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DU VANDALISME
Et
DU CATHOLICISME
DANS L'ART.
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IMPRIMERIE DE E.-J. BAILLT,
place Sorbonne , 2.
TPrectaric Overbeck
Paria. A.BoU=t. 1859
Une FamiUe Ch/'t'tieruic portant sa Crouv
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par
If fomte îif itlantalmbert ,
Cuit ïe fiante.
PARIS.
DEBÉCOURT, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
RUE DES SAINTS-PÈRES , 69.
1839
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AVANT-PROPOS. I
Dans l'absence à peu près complète d'ouvrages
propres a servir de guide aux personnes qui sont
attirées vers l'étude des monumens de l'art chré-
tien, on a cru pouvoir sans trop de présomption
recueillir divers fragmens dictés par l'amour de
ces trésors de l'antique foi, le désir de les conser-
ver, et l'espoir de les voir un jour inspirer des
oeuvres qui renoueront la chaîne des bonnes et
saintes traditions. Loin de nous la pensée d'avoir
voulu combler , même en partie , la lacune si dé-
plorable que laisse dans notre éducation religieuse,
historique et littéraire , le manque de traités com-
plets sur les diverses branches de l'esthétique chré-
tienne. Notre seule ambition est de pouvoir offrir
quelques idées catholiques et quelques faits nou-
veaux , résultant d'études assez approfondies sur
ces objets, aux membres du clergé qui pourront se
trouver chargés de la conservation ou de la con-
struction d'édifices religieux, comme aussi aux jeu-
— VI
nés gens qui manqueraient d'occasion pour s'in-
struire dans les contrées ou les livres de l'étranger.
Ayant long-temps éprouvé le besoin de quel-
ques indications spéciales sur les produits de l'art,
inspirés par la pensée catholique, dans le pays qui
est le but de la plupart des voyageurs, nous avons
dressé, d'après nos observations personnelles, un
tableau de toutes les oeuvres des peintres italiens
qui ont devancé ou résisté à l'envahissement du pa-
ganisme dans l'art et dans la société, commencé
sous Laurent de Médicis, et achevé sous Louis XIV.
Nous avons ajouté quelques gravures destinées
à rendre plus sensible le contraste entre l'art chré-
tien et l art païen.
Il nous reste à déclarer, pour rendre hommage
à la justice, que la plupart des idées exposées dans
ces fragmens, ont été exprimées, avec une grâce et
une justesse que nous sommes bien loin d'avoir pu
atteindre, dans les lettres du marquis deBeauffort,
intitulées Souvenirs d'Italie, par un catholique.
Dans ce volume, M. de BeauiFort, l'un des auteurs
de VEsprit de vie et de mort, a montré qu'il savait
appliquer a l'art les hautes pensées et les vives lu-
mières qu'il avait consacrées dans son précédent
ouvrage sur l'histoire et la société. La date de ses
lettres sur l'Italie, quoique publiées tout récem-
ment, doit lui assurer la priorité sur tous les ou-
vrages de la même tendance.
NOTE SUR LES GRAVURES.
Nous avons voulu donner à nos lecteurs une idée du genre des
deux peintres les plus catholiques qui aient existé, et tous deux à
peu près aussi inconnus l'un que l'autre en France : Fra Angelico
au quinzième siècle , et Overbeck de nos jours.
Le frontispice au n. i, reproduit un petit dessin d'Overbeck
qui représente une famille chrétienne associant ses efforts pour por-
ter la croix que Dieu leur inflige. Nous n'avons pas besoin d'insis-
ter sur la grâce et la douce piété de cette idée.
Le n. 2, est un groupe tiré du jugement dernier de Fra Angelico
à Florence, qui est décrit en détail dans le texte, page 102.
Les n. 3 et 4, sont destinés à mettre en regard la double direc-
tion donnée aux images de la religion, l'un par le goût païen des
siècles de Louis XIV et de Louis XV, l'autre par l'étude et l'amour
des époques vraiment chrétiennes. Pour rendre le contraste en-
core plus frappant, nous avons choisi l'une des œuvres les plus
renommées du classicisme gallican, la Vierge de Bouchardou, et
une simple esquisse d'un jeune peintre vivant de Vienne, M. Steinle,
peu connu encore, mais digne élève d'Overbeck. Dans cette es-
quisse, la reine des cieux est représentée dans un médaillon en
forme d'amande, selon une antique habitude de l'art italien qui
VIII — •
regardait l'amande comme un des nombreux symboles de la virgi-
nité empruntés à la nature. Dans le dessin original , que la gra-
vure n'a pu rendre complètement, l'intérieur du médaillon est
disposé en rayons solaires, afin de répondre, avec la lune qui est
aux pieds de la Vierge, au texte : Pulchra ut luna, electa ut sol.
Les n. 5 et 6 , sont destinés à reproduire le même contraste
dans les œuvres d'architecture. Nous regrettons de n'avoir pu
obtenir un dessin des belles églises gothiques que l'on bâtit de
nos jours à Munich, conformément aux règles de l'art catholique.
A leur défaut, nous nous sommes contentés de prendre la Sainte-
Chapelle de saint Louis , œuvre d'un temps de barbarie féodale ,
et de la placer à côté de cette espèce de souricière qu'on appelle
Notre-Dame-de-Lorette, et où toutes les profanations de l'art mo-
derne semblent s'être donné rendez-vous.
Dm Manhàlxgme
m $ravut.
fettre à JH, Utctor fijujo,
1833.
Vous devez me permettre , Monsieur , de mettre sous la
protection de voire nom mes insignifians efforts en faveur
d'une cause dont vous avez fait depuis long-temps la vôtre.
Comment en effet s'occuper de notre art national , de nos
monumens historiques , des sublimes débris de notre passé ,
sans songer tout d'abord à vous qui , le premier en France ,
vous êtes constitué le champion de cette cause. Vous êtes
descendu encore enfant dans l'arène pour elle, et depuis
quatorze ans , depuis votre ode sur la Bande Noire jus-
qu'aux pages indignées qui ont marqué d'un ineffaçable ri-
1
— 2 —
dicule le vandalisme officiel et municipal de nos jours â, vous
avez lutté pour elle sans fléchir ; vous l'avez prise toute pe-
tite, et elle a grandi entre vos mains ; vous l'avez parée de
votre talent , et dotée de votre popularité. La voilà qui
prend aujourd'hui son essor; la voilà qui fait battre une foule
déjeunes et nobles cœurs ; la voilà qui s'intronise dans tou-
tes les véritables intelligences d'artistes. Si la victoire lui
reste un jour, vous ne serez point oublié , monsieur , votre
mémoire sera toujours bénie par ceux qui ont voué un culte
à l'histoire et aux souvenirs de la patrie ; et la postérité in-
scrira parmi vos plus belles gloires celle d'avoir ic premier
déployé un drapeau qui pût rallier toutes les âmes jalouses
de sauver l'art en France.
Vous ne voulez pas combattre seul , je le sais , vous ne dé-
daignez aucun auxiliaire ; vous ne demandez pas mieux , dans
cette œuvre grande et sainte, que de vous associer les plus
obscurs , les plus maladroits travailleurs : vous ne deman-
dez que de l'indignation contre les barbares, de l'amour
pour le passé. Je me présente à vous avec ces deux condi-
tions. Des voyages entrepris dans un but tout-à-fait étran-
ger à l'art m'ont fait découvrir des attentats contre lui dont
je frémis encore , et que j'ai hâte de livrer à^ïa publicité. En
ce qui touche à l'art , je n'ai la prétention de rien savoir , je
n'ai que celle de beaucoup aimer. J'ai pour l'architecture du
moyen âge une passion ancienne et profonde ; passion mal-
heureuse , car , comme vous le savez mieux que personne ,
elle est féconde en souffrances et en mécomptes ; passion
toujours croissante , parce que plus en étudie cet ai l divin
de nos aïeux, plus on y découvre de beautés à admirer, d'in-
jures à déplorer et à venger ; passion avant tout religieuse ,
parce que cet art est à mes yeux catholique avant tout, qu'il
' Voyei dans la livraison du 1er mars 1832 de la Revue des Deux-
Mondes , l'article intitulé Guerre aux Démolisseurs.
_ 3 —
est la manifestation la plus imposante de l'Eglise dont je suis
l'enfant, la création la plus brillante de la foi que m'ont lé-
guée mes pères. Je contemple ces vieux monumens du ca-
tholicisme avec autant d'amour et de respect que ceux qui
dévouèrent leur vie et leurs biens à les fonder : ils ne repré-
sentent pas pour moi seulement une idée , une époque , une
croyance éteinte ; ce sont les symboles de ce qu'il y a de plus
vivace dans mon âme , de plus auguste dans mes espérances.
Le vandalisme moderne est non seulement à mes yeux une
brutalité et une sottise , c'est de plus un sacrilège. Je mets
du fanatisme à le combattre , et j'espère que ce fanatisme
suppléera auprès de vous à la tiédeur de mon style et à l'ab-
sence complète de toute science technique.
Vous conviendrez avec moi que l'époque actuelle exige la
réunion de tous les eiforts individuels , même les plus chétifs ,
pour réagir contre le vandalisme , et que , parmi ceux qui
s'intéressent encore à l'art , nul n'a le droit d'invoquer sa
faiblesse pour se dispenser de prêter à cet art agonisant un
secours tardif. Sans parler de ce qui se passe en province ,
de ces arènes de Nîmes transformées en écuries de cavalerie,
de ce marché aux veaux construit sur l'emplacement de l'ab-
baye de Saint-Bertin , de ce cloitre de Soissons changé en
tir d'artillerie , de la fameuse tour de Laon, dont vous avez
dénoncé la destruction à la fois comique et honteuse ; sans
parler de tout cela, ne voyons que ce qui se passe sous nos
yeux , en plein Paris : c'est-à-dire , les ruines de Saint-Ger-
main-FAuxerrois et de la chapelle de Chmy , un théâtre in-
fâme installé sous les voûtes d'une charmante église gothi-
que !, une autre rasée après avoir servi long-temps d'atelier
de dissection 2, la dégradation des Tuileries , et en face de
ces raines, le type des reconstructions officielles , ce gâchis
de marbre et de dorures qu'on nomme le palais de la Cham-
1 Saint-Benoît.
2 Saint-Gôme.
bre des députés. N'en voilà-t-il pas assez pour convaincre
les plus incrédules? Le moment presse pour que chacun, à
défaut d'autre ressource , vienne flétrir d'une inexorable
publicité tous les attentats de ce genre.
Le moment presse encore , parce qu'il est urgent de dé-
rober la France à la réprobation dont doivent la frapper tous
les étrangers , quand ils comparent le vandalisme méthodi-
que et réfléchi qui règne en France , avec les efforts de tous
les peuples pour dérober au temps les restes des siècles pas-
sés et des races éteintes. Partout ailleurs qu'en France , on
entoure d'une vénération filiale ces souvenirs d'un autre âge,
ces grandes et éclatantes pages de l'histoire de l'humanité ,
que l'architecture s'est chargée d'écrire , et surtout ces basi-
liques sublimes où les générations sont venues , l'une après
l'autre , prier et reposer devant leur Dieu. Dans tous les
pays de l'Europe et jusque sur les confins de la Laponie , on
trouve partout ce culte des monumens du passé qui honore
les hommes du présent ; le désir de conserver dans leur ori-
ginalité primitive ces monumens a même remplacé presque
partout la manie de refaire l'art païen et de rajeunir avec
son secours l'art des chrétiens '. La plus heureuse réaction
s'est manifestée partout en faveur de la vérité historique et du
respect des créations anciennes. La France seule est restée
en dehors et en arrière de ce mouvement. En Italie, pays où le
paganisme de la prétendue renaissance a fait le plus de progrès
et jeté les plus profondes racines, on n'en lit pas moins sur la fa-
çade de la cathédrale de Naples, une inscription où le cardinal
archevêque s'enorgueillit d'avoir fait réparer cette façade
sans changer son caractère gothique , nec gothica delevit
1 Depuis qu'il a écrit ces lignes, l'auteur a eu occasion de se con-
vaincre que le vandalisme était malheureusement encore très domi-
nant à l'étranger, surtout en Suisse et en Italie. Il fait donc ses ré-
serves sur ce point. Voyez du reste l'Appendice à ce fragment à la (in
du volume.
— 5 —
urbis senescentîs monumenta artium perennitati. En
Angleterre , il y a plus d'un siècle que toutes les églises sont
restaurées et construites sur le modèle de celles du moyen
âge ; si ces copies , dont plusieurs sont très remarquables ,
manquent de la vie que donne l'inspiration originale , elles
ont le grand mérite de la convenance et de l'harmonie avec
les idées qu'elles représentent : de l'architecture religieuse ,
la réaction gothique a passé dans l'architecture civile ; les
riches propriétaires se font bâtir des châteaux qui repro-
duisent exactement les types des différens âges de la féoda-
lité, tandis que les particuliers , les corporations , les dio-
cèses, les comtés , s'imposent les plus grands sacrifices , pour
conserver dans leur intégrité tous les monumens originaux
de ces âges , et pour leur rendre leur aspect primitif. Dans
la pauvre Irlande, lorsque le paysan catholique peut dérober
aux exactions du clergé protestant et aux clameurs de sa fa-
mille affamée quelque chétive offrande , pour la consacrer à
élever une humble chapelle auprès des églises bâties par ses
pères et que les tyrans hérétiques lui ont volées , c'est tou-
jours une chapelle gothique. Jamais le prêtre de ce peuple
opprimé n'est infidèle au type inspiré par le catholicisme ,
et lorsque la vieille foi du peuple est ramenée par la liberté
dans ce modeste asile , elle y retrouve les formes gracieuses
et consacrées des demeures de sa jeunesse. En Belgique ,
pays de véritable foi et surtout de véritable liberté , un des
premiers soins du nouveau gouvernement a été d'interdire ,
par une circulaire aux gouverneurs de province , la destruc-
tion de tout monument historique quelconque. En Allema-
gne , le culte du passé dans l'art et l'influence de ce passé sur
les constructions modernes ont atteint un degré de popula-
rité inouï , et promettent à cette contrée illustre d'être la pa-
trie de l'art régénéré, la seconde Italie de l'Europe moderne.
Ce culte est universel et triomphe de toutes les différences d'o-
pinions, de religions, de mœurs, qui divisent la race germani-
que. Le roi de Prusse, souverain protestant et intolérant, pré-
lève sur tout le grand-duché du Bas-Rhin un impôt spécial,
nommé impôt de la cathédrale , exclusivement consacré
à l'entretien et à l'achèvement graduel de la cathédrale ca-
tholique, de Cologne , métropole de Fart catholique et de
l'architecture gothique. Le prince royal , son fils , a dé-
pensé des sommes énormes pour réparer les dévastations
commises par les Français à Marienbourg , ancien et célèbre
chef-lieu de l'ordre teutonique ; il en fait sa résidence fa-
vorite. Au midi , le roi de Bavière , avec sa liste civile
de 5,000,000 de francs , ne se contente pas de faire exécu-
ter à vingt-six peintres , dans ses divers châteaux , des fres-
ques qui reproduiront , en les popularisant , toutes les épo-
pées chevaleresques et nationales du moyen âge ; il remplit
sa capitale d'églises vraiment chrétiennes , parmi lesquelles
on remarquera surtout celle de Saint-Louis , dont l'archi-
tecture sera romane , et qui sera peinte à fresque du haut
en bas , à l'instar de plusieurs églises d'Italie et surtout de
la triple basilique d'Assise , par le célèbre Cornélius. Ce
même souverain a profité de la découverte qu'a faite
M. Franck , qui a retrouvé et perfectionné le secret de tein-
dre les vitraux des couleurs les plus tenaces et les plus bril-
lantes , pour doter la vieille cathédrale de Ratisbonne d'un
grand nombre de verrières de la plus rare beauté pour la
composition comme pour le coloris , au prix de 20 à 25,000
francs chacune. Ce prince ne fait du reste que s'associer
au merveilleux élan qu'a pris l'art allemand depuis plusieurs
années , élan qui date , en architecture , de l'apparition du
grand ouvrage de M. Boîsserée sur la cathédrale de Cologne,
et en peinture , de l'œuvre patriotique qu'ont accomplie ce
même M. Boisserée et son frère , en conservant pour l'Alle-
magne la collection des chefs-d'œuvre de l'ancienne école
belge et allemande qu'ils avaient sauvée et recueillie pen-
dant les dévastations des guerres impériales. J'espère vous
entretenir un jour , plus au long , de la nouvelle école alle-
mande, et surtout de celle de peinture, qui chaque jour jette
un nouvel éclat sous la double direction d'Overbeck et de
Cornélius. Est-il besoin de vous dire qu'à cette réaction ac-
tive vers l'art antique correspond le soin le plus scrupuleux
et le plus tendre de toutes ses beautés, de toutes ses ruines.
Les invasions des Suédois et des Français , et dans quelques
contrées la sécularisation des souverainetés ecclésiastiques
ont multiplié ces ruines ; mais je ne crois pas qu'il y en ait
une seule que l'on puisse imputer à la froide barbarie ou à
l'avidité de la population environnante. Un attentat de ce
genre serait sigaalé aussitôt par les organes innombrables
de la presse littéraire et scientifique ; une réprobation popu-
laire et religieuse s'attacherait au nom des coupables : ils
seraient mis au ban de la nationalité allemande.
Il n'y a donc que la France , où le vandalisme règne seul
et sans frein. Après avoir passé deux siècles et puis trente
ans à déshonorer par d'impures et grotesques additions nos
vieux monumens , le voilà qui reprend ses allures terroris-
tes et qui se vautre dans la destruction. On dirait qu'il pré-
voit sa déchéance prochaine , tant il se hâte de renverser
tout ce qui tombe sous son ignoble main. On tremble à la
seule pensée de ce que chaque jour il mine , balaie ou défi-
gure. Le vieux sol de la patrie , surchargé comme il l'était
des créations les plus merveilleuses de l'imagination et de la
foi, devient chaque jour plus nu, plus uniforme, plus pelé. On
n'épargne rien : la hache dévastatrice atteint également les
forêts et les églises, les châteaux et les hôtels-de-ville ; on
dirait une terre conquise d'où des envahisseurs barbares
veulent effacer jusqu'aux dernières traces des générations
qui l'ont habitée. On dirait qu'ils veulent se persuader que
le monde est né d'hier et qu'il doit finir demain , tant ils ont
hâte d'anéantir tout ce qui semble dépasser une vie d'homme.
On ne sait pas même respecter les ruines qu'on a faites , et
tandis qu'on cite en Angleterre des seigneurs qui dépensent,
chaque année, un revenu considérable pour préserver celles
qui se trouvent sur leur domaine ; tandis qu'en Allemagne
d'innombrables populations choisissent les décombres des
vieux châteaux pour y tenir leurs assemblées libérales ,
comme pour mettre leur liberté renaissante sous la protec-
tion des anciens jours ; chez nous , nous ne laissons pas
même le temps accomplir son œuvre , nous refusons à la na-
ture son deuil de mère. Car la nature , toujours douce et
aimante , l'est surtout envers les ruines que l'homme a fai-
tes ; elle semble se plaire à les orner de ses plus belles pa-
rures, comme pour les consoler de leur abandon et de
leur nudité. Et nous , nous leur arrachons leur linceul de
verdure , leur couronne de fleurs ; nous violons ces tom-
beaux des siècles passés. L'ancien seigneur les met à l'encan
et les vend au plus offrant : le nouveau bourgeois les achète ,
et s'il ne daigne pas leur donner une place clans ses con-
structions nouvelles , il les recrépit et les enjolive sur place.
Tous deux se coalisent pour déshonorer ces vieilles pierres.
Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire
du passé ne devient importune que lorsque la conscience du
présent est honteuse. Ce sera dans nos annales une bien
triste page , que ce divorce prononcé contre tout ce que nos
pères nous ont laissé pour nous rappeler leurs mœurs , leurs
affections , leurs croyances. Rien de plus naturel que ce di-
vorce dans le premier moment de la réaction populaire con-
tre l'ancien ordre social et politique ; mais y persévérer
après la victoire , y persévérer avec récidive en face de l'Eu-
rope surprise et dédaigneuse, immoler aux préjugés les plus
arriérés ce qui fait le charme d'une patrie et la gloire de
l'art, c'est un crime national dont il n'y a pas d'exemple
dans l'histoire. J'ignore quelle peine la postérité infligera à
ce mépris slupide que nous tirons de notre nullité moderne,
pour le lancer à la figure des chefc-d'œuvre de nos pères ;
mais cette peine sera grave et dure. Nous la mériterons,
non seulement par nos œuvres de destruction , mais encore
par les vils usages auxquels nous consacrons ce que nous
daignons laisser debout. Le Mont Saint-Michel , Fonte-
vrault , Saint- Augustin-lez-Limoges , Clairvaux , ces gigan-
tesques témoignages du génie et de la patience du moyen
âge , n'ont pas eu , il est vrai , le sort de Cluny et de Ci-
teaux , mais le leur n'est-il pas encore plus honteux , et ne
vaudrait-il pas mieux pouvoir errer sur les débris de ces cé-
lèbres abbayes que les voir , toutes flétries et mutilées ,
changées en honteuses prisons , et devenir le repaire du
crime et des vices les plus monstrueux , après avoir été l'a-
sile de la douleur et de la science? Croira-t-on dans l'avenir
que, pour inspirer à des Français quelque intérêt pour les
souvenirs d'un culte qu'ils ont professé pendant quatorze
siècles , il faille démentir leur origine et leur destination sa-
crée ? Il en est ainsi cependant. On ne parvient à fléchir les
divans provinciaux , les savans de l'empire, qu'en invoquant
le respect dû au paganisme. Si vous pouvez leur faire croire
qu'une église du genre anté-gothique a été consacrée à
quelque dieu romain, ils vous promettront leur protection ,
ouvriront leurs bourses , tailleront même leur plume pour
honorer votre découverte d'une dissertation. On n'en fini-
rait pas si Ton voulait énumérer toutes les églises romanes
qui doivent la tolérance qu'on leur accorde à cette ingé-
nieuse croyance. Je ne veux citer que la cathédrale d'An-
goulème dont l'inappréciable façade n'a été conservée que
parce qu'il a été gravement établi que le bas-relief du Père
éternel qui y figure entre les symboles consacrés des quatre
évangélistes , était une représentation de Jupiter. On lit en-
core sur la frise du portail de cette cathédrale : Temple de
la Raison.
Et ne croyez pas que ce soit la religion seule que l'on ré-
pudie ainsi. Ne croyez pas que les souvenirs purement his-
— 10 —
toriques, les souvenirs même de poésie et d'amour échappent
aux outrages du vandalisme. Tout est confondu dans la pro-
scription. A Limoges, on a eu la barbarietïe détruire le mo-
nument devenu célèbre sous le nom du bon mariage. C'était
le tombeau de deux jeunes époux du Poitou, partis, peu de
temps après leurs noces, pour aller en pèlerinage à Saint-Jac-
ques de Gompostelle. La jeune femme mourut en route à Li-
moges ; le mari alla accomplir son vœu, puis revint mourir
de douleur à Limoges. Lorsqu'on vint pour l'inhumer dans
le tombeau qu'il avait élevé à sa femme, celle-ci, selon la
tradition populaire, se retira d'un côté pour lui faire place.
C'est ce même tombeau qui a été détruit, et pas une voix ne
s'est élevée pour le sauver. A Avignon, l'église de Sainte-
Claire, où Pétrarque vit Laure pour la première fois, le ven-
dredi saint de l'an 1328, l'église qu'il avait bénie dans ce
sonnet fameux :
Benedetto sia '1 giorno , e '1 mcse , e Panno
E la stagione , e '1 tempo , e l'hora , e '1 punto,
E '1 bel paëse , e 'l loco , or' io fui giunto
Da duo begli occhi , che legato m'hanno , etc.
cette église a péri avec cent autres : elle est transformée
aujourd'hui en manufacture de garance. L'église des Corde-
liers, où reposait la dépouille de cette belle et chaste Laure,
à côté de celle du brave Grillon, a été rasée pour faire place
à un atelier de teinture ; il n'en reste debout que quelques
arceaux : la place même de ses cendres n'est marquée que par
une ignoble colonne, élevée par les ordres d'un anglais et dé-
corée d'une inscription lisible.
Les Goths eux-mêmes , les Ostrogoths n'en faisaient pas
tant. L'histoire nous a conservé le mémorable décret de leur
roi Théodoric, qui ordonne à ses sujets vainqueurs de res-
pecter scrupuleusement tous les monumens civils et religieux
de l'Italie conquise.
— il —
Ces faits que je viens de citer me rappellent que je dois
vous faire connaître quelques uns de ceux que j'ai recueillis
pendant mes rapides courses dans le midi. J'en profiterai
pour justifier une sorte de classification qu'il m'a semblé na-
turel d'établir, en cherchant à apprécier le caractère des ra-
vages du vandalisme dans les provinces de France que j'ai
parcourues. Je n'entends nullement la garantir pour les au-
tres. J'y joindrai quelques détails spéciaux sur les monumens
du moyen âge à Toulouse et à Bordeaux que j'ai eu l'occasion
de voir plus complètement.
Tout le monde doit reconnaître que le vandalisme moderne
se divise en deux espèces bien différentes dans leurs motifs,
mais dont les résultats sont également désastreux. On peut
les désigner sous le nom de vandalisme destructeur et de
vandalisme restaurateur.
Chacun de ces vandalismes est exploité par différentes ca-
tégories de vandales, que je range dans l'ordre suivant, en
assignant à chacune d'elles le rang que lui mérite son degré
d'acharnement contre les vieilleries.
I. VANDALISME DESTRUCTEUR.
Première catégorie. — Le gouvernement.
2e > Les maires et les conseils municipaux.
3* » Les propriétaires.
4* j> Les conseils de fabriques et les curés.
En 5« lieu, et à une très grande distance des préoédens, l'émeute.
II. VANDALISME RESTAURATEUR.
Première catégorie. ■— Le clergé et les conseils de fabrique.
2e > Le gouvernement.
3* » Les conseils municipaux.
*• » Les propriétaires.
L'émeute a au moins l'avantage de ne rien restaurer.
Je vous fais grâce du vandalisme constructeur, parce que
le dégoût qu'il inspire n'est pas même tempéré par l'indigna-
— 12 —
tion. Qui est-ce qui aurait le courage de s'indigner à la vue
des palais de justice, des hôtels de ville, des bourses, des
églises à la façon de Notre-Dame de Lorette, et des autres
plaisantes œuvres qui bourgeonnent sous les auspices du con-
seil des bâtimens civils.
Je dois maintenant justifier la classification que je viens
d'établir par rénumération de certains traits, de certains dé-
tails que j'ai vus de mes propres yeux. Ils sont en petit nom-
bre, mais j'espère qu'ils suffiront pour vous convaincre que
je n'ai fait de passe-droit à aucune de mes catégories.
1° Le gouvernement et la liste civile.
J'assigne le premier rang au gouvernement , non seule-
ment à cause de ce qu'il a fait , mais encore à cause de ce
qu'il laisse faire. Et comment ne serait-il pas responsable
de tout ce qui se dévaste , de tout ce qui se dégrade en
France , lui qui s'arroge le droit d'intervenir dans toutes les
démarches de la vie civile, sociale, religieuse des Français?
Comment lui qui , armé de tous les articles qu'il puise dans
le fouillis impur de notre législation , enlace de son despo-
tisme chaque commune , chaque famille , chaque individu
qui cherche à se développer , lui qui tient le compte de tous
les cailloux de nos routes , lui dont il faut obtenir la royale
autorisation pour déraciner les chênes pourris , lui qui s'en
va prendre chaque petit garçon de France pour le jeter dans
ces antres qu'il nomme collèges , lui dont les agens s'en vont
écouter aux portes de tous les presbytères et fouiller dans
les armoires de toutes les sacristies \ lui qui tient la main à
tous les tripots , à tous les égouts j comment ! il n'aurait pas
le temps de veiller aussi un peu aux monumens qui font la
gloire et l'ornement du pays ! et dans sa vaste sollicitude il
' Voyez la fameuse circulaire du sous-préfet de Neufchâtel, M. Co«
caguç.
— 13 —
ne daignerait pas embrasser cette fortune de la France et
de l'art dont les déficits vont toujours croissant * !
Et remarquez bien , Monsieur , que je parle ici du pouvoir
en général et non d'aucun pouvoir en particulier. Depuis
plusieurs siècles , il ne change malheureusement pas de na-
ture en changeant d'usufruitier. Quant au vandalisme qui
nous régit aujourd'hui , il me semble que vous en avez fait
votre domaine , et qu'il y aurait de la témérité à marcher
sur vos traces. Je vous le laisse donc à flétrir. N'oubliez
seulement pas, je vous en supplie , la mémorable mise à l'en-
can des tours de Bourbon l'Archambault , mesure dont la
clameur de haro du public a fait justice , mesure qui ne fut
pas adoptée par mégarde , comme on l'a dit , mais bien , s'il
faut en croire une autorité honorable et sûre , par calcul et
pour allécher quelque fanatique de royalisme.
Le pouvoir d'aujourd'hui ne fait donc qu'imiter ses prédé-
cesseurs , qui l'ont dignement précédé dans la carrière.
Les ravages que je vais vous dévoiler doivent principalement
leur être imputés. Figurez-vous Fontevrault , la célèbre , la
royale , l'historique abbaye de Fontevrault , dont le nom se
trouve presque à chaque page de nos chroniques des onzième
et douzième siècles ; Fontevrault , qui a eu quatorze prin-
cesses de sang royal pour abbesses , et où ont été dormir
tant de générations de rois , qu'on lui a donné le nom de
Cimetière des Rois,- Fontevrault , merveille d'architecture
avec ses cinq églises , et ses cloîtres à perte de vue, aujour-
d'hui flétrie du nom de maison centrale de détention. Et
si l'on s'était encore borné à lui assigner cette misérable des-
1 II faut se rappeler que ces lignes ont été écrites en 1833, et qu'a-
lors le gouvernement n'avait pas encore manifesté la tendance géné-
reuse et conservatrice qui a signalé les efforts des ministères de l'in-
térieur et de l'instruction publique depuis cette époque. L'auteur,
alors âpre dans sa censure , sera aujourd'hui le premier à rendre
hommage aux nouvelles et bienveillantes allures du pouvoir.
— . 16 — .
tination ! Mais ce n'est pas tout ; pour la rendre digne de
son sort nouveau , on a tout détruit; ses cloîtres ont été blo-
qués , ses immenses dortoirs , ses réfectoires , ses parloirs ,
rendus méconnaissables ; ses cinq églises détruites ; la pre-
mière et la principale , belle et haute comme une cathédrale,
n'a pas même été respectée ; la nef entière a été divisée en
trois ou quatre étages et métamorphosée en ateliers et en
chambrées. On a bien voulu laisser le chœur à son usage
primitif , et il serait encore admirable de pureté et d'éléva-
tion , si les vandales non contens d'en avoir brisé tous les vi-
traux , ne l'avaient encore couvert, depuis la voûte jusqu'au
pavé , d'un plâtras tellement épais, tellement copieux , qu'il
est , je vous assure, fort difficile de distinguer la forme des
pleins-cintres des galeries supérieures. On est aveuglé par
la blancheur éblouissante de ce plâtras ; il a été appliqué
pendant la Restauration. Les seuls débris du Cimetière des
Mois, les quatre statues inappréciables de Henri II d'Angle-
terre , de sa femme Éiéonore de Guienne, de Richard Cœur-
de-Lion , et d'Isabelle , femme de Jean-sans-Terre , gisent
dans une sorte de trou voisin. La fameuse tour d' Evrault ,
maigre tous les efforts des antiquaires du pays pour la faire
respecter en considération de son origine païenne , a été li-
vrée aux batteurs de chanvre; la poussière a confondu tous
les ornemens et tous les contours de son intérieur en une
seule masse noirâtre ; et sa voûte octogone , qui offre des
particularités de construction unique , ne peut manquer de
s'écrouler bientôt , grâce à l'ébranlement perpétuel que pro-
duit cette opération.
A Avignon , la ville papale, la ville aux mille clochers, la
ville sonnante, comme l'appelait Rabelais , on voyait d'in-
nombrables monumens de l'influence du saint-siége sur l'art,
dans un temps où l'art était exclusivement catholique , à la
différence de Rome où, par une anomalie déplorable, aucun
édifice remarquable ne porte l'empreinte des siècles où la
— 15 —
foi faisait surgir sur tout le sol chrétien ces merveilles d'ar-
chitecture dont le christianisme seul avait inventé les for-
mes et les détails profondément symboliques. De tous ces
monumens , le plus rare était à coup sûr le palais des Papes,
habité par tous ceux qui passèrent, le quatorzième siècle en
France. Je ne pense pas qu'il existe en Europe un débris
plus vaste , plus complet et plus imposant de l'architecture
civile ou féodale du moyen âge. Le voyageur, qui, arrivant
par le Rhône , aperçoit de loin , sur son rocher , ce groupe
de tours , liées entre elles par de colossales arcades , à côté
de l'illustre cathédrale, est saisi de respect. Je n'ai vu nulle
part l'ogive jetée avec plus de hardiesse. On dirait les ger-
bes d'un feu d'artifice lancées en l'air et retenues , avant de
tomber , par une main toute puissante. On ne saurait conce-
voir un ensemble plus beau dans sa simplicité , plus gran-
diose dans sa conception. C'est bien la papauté tout entière,
debout , sublime , immortelle , étendant son ombre majes-
tueuse sur le fleuve des nations et des siècles qui roule à ses
pieds.
Eh bien ! ce palais n'a pas trouvé grâce devant les royaux
protecteurs de l'art en France. L'œuvre de destruction a été
commencé par Louis XIV ; après qu'il eut confisqué le com-
tat Venaissin sur son légitime possesseur , il fit abattre la
grande tour du palais pontifical , qui dominait les fortifica-
tions récentes de Villeneuve d'Avignon. La révolution en fit
une prison , et une prison douloureusement célèbre par le
massacre de la Glacière. L'empire ne paraît avoir rien fait
pour l'entretenir. La Restauration a systématisé sa ruine.
Certes, ce palais unique avait bien autrement le droit d'être
classé parmi les châteaux royaux , que les lourdes masures
de Bordeaux ou de Strasbourg ; certes , le roi de France ne
pouvait choisir dans toute l'étendue de son royaume un lieu
plus propice à sa vieille majesté , au milieu de ces popula-
tions méridionales qui avaient encore foi en elle. Mais point.
