lfBRARY ST. M RY'S COLLEGE
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,
L' Allemagne
religieuse
Le Catholicisme
1800- 18 7 0
III
Published len OcloLer nineleen hundred amI eight.
Pdvilege of Copyrighl in lhe United Slates l'(,scrYcl1, under lhe Ad approHc{
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" Allemagne
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Le Catholicisme
1800- 18 7 0
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1848-1870
LIBR RY ST. tAAR'{'S COLLEGE
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35, QUAI DES GRAXDS-AUGUSTINS, 35
19 0 9
Tous druits ùe repl'lllluction et ùe h'adudion réSer\LI; POUI' to\l.5 pa
s.
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..:..'1 (;I
5i20
INTRODUCTION
I
Au Icndemain de 1.848, l'Allemagne étaÌt lasse :
un jeune homme survint, catholique d' origine,
pour exprimer en vers cette fatigue, ct pour l'as-
soupir, et pour renchanter. II s
appelait Oscar de
Red,vitz I, et peu de mois suffirent it glorifier son
nom. Ce poète, maintenant oublié, délassa ses com-
paLriotes d'avoir fait une l'évolution. Comme cer-
Lains preux du ten1ps pas8é, grands coupables et
grands pénitents, cherchaicnt aux pieds d'un as-
cète, ou devant une tête de mort., quelques leçons
d'humiJité, de paix et de néant, l'Allemagne repen-
lante et châtiée, déçue par l'hégélianismc, déçue par
les révolutionnaires, avait besoin d'écouter, avec
soumission, une douce voix adoucissante. Oscar
1. Sur Oscar de Redwitz-Schmoelz (1823-1891), voir Bruehl, Geschichte de,.
Katholischen Literatur Oeutschlands, 2 8 edit., p. 518-536 (Viennc, Manz, 18Gl);
- et surlouL : Rabclliechncr, Osca)' van Redwit:;' rcligioeser Entwicklungsgang
(Francforl, Kreuser, 1897), ct Otto v. Voelderndorff, Harmlose Plaudereien
eines alten J."JJuencheners, II, p. 335-414 PlUllich, Beck, t898), où sont repro-
duitcs un certain nombrc de lcllres dc Rctlwitz à Yoeld('rndl)l'ff sur l'éla)Jora-
tion d'Am(u'(wthe.
III.
a
II
INTRODUCTIOlX
de lied\vilz fut cetLe voix; il nlontra Ie chemin de
r
glise, comme d'un endroit où l'on se repose.
\ValLher, son héros, qui personnifie I'.Al1emagne.
s'achenline vel'S 1'1 talie, pour épouser Ghisnlonde.
II trouve, en route, dans une tour solitaire. une
fenlnle quasi divine, Anlaranthe, et cp.tte fenlme
rêverait de Ie retenir, ct \ValLher la sUl'prend disant
Ü son cheval ce qu'elle n'ose lui dire, à lui. lVlais
Walther est attcndu ; il s'arrache à ceLle vision, et
cheyauche au loin vel'S Ghismondc. (( Laisse là Ie
chrisiianisme, lui dit celle-ci ; SOl'S librc et trionl-
phant de la ténébreuse vallée du nlythe, entre dans
le palais de ma pensée ; Ie drapeau de la joie y floUe
sur les tours, (1t les proverbes dorés qui conseilleni
la jouissance t'y salueronl au seniI. )) 'VaHher va
épouser Ghisnlonde, l' Allemagne va épouser l'hé-
gélianislne révolulionnaire.
lais à l'instant nlêmc
du nlariage, ", alther demande : Crois-iu au Christ w!
Ghislnondc se tait, Ghismonde se détourne. Alors
\Valther conlprend, et part pour la Terre Sainte ;
au retour, il retrouve Amaranthe, et s\lnit à eUe.
L'éditrur Kirchheim, de l\iaycnce, avait accepté
ce volume, pour faire plaisir au théoIogien Hein-
rich 1: une vogue Ie récompensa, que depuis long-
temps enAllemagne aucun poème n'avait ohtenue 2.
Rcd,vitz énlU sui vail par Ia pensée son _l'ìna'ì
anth('
dans (( les innombrables maisons silencieuses OÙ
cUe illuminait les chastes regards des clal'tés du
J. Sur Heinrich, voÍt' ci-dessous, am. chapitrcs 11, IV ct VI.
. Due adaptation d' A m-71 o anthe fut dOllnée f'n fl'anl'ais par A. de L. (Vevey,
Lc..ser, 1863).
INTRODUCTION
III
pur amollt', OÙ elle rafraîchis
ait les cæurs ma-
lades >>. Le succès l'exaltait: il voulait prendre ]a
tête d"une croisade de poètes chrélirns, qui récon-
cilieraienl les âmes avec Ie Christ et les réconcilie-
raienl entre eUes 1.
(( A l'æuvre, leur disait-il, à l'æuvre, et prenez confiance !
Apportez vos harpes et vos glaives! Ne me laissez pas cons-
truire seul Ie monument; trop 10urJe pèserait ma tâche !
Que Dieu daigne bénir notl'e école! Les disciples, c'est moi
qui les appelai, n1ais je yeux être un disciple. lTIoi aussi.
Celui qui trône dans l'empire des esprits. celui-là est notre
maìtre, c'est l'éternel seigneur et Jnaître, c'est notre sau-
veur Jésus-Christ. ))
Des critiques l'icanaienl: (( les lnécbanls dar-
daient leurs langues >). - (( Sifflez, difTamez, leur
criait l'un des élèves de Rcd,vitz, Herlnann de
Béquignollcs ; un jour, ce sera ceUe école de fidt1les
chanteurs qui. sauvera notre société, 1a société
allenlande. )) L'audacieux lléquignollesécriv[lit une
contre-partie de Faust'!. : Hilarion (c'était Ie non1
du poème) se donnait à Dieu et défiail Ie diablc,
malgré que l't'meute eût fait fondre sur Jui toutes
les infortunes du saint homme Job. Cette jeune
école de poètes prêchait à l' Allen1agne toutes les
résignations, aussi bien celIe qui évite les révo-
lutions, et qui s'en abstient, que celIe qui les sup-
porte, et qui les accepte.
L Les lettres publiécs par Otto de Voelderndorll' attebtenl que Ie plan d'Ama-
mnlhe, conçu dès 1846, se développa et sc modifia peu à pcu, dans un scns
catholique, ct que l'influence de l'avocat Molitor, qui se fit prêtre en 1851, n'y
rut pas étrangère. << Sans vie intél'ieul'e, représentail Molitor à Redwitz, tu ne
seras pas un poète catholique. >> (Otto v. VoelderndorfT, Ope cU., II, p. 3!17.
. Sainl-René-Taillandier, Revue de. .Ðeu3J Mondes, 1:-, aoûl18:52, p. 778.
IV
INTRODUCTION
(( D' où vient que ta voix est si IHlre t demandc
Redwitz à un oiscau. - C'esL que je suis petit,
répond l'oiseau; sois petit, comme n1oi, et tu chan-
teras de mêII1e. )) Quinze ans avant Sado,va, vingt
ans avant Sedan, Oscar de Red,vitz apprenait it
I'AJlemagne à êtl'e humble, humble comme ]es
lis des champs, comnlC les oiseaux du ciel, qu'au-
cun fiévreux souci ne tourmente, COlnme les l'uis-
seaux fiuets qui prolongent sous Ie feuiHage un
gazouillement éternellemenl modesLe. Un de ces
ruisseaux, en 1852, inspira tout un poème à Red-
"ritz. Ce filet d'eau, des siècles durant, s'était con-
formé, dans son cours, aux paterneJIes indications
d'un hon sapin; mais en une heure de verti
e,
qui avait été pour Ie ruisseau ce que 1848 fut pour
l'humanité, on l'avait vu sortir de son lit, délnent
et vagabond; puis il avait fini par y rentrer, et par
obéir derechef au sapin; ainsi se rangeraient, à leur
tour, entre les digues aménagées par les siècles,
les vagues humaines soulevées par la révolution.
Complaisamment, longuement, Redw'ilz versi-
flait Ie symbolique apologue; et ce]a devenait tout
un livre, OÙ les fredaines et les ren10rds d'un
ruisseau faisaient la leçon à tonte une époque.
Un autre poète, Ie comte François Pocci 1, célé-
brait la solitude des bois : bon endroit, apparem-
n1ent, pour s'abriter en tcmps de désordres. L'état
de nature, jadis, avait suscité dans 1a cervelle
humaine des imaginations subversives: les sau-
f. Sur Ie comLc François Pocci (1807-187G), voir Bruehl, Ope cit., p.
09-517.
I
TRODUCTION
y
yages qu'in venli'ren lIes honl11les du XVIU e sièclc
furent les pr(lmiers p(
res de la Révolution. l\lais
dans les V(lrs (10 Porci les bois étaient inoffensifs, ils
verdoyaient avec s(
rénilé ; quelques sources qui ne
murrnuraienl ni trop haut ni trop bas les agitairnt
sans ]es troub]eI' ; ce n'éLaient pas des bois que Ie
ciel prît comme point de mire de ses orages ; et ce
n'éLaicnt pas des bois, non plus, OÙ s'amoncelas-
sent les prochains orages de la terre. La nature,
chrz Pocci, ne pI'élenuait point à réformer la so-
ciété; eJIe proposait aux honlmes, surmenés d'am-
hition, ]a langueur d'une douce accallllie.
Chansons toufes (Talc/lcs ]Jou], des en(ants tout
(rais : voilà 1e titre du rccueil de vel'S que pubJiait
en 184
Guido Goprres 1 . Qur sos lcctcurs devinssent
COnlIne des petits enfants, auxquels esl prolllis Ie
royaullle des cirux, c' cst à quoi il visait. Redwitz,
Pocci, Guido Goerrcs, chacun it sa façon, s'altar-
daient à bcrcer rAllemagne; et leurs trois 11luses,
doucemcnt lllatcrnelles, n'aspiraient à rien de
plus qu'à changer en petits; cnfants sages les grands
pnfants nlérhan(s - lurbulenls tout au moins -
qui avaicnt commis rcscapade de IH4R.
Chr(oticnnr, aussi, avaiL éLé Ia nluse r0111antique,
mais el]e avait su prendre ct donner un élan; la
poésie de cetle école nouvelle n'élait plus qu'un
assoupisselllent. C'était la poésie d'une heure
d'abaLtcnlcnt. où s'essayaient des lyres lassées pour
des oreilles ]assées.
I. Sur Guido GO(,rI'es (1
IHì-18:';2" '"Oil" Bruehl, oj). cit., p. 501-513.
VI
INTRODUCTION
A l' école de Red\vitz ou de Poeci, on considérait
lp christianisme comme une oasis où l'on s'évê:l-
dail, pour fuil' Ie joug des pl'éoccupations du jour;
être chrrtien, c'était une façon de se cl'éer un
alibi pour planer au-desslls de ces mêlées qui
a vaient si n1al fini; c' était.. si ron ose dire, un
retour à I 'enfance, par réaction contre cette année
1848 où l'humanité s'était flattée d'être n1ajeurc.
}Iais il ne se pOll \Tait pas qu'un tel mOllvement [Ùt
durable et fécond; cela ne se pOll vail, ni pour 1e
ehristianisn1e, ni pour 1 'humanité ; et 1'011 verra
plus tardle (( nlaHre du chæur )), Red\vitz en per-
sonne, s'asseoir, dans lesassen1blées politiques, sur
les banes des ({ nationaux libel'aux )).. et contredire
ayee éclat, dans les poésies de sa vieillesse t, l'es-
prit qui soufflait dans ceHes de sa jeunesse et qui,
pendant un instant, les avait fail ainlel'. Dénoue-
lllent peut-êtrc logique : au fond tiu christianisnle
tel que Ie conccyait Red\vitz el tel qu'il Ie célé-
hrait, il y avait jp ne sais quel bouddhisn1e ; ce
christianisme étail trop isolé du monde réel - de
CP nlonde que 1848 avail bouleversé - pour
demeureI' Ie sel de la tel're; eL lorsque Red\vil'-,
déserlera son passé, sa foi, sa pl'Opl'C gloire, en
s'enrôlanl au service d'un aulre idéal, ce n'est
point du christianisn1c qu ïl prendra congé, IDalS
bicn plutôl de l'image efIén1inée, anén1iéc, quïl
s'étaÏt faite de cette religion.
1. Sur les cinC{ cents sonnets écrits aprè5 1870 en l'honneur du nounl Empire,
'\ojr Rabenlechner, op. eil., p. 23-31; ('t Voelderndorff, Ope eil.. II, p.
49; ct
5ur Ie poèrn(' anlicalboliquc OdiTo, voir Stimmen nus J(f11'ill Lnac1l, XY, 18í8,
p. !í1-7-5.12.
INTRODUCTION
VII
II ignorait que les chrétiens n'ont pas Ie droit de
se reposeI' trop longurmenL des révolutions, et
que les misères Jont eUes étaient Ie témaignage
continuent de l'éclanler des renlèdes. Les réyolu-
lions, pour eux, ce sont des gcstcs pcrnlis par
Dieu, et par lesquels un certain noo1bre d'honlmes,
instrun1ents inconscients de son æuvre, attirent
l"attention d
l'élile, ou de ce qui se croit l'élite,
sur les péchés de la société; et ce n'cst pas en se
fermant les yeux, en se bouchant les oreilles, en
s' étil'ant dans I a soli tude q ne les âmes chrétiennes
peuvent faire un hon usage des nlaladics révolu-
tionnaires.
II
Comn1ent il en faHait fairc usage, I\.clteler,
évèque de 1\layence, sut l'apprendre à la tapa-
geus? romancièrp qu'il avait rncnée de la Réfornle
à l'Eglise, Ida de IIahn- Hahn. Avec aulant de
lyrisme et mains de sinlplicité que notre Georgp
Sand, Ida de Hahn-Hahn 1 avait célébré les droits
de la passion, et l'absolutisme du caprice.
Iais
tandis que George Sand prêchait à tous les hommes
- et à Lantcs les femmes - cet Évangile pnlanci-
pateur, Ida de IIahn-Hahn, construisant toutcs
ses héroïnes à son inlage, leur prêtail, parce que
aristocratcs, une allure et des propos de SUf-
L Sur Ida de Hahn-Hahn (1803-1880), voir Paul Haffner, G1'aefin Ida llahll-
Hahn ;.FrancforL, Foesser, 1880), ct Stoclmann, Stimmrn aus .Mm'ÜL Laach,
190;:;, II, p. 300-314. 42i,-43a, 542-55G.
VJII
INTRODUCTIO
hOII1nleS, et la façon qu'elle avait d'être alnol'ale
était pour
lle un raffinement d'aristocratie. (( Je
eherche 1a distinction, déclarait-elle un jour, non
dans la maturité, dans la convenance, dans larègle.
mais dans l'indppendance, dans Ia Jutte contrp les
couches infìrnes de la société, qui veulent franchiI'
toutes les Larripres et prendre pour plIes des droits
qui sont nos privilèges i . )) fda de Hahn-I-Iahn défìait
el visait deux forces, tontes deu
ennemies de son
nloi : la 1110ra]0 courante, et la poussée des classes
populaires. Elle était comme sa Faustine, unp
de ses hóroÏnps les plus connues, donl tout Ie
raractère so résumait. en nne finp quint.pssenf'e
d'égoïsnle, - cinquante ans aprÞs, on eût dit
plutôt : d' égotisme; eHe nléprisait, tout à Ia fois,
comnle unp. gêne et comme un péril, l'antiquité dp
]a loi morale, ell'insolente nonveauté des ph(
IlO-
n1ènes sociaux. En 1.8
8 eUe brûlait sa correspon-
dance avec }p haron Frédéric de Bystram, qu'elle
avait aimé : ({ Lps temps qui viennent ne doivenl
ricn savoir de nOllS, disait-elle, iis ne nous conl-
prendrairnl pns 2 . )) Et sur CP, elle S'('11 fut aux
pieds de J(t
Lteler - aux pieds du prêlre dont l'int.pl-
ligence s'atlachait avpc 10 plus d'(lnlour
t com-
prendre les tenlps nouveaux, à l
s aimer, à les
aboeder,
l les instruire, à les baptiser. Ii:etteler,
sans ùoute
('ut plus aisérnent raison J
son
illcroyance que de sps dégoûts; [nais il finÏl. par
1. Cilé par Sorel, RCl.'ue des Dell:!' lifo/ides, i:5 spplpmbrf> J 869, p. :Jiï.
2. Sore], loco cU., p. 381.
INTRODUCTION
IX
s vaincrp. (:p n'était pas asspz que, dans cette
érusalPID oÙ ellp se réjouissait d'ptrp parvenup,
IIp regrettât chacune (les lignes écrites de Baby-
one, et d'oÙ (( }'esprit de vprité (
lait absent 1 )) :
\eUeler voulut qu'plle se jetàt tout entipl'l
- sa
)ersonne, sa fortune, sa plume - dans la n1êlée
Ie l'action religieuse et sociale. Elle put alors
Ïn1pression de ({ devenir une reine, de mrndiante
lu'cUe élait:! )); ct lorsque au bout de dix ans elle
'ut asspz radicalplllent lransformée pour que les
lrroïnes de son in1agination, dans lesquellcs fata-
enlent plle s'inrarnait ellr-nlême, fussent deve-
nups telJes que les souhaitait. I
rtte]er, clIc feçut
Je ],évpque la perrrIission d'écrire encore des
ron1ans 3 , d'où l'on a tiré, plus tard, une suite de
fragments d'apologélique 4.
Elle avait cessé de penser que l'époque n'était
pas dignp de la I ire
à la période des passions
incomprises, Kettelpf ayait fait succéder, pour el1e,
nne longup srrip ll'années d'apostolat; il n'avait
pas adn1is que son enLrðp dans l'T
glise dilt {'trr 11Ilr
honrlprip rl'aris(ocratr contre l'hun1anité. En Sf
L Ida de Hahn-Hahn, CI1e voi..c de JÓ'usalem, lrad. Bessy, p. 2
4.. (Paris,
BI'a
, 18
tJ.)
. Ida de Hahn-Hahn, rile t'oix de JÙu,wLlem, trad. Bess
, p. ;;. (( Mp!\
Iivres, ('crivail-ellc au lewle'main de S3. conversion. onl Hé emportés dans Ie
g-ouITre qui s'csl ollvcrl cn 1848, el qui a puglouti de hicn aulres personnage'
que Faustine el Sihyllf', pl c(> n'esl plus mon affaire' d'écrire des romans et
rles récits de voyage. :\la vocalion csl ailleurs )I (JJe /Jabyloue à Jérusn.lem,
trad. Bessy, p. 103, 2- MiL, Pal'ig, Bl'a
, 1864).
3. PIuplf, Aettelcr, II, p. 139, HO, n. 1, 143, H7, l
t (May('nce, Kircl1heim,
tK99).
4. Peden aus Ida Co,,'fìll Iflllm-Tlal1ll8 \\"Uk'>II. ljt'sammClll'Oli J. a. (Ra-
tisLonnf', Manz, 19U:i).
Å
INTRODUCTION
converlissant, cette déracinée volonLaire, renonçanl
à la vie factice qu'elle vivait avec ses héroïnes
avait repris picd dans son peuple, noué contacl
avec la vie nouvclle de son (çpoque; son Église
d'adoption ravait réinLégrée dans son siècle. I\
ette-
leI' ain1ait ce genrp de conversions, qui ouLille
l'être humain pour Ie service des autres hommes
non 11l0ins que pour Ie service de Dieu. La poésie
de Redwitz - cette n1usique pleureuse, comme la
qualifiait le ron1antique EichendorfI 1, - risquait
d 'acheminer doucement les calholiques vcrs une
pieuse passivitts qui sans daute, à la longue, aurait
paru confortable ; ct les dévots lectcurs, emmenanl
Ie Christ avec eux dans des solitudes convention-
nelles, 1 'auraient confisqué pour eux seuls, à
l"écart de la foulp, afin qu'il pl'ésidàt leur NirJ'vana.
Iais l'éloquence et la direction d'un I{elteler les
poussaient dans une yoie plus àprc, et tout en
n1èlne temps plus réelle, oÙ ils se senliraienl vivrc
en faisant autour d'eux, parmi les mêJéps alle-
mandes, vivre el rayonnei> leur foi.
III
rie Nouvelle: ce tiLre qu' .Auerbach, au lcnde-
main de la Révolution de 1848, donnait à l'un de
5es ron1ans, conv
nait bien à la situation mên1C'
de l'Allemagne, et à l'attitude de l'esprit public
1. L('llrc elf> Eichf'ndorff à F1'éd{>ric.Guillallme Grimme, citée clani Keilel', Jo-
spph EichpurlortT, p. U() (Cologne. Ba('hrm. tR87).
INTRODUCTION
XI
lllenland. Le catholicismc, à son gré, pouvait
,'effacer ou agir, llulis s'il voulail agir, i1 risquait
l'ètre déconcerté, tout de suit(\, par la nouycautt\
11ênle du terrain d'actioll.
La littéralure ronlanlique, Ia philosophic ùe
Schelling vieillissanl, la peinLure des Nazaréens,
avaicnt aidé lïdée catholique it se difTuser, en quel-
que façon, dans lïntclligence allenlandc : désor-
lllais, cette p\
riode éLait close.
La littérature romantique avait rapproché l'ânlc
allemande du catholicisme; elle avail, dans Ie
vieux passé de r...\llr.magne, relrouvé la vieillc
f
glise ; rIle avait fait du catholicisme Ulle lllatière
d'art, dont elIe nlcUait en valeur Ja beauté. Ln
survivant de ces aspirations était Ie ca tholique
Eichendorffl : SOIl HisloÙ
e de la littératupe poétique
de l'AlleJnagne, qu'iL publiait en 1858 2 , aspirait
sans doute à la porlée d'un progralnme liUéraire;
il semblait qu'EichendorfI ouvrît un port où le
romantisme van'abond P ourrait cntin ] . eter l'ancre'
h .'
rt ce port, c'élaÍt Ie catholicisme.
Iais 1'0uvJ'age
(l'EichendortI parlait poésie dix ans après que'
Gervinus avait signifié aux poètes leur congé.
(( La littératurp a fait son temps, avait expJiqué
Gervinus; cUe n'a plus ricn à dire; l'inlagination
ne peut plus fairc æuvre utile; Ie temps n'est plus
t la poésie, il est à la politique 3 . )) Après la brève
1. Cf. nolre tome II, p.
22-2.23.
. Sur la porlée de cc livre, réédilé par Kosch (Kemplcn, Koescl, l!I07), "oil'
Baumgartner, Stimmcn aus lJIaI'ia Laach, 1!>U7, II. p. 4!)7-í!>!'I.
. Saint-Rpn
-1'aill:tn(]il"r, R,."w' r1P.
Dp1lT 11{0 11,1,..', , 1 pr mnl'
tR:-;/), p.1R2-
xn
INTRODUCTION
rourbatu1'e qui suiviL ]a 1'évo]utiol1, l' AJlcll1agn ,
pcnsa con1me pensalt (1pJ'vinus, ct rornrnença d,
faire nn rf'proche nux ]etl-res pa1'ce que les leU1'e.
invitaicnt les énergif's
l faire sieste, parce qu'ellc
étaienl, au sens pascalien dn mot, nn (( diyerlisse-
lllent )).
Dans Jp (( de\r(ìniJ- )) de ]' Al1enlagnc actuellr, ](
ronlanlisme avait représenté nnr étapc
il avai1
rendu aux populations germaniques le goÙt de leul
passé, le cnJte de leurs originalités nationales.
)Iais les meilleures écoles sont celles oil !'on prend
du souffle pour s'é\rader, fh
vrcusement, vcrs la 'vie.
Le succès mên1p de l'Ílllpulsion qu "ayaient donnée
les vicux prpcppleurs romantiques., les 1'rléguait
an second plan. Qu'avait-oll besoin dr Ii Uél'atpurs?
(( C'rst tant mieux, disait Ie poète RoherL Prutz, 5i
les lrttres onl perdu rn considpl'ation
cela prouvc
que Ie pruple allelnand s'occupe tIc choses plus
importantps. L'aITaiblissemenl dp l'espl'Ît littérairc
témoignc que nons SOlnn1CS mieux pJ'éparés pour
agir 1 . )) On ne pouvait signifier plus son1n1airenlent.
qUf' l'AJJeolagne en gestation n'avait pas bp
oin de
poètps. Que]ques vel'S rcligieux assez médiocres,
qurlques tit-ames plutôt insignifiants, c'e5t it quoi
se résuma la littératurc proprelnent catholique,
pendant cette denli-diseUe littéraire dont étaient
prcsqup fiel's Ips crpat(
ul'S de la future AlIcn1agnc.
L"hisLoire, tene que l'avait CuUi\Tée l'Llge 1'0-
I!H. - cr. Bí'Ja Wehèr, Charakter/liltle}', p. 173-JiG (Francrorl, Sauerlaeu.
der, 1I3"J).
1.
ainl-H.ené-Taillal1uier, llevue des Ðcu:r ..'[ÚJlrlcs, 15 mal'S 18:19, p. 'i-!::í.
INTRonUL CION
XIII
nanlique, avait glorifié l'époque oÌl Ie chef de
1 'AHemagne étaÏl une moitié dc Dieu; cUe avail
veillé, chez beaucoup d'âmes, une
orte de nos-
.a Igic à I' endroit du catholicisme ct de nostaJgie tl
.'endroit du passé, et formcHement accusp la Ré-
:"orn1e d'avoir fait déchoir la patrie. l\Iais les repré-
entants dc ce courant hi:,torique étaient désor-
Inais évincés des chaires, éloignés des Académies,
par des nouveaux venus qui 'voulaient supprimel'
Lc moyen åge dans l'histoire de 1'.Alleluagne, sup-
prin1er l' Autriche dans la carte de l' Allemagne,
supprimer Ie catholicisme dans l'àn1e de l' .A. 11 e-
magne. Les Sybel et les Treitschke furent, pour un
ten1ps, les seuls histol'iens écoutés: leur cæur el
leur érudition avaient élu domicile bien en deçà du
moyen âge romantiquc; et très illsouciants de
cherchcr dans les siècJe
archaïques un prototype
pour l' Allemagne future, ils chargeaient la Prussc
proteslante de hâter, avec le fer s'ille fallait, la
naissance laborieuse de cettc Allemagnc. J an1ais
I'bistoire ne fut moin
sereine, moins désintéressée,
plus systématiquement partiale, plus expressén1ellt
subordonnée à des visées politiques et à une
besogne politique. Lorsquc mounlt en 1863 Ie
grand érudit Boehnler, qui, sa vic durant, s'était
fait Ie familier des empereurs d'autrefois, il
faUut que I' Allemagne attendît lreize ans avant de
saluer dans son élève Janssen, qui ne publiera
qu'en i87U Ie premier volun1e de J'llistoire du
peuple allentand, un digne héritier de sa science
et de son àme. L'histoire, pour un temps, comme
XIV
INTRODUCTION
la Iittérature, avaH cessé de servir Ie calholicisme
l'hisloirc avail én1Ïgré, transfuge, sons Ie drapea"
de Ia Prusse et de ]a Réforme.
La philosophie de Schelling, aux dernière
années de sa vie, avait enchâssé dans un bea
cadre, dans un cadre de luxe, Ie mystère de I
Trinité, Ie nlystère de rln
arnalion, Ie mystèr
des futures destinées de l'Eglise. Enchåssemen
factice, sans douie, et l' on devine aisément qu
les théologiens, déposiLaires d'une tradition, n
pouvaient accepter cette nlainmise conquérant
sur Ips dognles de la veille et sur l'Église du len
demain. l\lais du moins Schelling n'y touchait-i
que d'une main respectueuse, avec une pieus
clnphase qui commandait Ie respect. Des affirma
tions religieuses qu'hier encore Ie rationalism
persiflait devenaient les pierrcs d'anglc d'une syn
thèse philosophique assez netlc pour t
tre comprise
assez nuageuse pour êtl'e admirée; et dans Ie
honnenrs qu'on rendait à cette synthèse Ie Cl'cd,
chrétien pouvait prendre sa part. Mais la gloire d,
SchelJing fut courte; courLe, aussi, Ia réactiol
de 1.850 contre ]e maiérialisme des (( jeuncs hégé
liens )).
FOl'ce et JJzatièrc de Buechner, Science et supers.
tition de Vogt, marquèrent en 1855 l'avènemen
({'une philosophie nouvelle, qui, d'un nom brc
ct provoquant, se dénomnlait (( Ia science )). l'
côté de ] 'histoire, qui s'acharnait passionnémen
aux constructions poli tiques répu técs urgen tcs
cette philosophie se préoccupait aussi d'être réa-
INTRODUCTION
:>...y
ste : trailant l'cmpire de Dieu - ou même, en
lnguc hégélienne, l"empire de I'Idée - avec Ie
lême dédain qu'un Sybel. servileur d'un Bis-
larck. professait pour Ie Saint-Empire, ene s'étri-
uail, s'amputait, se courbait docile devant la
l1alière, se targuait de ceUe servilitp même, el
herchait dans Ie lllatérialisme brutal - ce réa-
isme superficiel - un moyen d'éLreindre la réa-
ité. \T ainement Lotze, dans son lIIicrocosrne,
'ssayait-il d'enrayer ces courants nouveaux 1 : Ia
HOl'phologie de IIapckcl en 1866, son flistoÙ'e dr
'a cl'éation des êl1'es ol'ganisés, en 1868, étaicnt de
.1ouveaux affronts infligés à la religion par la
:;cicnce, et dont l' éclat frappait tous les observa-
teurs. (( Parmi les coryphées de la philosophie
matél'ialiste et des sciences naturelles, écrivail Ie
prince de Hohenlohe à la reine Victoria, il y a des
hommes de gran de science positive et conscien-
cieux en leur labeur, mais qui sont arrivés à nier
Lout ce que ne montre pas Ie Inicroscope. Si ces
lhéories étaient l'estreintes à l' école, Ie danger TIC
serait pas grand.
lais en Allemagne la culture est
si répandue, Ie peuple nlême prend une part si
vive à ce que discnt les professeurs, la science est
si démocratisée, que de telles théories ne resteroni
pas sans influence notable sur notre état social 2 . ))
Tandis que les conclusions matérialistes, meul'-
lrières de toute espérance, fomentaient 1es ins-
t, Rehnisch, Revue Philosophique, XII, 1881, p. 330-333.
2. Denkwuel'digkeiten des F1.J,crste/
Chlodwig zu Hohenlohe-Schilli1&g.<J-
fuerst, I, p. 141 (Stuttgart, Deutsche r erlaga-A natalt, j
07).
XVI
INTRODt'CTION
tincts révolu tiolluaires dans les couches profond(
de la nation, Ie phiJosophe Schopenhauer, à ql
ses contemporains longtemps inaUentifs dressaicI
un tal'dif piédestal, amenait les bourgeois à
dCIllander si Ie catholicisme n 'auJ'ait pas quelqu
vertu pour endormir ces instincts. Ce pessimist
était Ull conservaLeur. Convaincu que la vie e
mauvaise, it trouvait que la religion catholiqu
était, à tout prendre, bonne pour Je COlunlun de
hommes, parcc qu "elle ouvrait un Illonde d'illu
sions, etqu'elle équivalait, d'aprrslui, à la négatio
du vouloir-vivl'e 1. II n'y avait aucun sarcaSllle qu'
épargnât à la confession protestantc : (( religio
faite pour des pasteurs confortables, mariÔs et let
trés )), Ie protestantisme supprimait l'ascétisme c
pl'ofessait l' optimisme, (( erreul' fOlldamcntale
Jisait-il, qui fermait la voie à toute vél'ité 2 ))
religion (( rationnelle, plate, abstl'aite, strictcnlen
monothéiste OJ )), Ie protestantisme appau vrissait
dans Ie peuple, la fécondité des imaginations ct L
richesse des mirages consolateul's.
lais I 'Églis.
catholique d' Allemagne pouvait-elle se targue
d'une teIle apologie, ct pouvait-elle l'accepter? CI
dont Schopenhauer Ia louail, en définitive, c'élai
d'offrir aux gens, pour les amuser et les abuser
des images plus mensongères et des Illythes plu
.
L Schopenhaurr, Dic \-Vclt ob 'Villc und Vo)'stellWI'J féd. de 1877), II
p. 699 (Lcipzig, Brockhaus). - ce. Ribot, La Philosophic dc Schopcnhaucl.
p. 29-30. (Paris, Alcan, 1874).
2. Schopcnhaucr, Die Welt als 'Wille und VOl.&tcllllnr, (éd. de 18i7), [l
p. 718-71\.1.
3. Aus Arthur Selwpcuhauer's handschrifllichclll J.YachlrLS&, éd. Frauen
s1aedt, p. 4
6-4
7 (Leipzig, Brockhaus, 1864.).
INTRODUCTION
"XVII
olyLhéistes, c'était de praLiquPl' une ascèse qui
'allail à rien de moins qu'à nicr Ie prix de la vie
t Ie devoir social, et c'étail dl' professer un pcs-
inlisn1C dans l(\qucl il serail d ifficile de np pas
oil' un blasphème pour la création. La condes-
endance morose d 'un Schopenhauer à l' end roil
(\ l'Église n'offrait pas un moindre péril quc les
nsuHcs de la science nlatérialiste; c'éLait loin de
'J
glise, h'ès loin d'ellc, que la science allemandp
,romenait ses audacieuses cspérances, et que la
péculation allemande traÎnait son affi(\rtuule
lécouragéc.
l../art gernlanique, avec les Nazaréens, s'élait
ulrefois lai
sé captiveI' par Rome; et l'on avait vu
les corLèges de peintres, de sculpteurs, de gra-
reurs, chercher à Rome la beaulé et en rapporter
a foi. Ce temps-là n'était plus; la mode invitait,
Lésorlnais, à blâmer Overbeck parce qu'il avait
ait de Rome sa patrie, parce qu'il avail ouhlié son
)euplc, Ie peuple allemand, parce qu'il s'était,
Lisait-on, laissé exploiter par]a papauté. Peu s'en
"ailait que les Nalaréens ne passassent pour des
lpostats de la patrie allemande. Avec indulgence,
)11 adlllettait que François de Rohden, que les
leux Seitz, nlalgré les leçons d'Overheck, avaienl
;ardé quelque individualilé germanique; mais on
ondanlnait l'ensenlLle ùe l'école. (( Ilonle n'est
plus un séjour oÙ l'on puisse passer sa vie >>, écri-
vait Anselrne Feuerbach en 1857; et Ie vieux
l'onlantique Preller constataÏt mélancoliquement :
(( Que de changements peuvent survenir en trente
111. b
XVII[
INTRODUCTION
ans! 1 )) En Allemagne, Steinle, l'ami d' August
Reichensperger, poursuivait quotidiennenlent
besogne de peintre avec les nlêmes sentiments qu
lepl'être qui ditquotidiennement SallleSse: c'était
façon, à 1 ui, de faire acte de piélé. l\lais heurel
sement il ne cherchait pas Ia gloire, car Ie publi
qui donne la gloire nlanquait d'équité pour Steinl<
(( Je file tiens caIme, écrivélÏt-il, je me tiens efl'ac(
dans Ie sentiment que mon effort est systémat
queluent ignoré, parce que spirituali
te, pare
qu'ultramontain; d'ailleurs sel'ait-ce honorabl
d' être exposé sur Ie Inarché, avec des produil
d'art qui portent l'cmpreinle d'un culte matérÜ
lisle de la chair 2
? )) Cette demi-disgrâce dont so.
art étaÏt l'objet ne Ie décourageait d'ailleurs pas
il exécutait, en priant Dieu, des fresques pOll
les cscaliers des musées, ou des croquis d
vitraux d'églises, et laissait les journaux OÙ souJ
flait I'esprit de l'A.llenlagne nouvelle - la Gazett
de Cologne, par exemple 3 - aUaquer son al
comme ronulntique ct suranné.
Sans a voir l' en voléc Jes grandes corn posiLion
nlystiques où s'aLtardaient parfois les recueille
ments de Steinle, les lableaux de sainteté qu
hrossaient dévoternent les artistes de Duesseldorf
t. Fricd,'ich
oac1., Ðeulseltes Lebcn ill Rom, p. 307-3U8 (Stuttgart, CoU
t\}07). - Sur leg peinlres Rohdcn (1817-19U3), Seilz Ie père (1811-1888), Feuel
bach (1829-1 8
O), Preller (1804-1878), voir Noack, Ope eil., à la table.
!. Reichcnspergcr, Erillllerunyen an Etlum'd llittel' v. Steinle, p. 2
(Francfort, Focsser, 1887). - cr., :mr Sleinle (1810-1
86), lloll'e tome II, p. 224
:!2.J.
3. H eiclu
nsperger, Ope cit., p. 36,
INTRODUCTION
XIX
ItLenbach et les deux l\lueller \ auraient bien mérité
d'être contemplés dévotement; mais en dehors des
cercles proprement religieux, oÙ l' OIl songeait à
ces bons imagiers pour des commandes, leurs noms
avaient peu d'écho. Les peintres dont annuelle-
[nent Ie public allemand guetlait la production
:;'étaient appelés, trente ans plus tôt, Cornelius et
Veit, deux romantiques; ils allaient désormais
3'appeler Lessing et Kaulbach, peintres polé-
lnistes 2, qui se scrvaient de leur pinceau comnle
d'autres de leur plume pour glorifier, dans des
tableaux symboliques, la H.éforme du XVI e siècle,
et la puissance créatrice du germanisme anti-
romaine
11 y a vait, dans Ie tableau de Lessing sur la
croisade, une évidente intention de satire; les
croisés, tels que son pinceau les ressuscitait, sont
exactelnent ccs fous que se figurait notre ignorant
XYIU e siècle. l\lais tout au contraire, une alle-
gresse de révolte animait les toiJes dramatiques
dans lesquelles il 1110ntrait Luther brûlant la
bulle à Wittenberg, et la dispute de Leipzig entre
Luther et Jean Eck. I(aulbach avait plus de vio.
lence encore dans ses tableaux
sur I'Inquisition;
et l'ironie anti-catholique se glissait à travers toute
son æuvre; sa Danse des nlorts, ses illustrations
du ROJJlan de Renard, criblaient d' épigrammes
1. cr. notre Lome II, p.
4..
. Sur Charles- Frédéric Lessing (1808-1880) ct Guillaume Kaulbach (1805-
1874). voir Hausrath, E, Í1L1tuunyen an Uelehrte ultd J(uellstler del' Bud'ls-
chen lleiulllt, p. 98-145 (Leipzig, Hirzel, 1902).
xx
INTRODUCTION
I'Églisc et la papauté. Son inlmrnse toile sur 1:
Réfornle rangeait autour de Luther nn long cor
trge de précurseurs et de contenlporains
rt, snr Ie
carton priluitif, Luthpr, (rUn geste plus menaçan
qu'apostolique, brandissait une Bible au-dessus d(
sa tête. Les nUluvais plaisants objectèrcnt que Ie
père de la 11éforme ressenlblait à un comnlissair(
priscur qui nlettait un livre aux enchèrcs 1 ; alor
Kaulbach, corrigeant l'aLtitude, prignit un Luth(']
qui tenail la Bible devant lui; et de ceLte Bible
des rayons s'échappaienL. Avec Lessing, :lvr(
l{aulbach, rart allellland, autrefois discip] e df' Ii.
Rome artistique, défiait et combatlait la ROnl(
religieuse; et tandis qu 'autrefois l'A utrichc et It
Sainte-Alliance étaient demeurécs indifférentes, 01
peu s'en faut, au talent des Nazaréens et au part
qu'en pouvait tirrr l'Église, les journaux de Ii.
Prusse et du Nationalverein faisaicnt fête à ce
autrcs peintresqui lraduisaient en imagesvoyantes
accessibles au Philistin, la philosophie anticatho.
lique du parti de la (( Petite Al1enlagne )).
Le stud ieux élan qui avait entraîné vcrs Ie
moyen âge les imaginations rOlllantiques avai
créé une grande école catholiq ne d'archéologie
Cptte école durail toujours ; Auguste Reichensper
gel' n'aurait pas admis qu'ello mourlLt 2. Et c'cs
1. Léon Durnoul, Revue des Deux Jlondes, 1 er avril 18G5, p. G55. - cr. dan
Ie Corl'espondant, 2;, février 1868, p. 382-400, un al'ticlc du fulur cardinal PCI'
raud.
2. Voir Pastor, August Reichenspergc1', I, p. 471-603 (Fribourg, Herdm
t899), et Reichenspergcr, L'art yothique au XIX- siècle, trad. Nothorn
(BruxelIes, Dévaux, 1867). - cr. notre Lome II, p.
42-
47.
INTRODUCTION
XXI
l, pcut-être, qu'on pouvait rctrouver les plus
ulhcnLiques desecndants du romantisl11e, parn1i
es al'chéoIogues qui s'oeeupaient sur Ie llhin, en
avière, de restaurcr Jes n1erveilles de l'art gothique
t de Ics faire admirer; leIs, à Aix-la-Chapclle,
'aneien évèquc Laurent et son frère Ie bibliothé-
aire I ; leIs, à Cologne, Ie pcinlrc Baudri, frère du
oadjutcur, qui faisait paraHre d(\s 1H
1 l'Organe
lour l'al't cltrétien, el Ie prêLre Fl'ançois Bock,
'onservaleur du musée arehiépiscopal
; tel, à 1\lu-
licb, Ie chanoinc J oaebin1 Sighal't 3, connaisseur
xp(,l't de toutes les lUU vre
d'art. du diocèse, chargé
)ar Ie roi l\lax d'cn écrirp l'histoire. Un manoir
;carté, C0111me Ie château de Neubourg, ou bien
ncore, une vine isolée comn1C l'était Trèves, OÙ
lulle IOCOIl1oLi ve ne pal'vint avant 1.
39, semblaient
lhriter eonlre ]es souftJes pcrnicieux des temps
louveaux ]e rOlnantisme vieilJis
ant : à Neubourg
a veuve du poète Schlosser \ à 'frl'vcs, A.uguste
1. Moeller, Lcben ulld nncfe "on Johanncs Theodor Laurcnt, III, p. 2:
rrève!', Paulinw; DruekCi"ci. 1889). - SUI' l"é\(::fJ.ue Laurenl (180\-1884), lcs
rois 'olullIes tIc i\1o('ller sont un ùoemnent de prix.
2. Pfuelf, r;cissel, II, p. ï2-i'3 : Ie
Iusée archi,
piscopal de Cologne élail fondé
n 183;) j el les 9, 10 el1t scplcmhrc 18;:)(;, se tenail à Cologne uuc assembl{.e
"énérale de toutl'S les associalions d'arl chl'Hien. - 8m Franz Bock (18
3-18ga),
oil' Fabian, dans BcllPlheim, Bio!Jmphischcs JalLrbuc!l, 1899, p.
üa-2i1 (Ber-
in, Reimer, 1 aOO).
:
. Sur Joachim Sigharl (lSa-186ï" \Oil' Jíalholik, IS68, I, p. 309-337.
4. Sur Fl'édéric Sehlosser (1780-18::;l), sa femme Sophie Schlosscr (178G-tl'ü:í),
'l ee clH'ieux cloilr'e de> Neubourg, voi:;in de Heid('lb('rg, oil Boehmer', Janssen,
leda Weber, Sleinle, ct un eerlain nomlJl'e d'pvèl(UPS, so donnaicnl voloutiel'S
cndez-, ous, voÍl' Rosenthal, Jíonv,'l'tilcnbildel', I, I, (.1. :H3-331 (RalisLonne,
lanz, 1889); - Janssen, Bochmcl"s Lcbnt und Bl'ic(e, 111, p. 4ï8-484 (Fri-
10Ul'g, I1erùer, 18(8); - Robed v. 1\1obl, Lcbeu8cl'inncl'ullycn, I, p. ::!49
Slullg-at.t, Dcutsche -Ferla!/s-Anstalt, 1
0
); - Stcinle, Bl"iefll'echscl, I,
I. 39ì-510 (FrilJourg-. HCI'der, H;Oi). Voir sl'écidlempul. daus Sleinle, op. eil.,
, p.
it3-i6(). UH(' cilal ion du comIC' .\(lolphe Frl'ùt
l'Ìc J(. f,chacJ... sur Neubourg.
XXH
INTRODUCTION
Reichensperger
Ie chanoine '-ViImo"
sky
]e peintrc
Lasinsky, l"architecle SchnÚdt, Je coloriste Jacob
l(ieffer 1, prolongeaient Ie rêve actif d'une conquêlt
des âmes à J 'ÉgIise par Ia vertll de I' esthétique chré-
tienne....\uguste Reiehenspcrger, plus l'igoureux que
Rome, aurait volontiers imposé à l'édifice religieu:x
un porehe gothique eomn1e vestibule, une ne1
gothique con1me vaisseau 2. Les appels de I{ettc-
leI" pour la reslauration du dÔllle de "r orms et tIu
dôn1e de
layencc \ ceux òe Beda 'v'" ebel' pour lei
reslauralion du dôme de Franefort ., résonnaicnl
comme l' écho loinlain des alltres appeJs qui, vingi
et trcnte ans plus tôt, avaient intéressé l'.L\Jlcmagnt
à l'achèvement du dôn1e de Cologne, (( n1onun1cnl
de l'unité nationale )). ßlais l'opinion puhIiquf
semblait de venue plus distraite: (( Le dônle dc
Cologne, écrivaii nléIancoJiquenlent Auguste Rri-
chensperger, frappe vainen1ent it 1:1 porte de nl:l in I
1. Sur ee eercle de TrèHs. nil' F. X. lÙ'aus, Essays, II, p. 3i':j-38
(Bel'
Ii n, Paetcl. l!)u 1).
2. Sur eel n:clusivismc d"Augusle Heichcnspergcr ct. ùe son jeune ami Jansscn
voir Pastor, Reic!wl/spCl'!/el', II, p. 2jtj el suiv. ; - Paslor, Jansse/l, 1'. 133.-
Sulpicc Boisserée, II1Ii avait lanL eonll'ihlH\ nag'Uf\rc, it faire aimf'r i\ I'AlIp
magnf' Ie 1ll0
en ëlge, m..primai L it l'al'chevl'(lue ùe Colog-ne, cn 1852, sa crainte (IU<
par Ulle imitation c"cIusive du mo
ell åö'c, 011 ne 10111h:I1 dalls l'crt.cUl' tll
rÉ:.dise grecque. (SuIJiÏ
lJoi.<iscl'éc, I, p. Si8. Stuttgart, Colla. 18GL) A !tonH
aussi, on ll'ouvail. que cette passion de l'AlIema;:nle eatholique pour LII'l. goLhiqu<
offrail. je ne sais quoi de tl'Op exclusif, on di
ait même de Lrop intolét'ant : l<
CidlLrì catlolicn eltieallail AUf;uste Hcichensper'g-er SUI' ecrtains ostracisme.
(1:3-
7 mars 1858, p. U3). Lors'IlIe Ie grand OI'aLcU\' ealhoIi'lue l\lallinchod
fille vo
'age de Home, la ehapellc SixlÎlle lui parut laide: cL il avouail. qUI
ectte eompénél.ralion flu profane et du saer
, trait dislÍnclif de "art iLalicn, éLai
inintelligible pour l'esprit aUemand (Pfuelf, 1lIallinckl'odt, 2 e édit., p. Ul-l i4).
3. Pfuelf, ]iettelc1', I, p. 296 et 298.
4. WaekerllcU, Beda 1Vcbcl' (li98-/8:J8) uml die til'olische L.jltC1'OtW
((800-/846), p. 415-416 II nnsbruck, W agnf'r, I flO.
).
TNTRODUC TION
XXIIt
)resbyLère 1 )). Et puis, désormais, ce n' étail plus
;eulement sous les voûtes affermies des chefs-
l'æuvre gothiques, c'était sur les chan1ps de
)ataille, que l'unité nationale aspirait à s'épa-
louir; et lorsqu'unc fois épanouie, elJe se mettrait
n qu(\te rle symboles, il ne lui suffirait plus de
3es antiques maisons de prières et de paix, it lui
faudrait, sur Ie Nieder,vald, un belliqueux trophéeo
Tandis que la liltératul'e ct 1'a1't semblaient
ùésornlais tenir Ie calholicisnle pn disgràce, les
changements politiqucs étaient pour Ie calholi-
cisn1e une défaÏtc. La fornlaLion de l'unité alle-
luande par la Prusse proteslante consacrait d'une
irréparable façon la chute du Sainl-Empire; fAu-
lriche catholique était mise hors dc l'Allemagne ;
l'al1t1'e puissancc catholique, la Bavirre, abandon-
nait le rôle tradilionnel de soldat cL dOavocat du
catholicisme, qu i dans le vicux passé germaniquc
avait fait sa personnalilé. L'épée prussienne, qui
se considéraiL déjà COlllme étant à p1'oprement
parler l'épéc allemande, traitait les puissances
calholiques avec autant de désinvolture que les
auxiliaires intellecluels de la Pl'usse, histo1'iens ou
publieistes, traitaient l'idée catholique. Et l'on pou-
vail c1'oire que sous l'atIront de ces deux o1'gueils-
o1'gueil de la pensée, qui défiait la foi, ol'gucil de
la force arméc, qui défiait. Ie droit - c' en était fait,
pour longten1ps, de ce brillant 1'enouveau catho-
lique donl les Drostc- Vische1'ing, les l\lochler, les
1. Reiehenspcr:rer, L'aI'l qolltiql,l,C (lU
\1XO .çifcl,
, trad. NoLhomb, p. 235.
X:\IY
INTRODUCTION
Doellinger, les Gocrrcs, les Overbeck, a vaient été à
divers égards les admirables ouvriers.
II srnlbIait mênle qu'aux multiples causes exté-
rieures qui senlblaicnt devoir provoquer cetlr
éclipse, une cause inlérieure s'ajoutãl : nous vou-
Ions parler de la crise profonde qui séparait en
deux carnps les intelligences catholiques et qui
luettaÏl aux prises, dans Ie clergé rnênle, ðeux sys-
l(
mes de théologie, run scolaslique el docilemenl
subordonné aux influences ronlaines, l'autre plus
imprégné des philosophies modernes rt volon-
tiers frondeu!' à l'cndroit des autorités d'outre-
Inonts. Crise si profondc qu'elle dcvait plus tard
détacher de I'Église un des honlmes que nous
citions toul à rhcurc parlui les artisans de sa
résuLTeclion : Ie chanoine Doellingrr, de l\lunich.
l\insi tandis qu'il n'y avait plus de rcncontrcs, plus
de rendcz-vous, plus ùe contact, entre l'Églisc et
I'Allelnagne inlcllecluelle ou esthéliq ue, tandis
que la vie allenlande, sons ses fornles nouvelles,
senlblait sc dérouler à l'
carl de l'J
glise. dans l'i-
gnorance COlllplète de l'ÉgJise el presque en hosli-
Jité avec clle, celle Église m0nle souITrait de
malaises intéricurs, qui la di visaicllt conlre e11e-
luênlC ct qui rall'aiblissaient.
IV
Ialgré Lanl ùc défaveurs ct tant de mésavenlures,
h's vingt anllées qui pl'écédèrcnll'C-closion du nou-
IN rnODUCTION
xxv
yel Enlpire furent pour la foi ronlaine, en Alle-
magne, des annécs de prospérité et dE' progrès. Un
jour de 1.837.7 Talleyrand, apprenant que Ie roi de
Prusse vena it de jetcr en prison l'archevêque de
Cologne, s'était éCl'ié prophéLiquenlent : (( C'est de
la graine eatholique jetée en Europe. V ous la
verrez lever et pousscr vi venlcnt 1. >) CeHe graine
de ealholieisnlc, sell1ée en Allemagne, fl'uctifiait
surtout en Allenlagnc, et cUe y mÍlrissait. Aussi
l'icléc calhol ique, délaissée par l'.A.llenlagne intel-
IreLuelle et sacl'ifiéc par les diploll1uties, eonti-
nuait d'avoir dCl'rièrra cUe un peuple -, ee peuple
caLholiqnc que Ie eonp de force de Cologne avail
autrefois réveillé; c\Hait là sa revanche, e'élait Hl
sa force. L'f
glise avait, en 1.84.8, à Ia faveur des
libertés nouvelles, commencé de grouper ce peuple
en associations, et de Ie mobiliser pour des eon-
grès. Lorsque la réaetion, mcsquine souvcnt, bru-
talc pal'fois, à laquelle s'aban{lonnèl'ent les divers
États, s'aeharna quelque tenlps durant à SUI'-
vciller et à eOnlpl'ÏInCl' dans les nlasses loul épa-
nOUiSSCl11cnt de volonté et LOll t effort de vie, les
assoeiations catholiques furent en généraltoIérées.
Aueune insLitution l1e hénéficia pIns complète-
mcnt que l'Église ronlainc des eonquêlcs de 184R,
aucune n'cn bénéfieia plus longuenlenL.
(( Dc tonlo façon, disail en 1854 la Civiltâ Catto-
lica, que dirigcaienl eerlains Jésnitcs romains, il est
1. le 1 o cloUt' {IC Tllllc!Jl'ltml à la l'cli!Jion : lclll'e tif' .JJme 1ft duchcS8C de
Tallt'!Jrnnd it l'ltblJë lJl.lpalllullp, l'ubliéc pal'MlIle la prÍ1H'csse !ta(hi\\ ill, p.
().
(Paris, Pion, 190Rj.
I" n A nv CT 14
n\"(: nl J J:t:F
XX'I
INTROD"CCTION
évident que l'un des nombreux bicnfaits que Dieù
sut retireI' des récf'ntes con1motÏons politiques est
la Iiberté plus grande que les gouvernernents com-
mencent de concéder à l'Église 1 )) : c' cst à rAllf'-
magne, surtout, que pouvairnt s'appliquer ces n10ts
de la Civiltâ. (( Sen1bJabie à un géanL longtenlps
emprisonné, écrivait à la n1Ôme époque Ida de Hahn-
:Hahn, l'Église se relrve lentcn1ent ct avec peine de
sa captivité : on reconnaîL aujourd'hui qu'elle est
autre chose qu'une humble servante des gOllver-
nements 2. ))
Que cela fÚl rcconnu, r]
glisc ne dC111andait rien
de plus. (( Lo catholique, lit-on dès 1849 dans la
préface n1ise au compte rendu de l'asscmblée
de Breslau, désire être aITranchi de toule oppres-
sion bureaucratique injuste: donnez-lui cette
liberté, et vous trouverez pn lui Ie citoyen
Ie plus capable de sacrifices, allant à la mort
pour son roi eL sa patrie parce que tel esl son
devoir 3 )). Obtenir la liberté de I'Église, et puis
l' épanouir ; c' est à quoi se l'amenait, d' a près lVlon-
talembert, la politi que caLholique : an lendemain de
1848, l'Égiise d'Allemagne acceptaiL ce pro-
granlme!t. Elle détestaiL que les associaLions
qu'elJe formaÏt so mélassent de politique locale 5:
1. CÏ/'iltd cfLttoliclt, 28 oclobre-14 novemLre 1854, p. 41)6.
2. Hahn-Hahn, Une voix de Jé1-usalem, trall. .Dessr. p, i-9.
3. rcrlta1llllulI{Jen del' zweitcn Verstlmmlltng des katlwlisclten rC1'eillCf
IJeulschlamls am 9, 10, II ulld 12 J.llai 18,19 zn IJ;'cslau, 1'. 4 (Bl'eslau, Adpl'-
holz,IS.j.9).
.1. \'cl'!w.udìuIIYCI1, p. 9-10.
5. \?el.!t({li{llul1gcn, p. 1
1-1U.
INTRODUCTION
XXVII
lr curé ELerhaed, Ie vicaire "Tick, signalaient cel
écueil au congrès de natisbonne 1. Elle détestait,
mên1e, qu'une so1idari!é pût êtrc supposée entre
les associations catholiques et des
roupements pure-
n1ent politiques : la preuve en est dans les curieuses
difficuJtés qu'on souJeva, au congrès de Ratisbonne,
pour laisser cntrer quelques représenLants d'un
groupcment Lavarois qui s'intitulait : Associa-
tion pour la Inonarchie constitutionnclle et la
liberté religieusc
. (( Nous a vons affaire seulemcnt
Ü des questions de droit, à des reyendications jUl'i-
diques, et non pas à 1a politiquc 3 >), explique 1a
préface par laquelle s'ouvre Ie compte rendu de co
congrès; et Doellinger d'aillenrs déclnrait très
formellement: (( Dans l'état des choses en Alle-
magne, iln'y a pas, pour nous, de poliLique calho-
Hque sur ]aquelle nous puissions nous entendre
dès que nODS vQudrions en venil' aux questions
de détail .. >)
L 'Allemagne éLai l morcelée : entre les frontières
de chaque Élat, les fidèles de I'Église prcnaient
1 'atti tude;politique Cfll'indiq uaienl les circonstances,
accélél'aient ou retal'daient la forn1ation de pal'tis
proprell1ent catholiques, s'immisçaient dans les
manèges pal'lementaires ou Lien au contl'aire y bou-
daient. l\Iais Les gl'andes assemblées annuelles des
1. Vel'halldlull[Je1t dCI' drillcn relosammlulIg dcs katlLOlischcll Ye1'cillc
Dculschlwcds am 2, 3, 4 ultd [} Octobe
' 1849 zu IlCflc1I8bw'y, p. 13 ct 37,
(l
alisbonne, PU!'ilet, 18-HI).
2. rc
'hllndlzt1tgen... RegenslJ1u.g, p. íO-ï1.
3. Verlw1tdlungcn... Rcge1lsbw'[j, p. v.
. rcrhunrlluJlgen... RC(/t'n.'lhtt1'[f, p. it.
XXVIII
INTRODUCTION
associations catholiques demeuraienl étrangÞres à
ces combinaisons politiques dont les condit ions
éLaient si diverses el dont l'aspect élait si varié ; et
ce dont ces asseillblées s'occupaient, c'était, sur-
tout, des 11loyens d 'étendre l'action catholique,
de la rendre plus intense, plus pénétrantc; des
moyens, aussi, de faire nlieux connaître J'idée chré-
lienne, et de lui assurer une répercussion plus pro-
fonde dans la conduilc indi viduellp et socialc des
fidèles.
II y cut des Juttes, enLre f850 ct 1870, dans
l'hisloire de l'Église d'j\llemagnc : IuUes exté-
ricures contre certains États qui cherchaicnl à re-
prendre leurs concessions on qui dessinaienl,
déjà, une politique d'anlicléricalisllle violent;
Inttes intestines, aussi, entre lcs diverses ten-
dances théologiques qui se disputaient rhégémonie
de l'Église. Et dans un récit, lcs luHes, qui font du
bruiL, tiennenL plus de place, nécessairelllent, que
la besogne discrèle et profonde de travail intérieur,
par ]aquellc l'Église jnsl ruisait ses lllcmbres et
préparait Ie rayonnrll1Cnt social de rÉvangile.
Ce genre de travail n'a pas d'histoire, on presque
pas; it se poursuit au catéchisnle, en chairc, au
confcssionnal, sur les lèvres de prêlres qui nc
songent qu'à fairc leur devoir de prêtres ; il n'agite
pas l'opinion ù'aujourd'hui, Inais it mÙrit l'opi-
Ilion de demain, en 6difiant, conlnle nne double
assise, une foi chrétienne vraiment éclairée, et
des nlæUl'S chréticnnes vrainlcnt sincères ct vrai-
nl
nt logiques.
INTRODUCTION
XXI
A la veille de 181-8, Ie baron de I\otteler, alors
cnré de caolpagne, prenait possession, tout au fond
de la 'V cstphalie, de la paroisse de IIopstcn : dans sa
nouvelle église, il cherchait une statue de In Vierge
eL np la tronvait point 1; il s'enquérail de la pra-
tique religieuse et Ia constatait fort nlédiocre : Ie
vieux curé de I-Iopslen, brave homme au denleurant,
avait laissé péricliter, dans Ie culte calholique,
tout ce qui pouvait choquer les protestants.
A ]a veillp de IR48, les paysans badois Iinlitro-
phes du Rhin étaient souvent conlraints de s'en
aIleI' dans nolre Alsace pour entendrc des sernlons 2 ;
dans Ie clerge de Bade, la dispense du bréviail
e
élait fréquente 3 ; l' offrande quotidienne du sacri-
fice de la messe était assez négligée It,; un certain
non1bre de prêtres, ml\me, faisaient campagne
contre Ie célibat, et vivaient, de notoriété publique,
comme si déjà I'Églisc eùt permis leur relårhe-
ment ti .
A la veille de 1848, Ie publiciste Buss, lorsqu'il
s'essayait en Bade à fonder quelques associations
calholiques, avait conlre lui, parfois, les curés et
les fonctionnaires 6; l'Église et l'État, une fois par
1. Pfue1f, Ií.ettele1', I, p. 13!L
2. Voir notre tome II, p. 2H4 el 28G-
!)
.
3. . V ous ðtes dispensés du Lréviairc, disaiL un exami naleur am.. séminaristcs.
au momf'nt dc l'e1>.amen; lisez cha1lue jour un chapilre de 1'liI/ilalion. )) (Schmitl
dans Alban Stolz. Nltchlycúel meines Lcbens, p. 1!11. Fl'ibourg, Herder, J885.)
4. Témoin I'exemplc du publiciste Slolz, qui élaul vicaire, el lout bon prêtre
qu'il fÙt, ne célébrait la messe que Ie dimanehe, cl les jours de sf'maines où
òes fondalions picuses Ie requéraient (Nachtgebcl, p. ä4).
5. Elard Hugo Meyer, Badisches \' olksleben im lleul1
ehltlen Jahrh
mdcrl,
p. 538 (Strasbolll'g, Truebncr 1900).
6. Voir notre tome II, p. 270-271.
xxx
INTRODUCTION
hasard, sc mettaient ainsi d'accord contl'e l'ini-
tialive Je cet apôtre.
Quelques années suffirent pour que, d'un bout
à l'autre de I'Allen1agne, se n1u1tipliassent les con-
fréries pieuses; pour que l'institution du mois de
larie s'épanouît avec une ferveur qui dans cer-
taines paroisses rachetait de longs oublis; pour
que, par n1Ïlliers
des associations catholiques sur-
gissent du sol; pour que s'ÍnslaHãt dans la prin-
cipauté de Sigmaringen, au grand scandale du
diplonlate prussienBunsen, une cel'taine (( caverne ))
d' où sortaient constanlment des brigands - ainsi
qualifiait-il les Jésuites - qui ramenaient dans
les chaires de Bade une parole chré tienne 1; et
pour que s'amendât, enfin, la vie sacerdotale,
grâce aux leçons des séminaires, grâce à la pério-
dicité des retraites ccclésiastiques, grâce à la
pl'oxin1ité des congrégations. Le diocèse de Cologne
sous la direction de Geissel, celui de l\Iayence
sous la direction de Kctteler, celui de Paderborn
sous la direction de
lartin, devinrent des diocèscs
1 ypes, dans lesquels à vue d' æil la vie chrétienne
se rajeunissait et se renouvelait. II y aurait pour
un spécialiste une étude technique à faire sur
l'administration d'un diocèse allemand de cette
époque : Ie gros livre où Ie chanoine Dumont, de
Cologne, a rassemblé toutes les circulaires archié-
piscopales 2, donnerait les éléments d'un tel travail :
L Baronne de Bunsen, CI'ristian-Carl-Josias F1'cihen'van BW1sen, Ill,
p. 400 (Leip.,tg, Brockhaus, :1871).
!. Sammluug Kirchlichel' Erlasse in der E;'zdioezese Koelll (Cologne, Ba-
chem, 18!H).
INTRODUCTION
XXXI
on y verrait comment s'organise une église, hier
encore encadrée et asservie par la bureaucratie,
et soudainement affranchie, et comment eUe ex-
ploite victorieusement ceHe bonue fortune, tou-
jours enviable comme un bienfait, mais parfois
dangereuse comme nne épreuve, qui s'appelle la
liberté. Au soleil de la liberté, nonnes et moines
pullulaient avec une profusion qui tenait du pro-
dige: lorsque en 1
72 sera votée la première Ioi du
Cultllrkarnpf contl'e les ordres, on évaluera à 104,
dans Ie seul royaume de Prusse, Ie nombre des
nlaisons de l'eligieux, à 851 Ie nombre des mai-
sons de religieuscs, à plus de OIlze mille Ie chiffre
ùes congréganistes, hommes ou femmes, abrités
par la tolérance prussienne 1. Presque toutes ces
cl'éations, prcsque to utes ces vocations, étaient
postérieures à l'année 1848 : et ces totaux impor-
tants pouvaient être considérés comme Ie bilan
des progrès qu'avait faits Ie catholicisllle en moins
d'un quart de siècle.
v
Dirigée par un épiscopat dont Ie nonce Viale
Prela di::;ait qu'il faudrait remonter plusieurs
siècles en arrière pour en trouvcr un semblable 2,
t. Uongarlz, Die Kloester in Pl'eussen u1td iltre Ze
'stouung, p, 46-49
(Berlin, impr. de la Germania, 1880). - Rapprochcr les sLatistiques données par
Paul Hinschius, Die OI'de1t ul1d J{ultgl'eyationCtt in PI'eussen, p. 30-33 (Ber-
lin, GuU.entag, 1874).
2. pruelf, Geissel, II, p.
03. - cr. dans les Neue Gespraeche aus der
ÅXXII
INTRODUCTION
I'Église d' Allemagne, entre 1850 et 'J 870, aVlsa
surtout à In, fornlalion religieuse du peuple et au
rclèvelnent social du peuple.
Le temps était proche encore - les ficlèles qui
avaient alors plus de quaranle ans pouvaipnt s'en
souvenir - où les prédicateurs évitaient d'annon-
cer aux chrétiens les mystères du christianisme,
pt où les catéchismes, soucieux surtout d'épargner
les susc
ptibilités d'un rationalismo desséchant,
dressaient une sorte de voile entre les profon-
deur
du surnaturel et la pieuse avidité des åmes.
Désornlais des missions, prêchées surtout par les
Jésuites, complétaient ou commençaient I'Ìnstruc-
tion religieuse des adultes; ot quant it ceHe
des enfants, elie élait., à proprement parler,
créée. OverbeI'g, Hirscher, avaient déjà tenté
l'æuvre 1; mais leurs efforts étaient locaux ou
bien épisodiques. Ce fut seulement aux alentours
de 1850 que les nomhreuses éditions, petites et
geandes, populaires et supérieures, du catéchisme
du JésuÏte Deharhe, assurèrent aux petits Allc-
mands, dans presque tous les diocèses, Ie hénéfice
d'une instruction religieuse solide, complète, et.
conforme en ses grandes lignes à la disposilion
mênle du caléchismc du Concile de Trentc 2. Alors
Gegcnwart uehe
' Staat ulHlIÚI'che, p. 180 (El'furl, Koorncr, 1851), l'élogc de
l'épiscovat prussicn fluC mct Ie général RadowiLz dans la Louchc ù'un des inter-
Jocuteul's.
1. Voir nolre tome I, p. 2ô7-274 et nolre tome II, p. 2'Aô-278.
2. ThalhoCer, EntwicT.:lung des ]Catholi8chen Katechis7nus in Deutschland
von Canisiug bis Deharbe , p. 118-121, 131-133, 156-160 (Fribourg, Herder,
18
19).
INTRODUCTION
XXXIII
'État survcnait, surtout en Prusso, ot Lout protcs-
ant qu'il fût, iL était d'accord avec l'Église pour
uettre Ie catéchisme au pren1ier plan parmi les
natièrrs d'enspignenlent; Ie principe de l'obliga-
ion scolaire devenait ainsi pour l'.Église une
;arantie que tous les petits catholiques du
'oyaume connaîtraicnt leur Credo. Il sen1blait que
'État prussien considérât I'éducation religieusc
on1n1e une parLie de l'éducaLion civiquc : Dieu et
e roi étaient deux personnalilés avec lesquelles
'enfant prcnait contact dès son cntL'éc à I' école.
'hcure Oil l'Église, insouciantc des négations du
nonde, affectait de réintégrer dans ses catéchismes
Ine dogma tique très rigide, ét.ai t l'heure où I'État
n vitait Ie prêtre à collaborer avec lui, non point
omme aumònier., seulen1cnt, mais con1me autorité
I ;colairc, commc associp dp l'l
tat dans la gerance
I 1c l'école : Ie prêtrc. anx YPllX <lu petit Allemand
atholique, participait aillsi du prestigp du roi, non
Hoins que du prestige de Diflu.
Que pour graver Ie Cl'edo dans les intelligences
nfantines, Ie clergé d'Allcmagne acceptât avec
oie cette coJIaboration dp L'école, rien assurément
l'était plus naturel, ni plus propice, aussi, à cette
lnité des points de vue,
l cette homogénéité d' es-
)rit et de tendances, qui rend harmonieuse et fé-
onùe la fornlation élémentairc des jeunes esprits.
\Iais lorsque l' enfant, dûmcnt instruÏt de sa reli-
;ion, quittait l'école de l'instituteuL' pour celle de
a vie, partout surgissaient devant ses yeux, par
'initiative étonnamment rapide du clcrgé, les
Ill.
c
XXXIV
INTRODUCTION
applications sociales de ce Credo don t sa mén10ire
gardait pieuselllent la lettre. l\pplicalions tontes
neuves, tout in1prévues encore. ..\ yant is-i8, ricn
ou presque rien n 'existait; la planLe chrétienllC,
faible et fragile, ct gènée, surtout, par]e frôle-
Inent tyrannique d'un tuteur qui se nommait I'}
tat,
l\ait besoin d'un pen ù'aise pt d'un peu d'airpour
proùuirc des fruits.
Iais au lendelnain de 1848,
ces fruits puIlulèrent, lout de suite, avec une exu-
bérance éluancipée; Ie Credo viva it ct fructifiait,
se faisail tout à tous, se prodiguait pour toutes les
nécessités humaines. Vingt ans durant, au jour Ie
jour, les calholiques d' Allelnagne assistèrent eL
collaborèrcnt aux innovations sociales qu'inspirait
ce vieux Credo. Les compagnons du pet.il nlétier
l'C'ntendaient p]aiúer pour ]a dignité de leur labo-
rieusc jeunesse ; les travailLcurs de]a terre l'enten-
daient plaidcr pour l'intangibi lité de leur pelit
bien de famine; les prolétaires de l'usine l'enten-
daienl plaider pour les revendications ouvrières.
Plaider 0) c'était beaucoup ; mais syndiquer, c'était
mieux encore. Avec un pieux vi caire, I{olping,
rÉglise groupait les compagnons ; avec un barou.
Schorlemer, elJe groupait les nlanants; avec un
évêque, I\:etteler, eIle l'êvait de grouper les ouvrier
en coopérativcs de production et de les anlener:
ainsi,
t pouvoir se passer des capi lalistes. La stalis-
Lique d(\s associations caLholiques allelnandes 1
1 e] Ie que la dressai L en 187 i Ie chanoine l\Iarx, dE
1. :'Ilan. GC1tcml-Stafi.IJlik c!"1' l\rltllOlischcH \-acille ])ell 'scltla1tds. Trè\'cs
Lintl, IR71.
INTRODUCTION
xxxv
Trèves, lénloigne que rien de ce qui est hunlain
n'était resté étranger à l'Église caLhoJique d'Alle-
111agne, et qu'elle n'avait pas attendll les progrès
des partis sociali
les pour observer dans la masse
de ses fidè]cs llno cortaine aspiration vcrs plus de
justice, et pour cOlllprendre ceUe aspiration, la
dirigel', et s'essayer à la salisfnirl}.
'T I
(( Je file tournr d'un mot vel'S les honorables
danles, disait en J 84H, au congrès catholique de
Breslau, 10 nlaître bouchrr Falk, de l\layence, ou
plu lôt je Hle tourne vcrs les fCHlmes et jeunes fiUes
chrétiennes; car si j'étais Ie rnaître, j'abolirais Ie
mot da1ìzes: depuis que les femmes et jeunes fiUes
chrétiennes sont devenues des danzcs, eel a va
plus 11lal dans Ie nlondc 1. )) On demeura fidèle, dans
les congrès catholiques d' A.llenlagne, à l'esprit de
fraternité qui mettait co naïf langage sur les lèvres
du maître boucher. Ce quïl y avail de mode éga-
litaire dans une pareille boutade cut la destinée de
toutes les modes, vouécs tour
l tour au sourire de
la conlplaisance ot au sourire de l'ironie; mais ce
qu 'cUe rccélait de cordialité chrétienn
cxpliquait
à ravance toulc l'histoirc sociale de l' .Allelnagne
catholique. Quelques mois plus tôt, dans leur Ma-
nifeste cOffilnuniste, Engels ct i\farx expliquaient
1. rt,,'!trmdlwIgeH.,. lJrrÛrlU, p. 101.
XXX, I
INTRODCCTION
avec une froide âpreté : (( Les prêtres sont Lou-
jours allés. de pair avec les féodaux. .Ainsi]e socia-
lisme clérical va de pair avec Ie socialisme féodal.
Le socialisme chrétien n'est qu'unc ean bénite,
fai te pour donner aux rancunes arislocratiques la
consécration du prêtre 1. )) Confl
onlez avec cc pro-
pos de l\Iarx eL d"Engels la saiJIie du 111aÎtre bou-
cher de
Iayencc. 1] se soucie bien, en vérilé, des
rancunes aristocratiques : c'csl au nonl du petil
nIéticr qu'il applaudit aux aspirations sociales du
christianisme; car (( si dans toutes les classes,
ajoute-t-il, il y a des nlcmbres honorables, per-
sonne ne niera quP c 'est parnli ]es gens dp nlétier
que lp Rens catholiqup, l'csprit catholiqup. faction
catholique, la charit{) cntholique, ont la yie]a plus
intense >>.
L'homme du petit métier, Ie petil paysan, LeIs
furent les vrais auxiliaires de celle Église qui 1'es-
suscitait. Des livres comme celui de Schlicht sur
la vie du pcuple en Bavière 2 ou camnle Ie volume
plus récent de l\Icyer Rur les couhlnles Badoises 3
témoignent avec quP IIp ténacÏlé s' étaient conser-
vés la piété locale et l'antique caractère populairr
des solcnnités rcligieuses : il avait été plus facile
an Joséphisme d"aUiédir la fervent" dans certains
sénlinaires que de la refroiùir ùans lcs InæUl'S. Les
bureaucrates qui s'inspiraient d "une philosophic à
1. lI/anife8te commuuiste, trad. Andler, I, p. 37 (Paris, Bel1ais, 190t).
. Schlicht, Baycl'isclt Land und Baycrisch Yolk (Munic'h, Buttler, 1874).
3. Elard Hugo Meyer, B(cdischcs V"olk.<jleben im XIX Jaltl'lw.lIdat (gtra
-
Lour
, Truebuf'r, H!OO).
INTRODUCTION
XXXVII
demi rationalistc, pt qui prétendaient {'aire régner
dans I'Église un despotisme u'Élat, s' étaient à peine
rssayés à endoffilnager la foi des foules; Ie chris-
lianismc dans ]('s àmes leur avait paru chose res-
pectable, c'est contre l'édificc de l'Église qu'ils
avaienl dirigé leurs nlanæUVL'es et concerté leurs
assauts. Voilà que cclle Église, au ]endenlain de
1848, se redressait, libre ct vÏ<.;torieuse, sur les
ruines des bureaucl'aties : des populations denleu-
rées chréliennes étaiellt toutes prètes à subir son
clnpreinle, à se Jonner à clIe pour qu'elJe leur
apprìt Ie chrislianisnle et pour qu'au nom du
christianisnle cUe les aidàt eL les relevât, pour
qu'elle nOUl'rìt leur [oi par un enscignenlent plus
solide que celui que distribuaient les prêtres josé-
phistes, pour qu'ellc exaltât leur cspérance par
(l"autres perspecli ves que celles dont comnlençait
de les éblouir un socialisme incl'oyant. Parce que
J'Éo'lise d'Allcnl<lo'ne entre 1848 et 1
7U ne faillit
ð '" ' ,
pas à cette tâche, eUe acquit une prise réelle sur
ses fidèles' ils s'habituèrenl à ne l'ien ]ui nlar-
,
chander d'eux-nlènles ; leur vie civique, leur con-
duite sociale, devinrent l'expression de leur foi. Ces
compagnons, ccs paysans, ces ouvricrs de fabriques,
allaient bicntòt, dans l'Enlpire nouveau, faire acte
de souvcl'aineté polilique; leur souveraineté servi-
rait J'Église, san
anlbagcs, sans hésitation, avec
Ie nlènle élan dont on fait un acte de foi, avec Ie
nH
nle élan qui avait poussé l'Église elle-même,
111e
sagère de ]a justice, à se mettrc au service de
leur sujélion éconon1Ïquc, pour l'adoucir et la
XXXVIII
INTRUDUCTION
redresser. Le grand Sl1ccès de l'Église d' .Alle-
magne, entre 1848 et 1870, avaH été de les con-
vaincre qu'il y avaH solidariLé entre leurs dcsti-
nées et celles de leur Église, entre leurs souf-
frances et les siennes; ot qu 'eux et oUe avaient un
même ennemi, Ie (( liLéralisme n1atérialiste )).
La philosophie nouvelle ne s'occupait plus des
dogmes de l'Église; l'art nouveau prenait d'autres
voies que celLes qu'avait tracées la piété de ses
artistes ; l'hisloire s'écri\Tait contl'e eHe; chaquc
bataillc, chaque congTès, ehaque trailé, entanlaient
ses forces politiques; les imaginations, infidrles
au passé gothique dont elle avail été la parure, so
laissaient désormais confisqucr par des rêves (l'ave-
nil' dont un État prolestant scrait l'arehiLecte et Ie
hénéficiairo; et celte Égli:;e osait à peine se glorifier
de ses théologiens, puisqu'e1le traînait avec eUe,
en clIe, deux théologies rivaIes, dontjusqu'àrhcure
du concile Ie contlit la déchira.
1\'lais, confiante, eUe songeail que les courants
intcllcctucis n 'ont qu 'un ten1ps; qu'un nux les
anlène, qu'un reflux les emporte; que cette inte]-
Jigence donl les honlnles sont si fiers est souvent
Ie joueL de la mode, et que d'orgueilleuse eUe
se fait vieillotte; et qu'aux heures où Ie va-et-
vient de I'opinion pensante l' éloigne des prêtres, il
reste aux prêtres une consolation et une ressource,
c'est de se comportcr, parn1Ï l'inlmense foule des
âmes - âmes souffrantcs attachées à des corps qui
souffrent - en homn1es de bonne volonté. En vain
les poótiques rêveries d'un Rc(hvitz avaicnt-elles
INTRODUCTION
XXXIX
sollicilé les catho1iques à chercher des retraites oÙ
rien ne les dérangeât. Les prêtI'es d'Allemagnc
consentirent, eux, à se laisscr déranger par lcs
11lultiples besoins de cetLe société nouvelle qui repo-
sait sur UllP base toujours plus instable; qu Ïmpor-
tait que dans Ie sanctuaire leurs stalles fussent
Dlomentanément solides, si lout autonI' d'cux, dans
la ville et dans les faubourgs, des grondenlents
populaires comrnençaient Je secouel' Ie sol? AUen-
tit's it ces grondements, persuadés que l'Égiise
avait son mot à dire dans les inévitables transfor-
111ations
ociales, iis acceptaicnt tout I'hél'itage de
I'année 1848; iis en acceptaicnt les bienfaits,
mais aussi les charges. lis n'aspiraient pas, comme
certains gouvernements I'éactionnaires, à ranlener
l'humanité en arrière, mais à la l'ejoindre, au con-
traire, et it la devancer. Ainsi Jil'ent-ils, et lol'sque
les honlmes du Cull'llJ>kanzpf dénonceront l'Église
conlme une puissance de réaction, les foules calho-
Jiques, habituées it reronnaìtre en cile l' ouvrière
de leur progL>ès éconolllique, entrcront clles-nlênles
dans la IuUe, avec elle et pour elle, fit ne s'en reti-
reron! qu'après avoil' vaincu.
VII
)1. Kissling en 1905 a réédilé, en le meltant
au point, Ie lroisième volulne de fIenri Brueck
Slli' l"Églisc catholiquc al1emandc au XIX C siècle :
XL
INTRODUCTION
cel ouvrage demeure un précieux travail d'en.
sPlnble, dont sans cesse nons avons eu les indica-
tions sons lcs yeux 1. l\lais depnis trois ans d 'autr
publicationi ont paru, docun1ents inédits ou lllono-
graphics savantcs, qui s'Ílnposaient ä notre étude,
1"1. de Poschinger, dans la Deutsche Revue, nou
a Ii Vl'é les ves li o'cs inl p ré vus d'une néo'ociation
ö ö
secl'ète qui s'élaif cngagée entre laPrusse et Ronle,
en 1.853 et 18
)1., en vue de la conclusion d'un
Con
ordat. Le livre du P. Pfuelt' sur Claire Fey, Ja
religieuse d'r\ix-Ia-Chapcllc, nons a nlontré, dans
tons ses détails, la nai:ssance d'une grandc con-
grégation it la faveur d'une èrc de liberté. L'ou-
vrage de 1\1. Lauer, qui se public en ce nloment
nlême, sur l'histoire de l'Église catholique en
Bade, filet sous nos yeux, dans toute leur COID-
plexité, les ,"icissitudes de ce catholicisnle badois
qui racheta certaines heures d'abaissement par
d'autl'es heul'es d'héroÏsme. L'intél'êt qu'offl'ent,
au point dn vue religieux:, les ì\lénloires du chan-
celier de Hohenlohe, égale 1 ïrnpol'tance que leur
out aLta
héc les spécialistes de l'histoire poJiLique.
Les souvenirs qu'a pubJiés Ie P. "T eiss, de l'ordre
des Frèrcs Prè
heurs, dans les FCllilles historico-
politÌt]ues de janvier 1908, au sujet des crises intel-
lectuelles de J 8UU et 1870, font rcvivrc, d'unc façoll
singulièrcnlent instructive, Ie tourment de cer-
taines pcnsées. Enfin l'année 1 U06 a YU s'achevpl'
la puhJica lion tIc I'll istoire rill Coneile ell( Vatican,
1 Geschichlc del' Jlalholisc/wn l1-il'c/tc in Deutschlan.d (
la
euc(', Kil'ch-
hcim). ::\"ous Ie cilons SOliS la ruLl'i'lue : Brueck-Kissling, Geschichle.
ùyrnODUCTION
XLI
IHe Ie P. Granrlerath avait soigneusemrnl con-
'ertéc.
'TIll
C'esl surtout, si nons osons ainsi dire, en fanction
Ie l'histoire mênlC du CultuJ'k(unpf, que Ie récit
1e crs vingt anllées peut intéresser un ]ecleur
français.
Deux grands faits les dOlninent : l'ache1l1ine-
n1cnt progressif de l' Allen1agne vel'S I 'unilé, eL
l'explosion dc In. question sociale. Les il1stigatcul's
du Culturkanzpf c""ploitcront contre l'Église la
longup fidélité des catholiqll
s it ]" 111aison d'.An-
,
triche, eL dénoncrronl dans rEglise une ennen1Íe
de 1'unité alleluande. L'Église groupcra contre cux
des forces populaires qui lui sauront gré d'avoir
été de honne heure ravocate des hU1l1bles et
d'avoir constaté de honnp hcure q u'une question
sociale existait.
\insi, c'est entre Irs années i8?ju
et 18"70 que s' élaborent., dans l'histoire, les argu-
n1ents d'ordrr poJitiqur au n01l1 desquels la Prusse,
dcvenne maîtressc de l' Allemagnc, cOlubattra
l'É g lise, ct les argu1l1ents d'ordre économique au
nom desqucls l'Église convoqllera, pour sa défense,
les classes l'ul'ales et les classes ou vrières; et nons
nous préoccuperons, tout d'ahord, en den x chapitl'es
intÎlnement mêlés
ll'histoirc générale de l'époque,
d'étudier ce que firent les catholiqucs en présence
de l'uniLé allenlande qui se préparail, cc qu ïls firent
en pl'éSl'nCc de la question socialr aui surgissait.
XLII
INTRODUCTION
l\lais les énergies caLholiques, dont Ie dévouf
111enl était acquis à I'Église, ne furent pas forgées,
J'heure n1ên1e du Culturkaln}Jf, par la néccssit
de cOlnbatLre; cUes exislaient auparavanL, vigou
reusement exercées par vingt années d'apprentis
sage politique, et par une pren1ière résistance :
cette sorte de CulturÁ'arnpf en Ininiature, qu
ùepuis 185
se déroulait dans Ie grand-duché dt
Bade. II sera bon de regarder d'un pen près cett(
lente formation pour s' expliquer, plus lard, fallé-
gresse triomphante qui transforn1era les plus dure
batailles en victoires. Nous ne pourrons d 'ailleur
rassembler en un senl chapitrc des hisLoires aussi
ditrérrntes que celIe de Pruss
, où la Constitution
tient lieu de Concordat, celIe de Bade, OÙ Ie Con-
cordat ne dure qu'un jour, et celIe de Bavière, oÙ
]e vieux Concordat, à certaines heul'es, est une occa-
sion de conflil plulôt qu 'une garanlie de paix : les
divergences Inên1es qu'on oLservera entre les sta-
tuts juridiques de l'Église dans ces différents pays
nécessiteront des chapilres distincLs, OÙ ron verra
s'équiper ot s"outiller, à l'avance, les deux forces
que Ie Culturkaulpf mettra aux prises, Ie peuplc
catholique et Ie (( libéralismc )) incroyant.
Pour ce qui regardc, enfin, la proclamation de
1'infaillibilité pontificale, point de départ in1méd iat
du conflit, l'émotion Inême qui en résulla dans cer-
taines sphèrcs religieuses et dans certaines sphères
politiques de J'Allen1agnc apparaHrait C001me un
paradoxc, si. I'on n'y reconnaissait pas Ia consé-
quencc cl COlllnle rahouti
sant (rUne ]ongue suitr de
INTRODUCTION
XLIII
il1écontentenlcnts auxquels Ie parti (( vieux catho-
liquc )) vint donner une expression schisn1aliquc.
Le CultuJ'lt:ampf éclata comnle nil coup de lon-
l1erre, 111ais des grondements anlérieurs l'annon-
çaient. Le soubresaut des catholiques fut superbc ;
rnais une longue périocle d' éveilles a vai l préparés.
1..e peuple vint au secours de l'Église ; n1ais depuis
Ionglen1ps l'amilié de rÉglise et du peuple était
nonée. Et l'histoirc de cette amitié, l'histoire ùe
cette maturité parlen1entaire, l'hisLoire cnfi.n de
ces courants intellecLuels qui bientôt allaient mena-
cer l'unité catholique elle-luême, nous achen1inc-
rant vel'S Ie récit des Iuttes achal'nécs au cours des-
queUes] 'àpre nOD1 de Canossa, pau vre village de
I 'Énlilie, commença d'assaillir les oreilles alle-
luandes avant de venir assourdir les nôLres.
Paris. 31 juillPl 1.908.
N.-B. - Lorsqu'on trou\rera, clans nos notes, la référcncc Il.
1'. n., cUe s'applique, pour plus de brièveté, it 1<1 collection des
llislO1oisc/t Polilische Rlue! fer (l/e'llilles histo'J'ico-poliliques).
,
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
J
E CA THOLIClSlVIE (1848-1870)
..
CHAPITRE PREl\IIER
LES CATHOLIQUES ET LA PRÉPARATION
DE L 'UN1TÉ ALLEMANDE
La chute du Saint-Empire: portée de ce fait pour l'Église, portee
de ce fait pour l"Allernagne. - Une revanche de l'esprit natio-
nal allemand: Ie romantisme. - Espoirs catholiques dans Ia
résurrection du Saint-Empire.
I. - La fraction catholique Gloossdeutsch it ErfurL (18::>0). - Un
premier engagement entre l'Ïll(
e cathollque de (( Grande-Alle-
magne )) et l'idée prussienne de (( Petite-Allemagne)) : joute ora-
toire entre Auguste Reichensperger et Hacusser. - Yicloire par-
lementaire, à Erfurt, de lïdée prussienne de (( Petite-AHemagne)) ;
victoire diplomatique, à Olmuetz, de l'idée catholique de (( Grande
Allemagnc )). - Les polémiques des Feuilles ltislO1oico-politiques
contre la Prusse. - Premières manifestations de Bismarck.
II. - Action de la Prusse sur la politique religieuse des autres
1<.. tats allemands. - Lïdée prussienne de la solidarité des
puissances protcstantes. - Première application de cette idée :
rôle de Bismarck en Bade pour soutenir etencourager Ia politique
confessionneHe protestante et, comme telle, anti-auLrichienne,
du gouvernement badois (1854).
III. - L'influencc prussienne à la cour du roi Max de Bavière. _
Ses agents: des professcurs. - Rôle de Sybel et de Bluntschli
à Munich. - Ellorts victorieux de Ia Prusse pour que la poli-
tique du gouverncment bavarois cesse d'être une politique con-
fessionnelle catholique et, comme telle, favorable à l'Autriche.
IV. - Hostilité des catholiques contre la théoric de la (( vocation
allemande )) de la Prusse. - Doctrine du (( légitimisme alle-
mand )), opposée par les Fellilles hislO1oico-politiques. - Enthou-
siasme des catholiques POUI' Ie concorrlat autrichien rlc I R55
111.
i
2
L 'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE
d pour l'alliance, dans la guerre de Crimée, de l' Autrich
catholique et de la France catholique. - Colère des catholique
au moment de la guerre d'Ita1ie: leurs væux pour que I
Prusse appuie l' Autriche; leurs invectives contre 1<1 France. -
Leur tristesse en 1860.
V. - Deux initiatives anti-autrichiennes : 1 0 La i'ondation pa
Sybel de l'Hist01'ische Zeitschrift. - L 'ècole his tori que nouvell,
et Frédéric I L - UIle lllobilisation prussienne d'historiens pro
testants. - Deux historiens de tendances auLrichiennes et catho
liques: Hurter, Klopp. - 2 0 La fondation du XationalveJ'ein. _
L'Autriche visée par les campagnes anticoncordataires de cettt
association. - InsuITbance ou insignifiance des gl'oupemenL:
suscités contre Ie Nationalverein.
VI. - Efforts du prince de Hohenlohc) en 1862, pour gagneI' Ie,
catholiques à la cause prussienne et créer aiIlsi une droih
dan8 Ie parti de la (( Petite-.\Jlemagne )). - Identité entre la
situation de l'Autriche, menacée par la Prussp. et celle (IE
Pie IX. menacé par Cavour. - Situation difficile des catho1ique
prussiens. - Leu!.' attitude dans Ie conflit entre Bismarck et Ie
Parlement.
VII. - La guerre de 1866. - Sa portée d'après Reichensperger
sa portée d'après Bluntschli. - L'accablement des catholique
après
adowa.
VII L - Humeurs hostiles sur l'attitude des catholiques prussiem
dans la guerre de 1866. - Sadowa interprété comme une victoirf
du protestantisme. - Un écrit de Kettelel' : L'Allenlagne aprè.
la guerl'e de /866. - Dispositions de KetteIer pour l' Autricht
et pour Ill, Prusse. - !::)es conseils à la Prusse; ses conseils au:'i:
catholiques.
IX. - La formule de raUiement des cathoIiques à la Prusse. _
Particularisme tenace de MallinckrodL. - Les catholiques prus-
siens et les F'J'eikonsel'vative. - Len te évol ution des cathollques
de Bavière. - Sentiment pou à pou dominant chez les catho-
liques d' Allenmglle : la crainte d'une nouvelle Ligue du Rhin,
qui ramènf-'rait l'intervention de la France dans les affaire;;
d' Allemagne. - Union des (( Grands Allemands )) (Gl'ossdelltsch)
et dps (l Petits AUemands )) (ìí.leindeutsch) contre la France.
Nouvelle conception catholique de I'unité allemande: une unitó
fondée sur la liberté des Églises.
C'est une donnée banale de l'histoirc, que la
campagne d'A.usterlit
porta Ie coup de n10rt au
Saint-Empire-Romain-Gcrmanique. Dix siècles
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 3
'avaient honoré, une plaisanterie de Voltaire
'avait n1Ís à mal, l'épée de Napoléon l'acheva.
\Iais suffit-il d'un sarcasme et d\lne armée pour
ffacer des esprits certaines idées séculaires? Éti-
Iuette compliquée d'une longue pél'iode d'hisloire,
et inlposanl vocable: Sai'nt-Enlpil'e-RoJJzain-Gel'-
nanique, était lourd à manier, encombrant même,
,i ron veut, comme Ie sont toutes les synthèses
Iui, tant bien que n1al, s'efforccnt à pallier des
ontrastes. En quatl'e mots, dont chacun était gros
:Ie pensées, la formule qu' Austerlitz rend it archaï-
lue faisait deux parts dans ],histoire du monde,
l'une pour la sainteté, l'autre pour Ia force, deux
parts dans l' orgal1isme chrétien, I'llne pour Rome,
l'autre pour la Germanie, et puis elle unifi,ait la
force et la saintelé, accouplait Rome et Ia Germa-
nie, mariait Ie temporel et Ie spirituel; et de cette
llliance, .enfin, la chrétienté naissait, âme collec-
tive servie par des organes collectifs, imitation
grandiose de l'union de râme et du corps dans Ie
on1posé humain.
II y avait là un fait lnétaphysique, autant et plus
=Iu'un fait politique; il y avait là une idée, autant
et plus qu'unc institution. Après Austeriitz, l'ins-
titution jonchait Ie sol ; mais l'idée restait dans
l'air. Elle avail passé outre à l'hérésie religieuse
de Luther; eUe avail survécu à cette sorte J'héré-
sie politi que qu'étaill'absolutisme de droit divin,
conçu et pratiqué par les Bourbons. Ni Luther ni
les Bourbons n'avaient pu convaincre toute l'Eu-
rope que tout Ie nloyen 1ge se {fIt fourvoyé ! ..
us-
4-
L 'ALLE:\IAGNE RELIGIEUSE
tel'Iitz à son tour avait des conh
adictelH
s, ùonl
Goerres fut ]0 plus illustre (. Leurs imagination
obstinées ressuscitaient, par leur fidélité même, IE
Saint-Empire enseveli ; elles Ie prolongeaient, elleE
le galvanisaient, comme une sortc de protestation
contre les remaniements napoléoniens.
C( La chute du Saint-Empire, écrira plus tard
Ketteler, évêque de l\layence, fut, plus que la
Réforme, un événement re] igieux, Ie pI us grand et
Ie plus important depuis l'existence de l'Église en
Allenlagne 2. )) Ketteler disait vrai. : l'architectul'c
du monde, telle que l'avaiL concertée la pensée du
moyen âge, était en rui.ne. l\Iais l'Église uni ver-
selle avait assez de ressort et de souplesse pour se
passer de cette arnlalure, dans laquelle Ie moyen
âge l' encadrait.
cc Ces deux moitiés de Dieu, Ie Pape ct l'Enlpe-
reur, >> se trouvaienl désormais en face d'une des-
tinée nouvelle: Ie Pape, en perdant son augustc
collègue, élait, tout à la fois, sevl'é d'une protec-
ti.on et affranchi d'une tyrannie, ct Ie si.ècle même
dont l'aurore avait été sonnée par Ie gIas du
Saint-Empire exaltera, plus qu'aucun autre, la
primatie de ]a papauté sur les âmcs. l\Iais l'Em-
pereur, lui, de puissance lhéoriquement inlerna-
tionale, devenait un sinlple chef d
ÉLat, et l'un
peut-être des plus débiles, puisqu'il ne régnaii
même pas sur une nation, mais sur une mosaïque
de peuples. La catastrophe de 1806 nuisait
1. Voir nolre tomc I, p. 313-366.
2. Pfuelf, Kettder, 1. p. 265-266 (
laYf'nce, Kh'chheim, 1899).
PRÉPARATION DE L' UNI'ff: ALLEl\IANDE 5
)caucòup plus au prestige dcs I-Iabsboul'gs qu'à
elui de la Papauté.
Un autre honncur semblait atteint, une autre
;loire semblait pâlie : c' é tait l'honneur et la gloire
Ie I'A.llemagne. Le Saint-Empire avait assuré au
;ermanisnle une sorte de primauté du monde; de
.'Allemagne, il avait fait une cime. Le panger-
'llanisme, qui s'élale aujourd'hui comme une exu-
bérance anlbitieuse de l'idée de nalionalité, n'a
ei.en de commun avec les rêves teutoniques de
lamination uni verselle qui trouvaicnt leur point
i"appui dans l'idée mêmc de chrélienté; mais
:lerrière ces rêves, en fait, c'était une façon de
pangernlanisl11e qui déjà s'abritait. II n' était pas
indifférent à la grandeur du nom alJemand que
::les générations entières de théologiens et de
3anonistes, de peintres et de poètes, eussent habi-
tué les imaginations à saluer aux côtés du Pape
uni versell'Empereur universel; que l'hégémonie
Ju César fùt apparue comme un aspect tempore]
lu règne de Dieu; qu'au emuI' même de l'Italie, à
Florence, les fresques de la chapelle des Espa-
gnols eusscnt dès ]e XIV e siècle éclairé d'un somp-
tueux et mystique commentaire cette cérémonie
du couronnement impérial que trois cent cinquante
ans plus lard Ie jeune Gæthe contemplait à Franc-
fort; et qu' enfi.n Dante Alighieri, 'Jnaest'ro educe
ùe toute poésie en terre latino, eût honoré la Ger-
D1anic en honorant Ie sceptre impérial. L'imagerie
yulgaire qui représentait I'Emp(\reur tenant dans
scs nlains Ia boule du monde étail une ouvrièrc
t;
,
L ALJ
IUIAGNE RELIGIEUSE
d'histoire. II ne suffi.sait pas que Napoléon fit tom-
her cette boule des mains incerlaines de l'pmpereuI'
François pour que ces images fussent démodées.
