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Full text of "Wallonia 15"

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l.bl.Mrb'^Si'L. Bound 

OCT 3 1 1908 



► 



&arbari College itbrarg 

FROM THE BEQJJEST OF 

MRS. ANNE E. P. SEVER 
OF BOSTON 

Widow of Col. James Warren Sever 
(Class of 18x7) 



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WALLONIA 

XV 



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WALLONIA 

ARCHIVES WALLONNES 
D'AUTREFOIS, DE NAGU^RE & D'AUJOURD'HUI 



RECUEIL MENSUEL FONDK PAR 

O. COLSON, Jos. DEFRECHEUX et G. WILLAME 



KT WRICK PAR 

Oscar COLSON 



XV 



1907 



LIKG K 



BUREAUX : 10, RUE HENKART 



LI £ GE 

IMP. M. THONE, RUE DE La commune, 11. — Telephone 1814. 



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IbT.Hb-'SBil- 



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VA PARAITRE : 

C'esteut 'ne fey'... 

SOUVENIRS, CONTES ET CROQUIS, EN PROSE WALLONNE 

Par Lucien COLSON 

Volume de pres de 200 page.s, bonne Edition, des presses de 
Mathieu Thone, a Lidge, 11, rue de la Commune. 

En souscriptiou chez l'auteur, 78, rue Petite- Foxhalle, k Herstal, 
jusqu'au l er ttvrier prochain : 1 fr. 50. 

En librairie k dater du l or tevrier : 2 francs. 



So mm aire du dernier numero : 

Litterateurs francais de Wallonie : Hubert Stiernet, par Hubert 

KRAINS. — Avec 1 portrait et Bibliographic 
Lies Medailleurs au Pays de Liege (quatri&me article), par Victor 

TOURNEUR. — Avec 9 gravures. 
Les Sortileges et Malefices dans la tradition populaire wallonne 

actuelle (suite), par Oscar COLSON. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Les Wallons dans l'histoire, par Emilb ELAN. 
Lettres franchises, par Arthur DAXHELET. 
Histoire, par Emile FAIRON, 0. COLSON et Fernand 
MALLIEUX. 



Sommaire de ravant-dernier numero : 

Lucien Maubeuge, poete wallon liegeois, par Olympe GILBART. 
Les Medailleurs au Pays de Liege (troisifcme article), par Victor 

TOURNEUR. — Avec 12 gravures. 
M. Leopold Devillers et le Cercle archeologique de Mons, par 

Armand CARLOT. — Avec 1 portrait. 
Literature de chez nous : La Louange de la Terre, poeme, par 

Edouard NED. 

CHRONIQUE WALLONNE 

La Question de l'Academie, par Oscar GROJEAN. 
Notre Pays, par Fernand MALLIEUX et Pierre 

WUILLE. 
Folklore, par Oscar COLSON. 
Art moderne, [par Pol NEVEUX]. — La Wallonie, 

gravure hors texte de Armand RASSENFOSSE. 
Faits divers. 
Ouvrages recus. 



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Une " Ecole „ d'art en Wallonie 



Dans sns eurieuses Idees sur le Senti iik»iiL wallon on peinture, 
Au^uste Donnay exposait au Centres de liK>r> comment << la Torre 
» wallonne <[iii varie inliniment d'aspect, qui est d'aspects iiirirpcm- 
» fl'ials Irs tins ftcs au//'( , \\ devail neco>saireuient produire drs 
» artisles indopendants, dos artisles liberes les mis ties autres quoique 
» vivant sur le memo terriloire » — et il estimait meilleur qu'il on 
fut ainsi. 

Malijre la tre> vive sympatliie ([lie nous avons pour Donnay, 
pei litre et penseur, il ne nous est pas possible de partaker celte 
opinion qu'une Ecole puisse elre nuisible pour l'artiste. 

11 est vrai quo nous ne oomprenons peut-otro pas tie la memo 
faeon ce tonne d'Ecolo. 

Donnay la definif : « Une reunion d'individus qui adinettent, qui 
» suivent les memos regies et se plient a la memo discipline d'une 
» faeon oandido et inoulonniere ». 

Comprise, ainsi, une Ecole ne peut etre que funeste, et il est 
triste de devoir conslater qu'a notre epoque, a pen pros toute espece 
d 'ecole, prirnaire on movenne, Universite ou Academic, a pen pros 
toute espece d'onseijrneinenl, est eonou dans cot esprit etroit, niveleur, 
qui vise la production en masse d'bonnetes mediocrites. 

En co sons, nous reconnaissons que Donnay n*a pas tort de se 
melicr d'une Ecole. 

Mais il serai t pourtant paradoxal de vouloir supprimer toutes cos 
eeoles — aussi paradoxal quo de vouloir former les Musees do join- 
ture, comme le reclamait autrefois Couhbkt, sous co memo pretexle 
tie la liberie de l'Art. 

La verite, e est qu'ici il no faut pas delruire, mais aineliorer. 

I/eeole — tout ondroit on Ton ensei^ne — ■ sera domain fort 
diHerente de co qifelle est aujourd'bui; tout un mouvenient interna- 

Tonie XV, 11 I. Janvier 11*07- 



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6 WALLONIA 

tional, de simple bon sens, so dessine vers une Education generate 
plus logique; des principes nouveaux devront s'inscrire dans les pro- 
grammes, et en toute premiere ligne, celui de la liberie, et pour le 
maitre, et pour l'eleve. 

Co sera le plaisir dans lelude qui sera le moyen d'action, 
le levier, el non plus le devoir, la contrainte. « On ne travaille bien 
que dans la joie » avait deja dil Michelet. 



Ecolc de Nancy. Victor Puorv^l Courteux. 

Modele de broderie. 

A noire epoque, nous avons encore cette conception romaine du 
I'ibor signifiant a la fois peine et travail. Sir John Lubbock, de son 
cote, declare : « L'important n'est pas tant d'apprendre a chaque 
eleve, ma is bien de provoquer chez lui le desir d'apprendre », et 
ail lours, ce grand observateur ajoute : 

« Aujourd'bui, Ton donne aux enfauts cette impression que les 
» maitres savent loul. Si, au contraire, la grande le$on qui s'impri- 
» mait dans lesjeunes cerveaux etait que nous ne savons encore rien 

> de ce que nous devrions savoir, que Vocean de la veriti est encore 
» la devant nous, quasi in explore, cela constituerait probablement 

> un puissant stimulant et plus d'un voudrait entreprendre la noble 
» tacbe d'elargir les frontieres du savoir humain ». 



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WALLONIA 



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O WALLoNIA 

Nous croyons done formement, qu'au rohours de eo qui est 
aujoiird'hui, l'ecole do domain deviendra do moins on moins do^ma- 
tique, qu'elle so bornera a laciliter a chacun le ehoix (rum. 1 methode 
do travail, et que sa principale i'onction sera do developpor la per- 
son nali to do Ken Cant, ou do Tartisle. 

L'absence de toute Eeole on Wallonie n'esl pas one force com mo 

1 ( » po 1 1 so I )( ") n n a v : c*os t 
« la dispersion do rol- 
ler! » qu'Albort Moc- 
KKii considere coiuiiie 
une des caraeteristi- 
(|uos de not re race. 
(Tost la pi re des lai- 
blosses. Anssi, lo 
resullat : la personna- 
litewalloune n 'arrive 
pas a so d onager. Pari 
wallon ifexiste pas 
a proprement parlor, 
nosarlisles roslent do- 
se spore mo ul ignores 
du public, « dans mi 
splondide isoloment», 
el ils no parvieiinont 
•i'uore, malirre tout 
lour talent, a la eon- 
quote du pain quoti- 
dion ! ( lei to derniero 
consideration, pou r 
prosaique qu'olle soil, 
a pourlant son im- 
portance. 

Non, cent Ibis noil, 
nous n'admirons pas 
cello apparente inde- 
pendance des artistes 
wa lions ! 

Eeole de Nanev. Vase. 1)ai i m. 

On pourraitdemon- 
tror historiquemenl rutilite, la nccessite memo (1*11110 Kcolc, an sens 
artistique du mot. Mais il ii'est j»as be-oin d'aller Ibuiller lo passe, 
on de roehereher au loin des exemples eonlomporains. 

Voici que des homines qui nous ressemblenl elonnamment, des 



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WALLONIA 



Ikole <le ISaury. Coupe libcllule. Emile (jall£. 



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10 WALLONIA 

voisins presque, ties Latins d'avant-i»'arde com me nous, qui out, 
com me nous, deja mi peu de ce seiitimentalisme germanique uui a la 
clart6, a rexuberaiiee francaises, des gens qui habitcnt, toujours 
comme nous, un pays varie, de plaines et de moiitagnes, coupe de 
larges rivierefc an bord desquelles d enemies usines crachent nuil et 
jour leurs feux et leurs fumees. 

Voici done ([ue les Lorrains out realise l'Kcole de Nancy, dont le 
renom a deja conquis le monde; jusqu'au fond des Anieriques, cbacun 
coiinait les neuvres 61egantes et somptueiises des Gallk, des Puouvk, 
des Majorelle, des Daitm etde vingt autres; les industries de grand 
art occupent aujourd'hui a Nancy (\o>> cenlaines de eerveaux et de 
bras. 

Que pouvons-nous niettre en parallele, nous, Wallons, qui 
n'exportons que des prod nils a peine degrossis, des rails, des pou- 
trelles, du \evra a vitre, des feuilles de zinc? 

11 suflirait, pour se rendre compte de la vitalite, de rintensile 
de ce niouvement, de parcourir les de.tix Revues qui en soul les 
orgaues dosinteresses et devoues, le Pays Lor rain et la Rente 
Lorraine illustree, que ibnda naguere et que dirige avec lanl de 
talent notre excellent confrere M. Charles Sadoul ('). 

(1) [II nous est agreable de rendre hommage a rinlelligenfe initiative et an 
patriotisme de M. Charles S.wmkji,. Nous le forons sans avoir eg.ird a I'ahnable et 
flattens • insistanee avec laquelle notre confrere repete qu'il prit tout, d'abord, dans 
son entreprise, notre Kevue eomme modele, — ear il y a loin des realisations pos- 
sibles iei et de eel les oi il atteignit d'einbleo avee line maitrise e\ idonte. Les deux 
Revues que l'on vient de eiter, 1 line folklornpie. hislorique et litteraire, Tautre 
artist ique et s'adressant plus speeialeinenl a Telite, touies deux editeesavec un soin 
remarquable et egalement lisibles et interessantes pour touies les vaiietes du public 
attentif, constituent une o'uvre exeinplaire d'instruetion publique et de patriotisine 
bien entendu. II sullira de dire que le tirade de ees deux organcs atteignit d'emblee 
a plusieurs milliers d'exeinplaires pour inontrer Fetendue et la prol'ondeur du niou- 
vement dont elles sont lVxact et tres attaehant echo. Nous no pouvons nous 
empoeher de constater qu'en Wallonio, apres un temps beaueoup plus long, un 
organe analogue est loin d'atteindre encore pareille dispersion, bien qu'un memo 
desir do propaganda intelleetuelle, la vivo ambition de favoriser le reveil on Teveil 
regional, soient les mobiles de nos efforts parallcles. Certes, nous le reconnaissons, 
les ell'orts depenses pour assurer ehcz nous une plus large dispersion a une publi 
cation de l'espece, se trouvent de moins en inoins perdus, Mais la lentour de ims 
progres tient incontestablement pour une bonne part an pen de developpeinent de 
1 intellectualite en Belgique, et speeialeinenl en pays wallon. Nous pensons que le 
manque de t'ervente cohesion et pour tout dire d une eonseieiiee eoinmune eliez nos 
artistes, chez nos litterateurs et ehcz tons nos intellectuels, est pour une grande 
part dans cette situation dont tout le monde pat it. 

An tomoignage des Lorrains. l'action de I'Keole de Nancy est de plus en plus 
feeondc a cot egard. Nous le eroyons sans peine. Vest ce pas notre devise; en 
Belgique, qui nous repete sur tons les tons : « 1'lJnion fait la force » ! Or, ce n'est 
autre chose qu'un sentiment patriotique, uni <i une noble conception do Tart dans 
son essence, qui fait, chez les artistes lorrains, la force de tons et de chacun dans 
une union librement consent ie. 

Aussi Homines nous vivement reeonnaissant a M. Charles Didieh d'avoir 
insiste aupres de nos artistes sur le bel exemple que leur ollVent leurs freres de 
Lorraine. 



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WALLONIA U 



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I'd WALLONIA 

Mais laissons parlcr ces artistes lorrains, laissons-les nous dire 
eux-meiues leur programme tel qu'ils le ioriiiulerent en KHK> dans 
le catalogue do lours oeuvres exposees au Pavilion de Marsan, a 
Paris : 

Le nom d'Ecole de Nancy sert a designer le groupe des industries artis- 
tiques de l'Est de la France et les tendances qui les caracterisent. 

Plus particulierement. c'est aussi une association d'initiative privee, 
une Alliance provinciate des metiers d'Arts ( l J. Kile a son siege a Nancy et 
se propose de d6velopper en Lorraine la prosp^rite des industries manuelles 
artistiques. Des que ses ressources le lui permettront, l'Ecole de Nancy 
entend donner un enseignement professionnel. des cours duplications 
directes a tous les metiers relevant du dessin. Elle a ouvert des conferences 
d'eludes. des expositions de travaux d'art. Elle n 'attend que les moyens de 
fonder a Nancy un musee special a son cjeuvre. a l'education des ouvriers 
d'art et du public, une sorte de Conservatoire de ses ouvrages de maitrise, 
de ses modeles, de sa tiadition. 

L'Ecole de Nancy, en eiTet, et c'est ce qui la distingue heureusement 
des groupeuients qui forme at habituellement, avec plus ou moins de cohe- 
sion, les salons d'art. pretend posseder et mettre en pratique certains 
principes qui lui sont propres. Elle les a soigneusement formulas, bien 
qu'elle laisse a ses societaires une independance absolue dans les applications 
particulieres. 

II subsiste neanmoins, entre ces artistes, sans compter Tair de famille 
lorraine, assez de liens pour rendre interessante leur tentative d'exposition 
collective. D'abord, ils invoquent le principe superieur de l' unite de Fart, 
puisque des artistes tels que Prouve s'y rencontrent avec des industriels, 
et que lui-meme pratique a la fois le grand decor mural humanitaire, la 
statuaire vibrante, passionn6e, et le bibelot d'art. Ils se rattachent d'ailleurs 

Le Pays lor rain, revue mensuelle, parait dcpuis \\)0'.\ on fascicules do 4S ou 
(A p.igcs du format do Walhmia. Lo prix d'abonnement annuel est do (> IV. pour la 
Franco ot de 7 IV. pour lVtranger. Un n" : i'v. (JO. 

La h'eet/e Lorraine illustrce, fondee en 190f>, est une publication triniostriellc 
du format in 4 1 (-S2.5 X 25.5). Ses livraisons soul d'en\ iron 12 feuilles. Un an : 
13 IV.; Ktrani^er, Hi fr. Un n° : 4 IV. 

Les deux publications sont ahondamment illustrees de vignettes originates, 
reproductions dVuvres d'art, planches en noir et en couleurs, etc. — Redaction et 
administration : 2i>, rue des Cannes, Nancy. 

Les cliches qui illuslrent Tarticle de M. Charles Didikr nous ont etc obliiroam- 
ment communiques par M. (Charles Sadouu et sont empruntes a la riche collection 
de la lie o up. Lorraine iUustrce. N. D. L. R.] 

(1) LEeo'e de Nancy, Societe fondee le 12 fevrier 1901 et autorisee par arrete 
prefectoral, se compose : 

r D'un Societar'uit de professionnels, artistes, eltefs d'industrie et maitres de 
rensei^nement ( 10 francs de cotisation). 

2° De Members adherents (ij francs au minimum). Les dames sont admises a 
faire parties de la Societe. 

.T LYAsiO'jf'es s"n* <-otis<ttion, les instituteurs, les ouvriers et les apprentis, les 
ecoles d'art decoratif. 



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VVALLONIA VA 



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14 WALLONIA 

plus ou moins tous a une esthetique forte et sure, dont la demonstration a 
ete mise de bonne heure en Evidence a Nancy, et pratiquee non sans succes 
depuis un quart de siecie. 

Les jeunes en ont eprou v6 a leur tour la valeur pratique et se rattachent 
volontiers, dans une action libre, a un mode rationnel de conception et aux 
formules stylistes qui proviennent d'une meme methode de composition. 
Celle-ci n'est, d'ailleurs, qu'un heritage national dans notre pays, amoureux 
avant tout de clarte, de logique : construction logique en effet, saine, stable, 
tenant compte des qualit£s propres a chacun des materiaux employes, et 
d'uno destination nette et bien deftnie, en vue d'une commodite et d'une 
duree parfaites. 

Mais le point capital, c'est que la charpente solide de son meuble, 
Parchitecture de son vase, et leur precise destination, Nancy a pretendu 
les vetir a sa guise, d'une ornementation personnelle. Renoncant tout 
a coup a jouir en paix des fruits de la reproduction des modeles du xvm e 
siecie et de T6rudition des styles historiques, nos d^corateurs, nos 
faienciers, verriers, emailleurs, 6b6nistes, orfevres, peaussiers, marque - 
teurs, sculpteurs lorrains, se sont vus successivement, depuis trente ans, 
affranchir bon gre malgre de limitation des styles anciens par un principe 
nouveau, ceiui de i'observation seientiflque des modeles vivants. On a done 
£tudie" a la fois en naturalistes, en decorateurs et en industriels, les 
vetements colored qui, dans la nature, enveloppent tous les etres en raison 
d'utilites propres a chacun et du milieu ou ils se meuvent. On en a d£duit, 
au benefice de nos demeures, des eflets neufs, en accord avec les immenses 
harmonies ambiantes. La frequcntation de la plante ne s'est pas arretee aux 
elegantes stylisations qui, aux Beaux-Arts, vers la fin du xix* siecie, sem- 
blaient ne recoiter parmi la nature que pour faire hommage aux formules 
du xvi e siecie. 

De la flore lorraine, nous avons tir6 des applications a nos metiers. 
Nous avons cherche a deduire de* documents naturels les methodes, 
les elements et le caract^re propres a creer un style modcrne d'orne- 
mentation, un revetement color6 ou plastique pour les objets et les usages 
modernes. 

Nous ne pretendons certes pas avoir r6ussi ; au moins avons-nous 
essay e de mettre en evidence, par ce temps de confusion, les principes qui 
distinguent des autres tentatives recentes, notre style francais logique et 
directement inspire de la documentation natureile. 

Ge mode selon le bon sens, selon la tradition et la nature, a des avan- 
tages sensibles. II rend au compositeur d'ornements, a Fouvrier d'art, la clef 
de ces musees libres du decor vivant, la flore, la faune, conflsqu^es par les 
Academies. Au lieu de s'en referer peniblement a des modeles anciens qui 
ne sont trop souvent que des copies de copies, des alterations des geniales 
adaptations primitives faites par des maitres d'apr&s des types naturels, le 
modeleur d'art va droit a la vraie et vive acanthe, ou revient au pissenlit 
des imagiers du xiv e siecie. 

La peine lamentable d'inventer dans le vide, de faire, d'une greve lav6e, 



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WALL0N1A 15 



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10 WALLONIA 

surgir la fieur de Fimagination, fait alors place a un amoureux entrain 
parmi la surabondance des themes inspirateurs. 

Ces richesses de documentation, cette chaleur d'excitation poetique 
necessaire a la composition decorative, l'artiste assembleur de la ligne et du 
coloris ne les epuisera jamais. Chaque espece de plante possede son style 
ornemental; chaque epoque, chaque ma it re qui a tente de se fapproprier y 
a mel6 involontairement quelque chose de soi-meme. On sait a present a 
quel point le sens de notre Michelet fut divinatoire de Tart d'un Lalique, 
lorsqu'il conseillait aux joailliers de son temps l'adaptation des parures de 
Tinsecte a nos arts somptuaires. De mrrae peut on imaginer un mode 
d'ornementation plus souple et mieux indique pour le mobilier. pour les 
membrures et assemblages de bois, que la vegetation meme des ligneux, le 
mode de croissance par jets anneles et cannel^s ou par etages achitecturaux, 
et ces incidents d6eoratifs amenes sans eirort, le bourgeon, la corolle, le 
fruit, Toiseau, la figure humaine? 

Tel est, en resume, le style naturaliste contemporain qui s'inspire des 
formes d'art naturelles pour en d^corer des constructions etablies d'apres 
la destination et le sens commun. Ge mode a rencontre d'ailleurs moins de 
resistance que d'emulation a le suivre, sans compter l'adhesion raisonnee 
des esprits les plus surs. 

* 
* * 

On le voit par ce programme, l'Ecole de Nancy proclaine avant 
tout la liberie. Ses formulas ne sont [)as slriqusss, fii^ees; el les 
evolusnt, sllss progres^ent conslaniment. Gallk, qui fut riiiitialeur 
et Tame de ce inouvemenl lorrain, n'etail-il pas lui-inenie le type 
complel du chereheur inlassable, cieanf sans ccs<o du nouvoau. des 
cristaux inervoillcux, des rneubles, des eoramiques, des bijoux; il fut a 
la fois philosoplieet poele,cliimiste et botanize, journalists, direclcur 
de ses deux cents eollaborateurs et ouvricrs! Toule cette pleiade 
d'artisles, (jiii le suivit avee snlhousiasinc, varie a rinfini ses pro- 
codes, ses inoycns de traduire sa conception de la Beauts, dessinant, 
poignant, scnlptant le bois, le niai'bre, fondant les vciros, les nislaux, 
les einaux. 

One Ton critique cerlaines <les productions de 1'Kcole de Nancy, 
soit! Toule <euvrs liuinaine est impaifaite. Mais mil ne pounait nier 
qu'il y ait la une Keols vivanle, et ninno extreinement vivante, et 
prospers pares que vivante. Kt c'est pour avoir lnceonnu ess pi-in- 
eipes de liberie, d'ohsorvation di recto de la nahire. de la vie, que 
l'Ecole SI -Luc en Bel^iquo ne prod nil. vraiment risn qui vaills. 

Ce qu'ont fait les Lorrains, pourquoi les Wallons no. pourraient- 
ils pas le ivaliser a leur tour? S«»raionl-ils an p u* 1 1 1 t\e vue arlisliqno 
d'une race infen'eure, moins afiinee? 



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WALLONIA 17 



Ecolo ilc Xaary. Meuhlc. (Sculpture ck'uial'itc et inan|ueterie vijjne.) 



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IS WALLONIA 

U est vraiment temps que nos artistes descendent de leur tour 
d'ivoire et socoueut ces prejugcs hautains de la seule noblesse de la 
Grande Peinture, de la Grande Sculpture, du Grand Art Inde- 
pendant. 

11 est vraiment temps qu'ils se penetrent de cette consideration 
econoniique que partout le public ira bien flaner devanl les kilo- 
metres de toiles exposees aux multiples Salons, et devaut les innom- 
brables Venus, et Diane, el toute cette « vessaille de deesses », — 
(comnie dit Voltaire, sauf voire respect) mais que ce nioiiie public 
se refusera energiquemenl a echangor son bel argent centre ces 
encom brants clief-d'uHivros. 

Nos artistes do* vent adopter la metbode des Lorrains, c'est la 
bonne : qu'ils cberchent a dcgager une formule, Ires large si Ton 
veut, qui soit en quelque sorte, fondamentale d'un art wallon; 
qu'ils se fassent industriels, commercants; qu'ils produisent du beau 
sous toutes ses formes! 

C'est a eux de preparer cette renovation de l'art « en tout et pour 
tons », dont William Morris et Emilk Gallk out ete les iniliateurs. 

Ce n'est pas le public qui eommencera, le pauvre public qu'on a 
litteralement stupcfie avec les extravagances de l'art nouveau, et 
qui, « candide et moutonnier > est retourne aux styles et aux 
antiquailles. 

Mais, dira-t-on, les artistes ne sont pas commercants; ils ne 
|)arviendront pas a s'organiser'... 

Que Ton songe pourtant que ce sont de simples ouvriers illetlres, 
qui out fonde, avec 3,000 francs, le Voorult de (rand qui fait aujour- 
d'bui un cbillVe annuel d'affaires de plusieurs millions! 

Au point de vue pratique, comment devraient proceder les 
artistes wallons? 

I'ne federation generate? Ce serai t absurde, et inellicace; il n'y 
aurait qu'une societe mort-n^e de plus. 

Non; il suflira que fjuetf/ues-uns d'entre-eux s'entendent et 
aillent installer leurs ateliers de decoraleurs, d ebenistes, de sculp- 
teurs, leurs fours de potters ou de verriers, etc., dans un endroit 
salubre et riant, bien cboisi, a communications faciles, oil ils pour- 
rait vivre tres economiquement, (grace peut-etre a la cooperation 
dans leurs services domestiques), ou ils pourront i'aire instruire 
leurs enfants, ou enfin, ils jouiront du bien-etre et de la paix indis- 
pensable pour penser et « ceuvrer ». 

Qu'ils essaiment done, qu'ils fondentune vraie Colonie d'artisles, 
comnie Tout fait William Morris a Mcrton-Abbey, Christiansen 
et ses amis a Darmstadt, ou Schultze-Naumburg et ses eleves a 



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WALLONIA ID 



I'.Cdl" <\o Main'y. Still |>l im*. 



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WALLONIA 



Saaleck, on Asiiiskk, avoc sa Guild of Handicrafts a Camden, ou 
aux Etats-Unis. les Ro\icroftersi\ Aurora, et W. Price et Mac Lana- 
iian a Rose Valley, et bien d'autres encore — sans compter en 
]>eI t L*ique, cot interessaut petit jjroupe noo-llamand des 1)e Coenk, 
des Vierix, des Laioxiee, qui vit a la lisiere de Court rai comme 
en une vraie Colonic d'art. 

Nos irrandos villus wallonnes sont devenues Irop industrielles. 
trop eni'iimees, trop sales, trop Inuyanles: elles ne eonvienneut pas, 
el les sont trop loin de la nature*. 

Mais pourquoi n'ossayerait-on pas de creep a Spa, ou plulot dans 
ses environs iininediats cc village ideal d'artistes, d'ouvriers d'apt ! 
Le pays est charinant, la ville menu* possede toules les ressouires 
necessaires en niaua>ins,en eeoles; l'ete surlout, il y a des distractions 
nomhreuses, de la musique excellenle — et, parini les visileurs, plus 
d'un client possible. 

Au moment ou Ostonde, sa rivale du Nord, ontend devenir a sa 
faoon mi Centre d'Art « au nimbe radieux », pourquoi Spa ne cber- 
cliei'ait-elle pas a fa ire. mieux encore en aitirant chez elle, et d'une 
(aeon permanenle, les artistes, comme le iirent autrefois les princes 
ma^nifiquos, les Francois l rr , les Klisabetb d'An^lolerre. les Medieis? 
Pourquoi pas > 

Ciiari.ks DIDIEH. 




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lirole dc.Nimev. Coinii i \ H Turn vi;. 



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Les Croix banales a Feglise collegiale de Fosses 



Des erudits sc sont occupes a plusieurs reprises des processions 
particulieres, appelees crnur banales, qui avaient lieu aux siecies 
passes dans de nombreuses localites de l'ancienne principaute de 
Liege. 

L'origine de ces ceremonies esl diflicile a etablir. Elles romontent, 
sans aucuii doute, a une epoque Ires oloignee : d'apres les miraeula 
Sane/ 1 Hubert I et la cbronique de S'-Hubert, les eroix banales qui se 
rendaient a la eelebre abbaye, devaient Ieur naissanee a un vuui fait 
en KM, sous le regno de Louis-le-I)ebonnaire, par le elerge et les 
populations du doyenne de IJastogne (*). Voiei Implication que 
donne le dernier editeur du Cantalorium, M. K. Hanqt'et : « Ces 
» pelerinages etaienl appeles eroLr, paree qu'ils etaient precedes de 
> la eroix: on \e* nonimail encore croi.r banales on bancroi.r, non 
» parce qu'ils avaient lieu en vertu dun ban imperial, circonstancc 
» accessoire exeeptionnolle,* ma is parce qu'ils se iaisaient dans les 
» li mites du ban paroissial on regional. » ( ') 

I T n document, relalifanx processions qui se rendaient a Lobbes 
le jour de S^Marc et qui remonte Ires probablement an xu e siecle, 
explique Fengine des legations, et apres avoir fait allusion aux 
voyages a Rome, a Saint-Jacques de (lomposteile, ajoute que « les 
» dangers et certaines considerations engagorenl les pa pes a autoriser 
» un cliangement dans beaucoup d'endroits, dont les populations 
» purent depuis lors porter lours vceux et leurs off'randes a quelque 
» eglise calbodrale ou ancienne basilique de leur voisiuage, a condi- 
» lion de sy rend re processionnellement sous la eonduite de leurs 
» cur6s, eroix et bannieres en teste. » ( 3 ) 

Mais ce n'est pas seulement dans le sud de la principaute que 

(1) O. Kitrth, Los charles do V ablatio, do Saint Hubert. 1. I, pp. 43, 10? el 38S. 

(2) K. Hanqi'ET. La ehronirjue do Saint Hubert, p. 55. note 3. 

(3) Bulletin do la Commission rotjalo d'liisloire, T sorie, t. VIII, pp. 313 324. 



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WALLONIA 28 

nous constatons cette curieuse coutume : A Saint-Trond, a Eyck, a 
Tongres avaienl lieu des processions analogues. Dans uno excel lente 
etude, M. l'abbe Paquay a etudie les croix banales a Tongres ( l ). > Ges 
» processions, dit Tauteur, constituent un hoinmage traditionnel des 
» paroisses de la banlieue a I'eglise la plus ancienne et la plus impor- 
» tante de la con tree. Ghaque annee, pendant l'octave de la Pentecote, 
» les processions des paroisses rurales niunies des ban meres et des 
» reliques se rendaient a certaines eglises particulierement venerees 
« et les fideles y deposaient leur otfrande. » 

Enfui, les croix ou plutot les creds iV Venn out ete assez sou ven I 
et longuement etudiees pour que nous puissions nous dispenser d'en 
parler ( 2 ). 

Dans quelques endroits, ces processions se maintinrent jusqu'a 
la Revolution franchise, mais dans d'autres elles disparurent bien 
plus tot : a Saint-Trond, par exemple, elles ctaienl toinbees en desue- 
tude an commencement du xiv e siecle. 

Dans le marquisat de Francbimont, les croix auxquelles etaient 
obliges les habitants de Verviers, Theux, Sart et Jalhay, durerent 
jusqu'au milieu du xvi e siecle ( 3 ). Les desordres qu'engendraient par- 
fois ces ceremonies, les guerres et les brigandages qui marquerent 
ces epoques troublees, contribuerent puissamment a fa ire disparaitre 
cette coutume. 

D'autres causes amenerent la fin de ces processions, entre aulres 
le desir des populations dechapper a cette espece de servitude, 
part'ois le desir inexprime, il est vrai, mais bien comprehensible des 
chapitres ou abbayes oil se rendaient les croix, de transformer ces 
ceremonies en un droit plus reel, c'est-a-dire quils aecordercnt les 
dispenses necessaires moyennant le payement de certaines somnies 
ou d'une rente annuelle bien determinee. Nous relevons ces faits dans 
des actes relatifs aux processions des Vervietois et des Theulois a 
Tabbaye de Stavelot 1583 et 1585). II en fut de meme de celles qui se 
rendaient au chapitre Saint-Feuillen de Fosses. 

* * 
Les habitants des localites qui se rendaient en procession aux 
eglises principales y portaient des olfrandcs ou des redevances fixes : 

(1) Bulletin de la Societe scienti/it/ue et litteraire dn Limhourn, t. XXI 
(1903), pp. 127-190. 

(2) Citons entre aulres Henaux, le II. 1\ Hahn et le l) f Tihon ; res deux derniers 
ont public leur etude dans le Bulletin de. la Societe cervietoise d'archeologie et 
d'histoire, t. I et t. III. 

(3) Vovez notre communication dans la Chronique de la Societe vera, if arch el 
didst., 1905-1906, pp. 49-51, 



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£\ WALLONIA 

ainsi a Lobbes, les populations ties eonciles do Thuiii et do Fleurus 
payaiont un pain ou une piece do monnaie; plus tard, on y ajouta iin 
selier d'avoine par charrue. 

A Tongres, c'etait Tobole banale, et, chose assez curieuse, la plus 
jeune mariee de Fannee dovait aceompagner la procession. Chaque 
menage des bourgs de Theux, Sari' et Jalhay payait a Fabbaye de 
Stavelol deux deniers, el chaque menage de la ville de Verviers 
trente sous. Les Verviotois etaient redevables d'un denier par menage 
egalement dans leur procession a la cathedrale Saint- Lambert, 
a Liege. 

A Fosses, c'elaient les habitants de Chatelet, Bouflioulx et Pon- 
derloup qui devaient executor ces eroix banale<. Nous n'avons trouve 
nulle part une etude sin* ces processions. II est vrai que les docu- 
ments qui y sont relatifs sont extremement cares, et ils auraient peut- 
etre echappes a l'histoire, si nous n'avions mis la main sur un 
contratqui rachelait l'obligalion de cette ceremonie : nous Iepublions 
en append ice. 

Les populations de ces trois loealites devaient done a de toule 
antiquite » se rend re a Fosses avec leur cure, portant les croix et les 
gonfanons, et payer an ehapilre deux cop if les ('), un denier et une 
maille. T T n accord inlervint pour fa ire disparailre cello ospeee de 
servitude, el chaque manant i'ul astreint a payer trois (out's et les 
deux copillcs. 

Mais cette convention ne satislit pas encore les habitants de (!ha- 
telet et leurs voisins. Aussi le 12 avril 1589, un chanoine de la 
collegiale de Fosses comparut devant les eehevins de Chalelet et lit 
enregistrer un nouveau contrat d'apres lequel chaque bourgeois ctait 
tenu de payer chaque annee a la Penleeote six deniers dans les mains 
du commis du chapitre; moyennant ce droit, les bancroix etaient 
supprimees. 

Les archives de la collegiale de Fosses ne nous out found que 
fort pen de rensoignemenls au sujet de cette eoutuuie. Sent, un 
registre aux aetes eapitulaires, ou memorial du chapitre des annees 
1588 et 150.'}, contient (juelques decisions prises a propos des croix 
banales de Chatelet pendant les annees 158X et 158!) ; 

5 aout 1588. — Pour les baucroi.e tie Chaslelef Boufjloul.r et Pon- 
der lou./\ lesqucls prawn feat pour cUucun feu VI deniers 
annuellentcnt, a/hi (Vcslre ceetnpfe de apporter leurcroi.n et 
confanons \ una note marglnale ujontc : otr. II d.e.a. ob. et 
III innfs.U election des debit eurs\. (Folio II). 

(1) Copilles, ilrrivo do cope, iiionnair tlivisioimaiiv tin ilcnicr. 



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WALLONIA -T.) 

2\ mahs 1589. — Ordonner a not re confrere liusco <le sot/ (roarer a 
Chaslelel aux plaix generals apres Pasques pour recouvrer 
les bancroix dudit C/iastelel, Ponderloux et Tarn inc. (Folio 20). 

10 mai 1589. — Item ordonner quelqu'un pour alter recevoir nos 
bantcrohv a Chastelel, Ponderloux et Tan tine pour la premiere 
/bis, a/fin nous remettre en possession. (Folio 28 if). 

mai 1589. — Ilustin /era sa relation des banlcroix de Chastelel, 
Bouffioulx et Ponderloux, et constraindra toas dd fa Mans an 
rertu de la leltre estant es mains die S r Daco, pour y apposer 
les seijaux. 

DD. BROUWERS. 

12 avrll 1589. 

Nous, les may cur et eschevins de la haute cour el justice de 
Chastelel sur Sambre, a tons et chascuns auxquels /es presenfes 
parriendrontj sa/ut. Sea coir faisons que pardecant nous commc 
court susdite est personnellcment comparut venerable sieur Henri 
Heyne, chanoine de college de Al r St-Phoeilin en la bonne rille de 
Fosse sique commis, depute el consfitud des venerables Seigneurs 
Doien, Chanoines el Chapitre de la elite bonne rille de Fosse, lequel 
nous remonslrat que de toute antiqtiite il y arait en subiectiou par les 
communautes lanl de ce lieu, Pondreloup que Bou/futule de fa ire 
porter annuellement les croix et confanons par les cures, murc- 
hliers et nombre des dits paroissiens a Veglise M. St Fhoelin, area 
douze ( ] ) cop it les, porta nl un denier el in a Me pour chascuu mesnage a 
la deuxieme des festes de la Pentecosle, el que, pour telle subieclion 
extindre et aneantir, auroit depuis die accorde et appoiute quen 
lieu de ce, chacun menage des dits trois lieux scroient lenus payer 
au.r dits du chapitre trois (eufs et les dits douze cop i les, demandent 
pour cicre en pair et en amitie couloir cont inner le payemoit par 
chacun bourgeois et manans, des dits trois (cufs el copilles ou done- 
que traicter par coie amiable en extinguant les dits trois <rufs et 
douze copilcs, traicter ce que de raison,et combien que chacun des dits 
bourgeois et manans scroient sublets a rendre annuellement uux dits 
seigneurs du chapitre, suivanl quay a rions arec le susdil commis, 
bourguemaistres et communaulte considerd ce que fait a considerer, 
communique, conclud et arreste conjonctenienl le douzieme d'aprril 
an quinze cent quatre vingl et noef, jour des plaix de Fasque, que 
doresnarant chacun bourgeois et manans payeroieut annuellement 
a la premiere des festes de la Penlecoste sir deniers entrc les mains 
du commis ou depute dudit chapitre, au moyen de quoy seront 
loules precedentes subiections anndantises, voire que les dits du cha- 
pitre deputeront qui bon lettr semblera pour iceux deniers co/lecfer 

(1) Pour deux, comme l'indique le passage suivant du rcijistre n° 4 des 
archives de Fosses, a Namiir : « memoire d'envoyer a Chatclct pour conflrmer'par 
« les courts dudit lieu l'aecort nouveau fait a VI d. chaseun chief dostel, au doncq 
« couime Ton at aecoustuinet, asseavoir III oeufs et II copilles, qui font 1 d. ob., les 
« huyt cop. a 1 den. » (2 oetobre 158S). 



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26 WALLONIA 

par les habitations des dits bourgeois et manans des dits trois lieux, 
a raison que les ma nans et inhabitant se viennent soureates fois 
Ira asm iter, deminuer ou augmenter, le tout entendua la bonne foy, 
qui rut par lionord Antoine Marotte, S r d'Aucos, mis en retenue et 
garde de nous. Jean de Henry, S r de Genral, Jean Hannekarl, 
Mathy Bustin, Jean le Druet, Collar t Hannekar et Charles Leg rand, 
les jour, nwis et an que dessus. Eloil signe a V original en parche- 
mit% A. de Soye, greffler a Vordonnance de la cour susdite. 

Ce que j % at teste S. J. Henon, notaire pubUque, per copiam, 
con/brme, in fidem subter. 

Archives de i'Etat a Namur, copie du xvm e siecle, 
dans le Carlulaire de Fosses, n° l 1,is , f° 77. 



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Histoire du Compere Cwanecu 

et du village d'On en Famenne 

Conte populaire. 



Compere Cwanecu 6tait le plus joyeux du village et, de plus, 
grand buveur. On pouvait Iui reprocher d 'aimer un peu trop le 
braconnage et trop peu le travail ; mais comme les tours qu'il jouait 
au garde-champetre no faisaient de tort a aucun voisin et que, somme 
toute, c'etait un brave homme de mari, auquel Tailut de l'aube et le 
cabaret du soir n'avaient pas laissc le loisir de creer des heritiers, il 
faisait rire et eta it aime des rieurs. 

Mais le bourgmestre, un gros fermier trop riche pour el re 
sympalhique, lui gardait une dent pour son manque de respect envors 
les autorites, et pour quelques lievres pris dans ses bois. 

Compere Cwanecu, lui, etait un sage; il savait vivre de son pen 
et, sans economic mais aussi sans gene, etait heureux. Sa feinme et 
lui nourrissaient une vache et tout un peuple de poules. 

Un jour que le compere aux champs etait venu inspecter des 
lacets mis a l'oree de la foret, la vache en profita pour manger du 
trefle au pre voisin, et gonfla, gonfia taut qu'elle tomba et mourut au 
retour de son maitre. 

La viande puant le trefle, compere Cwanecu n'eut d'autre con so 
lation que de vendre les os, les cornes et la peau. 

Heureusement que la cave contenaitdans desecuelles tout le lait 
de la semaine, de quoi faire un panier de beurre que le compere irait 
vendre, avec la peau de la bete, au marche pour en ramener un petit 
verrat. 

Philosophe, compere Cwanecu ne s'attarda pas a calmer sa 
femme; il prit lui-meme la baratte et, chantant a tue-tete, commenga 
de battre le beurre. 

Mais ces chansons, au moment du malheur, agacerent madame 
Cwanecu, qui voua son mari au diable tant et si bien que le bon 



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28 WALL0N1A 

homnie, pour tuir les reproches et continuer en paix son travail, 
nionta sur le toit et s'installa sur la cheminee. Helas! etait-ce I'eino- 
tion, les cris de niadaine ou si notre compere avail bu, il fit perdre 
l'equilibre a sa baralte, qui roula sur le cliaume et degringola au 
milieu du fumier, qu'elle eclaboussa de cremo a la grande frayenr et 
bientot a la grande joie du eoq et des ponies 

Celte fois bonteux, compere Cwanecu s'enfuit, courut sur la 
route si longtemps et si loin, qu'on no le vil plus; el l'epouse attendit 
en vain cette nuit-la le retour du maladroit. 

* 

Compere Cwanecu courut et courut si bien et si loin qu'il arriva 
dans un pays qu'il ne ronnaissait pas. Cependant, la unit elait venue 
a sa renconlre. Quand il fit tout noir, fatigue par la course et par les 
evenements de la journee, il sendormit dans les genets du talus. 

II aurait, eerles, ronfle jusqu'au matin si des chariots passant 
sur le chemin ne ravaient reveille. C'elaient de gros chariots vides 
que tiraient des babuls. Curieux et etonne, compere Cwanecu cria 
aux conducteurs : 

— lie la ! ou allez-vous ainsi quand il n'y a pas memo de lime? 

— Vous n'etes done pas du pays, lui repondirent-ils, nous aliens 
an sominet de la montagne pour y chercher le jour; quand nous 
redescendrons, vous ve rez quel beau soleil nous apporterons. 

— Oh! oh! s'ecria Cwanecu, dans mon village, nous ne nous 
derangcons pas pour cela la nuit; nous avons un petit animal qui, 
sans qu'on le lui disc, appelle le jour et le jour vient. 

Ces bonnes gens n'en revenaient pas : surement, si le compere 
leur amenait un de ces animaux, ils le lui acheleraient a poids dor, 
car e'etait pour eux une grande perte de temps que ce eharriage de 
la lumiere. 

Compere Cwanecu promil et se rendoriuit. 

Quand il se reveilla, les champs etaient grouillanfs de moisson- 
neurs. Courbes vers le sol, ils semblaient occupes a uno lente et 
bizarre besogne. ( Cwanecu s'approcha et vit, avec un nouvel etonne- 
ment, que chacuu d'eux, arme d un arc et d'une iloehe, coupait avec 
celle-ci quelques epis. 

— Comment, s'ecria-t-il, e'est ainsi que vous failos Taout; mais, 
malheureux, vous n'aurez pas fini a la ^ainle-Cathorine! 

— Nous le savons bien. Mais vous, comment uioissoiinez-vous' 

— Nous, nous aliens sept i'ois plus vile; nous avons des instru- 
ments qui, en deux coups, coupent toute une gerbe. 

-- Kst-ce possible' dirent ces palienles aines. Ah! si vous nous 



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WALLONIA 29 

vendiez quelques-uns de ces instruments, nous vous ttonnerions en 
oehango plus d'or que vous if en pourriez porter. 

(Compere Cwanecu prom it. II allait reprendre sa route, lorsqu'il 
s'aperout que les paysans marchaicnl dim'eilement sur les pointes 
droitos laissees par les Lipros eoupees, et que lours pieds saignaient 
dans le> bourses de toile qui les chaussaient. 

— Mon Dieu! s'exclauia-t-il, comment pouvez-vous aller ainsi : 
chez nous, on se met aux pieds quelque chose qui est plus dur que 
le lM)is; on pent marcher sur des epines et memo sur du feu sans se 
fa ire mal. 

On out peine a le croire, bien que Cwanecu semblat sincerement 
ahuri; pourtant on lui jura de donner ]>our une telle chose la moitie 
de for* du village, qui en avail des greniers pleins. 

Compere Cwanecu promit encore et se remit en route. II ful 
assez heureux pour retrouver le cheinin de son village. 

Quand il airiva, la unit l'avait precede, mais sa fern me veillait : 

— Depeche-toi, cria-t-il. va me chercher la faucille ueuve, la 
vieille el celle qui est rouillee: pi-ends aussi un de mes hons souliers 
et l'oulo tout cela dans la peau de noire vache. 

Maugreante, mais tout de meme contente de revoir son homme, 
madame Cwanecu s'exocuta, pendant que le mal in con rail a la (erme 
du bourgmostro, jetait du pain aux chiens qui le connaissaicnt, 
enlrait dans le poulalier y voler les deux coqs. II prit aussi le sien, 
mit les ti-ois oiseaux dans une taic d'oreiller, placa celle-ci sur une 
epaulo et sur Tautre la peau avec les trois faucilles et le Soulier 
co mine modole. 

Ainsi charge, il rotourna vers ce pays ignorant, dont il revint 
encore la nuit, avec deux magniliques boeufs et un chariot lourd de 
six gros sacs. 

Or, ces sacs eontenaionl des pieces d'or, taut de pieces dor, qif il 
eut fallu, pour les compter une a une, vivre aussi longlemps que 
Malhusalem on, lout an moins, savoir calculer comme le herger 
Remy — le plus savant du village. 

L'ingenieux Cwanecu envoya sa fern me a la ferine du bourg- 
mestre emprunter le hoisseau a mesurer le grain. 11 marqua sur le 
mur le nomhre de boisseaux d'or et se promit de compter les pieces 
afin de connaitre le montant de sa fortune. 

Mais le boisseau, qui etait de bois, s'etanl disloque sous le poids 
du metal, un ecu res I a pris dans une fenlo; et quand madame Cwa- 
necu eut rapporte la mesure au (ermier, celui-ci mefiant vil an fond 
un point briller, le secoua et une piece d'or, qui valait a olio seule 
une de ses terres, roula sur le plancher. 



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HO WALLONIA 

« Bien siir, songea-t-il, que compere Cwaneru est un voleur de 
grand chemin. Braconnier et buveur, il devait en venir la. Je parie- 
rais que c'est lui qui m'a vole mes coqs. » 

II manda le garde-champctre, ceignit son eebarpe et, dare dare, 
se rendit cbez le nouveau richard. 

Ivre de gaiete. Cwaneeu embrassait sa femme et chantait comme 
un consent. Tant de bonheur troubla les repivsentants de la loi et 
aclieva de rend re envieux le niayeur qui, rapace et mad re, pensa 
quYu faisant arroter Cwaneeu, il perdrait un gain considerable. 

II renvova le garde et dit sans delour an compere : 

— Part a deux, on je te fais p°ndre! Dis-nioi d'abord comment 
lu as en ret or a rrmuer an boisseau. 

— Kn tout bien lout bonneur, repondit Cwaneeu : j'ai vendu du 
cuir. des coqs et des faueilles. 

Kt, en omettant le trait du larcin, il fit le recit de son aventure 
memorable. 

« J'irai aussi, se dit le bourgmestre, je suis ricbe, j acbeterai des 
grosses de faueilles, des paniers de coqs et j'ai quarante vacbes dans 
mes etables. » 

II (it done aebeter tons les coqs du canton, toutes les faueilles des 
forgerons, et fit abaltre tout son betail. On cbargea la cargaison sur 
les plus grands cbars de la ferine, et en route pour le pays des 
gens naifs ! 

Avanl de ([iiitler le bourgmestre, compere Cwaneru, qui eutsoin 
d'indiquer la route a Ten vers, lui recommanda : 

— Snrtout dites bien si on vous demande vos prix : 

Xi maim ni plus 
Qit compere Cwaneeu. 

* 

* * 

Deux jours apres, rentrait au village le pauvre mayeur decoufit 
et furirux, avec ses cbars, ses peaux, ses coqs et ses faueilles. II avait 
bien repondu a toutes les questions : 

Xi mains ni plus 
Qn" campere Cwaneru 
mais on Tavait pris pour un fou et il n'avait pu conclure de marcbe. 
S'etre moi[iio ainsi du bourgmestre, l'avoir pousse a la mine, tant 
d'insolence et de mauvais ^v6 meritaient une prompte punifion. 

Le bourgmestre fit mander le garde-cbampotre et accompagnes 
du cantonnier, tons trois se dirigerent vers la cbaumiere peinte 
a neuf de notre ami Cwaneeu. 



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WALLONIA 3l 

La malice dc celui-ci no fut pas a court, dos qu'il vit s'avaacer 
le petit groupe, il comprit la rage du bourgmestre et dit rapidement 
a sa femme : 

— Je vais faire scmblant de tc battre avec ce baton, tu tomberas 
et quand j'aurai si file trois fois : 

Turlntulu 
Pauv" femme, live-lu ! 
tu te releveras coninie si rien n'etait. 

Kt le couple se rendit sur le seuil et fit ce que Cwanecu avait 
decide : 

— Arrotez-le, cria de loin le bourgmestre, non seuleinent il vole, 
mais il tue! 

Deja Cwanecu etait empoigne. 

— Ce n'est rien, dil-il tranquillement, chaque fois que ma femme 
parle ti*op dans le voisinage, je la tue; mais j'ai un petit sifilet en 
poche pour la ressusciter et elle redevient alors gentille et discrete 
pour quelques mois; laissez-moi vite siftler. 

On lacba un instant le compere, qui (it trois Ibis : 

Turlulutu 
PaurS femme, live-tu ! 
et Tepouse docile sauta au cou de son mari. 

Notre mayeur, qui possedait la plus bavarde el la plus acariatre 
des epouses, renvoya le garde-cbampetre et le cantonnier, et dit 
amicalement au compere Cwanecu : 

— Si tu me preles pour un seul jour ton silliet encbante, non 
seulement tu ne seras pas arrete, mais je te pardon nerai meme tes 
mauvais tours et tu seras nomine garde a la place de Jean-Josepb, qui 
devient sourd. 

Hien volon tiers, compere Cwanecu preta son sifilet mer- 
veilleux. Et voici ce qui se passa : le bourgmestre rentra au plus 
vite a la ferine et, trouvant sa femme en train de gourmander les 
valets, d'un coup de gourdin, il rassomma ni plus ni moins. 

— N'ayez crainte , dit-il aux paysans epouvantes, j'ai le 
remede ! 

Et le poing sur la hanche, la jambe en avant, sur de lui-meme, 
le bourgmestre sitHa : 

Turlututu 

Paurf femme, live-lu ! 

une fois, deux fois, trois fois... quatre, cinq, dix, vingt fois. A la 

cinquantieme, la pauvre dame ne bougeait pas encore, et deja le mal- 

heureux sitHeur s'evanouissait d'essoullleinent et d'angoisse. 



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32 WALLONIA 



* 
* * 



Pendant ce temps, compere Cwanecu cherchait comment trans- 
porter au plus tot son or et ses mcubles dans un endroit ou il pourrait 
vivre et chasser tout a son aise, loin des villageois qui 1 avaient 
connu pauvre, et du mayeur qui lui en voulait; car, malgre ces 
frasques. Cwanecu n'aimait rien taut que do laisser les gens en paix 
et <Yy vivre lui-meme. 

II commencait a rem tier certains projets, quand il se fit un grand 
bruit devant sa demeure. Au meme instant, ses carreaux volaient en 
eclats et dix teles peuehees regardaient son tresor. Des homines 
penetrerent chez lui, ayant a leur tete le garde-chanipetre, et on 
porta le compere, licele conime un boudin. sur la place dn Bati, on, 
sans plus de forme, on le condamna conime voleur, sorcier el iinpos- 
lenr, a etre noye dans la riviere. 

A fin d'oflYir le brigand en spectacle, on le mit dans un sac, ne 
lui laissant que la tele libre, et on le pla^a au milieu du pout, adosse 
au parapet; et pour qu'il fut permis au chretien do meltre en ordre 
ses peches et d'en (aire le compte exacl, a la demande du cure. 
1'execution fut lixee a la dixieme beure du soir. 

* * 

One lil, croyez-vous. notre compere Cwaneeu ? 

II passa tout bonneinent ses heures a lancer des quolibets aux 
villageois qui riaient bien plus, cette fois, de la capture de ec richard 
que de ses bons mots. 

Lorsque sonna Tangelus du soir, cbacun renlra souper chez soi 
et se preparer a la (ete; lcs dcruiers vachers lirent passer le pout a 
leurs troupeaux et compere Cwanecu res I a seul. 

Peul-etre allait-il songer enfin a son malbeur, quand Remy le 
berger, qui revenait des champs el, parti di^ l'aube, ignoi'ait la 
grande afiaire, arriva avec son chien et ses moutous. 

— Que fais-tu la, compere Cwanecu ? 

— Ah ! tais-toi, berger, il m'en arrive tine bien bonne. Ces gens 
sont lout de meme rudement betes. Figure- toi qu'ils veulent me 
fa ire pape! L'autre est niort aujourd'hui matin, el ils mont choisi 
comme le phis maliu du pays. J'ai eu beau leur dire que je ne voulais 
pas, quej'etais marie, que j'aimais mieux ma cahutte qu'un palais; 
ils n'ont pas voulu m'ecouter, et de peur que je ne me sauve, ils 
m'ont lie dans ce sac et mis sur le pout oil, a dix heures, on viendra 
me prendre pour me conduire a Rome. 

Compere Cwanecu se lamentait. 



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WALLONIA 33 

— Ah! encore si e/etait toi qu'ils avaient choisi : tu es plus 
beau que moi, tu as habile la ville et tu connais les belles maniepes, 
tu es celibataire, tu sais lire dans ton almanach, et tu (lis meine, en 
voyant les etoiles, le temps qu'il fera, ou si nous aurons la guerre. 
Mais moi je ne sais pas meme ecrire mon nom ! 

— On n'avait garde de me prendre, repondit Rerny, les gros 
bonnets m'en veulent <»t le cure aussi, parce que je suis plus malin 
qu'eux tous ! 

- Veux-tu etre pape a ma place, et leur jouer un tour? dit le 
compere Cwanecu; donne-moi ta houppelande et ta houlette, mets- 
toi dans le sac, il fait noir, on ne nous reconnaitra pas. Je reconduirais 
tes moutons et demain je serai loin, et (oi tu seras pape pour toule ta 
vie durant ! 

Aussitot fait que dit. 

Compere Cwanecu renoua les cordes, recommanda au berger de 
repondre « oui » a toutes les questions. Alors il ramena le troupeau 
a travers le village et, grace a son degmsoment, tous lui criaient : 
« Bonsoir, berger; bonsoir, Uemy » ; il n'y avait pasjusqu'au chien 
qui ne erut obeir a son maitre. 

Aussitot les moutons enfermes, Cwanecu courut chez lui pour 
consoler sa fenime en larmes. 

A dix heures sonnant, le bourgmestre, le cure, le garde-cham- 
petre et le suisse, suivis a distance de la foule en rumeur et de quel- 
ques porteurs de falots, s'avancerent sup le pont avec solennite. Le 
berger tenait la tete baissee. 

— Compere Cwanecu, lui dit le cure, demandez-vous a Dieu 
pardon de vos p6ches ? 

- Oui. 

— Vous Tentendez, s'eci'ia le bourgmestre, il avoue, il accepte 
la sentence. 

— Oui, dit encore le berger. 

Le garde et le suisse saisirent le sac, le balancepent comme un 
van, et une, deux, trois ! par dessus le garde-fou, Re my tomba lourde- 

ment dans 1'eau. 

* 

Precede du cure recitant le miserere et du bourgmestre heureux 
d'etre delivre de son ennemi, le cortege rentrait au village ; a la 
stupeur generate, voici venir compere Cwanecu, vivant et fre- 
tillant ! 

Aussitot chacun de s'enfuir en se signant. 



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34 



WALLONlA 



Dans la bousculade, le garde perd son tricorne, le Suisse sa 
hallebarde et le cure son goupillon. Quant au bourgmestre, il etait a 
terre, car ses jambes etaient devenues soudaiu faibles comme cellos 
d'un marmot. 

Compere Cwanecu riait, riait a se feudre la bouche. 

— Je ne suis pas mort, leur criait-il, e'est de Teau qui ne noie 
pas, elle ne mouillc merae pas, regardez ! 

Et, rattrapant les fuyards, il leur montra sa face et son dos. En 
effet, ses habits etaient sees : ce n'etait pas de l'eau qui tombait de sa 
calotte a pont et de sa veste, mais des pieces dor; et, en secouaut sa 
manche, il en roula aux pieds du cure de quoi faire batir nne eglise 
neuve toute en pierre. 

— Vous voyez, dit encore Cwanecu, cette riviere est pleine 
d'6cus, et e'est memo au fond que j'avais ete chercher tout mon 
magot. 

Aussitot tout ce monde, criant, se poussant, se battant, courut au 
pont et sauta dans la riviere, avec les femmes, les enfants et les 
chiens ! 

Ainsi iut debarrasse du bourgmestre, du garde-champetre et des 
envieux, compere Cwanecu, qui obtint a la Ibis la vengeance et la 
tranquil lite. II s'installa dans la ferine du mayeur, et comme il avait 
desormais du loisir et pen de travail, chassant le jour selon son vou- 
loir, il s'empressa de peupler le village de nombreux enfants joyeux, 
farceurs et sages comme lui. 

Et e'est un de leurs descendants qui vous conte cette histoire. 



Recueilli par 



Isi COLLIN. 




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ART MODE UN E 

Luca RIZZARDI. Peintres et aquafortistes wallons. Bruxelles, Asso- 
ciation des Ecrivains beiges (Decheypie, editeur). — In 8° (21.5 X 12.5), 
80 pages. 

«Tout (dans les paysages industriels) etreint l'ame la moins sensitive... 
II n'en est pas de meme dans les pay* du Midi, ou la beaut6 plus eparse, 
plus large, ne se rGvele qu'aux vrais temperaments. » 

«Leurs oeuvres que recommande ia grande sincerite d'un etre qui, 
quoiqu'artiste, n'a pas cess6 d'etre homme, ont un charme subtil qui ne 
peut emouvoir que des ratlines et des delicats. » 

C'est a propos de nos artistes que M. Rizzardi 6nonce ces deux pens^es, 
dans la brochure ou il analyse Fimpression qu'a produite en lui Tart de 
Mar6chal, d'Emile Berchmans, de Rassenfosse, de Donnay, de Heintz et 
d'Adrien de Witte. 

Et nous convierions volontiers le lecteur a prendre ces deux notations 
pour lignes de depart, s'il veut comprendre le mieux le point de perspective 
consciemment ou inconsciemment choisi par M. Rizzardi. 

Gar cejeune psychologue aime nos beaux-arts en vertu d'affinites natu- 
relles, par culture latine, par amour des lignes sobres et elegantes, ener- 
giques et nerveuses, par aversion pour les eflets 6clatants et vulgaires; il 
en oppose, plus qu'un autre, le caractere a celui des peintures flamandes, 
dont la rude esth6tique ellare son gout. 

Le merite de ces pages, enthousiastes et juveniles, est de nous repro- 
duce Temotion qu'un lettr6 de notre grande race a eprouvee devant un 
paysage de Donnay, d'Emile Berchmans ou de Heintz; un profil burin6 
par Adrien de Witte, MarSchal ou Rassenfosse, c'est d'insister sur le 
sentiment original qui inspire nos artistes. 

Sans doute, plusieurs eprouveront devant les oeuvres de nos jeunes 
maitres des sensations differentes. lis estimeront que Tart de Donnay et de 
Berchmans, par exemple, ne se laisse pas encercler dans la formule 
exprim6e par les mots de douce candeur. 



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!#) WALLONIA 

lis diront que nul n'est plus different d'un artiste wallon qu'un autre, 
que ce sont poetes avant tout personnels, que si leur conflance plie un peu, 
par ce siecle, c'est concours d'6v6nements fortuits... j'appr6hende meme 
que les 6loges trop vifs generont la pensee des timides 

Laissons-les parler. En croyant contredire, ils apportent leur pierre a 
l'6difice que tous nous elevons et, dans cet Edifice, elie ne se placera pas 
tres loin du bloc que M. Rizzardi faconne de son cot6. 

II nous apprend quels rayons d'ombre et de clart6 les osuvres walionnes 
projettent au fond cultiv6 d'une ame latine. 

Ses paroles sont instructives et encourageantes : elles seront les bien- 
entendues parmi les fervents d'un art wallon. 

bcrnand Mallieux. 
NOS SOCIETIES 



Le cinquantenaire de l'Academie wallonne. — La Soeiele Liegeoise 
de Litteralure wallonne a celebr6 r6cemment le cinquantenaire de sa 
fondation, et rien ne fut plus reconfortant que ces fetes, ou, pleine de 
reconnaissance joyeuse, la nouvelle generation fit le bilan de ce que cette 
ancienne et toujours jeune Academie fit pour la literature dialectale et 
Tetud^ scientiflque des parlers romans de Belgique. 

Pr6sid6e avec autoritG par M. Nicolas Lequarre, professeur 6m6rite de 
l'Universite de Liege, la seance academique, suivie du banquet de rigueur, 
avait amene a Liege de tous les coins du pays les fldeles amis du vieux 
langage. L'entrain et la cordiality wallonne eurent vraiment beau jeu de 
se manifester; et ces noces d'or furent aussi gaies que le plus joyeux 
des baptemes ! 

G'est qu'on fetait vraiment une sante epanouie, et plus encore le 
renouveau moral d'une association celebre qui va continuer son ceuvre avec 
une conscience meilleure et des forces renouveiees. 

Au cours de ces fetes jubilai res, on rappela I'etat d'esprit des premieres 
annees oft, dans des seances memorables, le philologue Grandgagnage 
venait definir les intentions patriotiques des fondateurs de la Societe; ou le 
Secretaire, prenant apres lui la parole, sentait le besoin d'insister encore 
sur la sincerity de leurs intentions a regard du francais, a regard des 
Flamands, au sujet de l'unite beige et de l'union nationale; ou Imminent 
professeur Jean Stegiier, Flamand de race et fldele a ses freres, venait a 
son tour montrer la valeur sociale du r6veil des patois, pronon^ant meme 
avec une sympatbie bien marquee les mots singuliersde Decentralisation et 
de Regionalisme... 

II y a soixante ans, un renouveau de la Litterature wallonne cut 
semble impossible. Liege comptait bien quelques rimeurs : il y avait des 
chansonniers de verve, des faiseurs de pasquet/es et des conteurs de 
colibeles. II n'y avait pas de poetes, et le Le<jiz-me plover, de Nicolas Defre- 
cheux, dont la popularite restait enorme, etait une ileur isolee. 

Un 6venement se produisit qui soudain reveilla l'attention gen6rale* 



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Cliche dc Vlllustri Walton. Aug. l!£.vwtD, editeur, Liege. 

M. Nicolas LEQUARRE 

President do la Societe lie^coise do Litterature wallonne. 



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HS WALLONIA 

Une societ6 de faubourg, en vue d'agrementer des rejouissances offi- 
cielles, eut l'idee saugrenue d'organiser un concours pour i'invention de 
chants wallons. Kile reunit en jury les quelques hommes qui lui semblaient 
accorder encore quelque attention au wallon, et ce .jury, a son grand 
6tonnement, se trouva en presence d'une oeuvre merveilleuse, ie ravissant 
cramignon de Defrecheux, Uavez-oe veyou passer. Le resultat, bien 
inattendu, eut quelque chose de foudroyant. C'est le peuple tout entier 
qui s'enflamma pour ce chef-d'oeuvre, et il l'adopta comme il avait adopte 
Leijiz-me plover, avec un enthousiasme instinctif, dont apres cinquante 
annees on peut constater l'inebranlable fldelite. 

Quelques semaines plus tard, des notables se reunirent et prirent a 
tache de favoriser et diriger le mouvement irresistible dont ils sentaient 
et appreciaient le caractere et la valeur ethniques. 

La gravite qu'ils apporterent a fixer le but et r^gier les travaux de 
l'association nouvelle dut faire sourire bien des gens serieux. Ils reunis- 
saient cependant «16s le premier jour des personnalites marquantes en une 
alliance solide. 

On y voyait fraterniser le cure Duvivier et Bailleux, franc macon 
notoire; i'austere Grandgagnage et le delicat Defrecheux, les chansonniers 
Le Roy et Picard, Tun professeur a l'Univcrsite, l'autre juge au tribunal 
de Li£ge ; le bibliophile Ulysse Capitaine et le joyeux Dehin, le notaire 
Dejardin et ie bijoutier Hock, et d'autres encore r6pandus dans ce qu'on 
appelait alors la bonne societe. 

Le but de ces bourgeois etait de favoriser la saine litterature populaire 
en wallon local. Ils etaient bien loin de penser que leur societe * liegeoise» 
ne tarderait pas a voir la culture du patois s'etendre petit a petit pour 
atteindre a present les confins du pays et le fond des villages! 

Autour de ces premiers fideles se r6unirent bientot une bonne centaine 
de membres. Ge nombre devait s'accroitre les ann6es suivantes dans des 
proportions considerables. C'est que, organisee sur des bases solides, la 
Society fit eclore, des ses debuts, les bonnes fees aidant, des oeuvres tout- 
a-fait remarquahles, dont la valeur en general n'a guere perdu depuis un 
demi-si&cle. 

C'est par voie de concours que la Societe entendait recueillir les 
memoires et les oeuvres litteraires destinies a alimenter ses publications, et 
ce systeme ties commode n'a cess6 de lui reussir jusqu'a present. Ces 
concours, relatifs a la phiiologie et a la Litterature, embrasserent constam- 
ment tous les genres de sujets, et ils ne cessent d'etre suivis par un nombreux 
public de concurrents divers. En 1906, les jurys de la Soci6te ont et6 
appeles a apprecier les merites de 150 oeuvres, envoyees de tous les coins 
de la Wallonie. 

Tous les deux ans, dans une fete agrementee d'une partie litteraire et 
dramatique, la Societ6 proc^de a la distribution des recompenses, et Ton 
peut alors voir chaque fois une assemblee nombreuse et melee, ou les 
autorites publiques ne sont pas rares, applaudir avec un egal entrain des 
ouvriers poetes et des savants de marque. 



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WALLONIA 39 

L'ceuvre de la Society fut de tout temps scientifique et litteraire. 
Aucune association de l'espece, meme parrni les plus richement dot£es, ne 
peut off pi r comme elle une soixantaine de Vocabulaires technologiques et de 
Glossaipes locaux ou regionaux. Le Diclionnaire des Spots ou proverbes 
wallons de Dejardin, publie en 1861 et dont une seconde Edition en 
2 volumes de 500 pages parut en 1891-1892 ; les ouvrages de M. Albin Body, 
de M. Isidore Dory, de M. Charles Semertier, pour ne citer que ceux-la, 
comptent parmi les plus considerables et les meilleurs. Un Recueil d'airs de 
crdmignons paru en 1889 avec les chansons laborieusement reconstitutes, est 
encore le seul ouvrage important consacreaux chants populairesdeWallonie. 

Nous ne pouvons songer a resumer lVeuvre feconde de la Soci6t6. Tout 
ce que le pays corapte de poetes de talent et d'£crivains y a collabore\ et il 
n'est aucune literature en dialecte dont la production soit aussi etendue et 
vari£e que celle de notre Literature wallonne. 

Les premiers succes de notoriete, assures a la Societe par une com6die, 
Li Galant del siervanle d'Andrg Delciief, qu'elle mit aujour des sa pre- 
miere ann£e, et qui fut Toccasion pour le theatre wallon d'un r6veil 
inattendu et deflnitif; ces premiers succes eurent leur correspondance en 
1886, ann6e ou la Society eut la bonne fortune de couronner la c61ebre 
piece d'Edouard Remouchamps, Tali C Pernqiu. Mais c'est a partir de 1890, 
qu'elle vit s'accentuer ses progres deflniti fs. 

En 1894, sous le ministere de Burlet, elle faillit 6tre erigee en Aca- 
d6mie. La majorite de ses membres hesita a accepter cet honneur. Ge fut la 
derniere crise. 

Bientot la Sociele, de plus en plus consciente du role important qu'il 
lui appartenait de prendre, s'adjoignit des deiegues des prineipales regions 
de la Wallonie, et le nombre de ses membres titulaires fut ainsi porte de 
30 a 40. Un peu plus tard, une des places tenues par les Liegeois au sein de 
ses conseils fut devolue a M. Nicolas Pietkin, representant la Wallonie 
prussienne. 

En meme temps, la Societe renforcait son contingent d'hommes de 
science, et prenait, en s'adjoignant divers £crivains dramatiques et poetes, 
un contact plus direct avec la masse des auteurs. 

D£sormais, elle pouvait de nouveau pr£tendre au role d'organisme direc- 
teur qu'elle avait a T6poque ou elle £tait seule capable de consacrer les 
gloires locales et les succes de la scene. Les occasions n'allaient pas lui 
manquer de prendre des initiatives g6n£rales. 

La question de Torthographe, dont les difflciles problemes avaient 6t6 
fort diversement et fort vilainement r6solus jusqu'alors, se posa dans toute 
son 6tendue, pour un examen definitif, le jour ou la Society reprit Tancien 
projet d'un Dictionnaire wallon. 

Elle eut la chance de voir soumettre a son jury un projet singulierement 
pratique, et qui n'etait plus seulement relatif au dialecte liegeois ou a tel 
autre, comme il s'en etait publie quelques-uns jusqu'alors, mais qui, base 
sur une connaissance approfondie de la phonetique du Wallon, tenait 
compte au contraire de toutes les variations dialectales, et prevoyait pour 



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40 WALLONlA 

ehaque problemcune solution tenant compte des difficultestheoriqueset pra- 
tiques. Ge projet, du a M. Feller, fut encore, par exces de serupule,€ sou mis 
a l'avis des auteurs » dans une consultation generale que la Society eut le bon 
esprit d'organiser. L'auteur fit toutes les concessions justifiables, et son 
systeme, deftnitivement arrete, est aujourd'hui suivi dans toute la Wallonie. 
En 1904, parait le Projet de Dic(io?t?iaire general de fa Langue 
icallonne. Ge travail, qui montre deja la richesse des materiaux accumuies, 
et qui donne une idee de la competence philologique de ses auteurs, est 
favorablement accuHlli dans le pays et a retranger. La Societe deiegue ses 
pouvoirs a trois de ses membres pour l'eiaboration definitive du Diction- 
naire. Elle vote les importants credits necessaires aux premiers travaux. 
Elle cree une publication speciale destined a favoriser les enquetes dialec- 
tologiques. La Commission se met a l'oeuvre. Sans relache, elle entretient 
le feu sacre de ses correspondants dissemin6s dans tous les coins de la 
Wallonie. Cette Commission est composee de MM. Auguste Doutrepont, 
professeur de philologie romane a l'Universite de Liege; Jules Feller, 
professeur a I'Atlienee de Verviers; Jean Haust, professeur a TAth^nee 
de Liege. Elle a recueiili et classed a cette heure plus de 80.000 fiches. 

En meme temps, un autre groupe de membres s'occupe de r^unir les 
elements de la Bibliographie generate de la Litterature wallonne, travail 
considerable dont Feiaboration est rendue possible par la catalogation 
scientiflque de la riche bibliotheque que possede la Soci£t6. 

La situation actuelle de la Societe est des plus brillantes. Elle compte 
600 membres et pres de 250 correspondants. Ses concours sont parfaitement 
suivis; ses publications aussi remarquables qu'abondantes sont excellem- 
ment editees. Ses cadres administratifsassurent a ses diflerents services un 
fonctionnement parfait. 

Son ujuvre generate est plus que jamais exactement definie. Etendant 
peu a peu ses relations et assurant sa competence, elle dirige le mouvement 
litteraire en dialecte et elle centralise les recherches philologiques relatives 
aux parlers romans de Belgique. A cet organisme puissant et competent 
revient aussi Thonneur d'une tache pr6par6e au cours d'un demi-si&cle par 
tout ce que la Wallonie compta de wallonistes. 

Nous avons la conviction qu'elle ne faillira pas a ses devoirs multiples. 
Elle est armee pour y satisfaire. Jamais son activite n'a ete aussi grande. 

Encore faut-il que I'utilite publique de certaines de ses entreprises soit 
largement reconnue. 

II n'est pas dans les possibility d'une association quelconque de r£a- 
liser, par exemple, le Dictumnaire dont celle ci prepare la publication. 

C'est la une oeuvre nationale, que les pouvoirs publics a tous les degres 
ont pour devoir de favoriser par un patronage effectif. 

Ce patronage ne se fit pas attendre pour lYeuvre, nationale aussi, du 
Dictionnaire flamand qui se publie en Hollande. 

II ne manquera pas plus longtemps, nous en sommes convaincu, aux 
Beiges du Sud et a leur entreprise. 

Oscar Colson. 



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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a l'Universite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a TEcole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a l'Athen6e 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Literature francaise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof, a runiversite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
1'Athenee, Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a l'Universite de Li£ge; 
Charles Gheude, prof, a lTJniversite nouvelle, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a l'Athenee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; F6lix Magnette, prof, a l'Athenee royal de Liege; Fernand 
Mallieux, prof, a l'Universite libre de Bruxelles ; A. Marechal, prof, a 
TAth6n6e royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a l'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneche. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; D. Brouwers, conservateur 
des Archives de l'Etat a Namar ; A. Garlot, attache aux Archives de l'Etat a 
Mons ; Albert Delstanche, attache a la Biblioth&que royale de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Fairon, conservateur-adjoint des Archives de 
l'Etat a Li£ge ; Oscar Grojean, attache a la Biblioth&que royale de Belgique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Biblioth&que publique de Mons ; Adrien 
Oger, conservateur du Musee archeologique et de la Bibiioth&que publique 
de Namur ; Victor Tourneur, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Musee archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache, archeologue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lers, president du «Cercle archeologique » de Mons; Justin Ernotte, 
archeologue a Donstiennes-Thuillies ; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice 
des Ombiaux, Louis Dumont-Wilden, Camille Lemonnier, Edouard Ned, 
Georges Willame, litterateurs a Bruxelles; Charles Delchevalerie, Emile 
Elan, Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a 
Liege: Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a 
Paris; Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur 
a Charieroi ; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du « Club wallon », Malm^dy ; Joseph 
Hens, auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jacquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille ; Jean Roger, president de V « Association des 
Auteurs dramatiques et Chansonniers wallons », a Li£ge ; Henri Simon, 
Joseph Vrindts, auteurs wallons a Li£ge; Jules Vandereuse, auteur 
wallon a Berz6e. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Mus6e instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles ; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, dessinateur, a Paris ; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a l'Academie royale des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege ; Paul Jaspar, archi- 
tecte a Liege; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Li£ge; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton ; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Li6ge ; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles ; Gustave Serrurier, 
ingenieur d6corateur, Li£ge. 

MM. Y. Danet des Longrais, g6nealogiste-h6raldiste, a Liege ; Pierre 
Delta we, publiciste, a Li6ge ; Albert Neuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt ; Ernest Sente, photographe a Li6ge ; 
Oscar Colson, folkioriste, etc. 



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XV™ ann6e. — N° 2. Fevrier 1907 



SOMMAIRE 

Jules Sottiaux et « l'Originalite wallonne», par M. Edouard NED. — 

Avec portrait et bibliographic 
Litterature de chez nous : Walla, par M. Jules SOTTIAUX. 

CHRONIQUE WALLONNE 

La nouvelle Biblioth6que publique de Liege, par 

M. Oscar GOLSON. 
Lettres wallonnes. Ecrits icallons de Francois Renkin, 

par M. Henry ODEKERKE. 
Histoire. Annates du Cevcle archeologique de Mons, 

par M. Armand CARLOT. 
Les Wallons dans PHistoire. La Siderurgie et tes 

[Vat tons, d'apr&s M. Georges de LAVELEYE. 



BUREAUX : 
LltGE, -lO, RUE HENKART 



Un an : Belgique, 6 francs. — Etranger : 7 fr. 50. — Ge n° 0-75 
La Revue parait chaque mois, sauf en aout. 



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Sommaire du numero de Janvier : 

Une «Ecole» d'art en Wallonie, par M. Charles DIDIER. — Avec 

10 illustrations. 
Les Croix banales a l'6glise collegiale de Fosses, par M. DD. BROU- 

WEHS. 
Histoire du Compare Cwanecu et du village d'On en Famenne, 

conte populaire recueilli par M. Isi COLLIN. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Art moderne : Ouvrage de M. L. Rizzardi. par 

M. Fernand MALLIEUX. 
Nos Society : Le cinquantenaire de l'Acad6mie wal 

lonne, par M. Oscar COLSON. — Avec 1 portrait. 



Sommaire du numero de decern bre : 

Litterateurs francais de Wallonie : Hubert Stiernet, par Hubert 

KRA1NS. — Avec 1 portrait et Bibliographic 
Les Medailleurs au Pays de Liege (quatrieme article), par Victor 

TOURNEUR. — Avec 9 gravures. 
Les Sortileges et Mal6fices dans la tradition populaire wallonne 

actuelle (suite), par Oscar COLSON. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Les Wallons dans l'histoire, par Emile ELAN. 
Lettres francaises, par Arthur DAXHELET. 
Histoire, par Emile FAIRON, 0. COLSON et Fernand 
MALLIEUX. 



Sommaire du numero de novembre : 

Lucien Maubeuge, po£te wallon liegeois, par Olympe GILBART. 
Les Medailleurs au Pays de Li6ge (troisieme article), par Victor 

TOURNEUR. - Avec 12 gravures. 
M. Leopold Devillers et le Cercle archeologique de Mons, par 

Armand CARLOT. — Avec 1 portrait. 
Literature de chez nous : La Louange de la Terre, poeme, par 

Edouard NED. 

CHRONIQUE WALLONNE 

La Question de PAcad6mie, par Oscar GROJEAN. 
Notre Pays, par Fernand MALLIEUX et Pierre 

WUILLE. 
Folklore, par Oscar COLSON. 
Art moderne, |par Pol NEVEUX]. — La Wallonie, 

gravure hors texte de Armand RASSENFOSSE. 
Faits divers. 
Ouvrages recus. 



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Jules Sottiaux 

et " rOriginalite wallonne ,, 



J'ai garde le souvenir d'une visite que je fis a Sottiaux, il y a 
quelques ann6es, dans son charmant castel de Montigny-le-Tilleul. 

Je ne sais plus a quelle occasion un cercle important de Gharleroi 
m'avait demande une conference litteraire. Je devais la donner un 
dimanehe soir. A peine avais-je accepts, que je regus un mot du 
charmant poete du Pays noir : « Venez done dejeuner dimanche 
avec moi. Nous passerons Tapres-midi ensemble, et nous lirons des 
vers. » Nous nous connaissions seulement par ce que nous avions lu 
Tun de l'autre. J'avais admir£ Tardeur lyrique et la probite arlistique 
de ses Confhis hoises* de V effort du sol natal. J'aimais en lui cette 
volonte affirmee de chanter son pays natal, d'eveiller sur les terrils 
noirs et dans le vol sombre des fumees n 11 tense po£sie de la douleur 
et du travail. 

Je fus done a Montigny-le-Tilleul. J'y trouvai, dans un delicicux 
paysage de verdure — coin d'idylle au milieu des regions tragiques 
— un poete et un Wallon enthousiaste. Ce fat charmant. M. Paulin 
Brogneaux, un voisin de campagne, s'etait joint a nous. Et pendant 
des heures, la flam me du Bourgogne aidant, nous clamames des 
repertoires de vers. Nous etions trois bons Wallons, heureux de vivre 
etde chanter. Sur le visage expressif de Sottiaux, sur son front deja 
un pen denude et qui se plissait sous la tension de l'esprit, passait 
le grand souffle de Inspiration. 

Dieu me pardonne! j'avais presque oublie ma conference. 

Nous avions parle poesie. La conversation tourna. Nous parlames 
regionalisme, decentralisation, Wallonie. II me semble encore 
entendre la vigoureuse profession de foi du poete des houilleres : 

« Je suis Wallon. Je veux me relier a mes ancetres wallons, 
» etudier le sol meme ou je suis ne, scruter la penombre de mes 
» origines; je veux vibrer avec ferveur, avec tout ce qui a vibr^dans 



Tome XV, u° 



Fcvirer 11X)7 



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42 WALLONIA 

> la suite des ages dans ma douce Wallonie. Ainsi seulement je serai 
» vrai dans mon art. Mon chant se melera aux musiques de mon 
» pays, sans disaccord; ce sera une note de plus, mais une note qui 
» s'harmonisera avec les nut res. » 

Et le poete scandait ses phrases en vigoureuses affirmations. 

— Si nous reprenions une bouteille de Pommard? ajoutait-il. 

Et en cela aussi, il allirmait le respect de ses origines. 

Je me suis sou vent rappele les joyeux propos de cette apres-midi. 
Je me les suis rappeles en ecrivant En pays Gaumet, oil je fis 
moi-meme une profession de foi a pen pres pareille. 

Depuis, Sottiaux ne cessa dYnlilier son ueuvre. Son dranie lyri(iue 
Vame des notres procede de la meme pensee, de la nieine volonle de 
glorifier son' terroir. J'imagine que La bcaute triomphanle, qui nous 
est promise pour bientot, sera une sorte de couronnement ri'une 
oeuvre originate et somptueuse. 

En attendant, le poete est devenu critique, historien, ethnologue. 
Cette ame'wallonne qu'il chante dans ses vers, il a voulu la connailre 
et la fa'ire connaitre dans srs caracteres les plus subtils et les plus 
secrets. Cela nous a valu un livre considerable : I/onginallte 
wallonne, sorte' de bible de notre sensibility etude interessante, 
analyse : complexe de notre aine. Travail important, qu'il importe 
d'examiner avec attention. Examinons done et suivons pas a pas 
1'auteur daiis ses peregrinations. 

Certes, Sottiaux n'a pas tout a fait tort lors([ue, remontant 
jusqu'aux tenebres de la prehistoire et aux premieres lueurs du 
jeune moyeh-age,- il fait de nous des Celto-Germains romanises. 

Je crois cependaht qu'il accorde, dans Telucidation do notre 
caractere etbnique, trop d'importance a l'element germain. 

Sans doute, 1 par l : el!'et des successive* invasions, il s'est produit 
une infiltration germanique dans la population eelt-e de nos provinces. 
Mais; com'nieil arrive toujours, les barbares venus du Nord out ete 
completeme'nt absorbes par la race plus cultivee dont ils avaient 
passi'rles frontieres: La*civilisation a vaincu la force. Les vainqueurs, 
en petit nombre d'ailleurs, eu egard au nombre des vaincu's, ont ete 
conquis a leur tour par ceux qu'ils avaient conquis. Les caracteres 
des types germaniques ont peu a peu disparu dans les descendants des 
envahisseurs. 

Je pre fere, pour ma part, Topinion de M. Julien Fraipont, 
professeur a TUniversite de Liege, qui, parlant de nos origines au 
Congres wallon de 19()5, disait : 

« Les descendants des Brachycephales neolithiques out mieux 



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WALLONIA 43 

» resists en Wallonio quo dans le roste du pays, a Tinliuence des 
» euvahissours du typo germanique, grace a la topograph ie meme de 
» la region, et malgre le long contact des Francs dans la vallee de la 

> Meuse et de ses aliiuents. 11 y eut la jn.rta position et moins de 

> melange. » 

II me soluble bieu que Sottiatjx a etc hypnotise par des 
allirmations recentes d'homnios tres savants ou tres poetes. Quoi qu'il 
en soit, ce premier chapitre commando tout le livre ; Tauteur 
severtuera constamment a prouver sa these : nous sommes un 
melange de Geltes et de Germains. 



Ces reserves faites, mo voiei a Taise pour louer la belle etude 
critique, loyale et impartiale, de notre litterature. Avec Tanalyste, 
nous explorons les tchrnisons du Hainaut, les pasqueyes de Liege, les 
romances de Namur, les faures du Borinage, le tresor du theatre en 
dialocte. 

Nous vibrons avec nos musiciens. nos peintres. nos sculpteurs. 
Nous nous exaltons au souvenir de tons nos ecrivains francais de 



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44 WALLONIA 

race wallonne, dont. l'oeuvre fleurit, nourrie de la bonne seve du 
terroir. 

« Ah! la belle oeuvre de chez nous! Fleur dont les racines 
» montent du cceur meme du terroir, et qui brille dans la corbeille 
» delectieuse que noire epoque de renaissance offre a la Terre notre. » 

Et c'est veritablement unc grande joie qui nous est donnee de 
constater ce renouveau d'art en Wallonie. 

« La douce Wallonie, disais-je dans En pays Ga timet, dont deja 
la musique a chante la ligue harmonieuse, s'eveille d'une lethargie 
doree. Son cumit bat dans des livres fremissants. Ses forets et ses 
rochers, ses aubes laiteuses et roses dans les vallees, ses crepuscules 
mauves sur les montagnes, ses titans du fer et de la houille, ses 
i-eveurs des champs et des bois out trouve des interpretes attendris. 
lis out regard e en eux-memes et cette vision interieure etait douce 
com me, apres des plcurs, les yeux souriants d'une femnie. > 

Que Sottiaux, poursuivant son etude, nous niontre Tesprit 
wallon, gouailleur et verveux; qu'il determine la morale wallonne, 
quelque peu rabelaisienne et souriante ; qu'il caract6rise notre 
folklore, dont Wallonia recueille avec une heureuse Constance les 
elements si naivementattachants, noussommes charmes de le suivre, 
de meltre nos pas dans ses pas, de nous edifier sur nous-memes. 

Knlin, dans une suite de courtes monographies. Sottiaux 
s 'applique a decouvrir la psychologie de nos villes. Sans doute, il y a 
des oublis. A cote de « Jean de Nivelles», j'aurais voulu voir son 
joyeux frere du pays de Virton, le facetieux Jean de Mddy. Mais que 
de surprises agreables d6ja! Que de choses iguorees ou peu connues ! 
Que de subtilcs notations de vie vraie et de sensibilite diverse ! 

Le livre de Sottiaux est un bon et beau livre. Si Ton vous dit 
qu'il est un peu touH'u, que l'absence de table de matieres rend 
dilliciles les recherches qu'ou voudrait y (aire, que, encore qu'edite 
par « 1' Edition artislique » (!), les editeurs n'ont pas apporte assez de 
soin a la materialitc du livre, j'en conviendrai volontiers. Je ne vous 
en dirai pas moins que vous devez le possedei* dans votre bibliotheque 
en bonne place. 

Car il est le resultat d'un eflbrt considerable, et toute la 
Wallonie. avec son reve, avec sa joie, avec sa vie, y chante sa belle 
chanson. 

Edouard NED. 




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WALLONIA 40 

Bibliographic 

SOTTIATX, Julks. Ne a i\lontigny-le-Tilleul, le (> mars 1862. 
1. — Ouvrages : 

POESIE 

1892. — Roses dWtUomne. Gbarleroi, Tourneur-Scbmitz, 1 vol. in-8° 
(13 X 20), 1 10 p. Prix : 2 fi\ 50. 

La Tkrre Noire : 
1896. — La Poesie de la Houillere. Gbarleroi, Gobbe. 1 vol. in-8" 

(13 X 19), 82 p. Prix : 1 fi\ [Epuise.| 
1898. — Con/Ins boises. Namur, Jacques Godenne. 1 vol. in-8° 

(11 X20), 116 p. Prix : 2 fr. 

1901. — U Effort dtc Sol Natal, avec deux reproductions de Constantin 
Meuxier et le portrait de IWutefr. Namur, Jacques Godeime ; 
Bruxelles, Sehepens et G le . 1 vol. in-8° (12 V* X 20), l;W)p. Prix : 
2 fr. 50. 

1902. — Le ram an de Jack, roman lyrique, musique de Pauliu Mar- 
chand. Execute a Marchiemies en 1902, et a Charleroi en 11)07. 

1904. — L Ante des Notres, poeme dramatique. Illustrations de 
Marius Renard et Cbarles Watelet. Bruxelles, Schepens el C ie . 
1 vol. in-8" (13 x 21), 250 p. Prix : 3 fr. 

PROSE. 

1906. — L'Orujinalife Wallonne. Paris-Liege, «rKdition artistique*. 
i vol. in 8°* (12 X 18), 428 p. Prix : 3 fr. 50. 

2. — Collaboration : 

Le Libre-JournaL Moiis, 1801-95 : Poemes. 

Le \fagasui Litteraire, Gaud, 1890 : Poeme. 

La Rente des Gens de Lettres Beiges, Tournai, 1900-1903 : Poemes, 

critique litteraire. 
Le Samedi, Bruxelles, 1901 : Poemes. 
La Jeune Wallonie, Gbarleroi, 1905 : Poemes, nou voiles, critique 

litteraire. 
Le Florilege, Anvers, 1905 : Poemes. 
Le Pays Walton, Gbarleroi, journal quotidien, 1900 et suivantes : 

Critique litteraire. 
Li Coq d\itrous\ Gbarleroi, journal patois, 1905 : Portraits, contes, 

etudes, pseudonyme : Walloueu. 
La Belgium, Paris, 1905 : Etudes. 
Le Jeune Effort, Bruxelles, 1905 : Poemes. 



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LITTERATURE DE CHEZ NOUS 



Walla 



(1) 



I. 



x vrai Wallon, m' li Remy, doit etre foil de sa Wal- 
lonie! N'est-elle pas la mere de sa race, le sang de 
sa chair, la vie de sa vie; n'est-elle pas le miroir oil 
se reilete Fame de nos morts, nos vieux « tayons » 
enterres sous nos pas ! 

» A voir tourner en rondes, dans le vent, la 
poussiere de nos routes, il doit se dire : « C'est la 
cendre des anciens qui nionte en couroniie au-dcssus de nos eam- 
pagnes et de nos villages*. A seutir les parfums savourcux du matin, 
il doit se dire encore : « Si les Heurs de nos prairies et de nos hois 
sont si fraiches et les moissons si belles, c'est qu' elles grandissent sur 
la terre wallonne malaxee dans la sueur et le sang des ancetres ». 

» Et alors, Remy, a bouche pleine, halctant dans cette filial! te 
avec les morts, il doit aspirer Pair natal a s'en souler ! 

» Pour finir, n' don Remy, il Taut se sentir trembler en pensant 
a ces choses, conime si des lils magnifiques rattachaient nos aines a 
l'ame de toute la race ! » 

Apres cette communion exacerbee on vibrait tout son etre, Polyte 
Dieu, de ?a voix de basse qui scniblait, elle aussi. nionter du coourde 
la terre natale, entonna son dernier couplet wallon. 

Toute la Taille Argentine en elait remplie: l'echo le repetait au 

(1) Afln d'etre plus pies du e<eur de la Wallonie, rauteur a ecrit d'abord ce 
petit roman en dialecte. Ces pa^es nc sunt qu'une traduction presque litterale. 



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WALLONIA /Li 

loin, on eut dit que les Ames des morts se le criaient rune a Fautre, 
jusqu'aux deux bouts de la Terre-Notre : 

Camaradc, aime eV Wallonie 

Pus que V ric ; 
En Verwetant, dis-li souHnt : 

Df ms aime bin! 

Polyte Dieu vivait, sur la Taille Argentine, a une bonne lieue de 
Charlepoi, avec son enfant unique, unojeune fille de dix-huit ans, 
qu'il appelait Walla par amour pour la terre wallonue. 

Sa fern me s'en 6tait allee dormir, la-bas, au Petit Champ, sous 
une sapinette. Elle avait gagne chaud et froid, une toux plus profonde 
a mesure avait creuse sa poitrine, des germes de mort s'etaient 
glisses dans le creux, et, un soir, elle expirait en pressant sa 
mignonne Walla contre elle com me pour rattacher sa vie qui fuyait, 
a celle de l'cnfant qui poussait. 

Remy ne goutait jamais plus de bonheur qui cot6 de sa petite 
Walla. 

Elle lui semblait belle comme la Vierge qui, avec sa couronne 
de cuivre dore aureolant sa tete, montre le ciol du doigt, a l'eglise. 
(Test qu'elle etait vraiment jolie avec ses yeux de reve couleur 
(Vallesse mure; ses cheveux sombres enroules en gradins sur la 
nuque, et piques d'un peigne de nacre on brillait une veinure de 
similor. Ses joues rappelaient la fraiche poseur d'une pom me de 
belle-fleur; sa Louche cascadaii sans cesse; elle avait une taille pour 
sur pas plus epaisse que celle de la Vierge de Michel-Ange ; et une 
d-marche, mon fi, a vous fa ire retourner taut qu'on pouvait la voir 
sur la pied-sente. 

Et bonne, avec cela, bonne comme une poire de Durondeau qui 
giele entre les dents. 

Quand elle chantait Uarez-re reifou passer ? . que Polyte lui avait 
apprise, il semblait a Remy qu'il reniflait des inuguels et qu'il 
mangeait des fraises; et il regardait au ciel comme si la chanson 
s'en fut descendue non des l&vres de la jeune fille, mais du pays des 
Anges. 

Le plus beau du jeu, e'est que Walla, elle aussi, voyait Remy 
dans Teau"; si bien que, lorsqu'il rentrait tard et qu'il ne pouvait 
aller chez elle, a la soiree, elle jetait son tricot sur le vieux dressoir 
ou s'etalait une galerie de porcelaine de Tournay, et s'asseyait sur le 
seuil toute songeuse. 



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48 WALLONIA 

Et Polyte Dieu pensait : La voil& toute « esbarteye » parc<> (pie 
Remy n'a pu venir « al chije ». 

Pourtant, la maison n'etait jamais vide. 

Polyte ohantait de si belles chansons wallonnes, il racontait de 
si curieuses histoires sur les coperes, les sotais et les sorcieres, qu'on 
l'aurait ecoute cinq heures d'borloge sans bailler. 

II connaissait not re Wallonie au bout de ses doigts : ses paysages, 
son folklore, ses artistes. II lisait le vieil «armonaque» de Mons, qu'il 
conservait comme une relique. II parlait des iils de la Wallonie 
dont la filialite conserve, par les oeuvres, l'ethnologie de la race; et 
sa joie native salimentait au contact de nos dramaturges. 

Parfois, il jouait un vaudeville wallon tout seul, donnant a 
chaque role son intonation et sa part de vie. Alors, les voisins 
accouraient comme a la fete, si bien que la maison etait trop petite 
et que la Taille Argentine s'emplissait du rire haut et clair des 
femmes et des grosses esclaffades des hommes. 

II avait des noms et des noms })lein la tete — des cbarretees, 
comme disait le metayer Bertin, le chef corneur qui, lorsqu'une 
femme abandonnait son bom me dans une heure de folie ou de 
querelle, organisait de sauvages fanfares pour- celebrer le retour de 
la belle. 

Ces copereries, ces farces, cette science gaie, il les melait a des 
mots wallons verveux et pittoresques, a des couplets ironiques et 
joyeux comme la race. Des saillies fusaient, etincelaient, s'epandaient 
comme d'une vanne de joie et de clarte. 

A ce moment, Polyte Dieu apparaissait comme le symbole du 
peuple wallon. A le voir nerveux, mobile, l'ossature accusee, les 
yeux et les cheveux brims comme ceux de Walla ; a le voir toujours 
dispose a rire, toujours le premier pour rend re service, pour fa ire la 
causette, « couyonner>, lacher une reflexion luronne, puis soudain 
s'abandonner et vaguer du regard parmi le ciel natal au sou rire gaze 
d'une fine bruine, on comprenait que c'etait un Wallon pur sang, 
comme le premier Wallon que le bon Dieu placa sur la Terre-Notre. 
Ainsi, il semblait qu'il avait toujours vrcu, et qu'il 6tait Tancvtre, 
le pere des aieux, venu du fond d(»s ages et portant en lui lame 
de la race harmonieusemeht elaboree au milieu des seves fecondes 
du terroir. 

Le peuple sentait en lui d'atavi([ues influences, il le respectait 
en Taimant. 

Polyte Dieu, disait-ou, rest un Wallon qui porle la Wallonie 
aplaquee a ses yeux; il la voit sans cesse, qu'il les ferine, ou qu'il 
les oil v re ! 



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WALLONIA 



W 



Pros do lui, il semhlait que le vent clianlait un air du pays; que 
le ruisseau, en zigzaguant autour du sentier, contait pour les fleurs 
et les mouches d'or, des fauves naives du vieux temps; ([lie le coucou, 
au fond des bois de Tabbay^ d'Aulne, criait : Wallon, Wallon ! etque 
la caille, dans ses six notes follettes : eaille, caillette, caille, 
caillette ! repetait pour celui qui voulait le comppendre : « J'ainic la 
Wallonie! » 

Pres de lui, tout parlait d'elle parce qu'elle prenait toute pensee, 
toutamoup; on eut dit que les mols Wallons, Wallonie, devenaient 
des ppalines du pa pad is sup ses levres. 

Polyte Dieu, dans ces moments-la, etait plus grand que les 
chenes du bois de l'Abbaye. II vous eut fait mettre a genoux sup 
la teppe natale, ce diable d'homme, et en poptep a vos levpes tout 
pame d amour. 

II. 

La Taille Argentine laisse, derriere elle, du cote de la Fiance, 
les villages de Oozee, de Marbais-la-Tour et d'Ham-Mir-IIeure caches 
aux pentes des « tiennes » ; au couchant, les bois de l'abbaye d'Aulne 
masses autour des mines; a droite, l'Eau-d Heme glissant au has des 
courtes montagnes de l'Entre-Sambpe-et-Meuse; et, au nonl, le pays 
de Charlepoi. (Test le plus beau coin du Hainaut. Dans aucuue 
region peut-etre, la dissimilitude des idylliques paysa.ues et delepopee 
titanesque du labeur industriel n'est plus emouvante. 

De la, la sublime fpesque oil vit et chaute reflbrl wallon, se 
detache sup un avant-plan de rochers et de bosquets harnionisant, 
dans leur dualite, nos deux Wallonies. 

Nulle part, la po£sie tragique et dantesque ne cotoie la grace 
virgilienne avec moins de heuits dans les tonaliti's. Cest une 
stereoscopie grandiose placee a point devant les regards pour fond re, 
dans de la beaute, la contradiction tumultueuse des aspects les plus 
discords. 

La, en face, sur un espace de cinq lieues, le Pays Noir elale la 
grisaille de ses terrils superposant leur rigid ite desolee de corons a 
corons, jusqu'aux petites villes de Nivelles et de Fleurus. Et Ton 
evoque cet autre mamelon du Mont-Saint-Jean qui, de la plaine, les 
regarde. Symboles de la vie Tun et lautre, la vie faite de batailles, 
de douleups saignantes et d'instabililc, mais que red'ort et la lutte 
embellissent comnie un sommet dans la clarte. 

La, devant vous, les fumees blanches, sombres et cuivpees. 
llottent en mop opaque ourlee de soleil on surnage la crotc des 
terrils; et Timagination est si confondue qu'elle recule au fond des 



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50 WALLONIA 

ages primitifs, dans des visions de monsti'es antediluviens dormant 
sur des mers de silence. 

La nuit, des coulees de flammes s'ejaeulent on gerbes fugaces. 
Des reflecteurs se devinent, tra^ant dans l'immensite molle des 
chemins de clarte a une fuite vague de Hottilles. 

Puis de sourds grondements montent don ne sait d'ou; des 
embrasements s'etendent en voie lactee : on dirait que Ten fer s'est 
eobappe par toutes les bures, et que les demons, en s'agriil'ant aux 
images, les font flamber et so dissoudre. 

Des oris de sirenes s'eteignent en plaintes; les ebeminees semblent 
des hanipes immenses ou flottent des drapeaux flamboyants: des 
sillons d'ombre brulont com me dans une trouee de boulets rouges. 

Cost la bataille pour le pain, la sombre et brulante bataille de 
nos ages, si gigantesque qu'elle evoque les combats mytbologiques 
des titans et des dieux. 



Jules SOTT1AUX. 

(Extrait dv Walla, petit roman a paraitrc.) 



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La Nouvelle Bibliotheque publiqne de Liege 



La ville de Liege va enfin doter le public studieux dune biblio- 
theque scientifique et litteraire largement ouverte a tous et dont 
('organisation ne laissera rien a desirer. 

Cette institution nouvelle sera installee dans une construction 
recemment terminee et remarquablement elegante, dont le rez-de- 
chaussee abrite deja un Jardin d'enfants (ecole gardienne), et une 
Creche. L'etage qui regno sur toute letendue de ces deux etablisse- 
nients sera tout entier reserve aux installations de la Bibliotheque 
publique: les magasins de livres, salle de lecture, salle allectee an 
service du pret, tout y est bien spacieux, bien eclaire et conlbrtable- 
inent a menage. 

L'importance capitale de cette creation, aux yeux des intellectuels 
qui nous lisent, explique que nous sortions d'une reserve naturelle a 
divers titres. 

II appartient tout particulierement a nos lecleurs liegeois de 
s'interesser a une institution qui leur reserve* bien des enseignoments 
et sans doute bien des joies. Mais il n'est pas mauvais que tons 
eonstatent par un fait nouveau et caracteristique le reveil de I'intel- 
lectualite publique en Wallonie — coimne aussi la manifestation 
d'un certain esprit particularise qui, du reste, fit recenunent 
accueillir avec favour dans la meme ville l'installation et le develop- 
pement d'un Musee d'art decoratif et de 1'ancien Musee d'archeologie. 



La ville de Liege, centre iiitellectuel de premier ordre a plusieurs 
epoques du moyen-age, ne posseda point de bibliotheque publique 



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52 WALLONIA 

avant le second quart du xvm e siecle( 1 ). Le motif en est que, dans 
la principaute ecelesiastique dont cette ville etait la capitale, Teru- 
dition se concentrait pour ainsi dire dans les eouvents et les cloitres 
des eglises. En fait, rien qu'a Liege, on signalait des le haut moyen- 
age bon noinbre de collections tres importantes, notamment celles 
du couvent des Recollets, celle do Tabbaye Saint-Jacques, celle do 
l'abbaye Saint-Laurent : chaque college, chaque couvent ou monastere 
avait sa bibliotbeque particuliere. 

Si ces bibliotheques n'etaient pas ouvertes a tous, chacun pouvait 
les consulter aisement. Mais il lour manquait cette force d'attraction 
que manifesto naturellement une institution publique. «Si, comme le 
dit Namur, le pays de Liege abondait en genies propres a toutes les 
sciences, on doit reconnaitre que le nombre en eut ete plus grand, 
si les jeunes gens avaient trouve chez eux les moyens de cultiver 
leurs talents naturels, non seulement par les etudes reglees d'une 
universite, par exemple, mais aussi par la commodite d'une biblio- 
tbeque qui leur facilitat la lecture des meilleurs ouvrages sur toutes 
les brandies des connaissances humaines ». 

Bref, c'est seulement en 1731 que fut fondee une bibliotbeque 
publique, et c'est au magistral laique que revient l'honneur de cette 
initiative. Le prince-eveque Georges-Louis de Bergues applaudit du 
reste a ce pro jet et il ne se passa pas d'annees que, d'un commun 
accord entre les autorites, des sommes parfois tres considerables ne 
fussent consacrees a raccroissement des collections. 

Le Conseil se montra assez large en ses clioix, comme on peut le 
voir dans les catalogues de l'epoque. II acquit merae les divers 
ouvrages des philosophcs encyclopedists franoais, que le bibliothe- 
caii'e avait regu Ford re de ne pas communiquer a la jeunesse. 

Le local fut etabli dans un corps de l'notel-de-ville el le premier 
bibliotbecaire fut rimprimeur bien connu des bibliophiles, Everard 
Kinls, que Ton choisit en raison des services rendus notamment a 
l'histoire du pays par l'edition ruineuse d 'ouvrages de haute impor- 
tance. 

Le premier noyau de la bibliotheque se composait de 729 volumes 
repartis en deux classes : a) theologie, morale dogmatique et histoire 



(1) L'liistoire do la Bibliotbeque de Liege, que nous nous contenterons d'es- 
quisser ici et sur laquelle nous eomptons du resto revenir ailleurs, est assez facile a 
reeonstituer sur les sources. — CI*, notamuieut Aug. Voisin. Documents pour serrir 
it /'histoire des Ribtiotheques en Rehjique. Gaud, C. Annoot Braeekman, 1840. — 
1\ Namur. Histoire des RifdiotJieques publiques de Iff Rehjique, t. III. Bruxelles et 
Leipzig, 0. Muquardt. 1812. — Th. (Iohert, Les Rues de Liege, t. II, p. 5«> 57. et 
t. IV. p. UMo\ — CI', aussi Jos. Brasstnne, in Revue des Ribtiotheques et Archives 
de Relgique, t. Ill ( k i>05), n° 2, p. 89-9(5. 



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WALLONIA 53 

religieuse : ensemble 122ouvrages on 252 volumes; b) jurisprudence, 
geographie , chronologic histoire, mathemathiques, litterature, 
beaux-arts : 250 ouvrages ou 497 volumes. 

