
reconnaître (bruit de collision dans la vésicule) ou de soupçonner le siège d'un
calcul dans le canal cystique, le cholédoque, l'ampoule deWater. Mais la valeur
de ces signes est relative et bien souvent ils font défaut.
Quant au volume et à la forme des calculs, nous avons vu que la douleur est
loin d'être proportionnelle aux dimensions des cholélithes, que leurs rugosités
sont plus importantes à ce point de vue, mais encore n'est-il permis de rien con-
clure à -priori sur ce sujet. Tout ce que l'on peut dire, d'une façon générale et
avec quelques réserves, c'est que les formes frustes et les formes larvées, au
début du moins, paraissent être en rapport avec l'existence de petites concrétions
(gravelle biliaire, boue biliaire, bile épaissie), et que l'attaque franche se montre
quand celles-ci sont devenues un peu plus volumineuses. Il ne faut pas oublier
cependant que les phénomènes de la colique nettement caractérisée peuvent être
IlÉPATIQUliS (COLIQUES). 5C9
produits soit par la gravelle biliaire, soit par la bouc biliaire intra-hépatiquc.
Dans une récente communication à l'Académie de médecine M, Merle a appelé
l'attention sur la valeur séméiologique d'une variété de coliques intestinales coïn-
cidant avec un changement de caractère du malade, et qui, bientôt suivies de
selles diarrhéiques, seraient pathognomoniques de l'expulsion du sable biliaire.
Ce qui serait caractéristique de la présence du sable dans les selles, c'est que le
malade ne peut résister au besoin impérieux d'aller à la garde-robe qu'il éprouve
à ce moment, tandis que le besoin est beaucoup moins pressant tant que les
selles ne contiennent pas encore le sable hépatique. Dans le rapport fait sur la
communication du docteur Merle, M. G. Paul dit que plusieurs de ses clients
sujets aux coliques hépatiques, et interrogés à cet égard, auraient plusieurs fois
présenté ce symptôme (Merle, De la coniose biliaire. Acad. de méd., 1885).
M. llutinel (cité dans la thèse de Lange, 1884) avait déjà attribué une grande
importance pour le diagnostic de la gravelle biliaire à ces diarrhées bilieuses qui
déterminent un besoin impérieux d'aller à la selle, une assez vive douleur au
moment de l'évacuation, et dans lesquelles les phénomènes douloureux dispa-
raissent dès que le rectum est débarrassé. L'examen des matières doit donc être
fait, quand ces diarrhées se reproduisent, afin d'établir si elles ne sont pas des
formes frustes de la colique calculeuse du foie.
Pronostic. Il est sérieux comme celui de la maladie dont la colique hépa-
tique traduit l'exislence. En effet, bien que la crise douloureuse se termine
d'ordinaire par le retour à la santé, on doit toujours craindre après une pre-
mière attaque un retour agressif de la maladie. Par lui-même, indépendamment
de tous les dangers ultérieurs que la lithiase biliaire peut faire redouter soit
directement, soit indirectement, l'accès de colique hépatique peut donner nais-
sance à de graves complications.
Les éléments du pronostic, comme ou a pu le voir dans l'étude que nous
avons faite des complications, se tirent soit de l'intensité et de la durée de la
crise considérée en elle-même, soit du tempérament, de la constitution, de
Tàge du malade, de l'intégrité ou de l'altération de ses organes. C'est ainsi que
les lésions préexistantes du foie et celles qui résultent de la lithiase déjà
ancienne, les affections du rein, du cœur, doivent éveiller la sérieuse sollicitude
du médecin. L'existence du diabète qui coexiste assez souvent avec les coliques
hépatiques constitue aussi un élément dont il faut tenir compte dans le pro-
nostic. D'après certains médecins, ce trouble de nutrition, dont les parentés
morbides avec la lithiase ont été mises en évidence surtout par Murchison et
Bouchard, faciliterait la production d'accidents ulcératifs dans le cours de
l'affection calculeuse du foie, perforations, fistules, etc. D'ailleurs cette variété
d'accidents ne constitue pas toujours un danger, et souvent, si des adhérences
ont eu le temps de s'établir, les perforations et fistules s'établissent, sans être
trahies par aucun symptôme. C'est ainsi que de volumineux calculs biliaires
ont pu passer dans l'intestin et même devenir la cause d'obstruction intestinale
sans que l'existence de la lithiase biliaire ait été soupçonnée.
La colique hépatique, quand elle éclate pendant la gestation, n'exerce pas
d'habitude grande influence sur la marche de la grossesse. Par contre, en raison
sans doute de l'état dans lequel se trouvent le foie et le rein chez la femme
gravide, et de son éréthisme nerveux facilement mis en jeu, la colique hépa-
tique peut revêtir durant la gestation et la puerpéralité une gravité plus grande
L'70 IIÉPATKJUES (COLIQUES).
que dans les circonstances ordinaires. Plus rarement on a vu (Willemin et quel-
ques autres auteurs) les coliques hépatiques existant anti'rieurement disparaître
pendant le cours d'une grossesse.
Mais, si le pronostic de la colique hépatique calculeuse est sérieux, il offre du
moins celte espérance qu'un traitement approprié entrave souvent la marche
de la maladie et amène même la guérison, comme les médecins de Yicliy en
ont rapporté de nombreux exemples. Si on l'envisage à un autre point de vue,
on peut encore dire que la colique hépatique est utile, puisqu'elle débarrasse
l'organisme de corps étrangers capables d'entraîner de sérieuses complications.
Quant aux autres variétés de colique hépatique elles comportent le j)ronostic
de l'affection générale ou locale, qui les provoque {kijfites hydatiques du foie,
névralgiex, etc.).
Traitement. Il doit être curatif et prophylactique. Pendant la crise aiguë,
il faut d'abord calmer la douleur. Ce premier point obtenu, on doit, si la colique
est d'origine calculeuse, chercher à favoriser l'expulsion des concrétions déjà
formées, et par un traitement ultérieur approprié empêcher, s'il est possible,
qu'il s'en forme de nouvelles.
Pour calmer les douleurs deux moyens doivent être préconisés : les grands
bains tièdes et les injections de morphine. Les injections hypodermiques ont.
en tbèse générale, l'avantage de produire une action rapide sans exciter l'into-
lérance gastrique. Depuis les discussions à la Société de thérapeutique de Paris
(1875) et les nombreux travaux qu'elles ont fait naître, on s'est tellement fami-
liarisé avec ce mode de traitement qu'il a pris une place prépondérante, sinon
exclusive, et que le patient le réclame instamment. Suivant la tolérance, 2, 5,
10, i'i milligrammes de morphine injectés dans le tissu cellulaire sous-culané
calment immédiatement la douleur et font presque cesser la crise. Dans la majo-
rité des cas, lorsque la crise est franche, aiguë, on peut avoir recours d'emblée à
ce traitement, sans le réserver, comme le voudraient certains auteurs, pour les
douleurs vives et prolongées.
Ce n'est pas à dire cependant que l'on doive accéder au désir de tout malade
qui, connaissant les bons effets de la morphine, demande à « être débarrassé
immédiatement » dès qu'il éprouve la moindre douleur. Le médecin doit se
souvenir qu'il y a des malades extrêmement susceptibles à l'action de cet alca-
loïde, que chez les sujets atteints d'une altération du rein ou du cœur la plus
grande prudence est de rigueur, et par suite ne s'avancer qu'avec une grande
circonspection, après avoir tâté préalablement le terrain. Dans les cas de ce
genre, pour calmer l'impatience du malade, qui réclame à grands cris l'injec-
tion, nous conseillerons, comme nous l'avons fait une fois, de se servir d'une
solution très-étendue dans l'eau de laurier-cerise ou même d'eau pure. Sous
cette réserve, le médecin peut ne pas hésiter trop longtemps à intervenir
activement et directement contre la douleur. Celle-ci a longtemps été regardée
comme un mal nécessaire, puisqu'elle traduit les~efforts « de la bonne nature
pour expulser le calcul. » Pujol le premier s'était fait l'interprète de cette
défiance contre les narcotiques qu'il accusait de paralyser les tuyaux excréteurs
et « d'enfermer le loup dans la bergerie. » Aujourd'hui l'on est bien revenu
de ces appréhensions théoriques, et c'est plutôt d'un excès en sens contraire
qu'il faudrait se méfier.
Si l'on se reporte à ce que nous avons dit au sujet de la palhogénie de l'accès,
on comprend que les narcotiques, loin d'entraver la progression du calcul vers
HÉPATIQUES (COLIQUES). 571
l'intestin, la favorisent en diminuant la douleur et en faisant disparaître secon-
dairement son effet, h spasme. Sénac, après avoir rapporté un remarquable succès
dû à l'usage de la morphine en injection hypodermique, qu'il est le premier à
avoir employée (186i), indiquait ce remède comme unmoyen exceptionnel dont
l'action demandait à être mieux étudiée. M. Bourdon, dans une communication
devenue l'origine de la discussion de cette méthode à la Société de thérapeu-
tique, posait la question de savoir si l'effet de la morphine sur les vaso-moleurs
n'a pas son analogue dans son action sur les canaux biliaires, d'où résulterait le
passage plus facile du calcul. Cette opinion fut défendue par MM. Constantin
Paul, Bordier, par MM. Dujardin-Beaumetz et Laborde, dont nous avons déjà
cité les intéressantes expériences à ce sujet. Toutefois ces auteurs nous paraissent
attribuer une trop grande importance à l'action directe de la morphine sur les
fibres musculaires. A la faible dose sous laquelle elle est administrée, il est
peu probable qu'elle agisse sur les fibres musculaires lisses (Cf. Yulpian, cours
de la Faculté, 1874), il nous semble probable qu'elle agit comme anesthé-
sique ; elle fait cesser ou diminuer la douleur, et secondairement le spasme
rédexe. Mais la contiaction utile des fibres musculaires persiste probablement
encore et contribue sans doute à chasser le cholélithe. Il ne serait pas à désirer
que ces fibres fussent paralysées, car le calcul ne serait plus poussé que par la
vis à terrjo due à la bile : or ce liquide tend plutôt, on le sait, à s'accumuler
dans la vésicule qu'à couler directement vers l'intestin.
En général une injection hypodermique suffit pour calmer la douleur; quelque-
fois même, si le malade n'y est pas accoutumé, le sommeil peut se montrer et
la crise est terminée. Il n'est pas rare cependant que la douleur vienne inter-
rompre ce sommeil ou qu'elle reparaisse peu après le réveil. Suivant les indi-
cations et suivant la quantité qui a déjà été absorbée, on peut injecter de
nouveau sous la peau une nouvelle dose de solution morphinée.
Chez quelques malades, l'injection de morphine détermine très-facilement
des vomissements, qui ajoutent leur effet déprimant aux fatigues de la crise. Il
faut être prévenu de ce fait. C'est dans le but d'obvier à cet accident possible
que quelques médecins, au lieu d'employer la morphine seule, l'associent d'ha-
bitude à l'atropine. Une formule très-usitée dans ce cas est la suivante :
Chlorhydrate de morphine 10 centigrammes.
Sulfate d'atropine 1 —
Eau distillée de laurier-cerise 20 grammes.
1 centimètre cube ou la seringue pleine de cette solution renferme un
1/2 centigramme de morphine et 1/2 milligramme d'atropine (Dujardin-Beau-
metz. Leçons de clinique iliérapeutiqiie, t. II, p, 59, 1882).
Les grands bains tièdes étaient, avant la méthode hypodermique, un des
meilleurs moyens recommandés pour calmer le malade, mais aujourd'hui leur
action est considérée comme trop lente et on ne les prescrit que rarement.
Toutefois nous croyons que c'est là un bon moyen qu'il ne faut pas négliger,
surtout si la douleur n'est pas trop vive et si le malade a la patience d'attendre.
On peut d'ailleurs utilement les prescrire, quand la souffrance est moins aiguë
et quand il persiste encore après l'administration de la morphine une douleur
sourde, gravative.
Bien que leurs indications se soient de beaucoup restreintes depuis l'adoption
de la méthode hypodermique, nous devons ici mentionner les divers anesllié«
572 HÉPATIQUES (COLIQUES).
siques dont l'emploi était préconisé il y a peu d'années dans le traitement de la
crise, et qui aujourd'hui encore peuvent rendre quelques services pendant l'at-
taque : ce sont l'opium, la belladone, Téther et le chloroforme (Coilieu, 1850,
Trousseau, Bouchut), soit en potions, soit en inhalations.
Le chloroforme administré en potion aurait une action lithonlriptique, mais
il est peu probable que pendant l'attaque son action dissolvante puisse s'exercer
sur la cholestérine, comme elle s'exerce en vase clos, hors de l'organisme. La
sensibilité revient en général plus vile après les « inhalations à la reine )^ qu'après
les injections morphinées. Aussi, sans compter les autres inconvénients de cet
agent anesthésique, le chloroforme nous paraît-il ne devoir être employé que rare-
ment. Gubler, dans un cas où tous les remèdes avaient échoué, prescrivit
5 grammes de chloroforme dans 50 grammes de sirop simple avec mucilage de
gomme adragante. Après trois cudlerées à café, la malade fut calmée. Chez une
de nos malades, l'éther sous forme de perles ou étendu dans l'eau est le seul
médicament qui jjuisse être toléré et amener un léger soulagement. L'opium, la
morphine et la belladone, ont été administrés en potion, pendant l'attaque, mais
la susceptibilité de l'estomac est généraloraont si grande à ce moment, que les
potions sont souvent rejetces avant d'avoir pu produire un effet ut'le.
L'hydrate de chloral associé à la morphine a fourni aussi d'excellents résul-
tats (Pichler, Laborde). meilleurs même d'après quelques auteurs que ceux de
l'injection hypodermique isolée; mais on ne peut songer à donner l'hydrate de
chloial par les voies supérieures quand l'intolérance de l'estomac est trop pro-
noncée. On peut alors l'administrer sous forme de lavements. Quand les injec-
tions hypodermiques n'ont pas produit un résultat complet, si les douleurs
persistent encore, nous conseillerions les grands bains et le chloral avant d'avoir
recours aux inhalations de chloroforme.
L'opium est souvent administré sous forme de lavements laudanisés ou en
frictions. Pendant l'accès, la belladone peut être prescrite en frictions sur l'hypo-
chondre et mieux sous forme de suppositoire. Sénac et Charrier ont employé avec
succès la formule suivante :
Extrait de belladone I ^ c,
r ._ ■. j. • J âa 2 centigrammes.
Extrait d opium ) ■" °
Beurre de cacao 2 grammes.
Pour un supposi'.oire.
Parmi les moyens adjuvants capables de calmer la douleur, moyens dont
l'action est peu énergique, mais par lesquels il est toujours prudent de com-
mencer pour calmer le malade et voir la tendance naturelle de l'accès, quand la
douleur n'est pas très-vive, citons les fomentations chaudes, les cataplasmes
laudanisés, les frictions avec le baume tranquille chloroformé, et dans quelques
cas au contraire les dérivatifs appliqués sur l'hypochondre, ou même une petite
saignée locale (ventouses scarifiées, sangsues). Chez un de nos malades à tem-
pérament pléthorique une application de sangsues à l'anus nous a paru donner
de bons résultats. Bricheteau a quelquefois obtenu de bons effets de l'application
d'une vessie de glace sur la région du foie. Pujol avait recommandé le massage
de la région hépatique ; pratiqué méthodiquement et avec douceur, il soulage
parfois le malade et a donné un'succès à Willemin.
Hall (de Philadelphie) avait préconisé l'électrisation de la vésicule (1821)
pour faciliter la progression du calcul : on a tenté en vain il y a quelques
années de remettre en honneur ce procédé qui peut entraîner des inconvénients.
HÉPATIQUES (COLIQUES). 575
Les anciens auteurs conseillaient les purgatifs au moment de l'accès. Cette
pratique est aujourd'hui abandonnée. On les donne plutôt après l'accès, afin de
balayer « la lie de la maladie ».
Pendant la crise, surtout s'il y a des vomissements, on doit donner de pre'-
férence des boissons froides, de petits morceaux de glace, des boissons gazeuses,
l'eau de seltz, etc.
Tels sont les principaux moyens qui servent à combattre la douleur : en en
diminuant l'intensité, ils peuvent empêcher les complications de se produire.
Quand celles-ci se montrent on les combat par les procédés ordinaires. Le trai-
tement de l'asytolie aiguë due à la colique hépatique n'entraîne pas d'indications
spéciales. Elle cesse en même temps que la crise. Contre les anesthésies et les
paralysies qui peuvent succéder à l'attaque, les frictions, le massage et l'élec-
tricité seront recommandés. L'électricité a donné de bons résultats dans le cas
de paralysie observé par Trousseau et Peter. Le sulfate de quinine pouvant être
efficace dans la fièvre hépatique doit toujours être essayé, mais il faut surtout
recourir au traitement étiologique.
Quand l'accès a disparu, il faut encore surveiller le malade pendant quelques
jours. Les bains, un léger purgatif, trouvent à ce moment leur indication. Si
le malade est nerveux, impressionnable, si l'on craint que le purgatif puisse
réveiller de nouveau la douleur, il vaut mieux ne pas le prescrire le lende-
main ou le surlendemain de l'attaque et attendre quelques jours. Les purgatifs
employés de préférence dans ce cas sont le sulfate de soude, l'eau de Pullna,
l'eau d'Hunyadi-Janos, le calomel, l'huile de ricin.
Il resterait maintenant à parler du traitement après l'accès, car presque tou-
jours, nous l'avons dit, la colique hépatique est symptomatique de la lithiase
biliaire, et le médecin doit, l'accès passé, se préoccuper des deux indications
suivantes : 1" favoriser la désagrégation et l'expulsion des concrétions biliaires;
2" empêcher qu'il s'en forme de nouvelles. Ce traitement ayant déjà été men-
tionné en grande partie dans l'article où a été étudiée l'affection calculeuse du
foie, nous ne ferons qu'en indiquer brièvement les lignes principales.
1" Lilhonlviptiques. Existe-t-il [des substances qui méritent réellement ce
nom? La question est débattue. Quoi qu'il en soit, le remède de Durande
ne semble pas devoir perdre sa place dans la thérapeutique de la lithiase
biliaire. 11 contient 2 parties d'essence de térébenthine et 5 d'éther sulfurique.
L'éther joue dans ce mélange probablement le rôle d'anesthésique et la téré-
benthine celui de modificateur de la sécrétion biliaire. Au lieu d'administrer
le remède de Durande, on peut continuer pendant plusieurs jours après l'accès
l'administration de perles d'éther et de capsules de térébenthine, qui ont le
réel avantage de masquer le mauvais goût du remède. Euchler a conseillé dans
le même but le chloroforme et le succinate de fer.
On a préconisé récemment l'éther amylvalérianique, encore désigné sous le
nom de valérianate d'amyle, comme possédant à un haut degré les propriétés du
remède de Durande et possédant sur celui-ci l'avantage de pouvoir être donné
pendant l'accès comme anesthésique. Hors de l'organisme cette substance agit
très-activement sur les calculs biliaires pour en amener la désagrégation. 4s%50
d'éther amylvalérianique suffisent à dissoudre 1 gramme de cholestérine pure
à 37 degrés. Il semble donc rationnel d'essayer ce médicament ; mais jusqu'à
aujourd'hui il n'a été que rarement prescrit dans la pratique, et nous ne saurions
nous prononcer sur sa valeur thérapeutioue réelle. D'après la Semaine médicale
57-1 HÉPATIQUES (COLIQUES).
{Revue de pharmacie, 188ô, p. 261), le meilleur mode d'atlministrafion est la
forme capsulaire. Les capsules contiennent chacune 15 centigrammes; elles se
donnent à la dose de deux pour procurer le sommeil, et de six en 5 fois, à une
heure d'intervalle pour calmer les coliques hépatiques.
La médication alcaline en ge'néral, et en particulier la cure hydrominérale
dans les stations qui ont depuis longtemps une réputation légitime dans le
traitement de la lithiase biliaire, sont indiquées non-seulement comme moyeu
prophylactique des crises douloureuses, mais encore comme moyen curatif de
nombreux accidents de la lithiase. 11 ne faut pas oublier que l'action de ces
eaux n'est pas toujours immédiate. Si elles réveillent parfois rapidement les
coliques hépatiques, leur effet peut ne se faire sentir qu'un temps plus ou
moins long après le début du traitement. En France, Vichy répond à peu près à
toutes les indications que le médecin peut désirer remplir. Vais, Royat, Fou-
gues, Le Boulou, Contrexé ville, Yittel, méritent d'être citées après Vichy quand
cette dernière station semble trop active ou ne peut être emplovée. En Alle-
magne les eaux, de Carlshad donnent aussi d'excellents résultats. Elles pos-
sèdent, en outre de leurs qualités alcalines, des propriétés laxatives, et parais-
sent convenir aux malades pour lesquels on recherche une action altérante en
même temps que les effets de la médication alcaline.
La médication hydrominérale a cependant ses contre-indications [voy. les
Traités spéciaux de Durand-Fardel, ^^illcmin, Sénac, Cyr, etc.); nous ne pou-
vons y insister ; disons cependant que les maladies du cœur principalement
(Sénac), puis les affections cérébrales, les affections cancéreuses et la scrofule
intense, contre-indiquent le traitement, à Vichy. La grossesse, sans être une
contre-indication à ce traitement, doit inspirer la plus grande prudence dans la
manière dont il sera prescrit.
La médication alcaline en dehors de ses effets généraux agit sur la bile en
en modifiant la composition chimique et en la rendant plus fluide. Elle facilite
donc indirectement l'écoulement de ce liquide et favorise son arrivée dans
l'intestin., C'est encore une indication capitale, en effet, pour prévenir le retour des
coliques hépatiques, de s'opposer autant que possible à l'épaississementet à la sta-
gnation de la bile, qui amènent la précipitation des matériaux contenus dans ce
liquide et la formation des cholélithes. 11 convient donc de régulariser autant que
possible cette sécrétion et d'entretenir la liberté du ventre : d'où l'utilité des pur-
gatifs dans la cholélithiase pour combattre la constipation habituelle et plus spé-
cialement des purgatifs cholagogues. Bien que l'action physiologique spéciale de la
plupart des médicaments réunis sous ce nom ait été vivement contestée après les
expériences de Rohrig, Rutterford et Vignal, l'utilité du calomel, du podophyllin
(à la dose de 2 à 4 ou 6 centigrammes associés au savon médicinal, eu pilules
dans la journée), de l'aloès, du sel de Seignette, du sulfate de soude, comme pur-
gatifs ou laxatifs, paraît cliniquement bien établie, dans les affections où l'on se
propose d'agir sur le foie et en particulier dans la lithiase biliaire. A cette liste
il conviendrait d'ajouter encore, comme médicament agissant sur la sécrétion
biliaire, le saUcylate de soude. De nouveaux médicaments ont été récemment pré-
conisés comme possédant les mêmes propriétés; ceux qui ont attiré surtout l'at-
tention dans ces derniers temps sont le boido (?) et l'évonymin.
L'hygiène alimentaire et générale du malade doit être surveillée de façon
à combattre les causes d« formation des concrétions biliaires, de Tépaississement,
de la stagnation de la bile, et surtout à modifier, si possible, la diathèse dont
HEPATIQUES (COLIQUES) (bibliogr4Piue). 575
procède l'affection calculeuse. L'exercice au grand air, la marche, la diminution
du régime azoté, l'usage des alcalins, des boissons aqueuses abondantes, une
alimentation végétale ou mixte, de laquelle on aura le soin d'éliminer les bois-
sons et les aliments qui pourraient favoriser l'excès de chaux (eaux séléni-
teuses), de cholestérine ou de graisse dans l'organisme, devront être recom-
mandés aux sujets souffrant, de colique hépatique. Ces prescriptions hygiéniques
trouvent leur utilité immédiate dès que la lithiase biliaire a été reconnue, alors
même qu'il n'y a pas eu d'accès francs, et que l'on n'a eu affaire qu'à des
formes atténuées frustes ou larvées.
De nouvelles indications se montrent, au point de vue qui nous occupe, quand les
coliques hépatiques à forme prolongée ou chronique sont accompagnées ou suivies
d'un ictère chronique. Il faut alors régler l'alimentation du malade de manière à
s'opposer à la cachexie d'origine biliaire qui fait chaque jour des progrès {voij.
Bouchard, Traité àié, p. 107 ; voy. aussi Ictère chronique, dans ce Dictionnaire).
Quand les coliques hépatiques ou plus exactement quand les concrétions
biliaires déterminent l'inflammation et l'ulcération des conduits qui les ren-
ferment, c'est du traitement chirurgical que relèvent les complications ainsi
produites (tumeurs et abcès de la vésicule biliaire, fistules, etc., roi/, ces
mots). Cependant tout récemment, giàce aux progrès que les méthodes anti-
septiques ont permis de réaliser dans la chirurgie de l'abdomen, on a pré-
conisé la cholécystotomie et même la cholécystectomie (cette dernière en s'ap-
puyant sur des raisons d'anatomie comparée) dans les cas de coliques intenses,
prolongées, rebelles au traitement médical, et cela avant que se soient produites
les complications regardées autrefois comme nécessitant l'intervention chirur-
gicale. Malgré les observations plus ou moins retentissantes publiées à ce sujel,
les travaux de Lawson Tait, les discussions qui viennent d'avoir lieu dans les
sociétés savantes, particulièrement à l'Académie royale de Belgique (1885), enfin
les résultats publiés dans la thèse d'agrégation de Denucé (1880), nous paraissent
ini]ioser de grandes réserves et la plus grande prudence sur ce point. Sans penser
qu'il fadle proscrire ces opérations et ne pas faire profiter les malades des pro-
grès si considérables qui autorisent aujourd'hui le chirurgien à se montrer
entreprenant, nous croyons pouvoir citer encore maintenant les sages paroles
de J.-L. Petit au sujet des opérations que peuvent nécessiter les affections des
voies biliaires : « Ce que j'en ai dit est suffisant pour modérer l'ardeur de ces
jeunes gens qui veulent toujours couper, mais aussi ne faut-il pas qu'une timi-
dité mal entendue leur fasse manquer l'occasion d'opérer. »
Et maintenant indiquerons-nous un traitement pour les coliques du foie qui
ne sont pas d'origine calculeuse? Si l'on parvient à faire le diagnostic de la
colique hépatique due à d'autres corps étrangers que les calculs, ou bien si
l'ensemble des caractères que nous avons indiqués au chapitre Diagnostic arrive
à faire admettre l'existence d'une hépatalgie simple, le traitement se résume
toujours dans les deux indications suivantes : 1" traitement symptomatique au
moment de l'accès; 2" traitement étiologique et pathogénique, c'est-à-dire
traitement de la maladie générale ou locale qui tient ces accès sous sa dépen-
dance, après que la crise douloureuse est calmée. A. Mossé.
BiBLioGUAPHiE. — Voy. jusqu'à l'année 1869 les indications bibliographiques parues avec
rarticle Voies biiuires [Pathologie]. Voy. aussi celles de l'article Fore. îsous ne saurions don-
ner l'indicaliou de tous les travaux parus sur la colique hépatique depuis 1869 jusqu'à au-
576 HÉPATIQUES (COLIQUES) (bibliographie).
jourd'hui. Quelques-unes de celles qui suivent, sui-tout parmi les plus récentes, sont tirées
de la Revue des sciences médicales en France et à l'étranger et de la Semaine médicale. —
Magmn (J.)' ^'' gtielques accidents de la colique hépatique, thèse de Paris, 4869. — Mahot.
Des battements du foie. Thèse de Paris, 18C9. — Sénac. Du traitement des coliques hépa-
tiques, 1870. — LuTON. Art. Entozoaires. In Dictionnaire de méd. et chir. pratiques, 1870.
Dcjardin-Beaumetz. Élude sur le spasme des voies biliaires à propos du traitement de
la colique hépatique. In Bull. gén. de thcrap., 1875, p. 585. — Durand-Fardel. Traité des
vialadies des vieillards, 1° édit., 18(5. — Thoosseau. Leçons de clinique ynédicale, ¥ édit.,
4875. — Regnard. Lithiase biliaire. Obstruction incomplète du canal cholédoque. Fièvre
intermittente hépatique, autopsie. In Bull, de la Soc. de bioL, 1875. — Audigé. Recherches
expérimentales sur le spasme des voies biliaires à propos du traitement de la colique
hépatique et sur l'ictère mécanique. Thèsc;de Paris, n" 60, 1874. — Charcot. Leçons
cliniques sur les maladies des vieillards, 1874. — Guéneau de Mussï. Clinique médicale.
Paris 1874. — Jip.ou-Kajou. Aperçu symptomatologique de la lithiase biliaire. Thèse de
Paris, 1874, n" 155. — Labûrde. Sur la contractilitê, le spasme et la sensibilité des canaux
biliaires. In Bullet. de thérapeutique, 1874. — Tiiocvexi.n. De quelques accidents de la
lithiase biliaire. Tiièse de Paris, 1874, n° 2G0. — Vulpiw. Cours de l'Ecole de médecine.
Paris, 1874. — Gangolphe. Du bruit de souffle mitral dans l'ictère. Thèse de Paris, 1875.
Rutherford et Vignal. Expériences sur l'action des médicaments cholagogues. In Bntish
Med. Journ., 1875, anal, par Guéneau de Mussy in Bull, de Ihérap., t. XCYIII. — Beouardel.
L'urée et le foie. In Arch. de physiol., 1876. — Charcot et Gombault. JWe sur les altéra-
tions du foie consécutives à la ligature du canal cholédoque, 1876. — Dujardin-Beaumetz et
Verse. Étude sur le Boldo. \\\ Bull, général de thérapeutique, 1876. — Hakot. Étude sur
une forme de cirrhose hypertrophique du foie. Thèse de Paris, 1876. — Charcot. Leçons
sur les maladies du foie et des reins, recueillies par Bourneville et Sevestre. Paris. Delahaye,
1877, — Durasd-Fardel. Lettres médicales sur Vichy. Paris. Germ.-Bailhère, 1877. —
Fberichs. Traité pratique des maladies du foie, 5° édit., Irad. Duméril et Pellagot. Paris,
Baillière, 1877. — Reuutel. Contribution à l'élude de la rétention biliaire. Thèse de Paris,
n° 62, 1877. — Bobowicz. De la fièvre intermittente symptomatique de la lithiase biliaire,
4878. — MuRCHisoN. Leçons cliniques sur les maladies du foie, suivies des leçons sur les
troubles fonctionnels du foie, trad. sur la 2* èdit. par J. Cyr. Paris, Delahaye, 1878. —
l'OTAiN. f^ote sur un point de la pathogénie des dilatations cardiaques d'origine gastro-
hépatique. In Congrès pour l'avancement des sciences. Paris, 1878. Le titreseul du mémoire
a paru dans les Comptes rendus. Le manuscrit encore inédit a été mis à notre disposition
par notre savant maître et ses idées exposées dans notre thèse de concours. — Strauss. Des
ictères chroniques. Thèse d'agrégat. Paris, 1878. — Buckler. Dissolution et extraction des
calculs biliaires. In Boston Med. and Surg. Journ., octobre 1879, et Gaz. hebdom. Pavis,
mars 1880. — Bax (de Corbie). Considérations sur quelques cas de colique hépatique. In
Union médicale du ISord-Est, novembre 1879. — Destureaux. De la dilatation du cœur
droit d'origine gastrique. Thèse de Paris, n° 595, 1879. — Fabre. Relations palhogéniques
des centres nei-veux, 1879. — Morel. Recherches expérimentales sur la pathogénie des
lésions du cœur droit consécutives et certaines maladies et principalement aux maladies
douloureuses de l'appareil hépatique et gastro-intestinal. Thèse de Lyon, 1879, n° 27.
MossÉ. Étude sur l'ictère grave. Thèse de Paris, 1879. — Potaix. Des synergies morbides.
In Gazette médicale de Paris, 1879, p. 85. — Reuflet. Contribution à l'étude durûle du
foie dans la production de l'urée, 1879. — Teissier. Affections cardiaques consécutives
aux lésions hépatiques et gastro-intestinales et discussion. In Congrès pour l'avance-
ment des sciences. Montpellier, 1879. — Yulpian. Cliniques de la Charité, 1879. ^ Abanoo
Y Lamar. Phénomènes prémonitoi7-es de la colique hépatique. Thèse de Paris, n" 204, 1880.
MossÉ. Accidents de la lithiase biliaire. Thèse d'agrégat. Paris, 1880. — Bouchardat.
Traitement hygiénique des calculs biliaires. In Bull, génér. de the'rap., août 1880. — Loëb.
Coliques hépatiques, diabète sucré pendant six jours, mort. In Deutsche Arch. fur klin.
Med., Bd. XXIV, p. 91, rapporté in Iajou médical, 1880, p. 101. — SciiCppel. Die Krankhei-
ten der Gallenwege und der Pfortader. In Zienissen's Handhuch der speciellen Pathol.und
Thérapie, Band YIII, 1880. — Vesselle. Lithiase biliaire et cirrhose hypertrophique. In
Lyon médical, 1880, vol. XXXV. — Cornillon. Bapporls de l'héméralopie avec l'ictère dans
les hypertrophies du foie. In Progrès médical, 4881. — Laxge. Phénomènes initiaux de la
lithiase biliaire envisagés au point de vue du diagnostic. Thèse de Paris, n° 505, 1880. —
Lépixe et GuÉBiN. Colique hépatique, ictère léger; augmentation considérable du soufre in-
complètement ox'jdé dans Vurine lors d'une exacerbation. In Rev. de méd., 1881, p. 918,
dans un travail mtitulé De la fonction biliaire. — Lécorché et Talasiok. Études médicales
faites à la maison de santé. Paris, 1881. — Sée (G.). Des dyspepsies gastro-intestinales.
Paris, Delahaye, 1881. — YValker (D.). Gall-stones in an Infant three Months old. In
Rritish Med. Journ , avril-mai 1882, p. 575-804. — Bouchard. Maladies par ralentissement
UÉPATIQUES (COLIQUES) (biblioghapiue). 577
de la nulrilion. Paris, Savy, 1852. — Bnoo.uiDEL. Mort subite pendant ladurée d'une colique
hrpolique. la Ann. de méd. et d'hygiène publique, 1882, p. 270. — DL■.^■BAn-^VAl.Kl;R. Brit.
Med. Joum., avril 1882. — lIucuAno. Les coliques he'paliques et néphrétiques dans la gros-
sesse et l' accouchement. \n Union méd., 1882. — Littex. Ueber Verânderungen des Auge n-
hintergruudes bei Erkrankungen der Leber. In Zeitschrift fur klin. Med., Ud. V, 1882. —
Mangelsdokf. Ueber biliâre Lebercirrhose. lu Deutsche Arch. fiir klin. Med., Band XXXI,
18)j'2. — QuiNQDAUD et HuELLE. Mort subite par syncope dans un cas de lithiase biliaire. In
Bull, de la Soc. clin., octobre 1882. — Rausoxhokf. Contribution to the Surgery of tJie
Liver Cholelilheclomy. In Med. A'ems, juillet 1882. — Rot». Zur Chirurgie der Gallenwege.
In Arch. fur klin. Chirurgie, Bd. XXXII, Helt i, 1882. — Variot. Sur les nerfs biliaires des
vo'S biliaires extra-hépatiques. In Journal de l'anatomie de Robin, 1882. — .\xenfeld et
IlccHAiiD. Ilépalalgie. In Traité des névroses, p. 200, 1883. — IIerixg. Relations de la
lithiase biliaire avec la grossesse et l'accoucliement. Thèse de Paris, juillet 1885. — Bariiî.
Recherches cliniques sur les accidents cardio-pulmonaires consécutifs aux troubles gastro-
hépatiques. In Revue de méd., 188r>. — Cosn,. Étude sur Vévnnymin. Thèse de Paris, 1883,
— Drevfds-Brisac. Des relations de la lithiase biliaire avec la grossesse et l'accouchement.
In Gaz. hebd., n° 50. Paris, 1885. — Cïr (J.). Même sujet. In Ann. de gynécoL, avril 1883.
— CoiGXAED. Irrégularités du rhythme cardiaque dans un cas de lithiase biliaire chronique.
In Tribune méd., juillet 1885. — Darier. Recherches cliniques et expérimentales sur les
variations de l'urée. In Revue méd. de la Suisse romande, 1883. — De Ge.nnes. Paralysie
motrice et sensitive du bras droit consécutive à Ir, colique hépatique. In Bull, de la Soc.
cim., 1883, p. 801. — Harley (G.). Diseuses of the Liver. Londres, 1883. — Dujardix-Beaijmetz.
Leçons de clinique thérapeutique, t. Il, 1882. — Piendu. De Vinfluence des maladies du
cœur sur les maladies du foie et réciproquement. In Mémoire couronné par l'Acad., 1881.
Paris, Masson, 1883. — I\oth. Zur Frage ûber die Gallensleinkolik. In Corresp.-Blatt f.
schweiier Abrite, août 1881. — Trastolr. Toux hépatique et toux splénique. In Rev. de méd.,
1883. — BouRDicuox. Des paralysies dans le cours de la colique hépatique. Thèse de Paris,
n°539, 1884. — I^tr (J ). Traité de iaffcclion calcideuse du foie. Paris, Delahaye, 1884. —
MtRCAT. Fréquence relative de la colique hépatique chez l'enfant. Tlièse de Paris, n° 52,
1884. — Deuove. Recherches sur l'urémie d'origine hépatique. In Union médicale, juin
1884. — Olive. Des formes cliniques de la colique hépatique. Thèse de Paris, n" 94, 1884.
— HiciiARD. Même sujet. In Semaine médicale, 1884. — Muleur (G.). Essai historique sur
l'affection calculeuse du foie depuis Hippocrate jusqu'à Pujol. Thèse de Paris, n° 320,
1884. — CoRMLLox. Mélanges de médecine. Vichy, Bougarel, 1884. — Baptiste. Des morts
subites ou rapides par les lésions spontanées des organes abdominaux aie point de vue
médico-judiciaire. Thèse de Lyon, 1884, n" 183. — Matiueu et JIalicrax. Lithiase biliaire.
Ictère par rétention biliaire. Phénomènes typhoïdes. Endocai-dile végétante aiguë. In
Bull, de la Soc. anat., 1884, p. 140. — TniniAB, Hïeunacx, Thiry, Derouuaix, etc. (Académie
Rcynle de Belgique). Discussion sur la cholécystotomie et la cholécyslectomie, 1883. —
Bœckel. Indications de la cholécystotomie. Congrès des chirurgiens franc., 1885. — Brux.
De l'intervention chirurgicale dans quelques affections des voies biliaires. In Arch. génér.
de méd-, février 1885. — Ctr (J.). Indications de la cholécystotomie. In Union méd., janv.
1885. — DcHiAU. Contribution à l'étude de la taille biliaire. Thèse de Paris, 1885. — I)d-
jARDiN-DhACMETZ. Lcs viédicalioiis nouvcllcs. In Bulletin de thérap., 1884-1885. Paris, 1885.
— EsBACH. Des calculs urinaires et biliaires. Paris, Masson, 1883. — IIof.morl. Cholécysto-
tomie mit gûnstigem Erfolge. In Bull, de la Soc. des médecins de Vienne, mai 1885. —
JuiiANviLLE. Recherches sur le boldo. In Tribune médicale, novembre 1885. — Laborde.
Recherches expérimentales et cliniques sur l'action du boldo. In Bull, de la Soc. de biol.,
lévrier 1885. — Massisi. Neuere Arzneimittel. De quelques médicaments nouveaux. In
Correspondenz Blalt fiir schweizer jErzte, août 1885. — Meige. Recherches sur les varia-
tions de l'urée du sang dans diverses maladies. Thèse de Paris, 1885, n* 109. — Merle.
La coniose biliaire et ses symptômes. Paris, 1885. — Maunourï. De la cholécystotomie. In
Progrès médical, 1885. — Robson (M.). Two Cases of Cystotomy. In Med. Times, octobre
1885. — Senator. Ueber einige neuere Arzneimittel. In Berl. klin. Wochenschr., janvier
1885. — Taylor. Note on the Value of the Diagonal Line in the Diagnosis of Distension of
the Gall-Blader. In Brit. Med. Journ., avril 1885. — Whiie (H.). Fatal Pyloric Obstruction.
In Lancet, octobre 1885. — .Association médicale britannique, août 1886 : Symptomatologie
des calculs biliaires, par M. Obd, et discussion; Affections chirurgicales du foie, hépatoto-
mie pour des calculs hépatiques, par K>o\vi.ey-Thorntoîî, et Discussion. In Semaine médic.,
188(3, p. 558-331. — Boisei. Des parentés morbides. Thèse d'agrégation. Paris, 1886. —
Brousse. De l'involution sénile. Thèse d'agrég. de Paris, 188G. — Denlcé. Tumeurs et cal-
culs de la vésicule biliaire. Thèse d'agrégation chirurg. Paris, 1886. — D'Ivobs. Art. Boldo.
In Dictionnaire de méd. et chir. pratiques, t. XL, 1886. — DnjAHDi.x-BEAraEiz. Le régime
aliinentahe dans la goutte et dans les gravelles urinaire et biliaire. lu Bull, génér. de
DICT. ENC. 4' s, XIU. 57
578 HEPTANES.
thérapeutique, 1886, p. 337, t. CXI, et l'Hygiène alimentaire. Paris, Delahaye, 1887.—
DranAC. Température dans la colique hépatique, 1886. — Lasge. Impacted GalUtone in
Duclus Choledochus [cltoléctjstotomie, mort). In Médical Nrws, janvier 1880. — Netter
et Martiia. De l'endocardite végétante ulcéreuse dans les affections des voies hiliaires. In
Archives de phijSiologie, i '' juillet 1886. — Mautiia. Lithiase biliaire, angiocholite suppurée,
endocardite végétante: constatation dans la végétation et les abcès biliaires de la même
espèce de Bactéries. In Bull, de la Soc. anat. Paris, 16 avril 1886. — Tait Traité des mala-
dies des ovaires, suivi d'une élude sur quelque progrès récents de la chirurgie abdominale
et pelvienne. Choléajstotomie abdominale, hépalhotomie, etc., Irad. par Olhvier, 1886. —
Terrillon. Observation de cholécyslotoniie. \n Bull, de VAcad. de méd. de Paris, décembre
1886. — WiLLEMiN. Des coliques hépatiques et de leur traitement par les eaux de Vichy,
4^ édit. Paris. Alcan. — BouciunD. Leçons sur les auto-intoxications. Paris, 1887. — Sée (G.).
Le régime alimentaire dans les 7?ialadies. Paris, 1887. A. M.
DÉPATISATIOIV. État (l'un tissu permi'able qui', sous l'influence d'un
état inflammatoire délerniinant la roplétion des alvéoles ou des cavités qui le
constituent par un exsudât séio-fibrineux ou liémorrhagique, devient plus com-
pacte et prend l'aspect du tissu hépatique. Les caractères histologiques et cli-
niques de riicpatisalion rouge et de l'iiépatisation grise du poumon seront indi-
qués au mot Pneumonie. L. L.
HÉPATITE. Voy. Foie,
nÉPATOSCOPIE. Voij. Divination.
HEPTAIVES. Les lieptanes répondent à la formule ClI'^ Sur les neuf
heptanes isoméi iques prévus par la théorie, on n'en connaît que quatre, dont le
plus important est l'heptane normal ou hydrure d'heptyle :
C'HiMl=ClP-ClP-ClP-CFP-aP-CH^-CIP.
Ce composé n'est autre chose que l'essence du Pinus Sabiniana. Il existe
dans les pétroles américains, où il paraît mélangé à un heptylène particuHer;
on le retire de ces pétroles rectifiés par la distillation fractionnée. Pour le
séparer de l'heptylène, il suffit de le traiter en tubes scellés par l'acide azo-
tique de densité 1,58 qui n'attaque pas l'heptane.
On extrait encore l'heptane du mélange d'huiles obtenu par la distillation du
cannel-coal de Wigan (Lancashire) et abandonné au contact de l'acide sulfuriqu
à une basse température pendant plusieurs jours. La liqueur distillée est traitée
à plusieurs reprises par l'acide nitrique; Ihuile est lavée à l'eau, puis scchée,
enfin soumise à la distillation fractionnée ; on recueille l'hydrure passant à
98-99 degrés.
On obtient encore l'heptane normal dans la décomposition de la paraffine par
la chaleur et dans la distillation des acides gras élevés dans la série sous lin-
fluence de la vapeur d'eau.
L'heptane normal est un liquide mobile, d'odeur fade, mais agréable, rappe-
lant pins ou moins l'essence d'orange; il a une densité de 0,6967 à 19 degrés et
bout vers 99 degrés. Il brûle avec une flamme légèrement fuligineuse. Le chlore
et plu* rapidement le chlorure d'iode le transforment en chlorure d'heptyle.
T c brome et les acides sulfurique et nitrique ne l'attaquent pas.
U existe en outre trois isomères de l'hydrure d'heptyle, ce sont :
jo ]Jéthyle- aminé ou Dimélhylbutybne'lhane, qu'on obtient en traitant un
élance d'ioduie d'éthyle et d'amyle par le sodium; il bout à 90 degrés et a
UEPTYLiDÈNE. 57^
pour densité 0,6853 à 18", 4. Scliorlemmer a Irouvé dans un pétrole de Pennsyl-
vanie, mélan2,é avec l'iieptane normal, un lieplane bouillant à 90 degrés, proba-
blement identique avec l'élhyle-amyle.
2° Le triéthylniéthane, obtenu en soumettant l'éther orlhoformique à l'action
du sodium et du zinc-élhyle. Ce carbure bout à 96 degrés et a pour densité
0,689 à 27 degrés; son odeur rappelle celle du pétrole;
3" Le diéllujlineïhylmétliane, qui se forme en traitant le métliylclilora-
cétol par le zinc-élhyle. Il bout vers 87 degrés et a pour densité 0,6958 à
20 degrés. L. Hn.
HEPTIXACÉTIQL'E (Acide). CH'^O". Se forme aux dépens de l'acide
heptylmalonique chauffé au bain d'huile à 160 degrés. Purifié [)ar distillation,
il constitue un liquide incolore, bouillant à 232 degrés, insoluble dans l'eau,
très-soluble dans l'alcool et l'éther. Son sel de baryum est amorphe, son se
d'argent cristalHn. L. Un.
IIEPTYLAMIXE. C^ll'^.H^.Az. On obtient ce corps en saturant l'iodure
d'heplyle avec de l'ammoniaque et en chauffant la solution au bain d'huile; on
enlève ensuite l'iode au moyen de l'oxyde d'argent. Ou bien on chauffe le chlo-
rure d'heptyle avec de l'ammoniaque en tube scellé pendant plusieurs jours; le
produit est distillé avec de la potasse caustique.
L'heptylamine forme un liquide léger, huileux, d'une odeur ammoniacale
aromatique, d'une saveur brûlante, bouillant à 145-147 degrés, assez soluble
dans l'eau. L. Ih.
IIEPTI'LE. CIP*. Radical hypothétique de l'alcool heplylique et de ses
dérivés. L. Un.
HEPTïLE (HvDRCRE d'). Voy. Heptakes.
HEPTTLÉIVE. CfP'*. Hydrocarbure homologue de l'éthylène, s'obtient
avec des hydrocarbures de plusieurs séries dans la distillation du boghead. La
portion d'huile de boghead bouillant de 82 à 88 degrés donne de l'hcptylène
bouillant à 99 degrés et de densité 0,718 à 18 degrés (Williams).
Le chlorure d'heptyle, traité par le sodium à une douce chaleur, fournit de
l'heplylène bouillant à 95 degrés (Limpricht).
L'heptylène est un liquide très-mobile, très-léger, d'odeur alliacée, insoluble
dans l'eau, soluble dans l'alcool.
On connaît l'heptylène chloré, CfP^Gl, et des dérivés tels que le bromure,
CIP^Br-, et le chlorure, CH'^Cl^ ; nous n'insisterons pas sur ces composés. 11
nous suffira aussi de dire que l'heptylène présente de nombreux isomères dont le
point d'ébuUition est très-variable. L. Hk.
HEPT¥JLIDË\E. CE^^. Pour préparer cet hydrocarbure, on transfoi-nie
l'œnanthol eu chlorure ClP^Gl- au moyen du perchlorure de phosphore, puis
par l'action de la potasse alcoolique en heplylène chloré CH'^'Cl ; ce dernier,
-soumis en vase clos, à 140 degrés, à l'action de la potasse alcoolique, donne
l'hepVylidène.
C'est un liquide léger, très-fluide, d'odeur alliacée, bouillant vers 106-
5S0 IIEPTYLMALONIOUE.
108 degrés; il brûle avec une flamme fuligineuse et se dissout aisément dans
l'alcool, l'étlier et la benzine. Il a une grande affinité pour le brome et donne
deux composés G^H'^Br^ et C^H"Br*. L. Hn.
DEPTYLIQUE (Alcool). CII^^O = C^H's.OH. 11 se trouve associé à d'au-
tres alcools dans l'huile de marc de résine; on l'extrait par distillation frac-
tionnée ; la portion bouillant de 155 à 160 degrés constitue l'alcool heptylique.
On l'obtient encore par hydrogénation de l'œnanthol par le zinc et l'acide
acétique crislallisable ou par l'amalgame de sodium ; l'acétate d'hept\ le formé
dans le premier cas est décomposé par la potasse. 11 se produit aussi dans la
distillation du ricinolate de potasse ou de soude avec un excès d'alcali. On peut
enfin se servir do l'iiydrure d'heptyle qu'on transforme d'abord en chlorure, puis
en acétate; par distillation avec la potasse on obtient l'alcool, mais celui-ci
paraît être un isomère de l'alcool heptylique normal. On obtient d'autres iso-
mères dans une série de réactions que nous ne pouvons faire connaître ici.
L'alcool heptylique est huileux, incolore, insoluble dans l'eau, soluble dans
l'alcool et dans l'éther ; il a pour densité 0,819 à 23 degrés (Slaedeler). Il bout
à 170-172 degrés d'après Scliorlemmer, 175", 5 d'après Cross. Le chlorure de
zinc le décopipose en eau et en heptylène. A chaud en présence de la chaux
potassée il dégage de l'hydrogène et se transforme en acide œnanlhvlique. Avec
le pontachlorure de phosphore il donne du chlorure d'heptyle. L'iode et le
phosphore le changent en iodure d'heptyle, l'acide sulfurique en acide heptyl-
sulfui'ique. L. Un.
OEPTYLIQUES (Êtheîis). On connaît :
1° Le chlorure d'heptyle, CH'^.Cl, obtenu par action du perchlorure de
phosphore sur l'alcool heptylique ; c'est un liquide incolore, d'une odeur de
fruits agréable, insoluble dans l'eau, soluble dans l'alcool et l'éther; le point
d'ébullition est incertain;
2" Le bromure dlieptyle, C'H^^.Br, qui se forme en ajoutant lentement du
brome à l'hydrure d'heptyle, peu étudié;
5" l.'iodure d'heptyle, CH'^.l, qu'on prépare en traitant l'alcool heptylique
par l'iode et le phosphore. 11 forme un liquide plus dense que l'eau, bouillant
à 190 degrés, instable;
4» Divers oxydes mixtes, tels que Voxyde amylheptylique, G'H'^.C^II'SO;
\ oxyde éthylheptylique, C''I1»\C-H\0 ; l'oxyde mélhlyhepiylique, C'H^'.CH'.O,
dont nous ne dirons rien ici ;
5° Un acétate d'heptyle, un acide heptyl-sulfuriqne {voy. ce mot), etc.
L. Hn.
nEPTYL9i4.LO!ViQUE (Acide). C"H*»0^ On l'obtient en traitant par la
potasse alcoolique l'heptylraalonate d'élhyle obtenu lui-même par action du
bromure d'heptyle sur l'éther malonique, puis soumettant le produit de la
réaction à l'action de l'éther après acidulation par l'acide chlorhydrique. Par
évaporation, on a l'acide impur; on le lave à l'éther de pétrole.
L'acide heptylmalonique forme une masse cristalline blanche, fusible à
97-98 degrés, peu soluble dans l'eau, très-soluble dans l'alcool, le chloro-
forme et l'éther. On connaît les sels d'argent et de baryum blancs, insolubles
dans l'eau et dans l'alcool. L. Hx.
HERACLITE. 581
nEPTTLSL'l-FIJBlftUE (Acide). CIl'^.H.SO*. Encore appelé acide suif-
heptylique, se prépare par l'action d'une partie d'acide sulfurique concentré
sur deux parties d'alcool lieptylique, à froid. On sature par le carbonate de
baryum et par l'hydrate de baryte et on évapore. L'heptylsulfate de baryte
est en petites écailles nacrées, de saveur amère, très-solubles dans l'eau. Il a
pour composition : 2(G''H'^.SÛ'')Ba4-H^0, d'après Petersen. L'acide n'a pas
été isolé. L. Hn.
nÉBACLÉL'iu. Voy. Berce.
HÉRACLIDE (Les).
néraciide (de Cos). Le père d'IIippocratc II, est probabemcnt l'auteur de
quelques-uns des ouvrages de la collection bippocratique. L. Hn.
néraciide (d'Iléraciée). Dans le Pont, vivait au commencement du quatrième
siècle avant Jésus-Christ. Il suivit les leçons de Platon, de Speusippo, d'Aristote,
et étudia le système de Pythagore. 11 modilla la doctrine des atomes de Démocrite
(d'après lui, la nature entière s'expliquait par la combinaison de corpuscules
sans forme, variables et non similaires), et c'est telle qu'elle sortit de sa main
qu'elle fut adoptée par Asclépiade (de Bilhynie). 11 ne nous appartient pas de
nous étendre sur la vie et les œuvres de ce philosophe. L. Hn.
Héraclide (de Tarente). Était médecin. Il vivait dans le troisième ou le
second siècle avant Jésus-Christ. Il était élève de Mantias l'ilérophilien et appar-
tenait à la secle des empiriques dont il fut le plus illustre représentant. Il a écrit
des commentaires sur llippocrate et des ouvrages sur le traitement des maladies
internes, sur la matière médicale, le pouls, etc. Galien vante l'exactitude de ses
observations. Celse et Ca^iius Aurelianus le citent souvent. Tous les ouvrages
d'HéracIide sont perdus, à l'exception de quelques fragments. L. Hn.
Héraclide (d'Erythrée). Vivait vers 230 ans avant Jésus-Christ. Galien le
désigne comme le meilleur élève de Chi-yserme et cite de lui un grand ouvrage
intitulé : Uipi t/;; 'tipooilou Aîpio-ew; (de la secte d'Ilérophile) ; il écrivit en outre
sur le pouls et commenta llippocrate. L. Ih.
HERACLITE. Philosophe grec, florissait vers l'an 500 avant Jésus-(>hrist;
les uns le rattachent à l'école ionienne, les auti'es en font un disciple de Xéno-
phane; il se prétend lui-même autodidacte. Les résultats de ses recherches sur
la nature des choses sont réunis dans un ouvrage intitulé Musse, écrit dans un
style imagé, mais plein d'obscurités, dont les fragments, réunis jadis par Schleier-
macher, Bernays, etc., ont été publiés récemment dans les Acta Societatis philo-
logicœ Lipsiensis, t. 111, Lipsiœ, 1873. Dans le système d'Heraclite, le feu est le
principe de tout, de l'eau, de l'air, de la terre ; tout dans l'univers est une trans-
formation de cet élément primordial et y retourne, d'où une sorte de flux per-
pétuel dominé par la nécessité ou le destin; de ce flux résultent la vie et la
mort, ou plutôt la vie et la mort n'existent pas, le feu étant à la l'ois l'agent vivi-
fiant et destructeur. Nous n'insisterons pas voy. Lassalle, Die Philosophie
Ueracleitos des Dunkeln, Berlin, 1858, 2 vol. in-S"). L. Hn.
582 HERBE.
OERAMBASEXA. Médecin indien appartenant à l'âge moderne, ayant. vécu
probablement dans le siècle précédent; il est l'auteur d'un livre qui a pour titre
Gûdahodhaka. Ce petit traité, assez connu, ne se trouve jusqu'ici qu'a l'élat
de manuscrit. Il en existe un exemplaire à Londres, provenant de la colle:tion
de l'ancienne Compagnie des Indes. Un autre exemplaire a été signalé dans les
Notices of Sanscr. Manuscripts de Ràjendralâla Milra. 11 comprend 145 pages
de 10 lignes. Tous deux sont en caractères bengalis. Le livre débute par un
éloge de la médecine avec allusions à plusieurs ouvrages assez modernes, clioi-
sis parmi les plus répandus ; divers chapitres sont consacrés à l'emploi de l'eau
considérée comme agent thérapeutique puissant, à l'étude des fièvres périodiques
et à leur traitement, aux maladies des enfants, etc. Il se termine par un cha-
pitre sur les remèdes aphrodisiaques. C'est un livre de thérapeulique plutôt
que de pathologie.
Ràjendralâla Mitra. Notices of Sanscr. Manuscripts, published under' Orders of the
Government of Bengal, t. I, p. 110, cod. 200. — Dietz. Analecta medica, etc. Leipzifr, 1853,
in-8", p. 158, cod. XXX. G. L. D.
IIÉRA9. Médecin grec, né en Cappadoce, vivait vers l'an 50 avant Jésus-
Christ. Galien cite de lui plusieurs ouvrages sur la matière médicale, dont il
ne reste que des fragments. L. ILn.
HÉRAT. Voy. Iran.
HERBE. On désigne sous ce nom, en botanique, les plantes dont la tige
périt au bout de quelques mois de végétation. Ces plantes peuvent èlre an-
nuelles, hisanmielles ou vivaces, selon que leurs racines ou leurs souches per-
sistent une, deux ou plusieurs années.
A l'époque où la botanique était peu avancée et oiî les plantes n'étaient
souvent connues que i)ar leurs vertus, on appelait mauvaises herbes les
plantes qui étaient considérées comme sans utilité ou qui étaient reconnues nui-
sibles à l'agriculture. Par contre, les plantes employées soit en médecine, soit
dans l'économie domestique, étaient désignées par le mot herbe, suivi d'une
épilhèle rappelant en général leurs propriétés ou bien la station, l'apparence
ou quelque particularité de la plante. Parmi ces appellations anciennes, qui sont
fort nombreuses et dont quelques-unes sont tout au moins singulières, quelques-
unes sont encore usitées de nos jours dans le langage vulgaire. Ainsi on appelle
notamment :
Herbe aux abeilles, la Reine-des-prés {Spirœa ulmaria L.).
Herbe à l'ambassadeur, le Tabac {ISicotiana Tabacum L.).
Herbe d'amour, le Driia média L. et le Reseda odorata L.
Herbe aux ânes, l'Onagre {Œnothera biennis L.) et le Cirsium lanceolatum
Scop.
Herbe à l'asthme, à la Guyane, le Nonatelia officinalis Aubl., de la famille
des Rubiacées.
Herbe à l'ail, le Sisymbrium Alliaria Scop.
Herbe à balais, en France, VErica scoparia L. ; à Gayenne, le Sida rhombifo-
lia L. ; aux Antilles, le Scoparia dulcis L.
Herbe aux brûlures, à Cayenne, le Bacopa aquatica Aubl., de la famille des
Scrofulariacées ;
HERBE. 583
Herbe à cailler, le Galium verian h.
Herbe an cancer, le Plumbago europœa L.
Herbe au centaure, VEnjllirœa centauriam L. ou Petite centaurée.
Herbe à cent goûts, l'Armoise {Artemisia vulgaris L.).
Herbe aux cent maux ou aux cent maladies, le Lysimachia nummularia L.
Herbe à cent nœuds ou Centinode, le Pohjgonum aviculare L.
Herbe aux chancres, l'Héliotrope sauvnge {Heliotropium europœum L.).
Herbe aux chantres, le Sisymbrium officinale Scop.
Herbe aux charpentiers, VAchillœa millefolium L.
Herbe aux chats, le Nepeta cataria L- et le Valeriana officinalis L =
Herbe à Chiron, la Petite centaurée.
Herbe à cloques, le Coqueret {Physalis alkekengi L.).
Herbe de Clytie, le Tournefortia tinctoria H. Bn.
Herbe à cochon, le Polygonum aviculare L.
Herbe aux cors, la Joubarbe des toits.
Herbe à coton, les diverses espèces du genre Gnaphalium.
Herbe à la coupure, VAchillœa ptarmica L. et le Sedum telephium L.
Herbe aux cuillers, le Cochlearia officinalis L. »
Herbe aux cure-dents, VAnimi visnaga Lamk.
Herbe à dartres, dans l'Inde, le Cassia alala L.
Herbe à l'éclairé, la Chélidoine.
Herbe aux écrouelles, la Lampourde {Xanthium strumarium L.) et le Scrofu-
laria nodosa L.
Herbe à écurer, les Chara fœtida h. et Ch. vulgaris L.
Herbe aux écus, le Lysimachia nummularia L. et le Tldaspi arvense L.
Herbe aux engelures, V Hyoscyamus niger L.
Herbeà l'épurge, VEuphorbia Lathyris L.
Herbe à reiquinancie, VAsperula cynanchica L.
Herbe à éternuer, V Artemisia ptarmica L.
Herbe étoilée, VAsperula odorala L.
Herbe aux femmes battues, le Tanius communis L.
Herbe h la fièvre, la Petite centaurée.
Herbe du foie, le Marchantia pot ymorplia L. et V Anémone hepatica L.
Herbe aux goutteux, V JEqopodium podagraria L.
Herbe à la gravelle, le Saxifraga granulata L.
Herbe aux gueux, la Clématite sauvage [Cleniatis vitalba L.).
Herbe aux hémorrhoïdes, le Cirsium arvense Lamk.
Herbe aux hernies, les Herniara glabra L. et H. hirsuta L.
Herbe à la laque, le Phytolacca decandra L.
Herbe au loup, VAconitum lycoctonum L.
Herbe aux magiciens, le Datura stramonium L. et la Mandragore.
Herbe aux magiciennes, la Circée (Circœa lutetiana L.).
Herbe au mal de ventre, le Jatropha gossypifolia L., de la famille des
Euphorbiacées.
Herbe à mille trous, le Millepertuis {Hypericum perforatum L.).
Herbe aux mites, le Verbascum blattaria L.
Herbe du musc, VAdoxa moschatellina L.
Herbe du nombril, VOmplialodes verna Mœnch, de la famille des Borragi-
nacées.
584 HERBE.
Herbe aux oies, le Potenlilla anserina L.
Herbe à l'ophthalmie, V Eiiphrasia officinalis L.
Herbe à la ouate, ÏAsclepias syriaca L.
Herbe à pain, VArum maculatum L.
Herbe atix panaris, le Paronychia verticillata L.
Herbe aux panthères, le Doronicum Pardalianches L.
Herbe à la paralysie, le Coucou [Primula officinalis L.).
Herbe an pauvre homme, la Graliole.
Herbe aux perles, le Lithospermum officinale L.
Herbe à la pcf^te, le Tufsilayv petasites L.
Herbe à pisser, le Pirola vnihellala L.
Herbe à la pituite, la Slapliisaigre.
Herbe aux pouilleux, le Delphinium staphisagria L.
Herbe aux poumons, le Pulnwnaria officinalis L., le Marchantia polymor-
pha L. et un Lichen, le Siic/rt pulmonacea Ach.
//er/>e «wr ;;o;/j:, le Pedicularis paluslris L. et le Delphinium staphisagria L.
//erie a»x puces, le Mentha puleyium L., le Plantayo arenaria L. et le
Plantago Psyllium L.
Herbe aux punaises, le Conyza squarrosa L.
Herbe à la piirgation, au Pérou, le Boerhaavia tuberosa Lamk, de la famille
des Nyctuginacces.
Herbe à Robert, le Géranium Bobertiamim L.
Herbe sacrée, le Verbena officinalis L. et le Melittis melissophylliim L.
Herbe de Saint-Benoît, la Benoîte (Geum urbanum L.).
Herbe de Saint-Christophe, VActeea spicata L.
Herbe de Saint-Fiacre, VHeliolropium europœum L.
Herbe de Saint-Jacques, le Senecio Jacobœa L.
Herbe de Saint-Jeaii, le Glechoma hederacea L. eiVHypericuni perforatum L.
Herbe de Saint-Joseph, le Scabiosa succisa L.
Herbe de Saint-Julien, l6 Barbarea vulgaris DG.
Herbe de Saint-Rock, VInula dysenterica L.
/lerfce f/e Sainte-Barbe, le Barbarea vidgaris DC.
Herbe sang-dragon, le Rnmex sanguincus L.
Herbe sans couture, VOphioglossun vulgalum L.
Herbe au scorbut, le Cochlearia officinalis L.
Herbe aux serpents, V Aristolochia serpentaria L., et le Dorstenia con-
trayerva L.
Herbe à sétons, YHelleborus viridis L.
Herbe du soldat, le P/per angustifolium R. et Pav.
Herbe aux sorciers, le Datura stramonium L,
Herbe aux tanneurs, le Coriaria myrlifolia L.
Herbe aux teigneux, le Tussilage petasites L. et la Bardane (i)C/tM?n
happa L.).
//erèe ai/.r teinturiers, le Genista tinctoria L.
//eri^ À /o»s /es maux, VAnamirta cocculus Colehr. elle Lysimachia excelsah.
Herbe de la Trinité, Y Anémone hepatica L.
Herbe aux varices, le Cirsium arvense Scop.
fferèe oîa ^;ew^ la Pulsatille (anémone Puhatilla L.).
^erte om^ verrues, la Chélidoine.
HERBES. 585
Herbe à vers, le Tanacehim vulgare L.
Herbe de vie, ï'Asperiila cynanchica L.
Herbe aux vipères, VEchium vulgare L.
Herbe vulnéraire, YAnthyllis vulneraria L. Ed. Lef.
HERBES (Sucs d'). Sous ce nom et sous celui plus vulgaire de jus d'herbes
on emploie et surtout autrefois on prescrivait les parties vertes des plantes
herbacées, feuilles ou tiges fraîches, contuses et pilées au mortier. Le suc
obtenu par expression était filtré et administré aux malades soit pur, soit
additionné d'eau.
L'usage des sucs d'herbes a été populaire dans l'ancienne médecine, et il
conserve encore aujourd'hui une partie de cette popularité. Parmi eux nous
citerons les suivants :
Le SMC d' armoise (\u on administrait à la dose quotidienne de 2 à 4 grammes,
à titre d'emménagogue et que Cazin conseille aux femmes dysménorrliéiques à
l'approche (le la période menstruelle et au moment du molimen hemorrhagiciim.
Le suc de bette, que Simon Paulis employait à l'extérieur contre les ophthal-
mieset auquel Olaiis Borrichius attribuait des propriétés sternutntoires en vertu
d'une prétendue action irritante sur la muqueuse pituitaire.
Le suc de bourrache, qui possède des propriétés miicilagineuses et une con-
sistance sirupeuse et que, mélangé à un 1/16 de poids d'eau, on administrait
en boisson pour provoquer la diurèse.
Le suc decotylet, extrait du Cotylum umbilicus, plante communément dési-
gnée sous le nom de nombril de Vénus, a été recommandé par Salter et BuUac,
et depuis par Foiissagrives, pour combattre l'épi lepsie. Ce dernier observateur le
faisait ingérer à la dose quotidienne d'une cuillerée à bouche et prétendait en
obtenir quelques favorables effets.
Le suc de chausselrape [Centaurea calcitrapa) est amer. On en a fait un
fébrifuge indigène. Berlin, de Montpellier, et M. Cazin, en prescrivaient 100 à
150 grammes par jour contre les fièvres intermittentes.
Le suc de chélidoine possède des propriétés caustiques bien connues que la
médecine populaire utilise pour la destruction des verrues.
Le suc d'iris posséderait des vertus purgatives et hydragogues et, à la dose
de 5 à 50 grammes, a été prescrit contre les hydropisies. On comptait ainsi tirer
parti de son action drastique sur l'intestin.
Le suc de la grande joubarbe passait pour faiblement astringent. On en
faisait ingérer quotidiennement une à deux cuillerées à café comme dépuratif
aux individus atteints d'affections cutanées.
Le suc de lierre terrestre était administré à la dose d'une à deux cuillerées
à bouche comme béchique, expectorant et tonique. C'était, paraît-il, un remède
tout-puissant pour soulager les asthmatiques et guérir les bronchites chronii]ues.
Le suc de la petite joubarbe possédait une certaine réputation contre l'épi-
lepsie, par prises quotidiennes de deux à quatre cuillei'ées à bouche. On le con-
sidérait encore comme un médicament désobstruant et incisif.
Le suc de l'ortie brûlante s'obtenait en pilant les feuilles de ce végétal après
les avoir humectées d'eau. A la dose de 30 à 120 grammes, on le considérait
comme un hémostatique actif. En 1844, Ginestet l'a recommandé et récemment
on en a signalé l'utilité contre des hémoptysies.
586 HERBORISTE.
Le suc fie pulmonaire était pirscrit comme un médicament béchique. Il avait
même une sorte de réputation contre les catarrhes bronchiques.
Le suc de la pariétaire possède encore aujourd'hui la renommée d'êlre un
diurétique actif à la dose de 50 à 500 grammes. Sa richesse en nitrates alcalins
donne la raison de cette \erlu.
Le SMC de pissenlit était conseillé comme antiscorbuliquc incisif et désob-
struant. Il eritrc dans la composition du suc d"herbes officinal en sa qualité de
stimulant, de stomachique et d"amer contre l'atonie des voies digestives. On le
prend à la dose de 60 à 120 grammes.
Le suc de beccahunga [Veronica beccahunga) entrait encore dans la compo-
sition des sucs d'herbes comme anliscorhutiLjiie, rafraîchissant et dépuratif.
Le suc de cresson possédait les mêmes propriétés. Dans un temps rnôme on
en a fait un des médicaments de la phthisie pulmonaire et des catarrhes re-
belles.
Les seuls sucs d'herbes qui figurent dans les pharmacopées contemporaines
sont le suc dlierbes ordinaires ou jus d'herbes et le suc antisvorbutique. Ou
les prescrit comme amers, dépuratifs et toniques.
Ce suc d'herbes est retiré des feuilles Innches de chicorée, de fumelerre et
de laitue, mélangées par parties égales et pilées. Le suc anliscorbulique se pré-
pare de môme avec les feuilles de cochléaria, de cresson et de menyantlie.
Ch. Eloy.
Bibliographie. — Genestel. Bulletin de l'Académie de niérf., 1844. — Geoffroy. Matière
méd., t. V, p. 511. — FoNs?AGRivES. Traité de matière médicale, 1885, pas>iin. — Cazin.
Traité des plantes médicinales indigènes, 1808, passiin. — Gubler et Labbé. Commentaires
thérapeutiques du Codex, 1885, p. 56 et Ô97. Gh. E.
HERBI\'I4UX. Chirurgien, accoucheur et lithotomiste (de Bruxelles), né
vers 1740, est connu par sa piédilection pour l'usage du levier dans les accou-
chements et par les vives discussions qu'il eut à ce sujet avec Biiudelocqiie. Son
plus important ouvrage a pour titre : Traités sur divers accouchemens labo-
rieux, et sur les polypes de la matrice, Bruxelles, 1782, 2 vol. in-8° ; nouv.
édit. augm. des réfutations, des critiques d'A. Leroy et Baudelocque, ibid.,
1792, 2 vol. in-8». L. Hs.
IIERBIVORES. Le nom d'Herbivores a été donné parfois, en raison de leur
régime particulier, aux Hippiens, aux Ruminants et aux Probosciiliens (voij. ces
mois), Mammifères qui constituent trois ordres distincts. E. 0.
HERBORISTE. La profession d'herboriste, dont les récents projets relatifs
à l'exercice de la pharmacie réclament la suppression, se trouve, jusqu'à ce jour,
régie parles dispositions législatives suivantes: La loi du 21 gei minai an XI
(art. 57) dit que : « Nul ne pourra vendre, à l'avenir, des plantes ou des par-
ties de plantes médicales indigènes, fraîches ou sèches, ni exercer la profession
d'herboriste, sans avoir subi auparavant dans une des écoles de pharmacie, ou
par devant un jury de médecine, un examen qui prouve qu'il connaît exacte-
ment les pl.intes médicinales, et sans avoir payé une rétribution qui ne pourra
excéder 50 francs à Paris et 50 francs dans les autres départements pour les
frais de cet examen. Il sera délivré aux herboristes un certificat d'examen par
HERBORISTE. 587
l'école ou le jury par lesquels ils seront examinés; et ce certificat devra être
em■e"i^lrc à la miinicipalilé du lieu où ils s'établiront. »
L'anèté du 25 tliermidor an XI détermine comme il suit les conditions dans
lesquelles doit se faire cet examen :
Art. ■43. — Dans les départements où seront établies des écoles de pharmacie, l'examen
des herlioristes ?ei a fait par le directeur, le professeur de botanique et l'un des professeurs
de mcJeciiie. Cet examen aura pour objet la connaissance des plantes médicinales, les pré-
cautions nécessaires pour leur dessiccation et leur conservation. Les ftais de cet examen,
lixés à 50 francs à Paris et à 30 francs dans les autres écoles, ainsi que dans les jurys,
seront parla^rés également entre les examinateurs des écoles ou des jurys.
Art. 44. — Dans les jurys, l'examen sera fait par l'un des docteurs en médecine ou en
chirurgie et deux pharmaciens adjoints au jury; la rétribution sera la même pour chacun
des examinateurs.
Art. 45. — Il sira délivré à l'herboriste reçu dans les écoles un certificat d'oxamen signé
de trois examinateurs, lequel sera enregistré ainsi qu'il est prescrit par la loi. Dans les
jurys ce ceitilicat sera signé par fous les Fnembres du jury.
Art. 40 — Il sera fait annuellement des visites chez les herboristes par le directeur et
le professeur de botanique et deux des professeurs de l'École de médecine dans les formes
voulues par l'article 29 delà loi. Dans les communes où ne seront pas situées les écoles, ces
visites seront fuites conformément à l'article 51 de la loi.
Ainsi donc les herboristes ont leur position déterminée. Ils subissent des exa-
mens. Ils sont comme les pharmaciens soumis à une visite régulière; enfin ils
sont divisés en deux classes comme les pharmaciens eux-mêmes. En eifet, le
décret du 22 août 1856 déclare que :
Art. 14. — Les écoles de pharmacie coofèrent le certificat d'aptitude à la profession
d'iierboriste de première cla-se, et qu'elles délivrent en outre, mais seulement pour les dépar-
tements compris dans leur ressort, les certificats d'aptitude pour la profession d'herboriste
de deuxième classe.
Alt. 17. — ... A partir du 18 janvier 1853 les certificats d'aptitude pour les professions
de pharmacien et d'iierboriste de deuxième classe seront délivrés soit par les éci les supé-
l'ieuri^s de pharmacie, soit par les écoles préparatoires de médecine et de pharmacie sous la
présidence d'un professeur de l'une des écoles supérieures de piiarmacie.
An. 19. — ... les ... herboristes de deuxième classe pourvus des diplômes ou certificats
d'apiituile délivrés soit par les anciens jurys médicaux, soit d'après les i ègles déterminées
par les articles 17 et 19 ci-dessus, ne peuvent, comme par le passé, exircer leur profession
que dans le département pour lequel ils ont été rc(,us; s'ils veulent exercer dans un autre
département, ils doivent subir de nouveaux examens et obtenir un nouveau certificat
d'aptitude.
Ces dispositions législatives seront sans doute prochainement modifiées, si,
comme on le prétend, le diplôme d'herboriste doit être suppritiié. Elles ont
cependant leur raison d'être. La vente au détail des drogues simples est inter-
dite aux épiciers et aux droguistes non pourvus du diplôme de pharmacien. La
vente des plantes médicinales doit être également défendue à ceux qui n'ont pas
acquis par des études spéciales les connaissances nécessaires pour ne pas les con-
fondre les unes avec les autres et pour ne pas commettre par suite des erreurs
très-préjudiciables à la saule publique. Ueste à savoir si les gnranlies offertes
par le diplôme d'herboriste sont suiïîsanles et s'il ne serait pas utile de révi-
ser la législation à cet égard. Au moins conviendrait-il de modilier la nomen-
clature des substances que le tableau annexé à l'ordonnance du 20 septembre
1820 a énuméiées et à propos desquelles il soumet les droguistes, épiciers et
herboristes, à la visite des mspecteiirs en pharmacie. Peut-être seiail-il non
moins opportun d'examiner s'il ne serait pas nécessaire d'autoriser les herbo-
ristes à vendre les plantes exotiques aussi bien que les plantes médicinales in-
588 HÉRÉDITÉ.
digènes, sèches ou fraîches, ou les parties usuelles (racines, feuilles, tiges,
fleurs) de ces plantes. On comprend que Ton interdise aux hei boristes de pré-
parer eux-mêmes, pour les vendre ensuite, des décoctions, tisanes, emplâtres,
ce qui serait empiéter sur le domaine de la pharmacie. On comprend plus
difficilement qu'il ne leur soit permis que de vendre les plantes indigènes.
Ajoutons que l'herboriste ne peut, à Paiis du moins, cumuler aucun autre
commerce que celui de grainetier (Ordonn. du 14 nov. an Xll, art. 7). Cette
restriction est-elle observée dans l'espèce? Il est permis d'en douter. Aussi
convient-il d'attendre que la révision des lois qui régissent la médecine et la
pharmacie vienne mieux définir les attributions de tous ceux qui, en vendant
des pioduits parfois nuisibles, sont exposés par ignorance à commettre de dan-
gereuses erreurs. L. Lereboullet.
IIERCLXES (Bains d'). Voy . UEUADIA.
nEREDiA (Les deux).
lleredia (Gaspar-Caldera de). Médecin espagnol, né vers la fin du dix-
septième siècle. Sa famille était originaire du Portugal. Reçu docteur à Sala-
manijuc, il a publié : Tribunal Apollini sacrum, medicum, magicuin et politl-
cum, etc. Leyde, 1G58, in-fol. — Tribunalis medici illustrationes praclicœ,
hoc est, fehrium et symptomatum exactissima curatio, etc., avec le précédent,
Anvers, 16G3, in-fol. L. Hs.
Heredia (Pecro-Micuel de). Professeur de l'Université d'Alcala de Henares,
médecin du roi Philippe IV, mort vers 1662. Sa réputation s'était répandue
dans toute l'Europe. Après sa mort fut publié à Leyde, en 1665, in-ful., un
ouvrage considérable de sa façon, s'occupant des fièvres, des maladies aiguës,
des maladies épidémiques, de celles des femmes, avec un appendice sur le
sommeil, les veilles et la nature et les causes du délire. L. Il-\.
BÉRÉDITÉ. « Quel monstre est-ce que ceste goutte de semence, dequoy
« nous sommes produits, porte en soy les impressions, non de la forme corpo-
« relie seulement, mais des pcnsements et des inclinations de nos pères? Ceste
« goutte d'eau, où loge elle ce nombre infini de formes? et comme portent elles
« ces ressemblances d'un progrès si téméraire et si desréglé que l'arrière fils
« respondra à son bisaïeul, le nepveu à l'oncle? » Cet émerveillement qu'inspi-
raient au vieux Montaigne les curieux phénomènes de l'hérédité, il faut, pour ne
pas l'éprouver, avoir bien présentes à l'esprit les phases diverses de lu repro-
duction dans le monde organique. 11 ne sera pas inutile d'en faire ici l'énumé-
ration : 1" Reproduction par division, scissiparité; l'organisme se segmente
simplement et dans ce cas rien de plus naturel que la ressemblance des Irag-
ments au tout dont ils proviennent; 2" Reproduction par gemmation; ici
l'organisme produit n'est pas du même âge que l'organisme producteur; c'est
une scissiparité atténuée, mais enfin l'engendré est toujours un fragment de
l'engendreur ; 5» Reproduction par bourgeons germinatifs ; un petit groupe de
cellules s'isole, grandit, et devient un individu analogue à l'organisme géné-
rateur (Tréaiatodes) ; 4° Reproduction par cellules germinales) sporogome) ;
une cellule unique se sépare de ses voisines, s'en détache et devient le point de
HÉRÉDITÉ. 589
départ d'un individu nouveau; cette cellule a reçu le nom de spore; 5° Repro-
duction sexuée; la cellule reproductrice, ou femelle, a besoin d'être imprégnée,
fécondée par une cellule mâle.
Comme on le voit, de la scissiparité à la reproduction sexuée il y a toute une
échelle de transitions graduée?:, mais, en définitive, quel que soit le mode de
reproiluction, le produit est toujours une partie détachée du ou des producteurs :
il est donc fort naturel qu'il leur ressemble. Sans doute, dans la reproduction
bisexuée des. organismes supérieurs, les éléments qui s'imprègnent mutuelle-
ment dans l'acte de la généi-ation sont d'un volume extrêmement réduit rela-
tivement aux générateurs, mais cela n'entrave nullement l'iiérédilé. En effet,
ce qui se transmet des progéniteurs aux descendants, c'est essenlieliement un
mode spécial de mouvement moléculaire ; la quantité de matière transmise im-
porte fort peu.
Ctlte vue fondamentale n'empêche point les phénomènes de l'hérédité d'être
infiniment com|ile\es et extrêmement curieux. Notre tâche est maintenant de
les résumer succinctement.
I. Les êtres vivants sont éminemment périssables; tout ce qui est organisé
est éphémère. A chaque seconde, dans le vaste domaine des règnes végétal et
animal, des milliers d'organismes succombent, cédant la place à des milliers
d'autres organismes qui surgissent dans la vie. Pourtant, en n'y regard;mt pas de
très-près, il semble que l'aspect général de l'univers vivant soit invariable; la
forme qui succède est en apparence la leproduction de celle qui l'a précédée.
Pour découvrir des différences, il faut, d'une part, scruter de très- près les indi-
vidus, les confronter l'un à l'autre ; d'autre part, il est nécessaire d'étudier
l'évolution du monde organisé dans le temps et dans l'espace. Le fait qui frappe,
si l'on n'élargit pas le champ de l'observation, c'est la grande ressemblance des
descendants aux ascendants, et lun est tout d'aboid conduit à regarder l'héré-
dité comme la règle et le défaut d'iiérédité comme une rare exception.
C'est qu'en effet la tendance à la régulière transmission des caractères est
pui^sante, car elle résulte d'un less transmis plus on moins fidèlement à travers
la chaîne infiniment longue des générations. Les grands types organiques, ceux
des classes, par exemple, sont bien rarement troublés par d'importantes pertur-
bations dans leur transmission héréditaire. Jamais un mammifère n'engendre
un reptile; jamais un oiseau ne [iroduit un poisson, etc. Les genres, les espèces
même, se reproduisent dans leur descendants avec une suffisante régularité:
c'est ce qui rend possible la taxinomie des êtres organisés. Pourtant celte régu-
larité exemplaire est entacliée d'irrégularité. Sans doute le descendant est
l'image des jjarents, mais cette image n'est jamais un portrait. Parfois même
"de violents écarts, dénommés monstruosités, surgissent comme des faits révo-
lutionnaires; et, si l'on étudie attentivement l'histoire du monde vivant, on
découvre vite qu'en fait la fixité est seulement apparente, qu'elle se résume en
une variabilité lente et constante, ayant pour résultat dei'uier le perfectionne-
ment ou la décadence des types soi-disant fixés.
Comme l'avait déjà remarqué Lucas et comme l'ont signalé après lui Darwin
et Ilœckel, deux tendances rivales luttent au sein de chaque être organisé : une
loi û'nérédité, par laquelle la nature s'imite, se répèle, et une loi, que Lucas
appelle d'innéité, par laquelle elle crée, elle invente. La grande doctrine trans-
formiste nous a appris que cette dernière loi se résume en un effort de l'indi-
vidu pour s'adapter aux conditions de son existence et en une sélection néces-
590 HÉRÉDITÉ.
saire ayant pour résultat final la survivance du plus apte, de l'organisme qui se
plie avec le plus de souplesse aux exigences du milieu naturel ou artificiel. De
là une perpétuelle et lente évolution morpliologi(pie et dynamique, une évolu-
tion qui est loin d'être toujours progressive, car il s'agit, pour durer, persister,
de se soumettre aux fatalités du milieu, quel qu'il soit, cela aveuglément et
sans but, sans fin dernière.
Si, dans la presque totalité des cas, le descendant reproduit servilement
l'ascendant, c'est qu'il en est simplement la continuation. Dans les modes infé-
rieurs de génération, par scissiparité, gemmation, l'engendré est, comme nous
l'avons vu, littéralement un fragment du générateur. Si l'on regarde au fond
des choses, il n'en va pas différemment dans le mode beaucoup plus compliqué
de la génération ovulaire. Mais alors, dans chaque ovule, sommeille tout un
enchaînement de virtualités, de représentations anceslrales, tout le résumé des
impressions subies, de l'expérience lentement acquise par d'innombrables géné-
rations, d'oîi tendance impérieuse pour l'individu organisé, provenant de l'ovule,
à revêtir telle ou telle forme, à sentir et à agir de telle ou telle manière.
De ces tendances les unes sont puissantes, presque irrésistibles ; les autres
sont débiles encore. Ces dernières sont ou les plus récemment acquises, les moins
consolidées par l'habitude ancestrale, ou au contraire celles qui remontent à
une époque extraordinairement lointaine, où les ancêtres ayant une forme, une
organisation notablement différentes, devaient s'adapter à des conditions d'exis-
tence disparues : sur ces tendances archaïques l'oubli organique se fait; et pour-
tant, même alors, la force de transmission héréditaire se révèle encore de
temps à autre par des poussées inattendues qui, pour un moment, ressuscitent
le passé, et dont nous aurons à dire quelques mots en traitant de l'atavisme.
Mais auparavant nous étudiei'ons la tendance antagoniste, le penchant à la varia-
bilité dans ses effets et dans ses causes.
II. Tout être organisé, avons-nous dit, est constamment en évolution. Son
invariabilité n'est qu'apparente; c'est une illusion résultant de la biièvelé de
notre vie individuelle et même de la courte durée de l'expérience consciente du
genre humain en regard des énormes périodes géologiques. Ainsi E. Larlet, en
comparant les crânes des Mammifères tertiaires à ceux des Mammifères actuels,
a constaté que chez les derniers le crâne est plus volumineux et que les cir-
convolutions cérébrales sont plus complexes, dans les mêmes espèces. La trans-
mission héréditaire s'est régulièrement effectuée, mais les acquisitions des
descendants ont peu à peu grossi le patrimoine. C'est là un bel exemple de
modification progressive. Les organes rudimentaires, si nombreux, chez les
végétaux, les animaux et chez l'homme, attestent que parfois l'évolution est
régressive. Nous ne pouvons que rappeler les plus connus de ces organes dégé-
nérés, par exemple, les muscles inutiles du pavillon de l'oreille humaine, la
caroncule lacrymale de l'homme, vestige d'une troisième paupière existant
encore chez les Reptiles, chez les Oiseaux, chez certains Mammifères. Citons
encore les yeux atrophiés de la taupe, des animaux vivant dans les cavernes,
l'inutile épaule osseuse de nos orvets, le poumon amoindri des serpents, etc., etc.
C'est que, en dépit de l'hérédité, tout organe inutile ou nuisible tend, par la
force des choses, à s'étioler et à disparaître. En même temps d'autres organes,
mieux adaptés aux exigences de la lutte pour vivre, se développent. Cette alter-
nance a été appelée loi de compensation ou de balancement de croissance (E. G.
Saint-Hilaire), et elle signifie que dans chaque être organisé, les ressources du
HÉRÉDITÉ. 591
budget biologique étant limiléos, toute dépense exagérée nécessite, d'autre part,
des annulations de crédit.
Rien de plus naturel que ces modifications organiques par compensation.
Mais, dans d'autres cas, nous ne pouvons que constater la corrélation des chan-
gements de forme ou de volume de tels ou tels organes : le lien logique nous
échappe. Pourquoi les cluiis blancs sont-ils habituellement sourds? Pourquoi,
chez nos Mamniileres domestiques, les membres et la tète s'allongent-ils en
même temps, etc., etc.?
D'autres observations générales ont été faites, au sujet de la variation des
organes. On les a décorées un peu prémahnéincnt du beau nom de lois. Tout
d'abord, une fois la fixité héréditaire ébranlée, on voit la tendance à la variation
s'accentuer de plus en plus; le nouveau triomphe de plus en plus de l'ancien,
et cette règle est aussi vraie en sociologie qu'en biologie.
Autre loi : quand un organe esl extrêmement développé dans une espèce, il
est très-sujet à varialioD ; c'est qu'il esl dans l'organisme un nouveau-venu, un
usurpateur, que la tradition héréditaire n'a pas encore suffisamment consolide.
Enfin, dans les organismes supérieurs, se reproduisant par génération sexuée,
toute variation, quelle qu'en soit la cause, apparaissant pour la première fois
chez un individu de l'un ou de l'antre sexe à une époque tardive de la vie, tend
à ne se transmettre que chez les individus de même sexe.
Ce fait général est à rapprocher des lois d'hérédité dans les mêmes régions
et aux mêmes âges, de l'hérédité homotopique ou bomochronique. Mais ces
soi-disant lois sont sujettes à nombre d'exceptions.
Bien des causes en effet peuvent altérer plus ou moins rapidement la régu-
larité de la transmission héréditaire. Les plus simples, les plus facilement
observables, sont les changements dans les conditions de l'existence, soit dans
l'alimentation, soit dans les milieux extérieurs. Fussent-ils même légers, ces
changements ont parfois une grande influence, pourvu que l'être organisé soit
soumis pendant longtemps à leur action. Alors les effets s'accumulent; peu à
peu la résistance organique est vaincue et, au bout de quelques générations,
l'hérédité est sérieusement battue en brèche!
En vertu d'une loi précédemment citée, nos animaux domestiques, dont la
fixité morphologique est déjà ébranlée, sont plus dociles aux influences modifi-
catrices. Parmi ces agents perturbateurs de l'hérédité, il en est un dont les
éleveurs signalent particulièrement la puissance, c'est l'alimentation surabon-
dante. Fréquemment les animaux trop noiirris, les plantes transportées d'un
sol pauvre dans un sol riche, deviennent stériles. Comme le remarque Darwin,
on ne peut guère attribuer qu'à l'excès de nourriture les nombreuses et impor-
tantes variations subies par nos pigeons domestiques et nos volailles. D'habiles
horticulteurs, Hardy and Son, disaient à Darwin que pour conserver une souche
intacte ils avaient soin de la cultiver dans un sol maigre et non fumé. En
résumé, la fantaisie novatrice semble bannie de l'organisme, quand l'alimenta-
tion suffit strictement à l'entretien de ce qui existe.
Citons en second lieu parmi les causes modificatrices dont l'homme peut se
servir le plus aisément pour combattre l'hérédité l'exercice, l'usage ou le défaut
d'usage des organes, entraînant d'ordinaire plus ou moins l'hypertrophie ou
l'atrophie. On le sait, c'était là, aux yeux de Lamarck, la grande cause de la
transformation des êtres organisés.
Le brusque changement de climat est aussi une cause active de modification
,592 HÉRÉDITÉ.
organique. D'intéressantes observations ont été faites à ce sujet sur nos plantes
et nos animaux domestiques. Les changements ainsi provoqués ont été tantôt
anatomiques, tantôt physiologiques. Les exemples abondent :
Les cucbons d'Europe, transportés par les Espagnols, en 1509, dans l'île de
Cubagna, ont dégénéré en une race ayant des pinces d'une demi-palme de lon-
gueur. En Colombie, les vaches, que l'abondance du bétail ne permettait plus
de traire, ont subi une atrophie relative des glandes mammaires ; leurs mamelles
ont cessé de se remplir de lait en dehors du temps nécessaire à l'allaitement de
leur veau. Sous les tropiques, nos moutons perdent leur toison abondante après
quelques générations. De même le maïs perd, en Europe, ses caractères après
trois ou (pialre générations.
Rappelons enfin l'apparition de races nouvelles eu Amérique, les moutons-
loulreset les bœufs natos, dont nous aurons à reparler.
Les modifications physiologiques ne sont pas moins intéressantes. On sait,
par exemple, que nos chiens, devenus sauvages, perdent la faculté d'aboyer;
que, dans l'Amérique du Sud, les brebis et les chèvres ont deux portées par
an, etc., etc. Ces faits prouvent donc à l'évidence que le pouvoir de l'hérédité a
ses limilcs.
111. Comme il ressort déjà des pages précédentes, la grande question de l'hé-
rédilé est loin d'être élucidée. Le jour où ses lois seront suffisamment connues,
la biologie entrera dans la phase glorieuse, rêvée par CI. Bernard; alors l'héré-
dité pourra être scientifiquement dirigée, maîtrisée, et elle permettra, dans une
plus ou moins large mesure, de modeler les organismes vivants. Pour le pré-
sent, nous n'en sommes encore qu'à la période inchoative, celle qui consiste à
rassembler des faits souvent contradictoires. De ces faits ceux qui ont trait à la
transmission, à la production des sexes, à l'influence du sexe sur l'hérédité,
sont intéressants à étudier.
Tout d'abord nous devons signaler un phénomène sur lequel nous aurons à
revenir en parlant de l'atavisme, savoir la transmission par la mère des carac-
tères sexuels paternels, primaires et secondaires (cornes, crêtes, etc.), que
pourtant elle ne possède pas. Les particularités sexuelles de l'autre sexe existent
donc chez la femelle à l'état en quelque sorte virtuel, et cette virtualité peut
d'ailleurs se réaliser dans une certaine mesure, chez la femelle elle-même,
quand elle perd plus ou moins les attributs de son sc\e, dans la vieillesse, par
exemple, ou après l'ablation des ovaires nombre de femelles d'oiseaux (paons,
canes) révèlent partiellement les caractères secondaires mâles de leur espèce, et
des piiénomènes analogues s'observent chez l'homme après la castration, chez
la femme après la ménopause.
Rien d'ailleurs de plus obscur encore que l'influence du sexe dans l'hérédité.
Ainsi parmi les chevaux de course anglais on voit certaines juments ou certains
mâles transmettre fréquemment leurs caractères à leurs produits, certains autres
non. Le fameux cheval de course Éclipse procréa 3 j4 chevaux vainqueurs; une
autre gloire chevaline, King Ilerold, eut 497 descendants victorieux; mais le
plus souvent pourtant les deux procréateurs ont une influence sensiblement
égale sur leur progéniture. Ainsi les chameaux accouplés aux dromadaires ont
un pouvoir de transmission équivalent, et ils produisent en nombre égal des
petits pourvus les uns d'une bosse, les autres de deux. D'un récent travail de
Fr. Gallon il résulte que, dans l'espèce humaine, la taille d'un individu est
d'ordinaire intermédiaire non-seulement à celle de ses progéniteurs directs,
HEREDITE. 595
mais à la taille moyenne de leurs races, s'ils sont de races diverses. La loi se
formulerait ainsi : la stature du produit est égale en moyenne au tiers de la
somme de la taille du père, de la taille de la mère et de la taille moyenne de
la race.
Les résultats, peuvent varier avec le type zoologique : ainsi chez les abeilles
on voit des individus ayant sur une des moitiés latérales du corps la forme mâle,
tandis que l'autre est femelle.
Pourtant, quand les deux progéniteurs possèdent congénitalement une même
particularité, il y a grande probabilité qu'elle se transmettra au moins à une
partie de leurs descendants; mais ce n'est qu'une probabilité. En effet pourquoi
le frêne pleureur lègue-t-il rarement son faciès spécial à ses rejetons, et pour-
quoi au contraire le chêne pleureur le rétrocède-t-il à la plupart d'entre eux?
En ce qui coneerno la production du sexe lui-même, nous ne sommes guère
mieux renseignés, car il semble bien qu'il faille renoncer à la théorie, si simple
et si séduisante, de M. Thury (de Genève), qui rattachait la production du sexe
mâle uniquement à un plus grand degré de maturité de l'ovule au moment de
la fécondation. Rappelons que déj;i llippocrate avait indiqué, comme favorable
îi la production du sexe mâle, le moment de la complète cessation des règles,
tandis qu'au contraire, disait-il, on obtenait le sexe féminin, si la conception
avait lieu un peu avant la fin des règles, mais quand elles avaient abondam-
ment coulé {De la super fétation).
Dans l'hypothèse que nous venons de rappeler, on ne s'est occupé que de
l'ovule, mais la qualité du sperme a sûrement une importance équivalente et
cette influence est même mieux établie.
En effet des faits nombreux attestent que la débilité du mâle est favorable à
la procréation des femelles. De plus, au dire de Lafont-Pouloli, tout cheval 7ja?'es-
seux à la monte ne procrée que des individus faibles et mal constitués. Enfin,
les produits d'un vieux mâle et d'une jeune femelle ressemblent plus à leur mère
et d'autant plus que le père est plus décrépit. Notons encore que dans l'Aveyron
les brebis turgos, c'est-à-diie ayant été tenues une année éloignées du mâle,
produisent l'année suivante plus de femelles que de mâles.
Pourtant, comme en matière d'hérédité les faits contradictoires abondent, la
polygamie et les abus sexuels des étalons de nos haras semblent sans effet sur
la natalité sexuelle, car leurs descendants mâles et femelles sont en nombre
sensiblement égal.
Cependant les variations de la natalité sexuelle, chez l'homme, non-seulement
suivant les races, mais même suivant les classes, suivant la profession, semblent
bien prouver que la détermination du sexe dépend de circonstances secondaires.
11 vaut la peine de rappeler ces faits si curieux.
En Europe, les naissances mâles, prises en bloc, sont de 1055 contre 1000 nais-
sance féminines. Mais c'est là un fait et non pas une loi, puisque la natalité
masculine est notablement plus forte chez les Juifs et, exception plus curieuse
encore, chez les clergymen anglais.
En Europe, avons-nous dit, la proportion de la natalité masculine à la natalité
féminine est représentée à peu près par 1055 : 1000, mais d'après Quételet, de
1815 à 1820, il naquit au cap de Bonne-Espérance, chez les Européens, 6780 filles
et seulement 6604 garçons, tandis que, durant le même laps de temps, il était
né, chez les esclaves, 29Ô6 garçons et 2826 filles.
Nous ne pouvons que citer ces faits contradictoires, mais ils ne sont pas de
mcT. ENC. 4^ s. XIII. 58
b9i HÉRÉDITÉ.
nature à faire regarder comme insoluble le problème de la procréation des sexes
à volonté.
Chaque individu, dans une espèce donnée, ayant sa puissance héréditaire
propre, indépendamment de la force anceslrale commune qui détermine le tvpe
spécifique, on peut dire que, chez les espèces bisexuées, tout individu est le
résultat d'un croisement. Mais, la puissance héréditaire étant inégale cliez les
deux progénitcurs, le produit est assez rarement la moyenne de ses parents;
presque toujours, tout en ayant hérité de caractères partiels appartenant à l'un
ou à l'autre de ses auteurs, il incline manifestement vers l'un ou l'autre. Par-
fois cependant l'un des progénileurs semble annihilé; la prépondérance dans
la transmission est toute d'un côté. Pareille chose arrive aussi dans les croise-
ments hybrides des végétaux et des animaux, où le conflit des influences est
amplifié et donne des résultats plus frappant : ainsi l'hybride du chacal et du
chien se rapproche manifestement du chacal, tandis que l'hybride du chien et
du loup ressemble tantôt à l'un, tantôt à l'autre.
Dans le métissage du blanc et du nègre, le produit, le plus souvent intermé-
diaire, incline cependant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; parfois l'influence
de l'un des parents éclipse totalement celle de l'autre. Ainsi Bégon a vu aux
Antilles des jumeaux d'une négresse qui étaient, l'un blanc à cheveux longs,
l'autre noir et à cheveux crépus (Lucas, II, 46). De même un nègre de Berlin eut,
d'une femme blanche, sept filles mulâtresses et quatre filsblancs (Lucas, I, 212).
Les cas d'hérédité croisée, de la mère au fils ou du père à la fille, sont assez
communs chez l'homme, et des faits analogues s'observent aussi dans le mélis-
sase des animaux.
Il arrive encore que l'un des parents transmette exactement un caractère
isolé : cela se voit aussi chez l'homme dans le métissage.
De tous ces faits si variés, si contradictoires parfois, on peut conclure que ce
qui domine habituellement dans l'hérédité, aussi bien au sein d'une même espèce
que dans les croisements hybrides et métis, ce n'est pas l'influence sexuelle,
mais bien les degrés divers de consolidation soit du type, soit de tel ou tel carac-
tère chez l'un des progéniteurs. Celui des deux auteurs qui appartiendra à la
race la plus ancienne, la moins mélangée, aura, quel que soit son sexe, la vic-
toire dans le conflit. C'est sûrement pour cette raison qu'en se croisant avec les
autres races humaines les Chinois l'emportent d'ordinaire dans la transmission
héréditaire du type.
Une observation intéressante et sûrement applicable à l'humanité a été faite
sur les métis des animaux domestiques : le mélange de deux types distincts,
divers, a parfois pour résultat de donner des produits fort sauvages : il semble
alors que les habitudes sociables des parents se contrarient, se neutrahsent, et
laissent par suite libre essor au fonds commun plus ancien, à la sauvagerie pre-
mière. On a affirmé souvent qu'il en est de même chez les métis humains.
Mais, dans ce dernier cas, le fait serait à retenir, car il serait gros d'applications
pratiques.
IV. Une variation, quelle qu'en soit la cause, étant produite, il y a évidem-
ment bien des chances pour qu'elle ne se transmette point. Tout d'abord, chez
les espèces bisexuées, l'influence de l'un des progéniteurs contrarie d'ordinaire
celle de l'autre : la routine iait échec aux tendances novatrices. Mais, dans le cas
même où les deux parents seraient dotés de la même particularité nouvelle,
chacun d'eux porte en soi la puissante influence de l'hérédité ancestrale, qui par
HÉRÉDITÉ. 595
essence travaille, le plus souvent victorieusement, à réprimer les écarts mor-
phologiques ou physiologiques.
Mais contre cette despotique tradition organique, ennemie de tout change-
ment, lutte une intUience révolutionnaire, la sélection, si admirablement étu-
diée par Darwin, et que nous ne pouvons ici que mentionner en passant. Toute
la doctrine de la sélection se résume d'ailleurs en une observation des plus
simples, savoir que toute particularité nouvelle a quelque chance d'être con-
servée et transmise, si elle donne à l'organisme qui en est doté un avantage
quelconque dans l'universelle concurrence vitale.
Bien avant que Darwin eût exposé la théorie de la sélection naturelle l'homme
la pratiquait artificiellement, afin de fixer chez nos plantes et nos animaux
domestiques les particularités utiles pour lui. Par ce procédé, et en emprun-
tant à l'hérédité elle-même des armes pour la combattre, on a formé jadis toutes
nos races d'animaux et de plantes domestiques, et de nos jours cette sélection
artificielle est devenue un art véritable. IN'ous nous bornerons ici à en citer
quelques cas célèbres. Par une sélection rigoureuse, en croisant entre eux autant
que possible des individus analogues, on a créé la variété des moutons mérinos
et on est arrivé à porter progressivement la laine des brebis à une longueur de
22 pouces.
La race des moutons ancons, des moutons-loutres, provient aussi, par sélec-
tion artificielle, d'im individu né en 1791 et ayant sans cause connue un corps
plus long et des pattes crochues plus courtes que celles de son espèce.
Les bœufs îiatos d'Amérique ont une origine analogue, ainsi que la plupart
de nos races chevalines, bovines, ovines, porcines, et de nos plantes domes-
tiques.
Veut-on fixer les variétés animales utiles à l'homme, c'est forcément aux
croisements consanguins que l'on a recours. Mais la consanguinité, si largement
pratiquée par les éleveurs, a été souvent signalée comme dangereuse chez l'homme.
Dans ce dernier cas, il semble bien en effet qu'elle favorise la production de la
surdi-mutité, mais pourtant, d'une manière générale et quand les progéniteurs
sont bien organisés, elle a assez rarement des résultats fâcheux ; son rôle alors
est simplement d'élever l'hérédité à sa plus haute puissance et de favoriser
entièrement la reproduction des particularités morphologiques et physiologiques,
quelles qu'elles soient. Mais par corrélation de croissance ces caractères eux-
mêmes peuvent provoquer diverses modifications organiques, parfois nuisibles.
Amsil escocnons anglais, arrivés par sélection consanguine à un énorme déve-
opoement adipeux, sont souvent monorchides ou cryptorchides, tandis que les
truies perdent l'instinct génésique ou deviennent stériles ; mais il y a là, au
moins pour une part, un effet de l'alimentation surabondante provoquant la
régression graisseuse.
De même on a remarqué qu'en raison de la fréquence des mariages consan-
guins il y avait chez les juifs une énorme quantité de sourds-muets.
Chez nos animaux domestiques, la sélection artificielle parvient assez vite à
fixer tel ou tel caractère donné. Si les deux progéniteurs, le plus souvent con-
sanguins, possèdent la particularité à fixer, la variété est créée après un très-
petit nombre de générations. Ce nombre varie d'ailleurs avec la natuie du carac-
tère. Selon Autenrieth et Ammon, deux générations suffisent pour obtenir des
poulains d'une couleur uniforme. Si le caractère est plus important, les éleveurs
demandent six à huit générations pour le fixer et le mettre à peu près à l'abri
596 HÉRÉDITÉ.
des chances d'hérédité en retour, de l'atavisme, de Va tenace inÛuence ances-
trale, dont nous allons maintenant nous occuper.
V. Elle est hien puissante cette tendance au retour vers les formes ancestrales
disparues; c'est qu'elle représente une habitude organique, que se sont trans-
mise jadis d'innombrables générations. Grâce à elle, il existe dans chaque orga-
nisme individuel, à l'état latent, tout un passé disparu, mais qui peut toujours
revivre. Les générations^alternantes, celles des biphores, par exemple, pourraient
bien n'être que de l'atavisme régularisé.
Chez nos races végétales ou animales domestiquées, la tendance au retour est
immanente et elle se manifeste fréquemment, bien plus que chez les types sau-
vages : c'est que la fixation des caractères domestiques est de date relativement
récente. Ainsi sur des plantes, levées de graine, Vilmorin a vu souvent des fleurs
revenir aux couleurs primitives par des taches ou des raies, spécialement chez
les variétés blanches ou pâles, quoique, précisément chez les variétés de cette
couleur, la teinte se transmette assez fidèlement.
De même chez les Scrofulariées, sauvages ou non, on rencontre assez souvent
des fleurs à cinq pétales réguliers (pélorisme), attestant que le type personne
descend d'ancêtres à corolles régulières.
Chez les animaux domestiques et chez l'homme, ces. revendications ataviques
sont fréquentes, curieuses et suggestives. Comme le remarque Darwin, cette
persistance, avec laquelle un passé énormément lointain tend à ressusciter, con-
traste avec l'infiniment petite part matérielle attribuable aux ancêtres dans la
constitution des organismes. Après seulement douze générations, celte propor-
tion du sang ancestral n'est plus que de 1/2048, et pourtant elle suffit, même
quand elle est bien plus atténuée encore, à déterminer le retour.
Quelle est l'infime proportion du sang de la Colomba livia chez nos pigeons
domestiques? Cependant la réapparition de la couleur bleue, propre à cet ancêtre
si lointain, se constate fréquemment dans nos colombiers.
Dans la généalogie de nos équidés domestiques, l'ancêtre commun, à pelage
zébré, est bien loin dans le passé, et néanmoins il n'est pas rare de voir nos
juments accoucher de poulains zébrés, ce qui même a donné lieu à la fable de
l'imprégnation perpétuelle de la femelle par le premier mâle qui la féconde.
De même, et cela est moins extraordinaire, les moutons Southdowns sans
cornes ont souvent des agneaux mâles pourvus de petites cornes et ayant un
pelage noir.
Chez l'homme, l'atavisme reproduit parfois certains caractères qui semblent
bien rappeler les plus lointains ancêtres animaux, ceux que les transformistes
nous donnent pour de très- anciens aïeux et dont notre évolution embryologique
nous retrace en abrégé la série. Citons d'abord les hommes munis d'un appen-
dice caudal ayant parfois 6 à 8 centimètres de longueur et pourvu de vertèbres.
Les mamelles surnuméraires viennent aussi de temps en temps, chez la
femme, nous rappeler la bassesse de notre origine. On en a vu jusqu'à cinq, et
il en est parfois d'inguinales. De même les cas si fréquents de sexdigitatiou
sont vraisemblablement ataviques; ils font revivre le souvenir d'ancêtres qui
n'étaient même pas mammifères, puisqu'aucun mammifère, bien plus, aucun
oiseau, aucun reptile actuel, n'a normalement plus de cinq doigts; ces anoma-
lies nous ramènent jusqu'à certains reptiles éteints [Ichthyopterygin).
L'homme porc-épic, dont le fameux Lambert est le type, a sans doute aussi
une origine atavique.
HÉRÉDITÉ. 597
Ces monstruosités par retour ont un caractère commun, celui de se transmettre
ensuite avec une grande fidélité. Il semble qu'en ressuscitant le passé recouvre
une grande portion de son ancienne énergie. Ainsi on a vu la sexdigitation se
transmettre pendant quatre générations consécutives, tantôt en s'atténuant,
comme il arriva dans la famille Colburn, tantôt en s'exagérant. Bien plus, les
doigts surnuméraires repoussent parfois plus ou moins après amputation. Or le
fait de la régénération est aussi, comme on le sait, propre à l'animalité infé-
rieure, et à elle seule.
Cette même puissance d'hérédité spéciale s'observe encore chez les moutons
ancons, chez les bœufs halos et vraisemblablement pour la même cause.
Si certaines irrégularités morphologiques sont attrdjuables à l'atavisme, il
en est d'autres qui semblent plutôt se rattacher aux tendances novatrices, à
l'action des milieux, à certains accidents.
En effet, durant la vie embryonnaire et fœtale, plus encore durant l'ovulation,
des causes fort légères peuvent provoquer des monstruosités diverses. Ainsi,
pour avoir des poulets monstrueux, il suffit de dresser les œufs de poule sur la
pointe, d'en chauffer un peu plus que le reste telle ou telle partie, etc. (fcleof-
froySaint-Hilaire, Dareste).
J. G. Saint-Ililaire a constaté que les femmes pauvres, obligées de travailler
durement pendant leur grossesse, ou hier» encore les filles-mères contraintes de
dissimuler leur état, donnent plus souvent que les autres femmes naissance à
des monstres. C'est que, durant l'incubation ou la grossesse, le germe ou le
fœtus sont en état de rapide évolution ; en ce moment leurs métamorphoses se
succèdent fiévreusement et, si l'une d'elles vient à être troublée, la perturbation
réagit sur les suivantes : toute la concaténation peut être perturbée.
L'influence de l'atavisme dans les croisements métis ou hybrides n'est pas
moins intéressante à noter. D'habitude, les premières générations croisées sont
plus ou moins intermédiaires aux parents, mais peu à peu la descendance fait
le plus souvent retour à l'un des premiers progéniteurs, parfois à un antique
ancêtre commun au deux types croisés. Ainsi par le croisement de pigeons tota-
lement dépourvus de coloration bleue on obtient toujours, parmi les descendants,
des oiseaux colorés en bleu ardoisé. De même le croisement de vieilles et pures
races gallines sans trace de rouge a donné plusieurs métis dont le plumage
était semblable à celui du G. bankiva (Darwin). N'oublions pas que des faits
analogues ont été observés pour l'hérédité psychitjue.
Faut-il aussi rapporter à l'atavisme, mais à uu atavisme des plus lointains,
les modifications brusques que fait surgir quelquefois l'hybridation des plantes
et qui ont été constatées par tant de bons observateurs?
L'explication semble, comme nous l'avons vu, admissible pour certaines
anomalies humaines, mais chez les végétaux l'analogie ancestrale est moins
facile à constater. Peut-être ces apparitions soudaines de formes nouvelles tien-
nent-elles seulement à ce que les hérédités contraires des progéniteurs se neu-
tralisent et laissent le champ libre à la production de types originaux, aussi
bien qu"a la résurrection de caractères disparus.
Vil. La transmission héréditaire des particularités physiologiques ou patho-
logiques offre un intérêt tout spécial; elle est peut-être plus propre que les
faits d'hérédité générale ou totale à jeter quelque jour sur les conditions et les
modes, si mal connus encore, de l'hérédité. Citons-en quelques exemples :
La longévité est souvent héréditaire. Les centenaires ne s'observent guère que
598 HEREDITE.
dans certaines familles. Rappelons le célèbre Thomas Parr, qui mourut à cent-
cinquante-trois ans et dont le fils vécut jusqu'à cent-vingt-sept ans.
Le tempérament est fréquemment transmis et avec lui la couleur de la peau,
des cheveux, des yeux, qui en est le signe le plus apparent.
On en peut dire autant de la taille, mais la stature, le tempérament, la cou-
leur, doivent être souvent considérés comme des caractères de race ; leur trans-
mission est donc toute naturelle.
L'hérédité de telle ou telle conformation toute spéciale est plus curieuse,
par exemple, celle du timbre de la voix, qui est si fréquente et parfois si
complète.
Plus intéressante encore est l'hérédité de certains caractères acquis, les uns
anatomiques, les autres physiologiques. Ainsi Walker a constaté qu'en Angle-
terre les ouviiers ont, dès leur naissance, les mains plus grandes que celles
des classes aisées. De même la myopie est infiniment plus commune dans les
villes que dans les campagnes, chez les riches que chez les pauvres.
D'inlimes particularités acquises, par exemple, des gestes, des attitudes,
même le genre d'écriture, etc., se transmettent des parents aux enfants. Elles
attestent que l'homme est variable, modifiable dans une certaine mesure; que
l'éducation a prise sur lui et qu'à travers l'individu elle peut agir même sur
les descendants.
VIll. Puisque certains caractères physiologiques, innés ou acquis, se peuvent
transmettre à la postérité, l'hérédité des aptitudes pathologiques n'a rien de
surprenant, car la pathologie n'est qu'une déviation de la physiologie, mais
cette transmission est bien autrement utile à connaître. Constatons tout d'abord
que les difformations ou mutilations accidentelles ne sont pas d'ordinaire léguées
à la descendance. Les mutilations ethniques suffisent sûrement à bien prouver
la fausseté de certaines légendes qui ont cours au sujet de la transmission héré-
ditaire des mutilations. Ainsi l'avulsion de certaines dents, l'amputation de
certaines phalanges, la circoncision judaïque, les déformations crâniennes, pra-
tiquées durant des siècles, ne sont jamais héritées. De même les mutilations
auxquelles nous soumettons nos animaux domestiques semblent sans influence
sur la descendance. Quoique, comme le remarque Nathusius [Vortràge ûher
Viehzucht und Rassenkenntniss, p. 140), on raccourcisse la queue des moutons
mérinos, en France et en Allemagne, depuis plus d'un siècle, l'opération ne
cesse pas d'être nécessaire.
Si les mutilations ne sont pas héréditaires, et cela est naturel, puisqu'elles
ne résultent ni de la constitution, ni du tempérament, etc., de l'être vivant, il
en est tout autrement des maladies ou des infirmités liées à un vice de confor-
mation naturelle.
La surdi-mutité n'est pas toujours héréditaire, puisque sur 47 mariages entre
sourds-muets deux enfants seulement étaient atteints de l'infirmité des parents;
mais elle l'est fréquemment, comme le prouvent d'autres statistiques. C'est
que, encore une fois, l'hérédité est fort capricieuse ou plutôt c'est que nous en
ii^aorons les lois.
Parfois la transmission s'effectue au contraire avec une extrême régularité.
Dans une famille dont 85 membres sur 600 avaient été atteints de cécité noc-
turne, pas un seul cas chez les enfants dont les parents étaient indemnes (Darwin,
Variation, II, 38).
Dans la famille Lecompte, la cécité fut héréditaire pendant trois générations
HÉRÉDITÉ. 599
et 37 enfants et pstits-enfants devinrent tous aveugles entre dix-sept et dix-
liuit ans : frappant exemple d'hérédité homoclironique {ibid., II, 83).
Les médecins savent trop que la plithisie est héréditaire, surtout chez les
enfants puînés, procréés après l'apparition de la maladie chez les parents, et
qu'il en est de même pour bien d'autres affections, spécialement pour le cancer.
D'après le docteur Garrod, 50 pour 100 des cas de goutte observés dans les hôpi-
taux sont héréditaires.
Il est une particularité importante ta noter, c'est que fréquemment l'enfant
né avant l'explosion de la maladie chez ses progéniteurs échappe à l'hérédité
pathologique.
Mais il est tout un groupe de maladies plus fatalement héréditaires que les
autres : ce sont les névropathies de tout genre, et rien n'est moins étonnant,
puisque les cellules nerveuses sont, par excellence, aptes à conserver les em-
preintes.
Bien plus, les maladies des centres nerveux peuvent être héréditairement
transmissibles, même quand elles ont été artificiellement provoquées, puisque
les femelles de Cobayes, rendues épileptiques par Brown-Séquard au moyen
d'hémisections de la moelle épinière, ont parfois des petits pourvus de zones
épileptogènes.
Tous les genres de vésanies, manies et monomanies, sont très-souvent héré-
ditaires, et fréquemment la maladie éclate chez le descendant au même âge que
chez l'ascendant. Esquirol a vu une famille dont tous les membres furent
atteints de folie à l'âge de quarante ans. Si la maladie se transmet à plusieurs
générations, on la voit souvent devenir plus précoce, apparaître de plus en
plus tôt.
Sur 372 cas de folie, Esquirol a noté l'influence héréditaire 165 fois.
Pour la folie, l'hérédité du côté maternel serait plus fréquente. C'était
l'opinion d'Esquirol (I, 53), et Baillarger a vu, sur 455 faits d'hérédité, l'in-
lluence maternelle prédominer dans les deux tiers des cas [Ann. méd.-psych.y
mai 1844, p. 530, etc.).
La grande puissance de transmission héréditaire que possède le système ner-
veux a m.ême permis d'étudier la genèse de la folie, de suivre l'évolution patho-
logique des désordres nerveux à travers une série de générations. Cette enquête
a montré que très-souvent la folie confirmée n'est que le chaînon terminal d'une
longue succession d'anomalies psychiques, débutant parfois par de simples
bizarreries du caractère (P. Jacobi. La sélection, 104). Dans tout ce lent travail
de genèse pathologique, les habitudes vicieuses, la mauvaise hygiène mentale
des ascendants, sont souvent la cause originelle de telle monomanie suicide, de
telle manie aiguë, etc., qui éclatera chez les descendants, après trois ou quatre
générations.
Chacun de nous dispose donc, dans une assez large mesure, de la santé psy-
chique de sa postérité.
IX. Si obscures que soient encore les lois de cette hérédité mentale, on en peut
déjà constater les effets extrêmement intéressants et fort utiles à connaître. C'est
souvent à son intluence qu'il faut rapporter, spécialement au moment de la
puberté, tel ou tel développement remarquable, que l'on attribue à tort à l'édu-
cation.
Sans doute il éclôt subitement dans certaines familles des talents, des dispo-
sitions extraordinaires, bonnes ou mauvaises, qu'il n'est pas toujours possible
600 HÉRÉDITÉ.
de rattacher à l'hérédité. Parfois ces anomalies sont de simples variations dont
les causes nous échappent ; souvent aussi elles résultent d'un atavisme plus ou
moins lointain.
Beaucoup de grands hommes semblent n'avoir pas eu d'ancêtres et trop sou-
vent ils ne font point souche. Mais ce qui est hors de doute, c'est que toute
aptitude extraordinaire correspond à une organisation cérébrale extraordinaire
aussi, et que l'éducation ne donne pas. On peut affirmer que tout développe-
ment intellectuel hors ligne suppose un cerveau souvent d'un volume considé-
rable, toujours ayant des circonvolutions nombreuses, complexes, recouvertes
d'une épaisse couche de substance grise. A quelle conformation cérébrale parti-
culière doit-on d'être poète, musicien, orateur, philosophe, etc.? Nous ne le
savons pas encore, mais ce qui est certain, c'est que ces aptitudes sont spon-
tanées, innées, qu'on ne les acquiert point. Déjà llelmholtz a montré que l'inap-
titude à percevoir les sons musicaux provient d'une anomalie des nerfs du
limaçon. Le talent musical a sûrement pour raison anatomiquc une conforma-
tion inverse et aussi un développement particulier du noyau de substance grise,
correspondant dans les hémisphères cérébraux au sens de l'ouïe: de là l'in-
lluonce si manifeste de l'hérédité dans la généalome de nombre de musiciens
célèbres (Bach, Mozart, etc.). Si trop souvent nous sommes impuissants à ratta-
cher à une cause héréditaire telle particularité singulière des instincts, du carac-
tère, de l'intelligence, il n'en est pas toujours ainsi. Dans nombre de cas, la
chaîne des effets et des causes est visible et nous pouvons même suivre pas à
pas la genèse de tel ou tel mode particulier d'activité cérébrale.
A vrai dire tout être organisé, végétal, animal ou homme, est dans toute sa
personnalité le résultat de l'hérédité. Chez l'animal et chez l'homme, il n'est pas
un organe, pas une fonction, qui ne résume une énorme série d'impressions
subies par les ancêtres, d'habitudes contractées par eux dans leur lutte pour
vivre. Ainsi tout le travail physiologique, si complexe, de la digestion, chez
l'homme et les animaux supérieurs, s'effectue en vertu d'une tendance orga-
nique héréditaire, si complètement organisée que les centres nerveux n'en ont
même plus conscience. 11 en est de même pour quantité de mouvements coor-
donnés s'accomplissant sans aucmie intervention de la volonté consciente et
aussi pour certains actes des sens spéciaux, par exemple, pour l'extérioration
des sons et des images, pour les principaux phénomènes de l'expression : con-
tractions des muscles faciaux, haussement d'épaules, etc. (Darwin).
Chacun de nous d'ailleurs peut, dans une certaine mesure, se créer des in-
stincts qui parfois deviennent héréditaires. A force de répéter un acte, nous
parvenons à l'exécuter mécaniquement, inconsciemment; alors l'habitude ne
se distingue plus de l'instinct, qui, à vrai dire, comme l'a dit Darwin, n'est
qu'une habitude héréditaire.
C'est en vertu d'une de ces habitudes ancestrales et devenues transmissibles par
la génération que nombre de jeunes chiens couchants tombent en arrêt, la pre-
mière fois qu'on les mène à lâchasse; qu'en Amérique les descendants de chiens
dressés de longue date à la périlleuse chasse au pécari savent d'instinct la tac-
tique à suivre, tandis que les chiens ordinaires se font dévorer. Il suffit d'un
morceau de peau de loup pour inspirer à certains chiens une terreur convul-
sive, et la paille de la litière des lions et des tigres produit le même effet sur
les chevaux. C'est encore instinctivement et en vertu d'une habitude héritée que
nos chiens domestiques enfouissent leurs aliments, et, avant de se coucher.
HEREDITE. 601
tournent pour fouler une herbe absente. De même, c'est en vertu d'une faculté
acquise et devenue héréditaire qu'ils aboient, puisque l'aboiement est une sorte
de langage inconnu des chiens sauvages.
De même que les instincts nutritifs et les associations de mouvements dont
nous venons de parler, les pench;ints moraux, les désirs, etc., se transmettent
fréquemment par hérédité. Exactement comme la beauté et la laideur physique,
les penchants vertueux ou vicieux sont le plus souvent innés, hérités. Lucas cite
une famille écossaise où le penchant à l'anthropophagie fut héréditaire pendant
plusieurs générations. Or, quoique saint Jérôme déclare avoir vu dans la Gaule
des Écossais anthropophages, il est siir cependant que l'anthropophagie habituelle
est de temps inmiémorial abolie chez tous les peuples de race celtique : il s'agit
donc ici d'un atavisme des plus lointains. Le penchant au meurtre, au vol, au
viol, la pyromanie, l'ivrognerie, sont souvent héréditaires : c'est un fait d'obser-
vation banale. Dans une seule famille, on a compté 80 descendants pervers
de différentes manière : un quart d'entre eux fut frappé par la justice et les
trois autres quarts étaient composés d'ivrognes, de fous, d'idiots, de men-
diants [Kihol, Hérédité psychique, 99). Là, comme partout d'ailleurs, l'hérédité
est capricieuse : ainsi sur trois enfants dressés au vol par leurs parents deux
résistent, tandis que l'autre, une tille, vole d'instinct (Lucas, I, 476).
Les nécessités sociales, le genre de vie, les mœurs nationales, créent aussi des
caractères typiques, des tendances héréditaires. Beaucoup de Français ont encore
le Ciractère attribué aux Gaulois par César {De hello gallico, IV, 5); les Bohé-
miens sont, pour la plupart, incivilisables. Nombre de sauvages élevés à l'eu-
ropéenne ont secoué lu civilisation comme un fardeau, en atteignant l'âge
viril. On a vu, entre autres, un Botocudo, reçu médecin par l'Université de
Bahia, s'en retourner errer tout nu dans ses forêts natales, etc., etc.
Si restreint qu'il soit, le milieu familial, secondé par l'hérédité, suffit parfois
à créer des caractères, des types transmissibles. On a cité bien des fois la vertu
des Lamoignon, l'exubérance, la violence et l'intelligence des Mirabeau, etc.
Fréquemment aussi les aptitudes artistiques sont héréditaires. Mozart avait
une sœur douée comme lui d'une grande précocité musicale, et son père était
violoniste. Beethoven était le fils d'un ténor. Dans la célèbre famille de J. Sébas-
tien Bach on compte huit générations de musiciens. Tout en étant moins fré-
quente chez les peintres et les sculpteurs, l'influence héréditaire est pourtant
commune : Germain Pilon était fils d'un sculpteur distingué; le père de Thor-
waldsen était aussi sculpteur; celui de Baphaël était peintre; Van Loo était
frère, petit-fils et arrière-petit-fils de peintres. Titien était d'une famille de
peintres, etc. Qu'on n'objecte point qu'il y a là un simple effet de l'éducation.
En aucun genre l'éducation ne réussit à créer des talents hors ligne ; souvent
même elle ne parvient pas à les étouffer.
Si l'on en croit Gallon (Hereditary Genius), les aptitudes intellectuelles
seraient héréditaires' plus souvent qu'on ne l'admet d'habitude, et A. de (]andolle
est aussi du même avis. L'anthropologie l'affirme d'ailleurs d'une manière géné-
rale, puisqu'elle peut sérier les races humaines d'après leur degré de dévelop-
pement cérébral. Suivant Galton, la chance qu'un homme remarquable ait des
parents remarquables aussi est de 51 pour 100 pour le père, de 41 pour 100
pour les frères, de 48 pour 100 pour les fils; cette chance varierait selon le
sexe. Elle serait plus forte pour les hommes que pour les femmes. Toujours
d'après Galton, la probabilité qu'un juge anglais ait dans sa famille un ou
t)02 HÉRÉDITÉ.
plusieurs parents illustres dépasserait le rapport de un à trois. Le même auteur
nous apprend que le mode d'intelligence, le développement exceptionnel de
telle ou telle faculté, se peuvent léguer aux descendants : sur une liste de cin-
quante-six poètes, il constate la proportion de l'intluence héréditaire chez la
moitié d'entre eux; dans la famille de Richard Porson, helléniste anglais, la
bonté de la mémoire était célèbre, proverbiale; ou disait « la mémoire d'un
Porson » .
Les caractères dits psychiques, résultant simplement du fonctionnement phy-
siologique des organes et spécialement des centres nerveux, obéissent naturelle-
ment aux lois générales de l'hérédité telles qu'elles ressortent des paragraphes
précédents. Comme l'hérédité physique, l'hérédité psychique est souvent croisée.
Nombre de femmes célèbres ont, comme la célèbre Hypathie, hérité de l'àme de
leur père. L'inverse e^t tout aussi fréquent: Buffon, Bacon, Condorcet, Guvier,
Forbes, Watt, Jussicu, etc., ont eu pour mères ou grand-mères des femmes
remarquables. Le hls naturel de mademoiselle de ïencin, d'Alembert, était
surtout lils de sa mère. Parfois l'un des auteurs lègue à l'enfant les formes
extérieures, l'autre la constitution mentale. Le seul correspondant noir qu'ait
eu l'Académie des sciences, Lislet (Geoffroy), de l'Ile de France, était un métis
absolument noir, comme sa mère.
D'où qu'elle vienne, l'hérédité psycliique s'éteint d'ailleurs assez vite. On ne
la voit pas d'ordinaire se manifester au delà de trois ou quatre générations. Mais
cette brièveté de la transmission est sûrement pour la plus large part impu-
table aux croisements perturbateurs. Jamais encore on n'a pratiqué la sélection
psychique. Ce sont de tout autres considérations, nullement scientiliques, qui
déterminent lu plupart des mariages. Bien d'étonnant dès lois que l'étincelle
géniale s'éteigne aussitôt qu'elle brille. S'écarter de la moyenne en bien ou en
mal, c'est être en état d'insurrection et contre sa propre lignée ancestrale et
contre l'humanité tout entière. Aussi les écarts sont vite réprimés. Nul doute
cependant que, si l'on voulait appliquer à l'homme la rigoureuse sélection pra-
tiquée par les éleveurs et les horticulteurs, on arrivât aussi à créer des races
humaines spéciales. C'est ainsi qu'une i^ace de musiciens s'était formée dans la
famille Bach ; c'est ainsi qu'à Sparte on était parvenu à créer un type humain,
moralement distinct de tous les autres. Sans doute dans toute société humaine
il se fait un perpétuel travail de sélection. Les mieux adaptés triomphent; les
autres disparaissent, mais il s'en faut que ces derniers soient toujours les pires
et les moins intelligents. Jusqu'ici en effet les sociétés humaines se sont agitées
dans un furieux conllit d'appétits grossiers, de passions basses. Trop souvent la
sélection sociale, dont nous avons maintenant à nous occuper, est régressive.
Mais ce résultat est-il fatal, comme on l'a prétendu? C'est ce que nous allons
essayer de déterminer.
X. Qui l'aurait cru? Après s'être tant moqué des corsi et des ricorsi du vieux
Vico, on devrait y revenir, si l'on s'en rapportait à nos modernes pessimistes.
« Par le fait de la sélection et de la loi fatale de l'extinction des races privilé-
giées les peuples se civihsent d'abord, montent au faîte de la grandeur, puis
déclinent rapidement et disparaissent épuisés, surmenés, anéantis, retombent
dans la barbarie et sont remplacés par des peuples plus jeunes, c'est-à-dire
chez lesquels la sélection des talents et des énergies s'établit à peine et qu'elle
n'a pas encore épuisés » (docteur Jacobi, Sélection, p. 555).
Voilà la formule : elle est faite pour réjouir le cœur des disciples de Scho-
HEREDITE. 605
penhauer et de Hartmann. Or elle a un semblant de vérité, si l'on s'obstine à
ne voir que les mauvais côtés de la civilisation, si l'on ferme les yeux, afin de
pouvoir nier le progrès général, qui pourtant se réalise quand même; si l'on
croit que les sociétés de l'avenir seront éternellement de serviles copies des
sociétés du passé et du présent. Enumérons les faits :
Tout d'abord, comme nous l'avons dit à l'article Civn.isATio.\, le contact des
nations européennes, soi-disant civilisées, est funeste aux races inférieures. iXotre
brutalité, surtout nos maladies et nos vices, détruisent rapidement les types
humains attardés. Mais l'exemple des Cherokees, des Chickassaws, etc. {voy.
Civilisation), prouve cependant que le fait n'a rien de fatal. C'est une question
de mesure, de tempérament. Nulle race ne saurait franchir en quelques années
l'espace que les types humains les mieux doués ont mis des milliers d'années
à parcourir. Pour ne pas détruire les races mineures, il suffirait de s'y inté-
resser.
On nous cite surtout, comme exemple de dégénérescence héréditaire dérivant
fatalement de la sélection sociale, l'histoire lamentable des dynasties princières.
L'exemple typique serait la descendance d'Auguste : toute une série de débau-
chés, d'hjstériques, d'épileptiques, de scrofuleux, de phthisiques, etc., s'étei-
gnant par stérilité. La plupart des dynasties européennes ont subi la même
dégénérescence, qui se reproduirait d'une manière analogue dans toutes les
familles aristocratiques ou privilégiées, dans tous les corps fermés. Point de
famille noble, dit Uenoiston de Chàteauneuf, dont la durée réelle dépasse trois
cents ans {Mémoire statistique sur la durée des familles nobles en France). A
Piome il fallait recourir à des anoblissements en masse pour prévenir l'extinc-
tion des patriciens, etc. Soit. Mais ce qui énerve et détruit les princes et les
nobles, ce n'est pas la situation privilégiée, c'est le déplorable usage qu'ils en
font. C'est que la sélection sociale a, dans ces cas, été régressive ; c'est qu'elle
a donné le pas aux natures brutales, vicieuses, qui, une fois le frein social
secoué, se sont abandonnées sans contrainte à leurs instincts inférieurs. Si, en
Angleterre, les familles de pairs disparaissent, il n'en faut pas accuser la pairie,
mais l'avidité d'aristocrates moralement dégénérés, qui épousent des héritières
stériles.
Autant en peut-on dire de nos familles bourgeoises, enrichies par le commerce,
l'industrie, par de gros héritages. Là aussi on pourchasse les héritières. Et il
faut, surtout dans ce dernier cas, invoquer en outre une cause de? plus simples,
la surabondance alimentaire, qui sûrement doit stériliser l'homme, comme elle
stérilise les animaux. Je ne parle encore que de la stérilité involontaire. Mais,
encore une fois, rien de tout cela n'est inhérent à la position sociale elle-même,
mais bien au mauvais usage qu'en font des natures inférieures.
En trente-trois ans, nous dit-on, la population de la France ayant augmenté
de 11,25 pour 100, celle des asiles d'aliénés a augmenté de 249,55 pour 100
(Lunier, Anti. »ieV/.-;jsî/c/i., janvier 1870), et des résultats analogues s'observent
dans les autres contrées de l'Europe. Au contraire la folie serait très-rare chez
les races non civilisées. Humboldt l'a cherchée en vain chez les indigènes de
rAmérique. Selon Moreau (de Tours), il y aurait très-peu d'aliénés en Egypte
et en Nubie. On pourrait se borner à répondre que, comme toute chose, le cer-
veau s'use d'autant plus qu'il travaille davantage. Mais les tristes résultats
de la civilisation tiennent sûrement, pour la plus grande part, à notre vicieuse
organisation économique, imposant à un grand nombre d'individus des souf-
G04 HÉRÉDITÉ,
frances pliysiques et morales nullement nécessaires à nn bon fonctionnement
social. A coup sur la Chine est une nation civilisée, et pourtant le docteur Wil-
liams, après y avoir résidé douze ans, nous dit que l'aliénation mentale est très-
rare dans le Céleste empire.
« La civilisation, nous assure le docteur P. Jacobi, est le résultat de l'accu-
mulation des habitants sur im territoire plus ou moins restreint » {Sélection,
p. 535); et, d'autre part, les docteurs Lagneau, Stark, etc., nous démontrent,
chiffres en mains, que les familles s'éteignent dans les villes. D'après le docteur
Starck, la mortalité urbaine serait le double de la mortalité rurale. Mais là non
plus il n'y a rien qui résulte d'une inexorable loi. Si la population s'entasse dans
les villes, c'est que l'industrie capitaliste a besoin de bras et draine les cam-
pagnes. La vie urbaine elle-même n'est pas nécessairement homicide; elle l'est
seulement pour les malheureux, les salariés, exploités à outrance et dans de
lamentables conditions hygiéniques. A Paris, la mortalité des quartiers riches
est fort inférieure à celle des quartiers pauvi'es et les épidémies frappent bien
plus durement les seconds que les premiers. On ne saurait trop le répéter : les
faits sociaux sont essentiellement modifiables; ils n'ont en aucune façon la
rigueur des lois cosmiques ou physiques. Que signifient tous ces exemples
lamentables et bien d'autres encore qu'on y pourrait ajouter? Sim]tlement que
notre civilisation moderne suit une mauvaise route : mais qui peut nous em-
pêcher de rebrousser chemin?
Le sacrifice des populations au Moloch moderne, au dieu Mammon, à l'in-
dustrie, n'est pas plus nécessaire que ne l'était, en Espagne, la sélection inqui-
siloriale, qui, nous dilGalton, a sacrifié, bon ou mal an, mille individus choisis
parmi les plus intelligents, les meilleurs. Comme les particuliers, les nations
îbnt souvent fausse route et, si elles s'y acharnent, elles déclinent et disparais-
sent, cela pour le plus grand bien de l'humanité. Telle a été la tragique destinée
des anciens empires sémitiques, de l'Egypte, de Rome, etc. Cette fin lamentable,
tous l'avaient méritée, mais tous auraient pu durer et vivre, s'ils n'avaient
dévié du droit chemin. D'ailleurs aucune de leurs découvertes, de leurs con-
quêtes utiles, n'a été perdue pour leurs successeurs.
i\os l'^tats modernes doivent-ils périr comme les grandes nations primitives?
Cela dépendra de leur degré de moralité. Toutes les dégénérescences, fausse-
ment attribuées à la civilisation elle-même, tiennent presque uniquement au
mammonisme, à l'amour extrême de l'argent, qui aveugle la majeure partie de
l'humanité dite civilisée. Piien de plus impartial que l'hérédité; elle transmet
fidèlement ce qu'on lui donne. Maudsiey a mis le doigt sur la plaie de nos civi-
lisations mercantiles, quand il a constaté que « l'extrême passion pour la
richesse, absorbant toutes les forces de la vie, prédispose à une décadence morale
et intellectuelle », que la descendance de l'homme, qui a beaucoup travaillé pour
s'enrichir, est dégénérée physiquement et mentalement, quelle est égoïste, sans
moralité, instinctivement fourbe, etc. Mais le mot civilisation ne veut pas dire
« fureur d'accumuler » . Or de cette fureur dérivent toutes les maladies sociales,
que l'on s'efforce de considérer comme essentielles à la civilisation. Qui dit civi-
lisation dit développement moral et intellectuel. Donc, si nos sociétés sont ma-
lades, c'est qu'elles manquent d'intelligence et de moralité.
Prenons un exemple : la natalité française va décroissant toujours et produi-
rait, dans un temps que l'on peut évaluer, l'extinction de la nation. Est-ce là
un résultat fatal? Nullement. Il tient, pour la plus grande part, à une large
■ HERHOLDT (Les deux). 605
pratique de ce que Mallhus a appelé Moral Restraint. Mais le mallhusianisme
n'a d'autre raison d'être que le mode actuel de répartition du capital : de bonnes
lois y remédieront, quand on le voudra.
Or il en est de même de toutes les fatalités soi-disant inéluctables, com-
plaisamment énumérées pas nos amateurs de pessimisme.
Si mal connues que soient encore les lois de l'hérédité, elles peuvent s'utiliser
aussi bien pour le progrès continu que pour la décadence. La civilisation n'est
pas une roue de manège. Le progrès incessant est la condition de la durée, et une
nation peut vivre indéliniment, à la seule condition d'en être digne.
Gh. Letourneau.
BiBuoGiîAPiiiE. — Benoistjn DE CiiÂTEAtNEuF. MéiHoire sur la durée des familles nobles en
France. In Annales d'hygiène, 1846. — Llcas. Traité physiologique et philosopliique de
l'hérédité naturelle. l'aris, 1847. — Mobel. Traité des dégénérescences physiques, 1857. —
JIoBEAu (de Tours). Psychologie morbide. Paris, 1859. • — Piorry. De l'hérédité des maladies.
Beulé. Le sang des Germanicus, 1867. — Laoseau. Etude de statistique anthropologique sur
la population parisienne. \n Ann. d'hygiène et de médecine légale, t. XXXII, 1809. —
Block (Maurice). Statistique de la France, 1860. — Despine. Psychologie naturelle, 1869. —
RiBOT (Th.). L'hérédité, 1875. — Candolle (Alph. de). Histoire de la science et des savants
depuis deux siècles, 1875. — Maudsleï (H.). Crime et folie. Paris, 1874. — Du même. Phy-
siologie de l'esprit. Paris, 1879. — Dn mêuë. Pathologie de l'esprit. Paris, 1883. — Dar-
win (Cl).). Origine des espèces. Paris, 1873. — Du même. De la variat'ion des animaux et
des plantes. Paris, 1S68. — Du même. Descendance de l'homme. Paris, 1881. — Spencer (H.).
Principes de pnychologie. Paris, 1874-1875. — Galtox. Hereditary Genius. — Jacoui (P.).
Études sur la sélection dans ses rapports avec l'hérédité chez l'homme. Paris, 1881. —
Hjsckel (E.). Histoire de la création naturelle. Paris, 1884. — Griesisger. Traité des mala-
dies mentales. — Wu-ndt (W.)- Die Menschen- uncl Thierseele. Leipzig, 1863. Ch. L.
UERDOLOT (Les deux).
Herhoidt (.JoH.\>' Da.mel). Né le 10 juillet 1764 à Apenrade, dans le Sles-
vig, lils d'un chirurgien qui dirigea ses pemières études, il fut reçu praticien
de bonne heure et attaché au corps de santé de la marine. 11 a occupé les postes
les plus importants de la carrière médicale civile et militaire. Reçu docteur en
1802, sa thèse ayant pour titre : Devita imprimis fœtus hiimani ejusque morte
sub parlu, il devient professeur de médecine à l'Université de Copenhague en
1805, médecin en chef de l'hôpital Frederick eu 1819, plusieurs fois doyen du
Collège de santé, recteur de l'Université, médecin d'État, directeur des hôpi-
taux maritimes, etc. 11 a publié un grand nombre d'ouvrages sur la cause de la
cécité, les monstruosités, la matière médicale, etc. Il s'est beaucoup occupe
comme doyen et recteur des réformes à apporter dans l'enseignement de la
médecine, l'hygiène hospitalière, etc. Il a perfectionné certains procédés opéra-
toires, est l'inventeur d'une pince hémostatique, etc. ; a tra'duit en danois, avec
Rafn, divers ouvrages français, entre autres : la Vie et la mort, de Bichat. 11
s'est occupé d'électricité médicale et n'a cessé de donner jusqu'à sa mort, arrivée
le 18 février 1836, les preuves d'une grande activité. Nous citerons parmi les
ouvrages de Herholdt :
I. Uebersicht der vornehmsten Ursachen der Blindheil. Copenhague, 1787, ia-8''. —
II. Afhandling om et nyi bîoodstillcnde Instrument. Copenhague, 1790, in-S". — III- Obser-
vatio de affeclibus morbosis virginis hafniensis. cui plurinue acus e variis corporis par-
tibus excisœ et extradée sunt. Copenhague, 1822, in-8°. — IV. Arkiv for Làgevidenskabens
Historié i Daninark. Copenhague, 1823, in-8°. — V. lieskrivelse over et menneskeligt Mis-
foster. Copenhague, 1828, 1829, in-4°. — YI. Samlinger til den danskc Medicinalhisforie.
Copenhague, 1833-1855, in-S". A. D.
606 HÉRISSANT (Les deux).
Ilerholdt (Johan-Frederik-Wilhelji). Né à Apenrade le 21 janvier 1778,
frère du précédent, a fait comme lui ses études à Copenhague, est devenu chi-
rurgien militaire, a passé son examen devant l'Académie de chirurgie en 1800,
ce qui lui pei^mit d'être nommé chirurgien en chef de la flotte. Il est mort à
Copenhague, le 18 août 1834. A. D.
UKRUO\DAViLLU OU ino:vDEVii.K>E (Henri de). Chirurgien français
du quatorzième siècle, fut disciple de Jean Pitard, premier chirurgien de Saint-
Louis, de Théodoric et de Lanfranc. Il enseigna à Montpellier, où il eut pour
élève Guy de Chauliac, puis vint à Paris où Philippe le Bel l'admit, vers 1285,
au nomhrc de ses archiâtres; il enseigna également à Paris. Il composa en 1306
cinq traités sous le titre de Chirurgia et AntUlotarium; la Sorbonne en possède
un manuscrit dont l'écriture est du quinzième siècle. L. Hn.
DEUICIUIU. Genre de Champignons-Basidiomycètes, du groupe desHydnacés,
établi par Persoon pour quelques espèces àllydnum chez lesquelles le récep-
tacle charnu est pourvu de longs aiguillons hyménophores, placés sur le sommet
du cliapcau ou du stipe quand le chapeau manque.
Les llericùwi font le passage des llydnum aux CInvaria. Des quatre espèces
connues, les plus intéressantes sont VU. eruiaceum Bull, et 17/. coralloides
Scop. Le premier est V Hérisson ou Barbe des arbres de Paulet {Traité des
champ., 2, p. -424, pi. 193). Son chapeau, très-grand, convexe, cordiforme,
d'abord blanc, puis jaunâtre, est tantôt sessile, tantôt supporté par un pédicule
court, simple et latéral ; il est garni à son sommet d'aiguillons minces, pendants
et étages, longs de 2 à 5 centimètres. VU.erinaceum croit dans les grands bois
sur les vieux troncs de chênes et de hêtres. Il est comestible. On l'accommode
comme le champignon de couche, dont il a le goût. L'//. coralloides est éga-
lement comestible, mais il est moins estimé. C'est la Corne de cerfoa la cheve-
lure des arbres couleur de chair, de Paulet {loc. cit., 2, p. 427, pi. 195,
fig. 34). On le trouve dans les forêts sur les vieux arbres, surtout sur les chênes.
Il est dépourvu de chapeau. Son stipe, d'abord blanc, puis jaunâtre, est ramifié
en broussaille et les rameaux sont garnis, à leur extrémité, de longs piquants
charnus en forme de poinçons et très-fragiles. Ed. Lef.
llERl^VG (Eduard von). Physiologiste allemand, né à Stuttgard le 20 mars
1799, mort dans cette ville le 28 mars 1881. Il fut professeur depuis 1822 à
l'École de médecine vétérinaire de Stuttgard dont il devint le dn-ecteur par la
suite. Il s'occupa beaucoup des parasites, publia plusieurs ouvrages de méde-
cine vétérinaire, collabora au Canstatl's Jahresbericht , etc. Il a fait des
recherches remarquables sur le pouls : Versuche ilber das Verhàltniss zwischen
der Zahl der Puise und der Schnelliglceit des Blutumlaufs {Tiedemann's u.
Treviranus" Zeitschrift, 1828, 1833; Griesingers Archiv f. physiol. Heilk.,
1850, 1855). L. Hn.
HÉRISSANT (Les deux).
Hérissant (François-David). Savant anatomiste du dernier siècle, a publié
des travaux importants. L'un de ses plus intéressants mémoires est celui qui
traite de la respiration et des mouvements propres du poumon ; ses recherches
HÉRISSON. 607
sur ies mouvements du bec des Oiseaux, sur les organes de la voix dans les
Quadrupèdes et les Oiseaux, sur la formation de l'émail, sur la structure des
os, sont non moins remarquables. 11 naquit à Rouen, le 29 septembre 1714,
et fut reçu maître es arts (25 décembre 1758), puis docteur en médecine de
Turin; le 26 octobre 1742, il devint professeur de chirurgie et de pharmacie
dans les écoles de la Bûcherie; il entra à l'Académie des sciences en 1758. Héris-
sant mourut le 21 août 1775, âgé de cinquante-neuf ans, et fut enterré dans
l'église de Saint-Merry.
Hérissant (Louis-Aistoi>'e-Prosper). Cousin de François-David, naquit à
Paris, le 26 juillet 1745. 11 fit marcher de front l'étude de la littérature avec
celle de la médecine, mais une mort prématurée l'enleva à la science, le
11 août 1769. On lui doit les ouvrages suivants :
I. Typographia, Carmen. Paris, 1764, in-4°. — II. Éloge de Gonthier d'Andernach. Paris,
1765, in 8°. — Kl. An a terrœ sttbstantia intra poros carlilaginum appidsa ossium duri-
ties? Paris, 1768, in^". — IV. Jardin des plantes, on catalogue raisonne des plantes les
plus belles et les plus rares. Paris, 1771, in-12°. — V. Bibliulhiquc physique de la
France, ou liste de tous les ouvrages, tant imprimés que manuscrits, qui traitent de l'his-
toire naturelle de ce royaume. Paris, 1771, in-8". A. C.
HÉRlSSOl^l. Les Hérissons Œrlnaceug L.), qui constituent le type de la
famille des Érinacéidés, dans l'ordre des Insectivores, sont des Mammifères trop
connus pour que nous ayons besoin d'en donner une description détaillée. Chacun
sait qu'ils ont la tête pointue, terminée en avant par une sorte de groin, les oreilles
largement épanouies, les yeux très-petits, la bouche largement fendue, le corps
renflé et couvert de piquants, la queue rudimentaire et les pattes pentadactyles.
Leur dentition se compose à la mâchoire supérieure de trois paires d'incisives,
de trois paires de dents uniradiculées, d'une paire de grosses dents carnassières
et de trois paires d'arrière-molaires tuberculeuses, et à la mâchoire inférieure de
quatre paires de dents uniradiculées, d'une paire de carnassières et de trois
paires d'arrière-molaires, ce qui donne un total de trente-six dents.
Ces animaux, qui étaient déjà représentés sur notre sol pendant la période
miocène, se ré|)artissent, dans la nature actuelle, en une vingtaine d'espèces qui
vivent en Europe, en Asie et en Afrique. L'espèce la plus anciennement connue
est le Hérisson vulgaire [Erinaceus europœus L.), que les Grecs désignaient sous
le nom d'è^"»? ^t qui est appelé dans certaines provinces de la France Urson,
Ourson, Hirson, Ens, Erisso, etc. Il mesure, à l'âge adulte, de 2 à 5 décimètres
de long, et présente une coloration jaune ou brunâtre. Sa face, à partir du front,
est entièrement dégarnie de piquants et revêtue, de même que le dessous du
corps, la queue et les membres, de poils soyeux, d'une teinte blanchâtre ou
ocracée, passant au brunâtre sur certains points. Les oreilles sont nues, sauf à
la base, et la lèvre est ornée de moustaches peu fournies; enfin la majeure partie
du corps est hérissée de piquants tricolores, blancs, noirâtres et jaunâtres, qui
sont marqués extérieurement de sillons longitudinaux et creusés intérieurement
de grandes cellules.
Le Hérisson vulgaire se rencontre dans toute l'Europe, et remonte dans les
Alpes jusqu'à 1500 mètres et dans le Caucase jusqu'à 2600 mètres d'altitude.
Pendant la belle saison, il se tient durant toute la journée tapi dans les haies ou
dans les buissons et, à la tombée de la nuit, il s'en va chercher dans les jardins
et dans les champs des herbes, des Insectes, des Reptiles, des Oiseaux et de petits
SOS IIERITIERA.
Mammifères. Les chasseurs l'accusent, non sans quelque raison, de faire la guerre
aux Perdrix, aux Faisans, aux Lièvres et aux Lapins; mais, pour compenser ces
méfaits, il rend à l'agriculture de réels services en détruisant une foule d'animaux
nuisibles.
A l'approche de l'hiver, il se retire dans une crevasse de rocher ou dans un
terrier abandonné, au fond duquel il entasse des feuilles et de la mousse, et il
ne tarde pas à tomber dans un état léthargique qui se prolonge pendant plusieurs
mois, avec quelques interruptions.