Le romantisD1e, au contraire, leur rend it une
vogue; la poésie. plus vraie que l'histoire, leur
rendit une vérité. A l'arrière-garde des poèles, une
génération d'historiens surgit, qui regrettaient lr
Saint-Empire. Les uns étaient òps caLholiques; les
autres, des protestants que leurs obsessions histo-
riques inclinaient au catholicismc 1; et vel'S Ie
n1ilieu du siècle tou tes les aspirations de cettp
école, anxieux élans, espoirs tenaces, s'incarnè-
rent dans fa personne d'un grand érudit francfor-
tois dont les travaux sur Ie moyen âge germanique
sont demeul'és classiques : Ie luthérien Boehmer 2.
((
Ion cæur, écrivait-il en 1863, fut attaché dès
ma jeunesse à }'Empereur, à I'Empire, et pour cela
à I'Autriche, où résidait l'axe naturel de tout ce
que je représentais, ou plutât de tout ce que je
chel'ehais à représenter 3. )) Toujours expectant,
toujours déçu, il versifiait mélancoliquement :
Aucun empereur ne règne plus au large,
l\ein I(aiser herrscht mehr weit und breit".
(( Notre peuple de Francfort, reprenait son ami
1. Voir nolre tome II, p. 226 et suÍ\".
. Dans une Iettre à Gerlach, du f8 décembre 1853, Bismarck se plaint de l'an-
liprussiauisme de Boehmer (Bl'it..le Bismarcks an den General Leopo:d t'on
Gel'Zach, éd. Horsl Kohl, p. 113. Berlin, Haering, 1896).
3. Janssen, Boehmel's Leben und Briere, Ill, p. 413 (leUre du 4 septem-
bre 1863). (Fribourg, Herder, 1868). C'est le livre capital sur Boehmer (1795-
1863.)
4. Paslor. Johannes Ja1lssen. p. 33. (Fribourg, Herder, 1894).
PRÉPAR-\ TION ßF. L'UNIl'f: ALLEMANDE 7
Schlosser, âme de poète et d'artiste, sent d'nn
instinct ineffaçable que l'Antriche doit être la
puissance impériale allemande. Tout ce que les
gens du parti de Gotha baptisent de leur nom, ce
ne sont que des fleurs artificielles en papier
coIoré 1. ))
Pour des esprits comme Boehmer, comme le
calholiqne Schlosser, la dynastie dps Habsbourgs
était, à proprement parler, ]a propagatl'ice dn ger-
manisme; c'est eUe, et elJe seule, qui ponvait por-
ter Ie nonl allemand, l'esprit allenland, la langue
allemande, bien au delà rln pays auquel une géo-
graphip banale restreignait Ie nom d'Allemagne.
Ringseis, Ie professeur calholique de rUniversitð
de
Iunich, ne put jamais se consoleI' que les dis-
locations politiques dont, au XVI e siècle, la Réforme
fut Ia cause, eussent pen à pen dptaché du corps
gernlanique la Lorraine et I' Alsace, la Suisse et
la Hollande, Ie pays beIge et les provinces bal-
tiques;!. Son patriotisme mênle d'AJ]emand, I'atta-
chement même qu'il portait à la grandeur natio-
nale, semblaient encourager son intransigeance
de catholique romain, et enraciner en son àme
d'éternels regrets à l'endroil du Saint-Empire et
de Ja chrétienté disloquée. Beda W cber, Ie curé de
Francfort 3 , Édouard
Iichelis, ancien secrétaire de
l'archevêque Droste- Vischering. - et l'on en pour-
1. Beda Weber, Charakterbilde1', p. 106. (Francfort. Sauerlaender, i853). -
Sur Schlosser, voir ci-dessus, introduction, p. XXI.
2. Ringseis, Erinnerungen, IV, p. 158 et 191 (Ratisbonne, Habbel. 1891).
3. Wackernell, Beda \rebe1' (/798-1858) und die li7'oltsche Litte7'atu7' (1800-
1846), p. 390 (lnnsbruck, Wagner, 1903). Curé d(' Francfort, H allachait unc
8
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
rait citer beaucoup d'autres, - se complaisaient
dans Ie même état d'esprit. (( Plein d'espoir, tu dois
vi vre pour l'avenir, disait lVIicheIis au peuple west-
phalien; de ton regard de voyant, tu dois entre-
voir l'Empereur; un héroïque empereur relpvera
Ie drapeau de I 'Empire... )) V ous pensez, peut-être,
que ce poème, qui fut publié en 1857, deux ans
après Ia mort de l'auteur, pourrait êtl'e interprété
comme un pronostic de la pl'ochaine grandeur des
Hobenzollern. Détronlpez-vous, l\lichelis est un
prophète du passé : (( Un héroïque empereur relè-
vera le drapeau, pour fonder à nouveau Ie bonheur
de I'Église et Ie bonheur de l"Enlpire. )) Et le poète
conjure Ie peuple westphalien de garder loyale-
ment Ie trésor de sa foi; car (( quiconq ue te Ie
vole, boit le sang de ton cæur 1 )). C' est à un
Empire cathoHque, s'appuyant sur le catholi-
cisme, que s'appJiquent ses confiantes prévisions :
ni comme catholique, ni comme Allemand, il ne
peut croire, Iui, ';Vestphalien, sujet du roi de
Prusse, que Ie Saint-Empire soit mort pour tou-
,Jours.
I
L'année 1848, en même temps qu'eUe apportait
à l'Église d'Allemagnc, tourmentée, la veille
gran de portée au concours pécuniaire de l'empel'eul' d'Aull'ichc pour fa l'estau-
ration du Dôme de Francforl, (( grandiose symbole d'unitp gcrmanique ..
1. Michelis, Lieder aU8 Westphalen. (Luxembourg, Heinlze, 1857), cilé par
H. P. B., 1857, II, p. 236. Sur Édouard :Michel is (1813-1855), voir Rassmann,
Nach1'ichten von dem Leben und den SCh1'i/Ün .lJ1uensterlacndischer Scltrifts-
teller des 18und 19 Jahl'ltUllderls, p. 211. (Muenster, Coppcnrath, 186G.ì
PRÉP.ARATION DE L'UNITJ
ALLEMANDE 0
encore, par les bureaucraties d'État, la pl'omesse
et la gal'anlie d'une liberté nouvelle, mit en deuil
un certain nombre d'imaginations catholique
.
L'Autriche, en qui ces imaginations plaçaient leur
confiance, courut alors Ie premier risque d'être ex-
pulséc de !'Allemagne; et ce risque, m{\me conjuré,
étaÏt un symptôme gl'aYe. Au Pal'len1ent de Franc-
fort, Ie droit de cité gern1anique pal'ut chicané,
nlarchandé, mesuré, à cetle dynastie même des
Habsbourgs, qui depuis des siècles représentait
aux yeux du nlonde la Gern1anie. Le peuple alle-
mand, devenu puissance politique, saluait dans
l'État aulrichien un allié; mais un tel salut équi-
valait à une disgrâce, à un ostracisme ; on préten-
dait que l'Élat autrichien cessåt d'être un membre
du corps allemand 1. Un catholique, Ie général de
Radowilz, avaH une part de }'esponsabilité dans
cette politique. Lorsque Frédéric-GuiHaume IV,
son roi et son ami, cut écarté comme un calice,
avec une saliété toutc romantique, la couronne
iInpériale qu'on lui faisait offrir de Francforl,
l'opiniâtl'e Rado\vitz prit une revanche en faisant
convoquer Ie Parienlent d'Erfurt pour que l'æuvre
de Francfort flit reprise et pour qu' en dehors de
I'A.utriche une Allernagnc se constituât. La revan-
che fut plus complète que ne Ie souhaitait Rado-
\vitz; Ie parti de Gotha, maÌtre de la majorité à
1. " Par cctte "oie, llisait Doellillgel' en 1849 au Congrès lle HatisLonne, l'AlIe-
mague ne serail parvenue flu'à une larve facLice d'unilé)) (Y erhandlungen de1'
tlritten Generalve1'sammluny des 11.atholi8chen VC1'eines Ðe
ttscMands
u
RegertsLurg, p. 112. l{alisLollne, Pllstel, 1849).
10
r..,'.ALLE.l\IAGNE RELIGIErSE
Erfurt, traitait l' Autriche, non plus même en alliée,
mais en ennemie. En face de ce parti se dressèrent
] es onze cfltholiques de l' assemblée : avocats fidèles
de l' Autriche excommuniée, ils formèrent ]a frac-
tion de la grande Allemagne (Grossdeutsclt) , qui
n'affectait aucun cxclusi visme confessionnel, mais
qui fut catholique par ses origines, par ses aspira-
tions, par ses visées, et dont le hasard voulut, à
Erfurt, qu'elle fût uniquement composée dp catho-
I . 1
lques .
Auguste Reichcnsperger, un Rhénan, fut l'âme
de cette fraction 2. Aux derniers jours riu Pal'le-
ment de Francfort, il avait tracé Ie manifeste de la
(( Grande Allemagnp >>, répudié Ia pensée d'une
Allemagne mal veillante pour l' Autriche, repoussé
Ia perspective d'un autre empire que celui dont
Vienne était la capitale 3 . En termes qu'applaudi-
rait un pangermaniste d'aujourd'hui, il avait célé-
bré les horizons qui s'ouvraient au peuple alle-
mand sur la mer Adriatique, sur la vallée danu-
1. Pastor, August Reichenspm'ger, I, p. 3tfl. (Fribourg, Herder, 1899). - Rei-
chensperger (Cm'respondant, octobre 1856, p. 180), accus(' les hobcreaux: du
par Ii de la Croix d'avoir eu, à Erfurt, la mème haine pour l'Autriche que Ie
parti de Golha, et ex.plique que l'iMe de Pclite-Allemag-ne n'a été sérieusemel}t
combaLLue å Erfurl que par une douzaine de députés catholiques lce. Ernst
Ludwig von Gerlach, Aufzeichnungcn aU8 seinem Leben und TI'irken, Il,
p. 102. Sc!lwerÜl, Balm, 190.1). I.orsqu'en 1849 Ia queslion allemande fut dis-
cut
e à la Chambre bavaroise, ce ful Doellinger, catholique el prètre, qui sou-
tint l'opinion gro8sdeutsch (Friedrich, Ðoellwge1', UI, p. 37. Munich, Beck,
1901 ).
2, Les deux volumes que 1\1. Pastor, l'hislorien des papes de {a Renaissance,
acluellemellt dlrpcleur, à Rome, de l'Inslitut historique autrichicn, a cousacrés
à Auguste Reichenspergoer (18U8-1895), sont rune des sources les plus impor-
tantes de l'histoire polilique et religieuse de l'Al1emagne durant Ie dernier demi-
siècle : iis nOllS ont été d'un secour!'> précielu.
3. Paslor, Reichenspcl'gel', I. p. 30ï-3tO.
PR
:PARATION DE L 'UNrfl:: \T.LEl\IANDE 11
bienne, sur les mers du Levant, et rendu grâces
à l'idée même de (( Grande Allemagne )) pour eettc
largeur de perspectives et cctte fécondité d 'espé-
rances. Ce manifeste, lorsqll'on Ie relit aujourd'hui,
fait mesurcr la vertigineuse alJure dp l'histoire...
II y a quatorze ans, pen de ll10is avant sa mort, je
vis Reichenspprgf\r à Cologne, tout chargé d'années
et de souvenirs: il y avail dans sa vietant d'arrière-
plans, qu'iL semblait avoir vécu plusieurs vies;
mais il regardait en avant, toujollrs en avant. II
deconcertait In définition morose que donnent de
la vicillesse les rimeurs d' A1
tS poétiques. Sa n1é-
moire, très préc
se, très riche, ne lui étalt pas une
chaîne; eUe lui donnait un élan. II ne s'emprison-
nait pas dans son propre passé. Parce quïl avait
vu l'histoire d'Allemagne se déroulpr autrement
que ne la construisaient les discours de sa jeu-
nesse et lllême de sa lllaturitc\ pourquoi done
aurait-il boud{í Dieu? II ne cessa d' agi r qu "en
cessant de vivre; il avait une inaltérable fraÎ-
cheur d'âme, qu'une longue accoutumance du
parlementarismp n'avait point fanée. Octogénaire,
il considérai t encore sa vie comme un service,
qu'il était tout prêt à continuer, tout prêt à inter-
rompre.
Tel apparaissait, en son crépuscule tonjours
lumineux, Ie parlementaire cathoLique qui, dans
les années 1.849 et 1.8õO, avec l'aide de son frère
Pierre, avec l'aide du Badois Buss\ premier pré-
1. Sur Buss (1803-1878), voir Dotre tome n, p.
69 el suiv., 372, 4
6.
t2
L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
sident ùe l'Association catholique d' Allemagnc,
donna l'efforL suprêmc pour que Ia monarchic
autdchiennp ne fùt pas rayée Ju nonlbre des
puissances allemandes. II invoqua cet esprit d'in-
dividualisme qui, d'après lui, était l'un des traits
historiques de sa race 1 : l'autonomie des divers
États, conséquence politique du vieil altachement
des peuplades allemandes à leurs personnaJités
propres, lui semblait incompatible avec l'exten-
sion de la Prusse. Une Allemagne c
ntralisée
seraH-elIe encore l' Allemagne? Ce ne serait plus,
en toul cas, si I' Aulriche était excIue, qu'unc n1oi-
tié d'Allemagne. Reichensperger poussait Ie cri
d'alarme 2; il craignait que l"axc de l'empire des
IIabsbourgs ne passàt désol'nlais dans les natio-
nalités slaves, que l'année 1848 avait éveillées.
Concurrentes alertes, in1pétueuses, elles profite-
raient du ll10uvement de recul auq nel se condam-
nerai t lui-même Ie peupIe allemand, du jour OÙ
il signifierait à I 'Autriche un ingrat et inopportun
congé. Reichensperger parIaH aussi comme catho-
lique. L'équilibre religieux de l'Allemagne était
en jeu; si l'Autriche était exilée du corps germa-
nique, la majorité des âll1es, dans Ie terriloire qui
continuerait de s'appeler Allemagne, appartien-
drait à Luther. La Germanic, celte pierre fonda-
n1entale de l'antique chrétienté, achèverait de
1. Sur ce point, compareI' les réflexions du mème Auguste Reichcnspcrger
dans son discours de 1860 sur la queslion hessoisc, et l"écrit des dem: frères
Reichensperg-er : DeutschLands naec/zste Aufgaben (Pastor, lleichensperger,
1, p. 407 et 4-17).
2. Pas lor, Reicltensperger, I, p.327.
PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALL.EIUANDE i3
I déserter son rôle. Au nom des vastes ambitions
de la race germanique, au nom du particularisme
allemand, au nonl des intérêts catholiqucs, Au-
guste Reichensperger suppliait l' Allemagne de
gardeI' I' Autrichc comme tête, ct l' Autl'iche de ne
point se détacher de ce grand corps historique.
Un professeur badois, Louis Haeusser, soutini
devant Ie parlement d'Erfurt la thèse adverse 1 ;
et tout de suite il fut évident que sous les noms
de Reichensperger et d'Haeusser, deux conceptions
de l' Allenlagne se 1ivraient un due] it mort. Haeus-
ser était l'un des représentants les plus passionnés
de cette école historique qui con1mençait d'affir-
mer comme une vérité de foi, ct de prouver
comme une vérité de science, co qu'elle appelait
Ia vocation allenlande de I'État prussien. Ð'après
lui, c'était autour de la Prusse que 1'.AJlemagne
devait se cristalliser; ]a Prusse, fiUe de 1a Héformc,
était appelée à réparer les maux que Ie moyen àge
calholique el que la contre-Réforme avaienl infli-
gés à l'AHemagne. Que l'Autrichc transigeât, ou
bien qu' eUe fit sécession, peu importait à Haeus-
ser : ce qu'i] voulait, c'était que rien n'empêchât
la Prusse de remplir son auguste mission. Tout
obstacle paraîtrait un attentat contre la nation alle-
mande elle-même. Ainsi deux thèses entraient en
confiit, qui s'accusaient réciproquement d'un
crime de lèse-germanisnle; et suivant que l'une
1. Pastor, Reicltensperger, I, p. 330. Sur Louis Haeusser (1818-1867), voir
la notice d'Oncken dans Weech, B({{li:
che Biographirn, I, p. 340-::147 (Carlsruhe,
Braun, 1881).
t4
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
ou l'autre triompherait, l'AlIemagne du lende-
ll1ain n'aurait ni la mème configuration géogra-
phique ni 1a mème pel'sonnalité confessionnel1e.
Avec l' Autriche au sommet, Ie corps gerulanique
faisaH figure catholique; an1pulé de rAutriche et
cherchant à Berlin son point d'appui, il prendrait
l'aspect d'une puissance protestante. On eût dit
que la guerre s 'engagcait entre Ie n10yen âge et
la Réforme sur Ie champ de bataille d'Erfurt,
(( ville de Luther. )) Reichensperger fut battu par
Haeusser, la Grande Allemagne par la Peli te AIle..
magne, l' Autriche par la Prusse, Ie catholicisme
par Ie protestantisnle.
Ce pren1Îer engagement n'eut d'ailleurs aucun
ré
ultat pratique, si ce n'est qu'il contributt, sans
doute, àrendre plus rapide et plus âpre la revanche
de I' ...t\utriche. A Olmuetz, 1a Prusbe dut s'humilicr.
Un de ses diplon1ales, Pourtalès, s'indignait en
termes pittoresques qu'elle fût ainsi contrainte de
(( réunir les Chambres et l'armée, au roulement
du tambour, pour recevoir un soufflet en cérénl0"
nie de gala 1 )). Du coup, les partisans de la Grande
Allemagne voyaient s' éclaircir leur horizon : par
uue résipiscence provisoire qui n'était qu'à delni
spontanée, la Prusse en écartait tout nuage. II ne
fallait rien de moins que ceHe défaite du gou-ver-
nClnent de Berlin pour leur rendre quelque sécu-
rité.
lais ils se faisaient peu d'illusion sur la durée
1. Rothan, Souvenirs diplomatiques : la P,'u8se et son ?'oi pendant la {JllC1Te
de Crimée, p. 38-40 (paris, Lévy, 1888).
PRÉPARATJON DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 15
je la résignation berlinoise. Boehmer continuait
je dire : (( La Prusse est proprement un pieu dans
notre chair 1 )), ct les Feuilles Itistorico-politiques
ie lVlunich, Ie grand organe catholique jadis fondé
par Goerres, commençaient dès cette époque une
tongue série d'articles contre les ambitions prus-
:nennes.
On trouvel'ait difllcilement, déclaraient-elles au début de
l852, une idée aussi peu allemande, aussi peu historique,
{ue cette (( unité allemanJe )), qui devait èLre mise au jour
par la révolutioll de 1848. La simple pensée de cette centra-
isation uniforn1e est si antipathique à l'esprit allemand, que
ela seul suftirait à prouver que les deux écuyers de la phi-
osophie de FichLe, Jahn et Arndt, à n10itié Slaves l'un et
l'autre, n'étaient pas de purs A.llemands (Keine Kel'ndeuts-
chen). Tout au contraire, c'est un trait spécifique du carac-
tère allelnand, que chaque tige, chaque ran1eau du grand
arbre, aspire Ie plus tôt possible à s'enraciner à part, å se
distinguer, à revendiquer son terrain propre... L'uuité alle-
mande a son point central. non pas dans un chef suprême
national, mais dans l'Empereur, dont la dignité était une
digniLé ecclésiastique (dessen
Vllerde eÙw Kircltliche war).
Ce n'est pas le sang, ce n'est pas la langue, c'est la foi, qui
tenait rassemblées les tribus germaniques
.
Au lendcnlain d'El'ful't et d'UJ muetz, les Jleuilles
de l\Iunich répondaient à l'idée d'un empire natio-
nal par l'évocation fidèle, inlassabIe, du vieux
Saint-Empire international, et elles indiquaient
aux Allemands épris d'unité un moyen primordial
de réaliser leur rêve : ce moyen, c' étai t le retour
à l'Église nne. Pas de sociétés de gymnastique
1. Janssen, Boe/wzel's Leben und Bl'iefe, III, p, :59 (lellre du 31 jam icr 1852).
2, H. P. E., 1852, I, p. 177-178.
LmRARY ST. MARY/S COLLEOE
f6
L' ALLE:\IAGNE RELIGIEUSE
ou de tir; pas d' exhibitions patriotiques! dil'é:
plus tard, dans un de ses mandements, Rudigier
évêque de Linz 1. Ce qu'il faut pour unifier l' Alle-
magne, c'est Ie rétablissement de l'uhité confes-
sionnelle.l\lélancoliquement, les catholiques gross-
del.ltsch accusaient la Réforme d'avoir détruit Ia
pacifique harmonie des peuples allemands. L'AI-
lemagne sans eUe eÚt continué d'être à la tête
de Ia chrétienté, et Luther, empêchant l'Allemagnc
d'ètre une, l'avait empêchée d'être grande... Ei
Ie parli de Gotha de répondre que les foudroyan t
succès de Luther avaient au contraire unifié l' Al-
lemagne, et que c'étaient les Habsbourgs qui
l'avaient désunie, en ramenant dans leurs four-
gons la contre-Réfornle catholique.
l\lais, sans remonter si haut et si loin, et prenant
pour point de départ I 'état présent de son pays, un
jeune hobereau de Poméranie concluait brutale-
me nt, dès 1.849, qu'entre I'Autriche et la Prusse
il faudrait bien un jour qu'un fraeas d'arnles écla-
tàt 2, eL que cela inlporLait à 1a dignité et à la
grandeur prussiennes. On lui parlait de Saint-
Empire, ct cl'un emperenr qui était nne moitié
de pontife, et d'une hégémonie mystique de la
Germanie sur les âmes, et d'une (( Grande Alle-
nlagne )) dépositaire de tout un auguste passé;
Bismarck répondait en parlant de militarisme et
1. Meindl, Leben und '\VÜ'ken des Bischofs Rudigier, I, p. 615. (Linz,
Grand Séminaire, 1891).
2. Poschinger, Die An8prachen des Fuersten Bismarck, 1848-1897, 11, p. 1
(Stuttgart, lJeutsche Verlags-A.nstalt, 1900). - cr. Denis, L("L fOT/dation de
fempire allemand, 18l:;2-/871, p. 1fì4. (Paris, Colin, 1906.)
PRÉPARATION DR L 'UNIT1:: ALLE!\lANDE ( 7
non point de sacerdoce, en revendiquant pour la
Prusse un rô]e dp grande puissance, et pour l'AI-
lemagne, - une AlJemagne encore mal définie,
- Ie droit de signifier enfin au reste de l'Europe
ses vues et ses volontés politiques et de les faire
respecter. PhilosophiqneInent parlant, à descendre
au fond des esprits, c'était l'idéc de chrétienté et
Il'idée de nationalité, tant de fois aux prises depuis
des siècles, qui de nouveau se défiaient et s'affron-
taient.
II
La Prusse à cette époque - un chapitre ulté-
rieur Ie lllontrera - ne lllarchandait à ses sujets
catholiques ni les sourires flattcurs ni même les
vraies libertés. Dans tout Ie reste de I' Allemagne,
l'Église indiquait aux divers souverains Sa
Iajesté
Ie roi de Prnsse, comme un exempJe à suivre.
Personnellement, Frédéric-Guillaume IV aimait et
voulait Ia tolérance, et d'ailleurs, ne fût-ce que
pour séduire les catho]iques rhénans et pour ache-
vel' ainsi l'unification morale du royaullle de
Prusse, il devait traiter I'ÉgIise avec générosité.
Mais en dehors de ses frontières, en tant que
membre du corps germanique, la Prusse, dans les
années qui suivirent 1.850, parlait et agissait
comme si Ie Dieu de Luther Iui eût donné mission
de surveiller Ie catholicisme en Allemagne, et de
Ie contenir, et même de Ie réprimer. J
es illusions
de I(etteler et de Diepenbrock, qui vel'S 1.852 espé-
III.
2
is
I.' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
raient une intervention du roi de Prusse en faveur
des catholiques de Bade, furent bientãt démenti(?s 1.
L'anticatholicisme était pour la Prusse un article
d'exportation, qu'elle jetait sur Ie marché des
idées, d'un bout à l'autre de la Confédération; et
les þ'euilles historico-politiques de l\Iunich affir-
maient dès 1854 que, partout OÙ il yavait occasion
de léser ou de maltraiter l'Église, (( on devait
suspecter rinfluence prussienne, l'intérèt prussien,
les pensées d'hégémonie prussienne 2 )). Les docu-
ments pri vés ou diplomatiques publiés beaucoup
plus tard, et qui nous ont fait connaître l'action
de Bismarck à Francfort et à Carlsruhe entre les
années 1853 et 1855, confirment avec p.clat les
soupçonneux pressentiments de l'organe bavarois.
Ce que semblait rêver Bismarck, ce n'était rien
de moins que la constÏlution d 'une sorte de Corpus
Evangelicorlun, d'une ligue des souverainetés pro-
testantes allen1andes faisant front au catholicisn1c
et front à l' Autriche 3. (( Le con1bat contre l' Ecclesia
rnilitans'" >>, contre (( Ie papisme adorateur dïdoles,
hostile aux gouvernemens protestants et hostile à
la Prusse, )) I ui paraissait l'un de ses premiers
devoirs. (( Catholicisme et ennemi de la Prusse,
1. Pfuelf, Ketteler, I, p. 252, n. 1. - Cf. notre tome IV, p. 28.
2. H. P. B., 1854, I, p. 579-580.
3. Voir dans Pfuelf, Ketteler, I, p. 308-31f, des réf1exions lrès pénétrantes de
KeUeler sur ceUe idée bismarckienne de la solidarité des puissances proles-
tanles. -11 faul lire dans Poschinger, Denkwuerdigkeiten des Ministerpresi-
dents Otto v. Manteulfel, II, p. 199-20
(Berlin. l\1iWer, 1901), Ie rapporldans
lequel Ie conseiller Kuepfer, en 1852, remonlrail à Manteuffcl que la Prusse
df'vait, parloul en Allemagne, déployer Ie drapeau proleslant.
4. Briere Bismarcks an Leop. v. Gel'lach, éd. Horst Kohl, p. 108 (lelh'e
du 25 no, embre 1853).
PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE f 9
écrivait-il à Gerlach, sont deux termes syno-
nynles 1 )). Il notait tous les petits faits et tous les
petits bruits dont il pouvait conclul'c qu 'en Bade
l' Autriche soutenait l'al'chevêque Vicari dans son
conflit avec Ie gouvernement grand-ducal. Libé-
ralités du cabinet de Vienne en raveur des prêtres
badois condamnés àramende 2; voyages fréquents à
Fribourg du ministre Prokesch, qui représentait
François-Joseph à Francfort 8; propos de certains
prêlres badois \ et brochure du publicisle Buss t),
qui semblait dénoter une propagande pour l' Au-
triche : tout cela était relevé, commenté, exagéré
par Bismarck, dans les dépêches que, de Francfort,
il envoyait à son gouvernement. II accusait l' Au-
triche de n'envenimer en Bade les querelles reli-
gieuses que pour y trouver une occasion de ren-
Y(?I'ser le ministère badois 6, coupablC' d'une trop
1. Hi'ie{e Bismm'cks an Leop. v. Gerlach, p. UI-124 (leUre du 20 janvier
1854). Et si I-on demandait à Bismarck ce qu'il entendait par ultramontain, il
répondail : << C'est celui qui obéil au pape plus qu'au somerain >> (op. cit.,
p. 230, leUre du 15 juin 1855).
2. H. P. B., 1854, I, p. 254.
3. Bismarck, Correspondance diplomatique, lrad. Schmitt. I, p.
oo (lettre
du 29 novembre 1853). {Paris, PIon, 1883"!.
4. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 199-200 (leUre du 29 110-
vembre 18:>3), prétend Lenir d'un officier supérieur catholique que Ie bas clergé
le Bade et de Wurlemberg est. travaillé par quelques-uns de ses memb,'es qui,
par des voyages et des écrits qu'ils répandent, veulent lirer parti de rallache-
ment encore vivant dans beau coup de ce!' conlrées pour l'Autriche, et eu faire
la base d'UD projet de retour à l'Empire, dans Ie cas où la situalion polilique
présenterait une occasion favorable >>.
5. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 200 (lettre llu 2g novem-
ore 1853). - Buss, au Congrès de Linz tie 1850, se plaisait à l'appeler publi-
luement qu'il élail né autrichien (Jocham, Memoiren eines Obskuranten. p. 680.
Kempten, Koesel, 1896).
G. Briere Bismarcks an Leop. v. Gerlach, M. Horst KohJ, p. 1
6 (lellrc du
1 février 1854).
20
L 'ALLF.
IAGNE RELIGIEUSE
vive sympathie pour la Prusse : c' était un motif suf-
fisant pour que Berlin soutînt ce n1Ïnistère conlre
I 'archevêque, et la Gazette de la Croix péchait
contre la Prusse, lorsqu'elle consacl'ait à Vicari des
articles flatteurs 1. Au demeurant, il s'agissail d'un
intérêt plus grave que l'opporlunité politique du
moment. Bade, peut-être, depuis 1849, n'avait pas
témoigné it ]a Prusse ]a gratitude docile et dévouée
que cette puissance eût méritée, mais, quoi qu'il
en fût, un Hohenzollern, dans ce conflit, devait
prendre parti pour Bade; car] a victoire de I 'arche-
vêque de Fribourg, affirmait Bismarck à Gerlach,
serait (( la défaite du pl'otestantisme, de la sou ve-
raineté laïque )) (de'1' landesher'l'lichett Gewalt) ; ce
serait la défaite de la Prusse com me puissance pro-
tectrice du protestantisme allemand
Schutz}nacltt
des deutschen P'J'otestantismus) ; sur l' heure, c' en
serait fait de l'auréo]e du roi de Prusse comme
patron mililant de l'ÉgJise éVé'ngélique (del' Ninlblls
eines streitóaren Patrons del' evangelischen Kirche
geht zum Kukuk) 2. A tout prix, il FallaH éviter cette
déchéance, et ne point être dupe d'une distinction
subtile, et tout au moins prérnaturée, entre Ie Sou-
verain (Landesherr) , que les catholiques préten-
1. Bismarck, Lettres politiques confidentielles, trade Lang, p. 165 et 173
(leUres des 7 et 25 janvier 1 ö54) (Paris, Ollendorf, 1885). Bismarck était d'autant
plus mécontent que derrière les articles où la Gazette de la Ü'oiæ montl'ait
quelque bienveillallce pour Vicari, Ie gouvernement badois risquait d'entrevoir
J'opiuion personnelle de Frédéric-Guillaume IV. (Briere Bismarcks an Leop.
V. Gerlach, p. 124 (leUre du 20 janvier 1854). Ce Cut pom' epargner au roi el à la
reine cetle apparence de<< romanisme )) que, pour un de ces arlicles,la Gazette
Cut confisquée (Ernst Ludwig v. Gerlach, Aufzeichnungen, II, p. 185).
2. Briere Bismarcks an Leap. v. Gerlach, éd. Horsl Kohl, p. t07-108 (lettre
du 25 novembre 1853).
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 2t
daient respecter, et la bureaucratie, à laquelle ils
prêtaient tous Jes vices. Bismarck, dans les pre-
miers mois de f854, se fit envoyer à CarIsruhe,
puis à Wiesbaden, pour fortifier, tour à tour, la
bureaucratie de Bade et la bureaucratie de Nassau,
et pour les empêcher de se montrer trop conci-
liantes dans les négociations qu' eUes ébauchaient
avec Rome 1. 11 avail, au coul's de ces voyages,
un æil d'inquisiteur pour épier les diplomates
dont il Ilairait I' (( ulh>amontanisme; )) leur dos-
sier restait dans sa mémoire un dossier que rien
n'effacerait 2. Les discours les plus violents de
l'ère du Culturkanlpf ne Ie cèdent pas à cerlaines
des lettres que Bismarck écrivit alors à Manteuffel
et à Gerlach. II apparaît comme une sorte de com-
missaire d'un protestantisme politique, inflexible,
intraitable.
On pressentait vaguement, dans l'Église catho-
]ique de Prusse, Ie rôle du gouvernement de Ber-
lin. (( L'État prussien n'a pas démenli sa nature,
écrivait FoersLer, évêque de Breslau. Tant que Bade
fut en résistance ouverte contre I'Église, Ia Prusse
se lenait calme et efIacée. Dès que Bade parut vou-
1. Voir notre tome IV, p. 5ti-59.
2. Voir dans ses Lettl'es politilfues, p. 205 (leUre du 16 juin 1854), ses dénon-
cialions contre Bursian, secrélaire de la légation de Nas
au, et coul1'e SyJow,
minislre de Prusse à Berne, soupçonnés de coquelleries avec l'ulLrarnonlanisme;
- dans la Cor'ì'espondance diplomotiqup, I, p
01 (lcttre du i9 novembre 1853),
ses plaintes au sujet du
ecrélaire Kreide!. qu'il accuse de livreI' à Vicari Ie
secret des déIibéralions gouvel'nementales; - dans les lellrcs à Gerlach (B1'ie{c
Bismarcks an Leop. v. Gerlach, p. 114: leltl"e du 18 décembre 1853), ses plaintes
au sujel de Dun
ern, dépulé de Nas5au à la dièle, qui, quoitlue prolestant, est
symvathique à Vicari, parce quïl a deux fils au service de l'Autriche; - et sa
lettre à Manleulfel (30 mai 18
3) sur Ies tendances du diplomale hessois l\1uench-
Bellinghausen (Aus Bi8marcks Brielwechsel, p" 1.33-134. Sluttgart, Colla, 1901).
22
L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
loir fléchir, la Prusse exprin1a des réserves, et cela
pour de bons motifs 1. )) En efl'et les motifs étaient
bons, et même ils étaient doubles. Les cabinets
protestants de I' Allemagne avaient désormais la
pretlve que la Prusse savailles appuyer, et qu
elle
Ie voulait. Quant aux populations catholiques, on
pouvait leur remontrer que des négociations avec
Rome, préliminaires de la paix religieuse, coïnci-
daient avec une visite diplomatique de Bisn1arck,
et leur donner lieu de penseI' que les conseils de
Berlin avaient accéléré l'heure de la pacification.
Le double jeu se laisse discerner, sans aucuns
voiles, dans nne leLtre de Bismarck à l\lanteufTel,
du ! er février t854 : (( Si Ia presse parle, suggère-
t-il à son n1Ïnistre, il faut faire dire que la Prusse
a conseillé à Bade d'accorder plus de 1iberté d'ac-
tion aux catholiques, et qu'cn Inême ten1pS eUe
s'est appliquée à contre-balancer les influences
étrangères qui pesaient sur la liberté de Bade 2. ))
La première allégation, forn1ellen1ent contraire
à la vérité, persuaderait aux catholiques que ce
que 1'.A.utriche n'avait pas obtenu de Badc
la
Prusse l'avait obtenu. La secondo phrase, plus
rnystérieuse, plus véridique, expliquée par les
diplomates dans Ie huis-clos des entrevues, fcrait
com prendre auxgouvernements prolestants du Sud
que, du jour oÙ l' Autl'iche (( ultramontaine )) Jes
importunerait, la chanceJIerie de Berlin, approvi-
1. PCuelf, Geissel, II, p. 23'!. (Fl'iLourg, Herder, 1896.)
. Bismarck, Correspondance diplomatique, I, p. 227. - cr. Malter, Bi,-
mm'ck et son temps; la préparation, p. 348-349 (Paris, Alcau, 1905).
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE
L\NDE 23
sionnée de bonnes ripostes, aurait assez d' énergie
pour faire contrepoids.
III
II était naturel qu'à son tour la calholique
Bavière fût visée par l'action confessionnelle de la
Prusse. Les méthodes ici furenl autres, parce que
les circonstances étaient autres, et la Prusse, à
l\lunich, au moins durant cette période, recourut
moins à des diplomates qu'à des professeurs.
De 1.837 à 1847, rÉtat bavarois s'était préscnté
con1n1e Ie boulevard du (( romanislne )) allemand.
l\Iunich, alors, était un centre de pensée catholique
oÙ I' Allemagne venait s'instruire, un centre de poli-
tique catholique, qui surveillait la Prusse et que
la Prusse redoutait; et la Bavière, sous Ie millis-
tère Abel, semblait aspirer à couvrir d'une sorte
de protectorat, d'un bout à l'autre de rAllemagne,
lous les catholiques qui dénonçaient une oppres..
sion 1. Tout autre était l'idéal de J\Iaxin1Ïlien II,
que l'abdication de son père Louis Ier, en n1ars 1.848,
fit brusquement montel' sur Ie trône de Bavière 2;
Ie nouveau règne fut marqué par une réaction
con1plète contre les influences et contre les
maximes qu'avait longtcmps n1ises en honneur Ie
roi Louis. Un incident, même, en l'année 18B5,
1. Voir notre tome II, p. 106-115.
2. Sur Ie roi l\Iaxilllilien II de Bavière (1811-1864-), voir surtout Riehl, Kultur-
yeschichtlichc Charrtlrterkoepfe (Sluttgarl, Colla, t889), elnotre tome IV, p. 13(ì-
138.
2-1
L' ALLE:lUAGNE RELIGIEUSF.
eclaira d'une lumière singulièremenl erne Ie eon-
traste entre les deux souverains. Ringseis et Blun-
tschli t, run caLholique bavarois, rautre immigré
protestant, polémiquaienl entre eux; toute l'Uni-
versité de lVIunich écoutait et regardait. On vit le
vieux roi Louis, puhJiquenlent, prendre parti pour
Ringscis, et le roi l\1ax, tout au contraire, se ranger
du côté de Bluntschli. (( II m'a l'air d'un Saxon, plu-
tôt que d'un \Vittelsbach authentique, )) disait un
jour Louis Ier de son jeune successeur 2 , et, de fait,
celui-ci parut prendre pour iâche d'asseoir en
Bavière rhégémonie intellectuelle de l'AlIemagnc
du Nord.
Entre son accablenlent à Olmuetz et son trionlphe
l Sadowa, la Prusse gagna sur l'Autriche, pro-
gressivement, insensiblement, sourdemenL, une
première victoire, d' aLord inaperçuc des états-
majors 01 même de beaucoup de diplon1ates : cette
victoire obtenue sur les bords de I '!sar fut la con-
quêle morale, non point du peuple bavarois, mais
de riñtelligence baval'oise, et 13 formation à
lunich d'un parti (( liberal national )) ncttement
hostile au catholicisme et neltement hostile à l' Au-
tl'ichc. Ce fut là Ie résultat tIu règnc de l\Iax 3 . Des
1. Blunlschli, Denkwuerdiges aus meiuem Leben, II, p. 23f-232 (Noel'dlillgcl1,
Beck, 1884). - Rin
sei
, Erinncrungeu, IV, p. 7J-78. Sur Ie médeciu Ring!J
is
(i 785-1880), profes
eur à l' Univer!;ilé de Munich, cr. nolre Lome LI, p. (j 1-6&.
- Sur Blunlschli, voir ci-dessous, p. 26 el 5U.
. .Friedrich, Doellinge1" Ill, lJ. 178.
3. Ce résullal, d'ailleurs, dépassa Jes plans mêmes de Max; car c'étail mains
pour Jeurs idéos étroitemenl prussophiles, f{u'iI trouvaÍl c"agérécs, que pour
leur science, qu'il appelail prb de lui des savanl!; elu parli de Gotha (Riehl,
Ope cil., p.
fì-
27).
PRÉPARATION OF. L'UNITÉ ALLEl\IANDE 25
légendcs nlême coururent, d'après lesquelle::;le Roi,
perSOnl1Cllelllent, aurait failli donner UIl bruyant
exenlplc : si Dahlmann 1, cion ancien professcur à
Gættingue, ne l'en avail di
suaùé, il se serait fait
protestant. II aurait brigue, par surcroît, l'initiation
n1açonniqne, sans les conseils du ministre Pfordten,
qui la jugeait inopportunr
. Enchaìné à ]a confes-
sion calholique par sa dignité royale, par les précé-
dents de sa maison, par les susceptibilités de son
peuple, l\Iax prit sa revanch
en s' entourant de
conseilJers qui tous appartenaicnL au protestan-
tisnle. C'élait Ie philoloðue Thiersch, qui, dès
1848, écrivait à la reine de Prusse que PAlle-
111agne DC pouvait prendre son rang que sons
l'egide des Hohenzol1ern 3; c'élaient deux diplo-
nlates, Doenniges
et \Vendland, originaires l'un de
Stetlin, l'autre un IIanovre, et que Boehmer, irnpi-
toyable pour toute infiJtralÏon prussienne, quali-
Hail d'avenluriers éh'angers 5 ; c'était le juriste
1. Sur Frédéric Chrislopbe-Dahlmano (l785-18ûO), ,oil', oulre la monographic
de Springer (Leipzig, Hirzel, 1870-187
)Janssen, Zeit 'Und Lebensbilder. 4 8 edil..
II, p. 154-2U! (Fribourg', Herder, 1879).
2. Janssen, Zeit ulld Lebensbilder, II, p. lô9-172.
ur Ie baron Louis-Chal'les-
Henri de PCordlell (181l-1880), cr. notre tome IV, p. 178. - Le roi Ma
, eu 18510,
rlemanlla à Blunlschli des I'enseignements sur la :\Iaçollnerie, OÙ il songeail à
cntrer ; tinalement, iI cut pcur de co pas, mais il fouda une association humani-
taire, qui fut sans dur
e. (Bluntschli, op. cit., II, p. 241). D'après Riehl, Ope
cit., p.
13, ce n'est que par curiosilé qu'11 se préoccupail de Ia l\1açonuerie.
3. II.P. B., 1867, I, p. 49-51. ::;Ul.le philoJogue Fredél'ic Thiersch (1';84-1860),
'oil' 1-1.- W.-J. Thicr
ch, F". Thiersch's Leben,
vol. (Lripzig, Winter, 18l)6). -
tiUl' l'intluellce qu'cxerçaicnt les Berufene, comme on les appclait, auprès de
!llaximilicu II, voir Friedách, Doellinger, 1II, p. 174-17J, cl Luisc Y. Kohell,
llnter den vier e1'steu ](oenigen BU!lerns, II, p. 10-34. (Munich, Beck, 1894.)
4. Sur l'influencc du diplomale Doenniges {18H--1872j, voir Rumpler, Allge-
meine Deutsch'"J Bio{Jl'apltie, V, p. 33!)-
41.
5. Jansscn, Boehmcrs Leben UI/(-l l/l'il'fe, Ill, p. ;j 1 (letb'e <iu 13 novcmhre
t 8;j 1).
ß
L 'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE
Bluntschli, Suisse d'origine, épris de la represen..
tation, des parades et des présidences, et qui plus
tard, en Bade, pontifiera, solennel et respecté,
dans les synodes du protestantisme libéral, dans
les 'Jneetings du libéralisme national, dans les
agapes de la franc-maçonnerie 1; c' était enfin Ie
célèbre historien Henri de Sybel 2 .
Charger Sybel de l' enseignement de l'histoire
dans ]a capitale de la catholique Ba vière ressem-
blait à un coup d'audace : Ie roi 1\fax hésita quel-
que temps. Ranke eût été Ie professeur de ses
rêves 3; Inais Ranke refusa, et insista pour que
Sybel fût appelé 4 . Dne hruyante aUaque conlre Ia
sainte tunique de Trèves, quelques discours et
quelques éCl'its d'hisloirc qui visaient it glorifier
la puissance prussienne, désignaient Sybel à la
confiance du parti de Gotha, et donnaient à sa
nomination Ie double caractère d'une victoire prus-
1. Sur Ie Suissc Jean Gaspard Bluntschli (1808-1881), voir, oulre ses propres
.i\-Iémoires, Bemhard yon Me
er, EJ'lebnisse, I, p. 3 f 7-319 (Vienne, SartorI,
1875); - Georg Weber, Heidelberger Erinnerungen, p. 283-308 (Stuttgarl,
Colla, 1886); - Robert ,'on Mohl, Leben.yel'innerunge11., IÎ99-1875 1[, p. 153-
155 (Stuttgart, Deutsche Ve1'lags-.lnstalt, 1902). - C'est lui qui devait prési-
der à Eisenach, les 6 et 7 juin 1865, Ie prcmier Protestantentag (Bluntschli,
Dcnkwuudiges, 11[, p. 129), cn 1867 te synode évangélique génr-ral de Carlsruhe
(Denkwue1'diges, In, p. t 75). Son aUachemont aux fractions Ics plus incroyanlcs
du pl'otestantisme semble avoir été la cause pour laquelle Ie
rand-duc de Bade
l'éloigna loujours du ministère (Denkw'l.tel'diyes, [II, p. 181-183). C'esllui qui,
en 186J, an nom de la loge de Heidelberg, répondil à l'encycliqlle de Pie IX
conlre la Maçonncrio (Denkwuel'diges, 1:1, p. 122-128), et <lui l'édigea en t8GS
une nouvelle con"tilulÍon pour la Maçonnerie (Ðenku'ueJ'diyes, III, p.
38).
. Sur Hcnri de SyI.el (181ï-i895), voir Guilland, L'Allemagne nouvelle ct sea
hìstol'iens, p. 150-22G.
Paris, Alcan, 1900.)
3. Voir daus Dove, Ausgewaehlle Sch1'ìften vornelunlich histo1'ischen lnhalts,
p. HI (Leipzig, Duncker, 1898), la letlre que de Rome, Ie 25 janvier 1853, Ie
roi
Ia}. écrivait à Ranke, pour l'appclcr à .:\luuich CII HIe df' fa fOlldation ll\me
"'cole hislorifl uo nOn vellp.
L Dove, op. cit., p. 121.
PRÉPARATION DE L'VNITÉ ALLEMANDE 27
Henne et d'une victoire protestante. 1\1. Ernest
Denis, que n'aveugle à coup sûr aucune préven-
lion, soit en faveur de la (( Grande Allemagne )),
,oit en faveuJ
du catholicisme, éprouve un mé-
liocre attrait pour la personnalité de Sybel : il
fait de lui, sans ambages, un
Homais )) du
patriotisme 3 . Le coup de plume esl dur, et légère-
ment injuste. Si l'intelligence de Sybel et celle de
Homais ont parfois un air de famille, ce]le de Sybel
était plus meubIée. A rune comnle à l'aulre,
d'ailleurs, ]e sens des nuances faisait défaut. Les
cours et les articles de Sybel étaient conslruits
comnle des l'équisitoires. Cel historien ressem-
blait à un procureur génénlI, chargé d'cntamcr
pour Ie conlpte de la Prussc Ie procès de l'ancicnne
Allemagne. Doctol'alement, dans Ia première
audience qu ïl eut du roi
Iax, il traiLa de la poli-
tique religieuse qu'avait suivie, 10rs de la guerre
de Trente ans, l' électeur
Iaximilicn ler. C' éLait
nne politique catholique, cléricale, disait-il sans
doute : Ie professeur et Ie Roi tombèrenl d'accord
pour la condamne1'2. De ce jour, entre eux, un
pacte fut conclu, et Sybel, sous Ie patronage
inlprévu du 'ViUelsbach, devint à Munich un
champion de la Réforme et un agent des I-Iohen-
zoUern. (( ÊLre uUranlontain et patriote allCllland
sonl deux choses qui s' excluent, )) écri vait-il dès
1847 3 . Tout son cnseignement à l\Iunich s'inspira
L Denis, La forulation de l'empil'e al1{'liUlnd, 18,ï
-1871, p. t32-t
.
2. Dove, op. cit., p. 123.
3. Guilland, Ope cit., p. 15
.
28
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
de cette maxime. Autour de lui, à l'instigation du
monarque, une école d'historiens se forma. On
s'acharna sur l'histoire d' Autriche, on entassa
conlre les Habshourgs de copieux dossiers; il fut
à la mode d'étudier Ie mal qu'avaient fait à la
(( vraie vie germanique >> leurs (( pl'incipes jésui-
tiques; )) on calalogua leurs péchés contre J' Alle-
magne, et l'érudition hislorique devint la servante
de la politique prussienne.
Ce qui s' édifiait à l\lunich, par les soins de
Sybel et de ses élèves, ce n'était rien de moins
qu'une non yelle philosophie de l'histoire alle-
mande, qui concluait, politiquement parlant, à
l' éviction de I' Autriche. Les (( historiens obj ectifs,
imparLiaux, et qui n'ont ni
ang ni nerfs >>, éLaient
priés de se taire. En 1856, dans un discours aca-
démique, Sybel les anathématisaiL Ce qu'il prê-
chait ouvertement, c 'était l' étroite union de la
politique el de la science 1. A la génération d'his-
toriens qu'avail produite Ie romanlÏsnle, et qui
prenait attrait aux prestigieux souvenirs du moyen
àge, succédait, moins de dix ans après la mort de
Goerres, dans Ie cadre rOlnantique aménagé par
Louis (er, une génération dont Frédéric II, l'oi de
Prusse, étaÏt Ie héros, et qui, sans nulle honte,
affichait son antipathie pour la majesté du vieux
Sainl-Enlpire. Sybel aimait outrageI' ceUe majesté 2 .
1. Sybel soutint celte thèsc, en 1856, dans un lliscours académique prolloncé
à Marbourg (H. P. B., 1858, II, p. 405).
. Sybel. Die deutsche Nation und das Kaise1'reich (Duesseldorr, Buddeus,
1862). - cr. Katholik, 1862, I, p. 221-235; et Janssen, Boehmers Leben unci
Briefe, Ill, p. 383-384. - Sur la haine de Sybel historien conlre les Aulrt-
PRÉPARATION DR L'UNIT
: ALI.EJ\IANDE 29
fout jeune encore, en i837, dans une thèse sur
:ordanès, il opposait l'idée nationale, dont cet
crivain goth s'était fait ]'apôtre, aux rêves dp
lomination universelle des empereurs du moyen
ìge 1. Professeur écouté, dirccteur de conscience
ie la Bavière savante, on l'entendait, en 1859,
L>eprocher à l'histol'ien Giesebrecht ses complai-
;ances pour l'in1périalisrne chrétien, el flétrir
la conception du Saint - Empire au nom de ce
qu'il appelait les intérêts nationaux allemands
(deutsch national). Dans ]e pays même qui long-
temps se glorifia d'avoir enrôlé répée de Tilly au
service de l'idée impériale et catholique, une
science immigrée, forte de l'appùi du Roi, dfítrui-
sailles convictions et les attachements qui, durant
des siècles, avaient hanté l'âme populaire 2; ('t
l'opinion bavaroise, qui faisait la coul' à .!\lax en
sui vant les leçons de Sybe 1, em portait de ces
leçons une vive antipathie contre la vocation tra-
ditionnelle de la Ba vière, un remords même pour
les services qu'à travers les àges Ie peuple hava-
rois avait rendus à un idéal désormais qualifié
d'antinational.
Des journaux se fondaient à Munich pour sou-
tenir les intérêts de la Prusse : Sybel, Bluntschli,
chiens, (( crélins, peuple sans culture >>, el contre leur isolement du progrès ger-
manique, voir GuiHand, op. dt., p. 184.
1. Guilland, Ope cit., p. 157.
2. Ranke songeait à faiI'e créer à Munich une Académie pour l'histoire alle-
mande; el Ie roi, voyant Sybel, lui parIaH avec enthousiasme de ce projel
(Dove.op. cit., p. t23). - Auguste Reichenspergpr appelail Sybel (( l'agf'nt à
:Munich de l'hégémonie prussienne-allemande (Pastor, Reichensperger, I, p. 412).
30
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
s'y intéressaient activemenf1. L'émotÌon des vieux
patriotes bavarois grandisssait 2 . (( Tu verras bien-
tôt, disait à son lccteur, en 1860, l'Aln
anach de
!uniclt, que la vraie lumière n 'est pas la lumière
du Nord, et tu adresseras avec moi cette prière à
Dieu : Ne nous induisez pas en tentation, mais
drlivrez-nous de Sybe] ! 3 )) La prière finit par ètre
exaucée : la disgrâce de Doenniges rendit la situa-
tion difficile pour Sybel et pour Bluntschli. Un
peu refroidis à l'endroit du souverain, iis préparè-
rent leur déménagenlent!.. Au banquet d'adieux
qu'on offrit à Sybel, ß]untschii proclama que tout
bon hislorien doit être en quelque mesure un poli-
tique 5. Sybel, de son côlé, s' am usant à doser les
divers éléments dont se composait Ia personnalité
de Bluntschli, Iui disait plaisamment qu'il yavait
en lui quatre septièmes de politiquc et seulement
trois septièmes de professeur 6 ; et Bluntschli jus-
tifia Ie mot, en alléguanL, pour motiveI' son départ
de
lunich, que Ie sol de Bavière, propice pour
une vie de savant, l'était beaucoup nloins pour un
homme d'action 7. En fait, à eux deux, avec Ie
1. Sur la part prise par B1untschli à la fondation de la Baierische 1Vochen-
schrift et de la Sueddeutsche Zeitung, et sur Ie mauvais eifel que fit à Munich,
en 1861, rallilude prussophile de ces journaux, voir Weech, Badische Biogra-
phien, IV, p. 44. - cr. Blunlschli, Denkwuerdiges, II, p. 273.
2. Sur Ie mauvais accueil fait par les Bavarois am: hôles de .:\Iaximilicn, am:
poètes non moins qu'aux hisloriens, voir Denis, La fondntion de l'Empire alle-
mand, 1852-1871, p. 114-i 15.
3. Guilland, Ope cit., p. 194.
4. Blunlschli, Denkwuerdiges, II, p. 303-305.
5. Bluntschli, op. cit., II, p. 305-309.
G. Bluntscbli, Ope cit., II, p. 309.
7. Blunlschli, Ope cit., III, p. 4. - Treitschke, qui se Iromail alol's à Mu-
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE1\IANDE 31
oncours de tous les (( éclairés )) que groupaient
es banquets du roi Max, iis avaient, à la COUI'
omille à la ville, jeté Ie discrédit sur I ïdéc de la
}rande Allemagne, et détruit pour longtemps toute
onnexion entre Ia politique bavaroisc ct la cause
aLhulique. (( Depuis i 847, écri vai t Doellinger
n 1859, Ie parti de Gotba, d'abord par Doenniges,
puis par Sybel, est it proprement parler Ie maître
en Bavière 1. ))
I,r
Dresser les petits États protestanLs à l'idée d'une
politique confessionnelle, et susciter tout au con-
traire, dans la catholique Bavière, la disgrâce et
la ruine de cette même idée; insurger, par là
même, les États protestants contre rAutriche, et
par là même, aussi, détacher de l'Autriche la
Bavière catholique; exciter les intérêts confession-
nels lorsqu'ils militaient contre l'Élat des I-Iabs-
bourgs; les endormir, au contraire, et les contre-
balancer par d'autres influences, lorsqu'ils eussent
risqué de chercher à Vienne un appui : telle était
la politique prussienne. Elle reposait sur une théo-
rie hautement affichée, d'après laquelle la Prusse
avait en Allemagne une vocation spéciale (dputsche1'
Be1'u(). Essayait-on de définir cette vocation, tout
nich, éprouva, en voyant Sybel parlir, une émolion lrès vive, qui s'épancha f'n
colère contre les (( ullramonlains)) {Theodor Schiemann, Heinrich v. Treitschke.
Lehr und \Vanderjahrf', 18.'J4-1866, p. 159. Munich, Oldenbourg, 18%).
1. Pastor, Reichel1s}Jt::rger, f, p. 397.
32
L' ALLE1\'IAGNE RELHaEUSF.
de suite les considérations religieuses et les consi.
dérations poliliques s'enchevêlraient. La PrussE
étaÏl-elle une apôtre, jalouse de s'agrandir pOUI
mieux servir la Réforme, ûu bien n'éLait-elle
qll'une cOllquérante à qui les intérêts de la Réforme
servaicnt d 'adroit prétexte pour soigner ses propl'e
intérèts? Ii était assez difficile de Ie dén1êler ; mais
un fait demeurait évident, c'est que la Prusse, au
nom de ce qu'elle appelait (( sa mission allemande >>,
désirait s'étendre aux dépens de I' Autriche et de
l'Allemagne catholique. Auguste Reichensperger,
catholique et fonctionnaire prussien, détestait les
gens qui soufflaient à son pays cette ambition. II
les appelait les pires ennemis de la Prusse; et il
se piquait d'être bon Prussicn, meilleur Prussien
qu'eux, lorsqu'il écrivait : (( J'estime qu'en AlJe-
magne l'Autriche n'est pas moins nécessaire que
la Prusse; j'estime qu'un tp} dualisme est pour
}' Allemagne nne condition vitale, au point de vue
politique et même, dans l'état Hctuel des choses,
au point de vue rel igieux, au point de vue confes-
sionnel. II ne peut s'agir ni d'une Hbsorption de
l'Allemagne dans la Prusse ni d'une absorption de
l'Allemagne dans l'Autriche; les deux grands
États doivent aller la main dans ]a main. Où en
arrivera notre patrie, si ces deux puissances, au
lieu de s'assistermutuellement, prennent des voies
ditrérentes 1 ? )) On ne pouvait condamner avec plus
d'émotion les premières aspirations de ]a Prusse à
1. Paslor. R('ichel1spuger, I, p. 3G5.
PRÉPARATION DE L'UNIT
ALLEl\IANDE 33
l'hégémonie exclusive de l' Allemagne, sous les
regards impuissants d'une Autriche bannie. Cela
paraissait à Reichensperger une offense contre ]a
sainteté même du droit. A plus forte raison les
atholiques des autres États, qui n'avaient pas,
omme Iui, des motifs sincères de ménager la
Prusse, repoussaient-ils une telle éventualité avec
les soubresauts de coIère. l]s se voyaient déjà
raités par la Prusse comme l'avaient été par les
)ays-Bas leurs coreligionnaires de Belgique, par
'Angleterre leurs coreligionnaires d'lrlande 1.
Un jour de 1855, la Gazette de la Croix raillait
es Feuilles historico-politiques d'être plus anti-
}fussiennes que les Aulrichiens eux-mêmes :
C'est vrai, ripostait l'organe bavarois; toutes nos espé-
ances allemandes sont pIacées dans I'Autriche, excIusive-
aent... Ce serait une trahison de ne pas combattre la poIi-
ique allemande de Ia Prusse avec l'extrême énergie de
otre haine... Qu'adviendra-t-iI ? Mystère ! Mais en tout cas,
as de (( petite Allemagne )) prussienne (Klein preussiscltes
:leindeufschland)! Ce qui, aujourd'hui, gagne de plus en
Ius de force morale et des chances toujours plus grandes,
'est Ie légitimisme allemand (der deutsche Legitimismus) 2.
II faut voir, aussi, comment Beda Weber, Ie
uré de Francfort, avec son âpreté de Tyrolien,
abrouait en 1856 Ie publiciste protestant DiezeI3,
I. Voir H. P. B., 1850, I, p. 318-320.
2. H.P. B., 1855, II. p. 66-80. - cr. Kreu
:;eltung du l er novembre 1856
iló dans H. P. B., 1856,11, p. 1121 et suiv.). Les Feuillc8 historico-politiques,
Ii avaient vivement allaqué Ie a Bureau de presse )I berlinois (H. P. B., 1855,
p. 632-649 et 810-819), furentprohibécs en Prusse en 1856 (H. P. B.. 1856, II,
1135-1136).
3. Guslav Dicl.Cl, Die katlwlische Ki1'che al8 geschichtliche Macltt wId
Ill.
.
t)
034-
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
qui traçait Ie programme d'une alliance enb
l' Église romaine et la Prusse contre Ie sl
visrr
schismatique. C'était là faire injure à I'Eglis.
protestait Beda \tVeber : voulait-on qu'elle se nl
à ]a remorque de la poJitique des nationalité
qu'elle se réduisît à unp sorte d"lslam t, qu'el
désertât I' a
u vre dp la Rédem ption pour fai re
.leu du prussianislne?
Qu'importaient d'ailleuJ's ces rêves fantaisist,
d'une Église servant la Prusse? On voyait s'éba'
cher une réalité singulièrement plus souriante
l'Église servie par I'Autriche. Car François-Josep.
ratifiant les espérances qu'avaient données al
catholiques les ordonnances de 18BO 2, venait .
signer avec l{ome Ie Concordat. L'épiscopat d'.A
lemagne était dans l'allégresse. François-Josep
d'un trait de plume, avait rayé tout Ie passé jos
phiste; Rauscher, l'archevêque de Vienne, célébrf
en des accents d'un autre àge cette union sincèr
Loyale, etIective, entre l'Empire et ]e Pontificat
dans cette universilé de Vienne, qui si longtem
avait été Ie centre des idées joséphistes et fébr
die politische enabhaengigkeit der protestantischen Riclztungen in Deuts
land. (Leipzig, Wigand, 18
(j).
1. Beda Weber, Cartons aus dem deutschen Kirchenleben, p. 378 el 390-3
tMa)ence, Kirchheim, 1858.)
2. :Sur ces premières ordonnances et sur la joie qu'cUes avaient provoq.
parmi les calholiques, à la premlère asscmblée de Lim, voir Civiltcì Cattoli
11 novembre-l er décembre 18:50, p. 426 el suiv. - cr. Buss, Oester1'ei.
Umbau im Verhaeltniss des Reichs ':;W' Kirche : erste Abtheilung (Vien
Hraumueller, 186i).
3. Wolfsgruber, Joseph Othrnar Ca1'dinal Rauscher (179i-1875), p. 156 et
(Fribourg, Herder, 1888). Dans la Deutsche Revue de juillel et août 1907, p.
12 et 210-230. 1\1. Wertheimer a publié de très inléressants documenls d
agent secret. instal1é à Vienne, l'elativemcnt à la conclusion du Concordat.
PR
:PARATION DE L'UNITÉ ALLE
IANDE 35
niennes, Ie catholique Phillips formait une géné-
ration de canoni
tes dévoués au Saint-Siège: l'en-
seignement du droit, naguère dirigé contre Home,
se réorganisait 1. La concorde de François-Joseph
et de Pie IX planait sur I'Europe, con1me une
sorie d'exemple dominaleur. Wiseman commentait
ce prodige à ses compatriotes anglais, qui depuis
longtemps parlaient avec sécurité du déclin du
catholicisme et de la mort de la papauté 2 . L'Eu-
rope étail d'autant plus attentive, quP François-
Joseph ne régnait pas à proprement parler sur
une nation, mais sur plusieurs morceaux dp
nations, sur des AJIemands, sur des Polonais, sur
des Magyars, sur des Slovpnes, sur des I taliens.
Celte Autriche que d'aucuns traitaÎent dédai-
gneusement d' expression géographique, elle sub-
sistait et s'affirmait, au milieu du grondement des
nationalités, comme une sorte de D1Îcrocosme
de la chrétienté; eUe élait hétérogène comme
l'antique chrétienté, et polyglotte comme elle, et
bigarrée comme elle; eUe a vait comme elle un
empereur, plus déférent même à l'endroit du Saint-
Siège que ne l'avaient été beaucoup des Césars du
moyen âge, et qui fêtait Ie vingt-cinquième anni-
versaire de sa naissance en donnant à l' Autriche
la paix de 1 'Église 3; et tandis que la Prusse, tolé-
1. Civiltà Cattolica, 14,.28 juilll:'t 18:51, p. 372. et 24 novembre-7 décembrp
1855, p. 710. - C'est sur la formation de cetle généralion nouvelle que comp-
tait Ie nonce Viale Prela pour la deslru!'tion de l'esprit joséphisle (Píuelf,
Geissel, II, p. 258).
2. Wilfrid Ward, The life and times of Card. Wiseman. II. p. t 35-147
(Londres, Longmans, 1897).
3. Meindl, Bischof Rudigiel', I, p. 12'3.
36
L' ALL El'tIAGNE RELIGIEUSE
rante chez eIle et même généreuse, travaillait au
dehors. sourdement, conlre I'Église, I' Aulriche
s'affichait avec J'Église et colJabol'aiL avec eBe,
dans une sorte d'étr(
inte qui rappelait les heures
les plus pieuses d'un très lointain passé.
(( Peut-être beaucoup de siècles s'écouleront,
écrivait joyeusement l'évêque H.udigier, jusqu'à
ce que revienne un pareiJ moment d'histoire 1 )).
Les Feuilles histo'J"ico-politiques, de
Iunich, ap-
plaudissaient àla renaissance de l' (( État germanique
chrétien 2 )), et notant la coïncidence entre la ratifica-
tion du Concordat et la chute de Sébastopol, eIles se
réjouissaient que la politique déloyale de la Prusse
eûl reçu un premier affront 3. Le journal catholique
Allelnagne, qui paraissait à Francfort, applau-
dissait à l'alliance entre les deux plus grandes
puissances catholiques, l'Autriche et la France/ t .
Brusquement, en 1859, un nuage surgit: il venait
des Tuileries, creva sur les plaines lombardes; en
quelques semaines, l'Autriche perdit racine en Ita-
lie. De longs siècles durant, par une conséquence
indirecte, mais inévitable, de lÏnstitution mêmc du
Saint-Empil"e, la Germanie avait fail de l'Italie un
pied-à-Lerre : au lendemain du jour OÙ Ie Concordat
de 1855 avait pu apparaître à certains esprih
1. Meindl, Ope cit., I, p. 425. - cr. H. P. B., 1855, IJ, p. 1037, 1043 e
1146-1147.
2. B. P. B., 18:i6, I, p.
et 7.
J. H. P. B., 18:>6, I, p. 8. - cr. H. P. B., 1855, II, p. 472.
4. Leap. V. Gerlach, Denkwuerdigkeiten, II, p. 391. (Berlin, l3esser, 1891
1892). - Sur les dispositions de Beda Weber et de son journal Deutschland
voir Wackerncll. Ope cit., p. 390.
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE:;\IANDE 37
comme Ia loi fondamrntale d'un Saint-Empire
nouveau, Ia Germanie, dans Ia personne de I'Au-
triche, commençait d'être expuIsée du pied-à-terre
séculaire. Qu'allait faire la Germanie? Le 1.2 mai
1859, Ie catholique ßlaHinckrodt, dans un discours
incisif à Ia Chambre prussienne, célébra l' Autriche,
qui tirait l'épée << pour la paix intérieure, pour les
traités, pour Ie droit historique, pour le droit de
l'autorité 1 )), et queIque temps il garda l'espoir
que la Prusse ne Ia délaisserait pas. Reichensper-
ger écrivit, dans notre COl'l'espondant, qu'à son
avis l' Allemagne, sous la direction du prince
Guillaume, devait se porter au secours de l' Autriche
bousculée par la France et par Ie Piémont 2. I{et-
leIer, aussi, qui faisait prier pour la victoire de
I' Autriche 3 , attendait de Ia Prusse un geste fra-
tcrnel'., ct tous deux furent inconso]ables, avec
beaucoup de catholiques, en la voyant garder
l'épée dans Ie fourreau. Le professeur Lasaulx ful-
minait contre cette attitude de la Prusse : ilIa
trouvait (( boul'beuse )), et rléclarait tout net qu'un
Allen1and qui voulait affaiblir l'Aulriche était (( un
bàLard et un soP )). (( Debout, Allemagne, s'écriait
1. Pfuclf, .Mallinckl'odt, 2
éllit., p. 177-1 is. (Fl'iboul'g, Herder, 1901.)
2. Correspondant, août 1859, p. 744-745. - C( Je puis bien dire qu'en Allc-
magne, écrivait à l\1onlalembert Augusle Reichensperger, taus les catholiquc5
déeid
s se tiennent du cõlé de l'Autriehe et désircnt qu'à tout prix aide lui soit
prêlée.}) (Pastor, Ileicltellsperger, I, p. 398.)
3. Pfudf, líetteler, I, p. 410.
4. Raich, B/'ie(e von unci an l(etteler, p. 2fii (leltre du 16 anil 1859).
(
Iayenee, KirehllCim, 1879.)
5. Stoe1z1e, Ermd Lasaulx, p. 185. (Muenster, Asehendorff, HI04...) Cependant
Lasaulx, dès 1856,
lail déjà moins hostile à la Prussc fJu'i1 ne l'avait paru au
moment de l'afl'aire de Cologne iff' lR
R el au I'arlem(,l1l de }< rancfort de 1848 :
38
L' ALL El\lAGNE RELIGIEUSE
Ringseis dans un sonnet enfiévré; debout! ton
Autriche saigne 1 )). Mais la Prusse laissait l'idée
de la Grande AlJemagne, - idée catholique, - se
débattre et se défendre, tant bien que mal, contre
les armées de la France, puissance cathoJique, sur
les champs de bataille de l'!talie. Cette idée fut
vaincue. Les champions de la Grande Allen1agne
ne Ie pardonneront point à la France.
S'il est quelques (( victimes du Deux Décembre ))
qui, dans leur âge avancé, aiment encore à relire
des invectives contre l'En1pire, on peut les ren-
voyer aux écrits et aux lettres des catholiques alle-
mands de l'époque. L'accent est Ie même que dans
les ChâtÙnenls. (( l\Ionsieur Louis)), comme disait
l\lallinckrodt 2 en parlant de Napoléon III, apparaît
au cardinal Geissel, archevêque de Cologne, comme
le (( fils de Salan 3 )). Kolping, le fondaL-eur des
innombrables associations de (( conlpagnons catho-
liques, )) COD1met un calembour sur ce n10t (( l'enl-
pereur )) ct l'ecrit : LaJílpe1
oehr'.. Alban Stolz, Ie
prêtre publiciste, ne décolère point à l'endroit du
(( sultan des Français 5 )). .A. Darnustadt, Ie doyen
il íaisail l'éloge du service militaire univcl':sel et de la muuificence de 1<1. Prusse
}lour les uDÌ\ersilC;s (Sloelzle, op. cit., p. 190-HI1).
1. Rillgseis, E1"innerungen, IV, p. 113.
2. Pfuelf, JIallinckrodt, p. 175.
3. PCuelf, Geissel, 11, p.
25. - Lc::ò sympathies du publicisle catholiquc Flo-
rencourt pour NapoléOll III étaienl consìd
rées comme uue exception tPfuelf,
Geissel, II, p. 423}.
4. Schaeffer, Adolf Kolping der Gesellenvater, 3 e édil., p. 250 (PaderLorn,
Schoeningh, 1894).
. 5. Haegel
, Alban Stolz, p. 183 (.Fribourg, Hel'dcl', 1889). - Cr. les expres-
sIons du pemtre Steinle, trisles et colères (Steinle, Bl'ie(wechsel, I, p. 4g3
el 486 ; II, p. 363. Fl'ibourg, Herder .18
7).
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE\lANDE 3
catholique refUða au ministre de France de célé-
breI' la messe pour son souverain : l'incident prit
une pOl'tée diplonlatique, et révêque Ketteler,
questionné par Ie cabinet hessois, couvrit son
subordonné 1. (( Le neveu sen1ble vouloir copier
l"oncle, même jUhqu'au
acrilège )), disait encore
Geissel 2 . Retenons ces quolibets, retenons ces ana-
thèmes : ils gravaient dans les àmes d'inexpiables
rancunes, que nous verrons venir à la rescousse,
ardentes et dociles, lorsque onze ans plus tard
Bismarck, all nonI d'idées politiques toutes diffé-
rentes, cherchera d'autres chicanes à l'en1pereur
Napoléon 3 .
Les catholiques d' Allemagne, déçus et ulcérés,
s'acheminaienl vel'S l'année 1860 avec un profond
sentiment de l'irréparable. (( Où que nous regar-
dions, gémissait GeisseI, c 'est une délresse sans
mesure et sans fin. Le diabolique triomphe, la cause
jusle succombe
. )) Foerster, prince-évêque de
Breslau, lui donnait la réplique. (( C' en est fait du
vieux droit, proclamait-iI; Ie droit du poing lui a
succédé. A Solférino, l'ordre du nlonde, tel quïl
existait jusqu'ici, a été mis au tombeau 1'. )) - (( Si
1. Pfuelf, Kettele1', I, p. 415.
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 419.
3. c l\Ialheur à l'AUemagne, lisait-on en 1859 dans Ies Feuilles historico-poli-
tiques, si I'Aulriche cédail ! ltIalheur à I'Europe si une paix nouvelle consoIi-
dait Ie uapoIéonisme! Malheur au monde, si Ia papaulé devenait française! >>
',H. P. B., 1859, 11, p. 15ï-186.) - En 1870, Joerg expliquera Jans Ics même..
Feuilles que Ia première Ca.ute commiFoe remontait à 1859, à l'année où ron avail
Iaissé Napoléon, u ce démon de l'Europe ", attaquer Ia. première puissance
allemande (H.P.B., 1870, II, p.
4:0).
.. PrueH, Geissel, II, p. 419.
5. Pfuelf, Geissel, 11, p. 420.
40
J
'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
l'Autriche périclite, écrivait Laurent, l'anciel
vicaire apostolique du Luxemhourg, nous ne son
gerons plus qu'à la fin du monde j )).
A ce moment nlên1e, ],idée prussienne d'un(
(( petite Allemagne )), ambitieuse de donner
l'Allemagne, à l'Europe et au monde une face nou-
velle, suscitait deux initiatives qui aggravaien1
encore la catastrophe autrichienne : rune, scien-
tifique d'apparence, était la création d'une Revue
histo1'ique so us la direction de 8ybel; l'autre,
ouvertement politique, était la fondation de l' Asso-
ciation nationale alle'Jnande sous la présidence de
Bennigsen. Le catho] icisme a]] emand, solidarisé
avec l'Autriche vaincue
, allait subir l'assaut de
ces deux engins, et co n' est pas sans raison que Ie
Catholique de l\Iayence, dans l'article par lequel il
ouvrait l'année 1860, pleurait sur les douze mois
écoulés cornme sur les plus troubles depuis 1809 3 .
v
(( Du train dont vont les choses, lisait-on vel'S la
111ême date dans les Feuilles histo1'ico-politiques de
ßIunich, 1 'abîme entre catholiques et protestants
t.
loel1er. Leben und Bl'iefe t'on Johannes 1'heodol' Lmlrent, III, p. 52-53.
(Tl'èves, Pmtlinu8 Druckerei, 1889).
2. Dans une IcUre pastorale de i8Gi, Vincent Gasser, prince-évt:que de Brhen,
expliqu
il que si l'Aulrichc élail l'objet de taut de haines, c'est parce qu'clle
él
it l'Elal de la Providence, la granlle puissance catholiql1e, Ie bouclier dE:>
l'Eglise (Zobl, Vincen= Gasscl' F
le1'8tbi8chor von Brixen, p. 317-318. Bl'ixel1,
Weger, 1883).
3. Kat/LOlik, lRGO, {, p. 1.
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE1\IANDE 41
se rouvrira aussi large qu 'au XV Ie siècle 1. )) Le
n.ouveau périodique : Historische Zeitschrift, sern-
blait encourager ce fàcheux pronostic. Dans son
?rogramme, 8ybel arhorait la prétention de (( com-
Jattre I'u} tramontanisn1e, qui sournet Ie développe-
11ent nationa] et intellectuel à l'autorité d'une
Église extérieure 2 )). Les articles, les cornptes
endus bibliographiques, appliquaient Ie pro-
;ramrne : iis étaient netternent anticatholiques,
1eUement anti-autrichiens 3, sans qu' on pût bien
liscerner si l'anticatholicisme était la conséquence
l'un parti pris contre l' .Autriche, ou si Ie parti
)ris contre l' Autriche résultait de I 'anticatholi-
isme. Au fond, les deux haines étaient connexes et
)arallèles; ellesnes'engendraient pas I'une l'autl'e,
lles forrnaient un bloc.
Le Thuringien Ranke, n1aÎtre de 8ybel, avaitjadis
crit que ((
la Prusse était l'État dans lequella pensée
)rotestante avait déployé la plus grande énergi0
)olitique 4 )) ; et cornrne ant our de lui certains sou-
;enaient que l'histoire de Ia Prusse mod erne était
a suite de l'histoire de la Réforme, il avait appuyé
;es faiseurs de synthèse, en attribuant lui-rnêmp
lUX carnpagnes de Frédéric II je ne sais quel
aractère confessionnel et en faisant de cc phi-
1. H. P. B., 1860, 11, p. IG-i.
. /1. P. B., 1858, II, p.400 et suiv. - Guiiland, op eit., p. iÛ8.
3. Voir H. P. B., 1860, II, p, 444-4G4; 1865, I, p. 132-141.
\.. Guilland, op. eit., p. 83. Dans son lIistoi1'e d'Allemagne att temps de f'l
léforme, terminéc en 1843. Hank(> (i7!13-188/ì) appplle ]a Réfol'mc << l'acle })al'
('fluC] la nation germaniquc a le mieux prouvé son éncrg-ic inlime, puisqu'il
ul unC' épO(lue où lc }1rolcslanlismc ful la r('ligion de lous lcs AHemands ..
_ _ _ _...,,. AIII^-" ,.,.
42
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
losophe couronné une sorte de chevalier, préde
tiné par Ie dieu de Luther à l'humiliation de I
catholique Åutriche. }lais Ranke gardait un SOU(
d' (( objectivité )) qui Ie préservait contre l'esprit d
système. Un système, au contraire, c'est ce qu
cherchaient et c' est ce que voulaient, en matièl
d'histoire, Henri de Sybel et les rédacteurs d
I'Historische Zeitschl'ift. lIs considéraient que ]
guerre de Sept Ans etle règne de Frédéric II avaier
inauguré la vraie grandeur de I' .A.llemagne. Fréd(
ric II n'avait pas voulu la guerre, il avait été pr(
voqué : c' était là l'un des dognles de l' école hist(
rique nouvelle 1. Les écrits de Frédéric II, c(
écrits qui, suivant Ie IllOt d'Hurter, étaient autaI
de victoires sur l'Autriche 2, devenaient Ie texte COI
sacré que tous Ies professeurs cOlllmentaient. Pre
voqué, Frédéric avait remporté des succès, qui, pc
Ja force des choses, marquaient une revanche (
la Réforme sur la contre-Réforme et sur Ie (( jésu
tisme)} des H absbourgs ; et puisque jadis Ie pal
Clément X.III avait défié l'Allpmagne en mèn
tenlps que la Réforme en envoyant au nlaréch;
Daun, commandant des troupes autrichiennes, UT
épée bénie 3, il appartenait à la Prusse d
XIX e siècle de Iutier à la fois contre l'ultranlonl<
nisme et contre l'Autriche". Sybel, unjour de 1.85!
1. Voir, contre cc dogme, H. P. B., 186L, I, p. Gi6-G9'; et 757-771-
. Heinricb Hurler, llurlel' und
eine Zeit, II, p. 392. (Gralz, Vereiltscln
kerei, 1876.)
3. L"allecdolc, ùu resle, est aujourd'bui controuvée, - Voir Heigcl, Gesel
chtliche Bilder und Ski
::en, p. 27-36 (Munich, Lebmann, 1897).
4. Leopold de Gerlach, daus Ull paragraphe de son journal (tä aoùt 185
'. s'
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE!IANDE 43
tait laissé aller à dire devant Auguste Reichens-
rger : (( Qucl dOlllll1age que la Prusse ne soit pas,
1 mêrrle temps que la France, tombée sur les
utrichiens! On en aurait fini avec eux 1. )} L'His-
rische Zeitschl'ift accun1ulait savamn1ent tous les
'gurnents dont l' opinion allen1ande conclurait, au
ur venu, qu'il fallail en finil' 2.
Dans les principales uni versités, des professeurs
histoire prolongeaient ces leçons et développaient
.s conclusions, avec un raffinement acharné. A
rlin, Droysen remontait jusqu'à I'acquisition
ên1e dLl Brandebourg par les Hohenzollern, pour
montrèr la (( nécessité historique }) qui mettait la
L'usse en collision avec rAutriche J . _\. Leipzig,
lis à Fl'ibourg, Ie Saxon Treilschke, menaçant de
. voix et d u geste les (( capucinades uHramon-
.ines )}, expliquai t que Ie duel entre Ie catholicisme
- Ie pl'otestantisme symbolisait l'opposition n1ême
Itre l' escla vage et la Iiberté; que Ie protesLantisme
:ait la marque propre de I 'esprit allemand; que
. Prusse, parce que protestante, était Ie seul État
lemand de caractère purement germanique;
e aux pages de Ranke sur la portée relig-ieuse des carnpagnes de Fl'édéric II,
en conclut que Ie conflH latent enlre la Prusse et l'Autriche est encore un
nflit religjeux. (Denkwue1'digkeiten, I, p. 791-79
.)
1. Paslor, Reichenspe1'ger, I, p. 452. - Cr. H. P. B., 18:>9, II, }J. 3:;13-35";".
. Dans IaIievue des Deux .Mondes même, Ie 15 seplembre 1866, Sybel insé-
it un arlicle pour e
plittuer que depuis Charles
Quint les traditions et Ie!>
es de l'Aulriche n'avaielll pas changé, cl que Charles-Quinl ne repl'ésenla
'llais l'unilé llaliollale ; il lerminait en disant : (( Nous, AHemands, }Jlaç.:ms au
ernieI' rang de nos væu
les rapporls d'une siucèrc amili
a\ec la France. ))
3. H. P. B., 1861, II, p. 886-917 et 964-975, et 18G2, ., p. 43-80. - 8111'
an.Gustave Droysen (1808-1884), voir HÜl.fzc, J.llgemeine deutsche Biog1'((-
Lie, XLVlll, p. 82-1J4.
44
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
qu'elle devenait Ie centre autour duquel il falJë
que I'Allemagne Dlorcelée s'articulãt 1. Adieu do:
les rêves romantiques, adieu I Ïnternationalisn
chrétien, et silence aux apôtres des trêves de Dim
Treitschke, parfois considéré comD1e un prophè
à l'égal de Luther et de Fichte 2, proclamait ql
I' AllemRgne ne grandirait que par l'insti tution I
I'État guerrier, et que cette institution serait réa
sée par la Prusse 3. Les penseurs et les historie'
catholiques de la première n10itié du siècle étaie
éconduits avec dérision. Treitschke n'avait que fai
de cette littérature. II partageait sur la poés
l'avis de Gervinus : il faUait qu'eHe fùt (( pratique
qu' eUe servît les idées modernes, ou bien on
mettrait à la porte de la nouvelle Allemagne,
sans couronnes de fleurs
II estimait Cavour par
que Cavour n'avait pas de lettres, ct n'avait In
] e Dante ni l' Arioste I..
Non Dloins hostilp à la poésie, à l'art, à to'
ce qui pouvait distraire l"âme allemande, I'Als
cien Haeusser, l'ancien antagoniste d'Auguste Re
L GuillanJ, op. cil., p. 237-243 cl2;JG. - Yoir, sur I1enri de Treilschke (18
1805), Bourdeau, Revue des Deux J.1Jondes, 15 juin 1889, p. 806-832; Val be
Revue des Deux .JJondes, 1 er février 1898, p. 682-693, et surlout SchiemaJ
Heinrich von T1'eitschke: Lehr und 1Vande1:iahre, 1834-1866 (Munich, Old.
Lourg, 1896 ; spécialemenl, pour l'cnseignemenL de Treilschke à Leipzig et
Friboul'g', lC8 pages 180-20G et 209).
2. Dove, op. cit., p. 383-388.
3. Bourdeau, Revue des Deux J./ondes, 15 juin 1889, p. 814. . Toule l'æu1
de Tl'eilschke, explique-t-il (p. 8U), vise å meUre, non pas seulem('nl les gén
oJ'ganisaleurs, comme Stc>in ('I. Schal'nhorst., mais de simples héros d'exécuti(
('omme Bluecher, au rang des héros de la pensée, peut-êlrf:' même plus haut
Schicmann, op. cit., p. 2
0-223, monlre hif'n l'importance rle J'écrit de Trc
chke, puLlié en 18tH: Bundesstant und Eiuheit88lant.
I.. ßOllIflc>au, loco cit., p. 81;).
PRÉPARATION DE L' UNITÉ ALLEMANDE 45
hensperger au parlement d'Erfurt 1, maîtrisait et
I harmait la jeunesse d'Heidelberg. On saluait en
li Ie premier Allenland du Sud qui avait osé, dans
n ouvrage savant, publié en 1854, faire l'éIoge de
'rédéric 112; on applaudissait à ses leçons d'his-
)ire comme à un enseignement de politique et de
.alriolisme 3 ; on aimait à l' entendre dire que I'his-
oire et la nation devaient se rapprocher, et que la
)russe devait guérir les plaies que Ie n10yen âge
vait causées à rAllemagne et devenir Ie noyau
utour duquel se cristalliserait l'État allemand. j .
I ]n anticléricalisme ardent l'obsédait. Ennemi du
atholicisme, ennemi de l' Autriche 5, il ne faisait
(ue tirer la conséquence ùe ses leçons de I'D ni-
rersité en dénonçant avec colère Ie concordat que
e grand-duché de Bade, à l'imitation du cabinel
Ie Vienne, s'était permis de conciure avec Rome 6.
1. Voir ci-dcssus, p. 13. - Georg Weber, Erinnel'ltn(jen, p. 271 el suiv.,
lonne une très inlércssanle caraclérislique du lempéramenl de Haeusser. - cr.
lans Weech, Badisclw Biographien, 11, p.
6;)-
71, la comparaison enlre la ten-
lance cosmopolite, universaliste, des travaux: historiques publiés par Frédéric-
hristophe Schiosser (1776-1861) enlre lð44 et 1857 et Ie caractèrc patriotique
les travaux de Haeusser.
. Weech, Badische Biographien, I, p. 34,1-346. - Deux foi:; it rompil des
ances pour Frédéric 11, en 1859 conlre Macaulay, en 18ti2 contre Qnno Klopp.
3. Sur Ie rôle de Heidelberg comme ciladelle avancée de l'idée prussienne,
VOIr Guilland, Ope cU., p. 189-190; et com parer
Iohl, Lebenserinnerungen,
I, p. 219-231.
4. Voir, dans Weech, Ope cit" I, p. 34!-343, Ie programme des arlicles qu'il
I
crivil dès 1841 pour Ie Supp:ément de la Gazette universelle d'Augsbourg,
et les idées qu'il y développait sur Ie rôle national de l'histoire. Le 22 décembre
1870, lorsque Jolly annonça à la chambre badoise la proclamalion de l'Empire,
il rendit hommage à Haeusser, <<l'homme qui, comme nul autre, surtout dans
l'AlIemagne du Sud, échautTa patriotiquemenlles cæurs de Ia jeunesse. )) (Weech,
Ope cU., I, p. 34G).
5. \'oil' H. P. B., 1861, II, p. 30-51; 1862, II, p. 185-.216; 1863, II, p. 726-744,.
6. On attribua même à I'influencc de Haeusser sur Ie grand-duc, qu'it avait eu
comme élève à Heidelberg, l'échcc dll Concordal (Weech, Ope cit., I, p. 345).
't6
t.' ALLRM:AGNE R"
LIGIEUSE
En face de ces types d'histoJ''Ïens, ouvriers bn
taux d'une réaJité brutale \ maniant les documen
comme on manic des armes, el IDf'\prisant Ia vra
culture comme on méprise, en campagne, l(
bagages encombrants, il aUl'ait fallu que l'Autricht
de son côté, mobilisàt des historiens, pour saute
nil' ce que Boehmer appelait, d'un très beau fio-
Ie (( point de vue civique d'empire )) (den 1
eich
hue1
gerlichen Standpunkt) 2 . De quel enthousiasm
Boehnler l'cût secondée! II songeait précisémen
en 1.859, à fonder un journal historique gros,'
deu/sch 3.
Mais l'Autriche, cette annéfl-Ià encore, celt
année-Ià surtout, était en retard. (( Les Prussien
sont devenus les præceptores Gerl11anÙe )), écrivai
de Vienne Frédéric Hurter, l'ancien biograph
d'Innocent III 60. Et Frédéric Hurter travaillait d
son mieux. l\lalgré les difficnltés que lui opposai
parfois, - à lui, historiographe royal- l'absurd,
censure autrichienne, et malgré l'indifférenc,
pénible qu ït rcncontrait dans les cercles de la con r
1. << Les historiens prussiens, a écril Lord Acton, onl mis l'hisloire en conla<
avec Ja vie. Us lui onl donnp une influence qu'elle n'a posspdée nulle parl ail
leurs, si ce n'est en France; leur gain est d'avoir créé l'opinion publiquc, plu
IJUissante que Ies lois. )) (English hist01'ical Review, janvier 1886 : cÜé dan
Guilland, Ope cit., p.
39.)
. Jan8sen, Boehme7"s Leben und Briefe, III. p. 193. - cr. flI, p. 325. ct Em
pereur et empire, ce devrait être l'axe pour notl'e histoire nationale. .
3. Janssen, Boehmer's Leben und Briefe, III, p. 300 : Ficker, Janssen, devaien
y collaborcr. II fìnil par se décourager : (( J'ai reconnu que tout cst vanitp
mais de plus jcunes doivcnt penseI' autremcnt )) ; et il se consolait en lisanL Ie
articles politiques de Joerg (III, p. 396-397 : leltre du 6 novembre 1862).
4. Heinrich Hurter, Hurter unci seine Zeit, II, p. 391 (lettre du 6 oclo
bre 18")11). - Sur F'rM{>ric Hurter (t 7i{7-186
), cf. nol!'c tomf' J!, p. 228
230.
PRÉPARATION DE r.'UNITÉ AI.LE1\IANDE
7
il menait à bonne fin sa grande Histoil'e de Fe1'di-
l nand II, ardent plaid oyer pour ]es Habsbourgs et
pour la contre-Réforme 1, el il se tournait, tout
· de suite après, vel'S l'histoire de 'V allenslein
.
Un aulre érudit, tout jeune encore, et qui, comme
jadis Hurter, devait plus tard passer du protestan-
tisme au catholicismf', Onno Klopp 3, osait, en fact='
de]a (( Petite AHemagne )), portraiturer à sa façon
Frédéric II +; puis il vengeait it son tour Tilly et la
Bavière catholique dans un ouvrage historique
qui fit du bruit i; II jetait Ie gant à Sybel dans unp
brochure intitulée : L'histoire alleníande conçue pa7
lp parti de Gotha {lite Nationalverein 6, et lançaìt
deux brochures ï contre l'apologie de Frédéric II p
r
J. Geschichte ](aiser Ferdinands II. (Schaffouse, Hurler, 1850-18(1).
- Heinrich Hurler, Ope cit., II, p. 26
-
83.
. Zur Geschichte "\Vallensteins (Schaffouse, Hurter, 18;)0). - Vv-allensteins
vier let:;te Lehensjalu'e (Vienne, Braumueller, 1862).
3. Sur l'activité d'Onno Klopp (18
2-1903), comme historien grottsdeustcl1, yoil"
Wiard Klopp, On no Klopp, p. 44 el suiv. (Osnabrueck, Wchberg, 1907). Le crédil.
de 1'6cole de Sybel était tel, que Klopp ne pouvait espérer aucune chairc dans
une université prnssienne (p. 4:)L C'est en étudiant dès 1850 l'lÜsloire de la
Frise orientale, sa petite patrie, que Klopp était devenu f/l'o,<;,<;deutsch (p. 57).
Ce fut Klopp qui, en 1866, ful chargé de faire Ie brouillon de la lettre pal'
laqnelle Ie roi de Hanovre, vaincu, demanda la paix au roi de Prusse (p. 92).
- En 1873, il se cOllvertit au catholicisme (p. t20-U3'.
4. Klopp, Der Koenig .Friedrich II von Preu8sen und die deutsche NatiolL
(Schaffouse, Hurter, 1860). Unc l1'adncliou française en fnt donnée en 1866 pa1'
Emile de Borchgrave (Brnxe:les, Devaux).
5. Klopp, Tilly im 30 Jahr-Krieye, 2 vol. (Stuttgarl, Colla, 1861).
6. Klopp, Die gothaische Aulfassung der deutschen Geschichte und der
Nationalverpin (Hanovre, Klindworlh, 1862).
7. Sur l'émoi que provoquèrent les publications d'Onno Klopp, voir H. P.
B., 1861, I, p.708-709, et 1862, I, p. 1023, et Steinle, Briefwechsel, H, p. 3ifj-
:i77. - En 186 7 , Klopp, réimprimant son P1'édé1'ic Il, y mJt comme épiloguc
une étude sur la politir{ue prussienne de puis Frédéric II; voir Biermann, La
politique prussienne jugée par un patriote allemand et protestant (l\1ontau-
ban, Biermann, 1870). - Le P. Kænig a récemment tiré des mamlscrÏls de
Klopp un volume hislorique : Deutschland und die IIobsburg (Graz, Styria,
fDu8).
.}
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
Haeusser. (( Je pense, écrivait Ie comte Nesselrode
que Ie livre de Klopp pourrait exercer aujourd'hui
nne influence très utile, si l' on appréciait, en Prussc
surtout, les vérités qu'il renfermc; car, hors d'unc
forte et sincère union entre la Prusse et l' Autriche,
point de saInt pour l' Allemagne 1. )) l\1ais que pou-
vait l'effort de ces deux érudits, dont Ie premier -
I-Iurter - n'enseignait nul1e part, et dont Ie second
- l(lopp - professait devant des jeunes fiUes,
contre une école historique qui régnait dans les
nniversités allemandes, et qui agissait sur l' élite
savante par l'Histo1'isclze Zeitschrift, sur la masse
ignorante par la multitude de journaux asservis
au Nationalverein?
Onno Klopp, obsédé, dans ses travaux histo-
riques, par la pensée qu'en politique il existe un
bon droit et que l'historien a pour mission de Ie
défendre 2, voyait clair et voyait loin, quand, dans
ses polémiques, il rapprochait la science de Sybel
ct la politique de l' Association nationale alle
Jnande. En même temps que Sybel faisait la théorie
ùe la (( vocation prussienne )), le..LVationalverein pré-
parait l'Allemagne à s'agenouiller devant cette
vocation. Soucieux au début de ne point heurter
de front les susceptibilités particulières des petits
États, les hommes d'action qui dirigeáient Ie
Verein trouvèrent une adroite tactique 3. C'est en
L Wiard Klopp, op. cit., p: 58.
2. Wiard Klopp, op. cit., p. no. cr. l"avant-propos de Klopp au livre: Fré-
cléric II roi de P1'u8se, trade Borchgrave, I, p. XX.
3. Une caractéristique exacLe de l'action du Nalionalverein est donnée dans
Unruh, Erinnerungen, M. Poschingel'. p. 200-207. (Stuttgart, Deutsche Ve,'Zag8-
PRÉPARATION DE J. 'UNITÉ ALLEMANDE 49
déchaînant, un peu partout, Ie courant anticIérical..
qu'ils frayèrent une route au courant prussien.
(( Pas de concordat! )) tel était Ie mot d'ordre. II
I fallait que tous Ies gouvernements allemands qui
avaient osé suivre l'exemple de l'Autrichc vinssent
à résipiscence. On ne peut que perdre à traiter avec
Rome, signifiait dès 185ü Ie diplomate prussiell
Bunsen 1. (( Pas de concordats! )) Ie mot sillonna
I'Allemagne, éveilla dans les consciences protes-
talltes, que ces échanges de signatures de princes
et de prélats n'avaient pas tout d'abord émues,
des échos soudains et turbulents. Des campagnes
de presse comn1encèrent, des campagnes parlemen-
taires suivirent 2 . En Bade, en Nassau, en Hesse,
dans tous ces petits États qui, seion 1 'expression
de Boehmer, (( vivaient au jour Ie jour comme des
prolétaires 3 )), Ies ministres que Ia Prusse réputait
insuffisamment dociles furent ébranlés ou hous-
culés, et la victoire religieuse ainsi gagnée sur
l' (( uitramontanÌ::;me )) devenait le pl'élude de com-
hinaisons nouvelles, qui feraient les affail'es de
Anstalt, 1895). - Oncken, llaus ICi3 anuée:, i !JO-*-1 007, a l'ublié dan5 la Deutsche
Revue de llombreuses leUres d
Bcnnigsell, qui sont pour rhistoire du Natio-
nalvcrein un document (},<>lile; el certaines d'cnt re elles mellenl en relief Ie
rôle anti-concordalaire joué dans les petits Élats par les hommcs polilif{ues que
Bcnnigsen y enrôlait au service de la Prusse. Tel, par cIemplc, CIl \Vurlembel'{:r.
ce Louis Reyscher, jurisle à T ubingue, d (IuÎ Bcnuigsen écri vail Ie 7 février 1861 :
I: Si en Aulriche l'abolilion t.lu concOl'ùal d la confiscation dcs Licns monaslique<;
- ce qui me pal'ail êlrc Ie seul salul - soul p09sibles, c'est parce que I'AlIe-
magne du sud se lève, ù'uu scul cæur, contrc lcs Illcnées ultramonLaines ".
(Deutsche Reeue, 1905, IV, p. 33G.)
1. Bunsen, Zeichen der Zeit, I, p, l7t. (Leipzig, Brockhaus, 1855.) Voir CjM
dcs6ous, p. 280-282.