Ce premier fonds n'etait guere important. Mais la Cite se 
montra genereuse, plus memo que de nos jours, dans les credits 
alloues a la Bibliotheque. C'est ce que fait reinarquer M. Gobert, 
qui cite des chitfVes interessants. En 1731 et en 1732, abstraction 
faite de nombreux achats speciaux, la ville aftecta a ces objets une 
somme de 2,000 florins. En 1736 et 1737, elle employa une soinme 
de 8,693 florins. En 1711 et 1742, le total tombe a 3,692 florins; mais 
en 1742-17413, il seleve a la somme enorme de 12,269 florins. 

La vogue de la Bibliotheque fut telle, que son catalogue, public 
en 1731, dut etre r^imprime Tannee suivante D'autres editions 
mises a jour parurent en 1749 et 1707. 

Dans le but d'aecroitre la Bibliotheque publique, le prince 
Velbruck, en 1775, enjoignit aux imprimeurs de fournir gratis un 
exemplaire de chaque ouvrage imprime par eux. Ce prince ne 
songea a rien moins qu'a reunir aux collections communales les 
bibliotheques des Jesuites dont la corporation venait d'etre supprimee. 
Diverses circonstances empecherent la realisation de ce dessein, 
auquel le prince Hoensbroeck, en 1787, donna en quelque sorte uu 
commencement d'execution, en rendant publique la bibliotheque du 
Grand College. 

Bientot les evenements poiitiques allaient bouleverser Tinsti- 
tution commuuale. 

L'invasiou des revolutionnaires fran^ais vint ajouter aux conse- 
quences de la Revolution liegeoise les plus tristes etfets. Les biblio- 
theques publiques comme les collections privees furent mises au 
pillage, leurs richesses dispersees, ou enlevees et transports en 
France. 

Le d^pouillement fut si parfait quVn 1814, de Villenfagne 
ecrivait au bibliophile J.-L. Massau. de Verviers : « Je ne counais 
plus aujourd'hui de bibliotheque particuliere dans notre pays, ((uand 
on a besoin d'uii livre, on ne sait plus ou le trouver. » 

Cependant les- bibliotheques avaient ete l'objet de certaines 
mesures de preservation. Des dispositions legales prises en 1793 
avaient en vue la conservation et ^administration des bibliotheques. 
Les lois des 15 Fructidor et 5 Prima ire an IV, en nationalisant les 
biens ecclesiastiques, exigaient qu'il fut fait la catalogation des 
livres et l'inventaire des objets precieux existant dans les maisons 
supprim6es. 

Si toutes ces dispositions avaient ete executeos avec regularity, 



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54 WALLONIA 

si tons les livres et manuscrits provenant des corporations sup- 
priniees do la Belgique avaient ete attributes a des bibliotheques du 
pays, ccrtes ees etablissements seraient plus riches qu'ils ne le sont 
aujourd'hui. Mais tout le monde sait qu'il if en a pas ete ainsi. 

La Helgique tut. pendant les quinze premiers niois de l'iuvasion, 
traitee en pays conquis; et le gouvernement francais usa a son egard 
des droits de la guerre dans toule leur rigueur et dans toute leur 
etendue. 

La Bibliotheque de Liege partagea le meme sort que tons les 
autres depots litteraires de la Bolgique. Transporter a Maestricht a 
l'approche des armeos republicaines, elle tut entierement enlevee 
par les representants du peuple lors de la prise de la ville le 
i novembre 1791 et transported en France. 

Dix ans plus tard, la ville rentra enfin en possession d'une 
bibliotheque, celle de l'Ecole centrale, etablissement supprime en 
18(M, et dont les collections lui t'urent remises tout entieres, a l'ex- 
ception de quinze cents volumes reserves a la bibliotheque du Lycee. 
Le Seminaire fut egalement admis a choisir un certain nombre 
d'ouvrages. (le choix se porta notamment sur deux a trois cents 
manuscrits. 

Le bibliothecaire, Nicolas Bassenge, a qui Ton a reproche beau- 
coup de negligence dans sa gestion, fut remplace en 1811 par l'abbe 
Terwangne, lequel fut charge de dresser le catalogue des imprimes. 
Ce catalogue a ete public en 1813. 

1'n nouveau changement radical s'opera en 1817. L'Universite 
s'ouvrit le 3 novembre, et sur l'invitation du roi (uiillaume des 
Pays-Bas, la Bibliotheque publiquey fut deposee, tons droits reserves. 

Depuis lors elle s'esl augmentee dans des proportions conside- 
rables, taut par voie d'achats sur les fonds de la ville, qifen raison 
de donations et legs fa its a la Cite. 

(]e sont ces collections que la ville va reprendre et qui, jointes a 
celles de la Bibliotheque centrale et a d'autres, formeront un 
ensemble de la plus haute importance et d'une tres grande variele. 

La Bibliotheque centrale, dont nous venons de citer le nom, est 
la principale et la plus ane'enne des cinq bibliotheques populaires 
creees par radministratiou en vue de satisfaire aux besoins les plus 
urgeuts du public (*). (iette institution, la premiere du genre en 
Belgique et rune des premieres du continent, fut inauguree en 1802. 

(1) Sur les Bibliotheques populaires de la ville de Lie«?e on pent eonsulter : 
M. (irandjean, dans lAe<je par 1)o<;nee kt autres, in 8", Liei^e, J. Daxhelet, 1881- 
p. 404-409. Th. Hubert, les Rues de LU'</e, passim. A. i'irotte, les Bibliotheques 
popuhiires coiinuunales, extr. du Rapport sur 1'ad ministration et la situation des 
ailaires do la ville pendant Texereiee 1900 -1901, Liege. (Histave Thiriart, 1901. 



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WALLONIA i)b 

On sail que Fexemple donne par la Cit6 li6geoise ne tarda pas a 
etre suivi. Seize ans plus tard, il n'existait pas moins do 62 institu- 
tions de l'espece rien que dans la province de Liege. II resulte de 
uos renseignemenls qu'en 1905, elles atteignaient le nombre enorme 
de cent-cinquante. Une statistique publiee par le gouvernement a 
l'Exposition de Liege, et porlaut sur les bibliotheques subsidises par 
les communes, fait constater que, pour le nombre des lecteurs et le 
nombre des volumes empruntes, la province de Liege vient en tete et 
depasse notamment de beau coup la province de Brabant. 

Notre ville, dotaut aujourd'hui le public d'une bibliotheque bien 
installee et bien outi'lee, restera done dans ses traditions, et mon- 
trera, a cet egard aussi, la voie aux cites habitueos, en matierc 
d'enseignement, a la prendre pour modele. 

* * 

II importe an public liegeois de bien se rendre compte de Tim- 
portance des collections qui, des le premier jour, vont se trouver 
reunies dans la Bibliotheque nouvelle. 

Aux 25.000 volumes de la Bibliotheque populaire centrale, 
viendront s'ajouter les 7 milliers de volumes et manuscrits de l'ancien 
fonds, ainsi que les accroissements de ce dernier. 

Panni ces accroissements, il taut mentionner les collections 
Capitaine, qui so montent a environ 16,500 numeros, dont 11, (KK) 
ouvrages imprimis; les colleclions Ume, Donceel et Ransonnet, 
dont le total depassa 2,000 numeros, la collection Dupont, composee 
d'ouvrages relatifs a Tart dramatique, etc. 

En estimant a 50,(K)0 volumes et 500 manuscrits le total des 
ouvrages ainsi reunis, on est certainement en-dessous de la realite. 

Une question pivalable a ete posee a Toccasion des intentions de 
la ville. 

Celle-ci a-t-elle raison de retirer de l'Universite les collections 
qu'elle y avait deposees ? 

Son droit n'est pas douteux. Mais les interels menies dont elle a 
le soin auraient pu lui dieter depuis longtemps rattitude qu'elle 
prend aujourd'hui. 

En eifet, la bibliotheque universitaire n'est pas une bibliotheque 
publiquc au sens propre et reel de ce mot. Les documents otliciels 
relatifs a sa fondation et a son organisation ne laissent aucun doute 
a cet egard ( x ). II est evident, quand on les a lus, que cette bibliotheque 

11) Cf. Loon Heckeks. VEnsc'uineincnt superieur en Iivltjiquv.. Unix. Castaiirnt', 
11*04. Chapitn.' VI. p. 7^ ft suiv. 



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50 WALLONIA 

est creee pour l'usage de renseignement superieur. c'est-a-dire pour* 
les professeurs et, par extension, pour les etudiants. Ce n'est que par 
une tolerance toil jours revocable qu'on admet certaines person nes 
etrangeres a renseignement universitaire, a frequenter les salles de 
cet etablissement, et c'est par faveur .qu'on leur permet d'emprunter 
des livres. Le pret a domicile, pour les etudiants eux-memes, n'est 
autorise que sur l'avis con forme des professeurs et sous leur caution; 
il n'est fait a ce sujet aucune distinction entre les etudiants etran- 
gers, dont le domicile est essentiellement variable, et ceux qui sont de 
la ville meine et resident cbez leurs parents. 

Inutile de faire remarquer que l'Etat a la propriete des collec- 
tions crepes par lui et de celles qui viennent s'y ajouter, et qu'il 
peut en ordonner le transfert, quand et dans quelle mesure il peut 
lui convenir. 

Que, d'autre part, reorganisation des bibliotbeques universitaires 
restr en dehors de Taction de l'autorite communale, et que celle-ci 
serait mal venue d'elever la moindre pretention a reformer cette 
organisation. 

Des lors, il est clair que si les bibliotbeques universitaires 
ont une utilite locale incontestable et Ires graude, celle-ci n'est 
qu'indirecte et relative. 

II appartient done aux administrations locales, qui veulent 
favoriser le public en general, de se rend re compte de toute Tetendue 
de leurs devoirs a cet egard, et d'y confirmer eventuellement Texer- 
cice de leurs droits. 

Gertes, il y aura des personnes qui, en vertu d'une opinion favo- 
rable aux grands depots, seront plutot portees a regret ter la fondation 
d'une seconde bibliotheque a cote de la premiere, et le demeinbrement 
de Tancienne an profit de la nouvelle. 

Nous estimons que l'interet superieur de la science est de multi- 
plier les etablissements d'inslruction publique, a quelque genre 
qu'ils appartiennent. Ce qui est vrai pour les ecoles, est vrai pour les 
bibliotbeques. L'essentiel, a notre epoque, e'est de favoriser Taccession 
du plus grand nombre aux sources de la culture et de lerudition. 

C'est bieu ce qu'entend faire la ville de Liege, lorsqu'elle mani- 
festo rintention de pourvoir sa Bibliotheque d'une organisation au 
courant des derniers progivs, assurant par la, aux collections qu'elle 
va retirer de l'Universite, le maximum d'utilisation directe pour tout 
le public en general. 

Le public, nous le repetons, peut attend re de restitution nou- 
velle les plus grands secours si, conime il est annonce, la \ille lui 



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WA*LL0NIA 57 

assure un personnel suffisant et devoue. Ge ne sera certes une 
sinecure pour personne que d'etre attache k cette Bibliotheque, qu'il 
taut organiser de fond en comble. Mais si la technique sp^ciale en ces 
matieres est mise en oeuvre avec methode, les fonctionnaires charges 
de l'enorme hesogne qui s'annonce, auront du moins la satisfaction 
d'elaborer une organisation modele et qui leur survivra. 

On parle beaucoup a present des catalogues sur fiches. C'est sans 
doute a TExposition de 1905, ou Flnstitut international de Bibliogra- 
phic a montre de plusiears manieres l'excellence de son materiel et de 
ses methodes, que nous devons cet engouement salutaire. 

IV»s avant, neanmoins, la Society liegeoise de Litterature wal- 
lonne avait adopte ce materiel et ce systeme parfaits pour la catalo- 
gation de sa riche bibliotheque, fondee en 1856. 

Vn tel catalogue a pour a vantage de constituer une source 
toujours a jour, qui ne laisse rien ignorer, suppliant aux oublis et 
aux erreurs personnelles, et qui met directement a la disposition de 
la clientele la connaissance approfondie des richesses d'une biblio- 
theque. 

II ne renseigne pas seulement sur tels ou tels ouvrages, mais 
sur tous, el com me ils y sont classes, d'une part dans l'ordre alpha- 
betique des noms d'auteurs, d'autre part suivant l'ordre systematique 
des matieres, il repond de lui-meme a toutes les questions que peut 
poser un chercheur a n'importe quel point de vue. 

Ajoutons que si les notices y sont faites avec soin, un pareil 
catalogue constitue en lui-meme, une source bibliographique d'une 
incontestable valeur. 

Certes, l'organisation moderne d'une bibliotheque souleve bien 
des diflicultes d'ordre technique. Mais des que celle-ci est reglee, des 
que la Bibliotheque est pourvue d'un catalogue bien congu et class6 
suivant une methode rationnelle, le public doit etre rassure sur 
la possibilite et la facility d'utiliser les richesses tenues a sa dispo- 
sition . 

* * 

Parrni les collections communales, il en est une particuli6re- 
ment riche et precieuse, qui interesse directement l'histoire liegeoise. 

C'est la collection Capitaine. 

Ulysse Capitaine ( l ) etait un bibliophile et historien liegeois, 
qui depensa largement une notable partie de sa grande fortune a 

(1) Cf. Ulysse Capitaine, sa vie et ses travaux, par Alphonse Le Roy. Dans 
I'Annuaire de la Sociote liegeoise do Litterature wallonne. t. VII (1872). p. 44 111. 
Ktude suivie. p. 112 125 de la Biblioyraphie d" Ulysse Capitaine, par J[ule*l P[ety] 
de T[hozee]. 



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58 WALLONIA 

rassembler avec un soin ot une perseverance admirables tout ce qui 
6tait relatif au Pays de Liege en fait do documents de toute nature : 
livres et manuscrits, m6dailles et monnaies, gravures etc. etc. A sa 
mort, survenue le 31 mars 1871, l'ouverturc de son testament fit 
connaitre que ses collections dtaient legumes a sa ville natale, sous 
condition qu'il en fut dresse un invenlaire d6taille. Ce catalogue du 
k H. Helbig et M. Grandjean, et publie en 1872, forme 3 vol. in-8° 
de 429, 400 et 186 p. II renseigne, nous l'avons dil, un total de plus de 
16,500 numSros, auxquels il faut ajouter un certain nombre de 
dossiers non catalogues mais dont la composition est connue. 

Pour ne parler que des ouvragos, le but d'l'Iyssc Capitaine etait 
de recueillir tout ce qui avait 6te 6crit par des Liegeois ou par des 
etrangers sur l'histoire du pays congue dans son sens le plus large, 
de r^unir les oeuvres des Liegeois et en general tout ce qui s'etait 
public ou se publiait a Liege. Programme admirablement complet 
qui ne devait pas laisser indifierents ses contemporains comme tous 
ceux qui s'interessaient a un titre quelconque aux cboses du pays. 
Effectivement vinrent de Unites parts se concentrer dans la biblio- 
theque de Capitaine des ricbesses et une documentation enormes. 

L'ceuvre de Capitaine ne fut pas systematiquement continuee, a 
moins que par des particuliers, tels le baron deWittert, M. ledocteur 
Alexandre et M. Albin Body. 

Dix ans plus tot, la ville de Liege avait inscrit a son budget 
annuel, une somme « pour acquisition de livres et manuscrits relatifs 
a Thistoire politique, litt^raire et artistique du Pays de Liege. » 
Le total des credits depenses de ce cbef depasse aujourd'hui 
80,000 francs. 

Pour le pass6, la Ville a done su s'imposer des sacrifices remar- 
quables. Mais, en a-t-il et6 de meme en vue de la conservation des 
productions contemporaines? Nous ne le croyons pas 

L'administration n'a certes pas manque d'introduire dans ses 
bibliotheques nombre d'ouvrages liegeois contemporains. Elle n'a 
point continue systematiquement TaHivre de Capitaine. Le manque 
d'une biblioth&jue bien outillee et qui lui appartint en est sans doute 
la cause. 

II est tres important qu'on considere r institution nouvelle comme 
le grand d6pot de notre production intellectuelle. La mort et l'oubli 
menacent les livres comme les homines. Comment les historiens de 
Tavenir retraceront-ils notre civilisation, comment la comprendront- 
ils seulement, si nous ne nous cbargeons nous-memes d'en reunir 
les temoignages materiels ? 

Ulysse Capitaine avait encore constitue un tres grand nombre de 



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WALLONIA 59 

dossiers de pieces imprimees et manuscrites, relatives a des faits 
historiques anciens ou contemporains, ainsi qu'aux hommes et aux 
c hoses de son temps. Ce qu'il en a lire lui-meme. notamment dans 
son Xecrologe Lifyeois, montre la richesse de cette documentation. 
LVeuvre qu'il avait entreprise a ete arretee par sa mort. Ce qu'un 
partieulier ou meme un groupe de travailleurs n'a pu ambitionner de 
faire apres lui ou sur son exemple, une institution publique large- 
ment encouragee sera peut-etre en situation de le realiser. Je ne sais 
jusqu'a quel point je me fais illusion, mais il me semble voir au sein 
de la nouvelle Bibliotheque un point d'attraction tout natural pour 
une documentation impersonnelle extremement Vendue, infiniment 
precieuse, completant celle que chacun de nous se cree pour son 
usage, et qui survivra a nos propres efforts, a nos propres travaux... 

* 
* * 

Cue grosse question est celle de la dotation que la Ville pourra 
assurer a Tinstitution nouvelle. 

C'est a r Administration qu'il appartient de regler les accrois- 
sements suivant les besoins les mieux constates. II n'est pas interdit 
neanmoins d'emettre a cet egard quelques reflexions. 

Lorsque Ton songe aux biblioth^ques extraordinaires que les 
Americains des Etats-Unis creent a coups de millions, lorsque Ton 
sait que les cito}'ens de certains pays vont jusqu'a s'imposer des taxes 
speciales pour 1'accroissement des bibliotheques, on ne peut s'ern- 
pecher de se sentir profondement attriste par la situation precaire 
dans laquelle se maintiennent, chez nous, des institutions aussi 
utiles. 

II est impossible de se dissimuler que des vues tres genereuses 
s'imposent dans une ville qui n'a pas dechu de son rang de capitale, 
et qui naguere a su attirer et retenir l'attention universelle. 

Deja les collections communales dans leur 6tat actuel con- 
tiennent, hormis quelques funds speciaux, une excellente bibliotheque 
litteraire et scientifique generale, oil Ton remarque notamment une 
serie d'ouvrages relatifs aux Beaux-Arts et d'ouvrages de Litterature, 
temuiguant d'un gout tres averti. 

Mais pour la majorite de nos compatriotes, elle n'apparait 
cependant que com me une institution democratique au sens restreint 
du mot. 

II est clair que la denomination de Bibliotheque populaire ne 
peut lui convenir que si Ton donne a ce mot de « populaire » un 
sens bien dilferent et plus large, que n'ont peut-etre pu concevoir les 
createurs du irenre. 



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60 WALLONIA 

A l'epoque ou, en France, les premiers etablissements de l'espece 
furent fondes, les intentions etaient toutes philanthropiques. Le role 
de cos bibliotheques paraissait devoir etre «de detourner les plebeiens 
du cabaret, de leur procurer quelques distractions honnetes, de les 
munir des enseignements qui pouvaient les engager a meuer une vie 
reguliere, de leur fournir enfln quelques connaissances immediate- 
ment utilisables » ( l ). A ces fins, il sufiit, pensait-on, que les 
bibliotheques populaires soient composees d'ouvrages litteraires 
a tendances moralisatrices, et d'ouvrages de science appliquee 
presentee sous forme amusante. Certains philanthropes, incontesta- 
blement bien hardis, cherchaient, il est vrai, a faire penetrer dans 
la masse ouvriere et paysanne recemment appelee a la libre vie 
intellectuelle, les rudiments de la science pure ; mais il fallait que 
ces rudiments fussent doses et presentes sous une forme aisement 
assimilable, car on ne cessait de repeter d'autre part que le peuple 
avait besoin d'etre conduit par la main dans les champs de la 
science : il ne fallait pas le decourager, il ne fallait rien brusquer. 
Car, au reste, « le peuple n'a pas besoin d'etre savant ! > (') 

Ge qui montre bien l'etat d'esprit de l'epoque, c'est le fait de la 
creation, a cote de ces bibliotheques, de collections d'ouvrages de 
vulgarisation et de traites pour gens du monde. On peut constater 
combien ces sortes d'ouvrages ont actuel lenient perdu de la vogue 
conventionnelle qui les accueillit autrefois. La belle collection de la 
Bibliotheque des Merreilles a ete bazardee par I'&liteur Hachett-e 
le jour oil il lanca ses Lectures pour tous. La magazine ou lillus- 
tration documentaire est l'essentiel, et ou le texte u'a plus que 
rinteret d'un simple commentaire, ce periodicpie du type anglais 
— et il est aujourd'hui assure de hombreuses imitations — vient 
remplacer le livre de vulgarisation. 

Quelle est la raison de ce phenomene ? 

II y a quelque quinze ans, Jean Mace ecrivait : < II est une 
remarque qu'ont pu faire tous les homines qui se sont occupes prati- 
quement de la question : c'est que les livres qui se donnent les airs 
d'etre faits pour le peuple sont de ceux precisement que le peuple. 
chez nous, ne lit presquc jamais » ( :< ). Deja le succes des dictionnaires 
encyclopediques aurait pu convaincre que la nouvelle generation 

(1) Pellisson, Les Bibliotheques populaires a VEtranger el en France. Paris, 
Impi'iincrie nationale 1900. Page 201. 

(2) Congres international de VEnse.iynement prima re, Bruxtilles, 1880. 
Happort de M. Lobet sur cetle question : Quelles sont les conditions que doivent 
reunir les publieations populaires i 

(3) Les origines de la Ligue de VEnseignemenl. Paris, 1891. 



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WALLONIA 61 

cherchait moins a s'instruire en s'amusant et en quelque sorte par 
raccroc, qu'a se fournir d'une documentation abondante. Sous no* 
yeux memo, la democratisation de la presse quotidienne n'a-t-elle 
pas forcement conduit a rencyclopedisme de sa documentation ? 

II y a beau temps que les faits d'observation se sont multiplies. 
Et voici qu'enfin Ton se rend generalement compte de la grande 
erreur commise de bonne foi par les initiateurs du mouvement. 
Cette erreur, on l'a devinee : C'est d'avoir concu les bibliotheques 
comme une oeuvre d'enseignement analogue aux ecoles, et non 
conimc une entreprise destinee a favoriser la cultui'e generale. 

Eutre une ecole publique et une bibliotheque publique, il y a 
cependant cette difference fondamentale, que Ton va a l'ecole genera- 
lement par obligation, et en tous cas pour solliciter renseignement 
d'aulrui, tandis qu'on se rend a la bibliotheqne spontanement et en 
vue de s'instruire par soi-meme. 

Le client d'une bibliotheque, ouvrier ou autre, lettre on simple 
curieux, est d'un genre provisoirement plus rare, mais en tous cas 
d'une essence superieure a celle des ecoliers enfants ou adnltes ; et la 
difference est tout simplement en ce qifil se trouve decide a l'effort 
personnel. C'etait done une naivete de se dire a priori qu'on ne 
pouvait decemment lui offrir que des livres vis-4-vis desquels il se 
trouvat en quelque sorte de plein pied. C'etait aussi faire a»uvre de 
democratic mal enteudue que de sacrifier les interets de la masse des 
curieux aux gouts douteux qui se manifestent encore sous Tinfluence, 
notamment, des romans-feuilletons. 

Par ces tendances bien malheureuses, plus ou moins affirmees 
et constantes, on en arriva a donner aux bibliotheques populaires un 
caractere special qui en eloigna le public studieux. 

Le discredit de ces institutions aupres des intellectuels en 
Belgique comme en France vient de la. 

Les Anglais, remarque Pellisson, paraissent avoir compris de 
bonne heure la portee la plus utile des bibliotheques publiques. 
lis ont vu qu'elles ne devaient pas seulement fournir aux gens du 
peuple un passe-temps honnete, propre a les detourner du cabaret et 
des grossiers plaisirs. Et si par surcroit elles donnaient aux travail- 
leurs des facilites pour acquerii* ce que Ton appelle « les connais- 
sanees utiles », il ne leur a pas paru qu'elles eussent ainsi rempli 
tout leur odice. A leur avis, il fallait qu'elles fussent utiles a tous, 
sans distinction de classe ni de fortune; ils if en ont pas fait une 
simple entreprise de philanthropic et de vulgarisation; ils ont consi- 
devd qu'elle devait ctre un agent de culture generale, une force 
capable de promouvoir en tous sens l'education de la nation tout 
entiere. 



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62 WALLONIA 

Aussi les bibliotheques populaires d'Outre-Mancho sont-elles en 
favour dans toutes les classes de la population. 

Si celles de nos grandes villes n'ont pas tarde de s'aflranchir 
plus ou nioins completement des conceptions etroites qui avaient 
preside a leur fondation, elles ne peuvent qu'augmenter en utilite en 
elargissant toujours le sens de leur denomination ancienne. Dans ce 
sens, definitivement, le peuple c'est l'universalite des citoyens. 

Or, la population tout entiere d'une grande ville a des besoins 
generaux, tant dans l'ordre esthetique que dans l'ordre sdentifique. 
Et dans uue cit6 conime Liege, c'est ce qui a et6 heureusement bien 
compris, non seulement dans le developpement de l'enseignomenL 
mais aussi dans la composition des bibliotheques. 

On a compris que la biblioth&pie n'a pas a s'abaisser vers 
l'illettre, mais que c'est a l'ecole que revient la tache d'eduquer les 
masses dans le gout des lectures serieuses et de la self-education. 

Certes, une conception aussi rationnelle n'est pas apparue dans 
tous les milieux. 

Ce que les trois quarts des bibliotheques populaires rurales ont 
depense a favoriser les lectures inutiles est perdu pour les proletaires 
d'esprit serieux, dont le gout est mort-ne, faule d'aliments. 

N'est-il pas evident que, par exemple, c'est la litterature moderne 
a cote des chefs-d'oeuvre de tous les temps qu'il faut mettre a la 
portee des curieux d'aujourd'hui ? Allez voir, je vous prie, quelle 
« litterature > on offre en nos campagnes a la curiosity publique, 
disons : a l'education publique, puisque tel est le but. 

On se meprend a priori sur le degre de comprehension de l'ou- 
vrier vis-a-vis de la litterature et des arts. L'experience des lectures 
publiques, conferences, expositions et representations theatrales 
organises dans les Universites populaires a prouve qu'il y a, meme 
dans les milieux les moins cultives, un public capable de s'eniou- 
voir, d'aimer la beaute pure et de gouter les choses les plus 
parfaites. 

Mais en mati6re scientifique aussi les besoins reels doivent eti*e 
observes sans parti-pris. 

A cet egard, on peut remarquer que la curiosite de Thomme du 
peuple s'attache de preference aux traites et aux precis, et qu'il 
dedaigne les ouvrages d'enseignement oil les elements sont doses 
a la mosure des esprits puerils. I.'homme du peuple vent comme le 
lettre recourir aux sources et boire a meme l'eau vive. 

Plus on observe, plus on voit qu'il n'y a pas de raison pour 
infliger a l'ouvrier un traitement diilerent de celui qu'on reserve a 
une autre espece de curieux, reputes d 'essence plus fine et plus pure. 



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WALLONIA 63 

II nV a pas de difference essentielle entre un savant qui d'aventure a 
besoin d'un renseignement sur les metiers, et un artisan qui veut 
etudier l'histoire de son pays. Leur curiosite est egale, egalement 
respectable. lis oi:t un droit identique a reformation la plus sure et 
la plus complete. 

Cortes, il laut ecarter les ouv rages techniques faits pour les 
seuls specialistes et inintelligibles pour les autres mortels. Eu dehors 
de ceux-la, il y a les ouvrages ou la science et memo la philosophic 
de la science sont exposees d'autorite et neanmoins de fagon lucide. 
II existe heureusement toute une litterature scientifique qui repond a 
cette condition, et constamment s'accroit le nombre des savants qui 
cherchent a prendre pour temoins de leurs travaux la gen6ralite de 
leur? contemporains. Les plus sures competences s'efforcent deconci- 
lier ces deux choses : une exposition claire, captivante, entrainante, 
et l'esprit scientifique le plus pur, le plus ingenieux, le plus intransi- 
geant. Est-ce une democratisation, telle qu'elle s'indique en tant de 
domaines, qu'elle a pu pa rait re la marque de notre epoque? Peut-etre. 
En tous cas, on sent jusqu'en les sommiUss les plus hautes cette con- 
viction que la science, pour plaire, n'a besoin ni d'etre merveilleuse, 
ni amusante : il lui sutlit de faire penser, et pour cela, d'etre compre- 
hensible. 

Puisque du cote des producteurs eux-memes la verite du fait 
d'observation signale tantot est gravement apparue, la voie est tracee 
a ceux qui out a creer ou a accroitre des bibliotheques pour tous. 
C'est en grand nombre des ouvrages tout-a-fait s^rieux qu'il faut y 
mettre, des muvres de vraic litterature et des oeuvres de science 
vraie, des (euvres de beaute et des livres de reference. 

II est aise de se rendre compte, a l'inspection de la bibliotheque 
de Liege, que le fonds actuel repond deja dans une large mesure 
aux besoins caract<'ristiques de notre epoque. 

dependant, nous l'avons dit, cette bibliotheque n'etait gu6re 
frequence que par une minorite bien restreinte du public interesse. 
L'idee qu'on se fait de pareille< institutions est la raison principale 
de cette utilisation restreinte. De la vient, pour une grande part, 
qu'en proportion de ce qui se passe en Angleterre, aux Etats-Unis, 
en Allemagne, le public beige ne s'interesse pour ainsi dire point 
aux bibliotheques. 

Or, on a beau repftter que les Administrations se doivent d'exercer 
une certaine action sur le developpement du gout public : elles 
dependent precisement des populations, et sont naturellement portees 
a considerer leur devoir comme parfait des qu'elles out satisfait aux 
besoins qui se manifeslent materiellement. 



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64 WALLONIA 

Si les lettres ne constituent pas la majorite de la clientele, si au 
contraire ils paraissent encore se desinteresser de la bibliotheque, 
comment veut-on que leurs interets continuent a y etre dcfendus et 
qu'ils le soient desormais dans une mesure encore plus larire? 

Puisqu'elle va se faire attrayante et staler toutes ses richesses, 
1'ideal serait vraiment d'y contempler, des le premier jour, le 
spectacle qui frappe les visiteurs des bibliotheques americaines. La, 
dans ces etablissements admirablement frequentes par un public 
assidu, on voit rhomme du peuple et le bourgeois voisiner aux tables 
de lecture et de travail avec le lettr6 et le savant. 

Esperons qu'il en sera de meme a Liege et que le public le plus 
etendu saura reconnaitre les efforts depenses, trop obscurement 
jusqu'ici, pour doter notre capitale d'une bibliotheque digne d'elle. 

Oscar Colson. 



LETTRES WALLONNES 

Ecrits wallons de Francois Renkin, Conies. Groquis, Chroniqucs. Edi- 
tion post hu me, in memoriam. Ornementation d'Auguste Donnay. Avec 
portrait de TAuteur en h61iogravure, et Bibliographic de son (Euvre. — 
Li6ge, Vaillant-Carmanne, 1906. Brochure in-8° (18.5 X 12), X + 75 p. 
Titre et gravures tir6s en noir et mauve. — Prix : 1 fr. 

On a fait oeuvre pie en sauvant de Toubli, en r6unissant dans un petit 
volume avenant, fieuri de guirlandes par le crayon d'Auguste Donnay, ce 
bouquet de jolis contes, de petits croquis, de vix messedjes, tout ce qui 
nous reste aujourd'hui du pauvre Francois Renkin, si tot enlev6 aux lettres 
wallonnes. 

In memoriam! Quel souvenir plus pr6cieux pouvait-on nous offrir de 
ce jeune 6crivain, qui donna ses premieres pages dans cette Revue, a vingt 
ans, et, qui dispersa, depuis, le meilleur de sa verve dans des leuilles 
^parses, dans des journaux disparus, dans des chroniques p6rim6es ! Une 
m61ancolie, une pointe de regret viennent s'ajouter, maintenant, au charme 
de ces petites histoires si simplement contees, qui sont des tableaux bien 
plus que des r6cits, des tableaux de la vie champetre, de couleur si fraiche 
et si savoureuse. 

Ah! qu'il 6tait bien rest6 de son village, Francois Renkin, et comme il 
avait gard6 dans les yeux la vision de son Condroz, de ses champs « tot 
riglatihants di loumire. » lne bone odeur d'oste monleve fou des dikes 
<V frumint, a-t-il dit avec une sorte d'ivresse. Et lorsqu'il d6crit la cour de 
sa « fwert viye cinse», il semble, en verity qu'on aspire a pleins poumons 
1'air de ratable et la senteur de Vancini. 

A n'en pas douter, ce fut une ame de franc waiion et une ame de poete. 
On le voit s'extasier devant les beautes de sa campagne avec une ferveur 
qui Tincite a des reflexions sentimentales, voire a une Amotion qu'il sait 
rendre inflniment douce et p6n6trante. 



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WALLONIA 6b 

Voyez plutot, dans On dimegne, ce tableau de si parfaite quietude d'un 
dimanche d'6t6, aux alentours de la Neuville, et le trouble laisse dans le 
coeur fruste du « cinsi » par la fugitive apparition d'une belle mamzelle de 
la ville, « avou des tchves colour d'avonne et des ptites mains pus blankes 
qui T lesse qu'ele buveve. » 

Voyez de quel accent poignant il exprime, dans la naive idylle E pre 
Tombeu, la deception de l'amoureux « qu'esteut si stir d'esse accepts » : 

« Ele mi louka, anon, avou ses breunes ouyes si binam6s. Ele mi d'ha 
d'on plein cop : 

» — Ni djasans pu d' coula... D'ja candji d'ideye, dji veus volti Jean 
del Nouve-Veye, et dji n' mi mariyre may qu'avou lu. 

» On cop d' coiite n'm'areut nin fait sonner... Dji n' s6 kimint qui dj'a 
rimnou e nosse mohonne. Dji n' mi sovins pu d' rin, dji n' mi rapele qui 
d'ine sort : c'est d'avou veyou sol route ine cope qui s' bahive, e plein solo, 
sin fe nole attincion a djins qui passit... » 

Et encore, dans VArmd, comment ne pas etre touch6 par la douloureuse 
reverie de la pauvre mere, abim6e dans la contemplation des derniers 
« mousmints, des floquets et des norets », ies tristes reliques de sa petite fllle 
qui dort au cimetiere. La sortie de la messe, les rires, le bruit du jeu de 
quilles, elie n'entend rien, ni les heures qui sonnent, quand tout a coup la 
secoue ce brutal r£veil : « Si homme drovia l'ouhe tot d'mandant : — Li 
bouyon est-i pr6t' ? » 

Voila de quels episodes menus sont faits ces Conies; tout le charme est 
dans Texpression si naturelle et aussi dans le detail de l'observation 
volontiers souriante. Gar la sentimentality n'excluait pas en Renkin le trait 
plaisant ni la verve. II dira du coq « tchanteu» deiaisse par la « poyete » : 
« Li pauve coq fouritst-oblidji de dmorer djone homme tote si veye... » 

Ailleurs, il declare sentencieusement que « l'ewe est co pu fasse qu'ine 
b^le crapaude. » 

Et dans une de ses chroniques, il enveloppait dans la meme abomination 
« les flaminds, les feumes 6t les maladeyes, qui c'est bin les treus pus 
grandes playes qui n'aye so V tere ! » 

II n'y a pas grand'chose a dire de ses Croquis en vers, comme L'Afuteii, 
qui sont plutot des jeux de rimes, non plus que de ceux en prose, 
interessants comme ebauches dans la note des Conies. Mais on pourrait 
relever maints passages de ces amusants Messedjes y parus naguere dans 
Li Mestre, en lesquels s'affirmait Tesprit wallon de Renkin, et son franc 
bon sens de Gondruzien impenitent, G'est ainsi qu'il se donne en exemple 
pour prouver la vanite des diplomes, car il ne fut jamais, a 1'entendre, un 
fort en theme. « Dja stu buse, dit-il, portant dj'a bin dimnou redacteur 
a Mestre. » Et il termine en bon campagnard, en daubant sur les robins : 

«I n'aveut co l'aute djoii e m'djardin ine avocat qui m' diheve qui 
dj'aveus des beles rec^nes. Et goula tot m'acsegnant six royes di petrates ! 
Vos veyez bin qui c' n'est nin 1' tot d'esse avocat ! » 

Ge recueil posthume des Ecrits Wallons du pauvre Francois Renkin 

se clot ainsi, sur un eclat de rire 

Henry Ode her he. 



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06 WALLONIA 

H 1ST 01 RE 

Annales du Cercle Arch6ologique de Mons. Tome XXXV. Mons, 

1906. 

1. (P. 1-23.) G. Decamps. Artistes montois. Mailre Gilles le Cat, 
tailleur t Vintages et graveur de tontbes. Ses oeuvres et sa famille. — Etude 
tres documents* 1 sur un artiste montois du d6but du xv fl siecle, dont il 
existe une teuvre remarquable dans une cbapelle de la collegiale de Sainte- 
Waudru. En annexe, le texte d'une convention entre ce « graveur de 
lames », comme il s'appelie lui-meme, et la veuve d'un seigneur, pour rep- 
lication d'une s6pulture. II laut esperer que M. G. Decamps entreprendra 
queique jour un travail de longue haleine : ses patientes recherches dans le 
d6pot des Archives de l'Etat, a Mons, lui ont certainement fourni les 
elements de plus d'une 6tude suivie, qu'il se doit a lui-mSme de publier. 

2. (P. 25 26.) J. Dewert. Sepulture belgoromaine a Flobecq. — 
Compte-rendu de fouilles execut6es, en 1904 et 1905, au bameau de la 
Planche. 

3. (P. 29 36.) Ch. Hodevaere. Le serment des Archers de St-Sebastien 
de la ville de Binche.— Int6ressante contribution a Thistoire des compagnies 
militaires, si florissantes dans notre pays. On ne possede malheureusement 
que des documents du xvm e siecle, sur cette confrerie, qui fut erigee 
en 1400. 

4. (P. 37-45.) F. Hachez. Maison d? habitation de Madame Royale 
a Mons. — L'imperatrice Marie-Therese, abbesse de S te Waudru, comme 
comtesse de Hainaut, decida en 1754 de se faire repr6senter aupres ce 
chapitre noble par une princesse de sa famille, la duchesse Anne Charlotte 
de Lorraine. Le ohoix d'une habitation pour cette princesse, et les travaux 
que Ton dut effectuer a l'Hotel du Gouvernement, dans lequel elle s'installa, 
occasionnerent une nombreuse correspondance entre la Gour de Vienne et 
le gouvernement des Pays Bas, et de multiples rapports adressGs au Gonseil 
des finances : ces documents ont fourni a l'auteur les 616ments de cette 
notice. 

5. (P. 47-58.) Dom U. Berliere. Les abbes de Lobbes au XIV 9 siecle. — 
Poursuivant infatigablement rstablissement des listes des dignitaires eccl6- 
siastiques, le savant auteur du Monasticon beige revient une troisieme fois 
— voir Annales du Gercie arch6ologique de Mons, t. XXXII et XXXIII — 
sur la chronologie des abbes de Lobbes au xiv e siecle, et fait connaitre le 
nora de l'un d'eux inconnu jusqu'ici. 

6. (P. 59-66.) A. Gosseries. Une question de preseance a la procession 
de Binche en 1767. — G'est la relation d'une des nombreuses contestations 
qui surgirent entre les abb6s de Lobbes et les chanoines de Binche, relative- 
ment a la dignite de prSvot du chapitre de S l Ursmer. 

7. (P. 67 90.) J. Haiin, S. J. Description du ?nur d % enceinte de Vancien 
chateau de Mo?is. — L'introduction sign£e E. M. nous apprend qu'il s'agit 
d'un travail prepare depuis 1876 et tres minutieusement r6dig6 a la suite de 
visites faites dans toutes les proprtetes qui avoisinent le chateau. On ne 



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WALLONIA 67 

peut m6connaitre le soin qui a pr6sid6 a ces recherches sur les restes de 
l'habitation des comtes de Hainaut. Le d6sir d'etre parfaitement compris 
s'est manifests par Tadjonction de dessins des di verses parties de Tancienne 
muraille et de ses contreforts. II est regrettable de ne trouver aucun rensei- 
gnement sur le souterrain dont on nous pr6sente trois dessins, et il faut 
constater Fabsence d'un plan, qui aurait fortement aid6 a s'orienter dans 
cette revue des vestiges du chateau de Mons. 

8. (P. 91-103.) F. Hachez. Disgrace de la douairiere de Stolberg, a 
cause du mariage de sa fille Louise. — Louise de Stolberg, ayant 6pous6 
Charles-Edouard-Louis Stuart, prince de Galles et comte de S'-Alban ou 
d' Albany, pr6tendant d'Angleterre, cette union deplut a Timperatrice 
Marie-Th6r&se, qui trouvait la l'occasion de manifester sa rancune contre la 
France, soutien des Stuart, chasses d'Ecosse : aussi suspendit-elle la pension 
de la princesse douairiere de Stolberg jusqu'a ce qu'elle cut fait sa soumis- 
sion par 6crit. . 

9. (P. 105-111.) L. Quarre-Reybourbon. line consultation des juriscon- 
sultes du chateau de Mons. — Extrait d'un manusorit de la Bibliotheque 
de Lille. 

10. (P. 112-159.) A. Gosseries. Monographic du village de Ciplg. — 
Premiere partie d'un travail, ainsi qu'il est de coutume au Gercle archeolo- 
gique de Mons. Elle comprend les chapitres introductifs et le d6but de 
Tbistoire feodale de GipJy. Nous attcndrons la publication integrate de cette 
etude pour en parler plus longuement. 

11. (P.160-336.)E.Poncelet. Sceaux et armoiries des villes, communes 
et juridictions du Hainaut ancien et moderne. — G'est la suite du travail 
dont il a 6te" rendu compte anterieurement ici (XIII, 67 ; XIV, 108). L'article 
s'etend du vocable Merbes-S te -Marie au mot Thieusies. La tin sera publiee 
dans le tome XXXVI. 

12. (P. 337-40.) Varietes : H. de Behault de Dornon, Mons en 1650, 
d'apres Duplessis TEscuyer.— E. Matthieu, Tableaux du peintre de Soignie. 
— E. Puissant, Anciennes mottes a Chievres et a la Hamaide. 

Armand Carlot. 
LES WALLONS DANS UHISTOIRE 



La Siderurgie beige et les "Wallons. — |Au IV e Gongres de 
T « Association internationale pour Tessai des materiaux », qui s'est tenu a 
Bruxelles Tan dernier, M. le baron Georges de Laveleye a presente, sous 
le titre d' « Apergu bistorique de la siderurgie beige », un important 
memoire dont le Monil^ur des Inlerels materiels a recemment publie une 
edition nouvelleC). Ge savant historique, pour lequel Tauteur a'consulte et 
cite les sources, est glorieux pour les Wallons, et il sera lu avec interet et 
profit par nos industriels. Pour la g6neralit6 de nos lecteurs, nous publions 

(1) Moniteur des Intercts materiels, annce 1906, n" 117, 119 o\ 123. pages 
3218-9, 3268-9, 3388-90. CI", aussi n' 146, p. 4055. 



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68 WALLONIA 

ci-apres une analyse pour laquelle nous avons eu soin d'emprunter le plus 
souvent le texte meme de Tauteur. — N. D. L. R.] 

La Belgique comprend essentiellement, au point de vue siderurgique, 
deux centres principaux : Liege et Charleroi. 

Gertainement, il existe des usines siderurgiques importantes dans 
d'autres regions. Dans le Luxembourg, des hauts-fourneaux. Dans le Centre, 
un haut-fourneau, une importante acierie, des laminoirs, des ateliers de 
construction et des chaudronneries; des laminoirs a Mons et dans le 
Brabant; des ateliers de construction de machines et des chaudronneries a 
An vers, a Bruxelles, a Gand, a Tiriemont et ailleurs; des ateliers de 
construction de materiel roulant pour chemins de fer en Flandre et dans le 
Brabant et des fonderies un peu partout. En un mot, nous pouvons dire 
sans exageration que notre pays est industriel foncierement et dans toutes 
ses parties. Mais les regions de Liege et Charleroi reunies possedent 
32 hauts-fourneaux sur 42, 7 acieries Bessemer sur 8 et 26 laminoirs sur 36. 
On voit done que ces deux regions sont les centres principaux de la 
siderurgie en Belgique. 

De plus, lesautres districts ou l'industrie siderurgique s'est developp6e 
sont toutes de naissance relativement r6cente, et e'est Tancien pays de Liege 
qui fut en Belgique le berceau de l'industrie du fer. 

II faut bien se representee toutefois, que cette region avait des limites 
bien autrement etendues que la province de Liege du temps present, et 
qu'elle comprenait une grande partie de la province de Namur actuelle 
et, par l'Entre-Sambre-et-Meuse, s'avancait loin dans le Hainaut et jusqu'a 
Charleroi. 

Dans les temps anciens, ce que nous disons du pays de Liege se 
rapporte done aussi au district actuel de Charleroi et si, plus tard, on peut 
dififerencier ces deux r6gions, malgre cette separation plus politique que 
veritable, elles ont marche parallelement de tout temps, leurs populations 
sont de race identique et prGsentent necessairement, par suite, de grandes 
analogies comme ardeur au travail, 6nergie et intelligence. 



II est impossible de savoir quelles sont les origines de Tindustrie du fer 
dans notre pays, mais ii est hors de doute cependant qu'elles se perdent 
dans la nuit des temps. 

L'Asie en.fut certainement le berceau, et il est possible que les Eburons 
et les Nerviens, les ancetres des Beiges actuels, apporterent avec eux des 
regions de l'Euxin, dont ils provenaient, les proc6des connus de longue date 
dans leur pays d'origine. 

Quoi qu'il en soit, l'histoire nous apprend que lorsque Cesar fit la 
conquete des Gaules, il trouva chez les tribus quMl soumit a ses armes 
Tart de retirer des minerais de fer le metal qu'iis empioyaient a differents 
usages et surtout a la fabrication des armes, ce qui permet d'admettre 
que. des les premiers siecles de notre ere, le bas foyer etait connu en 
Belgique. 



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WALLONIA 69 

La d6couverte en 1870, a Lustin, pres de Namur, d'une de ces primitives 
installations, contenant encore les matieres premieres de ce que Ton peut 
appeler le lit de fusion, nous permet de comprendre les m6thodes primitive- 
ment employees pour la fabrication du fer. 

Le bas foyer consistait en une simple excavation creusee dans le sol, 
de forme ovale et a fond arrondi, d'environ 4 metres de long, de 3 metres 
de large et de 1 metre de profondeur, former d'un lit d'argile. Un canal 
creus6 a travers Targile peimettait a Tair de p6n6trer au fond du fourneau. 
Dans cette excavation fut trouv6 un m6tal contenant 93,48 p. c. de fer, 
0,37 p. c. de carbone, 4,94 p. c. de matieres vitriflables et 1,21 p. c. de soufre 
et de phosphore avec des traces de manganese. 

Voila done sous quelle forme nos ancetres retiraient le fer de ses 
minerals. 

II est probable que les Romains communiquerent aux anciens Beiges 
Tusage du soufflet, qui leur etait connu depuis longtemps, et que d'autres 
perfectionnements furent apportes sous leur domination a Tartde traiter les 
minerals de fer. Sous ie regne des Antonins, notamment, au n e siecle de 
notre ere, toute la r6gion qui devait devenir le pays de Liege, et surtout 
rEntre-Sambre-et-Meuse, vit s^panouir Tindustrie siderurgique dans une 
splendide efflorescence. 

Les communes de ce pays oil Ton a decouvert depuis une cinquantaine 
d'annees l'existence de substructions belgo-romaines sont tellemeut nom- 
breuses que Ton est presque en droit de se demander si pour ainsi dire tous 
les villages actuels n'existaient pas au raoins a T6tat de villae sous la 
domination romaine. 

En ce qui concerne les usines, aussi bien dans les environs de Li6ge 
que de Charleroi a Gbimay et de Namur a Vireux, e'est par centaines que 
Ton a retrouv6 sous des monceaux de scories de ces vieilies forges de nos 
aieux, leurs fourneaux en ruines, leurs outils, des masses de fer d6ja 
forgees et d'autres a peine reduites, qui s'y rencontrent sous les cendres, au 
fond des creusets. 

Quant aux amas de scories antiques, ils sont si nombreux et si consid6- 
rables que, pendant des ann6es, dans les temps modernes, il en a et6 fait 
une v6ri table exploitation par les hauts-fourneaux de la region. 

La Societe de Couillet, notamment, a fait Tachat a Geronsart, pr6s 
de Gerfontaine, d'un de ces amas qui ne contenait pas moins de 14,000 
tonnes de ces scories, dont la teneur elait encore de 40 a 60 p. c. de fer 
metallique. 

II a ete" calcul6 que de 1850 a 1880, et rien que dans l'Entre-Sarabre- 
et-Meuse, plus d'UN million de tonnes de ces produits, appeles sans motif 
plausible crayats de Sarasins, ont ete exploites par les hauts-fourneaux de 
la region de Charleroi. 

Lorsque Ton reflechit que chaque operation ancienne presentait a peine 
quelques kilogrammes de ces scories, on se rend compte de Timportance des 
centres industriels que repr6sente un amoncellement comme celui dont 
nous venons de parler. 



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70 WALLONIA 

II n'y a done pas l'ombre d'un doute, qu'aux premiers siecles de notre 
ere, tout le futur pays de Liege, et surtout l'p]ntre-Sambre-et-Meuse, etait 
sans conteste le pays le plus industries au point de vue siderurgique, du 
nord des Gaules et peut-etre du monde romain tout entier. 

L'art de fondre les minerais de fer, de ployer et d'assouplir ce metal 
ductible a d'importants usages, y etait arrive a un notable degre de 
perfection, et les Belgo-Romains de cette contree y avaient acquis une 
habilet£ qu'ils ont leguee comme un pr6cieux heritage aux ouvriers li^geois, 
caroloregiens et, on peut le dire meme, a presque tous les ouvriers wallons 
de nos jours. 

L'invasion des tribus germaniques arreta certainement Timpulsion 
donnee a la manufacture du fer, mais sous Charlemagne, au vm e siecle, le 
progres reprend et, apres le fourneau Catalan, apparait le fourneau a masse, 
que je n'ai pas besoin de decrire, mais qui, plus elev6 que les anciens 
foyers, permet une concentration plus forte de la chaleur. II est 6tabli aussi 
que sous les Garlovingiens une fabrique royale de cuirasses et d'armures de 
guerre existait a Liege ou dans ses environs. 

Dans une region ou d'immenses forets fournissaient abondamment et a 
bas prix le seul comestible alors employe, sillonn6e de nombreux cours 
d'eau donnant a peu de frais une force motrice importante pour l'6poque et 
permettant des relations faciles et economiques avec nos voisins, ou se 
rencontraient en abondance des amas de minerais de fer de reduction facile, 
il est tout naturel que la fabrication du fer, qui, nous 1'avons vu, y avait 
joui d'une prosperity extraordinaire, se soit rapidement d6velopp6e a 
nouveau. 

Aussi. des le xn e siecle, s'eievent partout des ateliers pour r elaboration 
et le travail du fer, et les ferronniers reunis en une association puissante 
formaient la plus importante corporation des Trente-Deux Metiers de la 
ville de Liege, sous le nom de bon metier des Febures ou des F&bvres, et 
le metallurgiste Karsten cite les Pays-Bas comme le district ou la 
manufacture du fer avait atteint des cette 6poque le plus haut degre de 

perfection. 

* * * 

Jusque-la, le fer malleable etait seul produit; mais a mesure que 
s'eievait le foyer de reduction, le fer fabrique se carburait da vantage par 
suite du contact plus prolonge avec le charbon de bois, et il arriva frequem- 
ment que fut produit, en meme temps que le fer ordinaire spongieux, le fer 
carburet liquide, e'est-a-dire la fonte. 

Par un instinct d'intuition qui a toujours caracteris^ Touvrier liegeois, 
celui-ci ne chercba pas a 6viter la production accidentelle de la fonte, mais 
s'attacha a en tirer parti, et e'est dans le pays de Li6ge que fut cree 
pour la premiere fois ce procede indirect, e'est-a-dire l'aflinage de la fonte, 
par opposition au procede direct, qui fabrique le fer des la premiere 
operation. 

Ge procede fut du reste d6nomm6, d'apres son pays d'origine, la methode 
icallonne, d f oii il fut adopte par d'autres pays, et notamment par la Suede, 



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WALLONIA 71 

TAllemagne et l'Angleterre, mais ce fut apres qu'un veritable monopole eut 
et6 longtemps le privilege du pays de Liege, dont les hauts-fourneaux 
alimentaient le commerce du monde entier. 

Des le xm e siecle, la fonte etait produite couramment dans le pays 
de Liege, et les hauts-fourneaux semblent nettoment caracterises au xiv e 
siecle. 

Le premier haut-fourneau pour la production de la fonte, au sujet 
duquel nous avons des donne'es premises, fut construit a Lustin, pres de 
Namur, en 1340, et il est hors de doute qu'avant Tan 1 400 les hauts-fourneaux 
des Vennes et de Grivegnee etaient bien connus. 

En 1468, un coup terrible frappa cette r6gion deja si industrielle, 
et presque toutes les forges du pays de Liege furent d6truites par les 
troupes du due de Bourgogne, lorsqu'il fit le siege de Liege et mit la 
ville a sac. 

Malgre cette destruction impitoyable, dont les usines ne se releverent 
jamais, nos populations opiniatres au travail surent bientot faire renaitre de 
ses ruines Tindustrie du fer, si eprouvee a ce moment, et a la fin du xvi e 
siecle, ce furent les Wallons qui introduisirent en Scandinavie le travail des 
metaux et eurent ainsi la gloire de devenir des auxiliaires fort apprecies de 
Gustave-Adolphe et d'Oxenstiern (*). 

Durant les deux siecles qui suivirent l'invasion bourguignonne, l'indus- 
trie du fer se releva done de ses ruines et le nombre des hauts fourneaux 
augmenta si rapidement qu'en 1700 un edit du prince -6veque de Liege 
interdit la construction de nouveaux hauts fourneaux pendant un espace de 
vingt-cinq ans. 

D'autre part, il parait avere que e'est du district de Liege aussi que le 
proc6d6 de fabrication de racier par la cementation tire son origine, 

En tout cas, d6s le commencement du xvn e siecle, en 1613, la 
permission de transformer le fer en acier fut accordee offlciellement a 
deux armuriers de Maestricht, ville qui appartenait a cette 6poque au pays 
de Liege. 

Aussi Karsten dit-il avec raison que TAngleterre, qui est devenue 
depuis T^cole oil s^tudie la metallurgie du fer, doit au continent — et nous 
venons de voir que e'est du pays de Li6ge qu'il s'agit — deux grandes 
decouvertes : les hauts-fourneaux pour la production de la fonte et la fabri- 
cation de Tacier par la c6mentation. 

Notons enfin que de 1738 a 1743, Li6ge fournit des armes a TEurope 
tout entiere et que de nouveau, en 1802, une fonderie de canons y fut creee 
qui coula pour Napol6on une quantite considerable de bouches a feu, 
notamment pour la c^lebre expedition de Boulogne. 

L'un des principaux progres de la sid6rurgie, J'emploi du coke dans les 
hauts-fourneaux, connu en Angleterre, dit-on, des 1619, ne fut introduit 
dans notre pays qu'a la fin du xvm e siecle, et, en 1769, un essai fut tente a 

(1) [L'auteur resume ici Thistorique que nos lecteurs connaissent par Tarticle 
de M. Emile Elan, ci-dessus t. XIV (1906), p. 425 et suiv.] 



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72 WALLONIA 

Juslenville, pr&s de Spa, mais sans succes. Ge n'est qu'en 1821 que fut 
construit a Seraing, par le c61ebre John Cockeriil, un Anglais qui s'6tait 
etabli a Li6ge en 1802, le premier haut-fourneau marchant r^gulieremcnt 
avec le coke comme combustible, haut-fourneau qui resta unique de son 
espfcce jusque vers 1830, et qui fut Torigine des majestueuses installations 
de la Soci6t6 Gockerill, qui comptent, comme vous le savez, parmi ies 
plus importantes du continent europ^en, et Ton peut dire meme du nonde 
entier. 

A peu pres en meme temps, un autre Ltegeois c61ebre aussi dans nos 
annates sid6rurgiques, Michel Orban, construisait a Grivegn6e les premiers 
fours a puddler et les laminoirs a cannelures, tous deux employes en 
Angleterre depuis une quarantaine d'ann6es. 

Entretemps, en 1803, Temploi des souftleries a vapeur a piston m6tal- 
lique avait 6t6 introduit. 

II est inutile de dire que, lorsque nous avons pari6 ci-dessus de hauts- 
fourneaux, il ne s'agissait pas des v^ritables monuments que ce terme 
repr6sente actuellement a nos yeux. II peut sullire de rappeler a ce sujet 
que c'est vers 1800 que la hauteur de ces fourneaux fut portee graduelle- 
ment de trois a cinq metres. 

En 1837, un autre progr&s important fut introduit dans la fabrication 
de la fonte par Temploi de l'air chauffe, qui fut essay6 aussi pour la premiere 
fois par la Soci6t6 Gockerill. 



Jetons un coup d'oeil en arriere pour voir ce que nous retrouvons 
au sujet de l'histoire siderurgique dans la partie du Hainaut et de la 
province de Namur que nous pouvons appeler plus sp6cialement le pays 
de Gharleroi. 

Dans le Hainaut, le berceau de la sid6rurgie n'est pas Gharleroi meme, 
mais elle a commence a surgir, comme partout ailleurs du reste, dans les 
regions ou se rencontraient les minerals purs et ais6ment r6ductibies aussi. 
Les premieres traces qui nous sont parvenues de la fabrication du fer en 
flxent le centre autour de Chimay. 

On retrouve mention, dans les anciens documents, d'une usine a fer dite 
du Haut-Marteau, qui existait en 1200 a Renlies, dans le Hainaut. 

Puis vient Toctroi de chartes de franchise par le comte de Namur, en 
1345 et en 1384, aux ferons ou ouvriers mineurs de Morialme, de Fraire, de 
Florennes, etc., leur accordant £galement restitution d'une cour dejures, 
ce qui prouve l'importance prise, a cette 6poque d6ja, par Textraction du 
minerai de fer. 

Les premieres donn6es statistiques remontent 6galement a une 6poque 
d£ja 61oign6e, puisqu'en 1693 mention est faite, dans un rapport r^dige cette 
ann6e-la sur l'ordre de Louis XIV par Bernieres, l'intendant du Hainaut, 
de ce qui suit : « La partie du Hainaut qui joint a l'Entre Sambre et-Meuse 
tire toute sa richesse des mines de fer et du travail des forges. On y emploie 
14 fourneaux, dont 9 sur la terre de Chimay, 3 dans une d6pcndance de 



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WALLONIA 73 

Maubeuge et 2 sur la terre d'Avesnes. II y a 22 forges, dont 19 sur la terre 
de Chiraay et de Beaumont et 3 dans la dependance de Maubeuge. Tous ces 
etablissements occupaient environ 2,200 ouvriers, y compris ceux charges 
de preparer le bois. » 

Pres d'un siecle plus tard, nous voyons apparaitre un Episode de la 
lutte entre les deux grandes idees economiqaes qui divisent actuellement 
encore les nations et les personnalites, entre la protection et le libre- 
echange. 

Les forgeries du Hainaut, qui traveraaient une crise en 1766, alors que 
celles de Li£ge etaient en pleine prosperity, rGclamerent des mesures doua- 
nieres pour etre protegees contre leurs voisines de TEst. 

D'autre part, les gouvernements du pays de Li6ge et meme des Pays- 
Bas autrichiens prirent maintes fois, souvent par repr6sailles, des ordon- 
nances pour restreindre la libert6 du commerce avec les pays voisins, 
et Ton peut noter des guerres de tarifs nombreuses, notamment en 1756 et 
en 1765. 

La statistique a continue de fournir la preuve du dereloppement pris 
par le Hainaut dans le domaine de l'industrie du fer, et dans un me'moire 
sur les mines des provinces de Hainaut, Namur, Li6ge et Luxembourg, 
publie a Mons en 1816, nous lisons que « 118 forges ont continuellement tire 
de nos 50 hauts-fourneaux la fonte qui leur etait n6cessaire; 98 sont situees 
dans les provinces de Hainaut et de Namur; les 20 autres appartiennent a 
la France. La consommation annuelle de chaque forge est de 450,660 livres 
de fonte. Les hauts-fourneaux produisent actuellement 65 millions de livres 
de fonte. » 

La substitution du coke au charbon de bois devait necessairement 
amener le transfert des hauts-fourneaux des regions boisees a celles ou se 
rencontrait la houille, et c'est a Marcinelle, en 1827, qne fut e>ig6 le premier 
haut-fourneau au coke du Hainaut. 

Le bassin du Centre ne suivit que pres de trente ans plus tard et le 
premier haut fourneau au coke de cette region date de 1854. 

L'on arrive alors a une pGriode plus r^cente, qui nous touche pour ainsi 
dire, et certainement, a partir de 1830, les deux regions de Liege et de 
Gharleroi eurent une meme destines. 

R6sumant en quelques mots ce qui vient d'etre dit, on peut rappeler 
qu'apres le bas foyer de nos ancetres 6burons, nerviens, est venu le foyer 
Catalan, a des epoques qu'il est impossible de determiner, que le fourneau 
dit a masse date environ de Charlemagne, le fourneau a fonte ou haut- 
fourneau primitif du xiv e siecle, et le haut-fourneau a coke, de 1820 
a 1830. 

Telles sont les dates auxquelles Ton peut se reporter dans le pass6 et 
qui marquent les Stapes les plus remarquables franchies en Belgique par 

Tindustrie du fer. 

♦ * * 

II reste encore a noter quelques dates marquantes dans Thistoire de la 
siderurgie dans notre pays. Et d'abord, c*est vers 1860 que laSociet6 d'Ougree 



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74 WALLONIA 

trouva le moyen d'employer sur une grande echelle les oligistes violets qui 
se trouvaient en quantity importantes pres de Gouthuin, dans la province 
de Namur, ou elies sont, du reste, encore exploitees maintenant et qui 
furent pendant de longues anne>s Tune des principals sources d'approvi- 
sionnement de nos hauts fourneaux. A cette epoque, la Societe Gockerill 
6tablit une fabrication d'acier au creuset dans ses usines de Seraing. 

En 1855, un nouveau perfectionnement important fut apporte dans 
notre pays a la fabrication do la fonte : la captation des gaz des hauts- 
fourneaux ; puis en 1863 la Societe Gockerill, toujours a la tete du progres, 
coostruisit en Belgique les premiers convertisseurs et lamina cette memo 
ann6e les premiers rails en acier que l'Etat beige paya j usque 439 trancs 
la tonne en 1874, alors que vers 1895, a un moment de crise intense, le prix 
en est descendu ju«que vers 90 francs par tonne franco- bord An vers. A 
Liege aussi fut introduit le four a recuperation de chaleur du systeme 
Siemens-Martin, en 1872, par la Society de Sclessin. 

Une veritable revolution vint transformer encore notre industrie 
side>urgique, de 1870 a 1880, par Tepuisement, d'une part, des minerals du 
payset, d'autre part, par la mise a fruit des riches gisements miniers de la 
Lorraine et du Luxembourg, bien connus sous le nom de district des 
minettes, minerals pauvres, relativement, mais dont la gangue contient 
g^nGralement les fondants necessaires et dont le traitement devenait, par 
suite, plus Gconomique que celui des minerais de nos regions. C'est a partir 
de 1875 que Introduction de ces minerais etrangers prit surtout de 
Timportance pour la production de la fonte ordinaire, tandis que TEspagne 
nous fournissait presque exclusivement des minerais a acier, et Ton peut 
dire qu'en ce moment les huit dixiemes des minerais traites dans nos hauts 
fournaux sont importes. 

Une autre date importante, dans notre histoire siderurgique fut Tappli- 
cation du procede" de dephosphoration permettant de fabriquer l'acier de 
minerais phosphoreux, et que la Societe d'Angleur importa dans notre pays 
des 1879, aussi tot que MM. Thomas et Gilchrist eurent en 1878, resolu le 
probleme de Telimi nation du phosphore. Ge procede ne fut toutefois 
employe dans notre pays de facon courante qu'apres que le brevet fut 
tombe dans le domaine public, soit vers 1885, et a partir de ce moment la 
fabrication de racier rempla^a presque completement celle du fer. 

Enfin, Tun des derniers perfectionnements apportes a la pratique de la 
fabrication de la fonte, Temploi direct des gaz 6pur6s de hauts-fourneaux 
dans des machines a deflagration, revient encore a la Society Gockerill, 
qui des 1897 installa a Seraing deux machines a gaz de 200 cnevaux- 
vapeur, les premieres qui aient fonctionne dans le monde et qui sont 
encore en marche actuellement. 

Tous nos industriels se lancent maintenant resolument dans la voie 
de Tactionnement des laminoirs par Telectricite. Des moteurs electriques 
de 500 chevaux de force action nent des trains de laminoirs de grandes 
dimensions, et Ton peut prevoir le moment ou, grace a Tutilisation complete 
des gaz de hauts-fourneaux et au transport de la force par Telectricite, 



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WALLONIA 75 

une usine pourra se passer completement de combustible autre que le coke 
employe a la fabrication de la fonte et ou plus un kilogramme de charboo 
ne devra etre briile sous les chaudieres pour transformer le minerai de fer 
en produits finis. 

* * * 

II faut encore remonter dans le passe pour se rendre compte des 
progres realises depuis les temps les plus recules jusqu'a nos jours dans la 
capacite de rendement des appareils de production du fer ou plutot de la 
fonte, et Ton voit que le chemin parcouru merite d'etre suivi au moins dans 
ses grandes etapes. 

Nous ne sommes pas arrives dans notre pays aux colossaies productions 
atteintes aux Etats-Unis, que ne comportent pas les matieres premieres, 
minerals et cokes, que la nature a mises a notre disposition, mais la place 
que nous avons occupee a et6 a certains moments la premiere de toutes et 
est encore trfcs honorable actuellement. 

Les donn6es les plus anciennes auxquelles on peut se rapporter avec 
certitude datent de 1546 et on sait que les fours en usage a cette epoque 
produisaient environ 300 kilogrammes de fer par vingt-quatre heures. 

Vers la fin du xvi e siecle la production avait considerablement 
augmente, sans depasser toutefois 3 tonnes par jour au grand maximum. 
C'est ainsi que nous voyons les hauts-fourneaux de Chanxhe, sur les bords 
de TOurthe, et ceux de Ferot produire 876,000 livres par an, soit438 tonnes 
de fonte. 

En 1750 nous sommes un peu plus avances et le haut fourneau de 
Chimay arrivait a produire de 600 a 720 gueuses de fonte, representant une 
production annuelle de 700 tonnes environ. 

Pour trouver un progres marquant dans la capacity de production du 
haut-fourneau nous devons arriver auhaut-fourneau de la Sociele Gockerill 
a Seraing, qui produit environ 10 tonnes par jour, soit 3,000 tonnes par an. 

En 1848 une production de 25 tonnes par jour etait consideree comme 
tres satisfaisante encore, et nous voyons qu'en 1860 les hauts-fourneaux de 
la Societ6 de TEsperance et ceux de la Societe Gockerill produisaient 
5,400 T. par an, ceux de Sclessin 6,000, ceux d'Ougree 7,000 et le record 
etait detenu par ceux de Grivegnee avec 9,000 tonnes par an ou environ 
30 tonnes par jour. 

Vers 1870 la Belgique etait arrivee a la tete des nations productrices 
de fonte du monde entier : la production moyenne actuelle y Gtait par 
haut-fourneau de 12,000 T. ; alors que la Grande- Bretagne n'arrivait qu'a 
9.150, 1'Allemagne qu'a 7,000, les Etats-Unis qu'a 6,500 et la France qu'a 
4,430 tonnes. 

En 1880 c'est encore notre petit pays qui tient la tete comme capacite 
de production avec une moyenne annuelle de pres de 20,000 T. suivi dans 
l'ordre par l'Angleterre avec 14,000 T., TAllemagne avec 11,000 T. les 
Etats-Unis avec 8,750 T. et la France avec 8,600 tonnes. 

Dix ans plus tard, toutefois, en 1890, les Etats Unis, avec leurs minerals 
riches du lac Supe>ieur et leur coke dur et resistant de Connelsville, ont 



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76 WALLONIA 

depasse les pays du vieux continent et arrivent a une moyenne annuello de 
30,000 T., tandis quo la Belgique est encore en t6te en Europe avec 22,000 T., 
suivie de l'Allemagne, 21.000 T., de l'Angleterre, 19,500 T., et de la France, 
16,500 tonnes. 

En 1900, pour la premiere fois, l'Allemagne, grace a Fenorme develop- 
pement du district des minettes, prend la tete, au moins sur le continent 
europeen, et, sans marcher a pas de geant comme les Etats-Unis, ou la pro- 
duction a doubl6 pour d6passer 60,000 T., arrive a 30,000 T. de moyenne 
annuelle, contre 27,000 T. pour la Belgique, 22,500 T. pour TAngleterre et 
22,000 T. pour la France. 

Enfin, on peut actuellement evaluer la production annuelle par liaut- 
fourneau en Belgique a 32,755 T., qui est la moyenne de 1905; elle nous 
donne la troisieme place derriere les Etats-Unis, qui ont atteint, d'apres les 
journaux speciaux, la moyenne Snorme de plus de 100,000 T., et derriere 
TAllemagne, qui depasse 40,000 T., raais encore devant les 26,000 T. de 
TAngleterre et les 25,000 tonnes de la France. 

Les derniers hauts-fourneaux construits dans notre pays, notamment a 
la Society Gockerill et a Couillet, arrivent a 180 tonnes par jour, ce qui 
donnerait plus de 65,000 tonnes par an, et de nouveaux appareils sont 
projetes a la Societ6 Gockerill qui pourront passer par jour environ 200 T., 
et a la Soci6t6 de Sambre et-Moselle qui seront construits pourproduire par 
vingt quatre heures 250 et peut etre meme 300 tonnes de fonte, soit environ 
100,000 tonnes par an. 

A mesure que la production par haut fourneau augmentait, le nombre 
diminuait : aux Etats Unis de 410 en 1873 a 182 en 1902, en Allemagne 
de 297 en 1875 a 264, en Angleterre de 661 a 349, en France de 266 a 
111 et en Belgique de 46 a 30 en 1870 et a 27 en 1892, pour revenir 
a 42 en 1905. 

** * 

En revenant en arriere une derniere foie, pour nous rendre compte 
par quelques donnees statistiques de ce que fut Tindustrie sid6rurgique 
dans notre pays avant d'etre arriv6e a son etat actuel, ce coup d'ceil retros- 
pectif nous permettra, en nous inspirant des lecons du passe, de regarder 
Tavenir avec confiance. 

Nous avons dej& cite quelques cbiffres relatifs au district de Gharleroi, 
ou plutot du Hainaut. 

D'apres le tableau politique du departement de TOurthe dress6 Tan IX 
de la Republique, nous voyons que le minerai de fer extrait dans ce 
d6partement atteignait 100,000 myriagrammes , soit 1,000 tonnes, et 
representait un dixieme de la consommation des 15 forges de ce meme 
d6partement. 

En 1829, a la veille de la Revolution qui fit de la Belgique un Etat 
independant, la province de Liege poss6dait : 6 hauts fourneaux au bois, 
1 haut fourneau a coke, 5 cubilots, 78 foyers ou fours d'affinerie, 39 fours a 
r6verbere, 31 martinets, 4 fonderies, 16 laminoirs, 43 soufflets. 



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WALLONIA 77 

La production des hauts fourneaux etait de 7,078 tonnes de fonte, 
celle des fonderies de 660 tonnes d'objets moulds, celle des fabriques 
de fer de 5,011 tonnes de produits lamines et celle des usines a ouvrer 
le fer de 4,778 tonnes de produits divers, le nombre des ouvriers employes 
etant de 711. 

La Revolution de 1830, qui assura l'independance de la Belgique de 
facon definitive, fut suivie d'une crise terrible, heureusement de courte 
duree, a laquelle succeda une reprise des affaires telle, que Ton en 
chercherait vainement un autre exemple dans les annales de la siderurgie. 
Les annees 1835 et 1836 sont des dates a retenir , parce qu'elles 
marquent la fondation de plusieurs de nos principaux etablissements 
industriels par les grandes banques de credit qui venaient, elles aussi, de 
prendre naissance. 

Une sorte de fierre industrielle atteignit les capitalistes, qui creerent 
successivement : en 1835, la Soci6t6 des Vennes, fonderie, et la Society des 
charbonnages et des hauts-fourneaux d'Ougree; en 1836, la Societe Saint- 
Leonard pour la construction des machines, la Society des charbonnages et 
hauts-lourneaux de l'Esperance et la Society de Sclessin; en 1837, la Societe 
de la fabrique de fer d'Ougree. 

De la raeme epoque ou a peu pr6s, datent dans le Hainaut la creation 
de la Societe de Couillet, 1835, et de la Societe de la Providence, 1838, pour 
ne citer que celles la, tandis qu'un Anglais, M. Thomas Bonehill, suivant 
Texemple de Cockerill, s'installait dans le district de Gharleroi pour y cr6er 
les usines qni portent encore son nom et sont rest^es dans la possession de 
ses descendants. 

La Societe de Thy-le Chateau et celle d'Acoz, devenues la Societe de 
Montcheret, sont encore parmi celles qui furent creees vers cette epoque 
d'epanouissement industriel, et, nos siderurgistes renouvelant l'exode de 
leurs ancetres du xvn° siecle, nous voyons des Beiges s'etablir, vers le 
milieu du siecle dernier, dans les pays limitrophes du notre et notamment 
au sein des provinces rhGnanes, pour y porter les perfectionnements qu'ils 
avaient trouv6s aux differents proced6s alors en usage. 

Actuellement encore, du reste, si en Belgique on retrouve les descen- 
dants des Anglais Cockerill, Pastor, Alexander et Bonehill, par contre, les 
noms bien wallons et meme liegeois peut-on dire, de Petry, de Dereux, 
de Piedboeuf, de Bicheroux et de Charlier sont reconnus comme nationaux 
dans les districts de Dortmund et de Bonn. 

Nombre de charbonnages de la Ruhr furent £galement cr6es par 
des Beiges, au nombre desquels il sufflt de citer ceux de Bulbusch et 
d'Alstade. 

A differentes epoques, separees par des centainos d'annees, nous voyons 
ainsi notre histoire renouveler le cycle de ses ev6nements. 

* * * 

La construction des premiers chemins de fer, en 1835, contribua pour 
beaucoup a ce developpement extraordinaire de l'industrie; Tun des pre- 



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miers chemins de fer du continent fut construit en Belgique, de Bruxelles 
a Malines d'abord, d'Acs a An vers ensuite, et, encore une fois, c'est la 
Societe Gockerill que nous rencontrons chaque fois qu'une date mar- 
quante se presente dans notre histoire siderurgique et qui fournit, en 
1835, la premiere locomotive, ainsi que les premiers rails fabriqu&s sur 
le continent. 

Des periodes de crise et de prospe>it£ se succederent, plongeant 
Tindustrie dans le mar as me. notamment en 1839, puis apres la Revolution 
de 1848, de 1873 a 1876, en 1885 et en 1895, et lui faisant, par contre, 
traverser des eres de prosperity, surtout de 1872 a 1873, et recemment enfin 
de 1869 a 1901. La production, tout en continuant sans cesse a se developper, 
avait les memes soubresauts. 

[Ici se placent des statistiques des plus interessantes, aussi completes 
que possible, de la production et du mouvement commercial de la Belgique 
pour les produits siderurgiques, depuis la seconde moitie du stecle dernier 
et jusqu'en 1905.] 

Quant au developpement de nos usines, il est a peu pres impossible de 
le suivre de pres, tant se sont fond6s de toutes parts, a cot6s des grandes 
acieries, des fabriques de fer et des laminoirs, un nombre considerable 
d'ateliers de construction, de fonderies, d'usines siderurgiques de tout 
genre, dont l'enume>ation serait aussi longue que fastidieuse. On peut se 
borner a noter que sont ofliciellement representes aux reunions hebdoma- 
daires d'indiistriels qui ont lieu a Bruxelles tous les mercredis, 15 usines 
produisant de la fonte avec 42 hauts-fourneaux, dont 36 en activite ; 8 
acieries avec 34 convertisseurs, dont 32 en activite ; 36 laminoirs ; 21 
fonderies d'acier ; 9 fabriques de bandages ; 18 producteurs d'essieux de 
toutes dimensions ; 75 constructeurs de charpentes ; 70 fonderies di verses ; 
15 constructeurs de locomotives, une vingtaine d'ateliers de construction 
de voitures et de wagons, en tout plus de 250 flrmes pour la siderurgie 
seule, sans compter une infinite de petites usines accessoires de tout genre. 

Notre petit pays a fort a faire, comme on peut s'en rendre compte, 
pour tenir sa place au soleil, et c'est en ne laissant jamais paraitre un 
perfectionnement sans l'adopter ou l'essayer, en s'appuyant sur une main- 
d'ujuvre active, travailleuse, que le libre-echange permet, par le bon 
marche de la vie, de conserver economiquement, et en augmentant 
constamment la puissance productive de leurs installations que nos 
industriels ont r6ussi a soutenir lalutte a armes egales et sans se laisser 
devancer. 

Une certaine satisfaction nous vient aussi du fait que nous avons 
obtenu ce resultat par nos seules forces, sans, pour ainsi dire, etre proteges 
et quoique les prix moyens auxquels se vendent nos produits soient tres 
sensiblement moins eleve? que ceux des concurrents et meme que ceux 
des grands pays producteurs anglo-saxons, TAngleterre et surtout les 
Etats-Unis. 

Sans vouloir insister, du reste, il y a peut-etre lieu de signaler cependant 
que nombre des grandes usines que Ton cite toujours comme exemple de 



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prosperity siderurgique, et auxquelles les notres ne se sauraient comparer 
comme puissance productrice, se trouveraient dans une situation tres 
diff6rente de celles qu'elles occupent si elles devaient vendre leur production 
aux prix moyens dont nous devons nous contenter et que nous supportons 
sans faiblir. 

Gar il ne faut pas oublier que la Belgique doit accepter comme prix 
moyens de vente a peu pres ceux qui s'etablissent sur le marche inter- 
national de I'exportation, puisque c'est ce marche qui prend de tres loin la 
plus forte partie de notre production. 

Aucun autre pays n'exporte, en effet, une proportion aussi considerable 
de sa production que le notre. 

Les Etats-Unis exportent environ 7 °/ de leur production, la France 
i0°/ o , TAilemagne 33 °/°, tandis que la Belgique ne garde chez elle que 
20 °/ et exporte par suite, a peu pres, 80 °/ , produits manufactures compris, 
de ce qu'elle fabrique, comme le fait a ete demontre, avec preuves a l'appui, 
dans ie journal anglais le Times, il y a un peu plus d'un an. 

En 1905, ces proportions ont ete d'environ 4 3/4 °/ pour les Etats-Unis, 
13 °/ pour la France, 30°/ o pour l'Allemague et 43 3/4 °/ pour I'Angleterre 
produits manufactures non compris, ce qui conflrme les chiffres qui viennent 
d'etre cites. 

Malgre les conditions d'inferiorite dans lesquelles la Belgique se trouve 
pour affronter la lutte, nous avons done la satisfaction de nous dire que 
nous n'avons pas trop degenere depuis Tepoque sallo-romaine, et nos 
ancetres de l'Entre-Sambre-et-Meuse et du pays de Liege, s'ils revenaient 
parmi nous, verraient comme autrefois les produits de l'industrie beige 
se repandre jusqu'aux conflns des naiions civilisees. 



A propos de l'interessant memoire dont on vient de lire une analyse, 
Tauteur, M. le baron Georges de Laveleye, a regu une tres curieuse com- 
munication, dont le Moniteur des Interets mater tela , dans son n° 146 du 
7 decembre dernier, p. 4055, rend compte en ces termes : 

« D'apres ce qu'ecrit a notre collaborateur l'eminent secretaire de 
Tlnstitut du fer et de Tacier, M. Bennett H. Braught, il paraitrait que ce 
fut un nomme Godefroid Brox, de Liege, qui construisit a Dartford, en 1590, 
la premiere fonderie de I'Angleterre, contrairement a l'idee generalement 
admise qui fait de retablissement des fonderies en Belgique une importation 
anglaise, et Tinvenfion du laminoir due a TAnglais Henry Gort derive sans 
aucun doute de cette fonderie. 

» La fabrication des couteaux dont la lame se replie sur le manche fut 
introduite a Sheffield, en 1650, par des ouvriers beiges, egalement du pays 
wallon, ces couteaux portant deja, du reste. le nom de «jocte-legs», d'apres 
Jacques de Li6ge. Le poete Robert Burns parle aussi d'un « faulding 
jocteleg», v< faulding » etant devenu actuellement « folding », se replier. 
Encore maintenant, du reste, dans le Yorkshire, les couteaux de grande 



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dimension dont la lame revient sur le manche sont appel6s parfois « jack a 
legs knife », couteau jocteleg ou Jacques de Li6ge. 

» Enfin, lorsque la fabrication des canons de fusil fut introduite dans le 
comte de Sussex, en 1543, aux usines d'un maitre de forges nomme Ralph 
Hogge, il employait un ouvrier armurier beige, Pierre van Collet, pour 
fabriquer les munitions. 

» La tradition des relations existant entre les side>urgies beiges et 
anglaises se perp6tue de nos jours encore, puisque M. Greiner, le directeur 
g6neral de la Societe Cockerill, est membre du conseil de I'lnstitut du fer 
et de Tacier et que S. M. Leopold II est le plus ancien de ses douze membres 
d'honneur. » 










^fr"*-**— v^% V» %x .t^S, 



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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a I'Universite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a l'Ecole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a FAthenee 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Literature francaise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof, a I'Universite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
l'Athene'e, Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a I'Universite de Liege; 
Charles Gheude, prof, a I'Universite nouvelle, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a TAth6nee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; Feiix Magnette, prof, a TAthenee royal de Liege ; Fern and 
Malueux, prof, a I'Universite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
TAth6n6e royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a I'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneche. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; D. Brouwers, conservateur 
des Archives de I'Etat a Namur; A. Carlot, attache aux Archives de l'Etat a 
Mons ; Albert Delstanche, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Fairon, conservateur-adjoint des Archives de 
I'Etat a Li6ge ; Oscar Grojean, attache a la Bibliotheque royale de Belgique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Bibliotheque publique de Mons; Adrien 
Ogbr, conservateur du Musee archeologique et de la Bibliotheque publique 
de Namur ; Victor Tourneur, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Musee archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache, archeologue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lers, president du « Cercle archeologique* de Mons; Justin Ernotte, 
arch6ologue a Donstiennes-Thuillies; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice 
des Ombiaux, Louis Dumont-Wilden, Camille Lemonnier, Edouard Ned, 
Georges Willame, litterateurs a Bruxelles; Charles Delchevalerie, Emile 
Elan, Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a 
Liege: Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a 
Paris; Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sotti aux, litterateur 
a Charleroi ; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du «Club wallon », Malm6dy ; Joseph 
Hens, auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jacquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; Jean Roger, president de 1' « Association des 
Auteurs dramatiques et Ghansonniers wallons », a Li£ge ; Henri Simon, 
Joseph Vrindts, auteurs wallons a Li£ge; Jules Vandereuse, auteur 
wallon a Berz6e. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Mus6e instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles ; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, dessinateur, a Paris; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a i'Academie royale des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege; Paul Jaspar, archi- 
tecte a Liege; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Lie*ge; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Li6ge; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur d6corateur, Liege. 

MM. Y. Danet des Longrais, gen6alogiste-heraldiste, a Liege ; Pierre 
Delta we, publiciste, a Li£ge ; Albert Neuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt; Ernest Sente, photographe a Lie"ge ; 
Oscar Colson, folkloriste, etc. 



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Archives Wallonnes 

D' AUTREFOIS, DE NAGU^RE ET D'AUJOURD'HUI 

Recueil mensuel, illustrf, fond* en dicenbre 1892 ptr 0. Colsoa, 
Jos. Defrecheux et 6. Willirae; hoBori d'une souscription du Gouveroeroent, subsidii ptr li Province 

et ptr It ville de Liige. 

I/o?iore en I90(> du price Rouveroy au concours regie pa)' la Sociele fibre 
d' Emulation de Liege. 

Ailllie a 1 Union de la Presse periodique beige. 

Publie des travaux originaux, Etudes critiques, relations et 
documents sur tous les sujets qui inWessent les Etudes wallonnes, 
(Ethnographic et Folklore, Archeologie et Histoire, Li Ue nature et 
Beaux-Arts) avec le compte-rendu du Mouvement wallon general. 
Recueil impersonnel et inddpendant, la Revue reste ouverte a 
toutes les collaborations. 

Directeur : Oscar COLSON, 10, rue Henkart, Lttge 
Abonnement annuel : Belgique, 6 fr. Etranger, 7 fr. 50. 

Los nouveaux abonnes revoivent les nuineros parus de l'ann£e courante. 
Les abonneinents so continuent de plein droit, sauf avis contraire avant le 1" Janvier. 



CMUUMTOOll 11 WALUNIIA 

Tomes I k XIV, 1893 a 1906 inolus. 



*tt 



Depuis sa fondation, Wallonia a public cbaque ann6e un volume 
complet in-8° raisin, broche non rogne\ avec faux-titre, titre en rouge et 
noir, et table des matieres. A la fin du tome V (1897) et du tome X (1902) 
sont annexees des Tables quinquennales analytico-alphabetiques, qui cons- 
tituent le r6pertoire ideologique de la publication. Le tome XV (1907) sera 
suivi d'une table analogue. 

Chaque volume, 61egamment 6dite, est abondamment illustrG de des- 
sins originaux, portraits, etc., et contient de nombreux airs notes. Les huit 
premiers volumes comptent chacun plus de 200 pages ; les quatre volumes 
suivants, plus de 300 pages ; total, pour les 14 volumes : 3.900 p. environ. 

CONDITIONS DE VENTE 

Les volumes termines sont en vente au prix de 5 francs Tun. La four- 
niture s6par6e des premiers tomes ne peut 6tre garantie, mais des conditions 
sp6ciales seront faites, tant que le permettra T6tat de la reserve, auoc 
abonnes directs qui d6sireront computer leur collection. 

En vue de faciliter aux nouveaux souscripteurs Tacquisition de tout 
ce qui a paru, les prix suivants ont 6te etablis (avec facilit&s de paiement, 
a convenir) : 

La collection complete, 14 volumes, au lieu de 70 fr. : net 55 fr. 

Un certain nombre d'exemplaires des deux Tables quinquennales 
(32 et 24 p. a 2 col. de texte compact) sont a la disposition des travailleurs 
au prix total de 1 franc. 



in or. — imp. m. moNK. 



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Sommaire du numero de fevrier : 

Jules Sottiaux Jet « POriginalite>rallonne », par M. Edouard NED. — 

Avec portrait et bibliographic. 
Literature de chez nous : Walla, par M/ Jules SOTTIAUX. 

CHRONIQUE WALLONNE 

La nouvelle Bibliothfcque* publique de Li6g:e, par 

M. Oscar GOLSON. 
Lettres wallonnes. Ecrits wallons de Frangois Renkin, 

par M. Henry ODEKERKE. 
Histoire. Annates du Cercle archeologique de Mons, 

par M. Armand CARLOT. 
Les Wallons dans PHistoire. La Siderurgie et les 

Wallons, d'apres M. Georges de LAVELEYE. 



Sommaire du numero de Janvier : 

Une «Ecole» d'art en Wallonie, par M. Charles DIDIER. — Avec 
10 illustrations. 

Les Croix banales k P6glise coll6giale de Fosses, par M. DD. BROU- 

WERS. 
Histoire du Compere Cwanecu etj;du ^village d'On en Famenne, 

conte populaire recueilli par M. Isi COLLIN. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Art moderne : Ouvr&ge de |M. L. Rizzardi, par 

M. Fernand MALLIEUX. 
Nos Soci6t6s : Le cinquantenaire de l'Acad6mie wal 

lonne, par M. Oscar COLSON. —Avec 1 portrait. 



Sommaire du numero de decern bre : 

Litterateurs francais de Wallonie : Hubert Stiemet£par Hubert 
KRAINS. — Avec i portrait et Bibliographic 

Les LM6dailleurs au Pays de Li6ge (quatrieme article), par Victor 

TOURNEUR. — Avec 9 gravures. 
Les Sortileges et Mal6fices dans la tradition populaire wallonne 

actuelle (suite), par Oscar COLSON. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Les Wallons dans Phistoire, par Emile ELAN. 
Lettres franchises, par Arthur DAXHELET. 
Histoire, par Emile FAIRON, 0. COLSON et Fernand 
MALLIEUX. 



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Constantin Meunier 

et son (Euvre 

Conference faite le 25 Janvier 1907, a I 'Association Progressiste 

de Liege. 




'est vraiment une chose fort simple, fort nue et fort 
severe, que la biographic de Constantin Meunier. 
Elle serait tout a fait morne, si elle n'6tait infini- 
ment emouvaute, et si elle ne conlenait les plus 
precieux et les plus bienfaisants motifs d'exaltation 
intellectuelle. Elle est, plus que tout autre, depour- 
vue d'avenlures, et partant d'anecdotes. Je u'aurai 
pas d'anecdotes a vous conter, et si je me trouvais en presence d'un 
public frivole. j'aurais a ui'excuser, plein de confusion, de ce man- 
quement aux usages etablis. 

Mais les (ideles auditeurs de ces seances oat prouv6 qu'ils 
s'interessent aux sujels les plus graves, lis eonnaissent le grand 
artiste dont je veux parler, et lour respect euvers la noblesse de son 
genie m'en voudrait de recourir, en l'occurrence, a l'horticulture 
oratoiie des pauegyriques mondains. 

Fils d'un receveur des contributions, Constantin Meunier est ne 
dans le faubourg bruxellois d'Etterbeek, le 12 avril 1831. L'emplace- 
ment on sVlevait sa maison natale est maintenant englobe dans un 
cimetiere, nous dit un de ses biographes allemands ( l ). Tandis que 
lVnfant grandissait, les siens vegetaient dans une condition mediocre. 



(1) Co biographe est M. Walther (iknsel, qui a eonsacrc a Constantin Meunier, 
dans rexcellente collection des Kiinstler-Monographien (publiee par la maison 
d'edition Velhagcn et Klasing, etablie a Bielefeld et Leipzig), sous la forme d'un 
volume elegant, illustre abondamment et avec grand soin, une des etudes les plus 
eonsciencieuses et les plus intelligemment penetranles qui aient etc ecrites eonecr 
nant la vie et lVeuvre du grand statuaire beige. A ceux qui connaissent les nom 
breuses appreciations francaises que l'art de Meunier a inspirees. ce livre probe et 



Tome XV, n" 3 «-l I. 



Mars-Avril 1907. 



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82 WALLONIA 

La mort prematuree du pere contraignit la mere et les soeurs du petit 
Constantin, qui etait le cadet de six enfants, a demander a l'exploi- 
tation d'un humble commerce de modes les ressources n^cessaires k 
l'entretien de la maisonn^e. 

Chetif et maladif, Constantin soufifre plus vivement que les autres 
de la pauvrete qui regne au foyer. Le d^nuement opprime sa faiblesse 
et meurtrit sa sensibilite. II exhale une plainte perpetuelle. Jusqu'a 
sa quinzieme ann£e, il a pleure tous les soirs, raconte le poete 
Verhaeren, sur la foi des propos d'un parent du sculpteur. II fut a 
cette 6poque, dit un autre, le « Jeremie » de la famille. 

Ges details sont significatifs. lis nous montrent quelles repercus- 
sions precoces les amertumes de Texistence trouventdans Tame de ce 
bambin souffreteux. lis nous le montrent des ses premiers ans blesse 
par la r6alit6 morose, a l'age on tant d'autres exulteut dans Theureuse 
ivresse de leur inconscience illusionnee. lis nous le montrent impres- 
sionne pour la vie par la pathetique gravite des destinees. Ses 
pensees seront a jamais serieuses et pitoyables. 

Aftine par cette melancolique enfancc, Constantin Meunier, 
quand il atteint sa seizicme ann^e, se tourne vers Tart. II y avait deja 
un artiste dans sa famille, c'etait son frere aine, le repute graveur 
Jean-Baptisle Meunier, eleve de Calamatta. 

Jean-Baptiste avait appris le dessin a son cadet. Vn jour, il lui 
fit visiter la classe de sculpture, a l'Academie des Beaux-Arts de 
Bruxelles. La vue des moulages d'apres les oeuvres des grands 
statuaires classiques enthousiasma le neophyte. II voulut deveuir 
sculpteur et entra a l'atelier Fraikin. 

* * * 

Grand fabricateur de mylhologiesconventionnelles, selon le gout 
de l'epoque — on tMait en 1847, — Fraikin l'accueille en lui disant : 
« A la bonne heure! Vous savez dessiner, vous! » Et pour lui prouver 
le cas qu'il fait de ses aptitudes, relate Camille Lemonnier, il 
emploie Taspirant artiste a allumer les feux et a mouiller les 
glaises. 

Ces passe- temps insolites n'^taient pas de nature a satisfaire 
l'impatient d6sir de realisation du jeune homme. Aussi bien. Tart 
pasticheur et mercantile qu'on executait autour de lui n'pvait rien 
qui put le s&iuire. Sans savoir encore exactemeul ce qu'il voulait, il 
savait fort bien ce qu'il ne voulait pas. Son intime probite etait 

coniprehensif pent encore apprendre mainte chose preeieuse, el sa lecture doit etre 
recouimandee sans reserve, l/auteur de ces li<xnes cut plusieurs fois recou rs a la 
scrupuleuse documentation du critique ^crmanique, dont Pouvrage est, au surplus, 
de ceux qui ornent une biblioliieqiic. 11 eoute 2 marks. 



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WALLONIA 83 

deja inconsdemmenteprised'une verite plastiquequ'il avait en t revue 
dans les reproductions des oeuvres illustres, et dont rien de ce que 
perpetraient ses acolytes no portait la radieuse empreinte. 

been dans sa foi, il est preserve par sa jeune clairvoyance du 
peril d'apprendre rhabilete. a 1'ecole de la routine. II delaisse 
Fraikin et ses disciple* pour entrer a Tatelier libre Saint-Luc, que 
frequentent notaninieut Felieieu Hops el Charles de Groux — c'est 
dire qu'en depit de sou nom, eel alelier n'a rien do coiumun avec 
1'ecole de pervortisseurs du gout qui out pris pour patron le menie 
6vauueliste. 



CONSTANTIN MKINIKR. 



La, Meunier se lie intinienient avec le grave et misericordieux 
pein're Charles de Groux. Ces deux etres elaient laits pour se com- 
prendre, pour communier dans le eultc des emotions qu'inspire le 
spectacle de la souft'rance des humbles. Avec un sentiment sobre et 
profond, de Groux traduisait en ses toiles le dramatisme silencieux 
des existences modestes, vaillantes et taciturnes. Cet art alors 
ineompris impression na durablement Meunier. « II alimenta les 
sources de sa sensibilite, dit encore Camille Lemonnier, et l'inclina 
vers la notion d'une esthetique basee sur Fobservation attendrie 
des tristesses de la vie quotidienne ». 

« Peut-etre aussi, ajoulo-t-il, ce compagnonnage, apres les 
tatonnements et les hesitations de l'apprentissage, fit pour longtemps 
prevaloir, chez le jeune artiste, la peinture sur la sculpture. » Car 
Meunier a rompu avec Febau choir : il a pris la palette et les pin- 
ceaux, et durant de longues annees il ne sculptera plus, il ne touchera 
plus un bloc de glaise : il se contentera de dessiner et de peindre. 



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84 WALLONIA 

II veut exprimer le frisson de son temps. Or, la statuaire de son 
6poque ne produit que des reminiscences de l'antique ou d'insipides 
et manieres pastichages dans le gout frangais. Les grands natura- 
listes eux-memes, tels que Rude, negligent de s'inspirer aux sources 
de I'&notion conteinporaine. Par contre, la peinture lui semble etre, 
a ce moment, Tart directement 61u pour trad u ire la nature et la vie. 
II a tenu a s'expliquer lui-nieme (*) surl es raisons de cette orientation 
nouvelle : 

« Sous Tinfluence de la grande ecole des paysagistes fran^ais, 
a-t-il ecrit, des peintres tels que Louis Dubois, Artan, de Braeckeleer, 
Boulanger, renouerent chez nous la tradition qui nous unit aux vieux 
maitres de Hollande. C'dtaient des esprits enthousiastes, pleins d'in- 
dependance, et seduisants jusque dans leurs erreurs. Je vivais au 
milieu d'eux, et leur exemple me determina. Je crus m'etre tromp6 
dans ma vocation, et ce n'est que beaucoup plus tard, lorsque je 
songeai a exprimer la majeste plastique du travailleur industriel, 
que je revius a ma table de modelage. » 

# * * 

Mais, repetons-le, a cette epoque, c'est surtout le magiuHisme du 
fraternel de Groux, interprets infiniment sensible des infortunes 
sociales, qui impressionne le jeune Meunier. Le voila devenu peintre, 
et nous ne devons attendre de lui que des oeuvres austeres. Sa vie, au 
surplus, n'a pas cesse d'etre exempte de beatitude. II s'est marie 
jeune, les enfants sont venus, il faut travailler sans repit. Dans le 
temps ou il tatonne a la recherche de son ideal, ou son ame, comme 
on la dit 61oquemment, < demeure accablee de s'etre entrevue et de 
ne plus se reconnaitre », il faut qu'il oeuvre pour rimmediate subsis- 
tance. II se depense done en travaux serviles, il peint des vitraux 
pour le specialiste Gapronnier et, pendant des annees, cette produc- 
tion hative et sans gloire, ce metier besogneux et tyrannique ne lui 
permettra qu'a de rares occasions de se signaler a Fattention des 
curieux d'art par Texposition publique d'un tableau elabore dans la 
studieuse s^renite du loisir. 

II expose pour la premiere fois, en 1857. Son envoi est une toile 
severe, dans le genre de de Groux. Elle represenle une soeur de 
charity occupee a ensevelir le corps d'une pauvresse, dans le froid 
decor d'une salle d'hopital. Sa seconde manifestation est un tableau 
rapporte d'un sejour au couvent de la Trappe : V Enterrement cCun 
trappiste, ou il traduit avec un apre caractere les images de la mort 
et du renoncement. Ce milieu de vie ascetique lui fournit d'autres 

(1) Extrait de l'ouvrage deja cite de M. Walt her Genskl. 



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WALL0N1A 85 

sujets : les Trappistes au trarail et les Trappistes a la chapelle. 
D'autres tableaux religieux — il execute, notamment, uu saint Fran- 
cois d'Assise en priere, pour l'eglise wallonne de Xhendelesse, — un 
Marty re de saint Etienne, un Baiser de Judas, d'autres encore, et, 
dans lo domaine historique, un Episode de la Guerre des Pay sans, 
sont les pages que Ton cite parmi les creations de son effort, durant 
la periode qui va de 1857 a 1880. 11 sierait d'etudier plus longuement 
ces vingt-trois an noes de formation intellectuelle et de recherche 
esthetique, au cours desquelles s'elaborait obscurement, sans se faire 
pressentir, l'admirable genie de celui qui simpose aujourd'hui 
conime un des maitres de Fart de ce temps et de tous les temps. 

Mais cela nous entrainerait bien loin... Gontentons-nous de 
noter que, dans ces reuvres d'attente, Meunier manifestait un realisme 
sincere, rehausse par un pro fond sentiment dramatique exempt de 
toute emphase theatrale. La couleur en est sans exuberance, elle est 
austere comme le choix des sujets. Notons encore, pour en finir avec 
les oeuvres etrangeres a la grande inspiration qui va remplir la vie 
de I'artiste et subjuguer les memoires humaines, im voyage fait en 
Espagne en 1884. Meunier y fut envoye par l'Etat pour copier un 
tableau du peintre flamand Kempeneer. II rapporta, outre ce travail, 
des cahiers de croquis d'ou il tira divers tableaux et notamment cette 
vivante evocation de la Manufacture de tabacs a Seville, que Ton 
voit au Musee Moderne de Bruxelles. De ce passage a travers l'huma- 
nite farouche et sombrement passionnee qui grouille dans les metro- 
poles de la pi-ninsule, retenons que Meunier fut requis par le fervent 
souci d'obser ver les moeurs populaires. La encore, sa predilection le 
portait a regarder vivre les humbles. 



Mais deja — depuis 1880 — il avait, a la faveur d'une solcnnelle 
revelation, trouve sa voie definitive. Les tenebres s'etaient dechir^es. 
II avait compris que les tableaux d'histoire et de religion, si grande 
que fut la part de son ame qifil y pouvait mettre, ne contenteraient 
jamais son besoin d'effusion artistique. 11 venait de se decouvrir, a 
l'age de cinquante ans, et il all lit, avec une vaillance toute juvenile, 
commencer une nouvelle vie, et celle meme qui Ta rendu imniortel, 
a cet age oil tant d'autres artistes, partis, eux aussi, a la conquete 
d'eux-memes, out depuis longtemps cesse toute investigation. 

II avait visite, en 1880, le Val S^Lambert. 11 parcourut alors 
notre pays industriel, et il eut la sensation de fouler un continent 
inconnu, une terre vierge de la sensibility esthetique. Dans une houil- 
lere voisine des cristalleries, il assista & la descente des mineurs. 



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8') WALLONIA 

Ici, il faut encore citer Camille Lemonnier. Notre grand ecrivain 
etait lie a Meunier d'une amitie fraternelle, et il l'aida, on le sail, a 
connaitre ce dont il etait capable. La magistrate monographic qu'il 
lui a consacree est un monument de critique elevee et ^interpretation 
comprehensive. En cette page eloquente, le romancier du Mart et de 
Happe-Chair evoque 1 'episode fatidique a la la veil r duquel notre 
artiste connut qu'il etait desormais delivre des anxietes de la 
recherche : 

« Un soir qu'au ronflement des turbines, parmi les fracas de la 
tole rabotee par le roulement des berlaines, il assistait a la peripetie 
dramatique des cufats precipites, avec leur peuple noir, dans la 
spirale ten6breuse, il eut la vision nette, emouvante de son art. Elle 
s'accorda avec l'effroi, la surprise, la douleur de cet engloulissement 
d'une humanite com me aux remous d'un Erebe. Elle Tut la convul- 
sion fraternelle de sa propre humanite entrainee dans l'avcnture de 
ces obscurs heros tragiques. La vue de ces el res aux yeux manges de 
suie, aux pAleurs de peau charbonnee, aux hail Ions machures par- 
dessus de gourdes ossatures animates, en outre lui proposait une 
faune farouche, primordiale, bien autrement faite pour le relief des 
plastiques expressives que runiverselle et ecomrante banalite des 
modeles a viandes boulantes el a muscles en caoutchouc, pareils aux 
derniers coryphees en maillot d'un crepuscule des dieux mytholo- 
giques. Gonslanlin ^leuuier avait trouve la region ideale corres])on- 
dante a son heroismo inkdlectuel, a son rythme de beau to dans la 
force et Taction. 

» Du Val S'-Lambert, il rapporta des etudes, une documentation 
precise et abondante. Elle lui servit a etablir rordonnance de sa 
Descenle de mineurs, son premier grand tableau dedie au travail. Ce 
fut son point de depart. 

» Sous les hautes charpentes entenebrees, la cage se gorge de la 
cargaison humaine qu'elle va plonger dans le trou homicide. 
L'6quipe est la, tassee, faces hebetees de servage, chairs qui ont 
garde le frisson de fair nocturne, torses assommes par le coup de 
poing du sommeil. Des corons par la rafale et la pluie, sous les ciels 
tourbillonnants, ils sont verms, les tape-a-la-veine, quittant la inaison 
ou, routes en boule, dormaient la femelle et les petits, emportant le 
pichet et le bissac qui, entre deux crachats de houille, les susten- 
teront an fond de la bure. Avec leurs anatomies anguleuses et 
rigides, ils semblent avoir ete tailles dans des blocs d'anlhracite, 
formes confuses et teiTibles qui n'ont pas Pair d'appartenir au monde 
des vivants. Leurs masques de suie troues d'immobiles yeux de 
fievre, leur donnent plutot une appai-ence de vertigo et de mystere, 



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WALLONIA 87 

comme des spectres. Et tons ces yeux rcgardent veuir quelque chose 
qu'on ne voit pas. Peut-etre c/est la mortqui, au grelottement sinistre 
de la petite soniiette, va declancher la cageet la pr6cipiter parmi une 
bouillie sanglante d'os et de moelles. 

» Meunier, au frisson dangereux des atmospheres eclaboussees 
de unit et de feux, avait fait passer le drame. Un suspens mortel se 
degageait de l'oeuvre, gachee a grandes touches comme une argile 
noire, moite de cambouis et d'haleincs. Elle frappa, derouta la cri- 
tique et le public. 11 sembla qu'une d£cheance s'attachat encore a 
1' image du proletaire. Une reprobation luLinterdisait l'acces sacre 
de Fart. 



