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Full text of "L'Allemagne religieuse : le catholicisme vol.3"

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lfBRARY ST. M RY'S COLLEGE 







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, 


L' Allemagne 


religieuse 


Le Catholicisme 


1800- 18 7 0 


III 


Published len OcloLer nineleen hundred amI eight. 
Pdvilege of Copyrighl in lhe United Slates l'(,scrYcl1, under lhe Ad approHc{ 
March third nineleen hundrell and five Ly Perrin and C9. 



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Le Catholicisme 


1800- 18 7 0 
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1848-1870 


LIBR RY ST. tAAR'{'S COLLEGE 


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IS 


LlBRAIRIE ACADÉMIQUE 
PERJ{lX ET CiC, LIBRAIRES-ÉDITEURS 


35, QUAI DES GRAXDS-AUGUSTINS, 35 


19 0 9 


Tous druits ùe repl'lllluction et ùe h'adudion réSer\LI; POUI' to\l.5 pa
s. 



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5i20 



INTRODUCTION 


I 


Au Icndemain de 1.848, l'Allemagne étaÌt lasse : 
un jeune homme survint, catholique d' origine, 
pour exprimer en vers cette fatigue, ct pour l'as- 
soupir, et pour renchanter. II s
appelait Oscar de 
Red,vitz I, et peu de mois suffirent it glorifier son 
nom. Ce poète, maintenant oublié, délassa ses com- 
paLriotes d'avoir fait une l'évolution. Comme cer- 
Lains preux du ten1ps pas8é, grands coupables et 
grands pénitents, cherchaicnt aux pieds d'un as- 
cète, ou devant une tête de mort., quelques leçons 
d'humiJité, de paix et de néant, l'Allemagne repen- 
lante et châtiée, déçue par l'hégélianismc, déçue par 
les révolutionnaires, avait besoin d'écouter, avec 
soumission, une douce voix adoucissante. Oscar 


1. Sur Oscar de Redwitz-Schmoelz (1823-1891), voir Bruehl, Geschichte de,. 
Katholischen Literatur Oeutschlands, 2 8 edit., p. 518-536 (Viennc, Manz, 18Gl); 
- et surlouL : Rabclliechncr, Osca)' van Redwit:;' rcligioeser Entwicklungsgang 
(Francforl, Kreuser, 1897), ct Otto v. Voelderndorff, Harmlose Plaudereien 
eines alten J."JJuencheners, II, p. 335-414 PlUllich, Beck, t898), où sont repro- 
duitcs un certain nombrc de lcllres dc Rctlwitz à Yoeld('rndl)l'ff sur l'éla)Jora- 
tion d'Am(u'(wthe. 


III. 


a 



II 


INTRODUCTIOlX 


de lied\vilz fut cetLe voix; il nlontra Ie chemin de 
r

glise, comme d'un endroit où l'on se repose. 
\ValLher, son héros, qui personnifie I'.Al1emagne. 
s'achenline vel'S 1'1 talie, pour épouser Ghisnlonde. 
II trouve, en route, dans une tour solitaire. une 
fenlnle quasi divine, Anlaranthe, et cp.tte fenlme 
rêverait de Ie retenir, ct \ValLher la sUl'prend disant 
Ü son cheval ce qu'elle n'ose lui dire, à lui. lVlais 
Walther est attcndu ; il s'arrache à ceLle vision, et 
cheyauche au loin vel'S Ghismondc. (( Laisse là Ie 
chrisiianisme, lui dit celle-ci ; SOl'S librc et trionl- 
phant de la ténébreuse vallée du nlythe, entre dans 
le palais de ma pensée ; Ie drapeau de la joie y floUe 
sur les tours, (1t les proverbes dorés qui conseilleni 
la jouissance t'y salueronl au seniI. )) 'VaHher va 
épouser Ghisnlonde, l' Allemagne va épouser l'hé- 
gélianislne révolulionnaire. 
lais à l'instant nlêmc 
du nlariage, ", alther demande : Crois-iu au Christ w! 
Ghislnondc se tait, Ghismonde se détourne. Alors 
\Valther conlprend, et part pour la Terre Sainte ; 
au retour, il retrouve Amaranthe, et s\lnit à eUe. 
L'éditrur Kirchheim, de l\iaycnce, avait accepté 
ce volume, pour faire plaisir au théoIogien Hein- 
rich 1: une vogue Ie récompensa, que depuis long- 
temps enAllemagne aucun poème n'avait ohtenue 2. 
Rcd,vitz énlU sui vail par Ia pensée son _l'ìna'ì
anth(' 
dans (( les innombrables maisons silencieuses OÙ 
cUe illuminait les chastes regards des clal'tés du 


J. Sur Heinrich, voÍt' ci-dessous, am. chapitrcs 11, IV ct VI. 

. Due adaptation d' A m-71 o anthe fut dOllnée f'n fl'anl'ais par A. de L. (Vevey, 
Lc..ser, 1863). 



INTRODUCTION 


III 


pur amollt', OÙ elle rafraîchis
ait les cæurs ma- 
lades >>. Le succès l'exaltait: il voulait prendre ]a 
tête d"une croisade de poètes chrélirns, qui récon- 
cilieraienl les âmes avec Ie Christ et les réconcilie- 
raienl entre eUes 1. 


(( A l'æuvre, leur disait-il, à l'æuvre, et prenez confiance ! 
Apportez vos harpes et vos glaives! Ne me laissez pas cons- 
truire seul Ie monument; trop 10urJe pèserait ma tâche ! 
Que Dieu daigne bénir notl'e école! Les disciples, c'est moi 
qui les appelai, n1ais je yeux être un disciple. lTIoi aussi. 
Celui qui trône dans l'empire des esprits. celui-là est notre 
maìtre, c'est l'éternel seigneur et Jnaître, c'est notre sau- 
veur Jésus-Christ. )) 


Des critiques l'icanaienl: (( les lnécbanls dar- 
daient leurs langues >). - (( Sifflez, difTamez, leur 
criait l'un des élèves de Rcd,vitz, Herlnann de 
Béquignollcs ; un jour, ce sera ceUe école de fidt1les 
chanteurs qui. sauvera notre société, 1a société 
allenlande. )) L'audacieux lléquignollesécriv[lit une 
contre-partie de Faust'!. : Hilarion (c'était Ie non1 
du poème) se donnait à Dieu et défiail Ie diablc, 
malgré que l't'meute eût fait fondre sur Jui toutes 
les infortunes du saint homme Job. Cette jeune 
école de poètes prêchait à l' Allen1agne toutes les 
résignations, aussi bien celIe qui évite les révo- 
lutions, et qui s'en abstient, que celIe qui les sup- 
porte, et qui les accepte. 


L Les lettres publiécs par Otto de Voelderndorll' attebtenl que Ie plan d'Ama- 
mnlhe, conçu dès 1846, se développa et sc modifia peu à pcu, dans un scns 
catholique, ct que l'influence de l'avocat Molitor, qui se fit prêtre en 1851, n'y 
rut pas étrangère. << Sans vie intél'ieul'e, représentail Molitor à Redwitz, tu ne 
seras pas un poète catholique. >> (Otto v. VoelderndorfT, Ope cU., II, p. 3!17. 

. Sainl-René-Taillandier, Revue de. .Ðeu3J Mondes, 1:-, aoûl18:52, p. 778. 



IV 


INTRODUCTION 


(( D' où vient que ta voix est si IHlre t demandc 
Redwitz à un oiscau. - C'esL que je suis petit, 
répond l'oiseau; sois petit, comme n1oi, et tu chan- 
teras de mêII1e. )) Quinze ans avant Sado,va, vingt 
ans avant Sedan, Oscar de Red,vitz apprenait it 
I'AJlemagne à êtl'e humble, humble comme ]es 
lis des champs, comnlC les oiseaux du ciel, qu'au- 
cun fiévreux souci ne tourmente, COlnme les l'uis- 
seaux fiuets qui prolongent sous Ie feuiHage un 
gazouillement éternellemenl modesLe. Un de ces 
ruisseaux, en 1852, inspira tout un poème à Red- 
"ritz. Ce filet d'eau, des siècles durant, s'était con- 
formé, dans son cours, aux paterneJIes indications 
d'un hon sapin; mais en une heure de verti
e, 
qui avait été pour Ie ruisseau ce que 1848 fut pour 
l'humanité, on l'avait vu sortir de son lit, délnent 
et vagabond; puis il avait fini par y rentrer, et par 
obéir derechef au sapin; ainsi se rangeraient, à leur 
tour, entre les digues aménagées par les siècles, 
les vagues humaines soulevées par la révolution. 
Complaisamment, longuement, Redw'ilz versi- 
flait Ie symbolique apologue; et ce]a devenait tout 
un livre, OÙ les fredaines et les ren10rds d'un 
ruisseau faisaient la leçon à tonte une époque. 
Un autre poète, Ie comte François Pocci 1, célé- 
brait la solitude des bois : bon endroit, apparem- 
n1ent, pour s'abriter en tcmps de désordres. L'état 
de nature, jadis, avait suscité dans 1a cervelle 
humaine des imaginations subversives: les sau- 


f. Sur Ie comLc François Pocci (1807-187G), voir Bruehl, Ope cit., p. 
09-517. 



I
TRODUCTION 


y 


yages qu'in venli'ren lIes honl11les du XVIU e sièclc 
furent les pr(lmiers p(
res de la Révolution. l\lais 
dans les V(lrs (10 Porci les bois étaient inoffensifs, ils 
verdoyaient avec s(
rénilé ; quelques sources qui ne 
murrnuraienl ni trop haut ni trop bas les agitairnt 
sans ]es troub]eI' ; ce n'éLaient pas des bois que Ie 
ciel prît comme point de mire de ses orages ; et ce 
n'éLaicnt pas des bois, non plus, OÙ s'amoncelas- 
sent les prochains orages de la terre. La nature, 
chrz Pocci, ne pI'élenuait point à réformer la so- 
ciété; eJIe proposait aux honlmes, surmenés d'am- 
hition, ]a langueur d'une douce accallllie. 
Chansons toufes (Talc/lcs ]Jou], des en(ants tout 
(rais : voilà 1e titre du rccueil de vel'S que pubJiait 
en 184
 Guido Goprres 1 . Qur sos lcctcurs devinssent 
COnlIne des petits enfants, auxquels esl prolllis Ie 
royaullle des cirux, c' cst à quoi il visait. Redwitz, 
Pocci, Guido Goerrcs, chacun it sa façon, s'altar- 
daient à bcrcer rAllemagne; et leurs trois 11luses, 
doucemcnt lllatcrnelles, n'aspiraient à rien de 
plus qu'à changer en petits; cnfants sages les grands 
pnfants nlérhan(s - lurbulenls tout au moins - 
qui avaicnt commis rcscapade de IH4R. 
Chr(oticnnr, aussi, avaiL éLé Ia nluse r0111antique, 
mais el]e avait su prendre ct donner un élan; la 
poésie de cetle école nouvelle n'élait plus qu'un 
assoupisselllent. C'était la poésie d'une heure 
d'abaLtcnlcnt. où s'essayaient des lyres lassées pour 
des oreilles ]assées. 


I. Sur Guido GO(,rI'es (1
IHì-18:';2" '"Oil" Bruehl, oj). cit., p. 501-513. 



VI 


INTRODUCTION 


A l' école de Red\vitz ou de Poeci, on considérait 
lp christianisme comme une oasis où l'on s'évê:l- 
dail, pour fuil' Ie joug des pl'éoccupations du jour; 
être chrrtien, c'était une façon de se cl'éer un 
alibi pour planer au-desslls de ces mêlées qui 
a vaient si n1al fini; c' était.. si ron ose dire, un 
retour à I 'enfance, par réaction contre cette année 
1848 où l'humanité s'était flattée d'être n1ajeurc. 
}Iais il ne se pOll \Tait pas qu'un tel mOllvement [Ùt 
durable et fécond; cela ne se pOll vail, ni pour 1e 
ehristianisn1e, ni pour 1 'humanité ; et 1'011 verra 
plus tardle (( nlaHre du chæur )), Red\vitz en per- 
sonne, s'asseoir, dans lesassen1blées politiques, sur 
les banes des ({ nationaux libel'aux )).. et contredire 
ayee éclat, dans les poésies de sa vieillesse t, l'es- 
prit qui soufflait dans ceHes de sa jeunesse et qui, 
pendant un instant, les avait fail ainlel'. Dénoue- 
lllent peut-êtrc logique : au fond tiu christianisnle 
tel que Ie conccyait Red\vitz el tel qu'il Ie célé- 
hrait, il y avait jp ne sais quel bouddhisn1e ; ce 
christianisme étail trop isolé du monde réel - de 
CP nlonde que 1848 avail bouleversé - pour 
demeureI' Ie sel de la tel're; eL lorsque Red\vil'-, 
déserlera son passé, sa foi, sa pl'Opl'C gloire, en 
s'enrôlanl au service d'un aulre idéal, ce n'est 
point du christianisn1c qu ïl prendra congé, IDalS 
bicn plutôl de l'image efIén1inée, anén1iéc, quïl 
s'étaÏt faite de cette religion. 


1. Sur les cinC{ cents sonnets écrits aprè5 1870 en l'honneur du nounl Empire, 
'\ojr Rabenlechner, op. eil., p. 23-31; ('t Voelderndorff, Ope eil.. II, p. 
49; ct 
5ur Ie poèrn(' anlicalboliquc OdiTo, voir Stimmen nus J(f11'ill Lnac1l, XY, 18í8, 
p. !í1-7-5.12. 



INTRODUCTION 


VII 


II ignorait que les chrétiens n'ont pas Ie droit de 
se reposeI' trop longurmenL des révolutions, et 
que les misères Jont eUes étaient Ie témaignage 
continuent de l'éclanler des renlèdes. Les réyolu- 
lions, pour eux, ce sont des gcstcs pcrnlis par 
Dieu, et par lesquels un certain noo1bre d'honlmes, 
instrun1ents inconscients de son æuvre, attirent 
l"attention d
 l'élile, ou de ce qui se croit l'élite, 
sur les péchés de la société; et ce n'cst pas en se 
fermant les yeux, en se bouchant les oreilles, en 
s' étil'ant dans I a soli tude q ne les âmes chrétiennes 
peuvent faire un hon usage des nlaladics révolu- 
tionnaires. 


II 


Comn1ent il en faHait fairc usage, I\.clteler, 
évèque de 1\layence, sut l'apprendre à la tapa- 
geus? romancièrp qu'il avait rncnée de la Réfornle 
à l'Eglise, Ida de IIahn- Hahn. Avec aulant de 
lyrisme et mains de sinlplicité que notre Georgp 
Sand, Ida de Hahn-Hahn 1 avait célébré les droits 
de la passion, et l'absolutisme du caprice. 
Iais 
tandis que George Sand prêchait à tous les hommes 
- et à Lantcs les femmes - cet Évangile pnlanci- 
pateur, Ida de IIahn-Hahn, construisant toutcs 
ses héroïnes à son inlage, leur prêtail, parce que 
aristocratcs, une allure et des propos de SUf- 


L Sur Ida de Hahn-Hahn (1803-1880), voir Paul Haffner, G1'aefin Ida llahll- 
Hahn ;.FrancforL, Foesser, 1880), ct Stoclmann, Stimmrn aus .Mm'ÜL Laach, 
190;:;, II, p. 300-314. 42i,-43a, 542-55G. 



VJII 


INTRODUCTIO
 


hOII1nleS, et la façon qu'elle avait d'être alnol'ale 
était pour 
lle un raffinement d'aristocratie. (( Je 
eherche 1a distinction, déclarait-elle un jour, non 
dans la maturité, dans la convenance, dans larègle. 
mais dans l'indppendance, dans Ia Jutte contrp les 
couches infìrnes de la société, qui veulent franchiI' 
toutes les Larripres et prendre pour plIes des droits 
qui sont nos privilèges i . )) fda de Hahn-I-Iahn défìait 
el visait deux forces, tontes deu
 ennemies de son 
nloi : la 1110ra]0 courante, et la poussée des classes 
populaires. Elle était comme sa Faustine, unp 
de ses hóroÏnps les plus connues, donl tout Ie 
raractère so résumait. en nne finp quint.pssenf'e 
d'égoïsnle, - cinquante ans aprÞs, on eût dit 
plutôt : d' égotisme; eHe nléprisait, tout à Ia fois, 
comnle unp. gêne et comme un péril, l'antiquité dp 
]a loi morale, ell'insolente nonveauté des ph(
IlO- 
n1ènes sociaux. En 1.8
8 eUe brûlait sa correspon- 
dance avec }p haron Frédéric de Bystram, qu'elle 
avait aimé : ({ Lps temps qui viennent ne doivenl 
ricn savoir de nOllS, disait-elle, iis ne nous conl- 
prendrairnl pns 2 . )) Et sur CP, elle S'('11 fut aux 
pieds de J(t
Lteler - aux pieds du prêlre dont l'int.pl- 
ligence s'atlachait avpc 10 plus d'(lnlour 
t com- 
prendre les tenlps nouveaux, à l
s aimer, à les 
aboeder, 
l les instruire, à les baptiser. Ii:etteler, 
sans ùoute
 ('ut plus aisérnent raison J
 son 
illcroyance que de sps dégoûts; [nais il finÏl. par 


1. Cilé par Sorel, RCl.'ue des Dell:!' lifo/ides, i:5 spplpmbrf> J 869, p. :Jiï. 
2. Sore], loco cU., p. 381. 



INTRODUCTION 


IX 



s vaincrp. (:p n'était pas asspz que, dans cette 
érusalPID oÙ ellp se réjouissait d'ptrp parvenup, 
IIp regrettât chacune (les lignes écrites de Baby- 
one, et d'oÙ (( }'esprit de vprité (
lait absent 1 )) : 
\eUeler voulut qu'plle se jetàt tout entipl'l
 - sa 
)ersonne, sa fortune, sa plume - dans la n1êlée 
Ie l'action religieuse et sociale. Elle put alors 
Ïn1pression de ({ devenir une reine, de mrndiante 
lu'cUe élait:! )); ct lorsque au bout de dix ans elle 
'ut asspz radicalplllent lransformée pour que les 
lrroïnes de son in1agination, dans lesquellcs fata- 

enlent plle s'inrarnait ellr-nlême, fussent deve- 
nups telJes que les souhaitait. I
rtte]er, clIc feçut 
Je ],évpque la perrrIission d'écrire encore des 
ron1ans 3 , d'où l'on a tiré, plus tard, une suite de 
fragments d'apologélique 4. 
Elle avait cessé de penser que l'époque n'était 
pas dignp de la I ire 
 à la période des passions 
incomprises, Kettelpf ayait fait succéder, pour el1e, 
nne longup srrip ll'années d'apostolat; il n'avait 
pas adn1is que son enLrðp dans l'T
glise dilt {'trr 11Ilr 
honrlprip rl'aris(ocratr contre l'hun1anité. En Sf
 


L Ida de Hahn-Hahn, CI1e voi..c de JÓ'usalem, lrad. Bessy, p. 2
4.. (Paris, 
BI'a 
, 18
tJ.) 

. Ida de Hahn-Hahn, rile t'oix de JÙu,wLlem, trad. Bess
, p. ;;. (( Mp!\ 
Iivres, ('crivail-ellc au lewle'main de S3. conversion. onl Hé emportés dans Ie 
g-ouITre qui s'csl ollvcrl cn 1848, el qui a puglouti de hicn aulres personnage' 
que Faustine el Sihyllf', pl c(> n'esl plus mon affaire' d'écrire des romans et 
rles récits de voyage. :\la vocalion csl ailleurs )I (JJe /Jabyloue à Jérusn.lem, 
trad. Bessy, p. 103, 2- MiL, Pal'ig, Bl'a
, 1864). 
3. PIuplf, Aettelcr, II, p. 139, HO, n. 1, 143, H7, l
t (May('nce, Kircl1heim, 
tK99). 
4. Peden aus Ida Co,,'fìll Iflllm-Tlal1ll8 \\"Uk'>II. ljt'sammClll'Oli J. a. (Ra- 
tisLonnf', Manz, 19U:i). 



Å 


INTRODUCTION 


converlissant, cette déracinée volonLaire, renonçanl 
à la vie factice qu'elle vivait avec ses héroïnes
 
avait repris picd dans son peuple, noué contacl 
avec la vie nouvclle de son (çpoque; son Église 
d'adoption ravait réinLégrée dans son siècle. I\
ette- 
leI' ain1ait ce genrp de conversions, qui ouLille 
l'être humain pour Ie service des autres hommes 
non 11l0ins que pour Ie service de Dieu. La poésie 
de Redwitz - cette n1usique pleureuse, comme la 
qualifiait le ron1antique EichendorfI 1, - risquait 
d 'acheminer doucement les calholiques vcrs une 
pieuse passivitts qui sans daute, à la longue, aurait 
paru confortable ; ct les dévots lectcurs, emmenanl 
Ie Christ avec eux dans des solitudes convention- 
nelles, 1 'auraient confisqué pour eux seuls, à 
l"écart de la foulp, afin qu'il pl'ésidàt leur NirJ'vana. 

Iais l'éloquence et la direction d'un I{elteler les 
poussaient dans une yoie plus àprc, et tout en 
n1èlne temps plus réelle, oÙ ils se senliraienl vivrc 
en faisant autour d'eux, parmi les mêJéps alle- 
mandes, vivre el rayonnei> leur foi. 


III 


rie Nouvelle: ce tiLre qu' .Auerbach, au lcnde- 
main de la Révolution de 1848, donnait à l'un de 
5es ron1ans, conv
nait bien à la situation mên1C' 
de l'Allemagne, et à l'attitude de l'esprit public 


1. L('llrc elf> Eichf'ndorff à F1'éd{>ric.Guillallme Grimme, citée clani Keilel', Jo- 
spph EichpurlortT, p. U() (Cologne. Ba('hrm. tR87). 



INTRODUCTION 


XI 


lllenland. Le catholicismc, à son gré, pouvait 
,'effacer ou agir, llulis s'il voulail agir, i1 risquait 
l'ètre déconcerté, tout de suit(\, par la nouycautt\ 
11ênle du terrain d'actioll. 
La littéralure ronlanlique, Ia philosophic ùe 
Schelling vieillissanl, la peinLure des Nazaréens, 
avaicnt aidé lïdée catholique it se difTuser, en quel- 
que façon, dans lïntclligence allenlandc : désor- 
lllais, cette p\
riode éLait close. 
La littérature romantique avait rapproché l'ânlc 
allemande du catholicisme; elle avail, dans Ie 
vieux passé de r...\llr.magne, relrouvé la vieillc 
f
glise ; rIle avait fait du catholicisme Ulle lllatière 
d'art, dont elIe nlcUait en valeur Ja beauté. Ln 
survivant de ces aspirations était Ie ca tholique 
Eichendorffl : SOIl HisloÙ
e de la littératupe poétique 
de l'AlleJnagne, qu'iL publiait en 1858 2 , aspirait 
sans doute à la porlée d'un progralnme liUéraire; 
il semblait qu'EichendorfI ouvrît un port où le 
romantisme van'abond P ourrait cntin ] . eter l'ancre' 
h .' 
rt ce port, c'élaÍt Ie catholicisme. 
Iais 1'0uvJ'age 
(l'EichendortI parlait poésie dix ans après que' 
Gervinus avait signifié aux poètes leur congé. 
(( La littératurp a fait son temps, avait expJiqué 
Gervinus; cUe n'a plus ricn à dire; l'inlagination 
ne peut plus fairc æuvre utile; Ie temps n'est plus 

t la poésie, il est à la politique 3 . )) Après la brève 


1. Cf. nolre tome II, p. 
22-2.23. 

. Sur la porlée de cc livre, réédilé par Kosch (Kemplcn, Koescl, l!I07), "oil' 
Baumgartner, Stimmcn aus lJIaI'ia Laach, 1!>U7, II. p. 4!)7-í!>!'I. 

. Saint-Rpn
-1'aill:tn(]il"r, R,."w' r1P.
 Dp1lT 11{0 11,1,..', , 1 pr mnl'
 tR:-;/), p.1R2- 



xn 


INTRODUCTION 


rourbatu1'e qui suiviL ]a 1'évo]utiol1, l' AJlcll1agn , 
pcnsa con1me pensalt (1pJ'vinus, ct rornrnença d, 
faire nn rf'proche nux ]etl-res pa1'ce que les leU1'e. 
invitaicnt les énergif's 
l faire sieste, parce qu'ellc
 
étaienl, au sens pascalien dn mot, nn (( diyerlisse- 
lllent )). 
Dans Jp (( de\r(ìniJ- )) de ]' Al1enlagnc actuellr, ]( 
ronlanlisme avait représenté nnr étapc
 il avai1 
rendu aux populations germaniques le goÙt de leul 
passé, le cnJte de leurs originalités nationales. 
)Iais les meilleures écoles sont celles oil !'on prend 
du souffle pour s'é\rader, fh
vrcusement, vcrs la 'vie. 
Le succès mên1p de l'Ílllpulsion qu "ayaient donnée 
les vicux prpcppleurs romantiques., les 1'rléguait 
an second plan. Qu'avait-oll besoin dr Ii Uél'atpurs? 
(( C'rst tant mieux, disait Ie poète RoherL Prutz, 5i 
les lrttres onl perdu rn considpl'ation 
 cela prouvc 
que Ie pruple allelnand s'occupe tIc choses plus 
importantps. L'aITaiblissemenl dp l'espl'Ît littérairc 
témoignc que nons SOlnn1CS mieux pJ'éparés pour 
agir 1 . )) On ne pouvait signifier plus son1n1airenlent. 
qUf' l'AJJeolagne en gestation n'avait pas bp
oin de 
poètps. Que]ques vel'S rcligieux assez médiocres, 
qurlques tit-ames plutôt insignifiants, c'e5t it quoi 
se résuma la littératurc proprelnent catholique, 
pendant cette denli-diseUe littéraire dont étaient 
prcsqup fiel's Ips crpat(
ul'S de la future AlIcn1agnc. 
L"hisLoire, tene que l'avait CuUi\Tée l'Llge 1'0- 


I!H. - cr. Bí'Ja Wehèr, Charakter/liltle}', p. 173-JiG (Francrorl, Sauerlaeu. 
der, 1I3"J). 
1. 
ainl-H.ené-Taillal1uier, llevue des Ðcu:r ..'[ÚJlrlcs, 15 mal'S 18:19, p. 'i-!::í. 



INTRonUL CION 


XIII 


nanlique, avait glorifié l'époque oÌl Ie chef de 
1 'AHemagne étaÏl une moitié dc Dieu; cUe avail 

veillé, chez beaucoup d'âmes, une 
orte de nos- 
.a Igic à I' endroit du catholicisme ct de nostaJgie tl 
.'endroit du passé, et formcHement accusp la Ré- 
:"orn1e d'avoir fait déchoir la patrie. l\Iais les repré- 

entants dc ce courant hi:,torique étaient désor- 
Inais évincés des chaires, éloignés des Académies, 
par des nouveaux venus qui 'voulaient supprimel' 
Lc moyen åge dans l'histoire de 1'.Alleluagne, sup- 
prin1er l' Autriche dans la carte de l' Allemagne, 
supprimer Ie catholicisme dans l'àn1e de l' .A. 11 e- 
magne. Les Sybel et les Treitschke furent, pour un 
ten1ps, les seuls histol'iens écoutés: leur cæur el 
leur érudition avaient élu domicile bien en deçà du 
moyen âge romantiquc; et très illsouciants de 
cherchcr dans les siècJe
 archaïques un prototype 
pour l' Allemagne future, ils chargeaient la Prussc 
proteslante de hâter, avec le fer s'ille fallait, la 
naissance laborieuse de cettc Allemagnc. J an1ais 
I'bistoire ne fut moin
 sereine, moins désintéressée, 
plus systématiquement partiale, plus expressén1ellt 
subordonnée à des visées politiques et à une 
besogne politique. Lorsquc mounlt en 1863 Ie 
grand érudit Boehnler, qui, sa vic durant, s'était 
fait Ie familier des empereurs d'autrefois, il 
faUut que I' Allemagne attendît lreize ans avant de 
saluer dans son élève Janssen, qui ne publiera 
qu'en i87U Ie premier volun1e de J'llistoire du 
peuple allentand, un digne héritier de sa science 
et de son àme. L'histoire, pour un temps, comme 



XIV 


INTRODUCTION 


la Iittérature, avaH cessé de servir Ie calholicisme 
l'hisloirc avail én1Ïgré, transfuge, sons Ie drapea" 
de Ia Prusse et de ]a Réforme. 
La philosophie de Schelling, aux dernière 
années de sa vie, avait enchâssé dans un bea 
cadre, dans un cadre de luxe, Ie mystère de I 
Trinité, Ie nlystère de rln
arnalion, Ie mystèr 
des futures destinées de l'Eglise. Enchåssemen 
factice, sans douie, et l' on devine aisément qu 
les théologiens, déposiLaires d'une tradition, n 
pouvaient accepter cette nlainmise conquérant 
sur Ips dognles de la veille et sur l'Église du len 
demain. l\lais du moins Schelling n'y touchait-i 
que d'une main respectueuse, avec une pieus 
clnphase qui commandait Ie respect. Des affirma 
tions religieuses qu'hier encore Ie rationalism 
persiflait devenaient les pierrcs d'anglc d'une syn 
thèse philosophique assez netlc pour t
tre comprise 
assez nuageuse pour êtl'e admirée; et dans Ie 
honnenrs qu'on rendait à cette synthèse Ie Cl'cd, 
chrétien pouvait prendre sa part. Mais la gloire d, 
SchelJing fut courte; courLe, aussi, Ia réactiol 
de 1.850 contre ]e maiérialisme des (( jeuncs hégé 
liens )). 
FOl'ce et JJzatièrc de Buechner, Science et supers. 
tition de Vogt, marquèrent en 1855 l'avènemen 
({'une philosophie nouvelle, qui, d'un nom brc 
ct provoquant, se dénomnlait (( Ia science )). l' 
côté de ] 'histoire, qui s'acharnait passionnémen 
aux constructions poli tiques répu técs urgen tcs 
cette philosophie se préoccupait aussi d'être réa- 



INTRODUCTION 


:>...y 


ste : trailant l'cmpire de Dieu - ou même, en 
lnguc hégélienne, l"empire de I'Idée - avec Ie 
lême dédain qu'un Sybel. servileur d'un Bis- 
larck. professait pour Ie Saint-Empire, ene s'étri- 
uail, s'amputait, se courbait docile devant la 
l1alière, se targuait de ceUe servilitp même, el 
herchait dans Ie lllatérialisme brutal - ce réa- 
isme superficiel - un moyen d'éLreindre la réa- 
ité. \T ainement Lotze, dans son lIIicrocosrne, 
'ssayait-il d'enrayer ces courants nouveaux 1 : Ia 
HOl'phologie de IIapckcl en 1866, son flistoÙ'e dr 
'a cl'éation des êl1'es ol'ganisés, en 1868, étaicnt de 
.1ouveaux affronts infligés à la religion par la 
:;cicnce, et dont l' éclat frappait tous les observa- 
teurs. (( Parmi les coryphées de la philosophie 
matél'ialiste et des sciences naturelles, écrivail Ie 
prince de Hohenlohe à la reine Victoria, il y a des 
hommes de gran de science positive et conscien- 
cieux en leur labeur, mais qui sont arrivés à nier 
Lout ce que ne montre pas Ie Inicroscope. Si ces 
lhéories étaient l'estreintes à l' école, Ie danger TIC 
serait pas grand. 
lais en Allemagne la culture est 
si répandue, Ie peuple nlême prend une part si 
vive à ce que discnt les professeurs, la science est 
si démocratisée, que de telles théories ne resteroni 
pas sans influence notable sur notre état social 2 . )) 
Tandis que les conclusions matérialistes, meul'- 
lrières de toute espérance, fomentaient 1es ins- 


t, Rehnisch, Revue Philosophique, XII, 1881, p. 330-333. 
2. Denkwuel'digkeiten des F1.J,crste/
 Chlodwig zu Hohenlohe-Schilli1&g.<J- 
fuerst, I, p. 141 (Stuttgart, Deutsche r erlaga-A natalt, j 
07). 



XVI 


INTRODt'CTION 


tincts révolu tiolluaires dans les couches profond( 
de la nation, Ie phiJosophe Schopenhauer, à ql 
ses contemporains longtemps inaUentifs dressaicI 
un tal'dif piédestal, amenait les bourgeois à 
 
dCIllander si Ie catholicisme n 'auJ'ait pas quelqu 
vertu pour endormir ces instincts. Ce pessimist 
était Ull conservaLeur. Convaincu que la vie e
 
mauvaise, it trouvait que la religion catholiqu 
était, à tout prendre, bonne pour Je COlunlun de 
hommes, parcc qu "elle ouvrait un Illonde d'illu 
sions, etqu'elle équivalait, d'aprrslui, à la négatio 
du vouloir-vivl'e 1. II n'y avait aucun sarcaSllle qu' 
épargnât à la confession protestantc : (( religio 
faite pour des pasteurs confortables, mariÔs et let 
trés )), Ie protestantisme supprimait l'ascétisme c 
pl'ofessait l' optimisme, (( erreul' fOlldamcntale 
Jisait-il, qui fermait la voie à toute vél'ité 2 )) 
religion (( rationnelle, plate, abstl'aite, strictcnlen 
monothéiste OJ )), Ie protestantisme appau vrissait 
dans Ie peuple, la fécondité des imaginations ct L 
richesse des mirages consolateul's. 
lais I 'Églis. 
catholique d' Allemagne pouvait-elle se targue 
d'une teIle apologie, ct pouvait-elle l'accepter? CI 
dont Schopenhauer Ia louail, en définitive, c'élai 
d'offrir aux gens, pour les amuser et les abuser 
des images plus mensongères et des Illythes plu
. 


L Schopenhaurr, Dic \-Vclt ob 'Villc und Vo)'stellWI'J féd. de 1877), II 
p. 699 (Lcipzig, Brockhaus). - ce. Ribot, La Philosophic dc Schopcnhaucl. 
p. 29-30. (Paris, Alcan, 1874). 
2. Schopcnhaucr, Die Welt als 'Wille und VOl.&tcllllnr, (éd. de 18i7), [l 
p. 718-71\.1. 
3. Aus Arthur Selwpcuhauer's handschrifllichclll J.YachlrLS&, éd. Frauen 
s1aedt, p. 4
6-4
7 (Leipzig, Brockhaus, 1864.). 



INTRODUCTION 


"XVII 


olyLhéistes, c'était de praLiquPl' une ascèse qui 
'allail à rien de moins qu'à nicr Ie prix de la vie 
t Ie devoir social, et c'étail dl' professer un pcs- 
inlisn1C dans l(\qucl il serail d ifficile de np pas 
oil' un blasphème pour la création. La condes- 
endance morose d 'un Schopenhauer à l' end roil 
(\ l'Église n'offrait pas un moindre péril quc les 
nsuHcs de la science nlatérialiste; c'éLait loin de 
'J
glise, h'ès loin d'ellc, que la science allemandp 
,romenait ses audacieuses cspérances, et que la 
péculation allemande traÎnait son affi(\rtuule 
lécouragéc. 
l../art gernlanique, avec les Nazaréens, s'élait 
ulrefois lai
sé captiveI' par Rome; et l'on avait vu 
les corLèges de peintres, de sculpteurs, de gra- 
reurs, chercher à Rome la beaulé et en rapporter 
a foi. Ce temps-là n'était plus; la mode invitait, 
Lésorlnais, à blâmer Overbeck parce qu'il avait 
ait de Rome sa patrie, parce qu'il avail ouhlié son 
)euplc, Ie peuple allemand, parce qu'il s'était, 
Lisait-on, laissé exploiter par]a papauté. Peu s'en 
"ailait que les Nalaréens ne passassent pour des 
lpostats de la patrie allemande. Avec indulgence, 
)11 adlllettait que François de Rohden, que les 
leux Seitz, nlalgré les leçons d'Overheck, avaienl 
;ardé quelque individualilé germanique; mais on 

ondanlnait l'ensenlLle ùe l'école. (( Ilonle n'est 
plus un séjour oÙ l'on puisse passer sa vie >>, écri- 
vait Anselrne Feuerbach en 1857; et Ie vieux 
l'onlantique Preller constataÏt mélancoliquement : 
(( Que de changements peuvent survenir en trente 
111. b 



XVII[ 


INTRODUCTION 


ans! 1 )) En Allemagne, Steinle, l'ami d' August 
Reichensperger, poursuivait quotidiennenlent 
 
besogne de peintre avec les nlêmes sentiments qu 
lepl'être qui ditquotidiennement SallleSse: c'était
 
façon, à 1 ui, de faire acte de piélé. l\lais heurel 
sement il ne cherchait pas Ia gloire, car Ie publi 
qui donne la gloire nlanquait d'équité pour Steinl< 
(( Je file tiens caIme, écrivélÏt-il, je me tiens efl'ac( 
dans Ie sentiment que mon effort est systémat 
queluent ignoré, parce que spirituali
te, pare 
qu'ultramontain; d'ailleurs sel'ait-ce honorabl 
d' être exposé sur Ie Inarché, avec des produil 
d'art qui portent l'cmpreinle d'un culte matérÜ 
lisle de la chair 2 
? )) Cette demi-disgrâce dont so. 
art étaÏt l'objet ne Ie décourageait d'ailleurs pas 
il exécutait, en priant Dieu, des fresques pOll 
les cscaliers des musées, ou des croquis d 
vitraux d'églises, et laissait les journaux OÙ souJ 
flait I'esprit de l'A.llenlagne nouvelle - la Gazett 
de Cologne, par exemple 3 - aUaquer son al 
comme ronulntique ct suranné. 
Sans a voir l' en voléc Jes grandes corn posiLion 
nlystiques où s'aLtardaient parfois les recueille 
ments de Steinle, les lableaux de sainteté qu 
hrossaient dévoternent les artistes de Duesseldorf 


t. Fricd,'ich 
oac1., Ðeulseltes Lebcn ill Rom, p. 307-3U8 (Stuttgart, CoU
 
t\}07). - Sur leg peinlres Rohdcn (1817-19U3), Seilz Ie père (1811-1888), Feuel 
bach (1829-1 8
O), Preller (1804-1878), voir Noack, Ope eil., à la table. 
!. Reichcnspergcr, Erillllerunyen an Etlum'd llittel' v. Steinle, p. 2 
(Francfort, Focsser, 1887). - cr., :mr Sleinle (1810-1
86), lloll'e tome II, p. 224 
:!2.J. 
3. H eiclu
nsperger, Ope cit., p. 36, 



INTRODUCTION 


XIX 


ItLenbach et les deux l\lueller \ auraient bien mérité 
d'être contemplés dévotement; mais en dehors des 
cercles proprement religieux, oÙ l' OIl songeait à 
ces bons imagiers pour des commandes, leurs noms 
avaient peu d'écho. Les peintres dont annuelle- 
[nent Ie public allemand guetlait la production 
:;'étaient appelés, trente ans plus tôt, Cornelius et 
Veit, deux romantiques; ils allaient désormais 
3'appeler Lessing et Kaulbach, peintres polé- 
lnistes 2, qui se scrvaient de leur pinceau comnle 
d'autres de leur plume pour glorifier, dans des 
tableaux symboliques, la H.éforme du XVI e siècle, 
et la puissance créatrice du germanisme anti- 
romaine 
11 y a vait, dans Ie tableau de Lessing sur la 
croisade, une évidente intention de satire; les 
croisés, tels que son pinceau les ressuscitait, sont 
exactelnent ccs fous que se figurait notre ignorant 
XYIU e siècle. l\lais tout au contraire, une alle- 
gresse de révolte animait les toiJes dramatiques 
dans lesquelles il 1110ntrait Luther brûlant la 
bulle à Wittenberg, et la dispute de Leipzig entre 
Luther et Jean Eck. I(aulbach avait plus de vio. 
lence encore dans ses tableaux 
sur I'Inquisition; 
et l'ironie anti-catholique se glissait à travers toute 
son æuvre; sa Danse des nlorts, ses illustrations 
du ROJJlan de Renard, criblaient d' épigrammes 


1. cr. notre Lome II, p. 

4.. 

. Sur Charles- Frédéric Lessing (1808-1880) ct Guillaume Kaulbach (1805- 
1874). voir Hausrath, E, Í1L1tuunyen an Uelehrte ultd J(uellstler del' Bud'ls- 
chen lleiulllt, p. 98-145 (Leipzig, Hirzel, 1902). 



xx 


INTRODUCTION 


I'Églisc et la papauté. Son inlmrnse toile sur 1: 
Réfornle rangeait autour de Luther nn long cor 
trge de précurseurs et de contenlporains 
 rt, snr Ie 
carton priluitif, Luthpr, (rUn geste plus menaçan 
qu'apostolique, brandissait une Bible au-dessus d( 
sa tête. Les nUluvais plaisants objectèrcnt que Ie 
père de la 11éforme ressenlblait à un comnlissair( 
priscur qui nlettait un livre aux enchèrcs 1 ; alor
 
Kaulbach, corrigeant l'aLtitude, prignit un Luth('] 
qui tenail la Bible devant lui; et de ceLte Bible 
des rayons s'échappaienL. Avec Lessing, :lvr( 
l{aulbach, rart allellland, autrefois discip] e df' Ii. 
Rome artistique, défiait et combatlait la ROnl( 
religieuse; et tandis qu 'autrefois l'A utrichc et It 
Sainte-Alliance étaient demeurécs indifférentes, 01 
peu s'en faut, au talent des Nazaréens et au part 
qu'en pouvait tirrr l'Église, les journaux de Ii. 
Prusse et du Nationalverein faisaicnt fête à ce
 
autrcs peintresqui lraduisaient en imagesvoyantes 
accessibles au Philistin, la philosophie anticatho. 
lique du parti de la (( Petite Al1enlagne )). 
Le stud ieux élan qui avait entraîné vcrs Ie 
moyen âge les imaginations rOlllantiques avai 
créé une grande école catholiq ne d'archéologie 
Cptte école durail toujours ; Auguste Reichensper 
gel' n'aurait pas admis qu'ello mourlLt 2. Et c'cs 


1. Léon Durnoul, Revue des Deux Jlondes, 1 er avril 18G5, p. G55. - cr. dan 
Ie Corl'espondant, 2;, février 1868, p. 382-400, un al'ticlc du fulur cardinal PCI' 
raud. 
2. Voir Pastor, August Reichenspergc1', I, p. 471-603 (Fribourg, Herdm 
t899), et Reichenspergcr, L'art yothique au XIX- siècle, trad. Nothorn 
(BruxelIes, Dévaux, 1867). - cr. notre Lome II, p. 
42-
47. 



INTRODUCTION 


XXI 



l, pcut-être, qu'on pouvait rctrouver les plus 
ulhcnLiques desecndants du romantisl11e, parn1i 
es al'chéoIogues qui s'oeeupaient sur Ie llhin, en 

avière, de restaurcr Jes n1erveilles de l'art gothique 
t de Ics faire admirer; leIs, à Aix-la-Chapclle, 
'aneien évèquc Laurent et son frère Ie bibliothé- 
aire I ; leIs, à Cologne, Ie pcinlrc Baudri, frère du 
oadjutcur, qui faisait paraHre d(\s 1H
1 l'Organe 
lour l'al't cltrétien, el Ie prêLre Fl'ançois Bock, 
'onservaleur du musée arehiépiscopal 
 ; tel, à 1\lu- 
licb, Ie chanoinc J oaebin1 Sighal't 3, connaisseur 

xp(,l't de toutes les lUU vre
 d'art. du diocèse, chargé 
)ar Ie roi l\lax d'cn écrirp l'histoire. Un manoir 
;carté, C0111me Ie château de Neubourg, ou bien 

ncore, une vine isolée comn1C l'était Trèves, OÙ 
lulle IOCOIl1oLi ve ne pal'vint avant 1.
39, semblaient 
lhriter eonlre ]es souftJes pcrnicieux des temps 
louveaux ]e rOlnantisme vieilJis
ant : à Neubourg 
a veuve du poète Schlosser \ à 'frl'vcs, A.uguste 


1. Moeller, Lcben ulld nncfe "on Johanncs Theodor Laurcnt, III, p. 2:
 
rrève!', Paulinw; DruekCi"ci. 1889). - SUI' l"é\(::fJ.ue Laurenl (180\-1884), lcs 
rois 'olullIes tIc i\1o('ller sont un ùoemnent de prix. 
2. Pfuelf, r;cissel, II, p. ï2-i'3 : Ie 
Iusée archi,
piscopal de Cologne élail fondé 
n 183;) j el les 9, 10 el1t scplcmhrc 18;:)(;, se tenail à Cologne uuc assembl{.e 
"énérale de toutl'S les associalions d'arl chl'Hien. - 8m Franz Bock (18
3-18ga), 
oil' Fabian, dans BcllPlheim, Bio!Jmphischcs JalLrbuc!l, 1899, p. 
üa-2i1 (Ber- 
in, Reimer, 1 aOO). 
:
. Sur Joachim Sigharl (lSa-186ï" \Oil' Jíalholik, IS68, I, p. 309-337. 
4. Sur Fl'édéric Sehlosser (1780-18::;l), sa femme Sophie Schlosscr (178G-tl'ü:í), 
'l ee clH'ieux cloilr'e de> Neubourg, voi:;in de Heid('lb('rg, oil Boehmer', Janssen, 
leda Weber, Sleinle, ct un eerlain nomlJl'e d'pvèl(UPS, so donnaicnl voloutiel'S 
cndez-, ous, voÍl' Rosenthal, Jíonv,'l'tilcnbildel', I, I, (.1. :H3-331 (RalisLonne, 
lanz, 1889); - Janssen, Bochmcl"s Lcbnt und Bl'ic(e, 111, p. 4ï8-484 (Fri- 
10Ul'g, I1erùer, 18(8); - Robed v. 1\1obl, Lcbeu8cl'inncl'ullycn, I, p. ::!49 
Slullg-at.t, Dcutsche -Ferla!/s-Anstalt, 1
0
); - Stcinle, Bl"iefll'echscl, I, 
I. 39ì-510 (FrilJourg-. HCI'der, H;Oi). Voir sl'écidlempul. daus Sleinle, op. eil., 
, p. 

it3-i6(). UH(' cilal ion du comIC' .\(lolphe Frl'ùt
l'Ìc J(. f,chacJ... sur Neubourg. 



XXH 


INTRODUCTION 


Reichensperger
 Ie chanoine '-ViImo"
sky 
]e peintrc 
Lasinsky, l"architecle SchnÚdt, Je coloriste Jacob 
l(ieffer 1, prolongeaient Ie rêve actif d'une conquêlt 
des âmes à J 'ÉgIise par Ia vertll de I' esthétique chré- 
tienne....\uguste Reiehenspcrger, plus l'igoureux que 
Rome, aurait volontiers imposé à l'édifice religieu:x 
un porehe gothique eomn1e vestibule, une ne1 
gothique con1me vaisseau 2. Les appels de I{ettc- 
leI" pour la reslauration du dÔllle de "r orms et tIu 
dôn1e de 
layencc \ ceux òe Beda 'v'" ebel' pour lei 
reslauralion du dôme de Franefort ., résonnaicnl 
comme l' écho loinlain des alltres appeJs qui, vingi 
et trcnte ans plus tôt, avaient intéressé l'.L\Jlcmagnt 
à l'achèvement du dôn1e de Cologne, (( n1onun1cnl 
de l'unité nationale )). ßlais l'opinion puhIiquf 
semblait de venue plus distraite: (( Le dônle dc 
Cologne, écrivaii nléIancoJiquenlent Auguste Rri- 
chensperger, frappe vainen1ent it 1:1 porte de nl:l in I 


1. Sur ee eercle de TrèHs. nil' F. X. lÙ'aus, Essays, II, p. 3i':j-38
 (Bel' 
Ii n, Paetcl. l!)u 1). 
2. Sur eel n:clusivismc d"Augusle Heichcnspergcr ct. ùe son jeune ami Jansscn 
voir Pastor, Reic!wl/spCl'!/el', II, p. 2jtj el suiv. ; - Paslor, Jansse/l, 1'. 133.- 
Sulpicc Boisserée, II1Ii avait lanL eonll'ihlH\ nag'Uf\rc, it faire aimf'r i\ I'AlIp 
magnf' Ie 1ll0
 en ëlge, m..primai L it l'al'chevl'(lue ùe Colog-ne, cn 1852, sa crainte (IU< 
par Ulle imitation c"cIusive du mo
 ell åö'c, 011 ne 10111h:I1 dalls l'crt.cUl' tll 
rÉ:.dise grecque. (SuIJiÏ
 lJoi.<iscl'éc, I, p. Si8. Stuttgart, Colla. 18GL) A !tonH 
aussi, on ll'ouvail. que cette passion de l'AlIema;:nle eatholique pour LII'l. goLhiqu< 
offrail. je ne sais quoi de tl'Op exclusif, on di
ait même de Lrop intolét'ant : l< 
CidlLrì catlolicn eltieallail AUf;uste Hcichensper'g-er SUI' ecrtains ostracisme. 
(1:3-
7 mars 1858, p. U3). Lors'IlIe Ie grand OI'aLcU\' ealhoIi'lue l\lallinchod 
fille vo
'age de Home, la ehapellc SixlÎlle lui parut laide: cL il avouail. qUI 
ectte eompénél.ralion flu profane et du saer
, trait dislÍnclif de "art iLalicn, éLai 
inintelligible pour l'esprit aUemand (Pfuelf, 1lIallinckl'odt, 2 e édit., p. Ul-l i4). 
3. Pfuelf, ]iettelc1', I, p. 296 et 298. 
4. WaekerllcU, Beda 1Vcbcl' (li98-/8:J8) uml die til'olische L.jltC1'OtW 
((800-/846), p. 415-416 II nnsbruck, W agnf'r, I flO.
). 



TNTRODUC TION 


XXIIt 


)resbyLère 1 )). Et puis, désormais, ce n' étail plus 
;eulement sous les voûtes affermies des chefs- 
l'æuvre gothiques, c'était sur les chan1ps de 
)ataille, que l'unité nationale aspirait à s'épa- 
louir; et lorsqu'unc fois épanouie, elJe se mettrait 

n qu(\te rle symboles, il ne lui suffirait plus de 
3es antiques maisons de prières et de paix, it lui 
faudrait, sur Ie Nieder,vald, un belliqueux trophéeo 
Tandis que la liltératul'e ct 1'a1't semblaient 
ùésornlais tenir Ie calholicisnle pn disgràce, les 
changements politiqucs étaient pour Ie calholi- 
cisn1e une défaÏtc. La fornlaLion de l'unité alle- 
luande par la Prusse proteslante consacrait d'une 
irréparable façon la chute du Sainl-Empire; fAu- 
lriche catholique était mise hors dc l'Allemagne ; 
l'al1t1'e puissancc catholique, la Bavirre, abandon- 
nait le rôle tradilionnel de soldat cL dOavocat du 
catholicisme, qu i dans le vicux passé germaniquc 
avait fait sa personnalilé. L'épée prussienne, qui 
se considéraiL déjà COlllme étant à p1'oprement 
parler l'épéc allemande, traitait les puissances 
calholiques avec autant de désinvolture que les 
auxiliaires intellecluels de la Pl'usse, histo1'iens ou 
publieistes, traitaient l'idée catholique. Et l'on pou- 
vail c1'oire que sous l'atIront de ces deux o1'gueils- 
o1'gueil de la pensée, qui défiait la foi, ol'gucil de 
la force arméc, qui défiait. Ie droit - c' en était fait, 
pour longten1ps, de ce brillant 1'enouveau catho- 
lique donl les Drostc- Vische1'ing, les l\lochler, les 


1. Reiehenspcr:rer, L'aI'l qolltiql,l,C (lU 
\1XO .çifcl,
, trad. NoLhomb, p. 235. 



X:\IY 


INTRODUCTION 


Doellinger, les Gocrrcs, les Overbeck, a vaient été à 
divers égards les admirables ouvriers. 
II srnlbIait mênle qu'aux multiples causes exté- 
rieures qui senlblaicnt devoir provoquer cetlr 
éclipse, une cause inlérieure s'ajoutãl : nous vou- 
Ions parler de la crise profonde qui séparait en 
deux carnps les intelligences catholiques et qui 
luettaÏl aux prises, dans Ie clergé rnênle, ðeux sys- 
l(
mes de théologie, run scolaslique el docilemenl 
subordonné aux influences ronlaines, l'autre plus 
imprégné des philosophies modernes rt volon- 
tiers frondeu!' à l'cndroit des autorités d'outre- 
Inonts. Crise si profondc qu'elle dcvait plus tard 
détacher de I'Église un des honlmes que nous 
citions toul à rhcurc parlui les artisans de sa 
résuLTeclion : Ie chanoine Doellingrr, de l\lunich. 
l\insi tandis qu'il n'y avait plus de rcncontrcs, plus 
de rendcz-vous, plus ùe contact, entre l'Églisc et 
I'Allelnagne inlcllecluelle ou esthéliq ue, tandis 
que la vie allenlande, sons ses fornles nouvelles, 
senlblait sc dérouler à l' 
carl de l'J
glise. dans l'i- 
gnorance COlllplète de l'ÉgJise el presque en hosli- 
Jité avec clle, celle Église m0nle souITrait de 
malaises intéricurs, qui la di visaicllt conlre e11e- 
luênlC ct qui rall'aiblissaient. 


IV 



Ialgré Lanl ùc défaveurs ct tant de mésavenlures, 
h's vingt anllées qui pl'écédèrcnll'C-closion du nou- 



IN rnODUCTION 


xxv 


yel Enlpire furent pour la foi ronlaine, en Alle- 
magne, des annécs de prospérité et dE' progrès. Un 
jour de 1.837.7 Talleyrand, apprenant que Ie roi de 
Prusse vena it de jetcr en prison l'archevêque de 
Cologne, s'était éCl'ié prophéLiquenlent : (( C'est de 
la graine eatholique jetée en Europe. V ous la 
verrez lever et pousscr vi venlcnt 1. >) CeHe graine 
de ealholieisnlc, sell1ée en Allemagne, fl'uctifiait 
surtout en Allenlagnc, et cUe y mÍlrissait. Aussi 
l'icléc calhol ique, délaissée par l'.A.llenlagne intel- 
IreLuelle et sacl'ifiéc par les diploll1uties, eonti- 
nuait d'avoir dCl'rièrra cUe un peuple -, ee peuple 
caLholiqnc que Ie eonp de force de Cologne avail 
autrefois réveillé; c\Hait là sa revanche, e'élait Hl 
sa force. L'f
glise avait, en 1.84.8, à Ia faveur des 
libertés nouvelles, commencé de grouper ce peuple 
en associations, et de Ie mobiliser pour des eon- 
grès. Lorsque la réaetion, mcsquine souvcnt, bru- 
talc pal'fois, à laquelle s'aban{lonnèl'ent les divers 
États, s'aeharna quelque tenlps durant à SUI'- 
vciller et à eOnlpl'ÏInCl' dans les nlasses loul épa- 
nOUiSSCl11cnt de volonté et LOll t effort de vie, les 
assoeiations catholiques furent en généraltoIérées. 
Aueune insLitution l1e hénéficia pIns complète- 
mcnt que l'Église ronlainc des eonquêlcs de 184R, 
aucune n'cn bénéfieia plus longuenlenL. 
(( Dc tonlo façon, disail en 1854 la Civiltâ Catto- 
lica, que dirigcaienl eerlains Jésnitcs romains, il est 


1. le 1 o cloUt' {IC Tllllc!Jl'ltml à la l'cli!Jion : lclll'e tif' .JJme 1ft duchcS8C de 
Tallt'!Jrnnd it l'ltblJë lJl.lpalllullp, l'ubliéc pal'MlIle la prÍ1H'csse !ta(hi\\ ill, p. 
(). 
(Paris, Pion, 190Rj. 


I" n A nv CT 14 
 n\"(: nl J J:t:F 



XX'I 


INTROD"CCTION 


évident que l'un des nombreux bicnfaits que Dieù 
sut retireI' des récf'ntes con1motÏons politiques est 
la Iiberté plus grande que les gouvernernents com- 
mencent de concéder à l'Église 1 )) : c' cst à rAllf'- 
magne, surtout, que pouvairnt s'appliquer ces n10ts 
de la Civiltâ. (( Sen1bJabie à un géanL longtenlps 
emprisonné, écrivait à la n1Ôme époque Ida de Hahn- 
:Hahn, l'Église se relrve lentcn1ent ct avec peine de 
sa captivité : on reconnaîL aujourd'hui qu'elle est 
autre chose qu'une humble servante des gOllver- 
nements 2. )) 
Que cela fÚl rcconnu, r]
glisc ne dC111andait rien 
de plus. (( Lo catholique, lit-on dès 1849 dans la 
préface n1ise au compte rendu de l'asscmblée 
de Breslau, désire être aITranchi de toule oppres- 
sion bureaucratique injuste: donnez-lui cette 
liberté, et vous trouverez pn lui Ie citoyen 
Ie plus capable de sacrifices, allant à la mort 
pour son roi eL sa patrie parce que tel esl son 
devoir 3 )). Obtenir la liberté de I'Église, et puis 
l' épanouir ; c' est à quoi se l'amenait, d' a près lVlon- 
talembert, la politi que caLholique : an lendemain de 
1848, l'Égiise d'Allemagne acceptaiL ce pro- 
granlme!t. Elle détestaiL que les associaLions 
qu'elJe formaÏt so mélassent de politique locale 5: 


1. CÏ/'iltd cfLttoliclt, 28 oclobre-14 novemLre 1854, p. 41)6. 
2. Hahn-Hahn, Une voix de Jé1-usalem, trall. .Dessr. p, i-9. 
3. rcrlta1llllulI{Jen del' zweitcn Verstlmmlltng des katlwlisclten rC1'eillCf 
IJeulschlamls am 9, 10, II ulld 12 J.llai 18,19 zn IJ;'cslau, 1'. 4 (Bl'eslau, Adpl'- 
holz,IS.j.9). 
.1. \'cl'!w.udìuIIYCI1, p. 9-10. 
5. \?el.!t({li{llul1gcn, p. 1
1-1U. 



INTRODUCTION 


XXVII 


lr curé ELerhaed, Ie vicaire "Tick, signalaient cel 
écueil au congrès de natisbonne 1. Elle détestait, 
mên1e, qu'une so1idari!é pût êtrc supposée entre 
les associations catholiques et des 
roupements pure- 
n1ent politiques : la preuve en est dans les curieuses 
difficuJtés qu'on souJeva, au congrès de Ratisbonne, 
pour laisser cntrer quelques représenLants d'un 
groupcment Lavarois qui s'intitulait : Associa- 
tion pour la Inonarchie constitutionnclle et la 
liberté religieusc 
. (( Nous a vons affaire seulemcnt 
Ü des questions de droit, à des reyendications jUl'i- 
diques, et non pas à 1a politiquc 3 >), explique 1a 
préface par laquelle s'ouvre Ie compte rendu de co 
congrès; et Doellinger d'aillenrs déclnrait très 
formellement: (( Dans l'état des choses en Alle- 
magne, iln'y a pas, pour nous, de poliLique calho- 
Hque sur ]aquelle nous puissions nous entendre 
dès que nODS vQudrions en venil' aux questions 
de détail .. >) 
L 'Allemagne éLai l morcelée : entre les frontières 
de chaque Élat, les fidèles de I'Église prcnaient 
1 'atti tude;politique Cfll'indiq uaienl les circonstances, 
accélél'aient ou retal'daient la forn1ation de pal'tis 
proprell1ent catholiques, s'immisçaient dans les 
manèges pal'lementaires ou Lien au contl'aire y bou- 
daient. l\Iais Les gl'andes assemblées annuelles des 


1. Vel'halldlull[Je1t dCI' drillcn relosammlulIg dcs katlLOlischcll Ye1'cillc
 
Dculschlwcds am 2, 3, 4 ultd [} Octobe
' 1849 zu IlCflc1I8bw'y, p. 13 ct 37, 
(l
alisbonne, PU!'ilet, 18-HI). 
2. rc
'hllndlzt1tgen... RegenslJ1u.g, p. íO-ï1. 
3. Verlw1tdlungcn... Rcge1lsbw'[j, p. v. 

. rcrhunrlluJlgen... RC(/t'n.'lhtt1'[f, p. it. 



XXVIII 


INTRODUCTION 


associations catholiques demeuraienl étrangÞres à 
ces combinaisons politiques dont les condit ions 
éLaient si diverses el dont l'aspect élait si varié ; et 
ce dont ces asseillblées s'occupaient, c'était, sur- 
tout, des 11loyens d 'étendre l'action catholique, 
de la rendre plus intense, plus pénétrantc; des 
moyens, aussi, de faire nlieux connaître J'idée chré- 
lienne, et de lui assurer une répercussion plus pro- 
fonde dans la conduilc indi viduellp et socialc des 
fidèles. 
II y cut des Juttes, enLre f850 ct 1870, dans 
l'hisloire de l'Église d'j\llemagnc : IuUes exté- 
ricures contre certains États qui cherchaicnl à re- 
prendre leurs concessions on qui dessinaienl, 
déjà, une politique d'anlicléricalisllle violent; 
Inttes intestines, aussi, entre lcs diverses ten- 
dances théologiques qui se disputaient rhégémonie 
de l'Église. Et dans un récit, lcs luHes, qui font du 
bruiL, tiennenL plus de place, nécessairelllent, que 
la besogne discrèle et profonde de travail intérieur, 
par ]aquellc l'Église jnsl ruisait ses lllcmbres et 
préparait Ie rayonnrll1Cnt social de rÉvangile. 
Ce genre de travail n'a pas d'histoire, on presque 
pas; it se poursuit au catéchisnle, en chairc, au 
confcssionnal, sur les lèvres de prêlres qui nc 
songent qu'à fairc leur devoir de prêtres ; il n'agite 
pas l'opinion ù'aujourd'hui, Inais it mÙrit l'opi- 
Ilion de demain, en 6difiant, conlnle nne double 
assise, une foi chrétienne vraiment éclairée, et 
des nlæUl'S chréticnnes vrainlcnt sincères ct vrai- 
nl
nt logiques. 



INTRODUCTION 


XXI
 


A la veille de 181-8, Ie baron de I\otteler, alors 
cnré de caolpagne, prenait possession, tout au fond 
de la 'V cstphalie, de la paroisse de IIopstcn : dans sa 
nouvelle église, il cherchait une statue de In Vierge 
eL np la tronvait point 1; il s'enquérail de la pra- 
tique religieuse et Ia constatait fort nlédiocre : Ie 
vieux curé de I-Iopslen, brave homme au denleurant, 
avait laissé péricliter, dans Ie culte calholique, 
tout ce qui pouvait choquer les protestants. 
A ]a veillp de IR48, les paysans badois Iinlitro- 
phes du Rhin étaient souvent conlraints de s'en 
aIleI' dans nolre Alsace pour entendrc des sernlons 2 ; 
dans Ie clerge de Bade, la dispense du bréviail
e 
élait fréquente 3 ; l' offrande quotidienne du sacri- 
fice de la messe était assez négligée It,; un certain 
non1bre de prêtres, ml\me, faisaient campagne 
contre Ie célibat, et vivaient, de notoriété publique, 
comme si déjà I'Églisc eùt permis leur relårhe- 
ment ti . 
A la veille de 1848, Ie publiciste Buss, lorsqu'il 
s'essayait en Bade à fonder quelques associations 
calholiques, avait conlre lui, parfois, les curés et 
les fonctionnaires 6; l'Église et l'État, une fois par 


1. Pfue1f, Ií.ettele1', I, p. 13!L 
2. Voir notre tome II, p. 2H4 el 28G-
!)
. 
3. . V ous ðtes dispensés du Lréviairc, disaiL un exami naleur am.. séminaristcs. 
au momf'nt dc l'e1>.amen; lisez cha1lue jour un chapilre de 1'liI/ilalion. )) (Schmitl 
dans Alban Stolz. Nltchlycúel meines Lcbens, p. 1!11. Fl'ibourg, Herder, J885.) 
4. Témoin I'exemplc du publiciste Slolz, qui élaul vicaire, el lout bon prêtre 
qu'il fÙt, ne célébrait la messe que Ie dimanehe, cl les jours de sf'maines où 
òes fondalions picuses Ie requéraient (Nachtgebcl, p. ä4). 
5. Elard Hugo Meyer, Badisches \' olksleben im lleul1
ehltlen Jahrh
mdcrl, 
p. 538 (Strasbolll'g, Truebncr 1900). 
6. Voir notre tome II, p. 270-271. 



xxx 


INTRODUCTION 


hasard, sc mettaient ainsi d'accord contl'e l'ini- 
tialive Je cet apôtre. 
Quelques années suffirent pour que, d'un bout 
à l'autre de I'Allen1agne, se n1u1tipliassent les con- 
fréries pieuses; pour que l'institution du mois de 

larie s'épanouît avec une ferveur qui dans cer- 
taines paroisses rachetait de longs oublis; pour 
que, par n1Ïlliers
 des associations catholiques sur- 
gissent du sol; pour que s'ÍnslaHãt dans la prin- 
cipauté de Sigmaringen, au grand scandale du 
diplonlate prussienBunsen, une cel'taine (( caverne )) 
d' où sortaient constanlment des brigands - ainsi 
qualifiait-il les Jésuites - qui ramenaient dans 
les chaires de Bade une parole chré tienne 1; et 
pour que s'amendât, enfin, la vie sacerdotale, 
grâce aux leçons des séminaires, grâce à la pério- 
dicité des retraites ccclésiastiques, grâce à la 
pl'oxin1ité des congrégations. Le diocèse de Cologne 
sous la direction de Geissel, celui de l\Iayence 
sous la direction de Kctteler, celui de Paderborn 
sous la direction de 
lartin, devinrent des diocèscs 
1 ypes, dans lesquels à vue d' æil la vie chrétienne 
se rajeunissait et se renouvelait. II y aurait pour 
un spécialiste une étude technique à faire sur 
l'administration d'un diocèse allemand de cette 
époque : Ie gros livre où Ie chanoine Dumont, de 
Cologne, a rassemblé toutes les circulaires archié- 
piscopales 2, donnerait les éléments d'un tel travail : 


L Baronne de Bunsen, CI'ristian-Carl-Josias F1'cihen'van BW1sen, Ill, 
p. 400 (Leip.,tg, Brockhaus, :1871). 
!. Sammluug Kirchlichel' Erlasse in der E;'zdioezese Koelll (Cologne, Ba- 
chem, 18!H). 



INTRODUCTION 


XXXI 


on y verrait comment s'organise une église, hier 
encore encadrée et asservie par la bureaucratie, 
et soudainement affranchie, et comment eUe ex- 
ploite victorieusement ceHe bonue fortune, tou- 
jours enviable comme un bienfait, mais parfois 
dangereuse comme nne épreuve, qui s'appelle la 
liberté. Au soleil de la liberté, nonnes et moines 
pullulaient avec une profusion qui tenait du pro- 
dige: lorsque en 1
72 sera votée la première Ioi du 
Cultllrkarnpf contl'e les ordres, on évaluera à 104, 
dans Ie seul royaume de Prusse, Ie nombre des 
nlaisons de l'eligieux, à 851 Ie nombre des mai- 
sons de religieuscs, à plus de OIlze mille Ie chiffre 
ùes congréganistes, hommes ou femmes, abrités 
par la tolérance prussienne 1. Presque toutes ces 
cl'éations, prcsque to utes ces vocations, étaient 
postérieures à l'année 1848 : et ces totaux impor- 
tants pouvaient être considérés comme Ie bilan 
des progrès qu'avait faits Ie catholicisllle en moins 
d'un quart de siècle. 


v 


Dirigée par un épiscopat dont Ie nonce Viale 
Prela di::;ait qu'il faudrait remonter plusieurs 
siècles en arrière pour en trouvcr un semblable 2, 


t. Uongarlz, Die Kloester in Pl'eussen u1td iltre Ze
'stouung, p, 46-49 
(Berlin, impr. de la Germania, 1880). - Rapprochcr les sLatistiques données par 
Paul Hinschius, Die OI'de1t ul1d J{ultgl'eyationCtt in PI'eussen, p. 30-33 (Ber- 
lin, GuU.entag, 1874). 
2. pruelf, Geissel, II, p. 
03. - cr. dans les Neue Gespraeche aus der 



ÅXXII 


INTRODUCTION 


I'Église d' Allemagne, entre 1850 et 'J 870, aVlsa 
surtout à In, fornlalion religieuse du peuple et au 
rclèvelnent social du peuple. 
Le temps était proche encore - les ficlèles qui 
avaient alors plus de quaranle ans pouvaipnt s'en 
souvenir - où les prédicateurs évitaient d'annon- 
cer aux chrétiens les mystères du christianisme, 
pt où les catéchismes, soucieux surtout d'épargner 
les susc
ptibilités d'un rationalismo desséchant, 
dressaient une sorte de voile entre les profon- 
deur
 du surnaturel et la pieuse avidité des åmes. 
Désornlais des missions, prêchées surtout par les 
Jésuites, complétaient ou commençaient I'Ìnstruc- 
tion religieuse des adultes; ot quant it ceHe 
des enfants, elie élait., à proprement parler, 
créée. OverbeI'g, Hirscher, avaient déjà tenté 
l'æuvre 1; mais leurs efforts étaient locaux ou 
bien épisodiques. Ce fut seulement aux alentours 
de 1850 que les nomhreuses éditions, petites et 
geandes, populaires et supérieures, du catéchisme 
du JésuÏte Deharhe, assurèrent aux petits Allc- 
mands, dans presque tous les diocèses, Ie hénéfice 
d'une instruction religieuse solide, complète, et. 
conforme en ses grandes lignes à la disposilion 
mênle du caléchismc du Concile de Trentc 2. Alors 


Gegcnwart uehe
' Staat ulHlIÚI'che, p. 180 (El'furl, Koorncr, 1851), l'élogc de 
l'épiscovat prussicn fluC mct Ie général RadowiLz dans la Louchc ù'un des inter- 
Jocuteul's. 
1. Voir nolre tome I, p. 2ô7-274 et nolre tome II, p. 2'Aô-278. 
2. ThalhoCer, EntwicT.:lung des ]Catholi8chen Katechis7nus in Deutschland 
von Canisiug bis Deharbe , p. 118-121, 131-133, 156-160 (Fribourg, Herder, 
18
19). 



INTRODUCTION 


XXXIII 


'État survcnait, surtout en Prusso, ot Lout protcs- 
ant qu'il fût, iL était d'accord avec l'Église pour 
uettre Ie catéchisme au pren1ier plan parmi les 
natièrrs d'enspignenlent; Ie principe de l'obliga- 
ion scolaire devenait ainsi pour l'.Église une 
;arantie que tous les petits catholiques du 
'oyaume connaîtraicnt leur Credo. Il sen1blait que 
'État prussien considérât I'éducation religieusc 

on1n1e une parLie de l'éducaLion civiquc : Dieu et 
e roi étaient deux personnalilés avec lesquelles 
'enfant prcnait contact dès son cntL'éc à I' école. 

'hcure Oil l'Église, insouciantc des négations du 
nonde, affectait de réintégrer dans ses catéchismes 
Ine dogma tique très rigide, ét.ai t l'heure où I'État 
n vitait Ie prêtre à collaborer avec lui, non point 

omme aumònier., seulen1cnt, mais con1me autorité 
I ;colairc, commc associp dp l'l
tat dans la gerance 
I 1c l'école : Ie prêtrc. anx YPllX <lu petit Allemand 

atholique, participait aillsi du prestigp du roi, non 
Hoins que du prestige de Diflu. 
Que pour graver Ie Cl'edo dans les intelligences 

nfantines, Ie clergé d'Allcmagne acceptât avec 
oie cette coJIaboration dp L'école, rien assurément 
l'était plus naturel, ni plus propice, aussi, à cette 
lnité des points de vue, 
l cette homogénéité d' es- 
)rit et de tendances, qui rend harmonieuse et fé- 

onùe la fornlation élémentairc des jeunes esprits. 
\Iais lorsque l' enfant, dûmcnt instruÏt de sa reli- 
;ion, quittait l'école de l'instituteuL' pour celle de 
a vie, partout surgissaient devant ses yeux, par 
'initiative étonnamment rapide du clcrgé, les 


Ill. 


c 



XXXIV 


INTRODUCTION 


applications sociales de ce Credo don t sa mén10ire 
gardait pieuselllent la lettre. l\pplicalions tontes 
neuves, tout in1prévues encore. ..\ yant is-i8, ricn 
ou presque rien n 'existait; la planLe chrétienllC, 
faible et fragile, ct gènée, surtout, par]e frôle- 
Inent tyrannique d'un tuteur qui se nommait I'}
tat, 

l\ait besoin d'un pen ù'aise pt d'un peu d'airpour 
proùuirc des fruits. 
Iais au lendelnain de 1848, 
ces fruits puIlulèrent, lout de suite, avec une exu- 
bérance éluancipée; Ie Credo viva it ct fructifiait, 
se faisail tout à tous, se prodiguait pour toutes les 
nécessités humaines. Vingt ans durant, au jour Ie 
jour, les calholiques d' Allelnagne assistèrent eL 
collaborèrcnt aux innovations sociales qu'inspirait 
ce vieux Credo. Les compagnons du pet.il nlétier 
l'C'ntendaient p]aiúer pour ]a dignité de leur labo- 
rieusc jeunesse ; les travailLcurs de]a terre l'enten- 
daient plaidcr pour l'intangibi lité de leur pelit 
bien de famine; les prolétaires de l'usine l'enten- 
daienl plaider pour les revendications ouvrières. 
Plaider 0) c'était beaucoup ; mais syndiquer, c'était 
mieux encore. Avec un pieux vi caire, I{olping, 
rÉglise groupait les compagnons ; avec un barou. 
Schorlemer, elJe groupait les nlanants; avec un 
évêque, I\:etteler, eIle l'êvait de grouper les ouvrier
 
en coopérativcs de production et de les anlener: 
ainsi, 
t pouvoir se passer des capi lalistes. La stalis- 
Lique d(\s associations caLholiques allelnandes 1 
 
1 e] Ie que la dressai L en 187 i Ie chanoine l\Iarx, dE 


1. :'Ilan. GC1tcml-Stafi.IJlik c!"1' l\rltllOlischcH \-acille ])ell 'scltla1tds. Trè\'cs 
Lintl, IR71. 



INTRODUCTION 


xxxv 


Trèves, lénloigne que rien de ce qui est hunlain 
n'était resté étranger à l'Église caLhoJique d'Alle- 
111agne, et qu'elle n'avait pas attendll les progrès 
des partis sociali
les pour observer dans la masse 
de ses fidè]cs llno cortaine aspiration vcrs plus de 
justice, et pour cOlllprendre ceUe aspiration, la 
dirigel', et s'essayer à la salisfnirl}. 


'T I 


(( Je file tournr d'un mot vel'S les honorables 
danles, disait en J 84H, au congrès catholique de 
Breslau, 10 nlaître bouchrr Falk, de l\layence, ou 
plu lôt je Hle tourne vcrs les fCHlmes et jeunes fiUes 
chrétiennes; car si j'étais Ie rnaître, j'abolirais Ie 
mot da1ìzes: depuis que les femmes et jeunes fiUes 
chrétiennes sont devenues des danzcs, eel a va 
plus 11lal dans Ie nlondc 1. )) On demeura fidèle, dans 
les congrès catholiques d' A.llenlagne, à l'esprit de 
fraternité qui mettait co naïf langage sur les lèvres 
du maître boucher. Ce quïl y avail de mode éga- 
litaire dans une pareille boutade cut la destinée de 
toutes les modes, vouécs tour 
l tour au sourire de 
la conlplaisance ot au sourire de l'ironie; mais ce 
qu 'cUe rccélait de cordialité chrétienn
 cxpliquait 
à ravance toulc l'histoirc sociale de l' .Allelnagne 
catholique. Quelques mois plus tôt, dans leur Ma- 
nifeste cOffilnuniste, Engels ct i\farx expliquaient 


1. rt,,'!trmdlwIgeH.,. lJrrÛrlU, p. 101. 



XXX, I 


INTRODCCTION 


avec une froide âpreté : (( Les prêtres sont Lou- 
jours allés. de pair avec les féodaux. .Ainsi]e socia- 
lisme clérical va de pair avec Ie socialisme féodal. 
Le socialisme chrétien n'est qu'unc ean bénite, 
fai te pour donner aux rancunes arislocratiques la 
consécration du prêtre 1. )) Confl
onlez avec cc pro- 
pos de l\Iarx eL d"Engels la saiJIie du 111aÎtre bou- 
cher de 
Iayencc. 1] se soucie bien, en vérilé, des 
rancunes aristocratiques : c'csl au nonl du petil 
nIéticr qu'il applaudit aux aspirations sociales du 
christianisme; car (( si dans toutes les classes, 
ajoute-t-il, il y a des nlcmbres honorables, per- 
sonne ne niera quP c 'est parnli ]es gens dp nlétier 
que lp Rens catholiqup, l'csprit catholiqup. faction 
catholique, la charit{) cntholique, ont la yie]a plus 
intense >>. 
L'homme du petit métier, Ie petil paysan, LeIs 
furent les vrais auxiliaires de celle Église qui 1'es- 
suscitait. Des livres comme celui de Schlicht sur 
la vie du pcuple en Bavière 2 ou camnle Ie volume 
plus récent de l\Icyer Rur les couhlnles Badoises 3 
témoignent avec quP IIp ténacÏlé s' étaient conser- 
vés la piété locale et l'antique caractère populairr 
des solcnnités rcligieuses : il avait été plus facile 
an Joséphisme d"aUiédir la fervent" dans certains 
sénlinaires que de la refroiùir ùans lcs InæUl'S. Les 
bureaucrates qui s'inspiraient d "une philosophic à 


1. lI/anife8te commuuiste, trad. Andler, I, p. 37 (Paris, Bel1ais, 190t). 

. Schlicht, Baycl'isclt Land und Baycrisch Yolk (Munic'h, Buttler, 1874). 
3. Elard Hugo Meyer, B(cdischcs V"olk.<jleben im XIX Jaltl'lw.lIdat (gtra
- 
Lour
, Truebuf'r, H!OO). 



INTRODUCTION 


XXXVII 


demi rationalistc, pt qui prétendaient {'aire régner 
dans I'Église un despotisme u'Élat, s' étaient à peine 
rssayés à endoffilnager la foi des foules; Ie chris- 
lianismc dans ]('s àmes leur avait paru chose res- 
pectable, c'est contre l'édificc de l'Église qu'ils 
avaienl dirigé leurs nlanæUVL'es et concerté leurs 
assauts. Voilà que cclle Église, au ]endenlain de 
1848, se redressait, libre ct vÏ<.;torieuse, sur les 
ruines des bureaucl'aties : des populations denleu- 
rées chréliennes étaiellt toutes prètes à subir son 
clnpreinle, à se Jonner à clIe pour qu'elJe leur 
apprìt Ie chrislianisnle et pour qu'au nom du 
christianisnle cUe les aidàt eL les relevât, pour 
qu'elle nOUl'rìt leur [oi par un enscignenlent plus 
solide que celui que distribuaient les prêtres josé- 
phistes, pour qu'ellc exaltât leur cspérance par 
(l"autres perspecli ves que celles dont comnlençait 
de les éblouir un socialisme incl'oyant. Parce que 
J'Éo'lise d'Allcnl<lo'ne entre 1848 et 1
7U ne faillit 
ð '" ' , 
pas à cette tâche, eUe acquit une prise réelle sur 
ses fidèles' ils s'habituèrenl à ne l'ien ]ui nlar- 
, 
chander d'eux-nlènles ; leur vie civique, leur con- 
duite sociale, devinrent l'expression de leur foi. Ces 
compagnons, ccs paysans, ces ouvricrs de fabriques, 
allaient bicntòt, dans l'Enlpire nouveau, faire acte 
de souvcl'aineté polilique; leur souveraineté servi- 
rait J'Église, san
 anlbagcs, sans hésitation, avec 
Ie nlènle élan dont on fait un acte de foi, avec Ie 
nH
nle élan qui avait poussé l'Église elle-même, 
111e
sagère de ]a justice, à se mettrc au service de 
leur sujélion éconon1Ïquc, pour l'adoucir et la 



XXXVIII 


INTRUDUCTION 


redresser. Le grand Sl1ccès de l'Église d' .Alle- 
magne, entre 1848 et 1870, avaH été de les con- 
vaincre qu'il y avaH solidariLé entre leurs dcsti- 
nées et celles de leur Église, entre leurs souf- 
frances et les siennes; ot qu 'eux et oUe avaient un 
même ennemi, Ie (( liLéralisme n1atérialiste )). 
La philosophie nouvelle ne s'occupait plus des 
dogmes de l'Église; l'art nouveau prenait d'autres 
voies que celLes qu'avait tracées la piété de ses 
artistes ; l'hisloire s'écri\Tait contl'e eHe; chaquc 
bataillc, chaque congTès, ehaque trailé, entanlaient 
ses forces politiques; les imaginations, infidrles 
au passé gothique dont elle avail été la parure, so 
laissaient désormais confisqucr par des rêves (l'ave- 
nil' dont un État prolestant scrait l'arehiLecte et Ie 
hénéficiairo; et celte Égli:;e osait à peine se glorifier 
de ses théologiens, puisqu'e1le traînait avec eUe, 
en clIe, deux théologies rivaIes, dontjusqu'àrhcure 
du concile Ie contlit la déchira. 
1\'lais, confiante, eUe songeail que les courants 
intcllcctucis n 'ont qu 'un ten1ps; qu'un nux les 
anlène, qu'un reflux les emporte; que cette inte]- 
Jigence donl les honlnles sont si fiers est souvent 
Ie joueL de la mode, et que d'orgueilleuse eUe 
se fait vieillotte; et qu'aux heures où Ie va-et- 
vient de I'opinion pensante l' éloigne des prêtres, il 
reste aux prêtres une consolation et une ressource, 
c'est de se comportcr, parn1Ï l'inlmense foule des 
âmes - âmes souffrantcs attachées à des corps qui 
souffrent - en homn1es de bonne volonté. En vain 
les poótiques rêveries d'un Rc(hvitz avaicnt-elles 



INTRODUCTION 


XXXIX 


sollicilé les catho1iques à chercher des retraites oÙ 
rien ne les dérangeât. Les prêtI'es d'Allemagnc 
consentirent, eux, à se laisscr déranger par lcs 
11lultiples besoins de cetLe société nouvelle qui repo- 
sait sur UllP base toujours plus instable; qu Ïmpor- 
tait que dans Ie sanctuaire leurs stalles fussent 
Dlomentanément solides, si lout autonI' d'cux, dans 
la ville et dans les faubourgs, des grondenlents 
populaires comrnençaient Je secouel' Ie sol? AUen- 
tit's it ces grondements, persuadés que l'Égiise 
avait son mot à dire dans les inévitables transfor- 
111ations 
ociales, iis acceptaicnt tout I'hél'itage de 
I'année 1848; iis en acceptaicnt les bienfaits, 
mais aussi les charges. lis n'aspiraient pas, comme 
certains gouvernements I'éactionnaires, à ranlener 
l'humanité en arrière, mais à la l'ejoindre, au con- 
traire, et it la devancer. Ainsi Jil'ent-ils, et lol'sque 
les honlmes du Cull'llJ>kanzpf dénonceront l'Église 
conlme une puissance de réaction, les foules calho- 
Jiques, habituées it reronnaìtre en cile l' ouvrière 
de leur progL>ès éconolllique, entrcront clles-nlênles 
dans la IuUe, avec elle et pour elle, fit ne s'en reti- 
reron! qu'après avoil' vaincu. 


VII 


)1. Kissling en 1905 a réédilé, en le meltant 
au point, Ie lroisième volulne de fIenri Brueck 
Slli' l"Églisc catholiquc al1emandc au XIX C siècle : 



XL 


INTRODUCTION 


cel ouvrage demeure un précieux travail d'en. 
sPlnble, dont sans cesse nons avons eu les indica- 
tions sons lcs yeux 1. l\lais depnis trois ans d 'autr

 
publicationi ont paru, docun1ents inédits ou lllono- 
graphics savantcs, qui s'Ílnposaient ä notre étude, 
1"1. de Poschinger, dans la Deutsche Revue, nou
 
a Ii Vl'é les ves li o'cs inl p ré vus d'une néo'ociation 
ö ö 
secl'ète qui s'élaif cngagée entre laPrusse et Ronle, 
en 1.853 et 18
)1., en vue de la conclusion d'un 
Con
ordat. Le livre du P. Pfuelt' sur Claire Fey, Ja 
religieuse d'r\ix-Ia-Chapcllc, nons a nlontré, dans 
tons ses détails, la nai:ssance d'une grandc con- 
grégation it la faveur d'une èrc de liberté. L'ou- 
vrage de 1\1. Lauer, qui se public en ce nloment 
nlême, sur l'histoire de l'Église catholique en 
Bade, filet sous nos yeux, dans toute leur COID- 
plexité, les ,"icissitudes de ce catholicisnle badois 
qui racheta certaines heures d'abaissement par 
d'autl'es heul'es d'héroÏsme. L'intél'êt qu'offl'ent, 
au point dn vue religieux:, les ì\lénloires du chan- 
celier de Hohenlohe, égale 1 ïrnpol'tance que leur 
out aLta
héc les spécialistes de l'histoire poJiLique. 
Les souvenirs qu'a pubJiés Ie P. "T eiss, de l'ordre 
des Frèrcs Prè
heurs, dans les FCllilles historico- 
politÌt]ues de janvier 1908, au sujet des crises intel- 
lectuelles de J 8UU et 1870, font rcvivrc, d'unc façoll 
singulièrcnlent instructive, Ie tourment de cer- 
taines pcnsées. Enfin l'année 1 U06 a YU s'achevpl' 
la puhJica lion tIc I'll istoire rill Coneile ell( Vatican, 


1 Geschichlc del' Jlalholisc/wn l1-il'c/tc in Deutschlan.d (
la
 euc(', Kil'ch- 
hcim). ::\"ous Ie cilons SOliS la ruLl'i'lue : Brueck-Kissling, Geschichle. 



ùyrnODUCTION 


XLI 


IHe Ie P. Granrlerath avait soigneusemrnl con- 
'ertéc. 


'TIll 


C'esl surtout, si nons osons ainsi dire, en fanction 
Ie l'histoire mênlC du CultuJ'k(unpf, que Ie récit 
1e crs vingt anllées peut intéresser un ]ecleur 
français. 
Deux grands faits les dOlninent : l'ache1l1ine- 
n1cnt progressif de l' Allen1agne vel'S I 'unilé, eL 
l'explosion dc In. question sociale. Les il1stigatcul's 
du Culturkanzpf c""ploitcront contre l'Église la 
longup fidélité des catholiqll
s it ]" 111aison d'.An- 

 , 
triche, eL dénoncrronl dans rEglise une ennen1Íe 
de 1'unité alleluande. L'Église groupcra contre cux 
des forces populaires qui lui sauront gré d'avoir 
été de honne heure ravocate des hU1l1bles et 
d'avoir constaté de honnp hcure q u'une question 
sociale existait. 
\insi, c'est entre Irs années i8?ju 
et 18"70 que s' élaborent., dans l'histoire, les argu- 
n1ents d'ordrr poJitiqur au n01l1 desquels la Prusse, 
dcvenne maîtressc de l' Allemagnc, cOlubattra 
l'É g lise, ct les argu1l1ents d'ordre économique au 
nom desqucls l'Église convoqllera, pour sa défense, 
les classes l'ul'ales et les classes ou vrières; et nons 
nous préoccuperons, tout d'ahord, en den x chapitl'es 
intÎlnement mêlés 
ll'histoirc générale de l'époque, 
d'étudier ce que firent les catholiqucs en présence 
de l'uniLé allenlande qui se préparail, cc qu ïls firent 
en pl'éSl'nCc de la question socialr aui surgissait. 



XLII 


INTRODUCTION 


l\lais les énergies caLholiques, dont Ie dévouf 
111enl était acquis à I'Église, ne furent pas forgées, 
J'heure n1ên1e du Culturkaln}Jf, par la néccssit 
de cOlnbatLre; cUes exislaient auparavanL, vigou 
reusement exercées par vingt années d'apprentis 
sage politique, et par une pren1ière résistance : 
cette sorte de CulturÁ'arnpf en Ininiature, qu 
ùepuis 185
 se déroulait dans Ie grand-duché dt 
Bade. II sera bon de regarder d'un pen près cett( 
lente formation pour s' expliquer, plus lard, fallé- 
gresse triomphante qui transforn1era les plus dure
 
batailles en victoires. Nous ne pourrons d 'ailleur
 
rassembler en un senl chapitrc des hisLoires aussi 
ditrérrntes que celIe de Pruss
, où la Constitution 
tient lieu de Concordat, celIe de Bade, OÙ Ie Con- 
cordat ne dure qu'un jour, et celIe de Bavière, oÙ 
]e vieux Concordat, à certaines heul'es, est une occa- 
sion de conflil plulôt qu 'une garanlie de paix : les 
divergences Inên1es qu'on oLservera entre les sta- 
tuts juridiques de l'Église dans ces différents pays 
nécessiteront des chapilres distincLs, OÙ ron verra 
s'équiper ot s"outiller, à l'avance, les deux forces 
que Ie Culturkaulpf mettra aux prises, Ie peuplc 
catholique et Ie (( libéralismc )) incroyant. 
Pour ce qui regardc, enfin, la proclamation de 
1'infaillibilité pontificale, point de départ in1méd iat 
du conflit, l'émotion Inême qui en résulla dans cer- 
taines sphèrcs religieuses et dans certaines sphères 
politiques de J'Allen1agnc apparaHrait C001me un 
paradoxc, si. I'on n'y reconnaissait pas Ia consé- 
quencc cl COlllnle rahouti
sant (rUne ]ongue suitr de 



INTRODUCTION 


XLIII 


il1écontentenlcnts auxquels Ie parti (( vieux catho- 
liquc )) vint donner une expression schisn1aliquc. 
Le CultuJ'lt:ampf éclata comnle nil coup de lon- 
l1erre, 111ais des grondements anlérieurs l'annon- 
çaient. Le soubresaut des catholiques fut superbc ; 
rnais une longue périocle d' éveilles a vai l préparés. 
1..e peuple vint au secours de l'Église ; n1ais depuis 
Ionglen1ps l'amilié de rÉglise et du peuple était 
nonée. Et l'histoirc de cette amitié, l'histoire ùe 
cette maturité parlen1entaire, l'hisLoire cnfi.n de 
ces courants intellecLuels qui bientôt allaient mena- 
cer l'unité catholique elle-luême, nous achen1inc- 
rant vel'S Ie récit des Iuttes achal'nécs au cours des- 
queUes] 'àpre nOD1 de Canossa, pau vre village de 
I 'Énlilie, commença d'assaillir les oreilles alle- 
luandes avant de venir assourdir les nôLres. 


Paris. 31 juillPl 1.908. 


N.-B. - Lorsqu'on trou\rera, clans nos notes, la référcncc Il. 
1'. n., cUe s'applique, pour plus de brièveté, it 1<1 collection des 
llislO1oisc/t Polilische Rlue! fer (l/e'llilles histo'J'ico-poliliques). 



, 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


J
E CA THOLIClSlVIE (1848-1870) 


.. 


CHAPITRE PREl\IIER 


LES CATHOLIQUES ET LA PRÉPARATION 
DE L 'UN1TÉ ALLEMANDE 


La chute du Saint-Empire: portée de ce fait pour l'Église, portee 
de ce fait pour l"Allernagne. - Une revanche de l'esprit natio- 
nal allemand: Ie romantisme. - Espoirs catholiques dans Ia 
résurrection du Saint-Empire. 
I. - La fraction catholique Gloossdeutsch it ErfurL (18::>0). - Un 
premier engagement entre l'Ïll(
e cathollque de (( Grande-Alle- 
magne )) et l'idée prussienne de (( Petite-Allemagne)) : joute ora- 
toire entre Auguste Reichensperger et Hacusser. - Yicloire par- 
lementaire, à Erfurt, de lïdée prussienne de (( Petite-AHemagne)) ; 
victoire diplomatique, à Olmuetz, de l'idée catholique de (( Grande 
Allemagnc )). - Les polémiques des Feuilles ltislO1oico-politiques 
contre la Prusse. - Premières manifestations de Bismarck. 
II. - Action de la Prusse sur la politique religieuse des autres 
1<.. tats allemands. - Lïdée prussienne de la solidarité des 
puissances protcstantes. - Première application de cette idée : 
rôle de Bismarck en Bade pour soutenir etencourager Ia politique 
confessionneHe protestante et, comme telle, anti-auLrichienne, 
du gouvernement badois (1854). 
III. - L'influencc prussienne à la cour du roi Max de Bavière. _ 
Ses agents: des professcurs. - Rôle de Sybel et de Bluntschli 
à Munich. - Ellorts victorieux de Ia Prusse pour que la poli- 
tique du gouverncment bavarois cesse d'être une politique con- 
fessionnelle catholique et, comme telle, favorable à l'Autriche. 
IV. - Hostilité des catholiques contre la théoric de la (( vocation 
allemande )) de la Prusse. - Doctrine du (( légitimisme alle- 
mand )), opposée par les Fellilles hislO1oico-politiques. - Enthou- 
siasme des catholiques POUI' Ie concorrlat autrichien rlc I R55 


111. 


i 



2 


L 'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE 


d pour l'alliance, dans la guerre de Crimée, de l' Autrich 
catholique et de la France catholique. - Colère des catholique 
au moment de la guerre d'Ita1ie: leurs væux pour que I 
Prusse appuie l' Autriche; leurs invectives contre 1<1 France. - 
Leur tristesse en 1860. 
V. - Deux initiatives anti-autrichiennes : 1 0 La i'ondation pa 
Sybel de l'Hist01'ische Zeitschrift. - L 'ècole his tori que nouvell, 
et Frédéric I L - UIle lllobilisation prussienne d'historiens pro 
testants. - Deux historiens de tendances auLrichiennes et catho 
liques: Hurter, Klopp. - 2 0 La fondation du XationalveJ'ein. _ 
L'Autriche visée par les campagnes anticoncordataires de cettt 
association. - InsuITbance ou insignifiance des gl'oupemenL: 
suscités contre Ie Nationalverein. 
VI. - Efforts du prince de Hohenlohc) en 1862, pour gagneI' Ie, 
catholiques à la cause prussienne et créer aiIlsi une droih 
dan8 Ie parti de la (( Petite-.\Jlemagne )). - Identité entre la 
situation de l'Autriche, menacée par la Prussp. et celle (IE 
Pie IX. menacé par Cavour. - Situation difficile des catho1ique
 
prussiens. - Leu!.' attitude dans Ie conflit entre Bismarck et Ie 
Parlement. 
VII. - La guerre de 1866. - Sa portée d'après Reichensperger 
sa portée d'après Bluntschli. - L'accablement des catholique
 
après 
adowa. 
VII L - Humeurs hostiles sur l'attitude des catholiques prussiem 
dans la guerre de 1866. - Sadowa interprété comme une victoirf 
du protestantisme. - Un écrit de Kettelel' : L'Allenlagne aprè.
 
la guerl'e de /866. - Dispositions de KetteIer pour l' Autricht 
et pour Ill, Prusse. - !::)es conseils à la Prusse; ses conseils au:'i: 
catholiques. 
IX. - La formule de raUiement des cathoIiques à la Prusse. _ 
Particularisme tenace de MallinckrodL. - Les catholiques prus- 
siens et les F'J'eikonsel'vative. - Len te évol ution des cathollques 
de Bavière. - Sentiment pou à pou dominant chez les catho- 
liques d' Allenmglle : la crainte d'une nouvelle Ligue du Rhin, 
qui ramènf-'rait l'intervention de la France dans les affaire;; 
d' Allemagne. - Union des (( Grands Allemands )) (Gl'ossdelltsch) 
et dps (l Petits AUemands )) (ìí.leindeutsch) contre la France. 
Nouvelle conception catholique de I'unité allemande: une unitó 
fondée sur la liberté des Églises. 


C'est une donnée banale de l'histoirc, que la 
campagne d'A.usterlit
 porta Ie coup de n10rt au 
Saint-Empire-Romain-Gcrmanique. Dix siècles 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 3 


'avaient honoré, une plaisanterie de Voltaire 
'avait n1Ís à mal, l'épée de Napoléon l'acheva. 
\Iais suffit-il d'un sarcasme et d\lne armée pour 

ffacer des esprits certaines idées séculaires? Éti- 
Iuette compliquée d'une longue pél'iode d'hisloire, 

et inlposanl vocable: Sai'nt-Enlpil'e-RoJJzain-Gel'- 
nanique, était lourd à manier, encombrant même, 
,i ron veut, comme Ie sont toutes les synthèses 
Iui, tant bien que n1al, s'efforccnt à pallier des 

ontrastes. En quatl'e mots, dont chacun était gros 
:Ie pensées, la formule qu' Austerlitz rend it archaï- 
lue faisait deux parts dans ],histoire du monde, 
l'une pour la sainteté, l'autre pour Ia force, deux 
parts dans l' orgal1isme chrétien, I'llne pour Rome, 
l'autre pour la Germanie, et puis elle unifi,ait la 
force et la saintelé, accouplait Rome et Ia Germa- 
nie, mariait Ie temporel et Ie spirituel; et de cette 
llliance, .enfin, la chrétienté naissait, âme collec- 
tive servie par des organes collectifs, imitation 
grandiose de l'union de râme et du corps dans Ie 

on1posé humain. 
II y avait là un fait lnétaphysique, autant et plus 
=Iu'un fait politique; il y avait là une idée, autant 
et plus qu'unc institution. Après Austeriitz, l'ins- 
titution jonchait Ie sol ; mais l'idée restait dans 
l'air. Elle avail passé outre à l'hérésie religieuse 
de Luther; eUe avail survécu à cette sorte J'héré- 
sie politi que qu'étaill'absolutisme de droit divin, 
conçu et pratiqué par les Bourbons. Ni Luther ni 
les Bourbons n'avaient pu convaincre toute l'Eu- 
rope que tout Ie nloyen 1ge se {fIt fourvoyé ! ..
us- 



4- 


L 'ALLE:\IAGNE RELIGIEUSE 


tel'Iitz à son tour avait des conh
adictelH
s, ùonl 
Goerres fut ]0 plus illustre (. Leurs imagination
 
obstinées ressuscitaient, par leur fidélité même, IE 
Saint-Empire enseveli ; elles Ie prolongeaient, elleE 
le galvanisaient, comme une sortc de protestation 
contre les remaniements napoléoniens. 
C( La chute du Saint-Empire, écrira plus tard 
Ketteler, évêque de l\layence, fut, plus que la 
Réforme, un événement re] igieux, Ie pI us grand et 
Ie plus important depuis l'existence de l'Église en 
Allenlagne 2. )) Ketteler disait vrai. : l'architectul'c 
du monde, telle que l'avaiL concertée la pensée du 
moyen âge, était en rui.ne. l\Iais l'Église uni ver- 
selle avait assez de ressort et de souplesse pour se 
passer de cette arnlalure, dans laquelle Ie moyen 
âge l' encadrait. 
cc Ces deux moitiés de Dieu, Ie Pape ct l'Enlpe- 
reur, >> se trouvaienl désormais en face d'une des- 
tinée nouvelle: Ie Pape, en perdant son augustc 
collègue, élait, tout à la fois, sevl'é d'une protec- 
ti.on et affranchi d'une tyrannie, ct Ie si.ècle même 
dont l'aurore avait été sonnée par Ie gIas du 
Saint-Empire exaltera, plus qu'aucun autre, la 
primatie de ]a papauté sur les âmcs. l\Iais l'Em- 
pereur, lui, de puissance lhéoriquement inlerna- 
tionale, devenait un sinlple chef d
ÉLat, et l'un 
peut-être des plus débiles, puisqu'il ne régnaii 
même pas sur une nation, mais sur une mosaïque 
de peuples. La catastrophe de 1806 nuisait 


1. Voir nolre tomc I, p. 313-366. 
2. Pfuelf, Kettder, 1. p. 265-266 (
laYf'nce, Kh'chheim, 1899). 



PRÉPARATION DE L' UNI'ff: ALLEl\IANDE 5 


)caucòup plus au prestige dcs I-Iabsboul'gs qu'à 

elui de la Papauté. 
Un autre honncur semblait atteint, une autre 
;loire semblait pâlie : c' é tait l'honneur et la gloire 
Ie I'A.llemagne. Le Saint-Empire avait assuré au 
;ermanisnle une sorte de primauté du monde; de 
.'Allemagne, il avait fait une cime. Le panger- 
'llanisme, qui s'élale aujourd'hui comme une exu- 
bérance anlbitieuse de l'idée de nalionalité, n'a 
ei.en de commun avec les rêves teutoniques de 
lamination uni verselle qui trouvaicnt leur point 
i"appui dans l'idée mêmc de chrélienté; mais 
:lerrière ces rêves, en fait, c'était une façon de 
pangernlanisl11e qui déjà s'abritait. II n' était pas 
indifférent à la grandeur du nom alJemand que 
::les générations entières de théologiens et de 
3anonistes, de peintres et de poètes, eussent habi- 
tué les imaginations à saluer aux côtés du Pape 
uni versell'Empereur universel; que l'hégémonie 
Ju César fùt apparue comme un aspect tempore] 
lu règne de Dieu; qu'au emuI' même de l'Italie, à 
Florence, les fresques de la chapelle des Espa- 
gnols eusscnt dès ]e XIV e siècle éclairé d'un somp- 
tueux et mystique commentaire cette cérémonie 
du couronnement impérial que trois cent cinquante 
ans plus lard Ie jeune Gæthe contemplait à Franc- 
fort; et qu' enfi.n Dante Alighieri, 'Jnaest'ro educe 
ùe toute poésie en terre latino, eût honoré la Ger- 
D1anic en honorant Ie sceptre impérial. L'imagerie 
yulgaire qui représentait I'Emp(\reur tenant dans 
scs nlains Ia boule du monde étail une ouvrièrc 



t; 


, 
L ALJ
IUIAGNE RELIGIEUSE 


d'histoire. II ne suffi.sait pas que Napoléon fit tom- 
her cette boule des mains incerlaines de l'pmpereuI' 
François pour que ces images fussent démodées. 
Le romantisD1e, au contraire, leur rend it une 
vogue; la poésie. plus vraie que l'histoire, leur 
rendit une vérité. A l'arrière-garde des poèles, une 
génération d'historiens surgit, qui regrettaient lr 
Saint-Empire. Les uns étaient òps caLholiques; les 
autres, des protestants que leurs obsessions histo- 
riques inclinaient au catholicismc 1; et vel'S Ie 
n1ilieu du siècle tou tes les aspirations de cettp 
école, anxieux élans, espoirs tenaces, s'incarnè- 
rent dans fa personne d'un grand érudit francfor- 
tois dont les travaux sur Ie moyen âge germanique 
sont demeul'és classiques : Ie luthérien Boehmer 2. 
(( 
Ion cæur, écrivait-il en 1863, fut attaché dès 
ma jeunesse à }'Empereur, à I'Empire, et pour cela 
à I'Autriche, où résidait l'axe naturel de tout ce 
que je représentais, ou plutât de tout ce que je 
chel'ehais à représenter 3. )) Toujours expectant, 
toujours déçu, il versifiait mélancoliquement : 


Aucun empereur ne règne plus au large, 
l\ein I(aiser herrscht mehr weit und breit". 