Comme beaucoup d'Insectivores, le Hérisson est la victime du préjugé popu-
laire ; on le qualifie de bête -puante, et on lui fait partout une chasse active. Les
chiens eux-mêmes semblent avoir pour le Hérisson une haine instinctive et
l'attaquent non sans se blesser cruellement aux piquants dont l'animal se fait
un rempart, en se roulant en boule à la manière d'un Cloporte. Aussi cette
espèce d'Insectivore devient-elle de plus en plus rare dans nos campagnes. Jadis
la guerre qui lui était faite avait au moins une excuse, car le sang, les entrailles
et même les restes incinérés du corps du Hérisson passaient pour avoir des vertus
médicinales; sa graisse était employée comme pommade pour faire pousser les
cheveux ou comme onguent contre les douleurs rhumatismales, et son fiel servait,
dit-on, à préparer une liqueur odoriférante destinée à remplacer le musc. On sait
aussi que les dépouilles du Hérisson étaient employées en guise de cardes pour
peigner la laine par les anciens Romains et qu'elles constituaient un article de
conmierce assez important; mais aujourd'hui c'est à peine si l'on pourrait citer
deux ou trois usages des piquants de ce petit animal. Disons toutefois que ces
piquants convenablement emmanchés remplacent avec avantage, diins certains
cas, les aiguilles à dissection en acier, et qu'ils ont sur celles-ei l'avantage de ne
pas s'altéier au contact de l'alcool dans lequel on a fait macérer les préparations.
En terminant nous rappellerons encore que l'on attribue au Hérisson la faculté
de résister au venin de la Vipère, et que diverses expériences, qui du reste
demandent à être reprises et contrôlées, semblent confirmer sur ce point la
croyance populaire. E. Oustalet.
BiDLioGKAPHiE. — Geevais (P.). Histoirc naturelle des Mammifères, 1854, t. I, p. 225. —
Brehm. Vie des animaux; Mammifères, édition franc, de Z. Gerbe, t. I, p. 716. E. 0.
UERITIERA. (.4iT.). Genre de Malvacées, série des Sterculiées, dont les
fleurs sont analogues à celles des Sierculia. Les feuilles sont indivises, et les
anthères, en petit nombre, forment un anneau sur le support comnuui de l'an-
drocée. Les sexes sont sur des fleurs séparées, et dans les femelles il y a
quelques (souvent 5) carpelles, à 1 ou rarement 2 ovules. Le fruit indéhiscent
est un achaine subéro-ligneux, caréné sur le dos. On admet 2 Heriiiera, arbres
des régions chaudes de l'Asie, de l'Océanie et des îles orientales de l'Afrique.
h'H. littoralis Lamk a des graines que Stadmann dit comestibles. Cependant
Rhecde les indique comme amères, astringentes. Elles sont toniques. L'écorce de
l'arbue s'emploie en teinture. Aux Moluques et aux Philippines les semences
de VH. niinor Lamk (Balanopteris minor G^ertn.) servent aux mêmes usages.
• H. Bn.
Bibliographie.— Ait., H. Kew., éd. 1, 111,546.— Schott et Ekdl., Melet., 52. — Endl., Gen.,
n 5119. — Mer. et deL., Dict. Mat méd., III, 485. — Rosenth., Syn. pi. diaphor., 722. —
H. BxN, in Adansonia, X, 164 ; llist. des pL, lY, 61, 116, 122, fig. 88-94. II. En.
HERMAPHRODISME (tératologie). 609
HERLITZ (David). Médecin allemand, connu sous le nom de HerUchis,
est né à Zeits, dans l'Étal deMisnie, le 28 décembre 1557. Il fit ses études plii-
losophiques et médicales à Wittemberg, à Leipzig et à Uostock, et fut quelque
temps principal du collège de Gustrow. Nommé en 1582 médecin pensionné
à Prentzlau, il alla en 1583 s'établir à Anclam. 11 s'occupa beaucoup d'astro-
logie et il est l'auteur, paraît-il, des premiers recueils populaires consacrés à
la prévision du temps. Ses Éphémérides, publiées pour la première fois en
1584, eurent un grand succès et furent traduites dans les principales langues
de l'Europe. En 1585, il passa professeur de mathématiques à l'Université de
Greifswald, fut médecin ])ensionné à Stargard, de 1598 à 1606, puis à Lubeck
jusqu'en 1614, et retourna habitera Stargard, où il mourut, le 15 août 1056.
De ses nombreux ouvrages nous citerons seulement :
I. De curationibus gravidarum^ puetperarum et infanlium. Anclam, 1584, iii-8°; autres
t'dit. 1G02, in-4°; Slettin, 1618, in-8°. — II. Exercilationes pfiilosophicœ de lacrymis,
risu, saliva, siidore et sternutatione. Tireifswald, 1584, in-8°. A. D.
nER9i.%!%'r« (Les).
Hermann (Paul). Médecin et botaniste allemand, né à Halle le 50 juin
1646, mort à Leyde le 29 janvier 1095. Reçu docteur à Padoue en 1670, il
partit pour Batavia en qualité de médecin dans la Compagnie hollandaise, et
après sou retour fut nommé, en 1679, professeur de botanique à l'Université de
Leyde. Nombreuses sunt les plantes nouvelles décrites par Hermann. Outre le
catalogue des plantes du jardin de Leyde (1687), il a publié :
I. Lapis lydiiis malerine mrdicae. Lugd. Datav., 1705. — IL Cynosura maleriae medicae,
etc. Argent., 1710. — 111. Florae lugd. Bat. flores. Lugd. Batav., 1690. L. Un.
Hermann (Jean). Médecin et naturaliste français, né à Barr (Alsace), le
51 décembre 1758, mort le 8 octobre 1800. Reçu docteur à Strasbourg en 1762,
il fut nommé en 1769 professeur extraordinaire de médecine, en 1778 profes-
seur de philosophie, enfin, en 1784, succéda à Spielmann dans la chaire d'his-
toire naturelle médicale. En l'an 111, il devint professeur de botanique et de
matière médicale à l'École de médecine nouvellement créée. Le musée réuni
par Hermann a été le point de départ du riche musée d'histoire naturelle de
Strasbourg. Ce savant était en outre directeur du jardin botanique. Ses travaux
sont nombreux, mais le plus important a pour litre : Tabula affinilatum ani-
vialhim... cum annotationibus ad historiam naturalem animalium avgendam
facienlibus, Argent., 1785, in^". — Son fils, Jean Frédéric, né en 1768, mort
en 1795, médecin militaire, était lui-même un naturaliste distingué. Il avait
été reçu docteur à Strasbourg en 1 792 avec une bonne thèse sur l'ostéologie
comparée. L. Hk.
UER3IAPUR0D1S1ME. § 1. Tératologie. L'hermaphrodisme (ou plus
exactement hermaphroditisme) , au sens strict du mot, est la réunion des deux
sexes sur un même individu. Cet état se trouve normalement chez la plupart des
végétaux et dans certains groupes d'Invertébrés; il est dit suffisant lorsque
l'hermaphrodite est capable de se féconder lui-même, insuffisant lorsque la
fécondation exige l'accouplement réciproque de deux individus.
Parmi les Vertébrés, l'hermaphrodisme normal n'existe que chez quelques
DICT. E.NC. i° S. XIII, ôd
610 IIERMAPURODISME (tératologie).
Poissons {voy. plus bas) ; on n'en comiait aucun exemple authentique chez les
Vertébrés supérieurs ; par contre, il arrive assez fréquemment chez ces derniers
qu'un même animal présente, par suite d'une anomalie du développement,
quelques-uns des caractères distinctifs des deux sexes. Cet hetinaphrodUme
anormal est toujours très-imparfait ; l'étude des formes variées qu'il alfecte
chez l'homme et les Mammifères les plus voisins fait l'objet du présent article.
S'il est un chapitre de tératologie qui soit propre à nous montrer de la façon
la plus évidente combien cette science est étroitement subordonnée à l'embryolo-
gie normale, c'est à coup sûr celui qui se rapporte aux vices de conformation
des organes génitaux. Aussi nous paraît-il indispensable, avant d'aborder la
description des différents cas d'hermaphrodisme constatés dans l'espèce humaine
et chez quelques Mammifères, de rappeler brièvement l'évolution normale de
l'appareil reproducteur chez l'embryon.
Vers la fin du deuxième mois de la vie intra-utérine l'ébauche des organes
de la génération est représentée
par les glandes génitales primi-
tives [leslicules on ovaires), ^av
le corps de Wollf et son canal
excréteur {voies génitales mâles]
et par les conduits de Mûller
[voies génitales femelles). Tous
ces conduits débouchent dans le
cloaque par l'intermédiaire du
sinus uro-génital ; c'est à l'ex-
trémité antérieure de la fente
cloacale qu'apparaissent ulté-
rieurement les rudiments des
organes génitaux externes, à sa-
voir Véminence génitale (pénis
ou clitoris), le sillon génital
(portion terminale de l'urèthre
ou petites lèvres) et les replis
génitaux (scrotum ou grandes
lèvres [î;oy. la figure]). Chez le
mâle les glandes génitales de-
viennent les testicules, et les
canaux de Wolff les canaux dé-
férents. Les conduits de Jlûller
disparaissent, à l'exception de
leurs extrémités (utérus mâle et
hydatides non pédiculées). Les corps de Wolff aussi s'atrophient, sauf en ce qui
concerne la partie moyenne qui s'accole de chaque côté au testicule et se trans-
forme en épididyme. Le tubercule génital se change en pénis. Le sillon génital
se ferme, constituant un canal (portion spongieuse de l'urèthre) qui fait suite
au sinus, uro-génital (portion membraneuse). Les replis génitaux se soudent
sur la ligne médiane et doiment ainsi naissance au scrotum.
Cheï la femelle les glandes génitales développées représentent les ovaires. Les
conduits de Mûller confondus dans leur partie inférieure fournissent les trompes,
l'utérus et le vagin. Les canaux et les corps de Wolff disparaissent, à l'exception
Figure schématique indiquant la disposition des organes et
^ des conduits génilo-uiinaires sur un jeune embryon de
mamuiilère.
cw, corps de Wolff. — og, glande ou organe génital. —
m,m, conduits de Mûller. — v),w, canaux de Wolfl". —
cg, cordon génital. — u,u, uretères. — v, vessie. — su, si-
nus uro-génital. — i, intestin poslérieur. — et, cloaque. —
tg, tubercule génital.
I
X
HERMAPHRODISME (tératologie). 6H
de laportionqui correspond à l epididyme et qui forme l'organe de Rosenmûller
ou parovarium du ligament large. Le tubercule génital, beaucoup moins déve-
loppé que chez le mâle, devient le clitoris. Enfin la gouttière génitale reste
ouverte et ses bords (petites lèvres) limitent l'entrée du sinus uro-Ténital qui
reste très-court (vestibule). Les replis génitaux restent séparés et se renflent
pour constituer les grandes lèvres.
Le tableau ci-contre qui résume la destinée ultérieure des différentes parties
de l'appareil génital embryonnaire nous permettra de nous en tenir à cet exposé
sommaire des faits (nous renvoyons, pour plus de détails, aux articles Ovaire
Testicule, Uro-génital [Sinus], Péms, Utérus, Wolff [Corps de]).
Embryon. Femme, Bomme.
1 Segment
I PROFOND. Glande génitale Ovaire Testicule.
I t Partie géni-
l taie. . . . Canalicules efférents du ! Cônes efférents.
Corps de 1 corps de Rosenmullci- j Vasa aberrantia.
Wolff.. j (époopliore) ( l'.ele teslis.
/ Partie uri-
l naire. . . Grains du parovarium
(paroophoro) Corps de Giraldès (paradidyme).
i ^rr' 1 Conduit de Gartuer. ( [i°"f,"'i -f l'"^"',^'^"^-
g; /MOiEN. - \„ ,..,,,, ,„, \„ , j n 1. ) Canal di;lcrent.
g / Conduit de Wolff. ... Canal de Rosenraullcr. . > (-^^^i ^^ j.,; i^jj e.
g\ / fHydatidepediculce. ( Hydalide pédiculée.
! Partie supé- i Trompe,
rieure. . {Pavillon Hydatide non pédiculée.
( Pavillons accessoires.
Partie infc- 1 Ulérus.
rieure. .( Vagin Ulricule prostaticpte.
[ Partie supé- \ Trigone vésical \ ^''S""'^ ^^*'.<==>'- , „ . ,
Sinus uro- \ rieure . . ( Tout l'urèthre. i ^ "';"'" ^^°^^^^m^ de 1 urelhre et
, ., , < I s landes annexes,
génilal.. J rv .■ • r- I o
° I Partie infe-
( rieure. . Vestibule Portion membraneuse de l'urèthre
'"'^"^^' ) Tubercule génilal. . . . Clitoris Pénis.
Sillon génital Petites lèvres Portion spongieuse de l'urèthre.
Replis géuitaux Grandes lèvres Scrotum.
Ce tableau montre au premier coup d'œil qu'au point de vue de leur dériva-
tion embryogénique et de leurs usages les organes de la génération peuvent être
divisés en trois segments superposés : un segment profond comprenant les
glandes génitales ; un moyen représenté par les corps et les conduits de WolfC
et les conduits de Mûller ; un externe répondant aux organes génitaux externes.
Il est \rai que vers le moment de la naissance les testicules avec leurs annexes
descendent à travers les canaux inguinaux et vont se loger en dehors de l'ab-
domen dans les bourses; mais cette migration ne modifie en rien leur signifi-
cation morphologique. Chacun de ces segments étant composé de deux parties
équivalentes symétriquement disposées de chaque côté de la ligne médiane, le
nombre de segments ou subdivisions anatomiques se trouve, en dernier ressort,
porté à six. I. Geoffroy Saint-Hilaire, s'appuyant surtout sur ce fait que chaque
partie est alimentée par des troncs vasculaires différents, a introduit le premier
dans la science celte « division de l'appareil générateur en six segments princi-
paux, correspondant a autant de centres distincts de formation, et par suite pouvant
se montrer, dans certaines circonstances, indépendants les uns des autres. »
L'ébauche embryonnaire telle qu'elle vient d'être décrite est nettement bisexuelle
en ce qui concerne le segment moyen oii coexistent les corps et conduits de
Wolff (organes mâles) avec les conduits de Miiller (organes femelles). Au con-
Segment
612 HERMAPHRODISME (tératologie).
traire, les deux autres segments paraissent unisexués;on leur applique fréquem-
ment l'épithèle d'indifférents, pour exprimer qu'ils sont susceptibles d'évoluer
soit vers le type mule, soit vers le type femelle. Cependant les reclierches
modernes ont prouvé, ainsi qu'on le verra plus loin, que cette indifférence n'est
qu'iipparente pour les glandes génitales primitives. Ces organes présentent au
contraire des caractères de bisexualité plus ou moins évidents suivant les
espèces animales, caractères qui paraissent se reproduire, dans certains cas téra-
tologiques, cliez les Mammifères et chez l'homme. En ce qui concerne lesen^ment
externe, l'ébauche est réellement simple : elle ne saurait donc donner naissance
simultanément à un appareil mâle et à un appareil femelle bien conformés.
On peut dire en résumé que le jeune embryon a tout ce qu'il faut pour deve-
nir à la fois i7iâle et femelle dans le segment profond et Je segment intermé-
diaire (dont lu réunion répond à peu près à ce qu'on décrit en analomie sous
le nom d'organes génitaux internes), mâle ou femelle seulement dans le se"--
ment externe.
Partant de ce stade très-jeune on voit les sexes se différencier progressivement
par la suite d'après un plan général parfaitement établi. Le diraorphisme sexuel
ne porte pas seulement sur les organes génitaux, mais aussi sur l'habitus géné-
ral du corps : port, barbe, voix, mamelles, conformation du squelette, du bassin
en particulier, etc. La différenciation physiologique est complète après la
puberté, une fois que la sécrétion du sperme d'une part, l'civulalion et les mens-
trues de l'autre, se montrent régulièrement. Il se fait en même temps dans la
personnalité morale eles individus une différenciation, qui se manifeste aussi
bien par l'orientation générale des idées, des goûts et des habitudes, que par les
penchants sexuels proprement dits.
Or il n'est aucun de ces caractères soit matériels, soit psychiques, qui ne puisse
se trouver modifié accidentellement de telle sorte qu'il paraisse être en désaccord
avec le type sexuel de l'individu sur lequel on l'observe. De là la possibilité de
certaines déviations du développement se traduisant par un mélange en propor-
tions variables de caractères mâle et femelle sur un même individu.
Classification. Alors que les Anciens réservaient le nom d'hermaphrodites
pour les individus auxquels ils attribuaient la possession sin)ultan«e d'organes
mâles et d'organes femelles, avec la facuté de remplir tour à tour les fonctions
de l'un et de l'autre sexe, ce ternie a pris peu à peu une plus grande extension.
C'est ainsi que I. Geoffroy Saiiit-llilaire définit l'hermaphrodisme la réunion
chez le même individu des deux sexes ou de quelques-uns de leurs caractères.
En prenant le mot dans une acception aussi vaste on arriverait à conjprendre
sous cette rubrique toute aberi'ation physique ou morale du type sexuel, depuis
les modifications morphologiques et anatomiqnes de telle ou telle partie du
corps jusqu'aux perversions si curieuses de l'instinct sexuel sur lesquelles l'at-
tention a été attirée dans ces dernières années {vojj. Gley, Les aberrations de
r instinct sexuel. In Bévue philosophique, 1884). Mais dans le langage térato-
logique usuel la dénomination d'hermaphrodisme s'applique à une catégorie de
faits beaucoup plus restreinte. Aussi longtemps que l'appareil reproducteur est
bien conformé et que l'anomalie sexuelle ne porte que sur les caractères secon-
daires de Ihabitus extérieur, de la voix, des penchants moraux, cet état ne
constitue pas à proprement parler un hermaplirodisme. Gomme le dit Ahlfeld,
un homme à seins développés, présentant les apparences du féminisme, une
femme à barbe, une virago, ne sont pas encore des hermaphrodites. On ne leur
HERMAPHRODISME (tiîratologie).' 613
donne ce nom que si les organes de la génération sont affectés en même temps
de quelque vice de développement pouvant faii-e naître des doutes sur la sexua-
lité réelle de l'organisme.
Ambroise Paré avait divisé les hermaphrodites en quatre groupes, suivant
qu'ils étaient mâles, femelles, neutres ou bisexués, et Pierquin (Montpellier, i 825)
a encore suivi le même procédé eu établissant les trois sections : monogames
androgynes et gynanthropes, agames et digames. Depuis Meckel {De duplicitate
monstrosa commenlalio. Halse, 1815. — Anat path. et Anat. générale) on avait
adopté généralement la division des hermaphrodismcs en deux grandes classes :
1" hermaphrodisme vrai, réel, double ou composé; hermaphrodisme avec aug-
mentation du nombre normal des parties ; 2" hermaphrodisme faux, apparent,
pseudo-hermaphrodisme; heraiaphrodisme simple, ou avec conservation du
nombre normal des parties. Ce principe, admis avec diverses variantes dans les
ouvrages de Metzger (Z)ws. de monstris. Regensburg, 1793), Blum^nbach (Com-
ment. Soc. se. Gœlting, 1813. — Hamlb. d. ^aturgerch., 1825), Dugès [Mém. sur
l'hermaphrod. Éphém. méd. Montpellier, 1827), Gurlt [Hamlb. d. path. Anat.
d. Haitssdiigethiere, Berlin, 1852), a servi également de base pour la classifi-
cation de 1. -Geoffroy Saint-liilairc (Âc. des se, 1853. — Traité des anomalies
de l'organisation chez l'homme et les animaux, II, Paris, 1830), la plus com-
plète à tous égards qui ait jamais été donnée. Appliquant aux monstruosilés la
méthode usitée en histoire naturelle, Geoffroy Saint-llilaire établit comme il
suit sept ordres d'hermaphrodismes répartis en deux classes :
!,„„ , ' 1 essenUellcment niùle I. Hermaphrodisme masciitiii.
llERMArHRODiSMES SIMPLES, \ .. ,, . ,. ,. ,, ,t , ,■ y- ■ •
1 osentiellemeiu kmeJle Jl. llermdijiirodisme fenuiiiii.
ou SANS EXCES { . . .... ., . „ ,, ,,i „ , ,.
„ „ i intermeiliiure, ni inale ni leraelle.. \\l. Hermaphrodisme veut re.
DANS I.E NOMBIIE DES PAnTIES. / . ... ... ,, i,. ,, ,
, 1 , [ ea partie iiialo et en partie icmelle. IV. Hermaphrodisme nnx/e.
Appareil sexuel l
II' CLAUSE [ ., , f ,, • ,. V ir
n^„,..„ „ l maleavecpart femellessuraioulees. y . nerm. masculin com:>lcxe.
Uermapiirodijmes complexes, \ „ ,, "^ ., . . ,T, „ ^. • . ,
1 lemelleavecpart. malessurajoulees. M. Herm. femiiitii com;:icxe.
ou avec EXCES \ '^ ' 1 ■ f ■
DANS LE NOMURK DES PARTIES. / double : un mâlc ct Une femelle. . VU. Herm. bisexuel '" '':"' •^' •
Appareil sexuel \ ' pa.iait.
Chaque ordre est lui-même subdivisé en genres, et la nomenclature s'apjjlique
à tous les cas possibles d'hermaphrodisme, soit normal, soit tératologique.
On reconnaît sans peine dans l'œuvre du grand tératologiste les préoccupa-
tions d'ordre physiologique dont s'étaient inspirés ses prédécesseurs depuis
A. Paré. Nous retrouvons les mêmes tendances, encore plus accentuées, dans
l'école allemande contemporaine. Jean Mùller [Entwickelungsgeschichte der
Genitalien. Dùsseldorf, 1850), considérant que la caractéristique essentielle du
sexe est fournie par la glande génitale, distingua trois catégories d'hermaphro-
dites: 1° conformation indécise des organes génitaux externes, avec des organes
internes complélement mâles ou femelles ; 2" conformation indécise des organes
génitaux externes avec duplicité partielle des organes internes; 5" organes
internes mâles d'un côté, femelles de l'autre, hermaphrodisme latéral. ^iûUer
insistait en outre sur la nécessité de pratiquer l'examen microscopiquu des
organes et de n'admettre comme testicules ou ovaires que les glandes pourvues
soit de canalicules spermatiques, soit de follicules de de Graaf.
C'est sur ces préceptes qu'ont été édifiées depuis lors les classifications des
divers auteurs. Voici, par exemple, celle àQ\i[Qhi,{Handb. d. path. Anat., 1875),
qui est généralement usitée aujourd'hui :
614 HERMAPHRODISME (tératologie)
, „ ... . (1° Hermaphrodisme vrai bilatéral.
I. Hermaphrodisme vrai U, Hermapli.odisme vrai unilatéral,
(coexistence d ova.res et de testicules). . ^ 50 Hermaphrodisme vrai latéral (ou alterne, Péris).
II. Pseudo-hermaphrodisme \ 1° Masculin,
(glaudes génitales d'un seul sexe) . . . ( 2° Féminin.
Suivant que l'anomalie porte sur les organes externes, sur les internes (seg-
ment moyen), ou sur les deux à la fois, le pseudo-hermaphrodisme dans chaque
sexe est subdivisé en pseudo-hermophrodisme externe, interne ou complet.
AhlfelJ [Missbildungen des Menschen, Leipzig, 1882) met en doute l'existence
de l'hermaphrodisme vrai ; il trouve le système de Klebs trop compHqué et n'est
pas éloigné de vouloirVayer le terme hermaphrodisme du langage tératologique.
11 décrit les pseudo-hermaphrodismes de Klebs en chapitres séparés : Utérus
mâle. Fissures génitales externes (Epispadias et Hypospadias), Hypertrophie du
clitoris.
Fœrster avait du reste déjà procédé d'une façon à peu près analogue [Missbil-
dungen, 1865).
Sans méconnaître ce qu'ont d'artificiel toutes ces classifications, forcément
compliquées, puisqu'il s'agit de décrire des anomalies Irès-complexes et variées,
nous ne croyons pas que l'on doive supprimer la dénomination hermaphrodisme
et dissocier en quelque sorte le groupe d'anomalies désigné sous ce nom en trois
ou quatre malformations simples des organes génitaux. C'est en se fondant sur
les données de l'embryogénie et de l'anatomie comparées que la tératologie
descriptive est arrivée à prendre rang parmi les sciences biologiques. Or, si nous
continuons d'appliquer cette règle et d'étudier le développement anormal en le
comparant au développement normal, il nous suffira de quelques considérations
très-simples pourvoir que la conception de l'hermaphrodisme tératologique n'a
nullement perdu son droit de cité. C'est elle seule qui nous permet d'embras-
ser dans une vue d'ensemble et de relier entre eux des vices de développement
multiples, très-variés quant à leur morpliologie. Loin de la restreindre ou de
l'infirmer, les acquisitions récentes de l'embryologie nous paraissent au con-
traire devoir donner plus d'extension à son domaine en y rattachant des mal-
formations de moindre importance qu'on avait l'habitude de décrire séparément
jusqu'à ce jour.
En nous reportant à l'esquisse embryogénique donnée plus haut nous consta-
tons facilement que le dimorphisme sexuel s'établit par deux procédés bien
distincts, suivant que l'on envisage les organes génitaux internes (segment
profond et segment moyen) ou les organes externes (segment externe). L'ébauche
interne est double; elle acquiert son caractère unisexuel grâce à ce fait que
l'une de ses parties composantes (soit le testicule avec le canal de \\Wf, soit
l'ovaire avec le conduit de Mûller) se développe seule, tandis que l'autre reste
à l'état rudimentaire. L'ébauche externe au contraire est unique, et évolue vers
le type mâle ou vers le type femelle.
La connaissance de ces faits nous permet de voir nettement la limite des
malformations possibles dans la catégorie qui nous occupe. Si l'on entend par
hermaphrodisme vrai la réunion chez le même individu des deux appareils
sexuels complets et capables de fonctionner, la production d'une pareille ano-
malie ne saurait en effet se concevoir, et l'on retombe dans les monstruosités
imaginaires des auteurs du seizième siècle.
Mais rien ne s'oppose à priori à ce que l'ébauche embryonnaire des deux
iiEUMAPHRODlSME (téhxtologie). 615
sef^ments profond et moyan se développe entièrement, donnant ainsi naissance à
des glandes et à des conduits des deux sexes. Quant aux organes externes, ils
pourront conserver plus ou moins la forme primitive que nous voyons chez le
jeune embryon et chez les ovipares. Celte forme, qui n'aurait rien d'absolument
extraordinaire ni de surnaturel, n'a jamais été constatée jusqu'ici, il est vrai,
mais on connaît des cas qui s'en rapprochent sensiblement, même dans l'espèce
humaine (voy. plus loin le cas de Ueppner). Eu tous cas elle nous représente
théoriquement le type d'hermaphrodisme vrai le plus complet que l'on puisse
concevoir chez les animaux supérieurs ; la suite de cette étude nous montrera
dans quelle mesure il s'est trouvé réalisé jusqu'à ce jour, et comment il peut
être pris comme point de départ pour arriver à l'interprétation des formes
moins complexes.
Il y a donc lieu de distinguer : 1» les hermaphrodismes bisexiiels, herraa-
phrodismes vrais de Klebs, et parfaitement désignés par I. -Geoffroy Saint-Hilaire
sous le nom d' Hermaphrodismes bisexuels imparfaits ; 2° les hermaphrodismes
unisexuels, hermaphrodismes apparents, pseudo-hermaphrodismes. Ces derniers
nous présentent des formes en quelque sorte intermédiaires entre les deux types
sexuels ; on pourrait les diviser, suivant l'état des deux segments internes, en
mascidiris, féminins et neutres. Mais il suffira de mentionner la dernière variété
qui résulte de l'avortement des glandes génitales ; il en sera de même des
hermaphrodismes transverses (Eschricht) ou superposés {Geoi^voy Sainl-Milaire).
Nous étudierons successivement l'hermaphrodisme dans les trois segments de
l'appareil de la génération, et nous suivions, pour notre description, une
marche analogue à celle qui est indiquée dans l'ouvrage déjà cité de Klebs.
I. Conformation bisexitelle du segment profond {coexistence de l'ovaire et
du testicide chez un même individu). Hermaphrodisme vrai, hermaphrodisme
bisexuel imparfait. C'est la forme qui se rapproche le plus de l'hermaphrodisme
normal. Suivant le nombre et la disposition des glandes génitales, l'hermaphro-
disme du segment profond se subdivise en : I'^ hermaphrodisme vrai bilatéral
(un testicule et un ovaire de chaque côté) ; 2» hei'maphrodisme vrai uni-
latéral (un testicule et un ovaire d'un seul côté, le côté opposé ne présentant
qu'une glande génitale ou en étant complètement dépourvu) ; 5" hermaphro-
disme vrai latéral ou alterne (un testicule d'un côté, un ovaire de l'autre).
i" et 2» Hermaphrodismes vrais bilatéral et unilatéral. Les malformations
appartenant à cette catégorie sont bien plus rares que celles du troisième groupe,
et d'autre part il reste un point obscur dans les données embryogéniques que nous
devons invoquer pour en comprendre la genèse. En effet, nous ne trouvons norma-
lement qu'une glande génitale primitive de chaque côté de la colonne vertébrale,
et cette forme d'hermaphrodisme est caractérisée par la présence simultanée d'un
ovaire et d'un testicule, soit d'un seul côté (hermaphrodisme unilatéral), soit des
deux côtés (hermaphrodisme bilatéral) de l'abdomen. Pour s'expliquer l'origine
de cette dispositiou anormale il est nécessaire de se reporter aux phénomènes
histologiques qui président aux premiers développements des glandes génitales.
L'éminence génitale primitive est constituée au moment de son apparition par
un simple amas de tissu conjonctif embryonnaire à la surface duquel l'épilhélium
du péritoine s'épaissit pour former V épithélium germinatif de Waldeyer. De
bonne heure on aperçoit parmi les cellules prismatiques de cet épithélium des
éléments sphériques plus volumineux, les ovides primordiaux, et bientôt il se
produit des involutions épilhéliales qui pénètrent dans le stroma mésodermique-
616 HERMAPHRODISME (tératolog te ).
de la glande génitale, entraînant avec elles les ovules primordiaux. Pour les Ver-
tébrés inférieurs {Plagiostomes, Semper, Balfour; Ba/rac/e«s, Gœtte; liepliles,
Braun) on admet généralement que les ovules femelles et les spermatogonies
{ovules mâles) proviennent également des cellules génitales primitives incluses
dans l'éi ithélium germinatif. Mais celte homologie complète entre les éléments
reproducteurs des deux sexes, telle que l'a formulée Cli. Uobin, est loin d'être
démontrée en ce qui concerne les Vertébrés supérieurs. Alors que tous les obser-
vateurs s'accordent pour considérer les ovules femelles comme des descendants
directs des ovules primordiaux, on a émis au contraire les vues les plus diver-
gentes au sujet de l'origine des éléments testiculaires. Waldeyer, notamment,
ainsi que Schenk et Willich, fait provenir ces derniers d'mi bourgeonnement des
canalicules du corps de WoUf. Mais, que l'on se rallie à la théorie de l'homologie
parfaite (comme le font Bornliaupt, Egli, Janosik et Kdlliker) ou qu'on regarde les
spermutogonies, les cellules mères de spermatozoïdes, comme représentant une
formation woll'fienne absolument distincte des ovules primordiaux de l'épitbélium
germinatif, dans l'un et l'autre cas il est également difficile de considérer ces
glandes génitales primitives comme des organes indifférents, et neutres en quelque
sorte. Suivant la remarque de Reuter cité plus bas, le testicule et l'ovaire sont des
organes trop différents pour qu'on puisse se résoudre facilement à les faire dériver
d'une ébauclie primitive unique, alors qu'on ne répugne nullement à admettre
semblable communauté d'origine pour les organes génitaux externes dont toutes
les parties sont équivalentes d'un sexe à l'autre au point de vue morphologique.
Si l'on aào|)tc la manière de voir de Waldeyer, la glande génitale embryonnaire
possède tout à la fois les rudiments de l'ovaire et du testicule; normalement l'un
des deux seulement se développe et l'autre s'atrophie; mais on peut supposer que
la formation wolfiienne (mâle) et la formation germinative (femelle) se sont déve-
loppées simultanément, et se sont séparées plus tard l'une de l'autre, de façon à
donner naissance à un testicule et à un ovaire situés du même côté. Suivant que
cette anomalie se sera produite à droite et à gauche, ou d'un seul côté, l'her-
maphrodisme sera bilatéral ou unilatéral. De son côté, l'anatomie comparée nous
fournit un point d'appui solide en faveur de la bisexualité primitive de la glande
génitale de l'embryon. Parmi les Vertébrés inférieurs, où les ovules tant nicàles
que femelles prennent également naissance dans l'épi thélium germinatif, il
existe des exemples d'hermaphrodisme normal chez quelques Téléostéens : tels
sont les genres Ghrysophrys et Serranus (où Aristote déjà l'avait indiqué). Dans le
testicule des Plagiostomes il n'est pas rare de trouver quehpies ovules femelles
(Balbiani, Génération des Vertébrés. — Swaen et Masquelin, Arch. de biol.
belges, 1883). On sait que dans le genre Bufo il se développe à côté du testicule
un ovaire rudimentaire. L'hermaphrodisme vrai peut se montrer exceptionnelle-
ment sur la carpe et sur le hareng (Garl Vogt, Sur un hareng hermaphrodite.
— V . k. %m\i\., Description d'un hareng hermaphrodite. In Arch debiol. belges,
1882). Voici comment s'exprime Smitt : « A son origine, l'épilhélium germinatif
est indifférent, et la différenciation des sexes est un processus secondaire qui,
chez les Poissons, peut se produire très-lentement. Chez beaucoup de Poissons,
tels que les Serrans, la différenciation se fait en partie double ; une partie des
cellules de cet épithélium se transforme en éléments mâles, l'autre partie se
transforme en ovules femelles. » Pour les Vertébrés supérieurs, Waldeyer [Eier-
stock u. Ei., 1870) a signalé la présence d'ovules primordiaux dans l'épilhélium
recouvrant la surface du testicule, et depuis lors des faits analogues ont été con-
HERMAPHRODISME (tératologie). 617
statés pai' divers observateurs. Laulanié notamment (Acad. des se, o août 1885.
— Soc. de Biol., 1887) a décrit des formations biscxuelles aussi bien sur l'ovaire
que sur le testicule chez les Oiseaux et les Mammifères.
11 est donc possible que l'iiiterprétatioa proposée par Smitt s'applique égale-
ment à la bisexualité anormale des glandes génitales chez les Vertébrés supérieurs.
Tous ces faits tendent à faire admettre, ainsi i|u'il a été dit plus haut, que l'ébauche
embryonnaire de l'appareil reproducteur est biscxuelle aussi bien pour le segment
profond que pour le segment moyeu. D'une façon générale, cet hermaphrodisme
est moins nettement marqué pour le premier de ces segaients; il semble même
qu'à l'état adulte il n'en reste aucune trace normalement chez les Vertébrés vivi-
pares. Mais, chez ces derniers et jusque chez l'homme on rencontre des ano-
malies qu"on peut considérer comme des manife>lations lointaines de la bisexualité
originelle. 11 faut remarquer cependant qu'on n'a jamais trouvé jusqu'ici chez
l'hommede glande hermaphrodite contenant simultanément des canalicules sper-
matiquos et des follicules de de Graaf. Mais celle objection perd beaucoup de sa
valeur si l'on considère combien est minime le nombre des cas qui ont été sou-
mis à un examen microscopique un peu appiofondi.
Nous relatons ci-après les principales observations actuellement connues se
rapportant à ce dédoublement des glandes génitales dans l'espèce humaine.
Hermaphrodisme rrai bilatéral. Constaté à plusieurs reprises chez les ani-
maux, ce type, qui est le plus complet de la série, n'est représenté chez l'homme
que par un petit nombre de cas méritant quelque créance.
Sclirell [Med. chir. Pract. v. Schenlc. I, i8U-i. — Anal, in Geoffroy Saint-llilaire.
Tératologie, II, p. 165) parle d'un enfant de neuf mois qui présentait, outre un
véritable pénis en rapport avec des organes génitaux mâles complets, une petite
vulve, avec grandes et petites lèvres, conduisant, par l'intermédiaire d'un vagin,
à un utérus rudimentaire pourvu de trompes; les deux ovaires étaient impar-
faitement développés.
Vrolik {Tabiilae ad illnstr. embryogeii., tab. 94 et 95. Lipsiœ, 1854) décrit
les organes d'un hypospade mort à cinquante-huit ans. Conduit utéro-vaginal sur-
monté de deux trompes terminées en caecums; à gauche, un ovaire et un testicule
rudimentaires demeurés dans l'abdomen; à dioile les deux glandes se trouvent
placées dans une hernie inguinale. Le testicule ne présente point de cauiilicules,
mais seulement des kystes remplis d'un liquide dont l'aspect rappelle celui du
sperme; l'ovaire ne montre que du tissu conjonclif, sans trace de follicules.
H. Millier [ïnCannstatts JahresbM. IV., p. r2,185-i)résume, d'après un dessin,
une observation de Blachmann (1855) relative à uncryptorchide de trente-six ans:
vagin et utérus avec des trompes perméables, deux ovaiies et dt^ux testicules;
prostate normale. Cet individu aurait piéseiitédes hémorrhagics mensuelles par
le pénis et aurait toujours manifesté de la lépiilsion pour les femmes.
Arthur Durham (Gui/ s liosp. Reports, o" s., t. VI, p. 454, 1860) a examiné
les organes d'un hypospade de vingt-cinq ans. Ilabitus général féminin. Le scro-
tum est court et renferme de chaque côté un testicule normal avec épididyme et
cordon spermatique. Au-dessus de chaque testicule se trouve un corps lobule,
de forme conique, composé de tissu conjonctif avec des cellules adipeuses.
Durham considère ces corps comme des ovaires ayant subi la dégénéretcence
graisseuse.
Heppner [Reichert's Arch. fiir Anat., 1870, p. 702) décrit un hypospade de
deux mois dont les parties génitales externes se rapprochent du type masculin.
618 HERMAPHUODISME (tératologie).
Le sinus uro-génital s'ouvre au-dessous d'un pénis imperforé; il se continue
directement avec Turèthre et sur sa face postérieure vient déboucher, par un
orifice en forme de fente, un vagin long de 2 centimètres. La prostate entoure
l'urèthre et le vagin. L'utérus, à forme infantile, possède deux trompes per-
méables avec pavillons ; de chaque côté se trouvent un ovaire et un testicule situé
au-dessous et un peu en dehors de celui-ci; entre eux se voit le parovarium. Au
microscope l'ovaire présente des follicules dedeGraaf et des ovules, le testicule
des conduits se réunissant vers le hile de l'organe et remplis de cellules et de
noyaux.
Ce cas a une importance considérable, bien que l'on doive s'associer dans une
certaine mesure aux réserves formulées par Ahlfeld [loc. cil., p. 249) au sujet
de l'examen histologique un peu trop sommaire des testicules. La description
anatomique est faite avec beaucoup de soin, contrairement aux quatre observa-
tions qui précèdent, et les figures données par Ileppner ne laissent guère sub-
sister de doutes sur la bisexualilé réelle de cet hermaphrodite.
Heniiapinudisme vrai unilatéral. On trouve dans Lilienfeld (Beitr. zur Mor-
phologie II. Entwickelungsqe^ch. der Geschlechtsorgane. Inaug. Diss. Marburg,
i 856j la relation de l'autopsie d'une femme de vingt-deux ans morte à Vienne le
17 novembre 1850. Près de l'orifice du canal inguinal gauche on voyait un testi-
cule bien développé, avec épididyme et canal déférent; la trompe ulérinedu même
côté semblait normale; le ligament large contenait un organe de Rosenmûller et
un renflement correspondant à l'ovaire, mais dans lequel ou n'a pas pu constater
d'ovules. Les organes génitaux internes du côté droit faisaient défaut (la de-
scription a été faite d'après un dessin, et ce cas doit être considéré comme fort
douteux).
Le seul exemple probant a été rapporté par P. Gast [Beitrag zur Lehre von
der Bauch Blasen-Genitalspalte u. vondem Hermaphroditismus verus. Inaug.
Dissert. Berlin-Greifswald, 1884). 11 se rapporte à un fœtus monstrueux mort-
né, venu à peu près à terme, et affecté d'éventration, d'exstrophie vésicale
complète avec anus contre nature, d'atrésie anale et de spina biûda. Les organes
génitaux externes se composaient d'un pénis avec un canal uréthral; le scro-
tum était indiqué par deux replis. Dans l'abdomen existait un utérus double dans
toute sa longueur (utérus didelphe). L'utérus gauche présentait une trompe
courte terminée par un pavillon ; près de ce dernier se trouvait un ovaire, et, à
peu de distance, un testicule avec son gubernaculum. L'utérus droit, inséré sur
un vagin, avait une trompe très-longue avec ligament large, sans trace de
glande génitale. L'examen microscopique de l'ovaire montra des follicules de
de Graaf et des ovules en abondance, celui du testicule des canalicules avec un
épithélium mal conservé,
5° Hermaphrodisme alterne (Péris) ou opposé {hermaphrodisme latéral
des auteurs). 11 existe un testicule d'un côté, un ovaire de l'autre, l'une des
glandes embryonnaires ayant évolué vers le type mâle, l'autre vers le type
femelle. C'est la forme d'hermaphrodisme vrai dont on possède le plus grand
nombre d'observations; nous mentionnerons les suivantes choisies parmi les
mieux connues et les plus authentiques.
Sue et Morand (1746) ont trouvé à l'autopsie d'un hypospade avec fissure
scrotale âgé de quatorze ans : un vagin et un utérus; à droite une trompe munie
d'un pavillon, un ovaire et un ligament rond; à gauche, dans le canal inguinal,
un testicule coiffé de son épididyme d'où partaient deux conduits (canaux défé-
IIEKMAPIIRODISME (tkkatologie). 619
rents?) allant s'insérer sur l'utérus (Morand, De hemiaphrodilis. Th. de Paris,
1749. — Arnaud, Stir les hermaphrodites. In Mém. de chirurgie, I. 1768).
Yarocler (1754) fit à l'Hôtel-Dieu l'autopsie d'un hypospade âgé de dix-huit ans
présentant un développement notable des mamelles. La moitié droite du scrotum
renfermait un testicule dont le canal déférent aboutissait à une vésicule sémi-
nale communiquant avec l'urètlire et d'autre part avec une petite matrice
dépourvue de col. Celle-ci se prolongeait à gàuche en une trompe normale avec
pavillon surmontant un ovaire et un ligament rond (Pincl, Mém. de la Soc.
viéd. d'émulation, t. IV, p. 542, Paris, 1801).
Maret [Mém. de VAcad. de Dijon, t. II, p. 157, 1767) a donné une de-
scription anatomique très-complète de sorganes génitaux d'un hypospade de dix-
sept ans mort à l'hôpital de Dijon. Les mamelles étaient développées et l'habitus
général offrait des caractères de féminisme assez prononcés ; au-dessous du pénis
imperforé s'ouvrait la fente vulvaire, présentant à sa partie supérieure l'orifice
de l'urèthre, et plus bas l'ouverture d'un conduit vaginal rétréci par un hymen.
La lèvre vulvaire gauche contenait un testicule bien conformé dont le canal défé-
rent débouchait dans une vésicule séminale renfermant du sperme; à droite
existait une matrice rudimentaire avec une trompe dont le pavillon allait
embrasser un ovaire d'apparence normale.
Rudolphi [Abh. der k. Ahad. d. Wissensch. zu Berlin, 1825) a examiné un
enfant hypospade âgé de deux à trois mois. Fissure sci'otale donnant accès
dans le sinus uvo-génital. Utérus avec trompe et pavillon à gauche; le ligament
large du même côté enveloppe un ovaire, un corps de Rosenmûller et un liga-
ment rond. Dans la moitié droite du scrotum un testicule avec épididyme et
canal déférent, sans vésicule séminale ; ce canal chemine dans l'épaisseur de la
paroi droite du conduit utéro-vaginal et vient s'ouvrir dans le sinus uro-génital.
Prostate rudimentaire.
Berthold en 1834 {Abh. der k. Gesellsch. d. Wisseyisch. zu Gôttingen, Bd. Il,
p. 104. 1845) a trouvé les dispositions suivantes sur le corps d'un enfant mort
peu de joui's après la naissance. Petit pénis imperforé surmontant une fissure
uro-génitale. Pas de' petites lèvres. Vagin débouchant dans le sinus uro-génital.
L'térus unicorne ; à gauche trompe, pavillon , ovaire et ligament rond. Dans la grande
lèvredroite un testicule avec épididyme et canal déférent se comportant comme dans
le cas précédent. Ni vésicules séminales, ni prostate. Le testicule avait la struc-
ture histologique normale. L'ovaire, « en forme de rate, était formé d'une masse
grenue, avec quelques corpuscules épars qui ne présentaient pas fort nettement
le caractère d'ovules ».
Marie Doroth. Derrier, Dôrge, Dûrrge, etc., appelé plus tard Charles D..., hypo-
spade né à Potsdam en 1780, fut examiné de son vivant par une série de mé-
decins -. Hufeland, Mursinna, Feiler, Slark. Ce dernier, qui le vit à l'âge de vingt-
trois ans, lui trouva un habitus masculin, quoique délicat. Le scrotum, divisé,
était vide; l'individu présentait les penchants sexuels d'un homme, des érec-
tions et des pollutions. Mayer, qui fit l'autopsie deD... à Bonn, en 1835, constata
qu'au-dessus du vagin terminé en cul-de-sac se trouvait un utérus plein avec
deux trompes; à l'extrémité de la trompe droite se trouvait un testicule avec des
canalicules spermatiques évidents; à gauche, au contraire, se voyait une glande
ressemblant à un ovaire, complètement tapissée par le péritoine et composée de
petits corpuscules agglomérés; la prostate existait également (Mayer, Casper'$
Wochenschr., 1855, n" 50. — Heppner, Reichert's Arch. 1870, p. 687).
620 HERMAPHRODISME (tlk atologie).
Barkow {Anat. Abh. Breslau, 1851, p. 60) a trouvé chez un liypospade mort
à l'ùgc de cinquante-quatre ans la prostate perforée par le vagin. Les organes
génitaux internes, entièrement contenus dans une hernie inguinale droite, com-
prenaient : un utérus, un testicule renfermant de longs canalicules déliés, et un
ovaire composé de tissu conjonctif avec de la graisse et des vaisseaux, rattaché
par un ligament à la matrice.
Banon (Dublin Journal, t. XIV, p. 73, 1852): Autopsie d'un hypospade â<ré
de vingt-six ans qui avait présenté pendant ia vie l'iiabitus, la voix et les pen-
chants sexuels du mâle, bien que le développement des seins et la forme du
bassin fussent plutôt ceux d'une femme. Pénis imperforé, grandes et petites
lèvres, vagin avec hymen. Utérus petit avec une trompe gauche seulement, ter-
minée par un pavillon surmontant un ovaire; à droite un testicule muni de sor
épididynie et d'un canal déférent qui perforait à sa terminaison la paroi du coi
utérin. La prostate fait entièrement défaut, de même que les vésicules séminales
et les glandes de Cooper. A l'examen histologique l'ovaire ne montre qu'un stroma
fibreux sans follicules de de Graaf, le testicule présente des canalicules bien
conformés, mais sans trace de spermatozoïdes.
Lacas suivant a été rapporté successivement par Cramer (EuiFallvonHerma-
phroditixmus lateralix. Zuricli, 1857), Meyer (Virch. Arch., Bd. XI, p. 450, 1857)
et Klebs [llandb. d. patliol. Anat. IV, Lief. Geschlechtsorgane], p. 728, 1873).
Il s'agit d'un nouveau-né affecté d'hypospadias; le sinus uro-génital qui se con-
tinue avec l'urclhre est entouré par la prostate et présente à ce niveau un veru-
montanum sur lequel débouclie le vagin. L'utérus normalement conformé est
muni de deux trompes; à gauche un testicule descendu dans la moitié corres-
pondante du scrotum; à djoite un ovaire. Le corps de Ilosenmùller existe des
deux côtés. L'examen microscopique n'a fourni que des résultats peu concluants.
Gruber [Mém. de l'Acad. impériale des se. de Saint-Pétersbourg, 1859) signale
chez un hypospade mort à vingt-deux ans d'un cancer abdominal la présence
d'une prostate, d'un vagin long de 8 centimètres et d'une matrice peu déve-
loppée, à gaucho d'une trompe avec organe de Hosenmiiller et ovaire entière-
ment Iransfoimé en une masse carcinomateuse, à droite d'un testicule (contenant
des canalicules spermatiques) avec épididyme et canal déférent finissant en cul-
de-sac.
Klotz [Cenlralbl.fûr. Chir., 1880) rapporte l'histoire d'un hypospade opéré à la
clinique de Billroth d'un kyste situé dans la moitié droite du scrotum. Comme
ce kyste était en rapport avec une trompe aboutissant à un utérus unicorne, il fut
considéré comme étant de nature ovarique. Le scrotum gauche renfermait un
testicule avec épididyme et canal délércnt allant s'insérer sur la partie cervicale
de l'utéius.
Parmi les cas qui viennent d'être énumérés il s'en trouve cà la vérité un cer-
tain nombre qui ont été l'objet d'une description anatomique très-consciencieuse,
mais il n'en est aucun où la nature des glandes génitales en tant qu'ovaires ou
testicules ait été contrôlée par une analyse histologique rigoureuse. Or ce con-
trôle est absolument indispensable et, si l'on voulait s'en tenir strictement à ce
qui été observé jusqu'ici chez l'homme, l'hermaphrodisme vrai alterne devrait
être considéré comme douteux dans l'espèce humaine.
Mais la tératologie comparée nous offre des exemples bien constatés de cette
forme d'hermaphrodisme chez les Mammifères domestiques. Sans nous étendre
sur les observations plus anciennes, nous rapporterons seulement la suivante,
HERMAPHRODISME (tératologie). 621
récemment faite sur le porc, et ne laissant rien à désirer au point de vue de la
netteté dans la description.
J. Reuter {Ein Beitrag zur Lehre vom Hermaphrodisrmis. In Verhand. d.
phys. med. Gesellsch. zu Wrnzburg, 1885) a eu Toccasioa d'examiner trois
jeunes porcs affectés d'hypospadias avec malformation des organes génitaux
internes, et provenant tous trois de la même mère. Chez l'un deux, âgé de
deux mois, on voit un conduit utéro-v;iginal recliligne s'abouclier dans le sinus
uro-génital largement ouvert à l'extérieur au-dessous d'un pénis rudimentaire.
La partie supérieure de l'utérus donne insertion à deux cornes sinueuses bien
développées se terminant par des trompes. La trompe gauche préscnle un ori-
fice abdominal bien distinct près duquel se trouve fixé par un repli péritonéal
un petit corps réniforme, l'ovaire. Du hile de ce dei'uier part un canalicule
qui se perd dans l'épaisseur du ligament large après un trajet fort irrégulier,
le parovarium. Du côté droit on trouve dans le ligament large un testicule bien
conformé avec son épididyme; la trompe droite rudimentaire parcourt de haut
en bas le sillon existant au niveau de la jonction de ces deux organes et se ter-
mine par un petit renflement piriforme vers la queue de l'épididyme. La tète
de celui-ci donne naissance à un canal déférent qui traverse le ligament large
parallèlement au bord inférieur de la corne utérine dont il suit les ilexuosités,
s'accole ensuite à la paroi du conduit utéro-vaginal et vient déboucher à la
partie supérieure du sinus uro-géuital. 11 n'y a ni prostate, ni vésicules sémi-
nales, et rien n'indique lu division des voies femelles en vagin et en utérus.
Un examen microscopique complet se trouve relaté à la fin de l'observation : la
structure du testicule est identique à celle que présente cet organe chez un
individu normal du même âge, sauf quelques différences portant sur l'épithé-
lium de revêtement des canalicules; l'ovaire renferme de nombreux follicules de
deGraaf à divers stades d'évolution; enfin, un corps placé au-dessous de l'organe
de RosenmûUer, non loin de l'ovaire, a été reconnu comme étant un ganglion
lymphatique. Ce dernier fait montre suffisamment avec quelle réserve il con-
vient d'accueillir les indications concernant des ovaires ou des testicules rudi-
mentaires déterminés comme tels d'après la simple inspection à l'œil nu.
Il est à peine nécessaire de faire resortir l'analogie très-grande des disposi-
tions anatomiques décrites par Reuter avec celles qu'oa a trouvées chez l'homme,
A défaut d'une observation bien complète faite sur celui-ci, les animaux nous
offrent des exemples indiscutables d'hermaphrodisme alterne. Il est donc fort
probable que la lacune qui existe encore à cet égard en tératologie humaine ne
tardera pas à être comblée.
Nous ferons remarquer, en terminant ce paragraphe, que l'hermaphrodisme
du segment profond s'accompagne régulièrement d'anomalies dans le dévelop-
pement du segment moyen ou du segment externe, et souvent des deux à la
fois. Ce n'est donc que d'une manière tout artificielle et pour la clarté de^notre
exposé que nous l'avons étudié séparément.
II. Conformation bisexiielle du segment moyen {conduits génitaux); pseudo-
hermaphrodisme interne de Klebs. Ce vice de développement est beaucoup
plus fréquent que le précédent et l'on peut utiliser, pour en faire l'histoire, les
observations anciennes, car l'examen histologique est ici moins indispensable
que lorsqu'il s'agit de déterminer si l'on a affaire à un ovaire ou à un testicule,
dans des cas douteux.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'hermaphrodisrae des voies génitales est com-
622 HERMAPHRODISME (tératologie).
plet chez l'embryon et Ton en trouve toujours des vestiges parfaitement recon-
naissables chez l'adulte. Le développement simultané des conduits de Mûller et
du corps de Wolff avec son canal {leut se rencontrer à tous les degrés, de sorte
que les anomalies dont nous avons à traiter ici se relient par une gradation
insensible à l'état normal, ce dernier représentant lui-même un hermaphro-
disme rudimentaire. Suivant qu'il s'agit d'un individu mâle avec persistance
des conduits de Mùller, ou d'un individu femelle avec persistance des canaux
de Wolff, Klebs distingue un pseudo-hermaphrodisme masculin et un pseudo-
hermaphrodisme féminin. De même que pour le segment profond on peut
distinguer pour le segment moyen des hermaphrodismes bilatéraux, unilatéraux,
alternes, etc. Mais ces divisions théoriques n'offrent ici aucun intérêt immédiat.
i" Développement anormal des conduits de Muller chez le mâle. a. Sans
anomalie notable des organes génitaux externes. Les degrés les moins pro-
noncés de cette anomalie se rencontrent fréquemment ; iis consistent en un
simple agrandissement de la vésicule prostatique, en place de laquelle on trouve
une poche plus ou moins spacieuse débouchant sur le verumonlanum. Cette
poche est formée par les extrémités inférieures fusionnées des conduits de Mùller
et représente, comme l'utricule prostatique lui-même, un vagin rudimen-
taire. E.-H. Weber [Ziisiltze zur Lehre vont Datte u. den Verricht. d. Ge-
schlechtsorgane. Leipzig, 1846) a reconnu le premier la nature féminine de ces
formations, grâce à ses recherches d'anatomie comparée ; pourtant son inter-
prétation n'était pas tout à fait exacte, puisqu'il a donné à la vésicule le nom
A'utérns mâle. Il considérait alors le vagin, conformément aux vues de Ralhke
[Beilr. z. Geschichte der Thienvelt, 1827. — Ahhandl. z. Bildungs. u. Ëntw.
Gesch., 1, 1852), comme formé aux dépens d'undiverticule du sinus uro-génital,
et cette manière de voir a encore cours dans quelques travaux modernes. Mala-
carne {Mem. délia Soc. ital., IX, 1802) et Sleglehner {de Hennaphroditorum
natura. Lips., 1817) ont fait ressortir la ressemblance qu'offrait dans certains
cas la vésicule prostatique agrandie avec un vagin. Le développement de tout
le conduit utéro-vaginal aux dépens des conduits de Mùller fusionnés a été mis
en évidence par Mockel {Reil's Arch., II, 1802), Leukart [Illuslr. med. Zeit.,
1, 1852), Thiersch {ibid.) et Dohrn(Gese//. zur Befôrd. d. Naturw. Marburg., IX).
Pourtant la dénomination d'utérus màle continue d'être employée couramment
en anatomie.
Lorsque l'anomalie est plus accentuée, \a poche vaginale peut présenter des
rides transversales rappelant celles du vagin; au lieu de se terminer en cul-
de-sac, elle peut être surmontée d'un utérus, tantôt rudimentaire, tantôt nette-
ment divisé en corps et en col. Ce dernier est relativement allongé, comme chez
le foetus, et il possède une paroi musculeuse plus épaisse que le reste du con-
duit utéro-vaginal. Le corps est souvent bifide à son extrémité.
Enfin, chez certains sujets, on trouve une ou deux trompes pouvant s'ouvrir
dans le péritoine par des pavillons frangés; le ligament large et les diverses
annexes de l'utérus présentent alors une conformation qui se rapproche plus ou
moins complètement des dispositions normales du sexe féminin, et en même
temps la muqueuse du col montre les plis caractéristiques de l'arbre de vie.
On peut citer comme représentant ce genre d'anomalies les cas suivants :
Vagin mâle sans utérus. Leukart {loc. cit.). Un enfant nouveau-né, du sexe
masculin, présentait une verge petite, un scrotum indiqué seulement par deux
replis cutanés. Les testicules retenus dans l'aine étaient normaux, ainsi que les
HERMAPURODISME (tératologie), 625
épididymes, les canaux déférents et les vésicules séminales. La prostate était
rudimentaire et sur le verumontanum s'ouvrait par un orifice plus large que de
coutume une grande vésicule dont la muqueuse offrait des rides transversales;
les conduits éjaculateurs se voyaient sur la face antérieure de la vésicule.
Vagin et utérus miicorne. Betz {MiiUers Archiv, 1850) a trouvé chez un
enfant mort-né du sexe masculin, à organes génitaux externes bien conformés :
un utérirs mâle s'ouvrant par un vagin sur le verumontanum et se terminant
du côté droit par une corne avec un rudiment de trompe. Absence de vésicules
séminales; le canal déférent droit est perméable et chemine dans la paroi de
l'utérus, le gauche se comporte de même, mais se trouve réduit à son extrémité
antérieure à un cordon solide. Le testicule gauche seul est descendu. Eppinger
(Prager Vierteljahresschrlft, B. CXXV) a décrit un cas de ce genre chez
l'adulte.
Vagin avec utérus double bicorne. Petit (de Namur) communiqua en
1720 à l'Académie des sciences l'observation d'un soldat mort des suites d'une
blessure à l'âge de vingt-deux ans. Les parties externes offraient des caractères
masculins bien accusés, mais le scrotum était vide. Les testicules petits, mous
et occupant la position des ovaires, étaient munis d'épididymes et de canaux défé-
rents qui ne permettaient pas de les méconnaître. La prostate et les vésicules
séminales existaient également. Celles-ci allaient s'ouvrir, comme à l'ordinaire,
dans l'urèthre, qui recevait en outre dans sa portion prostatique l'orifice d'une
matrice attachée au col de la vessie. De cette matrice naissaient à droite et à
gauche deux trompes se portant aux épididymes et dépourvues de pavillons.
Mayer [Icônes selectse. Bonn, 1851). Fœtus de quatre mois; parties génitales
externes normales, ainsi que les testicules, les voies spermatiques et la prostate.
Utérus mâle nettement bicorne ; les deux conduits utérins sont complètement
séparés par une cloison médiane jusqu'à leur extrémité inférieure. En ce point
ils se terminent en cul-de-sac et font saillie dans l'intérieur du vagin. Ce
dernier s'ouvre, non sur le verumontanum, mais dans la vessie.
Hyrll {(Esterr. med. Wochenschr., 1851). Conduit utéro-vaginal à deux
cornes développées se fusionnant en un canal unique qui débouche sur le veru-
monlanum; la muqueuse est plissée transversalement. La prostate existe; les
vésicules séminales font défaut ; testicules et épididymes normaux descendus
dans les bourses ; les canaux déférents s'ouvTent dans l'utricule.
Vagin avec utérus développé et trompes. Franqué {Scanzoni's Beitràge,
IV, 1859). Homme adulte, cryptorchide; les testicules retenus dans le canal
inguinal ; épididymes et canaux déférents, le gauche oblitéré. Absence de con-
duits éjaculateurs. Prostate petite; deux vésicules séminales. Le vagin mâle est
fermé par un repli au niveau du verumontanum. 11 se continue avec un utérus
bien conformé, divisé en col et en corps, et surmonté de deux trompes, la
gauche complète, la droite en grande partie oblitérée.
Tels sont les rares exemples oii les organes génitaux externes ont conservé
un type mâle à peu près normal. Le pseudo-hermaphrodisme mâle limité au
segment moyen est, en effet, une grande exception, à moins qu'on ne veuille
faire rentrer dans cette catégorie tous les sujets sur lesquels on trouve une
vésicule prostatique un peu plus volumineuse que d'habitude, sans aucune
apparence rappelant le vagin ou l'utérus.
11 faut remarquer qu'un développement notable de l'utérus mâle se rencontre
normalement chez certains ruminants (bœuf du Cambodge, antilopes), ainsi que
624 IIERMAPIIHODISME (tératologie).
chez les rongeurs: l'utricule de ces derniers présente deux cornes flexueuses et
constitue ce qu'on appelle l'organe de Weber.
p. Avec mal for ma Lion concomitante des organes génitaux externes [pseudo-
hermaphrodisme masculin complet de Klebs). Dans la presque totalité des
cas où le conduit génital femelle persiste sur une certaine étendue, on observe
en même temps à divers degrés l'hypospadias, la fissure scrotale avec cryptorclii-
die, etc., ce qui constitue le pseudo-hermaphrodisme complet (c'est-à-dire por-
tant à la fois sur le segment moyen et sur le segment externe).
Suivant la remarque d'Alilfeld, le développement des organes génitaux
externes est en proportion à ])eu près inverse de celui des conduits de Mùller.
Pour peu qu'il existe un vagin avec utérus mâle, le tubercule génital et les
l'eplis qui le bordent se trouvent arrêtés dans leur évolution. Le vagin vient
déboucher dans un sinus uro-génital persistant ouvert à l'extérieur par une
tissure scrotale que surmonte un pénis court et hypospade. Souvent les testi-
cules sont retenus dans l'abdomen.
C'est donc dans ce groupe des pseudo-hermaphrodismes mâles complets de
Klebs que nous trouvons les cas les plus prononcés de développement des con-
duits de MiJlltr chez l'homme.
Ackerniann [Infantis androgijni Instoria et iconographia. lena, 1805) a
décrit un enfant de six semaines, hypospade, à fissure scrotale ayant l'aspect
d'une vulve avec grandes et petites lèvres; le vagin était surmonté d'un utérus
dilaté en forme de kyste. Les testicules, placés devant I anneau inguinal de
chaque côté, étaient normaux, ainsi que les voies spermatiques.
Giinlher [Comm. de Ilermaphr. Lipsia-, 1846) a examiné le corps d'un homme
de trente-quatre ans, qui n'avait jamais manifesté de penchants sexuels d'au-
cune sorte. Le pénis et le scrotum avaient le même aspect que dans le cas pré-
cédent. Le vagin aboutissait à un utérus tiès-petit se prolongeant eu trois cornes :
une médiane se perdant sur la vessie, et deux latérales se continuant avec les
canaux déférents réduits à deux cordons pleins. Les testicules étaient descendus
dans le scrotum.
Dans CCS deux observations, suivant la remarque de Klebs, la matrice était
fort rudimentaire, si tant est qu'elle ait réellement existé.
Godard {Rech. tératol. sur V appareil séminal de l'homme. Paris, 1860) a
trouvé sur un hypospade adulte un utérus de forme et de dimensions normales.
De chacun des angles supérieurs partait un tractus solide se rendant dans le
canal inguinal du côté correspondant ; à gauche feulement existait un testicule
avec épididyme rudimentaire cl canal déférent oblitéré. Les deux cordons parais-
sent répondre aux ligaments ronds plutôt qu'aux trompes de Fallope.
G. Mayer (/cônes seleclœ, 1851). Enfant de six mois avec hypospodias et
tissure scrotale; organes externes d'aspect féminin, sauf l'absence des petites
lèvres. Les testicules avec leur épididyme placés devant l'anneau inguinal
externe; les conduits déférents s'accolent latéralement à la paroi de l'utérus,
présentent chacun un renllement ampullaire (vésicules sémiales?) et débouchent
dans le vagin. Chaque testicule est hxé en outre par un ligament à l'extrémité
de la corue utérine correspondante. L'utérus bicorne se termine par deux trompes
perméables dilatées en kystes à leur extrémité et descendues dans les aines avec
les testicules. Le col utérin présente des plis très-apparents ; son orifice montre
les deux lèvres du museau de tanche.
FoUin {Gaz, des hôp., 1851) a rapporté un cas intéressant, rangé à tort par
HERMAPHRODISME (tératologie). 625
plusieurs auteurs parmi les liermaplirotlismes vrais alternes. Chez un hypospadc
avec fissure scrotale, à vagin et utérus développés, la trompe utérine gauche se
trouvait dans le scrotum avec un testicule (déterminé histologiquement par
Robin). Adroite, on voyait partir de l'utérus, outre la trompe, un cordon qui se
rendait à la région inguinale où il se terminait par un kyste séreux (considéré,
sans raison suffisante comme représentant un ovaire). Un autre cordon aboutis-
sait à un groupe de canalicules flexueux (canal et organe de Rosenmùller).
Hesselbach {Beitràge zur Natiir u. Heilkunde, von Friedreich w. Hesselbach.
Wùrzburg, 1825) signale aussi chez un hermaphrodite mâle adulte la présence
de deux troiapes de Fallope bien perméables et terminées par des pavillons
frangés.
hmger (Zeitschr. d. k. Gesellsch. d. JErztezu Wien, 1855) et Arânyi [Vngar.
Zeitschr., 1853) ont relaté l'observation d'un hypospade avec fissure scrotale,
mort à soixante-trois ans. Le testicule gauche seul était descendu; les vésicules
séminales manquaient et les canaux déférents se jetaient, l'un dans l'urèthre,
l'autre dans la vésicule prostatique agrandie (vagin mâle) se terminant en cul-
de-sac. Au-dessus de ce vagin imperforé on voyait un utérus bicorne bien déve-
loppé avec deux trompes de Fallope très- allongées.
Reuter [loc. cit.) décrit un cas typique observe chez le porc.
2" Développement anormal des conduits de Wolff chez la femelle, a. Sans
anomalie des organes génitaux externes. La persistance anormale des corps
et des conduits de Wolff chez la femme est beaucoup plus rare et beaucoup
moins importante au point de vue tératologique que celle des conduits de Mùller
chez l'homme. Habituellement les vestiges des formations wolftîennes de l'embryon
ne sont représentés chez l'adulte que par l'hydatide pédiculée, les grains du
parovarium {paroophore, Waldeyer), les canalicules de l'organe de Rosen-
miiller {époophore, Waldeyer) correspondant à l'épididyme du mâle, et le canal
de Rosenmùller répondant à l'origine du canal déférent. Chez plusieurs espèces
de Mammifères la portion terminale du conduit de Wolff persiste également;
déjà signalés chez la vache par Malpighi (1631), ces canaux ont été décrits en
1822 par Gartner, qui leur a laissé son nom. Par des injections au mercure cet
observateur put les suivre dans le ligament large jusqu'auprès de l'ovaire
(conduits de lîosenmùller), et les vit se perdre par leur extrémité inférieure dans
le tissu musculaire du col utérin. Chez la truie il constata qu'ils se prolon-
geaient dans l'épaisseur de la paroi du vagin pour venir déboucher à l'extérieur
de part et d'autre de l'urèthre. Des observations analogues furent faites par
Jacobson (1830). Kobelt montra ces canaux chez la chèvre et le chevreuil
(1847) et von Preuschen (1877) chez le chat.
En ce qui concerne l'espèce humaine, la manière dont se comportent les restes
du canal de Wolff n'est pas encore fort bien élucidée. D'après Kobelt et Follin,
la portion terminale disparaîtrait sans laisser de traces. Beigel [Centralhl.
med., 1878) dit au contraire qu'on peut la poursuivre depuis le fond de la
matrice jusque dans le col et même dans la paroi du vagin ; Freund et Kochs
ont même cru retrouver les embouchures des canaux de Gartner sur les côtés
de l'orifice urélhral. Ces données sont contestées par Dohrn, qui dit que dès la
seconde moitié de la vie intra-utérine on ne trouve plus qu'exceptionnellement
les canaux mâles ; ils pénètrent alors dans la musculeuse utérine au niveau de
l'isthme et se prolongent à une petite distance dans la paroi supérieure du vagin.
Le conduit gauche s'atrophie plus rapidement que le droit (ce qui tient peut-
DICT. ESC. 4* s. XIII. 40
62G HERMAPHRODISME (tératologie).
être à la compression exercée par l'intestin). Rieder [Virch. Arch., Bd. 96,
1884) exprime une opinion à peu près semblable; il a retrouvé des vestio-es
des canaux de Gartner chez un tiers environ des femmes examinées [votj. Wolfp
[Corps de]).
Le premier cas de persistance anormale de ces conduits chez la femme est
indiqué par Realdus Golumbus {De re anatomica, 1559), qui a vu deux canali-
cules partant des ovaires traverser le ligament large parallèlement aux trompes
et s'étendre jusqu'à la racine du clitoris très-volumineux ; il les considère à
juste titre comme représentant les canaux déférents de l'homme. Veit {Handb.
d. iveihl. Geschlechtsorg., 1867), Freund [Ber. d. Natiirforscherversammlung
zu Kassel, 1 878), de Graaf {Zeitschr. f. Geburtsh. u. Gynak., 1 882), Kochs {Arch.
f. Gynàk., 1883) et Bôhm {ibid.), décrivent des kystes de la paroi du vagin et
des enfoncements pci'i-uréthraux qu'ils considèrent comme des vestiges des
canaux de AYoiff. Mais il est probable que, pour une partie de ces cas, il y a eu
confusion avec les glandules et les sinus muqueux qui débouchent dans le ves-
tibule au pourtour de l'urèthre et qui doivent être considérés comme des
prostates rudimentaires (Virchow, Arch. f. path. Anat., V. — Voy. Tourneux,
article SiiNUS uiio-gémtal).
KôLerlé a trouvé, dans un cas d'utérus cloisonné, avec prolongement de la
cloison dans la partie supérieure du vagin, un canalicule situé dans l'épaisseur
de la paroi de droite des voies génitales et se recourbant au niveau du bord
libre de la cloison pour remontei' jusqu'au col utérin.
p. Avec anomalie concomitante des organes génitaux externes. Le déve-
loppement plus ou moins notable des voies séminales mâles, coïncidant avec une
conformation masculine des organes génitaux externes chez la femme, est égale-
ment une forme peu décrite. On ne peut guère citer conme exemple que le cas
bien connu de Luigi de Crecchio {Sopra un cazo di appareff^ virili in wia
donna. In il Morgagni, 1865). Giuseppe Marzo, né en 1820, fut baptisé
comme fille, puis considéré comme mâle cryptorchide par un chirurgien qui le
vit à l'âge de quatre ans. Élevé comme garçon, il en manifesta les penchants lors
de la puberté, bien qu'il n'eût jamais d'excrétions spermatiques ; les menstrues
faisaient également défaut. Il vécut toujours comme homme, eut une série
(l'aventures galantes et contracta même des blennorrhagies à deux reprises.
L'habitus général était nettement masculin : épaules larges, barbe assez abon-
dante, seins non développés ; pourtant les extrémités étaient fines et le bassin
un peu large. Mort à l'âge de quarante-cinq ans, G... fut l'objet d'un examen
anatomique détaillé qui montra à l'évidence qu'il s'agissait d'une femme :
pénis long de 6 centimètres, à gland volumineux, urèthre s'ouvrant à côté du
frein; pénil proéminent et velu, scrotum représenté par des plis longitudinaux
dont les plus internes, dégarnis de poils (petites lèvres), forment une sorte de
collerette autour du membre. Un repli cutané médian maintient ce dernier
incurvé inférieurement. Sur le verumontanum vient s'ouvrir un vagin avec
utérus bien conformé, les trompes de Fallope sont complètes, à chaque pavillon
répond un ovaire. Absence de ligaments ronds et de ligaments utéro-sacrés. Le
va^dn traverse dans sa partie inférieure une prostate bien développée haute de
55 millimètres. De chaque côté de l'orifice vaginal débouchent sur le mni-
montanum les canaux éjaculateurs, le gauche finit en caecum après un trajet de
12 millimètres, le droit très-court va s'ouvrir dans le vagin dont il représente
une sorte de bifurcation. Sur la face interne du vagin, un peu au-dessous du
HERMAPHRODISME (tératologie). 627
col de l'utérus, s'abouche une sorte de kyste qui paraît répondre à la vésicule
séminale; du côte droit, mais plus bas, se trouve un petit corps qui a peut-être
une signification analogue. Les ovaires, examinés au microscope par Schrôn, ne
présentèrent que de rares follicules de de Graaf en voie d'atrophie (Klebs, loc.
cit., p. 746).
Klebs place encore ici le cas de Manec et Bouillaud [Journal unlv. de méd.
et de chir. prat. Paris, 1835), relatii' a. un chapelier mort du choléra à l'àoe
de soixante-deux ans. Pénis hypospade, urèthre s'ouvrant à la base du oknd,
scrotum représenté par des sortes de bourrelets cutanés assez lâches. Organes
génitaux internes entièrement femelles ; vagin s'ouvrant dans la portion mem-
braneuse de l'urèthre. Prostate développée. Mais la simple présence d'une prostate
n'a rien à voir avec une conformation masculine du segment moyen. On sait en
effet que cet organe se forme dans les deux sexes aux dépens de bouroeons épi-
théliaux issus du sinus uro-génital. Il s'agit simplement d'un développement
exagéré, suivant le type masculin, des glandules prostatiques rudimentaires de
la femme. C'est un cas de pseudo-hermaphrodisme féminin {voy. p. 628).
Dans la constitution bisexuelle du segment moyen chez les deux sexes, il y a
quelques particularités à relever. Alors que la persistance des canaux de Gartner
ne semble guère influer sur la conformation de l'utérus ni du vao-in chez la
femme, il n'en est phis de même chez le mâle où le développement exa<^éré des
voies femelles, beaucoup plus volumineuses que les voies spermatiques, entrave
presque toujours l'évolution de ces dernières et de leurs annexes. Fréquemment
les vésicules séminales sont rudimentaires ou font même complètement défaut,
les canaux déférents n'existent que sur une partie de leur trajet, etc. La portion
terminale de ces canaux s'accole généralement au tube utéro-vaginal et se
trouve même souvent incluse dans l'épaisseur de la paroi de ce conduit, rappe-
lant ainsi les connexions étroites qu'affectent entre eux les canaux de Wolff et de
Mùller dans le cordon génital de l'embryon. C'est également par la fusion
intime des quatre conduits sexuels à leur terminaison qu'on peut expliquer
l'abouchement anormal des voies spermatiques dans le vagin ou l'utérus mâle.
Suivant une remarque de Lilienfeld et de Reuter, dans les cas d'hermaphrodisme
alterne des glandes ou des voies génitales, les organes femelles sont placés de
préférence à gauche.
m. Anomalies de développement du segment externe. Hermaphrodisme
apparent, pseudo-hermaphrodisme externe. En vertu de la définition donnée
plus haut nous ne devrions avoir à décrire ici que des anomalies des orcranes
génitaux externes. Pourtant, dans un grand nombre de cas, le segment moyen
participe encore à la déviation du développement normal. Mais il n'est plus inté-
ressé que dans une faible mesure et l'anomalie est surtout prononcée dans le
segment externe. En réalité, le groupe des pseudo-hermaphrodismes externes
comprend des formes qui confinent à celles qui viennent d'être décrites, et on
arrive par une gradation insensible à des malformations si peu accusées qu'on
a l'habitude de ne pas les étudier avec les hermaphrodismes et de les décrire
séparément. Comme nous accordons ici à l'état des organes génitaux externes une
importance prédominante et que ces organes sont représentés par une ébauche
embryonnaire unique (partie inférieure du sinus uro-génital, tubercule génital
et plis génitaux), il s'ensuit que tous les hermaphrodismes de cette catégorie sont
forcément unisexués). Nous décrirons donc l'hermaphrodisme apparent successi-
vement chez le mâle et chez la femelle.
628 HERMAPHRODISME (tératologie).
1" Hermaphrodisme apparent chez le mâle. Une des formes les plus fré-
quentes est celle oîi l'hypospadias se complique seulement d'un développement
anormal de la portion inférieure (vaginale) des conduits de MûUer, en même
temps qu'il se forme un sinus uro-génital très-court. On voit alors déboucher
dons la fissure scrotale un vagin mâle parfois assez spacieux, terminé en cul-
de-sac sans trace d'utérus et bordé de replis qui peuvent simuler à s'y méprendre
les nymphes de la femme. Ce sont ces cas surtout qui ont donné lieu à des
erreurs sur le sexe.
Steglehner {De hermaphrodit. natura. Bamberp; u. Leipzig, 1817): Jeune
fille de vingt-trois ans, organes géiuLaux externes entièrement féminins ainsi que
i'iiabitus du corps, sauf cependant le timbre de la voix et une saillie assez pro-
noncée du larynx. A l'autopsie on constata qu'il n'y avait ni utérus, ni trompes,
ni ovaires; le vagin était fort étroit. Dans la région de l'aîne, des testicules avec
voies séminales complètes; les deux conduits éjaculateurs s'ouvraient dans le
fond du vagin.
Schneider, Sômmerring [Kopp's Jahrb. f. Staatsarzneik., X. — Leuckart,
llluxtr. med. Zeit., I, 1817), ont trouvé la même disposition sur une paysanne
morte à soixante-quatorze ans et qui avait dû divorcer peu après son mariage.
Seulement ici le conduit vaginal, uni également par deux canaux aux vésicules
séminales, était très-court et ne réprésentait guère qu'un rudiment de vagin.
Les observations de Gùnther {Comm. de hermaphroditimio. Leipzig, 1846)
et Pech {Auswahl einiger seltener u. lehrreicher Fàllc. Dresden, 1858), et de
Otto {ISeue seltene Beobacht., 1824), appartiennent à la même catégorie.
Dans les cas rapportés par Giraud [Recueil périodique de la Soc. de méd. de
Paris, II. — Todd's Cyclop., 11), Ricco {Cenno storico di un neutro-uomo.
— Todd's Cyclop.), les individus avaient été mariés comme femmes durant de
longues années. Des erreurs de ce genre se présentent également de nos jours :
témoin le sujet présenté ta la Société d'anthropologie par M. Magitot en 1881, et
celui dont parle Martini (Vierteljahresschr. fiir gerichtl. Med., Bd. XIX). Il
s'agit d'une sage-femme traduite en justice sur la plainte d'une de ses clientes,
à laquelle elle avait tenté de faire violence. L'examen médico-légal montra qu'on
avait simplement affaire à un hypospade, avec pénis court et imperforé.
Une observation type est celle qui se rapporte à Alexina B..., élevée comme
fille jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, déclarée homme ensuite par un jugement du
tribunal de La Boclielle et qui fut l'objet, après son suicide, d'un examen ana-
tomique complet delà part de E. Goujon. Au-dessous d'un pénis dont le volume
n'excédait pas celui d'un gros clitoris s'ouvrait l'urèthre, comme chez la femme,
et un peu plus loin se voyait un orifice vaginal bordé de replis cutanés simulant
parfaitement les grandes et les petites lèvres. Le vagin terminé en cul-de-sac
avait 6 centimètres 1/2 de profondeur. Le lobe droit du scrotum divisé,
plus volumineux que le gauche, renfermait un testicule bien reconnaissable à la
palpation. Le vagin finissait en cul-de-sac sans trace d'utérus ni d'ovaires. Le
testicule gauche, engagé dans l'anneau, paraît être en dégénérescence graisseuse,
mais, sauf cette particularité, l'appareil génital mâle est complet ; les conduits
éjaculateurs rampant sous la muqueuse vaginale débouchent sur la vulve un
reu au-dessus des glandes vulvo-vaginales normalement conformées et situées.
Les vésicules séminales étaient distendues par du sperme ayant la couleur et la
consistance normales, mais dépourvu de spermatozoïdes. Goujon signale encore
au voisinage du col de la vessie une petite glande qu'il considère comme une
HERMAPHRODISME (TÉr.ATOLor.iE). 629
prostate rudimentaire (Goujon, Étude d'un cas d'hermaphrodisme bisexuel
imparfait chezVhomme. In Jouni. de Vanat., 1869).
Les cas de ce genre consistant essentiellement en un hypopadias avec fissure
scrotale simulant une vulve et un vagin mâle plus ou moins développé, se trou-
vent relatés en assez grand nombre. J. Arnold [Virch. Arch., 1869; en a réuni
27. Parmi les observations plus récentes, nous citerons encore celles de Avery
(Philadelph. med. ami surg. rep. XIV); de Wood {Trans. of Anat. amlPathoL,
1872); de Czarda {Wiener med. Wocheuschr., 1876); de Dohrn {Arch. fur
Gi/mekoL, 1877); de Marchand {Virch. Arch. Bd. XGII) et Zinsser {Diss. Gies-
sen, 1883); de Schœneberg {Berl. klin. Wochenschr., 1875) ; de.Léopold (irc/i.
filr Gijnàk., 1873 et 1877); de Sippel [ibid., 1879); de Gérin-Roze [Gaz. des
hôp., 1884); de Pozzi (Soc. de biol., 1884 et 1885 [deux cas]); de Wermann
[Pseudo-hermaphr. masculinus compleius. In Virch. Arch., 1886); de Max
Simon {Inaug. Diss. Erlangen, 1886).
Un fait assez singulier se trouve consigné dans le Med. Times, 1885.
G. Buchanan trouva chez un enfant de neuf ans, à organes génitaux externes
femelles et bien conformés, les grandes lèvres tuméfiées par suite de la ]:résence
de deux corps que l'on reconnut être des testicules. Pour des raisons difficiles à
comprendre on extirpa les deux glandes, ce qui permit de vérifier le diagnostic.
De chaque côté de l'entrée du vagin terminé en cul-de-sac on voyait un petit
orifice en forme de fente répondant probablement aux conduits éjaculateurs.
On comprend que dans des cas lemblables la détermination du sexe faite sur
le vivant puisse offrir parfois de sérieuses difficultés. Il est vrai que le pénis se
distinguera presque toujours du clitoris, si développé que puisse être ce dernier,
par le volume du gland et la saillie de la couronne, par sa situation plus élevée
au devant du pubis ; le pénil est moins saillant que chez la i'emme et les replis
bordant la fissure du scrotum ne simulent qu'imparfaitement la vulve (Geoflroy
Saint-Hilaire). Klebs considère comme caractéristiques pour le sexe féminin les
petits replis cutanés qui parlent de l'orifice uréthral rudimentaire et se prolon-
gent en bas et en arrière de chaque côté du pénis, affectant un trajet extrê-
mement sinueux à leur terminaison. Mais aucun de ces signes n'a une valeur
absolue.
L'excrétion de sperme contenant des spermatozoïdes lève naturellement tous
les doutes; il n'en est pas de même de l'écoulement menstruel, car non-seule
ment on peut observer des hémorrhagies i)ériodiques chez le mâle, mais il faut
songer toujours à la possibilité d'une simulation.
Nous rappellerons à ce sujet l'histoire de Catherine Ilohmann, née à Mell
richstadt en 1824, et qui a été l'objet d'une série d'examens minutieux
(B. Schultze, Virchoivs Arch., Bd. XLIII, 1868. — 0. von Kranqué, Scanzoni's
Beitràge, 1868. — Bokitansky, Wiener med. Wochenschr., 1868. — Frie-
dreich, Virchow's Arch., Bd. XLV, 1869).
Cet individu présentait l'habitus général masculin, sauf les cheveux et le déve-
loppement notable des seins. Il possédait un pénis bien développé avec hypospa-
dias simple, l'urèthre venant déboucher à la face inférieure du membre, à quel-
ques millimètres en avant de la racine. La moitié droite du scrotum existait
seule et renfermait un testicule. A gauche, on pouvait sentir en arrière du
pubis un corps arrondi, relié par un cordon à un petit organe situé derrière
l'urèthre. Schultze croit à l'existence d'un utérus rudimentaire avec trompe
et ovaire. Il y avait des pollutions bien constatées avec spermatozoïdes et des
6S0 HERMAPHRODISME (tératologie).
liémorrhagies menstruelles admises par von Franqiié et par Friedreich, mais
niées par Ahlfeld [loc. cit.), qui prétend que ces règles étaient purement simulées
et que le sang provenait en réalité d'épistaxis périodiques dont Catherine était
affectée. Quoi qu'il en soit, l'écoulement menstruel ne put plus être constaté à
partir de l'année 1869. Catherine mourut dans sa ville natale, sous le nom de
Charles, en 1881, sans que l'autopsie, dont on pouvait attendre des éclaircis-
sements du plus haut intérêt, eijt été faite (Reuter, loc. cit., p. 40). On ne peut
donc savoir s'il s'agissait simplement d'hypospadias avec rétention du testicule
gauche et état rudimentaire de la moitié correspondante du scrotum, ou s'il
existait un hermaphrodisme vrai alterne.
11 ne serait pas possible de rappeler ici toutes les causes d'erreur sur la
sexualité qui résultent des diverses formes d'hermaphrodisme masculin. C'est à
cette catégorie qu'appartiennent les cas oîi une fille, à l'occasion d"uu effort (en
sautant un fossé, par exemple) devient garçon par suite de la descente des testi-
cules jusque-là retenus dans l'aîne, etc.
Ce qui est remarquable,, c'est le retentissement qu'exercent sur l'ensemble de
l'économie du mâle non-seulement les hermaphrodismes proprement dits, mais
même la cryptorchidie simple. C'est une influence fort analogue à celle qu'en-
traîne l'ablation des testicules et se traduisant par un habitus extérieur qu'on
caractérise ordinairement par la dénomination de féminisme. « En même temps
que les organes sexuels prennent une ressemblance plus ou moins marquée avec
ceux de la femme, l'organisation tout entière se modifie dans le même sens et
s'empreint véritablement d'un caractère féminin. Ainsi le larynx est peu saillant
et la voix peu grave. La barbe est rare et quelquefois manque presque entière-
ment. Une peau douce, délicate, portant à peine quelques poils et soutenue par
un tissu adipeux bien développé, recouvre des muscles peu saillants. La poitrine
étroite, le bassin élargi, les membres petits, rappellent par leurs proportions
ceux de la femme. Entin, des n:amelles arrondies, plus ou moins volumineuses,
pourvues de mamelons bien prononcés, viennent compléter une ressemblance
qui souvent s'étend jusqu'au moral « (Geoffroy Saint-llilaire). ^'ous aurons à
revenir plus loin sur ces curieuses modifications des caractères sexuels secon-
daires.
2" Hermaphrodisme apparent chez la femelle. Ici viendraient se placer en
première ligue les cag à' hermaphrodisme féminin transverse, dont l'observa-
tion précédente, au développement de la prostate près, constituerait un exemple
approchant. Suivant la remarque de Geoffroy Saint-Hilaire, les modifications
évolutives qui tendent à donner aux organes génitaux externes de la femme un
aspect qui rappelle celui des organes mâles représentent une sorte à'excès de
développement; c'est un phénomène exactement inverse de celui qui se passe
dans l'hermaphrodisme apparent du mâle, où les parties sexuelles extérieures
subissent au contraire dans leur développement un arrêt qui les amène à res-
sembler à celles de la femme. Que chez un individu nettement femelle par la
constitution des segments profond et moyen de l'appareil générateur les bords
du sillon génital viennent à se souder de manière à former un canal urétliral
étendu à la partie inférieure d'un clitoris présentant de son côté des proportions
inusitées ; que la réunion des plis génitaux sur la ligne médiane vienne donner
aux grandes lèvres l'aspect d'un sac scrotal, le vagin venant déboucher profondé-
ment dans l'urèthre (sinus uro-génital), on aura de la sorte toutes les apparences
extérieures des organes mâles, surtout si les ovaires logés dans des diverticules
HERMAPHRODISME (tératologie). 631
péritoiiéaux intra-vulvaircs (canaux de Nuck) anormalement développés com-
plètent l'illusion en simulant les testicules descendus dans le scrotum.
Mais dans aucun des exemples actuellement connus on ne trouve une réunion
aussi complète des caractères extérieurs des organes mâles. L'hermaphrodisme
féminin transverse à proprement parler n'exisle guère qu'en théorie et, dans les
observations que nous allousj'apporter, quelques-unes seulement des conditions
précitées se trouvent réalisées. GeolTroy-Saint-Hilaire a distingué dans cet ordre
d'hermaphrodisme quatre genres, qui ne sont à vrai dire que des degrés diffé-
rents de la même anomalie ; on arrive ainsi par une gradation descendante insen-
sible aux simples vices de conformation dus à l'atrésie vulvaire et à l'hypertrophie
du clitoris. Il est d'autant plus impossible d'établir une ligne de démarcation
bien tranchée entre ces deux catégories de malformations qu'il faut faire aussi
entrer en ligne de compte les modifications que peuvent présenter l'habitus gé-
néral du corps et les penchants moraux. Ainsi chez des individus ayant des
goûts virils et l'aspect extérieur dit de virago on a vu la simple hypertrophie
du clitoris donner lieu à des méprises et à des anomalies dans les rapports
sexuels. Les exemples qui suivent donnent une idée des formes variées que peut
revêtir l'hermaphrodisme apparent de la femme à ses divers degrés.
Béclard {Bull, de la Faculté, 1815) examina Marie Lefort, alors âgée de
seize ans; cette femme, qui était réglée depuis l'âge de huit ans, présentait un
clitoris long de 27 millimètres, dont le gland imperforé était recouvert, dans les
trois quarts de sa circonférence, d'un prépuce mobile. A la face inférieure du
membre s'étendait un canal uréthral peu saillant communiquant au dehors par
cinq petits trous régulièrement placés sur la ligue médiane. Au-dessous se trou-
vait une fente vulvaire garnie de deux lèvres étroites et courtes garnies de poils
qui s'étendaient depuis le clitoris jusqu'au delà de l'anus. Vers la partie supérieure
de la fente, à la racine du clitoris, était un orilîce arrondi admettant facilement
une sonde d'un calibre moyen. L'émission de l'urine et l'écoulement du sang
menstruel se faisaient par l'ouverture principale ainsi que par les pertuis dont
l'urèthre était criblé. Marie Lefort éprouvait des penchants féminins et les
mamelles étaient bien développées, mais l'habitus général du corps était celui
d'un adolescent de même âge : larynx saillant, voix forte, barbe naissante, peau
des membres velue.
Geolfroy Saint-Hilaire, qui la revit quinze ans plus tard, confirme la de-
scription de Béclard; la barbe était alors très-fournie; les menstrues conti-
nuaient à se montrer régulièrement. L'autopsie faite à l'Hôtel-Dieu par Daca-
rogna en 1864 montra que cette femme ne présentait d'autre anomalie qu'un
développement exagéré du clitoris et une atrésie du vagin. Celle-ci était due à
la présence d'une cloison peu épaisse qu'il aurait suffi d'inciser (comme l'avait
proposé Béclard) pour rendre le sujet à son sexe.
Schneider [Jahrb. d. 8taatsarz7ieik. von Kopp, 1809) parle d'un enfant dont
la vulve était presque imperforée, et dont le vagin et l'urèthre se réunissaient
en un étroit canal (sinus uro-génital) débouchant à la racine d'un clitoris assez
gros et muni d'un prépuce.
Virchow {Wûrzburger Verhandl., III. — Ges. Abh. p. 770) décrit une dispo-
sition semblable chez une femme de soixante-dix-sept ans, mariée, mais sans
enfants. Cette personne n'avait été menstruée que très-incomplétement.
A cette même catégorie appartiennent, avec quelques variantes, les cas d'E-
schricht(i¥M//er'sircAiî;, 1836), Burdach(inaL [/wiers., Leipzig, 1814), Hofmanu
652 HERMAPURODISME (tératologie).
{Med. Jahrb.von Slricker, 1877), Schauta (PFzraer med. Wochenschr., 1877),
Stcimann {Deutsche med. Wochenschr if t, 1881), Litten et Virchow [Virch.
Arch.,h\\\).
L'intervention chirurgicale dont Béclard avait eu l'idée au sujet de Marie Lefort
a été tentée avec succès depuis par lluguier sur une jeune fille de vingt ans qui
présentait, outre l'atrosie de la vulve et la longueur anormale du clitoris, une
hernie inguinale de l'ovaire gauche simulant un testicule descendu (m Le Fort,
Vices de conformation de Vutérus et du vagin. Th. d'agrég., 1863). Un cas du
même genre a été opéré par Sonnenburg à l'hôpital Israélite de Berlin sur une
jeune fille de vingt-deux ans en 188i (R. Jacoby, Zwei Fàlle von Hermaphro-
ditenbildung. Diss. Berlin, 1885).
Nous ne nous arrêterons pas à relater ici les observations relatives à l'hyper-
trophie simple du clitoris (c'est une anomalie assez fréquente, elle est même de
règle chez certains peuples où l'excision du clitoris est d'un usage courant,
en Abyssinie, par exemple), ou encore à des descentes de matrice où la saillie
du museau de tanche avait fait croire à l'existence d'un pénis. Ce sont des faits
qui n'ont que des rapports fort éloignés avec l'hermaphrodisme considéré au
point de vue tératologi(pie.
L'iiermapliroilisnie chez la femme peut s'accompagner également de modifica-
tions de riiabilus extérieur, qui se rapproche de celui du mâle et donne aux
sujets qui en sont affectés l'aspect dit de virago. Mais cette influence est ici
moins constante et moins prononcée que dans l'hermaphrodisme masculin.
Dans la description qui précède nous avons cité des exemples de la plupart des
formes d'hermaphrodisme actuellement connues. C'est une élude surtout mor-
phologique qui n'embrasse qu'une partie déterminée des troubles vaiiés pou-
vant survenir dans la sphère de la différenciation des sexes. Pourtant la question
de l'hermaphrodisme offre également un intérêt de premier ordre au point de
vue de la physiologie.
D'une façon générale, il faut remarquer d'abord que ces malformations tendent
toutes à entraver les fonctions reproductrices, et que les hermaphrodites, loin de
jouir d'une double puissance génératrice, sont en général inféconds. Dans les
cas qui se rapprochent le plus de l'hermaphrodisme normal, ceux où il existe à
la fois des ovaires et des testicules, on a toujours trouvé l'une au moins des
deux sortes de glandes atrophiée ou altérée. Fréquemment on observe en même
temps d'autres vices de développement qui font que les individus ne sont pas
viables. Lors même qu'il existerait des glandes normalement constituées, les
malformations des voies génitales internes et externes s'opposeraient plus ou
moins complètement à l'acte de la fécondation. Il n'y a donc jusqu'ici aucune
observation authentique d'un hermaphrodite humain au sujet duquel on doive
se poser la question de la possibilité d'une autofécondation, bien que la chose
ne soit pas absolument impossible à priori.
Au point de vue de leur genèse les hermaplirodismes nous présentent deux
processus bien distincts : d'une part le développement anormal de toute l'é-
bauche embryonnaire des organes génitaux internes, phénomène qui représente
une sorte de retour vers la bisexualité primitive. D'autre part, un arrêt dans l'é-
volution des organes génitaux externes, qui se maintiennent dans un état rappe-
lant les premiers stades embryonnaires et trouvant son analogie dans le cloaque des
Vertébrés ovipares.
Tous les cas qui rentrent dans cette catégorie forment en réalité une série
HERMAPHRODISME (tératologie). 633
continue, et les divisions que l'on peut établir pour la facilité de l'étude sont
tout artificielles et n'ont qu'une valeur de convention. C'est ainsi que les herma-
phrodites à segment profond bisexuel se relient insensiblement ù ceux dont la
bisexualité ne se manifeste que dans le segment moyen par des intermédiaires
à glandes mal développées pour lesquels il est parfois impossible de dire si l'on
est en présence d'un mâle ou d'une femelle et auxquels s'applique de plein droit
la dénomination d'hermaphrodites neutres de Geoffroy Saint-Hihiire. Nous avons
pu passer ensuite par une transition graduelle des hermaphrodismes du premier
groupe, hermaphrodismes bisexiiels, à ceux qui n'intéressent'plus que les or-
ganes génitaux externes. Cette relation intime avait déjà frappé les anciens
tératologistes; Geoffroy Saint-Hilaire notamment y revient plusieurs fois, et s'at-
tache en toute circonstance à signaler les types de passage qui unissent entre
eux les dilféients groupes. S'il a sacrifié aux tendances de son époque et aux
nécessités réelles de la science d'alors en établissant une classification systéma-
tique des anomalies d'après la méthode usitée en zoologie et en botanique, son
esprit philosophique ne s'est pas mépris un instant sur la véritable portée de
cette division en classes, ordres, genres, etc.
Plus récemment nous trouvons l'idée uniciste énoncée de la manière la plus
catégorique par Rindfleisch : « Une petite fissure prolongeant en arrière le méat
urinaire nous donne la première indication de l'hermaphrodisme. Puis le méat
se trouve reculé jusqu'à la racine du pénis qui s'incurve à la façon d'un clitoris,
en même temps que le prépuce se perd de chaque côté du membre en une sorte
de pli longitudinal. Ces deux replis prennent progressivement l'aspect de[ietitcs
lèvres, à mesure que l'aspect du pénis atrophié se rapproche davantage de celui
d'un véritable clitoris. Plus profondément l'utricule prostatique s'est développé
et forme uu sac allongé dont le fond dépasse de beaucoup la prostate demeurée
rudimentaire; on aperçoit les ligaments larges logeant les glandes génitales. En
place d'un scrotum unique se voient deux replis séparés ayant l'apparence de
grandes lèvres ; en général ils sont vides, mais il y a aussi des cas où l'un des
testicules au moins est descendu; d'ailleurs il arrive fréquemment que l'herma-
phrodisme acquiert uu degré plus prononcé d'un côté que de l'autre... » {Éle'm.
de Pathologie, p. 555. 1885).
Bien que formulée d'une m;inière un peu schématique, l'opinion de Rindfleisch
répond, en somme, à la réalité des faits : les différentes parties de l'appareil
reproducteur, quelle que soit leur diversité d'origine (épithélium germinatif,
sinus uro-génital, tégument externe), sont unis, par des liens de solidarité orga-
nique de façon à constituer un tout bien caractérisé ; à travers les anomalies les
plus disparates en apparence il est presque toujours possible de retrouver le plan
qui préside à leur évolution. A cet égard la théorie nous permet même, dans
certains cas, de prévoir en quelque sorte des formes non encore décrites; nous
n'en voulons citer comme exemple i[[\eV hermaphrodisme vrai unilatéral, rejeté
par Ahlfeld malgré les données de la tératologie comparée, et dont l'existence a
été démontrée définitivement par le cas de P. Gast.
Il est à noter que l'hérédité paraît influer sur la production des hermaphro-
dismes : il existe plusieurs exemples de frères ou de sœurs affectés d'un même
vice de développement des organes génitaux, et l'on a vu un père hypospade
transmettre son infirmité à ses descendants mâles.
L'embryologie nous fournit donc ici une base solide lorsqu'il s'agit d'appré-
cier les hermaphrodismes depuis les cas les plus compliqués jusqu'aux simples
654 IltRMAPHRUDISME (tératologii::).
malformations des organes copulateurs. Par l'arrêt ou l'excès de développement
on arrive à se rendre compte de toutes les anomalies des caractères sexuels prin-
cipaux portant sur les organes génitaux eux-mêmes.
Mais, lorsque de simples vices de conformation, tels que l'hypospadias {voy. ce
mot), la fissure scrotale, la crvptorchidie {voy. ce mot), etc., existent seuls, on
n'a pas l'habitude de les considérer comme des hermaphrodismes. On ne doit
leur appliquer ce nom, suivant Klcbs, que lorsqu'ils se compliquent de modifi-
cations dans l'habitus général du corps telles que le type sexuel s'en trouve
altéré d'une façon notable. Or nous entrons ici sur un terraiu qui nous est
beaucoup moins connu que le précédent, et nous manquons encore absolument
de tout critérium lorsqu'il s'agit d'apprécier les modifications de ce qu'on appelle
]es caraclères sexuels secondaires, ^ous avons vu que l'hermaphrodisme consiste
pouries organes génitaux internes en un mélange de parties les unes mâles, les
autres femelles, pour les organes externes en des formations intermédiaires entre
les deux types (on ne conçoit pas plus, par exemple, la possibilité d'un conduit
tenant le milieu entre l'oviducte et le canal déférent, que celle de la coexistence
d'un pénis et d'un clitoris. Mais, du moment qu'on s'adresse aux caractères secon-
daires, on trouve un tel mélange des qualités des deux sexes, une telle variété
dans les formes, (]ue toutes les théories que l'on a essayé d'édifier jusqu'ici se
trouvent en défaut à chaque instant. C'est ainsi qu'on voit des auteurs, après avoir
posé en principe que c'est l'ovaire ou le testicule qui détermine essentiellement
le sexe, admettre ensuite que l'habitus général du corps dépend ordinairement
do la coidbimation des organes externes de la génération beaucoup plus que
de la nature des glandes génératrices. Ou rencontre des individus mâles par la
barbe, la voix, l'ossature du tronc et des membres supérieurs, etc., femelles
par le développement des seins, la conformation du bassin et des membres
inférieurs, hermaphrodites pour les organes génitaux. Et combien sommes-nous
plus embarrassés encore, si nous tentons une analyse des caractères sexuels psy-
chiques avec leurs perversions d'autant plus étranges quelles peuvent se déve-
lopper chez des sujets qui ne sont affectés d'aucune anomalie anatomiqueraeut
constatable.
Les faits de cet ordre sortent complètement du domaine de l'embryologie
proprement dite, vu que ces caractères ne se montrent pour la plupart que vers
la puberté. Par contre on peut attendre ici quelque lumière de l'expérimentation
physiologique. On a signalé depuis longtemps l'analogie que présente l'orga-
nisme des castrats avec celui des cryptorchides et de beaucoup d'hermaphrodites,
êtres dépourvus en réalité de sexe et auxijuels le nom de neutres convient mieux
que tout autre. On sait que chez les mâles privés de leurs testicules les carac-
tères masculins ne se développent pas, de sorte qu'ils ressemblent plus ou
moins aux femelles : les chapons n'acquièrent ni le plumage, ni le chant du
coq ; ou en a vu prendre des instincts féminins, imiter le gloussement de la
poule et prendre soin de la couvée. Le même phénomène peut se produire chez
les hybrides mâles stériles de deux espèces voisines, et même, chez le mâle bien
conformé, à la suite d'un emprisonnement prolongé. Chez les Cervidés soumis à
la castration les bois restent atrophiés et ne subissent plus la mue périodique.
Ce genre de modifications est trop connu pour qu'jl y ait lieu de multiplier da-
vantage les exemples. 3]ais ce qui est plus surprenant, c'est que par un phéno-
mène inverse on voit des femelles prendre, après l'ablation des ovaires ou la ces-
sation de l'ovulation, des caractères masculins parfaitement accusés : la vieille
HERMAPHRODISME (médecine légale). 655
poule présenter un plumage brillant, des ergots développés, jusqu'aux instincts
belliqueux et sexuels du coq, les biches et les chèvres très-àgt'es acquérir des
bois pareils h ceux du cerf ou du brocard. Quelques traits d'une pareille transfor-
mation masculine se voient fréquemment chez la femme après la ménopauses
Darwin explique ces faits par ce qu'il appelle les caractères sexuels latents,
lesquels existeraient indistinctement chez le mâle comme chez la femelle, et se
montreraient après ta cessation des fonctions sexuelles qui en entravent le déve-
loppement. On trouvera sur cette question des observations curieuses et des
considérations générales du plus haut intérêt dans un récent mémoire de
M. Giard &ur la castration parasitaire et son influence sur les caractères exté-
rieurs du sexe mâle chez les Crustacés décapodes {Bulletin scientifique du
Nord, 1887).
La solution de ces problèmes, qui aboutissent en dernier ressort à rechercher
le mécanisme et la cause même de la différenciation sexuelle, nous paraît res-
sortir essentiellement de la physiologie comparée, et particulièrement de celle
des Invertébrés, oii l'accomplissement des fonctions reproductrices s'effectue par
des procédés variés à l'infini et qui présentent à l'expérimentation un terrain pro-
pice, quoique encore bien peu exploré (rappelons simplement ici ce qui se
passe pour les abeilles dont les larves deviennent ouvrières ou femelles suivant
le régime d'alimentation auquel elles se trouvent soumises, etc.). I\ous estimons
en effet que, si l'on ne doit recourir qu'aux animaux supérieurs lorsqu'il s'agit
de trouver l'analogue de telle ou telle disposition anatomique se produisant
comme anomalie chez l'homme, il en est tout autrement lorsqu'on aborde les
questions générales en biologie : celles-ci doivent toujours être envisagées au
point de vue delà série organique tout entière, animaux et végétaux, et, s'il est
une étude pour laquelle cette façon de procéder s'impose à première vue, c'est
celle qui a pour objet les manifestations variées de la sexualité chez les êtres
vivants. G. Herrmanx.
§ II. médecine légale. Réunion des deux sexes sur le même individu, vice
de conformation qui donne à un sexe l'apparence de l'autre. L'hermaphrodisme,
sous ces deux points de vue, a une grande importance en médecine légale.
C'est une question grave pour l'individu de déterminer à quelle catégorie sociale
il appartient, et cette question se pose au moment de sa naissance, devant
influer sur toute la direction de la vie, sur la nature des rapports de famille,
sur les droits et les devoirs sociaux. L'erreur initiale a ici les plus fatales con-
séquences, elle détermine l'éducation, les habitudes, le milieu où l'enfant sera
élevé. Le médecin intervient pour empêcher cette erreur, pour la redresser
ensuite, souvent trop tard, quand elle a produit ses tristes effets. L'influence
de ces vices de conformation sur la puissance génitale est aussi à apprécier, et
la médecine légale est en présence des problèmes les plus graves qui se raji-
portent à la génération; ces problèmes sont introduits ici d'une manière qui frappe
l'imagination, ils ont donné lieu à des procès retentissants. On ne s'étonnera
pas du nombre des travaux et des observations qui se rapportent à ce sujet, un
de ceux qui ont le plus exercé la sagacité des médecins.
La question de l'hermaphrodisme, au point de vue médico-légal, sera exa-
minée dans les divisions suivantes : I Définition et historique. — II. Questions
médico-légales, identité, puissance génitale, problèmes accessoires. — 111. Dia-
gnostic, caractères et variétés'. — IV. Visite, rapport, conclusions.
656 HERMAPHRODISME (médecine légale).
I. Définition. L'étymologie grecque de l'hermaphrodisme indique son ori-
gine : 'Ep/^t/jç, 'AypoJtT/j, d'oîi 'Epu.oc'f poSiroç, et, comme terme spécifiant la réunion
des deux sexes, àvSpoyvvnç, yùyavJpo;. Ces mots passent dans les autres langues.
Hermaphrodisia, hermaphrodismus, hermaphroditus, androçjynus, androgyne,
hermaphrodisme, liermaphroditisme, hermaphrodite, androgynie, androgvne,
gynandrie, gynandre; ermafrodkmo, ermaphrodito (italien); hermaphrodmno,
hermaphrodito (espagnol) ; hermaphrodite (anglais) ; en allemand, Zwitter-
bildung, Zwitter.
La définition de l'hermaphrodisme n'est pas la même en histoire naturelle, en
tératologie, en médecine légale. En histoire naturelle, c'est la réunion des deux
sexes sur le même individu, état normal dans une partie du règne végétal et
chez certains animaux des classes inférieures. En tératologie, c'est la réunion
apparente ou réelle des deux sexes sur le même individu : chez l'homme, elle
est le plus souvent apparente; quand elle est réelle, elle est incomplète. Geof-
froy-Saint-Ililaire caractérise ainsi l'hermaphrodisme anormal : réunion appa-
rente ou réelle, complète ou incomplète, des deux sexes sur le même individu.
L'Académie (édit. de 1878) précise ainsi ces définitions : hermaphrodisme, « réu-
nion de certains caractères des deux sexes dans un seul individu )*. 11 se dit de la
reunion des deux sexes chez certains animaux des classes inférieures « dans cer-
taines plantes ». D'après Littré, terme de tératologie: « réunion de quelques-
uns des caractères des deux sexes sur un même individu. »
Au point de vue de la médecine légale, on comprend sous le nom d'herma-
phrodisme tous les vices de conformation des organes génitaux qui peuvent
occasionner une erreur sur le sexe, ceux qui donnent à un sexe l'apparence de
l'autre, ou qui font croire à la réunion des deux sexes sur le même individu, les
cas enfin où le mélange d'organes appartenant aux deux sexes existe en réalité,
Zacchias donnait à cet égard une définition pratique qui mérite d'être rapportée :
« Dicuntur hermaphroditi qui sexu sunt indistincti, nempe qui neutrura vel
« utrumque habere videntur, et hoc nomine comprehendi volo quoscumque qui
« aliquomodoinsexusqualitatedubiumexcitarepossunt))(lib. VII, tit. i,quaest.7).
Il ajoute ailleurs (lib. III, et quœst. 18): Dici eos hermaphroditos qui partim
hahent memhra viri, partim mulieris. C'était loin' de la définition absolue
d'un canoniste : l'hermaphrodite est celui qui peut, tanquam mas, generare ex
alio, et, tanquam fœmina, generare ex se ipso.
Les éléments de la définition sont complexes; elle correspond à deux faits
principaux, aux vices de conformation qui altèrent l'apparence du sexe et qui
donnent lieu à des erreurs, au mélange réel d'organes appartenant aux deux sexes
et qui rendent le diagnostic plus difficile, parfois même impossible. Ces dilfé-
rences sont exprimées par les mots d'hermaphrodisme vrai ou faux, mas-
culin ou féminin, neutre ou mixte, simple ou complexe, avec ou sans excès, qui
correspondent aux diverses formes sous lesquelles se présentent ces vices de con-
formation et aux divers degrés d'influence qu'ils exercent sur les fonctions géni-
tales et sur l'ensemble de l'organisme.
II. Historique. La connaissance de l'hermaphrodisme remonte à la plus haute
antiquité; cet état a ému l'imagination des poètes avant d'appeler l'attention des
savants. Son historique présente quatre périodes : l'antiquité et ses fables, le
droit romain avec quelques applications juridiques, le moyen âge, qui soulève
diverses questions religieuses, les recherches modernes, qui^déterminent la ques-
tion au point de vue scientifique et légal.
HERMAPHRODISME (médecine légale). 637
Il est difficile de ne pas rappeler les fables qui constatent l'ancienneté connue
de ce vice de conformation, l'intérêt qu'il excitait au point de vue poétique, licen-
cieux même, comme exprimant dans l'amour l'union la plus intime. Cette union
allait jusqu'à la fusion des deux êtres en un seul qui gardait la nature de l'un
et de l'autre. En Egypte, on considérait la déesse de la lune, Astarté, comme
étant à la fois màleet femelle. Ovide {Metcunorph., Vih. IV et II), Ausone {Épigr. Lîtix,
c et ci), fournissent à cet égard les indications les plus complètes; Hésiode,
Lucrèce, Virgile, Horace, Martial, Prudence, présentent aussi quelques passages
qui se rapportent à cette histoire. HermaphrodiLus, comme son nom l'exprime,
était fds d'Hermès (Mercure) et d'Aphrodite (Vénus), offrant déjà quelques traits
de l'un et de l'autre : Cujiis eral faciès in qua paterqne materque cognosci
possint, noynen Iraxit ah illis (Ausone, c. de llermaphr.). La nymphe Salmacis
demande à s'unir à lui d'une manière indissoluble : Nidladies a me nec medi-
ducat ab illo (Ovide). Les vœux sont exaucés; ils ne forment plus qu'un seul
être : Vota suos habuere Deos, nam mixla duorum corpora jungunliir, facies-
que inducitur illis. Le bonheur de cette union est constaté : Salmacis oplato
cunjuncta est nympha marilo; felix virgo sibi, si scit inesse viriim. II est le
mê.'ne pour l'homme : Et tu, fonnoscejiwenis pennixle puellce, bis felix, nnum
si licet esse duos (Ausone). Mais comment caractériser ces êtres? Nec duo sunt,
sed forma duplex, nec fœmina dici nec puer ut possinl, neutrumque et utrum-
que videntur; ces deux vers d'Ovide expriment encore aujourd'hui les difficultés du
diagnostic. On conteste même à l'hermaphrodite cette prérogative si enviée d'une
double puissance génitale. Ausone, qui était, dit-on, médecin, arte medicus, le
caractérise ainsi : Concretus sexu, sednonperfectus utroque, amhiguœ Veneris,
neutro potiundus amore. Lucrèce [de Naturâ rerum, V) avait déjà fait remar-
quer cette impuissance de l'hermaphrodite : Androgxjnum neutrum, inter utrum-
que ab utroque remotum. On s'était aussi occupé du mariage des hermaphro-
dites : Vidit nuhentem Plinius androggnum (Ausone).
Le changement et l'alternance des sexes avaient été signalés; c'est le symbole
des erreurs qu'entraîne encore aujourd'hui ce vice de conformation. Tiresias avait
marché sur des serpents accouplés ; il tue la femelle et il devient femme. Sept ans
après, à la suite d'une même rencontre, il tue le mâle et il redevient homme.
Hésiode, Ovide, rapportent son histoire : Venus huic erat utraque nota [Metam.,
lib. XI). Pris pour juge, dans une contestation entre Jupiter et Junon sur les
avantages respectifs des deux sexes dont il avait eu la jouissance, il se prononce
pour le sexe masculin, tout en avouant que les femmes sont plus sensibles. Ovide
cite un autre changement : Quid loquar, ut quondam naturœ jure remoto,
ambiguus modo vir fuerit, modo fœmina Schython {Met. IV, v. 280). La même,
alternance de sexe est indiquée par Virgile {jEn.\ï, 640) : Et juvenis quondam
nunc fœmina Cœneus,rursus et in veterem fato revoluta figuram. Ausone dans
VÉpigramme lxix, Quœ sexum mutarint, exprime des faits semblables, c'est un
oiseau mâle qui devient tout à coup femelle : Pavaque de pava constitit ante
oculos. Il cite un fait qui se passa en Campanie : Unus epheborum virgo re-
pente fait, mais sa conviction médicale ne semble pas absolue : Nova res, dit-il,
et vix credenda poetis.
La naissance d'un hermaphrodite était considérée comme un mauvais présage
qu'on faisait retomber sur ceux qui présentaient ce vice de conformation; à
Athènes, ils étaient, dit-on, précipités dans la mer ; à Rome, dans le Tibre. D'après
l'avis des aruspices, un hermaphrodite est mis à mort, en Ombrie, sous le con-
658 IIEUMAIUIKODISAIE (médecine légale).
sulat de Messalus et Licinius ; un autre à Lune, en Étrurie, Metellus et Fabius
Maximus étant consuls. Le fait est constaté par un passage de TiteLive qui se
rapporte aussi aux autres monstruosités. Une dialion de Cicéron {De Divinatione,
lib. I) témoigne des opinions qui régnaient à cet égard. Après avoir énuméréles
divers prodiges qu'il considère comme ayant annoncé des calamités publiques,
il ajoute : Quid ortits androgyni, nonne fatale quoddam monstrum fuit ? Ces
naissances sont placées avec les pluies de pierres et de sang parmi les signes de
malheur. Lucrèce a signalé les mêmes prodiges : Multaque tune tellus etian
jmrtenia creare conata est; parmi eux se trouvait l'apparition d'un andro^yne.
Quelques notions scientifiques avaient été fournies par l'histoire naturelle.
Aristote avait remarqué que l'hermaphrodisme était fréquent chez les chèvres
[De générât, anim., lib. IV, c. 4), mais, ayant établi comme définition que ce qui
manque ou est en excès est monstrueux, il a contribué à faire prévaloir la théorie
que les hermaphrodites sont des monstres, et même pendant le moyen âge il
a ainsi influé sur leur soir Strabon dans sa Géographie (lib. IV) constate l'exis-
tence d'hermaphrodites. Pline {Histor.mundi, lib. VII, c. 5) fournit à cet égard
plus de renseignements. 11 admet l'existence des hermaphrodites : Gignuntur et
utriusque sexus quos hermaphrodites vocamus, olini androgynos vocatos, et in
prodigiis habitas, nunc veroin deliciis. 11 admet les changements de sexe; il en
a lui-même été témoin : Ex fœminis mutari in mares non est fabulosiim. Inve-
nimus in annalibus, Licinio Crasso et C. Cassio Lopino consulibus, Casini
puerum factum ex virgine; par l'ordre des aruspices il fut déporté dans une
île déserte. Pline rapporte qu'un hermaphrodite, à Argos, marié comme femme,
eut ensuite de la barbe et tous les signes de la virihté, qu'il prit alors une épouse.
Un cas semblable se présente à Smyrne, puis vient le fait dont Pline à été le
témoin : Ipse in Africa vidi mutatam in marem nuptiarum die L. Cossicium,
civem thyrdritamim; c'est le jour de son mariage que cette transformation
s'opéra.
L'hermaphrodisme a été considéré comme une allégorie correspondant aux deux
grands vices des sociétés antiques, l'usage contre nature des deux sexes. N'était-
ce pas, dit Laugier, un emblème divinisant sous les formes les plus séduisantes
les deux vices honteux que nous ont légués les civilisations antiques, la pédérastie
et l'amour lesbien, qui dans une double perversion du sens génésique font
jouer à l'homme et à la femme un rôle contre nature? On n'a pas à compter les
passages dans lesquels les poètes anciens font allusion à des rapports de ce genre.
Ils se rencontrent dans Virgile {Égl. ii), comme dans Horace, l'allusion à mascula
Sapho [Épist. XIX, lib. I) ; l'indécision du sexe [Ode v, lib. II). Martial s'adresse
ad Bassam trihadem [Épigr. xci, lib. I) ; il la dépeint au milieu de personnes
de son sexe : Omne vel officium circa te semper obibal turha lui sexus, non
adente viro; et api'ès des vers dont le texte latin ne peut même être cité, il
exprime cette formule caractéristique de l'hermaphrodisme féminin : Mentitur-
que virum prodigiosa Venus. Le mot de Pline : Androgynos mine in deliciis
habitas est à noter. Ostentahat JSera hermaphroditas submixtas equas. Ces
vices sont réprouvés dès les premiers temps du christianisme. Fodéré fait
remarquer que TertuUien a écrit contre les hermaphrodites. Saint Paul [Épître
aux Romains, ch. i, v. 26 et 27) signale ces vices contre nature : Feminœ
eorum immutaveriint naturalem usum in eum usum qui est contra naturani.
Masculi, relicto naturali usu fœmince, exarserunt in desideriis suis in invi-
cem, masculi in masculos turpitudinem opérantes. On cite encore un passage
HERMAPHRODISME (médecine légale). 639
de saint Augustin, dans la Cité de Dieu, où il est question des androgynes.
Le droit romain présente quelques applications intéressantes en ce qui con-
cerne l'hermaphrodisme. Ce mot se retrouve trois fois dans le Digesle. Un premier
passage, liber I, titre v,i)esfaf?</iominî<m(lib. X, Ulpianus, lib. I, AdSabinum),
pose la règle générale : Qiiaeritur hermaphroditum cui comparamus ? et magis
puto ejus sexvs aestimandinn qui in eo praevalet. Cette doctrine, suivant la
remarque d'Hoffmann, est encore celle que nous appliquons aujourd'hui; tant que
l'individu est vivant nous le rapportons au sexe qui prévaut en lui. Le second
passage se trouve dans le titre ii, liber XXVIII, de Liberis posthumis institnendis
et exhœrandis. La loi 6, § "2, s'applique à la matière d'institution d'héritier.
L'homme seul a la puissance paternelle et le droit d'instituer ou d'exhéréder le
posthume : ce droit appartient-il à l'hermaphrodite, est-il capable de la puis-
sance paternelle? Ulpien admet l'affirmative, si les organes masculins prévalent:
Uermaphroditus plane, si in eo virilia prœvalehunl, posthumum hœredem
instituere poterit. Le troisième passage est au titre v de Testibus. La capacité
d'être témoin d'un testament n'appartient qu'au mâle : ce droit peut-il être
accordé à l'hermaphrodite? La question se résout encore par la considération du
sexe qui prédomine (Paulus, lib. YI, 15, Sententiarum) : hermaphroditusanad
testamentum adhiberi possit qualitas sexus incalescentis ostendit. On ne trouve
pas ici les traces du préjugé qui condamnait les êtres ambigus.
Pendant la période du moyen âge, l'idée de la sexualité double prédomine, et
des questions religieuses et civiles, intimement mêlées, se rattachent aux devoirs
et aux droits des hermaphrodites avec une sévérité excessive dans les applica-
tions pénales.
Une hérésie a eu cours au sujet de l'hermaphrodisme : s'appuyant sur le
verset 26 du chapitre i^'' de la Genèse : Faciamus hominem ad similitudinem
nostram, on en avait conclu qu'Adam avait été d'abord créé sans sexe : Neque
deiim, feminam aut mareni esse. Mais une opinion plus répandue s'était établie
d'après le verset 27 : Masculum et feminam creavit eos, Adam était donc her-
maphrodite. Des théologiens ont réfuté cette hérésie : Omnino falsum, imo
ridicidum esse, assever are Adamum fuisse androgynum, mas simid et femina,
utinseseet ex se generare posset. Menochius, dans son commentaire sur la Bible,
ajoute: Mascidum et feminam creavit eos, non simul,sed successive mon ergo
Adam hermaphroditus, quod quidam hœreticus ausus est dicere. Voltaire, dans
le Dictionnaire philosophique (art. Adam, sect. 2) a relevé cette opinion : Une
pieuse dame, dit-il, « était sûre qu'Adam avait été hermaphrodite, comme les
premiers hommes du divin Platon. » Geoffroy Saint-Hilaire, à l'occasion de ces
discussions, s'exprime ainsi : « On pourrait sans doute trouver dans ce verset, à
plusieurs égards remarquables, un emblème de l'état primitivement indécis ou,
si l'on veut, hermaphrodite, de l'appareil sexuel. »
Les hermaphrodites sont-ils des monstres? Cette question était agitée. et la
solution pouvait être fatale à l'individu qui en était l'objet. Bauhin avait dit à la
tin du seizième siècle : « Quant à l'être qui, moitié homme et moitié femme, fait
injure à la nature, il doit être mis à mort. » 11 est vrai que le même auteur, en
1614, a déclaré qu'il ne croyait pas aux hermaphrodites. Teichmeyer reconnaît
qu'on les avait fait périr : Tamquam prodigii et sinistri ominis aliquid signi-
ficantes. Il cite à cet égard Schenckins, Zaunschleifer [De jure monstrorum) ,
Mollerius [de Hermaphroditis) . On attribuait l'origine de cette sévérité à des lois
anciennes, notamment à un édit de l'empereur Constantin qui aurait ordonné
640 HERMAPHRODISME (médecine légale).
(le faire périr ce troisième genre d'homme : Hoc tertium hominis geniis e vita
tolli elauferri constituii. Licetus ne les considère pas tous comme des monstres-
il n'attribue ce caractère qu'à ceux chez lesquels on ne découvre aucun sexe.
Zacchias termine ces discussions du moyen âge par une négation : Hermaphro-
diti monstra non suni, nec pro monstris a legibiis habentur, sed in midierum
aut virorwn sentit reputaniur , a quibus non habent peciiliare.
Les hermaphrodites sont-ils irrégulieis? Cette question concernait leurs droits
religieux et civils. Zacchias, tout en constatant qu'en principe cette difformité
n'entraîne pas plus l'irrégularité que toute autre, quand l'un des deux sexes
est prédominant et actif, l'autre indécis et borné à quelques apparences, admet
qu'à cause de la nature de cette imperfection les hermaphrodites sont souvent
irréguliers, 11 en est ainsi quand ils ont les deux sexes : Ob scandalum irregu-
lares esse manifestum est. Peuvent-ils se marier, être admis dans les ordres,
entrer dans un couvent, déposer comme témoins, hériter d'un fief? Ces questions,
discutées par les théologiens et les jurisconsultes, sont presque toujours résolues
négativement. Anmuneribus publicis, civilibiis, ecclesiasticis, fungi queat, an
succédât in fendis? (Teichmeyr). Ce serait un scandale, s'il jouissait des préro-
gatives, s'il héritait dos fiefs qui exigent le sexe masculin. Si le sexe était abso-
lument douteux, rhermaphiodite n'avait que les droits de la femme. On peut
baptiser un hermaphrodile parce qu'il n'est pas un monstre, mais, si l'on s'est
trompé sur le sexe, si l'homme a été pris pour une femme, faut-il réitérer le
baplème? Baptismus non reiteratur,sed nonien tantiun mutatur. Mollerus con-
seille, dans le cas de sexe douteux, de donner un nom d'homme, parce que la
nature, dit-il, incline toujours vers ce qu'il y a de meilleur et de plus parfait:
Quoniani nalura semper ad meliora et perfectiora inclinât. Bauhin passe en
revue les différentes positions de la vie sociale, discutant gravement si elles
peuvent être occupées par des hermaphrodites : An potest esse medicus, ad-
vocatus, rector universitatis? La conclusion est presque toujours négative et
la sanction aux infractions est sévère, bien que Zacchias ait dit : eorum mise-
ratio habenda est.
L'hermaphrodisme a surtout été discuté au point de vue du mariage et de
l'abus des fonctions génitales. Si aucun sexe n'était distinct, le mariage n'était
pas permis; si l'un des sexes prévalait, le mariage avait lieu suivant ce sexe.
Dans le doute, on laissait le choix du sexe à l'hermaphrodite, mais en lui fai-
sant jurer de s'en tenir au sexe choisi (Baldi). Dans le cas, admis alors, d'organes
parfaits des deux sexes, il n'avait pas le droit de se servir de l'un et de l'autre;
le choix devait être fait et la peine capitale atteignait celui qui transgressait
cette loi. « Et à ceux-ci, dit A. Paré, qui ont les deux sexes bien formés et s'en
peuvent aider et servir pour la génération, les lois anciennes et modernes ont
fait et font encore élire de quel sexe ils veulent user, avec défense, sous peine
de perdre la vie, de ne se servir que de celui duquel ils auront fait élection. »
11 ajoute : « Et aucuns en ont abusé de telle sorte que par un usage mutuel et
réciproque paillardaient de l'un et de l'autre sexe, tantôt d'homme, tantôt de
femme, à cause qu'ils avaient nature d'homme et de femme proportionnée à
tel acte. » Des organes même imparfaits peuvent servir à cet usage alternatif, les
cas de ce genre ne sont pas rares. Les erreurs sur le sexe donnaient lieu à ces
redoutables accusations de rapports contre nature. Zacchias relate des faits de
ce genre : « Habes historias nonnuUas hermaphroditorum qui et pro viris habe-
« bantur et uxorem duxerunt, vel monasticam vitam cura monachis, tanquam
HERMAPHRODISME (médecine légale). 641
« vin vivebant, qui tamcn in feminas post modum abierunt, filios pepererunt et
« in posterum pro feminis habiti sunt. » Montaigne parle dans le premier
volume de ses Mémoires d'une femme des environs de Plombières, mariée comme
telle et qui, son véritable sexe ayant été reconnu, fut pendue parce qu'elle avait
fait un mauvais usage de ses organes. Le même rapporte l'histoire du moine
d'Issoire qui accoucha dans son couvent.
Les mutations subites du sexe étaient autrefois admises; A. Paré en a réuni
les histoires mémorables; il cite le fait d'Amatus Lusitanus (59* hist., 2* cen-
turie) : à l'époque des fleurs, il sortit à une fille le membre viril, lequel était
caché auparavant, et ainsi de femelle devint mâle. Au Logis du Cygne, à Reims,
chez une jeune fille de quatorze ans qui couchait avec une chambrière, des
parties génitales d'homme vinrent tout à coup à se développer. Ces transforma-
tions parfois étaient subites; Paré rapporte avec détails l'histoire de Germain,
à Vitiy-le-François, tenu pour tille jusqu'à quinze ans. « Or ayant atteint cet
âge, comme il étoit au champ, traverse un fossé, le voulut affranchir, et l'ayant
sauté, à l'instant viennent à lui développer les génitoires et la verge virile, et
s'en retourna larmoyant à la maison, disant que les tripes lui étoient sorties du
ventre. » Les médecins et chirurgiens virent alors qu'il était homme et non
fille, et par l'autorité ecclésiastique il reçut un nom d'homme. Paré remarque
que « nous ne trouvons jamais, en histoire véritable, que (^.'horarae aucun soit
devenu femme, parce que la nature tend toujours à ce qu'il y a de plus parfait. »
Parmi les procès qui sont restés dans l'histoire de l'hermaphrodisme, on peut
citer celui de Marin le Marcis, dont Duval, en 1612, a donné à Rouen la relation
détaillée. L'hermaphrodite qui s'était marié fut condamné à mort pour avoir
abusé de son sexe; il devait être brûlé et ses cendres dispersées au vent. Des
chirurgiens, des sages-femmes, avaient constaté l'abus du sexe. Duval, assisté
d'autres experts, fit revenir sur ce jugement; un changement de religion,
effectué à propos, contribua à sauver l'hermaphrodite. L'attention a aussi été
appelée sur le fait de Marguerite Makure. Cette hermaphrodite arrive à Paris,
en 1695, portant des habits d'homme; elle avait, disait-elle, les parties naturelles
des deux sexes, et elle pouvait se servir des unes et des autres. Elle se produisit
dans diverses réunions pour être examinée, et des médecins de renom attestèrent
son double sexe. Saviard, incrédule, fit instantanément cesser le prodige en
réduisant une descente de matrice dont le col qui faisait saillie avait été pris
pour le membre viril. L'hermaphrodite guérie présenta sa requête au Roi pour
reprendre les habits de femme, malgré la sentence des Capitouls de Toulouse
qui lui enjoignait de porter l'habit d'homme.
Le dernier procès de ce genre où la question pénale se mêlait au droit civil
et religieux est celui d'Anne Grandjean, prétendue hermaphrodite, dont le
mariage fut annulé en 1765 parle Parlement de Paris, après une longue déten-
tion. Baptisée comme fille à Grenoble en 1742, elle éprouva plus tard des
instincts qui n'appartenaient pas au sexe qui lui avait été donné ; elle se maria
comme garçon à Chambéry en 1761. Ce fait étant dénoncé, les magistrats de
Lyon décrétèrent de prise de corps la prétendue hermaphrodite : « On la mit
dans un cachot, les fers aux pieds, et on finit par la condamner à être attachée
au carcan, avec un écriteau portant ces mots : « Profanateur du sacrement du
mariage, » à être ensuite fouettée par l'exécuteur de la haute justice, et à un
bannissement perpétuel. » Sur l'appel de la sentence, Anne Grandjean fut trans-
férée à Paris. Ses organes furent examinés ; « Mentule qui sortait des grandes
DICT, BNC. 4* s. XIII. 41
642 HERMAPHRODISME (médecine légale).
lèvres, au-dessus du méat urinaire, gland imperfore', deux espèces de testicules
vers l'orifice, point de barbe. L'organe distinctif du sexe féminin était mêlé avec
plusieurs signes trompeurs de la virilité. » Le Parlement, considérant l'état de
l'accusé et sa bonne foi, n'aperçut en lui qu'un individu que la nature elle-
même avait trompé, et par arrêt du 10 janvier 1765 la sentence de la séné-
chaussée de Lyon fut infirmée, quant aux peines prononcées contre Grandjean ;
le mariage fut déclaré nul et abusif, et il lui fut enjoint de reprendre l'habit de
femme.
Le mouvement scientifique se produit, en même temps que se discutent ces
questions théologiques et légales. A. Paré pose les bases d'une division ration-
nelle, qui s'ouvre à tous les cas observés. Les médecins et chirurgiens, bien
experts et avisés, dit-il, déterm.inent ceux qui « sont plus aptes à tenir et à
user de l'un que de l'autre sexe, ou des deux, ou du tout rien. » II est peu de
déviations organiques qui dans les temps modernes aient plus appelé l'attenlion
que celle des organes génitaux; les travaux qui les concernent sont nombreux,
et les noms de médecins illustres se rattachent à cette histoire. Une longue
liste de ces noms a été dressée : A. P.ué, Zacchlas, Bauhin, Duval, Riolan,
Saviard, Âlberti, Teichmeyer, Licetus, Méry, Morand, Ferrein, Vallisnieri, Petit
(de Namur), J.-L. Petit, Parson, Arnoud deRonsil, Lepéchin, Reyerus, Mathieu,
Hoin, Mœller, Woljart, Burckard, Bodinelli, llunter, Ilaller, Maret, Ruysch,
Gentili, Everard Home, Ackermann, Seiler, Wrisberg, Pinel, llufeland, Moreau,
Mursina, Rudolphi, Mcckel, Blumenbach, Chevreul, Desgenetles, Renauldin,
Wrisberg, Meckel, Marc, Hento, Béclard, Worbe, Pierquin, Dugès, Castel,
Bouillaud, Larrey, Tourtual, Martini, Follin, Ricci, Simpson, Homes, Luigi de
Crccchio, Laugier, Ambroise Tardieu, qui a ajouté une page si intéressante à
l'histoire de l'hermaphrodisme. D'autres noms, ceux des auteurs d'observations
plus récentes, seront indiqués dans le détail des espèces et à l'article Biblio-
graphie. Une mention spéciale doit être faite des travaux d'Isidore Geoffroy-
Saint-llilaire, qui a ajouté ses propres recherches aux travaux anciens ; il a
établi la théorie de l'hermaphrodisme sur des bases rationnelles, en constatant
l'analogie dans les deux sexes des six segments parallèles qui constituent les
organes de la génération, et dans une certaine mesure Pindépendance de leur
développement.
Les faits se multiplient, une statistique concluante détermine la fréquence
relative des diverses formes de cette anomalie, dont la plus commune est l'her-
maphrodisme masculin. Des indications précises sont données pour le diagnostic
et permettent d'arriver dans la plupart des cas à la constatation du sexe. La
théorie explique comment, pour certains faits exceptionnels, la solution reste
indécise par suite de l'imperfection des organes ou de la direction sexuelle dif-
férente d'un certain nombre de segments. L'embryologie, l'anatomie comparée,
ont renouvelé l'histoire physiologique de l'hermaphrodisme ; ce vice de confor-
mation devient une des parties importantes de la tératologie; l'histologie ajoute
de précieuses ressources au diagnostic, en permettant de préciser la nature des
or^^anes. Les applications médico-légales sont approfondies et mises en rapport
avec le droit moderne. L'indication de ces progrès se trouve dans l'étude spé-
ciale des diverses parties dont se compose l'histoire de l'hermaphrodisme.
III. Questions médico-légales. Ces questions sont de deux ordres : elles se
rapportent les unes à la constatation du sexe, les autres à la puissance génitale.
L'hermaphrodisme peut rendre douteux le sexe lui-même ou l'aptitude à en
11ERMAFI1R0DIS3IE (médecine légale). eiS
remplir les fonctions. La différence des sexes e'taljlit dans toute société deux
catégories de personnes ayant une situation, des droits et des devoirs différents,
à cet égard, point d'intermédiaire ; nos lois n'en admettent pas l'existence, n'en
prévoient pas la possibilité. Le sexe détermine l'état civil et la direction de la
vie tout entière.
L'hermaphrodisme est une occasion d'erreur fatale à celui qui en est l'objet,
et qui peut aussi préjudicier aux intérêts des tiers. L'homme réputé femme
subit une diminution notable dans ses droits, qui peut encore être exprimée
comme dans le droit romain : In miiltis jiiris noslri articulis deterior est
conditio feminarumquammasculorum {Digeste, lib. 1, tit, v, Papinianus). Une
jeune fille est appelée au service militaire par suite d'une erreur commise au
moment de la déclaration de la naissance. On conteste les droits électoraux d'un
hermaphrodite. Un testament est fait en faveur d'un mâle que l'on découvre
ensuite appartenir au sexe féminin. Le mariage réunit deux individus da
même sexe, il est annulé pour erreur dans la personne, il est contesté pour
absence de sexe. La question d'impuissance se pose à l'occasion d'une imputa-
tion de viol, d'une reconnaissance d'enfant naturel. Des attentats à la pudeur
sont commis par une personne qui porte les habits d'un sexe qui n'est pas le
sien. L'hermaphrodisme est simulé. Une rectification de l'acte de l'état civil est
demandée pour des motifs divers. L'intérêt de ces questions est manifeste et la
médecine légale intervient pour les résoudre.
Les occasions des expertises se présentent dans les cas suivants : déclaration
Je naissance, rectification des actes de l'élat civil, recrutement, droits réservés
au sexe masculin, hérédité des litres, majorais, droits électoraux, testaments
avec condition de sexe, question d'identité, simulation, le choix (hi sexe dans
les cas douteux, mariage, impuissance, fécondation artificielle, opérations chi-
rurgicales , attentats au mœurs, imputation injurieuse, suicide, hermaphro-
disme après la mort. Ces questions ne peuvent être résolues qu'au moyen d'une
expertise que les tribunaux n'hésitent pas à ordonner. Ces expertises se rap-
portent à la détermination du sexe et à l'appréciation de la puissance génitale;
si le plus souvent elles aboutissent à des conclusions positives, elles présentent
parfois de grandes difficultés et peuvent même laisser dans le doute. La vraisem-
blance est alors donnée au lieu de la vérité absolue, et l'arbitraire dans le choix
du sexe est encore soumis à quelques règles qu'il est utile de préciser.
1° Déclaration de naissance. L'article 55 du Code civil exige que la décla-
ration de naissance soit faite dans les ^rois jours à l'officier de l'état civil du
lieu et que Venfant lui soit présenté. La naissance de l'enfant, d'après l'ar-
ticle 56, est déclarée par le père ou, à son défaut, par les docteurs en médecine
ou en chirurgie, sages-femmes, officiers de santé, ou autres personnes qui auront
assisté à l'accouchement. « L'acte de naissance sera rédigé de suite, en présence
de deux témoins. » Cet acte de naissance, conformément à l'article 57, énoncera
le jour, l'heure de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui
seront donnés. La détermination du sexe doit donc être immédiate, c'est dans
les trois jours que la question est décidée et, suivant l'expression de Geoffroy
Saint-Hilaire : « La destinée de chaque enfant nouveau-né, du moment où son
sexe est connu ou déclaré connu, se trouve donc réglée à l'avance pour les prin-
cipales circonstances de sa vie; il est rangé dans l'une ou l'autre de ces deux
grandes classes à laquelle appartiennent des fonctions, non-seulement diffé-
rentes, mais presque inverses, dans la famille aussi bien que dans la société, y-
644 HERMAPHRODISME (médecine li'gale).
Dans ce délai de trois jours quelles sont les garanties d'une détermination exacte?
L'enfant est présenté à l'officier de l'état civil, qui est appelé ainsi à constater
le sexe. La déclaration de naissance peut être faite par un docteur en médecine,
un ofiicier de santé ou une sage-femme, mais elle appartient aussi au père ou
aux autres personnes qui ont assisté à l'accouchement. L'acte de naissance, qui
indique le sexe de l'enfant, est rédigé en présence de deux témoins qui attestent
le sexe aussi bien que les autres faits mentionnés dans l'acte. La détermination
du sexe peut donc être abandonnée à des personnes étrangères aux connaissances
médicales, dans les cas où le médecin n'intervient pas comme déclarant ou
comme témoin. Sans doute l'erreur n'est possible que dans les cas bien excep-
tionnels de difformité des organes de la génération, mais ces cas se présentent
et alors l'erreur est facile; elle a été plus fréquente qu'on ne le supposait. M. Gar-
nier, dans les Amiales d'hygiène (1885), donne quelques détails statististiques
sur le nombre de ces erreurs. 11 a réuni à cet égard vingt observations anciennes,
auxquelles s'ajoutent dix autres faits récemment recueillis. L'état civil de cer-
tains individus, dit Tardieu, faussé dès sa naissance, a maintenu les uns pen-
dant de longues années dans une situation étrangère à leur sexe, jusqu'au jour
où, l'erreur étant connue, ils ont repris les habits et le genre de vie qui leur
appartenaient. Ces malheureux sont placés hors de leur sphère, condamnés à
une éducation et à des habitudes contraires à leur nature, mais celle-ci reprend
le dessus et les abus les plus graves en résultent. Faut-il rappeler ici l'anecdote
du moine d'Issoire, qui accouche dans sa cellule {mas, millier, monachus,
mundi mirabile monstrum, Bauhin) ; celle du soldat hongrois dont la mater-
nité se déclare au milieu d'un camp? Chez beaucoup une occasion fait connaître
l'erreur, chez d'autres elle se prolonge, elle peut même n'être démontrée qu'à
l'autopsie. M. Garnier fait remarquer que la durée des erreurs est en général
plus longue chez les filles déclarées garçons que dans le cas inverse; elles
hésitent, elles ignorent, la pudeur les retient ; elles restent filles toute leur vie
sous leurs habits d'hommes. Ainsi, dans le cas de Bouillaud et Manec, Valmont,
marié comme homme , ne fut reconnu femme qu a l'autopsie, à l'âge de
soixante-deux ans. L'individu observé par Luidgi Crecchio portait encore à cin-
quante ans les habits d'homme, bien que le sexe féminin ne fût l'objet d'aucun
doute. C'est dans les cas où les instincts génitaux sont peu développés que l'on
voit se prolonger ces erreurs. Elevés, instruits, habitués à travailler, à agir, à
passer leur vie, sous les habits d'un sexe qui n'est pas le leur, ces individus sont
dans l'ignorance de la vérité, ou hésitent à la faire connaître, lorsque surtout
chez eux l'imperfection notable des organes s'ajoute à une faible impulsion
sexuelle.
Les conséquences de ces erreurs sont trop souvent la démoralisation et le
malheur des individus qui en sont l'objet; elles nuisent aux autres, et l'erreur
est surtout fâcheuse lorsque l'homme est pris pour une femme, ce qui est le
cas le plus fréquent. Le jeune garçon est introduit dans un pensionnat de jeunes
filles, dans un couvent, il a des relations habituelles et intimes avec des jeunes
filles de son âge. Le mariage vient soulever les questions les plus graves et
empoisonner deux existences. Des rapports contre nature résultent de ces méprises
et le scandale s'ajoute aux malheurs privés.
Plusieurs mesures ont été proposées pour empêcher de semblables erreurs :
la vérification du sexe par un médecin au moment de la déclaration de nais-
sance, la nomination d'experts pour les cas douteux, et, pour les cas où une solu-
HERMAPHRODISME (médecine légale). 645
lion immédiate serait impossible, la mention de ce fait, en marge de l'acte, en
réservant la détermination du sexe à une époque ultérieure.
La loi exige (Code civil 55), que l'enfant iiouveau-né soit présenté à l'officier de
l'état civil, c'est l'occasion de la constatation du sexe. L'officier de l'état civil,
comme pour la vérification des décès, délègue sa mission à un homme compétent
et le sexe est inscrit sous cette garantie. Sans doute cette déterminntion du sexe
n'offre aucune difficulté pour l'immence majorité des cas, mais l'exception peut
se rencontrer. « Aujourd'hui, dit Tardieu, où le service de la constatation des
naissances est exclusivement confié à des médecins, quelques-uns se contentent
de la déclaration des parents, sans vérifier et constater par eux-mêmes » ; c'est là
sans doute l'origine d'erreurs qu'une première constatation faite régulièrement
rendrait impossible.
Si le cas présente des difficultés, et il en est souvent ainsi pour les diffor-
mités de ce genre, l'officier de l'état civil ou le tribunal nommerait des experts
chargés de résoudre la question avec le soin et la maturité convenables, et le
sexe serait ensuite inscrit dans l'acte conformément à l'avis de ces experts.
Mais la question peut être actuellement insoluble; les experts déclarent qu'ils
n'ont point les éléments suffisants d'une conviction ; le sexe est actuellement
douteux ; le développement des organes permettra peut-être de le déterminer
plus tard. On a proposé de mentionner ce doute dans l'acte de naissance, et de
réserver cette détermination du sexe à une exploration ultérieure. C'est une
mesure à peu près analogue à ce qui d'après Mahon se passait dans l'ancien
régime. S'il y a un doute sur le sexe, au moment du baptême, le médecin en
fait part au prêtre, qui dans l'acte de baptême indique cette circonstance, afin
que plus tard, au moment du mariage, une contre-expertise puisse être faite au
point de vue du sexe et de la puissance génitale. Sans doute une mention de ce
genre, ajoutée à l'acte de l'état civil, porterait un préjudice sérieux à l'individu
qui en serait l'objet, mais le préjudice ne serail-ii pas bien plus considérable, si
une décision précipitée entraînait une erreur dans le sexe. Le sursis accordé
pour la détermination du sexe rendrait l'expertise plus fucile et plus sûre.
Les caractères indécis que présente le nouveau-né s'accentuent par le déve-
loppement des organes, les fonctions s'éveillent, les testicules paraissent, la
menstruation s'établit. Dans les nombreuses observations d'hermaphrodisme
oîi le sexe était d'abord incertain, on voit souvent cette évolution génitale, qui
peu à peu lève tous les doutes. L'influence de la puberté peut être décisive, et
même avant cette époque le développement des organes rend la question bien
plus facile à résoudre qu'au moment de la n ii>sance.
On a proposé d'introduire dans la loi des dispositions qui permettraient de
suspendre la déclaration du sexe, dans les cas douteux, et qui n'appliqueraient
plus à ces cas exceptionnels l'obligation de constater le sexe dans les trois jours.
M. Debierre, dans sa monographie sur l'hermaphrodisme, indique la modifica-
tion suivante qui pourrait être introduite dans l'article 57 du Code civil : « Tout
nouveau-né sera soumis à l'examen médical- l'acte de naissance énoncera le
sexe, mais seulement quand il sera de toute évidence. » Un article additionnel
ainsi conçu s'appliquerait aux cas douteux ; « dans le cas de doute sur le sexe,
il sera sursis jusqu'à la puberté, quinze à dix-huit ans, époque à laquelle le
sujet sera soumis à une commission médico-judiciaire qui statuera sur son sexe
et sur son inscription comme homme, femme ou neutre; sur les registres de
l'état civil, mais en attendant, l'acte de naissance portera en marge : sexe dou-
646 HERMAPHRODISME (médecine légale).
teux », Joerg, d'après Siebold, avait aussi proposé, pour les cas où le sexe ne
peut être déterminé avec précision, de mentiouoer le fait sur le registre, afin
que, si plus tard un certificat e^t demandé, celte mention conduise à une vérifi-
cation nouvelle qui éviterait bien des difficultés. Oifila formule à cet égard les
conclusions suivantes : Lorsqu'il y a le moindre doute sur le véritable sexe, il
est convenable d'en avertir l'autorité, et d'employer, s'il le faut, des années à
observer le développement progressif du physique et du moral, plutôt que de
hasarder sur le sexe un jui^ement que des phénomènes subséquents pourront
démentir. Si le médecin a un doute, il devra l'exprimer, et il serait utile que
i'officier de l'état civil, en présence de ce doute, put subvenir à l'indication du
sexe sur les registres de l'état civil, au lieu d'être obligé à rédiger dans les
trois jours l'acte qui constate ce sexe. M. Laciissagne exprime ainsi ces réserves :
« Tout nouveau-né sera soumis à un examen médical; s'il y a doute sur le sexe,
il sera suisis à sa détermination jusqu'à l'époque de la puberté; à ce moment,
après l'avis d'expert, le tribunal ordonnerait l'inscription comme homme,
femme ou neutre, sur les registres de l'état civil. »
A la mesure de l'expertise différée, qui peut rendre d'incontestables services,
on propose d'ajouter une disposition légale qui admettrait une troisième divi-
sion de l'espèce humaine, formant la classe des neutres, à côté de celle des
hommes et des femmes. Il y a des cas où le diagnostic n'est absolument certain
qu'à l'autopsie; on en a même rencontré où l'examen anatomique laissait dans
le doute, lorsqu'il portait sur des organes non caractérisés ou présentant le
mélange de parties appartenant aux deux sexes. Mais les cas de ce genre sont
de hien rares exceptions qui ne justifient pas l'admission étrange d'une troi-
sième catégories d'être humains, avec toutes les conséquences qu'il faudrait en
déduire pour le droit civil. Lorsqu'un cas de ce genre se pré>ente, il est résolu
individuellement d'après les conditions du fait et la plus grande somme de vrai-
semblance. Si le sexe est absolument impossible à déterminer, cette conclusion
négative a déjà son importance légale. C'est à ces cas douteux que se rattache
la question du choix du sexe, qui est d'un si grand intérêt d'abord pour 1 édu-
cation de l'enfant et qui doit être ici l'objet de quelques remarques.
2° Choix du sexe. Ce choix, pour les cas douteux, avait déjà préoccupé
dans l'ancienne jurisprudence. Pour le baptême, dit Mahon, dans le cas d'égalité
de sexe, on exigea que l'hermaphrodite fût toujours supposé apjiartenir au sexe
le plus noble, à moins qu'il ne parût par l'examen qu'un sexe prévalût sensible-
ment sur l'autre. C'était aux parents d'abord, puis à l'individu qui avait atteint
l'âge de raison, qu'il appartenait de choisir le sexe. On établit pour le mariage,
ajoute Mahon, que, dans les cas de parfaite égalité des deux sexes, l'herma-
phrodite stjrait lui-même son maître de choisir entre le rôle d'homme et celui
de femme, son appétit particulier devait en décider, et les lois lui imposèrent
par serment l'obligation de se borner à celui qu'il aurait choisi. A. Paré témoigne
de cette latitude, en rappelant que sous peine de mort on devait se borner à
l'usage du sexe dont on avait fait élection. Zacchias constate la même latitude
sous la réserve de peines : Si quando proprise selectioni non steterint. Teich-
meyer indiquait les mêmes conditions de ne se servir dans le mariage que du sexe
que l'on avait choisi.
La loi civile allemande s'occupe de l'hermaphrodisme, au point de vue sur-
tout de la transmission des biens et des titres qui appartiennent aux mâles. Le
choix du sexe est assujetti à des règles précises [Allgem. Landrechl Theil, \,
HERMAPHRODISME (médecine légale). 647
tit. II). Quand un hermaphrodite vient ù naître, les parents déterminent le sexe
dans lequel il doit être élevé, mais, lorsqu'il a atteint l'âge de dix-huit ans, l'her-
maphrodite a le droit de choisir le sexe auquel il veut appartenir (§§ 19 et 20) ;
c'est d'après ce choix que ses droits seront réglés à l'avenir (§ 21), mais, si les
droits d'un tiers dépendent du sexe de l'hermaphrodite présumé, ce tiers peut
demander l'examen du sujet par des experts. La constatation des experts décide
la question, même contre le choix de l'hermaphi odite et de ses parents (§§ 22 et 2S).