LA MOISSON. 

» Meunier fut averti qu'ou lui gardait rigueur pour avoir outre- 
passe les bienseances qui reglent le choix des sujets. Ge furent de 
nouvelles luttes et de pesants mecomptes. » 

* * * 

devolution de Tart de Meunier s'&mit affirmee de facon aussi 
impressionnante, c'est naturellement a lui, et a lui seul, que songe 
Lemonnier quand, a peu de temps de la, ecrivant pour le Tour du 
Monde son ample et lyrique description de la Belgique, il cherche 
un dessinateur capable d'lllustrer dans son livre les pages reservees 
au pays noir. Le peintre et lecrivain, unis dans la meme Amotion, 
parcourent ensemble le Borinage. lis sont frappes de la beaute ter- 
rible, « brusque et soufFrante >, de la morne contree. 

A chaque pas, rintelligenee et le cueur de Meunier s'enrichissent 



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88 WALLONIA 

d'impressions vigou reuses et nouvelles. II collectionnc les documents 
avec ardeur, il participe a I'existence de ceux qui vont elre pour lui 
les modeles d'une oeuvre imperissable. II observe leur silencieux 
heroisme. Une catastrophe met en deuil le pays : il est la, epiant les 
meres pleines d'imprecations, griflbnnant, dans le lazaret oil gisent 
les cadavres arraches au grisou devorateur, d'inoubliables croquis. 
La houillere avec ses drames est son initiate el deineurera sa plus 
feconde source d'inspiration. 

Mais va-t-il se contenter de dessiner et de peindre? Bientot, ces 
inoyens n'arrivent plus a salisfaire sa fringale de realisation. In 
prodige merveilleux .-e produit. L'artiste s< 4 souvient dc ses premieres 
aspirations esth^tiques. II revient a la sculpture jadis abandonm'e au 
temps des tatonnements sans issue, et c'est com me sculpteur que ce 
quinquagenaire enthousiaste va tan tot provoquer retonnement du 
monde. 

Or, du premier coup, il s'aflirme comme mi maitre au regard 
fervent de ses amis. 11 a 53 ans : nous sommes en 1881. II execute 
son Marteleur. II prouve sa volontd de traduire, non ]>as telle peri- 
petie isolee, mais la vie multiple du monde du travail. II ne s'esl pas 
cantonne dans la mine. 11 a vu le Haut-Foui-ncau, la Fondcrie, la 
Verrerie; il y a vu des heros a magnifier, il en decouvrira plus lard 
parmi les travailleurs du plein air, les briqnetiei-s, les debardeurs, 
les moissonneurs. A ces effigies, la sculpture seule pouvait assurer 
l'imperieux relief necessa ire, le caractere epique dans la statique et 
dans le mouvement. 

Les statues et les groupes que Meunier execute ra a partir de ce 
moment, vous les avez vus realises. lis nous montrent sans cmphase 
le travailleur dans la posture du repos ou dans celle de TeHbrt. Qui 
les a vus une fois ne peut les oublier, tant Timpi-essiou de verile 
symboiique qui s'en degage est intense. lis ne rappellent rien de ce 
qu'on avait vu jusqu'alors dans les Expositions. Et, pourtant, rien 
if est moins tapageur, rien n'est j)lus fortement et plus gravement 
sobre. On peut repeter, a leur propos, un mot de Cleruenceau : 
€ L'art est si grand qu'il semble qu'il n'y ait pas d'art... » 

L'allegresse de la creation donne au petit veillard debile qu'est 
d(\ja Meunier une vigueur et une vaillance prodigieuses. Quel 
exemple, en v^rite, qu'iine telle vie pour ceux qui se croient trop 
vieux pour tenter quelque chose! II est a Bi'uxelles. II a rapporte de 
ses sejours au pays industriel assez de materiaux pour remplii' une 
existence. Les artistes out voue a son labeur une fervente admiration. 
Modeste, il s'etonne. Qu'esl-ce ([ii'ils peuvent l)ien trouver dans mes 
machines? demande-t-il. A vrai dire, le grand public n'y trouve rien 



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WALLONIA 80 

encore. Cos « machine^ > ne se vendeni pas. Ne croyez pas qu'il va se 
decourager. Pourquoi serait-il surpris, puisque la vie lui fut toujours 

diilicile? 

* ** 

Mais il a son <euvre a fa ire, et le temps presse. L'instant est 
pathetique. Ii faut travailler comme toujours pour la subsistance, et 
aussi travailler i>our soi. pour le « luxe >. Cruel dilonime! Meunier 
parvient heureuseiiient 
a le resoudre. II se fait 
nommer professeur a 
1' Academic des Beaux- 
Arts a Lou vain. (Test le 
vivre assure, avee d'am- 
ples loisirs. L'artiste va 
habiter Lou vain avec les 
siens. L'edilite lui ac- 
cordc mi alelier. Eile lui 
cede u n ed i (i ce desa f feet e, 
Tancien amphitheatre 
on les etudiantsderUni- 
versite apprenaient a 
dissequer. 11 semhle vrai- 
mentqifune rnysterieuse 
predestination ait vou6 
ce grand interprets de 
la diltieulte de vivre a 
passer ses jours au mi- 
lieu des images du deuil 
et de la douleur. 

Le livre de Lemon- 
nier, auquel il faut tou- 
jours revenir. contient 
une evocation de cet 
alelier, que je me repro- 
cherais de ne pas eiler a cette place : LE MARTELEi;R - 

« Meunier fut la au coeur profon I de son art, dans le drame, 
1'humanite trisle et le silence. La predestination, visible dans tous les 
evenemeuts de sa vie, encore une fois s'attesta aux aflinites qui 
presque aussitot s'etablirent entre les ressouvenances funebres et 
Kheroisme tragique de son oeuvre. II semhle venu a cet ancien 
charnier pour elre plus pres des autres. de ceux <[iio maintieut 
ouverts, sous les pas de l'ouvrier, 1'eternel suspens des eatastrophes. 



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90 WALLONIA 

Un sublime ouvrier aver, de la terre fit le geste de repetrir la chair 
que, par larges pans, avaient abattu les d^peceuis du squelette 
humain. Quand on put penetrer dans rimmense vaisseau, aux 
plafonds perdus dans une altitude de lieu sacre, on resta frappe par 
ramoncellement do la vie qui. en tons sens, rachetait la inort long- 
temps souveraine dans cette demeure des ombres. 

» La monotonie de la vie provinciale, le silence de la rue dans 
un quartier de seminaires et d'eglises oil se mourait la circulation, 
s'accordaient avec le gout d'isolement qui, bieu avant dans la nuit, 
apres des jours part-ages entre le travail et le devoir profession nel, 
i'attardait sur ses modelages et les grandes feuilles de papier qu'il 
tointait d'aquarelles ou balafrait de hachures au fusain. II devint 
Tame solitaire prolongeant ^es veillees fecondes a t ravers le sommeil 
de la ville, dans la grande nuit muette de la tour ou les sons, au recul 
des voutes el dans la profondeur des escaliers, s'6moussaient, ou la 
elarte doublee par les reflecleurs ne parvenait pas a atteindre la large 
zone obscure planant sous la voute. 

> Je me souviens d'heures emouvantes passees la, pres de lui. 
On etait tenle d elever la voix sous Toppression de Tatmosphere 
basse et torpide. com me chargee de tres vieilles poussieres humaines : 
et alors, a 1'echo qui, dans Fembrasurc des feiieti*es, s'eveillait ])Our 
ce diapason insolite, ou avait soudain la sensation d'etre enloure de 
presences mysterieuses et inquietantesqui vous regardaient. 

» Meunier subissait, sans en etre tourmente, ce niagnetisme fre- 
missant des choses qui laissait Tillusion d'une survie d'ames tenaces 
et clandeslines. « Je ne suis jamais seul dans mon atelier », disait-il 
en riant, avec le plissement de ses yeux pales, frais, limpides 
d'homme du Nord demeure enfant souo l'age et ou si lucidement se 
refletaient les etats d(^ sa pensee. A ce commerce avec les ombres, il 
gagna Unite fois un alTinement de la vie nerveuse et com me une 
exasperation de la sensibilite qui, montee du protond de ses fibres, a 
mesure irapregnait sa creation de plus de douleur et de pitie. » 



Meunier passe huit annees dans le decor de cet atelier tragique. 
Huit amines de travail forcene, dans le miracle desajeunesse retrou- 
vee et de son inlassable vigueur ci-eatrice. II peint. il dessine, il 
sculpte surtout, il sculpte son Puddle. ur, il sculpte son groupe du 
Grlsou, qui nous montre la muette horreur d'une mere decouvrant, 
dans une depouille humaine in forme el rabougrie, le cadavre de 
celui qui fut son fils, il sculpte le monument du pore Damieu, il 
ebauche son bas-relief de V Industrie, qui le conduira a imaginer la 



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WALLONIA 01 

grande synthese de son monument au Travail, et vingt eeuvres 
encore. 

Le succes, d'ailleurs, est venu. Son Marteleur a triomphe a 
Paris. A l'etranger, en Allemagne, en Norvege, son nom est acclame. 
Demain, ce sera la gloire. Mais, comme si la cruaute du sort avait 
present que ce pauvre horn me devait payer a chaque pas la ran^on 
de ses conquetes, il est, a ce moment, effroyablement frappe. II a 
deux fils. II les perd tons deux a quelques mois de distance. L'un, le 
cadet, meurt en mer. L'autre, le graveur Karl, qui avait accompagn6 
son pere en Esj)agne, et burine les cstarnpesdu Pays Noir, succombe 
dans ses bras. Ce double deuil accable a jamais le vieil artiste. Des 
qu'il se remet au travail, son affliction se traduit dans Texecution 
d'un Ecce Homo extraordinairement douloureux et humain, et dans 
le groupe incftablement poignant de X Enfant yrodiyue. 

Et, dans une tristes^e qui, pour le bonheur de Tart, rfa pas 
vaincu le createur de symboles, il continue de produire. Aux chefs- 
d'oeuvre realises viennent s'ajouter la Glebe, V Homme qui bolt, le 
Souffleur, le Pecheurde Boulogne, le Pechcnr de crerettes, YAbreu- 
roi/\ Y Abatteur, le Mineur a la Veine, la Femme du Pcuple, la 
Mere. Poursuivant son projet de Monument au Travail, Meunier 
extrait des limbes de son inspiration l'esquisse de ses bas-reliefs du 
Port et de la Moisson. Puis il rentre a Bruxelles. Comme s'il sentait 
que l'age le presse, il y travaille comme a Louvain, dans l'elan d'une 
vaillance obslinee qui ignore la fatigue et l'impuissancc. Naissent les 
figures du Semeur et de YEte\ pour le Jardin botaniquc de Bruxelles, 
et le haut-relief du Retour du travail, montrant la iheorie epique 
des mineurs evades de la nuit souterraine et regagnant leurs eorons. 
Meunier execute encore le noble groupe, dun rythme si fier, du 
thecal a I'abreicroir, puis le Blesse*, le Nanfraye, une Trinitd, un 
Christ en croU\ les figures de la Maternite et. de YAncetre pour le 
Monument au Travail, et une admirable serie de bustes contempo- 
rains, parmi lesquels ceux d'Elysee Reclus, de Camille Lemonnier, 
de Paul Janson, d'Emile Verhaeren sont particulierement connus. 

En 1896, une reunion d'oeuvres exposes k Paris, a la salle Bing, 
vaut a Meunier la consecration d'une apotheose. L'an d'apres, il 
triomphe a Dresde, puis a Berlin et a Vienne. Les musses sollicitent 
Thonneur d'abriter ses oeuvres, il est desormais illustre. 

Ne croyez pas qu'il va se reposer... Du meme cceur fervent, il 
continue a creuser son sillon qu'eclaire a present le tardif soleil de 
la gloire. II travaillera longtemps encore, imposant a tant de jeunes 
lassitudes le virii enseignement de sa vieillesse melaneolique et labo- 
rieuse. II finira son Monument au Travail, il executera son inonu- 



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92 VVALLONIA 

ment a Emile Zola. Et quand il s'6teindra, un matin de printemps 
de Tan 1005, le i avril, a l'ago de soixante-quatorze ans, ses outils 
seront encore chauds de la p cession feconde de ses mains cica- 
trices. 

Telle fut la vie de Gonstantin Meunier. On a vu qu'elle est inse- 
parable de son oeuvre. « Son dostin fut cruel, disait, en parlant sur 
sa tombe, M. Ernest Verlant, et sa gloice, il l'avait pour ainsi dire 
expiee d'avance, par la lenteur opiniatre et les douloureux tatonne- 
ments avec lesquels il dut se chercher lui-meme, et aussi par la 
debilite souflceteuse de son temperament, par des deuils inoubliables, 
par les difficultes de toutes sortes ([ui le tourmenterent toujours sans 
l'abaltre jamais. Gette gloire fut sans joie et sans orgueil, et ressem- 
blait trop a la definition celebre : « La gloire, n'est-ce fjas le deuil 
eclatant du bonheur? » 

Gette vie d'eflbrt tenace, d'anxiete et d'amertume a quintessence 
sa grandeur morale dans la neuve et poignantebeaute d'un peuple de 
statues. Kilo nous laisse le temoignage d'une neuvre surhumaine, dont 
s'enricbit a jamais le patriinoine de l'art universel. 



De cette eeuvre grandiose, le moment est venu d'essayer d'ex- 
primer la signification. Helas! ce n'est pas en quelques instants qu'on 
pourrait en parler avec respect, car chaque tableau, cbaque effigie 
plasti([ue meriterait un ample commentaire, et, taut la matiere est 
copieuse, j'ai deja du me borner a une enumeration de litres. 

Mais il sied, dans une reunion comme celle-ci, d'en souligner 
plus specialement la portee humaine, et, pour tout dire, democra- 
tique. 

Les artistes, s'il en est parmi ceux qui me font Thonneur de 
m'ecouter, me reprocberont peut-etre cette epitbete. Peut-etre s'efla- 
roucberont-ils en se figurant que je songe a dcicorer d'une etiquette 
politique, a accaparer au benefice d un parti un grand nom qui 
appartient a l'admiration de tous. Quils se rassurent, le ridicule 
d'un tel exploit ne me tente nullement. 

Je voudrais simplement indiquer ([uelques-unes des raisons que 
ceux qui se preoccupent des progres de la vie sociale out de venecer 
particulierement Gonstantin Meunier. 

A ee propos, l'occasion se presentera peut-etce de saluer la 
pa rente qui unit, dans un domaine ideal, les soucis de Tart et ceux 
de la democratic. 

II est bien entendu que, lorsqu'un artiste tel que Meunier realise 
une oeuvre plastique, il a voulu, a lexclusion de toute autre intention. 



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WALLONIA 03 

traduire un rythme de beaute. A regarder agir les travailleurs 
materiels, il a trouve dans la tragedie quotidienne de leur labeur le 
motif d'une Amotion esthetique puissante et nouvelle. Mais pourquoi, 
s'il ne possedait pas une ame specialement apte a traduire cette 
splendeur inconnue, eut-il ete requis exclusivement par ce spectacle 
severe — et jusque-la rebutant et dedaigne, parce qu'il demeurail 
incompris — au milieu de tant de spectacles riants? La grace des 
femmes oisives, la paix fleuriedes paysages heureux pouvaient tenter 
son talent comine elles ont tente celui de tant d'autres. Or, il se 
detourne des images sereines. II evoquc le paria maudit de la Genese 
et choisit pour decor de ses tableaux la desolation de nos enfers 
industriels. Et, de ce monde ignore, il nous enseigne par une revela- 
tion p6remptoire la hautaine et douloureuse magnificence. II decouvre 
des heros la ou personne avant lu« n'en avait vu. 

II faut done admettre qu'il apportait dans sa recherche un esprit 
clairvoyant, lib6re des pr6jug6s sociaux, preoccupe d'equite, une 
pensee fraternelle qui est Texpression superieure du sentiment 
d6mocratique. 

Avant Meunier, , des artistes avaient parfois pris rhomme du 
peuple pour modele( 1 ). II y a des petites gens dans les truculents 
tableaux de Breughel, dans les kermesses de Teniers. Des fonds de 
toiles gothiques nous font entrevoir Thumble prosternement des 
foules du moyen-age. Velasquez s'est surpris a peindre des mendiants. 
Jacques Gallot, avec une verve empanachee, a theAtralement 
silhouette les gueux de son epoque. Frans Hals a vu de la sante a 
magnifier dans tels des manants qu'il rencontrait. Mais, a part 
certaines inspirations du visionnaire Rembrandt, toutes cos interpre- 
tations occasionnelles d'un monde encore « ininteressant » sont plus 
exterieurement pittoresques qu'emouvantes et profondes. II faut, 
negligeant — et pour cause — les bergerios enrubannees du xvin* 
siecle, arriver au xix e pour saluer l'entree du peuple dans l'histoire 
de Tart. 

Justice est d'abord rendue au paysan, dont le grand Jean-Francois 
Millet exprime Tapre existence en des pages d'une grandeur epique. 
Chez nous, le severe et pitoyabie de Groux tire un impressionnant 
prestige de la vie des indigents. Mais, e'est settlement en 1880, 
qu'avec les dessins et les statues de Coustantin Meunier, Touvrier 
conquiert sa place au soleil de Tart. Et pourtant, depuis longtemps, 

(1) M. Eugene Demolder nous le fait remarquer fort a propos dans la belle 
etude qu'il a eonsaoree a Constantin Meunier, et qu'on trouve en son reeueil intitule 
Trois Oontempo rains, et publie a Bruxelles chez Edmond Deman. 



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94 WALLONIA 

le developpement de l'industric la mis au premier plan. Ses reven- 
dications pr^occupent les sociologies, les economistes, les philo- 
sophes. Seuls, les artistes ne s'iuteressaient pas encore a lui. II a 
fallu, pour emouvoir et dissiper leur aveuglement, le fulgurant 
exemple de Meunier. 

Avant lui. un seul pei ntre, eu des panneaux d'ailleurs sans 
grand interet, a evoque quelques episodes de l'activite industrielle. 
II a execute dans ce genre, il y a un siecle, quelques tableautins 
exclusivement documentaires qui sont au Musee de Liege. (Test le 
Li6geois Leonard Uefrance. 11 est curieux de noter a ce propos, 
com me Ta fait remarquer M. Albert Mockel, que le Wallon Meunier 
a eu un autre Wallon pour precurseui... 

* * * 

Ici, qu'une parenth&se me soit permise. Je viens d'encourir, en 
attribuant au genial artisle qui nous occupe l'epithete de Wallon, les 
reproehes de ceux qui s'opposent a ce qu'une revendieation de race 
s'eleve au su jet des origines d'un tel createur. Son oeuvre est si haute- 
ment humaine, dira-t-on, qu'elle prend le caractere de runiversalite 
souveraine, elle est degag6e des contingences, elle appartient a tous 
les temps et a tous les pays. 

Je m'associe bien volontiers a cet enthousiasme. Mais je reclame 
toutefois, pour notre filiale admiration, le droit de constater que 
Meunier porte un nom qui lui assigne des origines wallonnes irrecu- 
sable^, et de reconnaitre dans son art concentre, pensif, exempt 
de romantisme, dans ses tableaux ou la couleur est sacrifice au carac- 
tere, tels des signes qui distinguent la fagon de sentir qui est propre 
aux artistes de chez nous. 

D'autre part, n'est-ce pas un fait digne d'etre medite que le 
maitre du Pays JVmretdu Grisou, apres s'etre cherche dans les plus 
douloureux tatonuements, pendant trente annees, se soit tout a coup 
reveie a lui-meme, des le jour ou il foula le sol de la Wallonie? 
La terre flamande et l'Espagne. assur&neut dignes toutes deux 
d'inspirer les artistes, avaient et6, pour lui, a pen pres muettes. 
Mais il a sufli qu'il parcourut le pays de Liege et le Borinage, il a 
sufli qu'il contemplat des sites dont la tragique beaute, si elle est pour 
nous si eloqiiente, peut donner le malaise a Tetranger, pour quil fut 
a jamais seduit. A l'age ou, pour modifier Fomentation d'un esprit, il 
faut une commotion d'une incalculable puissance, il prit en fin, grace 
aux mysterieuses vertus de notre terre et du peuple qu'elle nourrit, 
conscience de sa force cicatrice et des ve rites qu'elle avait mission 
d'exprimer. L'oeuvre qu'il a realisee parle a nos coeurs un langage 
plus fraternel, parce qu'elle fut iuspiree par le spectacle del'heroisme 



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WALLONIA 9o 

anonyme qui nous environne et congue selon le mode de sentir qui 
est celui de notre race, et nous ajoutons a l'hommage de tous, dans 
l'expression de notre admiration, une nuance de ferveur et d'orgueil 
qui correspond an plus intime de nous-memes. 

A ee propos, d'aucuns se rappelleront peut-etre que Meunier fut 
justement revendiquG comme Wallon, a Liege meme (*) avec la colla- 
boration d'ecriva ins parmi lesquels on reinarquait son frere de coeur 
et de race, le statuaire braban^on Victor Rousseau... 

* * * 

Nous devons a Meunier la redemption artistique du travailleur 
manucl. et eette redemption servira etlicacement sa redemption 
sociale, parce qu'elle apprend aux indilferents a respeeter son labour 
obscurement douloureux. 



HIERGHEU8E. 



Ce sera la gloire du grand sculpteur, on ne pourrait trop le 
repeter, d'avoir donne le sceau d'eternite aux attitudes des anonymes 
dont la pantelante cohue qui s'evertue au fondde la mine, du port ou 
de 1 atelier, cree quotidiennement des merveilles inconnues. 

II nous interesse, par les prestiges d'un talent cordialement divi- 
naleur, & la noblesse sociale de I'eflbrt physique. II revele a notre 
comprehension, desormais inquiete d'elucider toutes les enigmes, ce 

(1) Par Wallonia, <lans son n" do inai li>U5(t. XII). 



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0(i WALLONIA 

qu'il y a d'heroisme tranquille, d'indefectible energie, de fruste, de 
probe, d'anxieuse et lente montee vers les lointains de lumiere dans 
la sombre stature de Thornine qui, selon les antiques maledictions de 
la Genese, peine a la sueur de son front. 

Et son oeuvre de beaute clairvoyante glorifie, sous ses aspects 
tragiques, la force pacifique et feconde. Ses puddleurs, ses verriers, 
ses moissonneurs, ses debardenrs, toute cette 6pique tribu de tacbe- 
rons grandioses, il nous la montre souventextenuee, car elledepense 
royalement, dans Kassaut quotidien, ses ressources de vie; il ne 
nous la montre jamais vaincue. Un formidable espoir nait de la vue 
de ces colosses arcboutes dans les besognes geantes ou courbes par 
la fatigue. Leurs prunelles sont monies au fond desorbitres creuses, 
ils ont rail* de ne point penser. Mais dans leurs musculatures 
noueuses git4'inconsciente et secrete reserve des races qui domptent 
le destin, ils sont le peupie innombrable qui jadis batissait les Pyra- 
mides et qui realise aujourd'hui, fourmillant et siiencieux, des 
prodiges plus utiles et non moins merveilleux. 

Nous devons a Constantin Meunier l'epopee du labeur industriel, 
plus diverse, plus copieuse, plus caracteristique aussi, semble-t-il, 
que celle qu'inspira a Jean-Francois Millet le labeur paysan. C'est 
tout riiymne du travail a travers le temps qui cbante dans cette 
(euvre d'inedite beaute et de tardive justice. 

II faut insister sur celte idee de justice. Voyez entre vingt autres, 
une efligie de Meunier, celle du Vieux M incur. En sa muette elo- 
quence, quel conseil s'en degage, de sympatbie emue pour c<»s 
malheureux qu'en d 'autres temps nous coudoyons sans y prendre 
garde, quel conseil de respect pour ces pauvres gens, dont le sto'i- 
cisme ingenu fait honte a uotre vie douillette et fleurie... Yoyez-le : 
c'est, avec sa rude stature, le type de ces heros des tenebres qui 
depuis Tenfance insouciante jusqu'a la caducite miserable, acceptent 
le sort morose et dur, les risques terribles d'une existence deja fort 
amere lorsqu'elle est sans desastre, qui ne connaissent qu'a peine — 
juste assez pour en sentir la privation — les joies du foyer et celles 
de la nature, qui sont les deux bonheurs humains qui semblent 
appartenir a tout le monde... 

Tout cela, Meunier Texprime dans le bronze d'une statue, parce 
que son Ame fraternelle et profonde a penetre Tame des plebes labo- 
rieuses en ce qu'elle a de plus admirable, en son indefectible vertu 
taciturne. II nous a fait comprendre la grandeur morale de ceux qui 
font la puissance des nations, la richesse des homines, le prestige de 
la vie, et qui ne goutent a rien de ce qu'ils ont cre«i, et qui s'immolent 
souvent au dieu auquel ils ont ravi poui- nous ses tresors... 



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WALL0N1A 97 

Faut-il dire, a ceux qui Fad mi rent, que Fart de Meunier, pour 
emouvoir aussi puissamment et aussi saiueinent, ne s'abaisse pas a 
coiumenter des anecdotes? II est exempt de tout dogmatisme, de 
toute visee litteraire. II est rythmique, il traduit l'equilibre daus le 
mouvement; par ses realisations, il montre, suivant line heureuse 
formule de Camille Lemonnier, que le travail physique est la forme 
sacree de la gymnique. C'est un art sobre et concret, fait de sim- 
plicity essentielle, et qui unit la force et la grace. II est decoratif 
et monumental par excellence, parce qu'il est merveilleusement 
general isateur... 

En symboles amples et graves, il a magnifie l'age de la houille 
et du fer, qui restera dans l'histoire de revolution humaine, com me 
la periode sombre, comine le severe Moyen-Age de I'effort indu- 

striel. 

* * * 

Si Ton considere la grandeur triste de l'oeuvre de Meunier, on 
est conduit a constater que l'Ainour n'a a aucun instant sa place dans 
ce cycle austere. La chanson des Amants n'a pas inspire ce rude 
ouvrier de la douleur. Lorsqif il s'attendrit, c'est pour ebaucher avec 
un delicat realisme des portraits d'enfants, c'est pour silhouetter la 
rude grace de l'ouvriere des charbonnages, c'est pour magnifier avec 
une pantelanle emotion Tamour paternel. La femme, dans le peuple 
de ses statues est une robuste tacheronne ou une mere Ibconde ; il 
interprete les gestes d'un monde oil Ton n'a pas souvent le temps de 
sourire. 

Dans sa volonte de simplification grandiose, un tel art, si medi- 
tatif et si concentre, n'eiit pu etre le resultat de I'eflbrt d'un jeune 
homme. II ne s'explique que par les trente annees pensives et doulou- 
reuses pendant lesquelles Meunier s'est inconsciemment prepare au 
role qu'il devait remplir. 

C'est cette lente decantation de son ame qui va, des le premier 
essai, le preserver des erreurs et lui assurer la sure divination qui 
permet de diseerner Tessence des choses sous le chaos des appa- 
rences. Meunier, qui unissait l'elan juvenile aux clairvoyances de la 
maturite, qui etait, selou 1'expresdon de Lemonnier, « le plus rapide 
des sculpteurs en meme temps que le moins presse », Meunier devait 
fataleinent devenir un merveilleux generalisateur. 

II fut, a-t-on dit, le plus classique des sculpteurs modernes. II a 
poussG jusqu'a l'epique Finterpretation de la chose observee. Pour 
definir la philosophic de son effort, je ne puis mieux faire que de lire 
quebiues lignes extraites d'un article de M. Clemenceau, paru dans 
le Journal en 189(5, au moment de l'Exposition des oeuvres de Meunier 
chez Bin£, a Paris : 



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98 WALLONIA 

« Le grand artiste beige nous a donne l'epopee du travail. Je 
parle du travail direct de l'homme sur sa dure planete. II faut tirer 
du sol la substance de vie. Laboureurs, niineurs, carriers s'acbarne- 
ront pour vivre contre le sol avare qui defend ses tresors. Pecheurs, 
abatteurs, tueurs de tous noms, acheveront l'oeuvre fatale, et de 
Fenorme accumulation de force jaillie de tous ces muscles contractus, 
de tous ces squelettes raidis, se fera la plus baute puissance d'evolu- 
tion de l'humanite tout entiere. 

> Et pourtant, ce labeur acharne, ce labeur ingrat par qui nous 
vivons, par qui nous pensons et agissons, stigmatise par nos livres 
saints com me une decheance, relegue par tout le monde antique dans 
le bas-fond social, semble encore aujourd'hui l'effet d'une implacable 
malediction. La science l'a developpe au-dela de toute croyance, sans 
le reudre plus doux. L'immense armee de l'usine manie, feud, 
tenaille, martele ou lamine — dans le silence d'on ne sait quelles 
pensees — d'enormes blocs de metal que Thelice ou la roue disperse- 
ront dans le monde pour y faire des commodity de vivre. 

» Ces homines par la loi du nombre et de la force sont les maitres 
de tout. H suflit, pour leur action decisive, d'une claire notion de 
droit, d'une volonte de justice qui fera donner les lourds maillets 
contre les fragiles murailles des privileges seculaires. Le jour n'est 
point venu, que de vagues lueurs seulement annoncent. Pourtant 
l'homme aux bras nus s'escrimant de sa masse, de son pic, ou de sa 
chamie contre la ler re-mere, donne a nos temps son veritable carac- 
tere; et qui le saisira dans sa vie vraie, sans gauchissement dVm- 
phase, tout en simplicity d'action, dira le drame moderne et, par 
r^motion suscitee, preparera les reparations futures. 

» G'est l'oeuvre de Constantin Meunier, oeuvre de poesie gran- 
diose par la seule force d 'exaltation de la juste verite, oeuvre de 
realite poignante par le contraste aigu de 1'acte et du sentiment. 
Go marteleur si simple et si grand, qui, tout barde de cuir, me 
rappelle, je ne sais pourquoi, le Colleone de Yerocchio sous sa 
cuirasse, c'est un combattant aussi. Mais qui comparera les batailles? 
Le condottiere s'en va, stupidement feioce, tuer pour qui le pave. 
L'autre expose sa vie, la donne par morceaux pour faire vivre. 
Appuye sur renorme tenaille, le corps sou pie — au repos, mais 
dispose pour Taction sollicitee du regard — attend la pate de feu que 
dans l'aveuglement des etincelles, le marteau va petrir et dompter. 
La, comme dans Foeuvre tout entiere, ce qui s'atteste d'abord c'est 
l'ideale adaptation de Thornine a l'acte. Tharmonie simple et juste 
par laquelle ils se completent et se suggrrent l'un l'autre . 

> Le miracle, c'est d'avoir fait surgir l'intensite de I'expression 



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WALLONIA 99 

de la parfaite convenance des attitudes, de la juste mesure du geste 
indicateur de Feffort ou tout le corps et toute la pensee le convient. 
Cost la le trait coinmun de tout ce peuple de bronze aux prises avec 
la matiere rebelle. Point de cris, point d'apitoiemeuts, point d'ou- 
trance. Le dranie sort du dedans. Si la plus haute po^sie s'en d^gage, 
c'est qu'elle y est naturellement contenue. La poesie de l'etre et de 
Faction, non des fausses conventions d'un jour. » 

* * * 

Ces lignes, par lesquellos le chef actuel du gouvernement de la 
Republique francaise prouve do rares qualites d'esthete et d'Gcrivain, 
ajoutent de suggestifs arguments a ceux que j'ai tent6 d'esquisser pour 
montrer combien louvre de Meunier est profondement dfemocratique. 

Et, pour me resumer, laissez-moi rappeler qu'elle Test noble- 
ment et completement. 

Ellc est democratique par le choix des sujets, par la gen^reuse 
et courageuse independance avec laquello elle ouvrit le domaine de 
Tart aux travailleurs. Depuis lors, combien d'artistes Font explore ! 
Ce sont en France, Carriere. Rafaelli, Roll, Adler; chez nous, L6on 
Frederic, Frangois Marechal et bien d'autres... 

Elle est democratique par sa simplicity, par sa puissance d'6vo- 
cation et de generalisation, parce qu'elle ne recele aucune enigme, 
qu'elle n'est nullement hermetique, qu'elle parle a tous, impression- 
nant l'etre le plus fruste et suggerant au plus atfine des reflexions 
salubres qu'il a parfois desapprises. 

Elle est democratique par sa force d'emotion, par tout ce qu'elle 
contient d'elevo, de viril et de reconfortant. 

Elle est democratique en fin par sa forme meme, qui est, comme 
on l'a dit, decorative et monu men tale. Elle est faite pour dresser ses 
fieres silhouettes dans la vastitude du plein air ou dans l'ampleur 
d'un edifice public (') : elle est faite pour appartenir a tous, elle sup- 

(1) A eet egard, ricn no peut mieux caracteriser les vcpux intimes de Tartiste 
que l'ensemble grandiose que eonstitue son Monument au Travail. Cette synthese 
harmonieuse de son effort eomprend einq hauts reliefs en pierre, representant 
I' Industrie, la Moisson. le Port et la Mine, et cinq statues en bronze : le Forgeron, 
le Mineur. le S nieur, I'Ancetre et la Mate. mite. L'une d'elles. le Mineur, tigurait, 
pendant TKxposiiion de Liege, au Palais des Beaux-Arts, ou elle occupait le centre 
du salon d'honneur de la section beige. 

L'Ktat. on le sait, a entrepris la realisation de ce magniflque ensemble 
decoratif, realisation subordonnee a la transformation du quartier de la Montagne 
de la Cour, aBruxelles. A son propos, le ministre des Beaux Arts, M.van der Bruggen, 
repondant a une question, s'exprimait naguere, a la Chambre, en ces termes : 

« Lorsque le projet de Monument au Travail, elabore par Constantin Meunier. 
lui fut soumis, mon Departement. sans pouvoir approuver la forme sous laquelle il 
etait presente et que V artiste lui- me me considerait comme un simple essai, crut 
bien faire de s'assurer immediatement la propriete des reliefs et des statues qui le 
eonstituaient, sans attendre qu'une formule architecturale definitive fut trouvee, ni 
qu'un emplacement eonvenable a tous egards fut cboisi pour I'ediiication du monu- 



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100 VVALLONIA 

porte inal la reduction aux proportions de la statuette, objet d'intG- 
rieur, resultat, comme le « tableau », de la desuete conception qui 
aecapare ego'istement l'oeuvre d'art an profit du seul mortel assez 
riche pour se l'offrir et pour I'cnlever jalousement a radmiration de 
ses rontemporains... Le (irisou ferait un assez facheux sujet de 
pendule, et 1'ou se represents mal le Chervil a Cabreucoir parmi les 
bibelots dune etagere. 

On voit que Meunier a reagi dans tous les sens contre les pre- 
juges esthetiques de son epoque. II ne sensuit pas qu'il faille « faire 
du Meunier » pour tirer profit des enscigneinents de son genie. Si 
i'arliste possede une ame eprise de fraternity sociale, qu'il s'inspire 
d'un tel exemple sans abdiquer son independance. Qu'il suive 
avaut tout son temperament. S'il veut que son oeuvre parle a l'ou- 
vrier, il n'est d'ailleurs pas necessaire qu'elle lui parle de l'ouvrier : 
l'essentiel, c'est qu'il la rende accessible a tous par la generalite de 
la forme. Pour le surplus, qu'il essaie de prouver du talent, le plus 
de talent possible : ce sera la meilleure fagon de ressembler a 
Meunier... 

Qu'il ait, comme lui, la vaillauce et la foi, et comme lui le sens 
de Fobservation fraternelle. Qu'il realise comme lui, de la beaute 
sans autre preoccupation, quel que soit le domaine vers lequel il se 
sent oriente. Qu'il se garde surtoutdu souci banaleinent buinanitaire. 
S'il veut etre utile a la foule iguorante, il possede un moyen de lui 
prodiguer mille bien fails : c'est de se faire com prendre d'elle. En lui 
rendant intelligible la beaute qu'il imagine, il s'acquittera de sa 
dette sociale. II contribuera a amplifier le champ de la pensee, il 
eveillera des esprits qui no demandent qua contempler la lumiere, il 
abattra les frontieres de cette region merveilleuse qui doit etre 
ouverte a tous et n'etre plus consideree comme le pare plein d'en- 
chantements reserve aux promenades d'une aristocratic d'inities. 

mont. Mon Departernent, en commandant a rartistc l'execution des reliefs et des 
statues, jugea utile de reserver la possihilite d'installer cos <euvres dans une salle 
speeiale du futur palais du Mont des Arts, on leur reunion, en un cadre approprie, 
dans une lumiere convenable, aurait donne a la pensee do rartistc toute sa valeur. 

» A l'oecasion de l'Exposition retrospective de FArt Helge, un nouvel essai de 
presentation fut tente a l'intervention de mon Departernent et avec sa participation 
financicre. Cet essai a etc favorablement accueilli, et la mise en eeuvre par 
M. rarchiteete Acker cCun avant-projet esquisse par C. Meunier lui-meme fut 
l'objct d'eloges unanimes. 

» Ci'tte experience pourra etre le point de depart de recherches nouvelles en 
vue du meilleur emplacement possible a donner au monument, soit au Mont des 
Arts, soit fdtleurs, apres achevement des pieces eonstitutives. lequel doit prendre 
encore un temps notable. J'ai cru correspondre aux vuuix du public et contribuera 
la gloire de rartistc en faisant placer, provisoirement. les parties deja terminees 
sous les yeux des risi tours du Musee, quitte a leur donner plus tard toute autre 
destination jugee preferable. » 



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WALL0N1A 101 

Et si son destin veut qu'il s'inspire, com me Meunier, du spec- 
tacle da travail, puisse-t il connaitre alors, devant ses modeles, un 
peu de cette emotion de solidarity dont nous savons que le maitre du 
Marteleur vibrait tie faeon si poignante; c'est cette emotion-la qui 
est Tessence superieure du sentiment democratique. L'artiste qui la 



HIERCHEUSES. 

ressent doit essayer, stolon ses forces originates, de la fa ire partager 
en la sublimisant. Sans s'en douter : innocemment, comme Meunier, 
il fera alors acte de haute, virile etgenereuse propaganda Son oeuvre 
alors, si elle est ibrtement expressive, sera de celles qui, sans porter 
d'etiquette, aident a rend re rhumanit6 meilleure, paree que, comme 
r oeuvre de Meunier, elle pourra realiser, dans Texaltation d'une 
admiration gravement attendrie et noblementemerveillee, la commu- 
nion des homines do bonne volonte. 

Charles DELCHEVALERIE. 



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Les Sortileges et ilalefices 

dans la tradition populaire wallonne actuelle 



III. 

Therapeutique 



Lorsqu'un enfant, line grande person ne, un animal domestique 
est atteint d'un mal Strange et qui resiste aux medications usuelles, 
lorsqu'une affection coutagieuse s'abat sur la fainille on dans les 
Stables, on croit generalement a Taction d'une sorciere. ("est surtout 
lorsqu'il s'agit de maladies mentales, de maladies de langueup ou de 
consomption, particulierement chez les enfants, que la theorie popu- 
laire entre en vigueur dans toute sa force. 

Alors, il s'agit de rSagir. 

Contre la sorciere. si Ton en a la possibility, on emploie sans 
hesitation la force brutale. C'est le cas le plus simple. 

Si Ton ne connait pas Tauteur du malefice, on recourt a certains 
procSdSs magiques pour le forcer a se presenter, on requiert l'aide 
d'un sorcier devin ou dSfaiseur de sorts, ou enfin Ton recourt a 
Taction du pretre exorciseur. 

La thSrapeutique genSrale f 1 ) du sortilege presente done di verses 
formes. Elle s'exerce par des violences materielles, directes ou indi- 
rectes, ou par des sevices moraux. 

Mais elle est toujours basee sur Temploi de la force. Cost 
par la force qu'on oblige la sorciere a « defaire ce quelle a fait ». 
C'est parce qu'il est plus fort qu'elle que le sorcier parvient a 
detourner le sort qu'elle a lance. I/exorcisme, enfin, sous toutes ses 
formes, est un acte d'autorite et de contrainte, qui oppose une force 
superieure a celle du Diable ou de son delegue. 

(1) La therapcutique speeiale des di verses p-speces de matrices a ete relatee 
avec la Nosologic, ci dessus tome XIV (1900). 



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WALLOMA 103 



o o o 



Le but des s6vices matdriels que Ton exerce eoutre les sorcieres 
est de les contraindre a defaire le sort, on, le cas eeheant, a venir en 
personne reprendre le malefice. 

Voici quelques traditions populaires : 

De Malm6dy : Lorsqu'une maladie contagieuse se declare dans une 
stable, c'est assez souvent une sorciere qui en est la cause. II arrive alors 
qu'on cherche a la chasser en tirant des coups de fusil dans les tas de litieres 
et de bois, oil elle s'est peut-etre r6fugie,e ('J. 

De Lonz6e : Dans une famille d'ouvriers residant dans une commune 
limitrophe de Lonz6e, les enfants mouraient a Tage de dix ou douze ans. 
Un jour, le pere alia consulter une vieille femme maligne [c'estadire 
expertel a Lonz6e. Elle lui dit : « II y a un malefice metainorphos6 en pie, 
qui jette le sort sur vos enfants. Essayez de la tuer, et ils ne mourront 
plus. » On tua une pie, et les derniers enfants vivent encore actuelle- 
ment. ( 2 ) 

Un voisin du conteur avait une vache malade. Une vieille lui declara 
qu'il y avait un sortilege, et qu'il fallait battre les haies de son jardin 
pour faire fuir les sorcieres. Notre interlocuteur nous assura avoir 6t6 
t£moin de la bastonnade. La vache gu6rit. La bonne femme, qui savait 
qu'elle 6tait malade d'inanition, avait eu soin de lui prescrire une plus forte 
nourriture. ( 3 ) 

Deux conseils : Si vous voulez tirer sur une sorciere, m6tamorphosee 
ou non, ayez soin de mordre les plombs ou la balle dont vous chargez votre 
arme : si vous omettiez de prendre cette precaution, les plorabs feraient 
ricochet et vous atteindraient vous-meme. iLaroche, Durbuy.j — C'est le 
bois de houx, li bices (V hu, qui est le meilleur pour frapper les sorcieres : 
elles sentent mieux les coups de ce bois-la que de n'importe quel autre. 
(Polleur.) 

L'emploi de la force brutale n'est pas sen lenient dicte par un 
sentiment de vengeance. II a pour but essentiel, nous l'avons dit, de 
dorapter Tauteur du malefice et de Pobliger a letirer le sortilege. 

Les represailles que Ton exerce con Ire les sorcieres. et dont nous 
avons donne deja tout une serie d'cxemples( 4 ), etaient et sont encore 
tres frequents. 

Voici encore quelques exemples : 

Un conteur dit : Une maison de Flawinne 6tait hantee. On y entendait 
chaque nuit, de dix a une heure, des bruits effrayants partant du grenier. 
L'homme demanda au cure Pirot de venir« rebGnir » les pieces de son habi- 
tation. Le cur6 vint et, comme a Tordinaire, des voisins aussi. A l'heure dite, 
le vacarme commenca avec des cris et hurlements. Le cur6 deposa son 

(1) Melusine, IV, 354. 

(2) De Raadt, 354. 

(3) De Raadt, les Sobriquets des communes be.hjes (Bruxclles, 1004), p. 381. 

(4) Ci-dcssus tome VI (1898), p. f>2 04. 



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KM WALLONIA 

bre^iaire oil il lisait, et releva lesmanches de sa chemise. C'6tait un homme 
(Tune quarantaine d'annees, fort comme un cheval. 11 a recommande aux 
assistants de ne pas bouger, il a tir6 ses souliers et il est mont6 au grenier, 
sans bruit. I 'instant d'apres, on a entendu une bataille. On criait : « Pardon ! 
pardon! — Ah! c'est toi, vaurien ! dit la voix du cure\ Tiens! tiens ! ca 
t'apprendra a venir troubler les braves gens ! » Et les coups de pleuvoir !... 
« Va-t-en maintenant ; mais si jamais j'entends encore parler de toi; tu pas- 
seras par mes mains, et d'une autre fa con ! » Apres ces paroles on n'entendit 
plus rien. Le cure descendit tout en nage ; il demanda une chemise de 
rechange. il remit sa soutane et ses souliers, il reprit son breviaire ; avant 
de sortir,il a dit : « Bonsoir. mes enfants, allez vous couchez tranquillement, 
vous n'entendrez jamais plus rien dans votre maison. II y en a un qui a 
recu une lecon ; je suis sur qu'elle lui profltera pour ici et pour ailleurs. » f 1 ) 

A Mont-sur-Marchiennes vivait un homme possesseur d'une chevre fort 
belle. Un jour il tomba malade, gravement malade, si bien qu'on craignait 
pour ?a vie. Sa grand'mere, qui 6tait sorciere, arrive un soir, tenant un 
couteau dans la main gauche. « Mon gargon donne-moi ta chevre, dit-elle. 
— Pourquoi faire? — Pour avoir sa peau. — Ma chevre est en bonne sant6, 
il ne iaut pas la tuer. — Qu'on aille la voir, elle est crevee. » On se rendit 
precipitamment a ratable ou, en eflet, la bete gisait sur sa litiere. L'homme 
se retablit et les commeres dirent que si la chevre etait rested en vie, le 
patient aurait infailliblement du mourir. G'est sur la bete que le sort 6tait 
retomb6, car dans ces sortes de maladies, pour qu'il y ait gu£rison, il doit 
toujours etre rejete sur un etre quelconque, un animal domestique ou 
encore sur Tauteur du mal£fice. ( 2 j 

Le fait suivant date de 1892. — II y a dans ce pays (region de Godarville) 
une sorciere celebre qu'on vient consulter de tous les coins du pays. Ces 
jours derniers, une dame de Manage demandait Fassistance de la spirite qui 
lui declara qu<* tous les maux qui l'accablaient lui venaient de la premiere 
femmc qu'elle rencontrerait. La premiere personne que la cliente apercut 
fut une marchande de casseroles de Gosselies qui se trouvait dans le com- 
partiment de son train de retour. Aussitot elle s'61ance sur la paissible 
voyageuse et lui applique a la face une border de coups. L'autre qui n'est 
pas tendre et qui sait jouer du biceps, rendit avec usure les gifles qu'elle 
a7ait recues et, se servant de ses casseroles comme massues et comme bou- 
cliers, engagea une lutte homerique dont furent surtout victimes les vitres 
du wagon et la figure des combattantes. ( 3 ) 

o o o 

Lorsque la sorciere n'est pas connue, on recou rt alors, pour la 
contraindre et la faire apparaitre, a des moyens magiques. 

Tout le monde sait qu'il sutfit a la sorciere de le vouloir ferme- 
ment. pour que soit enleve le sort qu'elle a jete\ On ajoute qu'elle 
sait defaire ses charraes en repetant en sens inverse les gestes qu'elle 
a faits pour les prod u ire. Certains malefices etant causes par des 
attouchements, le peuple s'est convaincu et il repeto qu'une sorciere 
ne peut retiree pareils sorts que si elle se trouve en presence de l'etre 
maleficie. 

(1) R' ; ,sum(' de : Lambillion. Aulot) <n'Aistnh/e. Namur, Dclvaux (1 ( .K)<*»), p. 81 84. 

(2) Jules Lemoink, In Soreetlerir d<(?is VEntre Snntbrc-et Meuse, p. 25-26. 

(3) Journal Franklin, n° du 28 l'evrier 18<>2. 



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WALLONIA 105 

II y a divers moyens d'obliger la sorciere inconnue a se presenter 
sur les lieux qu'elle a infestes. lis sont bases sur la theorie de la 
sympathie. 

Si un malade languit dans son lit, qu'il ne «sait pas mourir», on pense 
qu'il est sous le pouvoir d'un sorcier. On croit le delivrer plus vitc en 
mettant dans le four quelques bottes de paille. Aussitot que celles ci sont 
reduites en cendres, le patient doit rendre le dernier soupir. Ge sont la des 
pratiques journalieres. (*) 

A Gembloux, pour etre delivre d'un sort, on croit qu'il faut se procurer 
de 1'urine de la personne soupconnee de sorcellerie, verser cette urine dans 
un vase de terre neuf, et mettre le vase au leu. Sitot que le liquide 
s'echaufle, la sorciere ressent des douleurs atroces et vient retirer le sorti- 
lege. A Lonzee, on croit qu'il faut uriner dans une bouteille, y mettre des 
feuilles de chene, flceler et cacher la bouteille sous le lit : la sorciere viendra 
surement implorer son pardon. —(Louis Loiseau, dans Wallonia, 1, 107.) 

Quand la production d'une vache diminue, qu'elle donne moins de lait, 
on cherche si elle ne manifeste pas de l'inquietude, surtout le matin. Si cela 
arrive, on croit qu'elle a et6 traite pendant la nuit par un sorcier ou une 
sorciere. Alors, on bat le lait dans une terrine avec de petites baguettes : le 
moyen est souverain. — (Aubel.) 

Pour forcer une sorciere a defaire ses charraes, on prend un coeur de 
vache, et on y pique, sur le coup de minuit, une epingle, puis une autre, 
etainsi de suite, tantqu'on peut. La sorciere recoit les piqures d'epingles, 
elle flnit par venir demander pardon et defaire le sort. — (Liege). 

Po v J dismacraler, voci on bon Pour vous d^sensorceler, voici un 

micei/in. On po oVvant doze heures bon moyen. Un peu avant minuit, 

del nute, vos mHez 'ne nouve mar- vous mettez une marmite neuve sur 

mite sol feu, vos Vimplihez d'ewe. le feu, vous l'emplissez deau. Vers 

Yes met/e nule, qtcand Verve bout, minuit quand l'eau bout, vous jettez 

vos tapez d'vins des mosses crehous dedans des mousses cueillies sur la 

sol fosse d'in' homme di cint ans, fosse d'un homme de cent ans, et un 

et on cour di vatche. Vos plantez coeur de vache. Vous plantez une 

'ne aweye divins V cour del vatche, aiguille dans le coeur de la vache qui 

qui fVvint V cour del mac rale qui v's devient le coeur de la sorciere qui vous 

estchante, vos V sitichit, vos V fez enchante, vous le piquez, et vous le 

sofri djusqWa tant qui v % selhe dis- faites souffrir jusqu'a ce que vous 

macrale, el qu % Vhnacraledje seut/e soyez d6sensorcele, et que le sort soit 

ritoume sol cwerps d % on tchin quiv's retombe sur le corps d'un chien que 

a ve qwerou d'ava?ice po coula, el vous avez cherche d'avance dans ce 

qu'est la lot pres d vos, (*) but, et qui est la tout pres de vous. 

La blessure faile a rob jet ensorcelant ou a l'etre ensorcele est 
ressentie par l'auteiu* du malefice. On recommit celui-ci a la nature 
eta i'endroit de la blessure. Si on l'attaque par le feu, ses souffrances 
sont atroces et ii ne manque pas do venir implorer la cessation de ce 
martyre : on le contraint alors a defaire ce qu'il a fait. 

(1) Jules Lemoine, Ouvr. cittK p. 13 14. 

(2) Ferrieres. communication de M. Jules Lfroy. 



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106 WALLONIA 

Pour obliger la so re i ere myst&ueuse a se presenter, faire bouillir 
les intestins de Panimal mort de malefice (Warerame). Introduire 
vivant un animal de meine cspece dans une chaudiere mise a gros feu 
et ensuite hermetiquement fermee (Houtain-St-Siineon). Si votre 
chevre est mal&ficiee, faites cuire un peu de son lait, dans lequel vous 
aurez jettez 3 poils tires de lepine dorsale de Tanimal ; le lait brule, 
et ensuite les poils, et la sorciere vient (Bastogne). 

Quand on a un objet appartenant a une personne dont on croit 
les intentions malveillantes, on le jette dans le feu, et aussitot si cette 
fern me est sorciere, elle apparait devant vous pour arraeher l'objet 
aux flammes, car elle endure elle-meme le supplice du feu. (Entre- 
Sambre-et-Meuse, Jules Lemoine). 

Voici quelques legendes et faits particuliers. 

Le fait suivant date de d902.«Enrespacede deux ou troisans,un habitant 
de Fontaine-Valmont avait perdu une demi-douzaine de chores, et il etait 
convaincu que cette mortality anormale etait le fait d'un malveillant. Aux 
alentours, on accusa nettement une femme que Ton designe sous le nom de 
« sorciere » et qui aurait jete un sort sur les pauvres chevres. Dernierement 
on enterra la derniere victime de la sorciere. Des voisins allerent trouver le 
proprietaire de la bete et lui indiquerent le moyen de connaitre Tauteur des 
mal6flces. II sufh'rait de d£terrer le cadavre de la chevre et de le bruler. 
D'apres une croyance ancr6e dans Fesprit de beaucoup de paysans, la per- 
sonne qui se pr£senterait la premiere sur les lieux de Tautodafe serait 
Tauteur de tout le mal. Le paysan fit comme on lui dit. Le cadavre de la 
chevre fut deterre et plac6 sur des branchages auxquels on mit le feu. La 
premiere personne qui se pr6senta fut la sorciere ! L'exp6rience parut con- 
cluante et pour toutes les ames simples de Tendroit, e'est bien la sorciere 
qui a exorcise (sic : mal6flcie) les pauvres chevres et les a fait perir. II n'est 
venu naturellement a Tesprit de personne de consulter a cet egard un vete- 
rinaire, mais on a eu soin de malmener la pauvre femme qui n'en pouvait 
mais. f> (') 

Dans une maison de Hamoir, un jour, on essayait d'avoir le beurre, et 
pas moyen de Fa voir. L' horn me de la maison dit : Nous sommes emacrales 
« ensorcel6s. » L'homme se fache, il plonge un couteau de table dans le pot 
de pierre oil Ton tournait le beurre, et il coupe une sorciere. Le lendemain, 
elle « portait son bras ». 

Un fermier de Godarville voyait depuis quelque temps ses chevaux et 
son betail succomber a un mal inconnu, imputable bien certainement a 
quelque malefice de sorcier. Notre homme voulant savoir a qui il devait 
faire porter la responsabilite de cette situation, ouvrit le ventre d'un poulain 
sur point de succomber ; il detacha le cceur et les poumons de sa victime, 
et les fit bouillir dans une marmite. Le lendemain, une personne du village 
portait de nombreuses traces de brtilures a la poitrine ; Tauteur du malefice 
6tait ainsi connu. ( 2 ) 

(1) La Gazette, i\e Bruxelles, n° du 15 oclobre 1902. Communication do 
M. Kmile Hublahd. 

(2) A. Harou, Le Folklore de Godarville, p. 41. 



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WALLONIA 107 



Les sorciers soul de grands defaiseurs de sorts. La est meme 
la speciality de certains devins et guerisseurs, qui cherchent aussi a 
decouvrir les auteurs de sortileges. 

C'est le cas du Marechal de Verlee, du Marechal de Fosses, de 
Vhomme cVe Res (Rhees, hameau de Herstal), de « l'homine d % h Bon- 
celies >. etc. 

Ije Marechal de Verlee « vous dit vraiment tout ». II vous fait 
voir dans un miroir la personne qui vous a ensorcele ! 

Le Marechal de Fosses-sur-Salm, decede en 1851$, est encore 
celeb re dans toute 1 Ardenne. On lui prete d'innombrables actes 
merveilleux ( 1 ). Certains temoignages font croire qu'il etait un gu6- 
risseur expert ( 2 ). Gilles, le Berger d'Arbrefontaine, lui a succede( 3 ). 

Parmi les defaiseurs de sorts, on citait encore Djob d'Aisimont, 
Matt Greresse de Spineux, deux hameaux pres deWanne; li Vis 
XotjS de Polleur, Jean I' Saint de Mont-Dison, // Macre-rcriyou tVft 
Tchatrou a Liege, li P til Manike de Milmort. 

La race de ces homines extraordinaires n'est pas eteinte. I/Kntre- 
Sanibre-et-Meuse en rompte une douzaine, le pays de Verviei-s trois 
ou quatre; aux environs de Liege, on en commit au moins cinq, — 
sans compter les spiriles... 

Dans les cas les plus graves (et quand on le paye fort bien), le 
sorcier pratique 1'exorcisme avec Kappa rat que requiert un acte de 
cette importance (*). 

Dans les cas ordinaires, il se fait fort de chasser le sort sans 
sortir de chez lui : il vous anuonce avec assurance? le resultat favo- 
rable, qui sera du a ses pratiques magiques et secretes. Si Toperateur 
est assez puissant, il peut retourner le sort con I re celui qui l'a 
produit, ou le dinger vers un animal, qui en meurt. Sinon. la 
soreiere obligee de le reprendre en usera au gre de sa mechancete et 
suivant son desir, et elle le dirigera ou elle voudra, de preference 
contre celui-la meme qui a voulu dompter sa volonte. Generalement, 
le sorcier vous donne le moyen de savoir quel est l'auteur du male- 
fice : par exemple, il vous dit que vous reconnaitrez cet auteur en la 
premiere personne que vous eroiserez en retournant au logis; ou 

(1) CI*. Martin Lejeuxe, /.// Mnrihnu d" Fosses, dans Bulletin de la Sooiete 
Lie«:eoise <lo Literature wallonne, t. 42 (1901), p. 33 (>1. 

(2) C'est ce que tend a prouver, entre autres. une eommunieation qu'un 
venerable ecclesiastique de la region a hion voulu nous faire, d'apres des souvenirs 
de fainille. 

(3) Sur c<* soreier, Walluxia publiera bientot un article de M. Joseph Hens. 

(4) Voir plus loin. 



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108 wallonia 

ce sera la premiere fern me qui se presentera chez vous le lendemain, 
qui vous demandera quelque chose, etc. 

A Lize Seraing, deux jeunes martes avaient une fllle qui 6tait toujours 
raalade, et qui devenait de plus en plus faible. Les parents avaient consults 
plusieurs m6decins, sans succes. Un jour une v ieille femme vint rendre 
visite a ces pauvres gens ; voyant ce petit etre dans son berceau, presque 
meconnaissable, elle en prii pitie et dit a la mere : « Je crois bien qu'il est 
inutile d'avoir recoursaux docteurs, votre fllle est assur6ment « tenue d'une 
mauvaise gens ». II faut aller trouver « un tel », qui a donnG maintes fois, 
dans des cas analogues, des preuves de sa capaeite. » Le jour meme, la mere 
se rendit chez le gueris^eur avec son enfant. Gelui-ci lVxamina et dit a la 
mere : « Ge soir, inte doze et eune (entre minuit et 1 heure), un boulever- 
sement se produira dans votre maison, vous n'y ferez pas attention. » Le 
lendemain matin, la mere descendant de la chambre, vit avec surprise que 
toutes les chaises etaient renvers^es, et que « tout le manage » etait pele- 
mele, Quelques jours apies, la convalescence de Tenfant se dessina, et il 
guerit rapidement. 

oo o 

La pratique la plus salutaire est Pexorcisme religleux. II 
s'appelleen wallon : a Liege, acondjuredje; a Charleroi, dcssorce- 
ladje. Exorciser se dit a Namur, dissorciler; a Boussu, dcssorcheler ; 
a Liege, dismacraler et parfois rexorcer. 

L'exorcisme est base sur cette idee que les mal^fices sont une 
ceuvre des suppots du Diable, et que les cas de possession propremeut 
dits sont dus a la presence effective des demons. Cette theorie, qui 
est celle de TEglise catholique, est tout-a-fait populaire. 

Dans chaque canton, il y a un pretre parliculierement repute 
pour le succes des exorcismes( 1 ). Dans les villes, c'est tantot tel pretre 
qui satisfait le plus favorablement au desir des fideles, ou ce sont des 
religieux d'un ordre determine. A Liege, les Peres de l'eglise S ,e 
Catherine sont tout-a-fait renomniGs. En Hesbaye, on recourt d'ordi- 
naire aux pretres de S l -Gilles, a Tongres. « A Mons et dans le Bori- 
nage, comme dans la region d'Enghien, lesCapucinsont la reputation 
de defaire les sorts et de guerir les maladies qui sont dues & des sorti- 
leges : il ne se passe guere de semaine ou ces religieux ne recoivent 
de visites a ce sujet ». (*) 

Certains cures exorciseurs passent pour de veritables devins, de 
veritables sorciers. II en est ain.-i notamment du vieux cure de M..., 
(environs de Bastogne). On raconte qu'il fait retrouver les objets 
perdus et rapporter l'argent vole, qu'il sait detourner sans qu'ils s'en 
doutent les hommes du cabaret, qu'il «tire les conscrits dehors*, etc., 

(1) Nous repetons une fois de plus quo nous rapportons ici les dires du peuple, 
sans prendre la peine de reehercher s'ils sont l'ondes. 

(2) Communication de M. Ernest Matthieu. 



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. WALLONIA 109 

toutceia par des procedes mysterieux qu'on dit magiques. Dans ie cas 
d'argent vole, il faut avoir soin d'aller le trouver tout de suite, avant 
que le voleur ait pu changer les pieces; sinon le cure serait sans 
pouvoir pour les faire revenir. Si vous lui dites le nombre des pieces 
volees et leur metal, or ou argent, il pourra, s'il le veut, contraindre 
le voleur inconnu a rapporter publiquement l'objet de son larcin. II 
pent aussi faire voir dans un miroir celle qui rend un mari infidele, 
ou celui qui a detourne une jeune fille du droit cheinin, etc., elc. ( l ). 

La lecture des premiers versets de l'Evangile de Saint-Jean avec 
imposition de l'etole passe pour etre un puissant exorcisme. Cette 
croyance est appuyee suv l'emploi que font les pretres de ce texte 
dans les circonstances qu'on juge earacteristiques. lis le lisent aux 
femmes qui « retournent a messe » apres un accouchement, qui vont 
si fe ramessi « pour se purifier >. C'est, dit-on, cet Evangile qui sert 
a « faire tourner le vent » dans les incendies, a chasser les mauvais 
esprits des demeures et des etables, a guerir des maladies mentalcs, 
a ecarter les mauvais reves, a guerir les enfants peureux et pleurni- 
cheurs, etc. 

Gertaines localites sont plus frequences que d'autres pour 
Tapplication des Evangiles. Dans Test du Hainaut, ou va surtout a 
Baulers et a Saint-Ghislain : tous lesdimanches unedizaine de fideles 
sollicitent la lecture de PEvangile sur leurs enfants L'Evangile lu 
a Saint-Hubert est souverain pour chasser les mauvais esprits, que le 
pretre fait apparaitre dans un miroir. Aux environs de Liege on va 
surtout a Toratoire de Saint-Gil les pres d(; cette ville ; et de toute la 
Hesbaye les fideles se rendent a Saint-Gil les a Tongres pour se faire 
imposer Tetole et lire l'Evangile de Saint-Jean. 

Une autre pratique fort connue est celle qui consiste a « rebenir » 
les maisons hantees ou ensorcelees. Pour cela le pretre se rend sur 
les lieux, s'enferme avec le maitre du logis qui se met a genoux en 
prieres; le pretre revet le surplis et Tetole, lit des prieres dans un 

(1) Ce n'est pas souloment le pouvoir des pretres qu'on interprete avec liberte, 
mais leur oaraclere meuie. Beaucoup de personnrs, iiieme dans la bourgeoisie, 
eroient que c'est un signe net'aste epic de rencontrer un pretre au sortir du logis, le 
matin ; pour conjurer le sort, elles s'euipressent de toucher du fer. — I Tn auteur 
rapporte le fait suivant : «Baillainont est peut-etre le village qui a lourni le plus tie 
»sorcieres de la region de Gedinne. On raeonte qu'un jour, comme elles passaient 
>dans fair 

Pa d'sus ha yes et burhons 

Et les partes exl Tirlemont ! 

»un pretre reconnut sa vieille mere paruii elles, et que depuis, il la renia. — Mais, 
xlis jea la vieille conteuse, alors les cures eroient done aux soreiers? — Comment, 
» me repondit-elle ; mais les cures, c'est tous sorciers. » — (Georges Delaw, dans 
llecue iVArdetineet tCAnjonne, t. XII (liHJ.~>), numero de Juillet-Aout, [k 173. ) 



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110 WALLONIA . 

gros livre, asperge a differentes reprises et largement les coins de la 
piece et les objets qui s'y trouvent. On rebenit ainsi les maisons, les 
etables, les lits oil les dormeurs sonL agites de reves lerrifiants, les 
ba rates ou le beurre ne vient plus, etc. Ce sont la des pratiques que 
nos paysans pretendent bien connaitre, et qif ils decrivent avec force 
details. 

Le peuple sait ou croit savoir que le pretre, pour reussir un 
exorcisme, doit etre en parfait etat de grace. 11 cite des cas ou 
rop6ration n'a pas reussi, le demon ayant recuse l'exoreiste en lui 
reprochant des fautesque celui-ciavaitcouimises. « Dans une narration 
qui nous a ete faile, dit un auteur, plusieurs pretres, appeles a exor- 
ciser un possede, ont du sYdoigner par impuissance. Alors on decouvrit 
que leur conduite n'avait pas ton jours ete reguliere. Ge fut un jeune 
vicaire qui vint a bout du malin esprit ; encore celui-ci fit-il le 
reproche au jeune pretre d'avoir dans son enfance ramasse une 
pomme dans un verger qu'il traversait. Ge n'etait la cependant qu'un 
peche vgniel, qui n'entachait nulleiiient la conscience de rottlciaut.»( I ) 

Voici, a propos d'exorcismes, quelques legendes et faits parti- 
culiers : 

Un conteur dit : Mon grand-pere avait toutes ses vaches qui crevaient. 
On fit venir le cure pour benir les Stables, et, apres les prieres, on trouva 
sous une pierre une grosse torchette de cheveux. G'est de la que venaient 
toutes les adversites. Les mauvais tours s'arreterent. ( 2 ) 

Dans une maison oft les enfants etaient souvent malades, on fit venir 
le cur6 pour rebenir Inhabitation qu'avaient dti envahir les mauvais esprits. 
Le pretre dit que la cause de tout le mal se trouvait sous le seuil de la 
maison. Quand on le souleva, on mit a decouvert un gros crapaud. ( 3 J 

II y a encore aujourd'hui L19051, pres de Bievre, dans un quartier de 
masures echelonnees le long de la grand'route et appele « les Miseres», une 
pauvre femme qui passe pour etre sorciere. On l'accuse d'avoir empechG sa 
petite fllle de grandir. Le cure d'un village voisin serait venu rendre visite 
a la pretendue sorciere, pour conjurer le sort jete sur Tenfant. On ne sait 
ce qui se passa dans cette entrevue, mais on raconte que le cure sortit de 
la maison en « suant des gouttes grosses comme des pois », et qu'il n'y 
revint plus. ( 4 ) 

Un jeune homme de Oouy courtisait une demoiselle de Godarville, 
malade depuis longtemps; chaque soir, en quittant sa fiancee, il etait recon- 
duit jusqu'au seuil de son logis par un cheval : ce singulier animal, dress6 
sur son arri ere train, marchait sur les talons de son compagnon, qu'il 
semblait couvrir de ses jambes de devant. 

Fatigue d'une societe anssi peu recreative, notre amoureux s'en fut a 

(1) Jules Lemoine, La Soreellerie dans VEntreSambre et-Mease y p. 33-34. 

(2) Hock, Oroyanves et rent titles, 3 ed., p. 192. 

(3) Lemoine, ouvr. vile. p. 29. 

(4) Georges Delaw, loc. cit., p. 171-172. 



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WALLONIA HI 

Saint Hubert confier son cas a des gens experts en faits de sorcellerie. La, 
on lui remit un anneau qu'il devait faire porter par sa maitresse. ou cacher 
dans la maison de celle ci, s'il craignait qu'elle ne le perdit. Si par hasard 
l'anneau venait a disparaitre, le jeune homme devait se rendre immediate- 
ment chez le cure et le prier de dire « une messe avec 100 chandelles », 
sinon la jeune fille mourrait bientot. 

L'anneau fut soigneusement cach6 par le jeune homme sous le pied du 
lit de la jeune malade, a l'insu de tout le monde. Des ce moment, les appa- 
ritions cesserent, et la jeune fille sembla recouvrer insensiblement la 
sante. 

Un jour, la meie, ayant d^couvert la bague, s'en empara. Aussitot les 
apparitions nocturnes recommencerent et l'etat de la malade empira. Ge 
que voyant, le jeune anmureux courut au lit et constata, a son grand 
d6sespoir, la disparition de la bague. II ne lui restait plus qu'a se rendre 
chez le cure pour le prier de chanter « une messe avec 100 chandelles ». Le 
cure, surpris d'une demande aussi extraordinaire, refusa, alleguant que des 
messes de Tespece ne se disent pas. 

A quelque temps de la, le jeune homme, en regagnant nuitamment sa 
demeure, apereut, non loin du pont de iVardon, un cercueil entour6 d'un 
nombre considerable de bougies allum^es. Le lendemain, il apprit la mort 
de sa maitresse. (*) 

Un marechal avait deux flls. De I'atne, il voulut faire un pretre et dans 
ce but il le placa au seminaire. Mais le jeune homme ne se sentit pas 
le gout pour la prStrise et, au bout de quelque temps, delaissa les livres 
pour l'enclume et le marteau. Quand il con nut bien son etat, il se maria et 
eut famille. Son jeune frere le remplaca au seminaire et il devint avec le 
temps un Invite du Seigneur. 

Le vieux pere etant mort, son ftls aine lui succeda dans la forge. Mais 
voilk que, presque coup sur coup, le forgeron perdit deux de ses enfants, 
sans qu'on sut k quoi attribuer ces deces. Pour comble d'in fortune, son 
troisieme garcon venait de s'aliter, atteint de la meme maladie mysterieuse 
qui avait enleve les deux autres. Cette fois, plus de doute : il devait y avoir 
la un sortilege. 

P^netre de cette idee, Tartisan interrogea le petit malade et apprit de 
lui que peu de jours auparavant, il avait regu d'une femme une couque 
qu'il avait mangle. C'est de la que provient le malefice, se dit le pere. 

II fit mander en toute hate son frere, le pretre. II lui exposa la situation 
et, aux moqueries du pretre, le forgeron riposta que lui aussi avait lu dans 
les grimoires des pretres et que son frere devait immediatement combattre 
le mauvais esprit qui torturait son enfant. 

« — Vous savez, dit-il, comment vous avez baptise mon fils et si, oui 
ou non, il est la victime du demon. » — S'emportant alors en presence de la 
resistance que son frere opposait, le forgeron lui declara qu'il ne le laisse- 
rait pas sortir avant qu'il n'eut eloigne le sort qui pesait sur son enfant. 

Le pretre fit remarquer a Tobstin6 qu'il ne pouvait rien faire en ce 
moment, n'ayant pas avec lui ses livres sacres; il promit de revenir le 
lendemain, ce qu'il fit en effet. 

Le pretre entra dans la chambre du malade, placa ses livres sur la table 
entre deux chandelles allum^es, et pria pendant tres longtemps, tandis que 
la sueur decoulait de son front. Au bout d'une heure, il declara que le sort 
gtait conjure. 

L'enfant a eu le bonheur de voir sa sante se retablir. ( 2 

(1) IIarou, Le Folklore dr Godarville, p. 48. 

(2) Lemoine, loc. cit. % p. 29-80. 



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112 wallonia 

A Malonne, autrefois, vivait une vieille avec sa petite-fllle, nommee 
Mat/ane. La vieille, etant sorciere, avait ensorcele l'enfant, qui emerveil- 
lait et eflrayait ses petites eompagnes par maints tours de magie. Le vieui 
cur6 du village, nomm6 Marchand, se decida a exorciser Tenfant. Un jour, 
vers quatre heures de relevee, il fit venir Mayane a I'eglise, ou il l'attendait 
en compagnie de Baque, le raagister. II mit son surplis et Petole, fit allumer 
deux cierges et apporter l'eau benite et le goupillon au fond du temple, 
sous les cloches. Un vieillard et la vieille femme etaient la pour maintenir 
la petite possedee pendant la ceremonie. Quand le cure eut commence ses 
prieres, elle s'est mise a se tordre et a se debattre. Parfois elle echappait 
aux mains des deux vieillards, elle faisait un bond et puis elle retombait 
sur le pav6. Dans ces moments la, les cierges s'eteignaient et se rallumaient, 
les bancs de I'eglise s'entrechoquaient, les cloches sonnaient toutes seules 
dans le clocher; « tout ce qui 6tait en haut tombait en bas et tout ce qui 
6tait en bas allait en haut ! » Le cur6, cependant, continuait ses prieres sans 
emotion apparente. Quand il dit au diable de s'en aller (il y avait deux 
heures que la ceremonie durait), la pauvre fillette sauta en fair un si grand 
coup, qu'en retombant sur les pierres, on crut qu'elle allait se tuer. Les 
cloches sonnaient a toute volee, les assistants sentaient les pierres du car- 
reau fremir sous leurs pieds; les cierges s'eteignaient et se rallumaient a 
tout instant. I/enfant etait tombee par terre et ne bougeait plus. Le cure 
lui mit la main sur la tete, et elle se releva. Elle se mit a vomir une grande 
quantite d'epingles et de clous, tout plein un panier que le pretre avait fait 
preparer adessein. Apres cela, le cur6 la fii asseoir sur un petit banc et il 
la benit en disant ses dernieres prieres. Elle 6tait bien chang6e a present : 
elle n'avait plus ses mechants yeux de tout-a l'heure... Le cur6 lui a fait 
boire un verre de vin et lui a dit de venir chaque jour a la lecon de cat6- 
chisme, afin de se preparer a la premiere communion ('). Peu apres, le cure 
Marchand exorcisa de meme la vieille grand'mere qui avait ensorcel6 cette 
enfant. La ceremonie eut lieu cette fois dans le logis meme de la poss6de>, 
et le cur6 se fit accompagner de deux jeunes gens Les faits terribles qu'on 
vient de lire se produisirent encore a peu pres 'e la meme maniere. Finale- 
ment, la vieille rendit des clous et des epingles. puis « quatre petits cochon- 
nets gros comme des souris ». L'exorcisme termine, la vieille accepta Teau 
benite et se signa elle meme. Quelques jours plus tard, le cure revint et 
comme la fllle de cette femme avait garde les petits cochonnets en les nour- 
rissant avec du lait, le cure se les fit apporter, les regarda un instant, puis 
il les prit et les jeta au feu : « Maintenant. dit-il a la vieille, vous etes 
guerie : remerciez Dieu, et, dimanche prochain, venez a Teglise faire votre 
communion » ( 2 ). 

o o o 

L'exorcisme laic derive incoutestablement de l'exorcisme reli- 
gieux, dont il n'est le plus souveut que la parodie. II setrouvebeaucoup 
plus connu parce qu'il est plus frequent, et Ton ne peut douter que 
les si magr^es des sorciers exorciseurs ont influence dans une large 
mesure les recits pretendant decrirt* rexorcisme religieux. 

Suivaut les legendes et recits popuiaires, les caracteres g^neraux 
de l'operation ottrent dans Tun et Tautre cas des ressemblauces les 
plus frappantes 

(1) Rosumo de Lamriluon, Oucr. rite, p. 2r> -30. 

(2) Ibid., p. 39-43. 



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WALLONIA 113 

D'abord, les aptitudes, chez les sorciers et chez les pretres, 
different profondement, et tous ne sont pas Ggalement capables d'exor- 
ciser. Par contre il s'en trouve, dans Tune et Tautre categorie, qui 
ont acquis une reputation particulifere. 

On constate que le sorcier ou le pretre requis pour l'exorcisme 
manifeste une grande hesitation. Gonvaincu ou non, roperateur tient 
a s'assurer que le cas est bien 6tabli et bien r6el. En consequence, ii 
questionne beaucoup et refl6chit profond6ment. Au reste, Texorciseur 
considere la taehe comme difficile et p^rilleuse : le Malin n'aime pas 
k lacher sa victime, et il se venge cruellement de ceux qui Taffrontent 
sans un parfait succes. 

(Test par des oraisons et des prieres que TEglise exorcise les etres 
possed6s et les lieux hantes, Le sorcier imite & sa facon ces pratiques 
rituelles : lui aussi prononce des paroles bizarres, il lit dans un livre 
des textes incomprehensibles charges de desinences latines, — et il a 
soin de choisir un gros et vieux livre et d'accentuer l'etrangete de la 
scene par des gestes violents et des 6clats de voix. 

L'exorciste religieux opere dans le mystere, et raeme en plein 
jour, il commence par allumer des cierges. Le sorcier dresse sur la 
table des chandelles allumees et souvent meme il emploie le cierge 
b6nit qui, au village, existe dans chaque maison ; il fait, comme le 
pretre, fermer les portes, etil recommandeaux rares assistants, quoi 
qu'ils voient, le silence et f impassibility les plus absolus. 

Toujours dans les recits populaires sorciers et pr&tres, aux prises 
avec le Diable, se dem6nent, s'agitent, et suent abondamment. Par ce 
detail le peupie se jnstifie a lui-meme que la tache est drue, la besogne 
fatigante, le resultat cherement acquis. 

L'exorcisme laic est la speciality des sorciers : grim-anciers, 
d'vineu, macrS, — ou spirUes ! 

Le « chasseur de sorcieres » tchesseu d'macrales comme on 
Tappelle a Li6ge, est d'ordinaire un homme ag6, de forte taille, de 
sante robuste, donnant une impression de force calme et d f 6nergie 
pleine d'assurance. II vit seul, ou en compagnie d'une vieille, sa 
femme ou sa soeur. Elle et lui n'ont pas de rapports avec les gens du 
village. Leur maison est isolee, toujours close : rien ne transpire a 
Tenviron d-*; ce qui s'y passe... 

Le sorcier dispose le plus souvent de tout un attirail d'objets 
lugubres : tete de mort, tibia ou femur emport6 du cimetiere. 
Souvent, il a un chat noir ou une poule de meme couleur, un corbeau 
familier, une pie qui repond a son appel protere dans une langue 
inconnue... 

Un grimoire, un gros livre agrafe de fer, est en permanence sur 



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114 WALLONIA 

la table, et le devin aflecte d'y puiser la solution des difficult^ qu'on 
lui soumet. 

On voit souveut le sorcier arriver porteur de Tun ou l'autre 
animal sur lequel le sort sera reporte. On le voit aussi obliger l'esprit 
malin a se refugier dans un mannequin de paille, livre ensuite aux 
flammes. 

En cas d'insucces, le sorcier dit que son intervention a 6t6 
sollicitee trop tard, que le mal a fait deja trop de progres, ou qu'un 
sort nouveau a ete jete. 

Inutile d'ajouter que le sorcier se fait toujours payer, ordinaire- 
ment d'avance. Toutefois, on cite aujourd'hui des empiriques qui se 
contentent de signaler k l'attention de leurs clients un tronc ou 
chacun met ce qu'il veut. 

Nos lecteurs ont deja rencontr& dans ces pages des r&nts d'exor- 
cismes laics. En voici quelques autres. 

A Gilly, vivaitune jeune femme nommee Josephine Decoene. Elle 6tait 
presque entierement paralysed des.jarabes par suite, disait-elle. d'un mau- 
vais sort qui lui avait 6t£ jete. Elle fit venir le dvineu. L'homme arriva un 
jour, a minuit. II fitallumer deux quinquets et il les placa sur la table, dans 
la chambre de la malade, au rez-de-chaussee de la demeure. Entre les deux 
lampes, il ouvrit un 6norme livre comme ceux avec lesquels le pretre «dit 
la messe». II se mit alors a lire dans son bouquin en gesticulant violemment 
et en disant de temps en temps : «Sorciere, venez, arrivez.* Le mari, pres 
de la porte, une hache en main, attendait. «Levez-vous», ordonna le sorcier 
tout en nage, a la patiente. Gelle-ci, effrayee, sait qu'a ce moment elle se 
leva sans aucun secours et marcha, ce qu'elle n'avait plus fait depuis long- 
temps. Mais peu apres, ses forces I'abandonnerent et on fut oblige de la 
remettre aulit. Sur cesentrefaites, le sorcier etait parti aftn de fabriquer 
une sorciere de loques et de la bruler. ( l ) 

Deux freres £taient voisins. L'un etait rest& c6libatairc, l'autre avait 
pris femme et s'etait vu, au bout de quelques ann6es, a la tete de sept 
garcons. Malheureusement la mort vint frapper a sa porte et lui enlever 
successivement sa femme et six deses enfants. Pour comble de malheur, le 
dernier etait au lit, gravement atteint. D6sesper6, le pere s'en fut trouver un 
vieux « qui faisait avec le Mechant » car, sans doute, un sort terrible pesait 
sur sa famille. Le sorcier vint, le soir, rendre visite au malade. II alia 
prendre un miroir et. le mettant devant les yeux du patient : « Qui vois-tu? 
lui demanda-t-il. — C'est nion oncle, lui fut il repondu. — Eh bien, c'est lui 
qui te fait mourir doucement, et il en a deja fait mourir bien d'autres ». 
L'homme defendit aux interess6s, furieux comme bien Ton pense, de 
souhaiter le moindre mal a leur parent. Apres quoi il alia chercher la chaine 
du puits. II dit alors de relever le malade, et lui ordonna de se tenir pres de 
la porte entrebaillee de la demeure. II lui mit en main l'extremite de la 
chaine. Le patient r6p6ta ensuite apres le (Tvineu : « C'est bon ainsi, mon 
oncle, retournez d'ou vous venez. — Merci, mon /?, r6pondit l'oncle qui, 
disait le (Tvineu, tenait, invisible a tous, l'autre extremity de la chaine. 
L'operateur ajouta : «I1 en a assez, il est temps de s'en aller. » Le malade 

(1) Gazette de Charleroi, n° du 7 nov. 1890. 



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WALLONIA 



H5 



regagna sa couche T son pere en fit autant apres avoir paye le magicien. Le 
lendemain, l'oncle fut trouve mort dans son lit, et le malade se portait 
mieux. Ge fait s'est passe a Gilly, et il est tellement accredits dans les tetes 
credules de certains quartiers, que nous sommes persuades que, la ou nous 
avons pens6 devoir garder un silence discret, le populaire mettra des noms 
et pr6noms, et circonstanciera plus explicitement les divers traits si 6tranges, 
a peine croyables, que nous venons de relater. (*) 

Madame D..., de Milmort, nous a cont6 l'histoire suivante, ou il 
s'agit de son petit neveu. Les faits datent d'environ vingt-cinq ans. 



...Vefant aveut doze ans, il esteut 
mal&de dispoy in' an. Les docteurs 
rtipolil rin fe. 

On consia a w' mere aValler veyi 
Fhomme oVe Res\ Ille i ala. 

Divant tot, Fhomme a/a louki 
rVvins y ne bioete dizeu 'ne gardirobe, 
et i derit : « Cest anoyeus, chaque 
cop qui dji rt rinete nin cisse bice te- 
la come i fdt, i enne va todi.,. Mins 
coula n' fait rin, dji rta nin mesh* he 
di lu ouy. » 

/ rivna tot pres di rn' mame el i 
li if ha : « Dj&sez ! » 

Ille U raconla tot comme c 'esteut. 

« // est bin t&rd, nosse dame, po 
cisle ef ant-la. Mins dji m' va fe m' 
possibe. » 

Adon puis, i prinda Fefanl so 
s" ho, i U drovia F boque et i louka 
h (Tvifis. 

« Uefant a on paquet (V viers & 
sloumac. I li fat fe prinde des 
bagnes, et el laver di haul e bas, 
so li dri, so li oVvant, mins m&y di 
bas e haul. 

» Adon puis i U f&t fe ine clibise; 
et qu'i s' faisse alter li pus haut 
qu'i ptoeret, po r'mouer coula et 
F fe d'hyinde. 

» Sayiz de savu s'i n % a nin queque 
fey ricu J ne pitite saqice d' rond, el 
qui Fareul metou es s' boque. » 

On F dimanda a Vefant. Mins F 
pauve pitit ni s" poleve rapefer. I 
qicera treus djoii & long. Tot V 
minme, a fwece di s' rapinser, coula 
li rivna. 

Cesteut ine vile feume, li vile 
Tonton, qui li aveut d'ne on m&y. 
la qui riv'neve di messe; et Fefant 
Faveut melou e s' boque. 



... L'enfant avait douze ans, il etait 
malade depuis un an. Les docteurs 
n'y pouvaient rien faire. 

On conseilla a ma mere d'aller voir 
I'Homme de Rh£es. Elle y alia. 

Avant tout. l'homme alia voir dans 
une boite au-dessus d'une garde-robe, 
et il dit : « Cest attristant, chaque 
fois que je ne nettoie pas cette boite- 
Ja convenablement, il s'en va tou- 
jours... Mais cela ne fait rien, je n'ai 
pas besoin de lui aujourd'hui. » 

II revint tout pres de ma mere et 
il lui dit : « Parlez ! » 

Elle lui raconta tout comme c'Gtait. 

« II est bien tard, notredame, pour 
cet enfant-la... Mais je vais faire mon 
possible. » 

Alors il prit l'enfant sur son giron, 
il lui ouvrit la bouche et il regarda 
dedans. 

« L'enfant a un paquet de vers a 
l'estomac. II lui faut faire prendre 
des bains, et le laver de haut en bas, 
sur le derriere, sur le devant, mais 
jamais de bas en haut. 

» Alors il lui faut faire une escar- 
polette ; et qu'il se fasse aller le plus 
haut qu'il pourra, pour remuer cela 
et le faire descendre. 

» Tachez de savoir s'il n'a pas 
peut-etre recu une petite chose ronde 
et qu'il l'aurait mise en bouche. » 

On le demanda a l'enfant. Mais le 
pauvre petit ne pouvait se rappeler. 
II chercha trois jours en tiers. Tout 
de meme, a force de se rappeler, 
cela lui revint. 

C'etaitune vieille femme,la vieille 
Jeanne, qui lui avait donne une bille 
comme il revenait de la messe ; et 
l'enfant l'avait mise en bouche. 



(1) Jules Lemoine, Ouvr.cite, p. 26-27. 



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116 WALLONIA 

On ve?/a bin qui c'esteut on tour On vit bien que c'Gtait un tour 

djntre. Cisse vile feume-la picerteve jou6. Gette Vieille femme portait 

vulvas no, paret, mauvais nom, voyez-vous. 

IS e fan l dCfina el cVfina. Si bin L'enfantmaigrit et maigrit. Si bien 

qu'is vena niovi. Et i aVha: «Mame, qu'il se vit mourir. Et il dit : « Ma- 

dji mours!>> dit-sti ainsi, V pauve man, je meurs ! », dit-il ainsi, le 

pitit : dfel veiis co... pauvre petit : je le vois encore... 

On po d'vant de mori, i rinda des Un peu avant de mourir, il rendit 

viers ves V boque ; i enne aveut bin des vers par la bouche: il y en avait 

'ne pinte. bien une pinte. 

IS homme d es Res' n't aveUt polou L'homme de hh6es n'y avait rien 

rin fe, pasqui on i aveiit stu trop pu faire, parce qu'on y avait ete trop 

turd... tard... 



Facet ies d'espr its-forts 



A cote des croyants qui, aveuglement, ajoutent foi a toutes les 
histoires de sorcellerie, il y a les esprits forts qui posent a l'incre- 
dulite et se gaussent de la naivete des a litres. 

()u re pete bien des contes edifiantsou tels mecreants se trouvent 
punis exemplairement de leurs plaisanteries on de leurs vantardises. 
Mais il ciraile en meme temps d'autres recits egalement tradition- 
nels, tout a fait facetieux, cette fois, qui ont pour but de ridiculiser 
les gens credules, ou du moins leurs croyances. 

Le fermier Mamouc ( l ) avait deux beaux chevaux, achetes a la foire de 
Binche, et il voyait ses betes d6p6rir de jour en jour. Groyant a un sort, il 
va trouver le Tonnelier. Mon homme examine les chevaux et, au bout d'un 
moment, il dit : « Vos betes ont contre elles deux sorciers et deux sorcieres, 
et je vais vous dire leur nom : c'est Marie Trobatu, Louise Podavene, 
Emile Tvodgoria et Mamouc leu bouria ! » ( 2 ) 

Une femme marine, qui allait souvent consulter la sorciere pour savoir 
I'avenir, en avait tenement appris contre son mari, qu'elle 6tait devenue 
comme enragee ! L'homme, exc£de, va trouver la sorciere et lui demande 
si elle sait bien I'avenir : « Oui ca, mon /?, repond-elle. — Eh bien, dit notre 
homme, tu n'avais pas prevu celle ci ! » Et ce disant, il lui envoie une gifle 
qui la colle a la muraille... ( 3 ) 

II y avait aux environs de Gharleroi un « d6faiseur de sorts > qu'on 
appelait... Jules, si vous voulez. Du reste. ca ne fait rien : il est mort depuis 
plus de dix ans ! Un jour, un censier va le chercher pour deTaire le sort 
qu'il avait sur ses betes a cornes. Jules s'en vient ; il se fait mener a Testable, 
il marmote deux ou trois oremus, il fait des signes de croix, il jette de Teau 

(1) Nom de fantaisie. 

(2) « Trop do coups, Peu d'avoine, Trop de collier et Mamouc leur bourreau ». — 
Journal El Losse, de Nivelles, n' du 10 oclobre 1M»7. 

(3) La Marmite, n° du (5 Janvier 1898. 



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WALLONIA 117 

benite, et pour flnir, il recommande de faire bouillir une poule noire avec 
deux grands clous dans une marmite. « Gelui qui entrera quand la poule 
bouillira, dit il, ce sera \ n sorcier. » Oui mais, avant de faire ca, le censier a 
voulu faire une neuvaine. Enfln on met la poule au feu. Deux forts varlets 
se cachent derriere la porte pour empoigner celui qui entrera le premier. 
Quelqu'un vient : on tombe dessus a coups de trique, on l'assomrae aux 
trois quarts. Et quand on le releve, on voit que c'etait... Jules, qui croyait 
l'affaire flnie depuis longtemps et qui venait voir quelles nouvelles ! ( l ) 

Un cordonnier, qui etait guerisseur expert, recut un jour la visite d'un 
homme chauve qui lui deraanda s'il ne pourrait pas lui rendre les cheveux. 
Gertainement ! repondit le magicien. II luicolla les deux mains sur le crane. 
Seulement les mains glisserent, et le client se trouva avoir des cheveux 
jusqu'aux yeux ! ( 2 ) 

On avait dit a Batisse du Clerc que, dans les exorcismes, si le Diable 
quittait le possede, c'etait pour entrer tout de suite dans le corps d'un autre. 
Bon ! Voila que Batisse doit assister le cure dans une affaire de ce genre. 
C'etait dans le fond de I'eglise, pres du bGnitier. Au moment ou le pretre 
conjure le Diable de partir, notre Batisse eperdu s'ecrie: « Attendez un peu, 
monsieur le cure ». II tire vite de sa poche son chapelet qu'il met dans sa 
bouche, maintes medailles qu'il «bourre» dans ses oreilles et ses narines. 
Alors il saute et s'assied dans le benitieren disant : «Bon! maintenant vous 
pouvez aller, tous les trous sont bouches! » ( 3 ) 

Une vieille sotte s'en vient tout eploree aupres de son pasteur. « Mon- 
sieur le cure, il faut bien vite venir chez nous ; mon frere est ensorcel6, et 
si vous ne vous en melez pas, il en mourra surement » Le cure, ennuye : 
«I1 faut aller trouver le vicaire, c'est lui qui a le livre pour les sorcieres, il 
aura bien vite arrang6 cela. » Elle court d'une traite chez le vicaire : 
« Monsieur le vicaire, mon frere est ensorcele, et monsieur le cur6 m'a 
envoyee vers vous pour que vous veniez vite Texorciser. — Ecoutez, ma 
fille, dit le vicaire, ce n'est pas la peine d'aller chez vous : ce qui est a faire, 
vous le ferez bien vous-meme. — Comment? — G'est bien simple, ecoutez. 
En arrivant, vous prendrez une grande bouteille d'eau benite, vous en ferez 
boire la moitie a votre frere, et, avec le reste, vous lui passerez un bon lave- 
ment. Qa fait que le Diable sera pris entre deux feux : il faut qu'il creve, 
c'est facile a comprendre ! » ( 4 ) 

(Fin.) Oscar COLSON. 



(1) Tonnia dC Charle.noet, de Charleroi, n° du 25 uiai 1001. 

(2) l.\\irdie % de Liege, n° du 10 noveuibre 1892. 

(3) Coq (Vawouif', tie Charleroi, n' du 14 avril 1006. 

(4) Tres populaire a Liege sous differcntcs formes. Variantes dans le Farceur* 
de Wasiues, n" du 23 aout 1806 ; le Tonnia, de Charleroi, n° des 4 oetobre 1800, t*t 
23 septembre 1005 ; la Mannite, de Namur, n° du 7 scptembre 1002. 



T^F^T 



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LITTERATURE DE CHEZ NOUS 



Le Crieur-Public 



En mon pays tVArdenne. 

Cost, par un soleil radieux de gaite et d'espoir, quo le village 
s'eveille ce matin. Le jour de la ducasse tant attendu est enfin 1&, et 
les bourses avides de se delier, les coeurs anxieux de plaisir vont 
pouvoir satisfaire leurs gouts de depense et de joies immoderees. 

Bientot partout les cheminees fument, unc familiere odour de 
cafe s'echappe des portes entr'ouvertes, le sourire aux lev res les bon- 
jours s'echangent accompagnes invariablement de : « Quel beau temps 
pour la /iesse. » 

Quel d£lire ce mot no provoquo-t-il pas? Qu'il resplendit haut ot 
fort dans les comirs campagnards; depuis combien do mois n'est-il pas 
le courage dos journees chaudes, ereintantes, passe( 4 s dans les mois- 
sons, le reve des nuits lourdes ou la fatigue cuve, com me un 
vieux vin ? 

Dans la clarte bleuissante du ciel les cloches laissent envolor 
leurs sons, pour la premiere messe, comme desoiseaux d'appel. Des 
troupes de paroissiens, d'un pas I'egulier, so dirigent vers le temple. 
Leurs pieds ferres resounent sur les routes et le rythme cadence de 
leur marche est semblable aux battements d'all^giesse de leur coeur. 

Sur la grande prairie qui precede l'eglise, le carousel, les 
balaiiQoires et les boutiques a bonbons, dressent leurs baraquements. 
Les forains, mi-oveilles, enlevent noncbalammont les toiles protec- 
trices et deja les chevaux de bois montrent leurs cou leurs criardes, 
luisantes et salies, land is que les orchestrions s'essaient et attirent 
les groupes. 

La voix de l'orgue so mole aux instruments, toute la ducace 
religiouse et rieuse prelude, le programme de la journee se dessine. 



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WALLONIA 119 

Tout le monde sera d'ail'leurs bientot renseigne a ce propos; 
voici qu'apparait a Text rem it^oppos^e, sa grosse cloche sous le bras, 
Isidore le crieur-public. ^ 

Deja les gamins i'entourent, l'appelant : « Isidore! Isidore! Via 
Isidore ! Vive Isidore ! » 

C'est letre le plus curieux et le plus monstreux, que ce nain 
diflbrme au visage glabre, aux cheveux roux et rares. Son corps, d'une 
maigreur desesperante, balotte dans ses vetements, tandis que ses 
jambes, pareilles a des manches k balai, naviguent dans un pantalon 
trop large. Kn plus, la droite, pliant fortement au genou, explore 
tantot a 1'exterieur, tanlot a l'interieur. Avec cela, des bras intermi- 
nables dont les mains battent presque les tibias. 

Une grosse tete couronne toute sa personne; comme il est atrac- 
thele, elle pend maintenant a droite, puis a gauche cadengant sa 
marche par ses inclinaisons. La peau mate et jaune, la chair se 
ereusant aux joues, lui donnent Tapparence d'un phtysique au lit 
d'agonie... 

Quelle scene burlesque que de le voir, tous les jours, vers 
7 heures du matin, reciter ses litanies de vente et d'achat; sous le 
bras sa sonnette quil agite apres chaque partie reciteed'un seul coup 
d'haleine, en toussant, toussant d'un ton sec et cassant qui le plie en 
deux; puis recommen^ant a proclamer rannonce suivante avec les 
memes intonations et les memes gestes. 

Mais Isidore s'est arrete, la messe est finie, on lui fait cercle, on 
ecoute sa voix grelette : 

« A 1 heure a mon Benani-Jarlot, grand concours de quilles. 
Deux bias pourcias comme enjeu. » 

Bravo, bravo! s'exclame-t-on, et les appetits s'excitent dans la 
croyance personnelle du gain. C'est leur passion, leur agrement a 
eux, les quilles. 

Aussi avec quelle hate attendent-ils, pour se mettre a table, le 
retour des femmes et des vieux que retient la grand'messe! 

Dans chaque ferme maintenant, sur la grande* table de chene 
recuree et frottee jusqu'a Tusure, d'immenses plats dressent leur 
monticule. 

Ce sont les pommes de terre blanches, farineuses et app^tissantes 
que mouchetent des morceaux de lards. A cote, des plats deboeuf et 
de pore exhibent leurs enormes quartiers de chair fumante et ruis- 
selante de sauce, que de robustos estomacs entament et avalcnt 
rapidement, en les melangeant de choux et de carottes. Tout est 
silencieux, on n'enteud que les machoires qui dechiquetent et 
ecrasent les aliments, et les brocs de biere qui se vident. 



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120 WALLONIA 

La plus jeune soeur cuisine, sert et encourage; tout en sueur, les 
pommettes rouges, les manches retrouss^es, les cheveux collants, 
elle apporte plats apres plats, afln de satisfaire tout le monde. Le 
vacher l'aide pour querir la boisson et couper des tranches 6paisses 
dans les pains enormes comrae des cerceaux d'enfant. 

Tous les autres se laissent servir docilement, excepte la mere 
qui, nerveuse, agitee, d6rang6e dans ses coutumes, peu habitude a 
rester tranquille, surveille et donne, quand meme, des ordres. 

Mais voici que Ton retire, de dessus 1'armoire, les grandes 
tartes au riz, au sucre et aux bioques, tandis qii'une vaste cafetiere 
en cuivre etam6 circule de main en main et que chaud et jaun&tre 
le cafe remplit les tasses. 

La faim est un peu apais^e, Ton prend ses aises, les hommes 
desserrent la courroie qui encercle le pantalon, les langues se delient ; 
ils s'excitent mutuellement pour la lutte de tantot, raillant d'avance 
leurs partenaires. 

Oh! ils savent bien qu'il en viendra, comme tous les ans, des 
alentours, de loin meme, de la ville peut-etre! Mais qu'ont-ils a 
craindre? Ne sont-ils pas reconnus les plus forts de la contree? Et 
puis, quand Thonneur du village est engage, ne sent-on pas en soi 
une force inconnue qui vous pousse a faire plus que votre mieux? 

Sont-ils beaux maintenant tous ces gas d'Ardenne! Longs et 
minces, mais solides et tenaces, ils regardent de leurs yeux toujours 
tristes la montagne qui dresse ses flancs combattus et vaincus a 
coups d'effort. Mais le souvenir des jours mauvais s'altere devant le 
riant avenir; leurs bouches s'61argissent, le rire sonne clair enlre 
leurs dents. Ils passent la main dans leurs cheveux sombres, et stir 
les plis de leur visage se reflate leur volonte de terrien infatigable 
et tetu. 

Ge sont des hommes batis en roc, et dont Tame est d'airain. 

* 

L'eglise a beau appeler pour les vepres, ils n'ont garde de se 
deranger : maintenant, la partie est en plein, la lutte est chaude, 
clan contre clan on y met toute son ardeur. Groupes, les partisans et 
les adversaires atlendent patiemment que leur tour soit venu, pour 
saisir la boule et accomplir un geste d eclat. Chacun possede un 
lambeau d'esperance dans la victoire finale. 

Aussi les nerfs s'excitent, les gouttes d'impatience tremblent au 
front, quand, lanc^e sur la planche avec force, la boule bondit vers 
le but. Apres chaque coup, ce sont des acclamations ou des rires, 
tandis que le joueur reprend sa place, fatigue de Teflbrt donne. 



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WALLONIA 121 

C'est vraiment un beau jeu de quilles que celui-ci : Perce enlre 
deux haies oil fleurissent l'aub£pine, les muriers et les framboisiers, 
il montre sa terre nivelee et sa plauche bien droite et fraichement 
rabotee. A gauche contre le cafe, un hangar, hativement eleve en 
bois de sapin et taille a la hache, laisse couler sa resine. Lc toit, 
forme de fougeres encore vertes, protege contre les rayons brulants 
du soleil les buveurs attables autour des tonneaux; des planches, 
posees simplement sur deux buches, soutiennent les jeunes gens qui 
attendent la fin de cette partie s6rieuse pour pouvoir se livrei* a 
l'apprentissage du jeu local. 

Sur le banc en plein air et appuye a la haie cotoyant la piste, 
seuls les lutteurs ont place et echangent leurs impressions. C'est a 
son extremite d'aillcurs, vers les quilles, que se tient Tinstituteur 
juge et marqueur des points. 

Mais voici qifune clameur prolongee s'eleve, par un rampeau; 
le village, une fois encore, est vainqueur. Delirants, ils se prennent 
par la main, dansent en rond, commengant un cramignon qui 
entraine, pour finir, les perdants et les spectateurs. « Nous regalons! 
nous regalons! crient-ils; en avant les camarades! » et, en bande, ils 
p6netrent dans l'etablissement oil ils s'entassent, se bousculent et 
arrivent a se caser en se maigrissaut le plus possible. 

Ballote, perdu dans tout ce remue menage, Isidore, le crieur- 
public — qui degustait tranquillement une chope dans un coin — 
veut se refugier dans la cuisine. Mais on Tapercoit et vingt bras le 
retiennent, le forcent a etre de la partie. Un solide gargon de ferme 
l'enleve, le place sur la table et reclame avec toute l'assembtee : 
€ Une chanson! une chanson! » 

Aloi*s Isidore tire une main de sa poche, enleve sa pipe de sa 
bouche et leur dit en riant : « Je me fous de vous. — Tres bien, tres 
bien! crie-t-on, un litre de pequet pour Isidore. » 

Le voila maintenant le point de mire de tous les quolibets, le 
bouflbn de leur joie. 

L'humanite est ainsi faite : prise en bande elle a besoin de se 
liguer contre le plus faible, contre celui dont elle ifa a attendre 
aucune riposte et dont d'avance elle est certaine de triompher. 

De partout on le presse, on rencourage a vi<ler son verre, qu'on 
remplit continuellement. D'autres le forcent a parler et a fumer, 
tandis que des boules de papier et des bouchons assail lent sa tete. 

Mais bientot sa langue s'empate, il b^gaye, tombe de sa chaise et 
roule par terre ivre mort. 

Alors un des convives, qui Fobservait depuis un petit temps, 
quitte la salle, se rend a cote, oil Ton tient boutique, et rentre, au 
bout de quelques instants, un petit paquet a la main. 



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122 WALLONIA 

«Nousallons rire», dit-il; et, tandis qu'on le questionne, il delaie 
do la levure dans le voire d'Isidore d&bopdant de biere. (louche sup 
le dos, Testpopie papait presjue uu enfant diflbrme. La disppopoption 
do sos jambes se pemapque mieux dans cette position, tandis que la 
bosse do sa poitrine ressort violemment pap son gilet deboutonne. 

...Une fois que tout fut fondu, le camarade forga le patient a boire 
sa preparation au milieu des exclamations des consommateurs. 

On attendit uu petit temps, sans rien pemapquep; mais bientot 
1'eflet fut visible; Isidope grossissait insensiblement. Son ventre s'en- 
flait comme uu ballon dans lequel penetre Koxygene en trop grande 
quanlite. Ce furent des sursauts bpusques. La compagnie se gondo- 
lait devant cette farce, tandis que rinfirme dopmait toujoups a 
poings fermes. 

Mais d6ja plusieurs emettaient des cpaintes devant l'enflement 
continuel. Les pipes diminuaient, line anxiete se lisait sup les visages. 
On pponostiquait autour de l'enfle; puis de nouveaux eclats de rire 
de femmes et d'enfants eclataient; c'etait vraiment trop cocasse. 

Cependant le malheureux etait a toute extremity, la peau se 
tendait, on prevoyait une explosion — et personne pour le secourir : 
le medecin babitait a une lieue de la. 

Dans Feflroi de cette situation, on proposait meine de lui faipe 
une entaille afiu de laissep echapper le gaz, mais on craignail 
d'atteindpe des parties essentielles et vitales. D'auti-es se pponon- 
caient poup la pespipation artificielle, mais lecrieur serrait fortement 
les dents. On desesperait de tout, on se convainquait peu a peu d'un 
malheup, jurant, mais un peu tard, do ne plus recoinmencer pareille 
blague. Tous dissimulaient lour culpabilile, le farceur rejetait a 
d'autres Tidee, il n'avait etc lui que rexecuteur; plusieurs luiavaient 
insinue d'employep de la levupe. Des ppudents s'en allaient a l'an- 
glaise, des timides pretendaient certaines aifaii'es urgentes : ils 
sauraient toujours a temps le resultat. 

Mais le bruit se I'epandait au-dehors, deja on accourait de toutes 
parts pour contempler ce phenomene; quand, soudaiuement, un son 
de flute doux et ppolonge reteutit; alops, au milieu d'une hilarite 
folle, un degonflement s'opera, — et ce soulagement inattendu sauva 
la vie au vieil Isidore. 