. Voir nolre tomc IV, p. 80-91.
3. Janssen, Boehmer's Lchen unrl Bric/e, lIT. p. i6 ; cf. In, p. 54.
Ill.
4
50 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
la Prusse. Dne voix s'élevait à la première Cham-
bre badoise pour réclamer, dès 1.861, que toule
l' Allemagne, exclusion faite de l' Autriche, se fédé-
rât sous la direction de la Prusse 1 ; cette voix était
la même qui dcpuis six ans multipJiait les atta-
ques contre tout concordat; c' était celie de Blunts-
chli, qui, sur rappel du nouveau ministère badois,
venait d'emigrer de l'université de l\lunich dan
celIe de Heidelberg. Dans chacune de ces dis-
crètes capitales OÙ Ie nom même de l'Autriche,
quoi qu'on en dìt, produisait encore une impres-
sion de majesté, on pouvait constater que toute
crise ministérielle amenée par la question cléri-
cale ouvrait les avenues du pouvoir à des ennr-
mis déterminés de l'influence autrichienne; cL
c'est ainsi que Ie Nationalverein, par ses rnenées
occultes auquelles les influences maçonniques
n 'étaient pas toujours étrangères, muItipliait les
coups de sape contre les fondements mêmes de
l' établissement catholique. Quand lVIommsen, au
premier banquet de cette association, avait montré
le poing à (( l'engeancc des Junker et de la prê-
traille 2 >>, Mommsen définissait, trop haut peut-
être au gré de ses collègues, la politique religieuse
qu' on allait suivre. L' évêquc KeUelcr, très attaqué
par Ie Ve1
ein qui visait, derrière lui, Ie ministre
hessois Dahvigk, écrivait en 1.862 : (( Lc National-
vereilt est une association anlicatholique, qui, du
1. munlschli, Deukwuerdiges, Ill, p. 27-
8. - W('('ch, BLcdische Biograpltien,
IV,p.47.
. PfuC'lr, JlallincT.-rodt. p, 184,-185.
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 5f
point de vue d u rationalisme protestant, attaque
la situation juridique de l'Église catholique en
Allemagne., qui nous insulte, nous catholiques,
dans notre foi, qui nous attein t dans notre droit!. ))
Tel était Ie jugement de l'un des princes de rÉ
lise
d' Allemagne sur Ie puissant groupement des
(( fern1iers gt
néraux du patriotisme 2 )), dans lequel
rinfluence prussienne et les armées prussiennes
Lrouvèrent, dix ans durant, de zélés recruteurs et
de ]oyaux fourriers.
Religieusement et politiquement pal'lant, l' Asso-
ciatinn nationale allemande était impeccable de
cohésion. De quel poids allait peser, en face d' eUe
et contre elle, la cohue bariolée qui sÏntitulait
les Amis de la Grande Allemagne, et dans laquelle
figuraient, à côté d'un certain nOll1bre de Jaïques
et de prêtres enchaînés à l'Autriche par toutes les
fibres de leur âme, des démocrates anti-cléricaux
comme 1\Iaurice :ðlohl, soucieux de préserver les
libertés populaires, dans les États du Sud, contre
les convoitises du mi1itarisn1e prussien 3? L'in-
cohérence de cet assemblage, sur lequel au reste
Kelteler semble avoir fondé peu d'espoirs..., était
une cause de paralysie. C' est à la ll1èlne impuis-
sance, provenant du manque d' harmonie réelle,
1. Pfuelf, K
tteler, II, p. 2:!. - Cf. H. P. B., 1866, 11, p. 181-198.
. L'expression esl d'Augnste Rcichcnspergcl' (PaslOl', Reiche1&3perger, I,
p. 451).
3. Annuairc de8 Deux Jfondcs. XII, p.
30-532. - Sur l'économi5le et
parlementail'eMauricc Mohl (1802-1881'3), voir Tl'ucdiug-er, ÅllgelJ1ein
Deut8che
Biographic, LII. p. 430-434.
}, Raich, Briere von und an Kcttele'. p. 2i7.
52
L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
qu'était voué, en 1863, Ie somptueux congrès prin-
cier convoqué à Francfort par rempereur François-
Joseph!. (( Le peupleallemandade nouveau entendu
parler de son souverain
)), s'écriait joyeusement
le peintre Steinle.
Iais les espérances que suscita
cette parade furent vile évanouies. Par leurs
savants travaux d'approche, par leur invisible con-
quête des esprits, des parlements et des cabinets,
l'école historique prussienne et Ie lVationalvel'ein
déconcertaient à l'avance toute tentative adverse.
VI
L' opinion catholique en Allemagne, pas
able-
ment déconlenancée, se consolait et se vengeait
par certaines affirnlations tenaces : on n' est jamais
con1plèten1ent vaincu lorsqu'on a conscience d'avoir
Ie droit pour soi, et les partisans de la (( Grande
.A.llemagne }) cultivaient et fortifiaient en eux celie
conscience :i .
Le prince de Hohenlohe, futur ministre en
Bavière, se trouvait à Paris en D1ars 1862; et daIl
Ie recul même à la ravenr duquel il observait son
pays, il écrivait :
Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais un programme
g1'ossdeutsch pratique. L'antagonisme entre la Prusse et
1. Malgré la joie de sa cOl'respol1dal1te Sophie Schlosser (H. P. B., 1866, I,
p. t{I
'I, Boehmer n'aUendait de ce congrès ricn d'eCficace (Janssen, Boehmer's
Lc;ben und Briere, 1lI, p. 413; lellre du 4 septcmbre 1863).
2. Sleinle, BI'ierwechsel, lI, p. 381-382.
J. (t Le Centre prussien est gro8sdeutsdL ", lisail-on dans les mallife.les élec-
lOl'dUX de 1861 (Salomon, Die (kutsclten Parteipro[/I'arnme, I, p. ;j2, Leipzig.
r CUllllPl', 1 fìl1';'.
PRÉPARATION DE L'UN]TI
ALLEMANDE 53
I'Autriche peut être déploré, mais on ne peut pas l'écarter
par ùesarguments... Tout ce qu'on raconte du rétablissement
d'un empire allemand au profit de la dynastie ùes Habsbourgs
est une vaine rêverie.
Iais si on ne veut pas une république
grossdeutsch, si 1'on se rend compte que la prolongation de
l'état de choses actuel conduit à Ia révolution, on doit se
tourner vel'S un projet qui ne sorte point du cadre des possi-
bilités... Alors, logiquement. on en revient à l'idée de Rado-
witz: un État fédératif (Bundesstaat) sous la Prusse, et unp
aHiance avec I'Autriche... L'idée échoua contre la résistal1ce
du parti catholique, contre sa répugnance à accepter l'unité
sous un empereur protestant. Je crois qu'en cela Ie parfi
catholique est dans l'erreur. Par son rattachement au parfi
grossdeutsch, par Ie maintien du programlne grossdeutsch. 11
empêche ]a réforme, sans d'ai]]eurs aucune perspective de
réaliser Sf'S propres désirs. 11 travaille pour la stagnation,
et par là pour la révolution, tandis que, sous un en1ppreur
prussien, il ne pereIra rien. et ne fera qu'obtenir une plus
grande liberté pour ]'Église. II est entre les mains de ce
parti, de décider si la réforme de Ia Confédération germa-
nique se fera par des voies pacifiques ou révolutionnaires.
S'il s'associe à l'idée du Nationalverein, les gouvernements
sont forcés de céder. Par Ià, un élément conservateur
,,'introduira dans Ie mouvement, et ce sera une garantie
que Ie mouvement restera un mouvement de réforme 1.
Très préoccupé de ces pensées, Hoheniohe les sou-
mit
l l\Iontalembert, pour que Ie grand oratenr
agît sur les catholiques rhénans ses amis; il nr
parvint pas à Ie convaincre. La thèse était curieuse
sur les Ièvres dp Hoheniohe, qui devait pen de
ten1pS après travailler à Munich pour la Prusse.
On s'inquiétait, ce semble, entre libéraux de bonnp
compagnie, d'un certain radicalisme qui faisait des
1. IIohenlohe, Denkwuel'digkeiten, I, p. 122-124, (Stultgart, Deutsche Yer-
lags-Anstalt, 1907) : ces l\lémoires compl'enneul loule la vie dll chancelier
\181!)-1901}, sur les origines politiques duquel on peut lire aussi OUo '". Vocl-
dernùorff, Harmlose Plaudereien, II, p. 255-
6
.
54-
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSF.
progrès uans Ie patti de ]a (( Petite Allemagne )).
Ce parti nlanquait d'une droite : c'était gênant pour
la Prusse, et c'était effrayant pour les petits États
sur lesquels il aurait pu avoir prise, ct qui dès lors
devenaient plus rétifs à la propagande. Hohenlohe
rêvait d'une ({ Petite AlJemagne )) dans laquelle
les catholiques feraient équilibre au Nationalve-
rein,. il dressait l'épouvantail de la révolution, Ie
spectre des menaces dont elle inq uiétait Ie pou-
voir, et espérait ainsi réconcilier au programme
de Rado,vitz les fidèles de Rome, soucieux, en
principe, de consolider Ie pouvoir jusque dans ses
assises, Ie pouvoir qui vient de Dieu.
1\1ais précisément, - et c'est là ce qui affaiblis-
sait la thèse de Hohenlohe, - les catholiques pré-
lendaient, par leur résistance mêmc à l'idée d 'une
(( Petite ...-\llemagne )), représenter la cause de Ia
légitimité : den de'lltschen LegitÙnisJìlUS, disait-on
volontiers
et cela voulait dire: l'aUachement aux
droits traditionnels de l'Empereur, aux préroga-
tives tradilionnelles de Ia Diète, au statut territo-
rial qu'avaient cl'éé les traités de 181.5 1 . Parce que
les Français, ennemis nés de l' Allemagne, avaient
fait une lézarde dans l' édifice construit par ces
traités, fallait-il couronner les succès de la force
en désertant la cause du vieux droit? Sur les lèvres
1. H. P. B., 1861, I, p. 7 : << Lcs Elals moycns n'ont ricn à espércr, mais
!,I'ulement à craindre, d'une Prussc sans Aulriche. )' - H. P. E., j 863, 11,
p. 12-13. 4( La Prusse ne peut attf'indre Ie but de sa politique lraditionnelle que
par une trahison à l'endroit de l'Allemagne. J) - Si Auguste Reichensperger.
t'n 1852, avail volé conlre la réduction rlu budget <1(' la guerre prussien, c'étail
aCin que la Prusse fût arm
e << pour défendre If's traitps df' 1815 >>. (Pastor,
Reichel/8pc,'yer, I. p. 3:19-3-iO.)
PRÉPARATION DE I. 'UNITÉ ALL El\IANDE 55
tie
Iallinckrodt ou d'Auguste Reichensperger
ce
mol de droit prenait une incomparable majesté;
et très rares encore étaient les catholiques alle-
mands qui n'élaient pas des légitimistes. Au con-
grès catholique de Prague en 1.860 1 , au congrès
catho1ique d'Aix-la-ChappHe en 1862, l\Ioufang,
que Ketteler avait mis à la tête du séminaire de
Mayence, éleva solennellement la voix contre les
théories qui prêchaient Ie droit absolu des natio-
nalités 2. A deux pas de la tombe de Charlemagne,
dans ce reliquaire d'archaïsmes historiques qu'est
la vilJe d' Aix-Ia-Chapelle, les représentants de
tonies les associations catholiques des divers pays
allemands affirn1èrent leur dévouement à l'idée de
Grande Allcmagne 3. (( L' Autriche, lisait-on dans
Ie Catholique de
Iayence au débul de t863,
demeure la citadelle du droit, la forteresse contre
laquelle se brise la Révolution ; el]e fut dans les
derniers siècles Ie seul appui juridiqne du catho-
licisme allemand, comme elle est Ie loyal bouclier
de la papauté 4. ))
Observons ces derniers mots; ils indiquaient aux
catholiques une raison nouvelle de garder à l' Au-
i.
Iay, Geschichte tier GeneralversammlUt
gen der Katltoliken Ðeutschlands,
1848-1902, p. 132-133 (Cologne, Bachem, 1903).
2. May, Ope cit., p. 147 : Moufang allaqua Ie .National- Vuein, << menson-
gel' dans son nom, odieux dans ses aspirations... La Prusse n'est pas toute l'AI-
lemagne; notre palrie doit ètre plus grande... . - Sur François Chrislophe
Ignace l\Ioufang (1
17-1890), voir Brueck, Katholik, 1890, I, p. 481-493, eL II,
p. 1-2ä.
3. Katholik, 1862, H, p. 4
9-430. - :\Iay, Ope cit., p. 149.
4. f(atlwlik, f8G3, I, p. 3. - Cf. llans lI. P. n., 1862, II, p. liO el suiv.,
l'article sur Ia brochure grossdeutsclt du baron Ernest de Linden : J(aiser uud
Reich, politische Erocrtc'f'1.trlfjen (Augsbourg, Rieger, 18!ì2).
56
L' ALLEMAGNE REf.IGIEU8E
triche Jeur foi. Les défaites mêmes qu 1 avait récen1-
ment suhies François-Joseph accentllaient l'ann-
logie entre sa cause et celIe du Pape : ils étaien t
victimes. run et l'autre, de l'absolutisme des natio-
nalités, souveraines toutes neuves, qui avaient
l'orgueil de la jeunesse.
Iallinckrodt, en 1861,
insistait à In. Chambre prussienne, avec une éIo-
quence passionnée. pour que la Prusse s'opposât
aux progrès du Piémont; mais Ie député progres-
siste 'Tincke faisait voter qu'une telle politique TIP
serait dans l'intérêt ni de la Prusse ni de l' Alle-
magne. Vincke, qui voyait loin, était soucirux de
ménager à la Prusse l'alliance éventuelle de l'Ita-
lie; son attitude, pourtant, éta.it dictée par des rai-
sons de principe, autant et plus que par des motifs
de tactique 1. N'était-il pas naturel, en effet, que
la Prusse se dérobât lorsque les députés catho-
liques souhaitaient qu'elle arrêtât les projets de
Cavour contre Ie vi caire spirituel du Christ 2? El1e-
même,au mêmc instant, cernait, par des rnanæuvres
équivaIentes, Ie descendant de ce vi caire temporf\l
qu 'avait été Charles-Quint. L' Allemagne, comme
1. Civiltà Cattolica, 2:J février-D mars 1861, p. 758-761. - Cf. Pfuelf, .Mal-
linckrodt, p. 186, 205-206, 285-286; - Pastor, Reichensperger, I, p. 4tï-4t8.
- Sur Ie baron Georges de Vinclc (1811-1895), run des plus grands orateurs
)larlementaires prussicns, voir Petersdorff, Allgemeine Deutsche Biographie,
XXXIX. p. 743-752.
. Les frères Reichensperger, dans leur hrochure de 1860, demaudaient que la
/)iète ne permit pas à l'Italie de prendre Ia Vénétie (Paslor, Reicheuspel'-'
yel', I, p. 415
. - Sur Ie momement qui se produisil parmi les catb.oliques
aUemands, enlre 1853 et 1870. en fa,'eur de Pie IX menacé, et sur Ja fondation
du Jlichaelsverein pour venir p"'cuniairemenl cn aide au Pape, voir J oh.
Fripdrich v. Schulte, Lebenserin ,;P1'1tngen, p. t 3-60 (Giessen, Roth, 1908); -
Pfuelf, Geissel, II, p. 420-423; - Slamm, Conrad lrlartin. p. 15!-155 (Paderhorn.
Junrcrmann, 189
); - Pfue1f, Kettele1\ II, p. 4, et p. 300; - Katholik, 1867. ]J,
II, p. 765-i68: 18GR, I, p. 119-U9 et 234-239.
PHÉPARATION DE r/UNITÉ ALLE1\:IANDE 57
Ie disait Reichensperger, avait aussi ses {( cavou-
riens, rêvant d'un César qui régnerait sur une
n10itié d' Allemagne 1 )>. A Rome, la CÙ,iltà Cat-
to/ica insistait sur Ia ressemblance. ELle remon-
trait aux catholiques a]1emands que leur pape et
lpur empereur étaient en butte aux mêmes intri-
gues, inspirées par la même hérésie politique; et
au mois de septembre 1863, eUe exp1iquait que
l' Autriche seule pouvait constiluer Ie centre dp
I"unité nlJemande; car l'Autriche, d'ailleurs dépo-
sitaire des traditions du Saint-Empire, avait sur
la Prusse ces trois supériorités d'être catholique,
de posséder un territoire plus étendu, et de n'avoir
.lamais accru sa puissance aux dépens de la justice
et du bon droit 2. Quant à ceux que les considéra-
tions d' équité Iaissaient indifférents, ils pouvaient
]ire dans les Feuilles histol'ico-politiques de l\-1unich
ce pronostic sommaire : (( L" AHern agne unifiée par
]a Prusse serait rayée de la liste des nations 3. ))
La feuille bavaroise, proposant à la Prusse une
alternative peu glorieuse, lui laissait espérer que]-
que grandeur si elle voulait demeurer une petite
puissance, et ]ui certifiait que dans le rôle dp
rande puissance eUe ne serait jamais qu'insigni-
fiante (eine gros
e Kleirnnacht oder eine kleine
Gl'ossn1acht) 4.
1. Pastor, ReichclIsperger, I, p. 47ï. - Pal' une m6taphore pal'allèle, If'''
Peuilles hislorico-politiques accusaicnt Ie Piémont de vonloÍl' ètre Ia Prus,,"
tip l'Italie (H. p, B., 1861, II, p. 839).
::!. Civiltd cattolica t 12-26 septembre 18G3, p. 14-t7.
3. H. P. n.t 18G!, I, p. 94-2-944.
4. B. P. B., 1861, U, p. 50.
58 L 'ALLEl'tIAGNE RELIGIEUSE
L'altel'native était médiocrement galante, et l'on
comprend que la verdeur de propos des partisans
de la Grande Allemagne mît parfois les catholiques
de Prusse en quelque embarras. Car ceux-ci, tout
grossdeutsch qu'Ïls fussent, étaient cependant prus-
siens, et fort gênés dès lors quand il leur srmblait
entrevoir que l'altachement aux droits de l'Au-
triche et Ie souci de la prospérité de la Prusse
seraient peut-être, bientôt. deux sentiments incom-
patibles. lIs se tiraient de la difficu1té par des
demi-mesures. Mallinckrodt et Auguste Reichens-
perger, en 1862, crurent devoir approuver les
conventions militail'es entre la Prusse et certaines
petites souverainctés de l'Allemagne du Nord;
ils furent qualifiés de tièdes, sinon de traîtres,
par les exaltés du paTti de la Grande Allemagne 1.
.A quoi Reichenspcl'ger objectait qu'i] n'avait nulle
("\nvie de mettre son drapeau (( grand-allemand >>
dans sa poche, mais que cependant il était magis-
trat prussien 2. Pierre Reichensperger, un jour de
mai 1863, essaya de concilier tous ses sentiments
f\n suppliant Bismarck, dans une conversation, de
s'cntendre avec ]'Autriche ; mais Bismarck répli-
qua que l'entente coÙterait trop cher 3.
Bors de Prusse, les champions de la Grande Alle-
1. Pastor, lleichenspe1'ge1" I, p. 4
5. -.Et d'aulrc part, Reichensperger rcpous-
sail en 1862 Ie trailé de commerce qui serait (( comme un coin enlre les lleux
grandes puissances allemandes )) (Paslor, Reichenspel'ge1', I, p. 450); dans la
tlue<;lion de Hesse, Reichensperger ct .Mallinckrodt prolestaient conlre tous les
manèges qui pouvaient amener une rupture entre la Prusse et l'Autriche (Pfuelf,
JJallinclo'odt, p. 201-203).
2. Pastor, Reicltenspergel', I. p. 477, n. 2,
3. Pastor, Rciclzensperger, J, p. -1{H.
PRÉP.\HATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE 59
nagne traitaient ce royaume comme on traite un
)arti hostile: ils Ie voulaient diminuer, affaiblir,
lumilier. l\lais pour les catholiques de Prusse, Ia
russe était une patrie; et par surcroU, leurs pro-
)res théories de catholiques sur la déférence due à
'autorité, et sur les prérogatives respecLives du
?euple et du souverain, les rendaient plus dociles
lUX désirs de Bismarck, qui venait de prendre Ip
)ouvoir, que ne I
étaient les Jibéraux. Ainsi ron
lssi::;tait à cette étrangeté, que les catholiques,
lésireux d'une paix durable avec l' .A.utriche, ne
['êpudiaient qu'assez mollement les fantaisies miIi-
laristes du nouveau minislre, et que les libéraux,
impatients de brouiller les cartes, Iuttaient pour-
tant contre ces fantaisies. Les cathoJiques seuls
cordaient un budget de la guerre, les libéraux
seuls voulaient la guerre. Dans la Chambre insurgée
contre Bismarck, c'étaient les catholiques, chanl-
pions de la Grande .A.llemagne, qui, par loyalisme
monarchiste, se montraient Ie moins acharnés con-
tre Ie prochain réalisateur de la Petite Allenlagne 1.
l\Ialgré l'uniformité des affirmations d'enscmble,
les catholiques d'Al]enlagnc, on Ie voit, commen-
çaient à se di versifier en nuances infinies. D'une
part, on entendait encore, en 1862, Ie baron de
Brrnhard, beau-père de
fallinckrodt, réclamer
formellement Ie rétablissement du Saint-Empire 2,
1. Voir Pastor, lleichenspe'l'ger, t, p. 453 et suiv. En Sil{.sie, m(\me, les calho-
liquf's, am:. éleclions, se monlraient d'ardenls bismarckiens (Carl Jenlsch, Wan-
tllun.qen, I, p.
35. Leipzig, Grunow, 1896).
2. Rom unci Deutschland. Metlitationen ueber das Kaisertum und die Been-
difJuJ/fldcs dennnliqen Zu'ischclII'eichs (:\Iunich, Lentner, :18(2). cr. H. P. H.
60
f/ ALfJE
IAGNE RELIGIEUSE
et d'autre part, dès i860, en lisant la brochure (
deux Reichensperger sur ]es devoirs prochains
l' Allernagne 1, on avait pu se demander si ]
ministres des États du Sud, qui rêvaient de form
une (( triade )) servant de tampon entre l' Autric
et 1a Prusse, ne pourraient pas escompter, tôt ,
tard, 1a sympathie de ces deux parlementair
prnssiens. 11 en était du légitimisme allemal
commp de tous les partis légitimistes : je ne s
,
queUe méfiance réciproque devait fatalement s'i
sinner entre les théoriciens qui, sans transigp
laissaient vpnir Ie désastre, et les politiques pI'
tiques qui, même au prix de transactions, as};
raient à Ie conjurer.
VII
Le désaslre, c' était la guerre de l' Alleman
contre [' Allemand, c'éfait le (( duel fratricide 2 )) entt
l'Aulriche et ]a Prusse.. La Prusse, dans rété d
'1866, mobilisa.
Auguste Reichensperger, en ce momcnt-Ià, fai
sait un voyage d'archéologie. Soudajn, tous se
r&ves, tontes les idées auxqnelles s'étaÏt vouée s
1862, II, p. 675-684, el consulter, sur Bernhard (1801-1871), Ro<;enlhal, [{nnve,
titenbildel', I. 3, p. 204-213 (Ratisbonne. Manz. 1902).
1. Deutschlands nacchste Aufgaben (Paderborn. Schoeningh, i8GO).
. Le mot élait de Rudigier, évêquc de Linz (Meindl. op. cit.. I, p. G3
). _
1lelchcrs, archevêque de Cologne, éprouYaIt. les mêmes impressions péllibles
voir sa leltre au roi Guillaume (27 mai i 866) et Ja réponse du roi (4 juin) dan
Schneider, L'empereur Guillaume jer, trad. Rabanr, I, p. 348-353. (Paris
Bpr
pr-LevrauH. 1888.)
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLE:
\IANDE 6i
e, semblèrent tomber en ruines, comme ces v ieux
I làteaux rhénans au pied desquels il passait en
i uriste.
(( QueUe catastrophe! notait-il sur son carnet
la date du 20 juin. Ah! si l'orgueil vieux-prus-
en (del' altpreussische Hoclunuth), qui a amené la
ltastrophe par les cheveux, pouvait être brisé
Lns effusion de sang! Le prussianisn1e a tant de
>tés respectables ; la marotte de sa vocation histo-
que, qui date de Frédéric II, l'a infecté, poussé
ars l' abîme i. ))
Puis, le 29, à la nouvelle d'une première victoirc
l
USSlenne :
(( Novus oritlll" rel"Um olldo. C'est comme Dieu Ie
eut!
laintenant Napoléon va paraître au premier
Ian et réclamer
a part. Et les innombrables vies
'hommes! La V énélie s' effondrera, et puis Rome 2. ))
ReichenspergeL t parlait en politique, soucieux de
état de l'Europe; Ie juriste Bluntschli, lui, avail
e tout autrcs préoccupations. A ses yeux, sur les
hamps de ha1aille de Bohême, Ie bruit de la
anonnade allait scallder une Iutte d'idées. (( La
omination des Habsbourgs est et reste Ie plus grand
,bstacle à la ci vilisalion, écrivait-il. La prêtraille,
es féodaux, seraicnt les maîtres dans Ie sud de
, AlJemagne, si l' Aulriche était victorieuse 3 )).
L' Autriche, pour lui, était (( I'État du moyen âge,
a puissance conservatrice )), la Prusse était (( l'Étal
1. Paslor. Reichensperger, I. p.578.
. Pastor, Reichensperge1" I, p. 579.
:L Rluutschli , !JenlwJUcr,ziyes, III, p. 16u iti...
62
L
ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE
moderne, la puissance libérale )) ; et COD1battre pOl
r Autriche contre la Prusse, c' était (( cornbatl-
pour Ie passé contre Ie présent ; c'était aller contJ
le courant de l'histoire 1 )).
Reichensperger aussi parlait'd'histoire, mais
en parlait en traditionnaliste.
(( Si l'Autriche est vaincue, notait-iI, tout ce ql
reste encore debout du monde historique s' écroul<
Et c'est pourquoi je regarde comme vraisemblab]
1a victoire de la Prusse, car Ie train du monde e
antihistorique 2 )).
Son aUachement au passé catholique, son sen
du droit, sa confiance dans l1n Dieu justc, souf
fraicnt cruellement.
Le 4 juillet, à la suite dOune conversation a, e
Ie peintre Steinle, il griffonnait : (( On a bien tll
la peine à entrer dans ces décisions divines san
en conclure que Ie droit n'a sa raison d'être qUI
pour les petites affaires des humains; que, dan
l'ensemble, c'est la violence, rintrigue, la ruse
qui sont appelées à régner, et que ni Ie hut ni Ie
lnoyens ne sont soumis à des principes moraux el
religieux 3. ))
Déjà certaines désel'tions se produisaient, parn1i
les fana tiques de la (( Grande Allen1agne )), e t sans
vergogne, elles s'étalaient devant Reichensperger,
devant celui que nagnère on accusait de tiédeur.
(( Un conseiller en appel a résolu de plier les
i. Bluntschli, Denkwuerdiges, III, p. 145 (discours du B mai j 866).
. Pastor, Reic.henspe"ger, I, p. 580.
. Pa!'tor, Reichenspel'yer, 1, p. 580-581.
PRÉPARATION DE L'UNIT
: ALLEMANDE 63
enoux devant Ie (( sueeès )), et personne peut-être
1e s'était plus enflammé, personne n'avait plus
'adolé pour l'Autriehe. Ainsi va Ie monde 1! ))
Le monde souriait aux vainqueurs deSadowa, et,
c 9 août, Reiehensperger éerivait :
(( Consununatum est! L'Autriche est expulsée de
'Allemagne 2. ))
Endolori, ne con1prenant plus, il faisait des
rticles sur l'art, écoutait son an1i Thimus 3]ui lire
Ln essai sur la vieil10 morale ehinoise, et puis
,renait Ie train pour un tour de Flalldre. (( Le
Gonde sent Înauvais, murmurait 1\lallinekrodt;
près avoir bien raisonné, je suis oeeupé à n1C
ourber, progressi ven1ent, sous ce que Dieu per-
l1et : qui sait queUes sont scs fins? Attendons en
,alienee; je me Jette sur un sopha et je lis des
omans, - si seulement fen avais de bons 4 ! ))
anssen, fhistorien, tremblait de tous ses nerfs,
t fut quelque temps à se remettre 6. Le peintrc
,teinle expédiait à Vienne, à son ami Brenner, une
ttre qui n'était qu'un long gémissen1ent 6 . Buss, Ie
atholique badois, qui avaiten 1848 donné Ie branle
u réveil de l'opinion eatholique, s'abandonnait à
ne maladie noire, qui devaiLl 'aeeompagnerpresque
1. Pastor, Reichensperger, I, p. 581.
2. Pastor, Reichensperge1\ I, p. 58
.
3. Le baron de Thimus (1806-1>S78) se fit surtout connaiLrc par un ouvrage
lr Ia musique anlique: Die harmonikolc Symbolik de8 Altel'thums (Cologne,
u Mont Schaumburg, 1868 et 18i6).
4. Pfuelf, Mallinck1'odt, p. 261.
5. Pastor, Janssen,. p. 53.
G.
teinLe, Brief11'echyel, 11, p. 388.
64
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
jusqu'au tombeau 1. Les Feuilles histo'l'ico-politi
ques de ì\Iunich cherchaient un moyen de barric{
del' la Bavière contre le péril prussien 2. KetleleJ
de son évêché de Mayence, éel'ivait à l'empereu
d' Autriehe une longue lettre endeuillée : (( Tout c
qui pouvait no us rappeler Ie vieil empire aUt
mand, tout eela est détruit. One Allemagne san
Autriche, sans la maison impériale, ce n' est plu
l'.A..llemagne. Nous n'avons plus qu'une espéranc(
c'est que eel a ne dure pas 3. ))
VIII
Oui, tout etait consommé; oui, ce n'était plu
I'Allemagne.
lais cependant il fallait vivre, et 1
catholicisn1e allemand conrait un très grave daIJ
gel'. A l'encolltl'e des illusions qu'avaient earessée
certains partisans de l'Autriche ., les sujets cathc
liques du roi Guillaume n 'avaienl tenté aucu
soulèvenlent en faveur de ceUe puis
ance; et )
Prusse affectait, dans ses journaux offieiels, d
rendre d' aim abies témoignages à la cOl 1 rageus
conduite des soldats catholiques du royaume, à I
1. Weech, LJad/sclze Bio{Jraphien, III, p. 20.
2. H. P. B., 18Gü, II, p. 323-325.
3. Pfuelf, Ketteler, 11, p. 2üJ-
GG. - El :Kelleler souhailail que l'Aull'iche I
relevât en se libél'alll de l'absolutisme joséphiste el des influences maçollnique!
4. Weech (Badische Biographien, J, p. 213-217), pl'êlede tellesillusions aubarl
d'Edelsheim, parlisau de l'Autriche, cl qui rut un moment, en 1865-1866, minisLJ
des affaires élrangères en Bade. - Les Feuilles historico-politique.<;, au déLl
de la guerre, avaielll publié une leltre d'AulrlChe signalant Ie (< pacle de Juda
conclu entrc la Prusse et l'Italie, et sommalll lcs catholiques de Prusse de dire
leur rOl ;
ous Jl(' POll\IJIlS pas (H. r. B.. 18GG, I, fl. 1011-1012'.
PRÉPARATION DE L 'UNIT
ALLEMANDE 65
correcte attitude des citoyens catholiques, en même
temps qu'à l'esprit de to]érance de son propre gou-
vernement 1. 1\'Iais à travers la presse allemande
des bruits circl1laient, s'accréditaicnt, d'après les-
quels Ie clergé silésien aurait envoyé de fortes
sommes en Au triche pour aider les armées de
François-Joseph, et d'après lesquels les sæurs de
charité, dans les hôpitaux militaires, auraient pris
un atroce plaisir à mettre du vitriol dans les plaies
des blessés prussiens 2. En Silésie, surtout, les
prêtres étaient insultés et traqués 3. Un certain
fanatisnle grisé par la vicloire ratifiait ainsi Ie
verdict dll Dieu de Luther et de Frédéric II, qui,
dans 13. mêlée de Sado\va, avait su reconnaître les
siens. Le ['apide triomphe des armes prllssiennes,
ajoutait-on, avait conjuré Ie guet-apens que }'Au-
lriche cléricale et concordataire avait peut-être
projeté contre ses citoyens protestants. De Berlin,
1e Hanlbourg, on leur avait crié de se tenir sur
leurs gardcs!.; puis la Prussc était arrivée, nou-
veau Gustave-Adolphe, pour les rassurer. Et les
'ournaux du Nationalverein expliquaient fiévreu-
,ement qu'à Sado\va c'était la prêtraiHe catholique,
l' esprit de hiérarchie rcligiellse, Ie papisme en un
mot, qui avait été battu par la Réforme õ.
t . Voir tous les tedes cilés dans Franz Xaver Schulle, Geschichte des /{ul-
w'kampfes in Preu8sen, p. 14-21 (E!5sen, Fredcbeul, 1882).
2. Wick, AU8 meinem Leben, p. 54 (Breslau, Aderholz. 1895). - Ringseis.
'!:rinnerungen, IV, p. J82.
3. H. P. B., 18G6, II, p. GG2 el 673.
4,. Voir les cilations dans H. P. B., 1866, II, p. 6
et suiv., 788 et suiv.
5. Ringseis, Erinnerungen, IV, p. 38i.
III.
5
66 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Alors Ie catholique Ringseis, l' ancien médecin de
Louis [er de Bavière, ramassait avec âpreté tous ces
récits eL toutes ces thèses, ot soulageaitson intransi-
geance de patriote bavarois en anathénlatisant en
plein casino de l\1unich la victoire de Sadowa,
(( dans laquelle l' évangile de Satan: (( La force
prime Ie droit >>, fut couronné de succès 1. >) -
(( II raut en venir à la guerre entre l' Allenlagne du
Nord protestante el ]' Autriche, avait crié, dès Ie
iB mai 1866, Ie recteur Becker, de l'université dE
Greifs\vald; car en Autriche domine Ie catholicismc
papal abrupt, qui empêche la Jiberté de penser 2. ):
Si Becker avait dit vrai, si la guerre de Sado,vÐ
avait été une guerre de religion, pouvait-or
demander aux fidèles de l'Église d'admeUre qU(
les troupes prussiennes eussent à jamais prévah
contre eUe'! Entre l'exaltation du Nationalvel'ein e
l'exaltation du (( légitimisnle >) allemand, il yavai
une sorte de complicité, pour affirmer que dan
les plaines de Bohême la Réforme, incarnée dan
la Prusse, avait vaincu Ie catholicisme, incarn,
dans l'Autriche, oui, incal'né dans elle, redisaien
certains catholiques avec des pleurs de rage
incarné dans eUe pour toujours, puisque derrièr
Berlin Luther s' élalait.
Chevaliers plaintifs du plus oiseux loyalisme, 0
I. Hingseis, Erinnerungen, IV, p. 381.
!. H. P. B., f 8ü6. II, p. G59. << Une guerre de religion se prépare, disail
fion tour la Gazette de la Croix, peut-êlrc aussi saug-lante que Ie fut il y a dCl
cents ans la gucrre de Trenle Ans.. (Bachem, Preussen und die Katholiche Kirch
5 e
d.il., .p. .81. Cologne, Bachcm, f887). - << Le combat de l'Allemagne pour s(
umle, llsall-on. dans la Gazette (Ie Goerlitz, fut une défaite de l'espril hiéra
rhi'lue cl de l'Eglisc catholique. )) (\Viet., kus mcinem Leben, p. 72).
PRÉPAUATIUN DE L'UNITÉ ALLEIUANDE 67
vivaient-ils et qu'attendaient-ils? L' Autriche était
expulsée de l' Allemagne, allaient-ils à leur tour
s'en expulser eux-mên1es? Telle était la question.
Les protestations, même celles qui larmoient, ont
besoin, parfois, qu'une émigration les sanctionne;
sinon, elles risquent d' ètre considérées comme des
protestations pour rire. Autour de
Iallinckrodt,
un certain nombre de féodaux catholiques par-
laient de s'expatrier en Autriche i ; combien d'entre
eux s'y décidaient? Les émigrés de l'intérieur ne
sont ordinairement dangereux que pour leur pro-
pre cause; et l'héroïque obstination avec laquelle
certains catholiques persistaient à contempler au
loin, dans un pays qui avait cessé d'être terre d' AI-
lemagne'l la cime de la (( Grande .Allemagne )) écrou-
lée, créait aucatholicisme allemand un périldeplus.
En ces heures d'ahurissement tragique, une
voix enfin s' éleva, pour remettre un peu de
lumière dans les esprits, un peu de paix dans les
âmes : ce fut celle de Ketteler, évêque de lVIayence.
W estph alien d' origine, fonctionnaire du roi de
Prusse en sa jeunesse, curé p]us tard de la capi-
tale prussienne, il connaissait les maximes de
Berlin et détestait, surtout, l'esprit bureaucra-
tique et militariste du gouvernement prussien 2 ;
il savait, comme ill'écrira formellement en 1813 3 ,
1. Pfuelf, M allinckrodl. p. 278. Mallinckrodt lui-môme semblail répugner à
celte idéc d'une émigralion.
2. Pfuelf, Ketteler, II, p. 289: livre capital sur Kelleler (t8H-f877). -
Cependanl, dès les années 182:i et 18
ò, dans ses lellres à son frère, on ll'ou\'c
lies b'aces d'un certain loyalisme prussien (Pfue1f, Kctleler, 1, p. 18).
3. KellclCl', Die J\ulholiJ.-cn im ])eulschclt [jeicltc, p.
(.!\Ta
l'IlCP, Kil'chhcim.
1873).
68
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
que la Prusse est protestante par toute son his"
toire, protestante par son esprit dominant; e
même, au moment du conflil enlre l'archevêqu(
Vicari et Ie gouvernement badois, il avait pl.
observer ou deviner les manæu vres anticatho
liques de Bismarck 1. On ne pouvait Ie taxer d.
candeur ou l'accuser d'iHusions. Son attachemen
à la maison d'Autriche était connu 2 et venait d
s'épancher une fois de plus dans Ie long messag'
de condoléances qu'il adressait à François-JosepJ
vaincu 3. (( Les liens qui unissent à ceUe maisoJ
les cæurs des catholiques d'AlJemagne, écrira-t-i
encore en 1875, sont trop anciens et trop solide
pour que des circonstances extérieures aient P'
les briser. )) l\Iais, d'aulre part, entre Ketleler e
Ie gouvernemenL de Berlin, les rapporls étaien
généralement fort corrects; et Bisn1arck, en dehor
des jours de mauvaise hun1eur où il l'eût voloD
tiers taxé de mauvais Pl'ussien:" l'estimait asse
pour avoir, en 1865, rêvé de Ie pousser au sièg
archiépiscopal de Cologne I), ou de lui réserver I
1. Voir nolre tome IV, p. 56-59.
2. En février 1853, FrMéric-Guillaume IV, apprenanl que Ie chapitre de Bre
lau flongeait à Ketleler comme évêque, accusa celui-ci d'avoir insislé en lð
pour que leg rllals du Sud n'entl'assent dans Ie Zoìlverein que si la Prusse
recevail rAutriche, et d"avoir travail1é sur Ie Rhin pour les intérêls aulrichien .
Kelleler, en fait, n'avail dêvcloppé que dans un très petil cerde quelques vu
ur celte question {Raich, Briefs von und an ](eltele7', p. 241-242; - Pfue
Ketteler, 1, p. 398).
3. Pfuelf, j{etleler, II, p, 265-267.
4. Pfuelf, j(elteler, II, p. 28G. - Par exemple Ie 14 janvier 1854-, où Bismar
raconlait que Kelleler, référenda!re prussien, s' élail vanlêjadis qu'avec 6.000 ga
lards com
e lui on jeUerai
rElat prussien sellS dessus dessous (Posching(
Pre1J,S
en tm Bundestag, IV, p. 164.. Leipzig, Hirzel, 1884-).
;i. pfuclr, liettelel', II, p. 2!;3. - Cf. ci-dessous, p. 308-310.
PRÉPARATION DE ("UNITÉ ALLEMANDE 6{)
succession du siège de Posen 1. Au-dessus des
décombres Iaissés par la guerre, - et ces décon1"
bres, c'élaicnt ceux du vieil édifice germanique,-
Ie Iangage d'un KeUeIer était assuré de planer.
La Ineilleure solution serait une grande puissance alle-
mande avec tous les pays qui appartiennent à l'Allemagne,
et, à la tête, un empereur. Ce serait la plus convenable.
La meilleure, ensuite, est une puissance allemande-prus-
sienne, avec la frontière nouvelle.
Je demande : Vne solution dans Ie premier sens est-elle
possible?
J'affirme : NOll, et tous ceux qui l'espèrent sont dans les
nuages, attendant l'impossible, et par là exposent leur patrie
au plus grand péril.
J'afJirme : Non, et cela, non à cause ùu Bismarck de Ber-
lin, mais à cause des nombreux Bismarcks d'Autriche.
II qualifiait de ce nom pittoresque : les Bis-
marcks d'Autriche, to utes les forces qui, de part
et d'autre de la Leitha, travaillaient pour Ie prin-
cipe des nationalités : la Hongrie d'abord, puis Irs
Tchèques, puis Ie (( parti juif-païen 2. ))
Ainsi pensait-il, sur Ie papier, pour lui tout
senl, dans un précieux brouillon que Ie P. Pfuelf,
son diligent biographe, a eu l'heureuse idée de
publieI'; et l'opuscule qui s'intitula : I'Allelnagne
après la guer1
e de 1866 3 , ne fut q u'une mise au
net de ces conclusions, avec les précautions ora-
toires voulues, avec les réticences séantes.
I. Pruelt, Ketteler, II, p. 2:>8-259. - Bismarck, Pensées et souvenirs, trade
Jaeglé, II, p. 148 (Paris, Le Soudier, 1899).
2. Pfuelf, Kelteler, II, p. 277.
3. TradUlt en français par l'abbé Belet. (Paris, Gaume, 1866). - Di!s la publI-
cation, Ie fulur cardinal Pie avail song6 à unc traduction (PIuelf, Kettelel', 11,
p, 284-285).
11"
RY T. \t
.RY'S COLLEGE
70
L' Al..LEl\IAGNE RELIGIEUSE
Écho ratificateur des canonnades de la veille,
cette brochure émouvait d'autant plus, par la
sérénité de son accent. Ketteler, avec Ie ton d'un
historien, exposaiL les divrrs aspects des questions
pour lesquelles Ie sang aBemand venait de cou-
Ier. II expliquait, d'une part, que l'attitude de
l' Autl'iche dans l'affaire du SchJes,vig n'avait pas
été inattaquable; il osait redire, d'autre part, que
la Prusse avait COD1mis un grave tort en s'alliant
contre l'Autriche avec Ie parti de la Révolution.
Le sort en était jeté : la Prusse avait vaincu; et
voici qu'autour de lui Ie découragement et Ie pes-
sin1isme sévissaienL.. C'est contre cet état d'esprit
que s'insurgeait ]' éloquenee de Ketteler : (( Avec
une joyeuse eonfiance, insistait-il, nous devons,
nous, chrétiens, aIler eourageusement à Ia. ren-
contre de toutes ]es nouveautés. Par là, DOUS
sommes préservés de tout pessimisme, et DOUS
échappons à cette triste habitude, paraJysante
pour LouLe bonne activité, de croire toujours que
e'en cst fait du monde si Dieu ne Ie dirige pas
d'après nos courtes vues humaines. )) II fallait
done, comme programme pratique, admp.ttre, sur
l'heure même, une Allemagne fédérale soumise à
l'hégémonie prussienne, et puis escompter, d'unc
fcrvente espérance, que Ia Prusse ainsi grandie
s'unirait intimement avec I'Autriche, et qu'au
den1eurant l' Autrichc, par un sévère travail sur
elle-même, accroUrait sa propre valeur d'alliée.
Enfin, ce qu'attendait Ketteler de cette Prusse
épanouie, c' était qu'elle éconduisît les théoriciens
PR
PARATION DE I/UNITÉ AI.LEiUANDE 71.
enchanteurs qui donnaient à la (( vocation alle-
mande )) de la Prusse une signification confes-
sionnelle et presque philosophique, et qu'elle se
montrât toujours plus fidèle à cette Constitution
de 1850, (( grande charte de la paix religieuse )),
qui assurait aux catholiques de larges liberlps 1. A
cc prix seulement et au prix aussi d 'un certain
respect pour ]es autonomies politiques et sociales,
toujours chères aux catholiques d' Allemagne, et
toujours menacées par l' esprit militariste et
bureaucratique, Bismarck se révélerait, (( non
seulement comme un beau joueur, capable de
perdre en une nuit son gain, mais comme un
architecte politique, qui bâtit pour l'avenir. ))
Ainsi se déroulait la brochure. Quelques-uns la
trouvèrent trop prussienne, quelques autres trop
autrichienne 2 : elle fut un soulagement pour
beaucoup, parce qu' elle disait ce qu'ils devaient
faire. C'ëtait un beau geste d'homrne d'Église, et
même mieux qu'un gest.e. Lorsque les évpnements
échappent à la direction de l'Église et se déroulent
con ire son gré, rÉglisc, à moins qu'ils ne visent
directen1ent sa constitution, les accueillc sans
1. Voir ci-dc5
OUS, p. 174 et suiv.
2. Pfue1f, Ketteler, II, p. 287. - cr. l'arl. de rabbé Dclarc dans Ie Corre8pon-
dant d'octobre 1867, p. 331-342. << L'ancien officiel' de l'armée p,'ussicnnc, écri-
vait rabbé Delarc, vit toujours un peu dans Ie slIccesscur de saint Boniface
::\1';1' KeHder a élé Ie scul évèque à publier des pages donl les Golhariens se
sont aussitôt emparés pour Ie déclarer gagnó à la polilique de Bismarck. )) Mats
Ie parli de Golha ne se contenlait pas, ce semble, à si bon marché ; car les sUl'in-
tendanls proteslants, en 1868, dcvaient encore se servir de la brochure de Ketle
ler pour l'accuser d'hostililé à Ja Prusse (Pfuclf, ]Cetteler, U, p. 319; - et cf
la répol1!'Ie ito KelleIer, en mai 1868, à la Gazette de la Croix, qui lui faisaiL
un parcH repl'oche. (Raich, Briere von und an .Ketteler, p. 381).
72
L' ALLEl\lAGNE ßELIGIEUSE
retard, majestueuse d'impartialité. Ce n'est. point
une tolérance ni même une acceptation; c'est ]a
constalation de certaines réalités acquises, aux-
queUes cUe met son visa comUle Dieu y a mis le
sien. l\1ais les théories qui les préparèrenl ou
même les ébauchèrent, théories que l'Église
redoutait et combatlait, deviennent alors comme
des épreuves d'imprimerie, qu'on jette, Ie livre
une fois paru. La spéculation des humains, leurs
fantaisies de théoriciens, qu' esl-ce autre chose
que des épreuves? Le fail brut, voilà ce qui im-
porte : alors l' on vrage est achevé, Dien a donné
Ie bon à tirer. La Prusse avait atteint ses fins:
c' était un fait. Ketteler ne discutail plus t, et sou-
haitait seulement qu'clle jetât au panier tous les
plans qui d'avance avaient dessiné sa grandeur,
les plans des Sybel et des Treitschke, les plans du
Nationalvel'ein. La Prusse resterait grande, quand
même, et les catholiques seraient rassurés. Lorsque
les nouveautés ant une tare originelle, I'Église
fait comme pour ] es hommes; elle les en libère,
par une façon de baptêmc, ne s'inclinant devant
eUes que pour se relever aussitõt. L'écrit de Ket-
teler enregistrait sans amertume la fondation de
la (< Petite-Allemagne )) et mettait un barrage
entre ce fait et tout Ie couranl dïdées anticatho-
, 1. Lc
hanoinc Moufang, qui vivail aux côlés de Kelteler, élail moins prompt
a s
ralhcr : son discoUl's de juin 1866 à la première chambre hessoise se résu-
mall en ces mols : ni Prussiens, ni Aulridllcns (Pfuelf, lí.ettele1', II, p. 2(1);
(.t, dans nne assemhl
e
lectoralc òu G mars 1866 iI avait rl'clamé l'union,
aus
i inLimc que possiLle, ellll'e lcs 7ù millions d'All
mal1ds (pfuclf l{etleler
11, p. 2i4-). ' ,
PRÉPARATION DE L'UNITÉ \LLEl\IANDE 73
liques qui l'avait escorté. Jan1ais on ne miL plus
fadresse, ni plus de dignité, dans la présentation
rune politique de {( ralliemcnt >>, ot Ie démoeratc
Walesrode opposait à eeHe noblesse d'attitude la
pétulance du saeerdoce protestant, qui prodiguait
:( au l\lessie du fusil à aiguille les hosannahs et les
lauriers 1. ))
IX
La formule du <( ralliement )), tclie que la pro-
posait I{etteler, étaÏt la sui vante :
(( Les catholiques ne doi vent pas se nlontrer
hostiles ou indifférents aux tendances vel'S l'unité
;ermanique, sous prétexte qu'ils y voienl percer
In esprit qui demande plutôt J'oppression de l'É-
lise catholique que l'uni té de l' Allemagne...
ous ne devons pernlettre à personne de nous
,urpasser en amour de la patrie allemande, de
,on unité ct de sa grandeur 2. )) ·
II était difficile que, sur l'heure, Ie conseil fût
pleinement exaucé par tons les catholiques d'outre-
Rhin. La presse hostile, qui continuait de fêteI'
Sado\va comme un trioll1phe de Luther, retardait
par là ll1ême leur aJhésion active aux væux de
Kettcler. On répétait autonI' d'eux, et non sans
preuves valables, que l'idée de Petite Allcmagne
était dirigée conlre leur Église; à cause de cela,
1. PfUf'1f, Kcttele}" II, p. 284..
2. Keltcler, L'Allemugne ap1'ès f.yû6. TraJ. Dclct, p.
H-
3.
74
L'ALI.El\IAGNE RELIGIEUSE
on applaudissait au triomphe de eette idée 1. ..
collaborer à leur tour, ne seraÏt-ee point un
duperie? La fouIe des esprits simples avait besoi:
d'une eertaine éducation politique pour com
prendre la pensée de Ketteler : Ie temps serai
eet édueateur.
Iais les publieistes, les parlementaires étaien
plus accessibles et plus dociles 2. Au Parlemen
de l'AIlemagne du Nord, en 1867, il n'y avai
plus qu'un eatholique sur douze pour souteni
intrépidement, nous ne disons rnên1e plus l'idé,
de Grande AlIernagne, rnais les revendieations de
petits Etats absorbés par la Prusse : e'était
Ial
linekrodt. Au nom de la justice, il se piquait df
(( protester eontre toute l'histoire 3 )); s'il y avai
péril à s'insurger eontre la politique bismarc.
kienne, l\lallinekrodt, tout fonetionnaire prussicI
qu'il fût, afTrontaÏl ee péril'.; il pLaidait pour l(
Hanovre I); il plaidait pour Ie Schles\vig; il s(
1. Voir dans Hildebrand GCl'ber, Einigungsbest1'ebungen und innere Kaempf,
in der deutschen F1'eimaurerei seit 1866, p. G-7 (Berlin, imp. de la Germollia
1898). certaines citations de la Bauhuette et d'aulres publications maçonni']ues SUi
la part prise par la .Maçonnerie à l'unilé allemande.
2. Tel Savigny, )'un des fulurs fondaleurs du Centre, qui, Ie 24 mars 18G';'
remontre à Mallinckrodl, sans Ie convaincre, qUf> l'Autriche est dans une com-
plèle décadence el que la loyaulé du roi de Prusse mérile considéralion (Pfuelf.
.J.1Jallinck1'odt, p. 280).
3. Pfuelf, Jfallinck1'odt, p. !6G (leUre du 29 décemhrc 18(6).
4. Pfuelf, Mallinckrodt, p.
(j9. - Le publiciste Florencourt voyalt alors dans
Mallinckrodt Ie centre du parli fPdél'ali
te qui devail s'organiscr dans loute
l'Allemagne conlre fElat ullifié du Grosspreu8sentum (Pfuelf, 11lallinckro(U,
p.
72).
!Î. C'était l'époque où Ie curé Schlaberg, à Hanovre, avant llans une prédi-
cation du 7 octohre 1866 publiéc sous le tilre: Ein Abschiedswor.t ans Vater-
land, déploré Ja fin de la royaulé hanovl'ienne, dul s'exiler en Autriche (Woker,
Ge8chichte der katholischen Kirche und Gpmeinde in Rannover und Celle,
p.
34-
3). Pa , lerIJorn, Schoeningh, 188!J).
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEl\IANDE 75
faisait inculper de (( particularisme )), en com-
pagnie d'un ancien rninistre du roi de Hanovre,
""indlhorst, donl nul ne pl'essentait alors qu'il
deviendrait un jour Ie chef du Centre allemand 1.
Un discours de l\lallinckrodt, Ie 12 mars 1867,
émut l'assemblée, et Bismarck Iui-même, d'une
sorte d'épouvante. Lasker, dans Ie Reichstag de
1873, essaiera d'exploiter ce souvenir contre les
(( ultramontains 2 )). l\lais vis-à-vis de Lasker
en 1873, comme vis-à-vis de l\Iiquel en 1867 3 ,
l\IaHinckrodt nia toujours avoir parlé comme
(( ultramontain )) : il abhorrait ce sarcasme, qui
dispensait d'une réfutation. C'est au nom du
(( droit )) qu'il croyait, personneHement, devoir
être particulariste; c'est au nom du (( droit )) quïl
défendait devant la Chambre les dames de Cassel
du reproche d'avoir offert un tapis à leur souve-
rain détl'ôné!t. Bisll1arck alors s'indignait, insi-
nnait qu' en Allemagne il y avait des Coriolans
tout prêts à devenir des traîtres Ii; mais l\lallinck-
rodt étaÏl assez loyal, assez robuste aussi, pour
supporter à lui senl Ie poids de cette colère (\t
1.. Sur leur alliance dès ceLte époque, voir Pfuetf, lrJallinckrodt, p. !72-!73.
et Huesgen, Ludwig "Tindthorst, p. 63-6'io (Cologne, Bachem. 1907). (( Wind-
thorst, écrivait l\Iallinchodt, est un pont qui no us unit aux élémenls gros8-
deutsch non calholiques. ))
2. Pfuelf, .lJfallinckrodt, p. 275-2i6. - Ernest-Louis de Gerlach (Au{zeich-
nungen, II, p. :Z9ï) admirall beaucoup ce discours, qui lui pal'aissait, (( à maÎnts
égards, meilleur et plus vivanl I) que son pro pre écrit : Die Annexionen und der
norddeutsche Bund (Berlin, Stilke, 1866).
3. Sur lïucident Mallmckrodt-l\1iquel, voir Pfuelf, .lJfallinckrodt, p. 28.2.
4. Pfuelf, .Mallinckrodt, p. 290-2
1.
5. Bismarck, Discours, éd. fran
., lII, p. 72 (Berlin, Wilhelmi, 1886 : discours
du 30 janvier t869).
76
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
pour cmpêcher que ses collègues catholique
ne fusscnt compromis avec lui. L' (( ultramonta
nÍsnlc )), de 1867 à 1870, était si étranger à tout
politique de (( pal'ticularisme )), que Ie prêtr
Thissen, les diplomates Galen et de Loe, e
d'autres catho]iqucs encore, collègues de lVlallinck
rodt, appartenaient à Ia fraction des Freikonsel'
vative, fondée par Ie catholique Savigny \ et qUI
I{ellner, Ie granu pédagogue catholique, faisan
dans un journal l'éloge de l'école prussienne, III
rapportait allègrement l'honneur d'avoir produi
les vainqueurs de Sadowa 2.
C'est en Bavière, peut-être, que Ie retentissemen
de cette victoire fut Ie plus douloureux. Le princ,
de Hohenlohe, par la lutte même qu'il conduisait, e
contre les influences (( ultramontaines )), et contn
les tendances (( particularistes )), les amenait, le
unes et les autres, à se coaliser et à se confondrE
entre eHes. En 1868 encore, il soupçonnaitles (( ultra,
montains )) de vouloir livreI' la Bavière à l'Autri-
che 3, et en 1869, aux élections, Ie patriotisme loca]
du peuple et la foi belliqueuse du clergé eurent
les mêmes candidats. .l\Iême en Bavière, cependant,
les esprits comme Hingseis:;, qui continuaient, d'une
1. PfueJf, Mallinclcroùt, p. 270-271 et 387. - Kellner, Lebensblaetter, p. 480-
481. Charles-Frédéric de Savigny (1814-1
7;j), fils du grand juriconsulte, avail,
en aoûl 1866, dirigé les confércuces pour l'organisation conslilulionnelle de la
confédéralÏon de l' Allemagne du Nord et représenté la Prusse devant Ie parIe-
menlde celle confédéralion. cr. ci-dessous, p. 313, n. 1.
2. Cilé dans la Westdeutche Lehrer-Zeitung, 20 seplemLre 1901, p.300-301.
3. Hohenlohe, Del1kwue7'digkeiten, I, p. 29;) et 319.
. ll. P. n., 18G9, I, p. 765-767. Voir Ilolre tome IV, p. 187-190, cl Salomon,
Ðze tleutschen Parteipl'ogramme, I, p 95-103 (LeipÚg, Teubner, HI07).
5. (( Nous ne voulons pas I'Allemagllc sans AUll'ichc, éCl'i\.ait Rillgseis à
PRÉPARATION DE L'UNITÉ ALLEMANDE 77
façon provocatrice pour la Prusse, à vouloir vivre
dans l'ol'bite de Vienne, étaient rares. Dès 1867,
les Feuilles histol'ico-politiques avaient comn1encé
de rectifier les points de vue: eUes avaient déposé
sur le sépulcrc de la Grande Allcn1agne un article
poignant, qui débutait par un geste d'accablen1ent
et s'achevait par un mouven1ent de résurrection.
L'article visait Jes concessions suprêmes que la
Bavière avait été contrainte de faire à la Prusse.
La Bavière, soupirait rauteur, a pour la dernière fois pris
position dans l'histoire; et, par la position qu'elle [I prise,
eUe a renoncé, pour l'avenir, à toutes déterminatiolls poli-
tiques autonomes. Dans les derniers sièc1es, eUe était cinq
fois plus petite, et pourtant eUe pesait dans la balance de
rEmpire ; maintenant c'est fini I.
Non cependant, pour les catholiques de Bavière,
ce n' était pas fini, et Ie perspicace chroniqueur ter-
n1inait :
Après la pro chaine grande crise, toutes les questions po1i-
tiques et dynastiques passeront å l'arrière-plan devant la
seule grande question, devant la question sociale. La Prusse
et tous les grands États ne feront plus de guerres politiques
lorsque la guerre sociale aura éclaté. Dans un temps si
étonnamment grandiose, gardons-nous de la petitesse du
jugement; c'est à nous, catholiques, qu'elle conviendrait Ie
moins 2 .
Les particulari
cs qui s'cffaceraient, inconsolés,
l'époque flu Zollparlament. Notrc parenLé avec les Allemands d'AuLrichc, nos
vallées monlaglleuses, 110US porLent vel'S l' AuLriche, et portent Jes Crères aulri-
chiens vers DOUS. )) (Ringseis, El'Ùm f1 rullgcn, IV, p. 221. - Cr. IV, p. f 59,
HH-193).
1. H. P. B., 1867, I, p. (in.
2. H. P. B., 1867, I, p, 71
.
78
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUbE
du terrain politique, serviraient du moins leur foi
en s'occupant des questions sociales : ce n'est point
à l'évêque Ketteler, à coup sûr, que cette orienta-
tion nouvelle pourrait dép]aire.
Iais la (( prochaine grande crise )), tout à I 'heure
prévue par Ie publiciste bavarois, la crise d'où la
Petite Allemagne sortirait glorifiée sous Ie non1
d'Empire allemand, allait bientôt, hélas! offrir
aux survivants du parti de Ia Grande .AJlemagne
l' occasion de prouver, comme Ie souhaitait K.ette-
ler, que nul ne les surpassait en patriotisme. L' oc-
casion fut aviden1ent saisie. On avait bien essayé
jadis, dans quelques cercles prussiens, d'exploiter
certain voyage qu'avait fait sur Ie Rhin l'archevê-
que Sibour 1, et certaine visite de l\'Iontalembert à
son an1i Reichensperger 2, pour accuser les (( ul-
tramontains )) rhénans de syn1pathies françaises;
et Reichensperger souriait en constalant qu 'on les
traitait tour à tour d' Autrichiens, de Belges, de
Français 3. Mais l'attitude n1ême des catholiques
d' Allemagne enlevait à ces rumeurs tout crédit et
toute durée. A lire leurs discours et leurs écrits
avant et après Sadowa, on voit que ce qu'ils redou-
taient avant tout comn1e patriotes, c'était que la
lutLe frat.ricide entre l'Autriche eL la Prusse n'an1e-
nât une tierce puissance, une étrangère, à s'insinuer
dans les affaires germaniques 4. Dès 1863, l\Iallinck-
1. Pfllelf, Geissel. 11, p. 197.
2. Paslor, Reichensperyer, I. p.4tU.
3. Pastor, Reichensperger, I, p. Z::;ä.
i-. /1.1'. B., 1866, I, p.l
: << L'Allf'ma!lllP nc pcuL êlrc sau\ée IJlle si aueUl1
PRÉPARATION DE L 'UNITÉ ALLEMANDE 79
'odt poussait un cri d'alarme; la Prusse de Bis-
narck n'allait-elle pas se jeteI' dans les bras de
'étranger,dans les bras de larévolution, etamener,
tinsi, Ie morcellement de la patrie allemande 1?
...'ancienne Ligue du Rhin, qui avait fait de Napo-
éon Ier un arbitre des destinées allemandes, se
)résentaiL à toutes les mémoires comme un cau-
hemar; les Feuilles historico-politiques, quelquc
lostiles qu' elles fussent à la Prusse, écrivaient
léjà, en 1863 : (( Entre la France et la Prusse, pour
10US Allemands, aucune comparaison n' est possi-
)le. Plutôt encore être Prussiens-in1périalistes que
rançais-allemands et qlf'enrôlés dans un Rhein-
Jund! Ces États du Rheinbund deviendraient des
)ouvoirs maçonniques, tandis qu'en Prusse, }'hos-
ciliLé officielle de rÉtat protestant n'a pas nui aux
onsciences de nos frères dans la foi 2 )). Les mêmes
Peuilles, si hostiles qu'elles fussent à Bismarck,
iisaient en 1.866 : (( Avec Bismarck, on pourra
:liscuter; avec la France, jamais 3! ))
joigl d'Allemand ne sc lend vers rempire français. >>- H.P.B., 1866, I, p. 494 :
:( Nous, AUemands, nc pouvons renconlrC'r un plus gl'alld maJheur que l'intervcn-
LÍon de l'élranger. >> - H.P.B., 18fH;, 11, p. 148 : Ie publicisle se lamcnte que
de to utes Caçons, queUe qu'eût été l'issue de la guerre, Ie règlement définiliC cÍtt
dépendu de Paris.
i. Pfuelf, i.11allinckrodt, p. 2!3. - Comparel' l'expl'l'ssion d'nne cl'ainle sem-
blable. en 186!, dans une letlre de Reichensperger à Monlalembert (Pastor,
Reichensperge;', I, p. 449).
2. H. P. B., 1863, I, p. 152-156. - Cr., eontre l'idée d'Ull Rheinbund, H. P. B.,
1865, I, p. 22-23. - Dès 1856, les Feuilles /zistorico-politiques e\pIiquaient que
la deutscher Legitimismus cOllsiste en ce quc<< les HoLIcs races du Nord ne soienl
plus e}.posées, à chaque conf1it européen, à aIleI' de porle en porle pr('Js de l'éll'an-
ger, et à lui offrir alliance, sous la condition qu'il sera a\ce cUes coulrc Ie
présil1clll liu Bund. >> (H.P.B., i8:ifi, J(, p. 1 n:! l't suiv.).
3. f/. P. B., 18(j(), II, p. 400.
80
r.' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Dans ses notes manuscrites sur la lerribl
année 1866, ce qui faisait pleurer Reichenspergel
c'était l'etTondren1ent de la Grande Allemagne
mais ce qui Ie faisait trembJer, c' était l'idée qu
Napoléon, après avoir poussé Ja Prusse à Sado\\T3
s'ingél'erait bientôt entre les deux antagonistes J
Ketteler, s'épanchant dans une lettre à sa sæur
craignait que la guerre de 1866 ne fìt perdre
I' Allemagne tout le fruit des IuUes Iivrées en i81:
pour l'indépendance 2. Le non1 n1ême de NapoIéoJ
rend aU ceUe anxiélé plus Iancinante, plus poi.
gnante; il scmblait que les morts parlassent, e
qu'ayant n1audit l'oncle, ils insultassent Ie nevou
Le neveu d'ailleurs, - l'homme de
Iagent,a e
de SoIfél'ino, - n'était-il pas en partie responsab](
des infortunes de l'idée de (( Grande 1\llen1agne? >
Cette idée vaincue, même résignée, lnême abdi.
quant, même pardonnant à Bismarck, gardai1
comme un reste de vie, pour soulever des rancune
contre l'empereur des Français.
Aussi, Ie jour OÙ Bismarck entreliendra l' Alle-
magne, à sa façon, d'un colloque survenu à Em
entre le roi Guillaume et Ie ministre de Napoléon Ill,
les invalides de l'idée de Grande Allen1agne accoul'-
ront auprès des soidats de la Petite Allen1agne, et
l'élranger, naguère considéré comme I'artisan des
dissensions allemandes, sera, sans Ie vouloir, tout
de suite, l'artisan d'une grande réconciliation,
d'une de ces réconcilialions qui sen1blent effacer
L rastor, Reichenspergel', I. p. 579.
2. Pfuelf, Kctlclcr, II, p. 2G2.
PRf
PARATION DE I.. 'UNITÉ ALLEMANDE 81
l'histoire de Ia veille et préparer une sorte de table
rase où s'inscrira l' histoire du lenden1ain. Grands
Allemands et Petits Allemands, Grossdcutsche et
Kleindeutsche, ne retiendront plus, dans ces noms
qui les divisaient, qu'une syllabe commune :
Deutsch. Les uns avaient pour maìtre Goerres ; iis
lisaient Janssen, qui, dans une brochure publiée
en 1.861., s' efforçait de prouver, pièces en main, les
aspirations historiques de la France à la posses-
sion du Rhin i; ou bien iis apprenaient, dans les
écrits de KetteJer, à détester dans la France un
État centralisateur, absolutiste, dont l' exemple
pouvait induire en tentation les souverains de l' AI-
]emagne. Les autres s'étaient mis à l'école de Mau-
rice Arndt; ils lisaient Haeusser, qui avait réfuté
pour l'Allemagne les travaux de Thiel's sur Napo-
léon 2. Entre Goerres et Arndt, entre Janssen et
Haeusser, entre 1 'ancienne école catholique de ]\tIu-
nich et Ie Nationalvcl'ein protestant, l'année 1870
nouait une concorde imprévue.
I
I
(( Comme en Allemagne, écrivait SchelJing au
jébut du siècle, il n'existe pas de lien extérieur
lyant Ie pouvoir de raviver l'ancien caractère na-
tional qui s'est effondré dans Ie particularisme, et
qui se perd de plus en plus, ce caractère ne pourra
1. Janssen. Frankreich's Rheingelueste und deutsch-feindliche Politik in
r 1 'ueheren Jakrhundel"ten (Fribourg, Herder, 1861). - Pastor, Janssen, 11. 3i--
l5.
2. Dès 1845, à l'époque où Ie recueil de Slrahlheim : Unsere Zeit, publié par
I un ancien offieier impérial français JO, propageait, dans l'Allemagne, Ie culte de
3.poléon, Haeusser avail écrit un article contre l'Ristoire du Consulat et de
l'Empire (Weech, Badische Biographien, I, p. 343).
III.
6
8
L' ALLEl\IAGNE UELIGIEUSE
8e reconslituer que par un lien interne, une reli-
gion on une philosophie 1 )).
Que ce lien pût rcdevellir Ie catholicisme, on
favait sérieusement espéré, vel'S i840, autonr de
la Table ronde de Goerres 2 : on y prophétisait vo-
Ion tiers que Ie protestantisme agonisait, que l'unité
religieuse de I'AHemagne était prochaine; et les
partisans de la Grande Allen1agne avaient quelq lie
temps durant pris l'habitude de riposter aux Prus-
siens jaloux d'unification : (( Faisons d'abord l'unité
religieuse, l'unité politique suivra. )) Puis les faits
avaienl parlé, plus décisifs sinon plus éloquents
que les rêves. lis avaient prouvé, à l'encontre dn
mot de Schelling, que Ie caractère national ne pou-
vail se reconstiluer que par Ia guerre... KeUeler
alors, survenant, et profitant toujours de l'école des
faits, avait expliqué que, pour couronner l'æuvrc,
pour achever l'unité qui était comme Ie symbole
de ce caractère national reconstitué, il fallait re-
connaître l'autonomie des Églises, ce qui voulait
dire, implicitement, leur diversité 3. II avait ainsi
mis fin au quart de siècle de polén1iques où, pour
des raisons confessionnelles, certains Allemands
donnaient leur cæur à J'Autriche, certains autres
à la Prusse; it avait présenté la vl'aie solution :
liberté des Églises.
Puisque la Prusse, depuis i8BO, accordait chez
1. Schelling, rorlesungen ueber die Methode des akademisclten Studiums,
V, p. 2GO (Tubingue, CoLta, 1803), ciLé dans Lassalle, M. Bastiat-Scltul::e, trade
Monti, p. 329 (Bruxelles, Kistemaeckers, 1881).
2. Voir notre lome II, p. 316-318.
. Kettcler, L'Allemu.gtte apJ'ès la. gueJ'I'C ds 1866, lrad. Betel, p. 222-2i3j
PR
PARATION DE L'UNITÉ ALLEl\lAND"
83
elle I'aulonomie religieuse, qui donc eût pu penser
que, dans la Prusse devenue l' Allemagne, Ie chan-
celier de Bismarck appliquerail des maximes in-
verses, et que les cathòliques grossdeutsch, que lui
avait ralliés la voix de KeUeler, seraient récom-
pensés par Ie Cultu'rkampf 1.? Serait-ce done une
Ioi de l'histoire, qu'avant de prétendre à quelque
efficacité, avant même d' obtenir respect et créance,
les (< ral1iements )) tardifs sont mis à l'épreuve par
de terribles crises et découragés sans pitié, - on
pourrait presque dire: punis, - par ceux..Ià mêmes
dont l'hospitalité semblait promise?
1. A vrai dire, un correspondant de la Civiltà prévoyait dès 1868 que si un
jour la Prusse n'avait plus besoin du calholicisme. les animosilés protestanles
s'y donneraient carrière (CiviltlÌ Cattolica, 31 octobre-14 novembre 1868.
p. 401 et suiv.). - Cf. ci-dessous, p. 322-323, et nolre Lome IV, p. 383-384.
CHAPITRE II
LA FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES
ALLEMANDS
Attitude de l'Église à l'endroit de la révolution de f848 et des
gouvernements réactionnaires qui y succédèrent. - Son pro-
gramme d 'action sociale.
I. - Une question: Ie rôle des laïques dans la. vie rle l'Église. -
Les aventureuscs initiatives de Hirscher : plan d'organisalions
synodales. - L'opinion dujuriste Jarcke. - Les congrès annuels:
rapports des laïques et de I'épiscopat. - Pl'éoccupations sociales
des congrès.
II. - La misère des (( compagnons)). - Un réform ateur: KoJping.-
De l'échoppe au séminaire. - Elbel'feld, berceau des Gesellen-
ve1'eine. - Caractère de l'apostolat de Kolping : l'ftglise sortie
du peuple etrestée peuple. - Ses voyages à travers l' AUemagne.-
Kolping it Berlin. - Les instI'uctions de Kolping aux prési-
dents des Gesellenve1'eine. - Kolping, littérateur populaire.
III. - La misèrp des paysans. - Un .réformateur : Ie baron de
Schorlemer-Alst. - .Burgsteinfurt, berceau des Bauenwe-
?'eine. - But du mouvcment: l'indépendance économique des
paysans. - Porlée du mouvement: reconstitution d'organismes
corporatifs. - L'idéal social des l'éunions de Soest.
IV, - La misère des ouvl'iers. - Discours du curé Thissen et
væu du congrès catholique de Francfort. - Le rôle de Ketteler.-
Le Retteler de 1848: appel à la réforme intërieure des âmes.-
Préoccupations sociales des missionnaires jésuites. - Le Ket-
teler de 1863 : un évèque économiste.
V. - Ketteler et Ie (( libéralisme )) de Schulze-Delitzsch. - Atta-
ques de Ketteler contre l'esprit ploutocra.tique de la Maçonne..
rie a.llemande. - Ketteler et Ie socialisme de Lassalle. - Une
lettre de Ketteler à Lassalle Uan vier 1864). - Sa confiance dans
l'efl'ort du capital chrétien pour rendre les ouvriers proprié-
taires. - Correspondance entre Moufang et Huber.
VI. -La question ollvriè1'e et ie c/t'J'istianisme : esquisse du livre.-
86
L' ALLEl\fAGNE RELIGIEUSE
Plans manuscrits de Kettelel' en vue de coopératives de pro-
duction. - Grand succès ùu livre dp Kettelor. - Jugement de
Lassalle sur ce Jivre dans son discours de Ronsdorf. - Juge-
ment de KeUeIer, dans une lettre à trois ouvriers, sur les orga-
nisations ouvrières de Lassalle.
VII. -Les idéessociales des Feuilles histm'ico-politiques. - Souci
des catholiques d'amener laquestion sociale au premier plan.-
L'IIisloiredes pal.tis politiquessociaux, d'Edmond Joerg. - Atti-
tude de Joerg à rendroit de Lasslllle. - Des essais monastiques
d'organisation ouvrière: Jos fondations du P. Théodose, la bro-
chure de Bernad de Meyer.
VIII. - Âcheminement de Ia ponsée do Ketteler vel'S l'idée d'or-
ganisation ouvîÏère et de législation ouvrière. - Deux concep-
tions inverses de la représentation ouvrière: Bluntschli, Kette-
leI'. - Esquisse par Ketteler, dans un discours ùe pèlerinage,
d'un prog['amme de revendications ouvrières.
IX. - L'organisation sociale des fidèles. - Les Feuilles Chl'é-
tiennes sociales d' Aix-Ia-Chapelle. - La question ouvrière à
Iaréunionépiscopale de Fulda (1869) : un rapport de Ketteler.-
La question ouvrière au congrès de Duesseldol'f (1869): un dis-
cours de Lieber. - Le programme chrétien social d' Aix-Ia-CJm-
pelle (février 1870). - Les congrès sociaux rhénüns dans l'été
de 1870. - Union scellée,
dès 101'S, entre Ie clergé rhénan et II's
masses populaires. - Une revue d'appel des forces catholiques.
L'Église calholique d'Allemagne avail bénéficié
du mouvement révolutionnaire de 1848 sansjamais
y avoir trempé. Au jour du bilan, eUe recueillait
certaines libertés définitivement conquises sur les
bureaucraties. 1\1ais, tandis que les membres de Ia
secte schismatique des (( catholiques al1emands )),
tandis que les protestants (( amis des lumières )),
avaient pris part aux émeutes, rÉglise, en Prusse,
par la voix de l'évêque Diepenbrock f, avait forn1el-
lement prrché Ie respect du pouvoir royal et la
fidélité au devoir civique, notamment au paiemenl
I. Saemmtliche Hirlenbriefe Sr. Eminenz des Cardinal-Fuerslbischof
von RrcslllU J/elchior t'. DiepenlJ,'ock, p. 67-68 (
lucllSLel', A!'ch('ndorff, 18:J3\.
Î
FORl\IATION SOCIALE HES CATHOLIfjUES ALLE!'tIANDS 87
de l'inlpôt; l'Église, en Palatinat, avait été mena-
cée et bousculée par les bandes révolutionnaires 1,
et Ie curé Eberhard. dès Ie mois demai 1849, au
congrès catholique de Breslau, proclamait que les
catholiques seraient les (( appuis des gouver-
nants 2 )).
Lorsqu'en 1849 et 1850 la réaction survint, il
était naturel que les pouvoirs rafTermis gardassent
aux catholiques quelque gratitude pour un tel
loyalisme. Un jour de mai 1849, deux fonction-
naires causaient dans une rue de Carlsruhe. (( Les
jésuites, disait l'un, sont les vrais ennemis de
l'État; en comparaison", les rarlicaux insurgés sont
des amis. )) Survinrent, en file menaçante, cinq
cents soldats en ru pture de ban, tout prêts à piller.
(( NOllS dormirions plus tranquilles, riposta l'in-
terlocuteur, si c' étaient cinq cents jésuiles 3. )) Le
mot de cet homnle correct traduisait avec une
bourgeoise franchise les disposilions gouverne-
mentales de I' époque. Le général commandant de
Breslau, à qui l'on demandait licence de tenir un
congrès catholique, parlait com me Ie fonction-
naire badois f.. Naturellement, aussi, les évêques,
pour désarmer les dernières suspicions de la puis-
1. Ve1'ha11lllungen de1' dritten General- Ve1'sammlung des J{atholischen
Vereines Z'u Regensbw'g, p. 56-62. - RemIing, Nicolaus von Weis, Bischof
:u Speyer, im, Leben und Wirken, p. 88-89 et !) 1, Dote (Spire, Kleeberger. 1871).
. 'Verhandlungen der zweiten Geneml- Ve 1'samm [ung des Katholischen
Vereines Z'u Bl'eslau. p. 1& (Bl'eslau, Aderholz, 1849).
3. Andlau. Der Aufl'uhl' Ulld Umstw'Z' in Baclen, J, p. 21, n. 1 (Fribourg,
Herder, 1850).
4. Verhandlungen der Z'weiten General- Versammlung dc.'l Katholischen
Vel'cines Z'u Breslau. p. G.
88
L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
sanee civile, s'empressaient de faire vaJoir la fidé-
lité qu'avaient témoignée, durant les troubles,
prêtres et fidèles. Geissel, l'archevêque de Cologne,
excellait à évoquer ee souvenir: il y insistait dans
une lettt'e à Frédéric-Guillaume IV 1 ; il expliquait
au roi de Hanovre, jadis hostile à I' émancipation
des catholiques anglais, que les sièges épiscopaux
sont toujours une garantie pour ]e bon ordre 2.
(( Actuellement, observait Ie chanoine Trost au
ministre prussien 1\ianteuffel, l'Église a presque
moins besoin des évêques que n' en a besoin
l'État 3 . )) A l\rlayence, à Rome, les propos du nouvel
évêque KeUeler", ceux du cardinal Antonelli Ð ,
donnaient la même note. Le roi de Prusse en per-
sonne pouvait être invoqué comme témoin : pas-
sant à Paderborn, en 1851, il félicitait l' évêque
pour Ie hon esprit de son peuple, et puis tournait
Ie dos au surintendant de l'Église évangélique, en
lui jetant une remontrance sur les mauvaises
têtes dp ses ouailles, qui méritaient une correc-
tion. La Civiltà cattolica, que dirigeaient des
jésuites de Rome, raeontait complaisamment
l'incident 6 . (( On a compris à Berlin. disait-eHe,
1. prude, Geissel, II, p. 34 (letlre du 18 novembre 1850).
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 38-40.
3. PrueH, Geissel, II, p. 96. - ce. la lellre de l\Iolilor, secrélaire de l'évèque
ùe Spire (pfue1f, Geissel, II, p. 371).
. Brueck, Die oberrheinische Ki'l'cheupl'ovin:, p. 366 (Ma
cnce, Kirch-
helm, 1868).
5. Brueck, Die ober1'heinische Kirchenpl'ovÙ1:;. p. 395. Cf. une lellre de Klind-
worth, a
enl secret de la Prusse, au ministre I\lanteufl'el (28 avril 1854) sur une
conv.ersahon avec Antonelli: celui-ci lui exprima (( Ie senliment très nel que les
beS?IfiS du temps réc1ament que les deux pouvoirs aillenl lrès exaclement la
malO dans la main. )1 (Deutsche Revue, 1906, II, p. 324).
G. Civiltà cQ.ttolica. i-15 septemhre 1851, p. 170-171.
FORl\'IAfION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 89
que permeUre les journaux radicaux était un mal
et que prohiber les missions était prohiber un
bien; aussi a-t-on supprimé ces journaux et a-t-on
favorisé les missions 1. )) Le livre du catholique
baron d' Andlau 2 sur les émeutes badoises, et les
sermons prêchés dans toute I'Allemagne, s'atta-
chaient à établir un lien de filiation entre l'in-
croyance et les idées de révolte 3 ; et l'on eût pu
leur donner comme épigraphe ces vel'S du poète
rhénan Guillaume Reuter: (( Vne couronne royale
n'est assurée de loyauté, que lorsque devant la cou-
ronne d'épines, prince et peuple s'agenouillent:'. ))
Certains protestants allaient plus loin : ils s' en
prenaient à la Réforme elle-même, la condam-
naienl sans appe], comme la devancière de la
Révolution, et passaient à l'obédience de Rome;
ce fut Ie cas, en 1852, pour deux offìciers pl'llS-
siens dont la conversion fit du bruit, Rochus de
Rocho,," et Traugott de Pfeil Ð. A peine remise des
chaudes alerles de i 848, l' Allemagne acc]amait Ie
catholicisme comme Ie soulien constant et fidèle
de la notion d'autorité. L'Église s'apercevait, au
jour Ie jour, que Ie reflux même de la réaction
1. Civiltà cattolica, t1 aoûl-l er septembre 1851, p. 609.
2. Sur Ie baron Henri Bernard d'Andlau (1802-1871), voir Ull bon arUcle du
professeul' Martin Spahn dans Ja Catholic Encyclopedia, I, p. 468 (New-York,
Appleton, 1907).
3. Andlau, DerAufl'uhr uncI Umstw':; in Baden;-voir spécialement I, p. 21-
'j,. - Cr. Mundwiler, P. Georg von \Valdburg-Zeil, p. 76
Fribourg, Her-
der, 1906).
4. Kellner, Lebensblaetter, p. 50i. - ce. la préface mise par Hurter au pre-
mier volume de sa Geschichte Kaiser Ferdinand.
lI.
5. Rosenthal, KOllvel.titenlJilde1', J, 3, p. 34-39.
90
L'ALLEI\IAG
E RELIGIEUSE
politique anlenaiL les princes et les préfets, le
généraux et les riches bourgeois, à faire bon mar.
ché de leurs susceptibilités protestantes; qu'ih
accueilJaient bien les lllissions 1, les cncourageaient
les félicitaient, faisaient présenter les arme
lorsque les n1i ssionnaiyps élevaient la croix. C' étai1
déjà beaucoup; et fEglise, peut-êtl'e, en retou)
des services politiques qu' eUe consentirait à
rendre, pouvait obtenir d'autres marques de fa-
veur, ou même ex.iger un surcroÎt de libcrtés.
Mais une équivoque était menaçante, d'où résul-
tait nn grand péril. L'Allemagne traversait une
de ces péri8des de représaiHes qui succèdent à
l' efTarement des révolutions : il semble, durant
ces périodes, que les nations reculent; en réalité,
eUes ne font que marquer Ie pas; l' effet des révo-
lutions subsiste; les nations, ayant repris haleine,
poursuivent leur marche, au prix d'autres bous-
culades; la course au progrès, vaste pièce que
joue l'humanité, est coupée par les intervalles de
réaction comn1C par des entr'actes; mais les actes
joués demeurent joués. Si I'Église s'enlizait dans
une suite de coquets manèges avec les puissances
politiques et sociales cnfin rassurées; si, mon-
nayant aux masses, exclusivement, les promesses
divines qui récompensent la résignation, elle obte- .
nait en échange, des États satisfaits, certains
droits inédits ou certains privilèges inaUendus;
si ces victoires mêmes la. faisaient apparaîtrc aux
t. 8ur les missions, \oir ci-dcssom J p. lS(j-19
.
!ORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 91
opulations allemandes comn1e la force réaction-
naire par exceHence, que deviendrait-elle et queUe
figure ferait Ie Christ au jour inéluctable OÙ la
période de réaction serait close? Alors, pour avoir
trop finement joué, l'Église se trouverait à la
merci des gouvernements nouveaux, ct séparée de
l'ànlc populaire par de haineux et durables malen-
tendus. Le Verbe de Dieu, en Allemagne, avait
cessé d'être enchaîné : allait-il, au lendemain de
son (
nlancipation, passer compromis avec les
puissants, pour commander Ie silence des peuples?
De la réponse que ferait à cette question l'Église
d'Allen1agne, l'avenir dépendait. So us Ie nom de
(( Iibertés, )) les années 1848 à 1850 apportèrent au
catholicisme, dans plusieur
pays, de somptueux
cadcaux: la façon diverse dont il en profita, sous
les diverses latitudes, fixa pour longtemps ses
diverses destinées...
Les catholiques d' Allemagne eurent Ie mérite
de comprendre que, si parfois il est bien de
réclamer des libertés, il in1porte, avant tout,
cruser laborieusement de celles que l'on possède;
que les campagnes d' (( affranchissement )) ne
doivent jamais absorber ]a vie des hommes, des
partis ou des Égiises; qu'iJ y a dans ces parades
quelque chose de négatif; que la libel'té ne vaut
que pour l'en1ploi qu'on en fait; qu'elle est un
moyen beauconp plus qu'un iJéal; et qu'aux
fatigues qui 1a conquièrent doivent succéder
d'autres fatigues, moins éclatantes, mais plus
méritoires, au prix desquelles on 1 utilise. Exaltéc
92
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
par les sourires émaneipateurs de l'année 1848.
I 'Église d' Allemagne aurait pu Iaisser eonfisqueJ
son activité par une politique de réclamation
ineessantes et de marchandages tenaees. Assuré-
ment ellê sut, lorsqu'il Ie fallait, disputer If
terrain, vaillamment, à l'indiscrétion des bureau-
eraties et à l'importunité des majorités pariemen-
taires, et nous verrons bientôt comment se déve-
loppa, dès ]e lendemain de 1848 et jusqu'en 1870,
l'action politique des calholiques, et comment, à
l'aube du Culturkampf, leur apprentissage civique
était achevé. l\1ais l'Église d' Allemagne aurait crn
manqueI' à son devoir si eUe n'avait eu d'autre
souci, durant ces vingt années. que de faire valoir,
vis-à-vis de l'État, ses droits théoriques de (( so-
ciété parfaite, )) et si elle avail n1is toute sa gloire
à les faire reconnaitre, morceau par morceau.
Elle aspirait à mieux et à plus qu'à être quelque
chose dans l'État, ou qu'à faire figure de personne
vis-à-vis de I'Éta.t; il semblait même qu'aux vic-
to
res qui grandissent, mais qui parfois isolent,
I'Eglise d'AlJemagne préférât l'action modeste et
pénétrante, qui descend dans Ia vie populaire
pour y faire Ie bien, et qu'au prestige ombragpux
et boudeu!' des lendemains de triom phe elle pré-
férât, lorsque c'élait possible, la cordialité des
contacts quotidiens avec toutes les forces vives
du peuple allemand. Fidèle à Ia maxime de ces
papes du moyen âge, qui ne voulaient être libres
que pour se montrer en toule générosité les servi-
teurs des serviteurs de Dieu rÉO'lise d' Allerna
ne
, ð v
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 93
attachait peu de prix aux satisfactions d 'orgueil
qu' elle aurait pu trouver dans la conquête succes-
sive des libertés les plus imprévues; dès qu'elle
était suffisamment libre pour se dévouer à sa
vraie tâche d'Église, c'est-à-dire pour développer
la vie religieuse des fidèles et pour im prégner de
christianisme les rapports sociaux, c' est à cette
besogne qu 'avant tout elle S 'attachait.
Lorsque aux vingt ans de calme respiration qui,
dans la plus grande partie de fAllemagne, avaient
été accordés au catholicisme, succédèrent les
heures essoufflées du Culturkarnpf, Ie clergé d'AI-
lemagne, du moins, avait, depuis 1850, assez acti-
vement profité de ses éphémères libertés, pour
qu'aux souffrances de ]a persécution ne s'ajoutât
point Ie remords du temps perdu. Son esprit de
dévouement aux masses ouvrières et rurales était
récompensé. L'Église, gueUée par Ie ('ulturkanlpf,
avait déjà dps racines populaires contre lesquelles
Ie chancelier de fer devait être impuissant à pré..
valoir. L' Autriche, puis la France, avaient été en
retard sur Bismarck; Ie clergé, lui, était en
avance. C' est après avoir assisté à cette besogne
d'action sociale, à celte lente conquête des foules
allemandes, qu' on pourra comprendre pourquoi,
dans l'histoire du cha.ncelier, après les noms de
Sadowa et de Sedan, s'inscrivit eelui de Canossa.
I
Comment I'Église devait-eUe se conduire à ]'en-
U r O -_"
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04
I..' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
droit des Iaïques, et quel rôle devait-elle leur con-
sentir dans sa propre vie? La question, au lende-
main de 1.848, passionnait beaucoup d'esprits en
Allenlagne. Ð'aucuns auraicnt vo]ontiers introduit
dans rorganisme ecclésiastique, sous la forme de
synodes, un certain contrepoids democratique à la
vieillc hiérarchie 1. En tête de ces novatcurs figurait
Ie professeur Hirscher, de Fribourg : sa haute et
grave piété, son attachen1ent à l'esprit chrétien,
son zèle pour l' cnseignen1ent du catéchisme 2, son
expérience, enfin, en matière de théologie morale,
groupaient antonr de ce prêtre une nombreuse clien-
tèle d'âmcs, qui l'honoraient comme on honore
un pab'iarche 3. II ne songeait à rien de moins qu'à
introduil
e dans l'Église, comme dans I' État, cer-
taines maxinles constitutionnelles. L'allégresse des
prêtres et des fidèles au sujet des libertés récenl-
ment conqùises lni était suspecte ; dans leur élan
pour en profiter, il soupçonnait un certain bEsoin
d' empiètement, nne soif de domination :a., et signa-
1. Voir, sur les déLuls du mouyemcnt s
nodal en 1848, Dolre tome II,
p. 38i-386.
2. Voir Dotre tome II, p. 273-278.
3. Le mot esl du chanoine Lennig, dans une leUre à Doellinger (Friedrich,
Doellinger, III,p. 8.-Cr. Haegele, Alban Stolz, p.1M-165;-Dieringer,Die
Theologie del' Yor=und Jetztzeit, p. 6. (Bonn, Henry, 1868). - Sur l'affeclion
el l'admiralion qu'avait pour Hir5cher le fulur archevêque Orbin, voir Weech,
Badische Biographien, IV, p. 305 ; sur le rôle qu'il joua dans Ie réveil reJigieux
badois, voir H. P. B., 1.854, II, p. 69-70. Il y a un beau porlrait de Hirscher
dans les souvenirs de Robertl\1ohl, qui l'avait connu à Tubingue (Moh1, El'Üme-
,'ungen, I. p. 187). - Due élude d'ensemble fait dêCaut sur la vie de ce lrès
curicux personnage (1788-1865) : mais dIe a élé esquissée, avec une bonne
bibliographie des æuvres de Hirscbcr, par Frédéric Lauchert, dans la Revue
internationale de théologie, 1894, p. 627-656 ; 1895, p. 2GO-280 el 723-738 ; t896,
p.1;)1-174.
4. Hirscher, Die Ki.rchli.chett Zustaellde der Geyenwart, p. 12 (TuLingue,
?OR
IATION SOCIALE DES CATHOLJ(JUES ALLE
IANDS 95
lait d'autres libertés à conquérir, non plus sur
I
absolutisme de l'État, mais sur ce que volontiers
il eût appelé l'absolutisme de la hiérarchie. (Jue
l'État se mêlàt de l' éducation des clercs, cela ne
1éplaisai t point à I-lirscher 1, parce que 1 'État
représentait les laïques et qu'il avait, en leur nom,
le droit de dire un mot. Que ces laïques cux-mèmes
3xpédiassenl quelques délégués dans des synodes
qui, sous la présidence de l'évêque, concerteraient
la réforme de l'Église:\ c'était là, pour Hirscher,
une sérieuse garantie de contrôle dont les admi-
nistrations paroissiales avaient besoin. Avec Ie
concours et la surveillance de ces (( classes cul-
tivées )), qu'un professeur com me Hirscher ne
pouvait lnanquer de tenir en très haute estime 3 , les
paroisses se rajeuniraient, eUes se renouvelle-
raient. Peu s'en fallait que les synodes, OÙ sié-
geraient les simples prêtres et quelques laïques,
ne fussent mis par Hirscher au-dessus mêrne de
l' évêque : la convocation périodique de ces assem-
blées lui apparaissait comnle un droit, :comrne
un phénomène nornlal de la vie de l'Église, et non
point comme un actc de l'autorité épiscopale, acte
dont cette autorité fixait l'heure et les condi-
tions ft. Quant aux associations de laïques, Hirs-
cher rêvait qu'eUes fussent interconfessionnelles 5 :
Laupp, 184-9), - Heinrich, Ðic Kirchliche Reform, I, p. 3, el II, p. 238-240
(l\layence, Kirchhcim, 1850).
L Hirscher, Ope cU., p. 5 el9. - Heinrich, Ope cit., I, p. U.
2. Hirscher, Ope cit., p. 2f). - Heinrich, Ope cit., I, p. 54-58.
3. Hirscher, Ope cit., p. 58.
I.. Heinrich, Ope cit., I, p. 67.
5. Hirscher, up. cit., p, 57. - Heinrich; Ope cit. II, p. 51-5J.
96
L'ALLEl\IAGNE RELIGTEUSE
il semblait qu ïl ne vît, dans les congrès pure men
catholiques, que d'inquiétantes parades d'ortho-
doxie.
L'on vit s'engouer, tout de suite, pour les idée
de Hirscher, les vieux prêtres qui jadis avaipn
applaudi, dans Ipur jeunesse, les théories émancipa.
trices de Wessenberg 1, et les jeunes prêtres.
aussi, qui craignaient que l' épiscopat, affranch-
du joug de l'État et ne dépendant plus que de::
Rome, n'exerçât sur Ie petit clergé une sorte de
pouvoir absolu 2. Grave étaÏt la question: l'auto-
rité, dans l'Église, continuerait-elle à descendre
d' en haut, ou bien, comme dans I'État, viendrait-
elle d'en bas? A l\lunich, Ie professeur Lasaulx se
demandait s'il était dans Ie plan de la Providence
que l'absolutisme fût installé à la cime de l'Église 3.
Les aspirations des simples prêtres et des Iaïques
à former des façons de parlements ecclésiastiques
mettaient en périlla charpente même de l'édifice
romaine Pie IX Ie sentait : il voulait qu'avant de
se préoccuper de réunir des synodes diocésains,
1. Voir nolre tome I, p. 119 el suiv. - Heinrich (op. cit., II, p. 90) reproche
à Hirscher de reprendre les idées de Wessenberg el de Theiner.
2. Dans Ie clergé autrichien, ces craintes étaient lrès vives; voir W olCsgruber,
Friedrich J{ardinal Schwarzenberg, 1, p. 306 et 349 (Vienne, Fromme, 1906),
et Heinrich Hurter, Hurter und seine Zeit, II, p.
91-292. A l\Ia}ence, aussi, ces
crainles se faisaientjour avec nnecortaine ténacité. Voir dans Friedrich, Doellin-
ger, III, p. 23, la leltre de Moufang à DoelIinger, d'oclobre 1849. (( Nous ne
VOUlOIlS pas plus longtemps être un jouet de la hiérarchie, lisait-on dans Ie
J.1fainzer Tagblatt du 4 avril 1850 (PCuelf, Ketteler, I, p. 213), ct lorsque en 1860
Ie ministre Dalwigk, dans un discours, sembJa croire que l'é\êque était Ie seul
prêtre de son diocèse, de nouveau, dans Ie clerg
, une agitation se produisil
(Pfuelf, Ketteler, JI, p. 21-22 et 78). - Sur des sentiments semblables dans Ie
clergé havarois, voir noire tome IV, p. 139.
:L Stoelzle, Lasaulx, p. 271. - Sur LasauJx. voir notre tome II, p. 100.
FOR1IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE:\IANDS 97
l'on tint des conciles provinciaux, dans lesquels
les autori tés des divers diocèses s 'entendraient
préalablement sur les questions pressantes 1.
Iais
ce que demandaient au contraire IIirscher et son
écoIe, c'était que les synodes diocésains fussent
réunis, d'urgence, pour donner à l'autoriLé, et, si
besoin était, aux conciles provinciaux, sous la
forme de væux qui peut-être deviendraient inlpé-
rieux, les indications nécessaires 2.