— 16 —
En 1820 , il fut converti en caserne et en magasin, sans pré-
judice toutefois des droits de la justice criminelle , qui y a
conservé sa prison. Aujourd'hui tout est consommé ; il ne
reste plus une seule de ces salles immenses dont les rivales
n'existent certainement pas au Vatican. Chacune d'elles a
été divisée en trois étages , partagée par de nombreuses
cloisons; c'est à peine si, en suivant d'étage en étage les
fûts des gigantesques colonnes qui supportaient les voûtes
ogives, on peut reconstruire par la pensée ces enceintes ma-
jestueuses et sacrées, où trônait naguère la pensée religieuse
et sociale de l'humanité. L'extérieur de l'admirable façade
occidentale a été jusqu'à présent respecté , mais voilà tout :
une grande moitié de l'immense édifice a été déjà livrée aux
démolisseurs ; dans tout ce qui reste , ses colossales ogives
ont été remplacées par trois séries de petites fenêtres car-
rées, correspondantes aux trois étages de chambrées dont je
viens de parler : le tout badigeonné proprement et dans le
dernier goût. Dans une des tours , de merveilleuses fresques,
qui en couvraient la voûte , ne sont plus visibles qu'à travers
les trous du plancher, l'escalier et les corridors de commu-
nication ayant été démolis. D'autres, éparses dans les salles,
sont livrées aux dégradations des soldats , et aux larcins des
touristes anglais et autres. Le juste-milieu, pour ne pas
rester en faute à l'égard de ses prédécesseurs, vient d'arrêter
la démolition des arcades de la partie orientale , pour faire
une belle cour d'exercice. Définitivement l'art et l'histoire
ont de moins un monument unique , et les gouvernemens
tutélaires une tache de plus.
Je ne puis m'empêcher de transcrire ici quelques passages
d'une lettre que m'écrit à ce sujet un jeune industriel d'A-
vignon. Ils vous montreront combien il y a souvent d'intel-
ligence et d'élévation enfouies dans nos provinces disgra-
ciées. Voici ses paroles :
« Sur un sol où le culte des souvenirs historiques conser-
— 17 —
c verait quelques autels , on adorerait ces nobles débris,
t Tandis que les ruines vont tous les jours s'amoncelant sur
t notre vieille terre d'Europe , on ne croirait pas qu'il fût
c possible de dédaigner un des plus beaux monumens que
t la foi religieuse du moyen âge ait transmis à l'incrédulité
c du nôtre. Si le palais de Jean XXII est devenu une ca-
« serne du maréchal Soult , si , à ces fenêtres où paraissait
i la figure radieuse des pontifes pour jeter une bénédiction
« solennelle urbi et orbi, l'œil n'aperçoit plus aujourd'hui
t que des baudriers , des équipemens de soldat se séchant
« au soleil ; si ces salles , autrefois remplies de cardinaux ,
c d'évêques, de fidèles, accourus de tous les points du
c monde chrétien, sont en ce moment des cuisines, des ate-
t liers , on a le droit de gémir et de maudire tout bas le
« siècle qui a pu faire une saisie si amère, une confiscation
t si violente de tout ce qu'il y a de plus doux dans la mé-
t moire des hommes, t
Notez qu'il n'y a aucune excuse , aucun prétexte pour
cette froide barbarie. Il n'y a pas une de ces pierres ponti-
ficales qui ne soit blanche , solide , adhérente aux autres ,
comme si elle avait été posée hier; elles ont essuyé cinq
cents hivers comme un jour; le temps s'est incliné devant
elles et a passé outre. Il a fallu que la chétive main des rois
modernes vînt tout exprès souiller et vexer cette grande
chose.
Un sort plus triste encore, s'il est possible, attend le châ-
teau d'Angoulême , bien moins vaste et moins grandiose,
mais à qui sa position admirable et ses souvenirs chevale-
resques auraient dû concilier le respect des siècles. C'est là
qu'expira avec gloire la féodalité armée, lorsque le duc
d'Épernon , qui en était gouverneur, y conduisit la veuve
de Henri IV, et y maintînt, contre toutes les forces royales,
les droits d'une femme et de son épée. Il en reste encore
trois fort belles tours qui renferment des salles renommées
3
— 18 —
pour leur beauté et leur étendue , décorées des insignes de
la maison de Lusignan , qui les fit construire. Le public n'y
est plus admis , parce qu'on en a fait un dépôt de poudre à
canon. Le tout doit être abattu, sauf la tour du télégraphe,
afin que la ville d'Angoulème puisse posséder une rue Louis-
Philippe, qui permette de voir de la place du marché la
nouvelle préfecture , laquelle a un toit en ardoises et six
paratonnerres.
A Foix , il y a pis que destruction , il y a restauration et
même construction. Imaginez- vous une seconde édition des
méfaits de la Conciergerie à Paris. Au milieu d'une noble
vallée, resserrée par de hautes montagnes qui préludent aux
Pyrénées , on voit un rocher isolé que baignent les ondes
rapides de l'Ariége. Au pied de ce rocher, un charmant édi-
fice du quinzième siècle sert encore de palais de justice; sur
son sommet s'élevait le château de ces fameux comtes de
Foix qui luttèrent avec un si indomptable courage contre
les rois de France et d'Aragon , et qui finirent avec ce Gas-
ton , qui eût été le dernier des chevaliers , si Bayard ne lui
eût survécu. Il reste de ce château trois très belles tours , à
peu près isolées, d'époques différentes, mais toutes trois an-
térieures au quinzième siècle : elles jouissent d'une célébrité
proverbiale dans toutes les contrées environnantes. Eh bien!
on les a masquées, plâtrées, abîmées par un amas de pierres
blanchies en forme de caserne que l'on a jugé nécessaire à
l'exécution du plan qui a transformé ce monument en prison.
Pour me servir de l'expression des gens du pays, on a affublé
ces vieilles tours d'un bonnet de coton.
Il faut encore nommer Eysse, célèbre abbaye, près Ville-
neuve d'Agen, qui est aussi transformée en maison centrale
de détention, ce qui a motivé la destruction de deux églises,
l'une , celle des religieux , célèbre par sa beauté , l'autre ,
celle de la paroisse même , qui avait le malheur de se trou-
ver sur la limite des nouvelles constructions. Il paraît que
— 19 —
de tout temps le vandalisme a été du goût des gouverne-
mens. Je lisais dernièrement dans une vieille histoire du
Cambresis par Le Carpentier (Leyde 1664, p. 458), que
Charles-Quint fit détruire à Cambrai la magnifique église
collégiale de Saint-Géry, pour en consacrer les matériaux à
la construction d'une citadelle, dont il se servit ensuite pour
ôter à la ville ses droits et privilèges. A Gand, il en agit de
même : la vieille et immense église de Saint-Bavon , avec
son monastère, fut rasée par cet empereur catholique, pour
faire place à une citadelle. Louis XIV témoigna le même
respect pour la religion et pour l'art , lorsque , après avoir
arraché la Franche-Comté à la couronne d'Espagne , sous
laquelle elle vivait heureuse et libre , il fit abattre la véné-
rable cathédrale de Besançon, Saint-Etienne, le berceau de
la foi dans cette province si catholique , pour agrandir les
ouvrages de sa citadelle monarchique '.
En voilà assez sur les exploits des gouvernemens mo-
dernes en fait de beaux-arts. Ne serait-ce pas du reste une
illusion que cette croyance invétérée à la nécessité de la
protection du pouvoir pour l'art? Les artistes eux-mêmes
n'ont-ils pas été trop souvent enclins à mêler leurs voix et
leurs souhaits aux idées de la foule sur cette matière? N'ont-
ils pas trop souvent oublié que, pour être fidèle à la sainteté
de sa mission , l'artiste comme le prêtre ne doit être que
l'homme de Dieu et du peuple? En France surtout, les
grands noms de François Ier, de Louis XIV, ont établi une
sorte de foi traditionnelle dans l'influence tutélaire du pou-
voir. Et cependant n'y a-t-il pas entre les ébats courtisanes-
ques de l'art sous ces monarques , et sa gigantesque popu-
' De nos jours il faut avouer qu'on y regarde de plus près : Notre-
Dame de Fourvière, ce sanctuaire chéri des Lyonnais, devait faire
place à un fort dans le nouveau système de la ville ; mais le gou-
vernement a eu le bon esprit de renoncer à ce projet pour ne pas
blesser les populations.
— 20 —
larité au moyen âge, tout l'intervalle qui sépare la chapelle
de Versailles de Noire-Dame? En Italie, en Allemagne,
n'est-ce pas la même différence? Je ne sais quelle popularité
de commande s'est attachée au nom des Médicis dans la
superficielle et menteuse histoire telle que nous l'a léguée
le dix-huitième siècle ; on dirait que l'art a contracté une
dette sacrée envers 'cette race de marchands couronnés et
oppresseurs. Mais qu'on aille donc à Florence ; qu'on fasse
deux parts des monumens de cette ville ; que l'on prenne
pour point de séparation le jour où Laurent de Médicis, ha-
letant sur son lit de mort , tourne le dos à Savonarole qui
lui offre l'absolution à condition que , par une parole su-
prême, il rende la liberté à Florence ; que l'on compare ces
deux moitiés de la métropole de l'art italien, et nous défions
les courtisans les plus aveugles de ne pas déplorer, esthéti-
quement au moins, la révolution qui jeta Florence sous les
pieds de la souveraineté absolue. Michel- Ange le sentait
bien, car, lorsqu'en 1527 Florence expulsa les Médicis et
proclama qu'elle n'avait d'autre roi que Jésus-Christ, il laissa
là les tombeaux qu'il élevait pour les ancêtres de ces Médicis
à S.-Lorenzo , entreprit de fortifier toute l'enceinte de la
ville, prêta mille écus à la république, se fit nommer un des
neuf commissaires des affaires militaires , revint ensuite de
Venise, au plus fort du siège, pour diriger la défense, et ne
cessa de combattre qu'au dernier moment contre ces pro-
tecteurs de l'art. Croyons avec lui que le pouvoir, à toutes
les époques , possède l'incontestable faculté de dégrader et
de dépopulariser l'art ; mais bien rarement de le ranimer et
de l'inspirer.
Pardon , Monsieur, de cette digression. Je passe à ma se-
conde catégorie de vandales.
1 —
2° Les autorités municipales.
Je n'ai certes rien à vous offrir dans cette catégorie de
comparable à votre histoire de la délibération du conseil
municipal de Laon sur la tour de Louis d'Outremer; mais
je me flatte , ou plutôt je rougis d'avoir à consigner quel-
ques traits qui montreront que ces messieurs ont des émules
dignes d'eux sur tous les points du pays. Voici , par exem-
ple , MM. du conseil municipal de Poitiers qui ont ingé-
nieusement fait détruire les antiques et célèbres remparts
de leur ville, qui lui donnaient un aspect si original et si at-
trayant, pour les remplacer par un petit mur à hauteur
d'homme, dans le genre de celui qui entoure Paris , accom-
pagné de grilles en fer qui servent de portes et de barrières
à l'octroi. A Villeneuve d'Agen, c'est encore mieux que cela:
aux portes de cette ville , sur une hauteur qui domine le
cours du Lot, s'élevait le château de Pujols qui était un des
monumens les plus vastes et les plus magnifiques du moyen
âge dans ces contrées ; ce château , quoique pillé et dévasté
à l'intérieur, et malgré sa position exposée, avait survécu à
la révolution et était devenu la propriété de la ville. Il y a
quatre ans , le conseil municipal l'a fait détruire , et voici
comment. On avait conçu le projet d'agrandir la prison
d'Eysse, voisine de la ville. Les matériaux manquaient : un
entrepreneur se présente et propose d'acheter et de démolir
le vieux château pour en consacrer les pierres à ce nouvel
usage. Le conseil trouve l'offre intelligente et avantageuse,
mais des débats s'élèvent sur le prix. Le conseil, voulant
faire une bonne affaire en même temps qu'une œuvre d'art,
demande 100 louis de ses ruines : l'entrepreneur n'en veut
donner que 1,800 francs. De guerre lasse on accepta ses of-
fres, et le château est tombé moyennant 1,800 fr. de profit
pour la caisse municipale.
— 52 —
À Agen, la belle cathédrale de Saint-Étienne a été abattue
sous l'empire, parce qu'il eût coûté trop cher de la réparer.
Les piliers gothiques de la nef sont restés debout comme
pour attester le vandalisme des autorités : l'enceinte sacrée
sert de marché aux bestiaux ; les matériaux provenant de la
destruction ont été employés à la construction d'une nou-
velle salle de spectacle. A Saint-Marcellin en Dauphiné, on
y a mis moins de façon ; le conseil municipal s'est emparé
d'une des deux seules églises de la ville et a décrété qu'elle
servirait désormais de salle de spectacle. Aussitôt dit, aus-
sitôt fait.
A Saint-Savin dans les Pyrénées, près de Pierrefitte, le
conseil municipal vient de faire raser une église romane de
la plus haute antiquité et d'un incontestable intérêt, pour la
remplacer par une place publique.
Tout le monde a entendu parler de la destruction de l'ab-
baye de Saint-Bertin à Saint-Omer, crime qui a eu quelque
retentissement en France , grâce à M. Vitet. Mais ce qu'on
ne sait pas généralement , et ce qui m'a été affirmé par
d'honorables habitans de Saint-Omer, c'est que cette des -
truction a été surtout motivée par l'ombre que projetaient
ces majestueuses ruines sur les tulipes du jardin d'un des
principaux fonctionnaires municipaux. Ote-toi de mon so-
leil, leur a dit ce Diogène d'une façon nouvelle, et l'abbaye
a disparu.
A Moissac, il y a, comme vous savez, une abbaye célèbre
pour avoir reçu l'hommage féodal d'un roi de France , de
Philippe-le-Hardi , je crois. Elle mérite de l'être bien plus
encore à cause de l'extrême beauté de son église et de son
cloître , monumens précieux de la transition du plein-cintre
à l'ogive. La municipalité s'est emparée de ce cloître , et
savez-vous le parti qu'elle en tire ? Elle en fait scier les ad-
mirables colonnes une à une pour les transporter ailleurs ,
et si j'ai bonne mémoire , pour les utiliser dans la construc-
- a3 ~
tion d'une halle. L'église elle-même ne leur a pas échappé ;
il y a quelques années, sa façade, qui est une des pages les
plus curieuses que l'art mystérieux du moyen âge ait tracée
dans le midi , parut à M. l'adjoint avoir besoin de quelque
enjolivement; aussi profita- t-il de l'absence de M. le maire
pour la faire badigeonner du haut en bas ; vous ne devine-
riez jamais en quelle couleur? en bleu! L'intérieur était
déjà, grâce aux soins de la fabrique, revêtu d'une triple pa-
rure de bleu , blanc et jaune.
Ce n'est plus là de la destruction , comme vous voyez ,
c'est de la restauration paternelle et bienveillante, manie qui
possède nos autorités de tout rang et de toute nature. A
Pamiers, il y a une cathédrale dont Mansard eut le bon goût
de conserver le clocher à pignons triangulaires , lorsqu'il
reconstruisit la nef dans le goût du dix -septième siècle.
Mais ce pauvre clocher n'a pu échapper à un badigeonneur
officiel , intitulé architecte du département , lequel est venu
tout exprès de la préfecture pour le peindre en rose.
Quand ces autorités usent de leurs droits en déléguant des
fonctions importantes pour l'art et les monumens histori-
ques, elles déploient d'ordinaire autant de discernement
que lorsqu'elles mettent elles-mêmes la main à l'œuvre. Je
n'en veux citer qu'un exemple : on a nommé, il y a quelques
années, à Amiens , un bibliothécaire, dont toute la vie pré-
cédente avait été complètement étrangère à ce genre d'é-
tudes, et qui , trouvant que les manuscrits in-folio que ren-
fermait sa bibliothèque ne pouvaient pas entrer dans les
rayons des casiers , crut que le meilleur parti était de les
réduire en les rognant à la hauteur nécessaire. Il est très
flatteur pour la France éclairée et régénérée d'avoir donné
ainsi une seconde édition du trait de ces cosaques, qui,
lors du transport de la bibliothèque de Varsovie ou de Vilna
à Pétersbourg , scièrent par le milieu les livres qui étaient
trop gros pour entrer dans leurs caisses.
— 2û —
Puisque j'en suis aux bibliothèques, je ne puis passer sous
silence l'idée lumineuse de ce conseiller municipal de Chà-
lons-sur-Saône , qui, pour contribuer de son mieux à la dif-
fusion des lumières et cle l'instruction publique , proposa
gravement de consacrer à la reliure des livres d'école les
parchemins des missels et autres manuscrits de la bibliothè-
que de la ville.
Après avoir vu de si beaux exploits dans sa patrie , un
Français a la consolation de lire dans les journaux anglais
que la corporation ou conseil municipal de Chester dépense
tous les ans des sommes considérables pour maintenir dans
un état de réparation complète les vieilles murailles de cette
ville, et qu'à York une assemblée populaire (country mee-
ting) a décidé que le célèbre château de ce nom, qui mena-
çait ruine , serait reconstruit exactement sur le même plan
et dans le même genre.
Passons à la troisième catégorie :
3o Les propriétaires.
Je ne prétends pas assurément que les ravages exercés
par les propriétaires soient aussi déplorables et même aussi
nombreux que ceux qui peuvent être portés au compte du
gouvernement et des autorités locales; il y a une bonne
raison pour cela. C'est que les propriétaires ont rarement à
leur disposition des monumens assez importans pour que la
disparition en soit très regrettable. Mais toutes les fois que
l'occasion s'en présente , on remarque chez eux le même
mépris, la même insouciance du passé, souvent le même
acharnement grossier contre les nobles restes qui tombent
malheureusement entre leurs mains. Cette tendance est sur-
tout inexplicable et inexcusable chez ce qu'on appelle les
grands propriétaires , chez l'ancienne noblesse de province,
à qui tant de motifs indépendans de l'art devraient inspirer
— 25 —
une sorte de culte pour ces vestiges de leur propre histoire.
Eh bien ! en général il n'en est rien. Ni de glorieux souve-
nirs de famille, ni le respect des œuvres de leurs pères , ni
les sympathies politiques qu'on leur impute pour le passé
dont ces monumens sont l'image, rien de tout cela ne fait la
moindre impression sur la majeure partie d'entre eux. Il
eût été à désirer, au moins dans les intérêts de l'art , qu'ils
eussent été conséquens à leurs opinions politiques à la ma-
nière de M. Voyer d'Argenson, qui, en vrai niveleur, a fait
raser son beau château des Ormes en Poitou par amour de
l'égalité. Par amour de l'ancien régime, la noblesse roya-
liste aurait dû nous conserver scrupuleusement ses castels.
Mais point : vous les verrez laisser vendre sous leurs yeux
et à vil prix , ou bien vendre eux-mêmes impitoyablement
le manoir de leurs pères , le lieu dont ils portent le nom ,
pour peu qu'un séjour plus rapproché de Paris ou même un
avantage pécuniaire les séduise. S'ils daignent le conserver,
ce sera pour en sacrifier mainte fois la partie la plus pré-
cieuse et la plus originale à une commodité du jour, à une
invention parisienne : le plus souvent ils n'en feront aucun
cas , ils ne se donneront pas même la peine de détruire ,
tandis qu'un peu d'intérêt et bien peu d'argent eussent suffi
pour préserver ces illustres ruines des derniers outrages.
Je crois qu'au risque d'envahir le domaine de la liberté in-
dividuelle , on peut et on doit infliger la publicité à des mé-
faits de ce genre. Vous en savez beaucoup plus long que
moi sur ce sujet, Monsieur, et j'espère que vous ne garderez
pas toujours pour le cercle restreint de vos amis , ces plai-
sans récits qui nous ont souvent à la fois réjouis et indi-
gnés. Pour moi , je ne veux parler que de ce que j'ai vu par
moi-même.
En entrant dans le Périgord , à Mareuil , on voit un châ-
teau abandonné , appartenant à la famille qui porte le nom
de cette province. C'est un type parfait de résidence féodale
- 16 —
au treizième et même pendant la première moitié du qua-
torzième siècle. Ce château est dans l'état d'abandon le plus
complet; de charmans détails de sculpture dans les tympans
des fenêtres et les fausses balustrades des croisées sont cha-
que jour endommagés par les fermiers qui l'habitent ; les
toits des tourelles s'affaissent et entraînent des pans de murs
avec eux ; on a même parlé de jeter bas la tour d'entrée
et les ouvrages avancés , et d'en vendre les matériaux ; et
l'on n'y a renoncé, du moins c'est ce qui m'a été assuré, que
sur les réclamations de la ville, qui en demandait la conser-
vation comme ornemens publics. Il y a ici un changement
de rôles si bizarre , une anomalie si curieuse , que je cite ce
détail sans trop y croire moi-même ; ce serait toujours un
trait fort honorable pour le conseil municipal de Mareuil ,
en supposant même que l'esprit de contradiction y entrât
pour quelque chose.
Plus loin dans le Périgord, à Bourdeille , on voit de deux
lieues de loin la haute tour du château qu'a popularisé et
célébré Brantôme. M. de Jumilhac l'a vendue pour six mille
francs. Encore plus loin , sur les charmantes rives de la
Dordogne, un immense rocher porte les imposantes ruines
de Castelnau , château qui a appartenu depuis des siècles à
la maison de Caumont La Force. Le duc actuel les a mises
en vente pour six cents francs : encore a-t-il eu le chagrin
de ne pas trouver d'acquéreur, tant est grand le respect hé-
réditaire que porte à ces vieilles pierres la population envi-
ronnante.
En Angoumois , Aulnac , sur les bords de la Charente ,
castel qu'une dépense insignifiante suffirait pour remettre
dans un état parfaitement conforme au goût du quatorzième
siècle, avec d'autant plus de facilité que l'extérieur n'a subi
aucune restauration maladroite ; Aulnac est livré par son
propriétaire actuel, M. de Chambonneau, à une ruine gra-
duelle qui deviendra dans peu d'années irréparable.
— 27 —
Près de Toulouse, le même sort attend le célèbre château
de Pibrac, qui donna son nom à Dufaur, ambassadeur de
France au concile de Trente , qui appartient encore à ses
descendans , et que les souvenirs d'Henri IV, qui y a sé-
journé quelque temps pendant sa vie aventureuse de roi de
Navarre , n'ont pu préserver d'un abandon complet. Dans
le coin d'une grande pièce à peine fermée , on voit couché
à terre et couvert de poussière un tableau sur bois vraiment
remarquable du seizième siècle , une adoration des Mages :
on a l'air de le regarder comme un devant de cheminée.
En Anjou, Pocé, aux portes de Saumur, fameux dans
l'histoire de cette province par les bizarres privilèges que la
tradition attribue à ses châtelains, est inhabité et condamné
à servir de dépendance à une ferme voisine , bien que dans
un état de conservation surprenante à l'extérieur : on ne
peut pas même visiter l'intérieur.
Un peu plus loin , en pleine Vendée , sur cette route de
Saumur à Thouars, que le plus beau sang de France a si
souvent arrosée, on voit , dans une position excellente au
dessus de Thouet, le château de Montreuil-Bellay, immense
et majestueux, véritable forteresse, renfermant dans son
enceinte la belle église gothique qui sert de paroisse à la
ville. Il a appartenu au célèbre prince de Talmont, et après
avoir traversé comme par miracle les fureurs de la guerre
civile, il n'a pas su trouver grâce devant sa veuve; elle l'a
vendu sous la Restauration à un habitant de Saumur, qui le
détruit en détail. Au bas du rempart se trouve une seconde
église, dont il ne reste que les murs à moitié abattus , mais
encore couverts de fresques que les intempéries des saisons
n'avaient pas eu le temps de rendre méconnaissables à l'é-
poque où j'y suis passé, mais qui doivent être perdues
maintenant.
Sur les bords de la Loire , entre Saumur et Candes, s'é-
lève encore le château de Montsoreau , célèbre dans l'his-
— 28 —
toire si éminemment chevaleresque de l'Anjou par mille
aventures, et plus tard par le rendez-vous fatal de Bussy
d'Amboise. Ce château , dont la construction date du plus
beau temps de la renaissance , avait aussi échappé au van-
dalisme révolutionnaire , mais il a été victime de celui de
son dernier propriétaire, le marquis de Sourches-Tourzel. Il
l'a vendu à des paysans du village qui l'ont déchiqueté , dé-
gradé , abîmé de mille manières. On n'a épargné que le cu-
rieux escalier tournant dans la tourelle du sud-est , dont la
voûte surtout est regardée comme un chef-d'œuvre de l'art.
Mais les grandes croisées carrées ornées de ravissante!
sculptures, les salles voûtées, les immenses cheminées ont
disparu pour faire place à une foule de petites chambrettes
que vous montrent complaisamment ces nouveaux distribu-
teurs, tout fiers d'avoir tiré un si bon parti d'une si utile
grandeur. C'est à peine si l'on peut découvrir çà et là quel-
ques traces d'un de ces admirables plafonds en bois de
chêne à carreaux sculptés dont Fart s'est perdu depuis.
Enfin , on vient de m'apprendre qu'au château de Mont-
murand en Bretagne, la chapelle où Duguesclin fut armé
chevalier a été changée en buanderie, et qu'une autre cha-
pelle a été bâtie exprès dans la cour voisine pour la rem-
placer ! Une pareille profanation ne souffre pas de com-
mentaire.
Il est juste de citer à côté de ces scandales quelques rares
et nobles exemples d'un culte voué par quelques familles
aux manoirs de leurs pères. Le plus éclatant de ces exem-
ples qui soit à ma connaissance est celui du château de
Biron, sur les confins de l'Agénois et du Périgord, dont
l'imposante beauté, les trois chapelles gothiques, ont trouvé
dans les possesseurs actuels des protecteurs éclairés. Ce châ-
teau est l'objet d'une véritable affection dans le pays , où le
nom des Biron jouit de toute sa gloire , et où les bergères
chantent encore la complainte du maréchal que fit décapiter
— 29 —
Henri IV. On peut nommer encore en Périgord , Bannes ,
préservé dans sa forme ancienne par MM. de Losse, et Lan-
quais, par MM. de Gourgues ; en Angoumois, le beau et
vaste château de La Rochefoucauld , racheté par la maison
de ce nom; en Anjou, sur la rive méridionale de la Loire,
la belle tour de Trêves, haute de cent pieds, construite en
1016, par Foulques d'Anjou, donnée par Charles VII au
chancelier Robert-le-Maçon , en reconnaissance de ce qu'il
lui avait sauvé la vie lors de la prise de Paris par les Bour-
guignons, et parfaitement entretenue par M. de Castellon
qui en est aujourd'hui le maître (1).
Malheureusement ce ne sont là que de trop rares excep-
tions à une règle presque générale de destruction et d'aban-
don. S'il en est ainsi des anciens seigneurs , de ceux que
tout concourt à faire regarder comme les représentans du
principe conservateur, jugez des ébats que doivent prendre
les nouveaux acquéreurs dans leurs antiques possessions.
Pour eux , quand ils ne renversent pas tout, ils mettent tout
à neuf, et vous savez ce que cela veut dire. Ils sont sou-
vent, à cet égard, d'une bonne foi et d'une naïveté comi-
ques. On voit à Montignac le vieux château des comtes de
Périgord , détruit à la révolution , sauf le donjon carré ,
■ Il faut placer au premier rang de ces hommes sages et vraiment
éclairés M. Parquin, ancien bâtonnier de Tordre des avocats de Paris,
propriétaire des belles ruines du Vivier en Brie, et qui conserve tout
ce qui reste de cet ancien manoir de nos rois avec les soins les plus
paternels. Elles avaient été vendues comme matériaux propres à
démolition lorsqu'il les racheta, les dégagea, les restaura ; il a même
fait construire une longue et dispendieuse chaussée pour supprimer
deux chemins vicinaux qui amenaient chaque jour des passans van-
dales au sein de ces vénérables débris. Sous le titre de une Journée
au Vivier, 1832, in-4°, on a publié une description agréable de ce
monument , qui a été en outre l'objet d'un rapport détaillé fait par
une commission de l'Institut historique, et imprimé dans son journal,
numéro de février 1836 , avec figures.
— 30 —
massif, superbe, que Ton a arrangé de la manière que vous
allez voir. Je laisse parler X Annuaire de la Dordogne de
1824 : « Ces ruines , dit l'ingénieux observateur, ont pris
« un aspect moins hideux depuis que le propriétaire ac-
« tucl , achevant de raser à moitié hauteur partie du
« rempart et une des tours , s'est construit sur cet emplac
« cernent un petit ermitage, d'où l'œil découvre la ville
« et la vallée. Cet homme industrieux a crépi en chaux
« bien blanche tous les joints des pierres noirâtres du
« mur extérieur, et cela donne un air de jeunesse à ces
« murs séculaires. »
Par compensation de cette métamorphose d'un donjon en
ermitage, il ne faut pas oublier que le propriétaire de l'er-
mitage dit d'Anne d'Autriche, au dessus d'Agen, a métamor-
phosé le sien en guinguette. C'est moins pittoresque, mais
plus productif : chacun son goût.
Mais on ne rit plus, on rougit et on s'indigne en son-
geant au monstrueux abus du droit de propriété que font
certains nouveaux riches, dominés par des préjugés brutaux
et par une risible terreur de l'histoire et de la religion, que
l'on baptise si souvent en province des noms de carlisme et
de jésuitisme. Par exemple, à Cuneault, en Anjou, toujours
sur les bords de cette Loire qui baigne de ses eaux les mo-
numens les plus nationaux de la France , il y a une église
que la tradition populaire fait remonter à Dagobert, que
l'on peut hardiment, je crois, dater du neuvième siècle, et
que je n'hésite pas à regarder comme un des débris les plus
précieux de l'art de cette époque. Les sculptures des chapi-
teaux des colonnes de la nef sont de l'exécution la plus naïve
et la plus originale. Le clocher surtout est étonnant. A part
ces beautés, il y en avait une toute particulière, résultant de
l'effet de perspective que devait produire la construction du
vaisseau qui va en se rétrécissant depuis le portail jusqu'au
rond-point, tandis que la voûte s'abaisse successivement
— Si —
dans la même direction. A la révolution, cet effet fat détruit
par un mur de refend , bâti en travers du chœur. L'abside
tout entière est échue en partage à M. Dupuy de Saumur,
qui Ta transformée en grange remplie de fagots, après avoir
défoncé les vitraux des croisées.
Ce qui dépasse tout ce que j'ai vu de barbarie en ce genre,
c'est le spectacle dont j'ai été témoin à Cadouïn, en Péri-
gord, lieu où se trouvent enfouis dans un désert des chefs-
d'œuvre de peinture, de sculpture et d'architecture. Cadouïn
est un ancien monastère de l'ordre de Cîteaux, fondé,
dit-on, par saint Bernard lui-même. Il en reste une église
et un cloître. Je veux, en passant , vous parler de l'église.
Elle est d'abord très remarquable par son architecture , qui
est tout en plein cintre, avec la corniche en damier qui
se retrouve dans tant d'églises romanes. La voûte seule est
en ogive très primitive. La façade est originale : elle offre
un couronnement semi-hexagonal , soutenu par une colon-
nade de neuf arcs en plein cintre d'une grande élégance.
C'est un type tout-à-fait méridional , de même que la petite
coupole qui s'élève au dessus du transept. Le chœur est par-
fait, et les enroulemens en feuillages des cinq croisées qui
l'échurent, d'une grande délicatesse, malgré le badigeon
qui les recouvre. A la voûte de ce chœur se trouve la pein-
ture la plus remarquable du moyen âge que j'aie rencontrée
en France : c'est une fresque qui représente la résurrection
de Notre-Seigneur. Au premier regard que je jetai sur cette
voûte , mes yeux , déshabitués depuis long-temps de jouis-
sances pareilles , crurent retrouver leurs anciennes amours
des écoles toscane et ombrienne , antérieures à Raphaël. Le
Christ, tenant à la main le gonfalon de la croix , met le pied
hors du tombeau ; deux soldats endormis gisent de chaque
côté ; deux anges, en longues tuniques, soutenus dans l'air
par leurs ailes déployées , encensent , avec des encensoirs
d'or, le vainqueur du péché et de la mort: un paysage simple
— 32 —
et gracieux dans le fond, avec un ciel d'azur foncé, parsemé
de grandes fleurs de lis d'or en guise d'étoiles. En Italie,
cette fresque, qui rivaliserait avec quelques unes des plus
célèbres que j'aie vues, serait à peu près de la fin du quin-
zième siècle. Je ne connais pas assez l'histoire de l'art en
France pour en conjecturer la date même approximative ;
et, dans le pays, on n'a pu me fournir aucun renseignement
ni sur son époque , ni sur son auteur. Rien ne saurait sur-
passer la majestueuse placidité du Christ, le naturel de la
pose des soldats endormis , le tendre respect , l'amoureuse
adoration des deux anges. Toute la composition est em-
preinte de cette suavité harmonieuse, de ce goût naïf et pur,
de cette simplicité exquise, de cette transparence de cou-
leur, enfin de cette vie surnaturelle et céleste, si bien adap-
tées aux sujets d'inspiration religieuse, et si universellement
répandues sur toutes les œuvres de la divine dynastie qui a
régné sur la peinture depuis l'Angélique moine de Fiésole
jusqu'à Pinturicchio ; dynastie que Raphaël a détrônée, mais
qui n'en sera pas moins toujours celle des princes légitimes
de l'art.
Je me laisse aller, monsieur , à une admiration que vous
partageriez, j'en suis sûr, si vous aviez été avec moi, et
j'oublie mon cloître et mes vandales. A côté donc de cette
église se trouve un autre chef-d'œuvre , car on dirait que
les chefs-d'œuvre des trois arts se sont donné rendez -vous
dans ce coin de terre oublié et presque inconnu dans les en-
virons mêmes. C'est le cloître intérieur de l'ancien monas-
tère, véritable bijou de l'époque la plus brillante de la
transition qui a précédé la renaissance, marqué au sceau de
l'influence mauresque et orientale qui envahit alors l'imagi-
nation française. Je crois qu'il n'existe pas en France un
morceau de ce temps plus riche , plus fini , plus orné. Si on
avait le courage d'y trouver un défaut, ce serait la profusion
des détails, la beauté vraiment trop coquette de* ornemensj
— 35 —
On est tenté de croire d'abord que l'imagination du sculp-
teur s'est abandonnée sans frein à ses caprices ; mais en
examinant de plus près , on reconnaît qu'il n'y a rien dans
cette incroyable abondance qui ne soit strictement en har-
monie avec la sainteté du lieu, rien qui n'ait été dominé
par une inspiration profondément religieuse. Le trône de
l'abbé au milieu des bancs de ses moines , exposés au soleil
du midi, est surtout remarquable par un bas-relief qui re-
présente Jésus-Christ portant sa croix , aussi pur de goût
que noble et simple d'expression. La souche de chacune des
ogives de la voûte est entourée de riches sculptures du
même genre , qui reproduisent les principales paraboles de
l'ancien et du nouveau Testament ; on distingue surtout Job
et ses amis, le mauvais riche, et un très beau groupe du
jugement dernier. Ces sculptures se répètent dans les cha-
piteaux et les plinthes des colonnes qui forment les arcades
à ogives par où le jour pénètre dans le cloître. Les fenes-
trages de ces arcades sont découpées à jour en forme de
cœurs ou de fïeurs-de-lis. Mais ce qu'il y a de plus admira-
ble dans cette construction , ce sont les pendentifs de la
voûte elle-même, sillonnée et surchargée d'arêtes ciselées.