Cette disposition, dit Hoffmann, suppose que les experts sont toujours capables
de reconnaître le sexe de l'Iierraaphrodite ; certes il en est le plus souvent ainsi,
et l'expertise est le seul moyen de résoudre de pareilles questions; si le sexe
mâle n'est pas démontré, on n'accordera pas au sujet les prérogatives qui appar-
tiennent à ce sexe; l'expert d'ailleurs a le droit d'indiquer la plus grande
somme de vraisemblance.
En France, ce sont les personnes chargées de déclarer la naissance ou les
témoins de l'acte (§§ 55 et 57) qui font connaître le sexe de l'enfant, qui d'ail-
leurs doit être présenté à l'officier de l'état civil (55). Dans une circulaire de
1816, à l'occasion d'une erreur sur le sexe, le garde des sceaux déclare que
« les erreurs de la nature, rares heureusement, ne doivent pas être trop appro-
fondies lorsqu'elles se présentent, et que c'est aux individus qui les présentent ou
à leurs parents à choisir le sexe qui paraît leur convenir ;) (Lagardière, Guide de
ïofficier de Vétat civil, etBriand et Chaude, p. 179). Ce sont les parents et les
témoins qui déclarent le sexe, mais l'oflicier de l'état civil à qui l'enfant est
présenté peut y ajouter la garantie d'un examen médical. L'expertise d'ailleurs
sera de droit plus tard, si une vérification de l'acte de naissance est demandée.
Pour les hermaphrodites masculins et féminins, chez lesquels les organes
mâles ou femelles présentent seulement un vice de conformation plus ou moins
notable, la question est résolue d'une manière positive, mais dans les cas d'her-
maphrodisme mixte et complexe, lorsqu'il se rencontre à la fois des parties
mâles et femelles, le sexe, suivant l'expression de Geoffroy Saint-IIilaire, n'est
plus déterminé que par approximation; on recherchera quelles sont les parties
qui prédominent et une détermination vraisemblable pourra être établie, car
« de tels êtres, s'ils ne sont complètement mâles, ni complètement femelles,
tendent avec une prédominance marquée vers l'un ou l'autre sexe, au point
qu'ils peuvent même dans quelques cas en remplir les fonctions. » Mais, si la
complexité des organes dont aucun ne ])rédomine j)lace l'individu jiour ainsi
dire « au milieu de l'intervalle qui sépare les deux sexes, sans que l'on puisse
trouver aucune raison de le rapporter à l'un plutôt qu'à l'autre », si l'imperfec-
tion des organes est telle qu'elle constitue ce qu'on appelle l'hermaphrodisme
neutre, la détermination positive du sexe devient impossible, et la solution
n'est plus qu'approximative. 11 faut cependant savoir si l'enfant sera élevé sous
les habits d'une fille ou sous ceux d'un garçon, et l'acte de naissance doit être
établi dans son intégrité.
Le choix du sexe devient ici arbitraire, fondé sur des vraisemblances et sur
des considérations générales d'une réelle valeur. Cet être indécis sera-t-il déclaré
fille ou garçon? De ce qu'un individu n'est pas femme, dit Tardieu, on doit
inférer qu'il appartient au sexe masculin. L'erreur la plus commune porte sur
des hommes réputés femmes ; les cas judiciaires, pour la plupart, appartiennent
à cette catégorie. La statistique nous montre que les hermaphrodismes mascu-
lins sont beaucoup plus nombreux que les féminins. On risque moins de se
648 HERMAPHRODISME (médecine légale).
tromper en déclarant l'enfant du sexe mâle. Marc conseillait de déclarer homme
les hermaphrodites neutres, parce qu'il n'existait en eux aucune trace de parties
féminines. « Dans les cas d'hermaphrodisme neutre avec absence de sexe, les
individus doivent être regardés comme étant du sexe masc\ilin , puisqu'on
n'observe pas chez eux de parties génitales féminines et que l'absence des carac-
tères de la virilité ne dépend alors que de l'absence ou de l'atrophie des testi-
cules » (Briand et Chaude). Le plus souvent, dans les cas douteux, il s'agit
d'hommes mal conformés, atteints d'hypospadias et de cryptorchidie, avec une
apparence générale féminine. C'est cette apparence qui a conduit quelques
auteurs à ranger plutôt parmi les femmes les hermaphrodites chez lesquels on
ne découvre aucun caractère sexuel déterminé. Le genre de vie et les occupa-
tions de la femme semblent mieux convenir à ces êtres chez lesquels on n'a
découvert aucune trace de virilité, et être plus conformes à leurs goûts; mais
les inconvénients de ce choix sont manifeste, si vers l'époque de la puberté des
instincts de virilité s'éveillent chez ces individus qui vivent dans un commerce
habituel avec les femmes. Un chirurgien américain a poussé la logiiiue jusqu'à
des conséquences étranges, pour prévenir des inconvénients de ce genre. Consi-
dérant que les testicules étaient inutiles quand la verge manquait, il enleva ces
deux organes placés dans les grandes lèvres sur les bords d'un pseudo-vagin,
chez un enfant de trois ans élevé comme fille, afin de mieux garantir l'avenir
et le bonh(3ur de cet enfant, en développant chez lui la sexualité féminine, dont
il portait les caractères extérieurs. 11 est inutile de discuter celte sanction hardie
donnée au choix du sexe, l'opéralcur s'arrogeant le droit de supprimer, pour
une idée spéculative, l'organe essentiel de la virilité. Un procédé plus innocent,
conseillé par quelques auteurs, consiste à donner deux noms, l'un masculin,
l'autre féminin, à l'enfant dont le sexe est indécis au moment de la déclaration
de naissance.
Il est évident que, s'il se rencontre un indice delà prédominance d'un sexe,
c'est de ce côté que sera portée la décision ; cette conclusion est celle du droit
romain : Ejus sexus aestimandum qui in eo prœvalet, mais dans les cas où
la solution est actuellement impossible, choisir le sexe masculin est encore
le parti le plus sîir, celui qui olfre le moins de chances d'erreur et d'incon-
vénient. C'est aussi l'avantage du sujet d'être classé dans le sexe masculin; on
a vu les suites Limenlables des erreurs commises dans l'autre sens. Le préju-
dice causé aux autres est moins grave en ce qui concerne, par exemple, les jeunes
filles au milieu desquelles l'hermaphrodite serait élevé. Arrivé à l'âge adulte,
l'individu adopte souvent le sexe masculin : il en fut ainsi dans le cas de Marie
Derrier, où le mélange des caractères des deux sexes se trouvait dans une telle
proportion que le diagnostic resté douteux pendant la vie le fut encore après
la mort. La considération qui résulte d'inconvénients moindres, et d'une pro-
babilité plus grande dans le diagnostic, a conduit la plupart des auteurs à pré-
férer pour les cas douteux le choix du sexe masculin.
3° Rectification des actes de Vétat civil. Toute personne intéressée peut
demander la rectification d'un acie de l'état civil, les parents d'abord, lorsqu'ils
s'aperçoivent de l'erreur, l'hei'maphrodite lui-même, lorsqu'il a l'âge de paraître
en justice, ou avec les autorisations nécessaires. Une personne qui a intérêt à
faire rectifier le sexe, comme dans le cas de demande en nullité de mariage
fondé sur l'erreur dans la personne, ou pour faire annuler un testament sous
condition de mascuHnité, peut intenter une action ù cet égard. « Celui qui
UERMAPIIRODISME (médecine légale). 64)
voudra faire ordonner la rectification d'un acte de l'état civil pre'sentera sa
requête au tribunal de première instance » (Code de procédure civile, 855).
Lorsque la rectification sera demandée, il y sera statué, sauf appel, par le tri-
bunal compétent, et les parties intéressées sont appelées, s'il y a lieu (Code
civil, 99). Les jugements de rectification ne peuvent être opposés aux parties
intéressées qui ne les auraient point requis, ou qui n'y auraient point été appe-
lées (100). Il y a donc ici matière à expertises et à visites qui peuvent être
ordonnées par le tribunal pour constater la réalité des faits sur lesquels se
fonde la demande en rectification.
L'occasion la plus fréquente de ces demandes en rectification est l'appel au
service militaire. On a des exemples de jeunes filles appelées tout à coup au
tirage au sort, ou le cas inverse de jeunes gtns dont le sexe douteux devient une
occasion d'exemption ou de réforme. Fodéré cite un cas de ce genre : en 1799,
à l'hôpital militaire de Toulon, un soldat âgé de vingt ans fut reconnu comme
hermaphrodite et réformé ; c'étaient les lésions ordinaires, le scrotum fendu,
le pénis imparfait, les deux testicules dans les replis latéraux du cul-de-sac qui
simulait le vagin. L'hermaphrodisme apparent, quand même le sexe peut être
reconnu, est un cas d'exemption du service militaire dont les motifs sont faciles
à comprendre. L'instruction du 7 gei minai an VU classait déjà parmi les états
qui donnent lieu à l'invalidité la rétraction permanente d'nn testicule, son
engagement dans l'anneau. L'instiuction du 27 février 1877, sur les maladies,
infirmités ou vices de conformation qui rendent impropre au service militaire,
classe parmi ces états (n° 284) l'hermaphrodisme et l'absence du pénis.
Certains droits qui ne peuvent tomber en quenouille, les titres nobiliaires, les
majorats, les substitutions, l'héritage de terres en ligne masculine, en Alle-
magne, en Angleterre surtout, ont été l'occasion de discussions relatives à
l'hermaphrodisme. Si le sexe féminin est exclu de ces transmissions, n'en sera-
l-il pas de même de ceux dont le sexe est douteux ou qui n'ont aucun sexe ? Si
l'hermaphrodite est masculin, la solution en sa faveur ne sera pas douteuse, et
cependant on s'est demandé si la portion d'organes sexuels femelles que ren-
ferme MU hermapiirodile masculin complexe n'était pas de nature à affaiblir ou
à annuler son droit. Taylor a posé cette question : Deux jumeaux naissent, l'aîné
hermaphrodite mâle, le second mâle sans mélange : à qui appartiendra l'héri-
tage qui se transmet en vertu du droit d'aînesse? Ces questions subtiles n'ont
plus d'intérêt eu Fiance. Le sexe d'un hermaphrodite pourrait encore être
recherclié à l'occasion d'une donation ou d'un testament sous condition de sexe
masculin.
D'autres droits encore sont réservés au sexe mâle, notamment les droits poli-
tiques. L'n hermaphrodite peut-il être électeur, peut-il être investi d'un mandat
électif? Sans aucun doute, s'il est démontré qu'il appartient au sexe mâle, et à
la condition qu'il aura fait préalablement rectifier son acte de naissance, quand
par cet acte il a été déclaré fille. JNous ne croyons pas que la question ait été
soulevée en France, mais en Amérique elle a été mêlée à une violente lutte
élector.'le. En mars 1843, dans le Conneclicut, à Salisbury, une élection est con-
testée parce que le parti whig avait introduit une femme parmi les électeurs. Le
docteur Bary est chargé de l'examen, il dit que le pénis est imperforé, mais qu'il
a trouvé un testicule : c'est un homme, avec tous les droits de son sexe. Le lende-
main, au moment où l'électeur s'approche de l'urne, le docteur Triknor s'oppose
au vote en affirmant que c'est une femme. Les deux docteurs sont invités à une
650 HERMAPHRODISME (médecine légale).
consultation immédiate; le premier montre le testicule au second; celui-ci se
désiste, le vote est déposO. Quelques jours après on apprend que cet individu
est marié à un liomme, qu'il a les goûts féminins ; on constate des règles, le
docteur Bary finit par trouver l'utérus, et le testicule n'est plus qu'un ovaire
hernie: c'est un hermaphrodite féminin qui a indûment usé du droit de suffrage.
¥ Mariage. C'est à l'occasion du mariage que la question de l'herma-
phrodisme a été le plus souvent discutée. Les faits constatent les tristes consé-
quences de ces alliances entre des individus dont le sexe a été méconnu, et
leurs efforts souvent inutiles pour se dégager d'une union contre nature. Le
droit canon s'était occupé du mariage des hermaphrodites : il est valable dans le
sens du sexe qui prédomine ; si les deux sexes sont égaux, l'ojjtion est accordée,
mais à la condition de s'y tenir. Dans le droit actuel, les questions relatives à
l'hermaphrodisme, en ce qui concerne le mariage, se rapportent aux quatre
points suivants : l'identité de sexe, l'absence de sexe, le mélange des deux sexes,
l'impuissance.
C'est la question à' identité du sexe qui se présente le plus habituellement.
L'erreur est surtout commise à l'occasion d'hommes réputés femme par suite
d'un vice de conformation. La condition essentielle du mariage est que les deux
individus soient de sexe diflérent ; l'union entre deux personnes du même sexe
ne constitue pas un mariage, dans ce cas, il y a plus qu'une nullité, c'est une
non-existence du mariage. L'individu est-il homme ou femme, telle est la
question posée à l'expert. Si les deux individus sont du même sexe, c'est un cas
d'erreur dans la [)ersonne qui rentre dans ceux qu'a prévus l'article 180 du Code
civil et qui entraînent la nullité du mariage. La jurisprudence a été établie à cet
égard par un jugement du tribunal de la Seine du 18 avril 1854 : la demoi-
selle L..., épouse Beaumonl, après quelques années d'ignorance, invoquait la
nullité de son mariage, non pour cause d'impuissance, mais par le motif qu'il
y avait eu erreur de sexe et que son mari n'était pas un homme. Le tribunal,
« attendu qu'il ne peut y avoir de mariage valable aux yeux de la loi entre deux
personnes du même sexe; que la demanderesse prétend que la personne qui a
contracté mariage avec elle sous le nom de Beaumont aj)partient au sexe fémi-
nin ; qu'elle allègue que, loin d'avoir aucun des signes qui constituent la virilité,
il n'y a au contraire que les signes qui constatent le sexe féminin, que ce sexe
est révélé notamment par un écoulement auquel les femmes seules sont sujettes;
avant de faire droit, ordonne la preuve des faits par elle articulés, et ce tant
par litres que par témoins, et s'il y a lieu par la visite de Beaumont, laquelle
visite sera faite par M. Dubois, doyen de la Faculté de Paris. » La visite fut faite
par le célèbre accoucheur : il constata que le mari défendeur était du sexe
masculin, mais que d'ailleurs chez lui l'impuissance était absolue et irrémé-
diable. Le tribunal, par jugement du 2 décembre 1854, refusa d'annuler le
mariage, par le motif que l'individu était un homme [Gazette des tribunaux,
26 avril et 19 décembre 1854).
Tourlual rapporte l'exemple d'un mariage, annulé en 1856 par une cour
ecclésiastique, par le motif d'une erreur de sexe. Un homme, veuf, père de
quatre enfants, se marie avec une fille âgée de trente-sept ans : le coït est
impossible, bientôt après il croit reconnaître des organes du sexe masculin.
Trois ans plus tard, il demande le divorce, des experts sont appelés, les premiers
restent dans le doute; c'est un androgyne, il y a un vagin et des grandes lèvres.
Tourtual constate la présence des testicules. Le sexe mfde est reconnu, avec
HERMAPHRODISME (médecine légale). 651
une impuissance absolne. Le mariage est déclaré nul, autorisation est donnée
au demandeur de se remarier. D'autres fois l'erreur n'a été reconnue qu'après
la mort, comme dans le cas d'Adélaïde Préville. Dans l'observation d'Ernestine
Quériot, citée par M. Garnier, cette [)rétendue lille, mariée à dix-sept ans, a des
maîtresses pendant son mariage, devient veuve, et c'est alors seulement qu'elle
demande la constatation de son sexe. Sous le titre d'un hermaphrodite marié,
Dolir, en 1885, rapporte le fait d'une prétendue femme, mariée depuis dix ans,
et qui présentait un scrotum fendu et deux testicules dans les grandes lèvres
avec un pénis imparfait; avertie de ces indices masculins, elle se refusa à con-
tester son mariage et voulut rester femme. Dans le fait de Worbe, en 1815, une
fille de vingt-deux ans, après deux propositions de mariage, est rendue au sexe
masculin, lorsque les testicules apparaissent. El vers, en 1876, rapporte qu'une
fille, déjà fiancée, se reconnaît du sexe masculin et demande une visite pour
changer son état civil. En août 1886, M. Terrillon publie le fait d'une pension-
naire, inscrite comme femme à la Salpètrière, mariée comme telle depuis onze
ans, et qui présentait un testicule jilacé dans chacune des grandes lèvres
formées par la fissure du scrotum. Un médecin de province, dit le même obser-
vateur, a lies doutes sur le sexe de sa fille, demandée en mariage à l'âge de
vingt ans ; les deux testicules atrophiés sont reconnus, le sexe est certain, le
mariage n'a pas lieu, mais l'apparence féminine était trop caractérisée pour que
l'on crût utile de faire constater légalement le sexe masculin. L'erreur inverse,
celle de femmes mariées comme hommes, est un fait absolument exceptionnel.
Bouillaud et Manet en citent un exemple : le nommé Valmont avait été marié
comme homme; en 1882, il meurt à l'hôpital de la Pitié, à l'âge de soixante-
deux ans; l'autopsie fait reconnaître, avec un clitoris semblable à une verge, un
utérus bien conformé, deux ovaires et une trompe.
L'absence de sexe, ou l'hermaphrodisme neutre, a été considéré comme une
cause d'erreur dans la personne, entraînant la nullité du mariage. C'est un
progrès récent dans la jurisprudence, et auquel se rattache une importante
application médico-légale. Le mariage est l'union de l'homme et de la femme,
mais, si l'un des conjoints n'a aucun sexe, il n'est ni homme ni femme : est-il
apte à contracter cette union? Il ne s'agit pas ici de la puissance génitale, mais
de la réalité même du sexe. On a cru épouser un homme ou une femme, l'indi-
vidu n'a point de sexe. Cette situation vicie l'essence même du contrat. Telle est
la conclusion qui résulte du jugement rendu par le tribunal d'Alais, le 28 jan-
vier 1875, et qui a donné lieu à des discussions scientifiques d'un grand intérêt.
L'absence de sexe est ainsi placée parmi les causes de nullité du mariage.
Mélange des deux sexes. L'hermaphrodisme mixte ou complexe est-il une
cause de nullité? La question était résolue par le droit canon, qui admettait la
validité du mariage, si l'un des deux sexes prédominait et était doué de la puis-
sance génitale : Valide contrahunt liermaphroditi, quia vere sunt patentes ad
iisum matrimonii, et quidem, si aller sexus emineat, ad illum tantutn valebit
(Liguorio, Theologia moralis). La question d'impuissance se liait donc à celle
de la coexistence des deux sexes. La condition du mariage est la différence des
sexes et, dans les cas de ce genre, il y aura toujours identité de sexe, partielle
au moins, entre les deux époux ; c'est un homme ou une femme que l'on a
voulu épouser, et non un demi-homme et une demi-femme en même temps.
Tardieu disait que l'individu qui a les attributs des deux sexes « est en tout
cas incapable de se marier valablement, puisque, quel que soit le sexe de la
652 HERMAPHRODISME (méoecine légale).
personne à laquelle il serait uni,, il y aurait toujours entre les deux identité de
sexe. » La même remarque est faite par M. Bronardel (Annotât. d'Hoffmann) :
« Si l'un des conjoints a les attributs des deux sexes, le mariage est nul, car
c'est un cas d'identité de sexe entre les deux époux. » L'identité n'est que
partielle, et il importe de déterminer la proportion dans laquelle les organes
des deux sexes sont mélangés. Si l'un des deux domine d'une manière évidente,
s'il est apte à fonctionner, pourquoi l'exclure du mariage dont il peut atteindre
le, but? Un appareil sexuel peut remplir ses fonctions malgré la pre'sence de
quelques organes de l'autre sexe. Dans ces cas douteux, ex mixtione sexus,
l'expert caractérise les organes qui appartiennent à l'un et à l'autre sexe, il en
mesure l'importance et le degré de développement; c'est le tribunal, juge du
fait, qui détermine si le mélange d'organes plus ou moins imparfaits altère la
condition essentielle du mariage, la différence des sexes entre les contractants.
On peut encore se demander si le fait d'avoir caché à son conjoint l'existence
d'une difformité de ce genre, contraire au but même du mariage, n'est pas une
injure grave constituant un cas de divorce.
5° La (jiieUion d'impuissance s'ajoute souvent à celle de la détermination
du sexe. Les organes indécis et mélangés sont trop imparfaits pour que dans l'un
ou dans l'autre sens les fonctions génitales soient possibles, et cette considé-
ration est un argument de plus en faveur de la nullité du mariage, mais seule
elle ne suffit pas pour l'établir. La jnris|)rudence s'était d'abord prononcée dans
ce sens, qu'un vice congénital, empêchant d'une manière absolue et irrémé-
diable les rapports sexuels, pouvait être une cause d'erreur dans la personne.
Le jugement du tribunal de Trêves, du 1" juillet 1808, annulant un mariage,
s'appuyait sur ce fait que le vagin et le rectum ne formaient qu'une seule
cavité, sans qu'on prit arriver au col de la matrice, et que ce vice congénital,
antérieur au mariage, était irrémédiable et rendait impossible d'atteindre le but
de la nature, (^ettc jurisprudence n'a pas prévalu; l'impuissance seule, congé-
nitale ou acquise, n'est point admise comme cause de nullité. Cet argument a
cependant reparu d'une manière accessoire, mais avec une juste influence,
dans les procès soulevés à l'occasion de l'hermaphrodisme. Si, dans un arrêt de
la cour de Caen en 1882, l'absence de vagin n'a pas été considérée comme con-
stituant une cause de nullité, à la même époque, dans l'affaire Martinez de
Campo, le tribunal de la Seine a admis l'enquête ayant pour but de rechercher
si le défendeur était pourvu des organes nécessaires au mariage. La Société de
médecine légale, dans sa séance du 8 juin 1885, a émis le vœu que la loi sur
les causes de nullité du mariage, actuellement en préparation au Sénat, plaçât
parmi ces causes les vices congénitaux qui s'opposent d'une manière absolue au
but du mariage. MM. Lacassagne et Debierre proposent d'ajouter à l'article 180
du Code civil une disposition qui classerait parmi les cas d'erreur dans la per-
sonne les vices de conformation qui s'opposent mauifestemcnl à l'accomplisse-
ment fructueux de l'acte sexuel. Ces dispositions s'appliqueraient, après expertise,
aux différentes formes de l'hermaphrodisme.
L'impuissance peut encore être invoquée comme moyen d'opposition à la
reconnaissance d'un enfant n^iturel par un hermaphrodite. Un individu, atteint
de ce vice de conformation, a intérêt à connaître sou degi'é d'impuissance ou de
stérilité, à l'occasion d'un projet de mariage. L'impuissance se détermine, comme
dans les cas ordinaires, par les conditions de structure des organes extérieurs.
L'impuissance est ici le cas le plus ordinaire : Impotentia coeundi seii pariendi
HERMAPHRODISME (médecine lkgale). 655
in his ex sexus exilitale facile internoscituv (Zaccliias). Pour les liommes,
c'est la question de stérilité des cryptorchides et des hypospades, les deux faits
caractéristiques dans l'hermaprodismc masculin. Si les recherches de Godard,
les observations de Curling, Follin, Gosselin, attestent la stérilité habituelle des
cryptorchides, d'autres laits ont constaté la présence des spernialozoaires dans
des cas de ce genre. On connaît l'observation d'un cryptorcliide condamné pour
viol. La présence du sperme a été reconnue à l'aulopsie d'Alexina, longtemps
cryptorchide et qui avait été considéré comme femme une partie de sa vie.
Beigel rapporte l'exemple d'un cryptorchide double, âgé de vingt-deux ans, dont
l'éjaculation présenta de nombreux zoospermes. L'hypospadias, autre caractère
de l'hermaphrodisme masculin, peut aussi rendre la fécondation impossible,
suivant qu'il est périnéal, scrotal ou pénicn, complet ou incomplet. Lorsque le
sperme peut être projeté dans le vagin, la fécondation est possible. On possède
des observations authentiques de la propngation héréditaire de ce vice de con-
formation {voy. article Patermté). Nous avons recueilli l'observation d'un père
hypospade dont les deux fils présentaient le même vice de conformation. Mais,
si le sperme ne sort qu'en bavant, humectant l'entrée du pseudo-vagin, entre
les deux petites lèvres, il est possible de recueillir ce sperme, et la fécondation
artiticiellc donnera le bénéfice de la paternité à l'hermaphrodite hypospade. Le
fait de Huuter, le premier exemple bien avéré de fécondation artificielle, se
rapporte à un cas d'hypospadias sous le gland. A l'occasion de l'hermaphrodite
Joséphine Badré, observée par Dugès et Toussaint, et qui présentait une fente
périnéale par laquelle s'échappait le sperme, Geoffroy Sainl-Hilaire rapporte
« qu'un savant de Strasbourg, M. Fodéié, à qui on avait présenté Joséphine
Badré, pensait que par le moyen d'un appareil mécanique on pourrait sujipléer
à celle imperfection. » Le fait d'une éjaculalion par l'orifice sous-pénien étant
reconnu, c'est dans des cas de ce genre, dit M. Terrillon, que la fécondation
artificielle offre le plus de chances de succès. « Il y a six ans, dit-il, j'ai obtenu
avec le sperme d'un individu affecté d'hypospadias pénien un magnifique
enfant » [le Praticien, p. 391, août 1886). En ce qui concerne l'hermaphro-
disme féminin, les preuves de la stérilité se déduisent de l'absence des règles et
de l'imperméabilité des voies génitales.
6" Des opérations chirurgicales ont été pratiquées sur des hermaphrodites
pour remédier aux inconvénients que présentent ces vices de conformation; elles
ont eu pour but soit de retrancher des parties exubérantes, soit de rendre leur
perméabilité aux voies génitales ou de rectifier la direction des conduits. Duval
rapporte qu'un mari, se plaignant de l'existence d'une verge chez sa femme,
demanda qu'on retranchât cet organe ou que la nullité du mariage fût pro-
noncée. La femme s'y refusa et, du consentement des deux parties, le mariage
avait été déclaré nul. Mahon cite la résection du clitoris comme une opération
dont la religion faisait un précepte aux habitants de l'Egypte et de l'Abyssinie.
Columbo rapporte l'observation d'une bohémienne qui lui demanda de couper
cet organe trop grand, puis d'élargir le conduit de la pudeur, afin qu'elle piit
recevoir les embrassements d'un homme qu'elle aimait. On a cité une opération
semblable, pratiquée à Londres sur une hermaphrodite nègre d'Angola. La chi-
rurgie est encore intervenue pour remédier à des imperforations vaginales. Des
opérations ont aussi été faites pour rétablir la partie supérieure du canal dans
les cas d'épispadias qui entraînent une impuissance absolue.
On a cherché à rendre l'hypospade fécond en rétablissant à un point plus
654 HERMAPHRODISME (médecine légale).
élevé de la verge le méat urinaire placé à sa base. La sonde introduite par cette
ouverture a pu pénétrer jusqu'au gland et y reporter la sortie normale du sperme
et de l'urine. Dans le cas de Sentex {Annales, août 1886), hermaphrodisme
masculin, avec cryptorchidie et absence de méat urinaire, l'ouverture devait être
rétablie pour sauver la vie du nouveau-né. L'hypospadias élait-il balanique,
pénien ou scrotal? Des ponctions successives à la base du gland et à l'extrémité
du raphé au niveau de la fissure scrotale démontrèrent l'imperméabilité du
canal jusqu'à l'extrémité antérieure du raphé, oii se présentèrent les goutte-
lettes d'urine. La viabilité de l'hermaphrodite dépendait de ce vict de confor-
mation auquel l'art a lemédié.
Des opérations chirurgicales sont intervenues, par suite d'erreur, chez des
hermaphrodites. On a pris pour des abcès, pour des hernies, les tumeurs formées
]iar la descente tardive des testicules. Dans le cas de Marie Marguerite, relaté
par Worbe, deux tumeurs successives à l'aine furent jtrises pour des hernies, un
bandage double fut appliqué, causant de vives douleurs; c'est à l'âge de vingt-
trois ans que le sexe fut l'econnu, les deux testicules étaient descendus dans les
replis de la fissure scrotale, et le méat urinaire se trouvait à la racine d'une
vergo imparfaite, avec un gland imperibré. Faut-il citer parmi les opérations
chirurgicales auxquelles l'hermaphrodisme a donné lieu le cas du docteur
américain qui, en 1849, juatiqua l'extirpation des testicules sur un enfant de
trois ans, privé de verge, avec un clitoris derrière lequel s'ouvrait le méat uri-
naire, à l'entrée d'une fente scrotale? Le médecin ajoute que trois ans après
l'opération l'enfant avait perdu tous les goûts masculins et se développait
comme fille avec les inclinations de ce sexe; l'auteur se félicitait d'avoir dé-
truit un instinct que l'état d'imperfection des organes n'aurait jamais permis
de satisfaire. Cette excentricité téméraire doit être signalée dans l'histoire, d'ail-
leurs si dramatique, de l'hermaphrodisme.
1° Des attentats aux mœurs, de diverse nature, sont commis par des indi-
vidus atteints de ce vice de conformation; ils peuvent aussi en être victimes.
L'instinct génital persiste et parfois se développe avec violence ; malgré l'imper-
fection des organes extéi ieurs, les testicules ont conservé toute leur activité. Les
occasions de commettre ces actes sont d'ailleurs faciles ; l'hermaphrodite masculin,
par suite de l'erreur sur son sexe, vil avec des jeunes filles, parfois il partage
leur couche ; il est élevé comme Alexina dans une pension de jeunes filles.
Tardieu parle d'individus conduits dans des prisons de femmes pour des actes
de prostitution, ot dont la visite constata le sexe masculin. Nous avons recueilli,
en 1867, avec le docteur E. Levy, l'observation suivante : Deux prétendues sœurs,
à Geispolsheim (Bas-Rhin), l'une âgée de quarante-six ans, l'autre de soixante,
étaient depuis longtemps connues par leur lubricité et leurs rapports avec des
femmes ; nous avons constaté chez l'une et chez l'autre le sexe masculin dé-
montré par la présence des testicules dans la fissure scrotale ; le méat s'ouvrait à
la base d'un pénis imparfait. Dans le cas cité par Gerhard, en 4877, l'herma-
phrodite, âgé de quarante-six ans, accusé d'attentats à la pudeur sur une jeune
fille, avait un pénis long de 6 centimètres, avec le méat à sa base et deux tes-
ticules, dont l'un atrophié, dans les grandes lèvres. Martini rapporte qu'une
sage-femme qui depuis longtemps exerçait ce métier avait attenté à la pudeur
d'un grand nombre d'accouchées et d'autres femmes, jusqu'au moment où il
fut reconnu que c'était un homme, hermaphrodite masculin bien caractérisé. H
était hypospade, avec une petite ouverture à la base d'un pénis peu développé ;
HERMAPHRODISME (MÉDECiMi lkg.vle). 655
l'apparence générale était féminine, mais dans chacune des grandes lèvres, for-
mées par la fente du scrotum, se trouvait un testicule avec l'épididyme. On a i-e-
marqué que le penchant génital se révèle plus vite et plus énergiquement chez
les herma|ihrodites masculins habillés en fille et vivant avec elles ; cette lascivité
précoce n'existerait pas au même degré chez les hermaphrodites féminins.
L'hermaphrodisme peut être le point de départ d'actes contre nature : c'est
une femme qui abuse d'un clitoris développé, comme les tribades, pour avoir
des rapports avec d'autres femmes. La fissure scrotale devient un vagin qui se
prête au coït, les exemples de ce genre ne sont pas rares ; le penchant génital
est altéré et perverti comme l'organisation physique. Dans certains cas. la
preuve d'un sexe déterminé est nécessaire pour caractériser le délit. Ainsi le
Code pénal allemand (§ 175) punit les actes contre nature. Il faut démontrer le
sexe mâle, chez l'auteur de l'acte comme sur la victime, pour avoir la preuve
de la pédérastie. L'identité de sexe est la condition des délits de ce genre et
l'expert doit la démontrer.
L'imputation d'hermaphrodisme peut-elle être considérée comme une injure
grave, donnant lieu à une réparation civile? Taylor cite un cas dans lequel cette
question a été soulevée et résolue négativement. Un maître à danser intenta un
procès à un individu qui l'avait appelé hermaphrodite. On jugea que le procès
n'était pas soutenable par deux motifs : parce qu'il n'existe pas d'hermaphrodite
et que, l'assertion étant sans base ne pouvait porter préjudice; parce qu'en
admettant même qu'il en existât le plaignant serait aussi bon maître à danser
et même meilleur que s'il n'avait qu'un sexe, et qu'ainsi on ne lui faisait pas
tort dans sa profession. Les hermaphrodites étaient autrefois considérés comme
des êtres méprisables et privés de certains droits; cette imputation peut aussi
soulever des doutes au point de vue de la moralité, en faisant allusion à des
rapports contre nature.
8° La simulation de l'hermaphrodisme a eu lieu pour exploiter la crédulité
publique. Le cas le plus connu de ce genre est celui de Marguerite Malaure, si
facilement dévoilé par Saviard; le col de l'utérus faisant saillie hors du vagin
avait été pris pour un pénis. Les erreurs de ce genre ont été signalées par
Zacchias : In (pnbïisdam penem mdhnn apparere, sed uterm potins prohipswn
fieri. Home cite un cas de ce genre. Une femme à Londres était regardée comme
un phénomène extraordinaire et se montrait en public ; elle présentait, à la sortie
du vagin, un corps long de plusieurs pouces, formé par le col de UutéruS dont
la surface par suite de l'action de l'air avait perdu sa coloration naturelle et pris
celle des téguments du pénis. Le journal de Hufeland cite un cas où ce pro-
lapsus irréductible n'empêcha pas la fécondation. On voit parfois des hommes
avec fissures scrotale et pénis imparfait se présenter au public, affirmant leur
hermaphrodisme et leurs doubles impulsions sexuelles ; nous avons recueilli
le moule en plâtre de l'un d'eux, mettant en évidence le vice de conformation.
Dodeuil et Blache rapportent l'observation d'un marchand de fleurs âgé de
soixante-six ans, qui s'était marié comme homme et dont l'autopsie'constata le
sexe féminin, qui avait aussi été considéré comme hermaphrodite. L'exstrophie
de la vessie a donné lieu à une erreur de ce genre. Orfila cite un cas, d'après
les mémoires de l'Académie de Pétersbourg, en 1818, où une portion d'intestin
grêle, sortant de la ca^^té pelvienne, au-dessus du pubis, simulait le pénis. On
a tiré parti de diverses dilTormités pour faire croire à l'hermaphrodisme ; la
fraude ou l'erreur sont faciles à reconnaître. Il faut noter ici l'aliénation men-
65G HERMAPHRODISME (médecine légale).
taie, qui a parfois donné à certains individus la conviction qu'ils étaient herma-
phrodites.
9° Le suicide a été la conséquence des tristes déceptions et du désordre moral
qu'entraînent l'altération des organes et des fonctions de la génération. L'obser-
vation d'Alexina, retracée par Chesnet et Tardieu, montre d'une manière émou-
vante par quelle série de doutes, de combats, d'impressions douloureuses, cet
être indécis a passé pour arriver au suicide, atteint par la misère, déclassé par
le fait même de cette situation étrange ou se mêlaient les souvenirs et les habi-
tudes des deux sexes. Un autre cas de suicide a été rapporté par Goujon en
1869. Un individu avait été élevé comme femme; des doutes surgissent, une
visite fait reconnaître les caractères d'un hermaphrodisme bisexuel imparfait,
maiis avec la prédominance du sexe masculin ; ce malheureux quitte les habits
(le femme, et quelques années après il se tue par chagrin de ce changement
d'état.
10° L'hermaphrodisme, constaté après la mort, peut aussi donner lieu à des
questions médico-légales. Dans les cas, dit Hoffmann, où des droits importants
dépendent du sexe d'un hermaphrodite, on peut ordonner de constater ce sexe
par une autopsie, qui sera concluante quand il s'agit de reconnaître des testi-
cules, fussent-ils atrophiés. L'existence de l'ovaire pourra aussi bien être carac-
térisée. Dans la pièce conservée d'un hermaphrodite féminin, nous avons constaté
la présence des vésicules de deGraaf et des ovules. Si l'on reconnaît à l'autopsie
l'identité de sexe du décédé et du conjoint survivant, le mariage ne doit-il pas
être considéré comme n'ayant pas existé, et par suite les dispositions du contrat
ne sont-elles pas frappées de nullité? Taylor cite un cas de ce genre qui a eu lieu
en Angleterre en 1868 : un homme réclame les biens de sa femme décédée sans
testament; les héritiers aftirment que le mariage était nul pour cause d'incapa-
cité physique, n'ayant jamais été consommé ; le juge rejette cette demande, en
déclarant que les procès en nullité étant des procès de personne et que celui-ci
n'ayant pas été intenté pendant la vie de la femme, la validité du mariage ne
pouvait plus être contestée. On peut supposer le cas où. la mort étant survenue
pendant une action de ce genre, l'autopsie fournirait un utile complément de
preuves. L'hermaphrodisme constaté après la mort pourrait servir de moyen de
contester une reconnaissance d'enfant naturel.
IV. Diagnostic médico-légal. Ce diagnostic comprend les règles de la visite,
les caractères du sexe, l'indication des variétés de l'hermaphrodisme.
1" La visite peut être accidentelle, spontanée, officieuse ou requise. C'est un
hasard qui, dans une exploration pour un autre motif, a fait découvrir un sexe
incertain ou différent de celui qui était attribué à la personne. Ici se présente la
question du secret médical, qui est résolue suivant les circonstances d'âge et de
situation de la personne. D'autres fois c'e^-t à la demande de la personne intéressée,
qui elle-même a conçu un doute, que le médecin procédé à l'examen; pour les
nouveau-nés, il remplit son devoir de préposé à la vérification des naissances.
Viennent ensuite les cas judiciaires, où la visite est faite en vertu d'une réqui-
sition. On a demandé que cette mission ne fût confiée qu'à des docteurs en
médecine; Joerg et Siebold excluaient les sages-femmes des vérifications de ce
genre.
Le consentement de la personne est nécessaire pour que le médecin puisse
procéder à cette visite ; si le refus est absolu, le médecin ne passera pas outre.
Sans doute, il doit employer tous les moyens de persuasion nécessaires pour faire
HERMxVPHRODISME (médecine légale). 657
fléchir la résistance, mais il ne procédera pas à une visite do vive force, quelque
précis que soient les termes de la réquisition. Les jurisconsultes ont discuté celte
question. Demolombe, dans son Traite du mariage et de la séparation de corps,
ne repousse pas absolument la doctrine de cette visite forcée, notamment en
matière criminelle. « Il ne s'agit pas, dit-il, d'un fait actif à l'égard duquel la
contrainte n'est pas possible : il s'agit d'un acte passif, d'un acte de soumission,
de résignation. Est-ce qu'en matière criminelle ces sortes de visites no sont pas
quelquefois ordonnées, par exemple, contre des individus accusés de viol, dont
il est nécessaire de reconnaître l'état, parce qu'une maladie a été communiquée
à la victime? Est-ce que ces visites n'ont pas lieu forcément pour l'exécution des
lois sur le recrutement de l'armée ou sur les douanes? Pourquoi en serait-il
autrement dans notre hypothèse ? En vertu de quel privilège le défendeur pour-
rait-il arrêter l'exécution d'un ordre de la justice et rendre l'instruction d'un
procès et par suite l'administration de la justice impossibles? » Ce moyen est
d'ailleurs repoussé par nos mœurs et le médecin ne s'y prêterait pas. Taylor
traite aussi celte question du refus de se laisser visiter et déclare qu'un tel
examen doit être volontaire de la part de l'homme et de la femme : mais, s'il y a
refus obstiné, il admet que cette circonstance doit être interprétée contre celui
qui n'a pas voulu se soumettre à une visite légalement ordonnée. Il cite un cas
où la nullité du mariage fut prononcée en faveur du mari qui, bien conformé,
alléguait l'impossibilité du coït, la femme s'étant refusée à laisser vérifier son
état. Dans l'affaire d'Alais, en 1873, on a vu que le refus de se laisser visiter a
été interprété comme donnant une nouvelle force aux probabilités qui résultaient
des autres faits de la cause, parce que « le refus ne semblait avoir été calculé
qu'afin d'éviter de fournir de nouvelles armes contre son adversaire. » Le devoir
du médecin est de ne pas passer outre; l'exploration serait d'ailleurs difficile
dans le cas de résistance : on n'accepte pas le conseil qui a été donné de
recourir à l'emploi forcé du chloroforme. Renonçant à l'examen local, l'expert
réunira tous les indices qui résultent de l'examen extérieur, de l'enquête, de
l'interrogatoire, des divers témoignages, constatant dans son rapport l'impossi-
bilité d'examiner l'état local, et le fait de la résistance qui combiné à d'autres
preuves peut parfois être considéré comme un aveu.
L'individu est examiné couché, puis debout, les parties génitales découvertes ;
l'inspection sera méthodique et complète : les mensurations, la palpatiou
abdominale, l'emploi de la sonde, le toucher vaginal et rectal, l'examen des
liquides, du sang, du sperme, constatent l'état local. A ces signes s'ajoutent les
caractères généraux fournis par l'observation et par l'enquête. Une seule visite
peut suffire; d'autres fois l'exploration doit être répétée, ajournée à un moment
plus favorable, dans les cas, par exemple, oii l'on soupçonne une évacuation san-
guine périodique, dont il faut constater l'existence et l'origine. L'observation
prolongée permet aussi de mieux apprécier le caractère et les tendances des
individus.
2° Les signes locaux, génitaux externes, sont d'abord fournis par Vexamen
du pénis et du clitorù. Est-ce un pénis atrophié ou un clitoris hypertrophié?
Mentida déficiente, deest virilitas. On mesure l'organe, 8 à 10 centimètres
laissent peu de doute sur le caractère viril ; quelques centimètres comptent
comme signe certain de virilité (Gallard). Un pénis imparfait est habituellement
plus volumineux qu'un clitoris même hypertrophié; on a vu l'organe féminin
atteindre 4 à 6 centimètres; Roemer a observé un clitoris long de 5 centimètres
DicT. ENC. A' s. Xin. 4 1
658 HERMAPHRODISME (médeciae légale).
sur une jeune fille de sept ans ; Home de 2 pouces sur une négresse de vingt-
quatre ans; Arnaud, en 1777, à Strasbourg, note un clitoris de 3 pouces perforé
au sommet du gland. On prend en même temps les dimensions de Torgane en
largeur et sa circonférence à divers points de sa hauteur. L'examen porte sur
Je gland, sur le prépuce et le frein, sur le corps caverneux. Parfois pendant
la visite l'érection s'est produite; l'expert remarque sous quelle influence,
masculine ou féminine, elle a eu lieu. Le doute existe, si la mentule est très-
petite, 0 ou 4 centimètres, recourbée avec un frein volumineux et un »land
atrophié. L'organe peut consister en un tubercule encapuchonné d'un prépuce.
Le point important est de lechercher si l'organe contient un canal et si le
gland est perforé. On recherche le méat urinaire, son siège, le degré de l'hypo-
spadias, pénien ou scrolal ; c'est dans ce dernier cas que le diagnostic offre
le plus de difficultés : « En présence d'un clitoris, d'un orifice vulvaire et
d'un anus, dit M. Terrillon, recherchez toujours l'orifice de l'urèthre : s'il est
en devant de vous, c'est une fille; s'il est en biseau, méfiez-vous! » La forme,
comme le siège du méat, est à prendre en considération. On détermine les
rapports de cet orifice avec la fente vulvaire ou «crotale. Le méat peut con-
sister en deux ou trois ouvertures distinctes. On sonde le méat pour reconnaître
la direction du canal et s'il aboutit à la vessie ; on constate la nature du liquide
qui en sort. Si les dimensions de l'organe, sa situation plus élevée à l'entrée du
faux vagin, et un hypospadias borné au gland, laissent en général peu de doute
sur le sexe, il est des cas oîi l'atrophie, l'imperforation totale, l'irrégularité du
méat à l'entrée de la fente, ne permettent pas un diagnostic certain. La bifur-
cation de la verge n'a été indiquée que dans deux cas peu authentiques; elle
paraît correspondre à l'exstrophie de la vessie accompagnée de la séparation des
deux corps caverneux, avec réduction de l'urèthre à un court canal. Les deux
bourgeons du corps caverneux ne se sont pas réunis à leur partie dorsale.
La distinction de la fhïte scrotale et du vagin repose sur les caractères
suivants : la fente scrotale présente sur les côtés deux replis qui simulent les
grandes lèvres, mais dans lesquelles on rencontre fréquemment une ou deux
tumeurs formées par les testicules. Les petites lèvres manquent ou sont à peine
développées. On a considéré l'existence des nymphes, bien accusées, comme un
des meilleurs indices du sexe féminin; un hymen plus ou moins formé augmente
la valeur de ce caractère. Les grandes lèvres du repli scrotal sont sépaijées par
une dépression qui simule un vagin et qui a parfois été dilatée et renmae plus
profonde par les efforts répétés du coït. Le vagin se distinguera par une profon-
deur peu notable, 8 ou 10 centimètres et moins, par ses replis et sa dilatabilité.
S'il est atrésié, réduit à un faible canal, la distinction devient difficile. C'est ici
que l'on fait usage du toucher, de la sonde et des injections, pour déterminer
l'étendue et les communications de cette cavité. Zacchias avait déjà indiqué
l'utilité de la sonde et des injections : Pevvhts erat meatus valde exilis... per
siplionem vino midso aiit quovis alio liquore conspicuus fîebat.
Les signes fournis par la sphère moyenne des organes génitaux sont la pré-
sence de l'utérus ou celle de la prostate. Par la palpalion abdominale, par le
toucher vaginal seul ou combiné avec le toucher anal et la sonde vésicale, on
est arrivé à reconnaître l'existence de l'utérus ou à constater qu'aucun organe
de ce genre ne se trouvait entre le rectum et la vessie. Dans un cas cité par
M. Garnier, le toucher rectal permit de reconnaître la prostate chez un individu
élevé comme fille et qui présentait d'autres signes évidents de masculinité.
HERMAPHRODISME (médecine légale), 650
Pour les expertises délicates, difficiles et parfois douloureuses, on a proposé
l'emploi du chloroforme, accepté d'ailleurs par la personne que l'on visite, et
qui permet d'arriver à un diagnostic plus précis.
S** La présence des testicules ou des ovaires fournit les signes caractéristiques.
Dans des cas nombreux d'hermaphrodisme masculin, l'existence des testicules
ne peut être l'objet d'aucun doute; on les retrouve dans les replis de la fissure
scrotale. L'épididyme, le cordon spermatique, faciles à reconnaître, démontrent
la nature de la tumeur. On assiste parfois îi leur apparition successive dans
chacune des prétendues grandes lèvres. Les accidents qui ont été occasionnés
par la descente tardive des testicules, les méprises auxquelles elle a donné lieu,
ont attiré l'attention. Dans d'autres cas, la cryptorchidie est permanente et, si
le toucher ne découvre pas les oryanes dans le canal inguinal ou près de son
origine interne, c'est à des signes fonctionnels qu'il faut recourir pour en pré-
sumer l'existence.
La cryptorchidie accompagne fréquemment l'hermaphrodisme masculin, simple
ou double, temporaire ou permanent. La descente des testicules peut être subite
ou graduelle. On les a vus paraître tout à coup après un violent effort. Ainsi,
dans le cas d'Ambroise Paré, chez une prétendue fille, la virilité se manifesta
tout à coup, après qu'elle eut sauté i^n fossé. Dans un fait cité par Landouzy, les
testicules paraissent à la suite des rapports que l'hermaphrodite a eus avec un
homme. D'autres fois c'est avec lenteur que ces organes descendent ; la palpation
inguinale, abdominale, suspubienne, le toucher rectal, fournissent des indices.
La tumeur peut être méconnue dans sa nature; elle a été prise, comme dans le
cas de W'orbe, pour une tumeur herniaire, et l'erreur s'est répétée à la descente
de chaque testicule. L'étranglement à l'anneau, la pression sur ces organes, déve-
loppent une sensation particulière. L'erreur a été jusqu'à ouvrir l'abcès prétendu
et à opérer la tumeur; dans le cas d'Avery le testicule a été mis à nu et l'on a
reconnu des zoospermes. L'organe ainsi retardé dans son évolution est le plus
souvent flétri, atrophié et graisseux. Home a vu sur un enfant de treize ans
les deux testicules ayant le volume de ceux d'un fœtus. La sécrétion sperma-
tique manque, les observations de Curling, Godard et d'autres observateurs éta-
blissent la stérilité habituelle des cryptorchides, mais il est des cas avérés oîi une
éjaculation spermatique bien caractérisée a révélé la présence et l'activité de ces
testicules intra-abdominaux. Dans le fait de Beigel, cryptorchidie double chez
un individu de vingt-deux ans, l'éjaculation contenait une quantité notable de
zoospermes. Scliultze trouve des zoospermes dans le mucus adhérent à une sonde
qui avait servi à explorer l'urètbre d'un hermaphrodite. Quand on découvre du
sperme chez un hermaphrodite, il faut bien constater que ce n'est pas le coït
récent avec un autre homme qui en est l'origine et que la liqueur spermatique
a été réellement fournie par le sujet. On a cité des exemples de monorchidie
héréditaire, ce qui confirme la possibilité de la puissance génitale, compatible
avec ce vice de conformation. Vallisnieri rapporte qu'un individu devint père,
malgré l'absence apparente de testicules. Quand le sperme est reconnu par
l'examen microscopique, on ne peut guère attacher d'importance à la coexistence
d'autres parties appartenant au sexe féminin ; le sexe mâle est démontré. Mais
l'existence du testicule ne prouve pas la sécrétion et encore moins l'excrétion
possible du sperme. Le canal déférent peut manquer, être oblitéré, se terminer
en cul-de-sac. Le testicule lui-même, chargé de graisse et de tissu counectif,
peut ne présenter qu'une faible proportion de tubes séminifères.
6G0 IIERMAI'IIRObISME (médecine légale).
La présence de l'ovaire ne peut guère être reconnue directement que dans les
cas bien exceptionnels de hernie ovarique ; on a signalé dans les grandes lèvres
la présence d'une tumeur sans épididyme, constituée par cet organe. C'est par
la menstruation que l'on a la preuve de l'existence de l'ovaire; mais ici la
démonstration n'est pas aussi absolue qu'elle l'est pour l'homme, quand on a
reconnu les zoospermes. Les règles ne sont pas toujours liées à l'ovulation, on
les a vues se reproduire après une ovariotomie double. L'absence d'écoulement
périodique n'indique pas le défaut d'ovaires, l'ovulation peut se produire sans
hémorrhagie. L'absence ou l'imperforation de l'utérus, malgré la présence de
l'ovaire, empêchent cet écoulement. On déterminera le point par où le san"^
s'échappe, et une observation répétée devra établir la périodicité de l'hémor-
rhagie. L'examen histologique du sang servira à caractériser par les formes de
l'épithélium la région qui le fournit. Ce signe a sa valeur décisive, quand il s'y
ajoute la preuve directe de l'existence de l'utérus. Le vagin peut s'ouvrir dans
la partie inférieure de l'urèthre, qui donne alors passage au sang et à l'urine. Des
hémorrhagies périodiques ont coexisté avec certains caractères du sexe masculin.
Dans le cas de Schauta, publié en 1877, l'individu, âgé de vingt-quatre ans, qui
avait eu des règles et chez qui on avait reconnu l'utérus, aurait aussi présenté
des spermatozoïdes. La menstruation a coïncidé avec l'existence des testicules
dans le cas de Cecherelli ; les règles avaient duré jusqu'à trente-huit ans, Virchow
constata l'existence du sperme. Dans le cas de la sage-femme reconnue homme
par Tortual, dans celui de Schultze, dans l'observation de Rosina Gottlieb, dont
le sexe masculin fut constaté à l'autopsie, il y avait eu des éruptions menstruelles.
L'expert doit tenir compte de la possibilité d'une simulation. La coïncidence de
testicules et d'ovaires, avec ou sans menstruation, a été indiquée dans trois ou
quatre cas d'hermaphrodisme mixte ou complexe, sans que la preuve absolue
en ait été donnée pour tous. On n'a jamais vu la double fécondité se produire.
On peut conclure de ces faits que les spermatozoïdes d'une part, la menstruation
avec la présence d'un utérus de l'autre, sont les signes décisifs du sexe qu'on
doit attribuer à l'individu, malgré la présence de quelques organes accessoires
de l'autre sexe. La grossesse et l'accouchement dans certains cas ont complété
la démonstration.
L'autopsie lève tous les doutes en permettant de reconnaître la nature et les
caractères des organes profonds. L'histologie doit ici intervenir avec une étude
minutieuse, qui fait défaut dans quelques observations; la détermination de
l'ovaire et du testicule n'y est pas suffisamment justifiée. 11 existe cependant
des cas où l'examen anatomique a constaté un état mixte, un mélange d'organes
qui rend les conclusions difficiles; elles se fondent alors sur la proportion et
l'importance relative des organes réunis. D'anciens auteurs ont prétendu que
c'était aux parties situées à droite qu'appartenait la prédominance. On recherche
la présence de la prostate, des vésicules séminales, du canal déférent, comme
celle de l'utérus, des trompes et de leur pavillon. Pour expliquer les menstrua-
tions coïncidant avec des organes mâles, on a supposé qu'un ovaire s'ajoutait à
un testicule, ou que la glande contenait à la fois des vésicules de de Graaf et des
tubes séminifères, et qu'ainsi la même glande donnait lieu à des impulsions
sexuelles diverses.
4° Les signes généraux sont physiques et physiologiques. Parmi les premiers,
l'aspect général est à prendre en considération, sans conduire à des conclu-
sions certaines. L'arrêt de développement a pour conséquence d'affaiblir chez
HtRMAPllRODISME (médecine légale). 661
l'homme les caractères de la virilité ; l'inverse s'est produit chez la femme
devenue virago. Les modiûcations qui résultent de l'altération des testicules et
des ovaires sont manifestes, mais un examen attentif décèle bientôt quelques-
uns des caractères du sexe. L'homme ^a conservé sa structure générale plus
solide, ses formes plus accentuées, sa voix plus màie, sa poitrine large, le
svstème pileux qui lui appartient. La femme a ses apparences spéciales, déjà
décrites par Zaccl)ias : « Ilabitus corporis muliebris mollis et delicatus ; vox
« exilis, aniraus demissus et passionibus muliere dignis implicitus ; pili in
« mento, inano, in perinaeo nuUi, mammiE tumidaî et pectus carnosum, capilli
« capitis promixti, tenues, molles. » Dans l'homme efféminé, dans la femme
trop virile, l'attention se portera sur certains signes caractéristiques.
La structure est plus soHde, le corps plus grand, plus musclé chez l'homme,
la tête plus forte et plus ronde, on en prendra les diverses mesures. Le bassin
de l'homme l'emporte par des diamètres verticaux, celui de la femme par des
dimensions horizontales. La pelvimétrie sera employée pour mettre en évidence
les caractères, ainsi que la conformation du pubis et du sacrum. Dans les cas
indécis, l'état du bassin a été variable. Les hermoplu'odiles féminins de Creccliio
et d'Hoffmann avaient un bassin d'homme; l'hermaphrodite 'mâle de Leopold
avait un bassin de femme. L'attention se porte sur les dimensions du thorax,
sur sa forme, sur celle des clavicules et des côtes, sur l'épaisseur du sternum,
sur la largeur des hanches comparée à celles des épaules et plus considérable
chez la femme, sur la forme des cuisses, la direction des genoux, la marche
et l'altitude. Les dimensions du larynx, la saillie du cartilage thyroïde, le timbre
et la force de la voix, fournissent des indices auxquels s'ajoutent l'état des
mamelles, leur volume et notamment la petitesse du mamelon chez l'iiomme,
sans oublier les exemples de développement inverse de ces parties dans les deux
sexes.
Le système pileux a été l'objet d'une attention particulière : la barbe, attri-
but du sexe masculin, est un signe d'une grande valeur, mais elle peut manquer
dans les cas d'atrophie de testicules, et par contre se développer chez la femme
par suite de l'atrophie des ovaires ; ces cas se sont rencontrés dans l'herma-
phrodisme féminin, et même sans altération des organes sexuels ; Chowne
rapporte qu'au moment d'un mariage un doute survint sur le sexe de la femme
parce qu'elle portait au menton une barbe épaisse. La visite constata la réalité
du sexe féminin ; on apprit que depuis l'âge de huit ans celle barbe s'était
développée, sans s'étendre à la lèvre supérieure. L'abondance et la longueur de
la chevelure ne donnent qu'un signe douteux, mais une importance plus grande
a été attribuée aux poils du pubis et de l'anus. Les poils du pubis, dit Casper,
forment un cercle nettement circonscrit chez la femme, tandis que chez l'homme
ils se prolongent jusqu'au nombril, Schullze signale des exceptions à cette règle.
Sur 100 jeunes femmes, il en a vu 5 dont les poils s'étendaient jusqu'à l'ombilic
et il a constaté sur 140 hommes de dix-neuf à vingt-deux ans que les poils dans
54 cas formaient un cercle qui se bornait au pubis. Hoffmann, sur une femme
très-brune, a vu les poils remonter jusque entre les seins. Ruggicri cite un cas
où l'abondance des poils sur le ventre motiva une demande de séparation.
La poitrine velue appartient au sexe mâle, mais avec des exceptions. La pré-
sence de poils autour de l'anus est plus caractéristique du sexe mâle, sans que
le signe soit absolu ; chez l'hermaphrodite Mazzo, reconnu femme à l'autopsie
l'orifice de l'anus était entouré de poils touffus.
l
6G2 HERMAPHRODISME (médecine légale).
Nous avons vu dans un cas d'hermaphrodisme féminin les poils touffus
remonter jusqu'à l'ombilic et quelques poils aussi autour de l'anus. L'âge
influe sur le développement de tous ces signes, et ils deviennent moins caracté-
ristiques. Les femmes, en vieillissant, prennent l'aspect masculin, les seins
disparaissent, la barbe pousse, la voix devient rauque, et au lit, suivant Casper,
on peut facilement les prendre pour des hommes; l'erreur inverse est aussi
possible.
Les signes physiologiques et moraux n'ont pas une moindre importance,
, Divers renseignements sont à prendre en considération. L'hérédité peut fournir
un signe ; la même famille présente plusieurs exemples de ces difformités, dans
un sens analogue. Naegele a observé deux jumeaux hermaphrodites. Deux frères
atteints de ce vice de conformation et en même temps sextidigitaires, observés
par Home, ont été classés par Geoffroy- Saint-Hilaire dans son premier genre
d'hermaphrodisme masculin. Lepechin a aussi constaté l'hermaphrodisme
masculin sur deux frères ; nous avons vu deux sœurs hermaphrodites, l'une de
quarante-six ans, l'autre de soixante, considérées comme filles, mais qui en
réalité appartenaient à l'iiermaphrodisme masculin, avec une conformation iden-
tique, la lésion du scrotum formant un pseudo-vagin, le pénis hvpos|)ade et
arrêté dans son développement, les testicules dans les grandes lèvres. Xous avons
également rencontré deux frères hypospades et deux sœurs hermaphrodites.
L'enquête porte sur les antécédents, l'âge, l'éducation, le genre de vie, les
goûts, les habitudes, les relations, les penchants, les maladies, les accidents,
leur périodicité, les modifications qui se sont produites aux différentes époques
de la vie, notamment à la puberté. On tire parti avec réserve des déclarations
de l'hermaphrodite, de ses confidences, des témoignages de ses parents, des
personnes qui ont eu des rapports avec lui, en tenant compte des motifs d'in-
térêt qui ont pu inspirer ces déclarations. Les habitudes dépendent trop du
genre de vie que l'erreur a imposé pour qu'on puisse en tirer des conclusions
bien positives. « Elevé comme une bile, l'hermaphrodite mâle en a pris et con-
servé la vaine apparence, la timidité, la douceur, le caractère : l'habitude ne
devient-elle pas presque une seconde nature? » (Legrand du Saule.) On cher-
chera à distinguer les penchants innés de ceux qui résultent de la position sociale
et du genre de vie.
Les facultés, les affections, les dispositions morales, subissent l'influence du
genre de vie : « 11 est juste de faire une large part, dit Tardieu, à l'influence des
habitudes et des occupations qu'impose à ces individus l'erreur commise sur
leur sexe réel. Élevés dès l'origine, vêtus, placés, parfois même mariés, comme
des femmes, ils conservent les pensées, les habitudes, les manières d'agir fémi-
nines, et ce n'est ni sans difficulté, ni sans troubles, ni sans péril, qu'ils ren
trent dans leur sexe véritable, quand leur état civil vient à être vérifié. »
Le penchant vers les hommes ou vers les femmes, le goût pour les occupations
masculines ou féminines, sont à prendre en considération, sans oublier les
modifications qu'y apportent les progrès de l'âge et les habitudes de la vie.
L'instinct sexuel fournit des signes importants, bien qu'il soit souvent alle'ré
et indécis comme le sont les organes eux-mêmes. L'inclination vers un sexe
peut révéler le sexe différent. Cet instinct existe, malgré l'atrophie des testi-
cules ou des ovaires, de même qu'il peut précéder chez les enfants le dévelop-
pement de ces glandes. Chez des individus réputés filles, la fréquentation habi-
tuelle des personnes de ce sexe, le fait de coucher dans le même lit, réveillent
IIERMBSTADT. 665
prématurément l'instinct mâle et lui donne toute son activité, à l'âge de la
puberté surtout et parfois au moment où la cryptorclndie cesse. L'instinct n'in-
dique pas toujours le sexe, surtout si les glandes génitales sont peu développées;
un état indifférent peut exister, aussi peu caractérisé que les organes, et des
circonstances particulières le dirigent dans un sens ou dans un autre. Les con-
versations, la manière d'agir, des rêves erotiques, des pollutions nocturnes, les
érections du clitoris ou de la verge, déterminées par la présence d'individus de
tel ou tel sexe, fournissent des indices. Mais la nature masculine ou féminine
ne se révèle pas toujours par un penchant spécial. Certains hermaphrodites se
sont livrés avec entraînement aux deux genres de coït, ayant alternativement
eu le rôle d'homme ou de femme ; plusieurs ont accepté des relations contraires
à leur sexe réel. Rosine Gœttlich, dont l'autopsie a caractérisé le sexe masculin,
déclarait « qu'elle avait exercé le coït comme homme et comme femme, mais
qu'elle préférait la dernière façon à la première. » On a des exemples de ce
bonheur sexuel contraire à la nature; des hermaplirodites, mariés avec des indi-
vidus de leur sexe, ont été cependant heureux en ménage. L'idée d'une sexua-
lité différente a suffi pour exciter l'instinct génital : « non-seulement la nature
vraie de la femme, mais la supposition de cet état, peut attirer et exciter
l'homme. » Maria Arsano, décédé à quatre-vingt-quatre ans, et reconnu homme
à l'autopsie, avait été marié comme femme. Clara Meyer, hypospade et homme
bien caractérisé, avait tenu le rôle de femme et ne se soumettait qu'avec une
pudeur effarouchée à la visite qui dévoila son véritable sexe. Sophie D..., élevée
comme femme, avait subi et exercé le coït dans les deux sens. Marzo, dans
l'observation de Crecchio, avait toutes les habitudes du sexe masculin, son goût
le poussait vers les femmes; il avait contracté deux blennorrhagies dans ses rap-
ports avec des personnes de ce se.^e, et cependant ses organes internes ont
démontré qu'il appartenait au sexe féminin. Une jalousie sexuelle peut exister
malgré l'identité de sexe : dans le cas cité par Torlual, la femme prétendue,
dont le mariage fut cassé parce qu'en réalité elle était un homme, était jalouse
de son mari parce qu'il recherchait les autres lemmes. Bien des tendances fémi-
nines subsistent chez les hermaphrodites masculins, lien était ainsi dans le fait
d'Alexina, élevée comme fille; elle ne changea de sexe qu'avec peine et ne put se
soutenir comme homme. Souvent l'individu ne sait s'il est homme ou femme,
il veut un sexe et il pense et agit en conséquence; l'amour-propie peut le con-
duire à affirmer le sexe masculin. L'état moral est altéré chez ces individus;
quelques-uns sont devenus pédérastes, incubes et succubes; l'homme dégénéré
et la virago prennent des rôles inverses. Dans les recherches sur la secte des
Scoptzys, en Russie, on a noté les excès effrénés de ces hommes mutilés. La
perversion de l'instinct génital devient comme un symptôme psychico-patho-
logique; le sens moral manque, et, suivant la remarque d'Hoffmann, il faut
tenir compte de cet état, lorsqu'un individu de ce genre commet un attentat
contre les mœurs : la responsabilité peut en être atténuée. G. Tourdes.
HERMBSTÂDT (Sigismund-Friedrich). Médecin et chimiste allemand, né
à Erfurt en 1760, mort à Berlin le 22 octobre 1855. Il fut professeur de chimie
au Collège médico-chirurgical de Berlin, à l'Université de cette ville, à l'Ecole
militaire, à l'Académie médico-chirurgicale, etc., membre de la Commission
supérieure des affaires médicales, conseiller intime du roi (1820) et conseiller
supérieur de médecine. Les ouvrages de Hermbstàdt sont très-nombreux. L. Hn.
664 IIERMODACTES.
HERMIlVf:. L'Hermine de Buffon est une espèce de Putois {voy. ce mot) qui
porte dans les catalogues zoologiques le nom latin de Putorius erminea et qui se
trouve dans diverses contrées de l'Europe et même dans notre pays. C'est un
animal de petite taille, mesurant environ 55 centimètres de long et portant en
été une livrée d'un beau marron clair avec le bout de la queue noir et en hiver une
livrée d'un blanc pur avec le bout de la queue toujours coloré comme dans la
belle saison. Sous ce dernier pelage les Hermines sont particulièrement recher-
chées, surtout dans le nord de la Russie, en Suède et en Norvège, et leurs dépouilles
sont l'objet d'un commerce important. Ces fourrures, juxtaposées de manière à
Tornier des bandes sur lesquelles on pique régulièrement des bouts de queue
d'Heimine, servaient naguère encore à doubler des manteaux ou à orner des
robes de professeurs et des magistrats; depuis quelques années elles sont deve-
nues très-rares, et l'on y substitue des fourrures plus communes, et notamment
des dépouilles de lapins blancs et noirs. E. Olstalet.
nERmioXE. Les eaux minérales d'Hermione, en Argolide (Péloponnèse),
très-efficaces contre la gravelle, s'emploient aussi comme remède purgatif. Elles
suintent des parois d'un puits situé à 50 mètres au-dessus du niveau de la mer,
et à la porte de l'église Saint-Anargyros, près d'Hermione (Coytri); ce puits,
d'une profondeur de 8 mètres, est creusé dans le calcaire et dans les serpen-
tines qui renferment des gîtes irréguliers de magnésite. Comme, d'après le
témoignage de Pausanias, le temple d'Esculape d'Haliké, s'élevait près de cette
source minérale à l'est de Masita (actuellement Cranidi), on suppose que l'église
actuelle est construite sur l'emplacement même de ce temple.
Ainsi, il y a 2000 ans cette eau faisait partie des moyens thérapeutiques
d'Esculape ; de même plus tard leurs propriétés thérapeutiques contribuèrent
aux guérisons miraculeuses opérées par les saints Anargyres ; dans l'église, il y
a, en effet, un ancien tableau qui représente des malades puisant de l'eau du
puits, et au-dessus les deux saints faisant des miracles. De plusieurs parties
de la Grèce les particuliers et les établissements publics se procurent de cette
eau pour l'usage interne.
ASALYSE DE LANDERER
Carbonate de .«onde 2,544
— cli.iux I,9ô5
Clitorure de sodium 17,577
Carbonate de magnésium 3,385
Sulfate de soude -4,166
Gaz acide carbonique 5T6",75
Stephanos.
IIERMODACTES. Sous le nom d'IIermodactex les Anciens employaient
beaucoup comme médicament les tubercules d'une plante qui est restée inconnue
jusqu'à présent. Ces tubercules étaient importés du Levant. Ils avaient, paraît-
il, la forme et la grosseur des châtaignes. On les recommandait surtout comme
purgatifs dans le traitement de la goutte et des douleurs articulaires. En Egypte,
au dire de Prosper Alpin, les femmes les mangent au nombre de quinze à
seize par jour pour acquérir de l'embonpoint et sans en être incommodées, ce
qui semblerait indiquer que l'action de ces tubercules si vantée par les Anciens
n'était due qu'aux purgatifs qu'ils avaient la coutume de leur associer.
M. J.-E. Planchon a attribué la production des Hermodactes des Anciens au
HERNANDEZ (Les). 665
ColcUcum vanegalum L.,qui croît dans la région méditerranéenne, notamment
dans les îles de la Grèce (Chio, Cos, la Crête). Mais D. Hanbury considère cette
opinion comme inadmissible. Quoi qu'il en soit, il existe encore aujourd'hui
dans les bazars de l'Inde une sorte d'Her)nodacte, qui est apporté du Kashmir,
mais on ne connaît pas la plante qui la fournit.
Dans le midi de la France, on appelle vulgairement Faiix-Hennodacte le rhi-
zome de Vlris tuherosa L., espèce du sud de l'Europe, pour laquelle Adanson
[Famille des pL, II, 60) a créé le gemu Uermodaclylus, adopte encore par beau-
coup d'auteurs. Ed. Lef.
Bibliographie. — Plawchon (J.-E.). Des Iiermodactes au point de vue botanique et pharma-
ceutique. Thèse de Paris, 1856. — Hanbury (D.). Pharmacogr., 638. — Bâillon. Traité de
botanique médicale, 1884, p. 1405. Ed. Lef.
llER>io\DAVlLLE. Placé par suite d'une erreur typographique à Her-
HOXDAviLLE {voy. cc mot).
HERiV'Al>iDEZ (Les).
Hernandez (Francesco). Médecin naturaliste espagnol du dix-septième siè-
cle. 11 l'ut médecin du roi Philippe 11 et envoyé par lui aux Indes Occidentales
pour y étudier la flore, la faune et la minéralogie du pays. La Bibliothèque de
l'Escurial, à Madrid, possède le manuscrit du travail d'Hernandez, et ce ma-
nuscrit forme, paraît-il, dix-sept volumes in-folio avec dessins. Ilparuten 1615
à Mexico un abrégé en espagnol du manuscrit de Heranndez, abrégé dû au
P. Francesco Ximenez, qui sans doute avait eu l'original entre les mains. Cette
édition a pour titre : Quatro libros de la natiira leza y virtudes de las arbo-
les, plantas y animales de la nueva Espaîia, en especial de la provincia de
Mexico, que se aprovecha la medicina. Mexico, 1615, in-4". Le manuscrit ori-
ginal ayant été acheté par F. Cesi, fondateur de l'Académie des Lyncei de
Rome, fut publié par ses soins de 1648 à 1651, 2 volumes in-folio, avec figures.
Une autre édition, augmentée de pièces inédites, a été publiée par J.-B. Munoz
Casimire Ortega sous le titre : Opéra cum édita, tum inedita. Madrid, 1790,
5 vol. in-fol. Cet ouvrage fit connaître pour la première fois les plantes peu
connues du Nouveau Monde. A. D.
Hernandez (Francesco-Mateo-Baxaxa.no). Médecin naturaliste espagnol, né
à Parenxia, province de i'Estramadure, vivait dans le milieu du dix-septième
siècle. On lui attribue : La noticia intuiliva de todas las actes y Ciencias. Pla-
cencia, 1625. — Desputationes medicse et philosophiez, Grenade, 1619, in-4°.
A. D.
Hernandez (Jeax-Frakçois). Médecin français, né le 26 mai 1769 à Tou-
lon. 11 prit de bonne heure du service dans le corps de santé de la marine, par-
vint au grade de médecin en chef et fut professeur de physiologie médicale et de
clinique interne, tant à Piochefort qu'à Toulon. Il avait été reçu docteur en
médecine à Montpellier en 1814, et mourutretraité à Toulon le 12 juillet 1835.
La plupart de ses ouvrages ont eu, dans leur temps, un certain succès. Nous
citerons les principaux :
I. Mémoire sur l'apoplexie. In Annales de la Soc. de me'd. prat. de Montpellier, 1811,
t. XXIV, p. 395. — II. Essai analytique &ur la non-identité des virus gonorrhéique et
COG HERNIAIRE.
syphiUiirjuc. Ouvrafre couronné Je 3 juillet 1.S10 par la Soc de méd. de Besançon. Toulon,
1812, in-8°. — III. Doutes contre l'opinion qui attribue à la compression du cerveau la
cause prochaine de V apoplexie. Montpellier, 1814, thèse in-4''. — IV. Essai sur le typhus
ousur les fièvres malignes et putrides, bilieuses, muqueuses, jaunes, la peste. Paris, 1816,
in-8°. A. D.
IIERI\A.]\DIA (Plum.). Genre de plantes, rapporté à plusieurs familles diffé-
rentes et qui a donné son nom ù un groupe des Hernandiacées, mais que nous
avons signalé en 1864 comme représentant un type amoindri, dicline, des ///i-
gera, c'est-à-dire des Lauracces. Les fleurs sont monoïques, à double périantlie.
Les mâles ont 5, 4 élamines, et les femelles un ovaire infère à un seul ovule
descendant. Le fruit, sec, entouré du réceptacle ligneux, renferme une grosse
graine à cotylédons ruminés. Les Uernandia sont des arbres de l'Amérique, de
l'Asie et de l'Océanie tropicales, à feuilles alternes, coriaces, à fleurs eu grappes
terminales, composées et cymigères, involucrées et involuccllées. Aublet a fait
connaître, en 1775, que VH. guianensis a des embryons purgatifs qui s'adminis-
trent en émulsion. L'H. sonora L. doit son nom au bruit que fait le vent en glissant
contre l'enveloppe coriace de ses fruits. On le cultive dans nos serres. Ses graines
sont purgatives, non-seulement en Amérique, mais à Java où l'arbie a été intro-
duit. Les fruits ont, comme tant d'autres, reçu le nom de Myrobalans. Aux Antilles
on prépare avec leur cbair sapide et d'odeur suave, dit-on, une liqueur nommée
Mirobalanti. VH. ovigera L. a les mêmes propriétés. H. B\.
BiBLioGnAPiiiE. — Plum., Gen., 6, t. 40. — L., Gen., n. 925. — Lamk, lll., t. 755. — Ekdl.'
Gen., n. 2108. — Meissn., in DC- Prodr., XV, p. I, 262. — Descoubt., FI. mrdic. AntilL, II,
309. — Méb. et DE L., Dict. Mat. méd., III, 487. — Uosesth., Syn. pi. diaphor., 245. —
II. Bn, in Adansouia, V, 188; Hist. des pi., H, 449, 458, 486, lig. 273-278. H. B.s.
HERNIAIRE [Herniaria T.). Genre de Caryophyllacées-Paronychiées, qui
ne devrait peut-être pas être distingué des Paronychia, dont il a la fleur. Le
calice, à peu près nu, est formé de 5 folioles mutiques. L'androcée périgyne est
formé de 3-5 étamines dans les intervalles desquelles se voient tout autant de
petites baguettes, parfois nulles. L'ovaire uniloculaire et uniovulé est surmonté
d'un style court, dont le sommet est 2-fide ou 2-partite. L'ovule est supporté
par un court funicule basilaire. Les Herniaires sont des herbes annuelles ou
vivaces, très-rameuses et couchées sur le sol. Leurs feuilles sont opposée?^
alternes ou fasciculées, de petite taille. Leurs stipules sont variables de forme,
scarieuses. Les fleurs, petites et verdàlres, sont axillaires, en gloraérules, avec
des bractées généralement minimes. 11 y a 7, 8 Herniaires, dans l'Europe
moyenne et méridionale, d;ins l'Asie centrale et occidentale, dans l'Afrique tro-
picale et australe.
La plus connue est la TurqueUe ou Herniole {Herniaria glahra L., Spec, 517) ,
petite herbe commune dans les champs arides de toute la France et à laquelle
on substitue aussi VH. hirsuta L., presque aussi comtnun. C'était un médica-
ment très-réputé contre les maladies des reins, de la vessie, la pierre, les
catarrhes vésicaux et uréthraux. Matthiole croyait encore qu'appliquée sur les
hernies elle les faisait disparaître. On la prescrivait aussi dans le même but
en poudre et en infusion. Il y a des médecins qui ordonnent encore la tisane
d'Herniaire dans tous les cas d'affections des voies urinaires. C'est peut-être
cependant une plante presque totalement inerte, et ce dernier avis est celui de
Bergius, .Spieiraann, Murray, Peyrilhe, etc. llerpin est d'un avis tout contraire :
pour lui, c'est un médicament précieux, un diurétique sûr et puissant, dont les
IIER.MES. 667
effets se manifestent au bout de trente à soixante minutes, sans inconvénient.
Cazin en vante aussi les effets merveilleux « à la dose de 50 grammes pour
une pinte d'eau » ; il la recommande comme hydrayogue dans les cas d'ascite,
d'anasarque. C'est une plante que, d'après lui, « les modernes ont trop légère-
ment exclue » {Tr. prat. pi. médic. indig., éd. 3, 509). Au Chili, d'après
.Molina {Chil., ^20), VUerniaria Piiyes Mol. s'emploie comme stomachique et
antipleurétique. H. Bn.
Bibliographie. — T., Insl., 507, t. 288. — L., Gen., n. 308. — Lamk, Illustr., t. 180. —
DC.,.W/K. Paronych., t. ô; Prodr., III, 367. — Endl., Gen., n. 5198. —Pater, Leç. Fam.
nat., 16. — Benth. et Hook. f., Gen., III, 16. — MÉn. et ne L., Dkl. Mat. viéd., III, 488. —
RosENTH., Syn. plant, diaphor., 696. — H. B.n, Tr. Bot. méd. phanér., 1177; Hist, des pi.,
IX, 95, 106, 121. H. Dm.
HERI\IES EX G£.\ÉRAL. Sï.xoxYMiE. Vieux auteurs français : descentes,
rompures, grevures, hergnes, hargnes, ruptures, efforts (vulgaire) ; italien,
ernia; espagnol, hernia; anglais, Rupture ou Hernia; allemand, Bruche.
Dfkmtio.\. En prenant le mot hernie dans son acception la plus large, on
peut dire avec J. Cruveilhier qu' « une hernie est le déplacement d'un organe
à travers une membrane (pdlui sert d' enveloppe ou de moyen de contention.
Cette définition, dans des termes aussi généraux, comprend tout aussi bien
l'issue des intestins hors de la cavité abdominale que la hernie du cerveau ou
de la moelle hors de leurs cavités osseuses, la hernie du cœur ou du poumon
hors de la cage thoracique, celles des muscles à travers leurs aponévroses d'en-
veloppe. Elle peut désigner aussi toute une série de déplacements que Cruveilhier
a rangés parmi les hernies sous le nom de hernies tuniquaires, c'est-à-dire le
déplacement d'une membrane ou tunique à travers une autre tunique qui la
recouvre. Ce sont les hernies tuniquaires de la vessie, du tube digestif, des
séreuses et des synoviales, celles des veines, des membranes de l'œil (hernies de
l'iris, de la choroïde).
Comme on le voit, en s'en tenant à la caractéristique anatomique, on réunirait
dans une description commune toute une série de lésions essentiellement diffé-
rentes par leur nature, leur mécanisme et leurs symptômes, et qui n'ont entre
elles qu'un seul lien commun : le déplacement à travers une membrane limi-
tante. Aussi est-il de beaucoup préférable de renvoyer le lecteur aux différents
articles ayant trait à la description des maladies particulières à chaque organe,
nous réservant de traiter seulement ici les hernies abdominales.
lien sera, du reste, de même pour un autre groupe d'affections dont Cruveilhier
a fait la seconde classe de hernies : je veux parler des hernies aqueuses, tumeurs
formées par une poche séreuse ou sac herniaire appendice d'une cavité splanch-
nique, laquelle poche est remplie d'eau au lieu de Vêtre par un viscère
déplacé. Ce sont : l'hydrocèle crânienne, le spina bifida simple, les hernies
aqueuses abdominales et l'hydrocèle congénitale. Quant aux hernies abdominales,
qui, ainsi que nous venons de le dire précédemment, forment uniquement
l'objet de notre étude, elles doivent être définies de la manière suivante.
On donne le nomde/ier?u'esn&f/o?Jima/es aux tumeurs que forment les viscères
contenus dans l'abdomen en s'échappant au travers des parois de cette cavité.
Cette définition que nous empruntons au professeur Duplay {Traité de patho-
logie) est encore trop compréhensive, car elle désigne aussi bien les hernies
traumatiques que les autres : or il est un grand nombre de ces dernières que
6G8 HERNIES.
nous devons distraire de notre travail : ce sont celles qui se font à travers une
plaie récente des parois abdominales. Dans ce cas la hernie n'est que la compli-
cation la plus importante de la plaie qui lui a donné naissance, et non une affec-
tion spéciale : aussi est-il naturel de renvoyer le lecteur à l'article Plaies de l'ab-
domen oii ce sujet est plus spécialement traité.
Pour bien limiter le terrain qui doit nous appartenir en propre, il nous res-
terait encore à savoir si nous devons ranger les évenlrations. parmi les hernies.
La définition même de l'évenlration montre la nature différente de cette
lésion. Cruveilhier la définit ainsi : les déplacements qui résultent du relâche-
ment ou de la dilatation avec amincissement des parois abdominales. Il n'y
a donc pas véritablement hernie, c'est-à-dire issue des viscères hors de la cavité
qui les contient normalement, à travers un orifice accidentel ou naturel. C'est
la paroi elle-même qui s'amincit, qui cède et se laisse déprimer sur une certaine
étendue; le viscère est toujours contenu dans sa cavité ordinaire, c'est celte
cavité seule qui change de forme, il n'y a ni anneau ni issue. Cette seule défi-
nition suffirait à trancher la difficulté, si Cruveilhier lui-même ne rangeait parmi
les éventrations congénitales un certain nombre de hernies de l'ombilic décrites
par les autres auteurs comme de véritables hernies. Quoi qu'il en soit, et en
faisant peut-être une réserve à propos de certaines hernies congénitales, nous
devons d'une façon générale séparer les hernies des éventrations.
Nous nous bornerons donc ici à étudier seulement les hernies abdominales,
si nombreuses et si diverses d'aspect, mais qui cependant méritent d'être réunies
dans une étude générale, tant leur mécanisme, l'ensemble de leurs symptômes,
la nature et la maiche de leurs accidents, ont des points communs. Cette étude
des hernies en général ne fera du reste que préparer le lecteur à la lecture des
articles spéciaux consacrés à chaque hernie en particulier.
Classification des heiîmes. 11 existe un grand nombre de hernies abdomi-
nales différentes, je dirais même de classification des hernies. Elles sont variables
suivant leur contenu, suivant leur cause, suivant leur siège. C'est surtout cette
dernière classification qui est universellement adoptée, et avec juste raison, car
c'est d'elle que peuvent se déduire, pour le chirurgien, une description métho-
dique et des indications thérapeutiques spéciales.
Toutes les hernies en effet ont un contenu à peu près analogue : le plus sou-
vent elles renferment de l'intestin et'de l'épiploon, quelquefois de l'intestin seul,
quelquefois au contraire seulement de l'épiploon. Les premières sont désignées
sous le nom à" entéro-épiplocèles, les secondes d'enlérocèles, les dernières à'épi-
plocèles pures ou hernies épiploiques. Dans d'autres cas, la hernie peut conte-
nir un organe, dont l'issue est pour ainsi dire exceptionnelle : delà, les hernies
de Vest077iac, de la vessie, du csecum, de la rate, de V ovaire, etc.
Quant à la division étiologique des hernies, elle comprend trois grands groupes
dont nous aurons à parler, qui diffèrent par le mécanisme de leur cause pre-
mière : ce sont les hernies traumatiques, les hernies congénitales et les
hernies spontanées o\i ordinaires. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut
nous devons rejeter de notre description une partie des hernies traumatiques,
celles qui sont constituées par l'issue d'un organe viscéral à travers une plaie
récente.
La division des hernies suivant leur siège nous montre, par leur nombre
même, que l'issue des viscères à travers les parois de l'abdomen peut se faire
par un nombre relativement considérable de points différents. Comme ces parois
HERNIES. 669
abdominales présentent un certain nombre d'orifices naturels ou de points
faibles, il est tout naturel que ce soit par ces orifices pre'existants que les viscères
cherchent surtout à s'échapper de la cavité destinée à les contenir : de là les
hernies inguinales, crurales, ombilicales, obturatrices, pour celles qui ont lieu
à travers la paroi antérieure de l'abdomen. La paroi postérieure, plus résistante,
ne présente qu'un seul point faible, le triangle décrit par J.-L. Petit, entre le
grand dorsal, le carré des lombes : il donne naissance à la hernie lombaire ou
hernie de J.-L. Petit. La paroi supérieure, formée par un seul muscle, le dia-
phragme, peut par certains points laisser passer les viscères, ce seront les hernies
diaphragmatiques. Enfin la paroi inférieure de la grande cavité abdomino-pel-
vienne, formée par une sorte de plancher musculaire, le périnée, qui est traversé
par la fin du tube digestif et les organes génitaux, permet aussi la formation
de quelques hernies : la hernie périnéale, qui passe chez l'homme entre le
rectum et la vessie, chez la femme entre le rectum et l'utérus ; la hernie vagi-
nale qui vient faire saillie chez la femme dans l'intérieur du vagin, et enfin la
hernie ischiaiique lorsque les viscères s'échappant du bassin à travers l'échan-
crure sciatique, en suivant le trajet même du grand nerf sciatique, viennent
apparaître au niveau de la fesse.
A côté de ces variétés il en est un certain nombre d'autres qui se produisent
surtout à travers des orifice* accidentels. Ceux-ci sont d'abord des trajets
vasculaires trop petits à l'état normal pour laisser les viscères s'engager dans leur
intérieur, comme dans les hernies épigastriqiies, les hernies de la ligne blanche
ou les hernies latérales, dénommées encore hernies de la ligne semi-lunaire
d'Astley Cooper, hernies ventrales, laparocèles. Cette dernière variété désigne
l'issue des intestins au niveau de la ligne courbe, formée par l'insertion anté-
rieure des fibres du muscle transverse sur son aponévrose. Il faut encore, et à
plus juste titre, ranger parmi les orifices accidentels ceux qui, succédant à des
traumatismes, sont dus à l'éraillement des cicatrices plus ou moins anciennes.
Ils peuvent alors siéger sur n'importe quel point des parois abdominales. Ce sont
les hernies traumatiques. Quelquefois même ces orifices peuvent se trouver en
dehors des limites de l'abdomen. Telles sont les hernies intercostales abdomi-
nales de Cruveilhier, dont il n'existe que quelques rares observations.
Enfin il peut y avoir aussi des hernies internes, c'est-à-dire des hernies qui se
forment par l'issue de l'intestin en dehors de la grande cavité séreuse périto-
néale, tout en restant contenues à l'intérieur de l'abdomen. Telles sont : la hernie
mésente'rique d'Astley Cooper, dont nous ne connaissons que deux observations,
et qui désigne le passage des viscères entre les deux feuillets péritonéaux du
mésentère, et la hernie mésocolique, dont le même auteur a rapporté une obser-
vation dans laquelle l'intestin grêle était contenu en entier dans une poche
formée par la séparation des deux feuillets du mésocôlon. Telle est encore la
hernie intr a-iliaque, dans laquelle les viscères s'engagent au-dessous du fascia
iliaca dans l'intérieur de la fosse iliaque interne.
Mais ce sont là de véritables curiosités pathologiques dont on ne connaît
qu'un très-petit nombre d'exemples, des trouvailles d'autopsie dont il faut con-
naître l'existence, mais qui ne doivent pas autrement nous arrêter. D'ailleurs, de
toutes ces variétés de hernies trois seulement sont fréquentes et constituent les
hernies communes : ce sont les ombilicales, les crurales et les inguinales. Ce
sont surtout celles que nous aurons en vue en décrivant les hernies en général.
Les autres, telles que les hernies diaphragmatiques, les hernies obturatrices, les
«70 HERNIES.
hernies ventrales, etc., constituent des espèces rares dont on trouvera surtout
la description aux articles qui leur sont destinés (voy. Hernies diaphragma-
tiques. Hernies obturatrices. Hernies ventrales) et dont nous aurons peu à
nous occuper ici.
Êtiologie. a. Causes prédisposantes. Les hernies constituent une des affec-
tions les plus communes et les plus re'pandues, et leur production tient à un
certain nombre de circonstances prédisposantes qui méritent d'être étudiées
avec quelque détail.
Fréquence. Leur fréquence est telle que l'on a cherché à plusieurs reprises
à établir quel était le rapport des sujets hernieux avec la population. Les pre-
mières recherches sur ce sujet remontent au siècle dernier. Elles sont dues à
<i. Arnaud qui, examinant 1000 soldats de l'armée anglaise de seize à quarante
ans, en trouva 90 affectés de hernies. En prenant ce chiffre pour base de ses
calculs, il crut pouvoir affirmer que le i/8 de la population était atteint. En
France, l'Académie de chirurgie trouva ce chiffre trop élevé et mit ce sujet à
l'étude. Deux de ses membres, Bordenave et Louis, entreprirent des recherches
sur ce point. Bordenave établit qu'il n'existait guère que 1 hernie sur 100 habi-
tants. Louis trouva à peu près la même proportion sur les pensionnaires de
Bicêlre, de la Salpètrière, les hivalides et les enfants qui étaient alors à l'hôpital
de la Pilié. Si la proportion établie par Arnaud était trop forte, les chiffres de
Louis et de Bordenave paraissent trop faibles : d'ailleurs, leurs recherches ne
portant que sur des âges extrêmes étaient, par cela même, entachées d'erreur. De
Juville quelques années plus tard adopte de nouveaux chiffres. Pour lui la
proportion varie suivant les différents pays. En Allemagne et dans le nord de
l'Europe les sujets porteurs de hernie formeraient le d/50 de la population,
le 1/15 en Italie et en Espagne, le 1/20 en France et en Angleterre. Turnbull
•et Scheldrake en Angleterre adoptent les chiffres de 1/15 et l/IO, et l'ancieune
Société des bandages de Londres déclare à la même époque que le 1/15 de la
population environ est atteint de hernie. Les recherches de Malgaigne lui per-
mettent d'affirmer que ces chiffres sont exagérés : pour lui, en France, il y
aurait un rapport de 1/20,5. Enfin, les derniers chiffres que nous ayons à citer,
à cet égard, sont ceux de Boudin, qui sont fournis par les statistiques du recru-
tement militaire. 11 a fait le relevé des exemptions pour hernie, depuis 1851
jusqu'en 1855. Sur 100 000 examinés chaque année il a trouvé une moyenne de
2104 hernieux par an. Mais ce chiffre n'est qu'une moyenne, et il peut y avoir
des écarts très-considérables entre les différentes années, puisqu'on en constate
2527 en 1855 et 1616 en 1852.
Ces recherches d'ensemble, portant tantôt sur une seule classe de la popula-
tion, tantôt sur des sujets d'un âge déterminé, et d'un seul sexe, ne peuvent
donner que des résultats erronés, car toutes les conditions de sexe, d'âge, d'état
social, etc., sont autant de causes prédisposantes dont il faut examiner la
valeur, l'importance et la signification.
Sexe. Les deux sexes ne sont pas également disposés aux hernies. Celles-ci
sont beaucoup plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes, mais les
auteurs ne sont pas tous d'accord sur la proportion qui existe entre les deux sexes.
Louis avait établi qu'il y a deux hommes hernieux pour une femme. Pour
Monnikeff (d'Amsterdam), la proportion serait de 3 hommes pour 1 femme, et
pour Mathey (d'Anvers), de 4 hommes pour une femme. Jules Cloquet, qui pen-
dant ses fonctions de prosecteur à l'École pratique a disséqué 457 hernies, en a
HERNIES. 671
trouvé 507 chez des hommes et 150 chez des femmes, ce qui donnerait à peu
près la proportion de deux hommes pour une femme. Malgaigne, qui avait
examiné environ 500 hernieux, conclut à une prédominance plus marquée du
sexe masculin. II croit qu'il y a environ 4 hommes pour 1 femme. La statistique
la plus étendue est celle qui a été publiée par la Société des bandages de
Londres en 1865. Sur 96,886 bandages que cette société a distribués 78,591 ont
été donnés à des hommes, 18,492 à des femmes. Ces chiffres indiqueraient une
proportion de 5 hommes pour 1 femme. Pour Kingdon, ils ne sont pas aussi
rigoureusement exacts qu'ils le semblent à première vue. Il croit que les
hommes, exposés par leurs travaux à user davantage et à casser leurs bandages,
peuvent se représenter plus souvent devant la Société, tandis que les femmes au
contraire ont moins de tendance à revenir changer le leur : aussi la statistique
établie seulement sur le chiffre des bandages distribués ne correspond pas exac-
tement au nombre vrai des hernies. II serait porté à croire que la proportion de
2 hommes pour I femme, établie par Louis et par Cloquet, se rapproche davan-
tage de la vérité. Du reste, ainsi que le fait remarquer le professeur Gosselin, ce
ne sont pas les statistiques des hernies étranglées qui peuvent donner des rensei-
gnements bien précis, car l'étranglement s'observe à peu près aussi souvent
chez les femmes que chez les hommes. Seules les recherches sur les hernies
réductibles peuvent donner des résultats satisfaisants.
Age. Les hernies peuvent se montrer à toutes les époques de l'existence,
cependant leur fréquence est variable aux divers âges, à cause des conditions
liées précisément à la période de vie où elles paraissent. L'influence de l'âge sur
la production des hernies a été surtout bien étudiée par Malgaigne.
C'est surtout au voisinage de la naissance, pendant la première année, que les
hernies se montrent le plus souvent. Chez beaucoup d'enfants la lésion existe au
moment de la naissance, chez d'autres elle se produit pendant les premiers
mois. D'après Malgaigne, il y aurait chez les enfants au-dessous d'un an une
proportion de 1 hernie sur 52 enfants. Cette fréquence considérable s'explique
par ce fait que, chez beaucoup de ces petils sujets, la hernie est hée à une sorte
de vice congénital, de retard dans l'achèvement des parois abdominales. Les
anneaux ne sont pas encore suffisamment développés ni comme dimension, ni
comme résistance, aussi les premiers efforts, les premiers cris, provoquent la
sortie des viscères, et cela surtout chez les enfants nés avant terme. J'ajouterai
que dans cette première période la proportion est beaucoup plus considérable
chez les garçons que chez les filles. D'après Malgaigne il y aurait chez les pre-
miers 1/58 d'enfants atteints, et seulement 1/62 pour les secondes. Cette prédo-
minance si marquée du sexe mâle est incontestablement duc aux phénomènes
qui accompagnent la migration du testicule, puisque souvent la glande génitale
ne descend dans les bourses qu'après la naissance, et l'oblitération du conduit
péritonéo-vaginal ne se produit qu'au bout de quelques mois.
Du reste, à mesure que l'on s'éloigne du début de la vie, la proportion décroît
assez rapidement. Elle diminue déjà entre un et deux ans, elle baisse bien plus
rapidement encore entre deux et cinq ans. Cette diminution des hernies à
mesure que l'enfant augmente en Tige s'accentue progressivement jusque vers
la treizième année. C'est vers cette période que se trouve la proportion minima
des hernies de toute la vie. C'est l'époque comprise entre huit et neuf ans qui,
au dire de Malgaigne, fournit le moindre nombre des hernies; pour Gosselin, au
contraire, c'est l'espace compris entre dix et treize ans. En effet, en ce moment
67-2 HERNIES.
les hernies du premier âge semblent no plus pouYoir se produire, car le déve-
loppement des parois abdominales est terminé, et l'enfant ne se livre pas encore
aux jeux qui s'accompagnent d'efforts violents et qui, par cela même, peuvent
engendrer de nouvelles hernies. 11 faut en outre savoir que ces hernies du pre-
mier âge guérissent facilement par la simple application d'un bandage et que
d'autre part la mortalité, liée à d'autres causes et si considérable dans les pre-
mières années, concorde encore à diminuer le nombre des petits malades.
A partir de ce moment la proportion se relève, et les hernies deviennent plus
fréquentes à mesure que le nombre des années augmente. Aux environs de la
vingtième année, la proportion varie suivant les sexes, la prédominance devient
plus marquée chez la femme, ce qui peut tenir aux modifications dues à la
puberté, au travail de la grossesse et de l'accouchement, qui créent des condi-
tions propices à la sortie des viscères.
L'âge adulte est plus disposé à voir survenir les hernies que la seconde
enfance et l'adolescence, et la proportion semble plus forte en faveur des
hommes que des femmes dans cette période. Le nombre augmente et s'accroît
proportionnellement à l'âge ; ce qui s'explique par l'existence des travaux de
force, des métiers pénibles exigeant des efforts considérables et répétés. La
marche de cette proportion semble indiquée d'une façon assez précise par la
statistique suivante que nous empruntons à Malgaigne. Sur 300 malades atteints
de hernie, examinés aux différentes périodes de la vie, il en a rencontré :
De 10 à 20 ans 24
20 à 30 ans io
50 à 40 ans 66
40 à 80 ans 163
On voit donc que le nombre des hernies augmente à mesure que les sujets
avancent en âge. Cet accroissement tient à plusieurs causes. D'abord, comme la
hernie survenue dans l'âge adulte est difficile à guérir, beaucoup de vieillards
atteints de l'affection la portent depuis un grand nombre d'années ; ensuite l'âge
mùr et trop souvent le début de la vieillesse sont soumis aux mêmes rudes tra-
vaux, aux mêmes métiers de force que l'âge adulte, partant aux mêmes causes.
Mais elles deviennent plus efficaces encore, car leur action est facilitée par l'amai-
grissement, le relâchement, l'affaiblissement des parois abdominales, qui sont les
apanages de la vieillesse. Enfui les vieillards sont, plus que les autres hommes,
sujets à certaines affections de la poitrine, comme la bronchite chronique, par
exemple, ou à certaines maladies des voies urinaires, comme l'hypertrophie delà
prostate, qui provoquent des efforts constants et répétés, soit de toux, soit de
miction, facilitant encore l'issue des viscères hors de la cavité abdominale.
D'ailleurs la proportion des hernies chez les vieillards est encore plus consi-
dérable que ne l'indiquent les chiffres que nous avons cités précédemment. Si
l'on réfléchit, en elfet, que, à mesure que l'on avance en âge, la mortalité pro-
gresse d'une manière très-rapide, le nombre des hernieux; par rapport à l'effectif
de la population à chaque âge augmente considérablement. Aussi, tandis que
de cinq à treize ans la proportion des hernieux était de 1/17 de la population,
elle devient entre soixante-dix et soixante-quinze ans de 1/3 environ pour la
population mâle, suivant les recherches de Malgaigne. Kingdon, qui a contrôlé,
d'après les rapports de la Société des bandages de Londres, les chiffres précé-
dents, conteste certains résultats : il soutient que le plus grand nombre des
hernies existe avant l'âge de trente-cinq ans, mais il établit, lui aussi, que le
HERNIES. 6Td
rapport des hernies avec l'effectif de la population augmente d'autant plus que
l'on s'avance davantage dans la vieillesse.
Conditions sociales. Pauvreté. Misère. La condition sociale du sujet
paraît avoir une certaine influence sur la production de la liernie. 11 est prouvé
que, dans l'âge adulte, elles sont plus fréquentes dans les classes pauvres que
parmi les gens riclies. C'est encore à Malgaigne que nous devons cette notion.
Pour éclaircir ce fait, il a recherché les relevés du recrutement à Paris de
1816 à 1829. lia pu voir ainsi que dans les arrondissements habités par la
population riche il y avait environ 1 hernie sur 38 conscrits, tandis qu'au
contraire, dans les arrondissements pauvres, la proportion est de 1 sur 28. Du
reste, cette fréquence plus grande des hernies dans les populations ouvrières
n'est pas spéciale à Paris et aux grandes villes. Le même auteur a fait les mêmes
recherches sur les habitants de la campagne, sur les paysans des environs de
Paris, et il a trouvé chez eux 1 hernie sur 50 conscrits, proportion à peu près
semblable.
Pour expliquer celte prédominance des hernies parmi les gens pauvres, le
docteur Amen, dans sa thèse parue en 1856, invoque surtout la nourriture
presque absolument végétale qu'ils ont l'habitude de prendre. Il croit que
l'usage à peu près exclusif des légumes et la privation habituelle de la viande
peut produire, chez ceux qui suivent ce régime, une ampliation du tube intes-
tinal et principalement de l'intestin grêle analogue à celle qui existe normale-
ment chez les animaux herbivores. Par suite cet intestin, plus long que de
coutume, aurait une plus grande tendance à sortir de l'abdomen à travers les
oriflces naturels. Ce n'est là qu'une hypothèse, ingénieuse, à la vérité, mais
qui ne s'appuie sur aucun fait précis, qui n'est vérifiée par aucun examen ana-
tomique. Nous ne l'avons rapportée que par curiosité.
L'influence de la misère et des privations sur la production des hernies doit
s'expliquer autrement. Elle paraît due à la débilité des muscles des parois
abdominales, à la maigreur de ces parois et par suite à l'absence de graisse
entre les trousseaux fibreux de leurs plans aponévrotiques. Il est probable enfin
que l'exagération des travaux corporels pénibles, surtout dévolus aux gens peu
fortunés, est une des principales causes de la production des hernies chez les
pauvres.
Professions. Aussi, c'est par l'étude de l'influence des professions que
doivent naturellement se compléter les notions que nous venons d'acquérir. Il
est depuis longtemps reconnu que les professions pénibles, les métiers qui
exigent des efforts constants et répétés, ont une influence considérable sur la
formation des hernies. Nous verrons plus loin quel rôle considérable joue l'effort
dans le mécanisme de la hernie; il est donc tout naturel que l'exercice d'une
profession nécessitant des efforts fréquents constitue une des plus importantes
parmi les causes [irédisposantes. Malgaigne avait conclu de ses recherches que
c'étaient surtout les professions que l'on pratique dans la station debout qui
disposaient aux hernies. On devait donc principalement les rencontrer chez les
journaliers, les portefaix, les maçons, etc. Mais il est difficile de déterminera ce
sujet des chiffres exacts, car ils devraient être complétés par une statistique
complète du nombre des membres de chaque profession pour avoir une véritable
signification. Or nous ne possédons pas cette sorte de recensement professionnel.
Le travail le plus complet qui existe sur ce point particulier est celui de Kingdon,
qui a relevé sur les registres de la Société des bandages de Londres pour les
BICT. E«c. 4* s. XIU. 45
674 [HERNIES.
années 1859, 1860, 18C1, la profession de tous les malades auxquels la Société
a délivré des appareils. Ces recherches sont résumées dans le tableau suivant :
TABLEAU DE KINGDON (tRUSS SOCIETY)
Ordre DD RECENSEMENT DE 1851. 1859. 18$0. 1861.
Garçons de ferme > 171 175
Fermiers 776 553 754
Cordonniers et bottiers 38 53 12
Charpentiers et menuisiers 173 178 99
Tailleurs 20 33 28
Domestiques (hommes) 101 176 151
Ouvriers en soie 63 71 58
Forf;crons 48 51 63
Maçons et paveurs » 18 >
Commissionnaires 178 410 351
•lardlniers 65 119 114
liriquetiers » » 49
noudiers.. . 53 52 52
Peintres et plombiers 33 45 50
Coulansers 33 69 52
Cliarreliers 75 87 82
Courtiers de commerce. ... ... 29 30 65
Employés de bureau » 1 4
Bateliers • 44 35
Scieurs-de-long 35 34 29
Colporteurs 53 57 37
Charrons 10 » 1
Ingénieurs 56 51 42
Tonneliers., 20 32 23
En examinant ce tableau, on volt que les catégories les plus chargées sont,
par ordre décroissant, les fermiers (ou travailleurs de la campagne), les commis-
sionnaires, les charpentiers et menuisiers, les domestiques mâles, les jardi-
niers, les charretiers, les forgerons, les ouvriers en soie, les bouchers, les col-
porteurs, les scieurs-de-long, etc. Il en résulte donc que la plupart de ces
professions, à part peut-être celle des ouvriers en soie, demandent un dévelop-
pement de force musculaire considérable. On pourrait aller plus loin dans ces
recherches et examiner l'influence de l'attitude pendant le travail; cette question
a été surtout débattue à propos des hernies inguinales. D'après Malgaigne, les
déplacements de viscères seraient surtout facilités par les efforts faits dans une
position telle que les membres inférieurs soient dans l'abduction, les cuisses
étant à demi fléchies par rapport au bassin. D'après Thompson et Richet, ce
serait surtout l'adduction qui relâcherait l'anneau externe, et aucune position,
suivant Richet, n'aurait d'influence sur les dimensions de l'anneau inguinal
profond. « S'il eu est ainsi réellement, ajoute M. Ledentu, l'influence des attitudes
sur la production des hernies serait nulle ; elles n'agiraient que sur les hernies
ayant déjà dépassé cet orifice profond et déjà engagées dans le canal. »
Climats et pays. On a prétendu que les hernies se rencontraient plus nom-
breuses dans certains climats que dans d'autres. Elles seraient plus fréquentes
dans les pays chauds. L'Egypte, Malte et surtout le cap de Bonne-Espérance,
sont cités parmi les pays oià l'on observe le plus souvent cette maladie. D'après
le chirurgien anglais Knox, les hernies se produisent si fréquemment parmi les
habitants du Cap que l'on est obligé de ne pas considérer cette affection comme
une cause d'exemption du service militaire pour ne pas rendre le recrutement
trop difficile. Cependant cette action particulière des pays chauds n'est pas
aussi absolument prouvée qu'il le semble au premier abord : ainsi les hernies
sont plus nombreuses en Hollande et en Angleterre qu'en France ; elles sont très-
HERNIES. 675
fréquentes aussi en Suisse. Du reste, sans sortir de notre propre pays, elles
paraissent inégalement distribuées sur tous les points du territoire. D'après
Malgaigne, qui s'appuie surtout sur les "résultats du recrutement militaire, on
rencontrerait le plus grand nombre de conscrits atteints de bernie dans les dépar-
tements du centre ; au contraire, elles seraient plus rares dans les départements
qui avoisinent la frontière et dans ceux du littoral ; c'est en Bretagne qu'existe
le minimum observé. Les mêmes recherches faites par Boudin en 1857 ont
donné des résultats un peu différents de ceux de Malgaigne. Gomme lui, Boudin
avait observé la rareté des hernies chez les Bretons, mais à l'encontre de Mal-
gaigne il a trouvé qu'elles sont presque aussi rares parmi les habitants du
plateau central. Au contraire, il y aurait le long du littoral de l'Océun deux
zones où se trouvent les maxima des conscrits hernieux, l'une qui peut être
placée entre la Dordogne et la Loire, et la seconde au nord de la Loire, entre ce
dernier fleuve et la Seine.
On a essayé d'expliquer cette inégale distribution des hernies suivant les pays;
on a tour à tour invoqué les différences de configuration du sol, suivant qu'il est
plat ou montagneux, et les habitudes des habitants. 11 n'y a là rien de bien
précis. Pour les uns, les pays de montagnes verraient se produire un plus grand
nombre de hernies : c'est jiourquoi celles-ci s'observeraient surtout en Ecosse et
dans le pays de Galles pour l'Angleterre, et dans les cantons alpins de la Suisse,
d'après Richter et Blumenbach. D'un autre côté, Malgaigne affirmait que cette
affection se montrait davantage dans les pays plats, dans les plaines du centre
de la France, dans celles de l'Artois et des Flandres. Il attribue du reste plus
d'influence aux habitudes, à l'alimentation, à la manière de vivre. Ainsi, pour les
Flamands, l'absence d'exercice, la nourriture forte et l'usage de la bière amenant
un embonpoint exagéré et des chairs molles, devraient être plus incriminés
que les conditions du climat ou la disposition du sol.
Race. Ce serait surtout par les différences de races que devrait, au diz*e de
Malgaigne, s'expliquer cette inégale répartition des hernies suivant les pavs. Ainsi,
pour ce qui regarde seulement la France, ce serait surtout la race celtique qui
«erait sujette aux hernies; les races normande, kymrique, ibère, et surtout la
race bretonne, y seraient beaucoup moins prédisposées. Il est difficile de vérifier
ces affirmations. En effet, il faudrait pour cela savoir si ces races diverses pré-
sentaient des difterences dans la configuration de leur parois abdominales, le
degré d'ouverture de leurs anneaux ou la résistance de leurs muscles, et nous
n'avons aucune donnée à ce sujet. De plus, si primitivement les races énumé-
rées ci-dessus ont habité des parties différentes de notre pays, il v a eu, depuis
cette époque, un tel mélange et de si nombreux croisements, qu'on ne saurait
rencontrer nulle part chez nous les descendants d'une race pure, puisque ces
croisements ont fait disparaître, si elle a jamais existé, l'influence prédisposante
de telle ou telle origine.
Cette question de race ne pourrait être utilement étudiée qu'à propos de la
fréquence comparée des hernies chez les nègres et chez les blancs. Mais nous
manquons à ce sujet de documents précis, et les auteurs qui se sont occupés
de la question sont divisés. Ainsi, d'après Knox, les hernies seraient moins
fréquentes dans la race nègre que dans la blanche; pour Marshall, ce serait le
contraire. Cependant nous savons que la fréquence des exomphales chez les
enfants nègres paraît aujourd'hui prouvée par les travaux de Marshall et par
•ceux de Fortineau (de la Louisiane) et de Lesniei- (de File Bourbon).
670 HERNIES.
Avant d'arriver à étudier les causes prédisposantes individuelles et sans sortir
de réliologie générale, nous devons rechercher si toutes les variétés de hernie
sont également fréquentes, et quel est le côté du corps qui est le siège préféré
de cette lésion.
Fréquence suivant les variétés. Les hernies ne sont pas toutes également
fréquentes. Dans l'énumération que nous avons faite précédemment, nous avons
vu que certaines d'entre elles constituaient de véritables raretés pathologiques,
comme la hernie mésocolique, la hernie mésentérique et même la hernie péri-
néale, et les ischiatiques ; que d'autres, tout en en étant mieux connues, étaient
cependant assez rares, comme, par exemple, les hernies lombaires, diaphragma-
tiques et obturatrices ; et qu'enfin, on désignait seulement sous le nom de hernies
communes celles qui se font par l'anneau ombilical, le trajet inguinal ou le
canal crural. Même parmi ces trois espèces on trouve d'assez grandes difie-
rences.
La hernie ombilicale est celle qui se rencontre le moins souvent des trois,
elle paraît un peu plus fréquente chez la femme adulte que chez l'homme,
mais on l'observe beaucoup moins que les hernies crurales ou inguinales. C'est
à propos de ces deux dernières variétés que des recherches comparatives ont
été faites. La statistique la plus complète est celle qui a été publiée en Angle-
terre en 1(S55 par Bryant, et qui a été rapportée par Le Dentu dans son excel-
lent article Hernie du Nouveau Dictionnaire de médecine et de chirurgie pra-
tiques.
Sur 95 355 cas formant l'ensemble de cette statistique on en trouve 46 551 ingui-
nales simples ou unilatérales pour 7452 crurales, soit 1 crurale pour 624 ingui-
nales. Sur 50 575 hernies doubles, il y en a 28 505 d'inguioales et 1992 de
crurales, ce qui donne le rapport de 1 cas de hernie crurale double pour
1425 d'inguinales doubles. L'addition des deux groupes de chiffres donne
75 054 inguinales simples ou doubles pour 10 425 crurales doubles ou simples,
le rapport est de 1 cas de hernie crurale simple ou double pour 7,19 d'in-
guinales.
« Nous n'oserions donner ces chiffres comme absolus, dit Le Dentu, mais les
résultats d'une statistique de 93 555 cas doivent être bien prés de la vérité. »
D'ailleurs, il est plus intéressant de pousser plus loin cette étude et de
recliercher quelle est la fréquence de chaque variété pour l'un et l'autre sexe.
Alors les proportions deviennent fort différentes.
Ainsi, d'après les relevés de la Société des bandages de Londres en 1855, il y
aurait chez l'homme 1 hernie crurale pour 75 inguinales, et chez la femme au
contraire 1 inguinale pour 46 crurales. Ces chiffres, qu'il ne faudrait pas prendre
comme des résultats absolus, puisque la proportion peut être, comme nous
allons le voir, modifiée beaucoup pour une autre période d'une année, ne sont
pas d'accord avec les affirmations de tous les auteurs. Il est certain que chez
l'homme la hernie crurale est rare par rapport à la hernie inguinale ; il est
tout aussi prouvé que chez la femme la hernie inguinale est beaucoup moms
fréquente que la crurale. Malgaigne seul est de l'avis contraire, au moins pour
ce qui concerne la femme; il croit que dans le sexe féminin les hernies ingui-
nales seraient encore plus nombreuses que les crurales, tout eu étant néanmoins
beaucoup moins fréquentes que chez l'homme. Cependaut on peut opposer a
cettte affirmation non-seulement les chiffres cités plus haut, mais encore ceux
qui sont donnés par Kingdon, dont ^on connaît la compétence et les qualités
HERNIES. 677
d'observation. Voici les résultats basés sur les relevés de la Truss Society (1865).
Chez les hommes, il a trouvé 4950 inguinales pour 150 crurales, soit 1 crurale
pour ô2 inguinales.
Chez les femmes, 401 inguinales pour 416 crurales, soit à peu près autant
des deux variétés. Ce serait là, au dire de Le Dentu, la proportion qui paraît la
plus vraisemblable, bien qu'il soit difficile d'accepter ces résultats comme
rigoureusement exacts.
Côté atteint. Depuis longtemps, tous les auteurs ont admis que les hernies
étaient beaucoup plus souvent observées du côté droit que du côté gauche. 11
est bien entendu que les recherches à ce sujet ne portent que sur les hernies
inguinales et crurales. Par leur siège même les hernies ombilicales se trouvent
en dehors de cette discussion. Les hernies droites sont plus fréquentes que les
autres dans la proportion de 7 à 4 ou 5.
La cause de celte prédilection pour le côté droit est diversement expliquée.
Pour Schenkius, elle tiendrait à la présence du foie à droite; pour Martin, à l'in-
clinaison vers ce même côté de l'insertion du mésentère. J. Cloquet a donné de
celte prédilection pour le côté droit une théorie fort originale, et qui est basée
sur la prédominance des droitiers sur les gauchers. L'homme qui fait un effort
avec le bras droit incline son corps à gauche : alors le diaphragme en se con-
tractant, au lieu de pousser la masse intestinale, sur laquelle il s'appuie, en
bas et en avant, la rejette en bas, en avant et latéralement à droite. De là la
tendance des viscères à sortir par les anneaux du côté droit. Celte théorie si
ingénieuse a été renversée par les recherches de Malgaigne, qui a découvert que
bon nombre de hernies se forment à gauche chez des droitiers. De plus le nombre
relativement élevé des hernies doubles vient encore combattre l'explication de
Cloquet. Ainsi, d'après Malgaigne, sur 515 hernies inguinales observées 40
étaient doubles; sur les 275 restantes il yen avait 171 à droite et 102 à gauche.
Il faudrait donc supposer, d'après Cloquet, que le nombre de gauchers était
Irès-coiisidérable. Or, sur 185 sujets chez lesquels l'examen a été pratiqué, il y
avait 1 seul gaucher sur 11 droitiers. Donc, si la théorie de Cloquet est vraie
pour un certain nombre de cas, elle ne peut pas être généralisée.
Les causes }«rédisposantes qu'il nous reste à examiner pourraient être dites
individuelles, car elles constituent des conditions inhérentes à l'individu exa-
miné : ce sont l'hérédité, certaines dispositions anatomiques, quelques états
pathologiques.
Hérédité. Le rôle que joue l'hérédité dans l'éliologie des hernies a depuis
longtemps été rais en lumière ; il ne consiste pas seulement dans les transmis-
sion à l'enfant de hernies au moment de la naissance, mais encore et surtout
dans la transmission de certaines dispositions anatomiques, de certaines anoma-
lies de développement qui amènent la formation des hernies.
Dès le siècle dernier l'influence de cette cause était connue. Mauchart cite,
au dire de Richter, un père hernieux qui eut trois enfants atteints de hernie.
Bâillon, Frédéric Hoffmann, Fabrice de Hilden, Freytag, Halles, avaient déjà
publié de nombreuses observations de hernies héréditaires. Cependant Sanson
semble croire que l'hérédité consiste surtout ici dans la transmission de cer-
taines habitudes capables de faciliter la production des hernies. L'existence des
hernies héréditaires se montrant dès la naissance, ou survenant dans les pre-
miers mois de l'existence, suffit à prouver le contraire. Malgaigne avait étudié
ce point avec beaucoup de soin, et sur 516 hernies il a rencontré 86 cas
678 HERNIES.
où rhérédité pouvait se retrouver, soit 1 cas sur 3 1/2. D'après lui, celte
influence se manifesterait surtout sur de jeunes sujets. Les recherches plus re'-
centes de Kingdon confirment pleinement, et avec plus de détails encore, les
résultats de Malgaigne. Sur 5976 hernieux examinés, en 1863, par la Truss
Society de Londres, il y en avait 1851 qui pouvaient mentionner des lésions
semblables chez leurs ascendants, descendants ou collatéraux: soit 1 sur 5,86.
Ce chilfre se rapproche tout à fitit de celui de Malgaigne.
M. Le Dentu, analysant et détaillant les résultats fournis par Kingdon, est
allé plus loin que ses devanciers. 11 a voulu savoir si, dans cette question d'hé-
rédité, l'inlluence d'un des deux ascendants était prédominante. « Le chiffre
de 1851 hernieux héréditaires cité par Kingdon se décompose ainsi, dit-d, au
point de vue des sexes: 1558 hommes et 275 femmes; la transmission venait
du père pour 892 hommes et 141 femmes; de la mère pour 220 hommes et
60 femmes; du père et de la mère pour 35 hommes et 12 femmes. Enfin, pour
562 hommes et 46 femmes, il existait des hernies chez les collatéraux ; pour
49 hommes et 14 femmes cliez leurs enfants, »
En étudiant avec soin ces chiffres on voit, avec Le Dentu, d'abord que l'héré-
dité s'exerce un peu plus chez l'homme. Le rapport des cas d'hérédité pater-
nelles (1053) à ceux d'hérédité maternelle (280) est de 5,6. Mais, comme le
nombre des hernies chez la femme est bien moins considérable que celui que
l'on constate cliez les hommes, il s'ensuit, si on calcule aussi exactement que
possible la proportion, que l'hérédité se transmet à peu près également par
l'homme et par la femme.
Il resterait encore un point à rechercher, c'est l'hérédité de la variété, c'est-
à-dire, si des parents atteints de hernies inguinales engendraient des enfants
atteints à leur tour de la même hernie, ou bien si la prédisposition herniaire
seule se transmet sans localisation identique. Nous avouons que les documents
nous manquent pour éclaircir suffisamment cette question. De quelques obser-
vations particulières et inédites que nous possédons il semble ressortir que, si
dans certains cas l'enfant reproduit la même variété de hernie que ses parents,
il arrive souvent le contraire : ainsi, par exemple, une mère atteinte de hernie
ombilicale peut voir chez ses enfants une hernie inguinale, et réciproquement.
Dispositions anatomiques. Certaines dispositions anatomiques ont une
inlluence manifeste sur la production des hernies.
Ainsi, une taille élevée favoriserait l'issue des viscères; les hommes de grande
taille y seraient plus particulièrement sujets que les hommes petits, et cela
surtout dans la vieillesse.
La forme du ventre paraît avoir aussi une certaine influence. On constate, il
est vrai, des hernies sur les gens de toute taille et de toute forme ; cependant
on les trouve surtout chez des individus à ventre plat et chez ceux qui présen-
tent cette forme particulière que Malgaigne a décrite sous le nom de ventre à
ii'iple saillie.
Celui-ci, qui d'ailleurs peut être plat ou bosselé, est caractérisé par une
saillie moyenne répondant à la ligne blanche et aux muscles droits de l'abdo-
men et par deux saillies latérales répondant aux muscles larges. Ceux-ci semblent
avoir fléchi, s'être relâchés de manière à former près des crêtes iliaques une
sorte de cul-de-sac ou poche que reçoit la masse intestinale.
L'amaigrissement rapide, par la flaccidité des parois abdominales qu'il
engendre, et par la dispaiition plus ou moins complète des pelotons adipeux
HERNIES. 67tJ
qui pouvaient occuper les anneaux naturels, après les avoir distendus, facilite
aussi la sortie des viscères hors de l'abdomen.
Dispositions pathologiques. Certaines maladies, surtout celles qui sif'gent
dans la région abdominale, peuvent avoir aussi quelque rapport avec la sur-
venance des hernies.
En première ligne il faut placer les affections qui amènent une distension
considérable de l'abdomen. Tantôt les hernies se montrent pendant la période
où le ventre augmente de volume, et cela probablement par suite de l'exagé-
ration de pression dans la cavité; tantôt, au contraire, une fois que cette dis-
tension diminue, parce que les parois, ayant subi une tension qui surmonte
leur degré de résistance, restent affaiblies et par suite les orifices fibreux
demeurent élargis. Parmi les affections agissant ainsi il faut citer toutes les
tumeurs abdominales, les corps fibreux de l'utérus et les kystes de l'ovaire en
première ligne, puis les épanchemenls liquides tels que l'ascite. La grossesse
paraît agir de la même façon. A côté de ce premier groupe se placent les mala-
dies qui amènent un affaiblissement des parois abdominales, soit en produisant
un amaigrissement rapide comme certaines maladies générales, ou bien encore
en causant une débilité marquée de toute l'économie. Enfin, quelques circon-
stances, comme les plaies larges ou les suppurations locaUsées, peuvent laisser
après elles un affaiblissement partiel et limité de la paroi du ventre et faciliter
la hernie. C'est la cause incriminée par M. Hahn de Langeriveti en 1873
{Allgemeine Medicin. Central-Zeilung] pour un cas de hernie ayant succédé à
la suppuration prolongée d'un bubon. L'auteur pense que celte suppuration
aurait amené un affaiblissement de la paroi en ce point, et par suite une dimi-
nution de résistance à la pression des viscères.
D'un autre côté, on considère encore comme exposés davantage à voir sur-
venir des hernies les malades en possession des affections i|ui provoquent
des efforts violents et répétés. Ce sont les maladies chroniques des voies respira-
toires amenant une toux incessante, dont les accès répétés impriment des
secousses considérables aux parois de l'abdomen, chez des gens vieux et déjà
faibles : de là la fréquence de la hernie chez les vieux tousseurs. Ce sont
encore certaines affections des voies urinaires, comme le rétrécissement de
l'urèthre et l'hypertrophie prostatique où la miction nécessite à chaque instant
des efforts exagérés. On a rapproché de ce groupe, et en se plaçant uniquement
au point de vue de l'effort répété, le phimosis congénital. Certains auteurs
anglais, M. Arthur Kempe [Lancet, 1878) et M. Samuel Osborn, cité par Warren
dans la 2' édition de son Traité des hernies (Londres, 1884, p. 17), ont prin-
cipalement insisté sur ce point. Arthur Kempe a été frappé de la fréquence de
la coexistence de ces deux affections chez les nouveau-nés. 11 a examiné 50 enfants
atteints de phimosis congénital, et il en a trouvé 51 affectés de hernie; dans
5 de ces cas le petit sujet était porteur d'une hernie inguinale double. Dans
quelques cas il y avait une hernie inguinale et une hernie ombilicale. 11 voit
dans les efforts nécessités par la miction chez ces enfants une cause prédispo-
sante des hernies, alors surtout que les parois abdominales n'ont pas encore
acquis une résistance suffisante, par suite de leur développement incomplet.
C'est aussi la conclusion de M. Osborn.
EnGn il faudrait, pour être complet, ajouter, d'après Warren, les affections de
l'anus et du rectum, qui entraînent une constipation opiniâtre et obligent les
malades à des efforts de défécation considérables.
680 UERNIES.
B. Cmises efficientes. Les paragraphes qui précèdent nous font comprendre
que les causes efficientes principales des hernies sont toutes les actions qui néces-
sitent le déploiement d'une grande quantité de force, ou plutôt d'efforts
violents.
Ainsi, l'action de soulever des fardeaux, de transporter ou de pousser des
charges pesantes, la lutte, l'escrime, l'équitation, etc., peuvent donner naissance
à des hernies. Mais ces efforts produisent leur effet de deux façons : tantôt parce
qu'il sont fréquents, répétés, habituels, comme ceux qui sont, par exemple,
nécessités par un grand nombre de professions pénibles ; tantôt, au contraire, le
malade fait un effort extrêmement considérable, dépassant, dit Duplay, la limite
qu'impose la physiologie au fonctionnement des organes. La résistance normale
des parois abdominales est alors brusquement dépassée ; elles cèdent et les
viscères font irruption à travers les points que leur faiblesse naturelle a parti-
culièrement désignés.
C'est ce qui se passe dans certains actes soudainement exagérés, comme les
violentes quintes de toux, les efforts exagérés de la miction ou de la défécation,
ou ceux presque involontaires de l'accouchement.
Quant aux autres causes qui exagèrent passivement la pression de l'intestin
contre les parois abdominales, comme les coups, les chutes, les compressions
brusques ou prolongées sur le ventre, elles entraînent quelquefois la sortie des
viscères, mais beaucoup moins souvent que les efforts musculaires.
MtCA.MSME ET PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE DES HERNIES. Ouand OU réfléchit
au mécanisme qui préside à la formation des hernies intestinales, deux condi-
tions paraissent absolument indispensables pour leur production. Il faut, d'une
part, qu'une force quelconque vienne exagérer la pression des viscères contre
les parois de la cavité, à l'intérieur de laquelle ils sont contenus; d'autre part,
il semble aussi nécessaire que la résistance normale de ces parois soit suffisam-
ment affaiblie pour livrer passage aux viscères sur un point quelconque.
Ces deux conditions se rencontrent-elles dans toutes les hernies? Quel est le
degré d'importance de chacune d'elles? Une seule d'entre elles peut-elle être
suffisante? Voilà tout autant de questions que nous devons examiner.
L'exagération de pression de l'intestin sur les parois se rencontre surtout
dans Veffort, et il est tout naturel de rechercher l'influence de cet acte, lorsque
nous avons vu, dans l'étude des causes, combien son action avait été souvent
invoquée par tous les observateurs.
Que se passe-t-il en effet dans l'effort? Au moment de l'immobilisation du
thorax et de la contraction à peu près simultanée des principaux muscles, les
dimensions de la cavité abdominale sont brusquement modifiées. Le diaphragme
se contracte, il s'abaisse ; les muscles larges des parois antérieures et latérales
se contractent en même temps ; tous les diamètres de la cavité abdominale sont
diminués à la fois, et les viscères refoulés de tous les côtés, mais principalement
en bas et en avant, sont soumis à une pression beaucoup plus con-idérable :
aussi la tendance qu'ils ont à s'échapper de leur cavité naturelle est-elle
accrue au maximum pendant le phénomène de l'effort. Si cette pression exercée
à la face intérieure des parois abdominales vient à surmonter le degré de
résistance de ces dernières, la hernie se produit. On peut objecter à cette
théorie que tout le monde répète souvent ce mécanisme de l'effort, que tous les
hommes toussent, crient, défèquent, etc., que tous les ouvriers exécutent
journellement des efforts violents, répétés, souvent même exagérés, et que,
HERNIES. 681
si vraiment l'acte en lui-même était suffisant pour surmonter la résistance des
parois abdominales, les hernies devraient être absolument constantes ou à peu
près dans l'âge adulte. C'est qu'en effet ordinairement l'effort n'est pas suffisant
pour vaincre la résistance normale des parois de l'abdomen, et il est presque
toujours nécessaire que celles-ci aient subi, soit sur un point particulier, soit
d'une façon générale, un certain degré d'affaiblissement qui les rend moins
solides. C'est donc la diminution de résistance qui constitue la seconde condi-
tion nécessaire à la production des heinies.
Ces considérations générales étaient indispensables avant d'aller plus loin et
d'étudier ce qui se passe dans les différentes classes des hernies. Le mécanisme
est en effet légèrement variable suivant qu'il s'agit des hernies congénitales,
traumadques ou acquises, dites encore spontanées.
Hernies co.ngékitales. On désigne sous le nom de hernies congénitales celles
qui sont dues à un vice de conformation des parois abdominales et par suite à
l'existence d'une ouverture anormale, ou bien normale, mais ayant un dévelop-
pement exagéré. Cette variété peut comprendre des cas tout à fait dissemblables.
Ces hernies peuvent se montrer tantôt au moment même de la naissance, tantôt
au contraire à une période plus ou moins avancée de l'existence.
Quand pour une raison quelconque les parois abdominales antérieures ne se sont
pas complètement formées, et qu'à la place de l'anneau ombilical il existe une
vaste ouverture laissant passer la plupart des viscères intestinaux recouverts
d'une enveloppe transparente, ou se trouve en présence d'une éventration ombi-
licale qui peut être considérée comme le type des hernies congénitales du
premier genre. C'est ce que l'on rencontre encore dans une catégorie de hernies
diapliragmatiques, dans lesquelles, par suite de l'absence d'une portion plus
ou moins considérable du diaphragme, une certaine quantité des viscères abdo-
minaux est passée dans la poitrine. Souvent ces lésions sont incouipatibles
avec l'existence, les enfants meurent après quelques inspirations, quehjuefois
même ils sont mort-nés. Il n'y a donc pas de doute possible sur la présence de
la lésion au moment de la naissance. D'un autre côté, comme dans les deux cas
les enfants n'ont pas respiré, on ne peut invoquer le mécanisme de l'effort pour
expliquer la production de la hernie; elle est entièrement due au défaut de
résistance ou à l'absence des parois abdominales au niveau du passage des viscères.
Il est vrai que pour ce qui touche à l'omphalocèle congénitale plusieurs théories
se sont fait jour et que quelques auteurs, à l'exemple de Gruveilhier, invoquant
même pour ce cas des causes mécaniques, ont attribué la lésion à la compres-
sion du ventre du fœtus. Au contraire, la plupart des modernes l'expliquent
simplement par l'arrêt de développement des parois abdominales et la perma-
nence d'un état embryonnaire ordinairement transitoire.
La seconde variété des hernies congénitales est constituée par celles qui se
montrent après la naissance, soit dans les premiers temps de l'existence, comme
les hernies ombilicales et inguinales des nouveau-nés et des enfants du premier
âge, soit même plus tard, comme dans les hernies inguinales congénitales des
adultes. Ici le mécanisme est quelque peu différent. En première ligne il faut
placer, comme précédemment, un retard de développement, ou une anomalie qui
fait persister trop longtemps une disposition fœtale, comme, par exemple, la per-
manence du conduit péritonéo-vaginal pour la hernie inguinale des enfants. En
effet, l'anatomie pathologique nous a démontré que c'est par ce canal resté
anormalement ouvert que l'intestin se glisse alois en dehors. Mais il est encore
682 ^IlERNlESj
nécessaire, pour que cette issue ait lieu, qu'il intervienne un certain degré d'effort
pour précipiter l'intestin dans un passage ainsi préparé. Le même mécanisme
existe aussi pour les hernies ombilicales de l'enfant [voy. Heunie ombilicale,
Hernie inguinale).
Quant aux hernies d'origine congénitale qui se montrent à un moment plus
avancé de l'existence, à la fin de l'adolescence ou dans l'àgc adulte, elles ont
exactement la même pathogénie.
En effet, chez certains sujets, le conduit péritonéo-vaginal peut rester ouvert
d'une façon définitive, et cette disposition peut être reliée à quelque anomalie
de la migration testiculaire, tantôt au contraire elle existe seule. Ces faits seront
étudiés avec le soin ([u'ils méritent à propos de la hernie inguinale, mais nous
pouvons ici rappeler seulement que, en dehors des hernies vaginales d'Astley
Cooper et de Malgaigne, Uamoiièdo a démontré récemment, dans sa thèse, que
chez un nombre relativement assez grand de sujets le canal péritonéo-vaginal,
au lieu de disparaître complètement, pouvait rester ouvert soit en totalité, soit
en partie. Dans ce dernier cas, il persiste soit un canal péritonéo-funiculaire,
c'est-à-dire un canal séreux occupant exactement tout le canal inguinal, soit un
simple diverticule en doigt de gant pénétrant dans l'anneau inguinal profond.
On comprend donc que bon nombre de hernies inguinales puissent être alors
d'origine congénitale. Mais ici, encore plus que chez les enfants, l'effort, et
souvent l'effort répété, est nécessaire pour engager l'intestin dans ce trajet irré-
gulièrement développé.
II résulte donc de ces quelques remarques que toutes les hernies d'origine
congénitale qui surviennent après la naissance nécessitent l'intervention de
l'effort, et cela tout aussi bien pour celles qui paraissent au moment des pre-
miers cris, de la première respiration, que pour celles qui se produisent plus tard.
Hermès traumatiql'es. Les hernies Iraumatiques, appelées encore par Cru-
veilhier hernies par solution de continuité, se montrent dans deux circonstances
différentes : au moment de la production de la plaie ou de la déchirure, ou bien
tardivement par suite de l'éraïUeraent de la cicatrice qui a fermé l'ouverture.
Dans le premier cas, l'issue des viscères est, pour ainsi dire, la conséquence
obligée de toutes les blessures qui traversent l'épaisseur entière des parois, à
moins toutefois que l'ouverture soit trop étroite. C'est ainsi que se forment
toutes les hernies qui se font au moment de la production des plaies de
l'abdomen, et dont nous avons déjà renvoyé l'étude à l'article Plaies de l'ae-
domen. C'est encore à cette classe qu'appartiennent toutes les hernies qui suc-
cèdent à une rupture ou à une plaie ayant intéressé le diaphragme; et les her-
nies diaphragmatiques traumatiques constituent un groupe important parmi celles
qui se montrent chez l'adulte [voy. Hernie diaphragmatique).
La rupture d'une éventration ombilicale fait de l'omphalocèle congénitale
une hernie traumatique. De même dans toute opération de kélotomie on trans-
forme une hernie ordinaire avec sac herniaire en une hernie traumatique.
Dans ces cas le mécanisme est bien simple; il n'y a pour ainsi dire pas d'effort
à invoquer, l'ouverture de la paroi abdominale existant, la pression positive que
subissent les viscères dans la cavité abdominale et ses variations pendant les
divers temps de la respiration suffisent à rendre compte de leur sortie.
Cruveilhier range encore parmi les hernies traumatiques « les déplacements
qui sont la suite d'une contusion qui a notablement affaibli la force de résistance
des parois abdominales ou d'une cicatrice. » Il fait rentrer dans cette catégorie
IIER.MES. 685
la hernie lombaire de J.-L. Petit, et aussi celte variété particulière qu'il a dé-
signée sous le nom de intercostale abdominale et dont il a publié une observa-
tion. Dans celle-ci la hernie avait été causée par un coup d'épée qui avait pénétré
dans la cavité abdominale à travers le 8*= espace intercostal. Il y avait un
véritable sac herniaire, ne contenant que de l'épiploon, mais qui était parl'aite-
ment constitué. Nous ne connaissons que deux autres observations semblables,
une due à J. Cloquet et qui a été rapportée dans son Mémoire sur l'effort, l'autre
plus récente, due à 0. hiesel, et publiée en 1875 dans le Deutsche Zeitschrift
fiir Chirurgie. Dans ce dernier cas, la hernie était causée par un coup de couteau
dans le 7'^ espace intercostal en dehors delà ligne mammaire. Elle paraissait con-
tenir une anse intestinale, puisque la réduction, très-facile du reste, s'accompa-
gnait de gargouillement.
A cette catégorie s'ajoutent les hernies qui se font à travers une cicatrice des
parois abdominales. « Lorsque ces cicatrices ont une certaine largeur dit Cru-
veilhier, leur résistance passive est bientôt surmontée par la résistance active
des couches musculaires qui les avoisinent, de telle sorte qu'elles ne tardent pas
à subir des éraillements à travers lesquels se produisent des hernies. » Comme
on le voit, la cicatrice ne fait que préparer ou pcimettie la production d'un
anneau accideulel, et le mécanisme de l'issue des viscères se rapproche alors
beaucoup de celui des hernies spontanées qu'il nous reste à examiner.
Hermès spoma^ées. On désigne sous ce nom toutes les hernies qui ne sont
dues ni à un vice congénital, ni à un traumatisme. Le mot de spontané est
mauvais, et elles seraient mieux dénommées acquises, puisqu'elles surviennent
en vertu de causes parfois multiples, mais qui peuvent exercer leur action de
façon différente.
Ces hernies ne se forment pas toutes de la même manière, et suivant leur
mode d'apparition elles ont été divisées en deux grandes classes par Astley
Cooper, et après lui par Malgaigne, sous le nom de hernies de faiblesse et de
hernies de force.
Les premières comprennent toutes celles qui se forment lentement et succes-
sivement, par degrés, pour ainsi dire, les efforts fréquents et répétés surmontant
peu à peu la résistance des parois abdominales déjà affaiblies et relâchées. On
comprend sous ce nom les hernies qui se montrent chez les vieillards, chez les
sujets porteurs, par exemple, du ventre à triple saillie, chez les femmes qui ont
déjà eu de nombreux enfants, chez les misérables, les vieux alcooliques, chez
tous ceux, en un mot, qui présentent une telle diminution de résistance et
d'énergie des couches musculaires, que c'est la faiblesse de ces parois qui semble
être la cause principale de la maladie. Les hernies de force au contraire sont
celles qui surviennent brusquement chez des sujets ordinairement jeunes et
robustes, dont la paroi abdominale semble absolument saine et résistante. Elles
se produisent ou du moins s'accroissent si rapidement qu'on peut croire à une
apparition rapide sous l'influence d'un effort violent et exagéré.
Il est bien évident qu'il y a entre ces deux lésions, à marche si opposée, une
différence dans le mécanisme même de la sortie des viscères. Or, dans le pre-
mier cas, il est facile de comprendre comment la débilité préexistante de la
paroi abdominale a pu constituer du côté des anneaux une faiblesse et une laxité
telles que des efforts ordinaires, pour peu qu'ils soient répétés ou qu'ils dépas-
sent légèrement un certain degré d'énergie, engageront peu à peu les viscères
qui dilateront à leur tour la voie qu'ils doivent parcourir. Cela existe aussi bien
684 HERNIKS.
pour la hernie inguinale que pour la hernie crurale, peut-être même aussi à la
région ombilicale chez les vieillards, sans vouloir admettre avec M. Richard
(Dm mode de formation des hernies ombilicales. Tlièse de Paris, 1856) que
toutes les hernies ombilicales des vieillards doivent être considérées comme des
éventralions véritables. Mais il n'est pas aussi facile de se rendre compte du
mécanisme des hernies de force, et de comprendre pourquoi, à tel moment,
l'effort qui a toujours, jusque-là, pu s'exercer sans difficulté, physiologiquement,
pour ainsi dire, surmontera brusquement la résistance des parois abdominales
absolument saines. Diverses théories ont été imaginées pour expliquer ce fait.
Les Anciens avaient bien remarqué les deux modes de développement que
nous venons d'indiquer, et ils croyaient généralement que les hernies brusques
ne pouvaient se montrer que grâce à une déchirure de la séreuse pariétale : ils
pensaient donc qu'il n'y avait pas de sac herniaire dans cette variété. De là
le nom de riipture donné autrefois communément aux hernies. Mais, quand Méry
eut démontré, au début du siècle dernier, que la présence du sac était constante
dans toutes les variétés de hernie, il fallut chercher une explication nouvelle.
C'est alors que naquit la théorie mécanique qui domine toute l'histoire des
hernies. Le premier qui l'a formulée est un chirurgien français, Reneaulme de
Lagaranne, qui, dans un Essai de trailé des hernies paru en 1721, soutint
que les viscères poussés par la contraction des muscles de l'abdomen passaient à
travers les points faibles de la paroi abdominale en refoulant devant eux la sé-
reuse péritonéale. Quelques années plus tard Garengeot, en 1751, dans son
Traité des opérations, reprit cette théorie. 11 étudia plus en détail l'action de
l'effort, l'exagération de la pression intra-abdominale sous son iniluence, il
démontra que c'était surtout au niveau des orifices naturels capables de livrer
passage aux intestins que se concentrait cette poussée des viscères. Cette théorie
fut encore formulée et défendue par Scarpa qui, dans son Traité des hernies,
1810, la soutint de sa grande autorité. Boyer et Malgaigne s'en déclarèrent les
partisans, et c'est à elle que se rattachent le plus grand nombre des auteurs les
plus récents : Gosselin, Ledeiitu, dans le Nouveau Dictionnaire de médecine et
de chirurgie pratiques; Simon Duplay, dans son Traité élémentaire de patho-
logie externe; Picque, dans V Encyclopédie internationale de chirurgie, et enfin
"Wherner en Allemagne en 1875.
Cependant elle n'avait pas été acceptée par tous les chirurgiens même au
moment où elle avait été émise. Dès l'année 1750, en effet, nous voyons un
chirurgien allemand, Rust, donner de la formation des hernies une tout autre
explication. Pour lui, la pression des viscères contre les points faibles de la
paroi sous l'inlluence des efforts n'est jamais suffisante pour permeltre à l'in-
testin de franchir les anneaux naturels en refoulant le péritoine, si cet intestin
n'est pas rendu plus mobile par une sorte de relâchement de ses attaches natu-
relles; ce relâchement est produit par l'allongement pathologique du mésentère.
Cette théorie de Vallongement mésentériqiie est soutenue par Brendel, Rostius,
Riedlin, Denevoli Antonio, 1797, et enfin par Richter. Mais le plus illustre de
ses adhérents fut Morgagni, qui ne l'accepta, cependant, qu'avec certaines
réserves.
Celte théorie était basée sur l'observiilion de certains faits. Il est exact que,
lorsqu'on dissèque des hernies anciennes, on constate dans nombre de cas un
certain degré d'allongement du mésentère. Reste à savoir si cette élongation est
primitive ou si elle est secondaire, c'est-à-dire si elle ne serait pas simplement
HERiMES. 685
le résultat des tiraillements produits par un intestin déplacé depuis longtemps.
Morgagni, tout en acceptant le fait comme réel, s'était en effet demandé si, dans
quelques cas, il ne pouvait pas avoir suivi et non précédé la hernie.
Quoi qu'il en soit, cette théorie fut combattue et renversée par Scarpa. Pour
lui, si cet allongement existe, il se produit en même temps que le déplacement
de l'intestin, et les deux phénomènes dépendent d'une même cause. Mal^ai^ne
à son tour démontra l'inutilité de l'allongement du mésentère. « Il n'est aucun
de vous, dit-il, qui, ayant fait une autopsie, n'ait renversé endehois les intestins
et qui n'ait constaté que le mésentère leur permet très-bien de dépasser les
limites des parois abdominales. J'ai d'ailleurs vérifié le fait par des expériences
directes, en sorte que les hernies peuvent se faire sans aucun allongement du
mésentère. » Il semblait prouvé aujourd'hui que cette théorie était inexacte, et
elle était à peu près complètement oubliée quand elle a été reprise et quelque
peu modifiée il y a quelques années par M. Kingdon [Medico Chirurgical Trans-
actions, 1864). « Pour ce chirurgien, dit S. Ôuplay, la production des hernies
spontanées dépend toujours d'une maladie véritable résidant à la fois dans le
mésentère et dans la séreuse pariétale. Tandis que le premier s'allonge, les con-
nexions de la seconde avec les plans qui la supportent se relâchent et facilitent
sa locomotion, o Cette explication a surtout pour but de rendre compte de la
formation du sac, et de donner la raison de la fréquence des hernies multiples
chez un même sujet. Mai? ce relâchement du péritoine sur les parois abdominales
invoqué par Kingdon n'est nullement prouvé et ce n'est qu'une simple hypothèse.
D'ailleurs, il existe une troisième théorie, qui a pris naissance en France,
et qu'il nous reste maintenant à exposer, c'est celle de la préformation du
sac. Elle a été entrevue à la fin du siècle dernier par Pelletan, mais formulée
surtout par Jules Cloquet. Voici en quoi elle consiste. Pour que la hernie puisse
se former et que le péritoine cède à la pression des viscères, dans quelques
circonstances à la force de pression ou d'impulsion des viscères se joignent
d'autres causes qui, agissant dans la même direction, concourent aussi à la for-
mation du sac herniaire. Le péritoine poussé d'ordinaire par la face profonde
peut au contraire être attiré par sa face externe. Parmi ces causes capables
d'attirer le péritoine à travers les anneaux J. Cloquet place les appendices
graisseux que l'on trouve développés à l'extérieur du péritoine. Ces petits
lipomes « peuvent, dit-il, s'engager par des ouvertures naturelles ou acciden-
telles des parois abdominales, prendre un accroissement souvent considérable
et entraîner le péritoine pour en former un véritable sac prêt à recevoir les
viscères. » On trouve même, dans les planches qui accompagnent son travail, un
lipome herniaire de la grosseur d'un œuf, qui avait attiré dans le canal crural
une poche péritonéale capable de contenir le petit doigt.
Ce mécanisme n'était pas absolument nouveau, car c'était ainsi que Scarpa
avait expliqué une partie des hernies par éraillement de la ligne blanche.
Cloquet avait attribué ce mode de formation à un certain nombre de hernies
crurales ; Yelpeau à son tour montra qu'on pouvait le rencontrer aussi dans
quelques cas de hernies inguinales directes. Cependant la présence des lipomes
herniaires avait été difiéremment interprétée. Ambroise Paré, qui en avait con-
staté l'existence, regardait leur présence au contraire comme un mode de
guérison. Cette théorie a été reprise par Bernutz, qui considère la cavité sé-
reuse à laquelle est appcndue la petite masse graisseuse comme un sac désha-
bité, et les restes d'une hernie en voie de guérison. Malgré cette interprétation
686 HERNIES.
opposée, la lliéorie de Cloquet paraissait exacte pour un certain nombre de cas,
assez limités, lorsqu'elle a été reprise en Allemagne par Uoser et absolument
généralisée. Ce chirurgien voulut expliquer toutes les hernies par la préforma-
tion du sac. D'après lui, les hernies crurales seraient toujours développées à la
suite d'une attraction du péritoine au dehors. Quant aux hernies inguinales,
pour lesquelles l'existence du lipome herniaire est à coup sijr très-rare, il
attribua la préformation du sac à l'existence constante du conduit péritonéo-
vaginal. Les hernies inguinales seraient donc toutes congénitales. Les recherches
de Ramonède, dont nous avons déjà parlé précédemment, ont bien démontré
que cette disposition était beaucoup plus fréquente qu'on ne l'avait cru jusqu'à
lui, mais il s'en faut de beaucoup que les conclusions de Roser soient justifiées.
Du reste, Roser alla encore plus loin et il admit avec Kerby, pour expliquer
l'agrandissement graduel du sac, que celui-ci subissait une sorte d'hypertrophie
excentrique indépendante de la pression intestinale qui, pour tous les auteurs,
produit son agrandissement par la distension.
La généralisation de la théorie de la préformation du sac fut acceptée en
Allemagne par Linhart, Scherpenhuysen et Zuin, mais, d'un autre côté, elle fut
combattue dans le même pays par Streubel, Emmert, Dantzell, Ilorn et E. Richter,
et en France par tous les aiUeurs qui se sont occupés de la question.
Avant de quitter celte théorie, nous devons ajouter que certains auteurs l'ont
adoptée en l'expliquant d'une façon différente. Pour eux, le sac se produirait
dans des diverticules péritonéaux dont on a, à plusieurs reprises, constaté
l'existence au voisinage des orifices herniaires. Linhart, Rokitansky, Hartung,
Baer, auraient, d'après S. Duplay, décrit ces prolongements séreux et cherché
dans leur existence l'explication de la formation du sac. « Quelque séduisant,
ajoute Duplay, qu'il puisse paraître de chercher dans cette disposition l'explica-
tion du mécanisme et de l'évolution des hernies, ces faits ne restent qu'à l'état
<le rares exceptions, et leur petit nombre fait contraste avec la fréquence extrême
ûes hernies et notamment des hernies inguinales. »
Que devons-nous conclure en face de ces diverses théories? Tout d'abord la
théorie de l'allongement du mésentère nous semble, malgré les efforts de King-
don, devoir être complètement rejetée. Les lésions mésentériques sont loin d'être
constantes et, quand elles existent, elles paraissent beaucoup plus sûrement
consécutives que primitives.
La théorie de la préformation du sac semble au contraire plus certaine,
mais à condition que l'on repousse la généralisation de Roser et qu'on la limite
à quelques cas. Elle peut expliquer, par la persistance d'un état fœtal, certains
faits de hernie congénitale. L'existence des diverticules péritonéaux peut aussi
rendre compte de certains cas exceptionnels. Enfin la formation du sac par le
lipome herniaire s'applique à quelques faits de hernie crurale, de hernie de la
ligne blanche, et à quelques inguinales directes. Mais, même limitée à quelques
rares cas, elle ne satisfait pas complètement l'esprit, car elle ne fait que reculer
la difficulté, puisque, ainsi que le dit iM. Duplay, il resterait à déterminer quelle
est la force qui produit la migration de la graisse sous-péritonéale à travers les
anneaux.
Aussi pour le plus grand nombre des hernies nous sommes obligés de revenir
à la théorie mécanique et de conclure avec Reneaulme de Lagaranne, Scarpa,
Malgaigne, S. Duplay, que la hernie est la conséquence des pressions exagérées
ou répétées des viscères contre les points faibles de la paroi abdominale, tout
HERMES. 687
en admellant que dans un grand nombre de cas la résistance de celte paroi
peut avoir été préalablement affaiblie.
Cependant, même avec cette explication, un certain nombre de points restent
obscurs : par exemple, la brusque formation d'un sac. Gosselin pense en effet
que, dans bien des cas, la bernie ne s'est pas produite aussi brusquement que le
croit le malade, et qu'il existait une légère pointe de bernie passée totalement
inaperçue et qu'un effort violent aura soudainement développée.
Enfin aucune des tbéories ne rend compte de la formation des bernies mul-
tiples. En effet, Hesselbach le premier, puis après lui Malgaigne, ont attiré
l'attention sur ce fait, que les malades atteints d'une bernie sont par cela même
plus exposés à en voir se produire une seconde et même une troisième. Sur
274 bernieux examinés par Malgaigne, H4, soit près de la moitié, portaient
des bernies multiples. On a prononcé le mot de diathèse berniaire. Malgaigne a
dit « une bernie en appelle une autre. » Mais nous ne trouvons nulle part une
explication suffisante ni même sérieuse de ces bernies multiples.