Blunl, évêque de Linlburg, Vicari, archevêque
de Fribourg, s'inquiétèrent de ces idées, qui bénéfi-
ciaient de l'ascendant exercé par Hirscher. lIs sou-
haitaient que Doellingcr Ie réfutât 3 : pour avoir rai-
son d'un docteurcomme Hirscher, illeur paraissait
lu'il ne fallait rien de nloins que I ïntervention d'un
srand savant. Doellinger se déroba; nlais Ie cano-
aiste Phillips, Ie prêtre Amberger, de Ratisbonne, Ie
tyrolien Fessler, qui devait plus tard être évêquc
Ie Saint-Poelten et secrétaire du Concile du Vati-
an, expIiquèrent l'exacte doctrine de l'Église ro-
maine sur les synodes" ; et Ie prêtre Heinrich, de
layence, discuta dans deux brochures l'idéal ecclé-
5iastique qui obsédait la pensée de Hirscher, et
1. BreC du t 7 mai 1849 (dans Heinrich, Ope cit., I, p. 139-141). Rapprocher
i'avis de Reisach, archevðque de l\lunich (PCuelf, Geissel, II, p. 439).
!. Hirscher, Ope cit., p. 26 et suiv. - Heinrich, Ope cit., I, p. 31 et 39.
3. Friedrich, Doellinger, HI, p. 5-7.
4. Phillips, Die Dioezesansynode (Friboarg, Herder, 1849); lraduil en
rl'an
ais par l'abbé Crampon (Paris, Lecoffre, 1853). - Amberger, Der Klerus
lLUf der Dioezesansynode. (Ratisbonne, Puslet, 1849). - Fessler, Uebel' die
Provincial Concilien lLnd Dioecesan Synoden (Innsbruck, Wagner, 1849). -
Erdinger, Dr. Josef Fessler, p. 51 el64(Bl'ixen, Weger, 1874). - Sur Phillips
voir notre tome II, p. 97. - Sur Fe.,sler, voir nolr(' tome IV, p. 3i7.
III.
7
98 L 'AJ.LEl\IAGNE RELIGIEU
E
montra que Ie seul contrôle auquel l' évêque pût
être soumisétaitcclui dumétropolitainet du pape 1.
Le professeur de Fr'ibourg s'inclina hientôt devant
la condamnation dont Rome Ie frappa 2. On n' en-
tend it plus parler de sYl10des diocésains qu' en i867,
à Paderborn, où l
synode normalement convoqué
par l' évêque l\lartin ne renferma aucun élément
laïque s.
Les condanlnations peuvent enrayer la marchC'
des erreurs, nlais elles n' étou ffen t pas les aspirations:
ce n'était pas seulement l'esprit de i848, c'était ]e
réveil même de la vie religieuse, qui poussait les
laïques à désirer dans l'Église un poste d'action et
un rôle de dévouement : il faUait que l'Église prêtât
attention à ce désir, il fallait qu' elle y satisfît. On
ne sait trop comment Hirscher, si on l'avait mis å
même de réaIiser ses plans, aurait exclu des
synodes certains laïques fort peu croyants et fort
peu dévots 4; mais les autres, - ceux dont l\fau-
rice Lieber se faisait l'écho lorsqu'à l'assemblée
de Ratisbonne il protestait contre les idées révolu-
tionnaires de Hirscher Ii - avaient besoin d'être
1. Heinrich. op. cit.. I, p.79. - Sur Ie lhéoIogien Jean-Baptisle Heinrich
(t816-1891), voir Brueck, Katholik, 1891, I, p. 289-307 et 403-425.
2. Reusch, Der Illdeæ der verboten en Buecher, 11,2, p. 1116 (Bonn. Cohen,
1885'- Ce rut Keltpler qui empêcha, aprl's la mort de Hirscher, la condamnation
de quelques autres de ses écrits (Pfuelf, Ketteler, II, p. 375-376). - Llndex. con-
ùamna encore, pn 1850. deul. aulres écrils sur Ia question synodalc : run ano-
nyme, de Wessenberg: Die Bisthums-Synode (Slullgart, Colla, 184.9); l'autre du
chanoine Haiz: Das lCirchliche Synodal-Institut vom positiv-histol'ischen
Standpunkte au.s bet1'aclttet mit besonderer Ruecksicht auf die gegenwaertige
Zeit (Fribourg, Wagner, 1849).
3. Voir ci-dessous, p.314.
4. Heinrich. op. cit., I, p. 59.
5. Verhandlungen der dritten General- Yer:wmrnlull!l des kalholisclten
FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 99
instruits, orientés, de savoir quel serait à l'ave-
nir, dans l'Église d'Allemagne, leur cadre d'ac-
tion, et de connaître, enfin, toute l'étendue de
leur pouvoir, et tonte I 'étendue, aussi, de leur
devoir.
Si quelqu'un était hostile, et par sa doctrine, et
par son lempérament, à ce qu'on appelait la
(( démocratisation de l'Église )), c'était assurément
Ie juriste Jarcke, protestant converti, et familier
de
Ietternich; mais il observait, cependant, que
(( du jour OÙ les laïques réputeraient les affaires
de l'Église comnle étrangères au cercle de leur
activité, il adviendrait, alors, ce qu'on voyait en
Autriche : la force et la vie de l'Église seraient
brisées )). Jarcke, à la veille de Pâques de 1849,
s'attardait it ces pensées avec d'anxieux scrupules :
commenl faire pour rnaintenir Ia hiérarchie à l'abri
de toute usurpation dém.ocratique, et pour éviter
d'autre part que Ie peuple des fidèles fût réduit à
n'être plus qu'un troupeau de pratiquants, enclins
à se désintéresser du sort de 1 'Église, nonchalants
sous un masque de docilité, inertes sous les dehors
d'une passive soumission? (( Ð'une part, reprenait
Jarcke, de fausses aspirations - et des velléités
de démocratiser la société religieuse ; d 'autre part,
un esprit d' étroitesse, de mort spirituelle; une
sorte de racornissement, - l' étouffement de toute
vie dans I 'Eglise : voilà les deux abîmes en tre
lesquels il faut trouver une route. Chercher la
Vereines zu Regensburg, p. 192-193 et 214-!15. -- Sur
Iaurice Lieber, voir
llolre tome II, p. 396, et notre tome J V, p. 29.
fOO
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
solution moyenne, la solution vitale : voilà, ce
DIe semble, notre tâche d'aujourd'hui 1. ))
La solution fut bientôl trouvée : ce fut la tenue
annuelle de vastes congrès qui, semblables au con-
grès
Iayençaisde 1.848'\ grouperaient desreprésen-
tants de toutes les associations catholiques alle-
mandes etqui mettraient à l'étude, avec une compé-
tence strictement délimitée, certaines questions
nettement fixées. Un jour de 1854, OÙ Ie cabinet
de Berlin demandait à Geissel, archevêque de
Cologne, d'accepter à l'avance la responsabilité de
tout ce que diraient les congressistes et ne vou-
lait autoriser leur réunion qu'à cette condition
expresse, Geissel répondit par un refus; il n'ad-
IneUaÏt pas que les évêques fussent rendus res-
ponsables de tout ce que poul'raient tenter ou pro-
poser, dans ces assemblées largement ouvertes,
des orateurs de bonne volonté!J. Ainsi se dessina,
dès Ie début, la physionomie très spéciale des con-
grès; les di
nitaires de l'Église prirent l'habitude
d'intervenir fidèlement à Ia séance d'ouvertore,
1. Carl Ernst Jarcke, P,'indpientragen, p. 137-138 (Paderborn, Schoeningh,
1854). Sur Jarcke t1801-185
), voir notre tome II, p. 9í-98, et Rosenthal, Kon-
-certitenbilder, I, 1, p. 4.
2-455 el Supplément, p. 171-176.
2. Voir notre tome II, p. 358-375. Le compte-rendu du congrès de Mayence
a été traduit par M. Bessières (Paris, Bloud, 1906).
3. Pfllele, Geissel, II, p. 55. - D'ailleurs, dans Ie programme qu'élabora dês .
1849 Ie congrès de RalÍsbonne, l'union d'action avec les évêques était aCfir-
mée ("Verhondlungen. p. 206-
1O); et Ie.. cl'aintes qu'exprimait Jarck.e à Lie-
ber au 8ujet de l'iosubordination évenluelle des associations catholiques (Braun,
Die Kirchenpolitik der deutschen Katholiken 8eit dem Jahre IB4j, p. 40-44.
Iayence, Kirchheim, 1899), purent êlre ainsi rassurées. La thèse de M. Frie-
drich. l'hislorien '( vieux catho1ique )', d'apròs laquel1e ces congrès auraient été
machinés parle << parti jésuitique >>, par-dcssus la tète des évêques, pour 80U-
mettre les la'iques à l' << ultramontanisme ), du Sainl-Siège, manque de tout f'on-
dement.
FORI\1ATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\lANDS 101
de la bénir, de sceller par quelques mots de bien-
venue Ie lien des congl'cssistes avec l'Église ensei-
gnante, et puis de s'effacer tout de suite, en lais-
sant aux orateur
, quatre jours durant, une com-
plète liberté dïnitiative, comme si la hiérarchie
eût craint d'intinÚder et de paralyseI' leur esprit
d'entreprise en demeurant tTOp proche d'eux.
..A.yant courbé leurs fronts sous sa nlain bénissante,
l' évêque ne voyait plus en eux que des citoyens
chrétiens, discutant libremcnt sur les moyens les
meilleurs de servir leur foi.
Le discours prononcé par Dinter, dès Ie mois
de mai 1849, au congrès catholique de Breslau,
sur la participation des laïques aux luttes pour
l'Église et pour la religion, apparait à distance
comme Ie programnle d'une longue période d'his-
toire. Le programme a été sui vi 1.
Les assemblées annuelles 2 des catholiques alle-
mands n' ont jamais cessé, depuis cinquante ans,
:Ie se dérouler comme des actes de vie civique, et
non point seulement com me des manifestations
relígicuses 3. (( Les associations catholiques, disait
lans un meeting, au début de 1849, un curé de
arnpagne ,vestphalien, doivent s'étendre partout,
1. Verhandlungen dCl' :aveiten Versamm lung des Katlwlisclwn Vereines
.u Bl'eslau, p. 7-12.
2. A Linz, ell 1856, on proposa que les congrès n'eussent plus lieu que tousle5
leux ans; mais I'idée fut repoussée, etle futur cardinal Gruscha fit au contraÏrc
lécidel' qu'ils dureraient. non plus 3, mnis 4, jours (May, Geschichte dCl' Gellc-
a.lversammlungen der Kat1wliken Deu/schlands, p. 10
-103).
3. On ne saurait mieux s'en rcndre compte qU'Cll observant, dans une l'écenlo
,rochure de .M. J. Cauvièrc : Deux congl'ès (Paris, Lethiellem;., 190i) la phJ'sio-
omie, fincment observée. nettement dcssinéc, de l'unc des del'nières assemLlée:i
es cat hol ÎfI'H'" allf'mandi.
f02
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
afin que nous parvenions à avoir une volonté
populaire catholique, une opinion publique catho-
lique 1. )) Ce curé n'était autre que I\ettcler. Les
congrès des catholiques allernands justifièrent son
væu. Une opinion publique catholique s'y élabora;
une expérience laïque s'y développa, qui, dans
chaque diocèse, ensuite, seconda les désirs de
l'épiscopat 2. Jamais des paroles dites à ces congrès
ne provoquèrent de difficultés graves entre les
puissants de l'Église etles représentants irnprovisés
uu peuple chrétien; toujours, entre les uns et les
autres, la con fiance suhsista, les congressistes
s'abstenant soigneusernent de toucher à des ques-
tions de foi, de discipline et d'adrninistration dio-
césaine, et les évêques à leur tour veillant sur
l'action des laïques avec une sollicitude arnie, plus
prompte à se réjouir qu'à se défier. L'expérience
de ces meetings fit sentir aux laïques, annuelle-
meni, à queUes fonctions agissantes ils étaient
appelés dans la société religieuse, et quels devoirs
C!t quels droits ces fonctions entraînaient pour eux.
II advint, maintes fois, que les spectatcurs h08-
1. Pfue1f, ](etteler, II, 1>- 171, 'n. 1. Dè
1849. on conslalait au cong-rès
catholique de Breslau, quels prug"rès a\aieut, en rnoins d'un an, fails les associa-
t.ions calholiques. Déjà 40.000 Wesl.phaliens y élaient. enrôles; Ie Piu8vereiu,
qui les englobait loutes, fOllctionnait déjà dans trente diocèses ù'Allemagne et
rl'Aulriche; et quelques mois avaient suffi pour que, dans la seule province de
Silésie, se flJl'masscnt cent dix associations (rerhalldlungen, p. 21, 23, 31).
. 2. A
ologne, en J858, l'élément laïque était 1l0mLreux; à Fribourg, en 1859,
II Y a\"
I
deux Cois plus de prêtres que de laïques (May, op. cit., p. 119 el
129
. .
U1vant les régiolls où se lenaient les congrès, raspect des assemblée
VolrJaIt, mais jamais ellps nc ressemblaient à la carica lure qu'en traçait Bunsen
l
rbl.lue, comparant IE:s associations catholiques am:: associalions proteslanles, iJ
dlsall que les laïques n'élaient que bailleurs de fonds, et que les prêtrcs étaienl
c nlJ.IIl'es (Bullsen, Zeichcn (lcr Zeit, I, p. 30-31.)
FORl\IATION SaCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 103
tiles cherchèrent à dinlinuer la portée des congrès
en les représentant comme des chanlbres d'enre-
gistrement des volontés du sacerdoce; mais les
comptes rendus mêmes des discussions attestaient
]'cxistence d'une force vraiment autononle, s'orga-
nisant pour l'initiative, s'équipant pour la lutte.
Les aspirations de l' élémenl laïque à devenir une
personnalité d'Église furent ainsi tout à la fois
satisfaites et limitées; et cette solution, tout en
conjurant Ie péril dont l'année 1848 avail menacé
la hiérarchie, permit au calholicisme de bénéficier
de tout ce qu'il y avait de légitimc et d'invincible
dans les habitudes d'esprit que l'année 1848 avait
impIantées et dans les besoins d'action qu'elle
avait éveillés.
Le prêtre Heinrich, de Mayence, dès 1849, assi-
gnait aux groupements catholiques un triple but:
la défense des droits de l'Église, la propagation
des principes chrétien8 dans Ie peupIe, et Ie travail
social 1. Dans ce programme, la lutle défensive
figurait, si l' on peut ainsi dire, pour un tiers; la
besogne positive pour l'épanouissement religieux
et social du christianisme figurait pour deux tiers.
l{etteler insistait à son tour, à la même date, sur
la nécessité d'introduire dans les jeunes organisa-
tions catholiques la préoccupation du relèvement
populaire 2. Les congrès périoJiques qui groupaient
1. Heinrich,Die Kirchliche Reform, II, p. 4;' et suiv. En ceLLe mème ann6c
1849, MicheIis, au congrès de Ratisbonne, parla des cerdes ouvriers que Ie
clergé fondait en Luxembourg ( Verhandlungen, p. 77).
. Pfuelf, ]{ettcleJ', T, p. 171, n. 1.
Lib.
RY ST. MARYIS COllEGE
104
L' ALLE1UAGNE RELIGIEUSE
l'élite des prêtres et des fidèles orientaient vel'S
les trois buts définis par Heinrich leurs études et
leurs conclusions; à mesure qu' on descend la lon-
gue sél'ie de ces congrès, on voit les questions
sociales y prendre, chaque année, une plus grande
place.
A Cologne, en 1858, on parla des compagnons
et des émigrants 1; à Fribourg, en 1.859, des compa-
gnons encore, et à Aix-la-Chapelle, en 1862, des
donlestiques 2. A Francfort, en 1.863, une séance
lout entière fut consacl'ée à la question ouvrière;
Ie régim e corporatif, la situation des tra vailleurs
des fabriques, occupèrent en 1864 Ie congrès de
W urzbourg; la question de l' émigration fut traitée
à Trèves en 1865; Innsbruck, en 1866, entendit
un vicaire exposer les infortunes du prolétariat
industriel a. L'assemblée de Duesseldorf, en 1869,
eut à l' égard de l'action sociale un rôle instigateur
sur lequel nous reviendrons. On ne trouvait, dans
ces congrès, ni cette paresse d' espri t qui parfois
passe outre aux questions délicates en alléguant
qu'elles ne sont pas assez mûres, ni cette prudence
conventionncHe qui souvent les é'
al'te en objec-
1. frlay, Ope cit., p. 120. Ce congrès de Cologne eut un caractère presque
inlernalional : on y vit Ie Culur cardinal l\Iel'millod, l'archéologuo Didroll t'L
Baudon, président gén('raJ des conférences de Saint Vincent de Paul (May, Ope
cit., p. 110-112).
2. Ma
, Ope cit., p. 127 et 152.
3. Ma
. Ope cit., p. 154,-156, 1ü0-161, 172, 1';7. - Sur l'influence qu'eurenl
c
s congl'ès à l'e
térjcur, sur l'e
emJlle qu'y trouvèrenl les catholiqucs de Bcl-
glq
e. .et SUI' la fondalion, à la suile du congrès d'Aix-Ia-Chapelle, auquel
asslstalPnl Jean Moeller el Dumorliel', d'une æmre beIge des congl'ès, voir
Dcfourn
, Le8 conyrès catholiques cn Bel g i q ue' P .
W-34. ( Lom'ain Ccut('rick,
1908.) "
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 10
tant qu' elles pourraient diviser les catholiques.
Les congressistes de Cologne ct de Francfort, de
\\Turzbourg et de Duesseldorf, estimaient au con-
traire que sous la chaude lumière de la pensée
chrétienne ils devaient aider les questions à mûrir,
et qu'il est dans les destinées de cette ppnsée, dès
qu'elle veut s'épanouir pleinement, de devenir un
objet de division, de scandale même, a dit Ie
Christ; et ces grandes assemblées annuelles attes-
taient au peup]e allemand l'anxieux attrait qui
courbait I'Église vers trois grandes misères : celle
des compagnons, celle des paysans, celle rles
ouvriers d'usines.
II
De ville en ville, avec besace et bâton, d'innonl-
brables compagnons - Gesellen, comnle on les
appelait - promenaient la gaieté de leur àge et la
détresse de leur métier. Le temps n'était plus où
ils appartenaient à peu près à la famille de leurs
maîtres; sons Ie nom de liberté, une fée capri-
ciense - honne on manvaise, on en discnte encore
aujourd'hui, -avait commencé son voyage auiour
du monde et distendu tous les Hens qui parfois
gênaient les hommes et qui plus souvent les aidaient
à mieux s'aimer. Les (( libres )) compagnons d' Alle-
magne étaient fort isolés; parmi eux, les mauvais
garçons étaient nomhreux, et Ie conservatisme de
la haute sociétp méprisait voloniiers nne cia sse
i06
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
sociale aussi mêlée. Ces disgraciés, pourtant
étaient des Allenlands, des haptisés : ainsi se gas.
pillait beaucoup d'énergie allemande, ainsi se taris.
sait beaucoup de 8ève chrétienne. II fallait s(
mettre à la piste des cOlllpagnons, les moraJiser
les encadrer, les suivre dans leurs vagabondages.
les joinùre dans leurs ateliers; la tâche semblai
surhumaine, parce qu' elle était COlllme un déf
pour les nlæurs nouvelles introduites par la liberH
économique; au lendemain de 1.848, cette tâclH
cependant s'accomplit. L'histoire, ici, a tout l'im-
prévu d'unc légende.
A l'automne de 1837, les catholiques de Cologne.
atterrés par l'enlprisonnement de leur archcvèquc
négligèrent sans doute Ie spectacle assez rare d'un
jeune honlme de vingt-trois ans, survenant au
gynlnase parmi les écoliers, pour se frotter aussi.
lui, d'un peu de latin. 11 s'appelait Adolphe Kol-
ping \ ct, la veille encore, était cOlllpagnon cor-
donnier, si diligent et si pieux, que son patron Ie
voulait pour gendre; et dans l'échoppe, toute la
fan1Ìlle versa des larmes lorsque Kolping, pleurant
lui-même, mais parfaitement résolu, s'en retourna
près de son curé Iui dire qu'il désirait se faire
prêtre. Ne sutor ult'l'a crepidant, prononça Ie curé :
les premiers mots latins qu'apprit Ie pauvre C01'-
donnier llli fermaient Ie rudiment et Ie 8éminaire.
Heureusenlent pour lui, un vicaire se rencontra!
1: Le document capital sur Kolping (1818-1865) el sur son æuvre est Ie livre
de Schaeffer: Adolf Kolping del' Gesellenvater (3 11 édit. Paderborn, Schocnillgh,
1894). Voir aussi Don Laurenl Janssens, .ldolphe I\olpin!J, i'apðtrc des ((,I'ti-
sans (Lille, Descléc, t f\!) I) .
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 107
moins effrayé des ascensions sociales; Kolping
encouragé put consacrer aux déclinaisons la vingt-
quatrième année de sa vie. II précipita les étapes;
en 1841, il s'en fut, aux frais d'une dame pieuse,
étudier à l'université de
Iunich; ordonné prêtre
en 1845, il devenait, tout de suite, vicaire à Elber-
feld. Là, dans une boutique d'abord, et puis dans
le local d'une société de secours, quelques jeunes
eompagnons, chaque dirnanche, se réunissaient
devant un broc de bière pour chanter la Vierge et
saint Laurent, patron de la ville; un brave insti-
tuteur, Breuer, songeait à développer la confrérie.
Breuer vit Kolping, lui soumit les statuts d'une
association de compagnons, OÙ ces jeunes gens
trouveraient des Ii vres, des conférences, un ensei-
gnement prirnaire solide 1. Le vicaire s 'éprit du
projet; en novembre 1846 Ie premier Gesellenverein
était fondé. I(olping en 1847 en devint président
en 1849, il publiait une brochure intitulée : (( Le
Gesellenverein: encouragernent pour ceux qui ont
à cæur Ie vrai bien du peuple )); il y décrivailla
vic nomade des compagnons, les périls qu'ils cou-
raient; il y montrait conlment leur abandon les
prédestinait à des sottises et combien il était inique
de les condamner au lieu de les aider; il faisait
ressortir l'irnportancc de cetie classe sociale.
(( II ne s 'agit pas ici, déclarait-il, de I'importance
que lui attachent nos dénlugogues jaloux de se
his
er sur robélisque de la gloire. Non, c'cst en un
1. Sch'\effer, op. cit., p. IJ( el suiv.
108 L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
tout autre sens que je parle. La classe des compa.
gnons forme la vaste assise du peup]e, sur elh
repose Ie bien-être de la société civile. )) Et I{ol-
ping réelamait pour ces jeunes gens une direction
morale, un domicile, des divertissen1ents, nne
culture professionnelle, une instruction religieusc,
uneformation charitable. Comn1ent l'accuser d'uto-
pie, puisque, sous ses yeux, à Elberfeld, en moins
de deux ans, 251. conlpagnons s'étaient rassemblés,
et puisque à travers la bourrasque révolutionnaire
la nouvelle association s 'était loya]ernent compor-
tée? Kolping conjurait done I' Allemagne cathoJique
d'imiter l'exemple d'Elberfeld; il entrevoyait déjà
de nombreux groupements qui, ramifiés entre eux,
formeraient une sorte d' (( école pour nne IiLtéra-
ture populairc, plus substantielle, plus instructive,
pour une littérature manquant encore. )) II termi-
nait par un appel (( à l'active charité de l'Allemagne,
pour qu' elle ménageât aux con1pagnons des asiles
de paix. ))
Tout Ie premier, dès 1849, I{o]ping fit essaimer
l'æuvre; comrne, à la cathédrale de Cologne, un
vicariat fo,"t mal rémunéré se trouvait vacant, il
soHicita de l'arehevêque Geissel ce médiocre
poste. Dne fois exaucé, il gagna Ie prêtre V osen,
professeur de religion dans un gymnase, à l'idée
de fonder, à Cologne, un Gesellenverein. (( Le
bonheur dont nous jouissons à EIberfeld, il faut
Ie donner à d'autrps. Nous devons avoir de nou-
1.
('hacfT(\r, op. cit., p, 71-80.
FOR1UATIO:"i SOCIALE DES CATHOLH,JUES ALLEl\IA
DS 109
vraux frères, des frères proches, des frères loin-
tains, dont la volonté ne fera qu'un avec la nôtre,
des frères que tu conduiras tous, avec nous, vers
un même but 1 . )) Tel fut, à Elberfeld, un jour de
1849, l'adieu des compagnons au (( Père )) I\:olping,
qui s"'en allait porter son cæur et sa parole à leurs
nombreux camarades de la gran de ville.
A Cologne, d'abord, ils ne furent que sept. l\'1ais
ehaque jour amenait des recrues. Les jeunes gens,
à l'origine, ne se réunissaient que Ie dimanche et
le lundi; la maison, bientôt, fut ouverte toutc la
semaine. Le prelnier local devint rapidement trop
petit; on prit un immeuble d'où la franc-maçon-
aerie déménageait. Pour cette ins lallation il falluL
mendier : Kolping promena partout son aun1ônière.
Les compagnons affluaient ; parce que dédaigneux
ie l'alcool, on les appelait les frères de l' eau ;
?arce que dévots, les éplucheurs de rosaire 2 ; Kol-
ing les consolait en les appelant ses cnfanls. II
prêchait pour eux. (( Personne ne s'inquiète,
Jisait-il un jour du haut de la chaire, si un pauvre
5arçon étouffe, corps et ârne, dans la fange de
l'atelier. Et combien de ces malheureux sombrent
5ans laisser de traces! et pourtant ce sont des
hommes comme vous. l\tIoi-même j'ai été compa-
gnon, et je ne rougis pas du métier honnête, j'ai
senti moi-même toute la misère qui pèse sur les
compagnons, qui les exclut de la société humaine. 8))
1. Schaeffer, op. ('it., p. 85,
2. Schaeffer, op. cit., p. !H.
3. Schaeffer, Ope cit., p. 100-101.
iiO L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
Et une autre fois: (( Je connais nolrc peuplc à fond.
II n'est pas si mauvais qu'on Ie dit. Qu'on l'ins-
truise, qu'on s'approche de lui, qu'on lui témoigne
de I 'amour, au lieu de garder à son égard un iso-
lement distingué, au lieu de se réputer d'un autre
bois que lui, au lieu de croire avoil' les mains trop
tendres et trop fines pour se dévouer au service du
peup]e 1 . )) Adolphe Kolping prêchant à Cologne,
cr n'était pas l'Église allant au peuple, c'était
J'Église issue du peuple et restee peupIe, parlant
avec des susceptibilités plébéiennes un langage
plébéien, et toute prête à s'invectiver elle-mênle
si ene négligeait ses devoirs envers les hUDlbles.
(( V ous en particulier, messieurs les ecclésiastiques.
continuait Kolping, vous ne remplissez pas votrr
fonction, vous manquez à votre charge pastoralr,
pour laqueHe vous êtes consacrés, pour laquelle
YOUS êtes envoyés, si vous oubJiez Ie peuple 2! ))
l\lais cette Église, mêlée au peuple et comme nni-
fìée avec lni, l'echerchait, avant tout autre concours,
cclui même du peuple. (( C'est une bonne chose,
écrivait encore Kolping, que les ecclésiastiques s'oc-
cupent partont de fonder des associations de com pa-
gnons; mais nos meilleurs missionnaires, ce sont les
compagnons eux-mêmes. S'ils ont un juste sens dc'
ce qu'est ]'association, s'ils en sentent douloureu-
sement l'absence dans les autres villes, s'ils se réu-
nissent, aIol's, pour une démarche chez Ie cul'é,
1. Schaeffer, Ope cit., p. 103-1U4-
. SchaC'fTer, 0]1. cit., p. 1U4.
'OR
ATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS {ii
/ils Ie supplient de s'occuper d'eux pour l'amour
le Dieu, alors Ie succès est assuré 1. ))
11 fallait que partout les compagnons fussent
roupés. S'il eût écouté Siegwart l\Iueller, Ie tribun
:atholique suisse, }{olping aurait créé un ordre
'eligieux pour s'occuper des compagnons, ou bien
I 1es aurait confiés à quelque congrégalion exis-
I ante; il trouvait plus simple, plus normal, que
a jeunesse proIétaire, en toute déférence, montât
L l'assaut des prcsbytères pour sommer Ie clergé
.aroissial d'imiter les exemples d'Elberfeid et de
ologne.
Quelques mois suffirent pour que Ie sol rhénan
,e peupIât d'associations : en mai 1.850, elles se
'édérèren ten une (( ligue rhénane de compagnons 2)).
} exempJe du Rhin devenait contagieux : en no-
rembre 1.85t, Ie sud de l' Allemagne était conquis :
?ribourg, Carlsruhc, Breslau, obéissaient à I 'appel
le Cologne; on proclamait r existence, à travers
oute l' Allemagne, d'une association catholique de
;esellen 3 . Kolping, en 1.852, portait aux ßavarois
e salut de 1.500 compagnons rhénans4, et puis il
lescendait jusqu'à Vienne. Un jeune prêtre de
rienne, fils d'artisan, déjeunant un jour avec son
>>ère, fut cffaré de voir soudainement un inconnu,
[ui lui dit sans plus de formes: (( Tu dois devenir,
Vienne'l président de l'association de compa-
1. Schaeffer, Ope cit., p. 11;).
!. Schaeffer, op., cit., p. 116.
3. Schaeffer, Ope cit., p. 117.
4. Schaeffer. op. cit., p. 119-1
4.
1f2
L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE
gnons. >) Ce tutoyeur imprévu n'était autre qUI
Kolping. Le jeune Antoine Gruscha, plus tar(
cardinal-archevêque de Vienne, obéit à son visi
teur; l'association viennoise des compagnons étai
fondée. De son lit de mort, Ie publiciste J arcke bé
nissaitl'inilialive nouvelle: (( On discourt beaucouI
du bien du peuple, disait-il à I{olping; votre fon.
dation est Ie premier acte qu'on fasse 1. )) L'apôtr(
ambulant s' en fut à Prague, alIa parler de SOl
æuvre au congrès catholique de l\luenster, et pri
en suite la route ue BerJin. 11 retrouva, Ià, queIque
jeunes ouvriers connus à Cologne, et les lança SUI
Ie jeune missionnaire Edouard l\lueller, qui avait
jusque-Ià, sous les auspices de Ia maisol1 prin-
cière de Sagan, soigné dans ceUe petite ville de
consciences aristocratiques ; it faUut que
Iuellel
changeât de clientèle, et qu'il dévouât sa vie à
la cause des travailleurs.
Iises en branle par
l'apostolique audace de Kolping, ces énergies plé-
béiennes devenaient invincibles; lVlueller céda, e1
l'æuvre de Kolping s'établit à Berlin; Ie déveIop-
pernent en fut si rapide qu'en 1855, Ie prince Fré-
déric de Prusse, Ie ministre Westphalen, Ie généraJ
de Gerlach, Ie directeur de la police Hinkeldey,
honorèrent de leurs applaudissements une confé-
rence donnée par Kolping devant les compagnons
berlinois 2 . Cent quatre associations, et 1.2.000 menl-
bres, tel était, en 1.855, Ie bilan de l'activité de
1. Schaeffer, Ope cit, p. 124-128.
2. Schaefff'r, op. cit., p. 134-145. - Koldp, JJIis.r;ionscikar !I11l"ller, p. 51-54
Berlin, S. Edu{wd rCl'ein, 1
08).
FORIUATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEIUANDS t t3
Kolping 1. Le prince Boguslas RadzÏ\vill, qui lui
était lié d'amitié, Ie" protégeait auprès de la Cour.
(( Maintenant que vous avez organisé une aide pour
les Gesellen, lui disait Ie ministre 'Vestphalen,
n'auriez-vous pas une recetLe pour les appren-
tis 2 ? ))
1\Iais Kolping estimait que, pour les Gesellen, il
estait encore beau coup à faire. Ses plans s' élargis-
mient; ce qu'il voulait, c'était créer dans chaque
rille un hospiceoùlogeraientles compagnons ambu-
ants. (( Notre Dieu, écrivait-il dans sonjournal, doit
)ayer la maison. II Ie peut, car il est assez riche;
lIe veut, car il cst assez bon, et il aime autant
es pauvres gamins des métiers que ces gens qui
lescendent dans les premiers hôtels - pour de
'argent, sans doute, mais cet argent, notre Dieu
l'a fait que le leur prêter... Si seulement on
avait, disent certains, où notre Dieu a sa caisse,
n irait voir Ie régisseur! Je vais te Ie dire, cher
cteur. L'or de notre Dieu, il est dans ta poche;
es régisseurs, ce sont ceux à qui il a confié ses
, iens terrestres 3. )) Ainsi parlait Kolping, et les
égisseurs ne résistaient pas; à Cologne, en 1853,
s donnaient de quoi acheter un bel immeuble; et
Btte maison, deux ans plus tard, était enrichie
ar Ie roi de Prusse de tOllS les privilèges légaux
. uxquels une bonne æuvre pouvait prétendre..
1. Schaeffer, op. cit., p. 140.
.
chaeffcr, op. cit., p. 145.
3. Schaeffer, Ope cit., p. 153-15G.
t. Schaeffer, Ope cit" p, 1JJ-HiO.
III.
tt4
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Les associations de compagnons étaient en 1838
assez nonlbreuses pour que leurs présidents, appe-
lés à Cologne par Ie congrès catholique, tinssent
une réunion spéciale d' OÙ sortit une organisation
nouvelle: elles devinrenl, désormais, des institu-
tions diocésaines, fédérées entre elles sous la direc-
tion d'un président général, Kolping1. On évitait
toute centl'alisation impérieuse; d'un bout à l'autre
de l' Allemagne elles étaient inspirées du même
esprit; mais on tenait compte du caractère local
pour régler tous les détails de leur fonctionnement.
Kolping Jétestait qu' (( on imposât à la grande vie
populaire une morte et froide uniformité, qui
étouffe toute vraie poésie
)). II avait Ie respect de
la spontanéité plébéienne : unificateur du compa-
gnonnage allemand, il n' eÎ1t point voulu attentel
à la richesse et à la variélé des usagp-s. Les ins-
tructions qu' en 1863 il adressait aux divers prési-
dents subsistent comme un modèle d'esprit de con-
duite, de finesse avisée, de savoureux bon sense I
avait gardé, de son séjour dans l' échoppe, def
expressions indigènes : (( Lescompagnons, disait-iJ,
sont les mieux à même de raconter OÙ Ie soulier lef
presse 3 )) ; etil engageait les prêtres à butiner, danf
leurs causeries avec ces j eunes gens, une rich{
expérience sociale. II remerciait Dieu, lui, de
n'avoir qu'à feuilleter sa propre mémoire pour
trouver les élénlents d'un petit livret de hons con
1. ScharO'er,op. cit., p. t86-188.
. Schaeffer, Ope cit., p. 206.
3. Schaeffer, Ope cit.
p. 213.
FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEIUANDS ii!>
seils, très pratiques, très techniques, destinés aux
Gesellen en voyage 1 ; et ce qui faisait Ie prix, aussi,
des almanachs et des journaux qu'il publiait à leur
intention, c'est qu'on y retrouvait, sous la signa-
ture du prêtre, les impressions, les souvenirs,
nous db'ions presque Ie tempérament, de l'ancien
compagnon 2.
Chez Kolping littérateul' populaire, il y a moins
de talent, sans nul doute, que chez Alban Stolz, son
émule badois; mais Kolping est plus près de l'âme du
peuple que ne rest Stolz. Stolz a la volonté d'être
pittoresque; Kolping est pittoresque sans Ie savoir.
Aurait-il réussi, comme Ie pensait KetteIer J , dans
Ia direction cl'un grand journal? II est permis d'en
douter, et certainement il s'y fût refusé. I(olping
n'était publiciste que parce qu'il avait été compa-
gnon; et les historiettes qu'il contait à ses jeunes
gens sont une jolie apologie de l'institution même
du métier; eUes sont de bonnes leçons d'hygiène
morale; elles donnent aux lccteurs Ie gofIt d'unc
société solidement organisée, ignorante de toutc
crise, fondée sur Ia stabilité des professions; eUes
ont pour but de maintenir ou de ressusciter en
eux Ie goût d'être des (( enracinés )); el1es témoi-
1. Schaeffer, Ope cit., p. 226-220.
2. Sur Kolping liUérateur, voir Schaeffer, Ope cit., p. 236-266; - H. P. B.t
1855, II, p. 1030-1035 ; - PCuelf, GeiS8l!l, IT, p. 303, n. 2. et p. 308. Lorsque
cn 1865 mOUl'ut Kolpiog, Ic peinLre Sleinle écrivit à son sujet : Ie Kolping
l1'élait pas remplaçable : c'élait une natw'e ; il élait fidðle à ceLtc naLure et à
la grâce de Dieu : de là ses succès. Je connais peu d'hommes chez qui Loule
la vie rut ainsi d'une pièce, chez qui la vocation s'épanouit si simplement. si
clairement. Je ne puis me figurer Cologne sans Kolping )) (Briefwechsel, II,
p. 3
7).
3. Pfuclf, [(eUcler, II, p.
18.
ii6
L'ALLEl\IAGNE RELIUIEUSE
gnent, par elles-mêmes, que dans les sphères oÙ
eUes se font lire, OÙ on les accueille, OÙ on Ies
nlédite, il y a un certain fonds de santé sociale, un
certain goût d' équilibre et d' enCadl'Cn1ent, un atta-
chement véridique à certaines assises tradition-
nelles. Et I{olping visait, en eifet, à sauveI' de la
petite induslrie tout ce qui pouvait en être sauvé,
à maintenir l'importance économique du petit
métier, - de ce petit métier dans lequel Auguste
Reichensperger voyait la seconde colonne de l'État 1 ;
il visai t à forn1er des con1 pagnons qui deviendraien l
un jour des n1aîtres, qui auraient pignon sur rue e1
statuettes pieuses, peut-être, sur leurs archaïques
pignons, et qui perpétueraient dans I'Allemagne
moderne, dans I' Allemagne de la libre concurrence
et du libre échange, certaines des alluvions sociales
de la vieille Allemagne.
III
Paral1èlen1ent à I{ol ping, un ancien officier,
Schorlemer Alst 2, entreprel1ait un autre travail
de consolidation sociale. C'est aux paysans wesl-
phaliens qu'il donnait sa vie. II voyait péricJiter
Ie travail, péricliter la propriété immobilière, SOllS
1. Parla7'llentarische Reden der Geln ueder lleiclten8pet!le
'. p, 459 (Ralis-
bonne. Manz, 1858).
. Sur le baron Burghard de SchorIemer Alsl (18
5-1895), on peut consultor
101 plaquelle de hu:e publipc par 1\1. Buer, secrétaire du Bauern- Verein west-
phaljcll. à l'occasion ùe lïnauguration du monumenl de Schorlemer à Mnenster
(:\lucnsler. impr. lJc
' Wesl (ale, 10U2).
FORl\IATION
OCIALF. DES CATHOLIQUF.
ALLEl\IANDS i i 7
la poussée constante d 'un facteur nouveau, Ie capi-
tal; il constatait que Ie capital payait 3 p. 100
d'impõts, que la propriété immobilière en payait 9 ;
il s'inquiétait de voir les banquiers, les industriels
des viBes, acheter et revendre des terres. Dans
cette Westphalie OÙ d'anciennes coutumes avaient
si longtemps maintenu l'intégrité des domaines
familiaux, il réputait comme une ennemie per-
sonnelle l'hypothèque, qui survenait avec des airs
bénins, et qui chaque jour, ensuite, se faisait plus
pesante jusqu'à ce qu'elle se montrât féroce 1. II
Y avait là un phénomène nouveau, contre lequel
de pauvres paysans étaient désarmés; mais Schor-
lemer estimait que, grand propriétaire et catho-
lique, il étaiL de son devoir, à lui, de les défendre.
(( IJe grand propriétaire, déclarait-il, doit vivre
en chrétien, c' est-à-dire se distinguer de ceux qui
considèrent un vaste domaine comme un place-
ment avantageux de leur capital, ou comme un
moyen d' échapper aux chaleurs de l' été. Nous
devons partager les souffrances comme les j oies
du peuple; c'est dans ce sentiment que je trouve
Ie véritable lien entre la grande, la moyenne et
la petite propriété, et l'unité entre elles ne sc
fera que Ie jour OÙ tous seront persuadf's qu'i] s
sont à un certain point ùe vue sur Ie même rang,
c'est-à-dire que Lous sont devant Dieu des servi-
teurs inutiles : voilà la véritable égalité. Ce n' est
1. Voir la brochure de Schorlemer : Die Lage des Bauernstandes in l
est-
(alen und was ilLm Noth thut (Muenster, Aschendorff, 1864-).
IL8
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
que dans ce sentin1cnt que peut se constituer la
véritable hiérarchie socia]e 1. >)
En mai i862, il offrit à vingt paysans de Burg-
steinfurt de se grouper entre eux, pour demeurer
de bons chrétiens et pour s'assurer mutuelle-
ll1ent les moyens de garder leur lot de terre. Ainsi
fÌrent-ils; à la fin de rallnée, i]s étaient déjà deux
cent quinze. Les associations de paysans (Bauern-
vel'eine) se développèrent dans tous les districts
de '-IVestphalie; elles furent multipliées en Ba-
vière; eUes devinrent, teès vite, une force écono-
mique et polilique. (( Individuellement vous n'êtes
rien, disait Schorlemel' à ses adhérents; mais
vous êtes Ie nombre et la force; il faut que les
habitants des campagnes s'organisent, comn1e
s'organisent les ouvriers des villes, it faut qu'ils
constituent des associations du sein desquelles
sortiront des hommes capablcs de défendre leurs
intérêts 2. >) II n'est pas de province d'Allemagne
qui n'ait aujourd'hui son association de paysans,
pourvue dOun journal, d'un labol'atoire technique,
d'une institution de crédit, et susceptible, dès
lors, d'offrir à bon compte les renseignements,
les engtOais, les primes d' assurance, les avances
ll'argent. L'initiative de Schorlemer Aist est à
l'origine de cet immense mouvement; eUe enra-
cina dans la terre westphalienne, en leur garan-
1. CIlé dans Georges Blondel, É'tudes sur les populations rUl'ales de I'Alle-
magne et 10 erise ag1'aire, p. 23i (Paris. Larose, 1897).
2. Georges Blondel, Ope eit., p. 23G. cr. I\.annengie
pr, Catholiqueð alle-
1IluIlds, p. 123 et iiuiv. (Paris, Lethielleux, 1892).
FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i 1 9
tissant leur indépendance économique, les fortes
populations auxqueHes les prêtres et les institu-
teurs formés par o vel' berg avaient insufflé une
vie religieuse toute nouvelle 1; et c'est grâce à
Schorlemer, grâce à la classc rurale autonome
dont il préservait 1a dignité et dont il achevait
l'éducation, que cette terre de lihre culture, aux
mauvaises heures du Cultllrkal1
pf, devait être
par excellence, sous la direction de ses évêq
es
Brinkmann et lVlartin, la tcrre de la libre foi.
Compagnons associés, paysans associés, appa-
raissaient à beaucoup de catholiques con1me des
matériaux préparatoires pour la reconstruction
d'une société allemande dans laquelle toutes les
professions, tous les intérêts, auraient leur repré-
sentation corporative 2. A l'arrière-plan des archi-
tectures de Kolping et de Schol'lemer, un nouvel
édifice politique semblait se dessiner, dans lequel
la puissance parlementairc serait l' expression
naturelle et norn1ale de tous les métiers organi-
sés. Un certain nombre de catholiques westpha-
liens, appartenant surtout à l'aristocratie, se don-
nèrent à Soest, de 1864 à 1866, certains rendez-vous
où ce rêve s'é]aborait : l\lallinckrodt, Ie grand ora-
teur de la Chambre bcrlinoise, et son beau -fl'ère
HuetTeI', jouaient dans ces réunions un rôJe pré-
pondérant. Nous aurons à nous attarder à Soest
1. Voir nolre tome I, p. 253-274.
2. Cel idéal élail dessiné dðs 1851 par les Feuilles historico-politiques de Mu-
nich comme Ie remMe au paupérisme croissanl (H. P. ß., 1851, II, p. r-iB);
Auguste Reich('uspergC'r, aussi, se plaisaiL à ccs perspectives d'a\cnip (paslor,
Reicltensperger, I, p. 340).
120
L'ATAI.EMAGNE RELIGIEUSE
lorsque nous étudierons les origines politiques
du Centre allemand 1; rnais il convient de noter,
dès maintenant, ]a nuance sociale qui distinguait
les congressistes de Soest. Plus préoecupés des
métiers déclinants et de l'agriculture en péril
que des misères du prolétariat industriel, ils incli-
naient à penser, avec Mallinckrodt, que les ou-
yriers, après tout, n'étaient pas si mal lotis, ct
que, si l'on devait assurément soutenir toutes les
mesures suseeptibles de les aider, Ie relèvement
du petit métier demeurait la chose eapitale 2. On
retrouvera toujours cette préoccupation, sur cer-
tains banes du Centre aHemand; les députés des
petites viBes, les députés des eampagnes, auront
nne politique sociale, nous n'osons dire plus con-
servatrice, mais plus constructrice, que les dépu-
tés des grandes agglomérations et les drputés des
faubourgs, soucieux d'obtenir, au jour 1e jour,
pour les ouvriers de ]'usine, des réformes urgentes.
Dès l' époque dont nous nous occupons, ces deux
nuances très distinctes existaient dans eet état-
major catholique d'oÌl sortira le Centre contempo-
raIn.
IV
(( Aujourd'hui, écrivait dans les Feuilles histo-
rico-politiques de Munich l'un des représentants
1. Y oir ei-dessous, p. 295-301-
. Pfuc1C, ..J/allinckl'odt, p. 255-256.
FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES AT..T.El'tIANDS i2f
de la seconde nuance, quiconque ne prend pas
dans la situation interne de la grande industrie Ie
point de départ de 8es études, celui-là peut so
piqueI' de vouloir conserver, dans la mesure du
possible, un précieux morceau de la vieille société,
mais il ne devrait pas dire qu'il travaille à la solu-
tion de la question sociale. )) On ne pouvait mar-
uer plus fortement qu'à côté de la besogne des
Kolping et des Schorlemer, un autre travail social
;'imposait : le
années 1862 et 1863, OÙ se fon-
:ièrent les premières associations de paysans,
loyaient se préparer, en même temps, Ie congrès
atholique de Francfort, OÙ la question ouvrière,
ffleurée déjà dans quelques écrits catholiques 1,
tllait être définitivement soulevéo.
Qui donc pourrait ne pas voir, s'écriait Thissen, cnré
e Francfort, qu'il y a autour de nous une classe de popu-
ltion dont la situation mérite à un haut degré notre sym-
athie ? Je parle de la grande masse des artisans et des tra-
ailleurs, qui présentement soutiennent une dure lutte
our la vie, et qui, à la différence de toutes les autres
(asses de la société, au milieu des grandioses progI'ès de
industrie, regardent sans consolation dans l'avenir. 70 à
) pour tOO de nos concitoyens appartiennent à cette classe;
1. Le Iivreduconverti Frédéric Pilgram (1819-18f10), Sociale Fragen betrach-
taus dem Princip kirchliche)' Gemeinschaft (Fribourg, Herder, 1855), aUen-
it de l'Église, de Ia communauté ecclésiastique, les éléments de Ia réformf'
ciale : l'auteur, qui s'élait mis jadis à l'école de Hegel, avait gardé de ce COIl-
t une logique sèche, impérieuse; et sa thèse :'ie déroulait avec la rigueur un
u provoquanle d'un théorème. Plus nuancé, et d'un toul aulre caractère,
tille livre de Nicolas Schueren. Zur Loesung der socialen Frage (Leipzig,
engIer), publié en 1860 avec l'approbation du cardinal Geissel; l'auteur écri-
it en économisle; il y avait dans son æuvre une série de chapilres qui
ffraient aux discussions des économistes de toules confessions; et c'esl à la
sculement qu'il présentait l'épanouissement du christianisme comme l'indis-
1"abic complémpnt du renOlneau social.
1 '>
-...
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
beaucoup parmi eux. après une vie de misère et de faim.
u'ont que la perspective d'un lit d'hôpital pour passer danE
r
ternité. Ici se montre la banqueroute de l'humanité sépa-
rpe du christianisme: bien loin d'estimer I'hOI1lIne dans IE
travailleur. elle ne Ie considère que comme une machine
dIe Ie traite, même, plus mal qu'une machine sans vie
car pour une machine, chaque année, on calcule l'usure
Inais quant à l'usure des forces humaines dans Ie travail.
leur, on n'y pense point. Notre 111ission, ici, est de luetin
en acte l'amour chrétien t.
Déférant à l'appel de Thissen et à la pl'opositioI
du chanoine Heinrich de l\layence, prêtres c
laïques, en septembre 1863, pril'ent une résolu.
tion, (( recommandant instamment aux catholique:
de s'occuper de rétude de la grande questioI
sociale, qui, certainement, ne peut être amené.
vel'S une solution convenable qu'à la lumière dl
christianisme et par l' esprit du christianisme 2 ))
Peu de jours apl'ès, à l'assemblée des théologien:
réunis à Munich, Doellinger déposait une motioI
pour que Ie clergé (( s'occupåt plus à fond de Ii
question sociale 3 >).
Dne plume d'évêque, tout de suite, se mit à I:
besogne pour répondre à ces urgents désirs : c'é
tait celle de Guillaume-Emmanuel de I\eUeler
évêque de l\layence.
Lorsqu'en sepLembre 1848 l'émeute francfol"
1. May, Ope cit., p. 154-517. - Thissen proposa rnêrnc que Ie congrðs fond,
uoe section pour l'étude de la queslion sociale. Voir, sur cc congrès et sur 1
personna1ilé du curé Thissen, deux lellres llu peintre Sleinle (B1'iefwechse
1, p. 105, et II, p. 3(2).
2. May, Ope cit., p. 157.
3. terhandl1l11gen der re1,.'1armnlung IÙtfllOlischcr Gelehrten in.Jlucllc!te1
p. jSl (HalisLolll1P, "MallZ, 1bG3'. - cr. notre tome IV, p. 25i- et suiv.
)R1\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i 23
)ise avait coûté la vie au prince Auerswald et
1 général Lichnowsky, I(etteler, dans l' oraison
Inèbre qu'i] avait prononcée sur leur tombe,
vait tenu à décharger Ie pauvrc peuple allemand
e tonte responsabililé. (( J'ai consacré ma vie au
rvice des pauvres, avait-il dit, et plus j'ai appris
les connaître, plus j'ai appris à les aimer. Je
lÌs queUes grandcs et nobles aptitudes notre
euple allemand a reçues de Dieu... Non, je
proclame encore une fois, ce n' est pas notre
rave peuple allemand qui a commis cet acte
lonslrueux. Les meurlriers, ce sont les hommes
ui méprisent, tonrnent en dérision et bafouent
Christ, Ie christianisme, l'Église, devant Ie
eup]e l . ))
Ayant ainsi, devant ]e cercueil même des vic-
imes, rendu en faveur du pauvre peuple une
rdonnance de non-lieu 2, iJ avait, quelques jours
près, au congrès catholique de Mayence, premier
n date de tous les congrès catholiques d'outre-
lhin, épanché son cæur de prêtre dans un admi-
able toast à la pau vreté et à scs victimes 3; ct
I luis, à la fin de novembre, à la cathédrale de
Jayence, ses prédications d'Avent sur la théoric
I atholique du droit de propriété et sur les devoirs
Ie la charité chrétienne avaient appelé ]a vieille
1. Ketleler, Die gro.'Jscll 80cialen Fragpn der Gcgenwart, p. 114-115
layence, Kirchhf'im, 1878). - Decurlins, Etude,'l sociales clu'étiennes : æuvres
'lOisies de M15r de Ketteler, p. XXXIX-XI. (Bâlc, llaslel' VolksUatt, 189..!).
2. Voir nolre lome II. p. 365.
3. Congrès catllOliqup de Jfayencc (fS
8). It'atl. l\Iarills Be<:sières. p.
::1-22
'aris, I.Houd. 190tì).
t24
I.' AJ..LEl'tIAGNE RELIGIEUSE
théoJogie thomiste à la rescousse des rpvendic:
tions populaires les p]us modernes 1.
Rêvant alors d'être missionnaire populaire,
avait l'année d'après été nommé curé de BerliJ
(( Ie plus beau lieu de mission de l'Europe 2 )), (
les catholiques qu'il groupait au pied de sa chab
de Sainte-Hedwige l'avaient entendu invoquel
pour combler r abîme entre les riches et l(
pauvres, Ie même Esprit qui jadis, dans la chr(
tienté primiLive, créa la communauté des biens
Quelque génie de précurseur qu'il révé]ãt déji
Ie KeUe]er de 1.848 s'arrêtait à l'cxposé de la doc
trine; il n' entraÏt pas pncore dans les voies d
l'action sociale. (( Voyez, mes frères, disait-il al
terme d'un de ses audacieux sermons, voyez corom.
le Christ répond à tous ceux qui veulent deveni
riches par un partage des biens terrestres, ou qu
veulent par quelque moyen purement extérieul
améliorer la siluation socia]e. Lui aussi, il ven
un juste partage des biens, mais non par la force
ille veut par la réforme intérieure de notre cæur 1-. >:
Jamais Ketteler ne s'écartera de cette idée., que
les bonnes volontés sont les indispensables ou-
vriÞres du bien social; que )'amélioration dp cha-
cun de nous est nécessaire pour Ie bonheur de
tous, que la prospérité commune s'achète par les
1. Traduites par Decurtins, cUes sont repl'oduites en grandc partie dans nolrc
livre: Ketteler (Paris, Bloud, 1907).
2. PCuelf, Ketteler, I, p. 176-178.
3. Ketteler, Predigten, éd. Raich, I, p. 382 (Mayence, Kirchheim, 1878).
.4. Ketteler, Die gros8en socialen Pragen der Gegemvart, p. 30-34. -- Go\au,
Aetteler, p. 138.
)Rl\lAfION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS i25
o1'tifications individuelIes; que la réalisation de
justice sociale, forme te1'1'est1'e de ce règne de
teu qu'in voque la prière, doit être amenée pal' Ie
beur personnel des consciences ch1'étiennes; et
le ces consciences, ainsi, doivent en retireI' un
érite et un honneur.
I] y a des confiances qui honorent l'homme. De
50 à 1
60, ]es missionnaires jésuites qui sillon-
rent toute l' Allemagne dessinaient à leur tour,
mille I\:eUeler, Ie rêve d'une société guérie par Ie
ux effort des âmes; mais en nlème temps, en
lugurant çà ct là des prédications pour les diver-
; classes et pour les diverses professions, les J é-
_tes faisaienl pénétrer ]e christianisnlc dans la
Jité vivante des rapporls ter1'estres 1 ; orateurs
.;onfesseurs, iis aspiraient à plus et à mieux qu'à
e les apôtres et les garants d'un certain (( ordre
1lic )), produit de la force; c'est à }'établissement
n ordre social chrétien que visa it leur zèle am-
_ant. Et c' est à quoi visait aussi W cis, évêque de
1'e, lorsqu'il insurgeait son éloquence d' évêquc
ltre la profanation du dimanche par l'industric ;
:;qu'il éc1'ivait aux fonclionnaires conlpétents,
l1' que, ce jour-Ià, les ga1'es de marchandises
sent fermées 2 ; lorsqu'il appelait la pitié du roi
)ur ces missions, voir ci-dessous, p. 186-19
. -<< C'esl un nouveau genre de
lrS populaires, auquel on n'aurail pas songé il y a quelques aunées, écrivait
H'ien Guillaume Henri Riehl. Les Jésuites, comme l'Innel'e Mission prote
-
introduisenl dans l'église la poliLique sociale. >> (Mundwiler, P. Georg v.
'burg Zeil, p. 92-93. Fribourg, Herder, 1906). - cr. à la table de Duh..,
'tstuecke ':;W' Geschichte de1' Jesuiten-lJJissionen in Deutschland, 1848-
,Fribourg, Herder, 1903), l'ar\.icle StaJtdespredigten, renvoyant à lous les
gcs du livre sur lcs prédicatioll5 rlf'stinées \l,UX diverses classes.
{emling, 'Weis, Bischúf' zu SpCYC1., I, p. t 15.
.. .. "".'-' #6
. II ..,...
126
L' ALI.El\IAGNE RELIGIEUSE
]ui-même sur l'étiolement de la jeunesse ouvrière
sur Ie sort, (( plus oppressif que l'ancien servage >>
de ceux qui sont les (( salariés d 'un riche fabri
cant 1 >).
Que les vertus personnelles, ces vel'lus qui pre
duisent directement la (( réforme intérieure >) (
indirectement la réforme sociale, aient besoi
d'être encadrées, protégées, défendues et parfoi
suscitées par des institutions chrétiennes, c'est c
que l'É
lise a toujours pensé; et c'esl par ceti
originale solution qu 'elle plane au-dessus des iJ
terminables conflits OÙ Ie XVln C siècle nous jpta.
cst égalen1ent naïf, à ses yeux, de mettre tout espo
dans les spontanéités naturelles de rhomme I
d'escompter l'efficacité souveraine des réglen1ent:
tions sociales : de part et d'autre, les illusioI
s' équivalcnt. Elle connaît trop la déchéance (
l'homme pour croire aux prétendues vertus d \
fictif état de nature, elle connaît trop la grandCl
de l'homme pour Ie décharger de toute responsat
IÏté personnclle et pour s'en remettre à je ne sa
quel (( être social >> du soin de Ie faire bon p
contrainte et de Ie rendre heureux par surcro!
Le dogme dont eUe est gardienne lui montre, f
une sorle de diptyque, les deux faces de notre n
ture; ses théologiens deviennent hérétiques d'
qu'ils perdent de vue, soit la hauteur de notre (
gnité, soit la profondeur de notre misère. De (
unique coup d'æil, qui doit être intégral pour d
1. Rcmling, ""eis, I, p. i1ti.t1í.
FOR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 127
meurer exact, et qui tout de suite serait falJacieux
s'il ne sondait qu'un de nos deux abîmes, resulte
ce que volontiers nous appellerions la politique
sociale du christianisme, qui est tout à la fois un
hommage à la moralité humaine et une protection
de cette moralité. Entre Ie l{etteler de 1848, qui
insiste sur la réforme intérieul'e, et Ie Ketteler des
années 1863 et suivantes, tout entier préoccupé des
développements de l'csprit d'association, il n'y a
pas contradiction; les deux phases sont conlme Ie
développement d'une nlêrne pensée chrétienne so-
ciale, qui va s'épanouissant, s'approfondissant, se
réalisan t 1.
v
Au moment OÙ Ketteler s' enfonça dans les études
économiques, Schulze Delitzsch et Lassalle se dis-
putaient la direction de la classe ouvrière alle-
nlande. Au nom du parti progressiste, Ie premier
préconisait les associations de crédit, les associa-
tions pour I' achat des matières premières, les
sociétés de consommation, les coopératives de pro-
duction; les efforts de Schulze Delitzsch n'étaient
pas sans prix et ne demeurèrent pas sans efficacité 2;
mais les petits artisans, somme toute, en tirèrent
L Si l'on veul pénélrer dans tous les détails de cclle pensée, Ie livre de
\1. Eugène de Girard: Ketteler et la question oUVJ'ière (Berne, Wyss, 1896)
;'impose à l'étude.
. Sur Hermann Schulze Delitzsch (1808-1883), voir Bernstein, Schul::e
r)elìt::;sch, LelJcn und 'V:Ü'kelt, spécialemenL p. !l9-106 ct 152-161 (Berlin,
3ading).
1
8
L' ALL El\IAGNE RELIGIEUSE
plus d'avantage que les ouvriers de fabrique, et
les légères accumulations d 'épargne requises pour
ces divers groupements les rendaienl nlalaisénlent
accessibles au prolétariat. Précurseur du parti
socialiste aUemand, Lassalle, dans la Réponse Pll-
hlique qu'il adressait au Comité central chargé
d'organiser les ouvriers de I'Allenlagne, proposait,
comme une solution transitoire, la création d'asso-
ciaiions ouvrières, soutenues par l'État, et appe-
lait de ses væux l'heure OÙ Ie suffrage universe],
disposant des pouvoirs publics, leur arracherait
les ressources nécessaires pour permettre aux tra-
vailleurs de devenir les propriétaires des fabriques.
Les coopératives de production, telles que les vou-
lait Schulze Delitzsch, devaicnt être libremel1t
fondées avec les économies libremenl accumulées ;
elles excluaient, bon gré nlal gré, Ie prolétariat
malériellement incapable d'économiser 1. Les coo-
pératives de production, telles que les voulait Las-
salle, devaient être officiellenlent fondées avec
l'argent prélevé sur les riches par l'État percepteur
d'impôts. Telles étaient les deux écoles vis-à-vis
desquelles Ketteler devait prendre position.
Il croyait passablement connaître les idées ct
les æuvres de Schulze Delitzsch, et n'y attachait
au demeurant qu'une médiocre importance. Dans
la première édition de sa brochure sur les classes
II. Kelleler, Ie philanlhrope Huber, Ie socialisle Lassalle s'aecordaient dans
celle crilique contre l'efficaeilé des associalions de Schulze Delitz3ch pour Ie
rclèvement du proIélariat. Voir Lassallc, Disco'U'I'8 et pamphlets, trade Da,'c et
Remy, p. 203-
07 (Paris, Giard et Brière, 1903); cL cf. Ketleler, La question.
úW)/'II!I'C el Ie chl'ir;;ii(/lIi.'J1nc, trarl. Clocs, p. !j3-;i3 (Liëg'c, Gralldmonl, 18(9).
FORl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS f29
ouvrières et l'association 1 , Schulze ne mentionnait
qu'une seule coopérative de production, ébauchée
dans la ville d'El'furt; et bien qu'au COUI'S de 1.863
une seconde édi tion signalãt quatre nouvelles
coopératives, fondées à Berlin, Ketteler attendait
avec une calme défiance que le prolétariat des fa-
briques eût effecti vement bénéficié de ces initia-
tives. Trompe-l'æiL que tout cela : tel était Ie fond
de sa pensée. Durant un bref instant d'histoire, il
avait falIu, peut-être, que certains États de l'Eu-
rope traversassent une périodc de (( libéralisme ))
économique, mais ces minutes avaient passé. I{et-
teler, dans un brouillon qu'a trouvé Ie P. Pfuelf,
s'essayait à noteI', pour lui-nlême, l'histoire et Ie
bilan du (( libéralisme )) ; telIes queUes, ces notes,
fragmentaires, incompIètes, montrent du moins
Ie souci qu'il avait d'apporter à rexanlen de cette
doctrine, qui lui déplaisait profondément, l'atten-
tion qu'elle méritait en tant que phénoIDt'ne social.
" L'école de Manchester, écrivait-il, la doctrine écono-
:nique libérale. étaient relativementnécessaires. Les seigneu-
ies innombrables avec leurs souverainetés absolues; par
onséquent, les frontières innombrables avec leurs douanes,
.ous les moyens de transports, surtout les fleuves, gênés par
es douanes; une acculnulation démesurée du sol sous Ie
oug de la mainmorte; un corporatisme vieil1i, ankylosé :
out cela avait engoncé dans une étroite camisole de force
'aclivité générale de ceux qui sont réduits à gagller immé-
liatement leur vie; l'étroite camisole se déchira en mille
.ndroits...
t. Die arbeitenden Klassen und das Associationswesen in Deutschland als
)rogramme zu einem deutsclten Congress. I.eipzig-, Mayer, pe édit. 1858;
8
dit. 1863.
III.
9
130
L' ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE
(( Les principes de l'école de :Manchester, les révolutions,
minèrent les fondements des vieilles formes de production,
les murailles tombèrent l'une après l'autre ; il ne reste plus
que des décombres. Tout cela ne serait pas arrivé si les ins-
titutions convenables s'étaient parallèlement développées.
La faute en fut, aussi, au défaut d'étude scientifique des
intérêts économiques. On laissa les choses aIleI' comme elles
allaient.
(( Dès lors, Ie développement fut maladif. L 'eau qui fait
éclater Ie vase trop étroit, a raison; mais si nlaintenant elle
se répand de tous côtés... De même la vapeur... De même,
jusqu'ici, de l'économie politique libérale.
(( Les conséquences 5e sont développées en Angleterre.
Les événements de l'année 1832 furent Ie prélude: d'abord
in1mense appauvrissement des travailleurs; en second lieu,
exploitation de la vie du travailleur, même de l'enfant ; véri-
table meurtre de toute une masse. En troisième lieu. haine
entre Ie capital et Ie travail, ne reculant devallt aucun
moyen; lutte à la vie et à la mort.
(( La même chose exactement se produira en Allemagne )) 4.
Ketteler savait que l'histoire, déchaînant impi-
toyablement ces trois conséquences, passerait outre
aux palliatifs inlaginés par Schulze-Delitzsch; et
d'ailleurs, ce sociologue et les autres tenants du
(( libéralisme )) Ie choquaient par leur philosophie
matérialiste, par leur orgueil aisément satisfait,
par leur méconnaissance d u nloyen âge chrétien.
Ketteler avait aimé les libéraux de 1848; il dé-
testait ceux de 1860, ceux du Nationalverein 2. II
voyait en eux des jacobins, usurpateurs du mot de
1iberté, el toujours prompts à se servir de ce mot
comme d'une arme contre l'Église. Au surplus,
to Píuelf, Ketteler, II, p. 192, n. 1.
. Voir ci-dessous, p. <!93. - Sur la part très imporLanle prise par Schulze
Uelitzsch à la fomIalion du Naliollalvercin, voir Bernstein, Ope cU., p. 107-
111.
FORJIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS f31
Ketteler était un rural, un homme des forêts, qui
souffrait en apercevant les campagnes envahies par
l'induslrie. II observait, en 1863 même, l'industrie
et Ie (( libéralisme )) antichrélien essayant, d'une
même allure, de s'introduire dansles montagnes du
I Tyrol; il se jetait sur sa plume, dénonçait l'intru-
sion, dans ces terres vierges et catholiques, de la
:( terrible force de capital possédée par les ennemis
Ie l'Évangile)), frémissait en songean t à I' air empesté
yue respireraient les Tyroliens, habitués hier à la
'raìcheur de leurs montagnes, (( prédestinés, pour
lemain, à l'esclavage des fabl'iques 1 )). II n'y avait
)as jusqu'à la personne physique, en Ketteler, qui
le s'insurgeât contre ces manifestations du pl'O-
rès, il en voulait aux (( libéraux )) de s' en faire les
.dulateurs. Vne brochure de 1865, qu'il intitulait :
I In catholique peut-il êl1'e fl'anc-maçon? nous Ie
nontre plein d'amertume contre la << poignée
'hommes d'argent )) qui faisaient la force du (( li-
érali sme maçonnique )).
(( Que deviendrait Ie monde, écrivait-il, si cette
l. our princière de la richesse moderne, si cette
I. "action humaine qui ne croit plus ni en Dieu ni
è-
n n Jésus ni à la dignité de l'âme, qui ne sert que
de
s intérêts matériels et les plaisirs sensibles, for-
fiée P ar une organisation secrète et inconnue,
lOl '--'
ouvait se faire passer pour l'élite du genre
}5, umain et traiter Ie pauvre peuple en consé-
uence ? >) Et puis, interpellant un pubJicisle
jhe
It
l. Pfuelf, iletteler, II. (). 16;).
132
L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
franc-maçon qui avait affirmé que la maçonnerie
so souciait fort peu de recrutcr des hateliers, des
ouvriers et des domestiques : (( V oiJà bien, s'excla-
mail I{etteler, la différence pratique qui sépare Ia
franc-maçonnerie de l'Église. Pour nous, nous Ie
proclamons avec joie, nous nous soucions autant
des bateHers, des ou vriers et des paysans, que des
princes et des rois; nous plaçons la dignité
humaine au-dessns de toute distinction, et nous
déplorons amèrement ceUe façon de penser qui
met Ie riche Fabricant au-dessus du pauvre labou-
reur 1. )) La luUe doclrinale entre Ie christianisme
et le libéralisme matérialiste apparaissait à I\et-
teler comme une lutte sociale, dans laquelle Ie
christianisme avait pour lui les pauvres, el dans
laqueBe Ie libéralisme matérialiste gardait comme
clientèle l'aristocratie d'argent.
Au fond de rÉvangile nouveau que prêchait au);
pauvres Ferdinand Lassalle. I{etteler, sans cloutc:
retrouvaÎt Ie matérialisn1e, et cela mème lui per-
mettait de dire aux (( libéraux J) que Ie socialisn1e.
qui les déposséderait, était la conséquence fatale
de leur propre philosophic; mais il ne pou vait s(
défendre de quelque sympathie pour la belle fran.
chise avec laquelle Lassalle, poursuivi cn 186
'
devant Ie tribunal de Berlin, avait célébré Ie res
peel du moyen âge chrélien pour Ie droit à Ia libr,
science
; et puis, dans la critique que faisai
1. Un catholique peut-il éb'e (ranc-maçon? tl'ad. BeleL Archives tlléolog
qucs, juillcl-décembre 1865, p. 258-
G1.
%. LassaUe, Di.'Jcour3 et pamphlet.
, tl'ad. Dal.c cl Hcmy. p. 81-8j. - C
H. P. B't 1t'lì:3, n, p. ï4-3.
fOlt\lATION SOCIALß DES CATHOLlcJUES ALLE1\IANDS i33
Lassalle de l' ordre social, très nombreux étaient
les points OÙ la pensée de Ketteler joignait aisé-
ment la siennc. Trois ans avant que 1\Iarx, dans
son livre du Capital, ne construisît à grand renfort
de chifTres la théorie du (( travail marchandise)),
KeUeler, s'inspirant évidemment de la Réponse
publique de Lassalle, qui date du 1 er mars i863 t,
esquissait déjà quelques-uns des traits de celte
théorie. Ainsi I' évêque de Mayence, comme analyste
des réalités éconon1iques, était singulièrement
proche de Lassalle ; et l'on sJexplique dès lors que,
préparant un travail critique sur les solutions du
libéralisme progressiste et du radicalisme socia-
liste, il ait en la curiosité d'entrer en rapports
directs avec Ie célèbre agitateur et de ne juger ses
plans qu'après l'avoir IDis en mesure de les défen-
dre.
En janvier 1861., une mystérieuse lettre, qui
portait Ie timbre de la poste de Francfort, parvenait
à Ferdinand Lassallc, à Berlin; eUe n'avait pas de
signature. L'anonyme expJiquait que, disposant de
50.000 florins, il songeait à fonder, avec ce capital,
cinq petites associations de production, que ce
système lui paraissait préférable à l'intervention
de l'État; et il réclamait l'avis de Lassalle. .Poste
restante, à Francfort, à l'adresse ((
1 Z 35 )), arriva,
Ie 2f janvier, une réponse du tribun : Ie correspon-
dant trop discret étaÏt prié de se faire connaître 2.
Ainsi fut suspendu l'échange de leUres entre Guil-
1. Lassalle, Di3coura et pamphlets, trade Dave et Remy. p. 195-
37.
!. Goyau, Kelteler, p. !1l-213.
t34- I.
AT.I.E:\IAGNE RRLIGIErSE
laume-Enlnlanuel de l{etteler et Ferdinand Lassalle.
Dne réorganisation sociale fondamentale opérée
par les seules libéraIités de la chal'ité chrétienne :
tel était, - cette correspondance le prouve, - Ie
rêve grandiose de l{eUeler. Ce que projetait l'évêque
de
layence, ce n' ðtait rien de moins qu 'une révo-
lution dans l'organisation de ]'induslrie, c'était Ie
capital mis à la disposition des travailleurs, les
travailleurs passant de l'état de salariés à l' état de
propriétaires. Et c' est au capital des chrétiens qu'il
rêvait d'avoir recours, au nom mème de l'idée
chrétienne, pour hâter l'avènement d'une époque
nouvelle où la nlultiplication des coopératives de
production mcttrait dans les mênles mains Ie capi-
tal et l'oulil; c'est à la charilé chrélienne qu'il
s'adressait pour que, sans secousse, sans soubre-
saut, sans désordres, elle se fît l' ouvrière humblp
et dévouée d-'une évolution sociale. L'histoire
entière nous enseigne que des évolutions aussi
graves ne s'accomplissent en général que par Ia.
brusquerie des révolutions; Ketteler avait assez de
confiance dans la logique de sa doctrine et dans Ia.
vailJanee de la charité, pour dcnlander aux gens
de bien de faire faire à ] 'humanité l' économie d'une
révolution.
. Sur ses indica.tions, Ie chanoine Moufang écri vit
au sociologue Victor-Aimé Huber \ qui, dans sa
1. Sur Huber (1800-1869), voir L'Aliemagne religieuse, le protestantismp.
p. 191-193 (4 e édit., Paris, Perrin, 1905) et Elvel's, Allgemeine deutsche Bio
yraphie, XIII, p. 249-258. - On trouvait six ans plus tõl dans les H. P. B..
1857, I, p. 48-80 et 260-'!83, un article très favorable sur l'ouvrage dans lequel
Huber raconlait son voyage ({'observation.. é
onomiques de l'aun
e 1854.
FOR}IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 135
retraite de Wernigerode, avait organisé une série
d'institutions philanthropiques; Huber répondit en
substance que depuis longtemps il songeait COID-
bien pourrait être féconde I 'action des catholiques
pour l'æuvre commune de progrès social, et qu'il
se réjouissait d' entendre enfin des voix autorisées
donneI' l'impulsion 1.
VI
Pressé par ces encouragements mêmes, Ketteler,
à la fin du printemps de f864, publiait son livre:
La question ollv1'ière et Ie Ch1'istianis'J1'te 2. II décla-
rait que Lassalle et son parti (( avaient Ie mérite
incontestable d'avoir dépeint
en termes aussi
énergiques que vrais, la situation des classes
ouvrières réduites au strict nécessaire )) ; il faisait
sienne, en somme, la partie critique du système
de Lassalle. l\Iais quant à Ia partie positive et, si
l' on ose ainsi dire, constructrice, de ce système,
Ketteler la répudiait con1me périlleuse et comme
illégitin1e, de même qu'il évinçait comme insuffi-
santes les solutions de Schulze Delitzsch. L'inter-
vention souveraine par laquelle l'État prélèverait
sur les riches l'argcnt nécessaire pour transformer
les pauvres en propriétaires inquiétait, au point
de vue du droit, les scrupules t.héologiques de
l'évêque, toujours soucieux de distinguer entre les
t. Ptuelf, fCetteler, II, p. 186.
2. Une traduclion française en Cut publiée par 1\1. Cloes (Liêge, Grandmont, 18(9).
ous en avons donné de nombreux fragments dans notre volume sur KeUder.
136 L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
obligations de stricte justice et les obligations de
charité 1. Au surplus, l'instinct même de I{etteler,
si rapide à s'insurger contre tout absolutisme, Ie
dissuadait encore, à cette époque, de confier à
I'État centraJisateur la solution de la question
sociale. Parce qu'hostile à l'absolutismc, il conI-
hattaH, chez Ie propriétaire, Ie jus abutendi et,
chez l'employeur, l'exploitatioll des forces hu-
maines : de là, ses hardiesses de théoricien social.
!\-Iais parce qu 'hostile à l'absolutisme, aussi, it ne
voulait pas d'un État subjuguant les riches par ses
exigences fiscaies et les pauvres par ses bienfaits
gratuits; et c'est ainsi que sa haine lenace contre
toute exagération illimitée dans l'exercice des droits
humains l'amenait, tour à tour, à se rapprocher
de Lassalle et à se séparer de lui. Le livre s'ache-
vail par l'exposé du beau rêve qu'csqllissait naguère
la Ieltre à Lassallc; Kettelcr souhaitait, avec une
ardente confiancc, que l'épanouissement même de
l'amour chrétien dans les âmes se traduisît, sur Ie
terrain social, par la création de coopératives de
production, dont les premiers fonds seraient dus à
d'émouvants gestes d'amour.
Dans les papiers de Ketteler remontant à cette
époque, Ie P. Pfuelf a retrouvé un certain nombre
de hrouillons plus précis, plus concrets, dans les-
queIs l' évêque, seul devant son papier, en visageait
t. Quelques aunées après, Ie chanoinc l\Ioufang se monlrcra, dans son
programme social du 27 février 18i1, moins accessible à ces l'éservcs, et
it demandera, commc Lassalle, que l'ÉtaL Casse lies avances aux sociélés ou-
vrières. (Lavele
'e. Le 80cialisme contemporain, 6 e Mil., p. 151-152. Paris,
Alcan, is!!:!.)
OR:\IATION SOCIALE DES CATHOLIUUES ALLEIUANDS i37
e fonctionnement possible de ces associations tant
tésirées. I{ette]er y passait en revue les divers
;roupemcnts de travail1eurs, ct les appréciait bri(\-
'enlent. (( Les Trade-Unions, écrivait-il, sont jus-
ifiées comme le sont les amputations sur Ie corps
nalade; eUes présupposent un état de maladie,
aais, dans un état de maladie, sont chose relati-
"ement bonne. Aussi faut-il affranchir Ie travail-
eur de tous les obstacles que les lois opposent au
roit fl'association. D'autre part il ne faut pas se
lire com pi ice de cette ill usi on trom pense pour les
eavailleurs, d'après laquel1e, senles, les Tl'ade-
lnions pourraient les aider. )) Passant aux associa-
ions de Schulze-Delitzsch : (( Elles ont éveillé Ie
:oiIt de s
associer, notait-il : c'est un grand avan-
age, un retour öU ténébreux moyen âge. )) Mais
lIeuI' reprochait d' (( être dirigécs contre l'in-
.nence religieuse )), d' (( enrichir, parfois, les
ourgcois libéraux qui les fondaient... )) Enfin,
oncluait-il, (( si du moins les choses s'y passent...
onnêtement, eUes peuvent toujours aider un
eu. )) I{etteler abordait aussitôt nne troisième
lasse d'associations, celles qui font du travailleur
n associé de l' exploitation industrielle, un asso-
ié de la jouissance, un l1fitherr, un Mitniesser. Les
romouvoir lui semblait être (( l'une des tàches
apitales de l'époque, rune des plus belles lâches
es nations chrétipnnes )).
Son enthousiaste imagination se fixait sur des
hiffres; il projetait une grande association cen-
'ale qui susciterait de telIes initiatives; sur ses
Ilr,D nv (
1 \ '-'
r
, '71=
138
r/ ALLE
IAGNE REI..IGIEUSE
ressources d' évêque, il assurerait à cette associa
tion 5.000 florins pendant 6 ans. (( J'ajoute que .1<<
suis prêt 1 ... )) Ici finit le manuscrit; ici s'arrête If
crayon de I{etteler, soudainernent interrompu à It
seconde même OÙ sans doute il allait noter quelquf
autre sacrifice susceptible d'assurer Ie renouveRl
social. Un autre jour, il traçait un projet de banqu<<
au capital de 1.0.000 florins, émettant des action:
de 1.0 florins, et chargée de faire des prêts à tou:
les travailleurs qui voudl
aient s'organiser, ou bieI
un plan de société qui, à titre d' essai, subvention
nerait une exploitation industrielle exclusivemen
confiée à des travailleurs, et qui leur réserverai
ainsi, outre leur salaire, tout ]e profit de l'affaire 2
Un soil' OÙ Ie Journal de Fl
ancfo1"t attaquait l'avi.
dité du clergé, Ie Journal de Alayence, organe catho-
lique, ripostait: (( Si Ies fabricants millionnaire!
et tous les .l\lagnats cousus d' or élargissaient unE
fois leurs cæurs, s'ils voulaient employer à pel
près la dixième partie de leurs revenus annuel:
pour un but d'intérêt général, comme chaquf
année fait l'évêque de Mayence avec presque tou
son revenu, alors la question ouvrière serait heu.
reusement résolue, et l'on verrait éclore des asso
ciations productriccs de dividendes annuels pou.
les tfa vailleurs, des institutions pour les ouvrier.
malades et invalides; et tout ce qu'il y a de bon
tout ce qu'il y a d'applicable, dans les système:
modernes de Schulze-Delitzsch et de Lassalle, pOI'
1. PfuelC, Ketteler, II, p. 197-198.
. Pfuelf, Ketteler, II, p. 199.
F'OR1IATION SOCIALE DES CATHOLIQURg ALLEl\IANDS 139
terait les plus beaux fruits sur Ie terrain de l'amour
hrétien 1
))
La presse catholique e
amina sérieusement les
propositions de J{eUeler; certains de ses organes
5e décIarèrent tou t prêts à cesser de revendiquer
les biens ecclésiastiques sécularisés, si Ie produit
de ces sécularisations éLait affect{
par l'État à des
oopératives de production 2. Qne les biens enlevés
à Dieu fussent consacrés au peuple, fa pressp catho-
lique, tout de suite, applaudirait !
Ainsi se découvraient des horizons imprévus;
les rêves sociaux engendraient des rêves politiques.
Ketteler laissait dire les journaux et se dérouler
l'histoire ; il avail voulu, Iui, tout simplement,
faire l'éducation sociale de la charité chrélienne.
Survenant entre deux écoles réformatrices dont
l'une, la libéraIe, parlait de self-Itelp, et dont
l'autre, la radicale, parl
it de contrainte, Ie livre
de J{etteler faisait de la réforme sociale un élan
d'amour, et traçait à cet élan des directions aux-
queUes Lassalle ne pouvait qu'applaudir.
Parmi les nombreux témoignages que reçut
Ketteler à l' occasion de son livre, celui qui sans
doule lui parut Ie plus attachant ne fut pas la leltre
élogieuse dp Pierre Mischler, l'économisle catho-
lique de Prague 3, ni Ie curieux billet d 'un mécani-
t. PfueU, Ope cit., II, p. 201.
2. Becker, Geschichte der Arbeiter-Agitation Ferdinand Lassalle's, p.
18,
(Brunschwick, Bracke, 1874.)
3. Raich, Briere von und an Ketteler, p. 299-300. - Sur Mischler (1811-
\864), qui mourut peu de mois après, voir Ernesll\lischler, Allgemeine deutsche
Biographie, XXII, p. 4-10.
140
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
cicn protestant lui éerivant : (
Si je ne puis pa
VOllS voir sur cette terrc, je veux vous visiter dan
l'autre mondc, et vous remercier d'être un ami de
hommes 1 )), lli mên1e l'adresse par laquelle UI
protestant de Hambourg, président de l'assoeiatioI
des artisans, lui exprimait une chrélienne sympa.
thie 2, mais bien plutôt, croyons-nous, Ie rapid
message dans lequel un curé des bords du RhiI
lui rapportait quelques propos de Lassalle. Un
fête socialiste avait eu lieu à Ronsdorf, Ie 23 n1a
1864 ; Lassalle y avait réuni huit à neuf cent:
auditeurs. II leur avait parlé de l' Association géné
'rale des ll'availlcul"S allenlands, et puis des tenta
tives diverses faites, de-çà, de-là, pour améliore:
leur destinée ; une demi-heure durant, il avai
insisté sur Rettcler, cet homme qui sur Ie Rhir
est (( en odeur de sainteté )), qui depuis de longue!
années (( s' adonne aux recherches scicntifiques )), e
(( dont Ie nom, devant tout tribunal Rhénan, es
entendu non seulen1ent avec considération, comm<
ceux des savants, mais avec la plus haute défé,
renee )). Des paroles de Lassalle, Ie curé racontai-
à Ketteler ce qu'il avait retenu :
(( Un prince de l'Église Rhénane. COlnrnen
a Lassalle, n"[
pu s'empêcher de reudre enfin témoiguage à la vérité, e
11 a décIaré que cet évêque partageait complètement se
propres idées dans un livre intitulé : La question o1.lvrièl't
(Lass
lle ne donna pas la fin du titre, ce qui me surprit tou l
de suIte).
1. PCueIr, Keltelel', II, p. 18U.
!. Raich, op. eit., p. 300-303.
'ORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i
t
Ad commendationem, il parla encore un peu de la science
:t de la pénétration de V otre Grandeur... Puis, illut divers
>assages de votre écrit... Lassalle était tout à fait en extase,
e public applaudissait constamment; une voix cria même :
live l'évêque de \layence L.. Vous auriez, continua l'ora-
eur, élevé deux réserves contre ses idées: d 'abord, vous
mriez dit que les travailleurs gâteraient leur cause par trop
le précipitation, puis, à cause du caractère divin de la pro-
)riété privée, vous tiendriez l'aide de I'État pour illicite. La
)remière objection, répliquait Lassalle, n'est pas fondée; il
onnaît trop bien resprit intelligent des travailleurs, qui se
.endraient compte eux-mêmes que tout cela doit se réaliser
>ar une pacifique évolution. L'autre objection n'existe pas
)our lui et pour les auditeurs, parce qu'ils ne croient pas à la
livinité de la propriété privée : J'ailleurs Lassalle ne veut pas
nêlne toucher, de quelque façon que ce soit, à la propriété
lctuelle. Lassalle commença ses réflexions sur ce point en
lisant: J e ne suis pas de la prêtraille (ich bin lie in Ptaff). Du
Hoyen capital indiqué dans voLre livre pour remédier à la
nisère des travailleurs comme de tous les .hommes - Ie
hristianisme - Lassalle n'a pas dit une syllabe, de même
Iue, dans tout son discours, il ne fut pas une seule fois ques-
.ion de religion ou d
rnoralité 1 )).
L Raich, Ope cit., p. 28G-298. - Le lede précÏs de ce discours de l.assallc
'ut imprimé dans la suite; on peut Ie lire inlégralement dans la traduclion de
\1l\l. Victor Dave et Léon Rcmy. (( II Y a pcu de temps, disait-il, un prince de rÉglise,
'évêquc de l\1ayence, poussé par sa conscience, cst in1ervenu dans la qucstion
mvrièrc. Sur les bords du Rhin, il est cn odeur de saintelé. Depuis bien des
umécs iL s'adonne aux recherches scienlifiqucs. Point par poinl, il adopte mes
)roposilions et mes 1hèses économiqucs ct rejelte celles des progressistes, avcc
}énélration et franchisc... n ne laisse même pas aux progressistc8 Ie choix
nlre J'ignorance et l'inlention de tromper; en conscience, il se "oit obligé
Ie déclarer que celui-Ià voudrait lromper Ie pel1ple, qui. counaissant les preuves
Iue j'ai foul'nics, persisterait à nier l'exislence dc la loi d'airain !... V ous savez,
es amis, q1Je je n'apparlicns pas à la cat.égorie des gens pieux. Mais il n'est
l ue juste d'accorder la plus gran de valcur à ce s
mplõmc. l\Ialgré l'indulgcnce
t la retenue qui couviennent nalurellemenl à son minislère, un évêque sc voit
::ependant obligé, cn conscienc<" de s'exprimer avcc la sévél'ité que mc per-
mettait ma liberté de tribun populaire... Cela est d'au1anl plus imporlant que
l'évèque n'apparticnt naturellcment pas au nombrc de nos adhél'cnls. II conleste
l'utililé dc nos efforts; il en conleste la légitimilé. II conlesle leur utilité parce
qu'il craint Ie bouleversemcnt {Iue provoqucrait la mise à exéculion de nos mc-
!ures en malière sociale. II conteslc leur légilimité parce (Iuïl Jui pal'ail dou-
'cux que rÉtat ait Ie droit d.cmploycr les mo
ens ('1 ll"tlSPl' dp.s institutions que
i '9
.J:,-,
L' ALLE
IAGNE RELIGIEUSE
Le discours de Lassalle, tel que ces lignes ]e
résumaient, montrait en queUe estime le fondateur
du sociaJisme Allemand tenait la pensée de Kette-
ler. II était naturel que cette singularité frappât la
presse de l'étranger : on voyait Ie Tentps du
17 octobre 1864 publier une analyse très longue,
très fouillée, du livre épiscopal, sous ce titre
expressif: (( Un évêque socialiste. ))
Au demeurant, I{elteler, - une lettre postérieure
à la filort de Lassalle nons en est la preuve, -
inclinait à juger assez favorablement la personna-
lité nlême du fameux tribun 1. En 1866, trois
je réclame, ll'engager ainsi dans des voies délerminées. dans des canalll. rigides.
la propriél:.é future. Mais par Ià mème I'évêque de Mayence porte en nolre faveur
Ie lémoignage Ie plus imporlant. n avoue en effel que celte opinion n'est fondée
que chez ceux qui, comme lui, croienl la propriélé d'inslitulion divine. La doc-
lrine acluellement en faveur dans l'Élat, dans la science, daus Ie parli libéral,
voit dans la propriélé privée une insti\.ulion humaine. L'évèque dlt que de ce
point de vue on l1e peut élever la moindre objection sur la légitimité des mesures
que je propoie. Vous devez comprenòre l'importance incomparable d'un semblable
aveu. ,) A celle époque même, Hieronymi. prédicaleur de la secLe des FreÜ'e-
ligioesen, publiait à Darmstadt une brochure con1re (( Erostrale-Lassalle )1.
Lassa
le n 'en était que plus flatté du langage de Ke1telcr à son endroit. Bernard
Becker, plU5 tarò président de l'Association générale des ouvriers allemands, ne
parle qu'avec mauvaise humeur, dans sa Geschichte der Arbeiter-Agitation
Ferdinand Lassalle's, de J'at1ilude réciproque de Lassalle et des.: ultramon-
lains )); la mème colère s'observe dans Ie livre de Brandes, Ferdinand Lassalle:
ein literarisches Chamkterbild. p. 239-240. (Berlin. Dunck.er, 1877.) - Cf. sur
Ie discours de Ronsdorf, où Lassalle faisail aussi cer1aines avanccs à Bismarck.
Seillière. Etudes sur Lassalle, {ondateur du pa>.ti 80cialiste allemand, p. 192-
HI4 (Paris. PIon, 1897).
1. Ainsi s'explique que les (I nationaux liLéraux, >>à l'époque llu Culturkamp/,.
aient allégué Ie souvenir du jugement de Kelleler sur Lassalle, pour accuser
l'évëque dt: n'êlre qu'un démagogue, et que même ils aient complaisammellt
accueilli, sur les rapports des deux personnages. d'assez curieuses légende!.
Entre aut res fails. une visite qu'avait rendue la comlesse Hatzfeld à KeUeler Ie
16 août 1864 quelque temps avant Ja mort de Lassalle, donna lieu plus lard à
Ull tenace on-dit, dont en février 1873 la Nationalzeitung se fit l'écho, et d'après
lequeL Ketteler. sur la demande de la comlesse. se serait montl'é propice à l'idée
de bap1iser lïsraéli1e LassaUe pour facililer 80n mal'iage avec MILe de Doen-
niges. V o
ez lcs démenLis ùe Kettelcr lui-même dans la Gerrnania du 16 fé-
vrier 187:1 ('1 le8 ('}.plications complémenlail'cs du P. Pfuclf, E.ettele,,, Ill.
OR
IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEAIANDS 1.43
uvriers catholiques de Duenwald, membres de
Association des travailleurs fondée par Lassalle,
)nsuJtèrent Ketteler; ils lui demandèrenl si des
Itho]iques pouvaient appartenir à ce groupement.
ans émeUre un avis formel sur une question qui
gardait surtout l'évêque de leur diocèse, Ketteler
lclina, non d'ailleurs sans quelque hésitation,
ers une réponse négative, en raison de l'esprit
îtireligieux qui dirigeail les chefs actuels du
Louvement ]assallien ; mais il tint à rappeler l'in-
épendance de jugement qu'il avail toujours cons-
ltée dans les écrits de Lassalle, et même Ie (( pres-
ntiment respectueux qu'avait Lassalle de la
eofondeur et de la vérité du christianisme )). Sous
1 direction, ajoutait-il, (( l'Association générale
es travailleurs n'aurait, je crois, point élé détour-
ée de son but, c'est-à-dire de la mission de veiller
ux intérêts de l'ouvrier, et on n'en aurait pas
busé jusqu'à la faire servir des tendances anti-
ltholiques )) I. Ainsi Ie cas de conscience soumis à
.etteler par trois prolétaires catholiques devinl
our l'évêque de l\Iayence l'occasion d'un hom-
lage à la personnalité disparue de Lassalle ; el
)ut au fond de sa pensée, telle que sa réponse la
lÎsse voir, la seule objection vraiment sérieuse
u'il croit pouvoir élever contre la participation
es ouvriers à l' effort socialisle était tirée de la
260-2G3. Rien d'exact, non plus, dans Ia rumeur, accréditée en f896 par cer_
ins journaux, d'après Iaquelle Ketteler, au momenl où la comtesse Halzfeid
mena de Genève Ie callavre de Lassalle, am'ait accompagné Ie corps depuis la
rc lle Mayence jusflu'à l'embarcadère du Rhil1 (Pfuclf, Ope cit., III, p. 263).
1. (;o
an, J{cltelC1', p, 2:ï
-2(ì 1.
144 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
malveillance notoire des chefs socialistf\s contre Ie
catholicisme lui-même.
VII
Ketteler n'était point une exception parmi le
catholiques de l' Allemagne 1. II suffit de parcouril
entre 1.860 et 1.870 la collection des Feuilles hista-
'rico-politiques 2, la grande revue catholique qui
s'honorait d'avoir eu Goerres pour fondateur :
on constate tout de suite que cette revue, publiéE
dans la calme Bavière, nc redoute pas la questioI1
sociale, que tout au conlraire elle évoque cette
question, que sans cessc eUe l'agitc, qu'eUe ]{I
brandit, pourrail-on dire, sous Ie regard de
(( libéraux )) inquiets, et qu'pn face de l'anticléri-
calisme bourgeois, elIe se réjouit de cette agitation
ouvrière assez arrogantc pour demander à la bour-
geoisie ses titres. (( Tout Ie bruil qu
on fait autoul
de Bonaparte et de Garibaldi, de Cavour et de
Cobourg, de la Hongrie ct de l'Italie, tout cela
passe : une scule chose subsiste, c' est la sociétr
profondément malheureuse. Qui, c'est la question
sociale ! V ous l'avez oubliée,. cUe ne vous oublie
1. On pourrait en parUculier mcnlionner en 1865, dans la toute nouvelle collec-
tion des B,'ocltures de F1'ancfort, une brochure de l'économiste Jean-Josep)!
Rossbach (1813-t8G9), qui aVùit apparlcnu cn t849 au parti calholique bavarois
elle s'inlilulait : Industrie und Christenthum.
2. Cf. notre tome II, p. t08-t09 et 203-
06. A la mort de Guido Goerres, er'
185
, Joerg élait devenu Ie direcleur des Feuilles (H. P. B., 185
, II, p. 211-
::!12), et 1\1. Franz Binder, qui dcvait 8uccéder à Joerg comme directeur, lui rul
associé dans celle tâche à pal'lir de 1858 (H. P. B., 1858, I, p. 7:-?7-ïi8) : on fêlail
en janvier 1908 Ie cinquanlenairc de sa direction (H. P. B., J908, I, p. V-XVI.:
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE
IANDS i
5
pas 1. )) Ainsi s'exprimaient, dès :1860, les Feuilles
ltistorico-politiqlles. Et en :1865 : (( On peut se dis-
puter sur Ie Schleswig; la plus impol'tante de
toutes les questions pour nous, c'est de savoir
comment Ie peuple mangera, c' est la question
sociale 2. ))
II plaisait à ce grand périodique catholique de
braver ainsi les (( nationaux libéraux)) en leur
remontrant que vainement ils essaieraient d'amuser
I 'opinion par certains débats politiques ou d' occu-
per les passions populaires par des excitations
antireligieuses; qu'au-dessous des agitations super-
ficielles où s'attardait Ia (( bourgeoisie )), une ques-
tion profonde survivait, dont iL faudrait bien qu'un
jour elle se préoccupât. La Chambre hessoise, pour
taquiner Ie ministre Dalwigk et l'évêque Ketteler,
aimait les débats sur Ie cléricalisme. (( Le sort des
petits métiers, proclamait alors un orateur, est
pour moi beaucoup plus important que la question
ecclésiastique 3 )) ; cet orateur n'était autre que Ie
chanoine l\Ioufang, auxiliaire de Ketteler dans
l'administl'ation du diocèse; et, dans un long dis-
cours, il développait Ie plan d'une législation pro-
tectrice des artisans, susceptible de les aider
(( contre la tyrannie du capita1 4 )). Les Feuilles
histo'J'ico-politiques goûtaient fort ce genre de
diversion : il leur plaisait que Ie catholicisme
L H. P. B., 1860, II, p. 512.
. H. P. B., 1865, I, p. 117.
3. Moufang, Die Bandwerkerfrage, p. 6 (Mayence, Kircbbeim, 1864).
4. Moufang, Ope cit., p. 33. - cr. cj-dessus, p. 55, n. 2,
III.
10
146
L 'ALL El\lAGNE RELIGIEUSE
ripostàt aux importunités de l'anticléricalisnle par
l'importunité souveraine de la question sociale;
des députés voulaien
-ils jouer au concile, ou des
journalistes s'ériger en théologiens, il se trouvait
tout de suite des catholiques pour leur rap-
peler qu'il y avait des pau vres et que LassaHe
exislait. Nationaux libéraux et catholiques sem-
blaient parfois Iutter d'ingéniosité, les uns pour
éluder ]a question sociale, les autres pour l'affi-
cher.