(( Notre peuple de Francfort, reprenait son ami 


1. Voir nolre tome II, p. 226 et suÍ\". 

. Dans une Iettre à Gerlach, du f8 décembre 1853, Bismarck se plaint de l'an- 
liprussiauisme de Boehmer (Bl'it..le Bismarcks an den General Leopo:d t'on 
Gel'Zach, éd. Horsl Kohl, p. 113. Berlin, Haering, 1896). 
3. Janssen, Boehmel's Leben und Briere, Ill, p. 413 (leUre du 4 septem- 
bre 1863). (Fribourg, Herder, 1868). C'est le livre capital sur Boehmer (1795- 
1863.) 
4. Paslor. Johannes Ja1lssen. p. 33. (Fribourg, Herder, 1894). 



PRÉPAR-\ TION ßF. L'UNIl'f: ALLEMANDE 7 


Schlosser, âme de poète et d'artiste, sent d'nn 
instinct ineffaçable que l'Antriche doit être la 
puissance impériale allemande. Tout ce que les 
gens du parti de Gotha baptisent de leur nom, ce 
ne sont que des fleurs artificielles en papier 
coIoré 1. )) 
Pour des esprits comme Boehmer, comme le 
calholiqne Schlosser, la dynastie dps Habsbourgs 
était, à proprement parler, ]a propagatl'ice dn ger- 
manisme; c'est eUe, et elJe seule, qui ponvait por- 
ter Ie nonl allemand, l'esprit allenland, la langue 
allemande, bien au delà rln pays auquel une géo- 
graphip banale restreignait Ie nom d'Allemagne. 
Ringseis, Ie professeur calholique de rUniversitð 
de 
Iunich, ne put jamais se consoleI' que les dis- 
locations politiques dont, au XVI e siècle, la Réforme 
fut Ia cause, eussent pen à pen dptaché du corps 
gernlanique la Lorraine et I' Alsace, la Suisse et 
la Hollande, Ie pays beIge et les provinces bal- 
tiques;!. Son patriotisme mênle d'AJ]emand, I'atta- 
chement même qu'il portait à la grandeur natio- 
nale, semblaient encourager son intransigeance 
de catholique romain, et enraciner en son àme 
d'éternels regrets à l'endroil du Saint-Empire et 
de Ja chrétienté disloquée. Beda W cber, Ie curé de 
Francfort 3 , Édouard 
Iichelis, ancien secrétaire de 
l'archevêque Droste- Vischering. - et l'on en pour- 


1. Beda Weber, Charakterbilde1', p. 106. (Francfort. Sauerlaender, i853). - 
Sur Schlosser, voir ci-dessus, introduction, p. XXI. 
2. Ringseis, Erinnerungen, IV, p. 158 et 191 (Ratisbonne, Habbel. 1891). 
3. Wackernell, Beda \rebe1' (/798-1858) und die li7'oltsche Litte7'atu7' (1800- 
1846), p. 390 (lnnsbruck, Wagner, 1903). Curé d(' Francfort, H allachait unc 



8 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


rait citer beaucoup d'autres, - se complaisaient 
dans Ie même état d'esprit. (( Plein d'espoir, tu dois 
vi vre pour l'avenir, disait lVIicheIis au peuple west- 
phalien; de ton regard de voyant, tu dois entre- 
voir l'Empereur; un héroïque empereur relpvera 
Ie drapeau de I 'Empire... )) V ous pensez, peut-être, 
que ce poème, qui fut publié en 1857, deux ans 
après Ia mort de l'auteur, pourrait êtl'e interprété 
comme un pronostic de la pl'ochaine grandeur des 
Hobenzollern. Détronlpez-vous, l\lichelis est un 
prophète du passé : (( Un héroïque empereur relè- 
vera le drapeau, pour fonder à nouveau Ie bonheur 
de I'Église et Ie bonheur de l"Enlpire. )) Et le poète 
conjure Ie peuple westphalien de garder loyale- 
ment Ie trésor de sa foi; car (( quiconq ue te Ie 
vole, boit le sang de ton cæur 1 )). C' est à un 
Empire cathoHque, s'appuyant sur le catholi- 
cisme, que s'appJiquent ses confiantes prévisions : 
ni comme catholique, ni comme Allemand, il ne 
peut croire, Iui, ';Vestphalien, sujet du roi de 
Prusse, que Ie Saint-Empire soit mort pour tou- 
,Jours. 


I 


L'année 1848, en même temps qu'eUe apportait 
à l'Église d'Allemagnc, tourmentée, la veille 


gran de portée au concours pécuniaire de l'empel'eul' d'Aull'ichc pour fa l'estau- 
ration du Dôme de Francforl, (( grandiose symbole d'unitp gcrmanique .. 
1. Michelis, Lieder aU8 Westphalen. (Luxembourg, Heinlze, 1857), cilé par 
H. P. B., 1857, II, p. 236. Sur Édouard :Michel is (1813-1855), voir Rassmann, 
Nach1'ichten von dem Leben und den SCh1'i/Ün .lJ1uensterlacndischer Scltrifts- 
teller des 18und 19 Jahl'ltUllderls, p. 211. (Muenster, Coppcnrath, 186G.ì 



PRÉP.ARATION DE L'UNITJ
 ALLEMANDE 0 
encore, par les bureaucraties d'État, la pl'omesse 
et la gal'anlie d'une liberté nouvelle, mit en deuil 
un certain nombre d'imaginations catholique
. 
L'Autriche, en qui ces imaginations plaçaient leur 
confiance, courut alors Ie premier risque d'être ex- 
pulséc de !'Allemagne; et ce risque, m{\me conjuré, 
étaÏt un symptôme gl'aYe. Au Pal'len1ent de Franc- 
fort, Ie droit de cité gern1anique pal'ut chicané, 
nlarchandé, mesuré, à cetle dynastie même des 
Habsbourgs, qui depuis des siècles représentait 
aux yeux du nlonde la Gern1anie. Le peuple alle- 
mand, devenu puissance politique, saluait dans 
l'État aulrichien un allié; mais un tel salut équi- 
valait à une disgrâce, à un ostracisme ; on préten- 
dait que l'Élat autrichien cessåt d'être un membre 
du corps allemand 1. Un catholique, Ie général de 
Radowilz, avaH une part de }'esponsabilité dans 
cette politique. Lorsque Frédéric-GuiHaume IV, 
son roi et son ami, cut écarté comme un calice, 
avec une saliété toutc romantique, la couronne 
iInpériale qu'on lui faisait offrir de Francforl, 
l'opiniâtl'e Rado\vitz prit une revanche en faisant 
convoquer Ie Parienlent d'Erfurt pour que l'æuvre 
de Francfort flit reprise et pour qu' en dehors de 
I'A.utriche une Allernagnc se constituât. La revan- 
che fut plus complète que ne Ie souhaitait Rado- 
\vitz; Ie parti de Gotha, maÌtre de la majorité à 


1. " Par cctte "oie, llisait Doellillgel' en 1849 au Congrès lle HatisLonne, l'AlIe- 
mague ne serail parvenue flu'à une larve facLice d'unilé)) (Y erhandlungen de1' 
tlritten Generalve1'sammluny des 11.atholi8chen VC1'eines Ðe
ttscMands 
u 
RegertsLurg, p. 112. l{alisLollne, Pllstel, 1849). 



10 


r..,'.ALLE.l\IAGNE RELIGIErSE 


Erfurt, traitait l' Autriche, non plus même en alliée, 
mais en ennemie. En face de ce parti se dressèrent 
] es onze cfltholiques de l' assemblée : avocats fidèles 
de l' Autriche excommuniée, ils formèrent ]a frac- 
tion de la grande Allemagne (Grossdeutsclt) , qui 
n'affectait aucun cxclusi visme confessionnel, mais 
qui fut catholique par ses origines, par ses aspira- 
tions, par ses visées, et dont le hasard voulut, à 
Erfurt, qu'elle fût uniquement composée dp catho- 
I . 1 
lques . 
Auguste Reichcnsperger, un Rhénan, fut l'âme 
de cette fraction 2. Aux derniers jours riu Pal'le- 
ment de Francfort, il avait tracé Ie manifeste de la 
(( Grande Allemagnp >>, répudié Ia pensée d'une 
Allemagne mal veillante pour l' Autriche, repoussé 
Ia perspective d'un autre empire que celui dont 
Vienne était la capitale 3 . En termes qu'applaudi- 
rait un pangermaniste d'aujourd'hui, il avait célé- 
bré les horizons qui s'ouvraient au peuple alle- 
mand sur la mer Adriatique, sur la vallée danu- 


1. Pastor, August Reichenspm'ger, I, p. 3tfl. (Fribourg, Herder, 1899). - Rei- 
chensperger (Cm'respondant, octobre 1856, p. 180), accus(' les hobcreaux: du 
par Ii de la Croix d'avoir eu, à Erfurt, la mème haine pour l'Autriche que Ie 
parti de Golha, et ex.plique que l'iMe de Pclite-Allemag-ne n'a été sérieusemel}t 
combaLLue å Erfurl que par une douzaine de députés catholiques lce. Ernst 
Ludwig von Gerlach, Aufzeichnungcn aU8 seinem Leben und TI'irken, Il, 
p. 102. Sc!lwerÜl, Balm, 190.1). I.orsqu'en 1849 Ia queslion allemande fut dis- 
cut
e à la Chambre bavaroise, ce ful Doellinger, catholique el prètre, qui sou- 
tint l'opinion gro8sdeutsch (Friedrich, Ðoellwge1', UI, p. 37. Munich, Beck, 
1901 ). 
2, Les deux volumes que 1\1. Pastor, l'hislorien des papes de {a Renaissance, 
acluellemellt dlrpcleur, à Rome, de l'Inslitut historique autrichicn, a cousacrés 
à Auguste Reichenspergoer (18U8-1895), sont rune des sources les plus impor- 
tantes de l'histoire polilique et religieuse de l'Al1emagne durant Ie dernier demi- 
siècle : iis nOllS ont été d'un secour!'> précielu. 
3. Paslor, Reichenspcl'gel', I. p. 30ï-3tO. 



PR
:PARATION DE L 'UNrfl:: \T.LEl\IANDE 11 


bienne, sur les mers du Levant, et rendu grâces 
à l'idée même de (( Grande Allemagne )) pour eettc 
largeur de perspectives et cctte fécondité d 'espé- 
rances. Ce manifeste, lorsqll'on Ie relit aujourd'hui, 
fait mesurcr la vertigineuse alJure dp l'histoire... 
II y a quatorze ans, pen de ll10is avant sa mort, je 
vis Reichenspprgf\r à Cologne, tout chargé d'années 
et de souvenirs: il y avail dans sa vietant d'arrière- 
plans, qu'iL semblait avoir vécu plusieurs vies; 
mais il regardait en avant, toujollrs en avant. II 
deconcertait In définition morose que donnent de 
la vicillesse les rimeurs d' A1
tS poétiques. Sa n1é- 
moire, très préc
se, très riche, ne lui étalt pas une 
chaîne; eUe lui donnait un élan. II ne s'emprison- 
nait pas dans son propre passé. Parce quïl avait 
vu l'histoire d'Allemagne se déroulpr autrement 
que ne la construisaient les discours de sa jeu- 
nesse et lllême de sa lllaturitc\ pourquoi done 
aurait-il boud{í Dieu? II ne cessa d' agi r qu "en 
cessant de vivre; il avait une inaltérable fraÎ- 
cheur d'âme, qu'une longue accoutumance du 
parlementarismp n'avait point fanée. Octogénaire, 
il considérai t encore sa vie comme un service, 
qu'il était tout prêt à continuer, tout prêt à inter- 
rompre. 
Tel apparaissait, en son crépuscule tonjours 
lumineux, Ie parlementaire cathoLique qui, dans 
les années 1.849 et 1.8õO, avec l'aide de son frère 
Pierre, avec l'aide du Badois Buss\ premier pré- 


1. Sur Buss (1803-1878), voir Dotre tome n, p. 
69 el suiv., 372, 4
6. 



t2 


L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


sident ùe l'Association catholique d' Allemagnc, 
donna l'efforL suprêmc pour que Ia monarchic 
autdchiennp ne fùt pas rayée Ju nonlbre des 
puissances allemandes. II invoqua cet esprit d'in- 
dividualisme qui, d'après lui, était l'un des traits 
historiques de sa race 1 : l'autonomie des divers 
États, conséquence politique du vieil altachement 
des peuplades allemandes à leurs personnaJités 
propres, lui semblait incompatible avec l'exten- 
sion de la Prusse. Une Allemagne c
ntralisée 
seraH-elIe encore l' Allemagne? Ce ne serait plus, 
en toul cas, si I' Aulriche était excIue, qu'unc n1oi- 
tié d'Allemagne. Reichensperger poussait Ie cri 
d'alarme 2; il craignait que l"axc de l'empire des 
IIabsbourgs ne passàt désol'nlais dans les natio- 
nalités slaves, que l'année 1848 avait éveillées. 
Concurrentes alertes, in1pétueuses, elles profite- 
raient du ll10uvement de recul auq nel se condam- 
nerai t lui-même Ie peupIe allemand, du jour OÙ 
il signifierait à I 'Autriche un ingrat et inopportun 
congé. Reichensperger parIaH aussi comme catho- 
lique. L'équilibre religieux de l'Allemagne était 
en jeu; si l'Autriche était exilée du corps germa- 
nique, la majorité des âll1es, dans Ie terriloire qui 
continuerait de s'appeler Allemagne, appartien- 
drait à Luther. La Germanic, celte pierre fonda- 
n1entale de l'antique chrétienté, achèverait de 


1. Sur ce point, compareI' les réflexions du mème Auguste Reichcnspcrger 
dans son discours de 1860 sur la queslion hessoisc, et l"écrit des dem: frères 
Reichensperg-er : DeutschLands naec/zste Aufgaben (Pastor, lleichensperger, 
1, p. 407 et 4-17). 
2. Pas lor, Reicltensperger, I, p.327. 



PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALL.EIUANDE i3 


I déserter son rôle. Au nom des vastes ambitions 
de la race germanique, au nom du particularisme 
allemand, au nonl des intérêts catholiqucs, Au- 
guste Reichensperger suppliait l' Allemagne de 
gardeI' I' Autrichc comme tête, ct l' Autl'iche de ne 
point se détacher de ce grand corps historique. 
Un professeur badois, Louis Haeusser, soutini 
devant Ie parlement d'Erfurt la thèse adverse 1 ; 
et tout de suite il fut évident que sous les noms 
de Reichensperger et d'Haeusser, deux conceptions 
de l' Allenlagne se 1ivraient un due] it mort. Haeus- 
ser était l'un des représentants les plus passionnés 
de cette école historique qui con1mençait d'affir- 
mer comme une vérité de foi, ct de prouver 
comme une vérité de science, co qu'elle appelait 
Ia vocation allenlande de I'État prussien. Ð'après 
lui, c'était autour de la Prusse que 1'.AJlemagne 
devait se cristalliser; ]a Prusse, fiUe de 1a Héformc, 
était appelée à réparer les maux que Ie moyen àge 
calholique el que la contre-Réforme avaienl infli- 
gés à l'AHemagne. Que l'Autrichc transigeât, ou 
bien qu' eUe fit sécession, peu importait à Haeus- 
ser : ce qu'i] voulait, c'était que rien n'empêchât 
la Prusse de remplir son auguste mission. Tout 
obstacle paraîtrait un attentat contre la nation alle- 
mande elle-même. Ainsi deux thèses entraient en 
confiit, qui s'accusaient réciproquement d'un 
crime de lèse-germanisnle; et suivant que l'une 


1. Pastor, Reicltensperger, I, p. 330. Sur Louis Haeusser (1818-1867), voir 
la notice d'Oncken dans Weech, B({{li:
che Biographirn, I, p. 340-::147 (Carlsruhe, 
Braun, 1881). 



t4 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


ou l'autre triompherait, l'AlIemagne du lende- 
ll1ain n'aurait ni la mème configuration géogra- 
phique ni 1a mème pel'sonnalité confessionnel1e. 
Avec l' Autriche au sommet, Ie corps gerulanique 
faisaH figure catholique; an1pulé de rAutriche et 
cherchant à Berlin son point d'appui, il prendrait 
l'aspect d'une puissance protestante. On eût dit 
que la guerre s 'engagcait entre Ie n10yen âge et 
la Réforme sur Ie champ de bataille d'Erfurt, 
(( ville de Luther. )) Reichensperger fut battu par 
Haeusser, la Grande Allemagne par la Peli te AIle.. 
magne, l' Autriche par la Prusse, Ie catholicisme 
par Ie protestantisnle. 
Ce pren1Îer engagement n'eut d'ailleurs aucun 
ré
ultat pratique, si ce n'est qu'il contributt, sans 
doute, àrendre plus rapide et plus âpre la revanche 
de I' ...t\utriche. A Olmuetz, 1a Prusbe dut s'humilicr. 
Un de ses diplon1ales, Pourtalès, s'indignait en 
termes pittoresques qu'elle fût ainsi contrainte de 
(( réunir les Chambres et l'armée, au roulement 
du tambour, pour recevoir un soufflet en cérénl0" 
nie de gala 1 )). Du coup, les partisans de la Grande 
Allemagne voyaient s' éclaircir leur horizon : par 
uue résipiscence provisoire qui n'était qu'à delni 
spontanée, la Prusse en écartait tout nuage. II ne 
fallait rien de moins que ceHe défaite du gou-ver- 
nClnent de Berlin pour leur rendre quelque sécu- 
rité. 

lais ils se faisaient peu d'illusion sur la durée 


1. Rothan, Souvenirs diplomatiques : la P,'u8se et son ?'oi pendant la {JllC1Te 
de Crimée, p. 38-40 (paris, Lévy, 1888). 



PRÉPARATJON DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 15 


je la résignation berlinoise. Boehmer continuait 
je dire : (( La Prusse est proprement un pieu dans 
notre chair 1 )), ct les Feuilles Itistorico-politiques 
ie lVlunich, Ie grand organe catholique jadis fondé 
par Goerres, commençaient dès cette époque une 
tongue série d'articles contre les ambitions prus- 
:nennes. 


On trouvel'ait difllcilement, déclaraient-elles au début de 
l852, une idée aussi peu allemande, aussi peu historique, 
{ue cette (( unité allemanJe )), qui devait èLre mise au jour 
par la révolutioll de 1848. La simple pensée de cette centra- 
isation uniforn1e est si antipathique à l'esprit allemand, que 

ela seul suftirait à prouver que les deux écuyers de la phi- 

osophie de FichLe, Jahn et Arndt, à n10itié Slaves l'un et 
l'autre, n'étaient pas de purs A.llemands (Keine Kel'ndeuts- 
chen). Tout au contraire, c'est un trait spécifique du carac- 
tère allelnand, que chaque tige, chaque ran1eau du grand 
arbre, aspire Ie plus tôt possible à s'enraciner à part, å se 
distinguer, à revendiquer son terrain propre... L'uuité alle- 
mande a son point central. non pas dans un chef suprême 
national, mais dans l'Empereur, dont la dignité était une 
digniLé ecclésiastique (dessen 
Vllerde eÙw Kircltliche war). 
Ce n'est pas le sang, ce n'est pas la langue, c'est la foi, qui 
tenait rassemblées les tribus germaniques
. 


Au lendcnlain d'El'ful't et d'UJ muetz, les Jleuilles 
de l\Iunich répondaient à l'idée d'un empire natio- 
nal par l'évocation fidèle, inlassabIe, du vieux 
Saint-Empire international, et elles indiquaient 
aux Allemands épris d'unité un moyen primordial 
de réaliser leur rêve : ce moyen, c' étai t le retour 
à l'Église nne. Pas de sociétés de gymnastique 


1. Janssen, Boe/wzel's Leben und Bl'iefe, III, p, :59 (lellre du 31 jam icr 1852). 
2, H. P. E., 1852, I, p. 177-178. 


LmRARY ST. MARY/S COLLEOE 



f6 


L' ALLE:\IAGNE RELIGIEUSE 


ou de tir; pas d' exhibitions patriotiques! dil'é: 
plus tard, dans un de ses mandements, Rudigier
 
évêque de Linz 1. Ce qu'il faut pour unifier l' Alle- 
magne, c'est Ie rétablissement de l'uhité confes- 
sionnelle.l\lélancoliquement, les catholiques gross- 
del.ltsch accusaient la Réforme d'avoir détruit Ia 
pacifique harmonie des peuples allemands. L'AI- 
lemagne sans eUe eÚt continué d'être à la tête 
de Ia chrétienté, et Luther, empêchant l'Allemagnc 
d'ètre une, l'avait empêchée d'être grande... Ei 
Ie parli de Gotha de répondre que les foudroyan t
 
succès de Luther avaient au contraire unifié l' Al- 
lemagne, et que c'étaient les Habsbourgs qui 
l'avaient désunie, en ramenant dans leurs four- 
gons la contre-Réfornle catholique. 
l\lais, sans remonter si haut et si loin, et prenant 
pour point de départ I 'état présent de son pays, un 
jeune hobereau de Poméranie concluait brutale- 
me nt, dès 1.849, qu'entre I'Autriche et la Prusse 
il faudrait bien un jour qu'un fraeas d'arnles écla- 
tàt 2, eL que cela inlporLait à 1a dignité et à la 
grandeur prussiennes. On lui parlait de Saint- 
Empire, ct cl'un emperenr qui était nne moitié 
de pontife, et d'une hégémonie mystique de la 
Germanie sur les âmes, et d'une (( Grande Alle- 
nlagne )) dépositaire de tout un auguste passé; 
Bismarck répondait en parlant de militarisme et 


1. Meindl, Leben und '\VÜ'ken des Bischofs Rudigier, I, p. 615. (Linz, 
Grand Séminaire, 1891). 
2. Poschinger, Die An8prachen des Fuersten Bismarck, 1848-1897, 11, p. 1 
(Stuttgart, lJeutsche Verlags-A.nstalt, 1900). - cr. Denis, L("L fOT/dation de 
fempire allemand, 18l:;2-/871, p. 1fì4. (Paris, Colin, 1906.) 



PRÉPARATION DR L 'UNIT1:: ALLE!\lANDE ( 7 
non point de sacerdoce, en revendiquant pour la 
Prusse un rô]e dp grande puissance, et pour l'AI- 
lemagne, - une AlJemagne encore mal définie, 
- Ie droit de signifier enfin au reste de l'Europe 
ses vues et ses volontés politiques et de les faire 
respecter. PhilosophiqneInent parlant, à descendre 
au fond des esprits, c'était l'idéc de chrétienté et 
Il'idée de nationalité, tant de fois aux prises depuis 
des siècles, qui de nouveau se défiaient et s'affron- 
taient. 


II 


La Prusse à cette époque - un chapitre ulté- 
rieur Ie lllontrera - ne lllarchandait à ses sujets 
catholiques ni les sourires flattcurs ni même les 
vraies libertés. Dans tout Ie reste de I' Allemagne, 
l'Église indiquait aux divers souverains Sa 
Iajesté 
Ie roi de Prnsse, comme un exempJe à suivre. 
Personnellement, Frédéric-Guillaume IV aimait et 
voulait Ia tolérance, et d'ailleurs, ne fût-ce que 
pour séduire les catho]iques rhénans et pour ache- 
vel' ainsi l'unification morale du royaullle de 
Prusse, il devait traiter I'ÉgIise avec générosité. 
Mais en dehors de ses frontières, en tant que 
membre du corps germanique, la Prusse, dans les 
années qui suivirent 1.850, parlait et agissait 
comme si Ie Dieu de Luther Iui eût donné mission 
de surveiller Ie catholicisme en Allemagne, et de 
Ie contenir, et même de Ie réprimer. J
es illusions 
de I(etteler et de Diepenbrock, qui vel'S 1.852 espé- 


III. 


2 



is 


I.' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


raient une intervention du roi de Prusse en faveur 
des catholiques de Bade, furent bientãt démenti(?s 1. 
L'anticatholicisme était pour la Prusse un article 
d'exportation, qu'elle jetait sur Ie marché des 
idées, d'un bout à l'autre de la Confédération; et 
les þ'euilles historico-politiques de l\Iunich affir- 
maient dès 1854 que, partout OÙ il yavait occasion 
de léser ou de maltraiter l'Église, (( on devait 
suspecter rinfluence prussienne, l'intérèt prussien, 
les pensées d'hégémonie prussienne 2 )). Les docu- 
ments pri vés ou diplomatiques publiés beaucoup 
plus tard, et qui nous ont fait connaître l'action 
de Bismarck à Francfort et à Carlsruhe entre les 
années 1853 et 1855, confirment avec p.clat les 
soupçonneux pressentiments de l'organe bavarois. 
Ce que semblait rêver Bismarck, ce n'était rien 
de moins que la constÏlution d 'une sorte de Corpus 
Evangelicorlun, d'une ligue des souverainetés pro- 
testantes allen1andes faisant front au catholicisn1c 
et front à l' Autriche 3. (( Le con1bat contre l' Ecclesia 
rnilitans'" >>, contre (( Ie papisme adorateur dïdoles, 
hostile aux gouvernemens protestants et hostile à 
la Prusse, )) I ui paraissait l'un de ses premiers 
devoirs. (( Catholicisme et ennemi de la Prusse, 


1. Pfuelf, Ketteler, I, p. 252, n. 1. - Cf. notre tome IV, p. 28. 
2. H. P. B., 1854, I, p. 579-580. 
3. Voir dans Pfuelf, Ketteler, I, p. 308-31f, des réf1exions lrès pénétrantes de 
KeUeler sur ceUe idée bismarckienne de la solidarité des puissances proles- 
tanles. -11 faul lire dans Poschinger, Denkwuerdigkeiten des Ministerpresi- 
dents Otto v. Manteulfel, II, p. 199-20
 (Berlin. l\1iWer, 1901), Ie rapporldans 
lequel Ie conseiller Kuepfer, en 1852, remonlrail à Manteuffcl que la Prusse 
df'vait, parloul en Allemagne, déployer Ie drapeau proleslant. 
4. Briere Bismarcks an Leop. v. Gel'lach, éd. Horst Kohl, p. 108 (lelh'e 
du 25 no, embre 1853). 



PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE f 9 


écrivait-il à Gerlach, sont deux termes syno- 
nynles 1 )). Il notait tous les petits faits et tous les 
petits bruits dont il pouvait conclul'c qu 'en Bade 
l' Autriche soutenait l'al'chevêque Vicari dans son 
conflit avec Ie gouvernement grand-ducal. Libé- 
ralités du cabinet de Vienne en raveur des prêtres 
badois condamnés àramende 2; voyages fréquents à 
Fribourg du ministre Prokesch, qui représentait 
François-Joseph à Francfort 8; propos de certains 
prêlres badois \ et brochure du publicisle Buss t), 
qui semblait dénoter une propagande pour l' Au- 
triche : tout cela était relevé, commenté, exagéré 
par Bismarck, dans les dépêches que, de Francfort, 
il envoyait à son gouvernement. II accusait l' Au- 
triche de n'envenimer en Bade les querelles reli- 
gieuses que pour y trouver une occasion de ren- 
Y(?I'ser le ministère badois 6, coupablC' d'une trop 


1. Hi'ie{e Bismm'cks an Leop. v. Gerlach, p. UI-124 (leUre du 20 janvier 
1854). Et si I-on demandait à Bismarck ce qu'il entendait par ultramontain, il 
répondail : << C'est celui qui obéil au pape plus qu'au somerain >> (op. cit., 
p. 230, leUre du 15 juin 1855). 
2. H. P. B., 1854, I, p. 254. 
3. Bismarck, Correspondance diplomatique, lrad. Schmitt. I, p. 
oo (lettre 
du 29 novembre 1853). {Paris, PIon, 1883"!. 
4. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 199-200 (leUre du 29 110- 
vembre 18:>3), prétend Lenir d'un officier supérieur catholique que Ie bas clergé 
le Bade et de Wurlemberg est. travaillé par quelques-uns de ses memb,'es qui, 
par des voyages et des écrits qu'ils répandent, veulent lirer parti de rallache- 
ment encore vivant dans beau coup de ce!' conlrées pour l'Autriche, et eu faire 
la base d'UD projet de retour à l'Empire, dans Ie cas où la situalion polilique 
présenterait une occasion favorable >>. 
5. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 200 (lettre llu 2g novem- 
ore 1853). - Buss, au Congrès de Linz tie 1850, se plaisait à l'appeler publi- 
luement qu'il élail né autrichien (Jocham, Memoiren eines Obskuranten. p. 680. 
Kempten, Koesel, 1896). 
G. Briere Bismarcks an Leop. v. Gerlach, M. Horst KohJ, p. 1
6 (lellrc du 
1 février 1854). 



20 


L 'ALLF.
IAGNE RELIGIEUSE 


vive sympathie pour la Prusse : c' était un motif suf- 
fisant pour que Berlin soutînt ce n1Ïnistère conlre 
I 'archevêque, et la Gazette de la Croix péchait 
contre la Prusse, lorsqu'elle consacl'ait à Vicari des 
articles flatteurs 1. Au demeurant, il s'agissail d'un 
intérêt plus grave que l'opporlunité politique du 
moment. Bade, peut-être, depuis 1849, n'avait pas 
témoigné it ]a Prusse ]a gratitude docile et dévouée 
que cette puissance eût méritée, mais, quoi qu'il 
en fût, un Hohenzollern, dans ce conflit, devait 
prendre parti pour Bade; car] a victoire de I 'arche- 
vêque de Fribourg, affirmait Bismarck à Gerlach, 
serait (( la défaite du pl'otestantisme, de la sou ve- 
raineté laïque )) (de'1' landesher'l'lichett Gewalt) ; ce 
serait la défaite de la Prusse com me puissance pro- 
tectrice du protestantisme allemand 
Schutz}nacltt 
des deutschen P'J'otestantismus) ; sur l' heure, c' en 
serait fait de l'auréo]e du roi de Prusse comme 
patron mililant de l'ÉgJise éVé'ngélique (del' Ninlblls 
eines streitóaren Patrons del' evangelischen Kirche 
geht zum Kukuk) 2. A tout prix, il FallaH éviter cette 
déchéance, et ne point être dupe d'une distinction 
subtile, et tout au moins prérnaturée, entre Ie Sou- 
verain (Landesherr) , que les catholiques préten- 


1. Bismarck, Lettres politiques confidentielles, trade Lang, p. 165 et 173 
(leUres des 7 et 25 janvier 1 ö54) (Paris, Ollendorf, 1885). Bismarck était d'autant 
plus mécontent que derrière les articles où la Gazette de la Ü'oiæ montl'ait 
quelque bienveillallce pour Vicari, Ie gouvernement badois risquait d'entrevoir 
J'opiuion personnelle de Frédéric-Guillaume IV. (Briere Bismarcks an Leop. 
V. Gerlach, p. 124 (leUre du 20 janvier 1854). Ce Cut pom' epargner au roi el à la 
reine cetle apparence de<< romanisme )) que, pour un de ces arlicles,la Gazette 
Cut confisquée (Ernst Ludwig v. Gerlach, Aufzeichnungen, II, p. 185). 
2. Briere Bismarcks an Leap. v. Gerlach, éd. Horsl Kohl, p. t07-108 (lettre 
du 25 novembre 1853). 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 2t 


daient respecter, et la bureaucratie, à laquelle ils 
prêtaient tous Jes vices. Bismarck, dans les pre- 
miers mois de f854, se fit envoyer à CarIsruhe, 
puis à Wiesbaden, pour fortifier, tour à tour, la 
bureaucratie de Bade et la bureaucratie de Nassau, 
et pour les empêcher de se montrer trop conci- 
liantes dans les négociations qu' eUes ébauchaient 
avec Rome 1. 11 avail, au coul's de ces voyages, 
un æil d'inquisiteur pour épier les diplomates 
dont il Ilairait I' (( ulh>amontanisme; )) leur dos- 
sier restait dans sa mémoire un dossier que rien 
n'effacerait 2. Les discours les plus violents de 
l'ère du Culturkanlpf ne Ie cèdent pas à cerlaines 
des lettres que Bismarck écrivit alors à Manteuffel 
et à Gerlach. II apparaît comme une sorte de com- 
missaire d'un protestantisme politique, inflexible, 
intraitable. 
On pressentait vaguement, dans l'Église catho- 
]ique de Prusse, Ie rôle du gouvernement de Ber- 
lin. (( L'État prussien n'a pas démenli sa nature, 
écrivait FoersLer, évêque de Breslau. Tant que Bade 
fut en résistance ouverte contre I'Église, Ia Prusse 
se lenait calme et efIacée. Dès que Bade parut vou- 


1. Voir notre tome IV, p. 5ti-59. 
2. Voir dans ses Lettl'es politilfues, p. 205 (leUre du 16 juin 1854), ses dénon- 
cialions contre Bursian, secrélaire de la légation de Nas
au, et coul1'e SyJow, 
minislre de Prusse à Berne, soupçonnés de coquelleries avec l'ulLrarnonlanisme; 
- dans la Cor'ì'espondance diplomotiqup, I, p 
01 (lcttre du i9 novembre 1853), 
ses plaintes au sujet du 
ecrélaire Kreide!. qu'il accuse de livreI' à Vicari Ie 
secret des déIibéralions gouvel'nementales; - dans les lellrcs à Gerlach (B1'ie{c 
Bismarcks an Leop. v. Gerlach, p. 114: leltl"e du 18 décembre 1853), ses plaintes 
au sujel de Dun
ern, dépulé de Nas5au à la dièle, qui, quoitlue prolestant, est 
symvathique à Vicari, parce quïl a deux fils au service de l'Autriche; - et sa 
lettre à Manleulfel (30 mai 18
3) sur Ies tendances du diplomale hessois l\1uench- 
Bellinghausen (Aus Bi8marcks Brielwechsel, p" 1.33-134. Sluttgart, Colla, 1901). 



22 


L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


loir fléchir, la Prusse exprin1a des réserves, et cela 
pour de bons motifs 1. )) En efl'et les motifs étaient 
bons, et même ils étaient doubles. Les cabinets 
protestants de I' Allemagne avaient désormais la 
pretlve que la Prusse savailles appuyer, et qu
elle 
Ie voulait. Quant aux populations catholiques, on 
pouvait leur remontrer que des négociations avec 
Rome, préliminaires de la paix religieuse, coïnci- 
daient avec une visite diplomatique de Bisn1arck, 
et leur donner lieu de penseI' que les conseils de 
Berlin avaient accéléré l'heure de la pacification. 
Le double jeu se laisse discerner, sans aucuns 
voiles, dans nne leLtre de Bismarck à l\lanteufTel, 
du ! er février t854 : (( Si Ia presse parle, suggère- 
t-il à son n1Ïnistre, il faut faire dire que la Prusse 
a conseillé à Bade d'accorder plus de 1iberté d'ac- 
tion aux catholiques, et qu'cn Inême ten1pS eUe 
s'est appliquée à contre-balancer les influences 
étrangères qui pesaient sur la liberté de Bade 2. )) 
La première allégation, forn1ellen1ent contraire 
à la vérité, persuaderait aux catholiques que ce 
que 1'.A.utriche n'avait pas obtenu de Badc
 la 
Prusse l'avait obtenu. La secondo phrase, plus 
rnystérieuse, plus véridique, expliquée par les 
diplomates dans Ie huis-clos des entrevues, fcrait 
com prendre auxgouvernements prolestants du Sud 
que, du jour oÙ l' Autl'iche (( ultramontaine )) Jes 
importunerait, la chanceJIerie de Berlin, approvi- 


1. PCuelf, Geissel, II, p. 23'!. (Fl'iLourg, Herder, 1896.) 

. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 227. - cr. Malter, Bi,- 
mm'ck et son temps; la préparation, p. 348-349 (Paris, Alcau, 1905). 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE
L\NDE 23 


sionnée de bonnes ripostes, aurait assez d' énergie 
pour faire contrepoids. 


III 


II était naturel qu'à son tour la calholique 
Bavière fût visée par l'action confessionnelle de la 
Prusse. Les méthodes ici furenl autres, parce que 
les circonstances étaient autres, et la Prusse, à 
l\lunich, au moins durant cette période, recourut 
moins à des diplomates qu'à des professeurs. 
De 1.837 à 1847, rÉtat bavarois s'était préscnté 
con1n1e Ie boulevard du (( romanislne )) allemand. 
l\Iunich, alors, était un centre de pensée catholique 
oÙ I' Allemagne venait s'instruire, un centre de poli- 
tique catholique, qui surveillait la Prusse et que 
la Prusse redoutait; et la Bavière, sous Ie millis- 
tère Abel, semblait aspirer à couvrir d'une sorte 
de protectorat, d'un bout à l'autre de rAllemagne, 
lous les catholiques qui dénonçaient une oppres.. 
sion 1. Tout autre était l'idéal de J\Iaxin1Ïlien II, 
que l'abdication de son père Louis Ier, en n1ars 1.848, 
fit brusquement montel' sur Ie trône de Bavière 2; 
Ie nouveau règne fut marqué par une réaction 
con1plète contre les influences et contre les 
maximes qu'avait longtcmps n1ises en honneur Ie 
roi Louis. Un incident, même, en l'année 18B5, 


1. Voir notre tome II, p. 106-115. 
2. Sur Ie roi l\Iaxilllilien II de Bavière (1811-1864-), voir surtout Riehl, Kultur- 
yeschichtlichc Charrtlrterkoepfe (Sluttgarl, Colla, t889), elnotre tome IV, p. 13(ì- 
138. 



2-1 


L' ALLE:lUAGNE RELIGIEUSF. 


eclaira d'une lumière singulièremenl erne Ie eon- 
traste entre les deux souverains. Ringseis et Blun- 
tschli t, run caLholique bavarois, rautre immigré 
protestant, polémiquaienl entre eux; toute l'Uni- 
versité de lVIunich écoutait et regardait. On vit le 
vieux roi Louis, puhJiquenlent, prendre parti pour 
Ringscis, et le roi l\1ax, tout au contraire, se ranger 
du côté de Bluntschli. (( II m'a l'air d'un Saxon, plu- 
tôt que d'un \Vittelsbach authentique, )) disait un 
jour Louis Ier de son jeune successeur 2 , et, de fait, 
celui-ci parut prendre pour iâche d'asseoir en 
Bavière rhégémonie intellectuelle de l'AlIemagnc 
du Nord. 
Entre son accablenlent à Olmuetz et son trionlphe 

l Sadowa, la Prusse gagna sur l'Autriche, pro- 
gressivement, insensiblement, sourdemenL, une 
première victoire, d' aLord inaperçuc des états- 
majors 01 même de beaucoup de diplon1ates : cette 
victoire obtenue sur les bords de I '!sar fut la con- 
quêle morale, non point du peuple bavarois, mais 
de riñtelligence baval'oise, et 13 formation à 

lunich d'un parti (( liberal national )) ncttement 
hostile au catholicisme et neltement hostile à l' Au- 
tl'ichc. Ce fut là Ie résultat tIu règnc de l\Iax 3 . Des 


1. Blunlschli, Denkwuerdiges aus meiuem Leben, II, p. 23f-232 (Noel'dlillgcl1, 
Beck, 1884). - Rin
sei
, Erinncrungeu, IV, p. 7J-78. Sur Ie médeciu Ring!J
is 
(i 785-1880), profes
eur à l' Univer!;ilé de Munich, cr. nolre Lome LI, p. (j 1-6&. 
- Sur Blunlschli, voir ci-dessous, p. 26 el 5U. 

. .Friedrich, Doellinge1" Ill, lJ. 178. 
3. Ce résullal, d'ailleurs, dépassa Jes plans mêmes de Max; car c'étail mains 
pour Jeurs idéos étroitemenl prussophiles, f{u'iI trouvaÍl c"agérécs, que pour 
leur science, qu'il appelail prb de lui des savanl!; elu parli de Gotha (Riehl, 
Ope cil., p. 

fì-
27). 



PRÉPARATION OF. L'UNITÉ ALLEl\IANDE 25 


légendcs nlême coururent, d'après lesquelle::;le Roi, 
perSOnl1Cllelllent, aurait failli donner UIl bruyant 
exenlplc : si Dahlmann 1, cion ancien professcur à 
Gættingue, ne l'en avail di
suaùé, il se serait fait 
protestant. II aurait brigue, par surcroît, l'initiation 
n1açonniqne, sans les conseils du ministre Pfordten, 
qui la jugeait inopportunr
. Enchaìné à ]a confes- 
sion calholique par sa dignité royale, par les précé- 
dents de sa maison, par les susceptibilités de son 
peuple, l\Iax prit sa revanch
 en s' entourant de 
conseilJers qui tous appartenaicnL au protestan- 
tisnle. C'élait Ie philoloðue Thiersch, qui, dès 
1848, écrivait à la reine de Prusse que PAlle- 
111agne DC pouvait prendre son rang que sons 
l'egide des Hohenzol1ern 3; c'élaient deux diplo- 
nlates, Doenniges 
 et \Vendland, originaires l'un de 
Stetlin, l'autre un IIanovre, et que Boehmer, irnpi- 
toyable pour toute infiJtralÏon prussienne, quali- 
Hail d'avenluriers éh'angers 5 ; c'était le juriste 


1. Sur Frédéric Chrislopbe-Dahlmano (l785-18ûO), ,oil', oulre la monographic 
de Springer (Leipzig, Hirzel, 1870-187
)Janssen, Zeit 'Und Lebensbilder. 4 8 edil.. 
II, p. 154-2U! (Fribourg', Herder, 1879). 
2. Janssen, Zeit ulld Lebensbilder, II, p. lô9-172. 
ur Ie baron Louis-Chal'les- 
Henri de PCordlell (181l-1880), cr. notre tome IV, p. 178. - Le roi Ma
, eu 18510, 
rlemanlla à Blunlschli des I'enseignements sur la :\Iaçollnerie, OÙ il songeail à 
cntrer ; tinalement, iI cut pcur de co pas, mais il fouda une association humani- 
taire, qui fut sans dur
e. (Bluntschli, op. cit., II, p. 241). D'après Riehl, Ope 
cit., p. 
13, ce n'est que par curiosilé qu'11 se préoccupail de Ia l\1açonuerie. 
3. II.P. B., 1867, I, p. 49-51. ::;Ul.le philoJogue Fredél'ic Thiersch (1';84-1860), 
'oil' 1-1.- W.-J. Thicr
ch, F". Thiersch's Leben, 
 vol. (Lripzig, Winter, 18l)6). - 
tiUl' l'intluellce qu'cxerçaicnt les Berufene, comme on les appclait, auprès de 
!llaximilicu II, voir Friedách, Doellinger, 1II, p. 174-17J, cl Luisc Y. Kohell, 
llnter den vier e1'steu ](oenigen BU!lerns, II, p. 10-34. (Munich, Beck, 1894.) 
4. Sur l'influencc du diplomale Doenniges {18H--1872j, voir Rumpler, Allge- 
meine Deutsch'"J Bio{Jl'apltie, V, p. 33!)-
41. 
5. Jansscn, Boehmcrs Leben UI/(-l l/l'il'fe, Ill, p. ;j 1 (letb'e <iu 13 novcmhre 
t 8;j 1). 




ß 


L 'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE 


Bluntschli, Suisse d'origine, épris de la represen.. 
tation, des parades et des présidences, et qui plus 
tard, en Bade, pontifiera, solennel et respecté, 
dans les synodes du protestantisme libéral, dans 
les 'Jneetings du libéralisme national, dans les 
agapes de la franc-maçonnerie 1; c' était enfin Ie 
célèbre historien Henri de Sybel 2 . 
Charger Sybel de l' enseignement de l'histoire 
dans ]a capitale de la catholique Ba vière ressem- 
blait à un coup d'audace : Ie roi 1\fax hésita quel- 
que temps. Ranke eût été Ie professeur de ses 
rêves 3; Inais Ranke refusa, et insista pour que 
Sybel fût appelé 4 . Dne hruyante aUaque conlre Ia 
sainte tunique de Trèves, quelques discours et 
quelques éCl'its d'hisloirc qui visaient it glorifier 
la puissance prussienne, désignaient Sybel à la 
confiance du parti de Gotha, et donnaient à sa 
nomination Ie double caractère d'une victoire prus- 


1. Sur Ie Suissc Jean Gaspard Bluntschli (1808-1881), voir, oulre ses propres 
.i\-Iémoires, Bemhard yon Me
 er, EJ'lebnisse, I, p. 3 f 7-319 (Vienne, SartorI, 
1875); - Georg Weber, Heidelberger Erinnerungen, p. 283-308 (Stuttgarl, 
Colla, 1886); - Robert ,'on Mohl, Leben.yel'innerunge11., IÎ99-1875 1[, p. 153- 
155 (Stuttgart, Deutsche Ve1'lags-.lnstalt, 1902). - C'est lui qui devait prési- 
der à Eisenach, les 6 et 7 juin 1865, Ie prcmier Protestantentag (Bluntschli, 
Dcnkwuudiges, 11[, p. 129), cn 1867 te synode évangélique génr-ral de Carlsruhe 
(Denkwue1'diges, In, p. t 75). Son aUachemont aux fractions Ics plus incroyanlcs 
du pl'otestantisme semble avoir été la cause pour laquelle Ie 
rand-duc de Bade 
l'éloigna loujours du ministère (Denkw'l.tel'diyes, [II, p. 181-183). C'esllui qui, 
en 186J, an nom de la loge de Heidelberg, répondil à l'encycliqlle de Pie IX 
conlre la Maçonncrio (Denkwuel'diges, 1:1, p. 122-128), et <lui l'édigea en t8GS 
une nouvelle con"tilulÍon pour la Maçonnerie (Ðenku'ueJ'diyes, III, p. 
38). 

. Sur Hcnri de SyI.el (181ï-i895), voir Guilland, L'Allemagne nouvelle ct sea 
hìstol'iens, p. 150-22G. 
Paris, Alcan, 1900.) 
3. Voir daus Dove, Ausgewaehlle Sch1'ìften vornelunlich histo1'ischen lnhalts, 
p. HI (Leipzig, Duncker, 1898), la letlre que de Rome, Ie 25 janvier 1853, Ie 
roi 
Ia}. écrivait à Ranke, pour l'appclcr à .:\luuich CII HIe df' fa fOlldation ll\me 
"'cole hislorifl uo nOn vellp. 
L Dove, op. cit., p. 121. 



PRÉPARATION DE L'VNITÉ ALLEMANDE 27 


Henne et d'une victoire protestante. 1\1. Ernest 
Denis, que n'aveugle à coup sûr aucune préven- 
lion, soit en faveur de la (( Grande Allemagne )), 
,oit en faveuJ
 du catholicisme, éprouve un mé- 
liocre attrait pour la personnalité de Sybel : il 
fait de lui, sans ambages, un 
 Homais )) du 
patriotisme 3 . Le coup de plume esl dur, et légère- 
ment injuste. Si l'intelligence de Sybel et celle de 
Homais ont parfois un air de famille, ce]le de Sybel 
était plus meubIée. A rune comnle à l'aulre, 
d'ailleurs, ]e sens des nuances faisait défaut. Les 
cours et les articles de Sybel étaient conslruits 
comnle des l'équisitoires. Cel historien ressem- 
blait à un procureur génénlI, chargé d'cntamcr 
pour Ie conlpte de la Prussc Ie procès de l'ancicnne 
Allemagne. Doctol'alement, dans Ia première 
audience qu ïl eut du roi 
Iax, il traiLa de la poli- 
tique religieuse qu'avait suivie, 10rs de la guerre 
de Trente ans, l' électeur 
Iaximilicn ler. C' éLait 
nne politique catholique, cléricale, disait-il sans 
doute : Ie professeur et Ie Roi tombèrenl d'accord 
pour la condamne1'2. De ce jour, entre eux, un 
pacte fut conclu, et Sybel, sous Ie patronage 
inlprévu du 'ViUelsbach, devint à Munich un 
champion de la Réforme et un agent des I-Iohen- 
zoUern. (( ÊLre uUranlontain et patriote allCllland 
sonl deux choses qui s' excluent, )) écri vait-il dès 
1847 3 . Tout son cnseignement à l\Iunich s'inspira 


L Denis, La forulation de l'empil'e al1{'liUlnd, 18,ï
-1871, p. t32-t

. 
2. Dove, op. cit., p. 123. 
3. Guilland, Ope cit., p. 15
. 



28 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


de cette maxime. Autour de lui, à l'instigation du 
monarque, une école d'historiens se forma. On 
s'acharna sur l'histoire d' Autriche, on entassa 
conlre les Habshourgs de copieux dossiers; il fut 
à la mode d'étudier Ie mal qu'avaient fait à la 
(( vraie vie germanique >> leurs (( pl'incipes jésui- 
tiques; )) on calalogua leurs péchés contre J' Alle- 
magne, et l'érudition hislorique devint la servante 
de la politique prussienne. 
Ce qui s' édifiait à l\lunich, par les soins de 
Sybel et de ses élèves, ce n'était rien de moins 
qu'une non yelle philosophie de l'histoire alle- 
mande, qui concluait, politiquement parlant, à 
l' éviction de I' Autriche. Les (( historiens obj ectifs, 
imparLiaux, et qui n'ont ni 
ang ni nerfs >>, éLaient 
priés de se taire. En 1856, dans un discours aca- 
démique, Sybel les anathématisaiL Ce qu'il prê- 
chait ouvertement, c 'était l' étroite union de la 
politique el de la science 1. A la génération d'his- 
toriens qu'avail produite Ie romanlÏsnle, et qui 
prenait attrait aux prestigieux souvenirs du moyen 
àge, succédait, moins de dix ans après la mort de 
Goerres, dans Ie cadre rOlnantique aménagé par 
Louis (er, une génération dont Frédéric II, l'oi de 
Prusse, étaÏt Ie héros, et qui, sans nulle honte, 
affichait son antipathie pour la majesté du vieux 
Sainl-Enlpire. Sybel aimait outrageI' ceUe majesté 2 . 


1. Sybel soutint celte thèsc, en 1856, dans un lliscours académique prolloncé 
à Marbourg (H. P. B., 1858, II, p. 405). 

. Sybel. Die deutsche Nation und das Kaise1'reich (Duesseldorr, Buddeus, 
1862). - cr. Katholik, 1862, I, p. 221-235; et Janssen, Boehmers Leben unci 
Briefe, Ill, p. 383-384. - Sur la haine de Sybel historien conlre les Aulrt- 



PRÉPARATION DR L'UNIT
: ALI.EJ\IANDE 29 


fout jeune encore, en i837, dans une thèse sur 
:ordanès, il opposait l'idée nationale, dont cet 

crivain goth s'était fait ]'apôtre, aux rêves dp 
lomination universelle des empereurs du moyen 
ìge 1. Professeur écouté, dirccteur de conscience 
ie la Bavière savante, on l'entendait, en 1859, 
L>eprocher à l'histol'ien Giesebrecht ses complai- 
;ances pour l'in1périalisrne chrétien, el flétrir 
la conception du Saint - Empire au nom de ce 
qu'il appelait les intérêts nationaux allemands 
(deutsch national). Dans ]e pays même qui long- 
temps se glorifia d'avoir enrôlé répée de Tilly au 
service de l'idée impériale et catholique, une 
science immigrée, forte de l'appùi du Roi, dfítrui- 
sailles convictions et les attachements qui, durant 
des siècles, avaient hanté l'âme populaire 2; ('t 
l'opinion bavaroise, qui faisait la coul' à .!\lax en 
sui vant les leçons de Sybe 1, em portait de ces 
leçons une vive antipathie contre la vocation tra- 
ditionnelle de la Ba vière, un remords même pour 
les services qu'à travers les àges Ie peuple hava- 
rois avait rendus à un idéal désormais qualifié 
d'antinational. 
Des journaux se fondaient à Munich pour sou- 
tenir les intérêts de la Prusse : Sybel, Bluntschli, 


chiens, (( crélins, peuple sans culture >>, el contre leur isolement du progrès ger- 
manique, voir GuiHand, op. dt., p. 184. 
1. Guilland, Ope cit., p. 157. 
2. Ranke songeait à faiI'e créer à Munich une Académie pour l'histoire alle- 
mande; el Ie roi, voyant Sybel, lui parIaH avec enthousiasme de ce projel 
(Dove.op. cit., p. t23). - Auguste Reichenspergpr appelail Sybel (( l'agf'nt à 
:Munich de l'hégémonie prussienne-allemande (Pastor, Reichensperger, I, p. 412). 



30 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


s'y intéressaient activemenf1. L'émotÌon des vieux 
patriotes bavarois grandisssait 2 . (( Tu verras bien- 
tôt, disait à son lccteur, en 1860, l'Aln
anach de 

!uniclt, que la vraie lumière n 'est pas la lumière 
du Nord, et tu adresseras avec moi cette prière à 
Dieu : Ne nous induisez pas en tentation, mais 
drlivrez-nous de Sybe] ! 3 )) La prière finit par ètre 
exaucée : la disgrâce de Doenniges rendit la situa- 
tion difficile pour Sybel et pour Bluntschli. Un 
peu refroidis à l'endroit du souverain, iis préparè- 
rent leur déménagenlent!.. Au banquet d'adieux 
qu'on offrit à Sybel, ß]untschii proclama que tout 
bon hislorien doit être en quelque mesure un poli- 
tique 5. Sybel, de son côlé, s' am usant à doser les 
divers éléments dont se composait Ia personnalité 
de Bluntschli, Iui disait plaisamment qu'il yavait 
en lui quatre septièmes de politiquc et seulement 
trois septièmes de professeur 6 ; et Bluntschli jus- 
tifia Ie mot, en alléguanL, pour motiveI' son départ 
de 
lunich, que Ie sol de Bavière, propice pour 
une vie de savant, l'était beaucoup nloins pour un 
homme d'action 7. En fait, à eux deux, avec Ie 


1. Sur la part prise par B1untschli à la fondation de la Baierische 1Vochen- 
schrift et de la Sueddeutsche Zeitung, et sur Ie mauvais eifel que fit à Munich, 
en 1861, rallilude prussophile de ces journaux, voir Weech, Badische Biogra- 
phien, IV, p. 44. - cr. Blunlschli, Denkwuerdiges, II, p. 273. 
2. Sur Ie mauvais accueil fait par les Bavarois am: hôles de .:\Iaximilicn, am: 
poètes non moins qu'aux hisloriens, voir Denis, La fondntion de l'Empire alle- 
mand, 1852-1871, p. 114-i 15. 
3. Guilland, Ope cit., p. 194. 
4. Blunlschli, Denkwuerdiges, II, p. 303-305. 
5. Bluntschli, op. cit., II, p. 305-309. 
G. Bluntscbli, Ope cit., II, p. 309. 
7. Blunlschli, Ope cit., III, p. 4. - Treitschke, qui se Iromail alol's à Mu- 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE1\IANDE 31 

oncours de tous les (( éclairés )) que groupaient 
es banquets du roi Max, iis avaient, à la COUI' 

omille à la ville, jeté Ie discrédit sur I ïdéc de la 
}rande Allemagne, et détruit pour longtemps toute 

onnexion entre Ia politique bavaroisc ct la cause 

aLhulique. (( Depuis i 847, écri vai t Doellinger 

n 1859, Ie parti de Gotba, d'abord par Doenniges, 
puis par Sybel, est it proprement parler Ie maître 
en Bavière 1. )) 


I,r 


Dresser les petits États protestanLs à l'idée d'une 
politique confessionnelle, et susciter tout au con- 
traire, dans la catholique Bavière, la disgrâce et 
la ruine de cette même idée; insurger, par là 
même, les États protestants contre rAutriche, et 
par là même, aussi, détacher de l'Autriche la 
Bavière catholique; exciter les intérêts confession- 
nels lorsqu'ils militaient contre l'Élat des I-Iabs- 
bourgs; les endormir, au contraire, et les contre- 
balancer par d'autres influences, lorsqu'ils eussent 
risqué de chercher à Vienne un appui : telle était 
la politique prussienne. Elle reposait sur une théo- 
rie hautement affichée, d'après laquelle la Prusse 
avait en Allemagne une vocation spéciale (dputsche1' 
Be1'u(). Essayait-on de définir cette vocation, tout 


nich, éprouva, en voyant Sybel parlir, une émolion lrès vive, qui s'épancha f'n 
colère contre les (( ullramonlains)) {Theodor Schiemann, Heinrich v. Treitschke. 
Lehr und \Vanderjahrf', 18.'J4-1866, p. 159. Munich, Oldenbourg, 18%). 
1. Pastor, Reichel1s}Jt::rger, f, p. 397. 



32 


L' ALLE1\'IAGNE RELHaEUSF. 


de suite les considérations religieuses et les consi. 
dérations poliliques s'enchevêlraient. La PrussE 
étaÏl-elle une apôtre, jalouse de s'agrandir pOUI 
mieux servir la Réforme, ûu bien n'éLait-elle 
qll'une cOllquérante à qui les intérêts de la Réforme 
servaicnt d 'adroit prétexte pour soigner ses propl'e
 
intérèts? Ii était assez difficile de Ie dén1êler ; mais 
un fait demeurait évident, c'est que la Prusse, au 
nom de ce qu'elle appelait (( sa mission allemande >>, 
désirait s'étendre aux dépens de I' Autriche et de 
l'Allemagne catholique. Auguste Reichensperger, 
catholique et fonctionnaire prussien, détestait les 
gens qui soufflaient à son pays cette ambition. II 
les appelait les pires ennemis de la Prusse; et il 
se piquait d'être bon Prussicn, meilleur Prussien 
qu'eux, lorsqu'il écrivait : (( J'estime qu'en AlJe- 
magne l'Autriche n'est pas moins nécessaire que 
la Prusse; j'estime qu'un tp} dualisme est pour 
}' Allemagne nne condition vitale, au point de vue 
politique et même, dans l'état Hctuel des choses, 
au point de vue rel igieux, au point de vue confes- 
sionnel. II ne peut s'agir ni d'une Hbsorption de 
l'Allemagne dans la Prusse ni d'une absorption de 
l'Allemagne dans l'Autriche; les deux grands 
États doivent aller la main dans ]a main. Où en 
arrivera notre patrie, si ces deux puissances, au 
lieu de s'assistermutuellement, prennent des voies 
ditrérentes 1 ? )) On ne pouvait condamner avec plus 
d'émotion les premières aspirations de ]a Prusse à 


1. Paslor. R('ichel1spuger, I, p. 3G5. 



PRÉPARATION DE L'UNIT

 ALLEl\IANDE 33 
l'hégémonie exclusive de l' Allemagne, sous les 
regards impuissants d'une Autriche bannie. Cela 
paraissait à Reichensperger une offense contre ]a 
sainteté même du droit. A plus forte raison les 

atholiques des autres États, qui n'avaient pas, 

omme Iui, des motifs sincères de ménager la 
Prusse, repoussaient-ils une telle éventualité avec 
les soubresauts de coIère. l]s se voyaient déjà 
raités par la Prusse comme l'avaient été par les 
)ays-Bas leurs coreligionnaires de Belgique, par 
'Angleterre leurs coreligionnaires d'lrlande 1. 
Un jour de 1855, la Gazette de la Croix raillait 
es Feuilles historico-politiques d'être plus anti- 
}fussiennes que les Aulrichiens eux-mêmes : 


C'est vrai, ripostait l'organe bavarois; toutes nos espé- 
ances allemandes sont pIacées dans I'Autriche, excIusive- 
aent... Ce serait une trahison de ne pas combattre la poIi- 
ique allemande de Ia Prusse avec l'extrême énergie de 
otre haine... Qu'adviendra-t-iI ? Mystère ! Mais en tout cas, 
as de (( petite Allemagne )) prussienne (Klein preussiscltes 
:leindeufschland)! Ce qui, aujourd'hui, gagne de plus en 
Ius de force morale et des chances toujours plus grandes, 
'est Ie légitimisme allemand (der deutsche Legitimismus) 2. 


II faut voir, aussi, comment Beda Weber, Ie 
uré de Francfort, avec son âpreté de Tyrolien, 
abrouait en 1856 Ie publiciste protestant DiezeI3, 


I. Voir H. P. B., 1850, I, p. 318-320. 
2. H.P. B., 1855, II. p. 66-80. - cr. Kreu
:;eltung du l er novembre 1856 
iló dans H. P. B., 1856,11, p. 1121 et suiv.). Les Feuillc8 historico-politiques, 
Ii avaient vivement allaqué Ie a Bureau de presse )I berlinois (H. P. B., 1855, 
p. 632-649 et 810-819), furentprohibécs en Prusse en 1856 (H. P. B.. 1856, II, 
1135-1136). 
3. Guslav Dicl.Cl, Die katlwlische Ki1'che al8 geschichtliche Macltt wId 


Ill. 


.
 
t) 



034- 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


qui traçait Ie programme d'une alliance enb 
l' Église romaine et la Prusse contre Ie sl
visrr 
schismatique. C'était là faire injure à I'Eglis. 
protestait Beda \tVeber : voulait-on qu'elle se nl 
à ]a remorque de la poJitique des nationalité 
qu'elle se réduisît à unp sorte d"lslam t, qu'el 
désertât I' a
u vre dp la Rédem ption pour fai re 
.leu du prussianislne? 
Qu'importaient d'ailleuJ's ces rêves fantaisist, 
d'une Église servant la Prusse? On voyait s'éba' 
cher une réalité singulièrement plus souriante 
l'Église servie par I'Autriche. Car François-Josep. 
ratifiant les espérances qu'avaient données al 
catholiques les ordonnances de 18BO 2, venait . 
signer avec l{ome Ie Concordat. L'épiscopat d'.A 
lemagne était dans l'allégresse. François-Josep 
d'un trait de plume, avait rayé tout Ie passé jos 
phiste; Rauscher, l'archevêque de Vienne, célébrf 
en des accents d'un autre àge cette union sincèr 
Loyale, etIective, entre l'Empire et ]e Pontificat 
dans cette universilé de Vienne, qui si longtem 
avait été Ie centre des idées joséphistes et fébr 


die politische enabhaengigkeit der protestantischen Riclztungen in Deuts 
land. (Leipzig, Wigand, 18
(j). 
1. Beda Weber, Cartons aus dem deutschen Kirchenleben, p. 378 el 390-3 
tMa)ence, Kirchheim, 1858.) 
2. :Sur ces premières ordonnances et sur la joie qu'cUes avaient provoq. 
parmi les calholiques, à la premlère asscmblée de Lim, voir Civiltcì Cattoli 
11 novembre-l er décembre 18:50, p. 426 el suiv. - cr. Buss, Oester1'ei. 
Umbau im Verhaeltniss des Reichs ':;W' Kirche : erste Abtheilung (Vien 
Hraumueller, 186i). 
3. Wolfsgruber, Joseph Othrnar Ca1'dinal Rauscher (179i-1875), p. 156 et 
(Fribourg, Herder, 1888). Dans la Deutsche Revue de juillel et août 1907, p. 
12 et 210-230. 1\1. Wertheimer a publié de très inléressants documenls d 
agent secret. instal1é à Vienne, l'elativemcnt à la conclusion du Concordat. 



PR
:PARATION DE L'UNITÉ ALLE
IANDE 35 


niennes, Ie catholique Phillips formait une géné- 
ration de canoni
tes dévoués au Saint-Siège: l'en- 
seignement du droit, naguère dirigé contre Home, 
se réorganisait 1. La concorde de François-Joseph 
et de Pie IX planait sur I'Europe, con1me une 
sorie d'exemple dominaleur. Wiseman commentait 
ce prodige à ses compatriotes anglais, qui depuis 
longtemps parlaient avec sécurité du déclin du 
catholicisme et de la mort de la papauté 2 . L'Eu- 
rope étail d'autant plus attentive, quP François- 
Joseph ne régnait pas à proprement parler sur 
une nation, mais sur plusieurs morceaux dp 
nations, sur des AJIemands, sur des Polonais, sur 
des Magyars, sur des Slovpnes, sur des I taliens. 
Celte Autriche que d'aucuns traitaÎent dédai- 
gneusement d' expression géographique, elle sub- 
sistait et s'affirmait, au milieu du grondement des 
nationalités, comme une sorte de D1Îcrocosme 
de la chrétienté; eUe élait hétérogène comme 
l'antique chrétienté, et polyglotte comme elle, et 
bigarrée comme elle; eUe a vait comme elle un 
empereur, plus déférent même à l'endroit du Saint- 
Siège que ne l'avaient été beaucoup des Césars du 
moyen âge, et qui fêtait Ie vingt-cinquième anni- 
versaire de sa naissance en donnant à l' Autriche 
la paix de 1 'Église 3; et tandis que la Prusse, tolé- 


1. Civiltà Cattolica, 14,.28 juilll:'t 18:51, p. 372. et 24 novembre-7 décembrp 
1855, p. 710. - C'est sur la formation de cetle généralion nouvelle que comp- 
tait Ie nonce Viale Prela pour la deslru!'tion de l'esprit joséphisle (Píuelf, 
Geissel, II, p. 258). 
2. Wilfrid Ward, The life and times of Card. Wiseman. II. p. t 35-147 
(Londres, Longmans, 1897). 
3. Meindl, Bischof Rudigiel', I, p. 12'3. 



36 


L' ALL El'tIAGNE RELIGIEUSE 


rante chez eIle et même généreuse, travaillait au 
dehors. sourdement, conlre I'Église, I' Aulriche 
s'affichait avec J'Église et colJabol'aiL avec eBe, 
dans une sorte d'étr(
inte qui rappelait les heures 
les plus pieuses d'un très lointain passé. 
(( Peut-être beaucoup de siècles s'écouleront, 
écrivait joyeusement l'évêque H.udigier, jusqu'à 
ce que revienne un pareiJ moment d'histoire 1 )). 
Les Feuilles histo'J"ico-politiques, de 
Iunich, ap- 
plaudissaient àla renaissance de l' (( État germanique 
chrétien 2 )), et notant la coïncidence entre la ratifica- 
tion du Concordat et la chute de Sébastopol, eIles se 
réjouissaient que la politique déloyale de la Prusse 
eûl reçu un premier affront 3. Le journal catholique 
Allelnagne, qui paraissait à Francfort, applau- 
dissait à l'alliance entre les deux plus grandes 
puissances catholiques, l'Autriche et la France/ t . 
Brusquement, en 1859, un nuage surgit: il venait 
des Tuileries, creva sur les plaines lombardes; en 
quelques semaines, l'Autriche perdit racine en Ita- 
lie. De longs siècles durant, par une conséquence 
indirecte, mais inévitable, de lÏnstitution mêmc du 
Saint-Empil"e, la Germanie avait fail de l'Italie un 
pied-à-Lerre : au lendemain du jour OÙ Ie Concordat 
de 1855 avait pu apparaître à certains esprih 


1. Meindl, Ope cit., I, p. 425. - cr. H. P. B., 1855, IJ, p. 1037, 1043 e 
1146-1147. 
2. B. P. B., 18:i6, I, p. 
 et 7. 
J. H. P. B., 18:>6, I, p. 8. - cr. H. P. B., 1855, II, p. 472. 
4. Leap. V. Gerlach, Denkwuerdigkeiten, II, p. 391. (Berlin, l3esser, 1891 
1892). - Sur les dispositions de Beda Weber et de son journal Deutschland 
voir Wackerncll. Ope cit., p. 390. 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE:;\IANDE 37 


comme Ia loi fondamrntale d'un Saint-Empire 
nouveau, Ia Germanie, dans Ia personne de I'Au- 
triche, commençait d'être expuIsée du pied-à-terre 
séculaire. Qu'allait faire la Germanie? Le 1.2 mai 
1859, Ie catholique ßlaHinckrodt, dans un discours 
incisif à Ia Chambre prussienne, célébra l' Autriche, 
qui tirait l'épée << pour la paix intérieure, pour les 
traités, pour Ie droit historique, pour le droit de 
l'autorité 1 )), et queIque temps il garda l'espoir 
que la Prusse ne Ia délaisserait pas. Reichensper- 
ger écrivit, dans notre COl'l'espondant, qu'à son 
avis l' Allemagne, sous la direction du prince 
Guillaume, devait se porter au secours de l' Autriche 
bousculée par la France et par Ie Piémont 2. I{et- 
leIer, aussi, qui faisait prier pour la victoire de 
I' Autriche 3 , attendait de Ia Prusse un geste fra- 
tcrnel'., ct tous deux furent inconso]ables, avec 
beaucoup de catholiques, en la voyant garder 
l'épée dans Ie fourreau. Le professeur Lasaulx ful- 
minait contre cette attitude de la Prusse : ilIa 
trouvait (( boul'beuse )), et rléclarait tout net qu'un 
Allen1and qui voulait affaiblir l'Aulriche était (( un 
bàLard et un soP )). (( Debout, Allemagne, s'écriait 


1. Pfuclf, .Mallinckl'odt, 2
 éllit., p. 177-1 is. (Fl'iboul'g, Herder, 1901.) 
2. Correspondant, août 1859, p. 744-745. - C( Je puis bien dire qu'en Allc- 
magne, écrivait à l\1onlalembert Augusle Reichensperger, taus les catholiquc5 
déeid
s se tiennent du cõlé de l'Autriehe et désircnt qu'à tout prix aide lui soit 
prêlée.}) (Pastor, Ileicltellsperger, I, p. 398.) 
3. Pfudf, líetteler, I, p. 410. 
4. Raich, B/'ie(e von unci an l(etteler, p. 2fii (leltre du 16 anil 1859). 
(
Iayenee, KirehllCim, 1879.) 
5. Stoe1z1e, Ermd Lasaulx, p. 185. (Muenster, Asehendorff, HI04...) Cependant 
Lasaulx, dès 1856, 
lail déjà moins hostile à la Prussc fJu'i1 ne l'avait paru au 
moment de l'afl'aire de Cologne iff' lR
R el au I'arlem(,l1l de }< rancfort de 1848 : 



38 


L' ALL El\lAGNE RELIGIEUSE 


Ringseis dans un sonnet enfiévré; debout! ton 
Autriche saigne 1 )). Mais la Prusse laissait l'idée 
de la Grande AlJemagne, - idée catholique, - se 
débattre et se défendre, tant bien que mal, contre 
les armées de la France, puissance cathoJique, sur 
les champs de bataille de l'!talie. Cette idée fut 
vaincue. Les champions de la Grande Allen1agne 
ne Ie pardonneront point à la France. 
S'il est quelques (( victimes du Deux Décembre )) 
qui, dans leur âge avancé, aiment encore à relire 
des invectives contre l'En1pire, on peut les ren- 
voyer aux écrits et aux lettres des catholiques alle- 
mands de l'époque. L'accent est Ie même que dans 
les ChâtÙnenls. (( l\Ionsieur Louis)), comme disait 
l\lallinckrodt 2 en parlant de Napoléon III, apparaît 
au cardinal Geissel, archevêque de Cologne, comme 
le (( fils de Salan 3 )). Kolping, le fondaL-eur des 
innombrables associations de (( conlpagnons catho- 
liques, )) COD1met un calembour sur ce n10t (( l'enl- 
pereur )) ct l'ecrit : LaJílpe1
oehr'.. Alban Stolz, Ie 
prêtre publiciste, ne décolère point à l'endroit du 
(( sultan des Français 5 )). .A. Darnustadt, Ie doyen 


il íaisail l'éloge du service militaire univcl':sel et de la muuificence de 1<1. Prusse 
}lour les uDÌ\ersilC;s (Sloelzle, op. cit., p. 190-HI1). 
1. Rillgseis, E1"innerungen, IV, p. 113. 
2. Pfuelf, JIallinckrodt, p. 175. 
3. PCuelf, Geissel, 11, p. 
25. - Lc::ò sympathies du publicisle catholiquc Flo- 
rencourt pour NapoléOll III étaienl consìd
rées comme uue exception tPfuelf, 
Geissel, II, p. 423}. 
4. Schaeffer, Adolf Kolping der Gesellenvater, 3 e édil., p. 250 (PaderLorn, 
Schoeningh, 1894). 
. 5. Haegel
, Alban Stolz, p. 183 (.Fribourg, Hel'dcl', 1889). - Cr. les expres- 
sIons du pemtre Steinle, trisles et colères (Steinle, Bl'ie(wechsel, I, p. 4g3 
el 486 ; II, p. 363. Fl'ibourg, Herder .18
7). 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE\lANDE 3
 


catholique refUða au ministre de France de célé- 
breI' la messe pour son souverain : l'incident prit 
une pOl'tée diplonlatique, et révêque Ketteler, 
questionné par Ie cabinet hessois, couvrit son 
subordonné 1. (( Le neveu sen1ble vouloir copier 
l"oncle, même jUhqu'au 
acrilège )), disait encore 
Geissel 2 . Retenons ces quolibets, retenons ces ana- 
thèmes : ils gravaient dans les àmes d'inexpiables 
rancunes, que nous verrons venir à la rescousse, 
ardentes et dociles, lorsque onze ans plus tard 
Bismarck, all nonI d'idées politiques toutes diffé- 
rentes, cherchera d'autres chicanes à l'en1pereur 
Napoléon 3 . 
Les catholiques d' Allemagne, déçus et ulcérés, 
s'acheminaienl vel'S l'année 1860 avec un profond 
sentiment de l'irréparable. (( Où que nous regar- 
dions, gémissait GeisseI, c 'est une délresse sans 
mesure et sans fin. Le diabolique triomphe, la cause 
jusle succombe
. )) Foerster, prince-évêque de 
Breslau, lui donnait la réplique. (( C' en est fait du 
vieux droit, proclamait-iI; Ie droit du poing lui a 
succédé. A Solférino, l'ordre du nlonde, tel quïl 
existait jusqu'ici, a été mis au tombeau 1'. )) - (( Si 


1. Pfuelf, Kettele1', I, p. 415. 
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 419. 
3. c l\Ialheur à l'AUemagne, lisait-on en 1859 dans Ies Feuilles historico-poli- 
tiques, si I'Aulriche cédail ! ltIalheur à I'Europe si une paix nouvelle consoIi- 
dait Ie uapoIéonisme! Malheur au monde, si Ia papaulé devenait française! >> 
',H. P. B., 1859, 11, p. 15ï-186.) - En 1870, Joerg expliquera Jans Ics même.. 
Feuilles que Ia première Ca.ute commiFoe remontait à 1859, à l'année où ron avail 
Iaissé Napoléon, u ce démon de l'Europe ", attaquer Ia. première puissance 
allemande (H.P.B., 1870, II, p. 
4:0). 
.. PrueH, Geissel, II, p. 419. 
5. Pfuelf, Geissel, 11, p. 420. 



40 


J
 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


l'Autriche périclite, écrivait Laurent, l'anciel 
vicaire apostolique du Luxemhourg, nous ne son 
gerons plus qu'à la fin du monde j )). 
A ce moment nlên1e, ],idée prussienne d'un( 
(( petite Allemagne )), ambitieuse de donner 
 
l'Allemagne, à l'Europe et au monde une face nou- 
velle, suscitait deux initiatives qui aggravaien1 
encore la catastrophe autrichienne : rune, scien- 
tifique d'apparence, était la création d'une Revue 
histo1'ique so us la direction de 8ybel; l'autre, 
ouvertement politique, était la fondation de l' Asso- 
ciation nationale alle'Jnande sous la présidence de 
Bennigsen. Le catho] icisme a]] emand, solidarisé 
avec l'Autriche vaincue
, allait subir l'assaut de 
ces deux engins, et co n' est pas sans raison que Ie 
Catholique de l\Iayence, dans l'article par lequel il 
ouvrait l'année 1860, pleurait sur les douze mois 
écoulés cornme sur les plus troubles depuis 1809 3 . 


v 


(( Du train dont vont les choses, lisait-on vel'S la 
111ême date dans les Feuilles histo1'ico-politiques de 
ßIunich, 1 'abîme entre catholiques et protestants 


t. 
loel1er. Leben und Bl'iefe t'on Johannes 1'heodol' Lmlrent, III, p. 52-53. 
(Tl'èves, Pmtlinu8 Druckerei, 1889). 
2. Dans une IcUre pastorale de i8Gi, Vincent Gasser, prince-évt:que de Brhen, 
expliqu
il que si l'Aulrichc élail l'objet de taut de haines, c'est parce qu'clle 
él
it l'Elal de la Providence, la granlle puissance catholiql1e, Ie bouclier dE:> 
l'Eglise (Zobl, Vincen= Gasscl' F
le1'8tbi8chor von Brixen, p. 317-318. Bl'ixel1, 
Weger, 1883). 
3. Kat/LOlik, lRGO, {, p. 1. 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE1\IANDE 41 
se rouvrira aussi large qu 'au XV Ie siècle 1. )) Le 
n.ouveau périodique : Historische Zeitschrift, sern- 
blait encourager ce fàcheux pronostic. Dans son 
?rogramme, 8ybel arhorait la prétention de (( com- 
Jattre I'u} tramontanisn1e, qui sournet Ie développe- 
11ent nationa] et intellectuel à l'autorité d'une 
Église extérieure 2 )). Les articles, les cornptes 

endus bibliographiques, appliquaient Ie pro- 
;ramrne : iis étaient netternent anticatholiques, 
1eUement anti-autrichiens 3, sans qu' on pût bien 
liscerner si l'anticatholicisme était la conséquence 
l'un parti pris contre l' .Autriche, ou si Ie parti 
)ris contre l' Autriche résultait de I 'anticatholi- 

isme. Au fond, les deux haines étaient connexes et 
)arallèles; ellesnes'engendraient pas I'une l'autl'e, 

lles forrnaient un bloc. 
Le Thuringien Ranke, n1aÎtre de 8ybel, avaitjadis 

crit que ((
la Prusse était l'État dans lequella pensée 
)rotestante avait déployé la plus grande énergi0 
)olitique 4 )) ; et cornrne ant our de lui certains sou- 
;enaient que l'histoire de Ia Prusse mod erne était 
a suite de l'histoire de la Réforme, il avait appuyé 
;es faiseurs de synthèse, en attribuant lui-rnêmp 
lUX carnpagnes de Frédéric II je ne sais quel 

aractère confessionnel et en faisant de cc phi- 


1. H. P. B., 1860, 11, p. IG-i. 

. /1. P. B., 1858, II, p.400 et suiv. - Guiiland, op eit., p. iÛ8. 
3. Voir H. P. B., 1860, II, p, 444-4G4; 1865, I, p. 132-141. 
\.. Guilland, op. eit., p. 83. Dans son lIistoi1'e d'Allemagne att temps de f'l 
léforme, terminéc en 1843. Hank(> (i7!13-188/ì) appplle ]a Réfol'mc << l'acle })al' 
('fluC] la nation germaniquc a le mieux prouvé son éncrg-ic inlime, puisqu'il 
ul unC' épO(lue où lc }1rolcslanlismc ful la r('ligion de lous lcs AHemands .. 


_ _ _ _...,,. AIII^-" ,.,.
 



42 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


losophe couronné une sorte de chevalier, préde
 
tiné par Ie dieu de Luther à l'humiliation de I 
catholique Åutriche. }lais Ranke gardait un SOU( 
d' (( objectivité )) qui Ie préservait contre l'esprit d 
système. Un système, au contraire, c'est ce qu 
cherchaient et c' est ce que voulaient, en matièl 
d'histoire, Henri de Sybel et les rédacteurs d 
I'Historische Zeitschl'ift. lIs considéraient que ] 
guerre de Sept Ans etle règne de Frédéric II avaier 
inauguré la vraie grandeur de I' .A.llemagne. Fréd( 
ric II n'avait pas voulu la guerre, il avait été pr( 
voqué : c' était là l'un des dognles de l' école hist( 
rique nouvelle 1. Les écrits de Frédéric II, c( 
écrits qui, suivant Ie IllOt d'Hurter, étaient autaI 
de victoires sur l'Autriche 2, devenaient Ie texte COI 
sacré que tous Ies professeurs cOlllmentaient. Pre 
voqué, Frédéric avait remporté des succès, qui, pc 
Ja force des choses, marquaient une revanche ( 
la Réforme sur la contre-Réforme et sur Ie (( jésu 
tisme)} des H absbourgs ; et puisque jadis Ie pal 
Clément X.III avait défié l'Allpmagne en mèn 
tenlps que la Réforme en envoyant au nlaréch; 
Daun, commandant des troupes autrichiennes, UT 
épée bénie 3, il appartenait à la Prusse d 
XIX e siècle de Iutier à la fois contre l'ultranlonl< 
nisme et contre l'Autriche". Sybel, unjour de 1.85! 


1. Voir, contre cc dogme, H. P. B., 186L, I, p. Gi6-G9'; et 757-771- 

. Heinricb Hurler, llurlel' und 
eine Zeit, II, p. 392. (Gralz, Vereiltscln 
kerei, 1876.) 
3. L"allecdolc, ùu resle, est aujourd'bui controuvée, - Voir Heigcl, Gesel 
chtliche Bilder und Ski
::en, p. 27-36 (Munich, Lebmann, 1897). 
4. Leopold de Gerlach, daus Ull paragraphe de son journal (tä aoùt 185
'. s'
 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE!IANDE 43 

tait laissé aller à dire devant Auguste Reichens- 

rger : (( Qucl dOlllll1age que la Prusse ne soit pas, 
1 mêrrle temps que la France, tombée sur les 
utrichiens! On en aurait fini avec eux 1. )} L'His- 
rische Zeitschl'ift accun1ulait savamn1ent tous les 
'gurnents dont l' opinion allen1ande conclurait, au 
ur venu, qu'il fallail en finil' 2. 
Dans les principales uni versités, des professeurs 
histoire prolongeaient ces leçons et développaient 
.s conclusions, avec un raffinement acharné. A 

rlin, Droysen remontait jusqu'à I'acquisition 
ên1e dLl Brandebourg par les Hohenzollern, pour 

montrèr la (( nécessité historique }) qui mettait la 
L'usse en collision avec rAutriche J . _\. Leipzig, 
lis à Fl'ibourg, Ie Saxon Treilschke, menaçant de 
. voix et d u geste les (( capucinades uHramon- 
.ines )}, expliquai t que Ie duel entre Ie catholicisme 
- Ie pl'otestantisme symbolisait l'opposition n1ême 
Itre l' escla vage et la Iiberté; que Ie protesLantisme 
:ait la marque propre de I 'esprit allemand; que 
. Prusse, parce que protestante, était Ie seul État 
lemand de caractère purement germanique; 


e aux pages de Ranke sur la portée relig-ieuse des carnpagnes de Fl'édéric II, 
en conclut que Ie conflH latent enlre la Prusse et l'Autriche est encore un 
nflit religjeux. (Denkwue1'digkeiten, I, p. 791-79
.) 
1. Paslor, Reichenspe1'ger, I, p. 452. - Cr. H. P. B., 18:>9, II, }J. 3:;13-35";". 

. Dans IaIievue des Deux .Mondes même, Ie 15 seplembre 1866, Sybel insé- 
it un arlicle pour e
plittuer que depuis Charles
Quint les traditions et Ie!> 

es de l'Aulriche n'avaielll pas changé, cl que Charles-Quinl ne repl'ésenla 
'llais l'unilé llaliollale ; il lerminait en disant : (( Nous, AHemands, }Jlaç.:ms au 
ernieI' rang de nos væu
 les rapporls d'une siucèrc amili
 a\ec la France. )) 
3. H. P. B., 1861, II, p. 886-917 et 964-975, et 18G2, ., p. 43-80. - 8111' 
an.Gustave Droysen (1808-1884), voir HÜl.fzc, J.llgemeine deutsche Biog1'((- 
Lie, XLVlll, p. 82-1J4. 



44 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


qu'elle devenait Ie centre autour duquel il falJë 
que I'Allemagne Dlorcelée s'articulãt 1. Adieu do: 
les rêves romantiques, adieu I Ïnternationalisn 
chrétien, et silence aux apôtres des trêves de Dim 
Treitschke, parfois considéré comD1e un prophè 
à l'égal de Luther et de Fichte 2, proclamait ql 
I' AllemRgne ne grandirait que par l'insti tution I 
I'État guerrier, et que cette institution serait réa
 
sée par la Prusse 3. Les penseurs et les historie' 
catholiques de la première n10itié du siècle étaie 
éconduits avec dérision. Treitschke n'avait que fai 
de cette littérature. II partageait sur la poés 
l'avis de Gervinus : il faUait qu'eHe fùt (( pratique 
qu' eUe servît les idées modernes, ou bien on 
mettrait à la porte de la nouvelle Allemagne, 
sans couronnes de fleurs 
 II estimait Cavour par 
que Cavour n'avait pas de lettres, ct n'avait In 
] e Dante ni l' Arioste I.. 
Non Dloins hostilp à la poésie, à l'art, à to' 
ce qui pouvait distraire l"âme allemande, I'Als 
cien Haeusser, l'ancien antagoniste d'Auguste Re 


L GuillanJ, op. cil., p. 237-243 cl2;JG. - Yoir, sur I1enri de Treilschke (18 
1805), Bourdeau, Revue des Deux J.1Jondes, 15 juin 1889, p. 806-832; Val be 
Revue des Deux .JJondes, 1 er février 1898, p. 682-693, et surlout SchiemaJ 
Heinrich von T1'eitschke: Lehr und 1Vande1:iahre, 1834-1866 (Munich, Old. 
Lourg, 1896 ; spécialemenl, pour l'cnseignemenL de Treilschke à Leipzig et 
Friboul'g', lC8 pages 180-20G et 209). 
2. Dove, op. cit., p. 383-388. 
3. Bourdeau, Revue des Deux J./ondes, 15 juin 1889, p. 814. . Toule l'æu1 
de Tl'eilschke, explique-t-il (p. 8U), vise å meUre, non pas seulem('nl les gén 
oJ'ganisaleurs, comme Stc>in ('I. Schal'nhorst., mais de simples héros d'exécuti( 
('omme Bluecher, au rang des héros de la pensée, peut-êlrf:' même plus haut 
Schicmann, op. cit., p. 2
0-223, monlre hif'n l'importance rle J'écrit de Trc 

chke, puLlié en 18tH: Bundesstant und Eiuheit88lant. 
I.. ßOllIflc>au, loco cit., p. 81;). 



PRÉPARATION DE L' UNITÉ ALLEMANDE 45 


hensperger au parlement d'Erfurt 1, maîtrisait et 
I harmait la jeunesse d'Heidelberg. On saluait en 
li Ie premier Allenland du Sud qui avait osé, dans 
n ouvrage savant, publié en 1854, faire l'éIoge de 
'rédéric 112; on applaudissait à ses leçons d'his- 
)ire comme à un enseignement de politique et de 
.alriolisme 3 ; on aimait à l' entendre dire que I'his- 
oire et la nation devaient se rapprocher, et que la 
)russe devait guérir les plaies que Ie n10yen âge 
vait causées à rAllemagne et devenir Ie noyau 
utour duquel se cristalliserait l'État allemand. j . 
I ]n anticléricalisme ardent l'obsédait. Ennemi du 

atholicisme, ennemi de l' Autriche 5, il ne faisait 
(ue tirer la conséquence ùe ses leçons de I'D ni- 
rersité en dénonçant avec colère Ie concordat que 
e grand-duché de Bade, à l'imitation du cabinel 
Ie Vienne, s'était permis de conciure avec Rome 6. 


1. Voir ci-dcssus, p. 13. - Georg Weber, Erinnel'ltn(jen, p. 271 el suiv., 
lonne une très inlércssanle caraclérislique du lempéramenl de Haeusser. - cr. 
lans Weech, Badisclw Biographien, 11, p. 
6;)-
71, la comparaison enlre la ten- 
lance cosmopolite, universaliste, des travaux: historiques publiés par Frédéric- 

hristophe Schiosser (1776-1861) enlre lð44 et 1857 et Ie caractèrc patriotique 
les travaux de Haeusser. 

. Weech, Badische Biographien, I, p. 34,1-346. - Deux foi:; it rompil des 
ances pour Frédéric 11, en 1859 conlre Macaulay, en 18ti2 contre Qnno Klopp. 
3. Sur Ie rôle de Heidelberg comme ciladelle avancée de l'idée prussienne, 
VOIr Guilland, Ope cU., p. 189-190; et com parer 
Iohl, Lebenserinnerungen, 
I, p. 219-231. 
4. Voir, dans Weech, Ope cit" I, p. 34!-343, Ie programme des arlicles qu'il 
I
crivil dès 1841 pour Ie Supp:ément de la Gazette universelle d'Augsbourg, 
et les idées qu'il y développait sur Ie rôle national de l'histoire. Le 22 décembre 
1870, lorsque Jolly annonça à la chambre badoise la proclamalion de l'Empire, 
il rendit hommage à Haeusser, <<l'homme qui, comme nul autre, surtout dans 
l'AlIemagne du Sud, échautTa patriotiquemenlles cæurs de Ia jeunesse. )) (Weech, 
Ope cU., I, p. 34G). 
5. \'oil' H. P. B., 1861, II, p. 30-51; 1862, II, p. 185-.216; 1863, II, p. 726-744,. 
6. On attribua même à I'influencc de Haeusser sur Ie grand-duc, qu'it avait eu 
comme élève à Heidelberg, l'échcc dll Concordal (Weech, Ope cit., I, p. 345). 



't6 


t.' ALLRM:AGNE R"
LIGIEUSE 


En face de ces types d'histoJ''Ïens, ouvriers bn 
taux d'une réaJité brutale \ maniant les documen 
comme on manic des armes, el IDf'\prisant Ia vra 
culture comme on méprise, en campagne, l( 
bagages encombrants, il aUl'ait fallu que l'Autricht 
de son côté, mobilisàt des historiens, pour saute 
nil' ce que Boehmer appelait, d'un très beau fio- 
Ie (( point de vue civique d'empire )) (den 1
eich
 
hue1
gerlichen Standpunkt) 2 . De quel enthousiasm 
Boehnler l'cût secondée! II songeait précisémen 
en 1.859, à fonder un journal historique gros,' 
deu/sch 3. 
Mais l'Autriche, cette annéfl-Ià encore, celt 
année-Ià surtout, était en retard. (( Les Prussien 
sont devenus les præceptores Gerl11anÙe )), écrivai 
de Vienne Frédéric Hurter, l'ancien biograph 
d'Innocent III 60. Et Frédéric Hurter travaillait d 
son mieux. l\lalgré les difficnltés que lui opposai 
parfois, - à lui, historiographe royal- l'absurd, 
censure autrichienne, et malgré l'indifférenc, 
pénible qu ït rcncontrait dans les cercles de la con r 


1. << Les historiens prussiens, a écril Lord Acton, onl mis l'hisloire en conla< 
avec Ja vie. Us lui onl donnp une influence qu'elle n'a posspdée nulle parl ail 
leurs, si ce n'est en France; leur gain est d'avoir créé l'opinion publiquc, plu 
IJUissante que Ies lois. )) (English hist01'ical Review, janvier 1886 : cÜé dan 
Guilland, Ope cit., p. 
39.) 

. Jan8sen, Boehme7"s Leben und Briefe, III. p. 193. - cr. flI, p. 325. ct Em 
pereur et empire, ce devrait être l'axe pour notl'e histoire nationale. . 
3. Janssen, Boehmer's Leben und Briefe, III, p. 300 : Ficker, Janssen, devaien 
y collaborcr. II fìnil par se décourager : (( J'ai reconnu que tout cst vanitp 
mais de plus jcunes doivcnt penseI' autremcnt )) ; et il se consolait en lisanL Ie 
articles politiques de Joerg (III, p. 396-397 : leltre du 6 novembre 1862). 
4. Heinrich Hurter, Hurter unci seine Zeit, II, p. 391 (lettre du 6 oclo 
bre 18")11). - Sur F'rM{>ric Hurter (t 7i{7-186
), cf. nol!'c tomf' J!, p. 228 
230. 



PRÉPARATION DE r.'UNITÉ AI.LE1\IANDE 
7 


il menait à bonne fin sa grande Histoil'e de Fe1'di- 
l nand II, ardent plaid oyer pour ]es Habsbourgs et 
pour la contre-Réforme 1, el il se tournait, tout 
· de suite après, vel'S l'histoire de 'V allenslein 
. 
Un aulre érudit, tout jeune encore, et qui, comme 
jadis Hurter, devait plus tard passer du protestan- 
tisme au catholicismf', Onno Klopp 3, osait, en fact=' 
de]a (( Petite AHemagne )), portraiturer à sa façon 
Frédéric II +; puis il vengeait it son tour Tilly et la 
Bavière catholique dans un ouvrage historique 
qui fit du bruit i; II jetait Ie gant à Sybel dans unp 
brochure intitulée : L'histoire alleníande conçue pa7
 
lp parti de Gotha {lite Nationalverein 6, et lançaìt 
deux brochures ï contre l'apologie de Frédéric II p
r 


J. Geschichte ](aiser Ferdinands II. (Schaffouse, Hurler, 1850-18(1). 
- Heinrich Hurler, Ope cit., II, p. 26
-
83. 

. Zur Geschichte "\Vallensteins (Schaffouse, Hurter, 18;)0). - Vv-allensteins 
vier let:;te Lehensjalu'e (Vienne, Braumueller, 1862). 
3. Sur l'activité d'Onno Klopp (18
2-1903), comme historien grottsdeustcl1, yoil" 
Wiard Klopp, On no Klopp, p. 44 el suiv. (Osnabrueck, Wchberg, 1907). Le crédil. 
de 1'6cole de Sybel était tel, que Klopp ne pouvait espérer aucune chairc dans 
une université prnssienne (p. 4:)L C'est en étudiant dès 1850 l'lÜsloire de la 
Frise orientale, sa petite patrie, que Klopp était devenu f/l'o,<;,<;deutsch (p. 57). 
Ce fut Klopp qui, en 1866, ful chargé de faire Ie brouillon de la lettre pal' 
laqnelle Ie roi de Hanovre, vaincu, demanda la paix au roi de Prusse (p. 92). 
- En 1873, il se cOllvertit au catholicisme (p. t20-U3'. 
4. Klopp, Der Koenig .Friedrich II von Preu8sen und die deutsche NatiolL 
(Schaffouse, Hurter, 1860). Unc l1'adncliou française en fnt donnée en 1866 pa1' 
Emile de Borchgrave (Brnxe:les, Devaux). 
5. Klopp, Tilly im 30 Jahr-Krieye, 2 vol. (Stuttgarl, Colla, 1861). 
6. Klopp, Die gothaische Aulfassung der deutschen Geschichte und der 
Nationalverpin (Hanovre, Klindworlh, 1862). 
7. Sur l'émoi que provoquèrent les publications d'Onno Klopp, voir H. P. 
B., 1861, I, p.708-709, et 1862, I, p. 1023, et Steinle, Briefwechsel, H, p. 3ifj- 
:i77. - En 186 7 , Klopp, réimprimant son P1'édé1'ic Il, y mJt comme épiloguc 
une étude sur la politir{ue prussienne de puis Frédéric II; voir Biermann, La 
politique prussienne jugée par un patriote allemand et protestant (l\1ontau- 
ban, Biermann, 1870). - Le P. Kænig a récemment tiré des mamlscrÏls de 
Klopp un volume hislorique : Deutschland und die IIobsburg (Graz, Styria, 
fDu8). 



.}
 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


Haeusser. (( Je pense, écrivait Ie comte Nesselrode
 
que Ie livre de Klopp pourrait exercer aujourd'hui 
nne influence très utile, si l' on appréciait, en Prussc 
surtout, les vérités qu'il renfermc; car, hors d'unc 
forte et sincère union entre la Prusse et l' Autriche, 
point de saInt pour l' Allemagne 1. )) l\1ais que pou- 
vait l'effort de ces deux érudits, dont Ie premier - 
I-Iurter - n'enseignait nul1e part, et dont Ie second 
- l(lopp - professait devant des jeunes fiUes, 
contre une école historique qui régnait dans les 
nniversités allemandes, et qui agissait sur l' élite 
savante par l'Histo1'isclze Zeitschrift, sur la masse 
ignorante par la multitude de journaux asservis 
au Nationalverein? 
Onno Klopp, obsédé, dans ses travaux histo- 
riques, par la pensée qu'en politique il existe un 
bon droit et que l'historien a pour mission de Ie 
défendre 2, voyait clair et voyait loin, quand, dans 
ses polémiques, il rapprochait la science de Sybel 
ct la politique de l' Association nationale alle
 
Jnande. En même temps que Sybel faisait la théorie 
ùe la (( vocation prussienne )), le..LVationalverein pré- 
parait l'Allemagne à s'agenouiller devant cette 
vocation. Soucieux au début de ne point heurter 
de front les susceptibilités particulières des petits 
États, les hommes d'action qui dirigeáient Ie 
Verein trouvèrent une adroite tactique 3. C'est en 


L Wiard Klopp, op. cit., p: 58. 
2. Wiard Klopp, op. cit., p. no. cr. l"avant-propos de Klopp au livre: Fré- 
cléric II roi de P1'u8se, trade Borchgrave, I, p. XX. 
3. Une caractéristique exacLe de l'action du Nalionalverein est donnée dans 
Unruh, Erinnerungen, M. Poschingel'. p. 200-207. (Stuttgart, Deutsche Ve,'Zag8- 



PRÉPARATION DE J. 'UNITÉ ALLEMANDE 49 


déchaînant, un peu partout, Ie courant anticIérical.. 
qu'ils frayèrent une route au courant prussien. 
(( Pas de concordat! )) tel était Ie mot d'ordre. II 
I fallait que tous Ies gouvernements allemands qui 
avaient osé suivre l'exemple de l'Autrichc vinssent 
à résipiscence. On ne peut que perdre à traiter avec 
Rome, signifiait dès 185ü Ie diplomate prussiell 
Bunsen 1. (( Pas de concordats! )) Ie mot sillonna 
I'Allemagne, éveilla dans les consciences protes- 
talltes, que ces échanges de signatures de princes 
et de prélats n'avaient pas tout d'abord émues, 
des échos soudains et turbulents. Des campagnes 
de presse comn1encèrent, des campagnes parlemen- 
taires suivirent 2 . En Bade, en Nassau, en Hesse, 
dans tous ces petits États qui, seion 1 'expression 
de Boehmer, (( vivaient au jour Ie jour comme des 
prolétaires 3 )), Ies ministres que Ia Prusse réputait 
insuffisamment dociles furent ébranlés ou hous- 
culés, et la victoire religieuse ainsi gagnée sur 
l' (( uitramontanÌ::;me )) devenait le pl'élude de com- 
hinaisons nouvelles, qui feraient les affail'es de 


Anstalt, 1895). - Oncken, llaus ICi3 anuée:, i !JO-*-1 007, a l'ublié dan5 la Deutsche 
Revue de llombreuses leUres d
 Bcnnigsell, qui sont pour rhistoire du Natio- 
nalvcrein un document (},<>lile; el certaines d'cnt re elles mellenl en relief Ie 
rôle anti-concordalaire joué dans les petits Élats par les hommcs polilif{ues que 
Bcnnigsen y enrôlait au service de la Prusse. Tel, par cIemplc, CIl \Vurlembel'{:r. 
ce Louis Reyscher, jurisle à T ubingue, d (IuÎ Bcnuigsen écri vail Ie 7 février 1861 : 
I: Si en Aulriche l'abolilion t.lu concOl'ùal d la confiscation dcs Licns monaslique<; 
- ce qui me pal'ail êlrc Ie seul salul - soul p09sibles, c'est parce que I'AlIe- 
magne du sud se lève, ù'uu scul cæur, contrc lcs Illcnées ultramonLaines ". 
(Deutsche Reeue, 1905, IV, p. 33G.) 
1. Bunsen, Zeichen der Zeit, I, p, l7t. (Leipzig, Brockhaus, 1855.) Voir CjM 
dcs6ous, p. 280-282. 