Anatomie PATHOLOGIQ0E. Maintenant que nous connaissons le mécanisme et
le mode de formation des hernies, nous devons entreprendre la description de
la tumeur berniaire constituée et des lésions qu'elle entraîne.
Nous avons successivement à examiner le trajet herniaire, puis la bernie elle-
même, qui comprend deux parties essentielles, les enveloppes et le contenu.
A. Trajet herniaire. On désigne sous ce nom le chemin parcouru par les
viscères dans l'épaisseur des parois abdominales, pour venir faire saillie au
dehors. Nous n'avons pas la prétention de faire en détail la description anato-
mique de chacun des orifices capables de livrer passage aux viscères; c'est une
étude qui sera mieux placée en tête de l'histoire de chaque bernie en particulier.
Chacune présente, en effet, des caractères spéciaux et des dispositions qui con-
tribuent à donner à chaque variété sa physionomie propre. Mais, en debors de
ces faits, il est un certain nombre de caractères généraux communs à tous les
trajets herniaires qui doivent trouver leur place ici.
11 est tout d'abord à remarquer que la plupart des bernies sortent de l'ab-
domen à travers des ouvertures qui sont normalement des orifices vasculaires,
c'est-à-dire des trajets fournis par les parois du ventre aux vaisseaux ou aux
organes qui les traversent pour aller se porter en d'autres régions. C'est la
nature de tous les orifices dits anneaux naturels et principalement des anneaux
ombilicaux, cruraux et inguinaux. Ce sont les vaisseaux du cordon qui tra-
versent l'anneau ombilical ; l'anneau crural est le passage normal des vaisseaux
cruraux du bassin vers la cuisse, et le canal inguinal contient les éléments du
cordon spermatique chez l'homme et du ligament rond chez la femme. Ce sont
aussi des orifices vasculaires que traversent les bernies par éraillement, dont les
hernies épigastriques et celles de la ligne blanche peuvent être considérées
comme des types. Seulement ici les canaux vasculaires, appropriés seulement
aux vaisseaux qui traversent la paroi pour s'épuiser dans les couches super-
ficielles, sont insuffisants, à l'état normal, pour permettre l'engagement des
viscères, et doivent être, au préalable, dilatés et agrandis, soit par le tissu grais-
seux, soit par toute autre cause.
D'autres fois la hernie s'engage par un interstice musculaire qui constitue
un point faible susceptible de se laisser déprimer et dilater, comme le triangle
xle J.-L. Petit, par exemple, et certaines bernies diaphragmatiques. Enfin il
peut y avoir une simple dilatation, ou l'érailleraent d'un point faible naturel,
688 UEUNIES.
comme cela se passe dans le laparocèle, soit d'un point de la paroi affaibli par
une circonstance accidentelle, ainsi que cela se rencontre au niveau des cica-
trices minces et larges, dans les hernies traumatiques par cicatrice.
Du reste, ce trajet herniaire n'est, même pour les orifices naturels, un véri-
table canal, que lorsqu'il est rempli et dilaté par les viscères déplacés. On peut
dire à ce sujet, avec tous les auteurs classiques, que la hernie, par sa présence,
transforme un trajet virtuel en un canal réel. Il n'y a, en effet, jamais de véri-
table canal préformé avec une cavité réelle existant avant le passage de la hernie.
Quelle que soit d'ailleurs la nature de ce trajet, il présente à étudier deux
orifices séparés par un canal intermédiaire. L'orifice interne ou profond est
celui que l'on constate sur la face interne de la paroi abdominale : il est recouvert
par le péritoine pariétal. L'orifice externe ou superficiel se voit, au contraire,
à la portion extérieure ou sous-cutanée. Ce sont là les portes d'entrée et de
sortie que sépare un trajet intermédiaire plus ou moins long, creusé dans
l'épaisseur même de la paroi. La hernie inguinale oblique externe est le type
des hernies ayant un canal ainsi constitué. Il est à remarquer que la partie
intermédiaire du trajet, qui se trouve en contact avec le tissu cellulaire lâche
de la paroi, se laisse plus facilement distendre et acquiert des dimensions plus
considérables que les deux orifices. Ceux-ci, en effet, formés surtout par des
anneaux fibreux, sont plus rigides, moins extensibles, et constituent ordinaire-
ment, et surtout dans les hernies récentes, des points rétrécis.
Mais il n'est pas toujours possible de retrouver sur chaque trajet herniaire
tous ces éléments nettement distincts : dans un certain nombre de cas ils
semblent pour ainsi dire fusionnés, et le trajet tout entier se réduit alors à
un orifice unique, à un simple anneau de passage. Cette disposition se rencontre,
d'après le professeur Gosselin, dans les circonstances suivantes : « 1» lorque la
hernie s'échappe à travers un point faible de la paroi oîi il ne se trouve pas de
canal, comme l'ombilic chez la plupart des sujets; 2" lorsqu'elle s'échappe à
travers un canal si court que les deux orifices se confondent en un seul, par
suite de l'effacement du moins résistant des deux ou du rapprochement que
les efforts ont déterminé entre eux; 3" lorsque deux orifices se sont, avec le
temps, progressivement approchés et confondus sous cette même influence des
efforts successifs signalée tout à l'heure. » Les grosses et anciennes hernies
inguinales obliques réalisent, par suite des altérations de leur trajet primitif,
cette dernière circonstance.
Ces variétés dans la disposition du trajet herniaire ont fait diviser les hernies
en deux grandes classes au point de vue de leur trajet : elles sont directes ou
obliques. Les hernies directes sont celles qui traversent direetement ou perpen-
diculairement la paroi, et dans lesquelles le trajet est réduit à son minimum;
elles parviennent directement au dehors. Les hernies obliques, au contraire, sont
celles qui jouissent d'un trajet herniaire complet avec ses deux orifices, et elles
sont ainsi nommées parce que la constitution d'un tel trajet nécessite toujours
un parcours plus ou moins oblique à travers les parois de l'abdomen et constitué
de telle façon que l'orifice interne et l'orifice externe ne sont pas en face l'un
de l'autre.
Au point de vue du trajet parcouru par les viscères, les hernies peuvent
encore être dites complètes ou incomplètes. On désigne sous le nom de hernies
complètes celles qui ont complètement traversé toute l'épaisseur de la paroi et
sont devenues sous-cutanées. On appelle, au contraire, hernies incomplètes.
HERNIES 689
celles qui sont contenues dans l'épaisseur de cette paroi, et qui n'ont pas
encore franchi l'orifice externe du trajet. Il résulte de ces définitions que
toute hernie directe est forcément complète, tandis que les hernies obliques
peuvent être complètes ou incomplètes, suivant qu'elles ont, ou non, parcouru
tout leur trajet. Les hernies incomplètes peuvent être, à leur tour, divisées en
deux classes, suivant le degré de leur engagement. Si la hernie a à peine
franchi l'anneau interne et tout juste pénétré dans le trajet, on la désigne
sous le nom de pointe de hernie. Si, au contraire, elle remplit tout le trajet
herniaire et s'arrête seulement au niveau de l'orifice externe qu'elle n'a pas
traversé, on a affaire à une liernie interstitielle ou intra-pariétale. On trouve
un exemple de cette position dans la variété décrite par Goyrand (d'Aixj sous
le nom de hernie inguino-interslilicUe.
Il ne faut pas croire que les anneaux naturels ou autres supportent pendant
longtemps la présence d'une hernie sans subir des modifications plus ou moins
importantes. Celles-ci ne se rencontrent que dans les cas oij les viscères sont
habituellement sortis et ne sont maintenus réduits par aucun appareil. Dans
les hernies contenues, l'anneau qui a pu, à un moment donné, livrer passage
aux viscères, mais qui, ceux-ci rentrés, revient à son état normal, garde sa con-
figuration et sa constitution ordinaire. Il n'en est pas de même dans les cas où
la hernie est mal contenue et reste au dehors. Mais les altérations sont sensi-
blement différentes, suivant qu'on les étudie dans les anneaux naturels et au
niveau des orifices accidentels.
Les anneaux naturels, quand ils sont le siège de hernies mal maintenues et
anciennes, offrent des altérations dans leur forme et dans leur structure. Ces
anneaux, qui sont de nature fibreuse, subissent d'abord une déformation notable :
ils changent quelquefois de forme, suivant que les organes hernies exercent une
pression plus marquée sur tel ou tel point de leur pourtour, mais ils se laissent
surtout notablement agrandir et dilater. Cependant cette tendance à l'élargisse-
ment est variable pour chacun d'entre eux. Cette dilatabilité des anneaux est
surtout portée à son maximum au niveau de la région ombilicale. Cruveilhier
rapporte dans son Traité d'anatomie pathologique un cas de hernie ombilicale
dans laquelle l'anneau était assez dilaté pour admettre la main. L'anneau ingui-
nal externe est celui qui vient ensuite et peut, dans les cas de hernies volumi-
neuses, prendre des dimensions très-considérables. L'anneau crural, au contraire,
semble plus résistant : du reste, il est beaucoup plus rare de trouver au niveau
de cet orifice des tumeurs volumineuses. La hernie crurale est ordinairement
petite, quelquefois moyenne, rarement grosse. En même temps, les orifices
changent de forme, les angles s'élargissent, ils s'arrondissent; les arêtes fibreuses
tranchantes s'émoussent, le contour semble se ramollir, car cette déformation
des anneaux s'accompagne toujours d'une diminution très-marquée de leur
résistance, et cet affaiblissement progressif peut aller jusqu'à l'atropbie. Sous
l'influence de ces altérations les hernies obliques ont de la tendance à devenir
directes. C'est ce que l'on observe dans les vieilles hernies inguinales volumi-
neuses; les anneaux inguinaux externes et internes se laissant dilater, le trajet
inguinal devient de plus en plus court, et il arrive un moment oiî, les deux ori-
fices se trouvant presque l'un à côté de l'autre, le canal inguinal, oblique primi-
tivement, a à peu près complètement disparu.
Lorsque les lésions en sont arrivées à ce point, on n'est plus en droit de
compter, même avec une contention exacte de la hernie, sur une guérison com-
DicT. ESC. i' s. XIII. 4i
690 HERNIES.
plètc. La restitution intégrale des anneaux n'est plus possible; la hernie est
devenue incurable. Il n'en est pas de même lorsque les anneaux n'ont subi
qu'une dilatation et une déformation peu accentuées. La guérison peut encore
survenir. « Lorsque, dit Cruveilhier, la dilatation de l'anneau ne dépasse pas une
certaine mesure, lorsque l'élasticité du tissu fibreux n'a pas été vaincue, on peut
espérer que la contention des parties déplacées, en supprimant toute cause de
dilatation, permettra à l'anneau de revenir sur lui-même, de recouvrer sa résis-
tance et, par conséquent, de suflire à la contention. »
Ce qui explique ces différences d'évolution suivant la dilatation, c'est que les
changements notables dans la forme des anneaux s'accompagnent ordinairement
d'altérations importantes de leur structure. Ces altérations sont variables au
niveau des anneaux naturels fibreux, ou bien au niveau des orifices celluleux.
Les anneaux fibreux offrent, en même temps que l'émoussement de leurs
arêtes, que nous avons déjà signalé, une perte de résistance accentuée. Leur
rigidité, leur inextensibilité, ont, pour ainsi dire, complètement disparu. En
résumé, le tissu fibreux qui les compose a perdu tous ses caractères physiques,
tout en ayant gardé cependant sa structure anatomique. Les Hdsceaux qui les
forment sont toujours des faisceaux fibreux, le tissu en lui-même est conservé,
mais il semble qu'il a subi un certain degré d'atrophie. Cruveilhier avait par-
faitement indiqué celte altération, sur laquelle Gosselin insiste à son tour, et
ils font remarquer, tous les deux, que cette modification des anneaux fibreux
les rend impropres à devenir des agents d'étranglement, conséquence très-
importante et dont il faut se souvenir.
Quant aux orifices, constitués au contraire, en totalité ou pour la plus grande
partie, par du tissu conjonctif, comme l'anneau interne du trajet inguinal, ou
les orifices du fascia cribriformis, par lesquels se produisent les hernies cru-
rales, ils présentent des modifications différentes. Dans certains cas ils con-
servent tous leurs caractères, c'est-à-dire leur souplesse et leur extensibilité.
D'autres fois, cédant sous la pression constante des viscères, ils se laissent pro-
gressivement élargir, d'une manière presque indéfinie, et disparaissent presque,
en tant qu'orifices constitués; on trouve simplement autour de la hernie un
tissu souple et extensible qui n'a plus l'aspect d'un anneau. Mais, le plus sou-
vent, ils su»l)issent une transformation beaucoup plus remarquable. Sous l'in-
fluence de l'irritation que peuvent produire à leur niveau les mouvements inces-
sants des viscères, le tissu cellulaire se transforme peu à peu en tissu fibreux
et perd ses caractères primitifs. L'orifice, d'abord souple, se transforme en un
anneau dur, rigide, inextensible, sa dilatabilité disparaît, il devient résistant et
peut, si la hernie continue à se développer, jouer un rôle actif dans les phéno-
mènes de l'étranglement. « Nous verrons, dit Gosselin, qui insiste sur ce point,
que c'est là tout le secret non dévoilé, jusqu'à présent, de l'anneau fibreux de
la hernie crurale qui a tant embarrassé les anatomistes. »
Tumeur herniaire. La tumeur herniaire comprend deux parties impor-
tantes qui demandent à être étudiées séparément : ce sont les enveloppes
et le contenu de la hernie.
Les enveloppes sont formées par une série de couches superposées qui sont,
en allant de la superficie vers la profondeur, la peau, le tissu cellulaire sous-
cutané, des fascia lamelleux et aponévrotiques en nombre variable, suivant le
siège et la variété de la hernie, et enfin le sac herniaire ou enveloppe péritonéale.
Pour ne pas nous répéter inutilement, nous allons décrire d'aboi'd le sac, qui
HERNIES. 691
conslitue la plus intéressante et la plus utile à connaître de toutes ces enve-
loppes, et l'élude des rapports de sa face externe nous amènera à nous occuper
plus utilement de toutes les couches qui lui sont extérieures.
Sac heimiaire. L'existence du sac herniaire est constante, à part quelque:
très-rares exceptions que nous examinerons plus loin. La connaissance de cettt
disposition n'est pas très ancienne : l'existence du sac n'a pas été toujours
admise, ni surtout acceptée pour toutes les hernies. Les Anciens croyaient eu
effet que, dans la plupart des hernies et surtout dans celles qui se produisent
brusquement, l'issue des viscères ne pouvait se produire qu'au prix de la rupture
du feuillet pariétal du péritoine. Du temps de Celse, on pensait que le péritoine
était toujours rompu. Ce n'est que quehiues siècles plus lard que l.éonidès
d'Alexandrie établit pour la première fois l'existence de deux sortes de hernies :
les unes brusques, par rupture du péritoine, les autres plus lentes, par relâche-
ment de cette membrane. Tout le inoyen âge et même le commencement de la
Renaissance acceptèrent cette division que l'on retrouve dans les œuvres de
Franco et d'Ambroise Paré. Ce n'est qu'au dix-huitième siècle que la présence
du sac herniaire fut démontrée et acceptée. Ce serait, au dire deDroca, Verduc,
à la fin du dix-septième siècle, dans sa Pathologie de chirurgie, parue à Paris
en 1694, qui aurait le premier décrit le sac herniaire, indiqué son origine et
son trajet. Quelques années plus tard, en 1701, Méry, auquel ou a attribué cette
première description, communiqua à l'Académie des sciences ses recherches sur
les hernies. Il y décrivait, avec une plus grande précision que ses devanciers, h
sac et les autres enveloppes herniaires. A partir de ce moment, l'existence du
sac devint de plus en plus incontestée, et cela surtout grâce aux travaux des
chirurgiens du dix-huitième siècle, et principalement de J.-L. Petit, Pott,
Hichter, Arnaud, Ledran. Puis, bientôt après, Scarpa et Dupuytren ont mis hors
de conteste la disposition qu'a le péritoine à se laisser eniraîner par les viscères
pour leur former une enveloppe immédiate. Cependant, si le sac était mieux
connu et mieux étudié, son existenv:e ne fut pas encore admise pour toutes les
hernies. La plupart des chirurgiens que nous venons de citer niaient sa présence
dans la hernie ombilicale. Méry, Ruysh, Dionis (1714), de la Faye (1714),
Garengeot, J.-L. Petit lui-même (1783), croyaient que la hernie ombilicale était
toujours dépourvue de sac. Il a fallu les travaux plus récents de Richter, 1788,
Sabatier, 1800, Sœmmerring, Scarpa, Boyer, Astley Cooper, 1827, pour arriver
à démontrer que la hernie ombilicale était, aussi bien que les autres, munie d'une
enveloppe séreuse.
Cependant il existe quelques rares exceptions sur lesquelles nous aurons à
revenir, concernant des hernies traumatiques et congénitales dans lesquelles le
sac fait défaut; dans d'autres cas enfin il peut être incomplet.
Quoi qu'il en soit, dans l'immense majorité des faits, le sac se présente sous la
forme d'une membrane assez résistante, mince, sur laquelle on arrive bientôt
lorsque l'on incise, peu à peu et couche par couche, la peau, le tissu sous-
cutané et les feuillets celluleux et aponévrotiques qui recouvrent la hernie.
Cette membrane est ordinairement assez lâchement adhérente aux couches
extérieures. Sa forme et son volume reproduisent ceux de la tumeur herniaire.
En suivant le sac vers les parties profondes, on arrive bientôt à une portion
plus ou moins rétrécie qui semble s'enfoncer dans l'orifice qui livre passage aux
viscères. Son épaisseur est variable suivant les cas, ainsi que l'on peut s'en rendre
compte quand on l'incise. Une fois qu'il est ouvert, le doigt qui pénètre dans son
C92 HERNIES.
intérieur s'introduit dans une cavité fermée dont la face interne est ordinaire-
mant très-lisse et polie, qui contient une petite quantité de térosité et présente
tous les caractères d'une surface séreuse. Si, après avoir refoulé les organes
qu'il peut contenir, le doigt remonte vers la portion rétrécie que nous avons
déjà vue s'engager dans l'orifice herniaire, il pénètre dans une sorte de goulot
plus ou moins étroit et allongé. Là, continuant sa route, le doigt franchit alors
ce point rétréci qui constitue un véritable orifice et pénètre dans la cavité ab-
dominale, et l'on peut alors se convaincre que la face interne du sac se con-
tinue directement avec la cavité péritonéale. Cet orifice établit une communication
entre l'abdomen et le sac herniaire, dont cet organe n'est bien manifestement
qu'un diverticule.
Pour mieux étudier les détails de la disposition du sac herniaire, on l'a
divisé en trois portions : le collet, le corps et le fond. On désigne sous le nom
de collet toute la portion rétrécie qui fait comnmniquer sa cavité avec l'abdomen,
c'est-à-dire la partie du sac qui correspond à l'orifice par lequel se sont engagés
les viscères. Le corps du sac est la partie de cette poche qui s'épanouit à l'exté-
rieur (les anneaux et qui se trouve en l'apport avec les couches extérieures.
Enfin le fond est, ainsi que son nom l'indique, la portion terminale de la poche
séreuses elle est ordjnairement tournée vers la peau et forme dans un très-grand
Jiombre de cas la partie du sac la plus superficielle.
Les sacs herniaires n'ont pas tous la même forme, ainsi qu'il est facile de
s'en apercevoir lorsque l'on voit les dimensions et les formes diverses des
".ernies. Cette configuration est extrêmement variable : il y a presque une con-
figuration spéciale à chaque cas. J. Cloquet, dans sa thèse de concours, Sur les
causes et Vanaiomie des hernies abdominales (1819), est l'auteur qui a cer-
tainement le mieux étudié le sac herniaire, et aux recherches duquel on a bien
peu ajouté depuis ; il a décrit un certain nombre de types réguliers primitifs.
Ceux-ci combinés les uns avec les autres de différentes manières peuvent donner
naissance aux nombreuses variétés secondaires qu'on rencontre. Ces types sont :
1" Le sac cylindroide (fig. 1), qui représente une sorte de cylindre creux dont
Fig. 2. Fig. 5. fis- i-
l'axe varie de longueur, mais dont le diamètre transversal est sensiblement
le même au niveau du corps, du fond et du col ;
2" Le sac sphe'roïdal (fig. 2), qui a une forme globuleuse, marronnée, dont
tous les diamètres sont sensiblement égaux, avec un collet ordinairement très-
court et très-étroit;
5" Le sac conoïde (fig, 5), qui a la forme d'un cône creux dont la base large
répond à l'abdomen et dont le sommet plus ou moins obtus cozistitue le fond;
4° Le sac conoïde renversé ou piriforme (fig. 4). 11 présente un collet ordi-
HERNIES. 695
nairement long et étroit, et, à mesure qu'il s'éloigne de l'anneau, il s'élargit
insensiblement et se termine par un fond hémisphérique. Ce dernier type pour-
rait d'ailleurs, suivant J. Cloquet, être, jusqu'à un certain point, considéré
comme secondaire : il paraît provenir, soit d'un sac cylindrique dont le fond se
serait dilaté, soit d'un sac sphéroïdal dont le col se serait très-allongé.
Ces variétés dans la forme du sac herniaire ne sont pas des dispositions for-
tuites et de hasard. Elles sont dues à certaines conditions et déjiendent de la
forme et de la constitution des anneaux herniaires qui règlent la configuration
du collet, de la résistance inégale des couches extérieures qui permettent tel
ou tel développement du corps et du fond. C'est dire par là que le sac affecte
telle ou telle forme suivant la région herniaire. C'est ainsi que le sac cylindroïde
se rencontre souvent dans les hernies inguinales, très-rarement dans les autres
espèces. Le sac globuleux s'observe dans les hernies ombilicales, crurales, obtu-
ratrices, dans celles de la ligne blanche, et enfin dans les hernies inguinales
obliques internes. Les sacs conoïdes se trouvent dans une espèce particulière
de hernie oblique interne et certaines variétés crurales. Enfin, les sacs piri-
formes sont plus spécialement réservés aux hernies inguinales volumineuses,
obliques externes, et même obliques internes, et à quelques cas de hernie
crurale.
Quelle que soit, du reste, la configuration du sac herniaire, elle n'a aucune
espèce d'influence sur le mécanisme de sa production.
Voici comment on peut comprendre la formation du sac. Lorsque, au niveau
d'un orifice herniaire, le péritoine est lâchement adhérent aux couches sous-
jacentes; lorsqu'il existe, au-dessous de lui, un fascia propria lamelleux, peu
serré, la pression des viscères sur la portion du péritoine qui recouvre l'orifice
refoule, dans le trajet, une portion plus ou moins étendue de la séreuse qui,
glissant sur les plans profonds, se laisse déplacer, entraîner, repousser par les
viscères. Il se forme alors une dépression plus ou moins profonde, communi-
quant par un orifice rétréci, le collet, avec la cavité du ventre. Ce mode de
formation est désigné sous le nom de sac par glissement ou par locomotion du
péritoine.
Tout autre est le mécanisme, si le péritoine est relié à l'anneau ou aux parties
voisines par des adhérences assez serrées, inextensibles, et ne permettant pas le
glissement de cette membrane. Il est bien encore déprimé et refoulé par la pression
des viscères, mais retenu par des adhérences, au lieu d'être entraîné, il n'est
que distendu, et le développement du sac est alors limité par le degré d'extensi-
bilité de la séreuse. Le sac se produit alors par distension. Djns ce cas la
séreuse est naturellement étendue, amincie, et à un degré tel que le sac a pu
passer quelquefois inaperçu. Ce mécanisme est constant dans les hernies ombi-
licales où le péritoine adhère intimement à l'anneau. Aussi le sac herniaire
ombilical, pour peu que la tumeur soit développée, atteint une minceur extrême,
ce qui explique pourquoi, pendant si longtemps, les chirurgiens ont pu en
méconnaître l'existence dans cette variété.
Du reste, ces deux mécanismes de la formation du sac ne sont pas toujours
aussi nettement séparés qu'il le semble à première vue. Les auteurs modernes
pensent qu'ils sont associés à des degrés divers dans les hernies volumineuses
et anciennes. En effet, à mesure que les viscères hernies s'engagent de plus en
plus dans le sac et forment une saillie plus considérable, la limite de la loco-
motion est bientôt atteinte, les adhérences normales du péritoine empêchent
694 HERNIES.
une portion plus considérable de la séreuse d'être entraînée au dehors, et le sac
ne peut plus s'accroître que par la distension de la portion déjà sortie. C'est ce
qui explique pourquoi l'on rencontre souvent un amincissement marqué du fond
de certains sacs et des parties qui l'avoisinent. On peut quelquefois y observer,
ainsi que l'a fait remarquer J. Cloquet, quelques petites éraillures partielles
qui sont la preuve de la distension subie.
Le sac, ainsi formé, mérite d'être étudié dans ses différentes parties, qui
peuvent être le siège de modifications importantes. 11 faut successivement exa-
miner son orifice, son collet et son corps.
L'orifice de communication du sac ne doit pas être confondu avec le collet.
Celui-ci n'existe que dans les hernies assez anciennes pour que leur sac ait subi
à ce niveau des transformations dont le résultat est de constituer véritablement
une sorte d'élément nouveau qui est le collet herniaire.
L'orifice du sac a une forme extrêmement variable, et qui est souvent en
rapport avec la forme de l'ouverture de la paroi abdominale qui est le siège de
la hernie. 11 est souvent arrondi, quelquefois allongé en forme de fente plus
ou moins oblongue. Il se présente, dans quelques cas, sous l'aspect d'un trou
triangulaire, comme dans certaines hernies crurales. Enfin, au lieu de se trouver
exactement situé sur le plan même du feuillet pariétal du péritoine, l'orifice
du sac est quelquefois au centre d'une dépression plus ou moins marquée, et
même à\m véritable entonnoir membraneux, comme dans les hernies inguinales
obliques internes, au fond de la fossette vésico-pubienne.
Les dimensions de cet orifice sont aussi variables que le degré de dilatabilité
des anneaux, qui peuvent aller depuis le calibre d'un tuyau de plume d'oie
jusqu'à dépasser le diamètre du poing et même davantage.
Mais, quelle que soit sa largeur, il présente presque toujours la même
direction, et son axe est ordinairement dirigé vers le centre de l'abdomen.
Cependant, dans quelques cas, et dans les hernies à direction très-obliques,
comme dans certaines inguinales obliques externes récentes, il peut être même
en partie masqué par une sorte de repli valvulaire.
Collet du sac. Lorsqu'une hernie est récente, et que pour la former une
portion plus ou moins grande du péritoine s'engage dans un orifice relative-
ment étroit, la séreuse est obligée de se froncer, de se plisser comme l'orifice
d'une bourse dont on aurait serré les cordons. Plus elle s'engage, plus les plis se
multiplient. On peut donc dire, avec Le Dentu, que « les plis doivent manquer
quand le sac se forme par distension, qu'ils doivent être au contraire d'autant
plus nombreux qu'il s'engage par glissement une portion plus étendue de la
séreuse. »
Ces plis sont d'abord simplement en contact les uns avec les autres.
Bientôt, si la hernie est ancienne, si rien ne vient distendre l'orifice et per-
mettre le déplissement et l'effacement de ces plis, on voit survenir des modi-
fications importantes signalées d'abord par Arnaud et Scarpa, bien étudiées
depuis par J. Cloquet, Deraeaux (1842) etRoustan (1843).
En effet, à une époque plus avancée, les plis d'abord simplement juxtaposés
arrivent à contracter entre eux des adhérences, par le contact prolongé des sur-
faces séreuses, le collet est alors constitué. Les plis primitifs se trouvent rem-
placés par une série de lignes et de plaques blanchâtres disposées ordinairement,
comme les plis, de manière à former une sorte d'étoile à plis rayonnants. Ces
lignes sont tantôt à peine visibles, tantôt forment des petites crêtes saillantes,
HERNIES. C9j
parfois de véritables colonnes fibreuses séparées par des sillons et des dépres-
sions peu profondes.
Ce sont toutes ces dispositions que J. Cloquet a désignées sous le nom de stig-
mates du sac herniaire, « parce qu'elles offrent, dit-il, beaucoup de ressemblance
avec les vraies cicatrices du péritoine et des autres membranes séreuses. » En
même temps, on trouve d'autres modifications du côté de la surface externe du
collet, modifications étudiées pour la première fois par Demeaux [Recherches
sur révolution du sac herniaire, 1842). 11 paraît plus adhérent aux organes
voisins. De plus, le tissu cellulo-adipeux qui le tapisse se transforme en une
touche nouvelle qui renferme une grande quantité de vaisseaux sanguins. Cette
vascularisation converge de toutes parts vers le collet et s'irradie ensuite sur la
partie supérieure du sac pour se perdre dans la couche cellulaire avec laquelle
•elle se continue.
A ce moment le collet forme une sorte d'anneau fibroïde, ordinairement plus
épais que le reste du sac, et qui est dur, rigide, inextensible. Demeaux croyait
que toute cette vascularisation extérieure, avec formation d'un tissu épais et
rougeâtre, aboutissait à la création d'un véritable tissu dartoique : lîoustan a
démontré l'erreur de Demeaux sur ce point, et Gosselin et Malgaigne après lui
ont fait voir, à leur tour, qu'il se faisait là tout simplement un tissu conjonctif
de nouvelle formation qui aboutit, en suivant les lois d'évolution ordinaire des
cicatrices, à la constitution d'un anneau fibreux cicatriciel. C'est la rétraction
propre à ce tissu nouveau qui explique la tendance ordinaire de ce collet à se
former, à se rétrécir, à se rétracter, et même à s'oblitérer dès que les organes
cessent d'agir sur lui. C'est là, d'après Demeaux, la période de resserrement, qui
€st le mécanisme réel de la guérison spontanée des liernies.
D'ailleurs, Demeaux et Cloquet avaient parfaitement compris, malgré l'erreur
de détail de Demeaux sur l'existence du tissu dartoique, que la formation et
l'évolution du collet herniaire sont le résultat d'un travail de phlegmasie chro-
nique. Du côté de la séreuse, ce travail se traduit par une sorte de péritonite
plastique et adhésive qui entraîne l'adhésion des plis péritonéaux et la formation
de produits exsudatifs qui forment plus tard les stigmates. A la partie externe,
« l'inflammation lente entraîne, dit Duplay, la transformation fibreuse, l'épais-
sissement, la vascularisation et la rétraction du tissu cellulo-adipeux. »
Parmi les causes auxquelles il faut attribuer ce travail d'organisation du collet
du sac, Gosselin place en première ligne l'irritation créée par la présence con-
stante du bandage dans les hernies bien contenues et principalement dans les
petites hernies. Cependant cette étiologie n'est pas absolue, puisqu'on rencontre
des collets bien constitués dans les hernies mal contenues, et même quelquefois
dans certaines grosses hernies. 11 faudrait joindre à cette cause, d'après S. Duplay,
« l'influence si manifeste que le déplacement pathologique d'un organe exerce
sur la transformation du tissu celluleux en tissu fibieux, et dont on trouve des
preuves dans l'histoire des luxations traumatiques ou spontanées des fractures
avec déplacenient, des anévrysmes, des tumeurs et d'autres lésions patholo-
giques des plus variées. »
Le collet, d'ailleurs, ne se présente pas toujours avec le même aspect. Quand
il est bien constitué, qu'on l'examine sur une hernie petite, ancienne et
habituellement bien contenue, il a la forme d'un anneau plus ou moins serré,
mais rigide, dur, complélement fibreux et formant un cercle ferme, souvent
assez étroit : c'est le collet complet. Si, au contraire, la hernie est mal
696 HERNIES.
maintenue ou que, pour une raison quelconque son volume s'accroisse brusque-
ment et à plusieurs reprises, l'organisalion du collet reste incomplète. Tantôt
alors, le collet ne forme que Ja moitié ou les deux tiers d'un anneau, le reste
de l'ouverture étant llexible et dilatable. D'autres fois, il est spiroïde, par
suite de son déplacement partiel au moment de son évolution. 11 peut encore
former un cercle complet, mais ce cercle est large, peu épais, peu résistant.
Enfin, dans certaines consistances et principalement dans les hernies très-volu-
mineuses passant à travers un anneau dilaté outre mesure, le collet peut man-
quer entièrement. Il existe quelquefois sous la forme d'un simple anneau très-
peu épais, presque tranchant, et constitue aussi un véritable canal ayant
plusieurs centimètres de longueur. Demeaux cite même, comme absolument
exceptionnelle, une hernie congénitale qui possédait un collet long de 40 cen-
timètres.
Ce collet, qui se forme toujours au niveau des orifices de passage, se trouve
en rapport avec leur contour fibreux ou fibro-celluleux. Il est ordinairement
relié à ces anneaux par l'intermédiaire d'un tissu cellulaire plus ou moins
abondant, et qui crée entre ces deux organes des adhérences plus ou moins
serrées. On croyait, au siècle dernier, qu'il y avait toujours entre le collet et
l'anneau des adhérences absolument intimes : aussi, lorsque Ledran publia le
premier fait de réduction en masse d'une hernie étranglée par le collet, arrivé
entre les mains de G. Arnaud, Louis, à l'Académie de chirurgie, se refusa à
admettre que le fait fût exact. Arnaud est donc le premier qui ait soutenu que
les adhérences étaient moins intimes qu'on ne l'avait cru. Les recherches des
auteurs qui ont suivi, et en particulier celles de Demeaux, ont démontré que
souvent il n'y a entre le collet et les anneaux fibreux que des adhérences assez,
lâches formées par un tissu cellulaire lamelleux. L'adhérence étroite entre ces
deux organes peut donc exister, mais non pas d'une manière constante.
Du reste, comme les anneaux naturels livrent tous passage à des vaisseaux
assez importants, il resterait ù étudier quels sont les rapports du collet du sac
avec les gros vaisseaux, car il faut savoir exactement où sont situés ces troncs
vasculaires, dont il importe d'éviter la blessure dans les opérations de kélolomie.
Seulement, comme ces rapports varient à chaque orifice, il est plus utile, à
notre avis, de les étudier en détail en faisant l'histoire particulière de chaque
hernie.
Quant au sac lui-même, en dehors du collet il subit beaucoup moins de modi-
fications, et celles-ci sont d'ailleurs bien moins importantes. Dans la plupart
des hernies simples, surtout lorsqu'elles sont petites et moyennes, le feuillet
péritonéal ne subit aucune altération et garde ses caractères normaux d'épaisseur
et de consistance. Dans d'autres cas, au contraire, le sac peut être tantôt aminci,
tantôt épaissi.
L'ammcissement du sac ne se rencontre guère que dans les hernies volumi-
neuses, et presque toujours il es! le résultat de la distension du feuillet séreux.
Dans ce cas, c'est surtout au niveau du fond que l'on observe une portion
amincie, quelquefois même l'amincissement peut aller jusqu'à la production de
très-légères éraillures, de petites verget\ires signalées surtout par J. Gloquet.
D'autres fois, au contraire, c'est une portion isolée du sac qui cède plus
que les autres à la distension et amène la formation de bosselures plus ou
moins accentuées, capables parfois d'en modifier la forme primitive. De plus,
dans certains cas, d'après J. Gloquet, le péritoine paraît avoir subi un certain
HERNIES. 697
travail d'absorption, une sorte d'atrophie qui réduit le sac à une toile transpa-
rente excessivement mince.
L'épaississement du sac herniaire peut être, lui aussi, soit géne'ral, soit par-
tiel. 11 peut tenir à plusieurs causes. Il est quelquefois du à une sorte d'aug-
mentation de densité de ses lames les plus extérieures qui deviennent blan-
châtres et fibreuses. D'autres fois il se fait dans son épaisseur un dépôt de tissu
graisseux, qui va jusqu'à le transformer en une tunique presque aussi épaisse
que la paroi intestinale. On peut aussi constater, dans son intérieur, une sorte de
dépôt de lymphe plastique, qui est toujours le résultat d'un travail inllamma-
toire et aboutit à la formation de néomembranes plus ou moins organisées et
souvent absolument adhérentes à sa surface interne. Ajoutons enfm qu'il peut
être le sujet d'altérations aboutissant à des dépôts partiels de substance calcaire,
à aspect ostéoïde, signalés par tous les auteurs et dont Demeaux a publié un
exemple remarquable dans une observation présentée en 18-42 à la Société
anatomique de Paris.
Enveloppes extérieures du sac. En dehors du sac herniaire, on trouve des
lamelles aponévroliques en nombre variable, du tissu cellulaire et la peau. Ces
parties ne présentent quelques modifications que dans les hernies anciennes.
En effet, dans les hernies récentes il n'y a pas encore de modifications
importantes, le sac n'a contracté que des rapports de voisinage avec les parties
environnantes. D'ailleurs, la peau n'est pour ainsi dire jamais modifiée, elle est
plus ou moins distendue au niveau de la tumeur herniaire suivant le volume
de cette dernière. A part quelques érythèmes et quelques excoriations qui sont
toujours le résultat de la pression du bandage, elle est ordinairement saine.
Les rapports du sac avec les couclics sous-cutanées sont plus intéressants à
connaître. Conimenousle disions précédemment, dans les hernies récentes le sac
n'a que des rapports de contact avec le tissu cellulaire voisin, il le refoule suffi-
samment pour se faire sa place. Mais, à mesure que la hernie est plus ancienne,
sous l'inlluence des mouvements et des frottements, il s'établit entre la face
extérieure de la séreuse et le tissu cellulaire environnant des adhérences qui,
d'abord molles, glulineuses et assez lâches, s'organisent peu à peu et devien-
nent progressivement plus intimes et plus solides. L'étude de ces adhérences est
importante pour établir nettement ce que devient le sac herniaire dans le taxis,
et pour savoir s'il est possible de réduire le sac en mèuie temps que l'on fait
rentrer son contenu. D'ordinaire le taxis n'opère que la réduction du contenu
de la hernie, et le sac reste en dehors. Scarpa prétendait que dans les hernies
récentes, et alors qu'un sac est peu volumineux, il est facile de le réduire.
Cloquet admet aussi cette possibilité, dans les cas où le collet n'est pas encore
fibreux et résistant. Demeaux, au contraire, adopte une opinion complètement
opposée, et dans les nombreuses expériences qu'il a tentées sur le cadavre pour
opérer la réduction de sacs des hernies peu anciennes il n'a jamais pu y par-
venir complètement. Nous serions disposés à nous ranger à l'avis de Demeaux,
et à croire avec lui que les adhérences que contracte si facilement et si rapi-
dement le sac avec le tissu conjonctif environnant doivent être la principale
raison de cette irréductibilité du sac.
D'ailleurs, en outre des adhérences, ces enveloppes extérieures du sac subis-
sent une série de transformations assez notables. Quelquefois, et surtout à cause
de l'établissement des adhA-ences, ce tissu cellulaire s'épaissit et s'indure. Mais,
le plus souvent, les couches cellulaires s'amincissent, se multiplient, les lames
•6?8 HERNIES.
cclluleuses et aponévrotiques se décomposent en un nombre souvent assez con-
sidérable de feuillets secondaires concentriques au sac herniaire et reliés entre
eux par des adhérences lâches. Aussi, lorsque l'on dissèque une hernie, trouve-
t-on ordinairement, entre la peau et le sac herniaire un nombre de lames
cellulo-fibreuses beaucoup plus grand que l'anatomie normale n'en montre dans
la même région, à l'état sain.
En outre, souvent ces tissus s'inlillrent de graisse. Le dépôt du tissu grais-
seux se fait souvent entre les différentes couches du tissu conjonclif, quelque-
fois môme entre les différentes couches des parois du sac. D'autres fois, au con-
traire, le tissu graisseux se produit en masse, adhère au fond ou à la partie
externe du sac herniaire, formant un véritable lipome dont, nous l'avons déjà
vu, la signification a été diversement interprétée, et qui a été regardé d'une
,part comme une des causes de la formation du sac, et d'autre part comme un
des mécanismes de la guérison spontanée de la hernie. Il se présente alors
sous la forme d'une masse adipeuse, plus ou moins lobulée, ou de petits pelo-
tons graisseux séparés, mais toujours adhérents à la face externe de la séreuse.
Enfin on rencontre quelquefois, entre le sac herniaire et la peau, au sein du
tissu conjonclif, des petites cavités séreuses plus ou moins complètes dont la
<ionnaissance est importante pour le chirurgien, afin d'en empêcher la confusion
avec la cavité même du sac pendant la kélotomie.
En tête de ces poches séreuses se placent les kystes et pseudo-kystes saccu-
laires bien étudiés par S. Duplay dans sa thèse de doctorat {Collections séreuses
et hydatiques de l'aine. Paris, 1865). Dans les deux cas il s'agit de sacs her-
niaires déshabités dans l'intérieur desquels se serait fait une exhalation de
liquide séreux et qui, suivant qu'ils communiquent ou non avecle péritoine, for-
ment des pseudo kystes ou des kystes sacculaires.
Voici comment Duplay lui-même, dans son Traité de pathologie, résume
le mécanisme de leur formation : « Lorsque la hernie est habituellement con-
tenue, le collet du sac, obéissant à un travail de rétraction fibreuse comparable
au processus cicatriciel, se rétrécit et perd sou extensibilité. On conçoit que ce
travail puisse aller jusqu'à ne laisser substituer, au niveau du collet, qu'un canal
tout à fait insuffisant pour permettre le passage de l'intestin ou même presque
l'oblitération complète du collet. La hernie serait alors guérie, si les portions du
péritoine situées au-dessus du pédicule de la hernie, cédant à leur tour à la
pression des viscères, ne s'introduisaient dans le trajet herniaire constituant
ainsi un nouveau sac derrière le premier qu'elles refoulent en avant. » Dans les
pseudo-kystes sacculaires, l'orifice de communication est très- variable; tantôt
assez large, il est souvent assez réduit pour admettre à peine l'introduction
d'une sonde cannelée (observations de Sanson, Chassaignac et Nivet). L'épais-
seur des parois de ces pseudo-kystes est variable et présente autant de variétés
que le sac lui-même. Lu surface interne, ordinairement lisse et polie, montre
parfois des traces d'inflammation plus ou moins violente. Le liquide est tantôt
séreux et citrin, tantôt sombre, tantôt rougeàlre.
Les kystes sacculaires présentent à peu près les mêmes caractères, avec cette
différence que la communication avec la cavité du sac n'existe plus. Le kyste
peut être refoulé par le nouveau sac qui s'en coiffe, pai'lbis il est déplacé, écarté
sur l'un des côtés de la nouvelle tumeur herniaire. Mais, d'après Cloquet, qui
le premier a bien étudié ces faits, repris plus tard par Kuhn (de Niederbronn,
1859) et par S. Duplay, dans l'un et l'autre cas il serait possible de retrouver
HERNJES. liO?
sur l'une des parois du nouveau sac des stigmates, indices de l'ancien collet.
On peut aussi rencontrer au pourtour des hernies d'autres cavités séreuses
qui ont des origines purement accidentelles, qui n'ont aucune relation avec le
sac et qui ne peuvent être rattachées à d'anciens sacs oblitérés. Ce sont de
véritables hygromas développés dans le tissu cellulaire lamelleux. Pour Bérard,
ils seraient dus à un taxis prolongé et pratiiiué avec trop de violence. Cette
explication, d'après S. Diiplay, ne pourrait convenir qu'à quelques héma-
tomes, à des épanchements de sérosité sanguinolente. Pour Bioca, au con-
traire, ces kystes herniaires ont leur siège dans de véritables bourses séreuses
accidentelles, produites par raction prolongée d'un brayer sur les couches
sous-cutanées. Le fait est souvent exact, mais on peut trouver de ces liygromas
chez des malades dont la hernie n'a jamais été contenue, ce qui démontre qu'il
peut se former autour des hernies comme de toutes les autres tumeurs des
bourses séreuses accidentelles. « La condition la plus favorable de leur forma-
tion, dit Duplay, c'est qu'il existe une saillie anormale ou pathologique qui
soulève la peau de dedans en dehors et l'expose ainsi à des frottements répétés »
Du reste, quel que soit Je mode de formation du kyste herniaire, il se pré-
sente sous deux formes principales. Tantôt, semblable à une bourse sous cutanée,
il est situé en avant de la hernie entre la peau et la face antérieure du sac, il
est alors anti-herniaire ou pré-herniaire; tantôt il entoure et coiffe plus ou
moins complètement le sac de tous les côtés, remontant plus ou moins haut vers
son collet : on le dit alors péri-herniaire.
Avant de terminer l'étude anatomique des enveloppes de la hernie, il nous
reste à décrire un certain nombre de variétés intéressantes du sac, mais assez
rares, que nous réunirons sous le nom d'anomalies du sac herniaire.
Anomalies du sac. Ce sont des dispositions irrégulières, des variétés excep-
tionnelles du sac, tenant soit à sa forme, soit à sa disposition.
i" Sacs absents ou incomplets. «. Exceptionnellement ce sac herniaire
peut faire complètement défaut. On ne rencontre guère cette disposition que
dans certaines hernies congénitales ou traumatiques. Dans les hernies congéni-
tales, et ce sont surtout des hernies ombilicales et des hernies diapliragmati(jues,
le sac manque par suite d'un arrêt de développement du péritoine pariétal qui
ne s'est pas encore formé quand la hernie se produit. Dans les hernies trauma-
tiques, le péritoine ayant été déchiré en même temps que le reste des parois,
les viscères passent au travers de la déchirure (hernies viscérales à travers une
plaie récente, hernies diapliragmatiques traumatiques). Il en est de même dans
les hernies traumatiques par cicatrice.
Enfin le sac peut exceptionnellement faire défaut quand la hernie renferme
seulement un organe qui est à l'état normal incomplètement revêtu par la
séreuse péritonéale. Le fait a été observé surtout dans les hernies du caecum. Le
professeur Dichet en rapporte dans son Anatomie chirurgicale une observation
demeurée célèbre. Cette disposition, que l'on ne peut reconnaître qu'au cours
d'une kélotomic sur le vivant, est importante à prévoir, afin d'éviter la blessure
de l'intestin. De plus, à côté du fait de Richet, on pourrait, d'après Picqué,
«iter les faits analogues de Malherbe, Cabaret (de Saint-Malo), Heulard, Sleiger,
Sernix, etc.
p. Cependant, le plus souvent, dans les hernies du cœcum et dans celles de
la vessie, le sac n'est pas complètement absent, il est ordinairement incomplet.
Alors en effet, comme l'organe hernie ne possède pas un revêtement péritonéal
700 HERNIES.
complet, la portion qui en est dépourvue peut glisser entre le péritoine parie'tal
et la paroi abdominale jusqu'au niveau d'un orifice herniaire dans lequel elle
s'engage, entraînant seulement une portion de séreuse qui les recouvre incom-
plètement. Le péritoine, au lieu d'être refoulé par le viscère, est attire à leur
suite; il se place soit en arrière, soit sur les parties latérales, formant pour ainsi
dire une sorte de poche séreuse collatérale partiellement indépendante. C'est
une sorte de sac préformé dans lequel peut s'engager secondairement une anse
intestinale plus ou moins grande. Cette disposition du sac herniaire se rencontre
quelquefois dans les hernies du cœcum et plus souvent encore dans les hernies
de la vessie où elle est pour ainsi dire ordinaire. Mérigot de Tregny cite dans
sa thèse (1887) un certain nombre de hernies du caecum et de l'S iliaque avec
sacs incomplets.
2" Sacs à résistance inégale. Ce sont des sacs qui ont un aspect bosselé
avec un seul et unique collet. Cette forme anormale tient
ordinairement, soit à l'épaisseur variable des parois sui-
vant les différents points, soit aux rapports du sac, avec
quelque bride fibreuse ou quelque lamelle aponévrotique
qui aura limité son dévclo[)pement dans tel ou tel sens.
La distension du sac arrive alors à dilater seulement les
parties amincies et isolées, et ces dilatations partielles se
montrent sous la forme de bosselures plus ou moins
accentuées constituant une série de petites cavités se-
condaires surajoutées à la cavité principale. Le sac est
bi, tri ou multilobé {voy. fig. 5).
3" Des sacs à collets multiples. Le sac à collet mul-
5 pj„ tiple peut se présenter sous des aspects divers et être
dû à des mécanismes très-différents.
En premier lieu, la hernie peut traverser un trajet plus ou moins long,
pourvu de deux anneaux fibreux qui résistent à la dilatation. En ces deux
points rétrécis du trajet il peut se faire deux collets complets séparés par un
espace plus ou moins dilaté qui correspond à la portion interstitielle du trajet.
On rencontre cette disposition dans certains cas de hernie oblique externe com-
plète. Le sac comprend alors une portion extérieure à l'anneau superficiel
descendant plus ou moins complètement dans les bourses, un premier collet au
niveau de l'anneau externe, une portion interstitielle assez dilatée et enfin un
second collet au niveau de l'orifice inguinal profond. Souvent alors le collet
profond est celui qui est le plus serré, et c'est à son niveau qu'il faut aller
chercher l'obstacle en présence de phénomènes d'étranglement.
Souvent au contraire on trouve dans un même sac herniaire une série de
collets superposés les uns au-dessus des autres et séparés par autant de petites
cavités dont chacune constitue un sac véritable. On les a désignés sous le nom
de sacs superjjosés ou sacs en chapelet. Chaque renflement présente tous les
caractères du sac véritable, et chaque rétrécissement est manifestement un
collet, plus ou moins complet, fibreux, épais, dur, sur les deux faces duquel
on rencontre ordinairement des stigmates qui eu révèlent la nature. Ordinaire-
ment, lorsqu'il y a deux ou trois renflements successifs, le dernier, c'est-à-dire
celui qui est le plus éloigné de l'anneau, est vide, ou bien il contient soit une
petite portion d'épiploon, ordinairement adhérent, soit un peu de sérosité. On
rencontre surtout ces sacs en chapelet dans les hernies inguinales. Scarpa
HERNIES.
TOI
semblait croire que c'était seulement dans les hernies congénitales, mais il est
aujourd'hui prouvé qu'on les observe aussi dans les accidentelles. Cette dispo-
sition a été signalée pour la première fois par G. Arnauld. Après lui, Reiley,
Hoin, Sandifort, Gaulmin, l'ont rencontrée. J. Cloquet en a cité plusieurs
exemples, ainsi que Demeaux, qui l'a observée une fois sur une hernie crurale.
Leur mode de formation a été diversement interprété, mais tous les chirurgiens
«e rattachent aujourd'hui à l'explication donnée par Arnauld et qui, malgré les
objections de Scarpa, a été admise par Cloquet, Demeaux, Gosselin et tous les
chirurgiens contemporains. C'est la théorie du refoulement du collet. Voici en
quoi elle consiste : lorsque le collet est complètement organisé, il est suflisam-
ment rétracté et resserré pour empêcher de nouvelles portions d'intestin de
pénétrer dans la hernie. Si alors de nouvelles poussées tendent à chasser de
nouveau les viscères au dehors, cette pression repousse en avant le collet ainsi
formé, qui se déplace en entraînant après lui de nouvelles portions du péritoine,
et celles-ci vont former un sac nouveau, lequel communiquera avec le premier par
le collet intei'médiaire. Ce nouveau sac verra se former au niveau de l'orilice
herniaire un second collet qui, à son tour, pourra être plus lard refoulé par
le même mécanisme et ainsi de suite. On aura alors une série de sacs super-
posés les uns au-dessus des autres et communiquant chacun par un collet plus
ou moins étroit, avec celui qui le suit et celui qui le précède (fig. 6).
Sac à appendice renversé. C'est encoi'e parmi les sacs à collets multiples
\
Fis. 6.
KiK 7.
que l'on peut placer la variété décrite par J. Cloquet sous le nom de sac à
appendice renversé, et dont il n'a rencontré que trois exemples. Voici comment
il le décrit : « Au fond de la partie postérieure du sac, on voit une ouverture
arrondie garnie d'un collet fibreux; elle conduit dans un appendice ou cavité
séreuse vide, conique, très-allongée, qui remonte verticalement à la partie posté-
rieure du sac. Le fond ou pointe de cet appendice qui en forme la partie la
plus élevée adhère très-intimement à la face antérieure des vaisseaux testicu-
laires à une distance variable de l'anneau. » Cette variété a toujours été ren-
contrée chez l'homme, sur des hernies inguinales obliques externes. Il s'agit
encore ici du refoulement du collet d'un ancien sac, et l'appendice n'est reu;
versé qu'à cause des adhérences du fond du sac primitif avec un point assez
voisin de l'anneau, aussi le collet refoulé devient alors, par suite du développe-
ment du sac nouveau, le point le plus déclive de l'ancien (fig. 7).
3° Des sacs doubles. Les sacs doubles comprennent plusieurs variétés :
702
HERNIES.
1" Le sac double peut être le résultat d'une distension partielle. Une bosse-
lure latérale peut, par suite d'une distension exage'rée, former une cavité
secondaire aussi considérable que la première. Dans ce cas, le sac est véritable-
ment bilobé et présenle deux corps et deux fonds, bien que n'ayant qu'un collet
unique.
2" Cette disposition peut encore être produite par la présence d'une bride
fibreuse ou vasculaire qui, gênant le développement normal du sac, déprime sa
paroi sur un point et lui donne un aspect bilobé (lig. 8). C'est ce qui se passe
dans la variété de hernie crurale décrite par Legendre sous le nom de hernie
de Hesselbach. C'est une hernie qui, après s'être produite par le trajet ordinaire
des hernies crurales, voit, à mesure qu'elle se développe, le fond du sac s'engager
par plusieurs orifices du fascia cribriformis et former des appendices sacci-
formes. « La hernie, dit Legendre, dans l'observation qui lui est propre, se
présente sous la forme de deux petites tumeurs arrondies, tout à fait isolées et
distinctes à l'extérieur où elles étaient recouvertes par le fascia super fie lai is.
Profondément, au contraire, ces deux loges communiquent ensemble au niveau
du collet de la hernie avant de traverser le fascia cribriformis. »
5° Enfin deux hernies peuvent sortir par le même orifice, constituant ainsi une
Fis. 8.
Fin. 9.
hernie double, mais non plus véritablement un sac double, car chacune d'elles
possède un sac complet et un collet indépendant. ,1. Cloquet a publié dans sa
thèse une observation de sacs herniaires multiples dans la région crurale, chaque
sac ayant une ouverture péritonéale séparée. Demeaux a vu, lui aussi, deux
hernies crurales complètes sortant par le même orifice et séparées par l'artère
épigastrique. Ledentu cite un cas de Farabeuf dans lequel une hernie crurale
était accompagnée d'une hernie à travers le ligament de Gimbernat. Enfin
P. Berger a signalé la coexistence du même côté d'une hernie inguinale externe
et d'une hernie inguinale directe. Les deux collets n'étaient séparés que par
l'artère épigastrique (fig. 9).
4° La variété la plus rare des sacs doubles est celle qui est décrite aujourd'hui
sous le nom de hernie propéritonéale. Cette variété a reçu des appellations
diverses. Elle a tour à tour été appelée hernie inguinale et intra-iliaque
(Parise), hernie inguinale, intra-pariétale (Birkett), hernie inguino-intersti-
tielle (Goyrand), hernie rétro-péritonéo-pariélale (Linhart), hernie para-ingui-
nale (Bruggiser), hernie en hissac (Baer) et enfin hernie diverticulaire ou
propéritonéale (Kronlein). Cette variété n'est pas de connaissance très-ancienne.
HERMIES. 705
Elle a été d'abord signalée par Froriep, puis Parise en 1852 en a réuni trois cas
dans un mémoire présenté à la Société de chirurgie, qui a été l'objet d'un
rapport de Gosselin. Depuis, elle a été étudiée par un certain nombre de
chirurgiens étrangers tels queDittel, Baer, Fischer, Mosetig, G. Richter, Streubci
et Kronlein, qui a écrit une véritable monographie de celte affection {Arcli. fi'ir
KUnishe Chirurgie, 1880). Depuis ce dernier travail, Bolling, Matiakovvski et
Wiesraann, ont publié à leur tour sur ce sujet des observations et des considé-
rations très-intéressantes.
Voici en quoi elle consiste : La hernie présente deux sacs herniaires, un sac
extérieur ordinairement contenu dans le canal inguinal et descendant plus ou
moins loin le long du cordon; l'antre intérieur situé en arrière de la paroi
abdominale entre le péritoine et cette paroi, c'est-à-dire dans le tissu cellulaire
sous-péritonéal. Ce second sac, qui communique avec le premier par son collet,
s'ouvre dans la cavité péritonéale par un orifice interne, souvent fort étroit et
qui constitue le véritable collet de la hernie : c'est le sac propéritonéal.
Cette disposition existe surtout au niveau de l'orifice inguinal, mais on peut
là rencontrer aussi dans d'autres régions herniaires. Kronlein en 1 880 avait
trouvé 23 cas de hernie inguino-propéritonéale et 1 cas dû à Tcssicr de hernie
cruro-propéritonéale. Wiesmann eniS85[Correspon(L Blatt fi' r Schweizer Aerzte ,
1" septembre) a pu réunir 42 observations de sacs propéritonéaux ; sur ces
42 cas, 59 étaient inguinaux, 3 étaient à l'orifice crural, et ces derniers tous
chez des femmes. Enfin, il existe à notre connaissance une observation de
hernie propéritonéale de l'ombilic qui a été présentée par M. Terrier à la
Société de chirurgie, en janvier 1881.
Quel que soit le siège de la hernie, le sac propéritonéal est situé entre le
fascia transversalis et le péritoine, et il existe ordinairement des adhérences
entre le sac, la paroi abdominale et le péritoine. Ses dimensions varient entre
le volume d'une noisette et celui d'une tète d'adulte. L'orifice abdominal, ordi-
nairement très-étroit, laisse quelquefois pénétrer deux ou trois doigts; les
contours formés par le péritoine pariétal sont presque toujours fibreux, tran-
chants, inextensibles. Les axes des deux sacs peuvent être situés dans le prolon-
gement l'un de l'autre, mais ils peuvent aussi faire entre eux un angle plus ou
moins obtus, quelquefois un angle droit. Dans le premier cas, l'ensemble de la
hernie a la forme d'un sablier; dans le second, les deux sacs sont inclinés l'un,
sur l'autre et contribuent tous les deux à la formation de l'orifice abdominal.
Ces sacs propéritonéaux n'ont été en général trouvés que dans des cas d'étran-
glement et même le plus souvent ils n'ont pas été reconnus sur le vivant.
Kronlein prétend avoir, dans un cas, diagnostiqué une hernie inguino-propéri-
tonéale, mais, comme il n'y a eu ni opération ni autopsie, le fait peut rester
douteux. BoUing a publié le 26 juin 1882 un cas de hernie propéritonéale
in"-uinale, diagnostiquée, reconnue par la kélotomie et guérie. Les guérisons de
faits de ce genre sont du reste peu nombreuses; avant ce fait de Bolling, on ne
connaissait guère que le cas de Rossander (de Stockholm, 1880) et celui de Tren-
delenburiT, publié en 1881 au dixième Congrès de chirurgie allemand. Nous
pouvons y ajouter une observation de Matlakowski publiée en 1883 dans le
Jaresberichtf. gesammte Medicin, et celui de Hurlimann paru dans la Corresp.
BJatt fiir schiveizer Aerste, le 15 décembre 1885. Dans ce dernier cas, le
malade avait subi une laparotomie, car les accidents d'étranglement dus au sac
propéritonéal avaient reparu le troisième jour après une kélotomie primitive.
704 HER.MKS.
Quoi qu'il en soil, plusieurs explications ont été mises en avant pour rendre
compte de la formation de ce sac propéiitonéal. Sa présence, surtout dans les
jjernies étranglées, avait fait penser qu'il s'agissait là d'une sorte de réduction
en masse d'une partie du sac entraînant le collet de la hernie, une portion du
sac primitif restant au dehors. Cette théorie due à Tessier est reconnue fausse
aujourd'hui, car les adhérences qui existent entre le sac propéritonéal et la
paroi démontrent l'ancienneté de cette disposition.
11 faut aussi rejeter la théorie de Mosetig, qui pense que le diverticule péri-
tonéalest formé par suite du rétrécissement de l'orifice externe du canal inguinal
ou crural, et que la hernie, ne pouvant que difficilement le franchir, se développe
en décollant le péritoine pariétal. Comme ordinairement ces anneaux sont très-
larges, la théorie n'est pas soutenable.
Plus sérieuse est la théorie diverticulaire. Certains auteurs ayant remarqué
que beaucoup de ces hernies propéritonéales étaient d'origine congénitale, et
qu'elles s'observent le plus souvent à la région inguinale, sont portés à en attri-
buer la formation à un vice de conformation. 11 existe quelquefois, autour de
l'orifice inguinal, des diverticules péritonéaux dont la présence a été signalée
par Rokitansky, Gruber, Liidiard, llarlung. Si une hernie en se produisant
envoie un prolongement dans un de ces diverticules, la hernie propéritonéale est
constituée. Cette théorie a été soutenue surtout par Linhart, Baer, Kronlein,
mais elle a le défaut de ne pouvoir rendre compte que des faits d'origine con-
génitale, et ne peut être applicable aux hernies propéritonéales de l'orifice
crural et de l'anneau ombilical.
Reste enfin la théorie que l'on pourrait appeler théorie du refoulement pro-
gressif et qui a été admise par Gosselin et par Streubel. Voici comment elle est
exposée par S. Duplay qui s'y rattache : « Sous l'influence de pressions répétées
exercées en masse sur la tumeur, soit avec la main, soit au moyen d'un ban-
dage, le collet du sac lâchement adhérent au trajet herniaire l'abandonne peu
à peu et regagne l'intérieur du ventre, entraînant derrière lui la partie supé-
rieure du sac dont une portion peut encore rester comprise dans le trajet, dont
l'autre vient se loger entre le péritoine pariétal qu'elle refoule et la paroi
abdominale, puis le sac est bientôt fixé dans cette position anormale par des
adhérences qui l'unissent à la paroi abdominale et au péritoine. »
Autres variétés. Enfin on peut rencontrer sur le cadavre des sacs herniaires,
petits, étroits, déshabités. Ce sont ordinairement de petites cavités séreuses,
étroites et minces, plus ou moins allongées, admettant à peine l'extrémité du petit
doigt, qui se continuent avec la cavité péritonéale par un des orifices herniaires
ordinaires, mais surtout avec l'anneau crural et le trajet inguinal. De plus, ce
diverticule séreux est ordinairement plongé au sein d'une masse graisseuse de
volume variable, mais suffisante pour l'entourer complètement et qui lui
adhère absolument; c'est là véritablement le lipome herniiare.
Sans vouloir insister outre mesure sur cette disposition que nous avons déjà
signalée en étudiant le mécanisme de la fornration du sac, nous rappellerons
que l'interprétation de ce fait a partagé les chirurgiens en deux groupes. Les
uns, avec Scarpa, Gloquet, Velpeau, etc., ont vu dans ce petit lipome entourant
un diverticule péntonéal un premier degré de hernie ; le lipome entraînerait
au dehors un sac péritonéal tout préparé pour recevoir les viscères.
Pour d'autres, au contraire, à la suite d'Ambroise Paré, ce seraient là des
sacs vides, déshabités, refoulés par la graisse, et l'accumulation du tissu adipeux
HERNIES. 705
serait le mécanisme de la guérison de la hernie. Bigot, dans sa thèse en 1822,
refoule cette théorie qui a été adoptée par Bernutz en 1846, mais avec une
légère variante. La graisse, pour Bernulz, ne serait pas l'agent de la guérison,
mais elle serait produite pour combler le vide résultant de la rétraction et de
la diminution de volume du sac.
Aucune de ces explications ne s'applique à l'universalité des cas, et, si dans
la plupart des faits la théorie de la préformation du sac paraît véritable, il
existe certaines observations publiées par Bernutz oîi l'nmas graisseux se trouve
chez des sujets anciennement porteurs de hernies guéries depuis longtemps au
moment de l'examen, et dans lesquelles ce sac doublé de graisse jiaraît bien
véritablement être le vestige d'une lésion disparue. Il est donc impossible
d'admettre exclusivement l'une ou l'autre de ces théories.
Avant de terminer l'histoire des sacs herniaires, nous devons y signaler la
possibilité des lésions pathologiques et des dégénérescences susceptibles de se
développer sur le péritoine. Le sac peut présenter des tubercules ; on voit
se produire dans son épaisseur des néoplasmes cancéreux, mais ces lésions
n'y sont pour ainsi dire jamais primitives. Ainsi Hanot a relaté dans sa thèse
d'agrégation (188,") deux cas de tuberculose du sac herniaire chez des malades
atteints de péritonite tuberculeuse, et Chauffard a publié à la Société ana-
lomique (1882) une observation de hernie inguinale de l'S iliaque dans
laquelle un cancer développé sur l'anse herniée s'était propagé au sac ; le
malade était mort de péritonite généralisée.
Contenu de la hernie. Les hernies abdominales n'ont pas toutes un contenu
semblable : nous avons déjà vu que, suivant la nature même des organes
hernies, on les avait divisées en trois groupes. On a appelé entérocèles celles qui
ne renferment que de l'intestin, entéro-épiplocèles celles qui contiennent à la
fois de l'intestin et de l'épiploon, et épiplocèles enfin les tumeurs constituées
seulement par une portion du tablier épiploïque.
Mais cette division élémentaire est insuffisante pour nous renseigner exac-
tement sur la constitution de la tumeur herniaire. Nous devons rechercher
d'une façon plus précise quels sont les organes abdominaux que nous sommes
exposés à rencontrer dans les hernies.
Au dire de Cruveilhier, tous les viscères de l'abdomen, sauf le rein et le pan-
créas, seraient susceptibles de s'y trouver. En ne considérant que les hernies
communes, l'assertion de Cruveilhier est exacte : mais, si l'on veut com-
prendre dans la description toutes les hernies abdominales, même celles qui
sont exceptionnelles, la restriction portant sur les reins et le pancréas est peu
justifiée. En effet, dans les hernies diaphragmatiques congénitales, qui sont
souvent plutôt des cas tératologiques que pathologiques, tous les organes abdo-
minaux sans exception ont été rencontrés. Ainsi, la présence de tous les organes
uriaaires est signalée dans une observation empruntée au Philosophical Trans-
actions de Leipzig en 1802; les reins ont fait partie de la tumeur herniaire
dans les observations de Autenrieth, de Lâcher (3* observ.) et de Leibler. Quant
au pancréas, nous avons pu réunir 17 cas de hernies diaphragmatiques dans
lesquels le pancréas était au nombre des viscères déplacés.
Mais ce sont là, il faut le dire, des exceptions véritables, et d'une façon
générale l'aftirmatioa de Cruveilhier reste, en dehors de ces cas, parfaitement
exacte.
D'ailleurs, si tous les viscères abdominaux se rencontrent dans les hernies,
DICT. EXC. i" s. XUl. 45
706 HERNIES.
ils ne s'y montrent pas tous également, et il est nécessaire d'établir entre eux
de véritables catégories. D'après Griiveilliier, et ses conclusions à ce sujet ont
été reproduites par tous les auteurs, les viscères déplacés sont par ordre de
fré({uence :
i" Épiploou et intestin grêle;
2" L'S iliaque, le côlon transverse, le caecum et son appendice ;
5° L'ovaire et les trompes;
4" La vessie et l'utérus;
5° L'estomac, le foie et le duodénum.
Les deux premières classes comprennent à elles seules les hernies communes,
ordinaires; toutes les autres constituent les hernies rares. D'ailleurs, au point
de vue du contenu, on peut les diviser en hernies primitives et hernies consé-
cutives, suivant que le déplacement du viscère se fait primitivement et d'emblée,
ou bien consécutivement au déplacement d'un autre viscère qui entraîne le
second à sa suite. Comme l'intestin et l'épiploon sont les plus fréquemment
déplacés, c'est par eux que nous allons commencer l'étude des organes hernies.
La quantité d'intestin contenu dans une hernie peut varier depuis quelques
centimètres jusqu'à une longueur qui équivaut à la plus grande partie du
tube intestinal. Dans les vieilles hernies très-grosses on rencontre quelquefois
presque tout l'intestin grêle et une portion du gros intestin : c'est véritable-
ment dans ces cas extrêmes que la hernie a, comme on dit, perdu droit de
domicile dans l'abdomen.
Toutes les parties du tube intestinal peuvent se trouver dans les hernies.
Cependant c'est l'intestin grêle qui forme, presque à lui seul, le plus grand
nombre de ces déplacements. La présence du gros intestin est moins fré-
quente, mais elle a été constatée aussi dans presque toutes les variétés. Plus
habituelle dans les hernies ombilicales et dans les diaphragmatismes, elle a été
signalée aussi, ainsi que le démontre Mérigot de Treigny dans sa récente thèse
[Étude sur les hernies du gros intestin. Paris, 1887), dans les hernies lom-
baires, obturatrices, ventrales, vaginales, ischiatiques, crurales et inguinales.
Seulement les difféi'entes parties de cet intestin sont plus ou moins fréquemment
déplacées. Ainsi, tandis que c'est le côlon transverse qui s'observe surtout dans
les hernies ombilicales et dans les diaphragmatiques, il n'en est plus de même
]iour les hernies crurales et inguinales. Ce sont ici surtout le csecum et l'S
iliaque dont on constate la présence, ainsi qu'il résulte des statistiques de
M. Mérigot de Treigny. De plus, c'est dans ces cas qu'il y a des sacs incomplets
ou même des absences de sacs, et des dispositions anatomiques intéressantes
sur lesquelles nous aurons à revenir {voy. Her.me inguinale, Hernie crurale).
Du reste, on peut à ce point de vue diviser les tumeurs herniaires en trois
classes suivant qu'elles contiennent plusieurs anses intestinales, une anse com-
plète, mais unique, et enfin une anse incomplète. Dans ce dernier cas, la portion
d'intestin contenue dans le sac est assez petite pour qu'il n'y ait qu'une partie
de l'épaisseur du tube intestinal déplacée, une seule paroi et non pas un segment
de tube : l'intestin est dit pincé.
Le pincement herniaire n'est pas connu depuis une époque très-reculée. Ren-
contré pour la première fois par Morgagni, ce fut au début une surprise
d'autopsie. Bientôt Littre en 169'J, Ruysh, en publièrent des observations.
G. Arnaud en parle dans son Traité des hernies en 1749, et Louis, dans son
travail Sur la cure des hernies intestinales avec gangrène, paru en 1757 dans les
HERNIES. 707
Mémoires de l'Académie de chirurgie, ex;imliie les symptômes capables d'en
révéler l'existence. A partir de ce moment tous les auteurs qui se sont occupés
des hernies ont parlé du pincement herniaire : les observations se sont multi-
pliées et dans ces dernières années cette question a été l'objet d'un certain
nombre de thèses inaugurales, parmi lesquelles nous citerous surtout celle de
Loviot [Du jnncemenl herniaire de l'intestin. Paris, 1879); celle de Défaut {Du
pincement latéral de l'intestin avec persistance du cours des matières. Paris,
1879, et enfin celles de J. Ferrier [De l'occlusion intestinale dans le pince-
ment herniaire. Bordeaux, 1884), qui a pu en rassembler plus de 3U obser-
vations.
Cette disposition particulière ne se rencontre guère, et on le comprend facile-
nienl, que dans les hernies étranglées, rarement dans les hernies réductibles. La
portion pincée est toujours la même, c'est le bord intestinal opposé à l'insertion
mcsentérique. Enfin la quantité engagée est très-variable, depuis la simple
épaisseur de la paroi intestinale jusqu'à la majeure portion du calibre de l'anse
saisie. Le pincement herniaire peut se rencontrer à tous les orifices, mais il est
plus fréquent à l'anneau crural et à l'épigastre que dans les autres variétés; on
l'a noté cependant à l'anneau inguinal.
Du reste, au lieu d'une simple portion d'anse intestinale, la hernie ne peut
quelquefois comprendre qu'un appendice, une sorte de diverticule inséré à la
paroi et qui semble indépendant du tube intestinal lui-même. Pour Malgaigne,
ces diverticules ne seraient souvent qu'une simple élongation de la paroi pincée
latéralement et allongée mécaniquement. Ce diverticule faux ou acquis peut être
dû encore, comme dans le fait observé par Monro, à l'anneau crural, à une hernie
de la muqueuse à travers les fibres musculaires de l'intestin.
Le plus souvent au contraire il s'agit de diverticules vrais ou congénitaux. Ils
sont presque tous insérés sur l'iléon et résultent, d'après Broca, de la persis-
tance anormale du pédicule de la vésicule ombilicale. Ils s'insèrent d'une part
à l'intestin pour llotter par leur extrémité libre dans la cavité abdominale. Ils
sont creusés d'une cavité qui communique avec celle de l'intestin et dans laquelle
peuvent s'engager des corps étrangers ou des parcelles de matières fécales.
L'existence de ces anomalies fut découverte par Ruysh en 1698, et bientôt
après, dans son Thésaurus anatomicus, il en donna une planche gravée. 11 pensa
que ces diverticules pouvaient s'engager dans les hernies. « Cette fois du moins,
dit Broca, le raisonnement avait rencontré juste. En 1700, Littre communiqua
à l'Académie des sciences deux observations de hernies formées par ce diverti-
culuni, et l'année suivante Méry produisit un fait dans lequel une semblable
hernie avait donné lieu à des accidents. » Scarpa, Piichter, à leur tour, en ont
cité des exemples, les observations se sont multipliées rapidement et tous les
auteurs modernes en ont parlé. Cazin, dans sa thèse de doctorat en 1852
{Étude anat. et path. sur les diverticules de l'intestin), a étudié avec le plus
grand soin ces anomalies et a rapporté plusieurs cas de hernies diverliculaires
dus à Martin, Taignon, Telling, Kiecko, Hosenhorhl. Ceux-ci et quelques autres
ont été repris par Loviot et Ferrier dans leurs thèses. L'un des plus intéressants
est celui de Martin (de Bordeaux) en 1765, dans lequel l'appendice iléal hernie
contenait plusieurs vers intestinaux.
Mais ces hernies diverliculaires vrais, et même les pincements herniaires, sont
des dispositions rares, et le plus souvent les hernies intestinales contiennent une
ou plusieurs anses intestinales complètes, accompagnées ou non d'épiploon. Nous
708 HERNIES.
nous occupons seulement ici de ce qui concerne l'intestin, nous réservant d'étu-
dier ensuite ce qui touche à l'épiploon.
Dans les hernies intestinales réductibles une première question se pose : c'est
de savoir si, lorsque la hernie se reproduit, c'est toujours la même portion
d'intestin qui se glisse dans le sac. La réponse à cette question est facile à
faire : il est à peu près certain que c'est toujours la même anse intesti-
nale qui est projetée hors de l'abdomen. En effet, lorsque l'on a l'occasion de
faire l'autopsie d'un malade après la réduction soit simple, soit opératoire
d'une hernie étranglée, on trouve ordinairement l'anse herniée tout au voisinage
de l'anneau. Il est donc à peu près sûr que la même anse est toute disposée à
sortir de nouveau, si la hernie se reproduit. D'ailleurs, en dehors de toute com-
plication, sur les hernies un peu ;mciennes on rencontre soit du côté du mésen-
tère, soit du côté de l'intestin, des lésions limitées qui démontrent que c'est
toujours la même portion du tube intestinal qui s'engage dans l'anneau.
Les lésions du mésentère ont été décrites depuis longtemps, puisque nous
savons déjà qu'au siècle dernier Rust, Benevoli et Richter, croyaient que ces
lésions étaient préexistantes, primitives, et devaient être considérées comme
l'une des causes de la production de la hernie. On trouve, en effet, souvent la
portion du mésentère qui s'insère à l'anse herniée épaissie, allongée, surtout
dans les hernies anciennes et mal maintenues. Mais ces lésions ont été étudiées
en détail dans un mémoire publié en 1873 par M. L. Dupuy dans le Progrès
médical. Cet auteur a décrit les lésions mésentériques ordinaires et celles qui
peuvent être attribuées à l'étranglement. Ce sont les premières seules qui doi-
vent nous occuper ici.
Le plus souvent, dans les vieilles hernies, le mésentère est épaissi, hyper-
trophié ; en même temps on observerait une augmentation du volume des gan-
«lions, ainsi qu'une dilatation variqueuse des veines. Cette lé5ion vasculaire est
quelquefois assez marquée. M. Dupuy indique même la possibilité de la rupture
de ces veines variqueuses, qui donne lieu à des hémorrhagies soit dans le sac,
soit dans le péritoine, quelquefois même à des épanchements de sang intersti-
tiels et de petits kystes sanguins.
L'intestin peut être lui aussi le siège de certaines altérations. D'ordinaire,
dans les hernies simples et réductibles les fonctions intestinales sont absolu-
ment conservées, les matières et les liquides parcourent facilement et sans aucune
gêne l'anse intestinale. Presque toujours les anses herniaires sont aplaties,
affaissées, et glissent parfaitement les unes sur les autres. L'épaississenient de la
paroi intestinale, les adhérences que Ion peut rencontrer, sont des lésions de
nature inflammatoire, traces d'accidents anciens : aussi devons-nous rejeter à
l'étude des accidents des hernies la description de ces diverses lésions.
U en est de même du rétrécissement du calibre de l'intestin signalé depuis
longtemps et bien étudié par M. Guignai'd dans sa thèse de doctorat (1846).
Mais, comme ce rétrécissement est ordinairement consécutif à l'étranglement,
c'est à l'étude de cet accident que nous en renvoyons la description.
L'épiploon peut accompagner l'intestin dans la hernie, parfois même la consti-
tuer à lui seul : on a alors affaire à une épiplocèle. Nous réunirons dans la même
description ces deux variétés, car dans les deux cas l'épiploon se présente avec
les mêmes caractères. Seulement, quand il accompagne l'intestin, il est presque
toujours situé en avant de l'anse herniée, ce qui est facile à prévoir, puisque
normalement, dans l'abdomen, le tablier épiploïque recouvre la masse intestinale.
HERNIES. 709
Cependant, dans certains cas, il peut être refoulé latéralement soit d'un côté, soit
de l'autre; il est du reste exceptionnel de le trouver, dans le sac herniaire, en
arrière de l'intestin.
De plus, on ne rencontre pas d'épiploon dans les hernies congénitales exis-
tant à la naissance, non plus que dans les hernies du premier âge, parce que
l'épiploon ne se développe guère que dans la première année de l'existence.
Ch. Féré, dans ses études sur les orifices herniaires et les hernies abdominales
des nouveau-nés et des enfants ù la mamelle {Revue mensuelle de médecine et
de chirurgie, 1879), paraît avoir fixé l'opinion sur ce point, « On admet géné-
ralement, dit-il, que l'épiploon ne peut pas se rencontrer dans les hernies ombi-
licales des enfants, mais il faut distinguer : l'épiploon est toujours rudimentaire
à la naissance, mais chez des enfants de six mois on le voit quelquefois descendre
bien au-dessous de l'ombilic : par conséquent il n'est pas impossible qu'il
pénètre avec l'intestin ; après un an on trouve quelquefois l'épiploon descendant
jusqu'au pubis. » Et à propos des hernies inguinales il ajoute : « 11 n'est pas
très-rare de voir, chez des enfants de un an et quinze mois, l'épiploon descendre
jusqu'au pubis, par conséquent, à partir de cet âge, les épiplocèles inguinales
sont possibles. Si elles sont très-rares, même chez les enfants plus âgés, c'est
que l'épiploon ne se charge de graisse que beaucoup plus tard et par
conséquent n'est pas entraîné aussi facilement par son poids dans le sac her-
niaire. Nous avons cependant observé une liernie épiplo'ique chez un enfant de
quatre ans. »
Ordinairement, lorsque la hernie est un peu ancienne, l'épiploon qui y est
contenu a subi quelques modifications. 11 n'a plus sa souplesse ordinaire.
Comme, pour pénétrer dans le sac herniaire il a dû se replier sur lui-même,
soit par suite d'adhérences de ses plis entre eux, soit par suite de l'épaississe-
ment dont il est le siège, il devient impossible de le déplisser : il a perdu ses
caractères de membrane mince et étalée. Cet aspect est dû à des dépôts de
graisse qui se font dans son épaisseur, ou bien à des petites plaques indurées,
libreuses, qui sont le résultat d'un travail phlegmasique à forme lente, dont il
est presque constamment le siège : aussi, la partie contenue dans le sac forme
souvent une soi'te de bouchon plus ou moins dur, épais et consistant au tou-
cher, lobule parfois, mais constituant une masse unique plus volumineuse que le
calibre du collet et par suite irréductible. Très-souvent aussi, celte irréductibilité
est due à des adhérences que certaines parties de l'épiploon contractent soit avec
l'intestin qui l'avoisine, soit avec la l'ace interne du sac. Nous étudierons ces
adhérences en parlant des hernies irréductibles.
Souvent cet épiploon devient extrêmement vasculaire, ses vaisseaux se dila-
tent, se multiplient, et les froissements inévitables de la tumeur herniaire don-
nent naissance à des ecchymoses, à de véritables hémorrhagies interstitielles. De
plus, soit par suite de ces hémorrhagies, soit à cause des adhérences partielles
de divers points de l'épiplocèle, il peut se former de véritables kystes, qui
tantôt communiquent avec le collet du sac, tantôt au contraire constituent des
cavités closes de toutes parts. Cette disposition existait dans une observation
publiée par E. Kermisson à la Société analomique en 1874 [Bull. Soc. anat.,
1874, p. 443).
L'épiploon peut encore affecter avec l'intestin des rapports variables, et
prendre une situation différente de celle que nous avons précédemment indi-
quée. Il peut, ainsi que l'indique Broca, former une sorte de corde enroulée
710 .HERNIES.
autour de l'anse inleslinale et se fixer au sac par des adhérences. Ce fait est très-
rare.
Il peut aussi envelopper complètement l'anse herniée, lui fournissant un
véritable sac complet, concentrique au sac herniaire dont il double la face
interne. L'existence de ces sacs épiploïques, dont il n'est pas toujours facile
d'expliquer la formation, est parfaitement démontrée aujourd'hui et connue
depuis longtemps. Ledran le premiur en a cité un exemple resté célèbre.
Après lui Ricliter, Hey, Astley Cooper et Lawrence, ont rencontré à leur tour
des sacs épiploïques, mais leur histoire est surtout due à Prescott Hewett, qui
en 1845, dans le Medico -chirurgical Transactions of London (t. XXVII,
p. 184), en a publié 4 observations sur 5i cas de hernies étranglées soignées à
l'hôpital Saint-Georges de Londres eu 18i2 et 1845. Depuis, différents auteurs
l'ont observé à leur tour et en ont signalé quelques cas, ce qui prouve que celte
disposition n'est pas absolument rare.
Ces sacs épiploïques peuvent être considérables et entourer plusieurs anses
intestinales. La face externe de l'épiploon est le plus souvent adhérente au sac
péritonéal : sur les 4 cas qu'il rapporte, Prescott Hewet trouva une fois le
sac libre d'adhérences, deux fois les deux sacs soudés entre eux par des adhé-
rences absolument intimes. Une fois, enfin, les deux membranes étaient reliées
seulement par des tractus celluleux lâches.
Il a invoqué plusieurs mécanismes pour expliquer leur formation. Tantôt le
feuillet épiploïque peut se laisser refouler par l'intestin, il s'engage dans la
hernie, devient bientôt adhérent au collet, et l'intestin alors pour descendre dans
le sac refoule ce feuillet membraneux, le déprime et le dilate pour s'en coiffer
et s'en former un véritable sac. Tantôt, au contraire, l'épiploon se plisse au
niveau du collet, ses plis se soudent entre eux, formant une sorte de poche dans
laquelle vient ultérieurement s'engager l'intestin. Enfin Prescott Hewet a tendance
a accepter l'hypothèse émise à ce sujet par Richter, d'après laquelle les bords de
l'épiploon étalé au devant des viscères se recourberaient en arrière pour arriver
au contact et se souder entre eux en leur formant une enveloppe complète. Ce
mécanisme paraît cependant moins probable que les précédents.
Nous avons dit que les autres viscères abdominaux ne se rencontraient que
plus rarement dans les hernies; nous devons cependant en dire quelques mots,
bien que 1 histoire détaillée de ces hernies doive être faite plus complètement
aux articles qui traitent de la pathologie de chaque organe en particulier.
Les ovaires et les trompes, qui peuvent se trouver quelquefois dans les
hernies, se rencontrent principalement à l'orifice inguinal, à l'orifice crural et
dans la hernie ovalaire. Nous réunissons ces deux organes, car, d'ordinaire,
l'ovaire hernie s'accompagne de sa trompe. Cruveilhier n'aurait rencontré que
deux cas dans lesquels la trompe aurait seule fait partie de la tumeur herniaire,
et jamais il n'a vu l'ovaire sortir sans la trompe de Fallope. Sans vouloir faire
l'histoire de celte lésion, déjà décrite dans ce Dictionnaire à l'article Ovaire, je
me bornerai à rappeler que l'ovarioncie inguinale parait être la plus fréquente,
qu'elle est souvent congénitale et qu'elle se voit plus souvent du côté droit.
Souvent aussi l'ovaire hernie est atteint de certaines altérations {voy. Ovaire
[Pathologie], '2^ série, t. XVII, p. 759).
L'utérus peut être, cà son tour, entraîné dans les hernies; on connaît quelques
observations de hernies inguinales contenant l'utérus, et alors il est, le plus
souvent, entraîné par la trompe de Fallope. Cette lésion a été encore observée au
HERNIES. 7H
niveau de l'anneau crural et dans les hernies ventrales. 11 existe, en outre, qiiel-
<jues rares observations d'iiyslérocèles ombilicales, mais celles-ci ne comprennent
guère que des utérus gravides. Nous en pouvons citer deux : celle de Le'otaud
de La Trinidad en 1855 et celle de Murray en 18G1 {voij. Utérus [Patho-
logie], in Dictionnaire encyclopédique, a" série, t. II, p. 48).
La vessie peut encore faire partie de la tumeur herniaire et sort ordinaire-
ment soit par le canal inguinal, soit par l'orifice crural. Elle est dans la plupart
des cas partiellement déplacée et, comme nous l'avons vu précédemment, elle
s'accompagne souvent d'un sac herniaire incomplet. Elle est tantôt «aine, tantôt
altérée, car on a souvent constaté de nombreux calculs dans la portion déplacée,
•qui est très-fréquemment le sommet de l'organe {voy. Vessie [Palhologieï).
La présence du foie ne se constate guère que dans les hernies diaphagmati-
ques, épigastriques et ombilicales. 11 ne se rencontre que très-exceptionnellement
et sa hernie n'est que partielle dans les hernies acquises. Au contraire, la pré-
sence du foie est plus fréquente dans les hernies congénitales ombilicales, sur-
tout dans les hernies diaphragmatiques congénitales. Dans ces dernières l'hépa-
tocèle peut être totale ou partielle ; seulement, ainsi qu'il résulte des études de
Lanibron (1859), de Fauconneau Dufresne et de Dnguet, lorsque le foie n'est
que partiellement déplacé, on trouve sur la portion de l'organe qui est en
rapport avec l'orifice herniaire un sillon plus ou moins profond, très-marqué
d'ordinaire et qui semble séparer nettement la partie herniée du reste du
viscère. La vésicule hépatique, les ligaments suspenseurs du foie et surtout le
ligament de la veine ombilicale, ont pu quelquefois être isolément déplacés.
L'estomac et la rate ont aussi été quelquefois entraînés dans les hernies.
Autrefois on désignait sous le nom de hernies de l'estomac toutes celles qui se
faisaient dans la région épigastrique. Nous savons aujourd'hui que la présence
de l'estomac dans les hernies est très-rare, en dehors des hernies diaphragma-
tiques. On constate cependant, quelquefois, la présence de cet organe, ou plutôt
d'une partie du viscère, dans certaines hernies ombilicales et épigastriques. Enfin,
en dehors des hernies diaphragmatiques, le déplacement de la rate, total ou
partiel, est absolument exceptionnel.
Symptômes des hermes. Les hernies présentent des symptômes physiques et
des symptômes fonctionnels.
a. Symptômes physiques. Toute hernie constitue une véritable tumeur :
c'est dire que les symptômes physiques sont constants. Cependant ils peuvent
faire défaut dans certains cas particuliers. Hans les hernies internes, en effet, la
tumeur herniaire est située trop profondément pour que sa présence se mani-
feste par ses caractères physiques ordinaii*es; elle peut alors ne donner nais-
sance qu'à des signes fonctionnels. Dans les hernies diaphragmatiques cependant
il peut y avoir aussi des signes physiques, mais différents de ceux des hernies
ordinaires : ce sont des modifications dans la percussion et l'auscultation des
organes intra-thoraciques.
Dans tous les autres cas, la hernie forme une véritable tumeur externe dont
les caractères sont appréciables à la vue et au toucher. Cette tumeur est ordi-
nairement visible et reconnaissable pour tout le monde : d'autres fois, au con-
traire, elle n'est perceptible qu'au toucher, et alors ne peut être découverte que
par le médecin. Cela peut tenir, soit à l'existence d'une hernie peu développée,
d'une simple pointe de hernie difficile à reconnaître, soit au siège profond de la
712 HERNIES.
lésion, dissimulée alors par l'épaisseur des couches musculaires ou des tissus
qui la recouvrent. Cette disposition se rencontre notamment dans les hernies
obturatrices et les ischiatiques qui, peu volumineuses et profondes, demandent
pour être reconnues un examen très-attentif.
La tumeur herniaire offre de très-grandes variétés de forme et de volume.
Sa forme peut être extrêmement variable, et on rencontre des hernies coniques,
globuleuses, sphéroïdales, cylindroïdes, etc. Ces différences paraissent surtout
dépendre de l'orifice par lequel elles se produisent et de la région qu'elles
occupent. Ainsi, sans que cela soit absolument sans exception, ou rencontre
surtout les hernies coniques ou globuleuses à la région ombilicale chez les
enfants, tandis que chez l'adulte la hernie ombilicale est le plus souvent
sphéroïdale. Les hernies crurales sont ordinairement globuleuses. Les formes
oblongues ou ovalaires sont fréquemment observées dans les hernies inguinales
interstitielles, tandis que la hernie scrotale forme plutôt une tumeur piriforme
à grosse extrémité inférieure.
La surface de la hernie est tantôt lisse, unie, constituant une masse unique;
tantôt, au contraire, elle offre des bosselures, comme si la tumeur était multi-
lobée ou recouverte de bosselures secondaires. D'ailleurs, la peau qui la recouvre
est saine et ne présente aucun changement de couleur ni d'aspect. Quelquefois
cependant elle se recouvre de quelques érythèmes plus ou moins accentués et
d'étendue variable. Ils sont toujours dus à la pression trop énergique d'un
bandage ou aux frottements exercées par la pelote d'un brayer.
La base de la tumeur est ordinairement large, rarement la hernie paraît
appendue par un pédicule étroit : celte base se continue sans limitation bien
tranchée avec les parties voisines.
Le volume des hernies est aussi variable que leur forme. Suivant leur volume,
on les a arbitrairement divisées en petites, moyennes et grosses, sans qu'il y ait
de démarcation bien marquée entre chaque catégorie : mais cette division peut
avoir une certaine utilité dans la pratique.
A la palpation, la tumeur est molle, dépressible, peu tendue. La tension
et l'élasticité varient suivant le contenu et le moment de l'examen. Ainsi,
les hernies qui contiennent seulement de l'intestin donnent une consistance
plus élastique et plus tendue que celles qui sont uniquement formées par de
î'épiploon. Dans celles qui renferment à la fois l'épiploon et de l'intestin les
résultats de la palpation sont variables, suivant que l'un ou l'autre de ces
organes s'offre seul à l'examen, et, quand ils sont placés à côté l'un de l'autre,
les caractères physiques varient suivant le point qui est soumis à la main de
l'explorateur. D'ailleurs, la consistance varie encore suivant les moments : ainsi,
pendant l'effort, et principalement pendant la toux, la tumeur est plus tendue,
plus résistante, plus élastique qu'au moment du repos complet. Quand la hernie
est incomplète, quand l'intestin ne fait que s'engager dans l'orifice herniaire
sans former encore une véritable saillie au dehors, c'est-à-dire quand il n'existe
qu'une pointe de hernie, il faut pour en reconnaître l'existence introduire un
doigt dans le trajet herniaire; ce doigt ressent alors, pendant la toux, un choc
qui tend à le repousser au dehors, et qui est produit par l'intestin refoulé qui
cherche à ressortir. Dans les cas ordinaires, si, une fois la hernie réduite, on
pratique la même manœuvre, la sensation est identique. Si la palpation est
continue, plus attentive et plus profonde, il est ordinairement facile d'isoler
la hernie et de la distinguer des parties environnantes. En se rapprochant de
HERNIES. 713
l'orifice par lequel sortent les viscères la tumeur se réduit à une partie plus
dure, plus étroite, allongée, sous la forme d'un cordon épais et résistant,
qui traverse l'anneau herniaire pour se perdre dans la cavité abdominale. C'est
le pédicule de la hernie, dont la consistance est variable suivant qu'il est con-
stitué par de l'intestin seul ou de l'intestin et de l'épiploon, et aussi suivant son
épaisseur, par rapport aux dimensions de l'anneau qui lui livre passage.
A la percussion, la tumeur est ordinairement sonore. Pour percevoir la
sonorité propre à la hernie, il faut avoir recours à une percussion légère et
douce. En elTet, si la percussion était vigoureuse, on percevrait seulement la
sonorité abdominale transmise à travers la tumeur herniaire, dans les cas de
bubonocèle ou de hernie ombilicale, ou au contraire la matilé fémorale, s'il
s'agissait d'une hernie crurale. De plus, tous les points accessibles de la tumeur
doivent être successivement examinés, car la sonorité est variable suivant la
composition même du contenu de la hernie.
Dans les cas d'entérocèle pure et superficielle, elle est totale et complète;
elle revêt les caractères que nous venons d'examiner, le son est clair et rap-
pelle celui que donne la percussion de l'abdomen. Si, au contraire, l'intestin
hernie est recouvert par une couche éjiiploïque épaisse, ou bien si les parties
molles qui recouvrent la hernie sont surchargées de graisse et très-épaissies, on
peut ne trouver, à l'exploration, qu'une submatité plus ou moins manifeste et
qui réclame quelquefois, pour être perçue, la plus grande attention. Enfin, dans
certains cas, la tumeur herniaire est absolument mate. Le plus souvent cette
matité est due à ce que la hernie est constituée par de l'épiploon seul, ou bien
à ce que le sac renferme une couche de liquide assez épaisse pour que la sono-
rité intestinale, si l'intestin est situé au-dessous, ne puisse se transmettre à
travers la nappe liquide.
Enfin la tumeur herniaire est réductible, et cette réductibilité est presque un
signe palhognomonique. Les viscères hernies rentrent complètement dans la
cavité abdominale soit simplement, quand le malade se place dans certaines
positions et surtout dans le décubitus dorsal, soit au contraire lorsque la hernie
est le siège de certaines pressions méthodiques dont l'ensemble constitue la
manœuvre appelée taxis. Dans les hernies simples la réduction est d'ordinaire
très-facile, et les pressions les plus élémentaires suffisent souvent pour les faire
rentrer. Du reste, quand on réduit un intestin hernie, il rentre dans le ventre
en faisant entendre un bruit particulier, bruit hydro-aérique, à grosses bulles,
désigné sous le nom de gargouillement, et dont la production est le signe palho-
gnomonique de la réduction d'une anse intestinale.
Une fois rentrée, la hernie se reproduit et l'essort avec une facilité variable
suivant les cas. Cette reproduction est quelquefois spontanée, dès que la pres-
sion réductrice disparaît, ou bien, lorsque le malade, qui voit sa hernie
rentrer dans le décubitus dorsal, se place dans la situation debout. Quelquefois,
au contraire, la hernie ne ressort que sous l'intluence d'un effort, tel qu'un cri,
un effort de toux, etc. C'est dans ce dernier cas que, la hernie réduite, le doigt
introduit dans l'anneau perçoit un choc en retour au moment de l'effort.
D'ailleurs, la facilité de la réduction de la tumeur herniaire et de sa reproduction
après qu'elle a été réduite sont à peu près parallèles et ont permis à Gosselin
de diviser les hernies réductibles en quatre groupes qui correspondent à peu
près aux différents volumes. Voici cette classification :
« 1° La hernie ne sort pas quand le malade est dans la position horizontale,
714 HERNIES.
même quand on le fait tousser; elle ne sort pas non plus toutes les fois qu'il est
debout : elle ne paraît que de temps à autre, et seulement sous l'influence d'un
effort considérable dans la station debout ou dans la station accroupie. En
général, ces hernies qui sortent rarement et difficilement sont peu volumi-
neuses, se voient sur des sujets qui font habituellement peu d'efforts, on qui ont
longtemps portés de bons bandages. On les observe plus souveait chez les indi-
vidus de la classe aisée que chez ceux de la classe pauvre.
« 2° La hernie rentre facilement et d'elle-même quand le malade est dans la
position horizontale, et elle sort difficilement tant qu'il reste au lit. Mais, s'il
vient à se mettre debout, elle se reproduit sans effort ou à la suite d'un effort
modéré. Telles sont les hernies de beaucoup d'enfants, d'un certain nombre de
femmes, et chez tous les sujets celles qui sont peu volumineuses et sortent par
des anneaux peu dilatés.
« 3" La hernie rentre encore facilement, mais on la fait reparaître avec rapi-
dité, même dans la position horizontale, aussitôt qu'on fait tousser le malade.
« A" La hernie est continuellement dehors. Si on la fait rentrer, elle sort sans
aucun effort, même au lit. Lorsque le malade est levé et veut mettre un ban-
dage, elle s'échappe aussitôt sous la pelote. A cette catégorie se rattachent la
plupart des hernies volumineuses qui sortent à travers des ouvertures extrê-
mement élargies, celles aussi que l'on nomme incoercibles. »
Les signes physiques que nous venons d'étudier peuvent donc varier dans les
hernies simples, réductibles, suivant certaines conditions que nous venons d'énu-
mérer, mais ils peuvent aussi éprouver certaines modifications suivant la nature
des organes contenus dans le sac.
Ainsi, par exemple, dans les hernies épigastriques ou ombilicales qui con-
tiennent une portion de l'estomac, l'ingestion des boissons augmente nota-
blement leur volume, par suite du gonflement de la gastrocèle, qui devient en
même temps mate à cause de la présence du liquide. Les hernies hépatiques
présentent à la fois de la matité et une consistance solide. Les hernies vésicales
augmentent de volume par suite de la réplétion naturelle de l'organe, et dimi-
nuent notablement lors de son évacuation naturelle ou provoquée par le cathé-
térisme. Celles qui contiennent le testicule ou l'ovaire révèlent, à la pal-
pation la présence dans leur intérieur d'un corps arrondi ou ovoïde, lisse,
mobile et de la dimension d'une noisette environ. Mais ce sont là des cas parti-
culiers et rares qu'il suffit de signaler en passant.
Plus importante est l'étude des caractères physiques des épiplocèles pures.
Nous avons déjà vu qu'à la percussion la hernie épiploïque donnait une matité
absolue, au lieu de la sonorité qui révèle la présence de l'intestin. Là ne se
bornent pas les différences. L'épiplocèle forme une tumeur moins réguliè-
rement arrondie, le plus souvent lobulée et irrégulière. Elle est molle, pâteuse,
dépressible, sans élasticité, tout à fait indolente, et se réduit d'une façon diffé-
rente. Au lieu de glisser entre les doigts et de s'échapper, pour ainsi dire, sous
la main du chirurgien, l'épiplocèle demande à être réduite par une pression
soutenue, continue, détaillée, et elle rentre dans l'abdomen sans produire le
gargouillement que nous avons signalé dans l'entérocèle. De plus, lorsque l'épi-
plocèle est ancienne, elle est souvent le siège de poussées inflammatoires qui
produisent des indurations, des augmentations partielles de volume, lesquelles,
même sans adhérences de l'épiploon au sac peuvent rendre la réduction diffi-
cile. En explorant l'abdomen, on pourra sentir souvent une sorte de pédicule
HERNIES. 715
allonge, résistant, une corde tendue qui semble relier la portion herniaire à la
partie intra-abdoniinale de l'épiploon. C'est ce prolongement plus ou moins
rigide qui a été désigné par Yclpeau sous le nom de corde épiploïqiie. Cette
sensation manque, à la vérité, souvent dans les épiplocèles récentes, petites et
parfaitement réductibles.
Lorsqu'une hernie est formée à la fois par de l'épiploon et de l'intestin, nous
savons qu'il est souvent possible de difiérencier ces deux organes dans la hernie
par une percussion attentive, l'épiploon étant mat et l'intestin sonore. Mais la
réduction de ces tumeurs mixtes permet encore d'en reconnaître la composition
exacte. Le plus souvent, en effet, la hernie se réduit alors en deux temps : l'in-
testin rentre le premier, très-rapidement, glissant d'un seul coup sous le doigt
explorateur, et il retourne dans l'abdomen en produisant son gargouillement , la
tumeur herniaire se trouve alors réduite à une masse qui a la mollesse caracté-
ristique de l'épiploon, et qui ne se réduit que lentement, peu à peu et sous une
pression méthodique et continue. D'autres fois, et cela arrive assez souvent, la
portion épiploïque n'est qu'incom])létement réductible.
Tous les signes physiques que nous venons de passer en revue peuvent pré-
senter des différences nombreuses suivant les régions, et cela à cause du siège
exact des hernies, de l'épaisseur des couches qui les recouvrent, de leur com-
position ou de la disposition du trajet herniaire. Mais, toutes ces différences
seront plus utilement étudiées à propos de chaque variété en particulier.
p. Signes fonctionnels. Les signes fonctionnels peuvent quelquefois faire abso-
lument défaut : la hernie se réduit alors aux signes physiques, et même dans
certains cas, surtout quand il s'agit de hernies petites et profondes, ces signes
physiques sont peu faciles à percevoir, et la hernie peut longtemps rester ina-
perçue.
Souvent elle donne naissance à un peu de douleur. Celle-ci n'est pas constante
et elle est surtout marquée quand le malade tousse ou fait quelque effort. Alors
la tumeur herniaire se tend, devient plus dure; elle est le siège de douleurs plus
ou moins accentuées. D'autres fois, au contraire, la douleur ne se montre que
lorsque la hernie reste longtemps au dehors. D'ailleurs, quelque soit le moment
oii elle apparaît, elle peut affecter des formes variables. Elle est quelquefois
très-légère : c'est une simple gêne, un tiraillement plus ou moins fort, existant
surtout pendant la marche. Dans quelques cas le malade ressent des tractions
énergiques, un poids plus ou moins considérable pendant les mouvements. Ces
phénomènes s'observent principalement dans les hernies inguinales volumi-
neuses. Enfin, d'autres fois, la hernie peut être le siège de douleurs vives,
extrêmement intenses, plus ou moins continues et capables de rendre l'existence
très-pénible au malade.
Du reste, quelle que soit l'intensité de ces douleurs, le siège en est variable. Elles
sont souvent localisées à la peau qui recouvre la hernie : elles sont alors tout à
fait superficielles, plus ou moins vrves, et ressemblent à une névralgie légère.
D'autres fois cette douleur peut être due à un bandage, et, dans ce cas, comme
elle est causée par la simple pression de la pelote, elle s'accentue surtout dans
les mouvements. Elle peut aussi trouver son explication dans les contusions
légères et les excoriations que peut causer un brayer trop serré ou une pelote
trop dure. Le repos, l'enlèvement momentané de l'appareil, suffisent alors à la
calmer. Enfin, tout en restant encore limitée à la région herniaire, elle est quel-
quefois profonde, très-pénible, très-intense, sans qu'il soit possible au malade
7lfi HERNIES.
de la localiser très-exactement, mais elle paraît siéger dans la profondeur de
l'abdomen, au niveau des viscères.
Au contraire, la souffrance peut être beaucoup plus étendue et s'irradier à la
plus grande partie de l'abdomen. Toute la paroi abdominale est absolument
sensible, l'intestin paraît douloureux, et souvent cette sensation est si pénible que
la marche devient à peu près impossible à cause des exaspérations causées par
le mouvement. Ces cas sont très-rares et généralement la douleur est, comme
nous venons de le dire, assez localisée.
Certaines hernies peuvent donner naissance à de véritables névralgies, par la
compression des filets ou des troncs nerveux qui sont au voisinage du trajet
herniaire. Le fait a été surtout signalé à propos des hernies crurales, dans les-
quelles, lorsqu'elles ont acquis un certain volume, il peut exister une com-
pression de plusieurs branches du nerf crural ou du tronc lui-même. Quelquefois
il peut y avoir en outre des troubles de compression vasculaire. Ainsi Heuermann,
cité par Arm. Després, rapporte qu'il reconnut une petite hernie crurale chez
une femme en cherchant la cause d'un œdème persistant du pied. Dans d'autres
cas, dit Picqué, c'est une sensation pénible de battement artériel dans le pli
inguinal et même un bruit de soufle. Ces cas sont du reste absolument excep-
tionnels.
Enfin, parmi les troubles fonctionnels bizarres qui accompagnent les hernies,
on peut citer le fuit suivant rapporté par le docteur Borel dans la Revue médicale
de la Suisse romande pour 1883 (p. 568). Une fille de vingt-neuf ans, domes-
tique, présentait un ensemble de phénomènes hystériques très-nets, boule hys-
térique, points de côté fugaces, nausées sans vomissements, troubles mens-
truels, etc. A l'examen, le médecin décrouvrit une pointe de hernie crurale; en
la réduisant et en la maintenant réduite par un bandage, on fit disparaître tous
les phénomènes nerveux.
A côté de ces douleurs on peut trouver chez les hernicux des troubles intes-
tinaux assez marqués. Ils sont souvent nuls et, il faut le reconnaître, la plupart
des petites hernies ne retentissent nullement sur le tube digestif. Cependant
quelquefois on a noté des troubles gastriques, des dyspepsies véritables, ou bien
encore des tiraillements intestinaux, des tranchées, des coliques, des diarrhées
fréquentes. On a observé aussi, chez certains malades porteurs de hernies une
tendance marquée aux indigestions sitôt qu'ils se permettent un repas un peu
copieux : c'est là une source fréquente d'accidents, surtout dans les hernies
diaphragmatiques. D'ailleurs ces troubles digestifs et intestinaux sont presque
constants et beaucoup plus accusés chez des malades porteurs de hernies
anciennes volumineuses et difficilement coercibles. Quand elles sont très-volu-
mineuses et presque incoercibles, quand elles ont pour ainsi dire perdu droit
de domicile, c'est surtout lorsque l'on essaye de les maintenir réduites que les
troubles fonctionnels sont accentués. Dans la plupart des autres cas, il n'y a
ordinairement ni constipation ni diarrhée; mais, chez ces malades, toutes les
fatigues engendrent facilement des troubles de la digestion.
Certains auteurs anciens, pour expliquer l'irrégularité et l'inconstance de ces
troubles fonctionnels, ont invoqué une action particulière de l'état atmosphé-
rique sur les hernies. Toutes les douleurs et les signes fonctionnels seraient
plus accentués dans les temps humides que quand la température est sèche.
Cela tiendrait à une hygrométricité particulière de l'intestin. Nous ne citons cette
explication qu'à titre de simple curiosité.
HERNIES. 717
Enfin la présence dans la hernie de certains organes particuliers peut donner
naissance à des troubles fonctionnels spéciaux. Ainsi, dans les épiplocèles pures,
on a noté la possibilité de douleurs très-vives, s'exaspérant au toucher et à la
pression, et s'accompagnant quelquefois de troubles généraux. Mais alors l'épi-
plocèle n'est plus simple, ces douleurs indiquent un état inflammatoire plus ou
moins aigu de la hernie et doivent être étudiées avec les complications. Certaines
hernies vésicales peuvent entraîner une gêne plus ou moins grande de la miction.
Les hernies épigastriques et diaphragmatiques, surtout quand elles contiennent
une portion de l'estomac, donnent naissance à des troubles gastriques très-
intenses et très-variés. Les hernies ischialiques s'accompagnent souvent de
névralgie sciatique. On observe un gonflement périodique et douloureux sur-
venant mensuellement, dans les hernies de l'ovaire. Enfin Lambron a décrit, dans
les hépatocèles des hépatalgies ayant tout à fait l'aspect de coliques hépatiques,
et parfois même suivies de l'expulsion de calculs biliaires. Ces troubles fonction-
nels, dus à l'altération des organes hernies, peuvent éclairer le médecin au point
de vue du diagnostic du contenu de la hernie.
Diagnostic. Le diagnostic des hernies est ordinairement Hicile, surtout lors-
qu'elles se présentent avec un tableau symptomatique complet. Les signes qui
permettent de l'établir sont les suivants : la présence, surtout dans une des
régions herniaires, d'une tumeur souple, élastique, et ordinairement sonore
à la percussion ; sa réduclibilité parfaite, souvent en produisant un bruit hydro-
aérique spécial, le gargouillement. Enfin si, la hernie rentrée, on introduit le
doigt dans le trajet herniaire, on perçoit, pendant la toux ou l'effort, un choc
caractéristique sur le bout du doigt.
Si tous ces signes existaient toujours et dans tous les cas, le diagnostic serait
extrêmement facile. Mais il n'en est pas toujours ainsi. C'est surtout lorsque le.^
signes sont incomplets que les difficultés commencent.
Ainsi, certaines tumeurs herniaires sont absolument mates. Nous avons vu que
cette malité peut tenir à diverses dispositions particulières qu'il n'est pas tou-
jours aisé de reconnaître. Tantôt elle est due à la présence d'une assez grande
quantité de liquide dans le sac. Le plus souvent alors, ce liquide est facilement
réductible; il peut laisser en arrière de lui les viscères au dehors, ou quel-
quefois les entraîner en rentrant dans l'abdomen. La hernie a une consistance
fluctuante ou même rénitente. D'autres fois , la matité est due à un sac
infiltré de graisse, ou bien à la présence d'un sac épiploïque à l'intérieur du
véritable sac herniaire. Dans ce dernier cas le sac épiploïque est presque toujours
adhérent, au moins très-difficilement réductible, et on peut presque toujours
réduire l'intestin en produisant le gargouillement. 11 reste alors au dehors une
petite tumeur très-souple et mate. La présence d'une épiplocèle, qui donne lieu
aussi à la matité herniaire, est souvent reconnaissable à l'induration partielle
de l'épiploon, à son état plus ou moins lobule, à sa consistance pâteuse; la
réduction, quand elle est entièrement possible, en est silencieuse et lente, et enfin
on constate souvent la présence de la corde épiploïque. Mais, quand ce dernier
signe manque, que la tumeur entièrement réductible reste absolument souple
et molle, il peut être presque impossible, et en tout cas toujours fort difficile,
de différencier une épiplocèle pure d'avec un lipome herniaire qui présente
les mêmes caractères et la même matité.
Si, au contraire, c'est la réduclibilité qui fait défaut ou qui du moins est
incomplète, comme cela se rencontre souvent dans les hernies adhérentes, le
718 HERNIES.
diagnostic peut devenir très-épineux : mais dans ce cas cette irréductibilité est
due il l'existence ancienne ou récente des accidents herniaires, et nous croyons
préférable de rejeter l'étude de ces faits au chapitre des hernies irréductibles.
Lorsque les tumeurs herniaires sont incomplètes, ou si petites et si profondes
que la constatation de tous leurs caractères soit très-difficile, on peut ne pas les
reconnaître, et le chirurgien aura à les différencier d'un certain nombre de
tumeurs de nature différente, et variables suivant la région sur laquelle porte
l'examen.
Ce diagnostic différentiel s'adresse surtout aux tumeurs réductibles, que la
réduction soit véritable ou bien qu'il n'y ait que des phénomènes de fausse
réduction. Les tumeurs irréductibles ne peuvent être confondues avec les her-
nies que lorsque celles-ci sont elles-mêmes irréductibles, et nous étudierons ce
point du diagnostic plus tard.
A l'ombilic, la hernie ne peut guère être confondue, qu'avec une hernie
aqueuse de l'ombilic. Mais cette dernière est mate, fluctuante, souvent transpa-
rente, et elle coïncide toujours avec une ascite très-considérable. Ces caractères
permettent facilement la distinction.
Dans l'aine, des tumeurs réductibles sont fréquentes, et souvent le diagnostic
est entouré de certaines difficultés. Les tumeurs qui peuvent être confondues
avec une hernie sont véritablement réductibles, ou bien sont susceptibles d'une
fausse réduction capable de tromper un observateur superficiel.
Parmi les premières, et au premier ran:;, il faut citer l'abcès froiJ, qui peut
laire saillie aussi bien au niveau de l'anneau crural que du trajet inguinal. Il
est absolument mat et facilement réductible : il se distingue de la hernie par
sa réduclibilité silencieuseet lente, l'absence de choc sur ledoigt introduit dans
rorifice après sa réduction, et son retour progressif et immédiat, sans effort,
sans toux, par le fait seul de la pesanteur. Du reste, le chirurgien trouve en
outre, souvent, les auties signes du mal de Pott qui lui a donné naissance,
pour aider au diagnostic dans les cas embarrassants.
Certaines tumeurs veineuses, comme le varicocèle à la région inguinale chez
l'homme, les varices de la saphène interne à l'anneau crural, peuvent aussi être
confondues avec une hernie. Mais, en outre de leurs autres signes, le chirurgien
qui les réduit et qui les maintient réduites les voit se reproduire au-dessous
du doigt réducteur, sans effort et de bas en haut ; de plus la toux et les efforts
ne produisent pas le choc caractéristique.
L'hvdrocèle congénitale, que l'on observe surtout chez les jeunes enfants, se
distinguera de la hernie par sa rénitence et sa consistance liquide, sa réduction
silencieuse, l'absence de choc au doigt pendant la toux et surtout par sa trans-
parence. Le plus souvent aussi elle a une forme régulière spéciale qui aide à la
reconnaître. Enfin, dans certains cas, on a pu confondre avec les hernies cer-
tains kystes du cordon spermatiquc situés, soit à l'orifice externe du conduit
inguinal, soit même dans l'intérieur du trajet : ils ont pu en imposer pour des
pointes de hernie ou des hernies interstitielles. Ils s'en distinguent cependant
par certains caractères. En effet, ils ne sont pas continués par un pédicule
s'enfonçant dans l'abdomen, ils se réduisent sans produire de gargouillement,
et leur réduction ne peut se pratiquer sans entraîner le testicule vers l'abdomen,
phénomène que nous verrons exister aussi dans un certain nombre de hernies
inguinales congénitales. Ce diagnostic peut donc être, dans certains cas, fort
délicat.
HERMES. 719
Parmi Jes tumeurs douées de fausse réduction, je dois citer surtout l'hydrocèle
avec cryptorchidie, l'hydrocèle en bissac, certains kystes ganglionnaires et les
kystes sacculaires et pseudo-sacculaires, qui sont souvent partiellement réduc-
tibles. En outre, pendant les efforts ces tumeurs donnent à la main qui les
coraprime un certain choc, une impulsion, et quelquefois même subissent une sorte
de distension. L'examen dél aillé des symptômes, l'absence de pédicule her-
niaire, la transparence parfois, la fluctuation ou la rénitence, sufhront ordi-
nairement à établir la distinction qui, dans presque tous les cas, nécessitera un
examen très-minutieux et très-mélhodique.
Une autre difliculté du diagnostic jieut tenir à ce que, dans certaines circon-
stances, la tumeur herniaire est complètement méconnue. Au lieu de la con-
fondre avec des affections capables d'iiiduiie en erreur, le chirurgien peut ne
pas en soupçonner l'existence. Celte ignorance de la tumeur tient à des causes
diverses.
En premier lieu, la hernie peut être assez petite pour que sa présence passe
inaperçue : c'est ce qui se produit dans certaines pointes de hernies inguinales
et crurales où la tumeur, ne donnant lieu à aucun signe fonctionnel, est assez
peu volumineuse pour échapper à un examen superliciel. Cela se produit, à
plus forte raison, lorsque à sa petitesse se joint sa présence à un orifice très-
profond, comme pour les hernies ovalaires ou ischiatiques. L'épaisseur des par-
ties molles qui recouvrent, soit le trou ovale, soit l'échancrure ischiatique, suffit
souvent, pour peu que le malade ait de l'embonpoint, à dissimuler une tumeur
herniaire de petit volume. Enfin une hernie interne peut être parfaitement
ignorée du chirurgien malgré l'attention la plus grande. En effet, prenons une
hernie diaphragmatique, par exemple : ici, pas de tumeur appréciable à l'exté-
rieur, la hernie ne peut être diagnostiquée qu'a l'aide de signes fonctionnels très-
variables et très-peu caractéristiques, ou de signes physiques perçus à l'aide
de la percussion et de l'auscultation de la poitrine ou de la partie supérieure
de l'abdomen, souvent difficiles à trouver, et que l'on peut quelquefois attribuer
à d'autres affections qu'à une hernie.
Enfin certaines hernies à réduction facile, mais qui sortent rarement et diffi-
cilement, peuvent aussi être méconnues parce que la tumeur herniaire n'est pas
au dehors quand le chirurgien examine le malade. On est alors obligé de porter
un diagnostic de probabilité basé uniquement sur les signes anamnesti({ues.
Mais, dans ce cas, Gosselin conseille de multiplier les examens, de chercher
clwque fois à en varier les conditions, à provocjuer la sortie des viscères, et l'on a
chance, un jour ou l'autre, de rencontrer la hernie au dehors ou bien de réussir
à la faire sortir.
Le diagnostic n'est pas terminé quand on a reconnu la présence d'une hernie,
il taut encore en reconnaître le contenu. Or. nous le savons, les hernies com-
munes sont des entérocèles, des entéro-épi[tlocèles, ou des épiplocèles pures.
Les hernies formées seulement par de l'intestin se reconnaîtront aux signes
suivants : la tumeur présente une souplesse et une élasticité spéciales ; elle est
entièrement sonore à la percussion ; sa réduction est brusque, rapide ; elle file
entre les doigts qui la pressent, et en rentrant l'intestin produit un gargouille-
ment caractéristique.
Les entéro-épiplocèles se distinguent parce que la tumeur herniaire est partie
mate, partie sonore; la portion sonore est élastique et souple, la portion mate est
molle, et présente parfois quelques indurations, quelques nodosités. De plus, la
720 UERNIES.
réduction se fait en deux temps le plus souvent : l'intestin rentre le premier,
brusquement et rapidement, avec son bruit de gargouillement spécial, puis
ensuite l'épiploon rentre lentement et sans bruit sous l'influence de pressions
douces, répétées, plus ou moins soutenues. Très-souvent, du reste, la portion
épiploique n'est qu'incomplètement réductible.
Enfin l'épiplocèle pure se distingue par les caractères suivants : elle est molle,
pâteuse sous le doigt, et souvent l'on sent, dans son intérieur, de petites nodosités,
des indurations partielles plus ou moins résistantes et étendues, traces de pous-
sées inflammatoires anciennes. Elle est absolument mate. Elle se réduit très-lente-
ment, et presque toujours il faut untaxis méthodique et assez prolongé poury par-
venir ; enfin la réductibilité est fréquemment incomplète. De plus, dans l'intérieur
du ventre, on perçoit souvent une sorte de pédicule tendu de la hernie vers le
fond de l'abdomen : c'est la corde épiidoïque de Yelpeau, qui peut manquer
dans beaucoup de cas, mais dont la présence a une réelle valeur diagnostique.
Du reste, cette épiplocèle pure est quelquefois, surtout dans les cas où la
corde épiploique fait défaut, et où la réductibilité totale n'existe pas, très-difficile
à distinguer d'un lipome herniaire. L'analyse détaillée de la palpation, l'exis-
tence d'un pédicule résistant, permettront de faire une distinction toujours
délicate, mais qui peut à la rigueur devenir impossible.
Quant à l'existence dans la hernie de ces viscères qui ne s'y trouvent qu'anor-
malement, le diagnostic est souvent facile.
Ainsi, la présence de l'ovaire ou du testicule se reconnaîtra non-seulement aux
caractères de forme et de volume de ces glandes, mais aussi à leur sensibilité
particulière à la pression. De plus, l'ovaire peut être le siège de fluxions men-
suelles caractéristiques. La vessie se diagnostiquera par les changements de
volume de la hernie, suivant qu'elle sera pleine ou vide. Le brusque affaisse-
ment de la tumeur par le cathétérisme, l'envie d'uriner que donnera la com-
pression sur la tumeur tendue, mettront ordinairement le chirurgien sur la voie
du diagnostic. L'estomac révélera lui aussi sa présence par des signes spéciaux
qui sont : une tendance au gonflement de la hernie à mesure que le malade
avalera, un bruit de glouglou perceptible quelquefois à distance, toujours par
l'auscultation pendant la déglutition des boissons, enfin le développement de la
tumeur herniaire avec tympanisme spécial, si on fait ingurgiter au malade des
poudres gazogènes (Bouilly).
Le diagnostic comprend encore, outre la connaissance du contenu, la recherche
du trajet herniaire. Je ne m'attarderai pas à faire ici le diagnostic différentiel de
la hernie crurale avec la hernie inguinale, de l'ombilicale avec l'épigastrique, etc.,
ces points particuliers doivent être étudiés avec les hernies de chaque variété.
Mais en présence d'une hernie quelconque le chirurgien a le devoir de faire
le diagnostic de la nature du trajet herniaire. 11 faut rechercher si la hernie est
oblique ou directe, et, en outre, si elle se fait par un orifice naturel ou une
ouverture accidentelle. Ce dernier point a une certaine importance, à cause
de la constitution souvent différente de ces deux sortes d'orifices. Or autour
des orifices naturels il existe souvent des hernies voisines par éraillement, qui
produisent, ainsi que le décrit Cruvelhier, par des anneaux juxta-inguinaux,
sjuxta-cruraux, juxta-ombilicaux, etc. Comme le pronostic, ainsi que nous l'avons
vu, est différent, au point de vue des accidents, suivant la nature des anneaux
herniaires, il est important de connaître exactement le trajet de la hernie.
11 est encore utile de faire un diagnostic complet des variétés, c'est-à-dire de
HERMES 72!
savoir reconnaître si la hernie est complète ou incomplète, si elle est congéni-
tale ou acquise, si c'est une hernie commune ou une variété anormale. Toute-
fois ces derniers points ne pourront être élucidés que lorsque nous aurons
étudié les différentes hernies en particulier : aussi en renvoyons-nous la solu-
tion au chapitre traitant de chaque variété.
Marche et évolution de la herme. Une fois formée, la hernie ne reste pas
slalionnaire ; elle tend au contraire toujours à s'accroître quand elle n'est pas
maintenue. Cependant cette marche constante des hernies est variable et leur
développement est plus ou moins rapide, suivant certaines circonstances, au
premier rang desquelles il faut mettre leur mode d'apparition.
Ainsi, les hernies à formation brusque, qui se produisent d'un seul coup à la
suite d'un effort, celles qui se font dans un sac préformé, ont un développe-
ment ultérieur peu accentué. Le plus souvent, elles restent stationnaires, ou
s'accroissent fort peu, d'une manière presque insensible.
11 en est tout autrement des hernies qui se forment lentement, qui, loin d'ap-
paraître brusquement, passent silencieusement par tous les degrés divers, et
qui sont ordinairement des hernies de faiblesse. On les voit apparaître d'abord
comme pointe de hernies, devenir peu à peu interstitielles, et se transformer en
hernies complètes. A partir de ce moment, leur accroissement se fait de deux
façons : tantôt d'une manière insensible et constamment progressive ; tantôt, au
contraire, par brusque secousses, à la suite d'efforts ou de mouvements exa-
gérés, et ce second mode de développement donne plus souvent lieu à la pro-
duction d'accidents sérieux.
Quel que soit du reste son mode de croissance, la tumeur herniaire, entière-
ment livrée à elle-même, et qui n'est nullement contenue, atteint un volume
véritablement considérable. Elle peut devenir grosse comme une tête de fœtus
à terme et quelquefois plus ; la plus grande partie de la masse intestinale peut
passer au dehors. Lorsque la hernie a atteint des dimensions véritablement
exagérées, il devient impossible de la réduire entièrement : soit par suite
d'adhérence des parties herniaires entre elles ou avec le sac herniaire; soit
parce que, l'abdomen ayant perdu l'habitude de contenir les intestins, le malade
arrive à souffrir beaucoup plus quand la hernie est réduite que lorsque les
viscères sont contenus dans ce sac énorme, véritable appendice abdominal.
On dit alors que les hernies ont perdu droit de domicile dans la cavité abdo-
minale. De plus, surtout dans ces cas, aucun bandage herniaire n'est capable de
maintenir la hernie réduite : ils deviennent tous insuffisants, la hernie est dite
ulors incoercible.
Telle est la marche ordinaire de la tumeur herniaire. Dans certains cas
cependant ce développement progressif qui est la règle dans les hernies, ne se
produit pas. On peut voir survenir une évolution absolument contraire, et
la hernie peut tendre vers la guérison. Mais cette nouvelle tendance ne se
montre que dans certaines conditions aujourd'hui bien déterminées qui méritent
d'être étudiées avec soin. Ces circonstances sont : la condition sociale du sujet, le
volume de la hernie, l'époque de son apparition et enfin le mode de contention.
a. Condition sociale. Les hernies guérissent plus facilement chez les sujets
qui appartiennent aux classes aisées. En effet, les gens riches peuvent adopter
un genre d'existence qui les dispense d'efforts musculaires violents capables de
développer une hernie au début; de plus, ordinairement ils se soignent mieux,
et peuvent mieux se soigner.
Dicr. ENC. i" s. XIII. 46
722 HERNIES.
Tandis qu'au contraire, et particulièrement dans les classes ouvrières, il
existe des professions absolument pénibles, que l'on pourrait appeler des pro-
fessions berniaires, où la nécessité d'efforts musculaires ordinairement exagérés
et constamment répétés constitue une tendance forcée à la l'eproduction et à
l'accroissement de labernie, dont elle rend souvent la contention illusoire.
b. Volume de la hernie. Le volume de la beniie est un point très-impor-
tant à considérer au point de vue de sa guérison possible. En effet, ce sont
surtout les liernies petites, peu volummeuses, qui sont susceptibles de rétrocéder.
On peut même aller plus loin et établir, d'après les faits, que, parmi les petites
hernies, celles qui sont incomplètes sont plus faciles à guérir que les complètes.
Les hernies volumineuses, au contraire, présentent une série de conditions
qui tendent à en faire des infirmités incurables : ce sont les modifications con-
sidérables des orifices herniaires, dilatation et atrophie des anneaux fibreux;
les modifications qui se passent dans le sac, adhérences des viscères sur quel-
ques points de l'enveloppe séreuse, adliérences extérieures du sac à l'anneau et
aux tissus voisins; enfin les difficultés de contention des grosses hernies, ce qui
en exagère encore le volume jusi^u'à ce qu'elles arrivent à perdre droit de domi-
cile dans l'abdomen.
c. Époque (T apparition dans la hernie. L'époque d'apparition de la hernie
ou plutôt l'âge du malade au moment de son début a une importance plus
grande.
Ainsi les hernies congénitales, qui se' montrent dès la naissance, sont de
toutes les hernies celles qui ont le plus de tendance à guérir spontanément. Ce
sont des hernies ombilicales ou inguinales. Cela lient à ce qu'elles sont unique-
ment dues à un retard dans le développement des anneaux, qui vont, après la
naissance, et surtout si la hernie est maintenue, terminer leur évolution
propre. Aussi, une fois que ces anneaux auront achevé de se fermer, qu'ils
seront assez développés pour avoir une consistance fibreuse, la hernie, par le fait
même de leur résistance, ne pourra plus se reproduire, et sa guérison sera
achevée.
Il en est du reste à peu près de même pour les hernies qui se montrent dans
le premier âge, et pour lesquelles l'incomplet développement des anneaux
fibreux est encore la principale condition étiologique. Elles peuvent être, au
point de vue de la curabilité, tout à fait rapprochées des précédentes, et l'on
peut dire qu'ici encore la guérison est la règle, à condition toutefois que la
tumeur herniaire soit bien maintenue. Cette contention constante, qui sera
exercée par un bandage porté nuit et jour et pendant le temps nécessaire, suf-
fira à assurer la guérison dans la grande majorité des cas. S. Duplay, d.uis
son Traité de pathologie, dit que, chez ces malades, « le fait est beaucoup plus
rare, et la guérison d'une hernie non congénitale doit compter parmi les
exceptions. » Cette assertion nous paraît un peu exagérée. En effet, ces liernies
du premier âge guérissent beaucoup plus souvent que ne l'accorde cet auteur,
et la statistique de Malgaigne montrant la décroissance considérable du nombre
des hernies, depuis deux ans jusqu'à neuf ans, nous semble une démonstration
suffisante de la facilité de leur guérisori.
Si, au contraire, la hernie apparaît chez un adulte, ou pendant la seconde
enfance et l'adolescence, les choses changent complètement. La guérison est
encore possible, mais elle devient très rare. Cette terminaison favorable ne se
montre plus que dans les cas de hernies petites et parfaitement maintenues.
HERNIES. 725
Ici l'influence du traitement est absolument manifeste et même prédominante.
Cependant, avec une contention scrupuleusement faite, la guérison de la
hernie peut être considérée comme une exception. Le plus souvent, le succès
du traitement par le bandage est de conserver la hernie dans un état station-
naire, d'en empêcher le développement naturel. En effet, chez l'adulte, la répéti-
tion fréquente des causes occasionnelles due soit à des habitudes, soit à des
mouvements professionnels ; la diminution de résistance des parois abdominales
il mesure que le malade avance en âge ; la dilatation progressive des anneaux
herniaires, constituent autant de conditions d'accroissement de la maladie,
contre lesquelles le bandage a de la peine à prévaloir.
Enfin, lorsque la hernie se montre chez un vieillard ou chez un homme vieilli
avant l'âge, elle peut être considérée comme incurable. Cela est vrai surtout
des hernies de faiblesse qui surviennent principalement chez les gens âgés. Les
conditions mêmes de la production de ces hernies, dues à l'affaiblissement consi-
dérable de leurs parois abdominales, suffisent à faire comprendre qu'il est
impossible d'espérer que leurs anneaux puissent acquérir une résistance suffi-
sante pour s'opposer à la sortie des viscères. D'ailleurs ces hernies de faiblesse
deviennent très-rapidement volumineuses, les anneaux se dilatent outre mesure;
c'est dans ces cas qu« la hernie doit être regardée comme une véritable infir-
mité dont il faut seulement chercher à diminuer le développement.
d. Contention. Enfin la manière dont les hernies sont maintenues par les
bandages peut constituer un facteur important de leur tendance ï. la guérison.
Sous ce rapport, Gosselin divise les hernies en trois groupes : celles qui ne sont
pas maintenues du tout, celles qui sont mal maintenues, et enfin celles qui sont
bien maintenues. Aous allons successivement examiner ces trois cas.
Lorsque la hernie n'est pas maintenue ou qu'elle est complètement aban-
donnée à elle-même, deux alternatives peuvent se présenter. Tantôt, en effet,
la hernie reste toujours au dehors, tantôt au contraire on a affaire à une tumeur
qui ne sort de l'abdomen que rarement. Dans le premier cas, la tumeur herniaire,
■constamment sortie, tend à s'accroître d'une façon continue, et ce dévelop-
pement ne peut être limité que par l'existence d'une des deux circonstances
suivantes : la première, c'est la présence d'un sac assez épais et assez consistant
pour résister à la distension produite par la sortie progressive des viscères ;
la seconde, c'est l'existence d'un lipome herniaire qui, soutenant au dehors
l'enveloppe séreuse, l'empêche de céder davantage à la pression viscérale. Mais
souvent ces obstacles eux-mêmes sont insuffisants et la hernie atteint un volume
considérable. Inutile de dire que, dans ces cas, elle n'est jamais susceptible de
guérir. Dans le second cas la hernie, quoique privée de tout moyen de conten-
tion, ne sort que rarement et seulement quand le malade se livre à des efforts
considérables. De plus, quand elle sort, elle est très-rapidement réduite; on
la voit alors, pendant très-longtemps, rester stationnaire, très-petite, et c'est
son peu de volume qui cause lu négligence du malade. Sitôt qu'elle augmente,
on a recours à un bandage, et la hernie serait alors maintenue. Il s'agit sur-
tout ici des hernies des jeunes enfants, qui ne sont pas jugées dignes d'un
bandage : or, nous le savons déjà, ce sont des hernies qui, en vertu de leurs
conditions étiologiques, doivent être rangées parmi celles qui ont le plus de
tendance à la guérison.
Le second groupe comprend les hernies qui sont ordinairement mal mainte-
nues. Cette mauvaise contention peut tenir à plusieurs causes. Ou bien il s'agit
724 IlER?yIES.
de hernies pour lesquelles tout bandage devient rapidement insuffisant et qui
se reproduisent facilement en présence d'une pelote qui ne leur fournit qu'une
barrière absolument incomplète. Ce sont ordinairement de grosses tumeurs,
qui se montrent chez des malades soumis à des efforts continuels, ou bien, au
contraire, chez des sujets qui se soignent et s'observent mal, et qui se con-
tentent d'un bandage souvent purement nominal et absolument inefficace pour
eux. Ce sont ces malades qui portent des appareils mal appliqués et qu'ils
placent sur l'orifice herniaire, sans avoir eu la précaution préalable de réduire
les viscères. Dans le plus grand nombre de cas, les hernies ainsi soignées
causent peu de troubles à ceux qui en sont porteurs, et cette indolence relative
explique la négligence des malades. D'un autre côté, on comprend que des her-
nies ainsi traitées ne soient jamais susceptibles de guérison. Cependant elles
sont généralement moins volumineuses que celles qui sont entièrement aban-
données à elles-mêmes ; cette contention, tout imparfaite qu'elle soit, paraît néan-
moins limiter leur accroissement dans une certaine mesure.
Nous arrivons maintenant au troisième groupe tracé par le professeur Gosselin,
qui comprend les hernies bien maintenues. Le bandage peut, dans certains cas,
être porté d'une façon continue, c'est-à-dire la nuit aussi bien que le jour, ou,
au contraire, le malade se débarrasse de son brayer pendant la nuit parce que,
dans la position couchée, la hernie n'a aucune tendance à ressortir. Au point
de vue de la curabilité, ces hernies se divisent en deux variétés. Les unes n'ont
aucune propension à la guérison; elles persistent, sans s'accroître, restent station-
naires et peu volumineuses, et ne demeurent réduites que grâce à la présence
du bandage : si le malade sort son appareil, la hernie ressort immédiatement.
Les autres, au contraire, arrivent, grâce à cette contention régulièrement faite,
à ne plus ressortir, et guérissent complètement à la longue. Cette marche s'observe
dans les hernies congénitales du premier âge, dans celles qui surviennent chez
les jeunes enfants, et dans un petit nombre de hernies peu volumineuses, se
montrant chez des adultes appartenant pour la plupart aux classes aisées de la
population. D'ailleurs, la durée de la contention nécessaire pour arriver à la
guérison complète est toujours, même dans ces cas favorables, assez longue.
La cure d'une hernie par le bandage demande plusieurs mois, pour les hernies
des très-jeunes enfants; pour les autres, quelques années, trois ou quatre ans
environ, et encore quand on l'obtient, ce qui est assez rare, surtout chez l'adulte.
Mécanisme de la guérison des hernies. Maintenant que nous avons essayé
de fixer dans quelles conditions il est permis d'espérer la cure naturelle d'une
hernie, il nous reste à étudier quel est le mécanisme de cette guérison. Pour
nous en rendre compte, deux points doivent être successivement examinés ; ce
sont les modifications qui surviennent du côté des anneaux herniaires, et celles
qui se produisent au niveau du sac.
1» Modification du côté des anneaux. Du côté des anneaux fibreux, il est
nécessaire de considérer ce qui se passe à chaque orifice en particulier, car les
modifications possibles sont variables suivant la constitution anatomique de
chacun des trajets herniaires. Sans vouloir empiéter sur l'histoire particuUère de ■
chaque variété, nous pouvons l'indiquer en quelques mots ici, du moins pour
les espèces communes.
L'anneau crural n'est susceptible d'aucune modification : il ne revient pas
sur lui-même et n'a aucune tendance à évoluer dans le sens de la guérison de
la hernie. 11 présente, en effet, un pourtour complètement fibreux et rigide, et il
HERNIES. 725
est incapable de revenir sur lui-même après avoir subi une dilatation quel-
conque.
Il en est de même, ou à peu près, de l'anneau ombilical qui est, lui aussi, un
orifice complètement fibreux, à moins cependant que la hernie n'ait e'té produite
avant le développement complet de la cicatrice ombilicale. C'est dire que les
hernies ombilicales congénitales, ou de la première enfance, si elles sont bien
maintenues, ne gênent pas l'évolution primitive de la cicatrice ombilicale, qui
aboutit à la formation d'un anneau assez serré et assez résistant pour empêcher
ultérieurement l'issue des viscères (voy. Hernie ombilicale). Si, au contraire, la
hernie se montre chez l'adulte, l'anneau, dilaté après son complet développe-
ment, n'a pas de tendance à revenir sur lui-même et à subir la rétraction
nécessaire pour aboutir à la guérison.
Le canal inguinal mérite, au point de vue spécial qui nous occupe, de nous
arrêter un peu. Nous devons rappeler qu'il est formé, pour ainsi dire, par le
travail de migration du testicule, et que, dans le plus grand nombre des cas, le
processus péritonéo-vaginal, ayant accompli sa fonction , s'oblitère vers le
septième mois de la vie intra-utérine. Cependant très-souvent, ainsi que Zuker-
kandl et Ramonède l'ont démontré, cette oblitération n'est pas complète à la
naissance, et souvent aussi les orifices qui le limitent sont assez ouverts, même
en présence d'une oblitération péritonéale, pour permettre une hernie oblique
externe. 11 résulte de ce mode de formation et de celte disposition que le canal
inguinal garde, toute la vie, une situation assez oblique pour que la pression
du bandage herniaire sur l'orifice externe permette l'application des deux parois
de ce canal l'une sur l'autre. Donc, à mesure que se développera le trajet ingui-
nal, c'est-à-dire pendant l'enfance et la jeunesse, l'obliquité du trajet et le
développement des deux anneaux qui le limitent faciliteront, en même temps
que l'occlusion du processus péritonéo-vaginal, la cure des hernies de ce
canal. Les adhérences qui réuniront les deux parois du canal joueront donc un
rôle important dans la guérison de la hernie ; elles seront totales ou partielles,
et plutôt partielles, mais l'application du bandage, en produisant une irritation
capable de leur donner naissance, constituera une condition thérapeutique
importante.
2° Modifications du côté du sac. C'est du côté du sac que se produiront
dans la guérison des hernies les modifications les plus importantes. Deux alter-
natives peuvent se montrer : le sac rentre dans l'intérieur de l'abdomen, ou
bien, au contraire, il reste au dehors. Nous allons examiner successivement ce
qui se passe dans les deux cas.
a. Guérison par rentrée du sac. Les cas où le sac rentre dans l'abdomen
doivent être à leur tour divisés en deux classes : ceux où le sac disparaît, est
détruit, effacé, ou bien ceux dans lesquels il est simplement refoulé dans la
cavité abdominale, en conservant tous ses caractères.
La disparition du sac se rencontre surtout dans les hernies congénitales, qui
ont une tendance naturelle vers la guérison (hernies inguinales et ombilicales
qui existent dès la naissance), et de plus dans les hernies petites et récentes.
Dans ces cas, en effet, le sac n'a pas encore acquis son organisation définitive,
il n'a pas de collet, ou celui-ci est rudimentaire et incomplètement développé.
Le sac peut être alors complètement ramené dans l'abdomen, ce n'est qu'un
feuillet péritonéal refoulé par la hernie, qui, renti'ant avec elle, reprend la
situation qu'il occupait avant la sortie des viscères. S'il y avait un début de
7-6 HERNIES.
collet, les plis peuvent encore s'effacer, se déplisser, et ce qui démontre ce méca-
nisme, c'est l'existence, prouvée par Cloquet, d'un cercle élargi des stigmates
autour de l'orifice qui avait laissé passer la hernie, et aune certaine distance de
cette ouverture. Cette disparition et cette destruction complète du sac peuvent
être occasionnées par certaines cii'constances. Dans certains cas il se fait une sorte
de rentrée spontanée du sac, principalement dans les hernies congénitales et du
premier âge. D'autres fois il se produit une locomotion du feuillet pariétal du
péritoine en sens inverse de celle qui avait permis la formation du sac. Les
circonstances qui favorisent ce déplacement en arrière de la séreuse peuvent être
assez nombreuses. Ce sont : tantôt le développement de tumeurs abdominales
volumineuses, telles que les corps fibreux de l'utérus, les kystes de l'ovaire, ou
bien simplement l'accroissement physiologique de l'utérus pendant la grossesse;
tantôt l'existence d'adhérences épiploïques ou intestinales qui retirent la séreuse
à elles, à mesure que les organes rentrent eux-même dans le ventre. Ce résultat
peut être produit aussi par l'accumulation de la graisse entre le péritoine et les
couches musculaires de l'abdomen, ou bien encore la réduction de la hernie par
traction est due à la formation d'une nouvelle hernie dans le voisinage de la
première. Le nouveau sac semble alors en partie formé aux dépens du premier
attiré en dedans par une nouvelle locomotion de la séreuse.
Enfin certaines circonstances particulières, comme un décubitus prolongé, par
exemple, peuvent amener une disparition complète du sac herniaire. Les Anciens,
et Richter surtout, avaient signalé l'influence du décubitus pour la guérison des
hernies. Seulement il faut bien avouer que ce n'est là souvent qu'une influence
passagère, et que la reprise de la marche ou de la station debout ramène, dans
certains cas, l'apparition de la hernie. Quanta la cause intime de cette dispari-
lion et de cette destruction du sac herniaire, elle est peu connue. Cloquet
invoque une sorte de resserrement spontané du tissu cellulaire extérieur au sac,
ou bien dans les hernies inguinales l'influence des contractions du crémaster.
Ce ne sont probablement là que des hypothèses.
Dans les circonstances que nous venons d'énumérer plus haut, il y aurait
plutôt à invoquer une simple action mécanique, une traction qui s'exerce sur
le péritoine pariétal en sens inverse de celle qui l'avait entrahaé au dehors.
Dans le second groupe de faits, le sac disparaît encore dans l'abdomen, mais,,
comme il était déjà complètement développé et qu'il était pourvu d'uu collet
complet et inextensible, il ne se déplisse pas. Il est alors simplement refoulé
dans la cavité abdominale et il y demeure vide, mais intact. Le plus souvent, il
se place sous le péritoine pariétal entre cette séreuse et les parois abdominales
proprement dites. Il reste là à l'état de cavité accessoire, c'est une sorte de
sac prélbrmé dans lequel, ainsi que le fait remarquer Gosselin, les viscères peu-
vent toujours s'engager ultérieurement. Dans cette nouvelle situation il peut con-
tracter des adhérences avec les parties voisines et, si à côté de lui ou aux dépens
d'une partie de ses parois il se forme un nouveau sac herniaire, il est possible
que ce mode de guérison ne soit que le prélude de la formation de ces hernies
propéritonéales sur lesquelles nous avons précédemment insisté.
p. Guérison avec persistance du sac au dehors. La guérison de la hernie peut
aussi s'effectuer avec persistance du sac à l'extérieur, et alors les modifications
qui se passent du côté de cet organe sont tout à fait différentes. Dans ces cas,
en effet, le sac reste au dehors, se rétrécit dans tous ses diamètres, sa cavité est
très-notablement diminuée, son orifice se rétracte de plus en plus, et il n'est
HERNIES. 727
plus capable d'admettre dans son intérieur les viscères qu'il avait précédemment
contenus.
Ces changements peuvent être dus à plusieurs causes. En premier lieu se
place la coarctation du collet du sac. Ce travail normal de resserrement pro-
giessif du collet avait été décrit par J. Cloquet, et après lui, plus complètement,
par Démeaux, qui a démontré qu'il pouvait, dans quelques rares cas, aller
jusqu'à l'oblitération complète. Cette terminaison, dit Demeaux, la plus heu-
reuse de toutes, n'arrive pas constamment. Uoustan, Malgaigne, l'ont décrite à
leur tour, et c'est à ce travail d'oblitération que sont dus les kystes pseudo-
sacculaires ou sacculaires, vestiges de hernies guéries par ce mécanisme. De
plus, dans le sac à collets multiples par refoulement, on observe aussi des
exemples de ce mode de guérison.
D'autres fois la cavité du sac, et non plus le collet, s'oblitère par adhérence
de ses parois entre elles, et celles-ci, le plus souvent, sont produites par l'action
irrilalive du bandage. On les rencontre surtout dans les hernies inguinales
obliques, dans lesquelles la pelote peut agir perpendiculairement à l'axe du
sac. Mais elles ne sont pas toujours définitives et, dans certains cas, il n'y a là
qu'une guéridon temporaire, car, ù la longue, au bout d'un nombre d'années
parfois considérable, les adhérences se résorbent et la hernie se reproduit.
P. Segond publie dans sa thèse d'agrégation un certain nombre de faits de ce
genre qui lui ont été communiqués par Berger et sur lesquels nous aurons à
revenir.
Enfin quelquefois le sac herniaire se rétrécit, se rapetisse et s'entoure d'une
certaine quantité de graisse qui adhèie à sa paroi extérieure. C'est le lipome
herniaire, dont nous avons déjà parlé et qui, avons-nous dit, a été interprété
tantôt comme le mécanisme de la guérison avec Ambroise Paré et Bernutz,
tantôt comme un agent [)roductcur du sac herniaire. Dans certaines obser-
vations il y a bien véritablement un lipome herniaire autour des vieux sacs
désliabités, que cet amas graisseux intervienne ou non dans le mécanisme de la
guérison.
Du reste, en terminant cette étude de l'évolution herniaire, nous devons dire
que c'est surtout chez les hernies traitées que l'on observe ces terminaisons
heureuses, et l'influence de l'application constante du bandage pour la guérison
est aujourd'hui nettement admise, surtout depuis les travaux de Gosselin.
Pronostic des her>'ies. Nous venons de voir que la guérison des hernies
ne peut être espérée que dans des conditions tout à fuit déterminées, et que
cette terminaison est véritablement rare, eu égard au grand nombre de ces
accidents.
Aussi le pronostic des hernies est toujours en lui-même sérieux. La hernie
dans l'immense majorité des cas constitue une incommodité fâcheuse, et sou-
vent même une véritable infirmité. De plus, ce pronostic est encore aggravé par
la possibilité constante d'accidents toujours assez sérieux et quelquefois très-
graves, comme l'étranglement. En outre, la présence d'une hernie exerce une
influence délétère sur la santé du sujet qui en est porteur; car elle peut être
considérée comme une cause prédisposante de certaines maladies. Enfin, soit
à cause des accidents propres à la hernie, soit à cause d'autres circonstances, les
hernieux meurent plus que les autres individus. La proportion de léthalité
de ces malades varie du reste beaucoup suivant l'âge du sujet, ainsi qu'il
résulte des recherches statistiques de Malgaigne. 11 a, en effet, démontré que
728 HERNIES.
chez les enfants il y avait deux fois plus de morts parmi les hernieux que chez
les autres. Chez les vieillards, les chiffres augmentent, et entre soixante-
quinze et cent ans il meurt 9 fois plus de hernieux que de personnes non
atteintes par cette affection. Il est vrai de dire aussi que, à cet âge, la hernie
arrive à une fréquence proportionnelle beaucoup plus grande qu'à aucune autre
époque de l'existence.
Du reste, le pronostic varie suivant certaines conditions, au premier rang des-
quelles il faut placer la possibilité et le degré de la contention.
Ainsi les hernies non maintenues sont beaucoup plus graves que les autres,
car elles constituent toujours une incommodité persistante ; elles sont souvent
extrêmement gênantes par leur volume même; enfin elles restent, à tous les
moments de leur existence, exposées à la production de tout le cortège des acci-
dents herniaires. Celles qui sont bien maintenues, au contraire, n'entraînent que
les incommodités lices au port du bandage ; car la présence de l'appareil, s'il
est bien supporté et suffisant, les défend contre les complications ordinaires.
Aussi, au point de vue clinique, les hernies peuvent être avantageusement divi-
sées, avec le professeur Gosselin, en hernies incoercibles et hernies coercibles,
suivant qu'elles sont ou non susceptibles d'être maintenues complètement réduites
par un brayer. Ce caractère peut être, comme nous le verrons, la source de cer-
taines indications thérapeutiques. 11 est à peine nécessaire d'ajouter que les
hernies coercibles sont moins fâcheuses que les autres et ont une plus grande
tendance à la guérison.
D'ailleurs, le pronostic est différent suivant que l'on examine l'affection her-
niaire au point de vue de la guérison possible, ou bien au sujet de la facihté
de production des accidents.
Au point de vue de la curabilité, les hernies congénitales, surtout celles du
premier âge, sont plus favorables que les hernies acquises ; celles des adultes
et des adolescents bien plus curables que celles des vieillards, toujours incurables.
Les hernies de force sont plus susceptibles de guérison que les hernies de fai-
blesse, les petites et les moyennes moins graves que les grosses, celles qui
sont profondes et interstitielles plus faciles à guérir que celles qui sont com-
plètes et superficielles. Enfin, dans les professions aisées, une hernie est plus
sujette à atteindre la guérison que dans les métiers pénibles corporellement, et
une contention facile et complète entraîne un pronostic plus avantageux que
l'absence de bandage ou l'incoercibilité.
Mais, si l'on ne recherche que la fréquence et la prédisposition aux accidents
herniaires, les conditions du pronostic sont toutes différentes. Ainsi, les hernies
petites et moyennes sont bien plus exposées à l'étranglement que les hernies
volumineuses, et le même accident se rencontre beaucoup plus souvent dans
les tumeurs habituellement bien maintenues, et tout à coup privées de leur ban-
dage, que dans celles qui en sont, habituellement et totalement, dépourvues.
Traitement des hernies rédoctibles. Une indication spéciale domine toute
la thérapeutique des hernies : c'est la nécessité de les maintenir constamment
réduites. Cette contention complète a plusieurs avantages : elle empêche l'accrois-
sement de la hernie, diminue la gêne et les phénomènes fonctionnels et prévient
toutes les complications.
Cette contention peut être parfois assurée d'une façon définitive : alors la
guérison est obtenue; soit, au contraire, seulement d'une manière momentanée
HERNIES. 729
par la présence crun appareil contenlif. Nous aurons donc à étudier un traite-
ment palliatif et un traitement curatif.
Le premier se fait au moyen des bandages herniaires. Son histoire comprend
celle de tous les appareils de contention des hernies, connus sous le nom de
bandages, brayers, ceintures, etc. Le second consiste, dans la majorité des cas,
en opérations destinées à fermer définitivement le trajet herniaire.
Aussi l'histoire du traitement des hernies peut se diviser en deux grandes
périodes : la premièie, qui s'étend depuis les temps les plus reculés jusqu'à la
fin du dix-septième siècle, et dans laquelle on s'occupe beaucoup plus des opé-
rations pratiquées contre les hernies que des appareils herniaires ; une seconde,
qui va du début du dix-huitième siècle jusqu'à ces dernières années, où les
chirurgiens ont une tendance presque universelle à préférer l'application des
bandages à lu cure opératoire. Depuis quelques années seulement, grâce à la
méthode antiseptique, nous revenons à la cure opératoire pour certains cas
déterminés.