Aux regards des Feuilles histol'ico-politiques, il
était logique que Ie libéralislne économique fût
politiquemcnt antire1igieux. (( II est in1possible,
y lisait-on en i865, qu'une doctrine qui traite
comme une rnarchandise rnorte la force de tra-
vail de la pauvre hurnanité soit an1icale pour
la pensée chrétienne 1. )) L'article s'intitulait :
Le système du libé1'alisJue économique et l' essence
de la bourgeoisie. Quelques mois après, la même
revue développait cette idée, que Ie malthusia-
nisme est Ia conséquence du libéralisme, ct elle
concJuait : (( Un système d'économie politique
qui est tombé jusqu'à cette profondeur de rnépris
pour soi-même ne peut avoir aucun aveniI' 2. ))
Lassalle était autrernent traité : (( Génie séculaire,
écrivait-on, il a percé, de ses pénétrantes intui-
tions, les profondeurs de l'histoire de la civilisa-
tion, et sou vent il eut un langage qui serait tout
à fait digne d'un voyant chrétien et d'un socio-
t. H. P. B., 1865, II, p. 56.
. U. P. B., 1866, I, p. 514.
i48
L' ALLEMAGNE RELTGIEUSE
peut-être, sur les ruines du libéralisme, Lassalle
frayaiL-il les voies à la solution chrétienne de la
question sociale. Le monde se transformait; l'élé-
vation des travailleurs al1ait (( nécessiter un chan-
gement de front dans ]a politique intérieure de tous
les gouvernements, et cette nouveauté, infiniment
plus importante que les remaniements imn1inent
de la carte d'Europe, allail survenir assez prochai-
nement dans les États industriels 1 )). Avec allé-
gresse, au nom du catholicisme, les F'euilles his-
tOl"ico-politiq'lles tournaienl Ie dos aux tenaces
vieilleries, aux vieilleries lentes à mourir; (( la
société du libéralisme, notaient-elles en 1868, es1
à présent condamnée, d'une part dans les allocu-
tions du pape à Rome; d'autre part dans les allo-
cutions de Jacoby, Ie tribun démocrate de Kænigs-
berg 2 )). Cela ne déplaisait pas aux Fpuilles, dE
voir les sarcasmes de la démocratie sociale contrE
Ie libéralisme faire écho aux anathèmes du Sylla.
bus; elles aimaient ces attrayantes coïncidence
comme des préludes de l'avenir. On se trouvait i
un tournant de I 'histoire; de là, des devoirs nou.
veaux pour l'Église.
Si une nouvelle période de l'histoire, disaient les Feuille.
en 1865, invoque plus hautement que jamais I'Évangile de!
pauvres, pourquoi I'Eglise ne devrait-elle pas accepter, ell(
aussi, d'apparaître avant tout cùmme une personnalit{
ouvrière'? (warum sollte nicht auch die Kil'che vorherrschend,
AJ'beiter-Gestalt annehmen?)
1. H. P. B., 1865, I, p. 1017.
. B. P. B., 1868, II, p. 264. - Sur Ie radical Jean Jacoby (1805-18i7), voi
Wippermann, Allgemeine deutsche Biographie, XIII, p. 620-631.
ORl'tIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS i49
De toutes les :transfonnations qu'elle a déjà subies dans
.a situation à l'endroit du monde, ce ne serait même pas la
)lus grandee En tout cas, toutes les autres questions ecclé-
,iastiques pourraient bien, tôt ou tard, dispal'aître derrière
,elle-ci : (( Comment Ie catholique doit-il se comporter vis-
L-vis du nouveau n10uvemellt des travailleurs?)) 1
Le penseur audacieux, original, qui interprétait
.insi, pour les catholiques d'AlIen1agne, les pre-
aiel's murmures de ]a question sociale, s'est éleint
l y a six ans seulen1ent : il s'appelait Joseph-
dmond Joerg 2 et avait, en 1852, succédé à Guido
oerres et au canoniste Phillips dans la direction
es Feuilles, que l\10nlaIen1bert appelait (( Ie premier
3cueil de l'Europe catholique >) s.
Ses études sur l'évolution du protestantisn1e,
ubliées de 1853 à 1858 4., témoignaient d'une
.chesse d'inforn1ations et d 'une pénétration cri-
que que l' Allemagne protestante ne pouvait se
3fendre d'admirer:). Archi viste à l\1unich, ses
l.ticles contre la bureaucratie lui avaient valu un
)sle de disgràce dans la bourgade lointaine de
eubourg : c'est de là qu'il regardait la terre tour-
er, les homn1es s 'agitei', les révolutions se prépa-
r. (( Dites-moi de grâce qui est eel auteur, écri-
lit l\Iontalembert après avoir Iu des pages ano-
yn1es de Joerg, afin que j'inscrive son nom parmi
I. H. P. B., 1865, I, p. 416.
2. Voir sur Joseph-Edmond Joerg (1819-1901), l'arlicle de Franz Binder (li.
B" 1901, II, p. 773-79:t); - et B. yon Meyer, E1'lelmisse, I, p. 315-316.
J. Montalembert, (Euvres, V, p. j6. (Paris, Lecoffre, 1861-1868).
. Joerg, Geschichte des Protestantismus in seiner neuesten EntwicklulIg,
'ibourg, Herder, 1858).
). Ringseis, Erinnel'ultgeu, IV, p. 42, n. 1.
i50
I:ALLEl\IAGNE HELIGIEUSE
ceux des esprits les plus sagaces que j'aie encore
rencontrés 1. )) Joel'g mérite de figurer, à côlé de
Ketteler, parmi les édncateurs sociaux des catho-
liqnes d' AJIemagne.
Le livre dÏnformations dans lequel l'Allemagne
catbolique apprit à connaître et à juger les di verses
écoles sociales fut Ie livre d'Ednlond Joerg, publié
à Fribourg en 1.867 et intitulé : Histoire des pal ' ti.s
politiques sociaux en Alteuzagne 2. De proposer Ia
solution chrétienne, Joerg ne s'en préoceupe qu'en
passant; il estinlait, sans doute, ne pouvoir
mieux dire qu'avait dit Ketteler. l\lais la nléthode
même de son livre, l'esprit qui l'inspire, Ie point
de vue où il se place, habituaient les catholiques.
si l'on peut ainsi parler, à une cerlaine optique
sociale, qu'il importe de définir avec qlle]que soin.
Pour Edmond Joerg, rhégémonie éconornique de
la bourgeoisie est Ie nlal souverain, et par bour-
geoisie il entend la classe sociale qui profita de la
révolution de 1.848 pour renverser toutes les bar-
rières économiques S et qui, dans la suite, déclara
superbement que Ie National Verein, avec ses
aspirations anticléricales, représenlait des millions
de capital +. En tant que catholique et en tant que
sociologue, Joerg enregistre avec satisfaction 13
rupture, opérée par LassalIe, entre cette bour-
t. Binder, loc. cit., p. 78G.
2. Joerg, Geschichte der social-politischen Parteien in Deutschland. (Fri.
bourg, Herder, 1867). - Sur Ie succès de ce livre, voir Theologisches Litcm-
turblatt, 1867, p. 563-5G8; H. P. n., 1868, I, I>' 318-32i.
3. Joerg, op. cit., p. 4-S.
4. Joerg, op. cit., p. 7.
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEì\IANDR HH
geoisie et la masse ouvrière; il rnesure avec allé-
gresse les coups portés par la nouvelle école
démocratique à la tyrannie politique et sociale du
capital bourgeois. Qu 'on ne s' égare pas sur Ie sens
du n10t bourgeoisie; .10el'g, comme tous les catho-
liqucs d'outre-Rhin, attache beancoup de prix au
Iuaintien des classes moyennes, mais l'un des
reproches qu'il fait précisément à la bâlisse écono-
mique que Schulze Delilzsch s' essaie à recrépir,
c' est que les classes moyennes clles-mêmes y sont
rnallogées t. (( Certainement, dit-il, la diITérence
du riche et du pauvre esL voulue par l'ordre divin;
mais là OÙ les fortunes moyennes se dissolvent
pour qu'une petite minorité nage dans 1'01', tandis
que la grande masse tomue dans l'cxtr
me lnisère,
alors, à la place de l"ordrc di vin, s'installe un
péché mortel contl'e l'humanité, l'u8nre 2. ))
La science économique fut con1plice du péché;
mais Lassal1e est venu, - l..assalle, Ie Luther
social,. et c' est tant pis pour Ie péché, si la science
allemande est venue comn1e transfuge au camp
des travailleurs s, ct s'il existe maintenant, grâce
l Lassalle, une politique ouvrière, scientifique
eUe aussi, et émancipée de la politique de la
bourgeoisie 4. CeLte science transfuge, à lire les
1. Joerg, op. cit., p. 80-100.
. Joerg, Ope cit., p. 81. - Pierre Reichenspergor, dès 1860, avait fait un
écrit contre la suppression des lois sur l'usure (Berlin, Gullenlag); voir
H. P. B. 1860, I, p. 695 el suiv. - cr. H. P. B., 1870, II, p. 360, la con-
clusion ù'une série d'arlicles conlre . l'cffroyable ligue de spéculaleurs qui
enserrent Ie monde )), et Ia prévision ,rune l.('rribJc gUl
rrc socia\('.
3. Joerg, Ope cit., p. 14.
4. Joerg, Ope cit., p. tOO.
152
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
déclarations matérialistes de la presse socialiste,
paraît aux antipodes de la foi chrétienne; Joerg
ne Ie cache pas, et il s' en attriste. l\lais il ressort
de son exposé que I 'antagonisme du régime bour-
geois contre Ie christianisme est singulièrement
plus profond ; les catholiques doivent se convaincre
- ce sont ses propres expressions - que cette
(( bourgeoisie, partout, nécessairement, se trouve
dans une posture d'inimitié morteUe contre Ia
morale chrétienne et contre la révélation 1 )>, et
que (( Ie grand précepte de ramouI', donné par Ie
Christ, est formellement abandonné par Ie libéra-
lisme économique 2. )) L'année 1867 n'a pas amené
au Parlement de r Allemagne du Nord Ie parti
ouvrier que Lassalle avait naguère eu l'espoir de
fonder; mais du moins, Ie fonctionnemcnt du
suffrage universel et direct pour les élections à ce
Parlement fut-il une première victoire posthume
du (( génial )) agitateur 3. Cette victoire
pourtant, est
toute négative : elle ne fait que sanctionner les cri-
tiques de Lassalle contre l'idéal politique et socia]
devant lequelle capitalisme bourgeois voulait pros-
teI'neI' l'humanité. Mais quant à la réorganisation
de la société, on ne saurait l'atLendre du parti ou-
vrier fondé par Lassalle, parti déjà très divisé\ et
i. Joerg, Ope cit., p. 101.
2. Joerg, Ope cit., p. 104.
3. Joerg, Ope cit., p. 189.
4. Joerg fail allusion aux décisions qui dès 1865 éclalèrent, dans Ie socia-
lisme allemand, entre Schweitzer d'une part, Liebknecht, :Marx et Engels,
d'autre part. Voir Milhaud, La démocmtie 8ociali8te a,llemande, p. 33-37
(Paris, Alcall, 19U3).
FORl'tIATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS i53
dont la brève histoire est déjà pleine de scandaies ;
il faut pour une société nouvelle un esprit nouveau,
une force nouvelle d'amour : aux catho1iques
d'agir. C'est ainsi que Lassalle, dans Ie livre de
Joerg, prend la stature d'une sorte de Messie, élu
de Dieu pour préparer les décombres sociaux sur
lesqueis I'Église reconstruira.
Puisque, sur les décombres accum ulés par les
Germains dans l'Em pire romain, les moines Béné-
fictins avaient créé une vie rurale nouvelle,
pourquoi des moines, aussi, ne seraient-ils pas les
liquidateurs de la faillite économique, provoquée
?ar Lassalle? Un capucin suisse, Ie P. Théodose,
ivait naguère, en 1.863, captivé les congressistes
ie Francfort en leur racontant l'histoire des deux
tissages qu'il avait installés, à Ingenbohl en Suisse,
ì Oherieitensdorf en Bohême, sous la direction des
;æurs de charité; il était Dlort en 1.865, laissanl
es entreprises dans un état financier très mé-
liocre t. On ne se décourageait point cependant,
t une curieuse brochure, pubJiée à Vienne en
l868, reprenait Ie rève de congrégations direc-
;rices de la vie industrielle. Elle s'intitulait : Le
tanger social de la question o'llvrière et la possihi-
'ité de Ie conjurer 2 , et était l'æuvre du chevalier
3ernard de rvleyer, qui, exilé de Suisse après la
léfaite du Sondel'bund, avait trouvé asile à Vienne
i. Leben und Wirken (lea P. Theodosius Florentini, O. Cap., p. 118-137.
[ngenbohl, Katholischer Buecherverein, lR78).
!. Die socia Ie Gefahr der Arbeìtnfrage und die .Jloeglichlceit del'en Abwen-
ullg(Vìenlle, Sartori, 1868). -H.P. B., 1868, 1l,p.407-408.
i5
L' ALLE}IAGNE RELIGIEUSE
et beaucoup aidé à la conclusion du Concordat autri.
chien 1. Le déchaînement du capital par l'éffet de h
Jibre concur['ence, Ie développement des valeur
mobilières, la suppression des lois contre l'usure
telle était, pour Bernard de l\Ieyer, la triple source.
du mal social. Le remède proposé par Lassalle lu
faisait l' effel d'une utopie : car une certaine vertu
qu'il appelait la discipline volontaire, serait indis
pensable dans ]es associalions productives don-
rêvait Ie tribun socialiste; et Bernard de
Ieye]
savait ou croyait savoir combien est rare cettf
vertu. Lassalle pourtant ne se trompait qu'à demi
et Bernard de Meyer reprenait avec Iui : Oui, i
faut que ces associations fonctionnent; oui, il fau
qu'aux généreux capitaux apportés par ceux qu
possèdent se joignent des garanties d'Íntérêl 01
même des subventions accordées par l'État. l\Iai
Ie succès était impossible, aux regards de
leyer
si ron ne donnait pas à ces associations une direc
tion complètement indépendante, si elles n'étaien
pas libres à l' endroit des classes possédantes
l\Ieyer, alors, dessinait Ie plan d'une congrégatioI
nouvelle qui présiderait aux nouveaux essais dl
vie industrielle; et la revue le Catholique, de
Iayence, accueillait avec intérêt cette ingénieus,
combinaison, qui, sous l'ombrage pacifique d.
quelque rameau monastique, réaliserait en parti,
Ie programme révolutionnaire de Lassalle 2.
I. Sur Berna.rd de Me
er (1810-18i4), voir Meyer v. Knonau, Allgemein
deutsche Biographie, XXI, p. 551-561, et surtout les propres
Iémoires d
:Meyer, pub1iés par son fils en 1874 (Erlebnissc, 2 vol., VjeUlu',
]anz).
2. l1atholik, 1868, II, p. 3t!l-351.
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE?tIANDS 155
VIII
Eût-il été d'une sage tactique, pourtant, eût-il
été conforme à la politique réaliste de I'Église,
que Ie chrislianisme social se laissât immobiliser
par l'ampleur mên1e de ses rêves, et quJil attendît
tranquillement les merveilleux coups d'État, -
gestes de capitalistes généreux, ou bien violences
ouvrières, - qui substitueraicnt au salariat un
autre mode de production? I{etleler ne Ie pensait
point, et tout en continuant de griffonner des plans
de coopératives, il envisagea sans retard la meil-
leure façon de prêter aide aux ouvriers dans Ie
régime industriel de l'heure présente. A côté des
brouillons dans lesquels il édifiaÏt nne (( solution
de la question sociale )), d'autres brouillons prirent
place sur son bureau, Oil il examinait les moyens
immédiats de relever la situation du travailleur 1.
En voici un, cité par Ie P. Pfuelf, qui semble
remonter à l'année 1865 :
A la place du self-help individuel du libéralisme, doit sur-
gir Ie self-help corporatif, sans exclure un appui raisonnable
L Pratiquement, rien de ce qui louchail à la deslinée de l'ouvrier ne laissait
Kcltclcr indifférenl. Un jour, Ie Conseil municipal de ì\Iayence, préoccupii de
moins dépenscr pour rhôpÏtal de la ville, voulut imposer aux ouvriers étrangers
lravaillanL dans Maycnce une cotisation qui leur assurait l'accès éventuel de
l'hôpilal, et se refusa à dispenser de celte charge pécuniaire ceux-Ià mêmes qui
d'avancc, pour Ie cas de maladie, avaiellt conlraclé cJes arranp-emenls avec des
rondations de bienfaisance pl'ivée. Le journal catholique de Ia ville publia contra
ces prélenLiolls du Conseil une série d'articles; el la municipalilé dut céder.
I C'élait Ketteler qui, pour la circonsLance, s'éLait improvisð journaliste, en faveur
1es ouvriers ambulant.s que les hasards de leut's voyages lui amcnaienl commC'
liocésains (Pfuelf, Kettcler, I I, p. 1. 78-1.i9.)
156
L' Af..LEMAGNE RELIGIEU8E
de la part de I'Étaf.. Je maintiens, pour cela, la nécessité
d'une organisation à laquelle tous les travailleurs doivent
appartenir ; comme base la profession. Etudier son organi-
sation. La pousser à faire des propositions. Pour cela, éla-
borer une constitution pour la classe des travailleurs... La
profession doH assurer protection matérielle et morale à ses
lnembres, dans Ie sens du self-help corporatif. Les profes-
sions ont, au-dessus d'elles, une fédération d'arrondissement
pour toutes les professions dans l'arrondissement. Cette fé-
dération forme pour les membres un pouvoir d'appeI. adlni-
nistre et emploie la richesse commune, organise les rap-
ports entre l'État et la profession... Reconnaissance de la
fédération d'arrondisselnent par l'État t.
Quelques lignes sont sautées, à peil!e déchif-
frables dans Ie manuscrit; d'autres trop som-
maires, trop hâtives, sont à peine com préhen-
sibles.
lais, dans l'ensenlble, nous avons ici tout
un plan d'organisation professionnelle, englobant
tous les membres d'un nlênle métier, les encadrant
solidement, les prolégeant, et garantissant à la
profession même, dans Ie fonctionnement de la
vie de I'État, une active autonomie 2. Si Ketteler
veut l'organisation ouvrière, c'esl en verlu des
mênles principes d'indépendance et d'autonomie
qu'il avail trouvés, tout jeune, dans une tradition
féodale de bon aloi; c'est en verlu des aspira-
tions qui Ie poussent à vouloir conserver et forti-
Her, au-dessous de 1 'État centralisateur, un cer-
j. PCuelC, Ketteler. II, p. !O!.
. cr. MouCang, Die Handwerkerfrage, p. 33: c Esl-ce peul-être une injustice
que même pour les artisans il y ail un droit propre, une législation propre? >> -
Dès 1851, un article des H. P. B., 1851, II, p. H2-113, signalait comme It un
symplðme de convalescence., une lettre du Bue1'gerverein de Stuttgart au député
de cettc vi1le, dans 1aquel1c on réc1amail, (( au lieu d'tme rcpl'ésenlalion factice
el décevanle, la repré
enlalion l'éelle ùes inlérêts. ))
I
FORl\1ATION SOCIALE DES CATHOI.IQUES ALLEl\IANDS 157
tain nombre d'organismes vivant de leur propre
vie; c'est en verlu du goût qu'il a pour toules les
attaches naturelles subsistant encore parmi Ie
vaste émiettenlent du monde moderne, attaches
terriennes, attaches confessionnelles, attaches pro-
fessionnelles, cimentant de petites sociétés bien
unies et bien vivantes parmi l'éparpillement anar-
chique du vaste chaos social.
Voyez encore cet autre brouillon :
(( Sage organisation des classes ouvrières; une constitution
pour elles, une direction suprême pour elles; les élever
pour une ce'rtaine autonomie. Notre État cuit la soupe, fait
Ie beurre, ceia doit cesser 1. ))
Bluntschli nous entretient avec quelque com-
plaisance, dans SPS J.WéJnoÙ'es, d'un plan de consti-
tution qu'un jour il présentait au roi de Bavière et
:}'après lequel certaines personnalités, désignées
par Ie roi lui-même, aUytient mission, sous Ie
nom de patrons des travailleurs (Arbeiterpatrone),
:Ie représenter à la Chambre la classe ou vrière 2.
Bluntschli comptait sur une telle institution pour
orriger une grande lacune, visible à tous les
)bservateurs.
la is les catholiques, eux aussi,
\7oyaient cette lacune. (( 11 n'y a dans les Cham-
)res, expliquaient un jour les Feuilles historico-
:Jolitiques, que des représentants de la bourgeoi-
;ie, presque exclusivement, c'est-à-dire les repré-
;entants d'une classe qui n'a qu'un critérium, ses
t. Píuelf. Ketteler, 11, p. 203.
2. Bluntschli, Denkwuerdiges aus meinem Leben, JI, p. 120.
J58
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
intérêts industriels et commerciaux 1. )) Et les
catholiques, activement soucieux de remédier à
ce mal, vouJaient plus ct n1Ïeux, pour Ie proléta-
riat, que des représentants d'office, institués par
une personnalité souveraine; nombreux parmi eux
étaient les politiques et sociologues qui, plus con-
fiants que Bluntschli dans la classe ouvrière,
rêvaient d'une vie civique OÙ les intérêts ouvriers
seraient incarnés et défendus par des délégués
ouvrlers.
Ketteler est leur chef à tous : Ie mouvement
d'organisation des classes ouvrières lui apparaît
comme une revanche sur les visées absolutistes
d'un État centralisateur, comme Ie prélude d'une
réédification qui rappellera dans quelque mesure
l'architecture sociale du moyen âge.
lais la société humaine ne se rebãtit pas en un
jour; les perspectives qu'autorise Ie mouvement
ouvrier ne se dérouleront qu'à longue échéance;
et toujourslemalaise esturgent...Alors, Ie 25juil-
let 1.869, Ketteler, de plus en plus pratique, prê-
chant devant un audiloire ou vrier dans une cha-
pelle de pèlerinage, détaille, comme Ie ferait un
agitateur de profession, les revendications que les
travailleurs doiventprésenter aux pouvoirs publics
et que déjà leur organisation rudimentaire est
peut-être susceptible de faire aboutir.
Augmentation des salaires; diminution des
1.. H. P. B., 1867, II, p. 834, C'esl à propos des élections au Pal'lement
de I'Allernagne du l'\ord que les Feuilles historico-politique$ faisai('nl cette
réf1cxion.
.)R:\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE
IANDS f 59
eures de travail; repos dominical; interdiction
u travail des enfants ct des femmes dans les
lbriques : tcIles sont les revcndications ouvrières
ue Ketteler juge le plus immédiatement réali-
tbles et dont il s'atLache à montrer, du hant de Ja
laire, au nom même de la religion, l'indéniable
Iuité 1. (( Sur d'autres lèvres que les vôtres, lui
rivait un vicaire d' Aix-Ia-Chapelle, nos bourgeois
ttholiques n 'auraient pu supporter de teBes véri-
s 2. ))
lais au eæur même de ces vérités, dures
)ur certaines oreilles, reparaissait - jamais
Ibliée, ni mênle estornpée, - la pensée fonda-
entale du Ketteler de 1848. Ces revendieations,
,ntinuail-il, ne seront efficaces, et leur succès
I
profitera aux ouvricrs eux-mêmes, que si la
I ligion dirigc et réforme leurs âmes. lietteler
attend pas de la loi je ne sais queUe magique
LÏssance de réforme, Ie progrès ne se réalisera
L'avec la collaboration des consciences; et l'on
trouve dans ce discours, comme dans tonte la
éologie traditionnelle, l'inflexible conviction que,
Ul' réparer en quclque mesure les effets sociaux
l péché originel, il ne faut rien de moins que la
. La traduction illtégrale de ce disc ours a été donnée par M. Decul'LÏns dans
Études sociales chrétiennes: (Euvres choisies de MgI'. de Kettelel'. -
Goyau, Ketteler, p. 190-203.
Pfuelf, Ketteler, II, .p. 439. - A la même date, Ie livre de Théodore
npf, Die 80ciale Frage in Vergangenheit und Gegenwart (Bonn, Henry,
1), en même temps qu'il considérait comme l'idéal J'attributÍon à l'ouvrier du
J ìt net de SOIl travail, réc1amait que l'Elat fixât un maximum d'heures de
ail, limitât Ie lravail des enfants et des femmes, prohibât Ie travail du dimanche.
:f. Theologisches Literaturblatt, 1868, p. 449-453, - et H. P. B., 1868, II,
I .06-407 ; en 1848, lisait-on dans ce dernier article, de telles idées eu'Sseut
::onsidél'ées comme rouge sang.
160
L
ALLE
IAGNE RELIGIEUSE
contrainte de la loi sociale et l'initiative des verlu
indi viduelles.
A celte date, les idées sociales de Ketteler son
complètement mûres; il sera en mesure, quah'f
ans plus tard, de donner au Centre, pour un quar
de siècle, un programme éconoll1ique 1.
IX
En mêIne temps que s'achevait ainsi l'armemen
du théoricien, l'organisation sociale des fidèles
de 1860 à 1870, prenait un rapide développement
Des associations chrétiennes sociales s' étaient len
tement formées dans certaines paroisses pour Ie
travailleurs de l'usine; jusqu'en 1868, elles élaien
émiettées; cette année-Ià, à Crefeld, trois d'entr
elles s'unirent et prirent pour organe une petit
revue fondée par un jeune prêtrc d'Aix-la-ChapelIe
Joseph Schings, et qui s'appelait les Feuilles ch'l't
tiennes sociales 2 ; cette discrète rencontre de que}
ques prêtres et de quelques ouvriers sons les au
pices d'un périodiqne encore inconnu donna l
branle à un vaste mouvement de fédération. A ton
ces humbles essaims sociaux, timidement fondé
par des vicaires novices, il fallait un programnu
1. Sur l'inlluence exercée par les idées de Ketteler, dès 1867, sur Ie copgr
calholique beige de Malines, voir Defourny, Les congrès catluAiquetl en BI
gique, p. 135-140.
2. R. Meyer, Der Emancipationskamp{ des vierten Standes, 2 e édit., p. 3
et 364-366 (Berlin, Bahr, 1882). - Schings (1837-t 876), aumônier des Carro
liles d'Aix.la-Chapelle, fonda ceUe revue avec Ie COllcours de Nicolas Selwer.
(voir ci-dessus, p. 121, n. 1), el bienlôl en resla seul rédacleur.
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS t6t
nne orientation, un contact: les Feuilles ch'j
étieltnes
sociales servirent de lien. On s' enhardit, on fi t
une poussée; eUe fut tout de suite si vigoureuse
que les deux forces orgånisées de I'Église d' Alle-
nlagne, la hiérarchie épiscopale d'une part, Ie
comité Jirecteur des congrès catholiques d'autre
part, inscrivirent la question ouvrière, en i869, à
l'ordre du jour de leurs délibérations.
Que I'Église eût son mot à dire et qu'elle Ie dût
dire, qu'à cet égard eUe eût (( une mission tout it
fait én1inente )), c'est ce qu'affirmait formellement
à l{eUeler, en 1868, Ie philanthrope protestant
Huber, dans une lett1'e par laquelle il souhaitait que
Ie congrès catholique de Crefeld fût mis au cou-
rant de ses publications sociales I. Les sociologues
étrangers à l'Église se montraient désireux d' en-
trer en rapports avec elle. l{eUeler voulut que
cette grande nouveauté fût connue de l'épiscopat
d' Allemagnc : il prépara, en 1869, un rapport très
détaillé, très forn1el, pour les évêques allemands
réunis à Fulda, au début de septembre, en vue
de la préparation du concilc du Vatican 2.
II réclamait, entre autres réformes, la participa-
tion aux bénéfices, des augmentations progressives
du salaire en raison du nombre d'années de ser-
vice, la sollicitude des fabricants pour les ouvrières
mères de famille, l'intervention de l'ÉLat législa-
teur en vue de l'interdiction du travail precoce
1. PCueIC, Kettelel', 11, p. 187.
2. Arbeiterwohl, juillel-septemLre 1886, p. 154-166. On lrouvera la lraùuc-
tion intégrale de ce rapport dans Goyau, /(etleler, p.
;2(j-237.
III.
11
162
L' ALL El\fAGNE RELIGIEUSE
des enfants, de la lin1itation des heures de tra-
vail de la fermeture des locaux insalubres, enfin
, ,
l'ingérence des inspecteurs d'Etat pour con!rôler
l'exécution des lois sociales. De son côté, l'Eglise
ne devait pas rester inerte. I(etteler, dans un très
Leau langage, constatait qu'à l'heure présente
l'action pastorale, avec ses moyens traditionnels,
était insuffisante pour avoir prise sur la vaste
masse ouvrière : il fallait que l'Église, soucieuse
de celte masse, cherchãt d'autres facilités d'accès,
il fallait qu'elle les trouvât. En raison de l'allta-
gonisme entre les principes chrétiens et les idées
d'absolutisn1e économique, l'Église devait inter-
venir au nom de la foi; en raison des périls moraux
qu' entraînaient certains abus du régime industriel,
l'Église devait intervenir au nom de la n1orale; elle
devait intervenir, enfin, 3 u nom de l' amour. L' épis-
copat de I'Allemagne écoutait et approuvait; et
l{etteler demandait que dans chaque diocèse quel-
ques clcrcs fussent conviés à l'étude des questions
économiques, et qu'un prêtre ou qu'un laïque
catholique fût spécialement chargé d' étudier l' état
de la classe ouvrière, que de temps à autre des
conférences groupassent entre eux ces spécialistes
des divers diocèses, et qu'ainsi I'Église d'Allc-
magne eût sous les yeux, sans cesse complétée,
sans cesse renouvelée, la carle du n10nde ouvrier.
Alors peut-êtl'c surgirait l'homme qui serait pour
les travailleurs de fabrique ce qu'avait été I{olping
pour les (( compagnons )) ; et de même que tOllS
les petits (l compagnons )) qui sillûnnaient les routes
FORMATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 163
d' Allemagne avaient appris à l'école du <( père )}
Ii:olping les grandes promesses chrétiennes de
rédeu1ption, de même quelqu'un paraîtl'ait, que le
prolétariat de l'usine acclan1erait comme un
(( père )}, et qui redirait ces mêmes promesscs. Si
Ketteler eût pu vivre une autre vie, il eût rêvé
d'être cet homme-Ià. (( Son âme tout entière, comme
un jour il l'écrivait éloquemment, était attachée
aux formes non velles que les vieilles vérités chré-
tiennes créeraienl dans l'avenir pour tous les
rapports hnmains 1. ))
Quelques jours après, Melchers, archevêque de
Cologne, venail à Duesseldorf, OÙ prêlres et laïques
tenaient congrès : il les entretenaÏl de eet auda-
cieux coup d 'æil que venait de j eter l' épiscopat
sur les détresses sociales. II fut Ie bienvenu; car
d'un Lout à l'autre du congrès de Duesseldorf, ces
:.létresses furent montrées aux consciences. II n'y
ut pas moins de trois grands discours sur la
]uestion on vrière : Ie premier fut tenu par Sepp,
1. Pfuclf, Kette/e1', II, p. 434. - Son activité sociale demcurait inlassaLle ; de
:ome, cn plein concile, Ie 5 mai 1870, il écrivait longuement à Haffner, Ie futli!'
vêque de l\la) ence, à propos d'un projel d'associalion charitable pour la cons-
ruction de maisons ouvrières; il conversait à ce sujel à Rome mème avec l'im-
rimeur Mame, rencontré par hasard chez Ie libraire Spilhæver (Pfuelf, Kettelu,
I, p. 430). - << Je devipns peu à peu trop vieux, annonçail-il à Haffner, pour
\ire de grandes tenlatives pour )a solution chrélicnne dcs problèmes sociam"
Jmmej'en avais Ie projel dans la têle et dans Ie cæur. Je me persuade seu)c-
lent toujours davantage que ce sera là une des grandes et glorieuses tâches de'
a,cnir, si peu (fu'on rail compris jUS(lU'ici. 1\lais dans ce qui me resle de lemps
vivre, là où j'aurai l'occasion de provoquel' quelque épisode de cetle immense
psogne, c'esl loujours avec la plus gran de joie que je ro'y emploierai )) (PfueJf,
-etteler, II, p. 434). Sans cesse d'ailleurs, Kelteler recevait des lellres Je con-
Illanl sur certaines questions d'ordre social ou rencourageant à les éludier :
moin, en 18ìO, pendant une absence de Schorlcmer-Alst, une leltre du paysan
T l'stphalien Breul..el', l'inlerrogeanl sur certaines questions d' organisalion agri-
lIe (Pfuelf, op. dt., II, p. 432).
164 L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE
Ie professeur de
1unich 1; Ie second par François-
Xavier Schulte, de Paderborn, qui sera bientôt l'un
des hisloriens du CulturkanlP( ; Ie troisième par
Ernest Lieber, Ie futur chef du Centre allen1and 2.
Le monde lIe do it pas en douter. proclalna Lieber, ce
congrès sent et sait ce qu'est la question ouvrière; et si
quelqu'un doH agir, ce sont les catholiques d'Allernagne.
Les responsables, dans l'existence de la question sociale,
ce ne sont pas les pauvres travailleurs. c'est Ie parti du capi-
tal. Ce parti est étranger à l'hulnanité (entmenscht) parce
qu'il est étranger au christianisme, et il est étranger au
christianisme parce qu'il met :Mammon à la place de Dieu.
Qui, il faut que la loi d'airain soH mise de côté. Mais la vraie
solution de la question sociale doil venir du Christ. Faire
Ie travailleur chrétien, ce n'est pas si diflìcile, s'il y a une
rénovation chrétiel1l1e du parti du capital. Le christianisme
recèle la solution de la question sociale.
Jaloux de passer aussitõt à l'action, les congres-
sistes chargèrent Schulte, Schorlen1er-Alst, et Ie
vicaire Gronheid, de
fuenster, de former un comité
p ermanen t qui ferai t j aillir d u sol allemand de non1-
hreuses associations, dirigerait leurs efforts écono-
n1iques, guiderait ]es Feuilles chl'étiennes sociales
d'Aix-la-Chapelle, et s'occuperait d'organiser ]e
crédit pour les pauvres gens. On se mil vite en
besogne. C'est sans doute it l'instigation de ce
triumvirat que les Feuilles c/Z'rétiennes sociales, en
1. Jean Népomucène Sepp, né en 1816, qu'avaienl fait connailre]a Vie ve
Jé.'lU8, à laqueUe Gærres donna unc préCace, et un cerlain nombre de travaux
exégéLique8, s'illustrera bienlôl pal' son rôle aclif dans les discussions parlemcn-
taires au sujel de la parlicipalion de la Baviêre à la guerre de la Prusse conlre
Ia. France.
2. May, op. cit., p. 195-196. - Ernest Lieber (1838-19Ù2) est une figure
que nous retrouverons en étudianlle Cultud.'ampf.
FORl\IATION gOCIAI.E DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS -165
févl'ier 1870, publièrent un long programme. Le
christianisme social visait évidemment, dès cet
instant, à devenir une force politique ; les membres
rles associations qui se réclamaient de lui duren t
n'avoir aucun contact avec les groupements SOCiR-
!isles. II fut établi que ces associations seraient
rigoureusen1ent confessionnelles, mais qu' elles
n'auraient directement à leur tête ni des ecclésias-
tiques ni des laïques riches; on voulait en faire,
ce semble, des écoles d'autonomie ouvrière, sou-
cieuses avant tout, disait Ie programme, de ne
point paraître (( flotter à la remorque du capital )),
et se refusant, dès 10rs, à condamner systémati-
quement les grèves 1.
Elles s'abouchèrent en mars, au nornbre de qua-
torze, au congrès d'EIherfeId, afin de passer une
rapide revue de tous les efforts jusque-Ià dépensés.
L'aristocratie d'l\Uemagne, pour laquelle I{etteler
venait de faire traduire un vieux Ii vre du moyen
àge sur les devoirs de la noblesse chrétienne 2,
semblait représentée, dans ce congrès, par Schor-
lerner, rinstigateur inlassable des groupements
de paysans. Kolping était mort; mais on saluait
avec respect l'instituteur Breuer, qui vingt-deux ans
plus tôt, dans cette même viJle d'Elberfeld, avail
réuni les premiers compagnons. Ernest Lieber
Btait là; il fut élu président d'un cornité de cinq
1. R. l\Iey
r, Ope cil., I, p. 347-3 i8.
. PCueli, Ketteler, II, p. 398-400. - Goyau. f(etlele1". p.
1-26. KeUeler ëtait
LUssi lïnsligaleur de l'association weslphalienne de nobles catholiC[ues (Verein
C(atholisc!ze1' Edelleute), qui jouera plus tard un rôle important au moment
lu Culturkamp{ (Pfuclf, Kettelf'r, II. p.
1!'.
l66
L' ALLEl\JAGNE RELIGIEUSE
personnes destiné à fonder des associations ou-
vrières. Cette Pentecôte du christianisme social se
prolongea trois .lours : i] fut question de banques
populaires, de sociétés de crédit, de caisses d' épar-
gne; on interpella les casinos chrétiens, OÙ les
bourgeois avaient Ia majorité, et qui s' occupaient
de besogne électorale, et on leur signifia qu'ils
devaient aider à toutes les æuvres soci ales 1. L' élan
était irrésistible : chaque district rhénan, dans
l'été de 4870, rêvait d'avoir son congrès social. II
y en eut un à Essen à la fin de juin, un à Aix-Ia-
ChapeHe au début de juillet 2 . A Cologne, les pré-
sidents des cerc]es de compagnons de l'Allemagne
tout entière se rassemhlaient, trois .lours durant,
pour élargir lpur chan1p d'activité; ils éludiaient
la création de cercles de maîtres, Ie concours à
donneI' aux associations ouvrières, I' établissemen t
de caisses dÏnvalidité pour les compagnons ma-
lades 3 ; I'immense organisme créé par I\olping et
qui devait, dans son esprit, être une æu vre de
conservation sur base chrétienne, devenait, tou-
.lours sur base chrétienne, une æuvre de réforme.
Ð'un double mouvement, les catholiques d' Alle-
magne étaient descendus tout au fond de leur
doctrine morale et tout au fond de la réalité sociale;
entre celte doctrine et cette réalilé, ils avaient
constaté un hiatus, qui ne pouvait être comblé que
par de profondes réformes; soucieux de ne se COID-
1. R. Me
er, ope cit., I, p. 319-3j-l-.
. It. Meyer, Ope cit., I, p. 353.
3. R. Meyer, op. cit., I, p. 354-355.
FORl\IATJON SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEMANDS 167
porter en conservateurs qu' en tant que leur doc-
trine demeurait sauve et intégralement appliquée,
ils étaient conduits, tous ensemble, Kolping et
Schorlemer, Joerg et Ketteler, Schings et Lieber,
par l'effet même du souci qu'ils avaienl de donner
à l' Allemagne des assises chrétiennes, à corriger
la réalité pour y faire prévaloir leur doctrine; et
leur esprit d'entreprise, avec les allures quasi-révo-
lutionnaires que parfois il affectait, n'était que la
conséquence de leur intransigeance chrétienne. Le
jour allait venir où la colossale Allemagne, ayant,
aux dépens de la France, pris conscience de sa
force, la mesurerait ensuite contre l'Église catho-
lique, et OÙ les masses populaires, arbitres de la
composition du Reichstag, auraient it prendre une
place dans le conf]it. EHes se souviendraient, ce
jour-Ià, que ces Lieber et ces Schorlemer, subi Le-
ment contraints de s'agiter, avant tout, pour l'af-
franchissement des prêtres, s'étaient, jusqu'au
milieu de 1870, agités, sans relâche, pour l'affran-
chissement des pauvres.
Dans une n1onographie publiée en 1.879 sur
l'industrie textile du Rhin, l' économiste Alphonse
Thun devait écrirc :
Avec Ie Culturlwmpf, un nouveau principe enlra en scène
pour la formation des parlis : les tisserands ùe la Prussr
Rhénane durent prendre position dans une question oÙ jus-
que-Ià iis étaient neutres. Le conflit social entre fabricants
et travailleurs subsista; un conflit nouveau, entre cléricaux
et Jibéraux, s'y joignit. Le parli Iibéral apparut comme Ie
groupement des fabricants et des anticléricaux, Ie parti (lu
Centre comlne 1(' groupemcnt des travailleurs f't du clergé.
{fi8
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Plus que jamais les eccIésiastiques hostiles aux fabricants
libéraux furent rejetés vers Ie peuple. Les tisserands sont
les adeptes de rultramontanisme, moins parce qu'il est un
parti religieux que parce qu'jJ est devenu un parti social i.
(( Devenu )) : qu'est-ce à dire? Le passage est
vrai dans son ensemble, et j e connais peu de textes
qui jettent sur l'histoire du Cultul'kampf une lueur
aussi précieuse, mais il y a un mot de trop.
Alphonse Thun aurait fait preuve d'une vue plus
exacte encore, s'il s'était rappelé qu'avant même
qu'il n' existât un Reichstag et que dans ce Reich-stag
il n'existât un Centre, ]e catholicisme, en Allema-
gne, s'élait déjà épanoui comme un parti social; et
qu'il avait parlé comme tel, agi comme tel, avant
que des circonslances douJoureuses ne l'amenas-
sent à s'organiser, surtout, en parti de défense
religieuse.
(( 1.5.000 paysans chrétiens, disait un orateur,
Ie 29 juin t870, au congrès chrétien social d'Essen,
sont déjà, en Bayière, fédérés en une ligue.
15.000 maisons rurales, c'est une base solide. II
y en aura autant, bientôt, sur Ie Rhin et en
Westphalie. 100.000 maîtres artisans sont venus
à nos côtés. 80.000 gais compagnons, de l'associa-
tion du Pèrc Kolping, nous ten dent la main. Les
associations chrétiennes sociales compteront bien-
tôl leurs membres par centaines de milliers. C'est
une arméc respectable, je vois dans ravenir une
i. Alphons Thun, Die induslrie am Niedel'rhein und ihre Arbeiter. Erst
r
Theil: die lilllt',srheinischc Te:rtilindustrie. p. 197-198 (Leipzig, Duncker, 1879).
)Rl\IATION SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLEl\IANDS 169
elle époque. 30.000 prêtres allemands prêteront
lain-forte! )).
On croirait, en lisant ces lignes, assister à une
vue d'appel; il faudra moins de deux ans pour
u'en présence des provo
ations de Bismarck, la
respectable armée )) mobilise.
1. R. Meyer, op. cit., I, 1'. 3
3
LIBRARY ST. MARYIS COllEOE
CHAPITRE III
L'ÉGLISE DE PRUSSE ET LA FOR}IATION POLITIQUE
DES CATHOLIQUES PH.USSIENS
. - La Constitution de iSiS. - Profit qu'en tire immédiatement
Geissel. - Efforts des évêques pour faire introduire des avan-
tages nouveaux. dans la Constitution rle 1850. - La question
du serment. - Deux chapeaux de cardinau
. - Réceplion du
nonce à Breslau. - Espérances suscitées par la prospérité du
catholicisme en Prusse.
L - Merveilleuse efflorescence d'æuvres catholiques. - Trèves,
Coblentz, Aix.-Ia-chapelle, Cologne. - Épanouissement des con-
grégations. - Les grancles missions de Jésuites. - Universa-
lité de leur succès. - Le siègc des confessionnaux. -- Les
convrrsions au lendemain de 1848.- Une organisation d'aposto-
lat : l'Association de Saint-Boniface. - Inquiétudes des pro-
trstants d' Allemagne. - Polémif1ue entre I'Église protestante
et Ie cardinal Diepenbrock. - Le prpmicr volume d'Otto Meier
sur la Propagande. - A vantage que tirent les cathoJiques de
lïntangibilité de la Constitution.
II. - L'Église pt la question scolaire; - caractère traditionnel
de récole prussienne : une école d'Etat. - Réaction contre Ie
radicalisme révolutionnaire des instituteurs. - Alliance entre
l'État, chef de l'enseignement, et les diverses Églises. - Obli-
gations religieuses des institutf'urs. - Les Regulative de Rau-
mer. - Résultats différents de ces innovations dans les écoles
protestantes at dans les écoles catholiques. - Irréligion secrète
d'un certain nombre d'instituteurs protestants. - Les visites
de Rendu dans les écoles catholiques. - Formation pédago-
gique des prêtres. - La question do renseigncment privé. -
L'idéal sco1aire de Kellner : une alliance entre l'Eglise et
l'État.
V. - Un péril pour Ie catholicisrnc : les tradiLions de la bureau-
cratie prussienne. - Une sauvegarde : 1a (( division catho-
lique )) (Katholische Abteilung). -; Rôle diplomatiquo que
jOUf' ceUe institution entre l'Elat cll'EglisC'. - Unt: autre sauve-
f 7'2
L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE
garde : les dispositions personnelles de Frédéri,c.Guillaume IV
- Sa cordialité à l'endroit des princes de rEglise. - Néces
sité pour l'Église d'être discrète dans sa victoire : l'inciden
)Iuenchen.
V - Un chef d 'Église : Gcissel. -- 8es sentiments pour Ie roi. -
Son esprit de pacification. - 011re faHo par Ie gouvernemen
aux évêques de Prusse d'entrer à la Chambre des Seigneurs
retus de Geissel. - Effort de Geissel pour unifier I'épiscopa
rhénan. - Rapports de Geissel avec Ie Saint-Siège, avec Ie car
dinal de curie Reisach, avec les Jésuites. - L' Allemagn '
ouverte par GeisseFaux souffles de Rome. - Esprit Iibéral don
en pratique sa politique s'inspirait.
VI. - Une imitation de la France: Ie parti catholique rhénan
- Joie de Montalembert. - Unité ot variété de ce parti. - Sé
puissance dès 1852 : (( les ultramontains arbitres de la Chambre'
(Bismarck). - Uno opposition religieuse dirigée par des fonc
lionnaires. - Le terrain d'action parlementaire des catholiques
constitution, droit commun. liberté pour tous. - Ueichenspel'
gel' et la conception de I'État chrélien. - La doctrine do ran
lonomie politique. - Contraste entre l'attitude libéraIe de }i
fraction catholique et les aspirations politiques du conserva
tisme piétiste. - Un type de piétiste en province rhénano
Kleist-Retzow. - Luttes de Reiehensperger contre l'adminis
traUon piétiste.
VII. - Les luttes parlementaires pour la Iiberté catholique. -
- Les deu
circulaires Baumer (185
). - La motion WaldboU
- Sympathie du roi pour les catholiques. - Portée du vot.
sur la motion Waldbott. - Inquiétudes de Léopold de Gerlach
- Le second volume d'Otto Meier. -,Lutte du protestantism l
féodal contre Ie catholicisme au nom même des idées réac
tionnaires. - Un plan de canlpagno de Dismarck. - Le
catholiques accusés d'hostilité contrA 10 tsarisme.
VIII. - Les luttes parlementaires pour la parité. - Les re\"en
dications pécuniaires du conseil suprêmc évangélique. - Li
brochure de Rintel. - VacHon parlemontaire cl'Otlo. - Rap
port et victoire de l\lallinckrodt en 1.85-í.
IX. - Négociations secrètes entre la Prusse et Romo coïncidan
avec les premières luttes parlementaires. - Les deux voyage
do Klindworth. - correspondances entre Manteuffel et Anto.
nelli. - Un projet de concordat (mars-avril 185-i-). - A vorte-
mente - Continuation des luttes parlementaircs pour la parité
- Un succès du chanoine Eberhard. -1\Iort d'Otto (18
7).
X.- Un revirement àBerlin (1858): rupture dufutur empereur Guil-
laume ler avec Ie féodaJisme piétisto. - Changement de nom ÒJ
Ja fraction cathoJique: l'avènemcnt du mot Cenll'e. - Progrès dc
, .
L EGLISE DE PRUSSE
173
lendances anticléricales dans les partis (( libéraux)); symptômes
de ces progrès. - Le bréviaire de l'anticléricalisme nouveau :
Les signes des temps, de Bunsen. - Les premières campagnes
eontre Ie caractère confessionnel de l'école : l'activité de Dies-
terweg. - Prestige permanent de I'Église : place des évêques
aux. cérémonies du couronnement. -.Afl'aiblissem3nt du Centre;
ùisparition définitivc des mots (( fraction catholique )). - Enl-
barras du Centre entre Ie radicalisme et Bismarck. - Le Centre
annihilé dans la Chambre de 1863.
XI. - Orientation nouvelle de l'activité catholique. - Deux édu-
cateurs de l'opinion catholique : Reichensperger, Ketteler. -
Deu
leçons de mots en matière politique. - Les divers sens
du mot (( Iibéral )).
XU. - Un laboratoire (l'appl'entissage politique : les réunions ùe
Socst (1863-1866). - Un initiateur: .Alfred Hueffer. - Les concep-
tions politiques de Schorlemer-Alst et de Mallinckrodt. - Les
progrès de la presse catholique. - Le journal catholique défini
par l\1allinckrodt. - Un réalisateur : Joseph Bachem. - Les
l
eltilles de Cologne.
XIII. - Raisons J'an
iétés pour les catholiques: un changement
dans la (( division catholique )) (1861), une brèche dans laConsLi-
tution (1863), la mort de Geissel (1864). - La question de l'arche-
vêche de Cologne : Ie droit des chanoines lésé par l'État. -
Inquiétude de Ketteler. - Solution conciliante de Rome.
(IV. - Raisons d'espoir pour les catholiques. - L'épanouisse-
ment du catholicisll1c dans Ie diocèse de Paderborn. - Le llIot
épiscopal de l'évêquo Martin. - Les rendez-vous épiscopaux
de FuIda. - Les progrès de I' Association de Saint-Boniface. -
Satisfaction de Pie IX : ses concessions à Ia Prusse au sujet de
l'aumðnerie militaire.
{V. - Les premiers coups de cloche du Cultudwmpf. - Les discus-
sions scolaires à Ia Chambre prussienn6 (1868). - L'assaut du
couvent de Dominicains de Moabit. - Les pétitions contre les
congrégations. - Le rapport de Gneist. - Les manifestations
oratoires de Pierre Reichensperger, l\lallinckrodt et'Vindthorst,
des 8 et 9 février 1870. - Souci de Bismarck, à la veille de la
guerre, de ne point ébranler la confiance des catholiques dans
la liberté et la sécurité de leur culte.
LJhistoire reJigieuse de l' Allemagne, au conI'S
jes vingt années qui précédèrent Ie Culturkamp f,
I présente un aspect fort différent, suivant qu'on
)bserve la Prusse ou Ies autres souverainetés En
174
L' ALLE1UAGNE RELIGIEUSE
Bade, en Wurtemberg, en Hesse, I'Église, proch
lnant son affranchissement à l' endroit de La bureal
cratie, a be so in d'une charte qui règle ses raI
ports à l' endroit du pouvoir ci viI; une telle chart(
d 'après elle, ne peut être rédigée ,que d' accor
avec Rome; et l'on voit les divers Etats, concel
tant leur politique religieuse d' après une sorte d
rythme uniforme, ajourner d'abord ]e concordal
puis Ie négocier et [e signer, et finalen1ent 1
déchirer. Les passions religieuses, les passion
antireligieuses, se déchaînent autour de La queE
lion concordataire; et c'est paroli ces polémique
acharnées que sc prépare et que s'éveille, dan
l' Allemagne du Sud, l'esprit de lutte contre Rome
dont la Prusse et Bismarck recueilleront plus tar.
l'héritage. Tout au contraire, dans la Prusse d.
1850 et de 186U, on ne discute pas sur les prin
cipes fondamentaux qui régissent les rapport:
entre l'Église et l'État. La bulle De salute ani.
Jnal'llln de 1.821. 1 donne à la vie de l'Église prus.
sienne des lois très générales, un cadre très som.
nlaire, que l'État ne conteste point; il s'est d'ail.
leurs obligé, par la Constitution de 1850, à respecteJ
l'autonon1Ïe des diverses confessions, et c'est SUI
Ie terrain de ceLte Constitution, c'est-à-dire sur 10
base mènle proposée par l'Etat, que se place J'épis-
copat lorsqu'il apporte ses griefs ou ses requêtes;
c'est sur ce terrain, encore, que se forme et qu'é-
volue, pour les soutenir et les faire triompher, Ie
1. Voir notrc Lome I, p. U8-15U.
L'ltGLISE DE PRUSSE
1,5
roupe parlementaire catholique. Tandis qu'ail-
urs Ie statut de l'Église est indécis, fiottant, sans
sse remis en question, et que ces litiges n1èn1es
ItretÏennenl lI:Qe malveillance profonde contre
(( ultramontanisme )), la Prusse nous offre Ie
)ectacle d'initiatives catholiques s'essayanl Sans
:làche à grandiI' Ie prestige de I 'Église et à aug-
enter ses libcrtés ; e4, de même qu'il faut se trans-
H'ter au sud de l' Allemagne, - nous le constate-
Ins dans un prochain chapitre, - pour surprendre
s premiers grondeD1ents de l'esprit tIu Cultu'r-
rJJtpf, de n1ême c'est en Prusse que nous alIons
)ir les catholiques, à la faveur de leur delni-sécu-
té, faire I'apprentissage d'une action po1itique
rieuse et savante.
I
La constitution prussienne du 5 décembre 1.848 1
'ssayait à mettre un peu d'ordre dans Ie desordre
ussien, et l' essai ne réussit qu'à demi, puisque
1.850 Frédéric-Guillaume IV, redevenu Ie
litre, affirma sa souverainelé par l'octroi d'unc
, nstitution nouvelle, qui amendait la première.
tis l'actc constitutionnel de 1848, queUe que fût
fragilité, avait du moins affirmé, d'une façon
finitive, l'autonomie ùes Églises. C'était une
lIe parole, et seul Ie catholicisme en profitait,
Voir Ie lexle llans les Beitraege ZU1n preu.ssiscILen Kirclwmoecltle,
(Paderborn, Schoeuingb, 1854).
176
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
car Ie ministère prussien, gardien tenace d.
prérogatives épiscopales qu' exerce dans l'Égli:
évangélique Sa l\Iajesté Ie Roi, s'était hâté (
signifier aux consistoires que l'établissement Pl"
testant ne pouvait bénéficier de l'article i5, rela1
à la liberté des nominations ecclésiastiques. Ain
parmi les effets des proclamations de i848, il n
en avait pas qui fût plus stable, ni plus ineo'
testé, ni plus jalousement saisi, que Ie dr(
reconnu désormais à l'Église romaine de se go.
verner elle-même, de communiquer avec son ch{
de conférer libreluent les cures.
Geissel, archevêque de Cologne, prit acte de c
libertés, et tout de suite en profita : }'année i8.
n'p,tait pas écoulée, que déjà fonctionnait, dans
curie archiépiscopale, un tribunal d'officiali
complèlement organisé. II inaugura i849 en fixar
par une ordonnance, les concours entre prêtr
pour l'aUribution des cures, puis en prescrivar
pour une bâtisse d'église, une collecte soustrai
à tout assentimenl de l'État; de mois en mois, s
initiatives s'émancipaient : on Ie voyait tour à t01
nommer un chanoine, et puis un doyen, et pui
nlême, proposer au pape Ie choix d'UIl coadjuteu
sans réclamcr de Berlin Ie nloindre signe d 'adh
sion; il prenait des mesures personnelles pOl
l"administration des biens d'Église, et finalemen
Ie leI' février i850, il reconstituait son vicari
généraI I . Quinze mois avaient suffi, dans Ie die
1.. PCuelC, Geissel, I, p. 664-667. Ce fut sur Ie désir du Saint-Siège 4ue Gl
!)eI, qui songeail à marchander à. l'Étal prussie Ie droit de Dommer Ie p
, .
I. EGLISE DE PRUSSE
i77
cèse de Cologne, pour que, sur les ruines du vieux
droit auquel l'État protestant ayaH voulu sou-
mettre I'Église, Ie droit canon rentrât, discret mais
victorieux, par la porte nouvelle qu'avait ouverte
la révolution.
Des (( éclaircissements >) à la constitution"
publiés dès Ie 15 décembre 1848 par Ie ministre
Ladenberg 1, avaient paru meltrc en péril certaines
des prérogalives restituées à l'ÉgJise, et renure
efficacité au vieux droit de patronat, qu'en prin-
cipe l'acte constitutionnel avait aboli. Aussitãt
l'épiscopat s'alarma : Dicpenbrock, prince-évêque
1e Breslau, fit étudier l'affaire par une commission
Ie théologiens et de canonistcs 2, ct Geissel, du 6
lU 9 mars 1849, réunit les évêques de sa province.
:;ans fracas ni provocation, l'Eglise de Prusse se
oncertait; elle mûrissait un avis commun, et eet
lvis fut publié, en août, dans un mémoire collectif
ldressé au roi; Ia question de patronat y était
raitée; les droils du clergé en matière scolaire,
Lffirmés ; on revendiquait, pour les institutions
,onfessionnelles de bienfaisance, une pleine liberté
Ie fonclionnement; et l'obligation de procéder au
aariage civil avant Ia célébralion religieusc était
I .éplorée comme une contrainte 3. Les prélats sans
jt et Ia moilié des chanoines, droit reconnu à l'Élat par la J)uIle Ðe salute
'1imarum de 1821, cessa dïnsisler sur ce point (Pfuelf, Geissel, If, p. 669-
73).
1. Beitraege :;um Preussischen Kirchenrechte, I, p. 3-1
. - Sur Adalbert
, Ladenberg (1798-1855), voir Wippermanll, Allgemeine Deutsche Biographie
VII, p. 499-50
.
2. Reinkens, Diepen{JI'ock, p. 412-415. (Leipzig, Fernau, 1881).
3. Ðenkschrift der lcatholischen Bi8clwefe i'1 Preus8cn urner d!c 'Ver(fl!J-
III.
1
fi8
LJALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
doute n'espéraient guère que Ia constitution future
tiendrait compte de ces nouveaux désirs ; du moins,
jugeaient-ils indispensable de faire entendre leur
VOIX.
D'autant que la Chambre haute les inquiétait:
une majorité s'y formait, pour restreindre aux
(( affaires intérieures )) de I'Église I 'autonomic
garantie par l'article 12 de la constitution de 1848.
(( On voudrait nous ramener, disail anxieusement
Geisse], dans les vieux canaux d'avant les journées
dc mars, dans les canaux de la protection d "État, à
la Eichhorn et à la Bodclschwingh. Nous ne nous
laisserons pas faire 1. )) De fait, Ie t) octobre 1849, Ie
ministre Ladenberg, parlant à la Chan1bre haute
du mémoire épiscopal, expliqua qu'ille considérait
comn1e non avenu, et que (( Ie gouverncn1ent ne
lraitaÏt pas avec lcs dignitaires de l'Église par la
voic de la librairie 2. )) On était si peu accoutumé,
encore, à une intervention dc ccs dignitaircs, que
les membres catholiques de l'assen1blée n 'oppo-
sèrent au discours minislériel qu 'un silence em bar-
rassé, qui risquait de passer pour une adhésion.
Iais Geissel, qui connaissait les vraies forces,
avait confiance dans la seconde Chambre : par son
recrutement, elIe était plus proche du peuple, de
sung3-Urkundc vom Ðe:embcr 1848 (Cologne, Bachem,18.t9), - Pfuelf, Gei8-
seZ, I, p. 678-682.
L PfueU, Geissel, I, p. 674. - Geissel craignait, en parliculier, que rarlicIe 4
de la Constitution de 1848 : ({La science et l'enseignement de la science 50nt
libres ", ne fûL Ie point de départ ù'une émancipation desCacu1tés de théologie å
l'endroit des
vêques; et rarticle stipulant que toutes les institutions d'ensei-
gnement étaienl sous la surveillance de l'Élat, ]ui inspil'ail aussi qu('lcyues cl'ainLes.
2. Pfuclf. Geissel, I. p. 682-68-i.
, ,
L EGLISE DE PRUSSF.
Jj!}
ce peuple catholique qui't troublé par l'in1pertinence
de Ladenberg, mulLipliait les marques d'émoi.
(( Notre clergé, écrivait- iI, qui partont est en éveil
pour les droits et les libertésdel'Église, l10tre peuple
catholique, qui tient à son Église par dessus tout,
sont à nos côtés 1. )) II Y avail dans cette seconde
Chambre soixante-dix catholiques, éparpillés, sans
doute, mais soucieux de leur roi : ils n'obtinreni
pas, en général, que les améliorations souhaitées
par Ie mémoire épi
copal fussent introduites dans
la prochaine constitution 2, mais du moins, grâce à
leurs efforts, rarticle qui affranchissaÏt l'Église fut
éintégré, tel quel, dans le projet nouveau, sans
es surcharges restrictives par lesquelles la Chambre
laute s'était etTorcðe de Ie 1'atu1'o1'. Geissel et plu-
iieurs évêques, au début de 1850, écrivirent au roi
)our présenter de rechef les an1endements qui leur
enaient à cæur; ce fut en vain; Ia constitution
Iroclamée Ie 5 février n'accrut pas les libertés que
'année 1848 avait assurécs à l'ÉgJise, non pJus
11'e11e ne les dimillua 3 .
Le 1.2 février 1830, Ie ministère exigea de tOllS
s foncLionnaircs qn'ils promissent fidélité à cctto
lçon de charle. l\Iais puisquo l'Église nc la jugcait
as entièrernellt satisfaisante, les ecclésiastiques
1. Pfuelf, Gei6sel, I, p. 683.
2. En ce qui reg-al'dait Ie mal'ia
e civil, cependanl, la Con!!lilution de IBM
bOl'lla à prévoir une loi qui l'élaLlirait, ct s'abstint d'édider immédiate
'nt, comme l'a,'ait fait celIe de 1848, qu'il devait lJtrc anlérieur au mariage
igieux.
J. Voir Ie textc de la Constitulion de 1850 danslros Beitraege Z"um prcu61i,c"-en
rchenrecltte. J, p. ! ; et cr. pruelf, Gei8.c:el, I, p. 684, n. 1.
180
L' ALLEl\L\GNE RELIGIEUSE
que leurs fonctions scolaires ou universitaires
contraignaient au serment pouvaient-ils en cons-
cience Ie prêter'l Certains évêques décidèrent que
Ie prêtre, en jurant, devrait ajouter une réserve au
sujet des lois de l'Église; Ladenberg, par une
circulaire du 29 mars, repoussa formellement toutc
addition. 1\lais Ies prélats de la province rhénane,
réunis à Cologne du 16 au i8 avril, prirent une
allitude devant laquelle Ladenberg capitula; il fut
dp.cidé que les prêtres, suivantl'ingénieux exemple
donné par Ips professeurs de la faculté de théo-.
logie de Breslau, pourraient tout d'abord, par un
acte spécial inséré au protocoIe, maintenir préju-
diciellement les droits de l'Église, et qu'ensuite
ils prononceraient, sans restriction, la formule de
serment 1. Pen s'en était faUn que la constitution
mênle qui én1ant.ipait l'Église ne fût l'occasion
d'un conflit entre l'Église et l'État; mais ce biais
pacifique, concerté par la conciliante fermeté des
évêques, rasséréna Rome et Berlin.
Dégagée des complications qu' eUe a vai t un ins-
tant redoutées, J'Église de Prusse s'abandonnait à
la joie, sans dissimulation ni réticence. Pie IX
lui donnait deux cardinaux, Diepenbrock, de Bres-
lau, Geissel, de Cologne; elle assistait, surprise et
reconnaissante, aux honnenrs que recevait à Bres-
lau Ie nonce de Vienne, Viale Prela, lorsqtf'en
novembre 1.850 il porLait à Diepenbrock les insignes
cardinalices 2. Dans ceHe Prusse qui si longtemps
I. Pfuelf, Gei.!sel, T, p. 688-693 ; cf. Reinkells, Diepenbrock, p. i3
.
2. Foersler, Diepcnl J 1'ock, p. 172-175 (Hatj
hou)Je, l\Iallz, 18';8).
, .
L EGLJSE DE PRUSSE
i8i
avait repoussé comme un messager de l'Anté-
christ tout envoyé du pape, milHaires et fonc-
tionnaires s'associaient officiellement aux pompes
qui fêtaient Viale Prela. A Berlin même, pour
la première fois depuis la Réfornle, une pro-
cession de Fête-Dieu, conduite par Ie curé I{ette-
leI', se déroulait tout Ie long des Tilleuls et s' en
allait par Chal'lottenburg jusqu'à Spandau 1. De
tels épisodes faisaient un bruit lointain, que Rome
accueillait avec un parti pris d' optimisnle. (( Le
mouvement de l'Allemagne vel'S Ie catholicisme,
lisait-on dans la Civiltà Cattolica, est aujourd 'hui
si fort, que les peuples ct Ies gouvernements
cèdent à une impulsion commune, sans peut-être
s'en rendre conlpte eux-nlêmes 2 . )) - (( L'église
catholique it l\lagdebourg, notait un témoin pro-
testant, est pcut-êtl'e aussi pleine que to utes les
églises protestantes 3. )) - Des espérances indi-
t cibles s' éveillaien t et s 'exaltaient ; Ie prélat Prosperi
Buzi, qui avail, en qualité d'ablégat, fait Ie yoyagC'
de Cologne pour remettl'e la bareHe à Geissel, el
qui voyait it Rome beaucoup de Prussiens, écrivait
en toute simplicité : (( II est très bon qu'ils vien-
nent, car ils en rapportent des dispositions Lien-
veillantes pour les catholiques et pour Ie pape. J'ai
grandc confiance qu'une bonne partie de la Prusse
1. Pfuelf, Kelteler, I, p. 198. -- te pape se réjouissait du fail dans une allo-
:ution (Ernst Ludwig v. Gerlach, Auf:;eiclUlUttgen, II, p. 105). - Sur la Fêle-
)jeu à Spandau depuis 1817 ct la part tradilionnelle q u' y prenaicn tIes catho-
iques de Berlin, voir Kolde, lJfissionsvikar :ðIueller, p. 76-81.
2. Civilld cattolica, 1-15 décembl'e 1851, p. 707-709.
3. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Au.f;;eiclmungen, II, p. 157.
iS2
L' AI
I.El\lAGNF. RELIGIEUSE
reviendra à la foi catholiquc I. )) Geissel, moins
prompt tll'optimisn1e, disait du moins à ses diocé-
sains, dans une lettrc pastorale de helle allure:
(( La religion a pris un nouveau développement,
]a foi mên1C a produit par.mi nous de nouvclles
fleurs eL de nouveaux fruits 2. ))
II
A travers l'hisLoire, ces fruits ont un non1 : ils
s'appellent bienfaisance, charité, amour. La Prussc
catholique ne dérogea p3S tt cette loi ; tout de suite
les congrégations charitables y pullulèrent.
Les Sæurs de Saint-Charles Borromée de Nancy
ouvraient à Trèves, en 1848, une maison mère qui
possède aujourd'hui soixante-dix filialcs dans tonte
l'étendue de l'Enlpire et règnc sur it peu près un
miJlicr de menlbres 3. En 1850 furent jetés, à Co-
blentz, les premiers gcrmes de la congrégation des
Frères de la Charité, qui se dévouent it soigner
tous les malades sans distinction de religions, et
dont la maison n1ère, installée à Trèves depuis 1853,
gouverne aujourd'hui 300 Frpres 4.
Pauline de l\1allinckrodt, la sæur du grand ora-
L Pfuplf, Gei.Mel, II, p. 27 (lcllrc du J 3 avril18j
).
. Pluelf, Geissel, II, p. 4! (leUre ÙU
février 185!).
3. Wilhelm Holm, Die Nancy-Triel'er BOl'romaeerimzcu in DeulschlauCJ
(Trèves, Paulinus Druckerei, 1899).
4. Hammerslein. Winfrid odel' das 80ciale "\l'Ù'kel' der Jíil'che, p. 90-94
(Trèves, Paulinu8 Druckel'ei, 1890). -. Ludolff, Die Barmhel'zigen Bl U/'de7
Ufltl ihl'e 50 jaehdye \rÙ'ksltmkeit iu CoLlelt
. (Gocrl'es-Ði"ucl;cl'ei, 1
uûj.
L'ÉGLISJi
DE PRUSSE
i83
teur, s'était exercée aux bonnes æuvres en s'occu-
pant à Paderborn des pauvres malades et des
aveugles : eUe fondait en 1.849 ]es Sæurs d
l'anlour
chrétien, hospitalières et enseignantes, qui vingt
ans après étaient au nombre de 250, essaimées dans
vingt maisons 1.
Sous l'impulsion de ses deux amies, Claire Fey
et Françoise Schervier, se développaient à Aix-Ia-
Chapelle les Sæurs du Pauvre Enfant Jésus et lcs
Pauvres Sæurs de Saint-François. Un simple vi-
caire, André Fey, qui faisait sortir de terre, aussi,
un cloître du Bon Pasteur et un monastère de Ré-
demptoristes, aidait vigoureusement ces deux fon-
datrices d'ordres. II avait un prestige immensp :
chaque fois que les petits enfants apercevaient un
prêlre, ils couraient vel'S lui en l'appelant Fey;
ainsi glorifiaient-ils, avec leur naïve ignorance qui
l'ecouvrait une vérité profonde, cet André Fey qui
demeurait pour eux Ie type du sacerdoce, - Ju
sacerdoce les laissant venir à I ui 2. L'influence d' An-
dré Fey, celle de Laurent, l' évêque exilé de Luxenl-
bourg, celle du curé Sartorius, créateur du (( mois
de Marie )) dans les églises rhénanes 3, celle du
député Lingens, introducteur des conférences Saint-
L Alfrcd Hueffer, Pauliua v. .Jlallinckrodt, p. 21-87 (20 édit., Mucnster,
Aschendorff, 1903) : livre capital sur Pauline de l\1allillcI..rodt (H!17-1880).
. Sur Claire Fcy (1815-1894), et André Fey (1806-1887), voir Pfuelf, ClaJ'a
Fey (Fribourg, Herder, 1908); sur Françoise Schervier (1819-187G), voir
Jeiler,Die seligeMutter Pran::iska Schuviel' (Fribourg, Herder, 1898) ; el sur
Ic rôle de Laurent (1804-1884), voir MoeHel', Leben und Bf'ie{e von Joltallues
Tlteodor Laurcnt, III, p. 17-30 (Trèves, Paulinus Dl'uckerei, 1889).
3. Civiltà Cattolica, 10-30 aoùt 185
, p. 575. Sur Ie curé Sartorius (180;)-
1880), voir :\Ioeller, op. cit., III, p. 28-3-i-; c'esl en 1842 que Sartorius avaiL
f84
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Vincent-de-Paul, et celle de l'instituteur Hoever,
qui fondera bientôt les Pauvres frères de Saint-
François 1. faisaient d'Aix-la-Chapelle la ville d'AI-
lemagne q
i donnait à I'Église Ie plus de vocations.
Pauline de
fallinckrodt, Claire Fey, Françoise
Schervier, étaient Ies élèves de cette Louise
Hensel 2 qui avail autrefois discipliné l'aventureuse
nature de Clément Brentano. Sous l'influence
de Louise Hensel, Brentano s'était fait, dans un
livre célèbre, l'apologiste des nonnes 3; les nonnes
désormais se multipliaient sur Ie sol prussien;
un de ceux qui en félicitaient (;eissel n'élait
autre que Aulike, Ie directeur même de la (( divi-
sion catholique)) au ministère, et la guerre de
Schleswig, en 1864, devait être pour ces jeunes
congrégations de femmes l' occasion de beaux actes
de dévouement 4.
Beaucoup des grandes æuvres charitables dont
l' Allemagne catholique se glorific datent de ces
premières années de liberlé : tel, par exemple, it
Berlin, l'hõpital Sainte-Hed \vige, fondé pour cin-
quante malades en 1846, et qui fut,
n 1851, réor-
ganisé par le curé I(etteler dans une bâtisse nou-
velle, et tout de suite pourvu de trois cents Hts t) ;
inaugul'é Ic premicr (( mois de
Iaric >1 pour Ips pauvrcs qu'altirait Ia cuisine
populairc de Saint-Jean, quïl avaiL fondée (Pfuelf, Clara Fey, p. 23).
1. Sur Philippe Hoe,er (1816-18G4), voir Charitas, 1897, p. 224-2
8.
. Voir Bindcr, Luise Hensel, 2 e édil., p.
2G-249 (FriLourg, Herder, 1904).
3. Voir noLre tome II, p. 94.
L PCuelf, Geissel, II, p. 48. - Katholik, 18G t, I, p. 375 et suiv.
5. Raich, Briere von und an Ií.ettele1', p. 194-204 (appel de mars 1850). _
Hille, Eriuneruu!Jsblaetterzumyoldenen Jubilaeum: St. Hedwig Kraukenhaus,
1846-1896 (Berlin, impr. de la Germania), t89G. - Franz Bock, Die .Eutwicke-
lung und Thactigkeit des St.-Hedwig Ilmnke?lhauses.;u Be
'lin in seinen e
'ste1'
, .
L EGLISE DE PRUSSE
i85
lle, à Muenster, la fraternité de Saint Vincent de
'aul, qui, dès 1.849, groupait 1.300 catholiques de
onne volonté pour aviser au placement des pauvres
nfants 1.
Il n'élait pas jusqu'aux ordres d'hommes devanl
squels ne s'abaissassentles fronLÏères prussiennes.
e diocèse de Cologne -- pour n' en citer qu'un seul
- abrita des Lazaristes dès 1851, des Franciscains
s 1.853, et déjà les J ésuites les avaient devancés 2.
II n'y avait en Allemagne, au printemps dp
48, que deux Jésuites autorisés: Ie couple
eincier qui régnai t dans la petite ville de Koethen
.s avait longtemps converts de sa protection. Ce
)uple étant mort, les Pères, du jonr au lende-
ain, avaienl dû s'éclipser: I(oethen, Ie seul coin
terre allemande OÙ les Jésuites pussent vivre,
était fermé tout de suite à eux 3. Soudaine-
ent Ja vague révolutionnaire s'élait épandue
If l' Allemagne, et l' on constatait, à l'heure du
.flux, qu' elle avait amené avec eUe quelques petits
,saims de Jésuites, et qu'elle les y laissait derrière
Jae/u'cn statístisch daryestellt. En 18!J6, l'hôpital, de nouveau reconslruit
1887, avait reçu 147.108 maladcs.
. Schmeddin
, Die barmher::;iye Brudcl'schaft ::;um heil. Vincent -von Paul
II.Iuenster i W. waehrcnd ihres fuenf:;ígjaehrigen Bestchens von 18.M-1898
Ieuster, AschendorIT, 18U8).
:. Pfuelf, Geissel, II, p. 43-44. - Sb.. ans suffirent pour flu'en Silésie surg-is-
t lreize cloîtres, douze hôpitaux, douze orphelinats (
Iay, Ope cU., p. 12tì).
Sur les créalions monastiques à Pauerborn sous I'l
piscopaL de MarLin, voir
mm, Conrad lJlartin, p. IG3 et IG8.
. PCue1f, Geissel, II, p. 43. - Sur Frédéric-Ferdinand, due d'Anhall-Koe-
n (1769-183ù) et sa femme Julie, de la famille de Hohenzollern (lï93-1848).
r Rosenthal, Konvertitenbilder I, 1, p. 457-4G2, eL Supplément, p. 178-184.
P. Beclx. fulur général de la compagnie (17
J-1887) (Stimmen aus J.Jfaria.
'I.ch, XXXII, 188ï, p.
G5-2(jG) avail pô.ssé plusicur6 anuées à Kæthell commc
'é.
t86
L'ALLEIUAGNE RELIGIEUSE
elle, et qu'iJs subsistaient. Dès Ie mois d'août i84
une de ces colonies s'inaugurait à Cologne, sous J
houlelte de Geisse1. Un premier noviciat s'ouvr
en Westphalie en 1.850. Aix-Ia-ChapeJle eut dE
Jésuites en 1852 ; à Cologne, en 1853, ils fondèrer
une importante n1aison; ils en installèrent deu
à Bonn, en 1854 1 .
De grandes missions s'inauguraient, générale
ment prêchées par ces Pères : eUes redisaient au
populations allcn1andes ce qu'étaient Dieu, I
Christ, I'Église ct Ie devoir. Le P. Duhr a publi
les actes de ces missions: ils donnent l'impressio
d'un immense éveil d'àmes, subitement réchauf
fées dans leur frileuse solitude 2. Le rationalism
du XVIII e siècle avait fait oublier l'Église ; Ie roman
tisme l'avait fait plutôt désirer que connaître ; de
bataillons de JésuÏtes survenaient, qui !'annon
çaient et qui la montraienL Épisodiques d'abor
et tout exceptionnelles, les missions, dans eel
tains diocèses, devenaient peu à peu régulières
eUes réapparaissaient tous les dix ans, par exempl(
ou bien tous les six ans, comme un acte normtJ
de la vie de la paroisse 3.
On évitait les polémiques : les fonctionnaire
craintifs étaient bien vite rassurés 4; les prote
1. Pfuelf, Geissel, II, p. 43-44.
. Aktenstuecke zW' Geschichtc der Jesuiten-2Jlissionen in Ðeutschlalll
1848-1872. Herausgegeben von Bernhard Duhr, S.J. (Fribourg. HerdCl', 1903
3. Pfuelf, I{etteler. I, p.273. - Slamm, Com'ad i11artin, p. 144.
4. Mundwilcr, P. Georg von Vl(Lldburg Zcil. p. 7
cl 90 (FriLourg, Herdc!
190G). - cr. dans Duhr, op. cit" low; les passa!.fes auxllucls rcnvoie, à la laLIt
rarlicle Behoerdt:n.
, ,
L EGLISE DE PRUSSE
i87
lnts t, les israélites 2, paraissaienl eux- mêmes au
ied des chaires, et généralement s'en retournaient
ltisfaits. II était assez commun qu'au moment du
épart, après avoir enlendu les confessions des
atholiques, les missionnaires reçussen ties félici-
ttions des hél'étiques : tantôt des lèvres protes-
lntes buvaient à leur santé, tantôt les autorités de
1 ville leur réclamaient Ie texte de leurs prédi-
:1tions pour en faire j ouir Ie roi de Prusse 3. Par-
)is même des protestants s'unissaient aux catho-
ques pour solliciter d'un curé I' organisation d'une
lÌssion 4. L'église souvent était trop petite: alors
'était sur la place qu'on s'attroupait, ou bien, s'il
leuvait, les missionnaircs donnaient simultané-
1cnL, dans trois égLises dilférentes, trois sermons
la fois 5. Les officiers leur dcmandaient de prê-
her aux soldats 6. Les garrle-chiourmes leur ou-
raient les n1aisons pénitentiaires; devant les Jé-
uites s'abaissaient les grilles verrouillées; et lä,
amme ailleurs, leurs prédications affeanchissaicnt
es âmcs. On so racontaÏt les scènes émouvantes
uxquelles donnait lieu, dans les geôles, l'intrusion
e ces apôtres 7; et ces récits mêmes attiraienL
I t. Mundwiler, Ope cit., p. 84-85. - Cc. lc lémoignag
dc Menzel dans Ie
i,'chenleæikou, V, p. IG40 (art. du F. Baumgarlncr), et. dans Dnhr, op. cit.,
'us }('s passages au>.quels renvoie, à la table, rarlicle P,'otestanten.
2. Mundwiler, op. cit., p. 88-89. - cr. dans Duhr, Ope cit., tous les passages
uquels renvoie, à la table, l'arlicle Julien.
3. Mundwilcr, Ope cit., p. 109.
I.. Bcda Weber, Cm'tons, p. 45û.
I 5. l\lundwiler, Ope cil., p. 99-100.
tj. Yoir dans Duhr, op. cil., lOlls les paiisages auxqucls rC'nvoic, à la taLle.
"rUcle .Jlilitacl'.
';. Yoir dans Duhr, ojJ. cil., lons les pas'Sages auxfJu('ls rem'oic, à la taLle,
nlide Stì'u{Ultstalt ; eL cr. Mund\\Ìler, Ope cit., p. 1i2.114.
i88
L' ALLE!\IAGNE RELIGIEUSE
vers eux la foule immense des pécheurs, - ce
autre
prisonniers.
Le missionnaire, en descendant de chaire, s
faisait confesseur. En un an, Ie P. Zeil entendi
plus de sei
e n1Ìllc pénitents 1 : son confessionnal s
reconnaissait aux fleurs dont Ie décoraient les foule
dévotes. Paysans et dOIuestiques, à flots pressé
assiégeaient et ccrnaient Ie P. Zeil- Ie (( prince ))
camIlle ils l'appelaient - : puisque dans ses ser
mons il décrivait si bien leur situation, puisque ce
aristocrate était leur père
et qu'à leur sujet i
savait tout, ils voulaicnt que ce fÚt lui, encore lui
qui connilt et comprît leurs péchés; et l' on vit de
ouvriers chðmer quatre jours durant, attendan
que leur tour fût venu d'avouer ct d'être absous 3
On lisait dans la Civiltà Cattolica, dès la fin d.
1.850 : (( Tous les jours arrivenl des nou velles de:
fruits immenscs que produisent ]es missions dan:
les diverses régions de l'Allemagne. )) - (( Chaqu(
mois, redisait-elle en avril 1851., on voit là-bas h
naissance d'une institution calholique nouvelle 4. )
Et s'il se troll vait quelque prêtre d'humeut mo
rose pour regretter cet inlmense déploiement d'ora.
teurs congréganistes 5, Heinrich, l'anli de l{eUeler.
1. Mundwiler, op. eit., p. i31-1J5.
. Mundwiler, Ope eit., p. 128.
3. l\lundwiler, Ope eit., p. 107. cr. dallsDllhr, op. elt., tous les passages am
f[uels rCllvoie, à la table, l'adicle Be ie/ttsluh I.
4. Civiltà Cattoliea, 1-16 décemLre 1850, p. 675; - 15-
7 janvier 1851
p. 2H ; - 14-28 avril 1851, p. 380-381; - 16-30 juin 1851, p. 110-112.
;i. Tel, dès 1846, Ie I)rèlre bavarois Anloine Ruland (1809-1ts74), dans sa Lro-
chure : Der fraellkisehe I(lerus und die Iledemptoristen (Wurzhourg, Yoigl.
Yoir Leilschuh, All!lemcillC Deutsche flioymphie, XXIX, p. (;32-634.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
189
jectait tout de suite à l'imprudent la bulle Auc-
/l'elll Fidei, du pape Pie VI, OÙ les adversaires
s missions populaires étaient formellement con-
lmnés 1.
Plusieurs de ces missionnaires n'avaient endossé
. surplis qu'après avoir connu les ol'ages de la po-
, tique et du monde : leur ascendant même en bé-
19ficiait. Le P. Hasslacher, clout les homélies pieu-
s eL les conférences scientifiques obtenaient un
al succès, avait été compromis, dans sa jeunesse,
lrmi les étudiants révolutionnaires d'une Bul'S-
ienschaft : les cercles démocratiques et une pri-
>n fortifiée avaient été pour lui l'antichambre de
, Compagnie de Jésus 2. A côté de lui, émigré d'un
au manoil', Ie P. de 'Valdburg Zeil 3 représentait la
-us haute aris tocratie allemande : (( Seigneur, j 'ai
,ut quilté! s'écriail-il unjour du haut de la chaire.
ais les âmes, ces ân1CS qui sont là, donne-Ies moi,
igneur. >) Et les âmes se donnaient, agenouillées
vant celle vocation qui avail été un grand re-
)ncement it . Le P. Roh, lui, Valaisan d'origine,
rait, dans sa première jeunesse, péché contre la
ompagnie ; de son éducation chez les Jésuites, il
rait rapporté l'horreur de ses maîtres. Mais quel-
L. Heinrich, Die lârchliche Reform, II, p. 179.
2. Beda Weber, Cartons, p. 401 el suiv. - Sur Pierre Hasslacher (1810-1876),
sonnier de 1833 à 1840 pour (( menées démagogiques )), novice chez Ie.,
.uiles à Sainl-Acheul en 1840, prédicaleur à Slrasbourg cn 18H-1849, mis-
nnaire en Allemagne de 1850 à 1863, supéricur, à Paris, de la maison alle-
nde de la rue Lafayette de 1
66 à 1870, voir Herlkells, Erinnerungen an
Hasslache?' (Muensler, Aschendorff, 18ï9).
J. Sur Ie P. Georges de W aldburg-Zeil- Trauchburg (t 823-18(6), Ie livre du
l\lundwilcr csl un document prêcieux.
i.
lundwiler, Ope cit., p. 82.
- - _...1- _....... ...,...
190 L' ALLEI\IAG
E RELIGIEUSE
que mauvais pamphlet, Lombé par hasard entre ses
mains, lui parut tellen1ent inique à leur égard,
qu'un soubresaut de colère Ie ramena vel'S les Pères
ainsi maltraités, et Roh se fit Jésuite. Les vexations
scellèrent sa décision : comme J ésuite et parce que
Jésuite, les troubles du Sondel,bund et de 184R Ie
forcèrent de déménager sou vent : à Lucerne, à
Novare, à Linz, à Innspruck, iJ fut tour à tour
fugitif devant la révolution qui avait l'air de le
traquer. Lp raffermissement de ]a paix civique
rendît un gìte à ce vagabond; ce gîte fut Fribourg-
en-Brisgau; et de là, seize ans durant, rayonnè-
rent à travers touie l'Allemagne, ct mêmejusqu'en
Danen1ark, les courses apostoliqucs de ce (( nou-
veau Boniface 1 )). Beda "T eber, qui rappela ponr
prêchcr à Francfort, disait de lui qu'il était la dog-
matique vi vante 2. (( Ce qu'il nous faut, cxpliquai t
à Francfort même un pubJiciste d'une secte baptiste,
cc sont des discours populaires, pleins de fraîchcur,
gagnant les cæurs, purifianlles esprits, des disconrs
attaquant directement l'incroyance et l'athéismc :
teis sont ceux du P. Roh 3 )). Le P. Ander]cdy, un
autre Valaisan, qui devint plus tard général de ]a
Compagnie, était réputé pour son charn1e
: Ie rhé-
nan Pottgeisser, un n1athénlaticien, prêchait des
I. L'c,",}>l'ession esl du pcinlrc Sleinlc (BJ'iefu'cchscl. I, I). 3
7).
. Weber, CartoT/s, p. 457 el suiv. - Sur Ie P. Pierre Roh (t8H-18ï2),
'('it' Knabenbauer, Pell'us RolL (Frihourg, Herder, 1872).
. H.P.B., lR58, II, p. 313. cr. Steinle, Rrie{wccllsel, II, p. 208 cl 377. -
1 cs conférenccs de Roh à SluUgart en 1868 ont élé pubIiées en trois volumes
(Ravensburg, Alber, 1905.)
.\. f:.ur 1(' P. Antoine l\Iarie Anderledy (1819-f 89:.!), devenn général de rOrd,'c
f'n 18R7, voir Baumgartner, Stimmen aus Maria Laach, XLII, 189
, p.
H1-!(ì5.
L 'ÉGLISE DE PRCSSE
i!H
rmons qui ressemhlaient à des flots de Iogique.
es gens cultivés que secouait Ie Bavarois Georges
oder affirmaient qu'il y avait en lui du Démos-
lène ; et les petites gens qui écoutaient l\laximilien
KJinko".stroem 3 ou Ie Valaisan l\ntoine Allet 1,
"ateurs populaires par excellence, disaient sim-
.lement qu'ils prêchaient fort bien.
Si la Compagnie de Jésus dépensait pour Ie prcs-
ge personnel de ses membres]a moitié des efforts
1 des artifices qui mettent en relief les réputa-
ons hun1aines, des orateurs comme Roder, comme
asslacher, ou comme Roh, prendraient une place
élite dans rhistoire ecclésiastique du dernier
ècle. De grandes missions comme ceHes de Co-
gne en 1850, de I-Ieidelberg en 1851, de Franc-
rt en 1852, d'Augsbourg en 1853, remuaient
.ofondén1ent rA llemagne religieuse. Au sortir
un sermon du P. Hasslacher, Ie peintre Steinle
:rivait à Emilie Linder: ((
Ion opinion que les
;suites dans l"Église sont, à proprement parler,
sel de Ia terre, s'est confirrnée dOune écJatante
çon 2. )) L' évèque l\Iartin, de Paderborn, allait
entõt proclamer que (( la renaissance de l' Alle-
lagne catholique était la gloire du P. Roh et du
Hasslacher. )) II ajoutait que par leurs missions,
. Sur Ie P. Jules Pollgeisscl' (1813-1894-), voir Weber, Cartous. p. 4,lì!-463.
Le P. Roder vécut de 181
à I88i. - Sur Ie P. l\1aximilicn de Klinkowslroem
19-1896) et son frère Ie P. Joseph (18i3-1876), "oir A. v. Klinkowslroem, F,'ic-
'ch August v. jílinkowstroernund seine Nachkomrnen (\ïenne,l\Ianz, 1877.)
P. ABet vécut de 1820 à 1890.
:. Steinle, Briefwech8el, II, p. 230. - Une mention doit aussi êlre consacrée
P. Adolphe de Doss (1825-1886), qui à partir de 1855 s'acquil à Muenster,
s à Bonn, enfìn à l\Iaycnce une grallde répulation comme directeur d'æunes
.jeunesse (Pfuclf, Erinnerungen an A. t'. .Doss. Fribourg, Herder, 1889).
192
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
les Jésuites {( avaient plus fait pour la pacificatio
de la société, que tous les diplomates, hureaucrate
et politiques ensemble 1. ))
Le bruit que faisaient les missions étouffait Ie
discrets chuchotements qui racontaient certaine
conversions; mais dans l'Église même, les gen
averlis notaient avec joie la venue de cerLaines âme
protestantes auxquelles l-'honneur du monde atta
chait quelque prix, et qui faisaient exode, l'un
après l'autre, vers I'Église catholique. C' étaient eJ
18
9 Frédéric Kehler, qui allait bientôt, avec I
prince Radziwill et Ie prêtre l\Iueller, réveiller Ie
catholiques berlinois et qui devait plus tard joue
un rôle dans Ie parti du Centre 2; Aurèle Meinhold
fils de pasteur, et que sous peu la prêtrise devai
séduire 3 ; Ie Hambourgeois Petersen, plus tard mis
sionnaire jésuite à Bombay.. En 1850, Ia comtessl
Ida de Hahn-Hahn, se jetant aux pieds de I{ette
ler, cberchait dans l'Église romaine un asile contrc
les tourmentes qui trop longtemps avaient bous
culé son cæur et ballotté sa vie ö. Le protestantism,
Mecklembourgeois voyait s'égrener, loin de lui, tou
un chapelet d'àmes que l'on considérait comm,
1. Marlin, Zcitbilder, I, p. 190 cL suiv. (
Iayence, Kil'chheim, 1879) c
Ein bìschoeflìches .Wort II. p. 2
5. (Paderborn, Schocningh, 1864).
2. Sur Frédéric Kehler (1820-1901), voir Rosenthal, ]{onvertitcnbilder, I, 2
p. 478-483 et Supplément, p. 41-45, eL Johann Friedrich Schulle, Lebenserin
nerull!Jen. p. ùO-tH.
3. Sur AUl'èlc Meinhold (1829-1873), "oil' Rosenthal, Ope tit., I,
, p. 484-489
ct 1\leer, Chm'akleJ'bilder aus dem Clel'us Schlesiens, p. 290-294 (Brcslau
Aderholz, 1884).
4. Sur Petersen (1825-1870), voir Rosenthal, Ope cit., 1,2, p, 490-493.
:>. Sur Ida de Hahn-Hahn (1805-1880), voir Rosenlhal, Ope tit.) I, 2, p. 49J
:'27, ct ci-dessus, p. VIII-X.
I.'.EGLISE DE PRUSSE
f93
distinguées : Ie journaliste Gloeden 1 ; Ie futur socio-
logue Vogelsang, qui devait fonder en Autriche
l' école chrétienne sociale 2; Buclo,v et Suckow, deux
prochains Jésuites 3 ; Ie futur canoniste l\laassen 4 ;
le baron de Kettenburg 5 . On apprenait de Bruxelles
Iue Ie baron de Schaezler venait d'entrer Jans
'ÉgJise, où son activité de philosophe allait bien-
:ôt faire dll bruil 6 . Un médecin juif de Silésie,
losenthal, se faisait catholique en 1.851, et se dis-
?osait à écrire la longue histoire de tous les con-
rertis du siècle 7; en 1.851, François Chassot de
i'lorencourt, en 1.852 son fils Bernard 8, entraient
lans I'Égiise et dans Ie journalisme catholique, et
a conversion d' Auguste Lewald, qui ayaH Iong-
emps dirigé run des principaux journaux Iitté-
aires de I' Allemagne, surprenait certains cercles
nondains 9. A son tour Ie démocrate Giese arrivait
1. Rosenthal, op. cit., I, 2, p. 489.
2. Sur Ie baron de Vogelsang (1818-1890), voir Rosenlhal, op. cit., I, 2,
. 5
8-536; - Wiard Klopp, Dle socialen Leltren des Freilterrn f(arl v.
'ogelsang (Saint-f'oellen, Chamra, 1894); - ct la traduction d'extrails lle
ogelsang donnée par I\DI. de la Tour du Pin et de Pascal sous Ie tilre :
lorale et économie sociale; Politiquc 80cÙtle (Paris, Bloud, 1906).
3. Rosenthal, Ope cit., I, 2, p. 538.
4. Sur Maassen (1823-1900), voir Rosenthal, op. cit., 1,2, p. f\37, et Supplément,
4i, et Teichmann, dans Betlelheim, Biogr. Jaltrbuch, V,.p. 242-244.
5. Sur Ie baron Kuno de KeUenhurg (1811-1882), voir Rosenthal, Ope cit., I,
p. 587-593; - H .P.B., 1852, II, p. 302-3f6, el 1853, I, p. 101-118. cr. notre
Ime IV, p. 35-37.
6. Sur Conslantin de Schaezler (18<!7.1880), voir Rosenthal, Ope cit., I, !,
. 562-563, et notrc tome IV, p.
84-285.
7. Sur David Auguste Rosenthal (1821-1875), voir Rosenthal, Ope cit., I, !,
571.574, et Supplérnent, p. 50-5
.
8. Sur Bernard de Florencourt (1835-1890), voir Rosenthal, Ope cit., I, 2,
594-596.-Sur François de Florencourt (-1803-1886), (Iui mourra vieux catho-
(ue, voir Sass, Allgemeine Ðeutscre Biog1'aphie, XLVlIl, p. 594-600.
9. Sur Augusle Lcwal<.l (1 i92-1871), voir Rosenthal, op. cit., I, 3, p.
-33.
III.
13
194
L' ALLE
IAGNE RELIGIEUSE
jusqu'à 1'É g lise, et il y arrivait de loin: las des
sectes incroyantes, il s'était dévoué aux æuvres so-
ciales du pasteur "Tichern ; il avait vu, là, comment
l' orthodoxie protestante, par une demi-l
ésipiscence,
aspirait à retrouver el à ressaisir certaines insti-
tutions catholiques ; et d'un élan de ]ogique, il se
donnait au catholicismc ]ui-même. On savait, dans
certains milieux, que Ie prince Paul, frère du roi
de Wurtemberg, était nlort caiholique à Paris 2 ;
et d'étranges rumeurs circulaient, qui prètaient
assez étourdiment au prince régent de Bade l'in-
tention de se faire catholique 3.
Ces évolutions n'étaient que des évolutions indi-
viduelles : des consciences venaient à I'Église, et
l'Église les accueillait. 1\1ais il semblait que, pro-
fitant des libertés nouvelles, elle allait s'équiper
elle-même pour courir en pleine te1're protestante,
au-devant des âmes.
Entre les États de l' AJIemagne, les har1'ières sc
faisaient plus baðses, au même elles disparais-
saient; Ia l.ibre circulation des hommes devaii
amener une certaine compénétration des confes.
sions chrétiennes; et sur l'immense surface pro.
teslante qu' offrait aux regards l' Allemagne dl
Nord, il étaÏl à prévoir que dans un assez proch.
délai s'éparpilleraient des catholiques, sons 1:
i. Sur Bernard l\larlin Giese (1816-i873), voir Rosenlhal, Ope cit., r, 3, I
t-it-i.n. - cr. Nippold, Welche Wege rue/wen nach Rom?, p. 405 (Heidel
berg, Bassermann, 1869).
!. Sur Paul de Wurtemberg (lï85-t852) et sa wnvcrsion sons l'influeucc d
1'. <.Ie Ravig-nan, voir Roscnlhal, op. cil., I,
, p. f;8ii.58fi.
. :{. Cil'illà Cattolica. 1o-:a mai lS52, p. ;.iii.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
195
poussée des nécessités de la vie. ScraÎent-ils aussi
fidèles, aussi tenaces que ces Allemands du Rhin
t du Palatinat, jadis installés près de Stettin par Ie
srand Frédéric pour des travaux de desséchement,
t qui, privés de tout prêtre un demi-siècle durant,
;' étaient agenouillés, croyanls et dévots, aux pieds
iu n1issionnaire que leur avait, en 1846, adressé
'æuvre ]yonnaise de la Propagation de la foi 1 ?
ette æuvre avait commencé de pourvoir, dans la
nesure de ses ressources, aux besoins de ces âmes
ssaimées ; eUe avait, en huit ans, dépensé
182.360 francs dans !55 villages 2 . Mais l' Allemagne
..atholique voulait désormais que, pour les Alle-
nands catholiques, une æuvre allemande exÍstât.
lichelis, ancien secrétaire de l'archevêque Droste-
Tischering, soule va la question dans Ie congrès de
layence en i848; Ie congrès de Breslau la reprit,
n mai 1849; quelques mois après, Ie congrès de
latisbonne la trancha, et le congrès de Linz, en
850, concerta les derniers détails d'organisation.
-ne association fut fondée sous Ie patronage de
lÏnt Boniface.