. Voir nolre tomc IV, p. 80-91. 
3. Janssen, Boehmer's Lchen unrl Bric/e, lIT. p. i6 ; cf. In, p. 54. 


Ill. 


4 



50 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
la Prusse. Dne voix s'élevait à la première Cham- 
bre badoise pour réclamer, dès 1.861, que toule 
l' Allemagne, exclusion faite de l' Autriche, se fédé- 
rât sous la direction de la Prusse 1 ; cette voix était 
la même qui dcpuis six ans multipJiait les atta- 
ques contre tout concordat; c' était celie de Blunts- 
chli, qui, sur rappel du nouveau ministère badois, 
venait d'emigrer de l'université de l\lunich dan
 
celIe de Heidelberg. Dans chacune de ces dis- 
crètes capitales OÙ Ie nom même de l'Autriche, 
quoi qu'on en dìt, produisait encore une impres- 
sion de majesté, on pouvait constater que toute 
crise ministérielle amenée par la question cléri- 
cale ouvrait les avenues du pouvoir à des ennr- 
mis déterminés de l'influence autrichienne; cL 
c'est ainsi que Ie Nationalverein, par ses rnenées 
occultes auquelles les influences maçonniques 
n 'étaient pas toujours étrangères, muItipliait les 
coups de sape contre les fondements mêmes de 
l' établissement catholique. Quand lVIommsen, au 
premier banquet de cette association, avait montré 
le poing à (( l'engeancc des Junker et de la prê- 
traille 2 >>, Mommsen définissait, trop haut peut- 
être au gré de ses collègues, la politique religieuse 
qu' on allait suivre. L' évêquc KeUelcr, très attaqué 
par Ie Ve1
ein qui visait, derrière lui, Ie ministre 
hessois Dahvigk, écrivait en 1.862 : (( Lc National- 
vereilt est une association anlicatholique, qui, du 


1. munlschli, Deukwuerdiges, Ill, p. 27-
8. - W('('ch, BLcdische Biograpltien, 
IV,p.47. 

. PfuC'lr, JlallincT.-rodt. p, 184,-185. 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 5f 


point de vue d u rationalisme protestant, attaque 
la situation juridique de l'Église catholique en 
Allemagne., qui nous insulte, nous catholiques, 
dans notre foi, qui nous attein t dans notre droit!. )) 
Tel était Ie jugement de l'un des princes de rÉ
lise 
d' Allemagne sur Ie puissant groupement des 
(( fern1iers gt
néraux du patriotisme 2 )), dans lequel 
rinfluence prussienne et les armées prussiennes 
Lrouvèrent, dix ans durant, de zélés recruteurs et 
de ]oyaux fourriers. 
Religieusement et politiquement pal'lant, l' Asso- 
ciatinn nationale allemande était impeccable de 
cohésion. De quel poids allait peser, en face d' eUe 
et contre elle, la cohue bariolée qui sÏntitulait 
les Amis de la Grande Allemagne, et dans laquelle 
figuraient, à côté d'un certain nOll1bre de Jaïques 
et de prêtres enchaînés à l'Autriche par toutes les 
fibres de leur âme, des démocrates anti-cléricaux 
comme 1\Iaurice :ðlohl, soucieux de préserver les 
libertés populaires, dans les États du Sud, contre 
les convoitises du mi1itarisn1e prussien 3? L'in- 
cohérence de cet assemblage, sur lequel au reste 
Kelteler semble avoir fondé peu d'espoirs..., était 
une cause de paralysie. C' est à la ll1èlne impuis- 
sance, provenant du manque d' harmonie réelle, 


1. Pfuelf, K
tteler, II, p. 2:!. - Cf. H. P. B., 1866, 11, p. 181-198. 

. L'expression esl d'Augnste Rcichcnspergcl' (PaslOl', Reiche1&3perger, I, 
p. 451). 
3. Annuairc de8 Deux Jfondcs. XII, p. 
30-532. - Sur l'économi5le et 
parlementail'eMauricc Mohl (1802-1881'3), voir Tl'ucdiug-er, ÅllgelJ1ein
 Deut8che 
Biographic, LII. p. 430-434. 
}, Raich, Briere von und an Kcttele'. p. 2i7. 



52 


L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


qu'était voué, en 1863, Ie somptueux congrès prin- 
cier convoqué à Francfort par rempereur François- 
Joseph!. (( Le peupleallemandade nouveau entendu 
parler de son souverain 
 )), s'écriait joyeusement 
le peintre Steinle. 
Iais les espérances que suscita 
cette parade furent vile évanouies. Par leurs 
savants travaux d'approche, par leur invisible con- 
quête des esprits, des parlements et des cabinets, 
l'école historique prussienne et Ie lVationalvel'ein 
déconcertaient à l'avance toute tentative adverse. 


VI 


L' opinion catholique en Allemagne, pas
able- 
ment déconlenancée, se consolait et se vengeait 
par certaines affirnlations tenaces : on n' est jamais 
con1plèten1ent vaincu lorsqu'on a conscience d'avoir 
Ie droit pour soi, et les partisans de la (( Grande 
.A.llemagne }) cultivaient et fortifiaient en eux celie 
conscience :i . 
Le prince de Hohenlohe, futur ministre en 
Bavière, se trouvait à Paris en D1ars 1862; et daIl
 
Ie recul même à la ravenr duquel il observait son 
pays, il écrivait : 
Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais un programme 
g1'ossdeutsch pratique. L'antagonisme entre la Prusse et 


1. Malgré la joie de sa cOl'respol1dal1te Sophie Schlosser (H. P. B., 1866, I, 
p. t{I
'I, Boehmer n'aUendait de ce congrès ricn d'eCficace (Janssen, Boehmer's 
Lc;ben und Briere, 1lI, p. 413; lellre du 4 septcmbre 1863). 
2. Sleinle, BI'ierwechsel, lI, p. 381-382. 
J. (t Le Centre prussien est gro8sdeutsdL ", lisail-on dans les mallife.les élec- 
lOl'dUX de 1861 (Salomon, Die (kutsclten Parteipro[/I'arnme, I, p. ;j2, Leipzig. 
r CUllllPl', 1 fìl1';'. 



PRÉPARATION DE L'UN]TI
 ALLEMANDE 53 
I'Autriche peut être déploré, mais on ne peut pas l'écarter 
par ùesarguments... Tout ce qu'on raconte du rétablissement 
d'un empire allemand au profit de la dynastie ùes Habsbourgs 
est une vaine rêverie. 
Iais si on ne veut pas une république 
grossdeutsch, si 1'on se rend compte que la prolongation de 
l'état de choses actuel conduit à Ia révolution, on doit se 
tourner vel'S un projet qui ne sorte point du cadre des possi- 
bilités... Alors, logiquement. on en revient à l'idée de Rado- 
witz: un État fédératif (Bundesstaat) sous la Prusse, et unp 
aHiance avec I'Autriche... L'idée échoua contre la résistal1ce 
du parti catholique, contre sa répugnance à accepter l'unité 
sous un empereur protestant. Je crois qu'en cela Ie parfi 
catholique est dans l'erreur. Par son rattachement au parfi 
grossdeutsch, par Ie maintien du programlne grossdeutsch. 11 
empêche ]a réforme, sans d'ai]]eurs aucune perspective de 
réaliser Sf'S propres désirs. 11 travaille pour la stagnation, 
et par là pour la révolution, tandis que, sous un en1ppreur 
prussien, il ne pereIra rien. et ne fera qu'obtenir une plus 
grande liberté pour ]'Église. II est entre les mains de ce 
parti, de décider si la réforme de Ia Confédération germa- 
nique se fera par des voies pacifiques ou révolutionnaires. 
S'il s'associe à l'idée du Nationalverein, les gouvernements 
sont forcés de céder. Par Ià, un élément conservateur 
,,'introduira dans Ie mouvement, et ce sera une garantie 
que Ie mouvement restera un mouvement de réforme 1. 


Très préoccupé de ces pensées, Hoheniohe les sou- 
mit 
l l\Iontalembert, pour que Ie grand oratenr 
agît sur les catholiques rhénans ses amis; il nr 
parvint pas à Ie convaincre. La thèse était curieuse 
sur les Ièvres dp Hoheniohe, qui devait pen de 
ten1pS après travailler à Munich pour la Prusse. 
On s'inquiétait, ce semble, entre libéraux de bonnp 
compagnie, d'un certain radicalisme qui faisait des 


1. IIohenlohe, Denkwuel'digkeiten, I, p. 122-124, (Stultgart, Deutsche Yer- 
lags-Anstalt, 1907) : ces l\lémoires compl'enneul loule la vie dll chancelier 
\181!)-1901}, sur les origines politiques duquel on peut lire aussi OUo '". Vocl- 
dernùorff, Harmlose Plaudereien, II, p. 255-
6
. 



54- 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSF. 


progrès uans Ie patti de ]a (( Petite Allemagne )). 
Ce parti nlanquait d'une droite : c'était gênant pour 
la Prusse, et c'était effrayant pour les petits États 
sur lesquels il aurait pu avoir prise, ct qui dès lors 
devenaient plus rétifs à la propagande. Hohenlohe 
rêvait d'une ({ Petite AlJemagne )) dans laquelle 
les catholiques feraient équilibre au Nationalve- 
rein,. il dressait l'épouvantail de la révolution, Ie 
spectre des menaces dont elle inq uiétait Ie pou- 
voir, et espérait ainsi réconcilier au programme 
de Rado,vitz les fidèles de Rome, soucieux, en 
principe, de consolider Ie pouvoir jusque dans ses 
assises, Ie pouvoir qui vient de Dieu. 
1\1ais précisément, - et c'est là ce qui affaiblis- 
sait la thèse de Hohenlohe, - les catholiques pré- 
lendaient, par leur résistance mêmc à l'idée d 'une 
(( Petite ...-\llemagne )), représenter la cause de Ia 
légitimité : den de'lltschen LegitÙnisJìlUS, disait-on 
volontiers 
 et cela voulait dire: l'aUachement aux 
droits traditionnels de l'Empereur, aux préroga- 
tives tradilionnelles de Ia Diète, au statut territo- 
rial qu'avaient cl'éé les traités de 181.5 1 . Parce que 
les Français, ennemis nés de l' Allemagne, avaient 
fait une lézarde dans l' édifice construit par ces 
traités, fallait-il couronner les succès de la force 
en désertant la cause du vieux droit? Sur les lèvres 


1. H. P. B., 1861, I, p. 7 : << Lcs Elals moycns n'ont ricn à espércr, mais 
!,I'ulement à craindre, d'une Prussc sans Aulriche. )' - H. P. E., j 863, 11, 
p. 12-13. 4( La Prusse ne peut attf'indre Ie but de sa politique lraditionnelle que 
par une trahison à l'endroit de l'Allemagne. J) - Si Auguste Reichensperger. 
t'n 1852, avail volé conlre la réduction rlu budget <1(' la guerre prussien, c'étail 
aCin que la Prusse fût arm
e << pour défendre If's traitps df' 1815 >>. (Pastor, 
Reichel/8pc,'yer, I. p. 3:19-3-iO.) 



PRÉPARATION DE I. 'UNITÉ ALL El\IANDE 55 


tie 
Iallinckrodt ou d'Auguste Reichensperger
 ce 
mol de droit prenait une incomparable majesté; 
et très rares encore étaient les catholiques alle- 
mands qui n'élaient pas des légitimistes. Au con- 
grès catholique de Prague en 1.860 1 , au congrès 
catho1ique d'Aix-la-ChappHe en 1862, l\Ioufang, 
que Ketteler avait mis à la tête du séminaire de 
Mayence, éleva solennellement la voix contre les 
théories qui prêchaient Ie droit absolu des natio- 
nalités 2. A deux pas de la tombe de Charlemagne, 
dans ce reliquaire d'archaïsmes historiques qu'est 
la vilJe d' Aix-Ia-Chapelle, les représentants de 
tonies les associations catholiques des divers pays 
allemands affirn1èrent leur dévouement à l'idée de 
Grande Allcmagne 3. (( L' Autriche, lisait-on dans 
Ie Catholique de 
Iayence au débul de t863, 
demeure la citadelle du droit, la forteresse contre 
laquelle se brise la Révolution ; el]e fut dans les 
derniers siècles Ie seul appui juridiqne du catho- 
licisme allemand, comme elle est Ie loyal bouclier 
de la papauté 4. )) 
Observons ces derniers mots; ils indiquaient aux 
catholiques une raison nouvelle de garder à l' Au- 


i. 
Iay, Geschichte tier GeneralversammlUt
gen der Katltoliken Ðeutschlands, 
1848-1902, p. 132-133 (Cologne, Bachem, 1903). 
2. May, Ope cit., p. 147 : Moufang allaqua Ie .National- Vuein, << menson- 
gel' dans son nom, odieux dans ses aspirations... La Prusse n'est pas toute l'AI- 
lemagne; notre palrie doit ètre plus grande... . - Sur François Chrislophe 
Ignace l\Ioufang (1
17-1890), voir Brueck, Katholik, 1890, I, p. 481-493, eL II, 
p. 1-2ä. 
3. Katholik, 1862, H, p. 4
9-430. - :\Iay, Ope cit., p. 149. 
4. f(atlwlik, f8G3, I, p. 3. - Cf. llans lI. P. n., 1862, II, p. liO el suiv., 
l'article sur Ia brochure grossdeutsclt du baron Ernest de Linden : J(aiser uud 
Reich, politische Erocrtc'f'1.trlfjen (Augsbourg, Rieger, 18!ì2). 



56 


L' ALLEMAGNE REf.IGIEU8E 


triche Jeur foi. Les défaites mêmes qu 1 avait récen1- 
ment suhies François-Joseph accentllaient l'ann- 
logie entre sa cause et celIe du Pape : ils étaien t 
victimes. run et l'autre, de l'absolutisme des natio- 
nalités, souveraines toutes neuves, qui avaient 
l'orgueil de la jeunesse. 
Iallinckrodt, en 1861, 
insistait à In. Chambre prussienne, avec une éIo- 
quence passionnée. pour que la Prusse s'opposât 
aux progrès du Piémont; mais Ie député progres- 
siste 'Tincke faisait voter qu'une telle politique TIP 
serait dans l'intérêt ni de la Prusse ni de l' Alle- 
magne. Vincke, qui voyait loin, était soucirux de 
ménager à la Prusse l'alliance éventuelle de l'Ita- 
lie; son attitude, pourtant, éta.it dictée par des rai- 
sons de principe, autant et plus que par des motifs 
de tactique 1. N'était-il pas naturel, en effet, que 
la Prusse se dérobât lorsque les députés catho- 
liques souhaitaient qu'elle arrêtât les projets de 
Cavour contre Ie vi caire spirituel du Christ 2? El1e- 
même,au mêmc instant, cernait, par des rnanæuvres 
équivaIentes, Ie descendant de ce vi caire temporf\l 
qu 'avait été Charles-Quint. L' Allemagne, comme 


1. Civiltà Cattolica, 2:J février-D mars 1861, p. 758-761. - Cf. Pfuelf, .Mal- 
linckrodt, p. 186, 205-206, 285-286; - Pastor, Reichensperger, I, p. 4tï-4t8. 
- Sur Ie baron Georges de Vinclc (1811-1895), run des plus grands orateurs 
)larlementaires prussicns, voir Petersdorff, Allgemeine Deutsche Biographie, 
XXXIX. p. 743-752. 

. Les frères Reichensperger, dans leur hrochure de 1860, demaudaient que la 
/)iète ne permit pas à l'Italie de prendre Ia Vénétie (Paslor, Reicheuspel'-' 
yel', I, p. 415
. - Sur Ie momement qui se produisil parmi les catb.oliques 
aUemands, enlre 1853 et 1870. en fa,'eur de Pie IX menacé, et sur Ja fondation 
du Jlichaelsverein pour venir p"'cuniairemenl cn aide au Pape, voir J oh. 
Fripdrich v. Schulte, Lebenserin ,;P1'1tngen, p. t 3-60 (Giessen, Roth, 1908); - 
Pfuelf, Geissel, II, p. 420-423; - Slamm, Conrad lrlartin. p. 15!-155 (Paderhorn. 
Junrcrmann, 189
); - Pfue1f, Kettele1\ II, p. 4, et p. 300; - Katholik, 1867. ]J, 
II, p. 765-i68: 18GR, I, p. 119-U9 et 234-239. 



PHÉPARATION DE r/UNITÉ ALLE1\:IANDE 57 


Ie disait Reichensperger, avait aussi ses {( cavou- 
riens, rêvant d'un César qui régnerait sur une 
n10itié d' Allemagne 1 )>. A Rome, la CÙ,iltà Cat- 
to/ica insistait sur Ia ressemblance. ELle remon- 
trait aux catholiques a]1emands que leur pape et 
lpur empereur étaient en butte aux mêmes intri- 
gues, inspirées par la même hérésie politique; et 
au mois de septembre 1863, eUe exp1iquait que 
l' Autriche seule pouvait constiluer Ie centre dp 
I"unité nlJemande; car l'Autriche, d'ailleurs dépo- 
sitaire des traditions du Saint-Empire, avait sur 
la Prusse ces trois supériorités d'être catholique, 
de posséder un territoire plus étendu, et de n'avoir 
.lamais accru sa puissance aux dépens de la justice 
et du bon droit 2. Quant à ceux que les considéra- 
tions d' équité Iaissaient indifférents, ils pouvaient 
]ire dans les Feuilles histol'ico-politiques de l\-1unich 
ce pronostic sommaire : (( L" AHern agne unifiée par 
]a Prusse serait rayée de la liste des nations 3. )) 
La feuille bavaroise, proposant à la Prusse une 
alternative peu glorieuse, lui laissait espérer que]- 
que grandeur si elle voulait demeurer une petite 
puissance, et ]ui certifiait que dans le rôle dp 

rande puissance eUe ne serait jamais qu'insigni- 
fiante (eine gros
e Kleirnnacht oder eine kleine 
Gl'ossn1acht) 4. 


1. Pastor, ReichclIsperger, I, p. 47ï. - Pal' une m6taphore pal'allèle, If''' 
Peuilles hislorico-politiques accusaicnt Ie Piémont de vonloÍl' ètre Ia Prus,," 
tip l'Italie (H. p, B., 1861, II, p. 839). 
::!. Civiltd cattolica t 12-26 septembre 18G3, p. 14-t7. 
3. H. P. n.t 18G!, I, p. 94-2-944. 
4. B. P. B., 1861, U, p. 50. 



58 L 'ALLEl'tIAGNE RELIGIEUSE 
L'altel'native était médiocrement galante, et l'on 
comprend que la verdeur de propos des partisans 
de la Grande Allemagne mît parfois les catholiques 
de Prusse en quelque embarras. Car ceux-ci, tout 
grossdeutsch qu'Ïls fussent, étaient cependant prus- 
siens, et fort gênés dès lors quand il leur srmblait 
entrevoir que l'altachement aux droits de l'Au- 
triche et Ie souci de la prospérité de la Prusse 
seraient peut-être, bientôt. deux sentiments incom- 
patibles. lIs se tiraient de la difficu1té par des 
demi-mesures. Mallinckrodt et Auguste Reichens- 
perger, en 1862, crurent devoir approuver les 
conventions militail'es entre la Prusse et certaines 
petites souverainctés de l'Allemagne du Nord; 
ils furent qualifiés de tièdes, sinon de traîtres, 
par les exaltés du paTti de la Grande Allemagne 1. 
.A quoi Reichenspcl'ger objectait qu'i] n'avait nulle 
("\nvie de mettre son drapeau (( grand-allemand >> 
dans sa poche, mais que cependant il était magis- 
trat prussien 2. Pierre Reichensperger, un jour de 
mai 1863, essaya de concilier tous ses sentiments 
f\n suppliant Bismarck, dans une conversation, de 
s'cntendre avec ]'Autriche ; mais Bismarck répli- 
qua que l'entente coÙterait trop cher 3. 
Bors de Prusse, les champions de la Grande Alle- 


1. Pastor, lleichenspe1'ge1" I, p. 4
5. -.Et d'aulrc part, Reichensperger rcpous- 
sail en 1862 Ie trailé de commerce qui serait (( comme un coin enlre les lleux 
grandes puissances allemandes )) (Paslor, Reichenspel'ge1', I, p. 450); dans la 
tlue<;lion de Hesse, Reichensperger ct .Mallinckrodt prolestaient conlre tous les 
manèges qui pouvaient amener une rupture entre la Prusse et l'Autriche (Pfuelf, 
JJallinclo'odt, p. 201-203). 
2. Pastor, Reicltenspergel', I. p. 477, n. 2, 
3. Pastor, Rciclzensperger, J, p. -1{H. 



PRÉP.\HATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE 59 


nagne traitaient ce royaume comme on traite un 
)arti hostile: ils Ie voulaient diminuer, affaiblir, 
lumilier. l\lais pour les catholiques de Prusse, Ia 

russe était une patrie; et par surcroU, leurs pro- 
)res théories de catholiques sur la déférence due à 
'autorité, et sur les prérogatives respecLives du 
?euple et du souverain, les rendaient plus dociles 
lUX désirs de Bismarck, qui venait de prendre Ip 
)ouvoir, que ne I
étaient les Jibéraux. Ainsi ron 
lssi::;tait à cette étrangeté, que les catholiques, 
lésireux d'une paix durable avec l' .A.utriche, ne 
['êpudiaient qu'assez mollement les fantaisies miIi- 
laristes du nouveau minislre, et que les libéraux, 
impatients de brouiller les cartes, Iuttaient pour- 
tant contre ces fantaisies. Les cathoJiques seuls 


cordaient un budget de la guerre, les libéraux 
seuls voulaient la guerre. Dans la Chambre insurgée 
contre Bismarck, c'étaient les catholiques, chanl- 
pions de la Grande .A.llemagne, qui, par loyalisme 
monarchiste, se montraient Ie moins acharnés con- 
tre Ie prochain réalisateur de la Petite Allenlagne 1. 
l\Ialgré l'uniformité des affirmations d'enscmble, 
les catholiques d'Al]enlagnc, on Ie voit, commen- 
çaient à se di versifier en nuances infinies. D'une 
part, on entendait encore, en 1862, Ie baron de 
Brrnhard, beau-père de 
fallinckrodt, réclamer 
formellement Ie rétablissement du Saint-Empire 2, 


1. Voir Pastor, lleichenspe'l'ger, t, p. 453 et suiv. En Sil{.sie, m(\me, les calho- 
liquf's, am:. éleclions, se monlraient d'ardenls bismarckiens (Carl Jenlsch, Wan- 
tllun.qen, I, p. 
35. Leipzig, Grunow, 1896). 
2. Rom unci Deutschland. Metlitationen ueber das Kaisertum und die Been- 
difJuJ/fldcs dennnliqen Zu'ischclII'eichs (:\Iunich, Lentner, :18(2). cr. H. P. H. 



60 


f/ ALfJE
IAGNE RELIGIEUSE 


et d'autre part, dès i860, en lisant la brochure ( 
deux Reichensperger sur ]es devoirs prochains 
l' Allernagne 1, on avait pu se demander si ] 
ministres des États du Sud, qui rêvaient de form 
une (( triade )) servant de tampon entre l' Autric 
et 1a Prusse, ne pourraient pas escompter, tôt , 
tard, 1a sympathie de ces deux parlementair 
prnssiens. 11 en était du légitimisme allemal 
commp de tous les partis légitimistes : je ne s
, 
queUe méfiance réciproque devait fatalement s'i 
sinner entre les théoriciens qui, sans transigp 
laissaient vpnir Ie désastre, et les politiques pI' 
tiques qui, même au prix de transactions, as}; 
raient à Ie conjurer. 


VII 


Le désaslre, c' était la guerre de l' Alleman 
contre [' Allemand, c'éfait le (( duel fratricide 2 )) entt 
l'Aulriche et ]a Prusse.. La Prusse, dans rété d 
'1866, mobilisa. 
Auguste Reichensperger, en ce momcnt-Ià, fai 
sait un voyage d'archéologie. Soudajn, tous se 
r&ves, tontes les idées auxqnelles s'étaÏt vouée s 


1862, II, p. 675-684, el consulter, sur Bernhard (1801-1871), Ro<;enlhal, [{nnve, 
titenbildel', I. 3, p. 204-213 (Ratisbonne. Manz. 1902). 
1. Deutschlands nacchste Aufgaben (Paderborn. Schoeningh, i8GO). 

. Le mot élait de Rudigier, évêquc de Linz (Meindl. op. cit.. I, p. G3
). _ 
1lelchcrs, archevêque de Cologne, éprouYaIt. les mêmes impressions péllibles 
voir sa leltre au roi Guillaume (27 mai i 866) et Ja réponse du roi (4 juin) dan 
Schneider, L'empereur Guillaume jer, trad. Rabanr, I, p. 348-353. (Paris 
Bpr
pr-LevrauH. 1888.) 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE:
\IANDE 6i 
e, semblèrent tomber en ruines, comme ces v ieux 
I làteaux rhénans au pied desquels il passait en 
i uriste. 
(( QueUe catastrophe! notait-il sur son carnet 
la date du 20 juin. Ah! si l'orgueil vieux-prus- 
en (del' altpreussische Hoclunuth), qui a amené la 
ltastrophe par les cheveux, pouvait être brisé 
Lns effusion de sang! Le prussianisn1e a tant de 
>tés respectables ; la marotte de sa vocation histo- 
que, qui date de Frédéric II, l'a infecté, poussé 
ars l' abîme i. )) 
Puis, le 29, à la nouvelle d'une première victoirc 
l
USSlenne : 
(( Novus oritlll" rel"Um olldo. C'est comme Dieu Ie 
eut! 
laintenant Napoléon va paraître au premier 
Ian et réclamer 
a part. Et les innombrables vies 
'hommes! La V énélie s' effondrera, et puis Rome 2. )) 
ReichenspergeL t parlait en politique, soucieux de 
état de l'Europe; Ie juriste Bluntschli, lui, avail 
e tout autrcs préoccupations. A ses yeux, sur les 
hamps de ha1aille de Bohême, Ie bruit de la 
anonnade allait scallder une Iutte d'idées. (( La 
omination des Habsbourgs est et reste Ie plus grand 
,bstacle à la ci vilisalion, écrivait-il. La prêtraille, 
es féodaux, seraicnt les maîtres dans Ie sud de 
, AlJemagne, si l' Aulriche était victorieuse 3 )). 
L' Autriche, pour lui, était (( I'État du moyen âge, 
a puissance conservatrice )), la Prusse était (( l'Étal 


1. Paslor. Reichensperger, I. p.578. 

. Pastor, Reichensperge1" I, p. 579. 
:L Rluutschli , !JenlwJUcr,ziyes, III, p. 16u iti... 



62 


L
 ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE 


moderne, la puissance libérale )) ; et COD1battre pOl 
r Autriche contre la Prusse, c' était (( cornbatl- 
pour Ie passé contre Ie présent ; c'était aller contJ 
le courant de l'histoire 1 )). 
Reichensperger aussi parlait'd'histoire, mais 
en parlait en traditionnaliste. 
(( Si l'Autriche est vaincue, notait-iI, tout ce ql 
reste encore debout du monde historique s' écroul< 
Et c'est pourquoi je regarde comme vraisemblab] 
1a victoire de la Prusse, car Ie train du monde e
 
antihistorique 2 )). 
Son aUachement au passé catholique, son sen 
du droit, sa confiance dans l1n Dieu justc, souf 
fraicnt cruellement. 
Le 4 juillet, à la suite dOune conversation a, e 
Ie peintre Steinle, il griffonnait : (( On a bien tll 
la peine à entrer dans ces décisions divines san 
en conclure que Ie droit n'a sa raison d'être qUI 
pour les petites affaires des humains; que, dan
 
l'ensemble, c'est la violence, rintrigue, la ruse 
qui sont appelées à régner, et que ni Ie hut ni Ie
 
lnoyens ne sont soumis à des principes moraux el 
religieux 3. )) 
Déjà certaines désel'tions se produisaient, parn1i 
les fana tiques de la (( Grande Allen1agne )), e t sans 
vergogne, elles s'étalaient devant Reichensperger, 
devant celui que nagnère on accusait de tiédeur. 
(( Un conseiller en appel a résolu de plier les 


i. Bluntschli, Denkwuerdiges, III, p. 145 (discours du B mai j 866). 

. Pastor, Reic.henspe"ger, I, p. 580. 


. Pa!'tor, Reichenspel'yer, 1, p. 580-581. 



PRÉPARATION DE L'UNIT
: ALLEMANDE 63 

enoux devant Ie (( sueeès )), et personne peut-être 
1e s'était plus enflammé, personne n'avait plus 
'adolé pour l'Autriehe. Ainsi va Ie monde 1! )) 
Le monde souriait aux vainqueurs deSadowa, et, 
c 9 août, Reiehensperger éerivait : 
(( Consununatum est! L'Autriche est expulsée de 
'Allemagne 2. )) 
Endolori, ne con1prenant plus, il faisait des 
rticles sur l'art, écoutait son an1i Thimus 3]ui lire 
Ln essai sur la vieil10 morale ehinoise, et puis 
,renait Ie train pour un tour de Flalldre. (( Le 
Gonde sent Înauvais, murmurait 1\lallinekrodt; 
près avoir bien raisonné, je suis oeeupé à n1C 
ourber, progressi ven1ent, sous ce que Dieu per- 
l1et : qui sait queUes sont scs fins? Attendons en 
,alienee; je me Jette sur un sopha et je lis des 
omans, - si seulement fen avais de bons 4 ! )) 
anssen, fhistorien, tremblait de tous ses nerfs, 
t fut quelque temps à se remettre 6. Le peintrc 
,teinle expédiait à Vienne, à son ami Brenner, une 

ttre qui n'était qu'un long gémissen1ent 6 . Buss, Ie 
atholique badois, qui avaiten 1848 donné Ie branle 
u réveil de l'opinion eatholique, s'abandonnait à 
ne maladie noire, qui devaiLl 'aeeompagnerpresque 


1. Pastor, Reichensperger, I, p. 581. 
2. Pastor, Reichensperge1\ I, p. 58
. 
3. Le baron de Thimus (1806-1>S78) se fit surtout connaiLrc par un ouvrage 
lr Ia musique anlique: Die harmonikolc Symbolik de8 Altel'thums (Cologne, 
u Mont Schaumburg, 1868 et 18i6). 
4. Pfuelf, Mallinck1'odt, p. 261. 
5. Pastor, Janssen,. p. 53. 
G. 
teinLe, Brief11'echyel, 11, p. 388. 



64 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


jusqu'au tombeau 1. Les Feuilles histo'l'ico-politi 
ques de ì\Iunich cherchaient un moyen de barric{ 
del' la Bavière contre le péril prussien 2. KetleleJ 
de son évêché de Mayence, éel'ivait à l'empereu 
d' Autriehe une longue lettre endeuillée : (( Tout c 
qui pouvait no us rappeler Ie vieil empire aUt 
mand, tout eela est détruit. One Allemagne san 
Autriche, sans la maison impériale, ce n' est plu 
l'.A..llemagne. Nous n'avons plus qu'une espéranc( 
c'est que eel a ne dure pas 3. )) 


VIII 


Oui, tout etait consommé; oui, ce n'était plu 
I'Allemagne. 
lais cependant il fallait vivre, et 1 
catholicisn1e allemand conrait un très grave daIJ 
gel'. A l'encolltl'e des illusions qu'avaient earessée 
certains partisans de l'Autriche ., les sujets cathc 
liques du roi Guillaume n 'avaienl tenté aucu 
soulèvenlent en faveur de ceUe puis
ance; et ) 
Prusse affectait, dans ses journaux offieiels, d 
rendre d' aim abies témoignages à la cOl 1 rageus 
conduite des soldats catholiques du royaume, à I 


1. Weech, LJad/sclze Bio{Jraphien, III, p. 20. 
2. H. P. B., 18Gü, II, p. 323-325. 
3. Pfuelf, Ketteler, 11, p. 2üJ-
GG. - El :Kelleler souhailail que l'Aull'iche I 
relevât en se libél'alll de l'absolutisme joséphiste el des influences maçollnique! 
4. Weech (Badische Biographien, J, p. 213-217), pl'êlede tellesillusions aubarl 
d'Edelsheim, parlisau de l'Autriche, cl qui rut un moment, en 1865-1866, minisLJ 
des affaires élrangères en Bade. - Les Feuilles historico-politique.<;, au déLl 
de la guerre, avaielll publié une leltre d'AulrlChe signalant Ie (< pacle de Juda
 
conclu entrc la Prusse et l'Italie, et sommalll lcs catholiques de Prusse de dire 
leur rOl ; 
ous Jl(' POll\IJIlS pas (H. r. B.. 18GG, I, fl. 1011-1012'. 



PRÉPARATION DE L 'UNIT

 ALLEMANDE 65 


correcte attitude des citoyens catholiques, en même 
temps qu'à l'esprit de to]érance de son propre gou- 
vernement 1. 1\'Iais à travers la presse allemande 
des bruits circl1laient, s'accréditaicnt, d'après les- 
quels Ie clergé silésien aurait envoyé de fortes 
sommes en Au triche pour aider les armées de 
François-Joseph, et d'après lesquels les sæurs de 
charité, dans les hôpitaux militaires, auraient pris 
un atroce plaisir à mettre du vitriol dans les plaies 
des blessés prussiens 2. En Silésie, surtout, les 
prêtres étaient insultés et traqués 3. Un certain 
fanatisnle grisé par la vicloire ratifiait ainsi Ie 
verdict dll Dieu de Luther et de Frédéric II, qui, 
dans 13. mêlée de Sado\va, avait su reconnaître les 
siens. Le ['apide triomphe des armes prllssiennes, 
ajoutait-on, avait conjuré Ie guet-apens que }'Au- 
lriche cléricale et concordataire avait peut-être 
projeté contre ses citoyens protestants. De Berlin, 
1e Hanlbourg, on leur avait crié de se tenir sur 
leurs gardcs!.; puis la Prussc était arrivée, nou- 
veau Gustave-Adolphe, pour les rassurer. Et les 
'ournaux du Nationalverein expliquaient fiévreu- 
,ement qu'à Sado\va c'était la prêtraiHe catholique, 
l' esprit de hiérarchie rcligiellse, Ie papisme en un 
mot, qui avait été battu par la Réforme õ. 


t . Voir tous les tedes cilés dans Franz Xaver Schulle, Geschichte des /{ul- 
w'kampfes in Preu8sen, p. 14-21 (E!5sen, Fredcbeul, 1882). 
2. Wick, AU8 meinem Leben, p. 54 (Breslau, Aderholz. 1895). - Ringseis. 
'!:rinnerungen, IV, p. J82. 
3. H. P. B., 18G6, II, p. GG2 el 673. 
4,. Voir les cilations dans H. P. B., 1866, II, p. 6

 et suiv., 788 et suiv. 
5. Ringseis, Erinnerungen, IV, p. 38i. 


III. 


5 



66 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
Alors Ie catholique Ringseis, l' ancien médecin de 
Louis [er de Bavière, ramassait avec âpreté tous ces 
récits eL toutes ces thèses, ot soulageaitson intransi- 
geance de patriote bavarois en anathénlatisant en 
plein casino de l\1unich la victoire de Sadowa, 
(( dans laquelle l' évangile de Satan: (( La force 
prime Ie droit >>, fut couronné de succès 1. >) - 
(( II raut en venir à la guerre entre l' Allenlagne du 
Nord protestante el ]' Autriche, avait crié, dès Ie 
iB mai 1866, Ie recteur Becker, de l'université dE 
Greifs\vald; car en Autriche domine Ie catholicismc 
papal abrupt, qui empêche la Jiberté de penser 2. ): 
Si Becker avait dit vrai, si la guerre de Sado,vÐ 
avait été une guerre de religion, pouvait-or 
demander aux fidèles de l'Église d'admeUre qU( 
les troupes prussiennes eussent à jamais prévah 
contre eUe'! Entre l'exaltation du Nationalvel'ein e 
l'exaltation du (( légitimisnle >) allemand, il yavai 
une sorte de complicité, pour affirmer que dan 
les plaines de Bohême la Réforme, incarnée dan 
la Prusse, avait vaincu Ie catholicisme, incarn, 
dans l'Autriche, oui, incal'né dans elle, redisaien 
certains catholiques avec des pleurs de rage 
incarné dans eUe pour toujours, puisque derrièr 
Berlin Luther s' élalait. 
Chevaliers plaintifs du plus oiseux loyalisme, 0 


I. Hingseis, Erinnerungen, IV, p. 381. 
!. H. P. B., f 8ü6. II, p. G59. << Une guerre de religion se prépare, disail 
fion tour la Gazette de la Croix, peut-êlrc aussi saug-lante que Ie fut il y a dCl 
cents ans la gucrre de Trenle Ans.. (Bachem, Preussen und die Katholiche Kirch 
5 e 
d.il., .p. .81. Cologne, Bachcm, f887). - << Le combat de l'Allemagne pour s( 
umle, llsall-on. dans la Gazette (Ie Goerlitz, fut une défaite de l'espril hiéra 
rhi'lue cl de l'Eglisc catholique. )) (\Viet., kus mcinem Leben, p. 72). 



PRÉPAUATIUN DE L'UNITÉ ALLEIUANDE 67 


vivaient-ils et qu'attendaient-ils? L' Autriche était 
expulsée de l' Allemagne, allaient-ils à leur tour 
s'en expulser eux-mên1es? Telle était la question. 
Les protestations, même celles qui larmoient, ont 
besoin, parfois, qu'une émigration les sanctionne; 
sinon, elles risquent d' ètre considérées comme des 
protestations pour rire. Autour de 
Iallinckrodt, 
un certain nombre de féodaux catholiques par- 
laient de s'expatrier en Autriche i ; combien d'entre 
eux s'y décidaient? Les émigrés de l'intérieur ne 
sont ordinairement dangereux que pour leur pro- 
pre cause; et l'héroïque obstination avec laquelle 
certains catholiques persistaient à contempler au 
loin, dans un pays qui avait cessé d'être terre d' AI- 
lemagne'l la cime de la (( Grande .Allemagne )) écrou- 
lée, créait aucatholicisme allemand un périldeplus. 
En ces heures d'ahurissement tragique, une 
voix enfin s' éleva, pour remettre un peu de 
lumière dans les esprits, un peu de paix dans les 
âmes : ce fut celle de Ketteler, évêque de lVIayence. 
W estph alien d' origine, fonctionnaire du roi de 
Prusse en sa jeunesse, curé p]us tard de la capi- 
tale prussienne, il connaissait les maximes de 
Berlin et détestait, surtout, l'esprit bureaucra- 
tique et militariste du gouvernement prussien 2 ; 
il savait, comme ill'écrira formellement en 1813 3 , 


1. Pfuelf, M allinckrodl. p. 278. Mallinckrodt lui-môme semblail répugner à 
celte idéc d'une émigralion. 
2. Pfuelf, Ketteler, II, p. 289: livre capital sur Kelleler (t8H-f877). - 
Cependanl, dès les années 182:i et 18
ò, dans ses lellres à son frère, on ll'ou\'c 
lies b'aces d'un certain loyalisme prussien (Pfue1f, Kctleler, 1, p. 18). 
3. KellclCl', Die J\ulholiJ.-cn im ])eulschclt [jeicltc, p. 
 (.!\Ta
 l'IlCP, Kil'chhcim. 
1873). 



68 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


que la Prusse est protestante par toute son his" 
toire, protestante par son esprit dominant; e 
même, au moment du conflil enlre l'archevêqu( 
Vicari et Ie gouvernement badois, il avait pl. 
observer ou deviner les manæu vres anticatho 
liques de Bismarck 1. On ne pouvait Ie taxer d. 
candeur ou l'accuser d'iHusions. Son attachemen 
à la maison d'Autriche était connu 2 et venait d 
s'épancher une fois de plus dans Ie long messag' 
de condoléances qu'il adressait à François-JosepJ 
vaincu 3. (( Les liens qui unissent à ceUe maisoJ 
les cæurs des catholiques d'AlJemagne, écrira-t-i 
encore en 1875, sont trop anciens et trop solide
 
pour que des circonstances extérieures aient P' 
les briser. )) l\Iais, d'aulre part, entre Ketleler e 
Ie gouvernemenL de Berlin, les rapporls étaien 
généralement fort corrects; et Bisn1arck, en dehor 
des jours de mauvaise hun1eur où il l'eût voloD 
tiers taxé de mauvais Pl'ussien:" l'estimait asse 
pour avoir, en 1865, rêvé de Ie pousser au sièg 
archiépiscopal de Cologne I), ou de lui réserver I 


1. Voir nolre tome IV, p. 56-59. 
2. En février 1853, FrMéric-Guillaume IV, apprenanl que Ie chapitre de Bre 
lau flongeait à Ketleler comme évêque, accusa celui-ci d'avoir insislé en lð 
pour que leg rllals du Sud n'entl'assent dans Ie Zoìlverein que si la Prusse 
recevail rAutriche, et d"avoir travail1é sur Ie Rhin pour les intérêls aulrichien . 
Kelleler, en fait, n'avail dêvcloppé que dans un très petil cerde quelques vu 

ur celte question {Raich, Briefs von und an ](eltele7', p. 241-242; - Pfue 
Ketteler, 1, p. 398). 
3. Pfuelf, j{etleler, II, p, 265-267. 
4. Pfuelf, j(elteler, II, p. 28G. - Par exemple Ie 14 janvier 1854-, où Bismar 
raconlait que Kelleler, référenda!re prussien, s' élail vanlêjadis qu'avec 6.000 ga 
lards com
e lui on jeUerai
 rElat prussien sellS dessus dessous (Posching( 
Pre1J,S
en tm Bundestag, IV, p. 164.. Leipzig, Hirzel, 1884-). 
;i. pfuclr, liettelel', II, p. 2!;3. - Cf. ci-dessous, p. 308-310. 



PRÉPARATION DE ("UNITÉ ALLEMANDE 6{) 
succession du siège de Posen 1. Au-dessus des 
décombres Iaissés par la guerre, - et ces décon1" 
bres, c'élaicnt ceux du vieil édifice germanique,- 
Ie Iangage d'un KeUeIer était assuré de planer. 


La Ineilleure solution serait une grande puissance alle- 
mande avec tous les pays qui appartiennent à l'Allemagne, 
et, à la tête, un empereur. Ce serait la plus convenable. 
La meilleure, ensuite, est une puissance allemande-prus- 
sienne, avec la frontière nouvelle. 
Je demande : Vne solution dans Ie premier sens est-elle 
possible? 
J'affirme : NOll, et tous ceux qui l'espèrent sont dans les 
nuages, attendant l'impossible, et par là exposent leur patrie 
au plus grand péril. 
J'afJirme : Non, et cela, non à cause ùu Bismarck de Ber- 
lin, mais à cause des nombreux Bismarcks d'Autriche. 


II qualifiait de ce nom pittoresque : les Bis- 
marcks d'Autriche, to utes les forces qui, de part 
et d'autre de la Leitha, travaillaient pour Ie prin- 
cipe des nationalités : la Hongrie d'abord, puis Irs 
Tchèques, puis Ie (( parti juif-païen 2. )) 
Ainsi pensait-il, sur Ie papier, pour lui tout 
senl, dans un précieux brouillon que Ie P. Pfuelf, 
son diligent biographe, a eu l'heureuse idée de 
publieI'; et l'opuscule qui s'intitula : I'Allelnagne 
après la guer1
e de 1866 3 , ne fut q u'une mise au 
net de ces conclusions, avec les précautions ora- 
toires voulues, avec les réticences séantes. 


I. Pruelt, Ketteler, II, p. 2:>8-259. - Bismarck, Pensées et souvenirs, trade 
Jaeglé, II, p. 148 (Paris, Le Soudier, 1899). 
2. Pfuelf, Kelteler, II, p. 277. 
3. TradUlt en français par l'abbé Belet. (Paris, Gaume, 1866). - Di!s la publI- 
cation, Ie fulur cardinal Pie avail song6 à unc traduction (PIuelf, Kettelel', 11, 
p, 284-285). 


11" 
RY T. \t
.RY'S COLLEGE 



70 


L' Al..LEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Écho ratificateur des canonnades de la veille, 
cette brochure émouvait d'autant plus, par la 
sérénité de son accent. Ketteler, avec Ie ton d'un 
historien, exposaiL les divrrs aspects des questions 
pour lesquelles Ie sang aBemand venait de cou- 
Ier. II expliquait, d'une part, que l'attitude de 
l' Autl'iche dans l'affaire du SchJes,vig n'avait pas 
été inattaquable; il osait redire, d'autre part, que 
la Prusse avait COD1mis un grave tort en s'alliant 
contre l'Autriche avec Ie parti de la Révolution. 
Le sort en était jeté : la Prusse avait vaincu; et 
voici qu'autour de lui Ie découragement et Ie pes- 
sin1isme sévissaienL.. C'est contre cet état d'esprit 
que s'insurgeait ]' éloquenee de Ketteler : (( Avec 
une joyeuse eonfiance, insistait-il, nous devons, 
nous, chrétiens, aIler eourageusement à Ia. ren- 
contre de toutes ]es nouveautés. Par là, DOUS 
sommes préservés de tout pessimisme, et DOUS 
échappons à cette triste habitude, paraJysante 
pour LouLe bonne activité, de croire toujours que 
e'en cst fait du monde si Dieu ne Ie dirige pas 
d'après nos courtes vues humaines. )) II fallait 
done, comme programme pratique, admp.ttre, sur 
l'heure même, une Allemagne fédérale soumise à 
l'hégémonie prussienne, et puis escompter, d'unc 
fcrvente espérance, que Ia Prusse ainsi grandie 
s'unirait intimement avec I'Autriche, et qu'au 
den1eurant l' Autrichc, par un sévère travail sur 
elle-même, accroUrait sa propre valeur d'alliée. 
Enfin, ce qu'attendait Ketteler de cette Prusse 
épanouie, c' était qu'elle éconduisît les théoriciens 



PR

PARATION DE I/UNITÉ AI.LEiUANDE 71. 
enchanteurs qui donnaient à la (( vocation alle- 
mande )) de la Prusse une signification confes- 
sionnelle et presque philosophique, et qu'elle se 
montrât toujours plus fidèle à cette Constitution 
de 1850, (( grande charte de la paix religieuse )), 
qui assurait aux catholiques de larges liberlps 1. A 
cc prix seulement et au prix aussi d 'un certain 
respect pour ]es autonomies politiques et sociales, 
toujours chères aux catholiques d' Allemagne, et 
toujours menacées par l' esprit militariste et 
bureaucratique, Bismarck se révélerait, (( non 
seulement comme un beau joueur, capable de 
perdre en une nuit son gain, mais comme un 
architecte politique, qui bâtit pour l'avenir. )) 
Ainsi se déroulait la brochure. Quelques-uns la 
trouvèrent trop prussienne, quelques autres trop 
autrichienne 2 : elle fut un soulagement pour 
beaucoup, parce qu' elle disait ce qu'ils devaient 
faire. C'ëtait un beau geste d'homrne d'Église, et 
même mieux qu'un gest.e. Lorsque les évpnements 
échappent à la direction de l'Église et se déroulent 
con ire son gré, rÉglisc, à moins qu'ils ne visent 
directen1ent sa constitution, les accueillc sans 


1. Voir ci-dc5
OUS, p. 174 et suiv. 
2. Pfue1f, Ketteler, II, p. 287. - cr. l'arl. de rabbé Dclarc dans Ie Corre8pon- 
dant d'octobre 1867, p. 331-342. << L'ancien officiel' de l'armée p,'ussicnnc, écri- 
vait rabbé Delarc, vit toujours un peu dans Ie slIccesscur de saint Boniface 
::\1';1' KeHder a élé Ie scul évèque à publier des pages donl les Golhariens se 
sont aussitôt emparés pour Ie déclarer gagnó à la polilique de Bismarck. )) Mats 
Ie parli de Golha ne se contenlait pas, ce semble, à si bon marché ; car les sUl'in- 
tendanls proteslants, en 1868, dcvaient encore se servir de la brochure de Ketle 
ler pour l'accuser d'hostililé à Ja Prusse (Pfuclf, ]Cetteler, U, p. 319; - et cf 
la répol1!'Ie ito KelleIer, en mai 1868, à la Gazette de la Croix, qui lui faisaiL 
un parcH repl'oche. (Raich, Briere von und an .Ketteler, p. 381). 



72 


L' ALLEl\lAGNE ßELIGIEUSE 


retard, majestueuse d'impartialité. Ce n'est. point 
une tolérance ni même une acceptation; c'est ]a 
constalation de certaines réalités acquises, aux- 
queUes cUe met son visa comUle Dieu y a mis le 
sien. l\1ais les théories qui les préparèrenl ou 
même les ébauchèrent, théories que l'Église 
redoutait et combatlait, deviennent alors comme 
des épreuves d'imprimerie, qu'on jette, Ie livre 
une fois paru. La spéculation des humains, leurs 
fantaisies de théoriciens, qu' esl-ce autre chose 
que des épreuves? Le fail brut, voilà ce qui im- 
porte : alors l' on vrage est achevé, Dien a donné 
Ie bon à tirer. La Prusse avait atteint ses fins: 
c' était un fait. Ketteler ne discutail plus t, et sou- 
haitait seulement qu'clle jetât au panier tous les 
plans qui d'avance avaient dessiné sa grandeur, 
les plans des Sybel et des Treitschke, les plans du 
Nationalvel'ein. La Prusse resterait grande, quand 
même, et les catholiques seraient rassurés. Lorsque 
les nouveautés ant une tare originelle, I'Église 
fait comme pour ] es hommes; elle les en libère, 
par une façon de baptêmc, ne s'inclinant devant 
eUes que pour se relever aussitõt. L'écrit de Ket- 
teler enregistrait sans amertume la fondation de 
la (< Petite-Allemagne )) et mettait un barrage 
entre ce fait et tout Ie couranl dïdées anticatho- 


, 1. Lc 
hanoinc Moufang, qui vivail aux côlés de Kelteler, élail moins prompt 
a s
 ralhcr : son discoUl's de juin 1866 à la première chambre hessoise se résu- 
mall en ces mols : ni Prussiens, ni Aulridllcns (Pfuelf, lí.ettele1', II, p. 2(1); 
(.t, dans nne assemhl
e 
lectoralc òu G mars 1866 iI avait rl'clamé l'union, 
aus
i inLimc que possiLle, ellll'e lcs 7ù millions d'All
mal1ds (pfuclf l{etleler 
11, p. 2i4-). ' , 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ \LLEl\IANDE 73 
liques qui l'avait escorté. Jan1ais on ne miL plus 
fadresse, ni plus de dignité, dans la présentation 
rune politique de {( ralliemcnt >>, ot Ie démoeratc 
Walesrode opposait à eeHe noblesse d'attitude la 
pétulance du saeerdoce protestant, qui prodiguait 
:( au l\lessie du fusil à aiguille les hosannahs et les 
lauriers 1. )) 


IX 


La formule du <( ralliement )), tclie que la pro- 
posait I{etteler, étaÏt la sui vante : 
(( Les catholiques ne doi vent pas se nlontrer 
hostiles ou indifférents aux tendances vel'S l'unité 
;ermanique, sous prétexte qu'ils y voienl percer 
In esprit qui demande plutôt J'oppression de l'É- 

lise catholique que l'uni té de l' Allemagne... 

ous ne devons pernlettre à personne de nous 
,urpasser en amour de la patrie allemande, de 
,on unité ct de sa grandeur 2. )) · 
II était difficile que, sur l'heure, Ie conseil fût 
pleinement exaucé par tons les catholiques d'outre- 
Rhin. La presse hostile, qui continuait de fêteI' 
Sado\va comme un trioll1phe de Luther, retardait 
par là ll1ême leur aJhésion active aux væux de 
Kettcler. On répétait autonI' d'eux, et non sans 
preuves valables, que l'idée de Petite Allcmagne 
était dirigée conlre leur Église; à cause de cela, 


1. PfUf'1f, Kcttele}" II, p. 284.. 
2. Keltcler, L'Allemugne ap1'ès f.yû6. TraJ. Dclct, p. 
H-

3. 



74 


L'ALI.El\IAGNE RELIGIEUSE 


on applaudissait au triomphe de eette idée 1. .. 
collaborer à leur tour, ne seraÏt-ee point un 
duperie? La fouIe des esprits simples avait besoi: 
d'une eertaine éducation politique pour com 
prendre la pensée de Ketteler : Ie temps serai 
eet édueateur. 

Iais les publieistes, les parlementaires étaien 
plus accessibles et plus dociles 2. Au Parlemen 
de l'AIlemagne du Nord, en 1867, il n'y avai 
plus qu'un eatholique sur douze pour souteni 
intrépidement, nous ne disons rnên1e plus l'idé, 
de Grande AlIernagne, rnais les revendieations de 
petits Etats absorbés par la Prusse : e'était 
Ial 
linekrodt. Au nom de la justice, il se piquait df 
(( protester eontre toute l'histoire 3 )); s'il y avai 
péril à s'insurger eontre la politique bismarc. 
kienne, l\lallinekrodt, tout fonetionnaire prussicI 
qu'il fût, afTrontaÏl ee péril'.; il pLaidait pour l( 
Hanovre I); il plaidait pour Ie Schles\vig; il s( 


1. Voir dans Hildebrand GCl'ber, Einigungsbest1'ebungen und innere Kaempf, 
in der deutschen F1'eimaurerei seit 1866, p. G-7 (Berlin, imp. de la Germollia 
1898). certaines citations de la Bauhuette et d'aulres publications maçonni']ues SUi 
la part prise par la .Maçonnerie à l'unilé allemande. 
2. Tel Savigny, )'un des fulurs fondaleurs du Centre, qui, Ie 24 mars 18G';' 
remontre à Mallinckrodl, sans Ie convaincre, qUf> l'Autriche est dans une com- 
plèle décadence el que la loyaulé du roi de Prusse mérile considéralion (Pfuelf. 
.J.1Jallinck1'odt, p. 280). 
3. Pfuelf, Jfallinck1'odt, p. !6G (leUre du 29 décemhrc 18(6). 
4. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 
(j9. - Le publiciste Florencourt voyalt alors dans 
Mallinckrodt Ie centre du parli fPdél'ali
te qui devail s'organiscr dans loute 
l'Allemagne conlre fElat ullifié du Grosspreu8sentum (Pfuelf, 11lallinckro(U, 
p. 
72). 
!Î. C'était l'époque où Ie curé Schlaberg, à Hanovre, avant llans une prédi- 
cation du 7 octohre 1866 publiéc sous le tilre: Ein Abschiedswor.t ans Vater- 
land, déploré Ja fin de la royaulé hanovl'ienne, dul s'exiler en Autriche (Woker, 
Ge8chichte der katholischen Kirche und Gpmeinde in Rannover und Celle, 
p. 
34-
3). Pa , lerIJorn, Schoeningh, 188!J). 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 75 


faisait inculper de (( particularisme )), en com- 
pagnie d'un ancien rninistre du roi de Hanovre, 
""indlhorst, donl nul ne pl'essentait alors qu'il 
deviendrait un jour Ie chef du Centre allemand 1. 
Un discours de l\lallinckrodt, Ie 12 mars 1867, 
émut l'assemblée, et Bismarck Iui-même, d'une 
sorte d'épouvante. Lasker, dans Ie Reichstag de 
1873, essaiera d'exploiter ce souvenir contre les 
(( ultramontains 2 )). l\lais vis-à-vis de Lasker 
en 1873, comme vis-à-vis de l\Iiquel en 1867 3 , 
l\IaHinckrodt nia toujours avoir parlé comme 
(( ultramontain )) : il abhorrait ce sarcasme, qui 
dispensait d'une réfutation. C'est au nom du 
(( droit )) qu'il croyait, personneHement, devoir 
être particulariste; c'est au nom du (( droit )) quïl 
défendait devant la Chambre les dames de Cassel 
du reproche d'avoir offert un tapis à leur souve- 
rain détl'ôné!t. Bisll1arck alors s'indignait, insi- 
nnait qu' en Allemagne il y avait des Coriolans 
tout prêts à devenir des traîtres Ii; mais l\lallinck- 
rodt étaÏl assez loyal, assez robuste aussi, pour 
supporter à lui senl Ie poids de cette colère (\t 


1.. Sur leur alliance dès ceLte époque, voir Pfuetf, lrJallinckrodt, p. !72-!73. 
et Huesgen, Ludwig "Tindthorst, p. 63-6'io (Cologne, Bachem. 1907). (( Wind- 
thorst, écrivait l\Iallinchodt, est un pont qui no us unit aux élémenls gros8- 
deutsch non calholiques. )) 
2. Pfuelf, .lJfallinckrodt, p. 275-2i6. - Ernest-Louis de Gerlach (Au{zeich- 
nungen, II, p. :Z9ï) admirall beaucoup ce discours, qui lui pal'aissait, (( à maÎnts 
égards, meilleur et plus vivanl I) que son pro pre écrit : Die Annexionen und der 
norddeutsche Bund (Berlin, Stilke, 1866). 
3. Sur lïucident Mallmckrodt-l\1iquel, voir Pfuelf, .lJfallinckrodt, p. 28.2. 
4. Pfuelf, .Mallinckrodt, p. 290-2
1. 
5. Bismarck, Discours, éd. fran
., lII, p. 72 (Berlin, Wilhelmi, 1886 : discours 
du 30 janvier t869). 



76 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


pour cmpêcher que ses collègues catholique 
ne fusscnt compromis avec lui. L' (( ultramonta 
nÍsnlc )), de 1867 à 1870, était si étranger à tout 
politique de (( pal'ticularisme )), que Ie prêtr 
Thissen, les diplomates Galen et de Loe, e 
d'autres catho]iqucs encore, collègues de lVlallinck 
rodt, appartenaient à Ia fraction des Freikonsel' 
vative, fondée par Ie catholique Savigny \ et qUI 
I{ellner, Ie granu pédagogue catholique, faisan 
dans un journal l'éloge de l'école prussienne, III 
rapportait allègrement l'honneur d'avoir produi 
les vainqueurs de Sadowa 2. 
C'est en Bavière, peut-être, que Ie retentissemen 
de cette victoire fut Ie plus douloureux. Le princ, 
de Hohenlohe, par la lutte même qu'il conduisait, e 
contre les influences (( ultramontaines )), et contn 
les tendances (( particularistes )), les amenait, le
 
unes et les autres, à se coaliser et à se confondrE 
entre eHes. En 1868 encore, il soupçonnaitles (( ultra, 
montains )) de vouloir livreI' la Bavière à l'Autri- 
che 3, et en 1869, aux élections, Ie patriotisme loca] 
du peuple et la foi belliqueuse du clergé eurent 
les mêmes candidats. .l\Iême en Bavière, cependant, 
les esprits comme Hingseis:;, qui continuaient, d'une 


1. PfueJf, Mallinclcroùt, p. 270-271 et 387. - Kellner, Lebensblaetter, p. 480- 
481. Charles-Frédéric de Savigny (1814-1
7;j), fils du grand juriconsulte, avail, 
en aoûl 1866, dirigé les confércuces pour l'organisation conslilulionnelle de la 
confédéralÏon de l' Allemagne du Nord et représenté la Prusse devant Ie parIe- 
menlde celle confédéralion. cr. ci-dessous, p. 313, n. 1. 
2. Cilé dans la Westdeutche Lehrer-Zeitung, 20 seplemLre 1901, p.300-301. 
3. Hohenlohe, Del1kwue7'digkeiten, I, p. 29;) et 319. 

. ll. P. n., 18G9, I, p. 765-767. Voir Ilolre tome IV, p. 187-190, cl Salomon, 
Ðze tleutschen Parteipl'ogramme, I, p 95-103 (LeipÚg, Teubner, HI07). 
5. (( Nous ne voulons pas I'Allemagllc sans AUll'ichc, éCl'i\.ait Rillgseis à 



PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 77 


façon provocatrice pour la Prusse, à vouloir vivre 
dans l'ol'bite de Vienne, étaient rares. Dès 1867, 
les Feuilles histol'ico-politiques avaient comn1encé 
de rectifier les points de vue: eUes avaient déposé 
sur le sépulcrc de la Grande Allcn1agne un article 
poignant, qui débutait par un geste d'accablen1ent 
et s'achevait par un mouven1ent de résurrection. 
L'article visait Jes concessions suprêmes que la 
Bavière avait été contrainte de faire à la Prusse. 


La Bavière, soupirait rauteur, a pour la dernière fois pris 
position dans l'histoire; et, par la position qu'elle [I prise, 
eUe a renoncé, pour l'avenir, à toutes déterminatiolls poli- 
tiques autonomes. Dans les derniers sièc1es, eUe était cinq 
fois plus petite, et pourtant eUe pesait dans la balance de 
rEmpire ; maintenant c'est fini I. 


Non cependant, pour les catholiques de Bavière, 
ce n' était pas fini, et Ie perspicace chroniqueur ter- 
n1inait : 


Après la pro chaine grande crise, toutes les questions po1i- 
tiques et dynastiques passeront å l'arrière-plan devant la 
seule grande question, devant la question sociale. La Prusse 
et tous les grands États ne feront plus de guerres politiques 
lorsque la guerre sociale aura éclaté. Dans un temps si 
étonnamment grandiose, gardons-nous de la petitesse du 
jugement; c'est à nous, catholiques, qu'elle conviendrait Ie 
moins 2 . 


Les particulari
cs qui s'cffaceraient, inconsolés, 


l'époque flu Zollparlament. Notrc parenLé avec les Allemands d'AuLrichc, nos 
vallées monlaglleuses, 110US porLent vel'S l' AuLriche, et portent Jes Crères aulri- 
chiens vers DOUS. )) (Ringseis, El'Ùm f1 rullgcn, IV, p. 221. - Cr. IV, p. f 59, 
HH-193). 
1. H. P. B., 1867, I, p. (in. 
2. H. P. B., 1867, I, p, 71
. 



78 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUbE 


du terrain politique, serviraient du moins leur foi 
en s'occupant des questions sociales : ce n'est point 
à l'évêque Ketteler, à coup sûr, que cette orienta- 
tion nouvelle pourrait dép]aire. 

Iais la (( prochaine grande crise )), tout à I 'heure 
prévue par Ie publiciste bavarois, la crise d'où la 
Petite Allemagne sortirait glorifiée sous Ie non1 
d'Empire allemand, allait bientôt, hélas! offrir 
aux survivants du parti de Ia Grande .AJlemagne 
l' occasion de prouver, comme Ie souhaitait K.ette- 
ler, que nul ne les surpassait en patriotisme. L' oc- 
casion fut aviden1ent saisie. On avait bien essayé 
jadis, dans quelques cercles prussiens, d'exploiter 
certain voyage qu'avait fait sur Ie Rhin l'archevê- 
que Sibour 1, et certaine visite de l\'Iontalembert à 
son an1i Reichensperger 2, pour accuser les (( ul- 
tramontains )) rhénans de syn1pathies françaises; 
et Reichensperger souriait en constalant qu 'on les 
traitait tour à tour d' Autrichiens, de Belges, de 
Français 3. Mais l'attitude n1ême des catholiques 
d' Allemagne enlevait à ces rumeurs tout crédit et 
toute durée. A lire leurs discours et leurs écrits 
avant et après Sadowa, on voit que ce qu'ils redou- 
taient avant tout comn1e patriotes, c'était que la 
lutLe frat.ricide entre l'Autriche eL la Prusse n'an1e- 
nât une tierce puissance, une étrangère, à s'insinuer 
dans les affaires germaniques 4. Dès 1863, l\Iallinck- 


1. Pfllelf, Geissel. 11, p. 197. 
2. Paslor, Reichensperyer, I. p.4tU. 
3. Pastor, Reichensperger, I, p. Z::;ä. 
i-. /1.1'. B., 1866, I, p.l
 : << L'Allf'ma!lllP nc pcuL êlrc sau\ée IJlle si aueUl1 



PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE 79 


'odt poussait un cri d'alarme; la Prusse de Bis- 
narck n'allait-elle pas se jeteI' dans les bras de 
'étranger,dans les bras de larévolution, etamener, 
tinsi, Ie morcellement de la patrie allemande 1? 
...'ancienne Ligue du Rhin, qui avait fait de Napo- 
éon Ier un arbitre des destinées allemandes, se 
)résentaiL à toutes les mémoires comme un cau- 

hemar; les Feuilles historico-politiques, quelquc 
lostiles qu' elles fussent à la Prusse, écrivaient 
léjà, en 1863 : (( Entre la France et la Prusse, pour 
10US Allemands, aucune comparaison n' est possi- 
)le. Plutôt encore être Prussiens-in1périalistes que 

rançais-allemands et qlf'enrôlés dans un Rhein- 
Jund! Ces États du Rheinbund deviendraient des 
)ouvoirs maçonniques, tandis qu'en Prusse, }'hos- 
ciliLé officielle de rÉtat protestant n'a pas nui aux 

onsciences de nos frères dans la foi 2 )). Les mêmes 
Peuilles, si hostiles qu'elles fussent à Bismarck, 
iisaient en 1.866 : (( Avec Bismarck, on pourra 
:liscuter; avec la France, jamais 3! )) 


joigl d'Allemand ne sc lend vers rempire français. >>- H.P.B., 1866, I, p. 494 : 
:( Nous, AUemands, nc pouvons renconlrC'r un plus gl'alld maJheur que l'intervcn- 
LÍon de l'élranger. >> - H.P.B., 18fH;, 11, p. 148 : Ie publicisle se lamcnte que 
de to utes Caçons, queUe qu'eût été l'issue de la guerre, Ie règlement définiliC cÍtt 
dépendu de Paris. 
i. Pfuelf, i.11allinckrodt, p. 2!3. - Comparel' l'expl'l'ssion d'nne cl'ainle sem- 
blable. en 186!, dans une letlre de Reichensperger à Monlalembert (Pastor, 
Reichensperge;', I, p. 449). 
2. H. P. B., 1863, I, p. 152-156. - Cr., eontre l'idée d'Ull Rheinbund, H. P. B., 
1865, I, p. 22-23. - Dès 1856, les Feuilles /zistorico-politiques e\pIiquaient que 
la deutscher Legitimismus cOllsiste en ce quc<< les HoLIcs races du Nord ne soienl 
plus e}.posées, à chaque conf1it européen, à aIleI' de porle en porle pr('Js de l'éll'an- 
ger, et à lui offrir alliance, sous la condition qu'il sera a\ce cUes coulrc Ie 
présil1clll liu Bund. >> (H.P.B., i8:ifi, J(, p. 1 n:! l't suiv.). 
3. f/. P. B., 18(j(), II, p. 400. 



80 


r.' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Dans ses notes manuscrites sur la lerribl 
année 1866, ce qui faisait pleurer Reichenspergel 
c'était l'etTondren1ent de la Grande Allemagne 
mais ce qui Ie faisait trembJer, c' était l'idée qu 
Napoléon, après avoir poussé Ja Prusse à Sado\\T3 
s'ingél'erait bientôt entre les deux antagonistes J 
Ketteler, s'épanchant dans une lettre à sa sæur 
craignait que la guerre de 1866 ne fìt perdre 
 
I' Allemagne tout le fruit des IuUes Iivrées en i81: 
pour l'indépendance 2. Le non1 n1ême de NapoIéoJ 
rend aU ceUe anxiélé plus Iancinante, plus poi. 
gnante; il scmblait que les morts parlassent, e 
qu'ayant n1audit l'oncle, ils insultassent Ie nevou 
Le neveu d'ailleurs, - l'homme de 
Iagent,a e 
de SoIfél'ino, - n'était-il pas en partie responsab]( 
des infortunes de l'idée de (( Grande 1\llen1agne? > 
Cette idée vaincue, même résignée, lnême abdi. 
quant, même pardonnant à Bismarck, gardai1 
comme un reste de vie, pour soulever des rancune
 
contre l'empereur des Français. 
Aussi, Ie jour OÙ Bismarck entreliendra l' Alle- 
magne, à sa façon, d'un colloque survenu à Em
 
entre le roi Guillaume et Ie ministre de Napoléon Ill, 
les invalides de l'idée de Grande Allen1agne accoul'- 
ront auprès des soidats de la Petite Allen1agne, et 
l'élranger, naguère considéré comme I'artisan des 
dissensions allemandes, sera, sans Ie vouloir, tout 
de suite, l'artisan d'une grande réconciliation, 
d'une de ces réconcilialions qui sen1blent effacer 


L rastor, Reichenspergel', I. p. 579. 
2. Pfuelf, Kctlclcr, II, p. 2G2. 



PRf
PARATION DE I.. 'UNITÉ ALLEMANDE 81 


l'histoire de Ia veille et préparer une sorte de table 
rase où s'inscrira l' histoire du lenden1ain. Grands 
Allemands et Petits Allemands, Grossdcutsche et 
Kleindeutsche, ne retiendront plus, dans ces noms 
qui les divisaient, qu'une syllabe commune : 
Deutsch. Les uns avaient pour maìtre Goerres ; iis 
lisaient Janssen, qui, dans une brochure publiée 
en 1.861., s' efforçait de prouver, pièces en main, les 
aspirations historiques de la France à la posses- 
sion du Rhin i; ou bien iis apprenaient, dans les 
écrits de KetteJer, à détester dans la France un 
État centralisateur, absolutiste, dont l' exemple 
pouvait induire en tentation les souverains de l' AI- 
]emagne. Les autres s'étaient mis à l'école de Mau- 
rice Arndt; ils lisaient Haeusser, qui avait réfuté 
pour l'Allemagne les travaux de Thiel's sur Napo- 
léon 2. Entre Goerres et Arndt, entre Janssen et 
Haeusser, entre 1 'ancienne école catholique de ]\tIu- 
nich et Ie Nationalvcl'ein protestant, l'année 1870 
nouait une concorde imprévue. 
I 
I 


(( Comme en Allemagne, écrivait SchelJing au 
jébut du siècle, il n'existe pas de lien extérieur 
lyant Ie pouvoir de raviver l'ancien caractère na- 
tional qui s'est effondré dans Ie particularisme, et 
qui se perd de plus en plus, ce caractère ne pourra 


1. Janssen. Frankreich's Rheingelueste und deutsch-feindliche Politik in 
r 1 'ueheren Jakrhundel"ten (Fribourg, Herder, 1861). - Pastor, Janssen, 11. 3i-- 
l5. 
2. Dès 1845, à l'époque où Ie recueil de Slrahlheim : Unsere Zeit, publié par 
I un ancien offieier impérial français JO, propageait, dans l'Allemagne, Ie culte de 

3.poléon, Haeusser avail écrit un article contre l'Ristoire du Consulat et de 
l'Empire (Weech, Badische Biographien, I, p. 343). 


III. 


6 



8
 


L' ALLEl\IAGNE UELIGIEUSE 


8e reconslituer que par un lien interne, une reli- 
gion on une philosophie 1 )). 
Que ce lien pût rcdevellir Ie catholicisme, on 
favait sérieusement espéré, vel'S i840, autonr de 
la Table ronde de Goerres 2 : on y prophétisait vo- 
Ion tiers que Ie protestantisme agonisait, que l'unité 
religieuse de I'AHemagne était prochaine; et les 
partisans de la Grande Allen1agne avaient quelq lie 
temps durant pris l'habitude de riposter aux Prus- 
siens jaloux d'unification : (( Faisons d'abord l'unité 
religieuse, l'unité politique suivra. )) Puis les faits 
avaienl parlé, plus décisifs sinon plus éloquents 
que les rêves. lis avaient prouvé, à l'encontre dn 
mot de Schelling, que Ie caractère national ne pou- 
vail se reconstiluer que par Ia guerre... KeUeler 
alors, survenant, et profitant toujours de l'école des 
faits, avait expliqué que, pour couronner l'æuvrc, 
pour achever l'unité qui était comme Ie symbole 
de ce caractère national reconstitué, il fallait re- 
connaître l'autonomie des Églises, ce qui voulait 
dire, implicitement, leur diversité 3. II avait ainsi 
mis fin au quart de siècle de polén1iques où, pour 
des raisons confessionnelles, certains Allemands 
donnaient leur cæur à J'Autriche, certains autres 
à la Prusse; it avait présenté la vl'aie solution : 
liberté des Églises. 
Puisque la Prusse, depuis i8BO, accordait chez 


1. Schelling, rorlesungen ueber die Methode des akademisclten Studiums, 
V, p. 2GO (Tubingue, CoLta, 1803), ciLé dans Lassalle, M. Bastiat-Scltul::e, trade 
Monti, p. 329 (Bruxelles, Kistemaeckers, 1881). 
2. Voir notre lome II, p. 316-318. 

. Kettcler, L'Allemu.gtte apJ'ès la. gueJ'I'C ds 1866, lrad. Betel, p. 222-2i3j 



PR

PARATION DE L'UNITÉ ALLEl\lAND"
 83 


elle I'aulonomie religieuse, qui donc eût pu penser 
que, dans la Prusse devenue l' Allemagne, Ie chan- 
celier de Bismarck appliquerail des maximes in- 
verses, et que les cathòliques grossdeutsch, que lui 
avait ralliés la voix de KeUeler, seraient récom- 
pensés par Ie Cultu'rkampf 1.? Serait-ce done une 
Ioi de l'histoire, qu'avant de prétendre à quelque 
efficacité, avant même d' obtenir respect et créance, 
les (< ral1iements )) tardifs sont mis à l'épreuve par 
de terribles crises et découragés sans pitié, - on 
pourrait presque dire: punis, - par ceux..Ià mêmes 
dont l'hospitalité semblait promise? 


1. A vrai dire, un correspondant de la Civiltà prévoyait dès 1868 que si un 
jour la Prusse n'avait plus besoin du calholicisme. les animosilés protestanles 
s'y donneraient carrière (CiviltlÌ Cattolica, 31 octobre-14 novembre 1868. 
p. 401 et suiv.). - Cf. ci-dessous, p. 322-323, et nolre Lome IV, p. 383-384. 



CHAPITRE II 


LA FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES 
ALLEMANDS 


Attitude de l'Église à l'endroit de la révolution de f848 et des 
gouvernements réactionnaires qui y succédèrent. - Son pro- 
gramme d 'action sociale. 
I. - Une question: Ie rôle des laïques dans la. vie rle l'Église. - 
Les aventureuscs initiatives de Hirscher : plan d'organisalions 
synodales. - L'opinion dujuriste Jarcke. - Les congrès annuels: 
rapports des laïques et de I'épiscopat. - Pl'éoccupations sociales 
des congrès. 
II. - La misère des (( compagnons)). - Un réform ateur: KoJping.- 
De l'échoppe au séminaire. - Elbel'feld, berceau des Gesellen- 
ve1'eine. - Caractère de l'apostolat de Kolping : l'ftglise sortie 
du peuple etrestée peuple. - Ses voyages à travers l' AUemagne.- 
Kolping it Berlin. - Les instI'uctions de Kolping aux prési- 
dents des Gesellenve1'eine. - Kolping, littérateur populaire. 
III. - La misèrp des paysans. - Un .réformateur : Ie baron de 
Schorlemer-Alst. - .Burgsteinfurt, berceau des Bauenwe- 
?'eine. - But du mouvcment: l'indépendance économique des 
paysans. - Porlée du mouvement: reconstitution d'organismes 
corporatifs. - L'idéal social des l'éunions de Soest. 
IV, - La misère des ouvl'iers. - Discours du curé Thissen et 
væu du congrès catholique de Francfort. - Le rôle de Ketteler.- 
Le Retteler de 1848: appel à la réforme intërieure des âmes.- 
Préoccupations sociales des missionnaires jésuites. - Le Ket- 
teler de 1863 : un évèque économiste. 
V. - Ketteler et Ie (( libéralisme )) de Schulze-Delitzsch. - Atta- 
ques de Ketteler contre l'esprit ploutocra.tique de la Maçonne.. 
rie a.llemande. - Ketteler et Ie socialisme de Lassalle. - Une 
lettre de Ketteler à Lassalle Uan vier 1864). - Sa confiance dans 
l'efl'ort du capital chrétien pour rendre les ouvriers proprié- 
taires. - Correspondance entre Moufang et Huber. 
VI. -La question ollvriè1'e et ie c/t'J'istianisme : esquisse du livre.- 



86 


L' ALLEl\fAGNE RELIGIEUSE 


Plans manuscrits de Kettelel' en vue de coopératives de pro- 
duction. - Grand succès ùu livre dp Kettelor. - Jugement de 
Lassalle sur ce Jivre dans son discours de Ronsdorf. - Juge- 
ment de KeUeIer, dans une lettre à trois ouvriers, sur les orga- 
nisations ouvrières de Lassalle. 
VII. -Les idéessociales des Feuilles histm'ico-politiques. - Souci 
des catholiques d'amener laquestion sociale au premier plan.- 
L'IIisloiredes pal.tis politiquessociaux, d'Edmond Joerg. - Atti- 
tude de Joerg à rendroit de Lasslllle. - Des essais monastiques 
d'organisation ouvrière: Jos fondations du P. Théodose, la bro- 
chure de Bernad de Meyer. 
VIII. - Âcheminement de Ia ponsée do Ketteler vel'S l'idée d'or- 
ganisation ouvîÏère et de législation ouvrière. - Deux concep- 
tions inverses de la représentation ouvrière: Bluntschli, Kette- 
leI'. - Esquisse par Ketteler, dans un discours ùe pèlerinage, 
d'un prog['amme de revendications ouvrières. 
IX. - L'organisation sociale des fidèles. - Les Feuilles Chl'é- 
tiennes sociales d' Aix-Ia-Chapelle. - La question ouvrière à 
Iaréunionépiscopale de Fulda (1869) : un rapport de Ketteler.- 
La question ouvrière au congrès de Duesseldol'f (1869): un dis- 
cours de Lieber. - Le programme chrétien social d' Aix-Ia-CJm- 
pelle (février 1870). - Les congrès sociaux rhénüns dans l'été 
de 1870. - Union scellée,
dès 101'S, entre Ie clergé rhénan et II's 
masses populaires. - Une revue d'appel des forces catholiques. 


L'Église calholique d'Allemagne avail bénéficié 
du mouvement révolutionnaire de 1848 sansjamais 
y avoir trempé. Au jour du bilan, eUe recueillait 
certaines libertés définitivement conquises sur les 
bureaucraties. 1\1ais, tandis que les membres de Ia 
secte schismatique des (( catholiques al1emands )), 
tandis que les protestants (( amis des lumières )), 
avaient pris part aux émeutes, rÉglise, en Prusse, 
par la voix de l'évêque Diepenbrock f, avait forn1el- 
lement prrché Ie respect du pouvoir royal et la 
fidélité au devoir civique, notamment au paiemenl 


I. Saemmtliche Hirlenbriefe Sr. Eminenz des Cardinal-Fuerslbischof
 
von RrcslllU J/elchior t'. DiepenlJ,'ock, p. 67-68 (
lucllSLel', A!'ch('ndorff, 18:J3\. 


Î 



FORl\IATION SOCIALE HES CATHOLIfjUES ALLE!'tIANDS 87 
de l'inlpôt; l'Église, en Palatinat, avait été mena- 
cée et bousculée par les bandes révolutionnaires 1, 
et Ie curé Eberhard. dès Ie mois demai 1849, au 
congrès catholique de Breslau, proclamait que les 
catholiques seraient les (( appuis des gouver- 
nants 2 )). 
Lorsqu'en 1849 et 1850 la réaction survint, il 
était naturel que les pouvoirs rafTermis gardassent 
aux catholiques quelque gratitude pour un tel 
loyalisme. Un jour de mai 1849, deux fonction- 
naires causaient dans une rue de Carlsruhe. (( Les 
jésuites, disait l'un, sont les vrais ennemis de 
l'État; en comparaison", les rarlicaux insurgés sont 
des amis. )) Survinrent, en file menaçante, cinq 
cents soldats en ru pture de ban, tout prêts à piller. 
(( NOllS dormirions plus tranquilles, riposta l'in- 
terlocuteur, si c' étaient cinq cents jésuiles 3. )) Le 
mot de cet homnle correct traduisait avec une 
bourgeoise franchise les disposilions gouverne- 
mentales de I' époque. Le général commandant de 
Breslau, à qui l'on demandait licence de tenir un 
congrès catholique, parlait com me Ie fonction- 
naire badois f.. Naturellement, aussi, les évêques, 
pour désarmer les dernières suspicions de la puis- 


1. Ve1'ha11lllungen de1' dritten General- Ve1'sammlung des J{atholischen 
Vereines Z'u Regensbw'g, p. 56-62. - RemIing, Nicolaus von Weis, Bischof 
:u Speyer, im, Leben und Wirken, p. 88-89 et !) 1, Dote (Spire, Kleeberger. 1871). 

. 'Verhandlungen der zweiten Geneml- Ve 1'samm [ung des Katholischen 
Vereines Z'u Bl'eslau. p. 1& (Bl'eslau, Aderholz, 1849). 
3. Andlau. Der Aufl'uhl' Ulld Umstw'Z' in Baclen, J, p. 21, n. 1 (Fribourg, 
Herder, 1850). 
4. Verhandlungen der Z'weiten General- Versammlung dc.'l Katholischen 
Vel'cines Z'u Breslau. p. G. 



88 


L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


sanee civile, s'empressaient de faire vaJoir la fidé- 
lité qu'avaient témoignée, durant les troubles, 
prêtres et fidèles. Geissel, l'archevêque de Cologne, 
excellait à évoquer ee souvenir: il y insistait dans 
une lettt'e à Frédéric-Guillaume IV 1 ; il expliquait 
au roi de Hanovre, jadis hostile à I' émancipation 
des catholiques anglais, que les sièges épiscopaux 
sont toujours une garantie pour ]e bon ordre 2. 
(( Actuellement, observait Ie chanoine Trost au 
ministre prussien 1\ianteuffel, l'Église a presque 
moins besoin des évêques que n' en a besoin 
l'État 3 . )) A l\rlayence, à Rome, les propos du nouvel 
évêque KeUeler", ceux du cardinal Antonelli Ð , 
donnaient la même note. Le roi de Prusse en per- 
sonne pouvait être invoqué comme témoin : pas- 
sant à Paderborn, en 1851, il félicitait l' évêque 
pour Ie hon esprit de son peuple, et puis tournait 
Ie dos au surintendant de l'Église évangélique, en 
lui jetant une remontrance sur les mauvaises 
têtes dp ses ouailles, qui méritaient une correc- 
tion. La Civiltà cattolica, que dirigeaient des 
jésuites de Rome, raeontait complaisamment 
l'incident 6 . (( On a compris à Berlin. disait-eHe, 


1. prude, Geissel, II, p. 34 (letlre du 18 novembre 1850). 
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 38-40. 
3. PrueH, Geissel, II, p. 96. - ce. la lellre de l\Iolilor, secrélaire de l'évèque 
ùe Spire (pfue1f, Geissel, II, p. 371). 

. Brueck, Die oberrheinische Ki'l'cheupl'ovin:, p. 366 (Ma
 cnce, Kirch- 
helm, 1868). 
5. Brueck, Die ober1'heinische Kirchenpl'ovÙ1:;. p. 395. Cf. une lellre de Klind- 
worth, a
enl secret de la Prusse, au ministre I\lanteufl'el (28 avril 1854) sur une 
conv.ersahon avec Antonelli: celui-ci lui exprima (( Ie senliment très nel que les 
beS?IfiS du temps réc1ament que les deux pouvoirs aillenl lrès exaclement la 
malO dans la main. )1 (Deutsche Revue, 1906, II, p. 324). 
G. Civiltà cQ.ttolica. i-15 septemhre 1851, p. 170-171. 



FORl\'IAfION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 89 
que permeUre les journaux radicaux était un mal 
et que prohiber les missions était prohiber un 
bien; aussi a-t-on supprimé ces journaux et a-t-on 
favorisé les missions 1. )) Le livre du catholique 
baron d' Andlau 2 sur les émeutes badoises, et les 
sermons prêchés dans toute I'Allemagne, s'atta- 
chaient à établir un lien de filiation entre l'in- 
croyance et les idées de révolte 3 ; et l'on eût pu 
leur donner comme épigraphe ces vel'S du poète 
rhénan Guillaume Reuter: (( Vne couronne royale 
n'est assurée de loyauté, que lorsque devant la cou- 
ronne d'épines, prince et peuple s'agenouillent:'. )) 
Certains protestants allaient plus loin : ils s' en 
prenaient à la Réforme elle-même, la condam- 
naienl sans appe], comme la devancière de la 
Révolution, et passaient à l'obédience de Rome; 
ce fut Ie cas, en 1852, pour deux offìciers pl'llS- 
siens dont la conversion fit du bruit, Rochus de 
Rocho,," et Traugott de Pfeil Ð. A peine remise des 
chaudes alerles de i 848, l' Allemagne acc]amait Ie 
catholicisme comme Ie soulien constant et fidèle 
de la notion d'autorité. L'Église s'apercevait, au 
jour Ie jour, que Ie reflux même de la réaction 


1. Civiltà cattolica, t1 aoûl-l er septembre 1851, p. 609. 
2. Sur Ie baron Henri Bernard d'Andlau (1802-1871), voir Ull bon arUcle du 
professeul' Martin Spahn dans Ja Catholic Encyclopedia, I, p. 468 (New-York, 
Appleton, 1907). 
3. Andlau, DerAufl'uhr uncI Umstw':; in Baden;-voir spécialement I, p. 21- 

'j,. - Cr. Mundwiler, P. Georg von \Valdburg-Zeil, p. 76 
Fribourg, Her- 
der, 1906). 
4. Kellner, Lebensblaetter, p. 50i. - ce. la préface mise par Hurter au pre- 
mier volume de sa Geschichte Kaiser Ferdinand.
 lI. 
5. Rosenthal, KOllvel.titenlJilde1', J, 3, p. 34-39. 



90 


L'ALLEI\IAG
E RELIGIEUSE 


politique anlenaiL les princes et les préfets, le
 
généraux et les riches bourgeois, à faire bon mar. 
ché de leurs susceptibilités protestantes; qu'ih 
accueilJaient bien les lllissions 1, les cncourageaient
 
les félicitaient, faisaient présenter les arme
 
lorsque les n1i ssionnaiyps élevaient la croix. C' étai1 
déjà beaucoup; et fEglise, peut-êtl'e, en retou) 
des services politiques qu' eUe consentirait à 
rendre, pouvait obtenir d'autres marques de fa- 
veur, ou même ex.iger un surcroÎt de libcrtés. 
Mais une équivoque était menaçante, d'où résul- 
tait nn grand péril. L'Allemagne traversait une 
de ces péri8des de représaiHes qui succèdent à 
l' efTarement des révolutions : il semble, durant 
ces périodes, que les nations reculent; en réalité, 
eUes ne font que marquer Ie pas; l' effet des révo- 
lutions subsiste; les nations, ayant repris haleine, 
poursuivent leur marche, au prix d'autres bous- 
culades; la course au progrès, vaste pièce que 
joue l'humanité, est coupée par les intervalles de 
réaction comn1C par des entr'actes; mais les actes 
joués demeurent joués. Si I'Église s'enlizait dans 
une suite de coquets manèges avec les puissances 
politiques et sociales cnfin rassurées; si, mon- 
nayant aux masses, exclusivement, les promesses 
divines qui récompensent la résignation, elle obte- . 
nait en échange, des États satisfaits, certains 
droits inédits ou certains privilèges inaUendus; 
si ces victoires mêmes la. faisaient apparaîtrc aux 


t. 8ur les missions, \oir ci-dcssom J p. lS(j-19
. 



!ORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 91 

opulations allemandes comn1e la force réaction- 
naire par exceHence, que deviendrait-elle et queUe 
figure ferait Ie Christ au jour inéluctable OÙ la 
période de réaction serait close? Alors, pour avoir 
trop finement joué, l'Église se trouverait à la 
merci des gouvernements nouveaux, ct séparée de 
l'ànlc populaire par de haineux et durables malen- 
tendus. Le Verbe de Dieu, en Allemagne, avait 
cessé d'être enchaîné : allait-il, au lendemain de 
son (
nlancipation, passer compromis avec les 
puissants, pour commander Ie silence des peuples? 
De la réponse que ferait à cette question l'Église 
d'Allen1agne, l'avenir dépendait. So us Ie nom de 
(( Iibertés, )) les années 1848 à 1850 apportèrent au 
catholicisme, dans plusieur
 pays, de somptueux 
cadcaux: la façon diverse dont il en profita, sous 
les diverses latitudes, fixa pour longtemps ses 
diverses destinées... 
Les catholiques d' Allemagne eurent Ie mérite 
de comprendre que, si parfois il est bien de 
réclamer des libertés, il in1porte, avant tout, 
cruser laborieusement de celles que l'on possède; 
que les campagnes d' (( affranchissement )) ne 
doivent jamais absorber ]a vie des hommes, des 
partis ou des Égiises; qu'iJ y a dans ces parades 
quelque chose de négatif; que la libel'té ne vaut 
que pour l'en1ploi qu'on en fait; qu'elle est un 
moyen beauconp plus qu'un iJéal; et qu'aux 
fatigues qui 1a conquièrent doivent succéder 
d'autres fatigues, moins éclatantes, mais plus 
méritoires, au prix desquelles on 1 utilise. Exaltéc 



92 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


par les sourires émaneipateurs de l'année 1848. 
I 'Église d' Allemagne aurait pu Iaisser eonfisqueJ 
son activité par une politique de réclamation
 
ineessantes et de marchandages tenaees. Assuré- 
ment ellê sut, lorsqu'il Ie fallait, disputer If 
terrain, vaillamment, à l'indiscrétion des bureau- 
eraties et à l'importunité des majorités pariemen- 
taires, et nous verrons bientôt comment se déve- 
loppa, dès ]e lendemain de 1848 et jusqu'en 1870, 
l'action politique des calholiques, et comment, à 
l'aube du Culturkampf, leur apprentissage civique 
était achevé. l\1ais l'Église d' Allemagne aurait crn 
manqueI' à son devoir si eUe n'avait eu d'autre 
souci, durant ces vingt années. que de faire valoir, 
vis-à-vis de l'État, ses droits théoriques de (( so- 
ciété parfaite, )) et si elle avail n1is toute sa gloire 
à les faire reconnaitre, morceau par morceau. 
Elle aspirait à mieux et à plus qu'à être quelque 
chose dans l'État, ou qu'à faire figure de personne 
vis-à-vis de I'Éta.t; il semblait même qu'aux vic- 
to
res qui grandissent, mais qui parfois isolent, 
I'Eglise d'AlJemagne préférât l'action modeste et 
pénétrante, qui descend dans Ia vie populaire 
pour y faire Ie bien, et qu'au prestige ombragpux 
et boudeu!' des lendemains de triom phe elle pré- 
férât, lorsque c'élait possible, la cordialité des 
contacts quotidiens avec toutes les forces vives 
du peuple allemand. Fidèle à Ia maxime de ces 
papes du moyen âge, qui ne voulaient être libres 
que pour se montrer en toule générosité les servi- 
teurs des serviteurs de Dieu rÉO'lise d' Allerna
ne 
, ð v 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 93 
attachait peu de prix aux satisfactions d 'orgueil 
qu' elle aurait pu trouver dans la conquête succes- 
sive des libertés les plus imprévues; dès qu'elle 
était suffisamment libre pour se dévouer à sa 
vraie tâche d'Église, c'est-à-dire pour développer 
la vie religieuse des fidèles et pour im prégner de 
christianisme les rapports sociaux, c' est à cette 
besogne qu 'avant tout elle S 'attachait. 
Lorsque aux vingt ans de calme respiration qui, 
dans la plus grande partie de fAllemagne, avaient 
été accordés au catholicisme, succédèrent les 
heures essoufflées du Culturkarnpf, Ie clergé d'AI- 
lemagne, du moins, avait, depuis 1850, assez acti- 
vement profité de ses éphémères libertés, pour 
qu'aux souffrances de ]a persécution ne s'ajoutât 
point Ie remords du temps perdu. Son esprit de 
dévouement aux masses ouvrières et rurales était 
récompensé. L'Église, gueUée par Ie ('ulturkanlpf, 
avait déjà dps racines populaires contre lesquelles 
Ie chancelier de fer devait être impuissant à pré.. 
valoir. L' Autriche, puis la France, avaient été en 
retard sur Bismarck; Ie clergé, lui, était en 
avance. C' est après avoir assisté à cette besogne 
d'action sociale, à celte lente conquête des foules 
allemandes, qu' on pourra comprendre pourquoi, 
dans l'histoire du cha.ncelier, après les noms de 
Sadowa et de Sedan, s'inscrivit eelui de Canossa. 


I 


Comment I'Église devait-eUe se conduire à ]'en- 
U r O -_" 
 
'l S .,. 
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 Y ' S CO - LI 
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04 


I..' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


droit des Iaïques, et quel rôle devait-elle leur con- 
sentir dans sa propre vie? La question, au lende- 
main de 1.848, passionnait beaucoup d'esprits en 
Allenlagne. Ð'aucuns auraicnt vo]ontiers introduit 
dans rorganisme ecclésiastique, sous la forme de 
synodes, un certain contrepoids democratique à la 
vieillc hiérarchie 1. En tête de ces novatcurs figurait 
Ie professeur Hirscher, de Fribourg : sa haute et 
grave piété, son attachen1ent à l'esprit chrétien, 
son zèle pour l' cnseignen1ent du catéchisme 2, son 
expérience, enfin, en matière de théologie morale, 
groupaient antonr de ce prêtre une nombreuse clien- 
tèle d'âmcs, qui l'honoraient comme on honore 
un pab'iarche 3. II ne songeait à rien de moins qu'à 
introduil
e dans l'Église, comme dans I' État, cer- 
taines maxinles constitutionnelles. L'allégresse des 
prêtres et des fidèles au sujet des libertés récenl- 
ment conqùises lni était suspecte ; dans leur élan 
pour en profiter, il soupçonnait un certain bEsoin 
d' empiètement, nne soif de domination :a., et signa- 


1. Voir, sur les déLuls du mouyemcnt s
nodal en 1848, Dolre tome II, 
p. 38i-386. 
2. Voir Dotre tome II, p. 273-278. 
3. Le mot esl du chanoine Lennig, dans une leUre à Doellinger (Friedrich, 
Doellinger, III,p. 8.-Cr. Haegele, Alban Stolz, p.1M-165;-Dieringer,Die 
Theologie del' Yor=und Jetztzeit, p. 6. (Bonn, Henry, 1868). - Sur l'affeclion 
el l'admiralion qu'avait pour Hir5cher le fulur archevêque Orbin, voir Weech, 
Badische Biographien, IV, p. 305 ; sur le rôle qu'il joua dans Ie réveil reJigieux 
badois, voir H. P. B., 1.854, II, p. 69-70. Il y a un beau porlrait de Hirscher 
dans les souvenirs de Robertl\1ohl, qui l'avait connu à Tubingue (Moh1, El'Üme- 
,'ungen, I. p. 187). - Due élude d'ensemble fait dêCaut sur la vie de ce lrès 
curicux personnage (1788-1865) : mais dIe a élé esquissée, avec une bonne 
bibliographie des æuvres de Hirscbcr, par Frédéric Lauchert, dans la Revue 
internationale de théologie, 1894, p. 627-656 ; 1895, p. 2GO-280 el 723-738 ; t896, 
p.1;)1-174. 
4. Hirscher, Die Ki.rchli.chett Zustaellde der Geyenwart, p. 12 (TuLingue, 



?OR
IATION SOCIALE DES CATHOLJ(JUES ALLE
IANDS 95 
lait d'autres libertés à conquérir, non plus sur 
I
absolutisme de l'État, mais sur ce que volontiers 
il eût appelé l'absolutisme de la hiérarchie. (Jue 
l'État se mêlàt de l' éducation des clercs, cela ne 
1éplaisai t point à I-lirscher 1, parce que 1 'État 
représentait les laïques et qu'il avait, en leur nom, 
le droit de dire un mot. Que ces laïques cux-mèmes 
3xpédiassenl quelques délégués dans des synodes 
qui, sous la présidence de l'évêque, concerteraient 
la réforme de l'Église:\ c'était là, pour Hirscher, 
une sérieuse garantie de contrôle dont les admi- 
nistrations paroissiales avaient besoin. Avec Ie 
concours et la surveillance de ces (( classes cul- 
tivées )), qu'un professeur com me Hirscher ne 
pouvait lnanquer de tenir en très haute estime 3 , les 
paroisses se rajeuniraient, eUes se renouvelle- 
raient. Peu s'en fallait que les synodes, OÙ sié- 
geraient les simples prêtres et quelques laïques, 
ne fussent mis par Hirscher au-dessus mêrne de 
l' évêque : la convocation périodique de ces assem- 
blées lui apparaissait comnle un droit, :comrne 
un phénomène nornlal de la vie de l'Église, et non 
point comme un actc de l'autorité épiscopale, acte 
dont cette autorité fixait l'heure et les condi- 
tions ft. Quant aux associations de laïques, Hirs- 
cher rêvait qu'eUes fussent interconfessionnelles 5 : 


Laupp, 184-9), - Heinrich, Ðic Kirchliche Reform, I, p. 3, el II, p. 238-240 
(l\layence, Kirchhcim, 1850). 
L Hirscher, Ope cU., p. 5 el9. - Heinrich, Ope cit., I, p. U. 
2. Hirscher, Ope cit., p. 2f). - Heinrich, Ope cit., I, p. 54-58. 
3. Hirscher, Ope cit., p. 58. 
I.. Heinrich, Ope cit., I, p. 67. 
5. Hirscher, up. cit., p, 57. - Heinrich; Ope cit. II, p. 51-5J. 



96 


L'ALLEl\IAGNE RELIGTEUSE 


il semblait qu ïl ne vît, dans les congrès pure men 
catholiques, que d'inquiétantes parades d'ortho- 
doxie. 
L'on vit s'engouer, tout de suite, pour les idée
 
de Hirscher, les vieux prêtres qui jadis avaipn 
applaudi, dans Ipur jeunesse, les théories émancipa. 
trices de Wessenberg 1, et les jeunes prêtres. 
aussi, qui craignaient que l' épiscopat, affranch- 
du joug de l'État et ne dépendant plus que de:: 
Rome, n'exerçât sur Ie petit clergé une sorte de 
pouvoir absolu 2. Grave étaÏt la question: l'auto- 
rité, dans l'Église, continuerait-elle à descendre 
d' en haut, ou bien, comme dans I'État, viendrait- 
elle d'en bas? A l\lunich, Ie professeur Lasaulx se 
demandait s'il était dans Ie plan de la Providence 
que l'absolutisme fût installé à la cime de l'Église 3. 
Les aspirations des simples prêtres et des Iaïques 
à former des façons de parlements ecclésiastiques 
mettaient en périlla charpente même de l'édifice 
romaine Pie IX Ie sentait : il voulait qu'avant de 
se préoccuper de réunir des synodes diocésains, 


1. Voir nolre tome I, p. 119 el suiv. - Heinrich (op. cit., II, p. 90) reproche 
à Hirscher de reprendre les idées de Wessenberg el de Theiner. 
2. Dans Ie clergé autrichien, ces craintes étaient lrès vives; voir W olCsgruber, 
Friedrich J{ardinal Schwarzenberg, 1, p. 306 et 349 (Vienne, Fromme, 1906), 
et Heinrich Hurter, Hurter und seine Zeit, II, p. 
91-292. A l\Ia}ence, aussi, ces 
crainles se faisaientjour avec nnecortaine ténacité. Voir dans Friedrich, Doellin- 
ger, III, p. 23, la leltre de Moufang à DoelIinger, d'oclobre 1849. (( Nous ne 
VOUlOIlS pas plus longtemps être un jouet de la hiérarchie, lisait-on dans Ie 
J.1fainzer Tagblatt du 4 avril 1850 (PCuelf, Ketteler, I, p. 213), ct lorsque en 1860 
Ie ministre Dalwigk, dans un discours, sembJa croire que l'é\êque était Ie seul 
prêtre de son diocèse, de nouveau, dans Ie clerg
, une agitation se produisil 
(Pfuelf, Ketteler, JI, p. 21-22 et 78). - Sur des sentiments semblables dans Ie 
clergé havarois, voir noire tome IV, p. 139. 
:L Stoelzle, Lasaulx, p. 271. - Sur LasauJx. voir notre tome II, p. 100. 