Et parmi la gaite exuberante qui pcmplissait le cafe, l'ivpogne 
ouvpit de grands yeux betes, regai'da ionguement autour de lui, se 
mit a pieurer en criant : « A boire! A boire! > 

Gaston PULINGS. 



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LETTRES WALLONSES 



Colson, Lucien. C'esteut 'ne /#»/... Sou- 
venirs, croquis ct contes on wallon. — 
Liege. Mathieu Thone. Un vol. in-8' 
(19 X 12.5), 153 p. Prix : 2 fr. 

Maitrekge, Lucien. So tchanij>s. so rot/es. 
Poeseyes wallonnes. Preface de M. 
Olympe Gilbart. — Lize Seraing, Ed. 
Plenus. Un volume in 4" <22.5 X 15) 



non pagine [104 p.]. Prix : 1 franc. 
Jean Lamofreux (Jean Lejetine, de Hers 
ta.\). liinirs d'nmonr ft djoyf.usrs tchnn 
sons. Preface de M. August*' Doutre- 
pont. — Liege, linpr. Publieitas. I In 
vol. in-8° (21 x 13.5), !M» p. E<lition A. 
prix : 1 fr. Edition B. prix : 2 fr. 



C'esteut 'ne fdy... — Sur la foi do ce titre, on pourrait croire, tout 
d'abord, a un nouveau recueil de contes, les contes de fees du pays wallon, 
a la maniere du vieux Perrault. De fait, M. Lucien Colson n'eut pas recule, 
probablement, devant la tache pourtant ardue d'adapter au gout local et de 
traduire a notre usage la legende de Cendrillon ou de la Belle au hois dor- 
mant. Pas plus qu'il n'a recule devant l'aridited'une transposition wallonne 
de la Guerre des Gaules, de Jules C6sar ! Affronter de gaite de cceur un 
pareil pensum prouve au moins une intrepidite rare, une virtuosite peu 
commune. 

Aussi bien y a til autre chose dans ce volume que des traductions ou 
desjeuxde litterature. Le poete des Rimimbrances se retrouve ici, dans 
Invocation des souvenirs de son pays d'enfance, de son vieux « Voteum », 
dont il suscite les aspects d'autrefois et les amusantes figures disparues. 

La verve de Pauteur s'emeut a reveiller « li douce sovnance del pru- 
mire crapote », tandis qu'il se complait, avec « li vix monnonke > a conter 
les histoires du temps passe, lesjeux et les spots, et les legendes populaires. 
Gar il est etonnamment documente, « li vix monnonke », et son neveu sait 
retracer ces tableaux de jadis avec un naturel savoureux, vraiment pitto- 
resque. 

Dans le memo ordre peuvent etre ranges d'autres episodes des «lhoyo- 
wes anneyes », comme Trine-rnon-cceur, ou Li Scret, ou encore Li tresdr 
del Cour Delva, bien que ces dernieres visent davantage a Peffet dramatique. 
Gette note s'aceentuo encore en d'autres recits, tels que Divins o?i bal ou 



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124 WALLOWA 

Ine bonne farce, jusqu'a con finer la fantaisie macabre oil me me lugubre. 
Chaque fois, cependant, le talent du conteur s'atteste par la vigueur du 
trait et par une precision du detail, qui sont d'un observateur bien wallon, 
en possession d'une langue Gtonnamment souple et expressive. 

La piece la plus r6cente, E VArdene, en apporte une preuve encore 
mieux appreciable. Rarement Ton poussa plus loin le souci de rendre scru- 
puleusement les moindres faits et gestes, les plus petits incidents d'une rela- 
tion de voyage. II y a la, semble-t-il, une sorte de parti pris, la volonte de 
montrer la prose wallonne assouplie a toutes les circonstances du r6cit, et 
Tauteur a mis de la coquetterie a triompher des difficult^, a choisir le mot 
rare, a recourir meme a des termes plutot techniques, exhum6s laborieuse- 
ment du dictionnaire. 

Ces souvenirs d'Ardenne sont done interessants et pr6cieux pour le 
curieux travail de la forme. Peut-etre la minutie du detail, autant que 
ce wallon si savant, en rendent-iis par instants la lecture un peu monotone. 
Mais ces menus Episodes d'une course p6destre vers les hauts plateaux de la 
Baraque-Fraiture s'enveloppent heureusement d'une intense et p6n6trante 
poe^sie. 

On n'en pouvaii attendre moins de M. Lucien Golson ; ici encore, il a 
merveilleusement exprim6 le charme secret des choses et toute la melan- 
colie des solitudes de la haute fagne. Voyez cet effet de nuit sur la lande 
d6sol£e de Fraiture : 

« Li nut' est vreymint bele, mins on po frisse. Go meyes steules blawtet 
e bleu cir. II assotele po dzeu les marSceuses trouflires qui s' sitindet a nne 
pu fini, on djone vint qui fait frusi les beyolis, les adjons, les gn' gnes et les 
fetch i res... 

» Qu6que fey, on grand cwSre plants d' hauts sapins djete ine neure 
tetche so les vudes t6res wice qui leu-z-ombion si sp&d dzo 1' bet6 qui lut 
pleinte. 

» Li pahuliste est grande Stou d' nos autes : nou brut n' respond a nos 
pas et a roiemint d'noste ateleye, nole loumire a Ion, rin qui Pmaigue cam- 
pagne ou des speheurs di grands bwes... 

» Li voye si stind plate et bele, et todis des hSvurnas Ss deus coste*s. 

» Qu61e tristesse deut peser avSr chal, qwand r gris cir di 1' hivier 
el' racouve ! Qwand 1' nivaye a tourn6 so ces pauvriteus tchamps, s'etessant 
qu6que feye deiis metes haut ! Qwand les dreutes cohes des verts sapins 
drenet dzo li speheur del blanke freiide wate ! Qwand les lapins vinet 
crever, edjal6s a bwerd del route ! Qwand, a fey a cler del leune, a galop, 
ine bande di singl6s triviesse li planeure, traftant ves li speheur d' on par- 
fond bwes!... Ou bin, qwand sol corant des courts djous, dizeu les t6res 
blanc mousseyes, on n' veut qu' des voleyes di cwerbSs qui baltet e cwahant 
freud, loudmiut, bas, rasant d' leus longues neures ^les, li houreuse blan* 
kiheur, tot cwaktant, direut-on, tote li penanse de Monde... » 

Ge seul extrait suflita caract6riser la facture originale de l'oeuvre, ainsi 
que le sens profond du paysage esquisse par l'auteur. On voudrait cependant 
citer d'autres passages, de curieux croquis des sites et des gens d'Ardenne ; 



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WALLONIA 125 

il faut lire, par exemple, la description d'un humble enterrement au hameau 
des Tailles. C'est d'un effet saisissant. qui donne bien la sensation d'infinie 
tristesse de ces parages : « Li d' seulance di sol pauvriteus croupet des 
Teyes, wisse qu'on n' veut flori nole bele fleur et qu'on n' 6t tchanter nol 
ouhet !... » 

Visiblement, la vieille Ardenne a « pris » notre poete, et les impres- 
sions qu'il nous en rapporte viennent en bonne place, dans ce volume, a 
cot6 des souvenirs de son pays d'enfance. 



So tchamps, so v6yes. — Voici la nouvelle oeuvre du poete-ouvrier 
dont notre excellent confrere et collaborateur Olympe Gilbart saluait 
naguere, dans cette revue, le talent plein de promet>ses. L'auteur de ce 
recueil peut deja compter, nous disait-il, « parmi les meilleurs lyriques 
wallons. » 

Se voir proclame, d'emblee, le digne emule et presque l'6gal des Defre- 
cheux et des Vrindts, c'est un de ces bonbeurs litteraires dont nous avons 
peu d'exemples. Et l'aventure apparut encore plus etonnante quand on nous 
revela l'humble sort de ce debutant, d'une sensibilite si particulierement 
affinee, et qui n'est qu'un mineur, ou tout au moins un travailleur de la 
mine. Quoi ! dans les t6nebres de la bure, dans l'angoisse quotidienne d'un 
tel labeur, ce doux reveur epris du charme discret des bois, do la splendeur 
du soleil et des melancolies de l'automne! Qu'une ame aussi impression- 
nable ait pu resister aux miseres de cette ambiance, cliacun ne doit-il pas 
s'en rejouir comme d'un triomphe de la poesie? 

Dans sa dure epreuve de la vie, le sens inne de la nature, l'amour de 
la solitude, le gout des reves tranquilles sous le couvert, au bord des ruis- 
seaux, ont sauv6 Lucien Maubeuge. Poete par la grace de Dieu, selon le 
mot de M. Chauvin, il a chante comme le rossignol auquel il se compare : 

« O tinrule raskignou qui vique 6s l'disseulance, 

» Des buskedjes pleins d'verdeure et d' douce pahuliste, 

» Gome tw6, rwe des tchanteus, dji rwkire li brut des ewes, 

» Et d'vins l'parfond mistere des bwes, qwand c'est qu'dji m'sewe, 

» Dja bon d'esse Ion de monde et d'j' rouveye mes tourmints. » 

Voila bien le secret de cette vocation consolatrice. II faut admirer com- 
bien les yeux de cet esseul6 se sont peu a peu ou verts, comment sa contem- 
plation s'est amplifier et de quels accents emus, ravis, il a su rendre ses 
6merveillements devant les grands spectacles des champs et des bois. Telles 
de ses descriptions font tableau, grace au vivant relief du detail, grace a des 
images d'une couleur erocatrice. Lisez plutot cette strophe de la chanson 
des Soyeu a grins, dont la ser6nit6 magnifique est d'un vrai poete : 

« Tot come ine ewe doreye, a Ion Ttchamp d'bl6 s'mosteure, 
» Et I'soyeu fait hufler s'cwahante fas d'vin l'tresor, 
» Li grin tome et racouve li tere d'on tapis d'or, 
» Et l'essince de wassin si k'seme ava Tnateure... » 



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126 WALLONIA 

Nombreux sont les exemples de cette comprehension surprenante des 
beautes de la nature, traduile en une forme poetique singulierement 
expressive. On le sent, Lucien Maubeuge 6prouve une jouissance a fixer 
I'aspect du paysage sous les ardeurs de Fete, quand : 

« Li solo toke, blankihe li grand'route d& viedje, » 

et aussi la douceur de la nuit de juillet : 

« Li cirest tict6 d'meye siteules, 
» Et Tleune qui vint louki dri The, 
» Trawe, de Fnutfcye, les grises teules, 
» Tot-z-ardjintant les bwes, les pr£s. . » 

Par contre, il parait p6n6tr6 de toute la m6lancolie de l'arriere saison, 
quand il d6peint le bois d6pouille\ le vol des teuilles mourantes et le regret 
des beaux jours enfuis : 

« Li ptit rewe qui s' save a Tdilongue di Paleye, 
» Epwete tot barbotant li foye qui tome sor lu... » 

Alors, il choisit sur sa palette tous les tons neutres et les teintes embru- 
m6es d'une saisissante vision d'Oclobe, empreinte d'une tristesse intense et 
dont la touche finale semble deja donner froid : 

« Et d'vins 1' samrou d& vint qu 1 huzleye, 

» Dj'os piler come les malureiis, 

» Les ouhes qu' sintet v'ni Tdjaleye. » 

Outre la sincerity qui rend ces impressions reellement Gmouvantes, il 
convient d'appr^cier Tetonnante maitrise des vers. En v6rite\ Ton se prend 
a demander d'ou vient a cet humble ouvrier pareille science du rythme et 
de la rime, pareille divination des mots et des images. 

Nous savons, par ses amis de Seraing, que le poete s'est double^ d'un 
artiste passionn6 pour la beaut6 de la forme ; il y parait bien a la recherche 
Gvidente du terme appropri6, voire a la r6apparition de vieux vocables 
oubltes, qui viennent parfois s'enchasser a miracle dans la phrase. Et c'est 
un autre etonnement de voir ce spontan6 s'astreindre a ce travail litteraire. 
sans que la fraicheur de l'inspiration en paraisse amoindrie. 

Encore faut-il, toutefois, faire a ce sujet queiques reserves. Si les beaux 
paysages cit£s plus haut semblent exempts de retouches et franchement 
dessin£s d'apres la nature, on peut distinguer ais^ment, en d'autres pieces, 
une part trop marquee de literature. II s*y trouve des morceaux de pure 
virtuosit6, meme dans la Pormindde es VHesbaye et surtout la Pormindde 
es Condros, dont on a vant6 justement la composition si curieusement 
travaillee. Assur6ment, on n'en doit pas meconnaitre non plus la v6rit6 
d'observation, ni la legerete, le mouvement de la fantaisie, mais les varia- 
tions multiples du rythme et toutes les cabrioles du vers ne laissent pas de 
faire tort a la sincerity savoureuse des impressions premieres du poete. 

Est ce a dire qu'il faut passer sous silence, comme entach6s de pr6ciosit6 
dans le style, d'admirables petits poemes comme Li Mouhagne y Li Clerisse, 



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WALLONIA 127 

Li Sure, dont le charme delicat fait penser a La Voulzie, d'Hegesippe 
Moreau? Autant vaudraii reprocher a Fartiste lc souci meme de son art. 

Mais il importe. croyons-nous, de prevenir un amoureux de la nature, 
commecelui-ci, du danger des formes livresques dans le gout, par exemple, 
de cette apostrophe au rossignol : 

« Djinti confre, poete inspire d& Grand Maisse, 

» Mi qu'est si flawe tchanteu, dji d'meure tot e marmaisse. 

» D'etinde li son del lyre d'on bon artisse come twe. » 

Pour agr6able que soit Fidee, elle s'empreint d'une eridente alTeterie et 
nous pensons que les figures defraichies de l'allegorie, aussi bien que cer- 
taine invocation a la Muse, sont peu faites pour s'accorder a la verve 
primesautiere d'un franc poete wallon. 

Au surplus, l'auteur de So V champs* so vth/es n'est pas uniquement 
l'amant contemplatif des grands horizons et des jolis coins sous la feuillee. 
II cultive aussi la petite fleur bleue, avec une grace aimable qui nous vaut 
quelques sonnets charmants : Po n'rose, Li portrait di rricrapaute, Li 
pauve meshene et Uefant s'edweme. Une exquise sensibility s'allie encore 
ici a Tart delicat de la forme et Ton peut, certes, augurer un avenir gldrieux 
pour re*crivain qui sait exprimer de cet accent penetrant le regret d'une 
annee Gcoulee : 

« Vola co n'rose flouweye es djardin di m'jonesse! » 

11 est permis de faire moins de cas de quelques fantaisies comme 
Les feumes a Vpompe, A V bate di coqs, et d'autres crGquis de scenes popu- 
lates adroitement esquiss6es, cependant, avec une verve bien locale. La 
personnaiite de Tauteur s'affirme moins nettement dans ce genre et les 
lecteurs prefereront, sans aucun doute, le Maubeuge des decors cham- 
petres et des tableaux d'idylle. 

Souhaitons, pour Teclat de la poesie wallonne, que ce nouveau venu 
demeure fld&le a son grand bois, aux pr6s fleuris, au gentil rewe dont il 
ecouta la douce chanson et qui lui inspira les plus belles pages de ce pre- 
mier livre. 

* * * 

Rimes d'amour et djoyeuses t chansons. — Ce «Jean Lamoureux», 
si bien nomme, semble un predestine, il a la vocation de la romance. Meme 
lorsqu'il accorde sa guitare sur le mode plus alle^rre de la chanson popu- 
laire, il garde une sentimentalite souriante, sa verve s'abstient de la 
gaite expansive et du gros 6clat de rire des autres chansonniers wallons, 
pourvoyeurs ordinaires de Tintermede. 

Non que les chansons de Jean Lamoureux, que creerent les bons comi- 
ques du Theatre Wallon, ne meritent d'etre accueillies avec faveur. Mais 
son penchant Tincline de preference aux refrains aimables qui font rimer la 
fleur de mai et le doux plaisir d'amour. II excelle dans ce genre des poetes 
galants, dont il a le tour gracieux et le charme ingenu. Sur le theme banal 
et cent fois ressasse des « Prumis Siermints », des « Prumires lSmes », des 



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128 WALLONIA 

« Veyes Letes » et des « Fleurs flouweyes », ii fait valoir souvent de jolies 
variations empreintes de sincerite et d'une saveur bien wallonne. 

Toutes ces pieces ne sont pas, evidemment, d'une originality tres mar- 
quee ; certaines n'ont guere plus d'inte>et que des vers de circonstance. 
Par contre. il s'en trouve beaucoup d'une r6elle fraicheur, d'un sentiment 
penetrant, comme les « Eures di djoye », « E temps des clawsons », ou bien 
« E ptit bwes », autant d'agreables sonnets adroitement tournes, dont ce 
tercet donne la note sans pretention : 

« Dj'a r'louqui 1' piece wisse qu'on s' meteve — A Tombe, po houter, 
» so T wazon, — L'amour nos r'dire si douce tchanson. » 

Dautres sont de petits croquis, comme « E vi pwesse » ou « E lavasse », 
qui ont vraiment le relief de l'impression vecue. Parfois meme, notre amou- 
reux se complait a des rafflnements assez imprevus, d'une pr6ciosit6 qui 
n'est pas sans grace : 

« G'est drole, mins creuriz-v' qui dji v' s'ainme — Telmint fwert qui 
» tele feye dj'a pris — On vrey plaisir a v' fe sofri? » 

Voila bien un temoignage d'amour que le divin Marquis n'aurait pas 
renie* ! 

Ge trait suffit a prouver que I'auteur de ces fantaisies n'ignore aucune 
des emotions de I'eternelle com6die. II est encore, a l'occasion, le reveur 
qui chante d'un coeur attendri ses douces souvenances et les premieres 
joies d'enfance, la fuite trop rapide des jours et la fragilite du bonheur qui 
s'envole, « tot come li poussire & vint ». 

Ce nouveau livre de Jean Lamoureux justifle done amplement les 61oges 
que M. le professeur Doutrepont lui decerne en preface ; sans dire pr6ci- 
sement qu'il fait songer a Petrarque, on doit reconnaitre en ces vers 
d'amour une effusion sincere, exprimee avec virtuosite par un excellent 
jongleur es rimes wallonnes. 

Henrt/ Odeherke. 

HISTOIRE 



Memoires de Jean Sire de Haynin et de Louvignies (l/i65-77).Nouvelle 
edition publiee par I)D. Brouwers, t. II e . Li6ge, Gormaux, edition de la 

Societe des Bibliophiles liegeois. 1906 ( J ). 

Le second volume des Memoires du Sire de Haynin vient de paraftre, 
edit6 par M. Brouwers, actuellement conservateur des Archives de l'Etat a 
Namur, a l'activite sagace duquel nous devons deja tant de travaux. Nous 
n'avons plus besoin de louer le soin meticuleux qui a preside a la transcrip- 
tion du manuscrit, a la surveillance des epreuves, a l'identiflcation des noms 
propres: nous en avons parl6 dans cette revue a l'apparition du premier 
volume. Ajoutons que l'ouvrage se termine par un bon repertoire des ooms 
de lieux et de personnes. 

(1) Tirage restraint. II n'y a qu'un petit nombre d'exemplaires dans-le com- 
merce, au prix de 30 francs les 2 volumes. 



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WALLONIA 129 

Ce volume ci contient Tentr^e de Charles le T6m£raire a Mods, la fete 
de la Toison d'or a Bruges, le manage duT6m6raire,la deuxieme expfylition 
de Charles en France, I'entrevue de P6ronne, et (avis aux historiens liegeois) 
le sac de Li6ge ; puis la 3 me et la 4 me expedition de Charles en France, la 
campagne de 147* en Angleterre, la tenue du cbapitre de la Toison d'or 
a Valenciennes en 1473, I'entrevue de Treves en 1473, le transfert des 
cendres de Philippe le Bon et de sa femme a Dijon, puisles guerres de Lor- 
raine, de Suisse, la mort de Charles au si&ge de Nancy, etc. Ce qui interes- 
sera surtout nos historiens locaux, c'est le sac de Liege dont le recit servira 
desormais a controler et a completer ceux de Commines, d'Adrien d'Ouden- 
bosch, d'Onufrius, etc. 

Nous avons done maintenant Toeuvre entifcre de Jean de Haynin et il 
est possible de se faire une idee complete de sa valeur comme historien. 
Certes, disons-le bien vite, ce n'est pas un Machiavel ni un Philippes de 
Commines II est de la trempe de Froissart : il d6crit, il d^crit; e'est un 
curieux pour qui la vie exterieure existe presque seule ; il y prend un 
plaisir que ne connaissent plus aujourd'hui que les femmes et les gens 
du peuple. 

Pour lui tel est bien le principal. Quand il n'a pas tout vu, il interroge 
ceux qui ont vu pour completer ses renseignements oculaires. Combien y 
eut-il de chevaliers a ce tournoi? Qui fut present, qui fut absent a la fete de 
la Toison d'Or? Comment 6taient, a ce mariage de Charles, les estrades, les 
tables, les chandeliers monumentaux, et le service?... II faut se garder de 
mepriser ces minuties : les historiens d'aujourd'hui, voyant par les bons 
yeux du sire de Haynin, feront avec ces traits precis de belle et bonne his- 
toire des mcjeurs, ils exprimeront mieux la psychologie hors de ces 6v6ne- 
ments si bien representee. Les faits en disent long par eux-memes. On voit, 
par exemple, les braves notables de Mons tenir assembiee serieuse pour 
savoir des plus anciens par quels corteges et paroles traditionnelles, par 
quelles inventions originaies ils recevraient le plus dignement leur due. Et, 
quand le due leur reclame, au lendemain de cette belle fete, 300 mille livres 
en sus des 34 mille livres de l'aide precedente, pour payer les frais de la 
guerre contre les Liegeois, et ceux de son propre avenement, et ceux de 
son futur mariage (quelle prevoyance en ce t6m6raire quand il s'agit de 
soutirer!), on voit les Montois s'executer sans murmure, comme on voit Jean 
de Haynin conter Taflfaire sans se permettre de reflexion sur les actes de son 
« tres redoubte » seigneur. 

Pourtant, apres le sac barbare de Liege et le pillage systematique du 
Franchimont, au cceur de Thiver, il y a deux reflexions, deux ! II fallait que 
facte de repression fut bien sanglant pour que Thorreur du chatiment tirat 
ce dilettante de son mutisme ! Mais vous ne devinerez pas la valeur des 
reflexions susdites. D'abord il s'apitoye sur la ville, parce que... e'etait une 
belle ville : « Ce fut dommage et pitie que lesdits Liegeois furent si mal 
» conseilles que d'avoir fait chose par quoi ils eussent desservi de faire 
p ainsi detruire eux et leur cite, leur pays et leurs biens ( l ) »; et cette pitie 

(1) Je rajcunis le tcxte, quMl est inutile ici de tran.scrire lettre pour lettre. 



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130 WALLONIA 

bien entortillee devie aussitot vers une enumeration des richesses de la ville, 
e'gliset, abbayes, paroisses, etc., pour aller se noyer dans de g6nerales et peu 
coinpromettantes sentences sur la fragility des royaumes et autres biens de 
ce monde, ce qui lui permet de citer les Babylonniens, les Troyens, les Gar- 
thaginois, les Romainset les Banonyens (?), et, sans qu'il y mette de malice, 
d'oublier les Liegeois. 

Cai il n'y met pas de malice. II est si ob&ssant. si soumis au fait accompli 
que la seconde de ses reflexions est pour justifier le due : «Toutes gens 
d'entendement doivent pardonner a mondit seigneur monsieur le due de 
Bourgogne ce qu'il en fit », car : l°il le fit ires envi et a grand regret; 2° les 
Liegeois lui avaient manque de parole ; 3° il devait bien secourir son 
cousin; 4° il fit d'ailleurs des 6dits pour proteger les Sglises et leur 
personnel. La-dessus, il prie devotement Dieu pour qu'il ait piti6 et merci 
de tous ceux qui perdirent la vie dans cette occasion, et qu'il donne bonne 
vie aux survivants et « par especial a mondit seigneur le due et a tous ceux 
qui Taiment et qui furent avec lui a ladite prise et conquete de la cite 
de Liege ». 

Sire Jean, est-ce votre prudence qu'il faut louer, ou votre indifference 
pour tout ce qui n'est point chevauchees, sieges, armes, velours et ban- 
quets? Vos-6crits ne sont point banals, sire Jean, ni par ce que vous dites 
ni par ce que vous taisez. Vous avez grand'raison d'avoir sans recherche ce 
ton qui ne s'indigne pas de quelques noyades et cette naivete savoure use 
des Herodotes de tous les moyens-ages. Vous augmenterez d'une belle 
unit6 la liste des auteurs qui ressortissent a la briilante cour de Bourgogne. 
Vous qui avez compos6 ces recits pour votre amusement et Tamusement de 
quelques-uns, vous devez etre bien fler de faire votre entree dans la salle 
6clatante ou tronent les historiens, tout fleuri, frais et en bon point, sous 
cet eclatant costume que vous ont fait les Bibliophiles liegeois et M. l'archi- 
viste Brouwers. 

Jules Feller, 

PATRIOTISME 



Edmond PIGARD. Essai (Tune psychologic de la Nation beige. — 

Bruxelles, Larcier. In-8° (22 X 15J, 45 p. Prix : 2 fr. 

« La Suisse a une ame commune proc6dant d'inte>ets communs, 

form^e des sentiments speciaux suscites par cette communaut6... La Bel- 
gique, malgre ses deux langues et ses deux populations, a aussi une ame 
commune se mouvant dans le cercle de leurs interets communs, n'abolissant 
pas les differences. 

» Je r£pete que ce que j'ai nomme TAme Belge n'a pas d'autre signifi- 
cation » (p. 44). 

C'est en ces termes que M. Picard d^finit sa tentative. II exclut fran- 
chement par la toute unit6 nationale pareille a celle de la France ou de 
i'Allemagne. Mais il afflrme que les traditions ont cre6 ou developp6 en 
nous des caracteres communs qui nous distinguent des autres groupes. Et 



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WALLONIA 131 

comme il a derriere lui un long pass6 et une experience prodigieuse de la 
vie belge^ — sa parole est celle d'un temoin autqris6 : je dirais plus autorise 
que la plupart des historiens de cabinet, si je ne craignais le paradoxe. 

Le Beige, dit-il, est mesure, individualiste, travailleur, associationniste, 
« phileupore >>. ce qui veut dire : amoureux de bien-etre. Le lecteur devine 
I'analyse qui justifie chacun de ses termes. Et a vrai dire, nous retrouvons 
chez les Flamands et chez les Wallons une certaine mesure : un bon sens, 
ami de la resolution moyenne, — la notion fermement assise des droits 
individuels, le gout du travail, l'esprit dissociation et le desir d'une vie 
plantureuse. 

Pourtant, que de differences dans les deux psychologies nous releve- 
rions si nous prenions ces termes Tun apres l'autre! La mesure? Bien des 
gens la pretent a la mentality beige, encore qu'a notre gout les revendica- 
tions de nos freres flamands semblent parfois la depasser. 

En verite, nous avons deux mesures : un artiste exprimait r^cemment 
Tid6e que nos arts 6taient voU6s a la democratic il en voulait pour preuve 
l'amour des humbles que temoignent Meunier et Laermans ; or, si je vois 
de la mesure dans le g6nie de Meunier, je vois de i'outranee dans le talent 
— que j'aime, du reste, — de Laermans — et a tel point que les deux 
hommes semblent appartenir a deux races opposttes. Qu'y a-t-il de commun 
entre le tah»nt fin et mesure de Pirmez, et le torrent qui gronde dans la 
po£sie g£niale de Verhaeren? Quelle commune « mesure » y a-t-il entre le 
talent de Peter Benoit et le g6hie de Cesar Franck? bien plus, entre les 
eloges dithyrambiques, delirants que les journaux anversois prodiguent au 
premier, et l'appr6ciation eiogieuse que nous accordons a notre grand 
homme? 

Faut-il poursuivre? Non, sans doute : au surplus, mon dessein ne va 
pas a nier les interets communs qui nous unissent et qui doivent nous 
donner un id6al, en attendant qu'ils nous faconnent une arae commune. A 
ces interets immediats, sejoignent les souvenirs de relations s6culaires et 
l'estime r6ciproque que se voueront toujours les hommes qui ont inlassable- 
ment combattu pour la liberie; e'en est assez provisoirement; c*est deja 
beaucoup et cela nous promet encore plus. 

Le reste est a parfaire. Les efforts de tous ceux qui ont une indivi- 
duality puissante nous y aideront. Et je desire pour ma part — le voeu est 
comprehensible puisqu'il s'agit d'une ceuvre en voie de creation — que 
I'ideal par eux propose, que la seduction par eux exerc6e nous eleve vers 
la pensee libre et fiere, aussi haut que possible. 

J'aurais voulu plus braves les inflexions philosophiques place'es par 
M. Picard au debut de son livre : bien qu'il ne soit pas, ecrit-il, deux indi- 
vidus identiques, tout groupement pr6sente des caracteres sp6ciaux ; — ou 
bien ces r6ftexions constituent de simples aphorismes et d^parent Touvrage; 
ou bien elles prouvent trop : car, si tout groupement a ses caract6ristiques, 
un groupement forme des Beiges et des Hollandais, ou des Wallons et des 
Alleraands, ou des Flamands et des Mongols, aurait aussi sa caracteristique, 
puisque ce serait un groupement — et, s'il en est ainsi, le fait que M. Picard 



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132 WALLONIA 

a trouve entre tous les Beiges des traits communs no prouve en rien que ce 
groupe soit plus conforme qu'un autre a une reality ethnique, sociale, poli- 
tique ou geographique ? 

Laissons ces critiques pour re"peter que ce livre, comme tous ceux de 
M. Picard. porte la marque d'un homme qui a beaucoup fait pour la nation 
beige. Que Ton approuve ou que Ton modifle ses conclusions, on travaillera 
avec l'auteur a une tache attrayante, difficile et noble. 

Fernand Mallieux. 

VARIA 



Giov. TESCIONE. Didine, scene Belghe. — Caserta, Gasa Editrice delia 
Gioventu, in Santa Maria G. V. In-8° (21 X 10), 61 p. Prix : fr. 0,50. 

Scenes de Wallonie racontees par un Italien : Thistoire d'une liaison 
entre un jeune Napolitain, etudiant a Liege, et Didine, demoiselle de 
magasin, son amie, sa maitresse, qu'il possede, qu'il aime, qu'il respecte 
enfln et qu'il sejure d'epouser. Elle meurt, h61as! d'avoir connu lamour et 
les douleurs d'une maternite avortee, tandis que Maxime se reproche 
amerement de ne pas lui avoir revele la promesse d'epousailles qu'il s'etait 
faite. — Histoire commune et touchante, contee avec nncerite, et non sans 
lyrisme. L'accent de la v6rit6 se marque dans ces pages et les rend 6mou- 
vantes; le tres jeune ecrivain qu'est M. Tescionk a evit6 la litterature et 
cherche a dire vrai. L'ame joyeuse et douce de Didine est heureusement 
dessinee; le repentir de Maxime, parce qu'il n'a pas devoile a sa maitresse 
ses projets nuptiaux, parce qu'il ne lui a pas donne tous les gages de sa 
confiance, merite de nous toucher. 

L'aspect de nos rues, le mouvement de la Meuse, les incendies de nos 
hauts-fourneaux, Chevremont. les cramignons, Wandre, le champ de glace 
de FragnGe, jouent un role dans Taction et sont decrits avec une poetique 
fldelite. — (Euvre de debut, sans doute, mais oeuvre tres vivante et tres 
sincere ; par la meme, oauvre a lire. F. M. 



Faits divers 



Un episode de la Lutte des langues en Belgique. — Malgre les pro- 
testations des Wallons, la Charabre des Repr£sentants a adopte Tar- 
ticle 21 bis de la loi sur les mines, amende par le Gouvernement. Get 
amendement impose la connaissance approfondie de la langue flamande aux 
ing^nieurs en service dans les futures mines du Limbourg, et meme aux 
ingenieurs des bassins houillers de Wallonie. 1/amendement etait pr£sente 
comme « juste, legitime et necessaire », par le Ministre du travail, un 
Wallon de Liege, M. Gustave Frangotte. 



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WALLONIA 133 

« Vous etes un Wallon, et vous nous trahissez ! s'est 6cri6 M. Ham- 
» bubsin. La Wallonie commence a en avoir assez des exactions flarain- 
y> gantes ! » 

« Vous allez, a dit M. Hoyois, mettre les ingGnieurs wallons dans un 
» 6tat d'inferiorite inadmissible. II en resulterait que les Wallons ne pour- 
» raient plus avoir de situation, meme en Wallonie. 11 y a deja trop de Wal- 
> Ions qui se trouvent exclus des situations et des postes offlciels pour que 
» nous puissions admettre que Ton pers6vere dans cette voie. On ne peut 
» continuer a mettre les Wallons hors la loi ! >> 

« Les droits des Wallons, a ajoute M. de Limbourg-Stirum, sont de\ja 
» trop annihil6s. Les flamingants veulent-ils frapper d'ostracisme les ingG- 
» nieurs de TUniversit6 de Li6ge, d'oii sortait Tillustre Andr6 Duraont, le 
» pere de Tinventeur des mines du Limbourg? » 

Toutes les protestations n'ont servi a rien. L'article propos6 a 6t6 
adopts par une majorit6 de 86 voix contre 48. Les catholiques et les socia- 
listes wallons se sont divisOs ; les lib6raux ont vote* contre unanimement. 

Les noms des opposants me'ritent d'etre retenus. Ge sont : MM. Allard, 
Asou, Berloz. Boel, Buisset, Caeluwaert, Cappelle, Gousot, Dallemagne, de 
Limbourg-Stirum, Davignon, Delporte, Descaraps, Destr£e, Dewandre, 
Drion, Duquesne, Feron, Flechet, Fossion, Gendebien, Hambursin, Harmi- 
gnies, Heynen, Horlait, Hoyois, Hubert, Janson, Jourez, Lambillotte, 
Lemonnier, Leonard, Lorard, Malempre\ Mansart, Maroille, Masson, Melot, 
Monville, Neujean, Pepin, Petit, Pirard, Pirmez, Roger, Snoy, G. Ter- 
wangue, Van Marcke. 

Des que fut connu ce vote memorable, un mouvement de protestation 
singulierement puissant s'est manifest^ dans presque toute la presse de 
langue franchise. Tous les journaux, sauf un certain nombre de feuilles 
gouvernementales, ont 6te unanimes a critiquer vivement la decision prise. 
De nombreuses petitions se pr6paraient quand un revirement caracteris- 
tique se produisit soudain : la Ghambre revint a r6cipiscence. 

M. Franck. d6put6 flamand d'Anvers, proposa de require Tobligation 
au cas des ing6nieurs fonctionnant en pays flamand. 11 dGclara qu'«on avait 
donn£ aux Flamands plus qu'ils n'avaient demands, et meme ce qu'ils 
n'avaient pas le droit d'avoir ». 11 ajouta : « Ne laissons pas accr6diter cette 
I6gende que nous, qui sommos des d6fenseurs convaincus des droits de la 
langue flamande, nous songions, pour d6fendre celle-ci, a porter atteinte au 
droit d'autrui. » Et plus loin : « Je fais appel au sentiment de toute la 
Ghambre pour que nous dStrompions ceux qui oni affirme que les d6fen- 
seurs des droits imprescriptibles des Flamands songent a imposer sans 
mesure le Flamand en pays wallon, on qui croiont qu'il y a ici une majority 
flamande contre une minority wallonne. » 

L'amendement Franck et consorts a 6t6 adopts par 105 voix contre 4i 
et 7 abstentions. II y a done eu \\ Flamingants irr6ductibles. 

Depuis lors. le projet de loi a 6t6 retired II pourra etre repr£sente. Mais 
la presse a sufiteamment repandu et comments ces faits divers, pour que 
nous nous abstenions d'y insister pour le moment. 



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134 WALLONIA 

Les Concours d'Histoire wallonne. — L'initiative prise par le Cercle 
Vervietois de Bruxelles, dont nous avons rendu compte ici-meme, a 
obtenu le plus brillant des patronages. S. M. le Roi, S. A. R. le Prince 
Albert de Belgique, les villes de Liege et de Verniers, ainsi que bon nombre 
d'eminente? personnalites wallonnes, encouragent de leur appui effectif le 
Concours pour la composition d'une « Histoire des libertes liegeoises » et 
I'elaboration d'un menioire sur la « Lutte des Etats de Li6ge contre La 
Maison de Bourgogne ». 

On sait qu'un prix de 500 francs est affecte au meilleur memoire pour 
chacun des deux sujets. La lice est ouverte jusqu'au 31 octobre 1907. Une 
circulaire, indiquanten detail les conditions du concours, est adressee sur 
demande faite au Secretaire du Cercle Vervietois, 1, boulevard Anspacb, 
Bruxelles. 

De son cote, la Ligue Wallonne de Liege, a l'occasion du x md anniver- 
saire de sa fondation, ouvre un concours pour la redaction d'un ouvrage 
rappelant les « Grands Hommes de la Wallonie et les raisons de leur cele- 
brity ». II s'agit, on le devine, d'un ouvrage de propagande patriotique qui, 
au surplus, doit etre redige en un style simple et familier, presents sous 
une forme attrayante, pour etre repandu dans le public en general, par 
exemple par la voie des ecoles. 

Un prix de 350 francs est affects a ce concours, et des recompenses 
pecuniaires pourront etre accordees en outre aux memoires classes second 
et troisieme. Le reglement detaille est en distribution au Secr6tariat de la 
Ligue, 20, rue des Bonnes- Villes, a Liege. 

Nous souhaitons le plus brillant succes a la Ligue Wallonne de Liege, 
et nous reiterons nos voeux pour l'initiative du Cercle Vervietois de Bru- 
xelles. 

« A T^7allonia» a Ostende. — Les fetes de Paques a Ostende-Centre d'Art 
▼ ▼ ont ete superbes et tres courues. Tant mieux, car elles ont vu le 
triomphe... de « Wailonia »! 

Dans un cortege magnifique organise en hommage a la France, un char 
superbe, du a l'initiative des Ostendais, rappelait la Wallonie et portait le 
nom de notre Revue. 

L'organe ostendais Le Carillon donne de ce char allegorique une des- 
cription qui fera beaucoup aimer cette oeuvre d'art d'un jeune Liegeois ; 

« Le theme est la glorification de l'activite wallonne. Une figure princi- 
pal, Wailonia, porta nt le rameau d'olivier, est flanquee de V Industrie et 
de VArt symbolise par une jeune fille portant la lyre et nimbee de laiiriers, 
une guirlande de fleurs et de fruits ; V Abondance relie les personnages. Ce 
groupe eft adossg a une stele armori^e, surmontee de VAigle, la perseve- 
rance, agriftant un cartel encadre de chene et de laurier. Les balustrades 
portent en decoration des panneaux avec attributs de I'art et de Tindustrie. 
Des brule-parfums fument a chaque cote du groupe principal. La Meuse et 
l'Ourthe coulent au pied de Wailonia, et des coquilles, chimeres, vagues, 
etc., reliant les aeux groupes entre eux. Une decoration occupe la face pos 
terieure du char. La partie inferieure est garnie d'une frise d'abeilles, le Tra- 
vail, avec filets en rosaces. 



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WALLONIA 135 

» Prosque toute Texecution est en staff et toile peinte : les trois alle- 
gories : \Vallo?iia % Art et Industrie sont des personnages vivants. 

» Ge char etait precede d'un heraut d'armes a cheval, portant Telendard 
de la Wallonie et de quatre herauts a pied portant les 6cuss<>ns des provinces 
wallonnes. II est Toauvre de M. Lobet, un jeune architecte li6geois. » 

Le char construit par M. Lobet a obtenu le prix de deux mille francs 
et une superbe banniere. Tout le monde a applaudi a ce brillant succes. 

Au jeune architecte liGgeois, tous les compliments de Wallonia et nos 
meilieures felicitations. 



Ouvrages rectus 



V organisation sj/slematique de la documentation et le deteloppement 
de Vlnstitul international de Bibliographie. (Institut intern, de Bibliogr., 
publication n° 82.) — Bruxelles, au siege de TInstitut. In-8° (16 x 25), 66 p. 
et 4 planches. 

Union des Auteurs Seresiens, 5 e Annuaire. — Li6ge, Lambotte. In-8° 
(19 x 12.8), 64 p. Prix : 50 cent. 

Badbl, Emile. A tracers la Belgique, impressions et souvenirs. — 
Malzerille, E. Thomas. In-8° (20.8 X 12.5), 154 p. 

Chantavoine, Jean. Beethoven, etude sur la vie et Toeuvre avec cata- 
logue et bibliographie. — Paris, Felix Alcan, Collection : « Les Maitres de 
la rausique ». In-8° (20 x 13), 260 p. Prix ; 3 fr. 50. 

Deauville, Max. La fausse Route, roman. — Bruxelles, Larcier. In-8° 
(18.8 x 12), 107 p. Prix : 3 fr. 

Des Ombiaux, Maurice. Ioie Bec-de-lievre> roman. Brux., Association 
des Ecrivains beiges. In-8° (18.4 x 12), 180 p. Gouverture illustr6e par 
G.-M. Stevens. Prix : 3 fr. 50. 

Goldschmidt, Robert, et Otlet, Paul. Sur une forme nouvelle du 
Livre : le Livre microphotographique. — Bruxelles, Institut international 
de Bibliographie. In-8° (24.5 x 16), 11 p. 

Gross, Jules. Theoduline. poeme valaisan, avec illustrations du peintre 
F. -Louis Ritter et une preface de Georges Barral. — Paris, Fischbacher. 
« Collection des Poeles francais de T6tranger». In-8° (18.5 X 12.8). xxiv + 
240 p. Portrait et autographe de Tauteur; vignettes. Prix : 3 fr. 50. 

Helbig, Jules. L 'Art mosan depuis V introduction du Christianisme 
jusqu'a la fin du XVIII 9 siecle, public conform6ment au d6sir de Tauteur 
par Joseph Brassinne. Tome I : Des Origines a la fln du XV e siecle. — 
Bruxelles, van Oest. In-4° (32.5 x 25.7), 151 p. Grav. et pi. Prix : 20 fr. 

Houyoux, Paul. La Grande Grece. De Stamboul a Naples. — Brux., 
Dechenne. In-8° (19.5 X 12.5). 106 p. Prix : 1 fr. 50. 

Jaspar, Paul. Du vieux du neuf, par Paul Jaspar, architecte. Liege y 
1907.— Liege, s. n. 46 feuillets d'album (32x25), illustr. de Tauteur. 
Hors commerce. 

Leruth, Jules. Armanah di Pays oV Haive, publii par Jules Leruth 



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136 



WALLONIA 



el saqwants bons Ateurs walons. Anneye 1901. — Bressoux, Victor 
Carpentier. In-8' 1 (17.3 x 12.8), 128 p. Prix : 0,20. 

Le Magnin de Rougemont. Contes Ucencieuoc de V Alsace. — Klein- 
bronn (Paris), G. Ficker. In-8° (17.2 x 11.5), xn + 274 p. 

Nklis, Maurice. Les Aiples noirs, poemes. — Gembloux, L. Berce. 
In 8° (19 x 13), 65 p. Prix : 1 I'r. 25. 

Paschal, L«'»on. Ilelie. drame. — La Haye. Gahicr autographie (27 x 22), 
85 p. Hors commerce. 

Rolland. Eugene. Flore populaire ou Htstaire naturelle des Planles 
dans leurs rapports avec la Linguistique el le Folklore. Tome VI. — 
Paris, chez I'Auteur, 5, rue des Chantiers. In-8°, 307 p. Prix : 8 fr. 

Sgulfort de Beaurepas, Serge. La politique rnondiale. Ligue anglo- 
panceltique- slave. Conference el Rapport. — Paris, Gassegrain. In-8° 
(24.5 X 15.8), 40 p. 

Smulders, Carl. Les feuilles d'or, roman. — Bruxelies, Larcier. In 8° 
(18.7 x 12.2), 257 p. Prix : 3 fr. 50. 

Tilkin, Alphonse. Dfa metou V ferou, comedeye di 3 akes. — Liege, 
Van Mol. In-8° (19.5 x 12.5), 87 p. 

Virres, Georges. L'inconnu tragique et autres nouvelles. Avec 
25 dessins de Francois Beauck. — Bruxelies, Vromant. In-8° (19 x 12), 
275 pages. 

Wauthy, Leon. La facile Liaison, roman : mceurs de demain. — 
Paris- Verviers, Wauthy freres. In-8* (18 x 10), 105 p. Prix : 1 fr. 25. 

Xhignesse. Arthur. Essai d'Economie politique formulee. Seconde 
par lie : Notions sur la Force de travail, sa Representation graphique et 
les Elements qui lui afferent. (Extrait des Memoires de la Societe des 
Sciences du Hainaut. T. IX, 2 e serie). — Mons, Dequesne Masquillier. In-8° 
(24 x 17), 31 pages. 

De Zuylen de Nyevelt, Helene. Le chemin du souvenir, roman. — 
Paris, Juven. In 8° (19 x 12.5), 287 p. Prix : 3 fr. 50. 




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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a Ftfniversite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a I'Ecole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a FAthenec 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Litterature francaise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof, a I'Universite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
FAthenee, Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a I'Universite de Liege; 
Charles Gheude, prof, a I'Universite nouvelle, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a FAthenee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; F£lix Magnette, prof, a I'Athenee royal de Liege ; Fernand 
Mallieux, prof, a I'Universite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
FAthenee royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a I'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneehe. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; D. Brouwers, conservateur 
des Archives de FEtat a Namur; A. Garlot, attache aux Archives de FEtat a 
Mons ; Albert Delstanciie, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Fairon, conservateur-adjoint des Archives de 
FEtat a Liege ; Oscar Grojean, attache a la Bibliotheque royale de Belgique ; 
Emile Hublajrd, conservateur de la Bibliotheque publique de Mons; Adrien 
Oger, conservateur du Musee archeologique et de la Bibliotheque publique 
de Namur ; Victor Tourneur, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Musee archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vaghe, archeologue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lers, president du «Cercle archeologique » de Mons; Jus'in Ernotte, 
archeologue a Donstiennes-Thuillies; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice 
des Ombiaux, Louis Dumont-Wilden, Camille Lemonnier, Edouard Ned, 
Georges Willame, litterateurs a Bruxelles; Emile Aden, Charles Delche- 
valerie, Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a 
Liege: Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mogkel, litterateur a 
Paris; Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur 
a Charleroi ; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du « Club wallon », Malmedy ; Joseph 
Hens., auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jagquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; Jean Roger, president de F « Association des 
Aut^urs dramatiques et Chansonniers wallons », a Liege; Henri Simon, 
Joseph Vrindts, auteurs wallons a Liege; Jules Vandereuse, auteur 
wallon a Berzee. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Musee instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, dessinateur, a Paris; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a FAcademie royale des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege; Paul Jaspar. archi- 
tecte a Liege; Frangois Marechal, dessinateur et graveur a Liege; Nestor 
Outer, artiste -peintre, Virton ; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Liege; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur decorateur, Liege. 

MM. Y. Danet des Longrais, genealogiste-heraldiste, a Liege ; Pierre 
Deltawe. publiciste, a Liege ; Albert Nkuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt; Ernest Sente, photographe a Liege; 
Oscar Colson, folkloriste, etc. 



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Archives Wallonnes 

D' AUTREFOIS, DE NAGU&RE ET D'AUJOURD'HUI 

Recoeil mensaet, illostrt, fondt en dtcenbra 1892 par 0. Colsoi, 
Jos. Defricheui et 6. Willane; bonori d'une sooscriptlon du Bouvernenoit, subtilii ptr la PretUcs 

et par la villa de Liige. 

Honore en 1906 du prix Rouveroy au concburs regie par la Sociele 1 fibre 
(V Emulation de Liege. 

Affilie a 1 Union de la Presse ptriodique beige. 

Publie des travaux originaux, Etudes critiques, relations el 
documents sur tous les sujets qui int^ressent les Etudes wallonnes* 
(Ethnographic et Folklore, Archeologie et Histoire, Literature et 
Beaux-Arts) avec le compte-rendu du Mouvement wallon gdn^ral. 
Recueil impersonnel et ind^pendant, la Revue reste ouverte k 
toutes les collaborations. 

Directeur : Oscar COLSON, 10, rue Eenkart % Lidge 

ibonnement annuel : Belgique, 6 fr. Etranger, 7 ft\ 50. 

Les nouveaux abonnes re^oivont les nuraeros parus de Tann^e courante. 

Les abonnements se continuent de plein droit, sauf avis contraire avant le 1" Janvier. 



Tomes I & XIV, 1893 a 1906 inclus. 

Depuis sa fondation, Wallonia a public chaque annee un volume 
complet in-8° raisin, broch6 non rogn6, avec faux-titre, titre en rouge et 
noir, et table des matures. A la fin du tome V (1897) et du tome X (1902) 
sont annex6es des Tables quinquennales analytico-alphab6tiques, qui cons- 
tituent le repertoire id6ologique de la publication. Le tome XV (1907) sera 
s\iivi d'une table analogue. 

Chaque volume, 6l6gamment 6dit6, est abondamment illustrS de des- 
sins originaux, portraits, etc., et contient de nombreux airs notes. Les hait 
premiers volumes comptent chacun plus de 200 pages ; les quatre volumes 
suivants, plus de 300 pages ; les deux derniers, plus de 400 pages ; total, 
pour les 14 volumes : plus de 4,000 pages. 

CONDITIONS DE VENTE 

Les volumes terminus sont en vente au prix de 5 francs Tun. La four- 
niture partielle des premiers tomes,ne peut etre garantie, mais des conditions 
sp6ciales seront faites, tant que le permettra TGtat de la reserve, au& 
abonnes directs qui d6sireront completer leur collection. 

En vue de faciliter aux nouveaux souscripteurs Tacquisition de tout 
ce qui a paru, les prix suivants ont 6t6 6tablis (avec facility de paiement, 
a convenir) : 

La collection complete, 14 volumes, au lieu de 70 fr. : net 56 fr. 

Un certain nombre d'exemplaires des deux Tables quinquennales 
(32 et 24 p. k 2 col. de texte compact) sont a la disposition des travailleurs 
aa prix total de 1 fraric. 



IMP. M. TBOVTR. 



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&(d:l<*<o. 3 2. u 



XV°» annee — N° 6. Juin 1907 



SOMMAIRE 

Le Tour de Saint-Hermes, k Renaix, par M. Jules DEWERT. 
Un sport pittoresque : le Sployon, par M. Albin BODY, 2 gravures. 
Faceties populaires sur l'Entetement des femmes, recueillies par 

M. Oscar GOLSON. 
Literature de chez nous : Images fraternelles, par M. Charles 

DELGHEVALERIE. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Art populaire : Ouvrage de M. Charles Gheude, par 

M. Ernest CLOSSON. 
Lettres f ran Raises : Ouvrages en vers, par M. Pierre 

WUILLE. 
Lettres wallonnes : Chronique, par M. Henri ODE- 

KERKE. 

— Ouvrages recus. 



bureaux : 
LI^GE, iO, RUE HENKART 

Un an : Beigique, 6 francs. — Etranger : 7 fr. 50. - Ge n° 1 fr. 
La Revue parait cbaque mois, sauf en aout. 



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AVIS 

A dater du 1" Septembre prochain, les Bureaux de 
WALLONIA et I'adresse person nelle de M. O. C0L50N seront 
traaferes : 

Liege, 12, Rue lion-Mignon, 12, Liege 



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Le tour de Saint=Hermes, a Renaix. 

I. Renaix. 

au sud-ouost de la Flandre orientale, aux 
ins <lu Hainaut et des deux Flandres, Renaix est 
ville flamande entouree de tous cotes, sauf au 
I, de villages wallons. Son altitude, qui est de 
te cinq metres seulement, fait mieux ressortir 
3 des monts voisius ; niont de Lenelus. mont de 
tout, Muziekberg, qui varie de cent-quarante a 
cem-ciuquante metres, Ce sont ces deux carac teres 
de Renaix qui donnent tout son charme au tour de Saint-Hermes : 
la piele impassible et farouche des Flamands s'y allie a la gaite 
tapageuse des Wallons. D'autre part, le tour s'aceomplit en grande 
partie sur des hauteurs d'oii Ton embrasse sans cesse tout le pano- 
rama de Renaix aux multiples toits qui rougeoient au soleil. Tour a 
tour, i'ceil plonge dans les ravins remplis de verdure ou se repose 
avec complaisance sur les collines environnantes, ou s'etale en 
amphitheatre tine frondaison variee. Aussi, le tour de Saint-Hermes 
a-t-il degeuere en ces deriiiers temps en promenade pittoresque, en 
partie de plaisir ou Ton fait honneur aux vivres et boissons emportes 
et d'ou chevaux et voitures revienueut garnis et miguirlandes com me 
d'un Longchamps fleuri. 

II. Saint Hermes et I'eglise de Saint-Hermes. 
En dehors des nombreuses antiquites prehistoriques, romaines et 
franques decouverles aux environs de Renaix, on ne connait rien de 
positif sur cette ville avaut le ix'" sieele. Louis-le-L)ebonnaire batit 
l'abbaye d'Inde, pres d'Aix-la-Chapelle, et, en <S80, il la gratitia de la 
majeure partie des biens du monastere de Renaix. Celui-ci, selon 
d'anciens chroniqueurs ( J ), avait ele fonde par saint Ama::d en 

(1) Baldekicus, Chronicon Came race ns(>, lib. I, c. 75 et lib. II, c. 44. Edit. Le 
Glay. 

Tome XV, u* »>. Juin UM)7. 



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162 WALLONIA 

I'honneur des saints Pierre et Paul. Le6 juillet 860, Tempereur Louis 
fit transporter dans T6glise de Saint-Pierre, k Renaix, les reliques de 
saint Hermes que son pere Lothaire avait apport^es de Rome en 851 
et qui reposaient depuis lors a l'abbaye de Saint-Corneille, d'Inde. 

L'eglise de Saint-Hermes (*) fut fondle au commencement du 
xn e siecle, a cote de l'eglise abbatiale de Saint-Pierre. Elle renferme, 
outre certains restes de T6poque romane, d'autres parties qui ne 
remontent qu'& la periode ogivaie primaire, voire secondaire. C'est la 
que reposent les reliques de saint Herm6s, dans une chasse que les 
Renaisiens appellent Fiertel, du mot roman « fierte » lat. feretrum. 
En 1089, les reliques de saint Hermes furent placees dans une 
nouvelle cMsse d'argent par Gerard II, evequede Cambrai. En 1526, 
Robert de Groy, Sveque de Cambrai, ordonna a Godefroid, abbe 
d'Eename, de transferer les reliques de saint Hermes de I'ancienne 
fierte dans une nouvelle ( 2 ). 

Le patron de Renaix est un ancien pr6fet de Rome, qui fut mar- 
tyrise en 131, par l'empereur Adrien. Selon la l^gende, il aurait 
enchaine ie diable, et son autel est surmonte de sa statue ^questre le 
representant trainant le diable derriere lui. Cesujetest reproduit sur 
un ancien panneau que deux pages portent k la procession devant la 
soci&e des Carabiniers de Saint-Hermes. 

C'est 6videmment a cette tegende qiie saint Hermes doit d'etre 
invoque comme guGrisseur de la folie, cette maladie diabolique. Les 
fous, autrefois considers g6n6ralement comme poss&tes de Tesprit 
malin, sont conduits devant Tautei de saint Hermes et attaches a des 
anneaux qui s'y trouvent fixes, dit-on, mais que je n'y ai plus 
trouves ( 3 ). 

Non seulement les idiots mais encore les enfants pris de frayeurs 
nocturnes sont amenes devant Tautei du grand saint Hermes. Mors 
le prdtre les couvre de son etole et recite le commencement de 
TEvangile selon saint Jean. Par la suite, il arrive que la peur terrible 
qui reudait auparavant leur sommeil agit6, qui les faisait se dresser 
sur leurs lits avec des yeux demesurement ouverts et avec des cris 
entrecoupes de sanglots, disparait tout a coup. 

Sans doute pour temoigner de leur gratitude k saint Hermes, 

(1) Voir sur cettt; eglise : Bulletin des commissions royales d*art et d'arche- 
ologie, IT a. (1878), pp. 364-384 et 18* a. (1879), pp. 173-178, articles de J. Ruttiens 
et E. Serrure. 

(2) Historia sacra et profana archiepiscopatus MechliniensiSy Cornelii Van 
Gestel, Hagae Couiitum, 1725, t. II, p. 240. 

(3) Sainte-Gertrude, a i^anden, etait aussi invoquee contre les frdnetiques 
(Histoire de Lande.n, par A. Wauters, dans le Bulletin de la Socie'te' royale de 
Geographie, t. VII, 1883, p. 565). 



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WALLONIA 163 

plusieurs personnes se sont habitudes a faire chaque ann6e pendant 
la neuvaino qui suit la fete « le tour de Saint-Hermes. » Elles 
marchent a travers la nuit portant au-dessus de leurs vetements une 
chemise de toile grossiere, egrenant devotement le rosaire et s'arre- 
tant pendant quelques instants devant les chapelles ou les calvaires 
qui se dressent qk et la sur le parcours, jusqu'a ce qu'eiles s'arr^tent 
enfin a l'aube du jour en l'dglise de Saint-Hermes pour assister a la 
sainte messe et dGposer une offrande aux pieds de la statue. 

Quant a la procession qui se fait le dimanche qui suit la Pente- 
cote, ou dimanche de la Trinity on ignore T6poque de sa fondation, 
mais on en constate l'existence positive en 1453. Elle parcourt un 
trajet d'environ sept lieues, tout en restant sur les li mites ou « mar- 
ches » du territoire de Renaix ('). Sous ce rapport elle ressembleaux 
fameuses Marches de rEntre-Sambre-et-Meuse, qui suivent egalement 
un circuit de sept lieues, nombre fatidique, et qui sont protegees par 
des confreries armees, ehargees k I'origine de defendre la chasse 
contre la malveillance des voisins ou la rapacite des brigands ( 2 ). Ici 
les hommes arm&s ont disparu, mais nous les retrouvons a toute 
evidence dans les cavaliers qui font le tour, et dont la presence ne se 
justifle pas autrement, saint Hermes n'etant pas invoque comme 
guerisseur de chevaux, a Tinstar de saint Guidon, a Anderlecht, 
saint Serves, k Sta^ibruges f pu.saint BartMlemy, a Bousval. 

III. Le tour de Saint-Hermes 

A Tissue d'une messe solennelle, celebree a sept heures du matin, 
la procession se met en branle. La marche est ouverte par le corps 
des sapeurs-pom piers, aux casques brillants, comme un peu partout, 
mais precedes encore d'une demi-douzaine de sapeurs barbus, portant 
la hache et le tablier de cuir blanc, pour le reste ressemblant a des 
gendarmes en grand uniforme. Viennent ensuite la musique commu- 
nale, les principales societes de Renaix et des environs, avec ft fres ( 3 ), 
tambours et ^tendards. 

(1) Je ne puis admettre quo le tour <le Saint- Hermes rappelle le parcours que 
saint Hermes faisait a cheval apres avoir travaille aux champs pendant toute la 
journee. (Annates cln Cercle archtologique de Mons, XXXI, 28.) 

(2) Congres archeolog que de Mons, 1894, pp. 218 et suiv. et Annabs du Cercle 
archeologique de Mons, XXXIV, 1905, oil Ton lit dans la « Relation d'un sejour de 
Michel de Saint-Martin, a Mons, en 1661 » p. 315 : « Les portes de la villc [pendant 
la procession du jour de la Trinite, a Renaixl sont fermees et les soldats en amies 
sur les reinparts. II y a au dehors, partieulierement en temps de guerre, des 
compagnies de cavalerie rangees on escadrons pour eviter les surprises de 
Tennemi. » 

(3) De meme la procession de Sainte-Rolende, a Gerpines (Congres arche- 
ologique de Mons, 1894, p. 220). « (Test une des poesies de la fete; on ne Tentend 



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164 WALLONIA 

Parmi celles-ci, on remarque l'antique confr6rie de Saint- 
Hermes, precedee de sa banniere, de ses joueurs de tambour et de 
fifre, vcHusd'une tunique verte, ayant sur la tete un shako-tromblon 
rouge, bord6 de jaune, orne d'une frange verte et surmont6 d'un 
pompon blanc et bleu. Deux enfants vetus de vert (*) egalement, 
portent l'dcusson de la society. 

Voici la croix, les acolytes, les banni6res. La chasse de Saint- 
Hermes parait ; un sonneur la precede; il fait resonner tour a tour 
d'un pas cadence les deux clochettes dont il est muni. C'est, en ville, 
a la corporation des cordonniers ; k la campagne, k des ouvriers desi- 
gnes par 1'administration communale qifest reserve Thonneur de 
porter les saintes reliques. Un groupe de jeunes orphelines, en robe 
grise, un motichoir blanc nou6 negligemment autour du cou, les 
cheveux en desordre, les entoure. II represents les (biles que guerit 
saint Hermes. 

Vient le clerge dont ie chef porte, dans un riche reliquaire, un 
des bras du saint; les autorites civiles( 2 ) paraissent suivies des cava- 
liers^); leur nombre varie de 150 a 200. Apres les cavaliers, les 
voitures : Tune de celles-ci est reservee a un d£iegu6 du clerge el un 
delegue de radministration cominunale, a qui incombe pour ce jour la 
garde des reliques (*). Apres avoir parcouru les principales rues de la 
ville, le cortege s'arrete au fauboupg d'Ekkerghem, le clerge est 
rentre a l'eglise; les societes et les autorites font la haie; la musique 
entonne le vieil air renaisien, le Fiertel... et le tour commence ( 5 ). 

plus qifa la procession de Sainte-Rolande. » Erreur, comme on voit. — Voy. les airs 
de flfres de Gerpines, dans Wallonia, II (1894), p. 140 et suiv. 

(1) Le blanc et le vert sont les couleurs de la ville. Elles sont placees toutes 
deux a la hampe, le vert en dessous. Quant aux armes de la ville, elles se blasonnent 
ainsi : D'or a une aigle biceps de sable, langu^e, becquee, membree et onglee de 
gueules, I'ecu tiinbr^ d'une couronne d'or. 

(2) En 1669, fut conclu un accord entre le prince de Nassau, seigneur de 
Renaix, et les prevot, doyen et chapitre de Renaix en vertu duquel le seigneur de 
Renaix, et, a son defaut, son grand bailli, suivait seul le pretre portant le Saint- 
Sacrement, tandis qu'il avait a sa droite le magistrat et a sa gauche les bailli et 
hommes de fiefs du sieur Prevot. (Delghust, La Seigneurie de Renaix, p. 74.) 

(3) A Grez, le 23 avril, jour de la Saint-Georges, il se fait aussi une procession 
d'hommes a cheval. (Wallonia, VII, 1899, p. 101.) 

(4) Delghust, p. Ill : «Lo bailli de la Baronrie et celui de la Franchise 
accompagnaient le tour de Saint-Hermes et pretendaient tous deux porter la verge 
do justice droite sur tout le parcours en signe de leur pouvoir. Des diflicult6s 
eclaterent a ce sujet et furent tranchees en 155? par le Conseil de Flandre, au 
benefice du bailli de la Baronrie. » 

(5) Le Fiertel a etc transcrit pour piano par M. D. Vandenhende. (Gand, 
Paternotte, edit.) 11 nest pas accompagne de paroles. Nous reproduisons ci-contre 
la melodie, siinplifiee, dans le ton choisi par M. Vandenhende. 



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WALLONIA 



165 



Air de la Fierte de Renaix. 



Allegretto 



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i D.C. 



La procession escalade le mont de la G ruche et arrive vers dix 
heures a I'eglise de Louise-Marie, sur la limite de Renaix. Le clerge 
vient prendre possession de la chasse qui est processionnellement 
conduite dans le temple pour y etre honoree par les fideles des envi- 
rons. Cependant les pelerins dejeunent dans les eslaminets aux alen- 
tours. Ceux qui out emporte des provisions organisent des pique-nique 
dans les bois du Muziekberg. 

Apres le dejeuner, le cortege se remet en marche. Tout-a-coup 
une fusillade eclate, le clairou sonne, les porteurs de la chasse pren- 
nent le pas de course. On est arrive sur un plateau, au Boekzitting 
(etablissement deshetres; un hetre magnifique s'y voit encore). Cette 
coutume a pour but de rappeler Tattentat commis en 1721, par des 



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166 Wallonia 

boh^miens qui infestaient alors le territoire de Renaix et d'Elle- 
zelles ( l ). lis voulureut s'emparer de la chasse, mais ils furent 
repousses grace a la bravoure des cavaliers de Rooborst et de Saint- 
Sauveur. Voila pourquoi la commune de Rooborst participe encore, 
chaque an nee, au cortege. C'est pour ce motif egalement que les 
cavaliers de Saint-Sauveur sont les premiers -e escorter la chasse, 
suivant le dicton : 

C'est a vous I'honneur 

Braves cavaliers de Saint-Sauveur, 

et aussi les premiers... a gouter le via cThonneur. Ces prerogatives, 
les braves de Saint-Sauveur ne les ont pas conservees sans luttes ( 2 ) et 
les vers cites plus haut ne sont que le refrain de la chanson suivante, 
composee& leur intention a la suite d'un conflit avec les cavaliers de 
Rooborst ou cTEllezelles. Cette chanson est datee de « Renaix, le 
26 mai 1839 » et est signee comme suit : « compositeur, Beaucamps 
Louis. » 

Honneur aux cavaliers de Saint-Sauveur 



1. 
Braves cavaliers de Saint-Sauveur 
Sont tous des garcons de coeur, 
Ils font la procession entiere, 
Jamais ils ne sont en arriere, 
C'est a vous i'honneur (bis) 
Braves cavaliers de Saint-Sauveur. 

2. 
Braves cavaliers a vous Thonneur 



3. 
Cavaliers d'Ellezelles attention. 
Et ne tombez pas en affront. 
Saint-Sauveur ne repond pas de 

[Tarine 
Vaincre ou mourir sur la place 
[d'armes. (Refrain. 
4. 
Saint-Sauveur a vous Thonneur 



Premiers a la tete n'ayez pas peur. ■ Vous aurez le prix d'honneur. 



Ils feront le tour entier, 

Jamais neseronten arv\kve.(Refrain.) 



Ellezelles voulait se mettre a la tete 

Brave Saint-Sauveur le fit battre 

[retraite. (Refrain. 



(1) «Des bandes de vagabonds, voleurs et incendiaires, sous le nom d'Egyp- 
tiens, infestaient les environs d'Ath, Flobecq, Lessines et Renaix, en 1726, 1733 et 
1734. » (Cercle arcfteoloffique de Mons, tome X, T partie, p. 19). Lire aussi dans le 
« Tour du Monde, 30 avril 1898, n" 18 — A travers le monde, p. 137 » : VOstension 
du Dorat [chef-lieu de canton de la Haute- Vienne] par Jacques Rouge. On y retrouve 
comine ici, et dans l'Entre-Sambre-et Meuse, les processions septennales, les circuits 
de sept lieues, les bandes armees qui devaient prot^ger les reliques contre les 
attaques des protestants, les feux de salves. — A Ath, un ban politique prornet le 
silence et dix ecus de recompense a quiconque viendra denoncer au chatelain d'Ath 
la retraite de quatre Egyptiens evades des prisons de cette ville (19 mars 1733). 

(2) Une transaction eut lieu : Ceux de Rooborst, a pied, sont les premiers 
devant le « corps saint », ceux de Saint-Sauveur sont les premiers a le suivre a 
cheval. 



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WALLONIA 



167 



Depuis cent ans et encore plus 
Saint-Sauveur a toujours vaincu, 
lis sont toujours a la tete 
Jamais ne batten t retraite. 

(Refrain.) 



Gelui qui a compose la chanson 
Cest un vieux troupier de Napoleon 
Qui n'a plus pere ni mere. 
II est maintenant dans la misere. 

(Refrain.) 



Je vous salue, mes hons amis, 
A vous Thonneur et le prix 
Saint-Hermes vous attend a la tete, 
Avec tambour et trompette. 
Cest a vous Thonneur (bis) 
Braves cavaliers de Saint-Sauveur. 

Sans pietiner corame le naif auteur de cette naive chanson ( ! ), la 
procession passe tour a tour devant la chapelle de Lorette, le hameau 
de Beaufau et la chapelle de la Tombelle ou elle s'arrete et ou les 
meres de famille des environs sont accourues pour baiser la chasse et 
la faire baiser a leurs enfants. 

Sur le territoire de Saint-Sauveur, la procession fait une station 
a la chapelle de Croix-ou-pile (Grucipile). Les habitants du voisinage, 
auxquels la cloche de la chapelle annonce l'arriv^e du corps sacr6, 
y viennent en foule venerer les reliques qu'on y depose pendant 
quelques instants. Ensuite le cortege arrive aux limites de Wattripont. 

« Un des notables s'avance vers les magistrals de Renaix pour 
leur oflrir le vin d'honneur. L'un des magistrats remet alors au dit 
notable de Wattripont un beau gateau que Ton expedie imme'diate- 
ment a Paris, oil il doit figurer sur la table de M. le comte de 
Be'thune, proprie'taire de l'ancien chateau et d'une partie des terres 
des seigneurs de l'endroit. » N'oublions pas l'accolade donnee par 
le d616gue de Tadministration de Renaix a la dame du notable 
wattripontois. 

Ce gateau, sur lequel figurent deux mains entrelacees serait le 
symbole de la reconnaissance des habitants de Renaix pour les 
privileges que leur accorda en 1240, Gerard, sire de Waudripont, 
aujourd'hui Wattripont (*). Suivant une autre version, ce serait 
le souvenir de la reconciliation du seigneur de Waudripont et du 

(1) Communiquee par M. Francois Dendauw, de Renaix. 

(2) Notice sur Wattripont, par Bernier. (Bulletin de la Societe historique et 
litteraire, de Tournai, tome XVII, p. 259 260). 



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168 WALLONIA 

baron de Renaix a la suite d'un procesqu'ils terminerenta Famiable, 
en se donnant l'accolade et la main ( 1 ). 

La procession se dirige du cote de Russeignies oil elle arrive 
vers midi. La chasse est port^e aTeglise, tandis que les pelerins s'en 
vont diner ( 2 ). Vers 2 heures, la marche recommence. On passe a 
la ferme de Wadwtont ou ferine Saint-Hermes dont on ettectue 
trois Ibis le tour, a l'interieur de la cour. « Cette ferme etait autrefois 
la propriety du chapitre et c'etait la que deux chanoines delegu&s par 
celui-ci attendaient jadis le cortege et distribuaient a tous ceux qui 
l'accompagnaient une tarte b6nite arrosee de vin ou de biere. » 
Depuis quelques annees cette coutume a ete supprimee par le 
proprietaire de la ferme. 

De Russeignies, beaucoup de Renaisiens, a cheval, en voitures, 
a bicyclette, retournent diner en famille, pour rejoindre la chasse a 
sa rentree en ville vers cinq Injures. Des pelerins, des cavaliers par 
petiis groupes, fatigues du long repos de Russeignies, commencent 
a escalader le bois de TEynsdale (Hynsdaele). Eiifin Ton entend dans 
le cbeinin creux le porteur de sonnettes ; celles-ci cbantent, dit-on, 
en scandant cbaque dissyllabe d'un coup alternatif de chaque main : 

Berling \Berlang\ Berling |Berlang| 

De fier \lel komt\ La ohas |se vientl 

Hij is \al b*/\ Elle est |tout pies| 

Te Wat \lripont\ De Wat Itripontl ( 3 j 

Le tour est tout a fait caracteristique ici. Plus rien de religieux : 
le sonneur s'en va d'un pas precipite comme s'il battait la cbarge 
contre les esprits infernaux qui hantent la cervelie des pauvres fous. 
La chasse recouverte d'une toile cir6e est port£e par quatre homines 
qu'a peine a suivre un pretre en noir. Les orphelines qui representor^ 
les folles, sont dispersees, de ci de la, cueillant des fleurs. A cheval, 
en voiture, passent des gens qui ont arrose copieusement leur diner. 
Des chants joyeux commencent a se faire entendre. Cependant, au 

(1) Bataille : Recherche* historiques sue la ville de lienaiw, p. 71 . Delghtst. 
p. 26. Cette explication nous semble moins acceptable. puiKqu'elle ne repose sur 
aucunc base historique, tandis que la premiere est le rap pel d'une de ees bizarres 
redevances teodales, si nombreuses au nioyen age. 

(2) La chasse de Sainte Rolende, a Gerpines, est deposee pendant plusieurs 
heures dans reglise de Gougnies. Le repas champetre se fait a Yillers-Poteries. — 
La procession de Sainte Rolende a ete completement deerite, pour la premiere Ibis, 
par M. Camille Quenne, dans Wallonia, II, 121, 144. 

(.')) Comp. l'Ommegang de la kermesse de Nieuport, le 2? juin : Le reuze(gvant) 
superbement habille et arme, ouvre la inarehe, precede par des violons qui executent 
l'air populaire de la chanson : « De reuze komt. » (Ueinshf.rg Duringsfeld, I, 430.) 



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WALLONIA 169 

Tilleul, les ruraux sont accourus au passage des reliques et s'dtagent 
sur la declivity des berges. Parfois-on tire un coup de fusil, signe 
de joie, temoignage d'honneur. On vend pour quelques centimes des 
branches d'arbre, des bouquets de genets, d'aubepine, dont on va 
d6corer chevaux et voitures. 

Le cortege descend vnftn le mont de la Cruche au has duqnel le 
clerge et le cortege du matin attendent le corps saint qui est solen- 
nellement reiniegre dans l'eglise. Les cavaliers et les assistants en 
voitures se rendent a la Grand' Place dont ils font le tour en grande 
parade. Le vin d'honneur leur est presente par l'Administration et 
chaque societe regoit en la personne de son president une medaille 
commemorative. 

Telle est cette importante procession dont la vogue dut etre bien 
plus grande encore autrefois, du moins dans le Hainaut, si Ton s'en 
rapporte aux quelques details historiques suivants : En 1101, un 
personnage representait saint Hermes au cortege de la foire d'Ath. 
II y avait au xv° siecle, dans l'eglise paroissiale de Saint-Nicolas, de 
Tournai, plusieurs autels, entre autres celui de saint Hermes, plac6 
eutre le chceur et la chapelle Notre-Dame. II etait orne d'un retable 
sculpte en bois, orne de peintures ex^cutees en 1475. Ges peintures 
devaientetre d'une grande valeur vu leur prix *Meve (6() livre$9sous 
5 deniers) et 1'habilite de leur auteur, maitre Philippart Truflin. En 
1751, les maitres de la confrerie de Saint-Hermes iirent elever un 
nouvel autel qui existe encore aujourd'hui ( l ). 

Fn mandement adress6 par le due Philippe de JJourgogne a 
Philippe de Croy, seigneur de Sempy, grand bailli de Hainaut, et aux 
gens de son Conseil, a Mons (145(S, 7 mai, a Hruxelles), leur ordon- 
nait, a la demande des Etats de Hainaut, de defeudre par cri public 
et sous de grosses peines, aux queteurs et precheurs d'indulgences 
etrangers de venir queter dans ce pays, avec leurs /iertes, reliques et 
lettres d'indulgenees, a l'exception de ceux de Notre-Dame de Reims, 
de Notre-Dame de Cambrai, de Saint-Hermes de Reuaix, etc. ( 2 ). 

La popularity de ce cortege s'afllrme encore par le sobriquet de 
fietels, corruption de fiertels, donne aux habitants de Renaix ( 3 ). C'est 
par un contre-sens encore plus grand que Reinshkrg-Duringsfeld 
leur donne le surnom de Titet (Co lendrier beige, I, 388). 

(1) Notice sur Veglise par oiss iale. de Saint- Nicolas, de Tournai, par L. Cloquet. 
(Memoires de la Societe historique et litleraire, de Tournai, t. 17, 1881, p. 339,) 

(2) Inventaire anabjtique des archives des Etats de Hainaut, par L. Dkvillfrs, 
I, 1884. — 14, n°31. 

(3) A. De Cock, le « Fietel, » a lienaix, dans Yolkskunde, 8' annee, p. 4G. 



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170 WALLONIA 

Le jour de la Trinite est celui de nombreuses processions aussi 
importantes telles que celles de Notre-Dame de la Chapelle, a 
Bruxelles, autrefois, de Walcourt, du Doudou, a Mons. 

Ge n'est pas uniquemeat saint Hermes qui est r£put6 gu6rir de la 
folie en notre pays. Outre sainte Gertrude, k Landen, deja signalee 
plus haut, il y avait, dans l'eglise paroissiale de Sainte-Marie-Magde- 
leine, a Tournai, une confr^rie de Saint-Mathurin. Ge saint, ne a 
Larchaut, en Gatinois, de parents idolatres, parvintdes sa jeunessea 
l'episcopat. Appele a Rome, pres de l'empereur Galore, il d61ivra sa 
fille de la possession du demon. II mourut en 388. On l'invoque contre 
la possession du demon, la sorcellerie et les maladies de Tesprit. Son 
culte etait deja celebre a Tournai, en 1392, et la confr^rie Sri gee sous 
son vocable, k l'eglise de la Madeleine, existait en 1511. Les plus 
antiques images le reprSsentent exorcisant la fille de Tempereur (*). 

La f&te de Sainle-Dymphne (15 mail, a Gheel, donne lieu k une 
neuvaine tres celebre en favour des insenses. Ceux-ci y assistent dans 
une maison attenante k la tour et durant la neuvaine ils passent 
chaque jour, neuf fois, en rampant au-dessous du sepulcre de la 
sainte. La meme pratique doit etre observee par toutes les porsonnes 
qui font la neuvaine a la place ou pour la gue>ison de Tun ou Tautre 
insense ( 2 ). 

A Sainte-Gertrude, a Landen, etaient aussi en vigueur jusqiTau 
commencement du xvn° siecle, des neuvainos d'un genre particulier. 
On faisait neuf tois le tour de l'Sglise, gardant un silence absolu; on 
repetait neuf fois Toraison dominicale et la salutation angSlique et 
une fois le symbole des apotres. II fallait s'abstenir de porter du linge 
recemment lave, ne manger ni de la viande de pore, surtout de la 
tete de cet animal, ni des oeufs durs( 3 ). 

G'est de meme par des neuvaines qu'autrefois saint Hermes gue- 
rissait les faibles d'esprit. Pendant la lecture de la messe du Saint- 
Esprit et pendant que brulaient les chandelles d'offrande, on faisait 
prendre aux malades un bain neuf jours cousScutifs. Maintenant ils 
sont inscrits sur le livre de Saint-Hermes, conserve dans TSglise, puis 
on les mouille simplement de l'eau benite de Saint-Herm&s, et le 

(1) Notice sur Veglise paroissiale de Sainte- Marie- Magdeleine, de Tournai, par 
L. Cloquet. (Memoires de la Societe histor. et litter., de Tournai, t. 17, 1882, p. 400 
et401, note 6.) 

(2) Reinsberg Duringsfeld, G'dendrier beige, I, 332, Ajoutons saint Gilles, a 
Emael, sainte Marie-Magdeleine a Cobbeghem. 

(3) Wauters, Description et Histoire de Landen, dans Bull, de la Societe roy. 
de Geogr., t. VII, 1883, p. 565. 



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WALLONIA 171 

pretre place son etole sup la tete du simple d'esppit qu'il a sous les 
mains et lui donne la sainte pelique*a baisep. 

D'autres curieux usages out disparu a leur tour, temoin ce que 
rapporte Reinsberg-Durtngsfeld ('). 

« Au retour du cortege, les petites filles, qui ont figure les folles, 
accompagnaient avec le pasteup les saintes reliques jusqu'a la Grand' 
Place, au milieu de laquelle se trouvait alops uue petite mare. 
Arrivees la, les filles quittant tout a coup la procession, sejetaient 
sur leur pasteur et le poursuivaient en courant plusieurs fois autour 
de la mare jusqu'a ce qu'il terminat ce jeu en se jetant au milieu de 
l'eau. » Certaines coutumes ont cesse plus recemment, tels les trois 
tours que fait le cortege dans la cour de Saint-Hermes et les trois 
tours de la Grand'Place, executes au grand galop par tous les cava- 
liers, au bruit des petards (*). Ainsi, de demembrement en deraem- 
brement, notre cortege fi nira un jour par perdre toute son origi- 
nality. 

Jules DEWERT. 

(1) Calendrier beige, I, 388, d'apres Kunst en Letterblad, Gent, 1843, p. 83. 

(2) I/apres-midi, au retour de la procession [au xvii* siecle] plusieurs jeunes 
gens, en arines, de Ilenaix et des villages voisins qui avaient aceompagne les 
reliques, entraient dans l'eglise et, eehauftes par la boisson, y dechargeaient leurs 
mousquets et fusils, a la grande epouvante des assistants et « causant telle furnee 
et puanteur de poudre, qif il serait presqu'i in possible d'y subsister. » Une ordonnance 
royale defendit d'entrer dans Peglise avec des arines a feu. (Bull, de* comm. roy. 
(Tart et d*archeolog., t. 17, p. 372.) 



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Un sport pittoresque 




Le sployon 

Ians un recent numero de VAuto, M. Paul Leclercq 
a decrit, de facon tres agreable, un sport pittoresque 
fort en vogue a Spa depuis quelques amides. 

Le sployon, nom wallon du traineau, « consiste, 
dit Tauteur, en un petit char etroit et tres bas, res- 
semblant a s\y mdprendre a ceux qui supportent le 
tronc des humbles culs-de-jatte de nos trottoirs, et 
au inoyen duquel, a toute vitesse, on descend les cotes rapides de ce 
pays inontagneux... apres les avoir prealablement mouses a pied ou 
en automobile. Car, n'allez pas croire surtout que ce sport, si rudi- 
mentaire qu'il vous paraisse, ne soit qu'un sport democratique, dans 
le genre de ces belles glissades d'hiver, sur lesquelles s'elaneent, pleins 
de flamme et les bras en Fair, les gamins des villages a la sortie de 
l'ecole. Le sployon eomple, parmi ses adeptes, des fervents de l'auto- 
mobile, du cheval et du ballon, et la sensation qti'il procure est, 
parait-il, unique au monde. 

» Cost, d'ailleurs, tout un art de se diriger, sans faire la cabriole, 
avec son chariot, dans les tournants, ou de depasser, a toute allure, 
les sployons que Ion a devant soi, sur la route, car vous pensez bien 
que l'esprit de lutte, inne dans chaque sportman, a fait organiser des 
courses, que regit un « Sployon-Club », et tous les baigneurs qui 
frequentaient en ete la region de Spa ont pu assister k ces arrivees 
amusantes autant qu'emouvantes, qui sont Tun des attraits de la saison 
d* j cette ville d'eau. 

» Quant au frein ueeessaire a ce mobile a trois roues, qui descend 
ces cotes rapides, longues de plusieurs kilometres, selon la loi de la 
chute des corps, il est obtenu par la semelle du Soulier, que Ton 
appuie sur la roue d'avant, dont on tient, etant recroqueville sur 
soi-meine, le gouvernail de la main droite. 



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WALLONIA 173 

» Le sployon, qui ne flit au d£but, il y a trois ou quatre ans, 
qu'une sorte de chariot d'enfant, construit par quelque rudimentaire 
charron de village, s'est bien vite perfectionne. Ses roues sont main- 
tenant munies de pneumatiques, com me celles des bicyclettes et des 
autos, et quelques « sployonistes » avises ont raeme eu l'idee de se 
faireconstruire des sployonspliants que Ton porte sur l'epaule lorsque 
Ton gravit les cotes, a la fagon dun fusil, et quo, arrive au sommet, 
on deploie sur la route, afin de se livrer, dans la descente, aux 
griseries de la vitesse et aussi de lequilibre, car, a certaines allures, 
le moindre coup de barre trop brusque, la plus legere faute vous 
ferait pirouetter sur vous-meme on vous menerait au fond du fosse. 



Concours de Sployons. L'attente du signal. 

» C'est, en sorame, une luge a trois roues, que Ton peut utiliser 
sur des routes vallounees de ces regions ardennaises qui ne connaissent 
point les neiges eternelles de TEngadine ou de la Suisse. 

» Sans exagerer la portee ni Tavenir de cet amusement de 
sportsmen, pour qui connait la topographie de ces jolies et si pitto- 
resques regions vallounees des Ardennes, dans lesquelles, le long des 
rivieres d'eaux vives, les descentes succedent aux cotes et les cotes 
aux descentes, et cela sur un reseau de routes macadamises si 
difTerentes de ces larges routes aux gros paves de la region plate des 
Flandres, il est permis de se demander, sans paradoxe ni fantaisie, si 
le sploj^on, malgre tout, ne pourrait pas etre utilise dans un but 
pratique, car sa legerete le rendant facilement portatif dans les 
mont^es, il faciliterait du moins les belles allures le long des intermi- 



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174 WALLONIA 

nables descenles de ces routes, qui relient entre eux des villages aux 
petites maisons basses, assez eloignees, souvent, de toute voie ferr6e 
ou de toute station de tramway vicinal. II pourrait participer, 
peut-etre, a la commodite de ces regions, auxquels de bons chiens, 
deja, atteles aux charrettes, pretent avec complaisance la force de 
leur poitrail et la rapidity de leurs pattes velues. » 

* 
* * 

Le Bulletin du Touring-Club de Belgique, en reproduisant 
Tagrdable article de M. Paul Leclercq, fait connaitre quelques 
photographies prises par M. Paul Dommartin, et que Wallonia est 
heureuse de donner a son tour, grace a l'aimable obligeauce de son 
excellent confrere. 

Le Bulletin ajoute quelques mots au sujet du « Sployon » veri- 
table, le traineau des enfants, qui sert aussi a ramuseraent des grands, 
chez nos paysans des Fagnes, des que les neiges ont apparu. On voit 
alors, dit notre confrere, homines et femmes vaillantes, sortir des 
greniers les sployons poussiereux et gravir les cotes, tirant leur 
traineau au bout d'une ficelle ! 

« Gar le sployon primitif est un veritable traineau muni de deux 
tigos en fer, glissant sur la glace ou la neige, et qu^ Ton dirige dans 
les tournants a Taide des jambes, labourant le sol, ou au moyen de 
deux piquets servant d'ailleurs aussi a donner l'impulsion initiate. Et 
peu a peu, pour autant que la course soit longue, comme c'est le cas, 
notamment pour la cote de Malchamps, Failure s'accentue jusqu a 
atteindre bientot une vitesse de70 kilometres a l'heure! » 

Rectifions ici un petit detail. II est inexact de dire que le traineau 
glissant sur la neige « on le dirige dans les tournants a l'aide da* 
jambes labourant le sol. » Ce moyen pueril est employe par les debu- 
tants, les jeunes gamins et les filles, quand elles s'en melent. Le 
sployoneur exerce dirige sa machine surtout en penchant son corps a 
droite ou a gauche, selon qu'il veut suivre tel ou lei trajet; un coup 
de pi/ire donn6 a propos Vy aide egalement. Le pihre est un baton 
termine par une pointe de fer; on l'appelle a Liege peta, mais le uora 
de pikreest egalement connu en Hesbaye. 

II n'est pas rare de voir deux ou meme trois rideurs (*) prendre 
place sur le meme sployon. A cet eflfet, les deux premiers s'enman- 
chent les jambes en se mettant face k face; le troisieme se place «a 
jambe de coq », a califourchons sur les epaules du dirigeant. Mais il 
survient souvent une culbute generate — ce que le public s'esclaflant 
appelle one truleyel 

(I) Ride, glissoire; rideurs, «^lisseurs. 



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WALLONIA 175 

(Test bien & Spa qif a pris naissance le « sport » estiva! des courses 
dite de sployons. Elles ont eu pour inventeur le chevalier Arnold do 
Thier, dit Dominique. Frappe par le spectacle des courses de petits 
traineaux qui sont pratiquees chaque hiver, avec passion, sur les 
peutes des principals avenues qui menentaux fontaines exterieures, 
et celi au grand plaisir de la population, qui s'eehelonne le long de 
V ride; Dominique s'en vint a penser que ce sport plairait a coup sur 
aux bobelins si on pouvait lour en offrir le spectacle en eli. 

A cet eftet, il 
fallait transformer 
le traineauglissant 
k l'aidede ses benes 
de fer (et non pas 
tiges, com me le tra- 
duit fort inexacte- 
ment Dommartin, 
dans Tarticle du 
T. C), en un vehi- 
culemuni de roues. 
Et c'est ce qui eut 
lieu. Aussi la res- 
semblance de ce 
sployan - detournS 
de sa signification 
habituelle — avec 
le petit charriotdu 
cul-de-jatte est-elle 
tr6s exacte. Ajou- 
tons que ce sployon 

n'est pas, COmme Cole de Malchamps. Doscente des sployons-traineaux. 
le dit Tarticle en 

question, necessairement a trois roues ; au contraire, il est selon la 
fautaisie du constructeur, a trois, quatre, voire six roues ; il est haut 
perche ou tres bas. Et les courses qui figurent chaque ete au pro- 
gramme des fetes, offrent une variete intinie de types. 

En ce qui regarde la direction, ou Tart de diriger sa machine 
lorsqu'elle est entrainee par suite de la pente, le inecanisme est encore 
a trouver. 

Albin BODY. 



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Faceties populaires sur 

PEntetement des femmes 



Dj'han et Dj'hene 



Cesteii n'/ei/e Djihan et Dfhene 
qui volil fe Vvole, et qui liavit nole 
pele. 

« Vase qweri % ne pele, dit st ele, 
let/e. 

— Dji n'ire nin, dit st-i lu : vas ■-/, 
twe ! 

— Dji nCi va, min ci sere twe 
qu'el repwetres ! 

— Bin se-se bin qice, ditsl-i lu, ci 
seH Vprumi d" nos deusqui djas're! » 

Et vola Dfhan , questeul on 
cwebhi, qu'in-homme U apwete ine 
paire di botes a risme/er. 

« Ah I bondjou Dfhan ! 

— lieu, heu % heu /... 

— Qa'a-ve don Dfhan ? 

— Heu, heu, heu /... 

— La ! qu'al-i do?i, vosle homme, 
Djihene ? 

— Hi, hi, hi .'... 

— Bin void 'ne drole !... Djihene, 
a-ve ine saqwe ? 

— Hi. hi, hi /... » 

IShomme prind ses bottes et enne 
va. 

Inteure ine ante. 



C'etait une fois Jean et Jeanne qui 
voulaient faire la crepe et qui n'a- 
vaient pas de poele. 

« Va cliercher une poele, dit-elle, 
ello. 

— Je n'irai pas, dit-il, lui : vas y, 
toi ! 

— J'y vais, mais ce sera toi qui la 
rcporteras ! 

— Sais-tu quoi ? dit-il. lui, ce sera le 
premier de nous deux qui parlera ! » 

Et voila Jean, qui etait cordonnier, 
qu'un homme lui apporte une paire 
de bottes a ressemeller. 

« Ah ! bonjour, Jean ! 

— Heu, heu, heu !... 

— Qu'avez-vous done, Jean ? 

— Heu, heu, heu !... 

— Tiers ! qu'a t-il done, votre 
mari, Jeanne ? 

— Hi, hi. hi !... 

— Ben, e'est drole ! Jeanne, avez- 
vous quelque chose? 

— Hi, hi, hi !... » 

L'homme prend ses bottes et s'en 
va. 
Entre un autre. 



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WALLONIA 



177 



c Djihan, v'cial des boles... La 
qu* (V arawe ! quel air avez-ve don, 
vos aules ? 

— lieu, heu, heu ! Hi, hi, hi ! 

— Hihi, heuheu, bin i sonl sols, 
sols a loyi ! » 

Passe li cure. 

« Monsieur Vcure, vinez *ne gole 
chal? Void deux djins... 

— Htye. binameye Nolre-Dame di 
Tchivrimonl !! Djihan, hey ! queue 
laide hegne ! 

— Heu, heu, heu ! .. 

— Djihene, allez-ve parey ? 

— Hi, hi, hi!... 

— Is sonl rends sols ou Vdiale 
les a !! » 

Passe li docteur. 

<(Monsieur C docteur % abeye, vinez, 
vochal deus djins qui sonl lo bleus 
dCesse div'nous sots ou possedes ! » 

Li docleur louque, baice, si gtele 
li Hesse, adonpuis i hape li bres* oVa 
Dfhene el dit : 

« Dji m J va todi sinli V poce a ci- 
cial ! » 

Mins Dfhan qu'esteut (Vjalot, si 
mete a bra ire : 

« Lai la nCfeume, lice, valet ! 

— Cest tice qu" repicelre Vpele I >► 
dit-st-ele, leye ! 



« Jean, voici des bottes... Tiens ! 
que j'enrage (') ! quel air avez-vous 
done, vous autres ? 

— Heu, heu, heu ! Hi, hi, hi ! 

— Hihi, heuheu... mais ils sont 
fous, fous a lier ! » 

Passe le cur6. 

« Monsieur le cur6, venez done 
ici ? Voici deux personnes... 

— Ah ! Notre-Dame de Chkvre- 
niont ! Jean, h6 ! quelle laide gri- 
mace ! 

— Heu, heu, heu !... 

— Jeanne, allez-vous comme lui? 

— Hi, hi, hi !... 

— lis sont raides fous ou le diable 
les a !! » 

Passe le docteur. 

« Monsieur le docteur, vite, venez. 
voici deux gens qui sont tout bleus 
d'etre devenus sots ou possedes !» 

Le docteur regarde, observe, se 
, gratte la tete, alors il saisit le bras 
de Jeanne et dit : 

« Je vais toujours sentir le pouce 
a celle-ci ! » 

Mais Jean, qui etait jaloux, se met 
a crier : 

« Laisse-la ma femme, toi, garcon ! 

— Cest toi qui reporleras la 
poele, » dit-elle, elle ! 



Liege. — Variantes dans Li Spirou, Liege, n° du 25 dec. 1892; 
La Mar mite, Namur, n* du 14 mars 1807; Fre Couynon. Ver- 
viers, n* du 25 aout 1900; VTonnin d'Charlerwet, Charleroi, 
n°du3dec. 1904; VCoq d'awous', Charleroi, n°dn 30juin 190(5. 
Ce conte du Couple silencieux a etc traite en vaudeville par 
M. Dieudonne Salme, sous le titre : Ine cise emon Jacques 
Bouhtay. 2' ed. Liege, Bossy 1890. 34 p. Prix : fr. 0,50. 



(1) Jiiroh familier, ties populaire. 



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178 



WALLOWA 



II. 



Croque-Pus 



On homme aveuve one feume ties- 
teuwe comtne eles li sont tortotes. 

On djou qu'elle aveute apele s't 
homme « plin aVpus », cit-ci, fo 
cVcolere, liboute one ctoade au co, 
et V dischint dins Vpw>\ 

Quand les pids di s' feume ont 
djondu Vewe, Vhomme li criye : 

« Li dires-se co ? 

— Plin cVp&s ! » cviye co V feume 
oVone vwes stronleye. 

Vlan ! Vhomme li foure e Vewe 
djusqu'aus rins ! 
« Li dires-se co a c"te heure ? 

— Plin oVpus ' » criye co V feu- 
me. 

Vlan! v'la qu'ele mousse jusqu'au 
minton. 

« Plin (Vpus I » criye co V feume 
sins attinde li (Vmande. 

Poufl Vhomme li fait moussi tote 
e Vewe. 

Mais i cTmeure tot saisi (Vvoye 
si feume qu'eleveuve les deus bres 
au (Vzeu cV Vewe el qui toque I ses 
poces onk conle Vaute e fiant les 
qwances di croquer des pus I 

Ah I mes amis, dji vos Vrepete : 
quand one feume a one ideye e*l 
tiesse, ele ni Va nin au cut 



Ud homme avait une femme tetue 
comme elles le sont toutes. 

Un jour qu'elle avait appel6 son 
mari « plein de poux ». celui-ci fou 
de colore, lui met une corde au cou 
et la descend dans le puits. 

Quand les pieds de la femme ont 
touch6 Teau, Thomme lui crie : 

« I.e diras-tu encore ? 

— Plein de poux ! > crie la femme 
d'une voix 6trangl6e. 

Vlan ! rhomme la fourre dans Teau 
jusqu'aux reins ! 
« Le diras-tu encore maintenant ? 

— Plein de poux ! » crie encore la 
femme. 

Vlan ! voiUi qu'elle plonge jus- 
qu'au menton ! 

« Plein de poux ! » crie la femme 
sans attend re la demande. 

Pouf ! Thomme la faitentrer toute 
dans l'eau ! 

Mais il reste tout saisi de voir sa 
femme qui 61evait les deux bras au- 
dessus de l'eau et qui heurtait ses 
pouces Tun contre l'autre en faisant 
semblant de croquer des poux ! 

Ah ! mes amis, je vous le rGpete : 
quand une femme a une idee dans la 
tete, elle ne l'a pas dans le derriere ! 



Louis Loiseau, dans la Marmite, gazette en wallon namurois* 
n' du 16 mai 1894. — Variante ardennaise dans le Petit Bleu 
u" du 20 mai 1896. Variante en wallon de Charleroi dans 
VTonnia d'Charlerwet, n* du 1*' octobre 1904. Le conte est 
£galement connu au pays liegeois sous le nom de Cak pious. 



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WALLONIA 179 

III. 

L'inventaire 

Au cours (Tune dispute entre epoux, le mari reprochait a sa femme 
d'avoir une langue qui « allait comme une lavette au fond d'un pot ». 

«Tu pretends que je parle trop? dit la femme. Eh bien! a partir de ce 
moment, je me tais. » 

Le mari, tout content, se dit que c'est bien la chose excellente. Mais la 
femme tient bon. Bientot, ce silence obstine pese au pauvre mari, qui essaie 
de la persuasion, mais sans aucun succes. Une autre fois, il prend Toffensive ; 
plus tard, il use de tentation, il pique la curiosite de la fllle d'Eve, et 
toujours rien n'y fait. 

L'homme commence a se sentir tout-a-fait ridicule. Un jour se passe et 
puis deux jours. 

Le lendemain, comme il revenait de son travail, toujours cherchant le 
bon moyen, une inspiration lui vient. 

II hate le pas, il rentre et va droit a Parmoire, oti il entreprend une 
exploration approfondie. II tire les piles de draps et de linges, deplie une a 
une toutes les pieces, et les jette a mesure au milieu de la chambre. La- 
femme ne parait pas s'6mouvoir. II extraitses vetements a lui, puis ses vete 
ments a elle... et elle ne dit mot. 

Elle est bien intriguee, elle observe du coin de l'oeil... mais le silence 
n'est pas rompu. 

Alors le mari s'avise de tirer le mantelet — sorte de grand manteau 
qui est la piece la plus importante du trousseau d'une m6nagere — il saisit 
ce vetement, l'inspecte dans tous les plis, et le jette sur le tas. 

Alors, la femme n'y peut plus tenir, et elle s'ecrie : 

« Qu'est-ce que tu cherches? dit-elle. 

— Je Tai trouve ! 

— Etqu'est-ce? 

— Ta langue! » dit-il. 

Cont£ a Mons, le 26 novembre 1906, par Madame H..., nee 
a Paturages. 

Dans une variante publiee par / e Crequion, de Charleroi, nume- 
ro du 20 inai 1905, le mari emploie, dans le meme sens, 
un moyen heroique : la situation durant depuis plusieurs 
jours, une idee lumineuse jaillit dans son esprit ; il va chercher 
une pioche et commence a depaver la cuisine. Sa femme, 
intriguee, lui demande ce quMl va faire. II repond avec sim- 
plicite : « Je cherche ta langue, fi-fllle ! » 

IV. 

La femme qui se noie 

Deux jeunes maries n'etaient pas ensemble de huit jours que «c,a 
n'allait deja plus ». 

La femme, qui etait fort mechante, faisait toujours le contraire de ce 
que voulait son mari. Celui-ci, homme debonnaire, mettait toute sa bonne 
volonte a eviter les conflits, mais il n'y arrivait pas. 



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180 WALLONIA 

Un jour, il eut envie de vendre la vache, et pour y arriver, il dit a sa 
femme : 

«Ma fllle, nous avons une bonne vache. C'est domain la foire, mais 
nous serions bien sots d'aller la vendre. 

— Justement, dit-elle, je veux absolument la vendre. 

— A ta guise, dit-il. » 

lis prirent la vache et ils allerent la vendre. II dit alors : 
<c II y a ici bien des gens qui, sitot le marche fait, vont boire et manger 
jusqu'a se saouler. Ge ne serait pas mon idee. 

— G'est la mienne, a moi, dit-elle. Nous allons entrer la, et nous man- 
gerons et boirons comme les autres. 

— Ge sera comme tu veux, dit-il. » 

Ils entrerent et se mirent a manger et a boire, tant que la femme voulut, 
Gela fait, le mari voulut encore retourner a la foire, desirant y rencon- 
trer quelque ami pour faire la causette. 

« Non, dit-elle, moi je veux retourner, et tu viendras avec. 

— Soit, dit-il. » Ils s'en retournerent. 

La route longeait « une eau », et sur le bord de I'eau, ils virent un tas 
de planches. Des gamins y avaient fait une balangoire et la planche sur 
laquelle ils se balancaient etait, d'un cote, juste au-dessus de la riviere. 

« Vois done, dit le mari, comme ces enfants sont imprudents! 

— Ils ne sont pas imprudents, dit-elle. 

— Je suis certain, dit il, que tu ne voudrais pas imiter celui-la. 

— Mais justement, dit-elle, je veux faire tout comme lui. » 

Elle chassa les gamins et se mit a la place de celui qui etait au-dessus 
de Teau. 

c Je n'ai garde, dit-il, de te faire aller trop haut, car tu pourrais tomber 
dans la riviere. 

— Je veux, dit-elle, que tu me fasses aller le plus haut possible. 

— Je te ferai aller, dit-il. » 

II la fit aller fort haut et, au bout de quelques instants, la voila qui 
tombe dans la riviere. 

Aussitot, le mari se met a courir en criant, et dans le sens inverse du fil 
de Teau. II arrive a un endroit ou il y avait des tailleurs de pierre. 

Les tailleurs de pierre lui demandent ce qui le fait crier. II explique 
que sa femme est tombee a l'eau, a deux cents metres plus bas. 

<c Mais, grande bete, dirent les ouvriers, si elle est tombee a deux cents 
metres la-bas, ce n'est pas en remontant que tu la retrouveras. 

— Vous vous trompez, dit-il. Ma femme est bien trop tetue pour faire 
comme les autres, elle aura remonte le courant, rien que pour me faire 
endever I » 

II faut croire qu'elle aura entendu cette parole-la — car, en remontant, 
il a ete jusque tout au bout, et il ne Ta pas trouvee ! 

Recueilli a Herstal. 

0. COLSON. 



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LITTERATURE DE CHEZ NOUS 



Images Fraternelles 



La Rencontre 

nze heures du matin. Les promeneurs endimanch^s 

se croiscnt sous les jeunes feuillages de l'avenue 

ensoleillee. La tiede lumiere de mai distille une 

subtile joie de vivre. Des le petit jour, les effluves 

enthousiastes du renouveau out rajeuni les esprits 

et recon forte les energies. Chacun s'est reveille 

guilleret, presse d'aller savourer en plein air la 

radieuse douceur du printemps. L'heure ingenue est de celles oil les 

pauvres oublient leur d&ivsse, oil les malades se prennent a esperer 

d'un coeur plus impatient. 

II fait bon vivre sur la promenade fleurie de claires toilettes. Des 
drapeaux s'eploient aux fenetres. Une fanfare passe, et void qu'elle 
jette aux echos les rythmes allegres d'une marche militaire. Une 
gaite parcourt la foule. I^lle fait sourire les visages epanouis des 
grands, tandis qu'elle incite a la gambade les mioches spontanes, 
moins grave ment opprimes par le souci des bienseances. 

Cependant, au milieu du boulevard, une troupe d'enfants 
s'avance. Deux par deux, vetus d'humbles uniformesdont le bleu s'est 
decolore sous Taction des opiniatres lessives, chausses de souliers 
grossiers, coiftes de casquettes sans gloire, ce sont des orphelins 
pauvres, dont le corps social a pins charge et qu'on promene. II en 
est de tout petits, en tete : ils n'ont pas plus de sept ou huit ans, et la 
marche est rude pour leurs courtes jambes. Les aines qui suivent out 
en ertet Failure des adultes. En pleine croissance, mal contenus dans 
leurs vetements etriques, ils exhibent hors des manches serrantes 
des poignets osseux et rougeauds. Les uns palots et chetifs, les 



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182 WALLONIA 

autres sanguins et rabies, ils bavardent dans l'inconscience de leur 
£ge, heureux de ce contact avec la vivante liberte. 

Leur philosophie contemple avec un Gmerveillement sans envie 
le spectacle ambiant. La musique propage ses entrainantes cadences. 
Autour d'eux s'agite le tapage etincelant du luxe et s'etale la parade 
mousseuse des Elegances. Ils passent. Tout a l'heure, ils rentreront a 
l'Asile oil ils seront claustr£s jusqu'a la prochaino sortie, tandis que 
les autres enfants, les changards qui out des parents, peuvent flaner a 
loisir, s'arreter ou rebrousser chemin sans souci des consignes. 