Traitement palliatif. Histoire des bandages. Les Anciens, qui ne connais-
saient que la hernie inguinale et l'ombilicale, n'appliquaient, jusqu'à Galien et
Celse, des bandages qu'aux hernies de l'enfance, et c'étaient de simples ceintures
de toile. Comme ils croyaient que toutes les hernies étaient ducs à une rupture
du péritoine, ils ne pensaient pas la lésion médicalement curable et ne s'en occu-
paient que pour l'opérer. Oribase, au quatrième siècle, ne parle pas de bandages
herniaires : pour lui, toutes les hernies sont justiciables de l'instrument
tranchant.
Au siècle suivant, Aétius décrit une espèce de bandage, complètement mou,
dans lequel la hernie est maintenue à l'aide d'une pelote spéciale faite soit de
chiffon, de soie, ou de papyrus, car le papier n'existait pas, bien que les
modernes aient traduit le mot c/iaria par papier. Pour trouver de nouvelles indi-
cations sur les appareils herniaires, il faut arriver jusqu'aux Arabes et aux ara-
bistes. Ali-Abbas décrit une sorte de ceinture plus résistante où le cuir est
substitué à la toile.
Au dixième siècle, Avicenne donne la description d'un nouvel appareil dans
lequel une pelote plane est appliquée sur l'oritice herniaire, et celle-ci est
soutenue par une plaque de fer pour assurer la contention. C'est la première
apparition du métal dans la fabrication des bandages, et à ce point de vue cette
date a une importance véritable. Au siècle suivant, onzième siècle, Constantin
l'Africain emploie une pelote de plomb concave. Au treizième siècle, Lanfranc
de Milan, qui vint à Paris, se servait d'une pelote supportée par un écusson
métallique. Mais, jusqu'à ce moment, le métal entrait seulement dans la compo-
sition de la pelote, et la ceinture destinée à la soutenir était toujours molle,
soit en cuir, soit en toile.
Bientôt, au quatorzième siècle, un chirurgien de Montpellier, Gordon, fit
faire un nouvel et important progrès à l'art des bandages. 11 en employa un
en fer, non point une lame élastique, mais au contraire en fer rigide, qui
devait mieux soutenir la pelote, quelle qu'elle fût, que les ceintures molles
employées jusque-là. D'ailleurs, cette nouvelle pratique de Gordon paraît n'avoir
pas été imitée par ses contemporains, car Guy de Chauliac n'en parle pas et, pour
lui comme pour beaucoup de ses contemporains, le bandage herniaire devient
un appareil destiné surtout à appliquer des topiques à la surface de la tumeur.
A ce moment, du reste, les topiques et les onguents les plus bizarres et les
7Ô0 HERMES.
plus complexes sont constamment employés contre les hernies. Le plus souvent
ce sont des substances astriuL^entes : noix de galle, alun, antimoine, écorce de
chêne, amhre jaune, céruse, etc., qui forment la base de ces préparations. On
croit qu'elles agissent en faisant rélracter la tumeur herniaire.
Mais, presque toujours, ces remèdes sont composés d'un grand nombre de
substances des plus étranges, comme presque toutes les productions de l'an-
cienne pharmacopée. Ainsi, nous trouvons un onguent contre les hernies qui
contenait en même temps « de la litharge, de la térébenthine, des vers de terre,
la peau d'une anguille fraîche, du sang humain, de la peau de bélier cuite,
de l'eau de pluie et du vinaigre. » C'est de cette époque que date aussi le
IraitemetU siimpathique, qui consistait à faire avaler au malade de la poudre
d'aimant pendant que l'on recouvrait la hernie de limaille de fer. On espérait que
l'aimant contenu dans l'intestin attirant la poudre de fer placée à l'extérieur
aurait la puissance de faire rentrer la tumeur. Plus tard, ces topiques devien-
dront des remèdes secrets, comme le remède du roi, que Louis XIV acheta du
prieur des Gabrières et qui était composé d'esprit de sel dissous dans du vin,
et certains autres. Ces remèdes secrets et ces topiques, tout aussi inutiles les
uns que les autres, ont été peu à peu justement oubliés et sont tombés dans le
domaine des cliarlalans. Ils ont tout à fait cédé la place, comme ils le devaient,
aux ajtpareils mécaniques, qui seuls ont une action raisonnée et incontestable.
Nous n'en parlerons donc plus et nous revenons à l'histoire des bandages.
Le bandage mélalli()ue de Gordon ne fut pas accepté par ses contemporains.
Cependant quelques chirurgiens italiens tentèrent de le faire revivre au début
de quinzième siècle. Ainsi Arculanus décrit un bandage métallique, mal fait
à la vérité, mais dont il s'est servi. Mathieu de Gradi emploie un brayer com-
posé des pelotes pleines d'Avicenne, maintenues par une ceinture armée de
lames de fer. A la même époque, Barthélémy de Montegnana, rival des précé-
dents, proscrivait impitoyablement tous les banda:^es métalliques pour revenir
aux ceintures molles. Mais en 1480 Marcus Gatenaria, auquel certains auteurs
ont attribué, par erreur, la découverte des bandages métalliques, revient à celui
de Gordon, qu'il fabrique avec du fer malléable, s'aidant en même temps des
topiques et du repos. 11 connaît, dit-il, un artisan à Saint-Jean-le-Bourg, qui
fabrique très-bien ses appareils.
Les grands chirurgiens de celte époque, Franco, Ambroise Paré, parlent peu
du bandage herniaire, occupés qu'ils sont à perfectionner les procédés de cure
radicale. Fabrice d'Aquapendente, 1537, décrit une pelote faite à demi de bois
et de métal, qu'il soutient avec une ceinture molle, mais il préconise aussi un
appareil herniaire qu'il appelle Ô7r),ou6/>iov, composé d'une ceinture métallique
rigide qui s'unit, à angle droit, avec une pelote.
A mesure que nous approchons de l'époque moderne, tous ou presque tous
les bandages nouveaux sont fabriqués à l'aide de pièces métalliques. Amsi, au
commencement du dix-septième siècle, Fabrice de Ililden fait lui-même, pour
ses malades, un brayer en fer mou très-flexible, et ce bandage est adopté par
Malachias Geiger qui, en 1650, en publie la description dans son livre. Pour en
rendre l'application plus efûcace on en fixait la pelote à l'aide d'une vis de
pression.
A peu près à la même époque vivait à Paris un bandagiste de mérite, homme
intelligent et instruit, qui a exercé son art de W2^ à 1665 et qui avait succes-
sivement visité l'Italie, l'Allemagne, la France, vu et apprécié les bandages
HERiNlES. 751
usités dans ces divers pays et qui allait avoir la gloire d'inventer le bandage
français. Il se nommait Nicolas Lequin. Après avoir employé un bandage en fil
de fer, copié sur celui de Fabrice de Ililden, il eut cette idée, que Malgaigne
qualifia d'idée de génie, d'assujettir la pelote à l'aide de la pression d'un ressort
d'acier, se modelant sur le corps et maintenu en place par sa propre élasticité.
C'était à peu de chose près l'appareil encore usité de nos jours.
L'invention de Lequin n'eut pas tout d'abord une fortune rapide, car ses ban-
dages furent peu répandus. Ainsi en 1676 un certain bandagiste, le chevalier de
Blegny, que Dionis qualifie de charlatan, comprit la valeurdu bandage de Lequin,
puisqu'il le vulgarisa et même s'en attribua la paternité. Seulement le ressort
qu'il employait était plus long que celui de Lequin et faisait presque le tour du
corps.
Cependant ces appareils ne se répandirent pas bien vite, car Platner et Ileister,
en Allemagne, ne les connaissaient pas encore en 1083. Quoi qu'il en soit, le
véritable bandage herniaire était trouvé, et, à partir de ce moment, les nouveaux
appareils qu'il nous reste à décrire sont le résultat de modifications de détails
portant tantôt sur la pelote, tantôt sur le ressort, tantôt sur l'articulation de ces
deux parties.
Ainsi, au début du dix-huitième siècle, on voit bien un chirurgien herniaiie
CL'lèbre, Georges Arnauld, inventer un bandage à ressoi t brisé, mais cet appareil
tombe rapidement dans l'oubli. D'ailleurs le bandage à ressort métallique
constitue un tel progrès, qu'à la fin de ce siècle, en 1761, Richter affirme dans
ses écrits la prédominance absolue du bandage sur les traitements opératoires.
Ceux-ci sont bientôt proscrits par l'Académie de chirurgie, comme dangereux et
inutiles.
A la même époque, 1761, Typhaine étend encore l'emploi du bandage en
inventant le bandage double, composé de deux pelotes ayant chacune un ressort
particulier et indépendant, pour les cas de hernies doubles. Camper, en Angle-
terre, modifia la disposition du ressort métallique, en adoptant une lame d'acier
qui enserrait les 10/12 de la circonférence de la taille, pour avoir une application
plus parfaite. Du reste, jusqu'à ce moment-là, le bandage de Lequin, dit ban-
dage français, existait seul. Le ressort était une lame d'acier tordu en spirale
embrassant le côté du tronc où siégeait la hernie et faisant corps avec la pelote,
à la plaque métallique de laquelle il était soudé.
Mais, à la fin du siècle dernier, un mécanicien anglais inventa un nouveau
bandage qui, tout en utilisant l'élasticité d'une lame métallique pour composer
la ceinture, constituait un appareil tout à fait différent et dans son principe et
dans son application. En effet, il embrassait le côté du corps opposé à la hernie,
il ne se collait pas à la peau et ne suivait aucunement les contours du bassin;
la pelote était mobile en tous sens, et le bandage tenait parla seule élasticité du
ressort sans courroies ni sous-cuisse. Ce bandage fut importé en France en
1816 par M'ickhara, qui perfectionna l'articulation delà pelote avec le ressort.
Il a été depuis modifié par plusieurs auteurs, entre autres par Valérius et par
Burat, mais leurs améliorations n'ont pas été acceptées et l'on en est revenu
aujourd'hui à l'appareil de Wickham.
A partir de ce moment, les nouveaux appareils se ressemblent à peu près
tous : nous aurions à citer, pour être complet, une série de modifications portant
tour à tour sur les diverses parties du bandage ou dues à l'adjonction de pièces
accessoires. Mais nous ne ferions là qu'une énumération fastidieuse de bandages
752 HERNIES.
très-nombreux, qui sont à peu près tous tombés dans l'oubli, et qui n'ont eu
la plupart qu'une existence éphémère.
Tels sont, par exemple, lesappareils de Jalade-Lafon, qui inventa, en 1822, le
bandage rénixigrade, dans lequel la pression de la pelote était aidée par une série
de ressorts accessoires surajoutés à l'appareil primitif; les bandages de Cresson et
Sanson, dans lesquels les modifications portent surtout sur les pelotes, qui sont
tantôt pleines et en gomme élastique, tantôt en caoutchouc et remplies d'air.
Elles sont dites pelotes éoliennes à air fixe, ou à air mobile, suivant qu'à l'aide
d'un mécanisme spécial on peut ou non faire varier la pression de l'air dans
l'intérieur de la pelote. Du reste, l'emploi de l'air dans les bandages herniaires
revient à Chastelet, médecin militaire, chirurgien en chef de l'armée du Nord en
1795. Ce chirurgien fabriqua pour le représentant du peuple M. Chasles, eu
mission à l'armée du Nord, un bandage formé d'un intestin d'animal rempli
d'air maintenu par une bande, destiné à une hernie assez douloureuse pour ne
pouvoir supporter aucun brayer métallique. Cette tentative fut, du reste, cou-
ronnée de succès. Nous pourrions ajouter aussi à cette liste la pelote en bois en
forme de champignon, inventée en 1840 par Malgaigne pour une hernie dilTici-
lemenl coercible et qui du reste ne put être supportée par le malade ; le bandage
de Ferron, présenté à la Société de chirurgie en 1858 par Follin et muni
d'une plaque métallique appliquée sur le ventre laquelle pendant l'effort repous-
sait la pelote en en augmentant la pression sur l'anneau herniaire. C'était tout
simplement une modification des pelotes à bascule, usitées depuis longtemps et
avec un succès très-inconstant : elles sont aujourd'hui complètement tombées
en désuétude. Signalons encore le bandage volviforme de Falgas en 1863, qui
eut le même sort. De toute cette série nous ne retiendrons que deux appareils,
celui de Bourjeaud, en 1852, bandage élastique dont nous reparlerons, et le
bandage rigide de Dupré, présenté à la Société de chirurgie de Paris en 1861
par Broca, et qui peut rendre de réels services dans les hernies volumineuses et
difficilement coercibles.
Description des bandages. Il résulte de ce qui précède que la prééminence
du bandage sur les opérations date réellement de l'invention de Lequin, c'est-à-
dire de l'introduction du ressort d'acier élastique dans la confection des appareils
herniaires. Aussi ce genre de bandages est-il aujourd'hui le plus employé et c'est
par lui que nous devons débuter. Les autres variétés d'appareils que nous serons
obligé de décrire ne s'adressent qu'à certaines exceptions; le bandage à ressort
élastique est au contraire d'un usage courant et généralement employé.
Les bandages à ressort élastique se réduisent à deux types : le bandage français
et le bandage anglais.
Le bandage françaises! de beaucoup le plus usité dans notre pays. Il se compose
essentiellement d'une pelote et d'un ressort d'acier qui la maintient appliquée.
La pelote a subi des transformations nombreuses. Elle est formée ordinaire-
ment aujourd'hui d'une masse de crin ou de laine, en tampon serré, soutenue du
côté de sa face extérieure par une lame d'acier très-mince à peu près plane, qui
en recouvre toute la surface, et revêtue du côté de la peau par une enveloppe en
peau de chamois ordinaire, ou bien en peau plus fine, parfois en peau de
gant glacée. Dans certains cas même, la pelote est entourée d'un linge fin pour
certaines peaux facilement irritables. On a fait autrefois des pelotes dures,
en bois poli (Martin), en plomb, en ivoire, en caoutchouc, mais elles ne sont
plus usitées maintenant. Il en est de même des pelotes métalliques creuses,
HERNIES.
753
contenant certaines substances médicamenteuses, comme celles de Jalade-Lafon,
1822. Les pelotes à air, dont le principal type a été la pelote éolienne de
Cresson et Sanson, soit à pression fixe, soit à pression variable, sont, elles aussi,
abandonnées, à l'exception des pelotes en caoutchouc vulcanisé de Gariel, qui
peuvent obéir à certaines indications exceptionnelles et qui, contrairement aux
précédentes, ne changent pas de consistance avec le temps.
Le volume de la pelote est extrêmement variable. 11 doit augmenter en raison
du volume de la hernie et de la largeur de l'orifice herniaire. 11 en est de même
de sa convexité, qui doit aussi varier suivant la faiblesse de la paroi et la tendance
des viscères à ressortir ; il en est de presque planes, d'autres absolument
convexes, cependant il ne faut pas exagérer celte convexité, car alors h pelote
agirait sur un point trop limité et serait facilement déplacée. Enfin il en existe
de concaves qui sont surtout destinées à maintenir des hernies irréductibles.
Elles ont alors pour but non plus d'oblitérer l'orifice de sortie, mais de limiter
l'issue des viscères.
La forme de la pelote est en général oblongue ou plus exactement elliptique,
cependant elle doit s'adapter à la forme et à la dimension de l'orifice her-
niaire : aussi il existe des pelotes triangulaires, ovalaires, arrondies, surtout pour
les hernies ombilicales, des pelotes à bec de corbin, c'est-à-dire recourbées en
forme de croissant, de manière à embrasser le pubis pour certaines hernies
inguinales. Dans certains cas de hernies congénitales avec ectopie du testicule
à l'anneau on a fait aussi des pelotes échancrées ou bifurquées (FoUin). Nous les
étudierons en décrivant la hernie inguinale (fig. 10).
t'ig. 10.
Enfin certains auteurs ont fait fabriquer des pelotes contenant une plaque
mobile mise en mouvement par un levier, une crémaillère ou une vis de
pression, et qui ont pour but de faire varier la position ou la pression de la
pelote sur l'anneau, tout en en maintenant la fixité par rapport au ressort.
Celui-ci se compose d'un ruban d'acier élastique de 1 à 2 millimètres
d'épaisseur, large de 1 centimètre 1/2 environ. Il est en spirale, courbe à la
fois suivant ses faces et suivant ses bords, comme si, dit Duplay, on avait
exercé sur ses extrémités une torsion en sens inverse.
Comme longueur, ce bandage s'étend depuis la hernie jusqu'à quelques travers
de doigt au delà de l'épine dorsale, eji embrassant le coté du bassin correspon-
dant à la hernie, sur lequel il s'applique aussi étroitement que possible par sa
concavité. Ce mode d'application, en multipliant les points de contact, multiplie
aussi les causes de déplacement dans les divers mouvements et les différentes
attitudes du corps.
La force du ressort est proportionnelle à la longueur du ruban d'acier, et
aussi à l'effort des viscères. On les divise ordinairement à ce point de vue en
75i HERNIES.
trois catégories : ressorts d'adulte, d'une force de 1500 à 2000 grammes;
ressorts de cadets, de 1000 à 1500 grammes; ressorts d'enfants, de 800 à
1000 grammes. Mais ces degrés n'ont rien d'absolu, car chaque bandage doit
être spécialement accommodé, comme courbure, comme force et comme incli-
naison, à la conformation exacte du malade auquel il est destiné. Aussi, lorsque
Carsten Hollouse exprimait dans le journal ihe Lancet, en 1875, le désir qu'il
y ait pour les bandages une sorte de filière analogue à celle qui existe pour les
bougies uréthrales, suivant la force d'élasticité, le degré de courbure, l'épais-
seur du ressort, etc., afin de permettre au chirurgien de désigner exacte-
ment au bandagiste l'appareil qu'il choisissait pour son malade, il désirait à
peu près l'impossible. En effet les qualités de l'acier, et surtout sa trempe,
sont très-variables; de plus la nécessité de changer les courbures suivant
chaque malade empêche les bandagistes d'obéir à des indications absolument
précises.
D'ailleurs la longueur nécessaire du ressort est différente suivant les auteurs.
Ainsi Camper, trouvant insuffisantes les dimensions que nous avons précédem-
ment indiquées, a fabriqué des ressorts d'une longueur égaie aux 5/6 de la
circonférence du bassin. Jalade-Lafon, exagérant encore, adopte un ressort cir-
conscrivant les 51/52 du pourtour du bassin. Ces longueurs exagérées sont à
peu près complètement abandonnées de nos jours.
Le point d'articulation du ressort et de la pelote porte le nom de collet. Dans
le bandage français cette articulation est iixe; elle se fait tantôt au bord même
de la pelote, tantôt, et plus souvent, suivant la modification introduite par
Charrière, le ressort est continué jusqu'à la partie moyenne de celle-ci. D'ailleurs
l'enroulement du ressort est tel que le collet est toujours plus bas que l'extrémité
libre et que la pelote regarde en arrière et en haut. Celle-ci ne continue pas
exactement le ressort, elle est plus ou moins inclinée sur lui, et cette inclinaison
est variable suivant le siège exact de la hernie. .4insi dans la liernie crurale la
pelote est presque à angle droit sur le ressort; les bandages inguinaux ont
aussi des inclinaisons variables. Pour obéir à cette indication, certains ban-
dages, peu usités de nos jours, étaient ornés d'une crémaillère permettant de
l'aire varier la direction de la pelote par rapport au l'essort : ils sont justement
délaissés, car le peu de solidité du mécanisme rendait la pression illusoire
dans les différents mouvements.
Tous les bandages, dont nous venons de décrire les parties essentielles,
sont enveloppés d'une peau de chamois fortement rembourrée sur la surface
interne. « Du côté opposé à la pelote, disent Gaujot et Spillmann dans l'Arsenal
de la chirurgie contemporaine (t. II, p. 618), la garniture de peau se continue
par une lanière de cuir qui, traversant un petit anneau, vient se fixer sur un
bouton placé sur la face libre de la pelote. Pour prévenir le déplacement du
bandage dans les divers mouvements du corps, il est presque indispensable
de recourir au sous-cuisse. Cette lanière de cuir rembourrée descend de la partie
postérieure du ressort, contourne le pli de la cuisse et vient s'attacher à un
bouton placé sur la face externe de la pelote. »
Quand on a affaire à une hernie double, on se sert, depuis l'invention de
Typhaine, du bandage double, dont chaque pelote est maintenue par un ressort
particulier. Cet appareil est composé d'une pièce centrale, coussin rembourré,
appuyée sur le sacrum, et de cette pièce partent deux ressorts se dirigeant vers
les hernies. Les deux pelotes sont réunies par une courroie de cuir allant de
HERNIES. 755
l'une à l'autre et se fixant sur des boutons placés à leur face libre. Un double
sous-cuisse sert à maintenir la fixité de cet appareil.
Tel est le bandage français, qui a été l'objet de diverses modifications
destinées à en augmenter la fixité ou la force de contention. Nous en avons
examiné quelques-unes chemin faisant, il nous en reste d'autres à faire con-
naître.
Certaines d'entre elles ont pour but d'augmenter la force de pression dans les
divers mouvements. Tel était le bandage rénixigrade de Jalade-Lafon, 1822.
C'était un bandage ordinaire, auquel on appliquait un ou plusieurs petits ressorts
supplémentaires, de longueur et de force variées, articulés et adossés l'un à l'autre
par leur convexité. Il paracheva son appareil par une pelote elliptique bombée
■et creu>e, dans laquelle on introduisait des substances médicamenteuses : il est
complètement abandonné aujourd'hui, surtout à cause de son poids. 11 en est de
même du bandage volviforme de Falgas, 1863. Mentionnons encore le bandage
de Féron présenté à la Société de chirurgie en 1858 par Follin, construit, à
l'imitation du bandage de Tesale, avec une spirale entre la pelote et le ressort, et
destiné à produire son maximum de force au moment des efforts.
La spirale est placée entre la plaque et le ressort. « Pendant les efforts la
pelote appuyé contre la branche d'acier élastique, presse la spirale enroulée
elle-même autour de la tige avant d'atteindre le ressort; la force de conten-
tion de celle-ci est donc augmentée en raison directe de l'effort exercé sur la
spirale. Féron a encore imaginé de relier la pelote par une tige inflexible à
une plaque appliquée contre l'abdomen : le but de cette modification est
d'empêcher le bord inférieur de la pelote de se soulever quand le malade s'in-
cline en avant. » Cet appareil est difficilement supporté.
Enfin Ravoth a publié, dans le Berli7ier klinische Wochenschrift, en 1876, la
description d'un bandage destiné aux hernies ombilicales et épigastriques, où
la pelote contient à son centre un ressort en spirale dont l'ouverture est calculée
sur l'orifice de l'anneau et la résistance de la hernie : ce ressort entre presque
dans l'anneau, et la pelote est maintenue par une double ceinture de cuir inex-
tensible.
Guillot et Lebelleguic ont encore inventé certaines modifications de détail
abandonnées, et dont la description nous entrauierait trop loin.
Avant de décrire les avantages et les inconvénients du bandage français nous
devons faire connaître le bandage anglais.
Inventé par Salmon à la fin du siècle dernier, il fut introduit dans notre
pays par les frères AYickham en 1816, et ceux-ci ont perfectionné le mode d'arti-
culation de la pelote avec le ressort. Ce bandage se compose d'un ressort
elliptique terminé à chaque extrémité par une pelote.
Le ressort du bandage anglais est mieux trempé que celui du bandage fran-
çais. 11 représente un arc elliptique, ou plutôt un cercle de tonneau incomplet :
il n'est courbe que sur ses faces. Au lieu de suivre les contours du bassin, il
embrasse la demi-circonférence du corps du côté opposé à celui où siège la
hernie et se trouve plus long en avant, où il dépasse la ligne médiane pour
atteindre l'orifice herniaire, qu'en arrière, où il repose sur la colonne vertébrale.
Libre dans toute son étendue, il n'est fixé que par ses deux extrémités qui seules
prennent un point d'appui sur le corps : aussi les mouvements n'ont aucune
influence sur la position de la pelote, et la pression des vêtements le fait bas-
culer sans modifier la fixité de celle-ci.
735
HERNIES.
Quanta ses deux pelotes, la postérieure, large, arrondie et bien rembourre'e,
prend un point d'appui sur le sacrum; l'antérieure, destinée à presser sur l'an-
neau, est ordinairement ovalaire, mais peut aussi bien varier dans ses formes
et ses dimensions que celle du bandage français. De plus, l'articulation du
bandage avec les pelotes est mobile, de telle façon que ses oscillations n'en-
traînent pas de cbangement de situation de celles-ci (fig. H).
Fis- 11.
D'ailleurs cette mobilité de l'articulation de la pclole avec le ressort est une
des principales différences entre les bandages anglais et français. « L'extrême
mobilité que le ressort du bandage anglais doit posséder, dit S. Duplay, pour
s'accorder avec la position fixe que doit garder la pelote, nécessite une articu-
lation spéciale qui a été très-perfectionnée par Wickham frères. Cette modifica-
tion s'opère par la compression de la boule I entre les deux plaques concaves
A et B qui constituent la noix dans la-
quelle elle est logée. Cette compres-
sion se fait en serrant la vis X, Par ce
système on peut donner à la pelote l'in-
clinaison nécessaire pour la contention
de la hernie. Pour que le bandage con-
serve les avantages de celui de Salmon,
c'est-à-dire la mobilité du ressort,
Wickham frères ont fait établir sur la
tige de la coulisse une petite rainure
destinée à laisser mouvoir la goupille E qui retient la coulisse D. On obtient
alors une inclinaison pei'manente avec persistance de la mobilité du ressort »
(fig- 12).
Du reste, ce mécanisme un peu compliqué a été simplifié par Charriere, qui a
fait un bandage mixte intermédiaire entre le bandage anglais et le français.
Dans cet appareil, le ressort ne se continue pas avec l'écusson de la pelote; il lui
est uni par une articulation légèrement mobile qui permet un va-et-vient plus
ou moins étendu. L'extrémité postérieure du ressort porte une pelote qui
repose sur la colonne vertébrale, comme dans le bandage anglais ; le ressort est
analogue au ressort anglais, la ceinture est terminée par une courroie de cuir
Fis. 12.
HERNIES. '/57
ui se fixe à un bouton placé sur la pelote antérieure, et le bandage est main-
enu par un ou deux sous-cuisses. Enfin, il y a des bandages anglais doubles, la
lelote dorsale servant de point de départ à deux ressorts isolés aboutissant cba-
;un à une pelote antérieure. Elles sont réunies par une courroie de cuir, comme
lans le bandage français double. Le bandage anglais tel que nous l'avons décrit
)lus baut a été l"-ii aussi l'objet de plusieurs modifications dont les plus con-
lues sont celles de Valérius et de Burat. Yalérius avait imaginé de tordre en sens
nverse les deux extrémités du ressort anglais, et Burat avait adapté au collet
ie la pelote une sorte de brisure qui permettait d'incliner vers la peau la pelote
intérieure. Ces deux modifications, critiquées avec raison par Malgaigne,
îffaiblissaient considérablement l'action de ce bandage et ont été abandonnées
depuis.
Nous devons maintenant comparer entre eux les appareils anglais et français.
Le bandage français est de beaucoup le plus employé dans notre pays, et il est
juste de dire qu'il est très-suffisant et excellent dans le plus grand nombre
des cas, Malgaigne, qui lui préférait le bandage anglais, lui a adressé une série
de reproches que l'on peut résumer ainsi :
1° Le bandage français exige l'emploi d'un sous-cuisse qui est gênant, et
peut provoquer des érythèmes et des excoriations ;
2" Le ressort perd une grande partie de sa force, parce qu'il est contourné
en spirale, et surtout parce qu'il presse le bassin en tous points ;
'ù° Le bandage est très-sujet à se déplacer; la pelote est exposée à glisser
vers l'épine iliaque antérieure et supérieure; dans la situation accroupie, le
bord supérieur de la pelote appuie contre l'abdomen, tandis que le bord infé-
rieur s'écarte et livre passage à la hernie;
A" Quand le malade, dans un grand mouvement, écarte les jambes, il déroule
le ressort avec le grand trochanter et le lait remonter ;
5° La pression du ressort exerce une force constante, tandis que l'effort que
font les intestins pour sortir varie à chaque instant avec la situation du
malade.
Malgré tous ces reproches, le bandage français est le plus usité de tous et il
réussit dans le plus grand nombre des cas, qui sont à la vérité simples et faciles.
Il est ordinairement suffisant comme appareil de contention, et de plus il est
généralement bien supporté par les malades, parce que son pomt d'appui est
réparti sur tout le pourtour du corps avec lequel son ressort est en contact. Ce
n'est, du reste, que dans les cas difficiles qu'il est passible de la plupart des
inconvénients, que nous avons énumérés plus haut, et qui sont d'ailleurs
exagérés.
Dans le cas où le bandage français est insuffisant, on a alors recours au
bandage anglais auquel on attribue les avantages suivants :
1° 11 n'a pas de tendance à se déplacer latéralement, parce que la pelote anté-
rieure est au delà de la ligne médiane qui constitue la partie la plus saillante
de l'abdomen;
2° Les grands mouvements de corps, en particulier les mouvements d'abduc-
tion du membre inférieur, ne dérangent pas la pression, puisque le ressort est
mobile sur la pelote;
5° Si le ressort s'émousse par l'usage, on peut lui rendre sa force par
l'addition d'un ressort supplémentaire glissé dans la gaîne de peau; en pareil
cas, le bandage français est absolument perdu ;
DicT. ENc. i" s. Xin. ^^
738 HERNIES.
A'> Le bandage anglais agit avec plus de puissance que le français, puisque
le ressort n'épuise pas une partie de sa force sur le contour du bassin.
Cependant cet appareil, qui peut être préféré au précédent lorsqu'une pres-
sion plus forte est nécessaire, est quelquefois insuffisant même dans ces cas ;
de plus, il lui arrive, lui aussi, de se déplacer dans les grands mouvements,
bien qu'on le préfère en général pour les hernies difficiles à contenir chez les
malades qui écartent fortement les jambes comme les cavaliers. Du reste, dans
certains cas, l'exagération de pression de la pelote peut être un inconvénient
surtout dans la hernie inguinale. Car, ainsi que le font remarquer Gaujot et
Spillmann, « la pelote du bandage anglais tend à s'enfoncer dans le bassin en
écartant les piliers de l'anneau inguinal externe. Elle augmente donc l'élément
pathologique. » En outre, il est moins facile à dissimuler sous les vêtements,
condition assez importante pour beaucoup de malades. Enfin ce bandage paraît
réussir moins bien chez les malades appartenant au midi de l'Europe, que chez
les gens du Nord. Peut-être ya-t-il, suivant les races, des différences de confor-
mation du bassin et de l'abdomen qui rendraient le bandage français plus
facilement supportable pour les sujets de race latine, et le bandage anglais
préférable au contraire pour les races saxonne et germanique. Mais ce fait,
pour être rigoureusement démontré, demanderait à être vérifié par des obser-
vations nombreuses et très- précises. D'ailleurs, dans les hernies très-difficiles à
contenir, où une forte pression est nécessaire, et dans lesquelles le ressort anglais
est, lui-même, insuffisant, surtout si la tumeur est volumineuse, on peut se
servir avantageusement du bandage rigide de Dupré, présenté à l'Académie de
médecine en 1869, et dont Broca a résumé dans son rapport tous les avantages,
qui sont réels.
« Ce bandage se compose, dit Ledentu, d'une tige rigide métallique qui, pour
une hernie inguinale double, par exemple, offre trois arcades, l'une médiane à
concavité inférieure, les deux autres latérales à concavité supérieure. La tige se
prolonge ensuite latéralement de manière à contourner la hanche sans s'y
appliquer et se termine par une sorte de crochet auquel s'adapte l'extrémité
d'une demi-ceinture de cuir qui se boucle en arrière. Deux pelotes triangulaires
s'adaptent aux deux arcades latérales, au moyen d'une vis engagée dans la
fenêtre transversale intermédiaire aux tiges plates et qu'on peut serrer au
point qui paraît le plus convenable. Pour le bandage unilatéralj il n'y a qu'une
arcade à concavité supérieure correspondant à la hernie; la tige est plus
longue du côté opposé. La construction ne s'écarte point, pour le reste, du ban-
dage double. »
Ce bandage réussit le mieux dans les cas les plus difficiles. La tige rigide a
l'avantage de résister à tout effort venant de la hernie, par une véritable force
d'inertie qu'elle doit à sa solide fixation, et sans exercer de pression active exa-
gérée et constante sur le ventre, comme le font les ressorts élastiques. Cette
pression, presque nulle au repos, et qui augmente proportionnellement aux
efforts que font les viscères pour s'échapper, mérite donc d'être employée dans
les cas oii les hernies sont volumineuses et ont une grande tendance à sortir de
l'abdomen.
Dupré a essayé un second modèle, oii la tige rigide prolongée en arrière fait
presque le tour du bassin; la courroie qui en rapproche les extrémités est plus
courte, et la striction en est encore plus énergique. Il faut observer que ces
l»a;i.!.i_es de Dupré ne doivent être appliqués que dans les cas de réduction
HERNIES. 7J9
complète, car sur une hernie partiellement irréductible cette pression considé-
rable pourrait être absolument nuisible.
Enfin, pour les hernies ombilicales et autres, la situation même de la hernie
à forcé les chirurgiens à fabriquer des appareils différents, au moins par la
forme, de ceux que nous venons d'examiner, et qui seront plus utilement décrits
aux articles concernant ces variétés particulières.
U nous reste maintenant à parler d'une série d'appareils dissemblables des
précédents, où la contention est assurée à l'aide de ceintures molles diver-
sement agencées, mais qui ne contiennent pas de ressort élastique. Dans la
plupart des cas, ces bandages sans ressort élastique sont destinés à des hernies
concfénitales ou à celles de la première enfance. Les jeunes enfants ne sup-
portent pas les ressorts métalliques même les plus doux, et il est d'usage de
ne pas les employer, pour leurs bandages, avant un an et même plus tard. Ainsi,
pour les hernies ombilicales, les appareils sont très-nombreux : compresse en
plusieurs doubles maintenue par une bande de diachylon (Trousseau) ; une
simple bande large de diachylon fixant une pelote formée par l'enroulement
d'une de ses extrémités sur elle-même en laissant le côté emplastique à l'exté-
rieur (Guéniot) ; la pelote de caoutchouc pleine d'air, maintenue par une bande
de diachylon ou de caoutchouc (Demarquay) ; une large bande de calicot lacée
en arrière et pouvant admettre dans une poche située à sa partie antérieure
une plaque de gutta-percha (J. Thompson), etc. Tous ces appareils ont du
reste le même inconvénient, ils sont sujets à se déplacer.
Pour les hernies inguinales de ce premier âge, on a aussi préconisé des
modèles divers ; ce sont ordinairement des pelotes molles, maintenues par une
ceinture molle ou élastique avec sous-cuisse. Gendron (de Bordeaux) fabrique
un bandage composé d'une pelote d'ouate revêtue de toile, appendue à une
ceinture en toile, sur laquelle est fixée une sorte de bande élastique qui exerce
une pression suffisante pour que le bandage ne se déplace pas, car la pelote
est fixée, intérieurement, par un sous-cuisse en toile très-bien supporté, à con-
dition que l'appareil soit tenu très-propre.
Galante construit un petit appareil composé d'un coussin échancré sur son
bord inférieur pour embrasser la verge, qui s'applique sur le pubis et les
trajets inguinaiix. Une ceinture molle et des sous-cuisses le mainti^^nnent en
place.
Enfin, en 1885, Ward Cousin a décrit, en Angleterre, un appareil, inspiré du
précédent, composé de deux petites poires en caoutchouc, reliées à leur partie
supérieure par un coussin à air, muni, par en haut, d'un tube à insufflation
destiné à le remplir d'air à une pression convenable. Le tout est fixé par une
ceinture souple et par deux sous-cuisses. Cet appareil serait très-simple à
placer, à enlever et à nettoyer. Mais, sans insister sur ces bandages dont nous
n'avons donné ici que quelques types, nous devons dire qu'on emploie encore,
en dehors de ces cas particuliers, quelques autres bandages sans ressort élas-
tique. D'abord, toutes les ceintures molles en cuir et en toile, pour hernies volu-
mineuses et irréductibles, qui sont plutôt de simples suspensoirs que de véri-
tables appareils herniaires, et quelques autres bandages plus ou moins délaissés
de nos jours. Mais, nous devons cependant parler de la ceinture élastique de
Bourjeaud, où l'on a utilisé uniquement l'élasticité du caoutchouc. Voici, d'après
Duplay, la description de cet appareil : « Une sorte de ceinture très-haute
embrasse l'abdomen et le bassin à la manière d'un caleçon. Elle est formée de
■•iO
HERNIES.
tissu de caoutchouc mélangé à de la soie, et exerce une pression égale et très-
forte sur toute la surface qu'elle enveloppe. Elle recouvre et applique contre les
orifices herniaires deux ampoules de caoutchouc que Ton peut distendre en y
injectant de l'air au moyen d'un petit réservoir que le malade comprime et vide
en s'asseyant (fig. lo).
Ce bandage est peu usité; car, malgré tout, il maintient mal les hernies, les
pelotes se déplacent facilement, la pression y est peu énergique, et il est pas-
sible des inconvénients communs à tous les bandages en caoutchouc qui irritent
Fig. 15.
et souvent excorient la peau, à cause du sulfure de carbone qu'ils renlerment.
Pour éviter ces légers accidents, il faut avoir la précaution, dit Ledentn, défaire
bouillir le caoutchouc, pendant une heure dans une solution de potasse d'Amé-
rique (potasse 1 partie, eau 4 parties) pour le débarrasser de son sulfure de
carbone.
Du mode d'application du bandage. Quel que soit le bandage qui ait été
choisi, la première précaution pour l'appliquer est de bien réduire la hernie.
Celle-ci, dans certains cas, rentre d'elle-même, et simplement par la position
quand le malade se place dans le décubitus dorsal; d'autres fois la plus simple
pression suffit à faire revenir les viscères dans l'abdomen. Lorsqu'au contraire
la réduction exige de la part du chirurgien une manœuvre régulière, elle prend
le nom de taxis.
Pour pratiquer le taxis, le malade doit se placer dans le décubitus dorsal,
les cuisses légèrement écartées et à demi fléchies sur le bassin, les jambes à
demi fléchies sur les cuisses. Le chirurgien placé alors, le plus souvent, à la droite
du malade, saisit de la main gauche le pédicule de la hernie, pendant qu'il
comprime la tumeur de la main droite pour la réduire. Celle-ci doit agir non
par la paume, mais par l'extrémité des doigts appliqués autour de la tumeur,
et la pression doit être dirigée de telle façon que les viscères rentrent dans un
ordre inverse à celui de leur sortie, les derniers expulsés se réduisant les pre-
miers. Le sens de la pression est variable suivant la variété de hernie; elle doit
être dirigée en haut et en dehors pour les inguinales communes, en haut et
<en arrière pour les crurales, en arrière pour les ombilicales et les inguinales
HERNIES. 741
directes. Dans les cas de hernie très-volumineuse, on doit s'y reprendre à plu-
sieurs fois pour effectuer la réduction, en ayant soin de maintenir avec la main
gauche les résultats partiels de chaque reprise.
Cette réduction complète préalable est absolument nécessaire pour l'applica-
tion des bandages à pelote convexe : en effet, la pression de la pelote sur un
viscère incomplètement réduit peut amener des coliques, un malaise général,
des douleurs locales et même des vomissements, en résumé, une série d'acci-
dents qui peuvent rappeler le début des étranglements.
Le chirurgien doit, du i-este, apprendre au malade à effectuer lui-même la
réduction totale de sa tumeur, opération qu'il doit toujours accomplir dans la
position couchée. Enfin, si la hernie est partiellement irréductible, il faut rem-
placer la pelote convexe par une concave, destinée à contenir la hernie et à
empêcher tout accroissement ultérieur, sans blesser les parties qui sont déli-
nitivement fixées au dehors.
Lorsque la léduclion est complètement faite, les doigis de la main gauche
restent fixés sur l'anneau; la main droite saisit la pelote et la place directement
sur l'orifice herniaire en appuyant un peu fortement. La main gauclie, devenue
libre fait passer alors le ressort autour du corps et le met exactement dans
la situation qu'il doit occuper définitivement. On le fixe à l'aide de la courroie
antérieure que l'on attacbe à la pelote, et du sous-cuisse que l'on place de façon
qu'il consolide le bandage sans blesser le malade.
Cela fait, on examine le sujet avec son appareil dans diverses positions,
debout, couché, assis, en lui faisant, dans toutes ces positions, exécuter des
efforts et particulièrement en le priant de tousser. Enfin, on provoque des
efforts dans la position accroupie, et si, dans toutes ces situations, le bandage
exerce une contention complète, même pendant l'effort, il peut-être considéré
comme excellent. Il est rare, cependant, que, dans cette dernière position, un
bandage, même suffisant, exerce une contention absolument parfaite.
On peut donc considérer comme un bon bandage celui qui réalise les condi-
tions suivantes : 1" la hernie reste réduite, et bien réduite, par la présence du
bandage; 2° la pelote demeure exactement sur l'orifice et le trajet herniaires;
3* elle est bien fixée et ne se déplace dans aucun mouvement; 4» la pression est
suffisante pour résister à la poussée des viscères même pendant l'effort; 5" la
pression du ressort est bien supportée par le malade et par la peau de la région
herniaire.
Aussi, pour assurer l'ensemble de ces conditions, il fiut très souvent faire
subir à l'appareil quelques modifications. Le médecin doit savoir changer de
modèle, et choisir celui qui, dans chaque cas particulier, obéit aux indications
spéciales ; et le bandagiste doit savoir apporter à chaque appareil des modifica-
tions partielles de construction répondant exactement à ces indications.
Le bandage bien choisi, suivant ces règles, peut être porté soit d'une façon
absolue, c'est-à-dire nuit et jour, soit seulement pendant la journée. Ce dernier
mode est de beaucoup le plus fréquent. Dans la plupart des cas, en effet, on
autorise les malades à quitter leur brayer pendant la nuit, alors qu'ils sont
couchés. Cette règle doit, au dire de Duplay, souffrir deux exceptions. Chez les
jeunes sujets, dans les hernies récentes dont on peut espérer la guérison par le
bandage, il est avantageux d'en continuer l'application même pendant le repos
au lit. D'autre part, si un hernieux est sujet à des efforts de toux violents et
fréquents, il sera prudent de se prémunir, même pendant la nuit, contre l'issue
742 HERNIES.
d'une portion de viscères plus considérable que celle qui constitue ordinau'ement
la hernie. 11 faut reconnaître cependant que le bandage n'est pas toujours bien
supporté et les causes de cette intolérance sont diverses. Quelquefois, malgré la
réduction complète de la hernie et le choix le plus minutieux du bandage, sa
pression détermine des douleurs telles que le malade ne peut supporter sou
appareil. Il faut alors choisir, pour commencer, un ressort très-faible, même
en partie insuffisant au début, pour arriver, peu à peu, à mesure que la tolé-
rance s'établit, à prendre un braver plus résistant et suffisant. Cependant, malgré
ces précautions, il arrive que certains malades ne peuvent jamais s'habituer au
bandage. Gosselin cite, à ce sujet, le cas d'un malade qui, après avoir vainement
essayé tous les appareils possibles, en était réduit à maintenir, tant bien que
mal, la tumeur au moyen de la main placée sans cesse dans la poche de son
pantalon. Mais, heureusement, ces faits sont exceptionnels, et ordinairement,
même dans les cas difficiles, on peut réussir, après certains tâtonnements, à
découvrir l'appareil bien supporté.
D'autres fois, le bandage devient intolérable, parce que la pression de la
pelote amène des irritations cutanées qui en rendent l'application extrêmement
douloureuse. Ces accidents se présentent tantôt sous l'aspect d'érythèmes plus
ou moins étendus et même de véritables excoriations, parfois aussi sous forme
de poussées d'eczéma. On peut alors interposer entre la pelote et la peau, jusqu'à
disparition de ces irritations une légère feuille d'ouate, une flanelle, un linge
fin, etc. Quelquefois aussi la simple précaution de saupoudrer la région herniaire
de poudre de riz, de poudre de lycopode ou d'amidon, suffit à permettre au
malade de garder son bandage. Si ces moyens faciles et simples ne réussissent
pas à prévenir ou à guérir ces complications légères, il faudra, pour quelques
jours, retirer le bandage, mais alors faire garder le lit au malade. In repos
absolu et les pansements les plus élémentaires, permettront, au bout de peu de
temps, la reprise simultanée du bandage et des occupations.
Mais en dehors de ces petits accidents, et même si le bandage est constam-
ment bien toléré par le malade, il est cependant nécessaire d'en surveiller
l'application. En effet, l'appareille meilleur se détériore, s'use, et arrive insen-
siblement à ne plus remplir convenablement sou office. De plus, en dehors des
réparations nécessitées par l'usure, il est des changements survenant chez le
malade qui obligent à modifier ou à changer le bandage. Ainsi, chez les tous
petits enfants, à cause de leur accroissement physiologique, il sera nécessaire de
changer d'appareil tous les deux ou trois mois environ ; de même, chez les enfants
du second âge et les adolescents, il faut veiller aux changements de forme et de
taille amenés par la croissance. Les embonpoints ou amaigrissements rapides,
les changements de volume du ventre, dans les grossesses, ou bien dans les cas
de développement d'une tumeur abdominale, par exemple, doivent naturelle-
ment entraîner le choix d'un nouveau bandage.
Traitement cdratif des HER^•IEs. Nous avons jusqu'à présent examiné les
bandages au point de vue palliatif : il nous reste une question à résoudre
avant d'étudier la cure radicale par les méthodes opératoires. Cette question
est la suivante : Le bandage herniaire peut-il suffire à amener la guérison
immédiate?
La chose n'est pas douteuse, et il existe, depuis longtemps, des observations
ncontestables de guérison par des bandages. Richter, Camper, Fournier de
HERNIES. 745
Lempiles, Astley Cooper, Sabatier, Gosselin et d'autres 'encore, en ont rassemble'
et publié un certain nombre, suffisant à démontrer que, sans être la règle, cette
guérison pouvait être espérée et recherchée dans quelques cas. D'ailleurs, presque
tous les médecins et surtout les bandagistes ont vu guérir des malades qui
n'ont traité leur hernie que par le port assidu d'un bandage bien fait. La
question, posée en Angleterre en 187'i dans le journal the Lancet par une
société savante, amena la publication de plusieurs réponses signées de MM. J. La^v-
rence, Carsten Iloltouse, Carnochan, rapportant, eux aussi, des cas multiples
de guérison par des bandages.
D'ailleurs, pour que celui-ci puisse assurer la guérison de la hernie, il est
nécessaire qu'il obéisse aux conditions suivantes : il faut que la hernie soit
constamment bien contenue le jour dans tous les mouvements, et que le malade
garde l'appareil la nuit, si la hernie a tendance à ressortir dans la position cou-
diée : il pourra cependant le quitter, si la hernie ne sort jamais et n'a aucune
tendance à s'échapper dans cette situation.
D'ailleurs nous avons déjà vu, en étudiant la marche naturelle des hernies, que
la guérison définitive ne pouvait guère être obtenue que dans certaines conditions.
Celles-ci sont de quatre ordres: le volume de la hernie, qui doit être petit; la
position sociale du sujet, qui doit être aisée, afin de pouvoir éviter les efforts
■exaaérés et les travaux de force; le de^ré de contention, c'est-à-dire la nécessité
<run bon bandage; enfin l'âge du sujet, les hernies des malades jeunes étant, de
beaucoup, les plus susceptibles de guérison.
Il nous paraît utile de revenir sur ce dernier point. Tout le monde admet aujour-
d'hui la guérison ordinaire des hernies congénitales du premier âge. Malgaigne
a démontré la curabilité de celles de la seconde enfance et il cite des exemples
indiscutables de guérison chez les adolescents. Mais certains auteurs nient abso-
lument la possibilité de la cure de la hernie, parles bandages, chez l'adulte. Or,
ces faits sont plus rares, mais ils existent. Ainsi Segond, dans sa thèse, rappelle
que le professeur Le Fort lui a affirmé avoir vu des cas de guérison clu-z des
hommes de trente-cinq ans. Du reste, après cet âge, celle-ci n'existe plus pour
ainsi dire, car il est impossible de tracer au point de vue de l'âge une limite
absolue. En effet, comme le dit Malgaigne, il y a des hommes qui sont jeunes et
•vigoureux à cinquante ans, comme il yen a qui sont vieux à trente; et ceux-ci
ne sauraient obtenir une cure radicale que les autres pourraient à la rigueur
•espérer.
Ceci revient à dire que, tant que les hernies sont des hernies de force, on pont
en obtenir la guérison à l'aide de bandages, tandis qu'au contraire les hernies
de faiblesse, à quelque âge qu'elles se produisent, doivent être considérées comme
incurables par ce moyen.
Cette guérison chez l'adulte, aussi complète qu'elle paraisse, n'est pas toujours
définitive. Segond, dans son excellente thèse, rapporte un tableau, qui lui a été
communiqué par Paul Berger, comprenant 56 observations dans lesquelles la
récidive de la hernie a eu lieu après un temps assez long pour que la guérison
ait pu être considérée comme définitive. 11 s'agit, en effet, de cas où la guérison
s'est maintenue dix, vingt, trente ans et même davantage, et où néanmoins la
hernie s'est reproduite, car la disposition auatomique que l'on croit transformée
persiste en réalité d'une manière plus ou moins complète. Ainsi le malade n" l
du tableau de Segond a vu se reproduire, après soixante ans de guérison, la réci-
dive d'une hernie inguinale gauche interstitielle; le malade n" 2 a vu revenir.
744 HERNIES.
après cinquante-sept ans de disparition, une hernie inguino-pubienne bilatérale.
Dans ces cas, le plus souvent les adhérences qui avaient amené l'oblitération du
trajet herniaire, qu'elles eussent porté sur la cavité du sac, ou sur un autre
point, se résorbent peu à peu ou s'affaiblissent, et la poussée des viscères arrive
de nouveau à triompher des résistances qu'elles avaient créées. En effet, c'est
presque toujours à l'aide d'une péritonite adhésive qu'elle provoque que la
compression du bandage arrive à produire la guérison.
D'ailleurs, les chances de cette cure par le bandage varient beaucoup suivant
la variété de hernies. Elles sont au maximum dans les inguinales, à condition que
la hernie soit inguino-pubienne ou interstitielle, ou bien scrolale fort peu volu-
mineuse, que le bandage soit excellent, gardé continuellement, et que le malade
évite les efforts violents et les grands mouvements susceptibles de le déplacer.
Dans les hernies ombilicales, on ne peut espérer de guérison définitive que
chez l'enfant : avec les meilleures conditions de choix et de port du bandage il
n'y a pas à compter sur la cure radicale chez l'adulte. Quant aux hernies cru-
rales, Malgaigne a pu dire, à cause des difficultés presque insurmontables de
la contention exacte dans cette variété : « Ce serait folie de vouloir les guérir par
un bandage. »
Tous tes faits démontrent donc que, si le bandage peut arriver à amener la
cure radicale de la hernie, ce qui est aujourd'hui incontestable et incontesté,
cette guérison ne peut survenir que dans certaines conditions spéciales bien déter-
minées, et que, dans la plupart des cas, le traitement par le bandage ne peut
être que palliatif.
Le plus souvent, en effet, c'est à l'aide des tentatives opératoires que les chi-
rurgiens ont cherché à pratiquer la cure radicale des hernies, et ces opérations
ont été tour à tour préconisées ou repoussées depuis l'antiquité jusqu'à nos jours.
On peut même dire que la cure opératoire des hernies a été fort en honneur
presque jusqu'au dix-huitième siècle, c'est-à-dire jusqu'au moment de l'invention
des bandages élastiques. Depuis, elle est presque complètement tombée dans
l'oubli, jusqu'au moment où l'apparition de la méthode antiseptique a permis,
avec une plus grande sécurité, de nouvelles tentatives opératoires plus efficaces
et moins dangereuses.
Historique des opérations de cure radicale. Les Anciens, on le sait, ne
connaissaient que la hernie ombilicale et la hernie inguinale, et leur manière
de procéder était différente dans les deux cas. Ainsi, Celse préconisait, dans les
hernies ombilicales, la cure par la ligature, tout en admettant plusieurs procédés.
Quant à la hernie inguinale, il incisait et réséquait le sac, avec une portion de
la peau, afin d'obtenir une cicatrice solide. Mais, chose à remarquer, dans ses
procédés opératoires, il respectait toujours le testicule. Oribase, imitant la
manière d'opérer de Celse, dissèque et tord le sac, puis le résèque sans toucher
au testicule. Aétius, au cinquième siècle, préconise la même pratique.
Avec Paul d'Égine les procédés changent. Pour les hernies ombilicales il emploie
les mêmes opérations que Celse, mais, pour les hernies inguinales, il n'hésite pas
sectionner le cordon et le sac herniaire, et il sacrifie le testicule sans scrupule.
Ce n'est que dans le bubonocèle qu'il se contente de réséquer le sac sans détrun^e
la glande séminale. Cette castration dans l'opération de la hernie, qui entre
dès cette époque dans la pratique chirurgicale, constitue un des reproches
les plus graves que l'on puisse adresser aux anciennes méthodes de cure
radicale.
HKRNIES. 745
Ce détestable procédé devait durer plusieurs siècles. En effet, nous voyons
les chirurgiens arabes, au dixième siècle, Avicenne, Albucasis, Ali-llabbas, ne pas
hésiter à enlever le testicule en réséquant le sac herniaire. Les arabistes, c'est-
à-dire l'École de Bologne, au douzième siècle représentée par Gérard de Crémone,
Hugues Lucques, l'évêque Théodoric et Guillaume de Salicet, imitent cette con-
duite. Il en est de même de l'École de Salerne (treizième siècle), avec Roland et
Roger de Parme; de l'École de Paris avec Hugues et Lanfranc. Les procédés
varient cependant : les uns opèrent aux bistouris, les autres avec les caustiques,
soit avec le cautère actuel, soit, comme Théodoric, avec les caustiques potentiels.
Souvent aussi l'opérateur liait en masse le sac herniaire et le cordon, sans s'in-
quiéter du testicule. Néanmoins, c'est surtout la cautérisation qui est en honneur.
Enfin, même au quatorzième siècle, à Montpellier, Guy de Chauliac n'hésite pas à
supprimer le testicule, et déclare les procédés de cure radicale sans castration
incomplets et avec fallace.
Cependant, à la même époque, fut inventé un procédé nouveau qui avait pour
but d'oblitérer le sac herniaire, tout en respectant le testicule. Ce procédé, c'est
le point doré imaginé par maître Béraud Méthis, que Franco appelle Bernard
Methis. Nous ne connaissons ni l'époque précise de son existence, ni sa natio-
nalité. Il est probable, dit Segond, qu'il vivait au treizième siècle, en tout cas
avant Guy de Chauliac. Voici comment se pratiquait le point doré : la peau
incisée, on enserrait le cordon et le canal péritonéo-vaginal avec un /?/ d'or du
calibre d'une grosse épingle, et on serrait assez étroitement pour oblitérer la voie
péritonéale, pas assez pour que les vaisseaux spermatiques et déférents fussent
étranglés. Il est bien évident que ce procédé devait faire beaucoup de victimes,
car, pour oblitérer sûrement le collet herniaire, bien des opérateurs devaient
étrangler les vaisseaux du cordon.
Nous arrivons ainsi au quinzième siècle, et à cette époque ce sont les écoles
italiennes qui tiennent le sceptre de la chirurgie. Parmi ceux qui s'occupent
spécialement des hernies nous pouvons citer Arculanus, Mathieu de Gradi, Mar-
cus Gatenaria, etc. A la vérité, la cure radicale est toujours eh honneur, mais les
chirurgiens commencent à se préoccuper davantage des bandages, et à chercher
souvent la guérison à l'aide de ces appareils. Alors la cure opératoire appartient
à ces voyageurs herniaires, charlatans pour la })lupart, qui parcourent les pays,
tels que toute la dynastie des Norsia, qui opéraient toutes les hernies en prati-
quant la castration. Segond raconte qu'il existait au seizième siècle un certain
Horace de Norsia, cité par Fabrice d'Aquapendente, qui, bon an mal an, ne châ-
trait pas moins de 200 individus.
Cependant, avec la Renaissance, les études médicales reprirent en France une
nouvelle ardeur, et nous voyons les grands chirurgiens de celte époque, et
surtout Ambroise Paré et Franco, s'occuper de la question. Ils n'opèrent pas
toutes les hernies, et quand ils opèrent ils s'ingénient à respecter le testicule.
Ils essayent, de même que Fabrice d'Aquapendente, de perfectionner le point
doré, en ne comprenant dans leur ligature que le conduit péritonéo-vaginal, et
en respectant les éléments du cordon. Mais, malgré toutes leurs précautions,
cet isolement des organes funiculaires ne devait pas être toujours aisé. Ainsi
Ambroise Paré invente la suture royale ou, du moins, imagine, après la kéloto-
mie, une suture du sac lierniaire qui paraît, au dire de Segond, être « l'ori-
gine de cette suture royale dont tout le monde parle et qui cependant n'a pas
d'histoire. »
746 HERNIES.
Le mot (le suture royale ne fut prononcé pour la première fois que par Dionis.
Du reste, pendant tout le dix-septième siècle les tentatives de cure radicale con-
tinuèrent, mais à côté grandissait l'importance des bandages, et l'on tentait en
même temps le traitement par des onguents et des remèdes secrets, dont le plus
connu était le ronède du Boy acheté p;ir Louis XIV au prieur des Cabrières. La
suture royale, dont nous venons de parlei-, consistait en une double suture en
surjet, parallèle à l'axe du sac et destinée, après la réduction de l'intestin, à
rétrécir assez le sac herniaire pour que celui-ci ne pût plus s'y engager. Du
reste, Dionis, qui l'a décrite, s'élève fortement contre toute tentative opératoire et
surtout contre la castration. Le dix-huitième siècle, caractérisé surtout par l'étude
anatomique et clinique des hernies, continua celte réaction contre la cure radi-
cale et, armé du bandage à ressort élastique de Lequin, put traiter scientifique-
ment et convenablement les hernies. Aussi, malgré quelques tentatives de retour
à la cure radicale, comme celle de Gauthier et Mayet en 1774 par cautérisation
directe de l'anneau herniaire, qui coûta la vie au célèbre voyageur La Condamine,
celle-ci était de plus en plus abandonnée. Elle fut, à cause de ses résultats déplo-
rables et de ses dangers, formellement condamnée à l'Académie de chirurgie
par Louis et Dordcnave. Desault cependant, au commencement du dix-neuvième
siècle, est encore pai ti^an de la cure radicale par la ligature pour la hernie ombi-
licale, mais pour celle-là seulement.
A partir de ce moment, nul ne parle plus d'opération, jusqu'au moment où
Gerdy en 1855 invente son procédé par invagination. Autour de cette invention
se groupent, tant en France qu'à l'étranger, une série de modifications au pro-
cédé de Gerdy, mais, avec la mort de l'inventeur, ils tombent bientôt complè-
tement dans l'oubli, les résultats n'ayant pas répondu aux espérances des chirur-
giens. A peine devons-nous signaler, à l'étranger, quelques tentatives opératoires,
basées sur des méthodes diverses, celles de Wutzer, Sotteau, Rothmund, Wood,
1868, etc.
Néanmoins la cure des hernies paraissait absolument abandonnée de tous,
quand l'apparition de la méthode antiseptique, en rendant plus familière et
beaucoup moins périlleuse la chirurgie abdominale, est venue encore une fois
remettre en honneur la cure radicale opératoire.
Seulement, ce sont des méthodes nouvelles, une opération nouvelle, qui sont
essayées avecSchede, Nussbaum, Czerny, Riezel, Socin, en Allemagne; Reverdin
et Dupont, en Suisse; Lucas Championnière, Segond, etc., en France; et ce sont
surtout ces procédés que nous devons étudier ici.
Des procédés de cure radicale. On peut et on doit diviser les procédés
de cure radicale des hernies en deux grandes classes : les méthodes lentes
ou anciennes, qui s'adressent spécialement aux hernies réductibles, et les
méthodes directes ou modernes, qui peuvent également être employées pour
les hernies irréductibles et les réductibles.
Les premières, qui comprennent de très-nombreux procédés, ont été rangées
par Paul Segond en quatre groupes :
« Le premier groupe comprend les procédés dans lesquels on mortifie les enve-
loppes de la hernie par la ligature ;
« Le deuxième comprend les procédés qui cherchent à provoquer dans le trajet
herniaire un travail inflammatoire adhésif ou cicatriciel et s'adressant plus par-
ticulièrement soit au sac, soit au tissu cellulaire qui l'entoure, soit aux orifices
fibreux ;
HERNIES. 747
« Le troisième comprend les procédés dans lesquels on combine la provocation
d'un travail inflammatoire avec l'oblitération par un bouchon organique;
« Le quatrième comprend enfin les procédés dans lesquels on ajoute la suture
des orifices à leur oblitération par un bouchon organicjue. »
Sans vouloir entrer dans le détail de tous ces innombrables procédés, que l'on
trouvera décrits complètement dans le travail de Segond, nous devons cependant
indiquer en quelques mots l'essence même des différentes méthodes, bien qu'elles
soient, du reste, aujourd'hui presque complètement abandonnées.
Les procédés de mortification des enveloppes par la ligature, qui compren-
nent : la ligature simple de Desault, la ligature multiple de Martin jeune et de
Bouchacourt, la ligature avec torsion du pédicule de Thierry et la ligature par
les tasseaux de Ghicoyne, ont été spécialement appliqués au traitement de la
hernie ombilicale, et leur histoire se trouve faite à l'article qui traite de cette
variété {voy. Herme ombilicale); ils ne sont du reste plus employés.
Le second groupe, qui réunit les procédés ayant pour but d'oblitérer le trajet
herniaire à l'aide d'un travail inflammatoire adhésif ou cicatriciel, comprend
surtout des injections d'un liquide irritant faites, soit dans le trajet herniaire,
comme les injections iodées de Velpeau, soit dans le tissu périherniaire, comme
celles de Luton, Schvvalbe, etc.
Il existe bien d'autres procédés poursuivant le même but, comme l'acupunc-
ture de Bonnet et de Mayor, l'introduction d'un corps étranger résorbable dans
le sac (baudruche ou filaments de gélatine), de Belmas, le passage d'un séton
à travers le sac herniaire de Môsner, les scarifications du trajet, opération
ancienne de Freytng reprise par J. Guérin. Mais tous ces procédés n'ont donné
aucun résultat et ont été très-rapidement laissés de côté : nous n'y insisterons
donc pas.
Les injections irritantes dans le sac que Velpeau faisait avec de l'iode,
Schreyer avec du vin rouge, Pancoast avec de la teinture de cantharides, n'ont
pas donné lieu à des résultats définitifs. Les récidives ont été nombreuses, on
ne constate aucun cas de cure définitive, et en outre elles ont engendré des
accidents graves : péritonites, inflammations phlegmoneuses des bourses et des
parois abdominales, dont quelques-uns ont été suivis de mort. C'est donc une
méthode justement délaissée. Les injections pcriherniaires constituent une
opération récente. Luton, qui Ta, le premier, préconisée, en 1875, cherchait à
provoquer une inflammation irritative et non suppurative, qui aboutit à une
rétraction du tissu cellulaire périherniaire suffisante pour oblitérer le trajet.
11 emploie une solution saturée de sel marin, mais il n'a pratiqué cette opération
que sur des hernies congénitales de l'enfance, qui, nous le savons, guérissent
facilement avec le bandage, et d'ailleurs les malades n'ont pas été suffisamment
suivis pour que les guérisons qu'il a obtenues puissent être considérées comme
définitives. Cette méthode a trouvé des imitateurs à l'étranger, mais avec des
liquides différents. Ainsi Schwalbe, en Allemagne, emploie l'alcool à 70/100'=%
Heaton et Warren, en Angleterre, se servent de l'extrait d'écorce de chêne. Ces
auteurs ont publié de nombreux cas de succès, avec des accidents minimes,
mais, comme pour les observations de Luton, on peut leur objecter que leurs
malades ont été suivis pendant trop peu de temps. En outre, l'application de
ces injections est difficile et assez incertaine. Aussi, avant de juger définitive-
ment cette méthode, est-on en droit de demander des résultats plus anciens et
sans récidive, ce qui n'a pas encore été fourni.
7/t8 HERiMES.
Le troisième groupe renferme tous les procédés qui ont pour but d'obturer
le trajet herniaire à l'aide d'un bouchon organique. H réunit des opérations fort
dissemblables. Citons d'abord l'idée de fermer le canal par refoulement du tes-
ticule, opération ancienne et bizarre, décrite par Henri Moinichen, médecin du
roi de Danemark au dix-septième siècle, et le pelotonnement du sac dans
l'anneau, sans incision du tégument, imaginé par Garengeot. On peut encore y
joindre l'obturation du canal par nn lambeau cutané autoplastique employé par
Jameson (de Baltimore) dans une hernie crurale, et conseillé en 1874 par
Langenbeck. Ce sont des procédés sans grande valeur que nous nous bornerons
seulement à rap[)eler. Beaucoup plus importants sont ceux dont l'ensemble
constitue la méthode de l'invagination dont Gerdy fut le promoteur et l'inventeur.
Ils ont tous un principe commun : c'est la recherche de l'oblitération du canal
herniaire à l'aide de la peau scrotale invaginée. Ce résultat est cherché à la fois
par le maintien de la peau invaginée et par les divers processus inflamma-
toires ainsi déterminés. Les opérations basées sur l'invagination sont fort nom-
breuses, et, sans vouloir toutes les passer en revue, nous pouvons, avec Broca,
les diviser en trois groupes : les unes procèdent de l'opération de Gerdy, les
autres dérivent du procédé de Wutzer, et les dernières de celui de Sotteau.
Dans la méthode de Gerdy, l'invagination du scrotum est maintenue à l'aide
de points de suture. Dans le procédé de Wutzer, elle est assurée à l'aide d'un
instrument laissé en place dans l'axe du doigt de gant dii au refoulement de
la peau; il en est de même dans ceux de Rothmund, de Valette, de Le Roy
d'Étiolles, de Langenbeck, de Wathman, de Christophe lleat, de Kiuloch, de
Syme, de Davies, de Fayrer et d'Egea, dans lesquels l'instrument invaginateur
seul est changé, le principe restant le même. Enfin la troisième catégorie de
ces procédés comprend ceux dans lesquels « l'invagination du scrotum est main-
tenue à l'aide d'instruments qui, transfixant transversalement le tégument
externe et la portion de la peau invaginée, traversent en même temps les bords
de l'orifice de sortie de la hernie et tendent à les rapprocher. » C'est la méthode
de Sotteau, qui laisse en place une aiguille sur laquelle on comprime trans-
versalement les parois du trajet herniaire, et celle de Deroubaix, qui n'en est
qu'une imitation. Tous ces procédés sont détaillés et figurés dans la thèse de
Segond. Comme ils sont aujourd'hui tombés en désuétude, nous nous borne-
rons à en apprécier les résultats.
Un piemier fait doit nous arrêter : l'invagination ne guérit pas par le méca-
nisme invoqué par ses inventeurs. La peau ne reste pas invaginée et l'obturation
du trajet herniaire se fait par l'inflammation rétractive des tissus cellulaires et
fibreux du canal et des anneaux; presque toujours il y a en même temps de la
péritonite adhésive, ainsi que l'ont démontré trois autopsies de Rothmund.
En second lieu, cette méthode a occasionné des accidents, peu nombreux, il
est vrai, mais dont quelques-uns ont été suivis de mort. Cette terminaison
fatale a été quelquefois causée par la péritonite, bien que le fait soit à la vérité
exceptionnel; bien plus souvent ce sont des inflammations diffuses des parois
abdominales qui ont tué les malades. Pour les cas oi!i les nombreuses statistiques
parlent de guérisons, des distinctions doivent être établies. Dans tous ces faits
les malades sortent guéris de l'hôpital, mais, comme le fait remarquer Thierry,
à propos des observations de Sotteau, « rien n'atteste qu'après s'être livrés à
leurs occupations ils n'aient vu plus tard se reproduire leur maladie. » La
principale objection que l'on peut faire, en effet, à ces procédés, c'est que la cure
HERNIES. 749
n'est pas définitive et que les récidives ont été nombreuses. D'ailleurs c'est
pour cela qu'ils ne sont plus employés maintenant.
Le quatrième groupe, enfin, comprend les procédés dans lesquels on ajoute la
suture des orifices à leur oblitération par un bouchon organique. Cette méthode
pourrait être appelée la méthode anglaise, car elle a été imaginée par Wood,
en 1858, et par Dowell en Amérique, et elle a été surtout pratiquée dans ces
deux pays. Leurs procédés ont pour but « de fermer le trajet herniaire en com-
binant à l'obturation par invagination le rétrécissement par la suture des piliers.
Ils ont en outre pour trait caractéristique d'être toujours des opérations sous-
cutanées. » Ils sont du reste d'une exécution assez délicate, aussi les modes opé-
ratoires sont nombreux. Celui de Wood a été modifié par un certain nombre
de chirurgiens, et surtout par Agnew, Cbisholm, Van Best et Jesset, Georges
Whyte, Field, Thompson, Spanton, etc. Les modifications portent tantôt sur la
manière de placer le fil de suture, comme celles de Cbisholm et Georges Whyte,
tantôt sur la présence d'instruments iuvaginateurs, permettant en même temps
la suture, comme l'appareil d'Agnevv ou le tire-bouchon de Spanton.
Sans insister sur les détails opéi'atoires, nous pouvons dire que les statistiques
publiées, et principalement celles de M. Wood, sont excellentes : la méthode
paraît théoriquement avantageuse, cependant nous pouvons, avec Segond,
résumer ainsi les résultats publiés : « L'opération peut tuer, elle ne garantit
pas sûrement l'absence de récidive, elle a parfois procuré des cures radicales ;
elle a souvent permis la bonne contention de hernies auparavant incoer
cibles. »
Ainsi, nous voyons qu'aucune des méthodes lentes, que nous venons de passer
successivement et rapidement en revue n'est exempte de reproches, et qu'aucune
surtout ne peut être considérée comme donnant des guérisons certaines et
constantes. Il nous reste maintenant à examiner les méthodes modernes ou
directes que l'antisepsie a rendues possibles et qui possèdent, sur les précédentes
l'avantage de pouvoir être aussi bien employées contre les hernies irréductibles
ou étranglées que contre les hernies simples, tandis que les auti'es supposent
toujours la réduction préalable des viscères. Nous devrions peut-être, pour être
plus logique, les étudier seulement à propos des hernies irréductibles auxquelles
elles paraissent plus spécialement destinées, mais, pour ne pas scinder l'histoire
de la cure radicale, il nous a paru plus intéressant de les réunir toutes dans un
même chapitre.
Opérations directes de cure radicale. Les méthodes directes ou modernes
sont des opérations qui se font à l'aide de la section des téguments et qui res-
semblent tout à fait, du moins dans leurs premiers temps, à l'opération de la
kélotomie. Elles comprennent, comme cette dernière, l'incision large des tégu-
ments, la découverte du sac herniaire et des anneaux. Le reste de l'opération
consiste dans une série de manœuvres ayant pour but de supprimer la cavité
du sac et d'oblitérer les anneaux fibreux.
On a appelé à tort cette opération cure radicale des hernies par la méthode
antiseptique. Cela veut simplement dire que l'emploi de la méthode antiseptique
comme pansement a permis des tentatives opéi'atoires nouvelles sans trop de
danger.
La première opération de cure radicale directe a été faite par un chirurgien
anglais, Ch. Steele, en 1874. Depuis, elles se sont multipliées en Angleterre et
en Allemagne, car dans ce dernier pays, dès 1876, Nussbaum et Riesel la pra-
750 HERNIES.
tiquent. En 1877, Czerny à Fribourg, Schede à Berlin, Socin à Bàle, commen-
cent la série de leurs opérations.
On peut avec Reverdin diviser les procédés en trois groupes :
1" Ligature ou suture du collet avec ou sans extirpation du sac (procédé de
Nussbauni et Uiesel);
2° Ligature ou suture du collet avec suture de la porte herniaire avec ou
sans extirpation du sac (procédé de Czerny) ;
3° Ouverture du sac, drainage du collet sans ligature du sac, sans suture de
l'anneau (procédé de Scliede). Comme le fait remarquer Segond, ce procédé
n'est en somme qu'une opération de kélotomie sans dcbridement.
Nous ne pouvons décrire en détail tous ces procédés; nous allons, chemin
faisant, indiquer ce qu'ils ont de particulier ou de personnel.
Incàion. Les premiers temps de l'opération sont semblables à ceux de la
kélotomie. Le malade préalablement préparé, purgé, la région herniaire est
rasée, s'il est nécessaire, et lavée avec un liquide antiseptique. Les tégument?
sont coupés comme dans la kélotomie, puis les tissus sous-cutanés sont incisés
couche par couche jusqu'au sac lui-même.
Réduction des intestins. Le sac isolé est incisé et le chirurgien doit d'abord
réduire les viscères. Dans certains cas cette réduction est très-facile, nous n'y
insisterons pas.
Mais d'autres fois, surtout quand il y a des adhérences soit de l'épiploon,
soit de l'intestin, ce temps de l'opération peut être plus difficile.
D'une manière générale, l'épiploon adhérent est réséqué après ligature simple
ou multiple, suivant le volume de la masse herniée; le pédicule est alors
réduit dans l'abdomen. Certains auteurs avaient pensé à se servir d'un bouchon
épiploïque fixé dans l'orifice pour l'oblitérer. Lucas Championnière {Cure radi-
cale des hernies. Paris, 1887) s'élève, avec raison, contre cette pratique, qu'il
considère comme une cause de récidive, et insiste pour la résection complète de
l'épiploon.
Dans les cas d'adhérences intestinales soit à l'épiploon, soit au sac, il faut
essayer de les disséquer avec soin, pour permettre la réduction complète de l'anse
herniée. Si la dissection totale est impossible, il faut laisser adhérer à la paroi
intestinale la portion de sac ou d'épiploon que l'on n'a pu en détacher,
réséquer tout le reste et réduire tout de même l'intestin emportant avec lui les
parties que l'on n'a pu enlever. Cette manière de faire a été employée avec
succès par Schede et pac Lucas Cliampionnière en certains cas.
Ligature du collet du sac. Les viscères réduits, il faut oblitérer le collet
du sac. C'est là un des points les plus importants de l'opération, et quelquefois
même toute l'opération, comme dans les procédés de Nussbaum et de Riesel.
Cette oblitération se fait de plusieurs façons. Il est d'abord nécessaire de bien
isoler le pédicule par une dissection minutieuse, afin d'oblitérer le collet lui-même
et non pas le sac au-dessous de lui. La manière la plus simple d'y arriver est de
l'étreindre fortement avec une anse de catgut assez gros. Quelques-uns trans-
percent le collet avec un fil double et en lient les deux moitiés séparément.
Nussbaum pratique la suture du collet en surjet; enfin Czerny en fait la
suture intérieure; après avoir incisé largement le sac, « il le fait, dit Segond,
attirer au dehors pour voir le plus haut possible dans l'intérieur du collet,
puis, à l'aide d'une aiguille très-recourbée, enfilée d'un fil de catgut suffisam-
ment long, il fait une sorte de suture à faufil dont chaque point attaque le
HERNIES. 75J
collet par sa face interne, et qui permet, eu tirant sur les extrémités libres du
fil, d'obtenir l'adossement des surfaces séreuses. » Ce procédé paraît, en tous cas,
bien plus efficace que celui de D. Mollière, qui a conseillé la lig;tture élastique
du collet du sac, soutenue aussi par son élève Galland, dans sa thèse (1878),
laquelle ne contient que quatre observations trop récentes pour pouvoir être
considérées comme des exemples de cure définitive.
Avant de terminer l'oblitération du collet, nous désirons parler du procédé
de Lucas Championnière. Tous les auteurs ont insisté sur la nécessité de lier
le collet du sac le plus haut possible, mais M. Lucas Championnière l'a fait
plus que personne. « Il ne s'agit pas seulement, dit-il, d'extirper le sac plus
ou moins complètement. Il faudrait pour approcher le plus de la perfection
extirper la totalité de la séreuse constituant le sac, le collet, et au-dessus de
celui-ci un peu de péritoine abdominal au voisinage de la hernie. La suture qui
comprend le péritoine et les parties sous-jacentes donnerait alors une réunion
sans infundibulum, par conséquent des conditions peu favorables au dévelop-
pement ultérieur de la hernie » . Pour y parvenir, il laut faire à la peau une inci-
sion assez grande, disséquer très-minutieusement le collet du sac et, à mesure
que l'on arrive à l'isoler, abaisser à l'aide de tractions méthodiques la séreuse
en forme de canal, et on peut placer alors sa ligature sur cette portion du péri-
toine. La ligature achevée est entraînée en haut par l'élasticité des tissus,
et elle rentre spontanément dans le ventre, pour aller se placer au-dessus de
l'anneau.
La ligature de M. Lucas Championnière, qu'il pratique avec du catgut de
grosseur moyenne préparé par lui et très-solide, lui est personnelle. Il étreint
le pédicule à l'aide de plusieurs fils entrc-lacés, deux, trois, cinq, suivant le
volume des parties à saisir. Ces fils, croisés et enchevêtrés, établissent une
suture très-solide; de plus, cette disposition a pour but de rendre l'union des
fils, une fois serrés, aussi intime que possible, et d'éviter la formation d'un
godet supérieur. Son travail est accompagné de dix observations dans lesquelles
ce mode d'occlusion lui a donné de très-bons résultats.
Manœuvres portant sur le corps du sac. L'extirpation du sac herniaire,
après la ligature du collet, se fait d'ordinaire; cependant certains auteurs ont
cru devoir soit le laisser en place, soit le suturer, soit le pelotonner.
Le pelotonnement du sac a été repris par Riesel, après avoir été autrefois
conseillé par Garengeot. Dans ce cas, Riesel se garde de l'ouvrir et, après l'avoir
disséqué, une fois les viscères réduits, il invagine le fond du sac dans le collet
et le fixe dans cette position en passant à travers le collet et le sac refoulé un
fil double, puis il lie isolément les deux moitiés du pédicule. Félizet combine
le tassement du fond du sac avec la toi'sion du pédicule. Mac Corniac a adopté
un procédé qui se rapproche un peu de celui-ci : après avoir disséqué le sac, il
en résèque un segment en forme d'anneau au-dessous du collet, pais il inva-
gine dans celui-ci les bords incisés et les fixe à l'aide de quelques points de
suture.
Quelques chirurgiens se sont quelquefois bornés, après avoir fait la ligature
du collet, à abandonner le sac au fond de la plaie, se contentant seulement
d'en réséquer les parties flottantes.
Mais le plus souvent, lorsque le sac est laissé dans la plaie, on le ferme à
l'aide de sutures, afin d'en oblitérer complètement la cavité. Tantôt alors, comme
Schcdo, on peut s'^turer les lèvres de l'incision du sac avec celles de l'incision
752 IIEIJNIES.
des téguments. Tantôt, au contraire, suivant la méthode de Julliard (de Genève),
après avoir cousu le bord de l'incision on fait la suture en piqué de ses parois.
Dans ce procédé, en effet, les bords de l'incision du sac sont réunis par des
points de suture séparés, et les parois sont adossées l'une à l'autre par une
série de points en capiton assez multipliés. Enfin quelques chirurgiens laissent
le sac dans la plaie, après avoir pris la simple précaution de réunir les bords
de son incision par des points isolés, ou bien par une suture en surjet au catgut.
Cependant, dans le plus grand nombre des opérations de cure radicale, le
sac est complètement extirpé, mais cette résection totale suppose une dissection
préalable et entière du sac herniaire. Il est évident que la résection est une
excellente manœuvre et complète fort heureusement la fermeture du collet.
Cependant cette dissection du sac nécessaire pour l'extirpation totale, recommandée
par la plupart des chirurgiens qui pratiquent la cure radicale, et eu particulier
par Lucas Championuière, n'est pas toujours facile. Aisée souvent, dans les
liernies ombilicales et crurales, elle peut être très-difficile dans les hernies ingui-
nales, surtout dans celles qui sont volumineuses, à cause des adhérences fré-
quentes de la séreuse aux couches extérieures et aux éléments du cordon sper-
matique. La conduite à tenir, dans ces opérations, vis-à-vis du testicule dans
les cas de hernie inguinale congénitale, méritera de nous arrêter quand nous
étudierons spécialement la hernie inguinale [voy. Hernie inguinale) ; il en sera
de même du procédé de Buchanan, qui a essayé de refaire une séreuse vaginale
avec les débris du sac herniaire.
Pour le moment, et pour nous en tenir à l'étude générale de la cure des
liernies, nous devons ajouter que, dans les cas oîi les adhérences sont étroites
et la dissection difficile et longue, on doit se contenter d'une résection partielle
du sac. Ainsi Chatard rapporte dans sa thèse [Cure radicale des hernies par
les méthodes directes. Paris 1885) que, dans un cas où le sac était très-adhé-
rent, Doulrelepont se borna à en réséquer seulement la partie antérieure, et
termina l'opération en suturant les restes du sac avec la peau. Dans un cas
analogue, Bouilly réséqua les parties antérieures et latérales du sac et pratiqua
la réunion des restes de l'enveloppe séreuse, à l'aide de plusieurs points séparés
de suture au crin de Florence. Ces tentatives ont été couronnées de succès. 11
est, sans doute, préférable d'enlever le sac tout entier, mais les résultats que
nous venons de signaler démontrent qu'il n'est pas aussi nécessaire que l'avaient
soutenu Riesel et certains autres chirurgiens d'enlever minutieusement tous les
petits débris de tissu cellulaire et adipeux qui pendent à la surface de la plaie.
Suture des orifices. Pour beaucoup de chirurgiens, la cure radicale se
borne aux manœuvres que nous venons de signaler, et ils n'estiment pas néces-
saire d'ajouter encore la suture de la jjorte herniaire, c'est-à-dire la fermeture
par une suture de l'orifice fibreux par lequel ont passé les viscères. Us ne
croient pas en effet que cette suture puisse être efficace et fermer réellement
l'oritice. Il est en effet fort difficile, pour ne pas dire impossible, d'accoler les
bords de l'anneau crural, mais, au contraire, il peut être aisé de sulurer les
anneaux accidentels si fréquents dans cette région. L'oblitération de l'anneau
ombilical, de ceux de la ligne blanche, reste possible, mais c'est surtout au
niveau de la région inguinale que les opérateurs ont le plus souvent cherché
l'obturation de l'orifice fibreux. Quand même celte suture serait facile et com-
plète, doit-elle réussir? Les chirurgiens auxquels je viens de faire allusion ne le
croient pas. Lucas Championnière dit à ce sujet : « Y a-t-il moyen de donner
HERNIES. 7Ô5
quelque force à la paroi par la suture des piliers? Je ne le pense pas. Les fibres
aponévrotiques qui constituent les piliers n'ont par elle-mêmes aucune tendance
•i la coalescence. Que sert donc de les rapprocher? Il faut de préfe'rence chercher
les parties sanglantes qui s'accoleront et vont les noyer dans une puissante
cicatrice. »
Quoi qu'il en soit, dans le cas où cette suture est pratiquée, on peut la faire
de plusieurs manières. Les uns, imitant la conduite de Czerny, suturent les
piliers sans les avoir au préalable avivés. Czerny fait la suture à points séparés
avec de la soie phéniquée. Kendal, Franks, Mitcliel Banks, Barton, Polaillon,
emploient de préférence du fil d'argent. Bail, après avoir lié le pédicule du
sac, le tord et réunit les piliers par un point de suture qui traverse en même
temps le pédicule tordu. D'autres fixent ainsi un bouchon épiploïque, pratique
contre laquelle nous avons rapporté les protestations de Lucas Championnièrc.
Beaucoup de chirurgiens, pour mieux assurer cette réunion des bords de
l'orifice, prennent la précaution d'aviver les anneaux fibreux. C'est la pra-
tique de Riesel, qui à l'orifice inguinal, après avoir incisé largement l'apo-
névrose, avive les bords des piliers qu'il réunit par des points séparés faits au
catgut. Warren agit de même et réunit les piliers par huit points au fil d'ar-
gent. Cette suture des piliers, après avivement, avait du reste déjà été faite, en
1 874, par Ch. Steele, dans la première opération publiée de cure radicale moderne.
Mais, malgré toutes ces précautions, il est quelquefois difficile d'amener au
contact les bords opposés d'un anneau rigide. Aussi Reverdin avait-il imaginé,
pour en faciliter l'accolement, de pratiquer des incisions libératrices multiples,
de l centimètre à 1 centimètre 1/2 de long, intéressant uniquement l'aponé-
vrose du grand oblique (elles avaient été faites pour l'anneau inguinal), et super-
posées en deux séries, les incisions de l'une alternant avec celles de l'autre.
Cette modification n'a pas rempli complètement le but cherché par son auteur :
aussi l'a-t-il déjà lui-même abandonnée.
D'ailleurs, quel que soit le mode opératoire choisi, on ne saurait trop insister
sur la nécessité de procéder à l'opération et surtout au pansement, en observant
toutes les précautions de l'antisepsie la plus minutieuse. Les mains des opéra-
teurs et les instruments doivent être très-soigneusement désinfectés. Le panse-
ment antiseptique doit être fait avec le plus grand soin et strictement suivant
les règles. Il ne faut pas oublier, en effet, que le chirurgien doit avoir pour
but d'obtenir une réunion immédiate complète et, s'il n'y réussit pas, ce qui
arrive encore trop fréquemment, il est nécessaire d'éviter les accidents inflam-
matoires et sepliques qui seraient inévitablement la conséquence de pansements
incomplets ou mal faits.
Maintenant que nous connaissons les différents procédés de cure radicale par
les méthodes directes, il nous reste à en étudier et à en apprécier les résultats.
Sans vouloir examiner la valeur comparative de chacun d'entre eux, nous
devons rechercher si ces opérations ont donné des succès, et quels ont été leurs
accidents. Tous les procédés d'ailleurs ont eu des résultats à peu près ana-
logues; ils sont du reste presque semblables au point de vue chirurgical. Tous
ils constituent des opérations sanglantes, nécessitant une dissection délicate,
longue et étendue; ils se compliquent tous de l'ouverture de la séreuse péri-
tonéale. Ce sont donc des opérations sérieuses et capables de donner naissance
à des accidents nombreux. Aussi toutes les statistiques comportent-elles une
certaine proportion de mortalité.
DICT. EXC. i° S. XIII. 48
754 HERNIES.
Ainsi la statistique de Benno Sclimidt donne sur 55 opérations 11 morts;
soit une lélhalilé de 20 pour 100. Celle de Leisrink, publiée à Leipzig en 1885,
porte sur un ensemble de 202 opérations avec 15 morts : soit un peu plus de
7 pour 100. La statistique de Segond, publiée la même année, relate 219 opéra-
tions avec 15 morts seulement, c'est-à-dire une mortalité de 7 pour 100 environ.
Enfin Chatard, dans sa llièse, a pu réunir 49 cas nouveaux de cure radicale
n'ayant pas figuré dans les statistiques précédentes et n'ayant donné lieu qu'à
une seule mort. La proportiou actuelle serait donc de 2 pour 100 environ.
Comme toutes les opérations, celle-ci se perfectionne à mesure qu'elle est mieux
connue et ses résultats deviennent meilleurs.
Les causes de la mort sont diverses. La péritonite septique paraît en être la
plus fréquente : elle a causé à elle seule la moitié des morts de la statistique de
Benno Schmidt; 5 de celles rapportées par Segond, et le cas fatal de Chatard.
La septicémie semble avoir causé deux des morts de la statistique de Leisrink.
D'autres fois la terminaison fatale a été due à des pblegmons gangreneux des
bourses, à des embolies pulmonaires, au sbok traumatique, à des hémorrhagies
internes (2 cas), à une perforation intestinale (1 cas dû à Socin); enfin, il y a
2 cas de mort par intoxication pliéniquée (?) (^^ahl et Langeiibeck).
Mais, à côté de ces com[)lications ayant entraîné la mort, les opérations de
cure radicale ont donné lieu à d'antres accidents moins graves, mais qu'il est
utile de connaître. Les uns sont opératoires, les autres sont des incidents qui
ont seulement retardé la gucrison.
Parmi les premiers, nous pouvons citer une ligature du cordon spermatique
(Geissel) dans un cas de dissection difficile; la possibilité de saisir un appen-
dice en fitisant la ligature du collet sans ouvrir le sac. Ainsi Czerny, a lié une
fois l'appendice vermiforme. Dans un cas, Lucas Cliampionnière a sectionné
le canal déférent. Certains chirurgiens ont décliiré des veines du cordon. Enfin,
quand il existe des adhérences intestinales, leur dissection a pu être la source
d'accidents nombreux. On sait, en effet, que ce temps opératoire est fort souvent
très-difficile, pour peu qu'elles soient serrées et fibreuses. Certains opérateurs,
même parmi les plus habiles, n'ont pu toujours terminer avec succès cette
dissection. Aussi, dans un cas, Banks, croyant détruire ces adhérences, a-t-il
dénudé l'intestin de son enveloppe séreuse; souvent aussi la paroi intestinale a
été perforée.
La réunion primitive cherchée par tous les opérateurs n'a pas été toujours
facilement obtenue: ainsi, sur les 49 observations rapportées par Chatard, alors
qu'il y a 48 guérisons, la réunion immédiate n'a été obtenue que 7 fois. La
suppuration et nombre d'accidents ont été notés qui ont retardé la guérison,
entre autres des abcès du scrotum (Bouilly, Bail), des hématocèles avec suppu-
ration (Benkal Frank), des érythèmes phéniqués et des accidents dus au panse-
ment. Enfin signalons la fixation imparfaite de la ligature qui peut abandonner
le collet du sac. Cet accident est arrivé à Riesel, sans qu'il en soit résulté de
suites fâcheuses.
La connaissance de ces complications ne suffit pas pour nous permettre
d'établir complètement le pronostic de la cure radicale. Il faut encore que nous
recherchions les résultats définitifs de cette opération ; que nous voyons si les
guérisons constatées restent définitives, et dans quelle proportion la récidive
s'est produite.
Les résultats publiés indiquent, en effet, que, dans un nombre de cas relati-
HERNIES. 755
voment considérable, le succès opératoire n'a pas toujours été suivi du succès
thérapeutique ; en d'autres ternies, les récidives sont assez nombreuses. D'ailleurs,
on ne peut faire entrer en ligne de compte, à ce point de vue, que les malades
qui ont été revus longtemps après leur opération, c'est-à-dire plusieurs mois au
moins. Les succès constatés plusieurs années après l'acte opératoire sont encore
plus significatifs et, à la rigueur, sont presque seuls à l'abri de toute contestation.
H. Braun a publié, en janvier 1881, une statistique de Czerny comprenant
19 opérations faites sur 1 6 malades et, à la fois, sur des adultes et sur des enfants.
Chez tous les adultes il y a toujours eu récidive, sauf dans deux cas, où la cure
radicale a été appliquée à des hernies graisseuses. Les résultats ont été un peu
meilleurs sur les en(;mts.
Guénod, la même année, dans sa thèse inaugurale publiée à Bàle, a rapporté
les résultats du service de Socin. Son travail comprend un ensemble de 44 opé-
rations. Sur ce cbifire, 54 opérés seulement ont pu être retrouvés et examinés
à des époques différentes, mais assez éloignées du moment de l'intervention. Dans
12 cas il y a eu récidive : les 22 autres étaient complètement guéris. L'auteur,
après examen de ces chiffres, conclut que le résultat peut être considéré comme
définitif deux ans après l'opération. Sur les 22 cas de guérison, 8 seulement se
rapportaient à des cures tentées sur des hernies non étranglées. La statistique
de Leisrinck relate des récidives dans la proportion de 35 pour 100 des opérés.
Cependant, il ajoute que 80 pour 100 des récidives constituaient une amélio-
ration réelle sur l'état primitif.
La statistique de Segond est importante, car elle est plus détaillée. Dans
1 15 cas, les malades opérés ont été revus à des intervalles de temps assez éloi-
gnés de l'opération. On a constaté 44 récidives, et toujours elles ont été immé-
diates, c'est-à-dire se sont produites dans le premier mois qui a suivi l'opération.
Sur les 69 cas qui restent, et qui sont considérés comme des succès, quelques-
uns, peu nombieux à la vérité, ont été revus seulement deux ans après, mais
un certain nombre d'autres après un intervalle de quelques mois seulement.
Aussi quelques-uns de ces succès peuvent-ils être discutables.
La statistique de Gliatard, qui, comme nous l'avons dit, porte sur des opéra-
tions plus récentes, paraît plus favorable. Sur 49 opérations, 57 sont restées
sans récidives. Dans 8 cas, au contraire (7 inguinales, 1 ombilicale), les hernies
ont reparu. Les succès ont été constatés, 5 mois, 7 mois. 11 mois, 21 mois e
2 ans après l'opération. Eu somme, les résultats publiés par Chalard peuvent
être ainsi résumés. Sur 49 opérations :
8 récidives, soit 21 pour 100.
2 amélioiaUons, soit 3,4 —
1 mort, soit 2 —
57 fiuérison;, soit 75 —
La guérison aurait donc été obtenue 75 fois pour 100. C'est la meilleure des
statistiques que nous ayons rencontrée, mais certaines guérisons constatées
seulement après o et 7 mois, par exemple, peuvent paraître contestables, et
mériteraient d'être acceptées seulement sous bénéfice d'inventaire. Enfin disons
en terminant que la statistique de Lucas Cbampionnière est encore plus favorable,
mais ne comprend que ses opérés personnels et avec sa méthode propre, que
nous avons précédemment décrite. Son livre contient un tableau de 10 opérations
avant donné 9 guérisons et 1 seule récidive. Ses dernières opérations donnent
une statistique encore plus favorable.
750 IIEBNIES.
Avant tle quitter la question de la cure radicale, nous devons rechercher
quelles sont les indications et les contre-indications de la méthode. Ce chapitre
devrait peut-être être rejeté après l'étude de certains accidents herniaires qui
constituent des indications opératoires; cependant, nous avons cru devoir le placer
immédiatement après l'étude des procédés, nous réservant d'y renvoyer le lec-
teur, lorsque nous aurons besoin d'y revenir ultérieurement. Au lieu d'appliquer
la cure radicale à toutes les hernies indistinctement, les chirurgiens contempo-
rains la réservent à certains cas spéciaux, et les indications paraissent assez
nettes. Tandis que les premiers opérateurs, surtout à l'étranger, étaient portés
à généraliser outre mesure l'emploi de cette méthode, on est unanimement
d'accord ou à peu près aujourd'hui pour en limiter l'emploi d'une façon très-
nette.
Ainsi Segond, Michel Canks et Chatard, nous paraissent avoir absolument établi
qu'il fallait repousser toute opération pour les hernies coercibles et réductibles,
tîhatard fait à la vérité quelques réserves, mais bien timides.
Pour Segond, il n'y aurait que deux indications formelles, Vincoercibilité et
V irréductibilité. Et encore, pour les hernies incoercibles, il ne reconnaît la légi-
timité de la cure radicale que chez les adultes, et la refuse chez les enfants.
Quant à l'irréductibilité, il insiste sur la nécessité de bien la démontrer, avant
de prendre le parti d'ojiérer. Nous verrons en effet, à propos de l'irréductibilité
simple, que bien des hernies paraissent, au premier abord, irréductibles, dont
on vient à bout à l'aide de compressions prolongées et de tentatives réitérées
de réduction. Pour Chatard, ce sont aussi les hernies incoercibles et les hernies
irréductibles qui seules sont susceptibles d'être traitées par la cure radicale,
et, parmi les causes d'incoercibilité, il reconnaît le volume exagéré delà tumeur,
les douleurs constantes et l'ectopie testiculaire empêchant le port d'un bandage.
Comme cette dernière cause ne se rencontre que dans le trajet inguinal, nous en
reparlerons en traitant de la hernie inguinale. Enfin, pour les hernies irréduc-
tibles, il admet qu'il faut opérer surtout celles qui s'accompagnent de dou-
leurs, ou bien celles qui sont menacées d'accidents. Dans tous les cas, il fait les
mêmes réserves que Segond à propos de cette irréductibilité vraie qu'il ne faut
admettre qu'après avoir essayé de tous les moyens propres à obtenir la réduc-
tion.
M. Lucas Championnière à son tour, bien que reconnaissant que la cure
radicale ne doit s'appliquer qu'à des cas parfaitement bien déterminés, étend,
peut-être un peu trop, le champ des indications de cette opération. Ainsi aux
lésions précédentes, irréductibilité, incoercibilité et hernies congénitales avec
ectopie testiculaire, il ajoute parmi les indications : les hernies douloureuses,
les hernieux atteints de certaines affections exposant aux complications de la
hernie, certaines convenances sociales pouvant faire préférer une cure radicale
aux palliatifs, enfin les accidents herniaires qui ne sont pas des accidents d'étran-
glement et auxquels on oppose ordinairement les émollients et les palliatifs. Les
hernies douloureuses au point de ne pas pouvoir supporter un bandage se rap-
prochent beaucoup des hernies incoercibles. L'indication tirée de la présence de
certaines maladies exposant aux complications herniaires, c'est-à-dire de mala-
dies chroniques des organes respiratoires, et surtout celle qui provient de
simples convenances sociales, pourraient déterminer le chirurgien, qui ne serait
pas extrêmement réservé, à faire des opérations de complaisance, condamnables
en ce sens que l'opération est trop dangereuse pour qu'il nous semble permis de
HERNIES. 757
risquer la vie d'un malade, sans indications plus se'rieuses. En tous cas, ces der-
nières doivent être considérées comme absolument exceptionnelles. Enfin, con-
seiller la cure radicale pour les accidents aigus qui ne sont pas l'étranglement
revient à préconiser la kélotomie pour tous les accidents herniaires. C'est là un
côté de la question que nous examinerons en traitant de ces accidents.
En résumé, la cure radicale, légitimée par ses succès nombreux, mais qui
a aussi causé des décès, est une oj)ération dont la statistique nous paraît avoir
tendance à s'améliorer. Elle doit, pour être acceptée, être pratiquée en obéissant
à des indications particulières et très-nettes. Le malade doit être averti qu'on ne
peut pas, même avec la guérison opératoire la plus parfaite, toujours lui garantir
une cure définitive de sa hernie. Les récidives encore nombreuses sont là pour
le démontrer, et pour juger définitivement cette opération on peut répéter les
paroles de Lucas Championnière {Semaine médicale, 17 août 1887) : « La cure
radicale de la hernie est une véritable conquête de la chirurgie moderne, mais
seulement lorsqu'elle sera faite dans des conditions déterminées d'expérience,
de matériel, de soins réguliers qui sont absohmient indispensables au succès. »
Quant à la cure radicale consécutive à la kélotomie pour étranglement, nous
en parlerons en décrivant cette opération.
Accidents des hernies. Au poiut de vuc clinique noiis avous vu qu'un
symptùme constant et caractéristique domine toute l'histoire symptomatologique
des hernies simples : ce symptôme, c'est la réductibilite'. Tous les autres signes
peuvent varier, aspect, forme, consistance, élasticité, sonorité; leur importance
est secondaire. Tant que la hernie reste complètement réductible, c'est une
hernie simple ; si au contraire ce signe disparaît, si la hernie devient irréduc-
tible, cette irréductibilité constitue, à elle seule, une complication. Le tableau
symptomatique de l'affection est changé, le pronostic est modifié, le traitement
par les bandages n'est souvent plus applicable, la hernie n'est plus simple :
par le seul fait qu'elle est irréductible, elle est compliquée. Tant que cette irré-
dactibilité ne s'accompagne d'aucun autre changement, elle est, à la vérité, peu
grave, ou du moins elle ne fait courir au malade aucun danger immédiat. C'est
plutôt un inconvénient, une source possible de complications qu'un véritable
accident.
Mais souvent les choses vont plus loin. L'irréductibilité s'accompagne de
symptômes graves, survenant d'une manière tout à fait inattendue, brusques, à
marche rapide, et capables d'entraîner la mort en peu de jours, si le chirur-
gien ne sait pas intervenir à temps. « Ces symptômes se rattachent, dit Le Dentu,
à des changements d'état qu'il convient de désigner sous le nom d'accidents des
hernies, ce mot d'accident rappelant ici l'apparition fortuite de phénomènes
morbides et le caractère de gravité qu'ils affectent dans beaucoup de cas. » Peu
de questions chirurgicales sont aussi dilficiles à élucider que celles des accidents
des hernies que l'on a groupés sous trois formes cliniques : étranglement,
engouement, inflammation, sans que l'on soit encore parvenu à tracer à chacun
de ces termes une signification nette, un domaine absolument séparé. Les dif-
ficultés sont ici tout à la fois théoriques et pratiques.
Les théories sont nombreuses, depuis que la première hypothèse s'est fait
jour jusqu'à notre époque; elles ont été toutes tour à tour soutenues, aban-
données, reprises, suivant que tel ou tel caractère a paru prédominant, tel ou tel
symptôme le plus important, et cela, sans que l'étude anatomo-pathologique des
758 HERNIES.
lésions, ou l'expérimentation, aient pu, d'une manière définitive, préciser la
physiologie pathologique de ces accidents.
Les difficultés pratiques tiennent en grande partie à la grande similitude Ée
tous ces accidents au point de vue clinique. La marche est souvent différente,
l'intensité des phénomènes est variable suivant les cas; il y a plutôt des
nuances de détail que de véritables différences entre les divers tableaux sympto-
matiques. Le début de chaque variété d'accidents est souvent le même, un cer-
tain nombre de symptômes importants se retrouvent partout. Dans toutes les
variétés nous retrouvons trois signes de premier ordre : l'irréductibilité de la
tumeur, la suppression des selles, et les douleurs abdominales, accompagnées ou
non, de nausées et de vomissements. Quelques autres phénomènes du côté du
système nerveux et des organes circulatoires viennent ordinairement s'y ajouter.
La différenciation se fait plutôt par l'ensemble et le groupement des symptômes
que par l'analyse détaillée de chacun d'entre eux.
Aussi, pour essayer de jeter du jour sur un sujet si délicat, il est indis-
pensable de rappeler, dans un rapide historique, les différentes doctrines qui
ont successivement régné, et de suivre peu à peu l'évolution des principales
théories.
Ilislorùiiie des accidenis herniaive». Le premier auteur qui ait parlé des
accidents des hernies est Proxagoras, le dernier descendant de la famille des
Asclépiades, (|ui vivait environ quatre siècles avant Jésus-Christ, dont les œuvres
ont été perdues, mais dont le passage concernant les accidents des hernies nous
a été transmis par Caîlius Aurelianus. Il explique les accidents par la chute
dans le scrotum d'un inlestiu rempli de matières fécales. C'es^t la théorie qui
sera caractérisée plus tard du nom à' engouement, dans laquelle l'irréductibilité
et tous les accidents découlent de l'obstruction intestinale causée par l'accu-
mulation, dans l'anse herniée, des matières excrémentitielles. Cette théorie fut
acceptée par Celse, mais, au dire de Broca, celui-ci distingua certaines formes
cliniques, car à côté de l'engouement il aurait vaguement indiqué rinllammalion
et même l'étranglement. Quoi qu'il en soit, il avait, comme tous les chirurgiens
anciens, adopte la théorie de l'engouement. Archigène, Aetius répétèrent, eux
aussi, la même explication. Leonides d'Alexandrie joignit à l'idée d'engoue-
ment celle de l'inflammation, dont il parie le premier d'une façon nette, mais^
pour lui, les deux lésions sont la cause l'une de l'autre, l'inflammation étant
occasionnée par l'engouement. Paul d'Égine revient complètement et sans distinc-
tion à la théorie de l'engouement. Cette doctrine règne sans conteste et sans
discussion pendant tout le moyen âge. Les Arabes, les arabisles, n'ont rien écrit
d'important et de nouveau sur le sujet, et il faut arriver jusqu'à la Renaissance
}iour voir surgir une doctrine nouvelle. Signalons seulement qu'au quinzième
siècle un chirurgien italien, Barthélémy Montagnana, eut l'idée que les malades
devaient succomber à la putréfaction des matières fécales dans l'anse herniée.
Le livre de Franco apporta des notions nouvelles. C'est lui qui, le premier, a
pratiqué la kélotomie pour les accidents d'étranglement. Il décrit donc ce qu'il
a vu, et sa description est bien différente de celle des Anciens. Au lieu de ren-
contrer une anse intestinale gonflée par des matières fécales dures et solides, il
voit que les intestins ne se pouvoyent réduire en leur lieu à cause de quelque
matière fécale et flaluosités et autre chose venteuse. Ainsi donc, ce serait là le
début de l'engouement gazeux, mais il y a plus, cette description, où il ne
signale que la présence de quelque matière fécale, au singulier, est loin de
HERNIES. 759
répondre à la théoiie de rengouemcnt solide. « Ainsi, dit Broca, la the'orie
s'e'croulait devant la première observation. Pendant dix-neuf siècles on avait
admis ou plutôt supposé l'existence d'une accumulation de matières fécales
dans la hernie et, lorsqu'on voulut y regarder, il se trouva que cette accumula-
tion n'existait pas. »
Le mot d'engouement n'est pas encore renversé, mais l'ancienne théorie est
détruite de fait. Ainsi Bonnet, dans son llijstérotomotocie. publiée en 1590 et
traduite en 1392 par Gaspard Bauhin, rapporte plusieurs observations de kéloto-
mie faites à l'occasion d'étranglements, oîi, sans donner aucune théorie, il décrit
fidèlement les faits observés. Dans la traduction de G. Bauhin les accidents
prennent un nom nouveau, et il y est dit que les chirurgiens herniaires les dési-
gnent sous le nom d'incarcération. Voici donc l'idée et pres(|ue le nom de
l'étranglement qui se font jour. Quelques années plus tard (1612), Pigray nous
apporte un élément nouveau; il avait reconnu, lui aussi, que l'intestin est
distendu par des gaz et dit que, « s'il était plein de vents et que cela empêchait
l'opération, on le pourrait percer avec une aiguille pour les faire sortir sans
aucun péril. » Déplus, il cherche ailleurs que dans la cavité du tube intestinal
la cause de l'incarcération et l'attribue ;i ce que « le boyau est tourné dans la
hernie. »
Cependant, malgré tous ces progrès partiels, l'engouement reste la théorie
officielle. A. Paré l'adopte en lui donnant pour cause des matières et des ven-
tosités accumulées. Joseph Covillard (1640j la soutient à son tour tout en décri-
vant séparément l'engouement solide et l'engouement gazeux. Mais bientôt
l'élude scientifique et anatomique des régions herniaires allait amener la décou-
verte dt'S anneaux, et la théorie de l'incarcération allait trouver là un argument
solide et irréfutable.
Franco avait, le premier, cru que « l'intestin était élreint par la portion du
péritoine qui est trop petit en comparaison des intestins. » Mais cela sans
preuve : rappelons-nous, en effet, que Franco ci oyait encore, avec la plupart de
ses contemporains, que presque toutes les hernies se faisaient à travers une rup-
ture de la séreuse péritonéale. Bonnet avait écrit le mot de captivité du boyau,
Ambroise Paré avait employé le terme de stricture du boyau. L'idée de l'étran-
glement était dans les esprits, mais personne navait encore cherché à découvrir
l'agent qui le produisait. Les recherches anatoiniques allaient éclairer la question.
Galien avait vaguement indiqué autrefois la bifurcation du tendon du muscle
oblique externe, mais cette description était bien oubliée quand Fallope découvrit
l'anneau inguinal externe qu'il appela foramen chordœ. Riolan, qui se lefuse
d'abord, en 1628, à accepter cette description, revint sur son erreur quelques
années plus tard et désigna, en 1648, dans son Enchiridium anatomicum,
l'ouverture du muscle grand oblique sous le nom d'anneau. 11 trouva même
un second et un troisième anneau, qu'il attribua, le second au petit oblique et
le troisième au transverse; d'après Broca, ce serait l'orifice inguinal interne
qu'il décrivit probablement sous le nom d'anneau du transverse.
Les anneaux découverts, la théorie de l'étranglement se complétait d'elle-
même : c'étaient eux naturellement qui devaient étieindre l'intestin dans l'incar-
cération. Riolan indiqua même qu'il fallait les débrider pour réduire les vis-
cères. Cependant le nom d'étranglement n'était pas encore trouvé. 11 fut écrit,
pour la première fois, par JNicolas Lequin dans son livre, en 1663.
A partir de ce moment, c'est l'étranglement qui prend la place de l'engoué-
760 HERNIES.
ment dont de Clégny parle encore, mais pour le reléguer au second plan : ce
n'était plus que le moyen d'expliquer l'étranglement. Bientôt même on n'en
parle plus. Verduc, Liltré, Méry, Saviard, Arnaud, ne le nomment pas. Sharp
alla plus loin encore et lit observer que, l'intestin grêle formant la majeure
partie des hernies, son contenu, qui est liquide, ne pouvait former aucune
obstruction.
C'est donc la substitution d'une théorie unique à une autre pour faire com-
prendre la formation de tous les accidents herniaires. Mais, on ne tarda pas à
penser qu'une seule explication ne pouvait pas rendre compte de toutes les formes
cliniques observées, et le mémoire de Goursaud, publié à l'Académie de chi-
rurgie en 1768, allait marquer le début d'une époque nouvelle dans l'histoire
des hernies. Dans ce travail intitulé : Remarques sur les différentes causes de
l'élranglemenl dans les hernies, l'auteur établit cliniquement qu'il existe au
moins deux formes qu'il appelle : étranglement par inflammation et étran-
glement par engouement. « Cette distinction correspondait, dit S. Duplay, à
celle que l'on lit plus tard entre les étranglements aigus et les étranglements
chroniques, entre les étranglements vrais et les pseudo-étianglements, entre
l'étranglement herniaire et rinrtammalion des hernies, m Mais, sous le nom
d'étranglement par inflammation, Goursaud ne désigne nulieuicnt ce que Mal-
gaigne a déciit plus tard sous le nom d'inflammation herniaire; il a en vue, au
contraire, les étranglements primitifs vrais, aigus et à marche rapide. Sa des-
cription ne laisse aucun doute, il a même écrit : « l'étranglement produit l'in-
flammation. ))
Dans son second type, les étranglements par engouement, il range des acci-
dents à forme plus lente et moins grave, à terminaison souvent bénigne, et
qui réclament un autre traitement qu'une intervention rapide. « L'indication
pour l'opération n'est pas urgente, dit-il. » Ce sont les accidents qui sur-
viennent surtout dans les vieilles hernies volumineuses; ce sont principalement
ceux-là qui répondront davantage îi l'inflammation de Malgaigne.
La doctrine de Goursaud eut l'heureuse fortune d'être immédiatement adoptée,
et la description des deux formes cliniques qu'il avait décrites se retrouve
encore dans la pathologie de Boyer (1822). Pendant ce temps les chirurgiens,
continuant les recherches d'Arnaud, de Ledran, de J.-L. Petit, étudiaient plus eu
détail la pathologie des hernies. Au début du dix-neuvième siècle, les travaux
de Richter, de Scarpa, puis ceux de A. Cooper, de Dupuytren, ceux de J. Cloquet,
Gruveilhier, Velpeau, précisèrent peu à peu les phénomènes, les formes, et le
mécanisme de l'étranglement, eu indiquant tuur à tour le rôle des anneaux
naturels et des anneaux accidentels, ainsi que celui du collet du sac, dans la
production de la stricture intestinale.
C'était donc la théorie de l'étranglement qui dominait toute l'histoire des
accidents herniaires; l'engouement, encore accepté, était justement réduit à un
rôle très-limité, lorsque en 1840 Malgaigne lut à l'Académie de médecine son
mémoire intitule : Examen des doctrines sur l'étranglement des hernies. Dans
ce travail, il démontra d'une manière irréfutable que l'engouement, tel que le
comprenait l'ancienne doctrine, c'est-à-dire l'oblitération de l'intestin par des
matières solides et compactes, n'existait pour ainsi dire jamais.
L'année suivante, le savant chirurgien lut à l'Académie des sciences un nou-
veau tiavail qui avait pour titre : Mémoire sur les étranglements herniaires.
Des pseudo-étranglements ou de l inflammation simple dans les hernies. Dans
HERNIES. 76i
cette nouvelle communication, il reproduit, à son point de vue, l'ancienne divi-
sion de Goursaud, mais en cherchant à réduite le rôle de l'étranglement. II
soutint que, dazis un grand nombre de cas, celui-ci n'existait pas, et que ce que
Goursaud avait décrit sous le nom d'étranglement par engouement devait être
considéré comme étant simplement de l'indammation de la hernie et de la péri-
tonite herniaire. C'était, en somme, une réaction violente et brusque contre
l'explication mécanique de l'étranglement, et cette nouvelle théorie fut reprise
avec éclat et exagérée encore par P. Broca dans sa savante thèse d'agrégation :
De V étranglement dans les hernies abdominales et des affections qui peuvent
le simuler [X^ho) . « Pour lui, dit S. Duplay, les pseudo-étranglements, admis et rap-
portés à l'inQammatioii herniaire par Malgaigiie, existent, mais l'inflammation
est la cause déterminante de tous les étranglements. » Cette doctrine, dont, la
conséquence pratique regrettable fut d'arrêter souvent le chirurgien et d'empê-
cher, dans bien des cas, des interventions qui eussent pu être salutaires pour
les malades, devait susciter des adversaires convaincus.
Nous verrons, en effet, que, tandis qu'elle rendait compte de certaines formes
particulières d'accidents dans les hernies volumineuses et anciennes, et surtout
dans les hernies adhérentes, son exagération même devenait absolument nuisible.
« La réalité et les effets de la constriction, dit S. Duplay, étaient trop prouvés
par les recherches anatomiques de Jobert, de Labbé, par celles plus récentes de
Nicaise, la nécessité de lever l'étranglement et d'opérer la réduction le plus tôt
possible, l'impossibilité de distinguer dans la majorité des cas l'étranglement
vrai des faux étranglements, furent démontrées avec trop d'éclat par Gosselin,
pour que la théorie de l'mflammation herniaire, telle qu'elle était sortie de la
plume de Malgaigne, put se relever du démenti que vinrent lui infliger les
faits. » Les récentes études du professeur Trélat et de ses élèves Barette et
A. Boiftin sur les hernies adhérentes et leurs accidents, sont encore venues
diminuer le domaine de l'inflammation. Mais nous touchons ici absolument aux
idées de nos jours, et toutes ces discussions devront être examinées et reprises
en décrivant en détail les accidents herniaires.
Aussi, pour tenir compte de tous les faits et tâcher de mettre à profit toutes
les notions acquises sur ce sujet controversé, nous devons diviser en trois classes
principales tous les accidents des hernies : I" Y étranglement herniaire; 2° les
pseudo-étranglements comprenant surtout ïinjlanunalion herniaire et Ven-
gouement; 5" Vin'éductibilité simple, soit par excès de volume, soit par adhé-
rences, en insistant sur les hernies adhérentes.
I. DtL'ÉTRANGLEME.NT HERMAiRE. Définition, On pcut, avec Gosseliu, définir
l'étranglement comme suit : L étranglement des entérocèles et des entéro-
épiplocèles est la constriction plus ou moins forte de l'intestin, dans un trajet
herniaire, constriction qui gêne la circulation sanguine, arrête le cours des
matières intestinales, apporte un obstacle invincible ou passager à la réduc-
tion et semble menacer, si elle persiste, de se terminer par une perforation ou
une gangrène. Cette longue définition est destinée à faire voir que, au point de
vue clinique, il est à peu près impossible de distinguer et de traiter différem-
ment à leur début les vrais et les faux étranglements, et qu'il faut laisser en
dehors de l'étranglement véritable les accidents qui concernent l'épiplocèle pure.
D'ailleurs, pour exprimer sa pensée au point de vue thérapeutique, Gosselin
propose la seconde définition qui suit : L'étranglement est la constriction plus
ou moins dangereuse d'une anse intestinale, constriction dont les effets fâcheux
762 HERISIES.
sont évités par une réduction immédiate, lorsque le chirurgien est appelé en
temps opportun.
Anatomie ■pathologique. L'étude anatomique de l'étranglement herniaire
doit successivement comprendre : 1» l'agent d'étranglement; 2" l'état des enve-
loppes et du sac herniaire ; 5" les lésions du contenu du sac et des viscères
étranglés; ¥ celles qui existent du côté de la cavité abdominale; o" enfm les
lésions plus ou moins éloignées du siège de la hernie.
1" De l'agent d'étranglement. On désigne sons le nom d'agent d'étrangle-
ment l'aimeau constricteur, quel qu'il soit, qui empêche la réduction des viscères
dans l'abdomen. Cet agent se présente sous les aspects les plus divers. Le plus
souvent, surtout si on l'examine par l'intérieur du sac herniaire, c'est un point
particulièrement étroit et rétréci, qui siège vers la partie la plus habituellement
resserrée de ce sac, c'est-à-dire au niveau de son pédicule. Quelquefois aussi
on trouve un orifice, une bride tranchante dans l'intérieur du sac, dont la
saillie vient oblitérer, par pression latérale, la lumière du tube intestinal. La
forme de cet agent peut donc être éminemment variable. Tantôt, et le plus sou-
vent, c'est un simple anneau, complet, à contour circulaire, dur, inextensible;
tantôt, au contraire, c'est une sorte de canal étroit à parois presque rigides et qui
j)eul avoir une certaine longueur. Enfin, dans d'autres cas, l'obstacle, au lieu
d'être complet, ne présente qu'un segment de cercle, mais alois à bord très-
trancluint et formant une vive arête, oblitérant à la façon d'un diaphragme la
presque totalité du pédicule de la hernie.
D'ailleurs, quelles que soient sa forme et sa consistance, d'ordinaire, les
viscères étranglés sont si fortement appliqués contre lui, qu'on peut avoir
quelque difficulté à le découvrir. Néanmoins, dans d'autres cas, et principalement
dans les étranglements dits par vive arête, Chassaignac a montré que ce contact
pouvait ne pas être circulaire, et, qu'aux points opposés à l'arête, on pouvait
introduire facilement une sonde entre les viscères et l'orifice de la hernie.
Quel qu'il soit d'ailleurs, cet agent joue dans l'étranglement un rôle toujours
passif: c'est l'intesliu qui vient s'étrangler de lui-même sur lui.
La connaissance de la nature de cet agent d'étranglement a soulevé autrefois
des discussions passionnées : cela tient surtout à ce que, au niveau du pédicule
de la hernie, le collet, les anneaux, les viscères, sont étroitement en rapport, et
que, lorsque l'agent d'étranglement n'est étudié que pendant l'opération, il est
fort difficile de faire la part de chacune de ces parties et de savoir au juste celle
quia nécessité, à l'exclusion des autres, des incisions de débridemenl. La dissec-
tion, et souvent une dissection minutieuse, peut seule permettre de se rendre
un compte exact du rôle joué par chacun de ces éléments.
Quoi qu'il en soit, cet agent d'étranglement siège le plus souvent au niveau du
pédicule de la hernie: quelquefois, mais plus rarement, dans l'intérieur du sac.
a.. Quand l'étranglement siège au niveau du pédicule, il peut être causé soit
par les anneaux naturels ou accidentels, soit parle collet du sac.
Depuis le moment où Fallope et surtout Riolan découvrirent les anneaux
fibreux naturels, tous les chirurgiens attribuèrent à ces anneaux le rôle principal
dans les accidents. Cette doctrine de l'étranglement par les anneaux naturels
durajusqu'au moment où Arnaud et Ledran démontrèrent, au dix-huitième siècle,
la possibilité de l'étranglement pai- le collet du sac. Celte nouvelle notion était
consécutive à une réduction en masse de hernie étranglée, avec persistance des
accidents d'étranglement. Ce fut un chirurgien nommé Ricot qui, le premier.
HERNIES. 7G5
découvrit en 1725, dans une autopsie, l'étranglement parle collet du sac. Ledran
avait, la même année, débridé une fois le collet, quand, l'année suivante, arriva le
premier cas connu de réduction en masse, auquel je viens de faire allusion.
Cet étranglement par le collet, qui fut primitivement discuté, constitua bientôt
la théorie courante, malgré l'opposition de J.-L. Petit et de Louis et celle de
Gimbernat, Sabatier, Lassus, Boyer et Manec. 11 est vrai que, pour arriver à
triompher, elle fut soutenue par Deschamps en 1791, et surtout par Scarpa, Pott
et Dupuytren. Ce dernier croyait même que ce mécanisme était de beaucoup le
plus fréquent; il existait, à son avis, six fois sur neuf. C'étaient donc le collet
et les anneaux fibreux naturels qui étaient seuls en cause.
Cependiint au milieu du dix-huitième siècle, en 1740, Arnaud avait entrevu
la possibilité de l'étranglement par les anneaux fibreux accidentels. Ce méca-
nisme fut surtout repris à propos de la hernie crurale par Ch. Bell, Iley, Cooper,
puis par Scarpa, Jnles Cloquet et Breschet. Ces derniers avaient presque com-
plètement substitué les anneaux accidentels aux naturels comme agents de l'é-
tranglement crural.
Les choses en étaient là lorsque Malgaigne, examinant à son tour la question,,
affirma que l'étranglement par les anneaux n'existait pas. 11 déclara soutenir
et avoir soutenu qu'il n'y avait pas un seul fait d'étranglement authentique
par l'anneau même. 11 croyait que cet accident était toujours causé par le
collet du sac, à l'exclusion de certains cas, et on particulier de certaines hernies
crurales pour lesquelles il admettait la possibilité de l'étranglement par les
anneaux accidentels. L'opinion de Malgaigne, beaucoup trop exclusive, fut com-
battue par Laugier, Sédillot, Diday, Yelpeau, Marchai de Calvi. Au contraire,
Demeaux, Deville.Droca, Jarjavay et Uouel, soutinrent sa doctrine. Enlîii Gosselin
et Bichet se rangèrent à son avis, quoique avec certaines réserves. Sans repousser
absolument les étranglements parles anneaux naturels, ils les croient beaucoup
plus rares que ceux qui sont dus aux anneaux accidentels.
Gosselin appuie cette opinion sur les transformations opposées sibies, dan&
les hernies, par ces deux espèces dorifices : les anneaux naturels, ayant tendance
à se dilater et à se déformer sous l'inlluence de la pression constante des
viscères ; les accidentels, au contraire, subissant, par cela même, une sorte d'irri-
tation chronique qui tend à les transformer en véritables anneaux fibreux et
résistants.
Du reste, il est bien évident que, dans un certain nombre de cas, l'étrangle-
ment par les anneaux naturels ne peut pas être nié. Il existe notamment dans
'es hernies récentes qui s'étranglent à leur première sortie et oii il n'y a pas
encore de collet; dans les hernies sans sac; dans celles, exceptionnelles du reste,
qui sont analogues au cas célèbre de Diday, lequel constata l'augmentation du
volume d'une hernie ingumale et Pampliation du collet à mesure qu'il débri-
dait l'anneau aponévrotique; enfin, dans les hernies dans lesquelles l'étrangle-
ment a été levé par l'opération de J.-L. Petit, reprise par Colson et Affre, c'est-
à-dire par la kélotomie sans ouverture du sac. Ce mode d'étranglement, bien
que relativement rare, est donc absolument démontré.
D'ailleurs cet étranglement par les anneaux fibreux a été repris et rajeuni
principalement par Chassaignac, dans un mémoire sur l'étranglement par vive
arête. 11 soutint que, dans la hernie crurale, l'étranglement pouvait être produit
parla coudure, Vencodiurede l'inteslinsur l'arête formée par lebord externe du
ligament de Gimbernat. Il prouva son assertion par ce fait que les lésions intes-
764 HERNIES.
tinales sont plus accusées et quelquefois même limitées aux points en contact
avec ce rebord fibreux. En outre, dans bien des cas d'étranglement irréductible,
il avait constaté qu'il n'y avait pas de striction circulaire, et que, sur le point
opposé au ligament de Gimbernat, il pouvait glisser une sonde entre les
viscères et l'orifice herniaire.
Ce mécanisme, qui sûrement doit rester fort rare, paraît probable dans cer-
tains cas. Enfin plus récemment Bax, dans sa thèse de doctorat en 1869, tenta
de faire revivre la doctrine ancienne de l'étranglement par les anneaux fibreux,
mais spécialement pour la hernie crurale. Les preuves sur lesquelles il appuie
son argumentation paraissent peu concluantes.
Quant à l'étranglement par les anneaux accidentels, il est absolument prouve
pour les hernies crurales (à travers le fascia cribi-iformis) , pour les hernies à
travers le ligament de Gimbernat, les ventrales, les diaphragraatiques à travers
une déchirure accidentelle et les hernies para-inguinales. Resterait à savoir
quelle est la fréquence relative de ces divers mécanismes, mais cette proportion
est très-difficile à établir. Richet et Gosselin paraissent avoir, à peu près,
approché de la vérité, quand ils ont établi comme fait général l'étranglement
par le collet du sac, et plus rarement l'étranglement par les anneaux naturels
et accidentels.
D'ailleurs, ce qui rend la conclusion encore plus difficile, c'est que bien sou-
vent il y a des adhérences nombreuses entre le collet et les anneaux, une sorte
de fusion entre les différents éléments qui existent au niveau du pédicule
herniaire. « Il faut alors, dit Duplay, avoir recours à une théorie mixte suivant
laquelle les parties qui environnent le pédicule de la hernie contribuent cha-
cune pour une part plus ou moins large à l'irréductibilité. »
p. Dans d'autres cas, beaucoup plus rares, à la vérité, c'est dans le sac même
qu'il faut rechercher l'agent constricteur, et alors il peut être assez variable:
1° L'intestin peut s'étrangler sur des brides cellulo-fibreuses, exsudais orga-
nisés d'inflammation ancienne, implantées par leurs deux extrémités sur les parois
du sac. Desault, Astley Cooper, Fiaux, en ont rapporté des exemples. Une des
observations les plus célèbres est celle de Gaulmin de la Tronçai, dans laquelle
il existait cinq brides qui, de dislance en distance, étranglaient l'intestin, et qui
durent être incisées, l'une après l'autre, pour permettre la réduction. Pasturaud
en a publié un cas analogue à la Société analomique en 1875. Il s'agissait d'une
grosse hernie scrotale, dans laquelle l'intestin était étranglé et retenu au fond du
sac par une bride fibreuse très-forte dont les deux extrémités adhéraient à la
paroi de l'enveloppe séreuse.
2" Quelquefois c'est l'épiploon qui accompagne l'intestin, qui devient lui
aussi un agent d'étranglement. Tantôt cet organe forme, dans l'intérieur du
sac, une bride analogue à celles que nous venons de décrire, quelquefois il
constitue une sorte de corde quis'enroule autour de l'anse intestinale. Quand cet
épiploon fournit une enveloppe complète à la hernie, un sac épiploïque comme
Scarpa et Prescott Hervett en ont décrit, le collet de ce nouveau sac peut agir
comme un collet véritable et étrangler l'intestin. Enfin l'épiploon peut présenter
un orifice dans lequel vient s'engager et s'étreindre l'anse herniée. Scarpa aurait,
d'après Broca, vu, dans un cas, l'épiploon adhérent aux deux points opposés de la
paroi du sac constituer dans son intérieur une sorte de diaphragme incomplet
sous le bord inférieur duquel l'intestin s'était engagé, puis étranglé. Le même
accident peut se produire quand l'épiploon se perfore et que l'inteslin pénètre
lIEUJilES. 765
dans le trou formé par la déchirure. Marcano en a publié une observation sou-
vent citée. Le Fort, en pratiquant dans ce cas la kélotomie, trouva l'intestin
serré par les bords d'une déchirure de l'cpiploon ayant le forme d'un triangle
à base inférieure.
3» Le sac lui-mèrac peut devenir pour l'intestin, en dehors du collet, un agent
d'étranglement. Cela se voit surtout lorsqu'il est le siège d'une rupture trauma-
tique. 11 peut arriver alors que l'intestin vienne s'étrangler entre les lèvres de la
plaie; cependant les observations en sont rares. Broca, tout en discutant
certains faits connus, admet comme indiscutables ceux de Reynand et de
Dupuylren. On pourrait en trouver d'autres exemples, entre autres celui de Frev
[Corresp.-Blatt fur Schweizer Aerzte, 1857), dans lequel après une rupture
presque spontanée du sac et des enveloppes l'intestin grêle et le csecum firent
issue au deliors. Il fallut faire un taxis en règle, surtout pour le caecum, fort
difflcile à réduire.
On a voulu rapprocher de ces faits l'étranglement de la hernie vaginale
d'Astley Cooper, quand l'intestin est comprimé au niveau de l'orifice faisant com-
muniquer la cavité vaginale avec le processus péritonéo-vaginal. Nous pourrions
aussi parler de l'étranglemenl possible au niveau des divers diaphragmes de ce
conduit, si bien décrits par Ramonède dans sa thèse. Le professeur Trélat en
a publié un exemple à la Société de chirurgie en 1885. Ces faits, particuliers
à la hernie inguinale congénitale, seront repris à l'étude de cette variété.
4" L'intestin lui-même peut s'enrouler, se tordre et s'oblitérer par torsion
dans l'intérieur du sac. Nous savons que Pigray le premier avait invoqué ce
mécanisme possible pour expliquer l'incarcération. D'après Broca, cette disposi-
tion, dont Scarpa a produit des exemples, ne cause véritablement un étrangle-
ment que lorsqu'une bride épiploïque ou fibreuse vient s'ajouter à celte torsion,
trest ce qui existait dans une observation deMaunoury.
Mais on peut rapprocher de ces divers mécanismes un autre mode d'occlusion
dont le professeur Bichet a fourni un exemple. Il a trouvé une fois, d'après
Le Dentu, l'intestin enroulé sur lui-même dans le sens de son axe et de telle
façon qu'il était enveloppé de la partie correspondante du mésentère.
5° Enfin l'étranglement peut être produit encore dans l'intérieur du sac par
des adhérences unissant les deux parties de l'anse herniée. Au dire de Boiffm, ce
serait une cause d'étranglement assez fréquente pour les hernies adhérentes, bien
qu'encoie mal connue. Il y aurait une adhérence par adossement des deux por-
tions d'une anse intestinale, décrivant un U dont les deux branches unies inti-
mement entre elles forment au fond du sac un angle aigu, une coudure oblitérant
la cavité de l'intestin. Cette disposition a été connue des auteurs du siècle der-
nier; Arnaud recommande bien de ne point réduire l'intestin dans cette situation,
et A. Cooper rapporte un cas de mort dû à cette cause. M. Trélat a fait connaître,
en 1871, à la Société de chirurgie, un fait de ce genre dans lequel des accidents
prolongés, mais s'aggravant progressivement, l'avaient forcé à l'intervention. U
n'hésita pas à déclarer que c'était la déformation qu'avait subie l'intestin qui
avait déterminé une véritable occlusion intestinale dans la hernie. Labbé
accepta cette explication et présenta à son tour une pièce anatomique qui démon-
trait la réalité de la théorie. Mougeot, en 1874, réunit quatre cas analogues
dans sa thèse inaugurale faite sous l'inspiration du professeur Trélat. Nicaise
publia sur le mécanisme particulier de l'étranglement dans les hernies avec
adhérences de l'intestin un article doctrinal important, enfin Barette en 1885 et
166 HERNIES.
Boiffin en 1887 ont à leur tour, dans deux excellentes thèses, attiré l'attention
«ur ce mécanisme peu connu et démontré la fréquence relative des étrangle-
ments intestinaux par adliérences dans les vieilles hernies'.
5° État des enveloppes et du sac. «. Les enveloppes extérieures de la hernie
ne sont pas toujours altérées dans rétranglement. Elles ne présentent souvent
aucune lésion appréciable, si ce n'est celte multiplication déjà connue des feuil-
lets celluleux et aponévrotiques de la région herniaire. Signalons cependnnt la
présence possible de ces kystes séreux pré-herniaires, qui peuvent être une cause
d'erreur pendant la kclotomie. On trouve donc surtout des enveloppes distendues
€l amincies. Quelquefois cependant, on peut y observer des phénomènes inflam-
matoires : un état œdémateux delà couche sous-cutanée ou une congestion intense
(le tous les tissus, une adhérence plus intime du sac avec les couches exté-
licures. Enfin on a pu, excej)tionnellement, y constater la formation d'un véri-
table abcès.
Lorsque la hernie étranglée a été le siège d'efforts de taxis un peu énergiques,
on peut trouver dos ecchymoses sous-cutanées, de l'œdème passif, des infiltrations
sanguines, et même un véritable épanchement de sang, comme dans l'obser-
vation de Séchaud, citée par Broca.
Enfin, si le contenu de la hernie est gangrené, et qu'il y ait menace de perfora-
tion, les enveloppes extérieures sont très-enflammées, suppurent et peuvent même
être atteintes elles-mêmes de gangrène partielle, ainsi que Malherbe en a publié
un exemple {Bullet. de la Soc. anat. de Paris, 1872, p. 265). On voit alors des
fistules stercorales et des anus contre nature.
p. Sac. Les lésions du sac sont beaucoup plus importantes que les précé-
dentes. Examiné par sa face externe, il est quelquefois plus difficile à isoler des
couches externes, et, suivant qu'il est plus ou moins épais, il peut prendre une
couleur plus foncée, ce qui tient ordinairement à la teinte du liquide qu'il
contient et ({u'on peut apercevoir par transparence. Souvent, cette face externe
du sac a un aspect bosselé et présente une vascularisation assez accusée ; mais les
arborisations vasculaires sont beaucoup moins régulières que celles que l'on
peut observer sur l'intestin.
Si l'on ouvre le sac et qu'on l'examine par sa face interne, on s'aperçoit que
les lésions sont ordinairement plus accusées au niveau du collet que sur le
corps du sac. Quelquefois au contraire la disposition inverse peut se }U'ésenter;
il est probable qu'alors on observe ce que Ion a appelé un élrancjlement consé-
cutif, c'est-à-dire survenu à la suite de phénomènes inflammatoires ayant pris
naissance dans l'intérieur de la hernie. Dans les étranglements communs, pri-
mitifs, le collet ordinairement très-serré peut présenter des adhérences avec les
viscères. Quand elles existent, elles ne commencent seulement, d'après Gosselin,
que le troisième ou le quatrième jour, et restent assez molles pour céder facile-
ment aux tractions. Quelquefois cependant, à part la constriclion exercée sur les
viscères, le collet ne présente aucune lésion.
11 arrive aussi, assez fréquemment, que le corps du sac ne montre rien
1 Tous ces cas, dans lesquels l'agent d'étranglement siège dans l'intérieur du sac her-
niaire, au lieu de se trouver comme à l'ordinaire au niveau du pédicule, ont été décrits
par quelques auteurs et notamment par S. Duplay sous le nom d'occlusions intestinales sur-
venant dans un sac herniaiie. Mais, comme le mécanisme et le tableau clinique des acci-
dents qu'ils provoquent sont absolument identiques à ceux des aulres étranglements, nous
n'avons pas cru devoir les en séparer.
HERNIES. 707
d'anormal : sa face interne reste absolument saine. D'autres fois on y voit quel-
ques traces d'inflammation. Celle-ci se révèle d'abord par une vascularisatiou
assez abondante; la face interne du sac devient rouge; elle est poisseuse au
toucher, et à la vue elle montre un dépoli manifestement inflammatoire. Enfin
on y rencontre aussi, si les lésions vont plus loin, des exsudats fibrineux
qui arrivent bientôt à former des fausses membranes, molles, glulineuses,
capables d'aboutir, si elles s'organisent davantage, à des adhérences véritables,
celluleuses d'abord, puis bientôt fibreuses, plus ou moins étendues et sus-
ceptibles d'oblitérer en partie la cavité du sac. Nous examinerons la distri-
bution et la structure de ces adhérences en étudiant les hernies simplement
irréductibles.
Le sac peut contenir du liquide, c'est même le cas ordinaire. Cependant quel-
quefois, et d'après Malgaigne et Broca cette disposition serait rare, la hernie
étranglée ne contient aucun liquide. On est alors en présence d'une hernie
sèche. Cette sécheresse se rencontre souvent dans les hernies adhérentes, dans
lesquelles de nombreuses adhérences anciennes oblitèrent une grande partie du
sac. Quelquefois aussi, et le fait a été signalé par Broca, il y a un accolement
intime et sans adhérence du sac avec les viscères contenus, et cette application
exacte du feuillet séreux sur l'intestin peut constituer une source de diffi-
cultés pour l'opérateur.
Dans la majorité des cas, le sac contient une certaine quantité de liquide pou-
vant varier de quelques gouttes à quelques centaines de grammes. C'est le cheva-
lier de Blegny, qui, d'après Broca, aurait le premier signalé la présence de ce
liquide. Il est souvent clair, citrin, comparable à celui de Thydrocèle; d'autres
fois il est légèrement louche, contient des flocons albumineux, et même des
débris d'exsudats solides. 11 peut aussi être rougeàtre, sanguinolent, quel-
quefois tout à fait sanglant (observation de Piedvache). Ordinairement alors cet
épanclieraent de sang est dû à des tentatives exagérées de taxis. Il se rencontre
aussi des liquides bruns, noirâtres, mêlés de détritus et de gaz, et même de
parcelles de matière fécale. Ces qualités du liquide, auxquelles se joint ordinai-
rement une odeur caractéristique, dénotent l'existence de lésions gangreneuses de
l'anse herniée. Enfin on a constaté aussi la présence de liquides séro-purulents,
et même de véritable pus. Celui-ci se rencontre aussi dans les cas de sphacèle
intestinal, et pour Gosselin n'existerait pas en dehors de cette lésion. Il s'appuie
même sur cette absence de pus, qui est la règle dans l'étranglement, pour dis-
tinguer cet accident de la péritonite herniaire.
En outre, ce liquide contient aussi des microbes, ainsi qu'il résulte des recherches
de Nepveu [Mémoires de la Soc. de biologie, 1883), qui a trouvé des bactéries
dans la sérosité péritonéale : ces micro-organismes, qui proviennent probablement
de la cavité intestinale par transsudation, sont de plusieurs sortes. Nepveu a
constaté, entre autres, la présence du Cercomonas intestinalis.
La fréquence des diverses lésions que nous venons de passer en revue a été
évaluée par Bryant, dont nous citons la statistique suivante reproduite par
S. Duplay. Bryant a rassemblé, à ce point de vue, ses cas personnels de kélotoniie.
« 11 a trouvé le sac absolument sain 10 fuis, graisseux dans 10 autres cas,
congestionné 10 fois; 57 fois il était recouvert de couches plastiques, 10 fois
seulement on y trouva du sérum sanguinolent, 5 fois des exsudats fétides,
4 fois des matières fécales et 2 fois de la sérosité putride. »
0° Lésions du contenu du sac et des viscères étranglés. Le contenu du sac
768 HERNIES.
herniaire n'est pas toujours identique. 11 peut être formé p<ir une anse com-
plète ou incomplète, une portion du mésentère ou de l'épiploon. Tous ces organes
étant altérés dans l'étranglement, nous allons les examiner, en commençant
par l'intestin, qui est le plus important. Nous en étudierons successivement les
lésions pariétales et le contenu.
A. Lésions de l'intestin. Aujourd'hui assez bien connues, ces lésions ont été
l'objet de travaux fort importants d'A. Cooper, de J. Cloquet, de Lawrence. Mais
ce sont surtout les expériences de Jobert en 1839, les études cliniques de Gos-
selin 1865, qui les firent mieux connaître. L'année suivante, Nicaise consacrait
à leur étude sa thèse inaugurale, qui constitue le travail le plus complet sur la
question et qui ra])porte les résultats des expériences de L. Labbé. Enfin un
mémoire plus récent de M. Motte, couronné par la Société de chirurgie, termine
riiistorique de la question.
Lorsqu'une anse intestinale herniée est atteinte d'étranglement, son aspect
varie suivant le degré de constriction et l'ancienneté des lésions. Tout d'abord,
il y a simplement de la congestion, les vaisseaux sont pleins et plus visibles,
puis ils deviennent moins distincts, les capillaires s'engorgent à leur tour :
l'intestin prend une teinte rouge uniforme, avec léger œdème, tension et épais-
sissement. Si les lésions continuent, les vaisseaux sont gorgés de sang, la circula-
lion est suspendue, l'intestin devient rouge plus foncé, vineux, violet et même
tout à fait noir, sans que cette couleur signifie, comme on l'a cru longtemps,
qu'il y a mortification de l'anse herniée. Cette coloration foncée n'est pas toujours
uniforme, elle est quelquefois plus sombre par places, la paroi a un aspect
marbré particulier; il se fait en même temps des infiltrations sanguines et des
ecchymoses dans l'épaisseur de ses tuniques.
Au moment de la congestion intense des parois, et avant qu'il y ait encore
dans leur tissu des lésions plus accentuées, on trouve l'anse intestinale tendue,
rénitente, élastique ; elle résiste à la pression et paraît distendue par des gaz.
En général, les parois, très-congestionnées et un peu œdématiées, sont épaisses,
et leur épaisseur, qui parfois n'est pas uniforme, est ordinairement plus marquée
dans le corps de l'anse qu'au niveau de ses extrémités. D'autres fois, au con-
traire, celle-ci est molle, flasque, ridée, plissée, mais cet état indique la présence
de la gangrène ou tout au moins d'une perforation. Goyrand, cependant, rapporte
un cas où il y avait une anse intestinale affaissée sans perforation ni gangrène;
le fait est exceptionnel. On considère avec raison cet état comme un signe de
sphacèle.
En même temps la température de l'anse étranglée paraît légèrement abaissée,
mais ce fait, signalé par Nicaise, ne lui paraît pas absolument certain. Jobert a
aussi trouvé, dans ses expériences sur les animaux, une augmentation de la sen-
sibilité au début de l'étranglement: ce qui paraît probable chez l'homme, au
dire de M. Nicaise. On a de plus indiqué la possibilité de l'odeur fétide de 1 anse
étranglée. Ce fait, qui est ordinairement le résultat de la gangrène et qui, dans
la plupart des cas d'étranglement sans gangrène, n'existe pas, aurait été signalé
une fois au moins par A. Cooper. Cependant d'ordinaire, quand l'intestin n'est
pas mortifié, l'anse herniée n'a aucune odeur.
Enfin, au moment où l'intestin est fortement congestionné et par suite œdéma-
teux, il existe, au point où il est saisi par l'agent constricteur, un sillon circu-
laire qui porte sur le bout inférieur et le bout supérieur à leur point de réunion
avec l'anse incarcérée. Ce sillon d'étranglement, qui peut paraître dès les pre-
HERNIES. 769
mières heures, et dont la rapidité de production semble proportionnelle au degré'
de constriclion, devient de plus en plus marqué et profond à mesure que
rétranglement est plus ancien. Il limite ce que Gossclin appelle le contour de
la portion serrée. \\ ne disparaît pas sitôt que l'on a levé l'étranglement, il peut
même persister quelques jours et il est capable, ainsi que Verneuil en a cité un
exemple, d'apporter un obstacle persistant à la circulation des matières après la
réduction.
Mais bientôt, si l'étranglement continue, les altérations deviennent plus pro-
fondes et plus sérieuses, elles attaquent toutes les parties de l'intestin. Elles
doivent alors être étudiées séparément, au niveau du sillon d'étranglement et
sur l'anse elle-même ; mais elles progressent bien plus rapidement au premier
point.
Au niveau du sillon d'étranglement on observe un amincissement pro-
gressif de la paroi intestinale, qui bientôt aboutit à la production de perforations.
Celles-ci, qui sont quelquefois annoncées par la présence d'un exsudât grisâtre
occupant le fond du sillon, sont ordinairement, au début, très-petites, linéaires,
poncliformes presque et si peu perceptibles, que l'on ne peut quelquefois les
reconnaître que par l'insufflation sous l'eau. Puis plîisieurs d'entre elles se
réunissent, forment des déchirures linéaires, circulaires, occupant une étendue
plus ou moins grande du sillon, plus précoces et plus longues au point où l'agent
d'étranglement est plus rigide et plus aigu. Quelquefois même on a constaté
une section complète de la circonférence intestinale. On les a souvent comparées,
comme aspect, à la lésion que produirait une chaîne d'écraseur. Dans la pro-
duction de ces perforations, la section des différentes tuniques- de l'intestin
se fait presque toujours dans un ordre constant, c'est à M. Nicaise que l'on doit
la connaissance des lésions intimes et du mécanisme de ces décbirures.
La rupture débute d'ordinaire par la muqueuse, dont l'épitliélium, les glandes
tubuleuses et les follicules disparaissent de bonne heure, mais dont la couche
fibreuse, c'est-à-dire le chorion, persiste longtemps. Voici, d'après M. Nicaise,
l'ordre dans lequel se détruisent d'ordinaire les différentes tuniques de l'intestin :
1* la couche superficielle de la muqueuse ; 1" les fibres circulaires de la couche
musculaire; 5° l'enveloppe de la couche musculaire; 4" les fibres musculaires
longitudinales; 5* la couche fibreuse, celluleuse, et le chorion muqueux; 6» enfin
la séreuse. Nous venons d'indiquer comment se sectionne la couche muqueuse.
La tunique musculaire présente, avant de se rompre, une série de lésions
intéressantes. La couche de fibres circulaires qui cède la première est peu
altérée au niveau du bord mésentérique, puis elle s'amincit, se ramollit, ses
faisceaux deviennent moins nombreux, ils sont coupés, détruits dans une cer-
taine étendue, et enfin disparaissent. La couche longitudinale résiste plus long-
temps, mais ses altérations deviennent identiques; ses faisceaux sont coupés à
des hauteurs différentes et, si l'étranglement persiste, ils disparaissent comme
ceux de la circulaire. De sorte, ajoute M. Nicaise, qu'au niveau du point oiî une
perforation tend à se faire on finit par ne plus trouver trace de la tunique mus
culeuse. Quant à la couche sous-séreuse ou celluleuse, elle a, dès le début, une
minceur considérable au niveau du sillon, et ses fibres disparaissent avant que la
séreuse soit perforée. La tunique séreuse est ordinairement amincie en ce même
point dès le début des accidents, mais elle résiste à la perforation ; c'est la
dernière tunique qui cède, et il y a même des cas où elle constitue seule la
continuité du tube intestinal, les autres tuniques étant détruites.
WCT. ENC. 4° S. XIII. 49
770 HERNIES.
Dans quelques cas, cependant, l'ordre de rupture des tuniques intestinales
n'est pas celui que nous venons d'indiquer. Ainsi, J. Cloquet et Huguieront vu la
séreuse se couper la première, alors que les autres tuniques restaient saines, Motte
a trouvé la séreuse et la musculaire rompues, la muqueuse demeurant intacte.
Mais ce sont là des faits exceptionnels.
Vanse hemiée présente des lésions analogues, quoique ordinairement moins
accentuées. La séreuse est souvent saine, mais elle peut aussi présenter des
taches ecchymoti(jues et des Iractus blanchâtres. Elle est distendue, amincie, et
parfois même, surtout après un temps un peu prolongé, on y observe des érail-
lures, signalées par J. Cloquet pour la première fois, et que M. Nicaise croit être
simplement, dans quelques cas, le résultat de la distension. Le tissu sous-séreux
est ordinairement le siège d'un œdème assez prononcé : il *peut présenter aussi
des taches jaunâtres. Enfin, on y constate des ecchymoses et de légers épan-
chements sanguins. Quant à la tunique musculeuse, elle est parfois pâle et
amincie. Cependant, le plus souvent, elle est épaissie par une infiltration de séro-
sité ou de sang; enfin, dans un étranglement prolongé, elle se ramollit et se
déchire facilement.
Les lésions de la nmipieuse sont ordinairement plus marquées au voisinage
de l'union de l'anse herniée avec le bout supérieur. Elle est boursouflée, épaisâie
par l'infiltration de sérosité et de sang, ramollie. Sa coloration devient rouge
foncé, vineuse, parfois noirâtre, et tranche violemment avec celle du reste de
l'intestin. Les villosités sont souvent saines, mais parfois leur volume augmente,
leurs vaisseaux sont dilates et elles s'écrasent aisément; les follicules clos sont
ramollis, friables, comme pulpeux, quelquefois même ils s'exulcèrent. Les
plaques de Peyer sont souvent épaissies, rouges, pointillées et plus veloutées que
celles des régions voisines. Enfin on peut constater à la surface de la muqueuse,
soit des ulcérations, soit des fausses membranes. Les ulcérations sont très-super-
ficielles, de simples érosions, et paraissent rares ; Nicaise n'a rencontré cette
lésion que deux fois. Cependant elles peuvent être profondes et étendues (obs. de
Bernadet). Les fausses membranes sont d'aspect variable. « Les unes, dit
Nicaise, sont minces, blanchâtres, transparentes ; les autres molles, sans con-
sistance, grisâtres, adhérant plus ou moins à la muqueuse. Leur épaisseur est
variable, mais généralement peu considérable ; leur consistance est variable
aussi ». 11 croit que ce sont là des exsudais de nature inflammatoire.
Enfin du côté des vaisseaux de l'intestin il existe aussi des lésions : nous
avons vu que le premier effet de l'étranglement est d'amener une congestion
intense ; les vaisseaux dans lesquels la circulation se ralentit d'abord, puis
s'arrête, ne tardent pas à être très-dilatés et remplis par des caillots qui se
produisent sur place, au moins dans les plus volumineux. Ces coagulations
expliquent, dans certains cas, les accidents d'embolie, survenus à la suite de
l'étranglement, et dont nous aurons à parler plus loin.
Les phénomènes nerveux qui accompagnent les symptômes de l'étranglement,
et sont parfois si graves, nous ont fait penser que les nerfs devaient à leur tour
être le siège de lésions intéressantes. Dans une série d'expériences entreprises
avec M. le docteur Canac, à l'occasion de sa thèse (Contribution à l'étude de la
physiologie pathologique de la mort dans l'étranglement herniaire. Bordeaux,
1886), nous avons pu, à plusieurs reprises, faire des ligatures d'anses complètes
de l'intestin grêle sur des lapins avec un fil de caoutchouc double moyennement
serré. Lorsque l'animal a succombé à la suite de cet étranglement, nous avons
IIERNIKS. 771
fait examiner les nerls de l'anse liée par M. Rochon Duvignean, [iréparateur du.
aboratoire d'histologie de la Faculté de Bordeaux. Cet examen a été pratiqué
trois ibis seulement, mais, dans tous ces cas. lesnoiTs ont été trouvés absolument
sains. Ces rtsullats négatifs sont encore trop peu nombreux pour être considérés
comme définitifs, d'autant plus que, dans un examen fait par M. Paquet (de Rou-
baix), des nerfs d'une hernie crurale étranglée, cet auteur aurait constaté dans
certains (ilels nerveux de la congestion et même de rindammalion.