FOR1IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE:\IANDS 97 
l'on tint des conciles provinciaux, dans lesquels 
les autori tés des divers diocèses s 'entendraient 
préalablement sur les questions pressantes 1. 
Iais 
ce que demandaient au contraire IIirscher et son 
écoIe, c'était que les synodes diocésains fussent 
réunis, d'urgence, pour donner à l'autoriLé, et, si 
besoin était, aux conciles provinciaux, sous la 
forme de væux qui peut-être deviendraient inlpé- 
rieux, les indications nécessaires 2. 
Blunl, évêque de Linlburg, Vicari, archevêque 
de Fribourg, s'inquiétèrent de ces idées, qui bénéfi- 
ciaient de l'ascendant exercé par Hirscher. lIs sou- 
haitaient que Doellingcr Ie réfutât 3 : pour avoir rai- 
son d'un docteurcomme Hirscher, illeur paraissait 
lu'il ne fallait rien de nloins que I ïntervention d'un 
srand savant. Doellinger se déroba; nlais Ie cano- 
aiste Phillips, Ie prêtre Amberger, de Ratisbonne, Ie 
tyrolien Fessler, qui devait plus tard être évêquc 
Ie Saint-Poelten et secrétaire du Concile du Vati- 

an, expIiquèrent l'exacte doctrine de l'Église ro- 
maine sur les synodes" ; et Ie prêtre Heinrich, de 

layence, discuta dans deux brochures l'idéal ecclé- 
5iastique qui obsédait la pensée de Hirscher, et 


1. BreC du t 7 mai 1849 (dans Heinrich, Ope cit., I, p. 139-141). Rapprocher 
i'avis de Reisach, archevðque de l\lunich (PCuelf, Geissel, II, p. 439). 
!. Hirscher, Ope cit., p. 26 et suiv. - Heinrich, Ope cit., I, p. 31 et 39. 
3. Friedrich, Doellinger, HI, p. 5-7. 
4. Phillips, Die Dioezesansynode (Friboarg, Herder, 1849); lraduil en 
rl'an
ais par l'abbé Crampon (Paris, Lecoffre, 1853). - Amberger, Der Klerus 
lLUf der Dioezesansynode. (Ratisbonne, Puslet, 1849). - Fessler, Uebel' die 
Provincial Concilien lLnd Dioecesan Synoden (Innsbruck, Wagner, 1849). - 
Erdinger, Dr. Josef Fessler, p. 51 el64(Bl'ixen, Weger, 1874). - Sur Phillips 
voir notre tome II, p. 97. - Sur Fe.,sler, voir nolr(' tome IV, p. 3i7. 


III. 


7 



98 L 'AJ.LEl\IAGNE RELIGIEU
E 
montra que Ie seul contrôle auquel l' évêque pût 
être soumisétaitcclui dumétropolitainet du pape 1. 
Le professeur de Fr'ibourg s'inclina hientôt devant 
la condamnation dont Rome Ie frappa 2. On n' en- 
tend it plus parler de sYl10des diocésains qu' en i867, 
à Paderborn, où l
 synode normalement convoqué 
par l' évêque l\lartin ne renferma aucun élément 
laïque s. 
Les condanlnations peuvent enrayer la marchC' 
des erreurs, nlais elles n' étou ffen t pas les aspirations: 
ce n'était pas seulement l'esprit de i848, c'était ]e 
réveil même de la vie religieuse, qui poussait les 
laïques à désirer dans l'Église un poste d'action et 
un rôle de dévouement : il faUait que l'Église prêtât 
attention à ce désir, il fallait qu' elle y satisfît. On 
ne sait trop comment Hirscher, si on l'avait mis å 
même de réaIiser ses plans, aurait exclu des 
synodes certains laïques fort peu croyants et fort 
peu dévots 4; mais les autres, - ceux dont l\fau- 
rice Lieber se faisait l'écho lorsqu'à l'assemblée 
de Ratisbonne il protestait contre les idées révolu- 
tionnaires de Hirscher Ii - avaient besoin d'être 


1. Heinrich. op. cit.. I, p.79. - Sur Ie lhéoIogien Jean-Baptisle Heinrich 
(t816-1891), voir Brueck, Katholik, 1891, I, p. 289-307 et 403-425. 
2. Reusch, Der Illdeæ der verboten en Buecher, 11,2, p. 1116 (Bonn. Cohen, 
1885'- Ce rut Keltpler qui empêcha, aprl's la mort de Hirscher, la condamnation 
de quelques autres de ses écrits (Pfuelf, Ketteler, II, p. 375-376). - Llndex. con- 
ùamna encore, pn 1850. deul. aulres écrils sur Ia question synodalc : run ano- 
nyme, de Wessenberg: Die Bisthums-Synode (Slullgart, Colla, 184.9); l'autre du 
chanoine Haiz: Das lCirchliche Synodal-Institut vom positiv-histol'ischen 
Standpunkte au.s bet1'aclttet mit besonderer Ruecksicht auf die gegenwaertige 
Zeit (Fribourg, Wagner, 1849). 
3. Voir ci-dessous, p.314. 
4. Heinrich. op. cit., I, p. 59. 
5. Verhandlungen der dritten General- Yer:wmrnlull!l des kalholisclten 



FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 99 
instruits, orientés, de savoir quel serait à l'ave- 
nir, dans l'Église d'Allemagne, leur cadre d'ac- 
tion, et de connaître, enfin, toute l'étendue de 
leur pouvoir, et tonte I 'étendue, aussi, de leur 
devoir. 
Si quelqu'un était hostile, et par sa doctrine, et 
par son lempérament, à ce qu'on appelait la 
(( démocratisation de l'Église )), c'était assurément 
Ie juriste Jarcke, protestant converti, et familier 
de 
Ietternich; mais il observait, cependant, que 
(( du jour OÙ les laïques réputeraient les affaires 
de l'Église comnle étrangères au cercle de leur 
activité, il adviendrait, alors, ce qu'on voyait en 
Autriche : la force et la vie de l'Église seraient 
brisées )). Jarcke, à la veille de Pâques de 1849, 
s'attardait it ces pensées avec d'anxieux scrupules : 
commenl faire pour rnaintenir Ia hiérarchie à l'abri 
de toute usurpation dém.ocratique, et pour éviter 
d'autre part que Ie peuple des fidèles fût réduit à 
n'être plus qu'un troupeau de pratiquants, enclins 
à se désintéresser du sort de 1 'Église, nonchalants 
sous un masque de docilité, inertes sous les dehors 
d'une passive soumission? (( Ð'une part, reprenait 
Jarcke, de fausses aspirations - et des velléités 
de démocratiser la société religieuse ; d 'autre part, 
un esprit d' étroitesse, de mort spirituelle; une 
sorte de racornissement, - l' étouffement de toute 
vie dans I 'Eglise : voilà les deux abîmes en tre 
lesquels il faut trouver une route. Chercher la 


Vereines zu Regensburg, p. 192-193 et 214-!15. -- Sur 
Iaurice Lieber, voir 
llolre tome II, p. 396, et notre tome J V, p. 29. 



fOO 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


solution moyenne, la solution vitale : voilà, ce 
DIe semble, notre tâche d'aujourd'hui 1. )) 
La solution fut bientôl trouvée : ce fut la tenue 
annuelle de vastes congrès qui, semblables au con- 
grès 
Iayençaisde 1.848'\ grouperaient desreprésen- 
tants de toutes les associations catholiques alle- 
mandes etqui mettraient à l'étude, avec une compé- 
tence strictement délimitée, certaines questions 
nettement fixées. Un jour de 1854, OÙ Ie cabinet 
de Berlin demandait à Geissel, archevêque de 
Cologne, d'accepter à l'avance la responsabilité de 
tout ce que diraient les congressistes et ne vou- 
lait autoriser leur réunion qu'à cette condition 
expresse, Geissel répondit par un refus; il n'ad- 
IneUaÏt pas que les évêques fussent rendus res- 
ponsables de tout ce que poul'raient tenter ou pro- 
poser, dans ces assemblées largement ouvertes, 
des orateurs de bonne volonté!J. Ainsi se dessina, 
dès Ie début, la physionomie très spéciale des con- 
grès; les di
nitaires de l'Église prirent l'habitude 
d'intervenir fidèlement à Ia séance d'ouvertore, 


1. Carl Ernst Jarcke, P,'indpientragen, p. 137-138 (Paderborn, Schoeningh, 
1854). Sur Jarcke t1801-185
), voir notre tome II, p. 9í-98, et Rosenthal, Kon- 
-certitenbilder, I, 1, p. 4.
2-455 el Supplément, p. 171-176. 
2. Voir notre tome II, p. 358-375. Le compte-rendu du congrès de Mayence 
a été traduit par M. Bessières (Paris, Bloud, 1906). 
3. Pfllele, Geissel, II, p. 55. - D'ailleurs, dans Ie programme qu'élabora dês . 
1849 Ie congrès de RalÍsbonne, l'union d'action avec les évêques était aCfir- 
mée ("Verhondlungen. p. 206-
1O); et Ie.. cl'aintes qu'exprimait Jarck.e à Lie- 
ber au 8ujet de l'iosubordination évenluelle des associations catholiques (Braun, 
Die Kirchenpolitik der deutschen Katholiken 8eit dem Jahre IB4j, p. 40-44. 

Iayence, Kirchheim, 1899), purent êlre ainsi rassurées. La thèse de M. Frie- 
drich. l'hislorien '( vieux catho1ique )', d'apròs laquel1e ces congrès auraient été 
machinés parle << parti jésuitique >>, par-dcssus la tète des évêques, pour 80U- 
mettre les la'iques à l' << ultramontanisme ), du Sainl-Siège, manque de tout f'on- 
dement. 



FORI\1ATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\lANDS 101 
de la bénir, de sceller par quelques mots de bien- 
venue Ie lien des congl'cssistes avec l'Église ensei- 
gnante, et puis de s'effacer tout de suite, en lais- 
sant aux orateur
, quatre jours durant, une com- 
plète liberté dïnitiative, comme si la hiérarchie 
eût craint d'intinÚder et de paralyseI' leur esprit 
d'entreprise en demeurant tTOp proche d'eux. 
..A.yant courbé leurs fronts sous sa nlain bénissante, 
l' évêque ne voyait plus en eux que des citoyens 
chrétiens, discutant libremcnt sur les moyens les 
meilleurs de servir leur foi. 
Le discours prononcé par Dinter, dès Ie mois 
de mai 1849, au congrès catholique de Breslau, 
sur la participation des laïques aux luttes pour 
l'Église et pour la religion, apparait à distance 
comme Ie programnle d'une longue période d'his- 
toire. Le programme a été sui vi 1. 
Les assemblées annuelles 2 des catholiques alle- 
mands n' ont jamais cessé, depuis cinquante ans, 
:Ie se dérouler comme des actes de vie civique, et 
non point seulement com me des manifestations 
relígicuses 3. (( Les associations catholiques, disait 
lans un meeting, au début de 1849, un curé de 

arnpagne ,vestphalien, doivent s'étendre partout, 


1. Verhandlungen dCl' :aveiten Versamm lung des Katlwlisclwn Vereines 
.u Bl'eslau, p. 7-12. 
2. A Linz, ell 1856, on proposa que les congrès n'eussent plus lieu que tousle5 
leux ans; mais I'idée fut repoussée, etle futur cardinal Gruscha fit au contraÏrc 
lécidel' qu'ils dureraient. non plus 3, mnis 4, jours (May, Geschichte dCl' Gellc- 
a.lversammlungen der Kat1wliken Deu/schlands, p. 10
-103). 
3. On ne saurait mieux s'en rcndre compte qU'Cll observant, dans une l'écenlo 
,rochure de .M. J. Cauvièrc : Deux congl'ès (Paris, Lethiellem;., 190i) la phJ'sio- 
omie, fincment observée. nettement dcssinéc, de l'unc des del'nières assemLlée:i 
es cat hol ÎfI'H'" allf'mandi. 



f02 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


afin que nous parvenions à avoir une volonté 
populaire catholique, une opinion publique catho- 
lique 1. )) Ce curé n'était autre que I\ettcler. Les 
congrès des catholiques allernands justifièrent son 
væu. Une opinion publique catholique s'y élabora; 
une expérience laïque s'y développa, qui, dans 
chaque diocèse, ensuite, seconda les désirs de 
l'épiscopat 2. Jamais des paroles dites à ces congrès 
ne provoquèrent de difficultés graves entre les 
puissants de l'Église etles représentants irnprovisés 
uu peuple chrétien; toujours, entre les uns et les 
autres, la con fiance suhsista, les congressistes 
s'abstenant soigneusernent de toucher à des ques- 
tions de foi, de discipline et d'adrninistration dio- 
césaine, et les évêques à leur tour veillant sur 
l'action des laïques avec une sollicitude arnie, plus 
prompte à se réjouir qu'à se défier. L'expérience 
de ces meetings fit sentir aux laïques, annuelle- 
meni, à queUes fonctions agissantes ils étaient 
appelés dans la société religieuse, et quels devoirs 
C!t quels droits ces fonctions entraînaient pour eux. 
II advint, maintes fois, que les spectatcurs h08- 


1. Pfue1f, ](etteler, II, 1>- 171, 'n. 1. Dè
 1849. on conslalait au cong-rès 
catholique de Breslau, quels prug"rès a\aieut, en rnoins d'un an, fails les associa- 
t.ions calholiques. Déjà 40.000 Wesl.phaliens y élaient. enrôles; Ie Piu8vereiu, 
qui les englobait loutes, fOllctionnait déjà dans trente diocèses ù'Allemagne et 
rl'Aulriche; et quelques mois avaient suffi pour que, dans la seule province de 
Silésie, se flJl'masscnt cent dix associations (rerhalldlungen, p. 21, 23, 31). 
. 2. A 
ologne, en J858, l'élément laïque était 1l0mLreux; à Fribourg, en 1859, 
II Y a\"
I
 deux Cois plus de prêtres que de laïques (May, op. cit., p. 119 el 
129
. . 
U1vant les régiolls où se lenaient les congrès, raspect des assemblée
 
VolrJaIt, mais jamais ellps nc ressemblaient à la carica lure qu'en traçait Bunsen 
l
rbl.lue, comparant IE:s associations catholiques am:: associalions proteslanles, iJ 
dlsall que les laïques n'élaient que bailleurs de fonds, et que les prêtrcs étaienl 
c nlJ.IIl'es (Bullsen, Zeichcn (lcr Zeit, I, p. 30-31.) 



FORl\IATION SaCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 103 
tiles cherchèrent à dinlinuer la portée des congrès 
en les représentant comme des chanlbres d'enre- 
gistrement des volontés du sacerdoce; mais les 
comptes rendus mêmes des discussions attestaient 
]'cxistence d'une force vraiment autononle, s'orga- 
nisant pour l'initiative, s'équipant pour la lutte. 
Les aspirations de l' élémenl laïque à devenir une 
personnalité d'Église furent ainsi tout à la fois 
satisfaites et limitées; et cette solution, tout en 
conjurant Ie péril dont l'année 1848 avail menacé 
la hiérarchie, permit au calholicisme de bénéficier 
de tout ce qu'il y avait de légitimc et d'invincible 
dans les habitudes d'esprit que l'année 1848 avait 
impIantées et dans les besoins d'action qu'elle 
avait éveillés. 
Le prêtre Heinrich, de Mayence, dès 1849, assi- 
gnait aux groupements catholiques un triple but: 
la défense des droits de l'Église, la propagation 
des principes chrétien8 dans Ie peupIe, et Ie travail 
social 1. Dans ce programme, la lutle défensive 
figurait, si l' on peut ainsi dire, pour un tiers; la 
besogne positive pour l'épanouissement religieux 
et social du christianisme figurait pour deux tiers. 
l{etteler insistait à son tour, à la même date, sur 
la nécessité d'introduire dans les jeunes organisa- 
tions catholiques la préoccupation du relèvement 
populaire 2. Les congrès périoJiques qui groupaient 


1. Heinrich,Die Kirchliche Reform, II, p. 4;' et suiv. En ceLLe mème ann6c 
1849, MicheIis, au congrès de Ratisbonne, parla des cerdes ouvriers que Ie 
clergé fondait en Luxembourg ( Verhandlungen, p. 77). 

. Pfuelf, ]{ettcleJ', T, p. 171, n. 1. 


Lib. 
RY ST. MARYIS COllEGE 



104 


L' ALLE1UAGNE RELIGIEUSE 


l'élite des prêtres et des fidèles orientaient vel'S 
les trois buts définis par Heinrich leurs études et 
leurs conclusions; à mesure qu' on descend la lon- 
gue sél'ie de ces congrès, on voit les questions 
sociales y prendre, chaque année, une plus grande 
place. 
A Cologne, en 1858, on parla des compagnons 
et des émigrants 1; à Fribourg, en 1.859, des compa- 
gnons encore, et à Aix-la-Chapelle, en 1862, des 
donlestiques 2. A Francfort, en 1.863, une séance 
lout entière fut consacl'ée à la question ouvrière; 
Ie régim e corporatif, la situation des tra vailleurs 
des fabriques, occupèrent en 1864 Ie congrès de 
W urzbourg; la question de l' émigration fut traitée 
à Trèves en 1865; Innsbruck, en 1866, entendit 
un vicaire exposer les infortunes du prolétariat 
industriel a. L'assemblée de Duesseldorf, en 1869, 
eut à l' égard de l'action sociale un rôle instigateur 
sur lequel nous reviendrons. On ne trouvait, dans 
ces congrès, ni cette paresse d' espri t qui parfois 
passe outre aux questions délicates en alléguant 
qu'elles ne sont pas assez mûres, ni cette prudence 
conventionncHe qui souvent les é'
al'te en objec- 


1. frlay, Ope cit., p. 120. Ce congrès de Cologne eut un caractère presque 
inlernalional : on y vit Ie Culur cardinal l\Iel'millod, l'archéologuo Didroll t'L 
Baudon, président gén('raJ des conférences de Saint Vincent de Paul (May, Ope 
cit., p. 110-112). 
2. Ma
, Ope cit., p. 127 et 152. 
3. Ma
. Ope cit., p. 154,-156, 1ü0-161, 172, 1';7. - Sur l'influence qu'eurenl 
c
s congl'ès à l'e
térjcur, sur l'e
emJlle qu'y trouvèrenl les catholiqucs de Bcl- 
glq
e. .et SUI' la fondalion, à la suile du congrès d'Aix-Ia-Chapelle, auquel 
asslstalPnl Jean Moeller el Dumorliel', d'une æmre beIge des congl'ès, voir 
Dcfourn
, Le8 conyrès catholiques cn Bel g i q ue' P . 
W-34. ( Lom'ain Ccut('rick, 
1908.) " 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 10
 
tant qu' elles pourraient diviser les catholiques. 
Les congressistes de Cologne ct de Francfort, de 
\\Turzbourg et de Duesseldorf, estimaient au con- 
traire que sous la chaude lumière de la pensée 
chrétienne ils devaient aider les questions à mûrir, 
et qu'il est dans les destinées de cette ppnsée, dès 
qu'elle veut s'épanouir pleinement, de devenir un 
objet de division, de scandale même, a dit Ie 
Christ; et ces grandes assemblées annuelles attes- 
taient au peup]e allemand l'anxieux attrait qui 
courbait I'Église vers trois grandes misères : celle 
des compagnons, celle des paysans, celle rles 
ouvriers d'usines. 


II 


De ville en ville, avec besace et bâton, d'innonl- 
brables compagnons - Gesellen, comnle on les 
appelait - promenaient la gaieté de leur àge et la 
détresse de leur métier. Le temps n'était plus où 
ils appartenaient à peu près à la famille de leurs 
maîtres; sons Ie nom de liberté, une fée capri- 
ciense - honne on manvaise, on en discnte encore 
aujourd'hui, -avait commencé son voyage auiour 
du monde et distendu tous les Hens qui parfois 
gênaient les hommes et qui plus souvent les aidaient 
à mieux s'aimer. Les (( libres )) compagnons d' Alle- 
magne étaient fort isolés; parmi eux, les mauvais 
garçons étaient nomhreux, et Ie conservatisme de 
la haute sociétp méprisait voloniiers nne cia sse 



i06 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


sociale aussi mêlée. Ces disgraciés, pourtant 
étaient des Allenlands, des haptisés : ainsi se gas. 
pillait beaucoup d'énergie allemande, ainsi se taris. 
sait beaucoup de 8ève chrétienne. II fallait s( 
mettre à la piste des cOlllpagnons, les moraJiser 
les encadrer, les suivre dans leurs vagabondages. 
les joinùre dans leurs ateliers; la tâche semblai 
surhumaine, parce qu' elle était COlllme un déf 
pour les nlæurs nouvelles introduites par la liberH 
économique; au lendemain de 1.848, cette tâclH 
cependant s'accomplit. L'histoire, ici, a tout l'im- 
prévu d'unc légende. 
A l'automne de 1837, les catholiques de Cologne. 
atterrés par l'enlprisonnement de leur archcvèquc
 
négligèrent sans doute Ie spectacle assez rare d'un 
jeune honlme de vingt-trois ans, survenant au 
gynlnase parmi les écoliers, pour se frotter aussi. 
lui, d'un peu de latin. 11 s'appelait Adolphe Kol- 
ping \ ct, la veille encore, était cOlllpagnon cor- 
donnier, si diligent et si pieux, que son patron Ie 
voulait pour gendre; et dans l'échoppe, toute la 
fan1Ìlle versa des larmes lorsque Kolping, pleurant 
lui-même, mais parfaitement résolu, s'en retourna 
près de son curé Iui dire qu'il désirait se faire 
prêtre. Ne sutor ult'l'a crepidant, prononça Ie curé : 
les premiers mots latins qu'apprit Ie pauvre C01'- 
donnier llli fermaient Ie rudiment et Ie 8éminaire. 
Heureusenlent pour lui, un vicaire se rencontra! 


1: Le document capital sur Kolping (1818-1865) el sur son æuvre est Ie livre 
de Schaeffer: Adolf Kolping del' Gesellenvater (3 11 édit. Paderborn, Schocnillgh, 
1894). Voir aussi Don Laurenl Janssens, .ldolphe I\olpin!J, i'apðtrc des ((,I'ti- 
sans (Lille, Descléc, t f\!) I) . 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 107 
moins effrayé des ascensions sociales; Kolping 
encouragé put consacrer aux déclinaisons la vingt- 
quatrième année de sa vie. II précipita les étapes; 
en 1841, il s'en fut, aux frais d'une dame pieuse, 
étudier à l'université de 
Iunich; ordonné prêtre 
en 1845, il devenait, tout de suite, vicaire à Elber- 
feld. Là, dans une boutique d'abord, et puis dans 
le local d'une société de secours, quelques jeunes 
eompagnons, chaque dirnanche, se réunissaient 
devant un broc de bière pour chanter la Vierge et 
saint Laurent, patron de la ville; un brave insti- 
tuteur, Breuer, songeait à développer la confrérie. 
Breuer vit Kolping, lui soumit les statuts d'une 
association de compagnons, OÙ ces jeunes gens 
trouveraient des Ii vres, des conférences, un ensei- 
gnement prirnaire solide 1. Le vicaire s 'éprit du 
projet; en novembre 1846 Ie premier Gesellenverein 
était fondé. I(olping en 1847 en devint président 
 
en 1849, il publiait une brochure intitulée : (( Le 
Gesellenverein: encouragernent pour ceux qui ont 
à cæur Ie vrai bien du peuple )); il y décrivailla 
vic nomade des compagnons, les périls qu'ils cou- 
raient; il y montrait conlment leur abandon les 
prédestinait à des sottises et combien il était inique 
de les condamner au lieu de les aider; il faisait 
ressortir l'irnportancc de cetie classe sociale. 
(( II ne s 'agit pas ici, déclarait-il, de I'importance 
que lui attachent nos dénlugogues jaloux de se 
his
er sur robélisque de la gloire. Non, c'cst en un 


1. Sch'\effer, op. cit., p. IJ( el suiv. 



108 L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
tout autre sens que je parle. La classe des compa. 
gnons forme la vaste assise du peup]e, sur elh 
repose Ie bien-être de la société civile. )) Et I{ol- 
ping réelamait pour ces jeunes gens une direction 
morale, un domicile, des divertissen1ents, nne 
culture professionnelle, une instruction religieusc, 
uneformation charitable. Comn1ent l'accuser d'uto- 
pie, puisque, sous ses yeux, à Elberfeld, en moins 
de deux ans, 251. conlpagnons s'étaient rassemblés, 
et puisque à travers la bourrasque révolutionnaire 
la nouvelle association s 'était loya]ernent compor- 
tée? Kolping conjurait done I' Allemagne cathoJique 
d'imiter l'exemple d'Elberfeld; il entrevoyait déjà 
de nombreux groupements qui, ramifiés entre eux, 
formeraient une sorte d' (( école pour nne IiLtéra- 
ture populairc, plus substantielle, plus instructive, 
pour une littérature manquant encore. )) II termi- 
nait par un appel (( à l'active charité de l'Allemagne, 
pour qu' elle ménageât aux con1pagnons des asiles 
de paix. )) 
Tout Ie premier, dès 1849, I{o]ping fit essaimer 
l'æuvre; comrne, à la cathédrale de Cologne, un 
vicariat fo,"t mal rémunéré se trouvait vacant, il 
soHicita de l'arehevêque Geissel ce médiocre 
poste. Dne fois exaucé, il gagna Ie prêtre V osen, 
professeur de religion dans un gymnase, à l'idée 
de fonder, à Cologne, un Gesellenverein. (( Le 
bonheur dont nous jouissons à EIberfeld, il faut 
Ie donner à d'autrps. Nous devons avoir de nou- 


1. 
('hacfT(\r, op. cit., p, 71-80. 



FOR1UATIO:"i SOCIALE DES CATHOLH,JUES ALLEl\IA
DS 109 
vraux frères, des frères proches, des frères loin- 
tains, dont la volonté ne fera qu'un avec la nôtre, 
des frères que tu conduiras tous, avec nous, vers 
un même but 1 . )) Tel fut, à Elberfeld, un jour de 
1849, l'adieu des compagnons au (( Père )) I\:olping, 
qui s"'en allait porter son cæur et sa parole à leurs 
nombreux camarades de la gran de ville. 
A Cologne, d'abord, ils ne furent que sept. l\'1ais 
ehaque jour amenait des recrues. Les jeunes gens, 
à l'origine, ne se réunissaient que Ie dimanche et 
le lundi; la maison, bientôt, fut ouverte toutc la 
semaine. Le prelnier local devint rapidement trop 
petit; on prit un immeuble d'où la franc-maçon- 
aerie déménageait. Pour cette ins lallation il falluL 
mendier : Kolping promena partout son aun1ônière. 
Les compagnons affluaient ; parce que dédaigneux 
ie l'alcool, on les appelait les frères de l' eau ; 
?arce que dévots, les éplucheurs de rosaire 2 ; Kol- 

ing les consolait en les appelant ses cnfanls. II 
prêchait pour eux. (( Personne ne s'inquiète, 
Jisait-il un jour du haut de la chaire, si un pauvre 
5arçon étouffe, corps et ârne, dans la fange de 
l'atelier. Et combien de ces malheureux sombrent 
5ans laisser de traces! et pourtant ce sont des 
hommes comme vous. l\tIoi-même j'ai été compa- 
gnon, et je ne rougis pas du métier honnête, j'ai 
senti moi-même toute la misère qui pèse sur les 
compagnons, qui les exclut de la société humaine. 8)) 


1. Schaeffer, op. ('it., p. 85, 
2. Schaeffer, op. cit., p. !H. 
3. Schaeffer, Ope cit., p. 100-101. 



iiO L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 
Et une autre fois: (( Je connais nolrc peuplc à fond. 
II n'est pas si mauvais qu'on Ie dit. Qu'on l'ins- 
truise, qu'on s'approche de lui, qu'on lui témoigne 
de I 'amour, au lieu de garder à son égard un iso- 
lement distingué, au lieu de se réputer d'un autre 
bois que lui, au lieu de croire avoil' les mains trop 
tendres et trop fines pour se dévouer au service du 
peup]e 1 . )) Adolphe Kolping prêchant à Cologne, 
cr n'était pas l'Église allant au peuple, c'était 
J'Église issue du peuple et restee peupIe, parlant 
avec des susceptibilités plébéiennes un langage 
plébéien, et toute prête à s'invectiver elle-mênle 
si ene négligeait ses devoirs envers les hUDlbles. 
(( V ous en particulier, messieurs les ecclésiastiques. 
continuait Kolping, vous ne remplissez pas votrr 
fonction, vous manquez à votre charge pastoralr, 
pour laqueHe vous êtes consacrés, pour laquelle 
YOUS êtes envoyés, si vous oubJiez Ie peuple 2! )) 
l\lais cette Église, mêlée au peuple et comme nni- 
fìée avec lni, l'echerchait, avant tout autre concours, 
cclui même du peuple. (( C'est une bonne chose, 
écrivait encore Kolping, que les ecclésiastiques s'oc- 
cupent partont de fonder des associations de com pa- 
gnons; mais nos meilleurs missionnaires, ce sont les 
compagnons eux-mêmes. S'ils ont un juste sens dc' 
ce qu'est ]'association, s'ils en sentent douloureu- 
sement l'absence dans les autres villes, s'ils se réu- 
nissent, aIol's, pour une démarche chez Ie cul'é, 


1. Schaeffer, Ope cit., p. 103-1U4- 

. SchaC'fTer, 0]1. cit., p. 1U4. 



'OR
ATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS {ii 
/ils Ie supplient de s'occuper d'eux pour l'amour 
le Dieu, alors Ie succès est assuré 1. )) 
11 fallait que partout les compagnons fussent 

roupés. S'il eût écouté Siegwart l\Iueller, Ie tribun 
:atholique suisse, }{olping aurait créé un ordre 
'eligieux pour s'occuper des compagnons, ou bien 
I 1es aurait confiés à quelque congrégalion exis- 
I ante; il trouvait plus simple, plus normal, que 
a jeunesse proIétaire, en toute déférence, montât 
L l'assaut des prcsbytères pour sommer Ie clergé 
.aroissial d'imiter les exemples d'Elberfeid et de 

ologne. 
Quelques mois suffirent pour que Ie sol rhénan 
,e peupIât d'associations : en mai 1.850, elles se 
'édérèren ten une (( ligue rhénane de compagnons 2)). 
} exempJe du Rhin devenait contagieux : en no- 
rembre 1.85t, Ie sud de l' Allemagne était conquis : 
?ribourg, Carlsruhc, Breslau, obéissaient à I 'appel 
le Cologne; on proclamait r existence, à travers 
oute l' Allemagne, d'une association catholique de 
;esellen 3 . Kolping, en 1.852, portait aux ßavarois 
e salut de 1.500 compagnons rhénans4, et puis il 
lescendait jusqu'à Vienne. Un jeune prêtre de 
rienne, fils d'artisan, déjeunant un jour avec son 
>>ère, fut cffaré de voir soudainement un inconnu, 
[ui lui dit sans plus de formes: (( Tu dois devenir, 

 Vienne'l président de l'association de compa- 


1. Schaeffer, Ope cit., p. 11;). 
!. Schaeffer, op., cit., p. 116. 
3. Schaeffer, Ope cit., p. 117. 
4. Schaeffer. op. cit., p. 119-1
4. 



1f2 


L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE 


gnons. >) Ce tutoyeur imprévu n'était autre qUI 
Kolping. Le jeune Antoine Gruscha, plus tar( 
cardinal-archevêque de Vienne, obéit à son visi 
teur; l'association viennoise des compagnons étai 
fondée. De son lit de mort, Ie publiciste J arcke bé 
nissaitl'inilialive nouvelle: (( On discourt beaucouI 
du bien du peuple, disait-il à I{olping; votre fon. 
dation est Ie premier acte qu'on fasse 1. )) L'apôtr( 
ambulant s' en fut à Prague, alIa parler de SOl 
æuvre au congrès catholique de l\luenster, et pri 
en suite la route ue BerJin. 11 retrouva, Ià, queIque
 
jeunes ouvriers connus à Cologne, et les lança SUI 
Ie jeune missionnaire Edouard l\lueller, qui avait 
jusque-Ià, sous les auspices de Ia maisol1 prin- 
cière de Sagan, soigné dans ceUe petite ville de
 
consciences aristocratiques ; it faUut que 
Iuellel 
changeât de clientèle, et qu'il dévouât sa vie à 
la cause des travailleurs. 
Iises en branle par 
l'apostolique audace de Kolping, ces énergies plé- 
béiennes devenaient invincibles; lVlueller céda, e1 
l'æuvre de Kolping s'établit à Berlin; Ie déveIop- 
pernent en fut si rapide qu'en 1855, Ie prince Fré- 
déric de Prusse, Ie ministre Westphalen, Ie généraJ 
de Gerlach, Ie directeur de la police Hinkeldey, 
honorèrent de leurs applaudissements une confé- 
rence donnée par Kolping devant les compagnons 
berlinois 2 . Cent quatre associations, et 1.2.000 menl- 
bres, tel était, en 1.855, Ie bilan de l'activité de 


1. Schaeffer, Ope cit, p. 124-128. 
2. Schaefff'r, op. cit., p. 134-145. - Koldp, JJIis.r;ionscikar !I11l"ller, p. 51-54 
Berlin, S. Edu{wd rCl'ein, 1
08). 



FORIUATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEIUANDS t t3 
Kolping 1. Le prince Boguslas RadzÏ\vill, qui lui 
était lié d'amitié, Ie" protégeait auprès de la Cour. 
(( Maintenant que vous avez organisé une aide pour 
les Gesellen, lui disait Ie ministre 'Vestphalen, 
n'auriez-vous pas une recetLe pour les appren- 
tis 2 ? )) 
1\Iais Kolping estimait que, pour les Gesellen, il 

estait encore beau coup à faire. Ses plans s' élargis- 
mient; ce qu'il voulait, c'était créer dans chaque 
rille un hospiceoùlogeraientles compagnons ambu- 
ants. (( Notre Dieu, écrivait-il dans sonjournal, doit 
)ayer la maison. II Ie peut, car il est assez riche; 
lIe veut, car il cst assez bon, et il aime autant 
es pauvres gamins des métiers que ces gens qui 
lescendent dans les premiers hôtels - pour de 
'argent, sans doute, mais cet argent, notre Dieu 
l'a fait que le leur prêter... Si seulement on 
avait, disent certains, où notre Dieu a sa caisse, 
n irait voir Ie régisseur! Je vais te Ie dire, cher 

cteur. L'or de notre Dieu, il est dans ta poche; 
es régisseurs, ce sont ceux à qui il a confié ses 
, iens terrestres 3. )) Ainsi parlait Kolping, et les 
égisseurs ne résistaient pas; à Cologne, en 1853, 
s donnaient de quoi acheter un bel immeuble; et 
Btte maison, deux ans plus tard, était enrichie 
ar Ie roi de Prusse de tOllS les privilèges légaux 
. uxquels une bonne æuvre pouvait prétendre.. 


1. Schaeffer, op. cit., p. 140. 

. 
chaeffcr, op. cit., p. 145. 
3. Schaeffer, Ope cit., p. 153-15G. 
t. Schaeffer, Ope cit" p, 1JJ-HiO. 
III. 



 



tt4 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Les associations de compagnons étaient en 1838 
assez nonlbreuses pour que leurs présidents, appe- 
lés à Cologne par Ie congrès catholique, tinssent 
une réunion spéciale d' OÙ sortit une organisation 
nouvelle: elles devinrenl, désormais, des institu- 
tions diocésaines, fédérées entre elles sous la direc- 
tion d'un président général, Kolping1. On évitait 
toute centl'alisation impérieuse; d'un bout à l'autre 
de l' Allemagne elles étaient inspirées du même 
esprit; mais on tenait compte du caractère local 
pour régler tous les détails de leur fonctionnement. 
Kolping Jétestait qu' (( on imposât à la grande vie 
populaire une morte et froide uniformité, qui 
étouffe toute vraie poésie
 )). II avait Ie respect de 
la spontanéité plébéienne : unificateur du compa- 
gnonnage allemand, il n' eÎ1t point voulu attentel 
à la richesse et à la variélé des usagp-s. Les ins- 
tructions qu' en 1863 il adressait aux divers prési- 
dents subsistent comme un modèle d'esprit de con- 
duite, de finesse avisée, de savoureux bon sense I 
avait gardé, de son séjour dans l' échoppe, def 
expressions indigènes : (( Lescompagnons, disait-iJ, 
sont les mieux à même de raconter OÙ Ie soulier lef 
presse 3 )) ; etil engageait les prêtres à butiner, danf 
leurs causeries avec ces j eunes gens, une rich{ 
expérience sociale. II remerciait Dieu, lui, de 
n'avoir qu'à feuilleter sa propre mémoire pour 
 
trouver les élénlents d'un petit livret de hons con 


1. ScharO'er,op. cit., p. t86-188. 

. Schaeffer, Ope cit., p. 206. 
3. Schaeffer, Ope cit.
 p. 213. 



FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEIUANDS ii!> 
seils, très pratiques, très techniques, destinés aux 
Gesellen en voyage 1 ; et ce qui faisait Ie prix, aussi, 
des almanachs et des journaux qu'il publiait à leur 
intention, c'est qu'on y retrouvait, sous la signa- 
ture du prêtre, les impressions, les souvenirs, 
nous db'ions presque Ie tempérament, de l'ancien 
compagnon 2. 
Chez Kolping littérateul' populaire, il y a moins 
de talent, sans nul doute, que chez Alban Stolz, son 
émule badois; mais Kolping est plus près de l'âme du 
peuple que ne rest Stolz. Stolz a la volonté d'être 
pittoresque; Kolping est pittoresque sans Ie savoir. 
Aurait-il réussi, comme Ie pensait KetteIer J , dans 
Ia direction cl'un grand journal? II est permis d'en 
douter, et certainement il s'y fût refusé. I(olping 
n'était publiciste que parce qu'il avait été compa- 
gnon; et les historiettes qu'il contait à ses jeunes 
gens sont une jolie apologie de l'institution même 
du métier; eUes sont de bonnes leçons d'hygiène 
morale; elles donnent aux lccteurs Ie gofIt d'unc 
société solidement organisée, ignorante de toutc 
crise, fondée sur Ia stabilité des professions; eUes 
ont pour but de maintenir ou de ressusciter en 
eux Ie goût d'être des (( enracinés )); el1es témoi- 


1. Schaeffer, Ope cit., p. 226-220. 
2. Sur Kolping liUérateur, voir Schaeffer, Ope cit., p. 236-266; - H. P. B.t 
1855, II, p. 1030-1035 ; - PCuelf, GeiS8l!l, IT, p. 303, n. 2. et p. 308. Lorsque 
cn 1865 mOUl'ut Kolpiog, Ic peinLre Sleinle écrivit à son sujet : Ie Kolping 
l1'élait pas remplaçable : c'élait une natw'e ; il élait fidðle à ceLtc naLure et à 
la grâce de Dieu : de là ses succès. Je connais peu d'hommes chez qui Loule 
la vie rut ainsi d'une pièce, chez qui la vocation s'épanouit si simplement. si 
clairement. Je ne puis me figurer Cologne sans Kolping )) (Briefwechsel, II, 
p. 3
7). 
3. Pfuclf, [(eUcler, II, p. 
18. 



ii6 


L'ALLEl\IAGNE RELIUIEUSE 


gnent, par elles-mêmes, que dans les sphères oÙ 
eUes se font lire, OÙ on les accueille, OÙ on Ies 
nlédite, il y a un certain fonds de santé sociale, un 
certain goût d' équilibre et d' enCadl'Cn1ent, un atta- 
chement véridique à certaines assises tradition- 
nelles. Et I{olping visait, en eifet, à sauveI' de la 
petite induslrie tout ce qui pouvait en être sauvé, 
à maintenir l'importance économique du petit 
métier, - de ce petit métier dans lequel Auguste 
Reichensperger voyait la seconde colonne de l'État 1 ; 
il visai t à forn1er des con1 pagnons qui deviendraien l 
un jour des n1aîtres, qui auraient pignon sur rue e1 
statuettes pieuses, peut-être, sur leurs archaïques 
pignons, et qui perpétueraient dans I'Allemagne 
moderne, dans I' Allemagne de la libre concurrence 
et du libre échange, certaines des alluvions sociales 
de la vieille Allemagne. 


III 


Paral1èlen1ent à I{ol ping, un ancien officier, 
Schorlemer Alst 2, entreprel1ait un autre travail 
de consolidation sociale. C'est aux paysans wesl- 
phaliens qu'il donnait sa vie. II voyait péricJiter 
Ie travail, péricliter la propriété immobilière, SOllS 


1. Parla7'llentarische Reden der Geln ueder lleiclten8pet!le
'. p, 459 (Ralis- 
bonne. Manz, 1858). 

. Sur le baron Burghard de SchorIemer Alsl (18
5-1895), on peut consultor 
101 plaquelle de hu:e publipc par 1\1. Buer, secrétaire du Bauern- Verein west- 
phaljcll. à l'occasion ùe lïnauguration du monumenl de Schorlemer à Mnenster 
(:\lucnsler. impr. lJc
' Wesl (ale, 10U2). 



FORl\IATION 
OCIALF. DES CATHOLIQUF.
 ALLEl\IANDS i i 7 
la poussée constante d 'un facteur nouveau, Ie capi- 
tal; il constatait que Ie capital payait 3 p. 100 
d'impõts, que la propriété immobilière en payait 9 ; 
il s'inquiétait de voir les banquiers, les industriels 
des viBes, acheter et revendre des terres. Dans 
cette Westphalie OÙ d'anciennes coutumes avaient 
si longtemps maintenu l'intégrité des domaines 
familiaux, il réputait comme une ennemie per- 
sonnelle l'hypothèque, qui survenait avec des airs 
bénins, et qui chaque jour, ensuite, se faisait plus 
pesante jusqu'à ce qu'elle se montrât féroce 1. II 
Y avait là un phénomène nouveau, contre lequel 
de pauvres paysans étaient désarmés; mais Schor- 
lemer estimait que, grand propriétaire et catho- 
lique, il étaiL de son devoir, à lui, de les défendre. 
(( IJe grand propriétaire, déclarait-il, doit vivre 
en chrétien, c' est-à-dire se distinguer de ceux qui 
considèrent un vaste domaine comme un place- 
ment avantageux de leur capital, ou comme un 
moyen d' échapper aux chaleurs de l' été. Nous 
devons partager les souffrances comme les j oies 
du peuple; c'est dans ce sentiment que je trouve 
Ie véritable lien entre la grande, la moyenne et 
la petite propriété, et l'unité entre elles ne sc 
fera que Ie jour OÙ tous seront persuadf's qu'i] s 
sont à un certain point ùe vue sur Ie même rang, 
c'est-à-dire que Lous sont devant Dieu des servi- 
teurs inutiles : voilà la véritable égalité. Ce n' est 


1. Voir la brochure de Schorlemer : Die Lage des Bauernstandes in l
 est- 
(alen und was ilLm Noth thut (Muenster, Aschendorff, 1864-). 



IL8 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


que dans ce sentin1cnt que peut se constituer la 
véritable hiérarchie socia]e 1. >) 
En mai i862, il offrit à vingt paysans de Burg- 
steinfurt de se grouper entre eux, pour demeurer 
de bons chrétiens et pour s'assurer mutuelle- 
ll1ent les moyens de garder leur lot de terre. Ainsi 
fÌrent-ils; à la fin de rallnée, i]s étaient déjà deux 
cent quinze. Les associations de paysans (Bauern- 
vel'eine) se développèrent dans tous les districts 
de '-IVestphalie; elles furent multipliées en Ba- 
vière; eUes devinrent, teès vite, une force écono- 
mique et polilique. (( Individuellement vous n'êtes 
rien, disait Schorlemel' à ses adhérents; mais 
vous êtes Ie nombre et la force; il faut que les 
habitants des campagnes s'organisent, comn1e 
s'organisent les ouvriers des villes, it faut qu'ils 
constituent des associations du sein desquelles 
sortiront des hommes capablcs de défendre leurs 
intérêts 2. >) II n'est pas de province d'Allemagne 
qui n'ait aujourd'hui son association de paysans, 
pourvue dOun journal, d'un labol'atoire technique, 
d'une institution de crédit, et susceptible, dès 
lors, d'offrir à bon compte les renseignements, 
les engtOais, les primes d' assurance, les avances 
ll'argent. L'initiative de Schorlemer Aist est à 
l'origine de cet immense mouvement; eUe enra- 
cina dans la terre westphalienne, en leur garan- 


1. CIlé dans Georges Blondel, É'tudes sur les populations rUl'ales de I'Alle- 
magne et 10 erise ag1'aire, p. 23i (Paris. Larose, 1897). 
2. Georges Blondel, Ope eit., p. 23G. cr. I\.annengie
pr, Catholiqueð alle- 
1IluIlds, p. 123 et iiuiv. (Paris, Lethielleux, 1892). 



FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i 1 9 
tissant leur indépendance économique, les fortes 
populations auxqueHes les prêtres et les institu- 
teurs formés par o vel' berg avaient insufflé une 
vie religieuse toute nouvelle 1; et c'est grâce à 
Schorlemer, grâce à la classc rurale autonome 
dont il préservait 1a dignité et dont il achevait 
l'éducation, que cette terre de lihre culture, aux 
mauvaises heures du Cultllrkal1
pf, devait être 
par excellence, sous la direction de ses évêq
es 
Brinkmann et lVlartin, la tcrre de la libre foi. 
Compagnons associés, paysans associés, appa- 
raissaient à beaucoup de catholiques con1me des 
matériaux préparatoires pour la reconstruction 
d'une société allemande dans laquelle toutes les 
professions, tous les intérêts, auraient leur repré- 
sentation corporative 2. A l'arrière-plan des archi- 
tectures de Kolping et de Schol'lemer, un nouvel 
édifice politique semblait se dessiner, dans lequel 
la puissance parlementairc serait l' expression 
naturelle et norn1ale de tous les métiers organi- 
sés. Un certain nombre de catholiques westpha- 
liens, appartenant surtout à l'aristocratie, se don- 
nèrent à Soest, de 1864 à 1866, certains rendez-vous 
où ce rêve s'é]aborait : l\lallinckrodt, Ie grand ora- 
teur de la Chambre bcrlinoise, et son beau -fl'ère 
HuetTeI', jouaient dans ces réunions un rôJe pré- 
pondérant. Nous aurons à nous attarder à Soest 


1. Voir nolre tome I, p. 253-274. 
2. Cel idéal élail dessiné dðs 1851 par les Feuilles historico-politiques de Mu- 
nich comme Ie remMe au paupérisme croissanl (H. P. ß., 1851, II, p. r-iB); 
Auguste Reich('uspergC'r, aussi, se plaisaiL à ccs perspectives d'a\cnip (paslor, 
Reicltensperger, I, p. 340). 



120 


L'ATAI.EMAGNE RELIGIEUSE 


lorsque nous étudierons les origines politiques 
du Centre allemand 1; rnais il convient de noter, 
dès maintenant, ]a nuance sociale qui distinguait 
les congressistes de Soest. Plus préoecupés des 
métiers déclinants et de l'agriculture en péril 
que des misères du prolétariat industriel, ils incli- 
naient à penser, avec Mallinckrodt, que les ou- 
yriers, après tout, n'étaient pas si mal lotis, ct 
que, si l'on devait assurément soutenir toutes les 
mesures suseeptibles de les aider, Ie relèvement 
du petit métier demeurait la chose eapitale 2. On 
retrouvera toujours cette préoccupation, sur cer- 
tains banes du Centre aHemand; les députés des 
petites viBes, les députés des eampagnes, auront 
nne politique sociale, nous n'osons dire plus con- 
servatrice, mais plus constructrice, que les dépu- 
tés des grandes agglomérations et les drputés des 
faubourgs, soucieux d'obtenir, au jour 1e jour, 
pour les ouvriers de ]'usine, des réformes urgentes. 
Dès l' époque dont nous nous occupons, ces deux 
nuances très distinctes existaient dans eet état- 
major catholique d'oÌl sortira le Centre contempo- 
raIn. 


IV 


(( Aujourd'hui, écrivait dans les Feuilles histo- 
rico-politiques de Munich l'un des représentants 


1. Y oir ei-dessous, p. 295-301- 

. Pfuc1C, ..J/allinckl'odt, p. 255-256. 



FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES AT..T.El'tIANDS i2f 
de la seconde nuance, quiconque ne prend pas 
dans la situation interne de la grande industrie Ie 
point de départ de 8es études, celui-là peut so 
piqueI' de vouloir conserver, dans la mesure du 
possible, un précieux morceau de la vieille société, 
mais il ne devrait pas dire qu'il travaille à la solu- 
tion de la question sociale. )) On ne pouvait mar- 

uer plus fortement qu'à côté de la besogne des 
Kolping et des Schorlemer, un autre travail social 
;'imposait : le
 années 1862 et 1863, OÙ se fon- 
:ièrent les premières associations de paysans, 
loyaient se préparer, en même temps, Ie congrès 

atholique de Francfort, OÙ la question ouvrière, 

ffleurée déjà dans quelques écrits catholiques 1, 
tllait être définitivement soulevéo. 


Qui donc pourrait ne pas voir, s'écriait Thissen, cnré 
e Francfort, qu'il y a autour de nous une classe de popu- 
ltion dont la situation mérite à un haut degré notre sym- 
athie ? Je parle de la grande masse des artisans et des tra- 
ailleurs, qui présentement soutiennent une dure lutte 
our la vie, et qui, à la différence de toutes les autres 
(asses de la société, au milieu des grandioses progI'ès de 
industrie, regardent sans consolation dans l'avenir. 70 à 
) pour tOO de nos concitoyens appartiennent à cette classe; 


1. Le Iivreduconverti Frédéric Pilgram (1819-18f10), Sociale Fragen betrach- 
taus dem Princip kirchliche)' Gemeinschaft (Fribourg, Herder, 1855), aUen- 
it de l'Église, de Ia communauté ecclésiastique, les éléments de Ia réformf' 
ciale : l'auteur, qui s'élait mis jadis à l'école de Hegel, avait gardé de ce COIl- 

t une logique sèche, impérieuse; et sa thèse :'ie déroulait avec la rigueur un 
u provoquanle d'un théorème. Plus nuancé, et d'un toul aulre caractère, 
tille livre de Nicolas Schueren. Zur Loesung der socialen Frage (Leipzig, 
engIer), publié en 1860 avec l'approbation du cardinal Geissel; l'auteur écri- 
it en économisle; il y avait dans son æuvre une série de chapilres qui 
ffraient aux discussions des économistes de toules confessions; et c'esl à la 
sculement qu'il présentait l'épanouissement du christianisme comme l'indis- 
1"abic complémpnt du renOlneau social. 



1 '>
 
-... 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


beaucoup parmi eux. après une vie de misère et de faim. 
u'ont que la perspective d'un lit d'hôpital pour passer danE 
r
ternité. Ici se montre la banqueroute de l'humanité sépa- 
rpe du christianisme: bien loin d'estimer I'hOI1lIne dans IE 
travailleur. elle ne Ie considère que comme une machine 
dIe Ie traite, même, plus mal qu'une machine sans vie 
car pour une machine, chaque année, on calcule l'usure 
Inais quant à l'usure des forces humaines dans Ie travail. 
leur, on n'y pense point. Notre 111ission, ici, est de luetin 
en acte l'amour chrétien t. 


Déférant à l'appel de Thissen et à la pl'opositioI 
du chanoine Heinrich de l\layence, prêtres c 
laïques, en septembre 1863, pril'ent une résolu. 
tion, (( recommandant instamment aux catholique: 
de s'occuper de rétude de la grande questioI 
sociale, qui, certainement, ne peut être amené. 
vel'S une solution convenable qu'à la lumière dl 
christianisme et par l' esprit du christianisme 2 )) 
Peu de jours apl'ès, à l'assemblée des théologien: 
réunis à Munich, Doellinger déposait une motioI 
pour que Ie clergé (( s'occupåt plus à fond de Ii 
question sociale 3 >). 
Dne plume d'évêque, tout de suite, se mit à I: 
besogne pour répondre à ces urgents désirs : c'é 
tait celle de Guillaume-Emmanuel de I\eUeler 
évêque de l\layence. 
Lorsqu'en sepLembre 1848 l'émeute francfol" 


1. May, Ope cit., p. 154-517. - Thissen proposa rnêrnc que Ie congrðs fond, 
uoe section pour l'étude de la queslion sociale. Voir, sur cc congrès et sur 1 
personna1ilé du curé Thissen, deux lellres llu peintre Sleinle (B1'iefwechse 
1, p. 105, et II, p. 3(2). 
2. May, Ope cit., p. 157. 
3. terhandl1l11gen der re1,.'1armnlung IÙtfllOlischcr Gelehrten in.Jlucllc!te1 
p. jSl (HalisLolll1P, "MallZ, 1bG3'. - cr. notre tome IV, p. 25i- et suiv. 



)R1\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i 23 
)ise avait coûté la vie au prince Auerswald et 

1 général Lichnowsky, I(etteler, dans l' oraison 
Inèbre qu'i] avait prononcée sur leur tombe, 
vait tenu à décharger Ie pauvrc peuple allemand 
e tonte responsabililé. (( J'ai consacré ma vie au 

rvice des pauvres, avait-il dit, et plus j'ai appris 
les connaître, plus j'ai appris à les aimer. Je 
lÌs queUes grandcs et nobles aptitudes notre 
euple allemand a reçues de Dieu... Non, je 

 proclame encore une fois, ce n' est pas notre 
rave peuple allemand qui a commis cet acte 
lonslrueux. Les meurlriers, ce sont les hommes 
ui méprisent, tonrnent en dérision et bafouent 

 Christ, Ie christianisme, l'Église, devant Ie 
eup]e l . )) 
Ayant ainsi, devant ]e cercueil même des vic- 
imes, rendu en faveur du pauvre peuple une 
rdonnance de non-lieu 2, iJ avait, quelques jours 
près, au congrès catholique de Mayence, premier 
n date de tous les congrès catholiques d'outre- 
lhin, épanché son cæur de prêtre dans un admi- 
able toast à la pau vreté et à scs victimes 3; ct 
I luis, à la fin de novembre, à la cathédrale de 
Jayence, ses prédications d'Avent sur la théoric 
I atholique du droit de propriété et sur les devoirs 
Ie la charité chrétienne avaient appelé ]a vieille 


1. Ketleler, Die gro.'Jscll 80cialen Fragpn der Gcgenwart, p. 114-115 
layence, Kirchhf'im, 1878). - Decurlins, Etude,'l sociales clu'étiennes : æuvres 
'lOisies de M15r de Ketteler, p. XXXIX-XI. (Bâlc, llaslel' VolksUatt, 189..!). 
2. Voir nolre lome II. p. 365. 
3. Congrès catllOliqup de Jfayencc (fS
8). It'atl. l\Iarills Be<:sières. p. 
::1-22
 
'aris, I.Houd. 190tì). 



t24 


I.' AJ..LEl'tIAGNE RELIGIEUSE 


théoJogie thomiste à la rescousse des rpvendic: 
tions populaires les p]us modernes 1. 
Rêvant alors d'être missionnaire populaire, 
avait l'année d'après été nommé curé de BerliJ 
(( Ie plus beau lieu de mission de l'Europe 2 )), ( 
les catholiques qu'il groupait au pied de sa chab 
de Sainte-Hedwige l'avaient entendu invoquel 
pour combler r abîme entre les riches et l( 
pauvres, Ie même Esprit qui jadis, dans la chr( 
tienté primiLive, créa la communauté des biens 
Quelque génie de précurseur qu'il révé]ãt déji 
Ie KeUe]er de 1.848 s'arrêtait à l'cxposé de la doc 
trine; il n' entraÏt pas pncore dans les voies d 
l'action sociale. (( Voyez, mes frères, disait-il al 
terme d'un de ses audacieux sermons, voyez corom. 
le Christ répond à tous ceux qui veulent deveni 
riches par un partage des biens terrestres, ou qu 
veulent par quelque moyen purement extérieul 
améliorer la siluation socia]e. Lui aussi, il ven 
un juste partage des biens, mais non par la force 
ille veut par la réforme intérieure de notre cæur 1-. >: 
Jamais Ketteler ne s'écartera de cette idée., que 
les bonnes volontés sont les indispensables ou- 
vriÞres du bien social; que )'amélioration dp cha- 
cun de nous est nécessaire pour Ie bonheur de 
tous, que la prospérité commune s'achète par les 


1. Traduites par Decurtins, cUes sont repl'oduites en grandc partie dans nolrc 
livre: Ketteler (Paris, Bloud, 1907). 
2. PCuelf, Ketteler, I, p. 176-178. 
3. Ketteler, Predigten, éd. Raich, I, p. 382 (Mayence, Kirchheim, 1878). 
.4. Ketteler, Die gros8en socialen Pragen der Gegemvart, p. 30-34. -- Go\au, 
Aetteler, p. 138. 



)Rl\lAfION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS i25 
o1'tifications individuelIes; que la réalisation de 
justice sociale, forme te1'1'est1'e de ce règne de 
teu qu'in voque la prière, doit être amenée pal' Ie 
beur personnel des consciences ch1'étiennes; et 
le ces consciences, ainsi, doivent en retireI' un 
érite et un honneur. 
I] y a des confiances qui honorent l'homme. De 
50 à 1
60, ]es missionnaires jésuites qui sillon- 
rent toute l' Allemagne dessinaient à leur tour, 
mille I\:eUeler, Ie rêve d'une société guérie par Ie 

ux effort des âmes; mais en nlème temps, en 
lugurant çà ct là des prédications pour les diver- 
; classes et pour les diverses professions, les J é- 
_tes faisaienl pénétrer ]e christianisnlc dans la 
Jité vivante des rapporls ter1'estres 1 ; orateurs 
.;onfesseurs, iis aspiraient à plus et à mieux qu'à 
e les apôtres et les garants d'un certain (( ordre 
1lic )), produit de la force; c'est à }'établissement 
n ordre social chrétien que visa it leur zèle am- 
_ant. Et c' est à quoi visait aussi W cis, évêque de 
1'e, lorsqu'il insurgeait son éloquence d' évêquc 
ltre la profanation du dimanche par l'industric ; 
:;qu'il éc1'ivait aux fonclionnaires conlpétents, 
l1' que, ce jour-Ià, les ga1'es de marchandises 
sent fermées 2 ; lorsqu'il appelait la pitié du roi 


)ur ces missions, voir ci-dessous, p. 186-19
. -<< C'esl un nouveau genre de 
lrS populaires, auquel on n'aurail pas songé il y a quelques aunées, écrivait 
H'ien Guillaume Henri Riehl. Les Jésuites, comme l'Innel'e Mission prote
- 
introduisenl dans l'église la poliLique sociale. >> (Mundwiler, P. Georg v. 
'burg Zeil, p. 92-93. Fribourg, Herder, 1906). - cr. à la table de Duh.., 
'tstuecke ':;W' Geschichte de1' Jesuiten-lJJissionen in Deutschland, 1848- 
,Fribourg, Herder, 1903), l'ar\.icle StaJtdespredigten, renvoyant à lous les 
gcs du livre sur lcs prédicatioll5 rlf'stinées \l,UX diverses classes. 
{emling, 'Weis, Bischúf' zu SpCYC1., I, p. t 15. 


.. .. "".'-' #6
. II ..,... 



126 


L' ALI.El\IAGNE RELIGIEUSE 


]ui-même sur l'étiolement de la jeunesse ouvrière 
sur Ie sort, (( plus oppressif que l'ancien servage >> 
de ceux qui sont les (( salariés d 'un riche fabri 
cant 1 >). 
Que les vertus personnelles, ces vel'lus qui pre 
duisent directement la (( réforme intérieure >) ( 
indirectement la réforme sociale, aient besoi 
d'être encadrées, protégées, défendues et parfoi 
suscitées par des institutions chrétiennes, c'est c 
que l'É
lise a toujours pensé; et c'esl par ceti 
originale solution qu 'elle plane au-dessus des iJ 
terminables conflits OÙ Ie XVln C siècle nous jpta. 
cst égalen1ent naïf, à ses yeux, de mettre tout espo 
dans les spontanéités naturelles de rhomme I 
d'escompter l'efficacité souveraine des réglen1ent: 
tions sociales : de part et d'autre, les illusioI 
s' équivalcnt. Elle connaît trop la déchéance ( 
l'homme pour croire aux prétendues vertus d \ 
fictif état de nature, elle connaît trop la grandCl 
de l'homme pour Ie décharger de toute responsat 
IÏté personnclle et pour s'en remettre à je ne sa 
quel (( être social >> du soin de Ie faire bon p 
contrainte et de Ie rendre heureux par surcro! 
Le dogme dont eUe est gardienne lui montre, f 
une sorle de diptyque, les deux faces de notre n 
ture; ses théologiens deviennent hérétiques d' 
qu'ils perdent de vue, soit la hauteur de notre ( 
gnité, soit la profondeur de notre misère. De ( 
unique coup d'æil, qui doit être intégral pour d 


1. Rcmling, ""eis, I, p. i1ti.t1í. 



FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 127 
meurer exact, et qui tout de suite serait falJacieux 
s'il ne sondait qu'un de nos deux abîmes, resulte 
ce que volontiers nous appellerions la politique 
sociale du christianisme, qui est tout à la fois un 
hommage à la moralité humaine et une protection 
de cette moralité. Entre Ie l{etteler de 1848, qui 
insiste sur la réforme intérieul'e, et Ie Ketteler des 
années 1863 et suivantes, tout entier préoccupé des 
développements de l'csprit d'association, il n'y a 
pas contradiction; les deux phases sont conlme Ie 
développement d'une nlêrne pensée chrétienne so- 
ciale, qui va s'épanouissant, s'approfondissant, se 
réalisan t 1. 


v 


Au moment OÙ Ketteler s' enfonça dans les études 
économiques, Schulze Delitzsch et Lassalle se dis- 
putaient la direction de la classe ouvrière alle- 
nlande. Au nom du parti progressiste, Ie premier 
préconisait les associations de crédit, les associa- 
tions pour I' achat des matières premières, les 
sociétés de consommation, les coopératives de pro- 
duction; les efforts de Schulze Delitzsch n'étaient 
pas sans prix et ne demeurèrent pas sans efficacité 2; 
mais les petits artisans, somme toute, en tirèrent 


L Si l'on veul pénélrer dans tous les détails de cclle pensée, Ie livre de 
\1. Eugène de Girard: Ketteler et la question oUVJ'ière (Berne, Wyss, 1896) 
;'impose à l'étude. 

. Sur Hermann Schulze Delitzsch (1808-1883), voir Bernstein, Schul::e 
r)elìt::;sch, LelJcn und 'V:Ü'kelt, spécialemenL p. !l9-106 ct 152-161 (Berlin, 
3ading). 



1
8 


L' ALL El\IAGNE RELIGIEUSE 


plus d'avantage que les ouvriers de fabrique, et 
les légères accumulations d 'épargne requises pour 
ces divers groupements les rendaienl nlalaisénlent 
accessibles au prolétariat. Précurseur du parti 
socialiste aUemand, Lassalle, dans la Réponse Pll- 
hlique qu'il adressait au Comité central chargé 
d'organiser les ouvriers de I'Allenlagne, proposait, 
comme une solution transitoire, la création d'asso- 
ciaiions ouvrières, soutenues par l'État, et appe- 
lait de ses væux l'heure OÙ Ie suffrage universe], 
disposant des pouvoirs publics, leur arracherait 
les ressources nécessaires pour permettre aux tra- 
vailleurs de devenir les propriétaires des fabriques. 
Les coopératives de production, telles que les vou- 
lait Schulze Delitzsch, devaicnt être libremel1t 
fondées avec les économies libremenl accumulées ; 
elles excluaient, bon gré nlal gré, Ie prolétariat 
malériellement incapable d'économiser 1. Les coo- 
pératives de production, telles que les voulait Las- 
salle, devaient être officiellenlent fondées avec 
l'argent prélevé sur les riches par l'État percepteur 
d'impôts. Telles étaient les deux écoles vis-à-vis 
desquelles Ketteler devait prendre position. 
Il croyait passablement connaître les idées ct 
les æuvres de Schulze Delitzsch, et n'y attachait 
au demeurant qu'une médiocre importance. Dans 
la première édition de sa brochure sur les classes 


II. Kelleler, Ie philanlhrope Huber, Ie socialisle Lassalle s'aecordaient dans 
celle crilique contre l'efficaeilé des associalions de Schulze Delitz3ch pour Ie 
rclèvement du proIélariat. Voir Lassallc, Disco'U'I'8 et pamphlets, trade Da,'c et 
Remy, p. 203-
07 (Paris, Giard et Brière, 1903); cL cf. Ketleler, La question. 
úW)/'II!I'C el Ie chl'ir;;ii(/lIi.'J1nc, trarl. Clocs, p. !j3-;i3 (Liëg'c, Gralldmonl, 18(9). 



FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS f29 
ouvrières et l'association 1 , Schulze ne mentionnait 
qu'une seule coopérative de production, ébauchée 
dans la ville d'El'furt; et bien qu'au COUI'S de 1.863 
une seconde édi tion signalãt quatre nouvelles 
coopératives, fondées à Berlin, Ketteler attendait 
avec une calme défiance que le prolétariat des fa- 
briques eût effecti vement bénéficié de ces initia- 
tives. Trompe-l'æiL que tout cela : tel était Ie fond 
de sa pensée. Durant un bref instant d'histoire, il 
avait falIu, peut-être, que certains États de l'Eu- 
rope traversassent une périodc de (( libéralisme )) 
économique, mais ces minutes avaient passé. I{et- 
teler, dans un brouillon qu'a trouvé Ie P. Pfuelf, 
s'essayait à noteI', pour lui-nlême, l'histoire et Ie 
bilan du (( libéralisme )) ; telIes queUes, ces notes, 
fragmentaires, incompIètes, montrent du moins 
Ie souci qu'il avait d'apporter à rexanlen de cette 
doctrine, qui lui déplaisait profondément, l'atten- 
tion qu'elle méritait en tant que phénoIDt'ne social. 


" L'école de Manchester, écrivait-il, la doctrine écono- 
:nique libérale. étaient relativementnécessaires. Les seigneu- 

ies innombrables avec leurs souverainetés absolues; par 

onséquent, les frontières innombrables avec leurs douanes, 
.ous les moyens de transports, surtout les fleuves, gênés par 
es douanes; une acculnulation démesurée du sol sous Ie 
oug de la mainmorte; un corporatisme vieil1i, ankylosé : 
out cela avait engoncé dans une étroite camisole de force 
'aclivité générale de ceux qui sont réduits à gagller immé- 
liatement leur vie; l'étroite camisole se déchira en mille 
.ndroits... 


t. Die arbeitenden Klassen und das Associationswesen in Deutschland als 
)rogramme zu einem deutsclten Congress. I.eipzig-, Mayer, pe édit. 1858; 
8 
dit. 1863. 


III. 


9 



130 


L' ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE 


(( Les principes de l'école de :Manchester, les révolutions, 
minèrent les fondements des vieilles formes de production, 
les murailles tombèrent l'une après l'autre ; il ne reste plus 
que des décombres. Tout cela ne serait pas arrivé si les ins- 
titutions convenables s'étaient parallèlement développées. 
La faute en fut, aussi, au défaut d'étude scientifique des 
intérêts économiques. On laissa les choses aIleI' comme elles 
allaient. 
(( Dès lors, Ie développement fut maladif. L 'eau qui fait 
éclater Ie vase trop étroit, a raison; mais si nlaintenant elle 
se répand de tous côtés... De même la vapeur... De même, 
jusqu'ici, de l'économie politique libérale. 
(( Les conséquences 5e sont développées en Angleterre. 
Les événements de l'année 1832 furent Ie prélude: d'abord 
in1mense appauvrissement des travailleurs; en second lieu, 
exploitation de la vie du travailleur, même de l'enfant ; véri- 
table meurtre de toute une masse. En troisième lieu. haine 
entre Ie capital et Ie travail, ne reculant devallt aucun 
moyen; lutte à la vie et à la mort. 
(( La même chose exactement se produira en Allemagne )) 4. 


Ketteler savait que l'histoire, déchaînant impi- 
toyablement ces trois conséquences, passerait outre 
aux palliatifs inlaginés par Schulze-Delitzsch; et 
d'ailleurs, ce sociologue et les autres tenants du 
(( libéralisme )) Ie choquaient par leur philosophie 
matérialiste, par leur orgueil aisément satisfait, 
par leur méconnaissance d u nloyen âge chrétien. 
Ketteler avait aimé les libéraux de 1848; il dé- 
testait ceux de 1860, ceux du Nationalverein 2. II 
voyait en eux des jacobins, usurpateurs du mot de 
1iberté, el toujours prompts à se servir de ce mot 
comme d'une arme contre l'Église. Au surplus, 


to Píuelf, Ketteler, II, p. 192, n. 1. 

. Voir ci-dessous, p. <!93. - Sur la part très imporLanle prise par Schulze 
Uelitzsch à la fomIalion du Naliollalvercin, voir Bernstein, Ope cU., p. 107- 
111. 



FORJIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS f31 
Ketteler était un rural, un homme des forêts, qui 
souffrait en apercevant les campagnes envahies par 
l'induslrie. II observait, en 1863 même, l'industrie 
et Ie (( libéralisme )) antichrélien essayant, d'une 
même allure, de s'introduire dansles montagnes du 
I Tyrol; il se jetait sur sa plume, dénonçait l'intru- 
sion, dans ces terres vierges et catholiques, de la 
:( terrible force de capital possédée par les ennemis 
Ie l'Évangile)), frémissait en songean t à I' air empesté 
yue respireraient les Tyroliens, habitués hier à la 
'raìcheur de leurs montagnes, (( prédestinés, pour 
lemain, à l'esclavage des fabl'iques 1 )). II n'y avait 
)as jusqu'à la personne physique, en Ketteler, qui 
le s'insurgeât contre ces manifestations du pl'O- 

rès, il en voulait aux (( libéraux )) de s' en faire les 
.dulateurs. Vne brochure de 1865, qu'il intitulait : 
I In catholique peut-il êl1'e fl'anc-maçon? nous Ie 
nontre plein d'amertume contre la << poignée 
'hommes d'argent )) qui faisaient la force du (( li- 
érali sme maçonnique )). 
(( Que deviendrait Ie monde, écrivait-il, si cette 
l. our princière de la richesse moderne, si cette 
I. "action humaine qui ne croit plus ni en Dieu ni 
è- 
n n Jésus ni à la dignité de l'âme, qui ne sert que 
de 
s intérêts matériels et les plaisirs sensibles, for- 
fiée P ar une organisation secrète et inconnue, 
lOl '--' 
ouvait se faire passer pour l'élite du genre 
}5, umain et traiter Ie pauvre peuple en consé- 
uence ? >) Et puis, interpellant un pubJicisle 


jhe 
It 


l. Pfuelf, iletteler, II. (). 16;). 



132 


L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


franc-maçon qui avait affirmé que la maçonnerie 
so souciait fort peu de recrutcr des hateliers, des 
ouvriers et des domestiques : (( V oiJà bien, s'excla- 
mail I{etteler, la différence pratique qui sépare Ia 
franc-maçonnerie de l'Église. Pour nous, nous Ie 
proclamons avec joie, nous nous soucions autant 
des bateHers, des ou vriers et des paysans, que des 
princes et des rois; nous plaçons la dignité 
humaine au-dessns de toute distinction, et nous 
déplorons amèrement ceUe façon de penser qui 
met Ie riche Fabricant au-dessus du pauvre labou- 
reur 1. )) La luUe doclrinale entre Ie christianisme 
et le libéralisme matérialiste apparaissait à I\et- 
teler comme une lutte sociale, dans laquelle Ie 
christianisme avait pour lui les pauvres, el dans 
laqueBe Ie libéralisme matérialiste gardait comme 
clientèle l'aristocratie d'argent. 
Au fond de rÉvangile nouveau que prêchait au); 
pauvres Ferdinand Lassalle. I{etteler, sans cloutc: 
retrouvaÎt Ie matérialisn1e, et cela mème lui per- 
mettait de dire aux (( libéraux J) que Ie socialisn1e. 
qui les déposséderait, était la conséquence fatale 
de leur propre philosophic; mais il ne pou vait s( 
défendre de quelque sympathie pour la belle fran. 
chise avec laquelle Lassalle, poursuivi cn 186
' 
devant Ie tribunal de Berlin, avait célébré Ie res 
peel du moyen âge chrélien pour Ie droit à Ia libr, 
science 
 ; et puis, dans la critique que faisai 


1. Un catholique peut-il éb'e (ranc-maçon? tl'ad. BeleL Archives tlléolog 
qucs, juillcl-décembre 1865, p. 258-
G1. 
%. LassaUe, Di.'Jcour3 et pamphlet.
, tl'ad. Dal.c cl Hcmy. p. 81-8j. - C 
H. P. B't 1t'lì:3, n, p. ï4-3. 



fOlt\lATION SOCIALß DES CATHOLlcJUES ALLE1\IANDS i33 
Lassalle de l' ordre social, très nombreux étaient 
les points OÙ la pensée de Ketteler joignait aisé- 
ment la siennc. Trois ans avant que 1\Iarx, dans 
son livre du Capital, ne construisît à grand renfort 
de chifTres la théorie du (( travail marchandise)), 
KeUeler, s'inspirant évidemment de la Réponse 
publique de Lassalle, qui date du 1 er mars i863 t, 
esquissait déjà quelques-uns des traits de celte 
théorie. Ainsi I' évêque de Mayence, comme analyste 
des réalités éconon1iques, était singulièrement 
proche de Lassalle ; et l'on sJexplique dès lors que, 
préparant un travail critique sur les solutions du 
libéralisme progressiste et du radicalisme socia- 
liste, il ait en la curiosité d'entrer en rapports 
directs avec Ie célèbre agitateur et de ne juger ses 
plans qu'après l'avoir IDis en mesure de les défen- 
dre. 
En janvier 1861., une mystérieuse lettre, qui 
portait Ie timbre de la poste de Francfort, parvenait 
à Ferdinand Lassallc, à Berlin; eUe n'avait pas de 
signature. L'anonyme expJiquait que, disposant de 
50.000 florins, il songeait à fonder, avec ce capital, 
cinq petites associations de production, que ce 
système lui paraissait préférable à l'intervention 
de l'État; et il réclamait l'avis de Lassalle. .Poste 
restante, à Francfort, à l'adresse (( 
1 Z 35 )), arriva, 
Ie 2f janvier, une réponse du tribun : Ie correspon- 
dant trop discret étaÏt prié de se faire connaître 2. 
Ainsi fut suspendu l'échange de leUres entre Guil- 


1. Lassalle, Di3coura et pamphlets, trade Dave et Remy. p. 195-
37. 
!. Goyau, Kelteler, p. !1l-213. 



t34- I.
 AT.I.E:\IAGNE RRLIGIErSE 
laume-Enlnlanuel de l{etteler et Ferdinand Lassalle. 
Dne réorganisation sociale fondamentale opérée 
par les seules libéraIités de la chal'ité chrétienne : 
tel était, - cette correspondance le prouve, - Ie 
rêve grandiose de l{eUeler. Ce que projetait l'évêque 
de 
layence, ce n' ðtait rien de moins qu 'une révo- 
lution dans l'organisation de ]'induslrie, c'était Ie 
capital mis à la disposition des travailleurs, les 
travailleurs passant de l'état de salariés à l' état de 
propriétaires. Et c' est au capital des chrétiens qu'il 
rêvait d'avoir recours, au nom mème de l'idée 
chrétienne, pour hâter l'avènement d'une époque 
nouvelle où la nlultiplication des coopératives de 
production mcttrait dans les mênles mains Ie capi- 
tal et l'oulil; c'est à la charilé chrélienne qu'il 
s'adressait pour que, sans secousse, sans soubre- 
saut, sans désordres, elle se fît l' ouvrière humblp 
et dévouée d-'une évolution sociale. L'histoire 
entière nous enseigne que des évolutions aussi 
graves ne s'accomplissent en général que par Ia. 
brusquerie des révolutions; Ketteler avait assez de 
confiance dans la logique de sa doctrine et dans Ia. 
vailJanee de la charité, pour dcnlander aux gens 
de bien de faire faire à ] 'humanité l' économie d'une 
révolution. 
. Sur ses indica.tions, Ie chanoine Moufang écri vit 
au sociologue Victor-Aimé Huber \ qui, dans sa 


1. Sur Huber (1800-1869), voir L'Aliemagne religieuse, le protestantismp. 
p. 191-193 (4 e édit., Paris, Perrin, 1905) et Elvel's, Allgemeine deutsche Bio
 
yraphie, XIII, p. 249-258. - On trouvait six ans plus tõl dans les H. P. B.. 
1857, I, p. 48-80 et 260-'!83, un article très favorable sur l'ouvrage dans lequel 
Huber raconlait son voyage ({'observation.. é
onomiques de l'aun
e 1854. 



FOR}IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 135 
retraite de Wernigerode, avait organisé une série 
d'institutions philanthropiques; Huber répondit en 
substance que depuis longtemps il songeait COID- 
bien pourrait être féconde I 'action des catholiques 
pour l'æuvre commune de progrès social, et qu'il 
se réjouissait d' entendre enfin des voix autorisées 
donneI' l'impulsion 1. 


VI 


Pressé par ces encouragements mêmes, Ketteler, 
à la fin du printemps de f864, publiait son livre: 
La question ollv1'ière et Ie Ch1'istianis'J1'te 2. II décla- 
rait que Lassalle et son parti (( avaient Ie mérite 
incontestable d'avoir dépeint
 en termes aussi 
énergiques que vrais, la situation des classes 
ouvrières réduites au strict nécessaire )) ; il faisait 
sienne, en somme, la partie critique du système 
de Lassalle. l\Iais quant à Ia partie positive et, si 
l' on ose ainsi dire, constructrice, de ce système, 
Ketteler la répudiait con1me périlleuse et comme 
illégitin1e, de même qu'il évinçait comme insuffi- 
santes les solutions de Schulze Delitzsch. L'inter- 
vention souveraine par laquelle l'État prélèverait 
sur les riches l'argcnt nécessaire pour transformer 
les pauvres en propriétaires inquiétait, au point 
de vue du droit, les scrupules t.héologiques de 
l'évêque, toujours soucieux de distinguer entre les 


t. Ptuelf, fCetteler, II, p. 186. 
2. Une traduclion française en Cut publiée par 1\1. Cloes (Liêge, Grandmont, 18(9). 

ous en avons donné de nombreux fragments dans notre volume sur KeUder. 



136 L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 
obligations de stricte justice et les obligations de 
charité 1. Au surplus, l'instinct même de I{etteler, 
si rapide à s'insurger contre tout absolutisme, Ie 
dissuadait encore, à cette époque, de confier à 
I'État centraJisateur la solution de la question 
sociale. Parce qu'hostile à l'absolutismc, il conI- 
hattaH, chez Ie propriétaire, Ie jus abutendi et, 
chez l'employeur, l'exploitatioll des forces hu- 
maines : de là, ses hardiesses de théoricien social. 
!\-Iais parce qu 'hostile à l'absolutisme, aussi, it ne 
voulait pas d'un État subjuguant les riches par ses 
exigences fiscaies et les pauvres par ses bienfaits 
gratuits; et c'est ainsi que sa haine lenace contre 
toute exagération illimitée dans l'exercice des droits 
humains l'amenait, tour à tour, à se rapprocher 
de Lassalle et à se séparer de lui. Le livre s'ache- 
vail par l'exposé du beau rêve qu'csqllissait naguère 
la Ieltre à Lassallc; Kettelcr souhaitait, avec une 
ardente confiancc, que l'épanouissement même de 
l'amour chrétien dans les âmes se traduisît, sur Ie 
terrain social, par la création de coopératives de 
production, dont les premiers fonds seraient dus à 
d'émouvants gestes d'amour. 
Dans les papiers de Ketteler remontant à cette 
époque, Ie P. Pfuelf a retrouvé un certain nombre 
de hrouillons plus précis, plus concrets, dans les- 
queIs l' évêque, seul devant son papier, en visageait 


t. Quelques aunées après, Ie chanoinc l\Ioufang se monlrcra, dans son 
programme social du 27 février 18i1, moins accessible à ces l'éservcs, et 
it demandera, commc Lassalle, que l'ÉtaL Casse lies avances aux sociélés ou- 
vrières. (Lavele
'e. Le 80cialisme contemporain, 6 e Mil., p. 151-152. Paris, 
Alcan, is!!:!.) 



OR:\IATION SOCIALE DES CATHOLIUUES ALLEIUANDS i37 
e fonctionnement possible de ces associations tant 
tésirées. I{ette]er y passait en revue les divers 
;roupemcnts de travail1eurs, ct les appréciait bri(\- 
'enlent. (( Les Trade-Unions, écrivait-il, sont jus- 
ifiées comme le sont les amputations sur Ie corps 
nalade; eUes présupposent un état de maladie, 
aais, dans un état de maladie, sont chose relati- 
"ement bonne. Aussi faut-il affranchir Ie travail- 
eur de tous les obstacles que les lois opposent au 
roit fl'association. D'autre part il ne faut pas se 
lire com pi ice de cette ill usi on trom pense pour les 
eavailleurs, d'après laquel1e, senles, les Tl'ade- 
lnions pourraient les aider. )) Passant aux associa- 
ions de Schulze-Delitzsch : (( Elles ont éveillé Ie 
:oiIt de s
associer, notait-il : c'est un grand avan- 
age, un retour öU ténébreux moyen âge. )) Mais 
lIeuI' reprochait d' (( être dirigécs contre l'in- 
.nence religieuse )), d' (( enrichir, parfois, les 
ourgcois libéraux qui les fondaient... )) Enfin, 
oncluait-il, (( si du moins les choses s'y passent... 
onnêtement, eUes peuvent toujours aider un 
eu. )) I{etteler abordait aussitôt nne troisième 
lasse d'associations, celles qui font du travailleur 
n associé de l' exploitation industrielle, un asso- 
ié de la jouissance, un l1fitherr, un Mitniesser. Les 
romouvoir lui semblait être (( l'une des tàches 
apitales de l'époque, rune des plus belles lâches 
es nations chrétipnnes )). 
Son enthousiaste imagination se fixait sur des 
hiffres; il projetait une grande association cen- 
'ale qui susciterait de telIes initiatives; sur ses 


Ilr,D nv ( 
 1 \ '-'
 r 


, '71= 



138 


r/ ALLE
IAGNE REI..IGIEUSE 


ressources d' évêque, il assurerait à cette associa 
tion 5.000 florins pendant 6 ans. (( J'ajoute que .1<< 
suis prêt 1 ... )) Ici finit le manuscrit; ici s'arrête If 
crayon de I{etteler, soudainernent interrompu à It 
seconde même OÙ sans doute il allait noter quelquf 
autre sacrifice susceptible d'assurer Ie renouveRl 
social. Un autre jour, il traçait un projet de banqu<< 
au capital de 1.0.000 florins, émettant des action: 
de 1.0 florins, et chargée de faire des prêts à tou: 
les travailleurs qui voudl
aient s'organiser, ou bieI 
un plan de société qui, à titre d' essai, subvention 
nerait une exploitation industrielle exclusivemen 
confiée à des travailleurs, et qui leur réserverai 
ainsi, outre leur salaire, tout ]e profit de l'affaire 2 
Un soil' OÙ Ie Journal de Fl
ancfo1"t attaquait l'avi. 
dité du clergé, Ie Journal de Alayence, organe catho- 
lique, ripostait: (( Si Ies fabricants millionnaire! 
et tous les .l\lagnats cousus d' or élargissaient unE 
fois leurs cæurs, s'ils voulaient employer à pel 
près la dixième partie de leurs revenus annuel: 
pour un but d'intérêt général, comme chaquf 
année fait l'évêque de Mayence avec presque tou 
son revenu, alors la question ouvrière serait heu. 
reusement résolue, et l'on verrait éclore des asso 
ciations productriccs de dividendes annuels pou. 
les tfa vailleurs, des institutions pour les ouvrier. 
malades et invalides; et tout ce qu'il y a de bon 
tout ce qu'il y a d'applicable, dans les système: 
modernes de Schulze-Delitzsch et de Lassalle, pOI' 


1. PfuelC, Ketteler, II, p. 197-198. 

. Pfuelf, Ketteler, II, p. 199. 



F'OR1IATION SOCIALE DES CATHOLIQURg ALLEl\IANDS 139 


terait les plus beaux fruits sur Ie terrain de l'amour 

hrétien 1 
 )) 
La presse catholique e
amina sérieusement les 
propositions de J{eUeler; certains de ses organes 
5e décIarèrent tou t prêts à cesser de revendiquer 
les biens ecclésiastiques sécularisés, si Ie produit 
de ces sécularisations éLait affect{
 par l'État à des 

oopératives de production 2. Qne les biens enlevés 
à Dieu fussent consacrés au peuple, fa pressp catho- 
lique, tout de suite, applaudirait ! 
Ainsi se découvraient des horizons imprévus; 
les rêves sociaux engendraient des rêves politiques. 
Ketteler laissait dire les journaux et se dérouler 
l'histoire ; il avail voulu, Iui, tout simplement, 
faire l'éducation sociale de la charité chrélienne. 
Survenant entre deux écoles réformatrices dont 
l'une, la libéraIe, parlait de self-Itelp, et dont 
l'autre, la radicale, parl
it de contrainte, Ie livre 
de J{etteler faisait de la réforme sociale un élan 
d'amour, et traçait à cet élan des directions aux- 
queUes Lassalle ne pouvait qu'applaudir. 
Parmi les nombreux témoignages que reçut 
Ketteler à l' occasion de son livre, celui qui sans 
doule lui parut Ie plus attachant ne fut pas la leltre 
élogieuse dp Pierre Mischler, l'économisle catho- 
lique de Prague 3, ni Ie curieux billet d 'un mécani- 


t. PfueU, Ope cit., II, p. 201. 
2. Becker, Geschichte der Arbeiter-Agitation Ferdinand Lassalle's, p. 
18, 
(Brunschwick, Bracke, 1874.) 
3. Raich, Briere von und an Ketteler, p. 299-300. - Sur Mischler (1811- 
\864), qui mourut peu de mois après, voir Ernesll\lischler, Allgemeine deutsche 
Biographie, XXII, p. 4-10. 



140 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


cicn protestant lui éerivant : (
 Si je ne puis pa
 
VOllS voir sur cette terrc, je veux vous visiter dan
 
l'autre mondc, et vous remercier d'être un ami de
 
hommes 1 )), lli mên1e l'adresse par laquelle UI 
protestant de Hambourg, président de l'assoeiatioI 
des artisans, lui exprimait une chrélienne sympa. 
thie 2, mais bien plutôt, croyons-nous, Ie rapid
 
message dans lequel un curé des bords du RhiI 
lui rapportait quelques propos de Lassalle. Un
 
fête socialiste avait eu lieu à Ronsdorf, Ie 23 n1a 
1864 ; Lassalle y avait réuni huit à neuf cent: 
auditeurs. II leur avait parlé de l' Association géné 
'rale des ll'availlcul"S allenlands, et puis des tenta 
tives diverses faites, de-çà, de-là, pour améliore: 
leur destinée ; une demi-heure durant, il avai 
insisté sur Rettcler, cet homme qui sur Ie Rhir 
est (( en odeur de sainteté )), qui depuis de longue! 
années (( s' adonne aux recherches scicntifiques )), e 
(( dont Ie nom, devant tout tribunal Rhénan, es 
entendu non seulen1ent avec considération, comm< 
ceux des savants, mais avec la plus haute défé, 
renee )). Des paroles de Lassalle, Ie curé racontai- 
à Ketteler ce qu'il avait retenu : 


(( Un prince de l'Église Rhénane. COlnrnen
a Lassalle, n"[ 
pu s'empêcher de reudre enfin témoiguage à la vérité, e 
11 a décIaré que cet évêque partageait complètement se
 
propres idées dans un livre intitulé : La question o1.lvrièl't 
(Lass
lle ne donna pas la fin du titre, ce qui me surprit tou l 
de suIte). 


1. PCueIr, Keltelel', II, p. 18U. 
!. Raich, op. eit., p. 300-303. 



'ORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i
t 
Ad commendationem, il parla encore un peu de la science 
:t de la pénétration de V otre Grandeur... Puis, illut divers 
>assages de votre écrit... Lassalle était tout à fait en extase, 
e public applaudissait constamment; une voix cria même : 
live l'évêque de \layence L.. Vous auriez, continua l'ora- 
eur, élevé deux réserves contre ses idées: d 'abord, vous 
mriez dit que les travailleurs gâteraient leur cause par trop 
le précipitation, puis, à cause du caractère divin de la pro- 
)riété privée, vous tiendriez l'aide de I'État pour illicite. La 
)remière objection, répliquait Lassalle, n'est pas fondée; il 

onnaît trop bien resprit intelligent des travailleurs, qui se 
.endraient compte eux-mêmes que tout cela doit se réaliser 
>ar une pacifique évolution. L'autre objection n'existe pas 
)our lui et pour les auditeurs, parce qu'ils ne croient pas à la 
livinité de la propriété privée : J'ailleurs Lassalle ne veut pas 
nêlne toucher, de quelque façon que ce soit, à la propriété 
lctuelle. Lassalle commença ses réflexions sur ce point en 
lisant: J e ne suis pas de la prêtraille (ich bin lie in Ptaff). Du 
Hoyen capital indiqué dans voLre livre pour remédier à la 
nisère des travailleurs comme de tous les .hommes - Ie 

hristianisme - Lassalle n'a pas dit une syllabe, de même 
Iue, dans tout son discours, il ne fut pas une seule fois ques- 
.ion de religion ou d
 rnoralité 1 )). 


L Raich, Ope cit., p. 28G-298. - Le lede précÏs de ce discours de l.assallc 
'ut imprimé dans la suite; on peut Ie lire inlégralement dans la traduclion de 
\1l\l. Victor Dave et Léon Rcmy. (( II Y a pcu de temps, disait-il, un prince de rÉglise, 
'évêquc de l\1ayence, poussé par sa conscience, cst in1ervenu dans la qucstion 
mvrièrc. Sur les bords du Rhin, il est cn odeur de saintelé. Depuis bien des 
umécs iL s'adonne aux recherches scienlifiqucs. Point par poinl, il adopte mes 
)roposilions et mes 1hèses économiqucs ct rejelte celles des progressistes, avcc 
}énélration et franchisc... n ne laisse même pas aux progressistc8 Ie choix 

nlre J'ignorance et l'inlention de tromper; en conscience, il se "oit obligé 
Ie déclarer que celui-Ià voudrait lromper Ie pel1ple, qui. counaissant les preuves 
Iue j'ai foul'nics, persisterait à nier l'exislence dc la loi d'airain !... V ous savez, 

es amis, q1Je je n'apparlicns pas à la cat.égorie des gens pieux. Mais il n'est 
l ue juste d'accorder la plus gran de valcur à ce s
 mplõmc. l\Ialgré l'indulgcnce 

t la retenue qui couviennent nalurellemenl à son minislère, un évêque sc voit 
::ependant obligé, cn conscienc<" de s'exprimer avcc la sévél'ité que mc per- 
mettait ma liberté de tribun populaire... Cela est d'au1anl plus imporlant que 
l'évèque n'apparticnt naturellcment pas au nombrc de nos adhél'cnls. II conleste 
l'utililé dc nos efforts; il en conleste la légitimilé. II conlesle leur utilité parce 
qu'il craint Ie bouleversemcnt {Iue provoqucrait la mise à exéculion de nos mc- 
!ures en malière sociale. II conteslc leur légilimité parce (Iuïl Jui pal'ail dou- 
'cux que rÉtat ait Ie droit d.cmploycr les mo
 ens ('1 ll"tlSPl' dp.s institutions que 



i '9 
.J:,-, 


L' ALLE
IAGNE RELIGIEUSE 


Le discours de Lassalle, tel que ces lignes ]e 
résumaient, montrait en queUe estime le fondateur 
du sociaJisme Allemand tenait la pensée de Kette- 
ler. II était naturel que cette singularité frappât la 
presse de l'étranger : on voyait Ie Tentps du 
17 octobre 1864 publier une analyse très longue, 
très fouillée, du livre épiscopal, sous ce titre 
expressif: (( Un évêque socialiste. )) 
Au demeurant, I{elteler, - une lettre postérieure 
à la filort de Lassalle nons en est la preuve, - 
inclinait à juger assez favorablement la personna- 
lité nlême du fameux tribun 1. En 1866, trois 


je réclame, ll'engager ainsi dans des voies délerminées. dans des canalll. rigides. 
la propriél:.é future. Mais par Ià mème I'évêque de Mayence porte en nolre faveur 
Ie lémoignage Ie plus imporlant. n avoue en effel que celte opinion n'est fondée 
que chez ceux qui, comme lui, croienl la propriélé d'inslitulion divine. La doc- 
lrine acluellement en faveur dans l'Élat, dans la science, daus Ie parli libéral, 
voit dans la propriélé privée une insti\.ulion humaine. L'évèque dlt que de ce 
point de vue on l1e peut élever la moindre objection sur la légitimité des mesures 
que je propoie. Vous devez comprenòre l'importance incomparable d'un semblable 
aveu. ,) A celle époque même, Hieronymi. prédicaleur de la secLe des FreÜ'e- 
ligioesen, publiait à Darmstadt une brochure con1re (( Erostrale-Lassalle )1. 
Lassa
le n 'en était que plus flatté du langage de Ke1telcr à son endroit. Bernard 
Becker, plU5 tarò président de l'Association générale des ouvriers allemands, ne 
parle qu'avec mauvaise humeur, dans sa Geschichte der Arbeiter-Agitation 
Ferdinand Lassalle's, de J'at1ilude réciproque de Lassalle et des.: ultramon- 
lains )); la mème colère s'observe dans Ie livre de Brandes, Ferdinand Lassalle: 
ein literarisches Chamkterbild. p. 239-240. (Berlin. Dunck.er, 1877.) - Cf. sur 
Ie discours de Ronsdorf, où Lassalle faisail aussi cer1aines avanccs à Bismarck. 
Seillière. Etudes sur Lassalle, {ondateur du pa>.ti 80cialiste allemand, p. 192- 
HI4 (Paris. PIon, 1897). 
1. Ainsi s'explique que les (I nationaux liLéraux, >>à l'époque llu Culturkamp/,. 
aient allégué Ie souvenir du jugement de Kelleler sur Lassalle, pour accuser 
l'évëque dt: n'êlre qu'un démagogue, et que même ils aient complaisammellt 
accueilli, sur les rapports des deux personnages. d'assez curieuses légende!. 
Entre aut res fails. une visite qu'avait rendue la comlesse Hatzfeld à KeUeler Ie 
16 août 1864 quelque temps avant Ja mort de Lassalle, donna lieu plus lard à 
Ull tenace on-dit, dont en février 1873 la Nationalzeitung se fit l'écho, et d'après 
lequeL Ketteler. sur la demande de la comlesse. se serait montl'é propice à l'idée 
de bap1iser lïsraéli1e LassaUe pour facililer 80n mal'iage avec MILe de Doen- 
niges. V o
 ez lcs démenLis ùe Kettelcr lui-même dans la Gerrnania du 16 fé- 
vrier 187:1 ('1 le8 ('}.plications complémenlail'cs du P. Pfuclf, E.ettele,,, Ill. 



OR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEAIANDS 1.43 
uvriers catholiques de Duenwald, membres de 
Association des travailleurs fondée par Lassalle, 
)nsuJtèrent Ketteler; ils lui demandèrenl si des 
Itho]iques pouvaient appartenir à ce groupement. 
ans émeUre un avis formel sur une question qui 

gardait surtout l'évêque de leur diocèse, Ketteler 
lclina, non d'ailleurs sans quelque hésitation, 
ers une réponse négative, en raison de l'esprit 
îtireligieux qui dirigeail les chefs actuels du 
Louvement ]assallien ; mais il tint à rappeler l'in- 
épendance de jugement qu'il avail toujours cons- 
ltée dans les écrits de Lassalle, et même Ie (( pres- 

ntiment respectueux qu'avait Lassalle de la 
eofondeur et de la vérité du christianisme )). Sous 
1 direction, ajoutait-il, (( l'Association générale 
es travailleurs n'aurait, je crois, point élé détour- 
ée de son but, c'est-à-dire de la mission de veiller 
ux intérêts de l'ouvrier, et on n'en aurait pas 
busé jusqu'à la faire servir des tendances anti- 
ltholiques )) I. Ainsi Ie cas de conscience soumis à 
.etteler par trois prolétaires catholiques devinl 
our l'évêque de l\Iayence l'occasion d'un hom- 
lage à la personnalité disparue de Lassalle ; el 
)ut au fond de sa pensée, telle que sa réponse la 
lÎsse voir, la seule objection vraiment sérieuse 
u'il croit pouvoir élever contre la participation 
es ouvriers à l' effort socialisle était tirée de la 


260-2G3. Rien d'exact, non plus, dans Ia rumeur, accréditée en f896 par cer_ 
ins journaux, d'après Iaquelle Ketteler, au momenl où la comtesse Halzfeid 
mena de Genève Ie callavre de Lassalle, am'ait accompagné Ie corps depuis la 
rc lle Mayence jusflu'à l'embarcadère du Rhil1 (Pfuclf, Ope cit., III, p. 263). 
1. (;o
 an, J{cltelC1', p, 2:ï 
-2(ì 1. 



144 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
malveillance notoire des chefs socialistf\s contre Ie 
catholicisme lui-même. 


VII 


Ketteler n'était point une exception parmi le
 
catholiques de l' Allemagne 1. II suffit de parcouril 
entre 1.860 et 1.870 la collection des Feuilles hista- 
'rico-politiques 2, la grande revue catholique qui 
s'honorait d'avoir eu Goerres pour fondateur : 
on constate tout de suite que cette revue, publiéE 
dans la calme Bavière, nc redoute pas la questioI1 
sociale, que tout au conlraire elle évoque cette 
question, que sans cessc eUe l'agitc, qu'eUe ]{I 
brandit, pourrail-on dire, sous Ie regard de
 
(( libéraux )) inquiets, et qu'pn face de l'anticléri- 
calisme bourgeois, elIe se réjouit de cette agitation 
ouvrière assez arrogantc pour demander à la bour- 
geoisie ses titres. (( Tout Ie bruil qu
on fait autoul 
de Bonaparte et de Garibaldi, de Cavour et de
 
Cobourg, de la Hongrie ct de l'Italie, tout cela 
passe : une scule chose subsiste, c' est la sociétr 
profondément malheureuse. Qui, c'est la question 
sociale ! V ous l'avez oubliée,. cUe ne vous oublie 


1. On pourrait en parUculier mcnlionner en 1865, dans la toute nouvelle collec- 
tion des B,'ocltures de F1'ancfort, une brochure de l'économiste Jean-Josep)! 
Rossbach (1813-t8G9), qui aVùit apparlcnu cn t849 au parti calholique bavarois 
elle s'inlilulait : Industrie und Christenthum. 
2. Cf. notre tome II, p. t08-t09 et 203-
06. A la mort de Guido Goerres, er' 
185
, Joerg élait devenu Ie direcleur des Feuilles (H. P. B., 185
, II, p. 211- 
::!12), et 1\1. Franz Binder, qui dcvait 8uccéder à Joerg comme directeur, lui rul 
associé dans celle tâche à pal'lir de 1858 (H. P. B., 1858, I, p. 7:-?7-ïi8) : on fêlail 
en janvier 1908 Ie cinquanlenairc de sa direction (H. P. B., J908, I, p. V-XVI.: 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE
IANDS i
5 
pas 1. )) Ainsi s'exprimaient, dès :1860, les Feuilles 
ltistorico-politiqlles. Et en :1865 : (( On peut se dis- 
puter sur Ie Schleswig; la plus impol'tante de 
toutes les questions pour nous, c'est de savoir 
comment Ie peuple mangera, c' est la question 
sociale 2. )) 
II plaisait à ce grand périodique catholique de 
braver ainsi les (( nationaux libéraux)) en leur 
remontrant que vainement ils essaieraient d'amuser 
I 'opinion par certains débats politiques ou d' occu- 
per les passions populaires par des excitations 
antireligieuses; qu'au-dessous des agitations super- 
ficielles où s'attardait Ia (( bourgeoisie )), une ques- 
tion profonde survivait, dont iL faudrait bien qu'un 
jour elle se préoccupât. La Chambre hessoise, pour 
taquiner Ie ministre Dalwigk et l'évêque Ketteler, 
aimait les débats sur Ie cléricalisme. (( Le sort des 
petits métiers, proclamait alors un orateur, est 
pour moi beaucoup plus important que la question 
ecclésiastique 3 )) ; cet orateur n'était autre que Ie 
chanoine l\Ioufang, auxiliaire de Ketteler dans 
l'administl'ation du diocèse; et, dans un long dis- 
cours, il développait Ie plan d'une législation pro- 
tectrice des artisans, susceptible de les aider 
(( contre la tyrannie du capita1 4 )). Les Feuilles 
histo'J'ico-politiques goûtaient fort ce genre de 
diversion : il leur plaisait que Ie catholicisme 


L H. P. B., 1860, II, p. 512. 

. H. P. B., 1865, I, p. 117. 
3. Moufang, Die Bandwerkerfrage, p. 6 (Mayence, Kircbbeim, 1864). 
4. Moufang, Ope cit., p. 33. - cr. cj-dessus, p. 55, n. 2, 


III. 