Parce qu'ils sont abandonnes, il a fallu, parait-il, qu'on les empri- 
sonn&t. Parce qu'ils sont plus malheureux que les autres, etant seuls 
a Tage de la faiblesse, la societe, qui a bien d'autres chats & fouetter, 
fait d'eux des captits dans une froide maison. On les abrite, on les 
nourrit, on les habille, on se pr^occupe meme de les Muquer, voire de 
les instruire... On court au plus presse. Ce serait trop exiger, sans 
doute,que de demander qu'il leur soit rendu, quelque part,un foyer. La 
Societe est une mere correcte. Mais elle est de ces mamans tres encom- 
brees qui ne sentent pas que leurs enfants ont parfois besoin — autant 
que de nourriture — de leur jeter leurs petits bras autour du cou. 

Or, tandis que la troupe des orphelins serpente a travers le 
boulevard, arrive, en sens inverse, un cortege identique. C'est la 
troupe des orphelines. Blondines et brunettes sont de noir habillecs. 
Vifs ou tendres, leurs yeux clairs sourient sous la morose aureole 
d'un chapeau d'ordonnance qui opprime leurs boucles timides. Leur 
accoutrement est tel qn'il ne laisse de grace qu'au visage. Mutines, 
reveuses ou d6ja renfrognees, leurs figures seules, dans tout leur etre 
fruste et gauche, refletent la vie farouche de leurs petites ames diffe- 
rentes. Parmi elles aussi, il est des fillettes toutes mignonnes et 
pu^riles, et d'autres plus grandes, aux candides joues rondes, qui ont 
deja stature de femmes. Elles trottent menu, dociles, sous le regard 
des surveillantes, et c'est a peine si une petite, plus espiegle, se 
risque a tirailler la raide et courte tresse d'une compagne qui la 
precede. 

De luisantes automobiles surgissent bruyamment et disparaissent. 
Dans l'altee, les deux groupes se croisent. Et voici qu'une chose char- 
mante se passe, dont sourient, vaguement attendris, ceux des indiffiS- 
rents d'alentour qui savent regarder vivre la rue. De la troupe 
masculine, au moment de la rencontre, un, deux, quatre, dix, douze 
petits bonhommes, subrepticement, se detachent. Ils scruteut les 
rangs des arrivantes. Et, simultan&nent, chacun d'eux avise au 
passage un frais visage fraternel. II s'agit de retrouver, parmi les 
figures etrangeres qui defilent, les traits Gmouvants d'une petite soeur 



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WALLONIA 183 

— ou d'une grande. Ecarquille tes yeux, petiot : voici celle que tu 
cherches! Elle n'attend pas que tu Tappelles, elle se precipite dans tes 
bras, et de sonores baisers retentissent, hatifs et goulus, qui r&jouis- 
sent les bonnes Ames que le sort a fait spectatrices de ces intimites en 
plein vent. 

... Mais c'est a peine si Ton a pu se dire deux mots. On ne s'est 
pas plus tot retrouv6, & la faveur d'une rencontre inesp^ree, qu'il faut 
se s^parer. Car les deux troupeaux ne se sont pas arretes. Les fillettes 
et les bambins qu'a joints une affectueuse embuscade doivent en cou- 
rant rattraper les cohortes qui s'eloignent, sous peine de m6contenter 
Tindulgente vigilance des gardiens. Et chacun reprend sa place, les 
yeux brillants, plus rouge ou plus p&le, fillette ravie, gargon hale- 
tant, songeant a l'aubainp de cette embrassade de hasard, en laquelle 
se concentre le culte d'une famille disparue et la damme d'un foyer 
d6vast6. 

Arpentant la route du retour, les petits orphelins pour qui la 
promenade fut cordiale acceptent avec une vaillance resignee Tinjus- 
tice qui les parque loin de l'etre dont la tendresse serait douce a 
leur isolement. La force qui reside en leur confiante jeunesse attend 
de l'avenir la promesse des reunions moins eph^meres. Aussi bien, 
ceux la qui rentrent a l'Asile, rechauffes par le souvenir du baiser 
qui parfuma pour eux la splendeur de ce matin de printemps, doivent 
s'estimer heurcux, dans leur m&ancolie. Gombien sont-ils, ceux de 
leurs petits camarades qui n'ont pas eu a rester en arriere, parce 
qu'ils u'avaient personne a embrasser ? 

L'Entr'aide 

Au village, par une sereine apres midi de septembre. Au bord de 
la route qui descend vers l'6glise, une petite ferme se dresse entre 
des vergers vibrants d'oiseaux. Le soleil de Tarriere saison enlumine 
ses murs de pierre grise et son toit d'ardoise moussue. Un seul corps 
de logis, que longe un chemin de terre battue, s£pare par un foss6 de 
la route charretiere. A gauche s'etend Tetable, a droite est l'habitation 
devant laquelle des enfants jouent. 

La porte de 1 etable s'est ouverte, livrant passage a une tr6s 
vieille femme et a un tout petit enfant. Marchant cote a cote, ces deux 
etres si distants, unis dans leur chancelante faiblesse, vont gagner 
Tentree de la maison. Mais n'ont-ils pas trop compte sur leurs 
forces ? 

La vieille est peut etre centenaire. Sous son bonnet, elle montre 
un visage de buis, crevasse de cent rides, ou clignote Tantique sourire 



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184 WALLONIA 

de deux petits yeux gris. Cassee en deux, elle incline vers le sol son 
torse braulant, et rien n'est pins problematique que lequilibre de 
cette ruine humaine, si ce n'est la stabilite de son incertain com- 
pagnon. 

Combien de generations separent cette aieule noueuse et chenue 
do cc recent rejeton de sa race? Le minuscule bonhomme n'a pas 
beaucoup plus d'un an. II n'est vetu que d'une courte chemise, qui 
laisse voir ses membres tout neufs, son corps laiteux et potel& de 
bambino. Ses joues rebondies et barbouillees ont la teinte savoureuse 
des fruits mure; dans le desordre rayonnant de sa tignasse blonde, il 
ouvre sur le spectacle du monde des yeux ronds d'etonnement. II en 
est a ses premiers pas sous le grand ciel, et Tivresse de i'espace et de 
la brise adverse n'est pas pour affermir la marche h6sitante de ses 
pieds novices. 

Gependant, la vieille, semblable a la fee Garabosse des vieux 
eontes, et le mioche qu'on croirait descendu d'une Sainte Famille des 
Priinitifs, ont bravemenj entrepris Taventureux voyage. Dans l'ins- 
tant ou Ton s'attarde a philosopher sur le contraste qu'ils offrent, sans 
s'en douter, au regard du passant, on apprehende que leurs mala- 
dresses assemblies ne les vouent a une double catastrophe. L'une 
chancelle d avoir trop longuement v^cu. l/autro titube de ne savoir 
marcher encore. Et c'est dans cet appareil qu'ils se risquent ingenu- 
ment a defier les puissances du hasard. 

On ne sait lequel des deux est le guide de l'aulre. La vieille 
s'appuie sur un baton dont il est visible — a considerer sa doulou- 
reuse et fantastique architecture — qu'elle ne pourrait se passer 
Quant au marmot en mal de soutien comme elle, ce n'est pas a la 
cotte de sa venerable compagne que s'accroche sa menotte incons- 
ciente. Le baton que serrent les doigts mal assures de la centenaire, 
il le tient, lui, par le milieu. Tacitement, tous deux s'en remettent a 
Taide de ce tuteur, parce qu'ils ont compris que lui seul est solide. lis 
font un pas tandis qu'il leur fournit un ferine point d'appui. Ensuite, 
Taieule souleve sa canne et le petiot la repose a terre. Sa Coquetterie, 
a cet hoinuncule, est de choisir gravement la place oil il croit pouvoir 
fixer, comme un trophee, la hampe tutelaire. 

Silencieusement, le trio evolue de la sorte, le baton assurant 
lequilibre a ceux qui Taniment de leurs gestes alternes. I'ne entente 
a ivuni, sans concert prealable, Tancetre et le nouveau ne, pour Irs 
besoins du parcours. La vieille n'a peut etre pas grande coufiance 
dans le secours du bambin; celui-ci, dans les limbes de sa pen§6e 
nebuleuse, ignore pour quelles raisons de fatigues et de souflrances 
^tccumulees celle qu'il accompagne a cesse d'etre valide. N'importe, 



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WALLONIA 185 

lis se soutiennent Tun l'autre, comme ils peuvent — et grace au 
baton. Leurs faiblesses sont solidaires clans lour divergence. 

Sans savoir, au lieu de partager les jeux de ses nines, le blondin 
barbouille a voulu associer au penible effort ambulatoire de la Mere 
Grand son effort minuscule, vraisemhlablement inutile, et qu'une 
seule des mi lie malices du sort pourrait rend re funeste. II s'en faut 
d'un rien que son geste ne devienne dangereux en pensant el re secou- 
rable. Vogue la vie au petit bonheur : il est arrive de se tromper a de 
plus experiments que lui. En attendant, il preehe d'cxemple, le naif 
gosse aux yeux ronds, en contribuant a faire, d'une double detresse, 
une force approximative — comme toules les forces vivantes. Quand 
l'aieulc sera definitivement couchee sous la terre, et qu'il sera, lui, un 
gars au torse fier, au pas resolu, puisse-t-il aider ses semblables avec 
la meme simplicity decceur! 

Charles DELCHEVALERIE. 



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ART POP UL AIRE 

Charles GHEUDE. La Chanson popoulaire beige. Bruxelles, 
Lamberty, 1907. In 8° (25 X 20), 130 p. Prix : 5 fr. 

L'auteur de cet ouvrage n'est pas un inconnu pour nos lecteurs (*). 
Avocat et conseiller provincial du Brabant, M. Charles Ghbude m6le a son 
activite des preoccupations de litterature et d'art qui, pour etre frequentes 
chez les iiommes de robe, n'en sont que plus rares chez les hommes poli- 
tiques, dont la sollicitude pour les oeuvres de pure intellectualite reste le 
plus souvent platonique. M. Gheude au contraire a attest^ la sienne par des 
actes. Non seulement il ecrit lui-meme, mais encore il est une des rares 
personnalites politiques qui aient use de \ a \xx influence pour ameliorer les 
conditions precaires de la litterature nationale, si longtemps ignores a la 
fois par le public et par les pouvoirs ( 2 ). 

Le livre qui nous occupe est une nouvelle manifestation de ces idees. 
C'est un dithyrambe eloquent sur la Chanson populaire, dont la disparition 
graduelle navre Tauteur, — comme elle navre d'ailleurs tous les amoureux 
du folklore en general eten particulier tous ceux qui ont su penetrer ['essence 
de ces delicieuses et emouvantes modulations du sentiment populaire. 
R6servant le cote musical, dont Tanalyse, avec les problemes complexes 
qu'elle soul^ve, est plutot le fait des specialistes et n'interesse qu'un public 
restreint, M. Gheude s'attache plutot au cote poetique des chansons et a en 
degager la signification psychologique. Pour cela, il suit un plan analogue a 
celui d'Ed. Schur6, dans YHistoire du Lied, c'est-a dire que, ses chansons 
reparties en divers chapitres d'apres les genres (Du Berceau a la Patemite, 
En le Cercle de famille, En Collectivile), il les fait vivre dans une serie de 
tableaux s'enchainant les uns aux autres et dont la substance poetique des 
chansons fournit Taction. II arrive ainsi, grace a un style colore et pathe- 
tique, a des evocations pleines de vie, de mouvement, et d'une intime 
emotion. 

(1) V. ci-dcssus, t. XIV, n" 3, son etude sur Andre- Modeste Gr^try. 

(2) On sait que M. Gheude a fait inscrire, il y a deux ans, au budget provincial 
du Brabant, une somoie de 3,000 francs dcstinee a encourager la litterature. 



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WALLONIA 187 

Nous ne pouvons mieux faire, pour donner a nos lecteur une idee de la 
maniere de M. Gheude, que de detacher un passage de son livre : 

La belle Dondon et Nanon la bergere, poursuivies des assiduites du 
Barbon, auront la main teste et le sabot leger, si meme elles ne font pas 
appel a Blanc pied, le chien qui garde le troupeau : « Allez, vieux sot, j'ai 
un beau jeune berger qui est bien plus vigoureux que vous!» 

Un jour, pourtant, Tune d'elles vit le Barbon, feru d'appetissantes 
jeunesses et de joues rebondies, flechir sous les fourches caudines et sous- 
crire au mariage. Elle, alors, de chanter : 

Adieu, Colas, mon camarade. 
Pour le coup il faut nous quitter. 
Adieu toutes nos promenades ! 
Demain, je vais me marier. 

Mais, pour apaiser son amant delaisse, notre Dondon lui laisse entrevoir 
les compensations possibles : « Le bonhomme est vieux, il n'ira plus loin. Si 
jamais je deviens veuve, represente-toi, Colas, pour me conter fleurette. » 

En attendant, le pauvre gas n'en est pas moins sacrifie. C'est que la 
belle s'est sou^enue d'une ronde qu'elle dansait naguere et du conseil des 
trois ecrivains qui sont dans la rue du Pot-d'Etain : 

Marions-nous, car il est temps. 
Quand on s' mari' c'est pour longtemps. 

Alors on a des p'tits enfants, 
Dont Tun qui cri ' « papa, ma man ! » 

Et les aut's qui en font autant. 

Enfln, deux chapitres liminaires sont consacres a la «Faculte esthGtique 
populaire » et aux « Caractere du chant populaire beige ». Dans le premier, 
Tauteur evoque ardemment tout ce que Timagination populaire renferme 
de force creatrice; — juste remarque qu'il sera plus juste encore d'etendre 
au grand art lui-meme, les grands artistes 6tant, sauf de rarissimes excep- 
tions, sortis eux-memes du terreau populaire, dont les chansons ne sont le 
plus souvent qu'un deehet de Tart idealise par ses deformations memes, 
comme la Nature idealise et harmonise un edifice en le ruinant; juste 
remarque encore, si dans le populaire on considere Tindividu, seule force 
creatrice, et non la collectivite, infeconde par essence. Dans le second cha- 
pitre, I'auteur rappelle les qualites propres de la chanson populaire dans 
nos provinces, en concordance avec la psychologie particuliere des deux 
races qui les habitent. 

Le charmant volume de M. Gheude est tres elegamment presente, en 
un format harmonieux, orne de jolies illustrations de M mM Sand-Danse et 
Elisabeth Wesmael, de MM. H. Bodard, Em. Baes. F. Khnopff, J. Delville, 
L. Royon, A. Oleffe: et recouvert d'une couverture en deux tons, spirituel- 
lement enlev^e par M. H. Cassiers f 1 ). 

Ernest Closson. 

(1) Mais l'excellent artiste nous rend pcrplcxe : il represente une ]>aysanne 
fiamancle et une hotresse chantant en se tenant par la main. Mais dans quelle langue 
ce duo, — ou cet unisson. puisque la chanson populaire en est encore a 1'age d'or de 
Thomophonie ? La Flamande a-t-elle garde les vaclies sur quelque tier wallon, ou 
Tautre aurait-elle — d^ja ! — subi les benefices de la loi Coremans ?... 



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188 WALL0N1A 

LETTRES FRANCA ISES 



Jean Marechal. Preludes, poemes. Bru 

xelles, Heuten-Second. In-8° (21 X 13.8), 

35 p. Prix : 1 franc. 
Maurice Nells. Les Aigles twirs, poemes. 

Gembloux, L. Berce. ln-8* (19 X 13), 

f>5 p. Prix : fr. 1-25. 
Louis Pierard. I mages homines, poemes. 

Bruges Arthur Herbert. In-8° (20.8 X 1 5), 

48 p. Prix : 2 francs. 
Eloi Selvais. Fantaisies, poemes artis- 

tiques pour Ninon . Paris - Verviers. 

«cL'Edition artistique>, Wauthy freres. 

In-8° (18 X 2), 32 p. 



Maria Sirtune. Les Heures Ardentes, 
poemes. Paris Verviers, « I/Edition ar- 
tistique », Wan thy freres. In-8° (18.5 
X 11.5), 104 p. 

Leon Wauthy. Les Voluptes, poemes. 
Paris- Verviers, « I/Edition artistique », 
Wauthy freres. In-4* (23.5 X H.5), 
24 ff. non pagines. Dessin et couver- 
ture de Marguerite Robyns, portraits 
de Gaston Wankenne, tires en cou- 
leurs. Prix : 4 francs. 



Au debut de ses chroniques litteraires dont les lecteurs de Wallonia 
ont pu — trop rarement, il est vrai — apprecier le charme discret et la sure 
erudition, M. Arthur Daxhelet, Tun des deux ou trois critiques-nes que 
nous possesions, disait a cette merae place : 

«c II sera question ici, surtout des ecrivains francais de chez nous. » 

Cette preoccupation, nous la ferons ndtre, constamment, au cours de 
cos causeries dont nous voudrions faire, pour autant que cela soit en notre 
pouvoir, les annates scrupuleuses de noire litterature. 

Gar il s'avere chaque jour davantage que la Litterature franchise 
d'inspiration wallonne a cesse d'etre un sujet de faciles rhetoriques pour 
devenir la reality tangible dont plusieurs series de tres meritoires ecrivains 
ont fait leur ideal. 

Nous n'avons plus seulement, dissemines dans le mouvement .litteraire 
de Belgique, des elements de premier ordre participant a des degres divers 
des vertus de la race. Le mouvement nationaliste, pardon ! national en 
Wallonie, a secoue toutes les vives Energies. Et Ton comprend aujourd'hui 
que pas plus en matiere d'art que dans le domaine moral, voire pour 
certains, administratif, la seule formule de collaboration possible a nos deux 
entites ethniques ne reside dans une fusion aveugle et dissolvante du genie 
roman et du genie germanique, mais dans une action parallele, autonome 
et originale pour chacun d'eux. 

Nous n'en sommes heureusement plus a devoir demontrer l'inanit£ de 
l'epithete beige appliqu6e aux intellectualites des provinces belgiques. Qui 
niera encore Tabime que creusent entre elles, par exemple, Inspiration du 
grand Verhaeren et celle de Severin Padmirable ? Et par contre, qui 
m^connaitra les afllnites fraternelles qui accordent si harmonieusement 
IVeuvre du meme Severin et celle de Samain, Tart de notre Krains et celui 
de Maupassant ? 

Mais pour rappeler encore un coup les vues de M. Daxhelet, I'attribution 
d'un nom, d'une oeuvre, a un groupe ethnique bien determine, nous est 



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WALLONIA 189 

rendue singulierement malaisee en raison non point tant de la complexity 
des cerveaux contemporains que des admirations irraisonnGes, que des 
imitations conscientes ou non, chez la plupart des jeunes — des vieux 
jeunes. 

Notre role consistera done a rechercher a travers la production litte>aire 
contemporaine la part qui revient de droit a la veritable originalite walionne 
et a en dresser le bilan. 

Precisement, voici que M. Louis Pi6rard s'offre complaisamment a 
nous pour servir de sujet experimental a notre theorie. 

Certes, ce n'est pas a I'enlumineur des Images boraines que nous 
pensions tout a I'heure, quand nous parlions de ces caudataires dont les 
productions, si recentes soient-elles, datent toujours de la generation 
d'avant-hier ! 

Les Images boraines presententl'exemple typiqued'uneoeuvre beiiement 
walionne, 61evee en admiratif hommage vers le glorieux flamand que nous 
ven6rons tous : Eraile Verhaeren. M. Louis Pterard n'a pas cru indispen- 
sable de sacrifler a l'amitie dont il s'honore, aucune des vertus cardinales de 
son ame. II semble au contraire avoir apporte une quasi coquetterie a I'offrir 
au maitre dans toute son integralite. Et e'est ainsi que nous comprenons 
chez nous la collaboration intellectuelle des races. 

Le geste de M. Pierard est eloquent et courageux, et plus d'un de ses 
pairs pourra le contempler avec profit. 

En elle-meme, I'oeuvre est palhetique et d'une beaute formelle remar- 
quable. On sait l'amour 6mu voue par I'auteur de ces poemes au peuple de 
heros constants et ignores qui habite le desole* pays des houilleres. Son 
Borinage, M. Pierard I'aime tout entier, tel qu'il est, dans sa hideur tragique 
et sa beaute effray ante, il I'aime jusque dans ses vermes. 

II I'aime surtout pour la permanence de sa phychologie collective et 
rien ne le prouve mieux que I'apostolat auquel il b'est consacre tout recem- 
ment pour la revelation de la Chanson boraine. Qui n'a pas entendu chanter 
les Trois Boregnes a perdu l'occasion d'une joie tres r^elle. Le Borain se 
dresse parmi les autres Wallons comme un type de male et joyeuse stature. 

Ge qui fait a nos yeux la personnalite du livre qui nous occupe, e'est le 
caractere de nouveaute inattendue et ravissante d'une inspiration essen- 
tiellement artiste, aristocratique, dirai-je, revigoree par le folklore. Non le 
folklore poussiereux des in folios, mais celui qui impregne a l'Ggal des 
elements primordiaux la vie quotidienne, palpitante, gaillarde ou doulou- 
reuse, suivant les heures, d'un peuple dont l'originalite n'est tributaire 
d'aucun autre. 

11 nous semble que M. Pierard a ouvert dans le domaine de notre 
Litterature une veine toute vierge et abondante. Pour s'en convaincre, il 
faut lire tel pofcme d'envolSe lyrique et de rythme parfait : LaSainte-Bavbe 
des Mineurs par exemple et surtout le chef-d'oeuvre du volume dont 
Wallonia a eu la primeur : Les Arbres de mon Pays. 



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190 WALLONIA 

« Em' fieu, il faut aimer et respecter les arbres 
> miserabies et doux. les pauvres arbres 
» de la plaine noire... 

» Garde-toi de tailler dans leur £corce, car 

» Ta hapiette ou ton couteau, je t'assure, 

» fait alors une large, une vraie blessure... » 

L'editeur Arthur Herbert, de Bruges, a fait des Images boraines une 
de ces merveilles typographiques dont il est coutumier. Et si cela ne 
contribue pas au merite de cette belle ceuvre, du moins le fait-il ressortir 
d'une maniere fort 616gante. 

Peut-on en dire autant des livres si abondammant sortis des presses de 
«TEdition artistique Paris- Verviers » ? Evidemment non. Toutefois, cette 
maison d'editions ne nous parait pas meriter tous les reproches dont on est 
si prodigue a son endroit. Elle repond certainement a une necessity en 
permettant a nombre de jeunes de s'6diter dans des conditions avantageuses. 
Et ceux qui ne iui trouvent d'artistique que sa flrme sont d'affreux puristes.., 

Les profanes ne sauront jamais la part de courage qui intervient dans 
la composition de Tintellect d'un critique. Nous devons Tavouer : nous 
voyons rarement nous arriver un livre orne d'une signature feminine, sans 
rcssentir une vague angoisse. Cette angoisse, M 1,a Maria Sirtaine nous Ta 
procure. Nous ne lui en voulons pas trop, parce que nous nous sommes 
laisse dire que Tauteur des Heures ar denies est d'origine 6trangere, voire 
exotique. Cela explique bien des choses et en legitime quelques autres. 

Mais que diriez-vous d'un poete, fut-il « beige », qui se permettrait 
d'ecrire : 

« Le soleil obscurci de brumes violettes 
» Fuye les quais deserts... » 

ou qui commettrait des alexandrins aussi peu orthodoxes : 

« ...une immortelle fleur 
» Que nul oeil ne decouvre et que seule dans la vie... » 

Nul doute que les pommes poussent toutes cuites a son intention dans 
les vergers litteraires. Je m'en voudrais toutefois de laisser croire que les 
Heures ardenles (qui ne le sont guere) ne contiennent rien d'autre que des 
chevilles intempestives et des pieds incons^quents. Le livre est fort in6gal 
mais cela nous procure la petite joie inattendue de d6couvrir, de loin en 
loin, au devour d'une strophe passablement incolore, une image neuve, un 
tour heureux, un vers bien frappe\ une impression jolie. Nous en avons 
bien note de la sorte une bonne demi-douzaine. Mais vraiment, sur un 
volume decent pages, c'est un peu... peu. 

Ainsi : 

« Pour un coaur qui s'ennuie 
» Oh ! la joie des folies... » 

II nous semble pourtant qu'un nomm6 Verlaine Tavait mieux dit. 

M. Eloi Selvais n'embouche pas, lui, la trompette thebaine. II est 
d'ailleurs tres jeune, M. Selvais. Nous ne lui en faisons pas un reproche, 
attendu qu'il a toutes les qualites de son age, — avec la modestie en plus. 



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WALLONIA 191 

De crayon ner, ecrit-il a Ninon, pardon ne-moi, 

« Mais j'etais cancre en ecriture... » 

Je vous assure que M. Selvais se calomnie, et je gage que Ninon est de 
mon avis. La plaquette est pleinede pimpantes ariettes sans pretention sur 
le mode mineur. Rarement meiancolique, sa Musette a du clair soieil plein 
les chcveux, du sourire accueillant plein les levres et de Tironie amus^e 
plein ses jolis yeux. Ses fantaisies alertes sont tres souvent de charmantes 
choses. A signaler notamment la Chanson pour les vingt ans : 

« Or, je ne veux aimer person ne 
» Gar l'amour pique, au sang parfois, 
» Et ce serait si laid, mes doigts 
» Avec du sang... » 

N'est-ce pas que Siebel sourirait de complaisance a cet air de flute d'un 
si joli dandysme ? 

Avec M. Maurice Nelis, nous rentrons dans le genre dit serieux. 
Pourquoi les Aigles? Et pourquoi Noirs ? Myst&re et ornithoiogie. 

M. Bou6 de Villers, dans la belle et 61oquente preface dont il a orne ce 
volume, afflrme que « les trois quarts des livres de nos jours sont unique- 
ment 6crits dans un but mercantile. » PlacGe en tete d'un livre beige et, qui 
plus est, d'un livre de debut, ou peut s'en faut. cette pbrase a Fair d'une 
joyeuse plaisanterie. A la place de M. Nelis, nous nous mefierions des 
prefaciers. 

Non, les vers de M. Nelis ne sont pas des aigles. Peut-etre sont-ils 
mieux que cela. Et la pretention ne reside gu&re que dans le titre. L'inspi- 
ration de ces poemes est 6gale, doucement meiancolique, rarement 
vehemente et alors elle se soutient d'une mani^re remarquable. On serait 
tente de reprocher a Tauteur une certaine allure vieillotte et lamartinienne 
depuis longtemps p6rim6e, mais qui n'est pas toujours sans charme. II faut 
mettre hors de pair le sonnet final qui donne son titre au livre et dont le 
galbe est tr6s ferme et tres harmonieux. 

M. Jean Mar6chal, pour apaiser notre gvidente impatience de savourer 
tout le petit catalogue d'oeuvres qu'il afflrme tenir en preparation, nous joue 
sur sa flute a sept trous des Preludes fort agr£ables et (ou parce que) 
capiteusement voluptueux. 

M. Marecbal est dou6 d'un temperament faunesque tres accent^. En 
presence de la mar6e montante de poetes 6iegiaques et preraphaeiites, cela 
n'est pas pour nous deplaire. Toute la saine sincerity des beaux vingt ans 
passe en un coup de genereuse folie a travers ces chansons en louange 
a la vie. 

Toute la vie est bonne a vivre, professe le deiicieux epicureisme de 
M. Marechal. Le secret du bonbeur est de savoir choisir : 

« Je suis venu de la Meiancolie 
» Et vers la joie je suis alie. 
» Je veux vivre la vie jolie : 
»Tous mes soupirs sont exhales. 



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192 WALLONIA 

» Est-il des routes monotones 

» A qui veut se laisser vibrer ? 

» Joie (Vete, tristesse d'aulomne. 

» De lout mon coeurpeut s'enivrer. >> 

N'est-ce pas que c'est joliment dit ? Et si bien wallon ! 

Des Voluptes ? En voici. Tout un album. Mais point celles que vous 
imaginez. Vous souvient-il des Litanies a la Bien-Aimee, de M. Wauthy? 
CTetait la un vraiment beau livre ou s'epanouissait a I'aise la douce philo- 
sophic d'Horace aggravee de raffiuements supremement byzantins. Poesie 
de decadence au sens delicieusement artiste du terme. La e*taient les 
veritables voluptes. 

Geiles-ci le sont moins. Ou plutot elles le sont autrement : intimes, 
leniflees, chastes quasiment. L'ombre de Baudelaire s'est effacee et celie de 
Samain plane : 

« Oublions nos corps vils et ne soyons qu'une ame, 
» Une ame pure ainsi qu'un lys tremblant, 6 Femme ! 
» Pour gotiter le bonheur per vers de nous pamer 
» Sans avoir accompli le vain pech6 d'aimer. » 

devolution de M. Wauthy tient tout entiere dans cette strophe. Satiete ? 
Sagesse ? ou e>otomanie ? Qui peut le dire ? 

Nous ne savons si cette modalite de la jouissance est moins perverse 
que Tautre et nous sommcs meme presque stir du contraire. Ge qui n'a pas 
change chez M. Wauthy, c'est la science des beaux vers. II est certaine- 
ment parmi tous ceux de sa generation un des premiers artistes du verbe, 
Ses vers ont ce caractere de beaute eurythmique, aisee et pour ainsi dire 
naturelle, qui donne parfois la sensation du grand art. 

Et quelle stirete d'harmonie ! Ecoutez-le done, a Theure crepusculaire, 
chuchoter a Taimee : 

« Fermons les yeux ; Theure est griseuse et solennelle ; 

» A pas de soie et de velours, le soir troublant 

» Met son front noir derriere le rideau blanc 

/>Et l'ombre epaisse tisse au plafond sa dentelle... » 

A seule tin de se venger des medisances, « I'Edition Artistique » a fait 
de cet album une maniere de chef d'oeuvre que les dessins de Mademoiselle 
Marguerite Robyns ornent avec beaucoup de bonheur. La composition de 
la couverture est a elle seule un poeme de volupte douloureuse : La femme 
a pris sur la croix la place du Christ et pour avoir souffert, elle aussi, une 
Passion d'Amour, elle semble s'elever jusqu'a une sorte de divinite, d6esse 
terrible et adorable... 

Un peu plus de nervosite dans le trait et cette page donnerait presque 
Timpression d'un Rops. 

Pierre Wuille. 



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WALLONIA 



193 



LETTRES WALLONNES 

Annuaire XX de la Society Liegeoisc 
de Lilterature Wallonne. — Liege, 
Vaillant-Carmanne, 1907. In-8*(1H,5X 
12,5), 145 p. 



La Litterature Wallonne a Liege, par 
Victor Chauvin. Kxtrait de la Nation 
Beige. — Liege, Charles Desoer, 190(3 
grand in-8*, 42 p. 



IS Annuaire, le bilan oblige^ de notre vieille « Acad6mie wallonne ». 
Ainsi que le constate justement la notice preliminaire, « il ne lui manque 
vraiment que la reconnaissance ofllcielle... qui viendra bion un jour. » 

II suflit de signaler d'excellents rapports de M. Nicolas Lequarre, de 
M. Oscar Colson. prouvant I'activite de la Soci6te pendant Tannee ecoul6e; 
ies resultats des concours de 1906, le programme des prochaines joutes 
historiques, philologiques et litteraires completent copieuseraent la partie 
administrative de Y Annuaire. 

Afin que la digestion n'en paraisse pas trop insipide, cet inventaire est 
agremente, selon l'usage, de quelques « Varietes » de genre plus ou moins 
folatre. Pieces de circonstance, pour la plupart, empreintes de la jovialite, 
de la franche belle humeur qui regne, chaque annee, autour de la table du 
Djama traditionnel de la Societe Liegeoise. Or, ce fut, en d£cembre dernier, 
un djama d'importance notoire, le Banquet du Cinquantenaire ; la 
moisson de chansons et de pasqueyes y fut exceptionnellement abondante. 

A citer, pour le tour amusant de la satire, le joyeux compte-rendu fait 
par Alphonse Tilkin d'Ine seyance de Conseil communal di Lidje, en 
laquelle nos ediles Schangent les vues les plus saugrenues autour de la 
sempiternelle question du Theatre Wallon. 

Le verre en main, M. Olivier Poncin disserte de plaisante fagon sur la 
Temperance, et M. Pecqueur glorifle en savoureux parler carolor6gien 
Les Tices Momquelaires du Dicsionaire tcalon. On retrouve aussi, dans 
ces poemes 6phemeres, le speech joliment tourne et d'une modestie char- 
mante prononce par Jos. Vrindts a son entree dans la docte kipagneye. 

II y a plaisir a lire, Ggalement, les tchansons du pays de Ghimay, dtis 
au poete populaire G. Leroy, « le dernier m6netrier du Hainaut ». Elles 
sont d'une jovialite sans pretention et le pittoresque du patois chimacien en 
releve plaisamment la verve un peu rude. 



Ge qui doit compter, cependant, comme la piece de resistance, parmi ces 
hors-d'oeuvre de V Annuaire t c'est P6tude si loyale sur Nicolas Defrecheux, 
signee par un ecrivain flamand d'une rare impartiality, M. le cur6 Guppens, 
et qui fut signaled pour la premiere fois ici meme (*). 

Jamais hommage ne fut rendu a notre vieux poete et a son oeuvre avec 
une admiration plus sincere que par cet stranger, par cet « ennemi », 
serai t-on tente de dire, en ce temps d'apre persecution flamingante. C'est la 



(1) Wallonia, t. IX, p. 147-149. 



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194 WALLONIA 

premiere fois, sans doute, qu'il nous est donne de lire une traduction de 
L'avez v've you passer? a. I'intention des electeurs de M. Goremans. Trans- 
position qui ne laissera pas de paraftre ici assez Strange, voire meme un 
peu barbare : 

Een zondag daar ik bloemen plok in onze wei, 

Zoo kwam een' schoone maagd en bleef staan bij mij. 

Au surplus, le bon cure de Loxbergen ne fait-ii aucune difficulty pour 
avouer que sa traduction « n'est guere a la hauteur de I'original ». Elle est 
cependant exacte, et meme rythmee sur I'air original... 

Nous n'en devons pas moins de reconnaissance a ce flamand, pour la 
sympathie si Iranche qu'il temoigne en cette occasion pour notre poGsie 
populaire et pour le caractere wallon : 

« Etrange petit peuple que ces Wallons ! En apparence legers, mobiles 
et versatiles comme les Francais, ils sont en realite foncierement bons, 
sincere?, aa coeur chaud, pleins de bonhomie, et malgre* leurs lubies et leurs 
boutades, ayant dans le caractere quclque chose de cc profond serieux des 
races germaniques. Gomme leur langue, mi-thioise et mi-romane, leur 
maniere d'etre est pour moitie' franchise, et flamande pour moitte... S'ils 
aiment a l'exces a se moquer et a plaisanter, ces Wallons de Liege, leur 
raiilerie est rarement amere, car elle est le fruit de leur caractere gai et 

spirituel. » 

* * * 

« Voila comme un Flamand sait nous comprendre ! » 

La parole est dc M. Victor Chauvin, le savant professeur de notre 
University. N'est-ce pas en ces termes que ce genereux et fervent ami de 
notre wallon signala la curieuse 6tude de M. le cure Cuppens ? Dans une 
interessante conference qu'il fit naguere, sur la Litteraluve Wallonne a 
Liege, et dontle t"xte a etepublie, il y a quelques mois, M. Chauvin a tenu 
a mentionner ce precieux hommage. Et il en a tire* le meilieur parti, pour 
glorifler le g6nie de notre race et les chefs-d'oeuvre de la muse wallonne. 

On peut trouver, dans cette conference, un amusant rapprochement 
entre cette appreciation d'un Flamand d'aujourd'hui, et celle d'un Liegeois 
d'il y a cent ans. Voulez-vous savoir en quels termes galants le citoyen 
Malherbe qualiflait alors notre vieil idiome ? Pour lui le wallon est € un 
jargon grossier et barbare, c'est i'affreux patois du pays, il n'y a qu'a Liege 
qu'on ait vu parler a tout le monde indistinctement le trivial langage des 
halles ». 

Qu'un illustre inconnu, fut-il eleve du cure Ramoux, ait aussi brutale- 
ment accomode, vers 1802, le parler de nos peres, on pourrait lui en laisser 
tout le ridicule. Mais on ne voit pas sans surprise un pareil jugement 
appuye* plus tard par un lettre\ par un homme Eminent comme Rouveroy : 
« Ce patois de Liege, dit-il, a perdu beaucoup de l'interet qu'il avait autre- 
fois. Pepuis que Instruction s'est rGpandue dans le peuple, le liegeois n'est 



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WALLONIA 195 

plus aujourd'hui que le langage du bas peuple et n'occupe qu'un inflniment 
petit nombre d'amateurs excentriques ; il a fait son temps ! » 

Qui se serait doute que de telles sentences avaient condamn6 notre 
pauvre art wallon, presqu'avant que de naitre ? Dans une 6tude parue ici 
meme, M. Grojean assurait bien que notre langue maternelle souffrit « de 
longs et injustes malheurs ». Mais personne n'avait fait ressortir a ce point 
Thostilite des classes elevees a T6gard du wallon iiegeois, au dix-huitieme 
stecle. M. Ghauvin rapporte, notamment, le programme d'un concours 
ouvert en 1779 par la Society d'Emulation, qui est « une formelle declaration 
de guerre ». 

Ge sont la des details inedits qui doivent conserver a cette conference 
une haute valeur documentaire. On pense bien que le distingue professeur 
n'a pas manque de reiever malicieusement la malencontreuse prediction de 
Rouveroy : 

« II est dangereux de prophetiser en son pays et Rouveroy ne se 
doutait guere que Tidiome informe, tant dedaign^ par lui, allait bientot 
produire des oeuvres scientiflques remarquables, et, surtout, une magniflque 
litterature. » 

Suit, pour la confusion du mauvais prophete et pour notre edification a 
tous, un apercu critique de cette litterature, trac6 a grands traits, depuis la 
legendaire Copareye de Simonon jusqu'aux delicats chefs-d'oeuvre de 
Defrecheux et de Vrindts. 

Encore que cette revue soit rapide, le conferencier a voulu y faire place 
aux plus modernes, meme aux derniers venus, comme M. Georges Ista, 
« dont il faut attendre qu'ils aient donn6 toute leur mesure ». 

G'est assez dire que M. Ghauvin n'accepte pas que la litterature 
wallonne soit vouee a disparaltre. Au contraire, ce glorieux passe lui parait 
garant d'un avenir plus glorieux encore, a la condition de garder notre 
wallon de Tinfluence etrangere, de lui conserver jalousement sa saveur 
originale, si menacee, de nos jours, par la culture frangaise. 

Retenons le conseil, en meme temps que nous donnerons a cette etude 
la place qui lui revient, parmi les meilleurs travaux consacrSs a Thistoire 
des lettres wallonnes. 

Henry Odekerke. 




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196 WALLONIA 

Ouvrages reciis. 

Abb6 Jos. Bastin. Le prefixe « Chin ». Conference donnee a Liege a la 
Soci6t6 d'Art et d'Histoire. (Extrait de « Leodium »). Liege, Cormaux. 
In-8 a (24.5x15.8), 11 p. 

Albert Croquez. Sainte Godelieve de Ghislelles, patronne de la Flandre. 
Lille, Desclee. In-8° (19X12.3), 153 p. 

A. dk Cock et Is. Tkirlinck. Kinderspel en Kinderlust in Zuid- 
Nederland. Met schema's en teekeningen van Herman Teiklinck. Bekroond 
door de Koninklijke Vlaamsche Academic Zevendedeei : kind en kalender, 
kind en school, kind en musiek. — Gend, A. Siffer. In-8° ^25.5X16.7), 308 p. 
Prix : 4 francs. 

Jules Dewert. Epitaphes de Nivelles et des environs. (Extrait des 
« Annales de la Societe archeologique de i'arrondissement de Nivelles. ») 
Nivelles, Lanneau et Despret. In-8°, 15 p. 

J. Esdin. Conies furlifs. Paris, Baudelot. In-12 (18.5X12,3), 168 p. Prix : 
fr. 2-50. 

H. Gaidoz. Introduction a V etude de V Elhnographie politique . (Ext. de 
la « Revue internationale de TEnseignement ».) Paris, F. Pichon et Durand- 
Auzias. In-8° (25.5X16.2), 44 p. 

Th. Gobert. Autobiographic d'un peintre liegeois, Leonard Defrance. 
Liege, D. Gormaux. In-8° (24.5x16), 80 p. 

Roger Lalli. L % Eclosion % ou Premiere phase de la formation amou- 
reuse, roman. Bruges, Arthur Herbert. In-8° (19.8x13.3), 193 p., couverture 
ill. par Rouveyre. Prix : fr. 3 50. 

Felix Maonette. Les Emigres francais au pays de Liege. (Extrait du 
« Bulletin de i'lnstitut archeologique liegeois».) Liege, H. Poncelet. In-8° 
(24.5x16), 52 p. 

Paul Spaak. Voyages vers monpays, poemes. Bruges, Arthur Herbert. 
In-8° (19.8x13.3), 180 p. Prix : fr. 3-50. 

Joseph Vrindts. Vis airs et noves respleus, ouves tchuseyes. Preface de 
M. Olympe Gilbart. Liege, Jos. Wathelet. In-8° (25x16.5), 148 p. Portrait 
de Tauteur, airs notes dans le texte. Prix : fr. 2-50. 

Tentoonstelling van het Vlaamsche Boek. Ingericht met mededeling 
van het Muzeum van het Boek. Kataloog. Bruxelles, Larcier. In-8° 
(21x13.2), ix + 104 p. Portraits hors texte. 

Aspect de la nature et de la cite\ Anonyme. Bruxelles, Charles Bulens. 
In-8° (27x18), 27 p. 



QwMy^ysQ 



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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a TUniversite de Liege ; N. Cuvblliez, 
regent a TEcole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a TAtbenee 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Litterature francaise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof, a TUniversite iibre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
TAthenee, Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a TUniversite de Liege; 
Charles Gheude, prof, a TUniversite nouvelle, Bruielles ; Jean Haust, 
prof, a TAthenee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelie; Felix Magnette, prof, a TAthenee royal de Liege; Fernand 
Malueux, prof, a TUniversite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
TAthenee royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a TUniversite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneche. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; D. Brouwers, conservateur 
des Archives de TEtat a Namur; A. Garlot, attache aux Archives de TEtat a 
Mons ; Albert Delstanche, attache a la Bibliotheque royaie de Beigique, 
Cabinet des estampes ; Emiie Fairon, conservateur-ad joint des Archives de 
TEtat a Liege ; Oscar Grojean, attache a la Biblioth^que royaie de Beigique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Bibliotheque publique de Mons; Adrien 
Ooer, conservateur du Musee archeologique et de la Bibliotheque publique 
de Namur ; Victor Tourneur, attache a la Bibliotheque royaie de Beigique, 
Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Musee archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache, archeologue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lkrs, president du «Cercle archeologique » de Mons; Justin Ernotte, 
archeologue a Donstiennes-Thuiilies ; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice 
des Ombiaux, Louis Dumont-Wilden, Camille Lemonnier, Edouard Ned, 
Georges Willame, litterateurs a Bruxelles; Emile Aden, Charles Delche- 
valerie* Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a 
Liege: Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a 
Paris; Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur 
a Charleroi ; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du « Club wallon », Malmedy ; Joseph 
Hens, auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jagquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; Jean Roger, president de T « Association des 
Aut^urs dramatiques et Chansonniers wallons », a Liege; Henri Simon, 
Joseph Vrindts, auteurs wallons a Li^ge; Jules Vandereuse, auteur 
wallon a Berzee. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Mus6e instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, decsinateur, a Paris; Charles Didibr, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a TAcademie royaie des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege ; Paul Jaspar, archi- 
tecte a Liege ; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Liege ; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton ; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Li6ge; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur d6corateur, Li^ge. 

MM. Y. Danet des Longrais, geneaiogiste-heraldiste, a Liege ; Pierre 
Delta we, publiciste, a Liege ; Albert Neuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt ; Ernest Sentb, photographe a Li6ge ; 
Oscar Colson, foikloriste, etc. 



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XV m * annee — N° 9 Se ptembre 1907 

SOMMAIRE 

Poesies et chansons de la fin du seizieme siecle, pubises par M. Th. 

LESNEUCQJOURET. 
Une histoire de sorcier : Gilles, le Berger d'Arbrefontaine, 16gende 

ardennaise, par M. Joseph HENS. 
Les enfants sur les autels, coutume populaire, par M. Albin BODY. 
Renkin Sualem et ses oeuvres, d'apres des travaux recents, par 

M. Oscar GOLSON. 
Literature de chez nous : Par les routes (II), proses inedites, par 

iM. Augusts DONNAY. 

CHRONIQUE WALLONNE 

Art moderne : Ch. van den Borren, L'oeuvre drama- 
tique de Cesar Franck, par M. Ernest GLOSSON. 

Histoire : Th. Lesneucq, Histoire de Lessines. Publi- 
cation de la Societe des Sciences du Hainaut, 
par M. Armand GAR LOT. — Annales du Gercle 
hutois, par M. Emile FAIRON. 



BUREAUX : 
L.l£OE, 12, RUE LEON MIGNON 

Un an : Belgique, 6 francs. — Etranger : 7 fr. 50. — Ge n° 1 fi\ 
La Revue parait cbaque mois, sauf en aout. 



fc 



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Sommaire du N° de Juillet-Aout 

Litterateurs francais de Wallonie : Jules Destree, par M. Rene 

DETHIRR. — (Avec portrait d'apres une eau-forte (TAuguste DANSE. 

et Bibliographic) 
Chansons d'amour, romances populaires, recueillies par M. Oscar 

GOLSON. — (Avec 3 airs notes.) 
Literature de chez nous : Les Fumees, par M. Jules DESTREE. — 

La Jeune Wallonie, cantate, par M. Jules SOTTIAUX. 

CHRONIQUE WALLONNE 

L'Ex position d'Art dinantais, par M. Pierre WUILLE. 
Art ancien : Ouvrage de Jules Helbig, par M. Fernand 

MAILLEUX. 
Gens de chez nous : Leon Herbo (avec portrait). 
Histoire : Bulletins et Annales, par M. Emjle 

FAIRON. — Sur les Van Eyck. 
Faits divers : La Societe Nouvelle. Congres de la 

Presse periodique. Le pouce et le pouls. Pro 

Wallonia. 



VIENT DE PARAITRE : 



L' Action Wallonne 

pour la defense 

des Interets materiels, intellectuels et moraux 

de la Race Wallonne 



Directeurs-Edileurs : A. Dereume et A. Ballieu. 
Comile de redaction : Alf. Colleye, Alb. Derville et Raoul Engel. 

UN AN : 5 FR. Organe hebdomadalre in-folio UN N° : 10 C mM 



ADMINISTRATION : 
50, Rue de Ruysbroeck, 56 



REDACTION : 
41, Montagne aux -Herbes Potageres 



Bruxelles i Bruxelles 



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Poesies et Chansons 

de la fin du seizieme siecle 



Jc possede un recueil manuscrit de chansons et poesies qui 
remontent aux dernieres annecs du 16 e siecle. 

Le sujet en est tou jours relatif a L'ainour. Le sentiment en est 
tend re, et le style agreable. L'ecriture de ces pieces est pour toutes 
dift&rente et plusieurs sont accompagnees de la date ou d'une devise. 

Je suppose que ce recueil est l'oeuvre d'une association d'amis 
qui devaient a tour de role produire leur petit ouvrage. 

Voici quelquesextraits, d'un tour d'esprit assez interessant. 

Lessines. Th. Lesneucq-Jouret. 

i. — Chanson 



Adieu Nymphes des bo is 
Qui m'avez tant de ibis, 
Au borsde vos fbntaines, 
Entendu discourir, 
Sur le poinct de mourir, 
Mes amoureuses peines. 

Consomme de langucur 
Je voy par la rigueur 
De ma fievre cruelle 
Precipiter mes jours, 
D^saspere d'amour, 
Soubs la torn be mortelle. 

Je ne verrai jamais 
Folastrer desormais 
Mes brebis camusettes ; 
Mon languissant troupeau 
N'entendra le pipeau 
Des gaillardes musettes. 



Bravant la larme a Toeil 
Sur mon pas lecercueil 
Mes tristes sors funebres 
Quy des amoureulx 
Lamentans langoureulx 
Gist et dors en tenebres. 

Or, apres mon trespas 
Nymphes, n'oublie pas 
D'annoncher aux bergeres 
Combien peuvent sur nous 
Les rigoureulx couroux 
Des filles trop legeres. 



Bonte\ beaute\ surpasse 
Oil que richesse n y a place. 



Tonic XV, a" 9. 



Scptenibre 1907. 



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234 



WALLONIA 

2. — Chanson 



Puis qu'au lieu de la doulceur 
Mille morts en Tame 
J'esprouve par la rigueur 
D'une ingrate Dame, 

Je fuis doncq le dieu Amour : 
Donne-moy quelque secours. 

Celle en quy j'ay mis ma foy, 
Mon sang et ma vie, 
Empres d'une aultre que moy 
Veult estre servie. 

Je fuis, etc. 

Elle est lasse de m'aimer, 
Pour ung peu d'absence : 
Le vent esmeu de la mer 
N'a tant d'inconstance 

Je fuis, etc. 



Ung ami ne luy sufflt 
Pour sa soif ardente : 
Un beau jour trois elle en fit 
Pour estre coutente. 

Je fuis, etc. 



Si j'essaye a m'approcher 
D'elle, c'est sans doute 
Qu'elle ressembleau rocber 
Qui point ne m'escoute. 

Je fuis, etc. 

C'est son oeil qui m'a de^eu, 
Et son coeur farouche 
Dans lequel elle a congeu 
L'ennuy qui me touche. 

Je fuis, etc. 



Au moings tant qu'elle vivra, 
Pour me venger d'clle, 
Sur son front le nom aura : 
Ingrate et cruelle. 

Je fuis doncq le Dieu d'amour : 
Donne-moy quelque secours. 



3. — Poesie 



Amour en mesme instant m'aguillonneet m'arreste, 
M'asseure et me faict peur, m'ard et me va glagant, 
Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant, 
Me faict victorieux et marche sur ma teste. 
Tres has, ores hault, jouet de la tempeste, 
II va comme il lui plaist, ma navireelangant. 
Je pense estre echappe quand je suis perissant , 
Et quand j'ay tout perdu, je chante ma conqueste. 
De ce qui plus me plaist, je regois desplaisir, 
Voulant trouver mon coeur, j'esgare mon desir. 
J'adore une beaute qui m'est toute contraire. 
Je m'umpestre aux files dont je me veulx garder ; 
Et, voyant en mon mal ce que me peult ayder, 
Las ! je Tapprouve assez, mais je ne le puis faire. 



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WALLONIA , 235 

4. — Chanson 

Ce n'est pas pour moy que tu sors, 
Grand soleil, du milieu de I'onde; 
Car tu ue luis poinct pour les niorts 
Et je suis du tout mort au monde, 
Vif aux ennuicts taut seulement 
Et mort a tout contentement. 

Aussy fuis-je a voir ton flambeau, 
Depuis qu'un exil volontaire 
M 'enter ma comme en un tombeau 
Dans ce lieu triste et solitaire, 
()u les vers de cent mille ennuicts 
Me rongent les jours et les nuits. 

Mes plaisirs se sont envoles, 
Cedant au malheur qui m'oultraige, 
Et mes beaux jours sont escroules 
Comme l'eau qu'enfante un oraige; 
Et s eseroulant ne lu'ont laisse 
Rien que le regret du passe. 

Ah ! regret qui fait lamenter 
Mon a me en sepulckre enlerme, 
Cessez de plus me tourmenter, 
Puis que ina vie est consommee 
Ne trouble/ point de ces remorts 
La triste paix des pauvres morts. 

Assez, lors que j'estois vivant, 
Je sentis tes dures atteintes 
Assez, tes rigueurs esprouvant, 
Je frappai le ciel de mes plaintes. 
Pourquoy perpetuant mon dceil 
Me poursuis tu dans le cercueil ? 

Pourquoy va tu ramentevoir 

ient a ma triste memoire 

Le temps oil mon cceur s'est peu (pu) voir 
Comble d'heur de joye et de gloire, 
Maintenant qu'il est en tourmens 
D'ennuict et de gemissement. 

La douce cause de mon bien, 

Qui nVst rien qu'un petit de poudre, 

Etsens (pie ne suis plus rien 

Qu'un tronc abbatu par la I'oudre 

De (iuel poinct de felicite 

Ton trepas m'a precipite. 



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236 



WALLONIA 



Helas ou rien que toy vivant 
Nul ennui ne me faisait plaindre 
Et qu'un tel heur m'alloit suivant 
Que j'esperois tout sans rien craiudre; 
Maintenant reduit k pleurer 
Je crains tout sans rien esperer. 

Non, non, ton trespas m'a rendu 
D'espoir et de crainte d61ivr6. 
En la perdant, j'ay tout perdu 
Je ne sens plus rien que de vivre; 
Et vivre encor est un malheur 
Que peult accroistre ma douleur. 



Chanson 



Puis que tu es sy belle 
Et moy sy plain d'amour 
Ne me sois sy rebelle 

Cruelle, cruelle 
Vien moy donner secours. 

Une Dame doibt estre 
Fidele a son amant 
Et lui faire paraistre 
Et estre, et estre 
Fiddle en bien aymant. 

Quoy, voulez vous, mauvaise, 
Me tenir en langueur 
Mais cependant la braise 
Mauvaise, mauvaise 
Qui me brusle le coeur. 



Tu fais bien Tintresvue 
A mon cruel tourment 
Mais cependant ta veue 

Me tue, me tue 
A chasqze mouvement. 

Non, non, laissez moy faire 
Je ne veulx pas mourir 
Mais je veulx pour salaire 
Vous faire, vous faire 
Ge qui vous peult guarir. 

Je ne veulx aultre chose 
Qu'un baiser de tes yeulx 
Pourveu que c'est la chose 

La chose, la chose 
Que j'aime le mieulx. 



Ma belle follastrGe 
Tu m'as bien arrests 
En ton libre couraige 

Langaige, servaige 
Au rang de ta beauts. 



Libre ne suis 
Jean GAPPYE. 



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WALL0N1A 



237 



Chanson sur les couleurs 



Couleur verd 

L'orange 

L'incamat 

Le gris 

Le cangeant 

Le tanne 



Espoir 

Desespoir 

Melancolie 

Travail 

Ueschange 

Langueur 



Le jaulne 
Le violet 
Le rouge 
Le blancq 
Le bleu 
Le noir 



Contentement 

Amour 

Hault vouloir 

Foy 

Loyaulte 

Bermele 



Escoutc, mes amours, 
Je vous veulx demander 
De toutes ces couleurs 
Lesquelles en choisirez. 

Feu verd est ma France 
Le portant pour espoir 
Mais en lieu d'esperance 
Me donner desespoir. 

Incarnat je renye 
Et ne veulx plus porter; 
Trop grand' melancolie 
II me faut supporter. 

Le gris n'aura puissance 
De dessus moi monter, 
Gar au lieu d'esperance 
Travail me faut porter. 

Du cangeant je me change 
II est trop a blasmer; 
Aussi,aimant le change, 
Ne seauroit bien aimer. 

Tanne, pour advertence, 
N'est pas laide couleur, 
Gar c'est perseverance 
Qui combat tout malheur. 



Du jaulne Taliance 
Je desire souvent 
D'avoir la jouissance 
C'est le contentement. 

Violet est belle couleur 
Amour la donnera 
Et pour luy faire honneur, 
Manne le portera. 

Rouge est belle couleur 
Quy se peult pourveoir : 
Amis aiant honneur 
Doibt avoir hault vouloir. 

Le Blancq sera pour moy, 

Je lay volu choisir; 

II signifie foy 

Qu'en amour veulx tenir. 

Du Bleu ne veulx pourveoir 
Pour sa grande beaulte; 
Ung amis doibt avoir 
En amour loiaulte. 

Le Noir fera cognoistre 
D'amour la fermete 
Ung vray amis doibt estre 
En ung lieu arreste 



{607. 



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238 WALLONIA 

7. — Chanson 

Puis que larrest fatal dos dieulx 
Mo constrainct de quieter vos lieulx 
Et que la fortune felonne 
Poinct a la cruaute des yieulx 
Faict que olres ne vous abandonne; 

Adieu, mon coeur que je sits, 
Adieu, perle de Tuni vers, 
Adieu, deesseque j'adore, 
L)u moings prenez ces tristes vers, 
Temoings du feu qui me devore. 

Prenez ce coeur qui n'est pas mien 
Et est vostre, ne ny ai rien : 
Et quand je aurois quelquo chose 
Je lestre a vos doulx maintien 
Ou sans cesse l'amour repose. 

Mais afin que le fier trespas 
Ne m'envoie aux ombres la bas 
On plus l'amour on ne demaine, 
Donne-moi le vostre, ou helas 
Je mourirai d'angoissante paine. 

8. — Chanson 

Sur la voix : Allons ma Miynonne 



L'amour et la flame 
De ton ceil vaincqueur 
Font voguer mon ame 
Parmv ta rigueur. 



J b l 



Les verdes campaignes, 
Les plaisanteseaulx, 
L'asi)ect dos montaignes, 
Le chant dos oiseaulx, 

Ah dieu, quelle paine N'unt touts dune houre 

Cause ung bien absent, Sceu tirer mon coeur 

Et toujours il gohainc; N'einpcschoit qu'ol pleurs 

Ung coeur bien constant. , Ta dui e rigueur. 

9. — Chanson 

Si je puis une fois 

Desengager mon ame 

De vos tenaoes loix, 

Assourez vous, Madame, 
Que desormais je mo roengageray : 
Jamais, jamais, je n'y retourneray. 



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WALLONIA 

Je crois que votre coeur 

Tient de la Salamande 

Qui vit parmy 1'ardeur 

Du feu et de la cendre 
Si une fois, jo m'en voy retirer, 
Jamais, jamais je n'y retourneray. 

Vous allez con tenant 
Dix mille amours nouvelles 
Vous repaissez du vent 
Kn ses services fidelles. 
Si une Ibis je men voy retirer, 
Jamais, jamais, je n'y retourneray. 

Que jesuis abuse 
De farder la Constance 
A ung coeur desguise 
EL rempli d'inconstance! 
Non je m'en suis, a ce coup, retire 
Jamais, jamais, je n'y retourneray. 



Je semois bien en l'air 

Mes veux et mes services 

Kt voys ores au vray 

Vos ruses artifices. 
Mais je m'en suis, a ce coup, retire : 
Jamais, jamais, je n'y retourneray. 



10. — Chanson 



J'estime malbeureux celuy 
Qui iaist service aux Dames : 
Jamais je ne receus qu'ennuy 
Des a mou reuses flammes. 

Ung amant nest jamais genereux 
El ne le M;aurait estre. 
Tons les amans sont langoureux : 
Je le fay bien paraistre. 

Mon cceur desire nuict et jour, 
Mes yeux sont plains de larmes; 
Et pour guardien de mon amour 
Icy mille et mille alarmes. 



239 



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240 WALLONIA 

II faut aller [a leur?] lever 
Les conduire a la messe, 
Et qui no se s<*ait captive r 
Se trim ve sans maistresse. 

Je sgay que les ainants constants 
Ne sont pas agrrables, 
Car les femmes sont en tout temps 
Girouettes muables. 

Philandre plain d 'affection 
Parloit en cette sorte ; 
Et il n'a plus de passion 
Son esperance est morte. 



Et [En] bien servir et leal estre 
De serviteur devient on maislre. 



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Une Histoire de Sorcier 



Qilles, le Berger d'Arbrefontaine 



Gilles, le Berger d'Arbrefontaine, est le raeme type populaire, 
connu dans toute l'Ardenne, que Pire-Andri, li tchcsseu & macrales, 
le fameux marechal-ferrant de Fosse-sur-Salm, dont le regrette Martin 
Lejeune a conte naguere la legende ('). Venu apr6s Pire-Andri, 
Djiye avait herite d'une partie de « ses livres ». On le consultait pour 
les maladies, les vols, les maux du b^tail, etc., et nombreux etaient 
ceuxqui preferaient ses oracles aux rem6des du medecin ou du v^te- 
rinaire. 

Voici une histoire, telle que me l'a contee mon voisin Denis, le 
maraicher. Elle fera mieux connaitro la puissance de notre ?7iacrS, 
que toutes les descriptions du monde. 

Li baron do viyedge di Harze\ Le baron du village de Harz6, 

comme tolciqu'a dessans etminme comme tout qui a de l'argent, et 

ci qu' enne a nin, n'estut nin aiml meme celui qui n'en a pas, n'6tait 

(T tot Tmonde. pas aim6 de tout le monde. 

Onk et Vaute li fzint des mdvas L'un et I'autre lui faisaient de 

sohaits... mauvais souhaits... 

Et aVine sort a Vaute, on be djoiir Et d'une chose a r autre ( l ), un beau 

d matin, tos les staves si trovint jour au matin, toutes ses 6curies et 

vudis:tchivaus,valches,t?es,po?/es, enables, se trouverent videes : che- 

tchins, corint Vt avd les cours, vaux, vaches, veaux, poules, chiens, 

sins qu'on savahe qui qW les avut couraient pele-mele dans lescours 

d'lahis. sans qu'on put savoir qui les avaient 

laches. 

On pinsa po k'minci qu' c'estut On pensa d'abord que c'6tait une 

ine farce. Puis on lama so J ?ie vin- farce. Puis on crut a la vengeance 

(1) Dans le Bulletin de la Societe liegeoise de Litte'rature toallonne, t. XLU. 

(1) Le contour resume en cette formule transitionnellc une serie de faits qu'il 
passe sous silence i pour abregcr : le proced6 et la formule sont tout-a-fait populaires. 



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242 



WALLONIA 



djince (Von vdrlet. On louka, mins 
on n' trova rin. 

Et todis evoye, a matin, mdgri 
les noHves seres, mdgri tot, li bislu 
res tut todis so les cours. 

On fza v'nil' priyesse. Iv'?ia beni 
les staves, i beniha minme les tropes 
avou V Venerdbe : i n't fza rin. 

In' apele Bulto, do pat/is d' Sam- 
ree, qui d'manut a Harze, enne 
itinda djdsi. 

Tos coslis, i-gny-a des hommes 
qu' aimel Vftisih. Mins, iV cou qW 
dji tf djdse vola (i-gny-a des ans el 
des ra-z-ans), ci qui brae nut, brae- 
nut ; el c' estut tot. 

Bulto enne estut onk. Li case est 
longue, mins po-z-e v'ni a noste 
afaire, i fat qu' nos passanhe 
po la. 



<Tun valet. On veilla et on ne trouva 
rien. 

Et continuellement, au matin, 
malgre les nouvelles serrures, mal- 
gre^ tout, le betail se retrouvait tou- 
jours dans les cours. 

On fit venir le cure. II vint benir 
les Stables, il b6nit meme les trou- 
peaux avec le viatique: il n'y fit rien. 

Un appel6 Bulto, du pays de 
Samre^e, qui habitait Harze, entendit 
parler de la chose. 

Partout il y a des hommes qui 
aiment le fusil. Mais, du temps que 
ceci se passait (il y a des ans et des 
ans), [cela importait peu :] celui qui 
braconnait, braconnait;etc'etaittout. 

Bulto £tait un ceux-la. La cause 
est longue [a dire], mais pour arriver 
a notre affaire, il faut que nous pas- 
sions par la. 



Nosse Bulto estut don bracneur. 
hoert ou nin, passans. 

Il avut d'mani ves Fosses so Sam, 
el il avilt avou la, tot bracnanl, 
ine melchanle afaire. 

I fat etinde : il eslint queques 
camarades po-z-afuli. 

II alint V pus sovint ratinde li 
gibier, seuy t-i live ou tchevrou, so 
les vihes fosses di tcherboni. 

A-n~on cler di leune qu'il i 
eslint zels deiis, Bulto el in' aule, 
is tirint leus deus cops d'fisih a 
mons dvint'-cinq pids so on gran- 
dissime live. 

Is V displouirC lint lot, les poyelchs 
volint e I' air, mins is rt rilrovinl 
qucoula : li live estut filil 

Deus djours ap res, /' minme afaire 
si r'passa. Puis V leddimin, Et, sins 
fin, li live les i r'djowa V minme dju: 



Notre Bulto etait done braconnier, 
un peu plus, un peu moins, passons. 

II avait habit6 le pays de Fosses- 
sur Saim, et il avait eu la, en bra- 
connant, une m6chante affaire. 

II faut entendre (*) : lis etaient, a 
quelques camarades, a affuter. 

Ilsallaient le plussouventattendre 
le gibier, soit lievre ou chevreuil, sur 
les vieilles fosses de eharbonniers. 

Par un clair de lune qu'ils y 
Etaient & deux, Bulto et un autre, ils 
tirerent leurs deux coups de fusil a 
moins de 25 pieds sur un 6norme 
lievre. 

Ils le deplumerent, les poils vo- 
lerent en l'air, mais ils ne retrou- 
vereut que cela : le li&vre avait fll6 ! 

Deux jours apres, le meme fait se 
passa. Puisle lendemain. Et sans fin, 
le lievre leur joua le meme jeu : a 



(1) Fonnulo par laquelle un conteur annonce Pexpose d'uno affaire. 



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WALLONIA 



213 



aplombs, a balles, i Vs i leyat des 
poyetchs, mins Cestui tot. 

Les bracneurs si oVfrankihyint : 
On Pan it stou a mons! 

Is n' si icesint pus say a Cafut. 

E tot s'espliquant, at size, is deci- 
dint qui on tel (dji rC ritoume nin 
sol nompol mominl), qu' avul djus- 
tuminl ine comicion a fe o payis d' 
Sam', fi*Hl o?i pHit distour et irtit 
trovi Djiyes, li bierdji d? Afontinne, 
po vey gou qu'i-gny-aviLt a fe. 

Comme i fout dit, foul fait. 

Djiyes diha qui <:' n' eslUt rin. I 
U espliqua ine saqwe por lu lot seu, 
et i 1 1 (Vha qu 1 i d'vut dire as antes 
qu'is d'vint buri leiis fusiks avou do 
poyetch do live, qu'i?isi is n' ris- 
ket/rint pus rin. 

Ces chal lirint sol lice comme 
Djiyes Vavut dit. I tchiwa, mins is 
n J Vouvinl nin. 

Mins Vdimegne d'apres, il apur 
dint qu'is n'el rivierint pus. 

Vo-chal gou qui s'aviit passe. 

ZS homme (diale! dji n' ritoume 
nin sol nom!) fiza gou qu' estUt con- 
v'ni. 

Puis il ala ralinde li live o s* 
courti : Djiyes li aviit dit qui s' i 
fzut bin avou fwe tot gou qu'i li 
dyut, qu'i V trouv'rfit la limps d* 
grand messe. 

Et c' fourut insi. 

Li live vina comme po v'ni magni 
azes cabus, et, oVon cop, Vaule li 
lira a bout portant. 

I n' criya nin, mins i k'minga a 
roli, a roli, oute di hdyes et bouhons 
disqu'a Veic. 

Et qxcand qu' noste homme i 
ariva, il y trova 'ne vile feume do 
viyedge qui s'lavut li spale. 

« Ah! c'est ti qui nos a fail vey 
goula! Fais tot dous, ji sos d'vins 



plombs, a balles, il leur laissait des 
poils et c'etait tout. 

Les braconniers s'intimiderent: on 
l'aurait ete a moins! 

lis n'osaient plus aller a l'affut. 

En discutant, a la veillee, ils deci- 
derentque... un tel (je ne retombe 
pas sur le nom en ce moment), qui 
avait justement une course a faire 
au pays de Salm, ferait un petit de- 
tour et irait trouver Gilles, le berger 
d'Arbrefontaine, pour voir ce qu'il y 
avait a faire. 

Comme il fut dit, fut fait. 

Gilles dit que ce n'etait rien. II lui 
expliqua une chose pour lui tout seul, 
et il lui dit qu'il devait dire aux 
autres de bourrer leurs fusils avec 
des poils du lievre, qu'ainsi ils ne 
risqueraient plus rien. 

Ceux-ci tirerent sur le lievre comme 
Gilles l'avait dit. II cria, mais ils ne 
l'eurent point. 

Maisledimanchesuivant, ilappri- 
rent qu'ils ne le reverraient plus. 

Voici ce qui s'etaitpassG. 

L'homme (diable! je ne retombe 
pas sur le nom !) fit ce qui etait 
convenu. 

Puis il alia attendre le lievre dans 
son jardin : Gilles lui avait dit que 
s'il faisait avec foi ce qu'il lui disait, 
il le trouverait la pendant la grand' 
messe. 

Et ce futainsi. 

Le lievre arriva comme pour venir 
manger aux choux, et d'un coup 
i'autre le tira a bout portant. 

II ne cria point, mais il commenca 
a rouler, rouler, a travers les haies 
et les buissons jusqu'au ruisseau. 

Etquand notre homme a son.tour 
y arriva, il trouva une vieille du 
-village qui se lavait l'6paule. 

« Ah ! c'est toi qui nous a fait voir 
tout cela ! File doux, je suis dans 



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244 



WALLONIA 



rrC drut : fais ti ake di conlricion, 
li vas mori, ji Cvas toioi ! 

— Nonna, ni rri lotooz nin. Ces 
tut V Mazarin qui nC himandul. A 
c'te heure dji sos hape... Ne djdsoz 
a nouk di irC vikanl, et po rrt party 
ji v's promets di ri* pus rik'minci. » 

I prometa. 

I raconta Vafaive a ses cama- 
rddes, et tot Vminme, is rV riveyint 
jamdy pus li live emacrali. 



mon droit. Fais ton acte de contrition, 
tu vas mourir, je vais te tuer. 

— Non, ne me tuez pas : c'est le 
Mazarin (') qui me commandait. 
Maintenant je suis guGrie... N'cn 
parlez a personne de mon vivant, et 
pour ma part, je vous promets de ne 
plus recommencer. » 

II promit. 

II raconta la chose a ses cama- 
rades,et comme la vieille avait dit,ils 
ne revirent jamais le lie vre ensorcelS. 



On timpsapre's, Bulto quita Fosses 
et ala oVmani a Harze. 

II ir'trova on camardde et i rik* 
minca a bracni. 

On djour al nut\ po rt nin ra- 
pivertis* fusik, i V calcha o-nine 
tchabote. 

Li leddimin, i rtestut pus la, 

I pinsa d'abord qui s' camardde li 
avut joici 'ne farce. Mins, comme i 
s' souCnul, i sdiha qui, pus qu'i ri*i 
avul qu' lu qui Knohut V cat.che, 
qu'i li avul tot bon y mint hapi. 

Pol raveur, il avut dhi : i riavtit 
qu"a-zali trovi Djitjes d J en Afon- 
tinne. 

Djiyes li prometa qu'i I' r drut. 

Dulto dimanda ine pitite puni- 
cion po Vhomme. Djiyes li d'na on 
papi : 

« Qwand qu f vos seroz tot seu a 
vosle esse di feu, vos bouKroz (fssus 
a Vintencion do voleur. Mins ri el 
rouvioz nin: a Vintencion do voleur, 
qui & seuy qui g? vout. El ni li e 
aVnoz nin\trop x I » 

Bulto fiza comme on li avut dit. 



Quelque temps apres, Bulto quitta 
Fosses et alia habiter Harze. 

II y retrouva un camarade et il re- 
commenca a braconner. 

Un jour soir, pour ne pas rapporter 
son fusil, il le cacha dans le creux 
d'un arbre. 

Le lendemain,il ne l'y trouva plus. 

II pensa d'abord que son camarade 
lui avait jou6 une farce. Mais comme 
celui-ci s'en defendait, il se dit que, 
puisqu'il n'y avait que lui qui con- 
nut la cachette, il le lui avait tout 
bonnement vol6. 

Pour le ravoir, il avait facile : il 
devait tout simplement s'adresser a 
Gilles d'Arbrefontaine. 

Gilles lui promit qu'il raurait son 
fusil. 

Bulto demanda une petite punition 
pour Thomme. Gilles lui donna un 
papier : 

« Quand vous serez seul a votre 
atre, vous frapperez dessusal'adresse 
du voleur, Mais ne Toubliez pas : a 
Tadresse du voleur quel qu'il soit. Et 
ne lui en donnez pas trop ! » 

Bulto fit comme on lui avait dit. 



(1) Le Mazarin : lc Diable. 



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WALLONIA 



245 



SeuVmint, i bouha tot sondjant a 
s % camardde (pusqu'i fd?nul d'ssus), 
et i bouha teVmint qui Vpauve diale 
e fout qicinze jours ma lade. 

Et Bulto ni rout nin s'fusik! 

Bulto riv'na so-n-Afontinne. 

Djiyes djdsa avou lu. 

€ Dji crus bin, disti : vos v's av* 
trompil vosse voleur a les Ich'ves sol 
cler el ine rossite babe. Cest on 
gdrd I » 

Bulto ni manqua nin. 

II ala amon Vgdrd et il i trova 
s'fusik a mour. 

I k'fessa s'pelchidgdrd, et ci-chal 
It espliqua comme i Vavut trovi ol 
tchabote. 



Seulement il frappa en pensant a 
son camarade (puisqu'il le soupgon- 
nait), et il frappa tellement que le pau- 
vre diable en futquinze jours roalade. 

Et Bulto ne retrouva pas son fusil! 

Bulto revintvers Arbrefontaine. 

Gilles causalavec lui. 

« Je crois bien, dit-ii : vous vous 
etes tromp£! votre voleur a les che- 
veux clairs et une barbe rousse.C'est 
un garde ! » 

Bulto n'h6sita pas. 

II alia chez le garde et y trouva 
son fusilfaccroche au mur. 

II confessa son pech6 au garde, et 
celui-ci lui expliqua comme il l'avait 
trouveMans'le'creux de Tarbre. 



Po-z-e riv'ni al case do baron 
d'Harze, Bulto don oya djasi d f 
Vafaire. 

II ala trovi Vbaron. 

« Atiloz vosse tchivau, dji v' vos 
mini adri in' homme qu'dre vile 
areli goula. » 

Li baron s'meta a rire. 

Mins qwand qu'i sava qu'i s"a- 
djihut do bier dji oTen-Afonlinne, i 
n' riyapus : i fza ateli. 

Il espliqua s' case a bterdgi. 

Li bierdji hossut del Hesse. 

« Cest ine laide afaire. Dji n J 
sdrus travayi lot drut : i m' fat les 
leunes, qu'i oVha. Mins i rrC fare 
ossi trus priyesses, ci del parwesse 
absolumint, et deus autes. Les po- 
loz-ve aveur ? 

— Vos Fs droz, fza Vbaron. 

— Aloz-r-ze tranquile, oVabord. 
Dji v* vinre trovi onk di cis djours.» 

Djiyes ariva ineqwinzaine apres. 

Les vdrlets n % el volint nin r'cfir, 



Pour en revenir a I'affaire du 
baron de Harze, Bulto entendit done 
parier de i'affaire. 

II alia trouver le baron. 

«Attelez votre cheval, je vaisvous 
conduire pres d'un homme qui aura 
vite arrets cela. » 

Le baron se mit a rire. 

Mais quand il sut qu'i I s'agissait du 
berger d'Arbrefontaine, il ne rit 
plus : il fit atteler. 

II exposa sa cause au berger. 

Le berger hochait la tete. 

« Cest une laide aflaire. Je ne 
pourrais travaiiler immediatement : 
il me faut «les lunes», dit il. Mais il 
me faudra aussi trois pretres, celui 
de la paroisse, absolument, et deux 
autres. Pouvez-vous les avoir? 

— Vous les aurez, dit le baron. 

— Retournez tranquille, alors. Je 
viendrai vous trouver un de ces 
jours ». 

Gilles arriva une quinzainede jours 
apr&s. 
Les valets ne voulaient pas le re- 



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246 



WALLONIA 



don, moussi comme on mdssi 
payisan. 

Aloz' dire a vosse maisse qui c"est 
Djiyes d'Afontinne. » 

Li baron acora : il ouh tapi les 
ouhs foupo les fignesses di continV 
mint I 

« A-ve vos priesses ? 

— Divins ine dimi heiire,is seront 
vola. 

— Dfalindre, » 

Djiyes les mina o slave des tcKvaus 
I *ntta li c.i del parwesse inte les 
qicate pattes do pus metchant 
roncin. 

« Qice qu J i s' passe, ni boudjoz 
nin : vos ri risquoz rin. Mins n' 
boudjoz nin, c'esl nosse veye d % a tos 
qu'est e d)u. » 

Imeta les deusautes priyesses ozes 
deus cwenes do stave, i fza sorli tot 
Vmonde, i sera Vouhe al cli. 

Puis i meta do grain benit ol sere 
el o totes les creyeHres qu'i pove 
trovi. 

Puis i Kminca apdtrifiyi( l ). 

Les tcKvaus si metinl a dansi. 

Li roncin rdyul les pavis achaque 
cop (Tpid. Li curt, d'zor lu, eslul tot 
freh del same qui li toumiil djus do 
dos. 

Les ouhs verdjint. 

D'& oV/ou, ons ouh djuri qu'i s'i 
passu t meye bruts d'infer. 

Et Djiyes priut todis. 

Tot d'on cop. i veya on gros vilain 
crapaud qui s J hertchut d'ses pus 
vile ves Vouh. 

Djiyes li sewa. 

« Ah! dji Ctins, Satan, Cenne 
est : nos n % ti manqu'rans nins /... » 



cevoir, affubl6 comme un sale 
paysan. 

«Allez dire a votremaitre que c'est 
Gilles d'Arbrefontaine ! » 

Le baron accourut : il aurait jete 
les portes par les fenetres de conten- 
tement? 

« Avez-vous vos cur6s ? 

— Dans une demi-heure ils seront 
ici. 

— J'attendrai. » 

Gilles les conduisit dans T6curie. II 
mit le cur6 de la paroisse entre Les 
jambes du plus ardent des 6talons. 

« Quoi qu'il arrive, ne bougez pas : 
vous ne risquez rien. Mais ne bougez 
pas, c'est notre vie a tous qui est en 
jeu ! > 

II mit les deux autres cur6s dans 
deux coins de T6curie, il fit sortir 
tout le monde, il ferma la porteacle. 

Puis il mit du grains benit dans la 
serrure et dans toutes les portes et 
ouvertures qu'il put trouver. 

Puis il commenca a r6citer des 
prieres. 

Les chevaux commencereot a 
danser. 

L'6talon, de chaque coup de pied, 
arrachait les pav6s. Le cure, sous 
lui, 6tait tout mouilte de l'ecume qui* 
lui tombait du dos... 

Les portes se pliaient (*). 

Du dehors on eut jur6 qu'il s*y 
passait mille bruits d'enfer. 

Et Gilles priait toujours. 

Tout-a-coup, il vit un 6norme cra- 
paud qui se trafnait le plus vite pos- 
sible vers la porte. 

Gilles le suivit. 

« Ah ! je te tiens, Satan ! Tu es 
pris, nous ne te manquerons pas!..» 



(1) Pdtrifiyi, « dire des Paters », prier. 

(2) Verdji, plier sur soi-meme comme une baguette flexible. 



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WALLONIA 



247 



Et i Fsera, sbra, fiza lot gou qu'i 
I alUt fe, puis i drova Vouh. 

Li wapaud fza on saut et i dis- 
pareta lot fzant ine vesse, mins ine 
vesse, pre di Diu ! qui fza qu'on 
viya tot bleuol co?tr f elqu'epufkina 
tos les batimints ! ! 



Et il le serra, serra,flt tout ce qu'il 
fallait faire. Puis il ouvrit la porte. 

Le crapaud fit un saut et il dis- 
parut en lachant une vesse, mais 
une vesse, frere de Dieu! qui fit 
qu'on vit tout bleu dans la cour, et 
qui infecta tous les bailments !! 



Djiyes diha qui Vacondjuredje 
estut faite po {99 ans, qu'i ri* si pas' 
rut pus rin disqu' adon. 

Nonna, i Vavut faite po pus long- 
limps : po disqu'a lanl qui V heure 
si marqueyreut en chifes romains ! 

Li baron Vpaya, et i 'nne rata. 

Livis curi{qui Vbon Diu ay son 
ame \) diha, lu, qu'i n'avut jamdy 
veyou ine afaire insi, el qu'i n* 
volah nin co r'passi ine heure 
par eye po rave.ur les dis pus beles 
annis dis'veye. 

On ria pu rin r'veyou a Harze. 



Gilles dit que l'exorcisme etait fait 
pour (99 ans), qu'il ne se passerait 
plus rien jusqu'a cette date. 

Non, il Tavait fait pour plus long- 
temps : jusqu'a ce que la lune se 
marque en chiffres romains ! 

Le baron le pay a, et il s'en re- 
tourna. 

Le vieux cure (que le bon Dieu ait 
son ame !) raconta qu'il n'avait jamais 
vu une telle chose, et qu'il ne vou- 
drait pas repasser une heure pareille 
pour ravoir les dix plus belles annees 
de sa vie. 

On n'a plus rien vu a Harze\ 



Vielsalm, le 11 juin 1905. 



Joseph HENS. 




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Les Knfants sur les Autels 

Coutume populaire 

Une pratique superstitieuse que nous croyons, sous cette forme, 
particuliere a Spa, s'y est implantee dopuis une dizaine d'annees. 

Les meres d'enfants chetifs ou rachitiques saisissent l'occasion 
de la procession de la Fete-Dieu pour aller asseoir leurs bebfe malades 
dans le tabernacle des autels-reposoirs eleves sur le parcours du cor- 
tege; esperant, par ce moyen, obtenir la guerison de leurs mioches. 
Lorsque a lieu cette cdremonie, on voit toujours quelques-unes de ces 
femmes s'amener avec leur enfant sur les bras et guetter l'instant oil 
le pretre, ayant presente l'ostensoir a la veneration des fiddles, va 
reprendre sa marche. 

Prestement elles enjambent les quelques degr^s de l'autel et 
assoient leur beb6, face au public, dans le tabernacle k ciel ouvert. 

Cet 6te, nous entendions des etrangers, — des Frangais, — assis- 
tant a ce spectacle, blamer severement cette superstition qu'ils 
taxaient, non sans quelque raison, d'indecente. 

Une coutuine analogue a ete, nous dit M. 0. Colson, constats a 
Liege et aux environs. Elle existe aussi a Verviers et peut-etre 
ailleurs. 

Lorsque le pretre a passe aux autels-reposoirs, les marches de 
ces petits monuments ephemeres sont envahies par la foule des 
enfants qui 6taient presents lors de la benediction Aussitot ils y vont 
prendre leurs ebats : ils sautent, courent le long des gradins, gra- 
visscnt les degres et les degringolent, sans oublier d'aller s'asseoir sur 
l'autel, comme quand on joue au « chat perche »... II est aise de se 
rendre compte que ce sont les meres qui envoientjouer la ces enfants. 
Le but est de leur faire acquerir les graces que le Saint-Sacrement, 
repose sur l'autel, n'a pas manque d'y deposer. On peut du reste 
remarquer qu'aucune surveillance n'est exerc6e sur les autels-repo- 
soirs apres le passage du pretre, alors qu'avant les voisins en 6cartent 
severement la marmaille. 

Albin BODY. 



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Renkin Sualem et ses (Euvres 

D'apres des travaux recents. 



enkin Si;alem, dont le nom est attach^ au souvenir 
de la celebre machine de Marly, est ne k Jemeppe- 
sur-Meuse, le 29 Janvier 1645, fils de Renard Sualem 
et de Catherine David, son epouse. Renkin ou Ren- 
nekin sont les diminutifs de Renier ( l ). 

Les documents font completement defaut quant 
a la jeunesse de Renkin. Pendant longtemps on a 
du >e\\ referer entierement aux traditions qui se sont conserves dans 
le pays. El les disent que Renkin fut, comrne son pere, occup6 dans les 
charbonnages de la region, que toujours la m^canique Tattira, et qu'il 
s'occupait sp^cialement des machines d'epuisement de Teau dans les 
houilleres. Les memes traditions disent qu'il fut l'inventeur de la 
celebre machine hydraulique de Modave, d'apres laquelle il aurait 
invente et construit la machine de Marly. On raconte que Louis XIV, 
emerveilte de voir l'oeuvre de Renkin, lui demanda comment il avait 
pu imaginer une telle merveille, et que Touvrier repondit au grand 
roi ce seul mot : Tot iusant < en meditant >. 

Voila k quoi se resument ces traditions, — qui ont et6 tour k tour 
appuyees et contredites par divers auteurs. 

On sait que Tepitaphe de Renkin Sualem, k Bougival, dit de lui 
qu'il fut « le seul inventeur » de la machine de Marly. Y a-t-il la une 
intention ? Sans aucun doute. Du vivant meme de Renkin, la machine 
fut attribute a Tun de ses compagnons, Arnold de Ville, et Ton sait a 
present que les agissements de celui-ci out aid6 a cette attribution, et 
l'ont meme suscitee. 

L'opinion qui attribue la machine k de Ville et fait de Renkin un 

(1) On a ecrit Renkin, Rennekin, Rennequin. Les trois formes, qui se pronon- 
centde meme, existent dans l'onomastiquc liegeoise. Les formes Rankin, Rankenne, 
Ranekin, Rannekin, que l'on trouve dans les Comptes de la machine de Marly, pro- 
riennentd'une fausse prononciation. 



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250 WALLONIA 

simple ouvrier, ou, si Ton veut, le maitre-ouvri r de l'entreprise, a 
r£siste en France & toute discussion jusqu'a present. Nous n'en vou- 
lons pour preuve qu'un reraarquable article de M. Pierre de Nolhac, 
sur le Grand Pare et les Eaux de Versailles, oil cet auteur fait un 
historique tres interessant et assez neuf de l'6tablissement et du d6ve- 
loppement du Grand Pare. Au sujet de la machine de Marly, il accuse 
une tendance a faire ressortir le merite du baron et a negliger celui 
du technicien, en rappelant les honneurs et profits dont fut comble le 
premier par Louis XIV ('). 

La question a pr£occupe a diflferentes reprises les erudits 
liegeois. En dernier lieu, M. l'abbe Sylvain Balau, dans son Histoire 
de la Selgneurle de Modave ( 2 ) et dans un memoire special ( 3 ) etudia 
les roles respectifs d' Arnold de Ville et de Renkin dans Tinvention 
et l'erection des machines de Modave et de Marly. Dix ans plus tard, 
au Gongres international de Mecanique organise a Toccasion de 
TExposition de Liege, la question fut reprise avec une ampleur nou- 
velle. M. Dwelsuauvers-Dery, professeur em^rite a l'Universite de 
Liege, ancien Recteur, etudiant les Antiqultes micaniques de la Bel- 
gique ( 4 ), avait ete naturellement amene a s'occuper de la machine 
de Modave et de celle de Marly ; sa haute competence lui permettait 
d'apporter une discussion autorisee de sources dont Texamen n'avait 
guere pu etre fait jusqu'alors d'une mantere quelque peu approfondie. 
En effet, il apporte dans l'ordre technique ou il pouvait plus que tout 
autre se placer directement, outre des donnees inedites, des conclu- 
sions toutes neuves et tr&s interessantes, meine pour des profanes. Le 
but historique de son memoire Tengageait au reste a revoir les discus- 
sions faites a d'ar.tres points de vue par ses devanciers en la matifere. 
Son memoire reprend done la question tout entiere. II sufflt d'ajouter 
qu'il l'epuise et que ce savant ouvrage marque la fin des controverses 
au sujet de Renkin et de Ville. 

(1) Revue des Idees, nuinero de Janvier 1907 (t. IV, n* 37), p. 1 a 16. L'auteur dit 
en propres termes (p. 8) : « C'est le sieur Arnold de Ville, ingenieur de Liege, qui 
avait apporte au Roi son invention et avait ete aide dans Vexecution par deux char- 
pentiers liegeois du meme nom, d^signes par les Comptes, Paul et Renkin Seualem 
ou Swalem. » Plus loin (p. 9) : « La parlie la plus compliquee du materiel employe 
a la construction, par exemple le corps de pompe et les fers, est faite au Pays de 
Liege, et e'est Renkin Sualem, le principal collahorateur de V ingenieur, qui va en 
surveiller la fabrication. » — L'6tude de M. de Nolhac est d'autant plus importante 
que Thistoire du domaine de Versailles reste encore incomplete, apres le bel ouvrage 
de cet auteur sur La creation de Versailles, Versailles, 1901. 

(2) Liege, Grandmont-Donders, 1895. Pages 126 a 138. 

(3) Le veritable auteur de la machine de Marly. Bruxelles, Polleunis, 1895. 

(4) Quelques antiquites me'eaniques de la Belgique, par V. Dwelshauvkrs-Dery, 
professeur emerite a TUniversite de Liege, correspondant de Tlnstitut de France. 
(Extrait des Actes du Congres international des Mines, etc., Liege, 1905, t. IV, Sec- 



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WALLONIA 251 

Cest le plus sou von t en empruntant le texte m6me du savant 
professeur de Liege que nous allons resumer pour nos lecteurs ses 
erudites et tres completes recherches. 



On possede peu de documents sur la machine de Modave. Son 
existence en 1075 est certaine, constats par des documents de 
l'epoque. II est tres problable que sa construction est contemporaine 
de celle du nouveau chateau, et date de 1067 et 1668. 

Celte machine etait destinee a elever les eaux du Hoyoux dans 
la cour du Chateau. La hauteur de refoulement 6tait d'environ cin- 
quante metres. Une machine de cette puissance etait a cette epoque 
consider^ comme une veritable merveille. Celle-ci fonctionna pen- 
dant de longues anuses. On en voyait quelques restes en 1774, et des 
traces en 1862. Aujourd'hui, il n'existe plus que la tour au-dessus de 
laquelle les eaux etaient montees, et une machine moderne 61eve les 
eaux du pare dans la cour du chateau. 

Le baron de Ville, que les auteurs frangais dfeignent comme auteur 
de la Machine de Marly, est aussi parfois consid6r6 comme 6tant 
l'inventeur de celle de Modave. 

II n'est pas possible d'attribuer a de Ville Tinvention de la ma- 
chine de Modave, pour la bonne raison qu'en 1667 le futur baron 
n'avait que quatorze ans. 

A cette Epoque, Renkin Sualem etait lui-m^me bien jeune. Mais 
les souvenirs traditionnels nous le represented comme un homme 
doue d'une rare intelligence. Initie des le jeune age, par tradition de 
famille, a ces sortes do travaux fort usil^s aux Pays de Liege pour 
i epuisement des eaux dans les mines, il a pu se trouver k 22 ou 23 
ans capable de mener a bon terme la construction de la machine de 
Modave. 

M. Th. Gobert a fait connaitre que, des 1585, on s'6tait preoccup6 
a Li^ge d'installer dos appareils d'exhaure empruntant leur force 

tion de Meeanique appliquee, t. IV.)Trooz, Massart, 1906. In-8°(25.b X 16.5). Voy. 
chap. VI, Renfun Sualem ft la Machine de Marly, p. 65 a 191 et 195. 

[Sur notre domande, Tauteur a bien voulu reserver a la Bibliotheque Centrale de 
Li6ge un exemplaire de ee savant ouvrage, qui .se trouve pourvu, aux pages 103-105, 
d'une note additionnelle dont nous signalons l'interet aux techniciens. Cette note est 
relative a une erreur de copie, faite par Waidlbr sur un texte de dk la Joncherk, 
et qui avait amend la discussion inseree par M. V. D.-D. au bas de la dite p. 105. 
L/eininent professeur nous a fait l'honneur de nous charger de deposer, en outre, 
a la meme bibliotheque, une reproduction photographique reduite de la celebre 
« Veue de la Machine de Marly » par Pierre Gi Hart il715), dont on ne connait plus 
que deux exemplaires actuellement existants. Cette reduction est encadrde dans les 
bois provenant d'un pilotis de la machine de Renkin. — O. C] 



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252 WALLONIA 

motrice au courant de la Meuse. Ce fut vraisemblablement sans 
succes. Mais en 1619, reapparait un proc&J6 du meme genre, etenfin, 
a partir de ce moment, les inventions de machines hydrauliques se 
multiplierent dans le pays ( l ). 

Ces machines appliquGes a l'epuisenient des eauxdemineetaient 
done chose banale au Pays de Ltege k I'epoque ou Ton construisit la 
machine de Modave. L'ingeniosite des artisans liegeois des divers 
metiers 6tait reputee. Les charpentiers, qui 6taient les mecaniciens 
de ces oeuvres, savaient tous construire et proportionner par routine. 
La tradition qui attribue & un artisan specialists en la matiere la 
construction de la machine de Modave, est done parfaitement digne 
de foi. L'espece de genie dont Renkin Sualem fit preuve dans la suite 
est un nouvel argument qui permet de lui attribuer la conception 
comme la realisation de la machine de Modave. 

Cette machine etait d'ailleurs une oeuvre originale a cote des 
machines d'exhaure. Dans celles-ci, < les roues motrices se trouvaient 
g6neralement k la hauteur du dessus des puits d'epuisement, et les 
tirants ou maitresse-tiges agissaient par traction sur Ips pistons des 
pompes, qui etaient alors « soulevantes >. A la machine de Modave, 
au contraire, la roue hydraulique est en-dessous, au niveau de Teau a 
monter, et elle attaque des pompes < foulantes » horizontals, qui 
foulent l'eau dans les tuyaux. On ne voit done pas, dans la machine 
de Modave, d'61£ments nouveaux, mais uniquement une adaptation 
nouvelle d'elements connus, caractere de nouveaute qui, sous notre 
legislation actuelle, suflirait pour en etablir la brevetabilite » ( 2 ). 

En conclusions, la machine de Modave constitue done une inven- 
tion nouvelle que la tradition attribue au genie de Renkin Sualem, 
et il n'existe pas la moindre presomption contre la valeur de cette 
tradition. 



L^tablissement de la machine de Marly se rattache k Thisloire du 
Grand Pare de Versailles, dont M. de Nolhac s'est occupe dans 
Tinteressante et neuve esquisse que nousavons signalee. 

Agrandi et enrichi a plusieurs reprises, rempli des oeuvres de Tart 
du temps, entoure de chateaux et de dependances, Versailles devint 
en 1682 la residence definitive de Louis XIV. G'est Louvois qui presida 
a l'achevement des desseins du Roi, mais ce fut Colbert qui ordonna 
ce vaste ensemble ; il en avait fix6 les details avec assez de certitude 

(1) Th. Gobert, Machine de Marly et anciennes Machines cCexhaure au Pays 
de Liege. Lidge, Demarteau, 1906. 

(2) D welsh auvers-Dicry, Ouvratje cite 1 . 



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WALLONIA 253 

pour que son successeur et son rival n'eut rien autre chose k faire 
qu'a bien comprendre ses plans et a en assurer Texecution. II y a 
notamment deux grandes operations qui furent les dernieres de sa 
carriere de surintendant des batiments, et dont le merite de direction 
doit legitimement lui revenir. L'une est la constitution du Grand 
Pare ( J ), Tautre est l'amenagement des eaux de Versailles. 

La creation et Telablissement (Tune machine destinee a amener 
Feau de la Seine sur le plateau rentre dans les travaux destines k 
alimenter le Grand Pare, et il en constitue sans conteste la partie la 
plus celebre. ( 2 ) 

La machine de Marly, au reste, marque une epoque dans Fhistoire 
de la construction des machines, comme celle de Watt un siecle plus 
tard. Avant elle, on n'avait rien fait d'aussi grand, d'aussi largement 
etudie\ Apres elle et a cause d'elle, la m6canique appliquee fit un 
grand pas en avant, car e'est au commencement du XVIII e siecle que 
parurent les premiers importants ouvrages traitant de cette science, 
et ils sont consacres principalement k la description et Fetude de cette 
celebre machine. 

« Comment se fait-il que Renkin Sualem, un obscur mecanicien 
ou charpentier, de Jeneppe lez-Liege, ait ete appele a exercer ses 
talents a Versailles, pres de la Cour de Louis-le-Grand? L'histoire est 
diversement racontoe, il s'y mole beaucoup d'imagination et d'impos- 
sibilite's qui vont grossissant avec les repetitions. II semble evident 
que la reputation de la famille Sualem ne s'etendait pas jusqu'a la 
Cour de Louis XIV avant la machine de Marly. II a done fallu un 
intermediaire, etil n'y a mil doute que cet intermediaire ait ete le 
chevalier de Villc, gentilhoinun* liegeois, comme il est designe 
dabord. (-e gentilhomme, fils d'un riche maitre de forges, Winand 
de Ville, bourgmestre de Huy, etait-il a la Cour de Versailles lorsque 
Colbert cherchait uu constructeur pour resoudre le probleme d'elever 
a Versailles les eaux de la Seine? Ou bien ya-t-il ete introduit par son 
ami, le comte Jean-Ferdinand de Marchin, marechal de France, a 
propos meme de ce probleme, et parce que de Ville savait qu'a Modave, 
propriete du comte de Marchin, etait etablie une machine a elever les 

(1) Le « Grand Pare» du domainc actuel de Versailles, appartenant a TEtat, et 
qui contient plus de 1700 hectares, se trouve etre, a peu de ohose pres, ilit M. de 
Nolhae, le « Petit Pare » de Louis XIV. Le Grand Pare proprement dit <Hait entour^ 
de murailles qui n'avaient pas moins de quarante-trois kilometres de tour : il englo- 
bait une dizaine de villages et une partie de plusieurs autres. 

(2) Le travail technique le plus eomplet et le mieux document^ au sujet de la 
distribution des eaux de Versailles et de la machine de Marly, est du a M. A. Barbet, 
president de la Societe des Nouvelles machines de Marly. II a ete fait sans doute a 
Toecasion des reeherches de M. V. D\velshauvers-Der\ , et a parti en plusieurs 
articles dans la Revue de mecaniqae, en 1906. Paris, H. Dunod et E. Pinat. 



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254 WALLONIA 

eaux de la riviere Hoyoux, au haut du chateau assis sur un vor a une 
cinquantaine de metres de hauteur? Nous croyons plutot a cette der- 
niere hypothese. Le marechal aura donne a de Ville, avis de la chose; 
et de Ville, attentif a lout ce qui pouvait lui rapporter des benefices, 
aura agi en consequence. Tres probablement il a interroge Renkin 
Suaiem, l'auteurde la machine de Modave, qui, tot tusant, congut un 
projetet lui en exposa l'idee ; et, avec sa belle assurance, il se sera 
porte fort de r&soudre le probleme, bien entendu en reservant la 
partie technique a l'habile constructeur Renkin. Car, lui, n'etait ni 
ingenieur, ni constructeur, ni charpentier, ni mecanicien; il etait 
simplement un horn me d'affaires, doue d'une vive intelligence, 
capable de comprendre les projetsde Renkin et assez audacieux pour 
entreprendre de les executer.» 



La Machine de Marly, d'apres Leupold (172T»). 

Renkin et de Ville vinront done a Versailles. Le projet de m6ca- 
nisme futpresente au ministre. Pour avoir des donnees certaines sur 
la puissance motrice, un essai tut decide. II s'agissait, cette fois, 
d'elever les eaux de la Seine sur la ter rasse de St-Germain, a une 
cinquantaine de metres de hauteur, au moyen de la roue du moulin de 
Palfour, d6ja existante. On prit a bail le dit moulin. A daterdu 
12 juin (1079), les deux i'veve* Renkin et Paul Suaiem, dits « charpen- 
tiers liegeois », sont charges de conduire l'ouvrage. Un an plus tard, 



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WALLONIA 255 

elle avait fait ses preuves. Le resultat, obtonu sur la terrasse qui est 
en face du chateau, admire par le Roi et par les autres temoins de 
1'experience, ne laissa aucun doute sur le sueces de la vaste entreprise. 
Inexperience avait coute pros de 86,000 livres. (') 

Des renseignements que Ton possede sur cettc machine d'essai, 
on peut conclure que pour Tetablir, Renkin n'avait eu qu'a reproduire 
celle qu'il avait erigee, a Modave, dix-huitans auparavant. II en sera 
tout autrement pour l'oeuvre definitif. 

Les travaux de la machiue de Marly, nommee alors la « Grande 
Machine de Seyne», commencerent au debut de 1681 et durerent 
jusqu'en 1685. 

La machine etait situee sur un bras du fleuve, au bas de la mon- 
tagne, du cote de Louveciennes. Pour se procurer la force motrice, 
on avait forme un barrage en magonnerie, donnant une chute d'en- 
viron l m 6i de hauteur sur une largeur effective d'environ 44 ro 18. 
Elevee du niveau du fleuve, I'eau etait portee d'un jet dans un premier 
puisard place" sur le versant de la montagne a une hauteur de 48 m 73; 
de la, reprise et 61evee vers un second puisard a 51 m 97, et enfin portee 
a une nouvelle hauteur de 53 m 92, jusqu'a la tete d'un aqueiuc k 
arcades qui couronnait majestueusement la colline. Le trajet total 
eflectue jusqu'a cette tour sous Taction de la machine etait de 1235 m 69 
pour une elevation totale de 15i m 62. 

Le systeme mecanique se composait essentiellement de pompes 
aspirantes et foulantes, dont les pistons etaient mis en mouvement 
par 11 roues a aubes de ll m 69 de diametre. Sur un total de 221 
corps de pompes principaux, denviron 162 millimetres de diametre, 
64 prenaient l'eau immediatement a la riviere pour la porter au pre- 
mier puisard; 79 la reprenaient a celui-ci pour Telever au deuxieme, 
78 enfin la for^aient de la au haut de la tour. Suivant une estimation 
raisonnable, il est entre dans la machine environ 832.160 kg. de 
cuivre, autant de plomb, vingt fois autant de fer et cent fois autant 
de bois. Dix-huit cents hommes ont travaille k sa construction. 
Soixante ouvriers resterent attaches a son service, sans compter les 
inspecteurs. La construction a coute environ 4 millions. 

L'immcnse attirail de mecauiques, de puisards, reservoirs, equi- 
pages de pompes, &tablis par Renkin, n'avait d'autre cause que Tim- 

(1) On racontc qu'en 1080, quand Louis XIV vit arriver les eaux en abondance 
sur le terrain de Saint-Germain, dans I'cssai de la machine de Palfour, emerveille, 
il demanda, non a de Ville, mais a Renkin, comment il etait parvonu a faire ce pro" 
dige, Renkin lui repondit en langue liegeoise : tot ttisant, c'est-a-dire «en meditant»* 
Comme Newton, a propos de la pesantcur; et com me Gramme, a propos de la 
dynamo. — Ainsi doit etre recti flee L'anecdote celebre, ou Ton melc sou vent le nom 
de la machine de Marly. 



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256 WALLONTA 

possibility ou il croyait &tre de faire monter une colonne d'eau 
depuis la Seine jusqu'au haut de la tour, d'un seul jet, c'est-a-dire 
par un tuyau unique qui ne fut interrompu nulle part 'mtre ces 
points extremes. Ce n'est pas qu'il manquat de la force necessaire. 
Mais Renkin etait de son temps. Ni lui, ni personne a sa place n'au- 
rait pu meme rever, a cette 6poque, de fouler tout d'un jet k une 
pareille hauteur. Un siecle apres lui, on ne croyait pas encore k 
cette possibility. 

Lorsqu'apr6s cent-vingt ans d'usage, il fut definitivement ques- 
tion de remplacer la machine de Renkin par un appareil plus perfec- 
tion^, on commenca par accomoder une de ses roues a des pompes 
qui, au moyen de tuyaux rampants empruntes a la vieille machine, 
foulaient l'eau d'un seul jet au-dessus de la tour. 



On a souvent r6p£te que la machine de Marly n'&taitqu'un deve- 
loppement considerable de celle de Modave. M. Dwelshauvers-Dery 
nous apprend qu'& cet egard l'opinion commune est erronee, et preju- 
diciable a l'id£e qu'il faut se faire du genie de Renkin. 

Ce qui distingue essentiellement la machine de Marly de celle 
do Modave, c'est que, dans cette derniere, la resistance utile, repre- 
sentee par celle des pompes a mouvoir, se ma ni Teste tout pres de la 
roue representant la force motrice, si bien que la transmission de 
l'effort se fait par le simple intermediaire d'une manivelle, d'une 
bielle et d'un balancier ; taudis qua Marly, les pompes du premier 
puisard sont distantes de la roue de 234 metres, et eel les du second, 
de 670 metres. II fallait done, entre la roue et les pompes a mettre 
en mouvement, un intermediaire d'une grande longueur. Renkin y 
employa un genre de chaines dont on so servait au Pays de Li^e 
pour utiliser des cours d'eau a l'epuisement des mines. 11 n'y a pas 
de doute que l'invention de ces chaines appartienne a des devanciers 
de Renkin, qui les a empruntees k la pratique. Cependant il a apporle 
a leur emploi des perfectionuements remarquables pour obvier a 
certains accidents possibles ou inconvenients de l'usage, qu'il a le 
merite d'avoir prevus dans leurs rapports avec la nature speciale et 
l'importance exception n el le de sa machine. 

Un autre qu'un m6canicien de genie, en possession de toutes les 
ressources de son art, ouvrier experimented et observateur attentiT, 
n'aurait pu arriver a ces conceptions. Inutile de dire que de Ville, 
malgre toute son intelligence, n'aurait pu etre cet homme. Pourtant 
Renkin, dit-on, ne savait ni lire, ni ecrire ; Ton ajoute meme qu'il ne 
parlait que le langage de son pays, e'est-^dire le wallon. 