Ces pendentifs, qui se trouvent à chaque clef de voûte, se
composent chacun d'une statuette d'un travail exquis : c'est
tantôt le symbole consacré d'un évangéliste, tantôt un pro-
phète à longue barbe, tantôt un ange ailé, se balançant
presque sur une longue banderolle où sont inscrites les
louanges de Dieu : toutes ces figures planent sur le specta-
teur, et semblent le contempler avec une infinie douceur;
on dirait que les cieux se sont entrouverts , et que les élus
viennent présider aux innocens délassemens des habitans de
ce lieu solitaire et sacré.
Maintenant voulez-vous savoir ce qu'est devenu ce ravis-
sant chef-d'œuvre? Je vais vous en raconter la lamentable
et honteuse histoire. Vendu révolutionnairement , il appar-
3
— 34 —
tient maintenant à MM. Verdier et Guimbaut, dont les
noms méritent une place toute spéciale dans les annales du
vandalisme. Il y a quelques années, plusieurs catholiques
des environs conçurent le projet de fonder un établissement
de Trappistes dans ce site vénéré, ce qui eût assuré la con-
servation en entier du monument et de toutes ses dépen-
dances. L'on fit à ce sujet les offres les plus avantageuses à
MM. les propriétaires , mais ils se sont bien gardés de de-
venir complices d'un acte aussi rétrograde. Ils ont préféré
détruire peu à peu tout le monastère à l'exception du petit
cloître intérieur : au moment où je m'y suis trouvé , une
tour hexagone très ornée était sous le marteau. La pioche
de l'ouvrier a atteint sous mes yeux une charmante sculp-
ture qui formait , à ce que je pense , le chapiteau de la re-
tombée d'une voûte. Quant au cloître intérieur, destiné
spécialement aux récréations des religieux après les offices
du chœur, comme il n'avait de communication qu'avec
l'église et les cellules, et non pas avec les cours extérieures ,
les acquéreurs ont jugé à propos de réclamer un droit de
passage à travers l'église. Déboutés de leur prétention par
les tribunaux, ils s'en sont dédommagés ainsi qu'il suit : ils
ont rempli la moitié de leur cloître de bûches , de fagots et
de poutres, qu'ils ont entassés le pftis haut possible contre
ces délicieuses sculptures ; et chaque jour, en les déplaçant,
on abat quelque tète, quelque figurine, on enlève quelque
pendentif, on défonce quelque colonnette des croisées. Dans
l'autre moitié, ils ont parqué des pourceaux ; oui, des pour-
ceaux. C'est la litière d'une truie qui occupe la place du
trône de l'abbé, au dessous du bas-relief de Jésus portant
sa croix ; ces représentai des propriétaires broutent le jour
dans l'enceinte intérieure que bordent les arceaux du cloî-
tre, et la nuit ils se vautrent sous les trésors de beauté dont
je viens de vous parler.
J'ai senti le rouge me monter au front en contemplant ce
— 35 —
spectacle. Il n'y a qu'en France, pensais-je tristement, où je
rougirais ainsi ; il n'y a qu'en France où un voyageur soit
exposé à rencontrer une dévastation aussi sacrilège, un mé-
pris aussi effronté de l'art, de la religion, de l'histoire, de la
gloire du pays.
Et encore songez que Cadouïn est dans un pays reculé,
très catholique , très noirci par M. Charles Dupin , au milieu
des landes et des bois, loin de toute Tille et de toute route,
et qu'on ne peut y arriver qu'à cheval. Ah I s'il y avait eu
dans le voisinage quelque grande route , quelque usine à
fonder, le tout y aurait déjà passé. Ah ! si la cupidité s'était
mêlée à la froide manie de destruction ! Pour le moment ,
on a trouvé qu'un cloître pareil pouvait servir, aussi bien
qu'autre chose, d'étable à des pourceaux.
Pardonnez à ma fureur, monsieur, et hâtez -vous d'aller
voir ce lieu encore si beau dans sa misère, avant que les
brutes de diverses espèces qui l'habitent ne l'aient rendu
complètement méconnaissable ',
4° Le clergé.
Je passe à ma quatrième catégorie , celle du clergé. C'est
avec une véritable douleur que je me vois forcé de m'élever
contre les erreurs que commettent , en ce qui touche à l'art
religieux , plusieurs membres de ce corps vénérable et sa-
cré , aujourd'hui surtout , par ses malheurs. Mais si ces li-
gnes tombent sous les yeux de quelques uns d'entre eux, ils
y discerneront , j'espère , une nouvelle preuve de l'intérêt
et du respect que leur porte un fils et un ami.
1 Nous sommes heureux de pouvoir ajouter ici que ces lignes n'ont
pas été tout-à-fait inutiles, qu'elles ont éveillé la sollicitude des ha-
bitans du lieu qui ont adressé à S. M. la Reine et au ministre des
pétitions pour obtenir la conservation de leur cloître , et qu'enfin,
par une délibération récente, la commission des monumens histo-
riques leur a alloué un subside qui pourra les aider à commencer
le rachat de leur trésor.
— 36 —
Un catholique doit déplorer plus qu'un autre le goût faux,
ridicule , païen, qui s'est introduit depuis la renaissance dans
les constructions et les restaurations ecclésiastiques. Sa foi,
sa raison, son amour-propre, en sont également blessés.
Que les gouvernemens et les municipalités traitent brutale-
ment les monumens que le malheur des temps leur a livrés,
et inscrivent là comme ailleurs l'histoire de leur incapacité
ou de leurs bouleversemens , cela se comprend. On en gé-
mit , on s'en indigne , mais on n'en est point , grâce au ciel,
responsable; tandis que voir l'Eglise s'associer avec une per-
sévérance si cruelle au triomphe d'un goût anti-chrétien qui
date de l'époque où elle-même a été dépossédée peu à peu
de sa popularité et de sa puissance ; la voir renier les inimi-
tables inspirations du symbolisme des âges catholiques pour
introniser dans ses basiliques les pastiches d'un paganisme
réchauffé et bâtard ; la voir enfin chercher à cacher sa noble
pauvreté , ses plaies glorieuses sous d'absurdes replâtrages ,
c'est un spectacle fait pour navrer une âme qui veut le ca-
tholicisme dans sa sublime et antique intégrité, le catholi-
cisme roi de l'imagination comme de la prière , de l'art
comme de l'intelligence.
Certes , et cela se comprend facilement , on ne saurait re-
procher au clergé une envie de détruire aussi étrangère à
ses habitudes que contraire à ses devoirs et à son instinct ;
et si ce n'étaient quelques traits fâcheux qui sont , il faut le
croire , plutôt imputables aux conseils de fabrique , lesquels
tiennent beaucoup de la nature des conseils municipaux ,
qu'au clergé tout seul , il serait juste de ne point lui assigner
de rang dans la hiérarchie du vandalisme destructeur. Mais
en revanche il occupe , sans contredit , la première place
parmi les restaurateurs ; et avec les meilleures intentions
du monde , on ne restaure jamais rien, surtout de nos jours,
sans préalablement détruire beaucoup.
C'est surtout une bien funeste et bien surprenante manie
— 37 —
que celle de tout repeindre et de tout reblanchir , dont
clergé a été possédé pendant les quinze années de la Restau-
ration , et à laquelle il est loin d'avoir renoncé. Il a.l'air de
s'être dit : « Voilà les mauvais jours qui vont finir ; une nou-
velle ère de prospérité et d'éclat va se lever pour le catho-
licisme en France. Donnons en conséquence à nos églises un
air de fête. Il faut les rajeunir, les pauvres vieilles ; il faut
prêter à ces antiques monumens d'une antique croyance
toute la fraîcheur du jeune âge ; nous en lutterons d'autant
mieux avec toutes les nouvelles religions qui pullulent au-
tour de nous. Sus donc, mettons-leur du rouge , du bleu , du
vert , du blanc , surtout du blanc ; c'est ce qui coûte le moins,
et puis c'est la couleur de la dynastie des Bourbons ; blan-
chissons donc , regrattons , peignons , fardons , donnons à
tout cela l'éblouissante parure du goût moderne. Ce sera une
manière comme une autre de montrer que la religion est de
tous les siècles et de toutes les générations \ »
Et chose à jamais déplorable, si cela ne s'est pas dit, cela
s'est fait , et cela se fait encore tous les jours ; et de la sorte
on est parvenu à mettre nos plus beaux monumens religieux
en état de lutter en blancheur avec la Bourse , et en élégante
légèreté avec le ministère de la rue de Rivoli. Mais encore
une fois , à quoi bon ces feintes et ces enjolivemens ? Minis-
tres du Seigneur ! puisque les calamités du temps ne vous
ont laissé que des temples de bois et de rude pierre , laissez
voir ce bois et cette pierre , et n'allez pas rougir de cette
gloire !
' Cette horrible manie est encore plus répandue en Suisse qu'en
France ; il n'y a pas une église des cantons catholiques qui ne soit
déshonorée par le blanc de chaux; et nous avons lu dans la descrip-
tion de Schwytz, par un statisticien éclairé de nos jours (Meyer de
Knonau), que ce blanc de chaux est un symbole de la candeur et de
la pureté des dogmes catholiques! Il faut noter que ce symboliste est
lui-même protestant.
— 58 —
Le midi de la France , bien plus encore que le nord , est
exposé à cette épidémie de la détrempe et du badigeon ; car
tous les ans le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, sont
envahis par une nuée de peintres itinérans venus d'Italie ,
et qui étendent leurs déprédations jusqu'aux bords de la Ga-
ronne et de ses affluens. Ils viennent offrir leur talent au
rabais dans toutes les localités , et n'épargnent pas môme les
plus humbles paroisses de campagne. Il est bien rare qu'un
curé résiste à la tentation de remettra à neuf pour une
somme minime son église , et de signaler ainsi son adminis-
tration. Il y cède ordinairement malgré l'opposition fré-
quente des paysans , chez qui j'ai trouvé souvent la répu-
gnance la plus louable pour ces rajeunissemens.
Il en résulte les choses à la fois les plus grotesques et les
plus tristes. Parmi ces belles églises des provinces riverai-
nes du Rhône , il n'y a guère que celle de Saint-Maximin ,
la plus célèbre de la Provence , qui ait échappé jusqu'à pré-
sent à la brosse dévastatrice , grâce au bon esprit de son
curé , M. Laugier. Mais à Saint-Marcellin , la principale
église , d'une vétusté très remarquable , a été décorée d'une
malheureuse fresque qui représente le jugement dernier, et
au centre de laquelle domine une figure du Père éternel à
chevelure rousse , avec la signature de l'artiste tout au long,
et cette inscription parfaitement convenable : Terribilis est
locus iste. Mais à Valence , la cathédrale , édifice à plein
cintre d'une haute antiquité et d'une beauté réelle , a été
repeinte en entier au dehors comme en dedans , et de plus
complètement défigurée par des marbrures feintes , et d'au-
tres niaiseries semblables. Mais à Saint- Antonin , la mer-
veille du Dauphiné, l'église consacrée d'abord par Calixte II
en 4118 , reconstruite à l'époque du gothique le plus élégant,
église à cinq nefs et à la voûte d'une élévation prodigieuse ,
appuyée sur une terrasse de maçonnerie de cent pieds de
haut et de vingt pieds d'épaisseur , s'élevant solitaire et ca-
— 39 ~
chée presque à tous les yeux , loin de toute route , de toute
rivière navigable , de tout moyen de transport , dans un
désert où la foi seule pouvait faire surgir un pareil prodige;
cette admirable église a vu ses cinq nefs enluminées avec la
plus impitoyable exactitude de toutes les couleurs qui em-
bellissent ordinairement un cabaret. Mais ce qui dépasse
tout , à Avignon , ville qui semble dévouée à une persécu-
tion spéciale, la célèbre cathédrale de Notre-Dame des Dons,
fondée sous Charlemagne , a subi dernièrement l'outrage
d'un badigeonnage général. Rien n'a pu arrêter la fougue des
restaurateurs. Une chapelle où Charlemagne fonda une de
ses écoles de plain-chant, et où se trouve scellée dans le mur
la chaire en ogive d'une charmante simplicité , qui servait
de trône pontifical aux papes du quatorzième siècre ; cette
chapelle a été souillée des peintures les plus risibles : c'est à
peine si l'on a épargné le magnifique mausolée de Jean XXII,
type des tombeaux à dais et à pendentifs du quatorzième
siècle. Sans doute pour échapper aux dangers de la concur-
rence , la même brosse a effacé jusqu'à la dernière trace
d'une fresque inappréciable , attribuée à Simon Memmi de
Sienne , l'ami de Pétrarque et de Laure , et où il avait re-
présenté les deux amans sous les traits de saint Georges et
de la vierge qu'il délivre du dragon. On en montre encore
la place toute blanche !
Passez le Rhône , parcourez le Languedoc et la Guienne ;
remontez jusqu'à la Loire , partout le même système. Je
parlerai tout à l'heure en détail de Toulouse. A Foix , la prin-
cipale église , très beau vaisseau gothique à une seule nef,
a été indignement abîmée , il y a peu d'années : les colonnes
du chœur ont été transformées en pilastres ioniques avec
accompagnement de chérubins en faïence. A Villeneuve
d'Agen , la voûte extrêmement curieuse du chœur de Sainte-
Catherine a été triplement badigeonnée en vert , jaune et
blanc. A Agen , le curé de Notre-Dame , ancienne église des
— 40 —
Dominicains , à deux nefs , d'un gothique sévère et pur
comme toutes les fondations de cet ordre , a dépensé quatre-
vingt mille francs pour y faire construire , à l'extrémité de
chaque iréf , un monstrueux autel dans le genre Pompadour ,
avec volutes , gonflures , et tout ce qui caractérise le bon
goût du dix-huitième siècle ; plus une chaire en marbre
creusée dans un des murs latéraux en forme de coquetier.
Je n'ai pas été à Montauban , mais un jeune homme que j'ai
vu, ramassait, il y a quelque mois, dans la chapelle d'une
confrérie , des têtes charmantes provenant de sculptures du
moyen âge que le ciseau d'un maçon faisait voler en éclats.
A Auch , dans un diocèse administré d'une manière si éclai-
rée par M. le cardinal d'Isoard , on avait sérieusement ar-
rêté la démolition du jubé de l'admirable cathédrale , mo-
nument presque unique dans le midi de la France , mais qui
avait le tort d'empêcher les fidèles de jouir assez complète-
ment de la vue de l'officiant. Et ce honteux projet n'a été
arrêté que par l'intervention d'un jeune homme étranger au
pays.
A Péri gueux , la cathédrale de Saint-Front , l'une des plus
anciennes de France , dont toutes les parties , moins le clo-
cher , sont antérieures au dixième siècle , a été badigeonnée
en jaune du haut en bas , et pour mieux trancher sur le
jaune , les pilastres , le profil des pleins cintres , les bordures
des arcades ont été peintes en orange rougeâtre. Le portail
de l'église encore plus ancienne de la Cité a été détruit et
remplacé par une sorte de porte cochère bien blanche , bien
nue et bien triangulaire. Au dessus de cette nouvelle entrée
de la maison de Dieu , et sans doute pour sa plus grande
gloire , se lit en grandes lettres le nom du destructeur et du
reconstructeur , Viger 1829. Ce monsieur a sans doute
voulu se recommander ainsi à la publicité : je m'empresse
de concourir autant que je le puis à l'accomplissement de
son vœu.
— tli -
A Bazas, jolie petite ville du Bordelais, il y a une merveil-
leuse cathédrale du gothique le plus pur , sans transepts ,
qui rappelle celle de Caudebec , que Henri IV appelait la
plus belle chapelle qu'il eût jamais vue de sa vie , parce
qu'il lui répugnait de donner le nom d'église à un édifice
qui ne fût pas en forme de croix. Cette cathédrale est excel-
lente de simplicité , d'élégance , d'unité. Les sculptures des
trois portails de sa façade offrent des beautés du premier
ordre : elles représentent la vocation de saint Pierre , le
couronnement de Notre-Dame et le jugement dernier , avec
le cortège obligé de saints et d'anges nichés dans les arceaux
mêmes. Les anges qui présentent les âmes à Notre-Seigneur,
et les morts qui brisent leurs tombeaux , sont surtout éton-
nans de hardiesse et d'expression. Tout ceci , grâce au ciel,
a échappé tant bien que mal , ainsi que la nef, qui , par une
exception presque miraculeuse, laisse voir les joints de ses
vieilles pierres. Mais on s'est dédommagé dans les bas-côtés :
ils ont éîé peints en blanc jaune à l'intérieur , et en gris
bleu au dehors : de plus , dans chacune des chapelles , on a
peint deux cassolettes , comme on en voit sur les enseignes
des parfumeurs qui vendent Veau des odalisques, à cela
près qu'elles sont de grandeur colossale , et qu'il s'en échappe
le long du mur des torrens de flamme du plus bel écarlate et
une fumée proportionnelle. Vous concevez l'effet que cela
produit au fond d'une sombre chapelle à ogive et à fenêtre
en trèfle.
Je pourrais encore nommer comme victimes de semblables
dévastations les églises de Langon , Angoulème , Bergerac ;
et sur les bords de la Loire , Saint-Pierre de Saumur , le
charmant oratoire de Louis XI ; enfin , à Candes , la belle
église bâtie sur le lieu où mourut saint Martin , et où se
passa , au sujet de ses reliques, la célèbre dispute des Poite-
vins et des Tourangeaux , dont saint Grégoire de Tours
nous a conservé le touchant et poétique récit. Louis XIV en
— 41 —
commença la maladroite restauration , qui a été complétée
dernièrement par un replâtrage général.
Mais je n'ai été nulle part plus indigné que dans un bourg
du Périgord , nommé Beaumont , où j'avais été attiré par la
célébrité dont jouit , dans les histoires du pays , son église ,
bâtie par les Anglais en 1272. J'y ai été témoin d'un vanda-
lisme sans pareil. L'extérieur, crénelé comme une forteresse,
ce qui se retrouve dans beaucoup d'églises de ces contrées ,
et la façade , avec une galerie à balustrade en ogive tréflée,
et une corniche qui représente les signes du zodiaque , ont
été épargnés j mais à l'intérieur , quelle ruine ! La voûte en
pierre avait eu besoin de quelque réparation , un travail fa-
cile y aurait remédié de l'avis même du plâtrier chargé de
sa démolition ; mais , par sentence de M. l'ingénieur des
ponts-et-chaussées de l'arrondissement, la voûte entière
avait été abattue, et ses élégantes ogives remplacées par une
sorte de toit bombé en bois blanchi. Les clefs de l'ancienne
voûte étaient des morceaux d'excellente sculpture , compo-
sés d'un sujet en ronde bosse sur un plan circulaire et paral-
lèle à la voûte , à laquelle le rattachaient quatre têtes de
saints et d'évêques. Le susdit plâtrier avait eu le bon esprit
de copier ces sculptures sur les clefs de sa voûte en bois ,
mais savez-vous où j'ai trouvé les originaux ? jetés hors de
l'église qu'ils avaient ornés pendant tant de siècles , ramas-
sés en tas , confondus avec les débris de pierre provenant de
la destruction , et destinés comme eux à être vendus pour
faire des cartelages , car c'est ainsi qu'on nomme dans le
pays des matériaux propres à des constructions nouvelles.
La voûte n'a point été la seule victime. Sous prétexte qu'il
y avait trop de jour , après le bris des vitraux peints, on a
bouché, ou pour mieux dire, muré, de manière à les cacher
entièrement, la charmante rosace de la façade, les croisées
du côté septentrional en entier , et celles du côté méridio-
nal jusqu'à la moitié de leur hauteur. Au milieu de la grande
— ut —
croisée du fond , une des plus remarquables que j'aie vues
pour la simplicité et la légèreté des formes , on vient de pla-
quer un autel du goût et de la forme la plus ridicule. L'ar-
tiste constructeur , s'apercevant de mon dépit , me dit : Mais
c'est dorique , monsieur ! — C'est pour cela que c'est mau-
vais. — yous l'eussiez peut-être voulu corinthien? me ré-
pondit-il dans la ferveur de son classicisme. Ce n'est pas
tout ; figurez-vous le chœur entier de cette antique église
peint en jaune vif, avec des raies noires en forme de carrés,
absolument comme l'antichambre d'un appartement fraîche-
ment décoré et orné de glaces. Le baptistère , d'une date
encore plus ancienne que l'église, a subi la même opération,
sauf la couleur qui est ici lilas moucheté de noir. L'autel du
Sacré-Cœur a reçu pour ornement une fresque représentant
un cœur colossal , sur fond blanc , traversé par un sabre à
garde recourbée exactement copié sur celui de quelque sous-
lieutenant pendant son étape. On voit enfin un nouveau
confessionnal , surmonté de deux clefs en forme d'enseigne ,
et pour lequel je cherchais une comparaison , lorsqu'un
paysan qui se trouvait là , m'en fournit la plus heureuse pos-
sible, en s'écriant : « Cela a l'air d'une devanture de bouti-
que à la foire ! » Jugez combien la dignité du sacrement de
pénitence doit gagner à de pareilles comparaisons.
Et ce que je viens de relever dans l'église ignorée de Beau-
mont , est-ce un fait isolé , extraordinaire? Non , et qui le
sait mieux que vous ! c'est la reproduction fidèle de ce qui
se passe chaque jour dans toutes les cathédrales et dans l'im-
mense majorité des paroisses de France.
ïl n'en est pas moins vrai que c'est du clergé seul que peut
venir le salut des chefs-d'œuvre dont il est le dépositaire.
D'abord , il a seul la puissance d'intervenir dans leur desti-
née d'une manière efficace et populaire ; puis l'admirable
unité et l'esprit d'ensemble qui font sa force comme corps ,
assureraient le triomphe et l'application rapide et générale
— uu —
d'un principe quelconque de régénération et de conserva-
tion , dès qu'on serait venu à bout de le convaincre de la vé-
rité de ce principe. Enfin , et ceci touche uniquement à mes
observations personnelles , dans les nombreuses tentatives
que j'ai faites pour réveiller dans différentes localités le res-
pect de l'art national et chrétien , le culte de ses sacrés dé-
bris , je n'ai trouvé que chez les ecclésiastiques la sympathie
et l'intelligence nécessaire pour goûter ces idées. Je puis
même dire que jamais je n'ai rencontré de prêtre de campa-
gne , à qui elles ne parussent tout d'abord raisonnables et re-
ligieuses. J'ai reconnu que si, dans leurs reconstructions et
réparations , ils laissent prédominer un goût si faux et si ri-
sible, c'est uniquement par défaut d'études nécessaires,
études que leurs occupations et leur petit nombre leur ont
rendu impossibles. Ce goût n'est pas le leur , il leur est im-
posé soit par les funestes traditions du dernier siècle, soit par
les exigences des conseils de fabrique , soit enfin par les pi-
toyables projets des architectes.
Je citerai d'ailleurs plusieurs exemples de fidélité à cette
honorable mission qui convient si naturellement au clergé.
J'ai déjà parlé du soin qu'avait mis M. Laugier, curé de
Saint-Maximin , à préserver son église du vandalisme res-
taurateur. Je dois rendre le même hommage à M. Cha-
trousse , curé de Vienne * , qui a fait dans son admirable
cathédrale de Saint-Maurice des réparations aussi géné-
reuses que conformes à la primitive architecture de ce saint
édifice , dont le vieux front semble se mirer avec tant de
majesté dans les eaux du Rhône. A Toulouse , l'ancien curé
de Saint-Sernin a défendu victorieusement son église contre
les badigeonneurs du conseil de fabrique, qui, après en
avoir couvert l'extérieur d'un jaune officiel , voulaient en-
core pénétrer dans l'intérieur ; mais il les a arrêtés sur le
seuil. A Bordeaux , celui de Saint-Seurin a remporté un
1 Aujourd'hui vicaire-général a Grenotle.
— 45 —
triomphe encore plus beau sur la fabrique, qui voulait faire
disparaître comme inutile un trône épiscopal avec dais , du
quinzième siècle , en pierre sculptée avec la plus grande dé-
licatesse. Enfin, au moment où j'écris, déjeunes prêtres qui
ont eu le courage de projeter au milieu de nos orages et de
nos misères le rétablissement des sérieuses et solitaires étu-
des de la congrégation de Saint-Maur, viennent, en s'instal-
lant à l'abbaye de Solesmes dans le Maine, de sauver les célè-
bres sculptures de Germain Pilon qui décorent cet édifice ,
qui trois mois plus tard seraient tombées sous le marteau
destructeur, et que certes ni le gouvernement , ni les auto-
rités locales , ni les propriétaires voisins n'auraient jamais
songé à défendre.
Je n'ai rien à dire de ma cinquième catégorie, de V émeute.
Elle ne se laisse pas analyser.
Je pourrais terminer ici ces notes confuses , si je ne vou-
lais vous donner quelques détails sur les deux capitales du
sud-ouest de la France, Toulouse et Bordeaux.
Toulouse m'a paru être la métropole et comme la patrie
du vandalisme ; du moins n'en ai-je jamais vu tant d'exem-
ples resserrés dans un si petit espace. D'abord le vandalisme
destructeur de la révolution y a laissé des traces plus dura-
bles de son passage que partout ailleurs. Certes, à Paris, on
a détruit absolument tout ce que l'on pouvait atteindre , et
l'antique aspect de la ville gothique a été complètement ef-
facé ; mais encore y a-t-il une sorte de pudeur à faire dispa-
raître ce que l'on a profané, à en enlever jusqu'à la dernière
pierre. Il en a été ainsi à Paris, où, sauf quelques rares ex-
ceptions , des maisons , des rues , des quartiers tout entiers
ont surgi sur le site des anciens monumens. A Toulouse, au
contraire , on a laissé debout , grandes , belles , presque in-
tactes au dehors , les basiliques qu'on a outragées , comme
pour perpétuer le souvenir du sacrilège. On peut être près-
— Û6 —
que sûr, quand on voit de loin quelque construction gran-
diose du moyen âge , qu'elle n'offre de près qu'un spectacle
de dévastation et de honte. Au premier abord, Toulouse
présente l'aspect d'une de ces villes des paysages du quin-
zième siècle , dominées par une foule de clochers pyrami-
daux et d'immenses nefs, hautes et larges comme des tentes
plantées par une race de géans pour abriter leurs descen-
dans affaiblis. On approche, on ne trouve qu'une ignoble
écurie , un grenier à foin , un prétendu musée , d'où vous
écarte en criant quelque grossier soldat.
Toulouse n'en est pas moins une ville qui mérite au plus
haut point l'intérêt et l'attention du voyageur, ne fût-ce qu'à
cause du grand nombre de ruines qui la parent encore , et
qui ont conservé au milieu de leur humiliation tant d'impo-
santes traces de leur antique beauté. Mais le sentiment le
plus vif et le plus fréquent que leur vue doit exciter n'en est
pas moins celui de l'indignation.
Rien n'a été respecté , et l'on dirait qu'on a choisi avec
une sorte de recherche les plus curieux monumens du passé
pour les consacrer aux usages les plus vils. L'église des
Cordeliers, bâtie au quatorzième siècle, célèbre par ses fres-
ques, ses vitraux, par des bas-reliefs de Bachelier, élève de
Michel-Ange , et l'un des meilleurs sculpteurs de la renais-
sance, par les tableaux d'Antoine Rivalz, par le tombeau du
président Duranti , et surtout par son caveau , qui avait la
propriété de conserver les corps dans leur état naturel;
cette église a été complètement dépouillée et changée en
magasin de fourrages. Ceux qui sont assez heureux pour y
entrer par la protection de quelque palefrenier, peuvent
encore admirer l'élévation et la hardiesse des voûtes , mais
voilà tout. Les croisées ont été murées ; on a comblé le ca-
veau où l'on avait montré pendant si long-temps un corps
qu'on disait être celui de cette belle Paule, si renommée
par sa beauté au temps de François Ier; qui faisait naître
— kl —
une émeute à Toulouse lorsqu'elle se dérobait pendant trop
long-temps aux regards du peuple , et qui fut condamnée
par arrêt du parlement à se montrer en public au moins deux
fois par semaine.
L'église des Jacobins ou Dominicains , à deux nefs d'une
hauteur prodigieuse , si vantées dans toutes les anciennes
descriptions de Toulouse , est complètement inaccessible
aujourd'hui. Elle a été octroyée à l'artillerie qui a établi une
écurie dans la partie inférieure, et distribué le reste en gre-
niers et en chambres. On ne peut juger de son ancienne
forme que par l'extérieur qui est en briques , et notamment
par son admirable clocher étage , qui a été épargné jusqu'à
présent, et qui est le plus beau de Toulouse. Je vous fais ob-
server en passant qu'une sorte de fatalité toute particulière
semble s'attacher aux églises construites par les Domini-
cains, toujours d'un goût si simple, si pur, si régulier : elles
sont partout choisies en premier lieu par les destructeurs;
A Avignon, la belle église de Saint-Dominique, la plus célè-
bre de cette ville après la cathédrale , a été aussi métamor-
phosée en fonderie de canons.
L'église des Augustins, le troisième des grands monumens
monastiques de Toulouse , a été transformée en musée. Le
cloître attenant , qui est d'un caractère excellent , avec des
arcades en ogives tréflées du quatorzième siècle , doit être
disposé pour recevoir le musée de sculpture, qui se compose
des débris les plus précieux de tombeaux et de bas-reliefs
du moyen âge. Je ne pense pas qu'il se trouve en France de
collection plus originale, plus nationale. On y remarque
surtout les statues tumulaires des comtes de Comminges ,
des évèques et archevêques de Toulouse et de Narbonne ,
ainsi que de délicieuses madonnes en pierre et en bois. Il
faut espérer que ces charmans morceaux, qui gisent aujour-
d'hui pêle-mêle dans le cloître, y seront bientôt disposés par
ordre chronologique , et surtout que l'on ne fera aucun
— 48 —
changement , aucune addition postiche au cloître qui , dans
son état actuel, est du plus grand mérite. Malheureusement,
le sort de l'église, destinée à recevoir les tableaux, n'est pas
fait pour rassurer; au moins fallait-il , en lui ôtant sa desti-
nation sacrée , lui laisser sa forme primitive , qui était d'un
gothique élégant et simple. Mais les barbares transforma-
teurs en ont jugé autrement ; ils n'ont pas su comprendre
tout ce qu'aurait de grandiose et de beau une pareille gale-
rie : ils ont élevé le plancher à six pieds au dessus de l'an-
cien niveau , ont substitué un plafond en plâtre à la voûte
en ogive , construit une sorte de colonnade corinthienne à
l'endroit du maître-autel, et, enfin, défoncé la rosace de
la façade , dont les débris jonchent en ce moment la cour
extérieure \
Le plus curieux édifice religieux de Toulouse est sans
contredit l'église de Saint-Sernin , qui a été achevée , telle
qu'on la voit aujourd'hui, en 1097. Je la regarderais volon-
tiers comme le modèle le plus complet du genre roman qui
existe en France. Elle a la forme d'une croix latine extrê-
mement alongée ; son extérieur est très simple, et a cet air
de forteresse qui distingue les églises de cette époque ; le
clocher en étages successivement rétrécis , surmonté d'une
flèche, et percé de baies à sommet triangulaire, produit tout
l'effet d'une pyramide. Malheureusement ce clocher et tout
l'extérieur ont été victimes d'un ridicule badigeonnage qui
a coûté 10,000 fr., tandis qu'on négligeait les réparations
les plus urgentes. Le latéral du midi a deux portails égale-
ment remarquables : le premier, précédé par une arcade de
la renaissance , est très curieux par les sculptures de ses
chapiteaux qui représentent le Massacre des Innocens ,
1 A propos de ces travaux, le Moniteur du 2 février 1833 disait
gravement : i On peut déjà apprécier la grandeur du plan et l'élé-
gance des détails... Le Musée de Toulouse présentera un aspect
monumental inconnu dans nos contrées ! ï
— 49 —
et autres sujets sacrés, dans le goût le plus primitif; le se-
cond est plus grand et plus moderne : les chapiteaux des
colonnes représentent les sept péchés capitaux. Dans une
chapelle grillée , à côté de ce portail , se trouvent les tom-
beaux de trois comtes de Toulouse du onzième siècle , trop
dégradés pour offrir un très grand intérêt. L'intérieur de
cette belle église a échappé aux badigeonneurs modernes ,
grâce au bon esprit de son ancien curé, comme je l'ai déjà
raconté. Il serait à désirer que son successeur fût animé des
mômes dispositions ; on ne le verrait pas alors faire ouvrir,
uniquement pour sa commodité particulière, une porte dans
la chapelle de la croisée septentrionale , où furent déposés
les restes de Henri, duc de Montmorency, la plus noble vic-
time de Richelieu. La triple nef, très longue et très étroite,
offre une perspective d'une rare beauté; la voûte, très
haute , est parfaitement cintrée ; les piliers des arcades
inférieures ont été équarriées et défigurées ; mais la galerie
supérieure en plein-cintre est excellente , ainsi que tout le
chœur. Les boiseries des stalles , sculptées au seizième siè-
cle , sont dignes d'être observées ; on y reconnaît l'esprit
satirique et les passions violentes de cette époque ; dans l'une
des stalles , on voit un porc assis dans une chaire , en rase
campagne , avec cette inscription : Calvin le porc pres-
chant. Dans les chapelles du pourtour du chœur, il y a des
châsses en bois qui sont de curieux modèles d'architecture
ecclésiastique très ancienne : entre ces chapelles sont pla-
cées les statues des comtes et comtesses de Toulouse , qui
ont été bienfaiteurs de cette église : plusieurs de ces statues
sont d'une expression touchante , et toutes sont d'un très
grand intérêt historique. Les peintures fort anciennes de la
voûte du chœur représentent Notre-Seigneur entre les sym-
boles des quatre évangélistes. Les cryptes de Saint-Sernin
étaient célèbres par le nombre des reliques et la richesse
des châsses qu'elles renfermaient avant la révolution. Elles
U
— 50 —
ont été défigurées par une série de restaurations maladroi-
tes*dès la fin du quinzième siècle, on avait substitué aux an-
ciens pleins-cintres des ogives surbaissées et écrasées , d'un
très mauvais effet. A la révolution, le souterrain fut dévasté,
et depuis, sans doute en guise de compensation, il a été re-
mis à neuf et proprement repeint en diverses couleurs :
l'impression sombre et mystérieuse que devait produire ce
sanctuaire ne peut donc exister que dans l'imagination.