10 



146 


L 'ALL El\lAGNE RELIGIEUSE 


ripostàt aux importunités de l'anticléricalisnle par 
l'importunité souveraine de la question sociale; 
des députés voulaien
-ils jouer au concile, ou des 
journalistes s'ériger en théologiens, il se trouvait 
tout de suite des catholiques pour leur rap- 
peler qu'il y avait des pau vres et que LassaHe 
exislait. Nationaux libéraux et catholiques sem- 
blaient parfois Iutter d'ingéniosité, les uns pour 
éluder ]a question sociale, les autres pour l'affi- 
cher. 
Aux regards des Feuilles histol'ico-politiques, il 
était logique que Ie libéralislne économique fût 
politiquemcnt antire1igieux. (( II est in1possible, 
y lisait-on en i865, qu'une doctrine qui traite 
comme une rnarchandise rnorte la force de tra- 
vail de la pauvre hurnanité soit an1icale pour 
la pensée chrétienne 1. )) L'article s'intitulait : 
Le système du libé1'alisJue économique et l' essence 
de la bourgeoisie. Quelques mois après, la même 
revue développait cette idée, que Ie malthusia- 
nisme est Ia conséquence du libéralisme, ct elle 
concJuait : (( Un système d'économie politique 
qui est tombé jusqu'à cette profondeur de rnépris 
pour soi-même ne peut avoir aucun aveniI' 2. )) 
Lassalle était autrernent traité : (( Génie séculaire, 
écrivait-on, il a percé, de ses pénétrantes intui- 
tions, les profondeurs de l'histoire de la civilisa- 
tion, et sou vent il eut un langage qui serait tout 
à fait digne d'un voyant chrétien et d'un socio- 


t. H. P. B., 1865, II, p. 56. 

. U. P. B., 1866, I, p. 514. 



i48 


L' ALLEMAGNE RELTGIEUSE 


peut-être, sur les ruines du libéralisme, Lassalle 
frayaiL-il les voies à la solution chrétienne de la 
question sociale. Le monde se transformait; l'élé- 
vation des travailleurs al1ait (( nécessiter un chan- 
gement de front dans ]a politique intérieure de tous 
les gouvernements, et cette nouveauté, infiniment 
plus importante que les remaniements imn1inent
 
de la carte d'Europe, allail survenir assez prochai- 
nement dans les États industriels 1 )). Avec allé- 
gresse, au nom du catholicisme, les F'euilles his- 
tOl"ico-politiq'lles tournaienl Ie dos aux tenaces 
vieilleries, aux vieilleries lentes à mourir; (( la 
société du libéralisme, notaient-elles en 1868, es1 
à présent condamnée, d'une part dans les allocu- 
tions du pape à Rome; d'autre part dans les allo- 
cutions de Jacoby, Ie tribun démocrate de Kænigs- 
berg 2 )). Cela ne déplaisait pas aux Fpuilles, dE 
voir les sarcasmes de la démocratie sociale contrE 
Ie libéralisme faire écho aux anathèmes du Sylla. 
bus; elles aimaient ces attrayantes coïncidence
 
comme des préludes de l'avenir. On se trouvait i 
un tournant de I 'histoire; de là, des devoirs nou. 
veaux pour l'Église. 


Si une nouvelle période de l'histoire, disaient les Feuille. 
en 1865, invoque plus hautement que jamais I'Évangile de! 
pauvres, pourquoi I'Eglise ne devrait-elle pas accepter, ell( 
aussi, d'apparaître avant tout cùmme une personnalit{ 
ouvrière'? (warum sollte nicht auch die Kil'che vorherrschend, 
AJ'beiter-Gestalt annehmen?) 


1. H. P. B., 1865, I, p. 1017. 

. B. P. B., 1868, II, p. 264. - Sur Ie radical Jean Jacoby (1805-18i7), voi 
Wippermann, Allgemeine deutsche Biographie, XIII, p. 620-631. 




ORl'tIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i49 
De toutes les :transfonnations qu'elle a déjà subies dans 
.a situation à l'endroit du monde, ce ne serait même pas la 
)lus grandee En tout cas, toutes les autres questions ecclé- 
,iastiques pourraient bien, tôt ou tard, dispal'aître derrière 
,elle-ci : (( Comment Ie catholique doit-il se comporter vis- 
L-vis du nouveau n10uvemellt des travailleurs?)) 1 


Le penseur audacieux, original, qui interprétait 
.insi, pour les catholiques d'AlIen1agne, les pre- 
aiel's murmures de ]a question sociale, s'est éleint 
l y a six ans seulen1ent : il s'appelait Joseph- 

dmond Joerg 2 et avait, en 1852, succédé à Guido 

oerres et au canoniste Phillips dans la direction 
es Feuilles, que l\10nlaIen1bert appelait (( Ie premier 
3cueil de l'Europe catholique >) s. 
Ses études sur l'évolution du protestantisn1e, 
ubliées de 1853 à 1858 4., témoignaient d'une 
.chesse d'inforn1ations et d 'une pénétration cri- 
que que l' Allemagne protestante ne pouvait se 
3fendre d'admirer:). Archi viste à l\1unich, ses 
l.ticles contre la bureaucratie lui avaient valu un 
)sle de disgràce dans la bourgade lointaine de 
eubourg : c'est de là qu'il regardait la terre tour- 
er, les homn1es s 'agitei', les révolutions se prépa- 

r. (( Dites-moi de grâce qui est eel auteur, écri- 
lit l\Iontalembert après avoir Iu des pages ano- 
yn1es de Joerg, afin que j'inscrive son nom parmi 


I. H. P. B., 1865, I, p. 416. 
2. Voir sur Joseph-Edmond Joerg (1819-1901), l'arlicle de Franz Binder (li. 
B" 1901, II, p. 773-79:t); - et B. yon Meyer, E1'lelmisse, I, p. 315-316. 
J. Montalembert, (Euvres, V, p. j6. (Paris, Lecoffre, 1861-1868). 

. Joerg, Geschichte des Protestantismus in seiner neuesten EntwicklulIg, 
'ibourg, Herder, 1858). 
). Ringseis, Erinnel'ultgeu, IV, p. 42, n. 1. 



i50 


I:ALLEl\IAGNE HELIGIEUSE 


ceux des esprits les plus sagaces que j'aie encore 
rencontrés 1. )) Joel'g mérite de figurer, à côlé de 
Ketteler, parmi les édncateurs sociaux des catho- 
liqnes d' AJIemagne. 
Le livre dÏnformations dans lequel l'Allemagne 
catbolique apprit à connaître et à juger les di verses 
écoles sociales fut Ie livre d'Ednlond Joerg, publié 
à Fribourg en 1.867 et intitulé : Histoire des pal ' ti.s 
politiques sociaux en Alteuzagne 2. De proposer Ia 
solution chrétienne, Joerg ne s'en préoceupe qu'en 
passant; il estinlait, sans doute, ne pouvoir 
mieux dire qu'avait dit Ketteler. l\lais la nléthode 
même de son livre, l'esprit qui l'inspire, Ie point 
de vue où il se place, habituaient les catholiques. 
si l'on peut ainsi parler, à une cerlaine optique 
sociale, qu'il importe de définir avec qlle]que soin. 
Pour Edmond Joerg, rhégémonie éconornique de 
la bourgeoisie est Ie nlal souverain, et par bour- 
geoisie il entend la classe sociale qui profita de la 
révolution de 1.848 pour renverser toutes les bar- 
rières économiques S et qui, dans la suite, déclara 
superbement que Ie National Verein, avec ses 
aspirations anticléricales, représenlait des millions 
de capital +. En tant que catholique et en tant que 
sociologue, Joerg enregistre avec satisfaction 13 
rupture, opérée par LassalIe, entre cette bour- 


t. Binder, loc. cit., p. 78G. 
2. Joerg, Geschichte der social-politischen Parteien in Deutschland. (Fri. 
bourg, Herder, 1867). - Sur Ie succès de ce livre, voir Theologisches Litcm- 
turblatt, 1867, p. 563-5G8; H. P. n., 1868, I, I>' 318-32i. 
3. Joerg, op. cit., p. 4-S. 
4. Joerg, op. cit., p. 7. 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEì\IANDR HH 
geoisie et la masse ouvrière; il rnesure avec allé- 
gresse les coups portés par la nouvelle école 
démocratique à la tyrannie politique et sociale du 
capital bourgeois. Qu 'on ne s' égare pas sur Ie sens 
du n10t bourgeoisie; .10el'g, comme tous les catho- 
liqucs d'outre-Rhin, attache beancoup de prix au 
Iuaintien des classes moyennes, mais l'un des 
reproches qu'il fait précisément à la bâlisse écono- 
mique que Schulze Delilzsch s' essaie à recrépir, 
c' est que les classes moyennes clles-mêmes y sont 
rnallogées t. (( Certainement, dit-il, la diITérence 
du riche et du pauvre esL voulue par l'ordre divin; 
mais là OÙ les fortunes moyennes se dissolvent 
pour qu'une petite minorité nage dans 1'01', tandis 
que la grande masse tomue dans l'cxtr
me lnisère, 
alors, à la place de l"ordrc di vin, s'installe un 
péché mortel contl'e l'humanité, l'u8nre 2. )) 
La science économique fut con1plice du péché; 
mais Lassal1e est venu, - l..assalle, Ie Luther 
social,. et c' est tant pis pour Ie péché, si la science 
allemande est venue comn1e transfuge au camp 
des travailleurs s, ct s'il existe maintenant, grâce 

l Lassalle, une politique ouvrière, scientifique 
eUe aussi, et émancipée de la politique de la 
bourgeoisie 4. CeLte science transfuge, à lire les 


1. Joerg, op. cit., p. 80-100. 

. Joerg, Ope cit., p. 81. - Pierre Reichenspergor, dès 1860, avait fait un 
écrit contre la suppression des lois sur l'usure (Berlin, Gullenlag); voir 
H. P. B. 1860, I, p. 695 el suiv. - cr. H. P. B., 1870, II, p. 360, la con- 
clusion ù'une série d'arlicles conlre . l'cffroyable ligue de spéculaleurs qui 
enserrent Ie monde )), et Ia prévision ,rune l.('rribJc gUl
rrc socia\('. 
3. Joerg, Ope cit., p. 14. 
4. Joerg, Ope cit., p. tOO. 



152 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


déclarations matérialistes de la presse socialiste, 
paraît aux antipodes de la foi chrétienne; Joerg 
ne Ie cache pas, et il s' en attriste. l\lais il ressort 
de son exposé que I 'antagonisme du régime bour- 
geois contre Ie christianisme est singulièrement 
plus profond ; les catholiques doivent se convaincre 
- ce sont ses propres expressions - que cette 
(( bourgeoisie, partout, nécessairement, se trouve 
dans une posture d'inimitié morteUe contre Ia 
morale chrétienne et contre la révélation 1 )>, et 
que (( Ie grand précepte de ramouI', donné par Ie 
Christ, est formellement abandonné par Ie libéra- 
lisme économique 2. )) L'année 1867 n'a pas amené 
au Parlement de r Allemagne du Nord Ie parti 
ouvrier que Lassalle avait naguère eu l'espoir de 
fonder; mais du moins, Ie fonctionnemcnt du 
suffrage universel et direct pour les élections à ce 
Parlement fut-il une première victoire posthume 
du (( génial )) agitateur 3. Cette victoire
 pourtant, est 
toute négative : elle ne fait que sanctionner les cri- 
tiques de Lassalle contre l'idéal politique et socia] 
devant lequelle capitalisme bourgeois voulait pros- 
teI'neI' l'humanité. Mais quant à la réorganisation 
de la société, on ne saurait l'atLendre du parti ou- 
vrier fondé par Lassalle, parti déjà très divisé\ et 


i. Joerg, Ope cit., p. 101. 
2. Joerg, Ope cit., p. 104. 
3. Joerg, Ope cit., p. 189. 
4. Joerg fail allusion aux décisions qui dès 1865 éclalèrent, dans Ie socia- 
lisme allemand, entre Schweitzer d'une part, Liebknecht, :Marx et Engels, 
d'autre part. Voir Milhaud, La démocmtie 8ociali8te a,llemande, p. 33-37 
(Paris, Alcall, 19U3). 



FORl'tIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS i53 
dont la brève histoire est déjà pleine de scandaies ; 
il faut pour une société nouvelle un esprit nouveau, 
une force nouvelle d'amour : aux catho1iques 
d'agir. C'est ainsi que Lassalle, dans Ie livre de 
Joerg, prend la stature d'une sorte de Messie, élu 
de Dieu pour préparer les décombres sociaux sur 
lesqueis I'Église reconstruira. 
Puisque, sur les décombres accum ulés par les 
Germains dans l'Em pire romain, les moines Béné- 
fictins avaient créé une vie rurale nouvelle, 
pourquoi des moines, aussi, ne seraient-ils pas les 
liquidateurs de la faillite économique, provoquée 
?ar Lassalle? Un capucin suisse, Ie P. Théodose, 
ivait naguère, en 1.863, captivé les congressistes 
ie Francfort en leur racontant l'histoire des deux 
tissages qu'il avait installés, à Ingenbohl en Suisse, 
ì Oherieitensdorf en Bohême, sous la direction des 
;æurs de charité; il était Dlort en 1.865, laissanl 

es entreprises dans un état financier très mé- 
liocre t. On ne se décourageait point cependant, 

t une curieuse brochure, pubJiée à Vienne en 
l868, reprenait Ie rève de congrégations direc- 
;rices de la vie industrielle. Elle s'intitulait : Le 
tanger social de la question o'llvrière et la possihi- 
'ité de Ie conjurer 2 , et était l'æuvre du chevalier 
3ernard de rvleyer, qui, exilé de Suisse après la 
léfaite du Sondel'bund, avait trouvé asile à Vienne 


i. Leben und Wirken (lea P. Theodosius Florentini, O. Cap., p. 118-137. 
[ngenbohl, Katholischer Buecherverein, lR78). 
!. Die socia Ie Gefahr der Arbeìtnfrage und die .Jloeglichlceit del'en Abwen- 

ullg(Vìenlle, Sartori, 1868). -H.P. B., 1868, 1l,p.407-408. 



i5
 


L' ALLE}IAGNE RELIGIEUSE 


et beaucoup aidé à la conclusion du Concordat autri. 
chien 1. Le déchaînement du capital par l'éffet de h 
Jibre concur['ence, Ie développement des valeur
 
mobilières, la suppression des lois contre l'usure 
telle était, pour Bernard de l\Ieyer, la triple source. 
du mal social. Le remède proposé par Lassalle lu 
faisait l' effel d'une utopie : car une certaine vertu 
qu'il appelait la discipline volontaire, serait indis 
pensable dans ]es associalions productives don- 
rêvait Ie tribun socialiste; et Bernard de 
Ieye] 
savait ou croyait savoir combien est rare cettf 
vertu. Lassalle pourtant ne se trompait qu'à demi 
et Bernard de Meyer reprenait avec Iui : Oui, i 
faut que ces associations fonctionnent; oui, il fau 
qu'aux généreux capitaux apportés par ceux qu 
possèdent se joignent des garanties d'Íntérêl 01 
même des subventions accordées par l'État. l\Iai
 
Ie succès était impossible, aux regards de 
leyer 
si ron ne donnait pas à ces associations une direc 
tion complètement indépendante, si elles n'étaien 
pas libres à l' endroit des classes possédantes 
l\Ieyer, alors, dessinait Ie plan d'une congrégatioI 
nouvelle qui présiderait aux nouveaux essais dl 
vie industrielle; et la revue le Catholique, de 

Iayence, accueillait avec intérêt cette ingénieus, 
combinaison, qui, sous l'ombrage pacifique d. 
quelque rameau monastique, réaliserait en parti, 
Ie programme révolutionnaire de Lassalle 2. 


I. Sur Berna.rd de Me
er (1810-18i4), voir Meyer v. Knonau, Allgemein 
deutsche Biographie, XXI, p. 551-561, et surtout les propres 
Iémoires d 
:Meyer, pub1iés par son fils en 1874 (Erlebnissc, 2 vol., VjeUlu', 
]anz). 
2. l1atholik, 1868, II, p. 3t!l-351. 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE?tIANDS 155 


VIII 


Eût-il été d'une sage tactique, pourtant, eût-il 
été conforme à la politique réaliste de I'Église, 
que Ie chrislianisme social se laissât immobiliser 
par l'ampleur mên1e de ses rêves, et quJil attendît 
tranquillement les merveilleux coups d'État, - 
gestes de capitalistes généreux, ou bien violences 
ouvrières, - qui substitueraicnt au salariat un 
autre mode de production? I{etleler ne Ie pensait 
point, et tout en continuant de griffonner des plans 
de coopératives, il envisagea sans retard la meil- 
leure façon de prêter aide aux ouvriers dans Ie 
régime industriel de l'heure présente. A côté des 
brouillons dans lesquels il édifiaÏt nne (( solution 
de la question sociale )), d'autres brouillons prirent 
place sur son bureau, Oil il examinait les moyens 
immédiats de relever la situation du travailleur 1. 
En voici un, cité par Ie P. Pfuelf, qui semble 
remonter à l'année 1865 : 


A la place du self-help individuel du libéralisme, doit sur- 
gir Ie self-help corporatif, sans exclure un appui raisonnable 


L Pratiquement, rien de ce qui louchail à la deslinée de l'ouvrier ne laissait 
Kcltclcr indifférenl. Un jour, Ie Conseil municipal de ì\Iayence, préoccupii de 
moins dépenscr pour rhôpÏtal de la ville, voulut imposer aux ouvriers étrangers 
lravaillanL dans Maycnce une cotisation qui leur assurait l'accès éventuel de 
l'hôpilal, et se refusa à dispenser de celte charge pécuniaire ceux-Ià mêmes qui 
d'avancc, pour Ie cas de maladie, avaiellt conlraclé cJes arranp-emenls avec des 
rondations de bienfaisance pl'ivée. Le journal catholique de Ia ville publia contra 
ces prélenLiolls du Conseil une série d'articles; el la municipalilé dut céder. 
I C'élait Ketteler qui, pour la circonsLance, s'éLait improvisð journaliste, en faveur 
1es ouvriers ambulant.s que les hasards de leut's voyages lui amcnaienl commC' 
liocésains (Pfuelf, Kettcler, I I, p. 1. 78-1.i9.) 



156 


L' Af..LEMAGNE RELIGIEU8E 


de la part de I'Étaf.. Je maintiens, pour cela, la nécessité 
d'une organisation à laquelle tous les travailleurs doivent 
appartenir ; comme base la profession. Etudier son organi- 
sation. La pousser à faire des propositions. Pour cela, éla- 
borer une constitution pour la classe des travailleurs... La 
profession doH assurer protection matérielle et morale à ses 
lnembres, dans Ie sens du self-help corporatif. Les profes- 
sions ont, au-dessus d'elles, une fédération d'arrondissement 
pour toutes les professions dans l'arrondissement. Cette fé- 
dération forme pour les membres un pouvoir d'appeI. adlni- 
nistre et emploie la richesse commune, organise les rap- 
ports entre l'État et la profession... Reconnaissance de la 
fédération d'arrondisselnent par l'État t. 


Quelques lignes sont sautées, à peil!e déchif- 
frables dans Ie manuscrit; d'autres trop som- 
maires, trop hâtives, sont à peine com préhen- 
sibles. 
lais, dans l'ensenlble, nous avons ici tout 
un plan d'organisation professionnelle, englobant 
tous les membres d'un nlênle métier, les encadrant 
solidement, les prolégeant, et garantissant à la 
profession même, dans Ie fonctionnement de la 
vie de I'État, une active autonomie 2. Si Ketteler 
veut l'organisation ouvrière, c'esl en verlu des 
mênles principes d'indépendance et d'autonomie 
qu'il avail trouvés, tout jeune, dans une tradition 
féodale de bon aloi; c'est en verlu des aspira- 
tions qui Ie poussent à vouloir conserver et forti- 
Her, au-dessous de 1 'État centralisateur, un cer- 


j. PCuelC, Ketteler. II, p. !O!. 

. cr. MouCang, Die Handwerkerfrage, p. 33: c Esl-ce peul-être une injustice 
que même pour les artisans il y ail un droit propre, une législation propre? >> - 
Dès 1851, un article des H. P. B., 1851, II, p. H2-113, signalait comme It un 
symplðme de convalescence., une lettre du Bue1'gerverein de Stuttgart au député 
de cettc vi1le, dans 1aquel1c on réc1amail, (( au lieu d'tme rcpl'ésenlalion factice 
el décevanle, la repré
enlalion l'éelle ùes inlérêts. )) 


I 



FORl\1ATION SOCIALE DES CATHOI.IQUES ALLEl\IANDS 157 
tain nombre d'organismes vivant de leur propre 
vie; c'est en verlu du goût qu'il a pour toules les 
attaches naturelles subsistant encore parmi Ie 
vaste émiettenlent du monde moderne, attaches 
terriennes, attaches confessionnelles, attaches pro- 
fessionnelles, cimentant de petites sociétés bien 
unies et bien vivantes parmi l'éparpillement anar- 
chique du vaste chaos social. 
Voyez encore cet autre brouillon : 


(( Sage organisation des classes ouvrières; une constitution 
pour elles, une direction suprême pour elles; les élever 
pour une ce'rtaine autonomie. Notre État cuit la soupe, fait 
Ie beurre, ceia doit cesser 1. )) 


Bluntschli nous entretient avec quelque com- 
plaisance, dans SPS J.WéJnoÙ'es, d'un plan de consti- 
tution qu'un jour il présentait au roi de Bavière et 
:}'après lequel certaines personnalités, désignées 
par Ie roi lui-même, aUytient mission, sous Ie 
nom de patrons des travailleurs (Arbeiterpatrone), 
:Ie représenter à la Chambre la classe ou vrière 2. 
Bluntschli comptait sur une telle institution pour 

orriger une grande lacune, visible à tous les 
)bservateurs. 
la is les catholiques, eux aussi, 
\7oyaient cette lacune. (( 11 n'y a dans les Cham- 
)res, expliquaient un jour les Feuilles historico- 
:Jolitiques, que des représentants de la bourgeoi- 
;ie, presque exclusivement, c'est-à-dire les repré- 
;entants d'une classe qui n'a qu'un critérium, ses 


t. Píuelf. Ketteler, 11, p. 203. 
2. Bluntschli, Denkwuerdiges aus meinem Leben, JI, p. 120. 



J58 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


intérêts industriels et commerciaux 1. )) Et les 
catholiques, activement soucieux de remédier à 
ce mal, vouJaient plus ct n1Ïeux, pour Ie proléta- 
riat, que des représentants d'office, institués par 
une personnalité souveraine; nombreux parmi eux 
étaient les politiques et sociologues qui, plus con- 
fiants que Bluntschli dans la classe ouvrière, 
rêvaient d'une vie civique OÙ les intérêts ouvriers 
seraient incarnés et défendus par des délégués 
ouvrlers. 
Ketteler est leur chef à tous : Ie mouvement 
d'organisation des classes ouvrières lui apparaît 
comme une revanche sur les visées absolutistes 
d'un État centralisateur, comme Ie prélude d'une 
réédification qui rappellera dans quelque mesure 
l'architecture sociale du moyen âge. 

lais la société humaine ne se rebãtit pas en un 
jour; les perspectives qu'autorise Ie mouvement 
ouvrier ne se dérouleront qu'à longue échéance; 
et toujourslemalaise esturgent...Alors, Ie 25juil- 
let 1.869, Ketteler, de plus en plus pratique, prê- 
chant devant un audiloire ou vrier dans une cha- 
pelle de pèlerinage, détaille, comme Ie ferait un 
agitateur de profession, les revendications que les 
travailleurs doiventprésenter aux pouvoirs publics 
et que déjà leur organisation rudimentaire est 
peut-être susceptible de faire aboutir. 
Augmentation des salaires; diminution des 


1.. H. P. B., 1867, II, p. 834, C'esl à propos des élections au Pal'lement 
de I'Allernagne du l'\ord que les Feuilles historico-politique$ faisai('nl cette 
réf1cxion. 



.)R:\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE
IANDS f 59 
eures de travail; repos dominical; interdiction 
u travail des enfants ct des femmes dans les 
lbriques : tcIles sont les revcndications ouvrières 
ue Ketteler juge le plus immédiatement réali- 
tbles et dont il s'atLache à montrer, du hant de Ja 
laire, au nom même de la religion, l'indéniable 
Iuité 1. (( Sur d'autres lèvres que les vôtres, lui 

rivait un vicaire d' Aix-Ia-Chapelle, nos bourgeois 
ttholiques n 'auraient pu supporter de teBes véri- 
s 2. )) 
lais au eæur même de ces vérités, dures 
)ur certaines oreilles, reparaissait - jamais 
Ibliée, ni mênle estornpée, - la pensée fonda- 
entale du Ketteler de 1848. Ces revendieations, 
,ntinuail-il, ne seront efficaces, et leur succès 
I 
 profitera aux ouvricrs eux-mêmes, que si la 
I ligion dirigc et réforme leurs âmes. lietteler 
attend pas de la loi je ne sais queUe magique 
LÏssance de réforme, Ie progrès ne se réalisera 
L'avec la collaboration des consciences; et l'on 
trouve dans ce discours, comme dans tonte la 
éologie traditionnelle, l'inflexible conviction que, 
Ul' réparer en quclque mesure les effets sociaux 
l péché originel, il ne faut rien de moins que la 


. La traduction illtégrale de ce disc ours a été donnée par M. Decul'LÏns dans 
Études sociales chrétiennes: (Euvres choisies de MgI'. de Kettelel'. - 
Goyau, Ketteler, p. 190-203. 
Pfuelf, Ketteler, II, .p. 439. - A la même date, Ie livre de Théodore 
npf, Die 80ciale Frage in Vergangenheit und Gegenwart (Bonn, Henry, 
1), en même temps qu'il considérait comme l'idéal J'attributÍon à l'ouvrier du 
J ìt net de SOIl travail, réc1amait que l'Elat fixât un maximum d'heures de 
ail, limitât Ie lravail des enfants et des femmes, prohibât Ie travail du dimanche. 
:f. Theologisches Literaturblatt, 1868, p. 449-453, - et H. P. B., 1868, II, 
I .06-407 ; en 1848, lisait-on dans ce dernier article, de telles idées eu'Sseut 
::onsidél'ées comme rouge sang. 



160 


L 
ALLE
IAGNE RELIGIEUSE 


contrainte de la loi sociale et l'initiative des verlu
 
indi viduelles. 
A celte date, les idées sociales de Ketteler son 
complètement mûres; il sera en mesure, quah'f 
ans plus tard, de donner au Centre, pour un quar 
de siècle, un programme éconoll1ique 1. 


IX 


En mêIne temps que s'achevait ainsi l'armemen 
du théoricien, l'organisation sociale des fidèles 
de 1860 à 1870, prenait un rapide développement 
Des associations chrétiennes sociales s' étaient len 
tement formées dans certaines paroisses pour Ie 
travailleurs de l'usine; jusqu'en 1868, elles élaien 
émiettées; cette année-Ià, à Crefeld, trois d'entr 
elles s'unirent et prirent pour organe une petit 
revue fondée par un jeune prêtrc d'Aix-la-ChapelIe 
Joseph Schings, et qui s'appelait les Feuilles ch'l't 
tiennes sociales 2 ; cette discrète rencontre de que} 
ques prêtres et de quelques ouvriers sons les au
 
pices d'un périodiqne encore inconnu donna l 
branle à un vaste mouvement de fédération. A ton 
ces humbles essaims sociaux, timidement fondé 
par des vicaires novices, il fallait un programnu 


1. Sur l'inlluence exercée par les idées de Ketteler, dès 1867, sur Ie copgr 
calholique beige de Malines, voir Defourny, Les congrès catluAiquetl en BI 
gique, p. 135-140. 
2. R. Meyer, Der Emancipationskamp{ des vierten Standes, 2 e édit., p. 3 
et 364-366 (Berlin, Bahr, 1882). - Schings (1837-t 876), aumônier des Carro 
liles d'Aix.la-Chapelle, fonda ceUe revue avec Ie COllcours de Nicolas Selwer. 
(voir ci-dessus, p. 121, n. 1), el bienlôl en resla seul rédacleur. 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS t6t 
nne orientation, un contact: les Feuilles ch'j
étieltnes 
sociales servirent de lien. On s' enhardit, on fi t 
une poussée; eUe fut tout de suite si vigoureuse 
que les deux forces orgånisées de I'Église d' Alle- 
nlagne, la hiérarchie épiscopale d'une part, Ie 
comité Jirecteur des congrès catholiques d'autre 
part, inscrivirent la question ouvrière, en i869, à 
l'ordre du jour de leurs délibérations. 
Que I'Église eût son mot à dire et qu'elle Ie dût 
dire, qu'à cet égard eUe eût (( une mission tout it 
fait én1inente )), c'est ce qu'affirmait formellement 
à l{eUeler, en 1868, Ie philanthrope protestant 
Huber, dans une lett1'e par laquelle il souhaitait que 
Ie congrès catholique de Crefeld fût mis au cou- 
rant de ses publications sociales I. Les sociologues 
étrangers à l'Église se montraient désireux d' en- 
trer en rapports avec elle. l{eUeler voulut que 
cette grande nouveauté fût connue de l'épiscopat 
d' Allemagnc : il prépara, en 1869, un rapport très 
détaillé, très forn1el, pour les évêques allemands 
réunis à Fulda, au début de septembre, en vue 
de la préparation du concilc du Vatican 2. 
II réclamait, entre autres réformes, la participa- 
tion aux bénéfices, des augmentations progressives 
du salaire en raison du nombre d'années de ser- 
vice, la sollicitude des fabricants pour les ouvrières 
mères de famille, l'intervention de l'ÉLat législa- 
teur en vue de l'interdiction du travail precoce 


1. PCueIC, Kettelel', 11, p. 187. 
2. Arbeiterwohl, juillel-septemLre 1886, p. 154-166. On lrouvera la lraùuc- 
tion intégrale de ce rapport dans Goyau, /(etleler, p. 
;2(j-237. 


III. 


11 



162 


L' ALL El\fAGNE RELIGIEUSE 


des enfants, de la lin1itation des heures de tra- 
vail de la fermeture des locaux insalubres, enfin 
, , 
l'ingérence des inspecteurs d'Etat pour con!rôler 
l'exécution des lois sociales. De son côté, l'Eglise 
ne devait pas rester inerte. I(etteler, dans un très 
Leau langage, constatait qu'à l'heure présente 
l'action pastorale, avec ses moyens traditionnels, 
était insuffisante pour avoir prise sur la vaste 
masse ouvrière : il fallait que l'Église, soucieuse 
de celte masse, cherchãt d'autres facilités d'accès, 
il fallait qu'elle les trouvât. En raison de l'allta- 
gonisme entre les principes chrétiens et les idées 
d'absolutisn1e économique, l'Église devait inter- 
venir au nom de la foi; en raison des périls moraux 
qu' entraînaient certains abus du régime industriel, 
l'Église devait intervenir au nom de la n1orale; elle 
devait intervenir, enfin, 3 u nom de l' amour. L' épis- 
copat de I'Allemagne écoutait et approuvait; et 
l{etteler demandait que dans chaque diocèse quel- 
ques clcrcs fussent conviés à l'étude des questions 
économiques, et qu'un prêtre ou qu'un laïque 
catholique fût spécialement chargé d' étudier l' état 
de la classe ouvrière, que de temps à autre des 
conférences groupassent entre eux ces spécialistes 
des divers diocèses, et qu'ainsi I'Église d'Allc- 
magne eût sous les yeux, sans cesse complétée, 
sans cesse renouvelée, la carle du n10nde ouvrier. 
Alors peut-êtl'c surgirait l'homme qui serait pour 
les travailleurs de fabrique ce qu'avait été I{olping 
pour les (( compagnons )) ; et de même que tOllS 
les petits (l compagnons )) qui sillûnnaient les routes 



FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 163 
d' Allemagne avaient appris à l'école du <( père )} 
Ii:olping les grandes promesses chrétiennes de 
rédeu1ption, de même quelqu'un paraîtl'ait, que le 
prolétariat de l'usine acclan1erait comme un 
(( père )}, et qui redirait ces mêmes promesscs. Si 
Ketteler eût pu vivre une autre vie, il eût rêvé 
d'être cet homme-Ià. (( Son âme tout entière, comme 
un jour il l'écrivait éloquemment, était attachée 
aux formes non velles que les vieilles vérités chré- 
tiennes créeraienl dans l'avenir pour tous les 
rapports hnmains 1. )) 
Quelques jours après, Melchers, archevêque de 
Cologne, venail à Duesseldorf, OÙ prêlres et laïques 
tenaient congrès : il les entretenaÏl de eet auda- 
cieux coup d 'æil que venait de j eter l' épiscopat 
sur les détresses sociales. II fut Ie bienvenu; car 
d'un Lout à l'autre du congrès de Duesseldorf, ces 
:.létresses furent montrées aux consciences. II n'y 

ut pas moins de trois grands discours sur la 
]uestion on vrière : Ie premier fut tenu par Sepp, 


1. Pfuclf, Kette/e1', II, p. 434. - Son activité sociale demcurait inlassaLle ; de 
:ome, cn plein concile, Ie 5 mai 1870, il écrivait longuement à Haffner, Ie futli!' 
vêque de l\la) ence, à propos d'un projel d'associalion charitable pour la cons- 
ruction de maisons ouvrières; il conversait à ce sujel à Rome mème avec l'im- 
rimeur Mame, rencontré par hasard chez Ie libraire Spilhæver (Pfuelf, Kettelu, 
I, p. 430). - << Je devipns peu à peu trop vieux, annonçail-il à Haffner, pour 
\ire de grandes tenlatives pour )a solution chrélicnne dcs problèmes sociam" 
Jmmej'en avais Ie projel dans la têle et dans Ie cæur. Je me persuade seu)c- 
lent toujours davantage que ce sera là une des grandes et glorieuses tâches de' 
a,cnir, si peu (fu'on rail compris jUS(lU'ici. 1\lais dans ce qui me resle de lemps 
vivre, là où j'aurai l'occasion de provoquel' quelque épisode de cetle immense 
psogne, c'esl loujours avec la plus gran de joie que je ro'y emploierai )) (PfueJf, 
-etteler, II, p. 434). Sans cesse d'ailleurs, Kelteler recevait des lellres Je con- 
Illanl sur certaines questions d'ordre social ou rencourageant à les éludier : 
moin, en 18ìO, pendant une absence de Schorlcmer-Alst, une leltre du paysan 
T l'stphalien Breul..el', l'inlerrogeanl sur certaines questions d' organisalion agri- 
lIe (Pfuelf, op. dt., II, p. 432). 



164 L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE 
Ie professeur de 
1unich 1; Ie second par François- 
Xavier Schulte, de Paderborn, qui sera bientôt l'un 
des hisloriens du CulturkanlP( ; Ie troisième par 
Ernest Lieber, Ie futur chef du Centre allen1and 2. 


Le monde lIe do it pas en douter. proclalna Lieber, ce 
congrès sent et sait ce qu'est la question ouvrière; et si 
quelqu'un doH agir, ce sont les catholiques d'Allernagne. 
Les responsables, dans l'existence de la question sociale, 
ce ne sont pas les pauvres travailleurs. c'est Ie parti du capi- 
tal. Ce parti est étranger à l'hulnanité (entmenscht) parce 
qu'il est étranger au christianisme, et il est étranger au 
christianisme parce qu'il met :Mammon à la place de Dieu. 
Qui, il faut que la loi d'airain soH mise de côté. Mais la vraie 
solution de la question sociale doil venir du Christ. Faire 
Ie travailleur chrétien, ce n'est pas si diflìcile, s'il y a une 
rénovation chrétiel1l1e du parti du capital. Le christianisme 
recèle la solution de la question sociale. 


Jaloux de passer aussitõt à l'action, les congres- 
sistes chargèrent Schulte, Schorlen1er-Alst, et Ie 
vicaire Gronheid, de 
fuenster, de former un comité 
p ermanen t qui ferai t j aillir d u sol allemand de non1- 
hreuses associations, dirigerait leurs efforts écono- 
n1iques, guiderait ]es Feuilles chl'étiennes sociales 
d'Aix-la-Chapelle, et s'occuperait d'organiser ]e 
crédit pour les pauvres gens. On se mil vite en 
besogne. C'est sans doute it l'instigation de ce 
triumvirat que les Feuilles c/Z'rétiennes sociales, en 


1. Jean Népomucène Sepp, né en 1816, qu'avaienl fait connailre]a Vie ve 
Jé.'lU8, à laqueUe Gærres donna unc préCace, et un cerlain nombre de travaux 
exégéLique8, s'illustrera bienlôl pal' son rôle aclif dans les discussions parlemcn- 
taires au sujel de la parlicipalion de la Baviêre à la guerre de la Prusse conlre 
Ia. France. 
2. May, op. cit., p. 195-196. - Ernest Lieber (1838-19Ù2) est une figure 
que nous retrouverons en étudianlle Cultud.'ampf. 



FORl\IATION gOCIAI.E DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS -165 
févl'ier 1870, publièrent un long programme. Le 
christianisme social visait évidemment, dès cet 
instant, à devenir une force politique ; les membres 
rles associations qui se réclamaient de lui duren t 
n'avoir aucun contact avec les groupements SOCiR- 
!isles. II fut établi que ces associations seraient 
rigoureusen1ent confessionnelles, mais qu' elles 
n'auraient directement à leur tête ni des ecclésias- 
tiques ni des laïques riches; on voulait en faire, 
ce semble, des écoles d'autonomie ouvrière, sou- 
cieuses avant tout, disait Ie programme, de ne 
point paraître (( flotter à la remorque du capital )), 
et se refusant, dès 10rs, à condamner systémati- 
quement les grèves 1. 
Elles s'abouchèrent en mars, au nornbre de qua- 
torze, au congrès d'EIherfeId, afin de passer une 
rapide revue de tous les efforts jusque-Ià dépensés. 
L'aristocratie d'l\Uemagne, pour laquelle I{etteler 
venait de faire traduire un vieux Ii vre du moyen 
àge sur les devoirs de la noblesse chrétienne 2, 
semblait représentée, dans ce congrès, par Schor- 
lerner, rinstigateur inlassable des groupements 
de paysans. Kolping était mort; mais on saluait 
avec respect l'instituteur Breuer, qui vingt-deux ans 
plus tôt, dans cette même viJle d'Elberfeld, avail 
réuni les premiers compagnons. Ernest Lieber 
Btait là; il fut élu président d'un cornité de cinq 


1. R. l\Iey
r, Ope cil., I, p. 347-3 i8. 

. PCueli, Ketteler, II, p. 398-400. - Goyau. f(etlele1". p. 
1-26. KeUeler ëtait 
LUssi lïnsligaleur de l'association weslphalienne de nobles catholiC[ues (Verein 
C(atholisc!ze1' Edelleute), qui jouera plus tard un rôle important au moment 
lu Culturkamp{ (Pfuclf, Kettelf'r, II. p. 
1!'. 



l66 


L' ALLEl\JAGNE RELIGIEUSE 


personnes destiné à fonder des associations ou- 
vrières. Cette Pentecôte du christianisme social se 
prolongea trois .lours : i] fut question de banques 
populaires, de sociétés de crédit, de caisses d' épar- 
gne; on interpella les casinos chrétiens, OÙ les 
bourgeois avaient Ia majorité, et qui s' occupaient 
de besogne électorale, et on leur signifia qu'ils 
devaient aider à toutes les æuvres soci ales 1. L' élan 
était irrésistible : chaque district rhénan, dans 
l'été de 4870, rêvait d'avoir son congrès social. II 
y en eut un à Essen à la fin de juin, un à Aix-Ia- 
ChapeHe au début de juillet 2 . A Cologne, les pré- 
sidents des cerc]es de compagnons de l'Allemagne 
tout entière se rassemhlaient, trois .lours durant, 
pour élargir lpur chan1p d'activité; ils éludiaient 
la création de cercles de maîtres, Ie concours à 
donneI' aux associations ouvrières, I' établissemen t 
de caisses dÏnvalidité pour les compagnons ma- 
lades 3 ; I'immense organisme créé par I\olping et 
qui devait, dans son esprit, être une æu vre de 
conservation sur base chrétienne, devenait, tou- 
.lours sur base chrétienne, une æuvre de réforme. 
Ð'un double mouvement, les catholiques d' Alle- 
magne étaient descendus tout au fond de leur 
doctrine morale et tout au fond de la réalité sociale; 
entre celte doctrine et cette réalilé, ils avaient 
constaté un hiatus, qui ne pouvait être comblé que 
par de profondes réformes; soucieux de ne se COID- 


1. R. Me
er, ope cit., I, p. 319-3j-l-. 

. It. Meyer, Ope cit., I, p. 353. 
3. R. Meyer, op. cit., I, p. 354-355. 



FORl\IATJON SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 167 
porter en conservateurs qu' en tant que leur doc- 
trine demeurait sauve et intégralement appliquée, 
ils étaient conduits, tous ensemble, Kolping et 
Schorlemer, Joerg et Ketteler, Schings et Lieber, 
par l'effet même du souci qu'ils avaienl de donner 
à l' Allemagne des assises chrétiennes, à corriger 
la réalité pour y faire prévaloir leur doctrine; et 
leur esprit d'entreprise, avec les allures quasi-révo- 
lutionnaires que parfois il affectait, n'était que la 
conséquence de leur intransigeance chrétienne. Le 
jour allait venir où la colossale Allemagne, ayant, 
aux dépens de la France, pris conscience de sa 
force, la mesurerait ensuite contre l'Église catho- 
lique, et OÙ les masses populaires, arbitres de la 
composition du Reichstag, auraient it prendre une 
place dans le conf]it. EHes se souviendraient, ce 
jour-Ià, que ces Lieber et ces Schorlemer, subi Le- 
ment contraints de s'agiter, avant tout, pour l'af- 
franchissement des prêtres, s'étaient, jusqu'au 
milieu de 1870, agités, sans relâche, pour l'affran- 
chissement des pauvres. 
Dans une n1onographie publiée en 1.879 sur 
l'industrie textile du Rhin, l' économiste Alphonse 
Thun devait écrirc : 


Avec Ie Culturlwmpf, un nouveau principe enlra en scène 
pour la formation des parlis : les tisserands ùe la Prussr 
Rhénane durent prendre position dans une question oÙ jus- 
que-Ià iis étaient neutres. Le conflit social entre fabricants 
et travailleurs subsista; un conflit nouveau, entre cléricaux 
et Jibéraux, s'y joignit. Le parli Iibéral apparut comme Ie 
groupement des fabricants et des anticléricaux, Ie parti (lu 
Centre comlne 1(' groupemcnt des travailleurs f't du clergé. 



{fi8 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Plus que jamais les eccIésiastiques hostiles aux fabricants 
libéraux furent rejetés vers Ie peuple. Les tisserands sont 
les adeptes de rultramontanisme, moins parce qu'il est un 
parti religieux que parce qu'jJ est devenu un parti social i. 


(( Devenu )) : qu'est-ce à dire? Le passage est 
vrai dans son ensemble, et j e connais peu de textes 
qui jettent sur l'histoire du Cultul'kampf une lueur 
aussi précieuse, mais il y a un mot de trop. 
Alphonse Thun aurait fait preuve d'une vue plus 
exacte encore, s'il s'était rappelé qu'avant même 
qu'il n' existât un Reichstag et que dans ce Reich-stag 
il n'existât un Centre, ]e catholicisme, en Allema- 
gne, s'élait déjà épanoui comme un parti social; et 
qu'il avait parlé comme tel, agi comme tel, avant 
que des circonslances douJoureuses ne l'amenas- 
sent à s'organiser, surtout, en parti de défense 
religieuse. 
(( 1.5.000 paysans chrétiens, disait un orateur, 
Ie 29 juin t870, au congrès chrétien social d'Essen, 
sont déjà, en Bayière, fédérés en une ligue. 
15.000 maisons rurales, c'est une base solide. II 
y en aura autant, bientôt, sur Ie Rhin et en 
Westphalie. 100.000 maîtres artisans sont venus 
à nos côtés. 80.000 gais compagnons, de l'associa- 
tion du Pèrc Kolping, nous ten dent la main. Les 
associations chrétiennes sociales compteront bien- 
tôl leurs membres par centaines de milliers. C'est 
une arméc respectable, je vois dans ravenir une 


i. Alphons Thun, Die induslrie am Niedel'rhein und ihre Arbeiter. Erst
r 
Theil: die lilllt',srheinischc Te:rtilindustrie. p. 197-198 (Leipzig, Duncker, 1879). 



)Rl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 169 


elle époque. 30.000 prêtres allemands prêteront 
lain-forte! )). 
On croirait, en lisant ces lignes, assister à une 

vue d'appel; il faudra moins de deux ans pour 
u'en présence des provo
ations de Bismarck, la 
respectable armée )) mobilise. 


1. R. Meyer, op. cit., I, 1'. 3
3 


LIBRARY ST. MARYIS COllEOE 



CHAPITRE III 


L'ÉGLISE DE PRUSSE ET LA FOR}IATION POLITIQUE 
DES CATHOLIQUES PH.USSIENS 


. - La Constitution de iSiS. - Profit qu'en tire immédiatement 
Geissel. - Efforts des évêques pour faire introduire des avan- 
tages nouveaux. dans la Constitution rle 1850. - La question 
du serment. - Deux chapeaux de cardinau
. - Réceplion du 
nonce à Breslau. - Espérances suscitées par la prospérité du 
catholicisme en Prusse. 
L - Merveilleuse efflorescence d'æuvres catholiques. - Trèves, 
Coblentz, Aix.-Ia-chapelle, Cologne. - Épanouissement des con- 
grégations. - Les grancles missions de Jésuites. - Universa- 
lité de leur succès. - Le siègc des confessionnaux. -- Les 
convrrsions au lendemain de 1848.- Une organisation d'aposto- 
lat : l'Association de Saint-Boniface. - Inquiétudes des pro- 
trstants d' Allemagne. - Polémif1ue entre I'Église protestante 
et Ie cardinal Diepenbrock. - Le prpmicr volume d'Otto Meier 
sur la Propagande. - A vantage que tirent les cathoJiques de 
lïntangibilité de la Constitution. 
II. - L'Église pt la question scolaire; - caractère traditionnel 
de récole prussienne : une école d'Etat. - Réaction contre Ie 
radicalisme révolutionnaire des instituteurs. - Alliance entre 
l'État, chef de l'enseignement, et les diverses Églises. - Obli- 
gations religieuses des institutf'urs. - Les Regulative de Rau- 
mer. - Résultats différents de ces innovations dans les écoles 
protestantes at dans les écoles catholiques. - Irréligion secrète 
d'un certain nombre d'instituteurs protestants. - Les visites 
de Rendu dans les écoles catholiques. - Formation pédago- 
gique des prêtres. - La question do renseigncment privé. - 
L'idéal sco1aire de Kellner : une alliance entre l'Eglise et 
l'État. 
V. - Un péril pour Ie catholicisrnc : les tradiLions de la bureau- 
cratie prussienne. - Une sauvegarde : 1a (( division catho- 
lique )) (Katholische Abteilung). -; Rôle diplomatiquo que 
jOUf' ceUe institution entre l'Elat cll'EglisC'. - Unt: autre sauve- 



f 7'2 


L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE 


garde : les dispositions personnelles de Frédéri,c.Guillaume IV 
- Sa cordialité à l'endroit des princes de rEglise. - Néces 
sité pour l'Église d'être discrète dans sa victoire : l'inciden 
)Iuenchen. 
V - Un chef d 'Église : Gcissel. -- 8es sentiments pour Ie roi. - 
Son esprit de pacification. - 011re faHo par Ie gouvernemen 
aux évêques de Prusse d'entrer à la Chambre des Seigneurs 
retus de Geissel. - Effort de Geissel pour unifier I'épiscopa 
rhénan. - Rapports de Geissel avec Ie Saint-Siège, avec Ie car 
dinal de curie Reisach, avec les Jésuites. - L' Allemagn ' 
ouverte par GeisseFaux souffles de Rome. - Esprit Iibéral don 
en pratique sa politique s'inspirait. 
VI. - Une imitation de la France: Ie parti catholique rhénan 
- Joie de Montalembert. - Unité ot variété de ce parti. - Sé 
puissance dès 1852 : (( les ultramontains arbitres de la Chambre' 
(Bismarck). - Uno opposition religieuse dirigée par des fonc 
lionnaires. - Le terrain d'action parlementaire des catholiques 
constitution, droit commun. liberté pour tous. - Ueichenspel' 
gel' et la conception de I'État chrélien. - La doctrine do ran 
lonomie politique. - Contraste entre l'attitude libéraIe de }i 
fraction catholique et les aspirations politiques du conserva 
tisme piétiste. - Un type de piétiste en province rhénano 
Kleist-Retzow. - Luttes de Reiehensperger contre l'adminis 
traUon piétiste. 
VII. - Les luttes parlementaires pour la Iiberté catholique. - 
- Les deu
 circulaires Baumer (185
). - La motion WaldboU 
- Sympathie du roi pour les catholiques. - Portée du vot. 
sur la motion Waldbott. - Inquiétudes de Léopold de Gerlach 
- Le second volume d'Otto Meier. -,Lutte du protestantism l 
féodal contre Ie catholicisme au nom même des idées réac 
tionnaires. - Un plan de canlpagno de Dismarck. - Le 
catholiques accusés d'hostilité contrA 10 tsarisme. 
VIII. - Les luttes parlementaires pour la parité. - Les re\"en 
dications pécuniaires du conseil suprêmc évangélique. - Li 
brochure de Rintel. - VacHon parlemontaire cl'Otlo. - Rap 
port et victoire de l\lallinckrodt en 1.85-í. 
IX. - Négociations secrètes entre la Prusse et Romo coïncidan 
avec les premières luttes parlementaires. - Les deux voyage
 
do Klindworth. - correspondances entre Manteuffel et Anto. 
nelli. - Un projet de concordat (mars-avril 185-i-). - A vorte- 
mente - Continuation des luttes parlementaircs pour la parité 
- Un succès du chanoine Eberhard. -1\Iort d'Otto (18
7). 
X.- Un revirement àBerlin (1858): rupture dufutur empereur Guil- 
laume ler avec Ie féodaJisme piétisto. - Changement de nom ÒJ 
Ja fraction cathoJique: l'avènemcnt du mot Cenll'e. - Progrès dc
 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


173 


lendances anticléricales dans les partis (( libéraux)); symptômes 
de ces progrès. - Le bréviaire de l'anticléricalisme nouveau : 
Les signes des temps, de Bunsen. - Les premières campagnes 
eontre Ie caractère confessionnel de l'école : l'activité de Dies- 
terweg. - Prestige permanent de I'Église : place des évêques 
aux. cérémonies du couronnement. -.Afl'aiblissem3nt du Centre; 
ùisparition définitivc des mots (( fraction catholique )). - Enl- 
barras du Centre entre Ie radicalisme et Bismarck. - Le Centre 
annihilé dans la Chambre de 1863. 
XI. - Orientation nouvelle de l'activité catholique. - Deux édu- 
cateurs de l'opinion catholique : Reichensperger, Ketteler. - 
Deu
 leçons de mots en matière politique. - Les divers sens 
du mot (( Iibéral )). 
XU. - Un laboratoire (l'appl'entissage politique : les réunions ùe 
Socst (1863-1866). - Un initiateur: .Alfred Hueffer. - Les concep- 
tions politiques de Schorlemer-Alst et de Mallinckrodt. - Les 
progrès de la presse catholique. - Le journal catholique défini 
par l\1allinckrodt. - Un réalisateur : Joseph Bachem. - Les 
l
eltilles de Cologne. 
XIII. - Raisons J'an
iétés pour les catholiques: un changement 
dans la (( division catholique )) (1861), une brèche dans laConsLi- 
tution (1863), la mort de Geissel (1864). - La question de l'arche- 
vêche de Cologne : Ie droit des chanoines lésé par l'État. - 
Inquiétude de Ketteler. - Solution conciliante de Rome. 
(IV. - Raisons d'espoir pour les catholiques. - L'épanouisse- 
ment du catholicisll1c dans Ie diocèse de Paderborn. - Le llIot 
épiscopal de l'évêquo Martin. - Les rendez-vous épiscopaux 
de FuIda. - Les progrès de I' Association de Saint-Boniface. - 
Satisfaction de Pie IX : ses concessions à Ia Prusse au sujet de 
l'aumðnerie militaire. 
{V. - Les premiers coups de cloche du Cultudwmpf. - Les discus- 
sions scolaires à Ia Chambre prussienn6 (1868). - L'assaut du 
couvent de Dominicains de Moabit. - Les pétitions contre les 
congrégations. - Le rapport de Gneist. - Les manifestations 
oratoires de Pierre Reichensperger, l\lallinckrodt et'Vindthorst, 
des 8 et 9 février 1870. - Souci de Bismarck, à la veille de la 
guerre, de ne point ébranler la confiance des catholiques dans 
la liberté et la sécurité de leur culte. 


LJhistoire reJigieuse de l' Allemagne, au conI'S 
jes vingt années qui précédèrent Ie Culturkamp f, 
I présente un aspect fort différent, suivant qu'on 
)bserve la Prusse ou Ies autres souverainetés En 



174 


L' ALLE1UAGNE RELIGIEUSE 


Bade, en Wurtemberg, en Hesse, I'Église, proch 
lnant son affranchissement à l' endroit de La bureal 
cratie, a be so in d'une charte qui règle ses raI 
ports à l' endroit du pouvoir ci viI; une telle chart( 
d 'après elle, ne peut être rédigée ,que d' accor 
avec Rome; et l'on voit les divers Etats, concel 
tant leur politique religieuse d' après une sorte d 
rythme uniforme, ajourner d'abord ]e concordal 
puis Ie négocier et [e signer, et finalen1ent 1 
déchirer. Les passions religieuses, les passion 
antireligieuses, se déchaînent autour de La queE 
lion concordataire; et c'est paroli ces polémique 
acharnées que sc prépare et que s'éveille, dan 
 
l' Allemagne du Sud, l'esprit de lutte contre Rome 
dont la Prusse et Bismarck recueilleront plus tar. 
l'héritage. Tout au contraire, dans la Prusse d. 
1850 et de 186U, on ne discute pas sur les prin 
cipes fondamentaux qui régissent les rapport: 
entre l'Église et l'État. La bulle De salute ani. 
Jnal'llln de 1.821. 1 donne à la vie de l'Église prus. 
sienne des lois très générales, un cadre très som. 
nlaire, que l'État ne conteste point; il s'est d'ail. 
leurs obligé, par la Constitution de 1850, à respecteJ 
l'autonon1Ïe des diverses confessions, et c'est SUI 
Ie terrain de ceLte Constitution, c'est-à-dire sur 10 
base mènle proposée par l'Etat, que se place J'épis- 
copat lorsqu'il apporte ses griefs ou ses requêtes; 
c'est sur ce terrain, encore, que se forme et qu'é- 
volue, pour les soutenir et les faire triompher, Ie 


1. Voir notrc Lome I, p. U8-15U. 



L'ltGLISE DE PRUSSE 


1,5 


roupe parlementaire catholique. Tandis qu'ail- 

urs Ie statut de l'Église est indécis, fiottant, sans 

sse remis en question, et que ces litiges n1èn1es 
ItretÏennenl lI:Qe malveillance profonde contre 
(( ultramontanisme )), la Prusse nous offre Ie 
)ectacle d'initiatives catholiques s'essayanl Sans 
:làche à grandiI' Ie prestige de I 'Église et à aug- 
enter ses libcrtés ; e4, de même qu'il faut se trans- 
H'ter au sud de l' Allemagne, - nous le constate- 
Ins dans un prochain chapitre, - pour surprendre 
s premiers grondeD1ents de l'esprit tIu Cultu'r- 
rJJtpf, de n1ême c'est en Prusse que nous alIons 
)ir les catholiques, à la faveur de leur delni-sécu- 
té, faire I'apprentissage d'une action po1itique 
rieuse et savante. 


I 


La constitution prussienne du 5 décembre 1.848 1 
'ssayait à mettre un peu d'ordre dans Ie desordre 
ussien, et l' essai ne réussit qu'à demi, puisque 
1.850 Frédéric-Guillaume IV, redevenu Ie 
litre, affirma sa souverainelé par l'octroi d'unc 
, nstitution nouvelle, qui amendait la première. 
tis l'actc constitutionnel de 1848, queUe que fût 
fragilité, avait du moins affirmé, d'une façon 
finitive, l'autonomie ùes Églises. C'était une 
lIe parole, et seul Ie catholicisme en profitait, 


Voir Ie lexle llans les Beitraege ZU1n preu.ssiscILen Kirclwmoecltle, 

 (Paderborn, Schoeuingb, 1854). 



176 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


car Ie ministère prussien, gardien tenace d. 
prérogatives épiscopales qu' exerce dans l'Égli: 
évangélique Sa l\Iajesté Ie Roi, s'était hâté ( 
signifier aux consistoires que l'établissement Pl" 
testant ne pouvait bénéficier de l'article i5, rela1 
à la liberté des nominations ecclésiastiques. Ain
 
parmi les effets des proclamations de i848, il n 
en avait pas qui fût plus stable, ni plus ineo' 
testé, ni plus jalousement saisi, que Ie dr( 
reconnu désormais à l'Église romaine de se go. 
verner elle-même, de communiquer avec son ch{ 
de conférer libreluent les cures. 
Geissel, archevêque de Cologne, prit acte de c 
libertés, et tout de suite en profita : }'année i8. 
n'p,tait pas écoulée, que déjà fonctionnait, dans 
curie archiépiscopale, un tribunal d'officiali 
complèlement organisé. II inaugura i849 en fixar 
par une ordonnance, les concours entre prêtr 
pour l'aUribution des cures, puis en prescrivar 
pour une bâtisse d'église, une collecte soustrai 
à tout assentimenl de l'État; de mois en mois, s 
initiatives s'émancipaient : on Ie voyait tour à t01 
nommer un chanoine, et puis un doyen, et pui 
nlême, proposer au pape Ie choix d'UIl coadjuteu 
sans réclamcr de Berlin Ie nloindre signe d 'adh 
sion; il prenait des mesures personnelles pOl 
l"administration des biens d'Église, et finalemen 
Ie leI' février i850, il reconstituait son vicari 
généraI I . Quinze mois avaient suffi, dans Ie die 


1.. PCuelC, Geissel, I, p. 664-667. Ce fut sur Ie désir du Saint-Siège 4ue Gl 
!)eI, qui songeail à marchander à. l'Étal prussie Ie droit de Dommer Ie p 



, . 
I. EGLISE DE PRUSSE 


i77 


cèse de Cologne, pour que, sur les ruines du vieux 
droit auquel l'État protestant ayaH voulu sou- 
mettre I'Église, Ie droit canon rentrât, discret mais 
victorieux, par la porte nouvelle qu'avait ouverte 
la révolution. 
Des (( éclaircissements >) à la constitution" 
publiés dès Ie 15 décembre 1848 par Ie ministre 
Ladenberg 1, avaient paru meltrc en péril certaines 
des prérogalives restituées à l'ÉgJise, et renure 
efficacité au vieux droit de patronat, qu'en prin- 
cipe l'acte constitutionnel avait aboli. Aussitãt 
l'épiscopat s'alarma : Dicpenbrock, prince-évêque 
1e Breslau, fit étudier l'affaire par une commission 
Ie théologiens et de canonistcs 2, ct Geissel, du 6 
lU 9 mars 1849, réunit les évêques de sa province. 
:;ans fracas ni provocation, l'Eglise de Prusse se 

oncertait; elle mûrissait un avis commun, et eet 
lvis fut publié, en août, dans un mémoire collectif 
ldressé au roi; Ia question de patronat y était 
raitée; les droils du clergé en matière scolaire, 
Lffirmés ; on revendiquait, pour les institutions 
,onfessionnelles de bienfaisance, une pleine liberté 
Ie fonclionnement; et l'obligation de procéder au 
aariage civil avant Ia célébralion religieusc était 
I .éplorée comme une contrainte 3. Les prélats sans 


jt et Ia moilié des chanoines, droit reconnu à l'Élat par la J)uIle Ðe salute 
'1imarum de 1821, cessa dïnsisler sur ce point (Pfuelf, Geissel, If, p. 669- 
73). 
1. Beitraege :;um Preussischen Kirchenrechte, I, p. 3-1
. - Sur Adalbert 
, Ladenberg (1798-1855), voir Wippermanll, Allgemeine Deutsche Biographie 
VII, p. 499-50
. 
2. Reinkens, Diepen{JI'ock, p. 412-415. (Leipzig, Fernau, 1881). 
3. Ðenkschrift der lcatholischen Bi8clwefe i'1 Preus8cn urner d!c 'Ver(fl!J- 


III. 


1
 



fi8 


LJALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


doute n'espéraient guère que Ia constitution future 
tiendrait compte de ces nouveaux désirs ; du moins, 
jugeaient-ils indispensable de faire entendre leur 
VOIX. 
D'autant que la Chambre haute les inquiétait: 
une majorité s'y formait, pour restreindre aux 
(( affaires intérieures )) de I'Église I 'autonomic 
garantie par l'article 12 de la constitution de 1848. 
(( On voudrait nous ramener, disail anxieusement 
Geisse], dans les vieux canaux d'avant les journées 
dc mars, dans les canaux de la protection d "État, à 
la Eichhorn et à la Bodclschwingh. Nous ne nous 
laisserons pas faire 1. )) De fait, Ie t) octobre 1849, Ie 
ministre Ladenberg, parlant à la Chan1bre haute 
du mémoire épiscopal, expliqua qu'ille considérait 
comn1e non avenu, et que (( Ie gouverncn1ent ne 
lraitaÏt pas avec lcs dignitaires de l'Église par la 
voic de la librairie 2. )) On était si peu accoutumé, 
encore, à une intervention dc ccs dignitaircs, que 
les membres catholiques de l'assen1blée n 'oppo- 
sèrent au discours minislériel qu 'un silence em bar- 
rassé, qui risquait de passer pour une adhésion. 

Iais Geissel, qui connaissait les vraies forces, 
avait confiance dans la seconde Chambre : par son 
recrutement, elIe était plus proche du peuple, de 


sung3-Urkundc vom Ðe:embcr 1848 (Cologne, Bachem,18.t9), - Pfuelf, Gei8- 
seZ, I, p. 678-682. 
L PfueU, Geissel, I, p. 674. - Geissel craignait, en parliculier, que rarlicIe 4 
de la Constitution de 1848 : ({La science et l'enseignement de la science 50nt 
libres ", ne fûL Ie point de départ ù'une émancipation desCacu1tés de théologie å 
l'endroit des 
vêques; et rarticle stipulant que toutes les institutions d'ensei- 
gnement étaienl sous la surveillance de l'Élat, ]ui inspil'ail aussi qu('lcyues cl'ainLes. 
2. Pfuclf. Geissel, I. p. 682-68-i. 



, , 
L EGLISE DE PRUSSF. 


Jj!} 


ce peuple catholique qui't troublé par l'in1pertinence 
de Ladenberg, mulLipliait les marques d'émoi. 
(( Notre clergé, écrivait- iI, qui partont est en éveil 
pour les droits et les libertésdel'Église, l10tre peuple 
catholique, qui tient à son Église par dessus tout, 
sont à nos côtés 1. )) II Y avail dans cette seconde 
Chambre soixante-dix catholiques, éparpillés, sans 
doute, mais soucieux de leur roi : ils n'obtinreni 
pas, en général, que les améliorations souhaitées 
par Ie mémoire épi
copal fussent introduites dans 
la prochaine constitution 2, mais du moins, grâce à 
leurs efforts, rarticle qui affranchissaÏt l'Église fut 


éintégré, tel quel, dans le projet nouveau, sans 
es surcharges restrictives par lesquelles la Chambre 
laute s'était etTorcðe de Ie 1'atu1'o1'. Geissel et plu- 
iieurs évêques, au début de 1850, écrivirent au roi 
)our présenter de rechef les an1endements qui leur 
enaient à cæur; ce fut en vain; Ia constitution 
Iroclamée Ie 5 février n'accrut pas les libertés que 
'année 1848 avait assurécs à l'ÉgJise, non pJus 
11'e11e ne les dimillua 3 . 
Le 1.2 février 1830, Ie ministère exigea de tOllS 

s foncLionnaircs qn'ils promissent fidélité à cctto 
lçon de charle. l\Iais puisquo l'Église nc la jugcait 
as entièrernellt satisfaisante, les ecclésiastiques 


1. Pfuelf, Gei6sel, I, p. 683. 
2. En ce qui reg-al'dait Ie mal'ia
e civil, cependanl, la Con!!lilution de IBM 
bOl'lla à prévoir une loi qui l'élaLlirait, ct s'abstint d'édider immédiate
 
'nt, comme l'a,'ait fait celIe de 1848, qu'il devait lJtrc anlérieur au mariage 
igieux. 
J. Voir Ie textc de la Constitulion de 1850 danslros Beitraege Z"um prcu61i,c"-en 
rchenrecltte. J, p. ! ; et cr. pruelf, Gei8.c:el, I, p. 684, n. 1. 



180 


L' ALLEl\L\GNE RELIGIEUSE 


que leurs fonctions scolaires ou universitaires 
contraignaient au serment pouvaient-ils en cons- 
cience Ie prêter'l Certains évêques décidèrent que 
Ie prêtre, en jurant, devrait ajouter une réserve au 
sujet des lois de l'Église; Ladenberg, par une 
circulaire du 29 mars, repoussa formellement toutc 
addition. 1\lais Ies prélats de la province rhénane, 
réunis à Cologne du 16 au i8 avril, prirent une 
allitude devant laquelle Ladenberg capitula; il fut 
dp.cidé que les prêtres, suivantl'ingénieux exemple 
donné par Ips professeurs de la faculté de théo-. 
logie de Breslau, pourraient tout d'abord, par un 
acte spécial inséré au protocoIe, maintenir préju- 
diciellement les droits de l'Église, et qu'ensuite 
ils prononceraient, sans restriction, la formule de 
serment 1. Pen s'en était faUn que la constitution 
mênle qui én1ant.ipait l'Église ne fût l'occasion 
d'un conflit entre l'Église et l'État; mais ce biais 
pacifique, concerté par la conciliante fermeté des 
évêques, rasséréna Rome et Berlin. 
Dégagée des complications qu' eUe a vai t un ins- 
tant redoutées, J'Église de Prusse s'abandonnait à 
la joie, sans dissimulation ni réticence. Pie IX 
lui donnait deux cardinaux, Diepenbrock, de Bres- 
lau, Geissel, de Cologne; elle assistait, surprise et 
reconnaissante, aux honnenrs que recevait à Bres- 
lau Ie nonce de Vienne, Viale Prela, lorsqtf'en 
novembre 1.850 il porLait à Diepenbrock les insignes 
cardinalices 2. Dans ceHe Prusse qui si longtemps 


I. Pfuelf, Gei.!sel, T, p. 688-693 ; cf. Reinkells, Diepenbrock, p. i3
. 
2. Foersler, Diepcnl J 1'ock, p. 172-175 (Hatj
hou)Je, l\Iallz, 18';8). 



, . 
L EGLJSE DE PRUSSE 


i8i 


avait repoussé comme un messager de l'Anté- 
christ tout envoyé du pape, milHaires et fonc- 
tionnaires s'associaient officiellement aux pompes 
qui fêtaient Viale Prela. A Berlin même, pour 
la première fois depuis la Réfornle, une pro- 
cession de Fête-Dieu, conduite par Ie curé I{ette- 
leI', se déroulait tout Ie long des Tilleuls et s' en 
allait par Chal'lottenburg jusqu'à Spandau 1. De 
tels épisodes faisaient un bruit lointain, que Rome 
accueillait avec un parti pris d' optimisnle. (( Le 
mouvement de l'Allemagne vel'S Ie catholicisme, 
lisait-on dans la Civiltà Cattolica, est aujourd 'hui 
si fort, que les peuples ct Ies gouvernements 
cèdent à une impulsion commune, sans peut-être 
s'en rendre conlpte eux-nlêmes 2 . )) - (( L'église 
catholique it l\lagdebourg, notait un témoin pro- 
testant, est pcut-êtl'e aussi pleine que to utes les 
églises protestantes 3. )) - Des espérances indi- 
t cibles s' éveillaien t et s 'exaltaient ; Ie prélat Prosperi 
Buzi, qui avail, en qualité d'ablégat, fait Ie yoyagC' 
de Cologne pour remettl'e la bareHe à Geissel, el 
qui voyait it Rome beaucoup de Prussiens, écrivait 
en toute simplicité : (( II est très bon qu'ils vien- 
nent, car ils en rapportent des dispositions Lien- 
veillantes pour les catholiques et pour Ie pape. J'ai 
grandc confiance qu'une bonne partie de la Prusse 


1. Pfuelf, Kelteler, I, p. 198. -- te pape se réjouissait du fail dans une allo- 
:ution (Ernst Ludwig v. Gerlach, Auf:;eiclUlUttgen, II, p. 105). - Sur la Fêle- 
)jeu à Spandau depuis 1817 ct la part tradilionnelle q u' y prenaicn tIes catho- 
iques de Berlin, voir Kolde, lJfissionsvikar :ðIueller, p. 76-81. 
2. Civilld cattolica, 1-15 décembl'e 1851, p. 707-709. 
3. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Au.f;;eiclmungen, II, p. 157. 



iS2 


L' AI
I.El\lAGNF. RELIGIEUSE 


reviendra à la foi catholiquc I. )) Geissel, moins 
prompt tll'optimisn1e, disait du moins à ses diocé- 
sains, dans une lettrc pastorale de helle allure: 
(( La religion a pris un nouveau développement, 
]a foi mên1C a produit par.mi nous de nouvclles 
fleurs eL de nouveaux fruits 2. )) 


II 


A travers l'hisLoire, ces fruits ont un non1 : ils 
s'appellent bienfaisance, charité, amour. La Prussc 
catholique ne dérogea p3S tt cette loi ; tout de suite 
les congrégations charitables y pullulèrent. 
Les Sæurs de Saint-Charles Borromée de Nancy 
ouvraient à Trèves, en 1848, une maison mère qui 
possède aujourd'hui soixante-dix filialcs dans tonte 
l'étendue de l'Enlpire et règnc sur it peu près un 
miJlicr de menlbres 3. En 1850 furent jetés, à Co- 
blentz, les premiers gcrmes de la congrégation des 
Frères de la Charité, qui se dévouent it soigner 
tous les malades sans distinction de religions, et 
dont la maison n1ère, installée à Trèves depuis 1853, 
gouverne aujourd'hui 300 Frpres 4. 
Pauline de l\1allinckrodt, la sæur du grand ora- 


L Pfuplf, Gei.Mel, II, p. 27 (lcllrc du J 3 avril18j
). 

. Pluelf, Geissel, II, p. 4! (leUre ÙU 
 février 185!). 
3. Wilhelm Holm, Die Nancy-Triel'er BOl'romaeerimzcu in DeulschlauCJ 
(Trèves, Paulinus Druckerei, 1899). 
4. Hammerslein. Winfrid odel' das 80ciale "\l'Ù'kel' der Jíil'che, p. 90-94 
(Trèves, Paulinu8 Druckel'ei, 1890). -. Ludolff, Die Barmhel'zigen Bl U/'de7 
Ufltl ihl'e 50 jaehdye \rÙ'ksltmkeit iu CoLlelt
. (Gocrl'es-Ði"ucl;cl'ei, 1
uûj. 



L'ÉGLISJi
 DE PRUSSE 


i83 


teur, s'était exercée aux bonnes æuvres en s'occu- 
pant à Paderborn des pauvres malades et des 
aveugles : eUe fondait en 1.849 ]es Sæurs d
 l'anlour 
chrétien, hospitalières et enseignantes, qui vingt 
ans après étaient au nombre de 250, essaimées dans 
vingt maisons 1. 
Sous l'impulsion de ses deux amies, Claire Fey 
et Françoise Schervier, se développaient à Aix-Ia- 
Chapelle les Sæurs du Pauvre Enfant Jésus et lcs 
Pauvres Sæurs de Saint-François. Un simple vi- 
caire, André Fey, qui faisait sortir de terre, aussi, 
un cloître du Bon Pasteur et un monastère de Ré- 
demptoristes, aidait vigoureusement ces deux fon- 
datrices d'ordres. II avait un prestige immensp : 
chaque fois que les petits enfants apercevaient un 
prêlre, ils couraient vel'S lui en l'appelant Fey; 
ainsi glorifiaient-ils, avec leur naïve ignorance qui 
l'ecouvrait une vérité profonde, cet André Fey qui 
demeurait pour eux Ie type du sacerdoce, - Ju 
sacerdoce les laissant venir à I ui 2. L'influence d' An- 
dré Fey, celle de Laurent, l' évêque exilé de Luxenl- 
bourg, celle du curé Sartorius, créateur du (( mois 
de Marie )) dans les églises rhénanes 3, celle du 
député Lingens, introducteur des conférences Saint- 


L Alfrcd Hueffer, Pauliua v. .Jlallinckrodt, p. 21-87 (20 édit., Mucnster, 
Aschendorff, 1903) : livre capital sur Pauline de l\1allillcI..rodt (H!17-1880). 

. Sur Claire Fcy (1815-1894), et André Fey (1806-1887), voir Pfuelf, ClaJ'a 
Fey (Fribourg, Herder, 1908); sur Françoise Schervier (1819-187G), voir 
Jeiler,Die seligeMutter Pran::iska Schuviel' (Fribourg, Herder, 1898) ; el sur 
Ic rôle de Laurent (1804-1884), voir MoeHel', Leben und Bf'ie{e von Joltallues 
Tlteodor Laurcnt, III, p. 17-30 (Trèves, Paulinus Dl'uckerei, 1889). 
3. Civiltà Cattolica, 10-30 aoùt 185
, p. 575. Sur Ie curé Sartorius (180;)- 
1880), voir :\Ioeller, op. cit., III, p. 28-3-i-; c'esl en 1842 que Sartorius avaiL 



f84 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Vincent-de-Paul, et celle de l'instituteur Hoever, 
qui fondera bientôt les Pauvres frères de Saint- 
François 1. faisaient d'Aix-la-Chapelle la ville d'AI- 
lemagne q
i donnait à I'Église Ie plus de vocations. 
Pauline de 
fallinckrodt, Claire Fey, Françoise 
Schervier, étaient Ies élèves de cette Louise 
Hensel 2 qui avail autrefois discipliné l'aventureuse 
nature de Clément Brentano. Sous l'influence 
de Louise Hensel, Brentano s'était fait, dans un 
livre célèbre, l'apologiste des nonnes 3; les nonnes 
désormais se multipliaient sur Ie sol prussien; 
un de ceux qui en félicitaient (;eissel n'élait 
autre que Aulike, Ie directeur même de la (( divi- 
sion catholique)) au ministère, et la guerre de 
Schleswig, en 1864, devait être pour ces jeunes 
congrégations de femmes l' occasion de beaux actes 
de dévouement 4. 
Beaucoup des grandes æuvres charitables dont 
l' Allemagne catholique se glorific datent de ces 
premières années de liberlé : tel, par exemple, it 
Berlin, l'hõpital Sainte-Hed \vige, fondé pour cin- 
quante malades en 1846, et qui fut, 
n 1851, réor- 
ganisé par le curé I(etteler dans une bâtisse nou- 
velle, et tout de suite pourvu de trois cents Hts t) ; 


inaugul'é Ic premicr (( mois de 
Iaric >1 pour Ips pauvrcs qu'altirait Ia cuisine 
populairc de Saint-Jean, quïl avaiL fondée (Pfuelf, Clara Fey, p. 23). 
1. Sur Philippe Hoe,er (1816-18G4), voir Charitas, 1897, p. 224-2
8. 

. Voir Bindcr, Luise Hensel, 2 e édil., p. 
2G-249 (FriLourg, Herder, 1904). 
3. Voir noLre tome II, p. 94. 
L PCuelf, Geissel, II, p. 48. - Katholik, 18G t, I, p. 375 et suiv. 
5. Raich, Briere von und an Ií.ettele1', p. 194-204 (appel de mars 1850). _ 
Hille, Eriuneruu!Jsblaetterzumyoldenen Jubilaeum: St. Hedwig Kraukenhaus, 
1846-1896 (Berlin, impr. de la Germania), t89G. - Franz Bock, Die .Eutwicke- 
lung und Thactigkeit des St.-Hedwig Ilmnke?lhauses.;u Be
'lin in seinen e
'ste1' 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


i85 



lle, à Muenster, la fraternité de Saint Vincent de 
'aul, qui, dès 1.849, groupait 1.300 catholiques de 
onne volonté pour aviser au placement des pauvres 
nfants 1. 
Il n'élait pas jusqu'aux ordres d'hommes devanl 

squels ne s'abaissassentles fronLÏères prussiennes. 
e diocèse de Cologne -- pour n' en citer qu'un seul 
- abrita des Lazaristes dès 1851, des Franciscains 

s 1.853, et déjà les J ésuites les avaient devancés 2. 
II n'y avait en Allemagne, au printemps dp 

48, que deux Jésuites autorisés: Ie couple 
eincier qui régnai t dans la petite ville de Koethen 
.s avait longtemps converts de sa protection. Ce 
)uple étant mort, les Pères, du jonr au lende- 
ain, avaienl dû s'éclipser: I(oethen, Ie seul coin 

 terre allemande OÙ les Jésuites pussent vivre, 
était fermé tout de suite à eux 3. Soudaine- 
ent Ja vague révolutionnaire s'élait épandue 
If l' Allemagne, et l' on constatait, à l'heure du 
.flux, qu' elle avait amené avec eUe quelques petits 
,saims de Jésuites, et qu'elle les y laissait derrière 


Jae/u'cn statístisch daryestellt. En 18!J6, l'hôpital, de nouveau reconslruit 
1887, avait reçu 147.108 maladcs. 
. Schmeddin
, Die barmher::;iye Brudcl'schaft ::;um heil. Vincent -von Paul 
II.Iuenster i W. waehrcnd ihres fuenf:;ígjaehrigen Bestchens von 18.M-1898 
Ieuster, AschendorIT, 18U8). 
:. Pfuelf, Geissel, II, p. 43-44. - Sb.. ans suffirent pour flu'en Silésie surg-is- 
t lreize cloîtres, douze hôpitaux, douze orphelinats (
Iay, Ope cU., p. 12tì). 
Sur les créalions monastiques à Pauerborn sous I'l
piscopaL de MarLin, voir 
mm, Conrad lJlartin, p. IG3 et IG8. 
. PCue1f, Geissel, II, p. 43. - Sur Frédéric-Ferdinand, due d'Anhall-Koe- 
n (1769-183ù) et sa femme Julie, de la famille de Hohenzollern (lï93-1848). 
r Rosenthal, Konvertitenbilder I, 1, p. 457-4G2, eL Supplément, p. 178-184. 
P. Beclx. fulur général de la compagnie (17
J-1887) (Stimmen aus J.Jfaria. 
'I.ch, XXXII, 188ï, p. 
G5-2(jG) avail pô.ssé plusicur6 anuées à Kæthell commc 
'é. 



t86 


L'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE 


elle, et qu'iJs subsistaient. Dès Ie mois d'août i84
 
une de ces colonies s'inaugurait à Cologne, sous J 
houlelte de Geisse1. Un premier noviciat s'ouvr 
en Westphalie en 1.850. Aix-Ia-ChapeJle eut dE 
Jésuites en 1852 ; à Cologne, en 1853, ils fondèrer 
une importante n1aison; ils en installèrent deu 
à Bonn, en 1854 1 . 
De grandes missions s'inauguraient, générale 
ment prêchées par ces Pères : eUes redisaient au 
populations allcn1andes ce qu'étaient Dieu, I 
Christ, I'Église ct Ie devoir. Le P. Duhr a publi 
les actes de ces missions: ils donnent l'impressio 
d'un immense éveil d'àmes, subitement réchauf 
fées dans leur frileuse solitude 2. Le rationalism 
du XVIII e siècle avait fait oublier l'Église ; Ie roman 
tisme l'avait fait plutôt désirer que connaître ; de 
bataillons de JésuÏtes survenaient, qui !'annon 
çaient et qui la montraienL Épisodiques d'abor 
et tout exceptionnelles, les missions, dans eel 
tains diocèses, devenaient peu à peu régulières 
eUes réapparaissaient tous les dix ans, par exempl( 
ou bien tous les six ans, comme un acte normtJ 
de la vie de la paroisse 3. 
On évitait les polémiques : les fonctionnaire 
craintifs étaient bien vite rassurés 4; les prote
 


1. Pfuelf, Geissel, II, p. 43-44. 

. Aktenstuecke zW' Geschichtc der Jesuiten-2Jlissionen in Ðeutschlalll 
1848-1872. Herausgegeben von Bernhard Duhr, S.J. (Fribourg. HerdCl', 1903 
3. Pfuelf, I{etteler. I, p.273. - Slamm, Com'ad i11artin, p. 144. 
4. Mundwilcr, P. Georg von Vl(Lldburg Zcil. p. 7
 cl 90 (FriLourg, Herdc! 
190G). - cr. dans Duhr, op. cit" low; les passa!.fes auxllucls rcnvoie, à la laLIt 
rarlicle Behoerdt:n. 



, , 
L EGLISE DE PRUSSE 


i87 


lnts t, les israélites 2, paraissaienl eux- mêmes au 
ied des chaires, et généralement s'en retournaient 
ltisfaits. II était assez commun qu'au moment du 
épart, après avoir enlendu les confessions des 
atholiques, les missionnaires reçussen ties félici- 
ttions des hél'étiques : tantôt des lèvres protes- 
lntes buvaient à leur santé, tantôt les autorités de 
1 ville leur réclamaient Ie texte de leurs prédi- 
:1tions pour en faire j ouir Ie roi de Prusse 3. Par- 
)is même des protestants s'unissaient aux catho- 
ques pour solliciter d'un curé I' organisation d'une 
lÌssion 4. L'église souvent était trop petite: alors 
'était sur la place qu'on s'attroupait, ou bien, s'il 
leuvait, les missionnaircs donnaient simultané- 
1cnL, dans trois égLises dilférentes, trois sermons 
la fois 5. Les officiers leur dcmandaient de prê- 
her aux soldats 6. Les garrle-chiourmes leur ou- 
raient les n1aisons pénitentiaires; devant les Jé- 
uites s'abaissaient les grilles verrouillées; et lä, 
amme ailleurs, leurs prédications affeanchissaicnt 
es âmcs. On so racontaÏt les scènes émouvantes 
uxquelles donnait lieu, dans les geôles, l'intrusion 
e ces apôtres 7; et ces récits mêmes attiraienL 


I t. Mundwiler, Ope cit., p. 84-85. - Cc. lc lémoignag
 dc Menzel dans Ie 
i,'chenleæikou, V, p. IG40 (art. du F. Baumgarlncr), et. dans Dnhr, op. cit., 
'us }('s passages au>.quels renvoie, à la table, rarlicle P,'otestanten. 
2. Mundwiler, op. cit., p. 88-89. - cr. dans Duhr, Ope cit., tous les passages 
uquels renvoie, à la table, l'arlicle Julien. 
3. Mundwilcr, Ope cit., p. 109. 
I.. Bcda Weber, Cm'tons, p. 45û. 
I 5. l\lundwiler, Ope cil., p. 99-100. 
tj. Yoir dans Duhr, op. cil., lOlls les paiisages auxqucls rC'nvoic, à la taLle. 
"rUcle .Jlilitacl'. 
';. Yoir dans Duhr, ojJ. cil., lons les pas'Sages auxfJu('ls rem'oic, à la taLle, 
nlide Stì'u{Ultstalt ; eL cr. Mund\\Ìler, Ope cit., p. 1i2.114. 



i88 


L' ALLE!\IAGNE RELIGIEUSE 


vers eux la foule immense des pécheurs, - ce 
autre
 prisonniers. 
Le missionnaire, en descendant de chaire, s 
faisait confesseur. En un an, Ie P. Zeil entendi 
plus de sei
e n1Ìllc pénitents 1 : son confessionnal s 
reconnaissait aux fleurs dont Ie décoraient les foule 
dévotes. Paysans et dOIuestiques, à flots pressé
 
assiégeaient et ccrnaient Ie P. Zeil- Ie (( prince )) 
camIlle ils l'appelaient - : puisque dans ses ser 
mons il décrivait si bien leur situation, puisque ce 
aristocrate était leur père 
 et qu'à leur sujet i 
savait tout, ils voulaicnt que ce fÚt lui, encore lui 
qui connilt et comprît leurs péchés; et l' on vit de 
ouvriers chðmer quatre jours durant, attendan 
que leur tour fût venu d'avouer ct d'être absous 3 
On lisait dans la Civiltà Cattolica, dès la fin d. 
1.850 : (( Tous les jours arrivenl des nou velles de: 
fruits immenscs que produisent ]es missions dan: 
les diverses régions de l'Allemagne. )) - (( Chaqu( 
mois, redisait-elle en avril 1851., on voit là-bas h 
naissance d'une institution calholique nouvelle 4. ) 
Et s'il se troll vait quelque prêtre d'humeut mo 
rose pour regretter cet inlmense déploiement d'ora. 
teurs congréganistes 5, Heinrich, l'anli de l{eUeler. 


1. Mundwiler, op. eit., p. i31-1J5. 

. Mundwiler, Ope eit., p. 128. 
3. l\lundwiler, Ope eit., p. 107. cr. dallsDllhr, op. elt., tous les passages am 
f[uels rCllvoie, à la table, l'adicle Be ie/ttsluh I. 
4. Civiltà Cattoliea, 1-16 décemLre 1850, p. 675; - 15-
7 janvier 1851 
p. 2H ; - 14-28 avril 1851, p. 380-381; - 16-30 juin 1851, p. 110-112. 
;i. Tel, dès 1846, Ie I)rèlre bavarois Anloine Ruland (1809-1ts74), dans sa Lro- 
chure : Der fraellkisehe I(lerus und die Iledemptoristen (Wurzhourg, Yoigl. 
Yoir Leilschuh, All!lemcillC Deutsche flioymphie, XXIX, p. (;32-634. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


189 



jectait tout de suite à l'imprudent la bulle Auc- 
/l'elll Fidei, du pape Pie VI, OÙ les adversaires 

s missions populaires étaient formellement con- 
lmnés 1. 
Plusieurs de ces missionnaires n'avaient endossé 
. surplis qu'après avoir connu les ol'ages de la po- 
, tique et du monde : leur ascendant même en bé- 
19ficiait. Le P. Hasslacher, clout les homélies pieu- 

s eL les conférences scientifiques obtenaient un 

al succès, avait été compromis, dans sa jeunesse, 
lrmi les étudiants révolutionnaires d'une Bul'S- 
ienschaft : les cercles démocratiques et une pri- 
>n fortifiée avaient été pour lui l'antichambre de 
, Compagnie de Jésus 2. A côté de lui, émigré d'un 

au manoil', Ie P. de 'Valdburg Zeil 3 représentait la 
-us haute aris tocratie allemande : (( Seigneur, j 'ai 
,ut quilté! s'écriail-il unjour du haut de la chaire. 
ais les âmes, ces ân1CS qui sont là, donne-Ies moi, 

igneur. >) Et les âmes se donnaient, agenouillées 

vant celle vocation qui avail été un grand re- 
)ncement it . Le P. Roh, lui, Valaisan d'origine, 
rait, dans sa première jeunesse, péché contre la 
ompagnie ; de son éducation chez les Jésuites, il 
rait rapporté l'horreur de ses maîtres. Mais quel- 


L. Heinrich, Die lârchliche Reform, II, p. 179. 
2. Beda Weber, Cartons, p. 401 el suiv. - Sur Pierre Hasslacher (1810-1876), 
sonnier de 1833 à 1840 pour (( menées démagogiques )), novice chez Ie., 
.uiles à Sainl-Acheul en 1840, prédicaleur à Slrasbourg cn 18H-1849, mis- 
nnaire en Allemagne de 1850 à 1863, supéricur, à Paris, de la maison alle- 
nde de la rue Lafayette de 1
66 à 1870, voir Herlkells, Erinnerungen an 
Hasslache?' (Muensler, Aschendorff, 18ï9). 
J. Sur Ie P. Georges de W aldburg-Zeil- Trauchburg (t 823-18(6), Ie livre du 
l\lundwilcr csl un document prêcieux. 
i. 
lundwiler, Ope cit., p. 82. 


- - _...1- _....... ...,... 



190 L' ALLEI\IAG
E RELIGIEUSE 
que mauvais pamphlet, Lombé par hasard entre ses 
mains, lui parut tellen1ent inique à leur égard, 
qu'un soubresaut de colère Ie ramena vel'S les Pères 
ainsi maltraités, et Roh se fit Jésuite. Les vexations 
scellèrent sa décision : comme J ésuite et parce que 
Jésuite, les troubles du Sondel,bund et de 184R Ie 
forcèrent de déménager sou vent : à Lucerne, à 
Novare, à Linz, à Innspruck, iJ fut tour à tour 
fugitif devant la révolution qui avait l'air de le 
traquer. Lp raffermissement de ]a paix civique 
rendît un gìte à ce vagabond; ce gîte fut Fribourg- 
en-Brisgau; et de là, seize ans durant, rayonnè- 
rent à travers touie l'Allemagne, ct mêmejusqu'en 
Danen1ark, les courses apostoliqucs de ce (( nou- 
veau Boniface 1 )). Beda "T eber, qui rappela ponr 
prêchcr à Francfort, disait de lui qu'il était la dog- 
matique vi vante 2. (( Ce qu'il nous faut, cxpliquai t 
à Francfort même un pubJiciste d'une secte baptiste, 
cc sont des discours populaires, pleins de fraîchcur, 
gagnant les cæurs, purifianlles esprits, des disconrs 
attaquant directement l'incroyance et l'athéismc : 
teis sont ceux du P. Roh 3 )). Le P. Ander]cdy, un 
autre Valaisan, qui devint plus tard général de ]a 
Compagnie, était réputé pour son charn1e 
 : Ie rhé- 
nan Pottgeisser, un n1athénlaticien, prêchait des 


I. L'c,",}>l'ession esl du pcinlrc Sleinlc (BJ'iefu'cchscl. I, I). 3
7). 

. Weber, CartoT/s, p. 457 el suiv. - Sur Ie P. Pierre Roh (t8H-18ï2), 
'('it' Knabenbauer, Pell'us RolL (Frihourg, Herder, 1872). 

. H.P.B., lR58, II, p. 313. cr. Steinle, Rrie{wccllsel, II, p. 208 cl 377. - 
1 cs conférenccs de Roh à SluUgart en 1868 ont élé pubIiées en trois volumes 
(Ravensburg, Alber, 1905.) 
.\. f:.ur 1(' P. Antoine l\Iarie Anderledy (1819-f 89:.!), devenn général de rOrd,'c 
f'n 18R7, voir Baumgartner, Stimmen aus Maria Laach, XLII, 189
, p. 
H1-!(ì5. 



L 'ÉGLISE DE PRCSSE 


i!H 



rmons qui ressemhlaient à des flots de Iogique. 
es gens cultivés que secouait Ie Bavarois Georges 
oder affirmaient qu'il y avait en lui du Démos- 
lène ; et les petites gens qui écoutaient l\laximilien 

 KJinko".stroem 3 ou Ie Valaisan l\ntoine Allet 1, 
"ateurs populaires par excellence, disaient sim- 
.lement qu'ils prêchaient fort bien. 
Si la Compagnie de Jésus dépensait pour Ie prcs- 
ge personnel de ses membres]a moitié des efforts 
1 des artifices qui mettent en relief les réputa- 
ons hun1aines, des orateurs comme Roder, comme 
asslacher, ou comme Roh, prendraient une place 
élite dans rhistoire ecclésiastique du dernier 
ècle. De grandes missions comme ceHes de Co- 
gne en 1850, de I-Ieidelberg en 1851, de Franc- 
rt en 1852, d'Augsbourg en 1853, remuaient 
.ofondén1ent rA llemagne religieuse. Au sortir 
un sermon du P. Hasslacher, Ie peintre Steinle 
:rivait à Emilie Linder: (( 
Ion opinion que les 
;suites dans l"Église sont, à proprement parler, 
sel de Ia terre, s'est confirrnée dOune écJatante 
çon 2. )) L' évèque l\Iartin, de Paderborn, allait 
entõt proclamer que (( la renaissance de l' Alle- 
lagne catholique était la gloire du P. Roh et du 
Hasslacher. )) II ajoutait que par leurs missions, 


. Sur Ie P. Jules Pollgeisscl' (1813-1894-), voir Weber, Cartous. p. 4,lì!-463. 
Le P. Roder vécut de 181
 à I88i. - Sur Ie P. l\1aximilicn de Klinkowslroem 
19-1896) et son frère Ie P. Joseph (18i3-1876), "oir A. v. Klinkowslroem, F,'ic- 
'ch August v. jílinkowstroernund seine Nachkomrnen (\ïenne,l\Ianz, 1877.) 
P. ABet vécut de 1820 à 1890. 
:. Steinle, Briefwech8el, II, p. 230. - Une mention doit aussi êlre consacrée 
P. Adolphe de Doss (1825-1886), qui à partir de 1855 s'acquil à Muenster, 
s à Bonn, enfìn à l\Iaycnce une grallde répulation comme directeur d'æunes 
.jeunesse (Pfuclf, Erinnerungen an A. t'. .Doss. Fribourg, Herder, 1889). 



192 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


les Jésuites {( avaient plus fait pour la pacificatio
 
de la société, que tous les diplomates, hureaucrate 
et politiques ensemble 1. )) 
Le bruit que faisaient les missions étouffait Ie 
discrets chuchotements qui racontaient certaine 
conversions; mais dans l'Église même, les gen 
averlis notaient avec joie la venue de cerLaines âme 
protestantes auxquelles l-'honneur du monde atta 
chait quelque prix, et qui faisaient exode, l'un 
après l'autre, vers I'Église catholique. C' étaient eJ 
18
9 Frédéric Kehler, qui allait bientôt, avec I 
prince Radziwill et Ie prêtre l\Iueller, réveiller Ie 
catholiques berlinois et qui devait plus tard joue 
un rôle dans Ie parti du Centre 2; Aurèle Meinhold 
fils de pasteur, et que sous peu la prêtrise devai 
séduire 3 ; Ie Hambourgeois Petersen, plus tard mis 
sionnaire jésuite à Bombay.. En 1850, Ia comtessl 
Ida de Hahn-Hahn, se jetant aux pieds de I{ette 
ler, cberchait dans l'Église romaine un asile contrc 
les tourmentes qui trop longtemps avaient bous 
culé son cæur et ballotté sa vie ö. Le protestantism, 
Mecklembourgeois voyait s'égrener, loin de lui, tou 
un chapelet d'àmes que l'on considérait comm, 


1. Marlin, Zcitbilder, I, p. 190 cL suiv. (
Iayence, Kil'chheim, 1879) c 
Ein bìschoeflìches .Wort II. p. 2
5. (Paderborn, Schocningh, 1864). 
2. Sur Frédéric Kehler (1820-1901), voir Rosenthal, ]{onvertitcnbilder, I, 2 
p. 478-483 et Supplément, p. 41-45, eL Johann Friedrich Schulle, Lebenserin 
nerull!Jen. p. ùO-tH. 
3. Sur AUl'èlc Meinhold (1829-1873), "oil' Rosenthal, Ope tit., I, 
, p. 484-489 
ct 1\leer, Chm'akleJ'bilder aus dem Clel'us Schlesiens, p. 290-294 (Brcslau 
Aderholz, 1884). 
4. Sur Petersen (1825-1870), voir Rosenthal, Ope cit., 1,2, p, 490-493. 
:>. Sur Ida de Hahn-Hahn (1805-1880), voir Rosenlhal, Ope tit.) I, 2, p. 49J 
:'27, ct ci-dessus, p. VIII-X. 



I.'.EGLISE DE PRUSSE 


f93 


distinguées : Ie journaliste Gloeden 1 ; Ie futur socio- 
logue Vogelsang, qui devait fonder en Autriche 
l' école chrétienne sociale 2; Buclo,v et Suckow, deux 
prochains Jésuites 3 ; Ie futur canoniste l\laassen 4 ; 
le baron de Kettenburg 5 . On apprenait de Bruxelles 
Iue Ie baron de Schaezler venait d'entrer Jans 
'ÉgJise, où son activité de philosophe allait bien- 
:ôt faire dll bruil 6 . Un médecin juif de Silésie, 
losenthal, se faisait catholique en 1.851, et se dis- 
?osait à écrire la longue histoire de tous les con- 
rertis du siècle 7; en 1.851, François Chassot de 
i'lorencourt, en 1.852 son fils Bernard 8, entraient 
lans I'Égiise et dans Ie journalisme catholique, et 
a conversion d' Auguste Lewald, qui ayaH Iong- 
emps dirigé run des principaux journaux Iitté- 
aires de I' Allemagne, surprenait certains cercles 
nondains 9. A son tour Ie démocrate Giese arrivait 


1. Rosenthal, op. cit., I, 2, p. 489. 
2. Sur Ie baron de Vogelsang (1818-1890), voir Rosenlhal, op. cit., I, 2, 
. 5
8-536; - Wiard Klopp, Dle socialen Leltren des Freilterrn f(arl v. 
'ogelsang (Saint-f'oellen, Chamra, 1894); - ct la traduction d'extrails lle 
ogelsang donnée par I\DI. de la Tour du Pin et de Pascal sous Ie tilre : 
lorale et économie sociale; Politiquc 80cÙtle (Paris, Bloud, 1906). 
3. Rosenthal, Ope cit., I, 2, p. 538. 
4. Sur Maassen (1823-1900), voir Rosenthal, op. cit., 1,2, p. f\37, et Supplément, 
4i, et Teichmann, dans Betlelheim, Biogr. Jaltrbuch, V,.p. 242-244. 
5. Sur Ie baron Kuno de KeUenhurg (1811-1882), voir Rosenthal, Ope cit., I, 
p. 587-593; - H .P.B., 1852, II, p. 302-3f6, el 1853, I, p. 101-118. cr. notre 
Ime IV, p. 35-37. 
6. Sur Conslantin de Schaezler (18<!7.1880), voir Rosenthal, Ope cit., I, !, 
. 562-563, et notrc tome IV, p. 
84-285. 
7. Sur David Auguste Rosenthal (1821-1875), voir Rosenthal, Ope cit., I, !, 
571.574, et Supplérnent, p. 50-5
. 
8. Sur Bernard de Florencourt (1835-1890), voir Rosenthal, Ope cit., I, 2, 
594-596.-Sur François de Florencourt (-1803-1886), (Iui mourra vieux catho- 
(ue, voir Sass, Allgemeine Ðeutscre Biog1'aphie, XLVlIl, p. 594-600. 
9. Sur Augusle Lcwal<.l (1 i92-1871), voir Rosenthal, op. cit., I, 3, p. 

-33. 


III. 