Iichelis et Buss auraienl souhaité
ue partont, à travers Ie monde, eUe vint en aide
IX consciences allemandes et aux apôtres alle-
b lands; mais les professeurs Doellinger et Baltzer,
1 'chanoine Moufang, Ie futur cardinal Gruscha,
:-ent décider que Ie rayonnement de son action
rait restreint à l' Allemagne. Le comte Joseph StoI-
. Pfuelf, Ketteler, I, p. is!).
:. Kleffner ct Woker, Del' l/onif'aciu8 Verein, I, p. 7..8 (paderLorn, BOlli/a-
s D
'ucke
'ci, li!}9).
i 96 L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
berg, fils de fillustre convcrti, en fut Ie Pl'ésident :
un zèle impérieux l'animait et faisait des pro-
diges. {( Son langage était celui d'un prophète,
écrit un contemporain; et, devant ses prières ins-
tantes, personne ne pouvait rester indifférent 1. ))
II parcourut l' Allemagne, l' Autriche, OÙ Ie journa-
liste Sébastien Brunner 2 lui prêta main-forte; il
frappail aux portes des évêchés et mulLipliait les
appels; en huit mois, 11. comités furent fondés.
A Nordhausen, à l\Iuenster, dans l'Ermeland, des
essais pareils furenl tentés ou même réalisés, qui
tõt ou tard se fondirent avec la gran de entreprise
de Stolberg. Paderborn en fut Ie centre; l'ancien
boulevard du paganisme saxon devint une capi-
tale pour l'aposlolat catholique de I'Allemagne
moderne 3 . Grâce à la merveilleuse activité du
vieaire Edouard l\Iueller, eet apostolat, tout autour
de Berlin, s 'occupait de créer, pour les catholiques
épars, des centres d'enseignement ct de prière 1..
Dès 1852, les recettes de l' æuvre atteignaien1
111159 marks; la progression, d'année en année:
fut à peu près régulière; en 1. 869, el1e encais.
sera 396.346 marks et en dépensera 354 334. L'As.
sociation, à ses débuts, soutenaÏl 49 paroisses
tin1Ìdement écJoses en terre protestante : à la nlor
de Stolberg, en 1.859, eUe en soulenait déjà 152
et l'installalion définitive d 'un évêque à Osna.
i. Jocham, Memoiren eiues Obskuranten, p. 681 (Kcmpten, Koesel, 1806:
2, Voir sur Sébaslien Brunner (1814-1893), notre tome II, p. 408.
3. Voir, sur Ie Boni{acius Verein, Kleffner et Woker, op. cit., I, p. 8
60.
4. Sur 1a statistique rles progrès catholiques en Brandpbour
et l'activité d
'lucller t 181
-18f15), voir Koldc, jjfi8:
ion8vikm' },/uellel', p. 40-51 ct 54-82.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
197
brueck semblait créer une seconde capitale pour
les missions du nord de l' Allemagne 1.
L' organisation nlême d'un tel apostolat
qui
cherchait en pays protestants, parnli la foule des
âmes protestantes, les ral'es consciences catho-
liques, et qui visait à les grouper, à les cimenter,
et, de ces conscip.nces, à faire des églises, attes-
tait que e'en était fini, à tout janlais, de l'ancien
droit d'État, d'après lequel la religion du souve-
rain devait être la seule religion des sujets. Mais
un certain n0111bre de protestants, qui conside-
L'aient volontiers l'exclusivisme territorial comme
une sauvegarde pour Ie proteslantisme, aecusaient
Buss de célébrer la jeune Association comme une
lrmée d'occupation catholique en Prusse""; et
l'on se denlandait si Ie révC'il de l'Église catho-
ique n' étaÏt pas Ie prélude d'une offensive.
(( Les nlissions et les conversions se multiplient,
isait-on dans la Gazette de la Weser en 1851; it"
aut être aveugle pour ne point voir quels périls
;ourt Ie protestantisme. Parmi tous les pays de
.'Europe, il n'y a que l' Angleterre, Ia Sardaigne,
t quelques cantons suisses, qui fassent une cer-
aine résistance au pape 3. )) - (( Les victoires de
'Église Romaine s'accroissent toujours >>, nota it
1. Sur cetle installation òe l'évêque .Melchers en 1858, r
sultat de longues
légocffi.lions, voir Brueck-Kiessling, Geschichte, 111. p. 187-188.
. Michaud, Del' gegenwae7.tige Zustand del' l'oemisch-katlwlischen Kil'clte
n FJ'ankreich. tmtel' Bel'uecksichtigung de7 einschlaegigen Vel'haeltnisse
Jeutschlands benl'beitet von Fridolin Hoffmann, p. 131 (Bonn, Neusser, 18iG).
3. Cité dans In Civiltà Cattolica, 11 ao.1t-l or septembre 1851, p. 609-610. -
Poméranie proteslanlc, rpveille-toi ! )) s'pcriail la Ga::;ette ele l'.4.11emagne ell,
Vord (Kolde, lllissions- Vikar Edua7'd lJluellel', p. 50).
198
L 9ALLJI'.:
IAGNE RELIGIEUSE
en son journal, Ie 1.2 juillet 1.851, Léopold de
Gerlach; il sgen prenait aux (( erreurs politiques
de l'époque )); il s'en prenait aux luthériens chez
qui se dessinait, comme chez les anglicans de 1840,
une sorte de (( puseyisme )), et qui commençaient
à souhaitrr une forte hiérarchie ; il s'en prenait
aux sectes irvingiennes répandues en Bavière.
La révolution, Ie néo-luthéranisme, l'irvingia-
nisme, tout. cela menait au (( jésuitisn1e ron1ain )),
et Gerlach déplorait d'autant plus la recrudescence
du zèle confessionnel, qu'il y voyait un obstacle
à cette reconsti lution des partis politiques que
souhaitait son conservatisme évangélique t. Le
flltur empereur Guillaume Ier, recevant une letlre
anonyme où ron expliquait que Ie (( parti romain,
pire que tous les démocrat
s, vouIa.it anéantir la
Prusse en vingt ans )), s' empressait de transn1ettl'C
ceUe leUre au ministre l\Ianteuffel : (( Ces aIléga-
tions, insistait-il, me paraissent lrès justes, très im-
portantes 2. )). A Rome, certaines allégresses reten-
tissaient con1me un écho des anxiétés berlinoises;
apprenant que des moines venaicnt de s'installer
à Breslau, la Civiltà concluait : (( Ainsi sc dissout
Ie protestantisn1e ; et peut-être Dieu prédestine-t-
1. Leopold von Gerlach, Denkwuerdigkeiten, I, p. 650-651 et 751 (12 juillet t851
et 15 avril 1852). Sur ces convergences de certaines fractions protestantes ver
Rome, voir Doellinger, L'Église et le.
Églises, lrad. Ba
'le, p 298 (paris
Casterman, (862); Nippold, Welche ""ege fuehren nach Rom? p. 419. Ll
Civiltà Cattolica, 26 décembre 1856-10 janvier 1857, p. 23ß-
M8, annonCl
même un mouvemelll orthodoxe, parmi les protestants de Saxe el de Bavière
ell faveur de la confe!5sion auriculaire. .- Cf. sur Ie Hanovre, Perraud, Corres.
pondant, septembre 1863, p. 63-91.
2. Poscbinger, Denkwuerdigkeiten des Mini8terp1'
sidents Nante71ffel, II
p. 76-77.
L'
GLISE DE PRUSSF.
i99
il à être les principaux instrumenls de la conver-
sion de I' Allemagne des apôtres sortis du cloître,
pour se jouer avec plus d' éclat des semences jetées
par un apostat monaslique 1. >)
II était naturel que les alarmes prolcstantes fis-
senl éclat. Stahl parle quelque part de cette atti-
tude de gladiateur Borghèse que prend volonliers,
vis-à-vis du catholicisme, Ie protestantisme alle-
mand 2 : l'heure était proche OÙ Ie gladiateur allait
se cambreI', provoquer et foncer. Dès 1851, des
réunions à IlambouI'g, à Elberfeld, signalèrent à
l' Allemagne protestante les pI'ogrès du catholi-
cisme 3. Ce fut à Breslau, dans Ie diocèse du paci-
fique Diepenbrock, que l'attaque se produisit. Son
vieux maître Sailer I. avait toujours caressé des
rêves d'union des Églises, dans la ferveur des-
quels il entrait même quelque rêverie; Diepen-
brock était demeuré, comme lui, un homme de
douceur, de paix et d'union, el tel de ses mande..
n1ents, en 1848, avait eu Ie privilège d'être lu
dans les chair
s prolestantes:;. Mais les missions
de Jésuites qu'il avait depuis Iors instituées furenl
dénoncées par Ie surinlendant général protestant
comme une agression catholique, à laquelle les
pasteurs devaient belliquel1sement riposter.
Diepenbrock, déjà fort malade, répondit par
ane leUre pastorale, admirable de sérénité; au
1. Civiltd Cattolica, 1-15 décembre 1831, p. 709.
2. Doellinger, L'Eglise et lea Églisea, lrad. Bayle, p. 353.
3. Civiltò. Cattolica, seplembre-octobre i851, p. 251 et 383.
4. Voir nolre tome I, p, 291-309.
5. RE'inkens, DiepenbJ'ock, p. 40!-403.
200
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
cri de guerre, il opposaitencoreun cride concorde :
(( Malgré la séparation des confessions, disait-il,
séparation malheureuse Inais vonlue par Dien, ct
que nous devons dès ]ors supporter avec patience
en esprit de pénitence pour les fautes communes,
tous les esprits droits peuvent et doivent profes-
ser une estime réciproque, une tolérance humaine,
une charité chrétienne, fondée sur la supposition
que les uns et les autres ont des convictions
loyales 1. )) Le Conseil suprême évangélique de
Berlin, quelques semaines après, tenta, non sans
embarras, de justifier contre Diepenbrock la con-
duite du surintendant général de Silésie, et puis
Ie cardinal mourut, et trouva que la paix des élu
était plus facile à obtenir que ne rest ici-bas celIe
des hommes de bonne volonté.
L'assemb]ée de la Société Gustave-Adolphe, au
mois d'août 18
2, multipJiait à radresse du catho-
licisme les invectives bruyantes, et parfois inj u-
ricuses; et derechef, en septembre, Ie congrès pro.:
testant de Brême s'insurgeail 3. Ces provocations
étaient relevées, au congrèscatholique del\luenster,
par Ie prêtre Edouard lVlichelis, l'ancien compagnon
de captivité de l'archevêque Droste- Vischering: il
persistait à parler un langage pacifique. Otto
Meier, professeur de droit à la Faculté de Ros-
1. Saemmtliche Hi1.tenbriefe Sr. Eminen= des Cardinal-Fuel'stbischof
Ðiepenbrock, p. 121-130. - Foerster, Diepenbrock, p. 17G-179. - Pfuelf.
Geissel, II, p. 207-208.
2. Sur la Sociélé Guslavc-Adolphe. voir nolre tome II. p. 3 J 5-316.
3. Voir May, Ge8chichte der Generalverso.mmlUl1[/en del' f(atholzken
p. 86-91.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
201
lock, publiait à la même époque Ie premier volume
d 'un travail considérablc sur (< la Congrégation
I romaine de la <( Propagandc, ses provinces et
I son droit 1 )). On trouvait dans ce livre un grand
appareil d'érudition, que les fouillcs de rauteur
dans les archives prussienncs avaient singulièl'c-
ment contl'ibué à enrichir. Le but de
Ieier était
de remontrer à l'opinion la marche croissanle
des aspirations catholiques : les faits de l'histoire,
habilement groupés par sa plume vigoureuse,
semblaient nlonter à l'assaut des lecteurs pour
les convaincre que I'Église Romaine montait à
l'assaut de la Prusse. Luthérien fervent, Otto
Ieier s'inquiétait. Bien de commun, chez lui, avec
ces (< libéraux)) qui seront les plus violents apôtres
du Culturkampf: l\leier élait une âmc religieuse
qui épanchait des inquiétudes religieuses. A ses
yeux la Prusse était engagée sur une mauvaisc
route; eUe se trompait en considérant que Ie pro-
testanlÏsme et Ie catholicisme pouvaient s'allier
fralernellement pour une Iutte contre l'im piélé ;
elIe se h'ompait en s'imaginant qu'un État évan-
gélique pouvait nouer anlitié avecl'Église Romaine.
Sous Ie nom d'aulonomie, ce que désirait cette
Église, c'était Ie droit de combattre la Réforme, et
ce qu'elle masquait sous des revendications de
(< parité )), c'était son désir d'une domination abso-
lue; et lVleier était tout près de conclure à une
1. Die Propaganda, ihl'C PJ'ovinzen uncl ihl' Recht. (Goettingue, Dielerich,
t85
.) Le livre est aujourd'hui suranllé depuis la puLlication des papiers dc
nonciatures. Sur alto Meier (1818-1893), mort président du consisloirc de Hanovre,
voir Zorn, Allgemeine deutsche Biogl'aphie, LII, p. 297-301.
202
1..' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
incompalibilité entre les libertés de I 'Église et It-
sécurité de l'État prussien 1.
Mais pour supprimer ccs 1ibertés, il fallail
toucher à la Constitution, et c' eûl été, aux yeu
du peupIe, toucher à l'héritage de ]a révolution.
:Ñlême parmi les masses protestantes, moin
anxieusement préoccupées des queslions confes-
sionnelles que ne l'était leur clergé, on auraii
concIu, sommairement, que la moindre suppres-
sion de ligne, dans cette charte achetée par du
sang, était une mesure de réaction. Les théoricien
de l'État évangélique avaient beau s'insurger, 13
Constitution vivait et vivrait.
A vrai dire, parmi tontes les proffiPsses qu' elle
faisait, il n "en étaÌt ancunes qui passassent plus
immédiatement en pratique que celles dont béné-
ficiait l'Église Romaine : l'esprit d'apostolat des
prêtres et des fidèles les stinlulait à prendre jouis-
sance, immédiatement, des bienfaits qui leur
étaient offerts. Les effets politiques de l'acte cons-
titutionnel de 1850 furent lents à se faire sentir :
il fallait du temps et quelque violence sur eUe-
même pour que la royauté prussienne devînt
effectivement constitut.ionnelle, et l'on pourrait
encore se demander, aujourd'hui, si cette évolu-
tion est complètement achevée. ]
a Constitution
de 1850 n'empêcha pas Bismarck de gouverner
1. C'esL à ces maJ:imes qu'obpissait sans doule la municipalité de Danzig lors-
que après lleuf ans de pourparlers el1e refusail définitivement de faire donneI'
l'euseignement catholique aux orphelil1s catholiques, ses pupilles, ou de les con-
fieI' à des familIes calholiques (Redner, Ski
zen aus der Kirchengeschichte
Dan::igs, p. il-RG (Danzig, Boenig. 1875).
r...'tGLISE DE PRUSSR
203
contre la Chambre; eUe ne gêna pas une seule
fois, entre 1850 et 1870, les initiatives autoritaires
de la royauté; on savait, Iorsque besoin était,
donner des coups de canif dans cet auguste papier.
lais les effcts religieux de la Constitution furent
immédiats, et l'expérience même, au cours des
années, en accrul et en révéla l'immense portée.
Si déchiqueté quP fût ce papier, jadis gribouillé
par une assemblée frondeuse, et plus tard raturé,
puis signp, par un monarque à derni mécontent,
les catho]iques s'en servirent, à de fréquentes
reprises, soil contre la bureaucratie, soit contre
les majorités parlementaires qui menaçaient J'au-
tonomie religieuse. Tandis qu'en généralles cons-
titutions fraîchement octroyées opposaient une
barrière à l'arbitraire des rois, ce fut plutôt, en
Prusse, Ie caprice des députés, - leur caprice en
matière religieuse, - qui trouva, dans la Consti-
tution de 1850, une limite et une f:\ntrave; et les
catholiques du reste de l'Allemagne enviaient
cette bonne fortune à leurs coreligionnaires prus-
Slens.
III
Dès 1851, Geissel résumait la situation de
l'Église dans une leUre à l'évêque d'Augsbourg :
(( Le gouvernement, disait-il, nous laisse, sur Ie
terrain ecclésiastique, une liberté de développe-
ment, qui donne les résultats les plus satisfai-
20
L'AI...LEMAGNE RELIGIEUSE
sants preuve qu'un État ne fait pas na?fragc
lorsqu'il renonce à faire intrusion dans l'Eglise.
Les principes que nous avons énoncés
l '-Vurz-
bourg 1, nons les avons partout, chez nons, mis en
pleine vigueur, et 1 'État y gagne, puisque no
liens avec lui, qui jadis étaient des liens de COIn-
lnande, sont devenus volontaires et par là luênlC
plus solides. )) l\Iais l'archevêque de Cologne ajou-
tait, non sans quelque mélancolie : (( Ce n'esf
qu' en ce qui regarde I' école qu
nous somnles en
suspens 2. )) La Constitulion prévoyait en eifet que
dans les écoles pubJiques on devrait tenir compte
des circonstances confessionnelles et que les éco]e
privées seraient soumises à une certaine surveil-
lance de I 'État : c' étaient ]à des formules plus
élastiques que précises, et que l'application senle
permettrait de j agel'.
Dès qu'en Prusse l'aulorilé s'était ressaisie, eUe
avait constaté tout de suite, avec de sévères regrets,
que Ie radicalisnlc révolutionnaire trouvait parmi
les instituteurs de nombreuses recrues; et, sans
retard, eHe voulait aviser. Depuis Frédéric-Guil-
]aume Ier
l' enseignenlent, en Pl'usse, était considéré
comme chose d'État : l'État entretenait les écoles,
courbait tous les futurs citoyens sous Ie régime
de l'obligation scolaire, et coupait court aux scru-
pules de conscience des parents, en dispensant Ie
petit catholique de l'enseignement religieux pro-
t. Sur l'assembléc fpiscopale de WurzLourg, voir noll'C tome II. p. 376-397,
el Sauze, L'aftsemblée épiscopale de 'Wur=boUJ'ý (Paris, Poussielgue, 1907).
2. PCuclr, Geissel, II, p. 'i8.
L' ÉGLISE DE PRUSSE
205
testant et Ie petit protestant de l'enseignement
religieux catholique. La religion, dans l' école pri-
maire, était une matière obligatoire d'inslruclion.
Jamais la Prusse n'avait accueilli Ie pro jet d'une
sorte d' enseignement religieux vague et général,
borné à quelques affirmations métaphysiques, et
commun à toutes les confessions. L'on s'arrangeait
en général pour que la confession du maître fut
celle de la majorité ou de I'unanimité des élèves :
Ie prêtre ou pasteur du village inspectait l'école,
par la volonté n1ême de l'État 1.
Le radicalisme philosophique, qui, de 1.840 à
1.84.8, avail détaché des Églises beaucoup d'insti-
tuteurs 2, avait fini par les détacher de la monar-
chie prussiennc elle-n1ême : parallèlement aux
sectes de (( catholiques allemands )) (deutschkatho-
lisch) et d' (( amis des lumières 3 )), ils étaient
devenus, de schismatiques dans l'Église, des schis-
n1atiques dans l'État. Soucieux de les ramener à la
fidélité politique, l'État fut conduit, tout nature]-
lement, à fortifier les liens entre l'école et l'éta-
blissement religieux. C'élait I' époque où l'on se
demandait, en Allen1agne comme en France, si
l'étude des classiques païens était bonne pour la
t. Rintelen, Das Verhaeltniss der Volksschule Preussens zu Staat und
]{irche, p. 16-60 (Paderborn, Schoeningh, 1888). - Rudolf Gneist, Die confes-
sionelle Schule, ihre Unzulaessigkeit nach preussischen Lalldesgeset:en
und die Notkwendigkeit eines Verwaltungsgerichtshofes, p. 14-
9 (Berlin,
Springer, 1869).
2. (( La grande majorité des mailres sont pour la proscription de l'enseigne-
ment religieux, J) écrivait Dieslerweg en 1850 dans la quatrième édition du Weg-
weiser für deutsche Lehre1' (Sallwuerk, Adolf Diesterweg, Ill, p. 22
, n. 1).
3. Sur ces diverses sectcs, voir notrc tome II, p, 293-309.
206
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
formation de la jeunesse; on était préoccupé d'im-
planter un système d'éducation soJidemenl assissur
les principes chrétiens; on insinuait, dans certains
congrès, qu'il serait bon que les philologues eussent
appris la théologie ; on réclanIait, en face des gym-
nases païens, des gynlnases (( chréliens évangé-
liques 1 )). D'autant plus inlpérieuse devenail cette
préoccupation chrétienne, lorsqu'on avait affaire à
des instituteurs primaires dont avait chancelé Ie
loyalisme civique en même temps que la foi reli-
gieuse. De là, certaines avances aux Églises, dont
on trouvait déjà Ia trace, en 1849 et {SãO, dans les
discours du ministre Ladenberg sur la Constitution 2,
et dans Ie projet de loi scolaire qu'il déposa; de
là surtout, après 1850, la politique scolaire du
ministre RaunIer 3.
(( J
a prospérité de l'école primaire dépend de
son union intime avec l'Église )), affirmait Raumer
t. 8m' ce curíeux momement, dont Ie prpmier malliCc::.tc, de díx ans 811té-
rieur au Ver rongew' de M6 r Gaume, Cut Ie livre de Eylh; Classiker und Bi-
bel i>> den niederen Schttlc1t (Bâle, Spiltler, 1838); sur les th
scs soutenues à cet
égard par l'Evangelische Kirchenzeitung, de Hengstenberg, et ratifiées en 1851
par la fondation d'ul1 gymllase chrétien à Guetersloh; sur les discussions du
Kirchentag d'Elberfeld et de la Philologenversammluny d'Erlangen, en 1851,
au sujet des rapports entre la philologie el la théolog-ie, voir Schmid, Ges-
chichte der Erziehuny VOll AufallY an bis auf unse
'e Zeit, V, I, p. 325
329,
(Sluttgart, Colla, 1901).
2. Rinlelcn, op. cit., p. Gi-i9. Tandis que la Commission du parlement de
Francforl avait proclamé la Iibf>rlé de l'enseignement, et avait lai!!sé aux com-
munes Ie soill de décider si, dans leurs écoles publiques, l'enseignemenl devait
être confessionnel, la Constilution du 31 jam-ier 1850 reconnut ]a liberté d'ensei-
g-nement, mais sous des conditions d'aptitude morale, scientifique el technique,
conlrõ
ées par l'Etat, et so us ]a surveillance de I'État. Ene stipula que dans
l'érection des écoles pubJiques il Callaillenir compte, Ie plus possible, des cir-
con stances confessionnelles (Riutelen, Ope cit., p. 65).
3. Sur Charles Otto Raumer (t805-1859), voir Wiese, Lebenserinne,'ul1gen
tlnd Amtserfahrungen (2 vol, Berlin, Wiegand, 1886), et Wippermallll,
l11f)e-
7/
eilte Deutsche lJiof)J'aphie, XXVII, p. 41.8-4,20.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
207
lans une cil'culaire du I er octobre 1851 1. Sans
lucune loi nouvelle, une série d'actes administra-
ifs donnèrent à l' école prussienne, implicitement,
111 caractère de plus en plus confessionnel : en
)rincipe, elle fut toujours établissenlent d'Élat;
nais dans Ie langage courant, on so mit à parler
l' écoles catholiques, d' écoles pl'otestantes. L' en-
eignement religieux y prit une importance crois-
ante; la surveillance des Églises sur toutes les
)ranchcs de l' enseignement, - surveillance exer-
.ée d'accord avec l'État, mais d'après les nlaximes
les Églises - devint plus assidue; entre les clcr-
;és et Ie personnel scolaire, se nouèrent de plus
;troites attaches. Les bureaux prirent l'habitude,
>our déternliner Ie caractère confessionnel d'une
;cole, de rechercher, dans Ie passé, la trace des
ondations religieuses grâce auxquelles elle avait
;té instituée, ou des biens sécularisés aux dépens
lesquels cUe vivait-, ou des statuts, entin, qu'elle
lvait reçus au moment de sa fondation. L'école
I,imultanée, groupant des enfants des deux con-
'ession
, était considérée comme une anomalie 2.
'État pl'ussien, chef de l'enseignement primaire,
nettait sur les institutions d'cnseigncment des
;tiqueltes d'Église; à la faveur de ces étiquettes,
'une on rautre Églises pénétraient dans la vie
[uotidienne de l'école, et la formation religieuse
1. Rendu, De l'éducation populai1'e duns l'Allemayne du N01'd, p. 66-67.
Paris, Hachette, 1855). - Une polilique scoJaire analogue élait inaugurée, à la
lême époque, en Hanovre (ordonnance de 18:;0) el cn Saxe (loi du 3 mai
!o351J: voir Rendu, Ojl. cit., p. :18 ct ';0.
2. Gneist, Ope cit., p. 39-GJ.
208
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
des enfants était dès lors assurée. Les instituteur
négligents ou incapables devaient accepter l'aid{
et les Ieçons des ministres du culte 1; des confé.
rences mensuellcs étaienL recomnlandées, OÙ l{
directeur de l'école et Ie représentant du clerg(
traiteraient des intr.rêts scolaires 2. Défense étai1
faite aux instituteurs de sortir de }' office durant Ie
prédication : ils devaient, au contraire, être au pre-
nlier rang des auditeurs, et s'assurer, Ie lende-
main, si les enfants l'avaient bien écoutée et s'ih
en avaient tiré profit 3 . Car ils avaient pour mission,
lisait-on dans une feuille pédagogique, d' (( enraci-
ner dans les jeunes âmes les croyances fonda-
mentales, de les développer avec amour, de telle
sorte que, plus tard, sous l'impulsion de Dieu et
de la conscience, eUes se révélassent en chaque
jour de la vie, et fussent pour l'homme un appui
et un bouclier 4 )). On savait, dans Ie personnel
scolaire, que, pour les gratifications, pour l'avan-
cement, l'État tenait compte de (( l'esprit religieux
et ecclésiastique )) des maîtres (religioesen kÙ'chli-
chen Sinn):; ; et la formation même qu'illeur don-
nait dans les écoles normales réorganisées les
préparait à être, si I' on ose ainsi dire, des fonc-
1. Rendu,op. cit., p. 87 (circulaire du Conseil 8upérieur de I'Eglise évangéli-
que,
1 juillet 1851).
2. Rendu. Ope cit., p. !)4 (circulaire de la régence de Potsdam, 8 juin
1853).
3. RClldu, Ope cU., p. 39, el 2i6-:!17.
4. Schulblatt für die Provin:: Brandcnbw'g, 1852, p. 565. - Rcndu, op. cit..
p.2a.
3. Rcndu, Ope cit" p. 39.
I. 'ÉGLISE DE PRUSSE
209
lonnaires religieux accomplissant une besogne
, Éta t.
En octobre i8
4, plusieurs circulaires, connues
DUS Ie nom de Regulative, furent publiées par
ministre Raumer 1; elles traçaient des pro-
rammes et fixaient un idéal. L'État prussien con-
'ssait que l' enseignement primaire devait chan-
er de méthode et presque de but.
(( Elle s'est montrée stérile et funeste, écrivait expressé-
ent Raumer, cette idée que l' éducation géI1érale résuIte-
it du développement abstrait de la force intellectuelle. La
e du peuple exige une régénération fondée non plus sur
s théories, mais sur des réalilés immuables et sur les
.ses du christianisme, véritable soutien de la famille et de
:tat. Les élèves doivent sortir de l'école chrétienne, animés
l'esprit de Dieu et aptes à toute bonne æuvre... L'école
mentaire avait suivi la direction intell ectuelle de l' époque...
lis, de même que la vie générale du siècle est arrivée à ce
int où une révolution décisive (ein entscheidender Umsch-
tng) est devenue nécessaire, de même l'école, si elle ne veut
xposer, en se rattachant à une opposition vaincue, à
meurer impuissante età dépérir, doit entrer dans Ie nou-
lU et salutaire mouvement qui lui permette tout ensemble
recevoir et de donner la vie 2. ))
Si telle devait être l'école, il fallait adapter à ees
igenees nouvelles Ie séminaire où se prépardient
) futurs maÌtres. lei encore, Raumer prévoyait
eommandait Ie changernent; il souhaitait que
candidats à ces séminaires fussent d'avance
Sliehl, Die d1'ei preussischen Regulative, p. 15-24. (Berlin, Hertz, 1854).
;tolzenburg, Beitmege zur Geschichte der Regulative unò Schul- Verord-
gen für die Geistlichen und Lehrer des Liegnitzer Regierung3-Bezirkes,
31-40 (Breslau, Duelfer, 1860).
Rendu, Ope cit., p. 218-
27.
III.
i4
2fO
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
spécialement instruits sur leur religion parle:
pasteurs de leur village 1, et if ajoutait :
(( II faut que Ie séminaire présentf' dans son ensen1bl
une communauté de vie chrétienne et évangélique... Le
idées purement spéculatives, individuelles, idées infru(
tueuses au point de vue d'une instruction sin1ple et sain
du peuple, resteront étrangères aux sélninaires. En s'ar
puyant sur la base du principe chrétien, ils deviendront d
plus en plus ce quïls doivent être : des pépinières de maître
pieux, dévoués, intelligents, ne s'écartant pas de la vi
réelle du peuple, ayant Ie désir, la vocation et la capacit
de se consacrer à l'éducation de la jeunesse, avec abnég
tion et en vue de Dieu 2. ))
Ce dont il s'agissait, c'était, suivant l'expressio'
d'un pédagogue qui dirigeait à Berlin l'école nOI
male, de (( former une race nouvelle dans laquelJ
renaquît la vie religieuse et morale 3 )). II conVf
nait, pour une telle fin, com me l'expliquait
to utes les autorités scolaires de sa province ]e pr{
sident supérieur de Koenigsberg, que (( l'instruc
tion religieuse l'estât Ie noyau et Ie centre d
to ute l'activité primaire; l'enseignement df
autres matières ne devait venir qu'ensuite, et sar
visées trop hautes, pas plus dans les séminairf
que dans les écoles populaires, mais se cantonneJ
au contraire, dans certaines !imites, très simple
marquées par les circonstances 4. ))
Les circulaires de Baumer ne visaient que Ie
1. Rendu, op. cit., p. 248.
2. Rendu, op. cit., p. 292 ct 306.
3. Rcndu, Ope cit., p. 212.
4.
Kenner, LebellsUaetter, p. 323-3
5.
, .
L EGLISE DE PRUSSE
2ff
écoles évangéliques : il y avait queIque étroitesse
dans l'idée dont elles s'inspiraient; l'école qu'elles
voulaient organiser était celIe dont rêvait Ie con-
servatisme piétiste. Stieh1 1 , qui les a vait élaborées
et proposées à la signature de son ministre, s'émut
hientôt des attaques qu'elles provoquaient; dans
une leth'e anxieuse, il pria Ie pédagogue catho-
lique Kellner de rompre une lance dans la presse
en faveur de ces documents ministériels, de ces
(( enfants, comme il disait, qUI lui coiltaient tant
de douleur )). Mais Kellner se déroba : (( A plu-
3ieurs égards, note-t-il simplement dans ses Sou-
'Jenirs, Ie désir exprimé par Stiehl contredisait à
mes sentiments 2. )) II n' étai t pas de l'intérêt du
atholicisme, de prendre trop impérieusement Ie
parti de I 'État évangélique contre les maîtres indo-
iles on frondeurs des écoles protestantes. Un seul
'ait importait à l'Égiise : c' était que l'État, en
vertu même des maximes générales que Baumer
;e plaisait à professer, ouvrît à l'influence du
uré, à ses conseils, à sa surveillance, les écoies
I )eupIées de petits catho]iques. Ainsi faisait l'État
H'ussien, sans réserves, sans ambages, et d' une
açon toute spontanée. Dans les écoles des deux
,onfessions, un rôle essentiel élait désormais
1. Sur Antoine Guillaume Ferdinand Stiehl (18U-1R78), de pasteur devenu
édagogue, et qui depuis 1844 jusqu'à 1872 joua un rôle important au minilitère
8 cu1tes pour toutes les questions d'enseignement, ,'oir Allgemeine deutsche,
'iog1'aphie, XXXVI, p. 180-184.
!. SaUwuerk, Ope Clt., I, p. 110. - Kellner, Leb ensblaetter, p. 40
et 501-
)3. - Sur Ie pédagogue calholique Laurent Kellner (1811-1892) qui pendant plus
trente ans dirigea l'enseignement dans Ie paJs de Trêves, \oir son propre
vre :Lebensblaetter, Erinnerungenau8 der Schulwelt (Fribourg, Herder, 189
),
Sander, Allgemeine cleutsche Biographie, LI, p. 505-50i.
212
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
reconnu aux deux clergés; et Ie clergé catholique
en fait, hénéficia plus largement et plus vite de
cette hégémonie scolaire que ne put Ie faire Ie
clergé protestant.
Car, parmi les instituteurs protestants, un cer-
tain nombre encore suivaient secrètement !'impul-
sion de certains pas Leurs d'avant-garde, comme
Uhlich, comme Wislicenus 1, à l' école desque]s
leur orgueil de primaires s'émancipait dp tout
dogme révélé.
(( Le monde est affranchi de l'Église, chantaH
Ie pasteur Uhlich. Dans les trilles des rossignols,
dans l' armée des étoiles, dans Ie sourire de Yen-
fant, dans l'image de la beauté que nous révèle
l'art du peintre, dans les rêves du cæur vel'S un
aveniI' plus beau, dans tout cela nous sentons
l' esprit de Dieu. Et chaque homme est Ie prêtre de
sa religion, la religion de l'amour et de l'huma-
nité. Adieu les formules du vieux christianisme 2 ! ))
La demi-science des maîtres d' école aimait cetlc
ambitieuse emphase, qui les invitait à se hausser
jusqu'à devenir des façons de prêtres, et jusqu'à
rendre jaloux, si possible, Ie vicaire et Ie curé.
Tel d'entre eux, dans la Saxe prussiennp, lisait
aux enfants, avant de leur enseigner Ie caté-
chisme, une page de Wislicenus sur la (( décrépi-
tude de l'Église, désormais réduile à quatre sou-
tiens, les États, les capi taux, la routine et Ie
1. Voir, sur ces agitateurs, notre tome II, p. 303 pt 308.
. Rendu, op. cit., p. 178 eL 204-205.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
213
sentiment t >). L'État prussien pouvait bien fernIer
les classes que les petites sectes schismatiques du
protestantisnle avaienl ouvertes dans les dernières
années 2 ; mais l'influence des Uhlich ou des \Vis-
licenus devenait plus périlleuse encore, si elle se
glissait dans certaines écoies de l' évangélisme
officie!. Eugène Rendu, qui faisait alors à travers
l' Allemagne du Nord de longs voyages d'explora-
tion scolaire, notait avec précision, chez plusieurs
instituteurs protestants, certains symptômes de
:-ébellion grondeuse contre les ordres de rÉgiise
t de I'État.
l\lais tout au contraire" les écoles catholiques
ui laissaient une excellente impression. La con-
,cience catholique étaÏt beaucoup plus éveillée,
)eaucoup plus intense, chez les maîtres cathoIi-
_ues, que ne l' était la conscience protestante chez
s maîtres évangéliques. Le piétisme avait beau-
oup à faire pour lutter conlre les instituteurs qui
letlaicnt Ie chl'istianisn1e en façade ct demeu-
lient d'ailleurs des incroyants; de teis soucis
taient généralenlent épargnés à l'Église Romaine.
!{en1pen, grande école normale où se formaient
s inslituteurs catholiques rhénans, la piété de
'S .leunes homnles édifiait Rendu 3; elle les
'édisposaiL à accepter de bonne gl'âce, et même
solliciter avec con fiance les indications et les
. Rendu, Ope cit., p. 20-21.
. Rendu, Ope cU., p. 206, n. 2.
. Rendu, Ope cit., p.
7. Voir dan:; Rendu, Ope cit., p. 258-2ï9, les r
glc-
lts d
s écoles normales catholiqucs de Fulda el lireslau, deslinées aux fulurs
ilul
urs.
2i4-
L' ALLEl\lAGNE RELIGIEUSE
conseils des doyens el des chapelains, auxquels Ie
vicariat général de Cologne prescrivait expressé-
ment de bien surveiller les écoles 1.
Le développement des études catholiques de
pédagogie, la multiplication des journaux pédago-
giqJles catho1iques, affermissaient d'aiUeurs l'in-
fluence de l'Église sur l'instruction :!. II ne suffìsait
pas aux prêtres d'outre-Rhin - Ketteler, dans son
diocèse de l\Iayence, insisla beaucoup à cet égard-
de vouloir, parce que prêtres, régir l'école; ils se
préparaient, ils s' outillaient, pour acquérir eux-
mêmes, en matière scolaire, nne véritable compé-
tence technique; ils lisaient les livres et les articles
de Kellner; lorsqu'ils se présentaient dans l' école,
l'instiluteur saluait en eux, tout à la fois, non seu-
lement des hommes d'Église, non seulement des col-
laborateurs de l'Élal, mais des pédagogues; et leurE
propres connaissances rehaussaient leur office.
A côlé de ces écoles primaires catholiques doni
l'État et l'Église se partageaient amicalement la gé-
rance, à peine élait-il besoin, pour Ie catholicisme
prussien, de créer des écoles privées 3 : eUes furen1
1. Pfuelf, Geissel, II, p. G4. C'esl vraisemblaLlemenl dans une heure de pessi
misme que Geissel écrivail à Viale Prela en 1855 : << La plaie, chez nous, la ques
lion des écoles pubJiques; et lIeu ou point d'espoir. )) (Pfuelf, Geissel, II
p. 260.)
2. Voir KctIncr, Lose Blaetter, p.
OS, éd. Goergen (Fribourg, Hcrdcr, 1S!);))
et remarquer, spécialement, Ie curieux passage OÙ il explique quïl ne faut pa
trop vanter, a prim'i, lout effort pédagogique par cela seul que ccl effort cs
catholiq ue.
3. Sur Ie caractère et les limitcs du droit qu'a,'aient. à eel égard les cat.110
litlues et les conditions auxquelles étai
soumis I'c1..ercice de ce droit, on ll'OU
vera un très bon exposé juridif{ue dans Hiutelen, op cit., p. 18G-192. - E
1866, il n'y aura encore, en Prusse, (Iue 1 500 écoies pl'ivées (Kenner, Tfcolo
ische3 LitemtU1'blatt, 1866, p. 215).
L'ÉGLISE BE PRUSSE
2f5
oujours en petit nombre et demeuraient d'ailleurs
ioumises à une certaine surveillance de l'État.
Des discussions longues et confuses s" étaient
'ngagées au congrès catholique de Breslau de
nai 1.849 1. Comme les évêques réunis à 'iVurz-
)ourg, les congressistes de Breslau gardaient
:ncore l'impression très vive des menaces que les
adicaux de Francforl avaienl fait planer sur Ie
aractère chrétien de l' école ; la prépondérance des
,artis avancés demeurait assez solide pour que
'institution d' écoles non confessionnelles apparût
omme un périL prochain; et si cette crainte
'était vérifiée, Ie monopole de l'enseignement
ntre les mains de rÉtat eût marqué un désastre
our l'Église. Le principp de la liberté de rensei-
nement aurait alors surgi comme une sorte de
1. Ce que proposait au congrès de Breslau Ie rapporteur Pel1dram. futur
èque de Trêves (1812-18û7), c'élait de reconnaître, tout d'aLord, Ie principe de
liberté de renseignemenl, de proclamer, ensuite, Ie droit du pèrc à faire
wer ges enCants comme it l'entend, et d'en conclure au devoir de l'Élat de
5pecler Ie droit des peres catholiques.
Ce genre de déduction Cut vivement criLiqué : Callait-il que l'Église reconnût
tous les pères Ie droit de faire élever leurs enfants loin de I'Église et hors
I'Église'? Les principes << libéraux . sont une arme à deux tranchants; on vit
rgir,à Breslau, les discussions qui toujours s'en
agent lorsque des catholiques
èguenl en leur faveur ces principes. Baltzer préférait qu'on proclamât Ie devoir
Ill' les pères de Caire donner à leurs enfants une {Oducatioll calholique, et que,
ce devoir, on déduisìt les droits qu'ils avaient, comme ciloyens, vis-à-vis
l'État. Le væu qui Cut voté, à l'instigation de Baltzer et d'Himioben, se référa,
;cisément, à la décision de l'assemblée épiscopale de W urzbourg recomman-
nt aux parents catholiques l'éducation catholique de leurs enfanls : l'assem-
'e décida qu'il fallait mainlenir les écoles calholiques exislantes, en fonder
nouvelles, empêchcr que l'État ne délournât de leur Lut les fonds deslinés
es écoles catholiqucs, el veiller à ce que les impôts acquittés par les ciloyens
holiques fussent équitablemenL employés à la dotation d'écoles de toute
lnce, catholiques ou aulres, suivant les besoins et les circonslallces. Quant
droit de surveillance de rÉLat sur l'enseignemenl confessionnel, la queslion
neura sans solulion: 11oufang, à juste Litre, la trouvaÏL prémalurée (Verhand-
tfJcn, p. n et suiv.). Cf. ci-dessous, p. 319, n. 2, des discussions analogues,
se produisirent au cong-rès de Trèves de t8t:ì;:;.
216
L' ALLElUAGNE RELIGIEUSE
barricade derrière laquelle I'Église, retenant autour
d'elle les enfants de ses fidèles, leur aurait assuré,
dans des écoles à elIe, cette éducation religieuse,
marchandée ou refusée par les partis politiques;
et Ie congrès de Breslau avait mis au concours la
rédaction d'une brochure populaire sur eette
liberté. Si les troubles politiques se fussent pro-
longés, si les théories de certains parlementaire
sur l'enseignement neutrc eussent reçu une consé-
cration légale, I'Église était résolue, partout OÙ
cUe Ie pourrait, à opposer ses écoles à celles dE
l'État.
1\Iais la déférence de l'administl'ation prussienn{
envers les besoins et les exigences des confession
chrétiennes dissuada bientôt les catholiques dE
Prusse d' engageI' une lutte contre la conception
même d'un
enseignement d'État; eL pendant unc
assez longue période, leur politique en matièrE
d' enseignement primaire eonsista, bien plutôt, à
favoriser une sorte d'entr'aide entre l'État el
l'Église pour la eOllln1une besogne d'enseignement.
Un passage significatif de Kellner témoigne que]
fut à eet égard leur idéal et queUe fut au demeu-
rant, durant une quinzaine d'années, la réalité.
(( L'école popuJaire, écrivait-il, est Ie sonllnet ù'un angle
dont Ies deux côtés sont l'État et l'Église ; tous deux s'unis.
sent en ce sommet, ils en sortent, et ne peuvent ni l'un ni
l'autre se pa!:\ser de lui. Si l'État attire l'école complètement
à lui, l'angle disparaît, pour faire place à deux lignes pardl-
lèles ou divergentes, à deux facteurs dont chacun doit avoir
ses écoles particulières. L'Église est ensuite an1enée à récla-
Iner pleine liberté d'enseignement, et à faire élever ses
L 'ÉGLISE DE PRUSSE
217
fidèles par des écoles qu'elle fonde et dirige elle-même.
Qu'une telle séparation vaille mieux que J'avantage d'une
association entre les deux facteurs, reposant sur leur estilne
et leur confiance mutuelle, il serait hardi de Ie soutenir.
Ecoles confessionnelJes. étroite liaison de ces écoles avec
l'Église sous la tutelle de l'État : telle doit être notre parole 1. >)
Les faits ratifiaient ce nIot d' ordre : l' école
publique catholique fut une force pour Ie catholi-
cisme prussien 2. Sous la co-direction de I'État et de
I'Église, elle éduqua, tout à la fois, des citoyens et
des catholiques; elle forma des âmes religieuses
capables, en même tern ps, de s' associer aux préoccu-
pations nationa1es et de se mêler à la vie nationale ;
eUe développa tout à la fois, dans les consciences,
Ie sentiment de leur dignilé person neUe et Ie res-
pect pour la dignité de ]'autorité civile; eUe les
n1Ït en garde contre cel esprit de fronde 'et d'anar-
chie qui d'avance éncrve et discrédite les résis-
tances légitimes pour les heures où ces résistances
s'imposent; et lorsque les catholiques de Prusse,
dressés ainsi dès l'enfance, devront, so us Ie Cultur-
kaJnpf, tenir ferme contre la tyrannie de l
État, ils
apporteront, dans cette ténacité même, un sens
civique sincère, aiguisé, qui finira par désarmer
les malveillances politiques, et qui sera l'une des
conditions et rune des raisons de la victoire.
1. Kellner, Lose Blaetter, p. i3-14 eL 162. - Cf. dans Theologisches Lite-
raturblatt, 1866, p.
12-216,la réponse de Kenner à l'ouvrage du prêlre bava-
rois Lukas contre 1'0bligation scolaire. - Le pédagogue Bogedain (1810-1860),
évêque am,iliaire de Breslau, était beaucoup rnoins favorable à l'hégémonie sco-
laire de l'État (Meer-Jungnilz, Charakterbilder aus dem Clerus Schlesiens, II,
p. 201-20
. Breslau, Aderholz, 1898).
. cr. Spahn, Ðer Kampf urn die Schule, p. 21 el sq. (Kempten, Koesel, 1907.
11RD D
T A
p' 'e; nil r: -al=
2t8
L' ALLE1UAGNE RELIGIEU
E
IV
Que la Constitution, qui garantissait à l'Église la
liberté, nlénageât aux catholiques, en fait, l'accès
des liberlés nécessaires, et que les règlements sco-
laires qui, pour longtemps, tinrent lieu d'nne loi,
assurassentaux petits baptisés Ie bénéficed'une forte
éducation catholique : c'était beauconp, déjà, pour
I'Église. l\lais les suspicions nlêmes que ces pro-
grès inspiraient au protestantisme pouvaient faire
craindre qu'ils ne fussent entravés par une force
terrible, susceptible à son gré d'être très intrigante
ou très inerte, très souple on très lourde, et d'adop-
tel' suivant les heures la tactique active du combat,
ou la tactique passive d'une résistance assoupie ;
cette force s'appelait ]'adrninistration prussienne.
Nourris dans les traditions de la vieille Prusse,
recrutés et stylés par Ie gouvernemenl de Frédéric-
Guillaume III, les bureaucrates s'imaginaien t qu' en
surveillant et en matant l'Église. ils travaillaient
pour Ie service de I'État. Supposez la Déclaration
des droits de l' homme appliquée par des intendants
de l'ancien régirne : ils eussent accumulé les COl1-
tresens et multiplié les entorses. La déclaration
des droits de I'É g lise, tclle qu'elle résultait des
Constitutions de 1848 et Je 1850, était indé-
chiffrable, inintelligible, pour une génération de
bureaucrates qu'avait dressés Ie régime antérieur.
lIs avaienl des formules toutes faites pour com..
L'ÉGLISE DE PRUSSE
2i9
mander l' obéissance des religions à 1 'État, des
armes toutes prêtes pour l'imposer; 1848 avait
disloqué ces formules, émoussé ces armes; et leur
esprit de routine demeurait tou t déconcerté : il
leur semblait qll'en leur personne, l'État fùt
désormais humilié.
lais que certaines voix s'éle-
vassent, dénonçant l' Église ronlaine comme une
antagoniste de la civilisation, cet esprit de routine,
alors, se donnerait à 1ui-même l'illusion d'ètre un
esprit de progrès, et la bureaucratie se flatterait de
travailler pour l'avenir en appliquant de nouveau,
pour la gestion de l'établissenlent religieux, cer-
taines recettes antiques et démodées.
C'élait un cas très isolé que celui d'un Duesberg,
président supérieur à l\Iuenster, qui, grâce à son
catholicisme notoire, achevait la difficile assimila-
tion des provinces \vestphaliennes au royaume de
Prusse 1 . Un Bodelsch\vingh, administrateur dans
la Saxe prussicnne, préparant la disgrâce du fonc-
tionnaire Guil]aume Yolk, parce qu'en i855 Yolk
se faisait catholique 2, ou bien un Kleist-Retzow,
1. El'innel'u11gen aU8 alter und neum' Zeit, vom einern ollen .!JJuenstera_
flel', p. 210-
11 (Muensler, West{aelischel' blerkur, f 880). Sur FraU(;ois de
Duesberg (1793-1872), ami du cal'dinal Diepenbrock, et flUi ful, de 1850 à 1871,
président supérieur à Muensler, voir Hueffer, Allgemeine Deutsche Biographie,
V, p. 450-451. - Cf. sur Ie grand dévcloppement du calholicisme weslpbalien
à celle époque, une lellre du peintre Sleinle à J\lme Brenlanú, du.20 seplembre 1859
(Steinle, Brie{wechsel, II, p. 89-90).
2. PCue1f, J.}lallinckrodt, p. 57 et suiv. - Sur Guillaume Volk (1804-1869),
voir Rosenthal, Konvertitenbilder, I. 3, p. 159-202, spécialemeut p. 197, n. t,
etle livre de souvenirs publié par Volk lui-même sous Ie pseudonyme de L. Cla-
rus : Simeon, \Vanderungen unci Beimkeh1' eines chrislichen Forschers, 3 vol.
(Scha.ffouse, Hurter, 1862-1863). Volk pourlant dirigeait une feuille populaire
lout à fait prussienne: De7' aUe Frit::; mais l'Obe1'praesident Bodelschwingh
estimait qu' (( un calholique ne peul pas ètre un bon prussien >>, el on lui faisait
un grief de S'(>tl'C cODl'erti à Aigen, en lerritoire autrichien.
220
L 'ALLEl\IAGNE REI.IGIEUSE
président supérieur dans la province rhéllane,
représentaient beaucoup plus exactement les ten-
dances coutumières auxquelles s'abandonnait, dans
son ensemble, la haute administration prussiennc.
De ce fait, la situation de l'Église n'était pas
sans péril; mais co péril même rendait précieuse
pour elle l'existence au ministère des Cultes d'un
bureau spécial qui s'appelait la division catholique
(Katltolische Abteilung), et dans lequelies évêques
trouvaient portes ouvertes et bon aecueil.
En créant, au début de son règne, cette curieuse
institution \ Frédéric-GuillaumeIV, (( évêque sou-
verain )) de I'établissement évangélique, avait paru
admettre, implicitement, que, pour traiter avec
I'Église romaine, il était bon de lui appartenir;
que, pour savoir l'écouter et la comprendre, il
était utile d'être de longue date familier avec son
langage; et qu'en remettant à des bureaucrates
catholiques Ie soin de Ie représenter vis-à-vis de
l'Église, I'État préviendrait les malentendus. Au-
like, député catholique à la Chambre bel'linoise
de 1848, dirigea Ia (( division catholique, )) de 1846
à :1865, avec autant de dévouement à l'Église que
de loyauté à l' endroit de rÉtat 2. II ne tint pas à lui
qu'en 1859 on ne Iui adjoignît comme conseiller
Ie grand orateur catholique l\lallinckrodt; mais
l'éclat nlênle de ce nom inquiéta Ie nlinistère, qui
pl'éféra un autre fonctionnaire, moins belliqueux,
f. Voir notre tome II, p.
59.
.2. Sur l'hostilité d'Aulike aux idéei joséphisles, \oir J.-F. Schulte, Lebense-
rumerUIl!len, p. 66.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
221
[nais non moins pieux. Joseph Linhoff 1. Lorsque
mourut Aulike en 1865, un magistrat de Brom-
erg, excellent catholique aussi, et que d'aucuns
lccusaient même de sympathie pour Ie polonisme,
Kraetzig, lui fut donné comme successeur 2.
On pent, à travers Ie XIX e siècle, épier dans les
livers pays les innombl'ables attitudes, nuancées,
omplexes, changeantes, qu'observèl'ent respecti-
rement l'Église et l' État : chez aucun peuple, à
lueun moment du siècle, on ne rencontre une
nstitution semblable à celte (( division cathoJique )).
I Y eut des pays et des heures où l'Égiise trouvait
n face d'elle, comme chargés d'affaires de l"État,
les agents provocateurs, guettant avec une adroite
nalice Ie lent échauffement des passions reli-
ieuses, pour justifier ensuile les représailles de
a puissance laïque. Préposés aux rapports entre
es deux pouvoirs, ils semblaient mettre tous leurs
.oins à concerter les divers actes d'une brouille,
usqu'à cc que, victimes de leur propre succès, ils
rissent s'effondrer leur fauteuil directorial parnli
es ruines mêmes qu'ils avaient semées. L'Église,
)Ius communément, rencontrait un autre genre
l'interlocuteurs. Catholiques fort corrects, fidèles
L la nlesse du dimanche, et s'y rendant même par-
1. SurJoseph Linhoff (1819-1891), voir Pfuelf, Josef Linho{f, der letzte Vete-
an der Katlwlischen Aúteilullg (Fribourg, Herder, 19U1). Aulike (1807-1865)
ttend un biographe. Sur Kraetzig, voir H. P. B. 1886, 1, p. 549, n. 2.
!. Pfuelf, Jlallinckrodt, p. 160-163 et 169. - cr., sur l'Abteilung, l'art. de
raus dans la Beilage de l'Allgemeine Zeitung, fer aoÎlt 1895, et aussi, dans
L mðme Beilage, 12 août 1895 et 9 juin 1900, deux articles sur Stieve, fonc-
lonnaire de l'Abteilung.
222
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
fois avec de gros livres que peut-être ils avaient
hérités de quelques ancêtres jansénistes, ils incar-
naient surtout l'esprit légiste, et croyaient n'être
loyaux envers l'Élat que s'ils arboraient avec
quelque pédanterie les traditions et les précédents
des vieux Parlements. Subtilement pointilleux,
doctement chicaniers, ils voulaient que l'État
gardâl son (( quant à soi )) vis-à-vis de Dieu; et
leur observance personnelle des préccptes religieux
ne les empêchait point, en tant que fonctionnaires,
de traiter avec l'Église comme avec une partie
ad verse. Les Aulike, les Linhoff, les I{raetzig, ne
répondent ni à l'un ni à l'autre de ces deux portraits.
Le roi protestant qui les appointait était sincère-
ment désireux qu'aucune des deux confessions n'eût
à se plaindre. Si la Catholique se disait mécontente,
c'était pour lui une contrariété; si la Protestante
murmurait, il éprouvait alors un peu plus que de
l'ennui, presque du remords. II appartenait à la
(( division catholique )) de garantir la paix reli-
gieuse et la sérénité d'humeur de l'État : c'était là
sa besogne. II ne s'agissait point, pour eUe, de
surveiller ou de contenir les progrès de I'Église et
d'être prompte à les qualifier d'empiètements; eUe
avail un rôle plus élégant, plus utile aussi. Bis-
marck, plus tard, accusa les membres de ceUe
(( division )) de s' être transformés de sujets catho-
liques du Roi en légats du Pape j. La boutade était
1.. Bismarck, DiscouTs, V, p. 33 (discours du 10 mars 1873) et VI, p. 90
(discours du 16 avril 1875). (Berlin, Wilhelmi, 1885-1889). l\Iirbt, Die preu.'l-
sische Gesandschaft am Bofe des Papstes, p. 36-37 (Leipzig, Braun, 1899),
, ,
L EGLISE DE PRUS8E
223
trop malveillante pour être véridique; mais, sïl
voulait dire que Ie jell même des circonstances
avait amené ces bureaucrates à s'improviser diplo-
mates, il n'avait pas tort.
C'est auprès des membres de la (( division ca-
tholique )) que les évêques de Prusse tàtaient
Ie terrain pour savoir ce qu'ils pouvaient de-
mander à l'État, et sous queUe forme i]s devaient
Ie demander, et ce qu'il serait Oppol'tun de dire,
opportun de taire. Des catholiques, des rhénans
surtout, avaient peine, parfois, à deviner l' état
d'esprit du vieux protestantisme prussien, tout
comme il était malaisé pour un pouvoir évangé-
lique de comprendre ou d'interpréter les paroles
ou les réticenc
es catholiques : la phraséologie, de
part et d'autre, risquait d' être différenle. La (( divi-
sion catholique )) ressemblait à un bureau de tra-
duc-tion, qui expliquait à l'État ce que voulait
l'Église, à l'Église ce que pouvait l'État : .bureau
correct et sûr, OÙ siégeaient des gens fort habiles,
et clont tout Ie travail reposait sur cette unique
maxime que pour préparer la paix il faut désirer
la paix 1 . Lorsque Bismarck, quelques années après,
voudra déchaîner Ie Cultll1'kampf, it commencera
allègue que la II division catholique >> annihilait la l
gation de Prusse à Rome.
Kraetzig et Linhoff, en 1869, ne prirent aucune part aux anxiétés des anti-infailli-
bilistes et attendirent en paix la décision du concile (Pfuelf, Mallinc/.Todt, p. 305).
1. Par exemple, Aulike, en 1850, redoute la répercussion que pourraient avoir
certaines manifeslations de l'épiscopat rhénan (SchuHe, Lebenserinnerungen,
p. 63-ô5) j en 1858, il éclaire Geissel
ur les dispositions de Guillaume à l'endroit
du congrès catholique de Cologne {Pfuelf, Geissel, II, p. 52
): en 1863, illni
signale que Ie projet de réforme fédérale est muet sur la parité (II, p. 5(5); en
1864, il lui signale une brochure sur lcs orures qui accuse la (( division calho-
1ique )) de sacrifier les droils de rElal (11, p. ()21.j-(;
7).
224
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
par supprimer la (( division catholique )) en cha1'-
geant Ie pauv1'e Kraetzig de toutes so1'tes de mé-
faits; il accusera eet organe d'avoir toujours dupé
l'État 1. Frédéric-Guillaume IV, au conlraire, avait
lrouvé, jusqu'à son dernier jour, que la (( division
catholique )) Ie servait très bien.
C'est qu'il avait un sincère parti pris d'éviter
les difficultés et les crises, et tandis que dans chaque
province les (( gens du roi )) causaient de l'inquié-
tude aux catholiques, Ie Roi lui-même leur don-
nait confiance. De longue date, il avait eu de
l'affection pour Diepenbrock 2 ; il aima Geissel à
mesure qu'il apprit à Ie connaître. L'absence de
nonciature amenai t I 'opinion prussiellne à consi-.I
dérer ces deux prélats comme étant à quelque
degré les porte-paroles de Rome : leur pourpre
leur tenait lieu de lettres de créance, et publique-
menl, officiellement, Frédéric-Guillaume IV leur
témoignait une chaude cordialilé 3. (( Notre Roi est
un cæur généreux, écrivait Geissel en f836. II veut
du bien aux évêques et même à ses sujets catho-
liques; il n'y a pas, dans son humeur, cet acide
d'odeur calviniste, qui fiord, qui brûle, et qui, au
contact des choses ou des personnes catholiques,
t. Poschinger, Bismarck und die Pa1'Zamentarier, II, p. 184 (Brpslau,
Trevendt, 1895). - Kraetzig, en 1811, sera membre du Centre.
. Voir, dans Reinkens, Diepenbrock, p. 402-405, la leltre amicale et pieuse
de Frédéric-Guillaume IV à Diepenbrock à l'occasion de son jubilé sacerdotal.
Réciproquement, dans son mandement de 18:52, Diepenbrock faisaiL du roi un
très grand éloge (Diepenbrock, Saemmtliche Hirtenbriefe, p. 128-129). - Un
journal anglais, Ie Leader, publiait à celte époque un pamphlet: . Le roi de
Prusse est-II un protestant.'?>> (Poschinger, Denkwuerdigkeiten des Minister-
presidents Manteuffel, II, p, 77.)
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 18.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
225
entre tout de suite en bouillonnement i . }} Lorsque,
cette même année, au congrès catholique de Linz,
parmi Ies hommages à François-Joseph qui venait
de signer Ie Concordat, un curé de Cologne élevait
la voix pour célébrer Frédéric-Guillaun1e IV comme
le prince qui Ie premier avait affranchi l'Église,
e curé traduisait exactement les sentimpnts
écents des catho1iques rhénans 2. V oyageant dans
.es provinces rhénanes en 1855, Ie roi et la reine
Ie Prusse rendaient à Ia jeune congrégation des
;æurs du Pauvre Enfant Jésus une visite très
'emarquée
3; et ce n' était point simplement par
léférence que l\lartin, évêque de Paderborn, à son
)anquet de consécration, buvait à la santé du roi.
Ce généreux prince, proclamait-il, a rompu les
haînes par lesquelles était entravé Ie contact de
es sujets catholiques avec Rome, centre de l'unité.
1 suivit, en ceIa, l'impuision de son grand eæur :
l suivit, aussi, cette intelligente conviction : que
'Église doit être libre it.}} ,
II est malaisé pour une Eglise d'être h un1ble
ans sa victoire : elle l'identifie, tout naturellement,
vec la victoire de Dieu. Cette pensée la souIève,
1. Stamm. Aus de1' Briefmappe des Bischofs }'fartin, p. 14-9 (Paderborn,
nfermann. t90
). cr. Pfuelf, Geissel, II, p. t35. - II L'imaginalion et 1('
ur du roi sont déjà catholiques )), disait de lui, aprês l'avoir entrelenu, 1('
Inee Viale Prela (Fantoni, Della vita del cardinale Viale Prela, p. 67).
ous avons perdu un roi jusle, bon, doux >>, éerira Geissel à la mort du roi
fuelf, Geissel, II, p.538).
. May, Ope cit., p. 105. - cr. Jocham, Memoiren eines ObskurantcI/,
680 : liOn vit comment .les Rhénans catholiques étaient, en peu de temp!!,
venus les plus zélés Rhempreussen >>.
3. Pfuelf, Clara Fey, p. 267-276.
4. Stamm, Conrad Martin, p. 73.
III.
15
226
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
l'exaltc; eUe interprète comme une revanche de
la Providence ]es vicissitudes de la deslinée; eUe
y voit, au jour Ie jour, J'accomplissement des
psaumes vengeurs, murnlurés au bréviaire, enton-
nés à l'office, de ces psaumes qui suspendent sur
les ennenlis de la race élue la puissante menace du
bras di vin.
Au lendemain même des tournlentes persécu-
trices acceptées comme un âpre privilège et presque
comme une grâce d' élection, comment les Église
ne seraient-e Ues pas tentées de scander par des
Alleluias provocateurs la retraite ou les capitula-
tions de rennemi?
Le règne de Frédéric-Guillaume IV succédant à
celui de Frédéric-Guillaume III, c' était, POUI
I'Église de Prusse, l'amende honorable succédan1
à l'outrage. L'histoire Ie constate, l'histoire a Ie
droit de Ie dire 1 ;. nlais ce droit, rÉglise elle-mêmf
ne l'avait pas. Lorsque, en 1852, Ie roi de PrUSSf
désira que Ie chanoine Muenchen, discrédité jadi
par ses complaisances à l'endroit du gouvernemenl
de Frédéric-Guillaume III, devìnt prévôt du cha-
pitre de Cologne, Ie chanoine, à la demande du
Saint-Siège, signa une rétractation de ses ancien
errements. Immédiatement, à Berlin, on répudi<3
Ie projet de nomination de Muenchen, parce que sa
rétractation apparaissait comme une condamnatioIJ
1. Des hisloriens comme Sybel el Dove s'en plaignent avec amerlume (Sybcl
Die Begl'uendung des deutschen Reichs, II, p. 108-109. (Munich, Oldenbourg
1889.) - Dove, Ausgewaehlte Schriften vornehmlich historischen lnhalts
p. 189. - Compal'er, au conll'ail'e, l'éloge de celte politi que, dans Alfred v
Heumoul, Zeitgerw88en, II, p. 17 (Berlin, Decker, 186:!).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
227
publique des maximes de l'ancien règne t. Frédéric-
Guillaume IV voulait bien faire une résipiscence,
mais non point la souligner. Les changements les
plus profonds, en matièl'e de politique religieuse,
sont ceux auxquels l'unanime discrétion des partis
permet d'être inlperceptibles; on les sent plutât
qu'on ne les prouve, on les devine plulôt qu'on ne
les constate. Les succès les plus durables sont
consolidés par le silence et compromjs, au con-
traire, par les éclats de l'allégresse; à peine ceux
qui Ips recueillent ont-ils Ie droit de s' en honorer
de leur vivant; c' est presque les remeltre en ques-
tion que d'en parler. (( Ne voyez pas trop en rose )),
écrivait en 1854 l'historien Boehmer à son jeune
ami Janssen, dont la joie s'abandonnait à trop
d' exubél
ance 2.
Pour profiter de la constitution, pour-asseoir dans
l'école primaire l'hégémonie confessionnelle, pour
tenir en échec les susceptibilités de l'administra-
ion, pour faciliter aux membres de la (( division
atholique )) leur politique de cordialités efficaces,
I ?our aider enfin les sympathies royales à s'épanouir
.out à leur aise, I'Église de Prusse ne devait voir ni
( trop en rose >>, ni trop en noir; eUe devait jouir
ians em phase de ses libertés nouvelles, s' en réjouir
ians arrogance, les défendre sans provocation, les
Lccroître sans étalage, et c' est merveille de voir COffi-
oent elle fut guidée, dans cet apprentissage délicat
t subtil, par un fils de paysan, qui avait conquis
1, Pfuelf, Geissel, II, p. 156 et suiv.
. Jansien, Boehmers Leben und Brìefe, III, p. no.
228
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
de sérieuses amitiés à la cour de Munich et à Ia
cour de Berlin, par un Bavarois d' origine, que Ie
roi de Prusse Sp plaisait à considérer comme une
façon de prinlat religieux, par un Allemand du
Sud, dont Ia houlette savait planer, majestueuse
et discrète, sur les vastes étendues de l' Allemagne
du Nord.
v
II s'appelait Jean Geissel, occupait de puis 1842
Ie siège de Cologne, et l'assemblée épiscopale de
Wurzbourg en i 848 avait concentré sur lui les
regards de l'Allemagne 1. Lorsque en 1.850 il avail
été fait cardinal, I 'étiquette de la cour herlinoise
avait condescendu à Iui décerner Ie titre d'Émi-
nence 2 , et le protestantisme avait appris à honorer
Ie Sacré Collège dans la personne de Geissel, pre-
mier cardinal prussien. Entre souverains on s'en-
viait Geissel, on se Ie disputait. La Bavière, qui
l'avait fait tout d'abord évêque de Spire, muHiplia
les efforts, en 1855, pour Ie reprendre au roi de
Prusse et à l'Église de Cologne et pour l'installer
àl'archevêché de Munich 3 . Maximilien de Bavièret.,
Frédéric-Guillaume IV de Prusse, et plus tard la
1. Sur Jean Geissel (17 96-18M.), cf. notre tome II, p. 214-
t 6, 260-
6!, cl
376-396.
. Pfuelf, Geissel, II, p. 37. - Sur Ia nouveaulé <<if" cette nomination cardina-
lice et sur sa portée, voir Pfnelf. Geissel, 11, p. 5.
3. Pfuelf, Geissel, II. p. 369-377. - Voir notre tome IV, p. 150-154.
4. Pfnelf, Geissel, II, p. 367-369.
, .
L EGLISE. DE PRUSSE
229
reine Augusta de Prusse I, lui témoignèrent atta-
chemenl et confiance. (( l\Ion cher cardinal de
Cologne )), disait Ie roi de Prusse en parlant de
lui 2, et Frédéric-Guillaume IV, com me romantique
et comme ami, se plaisait à visiter la cathédrale
où ce (( cher cardinal )) officiait 3 . Rien qui rappelât,
ici, les sentinlents dont un souverain condescen-
dant honore un préfet correct et dévoué. Geissel,
que chacun des rois de l' Allemagne eût rêvé de
donneI' comme évêque à. son peuple, n'avait rien
d'un préfet en soutane. En lui s'incarnait la puis-
sance nouvelle de l'Église, puissance distincle de
celIe de l'État, reconnue comme personne indé-
pendante dans ses tractations avec I'État. (( Les
deux pouvoirs se complètent, proclanlait Geissel
au moment de sa non1Înation cardinalice; ils
s'achèvent pour nous dans leurs cinles, Ie roi et
Ie pape. Nous avons Ie bonheul' de possédcr, dans
noire noble roi Frédéric-Guillaume IV, et dans
notre pape digne d'amour, deux princes qui recon-
naissent clairement et accomplissent fidèlement
leur haute Inission I.. )) Les rapports entre les deux
oouvoirs, tels qu'ils résullaient des événements
Ie 1848, étaient en queIque sorle des rapports
:Ii plomatiques.
I..'État naguère donnait des ordres, auxqueis
'Égiise souvent était contrainte de désobéir; mai"
1. Pfue1f, Geisscl, n, p. 609 el suiv.
. Pfuelf, Geissel, II, p. 135.
a. Pfuelf, Geis8el, II, p. IH.
4. Pfuclf, Gei8.
el II, p. 21
230
L' ALLEl\1AGNE RELIGIEUSE
désormais l'État avait cessé d' ètre tyran, I'Église
d'être indocile. L'État et I'Église négociaient, au
jour Ie jour, pour leurs menues difficu1tés. Lorsque
Ie roi de Prusse recevait Geissel, représentant de
plusieurs millions de consciences, il ne voyait pas
en Iui un sujet, mais un ambassadeur; et dans ce
seul fait il y avait une victoire pour I'Église de
Prusse. Geissel fut, dans tonte la force du terme,
l'homme d'Église'l l'homme de l'Église, en face des
hommes de fÉtat; it n'avait pas, à leur endroit,
l'attitude soupçonneuse d'un adversaire éventuel;
il apparaissait devant eux comme un interlocuteur
de bonne compagnie, scrupuleusement désireu
d'aménager au jour Ie jour les meilleures condi-
tions de paix. Lorsqu'en 1852 Rome eut souci de
rétablir en Allemagne, dans tonte sa rigueur, la
législation sur les mariages mixtes, et J' édicter
que ces mariages seraient célébrés sans béné-
diction, et non pIns dans l' église, mai
à la sacris-
tie, Geissel, qui connaissait les susceptibilités pro-
testantes, obtint du Saint-Siège, après deux ans de
pourparlers, que chaque évêque pût à son choix,
suivant les circonstances, introduire dans son
diocèse ces sévérités nouvelles ou main lenir, au
contraire, les tolérances de la pratique coutumière;
la négociation resta secrète, mais dans cette Alle-
magne qu'agitaient si aisément les questions rela-
tives aux mariages mixtes, il étaÏt utile pour la
paix que la solution de Geissel eût triomphé 1. Le
1. Pfuelf, Gei'
el, II, p. 114-U!.
L'ÉGLISE DE PRUð
E
231
roi de Prusse et Geissel, c'étaient deux autorités
qui s 'accordaient.
Les vieux mots des canonistes d'État : jus circa
sacra, jus in saCl'a, tombaient lentement en désué-
tude. Deux personnes augustes que l' ordonnance
sociale contraint de voisineI' entre elles, l'État pt
l'Église
traitaient de concert, à l'amiable, les ques-
tions courantes de mitoyenneté.
La causerie ne donnait pas l'impression d'un
iuel; les satisfactions accordées à l'Église n'étaient
pas accueillies par des fanfares de triomphe. Geis-
sel, qui aimait mieux continuer à vaincre que se
tlatter d'avoir vaincu, était soucieux, avant tout,
ie ne jamais pousser la vicloire au delà de ce
qu'exigeaient les intérêts effectifs de son Dieu. Un
jour de 1852, au moment n1êmc OÙ les cardinaux
françai s venaient de prendre place dans Ie sénat
organisé par Louis-Napoléon, les évêques de Prussc
furent l'objet d'une séduisante proposition : ils
étaient invités à faire partie de la Chambre des Sei-
gneurs, àBerlin. Quinze ans après l' emprisonnement
de l'archevêque Droste- Vischering, son succes-
seur Geissel pouvait, de droit, devenir législa-
leur. Nous avons, sur cette question, un long mé-
moire de Geissel à Diepenbrock : il entrevit tout de
suite combien il serait dangereux pour les évêques
d'avoir à dire leur mot dans les conflits politiques
dont l'issue pouvait être une crise minisiérielle e t
j' être nécessairement considérés, soit comme des
I frondeurs, soit comme des réactionnaires. Que
L'Église eût des satisfactions de façade et'l si ron
232
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
ose ainsi dire, des revanches de vanité, cela n'in-
téressait pas Geissel, non plus d'ailleurs que Die-
penbrock. L'évêque de Breslau, qui avait passé sa
vie en Bavière, savait ce que faisaient, à la Chambre
de Munich, les membres de l' épiscopat; iis élaient
rapporteurs, parfois, sur des questions de notariat
ou sur lesaffaires des eauxet forêts; mais ils n' étaient
pas arrivés, en trente ans, à obtenir l'exécution
du Concordat 1 ! A quoi bon, dès 10rs, pour un aussi
mince résultat, habiller de pourprc, ou de violet,
quelques chaises curules? L' épiscopat prussien
avait mieux à faire que de se mêler périodique-
ment aux jeux de la politique. S'il n'avait eu
d'autre souci que de souligner la fin d'une période
et Ie début d'une ère nouvelle, ou d'étaler aux
yeux de ses fidèles, en guise de représailles, la
splendeur renais
ante de la puissance religieuse,
il aurait accepté, comme un honneur fait à I'Église,
la proposition du gouvernement; mais derrière
1 'honneur, Geissel discernait un péril. Avant d'ac-
cepter Ie cadeau du Roi, il se demandait ce que Ie
peuple penserait. L' enquête fut brève, la réponse
formelle : 1 'épiscopat prussien, qui n'avait qu'à
tendre la main pour posséder une parcelle de la
puissance publique, refusa cette conquête impré-
vue 2 .
II ne convenait pas à Geissel et à ses collègues
de faire, dans un Parlement, figure de minorité,
ou d'être l'appoint d'une majorité; mais lorsque
1. Voir nohe tome IV, p. 134-t3G.
. Pfuelf, Geis/Jel, II, p. 83-87.
L 'ÉGLISE DE PRUSSE
233
l'archevêque de Cologne s' en allait à Berlin entre-
tenir Ie roi de Prusse ou ses ministres, on savait
que derrière lui il y avait l'épiscopat prussien;
c'était là sa force, et cette force suffisait. Aussi
consulter ses collègues, les grouper, les unifier,
était pour Geissel un souci quotidien; les discus-
sions qui parfois survenaient entre eux lui étaient
pénibles 1. L'assembIée de Wurzbourg avait inau-
guré quelque cohésion dans l' épiscopat allemand;
Ie concile de Cologne, en 1.860, révéla ce qu'était
une province ecclésiastique dùment organisée, et
queUe harmonie unissai t au métropoJitain les
'5uffragants, et comment tous ces vieux rouages,
que les lraités de droit canon démontaient pour
les décrire, et qu'une longue négligence avait
comme rouillés, pouvaient redevenir, très vite,
des principes et des véhicules de vie 2.
Au delà de la Prnsse, Geissel regardait l' Alle-
magne. II aimait que sa province ecclésiastique de
Cologne fût considérée comme nne terre privilé-
giée dans laquelle se dessinaient, pour I'Église,
certaines conditions de vie prospère, et qu' elle
créàt des précédents auxquels Ie reste de l' épis-
copat allemand pourrait recourir avec fruit. Ce
que la Prnsse protestante accordait en terL'e rhé-
nane, comment les autres États seraient-ils fondés
ì Ie refuser? Mais dès lors, puisque la force des
1. Telles, par e1..emple, ses prop res divergences d'avec Oiepenbrock au sujet
Iu gunlhérianisme et de l'instilution prussienne de l'aumônerie mililaire (Pfuelf,
Geissel, II, p. 124-126).
. Pfuelf, Gei8sel, II, p. 438-459.
. '
ft ...." ,.... a.. a "".,_
234
L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
choses, puisque l'ascendant même de Geissel fai-
saient qu'en travaillant pour son diocèse il tra-
vaillait pour les autres diocèses allemands 1, ses
actes prenaient une portée qui ne pouvait être
soustraite au contrôle de Rome. Geissel]e sentait;
sa correspondance avec Ie Saint-Siège était inces-
santc.
(( En ce qui regarde l'uniformité d'action vis-à-
vis des gouvernements, écrivait-il, je crois qu'une
telle uniformité ne peut être obtenue efficacement
que par des directions que Rome ferait parvenir
aux évêques. )) II reçut en 1852 la visite de l'arche-
vêque Sib our, de Paris, qui trouvait de plus en
plus indiscrète l'interyention des congrégations
romaines dans la juridiction des évêques, et qui
aUl'ait souhaité que Geissel s' en plaignît à Rome.
Geissel soupçonna Sibour de gallicanisme et lui
conseilla d'aller lui-mên1e porter ses griefs ad
limina 2. (( Aujourd'hui, insista-t-il, nous ne pouvons
être forts vis-à-vis de l'État et parmi notre clergé,
que par une union étroite et sans réserves avec Ie
Saint-Siège, par une union de cæur et d'âme. De
Rome nous vient notre force, notre indépendance,
notre Iiberté 3. ))
II avait un grand commerce épistolaire avec
:I.. Wedekin, l'évèque de Hildesheim, expliquait dès 18':;0, à Geissel, qui d'aiL
leurs assistail à son sacre, son intention de marcher la main dans la main a\'ec
les évêques de la province ecclésiastique de Cologne (Pfuelf, Geissel, II, p. 30);
et l'on vil en t 860, au concile ùe Cologne, l'rIelchers, évèque d'OsnabruecL.., et
Foerster, évêque de Breslau.
. Pfuelf, Geissel, II, p. 1n-205.
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 200.
L' ÉGLISE DE PRUSSE
235
Viale Prela, nonce à Vienne 1, et il trouvait un
lmi précieux, - un frère, disait-il même 2, -
:lans un personnage dont I'action fut décisive
pour la pénétration de I'Allemagne par l'in-
[luence romaine Charles-Auguste de Reisach.
Archevêque de l\lunich jnsqu'en 1.856, Reisach
levint, cette année-]à, cardinal de curie à Rome 3 :
la fin de sa vie fut consacrée à renseigner Rome
5ur l' Allemagne et l' Allemagne sur Rome. Nul
comme lui ne connaissait la Ville éternelle; jenne,
il a vail étudié au collège Germanique
et dirigé
1. C'est une curicuse figure que celle du Corse \ïale Prela (1798-1860), 01'1-
Ûnaire de Baslia, audileur de noncialure en Suisse en 1828, chargé d'affaires cn
:;uisse en 1830, aUaché à 1a secrélairerie d'Etat en 1836, el, comme leI, ll'ès
mêlé am. discussions auxquclles donnèrenllieu les difficultés enlre Rome et la
Prusse au sujct des mal'iages miAles. inlernonce à Munich cn 1838, nonce à
Munich en 1841, nonce à Vienne en 1845. l\lellernich disait fJu'il voudrait avoir
à son service un diplomate de pareil talent lPfuelf, Geissel, II, p. 467 el
5uiv.); el lorsque Mellernich, après la révolulion de 1848, songea un inslanl à
s'élablir en Belgique ou en Ang-leterre, ce fut sur les conseils de Viale Prela
qu'il se réinslalla à Vienne. Viale n'avait acceplé la nonciature de Vienne, sur
les soIlicitations de Melternich, qu'à la condition qu'un concordat flU pr
paré ;
et de conccrt avec Rauscher, archevêque de Vienne, Vial(' mena à bon lerme
les négocialions de 1855 pour Ie concordat aulrichien (Fantoni, Della vita del
cardinale Michele Viale Pre/a, arcivescovo di Bologna, commentario, p. 33-35
et 53, Bologne. Tip. di S. Maria Maggiore, 1861); - Wolfsgruber, J{ardinal
Rauscher, p. 132-177). Viale Prf'la élail bien vu à la cour de Prusse; Manleuf-
fel, en 1850, lui avail conféréll'Aigle Rouge. Sïl en faut croire une noLIce sur
Viale Prela parue dans la Guida del Popolo, journal de Baslia (aoûl1860, p.i::!),
. Ie roi Guillaume>> - il Caut lire sans doule: Frùdéric-Guillaume I V - aurait
demandé à Via Ie sïl pouvail, en conscience, relirer la conslilution accordée à
ses sujels, et Viale aurait répondu formellemenl que non. l\1ais Alessandri, l'au-
leur de cetle notice, raconle cnsuile que Viale Prela se rendil à Cologne pour
soutenir les droils de << Drosle- Vischering I), el cel anachronisme rend lrès suspect
Ie reste de son récit. II sCl'ait souhailable qu'une élude d'ensemLle fûl un jOUl'
écrile sur ce prélat qui, avanl de monter sur Ie siège de Bologne en 185G, fut
run des agents les plus éminenls de la dipJomalie romaine au XIX c siècle.
!. pfueIr, Geissel, II, p. 405. - Sur Ie cardinal de Reisach (i 800-1869), voÏl'
Goelz, Kardinal Karl August G1'af von Reisach als Bischof von Eichstaett.
(Eichslaelt, Bl'oenner, 1901), el nolre Lome IV, p. 128 el suiv.
3. Goelz, op. cit., p. 96-103.
4-. Sur sa reconnaissance à l'endroit lle ce collège, voir Goelz, up. cit., po 18,
n. 1.
236
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Ie collège Urbain de la Propagande 1; vieillard
il luttait aux côtés de Pie IX, pour la défens'
de l'esprit romain dans l' Allemagne calholique
Jeune, il avait aidé Grégoire X,TI à traiter avec Ie:
États de l' Allemagne la question des mariage:
mixtes 2; hlanchi sous la pourpre, il reprcnai
auprès de Pie IX ce rôle de consulteur. II suffisai
à Reisach de confronter sa vieillesse avec sa jeu.
nesse pour mesurer la différence des temps. Jadis
sur Ie siège de Cologne, s'étaient succédé Spiegel.
un ami du roi de Prusse, que Ie pape avait dû
désavouer, et puis Droste- Vischering, un fidèle dll
pape, que Ie roi de Prusse avait fait enfermer;
aujourd'hui Geissel était, tout ensemble, l'ami du
roi de Prusse et Ie fidèle du Pape. Le pel'sonnage
d'Église Ie plus apprécié à Berlin était Ie même
qui provoquait Reisach à lui confier les désirs de
Rome 3, qui s'appliquait à les devancer, qui avait,
dès Ie lendemain de 1848, donné l'exemple d'auto-
riser dans son diocèse des résidences de Jésuitcs 4,
et qui se faisait remarquer, tant à Cologne qu'à
Rome, par 8es hons rapports avec ces Pères 5.
C'était à Rome même, en 1857, aux côtés de
Reisach, à proximité de Pie IX, qur Geissel éla-
horait Ie plan du futur concile provincial de
1. Goetz, Ope cit., p. 23-24.
2. Goetz, Ope cit., p. 24.
3. Sur la cordialité de rapports entre Geissel et Reisach, VOIr rfuelf, Geissel,
II, p. 414.
4. Pfue1f, Geissel, II, p. 43-44,.
5. Pfue1f, Geissel, II, p. 403. n. 1 et p. 655. - Meurin, secrélairc de Geiss"l
de lHR à t853, entra chez les Jpsuitcs (pruclf, Gcissel, II, p.461).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
237
Cologne 1; de retour en son diocèse, il invoquait
Ie concours du Père Wilmers et du Père Roh,
Jésuites 2, pour en achever la préparation; et
l'infaillihilité pontificale étaÏl affirmée par ce con-
cile, dix ans avant d'être définie 3 .
Nul ne contribua plus que Geissel, dans l' épis-
copatde l'époque, à ouvrir l'Allemagne aux souffles
de Rome. D'autres à sa place auraient peut-être,
50US les formes con venues du respect, tenté de
mesurer à ces influences leur champ d'action, et
l'on aurait pu voir l'Église de Cologne s'instalJer
d.ans une certaine attitude de défensive, ou tout au
moins de surveiHance, vis-à-vis des exigences des
ongrégations romaines comme vis-à-vis des em-
piètements de Berlin. Un Diepenbrock, subtil et
nuancé, se fût peut-être laissé tenter par ce rôle,
3'il eût vécu. Mais Geissel envisageait l'histoire
ontemporaine de l'Église avec Ie coup d'æil som-
maire et sûr d'un horn me de gouvernement. Les
manèges frondeurs n'étaient point son fait; il sen-
tait à l'avance 9u'ils seraient déjoués par la vie
ollective de l'Eglise universelle, définitivement
lÍguillée dans une certaine direction; qu'une
incoercible force d'amour poussait la foule des
ämes pieuses à s 'abandonner à la maîtrise de
1. PCuelC, Geissel, II, p. 4.\.1. -. Sur l'importance qu'altacha la presse pro-
estante elle-même å ce voyage de Geissel à Rome, voir Pfuelf, Geissel, II,
).412.
2. Pfuelf, Geissel, II, p. 4U at 41,5. n. 2. - Sur Roh, voir ci--dessus,
íJ. 189-190; sur Wilmers, voir notre tome IV, p. 369.
3. Pfuplf, Geissel, l
, p. 449. - Collectio Lacensis, V, col. 311-312 (Concile
Ie Cologne, titre VI, f.hap. XXIV).
D
.
nv t"T
. nv' s
"
;
I i.h_-i\.1
l
r
238
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Pierre et de Pie IX, et que les é]ans de ce suffrage
universel devaient passer outre, victorieusement:
aux susceptibilités de l'aristocratie intellcct.uelle.
aux doctes chicanes de certains théologiens, au:x
érudites réserves de certains canonistes. (( Ce n'esl
pas Ie moment, disait-il un jour à l'abbé Bautain"
d' entrer en de petites discussions avec Rome au
sujet de telles ou telles mesures d'importance
secondaire; partou t, en France comme en Alle-
magne, notre devise doit être : I'unité avec le
Saint-Siège, absoIue, publique, loyale 1. )) Pléni-
potentiaire des consciences catholiques de Prusse
auprès du roi de Prusse, il devenait en quelque
façon Ie plénipotentiaire de l'Église elle-même,
par Ie docile souci qu'il affichait de n'avoir d'autres
inspirations que celles de Pie IX.
II faudrait remonter jusqu'à saint Boniface pour
trouver en Allemagne une personnali té sacerd 0-
tale dans laquelle r esprit romain fût aussi fidèle-
ment incarné; car, à la différence de certains pré-
Iats de l'époque, qui ne prenaient à Rome que des
leçons de fermeté, on admirait, en Geissel, com-
ment à 1 'intransigeance romaine se joignait la sou-
plesse romaine, et comment se conciliaient, dans
sa conduite, avec la strictc inflexibilité des prin-
cipes, les alertes compromis de l'action quotidienne.
II ne fut jamais une gêne, mais toujours un sou-
tien, pour Ie groupe de députés catholiques qui,
dans la Chambre berlinoise, réclamaient la liberlé
1. Pfuelf, Geissel, IT, p. 202.
, .
L EGLISE DE PRUSSE
3Ç}
pour toutes les confessions; jamais il ne lui vint à
la penséc de les inculper d'un (( libéraJisme ))
coupable ou de les accuser de ne point défendre
les droits de l'Église comme les droits d'une
<< sociélé parfaite )) méritent d"être défendus; et
sa pondération d' esprit, qui savait com prendre
toules les nécessités tactiques, permit aux catho-
liques rhénans de se mettre, politiqucment, à
l'école de l\lontalembert.
VI
Henri IIeine, en 1835, affectait de distinguer Ie
parti catholique français et les (( drôles qui por-
taient Ie même nom en Allemagne 1. )) L'insolence
visait Goerres et ses amis. Elle cessa bientôt d "être
Ie mise: car., aux alentours de 1848, c'est au con-
Jraire Ie parti catholique français, et spécialement
,'Association fondée par Montalembert 2, qui con-
entraiént les regards des catholiques prussiens
t qui suscitaient leur imitation. La France leur
lonnait des leçons et des exemples; iis avaient,
omme Montalembert et ses amis, une façon catho-
ique d'être libéraux, une façon libérale d'être
;atholiques. Liberté de la parole, liberté de la
1. Henri Heine, L'Allemagne, I, p. . (Paris, Lévy, 1855).
. Voir les letlres échangées enlre r << Association catholique d'AIlemagne )) et
(( Association pour Ia liberté religieuse >>, de Paris {Verhandlungen der ers-
?n r ersammlung de8 Katholischen Vereines Ðeutschla11ds am 3, 4, 5 und
October zu .J.}Jainz, p. 169-172. Mayence, Kircheim, 1848; - Verhandlun-
p.n der :;weiten Versammlung des Katholischen Vereines Deut.'lchlands am
, fO, II und 12
[(â 1849
u Breslou, p. t49-151. (Breslau, Aderholz, 1849).
240
L' ALL El\IAGNE RELIGIEUSE
presse, liberté de réunion, tel était le programme
tracé devant Ie congrès catholique de Breslau, dès
1849, par Ie juriste Hardung, de Cologne 1. Oppressé
par Ie grand silence de l'Empire, l\Iontalembert se
rajeunissait et se consolait en regardant au loin
la fraction catholique prussienne; il lui semblait
que son ambition constante de voir Ie catholi-
cisme jouer un rôle dans la vie publique avait
enfin trouvé, sur les bords de la Sprée, un écho
durable et un terrain propice. C'est Ie 30 novem-
bre 1852 2 que la fraction s' était formée : (( V ous
réalisez, écrivait-il à Auguste Reichensperger dès
]e 26 décembre, Ie væu Ie plus ardent de mon
âme, et vous avez déjà atteinlle but en vue duquel
j'ai travaillé pendant toute ma vie politique 3. ))
La Chanlbre prussienne, telle que la composè-
rent les élections de 1852, posséda bientôt un parti
de soixanle-dix députés - dont dix-sept prêtres 4 -
qui s'intitula, sans plus d'ambages, fraction catho-
Iique. La préoccupation de la liberté religieuse
étaÏl entre eux un lien; et chacun au contraire,
dès que cette liberté n' était pas en jeu, pensait et
votait à sa façon Ð. lIs eurent même de la peine à
1. Verhandlungen der xweiten Versummlung zu Breslau, p. 35.
2. Pastor, Reichensperger, I, p. 341.
3. Pastor, Reichensperger, 1, p. 345, n. L
4. Un bureau de sept membres élait à la lête du parli : il comprenait les dem.
fl'ères Reichensperger, Osterrath, Rohden, Wilderich de Ketleler, Ie conlie
Joseph Stolberg, Ie baron de Waldboll-Bornheim-Bassenheim (Pfuelf, ðJalhnck-
1'odt. p. 66).
5. Les deux Reichensperger auraient voulu que tous les membres de la Jrac-
tion s'engageassent à voter avec la majorité ou à s'abstenir: cette propoiition
échoua (Pastor, Reichenspe1'ger. I, p. 341).
I.'ÉGLISE DE PRUSSE
24-1
s'entendre au sujet de la tactique parlementaire
que devait suivre leur groupe 1. II Y avail là des
Rhénans, plutôt libéraux 2; des Weslphaliens, plu-
tôt conservateurs; des Trévires, pIutôt démo-
crates 3; les nuances s'harmonisaient et se fon-
daient, et cette diversité même faisait espérer à
Iallinckrodt que (( la conception catholique la plus
variée, la plus harmonique, la plus flexible, la
seule vraie, pouvait devenir la charpente d
un
état de choses nouveau, d'un état de choses dura-
ble. Þ )). Tout de suite, cette fraction panachée devint
une puissance. A la fin de i852, dans Ie scrutin
pour la présidence de la Chambre, eUe eut un
rôle décisif;;, et la poussée d' espérances qu' eUe
suscitait dans les âmes inspirait à un curé des
bords du Rhin, dès l'année 1853-, tout un petit poème
qui s'intitu]ait : la VìctoÙ'e de la Vérité, et dans
1. Pfuelf. Geisscl, II, p, 94.
2. << Les Rhénans, dans l'ensemble, ont une plus grande dose de libéralismc
lue moi )), disait un jour Mallinckrodl (PfuelC, .Mallillckrodt, p. 236).
3. fCuelC, lIJallinckrodt, p. 68-69. - Dans les déLals relatifs au mariage civil,
es Rhénans, altachés à l'état de choscs qui Hait en vigueur chez eux depuig
:inquante ans, se distinguaient des autres catholiques en nÏntervcnant pas
:ontre Ie mariage civil (PCueIf, Geisscl, II, p. 100-101); dès 1849, au Congrès
Ie BresIau, on se rendit comple que, sur celte queslion, un accord était impos-
;ible enlre tous les calholiques d'Allemagne (Vcrhandlungen, p. U
).
i-. pruclf, ...",lallinckrodt, p. 90-91. - c Cela ne m'attriste pas, écrivait Monta-
embert à Reicheusperg-er, de voir que les calholiques, dans la Chambre prus-
,jenne, ne sout pas unis sur toules les questions politiques. Cetle variété, ceUa
ndépendancc, font précisément leur force, en emp
chant qu'ils ne soient exploi-
.és par un parli quelconque. 11 peut être utile pour la cause calholique d'avoir
les champions dans tous les parlis, et de celte façon, d'apprendre à tous à comp-
el' avec eUe. )) (Pastor, Reichenspuger, I, p. 345.)
I 5. c Les deux parlis, écrivait à Geissel, Ie 2 décembre 18;;2, Ie cl1anoine Trost,
nembre de la fraction, respeclent notre fraction et se dispulent nolre concours
Jour l'élection présidenlielle )) (Pfuelf, Geissel, 11, p. 95). (( Sans la fraction callI()-
ique, écrivait Reichensperger, Ia gauche cst tout à fait impuissantc. >> (Pastor,
'lcichensperger, I, p. 347).
Ill.
16
242
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
lequell'action des députés catholiques était com-
parée à la délivrance d'lsraëI 1 . Montalembert
à Ia même date écrivait avec allégresse : (( La
Prusse, pour I'instant, est, après la Belgique, Ie
pays où les intérêts catholiques sont Ie mieux
compris et garantis 2 )) ; et Bismarck s'attristait
que les ultramontains fussent l(\s arbitres de la
Chambre 3.
Leurs chefs les plus illustres,
Iallinckrodt,
Auguste Reichensperger, Pierre Reichensperger'.
étaient des fonctionnaires : Ie premier dépendait
de l'administration de l'intérieur; les deux autres
de celle de la justice. II y eut des heurcs où leur
indépendance d' orateurs porta préjudice à leur
avancement i).
Iais jamais ne pesa sur eux aucune
menace de révocation : l'État prussien s'honorait
en supportant Ie franc parler de ces hommes qui
par ailleurs étaient à son service Ii ; et dans cette
Prusse où la notion d'État était si fortement ancrée
L De1' Sieg der 1Vahrheit, del' ehrenw. Kat/wi. Fraction der IIten Ham.
mel' zu Berlin ehr{w'chtsvoll gewidmet (Coblenz, Hergl, 1853). L'auteul', qui
signe Gedeon von del' Heide, était Ie prêlre Jean- Baptiste Berger, curé de Bop-
pard (Bruehl, Geschichte del' Katholischen Litel'atw' Deutschlands, 2 0 édil"
p. 559 et suiv., Vienne, Manz, 18G1).
. Paslor, Reichenspergel', I, p. 354.
3. Bismarck, Lettl'es politiques, p. 129 (leUre du M décembre 1852).
4. Sur Pierre Reichensperger (1818-1892), voir, outre les deux volumes de
Pastor consacrés à son frère, Kaufmann, Allgemeine deustche Biogl'aphie, LIll.
p. 281. - Sur HCl'mann de Mallinckrodt (1!:j21-1874), Ie livre capital est celui
du P. Pfuelf, dont il Caut consulter la seconde éùilioll.
5. Voir dans Pfuelf, Mallinckl'odt, p. 11
, les discours:de Lingens et Reichens-
perger, en 1855, sur les difficultés d'avancement auxquelles se beurlait un
fonctionnaire cd.tholique.
6. II élait question d'une nomil.alion de Reichenspergcr à r Obertdbunal de
Berlin au moment même OÙ il comLaltail les procédés de la police et la façon
dont }es générosités faites sur la cassette royale lésaieul la I( l)arité >I. (Pastor,
ReiclumsjJel'gcl', I, p. :!5ti).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
243
ans les consciences, ce fut une bonne fortune pour
B parti calholiq ue d'avoir à sa tête certain,s per-
onnages dont Ie métier était de servir l'Etat et
[ui, par lit même, lorsqu'ils intervenaient pour
'Église, ne pouvaient être suspects d'indifférence
rendroit de Ia vie civique ou de l' ordre public.
lIs manæuvraient savan1ment entre les divers
artis. lIs faisaient peu de bruit. (( Nous ne nOllS
osons pas en héros, écri vail lVlallinckrodt en
évrier 1853, à moins que fumer ne soit signe
l'héroÏsme 1. >) Non moins que ]es gestes qui COID-
arometlent, ils abhorraienl les partis pris qui
nchaînenl. (( Nous sommes indépendants du )finis-
ère, indépendants des droites, indépendants des
'auches >), disait encore Mallinckrodt; (( n1ais quant
faire de l' opposition pour Ie plaisir d' en faire,
ela, c' est exclu 2! >)
Libre à certains radicaux de s'enliser (( dans ]es
Úls d'une opposition puren1ent négative:3 )); les
tLholiques voulaient une politique positive.
La Constitution prussienne de 1850 étaÏt leur
puscule de chevel; elle était leur argument. On
I l1rait aisément trouvé, dans la fraction, un certain
ombre d' esprits auxquels la théorie nlême du
gi[ne constitutionnel était étrangère ou désagréa-
'e; mais puisque, en fait, la constitution prus-
_. pfuclr, M allinckl'odt, p. 70.
:. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 68. -<< Les Reichensperger, écrit M. P8
tor,
llaienl aulanl qu
possible éviter de devenir des hommes d'opposition. Us
vaienl, comme le disait sarcasliquement Vincke, Ie saiD jusle milieu ))
.slor, Reichensperger, I, p. 337 ; - ct. J, p. 3U).
:. Paälor, Reichenspe)'uer, I, p. 352.
244
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
sienne garantissait l'indépendance de leur Église
puisqu'elle les appelait à un rôle politique et puis.
qu'elle ouvrait une tribune, enfin, aux revendica.
tions de leurs coreligionnaires 1, il était nature:
qu'elle trou vât en eux des champions. Aussi,
durant la période de réaction qui suivit :1.850
toutes les tentatives des anciens partis conserva.
teurs pour modifier la Constitution ou pour en
fausser Ie rnécanisme se heurtèrent aux discour
et aux votes catholiques. Pourquoi il ne convenail
pas que la Chambre fût élue pour six ans, et que
Ie budget fût voté pour deux ans 2; pourquoi iJ
était inadmissible que la durée des sessions fû1
raccourcie 3 et que la compétence du Parlement en
matière de politique extérieurc fût méconnue It,
c' est ce qu' expliquèrent dans une série de dis.
coul's, entre 1.850 et 1855, aux applaudissements d{
tonte la gauche, les deux frères Reichensperger
La pratique loyale et compIète du régime parle.
mentaire n'avail pas de défenseurs plus fervenb
L Voir Pastor, ReichelLspergu, I, p. 337-338 : théoriqucment, AugU!
te Rei
chcnsperger considérait Ie constitutionnalisme comme une des plus granùe
aberrations du temps; mais, pratiquement, il se félicilait que ce régime amel1å
une concentration des catholiqucs. Cf. Steinle, Bl'iefwechsel, II, p. 306-307. -
(( Je parlage volre avis, lui écrivait Ketteler, sur la valeur de la cOllstilutio
})our {a liberté de l'Église. )) (Pastor, Reichenspergcr, I, p. 356). - Dès janvie
1852, Reichcnsperger contribuait à faire voler rordre du jour pur et simple a
sujet de la pHilion silésienne demandant la révision de la Constitulion (Parlo
mentarische Reden der Gebrueder August und Peter Reichensperger, p. 3H'
320. Ratisbonne, Manz, 1858), et dans sa correspondance avec :Montalemberl
des plaintes constanles revicnnent sur l'alltude du journal calholique Deutsch
Volkshalle, qui attaquait Ie système parlementaire (Pastor, ReichenspergcJ
I, p. 357 et 3(1).
2. Parlamentarische Reden der Gebruede}' August ultd Peter Reiclums
perger, p. 391-403 (séance du 10 février 1853).
3. Parlamentarische Reden, p. 761--768 (séance du 23 avril 1855).
't. ParlamClItu,.isclte Re(/cu, p. 211,-218 (séallcc du HI seplembre 'J8
9).
, .
L EGLISE DE PRUSSE
24
que ces deux orateurs; et c.est grâce à eux qu'il
fut de mode à Berlin, quelque temps durant, lors-
qu'on voulait désigner les rnembres de la fraction
catholique, de les appeler (( les libéraux rhénans 1 )).
l\lontalembert les encourageait : (( La tâche des
catholiques allemands, écrivait-il en t853, est de
planter Ie drapeau de la bonne politique et de la
vraie liberté, déserté par beaucoup de catholiques
français '. )) - (( Le régime constitutionnel est ce
qui convient Ie rnieux à la Prusse )), lisait-on
quatre ans après dans la Civiltà Cattolica 3.
A cette loyauté même, leurs revendications
atholiques empruntaient une force. L' existence
les diverses confessions était pour eux un fait; Ie
::,êve d'un éclectisme vague dans lequel se fon-
jraient les divergences confessionnelles leur sem-
)lait (( plus archaïque que la paix de \Vestpha-
ier. )); mais la fermeté même avec laquelle ils
lccentuaient leur catholicisme les amenait à recon-
laître, à côté d' eux, la personnalité des confessions
Toisines et Ie droit de ces confessions à l'autono-
nie. En février 1851, Ernest-Louis de Gerlach,
nentionnant dans son journal un discours de
taumer sur l'indépendance à laquelle l'Église
;vangélique pouvait Iégitimement espérer, obser-
rait avec joie que parmi la majorité qui se grou-
tait autour des idées de Raumer figuraient les
1. Pastor, Reichenspcrger, I, p. 342.
. Pastor, Reichensperge'J', I, p. 334.
3. Civiltà Cattolica, 14-28 novembre 1857, p. 627-628.
4. Pfuelf, J.Vallinck1'odt, p. 22t-
!
.
246
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
catholiques romains 1. Reichensperger ne profes-
sait à l'endroH des protestants aucune hostilité
systématique; il préférait même, durant les
périodes électorales, les protestants d'esprit indé-
pendant, à certains de ses coreligionnaires tout
prêts à se donner au plus offrant 2. Les catholiques
ne réclamaient aucun droit pour eux-mêmes, qu'ils
ne Ie réclamassent en même temps pour autrui.
Lorsqu'en 1854 Reichensperger se plaignait que
l'é]ément catholique fût lésé dans l'attribution des
fonctions publiques 3, ou dans la fixation des !istes
de notables qui devaient élire les tribunaux de
commerce I., il se plaçait toujours au point de vue
du droit commun ; la (( parité )) qu'il revendiquait
entre citoyens des deux confessions n'était qu'une
sanction de l'égalité civique. 1\1allinckrodt, au nonl
n1ême de la Constitution, demandait formellement
l'éligibilité des Israélites dans les rcprésentation
municipales et provinciales 5 ; il protestait contre
les vexations policières auxquelles Ia secte dissi-
dente des De'lltscllkatlzolisch était en butte à Berlin 6 ;
et Auguste Reichensperger, toujours au nom de l
Constitution, souhaitait expressén1ent pour cettE
1. Ernst Ludwig v. Gerlach, Au.fzeiclmungcn, II, p. no. - Outre ces dem
"Volumes de noles, on peut consuller,
ur Ernest-Louis de Gerlach (179:í-i877
Wippermd.OD, Allgemeine Deutsche Biographie, IX, p. 9-14.
2. Paltor. Reichensperge1', I, p. 369.
3. Pa'J'lamentarische Reden, p. 703-706 (séance dn 21 février 1855). Cf. Dit
Pllritaet in P1'eussen, Eine Ðenkschrift, p. 5-7 (Cologne, Bachem, 1907).
4. Parlumentarische Reden, p. 1025-1031 (séance du 3 avril 1857). Cf. Dit
Pal'itaet ill Preu8sen, Eine Denkschrift. p. 6-8. - Sur la parilé en Prusst
à celle dale, cf. H.P.B., 1834, 1, p.469-509.
5. Pfuelf, jJJallinckrodt, p. 97. - cr. Pastor, Reichensperger, I, p, 343.
6. Pfuelf, .J.lfallinckrodt, p. 97-98.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
247
secte Ie droit de donneI' aux enfants de ses fidèIes
l'enseignement religieux 1. Deux Israélites se ren-
contrèrent, en 1858, pour pubJier à leurs frais, en
un volume nlassif, tous les discours prononcés par
]es frères Reichensperger en dix années d'acti vité
parlementaire 2. Dans cette Allemagne archaïque
où des juristes comme Stahl, avo cats étroits et
farouches de l' (( État chrétien )) 3, frappaient Israël
d' ostracisme, Reichensperger s' appuyait sur Ie
christianisme même pourattaquercette conception:
(( Le christianisme, disait-il, est cosmopolite par
essence, il n' est pas susceptible d'être nationalisé,
et c' est à mes yeux l'un des traits principaux qui
Ie distinguent du paganisme.)) Déjà, au Parle-
ment d'Erfurt, il s' était insurgé contre Ie væu
d'Ernest-Louis de Gerlach, qui voulait que Ie chris-
tianisme fùt proclamé religion nationale 4 ; il sem-
I blait à Auguste Reichensperger que la religion du
Christ ne comportait ni cet excès d'honneur ni
cette indigni té.
Les protestants, enfin, n'avaient rien à envier
aux Juifs lorsque d'aventure un de leurs droits
était lésé; alors encore, la fraction catholique
intervenait. On vit
Iallinckrodt lui-mênle, mal-
gré l'hostilité du rapporteur, faire prendre en
considération la pétition de quelques familIes
t. Pal'lamentarische Reden. p. 1080--J082 (séance du 16 mai 1857).
2. Paslor, Reicheuspel'gel', I, p. 385.
3. Sur Slahl (1802-181ì1). voir Jacobowski, Del' christlic/Ze Staat und seine
Zukunft (Berlin, Duncker, 1894).
4. Pastor, Reichenøperger, I, p. 324-3
5.
!4-8
L'AJ.J
E1UAGNE RELIGIEUSE
protestantes qui demandaient quê leur com-
mune fût obligée de subventionner une école
évangélique de treize enfants 1 ; et lorsqu'ille fal-
lait, il se faisait l'avocat des (( fraternités )) protes-
tantes fondées par Ie grand philanthrope 'Vichern,
au nom :des mêmes principes qui militaient pour
la liberté des ordres religieux catholiques 2. Kol-
ping, ]e fondateur des associations de compagnons,
apprit un jour que cette attitude de Reichensper-
gel' et de Mallinckrodt dépIaisait à certains catho-
liques : son journal, tout de suite, se prononça
hautement pour leur politi que large et tolé-
rante 3.
L'année 1848 n'était pas encore loin, année fié-
vreuse, année confuse, OÙ les événements s' étaient
précipités comme à la course, exaltant et troublant
les âmes par un certain Lesoin d'équité, de géné-
rosité, d' entr'aidc pour Ie bon droit; et puis, brus-
quement, courbées sous Ie vent des réactions iné-
vitables, les âmes avaient paru s'affaisser. Mais
l'un des groupements dans lesquels s'attarda Ie
plus longuement l'esprit idéalistc de 1848 et dans
lesquels se prolongèrcnt Ie plus fidèlement, avec
nne sorte d'inlpénitence, certaines idées de justice
1. Pfue1f, ,Mallinckl'odt, p. 156-157. - Inversement, un jour que des pas leurs
protestants réclamaient pour eu). des exemptions d'impôts, Reicbellspergcr in-
tel'vcnait et s'opposait: << Je crois pouvoir dire, comme catholique, que du côté
du clergé catholique, onne réclame pas de privilèges{Correspondant, juin 185i,
p. 341-342).
2. PfuelC,
fallinckroclt, p. 2t :;-217. Sur Wichern, voir L'Allemagne reli-
gieuse : Ie protestanti.'lme, p. 189-191.
3. nh
inische Volksblaetter, 1858, nO 49. - Pastor, ReicheJl
per{Jer, I,
p. 39t.
L'
:GJ...ISE DE PRUSSE
249
et d'égalité devant Ie droit commun, fut la frac-
tion catholique de la Chambre prussienne. Elle
estimait, comme l' expliquaient en 1858 les Feuilles
ltistol'ico-jJolitiques de l\lunich, (( que la liberté de
l'Église succomberait si elle ne cessait pas pen à
pen d'être une exception et si l'aulonomie poJitique
ne devenait pas Ia règle 1 )). Les revendications des
catholiques formaient ainsi comme un chapitre
d'un vaste programme politique, encore à peine
esquissé, qui concluait à la représentation publique
de tous les groupements autonomes 2, et c' était un
chagrin pour Reichensperger de constater, trop
souvent, l'indifférencp passive avec laquelle Ie
peuple, au jour du vote, suivait l'impuision des
bureaucrates. (( Par sa faiblessc et son indolence,
écrivait-il trÏsten1ent à l\lontalembert en 1855, Ie
peuple a trop montré qu'il n'est pas mûr pour des
institutions libérales 3. )) II aurait voulu inculquer à
tous ses coreligionnaires la doctrine de l'autono-
mie; il déplorait (( I'inexplicable aveuglement de la
grande majorité de l'aristocratie catholique 4 )), qui
1. H. P. B., 1858, I, p. 1000.
2. Intervenlion de l\laUinckrodl cldc Reichensperger, cn 1853 et en 185G, pour
lïntroduclion du principe de la représclllation des intérêls dans la loi munici-
pale westphalicullc (Pal'lamenlal'ische Reden del' Geùl'uede1'lleichensper!JCI",
p. 454-4G7, 516-525, H7!-93
(séances du 11 avriI185
, du 7 janvier 1854. du
:a mars 1856). - PfuelC, .J.1Jallinckrodt. p. 94-%, 121-122. - Mallinckrodl
l'éussit, en 1853, à Caire repousser un projet qui am'ail jnstallé dans les grandes
viUes la prépondéranee bUl'eaucl'alique des Landmete.
3. Pastor, Reichensperger, I, p. 369 (lcUre du 19 novembre 1855). - Cf.
radicle du Correspondant, Cévricr t 858, p. 347, où Reichensperger espère qu'à
la faveur de l'alliance anglo-prussieune l'habilude des instilutions liLres et du
elf government Iiì'acclimatera en Prusse.
4. C01'1'espondant, oclobre 1858, p. 403. L'aristocratie s'abstint, en 1858,
- d'assisler au congrès catholique de Cologne. - Cr. Sleinle, lJl'iefwct:hsel, r,
p,501.
!50
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
s'unissait aux piétistes pour combattre les institu-
tions modernes. Que 'ne constatait-elle, plutôt, que
(( la doctrine de l'autonomie avait montré son acte
de baptême catholique en mettant au monde,
comme pren1Ïer fruit, la liberté de l'Église 1 ? ))
Toutes les pensées et taus les efforts des catho-
liques, tOllS leurs discours et tous leurs actes, de-
vaient viser à mûrir les autres fruits qu'ils atten-
daient de cette doctrine; et les patriotes prussiens
pouvaient se rassurer: car Ie plus précieux de ces
fruits serait la paix religieuse entre les confes-
SIons.
Observons, en face de cette attitude et de eet
idéal.1 pour les faire mieux comprendre et leur
servir, si l'on ose ainsi dire, de repoussoir, l'atti-
tude et l'idéal qu' étale sons nos regards, à la même
époque, l'un des meiJIeurs préfets du parti conser-
vateur évangélique, Kleisl-Retzow 2.
Président supérieur dans la province rhénane de
1851 à 1858, sa piété rigide et sincère faisait l'unité
de sa vie. Parce que protestant croyant et dévot,
il s'insurgera plus tard eontre les maxinles du
Cllltlu
kaJnpf, qui lui paraîtront aussi menaçantes
pour l'orthodoxie protestante et pour ],idée même
du surnaturel que pour l'orthodoxie romaine 1.l\'lais
parce que protestant croyant et dévot, il se don-
1. H. P. B., 1858, I. p. 1000. - Cf. Pastor, Reiclte11sper!Jer, I, I}. :}8G.
2. Sur Kleisl-Retzow (1814-1892), voir Hermannv. Petersdorff, Kleist-Ret:ow,
Ein Lebensbild (Sluttgarl, Cotta, t90i).
3. Pf'tersdorff, op. cU., p. 408-436. - Kleisl-Relzow dira en 187
: << J'aimc
mieux être avec les gens du Centre qu'avec cem:: qui sont conlre l'école con-
fessionnelle )) (K('l1ner, Leben8blaetter, p. 518).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
25f
nait comme tâche, au ten1pS OÙ il administrai! les
pays rhénans, d'y fortifier l' établissement religieux
protestant, et d'y rendre plus ardente, plus vivante
et plus susceptible ]a conscience évangélique. II
aimait peu la répression ; il temporisait longuement
avant de suspendre, à Cologne, Ie journal catho-
lique dont les autorités berlinoises lui dénonçaient
les tendances autrichiennes 1. Mais ce qu'il détes-
tait et qu'il prétendait empêcher, c'était la descente
du catholicisme dans la vie publique : associations
catholiques, congrès catholiques, trou vaient dans
Kleist-Retzo\v un inflexible ennemi. II fut seul res-
ponsable, en 1854, de la prohibition officielle du
congrès catholique qui devait se tenir à Cologne.
Léopold de Gerlach l'en blâmait : (( Ce n'estjamais
sage, lui disait-il, ce n'est jamais une bonne chose
de se nlèler des affaires de l'Église ronlaine, si on
n'y est pas absolument forcé. )) l(leist-Retzow, pour-
tant, demeurait inflexible 2. II achevait de s'aliéner
Ie clergé rhénan lorsqu'il défendait aux catholiques
d'.Aix-la-Chapelle d'élever une colonne commémo-
rative de la proclamation de l'lmmaculée Concep-
tion 3. Que des prêtres pieux formassent un peuple
pieux, Kleist-Retzow y consentait, et même il y
L Pclersdorff, Ope cit.. p. 210-21
. - Sur les mesures de la Prusse à l'en-
droit des journaux ca1holiques e1 sur l'aUenlion qu'on y prêlait à Rome, voir
Civiltà Cattoliea, 1i-
5 aoÙt 1835, p. 587; - 2G décembre 185G-10 janvier
18;)7, p. 253.
2. Pelersdol'ff, Ope eit., p. 271-
72. - Voir Civiltà Cattolica, 23 Cévrier-
8 mars 185G, p. 713. - Sur Ie général Leopold de Gerlach (1790-1861), on peul
consulter, outre ses deux volumesde.1lfémoires,.Hartmann, Allgemeine deutsche
Biographie, IX, p. 16-19.
3. Pelersdorff. op. eit., p. 2i2. - Civiltâ Caitolica, 14-28 novembre Ujj,
p. G34.
252
L' AT.LE
lAGNE RELIGIEUSE
tenait; mais si Ie catholicisme, sortant de ses sacris-
ties, prétendait devenir un élément de l'opinion pu-
blique, un facteur de la vie poJiti9ue, alors halte-là!
Le piétisme aurait aimé que l'Eglise évangélique
jouât un semblable rôle dans la vie nationale; eUe ne
Ie pouvait à cause de la subordination constitution-
nelle qui l'attachait et l'enchaînait à l'État. (( Devant
l'Église romaine, nous sommes dans une posture
humiliée, lisait-on dans une feuillc piétiste; ]à OÙ
aIle règne, elle obtient de bonnes élections; là OÙ
les nôtres passent comme députés, ce n'est point
parce que chrétiens, mais quoique chrétiens t. )) Et
une fois dépuLés, dans certaines discussions con1n1e
celles sur Ie mariage civil ou Ie divorce, OÙ l'idée
religieuse était intéressée, on voyait les catholiques
parler en représentants de la morale catholique, et
voter ou repousser les projets législatifs suivant
que Ie comportaient les intérêts de cette morale,
tandis qu' en face d' eux l'Église évangélique, inté-
ressée cependant à ces débats, se montrait gênée,
in1puissante et d'une (( lamentable faiblesse 2 )).
1. Erllst Ludwig v. Gerlach, Au{
eichnungen, II, p. 224. - Cf. une IcLlrc
<-crite en 1856 par Ernst v. Ernsthausen, alors Land1'at en paIs rMnan, sur
l'ulilité de fonder, en terre rhénane, un parLi évangélique-conservatcur, et
Ul'
les sacrifices que font les catholiques pour leur pre sse (Ernst von Ernsthausen,
E1'iunerungen eines p)'eu8sischen Beamten, p. 195. Bielefeld, Velhagen.
18!>4 ).
2. L'expression esl d'El'nsl Ludwig v. Gerlach, Ope cit., II, p. 211. - Compa-
reI', SUI' la silualion de l'Église évangéIique, la communication d'Uechtritz, pré-
sident de l'Obe1'kirchenmt, en janvier 1852 (Poschingcr, Denkwuerdigkeiten des
.L1linisterp1'esidents .Manteulfel, II, p. 185-188). - Sur ceUe attitude respec-
tive des calholiques el des protestanls dans les débals rclatifs au mariage civil
et au divorce, voir E. L. V. Gerlach, Ope cit., II, p. 198-199 et 211 ; Paslor,
lfeichensperger, I, p. 377 et 393; Pfuelf, .ðlallinckrodt, p. 171; Stamm, Aus
de,' Briefmappe des Bischo{s ltfartin, p. 153. - Qu'au bout de cinquante
am. Ie prolcslantisme allemand se plaint encore de n'èlre pas une influence
L'ÉGLISE DE PRUSSE
2
3
Pour devenir une maîtresse de l'opinion, l'Église
protestante aurait dû cesser, tout d'abord, d'être
une branche de I'administration 1. Ce que l'ÉgJise
protestante ne pouvait devenir, il ne faUait pas que
l'Église catholique Ie fût; il ne fallait pas qu'à
la faveur de son autonomie, elle déployât plus
d'éncrgies que n'en pouvaient déployer, dans I'ar-
mature d'État qui les enserrait, les Églises évan-
géliques. Toute la philo sophie politique et reIi-
gieuse du piétisn1e se résumait en une jalousie qui
devait s'exacerber, naturellement, aux heures où
J'Église romaine était Iibre, et s'assoupir, au con-
traire, aux heures où eUe recon1n1ençait d'être
opprimée. L'administration de KJeist-Retzow dans
Ies provinces rhénanes coïncidait avec un soubre-
saut de jalousie 2. Elle eut cet eIfel de tenir en
haleine les forces catholiques, de les rendre d'au-
tant plus redoutables qu'elles avaient conscience
d'être redoutées, et d'enraciner plus profondément
encore, dans les âmes rhénanes, un certain esprit
d'autonomie démocratique, dont l'émancipation
catholique alIa it prof Her . (( Le parti des hobereaux
vent Ie moyen âge, sans ce qui était alors la force
polilique el de ne pas dire son mo
dans la vie publique, et qu'il attribue ce
malheul' à l'hégémonie qu'exel'ce rElat dans l'établi5semcllt l'eligieux : c'esl ce
(ue prouvait, en avril 1907, une thðse présentée à la conférence de Carlsruhc
:Chl'onik der Christlichen Welt, 2 mai 1907).
1. Sur la polilique autorilaire que perpétuait Frédéric-GuHlaume IV dans Ie
:;-ouvernement de l'Église protestante, el qui semblait à beaucoup d'égards con-
lredire les aspiralions ùe son ami BUllsen, souvent partagées par Ie roi, voÜ'
3eß'ken, Staat und Kirche in ihrem Verhaeltnis8 gC8chichtlich entwickelt,
p. 614-(;16 (Berlin, Hertz, 1875).
. Voir dans Pastor, Reichensperger, I, p. 3G7, les plaintes d'Auguslc Hei-
hensp{'rgel'.
254 L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
créatrice, I'Église 1 )), écrivait avec dédain Ie Rhé-
nan Auguste Reichensperger; il était, lui, pour]e
peuple contre les hobereaux. C'est sur les bords du
Rhin que se dessinail avec Ie plus de relief J'oppo-
sition entre l'esprit d'allègre tolérance des hommes
politiques catholiques et l'impérieuse raideur des
fonctionnaires inféodés au conservatisnle évangé -
Jique et d'ordinaire étrangers au sol rhénan par leur
naissance nlème 2; Ie contraste s'accenluait dans
les moindres détails, puisqu'on vit un jour l'ad-
ministration piétiste défendrc à des musiciens
ambulants de faire danser les paysans, ct Reichens-
perger monter à la tribune pour plaider Ia cause
des bals champêtres 3.
VII
L'été de 1852 mit aux prises les catholiques et
Ies champions de l'État évangélique. Dès Ie mois
de mai Frédéric-Guillaume demandait àlVlanteuffeI.,
chef du minislèl'e, s'il ne convenait pas de prendre
quelques mesures restrictives contre les missions
catholiques prêchées par des prêtres étrangers.
Ernest Louis de Gerlach était là : il remontra, tout
de suite, qu'on n'était pas assez puissant pour
L Correspondant, Dclobre 1856, p. 179 : toull'arlicle est à lire.
. Parlamentorische Reden der GebJ'uedc1' Reichenspergcr, p. 703-706.
(Séance du 21 février 1855.)
3. Parlamentarische Redell, p. !JðQ-9G6. (Séance du 12 janvier 18b7.)
4-. Le rôle d'Olto Théodore l\Ianteuffel (1805-1882) cst désormais susceplible
d'étude grâce à 1\1. de Poschinger qui a publié, en 1900-1902, trois volumes do
..'f émoires et trois volumes de documenls diplolllaliques (Berlin, l\1itUer).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
255
s'opposer aux missions, et qu'on nele devait point:
les fonctionnaires avaient des attributions de police
qu'ils étaient libres d' cxercer; cela suffisait 1. On
savait d'ailleurs, à Berlin, qu'à la suite de certains
5ermons, des voleurs avaient restitué, ce qui élait
bien, et que des radicaux s' étaient convertis, ce
Iui éLait lllieux. Cependant les suspicions protes-
antes prévalurent; et Raumer, ministre des Cultes,
Jar deux circulaires du 22 nlai et du 16 juillet,
.eu!' donna une sorte de sanction officieHe. La pre-
nière circulaire, adressée à tous les présidents des
)rovinces, les invitait, non seulement à surveiller
Ie très près les missions, mais à les prohiber
orsque les paroisses catholiques OÙ elles devaient
tre prêchées étaient situées dans des provinces
>>rotestantes. La seconde circulaire, qui visait spé-
ialement la province de Coblentz, interdisait aux
lercs d'aller étudier au Collège germanique de
lome ou dans un séminaire dirigé par les Jésuites
ans en avoir obtenu l'agrénlent de l'État, et refu-
ail aux J ésuites étrangers Ie droit de s'installer
IJl Prusse 2.
Les fonctionnaires de la (( division catholique >>,
aspects peut-être de complaisance pour l'Église,
. avaient pas été associés à la préparation de ccs
Ilrculaires : eUes s'étaient élaborées par-dessus
ur tête 3. Dans ce procédé, ne fallait-il voir qu'unc
1. Ernsl-Ludwig v. Gerlach, Auf:;eìchnungen, II, p. UQ.
!. Die J.lfini8lel'Ù.û-E1'lasse von 22 Alai Utul (e Juli (852, p.
-Iì (paùerLùrn,
hoeningh, t853).
1. Die Jlinistc1'ial-Erlas8e, p. 67 et 173.
256
L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
exception? ou bien inaugurait-il, au contraire, unf
demi-disgrâce de cette précieuse (( division catho
lique )) qui négociail si utilement entre l'Église e
Ie roi? et Ia Prusse, déjà, se sentait-elle assez vie"
torieuse de la révolution, pour faire impunémen"
bon marché de I 'Église?
(( Le gouvernen1ent prussien, écrivait Augush
Reichensperger au peintre Steinle, est comme UI
convalescent qui à sa première sortie s'enivre e
qui, pour faire montre de sa force, maltraite le
passants inofIensifs 1. ))
GeisseI, aussi, était très contrarié. Raumer
de 1845 à 1848, avait administré la province du
Rhin : jan1ais il n'avait produit sur l'archevêqu(
l'impression d'un sectaire 3 . Dans ces deux ukase
imprévus, Geissel entrevoyait avec ennui la consé-
quence de certaines maladresses catholiques : (( ç
et là dans nos journaux, écrivail-il au nonce Vial(
PreIa, on a fait trop de bruit des effets des missions.
en se targuant cmphatiquemcnt de Ia victoire dl
catholicisme et en pronostiquant Ia fin prochaine dl
protestantisme 3 )). II avait suffi de quelques exu.
bérances de langage pour remettre en question h
Iiberté même qu'avait accordée aux catholiques Ie
Constitution prussienne : les évêques, en aoÚt
rédigèrent un mémoire dans lequel iis s' appuyè-
rent sur la constitution royale contre l'acte minis
1. Steinle, Bríefwecltscl. II, p. 306.
. Pfuelf, GeÜsel, II. p. 77.
3. prude, Gcisscl, II, p. 9
.
, .
I
EGLISE DE PRUSSE
257
tériel t : ot ce fut rénloi des évêques, partagé par
les laïques, qui anlena les députés catholiques à
se constituer en une fraction 2. Cinq d'entre eux, Ie
1 i décembre, s'en furent voir Manteuffel pour de-
mander Ie r0trait des circulaires : de leur audience
ils remportèrent bon espoir. Le chanoine Trost,
qui trois jours après vit Raumer, revint beaucoup
plus pessimiste 3. On se lassa de négocier; la frac-
tion perdait patience; Trost, Ie 20 décembre, ex-
pédiait à Geisselle texte de la motion parlemen-
taire par laquelle WaldboU a1Jait porter devant
la Chal11brc elIe-nlt'mc les doléances catho] iques It.
Évêques et députés avaient Ia partie belle : Ie
Roi leur était propice. Le bruit se répandit, en
décembre, que Frédéric-Guillaume IV consultait
Rado"\vÏtz sur les choses calhol iques, et qu'il son-
geait à Ie choisir comme intermédiaire pour des
négociations avec les évêques 5. L'intolérance pié-
tiste s'alarmait : (( Cela peut nous mener, écrivait
Léopold de Gerlach, à toutes les faiblesses de con-
cession, et aux pires conséquenccs. )) (( Voilà long-
t. Pfuelf, Gcissel, II, p.
o et suiv. - Les évèques expliquaient que les cir-
culaires Raumer avaient l'approbation de ceux<< dont les visées poliliques ten-
daient à ùélruire tout I 'ordre établi. >>
2. Voir ci-dessus, p. MO. Duesber
, président en Westphalie, craignit tout
de suite Ie mauvais eifet électoral de ces édits (Poschinger. Denkwuerdigkeiten
dl'8 Jlinisterpresidents Jlanteullel, II, p. 257). - << Sans les édits Raumer,
disait Reichensperger, il ne nous serait pas venu à l'idée de former une telle
fraction. Avant les édits, nous n'y avons mème pas songé; nous avions In Cons-
titution . (Pastor, Reichensperger, I, p. 342).
3. Pfuelf, Geissel, II, p. 97. - Manleuffel et quelques autres minislres soubai-
laient une conciliation avec les catholiques; mais Raumer, et Westphalen. Ie mi-
nistre de l'Intérieur, y étaient moins enclins (Pastor, Reichenaperger, f, p, 344).
.. Pfue1f, Geissel, II, p. 98.
5. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten. I, p. 832-833. - Sur Ie gënéral
de Radowitz (1797 -1853), voir notre tome II, p. !33-!35 et 3
8-342.
III.
17
LIBRARY ST. MARY'S COllEOE
258
L' ALLEl\1AGNE RELIGIEUSE
temps, observait Westphalen, que I'Ecctesîa n'tili-
tans, là OÙ eJle n'est pas déjà trÏlunphans, est en
marche i . )) Jusqu'où pousserait-elle sa marche"?
Certains redoulaient une conversion du roi au
catholicisme; d'auLres, comme Niebuhr 2, gros-
sissant, par une sorte d'hallucination, la force
de la nouvelle fraction catholique, évaluaient à
93 le non1bre de ses membres. Bodelschwingh son-
geait à créer, dans la Chalnbre, une fraction évan-
géJique pour rappeler à I'État prussien son devoir 3 .
Car, au milieu du bruit qu' on faisait des deux
circulaires, les gens informés discernaient une
voix, chuchotant à qui vou]aH l' entendre que la
portée de ces actes était restreinte 4, et qu'en fait,
I'Etat et les catholiques s'entendraient : cette voix
n'était autre que celIe de Raumer. Après avoir
inquiélé les catholiques par ses circulaires, il in-
quiétait les protestanLs par ses propos.
Le débaL pJ'ovoqué par \Valdbott IS s 'cngagea de-
vant la Chambre, en février 1853. Les deux frères
Reichensperger s'unirent à lui pour attaquer les
circulaires. lIs furent plus convaincants dans leur
1. Petersdorff, Kleist-Ret
ow, p. 270 (leltre du 8 novembre J 852). Sur Ie
minish'e Ferdinand OUo Guillaume Hcnning de Westphalen (1799-1876), voir
Thimme, AllgemeÍ1
e deutsche Biographic, XLII, p. 2::! l-'!!û.
2. Sur l'ardent réaclionnaire qu'élait l\Iarc Carsten
icolas :.\iebuhr (HH 7-1860),
,"'oir \Vippermann, Allgemeine deut8che Biographie, XXIII, p. 662-664.
3. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten, I, p. 83t-833. - Sur les deu
íròres Bodelschwingh (1794-1854 et 180U-1873), voÜ- Bodelscl1wingh. Allgeme'lne
deutsche Biofj1'aphie, III, p. 3-5.
4. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Au[zcic/mull!Jell. II, p. IG(J-168.
5. Waldbott. vice-président de Ia Chambre, avait jadis joué un rôle comme
maréchal du Landtag rhénan, CIl y mainlenant à l'ordrc du jour la queslion
rcligicusc mal.!..:,";:e ,;oHlmi<;sairc (:u ..:011\ ('l'ucmcJll.l'ÙÌcll. Jlalllt,c/.'J'vdt. p. (6).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
259
exposé qu'impérieux dans leurs conclusions 1. De-
vant la Commission comme devant la Chanlbre,
Raumer a vait donné des explications si rassurantes
pour les missionnaires et si rassurantes pour
les séminaristes, que les circu laires semblaient
destinées à demeureI' à peu près Iettre morte; et
Gerlach reconnaissait que les plaintes des catho-
liques n'étaient pas sans fondement. Cela suffisait
à lVlallinckrodt; il n'était pas d'avis de pousser
trop loin la victoire, de crain!e qu' ensuite la réac-
tion protestanle ne se déchaînãt avec trop de vio-
lence. Au vote, la motion catholique succomba;
mais, en fait, les catholiques, fortifiés par l'appui
des gauches, étaient exaucés : (( Notre cause, écri-
vait l'évêque Foerster, a remporté une victoire
morale, qui dépasse en importance les plus bril-
lants succès de façade 2 )).
Iontalembert, félicitant
Auguste Reichensperger, considérai t cette discus-
sion comme (( l'une des plus helles pages dans l'his-
Loire politique des temps modernes 3 )); et
lallin-
ckrodt) dans une sorted'épilogue qu'il écrivait pour
Ie compte-rendu des débats, proclamaitl'importance
historique d'une lelle manifestation parlenlentaire
et s' en l'emettait, pour l'issue finale, à l' esprit
1. Le! débals sont publiés dans la b!'ocbme Die lIIiniste1'ial-E1'lasse. p. 19-
165. - La molion Waldboll, signée par 88 dépulés (lous les membres de la frac-
tion calholique, 12 Polouais el quelques catholiques des aulres parlis), recueillit
1.23 voix conlre 1i5. Voir daus Leopold v. Gerlach. Denkwue1'lligkeiten II
p. 9, les impressions de ce l'eprésenlant du piélisme, lrès hostile à la fraciio
catholique.
!. Paslor, Reicheusperger, I, p. 347-348. - Le chanoine Trosl, dans Ulie
leUre à Geissei, se montrait beaucoup plus llécouragé (Pfuelf, Geisiel, II, p. 99.)
:t. Paslor, Rt'icheuspergcr, I, 1'.
4
1.
260
L 'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
d'équité du roi I. C'élait en vain que Léopold de
Gerlach, s'entretenant avec Baumer de Ia question
des Jésuites, dénonçait obstinén1ent l'esprit quereI-
Jeur des Romains, et Ia n1anie de division qui les
poussait à dogmatiser sur] '!mmaculée Conception 2 ,
et c' était en vain qu'il houdait et bousculait Ie Roi
lui-même, qui rêvait toujours de dépêcher aux
évêques Ie catholique Rado,vitz pour conclure entre
l'État et rÉglise un hon traité. Le Roi, lorsque
Gerlach était trop gènant, l'appelait graven1ent :
(( }lonsieur Ie lieulenant général )); et du seclaire
qu'était Gerlach, il ne restait plus qu'un militaire,
qui se taisait;). II se taisait, jusqu'ã ce qu'il reCOID-
mençât; il se taisait d'un silence pesant et doulou-
reux, sentant que I ïncident des circulaires avait
forlifié la cohésion dn parti catholique, que malgré
les aUaques ou les réserves de certains catholi-
ques", ce parti durerait, et qu'au scrutin, les pro-
testants appartenant aux partis libéraux avaient
confondu leur vote avec ceux des Romains.
Au lendemain de ce débat, Otto Meier publiait
le second volume de son livre sur La p'Jlopagande G :
1. Die Ministerial-Erlasse, p. 1i4-17G. - Pfuelf, .J.llallinckrodl, p, 71-79,
rõvèle que ('es pages non sigl1ées sont de l\1allinckrodt; elles sont m
me Ie seul
crit qu'on ail de lui.
2. Leopold v. Gf>rlach, Denkwuerdigkeiten, II, p. 20 : il eslimait que l'Église
de I'avenir ne pouvait êlrc une Église de pr
l1'es (Denkwuerdigkeiten, II, p, 7).
3. Voir dans Leopold v. Gf'rlach, Denkwuerdigkeiten. II, p. 16-17 et <;!1-23,
Ie récit très curieux de ses conversalions avec Ie roil les 3 et 13 mars, au sujet
de Radowitz.
4. rfueU, Mallinckrodt, p. 67. - PCut-1f, Gei88el, II, p. 104-105. On essaya,
chose curieuse, - comme Bismarck Ie teDtera dix-neur ans plus tard conlre Ie
Centre - d'alléguCl' que la CI'action c4lholirfue D'était pas persona [Jl'ata au
Vatican.
:;. Yoir ci-Jt'ssu!1l, p, 201.
L' ÉGLISE DE PRUSSE
26i
il était très sérieusement in quiet. Sa pl'éface gour-
mandait les députés protestants qui s'étaient per-
mis de voter pour la motion \Valdbott. 1\Ieier
souffrait en voyant les catholiques ouvrir leurs
voi]es à l'espérance : OÙ done en était la Prusse, et
qu' était done devenue l'illtégrité du protestantisme,
pour que Walter, Ie canoniste (( ultramontain 1 )),
osât joyeusernent prévoir l'heure prochaine OÙ des
plumes protestantes se feraient les avocates des
J ésuiles eux-mêrnes? Déjà une soldatesque ma-
næuvrait, qui avait nom Ie parti caLholique, et qui
marchait, indifféremment, à aroite ou à gauche,
pourvu qu'enfin Ia Prusse capitulât devant (( cette
ÉgIis
que Ie cardinal Bellarn1in considérai t comme
un État au même titre que la République de
Venise )) ; et
Ieier déniait à cette fraction parle-
nlentaire, servanle d'un État qui n 'élait pas Ia
Prusse, Ie droit de se considél'er conlme réelle-
ment prussienne.
II n' étaÏt pas possible que cet État essentielle-
ment protestant qu'éLait la Prusse laissât l'Église
calholique vivre selon ses propres lois : tel était
l'axiome que formulait Ie surintendaut Eichler,
dans une brochure Oil s'étalait un inlol
rant dog-
matisme 2. Eichler disait, même, que les sujets
calholiques,qu'i] croyait mécontents de la proclama-
tionde l'Immaculée Conception, applaudiraienttout
I. Sur Ferdinand Walter (1794-18ï9), voir nolre tome II, p. 210-211.
'!. Eichler, Kein 1.Vohlgeordl1etcl' Staat kalln die 1'oe1iliscl
katlwlische KiT'c!te
{rei nuch ihl'f'lt {Jc.<;('t
cn leben lassen: Aus 107 paepstlichen Gesetzen gege;
tlie llecht,. dCI' J.'w'I'slelt u'ld gcgr'lt cla.<; 'roM der Voelker nachgewieser6.
(Darmlasdl, Lesl..e, t 85
\. -- Brueck-Kissling, r;eschichte, II I, p. 85-86.
262
,
L AJ.LEl\IAG:\'E RELIGJEUSF.
,
de suite à la suppression de ces (( libertés ecclésias-
tiques )) qui déguisaient, à ses yeux, Ie despotisme
romaine
Pour les féodaux de la vieille Prusse, pour un
Léopold de Gerlach, pour un Bismarck, I 'alliance
d'un certain nombl'e de protestants avec la frac-
tion catholique était impardonnable. Toute la phi-
losophie de leur parti se résumait en une formule:
l'État prussien est un État évangélique. Les pro-
testants étaient la classe dominante, et cette hégé-
monie devait être sanctionnée par l'jnstilution d'une
Église d'État, avec laquelle disside.nts et catho-
liques ne seraient pas sur un pied d'égalité 1.
Qu'eût dit Frédéric II s'il avait prévu qu'un jour
les dépenses nécessaires pour rarmée auraient pour
arbitre un curé, un futnr évèque, Ie chanoine Eber-
hard, de Trèves, rapporteur du budget militaire en
1855 2? Et si Dieu -Ie Dieu de la Réforme - avait
permis qu'un mouvement de réaction vengeât l'État
prussien des menaces de la Révolution, ne conve-
nait-il pas que ce mouvement, tout en mêmc temps,
exaltât I'Évangile de Luther? Bismarck, que Jes
débuts parlementaires des uHramontains rendaient
anxieux, souhaitait de tonte son ârne que l'opposi-
tion libérale, dangereuse pour l'État, et] 'ultramon-
tanisme, dangereux pour l'Évangile, apparussent
à l'opinion pub1ique comme solidaires, et que ces
1. Leopold v. Gerlach, Denkwuerdigkeiten. II, p. 262 (
8 dêcembre 1854). -
· L'Elal paritaeti8ch, écrivail
il encore (1"'1' déccmbre 1853), ne peul pas se main-
tenir en Pru
se. ))
. Ernst Ludwig v. Gcrla('h.Aufzeichllungen, II. p. 162-Hì3 el197.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
263
deux forces, qu'il traitait l'une et l'autre en enne-
mies, se compromissent rune par l'autre. (( Dans
nos provinces de rEst, disait-iI, si I'on arrive à
confondre Ie jésuilisme et le libér'alisme, ce der-
nier perdra Ie pen de sympathies qu'il possède en-
core 1 >>. Foncièrement proteslant et foncièrement
réaclionnaire, ainsi s'affichait Ie parti féodal.
L'hostiJité contre Ie romanisme prenait l'aspect
d'un fanatisme civique. Bismarck ne pouvait pas,
ne voulait pas admettre que Ia lune de nliel entre
l'Église et l'Étal prussien fût durable. (( L'expé-
rience apprend, écrivail-il à l\lanteuffel Ie 29 no-
vembre 1853, que Ie clergé catholique ne désarme
qu'à la condition d' exercer une domination abso-
Iue. L'Église romaine jouit en Prusse d'une indé-
pendance qu' elle n'a guère trouvée jusqu'ici sous
un prince cathoJique, et pourtant on ne peut dire
que Ia paix entre l'Église et I'État y soit assurée 2. ))
II était aux aITûts, dénonçant, par exemple, l'in-
fluence du cardinal de Cologne sur la police de
l' endroit 3. (( A. vec les ultramontains, insistait-il
encore, il n'y a point d'alliance durable; toute
concession, jusqu'à la soumission absolue, leur
fera l'effet d'un acompte, d'un encouragement 'Þ. ))
Et encore: (( L'esprit envahisseur qui règne dans
Ie camp catholique nons forcera, à la longue, à
I. Bismarck, lettl'es politiqucs, p. Ui-' (leltre du tâ novembre 1852).
. Bismarck. Correspondance diplomatique J, p. t97 et suiv. (LeUre du
29 novembre 1853). - cr. notre tome IV, p. 35-37 et 56-59.
3. Bismarck, Lettre
politiquC8, p. 175 (Ietlre dll 2:> j
nvicr 1854-).
4. Bismarck, Lettres politique
, p. 129 (leUre du 8 décembre 1852)
26
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
livrer une bataille rangée 1. )) Léopold de Gerlach
pensait et parlait comme Otto de Bismarck: ce qu'il
reprochait à l'Église ronlaine, c'était de ne point
être l'alliée de rabsolutisme; ce dont ilIa soupçon-
nait, c'élait de coquetterie à l'endroit des révolu-
tions
. Le luthéranisme des féodaux prodiguait à
l' (( orthodoxe )) B.ussie courtoisics et tendrcsses :
il y avait là, du moins, de l'autre côté du Niémen,
un absolutisme inflexible, sur lequel on pouvait
compter, une religiosité rigoureusement conser-
vatrice, de poigne so1ide et d'exemple efficace. Le
gouvernement de Berlin provoquait les protesta-
tions des évêques en soupçonnant les catholiques
prussiens de conspirer contre Ie bon ordre en
Russie 3 ; et les affinités élecLives de la Prusse évan-
gélique avec la H.ussie schismatique opposaient un
contrepoids à d'autres affinités, naturelles celles-
là, ct d'autant plus périlleuses qu'invisibles, qui
rapprochaient, disail-on,]a théocratie papiste et la
turbulente démocratie. A l'issue des rêves où s'at-
tardaient laborieusement les conservateurs, on
aurait vu le protestantisn1e, confession d'État, fort
de son alliance étl'angère avec Ie césaro-papisnle
1. Bismarck, Lell1'es politiques, p. 125 (1etlre du 15 novembre 1852).
. Leopold v. Gerld.ch, Ðellkwuel'digkeiten, I, p. 673, 807, 832: il s'en prenait,
formellemenL, à la doclrine de l"Église sur Ie pouvoir civil; II, p. 23, il dénon-
çail l'esprit révolulionnaire du bas clergé lombard et d'une partie du clergé
hongl'ois, fran
ais el allemand.
3. PfuelC, Geiasel, II, p. 130 el suiv. - L'Annuaire des Deux J1UIldcs, V,
p. b68, donne la traduction de la circulaire du minislre \V eslphalen sur
l'alliallce du clergé avec la démocl'alie ell vue ù'eJlciter les esprits conlre la
Russic. - L'hostililé des chefs de l'opinion calholique conlre la Russie en 1S:ji.
avail donaé lieu à ces soup
ons injusLifiés. Floreucourt, qui inclinait vcrs la
Russie, avail dû quiLter Ie journal Deutsche rolks/utIle (Pfuelf, ,Jlallinckl'ocJt,
p. g
).
L'ÉGLISE DE PRUSSE
265
de Pétel'sbourg, opprimer d'une sorte de dictature,
au dedans même du royaume de Prusse, les cons-
ciences sujettes de Rome.
VIII
Le premier acte de ce progranlme dictatorial était
la concession à l'Église évangélique d'une série de
faveurs budgétaires : eUes donnèrent lieu, tout de
suite, à de graves escarmouches, dans lesquelles
les fidèles de l'Église romaine se révélèrent conlDle
une force.
La Prusse, (( État évangéliq ue, )) conl111ettait une
anonlalie en donnant annuellement à l'Église catho-
lique 719.46
thalers, et 328.770 thalers à l'Église
évangélique. Le conseil suprênle évangélique récla-
mait que les subventions accordées à chaque J
glise
fussent au moins proportionnelles à leur chiffre
respectif de fidè]es; il réputait légitime, au profit
du protestantisme, une augmentation de 870.338
thalers, et se déclarait d'ailleurs tout prêt à se
contenter si on lui en accordait 274.000 1 . Un pro-
testant converti au catholicisnle, Rinte1 2 , discuta
cetle pétition; il remontra, dans sa brochure, que
la somme inscrite à la loi de finances pour la
confession romaine rcprésentait en réalité, dans
sa presque totalité, une delte juridique de l'État;
t . Die J(athoiischen ],Lte
'esscn bei delL Bu(!gctve
'han(llungen in den preu.II-
&ichen Kammc1'n des Jahres 1852-1R5J, p. 13-21 (paderborn, Schocningh, 1853).
2. Sur Charles Gustave :,{icolas Rinlcl (1809-1894), \oir Rosenthal, KOlivertC
tenbilder, I, 2, p. t78.
'LI R
Y ST.
RY'S COLLE t
266
J.OALLEl\IAGNE REI..IGIEU8E
que, dans Ie budget de l'Église évangéIique, il y
avait à pen près 300.000 thalers octroyés par une
g-énérosité gracieuse; que, dans Ie budget de
'- ,
l'Eglise catholique, Ie cadeau parallèle accordé
par l'État ne dépassait pas 94.000 thalers; que
l' (( imparité )) de traitement entre les deux con-
fessions tournait done an détriment de l'Église
romaine; et qu' enfin les médiocres libéralités faites
à ceUe Église n'étaient qu'une faible rançon pour
la s
cularisation d'innombrables biens ecclésias-
tiques 1 .
Le ministère prussien donna raison au conseil
suprême contre Rinlel : il déclara que l'évangé..
Hsme avait droit à 2'10.000 thalers de plus, et qu'en
raison de l'état des finances on lui en octroierait,
pour l'instant, 50.000 2 . Le geste élait moins géné-
reux que les paroles. Encore qu'on affectât de Ie
ba.ptiser protestant, rÉtat prussien, bon économe,
marchandait visiblemenl ses thalers.
fais la satis-
faction de principe qu'il avait accordée encoura-
geait les réclamations, et tout de suite, dans la
Chambre, 94 signatures furent groupées, réclamant
des subventions pour les missions prussiennes
évangéliques répandues à travers Ie monde 3. Les
catholiques s'émurenL Depuis 1.821, la Pru
se
devait constitucr en biens fonciers la dotation de
J. Rinlel, Beleuchtung de1' Dcnkschrift des evangelischen Oberkirchenrathe8
betretfend die Vermehrung der notation der Evangelischen Kirche in
Preu8sen vom Standpunkte des Rechtes und der Paritaet (Ralisbonne,
)laDZ, 185
).
2. Die Katholischen Intere88en. p. 54-55.
3. Proposition
oeldcchen el Slolberg- W ernigerode (Die [(atholi8clu;n Intf!
reð8en, p. 63..65).
L '':
GLISE DE PRUSSE
267
eurs évêchés. Elle s'y était expressément engagée;
rédéric-Guillaun1e IV, en 1847, avait encore, par
ln acte formel, reconnu cette dette et l'urgente
lécessité de la liquider 1 . Bien encore pourtant
1'élait fail. Le juriste OLto et ses collègues catho-
jques réclamèrent de rÉtat prussien, Ie 9 mars
1853, qu'il allât plus vile en besogne, que par
:;urcroît it distinguât sérieusen1ent, dans ses bud-
5ets, les subventions concédées aux Églises en
vertu d'un droit nettement établi et les subventions
accordées par générosité pure, et qu'enfin les
50.000 nouveaux thalers que J'État prussien croyait
pouvoir affecter au bien des âmes fussent équila-
blement répartis entre les di verses confessions
.
En mai 1.853, la Chambre passa outre, repoussa la
motion Ott0 3 . Au tern1e de cette première passe
d'armes, rÉplise protestante avait obtenu un
cadeau, et l'Eglise romaine attendait encore une
bonne parole. Tout au plus avait-on voté, pour
adoucir la déception, une motion pen compromet-
tante, d'après laquelle les 121.083 thalers d'allo-
cations supplémentaires votés chaque année pour
les ecclésiastiques et les instituteurs, et dont un
quinzième seulen1ent profiLait it la confession catho-
lique, seraient désormais réparlis avec moins
1. Pfue1f, Geissel, 11, p. t08. - Dè., i85
, Geissel et les évêques du Rhin avaient
adressé, sur cette question de la dotation de l'Eglise, un mémoil'e au roi (PCuelf,
Geis'lel, II, p. 105-111). .
. Lc tede et l'exposé des motifs de la proposition Otto sont publiés dans Ie
recueil : Die Katholischen Interessen, p. 65-77. - L'intel'vention d'Otto Cut
provoqnée par Geissel (Pfuelf, Geisse/, II, p. 101).
3. Die Katholi8chen Interesse1l, p. 135-206 (séance du (j mai 1853).
68
L' ALL EI\IAGNE RELIGIEUSF.
d'cxclusivisme 1. Grand pourchasseur de détails eï
grand épIucheur de chiffres, Olto envisageait aussi,
dans un long rapport, les questions relatives i
r enseignement, et démontraÏl que, sur cel autrt
terrain, Ia confession évangélique était une privi-
légiée 2 : I'État demanda un délai et promit de faire
de son mieux avant l'année suivante, pour donner
quelque satisfaction à l'idée de (( pari lé )) confes-
sionnelle.
La prom esse était trop belle pour être aussi vite
tenue. L'Élat n'en avail ni Ie tenlps, ni peut-être
Ie goût; et, puisque l'inertie des bureaux semblait
invincible, la fraction catholique obtint qu'une
commission parlenlentaire se chargeât de ce déJi-
cat travail. Le choix même des commissaires fut
un premier succès pour Ia fraction: elIe put fail'e
élire neuf de ses memhres, et Ia commission ainsi
constituée nomma comme président Auguste Rei-
chensperger, comme rapporteur l\laLlinckrodt 3 .
Le directeur général des contributions, Ie pro-
testant Kuehne, fut Ie premier à souhaiter, quand
en avril 1854le rapport de Mallinckrodt se discuta:.,
que les plaintes des catholiques fussent renvoyées
à l' exam en du ministère et que, dès la prochaine
1. Die Kal/wlischen InteJ'esscn, p. 2G8-27t cl2J!)-!27 (séallce du 7 mai J853).
. Le rapport d'Otto (5 avril 1853) esl puLlié dans Ie l'ccueil : Die Katholis-
chen Intel"essen, p. 236-310.
3. Pfuelf, A-Iallinckrodt, p. 108. - Paslor, Reichensper{ler, I, p. 357. - LC'
rapport de la commission, dalé du :H avril 1854, esl publió dans Ie second
recueil : Die Katholischen Intel'essen in den preu8sischen Kammern. ties
Jalu'es 1853-1854, p. 71-124 (Duesseldorf, Engels, 1854).
4. Die !(atholischeÞL Interessen in delL preussischcll Kamme1'" des Jaltn:s
1853-lí4, p. 177-181 (eéance du 28 avril 1854).
, .
L EGLISE DE PRUSSE
269
;cssion, Ie minislère apporlât son avis. II en fut
tinsi décidé, à une forte majorité 1 : Ie courage
)ratoire de Mallinckrodt avait enlevé ce vote.
IX
A vocats et adversaires des revendications catbo-
liques, au moment même OÙ ils s'escrimaient sur
la scène parlementaire, ignoraient, les uns et les
autres, que des négociations occultes s'étaient
I ébauchées, à Rome, entre Ie Saint-Siège et Ie gou-
verncment prussien, et qu'il ne s'agissait de rien
I de moins que de la conclusion d'un concordat.
Un certain Georg-es I\1ind\vorth, ancien agent du
roi de vVurlemberg, était passé au service de Man-
teuffel; ot, dès Ie début de 1853, il avait pris Ie
chemin de Rome, pour causer. I\Jind\vorth causait
avec Ie Pape, en février 1853, pendant que se
dél'oulaient, à la Chambre prussienne, les débats
: sur Ia motion Waldbott : (( Le Pape veut des négo-
I ciations, écrivait-il à ManteuffeI; il veut une
paix, un traité. 11 m'a promis de mettre fin sans
retard, par un bref, ou par une circulaire d' Anto-
I nelli, au trouble que font les catholiques dans Ia
I Chan1bre, autant que cela dépendrait du Saint-
Siège. )) A vrai dire, la fraction cathoJique, qui
: venait de lutter avec énergie contre les circulaires
L Die Kalholischen Interes.'fen in den prcussischen Kummer7'l, des Jahres
1853-54, p. t89-t9fì (séancc du 28 avril 1854). - Pastor, Reichen.<rperge1', I,
p. 3:ii.
270
L' ALLEßIAGNE RELIGIEUSE
Raumer, ne reçut du Pape aucun moniloire; mai
Pie IX, le 21 février 1853, expédiait au roi dE
Prusse on courrier, pour lui dit-'e queUes (( conso-
lations )) lui avail procurées la délnarche de 1{lind-
worth; et sans retard, la plume royale de Frédéric-
Guillaume IV répondait lrès gracieosement à la
plume papale. Manteuffel, le 31. mars 1853, dan
une leUre au cardinal Antonelli, exposait les prin-
cipes d'un accord : Ia Prusse se déclarait loote
prête à reconnaître, par un loyal traité, l'autono-
mie de l'Église; à achever Ie paiement de &es
dettes, telles que jadis eUe les avait reconnues,
et même à secourir I'Églisp par des allocations,
chaque fois que Ie besoin s' en ferait sentir; eUe
demandait, en revanche, que l'Église évitât tout
empiétement, et que les deux pouvoirs so concer-
tassent pour Ie règIenlent des questions mixtes.
(( Une bonne entente avec la Cour de Rome, disait
lVIanteufIeJ en terminant, est un des væux les plus
chers du gouvernement du roi; nous sommes
pénétrés du besoin d'une telle entente, et nous pou-
vons, Ie cas échéant, rendre au Saint-Siège des
services essentiels. })
II semble que Ie gouvernement prussien, qui
accord ail aux députés catholiqoes plus de bonnes
paroles que de concessions, affectât, aux yeux de
Rome, de réserver ses générosités pour Ie jour OÙ
un concordat serait conclo; et mên1e
Ianteoffel,
au printemps de 1.853, paraissait n1ettre au service
du Saint-Siège l'influence politique de Ja Prusse
sur les autres l
lals dB l'...\l1cnlagne. Tanl it HOll1C
L
L'ÉGLISE DE PRUSSE
271
qu'à Berlin, on n'avait qu'une inquiétude on
eedou tait que ces pourparlers ne fussent ébruités à
Vienne et que l'AuLriche, prévenue, ne troublât
les fiançailles entre Rome et Berlin.
Un an durant, ces fiançailles se prolongèrent :
Ie 30 mars 1.854, I{lindworth a va it deux heures
d'audience auprès de Pie IX : (( Le Pape et Anto-
nelli, écrivait-il it Manteuffel, veulent plus que
jamais que l'État et l'Égiise se prêtent un mutuel
appui. 1}) Tout Ie mois d'avril, I{lind worth négo-
I ciait avec Ie prélat Ferrari; Ie projet de concor-
I dat qu'ils élabora!ent de concert proclamait l'in-
dépendance de l'Eglise, déterminait Ie droit des
évêques en matière d' enseignement, et, pour la
collation des cures, garantissait à I'Égiise les dota-
tions déjà promises par la Prusse en i821, assu-
rait aux séminaristes Ia permission de faire leurs
études à Rome, meltait en vigueur, en ce qui regar-
dait Ies mariages mixtes, Ie bref de Pie VIII et
l'instruction du cardinal Albani 2, et stipulait que
Ie roi ferait part au Saint-Siège, pour les aplanir
à l'amiable, des contestations qui pourraient sur-
venir entre l'État et l'Église de Prusse. Un pro-
nlemoria supplémentaire stipulait que Ie Pape
continuerait de pourvoir à certaines dignités
ecclésiastiqucs conforn1ément à la bulle De salute
1. Ell novemLre 1853, Frédéric-Guillaume IV, présentant à Pie IX son neveu,
Ie fulur cmpereur Frédéric III, se plaignail dans sa leUrc, de certaines. accu-
sations fausses >> dont sa polilique religieus.e élait l'objel, promellait mème
d' . apporlertous ses soins au bien-être de l'Eglise >>, et ajoulait : CI. Le
Égliscs
et les rois ont aujourd'hui les mêmes ennemis à comballre " (Pocchinger.
Denkwuerdigkeiten des ...Jfinisterpre8idents
lanteuUcl, II, p. 389-391).
2. Voir uoLrc Lome n, p. 151.
G)-"
...d_
L'ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE
anÙnarUllZ, qu'il serail toujours disposé à rappeler
au clergé et aux fidèles leur devoir, qu'on veille-
rait à ce que l'ordre ne fût pas troublé par les
missions. Ce ]J'f'Olnelnoria enregistrait, enfin, Ie
doubJe désir du Saint-Siège d'avoir un vicaire à
Berlin et d'y installer un représentant.
Klind"\vorth expédia tous ces documenLs; il pré-
venait Manteuffel, aussi, que Pie IX n'aimait pas
les Jésuites, et que si Berlin voulait Jeur refermer
les frontières prussiennes, il suffirait d'y mettre
certaines formes pour que Rome n'y vît aucun
nlai l . Le prélat Hohenlohe, dans une letlre du
28 avril 1854, insistait auprès de l\lanteuffeJ pour
qu'un accord fûl rapidement conclu; n1ais, pour
des raisons inconnues, les causeries demcurèrent
en suspens et ne furent jamais reprises 2. Est-ce du
Vatican, est-ce de Berlin, que vint l'initiative du
silence? Le Vatican sut-iI, d'aventure, qu'à l'épo-
que même où ]a Prussc lui faisait ainsi des avanees,
Bisn1arck, au non1 de la Prusse, dissuadait Ie grand-
duc de Bade de s'entendre avec Rome pour une
pacification religieuse? Ou bien d'autres COllrants
prévaiurent-ils à Berlin?
Si la n1ission de J{lind,vorth doit être regardée,
à distance, comme une sorte de répéLition de la
comédie diplomatique que jouera plus lard Bis-
n1arck, chancelier de rEmpire, et par laquelle il
essaiera de susciter contre Ie Centre un blâme du
1. Poschinger, Deutsche Revue, seplembrc I!}07, p. 330.
. Tout cet épisode a élé révélé par Ies documents (ju'a publiés Po
citill
cr
clans la Deutsche RE'J.'I'/u' de jnin t!)06, p. 317-328.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
273
Pape, ou de donner le change à l'opinion sur
l' existence d 'un tel bJâme; si pent-être la Prusse
de
Ianteuffe] n'avait déployé tant de gracieux
manèges que pour obtenir du Saint-Siège une
parole ou un acte contre la fraction catholique,
elle dut se rendre compte, rapidement, que Rome
n' exaucerait pas eet espoir et ne condescendrait
pas à énerver les énergies eatholiques par des
mesures de défiance ou des con seils d' effacement.
IJ était heureux, d'ailleurs, que la fraction
catholique n'eût aucun soupçon de ces pourpar-
leI's; si eUe les avail connus, eUe aurait eu, peut-
être, je ne dis pas moins de courage, mais moins
d'aisance dans l'action. (( Nous ne désirons aucHP
oncordat, disait un jour Geissel. Nons sommes
maintenant plus libres qu'avec un concordat nous
ne Ie serions. Notre constitution est notre meilleur
bouclier i. )) Lorsque l'État prussien, inexpugnable
Bn ses lenteurs, eut oublié les engagements qu'il
avait pris à la Chambre, lorsqu'il eot laissé venir
l'année 1855 sans avoir sérieusement entrepris
l'étude des griefs catholiques, la fraction, toujours
libre de toute entrave, toujours supérieure à tout
découragement, et toujours tenace, enfin, à vou-
loir tirer parti de la constitution, se mit en
mesure, fidèle à son propre passé, de recommen-
cer l'assaut. Elle Ie recommençait, même, avec
d'autant plus d 'âpreté, que les indications don-
nées par la Chambre en faveur d'une poJitique de
t. Pfuclf, GeiS3el, II, p. 519-520.
111.
4.8
274
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
(( parité )) n'empêchaient pas les fonctionnail'es, er
Prusse orientale, en Posnanie, en SiJésie, de nlul.
tiplier les actes adnIinistratifs favorables au pro.
testantisme 1.
Otto, en février 1.855, reparla des revendica-
tions catholiques 2 : Ie nlinistère répondit, ou [
peu près, que tout était pour Ie micux; et quel-
ques membres catholiques des autres fraction
parlementaires, acquis naguèrc à la motion d'Otto.
se laissèrent facilement rassurer par l' optimismc
ministériel 3 . Otto, Ie vainqueur de 1.854, n'étai1
plus en 1.855 qu'un vaincu. La motion de son col-
lègue Eberhard, Ie futur évêque de Trèves -., eut plu
de chance: il s'agissait de faire reconnaître par lö
Chambre que, sur la rive gauche du Rhin, le
paroisses catholiques dont les biens, confisqués pa]
la Révolution française, avaient passé entre Je
mains de l'État prussien, n'étaient pas plus riche.
ment subventionnées par l'Étal que les paroisse
protestantes de la même région qui n'avaienl pa
été victimes des mêmes spoliations. Eberhard vou-
lait qu' en conséquence la Prusse accordât des sub-
sides, sur la rive gauche du Rhin, à soixante ef
1. Lettre de Foerster à Gcissel (if mars 1854), dans Pluclf , Geissel, 11, p. !15-
!t6.
!. Die Lage der Katholiken Ì1
Pl'eussen am Schlusse der III Legislatur-
Periode, p. 114-t16 (motion alto du HI Cévl'ier 1855). (Ducsseldorf, Engels.
1855) .
3. Die Lage der Katholiken in Preussen am Schlusse der III Legisla.tur-
Periode, p. 146 (séance du 30 mars 1855).
4. Sur Ie prédicateur el dépulé Mallhias Eberhard (1815-1876), évéque de
Trèves à parlir de 1867. et prisonnier so us Ie Cultw'kampf: voir les deux
monographies de Kraft (Trèves, jJllulil/1ls DI'uckerei. 1878) et dc Dilscheid
(Trèvos, Puuliuus lJruckerei, 1900).
, .
L EGLISE DE PRUSSE
275
une paroisses catholiques t. En 1854 et 1855, la
Chambre émit un vote en ce sens 2; mais Ie gouver-
nement, rélif à ce genre de dépenses, n'inscrivit
au budget que six paroisses catholiques nouvelles 8.
Deux ans après, Otto, du haut de la tribune, renou-
velait encore ses revendications contre les privi-
lèges pécuniaires accordés au culle évangélique,
lorsque, Ie 17 mars i 857, un coup d'apoplexie le
terrassa"; et ce fut une grande perte pour la frac-
tion que celle de cet excellent debater, mort à )a
tribune confesseur de la << parité )).
x
Le 8 novembre 1858, une allocution du prince
Guillaume:;, régent depuis un mois, désa voua for-
1. Le lelle de la mOlion Eberhard (16 avril 1854) esl puLlió daos Ie recueil :
Die Katholischen Interessen in den preussischen Kammern des Jahres 185S-
54, p. 227-233.
!. Die Katholischen Interessen, p. 231--250 (séance ùu 20 avril 1854 : Ja motion
Eberhard est votlie à une voi
de majorilé). - Die Lage der Katholiken, p. 95-
107 (séance du 30 mars 1855 : la motion Eberhard esl votée à viugt voix de
majorité).
3. Manleuffel, au débul de 1856, marquait au roi une certaine lassitude pour
celte poJilique religieuse qui, disait-il, acrrois!:>ail, toul à la fois, la puissance et Ie
méconlentemelll des ultramonlains (Denkwuerdigkeiten des Ministerpreside7l.ts
ilfanteuRel, Ill, p. 100-102).
4. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 131. - Pastor, Reicltensperger, I, p. 378.
5. Les catholiques avaient d'assez bonnes raisons de n'être point inquiets de
l'avènemeul du fulur empereur Guillaume lor (E. P. B., 1858, II, p, 5H). Le
nouveau prince régent avail assisté, sans aucune gène, au mariage catholique
de la princesse Stéphanie de Hohenzollern (Pfuelf, Geissel. II, p. 522). Un des
premiers actes de son gouvernement était la Dominatioll d'Auguste Reichells-
perger à Berlin, et c'esl en loule franchise que Geissel, ecrivant à Louis de
Bavière, se disait salisfail des disposilions de Guillaume (Pfuelf, Gei8sel, II,
p. 5
8). On savait, au surplus, la sympathie de la princesse Augusta pour les
cOllgl'égations catholiqucs (Pfuf'1f, Clm'a Fey, p. 271-276). Mais Ie dunier acto
personnel de Frédéric-Guillaurne IV avail élé de Dommer BWlsen baroD, et de
276
L 'AI..LE1\IAGNE RELIGIF.USF.
mellement les théories intolérantes qui représen-
taient l'État prussien comme évangélique en SOD
essence 1 : entre la conr de Berlin et Ie parti de la
Gazette de La Croix. la rupture était accomplie. Le
Preussisches JVochenblatt,journal de Hohenzollern,
président du conseil, qui était un catholique, pro-
fessait que la Prusse, au lieu de s'afficher comme
(( évangélique >>, devait mettre à sa base la parité
des confessions 2 : Ie lrône de Berlin cessait de
s'appuyer exclusivement sur rautel du Dieu de
LU,ther. On insinua, en haut lien, que l'existence
d'une (( fraction catholique >> dans Ie Parlement
devenait dès lors un anachronisme peu cOl'dial pour
les pouvoirs publics et risquait de troubler la paix
confessionnelle : puisque rÉtat cessait de s'éti-
queter protestant, pourquoi un groupe parlemen-
taire persistprait-il à s'étiqueter catholique 3 ? La
majorité des membres inclinait à chercher un autre
nom. Les '\1 estphaliens s'y opposaient. Mallinck-
rodt mil tout Ie monde d'accord en faisanl décider,
en janvier 1859, que la fraction s'appetlerait ()entre,
l'appeler à la Chambre des Seigneurs (Baronnede Bunsen, Christian Carl Josias
v. Bunsen, Ill, p. 507. Leipzig, Hrockhaus, t87l); etles calhuliques en demeu-
l'aienl très anxieux (Civiltà Cattolica, H..28 novembl'e 1857, p. 630, et 13-27
mars 1858, p. 119); car Ie personnage qu'hnnol'ail ainsi la couronne avait con-
sacré sa vie de diplomate à brouiller la Prusse avec Ie Saint-Siège et à fédérer
par-dessus les fronlières les Eglises évangéliques issues de la Réforme, queUe
que fÕL leur nalionalité, leur nuance eL leur foi. Rome, au XIX,) siècle, connut
peu d'adversaires aussi dangereux que lui.
1. Ernsl Ludwig v. Gerlach, Aufzeichnungen, II, p. 223-22i. II Il faut,
disait Ie prince Guillaume, que s'élaLIlsse entre les deux confessions la parité la
plus grande possible... Les droÏls de l'Eglise calboliq e sont conslitutionl1elle-
ment garantis: des empièlemenls sur Ct:'S dl'oils ne doivent point êtrc tolérés. .
- l:r. Reichensperger, Cor1'espondant, avril 1859, p.745-7.)O.
2. Peuelf, Mallinck)'odt, p. lò7 et suiT.
3. H. P. B., 1858. II, p. 94.i-94-!).
L 'ÉGLISE DE PRUSSE
277
t qu'on maintiendrail, à côlé de ce nom, la paren-
,hèse (( fraction catholique 1 )). Dans les statuts
lussiLôt élabo1'és, on eût vainement cherché quel-
lue clause excluant du nouveau Centre les députés
[lon catholiques ; et Auguste Reichensperger, à Ia
Chambre même, Ie 1.4 mai f86f, protestait contre
la pensée d'une telle exclusion 2. Ainsi Ie caractère
3onfessionnel de]a fraction avait désormais quelque
hose de moins rigide, de moins accusé; il y avait,
jans son objet, je ne sais quoi de moins exclusif;
elle déclarait dans ses affiches électorales que Ia
Prusse (( avait la haute et difficile mission de récon-
cilier les oppositions confessionnelles qui, par la
permission de Dieu, séparaient en deux moitiés Ie
I peuple prussien 3 )); et si les queslions religieuses,
à la raveur de la (( parilé)) pron1ise par Ie nouveau
régent, passaient efIecti ven1ent à l'arl'ière-pIan,
l'heure approchait OÙ la fracLÎon devrait élaborer
un progl'amme politique et prendre position à
l'endl'oit de tous les problèmes nationaux qui com-
n1ençaient d' émou voir 1 'Allen1agne.
A1ais tout de suite une question se posa : en fait,
la répudiation de J'idée d'un Étal évangélique était-
elle une victoil'e pour les catholiques? N'en était-ce
1. Pluelf, Mallinckrodl, p. 168. - Pastor, ReicÞensperge,', I, p. 391-39
.-
<< Nolre parli, écrivait Reichensperger à Sleinle Ie 9 févriCl' 1859, malgré son
challgement de nom, peut-êll'e même. en quelque mesure, à cause de ce chan-
gemenl, est plus un que jamais. >> {Steinle, Brie(wech8el, II, p. 317.}
. Pas lor, Reichensperger, I, p. no.
3. Pastor, Reichensperger, I. p. 389. - La Civiltd Catlolica, U-26 mars 1859,
p. 123-1!4, e1t.:pliquait que Ie plu'J grand nombre des calholiques regl'ettaient Ie
ehangement de nom de la fraction, mai
elle en expliquait en mème temps lcs
honnes l'aisons.
278
L'ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE
pas une, plutôt, pour certains (( libéraux )) vol on-
tiers hostiles à tonte action de l'idée rcligieuse
dans fa vie sociale? En rompant avec Ie parti de
la Gazette de la Croix, à qui souriail rÉtat et pour
qui travaillait-il ? Pour ceux qui voulaient assurer
au (( papisme )) nne part d'influence, ou bien pour
ceux qui rêvaient d'une sorte d'alhéisme d'État r.?
Le nombre de ceux-ci s'accroissait parmi les
libéraux; Reichensperger Ie senlait, iI Ie nolait. II
s'était un instant JIatté, en 1.855, que (( le contraste
abrupt entre les ultramontains et les libéraux de
toute confession avail pour ainsi dire disparu 1 ));
en 1858 encore, son illusion durait 2 ; mais, dès lR59,
il prévoyail qu'une lutte se préparail entre la foi
ct l'incroyance 8 . II élait encore vice-président de la
Chambrr nouvelle; certaines malveillances pour-
fant s'étaient fait jour, qui avaient diminué 1'éclat
de sa victoire*, et qui annonçaient ]e lointain début
d'une campagne antireligieuse. La Chambre pré-
cédente, où les piétistps régnaient, avaH refusé,
nlalgré Reichensperger, d'accorder aux sectes dis-
sidenles les libertés légales auxquelles elIes avaient
droit. On mit d'autant plus de hâte, en 1859, à les
gratifier de ces Jibertés s, et ron refusa d'acceptpr
1. Pastor, Reichensperger, I, p. 368.
2. COl'respondant, février 1858, p. 348.
3. Pastor, Reichen8perge1', I, p. 393. - l'tlallinckrodt.lui, écrivail à HuC'ffer,
dè! Ie 18 novembre 1858 : << L'opposilion entre calholiques et libéraux mûrira même
aTec Ie temps. A présent, nos gens ne s'en rendent pas compte encore, >>
(PCuelf, Mallinckroút, p. 165.)
i. Paslor, Reicltensperge1', I, p. 393 et 449. Pour l'éleclioll à la vice-prési-
dl'nce, il cut moins de voix au vole d
finitir quïl n'en avait cu au vole provi-
soirc.
5. Kampe, Ge8c1tichte clu Deutschkatholicismu8 unci (l'eiell Prútestar,tis-
, .
L EGLISE DE PRUSSE
219
III anlcndemenl de Reichel1sperger, qui cxigeait"
tour les en faire profiter, qu'elles fussent véritable-
nent des sociétés religieuses, c'est-à-dire qu'elles
H'ofessassent, au moins, la croyance en Dieu t. Le
,ymptômr ét.ait significatif : la Chambre de 1.859
nettait sur Ie mênle rang que les Églises les grou-
)ements anlichrétiens se couvrant d\lne vague
tiquette religieuse. (( J(1 crains que notre libéra-
isme national, écrivait Reichensperger peu de
temps auparavant, sitôt parvenu derechef à lïn-
fluence politiquc, nc prenne plus on moins comnle
modèle Ie libéral isme beIge 2. ))
La fermentation des passions anticléricales jus-
lifiait ce pronostic. Les catholiqucs redoutaient
Bethmann-Holl\veg, minislre des Cultes, soup-
çonné de fanatisme protestant; i1s redoutaient
Flottwell, Ie ministre de I'Intérieur, qui, jadis, au
Parlement de Francfort, avait fait campagne contre
le célibat des prêtres 3; et la présence, à 13. tête du
ministère, du catholique Antoine de Hohenzollern
ne suffisait pas à les rassurer. (( S'il ne s'agit pas
mU.
in Deutschland unci Nordamerik(L von 1848-1858, p. 359-366 (Leipzig,
Wagner, :1860). - Joerg, Die neue Aem in PreU,'1Se17 , p. 64--90 {Rat.ishonne,
:\lanz, 1860}.
:I. Rcichensperger, C01'respomJant, avril I
J9, p. 4'
(j. - Pastor, Reichen.!-
pe1'ger, I, p. 393. C'cst que, pour les memLres de la fraction catholique, une
religion sans confession n'él.ait pas une religion. (Cf. dans Pfuelf, Mallinckrodt.
p. 155, Ie discol1rs prononc
par Mallinckrodt dans la discussion sur la s
para-
lion confessionneUe des prisons.)
2. Pas lor, Reichenspe1'ger, I, p. 389,
3. Snr la religiosité de Maurice-Augusle Belhmann-HoHweg (1795-1877). ami et
collaboratp.ur du philanthrope Wicheru. voir Wiese, Lebenserinnerungen, I,
p. 228, et cf. Wacb, Allgemeine deutsche Biographie, XII, p. 762-773. - Sur
l'aUiLude de Floltwcll à FrancCort, voir Erdinger, Fessler. p. 41, n. 2. (Brixen,
Wf'g'cr, J8ii-). (( Si la molion conlrc Ie cNibal lriomph(', disail-iJ, c'('n Sf'ra fait
ùc rEgli!;'e catholifJl1f'.
280
L' ALLE1\IAGNE RELIGIEUSE
d'une simple amorce pour leu[
l'er les catholiques,
écrivait Ket.teler, la situation du prince de IIohen-
zoUern me paraît inexplicable. Je crains qu'à ceUe
amorce beaucoup de poissons ne mordent; iis
seront amèrement déçus 1. >> l\1ais certaines rumeul'S
hostiles, certains cris de proscription contre les
J ésuites 2, tenaient les catholiques en haleine et
en défiance; ils sentaient sourdre et gl'ossir un
courant de fanatisme antireligieux. Plus se mul-
tipliaient, à Rome, les désastres politiques du
Saint-Siège, plus augmentait à Berlin, dans la
majorité parlementaire, la crainte de l' ({ ultra-
montanisme 3 >). (( L'aveuglement de nos lihéraux
confine à l'incroyable, disait encore Reichens-
perger en mai 1.860 : avant tout, iis ne renlarquent
pas que leur jeu ne peut que profiter à la déma-
gogie et au despotisme. La haine contre tout
e qui
est autorité, tradition, avant tout contl'e l'Egli::;e,
me paraît la raison principale de cet aveuglement:.. >)
Les deux volumes du baron de Bunsen;) sur les
Signes des tenlpS étaient
depuis 1.855, Ie hréviaire
du libéralisme anticlérical. (( 'T ous comhattez ]e
bon combat contre Ie vieil Antechrist de Rome)),
lui écrivait Ernest-l\laurice Arndt; et l'imagina-
tion du vieux poète national, s' exaltant une der-
t. Poschinger, LJenkwuerdigkeiten des .Ministerpresidents Otto von Man-
teu/tel, Ill, p, 345-346.
2. Paslor, ReichenspCTfjer, I, p. 412-413.
. Pa:.lor, Reichell8pergu, I, p. 41.2 : . Malgré lous Ies coups qui frappeut Ie
Pape, la crainle de l'ultramonlanisme augmente pIulôt. "
.... Pastor, Reichensperger I, p. 409.
5. Sur Ie passé deßun
cn(t791-1860), voirci-dessus, p. 276, n. 4
el II, p. j3!.136.
L'ÊGLISE DE PRUSSE
28i
nière fois pour ceUe guerre nouvelle, s' essayait à
soulever contre (( l'invincible monslre )), pour
l'abattl'e à coups redoublés, (( la septentrionale
massue du dieu Thor 1 )). Bunsen d'ailleurs étail
sévère pour toute orthodoxie religieuse: le rigo-
l
isme protestanl des Stahl ou des Hengstenberg
Iui déplaisait au même titre que Ie papisnle 2; mais
Ie (( péril jésuitique et papiste )), plus immédiat,
plus grave, soulevait surtout ses anxiétés. Les pro-
testants qui se faisaient les complices d'une telle
menace lui paraissaient doublement dignes d'aver-
sion ou de pitié \ et c' est vel'S l'aversion qu'inclinait
son premier mouvement. Deux phénomènes s'of-
fraient à son regard, qui l'épouvantaient : l'épa-
nouissement des associations catholiques, et l'af-
fermissement de la hiérarchie catholique 4. II
lui semblait que les peuples ripostaienl, par leur
élan toujours plus fort vel'S la liberté des cons-
ciences 5, et par leur désir de fonder certains
édifices de (( communautés chrétiennes )), dont
(( les pierres seraient les libres consciences des
individus croyants )); mais il n'était pas sûr que
Rome ne parvînt pas à briser eel élan. II remontait
bien haut dans l'histoire el dénonçait en saint
Boniface, messager d'ultramontanisme, un homme
1. Baronne de Bunsen, Christian Carl JOSlaS v. Bunsen, HI, p. 426 (Leipzig.
Brockhaus, 1871).
2. BUllsen, Die Zeichen der Zeit, [1, p. 73, 8
, 85,103, 109, la9, !
3 (Leip-
zig, Brockhaus, 1855).
3. BUDsen, Ope cit., II, p. 276-278.
4. Bunsen, Ope cit., I, p. 24.
ti. Bunsen, Ope cit., 1, p. 35, el II, p. 25.
282
L' ALLEJ\IAGNE RELIGIEUSE
néfaste à la Germanie 1. Les Inissions, aussi, fai-
saient peur à Bunsen: un correspondant les lui avait
signalées comme pel>tubalrices pour Ie pays. Ce
corrcspondant n'était autre que Ie vieu"\: \Vessen-
berg, morlifié dans son impuissante solitude par
Ie souvenir dp ses rêvcs avorlés 2.
L'acti vité scolairc de rÉgJise élait clle-même
critiquéc; ll'école primaire cxistante, solidement
attachée à l'une des deux Églises rcconnues,
commençait d'apparaître comn1e un cadre trop
étroit, qu'un jour on l'autre il faudrait démolir.
Le pédagogue Diester,veg 3, qui s'était fait con-
naître depuis six ans comme l'adversaire acharné
ùe l'école confcssionnelJc, siégeait dans la Cham-
bre nouvelle comme représentant de Berlin; il
cspérait enfin pouvoir développer avec succès la
conception laïque de l'école, que depuis près de
quarante ans il avait mÚrie, tantôt dans les sémi-
naires d Ïnstitutrurs auxquels il présidait, tantôt
dans les journaux pédagogiques auxquels iJ colla-
boraH. Beaucoup d'instituteurs l'aimaient : il les
traitait en apôtres, non en saIariés, et cela les tou-
chait
. II tenait à les émanciper de l'influence du
L Bunsen. Ope cit., I, p. 84-,
16 el23::!.
2. Brueck, Geschichte, I, p. 153, n. 2. cr. Baronne de Bunsen, op. cit., III,
p. i2.9. - Voir, slIr Wessenberg, notre tome 1, p. 119 et 5uiv.
a. Sur FrMél'ic Diesterweg (1790-1866), directeur de l'école lIormalc de
leur8
en 1820, roudateur dC's Rheinische Blaetter en 1827, direcleur de l'école normale
de Berlin en 1832, mis en diRponibilité en J 847, et connu surtout, dcpuis lors, par
ses trois brochures de 1855 contre les Regulative de Raumer, voir E. V. Sall-
wuerk, Adolf Ðiesterweg, Darstellung seines Lebens und seiner Lehre und
Auswahl aus seinen SclLriften (Langensalza, Beyer, 1899-1900). Dl>s 184
, il
n ait.:étf' altaqué pour irréligion par Ie pasteur Pi<'ppr (Sal1wuerk, I, p. 66-67).
4. Kellnpr, Lpbp1ìsblaettrr, p. !7G.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
283
prêtre, 10l'S nlênle que Ie prêtre avait nne compé-
tence pédagogique 1. L'idée d' autorité reI igieuse
étaÏt pour lui l'ennemie, et Diesterweg entendait
par Ià l'autorité du dogme, aussi bien que celle
du ministre du culte. Des dognles dans Ie cerveau
de renfant lui senlblaient aussi encombrants que
(( des pierres dans son estomac >>. Du moment
qu'à ses yeux Ia vie religieuse reposai t, non sur
un dogme ecclésiastique, mais sur Ie fond de l'âme
humaine; du moment que Ie but de l'éco]e était
de former rhomme dans l'homme, et non Ie
membre d'one Église 00 d'un parti, de développer
la conlmunion générale entre tous les hommes,
et non la communion spéciale entre quelques-ulls;
Diester\veg concluait que les chefs des Églises
diverses ne pouvaient ni ne devaient exercer sur
récole aucune espèce d'autorité 2. La religion
dont il rêvait (Natu7 0 und F'el
n1lnft Religion) était
nne sorte d'humanitarisme supraconfessionnel,
(( qui fortifierait la confiance de l'homme dans la
nature et qui créerait l'union entre Ips citoyens 3, >)
isolés et séparés les uns des autres par les barrières
confessionneHes. Cettr religion demeurât-elle un
inconnu, on aurait toujours, en se mettant à sa
recherche, la douce sensation d 'un voyage en
pleine mer". Diester\veg détestait le régime sco-
t. Sallwucrk, Ope cit., II, p. 53, n. 1. - Dieslcl'weg, æUL'rcs clwisies, trade
Goy, p. 118-119. (Paris, Ilachellc. 1884-.)
!. Diesterwcg, op. cit., p. 109.
3. Sallwuerk, op. cit., I, p. GO-fit, elll, p. 186 el sniv.
4. Rendu, op. cit., p. 34-35.
284
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
laire que Ie m inistre Raumer avai t fait prévaloir ;
il reprochait aux Regulative, dans Ie rapport par-
lementaire que tout de suite il avait rédigé contre
eux, de porler préj udice à l'inlelligence enfantine
en la sUJ'chargeant de notions religieuses aux-
queUes toutes les aulres connaissances étaient
sacrifiées t . Avec Dieslerweg pénétrait dans la
Chambre prussienne l'esprit de lulte contre l'école
confessionnelle et Ie rêve tenace d'un système
scolaire qui installel'ait à l'écart, ou p]utôt à l'en-
contre de la religion révélée, une (( éco]e nationale
allenlande )), semence de la (( patrie allemande
)).
On s'explique dès lors qu'au coul's de l'année
1860, les catholiques de la Chambre prussienne,
sans d'ailleurs nouer formellement alliance avec
Ie parli conservateur, répulassent rOITlpUS ces liens
de cordialité qu'ils avaient, dans les années pré-
cédentes, enlreLenus avec la fraction (( libérale )),
à laquelle Ie COfilte Schwerin présidait 3 . Schwerin.
d'ailleurs était, dans son pl"opre parti, singulière-
ment dépassé ; Ie chef de la veille devenait une
t. Le rapport est publié dans Sallwuerk, op. cit., II, p. 303-321. - cr. StoI-
zenburg,op. cit., p. 42-44-. - Stiehl, Aktenstuecke zur Geschichte un,] zum
rerstaenonis8 de?' drei preu8sischen Regulative, p. 8-45 (Berlin, Hertz, 1855).
donne l'hislorique des premières pétilions faites dès 1855 conlre Jes Regu.lative.
2. Sallwuerk, Ope cit., I, p. 63-64.
3. La non-réélection de Reichensperger comme présidenl en janvier 1860 Cut
Ie signal de ceUe évolulion. (( Naturellement, écrivail-iJ, nOlls nous gal'derons de
conclure avec Ie parti de la Croix une alliance; mais DOUS o'avous plus d'
gards
à conserver envers les libéraux. . (Pastor, Reichensperger, I, p. 4u!.)
4. Sur Ie comte Sclnnriu \1. S30-í--18i2), voir Granier, Allgemeine Deutsche
Biographie, XXXllI, p. 429-435. Dans lc manifeslc élecloral de 1861, Ie centre
prussien iodiqua lrès nellemcnt sur quels points il se rapprochail, 80il des con-
scrvaleurs, !toit des Iibéraux (Salomon, Die deut$clLen Parteiproyramme, I,
p. 5!-53).
I.' .
GLI5E D
PRUSS"
285
personnalité d'arrière-garde ; et, SOllS la bannière
anticléricale, Ie libéralisme tournait au radicalisme.
Geissel, son collègue Foerster, prince-évpque qe
Breslan
se confiaient les plus sombres pressen-
timents : (( Dans Ia prochaine Chambre, écri vait
Geissel Ie 20 août 1860, on voudra" par des ]ois
nouvelles, ramener la liberté des catholiques à ce
qu'elle étaÌt avant mars 1848. La revue PJ'otestan-
tische BlaP-tter, de Gelzer, dont Ie ministre des
CuiLes passe pour Ie premier collaborateur, a déjà
tracé l' ordre de bataille pour la campagne parle-
mentaire contre l'Église, et quelques bureaucrates,
sur Ie Rhin, prenant les devants, ont déjà pris des
mesures incroyables d'absul'diLé 1. ))
La façon courtoise et cordiale dont, au château
de Koenigsbel'g, en octobre 1861., l'épjscopat catho-
lique fut associé aux fêtes du couronnement du roi
Guillaume, était assurément un fait tout nouveau
dans l'hisLoire des Hohenzollern : pour )a première
fois en Prusse, des représentants de l'Église romaine
prenaient part à des solennités dynasliques 2. Le
cardinal Geissel était solennellement décoré de
l'Aigie Noir; et Ie protocole Ie dispensait de toute
forme de serment dont ses susceptibilités catho-
1. Pfue1f, Geissel, 11, p. 535-536. - C'esl du fail de la bureaucratie, aussi,
que les catholiques, enLre 1859 et 1864, étaicnt de plus en plus lcsés en ce qui
regardait l'élablissemenL de gymnases confcssionnels (voir les statistiques
données par Hammerslein, Das preussische Schulrnonop(jl, p. 147 lFribourg,
Herder, 1895), et dans H. P. B., 1896, II, p. 10
-112.
!. PfuelC, Geissel, II, p, 544 et suiv. - C'était d'ail1eurs un catholique,
Slillfried (IB04-188
J' auteur d'un grand ouvrage sur les Hohenzollern, qui
avait org'anisé tout Ie c
rémonial; cf. Gruenhagen, Allgemeine deut8che Biogra-
phie, XXXVI, p.
4,6-24,7.
286
L'ALLEMAGNE RELIGIEUSE
liques eussent pu s'inquiéter. l\lais était-ce, pour
l'Église, la promesse de jours heurcux, on bien,
au contraire, la sanction naturellc de treize ans
de paix destinés peut-être à n'avoir point de len-
demain? 11 semble que les pompes de I{oenigsbel'g
ne laissèrent à Geissel aucune impression de gri-
serie et que, bien plutôt, il en revint pessimiste :
iI rapporta chez lui, au témoignage ùe son coad-
juteur, (( Ie sentiment obseul' des jours troubles
et périlJeux qui se préparaient pour l'Église t )),
et, dans ses propos confidentiels, ce sentiment
s' épanchait sans relâehe.
Les élections de novembre 1861 à la Chambre
prussienne annihilèrent, ou peu s'en fallaH, la
vieille droite évangélique. Libéraux et progres-
sistes formèrent les deux tiers de la Chambre : Ie
Centre, avec 55 voix, leur tenait tête 2. Au renou-
veHement de mars 1862, amené par la dissolution,
le Centre n'avait plus que 27 membres 3 . Le conflit
politique entre la Charnbre et Ie cabinet au sujet
des dépenses militaires absorhai ties pl'éoeeupations
des électeurs. Quelque impérieuses que fussent
les aspirations anticléricales de beaucoup de pro-
gressistes, c'est sur des questions purement poli-
1. Pfuelf, Geissel, II, p. 550; comparer l'impression de Foerster, évèque de
Breslau, p. 536. Cependant les JésuÍles ouvraient à Maria Laach, en 1863, une
grande maison d'études, ce qui semblait signifier quelque confiallce dans l'avenir.
2. PfuelC, ..Vallinck1'odt, p. 200 : la Chambre de 1861 n'avait plus que 15 con-
servateurs féodaux.
3. Pfuelf, MallinckJ'odt, p. !03 : la Chambre de t86
comprenail13!î progres-
sistes avancés, 96 progressistes plus modérés, 35 sauvages, 27 membres dll Centre,
et seulemelll 10 conseryateurs féodaux. C'élait un effondremenl, non seulemeul
pour Ie conservalisme, mais pour lcs pâles libéraux qui n'accOl'dait'uL :1 la révo-
lution que de lointaines coquelteries (Pastor, Ileicheuspe1'ger, I, p. 440).
L' ÉGLISE DE PRUSSE
287
tiques qu'on votait; et, parmi ces nouvelles cir-
constances, il semblait à l\iallinckrodt que Ie
Centre fÎlt desservi palo cette parenthèse : (( fraction
catholique )), qui demellraÍt aUachée à son nom.
II demanda qu'clle disparflt. Des oppositions s'éle-
vèrent parmi ses coIlègues; eUes désarmèrent, à
la condition que la fraction rédigerait un pro-
gramme 1.
Iallinckrodt et Auguste Reichensperger
se mirent au travail. Lorsqu'ils Ie présentèrent,
les conflits éclatèrent de nouveau; certains membres
de la fraction voulaient que, par une phrase for-
melle, Ie Centre fût fermé aux non-catholiques.
Cet ostracisme trouva onze partisans; seize voix
Ie répudièrent; mais quelques-uns des vaincus
firent mine de démissionner 2. Pour sauver l'inté-
grité du groupe., on mit Ie programme dans un
tiroir, et I 'on se constitua en (( société parlemen-
taire )) avec un bureau. C'était un expédient pro-
visoire, non une solution. Le Centre n'était plus
un parti proprement religieux et n'était pas encore
un parti proprement politique. Ce qui lui faisait dé-
faut, ce qui oscillaiten Iui. c'était ce que l'Allemand
nomme volontiers la (( conscience de soi-même ))
(Seblstbewllsstsein). Dans Ia complexité de la crise,
il s'auscultait, étudiait ses sentiments à l'endroit
du libéralisme et du radicalisme, ses sentiments à
l' endroit de la bureaucratie gouvernementale.
t. Pfuelf, Mallinckrodt, p. 204. - Pastor, Reichensperger, I, p. 442--1-43.
Le Comité directeur des progressistes avail décidé de n'admeltre dans aucune
commission Mallinckrodl et les deux Reichensperger tant qu'ils appartiendraient.
à la fra("lion calholique.
. Pfuclf', Jfallinckrodt, p. ::!O4-.
!!88
L' ALLEI\IAGNE RELIGIF.:USE
Le gouvernement prussien déplaisait aux
membres du Centre par ses procédés adminis-
tratifs 1, par son déploiement de mili tarisme, par
son hostilité notoire on soupçonnée contre l' Au-
triche et contre la Diète ; et Bismarck, à cette date,
apparaissait à Reichensperger comme un aventu-
riel' 2. Loin de vouloir que les calholiques se lais-
sassent enrôler sans réserve au service d 'un tel
cabinet, Reichensperger souhaitait, tout au con-
traire, que Ie catholicisme empêchât la Prusse de
descendre au niveau des États de fonctionnaires,
et que Ie protestanlisme, un jour, sût gré à l'Église
romaine d'avoir rendu ce service au peuple prus-
sien 3. l\Iais Ie radicalisme rebutait plus profon-
dément encore les membres du Centre, par ses
doctrines politiques et ses aspirations antireJi-
gieuses, par ses sympathies pour Ie Piémont et sa
haine contre Pie IX f.. (( S'il ne s'agissait pas,
écrivait GeisseI, des plus hauts intérêts de l'Église
et de l'Élat, nous pourrions mettre les mains dans
nos poches et crier au gouvernement : Habeatis
vohis! Mais les rouges nous fouetteraient avec
des scorpions; iis nous couperaient à tous Ie cou;
c' est. pourquoi nons avons Ie devoir de leur faire
. face, même si cela, indirectement, fait du bien
aux bureaucrates, dont Ie gouvernement, il est
vrai, est toul prêt d'être intolérable Ð. ))
1. PCuelC, Geissel. H, p. 556 (lettra de Geissel à Reisach, 6 mai 186!).
!. Pastor, Reichensperger, I, p. 465.
3. Pastor, Reichensperger, I, p. 370.
4. PCuelC, Geissel, 11, p. 557.
5. Slamm, Au.! der Briefmappe des Bisclwfs Conrad Martin, p. 161 (letlre
L'ÉGLISE DE PRUSSE
289
Entre ces deux ennemis (( intolérables )) qui se
combattaient entre eux, !e Centre ne savait queUe
conduite tenir. La (( fraction catholique )), dont
Ie Centre était sorti, s' était formée à une époque
où l'assimilation des pays rhénans et westpha-
liens au royaume de Prusse était encore très
incomplète. En dix ans, cette assimilation s'était
pen à peu achevée 1; et les députés de ces pays
dcvaient désormais, à la Chambl'e, avoir non seu-
Iement une attitude religieuse, mais un Credo
politique déterminé, et non plus seulement ébau-
cher avec les divers partis certaines combinaisons
propices aux intérêts religieux, mais en visager
directement, face à face, les intérêts politiques du
royaume, et se comporter en parti politique. Le
moment où cette nécessité s'imposait était un
moment de crise où toute décision devenait par-
.iculièrement difficile.
I Aussi, dès 1862, un cert.ain nombre de membres
I Iu Centre songeaient à une abstention passive 2.
leichensperger, rebelle à l'idée d' effacement (Nicht-
'un), les conjurait de rester en ligne, et puis il
;'apercevait, en 1863, que, dans Ie duel entre la
hambre et Ie ministère, Ie Centre jouait un rôle
e GeieseI, du 19 avril iR62). - Ernest Louis de Gerlach pcnsait de même
>rsqu'il notait Ie 17 mai 1862 : (( C'est aux cathoJiques romains qu'incombe
lain tenant la défense de la cause conservatrice. >> (Aufzeichnungen, II,
. 246.)