C'est absolument le même contre-sens qui révolte à l'église
souterraine du Mont-Cassin, où reposent les cendres de saint
Benoit.
La cathédrale de Saint-É tienne n'a jamais été achevée; il
n'y a de complet que son chœur, vraiment grandiose au de-
hors comme au dedans , orné de quelques beaux vitraux ,
mais que le cardinal de Joyeuse a surchargé au dix-sep-
tième siècle d'une sorte de jubé en forme de façade, à bas-
reliefs et à arabesques de très mauvais goût. La nef, bâtie
par Raymond VI , pendant qu'il était assiégé par Simon de
Montfort, n'a aucune relation avec le chœur qui est d'une
époque postérieure : elle a été destinée depuis à servir de
collatéral ; mais ce projet a été abandonné , et on s'est con-
tenté de lui donner une largeur tout- à- fait disproportion-
née à sa hauteur, et qui ne lui permet toutefois d'arriver
que jusqu'au tiers de la largeur du chœur, dont les deux
autres tiers sont brusquement terminés par un mur de re-
fend. On a été obligé de masquer par des rideaux cette bi-
zarre anomalie. La façade et le clocher sont également ir-
réguliers.
On a ridiculement regratté et badigeonné les deux belles
façades à tourelles crénelées de Notre-Dame de la Dalbade
et de l'église du Taur. Celle ci, bâtie, selon la tradition,
sur le lieu où s'arrêta le taureau qui traînait le ? ajgt martyr
Saturnin, patron de Toulouse, est remarquable par deux
belles statues de saint François et de saint Dominique , de
— 51 —
grandeur naturelle , nichées des deux côtés du portail , et
comprises dans le blanchissage général. A la Dalbade , on
a laissé , au milieu de la façade reblanchie , la couleur na-
turelle du temps à un charmant portail de la renaissance ,
où se trouve une statue de la sainte Vierge , avec ce disi
tique :
Chrestien, si mon amour est en ton cœur gravé,
Ne diffère en passant de me dire un ave.
La nef large et hardie de cette église est défigurée par
trois monstrueux autels à baldaquin qui en obstruent tout le
fon
A Saint-Nicolas, il y a un portail curieux et un clocher à
baies triangulaires, qui a eu le même sort que celui de
Saint-Sernin, dont il reproduit le type : il a été badigeonné
en rose. A Notre-Dame de Nazareth , chapelle assez écrasée
du quatorzième siècle, il y a des vitraux d'un éclat surpre-
nant; je les crois les plus beaux de Toulouse. Enfin, si
jamais vous passez à Toulouse , je vous prie de ne pas ou-
blier une sainte Vierge , à mon gré délicieuse , placée au
coin de la rue des Changes , dans une niche et sous un dais
chargé d'ornemens à la façon de la fin du quinzième siècle.
Je n'ai pas le courage de parler des autres églises qui ,
comme Saint- P îerre , Saint-Exupère , ont été hideusement
modernisées et rendues complètement méconnaissables.
Cette contagion a gagné la Daurade , fameuse basilique qui
a été fondée p^r les Visîgoths, et qui tire son nom de la
dorure des anciennes mosaïques de l'époque hiératique.
Quant aux monumens d'architecture civile, il y a plusieurs
hôtels du seizième et du dix -septième siècle, notamment
l'hôtel Saint-Jean, ancien grand-prieuré de Malte, et l'hôtel
Daguin , qui ne me paraissent pas mériter la réputation
qu'ils possèdent. Le Palais de Justice, qui datait de la belle
époque de 1492, vient d'être complètement remis à neuf et
— 52 —
abîmé : dans sa forme actuelle, cela peut être tout ce qu'on
veut, caserne, hôpital, prison ; cela ressemble à tout et ne
ressemble à rien. On vous montre une salle d'assises toute
neuve, que Ton vante beaucoup, et dont la voûte est si
prodigieusement élevée que toutes les paroles s'y perdent.
Il y a encore le fameux Capitole , avec sa vaste et lourde fa-
çade , terminée en 1769 , et tout-à-fait digne de son époque.
On y montre le couperet qui servit à décapiter le duc de
Montmorency, qui fut supplicié dans la cour intérieure de
cet édifice : cela rapporte quelque profit au concierge , et
par conséquent on le conserve. Que n'en est-il de même des
débris de l'ancien Capitole, qui vont s'effaçant chaque jour.
La salle gothique du grand consistoire, ou conseil général
delà commune, a été détruite en 1808, pour faire place à
une salle de bal destinée à recevoir Napoléon lors de son
passage à Toulouse. Il ne reste de l'ancien édifice qu'une
sorte de donjon flanqué de tourelles et coupé dans toute sa
largeur par deux salles; on a laissé défoncer la voûte de
celle d'en haut : celle d'en bas , dite du petit consistoire,
est encore visible; sa voûte en arcs doubleaux dorés et
peints de diverses couleurs est très remarquable , mais ce
dernier souvenir du principal monument de la vieille Tou-
louse , de Toulouse la sainte et la savante, doit dispa-
raître à son tour ; on pourra se rabattre alors sur la salle
des illustres, où se trouvent les bustes d'une foule de célé-
brités toulousaines. Cette salle vient aussi de subir les hon-
neurs d'une restauration burlesque, dont les principaux
ornemens m'ont paru être le buste du roi en plâtre vert ,
et de grandes cocardes tricolores en papier collées au mi-
lieu de rosaces sculptées. A côté se trouve la salle des Jeux
Floraux , qui renferme la statue de leur fondatrice , Clé-
mence Isaure. Cette statue a été enlevée au seizième siècle
de dessus son tombeau, qui était à la Daurade. Elle est en
marbre blanc , de grandeur naturelle, d'une sculpture sim-
— 53 — .
pie et belle, et doit être postérieure de peu à la mort de
Clémence Isaure , qui eut lieu de 1415 à 1420. On lit au
dessous sur une table d'airain son épitaphe, où est consigné
le legs qu'elle fit aux capitouls , « à condition qu'ils célébre-
raient tous les ans les Jeux Floraux dans la maison qu'elle
avait fait bâtir à ses frais, qu'ils y donneraient un festin et
iraient répandre des roses sur son tombeau. » Peut-être
aurait-on pu ajouter à cette inscription les deux dernières
stances du lai touchant que M. Du Mège a découvert et
lui attribue, et que sa gloire a si noblement démenti.
Soën , à tort, l'ergulhos en el pensa
Qu' hondrad sera tostems dels aymadors;
Mes jo saï ben que lo joen trobadors
Oblidaran la fama de Glamensa.
Tal en lo cams la rosa primavera,
Floris gentils quan torna le gay tems;
Mes del bent de la nueg brancejado rabens,
Moric, e per totjorn s'esfassa de la terra '.
De Toulouse, dont les poétiques souvenirs ne rendent
que plus honteux le vandalisme actuel, passons à Bordeaux,
qui, tout industrielle et commerciale qu'elle est, offre mille
fois plus de consolations et d'espérance à l'ami de l'ancienne
1 «Souvent, à tort, l'orgueilleux s'imagine qu'il sera bonoré de
tout temps par les poètes : mais moi je sais bien que les jeunes trou-
badours oublieront la renommée de Clémence.
c Telle en nos champs, la rose printanière fleurit gentille au re-
tour des beaux jours ; mais tout à coup effeuillée et brisée par le vent
de la nuit , elle meurt , et pour toujours s'efface de la terre. »
Ce sont ces vers qui ont suggéré à M. de Jouy, dans son Ermite en
Province, l'ingénieuse observation que voici : « Si l'on n'y retrouve
pas autant de feu que dans les chants de Sapho , c'est qu'une vierge
de Toulouse ne doit pas s'exprimer comme une fille de Lesbos. *
/
— 54 —
architecture. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait aussi des exem-
ples déplorables de dévastation et de maladresse, mais au
moins sont-ils contrebalancés par des travaux qui méritent
vraiment le nom de restaurations, et par un esprit de con-
servation qui fait le plus grand honneur à ses habitans et à
ses architectes.
En passant rapidement en revue les principaux monu-
mens antérieurs au dix-septième siècle, j'aurai l'occasion de
marquer tout ce qui m'a paru digne de votre indignation ou
de votre sympathie. Je commencerai par la cathédrale de
Saint-André, l'une des églises les plus remarquables de
France, tant par ses constructions anciennes que par les tra-
vaux modernes qui y ont été tentés : le chœur et les façades
; latérales sont de tout point admirables; mais comme à Saint-
Étienne de Toulouse , la nef n'est point en rapport avec le
chœur ; sa hauteur est moindre d'un tiers ; il en résulte un
ensemble incomplet. Le chœur seul est terminé ; on sent que
la foi a manqué à ces monumens commencés avec le projet
de leur donner une grandeur proportionnée aux villes , et
interrompus au milieu de leur éclatante croissance par l'en-
vahissement du doute et de l'égoïsme.
Malgré ce qu'il y a de pénible dans cette différence du
chœur et de la nef, Saint- André possède le rare privilège de
n'offrir aucune trace de rapiécetage classique dans la ma-
çonnerie , aucune œuvre postérieure à l'arc-boutant exté-
rieur voisin de la sacristie et à la tribune de l'orgue, dont
les piliers sont couverts d'arabesques pleines de grâce. Ces
deux additions sont toutes deux de la belle renaissance. Il
n'y a de mauvais dans cette église que des marbrures et des
boiseries qu'un archevêque de bon goût pourrait facilement
faire disparaître. ïl faudrait commencer par le grand-autel
en baldaquin qui est vraiment hideux, tant par safiarmeque
par son excessive disproportion avec la nef.
Quant aux travaux tout-à-fait récens, cette cathédrale m&
— 55 —
rite une place spéciale dans l'histoire de l'art, puisqu'elle a
été peut-être la première en France à recevoir l'empreinte
d'une pensée régénératrice. En 1810, les deux flèches qui
s'élèvent à cent cinquante pieds au dessus de sa façade sep-
tentrionale, étant menacées d'une ruine totale, on voulait
les abattre ; un architecte , nommé M. Combes, entreprit de
les restaurer : il en vint à bout avec un succès complet, et
sans altérer leur caractère primitif. Il fit ensuite les galeries
qui lient ensemble les piliers de la nef, mais qui malheu-
reusement n'ont pas toute la légèreté qu'on pourrait exiger.
Son élève, M. Poitevin, a construit auprès de la façade
du nord une sacristie en forme de chapelle , remarquable à
l'extérieur comme à l'intérieur par la conformité du style et
des ornemens avec ceux de l'édifice primitif. On voit que
l'architecte n'a pas cherché à faire de Y originalité à lui.
Cela me semble un immense pas vers le bien.
Mais à peine l'œil s'est-il détourné de ce spectacle conso-
lateur, qu'il rencontre un monument victime d'un exécrable
vandalisme. C'est la tour dite de Peyberland, élevée, à la fin
du quinzième siècle, par Pierre Beriand, fils d'un pauvre la-
boureur du Médoc, qui devint, à force de piété et de savoir,
archevêque de Bordeaux en 1430. Cette magnifique pyra-
mide, qui avait autrefois, avec sa flèche, trois cents pieds de
haut, avait été, dit-on, construite avec un zèle patriotique
par l'architecte que l'archevêque avait chargé d'exécuter son
projet, et qui était stimulé par le désir d'élever un monument
français capable de lutter avec les flèches de Saint -André,
ouvrage des architectes anglais. Aussi réussit-il si bien que
le chapitre métropolitain lui vota, en guise de récompense,
un habit d'honneur qui fut acheté dix francs. Les terroristes
avaient condamné à périr cette œuvre si pieuse, si touchante,
si nationale; mais leur fureur fut impuissante : on ne put
faire tomber que la flèche, la tour résista à tous les efforts,
et l'on fut obligé de résilier le bail qui avait été passé avec
— S6 —
un destructeur. Elle est donc encore debout, mais déshono-
rée et dévastée. Toutes les ouvertures ont été bouchées de-
puis le haut jusqu'en bas; tous les ornemens, les riches et
innombrables fantaisies de l'artiste ont été arrachées, il n'en
reste que ce qu'il faut pour convaincre que le quinzième siè-
cle avait rarement produit une œuvre où se fût mieux déve-
loppé le luxe inépuisable de son imagination. Elle sert main-
tenant, cette pauvre tour, comme celle de Saint- Jacques la
Boucherie à Paris et de Saint -Martin à Tours, elle sert à fa-
briquer du plomb de chasse. C'est ainsi que l'on trouve
moyen, en ce siècle éclairé et progressif, d'utiliser ces cris-
tallisations de la pensée humaine lancée vers Dieu, ces in-
flexibles doigts levés pour montrer le ciel1.
L'église de Saint- Michel a aussi un clocher séparé de l'é-
difice principal et de la même époque, du môme genre de
beauté que la tour de Peyberland; ce clocher était surmonté
d'une flèche, construite en 1480, et que Ton vantait comme
la plus belle du midi; elle s'écroula en 1768, et aujourd'hui
la tour ne sert plus que de télégraphe. Le projet de rétablis-
sement, conçu et présenté par M. Combes, a été soigneuse-
ment repoussé par l'administration. L'extérieur de cette
église de Saint-Michel est du gothique le plus riche ; la façade
du nord est admirable, mais indignement obstruée par la
maison curiale. C'est à peine si on peut voir le portail cen-
tral et les bas-reliefs qui la surmontent. Ces bas-reliefs sont
du seizième siècle, un peu trop maniérés, mais très remar-
quables : ils sont doubles, c'est-à-dire qu'il y en a quatre
adossés l'un à l'autre, dont deux font face à l'extérieur et
deux à l'intérieur de l'église. Ceux du dehors représentent
le sacrifice dlsaac et X Agneau pascal ; ceux du dedans,
saint Michel terrassant le démon et Adam et Eve. Les
deux couples de bas-reliefs sont séparés par un double groupe
1 Wordsworth.
~ 57 —
sculpté de grandeur naturelle, antérieur d'un siècle au moins;
et d'une merveilleuse expression. A l'extérieur c'est le Bai-
ser de Juda, à l'intérieur c'est YEcce Homo : rien de plus
beau que la tête du Christ dans tous deux. L'intérieur de
Saint-Michel a des défauts ; de ses cinq nefs, les trois du mi-
lieu sont égales en largeur, ce qui, vu le peu de longueur de
toute l'église, produit un très mauvais effet. Il y a un tran-
sept, mais pas de rond-point; au fond de chacune des trois
nefs s'élève un autel épouvantable, surtout celui du centre,
où l'on voit saint Michel au milieu d'une montagne de plâtre
bouffie destinée à figurer des nuages. En revanche, il y a
dans la quatrième chapelle du bas -côté de la nef, à gauche,
un autel du seizième siècle qui est l'un des plus curieux mo-
numens de transition qu'on puisse voir ; l'ogive y apparaît à
peine, tout affaissée qu'elle est sous le poids des coupoles,
des tourelles, des arabesques, des ornemens de tout genre
que lui impose l'imagination émancipée et capricieuse de
l'artiste. Ces ornemens servent d'encadrement à trois char-
mantes statues, Notre Dame et l'enfant Jésus, sainte Ca-
therine et sainte Barbe, celle-ci délicieuse, bien qu'évi-
demment inspirée par une beauté d'un genre tout différent de
celle qui régnait sur les imaginations des siècles antérieurs ;
la voûte de cette chapelle, comme celle de la nef, est très or-
née et très curieuse.
La plus ancienne et la plus curieuse église de Bordeaux est
celle de Sainte-Croix : fondée par Clovis II, en 651, elle a été
reconstruite dans sa forme actuelle à une époque que les au-
torités les plus compétentes s'accordent à fixer à l'année 851,
sous Guillaume-le-Bon, duc d'Aquitaine. C'est un monument
presque unique du genre mystique, hiératique, qui a précédé
l'architecture gothique, et de la transition qui y a conduit.
Je ne me sens pas le droit de rien dire sur son caractère mé-
langé, ni sur les célèbres sculptures symboliques de sa façade,
qui a été décrite, ainsi que tout le reste de l'édifice, avec au-
— 58 —
tant d'exactitude que de discernement par M. Jouannet, dans
l'excellente notice qu'il a insérée dans le Musée d'Aqui-
taine, et que vous devez connaître. Mais je serai fidèle à
ma mission eu dénonçant les ravages que le vandalisme a
infligés à cette belle et pure église, qui, saccagée et mutilée
au dehors par la terreur, a été flétrie au dedans par un goût
pitoyable. On ne s'y est pas contenté de radouber toutes les
sculptures des chapiteaux, les corniches, les ornemens de tout
genre avec une épaisse couche de plâtre ; on y a profité de tous
les espaces que la sculpture n'avait point envahis pour y pein-
dre des coupoles, des ciels chargés de nuages, un grand bal-
con dans la voûte au dessus du maître- autel, des portés en-
tre-baillées ingénieusement placées dans des arches à ogives,
des abat-jours en vitres simulées ; enfin toutes les fadaises
possibles, tout cela en style d'enseigne de cabaret, dans des
dimensions colossales, et remplissant les trois ronds -points
qui occupent le fond de l'église, de manière à frapper immé-
diatement les regards de celui qui descend les marches par
où l'on entre.
Au fond d'une poudreuse chapelle , la première du bas-
côté à gauche , derrière la cuve baptismale , revêtue elle-
même d'une sculpture très curieuse qui représente la Cène
dans une salle gothique , j'ai distingué une planche peinte ,
mais recouverte d'une épaisse poussière. Après l'avoir fait
légèrement éponger, j'ai reconnu que c'était un tableau sur
bois à l'italienne , d'une école tout-à-fait primitive , entouré
d'une inscription en caractères gothiques, indéchiffrables
pour moi ; on y voit une Pietà, ou la sainte Vierge portant
le corps de Notre-Seigneur sur ses genoux, et des deux côtés,
dans des corapartimens séparés , sainte Barbe , saint Domi-
nique, saint Sébastien , saint André , sainte Catherine ; tous
ces personnages m'ont paru être d'un caractère aussi naïf
qu'original. Il est déplorable que jusqu'à présent ni l'auto-
rité ecclésiastique, ni aucun amateur de l'art ancien , n'ait
— 59 —
songé à placer dans un lieu convenable cette peinture que
son antiquité seule suffirait pour rendre intéressante.
Après Sainte-Croix, l'église la plus ancienne de Bordeaux
est celle de Saint-Seurin , qui fut la cathédrale avant Saint-
André. L'intérieur, d'un gothique très ancien , est encore
sombre et beau , malgré la dégradation des colonnes de la
nef, en 1700 , et un badigeonnage général en 1822. Sur le
mur latéral de droite , on voit dans le tympan d'une porte
à ogive , aujourd'hui murée , un bas-relief du plus haut in-
térêt, qui représente un pape disant îa messe ; un cardinal,
dont la tète est merveilleusement belle , l'assiste ; Jésus-
Christ, entre deux anges, plane sur l'autel. Cette sculpture
inappréciable remonte au quatorzième siècle, et se rapporte
probablement à Bertrand de Goih, archevêque de Bordeaux,
qui devint pape, sous le nom de Clément V, en 1305. Vis-à-
vis , sur le mur latéral de gauche , dans un tympan sembla-
ble, se trouve un autre bas-relief de la même époque qui
représente Notre-Seigneur au milieu des douze apôtres.
En entrant dans le sanctuaire , on retrouve l'empire du
vandalisme : j'ai déjà parlé du trône épiscopal dont le con-
seil de fabrique avait voté la destruction , et que le curé a
défendu avec succès ; mais il n'a pu le préserver d'un blan-
chissage funeste. Les trois croisées romanes qui occupent ,
par une disposition assez rare , le fond du chœur qui n'est
pas arrondi , croisées à triples arcades avec enroulemens
très ornés, ont été peintes en brun. Un malheur pareil a
atteint les élégantes boiseries des stalles du chapitre , de
même que les sculptures du dessous des sièges , qui repré-
sentent des scènes populaires et souvent burlesques , entre-
mêlées à des traits de l'Écriture sainte : ainsi une querelle
d'ivrognes, un homme qui fait cuire des poissons sur un gril,
à côté de Samson armé de sa mâchoire ; tout ce beau et cu-
rieux travail a été surchargé tout récemment d'une pein-
ture en rouge garance. On a heureusement épargné de
— 60 —
toute manière le monument le plus précieux de cette église;
le retable du maître-autel , formé de huit bas-reliefè en mar-
bre , réunis en un seul cadre , traités avec la plus grande
finesse, et représentant l'intéressante légende de saint Seu-
rin ou Séverin, évêque de Bordeaux au cinquième siècle. Il
y a au dessous du chœur une chapelle souterraine qui ren-
fermait les reliques de saint Fort , qui a toujours été l'objet
d'une immense vénération, et où chaque année les mères et
les nourrices viennent faire dire la messe sur la tète de leurs
nourrissons , pour attirer sur eux la protection du saint :
cette chapelle à trois nefs en plein-cintre est curieuse , mais
elle a été cruellement dégradée ; d'abord elle a été badi-
geonnée en dépit du sens commun , puis on lui a volé pièce
par pièce un pavé en mosaïque, dont il ne reste que quelques
pierres. On y voit encore le tombeau du saint, ouvrage très
soigné de la renaissance.
L'extérieur de Saint-Seurin est en général très irrégulier,
mais n'en est pas moins très remarquable. La chapelle de la
Sainte-Vierge, à droite du chœur, est beaucoup plus mo-
derne que la nef. Dans un angle de la sacristie, qui est aussi
du quinzième siècle , il y a une charmante statue de sainte.
Le clocher quadrilatère à double rangée d'arceaux en plein-
cintre, est d'une grande beauté. L'ordre supérieur rappelle
quelques unes des plus célèbres églises du moyen âge en
Italie. Au milieu de la façade latérale du midi se trouve un
porche de la renaissance, assez élégant, qui couvre et pro-
tège un triple portail du plus haut intérêt , dont les trois
portes sont entourées par une série de sculptures, datées de
1267 et travaillées avec un soin infini, représentant la Vigne
du Seigneur et le Jugement dernier, sujet très fréquent
dans les belles églises gothiques de ces contrées. Ce triple
portail est flanqué par les statues des douze apôtres et de
deux personnages couronnés , en pied et de grandeur natu-
relle, malheureusement endommagées, mais produisant en-
— 61 -
core un excellent effet. La façade occidentale , qui devait
servir d'entrée principale, n'a point été achevée du temps de
la construction primitive de l'église. Il n'y a qu'un vestibule
très curieux, et qui remonte évidemment aux premiers temps
de la fondation , au neuvième ou au dixième siècle , formé
de trois voûtes basses , se prolongeant Tune après l'autre ,
séparées et soutenues par trois arceaux cintrés dont les cha-
piteaux sont couverts de sculptures très bizarres et du genre
le plus élémentaire. Je n'ai pu distinguer qu'un seul sujet
connu, le Sacrifice d'Abraham. Au bout de ce vestibule
s'élève aujourd'hui une façade , dessinée par M. Poitevin
(qui a été destitué par l'administration éclairée de nos jours),
et exécutée par son successeur, M. Lasmolle. Cette façade a
le mérite d'avoir été conçue de manière à se rapporter au
caractère général de l'édifice , et la partie inférieure répond
assez bien à ce dessein. Mais en élevant tout-à-fait inutile-
ment la partie supérieure , décorée d'une balustrade beau-
coup trop lourde , on ôte au spectateur la vue d'un ordre
entier 4e l'admirable clocher. On m'a même assuré qu'il y
avait sur ce même clocher d'excellens bas-reliefs , aujour-
d'hui recouverts par le prolongement du toit en ardoises et
complètement inaccessibles. Puis on a surchargé cette nou-
Telle façade de statues absurdes , exécutées par un artiste
espagnol; il y en a quatre colossales, deux évêques, qui ont
coûté 10,000 francs chaque, et deux évangélistes , à 5,200
francs la pièce , tous les quatre détestables en tous points.
[Voilà de compte fait 30,400 francs d'inutilement dépensés
sur les 45,000 qu'a coûtés la façade entière. Je ne dis rien
d'un bas-relief qui est encore pire que les statues , et qui a
dû coûter proportionnellement. Ces calculs montrent que ce
sont bien moins les ressources matérielles qui manquent à
la restauration de nos vieux monumens , que l'intelligence
de leur caractère et l'instinct des convenances.
Je reprocherai ensuite à M. Lasmolle de n'avoir pas em-
— 62 —
ployé dans sa nouvelle façade le portail qui terminait aupa-
ravant le vestibule dont j'ai parlé ; portail double, sans arc,
divisé par un pilier qui supportait une statue de saint Seurin,
et surmonté d'une charmante corniche avec modillons à
ogive en ressaut. Ce portail se trouve aujourd'hui dans le
jardin de M. Coudère, imprimeur.
M. Lasmolle a encore fort bien restauré, en 1828 , la fa-
çade de la petite église de Saint-Éloi, pour laquelle il a
choisi l'ogive surbaissée et ornée, copiée avec esprit des mo-
numens de la fin du quinzième siècle. Je ne sais si c'est lui
qui a restauré le porche occidental de Sainte-Eulalie , éga-
lement en harmonie avec le gothique du corps de l'église ,
sauf les deux contreforts qui sont lourds et disproportion-
nés. L'intérieur de Sainte-Eulalie offre des sculptures re-
marquables dans les clefs de voûte du chœur, mais elle est
honteusement défigurée par des peintures et des dorures
ridicules.
Dans l'église du Collège, remarquable par la hardiesse de
sa voûte à arcs doubleaux en ogive , on voit le tombeau de
Montaigne et sa statue , beau morceau de la statuaire du
seizième siècle. Il est couché tout de son long , les mains
jointes et le corps tout bardé de fer, à la manière des an-
ciens chevaliers. Cela paraît d'abord en contradiction avec
son caractère , tel qu'on se le figure généralement ; mais on
se rappelle bientôt l'époque guerrière où il vivait, et la piété
qu'il déploya sur son lit de mort.
Je n'ai rien à dire de Saint-Bruno , tout rempli de statues
dans le goût du Bernin, par le cardinal de Sourdis, au com-
mencement du dix-septième siècle, ni de Saint-Paul, Saint-
Dominique, et autres mauvaises églises des dix-septième et
dix-huitième siècles.
En fait d'architecture civile , Bordeaux a conservé deux
de ses anciennes portes , la première , au dessous d'une des
quatre tours de l'hôtel-de-ville , bâties en 1246 , qui s'éle-
— 63 —
vaient à deux cent cinquante pieds de haut, et dont la réu-
nion devait former un ensemble unique. Il n'en reste au-
jourd'hui que celle dite la Tour de l'Horloge, surmontée de
trois tourelles en flèche , d'un gothique noble et imposant,
La seconde porte, dite du Caillau, fut bâtie en 1494, en mé-
moire de la bataille de Fornoue ; quoique dégradée , elle
n'en offre pas moins toute l'élégance et tout le charme des
monumens de cette époque. Ses trois^toureîles et ses croi-
sées , en carré arrondi , qui ont tous les caractères de la
belle renaissance, produisent un effet très pittoresque, sur-
tout lorsqu'en la contemplant de la rivière , on la voit s'é-
lever au milieu du mouvement industriel du port sur lequel
elle donne.
D'après tout ce que je viens de vous dire, Monsieur, vous
reconnaîtrez, j'espère, que Bordeaux est une ville qui pro-
cure une véritable satisfaction aux défenseurs de l'art anti-
que. Malgré la profusion de mauvais goût qui règne dans
les ornemens intérieurs des églises , malgré plusieurs exem-
ples du vandalisme que j'ai cités, il est impossible de ne pas
reconnaître chez les architectes de cette ville une tentative
de reconstruction et de régénération gothique, tentative
accompagnée de tâtonnemens et d'erreurs que j'ai osé signa-
ler, mais digne de toute notre sympathie, de tous nos éloges,
d'autant plus qu'ils persévèrent silencieusement et obscu-
rément depuis plus de vingt ans. Personne que je sache ne
leur a rendu sous ce rapport la justice qu'ils méritent, mais
ils ont inscrit leurs droits à la reconnaissance nationale ,
d'une manière plus éclatante que dans les journaux , sur les
pierres immortelles de Saint-André et de Saint-Seurin.
En un mot, Bordeaux est une ville consolante; elle l'est
surtout, comparée à Paris, qui semble condamné à ne jamais
se relever de l'espèce d'interdit jeté sur lui par le bon goût
depuis près de trois siècles. Si la France a la honte d'être
— 64 —
moins avancée en fait d'art que le reste de l'Europe , Paris
a la double honte d'être encore en arrière de toute la France.
Tandis que généralement, en province, l'élude etla protection
de nos chefs-d'œuvre anciens devient le signe de ralliement
de tous les architectes distingués , tandis que des essais de
restauration intelligente, en harmonie avec le caractère ori-
ginal des édifices, et motivés par des besoins réels , ont lieu
dans plusieurs localités , Paris seul reste indifférent et livré
sans défense aux caprices dévastateurs, aux projets ineptes,
mais heureusement interminables , des maçons ministériels
et académiques. À part quelques jeunes gens chez qui Notre-
Dame de Paris a réveillé un nouveau sens , et qui depuis
jettent en passant sur la vieille basilique un regard de tris-
tesse et d'admiration ; à part quelques artistes proscrits par
les académies et méconnus du public , Paris n'offre nul es-
poir de régénération. En fait de constructions nouvelles ,
peu de villes au monde sont , à ce que je pense , assez mal-
heureuses pour que des fidèles soient condamnés à échanger
la grotesque rotondité de l'Assomption contre la masse in-
forme et inintelligible de la Madeleine , contre l'indécente
coquetterie de Notre-Dame-de-Lorette. En fait de restaura-
tion, on en est toujours à ce même esprit qui fit équarrir et
revêtir de marbre le chœur de Notre-Dame, dans ce qu'on
appelle encore le grand siècle. Ce que je connais de plus
neuf en ce genre, ce sont les incroyables chapelles de la Sainte-
Vierge à Saint-Étienne-du-Mont , et à Saint- Germain-des-
Prés. Le grotesque, le faux , le ridicule, n'ont jamais atteint
plus haut.
Malgré toutes les misères que je vous ai racontées , je ne
veux pas terminer sans reconnaître comme un fait accompli
l'existence d'une réaction en faveur de l'art historique et
national , réaction timide et obscure , mais progressive et
pleine d'avenir. Cette réaction, Monsieur, c'est vous qui l'a-
vez commencée , qui l'avez popularisée ; je ne me lasse pas
— 65 — •
de le répéter, car j'aime à vous faire un patrimoine de cette
gloire. Eîle se manifeste aujourd'hui de deux manières :
d'abord par des recherches approfondies sur les divers ca-
ractères et les développemens successifs des monumens lo-
caux ; tels sont les excellens travaux de M. de Caumont et
de la société archéologique de Normandie, à Caen ; ceux de
MM. Liquet et I^anglois, à Rouen ; de M. Jouannet, à Bor-
deaux j de M. Du Mège1, à Toulouse-, enfin, de M. Charles
Magnin dans cette même Revue. Il n'y a pas jusqu'au Cons-
titutionnel qui ne nous ait prêté le secours de son impo-
sante autorité , et qui , dans un feuilleton très remarquable
du 17 octobre 1832, n'ait arboré, lui aussi, le drapeau de la
réaction historique.
D'un autre côté, il y a déjà des applications de cet esprit
régénéré, peu nombreuses et peu étendues, il est vrai, mais
qui n'en sont pas moins louables et consolantes. Ainsi , à
côté des travaux de MM. Combes , Poitevin et Lasmolle, à
Bordeaux, on peut citer ceux de M. Pollet à Lyon : il a ré-
tabli l'église d'Ainay, qui date des premiers siècles du Chris-
tianisme , dans sa forme originale , et réparé celle de Saint-
Nizier, la plus belle de Lyon, avec une parfaite intelligence
de son caractère. Dans la cathédrale de Metz , il y a quel-
ques essais de gothique moderne , mais bien malheureux.
Ce qui surpasse , à mon gré , toutes les entreprises de ce
genre , ce sont les restaurations vraiment surprenantes des
sculptures de la cathédrale de Strasbourg, exécutées par
MM. Kirstein et Haumack , avec une exactitude si parfaite ,
un sentiment si profond et si pieux, qu'au premier abord on
est tenté de les confondre avec les originaux que la hache
du terrorisme a épargnés , et qui comptent à juste titre ,
surtout le groupe de la mort de la Vierge au portail orien-
1 Ce savant écrivain vient d'annoncer Ja publication d'un ouvrage
qui sera du plui grand intérêt, intitulé ; Archéologie Pyrénéenne.
5
— 66 —
tal, parmi les chefs-d'œuvre de la statuaire chrétienne. Dans
une sphère plus restreinte , vous connaissez les charmantes
œuvres de M. de Triquéti et de mademoiselle de Fauveau.
Un jour peut-être surgira-t-il au sein de nos chambres
un législateur assez éclairé , assez patriotique, pour deman-
der des dispositions spéciales en faveur des monumens natio-
naux, comme on en demande chaque jour en faveur de l'in-
dustrie et du commerce. La loi sur 1 expropriation offrait
pour cela une excellente occasion : mais Tune des deux
chambres l'a déjà laissé échapper, et l'autre n'en profitera
certainement pas.
Il serait à désirer que nous vissions bientôt s'organiser à
Paris une association centrale pour la défense de nos monu-
mens historiques, association qui offrira un point de rallie-
ment à tous les efforts individuels , un foyer d'unité pour
toutes les recherches et toutes les dénonciations , qui sont
en ce moment nos seules armes contre les dévastations des
administrations et des propriétaires. Peut-être viendrait-on
ainsi à bout d'engager peu à peu tout ce qui est jeune , in-
telligent et patriotique dans une sorte de croisade contre le
honteux servage du vandalisme , et purifier, par la force de
la réprobation publique, notre sol antique de cette souillure
trop long-temps endurée \
Toutefois je ne vous dissimule pas l'intime conviction où
je suis , que cette réaction n'aura jamais rien de général ,
rien de puissant, rien de populaire, tant que le clergé n'y
aura pas été associé, tant qu'il n'aura pas été persuadé qu'il
y a pour lui un devoir et un intérêt à ce que les sanctuaires
de la religion conservent ou recouvrent leur caractère pri-
mitif et chrétien. Le clergé seul, comme je l'ai dit plus haut,
peut exercer une influence positive sur le sort des monu-
1 II faut se rappeler que ceci était éjrit en 1833. Nous rendrons
justice à ce qui a été fait depuis, dans notre Appendice n° I.