13 



194 


L' ALLE
IAGNE RELIGIEUSE 


jusqu'à 1'É g lise, et il y arrivait de loin: las des 
sectes incroyantes, il s'était dévoué aux æuvres so- 
ciales du pasteur "Tichern ; il avait vu, là, comment 
l' orthodoxie protestante, par une demi-l
ésipiscence, 
aspirait à retrouver el à ressaisir certaines insti- 
tutions catholiques ; et d'un élan de ]ogique, il se 
donnait au catholicismc ]ui-même. On savait, dans 
certains milieux, que Ie prince Paul, frère du roi 
de Wurtemberg, était nlort caiholique à Paris 2 ; 
et d'étranges rumeurs circulaient, qui prètaient 
assez étourdiment au prince régent de Bade l'in- 
tention de se faire catholique 3. 
Ces évolutions n'étaient que des évolutions indi- 
viduelles : des consciences venaient à I'Église, et 
l'Église les accueillait. 1\1ais il semblait que, pro- 
fitant des libertés nouvelles, elle allait s'équiper 
elle-même pour courir en pleine te1're protestante, 
au-devant des âmes. 
Entre les États de l' AJIemagne, les har1'ières sc 
faisaient plus baðses, au même elles disparais- 
saient; Ia l.ibre circulation des hommes devaii 
amener une certaine compénétration des confes. 
sions chrétiennes; et sur l'immense surface pro. 
teslante qu' offrait aux regards l' Allemagne dl 
Nord, il étaÏl à prévoir que dans un assez proch. 
délai s'éparpilleraient des catholiques, sons 1: 


i. Sur Bernard l\larlin Giese (1816-i873), voir Rosenlhal, Ope cit., r, 3, I 
t-it-i.n. - cr. Nippold, Welche Wege rue/wen nach Rom?, p. 405 (Heidel 
berg, Bassermann, 1869). 
!. Sur Paul de Wurtemberg (lï85-t852) et sa wnvcrsion sons l'influeucc d 
1'. <.Ie Ravig-nan, voir Roscnlhal, op. cil., I, 
, p. f;8ii.58fi. 
. :{. Cil'illà Cattolica. 1o-:a mai lS52, p. ;.iii. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


195 


poussée des nécessités de la vie. ScraÎent-ils aussi 
fidèles, aussi tenaces que ces Allemands du Rhin 

t du Palatinat, jadis installés près de Stettin par Ie 
srand Frédéric pour des travaux de desséchement, 

t qui, privés de tout prêtre un demi-siècle durant, 
;' étaient agenouillés, croyanls et dévots, aux pieds 
iu n1issionnaire que leur avait, en 1846, adressé 
'æuvre ]yonnaise de la Propagation de la foi 1 ? 

ette æuvre avait commencé de pourvoir, dans la 
nesure de ses ressources, aux besoins de ces âmes 

ssaimées ; eUe avait, en huit ans, dépensé 
182.360 francs dans !55 villages 2 . Mais l' Allemagne 
..atholique voulait désormais que, pour les Alle- 
nands catholiques, une æuvre allemande exÍstât. 
lichelis, ancien secrétaire de l'archevêque Droste- 
Tischering, soule va la question dans Ie congrès de 
layence en i848; Ie congrès de Breslau la reprit, 
n mai 1849; quelques mois après, Ie congrès de 
latisbonne la trancha, et le congrès de Linz, en 
850, concerta les derniers détails d'organisation. 
-ne association fut fondée sous Ie patronage de 
lÏnt Boniface. 
Iichelis et Buss auraienl souhaité 
ue partont, à travers Ie monde, eUe vint en aide 
IX consciences allemandes et aux apôtres alle- 
b lands; mais les professeurs Doellinger et Baltzer, 
1 'chanoine Moufang, Ie futur cardinal Gruscha, 
:-ent décider que Ie rayonnement de son action 

rait restreint à l' Allemagne. Le comte Joseph StoI- 


. Pfuelf, Ketteler, I, p. is!). 
:. Kleffner ct Woker, Del' l/onif'aciu8 Verein, I, p. 7..8 (paderLorn, BOlli/a- 
s D
'ucke
'ci, li!}9). 



i 96 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
berg, fils de fillustre convcrti, en fut Ie Pl'ésident : 
un zèle impérieux l'animait et faisait des pro- 
diges. {( Son langage était celui d'un prophète, 
écrit un contemporain; et, devant ses prières ins- 
tantes, personne ne pouvait rester indifférent 1. )) 
II parcourut l' Allemagne, l' Autriche, OÙ Ie journa- 
liste Sébastien Brunner 2 lui prêta main-forte; il 
frappail aux portes des évêchés et mulLipliait les 
appels; en huit mois, 11. comités furent fondés. 
A Nordhausen, à l\Iuenster, dans l'Ermeland, des 
essais pareils furenl tentés ou même réalisés, qui 
tõt ou tard se fondirent avec la gran de entreprise 
de Stolberg. Paderborn en fut Ie centre; l'ancien 
boulevard du paganisme saxon devint une capi- 
tale pour l'aposlolat catholique de I'Allemagne 
moderne 3 . Grâce à la merveilleuse activité du 
vieaire Edouard l\Iueller, eet apostolat, tout autour 
de Berlin, s 'occupait de créer, pour les catholiques 
épars, des centres d'enseignement ct de prière 1.. 
Dès 1852, les recettes de l' æuvre atteignaien1 
111159 marks; la progression, d'année en année: 
fut à peu près régulière; en 1. 869, el1e encais. 
sera 396.346 marks et en dépensera 354 334. L'As. 
sociation, à ses débuts, soutenaÏl 49 paroisses 
tin1Ìdement écJoses en terre protestante : à la nlor 
de Stolberg, en 1.859, eUe en soulenait déjà 152 
et l'installalion définitive d 'un évêque à Osna. 


i. Jocham, Memoiren eiues Obskuranten, p. 681 (Kcmpten, Koesel, 1806: 
2, Voir sur Sébaslien Brunner (1814-1893), notre tome II, p. 408. 
3. Voir, sur Ie Boni{acius Verein, Kleffner et Woker, op. cit., I, p. 8
60. 
4. Sur 1a statistique rles progrès catholiques en Brandpbour
 et l'activité d 
'lucller t 181 
-18f15), voir Koldc, jjfi8:
ion8vikm' },/uellel', p. 40-51 ct 54-82. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


197 


brueck semblait créer une seconde capitale pour 
les missions du nord de l' Allemagne 1. 
L' organisation nlême d'un tel apostolat
 qui 
cherchait en pays protestants, parnli la foule des 
âmes protestantes, les ral'es consciences catho- 
liques, et qui visait à les grouper, à les cimenter, 
et, de ces conscip.nces, à faire des églises, attes- 
tait que e'en était fini, à tout janlais, de l'ancien 
droit d'État, d'après lequel la religion du souve- 
rain devait être la seule religion des sujets. Mais 
un certain n0111bre de protestants, qui conside- 
L'aient volontiers l'exclusivisme territorial comme 
une sauvegarde pour Ie proteslantisme, aecusaient 
Buss de célébrer la jeune Association comme une 
lrmée d'occupation catholique en Prusse""; et 
l'on se denlandait si Ie révC'il de l'Église catho- 
ique n' étaÏt pas Ie prélude d'une offensive. 
(( Les nlissions et les conversions se multiplient, 
isait-on dans la Gazette de la Weser en 1851; it" 

aut être aveugle pour ne point voir quels périls 
;ourt Ie protestantisme. Parmi tous les pays de 
.'Europe, il n'y a que l' Angleterre, Ia Sardaigne, 

t quelques cantons suisses, qui fassent une cer- 
aine résistance au pape 3. )) - (( Les victoires de 
'Église Romaine s'accroissent toujours >>, nota it 


1. Sur cetle installation òe l'évêque .Melchers en 1858, r
sultat de longues 
légocffi.lions, voir Brueck-Kiessling, Geschichte, 111. p. 187-188. 

. Michaud, Del' gegenwae7.tige Zustand del' l'oemisch-katlwlischen Kil'clte 
n FJ'ankreich. tmtel' Bel'uecksichtigung de7 einschlaegigen Vel'haeltnisse 
Jeutschlands benl'beitet von Fridolin Hoffmann, p. 131 (Bonn, Neusser, 18iG). 
3. Cité dans In Civiltà Cattolica, 11 ao.1t-l or septembre 1851, p. 609-610. - 
Poméranie proteslanlc, rpveille-toi ! )) s'pcriail la Ga::;ette ele l'.4.11emagne ell, 
Vord (Kolde, lllissions- Vikar Edua7'd lJluellel', p. 50). 



198 


L 9ALLJI'.:
IAGNE RELIGIEUSE 


en son journal, Ie 1.2 juillet 1.851, Léopold de 
Gerlach; il sgen prenait aux (( erreurs politiques 
de l'époque )); il s'en prenait aux luthériens chez 
qui se dessinait, comme chez les anglicans de 1840, 
une sorte de (( puseyisme )), et qui commençaient 
à souhaitrr une forte hiérarchie ; il s'en prenait 
aux sectes irvingiennes répandues en Bavière. 
La révolution, Ie néo-luthéranisme, l'irvingia- 
nisme, tout. cela menait au (( jésuitisn1e ron1ain )), 
et Gerlach déplorait d'autant plus la recrudescence 
du zèle confessionnel, qu'il y voyait un obstacle 
à cette reconsti lution des partis politiques que 
souhaitait son conservatisme évangélique t. Le 
flltur empereur Guillaume Ier, recevant une letlre 
anonyme où ron expliquait que Ie (( parti romain, 
pire que tous les démocrat
s, vouIa.it anéantir la 
Prusse en vingt ans )), s' empressait de transn1ettl'C 
ceUe leUre au ministre l\Ianteuffel : (( Ces aIléga- 
tions, insistait-il, me paraissent lrès justes, très im- 
portantes 2. )). A Rome, certaines allégresses reten- 
tissaient con1me un écho des anxiétés berlinoises; 
apprenant que des moines venaicnt de s'installer 
à Breslau, la Civiltà concluait : (( Ainsi sc dissout 
Ie protestantisn1e ; et peut-être Dieu prédestine-t- 


1. Leopold von Gerlach, Denkwuerdigkeiten, I, p. 650-651 et 751 (12 juillet t851 
et 15 avril 1852). Sur ces convergences de certaines fractions protestantes ver
 
Rome, voir Doellinger, L'Église et le.
 Églises, lrad. Ba
'le, p 298 (paris 
Casterman, (862); Nippold, Welche ""ege fuehren nach Rom? p. 419. Ll 
Civiltà Cattolica, 26 décembre 1856-10 janvier 1857, p. 23ß-
M8, annonCl 
même un mouvemelll orthodoxe, parmi les protestants de Saxe el de Bavière 
ell faveur de la confe!5sion auriculaire. .- Cf. sur Ie Hanovre, Perraud, Corres. 
pondant, septembre 1863, p. 63-91. 
2. Poscbinger, Denkwuerdigkeiten des Mini8terp1'
sidents Nante71ffel, II 
p. 76-77. 



L'

GLISE DE PRUSSF. 


i99 


il à être les principaux instrumenls de la conver- 
sion de I' Allemagne des apôtres sortis du cloître, 
pour se jouer avec plus d' éclat des semences jetées 
par un apostat monaslique 1. >) 
II était naturel que les alarmes prolcstantes fis- 
senl éclat. Stahl parle quelque part de cette atti- 
tude de gladiateur Borghèse que prend volonliers, 
vis-à-vis du catholicisme, Ie protestantisme alle- 
mand 2 : l'heure était proche OÙ Ie gladiateur allait 
se cambreI', provoquer et foncer. Dès 1851, des 
réunions à IlambouI'g, à Elberfeld, signalèrent à 
l' Allemagne protestante les pI'ogrès du catholi- 
cisme 3. Ce fut à Breslau, dans Ie diocèse du paci- 
fique Diepenbrock, que l'attaque se produisit. Son 
vieux maître Sailer I. avait toujours caressé des 
rêves d'union des Églises, dans la ferveur des- 
quels il entrait même quelque rêverie; Diepen- 
brock était demeuré, comme lui, un homme de 
douceur, de paix et d'union, el tel de ses mande.. 
n1ents, en 1848, avait eu Ie privilège d'être lu 
dans les chair
s prolestantes:;. Mais les missions 
de Jésuites qu'il avait depuis Iors instituées furenl 
dénoncées par Ie surinlendant général protestant 
comme une agression catholique, à laquelle les 
pasteurs devaient belliquel1sement riposter. 
Diepenbrock, déjà fort malade, répondit par 
ane leUre pastorale, admirable de sérénité; au 


1. Civiltd Cattolica, 1-15 décembre 1831, p. 709. 
2. Doellinger, L'Eglise et lea Églisea, lrad. Bayle, p. 353. 
3. Civiltò. Cattolica, seplembre-octobre i851, p. 251 et 383. 
4. Voir nolre tome I, p, 291-309. 
5. RE'inkens, DiepenbJ'ock, p. 40!-403. 



200 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


cri de guerre, il opposaitencoreun cride concorde : 
(( Malgré la séparation des confessions, disait-il, 
séparation malheureuse Inais vonlue par Dien, ct 
que nous devons dès ]ors supporter avec patience 
en esprit de pénitence pour les fautes communes, 
tous les esprits droits peuvent et doivent profes- 
ser une estime réciproque, une tolérance humaine, 
une charité chrétienne, fondée sur la supposition 
que les uns et les autres ont des convictions 
loyales 1. )) Le Conseil suprême évangélique de 
Berlin, quelques semaines après, tenta, non sans 
embarras, de justifier contre Diepenbrock la con- 
duite du surintendant général de Silésie, et puis 
Ie cardinal mourut, et trouva que la paix des élu
 
était plus facile à obtenir que ne rest ici-bas celIe 
des hommes de bonne volonté. 
L'assemb]ée de la Société Gustave-Adolphe, au 
mois d'août 18
2, multipJiait à radresse du catho- 
licisme les invectives bruyantes, et parfois inj u- 
ricuses; et derechef, en septembre, Ie congrès pro.: 
testant de Brême s'insurgeail 3. Ces provocations 
étaient relevées, au congrèscatholique del\luenster, 
par Ie prêtre Edouard lVlichelis, l'ancien compagnon 
de captivité de l'archevêque Droste- Vischering: il 
persistait à parler un langage pacifique. Otto 
Meier, professeur de droit à la Faculté de Ros- 


1. Saemmtliche Hi1.tenbriefe Sr. Eminen= des Cardinal-Fuel'stbischof
 
Ðiepenbrock, p. 121-130. - Foerster, Diepenbrock, p. 17G-179. - Pfuelf. 
Geissel, II, p. 207-208. 
2. Sur la Sociélé Guslavc-Adolphe. voir nolre tome II. p. 3 J 5-316. 
3. Voir May, Ge8chichte der Generalverso.mmlUl1[/en del' f(atholzken 
p. 86-91. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


201 


lock, publiait à la même époque Ie premier volume 
d 'un travail considérablc sur (< la Congrégation 
I romaine de la <( Propagandc, ses provinces et 
I son droit 1 )). On trouvait dans ce livre un grand 
appareil d'érudition, que les fouillcs de rauteur 
dans les archives prussienncs avaient singulièl'c- 
ment contl'ibué à enrichir. Le but de 
Ieier était 
de remontrer à l'opinion la marche croissanle 
des aspirations catholiques : les faits de l'histoire, 
habilement groupés par sa plume vigoureuse, 
semblaient nlonter à l'assaut des lecteurs pour 
les convaincre que I'Église Romaine montait à 
l'assaut de la Prusse. Luthérien fervent, Otto 

Ieier s'inquiétait. Bien de commun, chez lui, avec 
ces (< libéraux)) qui seront les plus violents apôtres 
du Culturkampf: l\leier élait une âmc religieuse 
qui épanchait des inquiétudes religieuses. A ses 
yeux la Prusse était engagée sur une mauvaisc 
route; eUe se trompait en considérant que Ie pro- 
testanlÏsme et Ie catholicisme pouvaient s'allier 
fralernellement pour une Iutte contre l'im piélé ; 
elIe se h'ompait en s'imaginant qu'un État évan- 
gélique pouvait nouer anlitié avecl'Église Romaine. 
Sous Ie nom d'aulonomie, ce que désirait cette 
Église, c'était Ie droit de combattre la Réforme, et 
ce qu'elle masquait sous des revendications de 
(< parité )), c'était son désir d'une domination abso- 
lue; et lVleier était tout près de conclure à une 


1. Die Propaganda, ihl'C PJ'ovinzen uncl ihl' Recht. (Goettingue, Dielerich, 
t85
.) Le livre est aujourd'hui suranllé depuis la puLlication des papiers dc
 
nonciatures. Sur alto Meier (1818-1893), mort président du consisloirc de Hanovre, 
voir Zorn, Allgemeine deutsche Biogl'aphie, LII, p. 297-301. 



202 


1..' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


incompalibilité entre les libertés de I 'Église et It- 
sécurité de l'État prussien 1. 
Mais pour supprimer ccs 1ibertés, il fallail 
toucher à la Constitution, et c' eûl été, aux yeu
 
du peupIe, toucher à l'héritage de ]a révolution. 
:Ñlême parmi les masses protestantes, moin
 
anxieusement préoccupées des queslions confes- 
sionnelles que ne l'était leur clergé, on auraii 
concIu, sommairement, que la moindre suppres- 
sion de ligne, dans cette charte achetée par du 
sang, était une mesure de réaction. Les théoricien
 
de l'État évangélique avaient beau s'insurger, 13 
Constitution vivait et vivrait. 
A vrai dire, parmi tontes les proffiPsses qu' elle 
faisait, il n "en étaÌt ancunes qui passassent plus 
immédiatement en pratique que celles dont béné- 
ficiait l'Église Romaine : l'esprit d'apostolat des 
prêtres et des fidèles les stinlulait à prendre jouis- 
sance, immédiatement, des bienfaits qui leur 
étaient offerts. Les effets politiques de l'acte cons- 
titutionnel de 1850 furent lents à se faire sentir : 
il fallait du temps et quelque violence sur eUe- 
même pour que la royauté prussienne devînt 
effectivement constitut.ionnelle, et l'on pourrait 
encore se demander, aujourd'hui, si cette évolu- 
tion est complètement achevée. ]
a Constitution 
de 1850 n'empêcha pas Bismarck de gouverner 


1. C'esL à ces maJ:imes qu'obpissait sans doule la municipalité de Danzig lors- 
que après lleuf ans de pourparlers el1e refusail définitivement de faire donneI' 
l'euseignement catholique aux orphelil1s catholiques, ses pupilles, ou de les con- 
fieI' à des familIes calholiques (Redner, Ski
zen aus der Kirchengeschichte 
Dan::igs, p. il-RG (Danzig, Boenig. 1875). 



r...'tGLISE DE PRUSSR 


203 


contre la Chambre; eUe ne gêna pas une seule 
fois, entre 1850 et 1870, les initiatives autoritaires 
de la royauté; on savait, Iorsque besoin était, 
donner des coups de canif dans cet auguste papier. 

lais les effcts religieux de la Constitution furent 
immédiats, et l'expérience même, au cours des 
années, en accrul et en révéla l'immense portée. 
Si déchiqueté quP fût ce papier, jadis gribouillé 
par une assemblée frondeuse, et plus tard raturé, 
puis signp, par un monarque à derni mécontent, 
les catho]iques s'en servirent, à de fréquentes 
reprises, soil contre la bureaucratie, soit contre 
les majorités parlementaires qui menaçaient J'au- 
tonomie religieuse. Tandis qu'en généralles cons- 
titutions fraîchement octroyées opposaient une 
barrière à l'arbitraire des rois, ce fut plutôt, en 
Prusse, Ie caprice des députés, - leur caprice en 
matière religieuse, - qui trouva, dans la Consti- 
tution de 1850, une limite et une f:\ntrave; et les 
catholiques du reste de l'Allemagne enviaient 
cette bonne fortune à leurs coreligionnaires prus- 
Slens. 


III 


Dès 1851, Geissel résumait la situation de 
l'Église dans une leUre à l'évêque d'Augsbourg : 
(( Le gouvernement, disait-il, nous laisse, sur Ie 
terrain ecclésiastique, une liberté de développe- 
ment, qui donne les résultats les plus satisfai- 



20
 


L'AI...LEMAGNE RELIGIEUSE 


sants preuve qu'un État ne fait pas na?fragc 
lorsqu'il renonce à faire intrusion dans l'Eglise. 
Les principes que nous avons énoncés 
l '-Vurz- 
bourg 1, nons les avons partout, chez nons, mis en 
pleine vigueur, et 1 'État y gagne, puisque no
 
liens avec lui, qui jadis étaient des liens de COIn- 
lnande, sont devenus volontaires et par là luênlC 
plus solides. )) l\Iais l'archevêque de Cologne ajou- 
tait, non sans quelque mélancolie : (( Ce n'esf 
qu' en ce qui regarde I' école qu
 nous somnles en 
suspens 2. )) La Constitulion prévoyait en eifet que 
dans les écoles pubJiques on devrait tenir compte 
des circonstances confessionnelles et que les éco]e
 
privées seraient soumises à une certaine surveil- 
lance de I 'État : c' étaient ]à des formules plus 
élastiques que précises, et que l'application senle 
permettrait de j agel'. 
Dès qu'en Prusse l'aulorilé s'était ressaisie, eUe 
avait constaté tout de suite, avec de sévères regrets, 
que Ie radicalisnlc révolutionnaire trouvait parmi 
les instituteurs de nombreuses recrues; et, sans 
retard, eHe voulait aviser. Depuis Frédéric-Guil- 
]aume Ier 
 l' enseignenlent, en Pl'usse, était considéré 
comme chose d'État : l'État entretenait les écoles, 
courbait tous les futurs citoyens sous Ie régime 
de l'obligation scolaire, et coupait court aux scru- 
pules de conscience des parents, en dispensant Ie 
petit catholique de l'enseignement religieux pro- 


t. Sur l'assembléc fpiscopale de WurzLourg, voir noll'C tome II. p. 376-397, 
el Sauze, L'aftsemblée épiscopale de 'Wur=boUJ'ý (Paris, Poussielgue, 1907). 
2. PCuclr, Geissel, II, p. 'i8. 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


205 


testant et Ie petit protestant de l'enseignement 
religieux catholique. La religion, dans l' école pri- 
maire, était une matière obligatoire d'inslruclion. 
Jamais la Prusse n'avait accueilli Ie pro jet d'une 
sorte d' enseignement religieux vague et général, 
borné à quelques affirmations métaphysiques, et 
commun à toutes les confessions. L'on s'arrangeait 
en général pour que la confession du maître fut 
celle de la majorité ou de I'unanimité des élèves : 
Ie prêtre ou pasteur du village inspectait l'école, 
par la volonté n1ême de l'État 1. 
Le radicalisme philosophique, qui, de 1.840 à 
1.84.8, avail détaché des Églises beaucoup d'insti- 
tuteurs 2, avait fini par les détacher de la monar- 
chie prussiennc elle-n1ême : parallèlement aux 
sectes de (( catholiques allemands )) (deutschkatho- 
lisch) et d' (( amis des lumières 3 )), ils étaient 
devenus, de schismatiques dans l'Église, des schis- 
n1atiques dans l'État. Soucieux de les ramener à la 
fidélité politique, l'État fut conduit, tout nature]- 
lement, à fortifier les liens entre l'école et l'éta- 
blissement religieux. C'élait I' époque où l'on se 
demandait, en Allen1agne comme en France, si 
l'étude des classiques païens était bonne pour la 


t. Rintelen, Das Verhaeltniss der Volksschule Preussens zu Staat und 
]{irche, p. 16-60 (Paderborn, Schoeningh, 1888). - Rudolf Gneist, Die confes- 
sionelle Schule, ihre Unzulaessigkeit nach preussischen Lalldesgeset:en 
und die Notkwendigkeit eines Verwaltungsgerichtshofes, p. 14-
9 (Berlin, 
Springer, 1869). 
2. (( La grande majorité des mailres sont pour la proscription de l'enseigne- 
ment religieux, J) écrivait Dieslerweg en 1850 dans la quatrième édition du Weg- 
weiser für deutsche Lehre1' (Sallwuerk, Adolf Diesterweg, Ill, p. 22
, n. 1). 
3. Sur ces diverses sectcs, voir notrc tome II, p, 293-309. 



206 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


formation de la jeunesse; on était préoccupé d'im- 
planter un système d'éducation soJidemenl assissur 
les principes chrétiens; on insinuait, dans certains 
congrès, qu'il serait bon que les philologues eussent 
appris la théologie ; on réclanIait, en face des gym- 
nases païens, des gynlnases (( chréliens évangé- 
liques 1 )). D'autant plus inlpérieuse devenail cette 
préoccupation chrétienne, lorsqu'on avait affaire à 
des instituteurs primaires dont avait chancelé Ie 
loyalisme civique en même temps que la foi reli- 
gieuse. De là, certaines avances aux Églises, dont 
on trouvait déjà Ia trace, en 1849 et {SãO, dans les 
discours du ministre Ladenberg sur la Constitution 2, 
et dans Ie projet de loi scolaire qu'il déposa; de 
là surtout, après 1850, la politique scolaire du 
ministre RaunIer 3. 
(( J
a prospérité de l'école primaire dépend de 
son union intime avec l'Église )), affirmait Raumer 


t. 8m' ce curíeux momement, dont Ie prpmier malliCc::.tc, de díx ans 811té- 
rieur au Ver rongew' de M6 r Gaume, Cut Ie livre de Eylh; Classiker und Bi- 
bel i>> den niederen Schttlc1t (Bâle, Spiltler, 1838); sur les th
scs soutenues à cet 
égard par l'Evangelische Kirchenzeitung, de Hengstenberg, et ratifiées en 1851 
par la fondation d'ul1 gymllase chrétien à Guetersloh; sur les discussions du 
Kirchentag d'Elberfeld et de la Philologenversammluny d'Erlangen, en 1851, 
au sujet des rapports entre la philologie el la théolog-ie, voir Schmid, Ges- 
chichte der Erziehuny VOll AufallY an bis auf unse
'e Zeit, V, I, p. 325
329, 
(Sluttgart, Colla, 1901). 
2. Rinlelcn, op. cit., p. Gi-i9. Tandis que la Commission du parlement de 
Francforl avait proclamé la Iibf>rlé de l'enseignement, et avait lai!!sé aux com- 
munes Ie soill de décider si, dans leurs écoles publiques, l'enseignemenl devait 
être confessionnel, la Constilution du 31 jam-ier 1850 reconnut ]a liberté d'ensei- 
g-nement, mais sous des conditions d'aptitude morale, scientifique el technique, 
conlrõ
ées par l'Etat, et so us ]a surveillance de I'État. Ene stipula que dans 
l'érection des écoles pubJiques il Callaillenir compte, Ie plus possible, des cir- 
con stances confessionnelles (Riutelen, Ope cit., p. 65). 
3. Sur Charles Otto Raumer (t805-1859), voir Wiese, Lebenserinne,'ul1gen 
tlnd Amtserfahrungen (2 vol, Berlin, Wiegand, 1886), et Wippermallll, 
l11f)e- 
7/
eilte Deutsche lJiof)J'aphie, XXVII, p. 41.8-4,20. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


207 


lans une cil'culaire du I er octobre 1851 1. Sans 
lucune loi nouvelle, une série d'actes administra- 
ifs donnèrent à l' école prussienne, implicitement, 
111 caractère de plus en plus confessionnel : en 
)rincipe, elle fut toujours établissenlent d'Élat; 
nais dans Ie langage courant, on so mit à parler 
l' écoles catholiques, d' écoles pl'otestantes. L' en- 
eignement religieux y prit une importance crois- 
ante; la surveillance des Églises sur toutes les 
)ranchcs de l' enseignement, - surveillance exer- 
.ée d'accord avec l'État, mais d'après les nlaximes 
les Églises - devint plus assidue; entre les clcr- 
;és et Ie personnel scolaire, se nouèrent de plus 
;troites attaches. Les bureaux prirent l'habitude, 
>our déternliner Ie caractère confessionnel d'une 
;cole, de rechercher, dans Ie passé, la trace des 
ondations religieuses grâce auxquelles elle avait 
;té instituée, ou des biens sécularisés aux dépens 
lesquels cUe vivait-, ou des statuts, entin, qu'elle 
lvait reçus au moment de sa fondation. L'école 
I,imultanée, groupant des enfants des deux con- 
'ession
, était considérée comme une anomalie 2. 

'État pl'ussien, chef de l'enseignement primaire, 
nettait sur les institutions d'cnseigncment des 
;tiqueltes d'Église; à la faveur de ces étiquettes, 
'une on rautre Églises pénétraient dans la vie 
[uotidienne de l'école, et la formation religieuse 


1. Rendu, De l'éducation populai1'e duns l'Allemayne du N01'd, p. 66-67. 
Paris, Hachette, 1855). - Une polilique scoJaire analogue élait inaugurée, à la 
lême époque, en Hanovre (ordonnance de 18:;0) el cn Saxe (loi du 3 mai 
!o351J: voir Rendu, Ojl. cit., p. :18 ct ';0. 
2. Gneist, Ope cit., p. 39-GJ. 



208 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


des enfants était dès lors assurée. Les instituteur
 
négligents ou incapables devaient accepter l'aid{ 
et les Ieçons des ministres du culte 1; des confé. 
rences mensuellcs étaienL recomnlandées, OÙ l{ 
directeur de l'école et Ie représentant du clerg( 
traiteraient des intr.rêts scolaires 2. Défense étai1 
faite aux instituteurs de sortir de }' office durant Ie 
prédication : ils devaient, au contraire, être au pre- 
nlier rang des auditeurs, et s'assurer, Ie lende- 
main, si les enfants l'avaient bien écoutée et s'ih 
en avaient tiré profit 3 . Car ils avaient pour mission, 
lisait-on dans une feuille pédagogique, d' (( enraci- 
ner dans les jeunes âmes les croyances fonda- 
mentales, de les développer avec amour, de telle 
sorte que, plus tard, sous l'impulsion de Dieu et 
de la conscience, eUes se révélassent en chaque 
jour de la vie, et fussent pour l'homme un appui 
et un bouclier 4 )). On savait, dans Ie personnel 
scolaire, que, pour les gratifications, pour l'avan- 
cement, l'État tenait compte de (( l'esprit religieux 
et ecclésiastique )) des maîtres (religioesen kÙ'chli- 
chen Sinn):; ; et la formation même qu'illeur don- 
nait dans les écoles normales réorganisées les 
préparait à être, si I' on ose ainsi dire, des fonc- 


1. Rendu,op. cit., p. 87 (circulaire du Conseil 8upérieur de I'Eglise évangéli- 
que, 
1 juillet 1851). 
2. Rendu. Ope cit., p. !)4 (circulaire de la régence de Potsdam, 8 juin 
1853). 
3. RClldu, Ope cU., p. 39, el 2i6-:!17. 
4. Schulblatt für die Provin:: Brandcnbw'g, 1852, p. 565. - Rcndu, op. cit.. 
p.2a. 
3. Rcndu, Ope cit" p. 39. 



I. 'ÉGLISE DE PRUSSE 


209 


lonnaires religieux accomplissant une besogne 
, Éta t. 
En octobre i8
4, plusieurs circulaires, connues 
DUS Ie nom de Regulative, furent publiées par 

 ministre Raumer 1; elles traçaient des pro- 
rammes et fixaient un idéal. L'État prussien con- 
'ssait que l' enseignement primaire devait chan- 
er de méthode et presque de but. 


(( Elle s'est montrée stérile et funeste, écrivait expressé- 
ent Raumer, cette idée que l' éducation géI1érale résuIte- 
it du développement abstrait de la force intellectuelle. La 
e du peuple exige une régénération fondée non plus sur 

s théories, mais sur des réalilés immuables et sur les 
.ses du christianisme, véritable soutien de la famille et de 
:tat. Les élèves doivent sortir de l'école chrétienne, animés 
l'esprit de Dieu et aptes à toute bonne æuvre... L'école 

mentaire avait suivi la direction intell ectuelle de l' époque... 
lis, de même que la vie générale du siècle est arrivée à ce 
int où une révolution décisive (ein entscheidender Umsch- 
tng) est devenue nécessaire, de même l'école, si elle ne veut 
xposer, en se rattachant à une opposition vaincue, à 
meurer impuissante età dépérir, doit entrer dans Ie nou- 
lU et salutaire mouvement qui lui permette tout ensemble 
recevoir et de donner la vie 2. )) 


Si telle devait être l'école, il fallait adapter à ees 
igenees nouvelles Ie séminaire où se prépardient 
) futurs maÌtres. lei encore, Raumer prévoyait 
eommandait Ie changernent; il souhaitait que 

 candidats à ces séminaires fussent d'avance 


Sliehl, Die d1'ei preussischen Regulative, p. 15-24. (Berlin, Hertz, 1854). 
;tolzenburg, Beitmege zur Geschichte der Regulative unò Schul- Verord- 
gen für die Geistlichen und Lehrer des Liegnitzer Regierung3-Bezirkes, 
31-40 (Breslau, Duelfer, 1860). 
Rendu, Ope cit., p. 218-
27. 


III. 


i4 



2fO 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


spécialement instruits sur leur religion parle: 
pasteurs de leur village 1, et if ajoutait : 


(( II faut que Ie séminaire présentf' dans son ensen1bl 
une communauté de vie chrétienne et évangélique... Le 
idées purement spéculatives, individuelles, idées infru( 
tueuses au point de vue d'une instruction sin1ple et sain 
du peuple, resteront étrangères aux sélninaires. En s'ar 
puyant sur la base du principe chrétien, ils deviendront d 
plus en plus ce quïls doivent être : des pépinières de maître 
pieux, dévoués, intelligents, ne s'écartant pas de la vi 
réelle du peuple, ayant Ie désir, la vocation et la capacit 
de se consacrer à l'éducation de la jeunesse, avec abnég
 
tion et en vue de Dieu 2. )) 


Ce dont il s'agissait, c'était, suivant l'expressio' 
d'un pédagogue qui dirigeait à Berlin l'école nOI 
male, de (( former une race nouvelle dans laquelJ 
renaquît la vie religieuse et morale 3 )). II conVf 
nait, pour une telle fin, com me l'expliquait 
to utes les autorités scolaires de sa province ]e pr{ 
sident supérieur de Koenigsberg, que (( l'instruc 
tion religieuse l'estât Ie noyau et Ie centre d 
to ute l'activité primaire; l'enseignement df 
autres matières ne devait venir qu'ensuite, et sar 
visées trop hautes, pas plus dans les séminairf 
que dans les écoles populaires, mais se cantonneJ 
au contraire, dans certaines !imites, très simple
 
marquées par les circonstances 4. )) 
Les circulaires de Baumer ne visaient que Ie 


1. Rendu, op. cit., p. 248. 
2. Rendu, op. cit., p. 292 ct 306. 
3. Rcndu, Ope cit., p. 212. 
4.
Kenner, LebellsUaetter, p. 323-3
5. 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


2ff 


écoles évangéliques : il y avait queIque étroitesse 
dans l'idée dont elles s'inspiraient; l'école qu'elles 
voulaient organiser était celIe dont rêvait Ie con- 
servatisme piétiste. Stieh1 1 , qui les a vait élaborées 
et proposées à la signature de son ministre, s'émut 
hientôt des attaques qu'elles provoquaient; dans 
une leth'e anxieuse, il pria Ie pédagogue catho- 
lique Kellner de rompre une lance dans la presse 
en faveur de ces documents ministériels, de ces 
(( enfants, comme il disait, qUI lui coiltaient tant 
de douleur )). Mais Kellner se déroba : (( A plu- 
3ieurs égards, note-t-il simplement dans ses Sou- 
'Jenirs, Ie désir exprimé par Stiehl contredisait à 
mes sentiments 2. )) II n' étai t pas de l'intérêt du 

atholicisme, de prendre trop impérieusement Ie 
parti de I 'État évangélique contre les maîtres indo- 

iles on frondeurs des écoles protestantes. Un seul 
'ait importait à l'Égiise : c' était que l'État, en 
vertu même des maximes générales que Baumer 
;e plaisait à professer, ouvrît à l'influence du 

uré, à ses conseils, à sa surveillance, les écoies 
I )eupIées de petits catho]iques. Ainsi faisait l'État 
H'ussien, sans réserves, sans ambages, et d' une 
açon toute spontanée. Dans les écoles des deux 
,onfessions, un rôle essentiel élait désormais 


1. Sur Antoine Guillaume Ferdinand Stiehl (18U-1R78), de pasteur devenu 
édagogue, et qui depuis 1844 jusqu'à 1872 joua un rôle important au minilitère 

8 cu1tes pour toutes les questions d'enseignement, ,'oir Allgemeine deutsche, 
'iog1'aphie, XXXVI, p. 180-184. 
!. SaUwuerk, Ope Clt., I, p. 110. - Kellner, Leb ensblaetter, p. 40
 et 501- 
)3. - Sur Ie pédagogue calholique Laurent Kellner (1811-1892) qui pendant plus 

 trente ans dirigea l'enseignement dans Ie paJs de Trêves, \oir son propre 
vre :Lebensblaetter, Erinnerungenau8 der Schulwelt (Fribourg, Herder, 189
), 
Sander, Allgemeine cleutsche Biographie, LI, p. 505-50i. 



212 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


reconnu aux deux clergés; et Ie clergé catholique
 
en fait, hénéficia plus largement et plus vite de 
cette hégémonie scolaire que ne put Ie faire Ie 
clergé protestant. 
Car, parmi les instituteurs protestants, un cer- 
tain nombre encore suivaient secrètement !'impul- 
sion de certains pas Leurs d'avant-garde, comme 
Uhlich, comme Wislicenus 1, à l' école desque]s 
leur orgueil de primaires s'émancipait dp tout 
dogme révélé. 
(( Le monde est affranchi de l'Église, chantaH 
Ie pasteur Uhlich. Dans les trilles des rossignols, 
dans l' armée des étoiles, dans Ie sourire de Yen- 
fant, dans l'image de la beauté que nous révèle 
l'art du peintre, dans les rêves du cæur vel'S un 
aveniI' plus beau, dans tout cela nous sentons 
l' esprit de Dieu. Et chaque homme est Ie prêtre de 
sa religion, la religion de l'amour et de l'huma- 
nité. Adieu les formules du vieux christianisme 2 ! )) 
La demi-science des maîtres d' école aimait cetlc 
ambitieuse emphase, qui les invitait à se hausser 
jusqu'à devenir des façons de prêtres, et jusqu'à 
rendre jaloux, si possible, Ie vicaire et Ie curé. 
Tel d'entre eux, dans la Saxe prussiennp, lisait 
aux enfants, avant de leur enseigner Ie caté- 
chisme, une page de Wislicenus sur la (( décrépi- 
tude de l'Église, désormais réduile à quatre sou- 
tiens, les États, les capi taux, la routine et Ie 


1. Voir, sur ces agitateurs, notre tome II, p. 303 pt 308. 

. Rendu, op. cit., p. 178 eL 204-205. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


213 


sentiment t >). L'État prussien pouvait bien fernIer 
les classes que les petites sectes schismatiques du 
protestantisnle avaienl ouvertes dans les dernières 
années 2 ; mais l'influence des Uhlich ou des \Vis- 
licenus devenait plus périlleuse encore, si elle se 
glissait dans certaines écoies de l' évangélisme 
officie!. Eugène Rendu, qui faisait alors à travers 
l' Allemagne du Nord de longs voyages d'explora- 
tion scolaire, notait avec précision, chez plusieurs 
instituteurs protestants, certains symptômes de 
:-ébellion grondeuse contre les ordres de rÉgiise 

t de I'État. 
l\lais tout au contraire" les écoles catholiques 
ui laissaient une excellente impression. La con- 
,cience catholique étaÏt beaucoup plus éveillée, 
)eaucoup plus intense, chez les maîtres cathoIi- 
_ues, que ne l' était la conscience protestante chez 

s maîtres évangéliques. Le piétisme avait beau- 
oup à faire pour lutter conlre les instituteurs qui 
letlaicnt Ie chl'istianisn1e en façade ct demeu- 
lient d'ailleurs des incroyants; de teis soucis 
taient généralenlent épargnés à l'Église Romaine. 
!{en1pen, grande école normale où se formaient 
s inslituteurs catholiques rhénans, la piété de 
'S .leunes homnles édifiait Rendu 3; elle les 
'édisposaiL à accepter de bonne gl'âce, et même 
solliciter avec con fiance les indications et les 


. Rendu, Ope cit., p. 20-21. 
. Rendu, Ope cU., p. 206, n. 2. 
. Rendu, Ope cit., p. 
7. Voir dan:; Rendu, Ope cit., p. 258-2ï9, les r
glc- 
lts d
s écoles normales catholiqucs de Fulda el lireslau, deslinées aux fulurs 
ilul
urs. 



2i4- 


L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE 


conseils des doyens el des chapelains, auxquels Ie 
vicariat général de Cologne prescrivait expressé- 
ment de bien surveiller les écoles 1. 
Le développement des études catholiques de 
pédagogie, la multiplication des journaux pédago- 
giqJles catho1iques, affermissaient d'aiUeurs l'in- 
fluence de l'Église sur l'instruction :!. II ne suffìsait 
pas aux prêtres d'outre-Rhin - Ketteler, dans son 
diocèse de l\Iayence, insisla beaucoup à cet égard- 
de vouloir, parce que prêtres, régir l'école; ils se 
préparaient, ils s' outillaient, pour acquérir eux- 
mêmes, en matière scolaire, nne véritable compé- 
tence technique; ils lisaient les livres et les articles 
de Kellner; lorsqu'ils se présentaient dans l' école, 
l'instiluteur saluait en eux, tout à la fois, non seu- 
lement des hommes d'Église, non seulement des col- 
laborateurs de l'Élal, mais des pédagogues; et leurE 
propres connaissances rehaussaient leur office. 
A côlé de ces écoles primaires catholiques doni 
l'État et l'Église se partageaient amicalement la gé- 
rance, à peine élait-il besoin, pour Ie catholicisme 
prussien, de créer des écoles privées 3 : eUes furen1 


1. Pfuelf, Geissel, II, p. G4. C'esl vraisemblaLlemenl dans une heure de pessi 
misme que Geissel écrivail à Viale Prela en 1855 : << La plaie, chez nous, la ques 
lion des écoles pubJiques; et lIeu ou point d'espoir. )) (Pfuelf, Geissel, II 
p. 260.) 
2. Voir KctIncr, Lose Blaetter, p. 
OS, éd. Goergen (Fribourg, Hcrdcr, 1S!);)) 
et remarquer, spécialement, Ie curieux passage OÙ il explique quïl ne faut pa 
trop vanter, a prim'i, lout effort pédagogique par cela seul que ccl effort cs 
catholiq ue. 
3. Sur Ie caractère et les limitcs du droit qu'a,'aient. à eel égard les cat.110 
litlues et les conditions auxquelles étai
 soumis I'c1..ercice de ce droit, on ll'OU 
vera un très bon exposé juridif{ue dans Hiutelen, op cit., p. 18G-192. - E 
1866, il n'y aura encore, en Prusse, (Iue 1 500 écoies pl'ivées (Kenner, Tfcolo 

ische3 LitemtU1'blatt, 1866, p. 215). 



L'ÉGLISE BE PRUSSE 


2f5 


oujours en petit nombre et demeuraient d'ailleurs 
ioumises à une certaine surveillance de l'État. 
Des discussions longues et confuses s" étaient 
'ngagées au congrès catholique de Breslau de 
nai 1.849 1. Comme les évêques réunis à 'iVurz- 
)ourg, les congressistes de Breslau gardaient 
:ncore l'impression très vive des menaces que les 
adicaux de Francforl avaienl fait planer sur Ie 
aractère chrétien de l' école ; la prépondérance des 
,artis avancés demeurait assez solide pour que 
'institution d' écoles non confessionnelles apparût 
omme un périL prochain; et si cette crainte 
'était vérifiée, Ie monopole de l'enseignement 
ntre les mains de rÉtat eût marqué un désastre 
our l'Église. Le principp de la liberté de rensei- 
nement aurait alors surgi comme une sorte de 


1. Ce que proposait au congrès de Breslau Ie rapporteur Pel1dram. futur 
èque de Trêves (1812-18û7), c'élait de reconnaître, tout d'aLord, Ie principe de 
liberté de renseignemenl, de proclamer, ensuite, Ie droit du pèrc à faire 
wer ges enCants comme it l'entend, et d'en conclure au devoir de l'Élat de 
5pecler Ie droit des peres catholiques. 
Ce genre de déduction Cut vivement criLiqué : Callait-il que l'Église reconnût 
tous les pères Ie droit de faire élever leurs enfants loin de I'Église et hors 
I'Église'? Les principes << libéraux . sont une arme à deux tranchants; on vit 
rgir,à Breslau, les discussions qui toujours s'en
agent lorsque des catholiques 
èguenl en leur faveur ces principes. Baltzer préférait qu'on proclamât Ie devoir 
Ill' les pères de Caire donner à leurs enfants une {Oducatioll calholique, et que, 
ce devoir, on déduisìt les droits qu'ils avaient, comme ciloyens, vis-à-vis 
l'État. Le væu qui Cut voté, à l'instigation de Baltzer et d'Himioben, se référa, 
;cisément, à la décision de l'assemblée épiscopale de W urzbourg recomman- 
nt aux parents catholiques l'éducation catholique de leurs enfanls : l'assem- 
'e décida qu'il fallait mainlenir les écoles calholiques exislantes, en fonder 
nouvelles, empêchcr que l'État ne délournât de leur Lut les fonds deslinés 
es écoles catholiqucs, el veiller à ce que les impôts acquittés par les ciloyens 
holiques fussent équitablemenL employés à la dotation d'écoles de toute 
lnce, catholiques ou aulres, suivant les besoins et les circonslallces. Quant 
droit de surveillance de rÉLat sur l'enseignemenl confessionnel, la queslion 
neura sans solulion: 11oufang, à juste Litre, la trouvaÏL prémalurée (Verhand- 
tfJcn, p. n et suiv.). Cf. ci-dessous, p. 319, n. 2, des discussions analogues, 
se produisirent au cong-rès de Trèves de t8t:ì;:;. 



216 


L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE 


barricade derrière laquelle I'Église, retenant autour 
d'elle les enfants de ses fidèles, leur aurait assuré, 
dans des écoles à elIe, cette éducation religieuse, 
marchandée ou refusée par les partis politiques; 
et Ie congrès de Breslau avait mis au concours la 
rédaction d'une brochure populaire sur eette 
liberté. Si les troubles politiques se fussent pro- 
longés, si les théories de certains parlementaire
 
sur l'enseignement neutrc eussent reçu une consé- 
cration légale, I'Église était résolue, partout OÙ 
cUe Ie pourrait, à opposer ses écoles à celles dE 
l'État. 
1\Iais la déférence de l'administl'ation prussienn{ 
envers les besoins et les exigences des confession
 
chrétiennes dissuada bientôt les catholiques dE 
Prusse d' engageI' une lutte contre la conception 
même d'un
 enseignement d'État; eL pendant unc 
assez longue période, leur politique en matièrE 
d' enseignement primaire eonsista, bien plutôt, à 
favoriser une sorte d'entr'aide entre l'État el 
l'Église pour la eOllln1une besogne d'enseignement. 
Un passage significatif de Kellner témoigne que] 
fut à eet égard leur idéal et queUe fut au demeu- 
rant, durant une quinzaine d'années, la réalité. 


(( L'école popuJaire, écrivait-il, est Ie sonllnet ù'un angle 
dont Ies deux côtés sont l'État et l'Église ; tous deux s'unis. 
sent en ce sommet, ils en sortent, et ne peuvent ni l'un ni 
l'autre se pa!:\ser de lui. Si l'État attire l'école complètement 
à lui, l'angle disparaît, pour faire place à deux lignes pardl- 
lèles ou divergentes, à deux facteurs dont chacun doit avoir 
ses écoles particulières. L'Église est ensuite an1enée à récla- 
Iner pleine liberté d'enseignement, et à faire élever ses 



L 'ÉGLISE DE PRUSSE 


217 


fidèles par des écoles qu'elle fonde et dirige elle-même. 
Qu'une telle séparation vaille mieux que J'avantage d'une 
association entre les deux facteurs, reposant sur leur estilne 
et leur confiance mutuelle, il serait hardi de Ie soutenir. 
Ecoles confessionnelJes. étroite liaison de ces écoles avec 
l'Église sous la tutelle de l'État : telle doit être notre parole 1. >) 


Les faits ratifiaient ce nIot d' ordre : l' école 
publique catholique fut une force pour Ie catholi- 
cisme prussien 2. Sous la co-direction de I'État et de 
I'Église, elle éduqua, tout à la fois, des citoyens et 
des catholiques; elle forma des âmes religieuses 
capables, en même tern ps, de s' associer aux préoccu- 
pations nationa1es et de se mêler à la vie nationale ; 
eUe développa tout à la fois, dans les consciences, 
Ie sentiment de leur dignilé person neUe et Ie res- 
pect pour la dignité de ]'autorité civile; eUe les 
n1Ït en garde contre cel esprit de fronde 'et d'anar- 
chie qui d'avance éncrve et discrédite les résis- 
tances légitimes pour les heures où ces résistances 
s'imposent; et lorsque les catholiques de Prusse, 
dressés ainsi dès l'enfance, devront, so us Ie Cultur- 
kaJnpf, tenir ferme contre la tyrannie de l
État, ils 
apporteront, dans cette ténacité même, un sens 
civique sincère, aiguisé, qui finira par désarmer 
les malveillances politiques, et qui sera l'une des 
conditions et rune des raisons de la victoire. 


1. Kellner, Lose Blaetter, p. i3-14 eL 162. - Cf. dans Theologisches Lite- 
raturblatt, 1866, p. 
12-216,la réponse de Kenner à l'ouvrage du prêlre bava- 
rois Lukas contre 1'0bligation scolaire. - Le pédagogue Bogedain (1810-1860), 
évêque am,iliaire de Breslau, était beaucoup rnoins favorable à l'hégémonie sco- 
laire de l'État (Meer-Jungnilz, Charakterbilder aus dem Clerus Schlesiens, II, 
p. 201-20
. Breslau, Aderholz, 1898). 

. cr. Spahn, Ðer Kampf urn die Schule, p. 21 el sq. (Kempten, Koesel, 1907. 


11RD D 



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p' 'e; nil r: -al= 



2t8 


L' ALLE1UAGNE RELIGIEU
E 


IV 


Que la Constitution, qui garantissait à l'Église la 
liberté, nlénageât aux catholiques, en fait, l'accès 
des liberlés nécessaires, et que les règlements sco- 
laires qui, pour longtemps, tinrent lieu d'nne loi, 
assurassentaux petits baptisés Ie bénéficed'une forte 
éducation catholique : c'était beauconp, déjà, pour 
I'Église. l\lais les suspicions nlêmes que ces pro- 
grès inspiraient au protestantisme pouvaient faire 
craindre qu'ils ne fussent entravés par une force 
terrible, susceptible à son gré d'être très intrigante 
ou très inerte, très souple on très lourde, et d'adop- 
tel' suivant les heures la tactique active du combat, 
ou la tactique passive d'une résistance assoupie ; 
cette force s'appelait ]'adrninistration prussienne. 
Nourris dans les traditions de la vieille Prusse, 
recrutés et stylés par Ie gouvernemenl de Frédéric- 
Guillaume III, les bureaucrates s'imaginaien t qu' en 
surveillant et en matant l'Église. ils travaillaient 
pour Ie service de I'État. Supposez la Déclaration 
des droits de l' homme appliquée par des intendants 
de l'ancien régirne : ils eussent accumulé les COl1- 
tresens et multiplié les entorses. La déclaration 
des droits de I'É g lise, tclle qu'elle résultait des 
Constitutions de 1848 et Je 1850, était indé- 
chiffrable, inintelligible, pour une génération de 
bureaucrates qu'avait dressés Ie régime antérieur. 
lIs avaienl des formules toutes faites pour com.. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


2i9 


mander l' obéissance des religions à 1 'État, des 
armes toutes prêtes pour l'imposer; 1848 avait 
disloqué ces formules, émoussé ces armes; et leur 
esprit de routine demeurait tou t déconcerté : il 
leur semblait qll'en leur personne, l'État fùt 
désormais humilié. 
lais que certaines voix s'éle- 
vassent, dénonçant l' Église ronlaine comme une 
antagoniste de la civilisation, cet esprit de routine, 
alors, se donnerait à 1ui-même l'illusion d'ètre un 
esprit de progrès, et la bureaucratie se flatterait de 
travailler pour l'avenir en appliquant de nouveau, 
pour la gestion de l'établissenlent religieux, cer- 
taines recettes antiques et démodées. 
C'élait un cas très isolé que celui d'un Duesberg, 
président supérieur à l\Iuenster, qui, grâce à son 
catholicisme notoire, achevait la difficile assimila- 
tion des provinces \vestphaliennes au royaume de 
Prusse 1 . Un Bodelsch\vingh, administrateur dans 
la Saxe prussicnne, préparant la disgrâce du fonc- 
tionnaire Guil]aume Yolk, parce qu'en i855 Yolk 
se faisait catholique 2, ou bien un Kleist-Retzow, 


1. El'innel'u11gen aU8 alter und neum' Zeit, vom einern ollen .!JJuenstera_ 
flel', p. 210-
11 (Muensler, West{aelischel' blerkur, f 880). Sur FraU(;ois de 
Duesberg (1793-1872), ami du cal'dinal Diepenbrock, et flUi ful, de 1850 à 1871, 
président supérieur à Muensler, voir Hueffer, Allgemeine Deutsche Biographie, 
V, p. 450-451. - Cf. sur Ie grand dévcloppement du calholicisme weslpbalien 
à celle époque, une lellre du peintre Sleinle à J\lme Brenlanú, du.20 seplembre 1859 
(Steinle, Brie{wechsel, II, p. 89-90). 
2. PCue1f, J.}lallinckrodt, p. 57 et suiv. - Sur Guillaume Volk (1804-1869), 
voir Rosenthal, Konvertitenbilder, I. 3, p. 159-202, spécialemeut p. 197, n. t, 
etle livre de souvenirs publié par Volk lui-même sous Ie pseudonyme de L. Cla- 
rus : Simeon, \Vanderungen unci Beimkeh1' eines chrislichen Forschers, 3 vol. 
(Scha.ffouse, Hurter, 1862-1863). Volk pourlant dirigeait une feuille populaire 
lout à fait prussienne: De7' aUe Frit::; mais l'Obe1'praesident Bodelschwingh 
estimait qu' (( un calholique ne peul pas ètre un bon prussien >>, el on lui faisait 
un grief de S'(>tl'C cODl'erti à Aigen, en lerritoire autrichien. 



220 


L 'ALLEl\IAGNE REI.IGIEUSE 


président supérieur dans la province rhéllane, 
représentaient beaucoup plus exactement les ten- 
dances coutumières auxquelles s'abandonnait, dans 
son ensemble, la haute administration prussiennc. 
De ce fait, la situation de l'Église n'était pas 
sans péril; mais co péril même rendait précieuse 
pour elle l'existence au ministère des Cultes d'un 
bureau spécial qui s'appelait la division catholique 
(Katltolische Abteilung), et dans lequelies évêques 
trouvaient portes ouvertes et bon aecueil. 
En créant, au début de son règne, cette curieuse 
institution \ Frédéric-GuillaumeIV, (( évêque sou- 
verain )) de I'établissement évangélique, avait paru 
admettre, implicitement, que, pour traiter avec 
I'Église romaine, il était bon de lui appartenir; 
que, pour savoir l'écouter et la comprendre, il 
était utile d'être de longue date familier avec son 
langage; et qu'en remettant à des bureaucrates 
catholiques Ie soin de Ie représenter vis-à-vis de 
l'Église, I'État préviendrait les malentendus. Au- 
like, député catholique à la Chambre bel'linoise 
de 1848, dirigea Ia (( division catholique, )) de 1846 
à :1865, avec autant de dévouement à l'Église que 
de loyauté à l' endroit de rÉtat 2. II ne tint pas à lui 
qu'en 1859 on ne Iui adjoignît comme conseiller 
Ie grand orateur catholique l\lallinckrodt; mais 
l'éclat nlênle de ce nom inquiéta Ie nlinistère, qui 
pl'éféra un autre fonctionnaire, moins belliqueux, 


f. Voir notre tome II, p. 
59. 
.2. Sur l'hostilité d'Aulike aux idéei joséphisles, \oir J.-F. Schulte, Lebense- 
rumerUIl!len, p. 66. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


221 


[nais non moins pieux. Joseph Linhoff 1. Lorsque 
mourut Aulike en 1865, un magistrat de Brom- 

erg, excellent catholique aussi, et que d'aucuns 
lccusaient même de sympathie pour Ie polonisme, 
Kraetzig, lui fut donné comme successeur 2. 
On pent, à travers Ie XIX e siècle, épier dans les 
livers pays les innombl'ables attitudes, nuancées, 

omplexes, changeantes, qu'observèl'ent respecti- 
rement l'Église et l' État : chez aucun peuple, à 
lueun moment du siècle, on ne rencontre une 
nstitution semblable à celte (( division cathoJique )). 
I Y eut des pays et des heures où l'Égiise trouvait 

n face d'elle, comme chargés d'affaires de l"État, 
les agents provocateurs, guettant avec une adroite 
nalice Ie lent échauffement des passions reli- 

ieuses, pour justifier ensuile les représailles de 
a puissance laïque. Préposés aux rapports entre 
es deux pouvoirs, ils semblaient mettre tous leurs 
.oins à concerter les divers actes d'une brouille, 
usqu'à cc que, victimes de leur propre succès, ils 
rissent s'effondrer leur fauteuil directorial parnli 
es ruines mêmes qu'ils avaient semées. L'Église, 
)Ius communément, rencontrait un autre genre 
l'interlocuteurs. Catholiques fort corrects, fidèles 
L la nlesse du dimanche, et s'y rendant même par- 


1. SurJoseph Linhoff (1819-1891), voir Pfuelf, Josef Linho{f, der letzte Vete- 
an der Katlwlischen Aúteilullg (Fribourg, Herder, 19U1). Aulike (1807-1865) 
ttend un biographe. Sur Kraetzig, voir H. P. B. 1886, 1, p. 549, n. 2. 
!. Pfuelf, Jlallinckrodt, p. 160-163 et 169. - cr., sur l'Abteilung, l'art. de 

raus dans la Beilage de l'Allgemeine Zeitung, fer aoÎlt 1895, et aussi, dans 
L mðme Beilage, 12 août 1895 et 9 juin 1900, deux articles sur Stieve, fonc- 
lonnaire de l'Abteilung. 



222 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


fois avec de gros livres que peut-être ils avaient 
hérités de quelques ancêtres jansénistes, ils incar- 
naient surtout l'esprit légiste, et croyaient n'être 
loyaux envers l'Élat que s'ils arboraient avec 
quelque pédanterie les traditions et les précédents 
des vieux Parlements. Subtilement pointilleux, 
doctement chicaniers, ils voulaient que l'État 
gardâl son (( quant à soi )) vis-à-vis de Dieu; et 
leur observance personnelle des préccptes religieux 
ne les empêchait point, en tant que fonctionnaires, 
de traiter avec l'Église comme avec une partie 
ad verse. Les Aulike, les Linhoff, les I{raetzig, ne 
répondent ni à l'un ni à l'autre de ces deux portraits. 
Le roi protestant qui les appointait était sincère- 
ment désireux qu'aucune des deux confessions n'eût 
à se plaindre. Si la Catholique se disait mécontente, 
c'était pour lui une contrariété; si la Protestante 
murmurait, il éprouvait alors un peu plus que de 
l'ennui, presque du remords. II appartenait à la 
(( division catholique )) de garantir la paix reli- 
gieuse et la sérénité d'humeur de l'État : c'était là 
sa besogne. II ne s'agissait point, pour eUe, de 
surveiller ou de contenir les progrès de I'Église et 
d'être prompte à les qualifier d'empiètements; eUe 
avail un rôle plus élégant, plus utile aussi. Bis- 
marck, plus tard, accusa les membres de ceUe 
(( division )) de s' être transformés de sujets catho- 
liques du Roi en légats du Pape j. La boutade était 


1.. Bismarck, DiscouTs, V, p. 33 (discours du 10 mars 1873) et VI, p. 90 
(discours du 16 avril 1875). (Berlin, Wilhelmi, 1885-1889). l\Iirbt, Die preu.'l- 
sische Gesandschaft am Bofe des Papstes, p. 36-37 (Leipzig, Braun, 1899), 



, , 
L EGLISE DE PRUS8E 


223 


trop malveillante pour être véridique; mais, sïl 
voulait dire que Ie jell même des circonstances 
avait amené ces bureaucrates à s'improviser diplo- 
mates, il n'avait pas tort. 
C'est auprès des membres de la (( division ca- 
tholique )) que les évêques de Prusse tàtaient 
Ie terrain pour savoir ce qu'ils pouvaient de- 
mander à l'État, et sous queUe forme i]s devaient 
Ie demander, et ce qu'il serait Oppol'tun de dire, 
opportun de taire. Des catholiques, des rhénans 
surtout, avaient peine, parfois, à deviner l' état 
d'esprit du vieux protestantisme prussien, tout 
comme il était malaisé pour un pouvoir évangé- 
lique de comprendre ou d'interpréter les paroles 
ou les réticenc
es catholiques : la phraséologie, de 
part et d'autre, risquait d' être différenle. La (( divi- 
sion catholique )) ressemblait à un bureau de tra- 
duc-tion, qui expliquait à l'État ce que voulait 
l'Église, à l'Église ce que pouvait l'État : .bureau 
correct et sûr, OÙ siégeaient des gens fort habiles, 
et clont tout Ie travail reposait sur cette unique 
maxime que pour préparer la paix il faut désirer 
la paix 1 . Lorsque Bismarck, quelques années après, 
voudra déchaîner Ie Cultll1'kampf, it commencera 


allègue que la II division catholique >> annihilait la l
gation de Prusse à Rome. 
Kraetzig et Linhoff, en 1869, ne prirent aucune part aux anxiétés des anti-infailli- 
bilistes et attendirent en paix la décision du concile (Pfuelf, Mallinc/.Todt, p. 305). 
1. Par exemple, Aulike, en 1850, redoute la répercussion que pourraient avoir 
certaines manifeslations de l'épiscopat rhénan (SchuHe, Lebenserinnerungen, 
p. 63-ô5) j en 1858, il éclaire Geissel 
ur les dispositions de Guillaume à l'endroit 
du congrès catholique de Cologne {Pfuelf, Geissel, II, p. 52
): en 1863, illni 
signale que Ie projet de réforme fédérale est muet sur la parité (II, p. 5(5); en 
1864, il lui signale une brochure sur lcs orures qui accuse la (( division calho- 
1ique )) de sacrifier les droils de rElal (11, p. ()21.j-(;
7). 



224 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


par supprimer la (( division catholique )) en cha1'- 
geant Ie pauv1'e Kraetzig de toutes so1'tes de mé- 
faits; il accusera eet organe d'avoir toujours dupé 
l'État 1. Frédéric-Guillaume IV, au conlraire, avait 
lrouvé, jusqu'à son dernier jour, que la (( division 
catholique )) Ie servait très bien. 
C'est qu'il avait un sincère parti pris d'éviter 
les difficultés et les crises, et tandis que dans chaque 
province les (( gens du roi )) causaient de l'inquié- 
tude aux catholiques, Ie Roi lui-même leur don- 
nait confiance. De longue date, il avait eu de 
l'affection pour Diepenbrock 2 ; il aima Geissel à 
mesure qu'il apprit à Ie connaître. L'absence de 
nonciature amenai t I 'opinion prussiellne à consi-.I 
dérer ces deux prélats comme étant à quelque 
degré les porte-paroles de Rome : leur pourpre 
leur tenait lieu de lettres de créance, et publique- 
menl, officiellement, Frédéric-Guillaume IV leur 
témoignait une chaude cordialilé 3. (( Notre Roi est 
un cæur généreux, écrivait Geissel en f836. II veut 
du bien aux évêques et même à ses sujets catho- 
liques; il n'y a pas, dans son humeur, cet acide 
d'odeur calviniste, qui fiord, qui brûle, et qui, au 
contact des choses ou des personnes catholiques, 


t. Poschinger, Bismarck und die Pa1'Zamentarier, II, p. 184 (Brpslau, 
Trevendt, 1895). - Kraetzig, en 1811, sera membre du Centre. 

. Voir, dans Reinkens, Diepenbrock, p. 402-405, la leltre amicale et pieuse 
de Frédéric-Guillaume IV à Diepenbrock à l'occasion de son jubilé sacerdotal. 
Réciproquement, dans son mandement de 18:52, Diepenbrock faisaiL du roi un 
très grand éloge (Diepenbrock, Saemmtliche Hirtenbriefe, p. 128-129). - Un 
journal anglais, Ie Leader, publiait à celte époque un pamphlet: . Le roi de 
Prusse est-II un protestant.'?>> (Poschinger, Denkwuerdigkeiten des Minister- 
presidents Manteuffel, II, p, 77.) 
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 18. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


225 


entre tout de suite en bouillonnement i . }} Lorsque, 
cette même année, au congrès catholique de Linz, 
parmi Ies hommages à François-Joseph qui venait 
de signer Ie Concordat, un curé de Cologne élevait 
la voix pour célébrer Frédéric-Guillaun1e IV comme 
le prince qui Ie premier avait affranchi l'Église, 

e curé traduisait exactement les sentimpnts 

écents des catho1iques rhénans 2. V oyageant dans 
.es provinces rhénanes en 1855, Ie roi et la reine 
Ie Prusse rendaient à Ia jeune congrégation des 
;æurs du Pauvre Enfant Jésus une visite très 
'emarquée
3; et ce n' était point simplement par 
léférence que l\lartin, évêque de Paderborn, à son 
)anquet de consécration, buvait à la santé du roi. 
Ce généreux prince, proclamait-il, a rompu les 
haînes par lesquelles était entravé Ie contact de 
es sujets catholiques avec Rome, centre de l'unité. 
1 suivit, en ceIa, l'impuision de son grand eæur : 
l suivit, aussi, cette intelligente conviction : que 
'Église doit être libre it.}} , 
II est malaisé pour une Eglise d'être h un1ble 
ans sa victoire : elle l'identifie, tout naturellement, 
vec la victoire de Dieu. Cette pensée la souIève, 


1. Stamm. Aus de1' Briefmappe des Bischofs }'fartin, p. 14-9 (Paderborn, 
nfermann. t90
). cr. Pfuelf, Geissel, II, p. t35. - II L'imaginalion et 1(' 

ur du roi sont déjà catholiques )), disait de lui, aprês l'avoir entrelenu, 1(' 
Inee Viale Prela (Fantoni, Della vita del cardinale Viale Prela, p. 67). 

ous avons perdu un roi jusle, bon, doux >>, éerira Geissel à la mort du roi 
fuelf, Geissel, II, p.538). 

. May, Ope cit., p. 105. - cr. Jocham, Memoiren eines ObskurantcI/, 
680 : liOn vit comment .les Rhénans catholiques étaient, en peu de temp!!, 
venus les plus zélés Rhempreussen >>. 
3. Pfuelf, Clara Fey, p. 267-276. 
4. Stamm, Conrad Martin, p. 73. 


III. 


15 



226 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


l'exaltc; eUe interprète comme une revanche de 
la Providence ]es vicissitudes de la deslinée; eUe 
y voit, au jour Ie jour, J'accomplissement des 
psaumes vengeurs, murnlurés au bréviaire, enton- 
nés à l'office, de ces psaumes qui suspendent sur 
les ennenlis de la race élue la puissante menace du 
bras di vin. 
Au lendemain même des tournlentes persécu- 
trices acceptées comme un âpre privilège et presque 
comme une grâce d' élection, comment les Église
 
ne seraient-e Ues pas tentées de scander par des 
Alleluias provocateurs la retraite ou les capitula- 
tions de rennemi? 
Le règne de Frédéric-Guillaume IV succédant à 
celui de Frédéric-Guillaume III, c' était, POUI 
I'Église de Prusse, l'amende honorable succédan1 
à l'outrage. L'histoire Ie constate, l'histoire a Ie 
droit de Ie dire 1 ;. nlais ce droit, rÉglise elle-mêmf 
ne l'avait pas. Lorsque, en 1852, Ie roi de PrUSSf 
désira que Ie chanoine Muenchen, discrédité jadi
 
par ses complaisances à l'endroit du gouvernemenl 
de Frédéric-Guillaume III, devìnt prévôt du cha- 
pitre de Cologne, Ie chanoine, à la demande du 
Saint-Siège, signa une rétractation de ses ancien
 
errements. Immédiatement, à Berlin, on répudi<3 
Ie projet de nomination de Muenchen, parce que sa 
rétractation apparaissait comme une condamnatioIJ 


1. Des hisloriens comme Sybel el Dove s'en plaignent avec amerlume (Sybcl 
Die Begl'uendung des deutschen Reichs, II, p. 108-109. (Munich, Oldenbourg 
1889.) - Dove, Ausgewaehlte Schriften vornehmlich historischen lnhalts 
p. 189. - Compal'er, au conll'ail'e, l'éloge de celte politi que, dans Alfred v 
Heumoul, Zeitgerw88en, II, p. 17 (Berlin, Decker, 186:!). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


227 


publique des maximes de l'ancien règne t. Frédéric- 
Guillaume IV voulait bien faire une résipiscence, 
mais non point la souligner. Les changements les 
plus profonds, en matièl'e de politique religieuse, 
sont ceux auxquels l'unanime discrétion des partis 
permet d'être inlperceptibles; on les sent plutât 
qu'on ne les prouve, on les devine plulôt qu'on ne 
les constate. Les succès les plus durables sont 
consolidés par le silence et compromjs, au con- 
traire, par les éclats de l'allégresse; à peine ceux 
qui Ips recueillent ont-ils Ie droit de s' en honorer 
de leur vivant; c' est presque les remeltre en ques- 
tion que d'en parler. (( Ne voyez pas trop en rose )), 
écrivait en 1854 l'historien Boehmer à son jeune 
ami Janssen, dont la joie s'abandonnait à trop 
d' exubél
ance 2. 
Pour profiter de la constitution, pour-asseoir dans 
l'école primaire l'hégémonie confessionnelle, pour 
tenir en échec les susceptibilités de l'administra- 

ion, pour faciliter aux membres de la (( division 

atholique )) leur politique de cordialités efficaces, 
I ?our aider enfin les sympathies royales à s'épanouir 
.out à leur aise, I'Église de Prusse ne devait voir ni 
( trop en rose >>, ni trop en noir; eUe devait jouir 
ians em phase de ses libertés nouvelles, s' en réjouir 
ians arrogance, les défendre sans provocation, les 
Lccroître sans étalage, et c' est merveille de voir COffi- 
oent elle fut guidée, dans cet apprentissage délicat 
t subtil, par un fils de paysan, qui avait conquis 


1, Pfuelf, Geissel, II, p. 156 et suiv. 

. Jansien, Boehmers Leben und Brìefe, III, p. no. 



228 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


de sérieuses amitiés à la cour de Munich et à Ia 
cour de Berlin, par un Bavarois d' origine, que Ie 
roi de Prusse Sp plaisait à considérer comme une 
façon de prinlat religieux, par un Allemand du 
Sud, dont Ia houlette savait planer, majestueuse 
et discrète, sur les vastes étendues de l' Allemagne 
du Nord. 


v 


II s'appelait Jean Geissel, occupait de puis 1842 
Ie siège de Cologne, et l'assemblée épiscopale de 
Wurzbourg en i 848 avait concentré sur lui les 
regards de l'Allemagne 1. Lorsque en 1.850 il avail 
été fait cardinal, I 'étiquette de la cour herlinoise 
avait condescendu à Iui décerner Ie titre d'Émi- 
nence 2 , et le protestantisme avait appris à honorer 
Ie Sacré Collège dans la personne de Geissel, pre- 
mier cardinal prussien. Entre souverains on s'en- 
viait Geissel, on se Ie disputait. La Bavière, qui 
l'avait fait tout d'abord évêque de Spire, muHiplia 
les efforts, en 1855, pour Ie reprendre au roi de 
Prusse et à l'Église de Cologne et pour l'installer 
àl'archevêché de Munich 3 . Maximilien de Bavièret., 
Frédéric-Guillaume IV de Prusse, et plus tard la 


1. Sur Jean Geissel (17 96-18M.), cf. notre tome II, p. 214-
 t 6, 260-
6!, cl 
376-396. 

. Pfuelf, Geissel, II, p. 37. - Sur Ia nouveaulé <<if" cette nomination cardina- 
lice et sur sa portée, voir Pfnelf. Geissel, 11, p. 5. 
3. Pfuelf, Geissel, II. p. 369-377. - Voir notre tome IV, p. 150-154. 
4. Pfnelf, Geissel, II, p. 367-369. 



, . 
L EGLISE. DE PRUSSE 


229 


reine Augusta de Prusse I, lui témoignèrent atta- 
chemenl et confiance. (( l\Ion cher cardinal de 
Cologne )), disait Ie roi de Prusse en parlant de 
lui 2, et Frédéric-Guillaume IV, com me romantique 
et comme ami, se plaisait à visiter la cathédrale 
où ce (( cher cardinal )) officiait 3 . Rien qui rappelât, 
ici, les sentinlents dont un souverain condescen- 
dant honore un préfet correct et dévoué. Geissel, 
que chacun des rois de l' Allemagne eût rêvé de 
donneI' comme évêque à. son peuple, n'avait rien 
d'un préfet en soutane. En lui s'incarnait la puis- 
sance nouvelle de l'Église, puissance distincle de 
celIe de l'État, reconnue comme personne indé- 
pendante dans ses tractations avec I'État. (( Les 
deux pouvoirs se complètent, proclanlait Geissel 
au moment de sa non1Înation cardinalice; ils 
s'achèvent pour nous dans leurs cinles, Ie roi et 
Ie pape. Nous avons Ie bonheul' de possédcr, dans 
noire noble roi Frédéric-Guillaume IV, et dans 
notre pape digne d'amour, deux princes qui recon- 
naissent clairement et accomplissent fidèlement 
leur haute Inission I.. )) Les rapports entre les deux 
oouvoirs, tels qu'ils résullaient des événements 
Ie 1848, étaient en queIque sorle des rapports 
:Ii plomatiques. 
I..'État naguère donnait des ordres, auxqueis 
'Égiise souvent était contrainte de désobéir; mai" 


1. Pfue1f, Geisscl, n, p. 609 el suiv. 

. Pfuelf, Geissel, II, p. 135. 
a. Pfuelf, Geis8el, II, p. IH. 
4. Pfuclf, Gei8.
el II, p. 21 



230 


L' ALLEl\1AGNE RELIGIEUSE 


désormais l'État avait cessé d' ètre tyran, I'Église 
d'être indocile. L'État et I'Église négociaient, au 
jour Ie jour, pour leurs menues difficu1tés. Lorsque 
Ie roi de Prusse recevait Geissel, représentant de 
plusieurs millions de consciences, il ne voyait pas 
en Iui un sujet, mais un ambassadeur; et dans ce 
seul fait il y avait une victoire pour I'Église de 
Prusse. Geissel fut, dans tonte la force du terme, 
l'homme d'Église'l l'homme de l'Église, en face des 
hommes de fÉtat; it n'avait pas, à leur endroit, 
l'attitude soupçonneuse d'un adversaire éventuel; 
il apparaissait devant eux comme un interlocuteur 
de bonne compagnie, scrupuleusement désireu
 
d'aménager au jour Ie jour les meilleures condi- 
tions de paix. Lorsqu'en 1852 Rome eut souci de 
rétablir en Allemagne, dans tonte sa rigueur, la 
législation sur les mariages mixtes, et J' édicter 
que ces mariages seraient célébrés sans béné- 
diction, et non pIns dans l' église, mai
 à la sacris- 
tie, Geissel, qui connaissait les susceptibilités pro- 
testantes, obtint du Saint-Siège, après deux ans de 
pourparlers, que chaque évêque pût à son choix, 
suivant les circonstances, introduire dans son 
diocèse ces sévérités nouvelles ou main lenir, au 
contraire, les tolérances de la pratique coutumière; 
la négociation resta secrète, mais dans cette Alle- 
magne qu'agitaient si aisément les questions rela- 
tives aux mariages mixtes, il étaÏt utile pour la 
paix que la solution de Geissel eût triomphé 1. Le 


1. Pfuelf, Gei'
el, II, p. 114-U!. 



L'ÉGLISE DE PRUð
E 


231 


roi de Prusse et Geissel, c'étaient deux autorités 
qui s 'accordaient. 
Les vieux mots des canonistes d'État : jus circa 
sacra, jus in saCl'a, tombaient lentement en désué- 
tude. Deux personnes augustes que l' ordonnance 
sociale contraint de voisineI' entre elles, l'État pt 
l'Église
 traitaient de concert, à l'amiable, les ques- 
tions courantes de mitoyenneté. 
La causerie ne donnait pas l'impression d'un 
iuel; les satisfactions accordées à l'Église n'étaient 
pas accueillies par des fanfares de triomphe. Geis- 
sel, qui aimait mieux continuer à vaincre que se 
tlatter d'avoir vaincu, était soucieux, avant tout, 
ie ne jamais pousser la vicloire au delà de ce 
qu'exigeaient les intérêts effectifs de son Dieu. Un 
jour de 1852, au moment n1êmc OÙ les cardinaux 
françai s venaient de prendre place dans Ie sénat 
organisé par Louis-Napoléon, les évêques de Prussc 
furent l'objet d'une séduisante proposition : ils 
étaient invités à faire partie de la Chambre des Sei- 
gneurs, àBerlin. Quinze ans après l' emprisonnement 
de l'archevêque Droste- Vischering, son succes- 
seur Geissel pouvait, de droit, devenir législa- 
leur. Nous avons, sur cette question, un long mé- 
moire de Geissel à Diepenbrock : il entrevit tout de 
suite combien il serait dangereux pour les évêques 
d'avoir à dire leur mot dans les conflits politiques 
dont l'issue pouvait être une crise minisiérielle e t 
j' être nécessairement considérés, soit comme des 
I frondeurs, soit comme des réactionnaires. Que 
L'Église eût des satisfactions de façade et'l si ron 



232 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


ose ainsi dire, des revanches de vanité, cela n'in- 
téressait pas Geissel, non plus d'ailleurs que Die- 
penbrock. L'évêque de Breslau, qui avait passé sa 
vie en Bavière, savait ce que faisaient, à la Chambre 
de Munich, les membres de l' épiscopat; iis élaient 
rapporteurs, parfois, sur des questions de notariat 
ou sur lesaffaires des eauxet forêts; mais ils n' étaient 
pas arrivés, en trente ans, à obtenir l'exécution 
du Concordat 1 ! A quoi bon, dès 10rs, pour un aussi 
mince résultat, habiller de pourprc, ou de violet, 
quelques chaises curules? L' épiscopat prussien 
avait mieux à faire que de se mêler périodique- 
ment aux jeux de la politique. S'il n'avait eu 
d'autre souci que de souligner la fin d'une période 
et Ie début d'une ère nouvelle, ou d'étaler aux 
yeux de ses fidèles, en guise de représailles, la 
splendeur renais
ante de la puissance religieuse, 
il aurait accepté, comme un honneur fait à I'Église, 
la proposition du gouvernement; mais derrière 
1 'honneur, Geissel discernait un péril. Avant d'ac- 
cepter Ie cadeau du Roi, il se demandait ce que Ie 
peuple penserait. L' enquête fut brève, la réponse 
formelle : 1 'épiscopat prussien, qui n'avait qu'à 
tendre la main pour posséder une parcelle de la 
puissance publique, refusa cette conquête impré- 
vue 2 . 
II ne convenait pas à Geissel et à ses collègues 
de faire, dans un Parlement, figure de minorité, 
ou d'être l'appoint d'une majorité; mais lorsque 


1. Voir nohe tome IV, p. 134-t3G. 

. Pfuelf, Geis/Jel, II, p. 83-87. 



L 'ÉGLISE DE PRUSSE 


233 


l'archevêque de Cologne s' en allait à Berlin entre- 
tenir Ie roi de Prusse ou ses ministres, on savait 
que derrière lui il y avait l'épiscopat prussien; 
c'était là sa force, et cette force suffisait. Aussi 
consulter ses collègues, les grouper, les unifier, 
était pour Geissel un souci quotidien; les discus- 
sions qui parfois survenaient entre eux lui étaient 
pénibles 1. L'assembIée de Wurzbourg avait inau- 
guré quelque cohésion dans l' épiscopat allemand; 
Ie concile de Cologne, en 1.860, révéla ce qu'était 
une province ecclésiastique dùment organisée, et 
queUe harmonie unissai t au métropoJitain les 
'5uffragants, et comment tous ces vieux rouages, 
que les lraités de droit canon démontaient pour 
les décrire, et qu'une longue négligence avait 
comme rouillés, pouvaient redevenir, très vite, 
des principes et des véhicules de vie 2. 
Au delà de la Prnsse, Geissel regardait l' Alle- 
magne. II aimait que sa province ecclésiastique de 
Cologne fût considérée comme nne terre privilé- 
giée dans laquelle se dessinaient, pour I'Église, 
certaines conditions de vie prospère, et qu' elle 
créàt des précédents auxquels Ie reste de l' épis- 
copat allemand pourrait recourir avec fruit. Ce 
que la Prnsse protestante accordait en terL'e rhé- 
nane, comment les autres États seraient-ils fondés 
ì Ie refuser? Mais dès lors, puisque la force des 


1. Telles, par e1..emple, ses prop res divergences d'avec Oiepenbrock au sujet 
Iu gunlhérianisme et de l'instilution prussienne de l'aumônerie mililaire (Pfuelf, 
Geissel, II, p. 124-126). 

. Pfuelf, Gei8sel, II, p. 438-459. 


. '
ft ...." ,.... a.. a "".,_ 



234 


L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


choses, puisque l'ascendant même de Geissel fai- 
saient qu'en travaillant pour son diocèse il tra- 
vaillait pour les autres diocèses allemands 1, ses 
actes prenaient une portée qui ne pouvait être 
soustraite au contrôle de Rome. Geissel]e sentait; 
sa correspondance avec Ie Saint-Siège était inces- 
santc. 
(( En ce qui regarde l'uniformité d'action vis-à- 
vis des gouvernements, écrivait-il, je crois qu'une 
telle uniformité ne peut être obtenue efficacement 
que par des directions que Rome ferait parvenir 
aux évêques. )) II reçut en 1852 la visite de l'arche- 
vêque Sib our, de Paris, qui trouvait de plus en 
plus indiscrète l'interyention des congrégations 
romaines dans la juridiction des évêques, et qui 
aUl'ait souhaité que Geissel s' en plaignît à Rome. 
Geissel soupçonna Sibour de gallicanisme et lui 
conseilla d'aller lui-mên1e porter ses griefs ad 
limina 2. (( Aujourd'hui, insista-t-il, nous ne pouvons 
être forts vis-à-vis de l'État et parmi notre clergé, 
que par une union étroite et sans réserves avec Ie 
Saint-Siège, par une union de cæur et d'âme. De 
Rome nous vient notre force, notre indépendance, 
notre Iiberté 3. )) 
II avait un grand commerce épistolaire avec 


:I.. Wedekin, l'évèque de Hildesheim, expliquait dès 18':;0, à Geissel, qui d'aiL 
leurs assistail à son sacre, son intention de marcher la main dans la main a\'ec 
les évêques de la province ecclésiastique de Cologne (Pfuelf, Geissel, II, p. 30); 
et l'on vil en t 860, au concile ùe Cologne, l'rIelchers, évèque d'OsnabruecL.., et 
Foerster, évêque de Breslau. 

. Pfuelf, Geissel, II, p. 1n-205. 
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 200. 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


235 


Viale Prela, nonce à Vienne 1, et il trouvait un 
lmi précieux, - un frère, disait-il même 2, - 
:lans un personnage dont I'action fut décisive 
pour la pénétration de I'Allemagne par l'in- 
[luence romaine Charles-Auguste de Reisach. 
Archevêque de l\lunich jnsqu'en 1.856, Reisach 
levint, cette année-]à, cardinal de curie à Rome 3 : 
la fin de sa vie fut consacrée à renseigner Rome 
5ur l' Allemagne et l' Allemagne sur Rome. Nul 
comme lui ne connaissait la Ville éternelle; jenne, 
il a vail étudié au collège Germanique 
 et dirigé 


1. C'est une curicuse figure que celle du Corse \ïale Prela (1798-1860), 01'1- 
Ûnaire de Baslia, audileur de noncialure en Suisse en 1828, chargé d'affaires cn 
:;uisse en 1830, aUaché à 1a secrélairerie d'Etat en 1836, el, comme leI, ll'ès 
mêlé am. discussions auxquclles donnèrenllieu les difficultés enlre Rome et la 
Prusse au sujct des mal'iages miAles. inlernonce à Munich cn 1838, nonce à 
Munich en 1841, nonce à Vienne en 1845. l\lellernich disait fJu'il voudrait avoir 
à son service un diplomate de pareil talent lPfuelf, Geissel, II, p. 467 el 
5uiv.); el lorsque Mellernich, après la révolulion de 1848, songea un inslanl à 
s'élablir en Belgique ou en Ang-leterre, ce fut sur les conseils de Viale Prela 
qu'il se réinslalla à Vienne. Viale n'avait acceplé la nonciature de Vienne, sur 
les soIlicitations de Melternich, qu'à la condition qu'un concordat flU pr
paré ; 
et de conccrt avec Rauscher, archevêque de Vienne, Vial(' mena à bon lerme 
les négocialions de 1855 pour Ie concordat aulrichien (Fantoni, Della vita del 
cardinale Michele Viale Pre/a, arcivescovo di Bologna, commentario, p. 33-35 
et 53, Bologne. Tip. di S. Maria Maggiore, 1861); - Wolfsgruber, J{ardinal 
Rauscher, p. 132-177). Viale Prf'la élail bien vu à la cour de Prusse; Manleuf- 
fel, en 1850, lui avail conféréll'Aigle Rouge. Sïl en faut croire une noLIce sur 
Viale Prela parue dans la Guida del Popolo, journal de Baslia (aoûl1860, p.i::!), 
. Ie roi Guillaume>> - il Caut lire sans doule: Frùdéric-Guillaume I V - aurait 
demandé à Via Ie sïl pouvail, en conscience, relirer la conslilution accordée à 
ses sujels, et Viale aurait répondu formellemenl que non. l\1ais Alessandri, l'au- 
leur de cetle notice, raconle cnsuile que Viale Prela se rendil à Cologne pour 
soutenir les droils de << Drosle- Vischering I), el cel anachronisme rend lrès suspect 
Ie reste de son récit. II sCl'ait souhailable qu'une élude d'ensemLle fûl un jOUl' 
écrile sur ce prélat qui, avanl de monter sur Ie siège de Bologne en 185G, fut 
run des agents les plus éminenls de la dipJomalie romaine au XIX c siècle. 
!. pfueIr, Geissel, II, p. 405. - Sur Ie cardinal de Reisach (i 800-1869), voÏl' 
Goelz, Kardinal Karl August G1'af von Reisach als Bischof von Eichstaett. 
(Eichslaelt, Bl'oenner, 1901), el nolre Lome IV, p. 128 el suiv. 
3. Goelz, op. cit., p. 96-103. 
4-. Sur sa reconnaissance à l'endroit lle ce collège, voir Goelz, up. cit., po 18, 
n. 1. 



236 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Ie collège Urbain de la Propagande 1; vieillard 
il luttait aux côtés de Pie IX, pour la défens' 
de l'esprit romain dans l' Allemagne calholique 
Jeune, il avait aidé Grégoire X,TI à traiter avec Ie: 
États de l' Allemagne la question des mariage: 
mixtes 2; hlanchi sous la pourpre, il reprcnai 
auprès de Pie IX ce rôle de consulteur. II suffisai 
à Reisach de confronter sa vieillesse avec sa jeu. 
nesse pour mesurer la différence des temps. Jadis 
sur Ie siège de Cologne, s'étaient succédé Spiegel. 
un ami du roi de Prusse, que Ie pape avait dû 
désavouer, et puis Droste- Vischering, un fidèle dll 
pape, que Ie roi de Prusse avait fait enfermer; 
aujourd'hui Geissel était, tout ensemble, l'ami du 
roi de Prusse et Ie fidèle du Pape. Le pel'sonnage 
d'Église Ie plus apprécié à Berlin était Ie même 
qui provoquait Reisach à lui confier les désirs de 
Rome 3, qui s'appliquait à les devancer, qui avait, 
dès Ie lendemain de 1848, donné l'exemple d'auto- 
riser dans son diocèse des résidences de Jésuitcs 4, 
et qui se faisait remarquer, tant à Cologne qu'à 
Rome, par 8es hons rapports avec ces Pères 5. 
C'était à Rome même, en 1857, aux côtés de 
Reisach, à proximité de Pie IX, qur Geissel éla- 
horait Ie plan du futur concile provincial de 


1. Goetz, Ope cit., p. 23-24. 
2. Goetz, Ope cit., p. 24. 
3. Sur la cordialité de rapports entre Geissel et Reisach, VOIr rfuelf, Geissel, 
II, p. 414. 
4. Pfue1f, Geissel, II, p. 43-44,. 
5. Pfue1f, Geissel, II, p. 403. n. 1 et p. 655. - Meurin, secrélairc de Geiss"l 
de lHR à t853, entra chez les Jpsuitcs (pruclf, Gcissel, II, p.461). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


237 


Cologne 1; de retour en son diocèse, il invoquait 
Ie concours du Père Wilmers et du Père Roh, 
Jésuites 2, pour en achever la préparation; et 
l'infaillihilité pontificale étaÏl affirmée par ce con- 
cile, dix ans avant d'être définie 3 . 
Nul ne contribua plus que Geissel, dans l' épis- 
copatde l'époque, à ouvrir l'Allemagne aux souffles 
de Rome. D'autres à sa place auraient peut-être, 
50US les formes con venues du respect, tenté de 
mesurer à ces influences leur champ d'action, et 
l'on aurait pu voir l'Église de Cologne s'instalJer 
d.ans une certaine attitude de défensive, ou tout au 
moins de surveiHance, vis-à-vis des exigences des 

ongrégations romaines comme vis-à-vis des em- 
piètements de Berlin. Un Diepenbrock, subtil et 
nuancé, se fût peut-être laissé tenter par ce rôle, 
3'il eût vécu. Mais Geissel envisageait l'histoire 

ontemporaine de l'Église avec Ie coup d'æil som- 
maire et sûr d'un horn me de gouvernement. Les 
manèges frondeurs n'étaient point son fait; il sen- 
tait à l'avance 9u'ils seraient déjoués par la vie 

ollective de l'Eglise universelle, définitivement 
lÍguillée dans une certaine direction; qu'une 
incoercible force d'amour poussait la foule des 
ämes pieuses à s 'abandonner à la maîtrise de 


1. PCuelC, Geissel, II, p. 4.\.1. -. Sur l'importance qu'altacha la presse pro- 
estante elle-même å ce voyage de Geissel à Rome, voir Pfuelf, Geissel, II, 
).412. 
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 4U at 41,5. n. 2. - Sur Roh, voir ci--dessus, 
íJ. 189-190; sur Wilmers, voir notre tome IV, p. 369. 
3. Pfuplf, Geissel, l
, p. 449. - Collectio Lacensis, V, col. 311-312 (Concile 
Ie Cologne, titre VI, f.hap. XXIV). 
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238 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Pierre et de Pie IX, et que les é]ans de ce suffrage 
universel devaient passer outre, victorieusement: 
aux susceptibilités de l'aristocratie intellcct.uelle. 
aux doctes chicanes de certains théologiens, au:x 
érudites réserves de certains canonistes. (( Ce n'esl 
pas Ie moment, disait-il un jour à l'abbé Bautain" 
d' entrer en de petites discussions avec Rome au 
sujet de telles ou telles mesures d'importance 
secondaire; partou t, en France comme en Alle- 
magne, notre devise doit être : I'unité avec le 
Saint-Siège, absoIue, publique, loyale 1. )) Pléni- 
potentiaire des consciences catholiques de Prusse 
auprès du roi de Prusse, il devenait en quelque 
façon Ie plénipotentiaire de l'Église elle-même, 
par Ie docile souci qu'il affichait de n'avoir d'autres 
inspirations que celles de Pie IX. 
II faudrait remonter jusqu'à saint Boniface pour 
trouver en Allemagne une personnali té sacerd 0- 
tale dans laquelle r esprit romain fût aussi fidèle- 
ment incarné; car, à la différence de certains pré- 
Iats de l'époque, qui ne prenaient à Rome que des 
leçons de fermeté, on admirait, en Geissel, com- 
ment à 1 'intransigeance romaine se joignait la sou- 
plesse romaine, et comment se conciliaient, dans 
sa conduite, avec la strictc inflexibilité des prin- 
cipes, les alertes compromis de l'action quotidienne. 
II ne fut jamais une gêne, mais toujours un sou- 
tien, pour Ie groupe de députés catholiques qui, 
dans la Chambre berlinoise, réclamaient la liberlé 


1. Pfuelf, Geissel, IT, p. 202. 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 



3Ç} 


pour toutes les confessions; jamais il ne lui vint à 
la penséc de les inculper d'un (( libéraJisme )) 
coupable ou de les accuser de ne point défendre 
les droits de l'Église comme les droits d'une 
<< sociélé parfaite )) méritent d"être défendus; et 
sa pondération d' esprit, qui savait com prendre 
toules les nécessités tactiques, permit aux catho- 
liques rhénans de se mettre, politiqucment, à 
l'école de l\lontalembert. 


VI 


Henri IIeine, en 1835, affectait de distinguer Ie 
parti catholique français et les (( drôles qui por- 
taient Ie même nom en Allemagne 1. )) L'insolence 
visait Goerres et ses amis. Elle cessa bientôt d "être 
Ie mise: car., aux alentours de 1848, c'est au con- 
Jraire Ie parti catholique français, et spécialement 
,'Association fondée par Montalembert 2, qui con- 

entraiént les regards des catholiques prussiens 

t qui suscitaient leur imitation. La France leur 
lonnait des leçons et des exemples; iis avaient, 

omme Montalembert et ses amis, une façon catho- 
ique d'être libéraux, une façon libérale d'être 
;atholiques. Liberté de la parole, liberté de la 


1. Henri Heine, L'Allemagne, I, p. . (Paris, Lévy, 1855). 

. Voir les letlres échangées enlre r << Association catholique d'AIlemagne )) et 
(( Association pour Ia liberté religieuse >>, de Paris {Verhandlungen der ers- 
?n r ersammlung de8 Katholischen Vereines Ðeutschla11ds am 3, 4, 5 und 
October zu .J.}Jainz, p. 169-172. Mayence, Kircheim, 1848; - Verhandlun- 
p.n der :;weiten Versammlung des Katholischen Vereines Deut.'lchlands am 
, fO, II und 12 
[(â 1849 
u Breslou, p. t49-151. (Breslau, Aderholz, 1849). 



240 


L' ALL El\IAGNE RELIGIEUSE 


presse, liberté de réunion, tel était le programme 
tracé devant Ie congrès catholique de Breslau, dès 
1849, par Ie juriste Hardung, de Cologne 1. Oppressé 
par Ie grand silence de l'Empire, l\Iontalembert se 
rajeunissait et se consolait en regardant au loin 
la fraction catholique prussienne; il lui semblait 
que son ambition constante de voir Ie catholi- 
cisme jouer un rôle dans la vie publique avait 
enfin trouvé, sur les bords de la Sprée, un écho 
durable et un terrain propice. C'est Ie 30 novem- 
bre 1852 2 que la fraction s' était formée : (( V ous 
réalisez, écrivait-il à Auguste Reichensperger dès 
]e 26 décembre, Ie væu Ie plus ardent de mon 
âme, et vous avez déjà atteinlle but en vue duquel 
j'ai travaillé pendant toute ma vie politique 3. )) 
La Chanlbre prussienne, telle que la composè- 
rent les élections de 1852, posséda bientôt un parti 
de soixanle-dix députés - dont dix-sept prêtres 4 - 
qui s'intitula, sans plus d'ambages, fraction catho- 
Iique. La préoccupation de la liberté religieuse 
étaÏl entre eux un lien; et chacun au contraire, 
dès que cette liberté n' était pas en jeu, pensait et 
votait à sa façon Ð. lIs eurent même de la peine à 


1. Verhandlungen der xweiten Versummlung zu Breslau, p. 35. 
2. Pastor, Reichensperger, I, p. 341. 
3. Pastor, Reichensperger, 1, p. 345, n. L 
4. Un bureau de sept membres élait à la lête du parli : il comprenait les dem. 
fl'ères Reichensperger, Osterrath, Rohden, Wilderich de Ketleler, Ie conlie 
Joseph Stolberg, Ie baron de Waldboll-Bornheim-Bassenheim (Pfuelf, ðJalhnck- 
1'odt. p. 66). 
5. Les deux Reichensperger auraient voulu que tous les membres de la Jrac- 
tion s'engageassent à voter avec la majorité ou à s'abstenir: cette propoiition 
échoua (Pastor, Reichenspe1'ger. I, p. 341). 



I.'ÉGLISE DE PRUSSE 


24-1 


s'entendre au sujet de la tactique parlementaire 
que devait suivre leur groupe 1. II Y avail là des 
Rhénans, plutôt libéraux 2; des Weslphaliens, plu- 
tôt conservateurs; des Trévires, pIutôt démo- 
crates 3; les nuances s'harmonisaient et se fon- 
daient, et cette diversité même faisait espérer à 

Iallinckrodt que (( la conception catholique la plus 
variée, la plus harmonique, la plus flexible, la 
seule vraie, pouvait devenir la charpente d 
un 
état de choses nouveau, d'un état de choses dura- 
ble. Þ )). Tout de suite, cette fraction panachée devint 
une puissance. A la fin de i852, dans Ie scrutin 
pour la présidence de la Chambre, eUe eut un 
rôle décisif;;, et la poussée d' espérances qu' eUe 
suscitait dans les âmes inspirait à un curé des 
bords du Rhin, dès l'année 1853-, tout un petit poème 
qui s'intitu]ait : la VìctoÙ'e de la Vérité, et dans 


1. Pfuelf. Geisscl, II, p, 94. 
2. << Les Rhénans, dans l'ensemble, ont une plus grande dose de libéralismc 
lue moi )), disait un jour Mallinckrodl (PfuelC, .Mallillckrodt, p. 236). 
3. fCuelC, lIJallinckrodt, p. 68-69. - Dans les déLals relatifs au mariage civil, 
es Rhénans, altachés à l'état de choscs qui Hait en vigueur chez eux depuig 
:inquante ans, se distinguaient des autres catholiques en nÏntervcnant pas 
:ontre Ie mariage civil (PCueIf, Geisscl, II, p. 100-101); dès 1849, au Congrès 
Ie BresIau, on se rendit comple que, sur celte queslion, un accord était impos- 
;ible enlre tous les calholiques d'Allemagne (Vcrhandlungen, p. U
). 
i-. pruclf, ...",lallinckrodt, p. 90-91. - c Cela ne m'attriste pas, écrivait Monta- 
embert à Reicheusperg-er, de voir que les calholiques, dans la Chambre prus- 
,jenne, ne sout pas unis sur toules les questions politiques. Cetle variété, ceUa 
ndépendancc, font précisément leur force, en emp
chant qu'ils ne soient exploi- 
.és par un parli quelconque. 11 peut être utile pour la cause calholique d'avoir 
les champions dans tous les parlis, et de celte façon, d'apprendre à tous à comp- 
el' avec eUe. )) (Pastor, Reichenspuger, I, p. 345.) 
I 5. c Les deux parlis, écrivait à Geissel, Ie 2 décembre 18;;2, Ie cl1anoine Trost, 
nembre de la fraction, respeclent notre fraction et se dispulent nolre concours 
Jour l'élection présidenlielle )) (Pfuelf, Geissel, 11, p. 95). (( Sans la fraction callI()- 
ique, écrivait Reichensperger, Ia gauche cst tout à fait impuissantc. >> (Pastor, 
'lcichensperger, I, p. 347). 


Ill. 


16 



242 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


lequell'action des députés catholiques était com- 
parée à la délivrance d'lsraëI 1 . Montalembert 
à Ia même date écrivait avec allégresse : (( La 
Prusse, pour I'instant, est, après la Belgique, Ie 
pays où les intérêts catholiques sont Ie mieux 
compris et garantis 2 )) ; et Bismarck s'attristait 
que les ultramontains fussent l(\s arbitres de la 
Chambre 3. 
Leurs chefs les plus illustres, 
Iallinckrodt, 
Auguste Reichensperger, Pierre Reichensperger'. 
étaient des fonctionnaires : Ie premier dépendait 
de l'administration de l'intérieur; les deux autres 
de celle de la justice. II y eut des heurcs où leur 
indépendance d' orateurs porta préjudice à leur 
avancement i). 
Iais jamais ne pesa sur eux aucune 
menace de révocation : l'État prussien s'honorait 
en supportant Ie franc parler de ces hommes qui 
par ailleurs étaient à son service Ii ; et dans cette 
Prusse où la notion d'État était si fortement ancrée 


L De1' Sieg der 1Vahrheit, del' ehrenw. Kat/wi. Fraction der IIten Ham. 
mel' zu Berlin ehr{w'chtsvoll gewidmet (Coblenz, Hergl, 1853). L'auteul', qui 
signe Gedeon von del' Heide, était Ie prêlre Jean- Baptiste Berger, curé de Bop- 
pard (Bruehl, Geschichte del' Katholischen Litel'atw' Deutschlands, 2 0 édil" 
p. 559 et suiv., Vienne, Manz, 18G1). 

. Paslor, Reichenspergel', I, p. 354. 
3. Bismarck, Lettl'es politiques, p. 129 (leUre du M décembre 1852). 
4. Sur Pierre Reichensperger (1818-1892), voir, outre les deux volumes de 
Pastor consacrés à son frère, Kaufmann, Allgemeine deustche Biogl'aphie, LIll. 
p. 281. - Sur HCl'mann de Mallinckrodt (1!:j21-1874), Ie livre capital est celui 
du P. Pfuelf, dont il Caut consulter la seconde éùilioll. 
5. Voir dans Pfuelf, Mallinckl'odt, p. 11
, les discours:de Lingens et Reichens- 
perger, en 1855, sur les difficultés d'avancement auxquelles se beurlait un 
fonctionnaire cd.tholique. 
6. II élait question d'une nomil.alion de Reichenspergcr à r Obertdbunal de 
Berlin au moment même OÙ il comLaltail les procédés de la police et la façon 
dont }es générosités faites sur la cassette royale lésaieul la I( l)arité >I. (Pastor, 
ReiclumsjJel'gcl', I, p. :!5ti). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


243 


ans les consciences, ce fut une bonne fortune pour 
B parti calholiq ue d'avoir à sa tête certain,s per- 
onnages dont Ie métier était de servir l'Etat et 
[ui, par lit même, lorsqu'ils intervenaient pour 
'Église, ne pouvaient être suspects d'indifférence 
rendroit de Ia vie civique ou de l' ordre public. 
lIs manæuvraient savan1ment entre les divers 

artis. lIs faisaient peu de bruit. (( Nous ne nOllS 

osons pas en héros, écri vail lVlallinckrodt en 
évrier 1853, à moins que fumer ne soit signe 
l'héroÏsme 1. >) Non moins que ]es gestes qui COID- 
arometlent, ils abhorraienl les partis pris qui 
nchaînenl. (( Nous sommes indépendants du )finis- 
ère, indépendants des droites, indépendants des 
'auches >), disait encore Mallinckrodt; (( n1ais quant 
faire de l' opposition pour Ie plaisir d' en faire, 
ela, c' est exclu 2! >) 
Libre à certains radicaux de s'enliser (( dans ]es 
Úls d'une opposition puren1ent négative:3 )); les 
tLholiques voulaient une politique positive. 
La Constitution prussienne de 1850 étaÏt leur 
puscule de chevel; elle était leur argument. On 
I l1rait aisément trouvé, dans la fraction, un certain 
ombre d' esprits auxquels la théorie nlême du 

gi[ne constitutionnel était étrangère ou désagréa- 
'e; mais puisque, en fait, la constitution prus- 


_. pfuclr, M allinckl'odt, p. 70. 
:. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 68. -<< Les Reichensperger, écrit M. P8
tor, 
llaienl aulanl qu
 possible éviter de devenir des hommes d'opposition. Us 
vaienl, comme le disait sarcasliquement Vincke, Ie saiD jusle milieu )) 
.slor, Reichensperger, I, p. 337 ; - ct. J, p. 3U). 
:. Paälor, Reichenspe)'uer, I, p. 352. 