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WALLONIA 257 

II est vrai que ceci n'est pas prouvG. Quand on sait que les 
comptes qualifient de < charpentier » le sieur Siane du Pont, bour- 
geois de Namur, qui avait le litre d'Entrepreneur des Travaux du 
Roi, mais que les comptables de la machine no counaissaient que 
cornme fournisseur de charpentes, on est en droit de se demauder, 
avec M. Balau, si d'aulres n'ont pas tout aussi bien passe a la poste- 
rity sou* des tit res errones, ou que Ton aura Dial interprets dans la 
suite. Remarquons qu'a cette epoque on ne faisait pas les memes 
distinctions qu'aujourd'hui entre le travail iutellectuel et le travail 
manuel ; le meme artisan designe du nom modeste de charpentier 
pouvait etre en meme temps cc que Ton appellerait de nos jours un 
ingenieur. Tel semble etre le cas, pour au moins ce Siane, dont nous 
venons de citer le nom, et dont on sait qu'il fit, dans la suite, avec 
soin et habilete, les plans de divers projets d'application mecanique. 

Du reste, remarque M. D.-D., on pouvait a cette 6poque etre 
habile mecanicien sans meme savoir lire, du moment qu'avec la pra- 
tique on possedait de justes notions d'arithmetiqueetdedessin. Qu'on 
dise ce que Renkin aurait pu gagner pour son art a savoir lire : que 
Ton cite les ouvrages ou il aurait pu puiser sur la construction des 
machines, des renseignemenls qu'il ne trouvait pas dans sa pratique 
en travaillant et en observant les travaux de ses devanciers ? On se 
demanderait tout aussi legitimement ou de Ville aurait pu recueillir 
des notions de mecanique sulfisantes pour faire eclore dans son cerveau 
la conception d'une machine dont jusque la on n'avait pas d'exemple 
au monde. « On ne fera croire a aucun mecanicien connaissant l'etat 
des sciences d'application au milieu du 17° siecle, que de Ville, sans 
avoir jamais travaille de ses mains, quoique sachant lire, eerire, phi- 
losopher, faire meme de la medecine a rejouir Moliere et traiter les 
affaires avec finesse, ait pu concevoir le pro jet de cette enorme 
machine de Marly, determiner la chute necessaire, les dimensions et 
le nombre de roues, de pom pes. de chaines, de chevalels, de variets, 
de balanciers, de tuyaux ; choisir les systemes d'assemblage les plus 
convenables, les metaux, les bois, les materiaux en general ; faire en 
tr&s grand ce qui jusque la n'avait jamais 6te fait qu'en petit. Tandis 
que tous les mecaniciens s'accorderont a dire que Renkin savait lire 
les dessins et, probablement aussi, representer par le dessin ses com- 
binaisons mecaniques. Sa pratique lui avait revele les principes de la 
science, puisqu'il les appliquait judieieusement... Sans doute ses 
constructions presentaient des defauts que le progres des sciences a 
fait decouvrir longtemps apres. Mais pour son temps il n'en reste pas 
moins un des plus savants constructeurs de machines, quoique n'etant 
pas philosophe... Le menuisier qui sait construire un meuble parfait 



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258 WALLONIA 

merite autant d'etre appele savant dans son art que le docte m&iecin 
ou avocat, bien qu'une plus gpande consideration s'attache a Tart du 
medecin ou de l'avocat qu'a celui du menuisier, du charpentier ou de 
l'horloger. Est-ce juste ? Celui qui atteint la perfection en une chose 
est Tegal de celui qui a atteint la perfection en une autre chose, et le 
sup^rieur de ceux qui ne Tont atteinte en rien. » 



L 'etude historique de M. Balad, l'6tude technique de M. Dwels- 
hauvers-Dery, et I'examen complet de la question fait sous toutes 
ses faces et dans tous ses details par ce dernier auteur, permettent a 
present de se rendre compte des roles respectifs de de Ville et de 
Ren kin. 

Le role de de Ville fut celui d'un chef d'entreprise, nullement 
celui d'un ingenieur occupy de la partie technique. Celie-ci est 

reservee a Renkin. De Ville etait 

homme d'affaires, au courant du 

Droit, et homme de cour. L'his- 

toire nous lemontre,apre au gain, 

ruse, habile a profiter des circons- 

tances, ainsi que du talent des 

autres, connaissant les belles ma- 

nieres mieux que Torthographe, 

l)as tou jours tres scrupuleux sur 

le choix des moyens, n'ayant de 

la science qu'un vernis sufflsant 

pour traiter d'affaires techniques 

avec une Cour pas bien forte en 

la matiere. Doue de grandes qua- 

lites, il avait surtout eelle qui 

Renkin mene le plus souvent au succes : 

Taudace. 

Renkin, au contraire, malgre son merite, ou plutot k cause de 

son merite, 6tait modeste. Incapable de traiter avec la Cour une 

transaction commerciale ou industrielle, il etait par contre instruit 

de toutes les connaissances mecaniques de son temps, et pourvu de 

tout le talent technique desirable. 

Les deux hommes se sont completes. Sans Renkin, de Ville 
n'aurait pas pu 6riger la machine de Marly, et sans de Ville, Renkin 
ne Taurait pas entreprise, malgre tout le g£nie que les mecaniciens 
s'accordent & lui reconnaitre. 



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WALLONIA 259 



En meme temps que les freres Renkin et Paul Sualem, on 
constate sur les chantiers, la presence de Toussaint Michel, menuisier 
liegeois, beau-frere des Sualem, et de Gilles Lambotte, charpentier 
liegeois, qui dans la suite, 6pousa Catherine, le plus jeune des 
enfants de Renkin ( l ). Celui-ci eut cinq enfants, dout Tun, Gervais 
ou Cerwis ( 2 ) seul a attire lattention. Les descendants de Renkin 
perdirent ou abandounerent leur nom de Sualem. Une des branches 
des « Rennequin » s'eteignit a Paris, en septembre 1851, en la 
personne d'un ancien capitaine de pontonniers dans les armees de 
Napoleon. Le dernier repr6sentant du nom, fut le colonel baron 
de Rennequin qui mourut sans posterity, le 18 aout 1850, a Surmanap, 
dans Tile de Java. 

Parmi les fournisseurs dont les noms sont relev6s aux comptes, 
on trouve Pauli, maitre de forges a Liege, Le Rond, bourgmestre de 
Liege, maitre de forges, el Georges de Spa, taillandier ou forgeron 
liegeois. Les fourni hires faites par des Liegeois n'atteignent pas, en 
totalile, la somme de 100,000 livres. 

La famille des Sualem fut entouree d'une certaine consideration. 
Renkin re^ut le titre de Premier Ingenieur du Roi. II continua 
jusqu'a sa mort a etre nttache a sa Machine, prfes de laquelle il etait 
loge avec sa fern me, ses enfants et sa soeur. Pendant la construction, 
les salaires ou traitements fles Sualem sont les plus eleves, bien 
qu'inferieurs (naturellement !) a celui du S r de Ville. De 1080 k 1695, 
celui-ci recut 238,600 livres. Pendant le meme temps les deux 
Sualem regurent 11,095 livres. Com me le remarque philosophique- 
ment notre auteur, cette disproportion de traitement entre les 
« inventeurs > et les « directeurs » est encore dans les usages 
contemporains. 

Renkin mourut a Bougival, le 29 juillel 1708. Son ancienne 
habitation, ou son souvenir est encore honore, est occupee aujourd'hui 
par les bureaux de la Societe des Nouvelles Machines de Marly. 

* * * 

Terminons par un dernier fait, qui ne se rattache qu'indirecte- 
menta la Machine de Marly, mais qui est int^ressant et que je crois 

(1) Gilles Lambotte eut six enfants dont Tun, Rene\ laissa une fllle qui epousa 
Louis Gittard, a Blois. en 1748. La latnille Gittanl a eneore des descendants en 
France; c'est d'elle que provient le portrait que M. D.-l) a reproduit (sans garantie) 
dans son ouvrage, et que nous reproduisons a notre tour. 

(2) On pent eroire qu'il s'agit du pr^nom Servais. populaire a LUSge et que les 
Parisiens ne manquent pas de eonfondre avec Gervais, qui leur est familier. Nous 
avons si^nale un exemple contemporain de cette meme confusion, ci-dessus 
t. vm, p. 191. 



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260 WALLONIA 

in&lit, du moins en Belgique. II a et<? public naguere dans la Chro- 
nique medicate du D r Cabanes. 

An premier quart du xix e siecle, un Liegeois, Michel Bechepois 
(Betche-peu), serrurier, « natif de la commune de Liege, departement 
de TOurto », travaillait do son metier dans les anciens batiments 
de la Machine. Michel Bechepois epousa Marie- Anne-Fraugoise 
Thibaut, native de la ville de Dreux. De ce mariage naquit, en 1826, 
Rose-Pauline Bechepois, qui est la mere du poete Jean Richepin. 

Oscar COLSON. 



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LITTfiRATURE DE CHEZ NOUS 



Par les routes 



(i) 



La Mort 

Le vieux est seul dans sa raaison. 

Son fi Is est mort, sa femme est morte. 

II est tout seul. 

II est soul avec ses pensees, lourdement simplifies. 

Depuis longtemps, depuis des ans, elles s'arretent aux murailles 
de la chambre carree — sans depasser jamais le seuil de la porte. 

II est tout seul, il est assis dans un fauteuil dont les courbes 
elegantes et anciennes pretent a son corps raidi un soutient quoti- 
dien; et il regarde -r- le soleil — amener lentement — l'ombre sur le 
plancher. 

II ne lit plus, il sait par coeur le contenu des quelques livres qui 
l'ont aide a vivre. 

II ne mange plus; la faim s'en est altee de Torganisme regulier — 
qui a fait son corps sec et dur. 

II est seul avec la poussiere — qui met un voile leger sur les 
vieux meubles. 

II est seul avec les mouches — qui se promenent au plafond et 
tournent autour du pain qui moisit sur la table. 

II est assis dans son fauteuil et il regarde ses mains, ses pauvres 
mains d^formees par le travail et les ann^esaccumulees; ses mains, 
ses mains violettes ou la vie se traine dans les veines plus noires. 

II a froid, il a froid aux mains. 

(1) Serie inedite. Voir ci-dessus, p. 144. 



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262 WALLONIA 

II les superpose, il les fait glisser Tune sur l'autre — et ses doigts, 
ses dix doigts, sont noueux commo les branches des arbres vieux, qu'il 
coupait autrefois. 

II a toujours froid aux mains. 

Et depuis quelques jours, il devient un peu sourd. 

II n'entend pas... un — deux — trois — ...la Mort, accroupie 
sur la poussiere de l'atre, qui joue aux osselets avec les morceaux de 
platre tombes de la cheminee. 

La s6cheresse et l'humidite — successivement — ont d6sagrege 
le mortier — il tombe du platre par la cheminee — sur la poussiere 
de l'atre. 

Le vieux est seul avec lui-meme et avec toutes les heures a joutees 
une k une sur ses peines et son labeur. 

Et toutes egales et une a une, elles ont use les rouages de Thor- 
loge, dressee a gauche de la fenetre; sa gaine etroite est sculptee et 
c'est, taille en plein bois, dans des feuillages entrecroises, des fleches 
et un carquois. 

— quatre — cinq — six — 

II tombe du platre par la cheminee. 

Le vieux est seul avec lui-meme et avec Tombre — que le soleil 
a laissee seule ; il regarde la porte qui est fermee et ses deux mains 
superposes. 

II tourne la tete vers la cheminee dont les angles disparaissent 
sous la suie de tous les feux, qui, pendant des annees, ont laiss6 — 
chaque soir — Tatre plein de cendres froides. 

— huit — neuf — 

II est assis dans son fauteuil — qu'il n'a point voulu vendre aux 
antiquaires — car les bras sont polis, par les moments et tout le 
temps passe tres lentement au chevet blanc du lit — ou est morte sa 
femme et oil son fils est mort... 

lis apparaissent a sa pensee — qui oscille bercee — par le rythme 
du platre tombant dans la cheminee... Pour mieux les voir, il ferine 
les yeux; sa tele sur sa poitrine s'incline un peu plus fort. 
— onze — douze — ireize — 

La Mort sourit et s'arrete. 



Les Heritiers 

Le vieux est mort. 

Pendant deux jours on a veil!6 son corps. 



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WALLONIA 263 

Et Tod est rest6 la nuit, en buvant du cafe, pour so mieux tenir 
6veille. 

On baillait bien de temps en temps, tout en racontant des his- 
toires du temps passe, d'hier et d'aujourd'hui. Les hommes avaient 
6t6 leurs souliers. 

Lorsque le cercueil a &1& bien ferme, les h^ritiers ont bu la goutte 
avec le menuisier, tres fier d'avoir fait un cercueil si beau; son 
ouvrier, avec uu geste lent, s'est essuy6 le front. 

Le lendemain, habilles tout de noir et un peu fatigues, ils sont 
revenus du cimetiere — heureux en somme d'avoir vu taut de monde, 

— d'avoir du parlor et repondre a des gens qu'ils connaissent ties peu 
et que les convenances, la coutume et le vague besoin de se distraire 
un peu avaient amenes en lent cortege — au cimetiere tout petit et 
lointain. 

Ensuite, en sachant bien ce qu'ils voulaient, mais sans com- 
prendre beaucoup les dires que la loi enferme dans des textes v6tustes. 

— ils ont parte au notaire. 

Et quelques jours aprfes, sur les murailles de la maison, des 
afflches s'6talerentpour annoncer la vente. 

Collies prcsque d'aplomb sur la saillie irr^guliere des moelons, 
avec des plis barrant les lettres, elles sont restees un certain temps 

— sous le soleil et sous la pluie — pour amener les acheteurs. 

Ils sont venus d'on ne sait oil, de tons les coins et de partout, 
examiner et soupeser. 

Et puis, au jour et a l'heure designes sur les afflches si mal collees 

— on a vendu — dans un bruit continu et informe. 

On a vondu le vieux fauteuil, on a vondu les meubles anciens, on 
a vendu les livres et los papiers entasses dans des paniers. 

Et tout le bois reste en tas, le grain, les ruches, et la grande huche 
blanche encore de farine. 

On a vendu la plaque de fonte historiee qui faisait un decor k 
r&tre, les deux montants de pierre sculptes de la cheminee et les 
faiences et tous les cuivres. 

Et les choses multiples, atteintes par l'usage, que le temps accu- 
mule dans les maisonspaisibles. 

On a vendu dans un bruit grandissant, informe et continu — le 
silence — que faisait la maison vaste et fiere; et la maison elle-meme 
et la terre — pour avoir un peu d'argont. 



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264 WALLONIA 



Selon Hans Memlinck 

Elle n'est plus jeune, elle n'est pas vioille; sou visage un peu 
trop pale, est rendu peut etre plus pale par des lunettes qui sont 
bleues. 

Un visage mince et tres doux, souriant laiblement, maigre les 
lunettes bleues — et qui dit une vie sage et triste un peu. 

Le ciel est bleu, c'est le printemps. 

Elle peut enfin se promener. 

Longtemps elle a attendu, les yeux derriere le vitrage de la serre 
pentagonale — qui rend plus petit le jardin — de pouvoir sortir 
enfin. 

Le ciel est bleu, c'est le printemps. 

Elle peut enfin se promener par les etroits chemins laisses dans 
le jardin oil les fleurs de la serre sont tres bien arranges. 

El les s'alignent le long du gravier, qui est proprement ratisse, 
elles font des dessins carrcs, des losauges, de petits ronds ; elles 
imiteut le mieux possible les ouvrages en lapisserie — qu'elle fit — 
il y a si longtemps — deja — dans la salle claire d'un vieux couvent 
ou passaient lentes les beguines pales. 

Et la Dame songe, et, lentement, se promene, heureuse de respirer 
et de voir si bien arrange, un jardin petit et rectangulaire ou les fleurs 
de la serre symetriquemeut disposees enfin, sont entourees par du 
gv^\iev. 

Le ciel est bleu, c'est le printemps. 

La Dame pale voit tout en bleu. 

* 

* * 

Vers la gauche, obstinement... 

Elle va, d'un pas saccad6, — les pieds tournes en dedans. 

Elle porte aux pieds des souliers d'homme, elle a au bras un 
grand panier. 

Vers la gauche, obstinement, elle va d'un pas saccade — puis se 
dirige un peu a droite — pour alter longtemps vers la gauche. 

Le corps pencheaussi a gauche, elle va ainsi bien longtemps, 

Elle va. ton jours, obstinement vers la gauche, en se penchant. 

Ou ne sait jamais tres bien, ni d'ou elle vient, ni ou elle va. 

En marchant elle parle tout bas et elle rit silencieusement. 



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WALLONTA 265 

Lorsque oa l'interroge elle ril; elle rit et montre des dents tr6s 
blanches et sa bouche un peu trop grande remonte un peu vers son 
ceil droit. 

On ne sait pas d'ou elle vient et Ton ne sait pas non plus, si sa 
marche toujours oblique, n'est pas parallele un peu k l'existence de 
ceux, qui bien avant ses premiers pas, ne marchaient deji pas droit. 

Mais elle ne les connait pas et sen va toujours vers la gauche, 
subissant l'influence maligne, qui la courbe et qui la pousse vers la 
gauche obstin6ment. 

Elle ne sait qui est son pere; elle a tres peu connu sa m&re, qui 
mendiait de porte en porte. 

Elle s'arrete aux metnes portes; elle ignore qu'elle est idiote. 

Et le rire de ses dents elaires contra rie — jusqu'ou? — Tinfluence 
maligne qui la courbe et la pousse toujours obstin^ment vers la 
gauche. 



Soir d'automne 

Cost Theure ou la lune enorme et pale, dans le ciel gris perle, 
apparait au-dessus de la haie qui ferme le verger. 

La rosee bleuit l'herbo, et Ton entend tornber lourdement, une a 
une, les pommes qui font ployer les branches des pommiers. 

Elles tombent, une a une, lourdement, et elles s'amassent confu- 
s6ment dans Tenclos abandonne. 

L'homme s'est sauve. 

II est reste tout le jour, immobile, souriant et taciturne, a ecouter 
dans le verger envahi par les plantes folles, les pommes, lourdement, 
toraber Tune apres Tune. 

Et lorsqu'il a vu la lune, au-dessus de la haie qui ferme le verger, 
apparaitre pale et jaune, il s'est sauv6. 

II est entre dans sa maison sans faire de bruit. 

Sur le seuil, il a laisse la trace humide de ses deux pieds. 

II a tourne dans la serrure, la lourde clef; il a pouss6 tous les 
veri'oux. 

Car il a peur de la lune — qui, depuis quelques soirs, vient lui 
dire tout bas, des paroles qu'ils ne comprend pas... et qui vient — elle 
aussi — ecouter le bruit lourd et sourd des pommes qui tombent, une 
a une, dans l'herbe folle. 



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266 WALLONTA 



Figure torn bale 

Le tombeau ancestral, dans le vieux cimetiore, dresse dans Tangle 
de TOuest, sa stele solitaire — et sur la pierre grise, viergede toute 
epitaphe, le temps seul a trace des signes contradictoires. 

Le dernier qui est euterre la, fut imagier; il sut aussi forger le 
fer. Comme il voulait pour lui, le silence et Toubli — il tailla dans la 
pierre la figure tombale, qui, deux doigts nerveusement appuyes 
sur la bouche, regarde, fi6re et pensive, le grand horizon bleu. 

Et il forgea la grille qui ferme Tenclos de pierre, sachant bien 
que la rouille sait fermer les serrures et qu'on n'entrcrait plus dans 
T6troit cimetiere — ou, deux doigts nerveusement appuyes sur la 
bouche, — une statue de pierre regarde le lointain. 



Le centre clair d'un paysage 

Dans uu grand cercle sombre, les bois enferment le paysage 
d'automne. 

Le soir vient lent; il rend sensible le bruit leger que les feuilles 
seches font en tombant; il conduit la plainte du vent, qui vient du 
lointain noir. 

A Tangle d'un bois, dont un angle rejoint un autre bois lointain 

— loin de toutes les maisons — il n'en est point a Thorizon — une 
ferme s'enfonce dans un pli du terrain. 

Seul un pignon blanchi fait paraitre plus sombre ses murailles 
de pierre; sa silhouette est basse, plus que les premieres branches des 
arbres. 

On y arrive par une route tracee a peine; elle s'eflface — quand 
on passe sur Taflieurement du calcaire — qui souleve et mouvemente 
le terrain solitaire. 

Une barriere, pies de trois hetres, arrete la route retrac6e - et 
Ton voit toute la maison. 

Contre la barriere, dont les barreaux sont inegaux et de travers 

— seule — une enfant — attend. — 

Elle est petite et se reflete — a peu pres toute — dans un creux 
de la route empli d'eau par la pluie. 

Elle est blonde; sa figure candide, reguliere et deja un peu grave, 
a le ton du ble mur. 



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WALL0N1A 267 

Elle regarde devant elle, immobile; — recueillant — sans savoir 
— dans ses prunelles d'enfant — l'apre scr6nite que le soir repand 
sur l'espace solitaire. 

Et elle ifest pas consciente — que l'heure crepusculaire l'enve- 
loppant de sa clarte depniere — un moment la designe — pour qu'elle 
soit — ingenue et tres blonde — le centre clair — <Tuu paysage 
automnal et severe. 



Le Henuisier 

II sait accumuler des heures pour parfaire des riens; mais ce 
qu'il fait, il le fait bien. 

II connait des metiers multiples, et des sentences qu'il applique 
lorsqu'il parle — car il parle beaucoup, 

Sa parole enveloppe son lent travail, et les syllabes et les mots — 
ajoutes un a un — enfoncent sa besogne — comme an centre profond 
d'un cercle de collines. 

Eu parlant il retire entre des epaules carrees une tete forte, 
entouree de cheveux blancs et d'une barbe presque blanche; une tete 
plutot rude et franche, comme on en voit dans les tableaux de peintres 
d'autrefois. 

Et il pose son ou til, sou vent, pour clever ses mains a des hau- 
teurs qui varient, eu un goste ample qui, dans sa largeur, contient 
la certitude ou bien le doute. 

Et tou jours par le meme geste, il interrompt ou il termine ses 
discours, compliques de mots sonores et qui laissent percevoir une 
pensee agitee et cahotee, comme une charrette aux roues mal 
graissees, dans un chemin creux. 

II parle; sa parole fait briller sous des sourcils touffus, un ceil 
petit. 

Et puis subitement, apres un eclat de sa voix, il allonge ses deux 
bras et croisant run sup l'autpe ses index tendus, il eleve une croix. 

C'est le signe qu'il dresse pour aflirmer Tincoherence enfantine 
et profonde parfois de sa parole qui s'enfle et se module cependant 
que le rire y agite ses grelots. 

II tend ses index en croix — il fait intervenir le Christ — on ne 
comprend pas bien pourquoi — dans des paroles qu'iin rire etrange 
distance, etqui font briller ses yeux verts et petits. 

Selon le temps ou I'heure, il vague a de multiples besognes. 



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268 WALLONIA 

II est laboureur, charpentier; il mot les portes en couleur, ll est 
aussi vitrier, il sait ouvrir les serrures dont on a p^rdu la clef. II est 
pourtant menuisier. 

A l'epoque ou les neiges fondent et ou la pluie, sans treve, argente 
toutes les routes et tous les creux, et que par toutes les sentes l'eau du 
printemps descend, il predit le niveau qifatteindra la riviere. 

II sait aussi les noms de tous ceux qui dorment au cimetiere. 

Son atelier est encombre de choses incompletes et bizarres, et de 
vieux bois, de vieilles ferrailles, dont il sait trouver l'emploi. 

Son atelier est en desordre, sauf un grand angle, un angle clair ou 
sont rangees en un grand ordre des planches de chene accumulees. 

Elles sont epaisses et regulieres, avec entre chacune des taquets 
de bois blanc, pour que lair y circule. 

Elles depassent de deux mains la hauteur d'un homme. 

Elles sont pareille a du silence. 

Et elles sont la uuiquement pour une oeuvre certaine, qu'il fait 
de temps en temps. 

C'est le plus sou vent lorsque les jours tres faihles luttont, las, 
contre les nuits. 

Et par le froid, par le vent et par la pluie. 

Alors i'atelier deserte tout le temps pour des travaux incoherents, 
s'illumine, le soir. Il luit com me une forge, il est resplendissant dans 
le village tout noir. 

II est phosphorescent dans le brouillard. 

Et le jour y enferme le magnifique chant du rabot, de la scie et 
du marteau, alternant avec le bruit plus sourd du hois lourd remue. 

Le menuisier aux folles paroles, le menuisier aux cent metiers, 
le menuisier tout seul et silencieux est occupy, dans Talelier 
illuming. 

II a oublie toutes les vaines paroles et les sentences; il ne songe 
plus a allonger en croix Tindex de ses mains; il ne sait plus comment 
il emploiera les vieux morceaux de planches et les vieilles ferrailles. 

II est tout absorbe par son travail, un ouvrage serieux et qu'il 
doit livrer sans tarder a ceux qui Tout commande 

II sait par coeur toutes les mesures et comment ajust(M' les angles; 
il a soigneusement rabote toutes les planches. Et silencieux, dans la 
lumiere, il assemble six planches de chene clair. 

II fait un cercueil tres beau, sur lequel il fixe une croix r6gulifere 
et plus grande que celle qu'il eleve si souvent sur des ouvrages moins 
consequents. 

Auguste DON NAY. 



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ART MODKRNE 



Charles VAN DEN BORRE S\ L'CEuvre dramatique de C6sar Franck. 
Hulda et Ghiselle. Bruxelles, Schott. f re res. In-8° (19X13), 220 p. 
Prix : fr. 3-50. 

Apres l'ouvrage de Vincent i/Ivdy sup Cesar Franck, «lon t nous avons 
rendu compte ici memo, voici certainement Pouvrage le plus important qui 
ait et6 consacre au maitre liegeois. 

II ne concerne cependant qu'une partie de son uiuvre, raais cette partie 
est une des plus notables, puis qu'elle consiste dans lYeuvre theatral, qui, 
par sa nature meme, occupe une part considerable de l'activite d'un artiste 
cr6ateur. 

Gomme le constate l'auteur, aucune elude approfondie ifavait encore 
6t6 consacree aux <euvres theatrales de Franck ('). Elles sont inconnues 
me me des plus fervents admirateurs des oratorios, de la symphonie en re\ 
de la musique de charabre. M. Van den Borrkn s'est done donn6 la tache 
de combler cette lacune, de travailler a la vulgarisation de ces ouvrages ; et 
ill'a realised de facon, pourrait-on dire, d6finitive, et de nature a epuiser en 
quelque sorte le siijet. 

Son livre est excellerament distribue. Dans un chapitre liminaire, il 
situe les ouvrages dramatiques de Franck dans son reuvre total, retrace les 
circonstances de leur composition, en signale les cat acteres generaux et la 
portee esthetique, en retrace la destinee ( 2 ). Les quatre divisions suivantes 
sont respectivement consacrees a Fanalysc des livrets et des partitions de 

(1) Rien d'etonnant d'ailleurs. Outre lesraisons que nous suggererons plus loin, 
il y a cellede la pauvrete generate de la litterature musieale francaise, qui depuis 

Suelques moisseulement (et notamment avee les volumes de 1'excellente collection 
es Maitres de la Musique, dirigee par M. Chantavoine), semble vouloir se deve- 
lopper quelque peu. Mais n'est il pas inconcevable que rien de reellement serieux et 
substantiel n'ait encore etc ecrit sur des hommes tels que Bizet et Chabrier? 

(2) Un addendum signale Fexecution a Liege, en 1906, sous la direction de 
M. Radoux, des 3" et 4 M# actes de Ghiselle. 



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270 WALLONIA 

Hulda et de Ghhelle, 6crites, celle-ci sur un livret de G.-A. Thierry, inspire 
des Recits des temps merovingiens, d'AuGUSTiN Thierry, celle-la sur ud 
poeme de Grandmougin, d'apres la piece Halte-Hulda, de Bjornson. 

Cos analyses sont faites avec la plus grande conscience, avec une 
minutie documentaire et une recherche ou se manifeste le de*sir de ne pas 
laisser dans l'ombre le moindre detail qui serait de nature a faire mieux 
connaitre les deux ouvrages de Franck. Les livrets font l'objet d'etudes 
serrees et d'une critique severe, mais eclairee et impartiale, appuyee d'intfr 
ressants rapprochements avec les parties correspondantes des nuvrages qui 
Jes ont inspires. L'analyse rausicale est naturellement plus serr^e encore. 
M. Van den Borren suit les partitions mesure par mesure, degage les divers 
motifs et les themes conducteurs, qu'il cite dans le texte et denomme avec 
ingGniosite et precision, apprecie, qualifie en passant, en s'eflbrcant visible- 
ment de ne pas se laisser entrainer par son enthousiasme personnel. On peut 
dire que la ou Ton repr6sentera un des deux drames, ce livre sera en 
quelque sorte le vade-mecum oblige de tout auditeur desireux de p6netrer 
dans l'intimite de l'oeuvre. Deux reserves seulement : I'auteur ne souffle 
mot de l'orchestration et, dans ses cliches th6matiques, ne fournit que la 
ligne melodique. sans harmonie. Or, on connait 1'importance des timbres 
dans la musique moderne, et chacun a pu remarquer combien, principale- 
ment avec les harmonisations rafflnees d'aujourd'hui, la ligne melodique 
n'cst souvent que le profit de Tharmonie subjacente. Mais Tun et l'autre 
defaut s'excusent par des considerations pratiques. On sait lesdifficultesqu'on 
eprouve a se procurer les partitions d'orchestre d'ouvrages modernes en 
dehors du repertoire, et des citations thematiques completes auraient a 
peu pres double l'importance du volume... 

Celuici atteste, dans ses appreciations esthetiques, une comprehension 
intime et une penetration absolue du genie franckiste. II suffit, pour s'en 
rendre compte, de lire des passages comme ceux-ci : 

... Franck a eu le privilege de ne pas avoir le sens du ridicule : « privi- 
lege » est bien le mot qui con vient, car ce qui fait de lui Tun des plus grands 
parmi les maitres de la musique de tous les pays, c'est precis^ment son 
extraordinaire naivete, sa force d'illusion illimitee et cedetachement com- 
plet du monde qui l'a empechr* de prendre contact avec les lettres. II ne se 
rendait aucun compte de ce qui, dans les poemes qu'il utilisait, aurait pu 
sembler grotesque a un homme cultive. Aussi inconsciemment indulgent 
pour les autres qu'il etait severe pour lui-meme, il manquait totalement de 
sens critique a regard de ce qui ne concernait pas la composition de ses 
prop res ceuvres... 

... Nous retrouvons chez lui cette gaucherie native, cette concentration 
dans l'inspiration, cette sorte de pudeur naive du sentiment, cette nostalgie 
largement illuminee d'espoir qui nous liberent de la verve et de l'aimable 
courtoisie latines ; c'est un Wallon, non pas un Francais; toute sa person- 
nalite degage un parfum septentrional semi-germanique, dont nous pouvons 
seuls percevoir a fond l'inappreciable arome, et que cinquante ans de vie 
parisienne n'ont pu dissiper. 

Outre les remarques incessantes inspirees par le sujet lui meme (voir, 
par exemple, p. 201, l'inte>essant parallele des « motifs de la douleur» chez 



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WALLONIA 271 

Monteverdi, Bach, Franck, — ou, p. 138, la note sur le decor de Ghiselle), le 
Jivre de M. Van den Borren abonde en apercus generaux d'une observa- 
tion penetrants suggeres par ies elements correspondants de sa matiere. 
Sur l'essence intime du drame lyrique : 

Dans le drame lyrique, le cote purement exterieur est hors de saison. En 
these generate, l'emotion dramatique doit jaillir bien plus du conflit inte- 
rieur que des incidents — le plus souvent materiels — qui servent de char- 
pente, de cadre indispensable au developpement de ce conflit. 

Sur l'ingenuite necessaire de la creation artistique : 

Lexix 8 siecle est, par excellence, le siecle de la critique. Tousceux qui 
s'occupent d'art sont fatalement entraines dans ce domaine si interessant, 
mais la rancon qu'ils ont a payer est dure : ils y perdent tres souvent leur 
originalite creatrice, ou bien ils I'entourent d'un tel tissu d'hesitations ou de 
discussions avec eux-memes, que toute spontaneite ftnit par disparaitre de 
leurs oeuvres. II ne leur reste plus alors qu'a consacrer leur genie — s'ils en 
ont — a tftudier les oeuvres de ceux qui, alleges de ces preoccupations, ont 
pu laisser leur personnalit6 se degager en toute liberie. Dans ce domaine, 
tres vaste d'ailleurs, il leur est donne de pouvoir encore «creer». Et certes, 
parmi les hommes du xix* siecle, il est des critiques qui sont d'aussi parfaits 
createurs que tel poete ou tel peintre ou musicien celebres. 

Ce qui frappe surtout dans le iivre de M. Van den Borren, — ecrit 
dans un style chatie, d'une sobre elegance, — c'est la piet6 et Tamour qu'il 
respire, la conviction dont il vibre d'un bout a Tautre. II y a la un exemple 
caracteristique de l'enthousiasme que Franck sait £veiller chez ses disciples 
et ses admirateurs, etqui n'a d'autre exemple au xix* siecle que l'apostoiat 
wagnerien. Encore, Tenthousiasme franckiste est-il d'une note particuliere 
et se signale-t-il par une ing6nuit6 et un mysticisme speciaux dans lequel 
non seulement rayonne T(Buvre du maitre, mais se perpetue encore Tame 
elle-meme du p^re Franck. 

On peut se demander jusqu'a quel point cet enthousiasme est, en ce 
ce qui concerne Tceuvre dramatique de Franck, justifl6. L'auteur ne s'exa- 
gere-t-il pas Timportance de ces creations theatrales, jugees en quelques 
lignes sommaires, par Vincent d'Indy, dans un livre dont nous avons dit les 
enthousiasmes explosifs et ou chacune des oeuvres de musique de chambre 
fait Tobjet d'une analyse attentive ? Get ostracisme dont l'ceuvre dramatique 
de Franck reste frappe par les directeurs de theatre, professionnellement 
dou6s pour decouvrir la piece lyrique «monnayabie», — cet ostracisme ne 
serait-il pas justified 

Nous croyons pour notre part, que, sur ce point, M.Van den Borren se 
fait de g^nereuses illusions, nous pensons que le theatre de Franck est loin 
d'atteindrc la valeur moyenne de ses ouvrages de musique absolue et 
qu'il sera difficile dele faire entrer, meme temporairement, au repertoire. 
La chose vaut la peine d'etre discut6e. A l'appui des considerations esthe- 
tiques que nous allons formuler, M. Van den Borren lui-meme nous offre 



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272 WALLONIA 

d'ailleurs, dans son livre, des arguments de fait que nous ne n£gligerons 
pas. 

II est hors de doute que la composition theatrale constitue un domaine 
tres special. Les raaitres qui s'y sunt illustr6s, Gluck, Weber, Wagner, n'ont 
cultive que celui-la ; d'autres, Bach, Brahms, qui ont aborde tous les autres 
genres, ont recule devant le theatre ; d'autres encore, qui Pont abord6 
quand raeme, — en quelque sorte par principe, — comme Schumann et 
Mendelssohn, y ont lamentablement 6chou6. Le miracle de Fidelio n'est 
pas commun, et quant a Mozart, nous ne devons pas oublier que, malgre 
tout, ses operas brillent surtout par la beaut6 absolue de la musique et que 
sa conception du drame lyrique etait notablement inferieure a celle de Gluck. 

Nous pensons qu'en faisant du theatre. Franck a vers6 dans une erreur 
explicable par sa naivete impulsive elle-meme, et que c'est a tort qu'il a ced6 
a des solicitations exterieures. 

Les raisons pour iesquelles Franck ne nous pa rait pas fait pour le 
theatre sont doubles: elles sont d'ordre purement musical et d'ordre psycho- 
logique. 

En ce qui concerne le premier point, remarquons tout d'abord Topposi- 
tion latente entre le genre symphonique pur et celui du drame lyrique 
moderne. Gelui-ci, poursuivant le nuancement inftni du sentiment et de Tac- 
tion, dans un cadre trop vaste (l'acte) pour faire l'objet d'une conception 
d'ensemble objective, est essentiellement amorphe; I'autre est formel. II en 
resulte que le symphoniste £gar£ sur la scene recherchera instinctivement, 
dans le drame lyrique, matiere a expressions lyriques formelles et fera des 
«morccaux». Et c'est bien ce qui est arriv<\ Dans les deux partitions, ce 
sont les « morceaux» (comme la Chanson de I'Oiseau, de Ghiselle), qui sont 
les mieux rGussis, Tauteur se montrant moins bien a l'aise dans le reeitatif 
meiopique qui est le propre du drame lyrique moderne. M. Van den Borren 
nous dit bien que les mots «duos», « trios », etc., ne doivent pasetre pris ici 
dans le sens conventionnel, mais c'est une pieuse malice. Nous voyons 
Franck lui-meme «cs'emballer» surtout pour le ballet (en somme Episode tr&s 
secondaire) d'Hulda ; ne sont ce pas bien les idees d'un symphoniste? I.es 
librettistes Grandmougin et Thierry, — auxquels M. Van den Borren 
endosse gGnereusement la responsabilite des passages moins reussis des deux 
operas, — ont, il est vrai, favorise le caractere « grand op6ra» de certaines 
scenes; mais, ce faisant, ils servaient somme toutes les tendances sympho- 
niques formelles de leur musicien. N'apprenons-nous pas, d'ailleurs, que les 
maitres favoris de Franck, dans le domaine du theatre, 6taient Gluck, 
Mehul et Gr6try? Et pourtant, depuis eux, il « s'etait pass6 » Beethoven, 
Weber, Wagner! Je pense done que Texpression de « forme retrograde*, 
dont je m'etais servi incidemment, naguere, au sujet du theatre de Franck, 
et qui a scandalise M. Van den Borren, n'etait pas si injustifi6e, — d'autant 
plus que ces operas datent de la derniere periode du maitre, la plus fran- 
chement moderniste, celle ou il a positivement boulcverse l'esthetique 
musicale ambiante et fond6 la symphonie contemporaine. 



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WALLONIA 273 

Toujoursau meme point de vue, on remarque combien, chez Franck, 
Inspiration musicale garde un caractere absolu. Son merveilleux rafflne- 
ment harmonique n'apparait pas, comme chez Wagner, «int6rieurement 
necessaire » (innerlich notwendig), independant de Faction et psychologi- 
quement analysable, mais il eiiste en lui meme et apparait comme etant son 
propre but. Meme remarque en ce qui concerne les leitmotiv, d'une beaute 
musicale absolue, mais depourvue de cette caracteristique frappante du 
leitmotiv wagnerien ; comparez, par exemple, dans Hulda, ce theme de 
l'« Amour de Swanhilde», que M. Van den Borren trouvesi caracteristique 
(p. 119. th. Xll), avec celui du personnage quelque peu analogue de la douce 
et passive Gudrune, dans le Crepuscule des Dieux ! 

Au point de vue psychologique, il convient de se rappeler tout d'abord 
que Tart theatral : poesie, musique, interpretation, comporte un certain 
sentiment de Teffet qu'on peut, dans bien des cas, designer sous les noms 
vulgaires de « trues » et de «flcelles». Les conceptions theatrales integrates 
de Wagner contiennent un grand nombre de passages dont Teffet foudroyant 
exhibe, a l'analyse, quelque combinaison musico-scenique tres simple, dont 
la musique, entendue isol^ment, resterait inefRcace (e'est la, d'ailleurs, la 
marque essentieile du g6nie wagnerien et du drame lyrique en general). Les 
librettistes de Franck ne lui fournissent l'occasion d'aucune combinaison de 
Tespece et il etait, lui, trop ingenu pour en faire naitre. D'autre part, M. Van 
den Borren remarque lui-meme que tel passage de Ghiselle fut traite par le 
compositeur «sans grande conviction », parce que son ge^nie «se prete mal a 
ia traduction du vice»; qu'il manque de « psychologie individuelle dans le 
langage des diflferents personnages». (Test dur, e'est presque la condamnation 
implicite d'une oeuvre. Si, au theatre, le caractere n'est pas bien rendu, que 
reste-t-il? L'auditeur ne se preoccupe pas,quand un personnage est malcarac- 
terise par la musique, de savoir s'il est sympatbique ou non au compositeur; 
il s'agit que celui ci evoque avec une verite egale les traitres et les heros, la 
vertu et le vice, les demons et les dieux, — comme ont fait Gluck, Weber, 
Wagner et tous tes dramaturges de race. 11 est constant (et cela s'afflrme 
meme dans les Beatitudes) que si Franck a des expressions sublimes, leur 
signification est limitee a un nombre restreint d'elats d'arae et que la faculty 
d'evocation des autres lui fut refused, qu'il leur fut trop superieur ou pour 
toute autre raison, peu importe. Si iM. DESTRANGESs'6tonne qu'on ait donne 
« au maftre des Beatitudes, un air bachique a composer » (dans Ghiselle), 
nous nous etonnons davantage que le dit maitre des Beatitudes ait tent6 la 
chose avec quelque succes. 

Au surplu?, quoi de plus signiflcatif a ce sujet que ce fait que le theatre 
ne tentait nullement Franck ? Qu'en se lancant dans cette voie, il ob£it a des 
suggestions exterieures? Quoi de plus desillusionnant que de nous montrer 
le maitre «s'entrainant » a la composition d'Hulda... par la lecture des 
Maitres-Chanleurs ? 

Jusqu'a quel point, en pareil cas, « le g^nie et la conviction (?) tiennent 
lieu d'babilet6», la question est controversable. Nous doutons cependant 



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274 WALLONIA 

qu'ils soient de nature a suppleer a Tabsence des dispositions si speciales 
qu'implique la composition theatrale. <> t 

Si nous noussommes etendus sur ce sujet, ce n'est pas, bien entendu, 
pour attenuer la valeur et la signification de Touvrage de M. Van den 
Borren, qui, nous le repetons, est indispensable a quiconque veut se fami- 
liariser avec une partie importante de Foeuvre du maitre liegeois et, a ce 
titre, a sa place marquee dans la bibliographie musicale contemporaine. 
Mais la question de la valeur absolue de cet oeuvre theatral est interessante 
a debattre. 

Resumons. Si nous persistons a douter que Hulda et Ghiselle se rangent 
« parmi les plus beaux drames que Ton ait ecrit», nous admettons bien volon- 
tiers, avec M. Van den Borren, que Franck a « mieux 6crit pour la scene 
qu'on ne le pense ». L/avoir d6montre d'une facon peremptoire constitue, 
pour Teicellent critique, un titre a la gratitude de tous les admirateurs du 
maitre. 



Ernest Closson. 



HIS TO IRE 



Th. Lesneucq, Histoire de Lessines, 2 e edit., considerablement augmentee, 
Lessines, van Nieuvenhove, 1900. 1 vol. in-8° [24 X 15. 8], 423 p. 

M. Lesneucq s'est, durant toute sa vie, devoue & la ville de Lessines; 
secretaire communal, secretaire des Hospices, archiviste, toute son activite 
a eu pour but le developpement de cette ville, Tune des plus anciennes du 
Hainaut; il s'est consacre non seulement au bien etre de ses concitoyens, 
mais encore a la tache ardue de rappeler les vicissitudes et les gloires du 
passe de son clocher. En 1872, il fit paraitre un travail sur l'histoire de 
Lessines, et c'est plus de trente ans a_pres, qu'il publie une plus complete 
histoire de cette ville. 

La quantite de documents accumules par Tauteur est enorme ; il n'en 
neglige aucun et les fait connaitre au public. II les laisse parler eux-memes, 
se gardant bien de les paraphraser et se bornant a les presenter de la facon 
qui les met le mieux en valeur. 

Des 9i6, Lessines est mentionne dans un diplome imperial. Longtemps 
disputee entre la Flandre et le Hainaut, c'est a ce comte que la ville appar- 
tient apres 1368. 

I-e chapitre que M. Lesneucq consacre a I'hopital Notre-Dame a la 
Rose, fonde en 1242, est le plus interessant de son Histoire de Lessines : 
cette institution, Tune des plus anciennes de Tespece en Belgique, a con- 
serve jusqu'a nos jours, beaucoup d'oeuvres d'art fort anciennes et une 
collection remarquable d'actes du xiii° siecle (donations des seigneurs et des 
souverains, privileges des papes, etc.), ainsi qu'un cartulaire, superbement 
enlumine, du commencement du xv* siecle. Aide d'archives d*une si 



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WALLONIA 275 

incomparable richesse, I'auteur a raconte le passe de cette venerable fonda- 
tion de bienfaisance. 

Des vues de Lessines au xvi e siecle, en 1725, en 1830 et de nos jours, 
ornent le travail de M. Lesneucq, qui a elev6 un monument durable a la 
gloire de Lessines. 

Armand Carlo t. 



Memoires et Publications de la Societe des Sciences, des Arts et 
des Lettres du Hainaut. — 6 e seric. Tome VIII. Mons, Dequesne- 
Masquillier. 

Ge gros volume de 500 pages est consacr6 tout entier a la publication 
complete de YHistoire de la mile d'Ath, de J. Bertrand. G'est I'oauvre des 
dix dernieres annees de la vie de I'estime professeur, qui n'eut pas le 
bonheur (car c'eut ete pour lui un bonheur} de corriger les epreuves de son 
mGmoire. La mort ne lui permit point de voir paraitre le livre qu'il avait, 
Luxembourgeois d'origine, consacre a sa patrie d'adoption. 

Certains ont pu critiquer son travail, en regrettant qu'il n'ait point fait 
oeuvre definitive. Tel n'etait pas son but. II etait trop clairvoyant pour 
ignorer que ce n'est point assez de dix ans, surtout quand on a depass6 la 
soixantaine, pour ecrire l'histoire (Tune ville, qui, si elle ne fut jamais tres 
puissante, occupait neanmoins le second rang dans le Hainaut et qui flit 
meme, aux epoques troublees, le siege de l' Administration centrale. Ainsi 
qu'il le dit, dans son introduction, I'auteur a simplement voulu apporter, 
dans la mesure de ses faibles moyens, sa pierre a T^difice eleve par ses 
devanciers. Et cette pierre, quoi qu'on puisse dire, est la plus importante 
qui ait eteapportee depuis un siecle a Thistoire de la ville d'Ath. 

L'ouvrage est divis^ en deux parties: A nnales d'abord, Institutions 
el Biographic ensuite. La premiere partie comprend a elle seule 300 pages, 
c'est assez dire que, depuis 1076, date a laquelle on rencontre la premiere 
mention d'Ath, jusqu'a nos jours, tous les ev^nements locaux, si minimes 
ioient-ils, dont il est reste trace dans les archives, ont trouve leur place 
dans le memoire de M. Bertrand. L'auteur n'a d'ailleurs pas oublie de mon- 
trer quelle influence ces faits locaux eurent sur la marche des evenements 
dans le comte du Hainaut et dans la souverainete des Pays-Bas, ni quels 
contre-coups de la politique generate du pays furent ressentis par la ville 
d'Ath. 

Dans la seconde partie, M . Bertrand expose successivement les di verses 
institutions religieuses, economiques, militaires, hospitalieres, scolaires, 
artistiques, dont il a, dans la premiere partie, indique la naissance et les 
dates principales de developpement. Le memoire se termine par de courtes 
notices biographiques d'une soixantaine d'Athois en renom et les listes des 
chatelains, desmayeurs et echevins, depuis le in e siecle. 

Illustree de planches, dont quelques-unes sont fort belles, YHistoire de 
la ville (VAth, de M. Bertrand, est une contribution des plus interessantes, 



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276 WALLONIA 

Don settlement a la connaissance du passe de cette ville, mais aussi a l'his- 
toire du comte de Hainaut, ainsi qu'a Tetude de Torganisation 6conomique 
des petites communes de notre pays. 



Armand Car lot. 



oo o 



Annales du Cercle hutois des Sciences et Beaux- Arts, Tome XV, 
2 e livraison. Huy, H. Mignolet. 

(p. 85 a 107). Jules Goffart, Promenade geologique dans la vallee du 
Hoyoux. — Dans ces notes de vulgarisation, M. G. nous donne un excellent 
expos6 de la formation des different* terrains qu'on rencontre dans la vallee 
du Hoyoux. Les plus anciennes couches appartiennent au systeme silurien 
et sont constitutes par des scbistes qui ren ferment des varietes d'etres orga- 
niques ou fossiles assez abondants. Sur ces couches siluriennes repose le 
systeme devonien qui se subdivise en plusieurs etages que Tauteur decrit 
successivement. 

(p. 108 a 115). Jules Freson, Un assassinat a Huy, en /7//. — G'est la 
relation d'une enquete judiciaire menee a la suite de I'assassinat mystGrieux 
de Jean-Francois Namur, grand greffier de Huy, dont Tauteur ne fut jamais 
d^couvert. 

(p. 116 a 121). Jules Freson, La torture dans Vancien Pays de Liege. 
— L/auteur examine comment la torture 6tait appliquee a Huy, en 1779, 
pour arracher des aveux aux malheureux inculpes. 

(p. 122 a 128). G. Leclere, Le Hoyoux vers 1300. — C'est au confluent 
de cette petite riviere, qui donne son nom a Huy, que fut batie la grande 
ville, ainsi appelee par opposition a I'agglomeration qui se ftxa sur la rive 
gauche de la Meuse. La grande ville renferraait la forteresse et les princi- 
paux monuments civils et religieux. L'auteur rappelle quelques petits faits 
anecdotiques relatifs a cette riviere, qui se passerent entre 1280 et 1327, tels 
que inondation desastreu>c, crue subite a la suite d'orage, construction 
d'un pont, etc. 

Emile Fair on. 



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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a l'Universite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a PEcole moyenne de Quievrain; Jules Dewert, prof, a TAthen6e 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Literature franchise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof. aTUniversite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
rAthenee, Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a l'Universite de Li6ge; 
Charles Ghbude, prof, a l'Universite nouveile, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a TAthenee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; F61ix Magnette, prof, a TAthenee royal de Liege; Fernand 
Mallieux, prof, a l'Universite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
i'Ath6n6e royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a l'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneche. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; DD. Brouwers, conservateur 
des Archives de I'Etat a Namar; A. Carlot, attache aux Archives de I'Etat a 
Mons ; Albert Delstanche, attache a la Bibliotheque royaie de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Fairon, conservateur-adjoint des Archives de 
I'Etat a Li6ge ; Oscar Grojean, attache a la Bibliotheque royaie de Belgique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Bibliotheque publique de Mons; Adrien 
Oger, conservateur du Musee arch6ologique et de la Bibliotheque publique 
de Namur ; Victor Tourneur, attache a la Bibliotheque royaie de Belgique, 
Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Mus6e archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache, archeologue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lbrs, president du «Cercle archeologique » de Mons; Justin Ernotte, 
archeologue a Donstiennes-Thuillies; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, directeur de la Belgique artistique et litteraire; 
Rene Dethier, directeur de la Jeune Wallonie ; Jean Roger, directeur 
de la Revue Wallonne. 

MM. Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice des Ombiaux, 
Louis Dumont-Wilden , Camille Lemonnier, Edouard Ned, Georges 
Willame, litterateurs a Bruxelles; Emile Aden, Charles Delchevalerie, 
Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a Liege; 
Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a Paris; 
Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur a 
Charleroi; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du « Club wallon », MalmSdy ; Joseph 
Hens, auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jagquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; Henri Simon, Joseph Vrindts, auteurs wallons 
a Li6ge ; Jules Vandereuse, auteur wallon a Berzee. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Mus6e instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles ; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Li6ge. 

MM. George Delaw, dessinateur, a Paris; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a l'Academie royaie des Beaux- 
Arts de Li6ge; George Koister, artiste peintre a Li6ge; Paul Jaspar, archi- 
tecte a Liege; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Liege; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Li6ge; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur d6corateur, Li6ge. 

MM. Y. Danet des Longrais, genealogiste-heraldiste, a Liege ; Pierre 
Delta we. publiciste, a Liege ; Albert Neuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt; Ernest Sente, photographe a Li6ge ; 
ObcJT Colson, folkloriste. etc. 



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Archives Walloones 

D' AUTREFOIS, DE NAGUfeRE ET D'AUJOURD'HUI 

Recosil mnsoil, illostri, fond* in ddcinbri 1892 par 0, Colson, 
Jos. Oifrecheoi et 8. Willaw; honor* d'oni soiscriptioi do Goovornonent, snbsidit ptr la Prtvinct 

et par la villi de Litge. 

Honore en 1906 du prix Rouveroy au concours regie par fa Sociele libre 
d' Emulation de Liege. 

Affili£ a 1 Union de la Presse periodique beige. 

Publie des travaux originaux, Eludes critiques, relations et 
documents sur tous les sujets qui iut^ressent les Etudes wallonnes, 
(Ethnographic et Folklore, Archeologie et Histoire, Litterature et 
Beaux-Arts) avec le compte-rendu du Mouvement wallon g6n6ral. 
Recueil impersonnel et ind6pendant, la Revue reste ouverte a 
loules les collaborations. 

Directeur : Oscar COLSON, 12, rue Lion Mignon, Li&g*. 
Abonnement annuel : Belgique, 6 fr. Etranger, 7 fr. 50. 

Les nouveaux abonnes recoivent les numeros parus de Tann6o courante. 
Les abonnement8 se continuent de plein droit, sauf avis contraire avant le 1" Janvier. 



aNLUCTMNI II " WAULOUA 99 

Tomes I k XIV, 1893 k 1906 inclus. 

Depuis sa fondation, Wallonia a public chaque annee un volume 
complet in-8° raisin, broch6 non rogn6, avec faux-titre, titre en rouge et 
noir, et table des mati&res. A la fin du tome V (1897) et du tome X (1902) 
sont annex6es des Tables quinquennales analytico-alphab6tiques, qui cons- 
tituent le repertoire id6ologique de la publication. Le tome XV (1907) sera 
suivi d'une table analogue. 

Chacrue volume, 616gamment 6dit6, est abondamment illustrg de des- 
sins originaux, portraits, etc., et contient de n ombre ux airs notes. Les huit 
premiers volumes comptent cliacun plus de 200 pages ; les quatre volumes 
suivants, plus de 300 pages ; les deux derniers, plus de 400 pages ; total, 
pour les 14 volumes : plus de 4,000 pages. 

CONDITIONS DE VENTE 

Les volumes terminus sont en vente au prix de 5 francs Tun. La four- 
niture partielle des premiers tomes' ne peut 6tre garantie, mais des conditions 
sp6ciales seront faites, tant que le permettra T6tat de la reserve, aux 
abonnes directs qui d6sireront completer leur collection. 

En vue de faciliter aux nouveaux souscripteurs l'acquisition de tout 
ce qui a paru, les prix suivants ont 6t6 6tablis (avec facility de paiement, 
a convenir) : 

La collection complete, 14 volumes, au lieu de 70 fr. : net 56 fr. 

Un certain nombre d'exemplaires des deux Tables quinquennales 
(32 et 24 p. k 2 col. de texte compact) sont k la disposition des travailleurs 
an prix total dp 1 fran:*. 



LI&GB. — IMP. M. THONE. 



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\^ c2.C£^,53a 



XV me annee — N°10 Octobre 1907 



SOMMAIRE 

Les Flamands dans le folklore wallon, par M. Oscar COLSON. 

Sorcellerie. Au Pays de Herve, par M. le D p S. RANDA.XHE. 

Literature de chez nous : Mireye, poeme wallon, par M. Georges 
WILLA.ME. 



CHRONIQUE WALLONNE 

Lettres franchises, par M. Pierre WU1LLE. 
Lettres wallonnes, par M. Henry ODEKERKE. 



bureaux : 
LltGE, -12, RUE L.&ON MIQNON 

Un ao : Belgique, 6 francs. — Etranger : 7 fr. 50. — Ge n° 1 fr. 
La Revue parait chaque mois, sauf en aout. 



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Sommaire du N° de £eptembre 

Poesies et chansons de la fin du seizidme sidcle, publics par M. Tn. 

LESNEUCQJOURET. 
Une histoire de sorcier : Gilles, le Berger d'Arbrefontaine, 16gende 

ardennaise, par M. Joseph HENS. 

Les enfants sur les autels, coutume populaire, par M. Albin BODY. 

Renkin Sualem et ses oeuvres, d'aprds des travaux r6cents, par 
M. Oscar GOLSON. 

Literature de chez nous : Par les routes (II), proses ingdites, par 
M. Auguste DONNAY. 



CHRONIQUE WALLONNE 

Art moderne : Ch. van den Borren, L'oeuvre drama- 
tique de C6sar Franck, par M. Ernest GLOSSON. 

Histoire : Th. Lesneucq, Histoire de Lessines. Publi- 
cation de la Soci6t6 des Sciences du Haiuaut, 
par M. Armand GAR LOT. — Annales du Cercle 
hutois, par M; Emile FAIRON. 



V1ENT DE PARA1TRE : 

Le Reveil Wallon 

ORGANE HEBDOMADAIRE 
PA RAISSANT LE J E U Dl 



Directeurs : Hector CHAINAYE et Emlle JENNISSEN 

ABONNEMENTS : 

belgique : Un an, fr. 3.00 — Six mois, fr. 1.50 

union postale : Un an, fr. 5.00 — Six mois, fr. 3.00 

Un num6ro 10 cent. — Specimen gratuit 

REDACTION : 
liege bruxelles 

7, rue Soeurs-de-Hasque. 12, place de Brouck&re. 



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Les Flamands 

dans le folklore wallon 



1. — L'origine des Flamands 

Les Wallons se vantent volontiers que 1'origine de leur langage 
date du Paradis terrestre. La, en eftet, a celui qui par sa desob&ssance 
venait de perdre l'humanite tout entiere, Dieu a dit : Adame ubi es ? 
caracterisant d'uu soul mot la sottise de notre premier pere. Or ce 
mot est bien wallou : Ha ! blesse! « Hue ! bete, imbecile » ! ( 1 ). 

Quant aux Flamands, ils ont raison de dire qu'ils ont ete cre6s 
avant les Wallons. Dieu, en effet, a fait le ciel avant la terre, et les 
animaux avant les hommes ( 2 ). 

Mais Dieu a eu tort : il aurait mieux fait de cr6er un animal de 
plus ! ( 3 ). 

On dit a Liege que les Flamands ont ete crepes par Dieu en 
donnant un coup de pied dans une orotte de botresse ( 4 ). 

Ea Hesbaye, on justifie l'injure Flamind d'merde en disant que 
le premier Flamand est sorti d'un 6tron de pore. On raconte qu'un 
jour le Diable defia Dieu de faire sortir un etre vivant d'une chose 
inerte. Dieu releva le deli. Le Diable avisa un 6tron de pore. Dieu 
donna un coup de pied dedans : il en sortit treize hommes, bras- 
dessus bras-dessous, qui se mirent a Jlam'ter : e'etaient les premiers 
Flamands. Depuis lors, on ne vit jamais plus qu'une seule fois treize 
hommes reunis : ce fut le jour de la Cene, et il y avait un Judas 

(1) Wallonia, t. VIII (1 ( J00), p. 22. 

(2) Cottc f acetic (couime la suivante) est des plus populairos : tous nos 
almanachs et tons les journaux wallons Font con tee lour a tour. 

(3) Le trait est traditionnel. 

(4) Gustave Thiriart, dans Bulletin de la Societe Uegeoise de Lilterature 
icallonne, 2* serie, t. XV, p. 2(32. 



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278 WALLONIA 

dedans, c'est pourquoi vous ne pourriez avoir ensemble treize Fla- 
mands sans y trouver un Judas ( 1 ). 

A Nivelles, on dit : El Flamind a ste fait avd % ne merded'in 
pilerin. Nivelles est un lieu de pelerinage cel^bre a Sainte-Gertrude, 
fondatrice de cette ville. 

II y a, dit-on (a Godarville, Hainaut), vingt-cinq flaminds dins 
in brin d' pourcha. On raconte a ce sujet la facetie suivante : Un 
jour, le bon Dieu et Saint-Pierre cheminant de compagnie, Dieu 
s'arreta devant un excrement de pore et demanda a Pierre ce qu'il 
manquait encore sur la terre. Le saint repondit qu'il n'existait pasde 
Flamands. « lis sont crees », dit Dieu en dormant an violent coup de 
pied a l'excrement. Aussitot on vit apparaitre vingt-cinq gros 
Flamands a la figure rougeaude ( 2 ). 

Telle est Torigine des Flamands. 

2. — Les Flamands ne sont pas des gens ! 

« Les Flamands ne sont pas des gens » : ce dicton injurieux ou 
facetieux, est populaire dans tout le pays wallon. 

Les Li6geois s'amusent k rappeler que. dans l'ancienne cathe- 
drale de Saint-Lambert, il y avait une chapelle des Flamands ou Ton 
disait les offices et administrait les sacrements pour ceuxci. On a 
conserve cetle vieille plaisauterie : d'un cote, on disait la messe pour 
les gens et de l'autre, on la disait pour les Flamands. 

Le *ens primitif du dicton « les Flamands ne sont pas des gens », 
est qu'ils ne sont pas de not re gent, de noire race. Encore actuelle- 
ment, en wallon, celui qui parle de nos djins, en tend parler des gens 
de sa famille. Un bote appellera ses invites, ses djins. Dans le pays 
gaumet, il est avu sa gens signifie < il est avec sa maitresse. » On a 
souvent signale le trait du paysan wallon qui, accueillant d'abord avec 
defiance un soldat francais egare, manifeste sa compassion d6s qu'il 
Tentend parler sa langue : c'est on d'nos djins ! ( 3 ) 

Dire des Flamands, dans ce sens, qu'ils ne sont pas de notre 
« gent », c'6tait deja leur (aire injure, puisque la principaute de Liege 

(1) La memo factkie est racontee par les Flamands pour expliquer la creation 
des Wallons : voy. I.i Couimeu, journal wallon de Namur, n* du 22 Janvier 1905. 
— Les Malmediens raeontent de la me me inaniere la creation des Allemands ; ils 
ajoutent que le premier Allemand, sortide eet... objet, s'eeria : Wo ist mein Lbjfel t 
< Oil est ma euiller? » (H. Gaidcz, dans Le Correspondant, n° du 10 septcmbre 1886, 
p. 932). 

(2) A. Harou, Le folklore de Godaroille, (Anvers, 1893), p. 91. 

(3) B[ailleux] et D[ejardin], Choix de Chansons et Poesies wallonnes, (Liege, 
1844), p. 109 : « Entre - jeux. de paysans », poeme dialogue (vers 1634). 



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WALLONIA 279 

comprenait aux beaux temps de son histoire, autant ou presque autant 
de Bonnes Villes flamandes que de Bonnes Villes wallonnes. C'etait 
dire qu'ils etaient des etrangers ou des intrus dans leur propre 
pays. 

Un savant professeur de l'Universite de Ltege, M. Jean Stecher, 
a releve l'opposition des « gens » et des Flamands, & propos d'un texte 
du 17 e s., que les Liegeois malicieux s'amusent encore a rappeler. 
« On a, dit-il, tire une plaisanterie, de la p. 319 du Cabinet historial 
de Messire Remade Mohy de Rondchamps, etc. (Liege, 1610) : Le comte 
de Namup s'en alia vers Dinant avec environ 11,000 hommes et 
14,000 flamangs, etc. Bien loin qu'il y ait ici quelque inferiorite de 
race constatee (constatation absurde, surtout s'il s'agissait des 
Flamands opposes aux Namurois du moyen-age), on n'a qu'a prendre 
Ducange, v° Homo, pour savoir qu'au rebours des temps modernes, 
on n'entendait jadis par hommes que ceux qui etaient dans une 
sujetion ou dependance quelconque ('). 

II est clair qu'a present, comme autrefois, la distinction entre 
« gens » et Flamands ne se fait jamais sans quelque malice. Tout au 
plus peut-on croire que le cur6 de Baulers, dont on rapporte une 
parole dans ce sens, voulu faire une plaisanterie d'un tour d 'esprit 
tout populaire : Lors de la construction du chemin de fer de 
Bruxelles-Luttre (vers 1872), le cure, faisant allusion aux nombreux 
ouvriers flamands attaches aux travaux, disait en chaire k ses parois- 
siens : Demain, on confess' ra les djins, eyd apres d'main les 
Flaminds ! ( 2 ) Mais cette facetie est attribute a d'autres « bons vieux 
cur6s », par exemple a un cure de Gilly ( 3 ). 

Voici une facetie de Charleroi qui est dans le ineme esprit : 
Uaute djou, in mossieu d J Ddrnie se-va dins V Borinddje pou ene 
afaire de tcherbon. Comme il avet ene heure a alinde decant V train, 
i s % e-va f'e fi s' bdrbe a in p'tit boutique ni ion d' V estdcion, comme 
on dit par Id. Df cos assure qiiil a be djemi. Cestet in p'tit djone 
home : c' n'est nd V raser quit a fait, c'est Vescreper /... Quand il a 
iu fini : « Mes complumints, save, gargon, di-st-i V mossieu. C n'est 
nd sics les djins qu cos am apris a raser ? — Non fait, ga, mossieu, 

(1) J. Stkcher. Flamands et Wallo>is (Liege 1859), p. 10. — M. Jean Stecher 
est d'origine flamande. Dans son erudite etude, il s'euorcait de concilier le senti- 
ment wailon et le sentiment flamand en favour de Tunite du peuple beige, et il 
tendait a demontrer, par des considerations historiques, cjue dans leur evolution 
commune les Flamands et les Wallons ont toujours tendu a rapprocher et a fondre 
leurs deux races. C'cst un precurseur erudit et convaincu des theories actuelles de 
TAme beige. 

(2) VAclot, xv du 24 fevrier 1889. 

(3) Le Folklore de Godarville, p. 92. 



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280 WALLONIA 

di-st-i Vaute, df rC aurais jamais 6su : df at cominci sus des 
Flaminds /... » (*). 

On raconte la facetie suivante. Uno bonne vieille, a son lit de 
mort, fait sa confession. Le cure lui demande : « N'avez-vous plus 
rien a dire ? Ne vous rappelez-vous plus rien ? » La vieille, apres 
quelques hesitations, se decide a avouer un dernier peche. « Lequel, 
dit le euro ? — Je me souviens, dit-elle, qu'au temps de ma jeunesse, 
j'ai et6 courlisee par un Flamand. — Au moins, dit le cure, vous 
n'avez pas « fait mal » avec lui ? — Oh ! non, dit-elle : il voulait 
m'epouser, mais je n'ai pas voulu. — Et bien, dit le cur6, etre cour- 
tisee par un Flamand, ce n'est pas un pech6, e'est un malheur ! » 

Voici une variants de cette facetie : Au confessionnai, voulant 
excuser d'avance les defectuosites de son langage, un Flamand dit : 
« D'abord, mon pere, je dois vous dire que je suis flamand. » 
Et le confesseur de repondre : « Qa n'est pas un peche, e'est un 
malheur ! > ( 2 ). 



De l'idee que les Flamands ne sont pas des gens, il r£sulte qu'ils 
ne meriteut guere ou pas de consideration. Doii le dicton rapporte en 
ce sens dans un dialogue du poete vervietois Martin Lejeune : (Jest 
Leloup quest tot, mi, dju n 9 sos pus rin, on rt m'aeompte nin pus 
qu'on Flamind « je ne suis plus rien, on ne m'accorde pas plus 
d'importance quk un Flamand ! > ( 3 ). 

A l'indiscret qui demande « Qu'est-ce-donc ? » on s'amuse k 
r6pondre : Ci n'est rin, e'est on Flamind « ce n'est rien, e'est un 
Flamand » ! 

Dans une de ses spirituelles comedies, hie rivintehe di galants, 
Gustave Thiriart fait dire a l'un de ses personnages, dans un acces 
de misogenie intense : « Ah ! les femmes ! quelle vilaine engeance ! 
j'aimerais mieux embrasser un Flamand ! » 

A quelqu'un qui se desespere, on dit pour le faire rire : Li bon 
Diu ft' poreut fou qu" di vs aid!, il aide bin les Flaminds ! < le bon 

(1) « Un bourgeois de Damremy, se trouvant pour aifaires dans le Borinage, va 
se faire raser dans un petit salon de coiffure. 11 a bien genii. Le barbier etait un 
petit jeune hoinme. Ce n'est pas raser qu'il a fait, e'est ecorcher ! Quand il a eu llni : 
« Mes compliments, mon gareon. Ce n'est pas sur les gens que vous avez appris a 
raser ? — Ah ! non, dit l'autre, je n'aurais jamais ose : j'ai commence par raser des 
Flamands ! » — Tonnia (V Charlerwet, de Charleroi, n 9 du V octobre 1904. 

(2) Thimister. Communique par M. le D' S. Randaxhe. 

(3) Martin Lbjeuxh, Clnfidelite cV CattCrene, traduction de la XIV* Idylle de 
Th6ocrite, in : Bulletin de la Societe liegeoise de Litterature wallonne, t. 43 (1903), 
p. 163. 



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WALLONIA 281 

Dieu ne pourrait manquer de vous aider, il aide bien les Flamands ! » 
Une fac^tie rimee par Nicolas Defrecheux (1873), traite ce th6rae 
dans un aulre sens : Une bonne fern me se plaint de la cherts de la 
vie ; un vieillard qui l'6coute dit sentcncieusement : II faut esperer 
que Dieu vous aidera. Elle, alors, so redressa, et, piquee : Pourquoi 
ne nous aiderait-il pas ? il aide bien les Famands! ( l ). 

L'idee que les Flamands meritent en toute chose un traitement 
different de celui des Wallons a donne lieu a une infinite de faceties 
et bons mots qui grossiraient interminablement cert article. 

Nous ne voulons citer qu'un trait, assez recent ( 2 ). II y a quelques 
annees, les deputes socialistes liegeois jugerent necessaire de 
presenter, dans un grand meeting public, la defense de leurs idees 
sur la question de l'emploi des langues en Belgique. Tour a tour, les 
orateurs d^fendirent leur opinion, favorable aux pretentions flamin- 
gantes. L'assemblee approuvait. Un ivrogne, egare dans cette reunion, 
se faisait remarquer par sa nervosity. 

Un dernier orateur, r6sumant les discours precedents, dans un 
mouvement d'eloquence posa cette question : « Citoyen<, ne devons- 
nous pas approuver l'attitude de nos deputes ? » Alors, Hvrogne, 
energiquement : Awe, non di hit! et qu'on mete in* impot so les 
Flamirtds! «Oui, et qu'on t'rappe d'un impot les Flamands. » 

3. — Le type physique des Flamands 

L'une des injures que les gens du peuple wallou adressent aux 
Flamands dans leurs disputes, est tout-a-fait synthetique : on les 
appelle laid man! empruntant a leur langage meme, pour renforcer 
Texpression, le mot man « homirn 1 . ». 

Le nom de « flandrin » ou de « grand flandrin », qui s'applique 
originairement aux flamands, designe en general un homme grand, 
qui a un certain air de mollesse. C'est assez bien le sens fran^ais ( 3 ). 

Pour le wallon, ce qui oaracterise physiquement les flamands, 
c'est, tantot leur longue taille et leur lourdeur, tantot leurembonpoint, 
une figure rougeaude et un certain air de mollesse. 

(1) Dekrecheux, (Enures, ed. Benard 1895, p. 236. 

(2) Est il vrai ? est il faux ? Inutile de le reehercher. II sutlit de eonstater que 
ee trait appartient a l'esprit populaire. 

(3) Un grand flandrin, un houiine mal fait (Oudin, Curiosites fran^oises). Flan- 
drin : nomine grand et fluet (Littrei. Flandrin : nomine fluet et clance, sans eonte- 
nance ferme (Boiste). Grand flandrin : homme clance et de mauvaise tournure 
((iaidoz et Sebili.ot, Mason populaire, p. 153). Flandrin: grand corps mou, sans 
energie (Hatzfeld et Darmesteter). Etc. 



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282 WALLONIA 

Parmi les am6nit»?s qu'on leur adresse a Liege, figure celle de 
longs (ou grands) stindous (etendus) fla?ninds. On dit d'eux qu'ils ont 
sis pids qtoate pauses, jeu de mots pour « six pieds quatre pouces », 
le mot pause faisant allusion a leur goinfrerie. On dit aussi laid grand 
flamlnd. Ge sont la des formules traditionnelles qu'on ent^nd au 
coups de toutes les disputes entre Wallons et Flamands. 

A Charleroi, on affectionne Texpression de gros roudje flamind. 
Partout une grosse figure glabre, pleine et sanguine, s'appblle «visage 
de flamand >\ si les traits caract^ristiques de cette figure sont fort 
prononc6s, si elle est rouge et replete, si les levres sont 6paisses ainsi 
que le nez, on eprouve le besoin de renforcer egalement Texpression 
et Ton dit alors : « on visage comme un cul de flamand » (*). 

4. — Le type moral 

Les Flamands ne sont pas des gens. 

Alors, qu'est-ce ? 

Un dicton repond a cette question : Doze Flaminds et on pourcS 
fet traze Messes, « douze Flamands et un pore font treize 
betes. » ( 2 ). 

La notion de « bete » ou d' « imbecile » ne rend pas exaclement 
l'id6e qui s'applique aux Flamands, et que le Namurois comme le 
Ltegeois expriment mieux par le mot bdbo ou bhbd, « niais beat >. 

De quelqu'un qui ne comprend pas une chose tres simple, et qui 
n'essaye meme pas de comprendre, on dit qu' « il est aussi bete qu'un 
Flamand ». 

Dans tout le pays de Li6ge, on chante sup l'air de la gamme : 

Do re mi fa sol la si do 

Tos les flaminds e'est des b&bos I 

A Nivelles, on connait la meme chanson ; mais on remplace bdbo 
par bdyd ( 3 ), mot qui signifie a la fois imbecile et faineant. 

Un refrain de cr&mignon, refrain ne tenant pas au texte, et ajoute 

(1) Liege, Verviers, Stavelot, Charleroi, Nivelles, Mons. 

(2) Ce a quoi les Flamands, dans leurs diclons, repondent : Alle Wnlen zijn 
varhen. « Tous les Wallons sont des eochons. » Ou, en francais, quand ils daignent, 
et en vers : 

Tous les Wallons sont des eochons 
La faridondaine, la faridondon ! 

(3) L'Aclot, de Nivelles, n* du 24 fevrier 1889. 



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WALLONIA 283 

en maniere de cri intercal6 entre le couplet et le refrain (*), repete 
cette affirmation : 

Vivent les Flaminds Vivent les Flamands 

Qic&reyes ti esses Carrees tetes 

Cest ine bonne sort di biesses ! Cest une bonne sorte de betes. 

La memo idee est exprimee dans une chanson composee a Li6ge 
il y a une quinzaine d'aunees par un chanteur forain, en imitation 
dune chansonnette satiriquc parisienne dirigee contre les touristes 
anglais. Dans la notre comme dans son prototype francais, revenait 
plusieurs fois a chaque refrain Texclamation oh ! yes. Sur l'air ori- 
ginal du chansonnier liegeois, le peuple a adapte cette rime : 

Oh, yes ! Oh, yes ! 
Qui les Flaminds sont biesses ! 

Ge distique a eu un succes extraordinaire, qui est loin d'etre 
oublie. 

Traduit en namurois, le oh! yes! fut remplac£ par le « oui > 
regional, et la rime fut modifier en consequence : 

Oye ! oye ! 
Les Flaminds so?\t bade Is ! ( 2 j 

Le dicton suivant se rapporte k la raeme id6e. 

I fht seV Flaminds po setchi on re foil d'on sth. « II faut sept 
Flamands pour faire sorlir un veau hors d'une Stable. » Les veaux 
ne sont pas faciles a conduire, et les Flamands ne passent pas pour 
experts. ( 3 ) 

Les gens qui ne savent pas couper les tartines, qui taillent le 
pain d'un trait et par ainsi font des tranches trop epaisses et irregu- 
lieres, sont tout bonnement traites de Flamands. On dit qu'ils 
coupent le pain comme les Flamands. On dit que les Flamands sont 
si betes qu'ils ne savent memo pas couper leurs tartines ( 4 ). 

(1) Le cas est tres frequent pour certains cramignons, et il parait chaque an nee 
de nouveaux oris de 1'espece, plus on moins dictes par l'actualitc. Certains ont rosiste 
et sont enlresdans la tradition orale : tel celui-ei. 

(2) Cit6 par Li Couameu, de Namur, n° du 4 decembre 1904. A Namur, bddet = 
baudet. 

(3) Variante du Spot n" 2532 du Dictionnaire de Dejardin, 2° edition. 

(4) II est de fait que, comme tons les pauvres gens qui n'ont pas de beurre a 
metlre sur lour pain, les Flamands pauvres coupent leur pain en morceaux 
irreguliers et non en tranches. On touche ici du doigt la raison de la eruaute de ces 
satires ethniques : les Flamands les plus caracteristiques que puisse observer le 
peuple wallon sont des malheureux chasses de leur pays par la misere. et qui se 
trouvent trop heureux de so eonsaeror ici, pour vivre, aux besognes inferieures qui 
ne deniandent aucune intelligence. 



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284 WALL0N1A 

Gelui qui comprend de travers est dit « betecomme un cheval 
flamand >. Les chevaux flamands sont tres eslimes, mais on fait leur 
education dans la « moedertaal » la plus pure. Quand les charretiers 
wallons leur disetit, parexeinple huy ! « hue », ils comprennent yuy, 
ce qui en Flandre signifie qu'il faut s'arreter. Dans d'autres cas encore, 
le cheval dresse par un Flamand comprend de travers les ordres 
donn6s par un Wallon. D'ou le dicton. 



Les Flamands sont ignorants. Et, naturellement, leur ignorance 
est grotesque : ils ne comprennent meme pas le wallon — ce qui, aux 
yeux d'un Wallon, est bien le comble ! 

De la le sobriquet de cani/ichtone, corruption de la phrase : 
ik kan niet verstaan « je ne peux pas comprendre », reponse 
invariable de tout Flamand Stranger a notre langue. Ce sobriquet 
fut donn6 aux Hollandais par les Wallons, pendant la reunion de la 
Belgique avec la Neerlande (1815 a 1830). Dans les chansons 
wallonnes anti-flamingantes contemporaines, ou Ton ne manque 
pas de rappeler que les Wallons ont ete" les plus decides adversaires 
des N6erlandais, on ne manque pas de nommer ceux-ci, soit les 
Wiyinmes (les « Guillaume » : voir plus loin), soit les cani/ichtoncs. 
Le dernier sobriquet, neanmoins, est aussi bien applique aux 
Flamands ; il provient d'ailleurs d'une prononciation dialectale 
campinoise versttm\ flamand offlciel verstati. 

On raconte maintes faceties sur la maniere grotesque dont les 
Flamands parlent le wallon ou le frangais. Nous ne citerons que 
celle-ci, qui est assez synthetique. 

il Flamind eyi e bordgne s % pourmente inchane. I rincontte 
d pourcho qui grougno. < Tiens, st-i I' Flamini, ine coQonne qui 
veule parler walon! — Oui, respond nous Boregne, mais cd 
seurmint 4 Flamind, pace que i ne V pdle gne hie ! ! > (*) 

La betise des Flamands qui ne comprennent meme pas le wallon, 
et leur sottise a vouloir le parler quand meme, est illustree par la 
fac^tie cel^bre des « Trois bons gros Flamands », dont voici une 
variante en wallon de Herve. 



(1) Un Flamand et un Wallon, se promenant ensemble, reneontrent nn pore 
qui grognait. « Tiens, dit le Flamand, un cochon qui veut parler wallon ! — Oui, 
repond notre Borain, mais eVst surement un Flamand, ear il no le parle pas 
bien I ! » — Le Farceur, de Wasmes, n° du 7 avril 1895. 



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WALLONIA 



285 



Cesteut donone 1 ege treus bos gros 
Flaminds, qui cotilsl-ava Vpayi po~ 
z aprinde lu walo. 

So leu vot/e, irescolret deus ames 
qui ,v' duvizil. Tot pa$sa?it tot jtres 
d' zels, via 6k du les deus ames 
qui dit si a Vaute : 

«Cest treus bos gros Flaminds». 

Uprumi a" les treus, tot cdtint d* 
saveiir 6 mot, repeleve tot V limps, 
po rC nin Vrouvi : Treus bos gros 
Flaminds. 

pdk apres, vos-ci co deus qui 
s' duvizil moumint qu'i passlt 
tot pres rV zels. 6h du les deils <l/l 
co : « Po ses at dans ». 

— « Po ses aidans, po ses ai'lans » 
repeleve lu deuzinme Flaminl; 
dju ses 1-6 mot avou >. 

Lu treuzinme fuu* lot colinl 
detinde one vile fame qui d'heve a 
s' vwezene : « Come du djusse el 
oVraizo ». 

1 r'diha s'mol tant qui pure. 
Min vo-l&s-ci arives d'vi?is 6 

bwes. 

Tot d'6 cop, v % la qu'i vet/el in 6 
bouho 6 mwert, in caddve. 

I s % metel alou pol louqui, lot 
levant les bres* es I'air. 

Min voci les gendarmes quart vet. 

<i Qui est-ce qua louwe ctsl a me 
la, d'mandet i? 

— Treus bo gros Flaminds. 

— Poqice ? 

— Po ses aidans. 

— Vos vinrezsl-el priho. 

— Come du djusse el d'raiso ».( 2 , 



G'etait done une fois trois bons gros 
Flamands, qui erraiont dans le pays 
pour apprendrc le wallon. 

Sur leur cliemin, ils rencontrent 
deux hommos qui causaient. En pas- 
sant pros d'eux, un dos deux hommos 
dit a l'autre : 

« Ce sont trois bons gros Fla- 
mands ». 

Le premier des trois tout content 
de savoir un mot, repetait tout le 
temps, pour ne pas I'oublier : Trois 
bons gros Flamands. 

Un peu apres. en voici encore deux 
qui causaient. Au moment qu'ils pas- 
saient pres d'eux, un des deux dit 
encore : « Pour ses sous. » 

— Pour ses sous, pour ses sous, 
repetait le deuxieme Flamand, «je 
sais un mot aussi. » 

Le troisierne fut tout content d'en- 
tendre une vieille i'emme qui disait a 
sa voisine ; « Comme de juste et de 
raison [ l ). » 

11 red it son mot tant qu'il put. 

Mais les voici arrives dans un 
bois. 

Tout a. coup, voila qu'ils voient en 
un buisson un mort, un cadavre. 

Ils se raettent autour pour le re- 
garder, en levant les bras en i'air. 

Mais voici les gendarmes qui arri- 
ve nt : 

« Qui est-ce qui a tue cet homme- 
la? demandent ils? 

— Trois bons gros Flamands. 
b — Pourquoi ? 

— Pour ses sous. 

— Vous viendrez en prison. 

— Co mine de juste et de raison. » 



(1) Com me il est juste et raisonnable. 

(2) Conte a Herve, par Nicolas Schouleur. Heeueilli par Georges Doutrepont. 
et public par ee dernior dans la If '.cue des Pntoit f/ dfo romans, ill (lSi)O). p. p.). 
Reproduit dans IIeuzoj;, Xmfranz Jsisehe L)inlehU(\cte (Leipzig, Ueisland M»0G), p. 4. 



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286 WALLONIA 



* 



La balourdise des Flamands a donne lieu a uq tres grand nombre 
de faceties, ou ils se signalent comme de grotesques imbeciles. Voici 
quelques exemples : 

« Un sergent apprenait k quelques « bleus » k marcher au pas. 
Parmi eux, il y en avait un — un Flamand, c'est sur ! — qui n'y 
parvenait point. Le sergent commandait : Gauche ! droite ! en frau- 
gais, en flamand, en wallon, rien ! la Tete carree ne savait pas 
reconnaitre sa gauche de sa droite. Le sergent allait se facher, quand 
il lui vieat une ide*e. II colle un morceau de pain sur le bout d'un 
Soulier du Flamand, et un morceau de viande sur l'autre. Alors, il 
commande : Brood!... Vleesch!... Brood!... Vleesch!... Et notre 
Flamand a march6 au pas comme un homme. » (*) 

« Un Flamand avait essay6 toute une se'rie de paires de lunettes. 
« Vous ne trouvez rien qui vous convient ? demande le marchand. 
— Je ne sais lire avec aucune. » On lui en fait encore essayer deux 
ou trois douzaines. A la fin, le marchand, fatigue, lui dit : « Mais, 
savez-vous lire, seulement ? — Si moi savoir lire, moi pas bisoin 
lunettes ! > ( 2 ) 

« C'etait du temps oil Ton pendait encore les criminels k Namur. 
Deux hommes, un Wallon et un Flamand, etaient condamnes pour 
vol. Au moment de Tex^cution, le greffler lisant les sentences, fait 
connaitre que le Flamand allait etre pendu pour avoir pris des clous 
de cuivre dans un magasin. Enlendaut cela, le Wallon ne put 
s'empScher de dire : « II faut etre bete, de se faire pendre pour des 
clous ! » On lit alors sa propre sentence, disant qu'il serait pendu 
pour avoir pris 20,000 francs chez le prince-eveque de Liege. Le 
Wallon se retourne vers le Flamand et lui dit en se rengorgeant : 
« Ce n'est pas des clous, hein, ga, bdbd I > ( 3 ) 



L'ignorance ne va pas sans la pretention. On prete aux flamands 
une fugon de faire Timportant, engonces dans leurs secrets puerils 
comme dans un col trop haut, qui les rend parfaitement ridicules. 

(1) La Mar mite, n* du 28 mai 1899. — La memo faciHie nous a ele contee a 
Huy, (par unde nos professeurs d'Ecole normale, un Flamand !) au sujet d'un cons- 
crit campinois, aux sabots duquel on avait attache, d'un cote du foin, de l'autre cote 
de la paille. Au commandement de : Paille! Foin ! le consent a parfaitemeni compris. 
et lui aussi s'est mis a marcher « comme un homme » ! 

(2) t.a Mar mite, de Namur, n" du 25septembre 1898. 

(3) La Marmite, de Namur, n* du 6 juillet 1902. 



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WALLONIA 287 

Dans li Fiesse di Houte-s'i-plout, op6ra wallon, repr6sent6 
en 1757, un personnage raille en ces termes cette pretention 
dindonnesque : 

Tos les Ftaminds 

Fet des mis teres po rtn... 

« Tous les flamands font des mysteres pour rien », c'est-a-dire 
pour des riens, pour des puerilit6s. Le vers suivant ajouto : sol cotoe 
dCon tchin « sur la queue d'un chien », ce qui est un ridicule de 
situation. 

Fd t Yart « (aire le Jean » c'est faire de ses embarras, avoir une 
allure ou une attitude pr6tentieuse. Or, il s'agit ici du Jean flamand, 
du flamand type ('). On dit de quelqu'un : c&st on Yan" « c'est un 
Jean », pour dire, dans un sens ironique, que c'est un homme 
important. 

Dans Topera que nous venons de citer, on trouve encore, k 
l'adresse d'un Flamand, cette parole : 

Diale seuy di Ve r oume Tihon 
De v'ni sposer Vfeye (Von Wallon. 

« Au diable soit l'enfum6 Tihon (Flamand) de venir 6pouser la 
fllle d'un Wallon ! » 

La pretention la plus grotesque des flamands est, aux yeux des 
Wallons, de vouloir faire de l'esprit. Les faceties suivantes montrent 
ce qu'il leur en coute. 

« On dit parfois que les Flamands sont des imbeciles. Je vais 
vous prouver qu'O'i en rencontre parfois un malin. Mercredi dernier, 
un Flamand racontait a des com meres, qu'il connaissait un moyen 
excellent de ne pas etre mordu par un chien enrage. Bien entendu, on 
lui demande de le dire. II se fait tirer l'oreille. On lui fait boire du 
cate, puis deux ou trois verres de gentevre, et quand il a tout avall6, 
il raconte [dans un sabir grotesque] : « Quansque vous te voir de sien 
onraz6, te mettez touzours vous du cote se queue, pasque moi ze l'ai 
remarqu6 de sien i ne pas de dents & se queue. Ainsi te Tes zamais 
mordu, moi ze garantis. Te comprenez? » (*). 

(1) A propos de ce Jean flamand, designant le Flamand type, rappelons qu'en 
France aussi, le prcnom Jean a servi a etablir des noms typiques : Jean-farine, Jean- 
fait-tout, Jean-qui ne-peut. etc. La Bretagne possede Jean le Diot (l'ldiot). Le Hen- 
nuyer Jean le. Malin, le Namurois Jean Cocoye, le Nivellois Jean- potdtcfie, etc., 
tiennent une place honorable dans cette grande famille. Sur cette derivation, vov. 
Wallowa, VIII (1900), p. 221. 

(2) Tonnia d % Charlerwet, n" du 8 octobre 1904. 



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288 WALLONIA 

« Uu copere (Dinantais) etait a Gand, pour affaires. II passait en 
ville avec un Gantois, fiamingant de la belle espece. II avait gel6, 
c'etait l'hiver, et il faisait glissant. Tout a coup, notre cope re glisse 
et tombe stir le ventre. Le Flamaud le regarde se relever, et lui dit, 
avec Tair de se moquer de lui : « Le pave flamaud est tres fier, il 
supporte difficilement le Wallon! — Tout fior qu'il soit, riposte notre 
copere, il a tout de merae baise raon derriere !... » ( 1 ). 

Uu Flamaud et un Wallon disputeut. «Vous etes trop bete pour 
apprendre notre langue,dit le Flamand. — Possible, repond le Wallon. 
Mais, nous, nous n'avons cependant pas eu besoin de faire faire des 
pieces de monnaies en patois pour les reconnaitre!... » (*). 

* 
* * 

Les Flamands sont tetus. Aux entetes on dit qu'ils ont hie tiesse 
di Flamind « une tete de Flamand. » Les Flamands en disent autant 
des Wallons, et particulierement des Liegeois, dont le sobriquet 
« tete de houille », tiesse di hoye a la signification de t6te dure, et 
donne Tid^e d'un temperament trvs volontaire. 

Facetie : Un Flamand et un Wallon se disputent devant la 
galerie. Le premier demande a Tautre la difference il y a entre un 
Wallon et un hippopotame.Cette difference, c'est que l'hippopotame a 
la peau dure, tandis que le Wallon a la tete dure. « Mais toi, dit le 
Wallon, dirais-tu la difference qui existe entre un Flamand et un 
ane? » Le Flamand cherche et ne trouve pas. «Et bien, dit le Wallon 
triomphant, il n'y a pas de difference : ils sont aussi betes et tetus 
Tun que l'autre ! » ( 3 ) 

A Clermont-Thimister, on dit : tiestou com me 6 picre d % Flamind 
« tetu comme un picot de Flamand. » II s'agit, non d'une sorte d<* 
pique, un « picot », mais d'une canne a pointe de fer, a poigneedroite 
sans courbui'o et munie d'une laniere de cuir qu'on enroule autour du 
poing : type de canne tres usit£ chez les Flamands. Dans le dicton, il 
faut cioire que cette canne est citee pour son inertie, comme la 
borne dans le dicton frangais : tetu comme une borne. 

Dans li Fiesse di Houtesi-plout (1757), on trouve cette compa- 
rison : Ils (les Flamands) sont tetus comme des sangliers. 

Mais l'expression la plus commune de l'entetement des Flamands 
est dans le sobriquet de « tetes carrees ». 

(1) Li Couarneu, de Namiir, n' du 12 novembre 1005. 

(2) Li Coufimeii, n° du 26 mai 19U7. 

(3) Fre Coat/noil, do Verviors, n* du 25 scptcuibre 1904. 



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WALLONIA 289 

Oq appelle qio&reyes tlesses « tetes carrees », les Flamauds, les 
Neerlaudais, et aussi les Allemauds : ceux-ci sont des dobes Flaminds 
« doubles Flamauds », c'est-a-dire qu'ils out a un plus haul degre les 
qualites que la tradition attribue aux Flamauds. 

Si ce nom de tete carree reposait sup une observation foiidee 
il faudrait admettre que les Flamauds sont braehycephales. Or c'est le 
contraire qui a lieu, le type ethnique wallon, oppose au type flamaud, 
ayant la tete sensiblement plus ronde ('). 

Eu general, a Lie^e, le nom de tetes carrees s'applique a des 
hommes d'un jugement solide, mais peu avenants, et aussi aux 
formalistes et aux enters ( 2 ). 

La facetie suivante indique la riposte que font d'ordinaire les 
Flamands du peuple, quand on les traite de tetes carrees : 

Sus Cpont d'Sambe, inte Walton et Flamind. «Vas-e, rote 
(« niarche, va-t-en ») sapre tiesse carree! — Toi, fas pas ton tiesse 
carrie, pace que les p'tltes blesses (les poux) Us ont mange les 
coins ! » ( 3 ). 



Les Flamands sont egoistes. T6moin le fait raconte dans la 
facetie suivanle — qui donue Torigine du mot Alleluia : 

Trois voyageurs, incomius Tun de I'autre, se rencontrent au bord 
d'une riviere. lis s'avaneent vers un pont tres etroit. A l'entree du 
pout, le premier voyageur s'arrete, et avec un goste tr6s gracieux, 
s'adressant aux deux autres, s'efface et dit : « Allez! ». Celui-la, c'etait 
un Frangais ! Le second voyageur, d£signant le troisieme, lui cede la 
place et dit : Lu « lui » ! C'etait un Wallon. L> troisieme repoud 
siraplement : Ya « oui » ! Gelui-ci, c'etait un Flamaud — natu- 
rellement! ( 4 ). 



Les Flamands sont ingrats. T^moin ce distique satirique, aussi 
cruel pour les Flamands que pour le meilleur ami de l'homme : Cour 
dl tchin, cour di Flamind « cneur de chien, coeur de Flamaud ». 

(1) Voir a co sujet la bello etude de M. le Prof. Julien Fraipont dans VAn- 
nuaire XV (189(3) de la Societe liegeoise de Litteralure xoallonne, p. 179 a 209. Voir 
aussi la Communication du nieme Auteur au Con^res wallon de 1905, Wallonia XIII, 
(1905), p. 203 a 265, 516 a 520. 

(2) Jos. Dejardin, Dictionnaire des Spols y 2' edition, n° 2778. 

(3) Li Ma mite, de Namur, 1892, n a 39. U Tonnia d'Charlerwet, de Charleroi, 
1895, n' 24. 

(4) Wallonia, t. VIII (1900), p. 24. 



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290 WALLONIA 

^expression de « chien de Flamand » combine aux yeux du 
Wallon les deux types de l'ingratitude, et on Tapplique k toute 
personne qui se distingue par un 6go'isme qui se dispense de manifester 
une reconnaissance naturelle. 



Les Flamands sont batailleurs et brutaux ; ils ne reculent pas 
devant I'assassinat : ce sont de.< moudreus, des meurtriers. Moudreu 
d' Flamind est une injure particulierement populaire dans la region 
de Charleroi. 

Les FraDgais portent les memes accusations contre les Flamands. 
Du Ganob rapporte qu'un « Flament appelant ledit Perrin « sanglant 
» Francois Wallrin », il respondit que les Frangois et li Wallrin 
> ostoient aussi bon comme li Flamens. > Si la boutade des Flamands 
avait la pretention d'etre piquante, la reponse du Wallon fut digne 
et pleine de bon sons ( 1 ). 

Aller en Flandres sans couteau [pour se defendre], est un vieux 
dictou fran^ais qui s'applique a ceux qui se mettent en route ou en 
affaires sans avoir pris la precaution pr&servatrice la plus elementaire. 

Le mauvais caractAre des Flamands est encore affirm^ par 1'ex- 
pression de her, synonyme de hayave, « malcontent, difficile (de carac- 
tere) », qui se dit en Hesbaye et dans le Pays de Herve. Ge qualificatif 
h£r, qui s'applique a tout qui le merite, Flamand ou non, n'est autre 
que le mot flamand heer, « sieur ». 



Un autre d6faut des Flamands est d'etre couards et laches. Les 
facetics suivantes nous dispenseront de commentaires. 

« Le mayeur (bourgmestre) d'une commune wallonne ayant fait 
annoncer que la place de garde-champetre est a conferer, re§oit la 
visite d'un grand gros flamand. « Vous n'etes pascraiutif? — Oh! 
nein, ntrijnheer, repond le postulant. — Nous allons voir, dit le 
mayeur. » II sort, revient l'instant d'apres, et, tout a coup, tire en 
Tair un coup de pistolet. Le flamand blemit, tromble et... ne bouge 
pas. Le mayeur, agreablementetonne, dit a ce Jean-sans-Peur : «Cest 
tres bien, je vous felicite, je vous inscris en premiere ligne. Vous 
pouvez vous retirer. » Mais le flamand ne bouge pas. Le mayeur, 
pour mieux se faire comprendre, emprunte le langage du postulant, 

(1) Jules Deoleve, Le wallon montois et le vieux frangais, Mons, 1904, p. 141. 



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WALLONIA 291 

nioiitre la porte, et crie un bon coup : e weh ( l ) — Ya, dit le gros 
flamand, mais toi donner une fois a moi un nouveau broeh, un culote, 
afin. — Drole d'id£e! Et pourquoi ? — Je av6y « fait » dedans !... » 
C'estdepuis lors que les Flamands sont r6put«is pour des frous- 
sards. » ( 2 ). 

« On avail signal^ a Napoleon la bravoure des Beiges. II voulut 
s'en rendre compte par lui-meme et fit appeler un Flamand et un 
Wallon. II dit au Flamand : « Vous etes brave ?.,. Touchez-moi le 
nez du bout du doigt. > Le Flamand palit et ne bouge pas. Napol6on 
fronce le sourcil et reitere l'ordre. Le Flamand 16ve une main 
tremblante, et, soudain pris de panique, il s'enfuit a toutes jambes. 
Napoleon rit de bon coeur et fait avancer le Wallon. II lui demande : 
« Tu n'as pas peur ? — Non, dit le Wallon. — Alors, touche-moi le 
bout du nez. » Le Wallon crache poliment sur son index, Tessuie a 
sa capote, et le dirige vers Tendroit d6sign6. Mais l'empereur fait 
hap ! comme s'il allait le mordre. Le Wallon, plus vivement encore, 
16ve la main et vexe : Sacrd tchin, s'ecrie-t-il si ti n'esteus nin 
CEmpereur, t'aveus on pettird so V gueuye ! ( 3 ). 

Gontrairement au dire g6n6ral qui repr6sente les Neerlandais 
comme ayant des habitudes de grande proprete, les Flamands 
passent pour tres malpropres. M&ssi Flamind est une formule 
d'injure tout a fait populaire ; k Gharleroi : Laid sdle Flamind; 
A Namur : mdnet (malpropre) Flamind. 

Non seulement les Flamands sont malpropres, mais ils sont mal- 
sains : ils crachent blanc, et leurs baisers donnent des boutons! 

Un journal nivellois ( 4 ) a explique en ces termes deux dictons 
qui circulent dans tout le pays : 

« II pousse parfois en une nuit, sur la levre ou sur le menton de 
la personne la plus honorable, un bon gros bouton que Ton attribue 
d'ordinaire, soit au changement de saison, soil a un regime trop forti- 
fiant. — Trop d'avene et trop pau d'goria, comme dit le Wallon. 
Quel est le Nivellois, auquel ce petit accident est arrive, qui ait 6vite 

(1) En flamand : Weg ! «en route*, « partez »! 

(2) Variante dans V Coq cTawous, de Cuarleroi, 7 juil. 1906; Li Mestre, de 
Liege, n e 18, de 1894; VArmanak da Chanchet, 1905, p. 84 ; Le Pays borain, n" 50, 
du 11 dec. 1903; etc. 

(3) « Sacre chien ! si tu n'etais pas TEmpercur, tu aurais ma main sur la 
figure ! » — Facetie populaire en Hesbaye. Voy. une variante dans Li Tonnia 
(T Charlerwet. n* du 26 Janvier 1901. 

(4) CAclot, n° dn 24 fevrier 1889. 



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292 WALLONIA 

la plaisanterie de rigueur en cette circonstauce j-ui* le betche de Fla- 
mincl? Ce n'est pas la saison, ce n'est pas le regime qui a fait eclore 
ce bouton, rnais bien in betche de Flamind! Par metonymie on 
donne a l'eflet le nora de la cause, et le bouton lui-meme devient in 
betche de Flamind. 

« l^n general, in ratchon (crachat) d' Flamind est un trou, — 
mais un honnete trou, bien large et bien ouvert, — visible a Tun des 
vetements de dessus. En particulier, cette expression s'applique a un 
trou existant au talon de la chaussette, et laissant voir la peau du 
pied, lorsqu'on comniet limprudence de chausser des sabots saus 
« brides ». 

Un autre prejuge fait des Flamands des etres misereux qu'un 
petit agrement comble d'aise. 

A Liege, Jodoigne, Mons, on appelle bonheur ou tchance di 
Flamind, un evenement facheux qui aurait pu etre plus grave. Le 
sens est que cet evenement serait, par un Flamand considere coinme 
un bonheur, une chance. Ce que nous appelons « bonheur flamand » a 
et6 nomine ailleurs « bonheur allemand », il a cet ordre d'idees 
apparliennenl les considerations suivanles de Johanna Schopenhauer. 
(Jugendleben Wanderbilder, p. 83), sur le Bonheur allemand : « Les 
Frangais avaient riiabitude de dire en riant que lorsqu'une personne 
se casse la jambe, nous autres Allemands restimious heureux de ne 
pas s'etre rompu le cou par surcroit, ce qui eut pu facilement arriver. 
lis appellent cela le bonheur allemand. A premiere vue, cette 
remarque semble surtout ironique ; elle est en realite fondee sur une 
qualite precieuse, pmtbndement incrustee dans le caractere do notre 
peuple, qui nous pousse a trouver, menie dans l'adversite la plus 
grande, un cote supportable et consolaut ». (') 

De I'idee du « bonheur flamand » a celle de la malchance il n'y 
a qu'un pas. 

Le dicton esse di Flande « etre de Flandre », qui signifle etre 
embarrasse, mine, perdu, s'oppose chez nos Wallons au dicton « etre 
Francais », qui signifie etre vainqueur. On dit, en France aussi, 
« etre de Flandre » dans le meme sens qu'en wallon. « Cette expres- 
sion, dit Arthur Dinaux, veut dire etre perdu, etre coule, tombe en 
decouflture, se mettre en deroute. Cette facun de parler doit dater 
d'une epoque ou les habitants de la Flandre, apres leur grande pros- 
perity, et meme un peu a cause de cela, en vinrent a se revolter 

(1) A. Treichel, Lc Honheur allomand. Cite in Revue de I'Universite de 
Bruxell«s, 3 r annee 1897-181)8, n° 7, avril 1898, p. 550. 



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WALLONIA 293 

contre les gouvernants, puis a etre chattes si rigoureusement par leur 
souverain maitre, qu'il n'y avait pas alors a se vanter d'appartenir a 
la Fiandre. Les troubles de religion de la seconde moitie du XVI e 
siecle, durerent si long'emps dans ces coutrees et amenerent tant de 
saccagements, do pillages, de reactions et d'executions, quV>n peut 
dire, a juste tit're, par synonymic, etre malheureux et etre de Fiandre. 
Depuis longtemps, n^anmoins, cette expression a cesse d'etre vraie ; 
ce n'est que comme souvenir du passe que nous la reproduisons en 
l'expliquant. » (') 



La misere native des Flamands se manifesto par leur appetit, 
que Ton represente comme exag6r6 et d6sordonn6. 

Les Flamands, dit-on, ont set' mines di boyes di pus qiC les djins 
€ sept aunos de boyaux de plus que les gens » : ce sont de grands 
mangeurs, des gourmands. De merne on dit que les Flamands ont 
quatre pauses, cest-a-dire quatre estomacs, pour enfourner leurs 
victuailles. 

Pour dire que les Klamands mangent beaucoup, on dit encore 
qu'ils ont de longues dents. D'un gourmand Ton dit : il a des dints 
d'Flamind, ou bien, il a des longues dints, comme les Flaminds. 

II est fait allusion a la gourmandise des Flamands, et en meme 
temps & une reclamation politique, dans ces vers d'une chanson sati- 
rique d'Edouard Remouchamps (1890) : 

Nos estans % ne valche & lesse Nous sommes une vache a lait 

Po les provinces flamindes, Pour les provinces flamandes, 

Chaque djou e'est 'ne saqwe d'nove Chaque jour e'est une chose nouvelle 

On n'se pus Kmini nos slrinde : On ne sait plus comment nousserrer 

A zels totes les pieces I A eux toutes les places I 

Qui les antes djunessenl ! Que les autres jetinent ! 

V Wallon est fail po pai/i Le Wallon est fait pour payer 

Et VFlamind po magni ! ( 2 ) Et le Flamand pour manger. 

Parmi les insultes que Ton decoche aux Flamands, figure 
celle-ci : 

Laid Flamind oVgate 

Qui magne d& bouve et de froumatche I 

(1) Dinaux, in « Archives historiques et litteraires du nord de la France et du 
midi de la Beteique », 3* serie, t. II, 1851, p. 416. Cite par Dbjardin, Dictionnaire 
des Spots, 2° ed., n* 2293, p. 214. Voir aussi n° 1326 ; esse 'U Flande, etre perdu, 
aller a la derive. 

(2) Bulletin de la Society liegeoise de litterature wallonne, 2* seri«, t. 15, p. 270. 



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294 WALLONIA 

Manger du beurre et du fromage, en meme temps, sur la meme 
tartine, n'a plus rien qui 6tonne aujourd'hui ; mais autrefois, e'etait 
unepreuvre de goinfrerie ; alors, on mangeait meme bien souvent 
son pain sec. 