Toutes ces lésions, si l'étranglement n'est pas bientôt levé, ne tardent pas à
aboutir à une perforation et à la gangrène de l'intestin.
Les perforations se produisent suivant plusieurs mécanismes. Quelquefois,
mais rarement, l'ulcération de la muqueuse peut gagner en profondeur, atteindre
successivement toutes les couches de la paroi et amener une perforation. Cet
accident peut encore succéder à de petits abcès développés dans l'épaisseur des
tuniques, autour des taches ecchymotiques que nous avons signalées plus haut.
Enfin M. Gostelin a signalé un mode particulier de cette lésion : « Des saillies
sont formées, dit-il, par une petite hernie delà muqueuse à travers les couches
musculaire et séreuse qui ont été détruites soit par un travail d'ulcération,
soit par la rupture d'un de ces petits épancbemenls sanguins signalés jiar Jobert.
On comprend qu'il n'y a pas loin des deux lésions qui précèdent à une perfo-
ration » .
Le plus souvent cependant celles-ci succèdent à la gangrène de l'anse her-
niée. Celte lésion, qui est connue depuis longtemps, et qui a été bien étudiée
tour à tour par Louis, Royer, Velpeau, Nélaton, Nicaise, etc., se présente encore
avec des caractères mal définis.
C'est une des terminaisons normales de l'étranglement : elle n'est cependant
pas très-fréquente, au dire de Nicaise.
Ses causes ne sont pas toujours très-faciles à déterminer. Sa production peut
être facilitée par certaines conditions prédisposantes qui seraient, d'après Jobert,
l'épaississement de l'intestin à la suite de l'entérite, l'étroitesse plus considérable
des anneaux, leur rigidité. On sait, de plus, qu'elle est plus facile dans les hernies
qui ne contiennent que de l'intestin, et dans lesquelles ni le mésentère, ni l'épi-
ploon ne viennent jouer le rôle de coussin élastique capable de diminuer le
degré de striction. D'ailleurs, elle se montre de deux laçons différentes. Elle
peut, ainsi que l'a fait observer Jobert, survenir par suite de la suppression totale
de la circulation sanguine et de l'innervation qui résulte de la constriction des
vaisseaux et des nerfs et de l'arrêt brusque de la circulation. C'est la gangrène
primitive. Au contraire, elle peut provenir de l'affaiblissement graduel de la
nutrition qui résulte de l'inflammation et de la gêne progressive de la circu-
lation. C'est la gangrène consécutive.
L'intestin gangrené est profondément altéré dans sa couleur, sa consistance
et sa structure.
La coloration est tantôt régulière, tantôt irrégulière : l'intestin paraît marbré.
Les eschares sont grisâtres, noirâtres, couleur chocolat, ou mieux couleur
feuille morte, et Cooper en a vu de couleur jaune verdàtre. Pour Nélaton, elles
auraient la couleur de la matière intestmale elle-même. Pour Rigal (de Gaillac),
elles sont cendrées. Quoi qu'il en soit, la couleur noire de l'intestin est loin
d'être toujours le signe de l'existence de la gangrène. De plus, l'intestin sur les
points mortifiés a perdu son lustre, il est dépoli et souvent revêtu de fausses
membranes.
772 IIERJJIES.
En même temps la gangrène exhale une odeur fétide, cadavéreuse (Lawrence),
mais, celle félidité ne se montre pas au début de la production du spliacèle,
elle est relativement tardive. Elle diffère de l'odeur stercorale et serait diffé-
rente aussi de la frtidilc que dégage quelquefois l'anse herniée sans qu'il y ait
la moindre mortification.
Au niveau des plaques de gangrène l'intestin a perdu son aspect tendu et
son élasticité : il est flétri, affaissé, flasque, mollasse sous le doigt, et se déchire
à la moindre traction comme du papier mouillé. Ses tuniques sont complètement
désorganisés. Cette lésion peut exister sur une étendue variable. Elle peut n'at-
taquer parfois que quelques petits points isolés. Généralement elle se montre
sous forme de plaques séparées, d'étendue variable et disséminées sur le corps
de l'anse herniée. Quelquefois, elle peut occuper la circonférence totale de l'in-
testin et même une circonvolution intestinale entière (Jobert).
Bientôt les eschares se ramollissent, se perforent, et souvent alors les per-
forations sout petites et siègent soit au centre de l'eschare, soit au contraire
dans le sillon d'élimination delà partie mortifiée. Quand les plaques gangrenées
se détachent et sont éliminées, l'intestin présente des perforations larges, à bord
déchiquetés et auxquels adhèrent encore souvent des débris mortifiés. Le contenu
de l'intestin communique alors avec celui du sac. Bientôt celui-ci se perfore à
son tour; les enveloppes extérieures s'enflamment, s"abcèdenl, s'ulcèrent, et la
cavité intestinale vient communiquer avec l'extérieur par la formation d'une
simple fistule stercorale, ou bien d'un anus contre nature.
Toutefois, dans quelques cas absolument exceptionnels, la réparation de ces
lésions peut se faiie sans lésions autres que celles de l'intestin. Ainsi, Nicaise cite
l'assertion de Cayol, qui dit qu'une poition d'intestin gangrené peut être rejeté
au dehors, et les deux extrémités du canal se réunir en contractant des adhérences
intimes avec le sac, sans qu'il y ait eu d'abcès ni de plaie à l'extérieur. Un cas
semblable a été présenté par Martin à la Société anatomique de Paris en 1873.
M. Grancher, qui fit un rapport sur celte présentation, put réunir quelques faits
analogues. Il cite, notamment, deux observations de Cayol, une de Bourrienne,
une de Scarpa, une de Cruveilhier (Société anatomique, 1850). Cette heureuse
terminaison, qu'il faut continuer à considérer comme absolument exceptionnelle,
a été observée plutôt à la région inguinale qu'à l'anneau crural. Une des obser-
vations de Cayol concerne une hernie ombilicale.
Du reste, tout en laissant de côté les faits précédents que nous n'avons cités
que pour être complet, nous devons ajouter que, lorsque la gangrène intestinale
se présente avec tous ses caractères, elle est ordinairement facile à reconnaître.
Mais il existe bien des cas où le chirurgien se trouvera embarrassé. C'est surtout
lorsqu'il se trouvera en face d'une anse intestinale profondément altérée, mais
qui ne présente pas encore les caractères de la gangrène. Il est alors très-difficile
d'apprécier le degré atteint par les lésions que l'on constate, la profondeur des
altérations. En face d'une anse encore tendue, mais ramollie légèrement et noire
ou presque noire, on peut se demander si l'on est en présence d'une gangrène
en voie d'évolution, ou d'une anse intestinale susceptible de revenir à l'état normal.
On sait aujourd'hui, et nous l'avons déjà dit, que la couleur noire de l'intestin
n'indique pas siàrement qu'il va se mortifier. Quelquefois, alors l'anse n'est
que congestionnée, on peut, après avoir levé l'étranglement, voir l'intestin
changer de couleur; la teinte noire se modifie peu à peu, et la coloration
devient plus rouge, ce qui indique le retour de la circulation. C'est ce qui arriva
HERNIES. 77^
dans une observation présentée par le professeur Trélat à la Société de chi-
rurgie en 1883, mais les choses sont souvent difficiles à apprécier. On a bien
indiqué, pour ces cas douteux, le défaut de sensibilité des points mortifiés,
l'absence d'écoulement sanguin lorsqu'on y pratique une incision superficielle.
Mais le premier de ces signes est d'une constatation douteuse, dit S. Duplay,
et il serait imprudent d'avoir recours à l'autre. On peut alors laver avec
de l'eau chaude l'anse herniée, et, si elle n'est que congestionnée, on verra,
sous l'influence de la chaleur, se produire quelques mouvements vermiculaires
qui suffiront à indiquer que l'on n'est pas en présence d'un sphacèle com-
mençant. Malgré toutes ces précautions, les chirurgiens, môme les plus expéri-
mentés, peuvent se tromper, et l'on a vu survenir ([uelquefois des perforations
tardives à la suite de la réduction d'anses altérées. Barette, dans sou excellente
thèse, en rappoile plusieurs exemples. Bacrs, en 1874, cite un cas de perforation
consécutive à la réduction au septième jour de l'étranglement d'une hernie dans
laquelle s'était cependant produit le létablissement de la circulation dos matières.
Fouillaron publie, dans sa thèse (1881), un cas de réduction d'une anse relative-
ment peu altérée et présentant seulement une petite érosion superficielle de la
séreuse. Douze jours après se produisit une fistule stercorale. A. Dcs[)rés, enfin,
a fait connaître, dans la Gaz., des hôpil. (1881), un cas dans lequel il crut pou-
voir réduire, sans danger, une anse étranglée, qui ne présentait que quelques
ecchymoses, mais qui avait subi avant l'opération des tentatives exagérées de
taxis. Trente-cinq jours après la réduction, une fistule stercorale apparut.
Les faits analogues sont nombreux et nous pourrions les multiplier; on y
verrait des accidents, les uns rapides, d'autres tardifs comme ceux (jui pré-
cèdent. Ce qui contribue encore à faciliter les erreurs, c'est qu'il n'y a rien de
constant dans le temps que mettent à se produire les lésions gangreneuses.
La gangrène est plus rapide quand la constriction est plus forte et peut même
se montrer en (juelques heures, quatre, huit heures, etc., selon Ledran, van
Swieten, Richter,, Oupuytren. Pourtant, d'après Gosselin, rien n'est plus variable.
« En général cependant, ajoute-t-il, on peut dire que les perforations et les eschares
n'existent pas encore dans les quarante-huit premières heures de l'étranglement
sur les anses complètes, et que même elles arrivent rarement avant la fin du
troisième jour. Mais je ne veux poser aucime règle absolue à ce sujet. J'ai
cité, dans mon travail de 1861, l'observation d'une malade que j'ai opérée d'une
hernie crurale le vingt- cinquième jour de l'étranglement et chez laquelle l'anse
intestinale était à peine rouge et n'offrait ni perforation ni gangrène, quoique
l'étranglement fût assez serré pour permettre très-difficilement le passage du
bistouri destiné au débiùdement. En revanche, j'ai trouvé des perforations et des
eschares sur des anses complètes, sans épiploon, au deuxième et au troisième
jour de la maladie ». Nous pouvons ajouter, en outre, qu'il est établi que la
rapidité de production de la gangrène varie suivant l'espèce de hernies. Elle est
plus précoce d'ordinaire dans les hernies ombilicales et crurales que dans les
inguinales, et parmi ces dernières celles qui sont congénitales s'altèrent plus
rapidement que les autres. Mais cette règle souffre souvent des exceptions.
Avant d'aborder l'étude du contenu de l'intestin, nous devons signaler la
marche un peu différente des lésions (juaud l'intestin n'est que partiellement
étreint, c'est-à-dire dans les cas de pincement herniaire. Nous avons déjà suffi-
samment insisté sur cette lésion à VAnatomie ■pathologique des hernies réduc-
tibles, bien que cette disposition s'observe plus souvent dans les hernies étranglées
774 HERNIES.
que dans les autres. Les lésions y sont exactement semblables à celles que nous
avons décrites, elles ne sont remarquables que par la rapidité avec laquelle sur-
vient la gangrène, ce qui paraît dû à ce que la constriction s'exerce unique-
ment sur la paroi intestinale.
Contenu de l'anse lier niée. U a été surtout étudié à l'aide des expériences
faites sur les animaux par Jobert et Labbé, mais il est permis de conclure de
ces ligatures intestinales à ce qui se passe chez l'homme dans un étranglement.
Ce contenu diffère de celui du reste de l'intestin. Oii n'y constate qu'exception-
nellement des matières intestinales dures ou de véritables fèces. De plus, l'anse
étranglée est rarement sonore, à moins que l'on n'ait affaire à une hernie très-volu-
mineuse : il va donc très-peu de gaz (Nélaton). L'intestin renferme un liquideassez
épais, muqueux, sanguinolent, possédant une odeur fécaloïde très-prononcée. Ce
liquide, toujours mélangé de matières intestinales, est trouble, grisâtre ou rouge
brun tirant sur le rouge. La quantité de sang qui y est mêlé est variable, mais peut
aussi devenir assez considérable, lise fait même parfois de véritables hémorrha-
gies, et l'on peut trouver dans l'anse étranglée un épancbement de sang noirâtre
et des caillots. Ce sang provient de la mu(|ueuse par exhalation ou par déchirure.
Etal du mésentère de l'épiploon. Les lésions que nous avons étudiées sont
celles qui se jtroduisent dans l'entérocèle pure, mais, quand avec l'intestin on
trouve dans la hernie une portion plus ou moins étendue du mésentère ou de
l'épiploon, ces parties, qui elles aussi présentent des altérations importantes,
semblent jouer, vis-à-vis de l'intestin qu'elles accompagnent, un rôle protecteur.
En effet, dans ce cas, les altérations intestinales sont moins profondes et surtout
se produisent moins rapidement.
Le mésentère, dont, au dire de S. Duplay, les lésions n'ont pas suffisamment
attiré l'attention des pathologistes, participe aux altérations de l'intestin quand il
est contenu dans la hernie. Souvent il est épaissi, congestionné, infiltré de sang
et ecL'hymotique. Il est recouvert d'exsudats et de fausses membranes, et « ses
adhérences, qui recouvrent pai fois l'anse étranglée, se produisent de préférence
au niveau de ses insertions mésentériques et sur le mésentère lui-même. Dans un
cas rapporté par Piedvacbe, il est expressément noté que le mésentère épais^i
avait été pris pour de l'épiploon, et qu'il devait apporter un obstacle invin-
cible à la réduction malgré la largeur de l'anneau. » Les vaisseaux sont du reste
thromboses et même quelquefois remplis de pus.
Ëpiploon. Quand l'épiploon est serré à son tour par l'agent d'étranglement,
les altérations sont les mêmes dans l'entéro-épiplocèle que dans l'épiplocèle
pure. Ces lésions sont elles d'ordre purement inflammatoire, faut-il y voir h
possibilité d'un véritable étranglement? La chose est discutable. Quoi quil
en soit, d'ordinaire, il est un peu plus rouge qu'à l'état normal, il prend une
teinte bleuâtre par suite de la congestion veineuse souvent intense que l'on y
constate. On peut y observer un œdème assez marqué et une thrombose vascu-
laire assez étendue, surtout dans les veines. Il s'y joint, parfois, un gonflement
en masse, résultat du travail inflammatoire et des adhérences qui, d'abord molles
et glutineuses comme celles que l'on trouve dans le sac, peuvent devenir plus
consistantes, accoler les replis et arriver à l'état de brides fibreuses. On ne
trouve que rarement du pus, soit à sa surface, soit dans son épaisseur. Enfin,
dans certains cas où la constriction est très-énergique, on a pu voir survenir la
gangrène de l'épiploon. Gosselin n'a jamais rencontré cette lésion, même dans les
cas où les altérations intestinales étaient avancées. Il peut assurer que ces lésions
HERNIES. 775
sont rares et auraient besoin pour se produire d'une constriction plus prononcée
■|ue celle qui a lieu d'ordinaire dans l'étranglement herniaire. Broca, au contraire,
croit cette gangrène assez fréquente, mais il en fait surtout une altération d'ordre
inflammatoire. Pour S. Duplay, la suppuration et la gangrène seraient fort rares,
et ne seproduiraient guère que lorsque le sac a été ouvert et son contenu laissé,
en quelque sorte, à ciel ouvert. Cette assertion est exagérée, la gangrène de l'épi-
ploon est rare, mais elle existe, ainsi que le démontre l'observation de Walther
{France médic, 1882), dans laquelle une épiploccle sphacélée donna lien à des
phénomènes d'étranglement. Enfin, dans quelques cas, on a observé un certain
degré d'épaississemcnt et d'induration, mais ces lésions doivent, d'après Gos-
selin, être le résultat d'une inflammation chronique, ainsi que le sillon que l'é-
piploon présente au niveau du collet du sac.
4" Lésions qui erislent du côté de la cavité abdominale. Les lésions qui
existent dans la cavité abdominale sont différentes suivant que Tintestin a été
réduit ou qu'il ne l'a pas été.
a. Qu ind l'intestin n'a pas été réduit, c'est-à-dire quand l'étranglement per-
siste encore et que l'anse herniée est encore contenue dans le sac Iierniaire, on
trouve à examiner des lésions de deux ordres : celles qui existent sur le tube intes-
tinal au-dessus et au-dessous de la hernie, et celles que l'on peut observer sur
la séreuse pt'ritonéale.
Du côté de l'intestin, nous trouvons un aspect variable suivant que nous exa-
minons le bout supérieur ou l'inférieur.
Les lésions sont en général plus accusées au niveau du bout supérieur. Celui-
ci est très-dilaté, distendu par des matières intestinales et surtout par des gaz,
et il masque extérieurement la portion inférieure de l'intestin. Ses parois sont
légèrement épaissies ou amincies. La coloration de l'anse herniée se prolonge
plus ou moins loin. La séreuse qui recouvre ce bout supérieur s'enflamme plus
facilement ([ue celle du bout inférieur (J. Cloquet) ; elle présente des points
blanchâtres et des arborisations vasculaires. La muqueuse est injectée, conges-
tionnée, et montre parfois de petites érosions.
Le bout inférieur est diniinué de volume, d'un diamètre moins considérable,
il est resserré. Il est injecté, et quelquefois plus que le bout supérieur. Sa
séreuse est parfois épaissie, la muqueuse en est dans certains cas recouverte de
plaques grisâtres, de fausses membranes. Mcaisel'a vue, une fois, épaissie, noire,
congestionnée, et contenant des épanchements sanguins. Les lésions sont ordi-
nairement moins accusées qu'au niveau du bout supérieur, mais elles existent
toujours, et Micaise insiste particulièrement sur la congestion qui siège au-des-
sous de l'anse herniée.
Quelquefois, on trouve sur le bout supérieur, une petite perforation au-dessus
du sillon d'étranglement : dans ce cas, il est alors flasque, ramolli, affaissé, et
ne présente pas son état de distension habituel.
Du côté de la séreuse abdominale les altérations sont très-variables. Le péri-
toine peut être absolument sain, même au voisinage de l'orifice herniaire. Sou-
vent, au contraire, on y observe des traces de péritonite tantôt localisée, tantôt
généralisée.
La péritonite localisée existe surtout au voisinage de l'orifice herniaire. Elle
se monlre sous la forme d'adhérences qui peuvent atteindre une grande épais-
seur et unissent les deux bouts de l'intestin avec le pourtour de l'anneau her-
niaire; elles peuvent s'étendre aux anses voisines. Cette masse d'adhérences
776 HERNIES.
peut protéger la cavité abdominale, lorsque la perforation du bout supérieur, qui
se produit si souvent quand l'élraiiglement suit son cours, va amener un épan-
cliement de matières stercorales, 11 se lait alors un véritable phlegmon slercoral
qui aboutit à un abcès, et celui-ci s'ouvre au dehors, en passant par l'anneau
herniaire, ou bien pénètre à travers les adhérences, quand l'inflammation ga^ne
peu à peu, et donne lieu à une péritonite généralisée. Celle-ci peut exister aussi
en dehors de tout épanchement de matières intestinales, par propagation de
l'inflammation. Enfin, quelquefois il y a épanchement rapide de matières dans
le ventre et péritonite généralisée d'emblée avant que les adhérences aient eu le
temps de se former. Nous voyons donc qu'il peut y avoir une péritonite géné-
ralisée par propagation de l'inflammation, à côté de celle qui succède à la perfcw
ration intestinale.
p. Quand, au contraire, l'intestin a été réduit, que cette réduction ait été pro-
duite par le taxis ou bien par la kélotoniie, l'aspect est différent.
L'anse étranglée, qui se reconnaît facilement à sa coloration spéciale plus foncée
<[ue celle des autres parties de l'intestin, ainsi qu'au sillon permanent qu'elle
présente à ses extrémités pendant un temps relativement assez long, se trouve
presque toujours au voisinage de l'orifice herniaire. Elle est là, quehjuefois libre^
le plus souvent retenue par des adhérences récentes, molles. L'épiploon, quand il
a été réduit, est rarement complètement revenu dans la cavitéabdomiuale. Presque
toujours on a|»erçoit une bride épiploi(jue plus ou moins grêle et allongée, qui
reste fixée à la face interne du sac, auquel elle adhère. Quelquefois, au contraire,
l'anse herniée peut être plus ou moins éloignée de l'orifice herniaire, et con-
tracter (les adliérences et des rapports anormaux, qui font persister les phéno-
mènes de l'étranglement. }jous étudierons ces accidents, en passant en revue ceux
du taxis et les fausses réductions.
On trouve souvent, du côté de la séreuse abdominale, de la péritonite adhésive
localisée au pourtour de l'anneau. Si l'intestin réduit s'est retiré plus loin, ces
adhérences peuvent former une masse circonscrite à l'anse herniée et à celles
qui l'environnent. Souvent aussi on constate les lésions d'une péritonite généra-
lisée plus ou moins intense, parfois suppurée, qui est une des principales causes.
de la mort après l'étranglement.
Cependant quelquefois, et surtout quand la hernie a été opérée, on peut reo-
contrer certaines formes particulières de péritonite, dont les caractères anato-
miques paraissent trop peu accusés pour qu'on puisse leur imputer la terminaison
fatale, et qui néanmoins, grâce à l'absorption d'éléments septiques, sont les plus
graves de toutes et peuvent se montrer après toutes les opérations qui ouvrent 1»
séreuse péritonéale. Cette péritonite septique, qui commence à être bien connue
aujourd'hui, avait été vue cliniquement par Gosselin, qui l'avait soupçonnée plutôt
que décrite. Depuis, elle a été l'objet de bon nombre de travaux parmi lesjuels-
nous rappellerons la thèse de notre collègue de la Faculté de Lyon, Levrat (th. de
Paris, 1880) et celle de Mormon {De la septicémie péritonéale à la suite de la
kélotomie. Paris, 1882).
Cette forme particulière se révèle par une injection et une vascularisatioo
relativement légères de la séreuse, et n'existant que par places. De plus, l'abdomen
contient une certaine quantité de liquide, depuis un verre environ jusqu'à 1
ou 2 litres. Celui-ci est ordinairement séreux, rougeâtre ou rouge brun; parfois
clair, d'autres fois louche, et contenant des filaments et des débris de néomem-
branes récentes. Enfin, dans un cas, l'examen Je ce liquide fait par M. Marie a
HERNIES. 777
(lémonlré qu'il était rempli de bactéries de différentes formes : les unes étaient
de simples granulations, disposées par groupes et en chapelet, animées de mou-
vements de rotation; les autres des petits filaments de peu de longueur, doués
de mouvements oscillatoires.
Avant de quitter l'étude des lésions qu'offre à considérer la cavité abdominale,
nous voudrions parler des altérations tardives qui peuvent persister sur l'anse
herniée. On a plusieurs fois observé un rétrécissement de l'intestin à la suite
de la réduction de hernies étranglées. Cet accident, connu depuis longtemps, a
été étudié par Ritsch dans les Mémoires de l'Académie de chirurgie par
J.-P. Tessier [Archives générales de médecine, 1838), par Guignard (thèse de
Paris, 1846), par Gliopel (thèse de Paris, 1847), Allaux (thèse de Paris, 1860),
Duchaussoy {Arch. de méd., 1860). Ce sont des rétrécissements portant sur le
sillon d'étranglement ou sur le corps de l'anse. « 11 existe alors une rigidité
circulaire de la paroi intestinale, dit Gosselin, avec une perte presque complète
de son extensibilité. » Guignard a même signale des cas où le rétrécissement
allait jusqu'à l'oblitération complète. Ces sténoses succèdent à la cicatrisation
d'ulcération de la nmqueuse ou de lésions de la séreuse. Parfois ce sont des dimi-
nutions simples du calibre de l'anse herniée avec épaississement de ses parois.
La nature intime et le mécanisme de ce rétrécissement sont encore mal connus.
Mais à côte de cette forme de sténose il peut en exister une autre signalée
par M. INicaise [Revue de chirurgie, 1881) et qui paraît consécutive à l'adhé-
rence en forme d'U des deux moitiés de l'anse herniée. Si celte anse est réduite
sans que les adtiérences aient été détruites, il peut se faire alors une dilatation
marquée de la branche supérieure de l'U, à la partie inférieure de laquelle se
produit une véritable ampoule. La branche inférieure aplatie, refoulée, et dans
laquelle les matières pénètrent fort di.Ticilement, arrive bientôt à se rétrécir sur
une étendue plus ou moins considérable, et ce rétrécissement peut être la source
de nouveaux accidents. M. INicaise en a publié un exemple fort remarquable.
5" Lésions éloignées. Dans certains cas où la mort s'est produite, soit
pendant l'étranglement, soit après la réduction opératoire ou spontanée de
l'intestin, on n'a rencontré ni du côté de cet organe, ni même du côté de l'ab-
domen, des lésions suflîsanles pour rendre compte de la terminaison fatale. Il a
fallu alors chercher dans d'autres appareils, dans des organes plus ou moins
éloignés, si l'on ne trouvait pas de lésions susceptibles d'expliquer la mort.
M. Verneuil a le premier signalé l'appariiion, à la suite de l'étranglement, des
congestions viscérales principalement du côté du poumon et des reins.
La congestion pulmonaire à la suite de l'étranglement a été observée par
M. Verneuil, qui d'abord a cru à une simple coïncidence et qui, plus tard, a vu
une relation de cause à effet entre ces lésions et l'étranglement (1869). Dès cette
même année, le savant professeur fil faire à un de ses élèves, M. Carret, une
thèse sur ce sujet. En 1871 il en mentionna de nouveaux exemples à la Société
de chirurgie et indiqua la relation de ces congestions avec les phénomènes d'al -
gidité. Dès 1873, Ledoux, dans une bonne thèse, reprit l'étude de cette lésion
et en donna une théorie sur laquelle nous aurons à revenir. Seuvre, Berger, la
même année, en publièrent de nouvelles observations à la Société analomique.
En 1877 Berger fit à la Société de chirurgie une importante communication
sur les congestions pulmonaires qui existent dans l'étranglement, surtout lorsque
celui-ci a revêtu la forme de choléra herniaire. En 1877 Verneuil apporte de
nouveau la question devant la Société de chirurgie. A partir de ce moment, les
778 HERNIES.
travaux sur ce sujet se multiplient, et pour ne citer que les plus importants,
nous avons encore à signaler deux thèses : celle de Mullois {Contribution à
[élude de la congestion pulmonaire et rénale dans l' étranglement herniaire
avec algidité. Paris, 1881) et celle de Roux {Des complications pulmonaires
(le la hernie étranglée. Montpellier, 1886).
Cette congestion pulmonaire peut exister à des degrés très-divers. Tantôt
limitée aux bases ou aux bords antérieurs du poumon, elle peut quelquefois
envahir une grande portion de l'appareil respiratoire. Partois légère, elle est sou-
vent susceptible de devenir très-intense. Ainsi, dans plusieurs des observations de
la thèse de Ledoux et de celle de Mullois, on la voit produire des apoplexies inter-
stitielles et même des foyers liémorrhagiques. On peut même voir apparaître des
lésions de pneumonie, et dans une observation du mémoire de Berger à la So-
ciété de chirurgie, 1877, les altérations sont ainsi décrites : « Le poumon
gauche est hépalisé dans la porlion moyenne de sa face postérieure, cavnilîé
partout, sauf ati niveau de la lamelle antérieure qui présente de remphysème.
Le poumon droit est splénisé dans toute sa moitié postérieure ». Roux, dans sa
thèse, a publié plusieurs faits de lésions aussi avancées; il a rencontré, dans
certains cas. de la bro;:clio-pnctmionie et même delà pneumonie véritable. Ainsi
qu'il résulle do bon nombre d'observations, ces lésions, sur l'interprétation et
le mécanisme desquelles nous aurons à revenir, se montrent surtout chez les
malades ayant antérieurement des affections anciennes des organes respiratoires,
telles que de l'emphysème et de la bronchite chronique, et aussi chez ceux
qui ont des altérations du foie ou des reins. Cependant, dans quelques cas,
elles ont apparu chez des sujets absolument sains et sans tare organique.
Dans ces cas de congestion pulmonaire après l'étranglement on trouve aussi
d'autres congestions viscérales, elles siègent dans le foie et dans li s reins, ainsi
que Mullois l'a signalé.
On a encore rencontre, dans quelques cas, des lésions intéressantes du côté de
l'appareil circulatoire. Ce sont surtout des thromboses et des embolies qui sem-
blent être survenues à la suite de l'étranglement.
Ainsi, Le Teinturier a rapporté à la Société anatomique, en 187Ô, un cas de
thrombose des artères crurales et poplitées à la suite de la compression de la
fémorale par une hernie crurale étranglée. Le malade avait, au moment de sa
mort, un début de gangrène de la jambe. 11. Leroux a publié à la même Société,
en 1877, un cas d'oblitération complète des veines iliaques primitives et de la
veine cave inférieure, chez un sujet mort à la suite d'une kéiotomie nécessitée
par l'étranglement d'une hernie inguinale. Ce malade avait, en même temps,
une congestion pulmonaire double.
Ces coagulations vasculaires, dont on pourrait trouver d'autres exemples,
paraissent expliquer certains faits curieux de lésions cérébrales survenues à la
suite de l'étranglement herniaire, et sur lesquelles M. Nicaise a attiré l'attention
dans une communication à la Société de chirurgie en 1876. Cet auteur rapporte
l'histoire de deux malades qui, avec une hernie étranglée à droite à la région
crurale, virent tous les deux, l'un pendant son étranglement (deuxième jour),
l'autre après son opération, survenir des phénomènes d'hémiplégie incomplète
gauche, portant surtout sur la motilité avec paralysie faciale incomplète du
même côté, sans perle de connaissance ni troubles de l'intelligence. La com-
plication a persisté avec les mêmes caractères qu'à son début. L'un a guéri,
l'autre est mort, mais il n'y a pas eu d'autopsie.
HERMES. 779
On pourrait rapprocher de ces faits une observation publiée en 1868 par
M. Dieulafoy, à la Société anatomique, concernant une femme de soixante ans
(jui, pendant un étranglement herniaire, succomba, avant qu'on ait pu l'opérer,
à une héraorrhagie cérébrale. Nous voudrions encore rappeler le cas de M. Mignot
(de Chantelle) présenté à l'Académie de médecine. C'est un fait d'étranglement
herniaire avec production d'un anus contre nature chez un garçon de douze
ans. Trois jours après le début des accidents, syncope avec refroidissement
général et contracture de la mâchoire; en même temps, aphasie sans perte de
rintelligence, avec déviation de la bouche à gauche. Les jours suivants appa-
rurent sur le pied et le mollet gauche des phénomènes de gangrène qui for-
cèrent à sacrifier le membre. La paralysie faciale disparut en quelques mois,
l'aphasie ne guérit tout à fait qu'au bout de quatre ans.
Si, dans quelques-uns de ces cas, on peut croire à une simple coïncidence
■entre l'étranglement et les accidents cérébraux, comme dans l'observation de
Dieulafoy, par exemple, il est difficile de ne pas voir dans les autres une relation
de causalité entre les deux ordres de lésions.
Doit-on voir là des accidents de nature réllexe, comme paraît incliner à le
<:roire M. Nicaise, dans sa communication à la Société de chirurgie? Existe-t-il
au contraire, des lésions matérielles, des embolies, provenant de coagulations
vasculaires, existant soit au niveau de l'anse, soit dans certains gros vaisseaux,
comme nous en avons cité quel|ues exemples? Nous pencherions davantage vers
cette dernière hypothèse. L'étude de ces com()lications éloignées de l'étrangle-
ment herniaire est à peine commencée, suivant l'expression de S. Duplay, et de
nouvelles recherches sont absolument nécessaires pour en éclaircir les nombreux
points obscurs.
SvsiPTÔJiES DE l'étranglement. Lcs sigues de l'étranglement ne sont pas
toujours absolument les mêmes. 11 existe à la vérité un certain nombre de
symptômes constants, presque immuables, que l'on rencontre dans tous les
étranglements, et dont l'absence absolument exceptionnelle caractérise des
formes ou des variétés insolites. A côté de ceux-là il peut apparaître un cer-
tain nombre d'autres signes inconstants, qui sont peu fréquents ou même
rares, et dont la présence imprime à l'étranglement une forme, un aspect
particulier. Enfin, en outre de ces changements tenant à l'existence de tel ou
tel symptôme, les signes peuvent aussi varier suivant le mode ou le moment
de leur apparition, leur succession, leur forme ou leur intensité. De là peuvent
résulter, pour les étranglement'!, des changements dans l'aspect, la marche et
la terminaison, qui ont fait distinguer un certain nombre de types cliniques
■différents.
Les symptômes de l'étranglement se divisent en signes physiques et signes
fonctionnels et ils doivent successivemeut être examinés du côté de la tumeur,
du côté de l'abdomen et du reste du tube digestif, du côté des autres parties de
l'organisme, qu'ils affectent des organes éloignés ou touchent à l'état général
du sujet.
A. Symptômes du côté de la tumeur. Les symptômes qui existent du côté
de la tumeur ne sont pas toujours perceptibles, et leur défaut peut tenir à la
situation profonde et au peu de volume de la hernie. En effet, dans certains cas
de hernies profondes, et principalement dans les hernies obturatrices ou les
ischiatiques, la tumeur peut être difticile à retrouver; et même, si on arrive à la
180 HERNIES.
découvrir, être si malaisée à examiner, que la plupart des signes physiques
échappent complètement à l'observateur.
Dans presque tous les cas cependant la tumeur herniaire est d'un examen
facile. A la vue, la hernie étranglée paraît souvent légèrement augmentée de
volume, ce qui tient soit à la distension gazeuse de l'intestin, soit à la quantité
de liquide qui se produit dans le sac. Enfin, dans certains cas, cet accroissement
est dû à la présence, dans la hernie, d'une anse intestinale plus grande que
d'habitude, ou bien d'une portion d'épiploon plus considérable que de coutume.
Les enveloppes extérieures du sac paraissent ordinairement saines et ont leur
aspect normal. Cependant souvent le tissu sous-cutané peut être légèrement
épaissi et œdématié. La peau paraît saine, un peu distendue et amincie; elle
j)eut être un peu plus rouge, s'il y a un certain degré d'inflammalion ou si les
lésions de l'étranglement sont assez avancées pour qu'il y ait une perforation
et un épanchement stercoral dans le sac.
A la palpation, la tumeur herniaire est manifestement plus consistante. Elle
est dure, tendue, et celte dureté peut aller jusqu'à donnera la main une sensa-
tion qui rappelle celle d'un corps solide. Celte consistance exagérée est due à la
tension particulière de l'anse herniéc, à laquelle se joint ordinairement l'épan-
chement liquide abondant qui existe dans le sac. Quelquefois, cependant, cette
tension n'est pas aussi grossie, et la hernie présente alors une certaine réni-
tence et même une véritable fluctuation. Enfin, dans certains cas, on peut perce-
voir à la main un gargouillement manifeste, et cela sans qu'il y ait le moindre
phénomène de réduction. Mais celte sensation n'existe, au dire de Gosselin, que
lorsque l'anse intestinale contenue est très-longue. On provoque rarement le gar-
gouillement dans les petites hernies.
Cette exagération de consistance, qui est la règle dans l'étranglement, peut
être, dans certains cas, modifiée ou du moins lendue plus difficile à percevoir.
Elle est alors masquée par l'état des enveloppes, quand h hernie est recouverte
d'une certaine quantité de graisse, ou bien aussi par la présence dans le sac
d'une niasse volumineuse d'épiploon. Cependant, dit S. Duplay, il est toujours
possible de la constater par une palpation attentive.
La percussion révèle, d'ordinaire, une diminution assez marquée de la sonorité.
On constate même, au moins au niveau du corps de la hernie, une matité plus
ou moins absolue, tandis que la sonorité persiste au voisinage du pédicule,
mais très-alfaiblie. Ce phénomène est assez facile à expliquer, si l'on se souvient
que le sac et (|uel(|ucfois l'anse lierniée elle-même sont le siège d'exhalations
séro-sanguines assez abondantes. Cependant ce caractère n'est pas absolu : dans
certaines hernies volumineuses, surtout dans les vieilles hernies adhérentes,
dans lesquelles il y a peu de liquide dans le sac et une assez grande quantité
de gaz dans l'inlestin, ou observe une sonorité très-manifeste.
A tous ces caractères se joint un symptôme qui devient fondamental et pour
ainsi dire pathognomonique : c'est l'irréductibilité. D'habitude c'est lui qui
ouvre la scène, le malade brusquement, à la suite d'un effort ou souvent même
sans cause appréciable, s'aperçoit que sa hernie ne peut rentrer. Cette irréduc-
tibilité n'a évidemment son caractère presque pathognomonique que pour les
hernies qui étaient primitivement réductibles; il perd toute sa valeur pour
celles qui sont habituellement irréductibles. De plus, elle est ordinairement
absolue, c'est-à-dire qu'elle résiste aux pressions méthodiques, qui suffisent,
la plupart de temps, pour refouler Tintestin dans le ventre et faire disparaître la
IJElliMES. 781
tumeur. Dans les premières heures de l'étranglement cette irréductibilité n'est
pas absolument invincible. « 11 n'est pas nécessaire, dit Le Dentu, que la hernie
résiste à toutes les tentatives ayant pour objet la rentrée de l'intestin, pour qu'on
se croie en présence d'un véritable étranglement. Il y a des hernies étranglées
réductibles ; il s'agit d'arriver à temps pour les réduire. » Malgré cela, l'irré-
ductibilité reste un des signes fondamentaux de l'étranglemeut.
Enfin tous ces phénomènes s'accompagnent d'une douleur ordinairement très-
intense, qui est spontanée, et qui existe quand même le malade ne remue pas et
n'est soumis à aucune pression. Siégeant dans la hernie elle-même, et plus
accentuée peut-être au niveau de son pédicule, cette douleur s'accompagne
d'irradiations douloureuses vers l'abdomen, mais celles-ci sont soumises à de
très-grandes variétés et même à des intermittences très-marquées. L'intensité en
est très-variable : certains malades souffrent peu, tandis que d'autres éprouvent
des douleurs véritablement atroces.
Enlînces sensations douloureuses sont exagérées parla moindre palpation, et
la pression est souvent insupportable, principalement au niveau du pédicule.
« Le degré, la continuité et les autres caractères de la douleur, varient, dit
S. Duplay, suivant l'intensité de la constriction, l'ancienneté de l'étranglement,
mais surtout suivant les individus et le siège de la hernie. »
B. Symptômes du côté de l'abdomen. Du côté de l'abdomen et du tube
digestif on observe des symptômes qui ne font pour ainsi dire jamais défaut : ce
sont surtout des vomissements et de la constipation.
Les vomissements sont ordinairement précédés de nausées qui existent seules
dans les premiers moments de l'étranglement. Bientôt les vomissements s'éta-
blissent et leur marche peut être très-variable. C'est, au dire de Le Dentu, le
symptôme le plus capricieux. Le plus souvent il apparaît dès le début de
l'étranglement, mais il peut aussi ne se montrer, pour la première fois, que beau-
coup plus tard. Quand à sa marche, il est tantôt tellement fréquent et continu,
que le malade ne cesse pour ainsi dire pas de vomir. D'autres fois, après avoir
existé dès le début des accidents, il diminue peu à peu, arrive même à cesser
tout à fait, pour reparaître au bout d'un ou plusieurs jours, et alors il reprend
avec une grande intensité et des caractères nouveaux. Enfin, dans certains cas,
son apparition primitive est tardive et il revêt en quelques heures le caractère
le plus grave. Quelquefois même, mais la chose est exceptionnelle, dans cer-
taines hernies crurales, même quand la constriction de l'intestin est extrême,
les malades ne présentent aucun vomissement (Picque, D. Mollière).
Les matières vomies sont variables suivant la période de la maladie. Au
début elles sont d'abord purement alimentaires, l'estomac rejette les matières
qu'il contient. Certains malades, d'après Gosselin, ne vomissent que les boissons,
et peu d'instants après les avoir ingérées. Ils ne rendent de nouveau que
s'ils boivent de nouveau. D'autres vomissent en outre des matières muqueuses
et bilieuses. Tous ont une répugnance absolue pour les aliments. Ces vomisse-
ments muqueux et bilieux, qui viennent constamment après le rejet des aliments,
ne durent en général que jusqu'au troisième ou au cinquième jour. A partir de
ce moment, suivant Gosselin, les matières vomies changent de caractère. Elles
deviennent jaunâtres, forment un liquide épais, mal lié, dans lequel on trouve
en suspension des débris alimentaires et des flocons verdâtres colorés par la
bile. Il y a aussi des mucosités et de la bile pure. Ces parcelles se précipitent
au fond du vase, quand le liquide reste en repos un certain temps, et on les
782 HERNIES.
retrouve en le transviisant avec précaution. Quelquefois elles sont beaucoup plus,
foncées, jaunâtres, et prennent la couleur des excréments.
Ces matières ont une odeur fade, repoussante, qui rappelle celle des boyaux
d'animaux et qui a été comparée par Gosselin à celle qu'exhale l'intestin grêle
dans nos grands amphithéâtres ; enfin elle peut aussi parfois se rapprocher de
l'odeur des matières fécales. En même temps, elles ont uu goût horrible, que
les malades com|)areat à celui de la viande pourrie et qui constitue im des;
symptômes les plus pénibles de l'élranglemenl.
Enlin, pou à peu, ces matières deviennent plus foncées en couleur et d'une
odeur plus repoussante, mais jamais elles ne sont absolument comparables à
des matièies fécales, dont elles n'ont ni la solidité ni la fétidité complète. Aussi
Malgaigne a-t-il donné à ces évacuations le nom de vomissements fécaloïdeSy
substituant celte appellation beaucoup plus exacte à celle de vomissements
stercoraux que lui attribuent les anciens chirurgiens. En effet, la substance
vomie provient toujours de l'intestin grêle et non du gros intestin, dans lequel
seul existent les matières fécales proprement dites.
En même temps que ces vomissements, les malades ont des éructations plus
ou moins désagréables; souvent aussi ils sont tourmentés par un hoquet, qui
n'ap[iaraît guère que le troisième ou le quatrième jour, mais ([ui, dans certains
cas, est très-persistant et les fatigue beaucoup. Enfin, à la période ultime, les
vomissements fout place à des régurgitations sans efforts, qui annoncent d'ordi-.
naire la terminaison prochaine.
11 existe encore du côté du système digestif un autre symptôme aussi impor-
tant que le vomissement : c'est la constipation. Irréductibilité, vomissement et
constipation, constituent une triade symptomatique qui suffit à caractériser
l'étranglement. Mais cette constipation est, dans certains cas, assez délicate h
interpréter. Elle ne s'établit pas toujours d'emblée. En effet, dès le début des
accidents les malades éprouvent très-souvent un impérieux besoin d'aller à la
garde-robe, et alors ils ont une ou plusieurs évacuations. Les matières rejetées
sont celles qui existaient dans l'intestin grêle, au-dessous du point serré, et dans
le gros intestin au moment oîi l'étranglement s'est produit. Suivant l'expres-
sion consacrée, les malades vident leur bout inférieur. Puis, comme ces éva-
cuations ne suffisent pas à les soulager et que, suivant Gosselin, il persiste une
sensation douloureuse qui ressemble au besoin d'aller, ils s'administrent un ou
plusieurs lavements, qu'ils rejettent ensuite sous forme de liquides plus ou
moins colorés par les quelques matières qui peuvent encore rester dans l'intestin.
Bien souvent alors les malades prennent ces déjections pour de véritables
selles.
Aussi, ainsi que le recommande S. Duplay, il faut les interroger avec la plus
grande attention, rechercher l'époque à laquelle les évacuations ont eu lieu, la
nature et la consistance des matières, et s'informer avec soin si quelque lave-
ment n'a point été administré. Enfin, dans certains cas, au contraire, si les
malades, et ce sont surtout des femmes, sont sujets à des constipations habituelles
de deux ou plusieurs jours, l'apparition de ce symptôme a une importance difficile
à apprécier exactement, mais il n'a pas la même valeur, au point de vue de
l'étranglement, que dans d'autres cas. Daniel Mollière a insisté à son tour [Lyon
médical, 1885) sur la nécessité de subordonner l'interprétation de la constipa-
tion à la connaissance des habitudes du malade.
Cependant, à part ces cas particuliers, on peut dire que normalement au bout
lltHx^lKb. 78o
de vingt-qna(re heures d'e'lronglement, la constipation est complète et qu'il n'y
a plus, au bout de ce temps, aucune évacuation alvine et aucune émission de gaz
par l'anus.
Cependant ces deux symptômes ne sont pas toujours aussi absolus que nous
venons de l'affirmer. Dans certains cas. en effet, la constipation ne s'établit
jamais complètement; au contraire les malades voient survenir des selles assez
Iréquentes et une véritable diarrhée. Celle-ci, qui se produit surtout dans cer-
taines formes cliniques de l'étranglement, a été diversement interprétée. On a
cru que son existence pouvait être considérée comme le signe d'un étranglement
partiel, d'un pincement herniaire. Le Dentu en rapporte une observation et fait
observer que même dans ce cas l'existence de la diarrhée ne signifie nullement
qu'il y avait perméabilité du tube intestinal; d'un autre côté Ferrier a démontré,
dans sa thèse, que la constipation est, dans la plupart des cas, aussi complète
dans le pincement latéral que dans l'étranglement complet. 11 faut donc voir
seulement dans les diarrhées insolites de l'étranglement des phénomènes d'irri-
tation. Il se fait l"i une hypersécrétion muco-séreuse qui est évidemment le
résultat des lésions congestives si développées, comme intensité et comme
étendue, dans le bout inférieur, ainsi que nous l'avons signalé d'après Nicaise.
L'absence d'émission de gaz par l'anus est peut-être encore plus importante, au
point de vue de l'étranglement, que la constipation. Beaucoup de chirurgiens
n'hésitent pas à la considérer comme pathognomonique. Ce symptôme est, en
effet, peut-être encore plus constant que la constipation, mais, pas plus que les
autres signes, il n'aune valeur véritablement absolue. Picqué rapporte, en effet,
l'observation d'une femme de soixante-neuf ans, qui vint à l'hôpital de la Charité
pour une hernie étranglée à caractères douteux. « Au moment de l'opération,
dit-il, la malade eut plusieurs émissions gazeuses qui ne manquèrent pas de
nous inspirer de sérieux doutes sur la réalité du diagnostic, et cependant l'opéra-
tion vint démontrer l'existence d'un étranglement total des plus manifestes. »
Les parois abdominales offrent, au moins au début, leur aspect habituel.
Cependant elles sont quelquefois dures et contracturées sous les téguments.
Guyton et Bertholle ont décrit une dureté particulière avec saillie des muscles
droits. Gosselin prétend n'avoir jamais observé cette disposition.
Au bout de quelques jours, la paroi abdominale est soulevée, plus bombée,
plus résistante, à cause de l'accumulation des gaz dans la partie de l'intestin qui
est au-dessus de l'étranglement. Il y a alors du ballonnement. Ce phénomène
ne se montre guère que le troisième ou le quatrième jour. Le ventre se déve-
loppe d'une manière inégale, les anses intestinales se dessinent sous la peau,
et cette inégalité d'accroissement a été considérée comme un signe différentiel
de l'étranglement et de la péritonite. La distension du ventre n'est égale et géné-
rale que s'il survient une péritonite, ou bien si l'étranglement porte sur la partie
inférieure du canal intestinal (Le Dentu). llàtons-nous d'ajouter, d'ailleurs, que
cette interprétation est très-trompeuse et que, dans bien des cas, le ballonnement
se généralise très-rapidement.
Enfin, on constate encore une certaine raatité à la percussion au voisinage du
pédicule. Cette région est, dès le début des accidents, le siège d'une douleur
sourde, exagérée par la moindre pression, qui devient le point de départ d irra-
diations douloureuses, parfois très-intenses, ne tardant pas à envahir toute la
région abdominale, sous la forme de coliques, et dont nous avons déjà parlé à
propos des signes fournis par la tumeur.
784 HERMES.
C. Symptômes généraux. Le tableau clinique des symptômes généraux de
rélranglemcnt est très-difficile à tracer à cause des différences nombreuses de
leur forme et de leur degré, de l'irrégularité et de l'inconstance de certains
signes importants. Aussi, croyons-nous devoir éloigner d'abord de notre
description certains symptômes rares dont l'apparition suffit à caractériser des
formes particulières et heureusement peu fréquentes de l'étranglement.
Il existe néanmoins un certain nombre de signes que l'on retrouve dans la
grande majorité, des cas, et sur lesquels nous devons attirer l'atlenlion. Quel-
quefois cependant l'étranglement peut exister sans troubles marqués du côté
des principales fonctions, et il existe des formes lentes et torpides sur lesquelles
nous aurons à revenir. Chez certains autres malades, les symptômes ordinaires
font presque totalement défaut et les lésions suivent toute leur évolution sans
réaction générale : il n'y a du reste pas une relation absolument constante entre
le degré de conslriclion et l'intensité des troubles généraux.
Néanmoins, en général dès le début de l'étranglement, le malade ressent une
anxiété spéciale, un malaise indéiinissable qui coïncide avec les premières dou-
leurs. Quelquefois, et c'est Gosselin qui signale ce fait, on constate, à ce moment,
un mouvement fébrile, de la chaleur à la peau, et de la rougeur du visage;
mais cela est rare. Nous verrons, au contraire, que l'étranglement herniaire
parcourt, d'ordinaire, toutes ses périodes sans fièvre.
Quoi qu'il en soit, généralement, ce n'est pas dans les premières heures que les
phénomènes généraux se montrent. Pendant un temps qui peut s'étendre
jusqu'au second et au troisième jour, tous les symptômes se bornent aux signes
fournis par la tumeur et par la cavité abdominale. Mais, au bout de trois ou
quatre jours, lespiiénomènes généraux s'accusent.
Le visage s'altère profondément, il devient grippé et prend cet aspect parti-
culier qui a été décrit sous le nom de faciès abdominal. Les yeux semblent
excavés, les pommettes deviennent saillantes, le nez s'effile, les sillons naso-
labiaux et palpébraux se creusent ; les lèvres et le bout du nez sont souvent
cyanoses, la peau a une teinte grisâtre et terreuse; en un mot. la face entièrt
porte l'expression d'une souffrance profonde.
Du reste, la peau prend un aspect particulier non-seulement à la face, mais sur
tout le corps, elle est gris-jaunâtre. Quand on la pince, le pli formé persiste pen-
dant quelques instants (peau de grenouille), enfin elle est souvent recouverte par
une sueur froide et visqueuse qui laisse déposer des cristaux de sels calcaires.
En même temps presque toutes les grandes fonctions subissent des modifica-
tions importantes.
Du côté de la circulation on constate un abaissement appréciable de la ten-
sion artérielle qui se produit progressivement, qu'il y ait eu ou non, au début, ce
léger mouvement fébrile dont nous avons fait mention. Aussi le pouls, qui reste
d'abord calme, à moins que les douleurs ne soient très-vives, s'accélère et perd
de sa force pendant les crises douloureuses. Puis, peu à peu, il se ralentit et,
lorsque les phénomènes généraux deviennent graves, on observe un pouls tout à
fait petit, dépressible, mais assez précipité.
En même temps il existe des troubles marqués de la calorification qui
consistent en un refroidissement plus ou moins intense. Tout d'abord le refroi-
dissement porte sur les extrémités, qui sont, manifestement à la main, moins
chaudes que le reste du corps. Le bout du nez devient froid lui aussi. Cette
hypothermie, que nous envisageons ici en dehors de la péritonite, peut apparaître
HERNIES: 7.^5
très-vite, dès le début de l'étranglement; mais, ordinairement, elle ne se montre
que plus tard et peut persister après la kélotomie. Elle coïncide presque toujours
avec un certain nombre de troubles nerveux, et s'accompagne d'un affaiblisse-
ment marqué des battements du cœur et d'un certain degré de cyanose.
Tous ces phénomènes sont portés au maximum dans la forme clinique dési-
gnée par Malgaigne du nom de choléra herniaire. On ne peut pas encore,
d'une façon générale, tracer la courbe thermique de l'étranglement. Nous savons
cependant, d'après les travaux de Redard, qu'il y aurait à tenir compte du refroi-
dissement central et du refroidissement périphérique. Aussi les températures prises
à la fois dans l'aisselle et dans le rectum indiquent ordinairement, un écart assez
sensible. Dans un cas, cité par Muliois, dans sa thèse, chez un malade porteur
d'une hernie inguinale de moyen volume, étranglée depuis trente-six heures, le
thermomètre marquait 36 degrés dans l'aisselle et 37», 2 dans le rectum. L'algi-
dité, quand elle existe, commence donc par être périphérique. Elle est plus ou
moins accusée, et nous verrons que la température peut descendre fort bas. Dans
quelques cas même l'hjpothermie a persisté quelque temps après que l'étran-
glement a été levé.
La respiration est aussi profondément troublée, mais ses altérations sont
plus tardives encore que celles de la circulation. D'abord calme, elle subit une
modification de son rhythme ; elle devient, peu à peu, anxieuse, petite, précipitée,
les inspirations atteignent le chiffre de 30 et 40 par minute, quelquefois plus.
Enfin, dans certains cas, ainsi que M. Verneuil et ses élèves l'ont démontré, il
se produit des altérations pulmonaires importantes. Celles-ci débutent par une
congestion d'abord légère et localisée aux bases, mais qui peut s'étendre à tout
l'appareil respiratoire, et prendre une intensité telle que l'on voit survenir tantôt
des noyaux apoplectiques, tantôt de véritables phénomènes inflammatoires,
ce sont alors des broncho-pneumonies et même des pneumonies fibrineuses (thèse
de Roux, 1886). On peut alors, par l'auscultation, retrouver tous les signes
physiques ordinaires de ces altérations.
D'autres appareils sont aussi très-profondément influencés par l'étranglement,
et l'on observe souvent des troubles urinaires et des phénomènes nerveux très-
accusés. Ces symptômes sont moins constants que ceux qui précèdent.
La sécrétion urinaire est ordinairement diminuée dans l'étranglement et le
fait est signalé par tous les classiques. Mais cette diminution de quantité est
très-variable. Parfois à peine sensible, elle peut aussi atteindre un degré très-
considérable, il y a véritablement oligurie ; dans certains cas même on a
signalé de l'anurie complète (English). Les recherches à ce sujet ont été, du
reste, assez incomplètes, et rarement, dans les observations, la quantité exacte
d'urine se trouve signalée. M. Canac, dans sa thèse déjà citée, rapporte qu'il a
mesuré soigneusement les urines rendues, dans sept cas d'étranglement her-
niaire qu'il a pu observer à l'hôpital Saint-André de Bordeaux du 10 novembre
1885 au 15 juin 1886. La quantité rendue a varié de 800 à 100 grammes par
vingt-quatre heures. Dans ses expériences sur les animaux (ligature d'anses
intestinales), il a souvent constaté une anurie absolue. En outre de ces modifi-
cations dans la quantité, on a signalé des altérations du liquide urinaire et prin-
cipalement de l'albuminurie et de la glycosurie.
L'albuminurie dans l'étranglement herniaire a été surtout étudiée par un
chirurgien allemand, English. Cet auteur, qui a publié un important mémoire
sur le sujet en 1884 [Wiener medicin. Jaresbericht, p. 356. Analyse dans la
DicT. ENC. 4* s. Xm, 50
786 HERNIES.
Revue des sciences médicales, t. XVI, p. 247), a examiné, à ce point de vue,
tous les cas d'étranglement herniaire qu'il a observés depuis 1879. Voici les résul-
tats qu'il a obtenus : sur 29 hernies étranglées (inguinales, crurales et ombili-
cales), traitées par le taxis, l'albuminurie existait 10 fois; sur 25 hernies étran-
glées opérées, elle est notée 22 fois. Enfin, dans 15 hernies enflammées,
2 seulement s'accompagnaient d'albuminurie. Il y aurait donc dans les hernies
étranglées une proportion de 85 pour 100. Cette albuminurie paraît presque
avec l'étranglement et augmente d'une façon progressive, jusqu'au moment de
l'opération ; elle persisterait, même après la kélotomie, jusqu'à quatre jours au
plus. Le phénomène serait indépendant de l'âge des sujets, de la variété de
hernie, de l'ancienneté et du degré d'étranglement. 11 augmente quand les phé-
nomènes généraux s'aggravent et que la mort approche. Cette albuminurie, qui
serait pour ainsi dire constante quand le sac contient une anse intestinale
complète, serait particulièrement abondante quand celte anse se gangrène. Elle
deviendrait donc un signe important d'étranglement.
M. Canac, qui, sur notre conseil, a cherché à vérifier les faits signalés par
English, est loin d'être arrivé aux mêmes résultats. Il a analysé, à ce point
de vue, les urines des sept malades qu'il a pu observer, et jamais, chez aucun,
il n'a constaté la présence de l'albumine. Ses recherches portent sur un nombre
trop restreint d'observations pour infirmer absolument les conclusions d'Englisb,
mais elles suffisent, jusqu'à plus ample information, à démontrer que les
chiffres cités par l'auteur allemand sont probablement exagérés.
Enfin, d'autres recherches sur ce sujet, entreprises par un interne des hôpi-
taux de Bordeaux, M. Vincent, ont révélé qu'il pouvait y avoir aussi de la
glycosurie sous l'influence de l'étranglement. Cet auteur a publié, à ce sujet,
un mémoire intéressant à la Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux
(2 novembre 1886). Depuis, il a continué ces recherches, et voici les résultats
complets auxquels il est arrivé aujourd'hui (27 octobre 1887) et qu'il a bien
voulu me communiquer dans une note inédite. « L'examen des urines a été
pratiqué dans 13 cas d'étranglement, et toujours, sauf un cas de réduction
sous le chloroforme, avant l'intervention chirurgicale. Les 13 cas se décompo-
sent comme suit : dans 4 cas, pas de glycosurie; dans 8 cas, glycosurie pouvant
atteindre de ls^50 à 3 grammes par litre d'urine; la glycose est dosée à l'aide du
saccharimètre d'Yvon. Enfin, dans un cas oii il n'y avait pas de sucre, il existait
une phosphaturie abondante. La glycosurie a cessé de quatre à huit jours
après la kélotomie, quand celle-ci a été suivie de guérison. La phosphaturie,
dans le seul cas où elle a été observée, persistait encore douze jours après l'opé-
ration. »
Sans vouloir attribuer à ces notions nouvelles plus d'importance qu'elles
n'en comportent, eu égard surtout au nombre encore trop restreint d'observations,
nous pouvons conclure que l'albuminurie et la glycosurie peuvent prendre,
dans les symptômes de l'étranglement, une place réelle, mais dont l'importance
et la véritable signification restent encore à déterminer.
On a souvent observé, aussi, des troubles nerveux très-nombreux et très-
variables, qu'il nous reste à examiner. Ces phénomènes connus, au moins en
partie, depuis longtemps, signalés par Richter, ont été, il y a quelques années,
bien étudiés par Paul Berger [Bullet. de la Soc. de chirurgie, 1869) et par
Lapeyre dans sa thèse {Des accidents nerveux que Von observe dans létran-
glement herniaire. Paris, 1880). Quelques-uns, dont nous avons déjà parlé, se
HERNIES. 787
retrouvent dans tous les étranglements, mais d'autres, dont il nous reste à faire
mention, se rencontrent surtout dans les formes particulièrement graves. L'algi-
dité, la cyanose, lesoliguries et l'anurie, peuvent être rangées parmi ces signes;
îious en avons déjà parlé, nous n'y reviendrons pas. Les autres, qui restent à
décrire, sont des crampes, des contractures, des accidents convulsifs, du coma
et même du délire. Ce sont ces symptômes que Gosselin a réunis dans ses cli-
niques sous le nom de signes insolites de l'étranglement.
Les crampes siègent surtout au membre inférieur, la contracture, qui se
produit, au contraire, surtout sur les membres supérieurs, ne s'observe que
<lans les cas de choléra herniaire. Il en est de même de certains accidents
convulsifs, comme les accès éclampliques , dont il existe une observation
{mémoire de Berger). Quelquefois on voit survenir un délire plus ou moins
violent (observation dcNicaise), et, chez un malade, ce délire s'accompagnait de
fièvre et d'une agitation au milieu de laquelle le malade tenta de se suicider.
Enfin, dans deux cas, on a signalé la production, sous l'influence de l'étrangle-
ment, de convulsions généralisées très-graves. Mais, il faut ajouter que ces
phénomènes se sont montres chez des enfants, et l'on sait combien il y a
<i'états pathologiques divers capables de causer des convulsions à cet âge. Aussi,
l'importance de ces accidents est, peut-être, plutôt liée à l'âge du malade qu'à la
nature de la lésion. On peut cependant ajouter, avec Berger, qu'il paraît résulter
de ces faits que le point de départ des accidents nerveux est toujours un
étranglement très-serré. Ajoutons enfin, pour terminer, qu'il existe toujours un
affaissement moral plus ou moins marque, suivant les malades, avec l'appré-
hension d'une fin prochaine.
Variétés et types cliniques de V étranglement. Nous nous sommes jusqu'ici
contentés de passer en revue tous les symptômes que l'on peut rencontrer dans
l'étranglement. Mais la plupart d'entre eux sont très-inconstants; tous, chacun
à leur tour, peuvent, dans certains cas, faire défaut, et de plus le moment de leur
apparition et leur groupement sont variables. Aussi, pour essayer de rendre compte
des différents aspects cliniques que peut revêtir l'étranglement, nous sommes
obligé de revenir un peu sur ces symptômes et de décrire quelques-unes des
formes différentes qu'ils peuvent revêtir
Les variations de chaque symptôme pris en particulier sont connues de tous
les chirurgiens. Gosselin a attiré l'attention sur quelques-unes de leurs irrégu-
larités.
Ainsi, la douleur spontanée peut manquer quelquefois, et d'autres fois elle
est assez peu marquée pour que les malades ne s'en plaignent pas, et que
l'attention ne soit pas attirée vers les régions herniaires. Nous avons vu que le
vomissement se montrait tantôt dès les premières heures, tantôt n'apparaissait
que le troisième ou le quatrième jour. Dans certains cas, il dure quelques
heures, puis il cesse pour ne plus reparaître, ou bien il ne se montre que quand
les malades boivent. Enfin il existe un certain nombre d'observations où les
vomissements fécaloïdes, que l'on a quelquefois considérés comme uu signe
pathognomonique, ont fait défaut pendant toute la durée des accidents. D'autres
fois, au contraire, ils surviennent au bout de vingt-quatre heures. Le ballonne-
ment, la constipation, présentent aussi des différences notables suivant les cas.
Mais il faut ajouter cependant, avec Gosselin, « que les différences individuelles
portent principalement sur le faciès et sur l'état général, et qu'au milieu d'elles
on découvre toujours les phénomènes les plus caractéristiques de l'étrangle-
788 HERNIES.
ment : l'irréductibilité, la douleur à la pression du col du pédicule, les nausées,
l'absence de garde-robes et d'émissions gazeuses par l'anus. »
D'ailleurs, pour apprécier exactement la valeur de ces symptômes, il faut
examiner l'ensemble de leur marche, leur groupement chez un même malade,
et de ces variations vient la création d'un certain nombre de types cliniques
différents. Parmi ceux-ci nous décrirons Vélranglement aigu, V étranglement
chronique, Y étranglement spasmodique de Richter, enfin le choléra herniaire.
L'étranglement dit aigu est celui dans lequel les phénomènes sont frès-
intenses. La douleur est ordinairement très-vive, en quelques heures, elle
s'irradie de la tumeur à tout l'abdomen. L'irréductibilité apparaît très-rapide-
ment, les vomissements sont précoces et d'une fréquence croissante; les matières
sont rapidement transformées, elles vomissements fécaloïdes se montrent souvent
dès le deuxième jour, ou du moins avant le quatrième. Il y a, en même temps,
du hoquet et des éructations fréquentes. Le ballonnement du ventre est très-
marqué; enfin on constate, très-vite, l'apparition du faciès grippé abdominal.
Tous ces phénomènes se montrent de trente-six à soixante heures après le
début des accidents. Cette forme clinique est assez fréquente ; elle se rencontre,
assez ordinairement, dans les petites hernies, et principalement dans les hernies
à issue brusque et réceutc, et qui s'étranglent au moment de leur sortie; on a
remarqué qu'elle succède presque toujours à un effort violent. C'est surtout dans
cette forme particulière que l'étranglement débute par un état fébrile assez
accusé. Toute autre est la marche des accidents, dans les cas qui ont été
décrits sous le nom à' étranglement chronique. Ici, l'évolution est lente et les
symptômes sont peu accusés, aussi Picqué préfère Vâppclev étranglement latent,
pour indiquer que les lésions se produisent souvent au milieu d'un silence
symptomatique relatif.
Dans cette forme, le début est ordinairement tout à fait insidieux; l'étrangle-
ment survient on ne sait pourquoi, sans qu'on puisse préciser bien exactement
le début et la cause de l'irréductibilité. Il se montre, souvent, dans des hernies
qui sont sorties depuis plusieurs jours. C'est dans ces cas qu'on l'a attribué
longtemps, par erreur, à un engouement solide; nous savons aujourd'hui qu'il
n'en est rien. C'est surtout cette variété qui a été décrite sous le nom d'étrangle-
ment consécutif.
Au début, la douleur n'existe pour ainsi dire pas, les phénomènes fonction-
nels font défaut, il y a quelques nausées, pas de vomissements, on peut observer
quelquefois un ou deux vomissements alimentaires, après le repas, et l'on est
tenté de les attribuer à une indigestion. En tous cas ils sont rarement bilieux
et ne deviennent fécaloïdes qu'au bout de quelques jours; parfois même les
vomissements fécaloïdes font totalement défaut. Les phénomènes généraux et
sympathiques manquent. Il n'y a ni altération des traits, ni dépression des
forces. Les fonctions respiratoires et circulatoires sont intactes. Tous les signes
généraux de l'étranglement ne s'accusent, quand ils arrivent, qu'au bout de
quatre ou cinq jours ; et, cependant, les lésions peuvent, malgré ce calme apparent,
évoluer complétenient et aboutir à une gangrène intestinale que rien n'annonce.
Dans certains cas, en effet, tous les symptômes peuvent se réduire à un simple
état saburral, avec de l'inappétence, quelques nausées, quelques vomissements,
une constipation plus ou moins absolue. En même temps, le malade est porteur
d'une hernie un peu douloureuse et qui paraît irréductible, mais souvent on
ne sait si cotte irréductibilité est ancienne ou récente. A ce sujet, Picqué
HERNIES. 780
rapporte l'observation d'un liomme de soixante-dix ans qui se présenta à
M. Berger à la Charité', après avoir traversé Paris à pied, pour venir le consulter.
On reconnut l'existence d'une hernie crurale irréductible, et la kélotomie fit
découvrir une gangrène assez étendue de l'anse herniée. Nous pourrions rap-
procher de cet exemple un fait personnel analogue. Une femme qui portait une
hernie crurale, devenue irréductible depuis trois jours nous fut adressée à
l'hôpital Saint- André de Bordeaux par un confrère des environs. Elle avait eu
quelques nausées, un ou deux vomissements alimentaires, de la constipation,
mais celle-ci n'était pas absolue; aucun phénomène général, aucune altération
des traits, ])eu de douleur du côté de la hernie, ni ballonnement du ventre, ni
colique. Celte malade était soumise depuis deux jours à notre observation, et
nous doutions de l'existence d'un étranglement, quand survint, tout d'un coup,
un vomissement fécaioïde. La kélotomie fut aussitôt pratiquée et nous mit en
présence d'une gangrène intestinale assez avancée pour avoir déjà amené une
large perforation.
Cette forme chronique s'observe le plus souvent, mais sans que cela ait rien
d'absolu, sur des hernies moyennes et volumineuses, qui sont au dehors depuis
quelques jours, mais il est bien difficile, dans la plupart des cas, pour ne pas dire
impossible, de préciser le moment où ont débuté les phénomènes d'étranglement.
Il est tout aussi difficile de donner la raison de la différence qui existe entre
ces deux formes opposées de marche clinique. On a voulu établir une relation
entre la rapidité de production des symptômes et le degré de constriction, mais
cette hypothèse n'est pas exacte, il n'y a, du moins, rien de constant. Ainsi, cer-
tains cas d'étranglement aigu cèdent facilement au taxis pratiqué avec le
chloroforme, tandis qu'au contraire, chez des malades dont l'étranglement est
presque complètement latent, la hernie résiste à tous les efforts de réduction et
aux tentatives les plus variées. De plus, dans certains cas chroniques, la kélo-
tomie a démontré l'existence d'un étranglement des plus étroits et des plus
serrés. Gosselin en a signalé un exemple des plus nets. D'ailleurs, l'irréductibi-
lité ne tient pas toujours, dans ces cas, au degré de constriction, car elle peut,
avec un étranglement d'intensité moyenne, être due à toute autre circonstance,
comme, par exemple, à la façon dont l'intestin se présente à l'anneau pendant les
tentatives de réduction. Enfin, pour expliquer ces différences cliniques, « il y a, dit
Le Dentu, un élément dont il faut tenir compte : c'est le tempérament du sujet. Il
me paraît difficile que les symptômes de l'étranglement n'acquièrent pas une plus
grande intensité chez les individus dont le système nerveux est très-irritable. »
h' élranglement spasmodiqiie, dont le nom a été créé par Richter, désigne
plus exactement un étranglement à forme rémittente, pour l'explication duquel
il avait imaginé une théorie reconnue fausse aujourd'hui. Mais, si la théorie
est erronée, la description clinique est exacte. Il existe, en effet, des cas où les
«ymptômes paraissent, comme marche, tenir le milieu entre les deux types
précédents.
Après une période de début, dans laquelle tous les signes de l'étranglement
se montrent rapidement et avec une très-grande intensité, il survient tout à
coup une rémission marquée. La douleur s'apaise et devient moins vive, les
nausées sont moins fréquentes, les vomissements cessent, le ballonnement
diminue, la respiration se calme, le pouls reprend son caractère normal; tous
les phénomènes disparaissent, et, sauf la réduction de la tumeur, tous les
accidents semblent terminés. Puis alors, brusquement, sans aucune cause
790 HERNIES.
occasionnelle, ou simplement après une ingestion nouvelle de boisson, tous les
symptômes reparaissent, se reproduisent avec une intensité considérable, et
quelquefois pendant l'accès les circonvolutions intestinales sont le siège de con-
tractions vermiculaires qui, d'après S. Duplay et Gosselin, se voient à travers
la paroi abdominale. Après un ceitain temps le calme se rétablit de nouveau.
Ces alternatives d'aggravation et de rémission se montrent à plusieurs reprises,
et peuvent être une source d'erreur pour le chirurgien.
Ces rémissions, d'après Gosselin, se verraient aussi, quoique moins accentuées,
dans presque tous les étranglements aigus. « Si l'on étudiait, dit-il, attentive-
ment heure par heure, les sujets atteints d'étranglement, on verrait que
beaucoup d'entre eux ont de ces rémissions et présentent des phénomènes
nerveux pendant les crises, et l'on pourrait, si l'on voulait, considérer l'étran-
glemtiHt comme spasmodique, mais cela n'indiquerait rien de spécial. » Cependant,,
en général, dans l'étranglement ordinaire, ces rémissions, quand elles se pro-
duisent, sont beaucoup plus courtes. Quoi qu'il en soit, cette variété, d'après
Duplay, mériterait mieux le nom d'étranglement à marche rémittente que celui
d'étranglement spasmodique.
II existe aussi quelques formes d'étranglement caractérisées par l'exagération
de quelques-uns des symptômes ordinaires ou par l'apparition de phénomènes
relativement rares. Parmi ces formes insolites il faut faire une place à part à
celle qui a été décrite sous le nom de choléra herniaire, par Malgaigne.
Il n'est pas très-rare, en effet, surtout dans certains étranglements très-serres,
de voir les phénomènes généraux revêtir un aspect cholériforme. Le malade
présente, d'après S. Duplay, l'aspect suivant : « L'algidité se prononçant et
s'accompagnant d'un certain degré de cyanose, la température peut baisser de
plusieurs degrés, les téguments perdent leur élasticité et conservent l'empreinte
du pli qu'on y détermine par la pression des doigts, la voix est éteinte, et les
urines sont rares ou elles se suppriment. Si ces phénomènes sont très-accusés,,
l'aspect du malade peut ressembler à un cholérique, à tel point que la confusion
entre deux affections de nature différente a été parfois possible. Mais c'est
principalement quand à ces phénomènes se joignent des crampes et delà diarrhée
que l'analogie devient extrême. »
Il faut ajouter aussi que ces phénomènes ont été observés plusieurs fois alors
que régnait une épidémie de choléra : en 1832, par Boinet et Briquet; en 1854,.
par Malgaigne, etc. Aussi Vidal (de Cassis) se demandait si la constitution médi-
cale régnante ne pouvait pas avoir quelque influence sur la forme clinique
revêtue par l'étranglement. Depuis, l'étude plus détaillée de cas plus nombreux
a démontré que ce choléra herniaire ne touchait en rien au choléra véritable, et
que cet aspect particulier pouvait s'expliquer par la prédominance absolue de
nous tous les phénomènes nerveux de l'éfranglement.
Ce sont ces phénomènes, et principalement l'algidité, les crampes et les con-
trxctures, et non les autres accidents nerveux, qui dominent la scène et que
devons décrire avec quelques détails.
Nous ne nous arrêterons pas longtemps à la diarrhée qui existe quelquefois.
Nous l'avons déjà suffisamment étudiée en décrivant les symptômes de l'étran-
glement. Nous avons vu qu'elle est surtout due à une hypersécrétion muqueuse
du bout inférieur. D'ailleurs, les matières rendues sont différentes comme
coloration et comme consisîance de celles qui sont contenues dans le bout supé-
rieur. Elles sont décolorées, séreuses, et leur quantité même indique, dit
HERNIES. 791
S. Duplay, qu'elles procèdent d'une abondante transsudation de liquides dans
l'intestin.
L'abaissement de la température débute, dans bon nombre de cas, avec l'étran-
glement lui-même, puis le thermomètre remonte un peu, et l'hypothermie
apparaît de nouveau le quatrième ou le cinquième jour. « Le thermomètre peut
descendre alors de plusieurs degrés au-dessous de la normale. Généralement,
l'algidité va en augmentant pour atteindre la plus basse limite au terme même
de la maladie « (Humbert). La température est le plus souvent entre 36 et
37 degrés. Quelquefois même elle descend au-dessous de 56. Aussi chez un
malade cité par Redard le thermomètre indiquait 35°,5. Le Dentu a trouvé
35", 2 chez une malade de la Salpètrière qui succomba peu de temps après la
kélotomie. Enfin le professeur Rocher (de Berne) a vu la température tomber
à 55 degrés dans un cas d'étranglement. Quand le thermomètre descend au-
dessous de 35 degrés, la terminaison fatale est inévitable et prochaine.
Dans quelques cas cette hypothermie peut encore s'accuser après que l'étran-
glement a été levé. Ainsi, Redard a publié plusieurs cas où elle s'est accentuée
après la kélotomie. Dans un cas, la température était à 56°, 7 avant l'opération,
elle tomba après à 56°, 4 pour se relever plus tard. Chez un autre malade, elle
était de 36°, 7, elle devint de 56", 4 après une tentative de taxis; puis, après la
kélotomie, qui avait nécessité une anesthésie prolongée, elle descendit à 56°, 2.
Enfin, dans le cas cité plus haut, oii la température avant l'opération était de
55°, 5, elle atteignit 55°, 5 après l'opération. Cette algidité coïncide très-souvent
avec ces accidents de congestion pulmonaire signalés par M. Yerneuil et ses
élèves, et, d'après Mullois, pourrait être causée par eux.
Les phénomènes nerveux, qui nous restent à examiner et qui ne se rencontrent
que dans les cas de choléra herniaire, bien qu'ils y soient inconstants, sont
surtout des crampes et des contractures. Nous avons déjà vu qu'ils ont été
principalement étudiés par M. Paul Berger (Société de chirurgie, 1876) et par
M. Lapeyre (thèse inaugurale, 1880).
Les crampes sont des accidents rares. Elles ont été notées, par M. Berger,
dl fois dans l'étranglement herniaire. Dans quatre cas, elles siégeaient seule-
ment aux membres inférieurs, et principalement dans les muscles gaslro-cnémiens.
Trois fois, elles ont été observées, à la fois, aux bras et aux jambes, ou aux doigts
et aux jambes. Dans un cas, elles occupaient les poignets et les doigts. Enfin,
dans trois observations, leur siège n'était pas indiqué. Toujours très-doulou-
reuses, elles étaient le plus souvent continues, parfois rémittentes. Elles se sont
montrées souvent dès le début des accidents cholériformes, d'autres fois le
deuxième, le troisième et même le cinquième jour après leur apparition. On les
a rencontrées dans les hernies crurales, inguinales, et dans un cas d'exomphale.
Toujours, sauf dans une observation de Ghassaignac, elles ont disparu après
l'opération; quand, au contraire, la kélotomie n'a pas pu être pratiquée, elles
ont persisté. jusqu'à la mort.
Les contractures, dont on trouve deux observations dans le troisième volume
des cliniques de la Charité de Gosselin, se sont montrées dans les deux cas
sous la forme de contractions toniques des muscles fléchisseurs, siégeant sur-
tout aux deux membres supérieurs, continues et atrocement douloureuses.
Dans le premier cas, les jambes étaient aussi le siège de contractures portant
sur les muscles fléchisseurs. Tous ces phénomènes disparurent après la kélo-
tomie. En outre, on peut observer, exceptionnellement, des accidents nerveux
792 HERNIES.
plus généraux : du délire, de l'agitation, une sorte d'aberration mentale, la
syncope (obs. de Long, de Liverpool). De plus, nous avons vu que Berger a
signalé chez des enfants des accidents encore plus graves, des convulsions épi-
lepliformes, un état comateux, de la contraction pupillaire, du strabisme, qui
disparurent aussi après l'opération. Enfin, dans une observation de Th. Anger,
citée dans le mémoire de Berger, un malade atteint d'étranglement choléri-
forme fut brusquement emporté, pendant la kélotomie faite sans anesthésie, par
une attaque d'éclampsie.
Le clioléra herniaire, et surtout l'existence, dans cette forme, des phénomènes
nerveux graves que nous venons d'étudier, semblent indiquer presque toujours
un étranglement très-serré. Berger, dans son mémoire, est très-aftirmatif à cet
égard. II faut en effet toujours redouter, dans ces cas, une évolution très-rapide
des accidents pouvant amener la gangrène, ou tout au moins la perforation de
l'intestin dans un très-bref déhii (trente-six à quarante-huit heures). Cette forme
clinique est toujours de la plus haute gravité et révèle un état général particu-
lièrement mauvais. Mais il n'y a pas toujours une relation directe entre son
existence et le degré de la constriction. En effet, S. Duplay cite un cas inédit
qui lui a été communiqué par Berger, dans lequel une hernie avec étranglement
cholériforme et crampes a été facilement réduite, au bout de quelques minutes
de taxis. D'ailleurs, nous sommes revenus, au sujet de cette forme clinique, de
l'opinion trop pessimiste de Malgaigne, qui croyait que le choléra herniaire
était absolument fatal, même avec la kélotomie. Maunoir (1852) prouva, dit
S. Duplay, par une observation à laquelle sont venues s'ajouter bon nombre
d'autres, ce que cette manière de voir avait d'exaçéré.
Des terminaisons de l'étranglement. L'étranglement herniaire abandonné
à lui-même peut quelquefois se terminer par la guérison, mais, dans le plus
grand nombre des cas, il occasionne la mort du malade.
La guérison peut se produire de deux façons différentes : soit par la réduc-
tion spontanée de la hernie et la cessation graduelle des phénomènes, soit par
la formation d'un anus contre nature ou d'une fistule stercorale.
La guérison spontanée est absolument exceptionnelle. Dans certains cas
cependant, et tous les auteurs ont signalé la possibilité de ces faits, on la voit
survenir. « Il n'est pas sans exemple, dit Gossehn, que la hernie étranglée
abandonnée à elle-même se termine par une réduction spontanée qui étonne
le malade et les médecins. » Ou voit alors, peu à peu, se calmer les phénomènes
alarmants qui caractérisaient l'étranglement; il se produit une sorte de rémis-
sion prolongée, de détente générale, qui, au lieu d'être suivie d'une reprise des
accidents comme dans l'étranglement rémittent, s'accompagne de la diminution
et de la réduction de la tumeur herniaire. Cette rentrée est tantôt complètement
spontanée, tantôt au contraire produite sous l'influence de pressions très-
modérées exercées par le malade lui-même. Richter, qui a rapporté plusieurs
exemples de cette terminaison, l'attribuait à l'étranglement spasmodique. Si
nous ne pouvons admettre son explication, il faut bien reconnaître du moins
l'existence de ce mode de guérison . On pourrait rapprocher de ces cas sponta-
nément favorables, ceux dans lesquels une gangrène partielle de l'anse herniée
a pu se produire sans qu'il y ait de lésions du sac et des enveloppes exté-
lieures. Les parties sphacélées ont été, alors, éliminées par le bout inférieur
et la guérison est survenue peu à peu. Ces faits sont encore plus exception-
nels que les précédents; nous en avons cité quelques exemples en étudiant
HERNIES. 795
les lésions de l'étranglement; nous ne les rappelons ici qu'à titre de simple
curiosité.
D'autres fois, la guérison arrive par l'intermédiaire de la production d'un
anus contre nature ou d'une fistule stercorale. Cette terminaison relativement
heureuse de l'étranglement ne peut exister que dans certaines conditions. Il
faut en effet que, au moment où l'anse herniée se perfore ou se gangrène, il y
ait déjà entre le pédicule et le péritoine pariétal des adhérences inflammatoires
assez solides, assez bien organisées, pour que l'épanchement stercoral puisse
être limité par ces néomembranes, qui en empêchent la pénétration dans la
cavité abdominale. Alors, les enveloppes extérieures s'irritent, s'enflamment,
s'abcèdent et finissent par se perforer, laissant écouler au dehors le pus et les
matières épanchées.
Voici les phénomènes qui annoncent et accompagnent cette terminaison :
du troisième au cinquième jour, quelquefois plus tôt, la peau qui recouvre la
tumeur herniaire devient plus rouge et, en même temps, plus chaude. Elle est
souvent le siège d'un empâtement œdémateux. La tuméfaction augmente et
s'étend un peu dans le tissu cellulaire qui environne les régions herniaires. La
douleur locale n'augmente pas; quelquefois même elle diminue, probablement,
d'après Gosselin, parce que le passage des matières de l'anse dans le sac diminue
la constriction et par conséquent la souffrance. La hernie paraît souvent moins
tendue; à la palpation elle donne au doigt et souvent à l'oreille une sorte de
bruit de clapotement, de gargouillement, qui indique dans son intérieur un
mélange de gaz et de liquide. Ce symptôme a été signalé, en 1851, par Laugier
{Gazette des hôpitaux), qui regarde ce bruit hydroaérique comme un signe
important de gangrène avec perforation. A la percussion, on trouve ordinairement
une sonorité exagérée, parfois même tympanique, surtout dans les cas où il
existe, dans le tissu cellulaire sous-cutané, un certain degré d'emphysème,
produit par l'infiltration des gaz. Bientôt la peau paraît s'amincir, la fluctuation
devient manifeste, l'abcès stercoral est formé.
Si, à ce moment-là, une incision n'est pas faite, on voit rapidement, sur les
points où le tégument est le plus aminci, apparaître quelques phlyctènes et
des taches de gangrène plus ou moins e'tendues. Bientôt, à celte place, la peau
cède, se perfore et donne issue à un flot de liquide composé de pus fétide
mélangé à des gaz et à des matières intestinales, à des lambeaux d'intestin et
de tissu cellulaire mortifié. L'élimination de ces eschares, qui se montrent sous
la forme de lambeaux noirs ou grisâtres, dure quelques jours; puis, peu à peu,
elles disparaissent, la suppuration diminue, la plaie se délerge et elle ne donne
plus issue qu'à une quantité modérée de pus et à un écoulement plus ou moins
abondant et continu de matières intestinales. Celles-ci sont très-différentes
d'aspect, selon le point du tube intestinal sur lequel a porté la perforation, et
très-variables comme quantité, suivant la grandeur et la disposition de l'ouver-
ture, c'est-à-dire selon que la totalité ou seulement une partie du contenu de
l'intestin passe par l'orifice cutané. Dans le premier cas on se trouve en pré-
sence d'un anus contre nature, et dans le second d'une fistule stercorale.
Presque aussitôt que la perforation est établie, on voit diminuer et disparaître,
dans la plupart des cas, les phénomènes de l'étranglement; et l'amélioration
survient petit à petit, pour devenir le plus souvent définitive. D'autres fois, cepen-
*dant, le mieux n'est que passager, les adhérences peuvent céder et l'inflammation
envahir secondairement la cavité abdominale et déterminer une péritonite
794 HERNIES.
mortelle, ou bien encore le malade succombe à l'affaiblissement progressif
causé par une alimentation incomplète. Mais tous ces phénomènes constituent
l'histoire de Yanus contre nature, qui a été traitée dans ce Dictionnaire et
à laquelle nous nous bornons à renvoyer le lecteur (voxj. Anus contre natcre).
Quoi qu'il en soit, que la guérison survienne par ce mécanisme, ou bien se
produise spontanément comme nous l'avons indiqué précédemment, elle doit
être considérée comme un fait rare dans l'étranglement.
Il est impossible de donner, à ce point de vue, une statistique indiquant la pro-
portion exacte des guérisons dans les cas d'étranglement laissés sans traitement;
car, heureusement, la plupart sont soumis à une thérapeutique plus ou moins
suivie de succès. Cependant Gosselin pense, « en raisonnant par analogie avec
ce qui se passe dans l'étranglement interne, qu'il est permis de croire qu'un
grand nombre de sujets non traités succomberaient », et il se trouve modéré en
portant leur nombre à la moitié au moins. Nous croyons, avec S. Duplay, que
cette proportion est encore très-au-dessous de la vérité, et que le nombre de
morts serait beaucoup plus considérable. 11 est, au contraire, absolument néces-
saire que tous les chirurgiens considèrent que l'étranglement abandonné à lui-
même est toujours une lésion fatale, aGn de n'être pas portés à une temporisa-
tion exagérée, qui no peut qu'être funeste aux malades.
11 nous reste maintenant h examiner comment et par quel mécanisme la mort
survient dans l'étranglement. Peu de questions sont aussi difficiles à résoudre,
et il existe un nombre de théories relativement considérable pour expliquer le
mécanisme de la mort dans cette affection. Il est probable même, étant donné
les aspects cliniques différents des accidents terminaux, qu'il serait, au moins
en l'état actuel de la science, prématuré et même inexact de vouloir expliquer
toutes les morts par une théorie unique. A notre avis, la mort peut survenir
de plusieurs manières, et presque toutes les opinions ont en leur faveur un
certain degré d'exactitude.
Il faut d'abord mettre à l'écart de toute contestation la mort t^^y péritonite
généralisée. Cette complication est peut-être la terminaison la plus rapidement
fâcheuse et la plus commune de l'étranglement. Elle peut se produire de deux
façons : soit par propagation de l'inflammation, soit par perforation intestinale.
Dans le premier cas, les adhérences produites au niveau du pédicule et qui
semblent destinées à limiter les lésions à la région herniaire n'ont pas établi
une barrière suffisante, et l'inflammation, soit avant, soit après la gangrène d&
l'anse, s'est propagée de proche en proche et a envahi toute la cavité abdomi-
nale. Cette péritonite peut être aussi produite par la réduction d'un intestin déjà
très-altéré, mais sans perforation, et qui a été, à son tour, le point de départ
d'une péritonite généralisée. Dans ce cas, on trouve, à l'autopsie, les lésions de
l'inflammation du péritoine, congestion intense des intestins et du feuillet
pariétal, néomembranes glutineuses et molles réunissant les anses intestinales»
épanchement liquide, etc., mais rarement un épancliement purulent.
Dans le second groupe de faits, la péritonite est consécutive à la perforation de
l'intestin et à l'épanchement de matières stercorales. Cette perforation a lieu, le
plus souvent, immédiatement au niveau du contour de la portion serrée, et
assez rapidement pour que les adhérences protectrices n'aient pas eu le temps
de se produire ou n'aient pas acquis une solidité sufiisiinte pour limiter la
pénétration du contenu de l'intestin. Quelquefois aussi elle est le résultat de*
la perforation secondaire de l'anse réduite, quand celle-ci a été rentrée dans
HERNIES. 795
l'abdomen dans un tel état d'altération que le cours des matières ne peut se
re'tablir. Cet accident se produit alors plus ou moins longtemps après la réduc-
tion. Nous en avons cité quelques exemples. Dans cette classe de péritonite,
la marche des accidents est ordinairement très-rapide, elle dure quelquefois
quelques heures h peine. 11 est probable que cette évolution est due à l'absorp-
tion par le péritoine des matières septiques contenues en si grand nombre
dans les fèces et dans les tissus frappés de mortification. Elle pourrait
être une des formes de la septicémie pcritonéale sur laquelle nous aurons à
revenir.
Dans le cas de péritonite généralisée, tous les chirurgiens sont unanimes à
admettre que cette lésion est suffisante pour expliquer la mort. Mais où les
divergences commencent à s'accuser, c'est lorsqu'il s'agit d'expliquer la termi-
naison fatale dans les cas où l'autopsie n'a pas révélé l'existence de lésions
positives de la séreuse péritonéale.
Dans de nombreux cas, en effet, les malades paraissent avoir succombé à
l'aggravation lente et graduelle des symptômes généraux. « Le ballonnement
du ventre s'est accru, dit S, Duplay, il a pris d'énormes proportions ; la respi-
ration est devenue de plus en plus courte et fréquente ; l'asphyxie a fait des
progrès constants qui se sont traduits par un abaissement progressif de la tem-
pérature, la faiblesse, la fréquence, l'irrégularité du pouls ».
Diverses interprétations ont été données pour expliquer ce genre de mort, et
nous devons les passer en revue.
Nous ne nous attarderons pas à l'explication, aujourd'hui ancienne, de la mort
par épuisement nerveux. Celte hypotlièse qui n'a jamais été démontrée ne
saurait être suffisamment précise pour être acceptée. Nous verrons plus tard
quel rôle on doit faire jouer au système nerveux dans le mécanisme de la mort.
Il y a quelques années, en 1875, llumbert, dans sa thèse intitulée: Étude
sur la septicémie intestinale, Atlrihu-à la mort à un empoisonnement causé par
l'absorption des produits septiques contenus dans les matières intestinales.
11 ne faisait, en la développant et en l'expliquant, que reprendre la théorie de
Barthélémy Montagnana, qui, au quinzième siècle, avait |émis ^hypo'lhè^e de
l'empoisonnement par les matières fécales qui pourrissaient dans les anses
intestinales étranglées. Humbert a essayé de démontrer que la mort était due,
dans l'étranglement, à une septicémie particulière causée par l'absorption à la
surface de l'intestin de produits septiques qui tantôt proviennent du dehors
avec les substances alimentaires, tantôt au contraire se forment dans l'inté-
rieur du tube digestif, par décomposition des matières contenues dans l'intestin.
Ces substances, qui, dans les cas ordinaires, traversent impunément l'appareil
digestif, seraient, au contraire, absorbées sous l'influence de l'étranglement qui
produit, en même temps que leur rétention, des lésions des parois intestinales,
susceptibles de faciliter leur absorption. Ce serait surtout, outre les matières ali-
mentaires putréfiées, l'absorption d'un produit particulier de désassimilation, la
séroline de Boudet, 1855, mieux connue et ml^lA étudiée par Âustin Flint, en
1868, sous le nom de stercorine, et qui est du reste la même chose que V excré-
tine de Marcet (1857). Canac, qui, lui aussi, est tenté d'admettre, comme cause
de la mort dans l'étranglement, une sorte d'intoxication par les produits septiques
des matières fécales, qu'il désigne sous le nom de coprohémie (de zoV/jo;, excré-
ment, aOp.a sang), ajoute aux produits précédents l'absorption possible des pto-
maïnes et des leucoraaïnes, qui existent, en si grande abondance, dans le tube
796 HERNIES.
digestif, et sur la nature desquelles nous n'avons pas à insister ici. Il trouve
une preuve de cette intoxication dans ce fait que, dans les cas oîi l'étranglement
amène un anus contre nature, le simple écoulement libre des matières fécales
suflit à produire la fin des accidents, alors que cependant la constriction existe
encore. On peut objectera cotte opinion qu'il est difficile de s'expliquer com-
ment les accidents se montrent en trois ou quatre jours dans l'étranglement,
tandis que certaines constipations ou obstructions intestinales peuvent durer
un temps triple ou quadruple sans déterminer les mêmes symptômes. Cepen-
dant, il est certain que la rétention des produits de décomposition que peut
renfermer l'intestin, et les microbes nombreux qu'il contient, peuvent déter-
miner des phénomènes graves. De plus, l'altération des parois intestinales peut
faciliter cette absorption, ainsi que le prouve la découverte, par ÎS'epveu, dans le
liquide du sac herniaire et même dans la sérosité abdominale, de microbes
évidemment transsudés à travers la paroi de l'intestin, comme le cercomonas
inteslinalis, par exemple. Néanmoins cette hypothèse manque de preuves posi-
tives et ne rend pas complètement compte de ce qui se passe dans tous les cas.
On peut rapprocher de cette théorie celle qui attribue la mort à la production
d'un péritonite seplique, ou plus exactement d'une septicémie péritonéale. On
sait, depuis longtemps, la facilité qu'ont les séreuses, et le péritoine en particulier,
pour l'absorption des matières sepliques. Gaillardon avait signalé dans sa thèse
en 1805 une sorte d'infection péritonéale qu'il avait décrite sous le nom de
péritonite latente. Nous avons vu que Gosselin l'avait soupçonnée et presque
admise, dans certains cas où la kélotomie avait été suivie de mort. Armand
Després, en 1871, à la Société de chirurgie, avait repris l'opinion de Bretonneau
de Tours, qui prétendait que, dans l'étranglement, les tuniques intestinales
laissent transsuder le liquide stercoral, qui s'introduit dans le péritoine où il
est promptement absorbé et, dans ces cas, la mort serait aussi rapide qu'après
une perforation intestinale. Cette explication avait du reste été déjà soutenue
par son père, Llesprés, le chirurgien de Bicètre, à la Société anatomique (1845).
Celui-ci croyait que la péritonite provient dans l'étranglement « du passage par
osmose à travers les tuniques intestinales des liquides contenus dans l'anse ».
Il est évident qu'il y a là une erreur, et que le liquide stercoral ne transsude
pas en nature de l'intestin dans le péritoine ; mais il peut y avoir une absorp-
tion de matières septiques par la séreuse. Cette septicémie péritonéale, aujour-
d'hui bien connue, qui se rencontre à la suite de toutes les opérations ouvrant la
cavité abdominale et que Levrat a bien étudiée dans sa thèse de doctorat (1880),
a été aussi décrite par Momon, qui l'a observée dans deux cas de hernie étran-
glée, mais seulement après la kélotomie (thèse de Paris, 1882). Or, si son
existence est bien prouvée après l'opération, ne peut-on admettre qu'elle existe
aussi dans l'état d'intégrité du tégument? Momon croit que les germes septiques
ont été apportés pendant l'opération par l'air extérieur, mais les travaux de
Nepveu ont démontré qu'il n'était nul besoin que le péritoine ait été ouvert
pour qu'on rencontre des bactériens nombreux dans la sérosité péritonéale.
Aussi, nous serions tenté de croire que cette absorption particulière, par le
péritoine, des produits septiques provenant de l'intestin, peut, dans certains
cas, expliquer la mort.
D'autres auteurs ont, au contraire, cherché dans des lésions plus localisées,
et portant sur des viscères importants, la raison de la terminaison fatale. Au
premier rang il faut compter le professeur Verneuil, qui, avec ses élèves Ledoux
HERNIES. 797
(1873), Mullois (1881) et Roux (Montpellier, 1886), a cru pouvoir afiîrmer
que, dans bon nombre de faits, la mort était due à la production de congestions
pulmonaires plus ou moins intenses et généralisées, pouvant même aller jusqu'à
la production de véritables inflammations pulmonaires et broncho-pulmonaires
(Roux). Il est certain que, dans plusieurs observations, et surtout dans celles où
les phénomènes nerveux sont le plus accusés, et s'accompagnent d'algidité, on
a trouvé, à l'autopsie, les lésions pulmonaires qui ont été décrites et rattachées
justement à l'étranglement par M. Yerneuil. Quand elles existent, elles amène-
raient la mort, d'après ce maître, par l'obstacle qu'elles apporteraient à l'héma-
tose. Enfm elles seraient dues à l'irritation des plexus nerveux de l'intestin,
qui causerait, par irritation réflexe du grand sympathique, la vaso-dilatation et
la congestion des vaisseaux du poumon. Cette théorie s'appuie encore sur les
expériences de Carvile, qui aurait, en liant chez des animaux une anse intes-
tinale, produit de la congestion pulmonaire. Tous les chirurgiens admettent
aujourd'hui que le mécanisme invoqué par M. Yerneuil, et que nous avons
déjà étudié, doit entrer en ligne de compte parmi les causes de la mort;
que ces lésions pulmonaires contribuent à produire l'algidité, la cyanose, dont
l'apparition coïncide avec celle de l'invasion pulmonaire, laquelle disparaît le
plus souvent quand l'étranglement a été levé, tout en lui survivant dans certains
cas pendant un certain temps. Nous verrons, du reste, que le système nerveux
paraît jouer un rôle important dans leur production.
Dans certains cas, au contraire, c'est aux troubles constatés dans la sécrétion
urinaire qu'on a rapporté les causes de la mort. Sans vouloir revenir sur la
pathogénie de l'albuminurie et de la glycosurie dans l'étranglement, qui
réclament encore des recherches plus nombreuses, il est absolument prouvé
aujourd'hui que, chez certains malades, on constate une diminution souvent
considérable de la quantité d'urine, pouvant même aller jusqu'à l'anurie com-
plète. Or celte oligurie a été diversement expliquée. Pour Barlow, elle tiendrait
au siège de l'obstacle près de l'estomac et à ce que les liquides, par ce fait, ne
peuvent être absorbés en quantité suffisante. Pour Habersohn elle serait due à
la spoliation des liquides que fait sans cesse subir à l'organisme chaque vomis-
sement. Canac, à son tour, rappelle, pour l'expliquer, que d'après les expériences
de Claude Bernard, d'Eckhard, de Vu! pian, l'excitation du bout périphérique
du grand splanchnique arrête la sécrétion urinaire, et fait pâlir les vaisseaux
du rein. Il est donc probable, que, si l'urine ne se sécrète pas, il peut et il
doit y avoir de l'urémie. D'ailleurs cette cause de la mort a été quelquefois
invoquée, par exemple, dans l'observation n" 9 de la thèse de Mullois, dans
laquelle, une lésion des reins étant constatée, le professeur Yerneuil n'a pas
hésité à attribuer la mort à l'urémie. C'est aussi l'opinion émise par Ch. Monod
à la Société de chirurgie, à propos d'une observation d'étranglement suivi de
mort, présentée dans la séance du .17 mars 1886. 11 paraît très-acceptable
d'ailleurs que, dans les cas où, avec un étranglement, il y a eu suppression plus
ou moins totale des urines et congestion violente des reins constatée à l'autopsie,
l'urémie puisse être regardée, avec raison, comme la cause de la mort.
Enfin, pour en terminer avec cette question, il nous reste à faire connaître le
rôle attribué au système nerveux par un assez grand nombre de chirurgiens.
Nous n'avons pas à revenir ici sur les symptômes multiples, qui sont impu-
tables au système nerveux dans l'étranglement. Nous y avons suffisamment
insisté déjà, nous voulons seulement rappeler que, lorsque ces signes existent,
798 HERNIES.
c'est à un trouble profond du système nerveux que beaucoup d'auteurs attri-
buent la mort, dans les cas où l'autopsie ne révèle pas de désordres matériels
suffisants pour en rendre compte. C'est certainement ainsi qu'il faut com-
prendre l'épuisement nerveux des anciens auteurs.
A propos de ces cas, Gubler écrivait en 1846 : « On ne peut douter que
l'ébranlement excessif, communiqué au grand sympathique tout entier, soit
désormais incompatible avec l'exercice régulier des grandes fonctions, et
devienne la condition prochaine et la cause véritable de la cessation de la vie ».
Duplay, à la Société de chirurgie, 1881, pense que la mort peut être due à
l'étranglement seul, sans s'expliquer autrement sur ce qu'il entend par le mot
étranglement. Dans la même séance. Le Fort admettait que le système nerveux,
surtout le grand sympathique, a une part incontestable dans la mort. Le Dentu
a soutenu [Journal de thérapeutique, 16 aoîit 1876) que : «L'irritation de
l'intestin inhérente à la constriction est ici la cause de la mort la plus effi-
cace, la plus rapide, la plus ordinaire ». Enfin G. Richelot a dit, dans une cli-
nique publiée dans V Union médicale, 1885 : « L'hypothermie, la dépression des
forces n'est pas liée à la souffrance du péritoine ; elle n'est pas, comme le vou-
drait M. Verneuil, le symptôme d'une congestion rénale ou pulmonaire; elle est
en relation directe avec la compression nerveuse de l'intestin, qui agit sur les
centres et suspend ainsi tous les actes nutritifs. On meurt souvent de périto-
nite, mais on meurt d'étranglement; l'algidité, c'est l'étranglement ». Et il
répète ailleurs : « Ce qui est trop souvent irrémédiable . . . , c'est la dépression
nerveuse qui est l'effet direct et le phénomène essentiel de l'étranglement, qui
arrive toujours, si la compression des nerfs de l'intestin se prolonge, et qui fait
échouer presque latalement les opérations tardives, alors même que l'anse
intestinale et tous les viscères sont indemnes de lésions ». On le voit donc, pour
certains auteurs, c'est l'altération profonde du système nerveux, causée par la
compression prolongée des nerfs de l'intestin, qui suffirait seule à amener des
désordres nutritifs incompatibles avec l'existence, et qui donnerait la clef de
tous les désordres viscéraux, autres que les intoxications septiques. Quanta indi-
quer le mécanisme intime de cette altération fonctionnelle, puisque, jusqu'à
présent, les altérations matérielles des nerfs intestinaux n'ont, pour ainsi dire,
jamais été observées, nous ne pouvons pas encore le faire d'une manière absolu-
ment certaine. 11 est probable que l'excitation portée sur le grand sympathique
et le pneumogastrique, qui se partagent l'innervation intestinale, est transmise
jusqu'au bulbe, et que de là, par voie réflexe, elle réagit sur les principaux
organes. Mais ce n'est là qu'une hypothèse encore incomplètement démontrée, et,
cepoint,commebien d'autres encore, nécessite de nouvelles et sérieuses recherches.
Causes et pathogéme de l'étua.\gi.ement. A. Étiologie. Avant d'aborder
directement l'étude des causes de l'étranglement, nous devons faire observer
que cet accident peut apparaître dans des conditions très- variables. On peut
avec S. Duplay distinguer quatre ordres de faits :
1» La hernie s'étrangle au moment où elle se produit. Malgaigne et Gosselin
ont démontré que cet étranglement d'emblée ne s'observe guère que dans cer-
taines hernies inguinales congénitales.
2» Fréquemment, une hernie qui existe depuis plus ou moins longtemps,
mais qui est habituellement bien maintenue, sort brusquement, et l'intestin qui
descend dans le sac s'y étrangle aussitôt.
Z" Tout aussi souvent, des hernies réductibles, mais habituellement mal
HERNIES. 799
réduites et mal maintenues, par ignorance, ne'gligence, ou bien parce que la
contention en est difficile, peuvent subitement augmenter de volume, et bientôt
apparaissent les accidents de l'étranglement. Souvent, les pliénomènes qui ont
précédé l'apparition des symptômes de l'étranglement ont passé inaperçus pour
le malade.
4» Enfin, quelquefois, la hernie est depuis longtemps irréductible. Elle déter-
mine à peine quelques troubles locaux, tels que de la gêne, des douleurs, des
coliques, puis, peu à peu, surviennent progressivement tous les signes d'un
étranglement.
Les deux premiers groupes de faits constituent ce que l'on désigne sous le
nom à.' étranglement primitif; les autres forment la variété dénommée étran-
glement consécutif. Cette distinction a beaucoup perdu de son importance.
Les causes de l'étranglement se divisent en prédisposantes et occasionnelles :
a. Prédisposantes. Il faut compter au premier rang Yâge et le sexe. Les her-
nies paraissent s'étrangler beaucoup plus fréquemment à l'âge adulte que chez
les enfants et les vieillards. On observe, cependant, l'étranglement chez les
enfants, mais il est tout à fait exceptionnel. Dans la vieillesse, il se produit
rarement, ce qui paraît tenir à la laxité habituelle des anneaux et des collets
dans les hernies de cet âge, mais il se rencontre plus fréquemment que dans
l'enfance.
Quant au sexe, il paraît résulter des relevés de Textor et de Gosselin que
l'étranglement est plus fréquent chez la femme. Ces deux auteurs ont, à la
vérité, constaté cet accident en nombre à peu près égal dans chacun des sexes,
mais, comme, d'autre part, nous savons que les hernies sont beaucoup plus fré-
quentes chez l'homme que chez la femme, il s'ensuit que le sexe féminin est
plus sujet y l'étranglement. Cela tient, probablement, à la grande proportion chez
la femme de la variété crurale dont l'étranglement est très-fréquent.
Malgaigne a placé au nombre des causes prédisposantes l'humidité de l'at-
mosphère. D'autres auteurs ont invoqué les affections chroniques du tube
digestif. Mais rien, dans les faits observés, n'a confirmé la réalité de ces influences.
Il en est à peu près de même des écarts de régime, repas copieux, ingestion
exagérée de boissons, etc. Cependant, dans un certain nombre d'observations, et
principalement dans les hernies diapbragmatiques, les ombilicales et les épigas-
triques, où la tumeur peut contenir une partie de l'estomac, ou une portion
élevée du tube intestinal, cette cause a été signalée parmi les circonstances qui
ont produit les phénomènes d'étranglement.
Les causes prédisposantes anatomiques paraissent avoir plus d'importance.
Elles comprennent les modifications subies par les anneaux et le collet du sac.
Il est bien évident que dans les hernies bien maintenues, où les anneaux restent
et deviennent épais, rigides, peu extensibles; quand, en même temps, le collet
a subi ce travail de resserrement naturel si bien décrit par J. Cloquet et Demeaux,
ces conditions constituent une prédisposition sérieuse, pour l'étranglement des
viscères qui sortiront avec une certaine violence. Il résulte, d'ailleurs, de ces
dispositions anatomiques, que les hernies petites sont plus sujettes à l'étrangle-
ment que les moyennes, et les moyennes que les grosses. Néanmoins, les plus
volumineuses peuvent elles aussi être atteintes par cet accident, et il serait dan-
gereux de croire qu'on ne doit pas le redouter, lorsqu'on se trouve en présence
d'une très-grosse hernie. Les variétés congénitales y sont plus prédisposées que
les acquises. Il faut se rappeler que le petit volume et la contention parfaite sont
•800 HERNIES.
des circonstances qui favorisent l'étranglement, mais il faut se souvenir aussi
que toutes les hernies, même les irréductibles par adhérence, sont susceptibles
de devenir étranglées.
Ajoutons enfin, en terminant, que les causes qui prédisposent le plus à l'étran-
glement favorisent en même temps une constriction plus grande. Ainsi ordi-
nairement, plus la hernie sera petite, plus l'étranglement sera serré, mieux elle
sera maintenue, plus la stricture sera énergique.
p. Causes occasionnelles. Sous ce nom, on peut désigner certaines circon-
stances qui paraissent avoir souvent précédé et amené l'issue brusque de la
hernie et son étranglement. Ce sont ordinairement des efforts, quelquefois
brusques et exagérés, d'autres fois habituels et répétés, comme une marche trop
prolongée, une course, une position forcée, une chute, un coup. En général, ces
causes sont les mêmes que celles qui produisent les hernies, c'est-à-dire toutes
les circonstances qui, en amenant une exagération brusque et rapide de la pres-
sion abdominale, facilitent l'issue d'une notable quantité d'intestin au dehors de
l'abdomen.
Mécanisme de l' étranglement. Maintenant que nous avons étudié l'étran-
glement dans tous ses détails, que nous avons vu les agents qui le causent, les
lésions qu'il détermine, ses symptômes, son évolution et les circonstances qui le
produisent, il nous reste à rechercher les phénomènes intimes de son méca-
nisme, c'est-à-dire à savoir pourquoi l'anse herniée devient subitement irréduc-
tible et si les lésions observées peuvent être considérées comme le résultat ou
la cause de cette irréductibilité.
Nous avons vu que l'étranglement a été longtemps méconnu, et que ce n'est
guère que depuis la fin du dix-septième siècle que cet accident a pris parmi
les complications des hernies la place prépondérante qu'il mérite d'occuper. Dès
que son existence a été acceptée, les chirurgiens se sont efforcés d'expliquer sa
pathogénie. La première théorie est celle de Goursaud, qui a cru que les deux
formes cliniques qu'il avait décrites, devaient tenir à une différence étiologique.
De là, sa division en étranglement par inflammation et étranglement par engoue-
ment. Dans le premier cas, il admettait le gonflement inflammatoire de l'anse her-
niée; dans le second, l'obstruction causée par l'accumulation des matières fécales.
Richler, le premier, chercha à expliquer l'étranglement par des phénomènes
purement mécaniques, et ceux-ci pouvaient être légèrement différents. Dans un
premier ordre de faits, il croyait que l'intestin était serré par l'anneau herniaire
qui, s'étant laissé distendre par le passage d'une trop grande quantité de vis-
cères, revenait sur lui-même en vertu de son élasticité : c'était ['étranglement
élastique. Dans un second groupe de cas, l'incarcération était due à la dimi-
nution du calibre de l'orifice par les contractions spasmodiques des fibres du
muscle grand oblique qui se continuent avec ses piliers : c'était Yétrangleme:}it
spasmodique. Dans les deux variétés, l'anneau seul jouait un rôle actif.
Or cette action propre des anneaux est aujourd'hui à peu près complètement
rejetée, du moins en ce qui touche à Y étranglement spasmodique, qui a été seu-
lement défendu par Richter et dont on a bien vite démontré l'inexactitude. De
plus, un nouvel élément a été ajouté à la question par la découverte de l'étran-
glement par le collet qui fit voir que, dans certains cas, aucune part d'action ne
peut être laissée aux anneaux. D'ailleurs Scarpa avait déjà fait jouer un certain rôle
à la disposition particulière des viscères et il croyait que souvent l'étranglement
pouvait être expliqué par la torsion de l'anse au niveau du pédicule, théorie
HERNIES. 8)1
renouvelée de Pigray, et aussi par la conclure brusque de cette anse. Puis
bientôt les recherches de J. Cloquet et Cruveilhier démontrèrent que les anneaux
fibreux ne possédaient aucune contractilité. Le seul rôle actif laissé à ces orifices
est celui qui a été assigné par Gerdy surtout aux anneaux accidentels, c'est-à-
dire la possibilité d'un certain degré de rétraction, propriété commune à tous
les tissus fibreux en voie d'évolution. Enfui, les viscères, le mésentère, les gaz
contenus dans l'anse herniée, ont été aussi, tour à tour, regardés comme jouant
un rôle important dans la production de l'étranglement : de là une série de
théories mécaniques de Roser, Lossen, Busch, Berger, Korteweg, etc., que nous
aurons à passer en revue.
Mais, à côté de cet obstacle mécanique, seul indiscutable, il existe un certain
nombre de faits d'un autre ordre, que Broca a opposés aux précédents sous le
nom de phénomènes dynamiques, et qui peuvent être considérés tantôt comme
la réaction de l'anse herniée contre l'obstacle, tantôt, au contraire, comme la cause
des cbangements de volume qui expliquent l'incarcération en face de la passi-
vité des anneaux. Ce sont les lésions inflammatoires, dont nous avons constaté
l'existence, aussi bien dans le sac que dans l'intestin, dans tous les cas d'étrangle-
ment. Malgaigne, donnant à ces phénomènes une part prépondérante, crut que, dans
a plupart des cas, les faits les plus importants étaient ces lésions inflamma-
toires; il pensait que l'étranglement mécanique devait être rejeté, et que les
pseudo - étranglements , c'est-à-dire l'inflammation et la péritonite herniaire,
étaient les causes de tous les accidents. Broca, qui poussa à l'excès cette théorie,
alla même jusqu'à admettre que l'inflammation était la cause déterminante de
tous les étranglements.
Aussi, cette exagération fut vivement combattue par Gosselin, qui, voulant
redonner la première place aux phénomènes mécaniques, restreignit, peut-être
un peu trop, à son tour, la doctrine des pseudo-étranglements et l'influence des
lésions inflammatoires.
Aussi, à notre tour, pour tâcher de rendre compte de tous les détails patho-
géniques, et de faire la part équitable des phénomènes mécaniques et dyna-
miques dans cet accident, nous décrirons, à l'exemple de S. Duplay : A, les
conditions mécaniques de l'étranglement; B, les phénomènes dynamiques qui
concourent à déterminer l'étranglement ou à l'exagérer.
A. Conditions mécaniques de l étranglement. Les théories que nous allons
successivement examiner sont toutes nées de ce fait qu'il est difficile d'ad-
mettre toujours la réalité de V étr anglement élastique de Richter. L'explication
donnée par cet auteur est séduisante : l'intestin descend en plus grande abon-
dance, par suite il force l'anneau, et l'élasticité de celui-ci, quand il revient
sur lui-même, étranglera fatalement un pédicule devenu plus gros. Malheu-
reusement, elle repose sur l'élasticité des anneaux, et celle-ci, si elle existe, est
si limitée, que l'on est presque en droit de les considérer comme complètement
ric^ides. Alors comment s'expliquer que l'on trouve dans le sac un contenu si
volumineux par rapport à l'étroitesse de l'orifice? De là, plusieurs théories,
ayant toutes, du reste, une origine expérimentale, et qui ont été l'objet d'une
excellente étude critique de la part de M. Paul Berger dans les Archives gêné'
raies de médecine (1876), à laquelle nous allons faire de nombreux emprunts.
La première de ces théories mécanique, est celle de 0. Beirne (de Dublin)
(1858). On pourrait l'appeler la théorie de l'étranglement gazeux : elle repose
sur l'expérience suivante, si bien décrite par M. Gosselin : « On fera dans un carton
DICT. KNC. i° S. XIII. 51
8(2 HERNIES.
épais de o millimètres environ un trou de la longueur d'une pièce de 50 centimes,
et l'on engage dans ce trou une anse intestinale de manière à avoir la convexité d'un
côté du trou et les deux bouts du côté opposé. On engage une sonde dans un
de ces bouts, on la maintient avec une ligature et on pratique l'insufflation.
Tant qu'on souffle lentement l'air passe du bout supérieur dans l'inférieur et
l'anse n'est pas incarcérée : mais, si l'on vient à soufller fort et à établir ainsi un
courant rapide, l'anse se distend [tromptement au delà du trou, l'air ne peut
plus passer par le bout inférieur et ne peut pas même regagner celui par lequel
il est entré au moyen d'une pression forte et prolongée. Par le fait même de la
distension, l'anse intestinale vient s'appliquer^sur le contour de l'ouverture et
s'y trouve étranglée. »
Celle expérience bien connue, et qui est la base de toutes les théories, indique
un fait vrai, le volume exagéré de l'intestin par suite de l'accumulation gazeuse.
L'étranglement serait alors produit par l'accumulation brusque des gaz dans
l'anse berniée, et qui par le fait même de sa distension deviendrait irréduc-
tible. Cependant c'est plutôt là un fait q.u'une explication. Comment comprendre
l'irréductibilité de l'anse passée au travers d'un anneau inextensible lorsqu'en
l'insufllant on la distend brusquement? La première explication se trouve dans
la théorie d'un chirurgien allemand, Roser, parue en 1856, Il attribua l'irréduc-
tibilité à un mécanisme de valvules faisant soupapes et fermant la route au con-
tenu de l'intestin. Quand une anse passe au travers d'un orifice étroit, ses deux
bouts subissent une coarctation qui réduit leur cavité à un trop faible calibre.
Les valvules conniventes, situées au voisinage des orifices d'entrée et de sortie
dans l'anse, se rabattent sur eux. Les matières, qui cherchent à pénétrer dans
la partie herniée soulèvent facilement les valvules et s'y introduisent aisément,
mais celles qui sont contenues dans l'intérieur de cette anse tendent, par leur
pression, à appliquer plus exactement les valvules sur les orifices et ne peuvent
forcer le passage.
Cette théorie est passible de certaines objections : d'abord, dans les expériences,
on injecte le liquide par la convexité de l'anse herniée, ce qui est loin de
reproduire les conditions de l'étranglement ; de plus, on n'a pas démontré suf-
fisamment le degré de résistance de ces valvules. Enfin, on a fait des expériences
avec des intestins d'animaux dépoiu'vus de valvules, et des tubes de caoutchouc
lisse, et on a produit tout de même l'occlusion. Certaines préparations anato-
miques démontrent bien, à la vérité, que les valvules peuvent prendre la dispo-
sition indiquée par Roser, mais d'autres font voir que souvent cette disposition
n'existe pas : il faut donc chercher ailleurs une théorie exacte; celle-ci, du
reste, 'ne rend pas compte de l'étranglement du gros intestin.
Ces diverses objections ont poussé certains chirurgiens à chercher une autre
explication de l'étranglement. Aussi M. Rush a-t-il émis bientôt une nouvelle
théorie. Comme il avait remarqué que, dans l'expérience de 0. Beirne, à la suite
de la distension de l'anse herniée, il se formait une coudure à angle plus ou
moins aigu du bout inférieur au sortir du pédicule formé par l'anneau constric-
teur, il crut que cette coudure causait seule l'occlusion intestinale. L'idée
d'ailleurs n'était pas nouvelle. Scarpa, dans l'édition de 1813 de son Traité
des hernies, avait fait jouer, dans le mécanisme de l'étranglement, un
rôle considérable à la flexion de l'intestin. Après avoir dit que l'anse herniée
est ordinairement remplie par des gaz et des flatuosités, il ajoute : « L'anse
distendue fait, de part et d'autre du sac et de son collet, un angle aigu, parfois
IlERiNIES. a05
même très-aigu, avec l'intestin contenu dans le ventre : la cause véritable de
l'étranglement réside dans la production de cette courbure angulaire. » De plus,
ce mécanisme est encore invoqué par Chassaignac dans cette forme d'étrangle-
ment par vive arête, dans lequel il admet une coudure brusque de l'intestin sur
une arête, siégeant au niveau de l'orifice herniaire, sur le ligament de Gim-
bernat, par exemple.
Bush, à son tour, explique la production de la courbure par le mécanisme
suivant : une anse herniée se continue au dehors du sac avec le reste de l'in-
testin par des courbures régulières ; si on augmente brusquement, par une
injection faite par le bout supérieur, la pression dans cette anse, elle tendi ài
redresser sa courbure et à devenir rectiligne. « L'anse, en se redressant, dit
Berger, et en s'allongeant par le fait de ce redressement, tire sur le bout
inférieur engagé dans l'anneau et en détermine la brusque coudure en l'appli-
quant contre le contour de l'orifice herniaire. Les matières ne peuvent traverser
la partie coudée pour ressortir par le bord inférieur ; l'occlusion est produite. »
Mais cette théorie ne rend nullement compte, en admettant qu'elle soit exacte,
de l'occlusion du bout supérieur. Bush a Lien essayé une explication assez em-
barrassée, une diminution subite, mais un peu vague, de la tension dans- le
bout supérieur, et grâce à laquelle l'excès de pression, qui existe dans l'anse
herniée, produirait à ce moment une courbure de ce bout supérieur analogue
à celle qu'il admet déjà pour l'inférieur. Les expériences de Bush, faites surtout
avec des tubes en caoutchouc, n'entraînèrent pas la conviction. Aussi une nou-
velle théorie se montra bientôt. Elle est due à Hermann Lossen et résulte,
comme la précédente, d'une interprétation nouvelle de l'expérience de 0. Beirn,
mais, d'après Berger, d'une interprétation plus attentive. Lossen, en la répétant^
distend l'anse herniée avec de l'air ou une injection solidifiable au suif, et il5
laisse sécher la préparation pour l'étudier. On s'aperçoit alors que l'anneauîesfct
rempli en totalité par le bout supérieur distendu qui écrase, pour ainsi dire,
contre lui le bout inférieur et le mésentère. De là, il conclut que le bout sapé-
rieur dilaté comprime le bout inférieur dans l'anneau et détermine l'occlusion,,
l'accroissement de volume de la hernie et l'irréductibilité. Malheureusement
cette théorie ne rend pas compte, elle non plus, de la manière dont se ferme,
à son tour, le bout supérieur. Lossen suppose alors que les pressions extérieures-
exercées sur l'anse herniée attirent une nouvelle portion d'intestin dans le sac
avec son mésentère. Celle-ci, s'introduisant dans la poche herniaire en [)ropor-
tion plus considérable, finirait par la boucher à la manière d'un coin, et oblité-
rerait en même temps le bout supérieur. Le défaut de cette théorie est de faiiet^
intervenir la nécessité de pressions extérieures alors que l'étranglement se pro-
duit rapidement et spontanément de toutes pièces. Roser et Bidder l'attaquèrent
vivement, en soutenant contre elle la théorie valvulaire. Bush et le professeur
Kocher (de Berne) se prononcèrent énergiquement pour l'étranglement par
brusque coudure. Berger objecte que, si ce bouchon mésentérique qui achevée
l'étranglement a la forme d'un coin à base tournée vers l'abdomen, « la moindiiee
traction exercée sur le mésentère dans le ventre devra, grâce à la forme de cee
bouchon, le dégager de l'orifice où il est enclavé par la pointe, le faire rentrer
dans le ventre et rendre libres l'un ou les deux bouts de l'anse herniée. »
Aussi Berger, à la suite de ses expéiiences personnelles, qui sont des répéti-
tions avec modifications diverses de celle de 0. Beirne, a-t-il imaginé, à son
tour, une nouvelle théorie, dans laquelle le mésentère joue le rôie prmcipal,
804 HERNIES.
mais d'une manière différente que ne l'avait cru Lossen. Pour lui, dans la hernie
il s'introduit une certaine quantité de mésentère accompagnant l'intestin, mais
qui pénètre peu à peu et sans trop rétrécir l'anse herniée; le mésentère se plisse
et constitue comme une sorte de coin à base tournée vers la hernie à sommet
pénétrant dans l'anneau. « Ce coin comprime les bouts de l'intestin engagé
dans l'oritice herniaire et en détermine l'affaissement : l'occlusion est alors
complète, car la traction exercée par le mésentère ne peut faire repasser la porte
à l'intestin gonflé par les gaz, et celui-ci ne peut s'échapper par les extrémités
de l'anse qui éprouvent de la part du mésentère une compression proportion-
nelle à la traction qu'il subit. » Cette traction s'exerce sur la partie moyenne
de l'anse qu'elle tend à rapprocher violemment de l'orifice herniaire, aussi
détermine-t-elle peut-être cette coudure brusque des deux extrémités signalée
par Bush.
Berger résume donc comme suit ce qui se passe dans l'étranglement, dont il
croit le mécanisme très-complexe. La compression du bout supérieur sur l'infé-
rieur détermine l'affaissement de celui-ci et produit l'occlusion. Alors l'exagé-
ration de tension dans l'anse herniée attire du côté du bout supérieur, resté en
communication avec le reste de l'intestin, des portions de plus en plus considé-
rables d'intestin suivies du mésentère qui s'y insère et qui rétrécit la lumière
de ce bout supérieur, mais sans l'oblitérer complètement. Au moment où la
tension diminue dans le bout supérieur, le mésentère qui, en vertu de son élasticité
propre, tend à revenir dans l'abdomen, exerce des tractions sur le bord concave
de l'anse et tend à la réduire en masse. Mais, en cherchant à forcer le passage, il
s'introduit par le sommet du coin qu'il représente dans la porte herniaire, et
détermine l'occlusion complète du bord supérieur et de l'inférieur. Alors peut-
être se fait-il des coudures comme Bush l'a décrit; peut-être aussi les valvules
conniventes jouent-elles le rôle que leur a attribué Roser, mais ce sont là des
faits secondaires.
Cette théorie de Berger, qui est adoptée par S. Duplay, a été suivie de celle de
J.-Â. Korteweg, qui n'en est du reste qu'une modification. Ce dernier auteur
croit que, dans les hernies, le bord mésentérique de l'intestin se laisse moins
entraîner que le bord convexe, et que les tractions exercées sur l'anse par le
mésentère produisent un certain défaut de parallélisme des parties contenues
dans l'anneau. De là une sorte de repli de la paroi intestinale formant une
bride saillante qui jouerait le rôle de soupape, de valvule, comme dans la théorie
de Roser. Au dire de Berger, cette nouvelle théorie confirmerait ses propres
recherches, en démontrant que le mésentère joue un rôle important dans la
production de l'étranglement.
En admettant l'exactitude de la théorie mécanique de Berger, avec ou sans
la modification de Korteweg, il est bien évident qu'elle ne peut rendre compte
de tous les cas, et en particulier des faits de pincement latéral, dans lesquels
une portion seule de la paroi est étranglée et où il n'y a pas de mésentère dans
la hernie. Aussi, pour ces faits. Berger admettrait avec Lossen, le mécanisme
de l'étranglement élastique de Richter. Il pense en même temps que cette expli-
cation peut convenir aux hernies qui s'étranglent d'emblée au moment où elles
se produisent, comme certaines hernies congénitales, par exemple, et à celles
qui, maintenues ordinairement réduites, sortent un jour et deviennent étran-
glées. C'est, en effet, la seule explication qui rende compte de l'incarcération
dans les cas que nous venons de citer, et on n'a même jusqu'à présent trouvé
HERNIES. 8C5
aucune théorie meilleure pour les hernies avec pincement late'ral où l'énergie
de la constriction, malgré le petit volume de la portion serrée, a permis de sup-
poser une sorte de pénétration de vive force.
Ajoutons enfin que, dans certains cas, on a réellement constaté l'existence
d'une torsion de l'anse sur elle-même, comme Pigray et Scarpa, après lui,
l'avaient imaginé sans en avoir donné de preuves réelles. Cependant o Maunoury,
Laugier, plus récemment de Roubaix, dans des autopsies, Molle dans quelques
expériences, trouvèrent la confirmation de ces vues. Mais il s'agissait évidem-
ment dans ces cas d'étranglements survenus par un mécanisme exceptionnel »
(S. Duplay).
B. Phénomènes dynamiques qui concourent à déterminer l'étranglement
ou à l'exagérer. Dès que l'obstacle matériel existe, quel que soit le mécanisme
qui l'ait produit, il survient, par suite de la situation anormale de l'intestin et
de la constriction qu'il subil, un certain nombre de phénomènes qui sont
comme la réaction physiologique de l'organe saisi et qui concourent certaine-
ment à assurer l'irréductibilité et même à exagérer le degré de stricture.
Les premiers effets de la constriction intestinale sont traduits par une série
de phénomènes dits spasmodiques, et que l'on pourrait appeler mieux des
réactions fonctionnelles, parce qu'ils sont d'ordre réflexe. Ce sont une douleur
vive, des vomissements, du hoquet, et la tension et la dureté des parois abdo-
minales. Les vomissements, le hoquet, la gêne respiratoire, paraissent dus en
grande partie à des contractions spasmodiques et involontaires du diaphragme.
Quant à la tension des parois de l'abdomen, à leur dureté, elle tient bien évi-
demment à des contractions réflexes des muscles de ces parois, sous l'influence
de la douleur. 11 résulte naturellement de toutes ces contractions musculaires
une augmentation manifeste de la pression inlra-abdominale. Son importance
a été mise en lumière par M. Guyton, puis par 3L Bertliolle (1858). Elle peut
augmenter l'irréductibilité de deux manières. En premier lieu elle résiste effi-
cacement contre les tentatives de réduction. Broca a, en effet, rapporté des cas
où les parois de l'abdomen étaient dures et tendues, et dans lesquels, en pro-
duisant le relâchement de ces parois par l'anesthésie, on voyait la hernie se
réduire sous le moindre effort.
D'un autre côté, si, ce qui esl très-probable, le bout supérieur de l'anse
herniée n'est pas absolument oblitéré au début de l'étranglement, elle empêche
les gaz de l'anse étranglée de revenir dans ce bout supérieur, et même elle les
pousse en plus grande quantité dans la partie herniée, augmentant ainsi gra-
duellement le volume de la tumeur. C'est aussi, dans le même sens, que doit
agir l'exagération des mouvements péristalliques du bout supérieur constatés
expérimentalement chez les animaux sur lesquels on a fait une ligature d'une
anse intestinale.
Cette contracture des muscles abdominaux n'est pas constante, ainsi que nous
l'avons déjà vu; quoi qu'il en soit, quand elle existe, elle est remplacée au
bout de quelques jours par du ballonnement et, à ce moment, il n'y a aucune
diminution de ki pression extra-abdominale.
D'ailleurs, à ces premiers phénomènes s'ajoutent bientôt des lésions anato-
miques qui portent sur l'intestin, le mésentère et l'épiploon, et qui rendent la
réduction encore plus difficile. Ces lésions ont été quelquefois considérées
comme la véritable cause de l'irréductibihté, d'autres fois comme n'ayant à ce
sujet aucune influence-
800 HERNIES.
Du côté de l'inteslin, ces lésions portent sur les parois, le contenu et la
surface. Nous allons rapidement les e'numérer. Les parois présentent une con-
gestion qui se complique bientôt de gonfiement œdémateux, d'infiltration
saTîgnine, et quelquefois de petits points de suppuration. Le résultat de ces
lésions est de produire un épaississement manifeste, et par suite une augmen-
tation de volume de la hernie qui rend [ilus difficile encore la réduction. Broca
a insisté beaucoup sur ce facteur, qui est presque nié par Gosselin, lequel
n'accorde à peu près aucune importance à cet épaississement des parois intesti-
nales qu'il croit très-peu considérable. Berger, qui a fait des recherches à ce
sujet, en conclut qu'il existe, au bout de quelques jours, une tuméfaction très-
marquée des tuniques musculaire et muqueuse qui peut doubler l'épaisseur de
la paroi intestinale. Seulement, cet épaississement n'est pas, pour lui, le
résultat de l'œdème des 'diverses couches, mais, comme il est plus accusé au
voisinage de l'insertion mésentérique, il est d'avis qu'il est en partie causé par
linfiltratiou inflammatoire du mésentère et le dépôt de fausses membranes à sa
surface. Cependant quelquefois il peut y avoir œdème et inflammation de l'intes-
tin en dehors de la constriction par l'anneau, comme dans l'observalion déjà
citée de Trélat, de coudure à angle aigu de l'anse dans le sac, avec accoleraent
des deux branches du V par des fausses membranes. Quoi qu'il en soit, ce
gonflement est impuissant à causer à lui seul l'irréductibilité, mais il peut
contribuer à l'augmenter.
On en trouve la preuve dans l'existence presque constante du sillon d'étran-
glement que l'on observe, dans tous les cas de constriction assez étroite, sous
la forme d'un sillon circulaire déprimé, le plus souvent ecchymose, noirâtre,
quelquefois très-profond. « Il décèle, dit Duplay, un rétrécissement du canal
intestinal, augmente l'obstacle au cours des matières et s'oppose même d'une
façon plus directe à la réduction, en transformant la surface intestinale souple
et lisse en une surface anfractuense, qui vient s'emboîter en quelque sorte avec
l'agent d'étranglement. » Les lésions que l'on constate à la surface de l'intestin
sont peut-être plus importantes au point de vue du mécanisme de l'irréductibihté.
Elles sont de nature inflammatoire, débutent par une chute de l'épithélium de
la séreuse viscérale qui se reconnaît à un dépoli de sa surlace, pour aboutir
rapidement à la formation de fausses membranes. Celles-ci sont d'abord ghiti-
neuses, molles, puis deviennent de plus en plus organisées. Elles forment des
adhérences parfois résistantes entre les différentes parties contenues dans les
lieniies et quelquefois aussi entre le contenu et le sac. On comprend, sans qu'il
soit utile d'y insister, l'obstacle qu'elles peuvent créer à la réduction de la
hernie, non-seulement pendant le taxis, mais encore par la kélotoraie. Elles ont
en effet quelquefois nécessité des dissections longues, laborieuses et difficiles;
dans un cas même l'intestin dut être laissé au dehors.
Enfin, le contenu de cet organe est le siège de phénomènes qui se produisent
très-rapidement et apportent de nouveaux obstacles à la réduction. Nous savons
déjà que souvent l'anse étranglée est distendue par des gaz ; néanmoins dans
certains cas ils sont très-peu abondants. Mais presque toujours on y constate
une quantité assez notable de liquide dont la production est facile à expliquer.
Celui-ci est quelquefois rougeâtre, sanguinolent, parfois noirâtre, et peut être
considéré en partie comme le produit d'une transsudation abondante. Au mo-
ment de la constriction intestinale, les vaisseaux sont comprimés et la circula-
tion se trouve bientôt arrêtée dans les veines, tandis que les artères envoient
HERNIES. 807
encore quelque temps du sang dans cette anse dont les vaisseaux de retour sont
oblitérés. Il en résulte une congestion intense, et la pression vasculaire devient
si forte qu'il se fait, soit par les glandes, soit surtout à travers les muqueuses,
une exhalation abondante de liquide formé pour la plus petite partie par la
sécrétion glandulaire, et composé principalement de sérum sorti des vaisseaux.
Ce liquide devient bientôt assez abondant pour remplir et dilater l'anse licrniée,
et cela d'autant plus aisément que, dès le début des lésions, celle-ci est atone et
paralysée. Celte production de liquide peut accroître le degré de constriction en
augmentant le volume et la longueur de la portion d'intestin comprise dans
l'étranglement.
Quant au mésentère et à l'épiploon, ils sont surtout le siège de lésions
inflammatoires.
Le mésentère, qui subit souvent moins directement la constriction que les
bouts de l'intestin, peut être relativement indemne; cependant, en général, il est
augmenté de volume, il a perdu son élasticité, est congestionné et souvent revêtu
de néomembranes au niveau de son insertion sur l'intestin. Quant à l'épiploon,
il est ordinairement congestiouné, gonflé, épaissi, et, « de l'avis de tous les
auteurs, dit Berger, son gonflement peut devenir le point de départ de ce qu'on
a nommé étranglement consécutif, étranglement dans lequel l'éjiiploon tumélîé
écrase contre le contour de l'orifice herniaire les deux bouts de l'anse comprise
dans la hernie. »
Maintenant on pourrait encore rechercher s'il n'y a pas du côlé des anneaux
et du collet quelques modifications qui augmentent encore leur résistance et leur
inextensibilité. Les adhérences nombreuses et l'espèce de fusion qui existent
souvent entre ces deux parties semblent indiquer tout au moins la présence de
lésions inllaramatoires encore mal décrites et probablement secondaires que
nous ne pouvons qu'indiquer en passant.
Nous venons de voir que l'étranglement se traduit, au bout de peu de temps,
par des phénomènes et des lésions qui sont absolument constants, et dont l'en-
semble constitue ces phénomènes dynamiques que certains auteurs ont opposés
aux phénomènes mécaniques dont nous avons jusqu'ici étudié l'action. Il nous
reste maintenant à rechercher si ces lésions localisées doivent toujours être con-
sidérées comme la conséquence de la stricture, ou bien si, dans certains cas,
elles n'en seraient pas uniquement la cause. Ceci revient à rechercher quelle
part doit être attribuée, dans l'étranglement, à cliaque ordre de phénomènes,
aux mécaniques ou aux dynamiques.
Nous devons dire, dès le début, qu'il nous paraît absolument impossible de
eonsidérer les lésions inflammatoires observées au niveau du pédicule et de
l'anse herniée comme la seule cause de l'étranglement. Cette notion paraît
aujourd'hui hors de doute, mais cependant l'opinion contraire a été soutenue
par des chirurgiens de haute valeur : nous devons donc l'examiner. Droca, en
elfet, a avancé dans sa thèse, exagérant sur ce point la doctrine de Malgaigne,
que l'inflammation était la cause de tous les étranglements. Birkctt, dans le
System of Surgenj de Holmes, a attribué l'étranglement à une inflammation
ancienne de l'intestin, jouant le rôle de cause prédisposante.
Au point de vue de la cause réelle et de la pathogénie de l'irréductibilité, les
faits d'étranglement peuvent être divisés en plusieurs groupes.
Dans une première catégorie, la prédominance absolue des phénomènes pure-
ment mécaniques est indiscutable. Dans les étranglements avec pincement latéral,
808 HERNIES.
dans ceux qui se produisent en même temps que la première apparition de la
hernie, ou qui se montrent au moment de l'issue d'une hernie depuis longtemps
bien réduite et bien maintenue, il n'est possible de penser qu'à une constriction
purement mécanique : c'est l'étranglement élastique. 11 est soudain, immédiat,
et il est bien évident que, dans ces cas, les phénomènes inflammatoires, quand
ils existent, ne peuvent être que secondaires.
Dans un second groupe de faits, l'étranglement se produit aussi d'emblée ; ce
sont les cas oîi survient ce que Berger appelle l'étranglement par engouement,
en donnant à ce mot un sens bien différent de celui qu'il avait autrefois.
« L'intestin, dit-il, contenu dans la hernie, gêné par des anneaux ou par un
collet très-serré, reçoit tout à coup, dans sa cavité, les gaz ou les matières que la
pression abdominale croissant subitement expulse du bout supérieur; immédia-
tement on voit survenir le gonflement de l'anse, l'irruption dans la hernie de
nouvelles quantités d'intestin et de mésentère qui réduisent encore par leur
volume le passage étroit laissé à la réduction. Le bout supérieur comprime le
bout inférieur et empêche l'issue des matières et des gaz par ce bout inférieur;
le mésentère se tend, la traction qu'il exerce applique plus intimement les deux
bouts de l'anse herniée contre l'orifice herniaire et elle peut déterminer l'incar-
cération complète, soit en produisant la brusque coudure du bout supérieur,
soit en effaçant sa tumeur par la pression que le coin mésentérique contenu
dans le sac exerce sur les deux bouts de l'anse herniée. A ces faits il faut
joindre ceux d'étranglement par vive arête où, primitivement au moins, Ja
constriction ne paraît s'effectuer que sur le bout inférieur. » Ici aussi les phé-
nomènes mécaniques sont primitifs, et, s'ils sont nombreux et complexes, ils
suffisent seuls à expliquer l'incarcération et l'irréductibilité.
Dans un troisième groupe, se rangent les cas qui ont été désignés sous le nom
d'étranglements consécutifs. Ils désignent ordinairement des accidents survenant
d'une façon lente et insidieuse, dans des hernies le plus souvent volumineuses et
mal maintenues. Il est impossible de délimiter exactement le moment où ils
ont débuté, et c'est pour ces cas que Malgaigne a supposé que les phénomènes
inflammatoires jouaient le principal rôle. 11 y aurait alors des troubles graduels
et insensibles, un gonflement inflammatoire de plus en plus accusé, et par ce
mécanisme l'intestin viendrait lui-même, et secondairement, s'étrangler contre
un anneau ou un collet primitivement suffisant. Mais, même dans ces cas, où
l'élément inflammatoire est indéniable, pour expliquer le début des accidents
il a fallu faire intervenir une cause mécanique, un obstacle incomplet probable-
ment, mais primitif. Broca, qui plus que tout autre a étendu le rôle de l'in-
flammation dans l'étranglement, a écrit à ce sujet : « Le premier élément, c'est
l'arrivée d'une anse d'intestin dans une cavité dont l'orifice est notablement
plus étroit que le fond et est en même temps pourvu d'une certaine rigidité.
L'intestin se dilate plus ou moins tlans la cavité du sac; l'expansion des gai
qu'il renferme joue sans doute un rôle important dans cette dilatation. Le
pédicule de la hernie n'est pas encore étranglé, mais il est du moins com-
primé à un degré variable : dès lors sa circulation en retour est un peu gênée
et l'anse intestinale se congestionne. Le volume s'accroît un peu sous l'influence
de cet afflux. C'est alors qu'apparaît le deuxième élément, l'élément dynamique,
l'inflammation. »
Donc, même dans ces cas où le début des accidents échappe à l'observateur,
et où la part à faire à l'inflammation est beaucoup plus considérable que dans
HERNIES. 809
les groupes précédents, la nécessité d'un obstacle mécanique primitif est
reconnue. On peut donc conclure en réalité que, dans tous les étranglements,
avec des degrés suivant les cas, la nature, l'ordre et la gradation des accidents
sont toujours les mêmes.
Du reste, il est facile de faire la part des phénomènes mécaniques et des
faits dynamiques, dans les lésions et dans les symptômes observés.
Ainsi les lésions graves de l'intestin sont manifestement le résultat de la
constriclion et de l'innammation qu'elle y détermine. A la conslriction appar-
tiennent : la congestion, l'arrêt de la circulation sanguine, l'œdème, les ecchy-
moses, la transsudation des liquides dans l'épaisseur des tuniques et dans la
cavité de l'anse, et enfin la gangrène. De l'inflammation relèvent : la chute de
l'épilhclium péritonéal, l'exagération du liquide dans le sac, les néomembranes
et les adhérences. C'est à ce même ordre de lésions que l'on peut rattacher la
vascularisation, l'épaississement et les indurations que l'on constate sur le
mésentère et sur l'épiploon. Ces organes servent de coussin élastique pour
protéger l'intestin contre la stricture, tout en augmentant le volume du pédicule
herniaire et en facilitant l'occlusion du calibre intestinal.
Enfin, les troubles généraux, les désordres d'origine nerveuse, tels que
l'algidité, la cyanose, l'aphonie, les crampes et les vomissements, ne s'expliquent
pas par des phénomènes inflammatoires. Ce sont les résultats directs de la con-
striction mécanique de l'intestin. « Celle-ci produit, dit Duplay, l'arrêt des
matières et des gaz, elle détermine et explique la douleur et l'anxiété, la tension
du ventre, puis l'excitation de l'intestin, les mouvements antipérislaltiques et
le rejet par vomissement des matières intestinales, plus tard encore la paralysie
de l'intestin, la paralysie des territoires vasculaires éloignés et les congestions
viscérales qui en dépendent et amènent la terminaison fatale, que celle-ci soit
due à l'asphyxie, à la syncope ou à un affaissement graduel des forces ».
Il est probable, en outre, que tous ces phénomènes sont d'ordre réflexe, qu'ils
résultent de l'irritation mécanique des riches plexus nerveux de l'intestin et que
« leur apparition est régie par les lois qui président à la diffusion, par voie
réflexe, des excitations continues et violentes portées sur des nerfs sensitifs. »
Des PSEUDO-ÉTRANGLEMEJiTS. Malgaiguc a réuni sous le nom de pseudo-étran-
glements une série d'iiccidents herniaires dont les symptômes diffèrent fort peu
par eux-mêmes de ceux de l'étranglement, mais dans lesquels ces signes affectent
une marche lente et insidieuse. Aujourd'hui, surtout après ce que nous venons
de dire dans les chapitres précédents, on peut se convaincre que la plupart de
ces accidents proviennent de l'étranglement, et que le domaine des pseudo-
étranglements va se restreignant de jour en jour à mesure que les observations
cliniques et anatomo-pathologiques se multiplient et deviennent plus précises.
Ces accidents ont été désignés sous le nom d'engouement et d'inflammation
herniaire.
1° Engouement. On doit entendre par ce mot l'obstruction de l'intestin par
des matières solides.
Nous avons vu, par le court historique que nous avons tracé des doctrines qui
ont successivement régné dans la science au sujet des accidents herniaires, que
Franco avait démontré que l'intestin dans les hernies douloureuses, irréductibles,
et accompagnées d'accidents graves, était vide et ne contenait guère que des fla-
tuosités et autres choses venteuses. Jusque-là, tous les phénomènes étaient attri-
bués à l'accumulation de matières solides. Cependant la théorie de l'engoué-
810 HERNIES.
ment vrai pour expliquer ces faits persista longtemps. Goursaiid lui-même
l'admettait encore comme élément principal de l'une de ses formes de l'étran-
glement, et la doctrine de l'engouement, quoique limitée à certains cas particu-
liers, durait encore quand Malgaigne vint lui porter un dernier coup. Il démon-
tra, en effet, en s'appuyant sur des recherches anatomiques et cliniques, que
cet engouement n'existe que d'une manière exceptionelle et que, quand on le
constate, il est plutôt le résultat que la cause des accidents. D'ailleurs, l'analyse
minutieuse des faits indique combien il est exceptionnel de rencontrer cette
accumulation de matières dans les hernies. Broca, dans sa thèse, n'avait pu'en
réunir que 5 cas. Mais, après analyse des observations, il ne croit plus à la réalité
de l'engouement que dans un seul cas, celui de Goyrand (d'Aix). On considère
encore , comme un autre exemple de cette lésion, le fait qui a été publié par
Nicaise dans sa thèse et qui appartient à Bouchard. Enfin, la question a été
reprise en 1878 dans une thèse de la Faculté de Paris, par M. Audoucet [Sur
ïine observation cV engouement herniaire) et l'auteur n'admet comme faits réels
d'engouement que celui qu'il publie et qui provient de la pratique de M. Marsoo
d'Orlhcz et les doux cas que nous venons de citer. Dans tous les autres Gosselin,
qui a contribué avec Malgaigne à renverser la doctrine de l'engoument solide,
a démontre que l'on avait réuni sous ce nom, soit dos accidents survenant dans
des entéro-épiplocèlos irréductibles, que les recherches récentes de Boiffin
rattachent à l'étranglement, soit des épiplocèles enfiammées, soit des étran-
glements à marche lente survenant chez les grosses entéio- épiplocèles des
vieillards.
Dans l'opération de Goyrand, la réduction ne put se faire qu'après un débri-
dcment de l'anneau : c'était donc un étranglement à marche lente, puisque les
accidents duraient depuis huit jours, chez un petit enfant, mais il y avait un
obstacle autre que l'accumulation des fèces. L'observation de Bouchard et celle
d'Andoucet peuvent aussi être regardées comme des exemples d'étranglement
peu serrés avec accumulation de matières fécales dans l'anse herniée, chose que
nous savons très-rare, mais non comme des cas d'engouement. Ainsi, dans le
f.iit de ^'icaise, il y avait un rétrécissement des deux bouts de l'anse herniée. En
un mot, nous ne pouvons nier l'accumulation de matières solides dans une anse
herniée. Le fait existe surtout dans les hernies du gros intestin; et, dans presque
toutes les observations, c'est le gros intestin qui est contenu dans le sac. Mais
son existence ne démontre nullement que les matières soient par elles-mêmes la
cause de l'obstruction. Les anneaux et le collet quelquefois, et dans les hernies
adhérentes les changements de forme et de direction, jouent le principal rôle
(Boiffin).
Ainsi donc, que l'engouement ait été la conséquence ou même exceptionnelle-
ment la cause d'un étranglement herniaire, la chose paraît prouvée, mais ce sont
alors des particularités de l'étranglement, et il n'y a pas lieu de décrire à part
l'engouement comme une affection distincte et indépendante.
Cependant, on a placé, à côté de cet engouement fécal simple, des cas dans les-
quels l'accumulation de corps étrangers de nature diverse a pu causer dans une
hernie des accidents d'obstruction et même des lésions intlammatoires graves.
Ces corps étrangers sont de nature très-variée. Hévin, dans un travail resté
célèbre et publié dans les Bulletins de V Académie de chirurgie, en a réuni un
certain nombre d'observations. Ainsi il rapporte le fait de J.-L. Petit trouvant
dans une hernie inguinale chez un rôtisseur « un pied d'alouette tout entier
HERNIES. 811
que le malade avait avalé par gloutonnerie >> ; celui de Boismorticr rencontrant
dans un exomphale un épi d'orge de la longueur du petit doigt et encore garni
de tous ses calices; celui de Farcy (de La Flèche, 1720), où on note 16 os de
pied de mouton; une deuxième observation de J.-L. Petit, oîi il y en avait 15;
celle de Winkler, qui renfermait plusieurs os de poulet arrêtes au-dessus de la
valvule iléocaîcale. Nous pouvons ajouter à ceux-là un fait de Broca (Société
anatomique, 1856) dans lequel, à travers une hernie perforée, il put extraire
une clavicule d'oiseau longue de plus de 4 centimètres, et celui de Robert Law
{tlie Lancet, 1880), qui retira d'une hernie, qu'il opérait chez un vieillard, un
fragment d'os de 5 centimètres de long. On a observé aussi la présence de corps
étrangers d'autre nature. Ainsi, Mercier, Muralto, Broca père, ont rencontré
dans des hernies des amas de lombrics ; J.-L. Petit et Igonnet ont pu, dit Duplay,
réduire des hei'nies obstruées par des amas de noyaux de cerise et faire cesser
les accidents. Ceux-ci du reste, paraissent avoir été de nature inflammatoire,
car, dans la plupart de ces cas, l'intestin avait été perforé ou sphacélé par ces
corps étrangers. Souvent ils n'ont été constatés que dans l'intérieur d'un phleg-
mon stercoral ou sont sortis à travers un orifice fistuleux. Enfiu, dans certains
cas, comme dans celui de Robert Law, le ciiirurgien a indiqué nettement l'exis-
tence des accidents de l'étranglement. Mais, avec ces corps étrangers, et grâce
à l'obstacle qu'ils fournissent aux matières fécales qui peuvent s'accumuler
derrière eux, on a quelquefois vu les accidents exister par le fait seul de cet
arrêt des matières. C'est du moins l'opinion de Duplay, qui admet la possibilité
de l'engouement limité à ces cas-l<i. Pour d'autres, au contraire, l'existence
de ces corps étrangers ne suffirait pas à produire une obstruction intestinale,
s'il n'y a pas d'autre obstacle. « Ce ne sont même pas, dit Boiffin, des faits
d'obstruction bien caractérisés. Des corps irréguliers ont pu cheminer tant que
le calibre de l'intestin était normal; ils viennent s'échouer sur une courbure
trop rapide, où une déformation angulaire déterminée par l'adhérence d'une anse
enfermée dans une cavité très-limitée, et les accidents qu'ils ont alors occa-
sio mes se terminent le plus souvent par un abcès stercoral leur donnant issue. »
11 faut donc, pour cet auteur, un agent d'étranglement siégeant dans l'intestin
et qui serait tantôt une courbure trop rapide de l'asne, tantôt une coudure
en V avec immobilisation des branches par des adhérences.