244 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


sienne garantissait l'indépendance de leur Église 
puisqu'elle les appelait à un rôle politique et puis. 
qu'elle ouvrait une tribune, enfin, aux revendica. 
tions de leurs coreligionnaires 1, il était nature: 
qu'elle trou vât en eux des champions. Aussi, 
durant la période de réaction qui suivit :1.850 
 
toutes les tentatives des anciens partis conserva. 
teurs pour modifier la Constitution ou pour en 
fausser Ie rnécanisme se heurtèrent aux discour
 
et aux votes catholiques. Pourquoi il ne convenail 
pas que la Chambre fût élue pour six ans, et que 
Ie budget fût voté pour deux ans 2; pourquoi iJ 
était inadmissible que la durée des sessions fû1 
raccourcie 3 et que la compétence du Parlement en 
matière de politique extérieurc fût méconnue It, 
c' est ce qu' expliquèrent dans une série de dis. 
coul's, entre 1.850 et 1855, aux applaudissements d{ 
tonte la gauche, les deux frères Reichensperger 
La pratique loyale et compIète du régime parle. 
mentaire n'avail pas de défenseurs plus fervenb 


L Voir Pastor, ReichelLspergu, I, p. 337-338 : théoriqucment, AugU!
te Rei 
chcnsperger considérait Ie constitutionnalisme comme une des plus granùe 
aberrations du temps; mais, pratiquement, il se félicilait que ce régime amel1å 
une concentration des catholiqucs. Cf. Steinle, Bl'iefwechsel, II, p. 306-307. - 
(( Je parlage volre avis, lui écrivait Ketteler, sur la valeur de la cOllstilutio 
})our {a liberté de l'Église. )) (Pastor, Reichenspergcr, I, p. 356). - Dès janvie 
1852, Reichcnsperger contribuait à faire voler rordre du jour pur et simple a 
sujet de la pHilion silésienne demandant la révision de la Constitulion (Parlo 
mentarische Reden der Gebrueder August und Peter Reichensperger, p. 3H' 
320. Ratisbonne, Manz, 1858), et dans sa correspondance avec :Montalemberl 
des plaintes constanles revicnnent sur l'alltude du journal calholique Deutsch 
Volkshalle, qui attaquait Ie système parlementaire (Pastor, ReichenspergcJ 
I, p. 357 et 3(1). 
2. Parlamentarische Reden der Gebruede}' August ultd Peter Reiclums 
perger, p. 391-403 (séance du 10 février 1853). 
3. Parlamentarische Reden, p. 761--768 (séance du 23 avril 1855). 
't. ParlamClItu,.isclte Re(/cu, p. 211,-218 (séallcc du HI seplembre 'J8
9). 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


24
 


que ces deux orateurs; et c.est grâce à eux qu'il 
fut de mode à Berlin, quelque temps durant, lors- 
qu'on voulait désigner les rnembres de la fraction 
catholique, de les appeler (( les libéraux rhénans 1 )). 
l\lontalembert les encourageait : (( La tâche des 
catholiques allemands, écrivait-il en t853, est de 
planter Ie drapeau de la bonne politique et de la 
vraie liberté, déserté par beaucoup de catholiques 
français '. )) - (( Le régime constitutionnel est ce 
qui convient Ie rnieux à la Prusse )), lisait-on 
quatre ans après dans la Civiltà Cattolica 3. 
A cette loyauté même, leurs revendications 

atholiques empruntaient une force. L' existence 
les diverses confessions était pour eux un fait; Ie 
::,êve d'un éclectisme vague dans lequel se fon- 
jraient les divergences confessionnelles leur sem- 
)lait (( plus archaïque que la paix de \Vestpha- 
ier. )); mais la fermeté même avec laquelle ils 
lccentuaient leur catholicisme les amenait à recon- 
laître, à côté d' eux, la personnalité des confessions 
Toisines et Ie droit de ces confessions à l'autono- 
nie. En février 1851, Ernest-Louis de Gerlach, 
nentionnant dans son journal un discours de 
taumer sur l'indépendance à laquelle l'Église 
;vangélique pouvait Iégitimement espérer, obser- 
rait avec joie que parmi la majorité qui se grou- 
tait autour des idées de Raumer figuraient les 


1. Pastor, Reichenspcrger, I, p. 342. 

. Pastor, Reichensperge'J', I, p. 334. 
3. Civiltà Cattolica, 14-28 novembre 1857, p. 627-628. 
4. Pfuelf, J.Vallinck1'odt, p. 22t-
!
. 



246 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


catholiques romains 1. Reichensperger ne profes- 
sait à l'endroH des protestants aucune hostilité 
systématique; il préférait même, durant les 
périodes électorales, les protestants d'esprit indé- 
pendant, à certains de ses coreligionnaires tout 
prêts à se donner au plus offrant 2. Les catholiques 
ne réclamaient aucun droit pour eux-mêmes, qu'ils 
ne Ie réclamassent en même temps pour autrui. 
Lorsqu'en 1854 Reichensperger se plaignait que 
l'é]ément catholique fût lésé dans l'attribution des 
fonctions publiques 3, ou dans la fixation des !istes 
de notables qui devaient élire les tribunaux de 
commerce I., il se plaçait toujours au point de vue 
du droit commun ; la (( parité )) qu'il revendiquait 
entre citoyens des deux confessions n'était qu'une 
sanction de l'égalité civique. 1\1allinckrodt, au nonl 
n1ême de la Constitution, demandait formellement 
l'éligibilité des Israélites dans les rcprésentation
 
municipales et provinciales 5 ; il protestait contre 
les vexations policières auxquelles Ia secte dissi- 
dente des De'lltscllkatlzolisch était en butte à Berlin 6 ; 
et Auguste Reichensperger, toujours au nom de l
 
Constitution, souhaitait expressén1ent pour cettE 


1. Ernst Ludwig v. Gerlach, Au.fzeiclmungcn, II, p. no. - Outre ces dem 
"Volumes de noles, on peut consuller, 
ur Ernest-Louis de Gerlach (179:í-i877 
Wippermd.OD, Allgemeine Deutsche Biographie, IX, p. 9-14. 
2. Paltor. Reichensperge1', I, p. 369. 
3. Pa'J'lamentarische Reden, p. 703-706 (séance dn 21 février 1855). Cf. Dit 
Pllritaet in P1'eussen, Eine Ðenkschrift, p. 5-7 (Cologne, Bachem, 1907). 
4. Parlumentarische Reden, p. 1025-1031 (séance du 3 avril 1857). Cf. Dit 
Pal'itaet ill Preu8sen, Eine Denkschrift. p. 6-8. - Sur la parilé en Prusst 
à celle dale, cf. H.P.B., 1834, 1, p.469-509. 
5. Pfuelf, jJJallinckrodt, p. 97. - cr. Pastor, Reichensperger, I, p, 343. 
6. Pfuelf, .J.lfallinckrodt, p. 97-98. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


247 


secte Ie droit de donneI' aux enfants de ses fidèIes 
l'enseignement religieux 1. Deux Israélites se ren- 
contrèrent, en 1858, pour pubJier à leurs frais, en 
un volume nlassif, tous les discours prononcés par 
]es frères Reichensperger en dix années d'acti vité 
parlementaire 2. Dans cette Allemagne archaïque 
où des juristes comme Stahl, avo cats étroits et 
farouches de l' (( État chrétien )) 3, frappaient Israël 
d' ostracisme, Reichensperger s' appuyait sur Ie 
christianisme même pourattaquercette conception: 
(( Le christianisme, disait-il, est cosmopolite par 
essence, il n' est pas susceptible d'être nationalisé, 
et c' est à mes yeux l'un des traits principaux qui 
Ie distinguent du paganisme.)) Déjà, au Parle- 
ment d'Erfurt, il s' était insurgé contre Ie væu 
d'Ernest-Louis de Gerlach, qui voulait que Ie chris- 
tianisme fùt proclamé religion nationale 4 ; il sem- 
I blait à Auguste Reichensperger que la religion du 
Christ ne comportait ni cet excès d'honneur ni 
cette indigni té. 
Les protestants, enfin, n'avaient rien à envier 
aux Juifs lorsque d'aventure un de leurs droits 
était lésé; alors encore, la fraction catholique 
intervenait. On vit 
Iallinckrodt lui-mênle, mal- 
gré l'hostilité du rapporteur, faire prendre en 
considération la pétition de quelques familIes 


t. Pal'lamentarische Reden. p. 1080--J082 (séance du 16 mai 1857). 
2. Paslor, Reicheuspel'gel', I, p. 385. 
3. Sur Slahl (1802-181ì1). voir Jacobowski, Del' christlic/Ze Staat und seine 
Zukunft (Berlin, Duncker, 1894). 
4. Pastor, Reichenøperger, I, p. 324-3
5. 



!4-8 


L'AJ.J
E1UAGNE RELIGIEUSE 


protestantes qui demandaient quê leur com- 
mune fût obligée de subventionner une école 
évangélique de treize enfants 1 ; et lorsqu'ille fal- 
lait, il se faisait l'avocat des (( fraternités )) protes- 
tantes fondées par Ie grand philanthrope 'Vichern, 
au nom :des mêmes principes qui militaient pour 
la liberté des ordres religieux catholiques 2. Kol- 
ping, ]e fondateur des associations de compagnons, 
apprit un jour que cette attitude de Reichensper- 
gel' et de Mallinckrodt dépIaisait à certains catho- 
liques : son journal, tout de suite, se prononça 
hautement pour leur politi que large et tolé- 
rante 3. 
L'année 1848 n'était pas encore loin, année fié- 
vreuse, année confuse, OÙ les événements s' étaient 
précipités comme à la course, exaltant et troublant 
les âmes par un certain Lesoin d'équité, de géné- 
rosité, d' entr'aidc pour Ie bon droit; et puis, brus- 
quement, courbées sous Ie vent des réactions iné- 
vitables, les âmes avaient paru s'affaisser. Mais 
l'un des groupements dans lesquels s'attarda Ie 
plus longuement l'esprit idéalistc de 1848 et dans 
lesquels se prolongèrcnt Ie plus fidèlement, avec 
nne sorte d'inlpénitence, certaines idées de justice 


1. Pfue1f, ,Mallinckl'odt, p. 156-157. - Inversement, un jour que des pas leurs 
protestants réclamaient pour eu). des exemptions d'impôts, Reicbellspergcr in- 
tel'vcnait et s'opposait: << Je crois pouvoir dire, comme catholique, que du côté 
du clergé catholique, onne réclame pas de privilèges{Correspondant, juin 185i, 
p. 341-342). 
2. PfuelC, 
fallinckroclt, p. 2t :;-217. Sur Wichern, voir L'Allemagne reli- 
gieuse : Ie protestanti.'lme, p. 189-191. 
3. nh
inische Volksblaetter, 1858, nO 49. - Pastor, ReicheJl
per{Jer, I, 
p. 39t. 



L'
:GJ...ISE DE PRUSSE 


249 


et d'égalité devant Ie droit commun, fut la frac- 
tion catholique de la Chambre prussienne. Elle 
estimait, comme l' expliquaient en 1858 les Feuilles 
ltistol'ico-jJolitiques de l\lunich, (( que la liberté de 
l'Église succomberait si elle ne cessait pas pen à 
pen d'être une exception et si l'aulonomie poJitique 
ne devenait pas Ia règle 1 )). Les revendications des 
catholiques formaient ainsi comme un chapitre 
d'un vaste programme politique, encore à peine 
esquissé, qui concluait à la représentation publique 
de tous les groupements autonomes 2, et c' était un 
chagrin pour Reichensperger de constater, trop 
souvent, l'indifférencp passive avec laquelle Ie 
peuple, au jour du vote, suivait l'impuision des 
bureaucrates. (( Par sa faiblessc et son indolence, 
écrivait-il trÏsten1ent à l\lontalembert en 1855, Ie 
peuple a trop montré qu'il n'est pas mûr pour des 
institutions libérales 3. )) II aurait voulu inculquer à 
tous ses coreligionnaires la doctrine de l'autono- 
mie; il déplorait (( I'inexplicable aveuglement de la 
grande majorité de l'aristocratie catholique 4 )), qui 


1. H. P. B., 1858, I, p. 1000. 
2. Intervenlion de l\laUinckrodl cldc Reichensperger, cn 1853 et en 185G, pour 
lïntroduclion du principe de la représclllation des intérêls dans la loi munici- 
pale westphalicullc (Pal'lamenlal'ische Reden del' Geùl'uede1'lleichensper!JCI", 
p. 454-4G7, 516-525, H7!-93
 (séances du 11 avriI185
, du 7 janvier 1854. du 
:a mars 1856). - PfuelC, .J.1Jallinckrodt. p. 94-%, 121-122. - Mallinckrodl 
l'éussit, en 1853, à Caire repousser un projet qui am'ail jnstallé dans les grandes 
viUes la prépondéranee bUl'eaucl'alique des Landmete. 
3. Pastor, Reichensperger, I, p. 369 (lcUre du 19 novembre 1855). - Cf. 
radicle du Correspondant, Cévricr t 858, p. 347, où Reichensperger espère qu'à 
la faveur de l'alliance anglo-prussieune l'habilude des instilutions liLres et du 

elf government Iiì'acclimatera en Prusse. 
4. C01'1'espondant, oclobre 1858, p. 403. L'aristocratie s'abstint, en 1858, 
- d'assisler au congrès catholique de Cologne. - Cr. Sleinle, lJl'iefwct:hsel, r, 
p,501. 



!50 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


s'unissait aux piétistes pour combattre les institu- 
tions modernes. Que 'ne constatait-elle, plutôt, que 
(( la doctrine de l'autonomie avait montré son acte 
de baptême catholique en mettant au monde, 
comme pren1Ïer fruit, la liberté de l'Église 1 ? )) 
Toutes les pensées et taus les efforts des catho- 
liques, tOllS leurs discours et tous leurs actes, de- 
vaient viser à mûrir les autres fruits qu'ils atten- 
daient de cette doctrine; et les patriotes prussiens 
pouvaient se rassurer: car Ie plus précieux de ces 
fruits serait la paix religieuse entre les confes- 
SIons. 
Observons, en face de cette attitude et de eet 
idéal.1 pour les faire mieux comprendre et leur 
servir, si l'on ose ainsi dire, de repoussoir, l'atti- 
tude et l'idéal qu' étale sons nos regards, à la même 
époque, l'un des meiJIeurs préfets du parti conser- 
vateur évangélique, Kleisl-Retzow 2. 
Président supérieur dans la province rhénane de 
1851 à 1858, sa piété rigide et sincère faisait l'unité 
de sa vie. Parce que protestant croyant et dévot, 
il s'insurgera plus tard eontre les maxinles du 
Cllltlu
kaJnpf, qui lui paraîtront aussi menaçantes 
pour l'orthodoxie protestante et pour ],idée même 
du surnaturel que pour l'orthodoxie romaine 1.l\'lais 
parce que protestant croyant et dévot, il se don- 


1. H. P. B., 1858, I. p. 1000. - Cf. Pastor, Reiclte11sper!Jer, I, I}. :}8G. 
2. Sur Kleisl-Retzow (1814-1892), voir Hermannv. Petersdorff, Kleist-Ret:ow, 
Ein Lebensbild (Sluttgarl, Cotta, t90i). 
3. Pf'tersdorff, op. cU., p. 408-436. - Kleisl-Relzow dira en 187
 : << J'aimc 
mieux être avec les gens du Centre qu'avec cem:: qui sont conlre l'école con- 
fessionnelle )) (K('l1ner, Leben8blaetter, p. 518). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


25f 


nait comme tâche, au ten1pS OÙ il administrai! les 
pays rhénans, d'y fortifier l' établissement religieux 
protestant, et d'y rendre plus ardente, plus vivante 
et plus susceptible ]a conscience évangélique. II 
aimait peu la répression ; il temporisait longuement 
avant de suspendre, à Cologne, Ie journal catho- 
lique dont les autorités berlinoises lui dénonçaient 
les tendances autrichiennes 1. Mais ce qu'il détes- 
tait et qu'il prétendait empêcher, c'était la descente 
du catholicisme dans la vie publique : associations 
catholiques, congrès catholiques, trou vaient dans 
Kleist-Retzo\v un inflexible ennemi. II fut seul res- 
ponsable, en 1854, de la prohibition officielle du 
congrès catholique qui devait se tenir à Cologne. 
Léopold de Gerlach l'en blâmait : (( Ce n'estjamais 
sage, lui disait-il, ce n'est jamais une bonne chose 
de se nlèler des affaires de l'Église ronlaine, si on 
n'y est pas absolument forcé. )) l(leist-Retzow, pour- 
tant, demeurait inflexible 2. II achevait de s'aliéner 
Ie clergé rhénan lorsqu'il défendait aux catholiques 
d'.Aix-la-Chapelle d'élever une colonne commémo- 
rative de la proclamation de l'lmmaculée Concep- 
tion 3. Que des prêtres pieux formassent un peuple 
pieux, Kleist-Retzow y consentait, et même il y 


L Pclersdorff, Ope cit.. p. 210-21
. - Sur les mesures de la Prusse à l'en- 
droit des journaux ca1holiques e1 sur l'aUenlion qu'on y prêlait à Rome, voir 
Civiltà Cattoliea, 1i-
5 aoÙt 1835, p. 587; - 2G décembre 185G-10 janvier 
18;)7, p. 253. 
2. Pelersdol'ff, Ope eit., p. 271-
72. - Voir Civiltà Cattolica, 23 Cévrier- 
8 mars 185G, p. 713. - Sur Ie général Leopold de Gerlach (1790-1861), on peul 
consulter, outre ses deux volumesde.1lfémoires,.Hartmann, Allgemeine deutsche 
Biographie, IX, p. 16-19. 
3. Pelersdorff. op. eit., p. 2i2. - Civiltâ Caitolica, 14-28 novembre Ujj, 
p. G34. 



252 


L' AT.LE
lAGNE RELIGIEUSE 


tenait; mais si Ie catholicisme, sortant de ses sacris- 
ties, prétendait devenir un élément de l'opinion pu- 
blique, un facteur de la vie poJiti9ue, alors halte-là! 
Le piétisme aurait aimé que l'Eglise évangélique 
jouât un semblable rôle dans la vie nationale; eUe ne 
Ie pouvait à cause de la subordination constitution- 
nelle qui l'attachait et l'enchaînait à l'État. (( Devant 
l'Église romaine, nous sommes dans une posture 
humiliée, lisait-on dans une feuillc piétiste; ]à OÙ 
aIle règne, elle obtient de bonnes élections; là OÙ 
les nôtres passent comme députés, ce n'est point 
parce que chrétiens, mais quoique chrétiens t. )) Et 
une fois dépuLés, dans certaines discussions con1n1e 
celles sur Ie mariage civil ou Ie divorce, OÙ l'idée 
religieuse était intéressée, on voyait les catholiques 
parler en représentants de la morale catholique, et 
voter ou repousser les projets législatifs suivant 
que Ie comportaient les intérêts de cette morale, 
tandis qu' en face d' eux l'Église évangélique, inté- 
ressée cependant à ces débats, se montrait gênée, 
in1puissante et d'une (( lamentable faiblesse 2 )). 


1. Erllst Ludwig v. Gerlach, Au{
eichnungen, II, p. 224. - Cf. une IcLlrc 
<-crite en 1856 par Ernst v. Ernsthausen, alors Land1'at en paIs rMnan, sur 
l'ulilité de fonder, en terre rhénane, un parLi évangélique-conservatcur, et 
Ul' 
les sacrifices que font les catholiques pour leur pre sse (Ernst von Ernsthausen, 
E1'iunerungen eines p)'eu8sischen Beamten, p. 195. Bielefeld, Velhagen. 
18!>4 ). 
2. L'expression esl d'El'nsl Ludwig v. Gerlach, Ope cit., II, p. 211. - Compa- 
reI', SUI' la silualion de l'Église évangéIique, la communication d'Uechtritz, pré- 
sident de l'Obe1'kirchenmt, en janvier 1852 (Poschingcr, Denkwuerdigkeiten des 
.L1linisterp1'esidents .Manteulfel, II, p. 185-188). - Sur ceUe attitude respec- 
tive des calholiques el des protestanls dans les débals rclatifs au mariage civil 
et au divorce, voir E. L. V. Gerlach, Ope cit., II, p. 198-199 et 211 ; Paslor, 
lfeichensperger, I, p. 377 et 393; Pfuelf, .ðlallinckrodt, p. 171; Stamm, Aus 
de,' Briefmappe des Bischo{s ltfartin, p. 153. - Qu'au bout de cinquante 
am. Ie prolcslantisme allemand se plaint encore de n'èlre pas une influence 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


2
3 


Pour devenir une maîtresse de l'opinion, l'Église 
protestante aurait dû cesser, tout d'abord, d'être 
une branche de I'administration 1. Ce que l'ÉgJise 
protestante ne pouvait devenir, il ne faUait pas que 
l'Église catholique Ie fût; il ne fallait pas qu'à 
la faveur de son autonomie, elle déployât plus 
d'éncrgies que n'en pouvaient déployer, dans I'ar- 
mature d'État qui les enserrait, les Églises évan- 
géliques. Toute la philo sophie politique et reIi- 
gieuse du piétisn1e se résumait en une jalousie qui 
devait s'exacerber, naturellement, aux heures où 
J'Église romaine était Iibre, et s'assoupir, au con- 
traire, aux heures où eUe recon1n1ençait d'être 
opprimée. L'administration de KJeist-Retzow dans 
Ies provinces rhénanes coïncidait avec un soubre- 
saut de jalousie 2. Elle eut cet eIfel de tenir en 
haleine les forces catholiques, de les rendre d'au- 
tant plus redoutables qu'elles avaient conscience 
d'être redoutées, et d'enraciner plus profondément 
encore, dans les âmes rhénanes, un certain esprit 
d'autonomie démocratique, dont l'émancipation 
catholique alIa it prof Her . (( Le parti des hobereaux 
vent Ie moyen âge, sans ce qui était alors la force 


polilique el de ne pas dire son mo
 dans la vie publique, et qu'il attribue ce 
malheul' à l'hégémonie qu'exel'ce rElat dans l'établi5semcllt l'eligieux : c'esl ce 
(ue prouvait, en avril 1907, une thðse présentée à la conférence de Carlsruhc 
:Chl'onik der Christlichen Welt, 2 mai 1907). 
1. Sur la polilique autorilaire que perpétuait Frédéric-GuHlaume IV dans Ie 
:;-ouvernement de l'Église protestante, el qui semblait à beaucoup d'égards con- 
lredire les aspiralions ùe son ami BUllsen, souvent partagées par Ie roi, voÜ' 
3eß'ken, Staat und Kirche in ihrem Verhaeltnis8 gC8chichtlich entwickelt, 
p. 614-(;16 (Berlin, Hertz, 1875). 

. Voir dans Pastor, Reichensperger, I, p. 3G7, les plaintes d'Auguslc Hei- 

hensp{'rgel'. 



254 L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 
créatrice, I'Église 1 )), écrivait avec dédain Ie Rhé- 
nan Auguste Reichensperger; il était, lui, pour]e 
peuple contre les hobereaux. C'est sur les bords du 
Rhin que se dessinail avec Ie plus de relief J'oppo- 
sition entre l'esprit d'allègre tolérance des hommes 
politiques catholiques et l'impérieuse raideur des 
fonctionnaires inféodés au conservatisnle évangé - 
Jique et d'ordinaire étrangers au sol rhénan par leur 
naissance nlème 2; Ie contraste s'accenluait dans 
les moindres détails, puisqu'on vit un jour l'ad- 
ministration piétiste défendrc à des musiciens 
ambulants de faire danser les paysans, ct Reichens- 
perger monter à la tribune pour plaider Ia cause 
des bals champêtres 3. 


VII 


L'été de 1852 mit aux prises les catholiques et 
Ies champions de l'État évangélique. Dès Ie mois 
de mai Frédéric-Guillaume demandait àlVlanteuffeI., 
chef du minislèl'e, s'il ne convenait pas de prendre 
quelques mesures restrictives contre les missions 
catholiques prêchées par des prêtres étrangers. 
Ernest Louis de Gerlach était là : il remontra, tout 
de suite, qu'on n'était pas assez puissant pour 


L Correspondant, Dclobre 1856, p. 179 : toull'arlicle est à lire. 

. Parlamentorische Reden der GebJ'uedc1' Reichenspergcr, p. 703-706. 
(Séance du 21 février 1855.) 
3. Parlamentarische Redell, p. !JðQ-9G6. (Séance du 12 janvier 18b7.) 
4-. Le rôle d'Olto Théodore l\Ianteuffel (1805-1882) cst désormais susceplible 
d'étude grâce à 1\1. de Poschinger qui a publié, en 1900-1902, trois volumes do 
..'f émoires et trois volumes de documenls diplolllaliques (Berlin, l\1itUer). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


255 


s'opposer aux missions, et qu'on nele devait point: 
les fonctionnaires avaient des attributions de police 
qu'ils étaient libres d' cxercer; cela suffisait 1. On 
savait d'ailleurs, à Berlin, qu'à la suite de certains 
5ermons, des voleurs avaient restitué, ce qui élait 
bien, et que des radicaux s' étaient convertis, ce 
Iui éLait lllieux. Cependant les suspicions protes- 

antes prévalurent; et Raumer, ministre des Cultes, 
Jar deux circulaires du 22 nlai et du 16 juillet, 
.eu!' donna une sorte de sanction officieHe. La pre- 
nière circulaire, adressée à tous les présidents des 
)rovinces, les invitait, non seulement à surveiller 
Ie très près les missions, mais à les prohiber 
orsque les paroisses catholiques OÙ elles devaient 

tre prêchées étaient situées dans des provinces 
>>rotestantes. La seconde circulaire, qui visait spé- 
ialement la province de Coblentz, interdisait aux 
lercs d'aller étudier au Collège germanique de 
lome ou dans un séminaire dirigé par les Jésuites 
ans en avoir obtenu l'agrénlent de l'État, et refu- 
ail aux J ésuites étrangers Ie droit de s'installer 
IJl Prusse 2. 
Les fonctionnaires de la (( division catholique >>, 
aspects peut-être de complaisance pour l'Église, 
. avaient pas été associés à la préparation de ccs 
Ilrculaires : eUes s'étaient élaborées par-dessus 

ur tête 3. Dans ce procédé, ne fallait-il voir qu'unc 


1. Ernsl-Ludwig v. Gerlach, Auf:;eìchnungen, II, p. UQ. 
!. Die J.lfini8lel'Ù.û-E1'lasse von 22 Alai Utul (e Juli (852, p. 
-Iì (paùerLùrn, 
hoeningh, t853). 
1. Die Jlinistc1'ial-Erlas8e, p. 67 et 173. 



256 


L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


exception? ou bien inaugurait-il, au contraire, unf 
demi-disgrâce de cette précieuse (( division catho 
lique )) qui négociail si utilement entre l'Église e 
Ie roi? et Ia Prusse, déjà, se sentait-elle assez vie" 
torieuse de la révolution, pour faire impunémen" 
bon marché de I 'Église? 
(( Le gouvernen1ent prussien, écrivait Augush 
Reichensperger au peintre Steinle, est comme UI 
convalescent qui à sa première sortie s'enivre e 
qui, pour faire montre de sa force, maltraite le
 
passants inofIensifs 1. )) 
GeisseI, aussi, était très contrarié. Raumer 
 
de 1845 à 1848, avait administré la province du 
Rhin : jan1ais il n'avait produit sur l'archevêqu( 
l'impression d'un sectaire 3 . Dans ces deux ukase
 
imprévus, Geissel entrevoyait avec ennui la consé- 
quence de certaines maladresses catholiques : (( ç
 
et là dans nos journaux, écrivail-il au nonce Vial( 
PreIa, on a fait trop de bruit des effets des missions. 
en se targuant cmphatiquemcnt de Ia victoire dl 
catholicisme et en pronostiquant Ia fin prochaine dl 
protestantisme 3 )). II avait suffi de quelques exu. 
bérances de langage pour remettre en question h 
Iiberté même qu'avait accordée aux catholiques Ie 
Constitution prussienne : les évêques, en aoÚt
 
rédigèrent un mémoire dans lequel iis s' appuyè- 
rent sur la constitution royale contre l'acte minis 


1. Steinle, Bríefwecltscl. II, p. 306. 

. Pfuelf, GeÜsel, II. p. 77. 
3. prude, Gcisscl, II, p. 9
. 



, . 
I
 EGLISE DE PRUSSE 


257 


tériel t : ot ce fut rénloi des évêques, partagé par 
les laïques, qui anlena les députés catholiques à 
se constituer en une fraction 2. Cinq d'entre eux, Ie 
1 i décembre, s'en furent voir Manteuffel pour de- 
mander Ie r0trait des circulaires : de leur audience 
ils remportèrent bon espoir. Le chanoine Trost, 
qui trois jours après vit Raumer, revint beaucoup 
plus pessimiste 3. On se lassa de négocier; la frac- 
tion perdait patience; Trost, Ie 20 décembre, ex- 
pédiait à Geisselle texte de la motion parlemen- 
taire par laquelle WaldboU a1Jait porter devant 
la Chal11brc elIe-nlt'mc les doléances catho] iques It. 
Évêques et députés avaient Ia partie belle : Ie 
Roi leur était propice. Le bruit se répandit, en 
décembre, que Frédéric-Guillaume IV consultait 
Rado"\vÏtz sur les choses calhol iques, et qu'il son- 
geait à Ie choisir comme intermédiaire pour des 
négociations avec les évêques 5. L'intolérance pié- 
tiste s'alarmait : (( Cela peut nous mener, écrivait 
Léopold de Gerlach, à toutes les faiblesses de con- 
cession, et aux pires conséquenccs. )) (( Voilà long- 


t. Pfuelf, Gcissel, II, p. 
o et suiv. - Les évèques expliquaient que les cir- 
culaires Raumer avaient l'approbation de ceux<< dont les visées poliliques ten- 
daient à ùélruire tout I 'ordre établi. >> 
2. Voir ci-dessus, p. MO. Duesber
, président en Westphalie, craignit tout 
de suite Ie mauvais eifet électoral de ces édits (Poschinger. Denkwuerdigkeiten 
dl'8 Jlinisterpresidents Jlanteullel, II, p. 257). - << Sans les édits Raumer, 
disait Reichensperger, il ne nous serait pas venu à l'idée de former une telle 
fraction. Avant les édits, nous n'y avons mème pas songé; nous avions In Cons- 
titution . (Pastor, Reichensperger, I, p. 342). 
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 97. - Manleuffel et quelques autres minislres soubai- 
laient une conciliation avec les catholiques; mais Raumer, et Westphalen. Ie mi- 
nistre de l'Intérieur, y étaient moins enclins (Pastor, Reichenaperger, f, p, 344). 
.. Pfue1f, Geissel, II, p. 98. 
5. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten. I, p. 832-833. - Sur Ie gënéral 
de Radowitz (1797 -1853), voir notre tome II, p. !33-!35 et 3
8-342. 


III. 


17 


LIBRARY ST. MARY'S COllEOE 



258 


L' ALLEl\1AGNE RELIGIEUSE 


temps, observait Westphalen, que I'Ecctesîa n'tili- 
tans, là OÙ eJle n'est pas déjà trÏlunphans, est en 
marche i . )) Jusqu'où pousserait-elle sa marche"? 
Certains redoulaient une conversion du roi au 
catholicisme; d'auLres, comme Niebuhr 2, gros- 
sissant, par une sorte d'hallucination, la force 
de la nouvelle fraction catholique, évaluaient à 
93 le non1bre de ses membres. Bodelschwingh son- 
geait à créer, dans la Chalnbre, une fraction évan- 
géJique pour rappeler à I'État prussien son devoir 3 . 
Car, au milieu du bruit qu' on faisait des deux 
circulaires, les gens informés discernaient une 
voix, chuchotant à qui vou]aH l' entendre que la 
portée de ces actes était restreinte 4, et qu'en fait, 
I'Etat et les catholiques s'entendraient : cette voix 
n'était autre que celIe de Raumer. Après avoir 
inquiélé les catholiques par ses circulaires, il in- 
quiétait les protestanLs par ses propos. 
Le débaL pJ'ovoqué par \Valdbott IS s 'cngagea de- 
vant la Chambre, en février 1853. Les deux frères 
Reichensperger s'unirent à lui pour attaquer les 
circulaires. lIs furent plus convaincants dans leur 


1. Petersdorff, Kleist-Ret
ow, p. 270 (leltre du 8 novembre J 852). Sur Ie 
minish'e Ferdinand OUo Guillaume Hcnning de Westphalen (1799-1876), voir 
Thimme, AllgemeÍ1
e deutsche Biographic, XLII, p. 2::! l-'!!û. 
2. Sur l'ardent réaclionnaire qu'élait l\Iarc Carsten 
icolas :.\iebuhr (HH 7-1860), 
,"'oir \Vippermann, Allgemeine deut8che Biographie, XXIII, p. 662-664. 
3. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten, I, p. 83t-833. - Sur les deu
 
íròres Bodelschwingh (1794-1854 et 180U-1873), voÜ- Bodelscl1wingh. Allgeme'lne 
deutsche Biofj1'aphie, III, p. 3-5. 
4. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Au[zcic/mull!Jell. II, p. IG(J-168. 
5. Waldbott. vice-président de Ia Chambre, avait jadis joué un rôle comme 
maréchal du Landtag rhénan, CIl y mainlenant à l'ordrc du jour la queslion 
rcligicusc mal.!..:,";:e ,;oHlmi<;sairc (:u ..:011\ ('l'ucmcJll.l'ÙÌcll. Jlalllt,c/.'J'vdt. p. (6). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


259 


exposé qu'impérieux dans leurs conclusions 1. De- 
vant la Commission comme devant la Chanlbre, 
Raumer a vait donné des explications si rassurantes 
pour les missionnaires et si rassurantes pour 
les séminaristes, que les circu laires semblaient 
destinées à demeureI' à peu près Iettre morte; et 
Gerlach reconnaissait que les plaintes des catho- 
liques n'étaient pas sans fondement. Cela suffisait 
à lVlallinckrodt; il n'était pas d'avis de pousser 
trop loin la victoire, de crain!e qu' ensuite la réac- 
tion protestanle ne se déchaînãt avec trop de vio- 
lence. Au vote, la motion catholique succomba; 
mais, en fait, les catholiques, fortifiés par l'appui 
des gauches, étaient exaucés : (( Notre cause, écri- 
vait l'évêque Foerster, a remporté une victoire 
morale, qui dépasse en importance les plus bril- 
lants succès de façade 2 )). 
Iontalembert, félicitant 
Auguste Reichensperger, considérai t cette discus- 
sion comme (( l'une des plus helles pages dans l'his- 
Loire politique des temps modernes 3 )); et 
lallin- 
ckrodt) dans une sorted'épilogue qu'il écrivait pour 
Ie compte-rendu des débats, proclamaitl'importance 
historique d'une lelle manifestation parlenlentaire 
et s' en l'emettait, pour l'issue finale, à l' esprit 


1. Le! débals sont publiés dans la b!'ocbme Die lIIiniste1'ial-E1'lasse. p. 19- 
165. - La molion Waldboll, signée par 88 dépulés (lous les membres de la frac- 
tion calholique, 12 Polouais el quelques catholiques des aulres parlis), recueillit 
1.23 voix conlre 1i5. Voir daus Leopold v. Gerlach. Denkwue1'lligkeiten II 
p. 9, les impressions de ce l'eprésenlant du piélisme, lrès hostile à la fraciio
 
catholique. 
!. Paslor, Reicheusperger, I, p. 347-348. - Le chanoine Trosl, dans Ulie 
leUre à Geissei, se montrait beaucoup plus llécouragé (Pfuelf, Geisiel, II, p. 99.) 
:t. Paslor, Rt'icheuspergcr, I, 1'. 
4
1. 



260 


L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


d'équité du roi I. C'élait en vain que Léopold de 
Gerlach, s'entretenant avec Baumer de Ia question 
des Jésuites, dénonçait obstinén1ent l'esprit quereI- 
Jeur des Romains, et Ia n1anie de division qui les 
poussait à dogmatiser sur] '!mmaculée Conception 2 , 
et c' était en vain qu'il houdait et bousculait Ie Roi 
lui-même, qui rêvait toujours de dépêcher aux 
évêques Ie catholique Rado,vitz pour conclure entre 
l'État et rÉglise un hon traité. Le Roi, lorsque 
Gerlach était trop gènant, l'appelait graven1ent : 
(( }lonsieur Ie lieulenant général )); et du seclaire 
qu'était Gerlach, il ne restait plus qu'un militaire, 
qui se taisait;). II se taisait, jusqu'ã ce qu'il reCOID- 
mençât; il se taisait d'un silence pesant et doulou- 
reux, sentant que I ïncident des circulaires avait 
forlifié la cohésion dn parti catholique, que malgré 
les aUaques ou les réserves de certains catholi- 
ques", ce parti durerait, et qu'au scrutin, les pro- 
testants appartenant aux partis libéraux avaient 
confondu leur vote avec ceux des Romains. 
Au lendemain de ce débat, Otto Meier publiait 
le second volume de son livre sur La p'Jlopagande G : 


1. Die Ministerial-Erlasse, p. 1i4-17G. - Pfuelf, .J.llallinckrodl, p, 71-79, 
rõvèle que ('es pages non sigl1ées sont de l\1allinckrodt; elles sont m
me Ie seul 

crit qu'on ail de lui. 
2. Leopold v. Gf>rlach, Denkwuerdigkeiten, II, p. 20 : il eslimait que l'Église 
de I'avenir ne pouvait êlrc une Église de pr
l1'es (Denkwuerdigkeiten, II, p, 7). 
3. Voir dans Leopold v. Gf'rlach, Denkwuerdigkeiten. II, p. 16-17 et <;!1-23, 
Ie récit très curieux de ses conversalions avec Ie roil les 3 et 13 mars, au sujet 
de Radowitz. 
4. rfueU, Mallinckrodt, p. 67. - PCut-1f, Gei88el, II, p. 104-105. On essaya, 
chose curieuse, - comme Bismarck Ie teDtera dix-neur ans plus tard conlre Ie 
Centre - d'alléguCl' que la CI'action c4lholirfue D'était pas persona [Jl'ata au 
Vatican. 
:;. Yoir ci-Jt'ssu!1l, p, 201. 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


26i 


il était très sérieusement in quiet. Sa pl'éface gour- 
mandait les députés protestants qui s'étaient per- 
mis de voter pour la motion \Valdbott. 1\Ieier 
souffrait en voyant les catholiques ouvrir leurs 
voi]es à l'espérance : OÙ done en était la Prusse, et 
qu' était done devenue l'illtégrité du protestantisme, 
pour que Walter, Ie canoniste (( ultramontain 1 )), 
osât joyeusernent prévoir l'heure prochaine OÙ des 
plumes protestantes se feraient les avocates des 
J ésuiles eux-mêrnes? Déjà une soldatesque ma- 
næuvrait, qui avait nom Ie parti caLholique, et qui 
marchait, indifféremment, à aroite ou à gauche, 
pourvu qu'enfin Ia Prusse capitulât devant (( cette 
ÉgIis
 que Ie cardinal Bellarn1in considérai t comme 
un État au même titre que la République de 
Venise )) ; et 
Ieier déniait à cette fraction parle- 
nlentaire, servanle d'un État qui n 'élait pas Ia 
Prusse, Ie droit de se considél'er conlme réelle- 
ment prussienne. 
II n' étaÏt pas possible que cet État essentielle- 
ment protestant qu'éLait la Prusse laissât l'Église 
calholique vivre selon ses propres lois : tel était 
l'axiome que formulait Ie surintendaut Eichler, 
dans une brochure Oil s'étalait un inlol
rant dog- 
matisme 2. Eichler disait, même, que les sujets 
calholiques,qu'i] croyait mécontents de la proclama- 
tionde l'Immaculée Conception, applaudiraienttout 


I. Sur Ferdinand Walter (1794-18ï9), voir nolre tome II, p. 210-211. 
'!. Eichler, Kein 1.Vohlgeordl1etcl' Staat kalln die 1'oe1iliscl
 katlwlische KiT'c!te 
{rei nuch ihl'f'lt {Jc.<;('t
cn leben lassen: Aus 107 paepstlichen Gesetzen gege;
 
tlie llecht,. dCI' J.'w'I'slelt u'ld gcgr'lt cla.<; 'roM der Voelker nachgewieser6. 
(Darmlasdl, Lesl..e, t 85 
 \. -- Brueck-Kissling, r;eschichte, II I, p. 85-86. 



262 


, 
L AJ.LEl\IAG:\'E RELIGJEUSF. 
, 


de suite à la suppression de ces (( libertés ecclésias- 
tiques )) qui déguisaient, à ses yeux, Ie despotisme 
romaine 
Pour les féodaux de la vieille Prusse, pour un 
Léopold de Gerlach, pour un Bismarck, I 'alliance 
d'un certain nombl'e de protestants avec la frac- 
tion catholique était impardonnable. Toute la phi- 
losophie de leur parti se résumait en une formule: 
l'État prussien est un État évangélique. Les pro- 
testants étaient la classe dominante, et cette hégé- 
monie devait être sanctionnée par l'jnstilution d'une 
Église d'État, avec laquelle disside.nts et catho- 
liques ne seraient pas sur un pied d'égalité 1. 
Qu'eût dit Frédéric II s'il avait prévu qu'un jour 
les dépenses nécessaires pour rarmée auraient pour 
arbitre un curé, un futnr évèque, Ie chanoine Eber- 
hard, de Trèves, rapporteur du budget militaire en 
1855 2? Et si Dieu -Ie Dieu de la Réforme - avait 
permis qu'un mouvement de réaction vengeât l'État 
prussien des menaces de la Révolution, ne conve- 
nait-il pas que ce mouvement, tout en mêmc temps, 
exaltât I'Évangile de Luther? Bismarck, que Jes 
débuts parlementaires des uHramontains rendaient 
anxieux, souhaitait de tonte son ârne que l'opposi- 
tion libérale, dangereuse pour l'État, et] 'ultramon- 
tanisme, dangereux pour l'Évangile, apparussent 
à l'opinion pub1ique comme solidaires, et que ces 


1. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten. II, p. 262 (
8 dêcembre 1854). - 
· L'Elal paritaeti8ch, écrivail
il encore (1"'1' déccmbre 1853), ne peul pas se main- 
tenir en Pru
se. )) 

. Ernst Ludwig v. Gcrla('h.Aufzeichllungen, II. p. 162-Hì3 el197. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


263 


deux forces, qu'il traitait l'une et l'autre en enne- 
mies, se compromissent rune par l'autre. (( Dans 
nos provinces de rEst, disait-iI, si I'on arrive à 
confondre Ie jésuilisme et le libér'alisme, ce der- 
nier perdra Ie pen de sympathies qu'il possède en- 
core 1 >>. Foncièrement proteslant et foncièrement 
réaclionnaire, ainsi s'affichait Ie parti féodal. 
L'hostiJité contre Ie romanisme prenait l'aspect 
d'un fanatisme civique. Bismarck ne pouvait pas, 
ne voulait pas admettre que Ia lune de nliel entre 
l'Église et l'Étal prussien fût durable. (( L'expé- 
rience apprend, écrivail-il à l\lanteuffel Ie 29 no- 
vembre 1853, que Ie clergé catholique ne désarme 
qu'à la condition d' exercer une domination abso- 
Iue. L'Église romaine jouit en Prusse d'une indé- 
pendance qu' elle n'a guère trouvée jusqu'ici sous 
un prince cathoJique, et pourtant on ne peut dire 
que Ia paix entre l'Église et I'État y soit assurée 2. )) 
II était aux aITûts, dénonçant, par exemple, l'in- 
fluence du cardinal de Cologne sur la police de 
l' endroit 3. (( A. vec les ultramontains, insistait-il 
encore, il n'y a point d'alliance durable; toute 
concession, jusqu'à la soumission absolue, leur 
fera l'effet d'un acompte, d'un encouragement 'Þ. )) 
Et encore: (( L'esprit envahisseur qui règne dans 
Ie camp catholique nons forcera, à la longue, à 


I. Bismarck, lettl'es politiqucs, p. Ui-' (leltre du tâ novembre 1852). 

. Bismarck. Correspondance diplomatique J, p. t97 et suiv. (LeUre du 
29 novembre 1853). - cr. notre tome IV, p. 35-37 et 56-59. 
3. Bismarck, Lettre
 politiquC8, p. 175 (Ietlre dll 2:> j
nvicr 1854-). 
4. Bismarck, Lettres politique
, p. 129 (leUre du 8 décembre 1852) 



26
 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


livrer une bataille rangée 1. )) Léopold de Gerlach 
pensait et parlait comme Otto de Bismarck: ce qu'il 
reprochait à l'Église ronlaine, c'était de ne point 
être l'alliée de rabsolutisme; ce dont ilIa soupçon- 
nait, c'élait de coquetterie à l'endroit des révolu- 
tions 
. Le luthéranisme des féodaux prodiguait à 
l' (( orthodoxe )) B.ussie courtoisics et tendrcsses : 
il y avait là, du moins, de l'autre côté du Niémen, 
un absolutisme inflexible, sur lequel on pouvait 
compter, une religiosité rigoureusement conser- 
vatrice, de poigne so1ide et d'exemple efficace. Le 
gouvernement de Berlin provoquait les protesta- 
tions des évêques en soupçonnant les catholiques 
prussiens de conspirer contre Ie bon ordre en 
Russie 3 ; et les affinités élecLives de la Prusse évan- 
gélique avec la H.ussie schismatique opposaient un 
contrepoids à d'autres affinités, naturelles celles- 
là, ct d'autant plus périlleuses qu'invisibles, qui 
rapprochaient, disail-on,]a théocratie papiste et la 
turbulente démocratie. A l'issue des rêves où s'at- 
tardaient laborieusement les conservateurs, on 
aurait vu le protestantisn1e, confession d'État, fort 
de son alliance étl'angère avec Ie césaro-papisnle 


1. Bismarck, Lell1'es politiques, p. 125 (1etlre du 15 novembre 1852). 

. Leopold v. Gerld.ch, Ðellkwuel'digkeiten, I, p. 673, 807, 832: il s'en prenait, 
formellemenL, à la doclrine de l"Église sur Ie pouvoir civil; II, p. 23, il dénon- 
çail l'esprit révolulionnaire du bas clergé lombard et d'une partie du clergé 
hongl'ois, fran
ais el allemand. 
3. PfuelC, Geiasel, II, p. 130 el suiv. - L'Annuaire des Deux J1UIldcs, V, 
p. b68, donne la traduction de la circulaire du minislre \V eslphalen sur 
l'alliallce du clergé avec la démocl'alie ell vue ù'eJlciter les esprits conlre la 
Russic. - L'hostililé des chefs de l'opinion calholique conlre la Russie en 1S:ji. 
avail donaé lieu à ces soup
ons injusLifiés. Floreucourt, qui inclinait vcrs la 
Russie, avail dû quiLter Ie journal Deutsche rolks/utIle (Pfuelf, ,Jlallinckl'ocJt, 
p. g
). 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


265 


de Pétel'sbourg, opprimer d'une sorte de dictature, 
au dedans même du royaume de Prusse, les cons- 
ciences sujettes de Rome. 


VIII 


Le premier acte de ce progranlme dictatorial était 
la concession à l'Église évangélique d'une série de 
faveurs budgétaires : eUes donnèrent lieu, tout de 
suite, à de graves escarmouches, dans lesquelles 
les fidèles de l'Église romaine se révélèrent conlDle 
une force. 
La Prusse, (( État évangéliq ue, )) conl111ettait une 
anonlalie en donnant annuellement à l'Église catho- 
lique 719.46
 thalers, et 328.770 thalers à l'Église 
évangélique. Le conseil suprênle évangélique récla- 
mait que les subventions accordées à chaque J
glise 
fussent au moins proportionnelles à leur chiffre 
respectif de fidè]es; il réputait légitime, au profit 
du protestantisme, une augmentation de 870.338 
thalers, et se déclarait d'ailleurs tout prêt à se 
contenter si on lui en accordait 274.000 1 . Un pro- 
testant converti au catholicisnle, Rinte1 2 , discuta 
cetle pétition; il remontra, dans sa brochure, que 
la somme inscrite à la loi de finances pour la 
confession romaine rcprésentait en réalité, dans 
sa presque totalité, une delte juridique de l'État; 


t . Die J(athoiischen ],Lte
'esscn bei delL Bu(!gctve
'han(llungen in den preu.II- 
&ichen Kammc1'n des Jahres 1852-1R5J, p. 13-21 (paderborn, Schocningh, 1853). 
2. Sur Charles Gustave :,{icolas Rinlcl (1809-1894), \oir Rosenthal, KOlivertC 
tenbilder, I, 2, p. t78. 


'LI R 


Y ST. 


RY'S COLLE t 



266 


J.OALLEl\IAGNE REI..IGIEU8E 


que, dans Ie budget de l'Église évangéIique, il y 
avait à pen près 300.000 thalers octroyés par une 
g-énérosité gracieuse; que, dans Ie budget de 
'- , 
l'Eglise catholique, Ie cadeau parallèle accordé 
par l'État ne dépassait pas 94.000 thalers; que 
l' (( imparité )) de traitement entre les deux con- 
fessions tournait done an détriment de l'Église 
romaine; et qu' enfin les médiocres libéralités faites 
à ceUe Église n'étaient qu'une faible rançon pour 
la s
cularisation d'innombrables biens ecclésias- 
tiques 1 . 
Le ministère prussien donna raison au conseil 
suprême contre Rinlel : il déclara que l'évangé.. 
Hsme avait droit à 2'10.000 thalers de plus, et qu'en 
raison de l'état des finances on lui en octroierait, 
pour l'instant, 50.000 2 . Le geste élait moins géné- 
reux que les paroles. Encore qu'on affectât de Ie 
ba.ptiser protestant, rÉtat prussien, bon économe, 
marchandait visiblemenl ses thalers. 
fais la satis- 
faction de principe qu'il avait accordée encoura- 
geait les réclamations, et tout de suite, dans la 
Chambre, 94 signatures furent groupées, réclamant 
des subventions pour les missions prussiennes 
évangéliques répandues à travers Ie monde 3. Les 
catholiques s'émurenL Depuis 1.821, la Pru
se 
devait constitucr en biens fonciers la dotation de 


J. Rinlel, Beleuchtung de1' Dcnkschrift des evangelischen Oberkirchenrathe8 
betretfend die Vermehrung der notation der Evangelischen Kirche in 
Preu8sen vom Standpunkte des Rechtes und der Paritaet (Ralisbonne, 
)laDZ, 185
). 
2. Die Katholischen Intere88en. p. 54-55. 
3. Proposition 
oeldcchen el Slolberg- W ernigerode (Die [(atholi8clu;n Intf!
 
reð8en, p. 63..65). 



L '':
GLISE DE PRUSSE 


267 


eurs évêchés. Elle s'y était expressément engagée; 

rédéric-Guillaun1e IV, en 1847, avait encore, par 
ln acte formel, reconnu cette dette et l'urgente 
lécessité de la liquider 1 . Bien encore pourtant 
1'élait fail. Le juriste OLto et ses collègues catho- 
jques réclamèrent de rÉtat prussien, Ie 9 mars 
1853, qu'il allât plus vile en besogne, que par 
:;urcroît it distinguât sérieusen1ent, dans ses bud- 
5ets, les subventions concédées aux Églises en 
vertu d'un droit nettement établi et les subventions 
accordées par générosité pure, et qu'enfin les 
50.000 nouveaux thalers que J'État prussien croyait 
pouvoir affecter au bien des âmes fussent équila- 
blement répartis entre les di verses confessions
. 
En mai 1.853, la Chambre passa outre, repoussa la 
motion Ott0 3 . Au tern1e de cette première passe 
d'armes, rÉplise protestante avait obtenu un 
cadeau, et l'Eglise romaine attendait encore une 
bonne parole. Tout au plus avait-on voté, pour 
adoucir la déception, une motion pen compromet- 
tante, d'après laquelle les 121.083 thalers d'allo- 
cations supplémentaires votés chaque année pour 
les ecclésiastiques et les instituteurs, et dont un 
quinzième seulen1ent profiLait it la confession catho- 
lique, seraient désormais réparlis avec moins 


1. Pfue1f, Geissel, 11, p. t08. - Dè., i85
, Geissel et les évêques du Rhin avaient 
adressé, sur cette question de la dotation de l'Eglise, un mémoil'e au roi (PCuelf, 
Geis'lel, II, p. 105-111). . 

. Lc tede et l'exposé des motifs de la proposition Otto sont publiés dans Ie 
recueil : Die Katholischen Interessen, p. 65-77. - L'intel'vention d'Otto Cut 
provoqnée par Geissel (Pfuelf, Geisse/, II, p. 101). 
3. Die Katholi8chen Interesse1l, p. 135-206 (séance du (j mai 1853). 




68 


L' ALL EI\IAGNE RELIGIEUSF. 


d'cxclusivisme 1. Grand pourchasseur de détails eï 
grand épIucheur de chiffres, Olto envisageait aussi, 
dans un long rapport, les questions relatives i 
r enseignement, et démontraÏl que, sur cel autrt 
terrain, Ia confession évangélique était une privi- 
légiée 2 : I'État demanda un délai et promit de faire 
de son mieux avant l'année suivante, pour donner 
quelque satisfaction à l'idée de (( pari lé )) confes- 
sionnelle. 
La prom esse était trop belle pour être aussi vite 
tenue. L'Élat n'en avail ni Ie tenlps, ni peut-être 
Ie goût; et, puisque l'inertie des bureaux semblait 
invincible, la fraction catholique obtint qu'une 
commission parlenlentaire se chargeât de ce déJi- 
cat travail. Le choix même des commissaires fut 
un premier succès pour Ia fraction: elIe put fail'e 
élire neuf de ses memhres, et Ia commission ainsi 
constituée nomma comme président Auguste Rei- 
chensperger, comme rapporteur l\laLlinckrodt 3 . 
Le directeur général des contributions, Ie pro- 
testant Kuehne, fut Ie premier à souhaiter, quand 
en avril 1854le rapport de Mallinckrodt se discuta:., 
que les plaintes des catholiques fussent renvoyées 
à l' exam en du ministère et que, dès la prochaine 


1. Die Kal/wlischen InteJ'esscn, p. 2G8-27t cl2J!)-!27 (séallce du 7 mai J853). 

. Le rapport d'Otto (5 avril 1853) esl puLlié dans Ie l'ccueil : Die Katholis- 
chen Intel"essen, p. 236-310. 
3. Pfuelf, A-Iallinckrodt, p. 108. - Paslor, Reichensper{ler, I, p. 357. - LC' 
rapport de la commission, dalé du :H avril 1854, esl publió dans Ie second 
recueil : Die Katholischen Intel'essen in den preu8sischen Kammern. ties 
Jalu'es 1853-1854, p. 71-124 (Duesseldorf, Engels, 1854). 
4. Die !(atholischeÞL Interessen in delL preussischcll Kamme1'" des Jaltn:s 
1853-lí4, p. 177-181 (eéance du 28 avril 1854). 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


269 


;cssion, Ie minislère apporlât son avis. II en fut 
tinsi décidé, à une forte majorité 1 : Ie courage 
)ratoire de Mallinckrodt avait enlevé ce vote. 


IX 


A vocats et adversaires des revendications catbo- 
liques, au moment même OÙ ils s'escrimaient sur 
la scène parlementaire, ignoraient, les uns et les 
autres, que des négociations occultes s'étaient 
I ébauchées, à Rome, entre Ie Saint-Siège et Ie gou- 
verncment prussien, et qu'il ne s'agissait de rien 
I de moins que de la conclusion d'un concordat. 
Un certain Georg-es I\1ind\vorth, ancien agent du 
roi de vVurlemberg, était passé au service de Man- 
teuffel; ot, dès Ie début de 1853, il avait pris Ie 
chemin de Rome, pour causer. I\Jind\vorth causait 
avec Ie Pape, en février 1853, pendant que se 
dél'oulaient, à la Chambre prussienne, les débats 
: sur Ia motion Waldbott : (( Le Pape veut des négo- 
I ciations, écrivait-il à ManteuffeI; il veut une 
paix, un traité. 11 m'a promis de mettre fin sans 
retard, par un bref, ou par une circulaire d' Anto- 
I nelli, au trouble que font les catholiques dans Ia 
I Chan1bre, autant que cela dépendrait du Saint- 
Siège. )) A vrai dire, la fraction cathoJique, qui 
: venait de lutter avec énergie contre les circulaires 


L Die Kalholischen Interes.'fen in den prcussischen Kummer7'l, des Jahres 
1853-54, p. t89-t9fì (séancc du 28 avril 1854). - Pastor, Reichen.<rperge1', I, 
p. 3:ii. 



270 


L' ALLEßIAGNE RELIGIEUSE 


Raumer, ne reçut du Pape aucun moniloire; mai
 
Pie IX, le 21 février 1853, expédiait au roi dE 
Prusse on courrier, pour lui dit-'e queUes (( conso- 
lations )) lui avail procurées la délnarche de 1{lind- 
worth; et sans retard, la plume royale de Frédéric- 
Guillaume IV répondait lrès gracieosement à la 
plume papale. Manteuffel, le 31. mars 1853, dan
 
une leUre au cardinal Antonelli, exposait les prin- 
cipes d'un accord : Ia Prusse se déclarait loote 
prête à reconnaître, par un loyal traité, l'autono- 
mie de l'Église; à achever Ie paiement de &es 
dettes, telles que jadis eUe les avait reconnues, 
et même à secourir I'Églisp par des allocations, 
chaque fois que Ie besoin s' en ferait sentir; eUe 
demandait, en revanche, que l'Église évitât tout 
empiétement, et que les deux pouvoirs so concer- 
tassent pour Ie règIenlent des questions mixtes. 
(( Une bonne entente avec la Cour de Rome, disait 
lVIanteufIeJ en terminant, est un des væux les plus 
chers du gouvernement du roi; nous sommes 
pénétrés du besoin d'une telle entente, et nous pou- 
vons, Ie cas échéant, rendre au Saint-Siège des 
services essentiels. }) 
II semble que Ie gouvernement prussien, qui 
accord ail aux députés catholiqoes plus de bonnes 
paroles que de concessions, affectât, aux yeux de 
Rome, de réserver ses générosités pour Ie jour OÙ 
un concordat serait conclo; et mên1e 
Ianteoffel, 
au printemps de 1.853, paraissait n1ettre au service 
du Saint-Siège l'influence politique de Ja Prusse 
sur les autres l
lals dB l'...\l1cnlagne. Tanl it HOll1C 
L 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


271 


qu'à Berlin, on n'avait qu'une inquiétude on 
eedou tait que ces pourparlers ne fussent ébruités à 
Vienne et que l'AuLriche, prévenue, ne troublât 
les fiançailles entre Rome et Berlin. 
Un an durant, ces fiançailles se prolongèrent : 
Ie 30 mars 1.854, I{lindworth a va it deux heures 
d'audience auprès de Pie IX : (( Le Pape et Anto- 
nelli, écrivait-il it Manteuffel, veulent plus que 
jamais que l'État et l'Égiise se prêtent un mutuel 
appui. 1}) Tout Ie mois d'avril, I{lind worth négo- 
I ciait avec Ie prélat Ferrari; Ie projet de concor- 
I dat qu'ils élabora!ent de concert proclamait l'in- 

 dépendance de l'Eglise, déterminait Ie droit des 
évêques en matière d' enseignement, et, pour la 
collation des cures, garantissait à I'Égiise les dota- 
tions déjà promises par la Prusse en i821, assu- 
rait aux séminaristes Ia permission de faire leurs 
études à Rome, meltait en vigueur, en ce qui regar- 
dait Ies mariages mixtes, Ie bref de Pie VIII et 
l'instruction du cardinal Albani 2, et stipulait que 
Ie roi ferait part au Saint-Siège, pour les aplanir 
à l'amiable, des contestations qui pourraient sur- 
venir entre l'État et l'Église de Prusse. Un pro- 
nlemoria supplémentaire stipulait que Ie Pape 
continuerait de pourvoir à certaines dignités 
ecclésiastiqucs conforn1ément à la bulle De salute 


1. Ell novemLre 1853, Frédéric-Guillaume IV, présentant à Pie IX son neveu, 
Ie fulur cmpereur Frédéric III, se plaignail dans sa leUrc, de certaines. accu- 
sations fausses >> dont sa polilique religieus.e élait l'objel, promellait mème 
d' . apporlertous ses soins au bien-être de l'Eglise >>, et ajoulait : CI. Le
 Égliscs 
et les rois ont aujourd'hui les mêmes ennemis à comballre " (Pocchinger. 
Denkwuerdigkeiten des ...Jfinisterpre8idents 
lanteuUcl, II, p. 389-391). 
2. Voir uoLrc Lome n, p. 151. 



G)-" 
...d_ 


L'ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE 


anÙnarUllZ, qu'il serail toujours disposé à rappeler 
au clergé et aux fidèles leur devoir, qu'on veille- 
rait à ce que l'ordre ne fût pas troublé par les 
missions. Ce ]J'f'Olnelnoria enregistrait, enfin, Ie 
doubJe désir du Saint-Siège d'avoir un vicaire à 
Berlin et d'y installer un représentant. 
Klind"\vorth expédia tous ces documenLs; il pré- 
venait Manteuffel, aussi, que Pie IX n'aimait pas 
les Jésuites, et que si Berlin voulait Jeur refermer 
les frontières prussiennes, il suffirait d'y mettre 
certaines formes pour que Rome n'y vît aucun 
nlai l . Le prélat Hohenlohe, dans une letlre du 
28 avril 1854, insistait auprès de l\lanteuffeJ pour 
qu'un accord fûl rapidement conclu; n1ais, pour 
des raisons inconnues, les causeries demcurèrent 
en suspens et ne furent jamais reprises 2. Est-ce du 
Vatican, est-ce de Berlin, que vint l'initiative du 
silence? Le Vatican sut-iI, d'aventure, qu'à l'épo- 
que même où ]a Prussc lui faisait ainsi des avanees, 
Bisn1arck, au non1 de la Prusse, dissuadait Ie grand- 
duc de Bade de s'entendre avec Rome pour une 
pacification religieuse? Ou bien d'autres COllrants 
prévaiurent-ils à Berlin? 
Si la n1ission de J{lind,vorth doit être regardée, 
à distance, comme une sorte de répéLition de la 
comédie diplomatique que jouera plus lard Bis- 
n1arck, chancelier de rEmpire, et par laquelle il 
essaiera de susciter contre Ie Centre un blâme du 


1. Poschinger, Deutsche Revue, seplembrc I!}07, p. 330. 

. Tout cet épisode a élé révélé par Ies documents (ju'a publiés Po
citill
cr 
clans la Deutsche RE'J.'I'/u' de jnin t!)06, p. 317-328. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


273 


Pape, ou de donner le change à l'opinion sur 
l' existence d 'un tel bJâme; si pent-être la Prusse 
de 
Ianteuffe] n'avait déployé tant de gracieux 
manèges que pour obtenir du Saint-Siège une 
parole ou un acte contre la fraction catholique, 
elle dut se rendre compte, rapidement, que Rome 
n' exaucerait pas eet espoir et ne condescendrait 
pas à énerver les énergies eatholiques par des 
mesures de défiance ou des con seils d' effacement. 
IJ était heureux, d'ailleurs, que la fraction 
catholique n'eût aucun soupçon de ces pourpar- 
leI's; si eUe les avail connus, eUe aurait eu, peut- 
être, je ne dis pas moins de courage, mais moins 
d'aisance dans l'action. (( Nous ne désirons aucHP 

oncordat, disait un jour Geissel. Nons sommes 
maintenant plus libres qu'avec un concordat nous 
ne Ie serions. Notre constitution est notre meilleur 
bouclier i. )) Lorsque l'État prussien, inexpugnable 
Bn ses lenteurs, eut oublié les engagements qu'il 
avait pris à la Chambre, lorsqu'il eot laissé venir 
l'année 1855 sans avoir sérieusement entrepris 
l'étude des griefs catholiques, la fraction, toujours 
libre de toute entrave, toujours supérieure à tout 
découragement, et toujours tenace, enfin, à vou- 
loir tirer parti de la constitution, se mit en 
mesure, fidèle à son propre passé, de recommen- 
cer l'assaut. Elle Ie recommençait, même, avec 
d'autant plus d 'âpreté, que les indications don- 
nées par la Chambre en faveur d'une poJitique de 


t. Pfuclf, GeiS3el, II, p. 519-520. 


111. 


4.8 



274 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


(( parité )) n'empêchaient pas les fonctionnail'es, er 
Prusse orientale, en Posnanie, en SiJésie, de nlul. 
tiplier les actes adnIinistratifs favorables au pro. 
testantisme 1. 
Otto, en février 1.855, reparla des revendica- 
tions catholiques 2 : Ie nlinistère répondit, ou [ 
peu près, que tout était pour Ie micux; et quel- 
ques membres catholiques des autres fraction
 
parlementaires, acquis naguèrc à la motion d'Otto. 
se laissèrent facilement rassurer par l' optimismc 
ministériel 3 . Otto, Ie vainqueur de 1.854, n'étai1 
plus en 1.855 qu'un vaincu. La motion de son col- 
lègue Eberhard, Ie futur évêque de Trèves -., eut plu
 
de chance: il s'agissait de faire reconnaître par lö 
Chambre que, sur la rive gauche du Rhin, le
 
paroisses catholiques dont les biens, confisqués pa] 
la Révolution française, avaient passé entre Je
 
mains de l'État prussien, n'étaient pas plus riche. 
ment subventionnées par l'Étal que les paroisse
 
protestantes de la même région qui n'avaienl pa
 
été victimes des mêmes spoliations. Eberhard vou- 
lait qu' en conséquence la Prusse accordât des sub- 
sides, sur la rive gauche du Rhin, à soixante ef 


1. Lettre de Foerster à Gcissel (if mars 1854), dans Pluclf , Geissel, 11, p. !15- 
!t6. 
!. Die Lage der Katholiken Ì1
 Pl'eussen am Schlusse der III Legislatur- 
Periode, p. 114-t16 (motion alto du HI Cévl'ier 1855). (Ducsseldorf, Engels. 
1855) . 
3. Die Lage der Katholiken in Preussen am Schlusse der III Legisla.tur- 
Periode, p. 146 (séance du 30 mars 1855). 
4. Sur Ie prédicateur el dépulé Mallhias Eberhard (1815-1876), évéque de 
Trèves à parlir de 1867. et prisonnier so us Ie Cultw'kampf: voir les deux 
monographies de Kraft (Trèves, jJllulil/1ls DI'uckerei. 1878) et dc Dilscheid 
(Trèvos, Puuliuus lJruckerei, 1900). 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


275 


une paroisses catholiques t. En 1854 et 1855, la 
Chambre émit un vote en ce sens 2; mais Ie gouver- 
nement, rélif à ce genre de dépenses, n'inscrivit 
au budget que six paroisses catholiques nouvelles 8. 
Deux ans après, Otto, du haut de la tribune, renou- 
velait encore ses revendications contre les privi- 
lèges pécuniaires accordés au culle évangélique, 
lorsque, Ie 17 mars i 857, un coup d'apoplexie le 
terrassa"; et ce fut une grande perte pour la frac- 
tion que celle de cet excellent debater, mort à )a 
tribune confesseur de la << parité )). 


x 


Le 8 novembre 1858, une allocution du prince 
Guillaume:;, régent depuis un mois, désa voua for- 


1. Le lelle de la mOlion Eberhard (16 avril 1854) esl puLlió daos Ie recueil : 
Die Katholischen Interessen in den preussischen Kammern des Jahres 185S- 
54, p. 227-233. 
!. Die Katholischen Interessen, p. 231--250 (séance ùu 20 avril 1854 : Ja motion 
Eberhard est votlie à une voi
 de majorilé). - Die Lage der Katholiken, p. 95- 
107 (séance du 30 mars 1855 : la motion Eberhard esl votée à viugt voix de 
majorité). 
3. Manleuffel, au débul de 1856, marquait au roi une certaine lassitude pour 
celte poJilique religieuse qui, disait-il, acrrois!:>ail, toul à la fois, la puissance et Ie 
méconlentemelll des ultramonlains (Denkwuerdigkeiten des Ministerpreside7l.ts 
ilfanteuRel, Ill, p. 100-102). 
4. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 131. - Pastor, Reicltensperger, I, p. 378. 
5. Les catholiques avaient d'assez bonnes raisons de n'être point inquiets de 
l'avènemeul du fulur empereur Guillaume lor (E. P. B., 1858, II, p, 5H). Le 
nouveau prince régent avail assisté, sans aucune gène, au mariage catholique 
de la princesse Stéphanie de Hohenzollern (Pfuelf, Geissel. II, p. 522). Un des 
premiers actes de son gouvernement était la Dominatioll d'Auguste Reichells- 
perger à Berlin, et c'esl en loule franchise que Geissel, ecrivant à Louis de 
Bavière, se disait salisfail des disposilions de Guillaume (Pfuelf, Gei8sel, II, 
p. 5
8). On savait, au surplus, la sympathie de la princesse Augusta pour les 
cOllgl'égations catholiqucs (Pfuf'1f, Clm'a Fey, p. 271-276). Mais Ie dunier acto 
personnel de Frédéric-Guillaurne IV avail élé de Dommer BWlsen baroD, et de 



276 


L 'AI..LE1\IAGNE RELIGIF.USF. 


mellement les théories intolérantes qui représen- 
taient l'État prussien comme évangélique en SOD 
essence 1 : entre la conr de Berlin et Ie parti de la 
Gazette de La Croix. la rupture était accomplie. Le 
Preussisches JVochenblatt,journal de Hohenzollern, 
président du conseil, qui était un catholique, pro- 
fessait que la Prusse, au lieu de s'afficher comme 
(( évangélique >>, devait mettre à sa base la parité 
des confessions 2 : Ie lrône de Berlin cessait de 
s'appuyer exclusivement sur rautel du Dieu de 
LU,ther. On insinua, en haut lien, que l'existence 
d'une (( fraction catholique >> dans Ie Parlement 
devenait dès lors un anachronisme peu cOl'dial pour 
les pouvoirs publics et risquait de troubler la paix 
confessionnelle : puisque rÉtat cessait de s'éti- 
queter protestant, pourquoi un groupe parlemen- 
taire persistprait-il à s'étiqueter catholique 3 ? La 
majorité des membres inclinait à chercher un autre 
nom. Les '\1 estphaliens s'y opposaient. Mallinck- 
rodt mil tout Ie monde d'accord en faisanl décider, 
en janvier 1859, que la fraction s'appetlerait ()entre, 


l'appeler à la Chambre des Seigneurs (Baronnede Bunsen, Christian Carl Josias 
v. Bunsen, Ill, p. 507. Leipzig, Hrockhaus, t87l); etles calhuliques en demeu- 
l'aienl très anxieux (Civiltà Cattolica, H..28 novembl'e 1857, p. 630, et 13-27 
mars 1858, p. 119); car Ie personnage qu'hnnol'ail ainsi la couronne avait con- 
sacré sa vie de diplomate à brouiller la Prusse avec Ie Saint-Siège et à fédérer 
par-dessus les fronlières les Eglises évangéliques issues de la Réforme, queUe 
que fÕL leur nalionalité, leur nuance eL leur foi. Rome, au XIX,) siècle, connut 
peu d'adversaires aussi dangereux que lui. 
1. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Aufzeichnungen, II, p. 223-22i. II Il faut, 
disait Ie prince Guillaume, que s'élaLIlsse entre les deux confessions la parité la 
plus grande possible... Les droÏls de l'Eglise calboliq e sont conslitutionl1elle- 
ment garantis: des empièlemenls sur Ct:'S dl'oils ne doivent point êtrc tolérés. . 
- l:r. Reichensperger, Cor1'espondant, avril 1859, p.745-7.)O. 
2. Peuelf, Mallinck)'odt, p. lò7 et suiT. 
3. H. P. B., 1858. II, p. 94.i-94-!). 



L 'ÉGLISE DE PRUSSE 


277 



t qu'on maintiendrail, à côlé de ce nom, la paren- 
,hèse (( fraction catholique 1 )). Dans les statuts 
lussiLôt élabo1'és, on eût vainement cherché quel- 
lue clause excluant du nouveau Centre les députés 
[lon catholiques ; et Auguste Reichensperger, à Ia 
Chambre même, Ie 1.4 mai f86f, protestait contre 
la pensée d'une telle exclusion 2. Ainsi Ie caractère 
3onfessionnel de]a fraction avait désormais quelque 

hose de moins rigide, de moins accusé; il y avait, 
jans son objet, je ne sais quoi de moins exclusif; 
elle déclarait dans ses affiches électorales que Ia 
Prusse (( avait la haute et difficile mission de récon- 
cilier les oppositions confessionnelles qui, par la 
permission de Dieu, séparaient en deux moitiés Ie 
I peuple prussien 3 )); et si les queslions religieuses, 
à la raveur de la (( parilé)) pron1ise par Ie nouveau 
régent, passaient efIecti ven1ent à l'arl'ière-pIan, 
l'heure approchait OÙ la fracLÎon devrait élaborer 
un progl'amme politique et prendre position à 
l'endl'oit de tous les problèmes nationaux qui com- 
n1ençaient d' émou voir 1 'Allen1agne. 
A1ais tout de suite une question se posa : en fait, 
la répudiation de J'idée d'un Étal évangélique était- 
elle une victoil'e pour les catholiques? N'en était-ce 


1. Pluelf, Mallinckrodl, p. 168. - Pastor, ReicÞensperge,', I, p. 391-39
.- 
<< Nolre parli, écrivait Reichensperger à Sleinle Ie 9 févriCl' 1859, malgré son 
challgement de nom, peut-êll'e même. en quelque mesure, à cause de ce chan- 
gemenl, est plus un que jamais. >> {Steinle, Brie(wech8el, II, p. 317.} 

. Pas lor, Reichensperger, I, p. no. 
3. Pastor, Reichensperger, I. p. 389. - La Civiltd Catlolica, U-26 mars 1859, 
p. 123-1!4, e1t.:pliquait que Ie plu'J grand nombre des calholiques regl'ettaient Ie 
ehangement de nom de la fraction, mai
 elle en expliquait en mème temps lcs 
honnes l'aisons. 



278 


L'ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE 


pas une, plutôt, pour certains (( libéraux )) vol on- 
tiers hostiles à tonte action de l'idée rcligieuse 
dans fa vie sociale? En rompant avec Ie parti de 
la Gazette de la Croix, à qui souriail rÉtat et pour 
qui travaillait-il ? Pour ceux qui voulaient assurer 
au (( papisme )) nne part d'influence, ou bien pour 
ceux qui rêvaient d'une sorte d'alhéisme d'État r.? 
Le nombre de ceux-ci s'accroissait parmi les 
libéraux; Reichensperger Ie senlait, iI Ie nolait. II 
s'était un instant JIatté, en 1.855, que (( le contraste 
abrupt entre les ultramontains et les libéraux de 
toute confession avail pour ainsi dire disparu 1 )); 
en 1858 encore, son illusion durait 2 ; mais, dès lR59, 
il prévoyail qu'une lutte se préparail entre la foi 
ct l'incroyance 8 . II élait encore vice-président de la 
Chambrr nouvelle; certaines malveillances pour- 
fant s'étaient fait jour, qui avaient diminué 1'éclat 
de sa victoire*, et qui annonçaient ]e lointain début 
d'une campagne antireligieuse. La Chambre pré- 
cédente, où les piétistps régnaient, avaH refusé, 
nlalgré Reichensperger, d'accorder aux sectes dis- 
sidenles les libertés légales auxquelles elIes avaient 
droit. On mit d'autant plus de hâte, en 1859, à les 
gratifier de ces Jibertés s, et ron refusa d'acceptpr 


1. Pastor, Reichensperger, I, p. 368. 
2. COl'respondant, février 1858, p. 348. 
3. Pastor, Reichen8perge1', I, p. 393. - l'tlallinckrodt.lui, écrivail à HuC'ffer, 
dè! Ie 18 novembre 1858 : << L'opposilion entre calholiques et libéraux mûrira même 
aTec Ie temps. A présent, nos gens ne s'en rendent pas compte encore, >> 
(PCuelf, Mallinckroút, p. 165.) 
i. Paslor, Reicltensperge1', I, p. 393 et 449. Pour l'éleclioll à la vice-prési- 
dl'nce, il cut moins de voix au vole d
finitir quïl n'en avait cu au vole provi- 
soirc. 
5. Kampe, Ge8c1tichte clu Deutschkatholicismu8 unci (l'eiell Prútestar,tis- 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


219 


III anlcndemenl de Reichel1sperger, qui cxigeait" 
tour les en faire profiter, qu'elles fussent véritable- 
nent des sociétés religieuses, c'est-à-dire qu'elles 
H'ofessassent, au moins, la croyance en Dieu t. Le 
,ymptômr ét.ait significatif : la Chambre de 1.859 
nettait sur Ie mênle rang que les Églises les grou- 
)ements anlichrétiens se couvrant d\lne vague 

tiquette religieuse. (( J(1 crains que notre libéra- 
isme national, écrivait Reichensperger peu de 
temps auparavant, sitôt parvenu derechef à lïn- 
fluence politiquc, nc prenne plus on moins comnle 
modèle Ie libéral isme beIge 2. )) 
La fermentation des passions anticléricales jus- 
lifiait ce pronostic. Les catholiqucs redoutaient 
Bethmann-Holl\veg, minislre des Cultes, soup- 
çonné de fanatisme protestant; i1s redoutaient 
Flottwell, Ie ministre de I'Intérieur, qui, jadis, au 
Parlement de Francfort, avait fait campagne contre 
le célibat des prêtres 3; et la présence, à 13. tête du 
ministère, du catholique Antoine de Hohenzollern 
ne suffisait pas à les rassurer. (( S'il ne s'agit pas 


mU.
 in Deutschland unci Nordamerik(L von 1848-1858, p. 359-366 (Leipzig, 
Wagner, :1860). - Joerg, Die neue Aem in PreU,'1Se17 , p. 64--90 {Rat.ishonne, 
:\lanz, 1860}. 
:I. Rcichensperger, C01'respomJant, avril I
J9, p. 4'
(j. - Pastor, Reichen.!- 
pe1'ger, I, p. 393. C'cst que, pour les memLres de la fraction catholique, une 
religion sans confession n'él.ait pas une religion. (Cf. dans Pfuelf, Mallinckrodt. 
p. 155, Ie discol1rs prononc
 par Mallinckrodt dans la discussion sur la s
para- 
lion confessionneUe des prisons.) 
2. Pas lor, Reichenspe1'ger, I, p. 389, 
3. Snr la religiosité de Maurice-Augusle Belhmann-HoHweg (1795-1877). ami et 
collaboratp.ur du philanthrope Wicheru. voir Wiese, Lebenserinnerungen, I, 
p. 228, et cf. Wacb, Allgemeine deutsche Biographie, XII, p. 762-773. - Sur 
l'aUiLude de Floltwcll à FrancCort, voir Erdinger, Fessler. p. 41, n. 2. (Brixen, 
Wf'g'cr, J8ii-). (( Si la molion conlrc Ie cNibal lriomph(', disail-iJ, c'('n Sf'ra fait 
ùc rEgli!;'e catholifJl1f'. 
 



280 


L' ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE 


d'une simple amorce pour leu[
l'er les catholiques, 
écrivait Ket.teler, la situation du prince de IIohen- 
zoUern me paraît inexplicable. Je crains qu'à ceUe 
amorce beaucoup de poissons ne mordent; iis 
seront amèrement déçus 1. >> l\1ais certaines rumeul'S 
hostiles, certains cris de proscription contre les 
J ésuites 2, tenaient les catholiques en haleine et 
en défiance; ils sentaient sourdre et gl'ossir un 
courant de fanatisme antireligieux. Plus se mul- 
tipliaient, à Rome, les désastres politiques du 
Saint-Siège, plus augmentait à Berlin, dans la 
majorité parlementaire, la crainte de l' ({ ultra- 
montanisme 3 >). (( L'aveuglement de nos lihéraux 
confine à l'incroyable, disait encore Reichens- 
perger en mai 1.860 : avant tout, iis ne renlarquent 
pas que leur jeu ne peut que profiter à la déma- 
gogie et au despotisme. La haine contre tout 
e qui 
est autorité, tradition, avant tout contl'e l'Egli::;e, 
me paraît la raison principale de cet aveuglement:.. >) 
Les deux volumes du baron de Bunsen;) sur les 
Signes des tenlpS étaient
 depuis 1.855, Ie hréviaire 
du libéralisme anticlérical. (( 'T ous comhattez ]e 
bon combat contre Ie vieil Antechrist de Rome)), 
lui écrivait Ernest-l\laurice Arndt; et l'imagina- 
tion du vieux poète national, s' exaltant une der- 


t. Poschinger, LJenkwuerdigkeiten des .Ministerpresidents Otto von Man- 
teu/tel, Ill, p, 345-346. 
2. Paslor, ReichenspCTfjer, I, p. 412-413. 

. Pa:.lor, Reichell8pergu, I, p. 41.2 : . Malgré lous Ies coups qui frappeut Ie 
Pape, la crainle de l'ultramonlanisme augmente pIulôt. " 
.... Pastor, Reichensperger I, p. 409. 
5. Sur Ie passé deßun
cn(t791-1860), voirci-dessus, p. 276, n. 4
 el II, p. j3!.136. 



L'ÊGLISE DE PRUSSE 


28i 


nière fois pour ceUe guerre nouvelle, s' essayait à 
soulever contre (( l'invincible monslre )), pour 
l'abattl'e à coups redoublés, (( la septentrionale 
massue du dieu Thor 1 )). Bunsen d'ailleurs étail 
sévère pour toute orthodoxie religieuse: le rigo- 
l
isme protestanl des Stahl ou des Hengstenberg 
Iui déplaisait au même titre que Ie papisnle 2; mais 
Ie (( péril jésuitique et papiste )), plus immédiat, 
plus grave, soulevait surtout ses anxiétés. Les pro- 
testants qui se faisaient les complices d'une telle 
menace lui paraissaient doublement dignes d'aver- 
sion ou de pitié \ et c' est vel'S l'aversion qu'inclinait 
son premier mouvement. Deux phénomènes s'of- 
fraient à son regard, qui l'épouvantaient : l'épa- 
nouissement des associations catholiques, et l'af- 
fermissement de la hiérarchie catholique 4. II 
lui semblait que les peuples ripostaienl, par leur 
élan toujours plus fort vel'S la liberté des cons- 
ciences 5, et par leur désir de fonder certains 
édifices de (( communautés chrétiennes )), dont 
(( les pierres seraient les libres consciences des 
individus croyants )); mais il n'était pas sûr que 
Rome ne parvînt pas à briser eel élan. II remontait 
bien haut dans l'histoire el dénonçait en saint 
Boniface, messager d'ultramontanisme, un homme 


1. Baronne de Bunsen, Christian Carl JOSlaS v. Bunsen, HI, p. 426 (Leipzig. 
Brockhaus, 1871). 
2. BUllsen, Die Zeichen der Zeit, [1, p. 73, 8
, 85,103, 109, la9, !
3 (Leip- 
zig, Brockhaus, 1855). 
3. BUDsen, Ope cit., II, p. 276-278. 
4. Bunsen, Ope cit., I, p. 24. 
ti. Bunsen, Ope cit., 1, p. 35, el II, p. 25. 



282 


L' ALLEJ\IAGNE RELIGIEUSE 


néfaste à la Germanie 1. Les Inissions, aussi, fai- 
saient peur à Bunsen: un correspondant les lui avait 
signalées comme pel>tubalrices pour Ie pays. Ce 
corrcspondant n'était autre que Ie vieu"\: \Vessen- 
berg, morlifié dans son impuissante solitude par 
Ie souvenir dp ses rêvcs avorlés 2. 
L'acti vité scolairc de rÉgJise élait clle-même 
critiquéc; ll'école primaire cxistante, solidement 
attachée à l'une des deux Églises rcconnues, 
commençait d'apparaître comn1e un cadre trop 
étroit, qu'un jour on l'autre il faudrait démolir. 
Le pédagogue Diester,veg 3, qui s'était fait con- 
naître depuis six ans comme l'adversaire acharné 
ùe l'école confcssionnelJc, siégeait dans la Cham- 
bre nouvelle comme représentant de Berlin; il 
cspérait enfin pouvoir développer avec succès la 
conception laïque de l'école, que depuis près de 
quarante ans il avait mÚrie, tantôt dans les sémi- 
naires d Ïnstitutrurs auxquels il présidait, tantôt 
dans les journaux pédagogiques auxquels iJ colla- 
boraH. Beaucoup d'instituteurs l'aimaient : il les 
traitait en apôtres, non en saIariés, et cela les tou- 
chait 
. II tenait à les émanciper de l'influence du 


L Bunsen. Ope cit., I, p. 84-, 
16 el23::!. 
2. Brueck, Geschichte, I, p. 153, n. 2. cr. Baronne de Bunsen, op. cit., III, 
p. i2.9. - Voir, slIr Wessenberg, notre tome 1, p. 119 et 5uiv. 
a. Sur FrMél'ic Diesterweg (1790-1866), directeur de l'école lIormalc de 
leur8 
en 1820, roudateur dC's Rheinische Blaetter en 1827, direcleur de l'école normale 
de Berlin en 1832, mis en diRponibilité en J 847, et connu surtout, dcpuis lors, par 
ses trois brochures de 1855 contre les Regulative de Raumer, voir E. V. Sall- 
wuerk, Adolf Ðiesterweg, Darstellung seines Lebens und seiner Lehre und 
Auswahl aus seinen SclLriften (Langensalza, Beyer, 1899-1900). Dl>s 184
, il 

n ait.:étf' altaqué pour irréligion par Ie pasteur Pi<'ppr (Sal1wuerk, I, p. 66-67). 
4. Kellnpr, Lpbp1ìsblaettrr, p. !7G. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


283 


prêtre, 10l'S nlênle que Ie prêtre avait nne compé- 
tence pédagogique 1. L'idée d' autorité reI igieuse 
étaÏt pour lui l'ennemie, et Diesterweg entendait 
par Ià l'autorité du dogme, aussi bien que celle 
du ministre du culte. Des dognles dans Ie cerveau 
de renfant lui senlblaient aussi encombrants que 
(( des pierres dans son estomac >>. Du moment 
qu'à ses yeux Ia vie religieuse reposai t, non sur 
un dogme ecclésiastique, mais sur Ie fond de l'âme 
humaine; du moment que Ie but de l'éco]e était 
de former rhomme dans l'homme, et non Ie 
membre d'one Église 00 d'un parti, de développer 
la conlmunion générale entre tous les hommes, 
et non la communion spéciale entre quelques-ulls; 
Diester\veg concluait que les chefs des Églises 
diverses ne pouvaient ni ne devaient exercer sur 
récole aucune espèce d'autorité 2. La religion 
dont il rêvait (Natu7 0 und F'el
n1lnft Religion) était 
nne sorte d'humanitarisme supraconfessionnel, 
(( qui fortifierait la confiance de l'homme dans la 
nature et qui créerait l'union entre Ips citoyens 3, >) 
isolés et séparés les uns des autres par les barrières 
confessionneHes. Cettr religion demeurât-elle un 
inconnu, on aurait toujours, en se mettant à sa 
recherche, la douce sensation d 'un voyage en 
pleine mer". Diester\veg détestait le régime sco- 


t. Sallwucrk, Ope cit., II, p. 53, n. 1. - Dieslcl'weg, æUL'rcs clwisies, trade 
Goy, p. 118-119. (Paris, Ilachellc. 1884-.) 
!. Diesterwcg, op. cit., p. 109. 
3. Sallwuerk, op. cit., I, p. GO-fit, elll, p. 186 el sniv. 
4. Rendu, op. cit., p. 34-35. 



284 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


laire que Ie m inistre Raumer avai t fait prévaloir ; 
il reprochait aux Regulative, dans Ie rapport par- 
lementaire que tout de suite il avait rédigé contre 
eux, de porler préj udice à l'inlelligence enfantine 
en la sUJ'chargeant de notions religieuses aux- 
queUes toutes les aulres connaissances étaient 
sacrifiées t . Avec Dieslerweg pénétrait dans la 
Chambre prussienne l'esprit de lulte contre l'école 
confessionnelle et Ie rêve tenace d'un système 
scolaire qui installel'ait à l'écart, ou p]utôt à l'en- 
contre de la religion révélée, une (( éco]e nationale 
allenlande )), semence de la (( patrie allemande 
 )). 
On s'explique dès lors qu'au coul's de l'année 
1860, les catholiques de la Chambre prussienne, 
sans d'ailleurs nouer formellement alliance avec 
Ie parli conservateur, répulassent rOITlpUS ces liens 
de cordialité qu'ils avaient, dans les années pré- 
cédentes, enlreLenus avec la fraction (( libérale )), 
à laquelle Ie COfilte Schwerin présidait 3 . Schwerin. 
d'ailleurs était, dans son pl"opre parti, singulière- 
ment dépassé ; Ie chef de la veille devenait une 


t. Le rapport est publié dans Sallwuerk, op. cit., II, p. 303-321. - cr. StoI- 
zenburg,op. cit., p. 42-44-. - Stiehl, Aktenstuecke zur Geschichte un,] zum 
rerstaenonis8 de?' drei preu8sischen Regulative, p. 8-45 (Berlin, Hertz, 1855). 
donne l'hislorique des premières pétilions faites dès 1855 conlre Jes Regu.lative. 
2. Sallwuerk, Ope cit., I, p. 63-64. 
3. La non-réélection de Reichensperger comme présidenl en janvier 1860 Cut 
Ie signal de ceUe évolulion. (( Naturellement, écrivail-iJ, nOlls nous gal'derons de 
conclure avec Ie parti de la Croix une alliance; mais DOUS o'avous plus d'
gards 
à conserver envers les libéraux. . (Pastor, Reichensperger, I, p. 4u!.) 
4. Sur Ie comte Sclnnriu \1. S30-í--18i2), voir Granier, Allgemeine Deutsche 
Biographie, XXXllI, p. 429-435. Dans lc manifeslc élecloral de 1861, Ie centre 
prussien iodiqua lrès nellemcnt sur quels points il se rapprochail, 80il des con- 
scrvaleurs, !toit des Iibéraux (Salomon, Die deut$clLen Parteiproyramme, I, 
p. 5!-53). 



I.' .
GLI5E D 

 PRUSS"
 


285 


personnalité d'arrière-garde ; et, SOllS la bannière 
anticléricale, Ie libéralisme tournait au radicalisme. 
Geissel, son collègue Foerster, prince-évpque qe 
Breslan
 se confiaient les plus sombres pressen- 
timents : (( Dans Ia prochaine Chambre, écri vait 
Geissel Ie 20 août 1860, on voudra" par des ]ois 
nouvelles, ramener la liberté des catholiques à ce 
qu'elle étaÌt avant mars 1848. La revue PJ'otestan- 
tische BlaP-tter, de Gelzer, dont Ie ministre des 
CuiLes passe pour Ie premier collaborateur, a déjà 
tracé l' ordre de bataille pour la campagne parle- 
mentaire contre l'Église, et quelques bureaucrates, 
sur Ie Rhin, prenant les devants, ont déjà pris des 
mesures incroyables d'absul'diLé 1. )) 
La façon courtoise et cordiale dont, au château 
de Koenigsbel'g, en octobre 1861., l'épjscopat catho- 
lique fut associé aux fêtes du couronnement du roi 
Guillaume, était assurément un fait tout nouveau 
dans l'hisLoire des Hohenzollern : pour )a première 
fois en Prusse, des représentants de l'Église romaine 
prenaient part à des solennités dynasliques 2. Le 
cardinal Geissel était solennellement décoré de 
l'Aigie Noir; et Ie protocole Ie dispensait de toute 
forme de serment dont ses susceptibilités catho- 


1. Pfue1f, Geissel, 11, p. 535-536. - C'esl du fail de la bureaucratie, aussi, 
que les catholiques, enLre 1859 et 1864, étaicnt de plus en plus lcsés en ce qui 
regardait l'élablissemenL de gymnases confcssionnels (voir les statistiques 
données par Hammerslein, Das preussische Schulrnonop(jl, p. 147 lFribourg, 
Herder, 1895), et dans H. P. B., 1896, II, p. 10
-112. 
!. PfuelC, Geissel, II, p, 544 et suiv. - C'était d'ail1eurs un catholique, 
Slillfried (IB04-188
J' auteur d'un grand ouvrage sur les Hohenzollern, qui 
avait org'anisé tout Ie c
rémonial; cf. Gruenhagen, Allgemeine deut8che Biogra- 
phie, XXXVI, p. 
4,6-24,7. 



286 


L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


liques eussent pu s'inquiéter. l\lais était-ce, pour 
l'Église, la promesse de jours heurcux, on bien, 
au contraire, la sanction naturellc de treize ans 
de paix destinés peut-être à n'avoir point de len- 
demain? 11 semble que les pompes de I{oenigsbel'g 
ne laissèrent à Geissel aucune impression de gri- 
serie et que, bien plutôt, il en revint pessimiste : 
iI rapporta chez lui, au témoignage ùe son coad- 
juteur, (( Ie sentiment obseul' des jours troubles 
et périlJeux qui se préparaient pour l'Église t )), 
et, dans ses propos confidentiels, ce sentiment 
s' épanchait sans relâehe. 
Les élections de novembre 1861 à la Chambre 
prussienne annihilèrent, ou peu s'en fallaH, la 
vieille droite évangélique. Libéraux et progres- 
sistes formèrent les deux tiers de la Chambre : Ie 
Centre, avec 55 voix, leur tenait tête 2. Au renou- 
veHement de mars 1862, amené par la dissolution, 
le Centre n'avait plus que 27 membres 3 . Le conflit 
politique entre la Charnbre et Ie cabinet au sujet 
des dépenses militaires absorhai ties pl'éoeeupations 
des électeurs. Quelque impérieuses que fussent 
les aspirations anticléricales de beaucoup de pro- 
gressistes, c'est sur des questions purement poli- 


1. Pfuelf, Geissel, II, p. 550; comparer l'impression de Foerster, évèque de 
Breslau, p. 536. Cependant les JésuÍles ouvraient à Maria Laach, en 1863, une 
grande maison d'études, ce qui semblait signifier quelque confiallce dans l'avenir. 
2. PfuelC, ..Vallinck1'odt, p. 200 : la Chambre de 1861 n'avait plus que 15 con- 
servateurs féodaux. 
3. Pfuelf, MallinckJ'odt, p. !03 : la Chambre de t86
 comprenail13!î progres- 
sistes avancés, 96 progressistes plus modérés, 35 sauvages, 27 membres dll Centre, 
et seulemelll 10 conseryateurs féodaux. C'élait un effondremenl, non seulemeul 
pour Ie conservalisme, mais pour lcs pâles libéraux qui n'accOl'dait'uL :1 la révo- 
lution que de lointaines coquelteries (Pastor, Ileicheuspe1'ger, I, p. 440). 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


287 


tiques qu'on votait; et, parmi ces nouvelles cir- 
constances, il semblait à l\iallinckrodt que Ie 
Centre fÎlt desservi palo cette parenthèse : (( fraction 
catholique )), qui demellraÍt aUachée à son nom. 
II demanda qu'clle disparflt. Des oppositions s'éle- 
vèrent parmi ses coIlègues; eUes désarmèrent, à 
la condition que la fraction rédigerait un pro- 
gramme 1. 
Iallinckrodt et Auguste Reichensperger 
se mirent au travail. Lorsqu'ils Ie présentèrent, 
les conflits éclatèrent de nouveau; certains membres 
de la fraction voulaient que, par une phrase for- 
melle, Ie Centre fût fermé aux non-catholiques. 
Cet ostracisme trouva onze partisans; seize voix 
Ie répudièrent; mais quelques-uns des vaincus 
firent mine de démissionner 2. Pour sauver l'inté- 
grité du groupe., on mit Ie programme dans un 
tiroir, et I 'on se constitua en (( société parlemen- 
taire )) avec un bureau. C'était un expédient pro- 
visoire, non une solution. Le Centre n'était plus 
un parti proprement religieux et n'était pas encore 
un parti proprement politique. Ce qui lui faisait dé- 
faut, ce qui oscillaiten Iui. c'était ce que l'Allemand 
nomme volontiers la (( conscience de soi-même )) 
(Seblstbewllsstsein). Dans Ia complexité de la crise, 
il s'auscultait, étudiait ses sentiments à l'endroit 
du libéralisme et du radicalisme, ses sentiments à 
l' endroit de la bureaucratie gouvernementale. 


t. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 204. - Pastor, Reichensperger, I, p. 442--1-43. 
Le Comité directeur des progressistes avail décidé de n'admeltre dans aucune 
commission Mallinckrodl et les deux Reichensperger tant qu'ils appartiendraient. 
à la fra("lion calholique. 

. Pfuclf', Jfallinckrodt, p. ::!O4-. 



!!88 


L' ALLEI\IAGNE RELIGIF.:USE 


Le gouvernement prussien déplaisait aux 
membres du Centre par ses procédés adminis- 
tratifs 1, par son déploiement de mili tarisme, par 
son hostilité notoire on soupçonnée contre l' Au- 
triche et contre la Diète ; et Bismarck, à cette date, 
apparaissait à Reichensperger comme un aventu- 
riel' 2. Loin de vouloir que les calholiques se lais- 
sassent enrôler sans réserve au service d 'un tel 
cabinet, Reichensperger souhaitait, tout au con- 
traire, que Ie catholicisme empêchât la Prusse de 
descendre au niveau des États de fonctionnaires, 
et que Ie protestanlisme, un jour, sût gré à l'Église 
romaine d'avoir rendu ce service au peuple prus- 
sien 3. l\Iais Ie radicalisme rebutait plus profon- 
dément encore les membres du Centre, par ses 
doctrines politiques et ses aspirations antireJi- 
gieuses, par ses sympathies pour Ie Piémont et sa 
haine contre Pie IX f.. (( S'il ne s'agissait pas, 
écrivait GeisseI, des plus hauts intérêts de l'Église 
et de l'Élat, nous pourrions mettre les mains dans 
nos poches et crier au gouvernement : Habeatis 
vohis! Mais les rouges nous fouetteraient avec 
des scorpions; iis nous couperaient à tous Ie cou; 
c' est. pourquoi nons avons Ie devoir de leur faire 
. face, même si cela, indirectement, fait du bien 
aux bureaucrates, dont Ie gouvernement, il est 
vrai, est toul prêt d'être intolérable Ð. )) 


1. PCuelC, Geissel. H, p. 556 (lettra de Geissel à Reisach, 6 mai 186!). 
!. Pastor, Reichensperger, I, p. 465. 
3. Pastor, Reichensperger, I, p. 370. 
4. PCuelC, Geissel, 11, p. 557. 
5. Slamm, Au.! der Briefmappe des Bisclwfs Conrad Martin, p. 161 (letlre 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


289 


Entre ces deux ennemis (( intolérables )) qui se 
combattaient entre eux, !e Centre ne savait queUe 
conduite tenir. La (( fraction catholique )), dont 
Ie Centre était sorti, s' était formée à une époque 
où l'assimilation des pays rhénans et westpha- 
liens au royaume de Prusse était encore très 
incomplète. En dix ans, cette assimilation s'était 
pen à peu achevée 1; et les députés de ces pays 
dcvaient désormais, à la Chambl'e, avoir non seu- 
Iement une attitude religieuse, mais un Credo 
politique déterminé, et non plus seulement ébau- 
cher avec les divers partis certaines combinaisons 
propices aux intérêts religieux, mais en visager 
directement, face à face, les intérêts politiques du 
royaume, et se comporter en parti politique. Le 
moment où cette nécessité s'imposait était un 
moment de crise où toute décision devenait par- 
.iculièrement difficile. 
I Aussi, dès 1862, un cert.ain nombre de membres 
I Iu Centre songeaient à une abstention passive 2. 
leichensperger, rebelle à l'idée d' effacement (Nicht- 
'un), les conjurait de rester en ligne, et puis il 
;'apercevait, en 1863, que, dans Ie duel entre la 

hambre et Ie ministère, Ie Centre jouait un rôle 


e GeieseI, du 19 avril iR62). - Ernest Louis de Gerlach pcnsait de même 
>rsqu'il notait Ie 17 mai 1862 : (( C'est aux cathoJiques romains qu'incombe 
lain tenant la défense de la cause conservatrice. >> (Aufzeichnungen, II, 
. 246.) 
1. Voir à cet égal'ù une page très originale de Marlin Spahn, Ðas deutsche 
'entl'um, p. i3-15. (l\Iayence, Kirchheim, 1906.) 