Les tranches de pain coupees 6paisses> par exemple pour la 
nourriture des animaux, sont appelees « des tranches de Flamands », 
c'est-&-dire pour les Flamands, qui preferent les plus grosses. 

i^W(faire) comme les Flaminds quand on est a table, c'est n'ouvrir 
la bouche que pour manger ; ou bien, c'est prendre conge de celui 
chez qui Ton dine, aussitot que le repas est termini, sans avoir 
particip6 a la conversation. (*) 

A Liege, les rots ou eructations sont appetes «grAces de Flamand* 
(graces, pri6res qu'on dit apres le repas) ; et Ton repete ce distique 

Cest des gr&ces di Ftamind, 
Les pources parelyuminl. 

« ce sont des graces de Flamand, les cochons [font] pareillenient ». 
La meme id6e s'exprime aussi contre les Allemands : 

Graces d'Allemand, 

Les pources 'nne fet ottant. 

A ceux qui boivent beaucoup de biere, on dit qu'ils out « une 
pause (ventre) de Flamand ». Manger de la soupe comme un Flamand 
c'est en manger immod6r6ment. 

La nourriture des Flamands passe pour etre compos^e de vic- 
tuailles interieures. 

En Franceses aouterons flamands sont appetes «Boyaux rouges*, 
parce qu'ils se nourrissenl trop souvent, comme certains animaux, 
de pommes de terre et de pain noir ( 2 ). Dans un petit couplet populaire 
k Li6ge, on se pr6vaut en ces termes de la superiority de l'alimen- 
tation des Wallons : 

Cest des crompires peteyes Ge sont des pommes de terre... f) 

Avou del tch&r saleye : Avec de la viande sal6e : 

Cest po les Flaminds, Cest pour les Flamands, 

Les Wallons n'e volet nin. Les Wallons n'en veulent pas. 

On appelle en general « ragouts de Flamand » des mets peii 
delicats et mal assaisonn^s. En wallon liegeois, ragout a toujours un 
sens pejoratif. 

(1) Bulletin de la Societo liegeoise de litterature wallonne, 2' sene, t. 9, p. 133. 

(2) De Raadt, les Sobriquets des communes beiges, (Bruxelles> 1904), p. 343. 

(3) Pommes de terre peteyes, grillees sous la eendre. 



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WALLONIA 295 

On dit que les Flamands mangent avec avidite des choses peu 
ragoutantes ; pap exeraple, ils mettent sur leur tartiae une couche de 
marmelade sur dc la caillebole. Si vous mettez de la moutarde dans 
leur potage aux legumes, ils ne s'en apercevront merae pas : is rtont 
note sawoura « ils n'ont pas de sens gustatif ». Ils mangent done pour 
manger, sans y prendre plaisir. 

On appelle gosse di Flamind, le gout de certaines personnes pour 
les choses d6goiitantes ou les cornbinaisons d'aliments etranges. 
L'expression, du reste, ne se rapporte pas exclusivement aux 
aliments : elle sert aussi a caracteriser le gout des choses voyantes, 
des accoutrements singuliers et grotesques. 

Dans le merae ordre d'idees, e^ette facetie de haute odeur : « Pour- 
quoi les Flamands regardent-ils toujours quand ils se sont toujours 
soulag6s ? — Pour voir s 11 y en a assez pour deux Flamands ! » 

La goinfrerie des Flamands fait dire qu'il n'y a rien de tel qu'un 
Flamand pour engraisser les terres! (*) L'engrais humain, la pou- 
drette, s'appelle en frangais engrais flamand, et Ton pretend que les 
fermiers flamands, quand ils en veulent acheter, jugent de la quality 
par le gout : ils y trempent leur doigt... 

Voici quelques faceties ou la goinfrerie des Flamands se trouve 
mise en relief : 

« Batisse etait amoureux d'une Hollandaise, et il l'aurait 6pousee, 
n'etait sa mere qui ne voulait pas en entendre parler. Batisse, con- 
trary, en avait perdu le sommeil et Tappetit, ce que sa mere ne 
manqua pas de remarquer. Elle dit a son fils : « Si vous voulez 
nVecouter, nous saurons si votre Hollandaise est digne d'epouser un 
Wallon. Offrez lui un fro mage de son pays. Si, avant d'en manger, 
elle coupe la croute fort mince, ne vous engagez pas : e'est une 
avare. Si, sansy regarder, elle coupe la croute avec une bonne couche 
de fromage, ne vous engagez pas : e'est une prodigue. Mais si, avec 
attention, elle coupe exactement entre la croute et le fromage, vous 
pouvez Tamener ici: ce sera une bonne m^nagere. » Le fils promet 
d'ob&r a sa mere. Le lendemain, il va chez sa bonne amie, et lui offre 
un fromage. La mere, impatiente de savoir le resultat de l'examen, 
questionne son gargon aussilot qu'il est de retour ; « Ma mere, dit-il, 
je suis embarrass^. Sitot que je lui ai presents le fromage, elle Ta 

(l) Variante: Un Flamand vaut deux Wallons pour engraisser les terres. A 
quoi les Flamands ripostent par un de leurs dictons deja eonnu au 10" siecle : Waar 
de Waaisch .schijt, qroeit yen grits. « Ou le Wallon eh... ne croit pas d'herbo. » 
Breughel le Vioux a fait flgurer ce dicton flamand dans un de ses tableaux : of 
Louis Maeterlinck, Nede.rl. spreekiooorden handelnd voorgesteld door Pieter 
Rrenqh*l den Onde. Cam!. \9()'A. p. •>>. 



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296 WALLONIA 

mange\ croute comprise, et n'en a rien laiss6! Que dois-je faire ? 
dit-il?... » (') 

« Dernterement, M. le cur6 fait venir un jardinier flamand. 11 
loge ce gaillard a la cure, et naturellement, on Vy nourrit. Apres 
quelques jours, le cure Tinterpelle : « Eh bieu, Jean, il me semble 
que vous ne travaillez pas beaucoup? — Oh ! meiner de curd, quans- 
que moi ne mange pas bramint, na travaille pas bramint nonplus.* 
Le cur6 s'en va tout surpris. II recommande a la servante de soigner 
Jeanet de lui faire un repas bien copieux, avec une bonne bouteille 
de vin. Jean s'en donne jusqu'au gosier, tant et si bien qu'il s'endort 
d'un somme qui durait encore a cinq heures. Le cure, faisant son 
petit tour dans le jardin, voit mon homme endormi, le secoue « comme 
une loque en feu » et lui dit : « Et bien, Jean, c'est ainsi que vous tra- 
vaillez ? Vous avez cependant bien mange ce midi? — Ah! meiner de 
curd, dit le Flamand ; bonne repas, bonne repos ! » ( 2 ) 

« Un Flamand et un Wallon qui s'etaient defies pour la malice, 
jouaient aux cartes a qui gagnerait une aune de saucisse. Apres une 
heure de jeu, le Wallon dit a l'autre : « Nous n'aboutirons pas. Voici 
ce que je propose. Nous aliens tenir la saucisse chacun par un bout 
entre les dents, et nous tirerons pour voir celui qui aura le plus grand 
morceau. — (Test convenu », dit le Flamand. lis saisissent done l'objet 
en bouche et quand ils y sont, le Wallon dit : I esse? « y es-tu », sans 
desserrer les dents. Le Flamand repond Ya, en ouvrant la bouche 
comme une porte de grange. Le Wallon tire un petit coup, et il gagne 
son pari ! » ( 3 ) 

5. — Quelques sobriquets 

Flaminds d' gate ! terme injurieux renfermant un jeu de mots 
sur gate. En wallon, le mot gate signifle « chevre » et l'idee de chevre 
n'a rien k faire ici. En flamand, gat est le nom de ce qu'un vaudeville 
appelle « l'endroit ou le dos change de nom ». ( 4 ) 

Flaminds d' potince ! — « Les noms des instruments de supplice 
sont devenus, en wallon, des epithetes injurieuses a l'adresse des 
personnes. On se jette tour k tour a la face, dans les querelles de rue, 

(1) Li Couarneiij de Namur, n' du 6 Janvier 1906. Le Tonnia d' Charier wet, de 
Charleroi, n" du 15 septembre 1906. 

(2) Tonnia cVCliarlervoet, n° du 27 juillet 1907. 

(3) Ce conte est des plus populaires. On en lira des variantes dans YAirdie, de 
Li^ge, n° du 10 fevrier 1893; dans Li Spirou, de Liege, n° du 4 avril 1897 ; dans Le 
Hopieur, de Mons, n° du 16 juin 1901 ; dans Li Mohon, de Spa. n° du 15 avril 1903 ; 
dans Le Crequion, de Charleroi, n° du 14 octobre 1905. 

(4) Dejardin, Dictionnaire des Sjiots, 2 e ed., n° 2777. 



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WALLONIA 297 

les mots Potince, Djubet, Rowe, Cwede, « Potence, Gibet, Roue, 
Corde. » (') Ajoutons que, pap un siugulier retour, ces mots servent 
aussi de termes do caresse: une more en cageolant son b6b6 Tappellera 
vis potince ; un ami accueillera un trait d'esprit de son ami en l'appe- 
lant sacri djubet, etc. — Toutefois, ee n'est pas dans une intention 
amicale que Ton decoche le Flamlnd d? potince. 

Les Wyinmes (Liege), les Wiydmes (Herve), litteralement « les 
Guillaume ». Wyitmie, prGnom d^precie, signifie cocu. Mais ici, 
il faut entendre une allusion au nom du roi Guillaume de Hollande, 
souvenir de Tepoque de la Revolution beige. C'est plutot aux Neer- 
landais que s'appliquait d'abord ce surnom « les Guillaume >. II s'est 
appliquG plus tard aux Flamands. Une chanson de Jean Rdry, 
regrettant la disparition du sarrau, blouse bleue, vetement national 
chez les anciens ltegeois, et que ne d6daignaient point, parait-il, nos 
anciens souverains, ce chansonnier, faisant allusion aux patriotes de 
1830, dit : 

Qwand 7 ont tchessi les Wyinmes fou <T nosse Patreye 
Is pwertit co V sb.ro. 

Aujourd'hui on dit tres bien : cest on Wyinme, pour dire : c'est 
un Flamand. 

A Gharleroi, les Flamands sont appeles Flam'zigs ( 2 ) et k Braine- 
TAUeud Flamoitches ( 3 ) deux formes argotiques qui ont la pretention 
d'etre agagantes pour ceux k qui elles sont appliquees. 

Flahiite, Flayute, est une appellation de meme genre que Ton 
donne aux Flamands. Celle-ci est des plus populaires, et se retrouve 
aussi en Picardie. A Mons, Flayide est devenu un nom commun, 
avec le sens de « personne qui s'explique mal, qu'on comprend diffl- 
cileinent » : le mot se prend toujours en mauvaise part. Le mot 
parait avoir le meme sens a Braine-rAUeud et a Nivelles. Dans tout 
le pays wallon de Belgique, chez les Picards et dans la Flandre 
gallicane, on repete ce distique sur Fair de la gamme, en fran^ais 
et en patois : 

Ut r6 mi fa sol la si ut 

Tous les Flamands sont des Flahutes. 

Et si Ton veut savoir le sens attribue a Flahutes, il sufflt de se 
reporter k la variante avec rime en o, que nous avons pr^cedemment 

(1) L. P. [Alphonse Le Roy et Adolphe Picard], dans Bulletin de la Soc. 
li£geoi.se de Litterature wallonne, t. II (1859), 2* partie, p. 53. 

(2) VTonnia <VCharlervoet % n' du 22 oct, 1904. 

(3) Renard, les Aven/ures de Jean cC 'Nivelles, 3* edition, chant 3* 



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rappelee (p. 282). 11 s'ensuit que le blason de Flahute ou Flaytite se 
prend toujours en inauvaise part. 

6. — La langue flamande 

La langue flamande est appel6e li wastal', de was is dat « qu' est 
cela », expression familifere au Flamand 6migr6 qui demande le sens 
de mots inconnus. Gonnaitre le flamand, e'est hinohe li wastat 1 , parler 
le flamand, e'est dj&serC wastat 1 . Dans une chanson anti-flamingante 
(1890), le po6te Edouard Rf.mouchamps s'ecriait : M&y di nosse veye 
nos n y parolrans V wastat 1 ! « Jamais de notre vie nous ne paiierons 
le flamand ! » Par corruption, on dit parfois wastatche, avec une 
nuance de sens pejorative. 

Connaitre le flamand est aux yeux des Wallons une chose etrange 
et rare. C'est aussi une chose drole. Quand quelqu'un ne comprend 
pas ce que Ton sVWertuo a lui expliquer, on lui dira plaisamment : 
Faut-il done qif on vous le repete en flamand ? 

Dans le langage familier, hinohe li tvastat 1 so dit fac6lieusement 
pour « connaitre le fond, l'essentiel, le hie d'une affaire*. Dans les 
m ernes sens on dit a Malmedy hunohe lu wasisfas, allemand was ist 
das ? « qu'est cela ». Un auteur ( ! ) signale ce sens liegeois dpnt nous 
n'avons pas constate la popularity : hunohe li wastate « connaitre le 
moyen de reussir ». 

L'idee meme d'apprendre le flamand passe pour saugrenue. 
T6moin cette anecdote qui nous est presentee comme un « mot de la 
fin > par un journal wallon : 

Devant V guillotine, C bouria nu condane : « Vos n' desire pus 
re ? » — U condani : « Si fait. » — L* bouria : « Qwe vouldz ? » 
— U eondani : « Dje voures bi aprinte I' flamind ! » [ 2 ) 

Une autre fae6tie montre que le flamand est une langue diflleile, 
et qui ne s'apprend pas en un jour. 

Un Wallon avait apprivoise un corbeau et lui avait appris son 
langage ( 3 ). A la suite de quelque mefait, il decida de s'en defaire et 
trouva acheteur en la person ne d'un Flamand, que Tidee amusa de 
ramener chez lui un corbeau paiiant wallon. Une quinzaine de jours 
apres, le Flamand revient, porteur de l'oiseau, et reclamant son 

(1) Die tionnairc des Spots, 2" ed. n°2577. 

(2) Tonnia d" Charlerwet, n° da 11 aout 1900. 

(3) Le corbeau est le perroquet du pauvre. On raconte sur les mefaitsdes cor- 
beaux. parlants maintes anecdotes ou leur indiscretion amene des situations 
comiques. 



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WAUiONIA 29$ 

argent avec energie. « Votre corbeau ne parle pas, dit-il, impossible 
d'en tirer une parole. — Vous m'etonnez, dit le Wallon : ici, il n'y 
avait pas moyen de le faire taire. » Apostrophant alors le corbeau : 
« Et bien, que me dit-on ? II parait que tu es devenu muet ?... » Alors 
le corbeau tout d'un trait : « Elle est bonne, celle-l& ! Apprendrais-tu 
bien le flamand en quinze jours, toi ?... » ( l ) 

* 

* * 

Parler flamand se dit flam'ter. Une forme plus moderne est 
sprefiener, derive macaronique du flamand sprehen « parler ». 

Pour les Wallons, le Flamand est le type des idiomes incompr6- 
hensibles. La oil le Frangais dirait : c'est du grec pour moi, la ou nos 
lettrSs disent : c'est du latin, le Wallon dit : c'est du flamand. 

« Autrefois, chez les Flamands, waalsch « wallon », signifiait 
indistinctement tout ce qui n'6tait pas « thiois > (nous dirions aujour- 
d'hui : « flamand »); de meme, aux bords de la Meuse, flam'ter, c'est 
bredouiller; que ce fut meme de Tanglais ou de Tallemand, ce n'etait 
pas Tidiome natal, cela sufflt. Est-ce que l'antiquite n'a pas appele 
barbares, bourdonneurs, mdnie muets, tous ceux qui venaient d'une 
terre etrangere ? » ( 2 ) 

Tout idiome qu'on ne comprend pas, est qu »!ifi6 de flamand. Ce 
put meme etre, autrefois, le cas pour le frangais, si Ton en croit 
Sigart, dans Tanecdote suivante ( 3 ). « Pour l'habitant de nos villages 
wallons, dit cet auteur, le frangais m6me populaire, est quelque 
chose d'etranger et d'etrange, on ne le comprend qu'a moiti6. Un 
jour, une duresse (lavandi6re) vient m'inviter k visiter comme 
medecin, M. C, k Jemappes, et me dit qu'elle viendra me prendre le 
lendemain en retournant de sa buee. Je replique que j'irai bien seul. 
« Non fait, une dit-elle, i faut que fvawse (aille) avec, vos rC les 
compdrdrite gnie (pas), pace qud cds gins-la, veyez hi, c'est dis 
especes d£ flaminds, mi d'suw faite am ieus' (moi je suis habitude k 
a eux, k leur jargon.) M. G. et sa famille etaient... frangais ! Elle 

(1) L'anecdote a ete trait£e en vers wallons sous le titre : On cicerba franc 
Lidjwes par Michel Thiry et publiee dans le Bulletin de la Soc. lieg. de Litterature 
wailonne, t. X (18(58), 2* partie p. 1-5. — Vari antes dans le Tonnia d % Charlerwet, 
V annee, n' 11 et 2* ann6e n*27. Autre variante,en patois borain,dans le Farceur, de 
Wasmes, n 8 du 30 sept. 1894. Variante liegeoise dans la Revue des Traditions popu- 
lates, XXI (1906), p. 42. 

(2) J. Stechbr, notice sur Alphonse Le Roy, 1898, p. 5. 

(3) Sigart, Dictionnaire da patois de Mons (Bruxelles, 18(56), p. 395. — Nous 
pourrions citer vingt temoignages anciens, concordant a montrcr qu'a Liege, le 
francais etait an contraire fort bien compris d'une population presque exclusivement 
reduite a Tusage du wallon. 



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300 WALLONIA 

croyait que j'aurais besoin d'elle comme interprete pres d'eux, parce 
qu'elle avait eu d abord beaucoup de peine a les comprendre. A la 
verity, j'etais facilement compris d'elle, quoique je ne parlasse que le 
frangais et le montois, mais j'etais compris parce que je choisissais 
bien mes mots et mes phrases, tandis que la famille C. ne savait se 
mettre & sa portee ». 

Voici quelques autres t6moignages. 

Un ouvrier liegeois, poete wallon tr6s distingue, avec qui nous 
parlions r6cemment de la diversity dos patois, dit : C'est bien vrai ; 
ainsi, par exemple, k Tournai, on parle un si drole de wallon que 
c'est quasi du flamand ! 

Les enfants se disent entre eux, en guise de devinettes de petites 
phrases wallonnes singulieres, qu'il s'agitd'expliqucr. Par exemple : 
Dji Va et s f V U di-dje « je Fai et te le dis-je > ; Ane dji ra m'-vis de 
€ Anne, j'ai de nouveau mon vieux de. » Ces formulettes tradition- 
nelles s'appellent rim-ram, et on les appelle encore de flaming 
« du flamand ». 

Une faccttie contee par le journal patois le Farceur, de Wasmes 
(n° du 3 juin 1894), parle d'un Flamand qui parcourt une ville d'ltalie 
en voiture de louage. Pour faire comprendre que le cocher parlait 
aussi mal le frangais que son client, Fauteur dit que ce cocher italiegn 
etait aussi flamind que le Flamand lui-meme. 

* 
* * 

II ne manque pas de dictons montrant Fidee qu'on se fait de la 
langue flamande : langue inferieure et desagreable. 

On inflige le nom de Flamands aux lignroits « linots » dont le 
chant n'est pas pur, ou lorsqifil manque d'harmonie, href, a eeux 
dont on dit qu'ils chantent mal. — A propos de ce mot, un Flamand 
eminent ne peut s'empecher de protester : « Voila pourtant comme, 
dans les couches profondes, persiste le prejuge. L'homme du peuple 
reduit a son patois, s'imagine que tout autre langage n'est qu'un 
bredouillement barbare !... » (') 

A Ltege, le derriere d'une personne, c'est « la bouche qui parle 
flamand ». 

On dit encore : c'est on pot qui dj&se flamind 4 « c'est un pot qui 
parle flamand » (Ltege). Se dit d'un pot fele, qui rend un son faux 
(etranger). Ce dicton correspond au flamand : Hij spreek latljn « il 
parle latin » ( 2 ). A Namur, quand on donne un coup sur un objet fele, 

(1) Jean Stecher, in « Revue de Belgiquo, 15 nov. 1890, p. 296. 

(2) Dbjardin, Dictionnaire des Spots, 2* 6d., n* 2474. 



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WALLONIA 301 

on dit : Qa cause flamind ( l ). A Nivelles, d'un objel tele, pot, sabot, 
etc., on dit : i pdle flamind. Dans le Hainaut, un sabot casse, qui, 
dans la marche donne un son criard et faux, s'appelle chabot 
d % flamind. 

Pour expliqier que le langage des Flamands est si rude, on dit 
qu'ils croquent des noix, qu'ils out des cailloux dans la bouche, etc. 

A Namur, on dit autre chose : on raconte que le Flamand date 
de la Tour de Babel. Parmi les masons occup^s a la construire, il yen 
avait un qui, lors de la confusion des langues, se mit k rire en enten- 
dant son voisin parler le Wallon. Celui-ci, furjeux, lui langa dans la 
bouche une motte de raortier. Aussitot, il parla flamand : Eendracht 
maakt macht, etc. Depuis lors, tous les Flamands ont du mortier 
dans le gosier. On ne saurait parler le flamand sans cela (*). 

* 
* * 

La manie qu'ont les Flamands de parler leur langue meme aux 
gens qui ne doivent pas la connaitre, a donne lieu a maintes faccHies. 

Un Anglais, en train de chemin de fer, etait enrhume et toussait 
a faire peine. De temps a autre, il tirait une boite de sa poche et 
sugait des pilules. En face de lui, une dame flamande toussait aussi. 
L' Anglais lui pr&ente sa boite a pilules. Elle accepto et le remercie 
en disant en son langage : Dank u ! Mais l'Anglais, qui connaissait 
seulement un peu de franoais, repond : Nao, pas dans cu, dans le 
bouche ! ! > ( 3 ) 

Un beau jour, Joseph de Nalinnes rencontre dans le train, un 
Flamand avec qui il avait d^ja fait des affaires. « Ou allez-vous, lui 
demande-t-il ? — Je in'en vais a Bergen. — A Bergen ? dit Joseph, 
je n'ai jamais entendu ce nom-la. — C'est ce que vous autres appelez 
Mons. Et toi, Joseph, oil vas-tu ? — Oh ! moi, je vais a Culotte-de- 
Gdant. — A mon tour, je n ai jamais entendu ce nom-la. — C'est 
ce que vous autres appelez Ruysbroek ! » ( 4 ) 

7. — Les Flamands et le Paradis 

Le petit conte suivant, recueilli a Li^ge, est la conclusion toute 
naturelle de notre serie. C'est en effet un enseignement sur la destinee 

(1) Pirsoul. Dictionnaire wallon frangais, dialecte namurois, au mot « Fla- 
mind ». 

(2) Ce conte a ete rapporto par J. PoRTidans In Mar mile, iTclu 16 fevrier 1902, 
et reproduit dans ses Contes tcallons, (Namur, Delwiche, 1903), p. 21 a 25. 

(3) Tonnia d'Charlerwel, de Charleroi, n* du 14 juillet 1906. 

(4) Li Coq d'Awous, de Charleroi, n* du 2 juin 1906. 



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WALLONIA 



derniere des Flamands. L'importance de leur langue est jug6e de si 
haut que l'esprit satirique des Wallons, tout in^puisable qu'il soit, 
trouverait malaiseuient quelque trait plus d6finitif ! 

Ou raconte done qu'un jour d'hiver, saint Pierre se troiiva forte- 
ment enrhume. Le courant d'air qu'il recevait en ouvrant et en 
fermant la porte du Paradis lui avait occasionne de violents maux de 
dents et d oreilles : il fut force de se retirer dans I'interieur du Giel. 

Qui done ouvrira la porte a present ? 

Apres avoir bien refleehi, Dieu choisit saint Georges. 

« J'acccpte, dit eclui-ci, car un vieux guerrier com me tnoi 
est endurci et ne craint pas les rhumes. Gependant je prdvois une 
difficult^. 

— Et laquelle, dit Dieu le Pere ? 

— Je connais parfailement tous les langages ; un seul excepte, 
que je n'ai pu apprendre, repondit saint Georges. 

— Et quel est-il, demanda aussitot saint Pierre ? 

— C'est le flamand ! 

— Oh ! si ce n'est que ccla, s'ecria saint Pierre en riant, n'en 
soyez pas embarrasse ; j'ai bonne mdmoirc, mais je ne me souviens 
pas d'avoir eu besoin de cette langue. Jamais Flamand ne frappa a 
cette porte. » 

Ges paroles tranquilliserent saint Georges et il prit les clefs. (*). 

Oscar COLSON. 



(1) Cette faoetie se raconte a pen pres dans les inemes termes en pays flamand... 
contre les Wallons ! Cf. Louis Pire. Lfyendes et Traditions de la Relgiquc* traduites 
librement du texte allemand de Marie von Ploenmes (Cologne, 1848), p. 23. 




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SORGELLERIE 



Au Pays de Herve 



1. — Un betail ensorcele 

Une dame m'a raconte que son grand pere, fermier a Charneux, 
ayant vu perir toutes ses vaches, avait renouvele plusieurs fois son 
troupeau : la mort ne cessait d y faucher. 

Pousse k bout, lui qui n'avait jamais cru aux macrales, se rend 
chez un r'creyou-macre : 

— « Vous avez encore une vache malade, lui dit-on, tuez-la, 
mais pas sur le sol de voire ferme. Prenez le coeur, les poumons et le 
foie, et mettez-les cuire le soir, de fa^ou a ce qu'ils cuisent toute 
la nuit. Quand viendra minuit, ayez soin d'etre tons eveilles. Vous 
viendrez eusuite me dire comment les choses se sont passees ; la 
premiere personne que vous rencontrerez alors vous demandera ou 
vousallez, gardez-vous bien de repondre. » 

Lorsqu'on voulut conduire la vache sur la route, pour la tuer, 
elle beugla d'une ia^on eflVayante ut il fallut la trainer dehors par la 
foi ce. 

Le soir on mit cuire les visceres d6sign6s. Malgre toute leur 
bonne volonte, quant vint minuit, tous dormaient; ils s'eveillent de 
suite apres minuit : la marmiteetait vide. 

A deux heures du matin, ils allerent raconter les details au 
r'creyou macre ; i\ peine avaient-ils quitte la fermo qu'une tenet re 
s'ouvrit et on leur demanda ou ils allaient : ils ne ropondirent pas et 
n'eurent plus de vache malade. 

2. — Le foin maleficie 

On raconte a Thimister, qu'il y a unetrentaine d'annees, un fer- 
mier occupe a la feuaison, trouva sous sept petits tas de foin, un 



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304 WALLONIA 

oeuf; l'histoire ne dit pas ce que Ton fit des oeufs, mais on mit ces 
petits tas de foin k part et d6s qu'ils furent donnes aux vaches, toutes 
sans exception avorlerdnt. 

3. — Une prairie mal famee 

« Es fond mon cu» est une grande prairie mal fam£e que traverse 
lesentier conduisant de Xhendelesse a Rechain. 

Cost la que, vers 1860, un chat s'obstina, certain soir, a suivre 
lesieur G. Ausortirde la prairie, le chat dopasse vivement rhomme 
et saute sur l'^chalier. D'un coup de canne, G. lui fait une blessure 
saignante : il venait de blesser son meilleur ami et en fut si effraye 
qifil mourut rapidement de langueur. 

Quelques ann^es auparavant une femme B., du pays de Sou- 
magne, s'^tant attard^e k Verviers, apprehendait de passer seule 
€es fond mon cu », elle fut heureuse de rencontrer la femme D., une 
compatriote. Gependant, dans la prairie mal fam£e, les deux femmes 
se perdirent. Apr6s avoir beaucoup cherch6, lid^e vint a la femme B. 
de faire le signe de la croix : elle se trouva immediatement en face 
de l'echalier, mais elle appola vainemeat sa compagne, elle dut cou- 
tinuer seule. Dans la suite, la femme D., qui etait consideree corarae 
macrale, ne reparla jamais de l'a venture. 

4. — La belle-mere maleficlante 

II y a quelques 50 ans, une famille de Soumagne voyait mourir 
ses enfants des les premiers jours de leur existence. 

« A chaque accouchement vousallez chercher la mere du mari, 
c'est elle qui jette un sort » telle fut la declaration du rcreyou mact e 
consults. 

Pour Taccouchement suivant, on ne la prevint pas, mais le jour 
voulu elle se prdsenta au milieu de la nuit, disant k son fils : Votre 
femme s'accouche, je viens comme d'habitude. 

On lui refusa Tentr6e. — L'enfant v6cut. 

5. — Les boudins ensorceles 

II y a bien des annees deja, un fermier de la Cinse h laton, pres 
Saive, avait mauvaise reputation. 

II avait demand^, pour certaines reparations a la ferme, un 
ouvrier magon de Gerexhe. Un orage epouvantable etant survenu k la 
fin de la journee, il conseilla k Touvrier de loger k la ferme. 



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WALLONIA 305 

Dans la chambre a lui destinee, le magon trouve un livre, se met 
a lire et n'est pas peu surpris de voir arriver devant lui un tas de 
tripes toutes chaudes. II pousse des cris, le fermier arrive et dit 
voyant le tableau : « Tu as lu dans le livre !... cela ne fait rien : nous 
les mangerons.» 

Le magon se sauva sans vouloir etreaccompagn6 par le fermier; 
mais un chien lesuivit jusqu'a son domicile, a Cerexhe. 

Vers 1810, le fermier M. et son domestique, passaient la nuit 
dans la campagne, pour veiller aux gerbes de grains, a Tendroit oil 
se trouvo actuellement la halte du chemiu de fer, k Melen. 

Le domestique dit tout a coup : on fait les tripes al Maladreye 
(ferme voisine) on rode; les volans-ne fi v'ni ? « On fait les boudins k 
la ferme al Maladreye, on le sent; voulons-nous les taire venir? » Co 
disant, il etale a terre son grand mouchoir rouge et les tripes d'y 
arriver toutes fumantes. II en prit une, la jeta derrtere lui, par dessus 
son epaule, en disant : tins, v'la t'p&rt, «tiens, voila ta part!* On ne 
revit pas cette tripe et on ne sait ou elle alia. 

C'est le r6cit du fermier, il n'approuvait pas son domestique et 
ne voulut pas manger. 

A Thimister etCharneux, on parle aussi de faire partir les 
« tripes ». 

A Gharneux, entendant un bruit iusolite dans la marmite, une 
femme souleve le couvercle, les < tripes » partaient. *Iy Jesus ». dit- 
elle, mais un peu tard, car il ne retomba dans la marmite qu'un boyau 
vide. 

Sur cette croyance, voici encore quelques details : 

Dans la marmite, lorsque les tripes viennent de s'6chapper, il 
reste l'eau ; mais le plus souvent on trouve en plus une assez grande 
quantite de suie de cheminee. 

Pour empecher les boudins de s'e*chapper, il faut ne dire a per- 
sonne qu'on va en faire; ajouter de l'eau benite k Teau de cuisson ; 
cuire les tripes dans le temps qui s'ecoule entre deux messes. 

6. — Le verre de sorciere 

Mali Colete habitait Fecher. Sa maison etait voisine d'un tilleul 
qui portait son nom : li tiyou Mati Colete... 

Un soir, il croit entendre le Sabbat; il se leve et voit une ronde 
de sorcieres autour du tilleul. On dansait, on buvait... II s'approche, 
mais ne peut recounaitre personne, on lui offre pourtant k boire dans 



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306 WALLONTA 

un beau verre. « Iy Jisus* Marid tbe verre », s'6crie-t-il. Tout dis- 
parait aussitot, il reste seul le verre en main. 

On examine le verre, on faitdes recherches. 

II venait d'au-del& de Liege. 

7. — La sorciere fatiguee 

A Fleron, unevieille femme dit a une jeunequi ramassait des 
pommes : ni nfez nin si nhheye dji v's aidere cVmin « ne vous fati- 
guez pas tant, je vous aiderai demain. » 

La vieille partie, un ouvrier dit : 

« Ne vous fiez pas k cette vieille macrale, cost sabbat la nuit 
prochaine, demain elle sera fatiguee. » 

En effet, le lendemain la vieille vint dire: Dji rimi stireut 
st-abahi, dj'a trap m?i mes rins « je ne saurais me baisser, j'ai trop 
mal aux reins »... 

8. — La sorciere punie par le demon 

A Fecher (Soumagne), vers 1850, Garitte M. alia certain soir 
trouver le vieux cloutier R. (tous deux portaient mauvais nom), et lui 
demanda, corame unegrandegrAce, de l'accompagner k Cerexhe 

Arrives dans la campagne de M61en. non loin, parait-il, de la 
station actuelle de Micheroux, elle le pria d'attendre un moment : R. 
entendit alors qu'on la frappait; il entendit ensuite les cris et les 
gemissements de Garitte M. 

Elle venait d'etre rouee de coups sans que R. ait rien pu voir. 

C'etait une punition du demon. 

lis rebrousserent chemin et rentrerent cliez eux. 

9. — Les « sotes » maleficiants 

II y a quelques annees, dans une ferme de Glermont-Thimister, 
plusieurs vaches etaient mortes coup sur coup. Le r'creyou macri, de 
Herve, vient faire ses oremus, declare le tour jou6 par des sotes, 
nains legendaires. Mais le mal est maintenant conjure : a minuit, on 
les enteudra partir. Effectivement, a minuit, la fermiere entendit 
distinctement partir les sotes. 

Malgre cela le lendemain on trouva encore une vache morte; on 
pensa alors a faire venir le veierinaire, M. A. Louhienne, qui declara 
les betes empoisonnees par le plomb et reconnut Torigine de cet 
empoisonnement. 



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WALLONIA 307 

10. — Pour eviter les sorts 

Dans le pays de Herve, on dit qu'il ne faut pas jeter des coquilles 
d'ceufs non e*cras6es sur la route, 

On dit aussi qu'il ne faut pas separer les objets qui marchent 
par paire ; par exemple, des chaussettes. 



II y a une vingtaine d'annees, le fermier D..., de Fleron, fut un 
jour dans Timpossibilite d'obtenir du beurre dans la baratte. On se 
rappela de suite qu'une vieille femme etait venue dans le courant de 
la setnaine : c'etait une raison suffisante. 

Lorsqu'elle se representa, on lui reprocha vivement sa con- 
duite : 

— Dji n' m* enne &reus sawu passd, dit-elle, poqice tapiz-ve des 
h&gnes cVoii sol vdye ? « Je n'aurais pu m'en passer dit-elle; pour- 
quoi avez-vous jete des coquilles d'oeufs sur la route? » 



Le sieur D..., fermier a Clermont, avait des malheurs. 

II manda un r' creyou-macre de Herve, qui arriva de suite : 

— N'a-ve ni, dit-il, disperi des tch&sses ou dds tch&ssons? 
«N'avez-vous pas deparie des bas ou des chaussettes? > 

On avait repaid un drap de maison avec un chaussou, sans 
d^truire l'autre. 

II fait d^coudre le drap, prend le chaussou, le met en poche, et 
va faire ses oremus dans le fenil. 

II en descendit tout en transpiration... 

Les malheurs cesserent. 

11. — Les attelages ensorceles 

Vers le milieu du siecle dernier vivait dans le pays de Soumagne 
un crahliy surnomme « Pierre Closmantche*. II s'attribuait le pouvoir 
de faire d'un mot et malgre elles deshabiller les jeunes filles. 

Ayant vendu son fumier a tant la charret^e, il dit a Tacheteur 
qui prenait livraison : « Ge n'est pas le tout de charger, c'est de s'en 
aller ! » En effet, la charrette chargee, pas moyen de demarrer meme 
avec des chevaux en plus. 

Bien plus redeem men t, les chevaux d'un attelage refusaient obsti- 
n6ment de tirer. Un pretre etant intervenu, ils partirent sans diffl- 
culte. C'6tait chez S..., k Battice. 



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308 WALLONIA 

A Battice encore, un attelage ne pouvait d^passer la maison de 
la « vile B&re », qui &ait sup son seuil : « Vas-tu rentrer, vieille 
macrale ! » cria le charretier. 

Sitot Barbe rentree, le cheval continua sans peine. 

A Soumagne, on dit que lorsqu'un attelage e-t arrete, on trouve 
toujours 13 rais aux roues; et qu'en donnant un coup de couleau dans 
le 13 e on blesse le sorcier qi i a jou6 le tour. 

12. — Religieux exorciseurs 

L/abbaye de Val-Dieu (Gharneux) est r^putee dans tout le pays 
de Herve et bien au dela. 

Si Ton vous a jet6 un sort, si vousnepouvez faire du beurre, si 
vos betes sont malades ou perissent, si vous avez un parent nialade, 
si votre maison est hantGe, etc., allez al V&-Die : on vous donnera 
une tranche de pain b6nit, de l'eau b6nite, peut-6tre des medailles et 
des cordons pour attacher aux pieds des animaux ou pour jeter dans 
les fosses. 

13. — Benedictions speciales 

G'est aux Quatre-Temps, dit une vieille croyance du pays, que 
les macrales ont leurs reunions piiucipales. 

Aux Quatre-Temps aussi un tres grand nombre de cultivateurs, 
soit pour se debar rasser des malefices, soit le plus souvent pour s'en 
preserver, reclament de leurs pretres les benedictions speciales. 

Ces benedictions sont demand6es une fois pour toutes et le pretre 
va les donner a la ferme meme, quatre fois par an, a chaque retour 
des Quatre-Temps. 

14. — Exorcismes 

Vers 1835, le cure de Grivegnee habitait a la ferme V... 

Dans cette ferme, le b6tail p6rissait en masse. On crut a un sort 
jete, et le cure promit de faire le necessaire des que toute la domesti- 
cite serait eloign6e de la maison. 

V... occupa ses domestiques aux champs et envoya sa servante 
faire des courses a Ltege. 

Le dernier 61oigne, le cur6 dit a V... : « Nous allons faire des 
prieres si fortes (sic) que le coupable devra venir s'accuser. » 

Peu apres, la servante revint : « Je ne sais, dit-elle, quelle force 
m'empeche d'aller a Ltege, mais pas moyen de continuer ma 
route ! > 



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WALLONIA 309 

A Clermont, vers la meme epoque, le fermier W... a vu perir en 
trois ans cinquante vaches, c'est-a-dire deux fois son troupeau. Uu 
matin, il en trouva huit mortes qui n'6taienb pas malades la veille. 
On entendait des bruissements de chaines a Tecurie. 

Peu auparavant, on avait vu une vieille femme aller de fosse a 
fosse ; au dernier, on la vit nettement tremper des loques, les tordre 
et les mettre dans un sac ; elle alia deinander Taumone, on Tinter- 
rogea, on lui fit vider son sac : les loques 6taient sfeches. 

Le v6terinaire traitant avait, parait-il, l'habitude lorsqu'il ne se 
tirait pas d'affaires, de d6clarer qu'il y avait un mal6fice, et de con- 
seiller Intervention du cur6. 

Le cur6 vint... pas de r^sultat; d'autres cures... rien ; un chanoine 
de Li6ge fut appel6... rien; puis, bref, trois pretres du haut clerg6 de 
Liege vinrent ensemble a trois reprises et a longs intervalles ; ils 
pratiquerent un exorcisme qui dura des heures, ils se rendirent dans 
toutes les prairies. 

Le veterinaire assistait a Top6ration. 

Ils ordonnerent de ne plus faire de cadeaux ou dons des produits 
de la ferme, et de faire donner les « benedictions des Quatre-Temps ». 

Deux jeunes gens de la ferme Gtaient alors gravement malades ; 
les pretres dirent que pour Tun il etait trop tard, mais que Tautre 
guerirait : il en fut ainsi. 

Sous le pave de Tecurie, on trouva quantite de poils de vaches de 
toutes les couleurs. 

Pendant que les pretres de Liege etaient a la ferme, un voisin 
rodait autour de la maison ; on le pria d'entrer : « Non, dit-il, il y en 
a la trois qui me genent. >► 

D r S. RANDAXHE. 



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LITTERATURE DE CHEZ NOUS 



Mireye 

(Wallon de Nivelles) 



A M. Frederic Mistral 

Dj'ai la, d'vant mes is, vos Mireye : 

Ele me chene el fiye du soleye, 
Fource que vos avez soe m'asblewi pa s' clarte; 

Ele froutboure era' sang pa 'necarfesse 

D'in seul tcheveu d' ses nweres tresses 

Eye sarout pour mi 'ne rale fiesse 
D61 sure, 't au long de s' voye, pa-n-in bia djou d'est6. 

Mais pa d'zous nos laids gris nuatches, 

S'elle 6rtrouverrout V fleur de s'n atche, 
Est-ce qu'ele v6rout jamais destinde el feu d' ses is?... 

Pourtant, d'sus nos terre brabancone, 

Dje vourous vir vo b&le lurone, 

Habiyee commeene fiye wallone, 
Av6, p' au bras, s' Vincent, V galant qu' ele s' a chwesi. 

MIREILLE 

J'ai, la, devant les yeux, votre MireiLle : — ELle me semble la fille du 
soleil, — Tant vous avez su m'eblouir de son eclat; — Elle ferait bouillir 
mon sang par une caresse — D'un seul cheveu de ses tresses noires — Et ce 
serait une rare fete pour moi — De la suivre, tout le long de son chemin, 
par un beau jour d'ete. 

Mais sous nos nuages laids et gris — Si elle retrouvait la fleur de son 
age, — Viendrait-elle jamais 6teindre le feu de ses yeux?... — Pourtant, 
sur notre terre brabangonne — Jo voudrais voir votre belle luronne, — Vetue 
comme une fille wallonne, — Au bras de son Vincent, l'amoureux qu'elle 
s'est choisi. 



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WALLONIA 311 

Al place de vos bleuz6s masintches, 

Is virinent nos pierrot qui s' clintche 
Sus 'ne couche de bl6tes ceriges, yusqu' i put bwere a s' sw6. 

Pou d' Crau, pou d' Camargueye pou d' Saintes, 

Pou d' romarin si boun a sinte : 

Dins les tch'mins, d'lez saquant pi^sinte, 
Des meurons, mais sauvatches, des alines, raais sans swe. 

Dang^reus qu' is n' virinent ni 1' gate, 

El gate in our a djaun^s pates, 
Que T manderli, gayard, a s' djoune coum6re ofrout; 

Mais dins no brune 6y6 crasse tere, 

Yusqu'au nut el fraicheur intere, 

El fleur, do tertoutes el pus tere, 
El fleur de leus amours, a m'n id^e, florirout. 

Ey iss'in dirinent, ieus' deus, s' pierte, 

Leu 16pes, tout comme leu coeur drouvifertes, 
Dins 16s froumints, dins V ble, dins les grands verts pachis, 

Dins V sucouron, dins les avenes, 

Dins les fav'lotes al douce haleine, 

T au long des royes de marjolaines, 
Dins T pus parfond du bos, 1' m^yeuse place pou s' muchi. 

Quand sarout tout d' leu pourm^nade. 

Mir6ye rinterrout 't aussi rade 
A V maisse-cinse d6 s' mon pere, qu'on vwet dins 16s gayis, 

Av6 ses longues blanches murayes, 

Ave s* gregne qu&rtchee sins 'ne seule craye, 

Ave les staules d6 ses cavayes, 
Av6 ses twets d'ardweses, les pus hauts du payis. 

Au lieu de vos mesanges bleues, — lis verraient notre moineau qui 
perche, un peti pench6, — Sur une branche de cerises blettes, od il peut 
boire a sa soif; Point de Crau % point de Camargue et point de Saintes; — 
Point de romarin qui fleure si bon : — Dans les chemins, pr&s de quelque 
sentier — Des framboisiers, mais sauvages, des chenilles, mais sans soie. 

lis ne verront certes pas la chevre, — La cherre d'oraux pattesjaunes, 
— Que le vannier, gaillard, offrait a sa jeune commere; — Mais dans notre 
terre brune et grasse — Ou, le soir, p6netre la fraicheur, — La fleur, de 
toutes la plus tendre, — La fleur de leurs amouis, je pense, fleurirait. 

Et ils s'en iraient, a deux, se perdre, — Leurs levres, tout comme leur 
coeur, ouvertes, — Dans les Iroments, dans le ble\ dans les grandes prairies 
vertes, — Dans I'escourgeon, dans les avoines, — Dans les teverolles a la 
douce haleine. — Le long des raies de marjolin, — Au plus profond des bois, 
[oil est] le meilleur coin ou se cacher. 

Leur promenade terminer. — Mireille rentrerait aussitot — A la 
maitresse ferme paternelle, que Ton voit dans les noyers, — Avec ses longues 
murailles blanches, — Avec sa grange charged [de grain] sans une seule 
fente,— Avec les ecuries de ses cavales, — Avec ses toits d'ardoises, les plus 
hauts du pays. 



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312 WALLONIA 

Les didons, les coqs yet les pouyes, 

Les foiirts rongus, les vatches, les trouyes, 
Rimplichont V cinse d6 brut. Tout-a-fait r'mue la-d'dins 

Eye 16s m^squines rinveyees 

En lachont ni d* rire a scafiees, 

D'vant V maiso, d'sus V grande 6scayee, 
Ave les spais varlets, qui moustront tous leus dints. 

Mais v'la douci leu djoune maitresse : 

Ele sondje. in tout fsant d6s caresses 
A-n-in blanc p'tit b6dot qui dfessus s' voye akeiirt, 

Ele sondje, pouve 6fant, qu* s6s disgraces, 

Comrae in Y air in tacha qui passe, 

Al fi pourout bi leyi place 
Au clair timps, qui met V fiesse 't avau V tchamp,'t avau V coeur. 

Ele compte sus Djedru, no patronne, 

No boune sainte abbesse braban^onne, 
Qui de d'dins s* ch&sse in our 6rbenit tout V payis... 

Eye s' on vwet, pus tard, dins 1' cinse, 

Couri 'ne binde d' efants, — djounes s'minces — 

Mi, dins Ttrefond d6 m'n ame, dj6 pinse 
Qu£ Mireye ye Vincent pa 1* sainte ont ste r'benis. 



Nivelles, el 17 d6 djulete 1892. 

Georges WILLAME. 



Les dindons, les coqs et les poules, — Les forts elalons, les vaches, les 
truies — Remplissent la ferme de bruit. Tout, tout y remue — Et les ser- 
vantes 6vei)16es — Ne cessent de rire aux eclats — Devant la maison, sur le 
haut perron, — Avec les Gpais valets, qui montrent toutes leurs dents. 

Mais voici leur jeune maitresse : — Elle songe, tout en caressant — Un 
petit agneau blanc qui accourt a sa rencontre; — Elle songe, la pauvre 
enfant, que ses chagrins — Comme un nuage charge de pluie qui passe 
dans le ciel, — A la fin pourraient bien faire place — Au temps clair, qui 
met en f6te toute la campagne et tout le coeur. 

Elle espere en Gertrude, notre patronne — Notre bonne sainte abbesse 
brabanconne, — Qui, de sa chasse en or, b£nit tout le pays... — Et si. plus 
tard, dans la ferme. on voit— Gourir une bande d'enfants, jeune semence, 
— Moi, dans le fond de mon ame, je crois — Que Mireille et Vincent, par la 
Sainte auront 6t6 bGnis. 

G. W. 



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LETTRRS FRANCA ISE S 

Carl Smulders. Les Feuilles iVOr, ro man. | Prosper Roidot. Ferveur, roman, Brux. 

Bruxelles, edit, de « La Belgique artis edit, de « La Belgique artistique et 

tique et litteraire ». Prix : fr. 3-50. i litteraire ». Prix : fr. 3-50. 

Carl Smulders . La Correspondance de Leon Wery. Le Sty lite. Bruxelles. edit. 

Sylvain Dartois. Bruxelles, edit, de de la revue « Le Tliyrse ». 

«La Belgique artistique et litteraire ». 

Prix : fr. 1 50. I 

G'est tout un arrierS a liquider qui s'accumule sur notre table. Et un 
fort joli arriere, vraiment, qui solde carrement en bSnSfice le bilan litteraire 
de l'annee. 

Nous ne sommes pas tres a Taise pour le publier, ce bilan, dans ce 
moniteur offlciel des lettres wallonnes. Car nous ne nous dissimulons pas 
qu'il y a quelque peril a se declarer satisfait, en un temps ou, du haut de 
leurs cathedres, des pontifes de vingt ans et meme plus, condamnent le 
passe, morigenent le present, adjurent l'avenir et se voilent la face avec 
elegance et indignation. 

La bienveillance en matiere de critique est depuis longtemps devenue 
un sentiment eminemment ridicule et d6suet, contraire a tous les usages 
et qui trouve sa moins faible excuse dans une deplorable hypertrophie 
d'altruisme. 

Neanmoins et quoi qu'on en pense, inflrmite pour inflrmite, nous 
aimons autant celle-ci. Au surplus, il n'est peut-etre pas nuisible au decor 
qu'apres tant de gens qui manient si dextrement Teteignoir, quelqu'un les 
suive qui promene, lui, — nous pardonnera-t-on la metaphore? — le rat de 
cave sur les lampions versicoiores de notre literature ! 



Illuminons done a Taise, aujourd'hui que nous avons sujet. 

Les debuts de M. Carl Smulders, datent des Feuilles d'or, paruesTan 
dernier. Deja, un second volume est venu rejoindre le premier avant que 
nous n'ayons trouve le loisir de signaler aux lecteurs de Wallonia, Tauteur 
de la Corresponda?ice de Sylvain Dartois. 



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314 WALLONIA 

Gette conjoncture nous r^jouit, car le rapprochement nous permet de 
d6couvrir en M. Smulders quelque chose de passablement rare : une per- 
sonnalitg veritable. Ses deux livres ne ressemblent a rien de ce qui a 6t6 
publie jusqu'ici en Belgique. lis sentent d'ailleurs leur brittanisme d'une 
lieue. S'il fallait leur trouver des ain6s, c'est aux contes de Poe et de Wells, 
qu'il faudrait penser, pour les Feutlles (Tor surtout. 

Feuilles d'or n'est point, commele titre pourrait le sugg^rer, un recueii 
de po&mes cisel^s a la mode du Parnasse. C'est un roman. C'est meme un 
roman arch6ologique. Voire pr6historique. 

Si Ton en excepte les Rosny et leurs Xipehuz, le vierge domaine de la 
pr6histoirea gGn6ralement tente fort peu de romanciers. II eut 6t6 etonnant 
que le pays de Meuse dont la contribution a I'histoire des premiers ages a 6t6 
tellement importante, n'eut inspire quelque savant double d'un artiste. Voila 
qui est fait. 

On se rappelle ce passage d'H6rodote ou il est fait mention d'un vaste 
continent qui aurait autrefois reliS I'Ancien au Nouveau Monde et qu'un 
Spouvantable cataclysme abima en une seule nuit dans TOc6an : c'6tait 
I'Atlantide, le plus beau pays de la terre. L'age d'or y rGgnait. 

Gette tradition est le point de depart du roman de M. Smulders. A a 
cours d'une excursion estivale aux bords de l'Ambl&ve, un hasard lui d^voile 
l'entr6e d'une caverne qu'il explore avec le plus grand soin. Les decouvertes 
qu'il y fait en compagnie d'un ami sont merveilleuses et, selon lui, jettent 
un jour absolument nouveau et tres impr6vu sur le pass6 et l'avenir de 
l'humanite. Nous le croirons sans nulle peine, lorsqu'il nous aura devoil6 
certains « trophies » d'une incommensurable valeur intrins&que et morale. 

II serait trop long d'expliquer quels ils sont. Qu'il nous suffise de dire 
que grace a eux, M. Smulders acquiert la conviction qu'une expedition 
d'Argonautes atlantiques aborda jadis aux cotes ardennaises, bordant a TEst 
la vaste mer interieure qui couvrait alors nos contr^es. De deductions en 
deductions — strictement rigoureuses — il nous restitue un tableau fort 
troublant du degre de civilisation de nos lointains visiteurs. 

N'allez pas conclure de ce que la fantaisie archeologique de M. Smul- 
ders a toutes les apparences du travail le plus s£rieux et le plus documents, 
que son livre n'a que de vagues affinit£s avec l'art litteraire. II aura beau 
attirernotre attention sur le cotG pratique de son ceuvre, adjurer l'opinion 
publique de mettre en branle a son intention la lourde machine legislative, 
il ne nous empechera pas d'admirer en lui ces deux seuleschoses : d'abord 
une imagination pleine d'astuce — a la Wells, a la Poe, peutetre a la Marc 
Twain... — qui, partant de faits precis et scientifiquement indiscutables, 
conduit le lecteur en plein reve sans qu'il ait le loisir ni meme la volonte de 
s'en apercevoir; ensuite un sens remarquablement artiste de la description 
qui, exerce au profit dubeau pays de I'Ambleve, nous remplit d'aise. 

Nous n'avons au sujet de M. Smulders aucun renseignement extra- 
litteraire, sinon qu'il est, professionnellement, un talentueux compositeur 
que le Conservatoire de Li6ge a l'heur de compter dans son corps ensei- 



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WALLONIA 315 

gnant, mais nous pouvons assurer qu'il est bien wallon de eceur. L'est-il 
autrement ? Peu importe. II aime d'amour la Terre Notre et cela sufflt. 

C'est a teiles enseignes que la meme chere contree ardennaise sert de 
d6cor a son second livre : la Correspondance de Sylvain Dartois, Roman 
par lettres, done. Genre sensiblement different du precedent et qui ne s'acco- 
mode guere, que des confidences psychologiques. 

Aussi ne sommes-nous pas peu etonne de constater que le debut de 
Sylvain Dartois ressemble etrangement au debut des Feuilles d'or. 

Aucours d'une excursion — automnale celle-ci — aux bords del'Ourthe, 
Sylvain Dartois, romancier et philosophe, d6couvre par hasard I'entree d'une 
caverne... II ne I'explore pas, mais le hasard - toujours lui ! — le rend 
t6moin de faits mysterieux qui expliqueront plus tard la disparition d'un 
vieux commandant de la region. 

Comment il se fait que notre heros se passionne pour cette affaire 
pseudo-criminelle, qu'il se lance — et nous entraine — dans I'instruction 
jusqu'au moment ou il n'est plus question que des amours d'un romancier- 
philosophe avec la fllle d'un juge... Cela, c'est Faffaire de M. Smulders, dont 
« le compte n'est pas clair. » Son livre manque d'6quilibre. Trop de faits 
pour un roman, pas assez pour deux. L'armature centrale en est desarti- 
cul6e et la cause en est au faible qu'a M. Smulders pour les expeditions en 
g6n6ral et reclaircissement des affaires tenebreuses en particulier. 

Mais cette question d'unite 6cart6e, 11 faut bien avouer que Sylvain 
Dartois ecrit des lettres joliment inte'ressantes. La seconde s6rie de missives, 
— celle ou Ton ne parle plus de brigands, ni de cavernes — constitue a elle 
seule tout un roman d'une analyse psychologique s6rieuse. Et nous ne 
savons rien de poignant comme l'aventure de ce romancier dont le bonheur 
est fauche en pleine floraison par la mort soudaine, huit jours apres les 
epousailles, de la petite Aim6e; etqui, prevoyant l'inevitable oubli qui de"ja 
ente*nebre en son ame le cher souvenir, pressentant Todieuse et sacrilege 
revanche de la Vie, s'enfonce dans le neantavec, intacte sous les paupieres, 
I'image adoree. 

Tels sont les deux livres si divers et pourtant si personnels que vient de 
nous donner ce nouveau venu dans les lettres. Nous en avons dit les qua- 
lite*s maitresses qui nous les font aimer. II y en a d'autres : l'ecriture est 
nette, exacte, sans bavures, d'un joli impressionisme vibrant et colore. 
L'auteur aflectionne les types pittoresques, il en campe dans tous les coins 
de ses livres et avec beaucoup de bonheur vraiment. L'intrigue, lente — 
parfois trop — a se nouer au debut, est ensuite men6*e tres nerveusement et 
l'int6r£t ne s'en detache pas une minute. Et, n'etait le capital defaut de 
charpente que nous signa lions plus haut, nous aurions le droit d'affirmer que 
M. Smulders a debute par un double coup de maitre. 



Le roman par lettres, est-il a la mode ? On le croirait. Ce petit 
subterfuge litteraire est un oreiller fort doux a nos paresses insoucieuses de 



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310 WALLONIA 

nouer et de denouer une intrigue habile et soutenue. L'on retrouve bien la 
Tinaptitude fonciere qui a ruine jusqu'ici tous les tatonnants efforts faits en 
vue de nous doter d'un theatre d'expression frangaise. [/action manque dans 
les neuf dixiemes des oeuvres beiges. Et nous ne sommes pas bien sur, que 
la ne reside pas la repugnance marquee pour nos auteurs par notre public 
qui, lui, par contraste, est toute vie et toute action. 

C'est le livre de M. Prosper Roidot qui nous suggere ces reflexions : 
Ferveur. Un roman, fut-il par lettres, doit-etre un rotnan. Ferveur, n'en est 
pas meme l'ombre. Son sous-titre — roman — mis a part, ce recueil 
epistolaire n'est pas banal, mais il deroute qui connait l'auteur des Poemes 
Pacifiques, ce dernier His de Virgile. 

Nous aurions tout attendude lui, sauf ceci. Et nous devons avouerque 
sa prose ne nous fera jamais oublier ses vers. 

Le prenant et merveilleux intimiste du Hameau Vert, nousdonne... un 
veritable breviaire de Nietzcheisme ! 

« Pour eviter un malentendu deplaisant, il est declare ici que les dites 
« theories ne sont pas les miennes >>, previent-il en maniere de justification. 

C'est vrai merit bien heureux, mais cela n'explique rien du tout. Roidot 
exaltant Nietzche, voila qui serait paradoxal, mais Roidot exaltant Nietzche 
sans y croire... Nous n'y sommes plus. 

Au surplus, c'est un tort de toujours ramener les oeuvres a leurs 
auteurs. 

Plus que toute autre, Ferveur demande a etre consideree isolement. 
Elle en prend alors une grandeur singuliere. 

Qu'est-ce, Ferveur. Ceci : lis se virent, its s'adorerent un bref ete, puis 
leurs destinees leur devinrent etrangeres. C'est tout. 

Ne demandez pas qui sont-tte, quelle leur Education, leur personnalite, 
quelle leur ambiance, quels leurs mobiles, faits et gestes. Tout cela, M. 
Roidot, le nomme le surplus et le tient pour n6gligeable. 

Ce livre nous apparait comme une fenetre ouverte sur un coin du 
Brabant wallon voile de brumes, ou deux uniques silhouettes se meuvent a 
peine, comme en songe, l'une d'eiles fortement et minutieusement dessinee, 
Tautre ebauchee seulement. La premiere seule impcrte, celle de Lawrence, 
le scripteur. 

Exister, dit Lawrence, est la fete la plus pure. Et il ajoute en corollaire : 
II y a quelque chose de plus pur que la beaute, de plus saint que le sacrifice, 
de plus rude que la volonte, c'est de decouvrir en tout la Ferveur de tout. 
Exister avec Ferveur, vivre intensivement, porter toute 6motion a son 
paroxysme, voila la religion de ce surhomme, barbare elegant, aime 
emotive et carnassiere. Et rien n'est melancolique comme la vie de 
Lawrence... 

En verite, nous ne savons trop, s'il faut Tadmirer, le plaindre ou le 
mepriser. II est certain que, vu sous Tangle determine par M. Roidot, le 
surhomme nietzcheen constitue le type acheve de I'egoiste infiniment 
malheureux et parfaitement malfaisant. Et nous comprenons fort bien que 



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WALLONIA 317 

Pauteur demente par avance dans son avant-dire, tout ce que son livre 
exalte. 

Le vin de Nietzche est debridement enivrant, mais le deboire en est 
nausGeux. Si Ferveur comporte une morale, il n'en faut point chercher 
d'autre que celle-la, 

* * * 

Gombien nous prGferons a ces allures de force voulue et de victoires 
quand meme, Tattitude expectante et fierocement ironique du Sty lite. 

Vous vous rappelez n'est-ce pas, Sim6on et sa colon ne ? 

L'emplacement 6tant devenu vacant, par suite du depart du titulaire 
vers d'autres cieux, M. Leon Wery s'est hisse au sommet de la stele. C'est 
un beau retablissement auquel nous applaudissons. 

Etant donne que le monde social, peuple de dogmes, d'idGes, de 
systemes, n'est qu'un universel et permanent carnaval d'ames, il importe a 
TEgoiste — le terme 6tant pris dans son acception essentielle de soustraire 
sa c6r6bralit6 aux contacts vulgaires en se reTugiant au plus haut point de 
Tlronie. Mais Tironie, telle que l'entend M. Wery, ne peut-etre confondue 
avec ce scepticisme de commis-voyageur qui reside tout dans les mots. C'est 
au contraire un sentiment purement intime qui p6netre les dernieres 
fibres de Tindividualit6, c'est, si nous osons ainsi dire, le serum anti-social 
qui nous assurera rimmunite* de la contagion et nous restituera a 
nous-memes 

La thGorie nous plait assez, d'autant plus qu'elle n'interdit aucune 
exteriorisation de fait ou de sentiment dont, malgr6 tout, les ames ont un 
essentiel besoin. Elle s'accomode fort bien de la bonte\ du sacrifice, voire de 
l'hgroisme quotidien. 

Malheureusement — ou heureusement — elle requiert pour etre mise 
en pratique, une maitrise de volonte qui en interdit soigneusement la 
vulgarisation. M. W6ry le sait, d'ailleurs... Son Stylite aurait pu porter en 
exergue la devise de Montaigne : « De lecteurs, j'en ai assez que de peu, 
Ten ai assez que d'un, j'en ai assez que de pas un ». S'il ne l'a pas fait, c'est 
qu'il est avant tout, un impitoyable, un f<6roce ironiste. 

C'est 6gal, tous ces diables de surhommes n* sont pas pr6cis6ment 
r6cr6atifs. 

Pierre WUILLE. 



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318 WALLONIA 

LETTRES IVALLONNES 



[Charles Camrerlin et Edm. Doumont]. | Joseph Vrindts. Vis Airs et notes Res- 
Li Bedoye, Histwere vreye sins Vesse. pleas, ouves tchuseves. Preface de 



Salzinnes Naniur, J.-B. Collard. Broch. 
in-4* (20X15), 53 p. Prix . fr. 0-60. 



M. Olympe Gilbart. — Liege, Jos. 
Wathelet. In-8° (25 X 16,5). 148 p. 
Portrait de Tauteur, airs notes dans le 
texte. Prix : fr. 2-50. 



Un nouveau recueil de vers s'ajoute a l'oeuvre deja considerable de 
Joseph Vrindts. La muse du poete d'Outremeuse se complait, cette fois, a 
des variations sur les vieux airs qui bercerent notre enfanee, 

Les vis airs et les bes respleus 

Qu'ont rimpli Vcoiir di nos grand-meres. 

II y a dans les chansons d'autrefois une grace naive, une Amotion sou- 
riante qui devaient seduire l'auteur du Vis Molin ; nul autre, parmi nos 
« rimeus d' pasqueyes » ne pouvait mieux que lui en exprimer la p6n6trante 
po6sie. Avec sa sensibility toujours plus affinee, il en a merveilleusement 
ressenti le charme un peu passe, ainsi qu'en teraoignent ces vers delicieux 
d'une des meilleures pieces du volume : 

Po z'edwermi $' tname c&rpe, 

Li mame tchante ine saqice d y tinriile, 

Et Vome &s poussires vint p&hule 

Edwermi nosse pitit hope. 

Les donees tchansons del couleye 

Si grusivet des siehes a long : 

(Test todl les mhnes tchansons 

Qu'edwermet des antes mameyes. 

On le voit, Tame ingenue et chantante de notre poete vibre en harraonie 
avec les vieux rythmes populaires ; il semble avoir rafraichi a cette 
source la simplicity d'accent, la delicatesse de pensGe que nous aimons en 
lui, en meme temps qu'il s'affirme une fois de plus comme un artiste de 
virtuosity rare. 

Au point de vue de la forme, nous n'avons guere, en wallon, de plus 
jolies choses que la sentimentale berceuse Nannez, ou la 16gendedu Saint- 
Amour, dun tour vieillot si reussi, ou bien encore cette idylle alertement 
detaill6e / ploiLt, bierdjire! avec sa note finale a la fois narquoise et 
melancolique. Dansce genre de fantaisie galante, la piece justement vantee, 
Li bdhedje des roses, vous a des graces precieuses dignes d'un petit poeme 
francais du dix-huitieme. 

Faut-il le dire, cependant? Si l'auteur des Vis airs et noves respleus 
retrouve fr6quemment de ces « bonheurs d'expression », relev6s naguere par 
M. Grojean, il parait bien que la recherche de I'effet s'accuse parfois au 
detriment de la sincerite et de la veritable emotion d'art. On pourrait citer 



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WALLONIA 319 

maint autre morceau manifcstement travaille, dont les raeilleurs traits ont 
quelque chose d'artificiel. I/originale T chanson del Mouse n'en est pas 
exerapte etje n'aime pas beaucoup, dans Nannez, la grand'inere chanton- 
nant an « binamG » qui s'endort des sentences dans ce gout patriotard : 

fa, veyez-v\ Vfime xcalone 
Pleure qxcandon Vwut maistri ! 

Gombien plus vivante et plus spontanea, par exemple, la spirituelle 
romance Vinez-v\ Bebet? qui peut compter, pourtant, comme une oeuvre 
de jeunesse : 

Alans ' l U i come les antes. JJ amour 
N*a iam&y qu'ine saisoiiy Bebele. 
E bives, les iebes son I come de v' lours : 
Vinez\ dji v y bh)C re-sta piceltes. 
Tot seiis 
La qu % fait pdhule 
On est tinrule 
A deus. 

Gette verve souriante du poete du Bouquet tot fail nous vaut encore 
ici des piecettes charmantes, telles que YAbandneye ou Li passed d'ewe, et 
il faut aussi tirer de pair la Tchanson rf Noye\ qui est vraiment un morceau 
de belle allure, empreint d'une remarquable elevation de pensee. 

Ce dernier recueil permet done un choix qui procurera d'agreables 
surprises. Si Ton y rencontre certains couplets de circonstance qui n'ajoute- 
ront pas grand chose a Toeuvre de Joseph Vrindts, la serie des Noves 
respleus contient, par contre, de joyeuses pasqueyes, marquees au coin du 
meilleur esprit wallon. Plusieurs ont eu deja les honneurs de l'intermede 
avec un succes merite, notamment celles-ci : Eune come enn'a tot plein! et 
Qou qu'on ri pou rouvi\ pour lesquelles M. Van Damme, a 6crit une musique 
joliment expressive. 

Encore ne verrait-on pas sans regret un artiste de ce talent se prodiguer 
dans le genre facile et trop souvent banal de la chansonnette. S'il arrive que 
la reverie du poete cherche une diversion dans Tobservation du monde qui 
i'entoure, nous savourons de preference lajoie de retrouver le peintre des 
Tdvlais del voice, quand il s'amuse a d6crire la fete populaire, l'envol6e des 
couples « tournikant sin louki » au son de la « peneuse musique » du violon, 
dans un « ptit cabaret d'Dj us d'la. » A ces moments, il oublie les rondes 
d'antan et les respleus a succes, pour camper avec une reelle maitrise un de 
ces types de la rue qui prennent un etonnant relief sous sa plume. G'est 
tantot li Letcheu d" baye, qu'on dirait voir se trainailler, « sin coredje etsin 
honle » : 

Enne va come les djous sont longs 
Sins eve ye ni sins esperince, 



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320 WALLON1A 

/ louke & l&dje, i louke & Ion, 

Et vos n* s&riz dire gou qu'i pinse I 

Ou bien il s'apitoye sur la misfcre du vieux cheval, « li pauve vi bayar », 
qui 

... s'crevinle tant qu'i tome djus. 
In'a des biesses qui valet pus 
Qui des djins qu'ont r'gu baleme! 

Ce sont la de v6ri tables eaux-fortes, tout a fait dignes d'etre signftes 
Vrindts. Avec quelques-uns des charmants po6mes si dGlicatement rim6s 
sur de vieux airs, elles sufflsent amplement a recommander aux bons wallons 
ce nouveau volume. 

Li Bed6ye, c'est un mot de terroir, une facon toute namuroise de piai- 
santer les ruraux, les «bedwins del B6doye», comme on dit au port de 
Grognon. Et c'est le titre d'une sorte de pastorale comique, £crite en un 
wallon bien populaire, dans le plus franc parler du pays des Molons. 

« Wallon, mais nin bastau ». Telle est la devise des auteurs, des jeunes 
qui veulent etre des purs et qui pr6tendent dGcouvrir a leur facon « l'Ame 
wallon ne. » lis traitent meme assez vertement « les s«;riyeus trop grandi- 
veus » qui font de la literature « bs frangais bastaurdG wallon. » Encore y 
a-t-il quelque injustice, de leur part, a taxer d' «arlequine » des oeuvres 
comme les Conies de Sambve el-Meuse, de notre ami Des Ombiaux, lequel 
peut compter, assurement, pour un des plus fer vents lettr6s de Wallonie. 

On le voit des la pi6face, et plus encore aux premieres pages de l'his- 
toire, ces debutants ne paraissent pas tourment&s d'un souci exag6r6 de lite- 
rature. Leur ambition se limite a faire oeuvre toute locale, empreinte d'un r6a- 
lisme indiscutable. « Nos avans sayi, dins ces fouyes ci, di mostrer saquans 
types wallons, saquans ptits costes do caractere namurwes et paysan. » 

Aussi bien y ont-ils mis beaucoup de conscience et leur joviale 6tude de 
moeurs s'enleve en traits vigoureusement pousses. « I fat qu'onriyel » 
ajoutent-ils. Et leur Bedoye a la saveur d'une farce populaire, de verve 
comique souvent triviale. 

Moins qu'un roman, e'est une simple fantaisie, sur un sujet de nouvelle 
assez mince. Un jeune saute-ruisseau de la ville guigne le cceur et « les 
aidans » de la fille du « cinsi del Cawautriye »; je vous fais grace de la suite 
un peu decousue des 6pisodes, des mesaventures de « Djean Gocoye » et de 
la I6gende de la « Gatte d'or », laquelle a tout Tair d'une fumisterie. 

L'essentiel est que cette Histwere vreye sins Vesse permette de camper 
quelques silhouettes de rustres authentiques, aux fagons tout a fait nature. 
Et comme I'aventure est gaillardement cont6e, en un wallon pittoresque 
6maill6 des plus joyeux spots du patois de Namur, cela fait un d6but inte- 
ressant a l'actif de « Plupe d'al pwate ». Ge qui vaut encore mieux, au demeu- 
rant, que le succes « d'6pate » d'une preface... anarchiste. 

Henry ODEKERKE. 



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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a rUniversite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a TEcole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a TAth6n6e 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Literature francaise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvers, prof, a l'Universite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
TAthen^e, Verviers ; H. Fjerens-Gevaert, prof, a l'Universite de Liege; 
Charles Gheude, prof, a l'Universite nouvelle, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a TAth6n6e royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; Feiix Magnette, prof, a TAthenee royal de Liege; Fernand 
Mallieux, prof, a l'Universite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
TAth^n^e royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a l'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneehe. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; DL). Brouwers, conservateur 
des Archives de I'Etat a Namur; A. Carlot, attache aux Archives de TEtat a 
Mons ; Albert Delstanche, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Fairon, conservateur-atiioint des Archives de 
TEtat a Liege ; Oscar Grojean, attache a la Biblioth&qi're royale de Belgique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Bibliotheque pubiique de Mons; Adrien 
Oger, conservateur du Musee archeologique et de ia Bibliotheque publique 
de Namur ; Th. Lesneucq-Jouret, archiviste de Lessines; Victor Tourneur, 
attache a la Bibliotheque royale de Belgique, Cabinet de numismatique. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Musee archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache, archeologue et publicise, Bruxelles; Leopold Devil- 
lers, president du «Cercle archeologique* de Mons; JusUn Ernotte, 
archeologue a Donstiennes-Thuillies; Ernest Matthieu, archeologue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeologue a Theux. 

MM. Paul Andre, directeur de la Belgique artistiqu* et litteraire; 
Ren6 Dethier, redacteur en chef de la Jeune Wallonie ; Jean Roger, 
directeur de la Revue Wallonne. 

MM. Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice des Ombiaux, 
Louis Dumont- Wilden , Camille Lemonnier, Edouard Ned, Georges 
Willame, litterateurs a Bruxelles; Emile Aden, Charles Delchevalerie, 
Olympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes a Liege: 
Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a Paris; 
Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur a 
Charleroi; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du «Club wallon », Malmedy ; Joseph 
Hens, auteur wallon, Vielsalm; Edmond Jacquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; Henri Simon, Joseph Vrindts, auteurs wallons 
a Liege ; Jules Vandereuse, auteur wallon a Berzee. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Mus6e instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, dessinateur, a Paris ; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a TAcademie royale des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege ; Paul Jaspar. archi 
tecte a Liege; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Liege; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton ; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Liege; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur decorateur, Liege. 

MM. Y. Danet des Longrais, genealogiste-heraldiste, a Liege ; Pierre 
Delta we. publiciste, a Liege ; Albert Nelville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt ; D r S. Randaxhe, a Thimister; Ernest 
Sente, photographe a Liege ; Oscar Colson, folkloriste, etc. 



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TABLE QUINQUENNALE 



WALLONIA offrira prochainement a ses Abonngs, en un 
fascicule supplement aire, la Troisidme Table quinquennale analy- 
tique et alphabgtique, embrassant les Tom 6b XI, XII, XIII, XIV 
et XV (de 1903 a 1907). 

Ce fascicule, fourni gratuitement a nos abonngs, sera mis en 
vente au prix d'un franc. 

Nous prions done nos lecteurs d'attendre l'apparition de la 
Table quinquennale, pour faire relier ou brocher leur volume de 
l'annge, a la fin duquel ils jugeront sans doute utile de l'ajouter, 
comme il a 6t6 fait pour les Tables quinquennaies precedentes, la 
1" 6tant jointe a la fin du t. V (1897) la 2 e a la fin du t. X (1902). 



V1ENT DE PARA1TRE : 



Le Reveil Wallon 

ORGANE HEBDOMADA1RE 
PA RAISSA NT LE J E U Dl 



DiRECiEims : Hector CHAINAYE et Emile JENNISSEN 

ABONNEMENTS : 

belgioue : Un an, iv. 3.00 — Six mois, l'r. 1.50 

union postale : Un an, fr. 5.00 — Six mois. IV. 3.00 

Un numero 10 cent. — Specimen gratuit 

REDACTION : 

LIEGE BRUXBLLES 

7, rue Soeurs-de-Hasque. 12, place de Brouckerc 



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LITTERATEURS DE WALLONIE 



Auguste Vierset 



Dans la galerie des artistes et des 6crivains de notre terroir dont 
Wallonia se complait a honorer le talent, une place revient, a plus 
d'un titre, a ce bon Wallon, au fin lettre et au dGlicat poete qu'est 
Auguste Vierset. 

Assurement, il serait superflu de vouloir decouvrir Tauteur de 
telles oeuvres dramatiques, comrao Prima Donna ou U Cop (V moin 
d'a Chanchet, qui regurent ici Taccueil le plus favorable. Mais d'autres 
merites de quality rare recommandent Vierset & Tattention sympa- 
thique des lecteurs de cette revue. 

Voila plus de vingt ans que ce probe ouvrier a mis au service des 
lettres une ardeur inlrepide ; on ne compte plus maintenant les 
preuves d'une activity qui s'est genereusement depensee tant au 
profit de notre vieux wallon qu'a Thonneur de notre literature de- 
pression frangaise. Ce sont de reinarquables travaux de critique, 
temoignant d'un esprit judicieux et d'un gout tr6s sur, ce sont de jolis 
vers amoureusement ciseles, de belles proses fortement etoffees qui 
seduisent a la fois par Telegance et la couleur. 

Aujourd'hui encore nous pouvons saluer Tapparition d'un nouvel 
ouvrage, Vile Parfumee, dont on apprecia deja, dans la Revice de 
Belgique, les int^ressantes descriptions, la forme harmonieusement 
nuancee et une sincerite d'impressious qu'on ne trouve pas souvent 
dans les notes de voyage. L'occa-don nous semble done bien venue de 
rendre hommage a l'oeuvre d'un ^crivain des plus distingue de notre 
terre wallonne. 

Noveiubre-l>£cenibre u" 1 1-12. 



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322 m vVallonia 

Aus9i bien ferons nous presque un acle de justice, si Ton pense 
que Vierset compta parmi les audacieux de la premiere heure, aux 
temps de la Jeune Belgique et de la Wallonie. II fut de toutes les 
revues d'avant-garde, de la Basoche et <iu Re ceil, de la Chimere de 
Paris et de notre Flordal. Et son oeuvre de debut, com me auteur 
dramatique, O-n dumant a mtryatch, date bien, croyons-nous, d'une 
quinzaine d'ann6es. 

A dire vrai, c'etait moins une piece de theatre qu'une curieuse 
6tude philologique, voire dialectologique. Gette saynete ecrite en 
patois ardennais, dans le rude parler deS'-Hubert, servait seulement 
de pretexte a un ingenieux essai de graphie phon&ique, qui eut les 
honneurs de la publication dans la Recue de philologie frangaise et 
provengale. 

Manifestation plutot scientifique, en laquelle on peut voir la 
preuve du penchant tres marque qui sembla d'abord diriger Vierset 
vers les travauxabstraits de la linguistique. Si bienqu'il parut ceder 
a une veritable vocation en se consacrant a l'enseignement des langues 
modernes. Un essai d'Orthographe wallonne, une autre etude compa- 
rative intitul6e Germain Walton, tels sont les premiers d^lassements 
de ce savant en herbe. 

Mais une fee maligne devait contrecarrer deplorablement ces 
vell6ites d'erudition ; cedant a Tinvincible attrait des beaux vers et 
des reveries sentimentales, le professeur ne devait pas tarder a 
lecher la philologie et ses oeuvres... pondereuses. Eu compensation, 
nous y gagnions une excellente recrue pour la poGsie et les lettres 
wallonnes. 

* 

* * 

Le gage de cette heureuse conversion de Vierset fut, en eflfet, un 
acte de devotion k la muse populaire de sa terre natale. Dans sa pr6- 
cieuse anthologie des Poeles Namurois, il a glorifie avec ferveur les 
joyeux Molons, il a comments en artiste l'oeuvre des Werotte et des 
Colson, celles de l'auteur du Bia bouquet et d'autres « Minteflrs » 
notoires. A tant de wallons qui les ignoraient, ces pages vraiment 
filiales apporterent comme une revelation de la verdeur savoureuse 
de la poesie namuroise. 

Apres cet hommage aux anciens, le debutant pouvait s'en aller 
hardiment sur leur trace et rimer desormais pour son propre compte. 
II ne s'en lit pas faute ; toutes les occasions lui parurent propices pour 
attester de son attachement au vieil idiome populaire. Ainsi nous le 
voyons prendre part aux concours de la Societe Liegeoise de Littera- 



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Wallowa 323 

ture wallonne, qui en fait tout de suite un laureat, gratify de palmes 
et de medailles de diflerents modules. 

II seraitpueril, sans doute, 
d'accorder trop d'importance 
a un poeme comm^moratif du 
25 e anniversaire royal, qui 
fut juge digne d'une premiere 
recompense. Le jury sut ap- 
precier a leur valeur l'al- 
lure pathetique ut le style 
elev6 du morceau : il est peu 
probable, toutefois, qu'on ex- 
hume souvent de la collec- 
tion du Bulletin ce panegy- 
rique de circonstance. 

Pourtant, il y a d'heu- 
reuses decouvertes a fa ire, 
quelquefois, pour qui vent 
feuilleterces annales de notre 
vieille academic. Vous pour- 
riez trouver dans le meme 
tome une autre auivrette de 
Vierset, laquelle est une pe- 
tite merveille de grace alerte 
et d'emotion souriante. Kile 
aurait a present tout le prix 
de l'inedit, car qui se sou- 

vient de ce gracieux crami- A, '°- Vierskt - 

gnon dont les «respleus» s'enroulent si joliment en farandole : 

Dijoz rrC el vile, o'i ou non % 

Est-ce qui ca n % vos chonne pus bon? 

V % tcailiz apres one aule, dist on, 

Li Irop bin ??' cochesse ! 
Est-ce qui ca n" vos chonne pus bon, 
A c't "heuve, quand ;' vos rabresse ? 

La chanson vaudrait d'etre rappelee toute enliere, tant elle est 
spirituellement tournee, avec son ton de naivete tend re : 

Poquoi v'loz rr£ quilter sins vaison ? 
Est-ce qui ca n' vos chonne pus bon ? 
Bon Die, nC vie va iesse one prijon ! 

Li trop bin v % cochesse! 
Est-ce qui ca n' vos chonne pus bon, 
A c* fheure quand f ws rabrrxse? 



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324 Wallonia 

Mais il faut bien 6courter et se h&ter d'en venir aux productions 
wallonnes qui devaient valoir k ce rimeur de pasqueyes la notorize 
et le succes, a savoir ses oeuvres dramatiques. Le th6&tre n'est-il pas 
le terrain sur lequel se consacre devant le grand public la reputa- 
tion des plus talentueux ecrivains et parfois meme, plus rarement, 
celle des poetes ? 



Que la fortune de Prima Donna, com6die joyeusement expan- 
sive et mouvementee, ait d6pass6 celle du C6p d'moin d'd Chanchet, 
en d6pit des qualites d'observation et de sincere emotion de cette 
derni6re piece, la chose n'est pas pour nous 6tonner. Les delicatesses 
de sentiment et les plus jolis traits poetiques trouveront toujours 
moins d'echo, a la sc6ne, que les effets r6jouissants de p6ripeties 
impr6vues. 

Geci ne veut point dire que nous pr&tendions diminuer le moins 
du monde les merites de Prima Donna. Nous avons et6des premiers 
k prendre notre part de la gaite bien franche de cette copieuse satire. 
La verve du joyeux HKNDRiKxaete mise en valeur avec un sens 
parfait de toutes les ressources de not re idiome populaire. Et cetle 
verve devient si naturellement wallonne qu'elle ne laisse raeme plus 
soupgonner l'origine flamande de l'oeuvre. En v6rite, pareille trans- 
position vaut plus qu'une simple traduction; on y reconuait, a n'en 
pas douter, 1'apport d'un franc wallon, qui est en merae temps un 
homme de theatre. 

De la meme venue est Tamusant vaudeville Pierrot vique co ! 
dont l'exub6rante belle humeur obtint un memorable succ6s de rire, 
chez nous, sur la meme scene du defunt Casino Gr6try. 

Avant de risquer ainsi avec le jovial Hendrikx Va venture d'une 
alliance dramatique pour le moins originate, Vierset s'&ait aventure 
deja sur les planches. II avait fait ses premier** pas tout seul, avec 
moins d'assurance, peut-etre, mais ce debutant apportait en echange 
au feu de la rampe de pr&neuses intentions d'auteur comique, mises 
en valeur avec une sensibility touchante, avec toute la fraicheur 
demotions d'un jeune po6te. 

II y avait \k de quoi distinguer aussitot V Cop d'moin d'd Chanchet, 
dans Tabondante banality des productions de nos faiscurs de vaude- 
villes. Aussi les amateurs s'en sont-ils montres charmes lorsque la 
pi6ce fut representee, tant k Ltege qu'i Bruxelles. Dans cette simple 
aventure de fille s&Iuite, rachetee par l'amour genereux et robuste d'un 
humble artisan, ils ont reconnu d'interessantes tendances a Tetude 



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WALLONIA 325 

des caracteres, ils ont applaudi le comique discret et sur des situa- 
tions. Point de gros moyens qui forcent le rire ou les larmes ; le ton 
du dialogue, naturel et vigoureux a plaisir, a bien la rudesse des 
fagons etdu parler populaires. II s'y mele quelque chose d'attendri, 
une grace penetrante qui precise encore l'originalite de l'oBuvre. 

Une autre com&lie, Li feye Mathy, qui dale de quelques ann6es 
plus tard, nous raontre un talent plus &pre, visant d&iberement k 
reffetdramatique. L'autour n'h^site pas k mettre en scene un menage 
adultere et la faute de la femmedevoileea sa propre fille. Donnte qui 
ne laissait pas de paraitre osee sur la scene wallonne et d'un deve- 
loppement assez difficile. On pressent, n6anmoins, qu'elle devait 
preter k des situations path6tiques ; la conduite serree du dialogue, la 
verity d'accents des personnagesen accentuent encore l'intensitd. 

On le voit, le theatre et la poesie wallonne doivent a Viersbt 
mieux que des promesses, mais des oeuvres bien personnelles. Si, 
depuis quelques dix ans. aucune production nouvelle dans cedomaine 
n'est venue nous rappeler un ^crivain qui s'acquit de tels droits k 
notre estime, la faute n'en peut etre qu'i ce labeur 6crasant du jour- 
nalisme, a la tache quotidienne qui l'a pris tout entier. 

Eloign^ de nous, accapar6 par ce travail de Sysiphe que ramftne 
le numGro de chaque jour, l'auteur du Cdp d'moin d'a Lhanchet m6rite 
sans doute quelque indulgence s'il a fait, com me on dit chez nous, 
<des infid&ites » k la muse wallonne. 



Au surplus, nous aurions mauvaise grace a reprocher k Viersbt 
de s'etre laisse tenter par des ambitions plus hautes. Son apport tres 
appreciable a noire litterature d'expression frangaise ne demeure-t-il 
pas empreint des qualites foncieres de Tesprit wallon? 

Prenez, par exemple, dans sou recueil de petits poemes, Vers les 
lointains, tel sonnet de la s6rie intime intitul6e Au grd des heures; 
u'y retrouvez-vous pas la legferete de touche, le trait precis, la s6re- 
nite harmonieuse d'un croquis de Donnay : 

• 
La lampe recueillie en son vieil abat-jour, 
Reve, oeil lucide et doux, son reve de lumi&re, 
Et ses moelleux regards coulant soum sa paupiere 
Caressent sur les murs les bouquets Pompadour, 

Dans le fauteuil ancien dont T6toffe fan6e 
Exhale le regret parfumG de ses plis, 
Grand'm&re se d6lecte en des songes emplis 
Des loin tain 8 souvenirs a grace surann6e. 



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326 WALLONIA 

Sans bruit, de ses doigts gourds, sur le tapis epais, 
Son ouvrage a glisse lentement. Une paix 
Tendre corame un espoir dans son &me pGnetre. 

Et taDdis que I'aieule a mon chevet s'endort, 
Je regarde, reveur, la croix de ma fenGtre 
Detacher ses bras blancs du ciel bleu pique d'or. 

Une discrete Amotion se degage de ce tableau d'interieur, qui 
semble refleter Tame sentimentale du po6le. 

II se livre beaucoup moins lorsqu'il s'attache k dicrire les 
paysages exotiques d'un Orient somptueux qu'il n'a vu d'ailleurs 
qu'en reve. II apparait alors absorbe par l'ideal de la pure beaut6 
parnassienne, requis avant tout par le souci de la forme. On le voit 
qui se grise de couleur avec une ardeur toute juvenile, exaltee encore 
par le souvenir des Poemes barbares et das Trophees. 

En 6pigraphe au rocueil de ses voyages imaginaires, Vierset 
reproduit le cri vehement de Mallarme : 

Fuir! la bas, fuir! je sens que les oiseaux sont ivres 
D'etre parmi l'ecume inconnueet les cieux ! 

Et lui-meme exprime en strophes elegamment balancees, 

Le regret douloureux des plages inconnues. 

Sa pensee s'en va done vers des pays lointains, vers des decors 
de soleil : 

Je pense a vous Tame Gprise 
Edens baign£s par les flots bleus, 
Lointaincs et troublantes lies. 



Je songe aux bois aromatiques 
Egaygs d'aras cramoisis ; 
A quelque ancien temple d'Isis, 
Garde de sphinx enignlatiques. 

Aux merveilleuses Singapours, 
Aux pittoresques caravanes, 
A r oasis fraiche, aux savanes, 
A des vovages au long cours ! 



La fantaisie de l'artiste se depense selon ce programme avec une 
virtuosity qui cree vraiment rillusion. Elle suscite pour nous le 
Nippon legendaire des samourais et des mousmes en kimonos lilas, 



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WALLONIa 327 

dans des palais do laque, — tout le Japon de Madame Chrysantheme, — 
et Tlnde aux soirs mysterieux, peuples des fauves de la jungle. Nous 
voyons defiler, en unc s6rie d'instantanes pris sous le ciel ardent du 
desert, la tribu qui chemine lenlement vers le douar, les troupeaux 
houleux, les chameaux, 

Qui, leurs longs cous tendus, beuglent au ciel en flamme. 

Mirages merveilleux d'une imagination enivree qui peut donner 
a des visions chimeriques autant de ligne et de couleur ! II y a la, tout 
an moins, la preuve d'un talent singulierement evocateur, au service 
d'un 6crivain passionnement epris de beaute. 



Las ! Si desireux qu'il fut de s'6varier vers des paradis de rdve, 
notre po6te s'est trouve retenu au rivage. En face de la reality pro- 
saique, il lui fallut d^chanter, dire adieu 

a ces pays lointains, 

Oil les brises sont soeurs des rires enfantins, 
Et les feeondes nuits. mfcres d'aubes sereines. 

Mais Vierset n' est pas de ceux qui flechissent devant la tache. 
Xous savons qu'il a fait tete 4 la vie avec unc belle constance, sans 
rien abdiquerde sos aspirations d'artiste. 

Encore n'a-t-il plus ecrit de vers... G'est en prose, d6sormais, 
qu'il a conte ses voyages, en une prose lumineuse et souple, une prose 
uvocatrice qui rappelle le poete d'antan. A defaut de l'enthousiasme 
lyrique des jeunes annee.?, il donne carri6re, au long de la route, a 
un esprit dobservation tres averti, aux sensations affinees de sa 
vision et do son coeur. Gar il arrive aujourd'hui que ce laborieux 
s'aflranchit, parfois, de l'entrave journaliere et qu'il s'6chappe, qu'il 
s'embarque pour un vrai voyage. 

Geci nous vaut alors la bonne fortune d'un livre comme celui 
qui vient deparaitre, Vile parfumee, en lequel il confie les impres- 
sions et les enseignements d'une excursion en Corse. 

Deja. au temps des debuts, notre auteur s'etait essaye dans ce 
genre de litterature. D'une rapide balade au dela du detroit, il nous 
rapporta, nolamment, nn album de croquis intitule From Home, 
rlont le style vigoureusemeut pittoresque valait d'etre remarque. 
Aiusi Ton pout en retenir une saisissante vision du terrible travail 
de Londros, de la « Ville-Usine » : 



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328 wallonia 

L'amertume de ce labeur d'enfer flotte dans I'atmosphere aqueuse, 

suinte des facades poissees. se dSgage des brouil lards du fleuve, s'inflltre en 
vous goutte a goutte; mais ce labeur continu, implacable, atroce, ces 
hommes n'ayant d'autre jouet que le boulet de forcat que le travail leur 
rive au pied, ces usines oti les machines grincent et rugissent, ces quaisou 
se dechargent tous les prodnits du globe, c'est aussi la supreme incarnation 
de Tindustrie et du commerce, ces dieux modernes ; et la Cite" colossale, 
T^norme monstre de pierre, tueur de corps et broyeur d'£mes, vous ploie 
malgr6 vous en une admiration craintive, comme un passager devant la 
mer effrayante et superbe. » 

De son voyage en Corse, Vierset revient avec des souvenirs 
d'homme fait, qui a dej& beaucoup vu et sait la vie. Si le jugement 
aflfermi discerne plus surement Toriginalite d'un site ou le sens d'une 
coutume locale, le talent de 1'ecrivain s'est aussi fait plus sobre, sans 
perdre de son expression elegante et suggestive. 

Qui ne serait s6duit par sa description si vivante du mouvemeut 
de Marseille, par le tableau de beaute severe de l'arrivee 4 Ajaccio ? 
On retrouve Tartiste dans sa maniere de camper les paysannes a la 
fontaine, « le geste arque* vers les hanches, hie>atiques comme des 
canephores > ; de meme, il sait faire ressortir tous les aspects singu- 
liers ou magnifiques de cette lie parfumde, pays de pasteurs indolents 
et rudes, terre classique des « voce ratri ces » passionnees et de la 
« vendetta » farouche. 

II faut lire les pages qu'il consacre a « Tombre geante que pro- 
jette, la baa, sur les etres et sur les choses, le Corse Imperator » ; il 
dira T6inotion ressentie en visitant « l'aire de TAigle », il evoquera 
le souvenir de Tenfant predestine, dans un de*cor immuable : 

« Si Ton rencontre quelques ruraux regagnant leur village a dos de 
cheval, d'ane ou de mulet, ou des bergeres d'Alata, coiffees, par dessus le 
fichu, du grand chapeau de paille a bords plats et venant vendre en ville, 
au petit trot de leur monture, des paniers de paille tressee ou d'exquis 
gateaux de « broccio » ; si Ton croise quelque montagnard a barbe blanche, 
ayant le fusil sur Tepaule et le baton a la main, on songe malgr^ soi que ce 
pittoresque du type corse n'a pas change depuis Tepoque oh le jeune 
Napolione vagabondait par les rues d' Ajaccio. Comme alors, des facades 
lezardees se pavoisent de linge aux fen etres, des ruelles Strokes decoupent 
sur le ciel me'diterraneen le meme pan d'azur violent ; des femmes, accrou- 
pies au bord du golfe, battent leur lessive du meme geste que leurs aieules ; 
et plus d'une fois, sans doute, Bonaparte enfant aida au halage des grands 
filets, de ce meme geste qui raidit les mollets nerveux des pecheurs et crispe 
leurs orteils sur le sable. » 

Ce seul extrait donne la note d'intense verite" et de haute tenue 



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WALL0N1A 



329 



litteraire de ces impressions de rout<\ il sutflt a nous montrer Vierset 
en pleine maturity de talent et pret pour d'autres oeuvres qui le rappro- 
cheront de nous. 

Car c'est en vain qu'il exalte une fois de plus l'ivresse de « fuir 
loin de la vie, vers l'illusoire et consolante Aventure », ce voyagenr 
n'a point Tame cos mop )lite. Aussi loin qu'il aille, il demeure attach^, 
pa i* le pro fond de son coeur, a son coin de terre et a son « home ». 
Meme dans les montagnes de eette ile mediterraneenne, il eprouve le 
regret du paysage wallon, du village de son Ardenne : 

« charmants villages de « chez nous » — pierres grises et toits 

d'ardoises, et la fine flfcche du clocher au coq girouettant — 6parpillant leurs 
maisonset leurs potagers le long de la chauss6e, aux replis des colli nes de 
bruy&res et de genets, ou pres du ruisseau z6br6 de i'Gclair des truites et 
qui serpente, jaseur, entre sa double rang6e de bouleaux et d'yeuses ; gros 
bourgs des plaines — tout blancs sous les tuiles rouges et le chaume d'or — 
iaterrompant au bord des routes infinies la thSorie des sveltes peupliers 
fremissants, et carrant leurs vastes m6tairies parmi les vergers, le damier 
des orges, des seigles, des froments et des lins, et les gras terreaux oil le 
b6taii beugle aux soleils couchants ! 

Voila qui nous rassure. A cetle sincerile d'accent, nous sentons 
que Vierset reste des notres; qu'il derive maintenant de belles 
choses en prose franchise, esl-ce a dire qu'il ait oubli6 sans retour le 
parler savoureuxde Wallonie? Dites, notre vieil ami, la joiede nos 
«pasqueyes», la verve alerte des « crdmignons » populaires, et la 
douce poesie des premieres amours, 

Est-ce qui ga fi'vos chimne pus bon ? 

Henry ODEKERKE. 




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&QO£&ggai%&s3QM^ 



Bibliographie 



Auguste VIERSET, ancien r6#ent d'Ecole moyenne, publicisto. N6 a 
Namur, le 12 decembre 1864. 

I. — Ouvrages. 

POESIE 

|1897J. Vers les Lointains. — Bruxelles, Lebegue, s. d., 1 vol., in-8° 
(16 x 12. 3), 123 n. Gouverture illustree par Henri Meunier. — 
Prix : fr. 2. 

1891 . XXV 9 Anniversaire de Sa Majesty Leopold II, Roye des Bebjes. 
— Ode. — In : « Bulletin de la Soctete liegeoise de Litterature 
wallonne », 2? serie, t. 16, p. 13 a 16. Et a pari. — Hors commerce. 

1891. E-ce qui qcl n 'vos chonne pics bon? — Cramignon. In « Bul- 
letin de la Soci6t6 ltegeoise de Literature wallonne », 2* s., t. 16, 
p. 44 et 45. Et k part. — Hors commerce. 

PROSE 

1885. Essai d' Or thog raphe wallonne, d'apres la methode Chav6e. — 
Namur, Wesmael-Charlier, 1 vol. in-16 (12 X 19), 32 p. — 
Prix : fr. 0-25, 

1887. — Germain- Wallon, essai linguistique. — Libge, Vaillant- 
Carmanne, 1 vol, in-8° (13 x 19), 45 p. — Prix : fr. 1-25. 

1888. Les Poetes Namurois. — Liege, Aug. Benard, 1 vol , in-12 
(14 X 22), 69 p. Couverture illustree par Aug. Doxnay. — Epuise. 

1892. From Home. — Liege, Jaeq. Godenne, 1 vol. in-12 (12 x 19), 
124 p. — Prix: fr. 2. 

1893. De VAlcoolisme et de ses effets. — Bruxelles, Alfred Castaigne, 
1 vol., in-8°(12 x 18), 58 p. — Prix : fr. 0-50. 

1897. En Can 2000, d'Edward Bellamy, roman traduit de Tanglais, 
public dans « Le Petit B'eu de 1' Ex position », 1897. 

1907. Llle parfumee, impressions de Corse. — Bruxelles. Weissen- 
bach, 1 vol. illustre. — Sous presse 



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WALLONIA 331 



THEATRE 



[1891]. O-ndumant a maryatch, saynete wallonne; transcrite dans 
une graphic phon6tique et commentee philologiquement, par Paul 
Marchot. Extraitde la « Revue dephilologie franchise et proven- 
gale », t. v. — Paris, E. Bouillon, s. d., 1 cahier (22.5 x 14), 23 p. 

— Prix : fr. 0-50. 

1892. U cdp d'moin d % a Chanchet, pice wallonne e tois akos, en vers. 
Extrait du « Bulletin de la Socidte liegeoise de Litterature wal- 
lonne », 2* s6rie, 1. 19. — Ltege, Vaillant-Carmanne, in-8° (23 X 15), 
79 p. — Prix : fr. 1-25. 

1897. Pierrot rique co, comedeie e treus akes, d'apres A. Hendrikx, 
representee le l er fevrier 1897, au Casino Gr6try, k Li6ge. — 

- In6dit. 

1898. Li Feye Mathy, comedie e one ake. — Excrait du « Bulletin de 
la Soci6t6 ltegeoise de Literature wallonne >, 2 e s6rie, t. 23. — 
Li6ge,Vaillant-Carmanne, in-8° (23 x 15), 35 p. — Prix ; fr. 0-75. 

1899. L Amour au moulin, operette en 3 actes, en collaboration 
avec George Garnir ; musique de Lanciani ; representee le 
24 octobre 1899, au Theatre des Galeries, Bruxelles. — ln6dit. 

1900. Prima donna, comedeie e t^eus akes Iraduite de la piece fla- 
mande de A. Hendrikx. — Lige, imprim'reie d6 journal « Li 
Clabot » (imp. Theophile Bovy), in-4° (19 8 x 13), 116 p. — Prix : 
fr. 1. 

II. — Collaboration 

La Jeune Belgique, Bruxelles, 1882-83-85-95 : vers et prose. 
La Basoche, Bruxelles, 1885 : poesies. 
VElan littiraire, Li6ge, 1886 : poesies. 
La Wallonie, Liege, 1886 a 1892 : vers et prose. 
Caprice- Revue, Ltege, 1888 : vers et prose (pseudon. George Bluet). 
Le Nord Littiraire, Valencienne, 1890 : poesies. 
Les Jeunes, Namur, 1890-91 : po6sies. 
La Ghimdre, Paris, 1891-92 : poesies. 
Flortal, Li6ge, 1892 : poesies. 

Bulletin de Folklore, Liege, 1892 : contes populaires wallons. 
Le Riceil, Gand, 1892-94-96 : vers et prose. 

LeSauverdia, Jodoigne, 1892-93 : chroniques et chansons wallonnes. 
La Revue wallonne, Liege, 1893 : prose et chroniques d'art. 
VOpinion liberate, Namur, journal quotidien, 1893: serie d'articles 
de vulgarisation sur le folklore. 



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332 



WALLONIA 



Nouvelle Revue Internationale, Paris, 1894 : etude sur la litterature 

wallonne, reproduite dans le journal wallon La Marmite, n M 12 

et 19 aout 1894. 
Revue-Journal, Bruxelles, 1894 : prose. 
La Revue de Belgique, Bruxelles, 1897-1907 : prose. 
Humanitd nouvelle, Paris, 1898 : poesie. 
Le Thyrse, Bruxelles, 1903: prose. 

La Belgique artistique et litteraire, Bruxelles, 1906 : vers. 
U Almanack de Gand, 1887-S8-89-1906 : vers et prose. 
L' Illustration beige, Bruxelles, 1905 : etude sur la litterature 

wallonne, Le Pays de Namur. 
La Patrie beige, Bruxelles, 1905 : Toeuvre congolaise. 
L' Independame beige, Le Petit Bleu, de Bruxelles : chroniques, 

contes, vers, notes de voyage. 
Wallonia, 1907 : croquis en prose. 

O. C. 



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La Pernette 

Romance populaire 



La c61ebre chanson de la Pernette, une des perles du noble patri- 
moine de la tradition orale franchise, n'a pas 6t6 jusqu'ici retrouvee 
en Wallonie. 

Elle y fut cependant connue autrefois. 

Jules Borgnet a signale, dans le Messager des Sciences histo- 
riques, Gand, 1851, p. 78-79, un texte, parole et musique, copte sur 
ses registres ( 1 ), au second tiers du xv P siecle, par Jehan Taillefier, 
dit Flerus, greffier de l'Kchevinage de Namur. 

M. J.-B. Weckerlin, dans son ouvrage La Chanson populaire, 
Paris, 1886, p. 179-181, a reproduit cette chanson, avec l'air inexacte- 
ment traduit en notation moderne par de Goussemaker ( 2 ), « d'apres 
un manuscrit helge ou flamand », qui doit etre celui de Jehan 
Taillskier. 

Enfin, Fl. van Duyse. dans Melusine, t. VI, col. 50-51, a donn6 
une version meilleure de la notation, avec le texte de la chanson, et 
plusieurs remarques originales. 

« Rn principe, dit-il, les vers composant la strophe sont de 
douze syllabes; mais la iantaisie populaire a fr&juemment de>og6 a 
ce principe. Peut-etre bien l'oreille de feu M. Taillefier, peu sensible 
au rhythme poeUique, a-t-elle 6te pour une part dans ces d6viations a 
la regie. » 

C'est la notation de M. van Duyse que nous reprenons ci-dessous, 
avec l'espoir que cette publication fera retrouver en Wallonie des 

(1) Registres aux transports de la haute Cour de Namur, 1466 1469, fol. 323. 
Archives de la ville de Namur. 

(2) M. de Coussemaker, Tediteur des Chants populaires des Flamands de, 
France, a traduit le premier en notation moderne, la chanson extraite du registre 
namurois, Elle a paru dans le t. VII des Ann. de la Societe archeol. de Namur, 
p. 186 (1861). 



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334 



WALLONIA 



textes raodernes de cette chanson que los specialistes connaissent 
aujourd'hui sous le nom de la Pernetle, nom qu'elle porte dans uu 
grand nombre de versions frangaises. M. Doncieux estime que la 
chanson de la Belle a la Tour, est une forme abatardie de la Pernette. 
qu'il croit originairc du Forez, et quMl croit datcr du xv e siecle. ( l ) 






^ 



La bel - le so si 



et 




au pi - et de la tour Qui 

Son pe - re li de - mand' Fil le que vo - leis - vous ? Vo 

rail /-n, tetnpo 



*^*- -• r - 



P~»^ 



i- 



mmmmm 



pleure et sos - pir et mai - ne grant do - lour 
leis - vous ma - rit ou vo - leis vous sein - gnour? 



Je ne 







vuelhe ma - rit(ne)jene vuelhe sein - gnour Je vuel- he le mien a - 

rail /^ tempo 




mi qui pau - rist en la 



* 9 J— w J J. __) 9 r 



zzrzzzzirzzzzz-zzizzu 



tour Par Dieu ma bel - le 

Mon pe - re s'on le 





" 








1 ,_ 


. , , 1 


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— 1" 


I . I 




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J ' J m 


• * 


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9 




fllle a 


ce - li fau - reis vous Car 


il 


se - rat pen- 


pent se 


m'en sou - yeis de - sous En 

''(ill /Tv 


81 


di - ront les 




X 



mini 



main au point do 
sont loy - als a - 



jour 
mours 



La belle se siet au piet de la tour 
Qui pleure et sospir et maine grant dolour 
Son pere li demande : fllle, que voleis vous ? 
Voleis-vous marit, ou voleis- vous seingnour? 
— Je ne vuelhe marit ne je ne vuelhe seingnour 
Je vuelhe le mien ami qui paurist en la tour 

(1) Donoikux, Le romance"™ populaire de la France, Paris, Bouillon, 1904, 
p. 31, Sur le nom de la Pernette, voy. p. 17. 