— 67 —
mens ecclésiastiques qui sont incontestablement les plus
nombreux et les plus précieux de tous ceux que nous a lé-
gués le moyen âge. Lui seul peut donner quelque ensemble
à des tentatives de restauration, et à un système de préser-
vation ; lui seul peut obtenir dimportans résultats avec de
chétifs moyens ; lui seul enfin peut attacher à cette œuvre
un caractère de popularité réelle, en y intéressant la foi des
masses. Or, point d'art sans foi ; c'est un principe dont l'é-
vidence ne nous est que trop douloureusement démontrée
aujourd'hui. C'est la foi seule qui a pu peupler la France
des innombrables richesses de notre architecture nationale,*
c'est elle seule qui pourra les défendre et les conserver.
Je finis ici mon invective, rédigée d'après des notes
bien incomplètes et des souvenirs bien confus. Vous-
même , peut-être trouverez-vous que j'y ai mis trop de
passion et d'amertume ; mais vous devez comprendre que
nous autres catholiques nous avons un motif de plus
que vous pour gémir de cette brutalité sacrilège et pour
nous indigner contre elle. C'est que nous allons adorer et
prier là où vous n'allez que rêver et admirer- c'est qu'il
nous faut pour y bien prier nos vieilles églises, telles
que la foi si féconde et la piété si ingénieuse de nos aïeux
les ont conçues et créées , avec tout leur symbolisme iné-
puisable et leur cortège d'inspirations célestes cachées sous
un vêtement de pierre. C'est que là se dresse encore devant
nous la vie tout entière de nos aïeux , cette vie si dominée
par la religion, si absorbée en elle, leur imagination si riche
et si intarissable, mais en même temps si réglée et si épurée
par la foi, leur patience, leur activité, leur résignation, leur
désintéressement ; tout cela est là devant nous, leurs tièdes
et faibles descendans, comme une pétrification de leur exis-
tence si exclusivement chrétienne. C'est que pas une de ces
formes si gracieuses , pas une de ces pierres si fantastique-
ment brodées, pas un de ces ornemens. qu'on appelle capri-
— 68 —
deux , n'est pour nous sans un sens profond , une poésie in-
time, une religion voilée. C'est qu'il nous est permis et
presque commandé de voir dans cette croix alongée que
reproduit le plan de toutes les églises anciennes, la croix sur
laquelle mourut le Sauveur; dans cette triplicité perpétuelle
de portails , de nefs et d'autels, un symbole de la trinité di-
vine ; dans la mystérieuse obscurité des bas-côtés , un asile
offert à la confusion du repentir, à la souffrance solitaire ;
dans ces vitraux qui interceptent en les tempérant les rayons
du jour, une image des saintes pensées qui peuvent seules
intercepter et adoucir les ennuis trop perçans de la vie ;
dans l'éclatante lumière concentrée sur le sanctuaire , une
lueur delà gloire céleste; dans le jubé, un voile abaissé en-
tre notre faiblesse et la majesté d'un sacrifice où la victime
est un Dieu. L'orgue, n'est-ce pas la double voix de l'huma-
nité, le cri glorieux de son enthousiasme mêlé au cri plaintif
de sa misère ? Ces roses éclatantes de mille couleurs , cette
vie végétale, ces feuilles de vigne, de chou, de lierre, mou-
lées avec tant de finesse , n'indiquent- elles pas une sanctifi-
cation de la nature , et de la nature humble et populaire ,
par la foi? Dans cette exclusion générale des lignes hori-
zontales et parallèles à la terre , dans le mouvement una-
nime et altier de toutes ces pierres vers le ciel, n'y a-t-il pas
une sorte d'abdication de la servitude matérielle et un élan-
cement de l'âme affranchie vers son créateur? Enfin, la
vieille église tout entière, qu'est-elle si ce n'est un lieu sacré
par ce qu'il y a de plus pur et de plus profond dans le cœur
de vingt générations , sacré par des émotions , des larmes ,
des prières sans nombre, toutes concentrées comme un par-
fum sous ces voûtes séculaires , toutes montant vers Dieu
avec la colonne , toutes s'inclinant devant lui avec l'ogive ,
dans un commun amour et une commune espérance ?
Fils du vieux catholicisme , nous sommes là au milieu de
nos titres de noblesse : en être amoureux et fiers, c'est notre
- 69 —
droit ; les défendre à outrance , c'est notre devoir. Voilà
pourquoi nous demandons à répéter, au nom du culte anti-
que , comme vous au nom de l'art et de la patrie , ce cri
d'indignation et de honte qu'arrachait aux papes des grands
siècles la dévastation de l'Italie ; Expulsons les Barbares.
DE
LA PEINTURE CHRÉTIENNE
EUT ITALIE,
A L'OCCASION DU LIVRE DE M. RIO *.
Nous désirons faire connaître plus en détail et dans un
ordre méthodique les objets traités dans l'ouvrage que
M. Rio a publié récemment, les idées principales qui y sont
exposées , les découvertes précieuses que les hommes sérieux
et religieux peuvent y faire. En donnant ainsi un aperçu
des richesses renfermées dans ce volume , nous croyons ren-
dre un véritable service à ceux d'entre nos lecteurs qui no
l'ont pas lu , et nous espérons ne pas déplaire à ceux qui le
connaissent déjà , en les aidant à classer et à coordonner
dans leur mémoire les notions nouvelles et importantes
qu'ils ont dû y puiser.
Amis passionnés de l'art chrétien , et ayant suivi , quoique
1 De la Poésie Chrétienne, dans son principe, dans sa matière et
dans ses formes ; par A. F. Rio. A Paris , chez Debécourt , 1836. 1
vol. in-8°.
— 71 —
de très loin, M. Rio dans la route qu'il a si glorieusement
ouverte , c'est pour nous un droit et un devoir de ne rien
négliger pour que le public catholique puisse apprécier toute
l'importance de l'œuvre dont M. Rio a doté notre littérature
historique et religieuse.
Nous n'hésiterons pas à dire que ce livre est un de ceux
qui peuvent avoir le plus besoin d'être ainsi révélés et an-
noncés au public , car il est de ceux dont on pourrait dire
avec vérité au premier abord , qu'on ne sait à'oîi il vient
ni où il va. Il serait très difficile de se faire une idée
juste de son contenu et de sa valeur d'après son titre.
Ce titre s'applique à un vaste ensemble de travaux, où
l'auteur embrasse la partie la plus séduisante et la plus
féconde du domaine de la pensée chrétienne et dont ce vo-
lume n'est qu'un fragment j mais M. Rio a eu le tort de ne
pas nous montrer comment le fragment se rattachait à l'en-
semble. Aucun préambule , aucune conclusion ne nous ap-
prend pourquoi dans un livre qui annonce devoir traiter de
la poésie chrétienne , la première page du texte commence
ainsi : De la Peinture Chrétienne d'abord dans les cata-
combes , etc. On ne sait ce que veulent dire ces mots :
Forme de l'Art, qui font partie du titre ; et ces autres :
Seconde Partie , tandis qu'on cherche en vain de quoi il
peut être question dans la première, et si elle existe ou non ,
achèvent de jeter la confusion dans l'esprit du lecteur. Il est
vrai que sur la couverture brochée du volume , on lit : De
l'Art Chrétien ; et cette addition met sur la voie de la pen-
sée fondamentale de l'auteur, savoir : que l'art est identique
avec la poésie , surtout dans l'ordre religieux ; qu'il n'est
autre chose qu'une des formes de la poésie , et qu'on ne sau-
rait isoler l'histoire , l'étude , l'intelligence de l'un et de l'au-
tre. C'est là une vérité incontestable à nos yeux : mais l'au-
teur n'aurait pas dû oublier que cette identité de la poésie
et de l'art n'a jamais été proclamée en France et qu'elle n'est
- 73 ~
rien moins que constatée , ni même soupçonnée par l'im-
mense majorité des lecteurs français. Il était donc néces-
saire de bien établir préalablement ce point de départ.
M. Rio , ne pouvant ou ne voulant pas nous présenter en
ce moment cette base fondamentale de ses travaux , aurait
dû se borner à prendre pour titre les premiers mots de son
premier chapitre: De la Peinture Chrétienne; et en y
ajoutant ceux-ci : en Italie, il aurait donné à chacun une no-
tion claire et complète du beau volume que nous allons passer
en revue , heureux de pouvoir , grâce à lui, donner à nos lec-
teurs une esquisse historique des produits de cette admirable
branche de l'art chrétien dans le temps où elle a été la plus
féconde et la plus brillante.
Il est donc sous-entendu que pour M. Rio , la peinture,
comme tous les autres arts , n'est qu'une des formes de la
poésie -, or , comme la poésie religieuse est nécessairement
la poésie la plus haute , sinon la seule , il s'en suit que la
peinture religieuse occupe nécessairement aussi le premier
rang dans le développement de la peinture. Cette primauté
est d'ailleurs suffisamment démontrée par le fait en Italie :
c'est ce qui explique pourquoi l'étude de cet art touche de
si près à la religion.
Cela posé nous commencerons par établir quels sont les
principaux mérites de M. Rio dans cet ouvrage. Et d'abord
nous placerons au premier rang le catholicisme du livre et
de son auteur. Et qu'on nous entende bien , c'est d'un bon
et solide catholicisme que nous voulons parler, non pas de
ce vague sentiment religieux qui est à la mode aujourd'hui ,
qui consent à ne rien nier pourvu qu'il ne soit pas obligé de
rien admettre comme incontestable. M. Rio n'est pas de
cette trempe-là : à chaque page de son livre on voit que c'est
un homme qui n'a ni honte ni peur de croire tout ce qu'il a
trouvé dans le catéchisme, l'Évangile et la tradition de l'É-
glise : et il en résulte pour le lecteur un sentiment de bien-
~ 74 —
être qui vaut presque mieux que l'enthousiasme ; et comme
une sorte de soulagement ineffable qui repose et qui exalte
en même temps. On voit encore qu'il pratique ce qu'il croit :
on voit qu'il a prié au pied de ces autels dont il décrit la
parure avec tant de poésie , que les trésors de l'art chrétien
n'ont pas été pour lui des toiles mortes , débris plus ou
moins curieux de la mythologie chrétienne, mais bien des
symboles plus ou moins parfaits de l'éternelle vérité. En un
mot M. Rio est franchement et avant tout catholique : plus
on le lit et plus on reconnaît en lui un frère , un homme à
côté de qui on serait aise d'élever sa prière à Dieu , un
homme que tout catholique pourrait accoster avec confiance
soit dans une église , soit dans une galerie , soit dans une aca-
démie, et lui prendre la main , et lui donner son cœur , sans
craindre de se tromper, et de trouver le froid sourire de l'in-
crédulité ou la vanité satisfaite du pédant sous le voile d'un
enthousiasme factice.
C'est là ce qui place M. Rio bien au dessus de Rumohr, et
de tous les Allemands qui ont pu rivaliser avec lui par la
science et le sentiment de l'art , mais qui sont restés bien
en deçà pour la foi , à l'exception du seul Frédéric Schlegel.
Ce doit être quelque chose de bien déconcertant , ce nous
semble , pour vous , Messieurs les critiques , qui , dans vos
jugemens souverains sur l'art ancien et moderne, posez d'a-
bord en principe que le catholicisme est définitivement
mort , qu'il est aujourd'hui dénué de toute sève créatrice ,
et qu'aucun être doué de raison , et à plus forte raison , de
science , ne peut y trouver la règle actuelle et positive de
ses jugemens et de ses idées ? Daignerez-vous seulement
vous retourner dans votre marche triomphale du salon
de 1837 au salon de 1838 , pour écouter la voix grave et
éloquente d'un homme qui aurait cependant quelque droit à
votre attention ? Car ici il ne s'agit pas d'un peintre obscur,
atteint et convaincu de faire des pastiches du moyen âge ,
— 75 —
seloa le terme inventé pour flétrir aux yeux des fins connais-
seurs toute tentative de régénération ; c'est un savant pro-
fesseur de l'Université , qui après avoir commencé à vivre
sur les champs de bataille et avoir gagné à quinze ans la
croix d'honneur, a enseigné long-temps l'histoire avec éclat;
et puis tout-à-coup , à la fleur de l'âge , s'est senti saisi d'un
tel amour pour l'art purement chrétien , qu'il a renoncé à
toute autre occupation pour l'étudier et pour en révéler les
doux mystères et les saintes traditions. Un esprit aussi ré-
trograde vous étonne peut-être : mais , s'il plaît à Dieu ,
vous en verrez bien d'autres.
A côté de ce mérite suprême de la foi complète et coura-
geuse , vient se placer chez M. Rio celui d'une science appro-
fondie et complètement originale. Son livre est en quelque
sorte un répertoire de découvertes en fait d'art , qu'il y a eu
autant de mérite à faire que de courage à publier , tant elles
froissent la routine des jugemens ordinaires et tant elles
sont éloignées de la voie battue depuis trois siècles que le
paganisme a envahi tous les domaines de l'intelligence. Mais
c'est encore à la foi chrétienne que M. Rio doit sa vraie
science ; c'est elle qui lui a donné la lumière , qui lui a pro-
curé le point de vue aussi neuf que satisfaisant où il place ses
lecteurs. Ce point de vue, nous nous hâtons de le dire , ne
résulte d'aucune théorie arbitraire ni individuelle : il n'y a
peut-être pas dans son livre une seule page de théorie pro-
prement dite , et nous l'en félicitons hautement ; il n'est
parti que d'une seule donnée toute simple et toute chré-
tienne, c'est que toutes les œuvres de l'homme racheté par
Dieu , doivent concourir à la gloire de son Sauveur et au sa-
lut de son âme. Or, comme cette loi suprême , si étrangère
à tous les docteurs de l'art depuis la renaissance , a heureu-
sement dominé le génie des peintres italiens pendant deux
ou trois siècles , il a été facile à M. Rio de rassembler assez
de faits positifs , assez de détails biographiques, assez deju-
— 76 —
gemens de visu sur des œuvres capitales , pour dresser un
inventaire des riches produits du génie chrétien pendant la
période que ce volume embrasse. C'est de cet inventaire
même que ressort une théorie, ou plutôt une série de con-
séquences toutes naturelles , que chacun peut et doit en dé-
duire , et dont l'auteur a laissé souvent la déduction à la sa-
gacité du lecteur. Nous les résumerons toutes en une seule ,
savoir : que la peinture chrétienne est la plus belle de tou-
tes, et qu'elle répudie tout ce qui , soit dans l'expression,
soit dans l'inspiration , tient de près ou de loin au matéria-
lisme , ou , en d'autres termes , au culte de la nature , qui
règne dans l'art depuis les Médicis.
C'est donc un immense service rendu par M. Rio , aux
chrétiens d'abord; et ensuite à tous ceux qui s'occupent con-
sciencieusement de l'art , que d'apporter un livre de faits ,
un livre d'érudition et d'observations personnelles , au mi-
lieu de ce déluge de prétendus critiques , dont les jugemens
téméraires et les stériles théories inondent tous les feuilletons
de nos jours, et finit par déborder jusque dans les journaux
religieux ou soi-disant tels.
Un service presque aussi grand et plus facile à apprécier ,
c'est d'avoir enfin donné aux voyageurs en Italie un manuel
qui puisse leur ouvrir les yeux sur les beautés de l'ordre le
plus élevé, et justement le plus méconnu , que leur présen-
tera le pays qu'ils parcourent. Pour nous , à qui il a fallu
trois voyages et trois séjours prolongés en Italie , pour nous
dépêtrer complètement du bourbier matérialiste où Ton est
lancé tout d'abord par l'effort combiné et unanime de tous
les livrets , de tous les guides , de tous les itinéraires , en
un mot de tous ceux qui ont écrit sur l'Italie , en français
en anglais , en italien , en prose ou en vers , depuis les effu-
sions lyriques de lord Byron jusqu'au fameux Guide écono-
mique et culinaire de madame Starke; pour nous , qui en
sommes enfin bien sortis , grâce à Dieu , et à M. Rio, nous
— 77 —
nous hâtons de lui adresser nos actions de grâces , en même
temps que nous le recommandons à tous nos compagnons
d'infortune passés ou futurs. Nous leur dirons que , s'il y a
eu en Allemagne quelques symptômes de régénération sous
ce rapport , la France a été privée jusqu'à présent , non seu-
lement d'un ouvrage savant et fondamental comme celui-ci,
mais même du plus petit essai , de la plus insignifiante mo-
nographie , rédigée dans un esprit de justice et d'affection
pour l'art catholique. Il a paru dernièrement un ouvrage
très estimable en cinq gros volumes , intitulé X Indicateur
Italien, par M. Valéry : c'est certainement ce qu'il y a de
plus complet jusqu'à présent sur l'Italie, et on y trouve beau-
coup de faits et de recherches très curieuses ; mais que pen-
sera l'amateur de l'art chrétien lorsqu'il verra dès les pre-
mières pages , que la cathédrale de Milan n'est qu'un énorme
colifichet , qu'on lui recommandera le Saint- Jérôme de
Prévitale à Bergame, comme très élégant! Sans parler des
innombrables péchés d'omission envers des chefs-d'œuvre
les plus suaves. Et ce sera bien pire si l'infortuné remonte
plus haut et se trouve pris à la gorge par les Dupaty , les
Cochin , les Lalande. Mais
Non ragionam di lor...
Laissons le dix-huitième siècle pourrir en paix. Répétons
seulement que le livre de M. Rio est le meilleur guide pour
l'étude de la peinture en Italie. Bienheureux ceux qui n'au-
ront pas eu d'autre guide que lui , qui prendront ce livre
pour premier Cicérone : nous n'avons pas eu ce bonheur ;
mais nous savons par l'expérience d'autrui le bien qui en ré-
sulte, et nous avons vu la facilité et la rapidité avec laquelle
•des voyageurs encore purs de tout contact avec l'esthétique
routinière , ont été conduits à l'étude et à la connaissance
du vrai par ce livre qui , selon leur propre expression , ver-
sait des flots de poésie dans leur âme.
— ■ 78 —
Il eût été à désirer que M. Rio eût songé à adjoindre à
toute cette poésie un index topographique qui en eût facilité
l'usage au voyageur , à mesure qu'il parcourt les lieux qui
renferment les trésors décrits par l'écrivain. Mais comme
nous l'avons déjà vu pour son titre , M. Rio ne songe pas
toujours à se rendre accessible au vulgaire. L'index n'existe
pas. Chacun peut s'en faire un '; et, tel qu'il est, le meil-
leur conseil que nous puissions donner à ceux de nos lecteurs
qui feront ou referont le voyage d'Italie , c'est d'emporter
avec eux ce volume. C'est dans l'espoir d'obtenir pour ces
pages l'honneur d'être adjointes , à titre de supplément , à
ce précieux vade mecum , que nous relèverons avec quel-
que détail certaines omissions de M. Rio, et que nous com-
battrons ses opinions sur certains peintres ou certains ta-
bleaux , mais toujours dans l'intérêt exclusif de la même
cause et en partant des mêmes principes, ne différant de lui
que pour leur application.
Après ce préambule, qui n'est pas trop long pour l'impor-
tance de l'ouvrage , nous allons passer à l'analyse des divers
chapitres , en avertissant d'abord nos lecteurs que toutes les
idées et tous les faits que nous citerons sont tirés de l'ou-
vrage même, à moins de mention contraire.
Dans le premier chapitre , nous assistons tout d'abord au
magnifique spectacle de la peinture chrétienne , venant au
monde dans le berceau sanglant des catacombes , et contra-
stant autant par sa direction intime que par ses manifesta-
tions extérieures avec les dégoûtantes orgies de l'art sous
les Césars persécuteurs. Un bon résumé des sujets représen-
tés dans les catacombes fait ressortir la sublime abnégation
1 Au moment où nous relisons ces lignes, nous apprenons que
M. Guénebault, déjà si honorablement connu par des travaux d'ar-
chéologie chrétienne dans les Annales de Philosophie chrétienne,
vient de terminer une table à la fois alphabétique et analytique de
l'ouvrage de M. Rio.
— 7* —
de soi , avec laquelle les artistes martyrs évitaient toute
commémoration même indirecte de leurs supplices. Puis ,
avec l'affranchissement de l'Église par Constantin , viennent
ces grandes mosaïques romaines , que Ghirlandajo appelait
à si juste titre la vraie peinture pour l'éternité. Mais la vi-
talité de l'école, justement qualifiée par M. Rio de romano-
chrétienne, fut menacée dès lors par une controverse très
curieuse entre les Pères les plus illustres de l'Église latine
et quelques Pères de l'Église grecque , appuyés avec fureur
par les moines de l'ordre de Saint-Basile. Ceux-ci soutenaient
que Jésus-Christ avait été le plus laid des enfans des hom-
mes , tandis que leurs adversaires disaient, comme plus tard
saint Bernard , que la merveilleuse beauté du Christ surpas-
sait celle des anges , et faisait l'admiration de ces êtres céles-
tes. On sait assez que l'Occident tout entier se rangea du
côté de ses Pères. Mais en vérité , lorsque nous avons lu ce
passage du livre de M. Rio, nous nous sommes rappelé les
horribles travestissemens des principaux faits de la vie de
Notre Seigneur , qui , non contens de s'étaler périodique-
ment sur les murs du Louvre , viennent souiller à demeure
les parois de nos églises, dignes pendans, du reste , de la mu-
sique d'opéra qu'on y entend ; nous nous sommes rappelé
ces éditions de luxe des livres les plus sacrés , où les traits
de notre divin Maître, de la Vierge mère , des apôtres , de
Madeleine , etc., sont livrés aux mêmes imaginations et aux
mômes burins qui se sont fait un nom en illustrant (c'est le
terme consacré) les saletés de Voltaire et de Lafontaine ;
nous nous sommes rappelé enfin le débordement de vulga-
rité , de niaiserie , d'inconvenance , qui caractérise tout ce
qu'on appelle aujourd'hui des sujets religieux , et que le
clergé a la bonté d'admettre comme tels ; et puis nous nous
sommes demandé si par hasard la doctrine byzantine n'avait
pas été ressuscitée de nos jours , et si tous les coryphées de
nos écoles modernes ne s'étaient pas donné le mot secrète*
— 80 —
ment pour représenter Notre Seigneur et tous les personna-
ges religieux comme les plus laids des en fans des hom-
mes. Quoi qu'il en soit , il est certain que les fanatiques
byzantins du quatrième et du cinquième siècle , s'ils renais-
saient au dix-neuvième, ne pourraient qu'être flattés de voir
une pratique aussi conforme à leur théorie.
M. Rio se livre aux considérations les plus sages sur la
nature dégradante des doctrines byzantines qui préludaient
dès-lors au schisme de Photius, et dont l'autocratie mosco-
vite est au sein de notre société moderne le dernier résul-
tat : elles exercèrent long-temps la plus funeste influence en
Italie : heureusement le siège infaillible et immortel de
Pierre réagit constamment contre elles. Ne pouvant intro-
niser le laid dans l'art religieux, Byzance et ses empereurs
devinrent iconoclastes pour anéantir dès le berceau cet art
sublime. Delà cette guerre admirable, que M. Rio compare
justement aux croisades, qui unit toute l'Italie, sauf Na-
ples, pour la défense du pape et des saintes images, et que
Gibbon a jugée avec sa mauvaise foi ordinaire. Cependant,
l'école romano-chrétienne devait mourir , à ce que croit
l'auteur, et il fixe l'époque de cette extinction complète
aux douzième et treizième siècles. Nous protestons de toute
notre àme contre cette assertion ; car, à notre avis, les
mosaïques de Sainte-Marie in Transtevere et de Sainte-Ma-
rie-Majeure, qui datent précisément de ces deux siècles,
sont les plus belles de Rome. Mais nous admettons volon-
tiers que cette école , à laquelle nous attachons du reste
moins d'importance que l'auteur et quelques autres écrivains
modernes, a été avantageusement remplacée par l'école
germano-chrétienne, née avec Charlemagne, et dont il
nous reste des monumens nombreux dans les miniatures des
manuscrits, et plus tard, dans les vitraux. Il importe d'éta-
blir, comme l'a fait M. Rio , que rien dans cette école ne
sent, comme on s'en va, le répétant tous les jours, l'imita-
— 81 —
tion servile de ce qui s'était fait à Byzance et en Italie. Le
clergé ne cessa jamais de diriger cet art dont il avait été le
père , et de lui donner cette fécondité que le catholicisme
communique à tout ce qu'il enfante \ Aussi l'originalité
des écoles de France, de Belgique, de Cologne, du dixième
au treizième siècle , est un fait qui ressortira chaque jour
davantage de l'étude approfondie de leurs produits. M. Rio
énumère avec soin les traits distinctifs du genre occidental
et du genre byzantin : il suit les différentes phases de l'exis-
tence languissante de celui-ci en Italie , et relève les déplo-
rables conséquences de son influence sur l'école napolitaine,
qui n'a jamais pu se relever de ce honteux vasselage ; mais
nous lui demandons grâce pour le bon vieux Giuntade Pise,
qu'il regarde comme le dernier représentant de l'art byzan-
tin , et que nous voudrions délivrer de cette flétrissure , en
considération du beau portrait de saint François qu'on voit
de lui à la sacristie d'Assise , comme aussi de ce crucifix peint
par lui , qui stigmatisa sainte Catherine de Sienne , et que
l'on conserve encore dans la maison paternelle de cette
grande sainte à la Contrada delï oca, à Sienne.
Le chapitre II est consacré à Y école siennoise. Quoiqu'à
peu près passée sous silence par Vasari , les recherches pos-
térieures, surtout celles de Rumohr, ont bien établi que
Sienne, qui s'honorait du titre de Cité de la Vierge, a été
le berceau delà peinture chrétienne d'Italie, au treizième
siècle. On y voit encore quelques ouvrages de ces premiers
maîtres si purs et si dévots , signés de leur nom , avec l'addi-
tion d'une prière ou dune éjaculation pieuse. Tels sont :
Guido, dont la grande Madone, à Saint- Dominique, est le
premier tableau à date certaine (1221), de l'Italie ; Duccio,
• On ne saurait lire sans émotion cette admirable définition du
concile d'Arras en 1205, où il est dit que la peinture est le livre des
ignorons qui ne sauraient pas en lire d'autres.
6
— ■ 82 —
vanté par Ghiberti ; Ambrogio, qui fit la grande fresque al-
légorique d'une des salles du palais public , que M. Rio dé-
clare n'avoir pas comprise, mais où l'on pourrait, ce nous
semble, clairement reconnaître les principales vertus chré-
tiennes , avec les symboles universellement admis dans la
peinture et la sculpture chrétienne de cette époque , belle
idée assurément pour une salle de justice. Il ne reconnaît
qu'un seul tableau authentique do Pietro , frère d'Ambrogio :
il a oublié la jolie Madone , voisine de l'hospice délia Scala,
que nous citons à cause de sa touchante et simple inscrip-
tion : Opus Laurentii Pétri pictoris : fecit ob suam devo-
tionem. Ces deux frères se sont immortalisés par leur grande
fresque du Campo-Santo de Pise, représentant les divers
épisodes de la vie des Pères du Désert, chef-d'œuvre de
grâce et de simplicité naïve. M. Rio relève avec raison toute
la poésie de ce sujet : il nous donne ensuite un récit char-
mant de la légende de saint Rainier, qui forme un des orne-
mens de ce même Campo-Santo , et qui a été peint par ce
Simon Memmi que Pétrarque mettait sur la même ligne que
Giotto. Nous regrettons de ne pas trouver quelques détails
sur les magnifiques fresques du même Simon Memmi , à la
chapelle des Espagnols, à Florence ; cette admirable repré-
sentation de l'Eglise triomphante et militante , avec tout le
fécond symbolisme de l'époque; ce Jésus descendant aux
limbes, et écrasant le démon vaincu sous la porte brisée
des enfers, et tant d'autres sujets traités avec une supério-
rité réelle, méritaient une attention spéciale de la part de
l'auteur, qui n'aurait pas dû se borner à nous renvoyer à Va-
sari, dont il nous a recommandé, et à si juste titre, de nous
défier.
Mais quelque chose de bien plus grave que cette omission,
c'est l'injustice avec laquelle M. Rio donne congé à toute
l'école siennoise, après avoir cité ces trois ou quatre noms ,
en déclarant qu'après eux sa fécondité ne fut que purement
— 83 —
numérique jusqu'au quinzième siècle. Nous verrons que
M. Rio n'est pas moins injuste pour les grands peintres sien-
nois du quinzième ; et en attendant, nous réclamons de tou-
tes nos forces en faveur de plusieurs peintres que des sé-
jours malheureusement trop courts à Sienne , nous ont
permis cependant de connaître ; et , en premier lieu , nous
citerons Mannodi Simone, auteur dès 1287, à ce qu'on dit,
de la fresque de la chapelle du palais public, qui représente
Notre-Dame entourée d'anges et de saints , assise sur un
trône et sous un vaste baldaquin porté par les saints protec-
teurs de Sienne , tandis que deux anges agenouillés devant
elle lui présentent des corbeilles de fleurs : nous connaissons
peu de productions plus grandioses et plus catholiques. Puis
ce Sano di Pietro, dont on voit une admirable Incorona-
zione (1) , à la chancellerie du palais public , datée de 1345 ;
et enfin cet André Vanni , que son goût pour la peinture
n'empêcha pas d'être capitaine du peuple et ambassadeur
auprès du pape, à qui sainte Catherine de Sienne adressa
une lettre sur l'art de bien gouverner, et qui en revanche
nous a laissé d'elle un portrait authentique et délicieux, au
capellone de l'église Saint-Dominique. On voit aussi de lui
à l'académie les quatre Trionfi de Pétrarque , assez ingé-
nieusement reproduits. Nous n'hésitons donc pas à dire, et
nos observations ultérieures viendront à l'appui de ce juge-
ment , que dans la prochaine édition de son livre , M. Rio
doit refaire toute la partie de l'école siennoise, sous peine
d'être confondu , quant à ce , avec cette masse banale de
voyageurs dont les yeux et le cœur restent toujours fermés
aux productions du véritable art chrétien.
Le chapitre III nous introduit à l'étude de X école primU
1 C'est la désignation italienne du couronnement de la Sainte-
Vierge dans le ciel, sujet favori des peintres chrétiens de tous les
temps et de tous les pays.
— su —
ttve de Florence 9 née un demi-siècle après celle de Sienne.
M. Rio fait bonne justice de la réputation exagérée de Ci-
mabuë, qui a passé long-temps pour le régénérateur de l'art,
et que les feuilletonistes éclectiques de nos jours se résignent
quelquefois à citer comme un grand génie. C'est à Giotto
qu'appartient plus justement le titre de régénérateur ; ce fut
lui qui brisa définitivement les types byzantins. M. Rio le
démontre par des observations d'une rare sagacité, et réfute
les absurdes reproches que Rumohr a adressés à ce grand
peintre. Il passe en revue ses principaux ouvrages et les
traits de son caractère qui nous ont été conservés. On s'é-
tonnera seulement de ce qu'il regarde la révolution opérée
par Giotto dans la peinture, comme contemporaine de celle
par laquelle l'architecture moderne s'affranchissait du joug
classique. Quand même l'architecture ogivale daterait de
l'époque de Giotto , ce qui n'est pas, M. Rio ne saurait être
du nombre de ceux qui regardent les cathédrales de Spire et
de Mayence, le dôme et le baptistère de Pise, Saint-Marc
de Venise , et tant d'autres monumens du dixième au dou-
zième siècle , comme émanant de l'architecture classique :
cela ressemblerait trop à ce savant de la renaissance, qui
prétendait avoir découvert que la cathédrale de Milan avait
été bâtie d'après les règles tracées par Vitruve. Nous dé-
plorons aussi la brièveté excessive avec laquelle notre au-
teur passe sur les grandes fresques de la chapelle de FArena
à Padoue, qui sont , selon nous, l'œuvre capitale de Giotto ,
et où se trouvent douze sujets de la vie de Notre-Dame jus-
qu'à son mariage , vingt-quatre sujets de la vie de Notre-
Seigneur, dont plusieurs de la plus haute beauté, surtout la
résurrection de Lazare et la déposition de Croix, un magni-
fique Jugement dernier, le plus ancien que nous connaissions,
et enfin les figures des Vertus et des Vices en grisaille ,
qui surpassent tout le reste. Son Espérance et sa Charité
n'ont de rivales que les figures analogues de la porte du
— 85 —
baptistère de Florence par André de Pise. Le symbolisme si
remarquable de ces figures avait frappé l'attention de notre
savant d'Hancar ville , à une époque où Giotto était encore
regardé comme un barbare ; elles viennent de fournir à un
écrivain de Padoue , le comte Selvatico , le sujet d'un opus-
cule très intéressant '. Comme ces fresques forment l'ensem-
ble le plus vaste , le plus complet et le plus ancien de cette
époque , nous croyons qu'elles exigeaient plus d'attention
de la part de M. Rio. Pour le plus grand avantage des voya-
geurs, nous dirons encore que les belles fresques de Giotto,
représentant les sacremens d'Ordre et de Mariage, que l'on
admire encore à Naples , se voient à Y Incoronata , petite
église presque souterraine, près le Château neuf, et non pas,
comme dit M. Rio, à Sainte-Claire, celles qui ornaient cette
dernière église ayant été blanchies à la chaux par les hommes
éclairés du dernier siècle. A l'occasion du célèbre tableau
signé par Giotto, à Santa-Croce de Florence, M. Rio signale
la présence d'anges jouant de divers instrumens de musi-
que ; heureuse innovation qui a fourni de tout temps aux
peintres vraiment chrétiens des épisodes délicieux dans leurs
plus beaux tableaux2. Du reste, les sujets traités avec le
plus de prédilection par ce peintre furent, selon M. Rio , la
* Suîla capellina degîi Scrovegni nell' Arena di Padova, e su ï
freschi di Giotto in essa dipinti : osservazioni di Pietro Estense
Selvatico; Padova 1836. Nous recommandons cet ouvrage à nos lec-
teurs comme le seul que nous ayons encore rencontré en Italie , où
l'art du moyen âge soit assez bien apprécié , malgré les inconsé-
quences bizarres qu'on y rencontre mêlées aux jugemens les plus
sains.