Quoi qu'il en soit donc, et en faisant peut-être quelques réserves pour les cas
do corps étrangers, on peut dire que l'engouement comme cause primitive des
accidents n'existe pas. Tout au plus peut-il aider à expliquer le mécanisme de
certains étranglements. Brasdor avait déjà, précédant Malgaigne et les modernes,
déclaré tout haut à la Société de médecine de Paris, le 27 thermidor au IX, que
l'engouement n'est qu'une abstraction théorique, une supposition. Gosselin,
arrivant aux mêmes conclusions, a déclaré à son tour qu'il n'y avait pas lieu
de décrire l'engouement.
2° Inflammation herniaire. On désigne sous le nom d'inflammation her-
niaire ou de péritonite herniaire l'inflammation aiguë de la cavité du sac et des
viscères qui y sont contenus.
L'existence de lésions inflammatoires dans les hernies est absolument hors
de doute et démontrée, surtout depuis les recherches modernes, d'une façon incon-
testable. Mais, lorsqu'il s'agit de décrire cliniquement l'inflammation des hernies,
la difficulté commence ; le vague et le manque de précision dans les descriptions
des symptômes, les différences d'interprétation des divers auteurs, montrent
812 HERNIES.
que ce terme ne répond pas, dans l'esprit des chirurgiens, à quelque chose de
parfaitement caractérisé.
11 est donc absolument nécessaire de reprendre un peu à ce sujet les notions
historiques et de voir ce que l'on a tour à tour compris sous ce nom, ce qu'il
faut véritablement entendre aujourd'hui quand on parle de l'inflammation des
hernies.
Les Anciens avaient bien pensé qu'il pouvait y avoir un certain degré d'inflam-
mation dans les accidents herniaires. Goursaud croyait que, dans les étrangle-
ments vrais, primitifs, à marche rapide, il existait un certain degré d'inflam-
mation, puisqu'il les appelait des étranglements par inflammation. Cependant,
c'est seulement à Malgaigne qu'il faut remonter en faisant l'histoire de l'inflam-
mation des hernies, car sa conception de la péritonite herniaire est absolument
différente de toutes les idées de ses devanciers. Frappé de ce que les accidents
herniaires se présentaient à l'observateur avec des formes cliniques très-diverses
et affectaient, en certains cas, une marche très- insidieuse, il crut devoir
chercher dans une nouvelle interprétation pathogénique la raison de ces varia-
tions. Pour lui, dans ces cas, les accidents n'étaient pas dus à de l'étrangle-
ment, mais seulement, malgré une similitude assez grande de symptômes, à
l'inflammation de la hernie. Ce n'était qu'un pseudo-étranglement. De l'analyse
d'un certain nombre d'observations il concluait qu'il y avait dans les accidents
herniaires :
« 1" L'étranglement pur et simple, qui est rare, quia lieu sans inflammation,
qui produit la gangrène en quelques heures ;
« 2" L'inflammation pure et simple, très-commune, et qui presque toujours
est limitée à la séreuse de la hernie;
« 5° Enfin l'inflammation en masse des viscères contenus dans la hernie de
l'épiploon avec son tissu adipeux, de l'intestin avec toutes ses tuniques : ce troi-
sième élément ne vient guère qu'à la suite des deux autres, soit par l'effet propre
de l'étranglement quand celui-ci n'est pas assez fort pour produire immédiate-
ment la gangrène, soit par les manœuvres irrationnelles du taxis dans les cas de
simple péritonite herniaire. «
Plus loin, dans ce même mémoire communiqué à l'Académie des sciences en
1841, il ajoute: « Dans toutes les hernies intestinales anciennes volumineuses
qui n'ont jamais été contenues par un bandage ou pour lesquelles le bandage a
été longtemps délaissé, il n'y pas d'étranglement réel, l'anneau ou les anneaux
étant beaucoup plus larges que ne le requiert le volume du pédicule de la hernie.
Dans les épiplocèles pures, de quelque volume qu'elles soient, le plus souvent
c'est une péritonite adhésive ou suppurative qui a^ lieu, et la réahté de l'étran-
glement que je ne veux point nier, quant à présent, d'une manière absolue, reste
cependant tout entière à démontrer.
Malheureusement, en présence des mauvais résultats que donnait à cette époque
la kélotomie, cette nouvelle doctrine, amenait Malgaigne à préconiser l'absten-
tion opératoire, car, disait-il : « Dans ces cas l'opération est irrationnelle et doit
être abandonnée des chirurgiens. » Broca dans sa thèse défend ces nouvelles
idées. 11 fait comme Malgaigne la part large à l'inflammation herniaire. « Tous
les accidents, dit-il, qui se produisent dans les hernies anciennes et volumi-
neuses, et tous ceux qui se manifestent dans les hernies qui n'ont jamais été
maintenues par un bandage, tous ceux enfin qui ont leur point de départ dans
les épiplocèles, sont dus exclusivement à l'inflammation. C'est-à-dire que la
HERNIES. 813
plupart des affections décrites sous le nom d'étranglement ne sont en réalité
que des pseudo-étranglements. »
De plus, dans le chapitre de sa thèse consacré à l'inflammation, il ne mentionne
même pas la possibilité de la kélotomie, et se borne à discuter l'opportunité du
taxis et à conseiller le traitement antiphlogistiquc local.
Du reste, pour Broca comme pour Malgalgne, le tableau clinique des symptômes
de l'inflammation rappelle tout à fait celui des signes de l'étranglement. Quand
il cherche à tracer le diagnostic différentiel entre ces deux formes, il ne peut net- •
tement et absolument les séparer, et il est obligé de terminer par ces mots :
« Un diagnostic didactique serait d'une grande importance. Je n'entreprendrai
pas une pareille tâche, n'ayant pu trouver dans la science un nombre suffisant de
(mis. Je ne veux pas m'exposcr à présenter comme des choses réelles les suppo-
sitions auxquelles j'aurai pu me livrer. »
Ainsi donc cette nouvelle forme d'accidents, la péritonite herniaire, est à peu
près impossible, de l'aveu même de ses partisans, à distinguer de l'étranglement.
Aussi la temporisation qu'elle entraîne avait dans beaucoup de cas amené le chi-
rurgien à une inaction funeste, en face de certains cas d'étranglements à marche
fliente, à signes incertains et incomplets, mais qui, néanmoins, font courir au
malade les plus grands dangers. C'est ce qui arriva, et cette pratique défectueuse
«e tarda pas à provoquer une réaction. La protestation contre la nouvelle doc-
trine fut en effet énergiquement formulée parGosselin, qui, dans ses Leçons sur
les hernies abdominales, après avoir discuté en détail les faits et les assertions
de Malgaigne et de Broca, ajoute : « Il est donc avéré (p. 94) que ceux qui ont
écrit sur la péritonite herniaire n'ont pas pu donner aux praticiens une démonstra-
tion applicable à la clinique, et pour moi qui cherche depuis vingt années la
preuve de cette péritonite herniaire, je ne l'ai pas encore trouvée. J'ai bien vu
des épiplocèles que j'ai pu considérer comme enflammées et que j'ai abandonnées
à elles-mêmes sans inconvénient. J'ai trouvé quelques hernies irréductibles de
'longue date, j'ai vu aussi quelques vieillards et même des adultes qui ont mis un
peu plus de temps que d'ordinaire à réduire eux-mêmes leurs hernies devenues
depuis quelques instants douloureuses. Je veux bien que ces hcrnies-là aient été
tout simplement enflammées : mais je répète encore qu'elles n'appartenaient pas à
la catégorie des entéro-épiplocèles irréductibles. Quant à ces dernières, toutes les
fois qu'elles m'ont présenté les conditions de volume, d'ancienneté et d'accidents
que l'on rapporte à l'inflammation, je les ai réduites par le taxis, les malades
ont été promptement guéris et j'ai toujours cru que j'avais fait céder un étraugle-
iment. » 11 ne cache pas que, pour lui, le meilleur traitement contre les entéro-
épiplocèles irréductibles depuis peu de temps est de les faire rentrer le plus
tôt possible. « Or, ajoute-t-il, cette idée thérapeutique est invinciblement attachée
au mot étranglement, tandis que l'idée d'inflammation, de péritonite herniaire,
entraîne celle de temporisation qui parfois, sans doute, serait sans inconvénient,
mais qui dans certains cas pourrait devenir dangereuse, parce qu'on aurait laissé
passer à l'état d'étranglement invincible ce qui au début avait paru n'être
qoi'une inflammation et était sans doute un étranglement facile à surmonter
par une main exercée au taxis ». Cependant il accepte la théorie de Malgaigne
et la temporisation qui en découle pour les hernies adhérentes et les épiplo-
cèles pures. Il admet aussi que dans ces cas il peut y avoir sous une influence
quelconque des phénomènes inflammatoires qui modifient l'intestin au point
d'entraîner une irréductibilité passagère avec des symptômes se rapprochant
814 HERNIES.
de ceux de l'étranglement et qui semblent devoir céder à un traitement anli-
phlogistique. Mais on peut cependant croire que ce sont les mauvais résultats
des essais de réduction et des tentatives de kélotomie, qui lui arrachent cette
concession.
Quelques années plus tard, les doctrines de Gosselin s'affirment de plus en
plus. Les lésions inflammatoires des hernies sont reconnues et étudiées avec soin,
ainsi que les expériences de Jobert et de Labbé, et surtout la thèse de Nicaise,
•en font foi; tous les auteurs admettent qu'elles prennent une part active à la
formation d'un grand nombre d'étranglements et principalement dans les étran-
glements consécutifs. On reconnaît aussi qu'elles peuvent exister seules dans les
épiploccles et dans les hernies adhérentes, mais on arrive à démontrer qu'en
dehors de ces cas l'inflammation, quand elle est isolée, est impuissante à
simuler l'étranglement. En un mot, l'existence de la péritonite herniaire est
démontrée; mais le pseudo-étranglement de Malgaigne n'existe pas. C'est la
doctrine qui est nettement soutenue dans la thèse de G. Richelot {De la péri-
tonite herniaire et de ses rapports avec V étranglement. Paris, 1873), qui
formule les rapports que peuvent avoir entre eux l'inflammation et l'étrangle-
ment dans les quatre propositions suivantes :
1" II y a des étranglements avec péritonite herniaire;
2" 11 y a des péritonites herniaires avec étranglement consécutif;
5" 11 y a des péritonites herniaires sans étranglement ;
4" Il n'v a pas de pscudo-étranglemcnls.
Cette doctrine, qui est à peu de chose près celle de Le Dentu, est aussi adoptée
par S. Duplay dans son Traité de pathologie. Après avoir admis que la péritonite
herniaire peut compliquer l'étranglement, et parfois même le déterminer ou
l'exagérer, il ajoute : « Elle peut se développer en l'absence de tout étrangle-
ment sous l'influence de causes accidentelles. Elle ne s'accompagne alors d'aucune
des apparences de l'étranglement herniaiie, et ses caractères cliniques très-variés
et très-incertains ne ]:ermetlent pas de la décrire en dehors de la cause qui l'a
produite et des complications qu'elle entraîne. 11 existe certaines hernies volu-
mineuses qui sont probablement le siège d'un étranglement peu serré, et que
l'on dit volontiers enflammées pour marquer la différence qui les sépare, au point
de vue du diagnostic, du pronostic et du traitement, des hernies positivement
étranglées. » Tous les autres faits rentrent pour lui dans l'étranglement. Quant
à cette dernière catégorie de hernies qu'il appelle enflammées, on voit qu'il
hésite à les considérer aussi comme des cas d'étranglement, puisqu'il avoue
qu'elles sont probablement le siège d'un étranglement peu serré. On retrouve
là, les hésitations que Gosselin avait manifestées en présence des hernies volumi-
neuses irréductibles et adhérentes. Ce sont les seuls cas, en dehors de l'épiplocèle,
où la doctrine de l'inflammation persiste encore pour ces auteurs, et pour les-
quels ils admettent encore un pseudo-étranglement. Le tableau clinique de leurs
accidents l'appelle, en effet, celui des étranglements; mais la marche est diffé-
rente et la terminaison est ordinairement favorable. Ils guérissent par le repos
et les cataplasmes sans avoir produit les lésions graves de l'incarcération
complète.
Naturellement, ces points encore incertains devaient provoquer de nouvelles
recherches. Or, depuis quelques années, l'attention des chirurgiens s'est portée
surtout sur ces vieilles hernies irréductibles et adhérentes. Avec la méthode
antiseptique, la chirurgie herniaire s'est transformée, la kélotomie a cessé de
HERNIES. 815
donner les résultats désastreux sigualés par Malgaigne, la cure radicale favorisée
par les nouvelles méthodes, a permis d'aborder des cas qui paraissaient au-
dessus des ressources de l'art. On n'a pas hésité à opérer les hernies où l'étran-
glement était soupçonné, à disséquer les adhérences, et à pratiquer même
l'entérotomie et l'entérectomie, quand il était impossible de libérer complètement
les anses herniées. Aussi, a-t-on mieux étudié et mieux connu les cas qui res-
taient encore douteux, et la tendance actuelle est de faire rentrer dans l'étran-
glement les accidents de ces hernies adhérentes pour lesquelles Gosselin
acceptait encore la doctrine de l'inflammation. Un élève distingué du professeur
Trélat, Boiffin, a démontré, dans une thèse récente et excellente {Hernies
adhérentes au sac, accidents thérapeutiqiies. Paris, 1887), que, dans ces
hernies adhérentes anciennes, mal contenues ou abandonnées depuis longtemps
à elles-mêmes, l'inflammation était impuissante à expliquer les accidents et
qu'il fallait ici aussi invoquer, pour s'en rendre compte, un obstacle mécanique
au cours des matières. Seulement, ce n'est pas au niveau du pédicule qu'il
faut chercher cet obstacle : le collet n'existe que rarement, les anneaux sont
trop dilatés pour causer l'étranglement, au moins dans Je plus grand nombre
de cas. C'est dans l'intérieur même du sac herniaire qu'il faut le plus souvent
chercher l'agent de l'occlusion intestinale, et l'auteur arrive aux conclusions
suivantes :
(( 1° On attribue encore actuellement les accidents des hernies adhérentes à
la péritonite herniaire ; c'est une erreur.
(( 2° Les causes de ces accidents sont multiples, ce sont : l'étranglement vrai
par l'anneau et le collet, et les différentes causes d'occlusion intestinale : corps
étrangers obstruant la cavité de l'intestin, compression par brides, constriction
par un orifice accidentel siégeant dans l'épiploon adhérent, ou dans une néo-
membrane, rétrécissement par irritation chronique des parois intestinales ou
par rétraction d'adhérences serrées, enfin déformation par coudure brusque
constituant une sorte d'éperon, de valvule oblitérant l'intestin. »
En conséquence, la déduction naturelle au point de vue thérapeutique, est
l'intervention opératoire précoce dans tous les accidents simulant de près ou de
loin l'étranglement. C'est du reste à la même conclusion qu'arrive Lucas Cham-
pionnière quand il préconise la cure radicale « chez les individus atteints
d'accidents qui ne constituent pas l'étranglement. »
Les considérations précédentes nous ont paru indispensables pour établir net-
tement ce qu'il fallait aujourd'hui comprendre sous le nom d'inflammation des
hernies. Il nous reste maintenant à décrire cette lésion, dont l'étiologie et l'ana-
tomie pathologique sont bien décrites, et dont le tableau clinique a longtemps
compris les formes irrégulières et incomplètes de l'étranglement.
Étiologie. En première ligne il faut placer les traumatismes qui peuvent
exercer leur action sur les viscères contenus dans une hernie. Ce sont tantôt des
contusions, coups, chutes, projectiles, etc. Mais il faut aussi noter, comme une
cause fréquente de lésions inflammatoires, les pressions des bandages plus ou
moins bien appliqués, cela surtout dans les hernies irréductibles ou mal réduites.
Enfin Duplay signale encore « les frottements répétés que l'anse herniée éprouve
dans le sac et dans le trajet herniuire. » Toutes ces causes se produisent surtout,
on le comprendra facilement, dans les hernies volumineuses, dans lesquelles les
viscères sont toujours au dehors, et principalement dans celles qui sont irré-
ductibles et adhérentes.
816 HERNIES.
Il faut ensuite ranger parmi les causes d'inflammation les corps étrangers qui
peuvent se trouver dans l'intestin, ainsi que nous l'avons vu au chapitre de
l'engouement. Ils irritent mécaniquement l'intestin, produisent l'ulcération, la
perforation de ses parois, et consécutivement, au moins dans les cas favorables,
de la péritonite adhésive et un abcès stercoral.
On a aussi invoqué les écarts de régime, un effort, une marche fatigante,
et même l'influence hygrométrique de l'atmosphère (Malgaigne). Mais ce sont là
plutôt les causes vraies ou fausses invoquées pour l'étranglement.
Anatomie pathologique. Nous ne reviendrons que fort brièvement sur les
lésions que l'inflammation peut déterminer dans les hernies. Elles se retrouvent
toutes dans l'étranglement et nous les avons suffisamment décrites en faisant
l'anatomie pathologique de cet accident : ce sont la rougeur, la vascularisation
intestinale, l'épanchement liquide d;ins le sac et les lésions de la séreuse. On
peut encore attribuer à l'inflammation les épanchements sanguins produits par
les violences extérieures, la rupture directe de l'intestin, celle du sac, enfin les
perforations qui laissent passer les corps étrangers et les phlegmons stercoraux
qui en sont la conséquence.
Quant à la gangrène, qui pourrait, au dire de certains auteurs, résulter d'une
inflammation intense, elle nous paraît devoir toujours être due à l'étrangle-
ment : nous n'y reviendrons pas. Mais il est une lésion qui est purement et
simplement inflammatoire; ce sont les adhérences, et comme leur existence
prouve toujours une péritonite herniaire soit récente, soit ancienne, nous devons
ici insister sur leur description.
II est bien évident qu'il faut d'abord éliminer ce qui a été décrit et désigné
sous le nom d'adhérence par glissement. C'est, tout simplement, une dispo-
sition spéciale du sac dans les cas de hernie du cœcum ou de l'S iliaque, qui
résulte d'un rapport spécial du court méso de ces organes. Ces faits, connus et
signalés par Scarpa, ont été bien étudiés par Trêves en Angleterre et récemment
par Tuffier en France.
Les adhérences inflammatoires doivent seules nous occuper. Richter, Scarpa,
Cruveilhier, les ont tour à tour décrites avec soin, et les ont divisées en plusieurs
classes, suivant leurs caractères physiques et leur degré d'organisation. Gosselin
a fait une courte étude de leurs caractères anatomiques. Enfin Nicaise, qui
insiste avec soin sur leur description, les divise en quatre classes : 1° les
adhérences molles, gélatinetises -pseudo-membraneuses ; 2" les adhérences for-
mées par un iissu celluleux mince et flexible; Z" les adhérences filamenteuses
ou membraneuses allongées; 4* les adhérences intimes épaisses étendues.
Barette, dans son importante thèse [De l'intervention chirurgicale dans les her-
nies étranglées compliquées d'adhérences ou de gangrène. Paris, 1883) adopte
presque complètement la classification de Nicaise. Boiffin, qui les étudie à son
tour, établit aussi sa classification sur le degré d'organisation qu'elles peuvent
présenter et décrit, suivant la résistance qu'elles opposent aux moyens opéra-
toires, des fausses adhérences et des adhérences vraies. Les premières désignent
surtout les adhésions formées par l'exsudat fibrineux; les secondes des mem-
branes organisées et résistantes présentant deux caractères fondamentaux ; la
présence de vaisseaux à parois propres, la formation des éléments du tissu
conjonctif.
Les adhérences fausses représentent le premier degré de l'organisation del'ex
sudat fibrineux qui peut se produire dans le sac herniaire sous l'influence du
HERNIES. 817
travail inflammatoire. Ce sont les adlie'rences molles, gélatineuses, pseudo- mem-
braneuses, par agglutination, des anciens auteurs. Cet exsudât, d'abord mince,
s'épaissit par adjonctions de nouvelles couches; il est mou et friable, et sa couleur
varie du gris jaunâtre au rouge brun. « Arnaud, dit Boiffin, le comparait à de la
colle ou à de la glu ; le doigt sépare aisément les surfaces qu'il réunit et qui
gardent alors un aspect irrégulier, tomenteux. 11 est constitué par de la fibrine
sous forme de fibrilles ou de lames; plus tard, des capillaires sanguins de nou-
velle formation pénètrent par la face profonde de ces lames ; ils sont munis d'une
paroi embryonnaire et s'entourent de tissu embryonnaire qui envahit progressive-
ment toute l'épaisseur de l'exsudat. »
Puis, peu à peu, le tissu nouveau s'organise de plus en plus; les vaisseaux
finissent de se développer et acquièrent une paroi propre; les éléments con-
jonctJfs deviennent plus consistants et arrivent bientôt à constituer un tissu
cellulaire jeune, ayant toutes les propriétés du tissu de cicatrice. Puis, enfin,
l'évolution aboutit à la création définitive de brides ou membranes parfai-
tement organisées et formant, à mesure que ce tissu vieillit, des adhérences
dont la structure se rapproche chaque jour davantage de celle du tissu fibreux
cicatriciel. On a alors des adhérences vraies qui peuvent, successivement, unir les
anses intestinales entre elles, l'intestin avec l'épiploon ou le sac, et surtout
l'épiploon avec le sac herniaire. Au point de vue de l'intervention chirurgicale,
il faut tenir compte de leur degré d'organisation, et nous venons d'essayer de
montrer les différentes étapes de leur évolution. Mais Boiffin insiste aussi sur
l'importance de leurs dimensions, car elles immobilisent et déforment d'autant
plus les parties qu'elles unissent que leur longueur est moindre. Elles sont donc,
à ce point de vue, lâches ou longues et serrées ou courtes.
Les premières sont tantôt de véritables membranes présentant une surface
plus ou moins étendue, tantôt de simples brides cylindroides quelquefois assez
irrégulières, et qui vont en s'élargissant vers les points d'implantation. Elles
contiennent presque toujours quelque vaisseau assez important.
Les adhérences courtes présentent ordinairement un aspect compliqué; elles
maintiennent les parties en un contact presque immédiat. Elles peuvent réunir
en bloc, en masse, tous les viscères contenus dans une hernie en les agglomé-
rant de telle façon que « la cavité intestinale paraît creusée dans l'épaisseur
d'une masse cellulo-fibreuse limitée par la paroi du sac » (Boiffin). C'est là leur
disposition la plus complexe; souvent aussi elles sont limitées à de simples
points de la paroi intestinale qu'elles unissent soit avec l'épiploon, soit avec le
sac, soit avec le pédicule.
Toutes les dispositions qu'elles peuvent prendre sont décrites, avec soin, dans
la thèse de Boiffin à laquelle nous empruntons ces détails, depuis les plus
simples jusqu'aux plus compliqués. U ne faut pas oublier la disposition en V
d'une anse herniée, dont les deux branches sont maintenues en contact, à
l'aide d'adhérences très-intimes, le sommet du V formant un éperon qui peut
à lui seul être la cause d'une obstruction intestinale. Arnaud et Richter les
connaissaient déjà, et le professeur Trélat a rappelé l'attention sur cette situation
particulière.
Symptômes. De l'exposé historique que nous avons tracé au début de ce
chapitre il résulte que, sous le nom d'inflammation herniaire, nous ne pouvons
plus accepter que les lésions consécutives à un traumatisme ou bien à la pré-
sence d'un corps étranger, d'une part; et d'autre part, celles qui résultent de la
DICT. ESC. 4" s. XIII. * 52
818 IIKRNIES.
constriction d'une épiplocèle pure. Tout ce qui, jusqu'à ces dernières années,
avait été décrit comme pseudo-étranglement ne doit pas nous arrêter. Il y a
toujours, au début des accidents, un obstacle mécanique, qui est suffisant pour
faire rentrer les faits observés dans le domaine de l'étranglement. Ils consti-
tuent les formes irrégulières, anormales, lentes et incomplètes, de cet accident,
mais ils ne doivent plus être décrits sous le nom de péritonite herniaire. Les
lésions inflammatoires qui existent alors sont toujours la cause ou le résultat de
l'étranglement, mais ne peuvent plus être séparées de lui.
Quand on a affaire à une épiploïle, c'est-à-dire à une inflammation aiguë ou
subaiguë tenant à la constriction d'une épiplocèle par un anneau ou un collet
trop étroit, les symptômes sont ordinairement assez nets. La hernie jusqu'alors
réductible devient irréductible : en même temps, elle paraît un peu plus volu-
mineuse; elle est spontanément douloureuse, et les douleurs s'exaspèrent par
les mouvements et surtout par la moindre pression. Peu après, la hernie est
chaude, puis la peau rougit, et le tissu cellulaire sous-cutané devient le siège
d'une infiltration cellulaire qui rend la tumeur plus dure et plus tendue. Sa con-
sistance est variable; elle est parfois très-dure, d'autres fois pâteuse et presque
molle, toujours complètement mate à la ])ercussion. L'état du ventre n'est que
très-légèrement modifié ; en tous cas, il n'est pas en rapport avec l'intensité des
phénomènes locaux et de la douleur. Cependant il y a ordinairement de la con-
stipation, du ballonnement, des nausées. et des vomissements. Mais, ainsi que le
fait remarquer S. Duplay, ces différents troubles peuvent manquer, et, lors
même qu'ils existent, ils ne présentent guère de caractères alarmants.
La constipation est un des phénomènes les plus constants : elle est beaucoup
moins absolue que dans l'étranglement et ne s'accompagne d'ordinaire pas de
l'absence d'émission de gaz par l'anus. Le ballonnement du ventre manque dans
un grand nombre de cas ; il est, le plus souvent, peu marqué. Enfin les vomis-
sements sont ordinairement alimentaires, muqueux ou bilieux; il n'y aurait
jamais de vomissements fécaloïdes (S. Duplayj.
L'état général est d'habitude indemne : il ne présente pas les symptômes
graves de l'étranglement, quelquefois cependant il y a un peu de fièvre.
La marche de ces accidents est, d'ordinaire, bien différente aussi. Ils aug-
mentent pendant deux ou trois jours, puis au bout de ce temps ils commencent
à diminuer, les douleurs locales, les coliques, les nausées et les vomissements
disparaissent, et le troisième ou le quatrième jour, d'après Gosselin, il y a des
garde-robes. Enfin peu à peu la tumeur diminue de volume et rentre petit à
petit au bout de douze à quinze jours. Souvent aussi la tumeur, après la dispari-
tion des phénomènes fonctionnels, subit un certain retrait, puis reste station-
naire, mais elle ne rentre plus et devient désormais irréductible, parce qu'il
s'est formé des adliérences entre le sac et l'épiploon, au cours des accidents que
ïious venons de décrire.
Quelquefois la terminaison est moins favorable. La peau rougit vivement, le
tissu cellulaire devient compacte, et, au bout de quatre ou cinq jours, on
remarque une fluctuation manifeste, due à un épanchement produit dans le sac.
Puis les tuniques externes de la hernie s'enflamment, suppurent à leur tour, et
l'abcès ainsi formé s'ouvre bientôt au dehors, au bout d'une quinzaine de jours,
quelquefois plus vite. Enfin certains auteurs ont admis la gangrène possible de
l'épiploon ainsi enflammé. Broca croit que cette terminaison est assez fréquente.
Gosselin, qui parle de cette gangrène acceptée et décrite par les anciens auteurs.
HERNIES. 819
déclare qu'il n'en a jamais vu. Duplay, plus affirmatif, déclare qu'on ne l'a
jamais observée, quelle qu'ait été l'intensité de l'inflammation.
Celle-ci est ordinairement limitée à la cavité du sac et ne se propage pas à
l'abdomen, à cause de la péritonite adhésive qui existe ordinairement autour du
pédicule de la hernie. Cependant, la généralisation de la péritonite, quoique
exceptionnelle, est regardée comme possible. Une de ses principales causes serait,
d'api'ès Duplay, la réduction intempestive d'une épiplocèle ainsi enflammée.
Quant à l'inllammation qui peut atteindre une entérocèle ou une entéro-épi-
plocèle à la suite de traumatismes divers, de contusions, ou de froissements par
un bandage, elle est beaucoup plus difficile à décrire. Quelquefois il se fait un
travail inflammatoire lent et torpide, qui aboutit à la formation d'adhérences,
sans se révéler au chirurgien par des phénomènes accusés. Malgaigne, qui a
décrit quatre degrés de l'inflammation herniaire, donne, comme premier degré,
le travail phlegmasique léger non perçu ou à peine perçu par le malade.
D'autres fois, la tumeur herniaire devient douloureuse, un peu tendue, un peu
plus volumineuse. La hernie résiste à des efforts très-modérés de réduction,
mais un taxis un peu énergique la fait presque toujours céder, à moins que des
adhérences partielles ne se soient établies et ne permettent qu'une réduction
partielle, un peu de constipation, quelques cohques, parfois quelques vomisse-
ments, complètent ce tableau : mais on a si souvent confondu ces accidents avec
les pseudo-étranglements, que la description exacte en est encore très-confuse et
très-difficile à tracer.
Des HERMES INTESTINALES OU ENTÉRO-ÉPIPLOÏQUES SIMPLEMENT IRRÉDUCTIBLES. Uu
des premiers symptômes des accidents à marche rapide et souvent menaçante
que nous venons d'étudier est ï irréductibilité. Mais ce signe peut exister aussi,
en dehors des cas que nous avons passés en revue, dans certaines hernies qui
depuis longtemps et peu u peu ont perdu la faculté de rentrer dans l'abdomen.
C'est l'irréductibililé simple, qui ne s'accompagne d'aucune espèce d'accidents :
cependant il faut considérer ce signe comme une complication, et sous l'influence
de certaines circonstances il peut à son tour être une source d'accidents. |
Cette irréductibilité peut tenir à deux causes : un excès de volume des parties
herniées ou l'existence d'adhérences anciennes.
L'excès de volume s'observe surtout dans une catégorie de tumeurs herniaires
qui ont acquis peu à peu des dimensions énormes, dilaté les anneaux outre
mesure et dans lesquelles une portion considérable des viscères intestinaux ont
passé dans le sac herniaire, qui devient alors un véritable diverticule de la
■cavité abdominale. Ces hernies ne sont pas en général absolument irréductibles.
On peut, dans certains cas, les faire rentrer complètement à l'aide d'un taxis
long et difficile ; mais elles ne peuvent rester réduites et ressortent immédiate-
ment. C'est pour cette variété, que Gosselin à créé le mot de hernies incoercibles.
On dit aussi qu'elles ont perdu droit de domicile dans l'abdomen, puisque on
ne peut les faire rentrer, et, à mesure que l'on cherche à refouler les viscères à
travers des anneaux extrêmement dilatés, d'autres portions de l'intestin se
précipitent au dehors, comme si l'abdomen était déjà rempli par celles qui y
rentrent. D'ailleurs, dans ce cas, la cavité abdominale, devant la diminution per-
manente de son contenu, s'est peu à peu rétractée de façon à ne plus permettre
la rentrée des viscères. L'excès de volume des parties herniées peut être dii
aussi à la présence dans le sac de certaines portions d'organes qui ont acquis
après leur sortie un accroissement qui les rend incapables de repasser par l'orifice
820 HERNIES.
herniaire. Ainsi, par exemple, l'hypertrophie due à la phlegraasie chronique d'un
houclion épiploïque; et, dans certaines exomphales congénitales, la présence
d'une portion du foie, qui a pris dans le sac un volume tel que la réduction
devient ahsolument impossible. Enfin, dans une observation très-curieuse publiée
par Malassez à la Société anatomique (1872), une anse intestinale atteinte
d'inflammation chronique ancienne devint absolument irréductible par suite du
volume considérable qu'avaient atteint les parois de l'intestin.
Mais, dans la majorité des cas, l'irréductibilité est le résultat d'adhérences. Le
plus souvent elles sont de nature inflammatoire. Cependant, dans quelques rares
cas, on se trouve en présence de ce que Scarpa a décrit sous le nom d'adhérence
naturelle. Tuffier, qui a dernièrement étudié cette disposition, la désigne sous
le nom à' adhérence par glissement. Voici en quoi elle consiste : dans certaines
hernies du gros intestin le sac, formé par glissement, entrahie avec lui une
portion du méso-côlon, qui devient partie intégrante du sac ; si ce méso est assez
long, la hernie peut encore se réduire; dans le cas contraire, elle est incoercible.
Quant aux adhérences d'origine inflammatoire, nous les avons suffisamment
décrites au chapitre de l'inflammation pour ne pas y revenir ici. Quelques points
cependant méritent d'être rappelés. Ces adhérences peuvent se trouver plus fré-
quemment sur l'épiploon et sur le gros intestin que sur l'intestin grêle. L'épi-
ploon est l'organe qui devient le plus facilement adhérent ; il peut être uni à
l'intestin et surtout au gros intestin et ses adhérences prennent toutes les formes.
Quand il est interposé à l'intestin, et au sac, il peut être adhérent par ses deux
faces et, comme dit Boiffin, servir de ciment aux deux organes. L'intestin peut
être aussi fixé au sac, plus rarement qu'à l'épiploon, mais cette adhésion, qui a
été quelquefois contestée, est aujourd'hui absolument prouvée. On peut noter, en
outre, que c'est le gros intestin qui, plus souvent que l'intestin grêle, contracte
ces adhérences.
(]elles-ci siègent tantôt dans la cavité du sac, tantôt au niveau du collet. De
jiius, dans certains cas rares de hernie inguinale congénitale, l'intestin a pu
adhérer au testicule et devenir par là irréductible. Ledouble a prétendu que
cette adhésion était souvent consécutive à l'épididyraite blennorrhagique chez les
sujets porteurs de cette variété de hernie.
Notons enfin les adhérences en Y des deux portions d'une anse intestinale
herniée ; nous les avons citées à plusieurs reprises dans cet article, il nous suffit
de les rappeler.
D'ailleurs, à côté de ces adhérences, il existe dans le reste de la hernie des
altérations notables. Le sac est ordinairement épaissi et plus résistant qu'à l'état
normal. L'intestin est aussi le siège de lésions : il est déformé, présente des
inflexions anormales, depuis la coudure brusque formant une sorte d'éperon
valvulaire jusqu'aux replis irréguliers et aux torsions partielles. Les parois intes-
tinales sont souvent profondément altérées, elles sont modifiées dans leur
structure soit par le fait d'exsudats interstitiels qui en augmentent l'épaisseur,
soit par suite de la rétraction consécutive à la résorption de ces produits
inflammatoires. La muqueuse est rouge, boursouflée, ses valvules conniventes
forment de gros replis. Il peut y avoir des rétrécissements partiels plus ou
moins étendus, plus ou moins étroits. Enfin, en outre, on observe souvent sur
le gros intestin un développement considérable des appendices épiploïques
presque toujours adhérents entre eux, mais pouvant présenter aussi des disposi-
tions très-diverses.
HERNIES. 821
En général, dit Duplay, ces adhérences ne se montrent que chez des sujets peu
soigneux de leur personne;-, et, comme le travail pathologique qui les a produites
affecte souvent une marche chronique et ne s'accompagne que de peu de
douleur et de réaction générale, il passe inaperçu des malades, qui souvent
ne peuvent renseigner utilement le chirurgien sur l'époque à laquelle remonte
l'irréductibilité.
Symptômes. Lorsque l'on examine un malade porteur d'une hernie irréduc-
tible, on est ordinairement frappé du volume considérable qu'elle présente : sa
forme n'est pas toujours absolument régulière, elle paraît habituellement bosselée
et même parfois multilobée.
Au toucher, ces hernies sont peu tendues, élastiques, même rénitentes et le
plus souvent peu douloureuses à la pression. Cependant, leur consistance est
variable suivant les cas, et aussi suivant la proportion d'épiploon qu'elles peuvent
contenir. Quand il y a beaucoup d'épiploon, la consistance est pâteuse, la hernie
est lobulée et on y découvre des noyaux durs, de volume et d'épaisseur variables.
Si l'on explore alors l'anneau herniaire, on le trouve, dans la majorité des cas,
dilaté, élargi, et le doigt refoulant la peau pénètre assez facilement dans son
intérieur. Lorsque l'on saisit la tumeur à pleine main et qu'on fait tousser le
malade, on sent une impulsion et une tension manifestes, analogue à celles que
fait éprouver une hernie réductible, mais, si l'on essaye de réduire la hernie,
on s'aperçoit qu'elle résiste aux efforts de taxis, soit d'une manière complète,
soit partiellement. Dans celles qui ne sont qu'incoercibles, et qui ont perdu
droit de domicile, la réduction est possible, mais on ne peut la maintenir, l'in-
testin ressortant au fur et à mesure qu'on le rentre.
Si l'on se trouve en présence, ce qui est beaucoup plus fréquent, d'une hernie
adhérente, la réduction de l'intestin est quelquefois possible et il rentre en pro-
duisant le gargouillement caractéristique. Le reste de la tumeur présente alors
tous les caractères de l'épiplocèle avec cette particularité qu'il est irréductible.
Dans certains cas cependant, qui sont à la vérité les plus rares, rien ne se
réduit et les efforts de taxis les plus méthodiques et les mieux conduits ne pro-
duisent aucun résultat. 11 faut néanmoins faire à ce sujet quelques réserves,
et savoir qu'à l'aide de la compression soutenue et bien faite, du repos au lit
et de la répétition fréquente et patiente de séances de taxis un peu prolongées,
on peut arriver à faire rentrer des hernies adhérentes qui, au premier examen,
paraissaient absolument incoercibles. Ainsi, Arnaud a cité une observation dans
laquelle il obtint, après un traitement soutenu pendant trente-six jours, la réduc-
tion d'une hernie scrotale regardée comme irréductible. Nous pourrions citer
plusieurs exemples analogues, et le professeur Trélat, qui insiste particulière-
ment, dans son enseignement, sur cette nécessité de répéter le taxis et la com-
pression dans les hernies adhérentes réputées incoercibles et qui va même,
dans ces cas, jusqu'à pratiquer le taxis anesthésique à plusieurs reprises, a
publié des cas de succès après vingt-neuf jours et même deux mois de traite-
ment {Gazette des hôpitaux, 1884). Le cas le plus remarquable, à ce sujet,
nous paraît être celui qu'a fait connaître M. Thiry dans les Bulletins de l'Aca-
démie médicale de Belgique en 1881. Il s'agissait d'une volumineuse hernie
inguinale droite que ce chirurgien a réussi à faire rentrer après quatre mois
d'un traitement composé d'une compression bien faite et de séances répétées
de taxis.
Quoiqu'il en soit, d'ailleurs, ces hernies volumineuses provoquent souvent des
8-25 HERNIES.
troubles fonctionnels. Ceux-ci ne sont pas constants et, quand ils existent, ils peu-
vent être très-variés. Ces troubles se résument en une gène constante, résultant
du poids et du volume de la tumeur, et des tiraillements qui peuvent être assez
forts pour gêner considérablement la marche. De plus, il peut exister aussi des
douleurs sourdes, des coliques tantôt localisées à la tumeur et parfois s'irradiant
à tout l'abdomen; quelquefois même, il y a quelques troubles digestifs.
Mais ces hernies adhérentes sont sujettes à des accidents sur lesquels tous les
chirurgiens ont insisté ; jusqu'à ces derniers temps, on les regardait comme le
résultat de la péritonite herniaire, nous savons aujourd'hui qu'ils sont toujours
dus à un obstacle intestinal, mais qui le plus souvent siège dans le sac et non à
l'orifice. Ce sont ces accidents ayant une physionomie particulière, qui ont fait
l'objet de la thèse de Boiffm, c'est d'après lui que nous allons les résumer.
Ils peuvent se présenter sous des aspects différents, mais ils constituent deux
catégories principales : des accidents légers et des accidents graves. Les acci-
dents légers se montrent à intervalles plus ou moins rapprochés. Ce sont : des
douleurs avec gonflement de la hernie, des nausées et même des vomisse-
ments. Ils disparaissent d'ordinaire assez facilement; cependant, à chacune de
ces attaques l'état de la hernie se complique fatalement. Les accidents graves
peuvent revêtir, à leur tour, deux formes bien distinctes : une forme aiguë, qui
corrcs]iond à l'étranglement vrai cl qui en présente tous les symptômes. Ea
outre, il existe une forme subaiguë, plus lente, qui est due à certaines occlu-
sions par brides ou orifices accidentels, et qui a été décrite sous le non*
d'obstruction intestinale : c'était le pseudo-étranglement par inflammation de
Malgaigne. Lepronostic de ces accidents graves est très-sombre ; tôt ou tard,
la terminaison fatale en est la conséquence et, quand le malade parvient à en
guérir, il tombe souvent dans un véritable marasme. C'est, d'après Boiffin, une
sorte dephthisie herniaire due à une absorption intestinale insuffisante.
Tous ces accidents, légers ou graves, quelle qu'en doive être la terminaison
immédiate, sont des avertissements qui indiquent, d'ordinaire, des altéra-
tions matérielles profondes du côte de la hernie, des menaces de complications-
rapides à terminaison fatale, et ils indiquent tous la nécessité d'une inter-
vention hâtive.
Aussi, sans vouloir insister ici sur le traitement des accidents herniaires, qui
doit faire l'objet d'une étude spéciale, nous pouvons rappeler ce que nous avons
déjà dit en faisant l'histoire de la cure radicale, c'est que tous les chirurgiens
qui sont partisans des opérations directes et des méthodes modernes regardent
l'irréductibilité ancienne et confirmée de la hernie, comme une indication absolue
de pratiquer celte opération.
Diagnostic des accidents des hernies. Le diagnostic des accidents her-
niaires est parfois très-simple quand ils se présentent avec leurs symptômes
orninaires et un tableau clinique à peu près complet; parfois, au contraire, il
est très-difficile, et nécessite l'examen le plus minutieux.
Il est ordinairement très-facile de reconnaître l'irréductibilité simple. Souvent
les commémoratifs, la forme et l'aspect de la hernie, son volume exagéré, et
surtout la résistance qu'elle oppose aux efforts de taxis, même lorsque celui-ci
est pratiqué méthodiquement et suivant les règles, permettront au chirurgien
de reconnaître qu'il a affaire à une hernie irréductible. Mais, même en l'ab-
sence d'accidents sérieux et de troubles fonctionnels importants, le diagnostic
HERNIES. 825
doit être poussé plus loin. Il faut recliercher si l'on se trouve en pre'sence
d une épiplocèle ou d'une entéro-épiplocèle, et reconnaître si, dans ce dernier
cas, l'intestin est partiellement ou complètement réductible. La palpation atten-
tive de la tumeur, les résultats de la percussion, la production de gargouillements,
l'existence de noyaux indurés, renseigneront le chirurgien sur la nature du
contenu de la hernie. Une tentative de taxis faite avec soin indiquera si la
tumeur rentre en partie. Si cette réduction s'accompagne de gargouillement, la
réductibilité, au moins partielle, de l'mteslin sera hors de doute, Enlin, nous
le savons déjà, une compression soutenue, aidée de plusieurs essais de réduction,
permettra souvent d'augmenter ou de produire la réductibilité dans les vieilles
hernies adhérentes.
Mais le diagnostic peut être beaucoup plus difficile quand à cette irréducti-
bïliié se joignent des phénomènes fonctionnels, tels que des nausées, des vomis-
sements, de la constipation, du ballonnement du ventre, susceptibles de faire
penser à la possibilité d'un étranglement. Deux alternatives peuvent alors se
produire, qui ont été parfaitement mises en lumière par Gosselin. On peut,
d'une part, croire à un étranglement qui n'existe pas; d'autre part, ce qui est
plus grave, méconnaître cet accident quand il existe.
Lorsque l'on se trouve en présence d'un malade qui porte, dans une région
où apparaissent ordinairement les hernies, une tumeur irréductible, et qui en
même temps présente un certain nombre de signes fonctionnels, tels que des
vomissements, du ballonnement du ventre, de la constipation, qui sont des signes
d'étranglement, on peut croire, par erreur, à l'existence de cette lésion, parce
que l'on est porté à établir une relation entre la tumeur irréductible et les acci-
dents que l'on observe.
11 faut alors examiner avec soin chacun des symptômes, et surtout rechercher,
au niveau de la tumeur, tous les signes, autres que l'irréductibilité, qui se
montrent dans les hernies étranglées. Si cet examen est pratiqué attentivement,
ordinairement le diagnostic exact se fera assez facilement.
Cependant, on peut commettre des erreurs, car il existe des affections qui
produisent du côté de l'abdomen des symptômes qui simulent ceux de l'étran-
glement; ce sont: la péritonite et l'étranglement interne. La péritonite s'accom-
pagne de ballonnement, de douleurs abdominales, de vomissements, de consti-
pation, A la rigueur, la douleur de la péritonite peut se faire ressentir jusqu'au
voisinage du pédicule d'une hernie, mais ordinairement elle est plus vive et
plus vite généralisée que celle des étranglements.
Le ballonnement est peut-être moins excessif; cependant, s'il s'agissait d'un
étranglement récent, il y a peu de différence. Mais la constipation est loin
d'être aussi absolue, et de plus les vomissements de la péritonite ont un carac-
tère très-tranché; ils sont très-rapidement verdàtres, porracés, et gardent tout
le temps cet aspect. Enfin, souvent il y a de la fièvre, quelle que soit la marche
de la température. Dans les cas douteux, certains auteurs ont conseillé pour
éclairer leur diagnostic d'avoir recours à ce que l'on a appelé un purgatif d'essai
dont le résultat montrera la nature de la lésion. S. Duplay repousse ce moyen,
qui peut avoir, sur la marche de l'inflammation péritonéaie, une influence
désastreuse.
On peut aussi reconnaître l'existence de la péritonite et croire qu'elle est
consécutive à un étranglement. Mais, en dehors des caractères fournis par la
tumeur, « si la péritonite était symptomatique d'un étranglement, il serait
824 HERNIES.
extraordinaire, dit Le Dentu, que la maladie en fiât arrivée à ce point sans qu'à
un certain moment, la douleur eût été plus intense du côté de la tumeur, excepté
pourtant dans les cas de pincement de l'intestin dans une étendue très-res-
treinte. »
Lorsqu'un étranglement interne coïncide avec une tumeur irréductible des
régions herniaires, les difficultés de diagnostic peuvent être encore plus consi-
dérables, car les symptômes généraux ou fonctionnels sont les mêmes. Cepen-
dant, dans ce cas, il existe, le plus souvent, un point douloureux maximum sur
une partie quelconque du ventre, souvent éloignée des régions herniaires, et
surtout de la tumeur irréductible, et dont l'apparition a coïncidé avec le début
des accidents. Le ventre présente, en outre, dit Picqué, une forme spéciale déjà
signalée par Laugier; enfin, il n'est pas rare, par Texamen attentif de la région,
de retrouver la nature de l'étranglement interne.
Cependant, dans ce cas comme dans le précédent, pour éviter toute erreur,
il faut examiner avec soin la tumeur; et c'est par l'étude de ses caractères
propres qu'il faut élucider la question de savoir s'il. peut y avoir quelque cor-
relation à établir entre elle et les phénomènes fonctionnels qui rappellent l'étran-
glement. Quand cette tumeur est une hernie réductible, le doute ne peut même
pas subsister, à moins qu'il n'y ait sur un autre point une autre hernie irréduc-
tible. Biais, quand on se trouve en présence d'une tumeur irréductible, il faut
alors en rechercher avec soin la nature et en examiner, en détail, tous les
caractères, car un certain nombre de tumeurs peuvent siéger au niveau des
régions herniaires et être irréductibles sans être, pour cela, des hernies étranglées.
Dans un premier groupe de faits la tumeur est ancienne et ne présente
aucune douleur, même à la pression. On peut alors avoir affaire à une hernie
anciennement irréductible, à un sac herniaire déshabité, à un lipome herniaire,
enfin à une épiplocèle irréductible. Dans les cas de hernie irréductible les
renseignements fournis par le malade que sa tumeur est ancienne, que depuis
longtemps elle ne rentre plus, qu'elle n'est plus ou n'a jamais été soumise à
aucun bandage, ont une grande valeur. Un des points les plus importants à
établir, en effet, est que l'irréductibilité est ancienne et qu'elle n'a point
coïncidé avec le début des accidents. Mais, en même temps, après avoir constaté,
dans ces différents cas, que la tumeur est munie d'un pédicule qui pénètre à
travers un anneau, dans l'intérieur de l'abdomen, ce qui suffit à établir son
origine herniaire, il faudra en étudier avec soin les caractères physiques. On
devra rechercher s'il existe à son niveau des douleurs spontanées, et surtout une
sensibilité à la pression plus marquée souvent au voisinage de son pédicule. Il
faut, Je plus, voir si elle est tendue, rénitente, et si elle ne présente aucune
impulsion pendant l'effort ou pendant la toux. Si tous ces signes font défaut, il
est bien évident que la tumeur ne sera pour rien dans les signes fonctionnels
qui en auront motivé l'examen. D'ailleurs, s'il restait quelques doutes, il fau-
drait rechercher si l'on ne peut trouver une autre cause à la péritonite ou à
l'occlusion intestinale, et on analysera avec soin le début, les caractères, la
marche et la durée de chaque symptôme; d'habitude, un examen aussi détaillé
permettra d'éditer toute erreur. Cependant, il faut savoir que celle-ci a été com-
mise. Chapsal, dans sa thèse {De V étranglement dans les hernies, Paris, 1848),
rapporte deux cas, dont l'un appartient à Robert, et l'autre a été publié dans la
Gazette médicale (1829), dans lesquels la coïncidence d'une hernie irréductible
avec un étranglement interne fit croire à une hernie étranglée. Dans le cas de
UERNIES. 825
Robert, la kélotomie fut pratiquée. Ghapsal attribue le diagnostic erroné à ce
que le chirurgien n'avait pas fait assez d'attention à la manière dont la douleur
était survenue dans la tumeur. En effet, ou bien elle n'était pas douloureuse,
ou elle ne l'était devenue qu'après le développement des accidents généraux.
Cependant il peut exister des cas où la tumeur irréductible n'est nullement
d'origine herniaire, où elle est douloureuse, et où il est plus difficile de distin-
guer ce qui peut lui appartenir parmi les phénomènes que l'on observe. Souvent
aussi, dans ces cas, surtout quand il s'agit de tuméfactions inflammatoires d'or-
ganes ou de produits pathologiques bridés par les plans fibreux des parois de
l'abdomen, on voit survenir sous l'influence de cette lésion locale des phéno-
mènes qui peuvent faire croire à un étranglement. C'est presque toujours au
niveau de la région inguinale que l'on constate ces causes d'erreur. Une orchite
siégeant dans un testicule en ectopie inguinale, certains kystes enflammés du
cordon spermatique, certaines formes de funiculite, une adénite développée dans
un ganglion profond de l'aine, ont pu en imposer aux chirurgiens. Ces dia-
gnostics mériteront d'être étudiés en détail, quand nous nous occuperons des
hernies inguinales et crurales, mais nous pouvons dès à présent en citer quel-
ques exemples.
Ainsi Maisonneuve, en 1841, observa chez un malade atteint d'un phlegmon
suppuré du cordon, reconnu seulement à l'opération, tous les signes de l'étran-
glement herniaire. Des observations de testicule enflammé et retenu à l'anneau,
et donnant lieu aux symptômes de l'incarcération, ont été publiées par Dela-
siauve (mars 1840) et par Rendu (Soc. anat., 1841).
D'autres fois ce sont de véritables néoplasmes des mêmes régions qui peuvent
être en cause. Ainsi Bryant a publié dans le Médical Times and Gazette (1878)
un fait dans lequel l'altération casécuse du canal déférent simulait une hernie
étranglée : le malade mourut de tuberculose généralisée, et il fut facile de
constater à l'autopsie qu'il n'y avait pas de hernie. Nous trouvons encore dans
la Revue des sciences médicales de 1874 une observation de Majewski, pré-
sentée à la Société médicale de Yilna, où l'erreur était encore plus explicable. Le
malade portait dans l'aine une tumeur anciennement réductible, devenue peu à
peu irréductible. Bientôt apparurent des douleurs, de la constipation. On crut
à un étranglement, et la kélotomie démontra qu'il s'agissait d'un kyste plein de
pus ichoreux développé dans un cancer du cordon. L'examen nécroscopique
démontra l'absence complète de hernie.
Dans la plupart de ces cas, d'ailleurs, on peut, avec l'examen des signes com-
municatifs, des antécédents, des lésions concomitantes, et surtout par une
analyse détaillée des symptômes du côté delà tumeur, rejeter l'idée d'un étran-
glement. Souvent, en effet, les phénomènes locaux offrent un caractère inflam-
matoire plus marqué dès le début. « Du côté du ventre, dit Duplay, manquent le
plus souvent une partie des symptômes de l'étranglement herniaire, et ceux qui
existent se font remarquer par une moindre intensité, ou bien encore c'est une
péritonite qui se développe presque d'emblée à une époque où l'étranglement
ne peut pas avoir encore déterminé cette complication. » C'est donc par suite
d'une sorte de défaut d'harmonie entre les divers symptômes et l'ordre de l'évo-
lution, et aussi à cause de l'absence presque complète parfois de certains signes
importants, que l'on arrivera à la vérité. Cependant, dans certains faits excep-
tionnels, les phénomènes morbides sont tellement complexes qu'il est bien diffi-
cile de ne pas commettre d'erreur. Comme exemple de difficultés véritablement
826 HERNIES.
considérables, nous pouvons citer l'observation publiée par le professeur Verneuil
dans la France médicale (juillet 1874). Il s'agit d'un malade porteur d'une
hernie inguinale congénitale et qui avait en même temps un kyste du cordon
enflammé et une obstruction intestinale. Les symptômes locaux et généraux
étaient absolument ceux de l'étranglement, et cependant la hernie n'était le
siège d'aucun accident. Dans les cas douteux il est permis de donner un purgatif
destiné à éclairer le chirurgien sur la perméabilité du tube intestinal.
Du reste, quel que soit l'embarras que le chirurgien puisse éprouver, il faut
toujours se souvenir qu'il y a bien moins d'inconvénient à croire à un étrangle-
ment qui n'existe pas qu'à le méconnaître quand il existe. La conséquence de
la première interprétation est de faire pratiquer quelquefois une kélotomie
inutile : mais, surtout depuis l'emploi de la méthode antiseptique, cette opéra-
tion a tellement purdu par elle-même de son ancienne gravité, qu'elle constitue
une lésion sans importance en comparaison de l'état grave dans lequel se trouve
le patient.
On peut quelquefois ne pas reconnaître que l'on a affaire à un étranglement,.
et celle erreur peut se conimeltre de deux façons. Le chirurgien, après avoir
constaté et reconnu la présence d'un certain nombre désignes de l'étranglement,
méconnaît chez son malade la présence d'une hernie et attribue alors les sym-
ptômes observés à une antre cause, à une entérite, une indigestion, une obstruc-
tion intestinale, etc. D'autres fois, au contraire, il a établi la corrélation qui
existe entre les symptômes généraux et fonctionnels et une hernie-irréductible,
mais il croit avoir affaire à autre chose qu'à un étranglement. Examinons
successivement ces deux cas.
Dans le premier groupe de faits, l'erreur, qui peut paraître considérable, peut
tenir à un examen trop superficiel et incomplet. Cependant, lorsque l'on est
appelé auprès d'un malade dans les premières heures d'un étranglement, c'est-
à-dire moins de vingt-quatre ou de trente-six heures après le début des acci-
dents, alors souvent que les symptômes sont incomplets et mal caractérisés,
cette faute est facile à comprendre. 11 existe, en effet, des malades qui possèdent
des hernies sans le savoir, et qui, par conséquent, non-seulement n'en parlent
pas, mais encore répondent négativement, de bonne foi, aux questions posées à
ce sujet. Ce sont ordinairement des femmes atteintes de hernies crurales peu
volumineuses, dissimulées souvent sous un embonpoint plus ou moins consi-
dérable. Mais il peut arriver aussi qu'on se trouve en présence de certaines
variétés rares de Iiernie siégeant dans des régions où le malade ignore la pos-
sibilité de cette affection, et qui n'ont, par suite, jamais attiré son attention. Nous
voulons parler ici des hernies, telles que les obturatrices ou ischiatiques, dont
l'existence ne peut souvent être révélée que par un examen médical des plus
minutieux, et qui échappent même parfois à toute recherche.
Nous pouvons à ce sujet citer de souvenir un cas qu'il nous a été donné
d'observer en 1878 à l'Hôtel-Dieu dans le service de Fauvel. Une femme entra
dans les salles avec tous les signes d'une obstruction intestinale. Malgré des
examens plusieurs fois renouvelés, nous n'avions pu constater la présence d'au-
cune tumeur herniaire; elle succomba, et à l'autopsie nous avons trouvé un
étranglement herniaire produit par un pincement latéral de l'iléon au niveau du
trou sous-pubien.
Il est d'autres malades qui savent bien qu'ils portent une petite tumeur
irréductible dans une région herniaire, et surtout dans l'aine, mais qui ignorent
HERNIES. 82T
que c'est une hernie. Elles en ont été si peu incommodées, qu'elles n'en parlent
pas et même, si on les interroge, ne donnent aucun renseignement à ce sujet
et n'attirent pas l'attention de ce côté. 11 s'agit ici, le plus souvent, de petites
hernies crurales, ou de hernies de la ligne blanche. Il en est d'autres encore,
et ce sont, ainsi que dans le cas précédent, surtout des femmes, qui savent bien
qu'elles portent une hernie, mais qui, ne lui attribuant aucune part dans les
accidents dont elles souffrent, n'en parlent pas, à moins que des questions pres-
santes ne les obligent à rendre compte de toutes les particularités de leur état.
Enfin Gosselin parle encore de certaines femmes qui, « retenues par une fausse
honte et ne voulant se soumettre à aucune exploration, non-seulement ne décla-
rent pas spontanément l'existence de la tumeur, mais répondent négativement
aux questions qui leur sont faites à ce sujet. »
D'autres fois la hernie peut être méconnue parce que l'irrégularité des sym-
ptômes fonctionnels, leur marche insolite, ou les erreurs d'appréciation résultant
de renseignements incomplets ou erronés, détournent l'attention du chirurgien.
Ainsi les vomissements se présentent, surtout dans les premiers jours, avec
une irrégularité si grande que l'on peut se tromper. Chez certains malades, les
nausées et les vomissements apparaissent très-vite, puis ils disparaissent pendant
quelques heures, quelquefois mên)c pendant plusieurs jours. Si le chirurgien
arrive avant leur retour, comme ce sont le plus souvent des matières alimen-
taires ou bilieuses qui ont été rejetées, il peut croire à une simple indigestion.
Dans certains cas douteux, c'est l'apparition seule des vomissements fécaloïdes
qui a mis le médecin sur la trace d'un étranglement, alors que jusque-là la
nature des matières expulsées avait pu faire penser à une péritonite.
D'ordinaire, le rejet de liquides fécaloïdes est considéré comme pathogno-
raonique, mais c'est là une opinion peut-être un peu exagérée, et en outre, dans
certains cas rares, ces vomissements se montrent si tard qu'il est utile d'avoir
avant leur apparition reconnu la nature des accidents. Il en est de même de la
constipation. C'est souvent un symptôme difficile à constater, et cela pour plu-
sieurs raisons. Il faut se souvenir, en premier lieu, que ce signe n'acquiert toute
sa valeur qu'au bout de deux ou trois jours. Il y a en effet bon nombre de
malades, et le fait s'observe encore surtout chez les femmes, qui sont habituel-
lement très-constipés et ne vont à la selle que tous les trois ou quatre jours.
Chez ces malades, la constipation ne prend une certaine valeur que lorsque la
durée a dépassé le délai normal. Daniel Mollière a insisté il y a quelques années
sur ce point et a indiqué combien il était important pour le chirurgien d'être
bien renseigné à ce sujet sur les habitudes du malade. D'un autre côté, celui-ci
peut de bonne foi vous fournir des renseignements erronés : il peut avoir pris
un ou plusieurs lavements, considéré comme des garde-robes le résultat de leur
expulsion et, sans les mentionner, affirmer qu'il y a eu une ou plusieurs selles
depuis le début des accidents. D'autres fois il avoue qu'il a pris des lavements,
et il faut toujours faire porter exactement son interrogatoire sur ce point, mais,
trompé par la couleur et l'odeur des substances rendues, il croit avoir évacué
des matières fécales, alors qu'il n'a fait que rendre le liquide du lavement. 11 est
absolument nécessaire, dans ce cas, que le chirurgien, s'il conserve le moindre
doute, examine lui-même le résultat des évacuations.
Enfin, en l'absence de tout remède, d'autres erreurs peuvent être commises.
Nous savons, en effet, que souvent le début de l'étranglement est suivi d'une ou
plusieurs garde-robes qui sont uniquement constituées par l'évacuation au bout
828 HERMES.
inférieur de l'intestin. Or, si celles-ci surviennent à un moment déjà éloigné
de celui où s'est produite la constriction de l'intestin, le chirurgien peut croire
à une véritable garde-robe et à la continuation de la perméabilité du tube intes-
tinal. L'erreur est facile à commettre : il faut se souvenir cependant qu'il est
très-rare de voir l'évacuation du bout inférieur se faire au delà des premières
douze heures.
Enfin il ne faut pas oublier que, dans certains cas, avec un étranglement par-
faitement constitué, on a observé une véritable diarrhée, causée par une hyper-
sécrétion muqueuse du bout inférieur. D'ordinaire ce symptôme coïncide avec de
l'algidité, de la cyanose, des crampes, et fait partie de cette variété clinique
connue sous le nom de choléra herniaire. La ressemblance peut être si parfaite
entre cet aspect et le véritable choléra, qu'en temps d'épidémie, en vertu de la
préoccupation qui domine tous les esprits, on a vu la confusion entre ces deux
affections se produire, et cela parce que la hernie, cause de tous les accidents,
avait échappé à l'examen.
Pour éviter toutes les erreurs que nous venons de passer en revue, il est abso-
lument nécessaire, lorsqu'un malade présente des symptômes fonctionnels ou
un état général qui rappelle l'étranglement, c'est-à-dire des nausées, des vomis-
sements, des coliques sans diarrhée évidente, etc., d'explorer minutieusement
toutes les régions herniaires et de se rendre bien compte par soi-même si les
symptômes observés ne coïncident pas avec la présence d'une tumeur irréduc-
tible capable de faire penser à une hernie étranglée.
Lorsque cette tumeur aura été constatée, il faut interroger le malade pour
savoir si elle a toujours été irréductible; dans le cas contraire, savoir bien
exactement à quel moment elle l'est devenue, et si elle rentrait facilement. 11
est utile aussi de s'enquérir si elle a jamais été maintenue par un bandage. Ce
dernier renseignement est ordinairement facile à obtenir. De plus, si l'irréducti-
bilité constatée est déjà ancienne, il faut s'informer si, depuis quelque temps,
la tumeur n'a pas pris brusquement un volume plus considérable que celui
qu'elle avait avant; si elle n'est pas plus dure, plus tendue, ou même doulou-
reuse. Enfin, si le malade, ce qui n'arrive pas toujours, est assez observateur
de lui-même pour pouvoir répondre à ces dernièies questions, il serait avan-
tageux de savoir encore si les changements constatés dans sa tumeur ont à peu
près co'incidé avec le début des accidents.
Lorsque l'on a pu, à l'aide de tous ces renseignements, lever tous doutes,
l'examen de la tumeur doit montrer si on peut établir un corrélation entre elle
et les symptômes observés. Quand une hernie dont l'irréductibilité a été con-
statée est le siège d'accidents, elle présente localement une série de signes qu'il
est bon de rechercher. Elle est ordinairement dure, tendue, plus ou moins élas-
tique, douloureuse spontanément et au toucher, et cette sensibilité, dans la
majorité des cas, est plus marquée au niveau du pédicule. Mais, en outre, l'étude
attentive de ses caractères physiques doit permettre au chirurgien de se rendre
compte de son contenu.
11 faut, en effet, chercher à reconnaître si l'on se trouve en présence d'une
entérocèle, d'une entéro-épiplocèle ou d'une épiplocèle pure. La connaissance
exacte de ce contenu peut avoir une certaine importance pour le diagnostic des
accidents. Cependant cette notion est quelquefois malaisée à acquérir.
La sonorité, les gargouillements à la pression, indiquent sûrement la présence
de l'intestin; de plus, d'après Duplay, la résistance et la tension, le petit volume
HERNIES. 829
de la tumeur, peuvent supple'er à l'existence de ces signes. Mais les deux
premiers sont souvent difficiles à percevoir : la sonorité peut être masquée par
l'abondance du liquide dans le sac, ou bien parce que l'anse étranglée ne
contient pas de gaz. Enfin, certains sacs très-épais, graisseux, la présence d'un
lipome herniaire ou d'un kyste pré-herniaire, peuvent empêcher le chirurgien
de la constater.
Quand l'épiploon fait partie de la hernie, on se trouve ordinairement en pré-
sence d'une tumeur plus volumineuse que dans le cas précédent, et son aspect
irrégulier, sa consistance lobulée, permettent d'en reconnaître la nature. La pré-
sence de la corde épiploïque de Velpeau est aussi un bon signe diagnostique. Dans
les épiplocèles pures, ces symptômes sont ordinairement assez facilement perçus,
bien que le diagnostic soit très-difficile entre l'épiplocèle simple et le lipome
herniaire. Cependant, si la tumeur est très-serrée, le pédicule de l'épiplocèle sera
plus dur que celui du lipome, et dans certains cas la présence de la corde
épiploïque lèvera tous les doutes.
Dans les cas d'entéro-épiplocèle, la disproportion parfois considérable entre la
quantité d'épiploon et l'anse contenue rend souvent le diagnostic de cette der-
nière presque impossible par l'examen physique seul, surtout si elle est cachée
derrière la masse épiploïque.
Il faut alors examiner les symptômes fonctionnels pour élucider la question.
Si ceux-ci sont groupés en nombre assez considérable pour que le tableau de
l'étranglement soit à peu près complet, il n'y a aucun doute possible. Dans le cas
contraire, et surtout lorsque les accidents sont assez récents pour que certains
signes, tels que les vomissements fécaloïdes, n'aient pas encore eu le temps de se
montrer, il est difficile d'affirmer l'incarcération intestinale.
C'est surtout dans les cas d'étranglement peu serrés, alors que le ballonnement
du ventre est peu marqué, qu'il n'y a que peu ou pas de symptômes généraux,
que le malade n'a pas le faciès abdominal caractéristique, et que tous les phéno-
mènes se bornent presque à de la constipation, des vomissements et de la dou-
leur, que le chirurgien a le droit d'hésiter. Dans ces cas douteux, Malgaigne con-
seillait la tempox'isation jusqu'à l'apparition de signes nouveaux capables de
confirmer l'étranglement intestinal. Aujourd'hui, au contraire, en présence de la
bénignité relative de la kélotomie pratiquée suivant les règles de la méthode
antiseptique, surtout lorsque les lésions intestinales ne sont pas encore très-
avancées, la ligne de conduite adoptée est toute différente. Il est de règle, en effet,
malgré l'absence de certitude complète de la présence de l'intestin dans la hernie,
de se conduire comme dans l'hypothèse la plus grave, et d'agir comme si l'on
était certain de l'existence d'un étranglement confirmé. Duplay accorde cepen-
dant que, dans ces cas, surtout si les accidents sont de date récente, c'est-à-dire
ne remontent pas à plus de vingt-quatre heures, il sera permis de faire usage d'un
purgatif d'exploration avant d'en arriver à une décision définitive. L'insuccès du
purgatif sera alors la preuve de l'occlusion intestinale.
Certains auteurs ont cru pouvoir inférer, de ce que certains signes manquaient,
que l'on avait affaire à un pincement herniaire au lieu d'un étranglement com-
plet. On a pensé que, dans ces hernies partielles, l'occlusion du tube intestinal
ne devait pas être absolue, et qu'il restait une certaine perméabilité de l'intestin
se traduisant, soit par la persistance du cours des matières, soit par la possibilité
du passage des gaz par l'anus. Berger, dans une intéressante leçon clinique
publiée dans la Semaine médicale (11 octobre 1883), conclut d'un cas qu'il
850 HERNIES.
rapporte que la persistance des matières est un signe patliognomonique du
pincement. Nous voulons bien croire que la persistance du cours des matières
et des gaz a une réelle valeur pour ce diagnostic, mais il y a de nombreux cas
d'occlusion intestinale complète dans les hernies latérales. Ferrier, dans sa thèse
déjà citée (Bordeaux, 1884) sur les 30 observations qu'il a pu rassembler, n'a
constaté que 6 fois l'existence de ce symptôme. Cette rareté en diminue certaine-
ment la valeur et nous montre qu'il est presque impossible d'établir siirement les
signes diagnostiques du pincement latéral.
Nous arrivons maintenant à un point particulier du diagnostic des accidents
herniaires. Le chirurgien sait qu'il a affaire à une hernie irréductible, doulou-
reuse, et qui a donné naissance à des accidents. 11 reste à déterminer leur nature.
Se trouve-t-on en présence d'une hernie étranglée ou d'une inflammation her-
niaire? Le diagnostic des hernies enflammées a aujourd'hui beaucoup perdu de
son importance, tant au pomt de vue dogmatique qu'au point de vue pratique.
Nous avons déjà vu, dans le cours de cet article, que le pseudo-étranglement de
Malgaigne n'existait pas; que les accidents à forme lente et incomplète, qu'il avait
vus quelquefois se terminer par laguérison, devaient être cozisidérés comme des
cas d'étranglement souvent peu serrés. Gosselin a démontré que le diagnostic
entre l'inflammation, telle que Malgaigne la comprenait, et l'étranglement, était
théoriquement et pratiquement impossible, et que se laisser prendre à la béni-
gnité apparente des symptômes dans certains cas pouvait conduire à des désastres.
Boiftîn a fait voir à son tour que, même dans les hernies volumineuses et adhé-
rentes, il falluit penser à la constriction mécanique de l'intestin, et que le signe
invoque par Malgaigne, la possibilité d'introduire le doigt entre l'anneau et le
pédicule de la hernie, au lieu d'écarter toute idée d'étranglement, devait amener
le chirurgien à songer à une autre forme d'obstacle et à un étranglement dans
le sac. Aussi nous ne nous attarderons pas davantage à cette question, qui a fait
l'objet de tant de controverses.
Cependant il faut diagnostiquer certaines formes d'inflammations herniaires
d'origine traumatique, et surtout les épiploites enflammées, qui peuvent souvent
en imposer pour un étranglement intestinal.
L'inflammation herniaire due à la contusion et au froissement de la tumeur
herniaire, ou bien à l'arrêt d'un corps étranger dans l'anse herniée, est ordi-
nairement facile à distinguer. Outre les ananinestiques qui pourront mettre sur
la voie, l'aspect clinique est le plus souvent bien différent de celui de l'étrangle-
ment. « Sans revenir sur la description des accidents qu'elle entrame, dit
S.Duplay, il suffira de rappeler que, si la hernie n'est pas toujours réductible,
quoique enflammée, elle ne présente ni tension ni résistance; que les phéno-
mènes locaux, de même que la réaction générale qui les accompagne, sont plutôt
ceux d'une inflammation que ceux de l'étranglement. » Enfin, dans les cas où
cette inflammation aboutit à la formation d'un phlegmon stercoral, tous les
signes locaux de cette terminaison seront facilement reconnaissables.
Le diagnostic entre l'épiploïte enflammée et l'étranglement est plus malaisé
dans certains cas. Le plus souvent cependant l'épiplocèle enflammée se recon-
naîtra aux caractères suivants : les phénomènes abdominaux et l'état général
sont moins accentués que dans l'étranglement; la constipation est moins absolue,
et presque toujours, quand elle existe, l'évacuation des gaz reste possible, les
vomissements sont plus rares et ne présentent jamais l'aspect caractéristique des
matières fécalo'ides. De plus, la marche et la terminaison sont différentes, car
HERNIES. 831
tous ces phénomènes persistent deux ou trois jours, puis, peu à peu, les vomisse-
ments et les autres signes disparaissent et les garde-robes se montrent de nou-
veau. D'ailleurs, les signes locaux ont aussi leur importance : la douleur locale
est peut-être plus accusée et plus vive que dans l'étranglement, mais, au lieu
d'être comme celle-ci limitée au pédicule, elle s'étend sur toute la tumeur.
Cette dernière n'est ni tendue, ni rénitente comme dans une hernie étranglée,
mais plus chaude et plus manifestement enflammée. Enfin le plus souvent on
peut reconnaître la consistance épiploïque, la hernie est mate et on n'y constate
jamais de gargouillement.
Cependant, malgré tous les signes que nous venons de passer en revue, on peut
rester hésit;mt, surtout quand la tumeur est volumineuse, sur la possibilité de
l'existence d'une anse intestinale cachée derrière l'épiploon. Dans certains cas,
en effet, les épiploïtes enflammées peuvent revêtir tous les signes d'un étrangle-
ment vrai et même provoquer des vomissements fécaloïdes. Aussi, dasis les cas
douteux, il faudra, ici aussi, adopter l'hypothèse la plus grave et agir comme
s'il s'agissait d'un étranglement confirmé.
On a, de plus, indiqué comme moyen de diagnostic, quand les symptômes des
accidents herniaires ne sont pas suffisamment manifestes, un taxis court et
modéré. Alors, si, sous l'influence de cette tentative, la hernie venait à se
réduire, on admet que l'on n'avait pas affaire à un véritable étranglement. Cette
conclusion est erronée; le taxis couronné de succès mettra, dins ces cas, fin aux
accidents, s'il est pratiqué avant que l'intestin soit atteint d'une façon irrémé-
diable, mais il n'indiquera nullement quelle était la cause de l'irréductibilité.
L'étranglement reconnu, la tâche du chirurgien n'est point terminée : il devra
s'efforcer de diagnostiquer quel est l'état de l'intestin liernié, s'il est sain, ou
gangrené et perforé. Il sera, en outre, nécessaire de cherchfr s'il n'y a pas de
complications graves du côté du péritoine et du côté des autres viscères, notam-
ment dans les poumons et les reins.
La gangrène intestinale peut facilement être reconnue, quand on rencontre,
dans une hernie étranglée, la sonorité tympanique de la tumeur; la présence de
gaz dans le sac, donnant lieu à la pression, à un bruit hydro-aérique manifeste;
la rougeur diffuse, livide, l'empâtement des téguments, et enfin surtout l'amin-
cissement de la peau, sa mortification limitée avec tous les signes d'un phlegmon
stercoral. Mais souvent on est appelé auprès du malade avant que les lésions
aient atteint un degré aussi avancé. De plus, les ecchymoses, la rougeur, l'œdème
inflammatoire des téguments, peuvent être dus, d'après Duplay, à des tenta-
tives de taxis, à des malaxations, à l'application de cataplasmes chauds ou de
la glace.
Souvent ces signes font défaut, et le diagnostic ne repose que sur des proba-
bilités : tels que la durée de l'étranglement, le degré supposé de constriction,
la présence ou l'absence d'épiploon, l'âge du sujet et enfin la variété de la
hernie.
On sait, du reste, que dans les entérocèles la gangrène se produit bien plus
rapidement que dans les épiplocèles, qu'elle est plus rapide aussi dans les hernies
petites et les pincements latéraux que dans les hernies volumineuses. Dans les
entéro-épiplocèles volumineuses, il est rare, dit Gosselin, que les perforations se
produisent avant la fin du troisième jour. Dans les petites entérocèles on l'a vu
survenir, au contraire, avant quarante-huit et même trente-six heures.
Enfin elle serait aussi plutôt à redouter dans les hernies crurales que dans les
832 HERNIES.
inguinales ordinaires, et dans les omphalocèles que dans ces dernières. Ce côté
de la question sera étudié en détail aux articles concernant chaque variété
{voy. Herîjier crurales, inguinales, ombilicales, etc.).
En résumé, ce sont là des présomptions, et, dans la plupart des cas, le
chirurgien sera obligé de se contenter de ces notions peu précises : ropératioii
seule lui permettra de se rendre un compte exact de l'état de l'intestin.
Il sera nécessaire d'explorer avec le plus grand soin le ventre du malade
atteint d'étranglement herniaire, pour savoir s'il n'existe pas des comphcations
graves du côté du péritoine. Le ballonnement peut être quelquefois produit par
une péritonite : cette lésion, quand elle existe, se révèle par ses signes ordinaires,
(jue nous n'avons pas besoin de rappeler ici. Si Ion constate sa présence, il
l'audra tâcher d'en reconnaître la variété, et savoir si l'on se trouve en face d'une
péritonite par perforation ou par propagation : car le mode de développement
de cet accident peut entraîner une conduite différente au point de vue de l'inter-
vention chirurgicale.
Enlin l'examen attentif des phénomènes généraux graves de l'étranglement,
l'exploration minutieuse des grands appareils et surtout des poumons, s'imposent
absolument: nous savons en effet aujourd'hui toute l'importance de ces lésions
sur le pronostic de l'élranglement. Quelquefois, si ces complications nerveuses
ou pulmonaires sont très-accentuées, elles pourront retenir la main du chirur-
gien et empêcher ane opération vouée d'avance à un insuccès certain.
Traitement des accidents herniaires. Lorsqu'un chirurgien se trouve en
présence d'une hernie irréductible, deux cas peuvent se présenter : ou bien
cette irréductibilité est ancienne et ne cause, au moment de l'examen, aucun
autre accident ; ou bien, au contraire, elle s'accompagne de symptômes locaux
et généraux donnant l'idée d'un étranglement. Dans les deux cas la conduite
à tenir est différente.
En présence d'une irréductibilité simple, surtout quand celle-ci est due à
des adhérences anciennes, on peut espérer en triompher par un traitement
approprié. Pour y arriver il faut, à l'exemple du professeur Trélal, mettre en
œuvre le traitement suivant, qu'il a vu pratiquer par Malgaigne. Le malade est
soumis à un séjour prolongé au lit; il prendra des purgatifs répétés tous les
quatre ou cinq jours, il se nourrira d'une façon modérée. Enfm on fera des
tentatives quotidiennes de réduction par compression, avec une bande main-
tenue en place continuellement, ou bien avec la bande élastique de Maisonneuve,
sans trop serrer et pendant trois heures tous les jours seulement. A cette
méthode le professeur Trélat ajoute, tous les quatre, six, ou huit jours, une
forte tentative de réduction, quelquefois même avec chloroforme.
Ce traitement doit être continué longtemps, sans que le malade ni le
chirurgien perdent patience. Ainsi M. Trélat, comme nous l'avons déjà vu, rap-
porte des guérisons par ces moyens au bout de vingt-neuf jours dans un cas,
au bout de deux mois dans un autre. Thiry (de Bruxelles) aurait obtenu la
guérison au bout de quatre mois. Si, malgré ce traitement pratiqué avec soin et
pendant un temps assez long, la hernie demeure irréductible, on sera autorisé
à pratiquer la cure radicale par les méthodes directes. Nous avons vu, en effet,
quand nous avons parlé de cette opération, que l'irréductibilité était regardée
par tous ses partisans comme une indication suffisante et universellement
acceptée de ce mode d'intervention. Nous n'y reviendrons pas ici : seulement il y
HERNIES. 855
aura souvent avantage 'de ne la pratiquer, s'il n'y a pas d'autres indications,
qu'après l'échec du traitement indiqué ci-dessus.
Quand, au contraire, on se trouve en présence d'une tumeur dont l'irréducti-
bilité récente paraît due à un étranglement, c'est-à-dire s'accompagne d'acci-
dents graves à marche rapide, la seule indication à laquelle doive obéir le traite-
ment à instituer, c'est la nécessité absolue d'une réduction totale, à moins
cependant que l'on soupçonne dans l'intestin des lésions trop avancées pour
que celle-ci puisse se pratiquer sans danger. Cette réduction ne peut s'obtenir
que de deux façons : par le taxis, que celui-ci soit simple ou facilité par une série
de moyens adjuvants que nous aurons à examiner, ou bien par la kélotomie.
La temporisation ne sera permise que dans un seul cas, c'est lorsque le chi-
rurgien aura diagnostiqué l'existence d'une épiplocèle enflammée. Alors seule-
ment on sera autorisé à traiter la tumeur herniaire par des bains, le repos au
lit et des cataplasmes, et, sous l'influence de ce traitement, on verra les acci-
dents diminuer et disparaître au bout de quelques jours. Cependant souvent
aussi la tumeur reste irréductible, car l'inflammation que l'on vient de combattre
aura donné lieu à des adhérences plus ou moins étendues, mais suffisantes pour
empêcher la réduction totale. 11 sera nécessaire alors d'employer, pour cette
hernie, le traitement indiqué ci-dessus pour l'irréductibilité simple.
Do TAXIS. On désigne sous le nom de taxis cette opération manuelle qui a
pour but de refouler la hernie et de la faire rentrer dans le ventre (Gosselin).
La pratique du taxis paraît fort ancienne, mais cette manœuvre, appliquée
indistinctement à toutes les hernies étranglées, et à tous les moments de l'étran-
"lement, a dû faire autrefois de nombreuses victimes. Comme toutes les méthodes,
elle s'est perfectionnée peu à peu et, à mesure que les accidents à combattre
ont été mieux connus, on s'est efforcé d'en mieux préciser l'emploi et d'en fixer
les règles.
C'est à peine si l'on trouve dans les auteurs anciens quelques mots qui
indiquent qu'ils connaissaient le taxis. Ainsi, d'après Broca, cette opération est
sio^nalée dans Praxagoras (de Cos) en ces termes : Manïbus premens intestina
magna qvassatione vexavit. Il faut arriver jusqu'à la Renaissance pour voir
décrire le taxis comme une manœuvre raisonnée. Ambroise Paré indique en
détail la position à donner au malade. Ce n'est guère qu'au dix-huitième siècle
que les chirurgiens, qui le pratiquent couramment, en reconnaissent les incon-
vénients et les dangers. J.-L. Petit s'élève contre le taxis violent et forcé et blâme
les gens qui veulent réduire toutes (les hernies étranglées), mêine celles qxd
résistent à une force modérée. Saviard, Pott, Sabatier, Desault, signalent à leur
tour les dangers de la violence et de la force. Richter, tout en recommandant
un taxis quelquefois très-prolongé, déclare cependant qu'il réussit rarement et
qu'il n'a pas grande confiance dans ce moyen. Scarpa croyait que son exagé-
ration était souvent la cause de la gangrène des hernies étranglées. Astley
Cooper, à son tour, était l'adversaire du taxis forcé et a conseillé de le con-
tinuer seulement pendant un quart d'heure ou une demi-heure, sans violence
Enfin Boyer se prononce à son tour contre l'exagération du taxis et en signale
les périls.
A ce moment s'ouvre une nouvelle période dans l'histoire de cette opération.
Âmussat, contrairement à tous les auteurs qui précèdent, se déclare le partisan du
taxis forcé et prolongé {Gaz. médicale, 1851, n° 52). II le pratiquait hardiment
résolument, quelle que fût l'ancienneté de l'étranglement, à moins qu'il n'y
DICT. ENC. 4° s. XIII. ^5
834 HERNIES.
eût sphacèle évident de la hernie. Outre certains moyens adjuvants ayant pour
but d'utiliser plus complètement la pression des mains, Amussat se fait assister
de plusieurs aides desquels il réclame des forces inteUigenles . Lisfranc, à peu
près à la même époque, se déclare lui aussi partisan du taxis forcé. En 1843,
Amussat préconisait de nouveau la méthode dans un mémoire à l'Académie des
sciences. Quelques années auparavant, en 1838, M. Nivet avait publié plusieurs
cas de succès dus à des taxis de trois quarts d'heure à une heure, faits successi-
vement par plusieurs personnes. En outre, en 1848 M. le docteur Yignolo, élève
d'Amussat, publia sur cette question un nouveau travail dans la Revue médicale,
et il insiste sur les détails de ce taxis forcé dans lequel intervient la force
combinée de plusieurs aides. Cette méthode, d'ailleurs, donnant lieu à de nom-
breux accidents, ne se vulgarisa pas rapidement.
Aussi, quand Gosselin, dans sa thèse de 1844, et dans un mémoire publié en
1859 {Du taxis forcé et prolongé dans l'étranglement herniaire), se déclara à
son tour partisan de ce mode de traitement, il ne le fit qu'avec des réserves.
A mesure, du reste, que ce maître avançait dans sa carrière, il devenait moins
partisan du taxis forcé. Dans ses Leçons sur les hernies abdominales, il en limite
encore l'emploi, en essayant d'en préciser les indications et les contre-indica-
tions; de plus, il insiste sur l'importance des moyens adjuvants, au premier rang
desquels il faut placer l'anesthésie. D'ailleurs, à la même époque, en 1861,
Streubel, en Allemagne, s'était, lui aussi, déclaré partisan du taxis prolongé
avec anestliésie. Si Gosselin a eu le mérite de préciser mieux que ses devan-
ciers les indications du taxis ancsthésique, il n'en est pas l'inventeur. Mayor
(de Lausanne) avait publié, dans la Gazette médicale du 20 février 1847, une
observation de hernie étranglée réduite sous l'influence de l'éthérisation. La
thèse de M. Lach (Paris, 1817) Sur les inhalations éthérées renkrme dix obser-
vations de hernies étranglées réduites à l'aide de l'anesthésie par l'éther. Enfin
Gnyton (de Nuits) avait fait paraître, dans les Archives générales de médecine
(1848), un travail dans lequel il avait cherché à tracer les indications et les
contre-indications à l'emploi des anesthésiques dans le taxis.
La doctrine de Gosselin, qui a pendant longtemps régné en France presque
sans conteste, à part quelques rares protestations dans les sociétés savantes
sur les accidents dus à des tentatives trop énergiques de réduction, ne saurait
plus être absolument admise aujourd'hui. D'ailleurs, quelques chirurgiens lui
ont toujours été opposés et nous nous borncions à citer l'opinion de Philippe
Coyer, qui était réputé pour ses succès dans la kélotomie à une époque où les
statistiques de cette opération était désastreuses. Ce chirurgien n'admettait qu'un
taxis extrêmement léger, suivi, en cas d'insuccès, d'une opération immédiate.
JVélaton, suivant en cela la pratique de Dupuytren, se déclare partisan d'un taxis
énergique, mais peu prolongé, ne dépassant pas une dizaine de minutes, tandis
que les partisans du taxis forcé, et Amussat en particulier, le prolongeaient trois
quarts d'heure, une heure et même deux. En 1867, M. Comoz, sous l'inspira-
tion du professeur Jarjavay, écrivait sa thèse sur les Inconvénients du taxis
forcé. D'ailleurs, le taxis prolongé et forcé a perdu peu à peu du terrain, et
Gosselin lui-même, tout en restant justement partisan du taxis anesthésique,
ne le prolongeait plus au déclin de sa carrière autant qu'autrefois, malgré
l'appui que lui avaient apporté Schede en 1874 {Centralhlatt fur Chirurgie),
qui préconisait hautement un taxis prolongé et très-énergique, A. Thirifahy qui,
dans le Bulletin de l'Académie chirurgicale de Belgique (1877), a insisté tout
HERMES. 855
particulièrement sur la nécessité d'un taxis doux, continu, persévérant et
progressif. Le chirurgien de la Charité redoutait de plus en plus les lésions
traumatiques intestinales et les autres accidents qui pouvaient résulter des
pressions trop considérables et trop prolongées.
Aussi, dans les Cliniques delà Charité {vol. III, p. 443) il a écrit sur ce sujet
les lignes suivantes : « Mais, à cette époque, nous n'avions pas la ressource du
chloroforme, et j'ai reconnu, une fois que cet adjuvant a été à ma disposition,
qu'il ne fallait pas tant de temps pour réduire une hernie inguinale quand elle
peut l'être. Après dix à douze minutes pour les petites ou vingt pour les grosses
la question est jugée. Si la réduction n'a pas été obtenue, c'est qu'elle est impos-
sible, et il faut procéder le plus promptement possible au débridement. »
C'est donc vers un taxis énergique et court que tend aujourd'hui la doctrine
chirurgicale, bien qu'il y ait encore des chirurgiens, comme Sonrier {Gaz. des
hôpitaux, 21 mai 1835) et Paris {ib., 2 juin 1885), qui publient des succès
dus au taxis progressif et prolongé. D'ailleurs, la généralisation de la méthode
antiseptique, en rendant les chirurgiens plus confiants et les opérations beau-
coup moins dangereuses, a amené un commencement de réaction en faveur
de la kélotomie. Le champ de ses indications s'est agrandi, et une des condi-
tions de succès les plus certaines, c'est d'agir rapidement, sur un intestin rela-
tivement sain. Aussi, en dehors des lésions dues à l'étranglement, le chirurgien
a avantage à ne pas pratiquer, avant son opération, des manœuvres de taxis
qui pourraient être assez énergiques pour contondre et meurtrir une anse intes-
tinale déjà au moins œdémateuse, mais qui souvent risqueraient de ne pas être
assez efficaces pour en obtenir la réduction.
Certains chirurgiens vont même trop loin peut-être dans ce sens et sont dis-
posés à repousser presque complètement le taxis. Ainsi Balestrié, dans sa thèse
de doctorat {Contribution à l'étude du taxis et de la kélotomie. Montpellier,
1882], faite à l'instigation du professeur Tédenat, se déclare partisan presque
exclusif de la kélotomie. Tout au plus, et presque à titre de concession, il
accorde qu'il sera permis de faire, dans les dix premières heures de l'étrangk-
ment, une légère tentative de taxis avant de recourir au couteau. Il y a là
croyons -nous, une certaine exagération, car c'est surtout en présence d'un
étranglement récent, à lésions encore peu accentuées, qu'un taxis bien fait a
des chances d'être couronné de succès. Si l'on se souvient que Gosselin a publié,
dans sa Clinique de la Charité, une statistique personnelle de 1 1 3 cas de hernies
étranglées dans lesquelles il a pu 67 fois obtenir la réduction par le taxis, avec
5 morts seulements et 64 guérisons, nul n'hésitera à user d'une méthode qui
a donné de si beaux résultats. Il faudra néanmoins pour l'employer obéir absolu-
ment aux indications exactes et la pratiquer avec toutes les précautions adoptées
aujourd'hui.
Indication et contre-indication du taxis. Avant de décrire le manuel opé-
ratoire, il nous paraît utile de préciser les indications de l'opération. iNous
avons vu qu'Amussat pratiquait toujours le taxis, sauf dans les cas où il y avait
un sphacèle évident de la hernie. Lisfranc, frappé des accidents de la méthode,
essaya de la réoler : il rejette le taxis dans les hernies à collet très-étroit qui
ont un pédicule mince, et dans lesquelles la tumeur est très-dure. De plus, il
ne voulait pas qu'on le tentât après le quatrième jour, alors même que les
symptômes locaux et généraux de la gangrène ne se seraient point encore montrés.
Le taxis est naturellement défendu lorsque l'on a des raisons pour croire
836 HERNIES.
l'intestin perforé, et surtout lorsque l'on constate les signes d'un phlegmon ster-
coral. « 11 est encore contre-indiqué, dit Gosselin, lorsque les signes précédents
manquent; l'âge de l'étranglement et le petit volume de la hernie autorisent
à craindre une perforation commencée ou confirmée. Dans le chapitre du dia-
gtiostlcje n'ai pas dissimulé les desiderata qui existaient à ce sujet. »
Quant aux indications, elles peuvent, d'après le même chirurgien, être ainsi
résumées : Le taxis est indiqué pour les hernies dans les vingt-quatre premières
heures de l'étranglement. Jusqu'à quarante-huit heures, à moins que l'on ne
constate quelqu'une des contre-indications formulées ci-dessus, il est encore
indiqué pour les grosses, les moyennes et quelques-unes des petites hernies.
Après trente-six heures, il faut cependant s'ahstenir dans les cas d'entérocèle pures
de petit volume. Jusqu'à soixante-douze heures, il est applicable pour les grosses
et les moyennes hernies. A partir du quatrième jour, à moins que la hernie ne
soit très-volumineuse, ou que l'opération soit impraticable par suite de circon-
stances particulières ou du refus du malade, il ne faut pas tenter le taxis. Ainsi,
cette opération est d'autant plus indiquée que l'on est plus rapproché du début
des accidents. Les règles de Gosselin, adoptées dans l'ensemble, ont été cepen-
dant légèrement modifiées par les auteurs qui ont suivi.
Ainsi, pour Le Dentu, les délais varient suivant les variétés et le volume des
hernies. 11 admet que, pour les très-petites, le taxis est dangereux dès le pre-
mier jour. De plus, pour les hernies inguinales, souvent plus volumineuses que
les crurales, le taxis est permis plus longtemps.
S. Duplay, dans son Traité de Pathologie externe, est plus affirmatif et plus
précis. Pour lui, le taxis est de règle pour toutes les hernies dans les premières
vingt-quatre heures de l'étranglement. Après trente-six heures, pour les hernies
petites, il sera sage de s'en tenir seulement à quelques tentatives de taxis avant
d'en venir à l'opération. Après quarante-huit heures, pour ces mêmes cas, il
sera prudent, dans la crainte de rentrer un intestin perforé ou gangrené, de
pratiquer immédiatement l'opération, sans taxis préalable.
Dans les hernies moyennes, Duplay accorde encore la possibilité des taxis, si
les accidents ne remontent pas à plus de quarante-huit heures : mais, dans ce
cas « on peut, dit-il, avoir recours au purgatif d'exploration, à la condition
expresse de surveiller de près ses effets et de recourir au taxis, puis à l'opéra-
tion, si au bout de cinq à six heures au plus le purgatif n'a amené aucun
effet. » Enfin, pour les grosses hernies, considérant le résultat souvent fatal de
l'opération, il conseille de revenir plusieurs fois à un taxis modéré aidé des
moyens adjuvants de toutes sortes.
En résumé, nous le voyons, les règles établies par Gosselin ont été modifiées
surtout dans le sens de la diminution des délais, dans le respect plus considé-
i-able de l'intestin au point de vue des malaxations. Le champ de la kélotomie
a été beaucoup augmenté, et les récents travaux sur les hernies volumineuses
et adhérentes rétendent encore, au détriment du taxis, et surtout du taxis violent
et forcé, aujourd'hui à peu près universellement repoussé.
Manuel opératoire du taxis. Le taxis se pratique avec ou sans anesthésie.
Toutes les fois qu'il le pourra, le cliirurgien devra préférer le taxis anesthésique,
qui est le seul véritablement efficace. Gosselin a, en effet, démontré que les chances
de succès sont notablement augmentées par l'emploi de l'anesthésie. « Je vois
encore, a-t-il écrit dans les Cliniques de la Charité, bien des cas dans lesquels
on le fait sans anesthésie; quand on réussit, tant mieux! mais, quand on ne
HERNIES. 837
réussit pas, rien n'est fait. On doit recommencer avec l'anesthésie, et alors on a
perdu du temps et l'on a soumis, sans profit, Jes viscères hernies à la contu-
sion qui est l'effet de la compression prolongée. »
L'emploi du chloroforme pour le taxis a plusieurs avantages. En premier lieu,
la suppression de la douleur permet au chirurgien de pousser la pression plus
loin qu'il ne le ferait, si la souffrance du malade devenait intolérable. En outre,
le malade ne remue pas, ce qui fait que toute la force déployée est mieux et
plus complètement utilisée. Enfin le relâchement de la paroi abdominale, qui
est la conséquence naturelle de l'anesthésie, facilite la réduction, d'après Guyton
et Gosselin. Nul doute, en effet, dit ce dernier, que ce soit un avantage « do
n'avoir plus à lutter contre celte contraction qui a pour résultat, en diminuant
la capacité de l'abdomen, de s'opposer à la rentrée des viscères. »
Pour pratiquer le taxis, le malade doit être placé dans le décubitiis dorsal,
l'anesthésie étant poussée jusqu'à la production, non-seulement de l'insensi-
bilité, mais encore de la résolution musculaire. De plus, pour obtenir le relâ-
chement des parois abdominales, la tête sera légèrement fléchie sur la poitrine
et soulevée par un oreiller; les cuisses seront légèrement fléchies, ainsi que les
jambes. Quant à la direction exacte à leur donner, il est d'usage de les placer
dans une légère abduction. Malgaigne, à propos de la hernie crurale, dit bien
que celte position, en tendant les adducteurs et par conséquent le fascia cribri-
formis, peut avoir certains désavantages, et que l'adduction serait préférable.
Mais l'incommodité qui en résulterait pour le chirurgien fait que d'ordinaire
on préfère l'abduction. Le vrai précepte est de mettre le malade dans la position
qui facilite le plus les manœuvres pour le cas parliculier.
Le chirurgien se place ensuite à côté du malade et de préférence du côté
droit, du moins si la hernie est à droite ou à peu près médiane. Mais là encore
il n'y a pas de règle absolue.
« Alors, la tumeur herniaire et ses environs ayant été préalablement rasés,
dit S. Duplay, puis essuyés avec soin, le chirurgien, que nous supposons placé
à droite, saisit entre le pouce et les premiers doigts de la main gauche le
pédicule de la hernie, de manière à l'entourer le plus complètement possible,
à l'effiler eu quelque sorte, et à l'éloigner légèrement de l'anneau, comme s'il
voulait faire sortir davantage la hernie; puis il saisit de la main droite, à
pleine main, le corps de la hernie, sans presser sur le fond du sac, et, avec les
doigts qui embrassent la tumeur, principalement avec le pouce et l'indicateur
de la main droite, il cherche à saisir le contenu de la hernie, à l'entraîner vers
l'anneau et à l'y faire pénétrer par une pression méthodique. Cependant les
doigts de la main gauche, entourant le pédicule, s'opposent à ce que le corps
du sac ou les viscères que refoule la main droite viennent s'étaler et s'aplatir en
quelque sorte autour de l'orifice herniaire, en maintenant par la pression qu'ils
exercent la forme pédiculée de la hernie. On commence par exercer une pression
assez modérée, puis on l'angmente progressivement en ayant toujours soin de
déplorer une force moindre au moyen des doigts qui étreignent le pédicule de
la hernie qu'avec ceux (jui l'embrassent et cherchent à le refouler vers l'orifice
herniaire. On doit également se garder de presser sur le fond du sac, mais il
faut varier avec la position des doigts la direction des pressions, afin de chercher
si les efforts, infructueux lorsqu'ils sont dirigés dans un sens déterminé, ne
seraient pas couronnés de succès lorsqu'on les fait porter sur un autre point. »
Quant au temps que doivent durer les séances de taxis et au degré de force
858 HERNIES.
qu'il convient de déployer, l'historique que nous avons fait précédemment du
taxis nous permettra d'être bref à ce sujet. Nous avons vu que tout le monde
aujourd'hui est d'avis de repousser ce taxis forcé d'Amussat et de Lisfranc, qui
était en même temps un taxis prolongé. Gosselin a indiqué, et nous y revien-
drons, que le temps des séances devait varier suivant la variété de chaque
hernie et l'âge de l'étranglement. D'ordinaire, le taxis ne doit pas être prolongé,
surtout lorsi|u'il est fait avec l'aide du chloroforme, au delà de quinze à vingt
minutes pour les petites hernies, et au delà d'une demi-heure pour les grosses
hernies. Souvent même, si, au bout de dix minutes, une petite hernie ne rentre
pas, il faudra recourir au bistouri. Le taxis sans anesthésie pourra être pro-
longé quelques minutes de plus. Le chirurgien doit se souvenir qu'il est néces-
saire que ses manœuvres ne portent aucune atteinte à la vitalité d'un intestin
déjà altéré par les lésions ducs à l'étranglement, et que, si le taxis doit échouer
et l'opération être pratiquée, celle-ci aura d'autant plus de chances de réussir
que l'anse herniée sera plus saine et moins contuse.
Quoi qu'il en soit, le taxis, quand on le tente, doit être suffisant, c'est-à-dire
remplir toutes les conditions qui permettent de faire rentrer la hernie ou d'af-
firmer, en cas d'échec, que l'opération seule est capable d'y arriver. De plus, il
doit être continu et non intermittent, c'est-à-dire, une fois qu'il est reconnu
nécessaire, il faut autant que possible le pousser jusqu'au bout, et bien se
convaincre du premier coup que l'irréductibilité est invincible, si on n'a pas le
bonheur d'obtenir la réduction. En effet, les séances successives, quand une pre-
mière tentative bien faite a échoué, ont ordinairement le même résultat, et con-
stituent une perte de temps regrettable au point de vue de la kélotomie.
Enfin, au point de vue de la force déployée, Gosselin a conseillé de faire un
taxis progressif, c'est-à-dire de débuter par une pression toujours modérée, pui>
de l'augmenter peu à peu, selon la résistance que l'on rencontre et suivant le
temps qui s'est écoulé. En d'autres termes, le taxis doit être d'autant plus forcé
qu'il est plus }irolongé. Quant aux limites dans lesquelles doit être maintenue
cette force, il est difficile de les indiquer d'une façon précise. Si la pression est
pratiquée d'une manière véritablement continue, sans secousses ni efforts,
brusques, comme cela doit se faire, on pourra aller, ainsi que le recommande
Gosselin, jusqu'à la fatigue des mains du chirurgien. Quelquefois même, et
surtout s'il s'agit d'une hernie volumineuse, difficilement embrassée par les
doigts de l'opérateur, celui-ci se fatigue vite; il pourra alors se l'aire aider par
un ou deux aides qui viennent successivement le remplacer. Mais tout le monde
s'accorde aujourd'hui pour ne plus admettre le taxis que Gosselin a appelé le
taxis à quatre ou six mains, c'est-à-dire celui dans lequel les pressions exercées
par un aide ou deux, venaient s'ajouter à l'effort produit par l'opérateur et
pendant qu'il pratiquait lui-même le taxis. C'était là ce qu'Amassât appelait
réclamer les forces intelligentes de ses aides. En résumé, et tout en restant
dans de prudentes limites, la pression doit être toujours progressive et soutenue,
s'exercer sur une surface large, ne jamais porter sur le fond du sac et être
toujours plus énergique de la part de la main qui refoule la hernie que de
celle qui étreint le pédicule (S. Uuplay).
Le manuel opératoire que nous venons de décrire n'a pas toujours été adopté
dans toutes ses parties. 11 a été modifié par certains auteurs. Ainsi Richter
prescrivait de placer un ou deux doigts très-près de l'anneau, à côté du pédicule
herniaire, et de pousser cette portion d'abord avec douceur, puis progressive-
HERNIES. 859
ment avoc beaucoup de force dans l'orifice. Streubel eu 1861, Max Schede
{Centralblatt fur Chirurgie, 1874), ont repris ce procédé en le transformant
en un véritable taxis forcé. « Ce dernier, dit S. Duplay, conseille de placer les
deux ponces de part et d'autre du pédicule de la hernie, et d'appuyer alterna-
tivement de l'un et de l'autre avec toute la force de l'opérateur, comme si l'on
voulait fourrer dans le trajet herniaire les parties qui sont placées immédiate-
ment au-dessous de lui. » Il aurait ainsi obtenu un grand nombre de succès.
Cependant, dans un cas, il fit une réduction en masse, et, dans quatre autres
cas, la réduction fut suivie^le phénomènes de péritonite, peu intenses, il est
vrai. De plus, quand les tentatives ont été infructueuses et la kélotomie prati-
quée, il y a eu 5 décès sur 10 opérations. Dans un cas suivi de mort, il existait
une gangrène étendue de l'épiploon. Quant aux 5 cas de succès, le chirurgien
constata dans trois d'entre eux une gangrène de l'intestin ou de l'épiploon. Ces
résultats nous paraissent suffisants pour montrer tout le danger de ce procédé
d'une énergie aveugle et par trop violente.
Lossen a décrit, à son tour, un nouveau procédé, basé sur sa théorie de l'étran-
glement. On se souvient, en effet, que, pour cet auteur, l'occlusion de l'intestin
serait uniquement due à la compression exercée par le bout supérieur de l'intes-
tin sur l'inférieur dans l'anneau herniaire. Aussi, il croit qu'il faut chercher
d'abord à dégager ce bout inférieur. Pour arriver à ce but, il conseille d'exercer
sur le pédicule de la hernie des pressions latérales, « qui doivent, dit S. Duplay,
à un moment donné, attirer le bout supérieur contre l'orifice herniaire et
dégager le bout inférieur; celui-ci, n'étant plus aplati par la pression du bout
supérieur, peut dès lors s'ouvrir et donner passage aux matières contenues
dans l'anse herniée. » Cette pratique des pressions latérales dans le taxis, qui
a été décrite en Allemagne sous le nom de méthode de Lossen, n'est pas nou-
velle. Gosselin y avait aussi recours dans quelques cas, surtout dans les hernies
assez volumineuses et proéminentes. Il ajoute, en effet, à la pression ordi-
naire « des mouvements en masse de latéralité ou d'avant en arrière. 11 m'a
iicmblé, dit-il, que ces mouvements avaient été utiles en amenant dans les
portions herniées des changements de position qui pouvaient faciliter la
réduction. »
D'ailleurs, si le moyen employé par Lossen est souvent avantageux, son
mécanisme n'est pas admis par tous les chirurgiens. Ainsi, pour Busch, qui croit
que l'étranglement est dû à la brusque coudure de l'intestin, les pressions
latérales n'agissent qu'en redressant simplement cette coudure, et en plaçant
l'un des deux bouts de l'anse dans le prolongement du bout intestinal avec
lequel il se continue : de là la réduction plus facile.
Enfin certains auteurs, entre autres Streubel, Linhart, Ileller, ont remis en
honneur une manœuvre déjà indiquée par Richter, et suivie par plusieurs
chirurgiens français. Elle consiste à exercer une traction sur le pédicule de la
hernie, comme si l'on voulait amener au dehors une plus grande quantité de
viscères. Pour se rendre compte de l'efficacité de ce moyen, il faut se souvenir
que c'est au niveau du point serré que l'intestin offre le maximum de ses alté-
rations. « Sillon d'étranglement dépoli, adhérences, dit Berger, tout s'oppose à
ce qu'un des deux bouts de l'anse herniée glisse sur le bout opposé, qui présente
des lésions analogues aux siennes. Attirez au dehors une portion saine du tube
intestinal, la surface polie permettra le glissement plus facile de l'anse étranglée ;
celte traction aura détruit les adhérences récentes, les obstacles seront diminués
840 HERNIES.
d'autant. » Berger croit en outre que par cette traction, on dégage aussi le coin
mésentérique, auquel il fait jouer un rôle si considérable dans les phénomènes
de l'étranglement, ce qui facilite d'autant la réduction.
On a essayé aussi, dans certains cas, de dégager l'anse heniiée en pratiquant
des tractions de dedans en dehors au lieu de pressions de dehors en dedans.
L'idée théorique est juste, et on sait combien il est facile, dans une autopsie
de hernie étranglée, de réduire l'étranglement en tirant sur un des deux bouts
de l'anse herniée. Le difficile était d'arriver sur le vivant à pratiquer cette
traction. Simon (de Heidelberg) avait bien proposé d'introduire la main dans
le rectum, d'aller à la recherche de l'anse herniée et de la dégager directe-
ment; les dangers inévitables de ces tentatives, et la difficulté presque insur-
montable de réussir à trouver un des bouts de l'anse herniée, ont empêché
jusqu'à présent de tenter la réduction par ce moyen. Il en est de même, du reste,
des injections forcées d'eau dans le rectum pour distendre tout le bout infé-
rieur et amener, par cette distension, une traction intérieure de cette extrémité.
On voit toutes les difficultés et les dangers de ces procédés que nous ne citons
ici que pour mémoire et que nous repoussons complètement.
Enfin quelquefois les chirurgiens ont pensé à faciliter la réduction pai-
certaines positions données au malade; nous voulons parler de l'inversion,
préconisée en 1842, par un chirurgien américain, D. Leasure, qui lui a dû un
certain nombre de succès et qui croit que cette méthode, anciennement connue,
mérite d'être tirée de l'oubli. Morand, Sharp et lleuermann, auraient, d'après
Richter, réussi à faire rentrer des hernies par ce procédé, et Louis cite un cas
de réduction spontanée d'une hernie qu'on était sur le point d'opérer en pra-
tiquant le renversement du malade. Voici comment Leasure a décrit ce procédé
qu'il a appelé Méthode tractive de réduction de hernie étranglée [The Ame-
rican of Journal Science, 1874. Analyse in Revue des sciences médicales de
Haijem, t. IV, p. 588). Le malade est d'abord mis en travers sur le bord
du lit, puis un aide lui tournant le dos se place entre ses jambes de manière
que les jarrets du malade reposent sur les épaules de l'aide qui les y main-
tient avec ses mains. Puis celui-ci, se relevant peu à peu, soulève le malade
jusqu'à ce qu'il ne repose plus sur le lit que par la tête et le haut des
épaules.
Le chirurgien saisit alors la hernie, pratique un taxis léger, presque toujours
suivi d'un succès rapide, la masse intestinale entraînant par son poids les
parties herniées vers la cavité abdominale. Dans cette position, ainsi que le
fait remarquer Ch, Périer, qui a publié un succès remarquable obtenu par ce
moyen {Gaz. hebd., p. 356, 1875), l'abdomen devient concave, et ses parois
sont relâchées par suite de la forte flexion imposée à la colonne vertébrale. Ce
procédé a, d'ailleurs, subi aussi quelques modifications n'altérant du reste en
rien son principe, qui est de faciliter la réduction de la hernie à l'aide de la
traction exercée sur l'anse herniée par le déplacement de la masse intestinale.
Thornton a publié dans the Lancet, de 1875, un cas de réduction d'une hernie
étranglée par le moyen suivant : Le malade couché dans le décubitus dorsal,
le pied du lit est élevé de manière à former un angle de 45 degrés avec l'horizon.
Au bout de vingt-cinq minutes, réduction spontanée. Enfin Karl Nicolaus a
inséré dans le Centralblatt fiir Chirurgie, 1886 (numéro 6), un travail sur
une nouvelle méthode de réduction des hernies. Il préconise, lui aussi, la
réduction par traction, au lieu du taxis par pression. Il rappelle que Covillard
HERNIES. 841
avait proposé au seizième siècle de suspendre le patient par les jambes, que
Renéaulme de Lagaranne le faisait mettre à quatre pattes sur les genoux et les
coudes. Nicolaus propose, lui, la position à quatre pattes sur les genoux et les
épaules. Il admet encore le décubitus latéral avec élévation du bassin. Il affirme
que, dans cette position, l'abaissement delà pression abdominale est le plus
considérable, surtout si l'on prend soin d'élever les genoux sur un coussin et
de vider l'estomac, la vessie et le rectum. Dans plusieurs cas où le taxis ordi-
naire avait été infructueux, l'auteur a pu, par ce moyen, obtenir une rentrée
spontanée de hernies étranglées. La position a été gardée par les. malades de
vingt minutes à trois quarts d'heure. Quelquefois on a fait deux séances de
trois quarts d'heure.
Dans tous ces procédés le mécanisme est le même. Les muscles du ventre
sont relâchés, les viscères tombent sur la paroi abdominale antéro-supérieure et
sur le diaphragme. L'intestin, attiré par son propre poids, n'est plus suspendu,
dit Duplay, que par la partie étranglée sur laquelle il exerce une traction
douce et continue qui suffit à le dégager et à assurer sa réduction; si celle-ci
tarde à se produire, on n"a qu'à saisir le pédicule et à le soulever comme pour
attirer les portions saines de l'intestin dans le sac; la réduction suit bientôt ces
manœuvres, si l'intestin n'est pas encore trop altéré. Il faut, en effet, ne se
servir de cette méthode que lorsque l'intégrité de l'intestin est certaine; témoin
le cas souvent rapporté, et raconté- par Leasure, de ce charlatan qui, voulant
appliquer le procédé de l'inversion, dans un cas où l'étranglement datait de
plusieurs jours, plaça sur ses épaules les jambes du malade et le traîna dans
la chambre en le secouant si fortement, que l'anse herniée se détacha au niveau
du collet, et que le malade mourut dans la journée.
Je ne citerai ensuite qu'en passant le procédé inauguré par Richter et
rapporté par Duplay, qui consiste à renverser le corps du malade en arrière et
à le faire plier du côté opposé à la hernie pour pratiquer le taxis. Les muscles
du ventre tendus écarteraient ainsi les piliers de l'anneau et faciliteraient la
réduction.
Enfin, avant de terminer l'histoire des divers procédés du taxis, il nous reste
à parler de deux modifications ayant pour but de faire rentrer la hernie en
substituant une force mécanique à la pression de la main : ce sont la bande
élastique de Maisonneuve et le sac de plomh de Lannelongue. C'est en 1863,
à l'Académie des sciences, que Maisonneuve publia son travail sur la réduction
des hernies irréductibles et étranglées par la puissance élastique des bandes
de caoutchouc. Il avait inventé deux procédés, un enroulement de la hernie par
une bande de caoutchouc, lorsqu'elle est volumineuse, facile à .saisir et bien*
pédiculisée, et dans les cas de hernies petites et peu saisissables il exerçait la
pression à l'aide d'une pelote à compression, maintenue et appliquée à l'aide
de bandes élastiques. Le premier de ces procédés est seul resté dans la pra-
tique. Voici comment Maisonneuve le décrit : « Le chirurgien s'étant muni
d'une bande de caoutchouc, longue de 4 à 5 mètres, large de 7 centimètres,
commence par former un pédicule à la tumeur en appliquant à son collet trois
à quatre tours de bande, roulés en corde et fortement serrés, puis, rendant à la
bande toute sa largeur, il embrasse dans ses doloires la superficie entière de la
tumeur, de manière à exercer sur elle une pression régulière et puissante. »
La constriction énergique de la bande autour du collet aurait, entre autres
avantages, celui de préparer les organes hernies à franchir l'anneau en les
842 HERNIES.
forçant à passer préalablement par cette sorte d'orifice élastique où ils com-
mencent à s'effiler et à s'amoindrir. Souvent, à mesure que l'on termine le
placement de l'appareil, on voit brusquement la hernie diminuer de volume et
la réduction s'opérer. Mais, dans les cas où cette réduction se tait attendre, et où
la bande reste en place une heure ou deux sans produire le résultat cherché,
on peut, pendant qu'elle est appliquée, pratiquer le taxis manuel. Cette manière
de faire est recommandée par Gosselin. Delaunay, dans sa thèse {Du taxis. Paris,
1877), rapporte un cas de succès, dû à ce double moyen, tiré de la pratique
de Benj. Anger. Ordinairement le z'ésultat est plus rapidement obtenu, ainsi
que le démontrent des observations contenues dans les thèses de Moynac (Traiie-
ment des hernies par le caoutchouc. Tlièse de Paris, 1875) et de Morel (De la
hernie étranglée. Diagnostic et traitement. Paris, 1859).
Ce procédé est avantageux et d'une application facile pour les hernies volu-
mineuses inguino-scrotales, et certaines ombilicales énormes qui peuvent être
bien entourées par la bande et comprimées circulairement. 11 est difficile à
utiliser, d'après Gossolin, pour la plupart des hernies inguinales interslilielles,
crurales, ombilicales. Enfin cet auteur recommande aussi de ne pas l'appliquer
dans les cas de tumeurs très-douloureuses, car la constriction opérée par la
bande est difficile à supporter sans anesthésie. Ajoutons enfin que, de même
que tous les procédés de taxis, et plus que les autres peut-être, il ne doit être
usité que dans les cas où le chirurgien se -croit assuré de l'intégrité complète
de l'anse herniée, car sa force considérable et aveugle le rend particulièrement
dangereux dans les cas de lésions graves de l'intestin. On peut l'employer aussi
bien avec le chloroforme que sans anesthésie.
Enfin rappelons ici que ce procédé est très-avantageux pour les grosses
hernies simplement irréductibles et adhérentes. Des séances renouvelées, mais
prudemment surveillées, pourront être très-utiles pour obtenir des réductions
souvent inespérées.
M. Lannelongue a imaginé d'exercer, au niveau du pédicule de la hernie, une
compression continue à l'aide d'w« sac de plomb. Ce procédé a été présenté
par lui à la Société de chirurgie en 1870, appuyé sur deux observations où il
avait permis de réduire des hernies étranglées qui avaient résisté au taxis. Pour
l'appliquer, on prend un sac de cuir en forme d'entonnoir, dont la petite extré-
mité est fermée et n'a pas plus de o centimètres de diamètre. On met dedans
environ 2500 à 5000 grammes de grenaille de plomb. On attache ce sac à un
cerceau, de façon que sa petite extrémité repose sur la paroi abdominale au-
dessus du pédicule de la hernie et y pèse de tout son poids. Dans la première
observation de M. Lannelongue le sac resta en place trois quarts d'heure ; dans
la seconde, au bout de cinq minutes, on put faire rentrer la hernie à l'aide d'un
taxis léger. D'habitude, l'application doit durer une quinzaine de minutes. Plu-
sieurs chirurgiens ont employé cette méthode avec succès, entre autres MM. Colson
père et Bourgeois (de Beauvais); seulement, ils ont laissé le sac de plomb beau-
coup plus longtemps que ne l'avait recommandé M. Lannelongue. Il est probable,
d'après son inventeur, que son mode d'action est le suivant : il fatigue la paroi
abdominale au point d'amener le relâchement musculaire, et probablement
aussi il exerce un tiraillement en sens inverse sur l'intestin engagé. Berger
croit, en outre, que la pression du sac de plomb peut refouler les liquides et
affaisser le bout supérieur dont l'évacuation laisse plus de liberté au bout
inférieur.
HERNIES. 845
Ce procédé du sac de plomb a été étendu aussi aux hernies irréductibles, et
ce mode d'emploi a été étudié par Dupin dans sa thèse {De la compression par
le sac de plomb dans les hernies irréductibles simples. Paris, 1879). Ce traite-
ment serait plus rapide que celui de Trélat, car, dans les observations citées
par l'auteur, les hernies auraient été réduites après une application du sac,
pendant deux, sept et onze jours, La réduction ainsi obtenue, la hernie doit
€tre maintenue par un bandage ; si elle est incoercible, il faudra recourir à la
cure radicale. La pression continuée est ordinairement bien supportée et n'a
pas causé d'accidents. Dupin a réuni dans sa thèse 7 observations, dans lesquelles
le succès a été constamment obtenu.
Quel que soit le mode de taxis adopté, le chirurgien sera averti du succès de
«es efforts par les phénomènes suivants. Au moment de la réduction de la
hernie, il éprouvera la sensation brusque d'une résistance vaincue; en même
temps, la tumeur diminue très-rapidement entre les doigts, et souvent même
disparaît, en produisant presque toujours un gargouillement très-appréciable
au doigt et à l'oreille. Le malade éprouve très-rapidement une sorte de détente,
un soulagement très-manifeste. Les douleurs disparaissent très-vite et, dans la
plupart des cas, on constate, au bout de quelques heures, une évacuation alvine
plus ou moins abondante. Quelquefois les selles se font attendre pendant plu-
sieurs heures, quoique la réduction soit complète, mais il sort par l'anus des
gaz en abondance variable qui sulfisent pour indiquer que l'étranglement est
levé et le cours des matières rétabli.
Dans quelques cas cependant les phénomènes de réduction ne sont pas aussi
faciles à constater que nous venons de le dire et le chirurgien peut méconnaître
le succès de ses tentatives.
Quand il existe, dans une petite hernie, un sac graisseux très-épais, la tumeur
extérieure reste assez volumineuse pour que le chirurgien puisse croire à une
réduction incomplète alors que tout l'intestin est rentré. Cependant, si l'on a
constaté une diminution brusque de sou volume, accompagnée de gargouille-
ment, on peut croire à une réduction intestinale, et le rétablissement des fonc-
tions donne quelques heures après la preuve de la réduction.
Lorsqu'on essaye de réduire une entéro-épiplocèle volumineuse, que l'intestin
•seul est réductible et l'épiploon depuis longtemps adhérent, l'anse, parfois
petite, rentre sans que la diminution de volume soit appréciable, sans produire
ni gargouillement, ni sensation de résistance vaincue. Alors on peut recon-
naître la réduction au changement de consistance de la tumeur, qui est moins
tendue, plus pâteuse, plus molle; souvent on trouve aussi que le doigt peut
pénétrer plus facilement dans l'anneau. Dans certains cas, cependant, ces signes
peuvent faire défaut et le chirurgien reste dans le doute, jusqu'à ce que les
résultats de l'observation ultérieure viennent démontrer la fin des accidents.
On sera alors en droit, d'après Gosselin, de donner un purgatif d'exploration,
pour être fixé sur le rétablissement du cours des matières.
Enfin quelquefois l'opérateur ne perçoit ni gargouillement, ni sensation de
résistance vaincue, mais il semble que la tumeur sans avoir notablement dimi-
nué est un peu moins consistante. Si l'on continue alors le taxis on voit la
hernie s'amoindrir peu à peu sous la pression et rentrer progressivement par le
moindre effort. Ces phénomènes se produisent dans les entéro-épiplocèles volu-
mineuses, et il est probabloque le taxis a réduit d'abord les gaz contenus dans
l'intestin, puis l'anse elle-même, et finalement la masse épiploïque.
844 HERNIES.
Dans certains cas, au contraire, le cliirurgien peut, en dehors de tout accident,
croire à une réduction qui n'existe pas, car il peut arriver que celle-ci n'est
qu'apparente, ce qui tient au refoulement simultané de la tumeur et des plans
musculaires sur lesquels elle repose.
Enfin cette opération peut donner lieu à de nombreux accidents, dont les plus
graves sont les fausses réductions.
AcciDE.NTS DU TAXIS. Ces accideuts peuvent être divisés en deux catégories.
La première comprend ceux qui succèdent à un taxis complet et couronné de
succès ; ils sont consécutifs à la réduction. La seconde, au contraire, comprend
tous les cas de fausse réduction dans lesquels les phénomènes de l'étranglement
persistent après la rentrée de la tumeur.
1" Accidents consécutifs à la réduction vraie. Un des premiers inconvénients
du taxis est la contusion des parties contenues dans la hernie. Il n'est pas rare
d'observer, chez un malade qui vient de le supporter, de la rougeur de la peau,
do l'œdème et môme des ecchymoses des téguments. On a noté quelquefois des
infiltrations sanguines dans l'épaisseur des enveloppes. Tous ces accideuts sont
souvent le résultat de violences exagérées.
Les mêmes lésions peuvent se retrouver aussi sur les parties contenues, l'épi-
ploon et l'intestin, dans les cas où la force déployée a été exagérée. Nous ne nous
arrêterons pas à l'objection, faite par Scarpa au taxis, de produire souvent la
gangrène de l'intestin. 11 est aujourd'hui reconnu que, quand le taxis a été fait
avec la modération convenable et surtout à un moment où les lésions intestinales
ne sont pas encore avancées, il est incapable d'exagérur les lésions et de dimi-
nuer la vitalité des tissus. Cependant quand l'intestin est fortement conges-
tionné, que dans ses vaisseaux et ceux de l'épiploon, la stase sanguine est à peu
près complète, il peut y avoir, par suite des pressions, des ruptures vasculaires
qui expliquent la coloration rougeàtre du liquide du sac et les ecchymoses
que l'on peut observer sur tous ces organes. C'est de la même façon, à notre
avis, qu'il faut interpréter les hémorrhagies intestinales qui peuvent succéder
aux tentatives de réduction. Ces faits sont rares, mais nous en connaissons
quelques exenq}lcs : ainsi, dans une observation de Piedvache, communiquée
en 1861 à la Société anatomique de Paris, deux tentatives de taxis et des
manœuvres pratiquées par le malade furent suivies d'une hémorrhagie intesti-
nale assez considérable pour avoir été l'une des causes principales de la mort.
De même dans l'observation d'Eustache, lue à la Société de chirurgie en 1879,
une courte séance de sept minutes sous le chloroforme, aidée de l'inversion,
a été suivie le lendemain de deux selles sanglantes, de la quantité de 1/2 htre
à peu près. Il est vrai que, dans ce dernier cas, il y avait une gangrène pré-
coce de l'anse herniée. Mais cet accident ne se présente pas toujours avec la
même gravité. En effet, Barthélémy a publié, dans la France médicale, une
observation d'héraorrhagie intestinale consécutive au taxis, et dans^laquelle la
guérison survint sans autre accident. Nous avons été témoin d'un fait analogue,
dans le service du professeur Démons (de Bordeaux), en 1881. Dans ce cas,
l'hémorrhagie fut peu abondante, consécutive à la réduction, et la guérison se
produisit très-aisément.
Enfin, si le taxis, mal appliqué, réduit dans l'abdomen un intestin fortement
compromis et menacé de perforations, on peut voir survenir une péritonite par
perforation qui emporte le malade en quelques heures. La déchirure peut se
produire au moment même de la réduction, et les accidents sont alors immé-
HERNIES. 845
(liais : la rentrée de l'intestin, nu lieu d'être suivie de la sensation de sou-
lagement habituelle, provoque, au contraire, de suite, les douleurs rapide-
ment atroces de la péritonite suraigiië. D'autres fois la perforation est relative-
ment tardive; elle ne survient qu'au bout de quelques heures et même de
quelques jours. Nous en avons signalé plusieurs exemples en parlant de la
gangrène dans l'étranglement.
2° Persistance des phénomènes de l'étranglement après la réduction. Dans
un certain nombre de cas, le taxis a fait disparaître la tumeur herniaire, et
cependant les accidents d'étranglement au lieu de prendre fin, persistent avec
la même intensité, la constipation est aussi absolue, les douleurs sont tout aussi
violentes qu'auparavant, et les vomissements se montrent encore avec tous leurs
caractères spéciaux.
Ces faits, qui sont heureusement peu fréquents, mais qu'il faut bien connaître
à cause de leur gravité tout exceptionnelle, avaient déjà été observés par les
chirurgiens du siècle dernier. Saviard, Ledran, Arnaud, Lafaye, en avaient
signalé plusieurs exemples que l'on trouve relatés dans les Mémoires de l'Aca-
démie de chirurgie, et nous avons déjà indiqué les discussions auxquelles ils
avaient donné lieu, puisque Louis se refusait à en admettre la réalité, en contes-
tant la possibilité de la réduction en masse.
Richter avait divisé en 6 classes les causes de la persistance des accidents
d'étranglement après la réduction apparente : sa description n'a pas été con-
servée et la question a fait l'objet d'un certain nombre de travaux que nous
allons énumérer rapidement. Un des plus importants est le mémoire d'un chirur-
gien anglais, Lucke, publié en 1844 dans le Journal de chirurgie de Malgaigne;
puis vient le travail de Parise, communiqué en 1851 à la Société de chirurgie
et suivi d'un rapport très-savant de Gosselin. Ensuite nous devons signaler
une communication de Streubel à la Société médicale de Leipzig en 1864.
Depuis, de nouveaux faits ont été l'occasion de mémoires fort intéressants sur ce
sujet : ce sont ceux de Bourguet (d'Aix), publié en 1876 dans les Archives
générales de médecine, et de Kronlein (de Berlin), inséré dans les Archiv fur
klinische Chirurgie. Enfin, pendant ces dernières années, ce sujet a été traité
plus ou moins complètement dans un certain nombre de thèses inaugurales, parmi
lesquelles nous citerons celles : de Coutagne {Persistance de l'étranglement ou
des symptômes de l'étranglement dans les hernies après leur réduction.
Paris, 1855), de Plantié {Des causes qui maintiennent ou simulent V étrangle-
ment après la réduction des hernies. Paris, 1879), de J. Perret {Contribution
à l'étude des accidents consécutifs à la réduction de l'entérocèle étranglée et
en particulier des vomissements fécaloïdes et de l'entérite. Paris, 1879) et de
J. Osorio {Considération sur la réduction en masse de la hernie étranglée.
Paris, 1879).
A l'exemple de S. Duyplav {Traité élémentaire de pathologie externe), nous
diviserons tous ces faits en quatre groupes :
A. Dans une première catégorie nous placerons les fausses réductions, c'est-
à-dire les cas où, malgré les apparences, le taxis n'a pas réussi à faire rentrer
l'intestin dans la cavité péritonéale. Ces fausses réductions peuvent tenir: 1" à
mie réduction incomplète; 2" à une réduction en masse; 5» à la réduction de
l'intestin dans un sac préexistant ; 4» à la réduction dans le tissu cellulaire
sous-péritonéal à travers une déchirure du sac.
B. Une seconde classe comprendra les cas où l'anse étranglée a bien été
840 IIERiNlES.
réduite, mais où elle a entraîné avec elle l'agent de l'étranglement, substituant
un étrani'lemcnt interne à un étranglement externe.
G. Dans un troisième groupe nous rangerons les cas où la hernie a bien été
réduite, mais où il existait à côté une autre hernie véritablement étranglée,
cause de tous les accidents et méconnue.
D. Enfin la réduction a i éussi, mais des lésions intestinales persistantes peu-
vent produire la permanence des ;iccidcnts.
A. Persistance des acciâenls due h une fausse réduction. On désigne sous
le nom de fausse réduction les cas dans lestjuels le Iaxis a réussi à faire dispa-
raître la (umeur herniaire sans dégager l'intestin de l'agent de l'étranglemeat
et sans le replacer convenablement dans la cavité [érilonéale. Il peut y avoir
plusieurs variétés.
1» Réductions incomplètes. La réduction incomplète ne s'observe guère
(ju'à l'armeau inguinal et à cause de la longueur du trajet interstitiel. Elle peut
se produire de deux manières. Dans certaines hernies obliques externes, dans
les(juelles le sac possède un double collet, la réduction peut simplement faire
rentrer l'intestin en dedans de l'anneau externe, mais sans lui faire franchir
l'anneau interne où siège le véritable agent de l'étranglement. Celui-ci continue
alors malgré la disparition de la tumeur extérieure. Dans d'autres cas, au con-
traire, la réduction incomplète peut tenir à ce (jue le chirurgien n'a pas poussé
assez loin les manoeuvres et que l'intestin, au lieu d'être complètement retourné
dans le ventre, reste en partie engagé au niveau de l'anneau constricteur. Cette
dernière variété est très-rare, car d'ordinaire, nous le savons, l'intestin rentre
d'un seul coup, presque brusquement, en produisant le gargouillement carac-
téristique.
Ces deux accidents sont d'ailleurs faciles à éviter, si le chirurgien prend la pré-
caution, qu'il faut toujours observer, d'explorer avec le doigt le trajet herniaire
une fois la hernie rentrée. Si la réduction était incomplète, cette simple ii spec-
tion suftlrait à l'avertir de la nécessité de continuer ses manœuvres.
B. De la réduction en masse. On désigne sous le nom de réduction en
masse la rentrée en bloc, dans la cavité abdominale, de l'intestin et du sac qui
lui sert d'enveloppe, l'étranglement étant uniijuement causé par le collet du sac.
C'est la plus fréquente des fausses réductions et elle est connue déjà depuis
longtemps. La première observation publiée est due à Saviard, en 1695, et se
trouve dans son Nouveau recueil d'observations chirurgicales (Paris, 170!2),
obs. XIX). En 1727, Ledran en fit connaître une seconde. Un homme était por-
teur d'une hernie crurale étranglée ; le chirurgien qui la réduisit remarqua
qu'il n'v avait pas eu de gargouillement et que les parties avaient passé sous
le ligament en bloc, comme aurait pu le faire une balle de paume. Sept jours
après il mourut, sans que les accidents eussent cessé. A l'autopsie, on trouva
dans le ventre le sac, qui avait 8 centimètres de haut sur o centimètres de cir-
conférence, et dans ce sac était encore une portion considérable du jéjunum. II
fallut inciser le collet avec des ciseaux pour pouvoir dégager l'intestin. Arnaud
a rapporté à son tour, en 1749, dans son Traité des hernies, plusieurs cas de
réduction en masse. En 1765, Lafaye en relata deux nouveaux faits. Dans l'un
d'eux, les acci .^eEts persistant après la réduction, le malade se leva, toussa, la
tumeur reparut, on opéra et le malade guérit. Ces cas nouveaux, qui furent
considérés d'abord comme la preuve de la possibilité de l'étranglement par le
collet du sac, n'ont pas été admis sans conteste, Louis, à l'Académie de chi-
HERNIES. 84Î
rurgie, se refusa à les accepter et s'éleva avec force contre la possibilité physique
de la réduction du sac. Cependant la réalité de la réduction en masse fut bientôt
mise hors de doute par les travaux de Uichter, puis par ceux de Descamps, de
Scarpa. Enfin, dans sa thèse de 1819, J. Cloquet vient démontrer d'une fa'çon
définitive la possibilité de l'accident, en s'appuyant sur des faits cliniques et sur
des expériences cadavériques. Dupuytren, à son tour, étudia la question dans
ses leçons orales. En Angleterre, la première observation publiée appartient à
Bel (1828), puis bientôt surviennent les travaux de Banner, James Luke, Teale.
En 1846, ce dernier publia la première statistique comprenant 26 réductions en
masse; Scribe, dans sa thèse de Giessen (1855), Dieulafoy, à Toulouse (1858),
en font connaître de nouveaux cas, et Streubel (de Leipzig) a pu, dans son
mémoire de 1864, en réunir 76 observations. Elles se sont multipliées depuis,
et, sans vouloir ici les énumérer, ce qui nous entraînerait trop loin, rappelons que
Gosselm a parlé de cet accident dans ses Leçons sur les hernies abdominales
(1865), et que plusieurs thèses de la Faculté de Paris ont été publiées sur ce
sujet, depuis celle de Perrichon {Contribution à Vétude de la réduction en
masse dans la hernie étranglée, Paris, 1873) jusqu'à celles plus récentes et
déjà citées de Perret, Plantié et Osorio, en 1879. Cette dernière comprend
un tableau de 102 observations. 11 ne fimt pas prendre ce chiffre pour le total
exact des cas connus, puisque M. Bourguet (d'Aix), dans un excellent mémoire
publié en 1876 dans les Archives générales de médecine, avait pu en réunir
112 cas.
Ce court exposé historique suffit à faire comprendre l'importance de cet acci-
dent et la nécessité de son étude.
Bourguet (d'Aix) a indiqué, pour cet accident, les causes déterminantes
suivantes : 1" l'étranglement par le collet du sac ; 2" la variété inguinale oblique
externe; 3° le petit volnme de la hernie; 4" la largeur considérable des orifices
herniaires ; 5° enfin la laxité des adhérences unissant le sac et son collet aux
parties voisines, lia soin de faire remarquer qu'il n'est pas nécessaire que toutes
ces circonstances se trouvent réunies chez un même sujet. De plus, la localisation
expresse de la réduction en masse à la variété inguinale oblique externe est à
coup sur exagérée, puisque sur les 112 observations réunies par Bourguet il v
a 9 crurales et que, dans les tableaux de J. Osorio, il y a quelques hernies
obliques internes et 10 crurales.
A propos des causes déterminantes, on a noté avant Bourguet, et c'était l'opi-
nion de Gosselin, que les réductions en masse étaient surtout le résultat du
taxis opéié par le malade. C'est là une erreur, car, sur les 112 cas cités, 50 fois
la réduction en masse a été faite par le chirurgien, 51 fois par le malade,.
5 fois par le malade et le chirurgien, 2 fois elle s'est faite spontanément.; enfin
23 cas manquent de renseignements à ce sujet. D'ailleurs, il faut bien savoir que
cet accident s'est produit entre les mains les plus exercées et que des chirur-
giens tels que Ledran, Arnaud, Lafaye, Sabalier, Roux, Dupuytren, Richet,
Gosselin, etc., ont eu ce malheur à déplorer.
Pour l'éviter, il faut avoir bien soin d'obéir au précepte, établi par Gosselin à
ce sujet, de ne pas exercer, pendant le taxis, des pressions sur le fond du sac,
mais d'agir au contraire sur les parties voisines du collet. Bourguet ajoute les
recommandations suivantes : ne pas déployer trop de force, agir sans brusquerie,
sans précipitation, procéder avec lenteur et ménagement, en un mot, ne pas
escamoter une réduction de hernie étranglée.
848 HERNIES.
Quant aux lésions qui accompagnent la réduction en masse, Bourguet fait
remarquer, avec raison, qu'elles changent avec chaque variété. Cependant, d'une
manière générale, le péritoine pariétal est décollé et soulevé, au pourtour de
l'orifice herniaire, par le sac qui le refoule pour se placer entre lui et la face
profonde de la paroi abdominale. Le sac fait une saillie; il est distendu par
l'anse herniée et les deux bouts, supérieur et inférieur, de l'intestin-y pénètrent
par un orifice qui n'est autre que le collet. Celui-ci, qui a perdu toutes ses
adhérences avec les parties qui l'entcurent, présente une mobilité extrême et
peut se déplacer dans tous les sens. De plus, il est forcément très-remonté,
puisque la réduction en masse a eu pour résultat de faire subir au sac un
déplacement d'ensemble, qui lui a permis d'aller se loger dans la cavité abdo-
minale (fosse iliaque, paroi abdominale, intérieur du bassin, etc.).
Les symptômes qui annoncent la réduction en masse peuvent être ainsi résu-
més. La réduction s'est produite sans être accompagnée du bruit de gargouil-
lement ordinaire : de plus, elle n'est pas suivie de la disparition des phénomènes
de l'étranglement; on observe, au contraire, la persistance des douleurs abdomi-
nales, des coliques, des vomissements, et Tabsence de ce sentiment de bien-être
et de soulagement qui suit ordinairement la réduction de la hernie étranglée.
En même temps, l'exploration permet de reconnaître une dilatation extrême des
anneaux, et, le plus souvent, la présence d'une tumeur circonscrite, rénitente,
douloureuse à la pression, située dans la partie inférieure de l'abdomen, au voi-
sinage de l'orifice herniaire. De plus, le doigt, introduit dans le trajet de la
hernie, pourra ordinairement, surtout si l'on fait tousser le malade (Dupuytren),
sentir une saillie cylindroïde ou ovoïde présentant les mêmes caractères. Ce signe
n'est pas toujours perceptible, à cause de l'embonpoint du sujet, du ballonne-
ment extrême de l'abdomen, de l'absence du liquide dans le sac, ou même de
la tuméfaction produite par le bout supérieur de l'intestin rempli de matières
fécales. Ce dernier symptôme a été indiqué, pour la première fois, par Bourguet;
il peut être, pour le chirurgien, une cause d'erreurs dans le diagnostic de la
nouvelle position du sac et le porter, comme dans l'observation qu'il raconte,
à diriger à son niveau le bistouri, espérant trouver, en ce point, le sac anorma-
lement déplacé.
Du reste, tous ces signes de la réduction en masse peuvent faire défaut et en
rendre souvent le diagnostic fort difficile : cependant la persistance de la consti-
pation, des vomissements fécaloïdes, l'exagération du ballonnement et l'aggra-
vation de l'état général, permettront de reconnaître que l'étranglement n'est
pas levé.
D'ordinaire, la réduction en masse, si elle persiste, est suivie de mort.
Cependant, dans quelques observations, le résultat a été plus heureux, mais
elles sont en fort petit nombre. Nous avons rapporté le cas de Lafaye oii, sous
l'influence de la toux, la hernie ressortit et put être guérie par la kélotomie.
Dans le cas, jusqu'ici unique, observé par Bourguet, l'intestin retenu dans le sac
resté à l'intérieur se dégagea sous l'influence de moyens médicaux (bains, pur-
gatifs, belladone), et le malade guérit. Dans un cas de Dupuytren, une hernie
crurale réduite en masse donna lieu, au bout de quinze jours, à un abcès ster-
coral suivi d'un anus contre nature. Ce sont là des faits exceptionnels, car, si
l'on n'intervient pas, la mort est la règle. Enfin, parmi les phénomènes insoHtes
de la réduction, notons, dans le cas de Bourguet, une telle mobilité du sac
que la réduction en masse s'était produite spontanément. La gravité exception-
HERNIES. 849
nelle (le l'accident justifie, pour le combattre, les tentatives les plus hardies,
soit la kélotomie faite au niveau de la tumeur constatée, ou bien même la
laparotomie pour aller à la recherche du sac réduit et avec l'étranglement.
Nous aurons l'occasion d'y revenir.
1° Réduction de l'intestin dans un sac intérieur préexistant. Cette variété
avait été signalée par Gruveilhier, puis étudiée dans le mémoire de Paris. Nous
avons déjà mentionné cette disposition en faisant, à l'étude des anomalies du sac
herniaire, l'histoire des hernies propéritonéales. C'est, en effet, de cette variété
de hernies très-complètement décrite dans le mémoire de Kronlein, que nous
avons cité, qu'il s'agit ici.
Dans ces cas, nous le savons, la hernie comprend deux parties : un sac exté-
rieur, qui communique avec un sac intérieur situé en arrière de la paroi abdo-
minale, entre cette paroi et le péritoine pariétal. Un étranglement survient:
le chirurgien pratique le taxis avec plus ou moins d'efforts, la hernie rentre,
quelquefois même le malade la fait rentrer lui-même ; mais les accidents persis-
tent. On croit à une réduction en masse, on opère, le chirurgien ouvre le sac
herniaire qu'il trouve vide, le doigt pénètre, à travers le collet, dans une cavité
séreuse qui semble être l'intérieur même de l'abdomen, mais les phénomènes
s'aggravent et le malade meurt, si le chirurgien n'a pas l'idée de la possibilité
d'un sac propéritonéal et ne s'en assure pas, en prolongeant son incision et en
allant chercher le collet profond qui est ordinairement le siège et l'agent véri-
table de l'étranglement. Presque toujours cette disposition n'est reconnue qu'à
l'autopsie. Cependant, depuis que ce genre de hernies est mieux étudié, il y a
eu quelques cas de guérisons dus à des interventions chirurgicales. Nous
reviendrons sur ce sujet en étudiant la kélotomie.
Mais le sac intérieur préexistant n'est pas toujours un sac propéritonéal.
Quelquefois il peut être inclus dans l'épaisseur de la paroi abdominale, entrv
le muscle petit oblique et le transverse, entre le transversc et le fascia transver-
salis. « Dans ces deux derniers cas, dit S. Duplay, il s'agit de hernies intra-
pariétales, congénitales le plus souvent, et qui doivent être étudiées avec les
hernies inguinales dont elles constituent une variété. Quand le diverticule pro-
fond est situé entre le péritoine et les plans fibreux sous-péritonéaux, on le
trouve le plus souvent en dehors vers la fosse iliaque, quelquefois il s'incline en
dedans vers la vessie, ou même il vient se cacher dans la cavité du petit bassin
en arrière de la branche horizontale du pubis. »
D'ailleurs, comme nous le verrons, ces dispositions coexistent souvent avec
une ectopie testiculaire inguinale {voy. Herme inguinale).
Bien que ces sacs propéritonéaux aient été déjà diagnostiqués, notamment par
BôUing, les cas où ils ont été reconnus sont si peu nombreux que l'on ne peut
encore formuler aucune règle pour ce diagnostic, du moins en dehors de la
kélotomie.
2° Réduction de ïinlestin dans le tissu cellulaire sous-péntonéal à travers
une solution de continuité du sac herniaire. Cet accident peut se produire,
quand il se fait, sous l'influence des efforts, une déchirure du sac herniaire.
Celle-ci a lieu, ordinairement, vers sa partie postérieure, dans un point où il
est moins résistant. Le fait arrive rarement dans le taxis. Cependant Girou en
a publié un cas à la Société anatomique en 1879. Il a été observé surtout après
la kélotomie, à la suite d'un débridement ayant porté sur le collet du sac.
M. Farabeuf a communiqué deux cas de ce genre à la Société de chirurgie.
DICT. EI^C, 4« s. Xllf. ^^
850 HERISIIlS.
B. Persistance des accidents due à la réduction d'une hernie étranglée avec
Vagenl de V étranglement. C'est une variété de réduction en masse, puisque
l'intestin rentre dans l'abdomen sans que l'étranglement soit levé, emportant
avec lui l'agent même de l'occlusion intestinale. Cependant ces cas méritent
d'être séparés de la réduction en masse par ce fait que le sac lui-même n'est
pas entièrement réduit avec l'intestin.
Dans le plus grand nombre des faits de cette catégorie, il s'agit d'étrangle-
ments qui se sont produits en dehors du collet et des anneaux. Les deux pre-
mières observations connues sont celles de La Peyronie et de Louis. Le premier,
ayant réduit une hernie étranglée, vit persister les accidents, malgré l'état de
liberté de l'anneau, et sans qu'aucun symptôme piit lui indiquer la cause de
cette persistance. Le malade mourut, et, à l'autopsie, on trouva l'épiploon
adhérent derrière l'anneau et formant une anse qui étranglait l'intestin. Louis,
dans un cas semblable, trouva le mésentère adhérent à la partie supérieure du
sac herniaire, et l'intestin enveloppé et étranglé par ces adhérences.
Eu outre, dans d'autres cas, où l'agent de l'étranglement est intra-sacculaire,
c'est-à-dire formé par une perforation épiploïquc ou mésentérique, par un sac
épiploïque, ou encore par des torsions de l'anse et des coudures maintenues
par des adhérences, il est très-possible que le taxis réduise dans le ventre l'anse
herniée, sans détruire ou déplacer l'obstacle, qui accompagne alors l'intestin
dans l'abdomen. Enfin il peut exister une autre disposition qui paraît repro-
duite dans l'observation de Lapeyronie citée ci-dessus. « 11 peut se faire, dit
S. Duplay.que, lors de la réduction d'une anse intestinale étranglée, s'il existe de
l'épiploon irréductible, l'intestin en rentrant dans le ventre prenne, par rapport à
la corde épiploïque, une position telle que celle-ci comprime son caHbre et y
intercepte le cours des matières : on a substitué de la sorte un étranglement
interne à un étranglement externe, »
Enfin, il existe dans la science deux exemples de variétés très-rares de réduc-
tions avec l'agent de l'étranglement, et nous devons faire connaître ces deux faits
exceptionnels. Le premier est an à Laugier, et a été publié dans le Bulletin
chirurgical. 11 s'agit d'une hernie congénitale dans laquelle le tiixis avait pro-
duit la réduction en provoquant la déchirure circulaire de la portion du péri-
toine qui étranglait l'intestin. Cette embouchure péritonéale du sac avait la
forme d'une valvule circulaire large d'environ 4 millimètres; elle avait été
déchirée du péritoine adjacent qui présentait une lésion de continuité récente.
Malgré sa minceur, elle avait suffi pour entretenir l'étranglement et amener la
mort. Le second fait, qui ressemble à celui-ci, appartient au professeur Piichel
et a été communiqué par lui à la Société de chirurgie en 1862. Il s'agissait
d'une hernie inguinale étranglée, qui fut réduite, sans trop de peine, à l'aide
d'un taxis aneslhésique. Les accidents d'étranglement persistèrent, le profes-
seur Richet, croyant à une réduction en masse, pratiqua la kélotomie au
niveau de la partie supérieure du canal inguinal. L'anse était gangrenée, et,
malgré l'établissement d'un anus contre nature, le malade mourut. A l'au-
topsie, on découvrit que le contour fibreux de l'anneau inguinal profond s'était
détaché en même temps que le collet du sac, et avait été réduit avec l'anse
qu'il étranglait.
Au point de vue des symptômes, tous ces faits se rapprochent beaucoup de la
réduction en masse, et il serait bien difficile, cliniquement, de les en distinguer.
Cependant, d'après Duplay, il manquerait dans ces cas certains symptômes qui
IlERNIi'S. 851
caractérisent la réduction totale, entre autres l'absence de sac herniaire et la
flaccidité particulière des parties où siégeait la tumeur lorsqu'on les examine
après la réduction. Nous doutons néanmoins que ces seules différences suffisent
à permettre un diagnostic.
C. Continuation des accidents due à la persistance des lésions intestinales
après la réduction. Les lésions intestinales qui peuvent, après le taxis, per-
sister et permettre la continuation des phénomènes d'étranglement, sont de
plusieurs ordres. Elles peuvent tenir, soit à la continuation d'une inflexion anor-
male dans l'anse réduite, soit à un rétrécissement cicatriciel, soit à une para-
lysie de l'intestin, l'immobilisant et empêchant le rétablissement du cours des
matières.
Dans le premier cas, il peut arriver qu'en rentrant dans l'abdomen l'intestin
subisse une torsion ou une involution qui le place dans une position défavorable,
■et alors c'est pour ainsi dire un volvulus qui succède à l'étranglement herniaire.
Mais, le plus souvent, la position défectueuse de l'anse réduite est maintenue
par des adhérences anciennes ou récentes qui avaient pu déjà jouer le rôle
principal dans la production des accidents avant la réduction. Ce sont les cou-
dures brusques, les rétrécissements par adhérences, etc., dont nous avons décrit
déjà les dispositions en étudiant les hernies adhérentes. On a donc simplement
réduit la hei'nie avec l'agent de l'étranglement. D'autres fois, au contraire, il peut
exister un rétrécissement réel du calibre de l'intestin, qui peut être poussé assez
loin pour ne plus permettre le passage des matières. 11 faut reconnaître que
■d'ordinaire ces rétrécissements permanents de l'intestin, à la suite des lésions
de l'étranglement, ne s'établissent que peu à peu et sont, au moment de la
réduction, trop peu marqués pour produire la continuation des phénomènes de
l'étranglement. Ainsi, l'élimination d'une eschare superficielle des tuniques
internes et la cicatrisation d'une perforation masquée par des adhérences deman-
dent un temps souvent assez long pour arriver à causer des phénomènes d'occlu-
sion intestinale. Cependant, dans certains cas, les accidents prennent une autre
marche. Nous avons cité déjà les divers rétrécissements causés par l'étrangle-
ment ; nous nous bornerons ici à rapporter l'observation célèbre de Ritsch.
Après trois jours d'étranglement, cet auteur réduisit, par la kélotomie, une
hernie inguinale droite : les accidents cessent d'abord, puis reparaissent, et le
malade meurt douze heures après l'opéi'ation. A l'autopsie, on trouva l'iléon
aussi rétréci, dans les deux points où avait porté la constriction, que si on l'eût
fortement serré avec une ficelle. Il y avait comme une adhérence des parois
internes de l'intestin; aucune communication n'était possible et le passage des
matières était interrompu. Enfin Richter admet, sans en donner de preuves, que
dans les anciennes hernies la portion d'intestin placée depuis longtemps dans
i'anneau peut se rétrécir à la longue, et si, à la suite d'un étranglement, cet
intestin est réduit, le passage des matières peut éprouver une telle difficulté
que les accidents d'iléus persistent. Mais ces faits, comme les précédents,
demanderaient à être établis sur des preuves plus sérieuses.
Enfin nous arrivons à ces phénomènes que l'on a attribués à de la paralysie
intestinale consécutive à l'étranglement. Nous savons, depuis longtemps, que le
sillon d'étranglement, quand il est produit par à une constriction énergique et
longtemps prolongée, peut quelquefois persister plusieurs jours après la réduc-
tion. C'est peut-être à cette disposition qu'est dià le retard souvent observé dans
le rétablissement des cours des matières alors que tous les autres phénomènes
852 HERNIES.
ont déjà disparu. Nous n'avons nulle ])art trouvé d'observations certaines de
prolongation de l'étranglement due à cette seule cause.