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WALLONIA 335 

— Par Dieu, ma belle fille, & celi faureis-vous, 
Car il serat pendut demain au point do jour 
P6re, s'on le pent se men souyeis desous. 
Ensi diront les gens : ce sont loyals amours 

Quant li pere oyt ceste dure clamour 
A sa fille rendi son cueret sa vighour; 
El li at dit : Ma suer, je vai ovrir ma tour; 
Vous rareis vostre ami, si en fereis seingnour. 
Vous rareis vostre ami, sans y mettre sour 
S'on fereis vostre espeuz par bien et par amour 
La moitiet de ma terre areis par le douchour; 
Je vuelhe qui soit ensi, sans y metre destour. 
Quant la belle choisi son ami par amour 
Grant grasoe en rendi son pere sans demour. 



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Un jeune Artiste liegeois 

a Rome, en 1787-1788 

De recents et superbes succ6s remportes par de jeunes musicieus 
de notre ville au concours dit de Rome, donnent une heureuse actua- 
lite a des papiers d'ordre prive, dont nous devons la tres obligeante 
communication k un de nos concitoyens et oil il est question du 
s6jour que fit, a la Ville Eternelle, un jeune pensionnaire de la fonda- 
tion Darchis ( l ). Ge sejour, que la mort — helas! — rendit trop court 
et qui tut marqu6 par des incidents bien ponibles pour la famille du 
jeune artiste, va nous permettre, grace a la correspondance a laquelle 
il donna lieu, de nous initier, ne fut-ce qu'un instant, a la vie que 
pouvait mener au-dela des mers un enfant de Liege, brusquement 
transports dans un monde nouveau, plein d'enchantement, mais par- 
seme aussi de mille embuches... 

Jean-Jacques Jaspar, le « heros » de notre histoire, 6tait ie fils 
d*ANDRE Jaspar, < maitre estainier » ou « estennier ( 2 ), demeurant a 
l'enseigne de Saint-Michel « Sur Meuse », a Liege, et de Marie-Cathe- 
rine Jacquet. II etait ne en 1760, dans la paroisse de la Madeleine, 
et avait d6passe de beaucoup la vingtaine, quand il se vit lanc6, selon 
ses expressions, « dans la carriere du laurier ». 

II faut admettre qu'il t6moigna de serieuses dispositions artis- 
tiques, car il devint, en 1786, le protege du chauoine Henri Hamal, 
maitre de chapelle a la cathedrale de Saint-Lambert ( 3 ), comme 

(1) Lambert D'archis (et non D'Archis), ne en 1625, mot en 1699, a Rome, avait 
quitt6 tres jeune la ville de Liege, pour se fixer a Rome, ou il fut pendant 50 ans 
agent et expediteur apostolique. Par un testament date du 22 octobre 1690, il legua 
tout ses biens pour creer dans la ville des papes, un etablissement propre a aider 
les jeunes etudiants de Liege qui devraient resider dans la Ville Eternelle et seraient 
denu6s de fortune. — La fondation Darchis prit le nom d' Hospice ou College lieyeois. 
Elle comprenaitun recteur (M. Fabry, en 1787), un proviseur, des domestiques et des 
pensionnaires, dont le nombre varia selon les epoques. Actuellement le nombre an 
est de quatre. 

(2) II etait gouverneur du bon metier des febvres. 

(3) Ne a Liege, en 1744, mort a Liege, en 1820. 



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Wallowa 337 

Tavaient ete avant lui Henri-Guillaume et Jean-Noel Hamal, ses 
oncle et grand-oncle (') et, comme eux, amateur instruit et clair- 
voyant. Hamal avait pour ami un chanoine de Saint-Barthelemy, 
Pollard, qui etait precisement a cetle epoque proviseur du college 
liegeois a Rome, autrement dit de la fondation Darchis. Grace a cette 
si utile relation, le maitre de chapelle obtint que son jeune « recom- 
mande» fut designe pour y occuper une place de pensionnaii e devenue 
juslement vacante. 

Une lettre de Pollard a Hamal, du 20 Janvier 1787. nous avertit 
du ^ucces de leurs demarches respective*. Le jeune Jaspar est done 
invite a se meltre en roule le plus tot possible, muni d'une lettre du 
priuce-eveque (alors G. de Hoensbroeck, 1784-1792), pour les admi- 
nistrateurs du college ( 2 ). On lui recominande d v Mre pourvu d'argent, 
car e'est a lui qu'incombera le soin d*acheL>p papier, crayons et 
et autres menus objets. On Tavertit d' « 6tudier nuit et jour pour 
devenir un homme » et on lui laisse esperer un « bon maitre. > 

Voila done notre Jean- Jacques parti, en route pour la gloire ! 

Arrive a une dale que nos documents ne sauraient nous faire 
preciser, il se trouve imm6diatement en contact avec ses co-pension- 
naires, au nombre de six, dont nous somites assez heureux de posseder 
les norns. C'etaient Bodson, du quartier de la Madeleine ; Warnier, 
de la paroisse Saiute-Catherine; Angion, du quartier de Pierreuse; 
Dignefke, d'Outremeuse; Dupont, de Verviers, et Louesse (ou 
Louette ?) « de la Hesbaye >. 

Les lettres, malheureusement tres peu norabreuses, Gcrites par 
Jaspar en 1787 et au d^but de 1788, nous en disent assez cependant 
pour nous le montrer pleiu d'ardeur au travail dapprentissage de la 
peinture et decide a tirer iargement parti de la faveur qu'il a oblenue 
de vivre dans la grande cite des arts. « Rome n'est pas ingrat a 
1'homme qui veut s'appliquer, ecrit-il un jour ( 3 ), car elle renferme 
dans ses murs les plus beaux hommes de la terre, tels que Raphael 
Urbain (sic), Beinin, Poussin, Domiuiquin ( 4 ) et un grand nombre 
d'autres artistes qui les ont approches. » (lettre du26juin 1787) 11 

(1) H.-Guill. Hainal (1685-1752); Jean-N. Hamal (1709-1778). 

(2) « Car, dit la lettre, il & ete conclu avec le prince de ne recevoir plus per- 

> sonne qu'il ne soit appele par le testateur (Darchis) et une lettre de sa part (sic) 

> afin d*avoir des honnestes gens et de bonnes moeurs et qui s'appliquent... » 

(3) Nous modernisons ici un style, qui est parfois d'une lecture bien penible. 
Nous ne parlons pas de l'orthographe ! On sait ce qu'elle etait a cette epoque, meme 
chez les plus hauts personnages. 

(4) Raphael Sanzio, ne a Urbino, en 1483, mort en 1520 ; — Bernin (Bernini), dit 
le Cavalier, ne a Naples en 1598, morien 1680 ; — Dominiquin (Doininico Zampieri), 
n6 a Bologne en 1581, mort en 1641 ; Poussin, le celebre peintre f'rancais, ne en 1594, 
mor en 1665. 



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338 WALLOttiA 

passe son temps a copier leurs plus beaux tableaux, car « ce sont la, 
dit-il, les meilleurs maitres que je puisse avoir. » 

Sa sant6 est parfaite et ses etudes vont de mieux en mieux (lettre 
du 29 mai 1788) Mais ce qui le « fache », c'est que la vente de ces 
copies ne lui apporte aucun benefice : il faut payer dans le palais (le 
palais Farnese, sans doute) ou Ton va travailler, et corame il se 
trouve dans Rome plus de 5,000 peintres de toutes les nations, les 
d6penses que Ton doit faire pour etudier « comme il faut », depassent 
g6n6ralement les prix, tomb^s fori bas, que ion peut recevoir pour 
les copies effectu6es. Gela est si vrai qu'un groupe d'artistes, dont il 
fait partie, ont decide de se... syndiquer pour obtenir a meilleur 
compte des « modeles sur nature*: riiomme leur revient ainsi a 
8 6cus Tan pour chacun ; quant a la femme, qu'ils ne prennent que 
les dimanches matin, elle ne leur coute que 3 ecus! — Mais, malgr6 
tout ce qu'il peut faire, il n'est pas facile a notre jeune Liegeois de 
nouer les deux bouts avec les 400 fr. annuels dont il peut disposer : 
il a du faire, en arrivant & Rome, Templette de deux costumes nou- 
veaux et de multiples aocessoires de toilette un peu convenables pour 
paraitre dignement dans les fetes du College et ailleurs; il lui faut, 
d'autre part, entretenir par d'utiles cadeaux Tamitie de son maitre 
particulier, le chevalier de Maron. Tun des principaux professeurs de 
TAcademie de France a Rome. Ce personnage ne peut-il pas lui faire 
beaucoup de bien, surtout cette annee que notre jeune compatriote 
ambitionne de prendre part au concours pour le Grand Prix du Capi- 
tole, dont le sujet impos6 comprenait une vaste composition a douze 
personnages ? Mais pourra-t-il entreprendre cette dure epreuve, vu 
le temps peu considerable dont il dispose et largent qu'il lui en 
coutera ? II n'ose encore l'esp6rer. En tous cas, et quoi qu'il puisse eu 
advenir de ses projets, il travaille et il a foi en i'avenir. « Jespere, 
£crit-il un jour avec candeur, que Li6ge ne me reconnailra plus, et 
Ton verra qu'il faut etudier beaucoup pour retonrner bon peintre. » 

Ces lignes, pleines d'une belle confiance, dataient du 29 mai 1788; 
le mois suivant, lel4juiu, envoyant de ses nouvelles a son oncle 
maternel, le R. P. Benoit Jacquet, de lordre des Freres Mineurs, a 
Liege, il confie a son parent avec une joie profoude et l'accent de la 
plus pure fierte, que dame Fortune vient de lui sourireenfin, qu'il va 
enfin toucher au terme de ses embarras d'argent ! Et comment cela ? 
Ecoutons-le : « Nous venons, M. Chefneux et moi, de faire 1'acquisi- 
tion d'un tableau dont on ne peut estimer la valeur. // rCy a qiiun 
prince qui puisse se /e payer... I Vous aurez de la peine a y croire,. . 
mais ce tableau est de Raphael Durbain (sic), le premier peintre qui 
ait rendu la nature parlante... Les plus habiles peintre de Rome Tout 



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WALLOWA 339 

i 

estime a quatre mille^cus romains. ( l ) Je vous prie, n'en parlez pas a 
inon tres cher pere : le prix que nous avons donne du tableau est de 
deux cents ecus romains... Nous avons ete obliges d'engager nos 
montres et de faire argent de tout ce que nous avons pour parfaire 
celtesommeet nous acquitter en vers la personnequi nous l'avendu...» 
Et il tenninait par cette declaration dont on appr^ciera plus loin la 
veracite : «... En un mot, il est paye, et j ai retir6 ma monlre avec 
l'argent que j'ai gagne avec des copies que j'avais faites des plus 
tableaux de Rome > 

... Ce sont \k les dernieres lignes, pour ainsi dire, qu'ecrivit le 
bjn el naif Jean-Jacques. iMoins d'un mois apres, le 13 juillet, une 
maladie surveniie soudainement emportait en quelques jours le jeune 
horn me dans la tombe !... 

Une lettredece Chefneux, dont le nom vient d'etre cite, au pere 
Jaspar, informail ce dernier du malheur qui I'accablait si inopine- 
raent. Peude jours apres, le 23 juillet, une autre lettre, adressee par 
Pollard au chanoine Hamal, confirmait la triste nouvelle. Mais, bien 
que la disparition pr6matur6e de Jaspar fut par elle-meme dGja 
suffisaminent douloureuse, le proviseur du College U6geois, ne rem- 
plissant en cela que strictement sa mission, dut bien mettre la 
famille au cou: ant de faits qui contribuerent certainement k redoubler 
encore la peine des parents. 

Nous apprenons, en eflet, grace aux lettres qui s'6chang6rent 
fr^quemment alors entre Rome et Li6ge, a connaitre de plus pres le 
Lidgeois Chefneux, dont il vient d'etre question et qui fut le mauvais 
g^nie de Jaspar. 

Prec&lemment d6ja, le pere Jaspar avait cru devoir avertir son 
fils des bruits defavorables qui couraient sur le compte de son coinpa- 
triote. Celui-ci, pensionnaire du c616bre College germanique a Rome, 
YAnima ( ? ), se trouvait en conflit avec les directeurs de cet 6tablisse- 
mcnt; il apparait nieme, a lire Jean- Jacques, qu'il 6tait sous le coup 
d'une expulsion. Jaspar s'etait, — pour son malheur, on va le voir, — 
« aveuglement faufil6, comme disait Pollard, avec ce Chefneux, qui 
6tait parvenu a capter entierement la confiance de son nouvel ami, si 
ron en juge par la chaleur avec laquelle notre trop confiant Jean- 
Jacques le defendait contre les soupgons paternels. 

(1) L'ecu de 100 baioques (baioque = un peu plus de 5 centimes), valait 
5 fr. 32 ; celui de 50 baioques, 2 fr. 60 ; celui de 20 baioques. 1 fr. 06. 

(2) Sur cette institution, on peut lire dans la revue DeKatholiek, Leyde, t. 132, 
1907, pp. 236-306. 358 380, une notice historique, d'oii il resulterait que c'etait une 
fondation d'origine neerlandaise et developpee surtout par des Neerlandais (Archives 
beiges, 1907, numoro du 25 novembre, p. 259). — Comment Chefneux, Liegeois, y 
avait il ete admis, nous ne savons. 



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340 WALLONTA 

Manquant de ressources, Thieve de YAnima s'etait fait fripier 
(ragattier) et se livrait a des trafics assez louches avec des anti- 
quaires et marchands de bric-a-brac. C'est ainsi qu'il en etait venu 
(nous 6pargnons le detail au iecteur) a detenir un tableau qu'il eut 
Taudace de faire passer aux yeux du bonasse et, semble-t-il, encore 
peu expert Jaspar pour une neuvre « de la seconde maniere » de 
Raphael ! En realite, le Ghefneux s'etait montre aussi impudent 
imposteur que son compagnon s'etait revele peu connaisseur ('). La 
toile en question representait une Venus, mais d'un inconnu et sure- 
ment point de Raphael, ni d'une valeur de 4,000 ecus. « Vous saurez, 
ecrivait Tabbe Pollard au pore de Tin fortune Jean-Jacques, que les 
premiers tableaux de Rome, on ne peut en trouver seulement la 
moiti6... On est aujourd'hui trop clairvoyant. > Et il ajoutait cette 
reflexion qui est en situation en tout temps: «... II n'y a que les 
Anglais qui payent ! » Jaspar se laissa aller a participer a Tacquisi- 
tion dece tableau. On sait ce qui arriva : toutes les economies dispa- 
rurent, et sa montre en or dut elre engagee au Mont-de-Piet6, d'oii 
elle ne futpas retiree de si tot, contrairemenl a raftirmation quelque 
peu inensongfere de son proprietaire... 

Sur ces entrefaites, Jean-Jacques vint a disparaitre. Ghefneux et 
un antiquaire, qui avait aussi mis de I'argent dans cette bizarre 
speculation, s'enteudirenl alors, comme larrons en foire. pour afflrmer 
que leur trop cr&iule assocte n'aurait rien eu a pretendre k la co- 
proprtete du tableau ; qu'au contraire, il devait meme encore, a sa 
mort, quelques ecus! Le comble du malheur, c*6tait que Ghefneux 
6tait resteen possession de la reconnaissance du Mont-de-Piete. 

Sollicite par le pere, le proviseur du College dut bien s'occuper 
a liquider les affaires de J. -J. Jaspar Gela ne lui fut pas facile. « Quel 
pot-pouni, quel galimatias », s'ocria-t-il bienlot. Il lul fallut d'abord 
recevoir, pour agir en toute securite, une piece otficielle le constiluant 
fondede pouvoir authentique du piro Jaspar, car le menteur fiefte 
qu'6tait Ghefneux, se vantait partout, sans en exhiber la preuve. 
d'avoir regu deja pareille commission, et cherchait k vendre la 
montre ; puis il eut a inlervenir aupres de ceux, fripiers et aulres 
gens de Tespece, avec qui Jaspar et son acolyte avaient eu des rela- 
tions; il dut aussi s'occuper a se defaire au moins bas prix possible 
des objets ayant appartenu au defunt et dont il avait 6te dress£ un 
repertoire ou inventaire (incomplet du reste, car plusieurs avaient 
disparu, subtilises, insinuait-on, par Ghefneux), et a renvoyer k Li6ge 

(1) « Du premier coup, proclamait-il naivement a son oncle, dans la lettre pre- 
citee, j'ai reconnu que c'etait de Raphael » !! 



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WALLONIA 341 

tout ce qui no pouvait etre vendu. Mais ce qui lui causa le plus de 
tracas, ce fat la montre engagee que le perj Jaspar r^clamait k cor et 
a cri et qu'il s'agissait d'arracher aux grifFes de I'audacieux Chef- 
neux. Celui-ci suscitait mille chicanes, les unes plus d61oyales que 
les autres, dans le detail desquelles il nous est impossible d'entrer ici; 
loin d'accepter d'etre un debiieur, il poussait l'audace jusqu'a se pre- 
tendre au contraire, on vient de le voir, le creancier de Jean-Jacques 
pour plusieurs petites sommes. 

On devine Tetat d'esprit ou tous ses tristes incidents avaient 
plonge le pere Jaspar. et on y compatit sincerement; mais on com- 
prend aussi i'espece d'ennui qu'a la longue l'abb6 Pollard ressentit de 
se sentir charge d'une mission aussi peu agreable que celle de se 
d^battre contre un aigrofin, et cela a cause d'un pensionnaire par 
trop b^nevole. Ce sentiment d'impatience perce nettement dans un 
passage d'une de ses lettres au pere, celle du 19 novembre. « Jepuis 
vous assurer, M r , que si j'avais su tout ce que je sens a present, je ne 
me serais pas employe, ni embarque a prendre soin du peu de nippes 
de voire fils ; car on n'a que du chagrin apres avoir rendu service. » 
Dans une missive de juillet, Pollard avait deja prononce, a Tadresse 
de feu Jean-Jacques, le mot d'« ingrat » ajoutant : « nous avons a pre- 
tendre a ses charges 92 6cus. » 

Nous voyons que, par deiix fois, le proviseur reclame au pere de 
l'argent pour pouvoir degager la montre, mais que. dans aucune 
lettre venue de Liege, il n'etait question du moindre envoi de nume- 
raire. Aussi le ton des leitres de Pollard devint-il avec le temps plus 
sec, et peu a peu les protestations de devouement et de sympathie se 
font-elles plus mesurees. 

Bientot raeme un conflit surgit, a propos du payement des frais 
de funerailles. Le pere Jaspar refusait de les solder, alleguant qu'ils 
£taient a la charge de la fondation Darchis. Cela 6tait vrai jusqu'& un 
passe assez rapproche, mais, depuis quelques annees, une nouvelle 
ordonnance, 6manee des visiteurs apostoliques, avait decide que le 
remboursement de ces frais incomberait dor^navant aux parents des 
defunts. C'est ce qui resultait clairement d'une espece de consultation 
juridico-historique, redigee par un nomme Salmon, dont nous ne 
devinons pas ici la qualite, et que Pollard transmettait, en la contre- 
signant, au « maitre estennier » Jaspar. 

Pauvre pere I Vraiment il faut en avoir pitie ! Avoir perdu au 
loin un tils qui setnblait donner taut d'esperances, apprendre combien 
tristement il a.fini, devoir se debattre contre un coquin, ne plus avoir 
de son cher enfant que quelques minces objets de toilette, sans valeur, 



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342 WALLONIA 

n'6tait-ce pas assez de sujets de douleur? Faudra-t-il encore ajouter 
a tout le repte des embarras d'argent, se voir accule a la misere ? 

C'est du moins ce qu'il veut faire croire k Rome, ou il ecrit ces 
lignes, bien faites pour apitoyer : « Comment voulez-vous que je 
paie ? Un p6re qui a fourni plus meme que son pouvoir pour avancer 
(a) un fils prodigue, qui k present est sans ouvrage par le mauvais 
temps et la misere qu'il yai Li6ge, et dont la femme a la jaunisseet 
des tourments a cause de son fils et peut-etre en mourra ; un homme 
qui cherche (comme il peul) a entretenir sa famille ? Voulez-vous me 
faire cette grace de dire k M. Salmon qu'il me demande la vie plutdt 
que de Fargent, car dans T6tat oil je suis, je serais heureux d'etre 
mort pour 6viter toutes les souffrances de la vie !... » 

Cette delicate et penible contestation prit heureusement une 
tournure favorable aux interets de la famille de Jean-Jacques. 
M. Salmon ne voulait absolument pas c6der et il y alia d'une seconde 
epitre, encore plus s6che de ton que la premiere. Mais Pollard qui 
apparait d^cidement comme un brave homme, d'un caractere conci- 
liant, s'interposa et obtint que, pour contenter M. Salmon, le peu 
d'argent qu'avait donne la vente des « nippes » serait depose au mont- 
de-pi6te pour servir a garantir en tout ou en partie le payement des 
frais de fun^railles. « La maladie de votre flls, 6crivait le proviseur, 
le 21 fevrier 1789, a coute plus de 50 ecus en terme de 8 jours, et nous 
ne pouvons pas endetter la maison pour faire plaisir. Mais finissons 
cette contestation. A Tavenir, tous ceux qui auront le malheur de 
mourir au college, ils seront obliges de payer les fun^railles (sic) ; la 
loi est positive et a etc ratifiee par le pape. > 

Quelques mois apres, nous Papprenons par la derntere lettre que 
nous poss6dons de Pollard, 24juin, les « coquineries > du fameux 
Chefneux dtaient enfin devoilees au grand jour. Non-seulement il fut 
chasse du college de YAnima, mais une ancienne affaire de vol, 
commis au detriment d'un religieux liegeois, 6tant revenue sur leau, 
le gouvernement romain ouvrit une instruction secrete contre lui. 
Pour comble d'ennui, il se vit meme accus6 d'avoir voulu « seduire » 
les jeunes gens du college germanique et les enrdler dans la com- 
pagnie des... Francs-MaQons, dont il disait faire partie! L'lnquisition, 
rapportait Pollard, cherchait a semparer de sa personne ! 

Tout cela soulageait la conscience publique et devait bien faire 
plaisir au pere Jaspar, mais... ne faisait pas revenir la montre en or 
de Jean-Jacques entre les mains de Pollard... 

1 Ce dernier se dScida done a faire citer en justice Chefneux, et il 
obtint une « saisinne » contre lui. Vaius efforts ! Sa paie k VAnima ne 
pouvait plus 6tre retenue, puisqu'il venait d'en 6tre chasse ; d'autre 



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WALLONIA 343 

part, i\ allait quitter Rome d'un instant a l'autre.. Que faire ? Que 
Jaspar « releve » moyeuuant 5 ecus (ton. jours payer !) la « saisinne » 
delivree a Rome, pour qu'il puisse s'eu prevaloir a Liege, ou Chefneux 
jouit (Tune pr6bende a Coruillon, dont on pourrait retenir le revcnu ; 
ou, ce qui serait le mieux, que le frere de Tescroc, qui est un fort 
honnete homme, lui, termine a l'amiable cette epineuse affaire.... 
Tels 6taient, en fin de compte, les derniers conseils que Pollard 
croyait pouvoir donner au pere de Jean-Jacques. 

Nous ne savons comment se termina eel imbroglio ; mais nous 
sommes certain que Chefneux garda la belle montre en or.... 

Et ainsi se termina fort probablement la lamentable histoire d'un 
jeune Liegeois a Rome. Puisse-t-elle entraiuer sa moralite pour tous 
les prix de Rome, presents et h venir, qui vivront a Rome ou.... 
ailleurs ! 

Felix MAGNETTE. 



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Le cure et le veau 

Facetie populaire namuroise 0> 



Gn-aveuve on cop dins on pove 
viladje des Ar denes, do limps do vi 
Bondie\ on vipove cure, sourd come 
on canon, el avou ca nin co trop 
malin. 

II esteuve one miete rintre en 
ofance. 

1 n 'aveuve pout d f meshene : i vi- 
heuve tot seu et fieuve tot s' micin- 
nadje li-minme. 

I h 'saveuve nin conter les djous. 
Quand par hasard i-gn-aveuve one 
messe dins V samtoinne, c 'esteuve li 
madjuster quelvineuve huquerpace 
qu'i n J si rapeleuve di rin. 

Mais il aveuve one pouye qui li 
pc fieuve on-ou tos les djoiis : 

lies aurdeuve dins on p'tit cate 
di strain et quand elle inn aveuve 
ponu chijy i saveuve qui V leddimwin 
sereuve dimegne. 

Li pove biesse vineuve tos les djous 
au matin sauVlev su V chou di s' 



II y avait un coup dans un pauvre 
village des Ardennes, du temps du 
vieux Bondieu, un vieux pauvre 
cur6, sourd comme un canon, et avec 
ca pas trop malin. 

II etait un peu rentre en en- 
fance. 

II n'avait pas de servante : il vivait 
tout seul et faisait tout son menage 
lui-meme. 

11 ne savait pas compter les jours. 
Quand par hasard il y avait une 
messe dans la semaine,c'6tait le clerc 
qui venait Tappeler parce qu'il ne se 
rappelait rien. 

Mais il avait une poule qui lui 
pondait un oeuf tous les jours. 

II les gardait dans un paneton 
de paille, et quand elle en avait 
pondu sii, il savait que le lendemain 
serait dimanche. 

La pauvre bete venait tous les 
jours matin sauter sur le giron deson 



(1) M. Lambillion, le vaillant conteur wallon, l'autcur du savoureux recueil 
dont il fiit parl6 ici meme (t. XVI, 190 5, p. 182), a bien voulu conter pour Wallonia, 
a notre eollaborateur, M. Alphonsc Marechai , une de ces vieilles histoires. comme 
il en sait par centaines. II n'a pas eu besoin de puiser au fond de son sac. L'histoire 
facetieuse qu'on va lire, rappello celle du copere et des petits chats (ci dessus, 
t. I, p. 148), et par son sel partieulier, nous reporte a l'^poque oil la simplicity 
et la since>ite d'esprit etaient gene>ales, on I'on savait rire de toute chose drole sans 
les Arriere-pensees qui sont comme le revers de nos « convenances » contemporaines. 
Nous publions le recit du conteur tel qu'il l'a en quelque sorte dicte, dans la vieille 
langue dont il possede a fond le voeabulaire si pittoresque. 



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WALLONIA 



345 



maisse et li fieuve one litaniye di cod- 
codahpo U anonci qu'elle li aveiive 
fail on novia ou. 

Mais on cop, el saison do wa\f- 
madje, li pouye a aVmere on djou 
sins ponre, el ons esteure arive li 
dimegne el i gn-aveuve qui cinq ous 
dins V cate. 

Li cure' pinseuve done qu'on ries- 
teuve seulemint qui V semedi au 
matin. El, maugre qui V maurli 
soneuve echone pol grand-messe, a 
tol spiyi dispeii one dimeye he tire, 
li cure, qui n'elindeuve nin. ria- 
leuve nin a Veglije. 

Vola qu'avies dij heures li rna- 
djuster acourt po voy poqxoe qui l" 
cure ni v'neuve nin Ichanter rnesse. 
Et % trouve li pove vihome achile au 
mitan del coujene, qui r'fieure ses 
vis soles. 

— Eh, bin, Mossieu V cure, li 
ctoarneye-t i a I'oreye, est-ce qui vos 
n' vinoz nin Ichanter messe ? Tales 
les djins vosratindnul. 

— Esl-ce qiCi-gn-a on service ci 
samwinne ci t dist-i V cure. 

— Non, e'est grand-?nesse qu'i 
faut v'nu Ichanter. 

— Mais, c' ?iest nin dimegne 
audjourdu : nossepouyen'a coponu 
qui cinq ous ! 

— Qui r pouye vaye a us cint 
dialesl disti V in adjuster...! lot V 
monde vos ratint; acouroz bin 
rade. 

Et V pore vi cure rmel bin vile 
ses soles en roviant do coper V tchetia 
qui pindeuve a s' talon, 

Et it ecourt a Veglije ossi vile 



maitre et lui faisait une litanie de 
cod-codah pour lui annoncer qu'elle 
lui avait fait un nouvel oeuf. 

Mais un coup, dans la saison de la 
mue, la poule est restee un jour sans 
pondre, et on etait arrive le diman- 
ohe et il n'y avait que cinq oeufs dans 
le paneton. 

Le cur6 pensait done qu'on n'etait 
seulement que le samedi au matin. 
Et, bien que le chantre sonnat en- 
semble f 1 ) pour la grand'messe, a tout 
briser, depuis une demi-heure, le 
cure, qui n'entendait rien, n'allait 
pas a l'eglise. 

Voila que vers dix heures, le clerc 
accourt pour voir pourquoi le cure 
ne venait pas chanter messe. 

Et il trouve le pauvre vieil homme 
assis au milieu de la cuisine, qui re- 
fa isa it ses vieux souliers. 

« Et bien, monsieur le cure, lui 
corne til a I'oreille, est-ce que vous 
ne venez pas chanter messe? Toutes 
les gens vous attendent. 

— Est ce qu'il y a un service ( 2 ) 
cette semaine?dit le cure. 

— Non, e'est grand'messe qu'il 
faut venir chanter? 

— iMais ce rf est pas dimanche au- 
jourd'hui : notre poule n'a encore 
pondu que cinq oeufs! 

— Que la poule aille aux cent 
diablcs! dit le clerc, tout le monde 
vous attend, accourez bien vite ! » 

Et le pauvre vieux cur6 remet bien 
vite ses souliers, en oubliant de 
couper le ligneul qui pendait a son 
talon. 

Et il court a L*eglise aussi vite 



(1) « Sonncr ensemble », sonner les deux cloches a toute volee, comme on fait 
toujours pour annoncer la grand'messe. 

(2) «c Service*, messe d'obseques; en general : messe solennelle pour le repos 
d'un mort. 



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346 



WALLONIA 



qui ses viyes djambes el plinrCt 
pwdrter. 

En-z-intrant il esleuve suvu pa 
Tanteche, one viye rentiere di 
quatrevints ans. 

El au milan (V Veglije li viye 
comere vinl a passer su V tchelia 
qui pinde uve au lalon do cure. 

Li pove vi home qui n % tineuve 
nin fxcdrt su ses guiyes, si staure 
lol au long el Vviye comere Ichail 
su s'dos. 

El r madjusler acourl po les 
r' lever los les deus. 

Et V cure en breyant ecourt dins 
V sacresliye : 

— Mon Die ! maurli % que ma- 
Iheur! dist-i. 

— Estoz blesse\ Mossieu V cure ? 

— Non, responl V cure. Mais V 
quek esl-ce qu'estplin, docmh qu'esl 
d' zeft ou do cinh qu'est oVzos ? 

— Bin c'est lodis V cinh qu'est 
d'zos, disl-i V maurli. 

— Bin alors\ disli, i va awe on 
fameus scandale dins V parolche : 
djipuu bin m J sauver. 

El maugre les r'montrances do 
maurli, li cure spile evoye. 



que ses vieilles jambes le pouvaient 
porter. 

En entrant, il etait suivi par 
Francoise, une vieille rentiere de 
80 ans. 

Et au milieu de Teglise, la vieille 
vint a passer sur le 111 qui pendait au 
talon du cure. 

Le pauvre vieil homme, qui ne te- 
nait pas fort sur ses quilles, s'etale 
tout au long et la vieille commere 
tombe sur son dos. 

Et le clerc accourt pour les relever 
tous les deux. 

Et le cure en pleurant s'encourt 
dans la sacristie. 

« Mon Dieu ! clerc, — quel ma- 
Iheur ! 

— Etes-vous bless£, M. le cure? 

— Non. repond le cure. Mais le- 
quel est ce qui est plein, celui qui est 
au-dessus ou celui qui est dessous? 

— Mais c'est toujours celui qui est 
dessous, dit le clerc. 

— Ben alors, dit-il, il va y avoir 
un fameux scandale >ians la paroisse: 
je peux bion me sauver! » 

Et malgrc les reraont ranees du 
clerc, le cur6 file. 



Come li viladje es leave fxcdrt si- 
laure el qui V cure n* saveuve nin 
roter rwed (ons esleuve aus courts 
djoils), il esleuve causu nail quand 
il a stiarive au oVbout do viladje. 

II eslail fwdrt nauji el il avail 
fred el i s' dimandeuve ou-ce quHl 
aleuve passer C nail. 

A u bxodrd aVone ruwale, il avise 
on for qu'est co lot tchod : on 
v'netlve sexilemint do roster les 
pxoins. 

Gn-a V cure s J dit : vola one boune 



Gomme le village etait fort etendu, 
et que le cure ne savait pas marcher 
vite (on etait aux courts jours) il 
etait presque nuit quand il a ete 
arrive au bout du village. 

II etait fort fatigue, etil avait froid 
et il se demandait oil il allait passer 
la nuit. 

Au bord d'une ruelle, il avise un 
four qui est encore tout chaud : on 
venait seulement d'oter les pains. 

Le cure se dit : voila une bonne 



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WALLONIA 



347 



place por mi passer V nait. I rosse 
si mantia et il intere o for. 

Via qu'avies trwes heures au ma- 
tin li vatche des djins del maujone 
vint a veler el Vhome dit a s' 
feume : 

— E wous* qui nrC alans mete 
nosse via po passer V resse del nait? 
i fail fred et i tronne tot su ses 
pates. 

— Si nos V m&trinnes o for, don ? 
dist-ele li comere; il est cor on miete 
tchod et au matin i sereuve tot 
r'setchi. 

Et il e vont mete li via o for. 

Et V cure qui dwarmevue n J a rin 
etindu et les payisans rtont rin 
veyu. 

Avoules aireyes do djou li cure 
s'a reweyi. 

Et li prumere ideye qui li vint, 
c'esl d? sinle autou nVli po voy ou-ce 
qu'il esteilve, et i met s* mwin su 
P via. 

« Cest ca ! vola V malheur arive 
c" cop ci, dist-i, vo-m-la desho- 
nore ! » 

El au momint qui V coiner e dou- 
vieuve Vuch di s' maujone, li cure 
sorleuve fou do for, el press e do 
couru evoye, i roviye si mantia. 
Mais l' comere quel riconel lot d' 
sicite. criye aprts li : 

— He, Monsieu fcure\ vos avoz 
rovivosse mantia! 

— (7* n'est rin, dist~i; sere po fe 
one camisole au via. 



place pour moi passer la nuit. II ote 
son manteau et entredans le four. 

Voila que vers trois heures du 
matin, la vache des gens de la mai- 
son vient a veler et rhomme dit a la 
femme : 

« Ou allons-nous mettre notre 
veau pour passer le reste de la nuit ? 
II fait froid et il tremble sur ses 
pattes. 

— Si nous le mettions dans le four, 
done? dit la commere, ii est encore 
un peu chaud et au matin il sera 
tout seche. » 

Et ils vont mettre le veau au four. 

Et le cure" qui dormait n'a rien 
entendu et les paysans n'ont rien 
vu. 

Avec laube du jour le cure* s'est 
reveille. 

Et la premiere id6e qui lui vient 
e'est de sentir autour de lui pour 
. voir ou il etait, et il met la main sur 
le veau. 

«C'est ca, voila le malheur arriv6 ! 
Cette fois, dit-il, me voila d6sho- 
nore ! » 

Et au moment ou la commere 
ouvre la porte de sa aiaison, le cur6 
sortaitdu four, et presse de s'enfuir, 
il oublie son manteau. 

Mais la commere qui le reconnait 
tout de suite, le hele : 

« He\ Monsieur le cure, vous avez 
oubli6 votre manteau! 

— Ge n'est rien, dit il, ce sera pour 
faire une camisole au veau. 



J.-L. LAMBILLION. 



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Legendes chretiennes 



i. 

Saint Leonard 

Leoende de Prouvy-Jamoigne 

Saint Lina etot in brigand qui vicot da ine aforet. 
II avot trouve 'ne pen me sauvatche. 

I Ye mins das la bore d'in vi &be, a dijant : 
« Su t' t'amades, dju m'amadras. » 

In po pus Ion, il e apergu in tcherti qu'etot ahotey avu s* tche. 

II i court pou l'adi. 

Mais Ttcherti lavot r'couneu. Crwayant qua Lina v'no pou l'tuey, 
pr6t sa hatche et s' li code la tete. 

Lu saint avot in frere qui fot penitance das l'des£rt. 
G'etot ine andje qui li aportot sa neuriteure. 

SJ!u djou la, l'andje 6 ariv6y pus taurd quu d'habitude 
a\ solitaire li d'mande pouquoi. 
« Dj'& t& moune Tame du vot' frere au ciel. 

— Et me, qu'est-ce quu dj'ara ? Via si longta quu j' serve lu bon 
Dieu ! 

— Vous, vous s're dan6 ! » dit-ele l'andje. 

Cont6 par mon p6re, a Prouvy-Jamoigne. 

Lugien ROGER. 



Traduction.— Saint Leonard £tait un brigand, qui vivait dans une foret. 
II avait trouv6 une pomme sauvage. 
II Ta mise dans le creux d'un vieil arbre, en disant : 
« Si tu t'ameudes. je m'amenderai. >► 

UnpeuplusloinjlaaperQi. uncharretierqui 6taitembourb6avec son char. 
II y court pour raider. 

Mais lecbarretier Tavait reconnu. Groyant que Leonard venait pour le 
tuer, il prend sa hache et lui coupe la tete. 

Le saint avait un fr&re qui fesait penitence dans le d6sert. 

C'6tait un ange qui lui apportait sa nourriture. 

Ce jour-la, range est arriv6 plus tard que d'habitude. 

Le solitaire lui demande pourquoi. 

« J'ai 6t6 mener Tame de votre frfcre au ciel » 

— Et moi, qu'est-ce que f aurai ? Voila si longtemps que je sers le bon Dieu ! 

— Vous, vous serez damn6 ! dit range. 



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WALLONIA 349 

II. 

Saint Job 

Legbnde de Court-Saint-Etienne 

C'estot dins rtimps del rinne Mari-Terese. 

Quate musicieas riv'ninne d'awo sti djouwer al fiessedi Biamont. 

C'estot trwes freres di Franc ni et onk di leus comarades, Djilain 
Cat'lain, de Ruchau. 

I fieve on bia cler de lune. 

Arrives a Pin'tchau, is vweynut, sus on' ancini, on vis bribeu, 
mau habiyi, qu'avot s' corps couvru d'maus. 

I n' dwarmeve ne, i greteve ses maus qui chopyine fw&rt. 

« He la, riiomme ! crie onk des trwes freres. On dirot qui t' 
djouwes del gawe ! Atinds, n's alans V doner on' air de violon, ga va 
mia, ti poures danser ! » 

Et les trwes fibres, trwes glawines, si m6tnu a djouwer l'pus 
efoufiante de leus danses, po s' moquer del vis homme. 

Quand is out ieu fait, Tote musicien, Djilain Cat'lain, qu'estot 
on bon coeur, prind a s' tou s'violon et dit : 

« Vi homme, mi, dj'vas djouwer one saqwe po vos consoler. » 

Et vo-l-la en train d'fe etinde le pus bia des airs qu'i con' 
ch6ve. 

Totd'on cop, le bribeu arache des crapes dju d* s&s maus, et 16s 
tape sus Tviolon d'a Djilain. 



Traduction. — C'6tait du temps de la reine Marie-Th6rese. 

Quatic musiciens revenaient d'avoir 6t6 jouer a la fete de Beaumont 
fhameau de Lasne). 

C'6taient trois fn&res de Franquenies (hameau de Mousty, commune 
de Ceroux-Mousty) et un de leurs camarades, Ghislain Cattelain, du 
Ruchaux (hameau appartenant par moitie aux communes de Court-Saint- 
Etienne et Mont'Saint-Guiberl). 

II faisait un beau clair de lune. 

Arrives a Pinchart (hameau d'Ottignies), ils virent sur un fumier, un 
vieux mendiant, mal habillg, qui avait le corps couvert d'ulceres. 

II ne dormait pas, il grattait ses ulcfcres qui chatouillaient fort. 

« H6 la, Thomme! cria Tun des trois fr&res. On dirait que tu joues de la 
guimbarde. Attends, nous allons te donner un air de violon, cava mieux, 
tu pourras danser. » 

Et les trois freres, trois railleurs, se mettent a jouer la plus entrainante 
de leurs danses, pour se moquer du vieillard. 

Lorsqu'ils eurent flni, Tautre musicien, Ghislain Cattelain, qui etait un 
bon coeur, prend a son tour Fon violon et dit : 

« Vieillard, moi, je vais jouer quelque chose pour vous consoler! » 

Et le voilk qui fait entendre le plus beau des airs qu'il connaissait. 

Tout-a-coup, le mendiant arrache des crofttes de ses ulceres et les jette 
sur le violon de Ghislain. 



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350 WALLONIA 

Mirauke ! 

Ghacone d6s crapes estot 'ne grande pije d'or : i-gn-6nne avot 'ne 
dozinne. 

Vweyant ga, les trw6s freres voul'nut ossi te honour al vis pove. 

G'ti-ci tape co des crapes sus les violons. 

Mins q' cop-ci. les crapes brulinent comme des rodjes bitches, 
et les violons ont sti trawls. 

Comme les trwfes freres si tourmetinent, li bribeu a dispar^tu. 

C'estot saint Djob ! 

Adon les quate musiciens ont continuwe leu voye, pus pekes onk 
qui Tole, sins n'puswesu causer, et Djilain sins s'permetedi compter 
ses pijes d'or. 

Pass6 Franc'ni, apres d'awe quit6 ses comarades, i sint qu'il estot 
comme perce nauji, et qtf c'estot s' potche ou q' qu' estinent ses 
caurs qui div'nere todis pus pesante. 

Novia mirauke ! 

El place d'oue dozinne di pijes, Djilain enne avot cint, deus cints, 
trw6s cints, et todis comme ga d' pus djusqu'a q qu'il a sti arive au 
Ruchau, one dimeye heure apres. 

II estot ritche, et c'tet ainsi qu'il a plu ach'ter des lerres et one 
pitiie cinse qu'i-gn-a co on batimintqifi d'mere. 

Conte par M" Marie Catherine Debroux, veuve de 
Dieudonn6-Joseph Rosy, nee le 7 mai 1829, au 
Ruchaux, ou elle habite encore. Cette dame, des- 
cendante de Ghislain, Cattelain, tient le recit de 
ses parents. 

Adolphb MORTIER. 



Traduction. — Miracle ! 

Chacune des croutes etait une grande piece d'or : il y en avait une 
douzaine. 

Voyant cela, les trois freres veulent aussi faire honneur au vieux 
pauvre. 

Gelui-ci jette encore des croutes sur les violons. 

Mais cette fois-ci, les croutes brulaient comme des braises rouges, et les 
violons ont ete troues. 

Comme les trois freres se tourmentaient, le mendiant disparut. 

C'etait saint Job ! 

Alors les quatre musiciens continuerent leur route, plus intrigues Tun 
que l'autre. sans plus oser parler, et Ghislain sans se permettre de compter 
ses pieces d'or. 

Apr&s avoir depasse Franquenies et avoir quitte ses camarades, il sent 
qu'il etait comme tout fatigue^ et que c' eta it sa poche, ou etait son argent 
qui devenait de plus en plus lourde. 

Nouveau miracle ! 

Au lieu d'une douzaine de pieces, Ghislain en avait cent, deux cents, 
trois cents et ainsi toujours davantage, jusqu'a son arrivee au Ruchaux, une 
demi heure plus tard. 

11 etait riche, et c'est ainsi qu'il a pu acheter des terres et une petite 
ferme, dont il reste encore un batiment. . 



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Wallowa 351 

III. 
Sainte Barbe 

Legknde du Bas-Condroz 

Sainte Barbe avait deux soeurs mariees. Et le pere engageait aussi 
Barbe a prendre un 6poux. Mais jamais elle ne voulut y consentir. 
G'est pcurquoi son pere I'enferma dans une tour oil elle resta pendant 
quarante jours. 

Apres ce temps, son pere vient voir ce que fait Barbe. II entend 
chanter des cautiques. II e litre et demande : 

« Que faites-vous, Barbe? 

— Je chante des cantiques. 

— Qui vous a donn6 de la nourriture ? 

— Je ne mange pas, je bois, c'est mon ange gardien qui me pro- 
cure la boisson. > 

Le pore sort. Quand il a fait quelques pas, le tonnerre se fait 
entendre, la foudre tombe et tue le p6re de sainte Barbe, qui fut tene- 
ment impressionn^e quelle mourut imm&Iiatement. 

G'est pour ce motif qu'on invoque Sainfe-Barbe pour la mort 
subite. 

Recuelli a Ramioul-Ramet, par Francois- J. Renkin, 
et communique par lui, le 23 octobre 1893. 

IV. 
Les douze Apotres 

Ce que je vais vous raconter se passait trois cents ans avant que 
J6sus-Christ ne vienne au monde. 

En Jud6e, vivait une brave mere de famille qui avait douze 
enfants. Elle etait si pauvre, si pauvre, qu'elle ne savait comment 
faire pour les nourrir tous Cependant la seule chose qu'elle deman- 
dait au bon Dieu tous les jours dans ses prieres, c'est que tous ses 
enfants vecussent encore quand le Seigneur viendrait sur terre. 

Gomme la mis6re de la brave femme devenait toujours plus 
grande, un beau jour elle se vit obligee d'envoyer tous ses gamins 
travailler au loin, pour gagner leur vie. 

Pierre 6tait parti le premier. II 6tait d&jk a une bonne journ6e 
de marche quand il est oblige de traverser un grand bois. Se voyant 
tout seul, il a peur et regarde de tous cot6s pour trouver un chemin 
qui le men&t hors du bois. Mais, rien ! Plus il avance et plus il s'6gare 
dans les arbres. 

Alors, il sent la faim qui le d6mange, et rien k manger. A peine 
a-t-il la force de se tenir sur ses jambes. 



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352 WALLONlA 

Enfin il devient si faible qu'il se laisse tomber au pied d'un arbre 
et reste couch6 la, se pensant d6j& dans les bras de la mort. 

Mais tout-a-coup apparait pres de lui un enfant d'une grande 
beaute et gentil comme un ange. II frappe des mains pour eveiller le 
petit Pierre. Au troisieme coup, celui-ci ouvre les ycux, leve la tete 
et regarde. 

— Pourquoi, lui dit Tenfant d'une voix douce, pourquoi etes- 
vous si accable ? 

— Ah! repond Pierre, je marche a travers le monde pour pou- 
voir gagner ma vie en travaillant, pour attend re ainsi lejourou le 
Sauveur doit venir sur la terre; je veux le voir, on me l'a toujours 
promis. 

— Venez avec nioi, repond I'enfant, vous aurez ce que vous 
d6sirez. 

II prend Pierre par la main et le conduit dans la fente d'une 
roche qui 6tait la tout pres. 

En y entrant, Pierre restait ebahi de saisissement, tel lenient il 
faisait beau. Tout 6tait garni d'or, d'argent et de diamants, tout 
resplendissait — et il vit, au milieu de la place, douze berceaux d'or 
massif, mis Tun a cote de Tautre. 

— Gouchez-vous dans le premier berceau et dormez un peu, je 
vous bercerai, lui dit Tenfant. 

Pierre obeit, le petit se met k chanter doucement, et il berce tant 
Pierre, que celui-ci s'endort. 

Un peu apres, arrivait un de ses freres, qu'un ange protecteur 
avait amen6 dans la roche. L'enfant le met dans un berceau et fait de 
meme que pour Pierre. Et ainsi tous les freres sont arrives tour a 
tour, et ont ete mis dans les duuze berceaux d'or. 

Leur somme a dure trois cents ans, jusqu'a la nuit ou le Sauveur 
est venu au monde dans Tetable de Bethlehem. 

Alors, ils se sont eveilles au meme moment que J6sus est venu 
sur terre. lis ont voyag6 partout avec lui, et ils ont 6t6 appel6s les 
douze apdtres. 



Conte a Wihenne lez-Boauraing, par M me Henri 
Dupuitreux, agee de 83 ans. 



Leon PIRSOUL. 



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LITTERATURE DE CHEZ NOUS 



Croquis 



Les Coquilles d'oeufs 

La veille au soir, re vena nt de sa promenade quotidienne sur la 
grand'route — ou ses yeux sournois aiment a surprendre les couples 
musant le long des peupliers — Madame Pi rot a decouvert k Ten tree 
du bourg, juste au pied d'uno haie, quelques coqnilles d'oeufs eparses 
sup un vague tas d'ordures. 

Jardins et champs 6taient deserts, et pas une kme sur la route; 
vite Madame Pirot s'est accroupie, a empile febrilement dans son 
tablier les coques brisees, puis a regagne le logis d'un pas presse afin 
d'Gviter toute rencontre et de pouvoir cacher sa trouvaille en uu coin 
de cuisine avant que son homme ne rentrc du cabaret. 

Et maintenant en cette chatide apres-midi de juin, debout sur le 
pas de sa porte, elle inspecte a droite, puis a gauche, avec une lenteur 
dissimulatrice, la rue silencieuse ou le soleil decoupe une elroite 
bande d 'ombre devant les maisons d'en face. 

Pas un passant, personne sur les seuils, nul voisin dans les pota- 
gers. Tous ceux qui ne sont point aux champs font leur sieste, ou 
dans la fraicheur de Tarriere-chambre atteudent pour prendre Tair 
un instant plus propice. Et la rue entiere semblerait morte, n'etaient 
les recitations monotones des enfants qui de Tecole proche parvien- 
nent confusement par la feuetre ouverte jusqu'a Madame Pirot. 

Gelle-ci rentre un instant et l'oreille aux aguets s'assied a la table 
de bois blanc sur laquelle se trouvent pr^parees les coquilles d'oeufs 
qu'un lavage sommaire a debarrassees des taches de boue. 

Dans les flots de soleil qui s'engoufireut par la porte b&tnte, des 
mouches par milliers vibrent et bourdonnent, tachettent panneaux et 
murailles de leurs iucessants picottements, agacent le cou, les mains 



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354 WALLONIA 

etles joues moitesde Madame Pirot. Mais, toute aux ecoutes, elle les 
sent a peine et sans fin, les chasse, d'un meme geste machinal. 

Au dehors, tout-a-coup un bruit de pas s'est fait entendre. 

Madame Pirot se redresse et palpitante va reprendre son poste ; 
un faneur attarde s'avance, pipe a la bouche et faux luisante sur 
l'epaule. 

La mine enjou^e de Madame Pirot se renfrogne; mais la-bas, au 
bout de la rue, ses petits yeux percauts que protege sa main en visiere 
ont apergu la haute et maigre silhouette, cim6e d*un chapeau de 
paillea large bords, du notaire que la notairesse accompagne, proje- 
tant sur le pave le petit cercle d'ombre de sa rotondite massive. 

Madame Pirot s'6panouit : courant & la table, elle raflehative 
ment les coquilles dans son tablier dont elle tient d'une main les deux 
cornea. La voila prete; elle tend Toreille pour mieux se rendrecompte 
de Tapproche des promeneurs. 

Le pas lourd et cadence du faneur a resonn6 plus fort devant la 
porte ouverte... 

» lis doivent etre pres du jardin Roufflart « pense Madame 
Pirot... » lis passent devant l'6cole...» 

Gette fois, elle pergoit distinctement le rythme in6gal de leur 
marche. 

Voilii Tinstant. 

Madame Pirot se rapproche de la porte, guette par la fenStre aux 
rideaux de mousseline l'arrivee du couple, et juste au moment precis 
ou le notaire et sa femme vont passer devant sa maison, elle se moritre 
sur le seuil, comme par hasard, salue d'un sourire qui sous son nez 
crochu etireen grimace ses levres minces, et d'un geste negligent — 
en m^nagere chez qui les h^catombes d'oeufs sont chose famili6re — 
epand sur la chaussee les coquilles qui s^parpillent et roulent avec un 
bruit sonore sur les pavfc in6gaux. 

II. 
La Robe nouvelle 

Bimbam... bimbam... bimbam... scande par a- coups reguliers, a 
travers la rumeur du bourg, la grosse voix de la cloche de l'6cole 
communale. 

Guilign... guilign... guilign... tinte a son tour, plus aigue et plus 
Mle, la sonnerie d'appel de Tecole des soeurs. 

Et par les champs, les rues et les venelles, le long des haies 
fraiches encore de rosee ou de vieux murs dont les cr6pis s'emiette 
sous la tambourinade des regies, de la vie surgit et passe, des rires 



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WALLONIA 



35^ 



s'6parpillent,deconfus bavardages dominent le bruit des sabots etdes 
souliers ferres. 

(Test l'heure coutumtere ou la grande silhouette de Madame Pirot 
s'encadre en la baie de la porte. Mains croisGes sur le ventre dont la 
convexite propice soutient les seins affaisses, levres 6tir6es sous le 
nez qui se busque, les petits yeux clignotant sous les cils p£les, elle 
regarde passer bambins et fillettes, inspectant la tenue, scrutant les 
gestes, commentant les groupements du jour, epiaut les propos sous 
son masque d'indifterente digestion. 

La petite Hacart passe, mordant a meme une 6paisse tartine de 
sirops de poires : 

«N'est-ce pas une honte?» pense Madame Pirot « Bourrer ses 
enfants de sirops quand on manque chez soi du necessaire... > 

Un des gamins du cantonnier se rend en classe en compagnie du 
fils du docteur : 

« Comment le docteur tolere-t-il que son gargon s'eucaiiaille de 
la sorte ? > bougoune Madame Pirot. 

Mais la-bajs, au detour du chemin, un bruit de voix s*£leve, des 
injures se croisent, des coups de regie s'eehangent... Les yeux de 
Madame Pirot s'allument, suivent en petillant les phases de la lutte ; 
et comme Tun des combattauts perd lequilibre sous le choc d'uu 
cartable habilement mani£ : 

« C'est bien fait ! il n'a que ce qu'il merite » clame-t-elle a une 
voisine. « Ge gamin du receveur fait vraiment trop d'embarras. > 

Au seuil des deux ecoles, sontapparues la cornette blanche d'une 
sceur, la silhouette fameliquede I'instituteur : Les musards se hatent 
el dans la rue plus calme s'espacent les retardataires. 

Madame Pirot, avant de rentrer, jette un coup d'oeil k droite, un 
coup d'oeil a gauche ; son panier d'ecoliere au bras, une fillette se 
presse, vetue d'unerobe degros drap bleu. 

— « Bonjour, Madame Pirot » dit la gamine. 

— » Quelle belle robe tu as aujourd'hui, repond Madame Pirot, 
avec un mielleux sourire. « Laisse done voir de plus pr6s... Qui est-ce 
qui te l'a donn6e ? » 

— « Maman », dit la gamine, qui tente des'esquiver pour eviter 
d'etre en retard. 

Mais Madame Pirot a saisi le bas de la robe qu'elle tate et 
retourne pour juger de I'epaisseuret de la quality du drap; et tandis 
que Tenfant inquiete jette un coup d'oeil vers Tecole dont la porte 
vient de se refermer, Madame Pirot souleve doucement la jupe, et d'un 
prompt regard counaisseur, expertise sournoisement les dessous... 

Auguste VIERSET. 



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Les Qraveurs Liegeois 



A THotel d'Ansembourg, un rare artiste, l'aquafortiste Frangois 
Marechal, classe les collections de gravures que la Ville de Liege y 
adeposees; il y retrouve 1'histoire de nos vicissitudes. Malgre le 
gouvernement paternel des princes-eveques, celebre par M. Jules 
Helbig, Liege ne fit jamais vivre un grand artiste: la plupart s'exi- 
16rent, les autres accepterent de vegeter et leur genie palit corame 
une plante aux frimas. 

Au cours de ses recherches laborieuses, Marechal a plus d'une 
fois 6prouve l'6motion que provoquent des splendeurs inattendues, et 
s'il se m6fiait d'eloges partiaux, il a senti ses preventions s'eva- 
nouir au contact de la realite. 

Elle est triste et belle, cette realite. Durant quatre siecles, notre 
cite a produit de remarquables graveurs, et e'est aujourd'hui seule- 
ment qu'une faible partie de leur oeuvre est reunie et oflerte a l'6du- 
cation du public; et quel devouement ne fallut-il pas pour reunir ces 
jalons de la route glorieuse, places au loin, par les d6racin6s que 
furent nos maitres burineurs ! 

Ni T6cole de Bruges, ni celle de Gand, ni celle de Bruxelles, 
n'ont eu cette continuity de hauts talents pendant une periode aussi 
longue, et il faut que cette terre, dont parlent d&iaigneusement, je 
crois, certains 6rudits a Tesprit particulariste, engendrat bien natu- 
rellement les artistes pour que leur lignee s'y prolongeat sans defail- 
lance a travers quinze generations, alors que tons, apres avoir souri 
leur premiere enfance sur nos coteaux, s'en allaient oeuvrer et mourir 
loin du sol natal ! 

Forment-ils une 6cole? demandions-nous a Marechal. II nous 
r^pondait que non. Et il avait raisou. On pourrait repondre que oui. 



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WALLONIA 357 

Et Ton n'aurait pas moins raison : je ne fais pas du paradoxe ; je me 
garde toutau plus de voir Pid6e sous uuo seule face. 

Non, ils ne forment pas une ecole. Et comment voudricz-vous 
qu'ils representent un bloc de traditions et de proced6s ? Lombard 
n'est pas le maitre des de Bry; Valdor, n'a pas etudie sous un disciple 
de Lombard, ni Varin et Natalis dapres Valdor, ni Duvivier chez Tun 
d'eux, ou Demarteau avec Duvivier. Ils ont pris quelques lemons au 
pays, se sont perfectionn^s k l'etranger, sont revenus chez eux, assez 
pour y trouver la vie terne et sans issue, et sont repartis. Les de Bry 
sont des maitres allemands, Lombard est d'abord un classique italien, 
Valdor, Varin, Duvivier, les Demarteau, vivent en France et sont 
FraiiQais. Quoi de comparable a cette ecole de Venise ou d'Anto- 
nello de Messine a Tiepolo et Rosalba, 1 education du peintre se 
forme sur la lagune, dans les palais et les ateliers exub^rants? Quoi 
de comparable a cette Bruges qui eut sa cour, ou vinrent, par dilec- 
tion, s'etablir les artistes du quinzieme siecle? Nos graveurs sont trop 
divers pour former une ecole. 

Faut-il done manquer d'originalite pour constituer un groupe 
d'artistes, repondra-t-on ? et reconnaitrez-vous 1'ecole aux signes qui 
distinguent le troupeau ? Sans doute, les conditions furent, pour les 
notres, les plus defavorables. Disperses, ils ont reflate des races 
diverses et appris des manieres differentes. Mais de Bry a-t-il la 
rudesse et la naivete allemande que Durer a marquees pour les siecles 
& venir ? Lombard et Suavius ont-ils l'aisance noble, tragique et sen- 
suelle des italiens ? Valdor et Demarteau ont-ils la legerete, la frivolity 
franchises ? C'est Watteau, un peintre du Xord, qui inspire le mieux 
Demarteau. Et pour que ces notations ne restent pas negatives, il sufflt 
de les dire avec d'autres mots; plus de finesse que Tart allemand, plus 
de calme et de force soulign6e que Tart italien, plus de serieux et de 
lourdeur que Tart frangais ; toujours un travail soign6, une ligne 
elegante, unci couleur sobre; un haut espi'it de synthese, puisque 
jamais la minutie du trait ne nuit a la clartG, a la legerete ou a la 
force de Tensemble. Et n'est-ce pas Tindice d'un temperament tres 
ferme, tr6s vivace, particuliera notre race ? Notre peuple se distingue 
par un sentiment qui est a lui : les artistes qu'il enfante a chaque 
generation forment une ecole. 

Aucun d'eux n'a laisse d'h^ritiers, nous dit Marechal, et il faut 
bien le croire, puisque son ceil parfait l'a constate. Soit ! Mais si nous 
argumentions, n'y verrions-nous pas une preuve de plus que nos 
artistes forment une ecole ? Songez done : ils vivent k l'etranger. C'est 
qu'ils etaient bien restes eux-memes, puisque leur talent, s'est alt^re 
au burin de leurs Aleves. 



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358 WALLOWA 

Qu'ii serait interessant et quelle subtile etude de psychologie 
sociale cela ferait, de rechercher le melange, dans chacun de ces 
talents, de Tesprit original et du milieu impose par les circonstances! 
mais qu'il serait difficile de montrer comment la 16gerete de l'esprit 
wallon s'empreint de gravite chez de Bry pere, au contact teuton, 
combien elle s'avive chez Demarteau, k la vie de Paris, et a quel equi- 
libre Tun et Tautre s'arretent ! A suivre les mouvements de leur 
balancier moral, on retrouverait la chronologie des oeuvres de 
Tartiste. 

Aucun d'eux, peut-etre, ne fut homme de g6nie k l'6gal de Durer 
ou de Rembrandt. Nous ne devons point sans doute nous en tenir 
pour humilies. De tels colosses sont rares dans 1'histoire du monde. Et 
on pourrait soutenir que l'Europe n'en compte pas un pour le moment. 
II s*y trouve pourtant pas mal de grands artistes dont les noms laisse- 
ront une trace dans la m£moire des hommes. Ainsi des notres lorsque 
nous aurons fait pour eux ce que nous leur devons. 

lis furent d'une admirable souplesse. Italiens avcc Michel Ange 
ou Titien, Allemands k Francfort, Frangais a Paris, ils prouverent 
un genie vif et intelligent. En eurent-ils les defauts ? J'ai entendu dire 
que la faculte d'adaptation supposait un caractere en dehors, et moins 
profond qu'ing^nieux, moins serieux que leger. S'il etait vrai, neces- 
sity fait loi, que peut bien faire un peuple isole, faible, un artiste qui 
s'expatrie? Risquant une supposition ties bardie, — nous la donnons 
pour telle — ne pourrait-on pen-er qu'un gouvernement theocratique 
est de"favorable au developpement moral d'un peuple frondeur? II lui 
parle gravity, et l'autre rit. II ne lui presente pas les choses du cote 
ou el les le saisissent. Si ses chefs lui eussent parle d'heroisme et de 
pensees fines, il eut mieux compris. Mais il est evident que j'alfirme 
\k plus que nous n'en voulons savoir. 

Ges artistes eurent un autre me>ite : ils avaient l'esprit alerte et 
inventif. A T6gal des peintres, ils etaient compositeurs. De Dry I er , 
Suavius, Lombard, Varin ont depense en des eentainesd'oeuvres leur 
imagination viveet savante. Paysage, genre, histoire, sujet religieux, 
allegoric lettrine, portrait, ils ont donne la vie des lignes k leurs 
mille pensees. 

Et meme Gilles Demarteau, qui se borne a reproduire les oeuvres 
des maitres, inventa un mode de gravure, la gravure a la roulette, 
qui lui permit d'imiter, a l'illusion, les dessins de Watteau et de Bou- 
cher. Quel virtuose de l'habilete technique, il fut, celui-la aussi ! 
L'instrument dont il se servait est une petite roulette dentelee, d'un 
ou deux millimetres de rayon, fixee au bout d'un manche, etc'est en 
la faisant courir sur la pierre ou le meHal que Tartiste imitait les 



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WALLONIA 359 

traits legers et gracieux des artistes parisiens; il fallait ensuite,comme 
les dents avaient herisse le trait de barbes, lui rendre sa purete en 
corrigeant chaque 6gratignure par l'ebarboir : quelle patience au 
labeur! et comnie cette longue preparation disparait dans Toeuvre 
livree a lamateur! 

Ainsi cultivee, la gravure n'est plus un art miueur. Elle cr6e 
pour la vue, sans les ressources de 1'arc-en-ciel et du marbre, un 
univers de beaute et de pensees. La volupte n'y a gufere de place — 
un peuple de charbonniers et de forgerons n'a pas le reve voluptueux 
d'une race marchande. Toutes les passions humaines y sont rendues, 
l'^loquence dessinee y preud toutes les formes : la satyre, une des plus 
repaudues et qui apparait deja chez les de Bry, la gravite que Sua- 
vius donne aux prophetes, la noblesse d'ame chez Lambert Lombard, 
lorgueil satisfait cher Valdor, la grace mutine chez Deraarteau... que 
sais-je enfin ! 

Plusieurs de ces graviires nous sont doublement pr6cieuses : 
elles re p rod ui sent des tableaux disparus. Que nous reste-t-il de Lam- 
bert Lombard ? Nous savons qu'il fut actif et fecond; nous ne poss6- 
dons de lui que quelques tableaux, epars dans les musees d'Europe. 
Encore, s'etlbrce-t-on de debaptiser ceux qui se trouvent en Belgique 
et un auleur de catalogue a-t-il efface son nom du musee de Bru- 
xelles. La gravure nous rvvele de lui des oeuvres inconnues. Sa com- 
position est a la fois riche et elegante, energique et sobre. Elle denote 
un artiste de premier ordre auquel Thistoire de Tart n'a pas rendu jus- 
tice — je ne dis pas cela pour les erudits qui redigent ties catalogues. — 

Suavius a, dans ses prophetes, \ine dignite, une noblesse qui les 
ferait attribuer a un grand raaitre, forme par Michel-Ange. Et Ton 
s'etonne que l'artiste, capable de concevoir des figures aussi graves, 
ait renonce a leur donner Feclat des couleurs, qu'il se soit content6 
de feuilles d'album : Tieuvre peint de Suavius est inconnu. 

Les portraits, qui sont nombreux dans la collection, se distin- 
guent en general par un fini et une virile humaine qui ne sont pas 
communes. II est tel jeu d'ombre, au coin d'une levrc, que Ton scrute 
a la loupe et qui r6vele dans une aine, l'au-dela du caractere. II est de 
ces longs doigts noueux de chanoine qui decelent la goutte ; telle phy- 
siouomie irascible, sous une placidite voulue par la profession... 

Quelle conscience au travail pour une tache somme toute modeste 
et peu lucrative! Quel devouement a Tart elle suppose ! Et n'a-t-on 
pas dit — tout le monde du moins Paura pense — que nos derniers 
maitres graveurs etaient bien les h^ritiers des grands burineurs du 
xvi% du xvii e , du xvm e siecle ? qu'avec une egale modestie et des 
soins aussi nnHiculeux travaillaient De Witte, Rassenfosse. Marechal ? 



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360 WALLONIA 

II s'en faut que tout soit classe des tresors enfouis dans les cartons 
de la Ville ; et leur archiviste temporaire a eu la douleur de constater 
que la negligence dcs temps avait laiss6 disparaitre bien des pieces. 

L'ensemble permet d'entrevoir dans ses lignes principales This- 
loire de la gravure an pays de Liege. Un travailleur qui aurait l'esprit 
de synthese la reconstituerait au moyen des pages qui nous restent 
ici : et il faut esperer qifen completant la collection, d'une volonte 
persererante, la Ville rendra possible cette ceuvre proposee vaine- 
ment au concours, a trois reprises, par la Soci6t6 d'Emulation : This- 
toire de notre gravure. 

R6cemment, la Gazette des Beaux- Arts signalait a Brou, un 
vitrail dessine par le graveur « flamand » de Bry, d'apres une com- 
position probable du Titien (*). II serait facile de s'en procurer une 
bonne photographie. Ues recherches method iques nous en feraient 
d^couvrir sans doute partout. 

Mais je voudrais que le tresor s'enrichit encore et qu'il renfermat 
les oeuvres de tous les graveurs wallons, de Tournai k l'Allemagne, 
d'Arlon a la Flandre, de cette belle region ou vit la race des Welches, 
ou notre principaute decoupait ses frontieres. Ce qui manque a notre 
peuple, ce n'est pas le sentiment d'art, c'est la conscience de sa race, 
la claire connaissance de son originality et, par suite, car il n'est 
point sot, la confiance en lui. 

II est moins 6tonnant qu'on ne le suppose que, dans les histoires, 
nos graveurs soient trop pen cites. Qu'avons-nous fait pour eux 
jusqu'i present ? je n'en sais pas assez sur ce chapitre pour en parler : 
mais un mot suffit pour dire ce qu'ont fait ceux de nos compa- 
triotes beiges qui sont particularistes ? lis ont debaptise les oeuvres 
non signers ou les notres ont (*puis6 leur genie. D'autre part, quel souci 
eprouvaient les historiens elrangers de nos meteques 6tablis en France 
et en Allemagne ? quel interet national ou personnel avaient-ils de 
les louer, d'autant qu'ils ne rentraient pas dans les cadres tradiiion- 
nels ? Aucun. 

Ce devoir nous incombait. 

Et s'il est encore des sceptiques, (\(?^ incredules, qu'ils mettent 
done k l'epreuve des faits leur incr&lulite, qu'ils aillent voir k r Hotel 
d'Ansembourg, les collections mysterieuses jusqu'a ces derniers jours 
et ils passeront \k de surprise en surprise, du doute a Tadmiration. 

F. MALLIEUX. 

(1) Gazette des Beaux-Arts, 1906, t. 73, p. 96. — Revue de la Societe litteraire 
deVAin, 1882, p. 24. 

II est impossible iTexposer tout cela a l'Hotel d'Ansembounr . pourquoi une 
Exposition complete ne se ferait-elle pas au Palais des Beaux- Arts ! 



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WALLONIA '$1 

ART MODERNE 



La Cantate du Prix de Rome. — La seance publi([ue annuelle de 
la classe des Beaux-Arts, le 24 novembre, coraportait comme principale 
attraction l'execution de la cantate de M. Charles Radoux, le laureat du 
grai d concours de composition rausicale de cette annee. On pouvait s'attendre 
a un succes. Le jury avait et6 unanime dans sa decision et, avant meme que 
celle-ci flit rendue, on savait de.ja que Tun des ouvrages pr6sentes se signa- 
lait par des qualites toutes particulieres. Disons tout de suite que Tattente 
n'a pas ete decue. 

Le poeme est du a un de nos litterateurs les plus experiments, 
M. Valere Gille. Celui-ci a emprunte son sujet a la legende de Genevieve 
de Brabant, trop connue pour qu'il soit necessaire d'en rappeler ici l'argu- 
ment. De celui-ci, l'auteur n'a d'ailleurs utilise que l'epilogue : Genevieve, 
dans la foret, reve aux souvenirs du passe; son flls (appelG ici « Benoni ») 
accourt lui annoncer I'approche de chasseurs, et tous deux rentrent dans la 
caverne qui leur sert d'habitation ; Sigefrid, l'epoux, vient avec Golo, qu'il 
entretient de ses remolds et de ses doutes ; — entend, du fond de la caverne, 
sortir une voix feminine chantant une chanson que Genevieve chantait 
autrefois; — entre, interroge I'inconnue, reconnait sa femme et son flls : 
transports de joie, ch<eur final. Ge scenario, traite en prose rythmee, n'oflre 
au point de vue musical qu'un 16ger defaut : l'analogie d'expression qui 
naft forcement de ralteniance des interrogations de Sigefrid et des reponses 
de Genevieve, qui constituent la scene centrale du morceau. L'inspiration 
musicale, dans des cas do ce genre, se maintient difticilement jusqu'au bout, 
et tombe fatalement dans les redites et les formules toutes faites. Wagner 
avait a vaincre une ditficulte analogue au premier acte de Siegfried (Mine 
et le Voyageur); mais le cote pittoresque lui offrait la de puissants elements 
de divemte, qu'il n'a eu garde de n^gliger. 

Nous disions tout a I'heure que I'audition publique de Foeuvre de 
M. Radoux avait pleinoment continue l'appreciation du jury. Sa musique 
eminemment saine, sans tendances deflnies encore, mais aussi sans reminis- 
cences, se signale par de precieuses qualites. Nous ne parlerons pas de la 
technique orchestra 1<* et polyphonique, qui est aujourd'hui monnaie cou- 
rante. Mais M. Charles Radoux exhibe en outre un reel sentiment draraa- 
tique, le sens des gradations et des proportions, et particulierement une 
envolee et une vigueur peu communes, tres eloignees de la mievrerie qui 
caracterise l'6cole franchise raoderne de la lignee de Massenet. Dans le 
dialogue de ses personnages. il y a une vivante diversite, il sait trouver 
Taccent juste, avec une declamation musicale bien appropriee et une pro- 
sodie correcte. Les preludes et interludes orchestraux. les morceaux d'en- 
semble, meritent une mention toute particuliere. Dans le prelude (La Foret), 
M. Radoux a des notations inedites, dans lesquelles il a su oublier la foret 
de Siegfried, - dont les essences se sont si etonnamment propagees dans la 
musique contemporaine ; I'interlude des deux premieres scenes (Genevieve 



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3()2 WALLoNIA 

et son fils) a do l'inge'nuite et de la fraicheur. le chreur des chasseurs, dans 
la deuxierae, oirre une vigueur d'accent peu commune; le clueur final : 
« Qu'un cortege joyoux... », d'une animation et d'un entrain d'ou la distinc- 
tion ne reste pas un instant absente, est un des meilleurs morceaux de 
I'ouvrage. 

Celui-ci. en resume, fait honneur a son auteur. qui a su tirer tout le 
parti possible de l'institution archaique, aux conditions si etrangement defa- 
vorables. qui s'appelle le « grand concours de composition musicale ». 

L'execution. sous la direction de l'auteur et avec le concours de 
M me Fassin-Vercauteren [Genevieve), M l,e Forgeur (Henotu). MM. G. Barck- 
mans (Sige/rid) et F. Malherbe {Goto), et les choeurs du Conservatoire de 
Li6ge, a fort bien marched. II y avait eu un petit moment de bonne emotion, 
a la proclamation des resultats des concours, lorsque le secretaire perpetuei 
de l'Acaderaie, exprimant sa satisfaction de voir un des grands prix derernes 
au fils d'un de ses collegucs. avait laisse a M. J.-Th. Radoux le soin de 
couronner lui-meme le jeune laureat; ce qui a permis au public d'unir dans 
une meme ovation le p&re et le fils. 

Ernest Closson. 

HIS TO I RE 



Bulletin de l'Institut archeologique liegeois. Tome XXXVII (l cr fasci- 
cule). Liege, imprimerie Liegeoise, Henri Poncelet. 

(p. I a XXXV), L. Renard, Rapport sur les travaux de V Instilut pen- 
dant Vannee 1900. (p. 1 a 97). 

Th. Gobert, Origine des bibliotheques pubfique* de Liege, avec apercu 
des anciennes bibliotheques departiculie s W d'elabtissemenls monasliqups 
liegeois. — M. G. ne pouvait mieux choisir son moment pour publier son 
travail : la ville vient precisement d'inaugurer la nouvelle bibliotheque c-en- 
tralc et le ni6moire qui ouvre le XXX VIl e volume de l'Institut archeologique 
liegeois est presque tout en tier consacre a raconter les destinees de la biblio- 
theque municipale depuis sa fondation en 1724. Comme l'auteur l'indique 
lui-meme dans le titre, il fait preceder cette histoire d'un rapide apercu des 
anciennes bibliotheques ecclesiastiques et privees du pays de Liege. Mais il 
est loin d'avoir epuise le sujet et il y aurait encore bien des pages a 6cm ire 
sur la prosperity des etudes a Liege pendant le Moyen-Age, sur l'activitede 
ses ecoles chapitrales, sur I'esprit si curieux de ces nombreux clercs et bour- 
geois qui se plaisaient a lire, a continuer ou a composer ces chroniques 
anonymes de l'histoire de leur patrie ou ces recueils des paix liegeoises on 
patceilhars. conserves en si grand nombre dans nos bibliotheques ou nos 
depots d'archives. L'auteur de ce travail n'a pas voulu evidemment aborder 
ce sujet et il se contente d'indiquer les riehesses bibliographiques des 
abbayes de Lobbes, de Stavelot, de Saint-Jacques et de Saint-Laurent, a 
Liege, des jesuites wallons et des autres couvents de la cite. II signale les 
belles collections de livres formees par certains erudits liegeois depuis le xv e 



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WALLONIA 363 

jusqu'au xviii 6 siecle. Malheureusement, les injures du temps, le feu, les 
vols, les pillages des gens de guerre disperserent la plupart de ces pr6cieux 
livres et manuscrits. 

Apres cela, M. G. aborde le sujet principal de son m6moire, c'est-a-dire 
l'histoire de la bibliotheque de la Cite depuis sa fondation en 1724. Ici Tau- 
teur a le souci d'etre complet et ne nous fait grace d'aucun detail : il expose 
l'organisation de cette bibliotheque municipale, qui fut une des premieres 
bibliotheques publiques ouvertes en Europe, il mentionne les differents 
catalogues qui furent dresses, nous raconte tous les demeles du premier 
bibliothecaire. l'imprimeur T. Kints, avec le Gonseil de la Cite. A Tarriv6e 
des Frangais. en 1794, les livres et les archives de la Ville fure «t exp£di6es 
en hate a Maestricht. mais les envahisseurs s'en emparerent apres le siege 
de cette ville ; ces collections furent envoyees a Paris, et Liege fut a jamais 
depouillee de son premier fonds de livres et manuscrits. 

Apres la conquete, le gouverneraent frangais voulut organiser une nou- 
velle bibliotheque publique de l'Etat, former au moyen des collections de 
livres conflsqu6es aux eglises, aux couvents et aui 6migr6s. Mais les diff6- 
rentes bibliotheques creees alors, bibliotheque centrale, bibliotheques de 
T6cole centrale et du lycee, n'eurent qu'une existence £ph6mere. En 1804, 
ces livres furent pour la plus grande partie c6d6s a la Ville, a charge pour 
celle-ci de rouvrir une nouvelle bibliotheque publique. Une autre partie alia 
former la bibliotheque du s6minaire qui venait d'etre r£tabli. Ge sont ces 
livres et manuscrits que la Ville ceda a son tour, en 1818, a l'Universite qui 
avait et£ recemment inaugur6e. 

M. G. termine en deplorant le d6membrement des collections bibliogra- 
phiques de TUniversite, qui s'est effectu6 a la suite de la creation de la nou- 
velle bibliotheque centrale. Ces regrets seraient fond 6s si nos 6diles avaient 
repris leurs livres et manuscrits pour les cacher jalousement. Au contraire, 
en installant a quelques pas de rUnivemte leurs collections de livres dans 
un local tres spacieux. tres commode, tres bien 6claire, ils ont voulu mettre 
chaque jour, depuis le matin jusqu'au soir, toutes leurs richesses a la dispo- 
sition des chercheurs : dans ces conditions, je ne vois guere les inconv6- 
nients du partage. pour autant que la Ville se montre aussi liberale que 
TUniversite pour le pret au dehors de ses manuscrits aux erudits inhabitant 
pas la ville. et que les deux bibliotheques n'aillent pas se faire une concur- 
rence absurde dans les ventes publiques. Et meme, ne serait-ce pas un grand 
avantage pour notre bibliotheque universitaire. qui peut a peine aujour- 
d'hui acquc'rir, avec des ressources qui deviennent chaque ann6eplus insuf- 
flsantes, tous lesouvrages scientiflques absolument n6cessaires qui lui sont 
reclames par les cinq facultes. si elle se voyait un jour compietement 
d6charg6e de Tobligation de constituer, a cotes des collections scientiflques. 
la collection la plus complete possible des anciens livres et manuscrits 
liegeois? L'avenir est aux bibliotheques specialised: un jour viendra ou 
nos universites devront etre dotees non plus d'une seule bibliotheque com- 
mune, mais d'autant de bibliotheques qu'elles renfermeront de iv*ei:lt6s. Je 



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364 Wallonia 

considere pour moi, le de^membrement deplore par M. G, comme le premier 
pas vers une specialisation qui deviendra toujours plus necessaire et ,je 
n'apergois aucun inconvenient a laisser aux villes. ou raerae a des societes 
d'erudits. le soin d'enrichir les collections locales, lorsque ces institutions 
veulent bien, comme a Liege, en assumer les frais et lorsqu'elles donnent 
des garanties suffisantes de s'acquitter de ce devoir au mieux des interets de 
la science. 

[p. 99 a 121). Eug. Polain, Architecture liegeoise. Les tnaisnns en 
bois apignon, a Liege. — Cette belle etude de M. P., illustr6e de 12 figures 
dans le texte et de \ planches, se recommande a la lecture de tout ceux qui 
s'interessent au passe de notre ville. Par suite de notre climat pluvieux, les 
maisonsa pignon, si frequentes dans les villes du Brabant et desFlandres. 
sont tr&s rares a Liege, mais les yeux fureteurs de M. P. ont decouvert dans 
tous les coins de la ville d'anciens specimens de ce genre d'architecture- 
Soubaitons que l'excellent et z6l6 areheologue continue ses recherches, car 
apr£s quelques travaux comme celui-ci, on pourra enfln se faire une 
idee plus exacte des styles et des proc6d6s de Tancienne architecture 
ltegeoise. 

(p. 123 a 149). G. Kurth, La Leyia. Etude tjponijmique. — Dans une 
premiere etude parue il y a 25 ans. dans le t. II du Bull, de la Soc. d % art et 
d'histoire du diocese, M. K. avait conclu que le num de Liege venait de 
leudicus ou publicus et que ce nom designait a l'origine un domaine de 
l'Etat. Quant au nom du ruisseau Legia, il avait 6t6 emprunteau nom de la 
Ville. En poursuivant ses etudes toponymiques, M. K. a constate l'existence 
de deux lois d'ordre general qui contredisent absolument cette derniere con- 
clusion. C'est a savoir : 1) les noms des cours d'eau et ruisseaux sont les 
plus anciens dans la toponymie; 2) les cours d'eau ont passe leur nom a la 
plus ancienne localite n6e sur leurbord. 

Le nom de Legia a 6te donne au ruisseau par les erudits du Moyen-Age, 
fort embarass6s pour le denommer. Mais ce ruisseau a du avoir un autre 
nom, tres ancien, preromain qui sera dans la suite tombe en desuetude. 
Pour le retrouver il sufflt de consulter les noms des lieux habites echelonnes 
le long du ruisseau. Or, a la source meme, on constate l'existence d'un nom 
de lieu d'origine celtique : c'est Glain, venant du celtique Glana. qui signifle 
pure. Glana, c'est-a-dire Eau claire : telle devait etre Tancienne denomina- 
tion du ruisseau qui devalait des hauteurs de Glain vers la Meuse. Dans la 
suite, le ruisseau prit le nom de la locality la plus importante qu'il traversait 
phenom&ne assez frequent comme le prouvent les nombreux exemples cites 
par M. K. Une partie du ruisseau porta au Moyen-Age le nom de Merchoul : 
on sait que ce nom est tres differemraent interpret^ par M. Kurth et Gobert, 
<>t nous avons expose precedemment les conclusions des deux adversaires. 
La pol^mique qui se continue actuellement, n'a pas encore d6gag6 une 
conclusion certaine et peremptoire, et a plutot servi a mettre en relief les 
graves objections qu'on peut eiever contre les deux interpretations propo 
sees pour ce nom. A present que tous les elements de la discussion sont 



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WALLONIA 365 

rassemblGs, c'est a un linguiste competent qu'il appartient de rechercher 
la bonne solution du probleme. 

(p. 151 a 158). E. Fairon, Un projet d'elevage des vers a soie aupays 
de Liege en 1775. — Un Francais du nom de Mermier, ne en Champagne, 
sollicita, en 1775, du Gonseil priv£, un octroi exclusif pour cultiver autour 
de Li6ge des haies de murier, et 61ever des vers a soie, en faisant ressortir 
combien cette nouvelle industrie serait avantageuse pour le pays. II s'efforca 
aussi de demontrer que la culture du murier 6tait possible sous notre climat, 
Sans doute, la r6alit6 ne r6pondit pas a son attente, car il ne para it pas que 
son projet ait jamais recu un commencement de realisation. 

E. Fairon. 



Th. Gobert, La plus aucieune enceinte de Liege. — Liege, impri- 
merie Demarteau, 1907. 

Dans son beau travail sur les Rues de Liege, M. Gobert avait d6ja 
indiquG Templacement des plus anciens remparts de notre ville. M. Kurth 
et Ruhl avaient combattu certaines de ses conclusions et propose un autre 
t r ac6, le premier dans son histoire de Notger, le second dans un article paru 
dans le Leodium. C'est pour r6pondre a ces critiques que M. G. a 6crit 
ce long m6moire. Sa refutation s'appuie sur des arguments convainquants 
et le plan de la premiere enceinte de JM6ge, qui illustre ce travail parait 
bien 6tre, apres cette discussion, celui qui se rapproche le plus de la v6rit6. 
MM. K. et G. ne sont guere d'accord que sur la question des origines. Les 
fortifications dont saint Hubert auraient entoure Liege, appartiennent au 
domaine de la 16gende. C'est Notger qui fortifla le premier notre vieille cit6 
etqui r6unit le quartier de Tile a l'ancienne ville. La muraille de Notger 
partait de la place du Theatre et escaladait le versant Sud-Est du Publ6- 
mont jusqu'a T6glise Saint-Martin ; elle passait par la Haute-Sauventere et 
l'6glise Sainte-Croix, d'apres Tauteur de Notger. M. G. pr6tend que c'Stait 
plutot paries degr6s de la Montagne. Dans la premiere hypothGse, ce mur 
aurait ete beaucoup trop 6loign6 de la derivation de la Meuse, ex£cut6e par 
Notger pourdSfendre et assainir le quartier de Tile et qui devait servir de 
fossG ext6rieur au rempart. En outre, ce trace aurait laisse sans defense un 
quartier qui d6ja a cette Gpoque, devait etre assez bien habits. 

Du Mont Saint- Martin les remparts suivaient la crete du Publ6mont, 
d'aprfcs K., tandis que G. les fait descendre jusqu'au thier de La Fontaine. 

Nous arrivonsainsi au versant N.-W. du Publ^mont. Pour cette partie, 
dit Gobert, on ne peut guere raisonner que par conjectures. Mais il est plus 
vraisemblable de supposer que le rempart longeait le ruisseau de la L6gia 
qui lui servait de foss6 naturel, que de pr6tendre qu'il coupait transversale- 
ment la valine de ce ruisseau, ce qui laissait en dehors de la defense de la 
ville tout le quartier de Saint-S6verin. En outre, les murs auraient du, dans 
cette hypothese, traverser la rue Saint-S6verin, qui 6tait alors une des 
principales arteres de Liege et on devrait retrouver par consequent dans 



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'#56 WALLONIA 

cet endroit les traces d'une porte. Or, aucun document n'etablit I'existence 
decelle-ci. Au surplus, M. K. ne donne ici pour appuyer son trace que le 
t^moignage de Philippe de Hurges, touriste Stranger, qui visita Liege au 
xvn e siecle, etauquel on ne doit accorder que fort peu de creance. 

Du quartier Saint-Sererin, les murs gagnaient la colline de Pierreuse 
en longeant celle-ci a mi-cote, pretendent MM. Kurth et Ruhl. Encore une 
fois, il est invraisemblable de supposer qu'un mur de defense ait pu etre 
etabli au milieu du versant de la colline; les pretendus restes des remparts 
retrouves par M. Ruhl, ne sont que des murs de soutenement des jardins en 
terrasses qui s'etagent au versant de Pierreuse. M. K. a ete induit en 
erreur, pour le trac6 de cette section, parce qu'il a cru que Pierreuse et 
Pissevache elaient deux noms differents d'un meme lieu dit : II n'en est 
rien, Pissevache est un lieu distinct situe en bas de Pierreuse, Les fouilles 
ex6cutees lors des travaux de Tetablissement du chemin de fer de ceinture, 
ont permis d'etablir d'une facon positive que la ligne des remparts de Notger 
se rattachait au Palais. 

II en est de ra6me pour la section Nord de l'enceinte notgerienne. Ici 
encore les terrassements executes tout recemment pour la construction des 
egouts dans la rue Hors Chateau et des Mineurs. ont v^rifle Texactitude des 
deductions faites par Gobert, en 1891 et en 1898. Du Palais les remparts 
notgeriens gagnaient la Meuse par la rue des Airs (anciennement rue des 
Ars, c'est a-dire des remparts), rue de la Clef et rue Sur-le-Mont. Le 
parcours admis par Kurth, Toblige a enfermer a Tint6rieur de la ville toute 
la partie de la rue Hors Chateau, comprise entre realise Saint-Antoine et la 
Montagne de Bueren, ce qui est fort peu vraisemblable, puisque le nom 
meme de cette rue indique qu'elle elait toute entiere hors de l'enceinte. De 
la Meuse, les murailles de Notger revenaient a la place du Theatre par le 
quai de la Goffe. la rue de la Cite, la rue Sur Mouse et la rue de la Regence. 
— La description se tormine par l'6numeration des portes qui mettaient 
Li6ge en communication avec les routes de Hesbaye, du Condroz ou de 
Maestricht. 

E. Fair on. 



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Table-Index 



Les nonis des collaborateurs sonl en petiles capitales. L'italique 
est reservee aux litres (les outrages analyses. 



•Art ancien, chronique, par Fernand 

Mallieux, 222. 
Art moderne, chronique, par Fernand 

Mallieux, 35. Par Ernest Closson, 

269, 361. 

B 

Bibliographic : de Jules Sottiaux, 45 ; 

de Jules Destree, 206; d'Auguste 

Vierset, 330. 
Body (Albin). Un sport pittoresque, 

le Sployon, 172. Les enlants sur 

les auteis, 248. 
Boissiere (Andre), sur Georges De- 
law, 151. 
Borren (Van den) (Charles), ViEuvre 

dramatique de Cesar branch, 

269. 
Brouwers (D.), Les croix banales a 

T^glise coll^giale de Fosses, 22, 

Memo ire de Jean sire de Haynin, 

128. 



Camberlin (Charles), li Bednye, 318. 
Cantate (la) du Prix de Rome, par 

Ernest Closson, 361. 
Carlot (Armand), Histoire, chro- 

nique, 66, 274. 



Cercle arch6ologique de Mons, An- 
nates, c-r, 66. 

Cercle hutois des Sciences et Beaux- 
Arts, Annates, c-r, 276. 

Chanson (la) populaire, sur son rele- 
vement, 156. La chanson popu- 
laire beige , par Charles Gheude, 
c-r, 186. 

Chansons d'amour, romances popu- 
lates, par Oscar Colson, 210. 

Chauvin (Victor), La Litterature 
icallonne a Liege, 193. 

Chronique wallonne, 36, 51, 123, 151, 
186, 218, 269, 313, 356. 

Cinquantenaire de l'Acad£mie wal- 
lonne, par Oscar Colson, 36. 

Closson (Ern.), Art populaire, chro- 
nique, 186. Art moderne, chro- 
nique, 269. La cantate du Prix de 
Rome, 361. 

Coenen (abb6), sur les van Eyck,229. 

Collin (Isi), Histoire de Compere 
Cwanecu, conte populaire, 27. 

Colson (Lucien), Cesteiit *ne fey, 
123. 

Colson (Oscar), Le cinquantenaire de 
TAcad^mie wallonne, 36. La nou- 
velle Biblioth&que publique de 
Li6ge, 51. Sortileges et maleflces, 
102.Faceties populaires sur Tente- 
tement des femmes, 176, 231. Bi- 
bliographic de Jules Sottiaux, 45; 
de Jules Destr6e, 206 ; d'Auguste 
Vierset, 330. Chansons d'amour, 
210. Le Pouce et le Pouls, 231. 



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368 



WALLONIA 



Wallonia a Ostende, 231. Renkin 
Sualem et ses oeuvres, 241). Les 
Flaraands dans le folklore wallon, 
277. 

Concours d'histoire wallonne, 134. 

Congr6s de la Presse peViodique, 230. 

Grieur (le; public, nouvelle, par 
Gaston Pulings, H8. 

Croix (les) banales a IVglise colle- 
giate de Fosses, par D. Brouwers, 
22. 

Groquis litteraircs, par Aug. Vierset, 
355. 

Cur6 (le) et le veau, facelie populaire, 
par J.-L. Lambillion, 344. 



Danse (Aug.), portrait de Jules Des- 
tree, 203. 

Delaw (Georges), sur son art, 151. 

Delchevalerie (Charles). Constantin 
Meunier. sa vie et son oeuvre. 81. 
Images fraternelles, 181. 

Deltawe (Pierre). Chronique, 157, 
159. 

Destree (Jules). Sur son oeuvre, par 
Ren6 Dethier, 11)7. Son portrait 
par Aug. Danse, 203. Sa bibliogra- 
phie par 0. G., 206. Litterature : 
les Fum6es. 214. 

Dethier (Ren6), sur IVeuvre de Jules 
Destr6e, 197. 

Dewert (Jules), Le hanneton dans 
nos traditions populaires, 137. Le 
Tour de S'-Herm&s, a Renaix, 161. 

Didier (Charles). Une Eeole d'art en 
Wallonie, 4. 

Donnay (Auguste), Litterature : Par 
les Routes, 144, 261. Cite, 4. 

Douraont (Edmond), cit6, 318. 

Douze (les) apdtres, 16gende, par 
L6on Pirsoul, 351 . 



Ecole (une) d'Art en Wallonie, par 

Charles Didier, 4. 
Enfants (les) sur les Autels, par Albin 

Body, 248. 
Episode (un) de la lutte des langues 

en Belgique, 132. 
Exposition (!') d'Art dinantais, 156, 

218. 



Evck (les van), Sur leur biographic. 
*229. 



Facet ies d'espri Is- forts, 116. Sur 1 Vo- 
te tcment ties femmes. par Oscar 
Colson. 176, 231. 

Fairon (Erailej, Histoire, chronique, 
£26. 276, 362, 365. 

Faits divers, chronique, 132, 156, 
230. 

Feller (Jules), Histoire, chronique, 
128. 

Flamands et Wallons, 132. Dans le 
folklore, par C^ear Colson, 277. 

Fumees (les), par Jules Destree, 214. 



Gens de chez nous : George Delaw, 
151, Leon Herbo, 224. Auguste 
Vermer. 153. 

Gheudc (Charles), La Chanson popu- 
lawe beige. 186. 

Gobert (Th.). La plus ancienne en- 
ceinte de Liege. 365. 

Graveurs (les) Li6geois, par F. Mal- 
lieux. 356. 

H 

Hanneton dans nos traditions popu- 
laires, par Jules Dewert, 137. 

Helbig (Jules), V Art mosan, 222. 

Hens (Joseph), Une histoire de sor- 
ciers. 241. 

Herbo (Leon). Necrologie, 224. 

Histoire. chronique. Par A. Carlot. 
66, 274. Par Jules Feller. 128. 
Par E. Fairon, 226. 276, 362, 365. 

Histoire de compere Cwanecu. conte 
populaire, par lsi Collin, 27. 

Histoire (une) de sorcier, par Joseph 
Hens, 241. 



Images fraternelles, par Charles Del- 
chevalerie, 181. 

Institut archeologique li6geois, bul- 
letin. 226, 362, 



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WALLONIA 



:«*> 



Jeune (la) Wallonie, par Jules Sot- 

tiaux, 210. 
Jeune (unj Artiste li£geois a Rome, en 

1787-1788, par F. Magnette, 330. 



Odekerke (Henry). Lettres wallonnes 
chroniques, 64„ 123, 193, 318. Lit- 
terateurs de Wallonie : Auguste 
Vierset, 321. 

Ouvrages regus, 135, 160, 196. 



Lammllion (J.L.), Le cure, et le 

veau, fac6tie populaire,344. 
Lamoureux ^Jean), Rimes tV amour 

et djoyeHses tchansons, 123. 
Laveleye (de) (Georges), La Sid6rur- 

gie et les Wallons, 67. 
L6gendes chr6tiennes, 348. 
Lettres franchises, chronique par 

Pierre Wuille, 188, 313. 
Lettres wallonnes, chronique, par 

Henrv Odekerke, 64, 122, 193, 

318. ' 
Lesneugo (Th,), Po6sies et chansons 

de la fln du 10 e s.. 233. Hisloire de 

Lessines, 274. 
Ligue wallonne de Mons, fondation, 

157. De Liege, jubile, 159. 
Loiseau (Louis). FaceUie, 178. 



M 

Magnette (F.), Un jeune Artiste Ii6- 

geois, a Rome, en 1787-1788, 336. 
Mallieux (Fernand). chroniques, 35. 

130, 132, 155, 212. Les Graveurs 

li6geois, 356. 
Marfichal (Jean), Preludes, 191. 
Maubeuge (Lucien). So (champs so 

voj/es, 123. 
Meunier (Gonstantin). sa vie et son 

oeuvre,parCharlesl)ELCHEVALERiE, 

81. 
Mortier (Ad.). S'-Job, legende. 349. 



N 



Ned (Edouard), Jules Sottiaux et To- 

riginalite, wallonne, 41. 
NeJis (Maur.J, Les Aigles noi,s, 

191. 
Nouvelle (la) bibliotheque publique 

de Ltege, par Oscar Golson, 51. 



Par les routes, par Auguste Donnay, 

144,261. 
Paulsen (F.), En terre liegeoise, 155. 
Pernette (la) chanson populaire, 333. 
Picard (Edmond), Essai (Tune psy- 

chologie de la Nation beige, 130. 
Pierard (Louis), Images boraines, 

189. 
Pirsoul (L6on), Les douze Apotres, 

legende, 351. 
Poesies et chansons de la fln du 

16° siecle, par Th. Lesneucq, 233. 
Portraits: Nic. LequanS, 37. Jules 

Sottiaux, 43. Gonstantin Meunier, 

83. Georges Delaw. 152. Jules Des- 

tr^e, 203 Leon Herbo.224. Renkin 

Sualem. 258. Auguste Vierset, 

323. 
Pouce ile) et le pouls, par O. G , 

231. 
Pulings (Gaston), Le crieur public. 

nouvelle 118. 



Randaxhe (S.j, La Sorcellerie au 

Pays de Herve, 303. 
Renkin (Francx>is-J.). Ecrits iralhms, 

64. S te -Barbe, legende, 351. 
Renkin Sualem et ses oeuxres. par 

Oscar Golson. 249. 
Rizzardi (Luca). Peinlres et Aqua- 

fortistes wallons, 35. 
Roger (Lucien), S l - Leonard, legende, 

348. 
Roidot (P.), Ferveur, 313. 



Saints: Hermes, 161 ; Job, 349; Leo- 
nard, 348. 
Sainte Barbe. 351. 



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370 



WalloKia 



Selvais (Eloi), Fantaisies % 190. 
Siderurgie (laj et les Wallons, par 

Georges de Laveleye, 67. 
Sirtainef Maria), Les He ures ar denies 

190. 
Smulders, (Carl.), Les Feuilles (Vor, 

La Correspondance de St/lvain 

Dartois, 313. 
Soci6t6 des Sciences, de* Arts et des 

LettresduHainaut,A/erao*Ves,275. 
Socititu Itegeoise de Literature wal- 

lonne. Cinquantenaire, 36. An- 

nuaire, 193. 
Sorcellerie : L6gende ardennaise, 

241. Au Pays de Herve, 303. 
Sortileges et mal6flces, par Oscar 

Colson, 102. 
Sottiaux (Jules), Surson oeuvre, par 

Edouard Ned, 41. Portrait, 43. 

Bibliographic 45. Walla, frag- 
ment litteraire, 46. La Jeune Wal- 

lonie, cantate, 216. 
Sport (un) pittoresque, le Sployon, 

par Albin Body, 172. 
Sualem Renkin et ses oeuvres, par 

Oscar Golson, 249. 



Tescione, Giov.. Didine, 132. 
Tour(lejde S* Hermes, a Renaix, 
par Jules Dewert, 161. 

v 

Vermer(Aui r .), Necrologie, 153. 

ViERSET(\uguste), Sur son oeuvre, 
321. Portrait. 323. Bibliographie. 
330. Groquis lirteraire, 355. 

Vrindts(Jqs.), Vis airs el naves res- 
pi eus, 318. 

W 

Wallonia (pro), 134, 231. 
Wallons et Flamands, 132, 277. 
Wauthy (Leon), Les Voluptes, 192. 
Wery (Leon), L? Sit/lite. 313. 
Willame (Georges), Mireye, poeme, 

310. 
Wuille (Pierre), L'Exposition d'Art 

dinantais. 218. Lettres franchises, 

chronique, 188, 313. 



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Errata du tome XV 



Pa«»e 2V.K ligne 20. Use/. vouJut. 
» 280, » 4. en remontant, an lien <Ie misogenie. lisez misoqynie. 
» 2 ( .K), » 7. an lien de wu?, lisez nccn. 
» 2 ( .C>. y> 13, a la tin «Ir eette li«nie. suppi-iine/ le mot totijours. 




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PRINCIPAUX COLLABORATEURS 



MM. Victor Chauvin, professeur a rUniversite de Liege ; N. Cuvelliez, 
regent a TEcole moyenne de Quievrain ; Jules Dewert, prof, a TAth6n6e 
d'Ath; Alfred Duchesne, prof, de Literature franchise, Bruxelles; Georges 
Dwelshauvbrs, prof, a rUniversite libre, Bruxelles ; Jules Feller, prof, a 
TAth6n^e. Verviers ; H. Fierens-Gevaert, prof, a rUniversite de Li6ge; 
Charles Gheude, prof, a l'Universite nouvelle, Bruxelles ; Jean Haust, 
prof, a TAthenee royal de Liege ; Jules Lemoine, directeur des Ecoles, a 
Marcinelle; Felix Magnette, prof, a TAthenee royal de Liege; Fernand 
Mallieux, prof, a l'Universite libre de Bruxelles; A. Marechal, prof, a 
TAth^n^e royal de Namur ; H. Pirenne, prof, a l'Universite de Gand ; 
Lucien Roger, instituteur communal a Voneche. 

MM. Albin Body, archiviste de Spa; DD. Brouwers, conservateur 
des Archives de I'Etat a Namur; A. Carlot, attache aux Archives de I'Etat a 
Mons'; Albert Delstanche, attache a la Bibliotheque royale de Belgique, 
Cabinet des estampes ; Emile Faibon, conservateur-adjoint des Archives de 
I'Etat a Liege ; Oscar Grojean, attache a la Bibliotheque royale de Belgique ; 
Emile Hublard, conservateur de la Bibliotheque publique de Mons; Adrien 
Oger, conservateur du Musee archeologique et de la Bibliotheque publique 
de Namur; Th. Lesneucq Jouret, archiviste de Lessines; Victor Tourneur, 
attache a la Bibliotheque royale de Belgique, Cabinet des M6dailles. 

MM. le D r Alexandre, conservateur du Mus6e archeologique de Liege ; 
A. Boghaert-Vache. archeoiogue et publiciste, Bruxelles; Leopold Devil- 
lers, president du « Cercle archeologique » de Mons; Jus*in Ernotte, 
archeoiogue a Donstiennps-Thuillies; Ernest Matthieu, archeoiogue a 
Enghien ; D r F. Tihon, archeoiogue a Theux. 

MM. Paul Andre, directeur de la Belgique avtistique et litteraire; 
Ren 6 Dethier, redacteur en chef de la Jeune Wallonie ; Jean Roger, 
directeur de la Revue Wallonne. 

MM. Fernand Blondeaux, Arthur Daxhelet, Maurice des Ombiaux, 
Louis Dumont-Wilden, CamilleLEMONNiER. Edouard Ned, Auguste Vierset, 
Georges Willame, litterateurs a Bruxelles; Emile Aden, Charles Delcheva- 
LERiE,01ympe Gilbart, Henry Odekerke, litterateurs et publicistes aLtege ; 
Hubert Krains, litterateur a Berne; Albert Mockel, litterateur a Paris; 
Louis Pierard, litterateur a Frameries; Jules Sottiaux, litterateur a 
Charleroi ; Pierre Wuille, litterateur a Namur. 

MM. Henri Bragard, president du «Club wallon », Malmedy ; Joseph 
Hens auteur wallon, Vielsalm ; Edmond Jacquemotte, Jean Lejeune, 
auteurs wallons a Jupille; J.-L. Lambillion, auteur wallon a Namur; 
Adolphe Mortier <»t Leon Pirsoul, auteurs wallons a Bruxelles; Henri 
Simon, Joseph Vrindts, auteurs wallons a Li6ge ; Jules Vandereuse, auteur 
wallon a Berz6e. 

MM. Ernest Closson, conservateur-adjoint du Musee instrumental au 
Conservatoire royal de musique, Bruxelles; Maurice Jaspar, professeur au 
Conservatoire royal de musique, Liege. 

MM. George Delaw, decsinateur, a Paris; Charles Didier, architecte ; 
Auguste Donnay, artiste peintre, professeur a i'Academie royale des Beaux- 
Arts de Liege ; George Koister, artiste peintre a Liege; Paul Jaspar, archi- 
tecte a Liege; Francois Marechal, dessinateur et graveur a Liege; Nestor 
Outer, artiste-peintre, Virton ; Armand Rassenfosse, dessinateur et graveur 
a Liege; Victor Rousseau, sculpteur, Bruxelles; Gustave Serrurier, 
ingenieur decorateur, Li6ge. 

MM. Y. Danet des Longrais, g6nealogiste-h6raldiste, a Liege ; Pierre 
Deltawe. publiciste, a Liege ; Albert Neuville, bibliophile a Liege ; 
Nicolas Pietkin, cure de Sourbrodt; D r S. Randaxhe, a Thimister; Ernest 
Sente, photographe a Liege ; Oscar Colson, folkloriste, * \c 



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