* M. Guénebault attribue cette innovation à André Tafi, qui vivait
vers 1233, et remarque avec raison que l'origine de cette idée se
trouve dans le passage de saint Augustin où il énumère les jouis-
sances du Paradis : e Quae cantica! quœ organa! quae cantilenae ibi
c sine fine decantantur ! sonant ibi semper melliflua bymnorum or-
c gana, suavissima angelorum melodia, etc. » HHanwU, c. vi, n° 2.
— 86 —
Crucifixion et la vie de saint François. Nous ne savons pour-
quoi il dit que dans cette glorieuse vie, il y a très peu d'ac-
tions extérieures, très peu d'épisodes dramatiques
(pag. 69). Nous n'en connaissons pas au contraire où il s'en
trouve plus , témoin les grandes fresques de l'église supé-
rieure d'Assise , que notre auteur traite bien légèrement.
La révolution opérée par Giotto trouva à Florence une
adhésion unanime ; mais elle eut à combattre quelques res-
pectables résistances, comme celle du vieux Margaritone^
qui avait envoyé un crucifix de sa façon à ce Farinât a (dont
le Dante trace un portrait si imposant) , pour le récom-
penser d'avoir sauvé sa patrie ; puis à Rome , celle d'un élève
même de Giotto , Cavallini , auteur du crucifix miraculeux
qui parla à sainte Brigitte h
Rien de plus faux que l'assertion des classiques qui pré-
tendent que la peinture a été stationnaire pendant le demi-
siècle qui suivit la mort de Giotto, c'est-à-dire jusqu'au mo-
ment où le naturalisme envahit Fart avec Masaceio. M. Rio
détruit de fond en comble cette erreur par son éloquente
énumération des œuvres principales des successeurs immé-
diats de Giotto, énumération habilement parsemée de détails
charmans sur leur vie et leur piété. Nous voyons passer
successivement Taddeo Gaddi , digne filleul et disciple de
Giotto , qui avait pris saint Jérôme pour sujet de prédilec-
tion. Giottino , bien supérieur encore à Giotto , selon nous,
quoique son nom semble indiquer un diminutif du talent de
celui-ci. Agnolo Gaddi, fils de Taddeo, auteur de la légende
de la ceinture de Notre-Dame , peinte à fresque dans la ca-
thédrale de Rato, et que M. Rio nous raconte avec une en-
traînante sympathie ; enfin le grand Orgagna , qui a mérité
• C'est la tradition, répétée par M. Rio, mais assez peu d'accord
a?ec les faits; puisque ce crucifix de sainte Brigitte que l'on montre
encore à Saint-Paul hors des murs , et qui a échappé au dernier
incendie , est sculpté en bois et non pas peint.
- 87 —
d'être appelé le Michel-Ange de son siècle, à cause de sa
suprématie simultanée dans la peinture, la sculpture et l'ar-
chitecture , mais avec celte différence qu'il a toujours été
aussi chrétien dans ses œuvres que Michel Ange a été païen,
et qu'il a ouvert dans l'art une ère de pure et pieuse beauté,
tandis que Michel-Ange en ouvrit une d'exagération anato-
mique et de décadence morale. Son Triomphe de la Mort
au Campo Santo de Pise , et son Paradis à Sainte-Marie-
Novella , compteront toujours parmi les chefs-d'œuvre de
la peinture chrétienne , et se distinguent surtout par une
intensité d'expression , comme dit fort heureusement
M. Rio, que nul n'avait encore atteinte à un si haut point.
Ce chapitre se termine par un résumé des progrès faits par
la peinture jusqu'alors, et des principaux traits qui caracté-
risent celte période. L'éloignement pour toutes les tradi-
tions grecques ' s'est de plus en plus enraciné. Les sujets
mystiques sont exclusivement cultivés , le goût pour les su-
jets dramatiques ne s'étant pas encore annoncé , selon
M. Rio; et cependant nous ne savons trop ce qu'il peut y avoir
de plus dramatique , dans le meilleur sens du mot , que les
différentes époques de la vie de Notre-Seigneur, de Notre-
Dame et le Jugement dernier, répétés si fréquemment par
les peintres de cette époque. L'histoire de saint François
est aussi exploitée avec un amour tout particulier; cela a été
le privilège perpétuel de ce grand saint : mais nous ne pou-
» M. Rio cite comme preuve remarquable de cette antipathie , que
jamais les Pères de l'Eglise grecque n'ont été mêlés aux Pères de l'E-
glise latine, qui faisaient presque de droit partie de toutes les grandes
fresques. Presque toutes nos recherches ont confirmé la vérité de
cette observation ; nous n'avons vu qu'un seul exemple de cetfe
union , mais en assez bon lieu pour mériter d'être noté. C'est à la
chapelle Saint-Laurent du Vatican, où le bienheureux Angélique a
représenté saint Athanase et saint Jean Chrysoslome comme pendans
de saint Léon et de saint Grégoire-le-Grand.
— 68 —
vons admettre avec Fauteur que la préférence donnée à
cette histoire sur celle de saint Dominique tienne à la diffé-
rence originelle de leurs deux institutions. Quand on voit
les délicieuses peintures que le dominicain Fra Angelico de
Fiesole a consacrées au père de son ordre à Cortone , et sur
le gradino de son couronnement de la Vierge au Louvre ,
on peut bien admettre que la vie de saint Dominique prêtait
autant que celle de saint François aux inspirations de la
peinture chrétienne ; et d'ailleurs , comment se fait-il que
l'ordre des Frères Prêcheurs ait produit tant de grands ar-
tistes, et du premier rang, tels que Fra Angelico et Fra
Bartoîommeo, tandis que le nombre de ceux sortis des Frères
Mineurs est infiniment moindre. Nous avouons que nous
sommes jaloux de la moindre parcelle de la gloire de saint
Dominique , surtout depuis que nous l'avons entendu traiter
de profond scélérat par un célèbre député, membre de l'A-
cadémie française.
Dès cette époque primitive l'art qui avait son foyer à Flo-
rence , rayonnait au loin ; de toutes les parties de l'Italie
une foule d'artistes venaient étudier à Florence ; une tou-
chante confraternité s'établit entre eux; elle avait pour base
l'esprit exclusivement chrétien de leurs travaux. « Nous
« autres peintres , disait Buffalmacco , élève de Giotto , nous
« ne nous occupons d'autres choses que de faire des saints
« et des saintes sur les murs et les autels, afin que , par ce
« moyen , les hommes , au grand dépit des démons , soient
« plus portés à la vertu et à la piété » (p. 88). Aussi dans la
première académie de peinture dont l'histoire fasse mention,
la confrérie de Saint-Luc fondée en 1350, les membres s'as-
semblaient , non pour se communiquer leurs découvertes ou
délibérer sur l'adoption de nouvelles méthodes , mais tout
simplement pour chanter les louanges de Dieu et lui rendre
des actions de grâces (p. 39).
L'âme sincèrement et logiquement catholique se repose
— . 89 —
avec délices sur cette époque si belle et si pure , où rien ne
vient ternir l'éclat de la jeune parure dont la religion vê-
tissait le monde , où tout ce qui ornait et charmait la vie de
l'homme lui rappelait le ciel. M. Rio a compris la beauté et
l'unité de cette époque dans la partie qui a été l'objet de ses
études : si nous avons un reproche à lui faire , ce serait de
n'avoir pas assez insisté sur cette période de son ouvrage ,
de nous avoir privés de bien des détails précieux , d'avoir
omis quelques peintres dignes d'être appréciés par lui , tels
que Gherardo Starnina f, beaucoup trop sévèrement jugé
dans un chapitre subséquent (p. 107), et Nicolas di Pietro ?;
mais peut-être ces défauts seront-ils justement des qualités
aux yeux d'autres moins ardens et moins exclusifs que nous,
dans notre amour pour l'art purement catholique et tel qu'il
était avant le mélange de tout autre élément inférieur. Dans
tous les cas , M. Rio a la gloire incontestable d'avoir mieux
jugé et mieux loué cette glorieuse richesse de notre foi ,
qu'aucun autre écrivain français, et c'est une gloire dont il
lui sera chaque jour tenu plus de compte.
Dès Ta seconde période de l'école florentine , que les cha-
pitres IV et V nous exposent , l'unité a cessé. La résurrec-
tion du paganisme, qui équivalait à celle du matérialisme,
voilà, comme M. Rio le reconnaît , le germe de cette déca-
dence qui se développe lentement et à l'ombre , pendant que
la peinture marchera à sa perfection. On en trouve des
symptômes manifestes chez Paolo Uccello (mort en 1423),
qui ne voyait dans la peinture d'autre beauté que la per-
1 M. Rio paraît avoir oublié qu'il peiguit les quatre Evangélistes à
la voûte de la chapelle latérale du transept méridional de Santa-
Croce.
9 Auteur des admirables fresques de la Pas ion de N.-S., au cou-
vent de San-Francesco à Pise. Jamais sainte Madeleine n'a été re-
présentée avec plus de génie chrétien. Ce chef-d'œuvre a été gravé
au trait par le cav. Lasinio.
— 10 —
spective , et à qui les Médicis firent peindre des animaux
dans leurs palais ; première marque de la protection accor-
dée par cette famille à l'art , et digne symbole de ce funeste
patronage. Un autre peintre nommé Dello , alla peindre des
sujets mythologiques pour le roi d'Espagne. La peinture
devenant peu à peu tributaire du pédantisme classique et du
luxe des banquiers , un nouvel élément de décadence , celui
du naturalisme , s'y introduit par l'usage profane de multi-
plier les portraits dans les tableaux de piété , en donnant
les traits d'un protecteur ou d'un ami vivant aux person-
nages les plus sacrés ; usage bien différent de l'humble et
chrétienne inspiration qui faisait représenter le peintre ou le
donateur d'un tableau aux genoux de la Madone , ou con-
fondu parmi les bergers ou la suite des rois qui venaient of-
frir leurs hommages à l'Enfant Jésus. Les progrès du paga-
nisme et du naturalisme déterminèrent bientôt une scission
dans l'école florentine , elle se décompose en trois tendances
bien distinctes , selon M. Rio (et cette distinction est fonda-
mentale pour la suite de son ouvrage) , 1° celle des peintres
restés fidèles aux habitudes giottesques , tels que Lorenzo
Bicci et Chelini ; 2° celle des peintres qui réagirent contre
les innovateurs profanes , par le perfectionnement de l'élé-
ment mystique; et 3° ceux qui cultivèrent surtout la forme
et la firent progresser, mais aux dépens de l'esprit chrétien
des œuvres primitives. Ghiberti est à la tête de ces derniers ;
ses bas-reliefs de la porte du Baptistère font époque dans
l'histoire de la peinture aussi bien que dans celle de la sculp-
ture , car il eut pour collaborateurs plusieurs des peintres
les plus célèbres de son époque. Nous croyons que M. Rio
est en contradiction avec lui-même lorsqu'il regrette que
toute l'école florentine n'ait pas puisé ses inspirations dans
ces fameux bas-reliefs ; on y voit, ce nous semble , ce beau
génie marcher graduellement vers le matérialisme ; ils ont
pour voisins ceux d'André de Pise , qui assurément répon-
BL 91 -
dent bien mieux à l'idéal chrétien '. Masolino fut le plus ha-
bile des collaborateurs de Ghiberti ; il commença la célèbre
chapelle del Carminé. Mais nous aimerions mieux le juger
et le ranger dans la catégorie des peintres restés purs , d'a-
près le charmant tableau de lui à l'académie. Masaccio ,
qui acheva la chapelle del Carminé , et exerça par cette
œuvre une si grande influence sur son époque , alla à Rome
pour s'y inspirer des souvenirs classiques; mais en y arrivant
il était encore bien complètement pur et chrétien , s'il faut
en juger par sa magnifique histoire de sainte Catherine ,
peinte à fresque dans l'église de Saint-Clément , et que
M. Rio juge avec une sévérité qui nous a vivement blessé ;
car s'il est vrai que ces fresques ont été cruellement retou-
chées , il en reste encore les contours si fins et si gracieux ,
et surtout l'esprit général de la composition , digne des plus
beaux monumens de l'art chrétien. Chaque tête mérite une
étude spéciale2. Mais Rome gâta ce jeune talent. De retour
à Florence , il fit cette chapelle del Carminé , où le natura-
lisme triomphe complètement, où il n'y a plus même vestige
de la simplicité et de la profondeur primitives , ce qui expli-
que parfaitement l'enthousiasme qu'elle a excité chez Vasari
et ses copistes classiques.
Les fresques del Carminé devinrent aussitôt un centre
d'inspirations pour une foule de peintres. Le moine Filippo
Lippi, dont la vie romanesque et déréglée est connue, devint
le plus ardent imitateur de Masaccio : le premier il osa re-
présenter sa maîtresse , la trop célèbre Lucrezia Luti , avec
les attributs de la Reine des Anges. Ce seul trait peut faire
1 Dans une publication récente faite à Paris , on n'a donné que la
dernière porte de Ghiberti, celle de l'est, et on a soigneusement omis
celle d'André de Pise , et celle où Ghiberti lui-même se montrait en-
core complètement chrétien.
a On peut en juger d'après les belles gravures au trait publiées à
Rome par Labruzii , en 44 planches.
— 92 ë
juger des progrès que le mal avait faits. Cependant il faut
avouer que ce Lippi a laissé quelques œuvres dignes d'un
meilleur auteur, et M. Rio reconnaît en lui le premier paysa-
giste de l'école florentine. Cet impudique eut pour disciple
l'assassin André del Castagno , plus célèbre par ses crimes *
que par ses œuvres , fort habile dans la perspective, les rac-
courcis et les portraits , et qui fut à son tour le maître d'un
nommé Pesello , lequel n'avait point d'égal pour la repré-
sentation des oiseaux , des quadrupèdes et des insectes. L'é-
cole hollandaise , si chère aux matérialistes des derniers siè-
cles , et la peinture mesquine , qu'on appelle de genre ,
étaient déjà en germe chez cet homme.
Mais bientôt Rome offrit aux artistes florentins un théâtre
plus vaste et plus glorieux qu'aucun autre. Les grands murs
de la chapelle Sixtine leur furent livrés par Sixte IV. On y
voit les œuvres de trois peintres qui , quoique sortis de l'é-
cole naturaliste de Ghiberti , surent lutter contre les prin-
cipes de déchéance qu'ils devaient y puiser : d'abord Cosimo
Roselli , moins pur au Vatican que dans sa belle fresque
de S. Ambrogio à Florence ; puis Botticelli dont le groupe
des Filles de Jethro , au dessus du trône papal , est un
chef-d'œuvre de poésie pastorale , et que M. Rio aurait dû
placer dans l'école mystique , ne fût-ce qu'à cause de cette
seule mais exquise Madone écrivant le Magnificat, qu'on
voit aux TJffizi à Florence ; enfin Domenico Ghirlandajo
commença dignement par sa Vocation de saint Pierre /
les chefè-d'œuvre dont il devait plus tard orner sa patrie.
Nous sommes loin d'admettre toutefois avec M. Rio que ses
grandes fresques de Santa-Maria-Novella soient les plus ma-
gnifiques ouvrages de ce genre que possède Florence. Nous
n'hésitons pas à leur préférer non seulement la chapelle Ric-
1 II assassina Antonio le vénitien, qui lui avait appris le secret de
la peinture à l'huile.
— 03 —
cardi de Benozzo Gozzoli , mais encore les fresques d'Orga-
gna dans la même église ; cette différence d'opinion donnera
aux lecteurs compétens la juste mesure de la distance qui
nous sépare de M. Rio. En revanche nous adhérons de tout
notre cœur aux éloges qu'il décerne à X Histoire de Saint
François, qu'on voit à Santa-Trinità , et à l'admirable ta-
bleau de Y Adoration des Mages, qui fait l'ornement de
l'hospice des Enfans-Trouvés. Quoique le type de ses vier-
ges soit défectueux et trop bourgeois , il est vrai que Ghir-
landajo a surpassé tous les autres peintres de son époque en
dehors de l'école mystique. Avant d'en venir à celle-ci ,
M. Rio juge avec une juste rigueur Filippino Lippi , fils du
moine , qui chercha à racheter la honte de sa naissance par
la moralité de sa vie , mais qui ne s'éleva jamais très haut
dans l'art ; puis Antoine Pollajuolo , qui eut la triste gloire
d'introduire dans la peinture l'élément des études anatomi-
ques , et qui s'en servit le premier pour profaner ce noble
sujet du martyre de saint Sébastien , qui l'a été tant de fois
depuis. Son chef-d'œuvre représente un combat entre dix
gladiateurs tout nus. Il préparait ainsi les voies à Michel-
Ange, qui ne trouva rien de mieux que de présenter les
saints et même les saintes dans un état de nudité complète ,
dans ce fameux Jugement dernier, dont M. Sigalon ne nous
a donné récemment qu'une copie trop exacte.
Avant d'abordor l'école mystique , M. Rio résume , à la fin
du cinquième chapitre , les progrès vers le bien et le mal
que la peinture avait faits à l'époque où nous sommes arri-
vés (1490), L'application des lois de la perspective, la meil-
leure combinaison de la lumière et des ombres , le charme
et la fraîcheur des paysages , en un mot tout le beau côté
du naturalisme ne saurait compenser la diminution propor-
tionnelle (Au goût et de l'intelligence des inspirations vrai-
ment saintt *• Certains sujets traditionnels et mystiques, tels
que le Coun armement de la Sainte- Vierge, incompatibles
— 9k —
avec le nouveau développement , tombèrent malgré leur
immense popularité en désuétude , et finirent par disparaître
du répertoire de l'art \ Le naturalisme ne pouvait profiter
qu'au genre historique ; aussi les livres de l'Ancien Testa-
ment furent exploités plus volontiers que l'Évangile, et bien-
tôt l'histoire de Grèce et de Rome le fut préférablement à
l'histoire sainte. • Les inspirations païennes venaient à l'art
de deux côtés à la fois, des ruines majestueuses de l'antique
Rome , et de la cour des Médicis. Le paganisme des Médicis
était né de la corruption des mœurs autant que des progrès
de l'érudition... Que demandait Laurent de Médicis aux pre-
miers artistes de Florence , quand il voulait exercer à leur
égard ce patronage si éclairé dont il est fait tant de bruit
dans l'histoire ! A Pollajuolo , il demandait les douze travaux
d'Hercule ; à Ghirlandajo, l'histoire si édifiante des malheurs
de Vulcain ; à Luca Signorelli, des dieux et des déesses, avec
tous les charmes de la nudité , et par compensation , une
chaste Pallas à Botticelli, qui , malgré la pureté naturelle de
1 C'est là une des mille observations si exactes et si fécondes qui
se trouvent dans le livre de M. Rio. En effet, pour peu qu'on repasse
dans sa mémoire les différentes écoles de peinture, on s'aperçoit que
ce sujet vraiment céleste n'a été fréquemment traité que dans les
temps tout-à-fait chrétiens, et qu'il a été presque entièrement aban-
donné depuis trois siècles. En France, où il n'y a jamais eu de pein-
ture chrétienne , si ce n'est dans les vitraux et les miniatures des
missels , où la peinture proprement dite n'est arrivée que pour par-
ticiper aux débauches de la cour de François Ier, le Couronnement
de la Sainte-Vierge est un sujet à peu près inconnu : mais nous espé-
rons que le public français en aura une idée satisfaisante lorsque
M. Curmer aura publié le Livre d'Eglise pour lequel nous avons eu
le bonheur d'obtenir des dessins d'Overbeck, au premier rang des-
quels figurera Marie assise sur le trône de son Fils et la tête penchée
sur son épaule. Ce Couronnement de Notre-Dame i a, pelle avec
un charme tout nouveau les plus vieilles mosaïques da ce sujet à
Rome.
— 95 — >
son imagination , fut en outre obligé de peindre une Vénus
pour Côme de Médicis , et de répéter plusieurs fois le même
sujet avec des variantes suggérées par son savant protec-
teur » (p. 154). En résumé , si la peinture avait fait depuis
Masaccio des progrès rapides en développemens externes,
elle avait cessé d'être , pour un grand nombre d'artistes ,
une des formes de la poésie chrétienne.
Pour nous consoler de cette décadence graduelle dans l'é-
cole naturaliste , M. Rio consacre ses chapitres VI et VII à
nous montrer les développemens de l'école mystique. C'est
assurément la partie la plus intéressante et la plus originale
de son ouvrage : il est le premier et le seul qui ait jusqu'à
présent bien nettement distingué les élémens de cette école,
et bien hautement proclamé sa gloire. Il commence très sa-
gement par établir que l'intelligence de cette école n'est plus
de la compétence de ce qu'on appelle vulgairement les con-
naisseurs; qu'elle exige , avant tout , une sympathie forte
et profonde pour les pensées religieuses des artistes ; que
c'est dans la vie des saints bien plus encore que dans celle
des peintres qu'il faut chercher la preuve des rapports in-
times entre la religion et l'art. Il cite à l'appui de cette as-
sertion des traits touchans de la vie de saint Bernardin , de
la B. Humiliane , et un souvenir charmant de ses excursions
dans les lagunes de Venise. Il est clair que , pour le catho-
lique , l'école qui a le mieux compris cette relation entre la
foi et l'art doit occuper la plus haute place dans la hiérar-
chie catholique , même quand la combinaison de l'idée avec
la forme n'a pas lieu d'une manière précisément conforme
aux lois de l'optique ou de la géométrie. Au XIVe siècle ,
tous les peintres suivaient plus ou moins cette voie : au XVe,
comme nous l'avons vu , le naturalisme envahit Florence ;
et pour retrouver les peintres qui cherchaient plus haut
leurs inspirations, et les grouper ensemble , M. Rio parcourt
les petites villes de la Toscane , celles de i'Ombrie , et les
— 96 —
cloîtres , véritables sanctuaires de la pénitence chrétienne.
Il reconnaît que Sienne , envers qui nous l'avons trouvé si
injuste , est restée bien plus fidèle que Florence aux vieilles
traditions. Il parle de Taddeo Bartolo , auteur de l'histoire
de Marie , à la chapelle du Palais-Public ; nous eussions dé-
siré plus de détails sur cette œuvre , et surtout sur le com-
partiment où Ton voit Notre-Seigneur venant retirer sa mère
de son tombeau , sujet traité d'une manière unique par ce
grand peintre : c'était un artiste essentiellement original et
profond , comme le démontre la curieuse manière dont il a
représenté chacune des phrases du Credo , sur les stalles
de cette même chapelle. Nous excepterons du dédain avec
lequel M. Rio traite ses travaux hors de Sienne , la délicieuse
Madone allaitant son enfant , à l'Annunziata de Padoue.
Notre auteur regrette de n'avoir rien retrouvé de ce qu'il
fit à Pérouse, à cause de l'influence incontestable qu'il exerça
sur l'école ombrienne , dont cette ville fut le chef-lieu j la
belle Descente du Saint-Esprit, qu'on voit à Sant-Agostino
de Pérouse , ne serait-elle pas de lui ?
Mais les miniatures des manuscrits et livres de chœur
furent surtout le refuge du spiritualisme dans l'art. Au sein
des cloîtres la miniature conserve toute sa pureté primitive,
tout en brisant complètement ses entraves byzantines. Deux
ordres monastiques , les Dominicains et les Camaldules , cul-
tivèrent cette branche de l'art avec le plus grand succès :
les moines du Mont-Cassin les suivirent de près. M. Rio
passe en revue les magnifiques produits de ces écoles que
l'on voit encore à Sienne , à Ferrare , au Vatican , à la bi-
bliothèque laurentienne.
Tous ces moines peintres furent les précurseurs de celui
que nous n'hésiterons pas à nommer le plus grand des pein-
tres chrétiens , comme il en fut le plus saint , le bienheureux
frère Jean de Fiesole , ^rnommé Angelico , à cause de son
angélique piété , et que l'on nomme encore aujourd'hui à
— 97 —
Florence, comme par excellence, UBeato\ Cet incompara-
ble artiste , qui commence à peine à être connu de nom en
France, bien que nous possédions un de ses chefs-d'œuvre2,
a triomphé même des préjugés et des répugnances classiques
de Vasari, et trouve dans M. Rio un digne et éloquent pa-
négyriste. C'était lui qui se mettait en prières chaque jour
avant de commencer à peindre , car il ne travaillait que
pour exprimer à Dieu sa foi , son espérance et son amour ;
c'était lui qui pleurait à chaudes larmes chaque fois qu'il
avait à peindre une crucifixion , tant il souffrait avec le Sau-
veur mort pour le racheter. Tout catholique doit éprouver
un ineffable bonheur en contemplant ces œuvres merveil-
leuses où Dieu a permis que la perfection de l'expression
vînt répondre à la sainteté de l'intention , et qui sont , on
peut le dire hardiment , le necplus ultra de Fart chrétien.
Ce qui le prouve mieux que tout , c'est le sentiment de
piété , de componction qui saisit tout d'abord à la vue d'un
des tableaux du Beato,- on reconnaît la religion, avec toute
sa force , qui nous parle sous le voile de la plus pure beauté.
On nous pardonnera peut-être de citer à cette occasion, les
lignes suivantes que nous avons surprises dans les effusions
rapides d'une âme jeune et pieuse qui se trouvait pour la
première fois devant la Déposition de Croix que M. Rio
recommande spécialement. « Oh! » écrivait-elle, « quelle
« surabondance d'amour de Dieu , d'immense et ardente
« contrition devait avoir ce cher Fra Angelico le jour où il
« a peint cela î comme il aura médité et pleuré ce jour-là ,
« dans le fond de sa petite cellule , sur les souffrances de
« notre divin Maître! chaque coup de pinceau , chaque trait
» Voyez notre biographie de ce peintre, appendice n° 11 de ce
volume.
a Le couronnement de Marie et la vie de faint Dominique,
n«> 100G de la galerie du Louvre, gravé en 1817 par les soins de
M. Schlegel, et aujourd'hui exposé dans la galerie des dessins.
7
. — 98 —
c qui en sortait , semblent autant de regrets et d'amour ,
« provenant du fond de son âme. Quelle émouvante prédi-
« cation que la vue d'un pareil tableau! 0 délicieux
« chef-d'œuvre ! quel bonheur , quelle véritable grâce que
« de pouvoir contempler dans cette merveilleuse représen-
« tation de la passion de Notre-Seigneur , le cœur tout en-
« tier si ardent et si contrit du saint , qui exhalait ainsi les
« sentimens de douleur et d'amour dont son àme était inon-
« dée , pendant les longues heures qu'il passait dans le calme
« de sa solitude en la présence de Dieu. Donnez-moi , Sei~
« gneur, quelque part à cette componction immense; qu'en
« contemplant ces œuvres , mon cœur soit si profondément
« initié par ce séraphique religieux dans la voie de vos dou-
* leurs , que je songe sans cesse à y prendre part, à entrer
« dans cette voie de la croix avec l'entraînement de l'amour,
« toutes les fois qu'il vous plaira de m'envoyer quelques pei-
« nés. Je devrais peut-être borner ma demande à la sou-
« mission, mais c'est trop peu. Oh ! oui , l'entraînement de
.< l'amour, c'est là ce que je souhaite , ce que j'ose vous sup-
« plier de m'accorder , après avoir vu toutes ces œuvres de
* votre peintre. D'autres y voient simplement des œuvres
« d'art; moi, j'y aurai puisé, je le sens, d'ineffables conso-
« lations, de profonds enseignemens. »
Nous ne pensons pas que la vue d'aucun des chefs-d'œu-
vre de l'école classique, ni même des prétendus tableaux de
piété dont on tapisse nos églises , inspire jamais de pareils
sentimens.
M. Rio indique avec assez d'exactitude les principaux tra-
vaux du Beato. Il a omis toutefois le beau Jugement der-
nier, de la galerie Fesch , acheté par le cardinal chez un
boulanger pour une somme minime ; et surtout les gran-
dioses fresques de la chapelle de Saint-Brice , à Orvieto, qui
représentent aussi le jugement dernier, mais sur une échelle
plus grande qu'aucune des autres productions de Fra Ange-
— 99 —
lico ; sa mort ne lui laissa pas le temps de finir son œuvre
que Signorelli a malheureusement terminée; mais on y voit
de lui le célèbre et sublime Chœur des prophètes, et le
Christ foudroyant les médians , bien autrement divin que
le Christ forcené de Michel-Ange , qui a voulu l'imiter. Nous
ajouterons aussi, comme un trait précieux pour les amis de
cette grande renommée catholique , que deux madones de
Rome , célèbres par leurs miracles , lui sont attribuées : Tune
à Sainte-Cécile, et l'autre à Sainte-Marie-Madeleine.
Nous avouons que nous eussions désiré que M. Rio se fût
un peu plus étendu sur les œuvres de ce peintre , qu'il eût
donné à ses lecteurs une idée du plan et de l'ensemble de
ces compositions sans rivales. A son défaut nous essayerons
de le faire pour un tableau qui est indiqué dans une note de
M. Rio (p. 196), le Jugement dernier qui se trouve à l'A-
cadémie des Beaux- Arts de Florence. Nous ferons d'abord
remarquer qu'un pareil sujet suffit seul pour constituer la
difficulté la plus grande que l'on puisse avoir à surmonter.
Comment répondre en effet d'une manière satisfaisante à l'i-
dée que tout chrétien se fait d'une scène qui surpasse en
grandeur et en majesté , comme en variété et en immensité,
toute autre scène remarquable, et qui renferme la consom-
mation et le résumé de toute la religion ? La moindre ten-
tative exige nécessairement et à la fois l'imagination la plus
pure, la foi la plus sincère et le talent le plus accom-
pli. Tout y est surnaturel , ce n'est qu' 'en transfigurant ,
pour ainsi dire, les signes et les formes que la nature
fournit à l'artiste, qu'il peut espérer d'atteindre son but $
aussi peut-on affirmer que les peintres des écoles mystiques
ou exclusivement catholiques, peuvent seuls traiter ce
sujet, et que seuls ils y ont réussi. Fra Angelico a surpassé
tous les autre? et s'est surpassé lui-même dans le tableau
dont nous allons tracer une trop sèche esquisse. Qu'on se
figure donc une planche de quelques pieds carrés ; au mi-
— 100 —
lieu de la partie supérieure , Notre-Seigneur est assis dans sa
gloire ; ses deux bras sont étendus ; sa main droite portant
l'empreinte rayonnante de la plaie du crucifiement , est ou-
verte du côté des élus , qu'il semble convier à entrer dans
son royaume ; sa gauche est également étendue du côté des
damnés , mais elle est fermée, ils n'en voient que le revers ;
ce geste seul dit tout : il est d'une simplicité sublime. Le
Seigneur est au centre d'une nuée de séraphins disposés en
forme d'amande (forme consacrée à cause de la Trinité,
dont ce fruit était le symbole); ces séraphins sont rouges
pour exprimer l'ardeur de l'amour qui les consume ; autour
d'eux sont rangés en ellipses concentriques toute la hiérar-
chie céleste , en adoration , chaque ordre avec son symbole,
les archanges avec ùespalliwn, les puissances avec des cas-
ques et des lances , etc. ; chacune de ces petites figures est en
soi une charmante miniature. Aux pieds du Christ un ange
dresse la croix triomphante , et deux autres sonnent encore
des longues trompettes qui ont éveillé le genre humain. A
sa droite , Marie , vêtue d'une longue robe blanche semée
d'étoiles , doublée de vert (couleur de l'espérance) , les mains
timidement croisées sur sa poitrine, lève vers son fils un dé-
licieux regard d'amour et de prière pour les pauvres mor-
tels; à sa gauche , saint Jean-Baptiste présente au Juge su-
prême l'agneau symbolique comme pour l'apaiser ; derrière
la reine des anges et le plus grand des saints , sur la même
ligne sont assis en deux rangées, sur leurs trônes, les patriar-
ches, les apôtres et les principaux saints ; Joseph à côté de
Marie , et comme protégé par elle ; Pierre avec la clef d'or
du paradis et la clef d'argent du purgatoire ; Paul avec son
épée , Moïse , David avec sa lyre , François d'Assise avec ses
stj gmates lumineux ; Etienne , la figure tout empreinte de
la joie du martyre , et bien d'autres. De légers nuages blancs
voilent leurs pieds ; de longs rayons de feu resplendissent de
tous côtés autour d'eux; car ils sont déjà au sein de la gloire
— 101 —
céleste. Rien ne saurait égaler l'expression de toutes ces tè-
tes, ce mélange ineffable de béatitude calme et sereine avec
le saint respect dont les frappe l'éclat de la justice divine.
L'imagination la plus exigeante reste satisfaite et même dé-
passée: il semble, comme s'écrie Vasari lui-même, que les
âmes bienheureuses ne peuvent pas être autrement dans le
ciel. La partie inférieure du tableau répond parfaitement à la
moitié d'en haut; le centre est occupé par une longue avenue
de tombes ouvertes et vides , dont la perspective se termine
par le grand tombeau de Jésus-Christ , le seul fermé parce
qu'il ri a rien à rendre. Le jugement vient d'être prononcé :
chacun connaît son sort. A gauche les damnés de toute
classe , parmi lesquels le Bienheureux ( quoique né dans un
siècle de fanatisme et d'oppression) n'a pas craint de pla-
cer des rois , des cardinaux et beaucoup de moines , sont en-
traînés par une foule de démons vers l'enfer , qui occupe
l'extrémité du tableau , et où l'on voit les sept péchés capi-
taux punis dans sept cercles différens ; et au fond le grand
Lucifer, du Dante, dévorant un pécheur dans chacune de
ses trois gueules. A droite sont les élus , et c'est ici où l'on
peut voir jusqu'à quel point le génie chrétien triomphe des
difficultés , et comment une inconcevable variété peut se
concilier avec la plus complète unité ; tous ont la tête levée
vers le ciel , tous regardent leur Sauveur en le remerciant ,
en l'adorant ; et nul ne ressemble à son voisin. Au premier
rang on voit un pape , dont le visage calme et sublime sem-
ble exprimer surtout la joie du repos après ses durs travaux;
derrière lui un empereur , type du chevalier chrétien ; puis
un roi et à côté du roi un pauvre pèlerin , qui a cheminé
jusqu'au ciel ; une jeune princesse , tout éclatante de pureté
et de foi ; beaucoup de religieuses , d'évêques , de laïcs , de
moines d'une beauté ravissante , mais chez qui Ton voit bien
que la beauté physique n'est que le rayonnement extérieur
de la beauté morale. Mais voici les anges gardiens qui vien-
— 102 —
nent chercher les élus sur lesquels ils ont veillé pendant le
temps d'épreuve : chaque ange s'agenouille à côté de son élu,
et imprime sur ses lèvres un baiser fraternel *; puis il le con-
duit au ciel à travers une prairie émaillée de fleurs, où les
anges et les hommes sauvés dansent ensemble , cantantes
chorosque ducentes in occursum régis / les uns et les au-
tres sont couronnés de roses blanches et rouges ; dans la seule
expression de leurs mains qu'ils se tendent l'un à l'autre , il
y a un trésor de poésie. La ronde finie , ils s'envolent deux
à deux vers la Jérusalem céleste. On aperçoit dans le loin-
tain ses murs resplendissans ; son portail entr'ouvert laisse
échapper un torrent de rayons dorés au milieu desquels va
se perdre un couple heureux , peut-être un ange et son
élu , peut être deux âmes qui se sont aimées et sauvées en-
semble :
Suso aile poste rivolando iguali.