Quand, après la réduction bien faite, les phénomènes persistent jusqu'à causer
la mort du malade, et qu'on trouve à l'autopsie un certain degré de péri-
tonite et des fausses membranes récentes immobilisant les anses intestinales
il est permis d'attribuer à cette lésion la terminaison fatale et la continuation
des phénomènes d'obstruction. Mais, quand on ne constate pas de péritonite, ni
avant ni après le taxis, et que l'autopsie ne révèle aucune lésion suffisante pour
justifier la terminaison fatale, comment peut-on expliquer la mort? Dans ces
cas, rares, à la vérité, on est tenté, de nos jours, de croire à une paralysie intes-
tinale. L'idée n'est pas nouvelle : elle a été anciennement émise par Teissier, et
Coutagne dans sa thèse (De la persistance de V étranglement dans les hernies
après leur réduction. Paris, 1855) la reproduit et l'adopte. Mais cette doctrine
(les pseudo-étranglements paralytiques a surtout été développée dans une impor-
tante thèse de Ilenrot {Des pseudo-étranglements que Von peut rapporter à la
paralysie de l'intestin. Paris, 1865). Ils sont caractérisés par la persistance des
accidents d'étranglement et provoqués par une distension paralytique de l'in-
testin. Ce pseudo-étranglement serait d'origine réllexe et succéderait à la con-
striction exercée sur l'anse herniée par l'agent de l'étranglement. Il y aurait
seulement parésie de quelques heiu'es dans les cas légers, et paralysie complète
dans les cas graves. Ces faits, quoique généralement admis, ne reposent sur
aucune preuve certaine. La théorie d'IIcnrot n'est qu'une hypothèse pour expli-
quer cette persistance plus ou moins prolongée des accidents, lorsque l'examen
microscopique ne démontre aucune lésion suffisante, mécanique ou autre, soit
du côté de l'intestin, soit du côté du péritoine.
D. Persistance des accidents due à l'existence concomittante d'une autre
hernie étranglée ou d'un étranglement interne méconnus II s'agit ici plutôt
d'une eneur de diagnostic, quelquefois due à un examen incomplet du malade,
que d'un véritable accident du taxis. Quoi qu'il en soit, toutes les fois que les
phénomènes d'étranglement persistent après la réduction d'une hernie à laquelle
on a cru devoir les attribuer, il est absolument du devoir du chirurgien, avant
de songer aux autres accidents que nous avons précédemment passés en revue,
de s'assurer, par un examen des plus minutieux, qu'il n'existe nulle part, à
aucun orifice, même au niveau de ceux où les hernies sont le plus rares, une
seconde tumeur capable d'expliquer les phénomènes observés. II sera tout aussi
indiqué de rechercher avec le plus grand soin s'il n'existe aucune cause d'étran-
glement interne chez le malade atteint des accidents : nous avons, il nous
semble, suffisamment insisté sur ces points au chapitre du Diagnostic.
Des autres traitements employés en même temps que le taxis. Concurrem-
ment avec le taxis, et même indépendamment de lui, on a autrefois préconisé
contre l'étranglement une série de moyens que nous devons rappeler, bien que
la plupart d'entre eux soient aujourd'hui tombés en désuétude. Ils se divisent
en médicaments externes et intei'nes dont l'ensemble constituait ce que l'on a
appelé le traitement médical de l'étranglement, et en certaines manœuvres
destinées à faciliter le taxis.
Le traitement médical de la hernie est aujourd'hui justement rejeté. Inefficace
dans la plupart des cas, souvent dangereux, il comprend une série de moyens
longuement discutés dans les autaurs anciens et qu'il nous paraît nécessaire de
rejeter. Ainsi les vomitifs, la strychnine, le café, la belladone, les lavements
HERNIES. 855
(le tabac et surtout les émissions sanguines générales, doivent être, à notre avis,
complètement proscrits. Leur emploi a souvent été absolument nuisible pour le
malade, et, dans les cas où il a été simplement inutile, il a eu le tort considé-
rable d'occasionner une perte de temps parfois énorme, et le chirurgien a laissé,
grâce à eux, évoluer des lésions que l'on aurait peut-être pu enrayer par un
taxis bien fait au début des accidents.
Deux d'entre eux cependant méritent encore d'être étudiés : nous voulons
parler de l'opium et des purgatifs.
L'opium, qui est souvent extrêmement utile après la réduction et surtout
après la kélotomie, ainsi que nous aurons l'occasion de le voir, est inutile
auparavant. Il ne peut servir qu'à calmer les douleurs, mais il n'empêche pas
l'évolution des lésions, et ne favorise nullement la réduction. Son usage doit
donc être rejeté.
Il en està^peu près de même des purgatifs, qui, répétés trop souvent, peuvent
présenter certains dangers. Ils ont, en premier lieu, l'inconvénient de demander
pour agir un temps très-long et pendant lequel les lésions s'accentuent et les
phénomènes s'exagèrent : de plus, leur efficacité n'a jamais été absolument
démontrée, tandis que, dans certains cas, ils ont pu augmenter la gravité des
accidents. Inutiles et souvent nuisibles, en face d'un étranglement confirmé, ils
doivent être rejetés. Leur emploi n'est légitime que pour vérifier l'occlusion de
l'intestin dans les cas douteux d'étranglement et seulement pendant les pre-
mières heures des accidents. En résumé, le purgatif est, dans ces cas, plutôt un
moyen de diagnostic qu'un véritable agent thérapeutique. Nous avons, chemin
faisant, et surtout à propos du diagnostic des accidents herniaires, indiqué les
circonstances oii l'on pouvait avoir i-ecours au purgatif d'exploration, c'est à ces
cas seulement que leur emploi paraît devoir être limité.
Quant aux topiques appliqués à la surface de la tumeur herniaire, on ne doit
encore les accepter qu'à titre d'adjuvants du taxis, et encore leur efficacité a été
souvent contestée. Tous ces moyens ne doivent jamais avoir qu'un but : c'est de
permettre au chirurgien de hâter le moment de la rentrée de l'intestin dans
le ventre. Ils ne doivent jamais faire perdre de temps, car, en admettant que le
taxis, même avec leur aide, soit destiné à échouer et que l'opération devienne
nécessaire, agir vite est urgent pour opérer avant que l'intestin soit altéré : la
rapidité est ici la meilleure condition de succès. Ainsi, les cataplasmes émollients,
les pommades belladonées, opiacées, etc., qui agissent en calmant la douleur
locale, ne doivent être employés que pour permettre un taxis plus efficace et
fait plus énergiquernent. Cependant on peut ranger dans ce groupe deux ordres
de moyens qui, à titre d'adjuvant du taxis, ont souvent une réelle importance.
Je veux parler des bains prolongés et des applications réfrigérantes.
Les bains prolongés ont souvent été employés. Le malade éprouve dans le bain
un soulagement manifeste, et la sensibilité s'y émousse assez pour que la pres-
sion nécessaire au taxis devienne plus facile à supporter. Il exerce aussi un
certain degré de relâchement musculaire qui facilite la réduction.
Dans un certain nombre de cas, le taxis pratiqué dans le bain ou immédia-
tement après a réussi alors qu'il avait échoué auparavant : c'est donc un adju-
vant réel, mais seulement quand le chirurgien n'a pas de chloroforme à sa dis-
position, ou bien ne peut pas l'employer à cause de lésions préexistantes qui le
contre-indiquent.
En nous occupant des réfrigérants, nous ne parlerons pas de la douche froide
^54 HERNIES.
qui, au dire de J.-L. Petit, aurait causé une réduction spontanée. L'application
ordinaire de ce moyen se fait à l'aide de glace pilée, enfermée dans une vessie
et maintenue sur la tumeur. Peut-être la glace n'agit-elle qu'en produisant une
anesthésie locale qui favorise le taxis ? En tous cas, ce n'est et ce ne peut être
qu'un adjuvant de cette méthode; mais son application ne doit pas être main-
tenue longtemps, car, outre les dangers résultant de la temporisation exagérée,^
il faut se souvenir que son emploi n'a pas été toujours exempt d'accidents.
Boyer et Gosselin redoutent la réaction et la gangrène consécutives, et Astler
Cooper a cité un fait où la peau s'était couverte d'eschares à la suite de l'appli-
< ation de la glace. On pourrait rapprocher de la glace un moyen préconisé en
Allemagne dans ces derniers temps, je veux parler des affusions d'éther. Finkel-
stein a puhlié eu 1882 dans le Berliner Idinische Wochenschrift un travail
dans lequel il préconise l'emploi de l'élher vaporisé. Voici son procédé^: le
malade est placé dans le décuhitus dorsal, les jamhes relevées. En un quart
d'heure, le chirurgien verse, goutte à goutte, sur la hernie, la valeur de trois
à quatre cuillerées d'éther, puis il la recouvre avec une serviette ployée en
plusieurs douhles. L'anse herniée devient mobile et se réduit d'ordinaire d'elle-
même, sinon il suffit de manipulations insignifiantes. En onze ans l'auteur »
soigné 63 hernies étranglées : 5 ont été réduites par le taxis ; pour les 58 autres
l'éthérisation locale a réussi 54 fois. Il explique l'action topique de l'éther par
sa double propriété d'antispasmodique et de réfrigérant. Il amènerait la conden-
sation des gaz et l'excitation des mouvements péristaltiques. Enfin Krassowski
a rapporté, dans le Vratsch, 1883, n" 29, deux cas de succès par les affusions
d'éther. Ces deux dernières observations paraissent peu concluantes; quant au
procédé de Finkelslein, nous ne verrions nul inconvénient à l'essayer, après
l'échec du taxis simple, anesthésique, avant de recourir à l'opération, à con-
dition d'être prêt à agir immédiatement après. On pourrait même le tenter
pendant l'aneslhésie.
A côté des topiques se rangent les manœuvres qui doivent favoriser le taxis
et l'aider : nous ne nous arrêterons ni aux injeclions forcées, ni à \ introduction
d'une canule dans le rectum préconisée par 0. Beirn. Mais nous devons insister
sur trois moyens récents; ce sont les injections de morphine, l'électricité et la
ponction aspiratrice de l'anse herniée.
L'usage des injections sous-cutanées de morphine pour aider à la réduction
des hernies étranglées n'est pas absolument nouveau. Elles paraissent avoir été
employées pour la première fois par un médecin anglais, Donnan,en 1851. En
Allemagne, Kœstner (deBordesholm) , publie en 1875, dans le Deutsche Klinik, un
cas de succès par ce moyen. En France, le docteur Philippe (de Saint Mandé),
sans connaître les travaux précédents, eut l'idée de s'en servir comme adjuvant
du taxis en 1877 [Gazette des hôpitaux). Depuis, elles ont été plusieurs fois
essayées, et nous pouvons citer les observations de MM. Pujos, Dupont et Fleury
publiées dans la Gazette des hôpitaux de 1885, et dans lesquelles la réduc-
tion est attribuée à ce moyen. Certains de ces faits paraissent discutables.
M. Eoussenot a choisi ce point particulier pour sujet de sa thèse inaugurale
[Traitement des hernies irréductibles par les injections som-cutanées de mor-
phine. Paris, 1881). Il croit que les injections de morphine agissent en faisant
cesser la contraction musculaire et le spasme intestinal qui s'opposent à la
réduction des hernies. 11 est à remarquer que tous les cas de succès cités par
M. Boussenot sont des étranglements ne datant que de quelques heures. Aussi
HERNIES. 855
M. Le Dentu, dans un rapport fait sur celle question à la Société de chirurgie,
accepte les injections de morphine comme un moyen de la première heure. Pour
Picqué, elles peuvent rendre des services en insensibilisant la région herniaire,
quand la chloroformisation est impossible.
Enfin l'électricité a été diversement employée pour combattre l'étranglement.
Leroy d'Etiolles avait, en 1855, proposé rélectro-])uncture,qui a été abandonnée
depuis. On a, dans ces dernières années, préconisé l'usage des courants fara-
diques. Nous trouvons dans la Revue des sciences médicales des observations
de succès par l'électrisation, dues à MM. Lew, Vololsckewitsch et Koltschewski
et extraites du Vratsch pour 1883. Ces auteurs ont obtenu la réduction de
hernies étranglées par un léger taxis, après une laradisation variant de cinq
minutes à un quart d'heure, une électrode étant jippliquée sur la tumeur, l'autre
sur l'anneau herniaire. « Ces exemples prouvent, dit M. Berger après avoir
analysé ces observations, que la faradisation peut donner quelques réussites dans
la réduction d'étranglements peut-être assez serrés, mais, dans tous les cas,
récents, et à une époque où l'on peut être assuré de réussir par le taxis avec le
chloroforme. »
La ponction de l'anse herniée n'est pas une opération récente. Étant donné
l'accumulation fréquente des gaz dans l'anse herniée, il était tout naturel de
cherchera favoriser la réduction par la soustraction de ces gaz. Aussi, bien des
chirurgiens, déjà depuis longtemps, avaient pensé à ponctionner les hernies
étranglées. Pigray avait, en 1612, parlé de la possibilité de la ponction intesti-
nale. Roussel, contemporain d'Ambroise Paré, nous apprend que l'acupuncture
a été employée. Au dire de Mérat {Dict. des se. médicales, 1819), Ambroise
Paré aurait lui-même plusieurs lois piqué les intestins avec des aiguilles. Pierre
Low, Garengeot, Scharp, van Swieten, conseillaient aussi l'acupuncture, à con-
dition qu'on la fasse avec une aiguille ronde et non une aiguille coupante, pour
ménager les fibres musculaires. Dans tous ces cas, d'ailleurs, la ponction était
pratiquée à nu sur l'intestin. Ce fut en 1854 que, pour la première fois, Long
(de Toulon), suivant les conseils de Mérat et de Levrat (1825), substitua un
trocart fin à l'aiguille simple. Cette pratique fut suivie par Lenoir et préconisée,
dans certains cas, par d'autres chirurgiens, parmi lesquels Nélaton, Gosselin et
de Roubaix. Mais ce n'est qu'après la découverte de l'aspirateur Dieiilafoy (1869)
que la ponction aspiratrice fut employée dans les hernies étranglées. Duplouy
(de Rochefort) et Dolbeau la mirent Jes premiers en pratique pour évacuer les
gaz et les liquides contenus dans l'anse herniée. En 1871, cette manière de pro-
céder fit l'objet d'une discussion à la Société de chirurgie, et depuis elle a été
étudiée dans un certain nombre de thèses parmi lesquelles nous citerons celles de
MM. Autun (1871), Brun Buisson (1872) et Bouisson (1874). Enfin Motte, dans
son mémoire, en réunit un certain nombre de cas dont quejques-uns proviennent
de l'étranger. Les observations publiées s'élèvent à une trentaine.
Cette ponction aspiratrice a été diversement appliquée. Les chirurgiens se
sont quelquefois bornés à évacuer le liquide du sac (10 fois sur 26) ; dans les
autres cas, au nombre de 16, c'est l'anse herniée elle-même qui a été ponc-
tionnée. Plusieurs fois les ponctions ont été réitérées, soit dans la même séance,
soit à plusieurs heures d'intervalle.
Cette méthode est basée sur l'innocuité des simples piqûres faites à travers
une paroi intestinale. Cependant les auteurs ne partagent pas tous celte opinion.
Ainsi Schuh, dans un travail publié à Vienne en 1869, croit que les piqûres
856 HERNIES.
peuvent favoriser le passage des matières dans la cavité péritonéale. Bouisson,
dans sa thèse, publiée sous l'inspiration de Verneuil, relate un cas de mort sur-
venu vingt-quatre heures après la ponction : il croit, avec son maître, que cette
manœuvre, absolument innocente sur un intestin sain, peut être, au contraire,
dangereuse sur une paroi altérée. Vogt, dans un travail publié en 1881, arrive
à peu près aux mêmes conclusions. Enfin le professeur Le Fort considère la
ponction aspiratrice comme une méthode dangereuse et croit « qu'il ne peut être
que périlleux de faire à l'intestin sur lequel on devra exercer le taxis une plaie,
quelque petite qu'elle foit. » Cependant, dans la grande majorité des cas, il n'y a
pas d'accidents, et lajrace de la piqûre est difficilement retrouvée sur l'intestin
qui l'a subie : l'occlusion de l'orifice se fait d'après un mécanisme variable sui-
vant les auteurs. Pour Bouisson, elle serait produite par la muqueuse qui, en
se déplaçant, détruirait le parallélisme des bords, et s'interposerait entre les
lèvres de la plaie en formant une sorte de hernie. Il attribue, en outre, l'inno-
cuité de la ponction à l'action permanente de la couche musculaire interne.
Cette opinion, appuyée sur certaines expériences, est contraire à celle de Nuss-
baum, qui admet que la tunique musculaire agrandit l'ouverture en se con-
tractant, et fait jouer, au contraire, le rôle prépondérant à la'muqueuse.
Quel ipic suit, du reste, ce mécanisme encore controversé, les résultats de la
méthode ont été ainsi appréciés par S. Duplay : « La ponction, dans la plupart
des cas, ne fut pratiquée qu'après des efforts infructueux de taxis, et, sauf dans
un cas, on dut coiiqiléler la réduction par le taxis; dans cette observation
unique l'intestin rentra spontanément aussitôt après l'évacuation de son con-
tenu. La réduction elle-même, facile dans quelques cas rares, fut parfois difficile
et nécessita des efforts prolongés. Dans dix cas au moins l'intestin fut rebelle
au taxis malgré la ponction, les accidents persistèrent et il fallut avoir recours
à l'opération. Enfin, malgré la réduction, dans plusieurs cas il se déclara une
péritonite qui se termina par la mort. »
Ces résultats doivent inspirer une certaine réserve, et cependant, malgré les
dangers réels de cette petite plaie intestinale, la ponction nous paraît devoir,
dans certains cas particuliers d'étranglement récent et pour des grosses hernies,
constituer un adjuvant utile au taxis. Elle peut donc être quelquefois employée.
Avant d'aborder l'étude de la kélotomie, pour résumer notre opinion sur les
différents moyens thérapeutiques que nous venons de passer en revue, nous
croyons qu'ils peuvent être tous indiqués, dans certains cas particuliers, mais à
condition qu'on ne les considère que comme des moyens adjuvants du taxis, et
qu'on ne les emploie que dans les limites précises où cette manœnvre est indi-
quée et légitime. Ils ne doivent jamais être continués assez longtemps pour
constituer une perte de temps dans le traitement de la hernie étranglée, ni dans
aucun cas retarder une opération nécessaire, puisque, ainsi que nous l'avons
déjà plusieurs fois répété, la rapidité de l'intervention opératoire est une des
principales conditions de son succès.
De la kélotomie. L'opération du débridement de la hernie, ou kélotomie,
consiste à mettre à nu l'anneau, quel qu'il soit, qui opère l'étranglement, et à
le diviser pour taire rentrer ensuite la hernie.
Cette opération est indiquée lorsque l'on aura reconnu, après l'emploi métho-
dique du taxis avec chloroforme, aidé ou non des moyens adjuvants, que la
hernie ne peut pas rentrer, ou bien lorsqu'il s'est écoulé depuis le début des
HERNIES. 857
accidents trop de temps pour que le taxis soit légitimement employé. En un
mot, l'opération s'impose toutes les fois que le taxis est contre-indiqué; ses
indications sont toutes les contre-indications du taxis. Du reste, il faut, tout en
obéissant aux règles que nous avons rappelées, avoir toujours présent à l'esprit
le précepte donné en 1876 par le professeur Trélat dans son cours de pathologie
externe, et qui domine toutes les indications. « Tout intestin sorti de l'abdomen
doit y rentrer; le chirurgien en présence d'un étranglement herniaire ne doit
point quitter le malade avant que les parties qui forment la hernie n'aient
repris leur place par n'importe quel moyen. »
Nous avons, chemin faisant, essayé de faire comprendre tous les dangers d'une
temporisation exagérée, et cherché à préciser les limites des périodes dans les-
quelles le taxis est permis. Au point de vue opératoire, il est extrêmement
avantageux d'agir sur un intestin aussi sain que possible. Nous n'hésitons donc
pas à préconiser, d'une manière toute particulière, la kélotomie hâtive, persua-
dés que cette rapidité d'exécution, aidée des bienfaits de la méthode antiseptique,
doit assurer de nombreux succès et faire de la kélotomie, si redoutée et si
dangereuse il y a encore peu d'années, une opération moins périlleuse et qui doit
être suivie de guérison dans le plus grand nombre de cas. Cette nécessité d'agir
vite a, du reste, déjà été indiquée par beaucoup de chirurgiens et en particu-
lier par Gosselin. a Elle doit-ètre exécutée, dit-il en parlant de la kélotomie,
aussitôt que l'indication existe, et, différente en cela de bien d'autres opéra-
tions, elle ne peut pas être ajournée sans préjudice pour le malade. » Et il
ajoute un peu plus loin : « Agir de suite est un devoir impérieux, et je vou-
drais que tous les praticiens fussent assez préparés à la herniotomie pour être
en mesure de la faire, même sans l'aide d'un confrère, en tout temps et en tous
lieux. ))
Enfin aucune forme clinique, même les plus graves, ne peut être considérée
comme une contre-indication. Certains chirurgiens ont cru que l'opération ne
devait pas être pratiquée dans les cas de choléra herniaire, ou en préjence de
symptômes généraux graves et de lésions pulmonaires étendues. Il est bien évi-
dent que ces cas sont peu favorables, et que la gravité de l'état général assombrit
le pronostic opératoire. Cependant il y a même alors des guérisons, souvent
inespérées; et, à moins que le malade soit tellement affaibli que la mort soit
imminente, nous croyons que, dans tous les étranglements, le chirurgien est
autorisé à tenter le débridement, et qu'il ne doit pas refuser au malade les
chances d'une opération, aussi minimes qu'elles soient.
Quant aux contre-indications que l'on a tirées de la présence de certaines
variétés de hernies, elles seront examinées à propos des hernies en particulier
(voy. Hernies ingidnales, crurales, ombilicales, etc.).
Manuel opératoire. L'opération de la kélotomie est souvent longue et diffi-
cile. D'après la plupart des auteurs, elle serait peu douloureuse et ne nécessi-
terait pas l'emploi du chloroforme. Nous estimons, au contraire, que, toutes les
fois que le chloroforme n'est pas empêché par les contre-indications générales
de l'emploi des anesthésiques, telles que l'existence d'affections antérieures
graves du cœur ou des poumons, une débilité exagérée du sujet, etc., il est
indiqué d'y avoir recours. Duplay concède que, « quand le malade vient d'être
endormi pour subir le taxis, il y a avantage à prolonger quelques instants
l'anesthésie. » Nous n'hésitons pas à endormir le malade toutes les fois que
cela nous est possible.
853 HERNIES,
Les instruments nécessaires pour la kélotoniie sont les suivants : un bistouri
droit, un bistouri boutonné ou mieux un ténotome mousse, ou plutôt encore le
bistouri herniaire d'Astley Cooper, une sonde cannelée, des ciseaux mousses
droits et courbes, un tenaculum, des pinces hémostatiques, une pince à dissé-
quer, des fils à ligature et de préférence du catgut, ce qu'il faut pour faire des
sutures, un drain, une sonde de femme ou de grosses sondes en gomme.
Premier temps. Incisions de la peau et des couches sous-cutanées. Le
malade est placé dans le dccubitus dorsal, le bassin légèrement élevé sur un
coussin. Le lit ou la table d'opération doivent être situés de façon que le champ
opératoire soit aussi fortement éclairé que possible. La région, étant au préa-
lable rasée avec soin, c>t lavée tout entière avec une solution antiseptique
forte (solution phéniquée, ou sublimée, etc.). Toute l'opération doit être faite,
d'ailleurs, avec toutes les précautions antiseptiques les plus minutieuses.
La peau est incisée en un seul temps. La direction de l'incision est variable
suivant le siège et la forme de la hernie : cependant, dans la plupart des cas,
elle est dirigée suivant le grand axe de la tumeur, verticale ou oblique, et elle
doit être faite de telle façon qu'elle atteigne par en bas l'extrémité inférieure
de la hernie, et qu'elle dépasse par en haut le point ou siège l'étranglement.
L'étendue de l'incision an-dessus de l'anneau constricteur devrait être pour
certains chirurgiens do 5 centimètres (Malgaigne), mais il n'y a rien d'absolu à
ce sujet.
Cette section de la peau doit se faire soit avec un bistouri droit, soit avec
une lame convexe. Une lame courte donne, d'après Le Dentu, plus de sécurité à
l'opérateur. On peut la prati(picr de deux façons : on incise directement, en
dédulant, avec le tranchant de rinslrument tenu comme un archet de violon; on
peut aussi faire à la peau un pli perpendiculaire à la direction que l'on devra
donner à lincision. Un aide lient une extrémité de ce pli, tandis que le chirur-
gien, saisissant l'autre avec la main gauche, en sectionne la partie moyenne
jusqu'à sa base. L'ouverture est ensuite agrandie autant qu'il est nécessaire. Quel
que soit le procédé choisi, on ne doit jamais agir par ponction : car, dans les
hernies volumineuses oii les couches extérieures sont très-amincies, et dans
certaines variétés comme les hernies ombilicales, oii le sac, ordinairement
très-mince, est directement en contact avec des téguments amincis eux aussi,
on risquerait de pénétrer du premier coup jusque sur l'intestin et de le
perforer.
La peau sectionnée, on divisera le tissu cellulaire, couche par couche, lamelle
par lamelle, sans se presser, tantôt directement, tantôt à l'aide de la sonde
cannelée, en ayant soin de saisir immédiatement, avec des pinces à forcipressure,
les deux extrémités de chaque vaisseau divisé. En agissant ainsi, ce qui est plus
prudent, on arrive souvent sur un amas de tissu graisseux, qu'il faut diviser
tout doucement et avec la plus grande attention, car on est à peu près certain
de trouver le sac herniaire immédiatement derrière lui. Le plus souvent, que
cette disposition existe ou non, le chirurgien rencontre sous son bistouri des
feuillets lamelleux et fibreux en très-grand nombre. 11 devra les inciser un à
un, et dans toute leur étendue, en les chargeant successivement sur la sonde
cannelée, en se souvenant que presque toujours leur nombre est beaucoup plus
considérable que l'anatomie normale ne l'enseigne pour la région.
Deuxième temps. Becherche et ouverture du sac. A mesure que l'on
approche du sac, il faut redoubler de précautions pour ne pas l'ouvrir sans
HERNIES. 85»
s'en apercevoir et s'exposer à blesser l'intestin. D'ordinaire on reconnaît que
l'on arrive à la face externe du sac quand on se trouve en présence d'une mem-
brane fibreuse dépourvue de graisse et présentant une coloration foncée, grise,
vineuse ou noirâtre. Cependant, quand on hésite, on peut pincer entre les doigts
le feuillet lanielleux que l'on a sous les yeux et, si ce n'est pas le sac, on sent
qu'il y a, plus profondément, une couche résistante et tendue, une tumeur glo-
bulaire, et l'on peut continuer ainsi à inciser, doucement, couche par couche,
et chaque feuillet, sur la sonde cannelée, jusqu'à ce que le pincement laisse au-
dessous des doigts une sensation de vide.
Lorsque l'on est arrivé an niveau du sac, on le saisit avec une pince à dissé-
quer, ou avec un tenaculum. On y fait au bistouri, avec beaucoup de précau-
cautjons et en dédolant, une petite incision par laquelle on glisse une sonde
cannelée, et on l'incise dans toute sa longueur. Quelquefois, dans les sacs épais
et lanielleux, il faut plusieurs fois répéter cette manœuvre pour pénétrer dans
la cavité. Si, au contraire, le sac est très-mince, on peut l'ouvrir sans l'avoir
reconnu auparavant. Le chirurgien sera ordinairement averti de l'ouverture du
sac herniaire par l'écoulement d'un flot de liquide séreux citrin, parfois aussi
brunâtre foncé, ou l'ougeâtre, et quelquefois dégageant une odeur fétide rappe-
lant celle des matières intestinales. On peut alors introduire hardiment la sonde
cannelée par l'ouverture qui livre passage à ce liquide, on est certain d'être dans
le sac. En même temps le doigt pénètre dans une cavité dont la face interne
présente un aspect lisse caractéristique, ou bien qui est revêtue par places de
fausses membranes récentes, molles, qui se déchirent sous la moindre pression.
On reconnaît alors à la vue le contenu de la hernie, qui, dans la plupart des
cas, est constitué par de l'épiploon et de l'intestin. L'intestin se montre sous la
forme d'une anse plus ou moins volumineuse, arrondie, tendue, élastique, d'une
coloration ordinairement foncée, rouge ou rouge brun, quelquefois noirâtre, à
surface lisse, qui tantôt occupe la plus grande partie du sac, tantôt, au contraire,
est ramassée au voisinage du pédicule, et plus ou moins masquée par l'épi-
ploon. Celui-ci est quelquefois absolument normal ; d'autres fois il est plus ou
moins enflammé, rougeâtre, tuméfié et infiltré de sang et de produits plastiques.
Dans certains cas d'intérocèle pure, oii le liquide est particulièrement abon-
dant, on peut être véritablement surpris par la petitesse de l'anse hei-niée, par
rapport au volume du sac rempli de liquide.
Troisième temps. Recherche de l'agent d'étranglement et débridemenl. Le
sac incisé et les organes qu'il renferme reconnus, le chirurgien doit rechercher
quel est l'agent d'étranglement. Il siège, nous le savons, dans l'immense majo-
rité des cas, au niveau du collet.
Une fois le sac ouvert, le chirurgien saisit les deux lèvres de l'incision avec
des pinces à forcipressure qu'il confie à deux aides, et leur fait exercer une
traction assez forte pour tendre le sac, essayer d'attirer, le plus possible,
l'obstacle à l'extérieur, afin de le rendre plus perceptible, et aussi pour empêcher
qu'il soit refoulé vers l'abdomen à la simple pression. On introduit alors le doigt
dans le sac, en refoulant l'intestin et en glissant entre celui-ci et la paroi interne
du sac, jusqu'à ce qu'il soit arrêté par un obstacle rigide fibreux qui se présente
sous la forme d'un anneau enserrant les viscères.
On désigne sous le nom de débridement l'opération qui a pour but d'inciser
cet obstacle, en introduisant un instrument tranchant entre son contour et les
parties qui forment le pédicule herniaire.
860
HERNIES.
La constriction exercée par l'agent d'étranglement est quelquefois si étroite
et si serrée, que l'introduction d'une lame de bistouri devient très-difficile et
risque d'être fort dangereuse. Aussi, pour agir avec sécurité, on a inventé une
série d'instruments destinés à éviter les lésions intestinales, tout en facilitant la
section de l'anneau constricteur.
On a essayé souvent d'introduire sous cet anneau une sonde cannelée ordi-
naire : mais cet instrument est fort étroit ; la paroi intestinale, déprimée au
niveau de son passage, se relève par-dessus chacun de ses bords et risque de se
présenter au bistouri. Aussi certains chirurgiens ont-ils modifié de plusieurs
manières cet instrument, pour éviter cet inconvénient : de là la sonde ailée de
Méry, la sonde en bateau de Huguier, beaucoup plus large et plus profonde que
celle de nos trousses, la spatule de Vidal, creusée dans sa partie évasée d'une
rainure médiane. Tous ces instruments sont peu à peu tombés en désuétude,
car ils sont presque tous trop volumineux pour être utiles, quand l'étrangle-
ment est très-serré et que, de plus, on n'est pas toujours sûr de leur action.
On peut craindre, avec Gosselin, que la sonde ne pénètre pas assez profondé-
ment ou qu'elle aille trop loin. « Si elle ne va pas assez profondément, dit-il,
elle ne protège pas l'intestin; si elle va trop loin, elle peut l'accrocher, le
tirailler du côté du ventre, augmenter ainsi une perforation commencée, favo-
riser un épanchement de matières intestinales dans le péritoine. » Presque
toujours, au contraire, le doigt, introduit avec les pré-
cautions que nous indiquerons plus loin, suffit comme
conducteur.
L'instrument tranchant employé pour le débridement
a, lui aussi, été le sujet de modifications nombreuses.
La plupart de ces couteaux spéciaux ne sont plus usités
de nos jours, et nous ne citerons que pour mémoire :
le bistouri de J.-L. Petit à tranchant usé à la lime;
les bistouris à lame cachée de Bienaise, de Blandin,
de Cljaumas, celui de Thompson, etc. Pott avait inventé
un bistouri courbe, coupant par sa concavité. A. Cooper
modifia l'instrument de Pott en réduisant le tranchant
Fig, a.
Fis. 13.
à 2 centimètres. Cette partie tranchante ne commence qu'à 5 millimètres
environ de l'extrémité de la lame; celle-ci est mousse, arrondie et aplatie
sur ses faces (fig. 14). Bien que cet instrument soit très-généralement employé,
cependant quelques chirurgiens se servent du bistouri boutonné ordinaire; la
lame qui convient le mieux, d'après Le Dentu, doit être courte et étroite. Enfin,
on peut aussi se servir d'un ténotome mousse, dont la lame petite et mince
glisse facilement sous le collet.
HERMES. 861
Pour pratiquer le débridement, on porte l'index gauche au niveau de l'obstacle,
le plus haut possible ; on refoule l'anse intestinale avec la pulpe du doigt, en
cherchant à engager l'ongle sous l'anneau. Après quelques efforts et un peu de
patience, il est rare que l'on n'y parvienne pas, et dans cette manœuvre l'in-
testin se trouve suffisamment protégé pour que l'on puisse agir avec sécurité.
On insinue ensuite sur le doigt et avec la plus grande précaution la lame du
bistouri, conduite à plat. On la fait pénétrer peu à peu et, dès que la portion
coupante se trouve au niveau de l'anneau constricteur, on retourne la lame
de façon à présenter le tranchant à l'extérieur, et on sectionne l'obstacle à
l'aide de petits mouvements de va-et-vient (fig. 15). Dans certains cas, surtout
si l'étranglement est très-serré, une simple pression de la lame contre l'anneau
suffit à opérer le débridement, et l'on est certain de son action par la percep-
tion d'un craquement fibreux caractéristique.
Nous n'insisterons pas ici pour savoir au juste sur quel point doit porter le
couteau pour éviter la blessure des troncs vasculaires importants voisins des
anneaux fibreux. Autrefois, en effet, les chirurgiens n'hésitaient pas à pratiquer
des incisions de 1 ou 2 centimètres, et il était absolument nécessaire d'agir
sur certains points déterminés où la blessure des vaisseaux n'était pas à redouter.
Aujourd'hui que les débridements sont beaucoup plus limités, ces accidents
sont moins à craindre, mais nous ne discuterons pas ici cette question des lieux
d'élection, variables pour chaque orifice; c'est un point de pratique qui se
trouvera mieux à sa place à l'histoire de chaque hernie en particulier.
D'une façon générale, nous dirons seulement que tous les chirurgiens de
notre époque sont d'accord pour proscrire les grands débridements. Une inci-
sion de quelques millimètres (4 ou 5) est toujours suffisante et permet presque
toujours d'introduire le doigt à travers l'anneau. Si cette profondeur ne suffi-
sait pas, on pourrait, à la rigueur, repasser la lame du bistouri, toujours avec
les mêmes précautions, et l'approfondir légèrement. Cependant, à notre avis, i'i
est préférable d'avoir recours à la méthode des débridements multiples, préco-
nisée par Vidal de Cassis. « Elle se fonde sur ce fait, dit S. Duplay, que plusieurs
petites incisions risquent moins d'aller blesser les vaisseaux importants situés
au voisinage du pédicule de la hernie qu'un seul débridement lorsqu'on lui
donne certaine étendue ». Elle consiste, comme son nom l'indique, à faire deux
ou trois petites incisions sur le pourtour de l'anneau, au lieu de se borner à
une seule, et on peut alors les faire très-peu profondes. Enfin on pourra très-
avantageusement imiter la pratique du professeur Le Fort, qui, après avoir fait
une toute petite incision unique, introduit sous l'anneau un instrument
mousse, spatule, ciseaux courbes fermés, etc., et, en exerçant sur son pourtour
une traction plus ou moins énergique, élargit l'anneau par déchirure ou par
éraillement. 11 obtient ainsi une dilatation beaucoup plus considérable et suffi-
sante dans la plupart des cas.
Quatrième temps. Examen de l'intestin. Réduction. Une fois l'étrangle-
ment levé, il reste, pour terminer l'opération, à réduire l'intestin. Mais, avant
de le faire rentrer, il faut examiner avec soin s'il est sain, s'il ne présente
aucune lésion grave, afin de ne pas causer, par la réduction d'une anse trop
compromise, une péritonite par épanchement.
La plupart des chirurgiens sont d'avis, pour explorer en détail l'intestin,
d'attirer légèrement au dehors l'anse herniée, afin de mettre sous les yeux le
sillon d'étranglement et de voir s'il n'y a pas à ce niveau de lésions plus avan-
«62 HERNIES.
<;ées que sur le corps même de l'anse. Certains auteurs ont déconseillé cette
manœuvre, craignant que les tractions n'aient pour résultat d'agrandir une per-
foration très-petite ou même d'en produire une. 11 est certain que ces tractions
doivent être faites très-doucement, aveclcs plus grands ménagements et seule-
ment après le débridement, et non pas avant, comme quelques chirurgiens les
ont pratiquées. Mais, dans ces conditions, c'est une excellente précaution que
nous ne saurions trop recommander. Il vaut mieux risquer d'agrandir une petite
perforation déjà existante que de la méconnaître, et de réduire un intestin per-
foré qui certainement occasionnerait immédiatement une péritonite. Il faut donc
examiner avec soin le contour de la portion serrée, sa coloration, sa consistance
et son odeur.
Quant à l'anse elle-même, elle doit être lisse, tendue, rouge plus ou moins
foncé, d'une consistance égale sur tous points, et présenter une colorification
normale. Nous avons déjà indiqué, en étudiant l'étranglement, les caractères
qui montrent que l'intestin est le siège des lésions graves. Ce n'est pas seule-
ment l'existence de la gangrène confirmée et les jierforations grandes ou petites
qui suffisent à contre-indiqner la réduction de l'anse herniée. « Non-seulement,
en effet, dit S. Duplay, l'existence d'une perforation avec présence de gaz et de
matière intestinale dans la cavité du sac lierniaire, non-seulement l'afUtissement,
la coloration livide de l'intestin, contre-indiquent absolument les réductions,
mais encore les taches rougeâtres ou grises, qui révèlent une infiltration plas-
tique ou purulente de la paroi intestinale , et même l'existence de phlyctènes
remplies de sérosité sanguinolente ou la présence de perforations en apparence
superficielles, sont des raisons suffisantes pour différer la réduction et pour
recourir à une pratique que nous aurons à discuter tout à l'heure. » La colora-
tion foncée et noire de l'anse intestinale ne doit pas empêcher de la réduire, si
elle est tendue, lisse, chaude, et surtout si, à l'aide de lavages à l'eau chaude,
on produit sur ces parties foncées des mouvements péristaltiques.
Lorsque le chirurgien se sera assuré, par un examen approfondi, que l'intestin
est assez sain pour être réduit sans danger, il devra, avant de procéder à la
réduction, faire minutieusement la toilette de l'anse herniée. Celle-ci, débarrassée
du sang qui peut la souiller, sera lavée, ainsi que le sac, avec une solution
antiseptique chaude (acide phénique au 1/20, sublimé au 2/1000, acide bori-
que, etc.). Puis le chirurgien devra se nettoyer soigneusement les mains avec la
même solution, avant de refouler l'intestin dans l'abdomen, afin de ne pas le
salir de nouveau.
Pour opérer la réduction, on fait relâcher légèrement les parois de l'abdomen,
puis on saisit l'anse herniée, on la comprime doucement, afin de réduire d'abord
son contenu, gaz et liquides, puis on la fait rentrer en commençant indistincte-
ment par le bout supérieur ou l'inférieur. Il faut avoir soin de refouler douce-
ment, et peu à peu, les parties les plus voisines de l'anneau les premières. Si
l'on se trouve en présence d'une anse volumineuse, la réduction devra se faire
avec les deux mains, en plusieurs fois, en maintenant à chaque reprise le
refoulement obtenu avec les doigts de la main gauche. Ordinairement, quel que
soit le volume de l'anse herniée, le début de la rentrée s'effectue très-lentement,
avec une certaine difficulté, car la pénétration d'une portion d'intestin provoque
souvent la sortie d'une portion voisine, puis, à mesure que la réduction s'avance,
elle devient plus aisée, plus rapide, et, à un certain moment, l'intestin, qui
jusque-là avait résisté aux pressions, s'échappe brusquement, file sous les doigts.
IIERxNlES. 865
est pour ainsi dire avalé par l'orifice, comme s'il était attiré dans l'abdomen par
quelque force cachée.
Quand cette réduction a été facile et que l'intestin a cédé à de légers efforts,
rapidement et presque spontanément, le chirurgien peut être certain que la
rentrée de l'intestin est complète et il n'a plus qu'à terminer l'opération. Si, au
contraire, le l'etour de l'anse dans l'abdomen a été laborieux et lent jusqu'à la
fin, comme l'intestin peut être pincé par un orifice profond, ou réduit dans un
second sac, comme dans les cas de hernies propéritonéales, par exemple, il sera
prudent d'introduire un doigt, préalablement lavé de nouveau dans une solution
antiseptique, dans l'intérieur du trajet herniaire, pour s'assurer que l'intestin
€st bien réellement rentré dans la cavité abdominale. 11 suffira, pour en être
convaincu, que le doigt explorateur trouve le trajet herniaire libre dans toute
son étendue.
Nous avons supposé jusqu'à présent que nous n'avions trouvé dans le sac que
de l'intestin : cependant, dans le plus grand nombre de cas, le chirurgien ren-
contrera eu outre une masse épiploïque plus ou moins volumineuse. Si Vépi-
ploon est en proportion très-minime et absolument sain, on pourra le réduire
eu même temps que l'intestin. Mais, dans tous les autres cas, tous les chirur-
giens sont aujourd'hui d'accord pour ne point le réduire. En effet, Malgaigne
a démontré que, lorsque cet épiploon est altéré, et même dans certains cas
où il était absolument sain, sa réduction présentait des dangers nombreux, au
premier rang desquels il faut placer la production d'une péritonite. Ces faits
sont aujourd'hui admis par tout le monde.
Mais, si l'épiploon ne doit pas être réduit, que faut-il en faire?
Il y a quelques années encore, ce traitement de l'épiploon dans la kélotomie
était des plus controversés. Pour beaucoup de chirurgiens, il convenait pure-
ment et simplement de le laisser au dehors sans s'en inquiéter. Alors, tantôt on
le voyait se flétrir, se dessécher et se détacher complètement, ou bien il s'en-
flammait, bourgeonnait, suppurait, puis arrivait peu à peu à se rétracter et à se
réduire de plus en plus. Ce traitement ne s'appliquait, du reste, que lorsque la
portion d'épiploon était peu volumineuse. Mais, sitôt que la portion herniée
était plus considérable et plus susceptible de retarder notablement la guérison
ou de causer des accidents inflammatoires, on se décidait à la supprimer. Ici
plusieurs procédés étaient en présence. Tantôt on en faisait la ligature en masse
sur place, procédé ancien attaqué avec force par Louis et Pipelet à l'Académie
de chirurgie, et qui cependant aurait donné à Velpeau un certain nombre de
succès; tantôt on le détruisait par des caustiques, et cette cautérisation a été
surtout préconisée par les chirurgiens lyonnais. Bonnet et Philippeaux recou-
vraient avec de la pâte de Canquoin toute la surface de l'épiploon hernie, tan-
dis que Valette et Desgranges saisissaient le pédicule épiploïque avec leur pince
caustique dont la branche femelle était chargée de chlorure de zinc. D'autres
encore détruisaient l'épiploon avec le cautère actuel, ou le sectionnaient à l'aide
de l'écraseur linéaire. Enfin quelques chirurgiens en pratiquaient l'excision,
soit sans ligature préalable, en liant isolément chacune des artères qui pou-
vaient être coupées pendant la section, soit en faisant au-dessus du point où le
pédicule devait être tranché une ou plusieurs ligatures en masse.
C'est cette pratique qui seule doit survivre, depuis que les opérations doivent
être laites en suivant les préceptes de la méthode antiseptique. 11 faut toujours
réséquer l'épiploon, après avoir, suivant le volume du pédicule de la portion
864 HERNIES.
herniéc, fait une ou plusieurs ligatures énergiquement serrées avec un catgut
fort. Puis on sectionne l'épiploon au-dessus des ligatures et on réduit le pédicule,
afin de pouvoir fermer complètement la plaie après l'opération. C'est la pra-
tique universellement adoptée aujourd'hui, quel que soit l'état de cet épiploon,
qu'il soit sain ou enflammé, et les résultats obtenus par cette méthode sont de
beaucoup supérieurs aux anciens.
Enfin, une fois que l'intestin et le pédicule épiploïque ont été réduits, on
voit quslquef ois s'écouler de la cavité péritonéale une notable quantité de liquide.
S'il est clair, transparent, séreux, c'est un signe qui peut être considéré comme
favorable à la guérison ; en tous cas, il n'en résulte jamais aucun inconvénient.
Arrivée à ce point, c'est-à-dire l'étranglement levé et la hernie réduite, l'opé-
ration peut être considérée comme terminée, au moins dans ses parties essen-
tielles. Cependant une question se pose actuellement, celle de savoir s'il n'est
pas indiqué de finir la kélotomie en pratiquant la cure radicale.
CiiNQUiÈME TEMPS. De la cure radicale après la kélotomie. Ce n'est pas
uniquement de nos jours que les chirurgiens ont pensé à profiter de la kélo-
tomie pour tenter la cuve radicale. Ainsi, Ambroise Paré, qui faisait cette opé-
ration à la suite de Franco, rétrécissait le sac et le collet au moyen de la suture
royale. Tlievenin, le siècle suivant, imitait cette conduite et pratiquait sur les
deux lèvres du sac une suture en surjet, afin que la voie fût rétrécie d'autant.
Au dix-huitième siècle, au dire de Segond, les essais de cure radicale furent
multiples. J.-L. Petit et Garengeot réduisaient le sac ou le pelotonnaient à
l'ouverture du canal inguinal; Gauthier et Maget cautérisaient l'anneau et le
collet pour en amener l'oblitération ; Lacharrière et Mauchart poursuivaient le
même but, à l'aide de scarification de l'anneau. Leblanc, en 1765, préconise la
dilatation de l'orifice herniaire, à l'aide de son dilatatoire; Freytng et Schniiicker
ont proposé la dissection du sac herniaire, son extirpation et la ligature du
collet. J.-L. Petit a combattu cette opération, sous prétexte que la ligature du
collet est une cause fréquente de péritonite, et Richter regarde la dissection du sac
comme une manœvre difficile et périlleuse. Avec le dix-neuvième siècle naît une
période de réaction contre ces tentatives, Boyer et A. Cooper repoussent toutes
les manœuvres dirigées contre le sac et contre l'anneau ; ils craignent qu'elles
ne produisent plutôt la récidive que la guérison. Aussi, jusqu'à ces dernières
années, la cure radicale après la kélotomie était complètement délaissée, on
pansait la hernie à plat; quelques-uns seulement cherchaient la réunion immé-
diate tout en assurant par le drainage l'écoulement facile des liquides. Mais,
depuis que, grâce à l'antisepsie, la cure radicale est revenue en faveur, les
chirurgiens ont essayé en grand nombre, surtout à l'étranger, de la pratiquer
après la kélotomie. Cependant cette méthode ne s'est pas, tout d'abord, géné-
ralisée. Ainsi Segond, dans sa thèse, en 1885, n'est pas partisan sans réserves
de cette terminaison de l'opération ; après avoir publié les résultats obtenus
jusqu'à lui par ces méthodes nouvelles, dans les hernies inguinales, crurales et
ombilicales, il conclut ainsi : « Rationnelles dans l'opération de la hernie cru-,
raie, nettement indiquées dans celles de la hernie ombilicale, elles ne doivent
pas être risquées lorsqu'on opère une hernie inguinale. »
Chatard, dans sa thèse, est beaucoup plus net en faveur de la cure radicale.
Après avoir examiné et analysé les résultats fournis par Segond, il arrive à des
conclusions très-affirmatives. « L'impression qui nous est restée, dit-il, de la
lecture des auteurs, est que l'opération de la cure radicale après la kélotomie
HERNIES. 865
doit toujours être tentée. » Il n'y a pas là, pour lui, de complications delà kélo-
tomie, et il croit seulement qu'il faut s'abstenir de toute tentative en ce sens
chez les malades atteints de coUapsus. D'ailleurs, son opinion s'appuie sur
45 observations qui se de'coraposent comme suit : la cure radicale après la kélo-
tomie a été faite dans vingt-six hernies inguinales, les malades ont tous guéri ;
dans 12 hernies crurales avec 5 décès ; dans 5 ombilicales avec 1 seul cas de
mort; et encore la terminaison fatale n'a jamais été due aux tentatives de cure
radicale.
Lucas Ghampionnière s'en déclare hautement le partisan {Cure radicale des
hernies, 1887). a II y a longtemps, dit-il, que systématiquement j'ai fait la
cure radicale dans tous les cas de hernie étranglée. » Il n'en excepte guère
que les cas oîi la dépression résultant de la maladie ou de l'âge sont tels que
les malade? paraissent hors d'état de supporter cette manœuvre, qui allonge e
complique l'opération.
C'est là, croyons-nous, à peu près exactement la ligne de conduite qui doit
être adoptée, car, ainsi que le dit Lucas Ghampionnière, il n'a pas vu d'accidents
imputables à cette cure radicale, et, dans bien des cas, il a constaté des résul-
tats favorables. Quant à nous, nous n'avons jamais hésité, depuis plusieurs années,
toutes les fois que nous avons pratiqué la kélotomie, à essayer la dissection
complète du sac, et sa résection après ligature du collet, et nous n'avons
jamais constaté d'accidents dus à cette pratique.
Nous ne reviendrons pas ici sur les procédés opératoires que nous avons assez
longuement exposés précédemment. Nous devons simplement indiquer que, dans
certains cas de débridement multiple, on peut, suivant Ghampionnière, être
exposé à faire incomplètement l'extirpation du sac séreux sectionné au niveau
du collet. « La paroi du sac, ajoute-t-il, est plus friable que dans les opéra-
tions faites sans étranglement, il faut donc redoubler de surveillance pour n'en
point laisser échapper les débris. Le fait de la congestion périherniaire rend
aussi la chose un peu plus difficile, les vaisseaux sont très-saignants, et, tandis
que la kélotomie simple se fait souvent à blanc, la ké.'otomie avec cure radicale
nécessite souvent l'application de pinces hémostatiques. »
Nous pensons donc qu'il faut conseiller d'une façon générale la cure radicale,
comme terminaison de la kélotomie, mais il ne nous paraît pas utile d'insister
ici sur les résultats de ces tentatives, au point de vue des récidives, car leurs
différences, suivant qu'il s'agit de telle ou telle variété de hernie, nous font
penser que la discussion de ce point particulier sera mieux placée aux articles
traitant de chaque variété (voy. Hernie inguinale, crurale, etc.).
Il ne restera plus maintenant, pour terminer l'opération, qu'à panser la plaie
ainsi produite. Lue fois donc les manœuvres que nous venons de décrire termi-
nées, la plaie sera soigneusement lavée avec une solution antiseptique, l'hémo-
stase faite aussi parfaitement que possible, puis, après avoir placé dans sa partie
profonde un drain destiné à assurer l'écoulement des liquides, les lèvres de la
plaie seront suturées dans toute leur étendue, sauf au niveau du passage du drain.
Gela fait, on appliquera sur la plaie et sur toute la région opératoire un pan-
sement antiseptique fait suivant les règles. Nous insistons particulièrement sur
la minutie des précautions antiseptiques et sur l'étendue du pansement, parce
que ces deux conditions facilitent la réunion par première intention qui doit
être recherchée et qui sera doublement avantageuse. En premier lieu, elle
soustrait plus rapidement le malade aux compHcations possibles de l'opération,
DICT. ESC. 4' s. XIII. 55
866 HERNIES.
et ensuite la cicatrice ainsi obtenue est plus solide et diminue les chances
de la récidive. Ce pansement est maintenu en place par un bandage, variable
suivant la région, et dans l'aine de préférence un spica, mais qui sera, quel
qu'il soit, toujours légèrement compressif. Il sera i)référable aussi, s'iL n'y a
aucune indication contraire, de faire des pansements rares.
Nous avons jusqu'à présent décrit la kélotomie comme elle se jtrésente dans
les cas simples ; c'est en quelque sorte un type que nous avons cherché à étabhr,
mais il n'en est pas toujours ainsi, et on peut, à chaque temps de l'opération,,
voir surgir des difficultés spéciales qu'il nous reste maintenant à examiner.
Difficultés inhérentes à l'opération de la hernie étranglée. Le premier
temps de l'oijération peut présenter plusieurs points délicats.
1" En incisant les couches sous-cutanées, le chirurgien peut arriver sur une
masse de tissu graisseux lobule, un véritable lipome herniaire. On peut, dans
certains cas, croire que l'on est en face d'une hernie épiploïque et se figurer
que l'on a incisé le sac sans l'avoir reconnu. Ou évitera cette erreur, si l'on se
souvient que l'on n'a incisé aucun ftuillet membraneux qui ait les caractères
du sac herniaire, et qu'à aucun moment de l'opération on n'a constaté un écou-
lement de liquide comparable à celui qui sort ordinairement de ce sac. Si les
doutes periistent, on explore avec soin le li|iome que l'on a sous les yeux; il
diffère le plus souvent de l'épiploon par sa forme, sa consistance moins ferme,
son peu de vascularité et son adhérence plus intime à tous les tissus qui l'en-
tourent. Enfin, dans les cas douteux, on r2marquera, dit S. Duplay, que la
tumeur n'a rien perdu de sa résistance et qu'elle est encore fluctuante, si elle
l'était auparavant. Tous les doutes levés, on prendra soin d'inciser celte masse
graisseuse couche par couche et avec beaucoup de précautions, car le plus sou-
vent, après l'avoir traversée, on tombera immédiatement sur le sac.
2" D'autres fois, en incisant les couches lamclleuses qui séparent les téguments
de la tumeur herniaire proprement dite, le bistouri pénètre dans une cavité d'où
s'écoule une certaine quantité de liquide et que le chirurgien pourrait prendre
pour le sac. Ce sont les cavités kystiques (hygromas, kystes sacculaires, kystes
du cordon, etc.), que l'on Irouv» souvent au devant des hernies. 11 sera facile
de reconnaître que l'on avait bien affaire à une de ces cavités closes aux signes
suivants : le doigt introduit dans cette poche constate facilement qu'elle est
fermée de tous côtés et qu'elle se termine en cul-de-sac, aussi bien du côté de
l'anneau herniaire que dans d'autres directions ; de plus, le liquide qui s'en
écoule est ordinairement ambré, citrin, rarement sanguinolent; sa cavité est lu
plus souvent aplatie ; enfin, signe indiqué par S. Duplay, sa paroi profonde est
bombée, résistante, soulevée par une tumeur qui est le sac herniaire distendu
par le liquide et les viscères qu'il renferme. 11 faudra largement inciser cette
poche dans toute son étendue en évitant les vaisseaux qui rampent souvent sur
sa face profonde, et aller très-doucement au delà, car le sac est habituellement
tout à fait voisin.
La recherche du sac herniaire, ou second temps de l'opération, peut aussi
offrir un certain nombre de difficultés. La première peut résulter de son absence ;
il existe, en effet, nous l'avons vu, un certain nombre de cas où la hernie est
partiellement ou complètement dépourvue du sac. On a coutume de citer à ce
sujet l'observation célèbre du professeur Richet, dans laquelle, la peau à peine
incisée, le chirurgien se trouva en présence du cœcum déjà perforé par le bistouri.
C'est, du reste, ordinairement dans les hernies de cet organe et dans celles de la
HERNIES. 867
vessie, que l'on est le plus exposé à rencontrer cette absence de sac. II est, pour
iiinsi dire, impossible de prévoir des faits aussi insolites, mais leur existence
suffit à engager le chirurgien à ne jamais avancer qu'avec les plus grandes pré-
cautions, et à toujours reconnaître la nature des parties soumises à son bistouri.
Parfois on peut arriver jusque dans l'intérieur de la cavité du sac sans s'en
être aperçu, et on est alors exposé à blesser l'intestin, si on ne cherche pas
à reconnaître très-exactement les tissus a mesure qu'ils se présentent sous le
bistouri. Cette erreur ne peut se rencontrer que dans les hernies sèches, dispo-
sition si rare qu'on peut la regarder comme exceptionnelle. Dans ces cas, presque
toujours l'épiploon ou l'intestin sont adhérents à la face interne du sac, et cette
adhérence, jilus ou moins intime, empêche la présence du liquide. Si c'est l'épi -
[iloon qui est uni au sac, on le reconnaîtra ordinairement à ses caractères
propres, et souvent, en l'écartant, on fait écouler une certaine quantité de
sérosité. Si c'est, au contraire, l'intestin qui adhère au sac, souvent ses adhé-
rences sont récentes et molles et se déchirent facilement. Si elles sont plus
anciennes, il faudra plus d'attention encore pour reconnaître la démarcation
qui sépare la face interne du sac de la surface de l'intestin. Celui-ci sera plus
injecté et présentera une arborisation vasculairc plus riche que celle du sac.
Enfin, dans les cas de doute, une incision superficielle y détermine une hémor-
rhagie en nappe, tandis que l'incision du sac sera à peu près complètement sèche.
D'ailleurs, toutes les fois que l'on a des doutes sur la nature de l'organe que
l'on a sous les yeux, on peut être sîir qu'il ne s'agit pas de l'intestin, ce qui
revient à dire que celui-ci a un aspect caractéristique.
Le débridement ne présente que des difficultés d'exécution que l'on |)ourra
éviter avec un peu d'attention et beaucoup de patience. Elles tiennent le plus
souvent au siège profond de l'agent d'étranglement et à son étroitesse,
La réduction peut offrir des embarras plus sérieux, surtout à cause des
lésions dont l'intestin est le siège et qui peuvent arrêter le chirurgien. Ce sont
tantôt des adhérences de l'intestin, soit avec l'épiploon, soit avec le sac; tantôt
des altérations profondes de la paroi intestinale.
A. Des adhérences. Les adhérences de l'intestin sont tantôt récentes, tantôt
anciennes. Les premières, molles et glutineuses, se laissent facilement déchirer
et détruire, et il faut avoir bien soin de libérer complètement tous les points de
l'anse herniée, afin d'éviter la rentrée d'une anse dont les bouts supérieurs et
inférieurs seraient accollés en forme d'U, de manière à constituer, au sommet de
la courbe, un éperon qui établirait un obstacle invincible au cours des matières.
Dans les cas d'adhérences anciennes et serrées, la conduite à tenir est quel-
quefois difficile à préciser, et doit varier suivant les cas : ces adhérences peuvent
être la source des plus grosses difficultés susceptibles de se présenter dans la
kélotomie. D'ailleurs, la doctrine a varié à ce sujet suivant les époques.
Scarpa, qui a si bien étudié les adhérences, conseillait de lever l'étranglement
et d'abandonner ensuite l'intestin au dehors sans réduction. Ârnauld, J.-L. Petit,
Astley Cooper, Taunton, se bornèrent, dans des cas analogues, à suivre la même
conduite. Aélaton, dans son livre, donne des indications^ plus complètes, il
insiste sur la dissection des adhérences, quand elle est possible et facile. Si elles
sont solides, il regarde cette dissection comme dangereuse, car on s'expose à
blesser l'intestin. 11 se range alors à la méthode préconisée par Scarpa : lever
l'étranglement et laisser l'intestin au dehors. En 1871, le professeur Trélat
présenta à la Société de chirurgie deux observations très-importantes dans
868 HERNIES.
lesquelles il avait pratiqué une dissection minutieuse des adhérences et réduit
l'anse incarcérée dans l'abdomen. Duplay se borne à rapporter les observa-
tions de Trélat, en insistant sur l'écoulement sanguin assez considérable qui
accompagne cette dissection, et sur les dangers d'un épanchement de sang
intra-périlonéal après la réduction. En 1880, la question fut de nouveau portée
à la Société de chirurgie par Bourguet (d'Aix), et cet auteur se montra disposé
à abandonner aux efforts de la nature les anses herniaires maintenues par des
adhérences trôs-consistantes. Le professeur Yerneuil appuya cette pratique,
tandis que M. Terrier se montrait partisan de la dissection suivie de réduction,
comme dans les cas de Trélat. Celui-ci, du reste, publia, en 1882, une nouvelle
observation, et sa dissection ayant amené une déchirure de la paroi intestinale,
il fit la suture de cette perforation et réduisit l'anse suturée. Le succès couronna
celte tentative. Barette a étudié très-complctement, en 1883, dans sa thèse déjà
citée, ce point de pratique : il a pu réunir 27 observations de hernies avec
adhérences et il conclut de la manière suivante.
Il conseille de toujours enlever les adhérences molles, gélatineuses, et de net-
toyer complètement la surface intestinale avant de réduire. Si les adhérences
constituent des brides allongées, minces et vasculaires, il ne faudra jamais
réduire l'intestin sans avoir divisé ces longs tractus qui l'attireraient de nouveau
au dehors, s'ils n'étaient détruits. On les coupe entre deux ligatures pour éviter
toute hémorrhagie.
Dans les cas d'adhérences plus solides et plus serrées, il faut toujours en
pratiquer la dissection minutieuse et réduire l'anse libérée, à moins que l'état
général du malade soit trop mauvais pour permettre une longue opération.
Dans ce cas, on se bornera à lever l'étranglement et à laisser l'intestin au
dehors, quitte à remettre îi un moment ultérieur et plus favorable le second
temps de l'opération. Si la dissection des adhérences donne lieu à un écoulement
sanguin abondant, il faudra l'arrêter par la compression douce de l'intestin avec
des éponges antiseptiques sèches. Lorsque ce moyen ne suffit pas, on pourra,
imitant la conduite du professeur Trélat, toucher un à un les points qui
saignent, avec un stylet rougi ou bien trempé dans une solution de perchlo-
rure de fer à 50 degrés. On pourra aussi se servir utilement du thermo-
cautère (Boifûn). Si, dans la dissection, l'intestin se déchire, Barette conseille
d'éviter l'anus contre nature, et de pratiquer la suture de la paroi perforée par
une série de points placés d'après la méthode de Lembert. Cependant, quand la
déchirure est assez étendue pour que la réparation de substance fasse craindre
la possibilité d'un rétrécissement capable de gêner la circulation des matières
intestinales, il n'hésite point à préconiser la l'ésection complète de la partie
malade avec entérorrhaphie circulaire.
Enfin, dans les cas de hernies en paquet où les anses intestinales sont tellement
enchevêtrées et serrées que la dissociation en est presque impossible, il conseille
encore la résection intestinale et la suture circulaire. C'est aussi à cette pra-
tique qu'il faudrait avoir recours dans les cas d'adhérences en U, car elle con-
stitue le seul moyen de détruire l'éperon qui met obstacle au cours des matières.
Boiffin, dans sa thèse (1887) dont nous avons déjà parlé, adopte à peu près
complètement la ligne de conduite tracée ci-dessus. Il ne s'en écarte que sur
certains points de détail. U admet la création de l'anus contre nature dans les
cas complexes où, après avoir incisé le sac, le chirurgien n'a pu découvrir
sûrement la cause de l'occlusion intestinale, ou bien lorsqu'après avoir cru lever
HERNIES. 869
l'obstacle on voit les accidents persister. 11 le repousse dans tous les autres
cas et conclut, comme Baretle, à la nécessité de la resection avec suture intes-
tinale, dans toutes les circonstances où celui-ci l'avait déjà admise. Nous revien-
drons sur cette opération à propos des hernies gangrenées.
Enfin, lorsqu'on se trouvera en face des adhérences par glissement, il sera
nécessaire, si le repli péritonéal qui la forme est trop court pour permettre la
réduction directe, de décoller complètement, par une dissection minutieuse,
l'intestin et le sac des parties voisines : une fois cette manœuvre achevée jusqu'à
l'orifice herniaire, on peut rentrer la hernie et traiter ce qui reste du sac au
dehors comme d'ordinaire.
B. Lésions de l'intestin. Les lésions de la paroi intestinale i[ui peuvent
empêcher le chirurgien de pratiquer la réduction immédiate de l'anse sont les
suivantes : une gangrène plus ou moins étendue de l'intestin avec ou sans per-
foration; une petite perforation, un état tel des tuniques intestinales que l'on
puisse craindre une perforation et une gangrène ultérieures. Dans les trois cas,
la conduite à tenir est différente :
\° Lorsque le chirurgien se trouve en présence d'un intestin noirâtre, encore
tendu, mais qui ne paraît pas avoir sa résistance et son élasticité ordinaires,
comment reconnaître si l'on n'est pas en présence d'un sphacèle au début?
Nous avons, en étudiant la gangrène dans l'étranglement, indiqué les moyens
conseillés pour apprécier le degré de vitalité de l'anse herniée, et nous avons
dit que nous préférions les lavages avec un liquide antiseptique très-chaud.
Sous leur influence, si l'intestin peut être rentré, on verra se produire une cer-
taine décoloration de la paroi intestinale et quelques mouvements vermiculaires.
La même hésitation peut aussi se produire en présence de certaines lésions
localisées, telles qu'une érosion superficielle, la présence de phlyctènes remplies
de sérosité sanguinolente, l'existence, surtout au niveau du collet, de plaques
grisâtres indiquant une infiltration purulente de la paroi. Nous avons vu que,
dans tous ces cas, la réduction a pu être quelquefois suivie, à des intervalles plus
ou moins éloignés, d'une perforation et d'une péritonite rapidement mortelle.
Duplay, à la suite de Yelpeau, conseille la réduction, dans l'espérance que, si
la perforation se produit, elle sera tardive et qu'elle aura donné à des adhé-
rences prolectrices le temps de se former. Seulement, il ajoute que la réduction
doit être faite avec toutes les précautions possibles, de manière à laisser l'anse
réduite au niveau de l'ouverture interne du trajet, afin que, si la rupture arrive,
les liquides intestinaux trouvent immédiatement une issue à l'extérieur. Nous
serions plus disposés à adopter, sur ce point, la pratique de Gosselin, qui préfère
laisser l'hitestin au dehors, après avoir débridé. Si la perforation a lieu, elle se
fera au dehors, et sans danger d'épanchement ; et, d'un autre côté, si l'anse
herniée n'est point atteinte trop profondément, on la verra se réduire peu à
peu et rentrer lentement dans l'abdomen.
2° Lorsque l'intestin porte une toute petite eschare ou une petite perforation,
quelle conduite doit-on tenir? La question mérite d'être discutée. Disons tout
d'abord que par petites perforations nous entendons désigner, avec Malgaigne,
celles qui ont moins de 1 centimètre de diamètre. Cette interprétation a été
adoptée par M. Pissot [De la suture de l'intestin gangrené dans les hernies
étranglées. Thèse de Paris, 1870) et plus récemment par M. Larivière {De l'em-
ploi de la liqature et de la suture de l'intestin dam les petites perforations
des hernies ^étranglées. Thèse de Paris, 1876). Au point de vue des causes qui
S'iO HERMES.
leur donnent naissance, elles ont ctû divisées par Iluguier en trois classes : per-
forations pathologiques, accidentelles ou mixtes.
Les premières siègent, tantôt au niveau du sillon d'étranglement, et ce sont
les plus communes, tantôt au niveau de la convexité de l'anse. Elles sont
linéaires, ou arrondies, et nous avons suffisamment indique, précédemment,
leurs différents mécanismes. Les perforations mixtes sont dues à l'action, sur un
intestin déjà malade, d'un traumatisme qui eût été inoffensif sur une paroi saine.
Elles peuvent être causées par un corps étranger contenu dans l'anse, par des
tractions exercées sur l'intestin, soit pour l'attirer au dehors, soit pour, la
réduire, et surviennent aussi dans la dissection des adhérences serrées. Enfin,
les perforations accidentelles sont celles qui se produisent sous le bistouri de
l'opérateur, soit pendant l'incision des couches superficielles et du sac, quand
on arrive sur l'intestin sans s'en apercevoir, soit pendant les manœuvres du
débridement. Ouol que soit le mécanisme de ces lésions, elles peuvent toutes
être réunies en un seul groupe au point de vue thérapeutique.
Leur traitement a été variable suivant les époques, et les différents moyens
qui leur ont été appliqués ont été rappelés et tour à tour soutenus dans une
discussion restée célèbre, à la Société de chirurgie, en 1801. Les méthodes pro-
posées jieuvent se réduire à quatre. Ce sont : la réduction simple, Vétablis-
semeiit d'un anus contre nature, la kélotomie sans réduction et l'oblitération
suivie (le réduction.
La réduction simple a été autrefois préconisée par Lawrence, et pratiquée par
Velpeau dans un certain nombre de cas. Quelques succès ont été suivis de tels
désastres que cette pratii|ue a été universellement repoussée et condamnée.
L'anus contre nature a été, en 1861, défendu par M. Verneuil, et accepté, avec
quelques réserves, par Broca. Cette méthode qui, dans certains cas, a pu rendre
quehpies se/'vices, a l'inconvénient de créer une infirmité dégoûtante et dont l:i
cure radicale fait courir à l'opéré des dangers sérieux. Aussi, de nos jours, elle
est presque complètement rejetée.
L'absence de réduction de l'anse perforée avait été mise en pratique au siècle
dernier, par La Peyronie. Palfyn et Iluguier ont imité cette conduite en ayant
la précaution de fixer l'anse au dehors, pour éviter sa réduction spontanée, par
un fil traversant le mésentère, ou les appendices épiploïques quand il y en a.
Gosselin préconise l'abandon pur et simple dans la plaie, en laissant s'établir
une fistule stercorale. Laugier garde, lui aussi, l'intestin au dehors, mais il
suture la perforation.
Enfin la suture et la réduction de l'anse perforée, qui avaient été quelquefois
tentées par les chirurgiens du siècle dernier, ne trouvèrent qu'un seul partisan
dans la discussion de 1861, et ce défenseur fut Giraldès. Mais depuis, grâce aux
heureux résultats de tentatives nouvelles, elle a été successivement adoptée par
MM. Pissot et Larivière dans leurs thèses déjà citées, par Malgaigne et Le Fort
dans leur Traité de médecine opératoire, par Duplay et principalement par
Barette. Celte suture intestinale peut se pratiquer de deux façons : soit par
adossement des séreuses (procédés de Jobert, de Lembertet deGely), soit par la
ligature latérale. Dans les deux méthodes, la réunion se fait par les séreuses qui
s'unissent, grâce à la production d'une péritonite adhésive localisée, et le fil dis-
paraît par résorption ou bien en tombant dans la cavité intestinale. Barette a pu
réunir 18 observations dans lesquelles on a fait la suture intestinale, on y compte
16 guérisons. Il a rapporté 6 cas de ligature latérale, dont un seul fut suivi de
HERNIES. 871
mort. Nous pouvons ajouter une observation personnelle de guérison d'une
déchirure traumatique par la suture intestinale et la réduction. Avec les sécu-
rités que donne la méthode antiseptique, cette pratique doit être considérée
aujourd'hui comme la règle à suivre.
o" Lorsqu'à l'ouverture du sac le chirurgien se trouve en présence d'une
large perforation, ou d'un sphaoèle plus ou moins étendu de l'anse herniée, il ne
peut évidemment songer à en pratiquer la réduction. D'un autre c^é, il risque,
en débridant, de détruire des adhérences protectrices et d'exposer le malade à
un épanchenient intra-abdominal des matières intestinales.
Il n'y a dans ces conjonctures que deux manières de procéder : favoriser
l'établissement d'un anus contre nature, ou faire la résection des parties
malades de l'intestin suivie de l'entérorrhaphie. Ces deux procédés méritent
d'être successivement examinés.
L'anus contre nature a été déjà préconisé au siècle dernier. C'est Littre qui.
Je premier, en 1700, posa le précepte de la résection des portions d'intestin
gangrenées et de l'établissement de l'anus contre nature. Méry, en 1700, publia
une observation d'anus contre nature après élimination de 4 à 5 pieds d'intestin
grêle chez une jeune fille atteinte de hernie crurale étranglée. La Peyronie, en
1732, perfectionna le procédé : il fixa, après avoir réséqué la j arlie altérée, un
demi-pied environ, les deux bouts de l'intestin dans la plaie à l'aide d'un double
fil passé dans le mésentère. 11 obtint ainsi un anus contre nature qui guérit spon-
tanément. Mais le défenseur le plus célèbre de la méthode fut Louis qui, dans
•son Mémoire sur la cure des hernies étranglées, lu à l'Académie de chirurgie
■en llhl, le préconisa d'une manière absolue, s'efforçant même de démontrer
qu'il est jilus avantageux que le rétablissement de la route naturelle des
matières. 11 admet cepeudant la possibilité d'une suture secondaire pour le
guérir. Scarpa, Dupuytren, s'en déclarent les partisans, ainsi que Murât, eu
182 i, dans \e Dictionnaire en 18 2'o/?/?nes. C'est la thérapeutique uinversellement
adoptée par tous les chirurgiens français de la première moitié de ce siècle, y
compris Gosselin. C'est aussi celle qui est seule indiquée par S. Duplay. Voici
la pratique de Gosselin. 11 conseille, dans ces cas, d'ouvrir largement l'anse gan-
grenée. Si, alors, le chirurgien voit immédiatement s'écouler en abondance les
matières contenues dans le bout supérieur, on n'a plus qu'à attendre l'élimi-
nation des eschares, et la formation d'un anus contre nature qu'il faudra le plus
souvent tiaiter plus tard. Si, au contraire, l'écoulement des matières est insuf-
fisant, Gosselin conseille d'introduire le doigt dans l'intestin jusqu'au delà de
l'anneau herniaire, puis de glisser, à la faveur de cette sorte de dilatation du
collet, une sonde en gomme n° 18 ou 20 de la filière Charrière. « Si les matières
intestinales, dit Duplay, font aussitôt issue, la sonde est bien placée dans la cavité
du bout supérieur; si, au contraire, après s'être assuré, par le moyen d'une injec-
tion poussée dans la sonde, qu'elle n'est pas obstruée par des matières concrètes,
celle-ci ne donne pas passage au contenu de l'intestin, il est probable qu'elle a
été introduite par le bout inférieur : il faut alors la retirer avec précaution,
chercher avec le doigt le bout opposé et, quand on l'a trouvé, répéter la même
manœuvre et y faire pénétrer la sonde qu'on laisse à demeure » .
Dans certains cas, lorsque Leschare est à moitié détachée et la perforation
établie, il suffira de laisser les choses en l'état; l'anus contre nature est déjà,
pour ainsi dire, établi, l'ouverture du sac aura terminé l'opération.
Cependant les inconvénients, les dangers, les difficultés que l'on éprouve dans
^72 HERMES.
certains cas à obtenir la guérison de l'anus contre nature, ont poussé beaucoup
de cbirurgiens ù faire mieux, et ùcbercher la guérison immédiate du malade par
une opération souvent difficile et compliquée : je veux parler de rentéreetomie
avec entérorrhaphie. Néanmoins, bien souvent, il faudra se contenter de l'anus
contre nature. Barette n'hésite pas à conclure que, « dans tous les cas, cette
pratique est et restera encore longtemps la seule intervention utile entre les
mains d'un médecin dépourvu d'assistance et d'outillage suffisants pour donner
quelques chances de succès». Mais, quand on se trouve dans les conditions
opposées, les opérations complémentaires peuvent être absolument autorisées et
on peut admettre comme vrai le précepte suivant du professeur Trélat rappelé
par Barette : « Il ne faut admettre l'anus contre nature que lorsqu'il s'est établi
lui-même ».
Nous venons de voir que quelques-uns des partisans de l'anus contre nature
n'avaient pas hésité à pratiquer la résection des parties mortifiées. C'est dire
que l'entérectomie n'est pas une chose nouvelle. Bouillv, dans un mémoire
publié dans la Renie de chirurgie pour 1881, p. 55, a fait l'historique de cette
opération. Nous n'avons ici l'intention que de rapporter ce qui a trait à la cure
des hernies gangrenées, et, à ce sujet, il ne faut pas remonter plus haut que le
début du dix-huitième siècle. Nous avons déjà rapporté les observations de Littre,
1700, Méry, 1701. Karcy, en H'iô, pratiqua, lui aussi, la résection intestinale, et
on peut voir dans la méthode de La Peyronie que nous avons rappelée la première
tentative de rapprochement, après la résection, des deux bouts de l'intestin. Le
premier essai sérieux de réunion de l'intestin appartient à Ramdohr et date de
1727. Son observation est rapportée dans la thèse de Mœbius. Après avoir réséqué
environ deux pieds d'intestin sphacélé, avec la portion de mésentère qui lui
appartenait, ce chirurgien mit les deux bouts de l'intestin l'un dans l'autre et
les fixa dans cette position par un point de suture. Le malade guérit assez rapi-
dement. En 1757, Puverger fit une seconde tentative qui fut aussi couronnée de
succès, mais dans laquelle il revint cà la pratique des Quatre Maîtres, qui au
quatorzième siècle suturaient l'intestin sur une portion de trachée-artère, pour
en conserver le calibre. Après avoir réséqué l'intestin gangrené, il réunit par
une suture ses deux bouts sur une trachée de veau et réduisit le tout dans le
ventre. Le malade guérit. La troisième opération que nous pouvons citer appartient
à un chirurgien anglais nommé Nayler, et a été rapportée par Cheston de Glo-
cester, en 1794. Il tenta, lui aussi, la suture intestinale après résection de
quatre pouces d'intestin gangrené. Malheureusement, la suture échoua, et le
malade eut un anus contre nature.
Avec le dix-neuvième siècle commença, pour cette opération, une période
expérimentale et de physiologie pathologique à laquelle se rattachent les noms de
Travers, Thompson, A. Cooper, Jobert, Reybard. Nous n'avons pas la prétention
de faire ici complètement l'histoire de l'entérorrhaphie. Mais au point de vue
qui nous occupe nous citerons encore l'opération de Lavielle fils, de Mirabaste
(Landes), qui, en 1811, publia, à la Société de médecine de Paris, un cas de
guérison d'une hernie étranglée par le procédé de Ramdhor. Le malade guérit -,
mais la conduite du chirurgien fut sévèrement jugée par Devilliers, son rappor-
teur. Nous nous bornerons, avant d'arriver à la période contemporaine, à rap-
peler deux succès d'entérorraphie, dont l'un appartient à Reybard en 1827,
l'autre à Dieffenbach en 1859.
A partir de 1875, la suture intestinale, délaissée complètement pour l'anu
HERNIES. 875
contre nature, reparut de nouveau avec la me'thode antiseptique, et ces premières
opération:; appartiennent à Lucke, 1873, à Kronlein, 1876, à Kocher. 1878,
puisàLudwick, Ilagedorn, Wahl, Dittel, Billroth, Czerny, Madelung, Cari Jaffé,
Rydingier, etc., à l'étranger.
En France, citons une observation du professeur Guyon, publiée en 1880,
dans la thèse de Pcyrot, et les faits de Bouilly. Ce dernier chirurgien fit paraître
en 1885 dans la Revue de chirurgie, avec la coloration d'Assaky, un second
mémoire sur la question, et il put réunir 36 observations modernes d'entérec-
tomie suivie d'entérorrhaphie. Après les avoir discutées et analysées, avecle plus
grand soin, il arrive aux conclusions suivantes : a L'entércctomie et la suture
sont autorisées et indiquées dans des circonstances déterminées et peuvent être
tentées :
1» Toutes les fois que l'état général de l'opéré ne sera pas assez mauvais pour
faire redouter la durée plus grande de l'opération et l'administration prolongée
du chloroforme, et faire prévoir une terminaison rapidement mortelle, soit
par syncope, refroidissement, abondance des vomissements, congestion pul-
monaire.
2" Que l'examen minutieux de la variété de hernie, de la nature actuelle des
accidents; permettra de rejeter l'existence d'une péritonite localisée ou d'une
grave complication d'ordre quelconque;
3*> Que l'on pourra constater, au moment de l'opération, qu'il n'y a point de
matières fécales épanchées dans le péritoine ;
4° Que l'on croira pouvoir facilement attirer à l'extérieur toute la portion
intestinale et mésentérique gangrenées, et réséquer dans les portions saines,
tant de l'intestin que du mésentère;
50 Que l'on pourra rétablir, d'une manière solide et efficace, la continuité de
l'intestin, sans être gêné par une trop grande différence de calibre des bouts
réséqués ».
La question de l'entérectomie fut reprise, pour la cure de l'anus contre nature,
par Pûllosson dans sa thèse d'agrégation (1883). La même année, au Congrès
allemand de chirurgie, Riedel (d'Aix-la-Chapelle) publie un travail sur la ques-
tion et se montre partisan de la résection et de la suture hâtive dans les hernies
étranglées.
D'ailleurs, le moment où. doit se faire cette opération est variable suivant les
auteurs ; les uns préfèrent l'opération immédiate, les autres une intervention
plus retardée. Barette a pu réunir dans sa thèse 49 observations de résection
avec suture précoce, qui ont donné les résultats suivants : 26 guérisons, et 23
morts; 2 malades ont conservé un anus contre nature. Il y aurait donc une
mortalité de 47 pour 100 environ, en chiffres bruts. Mais, si nous pouvions
faire ici l'histoire détaillée de ces observations, nous verrions que, dans certains
cas, il faudrait, avec Bouilly et Barette, tenir compte « de plusieurs circon-
stances qui auraient pu peser sur les déterminations des opérateurs et qui
étaient à leurs yeux des contre-indications formelles de l'opération. »
La gravité des résultats que nous venons de citer a engagé plusieurs chirur-
giens à faire l'opération en deux temps, et à retarder par conséquent, plus ou
moins longtemps, la suture intestinale. On a ainsi l'avantage de laisser s'évacuer
l'abcès fécal, s'éliminer les eschares, ou, si l'on pratique la résection immédiate,
de permettre au malade de revenir de l'état général grave causé par l'étrangle-
ment, et aux adhérences protectrices de s'établir. « II sera donc prudent, si l'on
814 «ERNIES.
a résolu d'iiitei'venir secondairement (dit Barette), de le faire avant que l'inflam-
malion adliésive ait commencé à se produire, ou Lien après que tous les sym-
ptômes inflammatoires auront complètement disparu. » Parmi les partisans de
l'opération secondaire nous pouvons citer Graefe, assistant de Thiersch (1881),
Rydygier, JuUiard (de Genève), Bouilly. Et encore, suivant le moment de l'in-
tervention, il existe deux méthodes : rentérorrhaphie secondaire précoce, et
l'enlérorrhapliie secondaire tardive ou reculée. Pour le premier procédé, Barette
n'a pu trouver que 5 opérations, qui ont fourni 2 guérisons et 5 morts, et.
parmi ces derniers, un opéré de Lucke, qui avait déjà une péritonite au moment
de l'intervention, ce qui eijt dû la conire-indiquer. On peut donc admettre une
mortalilii de ÔO pour 100. L'opération tardive a été plus fréquemment exécutée,
puisque nous trouvons, dans le même auteur, 29 opérations par ce procédé qui
se décomposent ainsi : 17 guérisons, 15 morts. II y aurait donc une mortalité
moyenne de 45 pour 100.
La gravité de ces résultats a inspiré à Bouilly la création d'un procédé mixte.
En présence des dangers de ces opérations et aussi des périls considérables que
fait courir l'anus contre nature, frappé surtout de ce que les nombreux cas de
suture intestinale ont été suivis, même chez des malades qui ont guéri, de h
formation d'une fistule stcrcorale, ce chirurgien a cru devoir inventer le pro-
cédé suivant. En face d'une hernie étranglée et gangrenée, il fait la kélotomie,
résèque l'anse mortifiée en totalité, en ayant soin de tailler dans les parties fran-
chement saines, puis il pratique la suture immédiate, mais en prenant la pré-
caution de laisser, sur la partie convexe de l'anse intestinale, une baie, un orifice
qui permette l'issue des gaz et des matières du bout supérieur. Ensuite il fixe à
la peau, par une suture, cette petite plaie intestinale. La fistule stercorale ainsi
établie se guérira plus tard spontanément, ou nécessitera une enlérorrhaphie
latérale, opération presque sans danger. Cette pratique n'a été, d'après Barette,
suivie que deux fois, une fois par Bouilly, une fois par AValter Pye. Les deux
malades sont morts, mais, bien que nous n'ayons pas trouvé d'autres essais de
ce procédé, depuis la thèse de Barette, il ne nous semble pas possible de juger
une méthode avec si peu de faits.
Nous ne pouvons ici décrire en détail le manuel opératoire de la résection
intestinale et de la suture ; nous allons en rappeler les points principaux. Insis-
tons tout d'abord sur la nécessité absolue d'une antisepsie parfaitement rigou-
reuse, et surl'obligation de soins minutieux anté-opératoires. Les premiers temps
de l'opération sont ceux de la kélotomie. Arrivé à la résection, le chirurgien doit
se préoccuper d'empêcher l'effusion des matières. Les procédés pour y arriver
sont nombreux. Billrotha employé la compression digitale, Schede, Jaffé, Bouilly,
une ligature provisoire modérément serrée, Rydygier de longues pinces hémo-
statiques dont les mors sont garnis de caoutchouc pour éviter de blesser l'intes-
tin. Barette penche pour la ligature. Il laudra réséquer et lier un coin mésenté-
rique dont l'étendue sera directement en rapport avec celle de l'anse intestinale
que l'on désii-e supprimer. Quant à l'intestin, on le résèque, soit circulairement,
si les deux bouts ont sensiblement le même calibre, soit plus ou moins oblique-
ment dans le cas contraire. Puis, avant de faire la suture, il faut laisser évacuer
le bout supérieur et laver avec soin les deux extrémités de l'intestin, intus et
extra, avec une solution tiède d'acide borique de 2 à 4 pour 100.
Avant d'arriver à la suture, nous devons parler de la quantité d'intestin
qu'il est permis de supprimer. Barette dit à ce sujet que, dans les 40 observa-
HERNIES. 875
lions qu'il a pu trouver où ce point ait été indiqué, la longueur réséquée varie
de 2 à 65 centimètres ; et le pronostic ne paraît pas varier notablement avec la
longueur de la partie enlevée. Cependant « on comprend facilement, ajoute-t-il,
que plus celle-ci est considérable, plus les difficultés de la réunion sont nom-
breuses, et cela surtout à cause de la brèche faite au mésentère. » Les dimensions
indiquées ci-dcssus ont été quelquefois dépassées, et nous pouvons citer une
observation de Kocber {Corresp. Bl. fur Schioeh. Mrzte, février et mars 1886)
dans laquelle une résection de 1"',60 d'instestin grêle avec sutuie primitive fut
suivie de guérison, chez un homme de cinquante sept ans. Dans un autre cas,
Baum [Fortschritte der Medic, n° 24, 1884) réséqua, chez une femme de
quarante ans, à la suite de tistides stercorales consécutives à une kélotomie,
l"',o7 d'intestin grêle. La malade guérit, mais bientôt après elle perdit l'appé-
tit, ses forces diminuèrent, elle s'amaigrit rapidement et finit par succomber
quatre mois après sou opération. L'autopsie ne révéla aucune lésion capable
d'expliquer la mort, et l'auteur croit qu'il faut TMltribuer au raccourcissement
exagéré des dimensions de l'intestin et, par suite, à la nutrition incomplète. 11
semble donc, d'après celte observation, que la résection intestinale peut entraî-
ner certains dangers, même après la guérison opératoire, quand elle supprime
une trop grande quantité de l'organe de la digestion.
Nous ne désirons pas insister sur les divers procédés de suture intestinale :
ils ont tous été employés, et dérivent de ceux de Jobert et de Lembert, même la
suture à double rang de Czerny (1880) et sa modification, peu avantageuse du
reste, par Gussembauer (de Prague) en 1881.
En résumé, la résection suivie de la suture intestinale, faite avec les précau-
tions que nous venons de passer en revue, nous parait être une opération appelée
à rendre de réels services, lorsqu'elle sera pratiquée en obéissant aux indica-
tions qui ont été formulées par Bouilly, et que nous avons indiquées plus haut.
On peut cependant dire à ce sujet, avec Barette : « La suture sera toujours une
opération délicate, minutieuse, et appartenant seulement à ceux qui seront
rompus à toutes les manœuvres opératoires. »
Enfin, bien que nous n'ayons pas ici à traiter de l'anus contre nature, nous
devons indiquer que la suture intestinale a pu être utilement employée pour sa
guérison. A ce sujet, nous pouvons le considérer comme une cure tardive des
hernies avec gangrène. Bouilly lui a, dans ce cas, assigné les indications sui-
vantes :
1° Dans les cas où des tentatives antérieures : compression, application de
l'entérotome, suture, autoplaslie, ont été suivis d'insuccès;
2° Quand l'examen, fait méthodiquement, fait reconnaître la difficulté de se
rendre un compte exact de l'état des parties, il vaut mieux faire une interven-
tion large et franche qu'une incomplète, qui fait courir les mêmes dangers sans
offrir les mêmes chances de succès ;
ô° Quand on aura reconnu une disposition anormale des deux bouts; super-
position, croisement, éloignement ou différence notable de calibre, ou plusieurs
perforations sur le même point;
4° Quand il existe un renversement irréductible de l'un des deux bouts de
l'intestin, et à plus forte raison des deux;
5° Quand il y a complication d'un prolapsus étendu de la muqueuse avec ou
sans invagination de la portion intestinale sous-jacente;
6" Quand on reconnaîtra un anus contre nature sans éperon, constitué par
876 HERNIES.
une de ces larges pertes de substance qu'une suture des bouts de rorifice ne
saurait combler.
Accidents pouvant survenir pendant la kélotomie. En dehors des complica-
tions précédentes de l'opération, et qui sont presque toutes la source d'indica-
tions et d'interventions nouvelles, il peut survenir, dans le cours d'une kélotomie
simple, un certain nombre d'accidents opératoires que nous devons faire con-
naître. Ce sont : Vhémorrhagie, la blessure de l'intestin, une fausse réduction
avec persistance des phénomènes d'étranglement, et la réduction d' un intestin
perforé.
1° L'hémorrhagie, qui tient presque toujours à la section d'une des artères
importantes qui existent au voisinage de tous les orifices herniaires, était beau-
coup plus fréquente autrefois qu'aujourd'hui. Dans les. observations anciennes,
ou peut trouver un certain nombre de cas de mort dus a cet accident, par suite
d'une hémorrhagie intra-abdominalc. Aussi, c'est pour l'éviter que les chirur-
giens de nos jours, après avoir mieux précisé, pour chaque anneau, les points
d'élection où l'on pouvait porter le bistouri sans danger, ont repoussé les
grands débridemenls, pour leur préférer les petites incisions, les débridements
multiples, et la dilatation des anneaux avec un instrument mousse. Si, malgré
toutes ces précautions, on avait le malheur de couper une artère importante,
ce que l'on peut reconnaître par l'écoulement d'une notable quantité de sang
par la plaie, et par les signes généraux d'une hémorrhagie grave, il faudrait, si
le point qui donne du sang est élevé, et qu'on ne puisse faire la ligature dans la
plaie, ne pas hésiter à agrandir les incisions externes pour arriver jusqu'au vais-
seau divisé, le saisir et le lier.
2" La blessure de V intestin rentre dans les perforations traumatiques déjà
étudiées précédemment. Si la blessure est petite, il faut faire la suture latérale;
si elle est plus grande, on se conduira comme s'il s'agissait d'une grande perfo-
ration spontanée.
5" La réduction en maise pendant l'opération sera étudiée à propos de la
persistance des accidents après la kélotomie.
4" La réduction d'un intestin perforé se révèle par l'apparition très-rapide
d'une péritonite suraiguë. Si la perforation, cependant, est située au voisinage
de l'anneau, il pourra quelquefois se produire un anus contre nature ou une
fistule stercorale. C'est là une terminaison favorable assez exceptionnelle dont
Duplay cite deux exemples personnels. En tous cas, c'est une complication que
le chirurgien pourra presque toujours éviter, s'il a soin de ne réduire qu'après
un examen minutieux de l'anse herniée.
Phénomènes et soins consécutifs à V opération de la kélotomie. D'ordinaire,
aussitôt après l'opération, on voit cesser tous les accidents de l'étranglement, les
phénomènes généraux disparaissent, l'état du malade s'amende rapidement, les
selles reparaissent au bout de quelques heures, et tout rentre dans l'ordre. Là
plaie de la kélotomie est une plaie peu grave qui guérit assez rapidement.
Mais cette marche, absolument favorable et sans incident, n'est pas toujours
constante, et, d'un autre côté, il est nécessaire desavoir comment il faut soigner
l'opéré pour favoriser le rétablissement des fonctions et le retour rapide à la
guérison.
Cette question du traitement du blessé après la kélotomie a soulevé des dis-
cussions nombreuses. Les chirurgiens anciens, persuadés que le but principal
de l'opération était de permettre au plus tôt la circulation des matières intesti-
HERNIES. 877
nales, étaient d'avis de s'assurer, immédiatement après l'opération, de la per-
méabilité de rinlestin. Pour cela, ils prescrivaient immédiatement un purgatif,
qu'ils réitéraient même sans hésiter, si le premier n'était pas suivi d'effet.
Cependant on a bientôt reconnu que ce mode de traitement pouvait
avoir des dangers, et on y a peu à peu renoncé. « Ce moyen, dit Gosselin,
m'a paru avoir deux inconvénients : celui de fatiguer par des évacuations
abondantes un organisme déjà épuisé par l'étranglement, et celui de favo-
riser, s'il existe quelque perforation larvée, un épanchement dans le péri-
toine. »
On a donc pensé qu'il pourrait être préférable, au contraire, d'agir en sens
mverse et de diminuer les contractions intestinales en donnant de l'opium.
Cette pratique a été recommandée par le professeur Gosselin, dans ses Leçons
sur les hernies abdominales, en 1865, et la même année, dans une discussion à
ce sujet qui eut lieu devant la Société de chirurgie (4 et 11 janvier), elle avait
été soutenue par MM. Monod, Demarquay et Le Fort. Outre l'immobilisation de
l'intestin, l'opium aurait encore l'avantage, suivant ce dernier chirurgien, de
calmer les phénomènes généraux et de diminuer les accidents nerveux réflexes
causés par la constriction de l'intestin.
Aujourd'hui l'emploi de l'opium après la kélotomie est presque universelle-
ment adopté, et on l'administre, en général, à la dose de 10 centigrammes en
5 fois, pendant les trois premiers jours. Cependant on peut encore rester les
premiers jours dans l'expectative en attendant les évacuations naturelles. Duplay,
dans son livre, conseille cette méthode, en restreignant l'emploi de l'opium aux
cas où ii y aurait de la douleur du ventre, de l'éréthisme nerveux, ou des
symptômes de péritonite commençante. l\ serait, au contraire, contre-indiqué,
s'il existait du ballonnement du ventre, de l'inertie de l'intestin et surtout de la
gêne respiratoire et de l'anxiété.
Quoi qu'il en soit, il arrive souvent que les premières évacuations intestinales
tardent un peu à se produire. Aussi, dans les cas où, au bout de trois ou quatre
jours après l'opération, le malade n'aurait pas eu de selles, on sera autorise à
avoir recours à un purgatif, administré soit par la bouche, soit en lavement.
Enfin, dans certains cas, au bout de quelques jours le ventre devient doulou-
reux, une véritable diarrhée succède à la constipation absolue de l'étrangle-
ment. Ces phénomènes se montrent surtout à la suite des étranglements graves
et peuvent être d'un pronostic fâcheux ; on devra, pour les combattre, avoir
encore recours à l'opium donné à doses fractionnées, mais en quantité assez
grande (10 à 15 centigrammes par jour).
Le ré'ime alimentaire des opérés doit être aussi très-surveillé. Il ne faut pas
mettre à la diète les malades déjà affaiblis par les phénomènes généraux graves
de rétran"lement ; it faudra très-rapidement chercher à relever leurs forces.
Certains malades, en effet, ont succombé à l'épuisement que paraît avoir déter-
miné l'étranoleraent lui-même. II est donc absolument indiqué de nourrir les
opérés de suite, mais peu à peu, et tout en suivant les progrès de leur rétablis-
sement.
Enfin, quand le malade est guéri, il sera absolument nécessaire de lui faire
porter un banda^^e herniaire au moins pendant plusieurs mois. En effet, la kélo-
tomie, même avec la cure radicale, ne met pas toujours à l'abri de la récidive.
Celle-ci était presque constante après les kélotomies simples. « Gosselin affirme,
dit Duplay, que tous ceux de ses opérés qu'il a pu revoir plus ou moins long-
878 HERNIES.
temps après l'opération présentaient une nouvelle hernie. Celle-ci peut même
s'étrangler, ainsi que Gossclin et Berger en ont rapporté chacun un exemple. »
Aujourd'hui que la kélotomie est complétée par la cure radicale, celte récidive
est assurément moins fréquente, mais, pour l'éviter, il sera tout aussi nécessaire
qu'auparavant d'assujettir la cicatrice à l'aide d'un bandage bien fait, au moins
pendant les premiers mois.
La guérison ne se produit pas toujours aussi facilement après l'opération.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de la marche normale, dans les cas simples,
mais cette terminaison favorable peut être empêchée ou retardée par certaines
complications générales ou locales, et quelques-uns de ces accidents sont sus-
ceptibles d'entraîner la mort.
Coiiijilications coméculives à la kélotomie. Les complications qui se mon-
trent à la suite de la kélotomie peuvent, pour la commodité de la description,
èlre divisées en locales, abdominales ou éloignées.
a. Complications locales. Au premier rang nous devons signaler la possibi-
lité des complications ordinaires des plaies, telles que l'inflammation phlegrao-
neuse de la plaie et de ses environs, les fusées purulentes, l'angioleucite,
l'érysipcle, qui ne prennent de la gravité que par lem intensité ou leur étendue.
D'ordinaire, il sera facile de les éviter eu observant tous les préceptes de la
méthode antiseptique. Les phénomènes inflammatoires locaux ne sont véritable-
ment à redouter <iue s'ils gagnent en profondeur; car ils peuvent alors se pro-
pager par le trajet herniaire et entraîner à leur suite une péritonite généralisée
qui le plus souvent emportera le malade. Cependant, fréquemment, la suppu-
lalion n'a|)portera qu'un retard de quelques jours à la guérison, en reculant
la cicatrisation d'une plaie qui aurait dû se fermer par première intention.
Néanmoins ilpeut quelquefois survenir des gangrènes localisées qui ont une
gravité réelle et qui ne sont, du reste, que l'expi ession d'un état général mauvais.
Amsi, Duplay a vu plusieurs fois survenir un sphacèie du sac laissé dans la plaie :
les malades ont pourtant guéri. De plus, dans un cas, publié par Fleury (de
Clermont [Bull, de la Soc. de chiv., 1869, p. 202]), unhornme de quarante-deux
ans, opéré pour une herniecrurale volumineuse étranglée depuis trois jours, vit,
six jonrs après l'opération et sans cause appréciable, alors que le malade parais-
sait en voie de guérison, se produire une gangrène des parois abdominales, qui
s'étendit très-rapidement à tout le côté droit du ventre. Le malade mourut en
deux jours. Dans une autre observation, publiée par Pamard, à la Société de
chirurgie, un opéré de hernie crurale fut très-rapidement emporté par un
phlegmon gangreneux diffus. L'opérateur avait constaté, pendant l'opération,
sur la face interne du sac, quelques phlyctènes remplies de sérosité noirâtre.
Bien évidemment, dans ces deux cas, quoique les manifestations morbides
aient été localisées, les chirurgiens ont eu affaire à une septicémie à marche
rapide.
p. Complications abdominales. Les complications qui se montrent du côté
de l'abdomen sont de beaucoup les plus fréquentes. Elles peuvent tenir à des
causes variable et sont de gravité très-inégale.
Nous avons déjà parlé du retard apporté quelquefois, même dans les cas favo-
rables, au rétablissement des fonctions intestinales. Dans ces circonstances, il
n'y a guère qu'un peu d'inertie intestinale. Cependant les accidents semblent
persister ajirès le débridement : le ballonnement du ventre ne'diminue pas, les
vomissements se reproduisent tout en restant seulement bilieux ou alimentaires,
HERNIES. 819
et, au Ijoul de quelques jours, soit spoutancment, soit après radministratiou
d'un purgatif, tout rentre dans l'ordre.
Mais souvent cette terminaison favorable ne se montre pas : les accidents
durent, s'aggravent même, et l'on voit survenir la mort malgré le débri-
dément et la réduction. Ces pliénomènes peuvent tenir à plusieurs circon-
stances.
Le pseudo-étranglement paralytique, qui a été invoqué pour expliquer cer-
tains de ces faits et dont nous avons déjà parlé à propos du taxis, ne paraît pas.
à lui seul, suffisant pour amener la terminaison fatale. Ordinairement la paralysie
Hitestinale n'est que le résultat d'une péritonite. Dans d'autres cas, « à ce
pseudo-étranglement paralytique il faut associer, dit Duplay, l'influence de
l'épuisement nerveux, d'une congestion pulmonaire généralisée ou d'autres
accidents jiroduits par l'élrangloment. »
D'autres fois on a pensé que la persistance des accidents était due à un rétré-
cissement de l'intestin. La permanence du sillon d'étranglement après la
réduction, qui peut durer quelques jours, est capable, en effet, quelquefois,
de créer un obstacle suffisant pour arrêter le cours des matières. 11 est rare,
cependant, que cette sténose ne cède pas au bout de peu de jours. On pourrait
aussi se trouver en présence d'un rétrécissement spasmodique. Nous ne connaissons
comme exemple de cet accident que le cas rapporté par Berger et cité par Duplay :
« Le professeur Verneuil, à l'ouverture d'une liernie inguinale congénitale cliez
un jeune enfant, put constater l'existence d'un rétrécissement à l'une des extré-
mités de l'anse intestinale lierniée. Des pressions directes, exercées par le clii-
rurgien, eurent quelque peine à faire francbir aux matières intestinales le point
rétréci. » Enfin il existe des cas assez nombreux de rétrécissement permanent
de l'intestin ii la suite de l'étranglement. Nous avons déjà parlé plusieurs fois du
cas célèbre de Uitscli et de la coarctalion cicatricielle ou inflammatoire, étudiée
dans la thèse de Guignard. Duplay cite une observation de Maisonneuve, qui se
rapporte à cette sorte de rétrécissement et qui démontre qu'il est susceptible de
causer la persistance des phénomènes de l'étranglement, avec tous ses dangers.
Dans un autre groupe de faits, les accidents sont dus à une fausse réduction
pratiquée pendant la kélotomie. Nous avons déjà indiqué et étudié ces faits à
pi'opos du taxis, nous n'y reviendrons ici que brièvement. L'intestin peut être
partiellement réduit et retenu par un orifice profond : il est donc nécessaire
que le chirurgien s'assure, en introduisant le doigt dans le trajet herniaire,
qu'il n'a pas pratiqué une réduction incomplète. D'autres fois l'opérateur,
ayant négligé de fixer solidement le sac quand il fait pénétrer le doigt dans
l'anneau pour guider le bistouri de Cooper, voit la hernie fder sous la pression,
et une réduction en masse se produire sous ses yeux. 11 ne faudrait pas hésilei',
dans ces cas, à agrandir l'ouverture et à aller à la recherche du sac, pour
délivrer l'intestin encore saisi. Enfin nous avons vu aussi que l'intestin peut
être, pendant la réduction, refoulé, à travers l'incision du débridement, dans le
tissu cellulaire sous-péritonéal, et s'y étrangler. Streubel a rassemblé quelques
exemples de cet accident qui a fait l'objet d'un travail de Farabeuf à la Société
de chirurgie (1877). Si l'on soupçonnait cette complication, il faudrait immé-
diatement agrandir l'ouverture pour dégager l'anse saisie et pratiquer un nou-
veau débridement suivi d'une nouvelle réduction,
La continuation des phénomènes de l'étranglement après l'opération peut
aussi tenir à ce que le chirurgien ne s'est pas adressé à la véritable cause des
880 lIER^ilES.
accidents. Je me contenterai de rappeler la possibilité de la kélotomie faite sur
une hernie irréductible coïncidant avec un étranglement interne, et la présence
de deux hernies dont l'une seule est étranglée, alors que le chirurgien a opéré
l'autre. Ce sont plutôt là des erreurs de diagnostic dont il existe des exemples,
mais qu'un examen attentif doit faire éviter.
C'est dans celte catégorie de faits que doivent rentrer les opérations portant
sur des hernies propéritonéales ignorées. Leur sac superficiel est ouvert, le pre-
mier collet est débridé et le chirurgien réduit le contenu de ce premier sac dans
le second, croyant avoir levé l'obstacle, alors que l'agent véritable de l'étrangle-
ment siège au niveau de l'orifice abdominal du second sac. D'ordinaire cet acci-
dent a été méconnu ; cependant, dans 5 ou 4 cas que nous avons cités déjà [voy.
Anatomie pathologique des hernies réductibles), les chirurgiens 'ont pu faire
à temps le diagnostic de cette disposition exceptionnelle, inciser largement
la paroi abdominale et aller débrider le véritable étranglement. Les signes
capables de le faire reconnaître seraient la présence d'une hernie inguinale
congénitale avec ectopie testiculaire et la nécessité de pressions soutenues pour
réduire une anse néanmoins peu serrée. De plus, l'exploration attentive de
la partie profonde du trajet herniaire pourrait permettre de découvrir le sac
profond.
Mais, de toutes les complications abdominales, la plus grave et en même
temps la plus fré([uente, celle qui cause le plus souvent la mort c'est, sans
contredit, la péritonite. Elle peut survenir de trois manières. Elle est d'abord
consécutive à une perforation intestinale, précoce ou tardive, après la réduction
de l'anse herniée. Elle est alors suraiguë et emporte très-rapidement le malade.
En second lieu, il peut y avoir une péritonite par propagation, l'inflammation
développée au niveau de la plaie ayant gagné la profondeur et envahi la séreuse
abdominale. Dans ce cas, elle a une marche plus lente que précédemment et
s'annonce par de la douleur, du ballonnement du ventre, des vomissements.
Très-souvent, enfin, il peut y avoir un début sourd; les évacuations intestinales
ne se sont pas produites, les vomissements ont persisté en devenant bilieux, le
ventre est douloureux dans toute son étendue, le pouls est petit et fréquent,
l'état général s'altère rapidement et le malade ne tarde pas à mourir.
Cette dernière forme paraît se rapprocher de cette variété particulière de
péritonite qui a été décrite, dans ces dernières années, sous le nom de septi-
cémie périlonéale, et dont nous avons déjà parlé à propos de la rnort dans
l'étranglement.
Voici, d'après la thèse de Momon (1882), quel en est l'aspect clinique. L'opé-
ration paraît avoir réussi; tous les phénomènes ont disparu, le malade est très-
bien pendant un jour ou deux; puis, peu à peu, la température s'élève légère-
ment, la langue devient sèche, la peau chaude, il y a quelques nausées, puis
rapidement les accidents graves éclatent. Le faciès prend, en quelques heures,
l'aspect grippé, abdominal, il y a de l'angoisse respiratoire, la température monte
rapidement à 40 degrés et au delà. En même temps le ventre reste souple, il n'est
ni ballonné, ni douloureux, les selles sont normales et la plaie marche réguliè-
rement vers la guérison. Mais l'évolution de la maladie est rapide, le malade
s'abat de plus en plus, la température s'élève et les phénomènes s'accentuent
jusqu'à la mort qui survient rapidement, quelquefois au milieu d'un délire assez
bruyant.
Si le chirurgien diagnostique [cette terrible complication, il n'y a qu'un
HERNIES. 881
trailcnieiit à tenter, c'est celui qui a été essayé avec succès par Peyrot dans une
observation citée par M. Momon. Il faut ouvrir le péritoine, même si la réunion
est faite, pour permettre l'écoulenient du liquide, faire la toilette abdominale,
faire pénétrer nn drain ou une sonde jusque dans la cavité péritoncale et y faire
passer plusieurs litres d'une solution antiseptique, jusqu'à ce que l'eau ressorte
claire et limpide. La malade de Peyrot fut sauvée par ce moyen, mais, tout
en l'essayant, il faut Ijieu se souvenir de la gravité exceplionnelle de cette com-
plication et des chances minimes de succès que l'on peut avoir.
Complications éloic/nées. Certains malades succombent enfin quelquefois,
sans que l'on puisse découvrir les causes de leur mort. Nous avons vu que
les comjdications pulmonaires et rénales de l'étranglement sont susceptibles,
même après la kélotomie, d'emporter les malades. Quelquefois on ne trouve
absolument aucune lésion : l'opéré meurt de sun étranglement. Dans ce cas, le
cours des matières ne se rétablit pas franchement, il survient une diarrhée abon-
dante, le malade s'affaiblit rapidement et succombe. On ne peut invoquer, pour
expliquer cette lin, que « le retentissement fâcheux de l'étranglement sur toute
l'économie et la perturbation profonde qu'ont amenée dans les conditions de
l'existence la douleur prolongée, les troubles étendus de la circulation et la
suspension des fonctions qui sont peut-être le plus intimement liées à la nutri-
tion générale de l'organisme humain. »
Enfin il peut exister, après la kélotomie, des complications plus ou moins
graves, mais encore peu expliquées, dont nous devons nous boi-ner à citer quel-
ques exemples. Nous rappellerons une observation de Cossy (Société anato-
mique, 4875), dans laquelle il survint, à la suite du débridement d'une hernie
crurale étranglée, une phlébite occupant les veines fémorale et iliaque externe.
Le malade mourut d'une embolie pulmonaire ; un caillot considérable oblitérait
les deux divisions de l'artère pulmonaire. Citons encore le cas de Gazin [Bull,
de la Soc. de cliir., 1874), dans lefjuel une kélotomie fut jnatiquée pour une
hernie crurale dont l'étranglement très-grave avait revêtu l'aspect du véritable
choléra herniaire. Cinq jours après l'opération, le malade ressentit une sensation
particulière de fourmillement dans les doigts des deux mains et des pieds.
Deux jours après, la pulpe augmentait de volume et l'épidermc était soulevé,
par un épanchement de liquide, jusqu'à la seconde phalange. Les jours suivants,
l'épiderme se rompit, l'eau s'écoula et les doigts desquamèrent comme dans la
scarlatine. Faut-il rapporter ces accidents à la kélotomie, ou plutôt croire que
ce sont là des complications tardives de l'étranglement? Dans le premier cas, la
phlébite peut bien être due au bistouri, mais, dans le cas de Cazin, il s'agit pro-
bablement d'un accident de l'étranglement.
De quelques modifications apportées au mode opératoire de la kélotomie.
Les mauvais résultats que donnait autrefois la kélotomie ont, de tout temps,
poussé certains chirurgiens à en modifier le manuel opératoire ; les uns cher-
chaient à ne pas ouvrir le péritoine, pour éviter la péritonite; les autres a
limiter autant que possible cette ouverture; d'autres enfin ont imaginé certaines
modifications de détail que nous allons rapidement passer en revue.
X" Kélotomie sans ouverture du sac. Cette méthode, qui a surtout pour but,
en laissant le péritoine intact, d'éviter la péritonite, a été inventée par J.-L. Petit,
en 1718, au dire de Garengeot. Ce chirurgien avait môme essayé de préciser les
cas dans lesquels ce procédé pouvait être employé. Il fut combattu par Mauchart,
en 1722, qui lui reprochait, à juste titre, de ne pas permettre de se rendre
DICT. ENC. A" s. Xllf. ^^
88iJ IIEKINIES.
compte de l'état de l'iiilesliii, ce qui pouvait amener la véduclion d'une anse
yaiîgrence ou ilu moins profondément altérée, llcister, Scliarp, en 1741, avaient
eux. aussi, et pour les mômes raisons que Mauchart, repoussé ce nouveau procédé
opératoire. Il fut cependant remis en honneur en 1750 par Ravaton, qui s'en
croyait l'inventeur. Mais bientôt, en France, la plupart des autours arrivèrent
à le rejeter, surtout après que, à la suite de Dupuytren et de son élève Maunoury,
on admit que le plus souvent l'étranglement était produit par le collet du sac
et non par les anneaux. Cependant, on Angleterre, la méthode conservait des
partisans. Astley Cooper la défendit et après lui Ashton Key et Lucke. En
Allemagne, lUchler avait paru l'accepter dans quelques cas. Hesselbach et
Dielfenbacli l'avaient à leur tour préconisée, mais il faut reconnaître que, de
même qu'en France, elle n'avait pas été généralement admise. Le mémoire de
Malgaigne, qui tenta de repousser complètement l'étranglement par les anneaux
et de prouver que le collet du sac était toujours la cause de cet accident, devait
amener un abandon encore plus grand de la méthode do J.-L. Petit.
Elle fut cependant reprise on 18(i5 parColson (de Boauvnis), qui publia dans
les ArcJtives de médecine un mémoire im|)Oitant à ce sujet, appuyé sur des
observations favorables. Gossolin, Alphonse Ciuérin, Le Fort, l'employèrent à leur
tour dans (piolquos cas. Elle fut encore l'objet de travaux intéressants de la
part de Huutrelepont {Arcliiv von LanyenbecI,-, 1867-1868), de Chauvet {De la
liélolomie sans om^erlure du sac. Th. de Bei'ne, 1872), de Ravoth [Berliner
IdUmche Wochenchrift, 1 866), de Freber [Wien. medic. Wochenachr., 1807), en
Alloniagne. Ce procédé fut aussi étudié en France dans ces dernières années
dans deux thèses inaugurales : celle d'Aug. Colson {De rope'ration de la hernie
clranylée sans ouverture du sac. Paris, 1874) et celle d'Affre {De l'opération
de la hernie étranglée sans ouverture du sac. Paris, 1876). Ces auteurs ont
appuyé leurs conclusions sur des statistiques avantageuses. Ainsi, nous trouvons,
dans la thèse d'Affre, un tableau comprenant 852 cas d'opérations sans ouver-
ture du sac, se décomposant en 2')',.) crurales, 85 inguinales, 10 ombilicales,
1 ventrale, 17 inconnues. Il y aurait eu 267 guérisons : 180 crurales, 66 ingui-
nales, 8 ombilicales, 1 ventrale et 12 inconnues; et 85 morts, soit 59 crurales,
10 inguinales, 2 ombilicales et 5 inconnues.
Malgré ces l'osultats relativement avantageux, et quoique Collin, Chauvel et
Affre, aient essayé de limiter son emploi à des cas parfaitement précisés,
cependant son usage n'a pas prévalu, à cause de certains désavantages réels sur
lesquels nous reviendrons tout à l'heure. Le procédé opératoire est par lui-même
des plus simples. Agissant au début comme dans la kolotomie ordinaire, on
arrive sur le sac sans l'inciser : on cherche alors à isoler le collet des anneaux
qui le serrent; on débride l'annoau à l'aide d'un bistouri droit ghssé entre le
collet et l'orifice fibreux, en obéissant aux indications ordinaires du débride-
ment, puis, par des manœvres de taxis exercées sur la face externe du sac, on
cherche à réduire son contenu dans le venti'e. On est averti que le débridement
externe est suffisant quand, après l'incision de Panneau, on voit se produire un
élargissement manifeste du collet. « Si, au contraire, dit Duplay, le contenu du
sac résiste aux pressions, si le eollet a l'air de ne pas vouloir se laisser dilater,
Lucke et après lui B. Colson ont conseillé de l'attirer légèrement au dehors et
de chercher à l'amincir par des tractions que l'on exerce sur lui, ou en le
déchirant superficiellement avec un instrument mousse sans intéresser toute son
épaisseur. »
HERMES. 885
Malgré cette siniplicilé opératoire, il existe un certain nombre d'inconvé-
nients graves, dont le plus sérieux est celui (jui avait déjà été indiqué par Mau-
cliart, dès 1722 : la possibilité de réduire un intestin perforé ou gangrené, faute
d'avoir pu constater l'état de l'anse herniée par l'examen direct. Nous savons,
en effet, qu'eu dehors des cas de gangrène confirmée avec épanclieraent gazeux,
et même d'un abcès stercoral, nous n'avons aucun signe positif, autre que la
vue de l'anse herniée, pour reconnaître le degré de l'étendue des altérations
intestinales. De plus, ce procédé est inapplicable aux nombreux cas où l'étran-
glement est produit par le collet du sac. Enfin, on comprenait davantage soi;
emploi à l'époque oiî l'ouverture du péritoine était toujours considérée comme
une opération grave. Mais, aujourd'hui que, grâce à la méthode antiseplicjue, la
chirurgie abdominale et les opérations intra-péritonéales ont perdu beaucouj)
de leur gravité, on ne comprend plus la nécessité de courir un risque aussi
grand que celui que nous venons de signaler. De nos jours, en effet, le cadre de
la kélotomie s'est notablement agrandi, et, ainsi que le fait remarque)' Picqué,
cette opération est aussi bien un moyen de contrôle qu'un procédé de débride-
ment. Or, comme ce contrôle ne peut exister que lorsque le sac est ouvert, et
que rien, en dehors de l'examen attentif, ne peut sîirement nous faire connaître
l'état exact de lanse herniée, le procédé ordinaire nous paraît préférable à celui
de J.-L. Petit.
C'est, du reste, pour la même raison que nous croyons devoir rejeter le pro-
cédé de débridement sous-cutané de Jules Guérin, universellement abandonné
de nos jours, et celui de Malgaigne, qui conseillait de diviser les enveloppes de
la hernie dans une étendue juste suffisante pour arriver au collet du sac et pour
inciser celui-ci, de dehors en dedans, par petits coups. Enfin, nous repoussons
également la kélotomie sans réduction, préconisée comme méthode générale, par
Marc Girard, qui d'ailleurs n'a été acceptée à ce titre par aucun chirurgien.
Tout au plus doit-on, en présence de certaines lésions douteuses, débrider sans
réduire, et nous avons essayé déjik d'indiquer dans quels cas. Citons encore, et
pour la rejeter aussi, l'opération de Pioiisset dans laquelle on ouvre le ventre au
voisinage de l'anneau herniaire, pour chercher les bouts de l'intestin qui s'y
engagent et les réduire par des tractions exercées de dedans en dehors. Ce pro-
cédé a été aussi préconisé par Annandale. en 1873, avec cette différence que,
après avoir atteint l'anneau en traversant la paroi abdominale au-dessus de lui,
il le débride avec un bistouri de Cooper, comme dans la kélotomie ordinaire.
Ghavasse, en 1882 [the Lancet, 27 mai), aurait obtenu un succès par ce procédé
qui nous semble constituer une opération beaucoup plus grave que la kélotomie
complète ordinaire que nous avons décrite, et qui, pour cette raison, ne nous
paraît pas devoir lui être préféré.
Celle-ci paraît, en effet, devoir être uniquement adoptée dans tous les cas. Nous
n'y reconnaissons guère qu'une exception : ce sont les cas de fausse réduction,
alors que la tumeur herniaire ne se retrouve plus au voisinage de l'anneau et a
djspavu dans l'abdomen. Dans ce cas, on pourrait ouvrir largement le ventre,
pratiquer la laparotomie, pour aller à la recherche de l'obstacle. D'ailleurs un
étranglement interne est substitué à l'étranglement externe, et ce sont do
nouvelles indications qui doivent guider l'action du chirurgien. Dans tous les
autres cas, la kélotomie faite à ciel ouvert, en ouvrant le sac, et avec toutes
les précautions antiseptiques, est la méthode de choix à la({uelle il faut
s'arrêter.
S8l HERNIES.
Résu/tals (le la kéloLomie. Pour juger exactement les résultats de l'opéra-
tion de la hernie élranii;léc, il ne faut pas seulement se borner à rapporter les
chiffres bruts de telle ou telle statistique, car on risquerait de se tromper con-
sidérablement sur leur signification, si l'on ne cherchait à les interpréter con-
venablement.
r4ertcs, il faut l'avouer, la kélotoniie reste une opération toujours grave, et
dont la gravité paraît tenir beaucoup plus à l'état particulièrement mauvais dans
lequel on opère, dans bon nombre de cas, qu'au traumatisme opératoire lui-
même. Beaucoup de résultats mauvais sont dus aussi à ce que l'opération a
été trop longtemps rej^ardée comme la ressource suprême et tentée in extremis,
alors que faite plus tôt elle eût donné lieu à des succès presque certains. Aussi,
nous sommes loin aujourd'hui des résultats déplorables fournis par les statis-
tiques anciennes et surtout par celles de Malgaigne. Ce chirurgien, qui avait
relevé les opérations de kélolomie faites dans les hôpitaux de Paris pendant
quatre années, de 1856 à 1841, est arrivé aux chiffres suivants : Sur 220 opérés
\7\7) morts et 87 guérisons seulement, soit une mortalité de 60 pour 100 envi-
ron. Déjà, à l'époque de Gosselin, les proportions étaient modifiées. Dans ses
Leçons sur les heimiea, ce chirurgien ne rapporte que ses opérations person-
iiolles, au nombre de G6, qui comprennent 55 guérisons et 51 morts, soit une
létlialitc de 40 pour 100 seulement. Du reste, à mesure que les indications sont
mieux connues, que l'opération est faite plus tôt et dans de meilleures con-
ditions, les résultats s'améliorent. Les chiffres que nous pouvons citer reposent,
malheureusement, sur des observations trop peu nombreuses pour avoir une
signification absolument indiscutable. Ils poitent cependant eu eux leur ensei-
gnement. De plus, il sera facile de voir que l'apparition et la généralisation de
la méthode antiseptique a encore abaissé la proportion des revers.
Ainsi M. Desprès, ([ui est encore un des rares adversaires de cette méthode,
jiubliait en 1881 (Gaz. des hôpitaux, 15 janvier) la statistique des hernies opé-
rées par lui depuis neuf ans. Les opérations, au nombre de 46, fournissaient
un chiffre de 24 morts pour 22 guérison seulement.
Au contraire Swcnson, publiant, en 1880, les résultats des kélotomies faites
pendant l'année, à l'hôpital de Sabbastberg (Suède), trouve 4 morts seulement
sur 14 opérations, c'est-i\-diie une mortalité de 28 pour 100. Seeger, dans sa
thèse inaugurale, publiée à Berlin en 1885 (Recherches sur la casuistique de la
hemiotomie), a rassemblé tous les cas de hernies étranglées observés à l'Université
royale de Berlin de 1877 à 1881. Ils sont au nombre de 81, dont 75 furent
opérés. Ces kélotomies ont été faites 41 fois sur des femmes. 52 fois chez des
hommes. Sur les 41 femmes, 11 morts seulement, soit 27 pour 100; sur
les 42 liommes,.4 morts aussi, soit 52 pour 100. Enfin Beuno-Schmidt a pré-
senté au douzième Congrès des chirurgiens allemands (1885) un mémoire sur
les résultats de la kélotomie depuis l'emploi des antiseptiques. Il a pu réunir
508 opérations dont 115 morts, soit 50,9 pour 100 de mortalité. II fait observer,
en outre qu'avant les pansements de Lister la léthalité pouvait être fixée à
4o pour 100 environ. La nouvelle méthode aurait donc fait gagner 9 pour 100
environ, sans compter qu'un certain nombre de décès sont dus à des affections
intercurrentes. Déplus, si on divise les cas par catégories, ils deviennent encore
plus significatifs. Benno-Schmidt les partage en quatre groupes qui donnent les
chiffres suivants :
1" Herniotomie avec réduction du contenu : mortalité 'il , A pour 100;
HERNIES. 88:.
'2" Herniotoniie avec résection de l'épiploon et réduction du contenu : Wior-
<rt/«7e 22,2 pour 100;
5" Ilerniotomie avec résection intestinale suivie de la réduction d'un intestin
suturé : mortalité 1& pour 100;
4» Herniotomie avec établissement d'anus contre nature : mortalité 80,5
pour 100.
Nous aurions voulu pouvoir placer à côté de ces statistiques étrangères les
résultats de la pratique chirurgicale française depuis ces dernières années, et
correspondant aux opérations faites avec l'observation des règles de la méthode
antiseptique. Malheureusement, nous manquons de documents suffisants pour
le faire. Nous savons néanmoins que chez nous, comme chez nos voisins, la
statistique delà kélotomie s'est notablement améliorée depuis quelques années.
Cependant il ne serait pas absolument équitable d'attribuer uniquement ces
résultats favorables à l'emploi de la méthode antiseptique ; la kélotomie était
déjà beaucoup moins meurtrière avant son apparition. Cela tient à ce que les
chirurgiens avaient pu déjà bien mieux se rendre compte des indications de
'opération : ils avaient compris tous les dangers d'un taxis trop prolongé, et
compris aussi, suivant l'expression de Du[)lay, que « les malades meurent bien
plus de l'évolution pathologique qui a débuté avec l'étranglement, des lésions
intestinales et de leurs conséquences (troubles circulatoires, nerveux, etc.),
que du traumatisme opératoire. »
Aussi, pour nous résumer, nous pouvons dire (|ue la kélotomie sera d'autant
plus suivie de succès que l'on |)0urra la pratiquer plus tôt, avant que les lésions
sérieuses et souvent irrémédiables de l'intestin se soient produites et que le
malade soit en proie a un état général grave ; qu'elle ne devra jamais céder
le pas à un taxis fait en dehors des limites strictes que nous avons tracées.
Nous sommes même disposé à aller plus loin et à conseiller, dans les cas dou-
teux, où le chirurgien hésite à affirmer un étianglement, une opération qui
risque d'être inutile, persuadé qu'il y a beaucoup moins de périls à faire la
kélotomie quand il n'en est pas besoin qu'à laisser évoluer un étranglement
méconnu. Donc nous sommes absolument partisan de la kélotomie hâtive et
rigoureusement antiseptique.
En face des accidents herniaires il faudra toujours se souvenir du précepte si
souvent formulé :1e chirurgien appelé auprès d'un malade atteint d'étrangle-
ment herniaire, ne doit quitter le malade qu'après avoir levé l'étranglement,
soit parle taxis, soit par la kélotomie. Akdré Boursifr.
TABLE DES CHAPITRES
DéOnitioii 667
Classification des Hernies. 668
Etiologie 670
Mécanisme et pliysiologie 680
Anatomie pathologique 687
Symptômes ^'^
Diagnostic ^1'
Marche et évolution de la hernie. 'Î21
Traitement des hernies réductibles 728
A" Traitement palliatif "^29
2" Traitement curatif et cure radicale 740
88(3 IIER'.OLD.
Accidents des hernies . 757
1° Étranplement 761
Anatomie patliologiqup do rolrangloniniit . . 762
Symptômes 779
Terminaison de rélran^leinenl 792
Mécanisme de l'étranglement 800
2° Des pseudo-étranglements 809
Engouement 809
Inflammation 8H
5° Hernies irréductibles 819
Diagnostic des accidents herniaires 822
Traitement des accidents herniaires 832
Du taxis 853
Accidents du taxis 844
Do la kélotomie 856
Difficultés inhérentes à la kélotomie 866
IMiénomènes et soins consécutifs à l'opération 87
Résultats de la kélotomie 88
A. B.
n^'.RO.VKD (Je\x). Analoaiisle Ihinçuis, né à Montpellier, mort au siège
de La Uoclielle, en 16'27. Ueçu docteur à Montpellier en 1575, il obtint la place
de médecin ordinaire de Charles IX ; il assista à l'autopsie de Henri lll et fut
le premier médecin do Louis XIII. On a de lui : Hippostologie, c'est-à-dire
discoîirs des os du cheval. Paris, 1599, in-4". L. Hn.
llKRODicrs. Médecin grec, né à Mégare, vivait au cinquième siècle avant
Jésus-Christ à Selymbria, en Thrace. Il fut, paraît-il, l'un des maîtres d'Hippo-
crate. Il appliquait la gymnastique à la préservation de la santé et au traite-
mont des maladies. On le soupçonne de s'être livré au charlatanisme. L. H n.
HKRODIEIV!». Voy. Hkrons.
nKRODOTE (Les deu.\).
Hérodote. Elève d'Agatlîinus, de la secte des pneumatiques, vivait pro-
bablement vers la fin du premier siècle, à Rome, sous Trajan. Galion, Oribase
et Aétius, nous ont conservé des fragments de ses œuvres, dont les principaux
se trouvent dans la collection de Mattliœi (Moscou, 1808, 10-4"). L. Hn.
Hérodote (deTarse). En Cilicie, fut l'élève de l'empirique Menodote et le
maître de Sextus Empirions. Il vivait dans la première moitié du second siècle
après Jésus-Christ. Il est considéré comme l'auteur de l'écrit pseudo-galénique
intitulé : EiffayoûvÀ Î! tarpoç. L. Hx.
HEROLD (Joha.nn-Moritz-David). Médecin et naturaliste, né à léna, le
3 janvier 1790, mort à Marbourg, le 50 décembre 1862. Il fut en 1809 pro-
secteur à Halle et fut reçu docteur à Marbourg en 1812 [Observata quaedam
ad capitis humani partiiim strucluram et conditionem ahnormem), nommé
professeur extraordinaire de médecine à l'Université de cette ville en 1810, pro-
fesseur ordinaire en 1822. enfin, en 1824. professeur de zoologie et directeur
du musée zoologique. Herold a publié un grand nombre d'ouvrages avec planches
«ur l'embryologie des animaux sans vertèbres. L. Hn.
HEKO.N. 887
HÉKOIV. Les Hérons, qui ronslituaient la majeure partie de l'ancien genre
Àrdea de Liriné, forment maintenant, sous le nom d'Ardéidés, une famille dis-
Imcte dans l'ordre des Échassiers, famille dont les limites coïncident avec celles
de la tribu des Hérodiens de certains auteurs. Chez la plupart des Ardéidés le
bec est conique, très-pointu et fendu au moins jusqu'au-dessous de l'œil, la
mandibule supérieure est déprimée à sa base dans laquelle s'ouvrent les narines
dans des sillons plus ou moins profonds; les lores (c'est-à-dire l'espace qui
s'étend de chaque côté entre l'œil et le bec) sont dénudés; les tarses sont garnis
ordinairement de larges scu telles sur leur face antérieure ; les doigts extérieurs,
longs et déliés, ne sont rattachés les uns aux autres que par des membranes peu
développées et se terminent par des ongles aigus et dont le médian est dilaté et
pectine sur son bord interne; enfin le pouce, fort allongé, s'insère au même
niveau que le doigt externe et repose sur le sol par toute son étendue. Le plu-
mage offre des teintes variables, depuis le blanc pur jusqu'au noir fuligineux,
en passant par le fauve, le brun, le gris uniforme ou maculé de noir, mais il se
distingue fréquemment soit par la présence de taches longitudinales sur le devant
du cou, soit par l'allongement et la forme effilée des plumes de l'occiput, de la
poitrine, des épaules et du dos.
Par l'ensemble de leur squelette et par les particularités fournies par les
diverses pièces et leur charpente osseuse, les Hérons diffèrent encore davantage
des autres Échassiers, tels que les Grues, les Cigognes, les Totanidés. Ainsi leur
os canon, ou tarso-métatarsien, est allongé et comprimé d'avant en arrière, au lieu
d'offrir plus de largeur sur les faces latérales que sur la face antérieure, et il
se termine inféricurement par des trochlées digitales qui ne sont pas disposées,
comme chez la plupart des Échassiers, sur une ligne transversale très-arquée,
mais qui sont rangées suivant une ligne presque droite; le tibia, fort allongé,
présente une disposition spéciale des condyles articulaires; le fémur est très-
grêle, le sternum est muni d'un bréchet qui s'étend d'un bout à l'autre du bou-
clier et qui est souvent courbé sur son bord inférieur; la clavicule furculaire
affecte la forme d'un V et se fait remarquer par l'existence d'une apophyse
récurrente et d'un tubercule qui se joint au sommet du bréchet; enfin la tête
est aplatie et élargie dans la région frontale et rétrécie fortement dans sa moitié
postérieure, par suite de l'extension des fosses temporales qui remontent jus-
qu'au sinciput.
La famille des Ardéidés renferme actuellement près de 100 espèces qui se
distribuent en plusieurs genres {ArdeaL., Botauriis Steph., TigrisomaSy/., Nyc-
tiardea Sw., Cancroma L. et Balœniceps Gould) et qui sont répandues sur toute
la surface du globe, à l'exception des régions boréales et australes. Ces espèces
ou genres se distinguent assez facilement les uns des autres, soit par la forme du
bec, soit par le mode de coloration du plumage ou des proportions des diverses
parties du corps. Ainsi les Balxniceps, dont on ne connaît qu'une seule espèce
(Balseniceps rex Gould) vivant dans le nord-est de l'Afrique, sur les bords du Nil
Blanc, atteignent des dimensions considérables et possèdent un bec en forme de
sabot à carène légèrement incurvée, à pointe très-crochue, au moyen duquel ils
saisissent les Poissons et les Batraciens dont ils font leur nourriture; les
Savacous [Cancroma), qui sont représentés également par une espèce unique
(C coeidearia L.), mais qui sont propres aux régions tropicales du Nouveau
Monde, ressemblant un peu aux Balxniceps par la forme de leur bec dont
la mandibule supérieure est toutefois plus aplatie, en forme de cuiller renversée.
888 HÉROiN.
en même temps ([u'ils se ra[)[)roclient des Hérons [)ar leur taille et par les
couleurs grises, blanches, noires et rousses de leur plumage; enfin les Hérons
proprement dits offrent tous les caractères essentiels de la famille des Ardéidés,
dont ils constituent le groupe le plus important, et se reconnaissent facilement
à leur hoc conique et acéré, à leur tète aplatie comme celle d'un reptile, à leur
cou très-allongé et susceptible de se ployer en S pour ramener la tête entre les
épaules, ou bien au contraire de se détendre comme un ressort de façon à
darder le bec sur la proie.
Tous les Hérons recherchent le voisinage de l'eau et se tiennent soit sur les
côtes de la mer, soit sur les rives des fleuves ou au bord des marécages. l)oués
d'une vue perçante, ils découvrent les petits Mammifères qui se glissent au milieu
des joncs, les Vers et les Mollusques qui rampent sur la vase, les Poissons qui se
jouent dans les eaux, et ils les happent brusquement ou les percent de leurs man-
dibules. Ils peuvent rester des heures entières immobiles à guetter leur proie,
ou bien ils se promènent avec des allures inquiètes et compassées. Leur vol est
assez soutenu, mais beaucoup moins puissant que celui des Grues et des Cigognes,
et dans l'eau ils se meuvent avec une certaine gaucherie. Leur voix est des plus
désagréables : c'est, suivant l'âge ou l'espèce, tantôt un hurlement prolongé,
tantôt un grincement ou une sorte de glapissement. Ces cris se font entendre
surtout pendant l'été, sous la saison de la nidification. Alors les Hérons, qui
d'ordinaire montrent un naturel farouche, deviennent sociables et se réunissent
dans une même localité pour nicher à côté les uns des autres et constituer ce que
l'on appelle des lieroîmièren. Ces colonies, qui sont parfois formées par des Hérons
d'espèces différentes, étaient jadis fort communes eu Europe, et l'on en comptait
même un assez grand nombre dans notre pays; mais les progrès de la culture
et le dessèchement des marais les font successivement disparaître. Une des der-
nières qui subsistent dans notre pays, celle d'Écury-le-Grand, qui a été fondée par
des Hérons cendrés {Ardea cinerea L.), n'a même été conservée que grâce à la
spéciale protection dont elle a été entourée par le comte de Sainte-Suzanne sur
les terres duquel elle se trouve située.
L'espèce dont je viens de citer le nom, le Héron cendré, habite l'Europe, l'Asie
et l'Afrique, et séjourne pendant toute l'année dans le midi de la France, tandis
que dans nos départements du Nord elle part au mois de septembre pour ne revenir
qu'au mois de mars. Elle atteint une forte taille, les individus adultes mesurant
plus de \ mètre de long, et présente des couleurs fort agréables à l'œil, du blanc,
du noir et du gris cendré. Chez le Héron pourpré [Ardea pur pur ea L.), qui appar-
tient également à la faune européenne, les dimensions sont un peu plus faibles
et le plumage est fortement nuancé de noir pourpré et de roux, tandis que
chez les Aigrettes, dont on distingue plusieurs espèces de tailles différentes
[Ardea ou Egretta nlba L., Ardea garzetta L., etc.), le blanc pur s'étend sur
toute la livrée de l'adulte.
A côté de ces espèces je citerai encore le Garde-bœuf ibis [Ardea bubulcus Savi-
gny),qui est ainsi nommé parce qu'en Afrique on le voit souvent dans les pâtu-
rages, au milieu des troupeaux de buftles, sur le dos desquels il ne craint pas
de se percher, le Héron crabier [Ardex comata Pall.), qui est commun en Sicile,
en Italie et en Crimée, la Blongios nain [Ardea rninuta L.), Héron de très-petite
taille au manteau d'un noir verdâtre, bordé de rouge, qui est répandu pendant
la belle saison sur une grande partie de la France, le Butor [Ardea ou Bofaiirus
stellaris L.), espèce d'un peu plus petite taille que le Héron pourpré et de formes
HEHOPHILE. 88y
plus trapues avec uue livrée rousse, tachetée de noir ; entiu le Bilioreau {Ardea
grisea ou Nyclicorac europœus Steph.), qui porte un manteau gris et une calotte
d'un noir brillant, à reflets bleuâtres et verdàtres.
Les Aigrettes sont encore, sur divers points du globe, l'objet d'une chasse
active, à cause du parti que les pluniassiers savent tirer des longues plumes
décomposées qui ornent les côtés du dos de ces oiseaux. Quant aux Hérons gris,
on ne les tient plus en si haute estime qu'au moyen âge, époque à laquelle on
les considérait comme un gibier royal, digne d'être servi dans les repas de céré-
monie. La chair des Hérons, comme celle de la plupart des oiseaux piscivores, a
cependant fort mauvais goût, elle est sèche, dure et d'une digestion difficile, et
l'on ne s'expliquerait guère pourquoi elle était appelée à l'honneur de figurer
sur les tables royales, si l'on ne savait que le vol du Héron, c'est-à-dire la chasse
de cet oiseau au moven de Faucons admirablement dressés, constituait jadis un des
plaisirs favoris des rois et des princes.
Dans l'ancienne thérapeutique les Hérons avaient aussi trouvé leur emploi :
leur graisse passait pour calmer les douleurs de la goutte, pour guérir la surdité
et pour éclaircir la vue. E. Ocstalet.
Bibliographie. — Lémei y (Hic). Dict. univ. des drogues simples. Paris, 1735, p. 71. —
Arnoult de Noblevillk et Salerne. Suite de la matière médicale de Geoffroy, t. III, p. 104.
Reichenow (A.)- Systematische Uebersicht der Schreitvôgel. In Journ. fiirOmith., 1877,
p. 232. — Breiim. Vie des Animaux, édit. Iraiiç. Oiseaux, t. II, p. 647. E. 0.
IlÉROPlllLE. Célèbre médecin et anatomiste grec, de la famille des
Asclépiades, vivait vers 555-280 avant l'ère chrétienne; il était contemporain
d'Érasistrate, son rival. Hérophile naquit à Chalcédoinc, en Bithynie, et vint se
fixer à Alexandrie sous Ptolémée Soter. Disciple de Praxagoras de Cos et de
Chrysippe de Cnide, il acquit une grande réputation comme médecin et contribua
à fonder l'Ecole de médecine d'Alexandrie. C'est surtout pai- ses travaux d'ana-
tomie et de physiologie qu'il est connu ; il ])artage avec Érasistrate la gloire
d'avoir en quelque sorte fondé l'anatomic {voy. Érasistiute).
Les ouvrages d'ilérophile ne sont pas venus jusqu'à nous; on en trouve les
titres et quelques fragments dans une dissertation de Marx : llerophilus. Eut
Beitrag, etc. (Carlsruhe u. Baden, 1858, in-8») et De Herophili... vita, scriptis
atque in mecUcina merilis (Gottingae, 1840, in-4«). Voici le titre de ses
ouvrages: 'Ava-oy.f/.à(ou 'AvaTOf^ix-ïj), en plusieurs livres; — ïliplô'fôrAuùii; — nspi
c-p'jyf/.6iv ■Kpry_y,j.a.xii7.:; (ouvrage attaqué par Galien et par Héraclide [de Tarente]) ;
~-Ucf,l ahiijl; — nob;7rl; v.oi-jà.ç Sà^^^a; (contre les préjugés vulgaires), cité par
Soranus; Tou.aiwTr/6v, cité également par Soranus. Cielius Aurelianus parle
encore d'un ouvrage en plusieurs livres : De aimtionibus ; SextusEmpiricus, d'un
ouvrage Sur la diélélique. Hérophile avait écrit en outre des Commentaires
sur Hippocrate; celui sur les Pronostics existait encore, paraît-il, au septième
siècle; un fragment manuscrit en a été traduit en italien par Puccinotti, Storia
di med., tome II, page 195. La bibliothèque ambrosienne de Milan possède un
commentaire sur les Aphorismes, qui n'est mentionné ni par les Anciens ni
par Marx.
Quatre grands médecins, Zeuxis, Apollonius Mys, Héraclide (d'Erythrée) et
Aristoxène, écrivirent des ouvrages sur la vie et les œuvres d'Hérophile; tout a
été perdu.'La réputation d'Hérophile égalait presque celle d'Hippocrate.
La vie, d'après ce célèbre anatomiste, était gouvernée par quatre forces : la
890 UÉROPlliLK
uulritivc, la calorilique, la pensante et lu seiisitive; les organes correspondants
étaient le foie, le cœur, le cerveau et les nerfs. Parmi ces derniers, il en était de '
scnsitifs et de soumis à la volonté, d'autres (les ligaments) allaient d'un os à
un autre; les nerfs dérivaient du cerveau. Dans le cerveau, Héropliile a décrit
les enveloppes, les plexus choroïdes, les sinus veineux dont le conOuent (pressoir
d'Héropliile) porte encore son nom, les ventricules du cerveau, notamment le
quatrième oîi il plaçait le siège de Tànie et dont il a nommé le calamus scripto-
riiis (xâXoipo;); il a décrit les membranes de l'œil, la sclérotique, la choroïde, la
rétine (àpjjtSXscTpoctfÎÀç), puis le corps vitré, etc. 11 a découvert les cliylifères et
décrit exactement le foie, les trompes, l'épididyme, tju'il appelait -napao-râr/j;,
le duodénum, qui lui doit son nom (Juo^exaSâzTu>ov), l'os hyoïde, etc. ; il nomma
les veines pulmonaires (y>s^|/ àpTsptwôjjç).
La respiration, pour flérophile, était un phénomène parement mécanique,
résultant de la systole et de la diastole des poumons; les artères renferment du .
pncuma qu'ils tirent et du poumon et de l'air extérieur par la peau ; leur mou-
vement propre (ÈvepYsta) est la systole. Entre la systole et la diastole se place
une pause. Il fut amené ainsi à étudier le pouls dont il reconnut le rhythme dé-
pendant du rhythme du cœur, et dont il observa les différences selon l'àge et
l'état de santé ou de maladie.
l)'a|uvs Ilérophile, les maladies résultent de l'altération des humeurs; la
paralysie est duc a un défaut d'innervation, la mort subite à une jiaralysie du
cœur. Il emploie la thérapcnli(|ue l)ippocrati<iue, attache une grande importance
au régime, préconise la saignée, les médicaments composés, les spécifiques, etc.
En chirurgie, il avait accpiis une grande jé[tutation pour la cure des ulcères.
En obstétrique, il décrivait de nombreuses causes de dystocie et connaissait les
modifications de la portion vaginale dans la grossesse. L. 11^'.
FIN DU TREIZIEME VOI.UMEDE LA QUATIUEME SERIE
ARTICLES
CONTENUS DANS LE TREIZIÈME VULUMK
(4" série)
llÉMATOCÈLE VAGINALE. IlecluS.
IlÉMATOciiLORiNE. Ilénocque.
Héiiatocuylurie (voy. Hématurie].
Héjiatochistalmne (voy. Ilc'moglobiiie).
1IÉ.MAT0CYAM>E (voy. Ilcmadjaiiiiie).
Hématode (Fongus) (voy. Fongus, p. 'iST).
IIÉMATOÏDINE. Hahll.
IIÉMATOÏNE. Ilénocque.
llÉMATO-LLTÉINE. Icl.
llÉMATosiE. A. Broca.
1IÉ3IAT0MÈTRE (voy. Circulatiou, p. 414).
IIÉSIATOMVÉLIE. Hahll.
IlÉMATOPORPHïRi.NE (voy. UéiHoglobine).
1
28
'29
29
29
29
50
Hématopote.
Laboulbène.
50
Hématorachis.
Hahn.
55
Hématoscopie.
Hénocque.
35
Hésiatosre.
1(1.
41
Hématoxylike.
Hahn.
41
Hématoxylon (Botan.)
(voy. Campêche,
p. 30).
— (Emploi).
Éloy.
41
Hématozoaires.
Blanchard.
45
Hématurie.
Bourel-Roncière.
75
Hémenterie (voy. Hirudinécas).
Héjiéralopie.
Gayet.
145
Hémérés.
Lefèvre.
177
Hémérocalle. '
Id.
177
Héméros.
•Id.
177
Hémérosichys.
Id.
177
Hémérotes.
Id.
177
Hémiacépuales.
Larcher.
180
Héuianesthésie.
Burlureaiix.
187
Hémichorée.
Id.
187
Héuicràme (voy. Migraine],
Héuidactyle.
Sauvag-e.
194
Hémiencephales.
Hahn.
195
Hémihèles.
Larcher.
195
Hêmwelliqde (Acide).
Hahn.
193
Hémine.
Id.
195
Hémiopie.
Burlureaux.
193
Hémipages.
Larcher.
199
llÉMipiiRACTE. Sauvage. 199
llÉMipiMQUE (Acide). Hahn. 200
Hémiplégie en gé.néral. Lereboullet. 200
— spASMODiQur. infantile. Marie. 200
Hémiptères. Laboulbène. 237
Hémistome (voy. Tre'matodes],
Hémitéries. Larcher. 247
Hémitritée (Fièvre). Hahn. 248
Hemming (^Vill. -Douglas). Bureau. 248
IlÉMociiROMOGÈNE (voy. Hémoglobine],
llÉMocïANiNE. Hénocque. 248
Hémodromographe (voy. Circulation ,
p. 420).
llÉMODRoMOMÈTRE {wo^- Circulation, p. 418
et 420).
HÉMODyNAMo.Mf;TRE (voy. Circulation,
p. 414).
ilÉMOGLoiiiNE. Hénocque. 248
Hémoglobdline (voy. Hémoglobine).
IlÉMOGLOBixuRiE. Hénocque. 27
Hémomasomètre. Hahn. 291
Hémomètre (voy. Hémomonomètre).
Hémophilie. Rochard. 291
llÉMOPis (voy. llirudinées).
Hémoptysie. AVidal. 504
Hémorriiagie. Renaut. 355
HÉMORRnoÏDAL(Nerf) (voy. Sacj-e [PlexusJ).
— (Plexus) (voy. Sympathique
et Hémorrhoïdales, p. 477).
Hémorrhoïdales (Artères et Veines).
Vincent. 475
Hémorrhoïbes. Id. 478
Hémospasie. Brochin. 508
Hémostase. II.-L. Petit. 515
Hémotachomètre (voy. Circulation, p .419).
Hempel (Ad.-Friedr.-Heinr.). Hahn. 527
Henckel (Joach.-Friedr.). Id. 528
Hendricksz (Pieter). Bureau. 528
Hendy (James). Hahn. 528
Henke (Ad.-Christ.-Heinr.). Id. 528
Henkel (voy. Henckel],
89'2
ARTICLES DU TREIZIEME VOLUME.
IIenle (l<'riedr.-Uust.-Jak.]. Ilalin.
Hknné. Bâillon.
IIenxebane (voy. Jusguiainc).
IIe.nnebon (Stat. marine). RoUireau.
IlENNEis (Jolin). Hahn.
Hen-mngeh (Les deux). Id.
IIennings. (Wilhelm). Dureau.
Henri de Monuevii.le (voy. Hcnnondavillc)
529
529
529
530
550
530
551
551
551
532
IIenuiques (Jorge-llenrique). Hahn.
Henry (Les). Id.
Henschel (Les deux). Id.
Hensleu (Les). Id.
llÉrATAi.niE (voy. Foie).
llÉrATiniiE (Colaiiique). Lefèvre. 532
— (Artère) (voy. Cœliaques).
— (Canal) (voy. Biliait-es).
— (Plexus) (voy. Si/niiiaUiique).
Héi'a.tiques (Veines sus-) (voy. rote).
— (Bolani(iue). Lefèvre. 555
— (Coliques). Mofsé. 534
Héi'atisation. LerebouUct. 578
llÉi'ATiTE (voy. Foie).
llEi'ATOsœi'iE (voy. Divination).
llErrA^b■s. Halin.
IIei'tylacétique (Acide). Id.
IIeptylamine. Jd.
Heptyle. Id.
— (Ilydrurc d'j (voy. Ilejtlanes).
llEl'TÏLiiNE. llaliu.
Heptylidène. Id.
Heptylique (Alcool). Id
Heptïliq\;es (Ethers). Id.
Heptïlmai.o.mque (Acide). Id.
llEPTYLSui.FuniQUE (Acidc). Id.
IIÉRACLÉUM (voy. Berce).
llÉiiACLiDEs (Les). Hahn.
Héuaclite. Id.
57,S
579
579
570
579
579
580
580
580
581
581
581
Liétard.
Hahn.
Lefèvre.
Éloy.
Hahn.
Oustalet.
LcreliouUet.
oy. Meliadia).
Hahn.
Leiourneau.
Bureau.
Herambasena.
IlÉRAS.
Hérat (voy. Iran).
Herbe.
Herbes (Sucs d').
Herbixiaxa.
Herbivores.
Heuroriste.
ilr.iicuLEs (Bains d')
Heuedia (Les deux).
llÉHÉniTÉ.
Hekholdt (Les deux
llEniciuM. Leièvre.
Heri.ng (Eduard von). Hahn.
Hf.mssANT (Les deux). Chéreau.
llÉBissov. Oustalet.
Hebitiera. Bâillon.
Kerlitz (David). Dureau.
Hermann (Les). Hahn,
llEiiMAi'iinonisME (Tératologie). Hcrrmann.
— (Héd. légale). lourdes.
HermustXdt (Sigism.-Friedr.). Hahn.
Herwi.xe. Oustalet.
Her.mione. Stéphanos.
IIebmodactes. Leièvre.
Hermonoavii.le. Hahn. 606,
Hernandkz (Les). Dureau.
llERîiANDiA. Bâillon.
Herniaire. Id.
Hernies. Boursier.
IlÉROAni) (Jean). Hahn.
llÉBODicus. Id.
Hérodiens (voy. Hérons).
Hérodote (Les deux). Hahn.
Heuold (Joh.-Mor.-Dav.). Id.
Héron. Oustalet.
IlÉROPHiLE. Hahn.
582
582
582
585
580
586
586
588
588
605
006
006
606
607
008
009
609
009
655
062
604
064
064
665
665
666
606
007
886
880
886
886
887
889
FIN DE L^ TAULE DU TKEIZIKMK VOLUME DE LA QUATRIE.ME CElilE
6947. — Iniprinierie A. Lahure, rue du Fieurus, 0, à Taris.
Bibliothèques
Université d'Ottawa
Echéance
Libraries
University of Ottawa
Date Due
V
^\ }
i-^1^',