. Paslor, Reichensperge1', T, p. 438-439. - Dès 1861, Reichensperger cons- 
Llail que tout Ie poids de la fraction calholique retombait sur lui. (Pastor, Rei- 
'tensperger, I; p. 424.) 


III. 


19 



290 


,-' ALLEMAGNE RRLIGIEUSE 


assez ingrat 1 : (( Nous sommes pour ainsi dire les 
seuls soutiens du gouvel'nement dans la Chambre, 
écrivait-il. Sans nul doute Ia cause catholique en 
est nlal récompensée. Mais les autres partis sont 
encore plus dangereux pour le droit et pour la. 
liberté 2. >> II s 'agissait bien, à cette date, de droit 
et de liberté ! Bismarck nlachinait alors l'histoire, 
et seuIe, la force avait un langage : un coup de 
force contre la Chambrp, un coup de force contre 
l' Autriche, allaient changer la face de la Prusse, 
de l'Allemagne, de l'Europe. Qu'inlportait dès 101's 
que dans la Chambre prussienne qu'amenèrent les 
élections de 1863, Chambre tumultueuse et mépri- 
sée, insolenle et débile, Ie Centre fût réduit à 
presque rien, et que l\lallinckrodt en fût exclu lui- 
Inême par une retraite provisoire 3? Plusieurs 
annécs durant, dans la Prusse de Bismarck, la 
parole ne serait plus aux partis, et l'instant OÙ Ie 
pariementarisme allait devenir un leurre était 
celui OÙ le Centre s'évanouissait. 


1. Sur les effo-rls du Cenlre en 1862 et 1863 pour éviler tout conflit avec 1'1. 
couronne au sujet des d
penscs mililaires, tout en maintenant les droits du 
Parlement, voir Pastor, Reichensperger, I, p. 454-456; - Pluelf, Mallinckrodt, 
p. 209-

!). Mallinckrodt sc distinguait de ses collègues: plus preoccupé du 
preslige de l'autorilé monarchique que de la Couslilution violée, iI u'aimail pas 
qu'on chicanât Je ministère au nom des prérogatives consLilutionnelles du Pal'- 
lcrnent, et qu'on rislfuàt ainsi de faire Ie jeu des gauches avancées. 

. Pastor, Reichenspe1'ger, I, p. 463. - Dès 1861, il nolail certains << coups de 
pied>> anticléricaux du gouvernernent, et sc pJaignail que Berlin se servit du Centre 
comme d'unc doublure, sans lui dOJlner aucun avantage (Pastor, Ope cit., I, 
p. 4
-i-426). - l\Iais d'autre part: (( Je ne puis m'idelltifier a"ec nolre po.rli du 
Fortschritt, disail-il en 1863. En une question capitale, Ie droit formel est 
de son côté. mais je suis pleinement convaincu que lorsqu'il lutte contre Ie gOll- 
verne me nt, ce n'est pas pour Ie droit et pour la vérité, quïl est en son e"sencc 
beaucoup plus absolutisle et plus violent que Ie gouvernement de Bismarck, 
quelque antipalhie que j'aie pour ce minislre .) (pastor, Rciche1/sperger, I p. 467). 
3. Pfuelf, .JoJIaliinckrodt, p. 234-23J. 



L 'ÉGLISF. DE PRUSSE 


291 


XI 


CeUe période d'éclipse fut heureuse pour Ie 

entre. Dans Ie domaine de l'action, il n'y avait 
)our lui rien à faire, momentanément, entre Ie 
'adicalisme révolutionnaire et l'absolulisme his- 
narckifn. On étaÏt à rune de ces heures où les 
ÞartÜ
 qui veulent être assurés du lendenlain 

oivent consacrer à un travail de pensée, à une 
'iffusion dïdées, toule leur force vitale, s'exiler 
_es turbulences momentanément stériles de l'ac- 
ion, profiter de leur retraHe pour une sorte 
, exam en de conscience, et conclul'e cet examen 
ar des déclarations de principes, deslinées à faire 
Jnnaîlre ce qu'ils veulent, ce qu'ils peu vent, ce 
u'iJs sont. Le succès qu'obtint, en 1862 et i863, 
n peti t livre d' Auguste Reichensperger, montrc 
ne les catholiques comprenaient cette nécessité. 
Ce petit livre s'intitulait : (( Ph1'a.ses et lOl'rnules, 
vret utile et indisppnsahle POU1' les lectC'lll'S de 
JurnauJ'1 )). 
Reichensperger passait en revue tous les termes 
Lystérieux et fascinants, qui, dans les colonncs 
:} la prpsse incroyante, semblaient braver l' esprit 


1. Phmsen und Schlagwoerte?'. Ein unentbehrliches Noth und Hil!sbüchleÙ& 
r Zeitungsleser. (Paderborn, Schoeningh, 186
.) Ce petit livre fut traduit en 
mçais en 1873 par Ie Dr de 
oue sous Ie titre: Les Rengaines ou piperies du 
zgage, petit aide-mémoÜ'e d l'usage des lecteurs de journauæ. (Liège, 
andmont.) Cf. Pastor, Reichensperger, I, p. 431-437, et H. P. B., 1863, II, 
654-660. 



292 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


catholique; il expliquait, avec une amusante iro 
nie, la piperie de ces grands mots. Le jeune histo 
rien Janssen Ie félicitait d'avoil' ainsi démasqué Ie 
faux libéralisme moderne, d' avoir écarté les dra 
peries dont ce faux libéralisme s' enveloppait. Ct 
petit lexique du verbiage parlemenLaire devenai 
un cours de saine politique; Reichenspcrger dres 
sait les calholiques à passer outre au mirage de
 
mots, à regarder les idées. Car ridéal de ce lutteuJ 
n'était point un ordre social dans lequel tous Ie: 
votes catholiques, patriarcalement dictés par Ie: 
hautes influences locales, seraient servile men 
embrigadés au service de 1 'Église : Reichensper. 
gel' voulait éveiJler et former l'intelligence poli 
tique des masses catholiques; et la victoire 
ensuite, viendrait, par l'élan spontané d'un peuplc 
politiqupment instruit. Reichensperger prétendai 
toujours rester un honlme de pensée libre ((rei 
sinnig), mais non point un libéral, puisque désor 
mais les libéraux, sous le nom de (( libre recher 
che )>, d' (( humanité >>, de (( Iibre science )), d, 
<( progrès )), de (( culture )>, et même de (( Iiberté )) 
adoraicnt des idoles que Reichensperger jugeai 
très vilaines. 
II était fOl't utile que ces distinctions fussen 
faites, et que l'Église, en combattant les libérau: 
de 1860, ne perdît pas auprès du peuple les sym 
pathies qu'elle s'était acquises, en souriant, jadis 
avec un mélange de génrrosité et de gratitude, 
certaines idées libéra]es de 1.848. 



T..'ÉGLISE DE PRUSSE 


293 


(( Le Iibéralislue de 1.848, dira plus tard Ketteler, était 
Ine déclaration de guerre au vieux despotisme né du 

Vle siècle et répandu sur toute l'Europe. II combattait loyale- 
nent pour la Iiberté de tous. II n 'avait, il est vrai, qu'une idée 
mparfaite de Ia vraie liberté. La liberté est quelque chose 
Le mystérieux, sous un certain rapport. Pour en bienjuger 
a nature inLime, pour reconnaître en elle Ie bien moral 
lui attire mystérieusement l'åme humaine, il faut l'envisa- 

er dans ses relations les plus diverses, surtout dans ses 
'elations avec Dieu. Les libéraux d-autrefois ne voyaient 
lu'un còté des choses. Comme les libéraux français quïls 
)renaient pour maîtres et pour modèles, ils faisaient con- 
ister la liberté dans la possession de quelques droits poli- 
iques. Ce n'était là qu'un misérable lambeau de liberté. 
lais ils étaient honnêtes et accordaient aux autres ce qu'ils 
'éclamaient pour eux-mêmes... Le libéralisme en 1848. 
LUssi, n'était pas lié aux h01l1n1es d'argent, comme Ie furent 
es libéraux ultérieurs, dont l'activité pourrait se résumer 
jnsi : Règne de l'argent, esclavage de rÉglise. Au contra ire , 
e jeune libéralisme de -1848 avait l'honnêteté de reconnaître 
a liberté de I'Église 1. )) 


C'cst dans un discours de l'année 1871 que nous 
rouvons, SOllS la plume de Ketteler, ce parallèle 
:ntre deux libéralismes. 
Iais déjà, en 1862, au 
noment mème oÙ Auguste Reichensperger pu- 
tliait son piquant opuscule, Ketteler, du fond de 
on évêché de 
Iayence, adl'essait aux catholiques, 
ous le titre : LibeJ
té, autorité, Église, un livre 
loctrinal dans lequel il étudiaÏt la position de la 
lensée chrélienne en face des divers sens du mot 
liberlé )). Ce livre expliquait l'accueil qu'avait 
ail I'ÉgIise aux loyales cordialités des hommes 


1. Kellelel', Liberalismus, SocialismU8 u/Ul Clu'islellthu1lt, p. i-I! (Mayellco. 
irchheim, 1871). - Le Culturkampf ou la lutte religieuse en Allemagne, pal' 
gr von Ketteler, traduil de l'allemand par M. l'abbé X..., p, 1-9 (Pari!, Hatou, 

7ä). 



294 


, . 
L ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


de i8.t8 et la barrière qu' elle dressait contre un 
libéralisme qui, tout au contraire, mettait l'É- 
glise hors de la liberté 1. Ketteler voulait faire 
(( de la clarté )), et Geissel, archevèque de Cologne, 
l'en félicitait : (( En aucun temps, Iui disait-il, un 
exposé clair et décisif du chaos où notre Allemagne 
vit surexcitée ne fut plus désiré qu'aujourd'hui. 
C'est un vrai service que vous avez rendu à l'ordre 
public religieux et civii, en éclairant les vrais 
points de vue, et en ramenant ainsi à leur valeur 
toutes les fantaisies, toute la phraséologie vide qui 
partout s'étalent 2. )) l{eLteler en théologien, Rei- 
chensperger en journaliste, avaient fait, par ces 
deux livres, nne seule et nlême æuvre; et l'accord 
était si spontané., si inlime, que les pages de Ket- 
teler sur la liberté religieuse et la liberté de cons- 
cience apparaissaient comme une justification de 
la conduite qu'avait tenue, dans les dix dernières 
années, la fraction catholique de la Chanlbre prus- 
sienne 3. (( L'Église, répétaill'historien Janssen au 


f. Freiheit, Autoritaet und Ki'l'che. (Mayence, Kirchheim, 1863.) L'ouvrage rut 
traduit en Crançais par l'abbé Belet (Paris, Vivès). - << Dans Ja crise où l'Alle- 
mag-ne est engagée, écrivait AJbert de Broglie, h.elteler met aux mains des catho- 
liques la bannière qu'j}s doivent tenir; ceUe bauuièrp, du plus loin que nous 
I 'apercevons, il nons apparLiellt de la reconnallre et de la saluer ; car c'estla 
uôtre, celie de la Jiberlé .. (Correspondant, mal'S 1862, p. 60-i-). Albert de Bro- 
glie disait encore (p. 611) : . Kelteler donne aux pensées dout Ie Correspon- 
dant est I'organe Ja forme Ja plus heureuse, en même temps que cetle autorité 
théologique dont son rang dans l"Eglise et sa science lui permettenl de metlre 
l'empreinte sur toutes ses paroles. . 

. Pfuelf, Ketteler, II, p. 16U. - C'est encore parce qu'il "\oulail faire de la 
(( clarté >>, que dans son livre sur L'Allemogne après la guerre de 1866 (voir ci- 
dessus, p. 69-73), il habituera les catholiques à dissiper l'équivoque à laquelle 
donnent lieu les mots conservateur el libéral et à se relldre compte que ce 
quïl faut aimer dans Ie vrai conservalisme, c'est l"aulonomie, et que ce quïl 
CauL dt"lesll'r dans Ie libéralisme, c'est la centrali
atioT1, 
3. 1.eUcJcr, d. la suite du Sylla
us, de\aÎl revellir sur ces queslions dans 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


29å 


congrès de Francfort de 1863, n'a besoin d'dueuns 
priviIèges, mais seulement de la liberté; elle n'a 
besoin d
aucune attache au pouvoir absoIu, qui 
de tout tern ps a nui à l'Église 1. )) En face de ee libé- 
ra]isme nouveau dont allait sortir bientôt, avec 
son corLège d'intolérances, le parti (( nationallibé- 
ral )), de telles déclarations résonnaient comme 
des appels à la vraie Jiberté. Reichensperger, Ket- 
teler, par ìe bruit prolongé que faisaient leurs 
livres, occupaient l'opinion catholique; et pendant 
qu'à leur école eUe s'exerçail à discuier les thèses 
adverses, un travail s'inaugul'ait, dans l' ombre, 
pour élaborer les programn1es futurs. La Chambre 
prussienne était muette, et muets aussi, les locaux 
berlinois où les députés catholiques avaient cou- 
tume de tenir conciliabule. l\lais leur groupement 
ne s'était évanoui que pour se préparer à renaître. 


XII 


De la Chambre berlinoise, il nous faut, tout de 
suite, dès Ie début de l'année 1.864, émigrer dans 
une salle basse, au fond d'un village de Westpha- 
lie : c'est là, durant l'interrègne parleD1entaire, 
que devait se cOD1pléter et s'achever l'éducation 
politique des catholiques prussiens. 


quelques chaIJilres de son livre: L'Allemagne ap'I'ès la {juerre de 1866, dont la 
lecture compIèle utiIement celIe du premier ouvrage : Liberté, Autorilé et 
Egli8e : voir Goyau, Ketteler, p. 1-98. KE'tteler, entretenant Erne5
Louis de 
Gerlach Ie 7 août 1868, lui développait encore ces mêmes idéeø sur la liberte 
confessionnelJe. (Ernst Ludwig v. Gerlach, Aufzeìcltnungen, 11, p. 303.) 
1 . Pastor. Jansscn, p. i-}, 



296 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


Le 16 décembre 1863, WiJderich de Ketteler et 
Alfred Hueffer, heau-frère de Mallinckrodt, conviè- 
rent quelques-uns de leurs coreligionnaires \vest- 
phaliens à se réunir un mois plus tard à l'auberge, 
dans la hourgade de Soest, pour d'urgentes cau- 
series. On ne devait pas, à ce rendez-vous, s'oc- 
cuper de campagnes électorales; ce que voulait 
Alfred Hueffer, l'instigateur véritable de cette ori- 
ginale tentati ve, c' était que les catholiques se mis- 
sent d'accord sur certains principes fondamen- 
taux, sur certaines doctrines politiques et sociales. 
En quinze ans d'activité parlementaire, Ie loisir 
leur avait manqué pour ce travail d'études; mais, 
puisque l'hiver de 1863 paraissait les condamner
 
pour quelque temps, à un certain chômage poli- 
tique, l'heure était venue de scruter les (( assises 
positives chrétiennes )) sur lesquelles la société 
devait être consolidée, ou même reconstruitc. 
Hueffer aimait les hesognes discrètes : peu lui 
importait, pour J'instant, que la salJe d'auherge 
dans laquelle il allait grouper une originale clien- 
tèle demeurât inaperçue dans la vaste Allemagne. 
II détestait les façades; )1 jugeait parfaitement 
inutile de créer à Soest une association de plus; 
des causeries amicales devaient suffire, et ce serait 
affaire aux interlocuteurs, rentrés chacun dans 
leur coin de Westphalie, d'insinuer ou de propa- 
gel' les conclusions élaborées à Soest. C'est Ie 
12 janvier 1864 qu'eut lipu la première rencontre; 
l'auhergiste eut ce jour-Ià douze convives, qui 
alJaient devellir douze apôtres. En février, en 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


297 


avril, de nouveaux noms s'inscrivirent sur les 
list.es de Hueffer, mais on ne tenait pas à être 
nombreux, ni à manifester; on s'entr'aidait pour 
arri vel' à une bonne formation et pour ébaucher 
un bon programme. 
L'initiati ve de Hueffer trouva dans la personne 
de Schorlemer Aist un auxiliaire chaleureusement 
convaincu. Dans une lettre du 28 février 1864, 
I' organisateur des associations agraires de West- 
phalie expliquait tout ce qu'il espérait des l'éu- 
nions de Soest. II voulait qu'on portât remède à 
la confusion d'esprit OÙ se trouvaient les catho- 
liques; il demandait qu'un échange de vues sur 
les questions fondamentales les préparât à la fixa- 
tion de certains points doctrinaux que médite- 
raient toutes les intelligences, que défendraient 
tous les bons vouloirs. Aulour d'eux, les autres 
fractions lui semb]aient courir au suicide; à eux 
de s' organiser en prenant nettement conscience de 
ce qu'i)s étaienl et de ce qu'ils voulaient. IJs s'é- 
taient fail honneur, en 1848, par les déploiements 
tactiques qu'ils avaient improvisés; ils avaienl 
ensuite, par de brillants manèges diplonlatiques, 
lutté pied à pied, dans les couloirs des Parlements 
et dans les antichambres des ministères, pour 
accroître ou défendre les libertés conquises ; mais 
ce qui leur manquait, comme l'expliquaient Huef- 
fer etl\lallinckl'odt dans un rapport du 16 avril 1.864, 
c' étaient des idées nettes sur les grands problèmes 
politiques. lIs les voyaient, ces problèmes, et ils 
ayaient des principes chrétiens à la lumière des- 



298 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


quels ils pouvaient les résoudre : un effort d' ob- 
servation, puis d'adaptation, et la lumière serait. 
On étudia tour à tour, dans les réunions de 1864, 
la question du Ho]stein, qui passionnait 1'.A.lle- 
magne d'alors, les questions d'organisalion com- 
munale, et la rédaction d'un programme, dont 
Mallinckrodt fut chargé. Son projet, tel qu'il Ie 
développa au mois de septembre, pouvait se ramc- 
ner à deux formules : revendication de la parité 
sur tous les terrains; reconstruction organique 
de la société. 
Que rOuest fût traité comme l'Est, les gens du 
Rhin comme ceux de la Vieille Prusse; que les 
fidèles du Pape fussent traités comme ceux de 
Luther; que I' égalité des droits et des prérogati yes 
ne fût pas sculement proc1amée, mais réalisée, et 
non pas seulelnent théorique, mais effective; que 
rÉtat couvrît d'une imparliale protection tous les 
groupements sociaux dont il était comme la syn- 
thèse; que tous les États allenlands, enfin, les 
petits COlnnle les grands, fussent également auto- 
nomes, également maîtres chez eux, à la faveur 
d 'un équilable fédéralisme, telles étaient, pour 
nlaUinckrodt, les conséquences de l'idée de parité.. 
:JIais cette idée même serait d'autant plus respectée, 
que les divers groupements entre lesquels elle 
devait nlain tenir l' éq uilibre acq uerl'aÎent pI us de 
cohésion, plus de force, plus de vie. La société 
humaine tendait à se nlorceler en atomes : chacun 
pour soi. II convenait, en face de ce péril, de res- 
suscitel', avec toutes sorles d' exigences, l' autononlie 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


299 


du groupement local, l'autonomie du groupement 
corporatif. Vive done Ie district et vive donc Ie 
métier! Vive donc l'unité terrienne, et vive donc 
l'unité professionnelle! .A. l'encontre du principe 
d'émiettemenl (Pl'in::;i}J del' Atomisiel'ung), il fal- 
lait restaurer Ie principe de groupenlent (Pl'in=ip 
del' G'puppiel'ung). Faute de ce principe, la repré- 
sentalion dll pays n'avait ni puissance ni point 
d'aUaehe; il fallait que Ie représentant prît 
racine dans nne société qui filt, à proprement 
parler, un assemblage organique (in del' olJ'ga- 
nisch :;usannnengesetzten buergel'lichen Gesell- 
selLaft) . 
(( Si 1l0US devons nous avouer, écrivaient, à la 
date dll 26 avril 1864., Huefi'er, l\lallinckrodt et Ie 
prêtre I{lein, que la gl'ande con fiance naguèl'e 
inspirée par la fraction du Centre s'est un pen 
refroidie, la raison en est, pour nous, - abstrac- 
tion faite de ce que la fraction, hors des questions 
religieuses, nlanquait d' entente au point de vue 
polilique, - qu' el1e était trop complètenlent isolée 
de ses électeurs, et que, dans la presse, elle n'était 
pas défendue. )) 
La critique était fine et porfait loin. Le Centre 
ne s'était assigné d'autre raison d' être que la défense 
religieuse : l'opinion, la presse, s'intéressaient à 
d'autres questions. Les colloques de Soest devaient 
être l'école qui fanliliariserait avec eJIes les hommes 
du fut.ur Centre, et qui les aiderait à prendre con- 
tact, - un contact dil'ecleur
 - avec les préoc- 
cuvaliolls de la presse. 



300 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


Schorlemer, en 1865, traitant de la question 
communale, reprit les idées du programme de 
1lallinckrodt: au (( mécanisme )) de l'État représen- 
tatif, il opposa )' (( organisme )) de I'État corpora- 
tif, et s'arrêta sur une des pièces maîh'esses de eet 
organisme, la commune. Entraîné par son imagi- 
nation d'architecte social, il aHa jusqu'à dire, à 
Soest encore, en 1866, que Ie syslème conslÏtu- 
tionnel était tout près de fail'e banqueroute. Ici 

Iallinckrodt l'arrêta, pour couper' court, surtout, 
aux conclusions que certains COlnmensaux de Soest 
voulaient tirer de ce pronostic : un courant se des- 
sinait parmi eux, en faveur de rabstention des 
catholiques aux élcctions politiques. Hueffer et le 
propre frère de 
Iallinckrodt inclinaient à cel effa- 
cement. l\lais lVlallinckrodt représenta victorieuse- 
ment que si, dans la Chan1bre nouvelle, il n'y avait 
pas de place pour une fraction catholique, il était 
du moins nécessaire de faire entrer dans cette 
Chambre des (( personnaJités directrices, domi- 
nantes, qui fussent de bons catholiques )). Aucune 
décision nette ne fut prise : Ie duel de I '.A.utriche 
et de la Prusse troublait tJ
Op profondément les 
fidè]es de Romp pour qu'illeur fût facile, à Berlin, 
de concerter une attitude parlementaire. Hueffer 
ne s'étaÌt pas trompé ]orsqu'il les avait invités, 
trois ans auparavant, à transformer une modeste 
salle d'auberge en un laboratoire d' étudcs. Dans 
cette retraite de Soest, ils s'étaienl préparés à plus 
et à mieux qu'à être un parti de défense religieuse; 
ils a vaient, à la lumièrr même de la pensée reli- 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


30t 


gieuse, mûri certaines idées politiques et sociaies 
sur l'assise desquelJes un puissant parti pariemen- 
taire pourrai t un jour s' édifier. AI' école de H ueffcr 
et des maîtres d'élite groupés par lui, tonte une 
fraction du futur Centre allemand avait, si l' on ose 
ainsi dire, fail son catéchisme 1. 
C'est durant cette même période de fécond effa- 
cement, que la presse catholique tenta ses premiers 
essais de diffusion. Un peu partont en Allemagne, 
on essayait de remédier à son indigence: de 
1.863 à 1.865, vingt journaux de cetie nuance y 
furent créés 2, et les intéressantes brochures de 
vulgarisation connues sous Ie nom de brochures 
de Francfort gagnèrent en peu de temps vingt-sept 
mille abonnés. .i\lais en Prusse plus qu'aillenrs le 
catholicisme réussit à fonder un journal qui devait 
bientôt assurer à l' opinion catholique un organe 
de haute valeur; il avait nom les Feuilles de Colo- 
gne. Le créateur de ce journal, dont Ie pren1ier 
numéro remontait à 1.860, s'appelait Joseph Ba- 
chern; il avait, en 1848, fait son apprenlissage de 
publiciste dans un périodique allemand paraissant 
à Paris 3, et puis, de 1849 à 1.855, dil'igé à Cologne 


t. Nous avons puisé tous nos renseignemenls sur les réunions de Soesl daus 
Pfue1f, Mallinckrodt, p. 251-257, et dans les papiers que M. Ie professeur 
Georges Hueifer, fils d'AIfred Hucffer, a eu la bonne grâce de nous communiquer. 

. May, Ope cit., p. 164 et i7t. - Sur la foudation en Silésie des Breslauer 
Hau8blaetter, voir Wick. Aus meinem Leben, p. 37 el suiv, Lo vicairc Edouard 
Mueller créa pour les catholiques berJinois, en 1857, Ie Maerkische IíÙ'chell- 
blatt, et en 1863, Ie Bonitatius Kalcnder, dont Ie produit servit à. établir une 
pelite cong-régalion bospilalière et enscignanle en Poméranie (Kolde, op. cit., 
p. i5). 
3. La Deutsche Abend::eitung, fondée par Ie Dr Berlholù, de Dresde. el donl 
Ie fulur sénateur Lambert de Saintc-Croix était run des rédactcurs. Voir, sur 
Jo
eph Bachcm (1821-1893), Koelni,cllc Volkueitung, scplembre 1893. 



302 


, 
L ALLR1\IAGNE RELIGIEUSE 


une prernière gazette catholique, que la Prusse 
avait supprimée 1. 
Les questions de politique étrang-ère étaient, 
pour une presse catholique prussienne, singulière- 
ment délicates à traiter. Au jour Ie jour, il faUait 
prendre parti, en donnant un avis sur les litiges 
publics ou latents qui divisaient les membres de la 
Confédél'ation germanique. L' opinion (( ultra mon- 
taine )) tout entière risquait d'ètre rendue respon- 
sable pour les peccadilles de jugement ou pour les 
délits d'information que Ie journal commetlait 2 . 
Et puis, la façon même dont négociaient les députés 
et les ministres, l'épiscopat et la haute bureaucratie 
pour Ie règlement anliable et cordial des diffi- 
cultés religieuses, conlportait un certain secret, et 
contraignait à quelque réserve Ie journalisme mi- 
litant. L'archevêque Geissel refusait d'accepter Ie 
protectoral d'une association de presse J . 1\lallinc- 
krodt, de son côté, n'avait aucune hâle de voir 
surgir, parmi les catholiques, UIle (( feuille de 
parti )) : Ie journal quïl rêvait devait êtl'C un jour- 


1. Hermann 
lueller, premier rédaclcLU' deJa Deutsche Volkshalle. s'élaIl jadi<; 
fail connaìlre comme publicisl e au moment de l'affaire de Cologne, dc 18
8; il 
fut cxpulsé de Cologne, en 1850, sous l'inculpalion de tendances aul.l'Íchienn('s 
(Peuelf, Geissel, ll, p. 315-318 ; H.P.B., 1850, U, p. 804-812 et 1851, 1, p. 129- 
135). Le jourual lui-même, donl blonlalembcrt disaiL en 1852 : << Je n'en con- 
nais pas de meilleur en Europe f) lStimmen aus A/aria Laach, XLV, 18!Ja, 
p. ::>16), fut supprimé en 1855 (H.P.B., 1855, [I, p. 255-26
; - Pastor, Rei- 
chensperger, 1, p. 347), ainsi que Ie .J.J1essager du Rhin et de la J.l:[osellc 
(Rhein und JJloselbote) de Coblentz; et Ie journal Deutschland, fondé à Franc- 
forl en 1856 par Ie curé Beda Weber. mourut en deux tins (Pfuelf, Geissel, 
II, p. 325-32ü). 
2. En 1863, Aulikc, de la J(atholi.'lche Abteilung, allirail l'allenliol1 dc Gcis- 
sel snr I.a nécessilé pour les Feuilles de Cologne de JUonlrer une grande pru- 
dence dans la question grosscleutsch (Pfuelf, Ge18sel, H, p. 337). 

. Pfuelf. Gei.'Jsel, II, p. 318-3ti. 



'..'ÉGLISE DE PRUSSE 


303 


nal de discussions, non de chicanes, (( exempt de 
toute tendance égoïste, de toute passion, suscep- 
tible de supporter la contradiction, s'inléressant à 
toutes les questions importantes, mais ne s'enga- 
geant à fond que sur les questions capiLales, et cela 
Ie plus rarement possible )). Mallinckrodt conce- 
vait ce journal comme une salle de conversation, 
où les avis s'échangeraient avec liberté; comme 
une école très large, très aérée, OÙ Ie public reli- 
gieux apprendrait à penser, et qui ferait, insensi- 
blement, l'éducation de ce public. II y aurait là 
une gestation longue et discrète, et, plus tard, (( le 
parti surgirait, commp sortit MineI've, bottée, 
éperonnée, du crâne de Jupiter 1 )). 
Tandis qu'en Autriche et dans les États du Sud, 
OÙ l'agitation anticoncordataire provoquait quoti- 
diennement les plumes catholiques, on songeait à 
multiplier les journaux; tandis qu'à Vienne Ie 
nonce de Luca 2, tandis qu'à 
Iayence l' évêque 
Ketteler et Ie chanoine Hcinrich 3 dessinaient dp 
vastes projets de journalisme; tandis qu'à Fri- 
bourg une brochure '. et qu'à l\;Iunich un discours 
de congrès;i prodiguaient les reproches aux Ctl- 


1. PfLelf, Mallinckrodt, p. 166.167. 
2. Pfuelf, j(etteler, II, p. 216-21 i (lellre de De Luca à Ketleler I 2!J janvier 1862). 
3. PCuelf, Ketteler, II, p. 217-
18. 
4. Die Katholische Presse in Deutschland (Fribourg, Herdpr, t SIì1). - 
Cf., dans Katholik, 1861, II, p. 11 0-114, certaines réfIexions sur la difficulté 
d'orienter un journal calho1ique daus un temp
 où << l'antichrislianisme se eouvrc 
du manleau de la libcrlé et de la nationalilé, où l'absolutisme se COUHe du 
manteau de I' ordre )). 
5. May, Ope cit., p. 139 (discours du baron de l\loy). On coustala, au congrès de 
Munich ùe 1861, qu'alol'!' que Ie clC'rgé allemand avait 60.000 membres, la prcsse 
calholique u'avait p:
..) cncore GO.OOO abonups. 



304 


L 'ALL EMAGNE RELIGIE USE 


tholiques pour l'état médiocre OÙ ils laissaient 
leur presse, Ie catholicisme prussien, plus étran- 
ger aux agitations turbulentes, plus patient, plus 
serein, rêvait moins d'un journal ùe lutte que 
d'un journal de direction, qui travaillerait à for- 
mer, parmi les fidèles, une sorte de cons- 
cience collective, très exercée, très délicate, très 
vivante. 
Ce fut Joseph Bachem qui réalisa ce rêve. 
fon- 
talembert, qu'il avait beaucoup vu durant son 
séjour en France, lui avait laissé de Lonnes leçons 
d'énergie, et Ie coup de mort donné à son premier 
journal par la préfecture de Cologne n'avait pu Ie 
décourager. II constatait avec quelque amertume 
que dans les congrès catholiques il n'y avait jamais 
de table pour la presse; et lorsqu'il y assistai t, 
il se servait de la coiffe de son chapeau POU]' 
prendre des notes sur les discours les plus impor- 
tants 1. Ceux-Ià mêmes qui déploraient la détresse 
et la disette de la presse confessionnelle redoutaient 
pour Ie catholi cisme même ] es exubérances ou les 
pétulances du journalisme. Le journal que fonda 
Bachem habitua les catholiques à se moins défier 
de la presse; ce journal ne les compromettait pas, 
il les représentait et les servait. Les Feuilles de 
Cologne inscrivaient dans leur programme : (( Res- 
pect de tous les droits hien fondés, obéissance et 
loyauté envers les puissances placées par Dieu 
dans l'Église et dans I'État, défense des droits de 


1. Koeluische Vulkszeitunv. {ì septemLre 1b93 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


305 


I'Église et de Ia patrie, horreur pour tout despo- 
tisme, pour les tentatives révolulionnaires vio- 
Ientes, pour Ies intrigues démagogiques occultes. )) 
Bachem avait des collaboraleurs experts, dont 
s'honorait Ie catholicisme allemand 1 ; mais Iorsque 
plus tard quelques-uns d'enlre eux demeurèrent 
rebelles au dogme de I'infaillibilité, son autorité 
personnelle fut assez prépondérante sur Ie public 
pour empêcher qu'ils ne fussent suivis par Ia 
foule des Iecteurs 2 . A partir du 1 er janvier i869, 
Ie journal s'intitula Gazette populaiJ'e de Cologne,- 
il eut, quelque temps durant, Ie concours d'un 
jeune prêtre Silésien, Paul l\iajunke, futur pri- 
sonnier du Culturkanlpf3; dès la fin de l'année i869, 
Ie propre neveu du directeur, 1\1. Julius Bachem, 
qui devait être, peu d' années après, I 'une des 
personnalités les plus in1portantes du Centre, 
entra dans l'équipe de Joseph Bachem; et sous 
Ie nouveau nom de Gazette populaire, Ie jour- 
nal s'achelnina vel'S de hautes destinées, dont l'épa- 
nouissement dure encore. 


1. Voir Pfuelf, Geisscl, II, p. 335-33G. Fl'idolill Hoffmann, ancicn élèvc llu sé- 
minaire de Mayencc, qui devint plus lard viem:-catholique, rul Ie premier rédac- 
teur des Feuilles. - Les arlicles de politillue élrangère étaient rédigés I)ar Ie 
proleslant Henri Schmidt, dont Ie Crère, Frédéric, élait converli eL travailJa plus 
lard eomme archilecle à la calhédl'ale de Vienne: les articles de Schmidt 
étaient Lrès remarqués dans les cerdes militaires. 
2. Koelnische Volkszeitung, 10 septembre 1893. - II Si nous avions gagné la 
l(oelnische Volks;eitung, disail plus tard un des chefs du vieux-catholicisme, 
toute l'Allemagne eût éLé vieille-catholique )) (Koelnische \r(Jlk8
t:itung, 8 sep- 
tembre 1893). - cr. nuLre Lome IV, p. 267-2ôS. 
3. Sur Paul Majuuke (184:t-189gj, voir Bettelheim, Bioyrllphische8 JahJ'buch, 
1899, p, 258-259. (Bprlil1, RpÎmel'.) 


111. 


2U 



306 


L 'ALLE1\IAGl"E BELIGIEUSE 


XIII 


Des indices nombreux, durant les années qui 
précédèrent la guerre, attestaient aux catholiques 
prussiens que les circonstances les an1èneraient, 
bientôt, à donner à leur presse une aBul'e mili- 
tante, et puis, profitant des leçons prises à Soest, 
à renouveler leur ancien groupement. 8ourde- 
ment une offensive antireligieuse se préparait, 
singulièrement menaçante pour cette liberté de 
l'Église prussienne dont en :1865 Auguste Rei- 
chensperger, au congrès de Trèves, remerciait 
encore Ie roi Guillaume 1. Ketteler se rendait compte 
- ill'écrivait à 
Igr Bartolini 2 - que si la Prusse, 
publiquement, ne faisait contrele Pape aucun geste 
qui pût choquer ses sujets catholiques, elle accom- 
plissait sa mission d'État protestant en favori- 
sant secrètement les visées italiennes. 
A Rome même, sur Ie Capitole, la Prusse tenait 
à s'afficher comme un État protestant. L'historien 
Reumont 3 , qui avait un instant, en :l8ä8, géré par 
intérim la légation de Prusse auprès du Saint- 
Siège, souhaitait de devenir tilulaire de cette léga- 


1. Verhandlungen, p. 296-297 (Trèvcs, Lintz, 1865). - cr. dans Pfuelf, J.l/al- 
li1ickrodt, p. 2H-275, Ie discours de l\laUinckrodt au Parlement de l'Allemagne 
du Nord, Ie 12 mars 1867, surIa liberté de l'Église prussienne. 
2. PCuelf, Ketteler, II, p. 296-299. Sur Ia polilique italienne de ]a Prusse, voir 
La Marmora, Un peu plus de lumière. trad. Niox (Paris. Dumaine, 1873). 
3. Sur Alfred Reumont (1817-1897), voir Herman Hueffer, Alfred von Reu- 
mont. (Cologne, Bachem, 1904.) 



L'ÈGLISE DE PI\U
SE 


307 


tion : Impossible, lui répondait-on, parce que vous 
ètes catholique ; cela serait gênant si que]que 
différend survenait entre la Prusse et Rome, et 
puis vons ne pourriez, comme catholique, couvrir 
d'une sympathie cordiale, joyeuse, complète, cer- 
tains établis
ements prussiens de Rome, qui ont 
un caractère exclusivement protestant. Le poste de 
Rome était même refusé à un diplomate dont Ia 
femme était catholique 1. 
La Constitution prussienne, la (( division catho- 
lique )), la personnalité même de Geisse], avaient 
été des éléments de paix; ces éléments s'an1oindris- 
saienl ou disparaissaient. Dne brèche s' était ou verte 
dans Ie réseau de garanlies que ménageait aux 
catholiques la Constitution; ils se heurtaient 
désormais, dans leurs requêtes, à un jugement 
rendu par Ie tribunal suprême en 1863, d'après 
lequel, en dépit de l'article 15 de l'acte constitu- 
tionnel, les textes de loi hostiles à I 'autonon1ie 
ecclésiastique qui n'étaient pas formellement 
lbrogés demeuraient en vigueur 2 . La cordialité 
le la (( division catholique )) à l'endroit des évêques 
risquait pal'fois d'être paralysée, depuis qu 1 en 1861 
)n avait créé, comme inlermédiaire enLre Ie minis- 
Lère des CuIles et Ie chef de ceUe division, un 
3ous-secrétaire, qui appartenai t à la confession 

vangélique 3. Enfin la disparilion du cardinal 


t. Hueffer, Alfred von Reunwnt, p. 178-179 (lettre de Thil., du 8 jan'Vier 1863). 

. Archw (ill' Katholisches KÙ'chenrecht, XI (1864), p. 1-93 (article de 
'Ierre Reichellsperger). 
3. H.P.B., 188G, 1, p. 546. 



308 


L'ALLE
IAGNE RELIGIEUSE 


Geissel en 1864 1 laissait I'Église prussienne sans 
tête : dans Ie rôle qu'il jouait avec une inimitable 
souveraineté, personne ne pouvail Ie remplacer. 
On put se demandel' un instant si cetLe dispari- 
tion même n'allait pas amener un conflit enlre 
l'État prussien et la majorité des chanoines de 
Cologne, défenseurs de la liberté de l'Église. La 
pratique qu'avail inaugul'ée, un quarl de siècle 
plus tôt,le gouvernemenl de Frédéric-Guillaunle IV, 
fut subitement remise en question 2. Fidèle aux 
précédents, Ie chapitre de CoJogne, par 1.0 voix 
contre 6, fit choix, Ie 26 ocLobre 1.864, de cinq per- 
sonnalités ecclésiastiques dont la nomination au 
siège archiépiscopallui paraissait digne d'ètre étu- 
diée 3. La liste fut soumise au gouvel'nement. 
Lorsque, huit ans plus tôt, l'évêché de Paderborn 
était devenu vacant, trois des noms proposés par 
les chanoines du diocèse avaient élé efl'acés par Ie 
gouvernement, à titre de pwrsonæ 11Ûnus gl'atæ It; et 
Ie droit électoral du chapitre, qui n 'étaÏl plus, dès 
lors, que la facullé d'opter enlre deux noms, avait 
été, par là mênle, singulièrement restreint. Les 
chanoines de Cologne furent traÏlés avec plus d
 
désinvolture encore. La Jiste entière qu'ils propo- 


i. Sur la mort de Geissel (8 sepl 1864), voir Pfuelf. Geissel, II, p. 638-M!. 
2. Dans une lettre à Bismarck (18 novembre 1864), relative à la vacance lles 
lDièges de Trèves el de Cologne, Ie fulur Fréd6ric III se monlraiL très hoslile à 
la pratique de listes dressées par les chapilres, pratique qui étail . la bieme- 
Due auprès des Jésuilcs el des ultramoutains . (Aus Bismarcks Briefwechsel, 
p. 375-378 (Stuttgart, Colla, 1901). 
3. C'élaient l'évêque auxiliaire Baudri, Ie profcsseur Dieringer, les évêques Ket- 
leIer, Martin el .L\IeJchers; el la majorIté lles chanoines inclinaienl au choix défi- 
Jlilif de Kelteler (Pfuelf, Ketteler, II, p. 252). 
4. Pfuelf, Gei&&cl, II. p. 
tjl el sui v ; - Slamm. Conrad Ma;'till, p. 56. 



L'

GLJSE DE PRus
n
 


309 


saient fut repoussée : Ia Prusse évinçait trois de 
leurs candidats, comme personæ minus gratæ, et 
rayail les rleux autres, comme étrangers par leur 
naissance à l'État prussien. Le contlit semblait sans 
issue. Rome l'aplanit en autorisant Ie chapitre de 
Cològne it proposer d'autres noms 1. De rechef les 
chal1oines, en aOlît lR65, dressèrent uneliste de cinq 
noms, dont trois figuraient déjà sur la liste répu- 
diée, dont deux étaient nouveaux 3. Le gouverne- 
ment répondit en septembre, en effaçant trois 
noms; Ie droit électoral du chapitre ne pouvait 
s'exercer qu'en faveur de l\Ielchers, l'évêque d'Os- 
nabrueck, accepté cette fois par Ie ministère, ou en 
faveur du professeur Haneberg, de l\Iunich It; et Ie 
commissaire royal chargé d'assister aux opérations 
électorales faisait d'ailleurs com prendre aux cha- 
noines que, s'ils donnaient leurs suffrages à Pe]]- 
dram, évêque de Trèves, ou bien au prince Gus- 
tave de Hohenlohe, Ie futur cardinal, Sa Majesh'; 
en serait ravie I). Ce qui rendailla situation délicate, 
c' étaÏt la présence, dans Ie chapilre de Cologne, 


1. Lellre tlu cardinal Anlonelli au chapitre (5 aoûl 18(5), et échnnge dl
 
leltre
 (mðme jour) enlre Antonelli et Ie minislre de Prusse Arnim. llans J.<'ried- 
berg, De?' Staat und die BilJchofswahlen in Dcutschland, Actenstuecke, p. 16Ð- 
175 (Leipzig, DUl1cker, 1874). 

. Baudri, Kelleler, Melchers. 
3. Hellinger, Ie proresseur de Wurzbourg, connu comme apologi!te, et Ie 
bénédiclill Haneberg, professeur à Munich, connu comme exégète. 
4. Sur ce personnage, voir nolre Lome IV, p. 261. 
5. PCuelf, Ketteler, II, p. 254. - QuaLorze ans auparavant, Mjà, lorsque Diepen- 
brock occupait encore Ie siège de Breslau, Gustave de Hohenlohe avail travaillé 
pour oblenir sa succession; mais celle ambiLiOIl du jeuue pI,t>lal n'avail pas été 
soulenue par Frédérlc-Guillaume IV (Paslor, Reichensperger, I, p. 351), non 
plus que par Ernest-Louis de Gerlach, qui était très pénétl'é de la haute respon- 
sabilitp dl1 roi en malir-rf> de choix épiscopaux (A.u{..:eiclmunyen, II, p. t70). 



31.0 


L'ALLE1tIAGNE RELIGIEUSE 


d'une minorité de ehanoines systématiquement 
eomplaisants aux volontés de l'État. Ils perpétuaient 
dans eel auguste corps les traditions joséphistes 
contre lesquelles I' épiseopat de Dros te- Vischering 
et lescatholiques de i848 avaient si vigoureusement 
réagi. l...e11l- action paralysante empêchait l'Église, 
représentée par ]e chapitre, de maintenir en face 
de l'État I ïntégrité de ses prérogati Yes. 
Ketteler, du fond de son évêché de l\layence, 
suivait avec anxiélé les étapes de la lutte. A deux 
reprises, la majorité du chapitre l'avait inscrit sur 
la lisle, et Bismarck, à cerlaines heures, voyait 
cette candidature d'un mi] assez prop ice 1. Mais les 
velléités de sympathie du futur chancelier s'arrê- 
taient et recu]aient, lorsqu'il constataÏt qu'à la 
cour de Berlin I{etteler était déeidélnent en Inau- 
vaise posture 2, qu'on l'accusait d'être l'hon1me de 
l' Autriehe, et qu'on lui faisait un grief d'avoir 
enlevé ses clercsà I'Université de Giessen pour les 
mettre dans un grand séminaire, à proxin1ité de sa 
houlette. l\lême avec l'appui discrrt de Bismarck
 
il était impossible que l'évêque de l\layence fût 
appelé au siège de Cologne. 
A cette heure décisive où 1e chapitre de Cologne 
était, si l'on peut ainsi dire, Ie titulaire des droits 
de l'Église, toute défaillance devenait un péri]. Ce 
n'étail pas une question loca1e qui s'agitait : la por- 
tée en était générale; on n'assistait à rien de moins 


1. Pfuelf, KetleleJ', II, p. 253. 
2. En 1849-1850, commc curé de Sainte-IIcdwige, I\.ellelcr s'élait tenu trèi 

 récart de la cour (Pfuelf. Kettelel', I. p. 1135 ì. - cr. ci-dessus, p. (ì9-71. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 31t 
qu'à un retour offensif de l'État, de ce Landesherr 
qui, jouant dans l'Église évangélique Ie rôle d'évê- 
que souverain, s'étonnaÌt lui-même, à certains mo- 
ments, d'avoir perdu toute prise, toute occasion 
d' eIupreinte, sur la vie de l'Église catholique. Qu' on 
expédiàt aux chanoines un bon comrnissaire protes- 
tant, et qu'illeur signifiât, bien carrément, ]e nom 
de révêque souhaité par Ie roi : c'était la solution 
qu'indiquait, dans une lettre à Bismarck, Ie prince 
royal Frédéric-GuilJaume:l. Ketteler, écrivant 
au cardinal Reisach, évoquait Ie souvenir de cet 
autre conflit auquel, en 1837, les fidèles de Cologne 
avaient assisté, et qui avait mis leur archevêque 
aux prises avec la maréchaussée prussienne. 


La question actuelle, disait-il, estIa plus importante qu'on 
ait agitée depuis 1837; de la solution dépend essentielle- 
ment l'avenir de J'Église dans notre patrie. Au cours des 
trente dernières années. Dieu nous a donné de belles grAces. 
Ce qui fut commencé en 1837 se continua dans les combats 
de 1848 pour la liberté de I'Église, et si nous ne sommes 
pas encore au bout de la lutte, la force de I'Église, pourtant, 
croît à vue d'æil... Cet heureux progrès se poursuivra-t-il? 
Cela dépend de la façon dont sera tranchée la grande ques- 
tion de principe qui est au fond des difficultés actuelles de 
Cologne. Toutes les libertés ne nous serviront de rien, si 
l'Eglise à la cime n1anque de liberté, si, pour la collation des 
charges épiscopales, elle devient une esclave de I'État. Je 
crois qu'aucune persécution sanglante n'a été aussi dom- 
mageable que la nomination d'évêques courtisans. La pré- 
tention du gouvernement me semble, en fait, une sorte de 
revanche de l'esprit laïque contre 1837 et 1848. Je ne doute 
pas que tous les gouvernen1ents protestants regardent 
l'issue du conflit, pour émettre, à l'occasion, les mêmes 


1. Aus BisiiW/'Ch:S Bl'iefwechsel, p. 378. 



3f2 


L'ALLEl'tIAGNE RELIGIEU
F. 


exigences. Après la succession de Cologne, ce sera celIe 
de Fribourg... Si la Prusse parvient à exclure, comme pe1'- 
sona minus grata, toute personnalité peu agréable aux loges, 
Ie gouvernement badois émettra les mêmes prétentions t. 


Avant même que cettp lettre ne fût parvenue à 
Rome, on y avait discerné la gravité de la situation: 
on s' était mis en quête de l'un de ces biais dans 
]esquels excella souvent la diplomatie romaine du 
xix e siècle. 
Prolonger les difficultés de fait, c'eût été amener 
un état de guerre entre Ie Saint-Siège, défenseur 
de l'autonomie électoraledes chapitres, et la Prusse, 
volontiers encline à gêner cettp autonomie par d'Ìn- 
discrþtes radiations. Après accord avec Ie gouver- 
nement prussien. Pie IX. de lui-même, installa sur 
le siège de Cologne l\lelchers, évêque d'Osnabrueck, 
qui deux fois avait été proposé par }(:) chapitre 2 ; et 
Ie roi Guillaume, Ie jour OÙ il reçut Ie serment de 
l\tlelchers, prononça quelques paroles très bienveil- 
lantes pour I'Église 3. Dans queUe mesure, à ravp- 
nil', demeurerait-il licitc aux chanoines de pro- 
céder à une élection, lorsque la majorité on la 
presque unanimité des noms au sujet desquels 
ils auraient pressenti Ie ministpre aurait été 
repoussée par la bureaucratie d 'État? Cette ques- 
tion subsistait, résolu
 différemnlent par les deux 


J . Raicb, B}'iefe von und an Ketteler, p. 31t-313 (4- décembrc 1865). 

. Bref de Pie IX à l'évêque am::iliaire Baudri (21 décembre t865), dans 
FriE'dberg, op. cit., Actenstuecke, p. l77-180. - Pfuelf, Kettelet', II, p. 257-
J8, 
- FriedLerg, op. cit., p. 251-:l63, expose, d'un point de vue prussien et anti- 
romain, l'histoire lout cntil?rc de l'électioll de Cologne. 
3. ll. P. B.. 1886, I, p. 551. 



,,'ÉnLISE DE PRUSSE 


31 :
 


pouvoirs, jusqu'à de prochaines vacances. C'élait 
à Dieu de l'assoupir en donnant longue vie aux 
évêques du royauille de Prusse; et la solution 
trouvée par la Cour de Rome ne créait au profit d
 
l'État aucun préc
dent périlleux, dont Ie grand-due 
dp Bade se fÍ1t empressé de faire loi pour la colla- 
tion du siège de Fribourg. 


XIV 


Tournant Ie dos à ces nuages, les catholiques 
optimistes pouvaient arrêter leurs regards sur 
certaines terres protestantes comme Ip Hanovre ou 
Ie Holstein, qui, depuis leur annexion à la Prusse, 
réservaient à l'Église romaine, en vertu de Ia cons- 
titution de 1850, une hospita1ité plus généreuse, 
une plus large tolérance t. 


1. De m
m(', dès Ie lelldemain de 1850, la domination prussiennc, installép 
dans les principautés do Hohonzollern, y avail supprimó, en quelques alllll
(,", 
Ie syslèmejoséphiste dont souffraicnlles calholiques (Roesch, Die lJe.:;if'lmngc/l 
det' Staatsgewalt zur Katlwlischen Kirche in den beiden hohenzollernschcll- 
Fuerstenthuemern von 1800-1850, p. 17;;-181. Sigmaringen, Liehnf>r, 1906); f't 
IIn curé, recevant KeUelcr, (ui vantait ce coin d(' terre comme étanl, dans la 
province ecclésiastique du Haut-Rhm, une oasis de liberté religieuse (Holzam- 
mer, Die Bildung des Cle1'us in Kirchlichen Seminarien ode?' an Staats 
universitaeten, p. 56. :Maycnce, Kirchheim, 1900). 
Aussi l'idée vinl-elle à Mallinckrorl.t, en 18lì7, qu(' 10 bénéfìce de la constilution 
pl'ussienne pourrail 
tre élendu à tous les Élals Caisant parlie de la ConCédéralion 
de l'Allemagne du Nord: il demanda formellement. au parlement de la conf{>- 
Ml'ation, que dans la d
claration des dl'OitS qui s'élaborait Cusscnt inlroduiles 
quelques formules au sujet de l'autonomie des Églises. l\fais ce ful un cathoh- 
IIUC', Savigny, qui, parlant offlciellement au nom de la Prusse, déclara inad- 
missible qu'on intervìnt ainsi dans la poJitique religieuse intérieure des États 
confpdérés; ce même Savigny, quatre ans plus tard, sera au contraire d'accord 
avec Mallinckrodt pour réclamer au premier Jieichstag que les articles de 1<1. 
conslilution prussienne en faveur des libel.tés catholiques figurent dans la Cons- 
titulion nouvelle de l'empire (Pfuelr, 1.llallinckrodt, p. 276-!7i). 


IIRD 
 



T , 


RV'
 rnlll=t:J: 



314 


L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


lIs voyaient, en Prusse même, ]e diocèse prus. 
sien de Paderborn, sous I'épiscopat de Conrad !vIar. 
tin, donneI' au reste de I' Allemagne, en octobrt 
1867, l'exemple d'un grand synode diocésain, dan: 
lequel 134 prêtres, désignés soil par leurs fonc. 
tions, soit par Ie libre choix de leurs pairs, confé. 
raient entre eux, sous la présidence de l' évèque 
sur les grandes questions intéressant la vie locale d
 
l'Église 1. Les calholiques constataient encore que 
non Join de Paderborn, la ville de Fulda, devenu
 
récemment ville prussienne, abritait, en 1.867 e 
1869, à l'instigation de I(etteler, de très impor, 
tantes réunions d' évêques 
, qui auscul taient ave
 
sollicitude les pulsations de l'Église d' Allemagn( 
eL maîtrisaient l'avenir par d'opportunes et grave: 
décisions. L' Allcmagne, durant des siècles, avai- 
oublié I' organisation des synodes diocésains, conI' 
plén1ent nécessaire de l'autonomie ecclésiastique 
et les diverses souveraÌnetés allen1anrtes avaien 
affecté de morceler l'épiscopat et condamné l'Églis{ 
d' Allemagne à une sOfte d' émietteInent incohérent 
mais il était temps de réagir, c'était sur Ie sol prus. 


1. Stamm, COn1'ad .J.lla1'lin, p. HO-1iL - Stamm, AU8 der Bríefrnappe 
p. 189 el 196-
24. Le P. de Fugger-Gloelt, jésuite, défendit Marlin coull'e 11 
reproche qui lui élail fait de n'avoir pas organisé un synode diocésain où figu 
rassent tous les prêlres. Le s
.node diocésain n"élail que Ie parachèvemcnl d'unl 
séric de créations par Iesquelies Conrad Marlin, éVt:que depuis 1856, renouvelai 
Ja vie religieuse dans son diocèse de Padcrborn : élablissemcnl d'ull concour
 
genéral annuel ou Lisannuel pour les cures (1h51), création d'ul1 séminaire 
 
lIeiligenstadl et extension du petit. séminaire de Paderborn (1.856). créalion d'Ul 
Convict lhéologique (1859), organisation d'une congl'égalion de pl'êtres séeulier
 
mel1ant la vie commune (186
). - Voil' Slamm, Conrad J.}lartin, p. 75-110. 
2. PflJelf, Ketteler, II, p. 379-381. - Katholik, 1867, II, p. 636-6
O. - C'esl 
en 1855 que ces l'éul1iollS s'élaient inaugm'éps à Fulda, à l'occasioll Ju 011 
:áème centenaire de saint Boniface ct à l'insligaLioll de Kettcler (Pfuelf, l1.ette. 
ler, I, p. 377 el suiv.) . Voir nolre tome IV, p. 73-74. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


3!5 


sien que la réaction commençait; à Paderborn res- 
suscitaien tIes assemblées ecclésiastiques; à Fulda 
l'épiscopat prenait I'habitude d'un rendez-vous 
bisannuel, à laquelle, jusqu'à nos .lours, il est 
demeuré fidèle. La liberté de mouvement que la 
Constitution de 1850 reconnaissait à l'Église s'épa- 
nouissait dans ces institutions nouvelles: l'É g lise 
libérée passait outre aux souffles d'anticléricalisme 
qui parfois faisaient bourrasque, et travaillait à 
son progrès intérieur, avec Ie double souci d'exal- 
tel' et de conccntrer son énergie. 
Le JI/ot épiscopal et Ie Second mot épiscopal, 
adressés en 1.864 et 1.866 aux protestants d'l\lle- 
magne par l'évêque :i\Ial'tin, témoignaient que les 
aspirations apostoliques de l'Église devenaient 
chaque jour plus allègrcs ot plus zélécs. Lc vaste 
diocèse de l\Iartin comprenait Eisleben, OÙ naquit 
Luther, et Wittenberg, où furent affichées les thèses; 
il con1prenait Halle, l\tlagdebourg, Halberstadt, 
Naumburg, dont lcs noms eurent une place dans 
I'histoire de la Réforme ; l\Iartin interpellait toutes 
los consciences protestantes qui vi vaient à l' ombre 
de ses souvenirs; il se présentait à cUes comme 
leur évêque et c'est en évêque qu'il leur parlait 1. 
Ainsi Ie permeUait à l\lartin la pacifiante doctrine 
en vertu de laquelle l' âme de l'Église déborde les 
frontières de l'Église, mais cet élan même d'une 


1. l\laptil1, Eiu bisclwefliches 1rort, I. p. 3 el8-9 (Paderborn, Schoeningh. 1864). 
Déjà en 18GO, l"év
que de 
luenster ayanl fOl1dé des unions de prières pour Ie 
rapprochemenl des conCessions, Ie pape leur avail dit que les protestants étaieut 
s('s enfants, el que ces unions de prières étai<:>nt déjà une union; cp dont Léo- 
paid de Gerlach semblail tout prèt à se Càcher (Denkwuudigkeiteu, 11, p. 74'*). 



316 


r. 'Ar.LE1UAGNF. RELIGIEUSE 


âme épiscopale fut l'occasion d'ardenles discus- 
sions. (( Les impertinents et superirnpertinents, 
écrivait à l\Iartin Ie P. Roh dès Ie 3 juillet i864, 
pourraient bien vous suspendre au COli quelque 
procès 1. )) Et de fait, Ie 16 septembre, au nom du 
ministère, Ie président supérieur de \Vestphalie 
insista, dans une Iettre à l\lartin, sur les excitations 
auxquelles son livre donnait lieu, et sur la nécessité 
d'apaiser les esprits 2. Toute l'année 1865 fut rem- 
plie par ces polémiques : elles se lassèrent et s'as- 
soupirent, et ::\Iartin put, sans provoquer de nou- 
veaux orages, imprimer, en 1.86t>, un autre volume 
qui s'inlitulait : Un second }}
ot épiscopal 3 . Néan- 
n10ins les accès de susceplibilité et presque de 
colère auxquels avait donné lieu la tentative très 
apostolique de 
1artin, attestaient, entre les deux 
confessions, une certaine tension de rapports. Les 
avances de I 'Église romaine apparaissaient aux 
protestants d' Allemagne com me pI us périlleuses 
que ses attaques; et qu' elIe fÙt libre, pleinemenl 
libre, de leur faire des avances, c .est ce qui, dans 
l' évangélique royaume de Prusse, les choquait à 
la façon d 'une anomalie. (( Vis-à-vis des catholiques, 
disait en septembre 186
), à l"assemblée de la so- 
ciété Gustave-Adolphe, Ie conseiller consistorial 
Kohlschuetter, les protestants doivent être sur leurs 
gardes ; car, chez les catholiques, on croit Ie mo- 
menl venu de refaire de l'Église calholique la sou- 


1. Stamm, Au", der Bríefmappe, p. 3?í5. 

. Stamm, Conmd Jlartin, p. 318. 
:1. Stamm, Conrad 1I1w,tin, p. 316, n, 
. - Katholik, 1 :65, H, p. -:38-';39. 



L'ÉGLISE DE PRUSSE 


3i7 


veraine exclusive 1 )); et les alarmes protestantes 
s'accrurent encore lorsqu'en 1.868 Martin, dans 
une brochure chaleureuse en faveur de l' Asso- 
ciation de Saint-Boniface, représenta cette asso- 
ciation com me pouvant lravailler à l'unilé reli- 
gieuse de l' Allemag-ne 
. Ainsi dans cet État évan- 
gélique qu'avait prétendu être la vieillc Prusse, une 
association se développait, conquérantp et libre, 
qui, sous le patronage de saint Boniface, - cet 
apôtl'e du confessionalisQle romain, disait naguèrc 
Bunsen, - aspirait à faire s'el1'ondrer les barrières 
que la Réforme avail élevées entre les âmes, et à 
refaire l'unité religieuse allemande en préparant 
nne vicLoire de l'unité romaine: Martin, dans ses 
appels en faveur de cetle association, invoquait les 
intérêts du patriotisme non moins que ceux de la 
religion; il ressuscitait l'interminable débat histo- 
rique sur la responsabilité des confessions chré- 
tiennes dans Ie morcellemeni du vieux corps ger- 
TIlanique; il prpsentait I'Église romaine conlme 
Loute prête à l'éparer les brèches faites par la Ré- 
forme; et la Pl'usse, fiIle de la Réforme, avec quel- 
ques protestations et quelques murmures, laissail 
dire cependant, et laissait agir. Alors Rome se ré- 
jouissait, accueillait avec une allégresse confiantc 
ces phénomènes de réveil; il étaitimpossible qu'elle 
n'en sût pas quelque gré à I'État prussien Jui-même. 
Certaines voix au Vatican, en 1.866, conseillaient 
à Pie IX de donner à la Prusse nne grande marque 


t. Katholik, t865, II, p. 638. 

. Slamm, COllrad .Martin, p. 2G8-:!71. 



3iB 


L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE 


d'amitié, en envoyant à Berlin quelque haut per- 
sonnage d'Église. Au moment OÙ Ie roi de Prusse 
peut être accusé de cleptomanie, disait en sub- 
stance Ie prélat Franchi, la présence d'un envoyé 
du Saint-Siège semblerait légitimer ses conquêtes, 
et les catholiques de Prusse s'en trouveraient bien 1. 
Pie IX fut plus discret ; une telJe indépendance de 
cæur à l'endroit de l' Autriche aurait d'ailleurs pu 
choquer l'Europe. 
iais il se préparait à donner à 
la Prusse une autre preuve de con fiance et presque 
de gratitude: en :1868, par son bref sur l'aumôneric 
rnilitaire, il mit un terme à dps négociations pro- 
longées et combla les væux du roi GuiUaun1e. 
De par la concession de Pie IX, Ie prévôt général 
de l'al'mée eut désormais un titre épiscopal; dans 
chaque diocèse, les soldats catholiques cessèrent 
d'être les ouailles de l'ordinaire et furent soun1is 
à la juridiction exclusive de l'évèque de l'armée, 
pour la nomination duquel Ie pape ot Ie roi se 
c0l1certaient 2 . Geissol, jadis, avait adressé à la non- 
ciature de graves réflexions sur les périls d 'une telle 
institution; et Kelteler, en 1869, dans un mémoire 
secret qu'il expédiait à Rome, renouvplait rexpres- 
sion d'une durable anxiété 3. Les aunlôniers mili- 
taires ne deviendraient-ils pas un clel'gé d'l
tat, 
militairement subordonné à l'État? C'éLait là l'in- 
quiétude secl'ète qui tour à tour ayaH ohsédé Ie 


1. Arnim, Del' lVuntiu8 kommt! E88ai von einem Dilettanten, p. H-l
. 
(Vienne, Rosner, 18iS). 
!. Archiv tilr Katholi8ches Kirchem'echt, XX (1868), p. i-3f--i-3-l-. 
3. PCuelC, Gei8sel, II, p, 123-130; - l-'Cuelf, Kettelel', II, p. 412-430. 



, . 
L EGLISE DE PRUSSE 


319 


:ardinal- archevêque de Cologne et l' évêque de 
,Iayence. Pie IX, s'élevant au-dessus de leurs 
oupçons, balayait de l'atmosphère prussienne, 
roublée naguère par les débats relatifs au siège 
le Cologne, les dernières traînées de nuages : les 
roissements entre l'Église et l'État prussien pa- 
'aissaient une fois encore conjurés. 


xv 


Mais c'était à la Chambre élue en 1867, c'était 
lans certaines municipalités, que se multipliaient 
es symptômes graves 1. II semblait que Carlsruhe 

t 
Iayence, où les Chambres s'épuisaient en dé- 
)ats antireligieux, allaient être imités par Berlin. 
.Ães catho] iqu es de Prusse, qui dans Ie congrès 
Ie Trèves en 186t. 2, dans Ie congrès de Bamberg 


t. Erust yon Ernslhausen, Ope cit., p.229, nolait encore dans I'Ermeland, en 
867, \Ine corllialilé de rapports entre proteslanls et calholiques qui ne faisail 
ullemenl prévoir Ie Cttltu1'kamp{; mais dans Ie loinlain Ermeland Ie libéra- 
sme anticlérical n'avail pas encore pénétré. 

. Au congrès de Trèves, en 1865, on parla beaucoup des choses scolaires, el 
on ne parvint pas à s'entendre. L'obligation scolaire faisait l'objet du débat : 
aumõnier militaire Lukas, d
 Ratisbonne, qui publiait cetle année même uu 
vre intitulé : Der Schulzwang, ein Stueck moderner Tyrannei, la combaLtil 
iolemment; Kraus, Ie futur hlstorien de I'Église, prit parti pour elle, et tous à 
'rèves se souvenaient assurémenl que dans son livre: Liberté, Autorité. 

glise, Kelleler s'en était montré partisan. Lingens, Heinrich. l\Ioufang, Mo
., 
herchèrent des solutions moyennes. En fait, l'absolulisme de Lukas ne faisait 
as école parmi les catholiques, et Ie principe même de l'obligalion scolaire dc- 
leurail hors de discussion: seulement, ce <(U'Ull certain nombre redoulaient. 
'est que, dans la pralique, une fois un tel principe avoué, beaucoup de parenls 
alholiques nc fussent conlraints d'envoyer leurs enfants dans des écoles non 
aLholiques. Les débats furent si complexes, et parfois si vifs, qu'ils s'a.chevèrent. 
peu près eans conclusion. (Verhandlungen, p. f67 et suiv. - !'tIoy, op. cit., 
. llì8.) - Sur Ie congrès de Ramberg, voir Dolre tome IV, p. 187. 



320 


L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE 


en 1868, conlinuaient de défendre Ie principe de 
I' obligation scolaire contre les attaques de certains 
de leurs coreligionnaires bavarois, s'émurent, 
en décembre 1868, en voyant la Chambre prus- 
sienne accueillir une pétition de la municipalité de 
Breslau qui réclamait
 contrairenlent à la pratique 
scolaire prussienne, la création d'une école non 
confessionnelle, et repousser, en même temps, une 
pétition des catholiques de cette ville demandant 
l'éLablissement d'une Realschule catholique 1. Lc 
ministre Muehler, en 1869, traitait encore d' (( im- 
possibilité )) la tentative de (( vouloir rompre, 
dans Ie peuple allemand, une alliance intime et 
plus que miJlépaire entre la culture et la reli- 
gion, entre ]'École et I'Église 2 )), mais ces propos 
mêmes suscitaient à 
luehler des inill1itiés qui plus 
tard, aux premières heures du Cultul'ka'Jnpf, de- 
vaient prenùre sur lui leur revanche; et 
Iallinck- 
rodt 3, portant ses regards sur l'enseignement 
secondaire, épiait avec effroi la nlontée de cer- 
taines aspirations, qui visaient à nluiliplier les 
gymnases non confessionnels. Car l'avortement 
successif de plusieurs projets de Ioi scolaire nc 
décourageait pas Ie parti Iibéral; on sentait que 
de grands débats étaient proches ,.. 


1. H.P.B" 1869, I, p. 257-269. - Gucisl, Ope tit., p. 65-76. - l\Jajunke, 
COflfe8sionell ode'/' ConfessioT4Slo8! (Bl'cslau, Goerlich, t 809). - Majunke, Gf' 
schichte des Cultu'/'kampfes in P'/'eu88en-Deutscltluml, p. 
9. (Pader.born, 
::3choeningh, 1886). 
2. Brueck-Kiessling, Ge,chic/zte. III, p. 462. 
3. Pfuelf. .iUallmck,'odl, p. 288 cl !91. 
4. . Depuis 1868, écrira plus lard Ie )Jédagogue kellner, les questions reli- 
gieuses el avec cUes aussi 1a {Jueslion 5colaire prcuai('nl de plus en plu5 



L 'I
GLISE DE PRUSSE 


:.J21 


Une autre question s'agitait : ccHe des congré- 
gations. On avait fait grand bruit, (lans une cer- 
laine presse, autour d'une pauvre nonne, Barbara 
Ubr y k incarcérée disait-on dans Ull COli vent d(1 
, , , 
Cl'acovie : l'ellquête prouva qu'clle plait folIc et 
qu'on ne la maltraitail pas; 1l1aÌs 1a légende 8U1'- 
vécut aux conclusions de la police; Ie congrès 
allemand des journalistes, tenu à Vienne Ie 
31 juillet i8G9, proclan1ait que pour venger Bar- 
bara, il fallail chasser les Jésuites, supprimer les 
cloHres, dénoncer Ie concordat autrichien et bou- 
leverser la constitution prussienne i; et lorsque 
:\lelchel's, al'chevêque de Cologne, s'en allait en 
1869 à la réunion de FulJa, il entendait cerlaines 
voix qui s'efforçaienl d'être injuricuses crier sur 
;on passage : (( Cracovie! Cracovie 2! )) La popu- 
ace berlinoise s'était laissée vivemenL én10uvoir 
)ar ccs romanesques rumeurs. Un jour d'aoÙt 
l869, à la nouvelle qu'unc chapelle s'ouvrait, 
)our quelques orphelins cathoIiq ues, dans Ie fau- 
Jourg de l\loabit, de véritables émeutes survin- 
'ent; cl comme deux dominicains assuraient Ie 
'uILe dans ccHc chapclle, COlnme quatre (( pauvrcs 
'rères de Saint François )) étaient préposés à 1'01'- 
)helinat, des pétitions survinrent à 1a Chambre, 
'éclamant la dispPl'sion des 11loines 3. Le j uris- 


'acuilé : un couranl sc clcs
in". Ilui anlf'na lcs calholiqu('s il sc l'f'sscrrer plus 
lroilcwcnt cL à rentralis('l' leul's CffOl'ls. Lcs prodromes tIll 1I1'0chain Cullw'- 
IImpf dcvcnaicllt loujours pl:.s visiLlcs. )) (Lc[;clIsúlacllcl', p. HIS.) 
1. 
Iajunke, Gcsclticltlc dcs ]{ullu1'lmmp{es, p. 100-101. 

. Grandcrath, Gcschicltle dcs VatikllltÍ8Chclt lton;ils, I, p. 230. (Friboul'g. 
erúer, IfJ03.) 
3. J." texlf' s'('J} h'tJU\c dans F,-X. 
chlllLf',-(;e8Chichie dC8 ]{ul{w'kamp{e.<; Ì/t 


111. 


21 



3
ó) 


L 'ALLEì\IAGNE RELIGIEUSE 


consulte Gnpist, qui drvait jouer un grand rôle 
dans ]e parti national-1ibéral au nlonlent des luttes 
du Cultllrkalnpf, conclut, au nom de la commis- 
sion, à Ja nécessité d'une politique de précau- 
tions rigoureuses contre Ie clergé régulier; les 
yæux précis qu'il émettait étaif\ut en contradic- 
tion formelle avec la Constitution rl avec 1a pra- 
tique du gouvernement prussien durant les vingt 
dcrnières années 1. L'émotion des catholiques fut 
grandp d'un bout à l'autrc du royallme, et puis, 
soudainement, à leur grande surprise, la question 
des ordres reJigieux, à peine jetée en pâture aux 
discussions publiques, disparu t de l' ordre du jour 
de la Chanlbre. A deux reprises, Ï1s réclamèrent, 
désirant réfuler Gneist, inyoq uer la Constitution, 
plaider pour les 11loinps; la Chambre se sépafa 
sans que le rapport de Gncist eût étp l'objet d'unp 
sanction, ni ml\me d'une discussion. l\Iais Ie rap- 
port subsistait conlnle un arsenal juridique OÙ bien- 
tôt r on trouverait des arnles. Avant de les y cher- 
cher, on vou]ait fa irp l'unilé allemande; ct Bis- 
nlarck conlprinlait Irs passions antireligieuses, tant 
que cette unité n'était pas faitr : (( II fant prendre 
garde, disait-il au Conseil des ministres, d'ébranler 
]a con fiance des catholiques dans la liberté et la 


P"fussell, p. G8-iO (Essen, Frcd.eLeul, IR
:!). - cr. l\Iajunke, Ope cit., p. 103- 
lU6. 
1. Le rapport et lcs væux sonl J1ubliés dans Schullc, op. cit., p, 70-i6. - Lc 
calholique Linhoff, conseiller à la I( dhision calholique ., d'acconl avec lcs 
représentanls des minisll'cs de I'Inléri('ur et de ]a Justice, se pl'ononça pour la 
légalilé de ('exislf'llCe des ordres. II allégua, pour défclldl'c la résidcnec d<- 
Jésuilcs élablie à Schrimm (Posnanic), cOlllre ]cs aUaqucs dOllt cUe 
tait rohjet. 
nne r{opollse de Bi
marek déclarant f'll (sr.'i' lI'1'('II(' 11(' (l('\-ait. pas (-11'(' inqni{Ol(O(' 
(l'fIlP]C, LillllOf{, fl. :i:ï-:iG). 



L' ÉGLISE DE PRUSSE 


323 


sécurité de leur culte j .)) Les victoires prochaines 
devnient Ie dispenser de ces suprênles précautions. 
Ln clochp du Culf/{l'ka17Zpf avait sonné trop tõt au 
gré de Bisnlarck 
; elle rentl'a momentanément dans 
Ie silence, et d'autres chan1ades et d'autres fan- 
fares remplirent l'atrnosphère allemande 3. 
l\lais, dans ces journées des 8 ct 9 févl'ier 1870, 
où les calholiques, relevan t 1e défi porté par Gneist 
et presque immédiatement retiré, avaient voulu 
traiter Ia quesLion des congrégations, l' on avai t 
YU monter ä Ia tribune, tour à tour, deux membres 
de l'ancien Centre, Pierre Reichenspergel' et 
Ial- 
linckrodl, ct un llallovrien qui s' effaçaÏt, boudeu!' 
et vigilant, dans un petit groupe fédéraliste de 
l'assenlblée, Louis 'Vindlhorst!.. Quelques mois 
après, un appel de Pierre ncichensperger, et deux 
réunions tenues à Essen et 
l Soest Ð, allaient pro- 


1. Poschingcr, Die .lllSpl'llChClt d,J.v FUeJ'slciL JJisl1ul1'ck (1848-1894), p. 13-14- 
(Lcipzig, IS!):;). - De m(
n1f', ((\lallll en 18G8 Blunlschii rCl'['éscntait à Bis 
marck, dans un ('II t.reticD , fJ.uïl fallail donner i\ la nalion (( des satisfactions 
inlellcctuelles >>, Bismarck rél'ondait 'Iu'il était d'accord avec Bluntschli en 
principe; mais on ajournail toule applicalion (Bluutschli, Denkw'ucl'diges, Ill, 
p. In et sui\r.). 
2. cr., sur ratlilud(' d(' Bismarcl\ à l'endroit ,In Concile, nolre Lome IV, p. 383- 
38-í. 
3. (( Nous ne pouvions à ccUe dale, dira plus lard, Oil plcin Reich.Ylag, lp 
dépulé Lasker, engagcl' dcs di'bals religiem., des débals passionnés. 
on pas 
(Iue nous eussions crainl la lutle ouverle, mais un souci plus profond nous 
tenait à cæur. L'empire allemand n'élail pas encore uni, et l'union prochaine 
du 
Utl cL ,Iu :\ord mil COliI'll lc p,"ril dc graves dommages. Si VOIIS avicJ: 
d,"jà réussi à scmcr de.. gcrlllcs de désordre, de Iutle l'cligieusc, nous devions 
éviler ccla. Si Ic combat dcvaiL écIalcr, il fallait (Iu'auparavant unc toilurc 
l)lan,ll sur l'enscmLlc dc rcmpirc; jUS(IUc-là, aucun débat 110 dcvait 110m, 
béparer lcs uu:. des aull"cs. Plajunkc, Gcscltichtc des ]í.ultllJ'kamp/cs, p. 10;)- 
LO) : séancc du Rcichsl(tfl ÙU :!:i novcmlJl'c 1873.) 
4. 
chullc, op. rit., p. ï'ì-X
, dOI1l1C' Ie comptc l'endll 
lpllog-rapbiquc de ces 
deux joul'lu"es. 
,ï. IhH'S
f'n, Lud/l'i
1 \rimltllOI'.vl. p. S2 Sf; (t.olop:[1(': J:arllf'lU, iUÚ':). :'\0\1" 



324 


I 'ALLE:ftIAGNE REI.IGIEUSE 


voquer la résurrection du Centre prussien, origine 
ùu prochain Centre alJemand; et, gråce aux trois 
orateurs qui n'avaient pas laissé sans riposte la 
première escarmouche à peine esquissée par 
Gneist, les séances des 8 et 9 février 1870 avaient 
été comme une premièrc répélition de ces héroïques 
débats du CultllJ'kanzpf, dans lesquels les catho- 
liques c.luraient à faire front, tout à la fois, aux 
coreligionnaircs politiques de Gneist et au chan- 
celieI' de l"Ernpire. 


parlerons de ces deux l'éunioDs lorsque IlOUS lraitcl'ons des débuts du Cullw'- 
kampf. 



I'r
\BLE DES ßIA TIÈRES 


TNTHODUCTION 


Lp lendemain de 1
48; l' Amm'(wthe de Redwitz. - Un boud- 
dhi;5me chrétien. - Ketteler et Ida de Hahn-Hahn: une conversion 
à l'3.ction sociale chrétienne. - i\Iésaventures artistiques, Jitté- 
raims, philosophiques, tIu catholicisme allemi1lH}. - Décadence 
définitive delaliUérature rom antique, etJnème de toutelittérature. 
- A vènement de la philosophic matérialiste. - Décadence do 
rart nazaréen: la pcinture polémiste; Lessing, Kaulbach. - La. 
seule survivance du 1'0mantiSllH' : l'ardléologie. - Mésaventures 
poliliques ùu catholicisme allemanlL. - Son épanouissement reli- 
gioux : la vcille clle Icndcmain de 1.848; parallèlcs. - 1.e déve- 
loppement des vocations rcIigieuses. - Un clCl'gé (lui fait sa 
besogne : Ie catéchisme, l'action sociale. - Un auxiliaire du 
dergé : Ie pcuple. - Comment llIisloire tles années 1850 à 1870 
est la préface de celIe du Cullu'J'kampf. . . . . . . . . . ., I 


CHAPITHE PHE
IlI
R 


LES CATHOLIQUES ET LA PRltPARATION 
, . 
DE L UNITE ALLEI\lANDE 


La chute du Saint-Empire: portée lIe ce fait pour l1
glise, portée 
Ile ce fait putU'l"Allemagne. - Une revanche de l'esprit natio- 
nal allemanll: Ie romanlisme. - Espoirs catholiques dans la 
résuITcclion du 
ainl-EmpiI'e. 
1. - La [['action catholique G)'ossdeulsch à Erfurt (18JO). - Un 
prcmicl' C'ngagolllcnt entre l'idée cl1lhoJiI(ue de (( Grancie-Alle- 
magne )) et l'idée pl'ussienne de (( Pelite-.\llernagne )) : joute ora- 
toire entrc Auguste Reichenspprger et Hacusscr. - Victoirc par- 
lementaire, it grfurl, de l'iùée pl'ussilmne de (( PetLte-_\Hemagne)) ; 



326 


TABLE DES 
lATl
:HF:S 


vicloil'e Jiplolllatique, à Olmuetz, de Iïcléo catholique ùo (( Grande- 
Allemagno )). - Les poléll1iques des Feuilles histOl'ico-politiques 
contre la Prus;:;e. - Premièro;:; IlHuÜfrstations de Bismarck. 
 
II. ,- Action de la. Prussc sur la politique roligipuse des autre;:; 
Etats allenmnds. - Lïdée prussienne fie la solidarité des 
puissances protf'stantes. - Première application de cette idée : 
rÔle de Bisn1ttl'ck en Bado pour soutenir et encourager la politiquo 
confessionneHe protestanle et, C01llme telle, anti-aulrichienne, 
(Iu gouvernement bttdois (18;j4) . . . . . . . . . . . .. f 7 
Ill. - L'inlluence pl'ussienno à la cour (lu rui :\1 a "X de Ba\"ÌÙro. - 
8es agents: des professeul>s. - Rôle de Sybel el de ßluntschli 
à .Munich. - EII'orts vidorieu
 de la Prusse pour (Ille la poU- 
tique dn gouvernemcnt Laval'oi
 c"sse d'ètro une polilique 
('onfessionnelle catholi'lue et, COllllllO lelle, fa.vO['ablc it l'Au- 
triche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 23 
I V. - Hostilité des catholi'lues contre la lhéoric do Ii] (( vocation 
allemande)) de la Prusse. - Doctrine du (( légitimisme alle- 
mand )), opposée pi1I'lesPeuilleshisIOl'ico-poliliques. -Enthou- 
siasme des catholiques pour Ie concordat autrichien de 1855 
et pour l'alliance, dans la guerre de Cl'imée, de rAutriche 
catholilIue etde la Francl' eatholiquf'. - Colère (les catholiques 
au moment de lit guel'l'e d'ItaUe: ICUl'S vceux pour que la 
Prusse üppuie l'Aulrichc; leurs invectives contre la France. - 
Leur tristesse cn t 860. . . . . . . . . . . . . . . . .. 31 
Y. - Deux initiatives anti-auh'iehicnnes : 1 0 La fOIllJaLion; pal' 
Syhel de 1'1Iistol'ische Zeilschrift. - L 'ccoll' histol'iquo nouYelll
 
ct Frédél'ic I L. - Hue HlOhilisation JH'ussicllllP d'historicns pro- 
testants. - Deux hbtoriplls de lellc1anccs autrichienncs et caUw- 
fiques: Hurler, Klopp. - 2 0 La fondalion du Natiollrtlvel'eÙt. - 
L'Autrichc viséc pal' les campagnes üuticuncol'datail'es de ceLle 
associalion. - lnsulfbance on iusignitiancu de::; groupeIlll'nL
 
;-;usdlés contrc 10 Xaliunalverein . . . . . . . . . . ., -10 
YL - EITort
 du prince rle IIohelllohe, 1'1118112, }Jour g'agner Ie.; 
catholi(IUes iL la cau:;c prus
iennl' eL créer aiu::;Í unc droite 
dans Ie parti do ld. (( l'ctil('-AHcllw.,gne )). - Illentité entre Ia 
situation do l'Autrichc, menacée ral' la Pru::;se. ct celle de 
Pie IX, ll1enacé par Ca vour. - Situalion dimcile dos catholill nu;:; 
prussiens. - LeuI' ültitudl-' d1.tllS 10 con1liL entre llbmal'cJ\: ct [0 
Parlcment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " 5
 
YU. - La. gUf'rre dl"' 1866. - Sa pUl'lée d'apl'cs Relchenspl'rger: 
sa }Jortée d'üprl's ßlunbchli. - L'accaLlement des catholirlues 
aprt.s Sadowa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ßO 
YJII. - RUllH'Ur;:; hostiles sur raUitude ell'S calhuli'lues prussieus 
dan:-:, la guerrc de 1866. - SadmYl1 inlul'pl'été comme une vícloirc 



TAHLI
 HES 
IATIÈRES 


327 


Ilu proleslanlisme. - Un écrit de Keltelel' : L'Allemaf/ue aprè.s 
la [juer,.e de -/86G. - Dispositions de Kelte1er pour L\utriche 
et pour la Prusse. - Ses conseils à la Pl'USSC; ses couseils aux 
catholiclues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 6-í 
IX. - La for11lu1e de l'alliclIlcnl des calholiques à la Prusse. - 
Pal'licularisme tenace de Mal1illckrodl. - Lcs catholiques prus- 
siens et Ies Freilwnservative. - Lenteévolutioll des catholiques 
(Ie Bavière. - SelltinH'nt peu it peu (Iolllinant chez Ies catho- 
liques d' Allemagrw : la crainle d'unc nou veJle Ligue lilt Rhin, 
qui l'alllènerait lÏnlel'vention (Ie la Fl'ancp dans les affail'cs 
d' Allcllmgm'. - Union des (( Gl'ands-Al1elllands )) (Gl'ossdeutsch) 
eL tll-'S (( Petils-Allemands )) (Kleindeutsch) cOlllre li1 France. 73 
l'\ou velle conception ci1tllOlique de l'unité allemande: une unité 
fondée sur 1i1 libcrlé des l
;glises. 


CHAPITHE l[ 


L.\ }<'OR}IATIO:'J SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE1\IANDS 


Altitude de l'Églisc à l'elluL'Oit de la révoluLion de i848 et des 
gouvernements rt'-adionnaires Ilui y succédl'l'ent. - ðon pro- 
gramme d'aclioll sociale. 
- Une question: Ie rôle des laiques dans Ia vie de n
glise. - 
Les aventureuses inilii1lives de lIil'schcr : pIi1n Il"organisations 
synodaLes. - L'opiuion dujul'isle Jarcke. - Les congrès illlnue1s: 
l'lLIJports des 1aÙlues el de répisl'opi1t. - Pl'éoccupations sociales 
11f';5 congrl's . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " !J3 
II. - La I1lisi
re des (( cOlupagnollS)). - UB réformaleul': K01ping.- 
De l'échuppe au ilSminaire. - Elberfeld, Lerceau de:::; Gesellen- 
L'cl'eille. - Caradèl'e do l'aposto1at de Kolping : l'Eglise sortie 
d u peup1e ot restée peuplc. - 80S voyages à Lra vcrs l' Allemagne.- 
Kolping à Berlin. - Los inslructions de Kolping aux présidents 
des Gescllelwel'eine. - Kolping, litterateur populairo . . 10
) 
Ill. - La Illisèrf' des paysan:;. - Un l'éforu1ateur: Ie baron de 
Schorlemer-Alst. - Burgsteinfurt, berceau des Bauel'nL'e- 
teine. - But Ilu lllOUVe1llent: l'indépcndance économique des 
paysilf1s. - POl'Lée (lu mouvernent: reconstitution d'organismes 
l'ol'pol'tl.lif;:;. - L'idéal social des réunions de Soest. 116 
IV". - La Illisi'l'e des ouvl'iers. - Di:::;cour..; <lu curé Thissen eL 
væu du congl'ès calholi(lUe d.. Fl'ancfol't. -Le rôle de Ketleler.- 
Le KcLleler de 1S-í:8: appel it lit réforme intérieure des ÍLmos. - 
Pl'éoccupations sucialcs des missionnaircs jésuites. - Le Kd- 
telel' de '1863 : un év{quc Lconomistc. . . . . . . . . . . 1 
O 



828 


fABLE DES l\IATIÈRES 


V. - KeLteler et If' (( libéra1isme )) de Schulze-Delitzsch. - Atta- 
flues rle Ketteler contre l'esprit ploutocratique de la Maçonne- 
rie allemande. - Ketteler et Ie socialismo de Lassalle. - Une 
]ptlre de KeUeler à Lassalle (janvier 1864). - Sa connance dan
 
l'etfort du capital chl'élicn pour renLlre les ouvriers proprié- 
taires. - corrpspon(Ianee pntl'e Moufang et Huber. . . . 1
7 
VI. - La question oUV1'iè)'e et Ie ch:,.istianisme: eSl1uisse <lu livre.- 
Plans manuscrits <le Kett.elel' en vue de coopératives de pro- 
duction. - Grand succès tIn livre de KeUeler. - Jugement de 
Lassalle sur ce livre dans son discours de Ronsdorf. - Juge- 
ment de Kettder, dans une lettm à trois ouvriers, sur les orga- 
nisations ouvrières de Lassalle. . . . . . . . . . . .. 133 
VII. - Les idées sociaIes <les Feuilles histO'J'ico-polil iqlles. - Souci 
des cathoIiques d'amener laquestion sociale au premier plan. - 
L'Histoiredes pm.tis poliliquessociaux, d'Edmond Juerg. - Atti- 
tude de JoC'rg à rendl'oit de LassaUe. - Des l'ssais -monastiques 
d'organisation ouvrière: les fondations du P. Théodose,la bro- 
chure de Bernad (Ie l\leyel' . . . . . . . . . . . . . . . -1 if 
VIII. - Achelllinement de la pensée de Ketteler vel'S l'idée d'or- 
ganisation ouydère ot de légisIation ouvrière. - Deux concep- 
tions inverses de la représentation ouvdi'J'e: Blunlsch1i, Kettf
- 
leI'. - Esquisse par Ketteler, dans un discours de pèlerinag(', 
Ll'un programme de revend.ications uuvrii\res. . . . . .. 15
 
IX. - L'organisation sociale des fidèles. - Les Fellilles c/u'é- 
liennes sociales d' Aix-Ia-Chapelle. - La question ouvrière à 
laréunion épiscopalc de Fulda (18(j!)) : un rapport de KeHeler.- 
La qnestion ouvripl'e au congl'ès de Due::;:-;chlorf (I 86U) : un dis- 
cours de Lieber. - Le progl'amme chrélien social (l'Ah:-Ia-Cha- 
pelJe (février 1870). - Les congrès sociaux rhénans dans l'été 
de 1 
70. - Union scellée. dc".s lors, entre Ie clergé rhénan et l(
s 
masses populaires. - One revue d'appel des forces catho- 
liques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 


CHAPITHE III 


L '!
GLISE DE PRUSSE l
T LA J!"OUl\IATION POLITIQUE 
DES CATHOLIQUES PRUSSIENS 


I. - La Constitution rle 18 is. - Profit qu'('n lire immédialcmrnl 
Geisscl. - Efforts des (
v("ques pour faÍI'f' intl'orluil'P ,les avan- 
tages nouveaux dans Ia Conslitulion de 185U. - La qurstion 
du scrmcnl. - Deu\. chapcau
 de cardinau
. - Réceplion du 



TAULE DES I\IATIJ
RES 


32Y 


nonce à Bl'eslau. - Espél'ancps su
cit(
f's val' Ia pl'ospéritt
 du 
catholicisme en Prussc . . . . . . . . . . . . . . . 17:) 
n. - MerveiUeuse efflol'escence d'æuvres t:atho1ique
. - Tl"l'VeS, 
Coblentz, Aix-la-CIHl.lwllc, Colognp. - Epanouissf'l/Il
nt des con- 
grégations. - Les grandes missions de .Jésuites. - Univprsi.l- 
lité (Ie leur succès. - Le siègC' tIps confessionnau"X". - Les 
('ou\'I
rsions au lendclllain de 18-i8.- Une organisation d'aposlo- 
lat : I Association de Saint-T3oni{acC'. - InfJuí(.tudes des pro- 
tf'stants d' Allcmagne. - Polémique entre ]'Église protpstantc 
et Ie cardinal Dieppnhrock. - Le pl'emif'r volume d 'Otto l\!pipl' 
sur la Propagandc. - A vanlage lIue tirent les cütholiques dp 
l'intangibililé de la Constitution . . . . . . . . . . .. 182 
III. - L'Église ct la question scolaire. - Caractèl'e traditiounel 
de récole prussienne : une école d'Etat. - Réaclion contre Ie 
radicalisme révolutionllaire des instilutpurs. - Alliance entre 
I'J
tat, chef de l'enseignement, et les diverses Eg1ises. - Obli- 
gations religieuses des instituteurs. - Les Regulative de Rau- 
mer. - Résultats différents de cos innovations dans les écoles 
protestantes et dans les écoles catholiqut
s. - Irréligion secrètc 
ù'un certain nOlllbre d'instituteurs protestants. - Les visites 
de Rendu dans les écoles catholiques. - Formation pé(lago- 
gÎlIue lies prêtres. - La (IuesHon de renseignpment privé. - 
L'idéal scolaire ùe Kellner : une alliance f'ntre l'Eg-Use et 
1 'Etat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 
[Y. - Un péril pour Ie catholicisme : les traditions de la bureau- 
eralie prussienne. - Uno sauvegardc : la. (( division catho- 
1ique )) (J{atholische Abteil!lll.fJ). - Rôle diplomatique que 
joue cette instilution entre l'Etat et l'Eglise. - Une autre sauve- 
garde : les dispositions personncl1es dc Frédédc-GuiUaurue IV. 
- Sa corùialité it l'cndroit des princes (Ie l"Eglise. - Néces- 
sité pour l'Eglise d'être discrète dans sa victoire : l'incident 
l\Iuenchell . . . . . . . . .. ....... 218 
V. - Un chef d'ÉgJise : Goisscl. - 8es sentiments pour Ie roi. _ 
Son esprit de pacification. - Offre faitp par Ie gouvernement 
aux évêques de Prusse d'entrer à la Chambre des Seigneurs: 
refus ùe Geissel. - Effort de Gpissc1 pour unifier l'épiscopat 
rhénan. - Rapports òe Geisspl avec Ie Saint-Siège. avrc Ie car- 
dinal de curie Reisach. avec les Jésuites. - L'AllcIllagne 
ouverte par Geissel aux soufflps de Rome. - Esprit 1ibéral elont 
en pratique sa poliLique s'inspirait . . . .. ..... 2
8 
vI. - Une irnitation lIe la Francr: 1e parli f'alllOli(IUP rhénan. 
- Joic de l\1onLalemuert. - Unité Pl variélé dr ('e pal'ti. - Sa 
puissance d.
s 1852 : (( los ultramontains arLitrcs de la ChtlJHhro)) 
(llismarck). - Une opposition rpligieuse dirigée par des fonc- 
tionnaires. --- Le terrain rl'action parlpHlpnlairl' de
 calhoIi(IUes: 



330 


TABLE DES MATI
RES 


constilution, droit C
OHlmun. Jihprlc; pour tous. - Hl'iclH'nsper
 
gCI' et ]a cunception de fEtal chl'c
lien. - La docLrinr' de l'au- 
lunouJÏe politique. - Contraste entrp l'a1titude Jibérnlc de la 
fraction eütholiquf' et. Ips aspirations politic.lues clu consprv:I- 
tisme piéliste. - Un t.ype de pit
tistp en provincp I'l}(:nöne : 
KleiHt-Het.zow. - Lul tes de Hf'ichenspergf'r contre I'ncllllinis- 
trali(Jll pit
tistt-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

. 
YII. - Les ]ULlèS plll'll'lHenlaires pour Ja Iiberte cathoLi(Iue. - 
- Le:> Clf'U\: cirf'ulaiI'es Ihnmwr (1S52).-La motion 'Valùboll. 
- SYJlIpathi,-' flu roi }lour les catholi(Juos. - POl'tc
e du yo[,'" 
sur La motion \YaldbuU.. - hlC[uic'.tw[ps d.' Lc
opolcl cle Gc'rhLCh. 
- Le sf'cond vlIlume (rOllo 
Ic-'i,'r. - Lultf' du protl'stantisme 
ft
o(lal contrf' Ie calholiciSlIlt' .IU nom mêule cLC':') iclc!c's l'c
ac- 
tionnnirps. - Un plan de campagne de BiSHUU'ck. - L.'s 
catholiquc.s accusc
s (Lll.Ostilité cont,.p' II' tsaI'Ïsllle. . . . . 2;:;,. 
Y1II. - Les Iuites parleHlcnlail'es pour la parité. - Les rcyC'n- 
clicalion:; pécuniaircs du Consf'il suprC> llll , t
'Tangc
lique. - La 
hrochure de Rinll'l. - L'adion pal'leJllc'nlaiJ'f' crOLlo. - Rap- 
pOl'l et vietoil'e elf! Mal1ilH'kl'odt en 1 
5\. . . . . . . . . 2ö;j 
IX, - 
l-gocia.t.ions sf'cròlc'R enl1'c In Prussf
 et Rome eoïnci(lanl. 
avec les pl"PlHii'l'cS Iuttes pü.rll'lHcnlaircs. - Les deu,- voyages 
(Ie Klindworth. - Conespondü.JH'es entre .Münteufl'cl et Anto- 
nelli. - Un projet de concorllat (/Ilar:-;-avl'il -J851). - .Avortc- 
JIlent. - Coutinuation des Iuites par/clHenl ail'f's pour Ia parilé. 
- Un sUl:cès ùu ('hanoin.'" Eherhar'd. -Mort a'Ottu (1
57). 
li!1 
X. - Unre\'ÌrellH'lll Ù. Bedin (1858) : rupture dufllt.ur enl(wreur Guil- 
laumc ler H.yec h' ft
oùalisIHe piélis1e. - Changement (Ie nom ell' 
la fraction catholiquc: l"avì'l1f'1Hc'nt. tIn mot Cen {1'(' _ - Progl'f\s de:; 
tendancr's anlic1éri(>ö.l('s dans II-'s pal'lis (( IiLérau\:)); SYl1lpLôllle::; 
tie ces progrl's. - Le bréviaire ILe l'anLiclél'icalisme nouveau: 
Les si[j71es des temp,
, 11c ßunsf'n. - Los premièrcs campagnes 
contre Ie eal'actè('e confessiolluel de 1'(;('oLe : racli\Tité (Ie Oie5- 
terweg. - PL'Cstige pl'l'manent de l'Église : place des évêqul's 
aux cérémonies <Iu couronnement. -..:\JraiLlisselll
mL tIu Centrc.'; 
clisparition (léfinilive elf'S moL;:; (( fracLion catholique )). - EIlI- 
barl'as du Cenlre entre Ie radicaJislUe et Bismarek. - Le Centre 
annihilé dans Ia Chambl'e de 1863. . . . . . . . . . . . 2ï5 
XI. - Orienlation nouvelle de l'activilé catholiquc. - Deux édu- 
cüleur:; de ropinion catholique : Hc'ichenspcrger, Kettdel'. - 
Deux leçons de mot::; en matièL'e poliliquc'. - Lc::; ciivpr
 ::it'n:.; 
du !Hot (( libél'aL )). . . . . . . . . . . . . . . . . . . 
91 
XU. - Un laboraloire d'apprentissagc poliLique : Ics l'cSunions de 
Soest (1863-1 Süti). - Un iniLiateur: Alfl'('d IlupfTer. - Les concep- 
tions poJitiques de 
chorlí"JI)('r-_<\]st c'l dp 
flll1inf'kl'odt. - Lt'!' 



TABLE DES 1\IATIt:RES 


331 


progrès de la pressc ('atholiqur. - Le journal calholiqup d{>fini 
pill' MaJlinc],Totlt. - Un I't'alisalt"m' : Joseph Baehen1. - Les 
}fellilles de Cologne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2!13 
XIII. - Raisons d'anxi,
tés pour les catholi'lues: un changemcnt 
dans la (( dh'ision catholitlUl' )) (1861), une Lrèchr dans laConsti- 
tution (1863). la mod de G,>issf'l (t86í). - LiHIupslion JI
 ,ral'che- 
yê('hé de Colugnf' : Ie íh'oit des chanoines lés,
 par fEtal. - 
hH{uitStwle fit' 1\1>lleJcr. - Solution eonci1iante de Rome. 306 
\:IV. - Raisons ,l'cspoir PUll(' Jt
S ('alholiques. - L'épiJnouisse- 
mcnl du ealholici51llC dans It
 11ioc'
se tIe Paderborn. - Le .Mol 
épiscopal c.le l'éYêquc :\!m'lin. - Les rcn(lp7.-vouS épiscopau"{ 
tip FuJda. - Les pl'Ogl""s dr l'Association de Saint-Boniface. _ 

atisfactjon tie Pie IX : ses concl>ssions à la Prusse au sujet íle 
l'aulllôneric militö.irl'. . . . . . . . . . . . . . . . .. 31:
 
\.Y. - L('s pl't>llliers ('oups tIc clothe flu Cultlll'kmnpf. - Les Iliscus- 
sions scolail'ès it la Chambrp prussienn6 (1868). - L'assaut tiu 
couvent de Dominicain:; Ilc 1\Ioabil. - Les pétitions contre Ies 
congl'égations. - Le rapport de Gneist. - Les manifestations 
oratoil'e:; de Picl'l'c l{eichenspergcr, .:\Iallinckrotlt d \VindtllOl':;t, 
dc:; 8 cl 9 fév1'Íl>r 187ù. - Soud tie Bismarck, å la ,"cille de la 
guel'J'e, de nc point étw{l.u]m' ]a eontiö.llec des caLhoJiI{ues dans 
Ja liherfé ,.t la sécul'ité df' Iem' culte. . . . . . . . . . . ;:1
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ÉVREUX, IIfPI\UIF.ßIJo
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