PlRG. C. VIII.
Qu'on ajoute à cette esquisse le prestige d'un coloris frais
et pur , un dessin correct sans exagération anatomique , des
draperies d'une grâce parfaite , des expressions de visage
vraiment divines , et l'on aura une faible idée de ce Juge-
ment dernier11. Quand on Ta vu et compris , on reste bien
froid devant celui de Michel- Ange.
Tel est le maître que les Italiens modernes relèguent parmi
les barbares de ce qu'ils appellent i tempi bassi, les temps
bas ! C'est au point que l'entrée de la chapelle Saint-Lau-
rent au Vatican qu'il a couverte de fresques admirables , très
bien appréciées par M. Rio, est interdite aux jeunes artistes
italiens et même étrangers , par les ordres de M. Agricola ,
' C'est d'après le calque d'un de ces groupes charmans que nous
ayons fait graver la figure ci-contre , afin de donner à nos lecteurs
une légère idée du génie de ce peintre Bienheureux.
2 Par une disposition habile , et qui se retrouve daDS le grand ta-
E .Pra Giovanni Angriico àa. Fie sole p
Pans,A.Boolet.l83 9
Un Elu recevant le baiser de so/i Si '/ige gardien au Jugement dernier
— . ao3 —
p cintre Ini-mems ci conservateur du m< <êe pont 'fical. Dans
sa sollicitude pour les progrès de l'art, ce monteur ne veut
pas que de jeunes talens soient exposés à se perdre en don-
nant dans la voie qu'a suivie le Beato.
Reprenons maintenant, à la suite de M. Rio, notre mar»
che, et voyons avec lui quels sont les peintres qui sont reste*
fidèles à ces inspirations si bien comprises par Fra Angelico.
Benozzo Gozzoli , son disciple chéri, semble servir de tran-
sition entre lui et l'école ombrienne. Nous blâmerons M. Rio
du laconisme avec lequel il s'exprime sur la magnifique ca-
valcade des rois mages , que Benozzo a peinte à fresque au
palais Riccardi ; nous le blâmerons surtout d'avoir comparé
ces cavaliers aux bas-reliefs du Parthénon : Dieu merci, ils
n'ont rien de commun ; et le grand peintre chrétien dont
chaque coup de pinceau et jusqu'au moindre détail exprime
cette pensée chrétienne qui, comme nous le disions plus haut,
doit transfigurer la nature , n'a rien de commun avec la
beauté anatomique et apprêtée des œuvres du paganisme.
En revanche , l'auteur nous donne une bonne appréciation
des œuvres gigantesques de Benozzo, au Campo Santo de
Pise , ainsi qu'à Monte Falco. Il lui décerne, ajuste titre,
la palme du genre patriarchal , le plus difficile de tous.
Gentile de Fabriano , autre élève du Beato , et le plus an-
cien des grands peintres ombriens , sema dans toute 1 Italie
des chefs- d'œHvre de peinture vraiment mystique, et jouit
dune popularité immense.
Pierre Antonio de Foligno, Nicolas de Foligno , Fiorenzo
bleau de F. Angelico au Louvre , les vêtemens de toutes les figures
retombent de manière à ce que leurs pieds ne soient jamais vis blés :
on ne saurait croire combien l'ensemble en devient plus aérien , plus
surnaturel.
Ce chef-d'œuvre est enfoui dans une petite salle basse de l'Aca-
démie. Il n'a jamais été gravé , ni même décrit, à ce que nous sa-
chions.
— 104 —
di] Lorenzo ', tous peintres ombriens, montrent dans leurs
œuvres l'influence évidente de Taddeo Bartoli , le Siennois ,
et de Benozzo Gozzoli , le Florentin.
La plus pure fleur de l'école de Sienne et de Florence ,
avait été peu à peu transplantée et soigneusement cultivée
sur les montagnes de l'Ombrie , où le tombeau de saint Fran-
çois d'Assise , regardé au moyen âge comme le lieu le plus
sacré du monde , après Jérusalem , attirait et nourrissait la
piété ; où Pérouse , toujours guelfe au milieu des dissensions
de l'Italie , avait toujours offert un asile sûr aux souverains
pontifes , trop souvent exilés de Rome. Aussi à la fin du XVe.
siècle , après la mort du Beato et de Benozzo, la suprématie
de Fart chrétien est dévolue à l'école ombrienne dans la
personne de Pérugin , de Pinturicchio, et de Raphaël avant
sa chute , glorieuse trinité qui n'a jamais été et ne sera ja-
mais surpassée. M. Rio établit , d'une manière satisfaisante,
que le Pérugin eut pour maître Fiorenzo di Lorenzo , élève
et imitateur de Benozzo , au lieu des naturalistes Buonfigli
ou Piero délia Francesca : il réfute ensuite victorieusement,
d'après Mariotti , les calomnies atroces dont Vasari a chargé
la mémoire du Pérugin , et qui s'expliquent par l'antipathie
profonde et réciproque qui régna entre Pérugin et l'école de
Michel-Ange, à laquelle appartint plus tard Vasari. Celui-ci
était du reste servile courtisan des Médicis , qui ne vou-
lurent jamais charger d'aucun travail le Pérugin , exclusion
qui l'honorera toujours aux yeux de ceux qui apprécient la
déplorable influence de ces marchands , si vantés par les
païens des XVIe et XVIIe siècles , et par les incrédules du
XVIIIe. Il est certain , comme dit M. Rio , que les lauréats
1 Puisque M. Rio cite un tableau de celui-ci à la sacristie de San-
Francesco de Pérouse , nous sommes surpris qu'il n'ait point parlé
de Vittore Pisanello , peintre de Vérone, auteur de la belle série des
actions de saint Bernardin, qu'on voit dans cette même sacristie. Il
a tous les droite de compter parmi les maîtres de l'école mystique.
— 105 —
soldés de la cour des Médicis ne pouvaient guère sympathiser
en désintéressement avec un peintre qui peignait à fresque
tout l'intérieur d'un oratoire pour une omelette {una frit-
tata) ', ainsi que l'avait fait le Pérugin, dans sa ville natale.
Ce merveilleux artiste sut effectuer la conciliation si difficile,
alors surtout, de progrès immenses dans le coloris et le des-
sin avec la pureté et la profondeur des traditions mystiques.
Ses divers travaux sont énumérés et jugés par M. Rio, avec
son talent et sa perspicacité ordinaires ; toutefois, nous n'a-
dopterons pas sans exception tous ses jugemens, ni son ad-
miration pour le tableau du palais Albani , à Rome , et les tê-
tes de saints à Saint-Pierre de Pérouse , ni la proscription
qu'il prononce impitoyablement contre toutes les œuvres du
Pérugin postérieures à l'an 1500. Nous lui demanderons si
l'admirable saint Sébastien , à genoux sur une marche du
trône de la Madone , et qui lui offre les flèches dont il a été
percé , si ce tableau qui se trouve à la sacristie de Sant-
Agostino , et qui est daté de 1510 , n'est pas digne des meil-
leurs jours du Pérugin ? Et la grande fresque de San-Severo,
peinte en 1521 , lorsqu'il était octogénaire , est-ce une œu-
vre de décadence ? Pour nous, nous croyons qu'il faut une
tendre indulgence pour la vieillesse des peintres chrétiens
et même pour leurs faiblesses , lorsqu'ils sont restés jusqu'au
bout fidèles à la pureté et à la vérité , et qu'ils n'ont pas ,
comme Raphaël , honteusement sacrifié au veau d'or de la
sensualité et du paganisme. Quoi qu'il en soit , s'il y a eu
décadence chez le Pérugin dans ses dernières années , il n'y
en eut aucune dans son école ; « elle était cependant , dit
M. Rio , sous le rapport de la variété des sujets , plus pauvre
que les autres écoles contemporaines ; on n'y exploitait ni
les turpitudes mythologiques , ni l'étude des bas-reliefe anti-
ques, ni même les grandes scènes, historiques de l'histoire
I Mariotti , Lettere Perugine.
— 106 —
sainte ; on fe bornait au développement et au perfectionne-
ment de ce* tains types, très restreints en nombre, mais qui
réunissaient tout ce que la foi peut inspirer de poésie et
d'exaltation. La gloire de l'école ombrienne est d'avoir pour-
suivi sans relâche le but transcendental de l'art chrétien y
sans se laisser séduire par l'exemple, ni distraire par les cla-
meurs ; il semblerait qu'une bénédiction spéciale fût attachée
aux lieux particulièrement sanctifiés par saint François d'As-
sise , et que le parfum de sa sainteté préservait les beaux
arts de la corruption , dans le voisinage de la montagne où
tant de peintres pieux avaient contribué l'un après l'autre à
décorer son tombeau. De là s'étaient élevées comme un en-
cens suave vers le ciel des prières dont la ferveur et la pu-
reté assuraient l'efficacité : de là aussi étaient jadis descen-
dues comme une rosée bienfaisante sur les villes les plus
corrompues de la plaine , des inspirations de pénitence qui
avaient gagné de proche en proche le reste de l'Italie. L'heu-
reuse influence exercée sur la peinture faisait partie de cette
mission de purification , et nous voyons en effet le Pérugin ,
qui fut le grand missionnaire de l'école ombrienne,
en étendre les ramifications d'un bout à l'autre de l'I-
talie. »
Sienne fut la première ville qui répondit à son appel : il y
a laissé un tableau dont M. Rio ne parle pas , mais qui
est, selon nous , son chef d'oeuvre ; la Crucifixion à Sant-
Ago tino. Mais en parlant de Sienne, nous retrouverons
chez M. Rio ce mélange de légèreté et de sévérité que
nous lui avons plus haut reproché. Il parle de Mathieu
de Sienne avec \me injustice vraiment révoltante : il
lui reproche un Massacre des Innocens qu'il qualifie de
hideux : ce n'est sans doute pas au tableau qui représente
ce sujet dans l'église des Servîtes de Pérouse que s'applique
ce jugement : car il est très beau , et la tête d'Hérode sur-
tout est étonnante. Le même sujet a été traité par ce même
. — t07 —
maître au chœur de Sant-Agostino , d'une manière satisfai-
sante. Mais comment notre auteur a-t-ii pu oublier le déli-
cieux tableau de Matteo, daté de 1479 , dans la même cha-
pelle où est la célèbre Madone du vieux Guido , tableau où
Ton voit Marie entourée d'anges musiciens , tous charmans ,
ayant à ses genoux saint Jérôme et saint Jacques , à ses cô-
tés saint Sébastien et un pape martyr , et au dessus du tout»
une admirable adoration des rois ? Mais lui-même nous en a
indiqué un autre plus délicieux encore à San-Spirito, qui re-
présente la Sainte-Vierge Assunta, dans un médaillon de
Séraphins obfong comme le calice d'une fleur dont les ailes
des anges formeraient les pétales. Le neveu de Matteo , Jé-
rôme , méritait aussi d'être nommé , ne fût-ce qu'à cause de
ce beau tableau où l'on voit les deux saintes Catherine à
genoux devant la madone , daté de 1508 , dans l'église de
Saint-Dominique. Pacchiarotto , disciple illustre et presque
rival du Pérugin , est traité avec une brièveté désespérante ,
et mis , on ne sait pourquoi, sur la même ligne que Baccafumi ,
homme de la décadence. Comment M. Rio n'a-t-il pas étudié
un peu sa vie, qui fut politique aussi bien qu'artistique,
comme celle de Vanni ; car il aurait été pendu comme chef
d'émeute , si les Franciscains ne l'avaient pas sauvé et fait
passer en France '? Comment n'a-t-il pas consacré une ligne
à cette admirable fresque qui orne un lieu cher et sacré
pour tout catholique , la chambre occupée par sainte Cathe-
rine de Sienne dans la maison de son père le teinturier,
fresque qui représente la visite de Catherine à son amie
sainte Agnès de Montepulciano étendue morte sur sa bière ,
et où la beauté féminine a atteint ce point où l'inspiration
chrétienne peut seule conduire? Nous renouvellerons donc
ici le désir et l'espoir de voir toute la partie de Sienne re-
faite. Nous concevrions ces omissions , ces injustices chez
1 Valéry, iv, p. 278;
— 108 —
tout autre , mais nous ne les pardonnons pas à un homme
qui s'est identifié , comme M. Rio , avec toutes les lois et
toutes les jouissances de la véritable esthétique. Quant à nous,
nous estimons que , après tant d'oubli et d'impies dédains ,
c'est un devoir de recueillir et de chérir scrupuleusement
jusqu'aux moindres travaux des peintres restés purs , comme
une portion précieuse du trésor catholique.
Boccaccio Boccaccini fut à Crémone le digne représentant
du Pérugin : tandis que la liaison intime de celui-ci avec
André Verocchio et Lorenzo di Credi , le maître et le condis-
ciple de Leonardo de Vinci , assurait à ces doctrines une in-
fluence légitime sur la magnifique et si chrétienne école de
Lombardie.
Mais ce fut surtout à Bologne que l'école ombrienne trouva
une sympathie qui eut les suites les plus heureuses pour l'art.
A M. Rio appartient la gloire d'avoir réhabilité , ou pour
mieux dire découvert la véritable école bolonaise, non pas
celle du Dominiquin et des Carraches qui a été si long-
temps et à si juste titre l'objet du culte des matérialistes ;
mais l'ancienne et religieuse école des XIVe et XVe siècles ,
qui ne s'éteignit que dans la ruine générale de l'art au XVI8
siècle. Elle se distinguait peut-être plus encore que celle de
Florence , par sa piété traditionnelle. Vitale , élève de ce
Franco que le Dante a vanté (Purgat. c. II) , ne put jamais
se résoudre à peindre une crucifixion , disant que c'était une
tâche trop douloureuse pour son cœur. Jacopo Avanzi , dont
on voit encore d'admirables fresques al Santo de Padoue ,
fut long-temps retenu par le même scrupule. Lippo Dalma-
sio ne voulait peindre que des images de la Sainte- Vierge ,
et « telle était à ses yeux l'importance de ce travail qu'il
n'y mettait jamais la main sans s'y [être préparé la veille
par un jeûne austère, et le jour même parla communion »
Aussi ce genre de préparation lui réussit-il si bien que le
Guide , en plein dix-septième siècle , restait ravi d'admira-
— 109 —
tion devant sa Madone : celle qu'on voit encore sur la façade
de l'église San-Proculo justifie bien son extase. Nous som-
mes surpris que dans cette énumération des gloires primitives
de l'école bolonaise , M. Rio ait omis un nom qui devait le
frapper particulièrement , celui de sainte Catherine de Bolo-
gne : elle s'appelait Catherine Vigri , naquit à Ferrare en
1413, fut abbesse des Clarisses à Bologne , et y mourut en
1453 ■ : au milieu des vertus héroïques et des actions mira-
culeuses qui l'ont fait canoniser , elle cultivait avec ardeur
la musique et la peinture : on conserve deux de ses tableaux,
qui tous deux représentent sainte Ursule , l'un à l'académie
de Venise , l'autre à la Pinacothèque de Bologne.
Francesco Francia est l'astre rayonnant de l'école de Bo-
logne : contemporain et émule du Pérugin , il a puisé aux
mêmes sources , et mérite de prendre place avec lui , Fra
Angelico , Lerenzo di Credi , et quelques autres , dans ce
cercle de peintres d'élite où doivent se concentrer les admi-
rations du chrétien. Il n'est guère connu , même de nom ,
en France. Notre fameux musée du Louvre ne possède pas
un seul tableau de lui , quoique tous ceux d'Allemagne aient
pu facilement s'en pourvoir. Les beaux génies qui ont pré-
sidé à cette collection ont sans doute cru que cette peinture
mystique ne méritait pas de figurer à côté des Rubens et
des Lebrun : c'est à ce même esprit que nous devons de n'a-
voir pas un seul tableau remarquable du Pérugin , tandis
que le petit nombre de tableaux des anciennes écoles qu'on a
laissé s'y glisser, sont relégués dans l'antichambre ■-. Francia
1 Elle a été canonisée en 1722 ; sa fête se célèbre le 9 mars.
a M. Rio a très sagement relevé ce gâchis qui règne dans la dis-
tribution des tableaux de notre galerie , et qui contraste d'une ma-
nière si humiliante pour nous avec l'excellent arrangement chrono-
logique des galeries de Berlin , Munich et Florence. Mais qu'est-ce
que cela auprès du grossier vandalisme qui fait clouer des planches
pendant cinq mois de chaque année devant tous les tableaux anciens,
— 110 —
a atteint, pour le type de la Madone, une perfection sans
rivale : la tendre dévotion qu'il lui portait, pouvait seule lui
révéler ces secrets célestes. Sa modestie égalait sa piété : il
signait toujours ses tableaux Francia Aurifex , se croyant
indigne du nom de peintre. Nous voudrions pouvoir donner
la description du tableau ravissant que semble indiquer
M. Rio (p. 249) , et qui représente saint Augustin hésitant
entre Jésus et Marie; mais le temps et l'espace nous pressent.
Francia se lia avec le jeune Raphaël , pendant que celui-ci
était dans toute la pureté de sa première manière : mais
c'est une calomnie impudente de Vasari, comme le démontre
très bien M. Rio , que de prétendre que Francia mourut de
chagrin en se voyant éclipsé par la Sainte Cécile de Ra-
phaël. S'il était en effet mort de chagrin , c'eût été sans
doute d'y voir la dégradation précoce du génie ; malheureu-
sement pour la véracité de Vasari , il survécut de deux ans
à Raphaël , mais en se gardant bien de l'imiter , et ayant
même cessé toute intimité et toute correspondance avec lui
depuis l'adoption de sa dernière manière. Que pouvait-il y
avoir de commun entre le peintre des ravissantes Madones
qu'on voit à Bologne justement en face de la Sainte Cécile, et
l'air déjà si effronté de la Madeleine de ce dernier tableau 'î
Francia eut de nombreux élèves. L'élite d'entre eux travailla
avec lui aux fresques de Sainte Cécile, si belle encore malgré
l'abandon où l'a laissée l'incurie des Italiens pour leurs an-
ciens maîtres. Giacomo, son fils, et Amico Aspertini restèrent
fidèles à la bonne voie. D'autres , parmi lesquels on remar-
que le fameux graveur Marc- Antoine , cédèrent à la séduc-
afin de pouvoir exposer 1rs productions des médiocrités modernes?
La postérité, en lisant ce fait dans l'histoire de l'art de notre ternis,
aura peine à le croire.
« On peut en juger d'après la gravure de la fainte Cécile, récem-
ment faite par Gandolfi, ou celle publiée en France par Desnoyers,
£ ce qu'il nous semble.
— 111 —
tion du paganisme. On regrette de ne pas trouver ici un
mot sur un élève de Francia , Timoteo Viti ou délie Vite -,
auteur d'une Madeleine pénitente ( à la Pinacothèque) dont
la pudeur et la ferveur forment un noble contraste avec les
affreuses profanations dont ce sujet a été accablé depuis la
renaissance. Ce serait aussi la place naturelle de quelques
renseignemens sur les grands maîtres de la primitive école
de Ferrare , Costa, Mazzolini et Panetti , dignes rivaux du
délicieux Francia *.
Après avoir examiné ainsi les résultats de l'influence du
Pérugin au dehors , M. Rio revient à ses disciples en Ooabrie
même. Puisqu'il a honoré de ses éloges Gerino de Pistoja ,
et Paris Alfani , qui en sont, selon nous , bien indignes , on
ne conçoit pas pourquoi il a omis Sinibaldo Ibi , dont on
voit un si beau Saint-Antoine à San-Francesco de Pérouse ,
et surtout Giannicola Manni , dont le tableau vraiment su-
blime forme avec la Madone de Pinturicchio , si justement
appréciée par l'auteur, le plus bel ornement de la petite
mais délicieuse galerie de Pérouse 2. Les ouvrages de
Pinturicchio ont été traités avec soin et prédilection par
M. Rio , surtout ses fresques exquises de Sainte-Marie du
Peuple, « la première église que l'étranger salue en entrant
dans Rome. » Nous lui reprochons seulement trop de sévé-
rité pour les œuvres de ce pauvre Pinturicchio à Spello , et
l'oubli complet de la Cappella Bella peinte par lui dans
cette petite ville , et où dans une Nativité , il a eu la belle
idée de montrer sur les langes qu'un Séraphin apporte à l'en»
1 Cetîe lacune a été depuis comblée par un eicell;nt opusci b de
M. Camiilo Lederchi, sur l'ancienne écola ferra aise, dont i oas
pari m ons dan- l'appendice n° 3.
2 Le directeur de cette galerie , M. Sanguinetti , est du très petit
nombre des Italiens qui aiment; comprennent et pratiquent la pein-
ture catholique.
— 112 —
fant divin, l'empreinte prophétique de la croix. Nous avons
dit plus haut pourquoi nous étions plus indulgent que M. Rio
pour la vieillesse des grands peintres chrétiens : nous pré-
férons la vieillesse de Pinturicchio au progrès de Raphaël.
Nous ne dirons rien de ce Signorelli, renégat de l'école
mystique, qui poussa l'amour de l'anatomie jusqu'à l'étudier
sur le cadavre de son propre fils : mais nous nous hâterons
d'arriver à Raphaël, le plus illustre des élèves du Péru-
gin. Nous admettrions volontiers avec M. Rio qu'il a porté
l'art chrétien à son plus haut degré de perfection, si
nous n'étions attristés et révoltés, même en présence de ses
chefc-d'œuvre les plus purs , par la pensée de sa déplorable
défection. Il est certain que nul n'a réuni à un si haut point
que lui toutes les qualités les plus variées , pendant les dix
premières années de sa carrière : mais c'est justement parce
qu'il a le mieux conçu et le mieux pratiqué la sainte vérité,
qu'il est plus coupable d'avoir volontairement embrassé des
erreurs profanes. Quoique les tableaux de sa première ma-
nière soient les plus beaux du monde, on ne doit pas dire qu'il
a été le plus grand des peintres, pas plus qu'on ne pourrait dire
qu'Adam a été le plus saint des hommes, parce qu'il a été sans
péché dans le Paradis. M. Rio analyse avec une attention par-
faite les principales œuvres de Raphaël depuis l'an 1 500 où il se
fit l'élève du Pérugin, jusqu'au moment où il renonça aux tra-
ditions ombriennes pour fonder l'école Romaine l. Il établit
une foule de rapports très précieux entre les circonstances
extérieures de la vie de Raphaël , ses amitiés , les lieux qu'il
1 On est encore si peu familiarisé en France avec la première
manière (c'est-à-dire la manière chrétienne ) de Raphaël, que nous
nous souvenons d'avoir lu dans la Revue de Paris du 40 octobre
1836 un article signé L. Thoré, dont l'auteur paraît stupéfait de ce
qu'un tableau de Raphaël, daté de 1506, ait pu exciter son admira-
tion. Qu'aurait donc dit cet écrivain devant le Crucifiement du cardi-
nal Fesch, qui est dç 1503 , et le Sposalizio , qui est de J504 ?
— 113 —
visita et ses ouvrages. Il commence par le Sposalizio , et
finit à la Dispute du Saint- Sacrement : ce sont les deux
termes extrêmes du génie chrétien de Raphaël , et on peut
le dire , les deux plus merveilleuses productions de la pein-
ture. Mais croirait-on que le Sposalizio , cette œuvre heu-
reusement popularisée en France par la belle gravure de
Longhi , cette œuvre , comme dit M. Rio , à la fois nawe
et sublime , est si peu comprise à Milan qui a le bonheur de
la posséder , que les fins connaisseurs de cette ville disent
que c'est un tableau d'apprenti , et regrettent les 40,000 fr.
qu'il a coûté. Nous n'essaierons pas de suivre M. Rio dans
son examen qui mérite une lecture approfondie. Nous re-
grettons qu'il n'ait pas fait mention des Madones Alfani et
Contestabile à Pérouse , et qu'il ait parlé si légèrement du
petit tableau du comte ïosi à Brescia , qui représente notre
Seigneur à mi-corps , le doigt sur la plaie de son côté , et di-
sant à ses disciples Pax vobis : jamais Raphaël n'a mieux
réussi dans la tête du Christ \ M. Rio a commis , ce nous
semble , une erreur grave en disant que le premier ta-
bleau fait par Raphaël après le Sposalizio , la sublime In-
toronazione du Vatican , a été terminé vingt ans plus tard
par Jules Romain et le Fattore. Dans ce délicieux tableau 2,
tout est d'un seul jet , et ce jet s'élance des sources les plus
limpides de l'art mystique : rien n'indique l'attouchement
impur de Jules Romain. M. Rio l'a sans doute confondu avec
le tableau voisin , dit la Madona di Monte Luce , qui re-
présente le même sujet , œuvre conjointe de ces deux élèves
dégénérés de Raphaël , mais à laquelle le génie du Raphaël
1 Ce petit chef-d'œuvre, très peu connu, a été parfaitement gravé
par M. Grimer, pour la traduction italienne de la vie de Raphaël, par
Quatremère de Quincy , ainsi que pour l'ouvrage publié récemment
par M. Passavant, en Allemagne , sur les travaux de Raphaël.
a Gravé à Dresde, par Stolzel, en 1832, mais avec trop de
dureté.
8
— nu —
péruginesque est complètement étranger. Il a omis aussi, on
ne sait pourquoi , le chef-d'œuvre de la galerie du Vatican ,
le Presepe délia Spineta , que l'on croit être le fruit du
travail réuni du Pérugin , de Pinturicchio et de Raphaël. Il
serait fort difficile de distinguer la part de chacun : mais on
peut dire hardiment que s'ils y ont tous trois travaillé, ils s'y
sont tous trois surpassés. La Vierge dite du duc d'Albe, dont
M. Rio dit avec raison que « nul tableau n'est plus propre à
« exalter les âmes pieuses qui veulent méditer sur les mys-
« tères de la Passion , » naguère à Londres , chez le géné-
reux M. Coesvelt , vient de passer à Pétersbourg , et est par
conséquent perdue pour l'Europe catholique et civilisée. Le
rapprochement entre la Dispute du Saint- Sacrement et
le poème du Dante , est naturel et juste : cette fresque est
en effet un véritable poème en peinture. Pourquoi faut-il
qu'aussitôt après l'avoir terminée, Raphaël ait cédé aux sug-
gestions du serpent ? Comme dit notre auteur, « le contraste
est si frappant entre le style de ses premiers ouvrages et
celui qu'il adopta dans les dix dernières années de sa vie ,
qu'il est impossible de regarder l'un comme une évaluation
ou un développement de l'autre. Évidemment il y a eu
solution de continuité, abjuration d'une foi antique en
matière d'art , pour embrasser une foi nouvelle. » Cette foi
nouvelle n'est autre que la foi au paganisme et au matéria-
lisme , qui a eu pour révélation les fresques de l'histoire de
Psyché , et la Transfiguration.
M. Rio remet à un autre moment l'histoire de cette grande
chute pour nous donner celle de la croisade prêchée par Sa-
vonarole contre l'invasion du paganisme dans la société et
surtout dans l'art. Cet épisode , qui occupe tout le chapitre
VIII, est peut-être la partie du livre qui fait le plus d'hon-
neur à l'auteur ; ou plutôt ce chapitre fait à lui seul un beau
livre. Nous ne tenterons pas d'analyser ce récit plein de
mouvement, d'éloquence et de raison , qui initie le lecteur à
— 115 —
la crise la plus importante de l'histoire de l'art et de la poé-
sie chrétienne. Mais ce n'est pas seulement à l'histoire de
l'art , c'est à l'histoire religieuse en général que M. Rio a
rendu un service essentiel , en pulvérisant les mensonges à
l'aide desquels les protestans et les philosophes ont jusqu'à
présent exploité le rôle joué par Savonarole au profit de
leurs haines contre l'Église romaine. Tout dernièrement
encore un professeur de théologie luthérienne (si tant
est qu'il y ait encore une théologie luthérienne) à Iéna ,
M. Meyer , a publié un gros volume où il cherche à démon-
trer que Savonarole était le digne précurseur de Luther , et
même son rival sur plusieurs points. D'un autre côté, dans
le siècle dernier , les jansénistes italiens , imbus des doctri-
nes que Joseph II rendit si fatales à l'Église et à la société ,
publièrent plusieurs écrits contre lui , comme rebelle à l'au-
torité légitime et paternelle des Médicis , rebelle au nom du
fanatisme , comme l'étaient les Belges contre Joseph II.
M. Rio a réhabilité les opinions religieuses et politiques de
ce grand homme; il a prouvé que son catholicisme était aussi
pur que sa politique était sage et éloignée de la démagogie
qu'on lui impute ; il a reconquis pour l'Église la gloire et le
génie de Savonarole. Qu'il en soit béni ! Aussi bien est-il
impossible de lire ce chapitre sans éprouver la plus vive sym-
pathie à la fois pour le héros du récit et pour le narrateur ,
car on sent que l'un n'est compris que grâce aux efforts de
l'autre. Il a fallu que M. Rio vînt compulser avec un soin
scrupuleux le recueil déjà si rare des sermons de Savonarole
pour en retirer les admirables invectives de l'apôtre chrétien
contre le classicisme corrupteur de l'éducation, contre le pa-
ganisme avec tous ses souvenirs antiques, ses héros profanes,
sa littérature obscène et son art voluptueux ; en même temps
qu'une théorie du beau chrétien , qui avait une bien autre
originalité, une bien autre profondeur que toutes les trivia-
lités qu'on répétait servilement alors d'après Aristote et
— 116 —
Quintilien. On conçoit le soulèvement qu'il dut exciter
contre lui dans une société où la découverte d'un ma-
nuscrit grec ou latin était regardée comme un des plus
grands bienfaits du ciel , et où l'on osait mettre sur les au-
tels les portraits des courtisanes les plus célèbres en guise de
Madones ; aussi , malgré le pur enthousiasme qu'il inspira à
la jeunesse , et dont M. Rio raconte les résultats avec tant
de charme , malgré l'influence toute puissante qu'il exerça
sur les savans , les guerriers et les plus grands artistes de
son siècle , Tic de la Mirandole , Salviati , Valori , Lorenzo
di Credi, Fra Bartolommeo , Luca délia Robbia , Cronaca ,
il succomba sous les efforts réunis des vieux débauchés, des
professeurs de littérature païenne , et surtout des banquiers
et des usuriers , qui ne voulaient pas se laisser enlever, par
l'influence de la religion , le gouvernement des affaires pu-
bliques. M. Rio ne le suit pas jusqu'à sa catastrophe ; s'il
l'avait fait, il aurait certes reconnu que, dans les derniers
temps de sa vie , Savonarole manqua lui-même de cette hu-
milité et de cette modération qui donnent la victoire. Mais
notre auteur n'a pas oublié la noble justice rendue à la vic-
time du paganisme par la cour de Rome ; justice qui ne fut
pas tardive puisque l'on voit , dix ans après sa mort , Ra-
phaël le représenter parmi les docteurs de l'Église , dans la
fresque du Saint-Sacrement , avec l'autorisation de Jules II ,
successeur immédiat d'Alexandre VI qui l'avait condamné.
Nous regrettons que M. Rio n'ait pas cité ou analysé quel-
ques uns des nombreux poèmes de Savonarole , qui sont en
manuscrit à la Magliabecchiana , et dont plusieurs ont été
publiés par Meyer. Il eût été bon aussi de rappeler l'influence
qu'exercèrent ses sermons sur Benvenuto Cellini , comme
celui-ci nous le raconte avec son énergie habituelle '. Ben-
venuto , malgré ses excès en tout genre et la direction ex-
1 VoyeiVitadi Cellini, èûit. de Tassi,t. u,p. 1, et aussi t. i,p.65.
— 117
elusivement païenne de son talent , avait conservé une foi
très fervente , et par tout l'ensemble de son caractère , il
nous paraît avoir été le dernier représentant de la dignité
et de l'indépendance de l'artiste du moyen âge.
Fidèle à la distinction fondamentale de son ouvrage ,
M. Rio , dans son chapitre IX , sépare et juge les peintres
de Florence qui , au commencement du seizième siècle , se
lancèrent à pleines voiles dans le naturalisme , et ceux qui ,
dominés par le souvenir de Savonarole , formèrent une nou-
velle école purement religieuse. Lorenzo di Credi occupe la
première place parmi ceux-ci. Le tableau qu'on voit de lui
au Louvre peut donner une idée de son genre , quoique la
Vierge y soit inférieure à son type habituel si pur et si ten-
dre à la fois , qu'on le place volontiers à côté de ceux du
Pérugin et de Francia. Fra Bartolommeo fut plus enthou-
siaste que tout autre de Savonarole , et il eut , comme Lo-
renzo di Credi , la gloire de ne jamais vouloir traiter des su-
jets profanes ; mais nous ne saurions partager l'admiration
que ses œuvres inspirent à M. Rio, si ce n'est pour le tableau
de l'église S. Romano à Lucques , qui représente sainte
Madeleine et sainte Catherine de Sienne au pied de Notre-
Seigneur crucifié '. Ridolfo Ghirlandajo , nourri à l'école de
Savonarole , ami de Fra Bartolommeo et de Raphaël pen-
dant la jeunesse de celui-ci, resta fidèle jusqu'au bout aux in-
spirations chrétiennes , en les parant d'un coloris plus suave
et plus harmonieux peut-être que celui de tout autre maître
florentin. On peut en juger d'après X Incoronazione qui
est au Louvre et qu'il fit à dix-neuf ans ; il mourut en 1560 ;
il fut le dernier des peintres chrétiens. Nous ne suivrons
pas M. Rio dans l'examen détaillé qu'il fait des peintres na-
1 II ne faut pas confondre ce tableau avec celui du même auteur
dan» la même église , qui représente la Madone de la Miséricorde :
celui-ci est selon nous bien inférieur, surtout pour le type de Marie.
— 118 —
turalistes de la première moitié du seizième siècle , Piero di
Cosimo , Mariotto Aîbertinelli , André del Sarto et le Pon-
tormo ; ils excellaient tous plus ou moins dans le coloris ,
« cet élément subalterne de la peinture » , mais ils Meurent
jamais une inspiration purement et profondément chré-
tienne, si ce n'est André del Sarto dans deux ou trois
fresques de la vie de saint Philippe Benizzi à XAnnunziata.