1. Voir à cet égal'ù une page très originale de Marlin Spahn, Ðas deutsche
'entl'um, p. i3-15. (l\Iayence, Kirchheim, 1906.)
. Paslor, Reichensperge1', T, p. 438-439. - Dès 1861, Reichensperger cons-
Llail que tout Ie poids de la fraction calholique retombait sur lui. (Pastor, Rei-
'tensperger, I; p. 424.)
III.
19
290
,-' ALLEMAGNE RRLIGIEUSE
assez ingrat 1 : (( Nous sommes pour ainsi dire les
seuls soutiens du gouvel'nement dans la Chambre,
écrivait-il. Sans nul doute Ia cause catholique en
est nlal récompensée. Mais les autres partis sont
encore plus dangereux pour le droit et pour la.
liberté 2. >> II s 'agissait bien, à cette date, de droit
et de liberté ! Bismarck nlachinait alors l'histoire,
et seuIe, la force avait un langage : un coup de
force contre la Chambrp, un coup de force contre
l' Autriche, allaient changer la face de la Prusse,
de l'Allemagne, de l'Europe. Qu'inlportait dès 101's
que dans la Chambre prussienne qu'amenèrent les
élections de 1863, Chambre tumultueuse et mépri-
sée, insolenle et débile, Ie Centre fût réduit à
presque rien, et que l\lallinckrodt en fût exclu lui-
Inême par une retraite provisoire 3? Plusieurs
annécs durant, dans la Prusse de Bismarck, la
parole ne serait plus aux partis, et l'instant OÙ Ie
pariementarisme allait devenir un leurre était
celui OÙ le Centre s'évanouissait.
1. Sur les effo-rls du Cenlre en 1862 et 1863 pour éviler tout conflit avec 1'1.
couronne au sujet des d
penscs mililaires, tout en maintenant les droits du
Parlement, voir Pastor, Reichensperger, I, p. 454-456; - Pluelf, Mallinckrodt,
p. 209-
!). Mallinckrodt sc distinguait de ses collègues: plus preoccupé du
preslige de l'autorilé monarchique que de la Couslilution violée, iI u'aimail pas
qu'on chicanât Je ministère au nom des prérogatives consLilutionnelles du Pal'-
lcrnent, et qu'on rislfuàt ainsi de faire Ie jeu des gauches avancées.
. Pastor, Reichenspe1'ger, I, p. 463. - Dès 1861, il nolail certains << coups de
pied>> anticléricaux du gouvernernent, et sc pJaignail que Berlin se servit du Centre
comme d'unc doublure, sans lui dOJlner aucun avantage (Pastor, Ope cit., I,
p. 4
-i-426). - l\Iais d'autre part: (( Je ne puis m'idelltifier a"ec nolre po.rli du
Fortschritt, disail-il en 1863. En une question capitale, Ie droit formel est
de son côté. mais je suis pleinement convaincu que lorsqu'il lutte contre Ie gOll-
verne me nt, ce n'est pas pour Ie droit et pour la vérité, quïl est en son e"sencc
beaucoup plus absolutisle et plus violent que Ie gouvernement de Bismarck,
quelque antipalhie que j'aie pour ce minislre .) (pastor, Rciche1/sperger, I p. 467).
3. Pfuelf, .JoJIaliinckrodt, p. 234-23J.
L 'ÉGLISF. DE PRUSSE
291
XI
CeUe période d'éclipse fut heureuse pour Ie
entre. Dans Ie domaine de l'action, il n'y avait
)our lui rien à faire, momentanément, entre Ie
'adicalisme révolutionnaire et l'absolulisme his-
narckifn. On étaÏt à rune de ces heures où les
ÞartÜ
qui veulent être assurés du lendenlain
oivent consacrer à un travail de pensée, à une
'iffusion dïdées, toule leur force vitale, s'exiler
_es turbulences momentanément stériles de l'ac-
ion, profiter de leur retraHe pour une sorte
, exam en de conscience, et conclul'e cet examen
ar des déclarations de principes, deslinées à faire
Jnnaîlre ce qu'ils veulent, ce qu'ils peu vent, ce
u'iJs sont. Le succès qu'obtint, en 1862 et i863,
n peti t livre d' Auguste Reichensperger, montrc
ne les catholiques comprenaient cette nécessité.
Ce petit livre s'intitulait : (( Ph1'a.ses et lOl'rnules,
vret utile et indisppnsahle POU1' les lectC'lll'S de
JurnauJ'1 )).
Reichensperger passait en revue tous les termes
Lystérieux et fascinants, qui, dans les colonncs
:} la prpsse incroyante, semblaient braver l' esprit
1. Phmsen und Schlagwoerte?'. Ein unentbehrliches Noth und Hil!sbüchleÙ&
r Zeitungsleser. (Paderborn, Schoeningh, 186
.) Ce petit livre fut traduit en
mçais en 1873 par Ie Dr de
oue sous Ie titre: Les Rengaines ou piperies du
zgage, petit aide-mémoÜ'e d l'usage des lecteurs de journauæ. (Liège,
andmont.) Cf. Pastor, Reichensperger, I, p. 431-437, et H. P. B., 1863, II,
654-660.
292
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
catholique; il expliquait, avec une amusante iro
nie, la piperie de ces grands mots. Le jeune histo
rien Janssen Ie félicitait d'avoil' ainsi démasqué Ie
faux libéralisme moderne, d' avoir écarté les dra
peries dont ce faux libéralisme s' enveloppait. Ct
petit lexique du verbiage parlemenLaire devenai
un cours de saine politique; Reichenspcrger dres
sait les calholiques à passer outre au mirage de
mots, à regarder les idées. Car ridéal de ce lutteuJ
n'était point un ordre social dans lequel tous Ie:
votes catholiques, patriarcalement dictés par Ie:
hautes influences locales, seraient servile men
embrigadés au service de 1 'Église : Reichensper.
gel' voulait éveiJler et former l'intelligence poli
tique des masses catholiques; et la victoire
ensuite, viendrait, par l'élan spontané d'un peuplc
politiqupment instruit. Reichensperger prétendai
toujours rester un honlme de pensée libre ((rei
sinnig), mais non point un libéral, puisque désor
mais les libéraux, sous le nom de (( libre recher
che )>, d' (( humanité >>, de (( Iibre science )), d,
<( progrès )), de (( culture )>, et même de (( Iiberté ))
adoraicnt des idoles que Reichensperger jugeai
très vilaines.
II était fOl't utile que ces distinctions fussen
faites, et que l'Église, en combattant les libérau:
de 1860, ne perdît pas auprès du peuple les sym
pathies qu'elle s'était acquises, en souriant, jadis
avec un mélange de génrrosité et de gratitude,
certaines idées libéra]es de 1.848.
T..'ÉGLISE DE PRUSSE
293
(( Le Iibéralislue de 1.848, dira plus tard Ketteler, était
Ine déclaration de guerre au vieux despotisme né du
Vle siècle et répandu sur toute l'Europe. II combattait loyale-
nent pour la Iiberté de tous. II n 'avait, il est vrai, qu'une idée
mparfaite de Ia vraie liberté. La liberté est quelque chose
Le mystérieux, sous un certain rapport. Pour en bienjuger
a nature inLime, pour reconnaître en elle Ie bien moral
lui attire mystérieusement l'åme humaine, il faut l'envisa-
er dans ses relations les plus diverses, surtout dans ses
'elations avec Dieu. Les libéraux d-autrefois ne voyaient
lu'un còté des choses. Comme les libéraux français quïls
)renaient pour maîtres et pour modèles, ils faisaient con-
ister la liberté dans la possession de quelques droits poli-
iques. Ce n'était là qu'un misérable lambeau de liberté.
lais ils étaient honnêtes et accordaient aux autres ce qu'ils
'éclamaient pour eux-mêmes... Le libéralisme en 1848.
LUssi, n'était pas lié aux h01l1n1es d'argent, comme Ie furent
es libéraux ultérieurs, dont l'activité pourrait se résumer
jnsi : Règne de l'argent, esclavage de rÉglise. Au contra ire ,
e jeune libéralisme de -1848 avait l'honnêteté de reconnaître
a liberté de I'Église 1. ))
C'cst dans un discours de l'année 1871 que nous
rouvons, SOllS la plume de Ketteler, ce parallèle
:ntre deux libéralismes.
Iais déjà, en 1862, au
noment mème oÙ Auguste Reichensperger pu-
tliait son piquant opuscule, Ketteler, du fond de
on évêché de
Iayence, adl'essait aux catholiques,
ous le titre : LibeJ
té, autorité, Église, un livre
loctrinal dans lequel il étudiaÏt la position de la
lensée chrélienne en face des divers sens du mot
liberlé )). Ce livre expliquait l'accueil qu'avait
ail I'ÉgIise aux loyales cordialités des hommes
1. Kellelel', Liberalismus, SocialismU8 u/Ul Clu'islellthu1lt, p. i-I! (Mayellco.
irchheim, 1871). - Le Culturkampf ou la lutte religieuse en Allemagne, pal'
gr von Ketteler, traduil de l'allemand par M. l'abbé X..., p, 1-9 (Pari!, Hatou,
7ä).
294
, .
L ALLEMAGNE RELIGIEUSE
de i8.t8 et la barrière qu' elle dressait contre un
libéralisme qui, tout au contraire, mettait l'É-
glise hors de la liberté 1. Ketteler voulait faire
(( de la clarté )), et Geissel, archevèque de Cologne,
l'en félicitait : (( En aucun temps, Iui disait-il, un
exposé clair et décisif du chaos où notre Allemagne
vit surexcitée ne fut plus désiré qu'aujourd'hui.
C'est un vrai service que vous avez rendu à l'ordre
public religieux et civii, en éclairant les vrais
points de vue, et en ramenant ainsi à leur valeur
toutes les fantaisies, toute la phraséologie vide qui
partout s'étalent 2. )) l{eLteler en théologien, Rei-
chensperger en journaliste, avaient fait, par ces
deux livres, nne seule et nlême æuvre; et l'accord
était si spontané., si inlime, que les pages de Ket-
teler sur la liberté religieuse et la liberté de cons-
cience apparaissaient comme une justification de
la conduite qu'avait tenue, dans les dix dernières
années, la fraction catholique de la Chanlbre prus-
sienne 3. (( L'Église, répétaill'historien Janssen au
f. Freiheit, Autoritaet und Ki'l'che. (Mayence, Kirchheim, 1863.) L'ouvrage rut
traduit en Crançais par l'abbé Belet (Paris, Vivès). - << Dans Ja crise où l'Alle-
mag-ne est engagée, écrivait AJbert de Broglie, h.elteler met aux mains des catho-
liques la bannière qu'j}s doivent tenir; ceUe bauuièrp, du plus loin que nous
I 'apercevons, il nons apparLiellt de la reconnallre et de la saluer ; car c'estla
uôtre, celie de la Jiberlé .. (Correspondant, mal'S 1862, p. 60-i-). Albert de Bro-
glie disait encore (p. 611) : . Kelteler donne aux pensées dout Ie Correspon-
dant est I'organe Ja forme Ja plus heureuse, en même temps que cetle autorité
théologique dont son rang dans l"Eglise et sa science lui permettenl de metlre
l'empreinte sur toutes ses paroles. .
. Pfuelf, Ketteler, II, p. 16U. - C'est encore parce qu'il "\oulail faire de la
(( clarté >>, que dans son livre sur L'Allemogne après la guerre de 1866 (voir ci-
dessus, p. 69-73), il habituera les catholiques à dissiper l'équivoque à laquelle
donnent lieu les mots conservateur el libéral et à se relldre compte que ce
quïl faut aimer dans Ie vrai conservalisme, c'est l"aulonomie, et que ce quïl
CauL dt"lesll'r dans Ie libéralisme, c'est la centrali
atioT1,
3. 1.eUcJcr, d. la suite du Sylla
us, de\aÎl revellir sur ces queslions dans
L' ÉGLISE DE PRUSSE
29å
congrès de Francfort de 1863, n'a besoin d'dueuns
priviIèges, mais seulement de la liberté; elle n'a
besoin d
aucune attache au pouvoir absoIu, qui
de tout tern ps a nui à l'Église 1. )) En face de ee libé-
ra]isme nouveau dont allait sortir bientôt, avec
son corLège d'intolérances, le parti (( nationallibé-
ral )), de telles déclarations résonnaient comme
des appels à la vraie Jiberté. Reichensperger, Ket-
teler, par ìe bruit prolongé que faisaient leurs
livres, occupaient l'opinion catholique; et pendant
qu'à leur école eUe s'exerçail à discuier les thèses
adverses, un travail s'inaugul'ait, dans l' ombre,
pour élaborer les programn1es futurs. La Chambre
prussienne était muette, et muets aussi, les locaux
berlinois où les députés catholiques avaient cou-
tume de tenir conciliabule. l\lais leur groupement
ne s'était évanoui que pour se préparer à renaître.
XII
De la Chambre berlinoise, il nous faut, tout de
suite, dès Ie début de l'année 1.864, émigrer dans
une salle basse, au fond d'un village de Westpha-
lie : c'est là, durant l'interrègne parleD1entaire,
que devait se cOD1pléter et s'achever l'éducation
politique des catholiques prussiens.
quelques chaIJilres de son livre: L'Allemagne ap'I'ès la {juerre de 1866, dont la
lecture compIèle utiIement celIe du premier ouvrage : Liberté, Autorilé et
Egli8e : voir Goyau, Ketteler, p. 1-98. KE'tteler, entretenant Erne5
Louis de
Gerlach Ie 7 août 1868, lui développait encore ces mêmes idéeø sur la liberte
confessionnelJe. (Ernst Ludwig v. Gerlach, Aufzeìcltnungen, 11, p. 303.)
1 . Pastor. Jansscn, p. i-},
296
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
Le 16 décembre 1863, WiJderich de Ketteler et
Alfred Hueffer, heau-frère de Mallinckrodt, conviè-
rent quelques-uns de leurs coreligionnaires \vest-
phaliens à se réunir un mois plus tard à l'auberge,
dans la hourgade de Soest, pour d'urgentes cau-
series. On ne devait pas, à ce rendez-vous, s'oc-
cuper de campagnes électorales; ce que voulait
Alfred Hueffer, l'instigateur véritable de cette ori-
ginale tentati ve, c' était que les catholiques se mis-
sent d'accord sur certains principes fondamen-
taux, sur certaines doctrines politiques et sociales.
En quinze ans d'activité parlementaire, Ie loisir
leur avait manqué pour ce travail d'études; mais,
puisque l'hiver de 1863 paraissait les condamner
pour quelque temps, à un certain chômage poli-
tique, l'heure était venue de scruter les (( assises
positives chrétiennes )) sur lesquelles la société
devait être consolidée, ou même reconstruitc.
Hueffer aimait les hesognes discrètes : peu lui
importait, pour J'instant, que la salJe d'auherge
dans laquelle il allait grouper une originale clien-
tèle demeurât inaperçue dans la vaste Allemagne.
II détestait les façades; )1 jugeait parfaitement
inutile de créer à Soest une association de plus;
des causeries amicales devaient suffire, et ce serait
affaire aux interlocuteurs, rentrés chacun dans
leur coin de Westphalie, d'insinuer ou de propa-
gel' les conclusions élaborées à Soest. C'est Ie
12 janvier 1864 qu'eut lipu la première rencontre;
l'auhergiste eut ce jour-Ià douze convives, qui
alJaient devellir douze apôtres. En février, en
L'ÉGLISE DE PRUSSE
297
avril, de nouveaux noms s'inscrivirent sur les
list.es de Hueffer, mais on ne tenait pas à être
nombreux, ni à manifester; on s'entr'aidait pour
arri vel' à une bonne formation et pour ébaucher
un bon programme.
L'initiati ve de Hueffer trouva dans la personne
de Schorlemer Aist un auxiliaire chaleureusement
convaincu. Dans une lettre du 28 février 1864,
I' organisateur des associations agraires de West-
phalie expliquait tout ce qu'il espérait des l'éu-
nions de Soest. II voulait qu'on portât remède à
la confusion d'esprit OÙ se trouvaient les catho-
liques; il demandait qu'un échange de vues sur
les questions fondamentales les préparât à la fixa-
tion de certains points doctrinaux que médite-
raient toutes les intelligences, que défendraient
tous les bons vouloirs. Aulour d'eux, les autres
fractions lui semb]aient courir au suicide; à eux
de s' organiser en prenant nettement conscience de
ce qu'i)s étaienl et de ce qu'ils voulaient. IJs s'é-
taient fail honneur, en 1848, par les déploiements
tactiques qu'ils avaient improvisés; ils avaienl
ensuite, par de brillants manèges diplonlatiques,
lutté pied à pied, dans les couloirs des Parlements
et dans les antichambres des ministères, pour
accroître ou défendre les libertés conquises ; mais
ce qui leur manquait, comme l'expliquaient Huef-
fer etl\lallinckl'odt dans un rapport du 16 avril 1.864,
c' étaient des idées nettes sur les grands problèmes
politiques. lIs les voyaient, ces problèmes, et ils
ayaient des principes chrétiens à la lumière des-
298
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
quels ils pouvaient les résoudre : un effort d' ob-
servation, puis d'adaptation, et la lumière serait.
On étudia tour à tour, dans les réunions de 1864,
la question du Ho]stein, qui passionnait 1'.A.lle-
magne d'alors, les questions d'organisalion com-
munale, et la rédaction d'un programme, dont
Mallinckrodt fut chargé. Son projet, tel qu'il Ie
développa au mois de septembre, pouvait se ramc-
ner à deux formules : revendication de la parité
sur tous les terrains; reconstruction organique
de la société.
Que rOuest fût traité comme l'Est, les gens du
Rhin comme ceux de la Vieille Prusse; que les
fidèles du Pape fussent traités comme ceux de
Luther; que I' égalité des droits et des prérogati yes
ne fût pas sculement proc1amée, mais réalisée, et
non pas seulelnent théorique, mais effective; que
rÉtat couvrît d'une imparliale protection tous les
groupements sociaux dont il était comme la syn-
thèse; que tous les États allenlands, enfin, les
petits COlnnle les grands, fussent également auto-
nomes, également maîtres chez eux, à la faveur
d 'un équilable fédéralisme, telles étaient, pour
nlaUinckrodt, les conséquences de l'idée de parité..
:JIais cette idée même serait d'autant plus respectée,
que les divers groupements entre lesquels elle
devait nlain tenir l' éq uilibre acq uerl'aÎent pI us de
cohésion, plus de force, plus de vie. La société
humaine tendait à se nlorceler en atomes : chacun
pour soi. II convenait, en face de ce péril, de res-
suscitel', avec toutes sorles d' exigences, l' autononlie
L'ÉGLISE DE PRUSSE
299
du groupement local, l'autonomie du groupement
corporatif. Vive done Ie district et vive donc Ie
métier! Vive donc l'unité terrienne, et vive donc
l'unité professionnelle! .A. l'encontre du principe
d'émiettemenl (Pl'in::;i}J del' Atomisiel'ung), il fal-
lait restaurer Ie principe de groupenlent (Pl'in=ip
del' G'puppiel'ung). Faute de ce principe, la repré-
sentalion dll pays n'avait ni puissance ni point
d'aUaehe; il fallait que Ie représentant prît
racine dans nne société qui filt, à proprement
parler, un assemblage organique (in del' olJ'ga-
nisch :;usannnengesetzten buergel'lichen Gesell-
selLaft) .
(( Si 1l0US devons nous avouer, écrivaient, à la
date dll 26 avril 1864., Huefi'er, l\lallinckrodt et Ie
prêtre I{lein, que la gl'ande con fiance naguèl'e
inspirée par la fraction du Centre s'est un pen
refroidie, la raison en est, pour nous, - abstrac-
tion faite de ce que la fraction, hors des questions
religieuses, nlanquait d' entente au point de vue
polilique, - qu' el1e était trop complètenlent isolée
de ses électeurs, et que, dans la presse, elle n'était
pas défendue. ))
La critique était fine et porfait loin. Le Centre
ne s'était assigné d'autre raison d' être que la défense
religieuse : l'opinion, la presse, s'intéressaient à
d'autres questions. Les colloques de Soest devaient
être l'école qui fanliliariserait avec eJIes les hommes
du fut.ur Centre, et qui les aiderait à prendre con-
tact, - un contact dil'ecleur
- avec les préoc-
cuvaliolls de la presse.
300
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
Schorlemer, en 1865, traitant de la question
communale, reprit les idées du programme de
1lallinckrodt: au (( mécanisme )) de l'État représen-
tatif, il opposa )' (( organisme )) de I'État corpora-
tif, et s'arrêta sur une des pièces maîh'esses de eet
organisme, la commune. Entraîné par son imagi-
nation d'architecte social, il aHa jusqu'à dire, à
Soest encore, en 1866, que Ie syslème conslÏtu-
tionnel était tout près de fail'e banqueroute. Ici
Iallinckrodt l'arrêta, pour couper' court, surtout,
aux conclusions que certains COlnmensaux de Soest
voulaient tirer de ce pronostic : un courant se des-
sinait parmi eux, en faveur de rabstention des
catholiques aux élcctions politiques. Hueffer et le
propre frère de
Iallinckrodt inclinaient à cel effa-
cement. l\lais lVlallinckrodt représenta victorieuse-
ment que si, dans la Chan1bre nouvelle, il n'y avait
pas de place pour une fraction catholique, il était
du moins nécessaire de faire entrer dans cette
Chambre des (( personnaJités directrices, domi-
nantes, qui fussent de bons catholiques )). Aucune
décision nette ne fut prise : Ie duel de I '.A.utriche
et de la Prusse troublait tJ
Op profondément les
fidè]es de Romp pour qu'illeur fût facile, à Berlin,
de concerter une attitude parlementaire. Hueffer
ne s'étaÌt pas trompé ]orsqu'il les avait invités,
trois ans auparavant, à transformer une modeste
salle d'auberge en un laboratoire d' étudcs. Dans
cette retraite de Soest, ils s'étaienl préparés à plus
et à mieux qu'à être un parti de défense religieuse;
ils a vaient, à la lumièrr même de la pensée reli-
L' ÉGLISE DE PRUSSE
30t
gieuse, mûri certaines idées politiques et sociaies
sur l'assise desquelJes un puissant parti pariemen-
taire pourrai t un jour s' édifier. AI' école de H ueffcr
et des maîtres d'élite groupés par lui, tonte une
fraction du futur Centre allemand avait, si l' on ose
ainsi dire, fail son catéchisme 1.
C'est durant cette même période de fécond effa-
cement, que la presse catholique tenta ses premiers
essais de diffusion. Un peu partont en Allemagne,
on essayait de remédier à son indigence: de
1.863 à 1.865, vingt journaux de cetie nuance y
furent créés 2, et les intéressantes brochures de
vulgarisation connues sous Ie nom de brochures
de Francfort gagnèrent en peu de temps vingt-sept
mille abonnés. .i\lais en Prusse plus qu'aillenrs le
catholicisme réussit à fonder un journal qui devait
bientôt assurer à l' opinion catholique un organe
de haute valeur; il avait nom les Feuilles de Colo-
gne. Le créateur de ce journal, dont Ie pren1ier
numéro remontait à 1.860, s'appelait Joseph Ba-
chern; il avait, en 1848, fait son apprenlissage de
publiciste dans un périodique allemand paraissant
à Paris 3, et puis, de 1849 à 1.855, dil'igé à Cologne
t. Nous avons puisé tous nos renseignemenls sur les réunions de Soesl daus
Pfue1f, Mallinckrodt, p. 251-257, et dans les papiers que M. Ie professeur
Georges Hueifer, fils d'AIfred Hucffer, a eu la bonne grâce de nous communiquer.
. May, Ope cit., p. 164 et i7t. - Sur la foudation en Silésie des Breslauer
Hau8blaetter, voir Wick. Aus meinem Leben, p. 37 el suiv, Lo vicairc Edouard
Mueller créa pour les catholiques berJinois, en 1857, Ie Maerkische IíÙ'chell-
blatt, et en 1863, Ie Bonitatius Kalcnder, dont Ie produit servit à. établir une
pelite cong-régalion bospilalière et enscignanle en Poméranie (Kolde, op. cit.,
p. i5).
3. La Deutsche Abend::eitung, fondée par Ie Dr Berlholù, de Dresde. el donl
Ie fulur sénateur Lambert de Saintc-Croix était run des rédactcurs. Voir, sur
Jo
eph Bachcm (1821-1893), Koelni,cllc Volkueitung, scplembre 1893.
302
,
L ALLR1\IAGNE RELIGIEUSE
une prernière gazette catholique, que la Prusse
avait supprimée 1.
Les questions de politique étrang-ère étaient,
pour une presse catholique prussienne, singulière-
ment délicates à traiter. Au jour Ie jour, il faUait
prendre parti, en donnant un avis sur les litiges
publics ou latents qui divisaient les membres de la
Confédél'ation germanique. L' opinion (( ultra mon-
taine )) tout entière risquait d'ètre rendue respon-
sable pour les peccadilles de jugement ou pour les
délits d'information que Ie journal commetlait 2 .
Et puis, la façon même dont négociaient les députés
et les ministres, l'épiscopat et la haute bureaucratie
pour Ie règlement anliable et cordial des diffi-
cultés religieuses, conlportait un certain secret, et
contraignait à quelque réserve Ie journalisme mi-
litant. L'archevêque Geissel refusait d'accepter Ie
protectoral d'une association de presse J . 1\lallinc-
krodt, de son côté, n'avait aucune hâle de voir
surgir, parmi les catholiques, UIle (( feuille de
parti )) : Ie journal quïl rêvait devait êtl'C un jour-
1. Hermann
lueller, premier rédaclcLU' deJa Deutsche Volkshalle. s'élaIl jadi<;
fail connaìlre comme publicisl e au moment de l'affaire de Cologne, dc 18
8; il
fut cxpulsé de Cologne, en 1850, sous l'inculpalion de tendances aul.l'Íchienn('s
(Peuelf, Geissel, ll, p. 315-318 ; H.P.B., 1850, U, p. 804-812 et 1851, 1, p. 129-
135). Le jourual lui-même, donl blonlalembcrt disaiL en 1852 : << Je n'en con-
nais pas de meilleur en Europe f) lStimmen aus A/aria Laach, XLV, 18!Ja,
p. ::>16), fut supprimé en 1855 (H.P.B., 1855, [I, p. 255-26
; - Pastor, Rei-
chensperger, 1, p. 347), ainsi que Ie .J.J1essager du Rhin et de la J.l:[osellc
(Rhein und JJloselbote) de Coblentz; et Ie journal Deutschland, fondé à Franc-
forl en 1856 par Ie curé Beda Weber. mourut en deux tins (Pfuelf, Geissel,
II, p. 325-32ü).
2. En 1863, Aulikc, de la J(atholi.'lche Abteilung, allirail l'allenliol1 dc Gcis-
sel snr I.a nécessilé pour les Feuilles de Cologne de JUonlrer une grande pru-
dence dans la question grosscleutsch (Pfuelf, Ge18sel, H, p. 337).
. Pfuelf. Gei.'Jsel, II, p. 318-3ti.
'..'ÉGLISE DE PRUSSE
303
nal de discussions, non de chicanes, (( exempt de
toute tendance égoïste, de toute passion, suscep-
tible de supporter la contradiction, s'inléressant à
toutes les questions importantes, mais ne s'enga-
geant à fond que sur les questions capiLales, et cela
Ie plus rarement possible )). Mallinckrodt conce-
vait ce journal comme une salle de conversation,
où les avis s'échangeraient avec liberté; comme
une école très large, très aérée, OÙ Ie public reli-
gieux apprendrait à penser, et qui ferait, insensi-
blement, l'éducation de ce public. II y aurait là
une gestation longue et discrète, et, plus tard, (( le
parti surgirait, commp sortit MineI've, bottée,
éperonnée, du crâne de Jupiter 1 )).
Tandis qu'en Autriche et dans les États du Sud,
OÙ l'agitation anticoncordataire provoquait quoti-
diennement les plumes catholiques, on songeait à
multiplier les journaux; tandis qu'à Vienne Ie
nonce de Luca 2, tandis qu'à
Iayence l' évêque
Ketteler et Ie chanoine Hcinrich 3 dessinaient dp
vastes projets de journalisme; tandis qu'à Fri-
bourg une brochure '. et qu'à l\;Iunich un discours
de congrès;i prodiguaient les reproches aux Ctl-
1. PfLelf, Mallinckrodt, p. 166.167.
2. Pfuelf, j(etteler, II, p. 216-21 i (lellre de De Luca à Ketleler I 2!J janvier 1862).
3. PCuelf, Ketteler, II, p. 217-
18.
4. Die Katholische Presse in Deutschland (Fribourg, Herdpr, t SIì1). -
Cf., dans Katholik, 1861, II, p. 11 0-114, certaines réfIexions sur la difficulté
d'orienter un journal calho1ique daus un temp
où << l'antichrislianisme se eouvrc
du manleau de la libcrlé et de la nationalilé, où l'absolutisme se COUHe du
manteau de I' ordre )).
5. May, Ope cit., p. 139 (discours du baron de l\loy). On coustala, au congrès de
Munich ùe 1861, qu'alol'!' que Ie clC'rgé allemand avait 60.000 membres, la prcsse
calholique u'avait p:
..) cncore GO.OOO abonups.
304
L 'ALL EMAGNE RELIGIE USE
tholiques pour l'état médiocre OÙ ils laissaient
leur presse, Ie catholicisme prussien, plus étran-
ger aux agitations turbulentes, plus patient, plus
serein, rêvait moins d'un journal ùe lutte que
d'un journal de direction, qui travaillerait à for-
mer, parmi les fidèles, une sorte de cons-
cience collective, très exercée, très délicate, très
vivante.
Ce fut Joseph Bachem qui réalisa ce rêve.
fon-
talembert, qu'il avait beaucoup vu durant son
séjour en France, lui avait laissé de Lonnes leçons
d'énergie, et Ie coup de mort donné à son premier
journal par la préfecture de Cologne n'avait pu Ie
décourager. II constatait avec quelque amertume
que dans les congrès catholiques il n'y avait jamais
de table pour la presse; et lorsqu'il y assistai t,
il se servait de la coiffe de son chapeau POU]'
prendre des notes sur les discours les plus impor-
tants 1. Ceux-Ià mêmes qui déploraient la détresse
et la disette de la presse confessionnelle redoutaient
pour Ie catholi cisme même ] es exubérances ou les
pétulances du journalisme. Le journal que fonda
Bachem habitua les catholiques à se moins défier
de la presse; ce journal ne les compromettait pas,
il les représentait et les servait. Les Feuilles de
Cologne inscrivaient dans leur programme : (( Res-
pect de tous les droits hien fondés, obéissance et
loyauté envers les puissances placées par Dieu
dans l'Église et dans I'État, défense des droits de
1. Koeluische Vulkszeitunv. {ì septemLre 1b93
L'ÉGLISE DE PRUSSE
305
I'Église et de Ia patrie, horreur pour tout despo-
tisme, pour les tentatives révolulionnaires vio-
Ientes, pour Ies intrigues démagogiques occultes. ))
Bachem avait des collaboraleurs experts, dont
s'honorait Ie catholicisme allemand 1 ; mais Iorsque
plus tard quelques-uns d'enlre eux demeurèrent
rebelles au dogme de I'infaillibilité, son autorité
personnelle fut assez prépondérante sur Ie public
pour empêcher qu'ils ne fussent suivis par Ia
foule des Iecteurs 2 . A partir du 1 er janvier i869,
Ie journal s'intitula Gazette populaiJ'e de Cologne,-
il eut, quelque temps durant, Ie concours d'un
jeune prêtre Silésien, Paul l\iajunke, futur pri-
sonnier du Culturkanlpf3; dès la fin de l'année i869,
Ie propre neveu du directeur, 1\1. Julius Bachem,
qui devait être, peu d' années après, I 'une des
personnalités les plus in1portantes du Centre,
entra dans l'équipe de Joseph Bachem; et sous
Ie nouveau nom de Gazette populaire, Ie jour-
nal s'achelnina vel'S de hautes destinées, dont l'épa-
nouissement dure encore.
1. Voir Pfuelf, Geisscl, II, p. 335-33G. Fl'idolill Hoffmann, ancicn élèvc llu sé-
minaire de Mayencc, qui devint plus lard viem:-catholique, rul Ie premier rédac-
teur des Feuilles. - Les arlicles de politillue élrangère étaient rédigés I)ar Ie
proleslant Henri Schmidt, dont Ie Crère, Frédéric, élait converli eL travailJa plus
lard eomme archilecle à la calhédl'ale de Vienne: les articles de Schmidt
étaient Lrès remarqués dans les cerdes militaires.
2. Koelnische Volkszeitung, 10 septembre 1893. - II Si nous avions gagné la
l(oelnische Volks;eitung, disail plus tard un des chefs du vieux-catholicisme,
toute l'Allemagne eût éLé vieille-catholique )) (Koelnische \r(Jlk8
t:itung, 8 sep-
tembre 1893). - cr. nuLre Lome IV, p. 267-2ôS.
3. Sur Paul Majuuke (184:t-189gj, voir Bettelheim, Bioyrllphische8 JahJ'buch,
1899, p, 258-259. (Bprlil1, RpÎmel'.)
111.
2U
306
L 'ALLE1\IAGl"E BELIGIEUSE
XIII
Des indices nombreux, durant les années qui
précédèrent la guerre, attestaient aux catholiques
prussiens que les circonstances les an1èneraient,
bientôt, à donner à leur presse une aBul'e mili-
tante, et puis, profitant des leçons prises à Soest,
à renouveler leur ancien groupement. 8ourde-
ment une offensive antireligieuse se préparait,
singulièrement menaçante pour cette liberté de
l'Église prussienne dont en :1865 Auguste Rei-
chensperger, au congrès de Trèves, remerciait
encore Ie roi Guillaume 1. Ketteler se rendait compte
- ill'écrivait à
Igr Bartolini 2 - que si la Prusse,
publiquement, ne faisait contrele Pape aucun geste
qui pût choquer ses sujets catholiques, elle accom-
plissait sa mission d'État protestant en favori-
sant secrètement les visées italiennes.
A Rome même, sur Ie Capitole, la Prusse tenait
à s'afficher comme un État protestant. L'historien
Reumont 3 , qui avait un instant, en :l8ä8, géré par
intérim la légation de Prusse auprès du Saint-
Siège, souhaitait de devenir tilulaire de cette léga-
1. Verhandlungen, p. 296-297 (Trèvcs, Lintz, 1865). - cr. dans Pfuelf, J.l/al-
li1ickrodt, p. 2H-275, Ie discours de l\laUinckrodt au Parlement de l'Allemagne
du Nord, Ie 12 mars 1867, surIa liberté de l'Église prussienne.
2. PCuelf, Ketteler, II, p. 296-299. Sur Ia polilique italienne de ]a Prusse, voir
La Marmora, Un peu plus de lumière. trad. Niox (Paris. Dumaine, 1873).
3. Sur Alfred Reumont (1817-1897), voir Herman Hueffer, Alfred von Reu-
mont. (Cologne, Bachem, 1904.)
L'ÈGLISE DE PI\U
SE
307
tion : Impossible, lui répondait-on, parce que vous
ètes catholique ; cela serait gênant si que]que
différend survenait entre la Prusse et Rome, et
puis vons ne pourriez, comme catholique, couvrir
d'une sympathie cordiale, joyeuse, complète, cer-
tains établis
ements prussiens de Rome, qui ont
un caractère exclusivement protestant. Le poste de
Rome était même refusé à un diplomate dont Ia
femme était catholique 1.
La Constitution prussienne, la (( division catho-
lique )), la personnalité même de Geisse], avaient
été des éléments de paix; ces éléments s'an1oindris-
saienl ou disparaissaient. Dne brèche s' était ou verte
dans Ie réseau de garanlies que ménageait aux
catholiques la Constitution; ils se heurtaient
désormais, dans leurs requêtes, à un jugement
rendu par Ie tribunal suprême en 1863, d'après
lequel, en dépit de l'article 15 de l'acte constitu-
tionnel, les textes de loi hostiles à I 'autonon1ie
ecclésiastique qui n'étaient pas formellement
lbrogés demeuraient en vigueur 2 . La cordialité
le la (( division catholique )) à l'endroit des évêques
risquait pal'fois d'être paralysée, depuis qu 1 en 1861
)n avait créé, comme inlermédiaire enLre Ie minis-
Lère des CuIles et Ie chef de ceUe division, un
3ous-secrétaire, qui appartenai t à la confession
vangélique 3. Enfin la disparilion du cardinal
t. Hueffer, Alfred von Reunwnt, p. 178-179 (lettre de Thil., du 8 jan'Vier 1863).
. Archw (ill' Katholisches KÙ'chenrecht, XI (1864), p. 1-93 (article de
'Ierre Reichellsperger).
3. H.P.B., 188G, 1, p. 546.
308
L'ALLE
IAGNE RELIGIEUSE
Geissel en 1864 1 laissait I'Église prussienne sans
tête : dans Ie rôle qu'il jouait avec une inimitable
souveraineté, personne ne pouvail Ie remplacer.
On put se demandel' un instant si cetLe dispari-
tion même n'allait pas amener un conflit enlre
l'État prussien et la majorité des chanoines de
Cologne, défenseurs de la liberté de l'Église. La
pratique qu'avail inaugul'ée, un quarl de siècle
plus tôt,le gouvernemenl de Frédéric-Guillaunle IV,
fut subitement remise en question 2. Fidèle aux
précédents, Ie chapitre de CoJogne, par 1.0 voix
contre 6, fit choix, Ie 26 ocLobre 1.864, de cinq per-
sonnalités ecclésiastiques dont la nomination au
siège archiépiscopallui paraissait digne d'ètre étu-
diée 3. La liste fut soumise au gouvel'nement.
Lorsque, huit ans plus tôt, l'évêché de Paderborn
était devenu vacant, trois des noms proposés par
les chanoines du diocèse avaient élé efl'acés par Ie
gouvernement, à titre de pwrsonæ 11Ûnus gl'atæ It; et
Ie droit électoral du chapitre, qui n 'étaÏl plus, dès
lors, que la facullé d'opter enlre deux noms, avait
été, par là mênle, singulièrement restreint. Les
chanoines de Cologne furent traÏlés avec plus d
désinvolture encore. La Jiste entière qu'ils propo-
i. Sur la mort de Geissel (8 sepl 1864), voir Pfuelf. Geissel, II, p. 638-M!.
2. Dans une lettre à Bismarck (18 novembre 1864), relative à la vacance lles
lDièges de Trèves el de Cologne, Ie fulur Fréd6ric III se monlraiL très hoslile à
la pratique de listes dressées par les chapilres, pratique qui étail . la bieme-
Due auprès des Jésuilcs el des ultramoutains . (Aus Bismarcks Briefwechsel,
p. 375-378 (Stuttgart, Colla, 1901).
3. C'élaient l'évêque auxiliaire Baudri, Ie profcsseur Dieringer, les évêques Ket-
leIer, Martin el .L\IeJchers; el la majorIté lles chanoines inclinaienl au choix défi-
Jlilif de Kelteler (Pfuelf, Ketteler, II, p. 252).
4. Pfuelf, Gei&&cl, II. p.
tjl el sui v ; - Slamm. Conrad Ma;'till, p. 56.
L'
GLJSE DE PRus
n
309
saient fut repoussée : Ia Prusse évinçait trois de
leurs candidats, comme personæ minus gratæ, et
rayail les rleux autres, comme étrangers par leur
naissance à l'État prussien. Le contlit semblait sans
issue. Rome l'aplanit en autorisant Ie chapitre de
Cològne it proposer d'autres noms 1. De rechef les
chal1oines, en aOlît lR65, dressèrent uneliste de cinq
noms, dont trois figuraient déjà sur la liste répu-
diée, dont deux étaient nouveaux 3. Le gouverne-
ment répondit en septembre, en effaçant trois
noms; Ie droit électoral du chapitre ne pouvait
s'exercer qu'en faveur de l\Ielchers, l'évêque d'Os-
nabrueck, accepté cette fois par Ie ministère, ou en
faveur du professeur Haneberg, de l\Iunich It; et Ie
commissaire royal chargé d'assister aux opérations
électorales faisait d'ailleurs com prendre aux cha-
noines que, s'ils donnaient leurs suffrages à Pe]]-
dram, évêque de Trèves, ou bien au prince Gus-
tave de Hohenlohe, Ie futur cardinal, Sa Majesh';
en serait ravie I). Ce qui rendailla situation délicate,
c' étaÏt la présence, dans Ie chapilre de Cologne,
1. Lellre tlu cardinal Anlonelli au chapitre (5 aoûl 18(5), et échnnge dl
leltre
(mðme jour) enlre Antonelli et Ie minislre de Prusse Arnim. llans J.<'ried-
berg, De?' Staat und die BilJchofswahlen in Dcutschland, Actenstuecke, p. 16Ð-
175 (Leipzig, DUl1cker, 1874).
. Baudri, Kelleler, Melchers.
3. Hellinger, Ie proresseur de Wurzbourg, connu comme apologi!te, et Ie
bénédiclill Haneberg, professeur à Munich, connu comme exégète.
4. Sur ce personnage, voir nolre Lome IV, p. 261.
5. PCuelf, Ketteler, II, p. 254. - QuaLorze ans auparavant, Mjà, lorsque Diepen-
brock occupait encore Ie siège de Breslau, Gustave de Hohenlohe avail travaillé
pour oblenir sa succession; mais celle ambiLiOIl du jeuue pI,t>lal n'avail pas été
soulenue par Frédérlc-Guillaume IV (Paslor, Reichensperger, I, p. 351), non
plus que par Ernest-Louis de Gerlach, qui était très pénétl'é de la haute respon-
sabilitp dl1 roi en malir-rf> de choix épiscopaux (A.u{..:eiclmunyen, II, p. t70).
31.0
L'ALLE1tIAGNE RELIGIEUSE
d'une minorité de ehanoines systématiquement
eomplaisants aux volontés de l'État. Ils perpétuaient
dans eel auguste corps les traditions joséphistes
contre lesquelles I' épiseopat de Dros te- Vischering
et lescatholiques de i848 avaient si vigoureusement
réagi. l...e11l- action paralysante empêchait l'Église,
représentée par ]e chapitre, de maintenir en face
de l'État I ïntégrité de ses prérogati Yes.
Ketteler, du fond de son évêché de l\layence,
suivait avec anxiélé les étapes de la lutte. A deux
reprises, la majorité du chapitre l'avait inscrit sur
la lisle, et Bismarck, à cerlaines heures, voyait
cette candidature d'un mi] assez prop ice 1. Mais les
velléités de sympathie du futur chancelier s'arrê-
taient et recu]aient, lorsqu'il constataÏt qu'à la
cour de Berlin I{etteler était déeidélnent en Inau-
vaise posture 2, qu'on l'accusait d'être l'hon1me de
l' Autriehe, et qu'on lui faisait un grief d'avoir
enlevé ses clercsà I'Université de Giessen pour les
mettre dans un grand séminaire, à proxin1ité de sa
houlette. l\lême avec l'appui discrrt de Bismarck
il était impossible que l'évêque de l\layence fût
appelé au siège de Cologne.
A cette heure décisive où 1e chapitre de Cologne
était, si l'on peut ainsi dire, Ie titulaire des droits
de l'Église, toute défaillance devenait un péri]. Ce
n'étail pas une question loca1e qui s'agitait : la por-
tée en était générale; on n'assistait à rien de moins
1. Pfuelf, KetleleJ', II, p. 253.
2. En 1849-1850, commc curé de Sainte-IIcdwige, I\.ellelcr s'élait tenu trèi
récart de la cour (Pfuelf. Kettelel', I. p. 1135 ì. - cr. ci-dessus, p. (ì9-71.
L'ÉGLISE DE PRUSSE 31t
qu'à un retour offensif de l'État, de ce Landesherr
qui, jouant dans l'Église évangélique Ie rôle d'évê-
que souverain, s'étonnaÌt lui-même, à certains mo-
ments, d'avoir perdu toute prise, toute occasion
d' eIupreinte, sur la vie de l'Église catholique. Qu' on
expédiàt aux chanoines un bon comrnissaire protes-
tant, et qu'illeur signifiât, bien carrément, ]e nom
de révêque souhaité par Ie roi : c'était la solution
qu'indiquait, dans une lettre à Bismarck, Ie prince
royal Frédéric-GuilJaume:l. Ketteler, écrivant
au cardinal Reisach, évoquait Ie souvenir de cet
autre conflit auquel, en 1837, les fidèles de Cologne
avaient assisté, et qui avait mis leur archevêque
aux prises avec la maréchaussée prussienne.
La question actuelle, disait-il, estIa plus importante qu'on
ait agitée depuis 1837; de la solution dépend essentielle-
ment l'avenir de J'Église dans notre patrie. Au cours des
trente dernières années. Dieu nous a donné de belles grAces.
Ce qui fut commencé en 1837 se continua dans les combats
de 1848 pour la liberté de I'Église, et si nous ne sommes
pas encore au bout de la lutte, la force de I'Église, pourtant,
croît à vue d'æil... Cet heureux progrès se poursuivra-t-il?
Cela dépend de la façon dont sera tranchée la grande ques-
tion de principe qui est au fond des difficultés actuelles de
Cologne. Toutes les libertés ne nous serviront de rien, si
l'Eglise à la cime n1anque de liberté, si, pour la collation des
charges épiscopales, elle devient une esclave de I'État. Je
crois qu'aucune persécution sanglante n'a été aussi dom-
mageable que la nomination d'évêques courtisans. La pré-
tention du gouvernement me semble, en fait, une sorte de
revanche de l'esprit laïque contre 1837 et 1848. Je ne doute
pas que tous les gouvernen1ents protestants regardent
l'issue du conflit, pour émettre, à l'occasion, les mêmes
1. Aus BisiiW/'Ch:S Bl'iefwechsel, p. 378.
3f2
L'ALLEl'tIAGNE RELIGIEU
F.
exigences. Après la succession de Cologne, ce sera celIe
de Fribourg... Si la Prusse parvient à exclure, comme pe1'-
sona minus grata, toute personnalité peu agréable aux loges,
Ie gouvernement badois émettra les mêmes prétentions t.
Avant même que cettp lettre ne fût parvenue à
Rome, on y avait discerné la gravité de la situation:
on s' était mis en quête de l'un de ces biais dans
]esquels excella souvent la diplomatie romaine du
xix e siècle.
Prolonger les difficultés de fait, c'eût été amener
un état de guerre entre Ie Saint-Siège, défenseur
de l'autonomie électoraledes chapitres, et la Prusse,
volontiers encline à gêner cettp autonomie par d'Ìn-
discrþtes radiations. Après accord avec Ie gouver-
nement prussien. Pie IX. de lui-même, installa sur
le siège de Cologne l\lelchers, évêque d'Osnabrueck,
qui deux fois avait été proposé par }(:) chapitre 2 ; et
Ie roi Guillaume, Ie jour OÙ il reçut Ie serment de
l\tlelchers, prononça quelques paroles très bienveil-
lantes pour I'Église 3. Dans queUe mesure, à ravp-
nil', demeurerait-il licitc aux chanoines de pro-
céder à une élection, lorsque la majorité on la
presque unanimité des noms au sujet desquels
ils auraient pressenti Ie ministpre aurait été
repoussée par la bureaucratie d 'État? Cette ques-
tion subsistait, résolu
différemnlent par les deux
J . Raicb, B}'iefe von und an Ketteler, p. 31t-313 (4- décembrc 1865).
. Bref de Pie IX à l'évêque am::iliaire Baudri (21 décembre t865), dans
FriE'dberg, op. cit., Actenstuecke, p. l77-180. - Pfuelf, Kettelet', II, p. 257-
J8,
- FriedLerg, op. cit., p. 251-:l63, expose, d'un point de vue prussien et anti-
romain, l'histoire lout cntil?rc de l'électioll de Cologne.
3. ll. P. B.. 1886, I, p. 551.
,,'ÉnLISE DE PRUSSE
31 :
pouvoirs, jusqu'à de prochaines vacances. C'élait
à Dieu de l'assoupir en donnant longue vie aux
évêques du royauille de Prusse; et la solution
trouvée par la Cour de Rome ne créait au profit d
l'État aucun préc
dent périlleux, dont Ie grand-due
dp Bade se fÍ1t empressé de faire loi pour la colla-
tion du siège de Fribourg.
XIV
Tournant Ie dos à ces nuages, les catholiques
optimistes pouvaient arrêter leurs regards sur
certaines terres protestantes comme Ip Hanovre ou
Ie Holstein, qui, depuis leur annexion à la Prusse,
réservaient à l'Église romaine, en vertu de Ia cons-
titution de 1850, une hospita1ité plus généreuse,
une plus large tolérance t.
1. De m
m(', dès Ie lelldemain de 1850, la domination prussiennc, installép
dans les principautés do Hohonzollern, y avail supprimó, en quelques alllll
(,",
Ie syslèmejoséphiste dont souffraicnlles calholiques (Roesch, Die lJe.:;if'lmngc/l
det' Staatsgewalt zur Katlwlischen Kirche in den beiden hohenzollernschcll-
Fuerstenthuemern von 1800-1850, p. 17;;-181. Sigmaringen, Liehnf>r, 1906); f't
IIn curé, recevant KeUelcr, (ui vantait ce coin d(' terre comme étanl, dans la
province ecclésiastique du Haut-Rhm, une oasis de liberté religieuse (Holzam-
mer, Die Bildung des Cle1'us in Kirchlichen Seminarien ode?' an Staats
universitaeten, p. 56. :Maycnce, Kirchheim, 1900).
Aussi l'idée vinl-elle à Mallinckrorl.t, en 18lì7, qu(' 10 bénéfìce de la constilution
pl'ussienne pourrail
tre élendu à tous les Élals Caisant parlie de la ConCédéralion
de l'Allemagne du Nord: il demanda formellement. au parlement de la conf{>-
Ml'ation, que dans la d
claration des dl'OitS qui s'élaborait Cusscnt inlroduiles
quelques formules au sujet de l'autonomie des Églises. l\fais ce ful un cathoh-
IIUC', Savigny, qui, parlant offlciellement au nom de la Prusse, déclara inad-
missible qu'on intervìnt ainsi dans la poJitique religieuse intérieure des États
confpdérés; ce même Savigny, quatre ans plus tard, sera au contraire d'accord
avec Mallinckrodt pour réclamer au premier Jieichstag que les articles de 1<1.
conslilution prussienne en faveur des libel.tés catholiques figurent dans la Cons-
titulion nouvelle de l'empire (Pfuelr, 1.llallinckrodt, p. 276-!7i).
IIRD
T ,
RV'
rnlll=t:J:
314
L' ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
lIs voyaient, en Prusse même, ]e diocèse prus.
sien de Paderborn, sous I'épiscopat de Conrad !vIar.
tin, donneI' au reste de I' Allemagne, en octobrt
1867, l'exemple d'un grand synode diocésain, dan:
lequel 134 prêtres, désignés soil par leurs fonc.
tions, soit par Ie libre choix de leurs pairs, confé.
raient entre eux, sous la présidence de l' évèque
sur les grandes questions intéressant la vie locale d
l'Église 1. Les calholiques constataient encore que
non Join de Paderborn, la ville de Fulda, devenu
récemment ville prussienne, abritait, en 1.867 e
1869, à l'instigation de I(etteler, de très impor,
tantes réunions d' évêques
, qui auscul taient ave
sollicitude les pulsations de l'Église d' Allemagn(
eL maîtrisaient l'avenir par d'opportunes et grave:
décisions. L' Allcmagne, durant des siècles, avai-
oublié I' organisation des synodes diocésains, conI'
plén1ent nécessaire de l'autonomie ecclésiastique
et les diverses souveraÌnetés allen1anrtes avaien
affecté de morceler l'épiscopat et condamné l'Églis{
d' Allemagne à une sOfte d' émietteInent incohérent
mais il était temps de réagir, c'était sur Ie sol prus.
1. Stamm, COn1'ad .J.lla1'lin, p. HO-1iL - Stamm, AU8 der Bríefrnappe
p. 189 el 196-
24. Le P. de Fugger-Gloelt, jésuite, défendit Marlin coull'e 11
reproche qui lui élail fait de n'avoir pas organisé un synode diocésain où figu
rassent tous les prêlres. Le s
.node diocésain n"élail que Ie parachèvemcnl d'unl
séric de créations par Iesquelies Conrad Marlin, éVt:que depuis 1856, renouvelai
Ja vie religieuse dans son diocèse de Padcrborn : élablissemcnl d'ull concour
genéral annuel ou Lisannuel pour les cures (1h51), création d'ul1 séminaire
lIeiligenstadl et extension du petit. séminaire de Paderborn (1.856). créalion d'Ul
Convict lhéologique (1859), organisation d'une congl'égalion de pl'êtres séeulier
mel1ant la vie commune (186
). - Voil' Slamm, Conrad J.}lartin, p. 75-110.
2. PflJelf, Ketteler, II, p. 379-381. - Katholik, 1867, II, p. 636-6
O. - C'esl
en 1855 que ces l'éul1iollS s'élaient inaugm'éps à Fulda, à l'occasioll Ju 011
:áème centenaire de saint Boniface ct à l'insligaLioll de Kettcler (Pfuelf, l1.ette.
ler, I, p. 377 el suiv.) . Voir nolre tome IV, p. 73-74.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
3!5
sien que la réaction commençait; à Paderborn res-
suscitaien tIes assemblées ecclésiastiques; à Fulda
l'épiscopat prenait I'habitude d'un rendez-vous
bisannuel, à laquelle, jusqu'à nos .lours, il est
demeuré fidèle. La liberté de mouvement que la
Constitution de 1850 reconnaissait à l'Église s'épa-
nouissait dans ces institutions nouvelles: l'É g lise
libérée passait outre aux souffles d'anticléricalisme
qui parfois faisaient bourrasque, et travaillait à
son progrès intérieur, avec Ie double souci d'exal-
tel' et de conccntrer son énergie.
Le JI/ot épiscopal et Ie Second mot épiscopal,
adressés en 1.864 et 1.866 aux protestants d'l\lle-
magne par l'évêque :i\Ial'tin, témoignaient que les
aspirations apostoliques de l'Église devenaient
chaque jour plus allègrcs ot plus zélécs. Lc vaste
diocèse de l\Iartin comprenait Eisleben, OÙ naquit
Luther, et Wittenberg, où furent affichées les thèses;
il con1prenait Halle, l\tlagdebourg, Halberstadt,
Naumburg, dont lcs noms eurent une place dans
I'histoire de la Réforme ; l\Iartin interpellait toutes
los consciences protestantes qui vi vaient à l' ombre
de ses souvenirs; il se présentait à cUes comme
leur évêque et c'est en évêque qu'il leur parlait 1.
Ainsi Ie permeUait à l\lartin la pacifiante doctrine
en vertu de laquelle l' âme de l'Église déborde les
frontières de l'Église, mais cet élan même d'une
1. l\laptil1, Eiu bisclwefliches 1rort, I. p. 3 el8-9 (Paderborn, Schoeningh. 1864).
Déjà en 18GO, l"év
que de
luenster ayanl fOl1dé des unions de prières pour Ie
rapprochemenl des conCessions, Ie pape leur avail dit que les protestants étaieut
s('s enfants, el que ces unions de prières étai<:>nt déjà une union; cp dont Léo-
paid de Gerlach semblail tout prèt à se Càcher (Denkwuudigkeiteu, 11, p. 74'*).
316
r. 'Ar.LE1UAGNF. RELIGIEUSE
âme épiscopale fut l'occasion d'ardenles discus-
sions. (( Les impertinents et superirnpertinents,
écrivait à l\Iartin Ie P. Roh dès Ie 3 juillet i864,
pourraient bien vous suspendre au COli quelque
procès 1. )) Et de fait, Ie 16 septembre, au nom du
ministère, Ie président supérieur de \Vestphalie
insista, dans une Iettre à l\lartin, sur les excitations
auxquelles son livre donnait lieu, et sur la nécessité
d'apaiser les esprits 2. Toute l'année 1865 fut rem-
plie par ces polémiques : elles se lassèrent et s'as-
soupirent, et ::\Iartin put, sans provoquer de nou-
veaux orages, imprimer, en 1.86t>, un autre volume
qui s'inlitulait : Un second }}
ot épiscopal 3 . Néan-
n10ins les accès de susceplibilité et presque de
colère auxquels avait donné lieu la tentative très
apostolique de
1artin, attestaient, entre les deux
confessions, une certaine tension de rapports. Les
avances de I 'Église romaine apparaissaient aux
protestants d' Allemagne com me pI us périlleuses
que ses attaques; et qu' elIe fÙt libre, pleinemenl
libre, de leur faire des avances, c .est ce qui, dans
l' évangélique royaume de Prusse, les choquait à
la façon d 'une anomalie. (( Vis-à-vis des catholiques,
disait en septembre 186
), à l"assemblée de la so-
ciété Gustave-Adolphe, Ie conseiller consistorial
Kohlschuetter, les protestants doivent être sur leurs
gardes ; car, chez les catholiques, on croit Ie mo-
menl venu de refaire de l'Église calholique la sou-
1. Stamm, Au", der Bríefmappe, p. 3?í5.
. Stamm, Conmd Jlartin, p. 318.
:1. Stamm, Conrad 1I1w,tin, p. 316, n,
. - Katholik, 1 :65, H, p. -:38-';39.
L'ÉGLISE DE PRUSSE
3i7
veraine exclusive 1 )); et les alarmes protestantes
s'accrurent encore lorsqu'en 1.868 Martin, dans
une brochure chaleureuse en faveur de l' Asso-
ciation de Saint-Boniface, représenta cette asso-
ciation com me pouvant lravailler à l'unilé reli-
gieuse de l' Allemag-ne
. Ainsi dans cet État évan-
gélique qu'avait prétendu être la vieillc Prusse, une
association se développait, conquérantp et libre,
qui, sous le patronage de saint Boniface, - cet
apôtl'e du confessionalisQle romain, disait naguèrc
Bunsen, - aspirait à faire s'el1'ondrer les barrières
que la Réforme avail élevées entre les âmes, et à
refaire l'unité religieuse allemande en préparant
nne vicLoire de l'unité romaine: Martin, dans ses
appels en faveur de cetle association, invoquait les
intérêts du patriotisme non moins que ceux de la
religion; il ressuscitait l'interminable débat histo-
rique sur la responsabilité des confessions chré-
tiennes dans Ie morcellemeni du vieux corps ger-
TIlanique; il prpsentait I'Église romaine conlme
Loute prête à l'éparer les brèches faites par la Ré-
forme; et la Pl'usse, fiIle de la Réforme, avec quel-
ques protestations et quelques murmures, laissail
dire cependant, et laissait agir. Alors Rome se ré-
jouissait, accueillait avec une allégresse confiantc
ces phénomènes de réveil; il étaitimpossible qu'elle
n'en sût pas quelque gré à I'État prussien Jui-même.
Certaines voix au Vatican, en 1.866, conseillaient
à Pie IX de donner à la Prusse nne grande marque
t. Katholik, t865, II, p. 638.
. Slamm, COllrad .Martin, p. 2G8-:!71.
3iB
L'ALLEl\IAGNE RELIGIEUSE
d'amitié, en envoyant à Berlin quelque haut per-
sonnage d'Église. Au moment OÙ Ie roi de Prusse
peut être accusé de cleptomanie, disait en sub-
stance Ie prélat Franchi, la présence d'un envoyé
du Saint-Siège semblerait légitimer ses conquêtes,
et les catholiques de Prusse s'en trouveraient bien 1.
Pie IX fut plus discret ; une telJe indépendance de
cæur à l'endroit de l' Autriche aurait d'ailleurs pu
choquer l'Europe.
iais il se préparait à donner à
la Prusse une autre preuve de con fiance et presque
de gratitude: en :1868, par son bref sur l'aumôneric
rnilitaire, il mit un terme à dps négociations pro-
longées et combla les væux du roi GuiUaun1e.
De par la concession de Pie IX, Ie prévôt général
de l'al'mée eut désormais un titre épiscopal; dans
chaque diocèse, les soldats catholiques cessèrent
d'être les ouailles de l'ordinaire et furent soun1is
à la juridiction exclusive de l'évèque de l'armée,
pour la nomination duquel Ie pape ot Ie roi se
c0l1certaient 2 . Geissol, jadis, avait adressé à la non-
ciature de graves réflexions sur les périls d 'une telle
institution; et Kelteler, en 1869, dans un mémoire
secret qu'il expédiait à Rome, renouvplait rexpres-
sion d'une durable anxiété 3. Les aunlôniers mili-
taires ne deviendraient-ils pas un clel'gé d'l
tat,
militairement subordonné à l'État? C'éLait là l'in-
quiétude secl'ète qui tour à tour ayaH ohsédé Ie
1. Arnim, Del' lVuntiu8 kommt! E88ai von einem Dilettanten, p. H-l
.
(Vienne, Rosner, 18iS).
!. Archiv tilr Katholi8ches Kirchem'echt, XX (1868), p. i-3f--i-3-l-.
3. PCuelC, Gei8sel, II, p, 123-130; - l-'Cuelf, Kettelel', II, p. 412-430.
, .
L EGLISE DE PRUSSE
319
:ardinal- archevêque de Cologne et l' évêque de
,Iayence. Pie IX, s'élevant au-dessus de leurs
oupçons, balayait de l'atmosphère prussienne,
roublée naguère par les débats relatifs au siège
le Cologne, les dernières traînées de nuages : les
roissements entre l'Église et l'État prussien pa-
'aissaient une fois encore conjurés.
xv
Mais c'était à la Chambre élue en 1867, c'était
lans certaines municipalités, que se multipliaient
es symptômes graves 1. II semblait que Carlsruhe
t
Iayence, où les Chambres s'épuisaient en dé-
)ats antireligieux, allaient être imités par Berlin.
.Ães catho] iqu es de Prusse, qui dans Ie congrès
Ie Trèves en 186t. 2, dans Ie congrès de Bamberg
t. Erust yon Ernslhausen, Ope cit., p.229, nolait encore dans I'Ermeland, en
867, \Ine corllialilé de rapports entre proteslanls et calholiques qui ne faisail
ullemenl prévoir Ie Cttltu1'kamp{; mais dans Ie loinlain Ermeland Ie libéra-
sme anticlérical n'avail pas encore pénétré.
. Au congrès de Trèves, en 1865, on parla beaucoup des choses scolaires, el
on ne parvint pas à s'entendre. L'obligation scolaire faisait l'objet du débat :
aumõnier militaire Lukas, d
Ratisbonne, qui publiait cetle année même uu
vre intitulé : Der Schulzwang, ein Stueck moderner Tyrannei, la combaLtil
iolemment; Kraus, Ie futur hlstorien de I'Église, prit parti pour elle, et tous à
'rèves se souvenaient assurémenl que dans son livre: Liberté, Autorité.
glise, Kelleler s'en était montré partisan. Lingens, Heinrich. l\Ioufang, Mo
.,
herchèrent des solutions moyennes. En fait, l'absolulisme de Lukas ne faisait
as école parmi les catholiques, et Ie principe même de l'obligalion scolaire dc-
leurail hors de discussion: seulement, ce <(U'Ull certain nombre redoulaient.
'est que, dans la pralique, une fois un tel principe avoué, beaucoup de parenls
alholiques nc fussent conlraints d'envoyer leurs enfants dans des écoles non
aLholiques. Les débats furent si complexes, et parfois si vifs, qu'ils s'a.chevèrent.
peu près eans conclusion. (Verhandlungen, p. f67 et suiv. - !'tIoy, op. cit.,
. llì8.) - Sur Ie congrès de Ramberg, voir Dolre tome IV, p. 187.
320
L' ALLEMAGNE RELIGIEUSE
en 1868, conlinuaient de défendre Ie principe de
I' obligation scolaire contre les attaques de certains
de leurs coreligionnaires bavarois, s'émurent,
en décembre 1868, en voyant la Chambre prus-
sienne accueillir une pétition de la municipalité de
Breslau qui réclamait
contrairenlent à la pratique
scolaire prussienne, la création d'une école non
confessionnelle, et repousser, en même temps, une
pétition des catholiques de cette ville demandant
l'éLablissement d'une Realschule catholique 1. Lc
ministre Muehler, en 1869, traitait encore d' (( im-
possibilité )) la tentative de (( vouloir rompre,
dans Ie peuple allemand, une alliance intime et
plus que miJlépaire entre la culture et la reli-
gion, entre ]'École et I'Église 2 )), mais ces propos
mêmes suscitaient à
luehler des inill1itiés qui plus
tard, aux premières heures du Cultul'ka'Jnpf, de-
vaient prenùre sur lui leur revanche; et
Iallinck-
rodt 3, portant ses regards sur l'enseignement
secondaire, épiait avec effroi la nlontée de cer-
taines aspirations, qui visaient à nluiliplier les
gymnases non confessionnels. Car l'avortement
successif de plusieurs projets de Ioi scolaire nc
décourageait pas Ie parti Iibéral; on sentait que
de grands débats étaient proches ,..
1. H.P.B" 1869, I, p. 257-269. - Gucisl, Ope tit., p. 65-76. - l\Jajunke,
COflfe8sionell ode'/' ConfessioT4Slo8! (Bl'cslau, Goerlich, t 809). - Majunke, Gf'
schichte des Cultu'/'kampfes in P'/'eu88en-Deutscltluml, p.
9. (Pader.born,
::3choeningh, 1886).
2. Brueck-Kiessling, Ge,chic/zte. III, p. 462.
3. Pfuelf. .iUallmck,'odl, p. 288 cl !91.
4. . Depuis 1868, écrira plus lard Ie )Jédagogue kellner, les questions reli-
gieuses el avec cUes aussi 1a {Jueslion 5colaire prcuai('nl de plus en plu5
L 'I
GLISE DE PRUSSE
:.J21
Une autre question s'agitait : ccHe des congré-
gations. On avait fait grand bruit, (lans une cer-
laine presse, autour d'une pauvre nonne, Barbara
Ubr y k incarcérée disait-on dans Ull COli vent d(1
, , ,
Cl'acovie : l'ellquête prouva qu'clle plait folIc et
qu'on ne la maltraitail pas; 1l1aÌs 1a légende 8U1'-
vécut aux conclusions de la police; Ie congrès
allemand des journalistes, tenu à Vienne Ie
31 juillet i8G9, proclan1ait que pour venger Bar-
bara, il fallail chasser les Jésuites, supprimer les
cloHres, dénoncer Ie concordat autrichien et bou-
leverser la constitution prussienne i; et lorsque
:\lelchel's, al'chevêque de Cologne, s'en allait en
1869 à la réunion de FulJa, il entendait cerlaines
voix qui s'efforçaienl d'être injuricuses crier sur
;on passage : (( Cracovie! Cracovie 2! )) La popu-
ace berlinoise s'était laissée vivemenL én10uvoir
)ar ccs romanesques rumeurs. Un jour d'aoÙt
l869, à la nouvelle qu'unc chapelle s'ouvrait,
)our quelques orphelins cathoIiq ues, dans Ie fau-
Jourg de l\loabit, de véritables émeutes survin-
'ent; cl comme deux dominicains assuraient Ie
'uILe dans ccHc chapclle, COlnme quatre (( pauvrcs
'rères de Saint François )) étaient préposés à 1'01'-
)helinat, des pétitions survinrent à 1a Chambre,
'éclamant la dispPl'sion des 11loines 3. Le j uris-
'acuilé : un couranl sc clcs
in". Ilui anlf'na lcs calholiqu('s il sc l'f'sscrrer plus
lroilcwcnt cL à rentralis('l' leul's CffOl'ls. Lcs prodromes tIll 1I1'0chain Cullw'-
IImpf dcvcnaicllt loujours pl:.s visiLlcs. )) (Lc[;clIsúlacllcl', p. HIS.)
1.
Iajunke, Gcsclticltlc dcs ]{ullu1'lmmp{es, p. 100-101.
. Grandcrath, Gcschicltle dcs VatikllltÍ8Chclt lton;ils, I, p. 230. (Friboul'g.
erúer, IfJ03.)
3. J." texlf' s'('J} h'tJU\c dans F,-X.
chlllLf',-(;e8Chichie dC8 ]{ul{w'kamp{e.<; Ì/t
111.
21
3
ó)
L 'ALLEì\IAGNE RELIGIEUSE
consulte Gnpist, qui drvait jouer un grand rôle
dans ]e parti national-1ibéral au nlonlent des luttes
du Cultllrkalnpf, conclut, au nom de la commis-
sion, à Ja nécessité d'une politique de précau-
tions rigoureuses contre Ie clergé régulier; les
yæux précis qu'il émettait étaif\ut en contradic-
tion formelle avec la Constitution rl avec 1a pra-
tique du gouvernement prussien durant les vingt
dcrnières années 1. L'émotion des catholiques fut
grandp d'un bout à l'autrc du royallme, et puis,
soudainement, à leur grande surprise, la question
des ordres reJigieux, à peine jetée en pâture aux
discussions publiques, disparu t de l' ordre du jour
de la Chanlbre. A deux reprises, Ï1s réclamèrent,
désirant réfuler Gneist, inyoq uer la Constitution,
plaider pour les 11loinps; la Chambre se sépafa
sans que le rapport de Gncist eût étp l'objet d'unp
sanction, ni ml\me d'une discussion. l\Iais Ie rap-
port subsistait conlnle un arsenal juridique OÙ bien-
tôt r on trouverait des arnles. Avant de les y cher-
cher, on vou]ait fa irp l'unilé allemande; ct Bis-
nlarck conlprinlait Irs passions antireligieuses, tant
que cette unité n'était pas faitr : (( II fant prendre
garde, disait-il au Conseil des ministres, d'ébranler
]a con fiance des catholiques dans la liberté et la
P"fussell, p. G8-iO (Essen, Frcd.eLeul, IR
:!). - cr. l\Iajunke, Ope cit., p. 103-
lU6.
1. Le rapport et lcs væux sonl J1ubliés dans Schullc, op. cit., p, 70-i6. - Lc
calholique Linhoff, conseiller à la I( dhision calholique ., d'acconl avec lcs
représentanls des minisll'cs de I'Inléri('ur et de ]a Justice, se pl'ononça pour la
légalilé de ('exislf'llCe des ordres. II allégua, pour défclldl'c la résidcnec d<-
Jésuilcs élablie à Schrimm (Posnanic), cOlllre ]cs aUaqucs dOllt cUe
tait rohjet.
nne r{opollse de Bi
marek déclarant f'll (sr.'i' lI'1'('II(' 11(' (l('\-ait. pas (-11'(' inqni{Ol(O('
(l'fIlP]C, LillllOf{, fl. :i:ï-:iG).
L' ÉGLISE DE PRUSSE
323
sécurité de leur culte j .)) Les victoires prochaines
devnient Ie dispenser de ces suprênles précautions.
Ln clochp du Culf/{l'ka17Zpf avait sonné trop tõt au
gré de Bisnlarck
; elle rentl'a momentanément dans
Ie silence, et d'autres chan1ades et d'autres fan-
fares remplirent l'atrnosphère allemande 3.
l\lais, dans ces journées des 8 ct 9 févl'ier 1870,
où les calholiques, relevan t 1e défi porté par Gneist
et presque immédiatement retiré, avaient voulu
traiter Ia quesLion des congrégations, l' on avai t
YU monter ä Ia tribune, tour à tour, deux membres
de l'ancien Centre, Pierre Reichenspergel' et
Ial-
linckrodl, ct un llallovrien qui s' effaçaÏt, boudeu!'
et vigilant, dans un petit groupe fédéraliste de
l'assenlblée, Louis 'Vindlhorst!.. Quelques mois
après, un appel de Pierre ncichensperger, et deux
réunions tenues à Essen et
l Soest Ð, allaient pro-
1. Poschingcr, Die .lllSpl'llChClt d,J.v FUeJ'slciL JJisl1ul1'ck (1848-1894), p. 13-14-
(Lcipzig, IS!):;). - De m(
n1f', ((\lallll en 18G8 Blunlschii rCl'['éscntait à Bis
marck, dans un ('II t.reticD , fJ.uïl fallail donner i\ la nalion (( des satisfactions
inlellcctuelles >>, Bismarck rél'ondait 'Iu'il était d'accord avec Bluntschli en
principe; mais on ajournail toule applicalion (Bluutschli, Denkw'ucl'diges, Ill,
p. In et sui\r.).
2. cr., sur ratlilud(' d(' Bismarcl\ à l'endroit ,In Concile, nolre Lome IV, p. 383-
38-í.
3. (( Nous ne pouvions à ccUe dale, dira plus lard, Oil plcin Reich.Ylag, lp
dépulé Lasker, engagcl' dcs di'bals religiem., des débals passionnés.
on pas
(Iue nous eussions crainl la lutle ouverle, mais un souci plus profond nous
tenait à cæur. L'empire allemand n'élail pas encore uni, et l'union prochaine
du
Utl cL ,Iu :\ord mil COliI'll lc p,"ril dc graves dommages. Si VOIIS avicJ:
d,"jà réussi à scmcr de.. gcrlllcs de désordre, de Iutle l'cligieusc, nous devions
éviler ccla. Si Ic combat dcvaiL écIalcr, il fallait (Iu'auparavant unc toilurc
l)lan,ll sur l'enscmLlc dc rcmpirc; jUS(IUc-là, aucun débat 110 dcvait 110m,
béparer lcs uu:. des aull"cs. Plajunkc, Gcscltichtc des ]í.ultllJ'kamp/cs, p. 10;)-
LO) : séancc du Rcichsl(tfl ÙU :!:i novcmlJl'c 1873.)
4.
chullc, op. rit., p. ï'ì-X
, dOI1l1C' Ie comptc l'endll
lpllog-rapbiquc de ces
deux joul'lu"es.
,ï. IhH'S
f'n, Lud/l'i
1 \rimltllOI'.vl. p. S2 Sf; (t.olop:[1(': J:arllf'lU, iUÚ':). :'\0\1"
324
I 'ALLE:ftIAGNE REI.IGIEUSE
voquer la résurrection du Centre prussien, origine
ùu prochain Centre alJemand; et, gråce aux trois
orateurs qui n'avaient pas laissé sans riposte la
première escarmouche à peine esquissée par
Gneist, les séances des 8 et 9 février 1870 avaient
été comme une premièrc répélition de ces héroïques
débats du CultllJ'kanzpf, dans lesquels les catho-
liques c.luraient à faire front, tout à la fois, aux
coreligionnaircs politiques de Gneist et au chan-
celieI' de l"Ernpire.
parlerons de ces deux l'éunioDs lorsque IlOUS lraitcl'ons des débuts du Cullw'-
kampf.
I'r
\BLE DES ßIA TIÈRES
TNTHODUCTION
Lp lendemain de 1
48; l' Amm'(wthe de Redwitz. - Un boud-
dhi;5me chrétien. - Ketteler et Ida de Hahn-Hahn: une conversion
à l'3.ction sociale chrétienne. - i\Iésaventures artistiques, Jitté-
raims, philosophiques, tIu catholicisme allemi1lH}. - Décadence
définitive delaliUérature rom antique, etJnème de toutelittérature.
- A vènement de la philosophic matérialiste. - Décadence do
rart nazaréen: la pcinture polémiste; Lessing, Kaulbach. - La.
seule survivance du 1'0mantiSllH' : l'ardléologie. - Mésaventures
poliliques ùu catholicisme allemanlL. - Son épanouissement reli-
gioux : la vcille clle Icndcmain de 1.848; parallèlcs. - 1.e déve-
loppement des vocations rcIigieuses. - Un clCl'gé (lui fait sa
besogne : Ie catéchisme, l'action sociale. - Un auxiliaire du
dergé : Ie pcuple. - Comment llIisloire tles années 1850 à 1870
est la préface de celIe du Cullu'J'kampf. . . . . . . . . . ., I
CHAPITHE PHE
IlI
R
LES CATHOLIQUES ET LA PRltPARATION
, .
DE L UNITE ALLEI\lANDE
La chute du Saint-Empire: portée lIe ce fait pour l1
glise, portée
Ile ce fait putU'l"Allemagne. - Une revanche de l'esprit natio-
nal allemanll: Ie romanlisme. - Espoirs catholiques dans la
résuITcclion du
ainl-EmpiI'e.
1. - La [['action catholique G)'ossdeulsch à Erfurt (18JO). - Un
prcmicl' C'ngagolllcnt entre l'idée cl1lhoJiI(ue de (( Grancie-Alle-
magne )) et l'idée pl'ussienne de (( Pelite-.\llernagne )) : joute ora-
toire entrc Auguste Reichenspprger et Hacusscr. - Victoirc par-
lementaire, it grfurl, de l'iùée pl'ussilmne de (( PetLte-_\Hemagne)) ;
326
TABLE DES
lATl
:HF:S
vicloil'e Jiplolllatique, à Olmuetz, de Iïcléo catholique ùo (( Grande-
Allemagno )). - Les poléll1iques des Feuilles histOl'ico-politiques
contre la Prus;:;e. - Premièro;:; IlHuÜfrstations de Bismarck.
II. ,- Action de la. Prussc sur la politique roligipuse des autre;:;
Etats allenmnds. - Lïdée prussienne fie la solidarité des
puissances protf'stantes. - Première application de cette idée :
rÔle de Bisn1ttl'ck en Bado pour soutenir et encourager la politiquo
confessionneHe protestanle et, C01llme telle, anti-aulrichienne,
(Iu gouvernement bttdois (18;j4) . . . . . . . . . . . .. f 7
Ill. - L'inlluence pl'ussienno à la cour (lu rui :\1 a "X de Ba\"ÌÙro. -
8es agents: des professeul>s. - Rôle de Sybel el de ßluntschli
à .Munich. - EII'orts vidorieu
de la Prusse pour (Ille la poU-
tique dn gouvernemcnt Laval'oi
c"sse d'ètro une polilique
('onfessionnelle catholi'lue et, COllllllO lelle, fa.vO['ablc it l'Au-
triche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 23
I V. - Hostilité des catholi'lues contre la lhéoric do Ii] (( vocation
allemande)) de la Prusse. - Doctrine du (( légitimisme alle-
mand )), opposée pi1I'lesPeuilleshisIOl'ico-poliliques. -Enthou-
siasme des catholiques pour Ie concordat autrichien de 1855
et pour l'alliance, dans la guerre de Cl'imée, de rAutriche
catholilIue etde la Francl' eatholiquf'. - Colère (les catholiques
au moment de lit guel'l'e d'ItaUe: ICUl'S vceux pour que la
Prusse üppuie l'Aulrichc; leurs invectives contre la France. -
Leur tristesse cn t 860. . . . . . . . . . . . . . . . .. 31
Y. - Deux initiatives anti-auh'iehicnnes : 1 0 La fOIllJaLion; pal'
Syhel de 1'1Iistol'ische Zeilschrift. - L 'ccoll' histol'iquo nouYelll
ct Frédél'ic I L. - Hue HlOhilisation JH'ussicllllP d'historicns pro-
testants. - Deux hbtoriplls de lellc1anccs autrichienncs et caUw-
fiques: Hurler, Klopp. - 2 0 La fondalion du Natiollrtlvel'eÙt. -
L'Autrichc viséc pal' les campagnes üuticuncol'datail'es de ceLle
associalion. - lnsulfbance on iusignitiancu de::; groupeIlll'nL
;-;usdlés contrc 10 Xaliunalverein . . . . . . . . . . ., -10
YL - EITort
du prince rle IIohelllohe, 1'1118112, }Jour g'agner Ie.;
catholi(IUes iL la cau:;c prus
iennl' eL créer aiu::;Í unc droite
dans Ie parti do ld. (( l'ctil('-AHcllw.,gne )). - Illentité entre Ia
situation do l'Autrichc, menacée ral' la Pru::;se. ct celle de
Pie IX, ll1enacé par Ca vour. - Situalion dimcile dos catholill nu;:;
prussiens. - LeuI' ültitudl-' d1.tllS 10 con1liL entre llbmal'cJ\: ct [0
Parlcment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " 5
YU. - La. gUf'rre dl"' 1866. - Sa pUl'lée d'apl'cs Relchenspl'rger:
sa }Jortée d'üprl's ßlunbchli. - L'accaLlement des catholirlues
aprt.s Sadowa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ßO
YJII. - RUllH'Ur;:; hostiles sur raUitude ell'S calhuli'lues prussieus
dan:-:, la guerrc de 1866. - SadmYl1 inlul'pl'été comme une vícloirc
TAHLI
HES
IATIÈRES
327
Ilu proleslanlisme. - Un écrit de Keltelel' : L'Allemaf/ue aprè.s
la [juer,.e de -/86G. - Dispositions de Kelte1er pour L\utriche
et pour la Prusse. - Ses conseils à la Pl'USSC; ses couseils aux
catholiclues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 6-í
IX. - La for11lu1e de l'alliclIlcnl des calholiques à la Prusse. -
Pal'licularisme tenace de Mal1illckrodl. - Lcs catholiques prus-
siens et Ies Freilwnservative. - Lenteévolutioll des catholiques
(Ie Bavière. - SelltinH'nt peu it peu (Iolllinant chez Ies catho-
liques d' Allemagrw : la crainle d'unc nou veJle Ligue lilt Rhin,
qui l'alllènerait lÏnlel'vention (Ie la Fl'ancp dans les affail'cs
d' Allcllmgm'. - Union des (( Gl'ands-Al1elllands )) (Gl'ossdeutsch)
eL tll-'S (( Petils-Allemands )) (Kleindeutsch) cOlllre li1 France. 73
l'\ou velle conception ci1tllOlique de l'unité allemande: une unité
fondée sur 1i1 libcrlé des l
;glises.
CHAPITHE l[
L.\ }<'OR}IATIO:'J SOCIALE DES CATHOLIQUES ALLE1\IANDS
Altitude de l'Églisc à l'elluL'Oit de la révoluLion de i848 et des
gouvernements rt'-adionnaires Ilui y succédl'l'ent. - ðon pro-
gramme d'aclioll sociale.
- Une question: Ie rôle des laiques dans Ia vie de n
glise. -
Les aventureuses inilii1lives de lIil'schcr : pIi1n Il"organisations
synodaLes. - L'opiuion dujul'isle Jarcke. - Les congrès illlnue1s:
l'lLIJports des 1aÙlues el de répisl'opi1t. - Pl'éoccupations sociales
11f';5 congrl's . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " !J3
II. - La I1lisi
re des (( cOlupagnollS)). - UB réformaleul': K01ping.-
De l'échuppe au ilSminaire. - Elberfeld, Lerceau de:::; Gesellen-
L'cl'eille. - Caradèl'e do l'aposto1at de Kolping : l'Eglise sortie
d u peup1e ot restée peuplc. - 80S voyages à Lra vcrs l' Allemagne.-
Kolping à Berlin. - Los inslructions de Kolping aux présidents
des Gescllelwel'eine. - Kolping, litterateur populairo . . 10
)
Ill. - La Illisèrf' des paysan:;. - Un l'éforu1ateur: Ie baron de
Schorlemer-Alst. - Burgsteinfurt, berceau des Bauel'nL'e-
teine. - But Ilu lllOUVe1llent: l'indépcndance économique des
paysilf1s. - POl'Lée (lu mouvernent: reconstitution d'organismes
l'ol'pol'tl.lif;:;. - L'idéal social des réunions de Soest. 116
IV". - La Illisi'l'e des ouvl'iers. - Di:::;cour..; <lu curé Thissen eL
væu du congl'ès calholi(lUe d.. Fl'ancfol't. -Le rôle de Ketleler.-
Le KcLleler de 1S-í:8: appel it lit réforme intérieure des ÍLmos. -
Pl'éoccupations sucialcs des missionnaircs jésuites. - Le Kd-
telel' de '1863 : un év{quc Lconomistc. . . . . . . . . . . 1
O
828
fABLE DES l\IATIÈRES
V. - KeLteler et If' (( libéra1isme )) de Schulze-Delitzsch. - Atta-
flues rle Ketteler contre l'esprit ploutocratique de la Maçonne-
rie allemande. - Ketteler et Ie socialismo de Lassalle. - Une
]ptlre de KeUeler à Lassalle (janvier 1864). - Sa connance dan
l'etfort du capital chl'élicn pour renLlre les ouvriers proprié-
taires. - corrpspon(Ianee pntl'e Moufang et Huber. . . . 1
7
VI. - La question oUV1'iè)'e et Ie ch:,.istianisme: eSl1uisse <lu livre.-
Plans manuscrits <le Kett.elel' en vue de coopératives de pro-
duction. - Grand succès tIn livre de KeUeler. - Jugement de
Lassalle sur ce livre dans son discours de Ronsdorf. - Juge-
ment de Kettder, dans une lettm à trois ouvriers, sur les orga-
nisations ouvrières de Lassalle. . . . . . . . . . . .. 133
VII. - Les idées sociaIes <les Feuilles histO'J'ico-polil iqlles. - Souci
des cathoIiques d'amener laquestion sociale au premier plan. -
L'Histoiredes pm.tis poliliquessociaux, d'Edmond Juerg. - Atti-
tude de JoC'rg à rendl'oit de LassaUe. - Des l'ssais -monastiques
d'organisation ouvrière: les fondations du P. Théodose,la bro-
chure de Bernad (Ie l\leyel' . . . . . . . . . . . . . . . -1 if
VIII. - Achelllinement de la pensée de Ketteler vel'S l'idée d'or-
ganisation ouydère ot de légisIation ouvrière. - Deux concep-
tions inverses de la représentation ouvdi'J'e: Blunlsch1i, Kettf
-
leI'. - Esquisse par Ketteler, dans un discours de pèlerinag(',
Ll'un programme de revend.ications uuvrii\res. . . . . .. 15
IX. - L'organisation sociale des fidèles. - Les Fellilles c/u'é-
liennes sociales d' Aix-Ia-Chapelle. - La question ouvrière à
laréunion épiscopalc de Fulda (18(j!)) : un rapport de KeHeler.-
La qnestion ouvripl'e au congl'ès de Due::;:-;chlorf (I 86U) : un dis-
cours de Lieber. - Le progl'amme chrélien social (l'Ah:-Ia-Cha-
pelJe (février 1870). - Les congrès sociaux rhénans dans l'été
de 1
70. - Union scellée. dc".s lors, entre Ie clergé rhénan et l(
s
masses populaires. - One revue d'appel des forces catho-
liques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
CHAPITHE III
L '!
GLISE DE PRUSSE l
T LA J!"OUl\IATION POLITIQUE
DES CATHOLIQUES PRUSSIENS
I. - La Constitution rle 18 is. - Profit qu'('n lire immédialcmrnl
Geisscl. - Efforts des (
v("ques pour faÍI'f' intl'orluil'P ,les avan-
tages nouveaux dans Ia Conslitulion de 185U. - La qurstion
du scrmcnl. - Deu\. chapcau
de cardinau
. - Réceplion du
TAULE DES I\IATIJ
RES
32Y
nonce à Bl'eslau. - Espél'ancps su
cit(
f's val' Ia pl'ospéritt
du
catholicisme en Prussc . . . . . . . . . . . . . . . 17:)
n. - MerveiUeuse efflol'escence d'æuvres t:atho1ique
. - Tl"l'VeS,
Coblentz, Aix-la-CIHl.lwllc, Colognp. - Epanouissf'l/Il
nt des con-
grégations. - Les grandes missions de .Jésuites. - Univprsi.l-
lité (Ie leur succès. - Le siègC' tIps confessionnau"X". - Les
('ou\'I
rsions au lendclllain de 18-i8.- Une organisation d'aposlo-
lat : I Association de Saint-T3oni{acC'. - InfJuí(.tudes des pro-
tf'stants d' Allcmagne. - Polémique entre ]'Église protpstantc
et Ie cardinal Dieppnhrock. - Le pl'emif'r volume d 'Otto l\!pipl'
sur la Propagandc. - A vanlage lIue tirent les cütholiques dp
l'intangibililé de la Constitution . . . . . . . . . . .. 182
III. - L'Église ct la question scolaire. - Caractèl'e traditiounel
de récole prussienne : une école d'Etat. - Réaclion contre Ie
radicalisme révolutionllaire des instilutpurs. - Alliance entre
I'J
tat, chef de l'enseignement, et les diverses Eg1ises. - Obli-
gations religieuses des instituteurs. - Les Regulative de Rau-
mer. - Résultats différents de cos innovations dans les écoles
protestantes et dans les écoles catholiqut
s. - Irréligion secrètc
ù'un certain nOlllbre d'instituteurs protestants. - Les visites
de Rendu dans les écoles catholiques. - Formation pé(lago-
gÎlIue lies prêtres. - La (IuesHon de renseignpment privé. -
L'idéal scolaire ùe Kellner : une alliance f'ntre l'Eg-Use et
1 'Etat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
[Y. - Un péril pour Ie catholicisme : les traditions de la bureau-
eralie prussienne. - Uno sauvegardc : la. (( division catho-
1ique )) (J{atholische Abteil!lll.fJ). - Rôle diplomatique que
joue cette instilution entre l'Etat et l'Eglise. - Une autre sauve-
garde : les dispositions personncl1es dc Frédédc-GuiUaurue IV.
- Sa corùialité it l'cndroit des princes (Ie l"Eglise. - Néces-
sité pour l'Eglise d'être discrète dans sa victoire : l'incident
l\Iuenchell . . . . . . . . .. ....... 218
V. - Un chef d'ÉgJise : Goisscl. - 8es sentiments pour Ie roi. _
Son esprit de pacification. - Offre faitp par Ie gouvernement
aux évêques de Prusse d'entrer à la Chambre des Seigneurs:
refus ùe Geissel. - Effort de Gpissc1 pour unifier l'épiscopat
rhénan. - Rapports òe Geisspl avec Ie Saint-Siège. avrc Ie car-
dinal de curie Reisach. avec les Jésuites. - L'AllcIllagne
ouverte par Geissel aux soufflps de Rome. - Esprit 1ibéral elont
en pratique sa poliLique s'inspirait . . . .. ..... 2
8
vI. - Une irnitation lIe la Francr: 1e parli f'alllOli(IUP rhénan.
- Joic de l\1onLalemuert. - Unité Pl variélé dr ('e pal'ti. - Sa
puissance d.
s 1852 : (( los ultramontains arLitrcs de la ChtlJHhro))
(llismarck). - Une opposition rpligieuse dirigée par des fonc-
tionnaires. --- Le terrain rl'action parlpHlpnlairl' de
calhoIi(IUes:
330
TABLE DES MATI
RES
constilution, droit C
OHlmun. Jihprlc; pour tous. - Hl'iclH'nsper
gCI' et ]a cunception de fEtal chl'c
lien. - La docLrinr' de l'au-
lunouJÏe politique. - Contraste entrp l'a1titude Jibérnlc de la
fraction eütholiquf' et. Ips aspirations politic.lues clu consprv:I-
tisme piéliste. - Un t.ype de pit
tistp en provincp I'l}(:nöne :
KleiHt-Het.zow. - Lul tes de Hf'ichenspergf'r contre I'ncllllinis-
trali(Jll pit
tistt-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
.
YII. - Les ]ULlèS plll'll'lHenlaires pour Ja Iiberte cathoLi(Iue. -
- Le:> Clf'U\: cirf'ulaiI'es Ihnmwr (1S52).-La motion 'Valùboll.
- SYJlIpathi,-' flu roi }lour les catholi(Juos. - POl'tc
e du yo[,'"
sur La motion \YaldbuU.. - hlC[uic'.tw[ps d.' Lc
opolcl cle Gc'rhLCh.
- Le sf'cond vlIlume (rOllo
Ic-'i,'r. - Lultf' du protl'stantisme
ft
o(lal contrf' Ie calholiciSlIlt' .IU nom mêule cLC':') iclc!c's l'c
ac-
tionnnirps. - Un plan de campagne de BiSHUU'ck. - L.'s
catholiquc.s accusc
s (Lll.Ostilité cont,.p' II' tsaI'Ïsllle. . . . . 2;:;,.
Y1II. - Les Iuites parleHlcnlail'es pour la parité. - Les rcyC'n-
clicalion:; pécuniaircs du Consf'il suprC> llll , t
'Tangc
lique. - La
hrochure de Rinll'l. - L'adion pal'leJllc'nlaiJ'f' crOLlo. - Rap-
pOl'l et vietoil'e elf! Mal1ilH'kl'odt en 1
5\. . . . . . . . . 2ö;j
IX, -
l-gocia.t.ions sf'cròlc'R enl1'c In Prussf
et Rome eoïnci(lanl.
avec les pl"PlHii'l'cS Iuttes pü.rll'lHcnlaircs. - Les deu,- voyages
(Ie Klindworth. - Conespondü.JH'es entre .Münteufl'cl et Anto-
nelli. - Un projet de concorllat (/Ilar:-;-avl'il -J851). - .Avortc-
JIlent. - Coutinuation des Iuites par/clHenl ail'f's pour Ia parilé.
- Un sUl:cès ùu ('hanoin.'" Eherhar'd. -Mort a'Ottu (1
57).
li!1
X. - Unre\'ÌrellH'lll Ù. Bedin (1858) : rupture dufllt.ur enl(wreur Guil-
laumc ler H.yec h' ft
oùalisIHe piélis1e. - Changement (Ie nom ell'
la fraction catholiquc: l"avì'l1f'1Hc'nt. tIn mot Cen {1'(' _ - Progl'f\s de:;
tendancr's anlic1éri(>ö.l('s dans II-'s pal'lis (( IiLérau\:)); SYl1lpLôllle::;
tie ces progrl's. - Le bréviaire ILe l'anLiclél'icalisme nouveau:
Les si[j71es des temp,
, 11c ßunsf'n. - Los premièrcs campagnes
contre Ie eal'actè('e confessiolluel de 1'(;('oLe : racli\Tité (Ie Oie5-
terweg. - PL'Cstige pl'l'manent de l'Église : place des évêqul's
aux cérémonies <Iu couronnement. -..:\JraiLlisselll
mL tIu Centrc.';
clisparition (léfinilive elf'S moL;:; (( fracLion catholique )). - EIlI-
barl'as du Cenlre entre Ie radicaJislUe et Bismarek. - Le Centre
annihilé dans Ia Chambl'e de 1863. . . . . . . . . . . . 2ï5
XI. - Orienlation nouvelle de l'activilé catholiquc. - Deux édu-
cüleur:; de ropinion catholique : Hc'ichenspcrger, Kettdel'. -
Deux leçons de mot::; en matièL'e poliliquc'. - Lc::; ciivpr
::it'n:.;
du !Hot (( libél'aL )). . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
XU. - Un laboraloire d'apprentissagc poliLique : Ics l'cSunions de
Soest (1863-1 Süti). - Un iniLiateur: Alfl'('d IlupfTer. - Les concep-
tions poJitiques de
chorlí"JI)('r-_<\]st c'l dp
flll1inf'kl'odt. - Lt'!'
TABLE DES 1\IATIt:RES
331
progrès de la pressc ('atholiqur. - Le journal calholiqup d{>fini
pill' MaJlinc],Totlt. - Un I't'alisalt"m' : Joseph Baehen1. - Les
}fellilles de Cologne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2!13
XIII. - Raisons d'anxi,
tés pour les catholi'lues: un changemcnt
dans la (( dh'ision catholitlUl' )) (1861), une Lrèchr dans laConsti-
tution (1863). la mod de G,>issf'l (t86í). - LiHIupslion JI
,ral'che-
yê('hé de Colugnf' : Ie íh'oit des chanoines lés,
par fEtal. -
hH{uitStwle fit' 1\1>lleJcr. - Solution eonci1iante de Rome. 306
\:IV. - Raisons ,l'cspoir PUll(' Jt
S ('alholiques. - L'épiJnouisse-
mcnl du ealholici51llC dans It
11ioc'
se tIe Paderborn. - Le .Mol
épiscopal c.le l'éYêquc :\!m'lin. - Les rcn(lp7.-vouS épiscopau"{
tip FuJda. - Les pl'Ogl""s dr l'Association de Saint-Boniface. _
atisfactjon tie Pie IX : ses concl>ssions à la Prusse au sujet íle
l'aulllôneric militö.irl'. . . . . . . . . . . . . . . . .. 31:
\.Y. - L('s pl't>llliers ('oups tIc clothe flu Cultlll'kmnpf. - Les Iliscus-
sions scolail'ès it la Chambrp prussienn6 (1868). - L'assaut tiu
couvent de Dominicain:; Ilc 1\Ioabil. - Les pétitions contre Ies
congl'égations. - Le rapport de Gneist. - Les manifestations
oratoil'e:; de Picl'l'c l{eichenspergcr, .:\Iallinckrotlt d \VindtllOl':;t,
dc:; 8 cl 9 fév1'Íl>r 187ù. - Soud tie Bismarck, å la ,"cille de la
guel'J'e, de nc point étw{l.u]m' ]a eontiö.llec des caLhoJiI{ues dans
Ja liherfé ,.t la sécul'ité df' Iem' culte. . . . . . . . . . . ;:1
.
ÉVREUX, IIfPI\UIF.ßIJo
cu. IlF.RISSRY FT FILS
274.3
G148c
GOYAU G
, EORGES
y ST
! RV " S
. if' COLL
114514
v.3
)
,
214. 3
G14 8C
GO'lAU, GEORGES
L'
LLEM
GNE RELIGIEUSE, LE C
H
OL.\C'SME
----1145 1 4
v.3