Nous ne concevons même pas comment M. Rio a eu le cou-
rage de s'étendre si longuement sur ces peintres de a déca-
dence , lui qui a été si avare de détails sur les œuvres de Fra
Angelico. 11 est vrai que dans ses pages on trouve des ren-
seignemens très significatifs sur la vie de ces hommes ; et l'on
peut en déduire à priori un jugement très sûr quant au ca-
ractère de leurs ouvrages. On y voit toute la honteuse his-
toire d'André del Sarto , qui escroquait de l'argent à Fran-
çois Ier et peignait sa femme grosse en guise de Madone. On
y voit que Mariotto mourut de débauche à la fleur de l'âge,
et que Pierre di Cosimo aimait tellement la nature qu'il
cherchait à s'inspirer « dans le voisinage des hôpitaux , près
« des murs où les malades avaient l'habitude de cracher
« depuis des siècles, et devant des découpures et des ondula-
« tions de toute forme et de toute couleur il restait quelque-
c fois des heures entières en contemplation , à moins qu'il
« ne vînt à entendre le son des cloches ou le chant des moi-
« nés , car il aurait fui à l'autre extrémité de Florence pour
« échapper à ce double supplice ». Cet artiste avait, à ce
qu'il paraît, les mêmes répugnances que certains esprits
éclairés de nos jours.
L'école naturaliste mixte, c'est-à-dire encore mêlée de
quelques élémens religieux et poétiques , s'éteignit avec le
Pontormo , pour faire place à l'école naturaliste pure des
Allori et des imitateurs de Michel-Ange , dont il doit être
question dans une partie ultérieure de l'ouvrage.
Nous voici arrivés au chapitre Xe et dernier de ce pré-
— 119 — *
cieux volume ; il traite de l'école vénitienne primitive et de
ses branches collatérales dans diverses villes des possessions
de Venise. Il nous semble que ce chapitre , avec celui qui
renferme le magnifique épisode de Savonarole, est la partie
de son livre que l'auteur a traitée avec le plus d'amour, et
nous lui en savons d'autant plus gré que ces deux sujets
n'ont pas même été effleurés jusqu'ici , pas même par la
scrupuleuse pénétration des Allemands. Après quelques con-
sidérations préliminaires , un peu trop sévères selon nous ,
sur le dialecte si gracieux de Venise , M. Rio établit que la
poésie chrétienne n'a revêtu à Venise que les seules formes
de la légende et de l'art; il nous dit que la poésie légendaire
de Venise est plus riche qu'aucune autre du monde dans
ses variétés. Nous croyons cette assertion singulièrement
exagérée, mais nous espérons qu'un jour M. Rio essaiera de
la justifier en nous initiant à la connaissance de ces trésors,
et en les comparant avec les richesses légendaires du monde
germanique et du reste de l'Italie. Passant de suite à la
forme de l'art, il juge rapidement l'empire passager de l'é-
cole byzantine , frappée là comme ailleurs d'une heureuse
stérilité. Les travaux de Giotto à Padoue , trop légèrement
appréciés par M. Rio , comme nous l'avons dit plus haut, y
enfantèrent une école dont le plus beau monument se trouve
au Baptistère de cette ville. Nous avouons que la coupole
de cet édifice qui représente la Gloire céleste , peinte par
Giusto et Antoine de Padoue , avec la foi sévère et naïve de
cette heureuse époque , nous parait un spectacle beaucoup
plus radieux que les savans raccourcis des coupoles du sei-
zième siècle que M. Rio leur compare. Guariento , condis-
ciple des peintres du Baptistère , se distingua d'eux par l'o-
riginalité de ses productions ; c'est lui qui fit à Venise le
premier tableau à la fois religieux et national dont l'histoire
ait gardé le souvenir, qui représentait la Sainte Vierge inau-
gurée par Jésus-Christ comme Reine de Venise ; et de plus ,
— 120 —
comme symbole de la fraternité qui devait régner entre les
citoyens , saint Antoine et saint Paul partageant dans le dé-
sert le pain qui leur était envoyé du ciel. Ce tableau a mal-
heureusement péri ; mais comme dit fort bien l'auteur, « tout
« l'avenir de la peinture vénitienne était là , tout son cycle
« lui était tracé d'avance c'est-à-dire l'élément religieux
« et mystique planant au dessus de l'élément social et pa-
« triotique. » M. Rio nomme parmi les élèves de Guariento,
Avanzi, auteur des belles fresques de la chapelle Saint^Félix
al Santo de Padoue. Ce Giacomo Avanzi de Bologne, doit
être le même, si nous ne nous trompons, que celui qu'a cité
plus haut M. Rio, comme disciple de Vital, dans l'ancienne
école de Bologne ; ses œuvres sont dignes de cette illustre
origine. Mais dès le commencement du quinzième siècle ,
une déviation funeste eut lieu au sein de cette brillante école
de Padoue , sous la direction de Squarcione et plus encore
de son élève le célèbre Mantegna , tous deux épris du plus
aveugle enthousiasme pour l'art antique. Devenu plus tard
beau-frère de Jean Bellini, il améliora son style et son goût.
M. Rio cite plusieurs de ses travaux qui portent l'empreinte
de ce progrès ; notamment les deux tableaux de la galerie
du Louvre , objets de l'admiration si prononcée de Frédéric
Schlegel. Mais Mantegna ne réussit point à former des élè-
ves dignes de lui (sauf toutefois Monsignori, qui doit comp-
ter de droit parmi les mystiques) ; aussi Venise eut-elle le
mérite d'éviter tout contact avec cette école païenne , elle
aima mieux se mettre en communication avec l'école pure
et mystique de l'Ombrie. Carlo Crivelli, l'un de ses plus an-
ciens peintres , dont on voit de si beaux tableaux à la ga-
lerie de Milan , alla se former à Fabriano , tandis que Gen-
tile da Fabriano , dont nous avons parlé plus haut , vint en
U20 à Venise y fonder l'école des Bellini. Il reste encore
dans cette ville un monument curieux de ses relations avec
Venise , dont M. Rio n'a pas parlé ; c'est une très belle Ado-
— 121 —
ration des Mages, dans la galerie de M. Craglietta ; les
costumes orientaux y sont fidèlement reproduits , et on y
voit des inscriptions en caractères regardés comme indé-
chiffrables, jusqu'à ce qu'un jeune savant français, M. Eu-
gène Bore », y eût reconnu des paroles arméniennes. Gentile
da Fabriano avait , selon la tradition vénitienne , accompa-
gné le patricien Zeno dans son ambassade en Perse , et ce
tableau était sans doute destiné à commémorer pieusement
cet aventureux voyage. On le verra avec intérêt , en atten-
dant qu'il passe entre les mains de quelque riche Anglais
qui l'enfermera dans un castel de province , où le proprié-
taire en fera valoir non pas la beauté, mais le prix, aux
yeux ennuyés de quelques fashionables. Tel a été, depuis un
demi-siècle, le sort de bien des chefë-d'œuvre.
A côté de l'influence de l'école ombrienne vient se placer
tout naturellement celle de l'Allemagne, où florissait à cette
époque l'admirable école de Van-Eyck et de Hemmeling.
Venise possédait autrefois un grand nombre de productions
de ces princes de Fart germanique. On y voit encore le Bré-
viaire unique par la beauté de ses miniatures , peintes par
Hemmeling. Un certain Jean d'Allemagne , que l'on trouve
souvent comme collaborateur des Vivarini, venait sans doute
du Bas-Rhin. Nous reprocherons une dernière fois à M. Rio
la froideur et l'injustice avec laquelle il parle de cette fa-
mille des Vivarini, qui a si bien mérité de Fart chrétien, et
que tous les véritables amis de cet art ne peuvent manquer
de chérir en apprenant à connaître leurs ouvrages. Nous
n'hésiterons pas à les regarder comme les véritables pères
de la peinture catholique à Venise. Nous citerons parmi les
chefs-d'œuvre de ces peintres le Couronnement de la
Vierge, signé Jean et Antoine Vivarini, 1444 , qui est à
• Auteur d'une notice récemment publiée sur Saint-Lazare, so-
ciété religieuse des Arméniens.
— 122 —
San-Pantaleone de Venise , et qui peut servir de type à ce
beau sujet , tarit ils ont tiré parti de tous les motife que leur
fournissait la tradition ; puis une très belle Ancona (ou ré-
table) d'Antonio et Bartolommeo de Murano, en 1450, à la
Pinacothèque de Bologne , où l'on voit Marie couronnée
par les Anges , tandis qu'elle semble protéger de ses mains
jointes et de son tendre regard le sommeil de son divin En-
fant endormi sur ses genoux ; enfin et surtout le grand ta-
bleau qui est à l'entrée de l'Académie de Venise , et qui
semble en quelque sorte la bannière patronale de la ville.
C'est Marie, dont le visage offre une expression ineffable de
mélancolie et d'innocence à la fois ; elle porte dans ses bras
l'Enfant Jésus, qui tient une grenade fleurie ; elle est sur un
trône recouvert d'un baldaquin , que soutiennent quatre
anges à grandes ailes enflammées, et qui regardent d'un air
triomphant ; à droite et à gauche sont les quatre docteurs
de l'Eglise ; l'ensemble est d'un grandiose complet et d'une
beauté rare. Le catalogue de l'Académie l'attribue à Jean et
Antoine de Murano , mais Ridolfi , le plus ancien historien
des artistes vénitiens , le désigne de la manière la plus for-
melle (p. 18) comme étant de Jacopello Flore, qui florissait
en 1420, et dont l'on voit à S. Francesco délia Vigna une
bien belle madone. Selon un type assez fréquent dans la
primitive école vénitienne, elle adore son enfant étendu sur
ses genoux , en lui faisant comme un dais de ses mains join-
tes!.
M. Rio reléguant les pauvres Vivarini dans leur île soli-
taire de Murano, croit que l'école vénitienne a été le produit
de l'assimilation de tous les bons élémens des diverses éco-
les ultramontaines et italiennes. Le grand mouvement de
l'art y est commencé , selon lui , par les deux frères Bellini ,
Gentile et Jean. Il ne reste rien des quatorze grandes fres-
1 Quadri attribue ce tableau à Fra Antonio de Negreponte.
— 123 —
ques qu'ils eurent l'honneur de peindre dans le palais ducal,
lesquelles représentaient l'histoire d'Alexandre III et de Fré-
déric Barberousse à Venise, et que M. Rio nomme les qua-
torze chants de l'épopée nationale de la république ; mais
l'Académie des Beaux-Arts nous a conservé assez de tableaux
de Gentile pour nous mettre à même de le juger, surtout la
magnifique Procession de la vraie Croix sur la place
Saint-Marc , qui est comme une apparition de la splendeur
catholique de l'ancienne Venise, et que le pieux artiste a si-
gné ainsi :
Gentilts Bellinus amore incensus crucis, U96.
Quel beau temps cependant pour des chrétiens , que celui
où le génie proclamait sa foi en signant son chef-d'œuvre de
ces mots simples et sublimes : Un tel, enflammé de Va-
mour de la croix ! Quant à son frère Jean Bellini , les
églises et les galeries de Venise sont pleines de ses tableaux ;
M. Rio en signale les plus beaux avec beaucoup de détails et
en les comblant d'éloges. Nous aussi nous admirons beau-
coup Jean Belin, surtout pour la pureté de son imagination '
et la gravité grandiose de tous les personnages mâles ; mais
nous ne pouvons aimer le type de ses vierges , malgré leur
mélancolie prophétique. En général il nous semble que
toute l'école vénitienne, à l'exception des Vivarini, a échoué
le plus souvent dans ses représentations de la Sainte Vierge.
Nous ne connaissons guère qu'une seule madone vraiment
belle, par Cima de Conegliano , dans la collection Barbini.
Ce Cima de Conegliano nous paraît être le plus grand pein-
tre de l'école chrétienne de Venise; du moins son tableau
* Il faut dire à la gloire de Venise , comme à celle du peintre
qu'on ne trouve pas un seul tableau païen ou mythologique parmi
tous ceux que les patriciens de Venise firent exécuter à Jean Belin;
et cela dé 1460 à 1515, à une époque où Florence et Rome étaient
inondées par le paganisme.
— 124 —
de Saint Thomas et de Notre- Seigneur, à l'Académie,
surpasse en éclat et en majesté tous les autres. Mais M. Rio
nous rappelle ses rivaux, qu'il est bien doux d'admirer de
nouveau dans ces éloquentes pages où ils sont pour la pre-
mière fois appréciés et compris ; tels sont Basaïti , dont le
Christ mort , étendu entre deux anges qui contemplent ses
plaies , est peut-être le plus pathétique des tableaux de Ve-
nise; puis Carpaccio, qui se consacra surtout aux sujets lé-
gendaires, et dont l'histoire de saint Jérôme et de saint
George à San Giorgio degli Schiavoni, et surtout la magni-
fique série des huit tableaux de la légende de sainte Ursule
à l'Académie , peuvent passer pour des chefs-d'œuvre de ce
genre. M. Rio a oublié ses figures isolées de saint Martin à
S. Giovanni in Bragora , et de saint Etienne à la galerie de
Milan , où il nous paraît avoir atteint l'idéal de la beauté
chrétienne chez les hommes ; aussi conçoit-on la touchante
épitaphe que lui a consacrée le vieil historien Ridolfi : Pianto
dai cittadini, sorrise ne/le béate stanze del cielo '. Ces
trois peintres, Cima, Basaïti et Carpaccio, étaient élèves de
Jean Belin, et quoi qu'en dise M. Rio, nous estimons qu'ils
ont été bien plus richement dotés que leur maître en poésie
chrétienne ; mais à celui-ci appartient la gloire incontestable
d'avoir fondé une école qui sut maintenir jusqu'au milieu
du seizième siècle , c'est-à-dire plus long-temps qu'aucune
autre, les traditions de l'art chrétien, et conquérir le suf-
frage populaire, malgré la dangereuse rivalité de Giorgione
et du Titien. Contemporains ou successeurs des peintres
que nous venons de louer, Mansueti, Catena et les deux
Santa Croce , ont orné Venise d'un grand nombre de tra-
vaux qui sont décrits par M. Rio de la manière la plus satis-
faisante. Il ne se plaindrait plus de la rareté des tableaux
• Il fut pleuré par ses concitoyens , tandis qu'il souriait au sein
de la béatitude céleste.
— 125 — ^
de Francesco Santa Croce, l'aîné des deux, s'il avait pu voir
le Musée Correr ouvert l'année dernière, légué par son
fondateur à la pauvre Venise, comme une légère compensa-
tion pour tant de pertes , et où Ton voit un assez grand
nombre des productions de cet excellent artiste. Ne serait-
ce pas à lui qu'il faudrait aussi attribuer le beau tableau du
transept des Frari, qui représente la Sainte Vierge recueil-
lant ses cliens sous son manteau, dont deux anges étendent
les pans autant que possible , tandis que deux autres anges
couronnent leur Reine, qui porte son divin Enfant au milieu
de sa poitrine , dans une espèce de médaillon ; disposition
assez fréquente dans la peinture et la sculpture vénitiennes :
cette œuvre capitale , surtout remarquable par l'expression
grave et pure du visage de Marie, figure bien dans l'église qui
porte le titre de Sainte Marie la Glorieuse des Pauvres
Frères Mineurs \ Quant à Jérôme Santa Croce, il s'est il-
lustré par un tableau de saint Thomas de Cantorbéry % qui
répond pleinement à l'idée qu'on peut se faire de ce grand
saint, et certes c'est beaucoup dire.
JMais ce ne fut pas à Venise seulement que l'influence de
Jean Belin s'exerça d'une manière si heureuse; elle s'étendit
sur to utes les villes du patrimoine de saint Marc , depuis le
Frioul jusqu'aux frontières du Milanais, et malgré la redou-
table concurrence des écoles de Mantegna et de Leonardo
da Vinci*,- Bergame surtout lui donna , dans Cariano et Pre-
vitali, des élèves dignes de lutter avec ceux qu'il avait trou-
vés à Venise même. Trévise produisit Pennachi, célèbre par
ses grandioses plafonds à Murano et à Venise ; puis Bissolo,
dont on voit à l'Académie Jésus-Christ donnant à sainte
Catherine de Sienne le choix entre la couronne de reine
etù% couronne d'épines ; tableau dont l'exécution est aussi
« 56 '»»ta Maria Gloriosa de' Frari.
a A r 'épliw Saint-Sylvestre de Venise.
— 126 —
belle que l'idée. Enfin le Frioul eut tout une école locale ,
fondée par le disciple chéri de Jean Belin, et restée toujours
fidèle aux traditions chrétiennes.
M. Rio s'arrête au moment où le dualisme du bon et du
mauvais principe cesse dans l'école vénitienne , envahie ex-
clusivement par les disciples de Giorgione , du Titien et de
la satanique influence de l'Arétin. Il lui suffit d'avoir con-
staté que la prééminence universellement reconnue de l'é-
cole vénitienne pour le coloris, a été fondée par les anciens
maîtres catholiques que nous venons d'énumérer. Selon lui,
les trois dons qui constituent la perfection dans la peinture,
se répartissent entre les trois grandes écoles d'Italie de la
manière suivante : à l'école florentine , l'excellence du des-
sin, la science des contours et des formes; à l'école om-
brienne l'expression des pieux élans et des pures affections
de l'âme ; enfin à l'école vénitienne, la perfection du coloris.
Cette distinction , peut-être trop absolue , est suivie de con-
sidérations très ingénieuses sur l'analogie de l'harmonie
musicale avec celle des couleurs, analogie rendue incontes-
table par de précieux détails biographiques sur le goût pro-
noncé de tous les peintres grands coloristes pour la mu-
sique.
A la suite de cette partie pittoresque de son chapitre ,
l'auteur se trouve naturellement amené à juger le caractère
national et les destinées de cette Venise où l'art chrétien
avait survécu plus long-temps que partout ailleurs. On nous
permettra de ne pas passer sous silence , en terminant cette
longue analyse , l'un des morceaux les plus frappans de ce
beau volume. C'a été pour nous une trop vive satisfaction
que de voir ce grand sujet de l'histoire de Venise enfin traité,
ne fût-ce qu'en passant , par une plume catholique , qui
puisse nous reposer un peu de ces invectives éternellement
répétées contre la politique vénitienne , le conseil des Dix ,
l'inquisition , et ainsi que des déclamations non moins ba-
— 127 —
nales sur la beauté et la décadence de Venise, faites par des
gens qui n'ont pas même soupçonné la véritable source de
cette immortelle beauté. Mais on ne conçoit que trop l'ini-
mitié des uns et l'inintelligence des autres , quand on se re-
porte à cette dévotion si patente, si populaire, si nationale,
dont tant de monumens sont encore debout, même dans la
Venise découronnée et dépeuplée de nos jours , et qui frap-
pent tout d'abord et bon gré mal gré l'observateur. Quand
on voit non seulement dans les églises , mais dans tous les
édifices publics; non seulement dans les monumens de l'art
primitif, mais dans ceux des seizième et dix-septième siè-
cles , tous ces doges , ces sénateurs, ces représentans divers
du pays et de la puissance publique, tous agenouillés de-
vant la sainte Vierge , le lion de Saint-Marc , ou la croix
du Nazaréen , tous proclamant ainsi que le catholicisme
était le principe suprême et fondamental de l'existence de
Venise ; on comprend fort bien l'impression désagréable qui
doit résulter de cette vue dans l'esprit des savans et des his-
toriens modernes, et la répugnance qu'ils ont dû en déduire
pour un gouvernement semblable ; on se figure leur dépit
de ne pouvoir concilier, malgré toutes leurs lumières, l'exis-
tence des merveilleux chefs-d'œuvre de cette cité avec la
superstition et le fanatisme si enracinés et si effrontément
avoués dans cette malheureuse république. M. Rio, animé
par d'autres intentions et éclairé par une autre lumière que
celle dont s'enorgueillissaient les écrivains qui l'ont pré-
cédé, M. Rio nous montre Venise sous un tout autre point
de vue : il établit comme résultat de ses recherches que
Venise a conservé plus long-temps que Rome et Florence,
dans sa vie publique comme dans son école de peinture ,
l'empreinte religieuse qui distingue particulièrement les ré-
publiques italiennes au moyen âge. « Venise , » dit-il , « a
t été la plus chrétienne des républiques » ; et à ce propos il
s'élève avec une trop juste indignation , non moins contre
— 128 — ■
les calomnies du rationalisme moderne, que contre • la hon-
« teuse négligence avec laquelle les chrétiens ont livré leur
« propre héritage aux écrivains soi-disant philosophes »» (p.
529). Il montre Venise, placée comme la Pologne et l'Espa-
gne, en sentinelle avancée de la chrétienté contre les Barba-
res; il énumère quelques unes des gloires du pavillon vénitien,
celui de tous « qui, chrétiennement parlant, a laissé les plus
« honorables souvenirs. » Il rappelle à la fin du dix-sep-
tième siècle les Mocenigo , les Morosini , dignes rivaux de
Sobieski dans cette dernière des croisades, « à laquelle les
« grandes puissances européennes assistaient avec une stu-
« pide indifférence , toutes fières de se trouver à jamais
« guéries de l'enthousiasme religieux. » A propos de cette
inscription du palais Vendramin, non nobis, Domine, sed
nomini tuo da gloriam , il constate la durée de la noble
habitude , dont nous parlions tout à l'heure , qu'avaient
conservée pendant tout le seizième siècle les souverains et
les généraux de Venise de faire honneur de leurs victoires
à Marie, et de se faire peindre à genoux devant la sainte
Vierge. Après avoir rappelé le grand nombre de saints per-
sonnages canonisés par l'Eglise , parmi l'aristocratie véni-
tienne des premiers siècles, et ces doges Trevisani et Priuli,
plaçant la plus fervente piété sur le trône, comme pour con-
soler Venise chrétienne de la scandaleuse présence de l'A-
rétin, il nous cite sur diverses familles illustres de la répu-
blique des particularités dignes d'être à jamais consacrées
dans l'histoire catholique; enfin, comme pour rendre à Ve-
nise une dernière justice, à l'occasion de sa déplorable chute,
il insiste sur l'attachement et les regrets que lui témoignè-
rent en ce moment suprême les provinces qu'elle avait con-
quises et réunies à son empire. Il aurait pu citer la conduite
généreuse de Bergame sous le noble Ottolini , celle de Vé-
rone , Trévise et autres villes de terre-ferme ; mais se por-
tant à l'autre extrémité des possessions vénitiennes , il s'est
— 129 —
borné à citer textuellement les adieux de la ville de Péraste
en Dalmatie , à la glorieuse bannière de Saint-Marc. Cette
admirable effusion de piété et de reconnaissance nationale
est une noble et digne péroraison du chapitre sur Venise
et de cette partie du travail de M. Rio.
En lisant ces dernières pages de son volume , où il dé-
ploie une connaissance si approfondie et une appréciation si
catholique et si juste de l'histoire de Venise , en les rappro-
chant de son admirable chapitre sur Savonarole, nous avons
été presque tenté de regretter que M. Rio , au lieu de se
borner à l'étude des arts , n'eût pas consacré son âme et son
talent à l'histoire politique et religieuse de Venise ou même
de l'Italie en général. Ce dernier sujet , le plus beau peut-
être qu'il y ait au monde , était digne de son zèle pour la
vérité et de son enthousiasme pour la foi. Nous posséderions
alors un travail bien essentiel à notre jeunesse , aujourd'hui
réduite à avoir recours aux perfides sophismes d'un Saint-
Marc , à l'hostilité voltairienne d'un Sismondi , pour se don-
ner un aperçu d'une histoire plus travestie , plus maltraitée
que ne l'a été peut-être celle même de la France '.
Du reste , tout en nous associant de bon cœur à l'enthou-
siasme et à la sympathie de M. Rio pour Venise , nous de-
» Gomme s'il entrait dans les tues de la Providence que l'Alle-
magne , patrie de la réforme, devînt de nos jours la patrie de la régé-
nération de la science historique , c'est encore un écrivain allemand
et protestant, M. Léo, professeur à l'Université de Halle en Saxe ,
qui, dans son Histoire des Etats d'Italie, 5 vol. in-8°, 1830-1834, a été
le premier à envisager l'élément catholique de l'histoire d'Italie, à
rendre justice au caractère personnel de quelques souverains pon-
tifes , enfin à montrer comment les réformes irréligieuses et arbitrai-
res de Joseph II, de Léopold en Toscane, de Tannucci à Naples,
avaient frayé le chemin du carbonarisme et de la révolution. Nous
lui devons cet hommage, malgré ses récentes hoitilités contre la li-
berté de l'Eglise en Allemagne.
9
— 150 —
vons cependant luire quelques réserves à son admiration
exclusive , et nous établirons une distinction plus tranchée
qu'il ne la faite entre la belle et pieuse Venise des Pisani et des
Dandolo , et la Venise savante et opulente des siècles posté-
rieurs. Nous ne croyons pas que l'influence du néo-paganisme
desMédicis ait été aussi tardive et aussi faible à Venise qu'il le
dit. Cela peut être vrai pour la peinture, et encore partielle-
ment ; cela ne l'est certes point pour la sculpture et l'architec-
ture. Les principes de l'architecture chrétienne y ont été ré-
pudiés tout aussitôt que dans le reste de l'Italie ; et certes le
gouvernement qui permettait à Sansovino d'introduire dans sa
fameuse porte de bronze de l'église de Saint-Marc le portrait
de l'infâme Aretin, avait une bien étrange idée de la liberté
religieuse en fait de sculpture. N'est-ce pas lui aussi qui, sur la
Loggia, au pied de la grande tour de St-Marc, ne rougit pas
de faire représenter sous la figure de Jupiter et de Vénus les
royaumes de Candie et de Crète, conquis et si glorieusement
défendus au nom de la foi du Christ. Nous nous souvenons
même d'un certain tombeau de Benedetto Pesaro à l'église
des Frari, qui date de 1503, et où ce guerrier est représenté
avec la Madone au dessus de sa tête , et le dieu Mars tout
nu à ses côtés. Nous ne croyons pas avoir jamais rencontré
en Italie une profanation d'une date aussi reculée. Ce qui est
plus grave, et ce que M. Rio paraît avoir perdu de vue , c'est
la conduite trop souvent irrespectueuse , défiante et coupa-
ble du gouvernement vénitien envers le Saint-Siège , surtout
au commencement du dix- septième siècle, lors du démêlé
avec Paul V. Il ne faut pas oublier que Venise a donné le
premier exemple d'un état catholique qui déclare un interdit
pontifical non avenu; qu'elle s'est constituée juge et interprète
suprême de la discipline ecclésiastique ; qu'elle a condamné
les prêtres qui avaient interrompu l'exercice du culte par
obéissance au pape , à cette affreuse captivité dont les trop
— 131 —
fameux Pozzi portent encore la trace '. Venise est entrée la
première, bien avant Louis XIV et Joseph II , dans cette fu-
neste voie où n'ont pas tardé à la suivre tous les gouverne-
mens catholiques ou soi-disant tels ; et il nous est permis de
croire que , lorsqu'à la fin du dernier siècle , le Tout-Puis-
sant a pesé dans son éternelle balance les destinées de Ve-
nise , ce crime qui lui a valu si long-temps les applaudisse-
mens des faux prophètes , n'a pas peu contribué au sévère
arrêt que la justice divine a prononcé contre elle.
Pour en revenir au sujet proprement dit du livre de M. Rio,
il nous faut avouer qu'il termine son livre à peu près comme
il l'a commencé , sans dire pourquoi : il ne nous donne pas
la plus légère indication sur la marche qu'il compte suivre
dans la continuation de son ouvrage. Nous voyons cepen-
dant qu'il a passé en revue les produits de l'inspiration pu-
rement chrétienne dans toutes les écoles de l'Italie , sauf tou-
tefois l'école lombarde. Partout il s'arrête au moment où le
paganisme vainqueur , grâce à l'aveuglement général , s'em-
pare presque exclusivement du domaine de l'art. Nous pen-
sons qu'après nous avoir présenté , avec tout le charme qu'il
sait mettre dans de tels récits , les œuvres trop rares de Leo-
nardo da Vinci , et les fresques encore si nombreuses et si
célestes de Borgognone à la chartreuse de Pavie, de Luini à
Lugano , à Saronno et à la Brera , il nous conduira à l'exa-
men approfondi des maîtres qui sont jusqu'à présent en pos-
session de l'admiration des connaisseurs et des amateurs , à
proportion du degré auquel ils ont renié les traditions et les
inspirations de la religion. Nous suivrons avec le plus vif
intérêt M. Rio dans cette nouvelle carrière. Nous avons hâte
de lui voir porter , au nom de la foi et de la poésie chré-
' Voyez les inscriptions citées par lord Byron , dans les notes du
4e chant de Childa Harold, et que chacun peut lire encore dans cet
hideux cachots.
— 122 —
tienne, un jugement logique et sévère sur Raphaël , le Ra-
phaël de la Fornarina et de la Transfiguration ; sur le Ti-
tien , Tintoret , le Corrège , les Carraches , le Domini-
quin, etc. Il sera curieux de voir enfin une appréciation
religieuse de la manière dont tous ces peintres païens ont
traité des sujets chrétiens ; quelque chose qui diffère de cette
banale admiration que les voyageurs et les auteurs de livres
sur Fart s'en vont répétant les uns aux autres jusqu'à satiété.
C'est à M. Rio à nous expliquer ce jugement déjà ancien de
Goethe , jugement dicté par le mépris classique du christia-
nisme dont ce prétendu grand homme était le coryphée ,
mais au fond très conséquent avec le point de vue païen qui
préside à toute l'esthétique moderne , et qui exprime très
bien la contradiction si flagrante depuis trois siècles entre
la théorie païenne de l'art et son application à des sujets re-
ligieux. « Ce qui empêche surtout de jouir , » dit- il à propos
des tableaux religieux de la seconde école de Bologne , « ce
« sont les sujets absurdes des tableaux ; il y a de quoi ren-
« dre fou... On dirait les monstres issus du mariage des en-
« fans de Dieu avec les filles des hommes. On est attiré par
« le goût céleste du Guide , par son pinceau qui n'aurait dû
« être consacré qu'à représenter la perfection ; mais on est
« aussitôt repoussé par les sujets qui lui ont été imposés, su-
« Jets si horriblement stupides, qu'il n'y a pas d'insultes
« au monde dont on ne dût les flétrir1. Partout le héros
« souffre ; nulle part il n'agit : jamais d'intérêt présent , tou*
« jours quelque chose de fantastique et d'attendu du dehors.
« Ce sont ou des scélérats ou des gens en extase, des crimi-
1 Von den abscheulick dummen, mit keinen Scheltworten der
Welt (jenuy zu erniedrigenden Gegenstœnden , Goethe, Voyage en
Italie, Lettre du 19 octobre 1786. C'est dans ce même ouvrage qu'on
▼oit employer pour la première fois, à ce qu'il nous semble, l'exprès-
«ion de mythologie catholique, ù usitée par les grauds esprits de no*
joui».
— 155 —
• nels ou des fous. Le peintre n'a pour toute ressource que
• de leur accoler quelque beau garçon tout nu , quelque jo-
« lie spectatrice : ses héros ecclésiastiques ne peuvent lui
« servir que de mannequins , pour faire voir son talent à
« bien jeter les plis de leurs manteaux. Il n'y a pas une idée
• humaine dans tout cela. «>
Ne croit-on pas lire le fond de la pensée des auteurs et des
critiques de presque tous les tableaux dits de piété que nous
avons eu le malheur de voir aux expositions des dernières
années , et , ce qui pis est , de retrouver dans nos églises ?
M. Rio , nous l'espérons , sera aussi franc dans son opinion
que Goethe l'a été dans la sienne , quand il en sera à traiter
de cette école bolonaise et des autres écoles païennes qui l'ont
précédée. A dire vrai, nous regrettons beaucoup qu'il ait
ainsi scindé en deux son travail , et qu'il ne nous ait pas
donné en même temps et sa réhabilitation des peintres vrai-
ment chrétiens et sa sentence de condamnation contre les
peintres apostats. Nous croyons que c'eût été dans l'intérêt
de son livre autant que dans celui de l'art chrétien dont il
veut être l'interprète. Le lecteur, imbu de ces doctrines ,
de ces admirations toutes nouvelles , a besoin, ce nous sem-
ble , de savoir, sans désemparer , ce qu'il doit penser désor-
mais de ces grands noms qui ont été jusqu'à présent l'objet
de sa vague idolâtrie. Les éloges décernés par l'auteur aux
grands peintres chrétiens , avant lui relégués parmi les bar-
bares du moyen âge, auraient gagné au contraste immé-
diat avec le jugement porté sur leurs successeurs. Nous ne
connaissons rien de plus frappant que cette juxtaposition des
œuvres de l'un et de l'autre système. C'est ainsi qu'à Venise
on peut mesurer d'un seul regard la distance qui sépare la
pensée pieuse d'un artiste nourri dans les traditions chré-
tiennes , des efforts de l'artiste moderne pour diviniser la
matière , lorsqu'à l'académie des beaux arts on voit les grou-
pes de saints du Cima ou de Jean Belin , si graves , si doux
— nu
et si religieux , à côté de la fameuse Assomption du Titien,
objet de l'enthousiasme des Cicérone et de leurs cliens les
Anglais , où les Apôtres sont posés comme des boxeurs , et
où la Vierge semble écraser les nuages de son poids ; ou bien
lorsque dans la sacristie de la Sainte on voit le saint Sébas-
tien de Basaïti à côté des fresques de ce même Titien , si
vantées , et qui méritent de l'être comme le nec plus ultra
du matérialisme ignoble , transporté dans les sujets reli-
gieux.
Quoi qu'il en soit , lorsque M. Rio se décidera à nous don-
ner dans un autre volume le fruit de ses recherches et de ses
méditations sur l'art du seizième siècle, nous l'accueillerons
avec autant de joie que d'affectueuse sympathie. Nous l'en-
gageons , en attendant , à se mettre lui-même en garde con-
tre les séductions de ce siècle , et notamment contre cette
magie du coloris vénitien qu'il vante tant. Nous le remer-
cions ardemment de l'inappréciable présent qu'il a fait dans
ce fragment de sa vaste entreprise aux hommes religieux et
aux artistes chrétiens. Il aura la gloire d'avoir posé la pre-
mière pierre d'une esthétique nouvelle parmi nous , de cette
science du beau, aussi inconnue de nom que de fait dans la
France moderne. M. Rio aura contribué par ses récits et ses
enseignemens, à la régénération de l'art religieux en France.
Et en vérité , il est temps que , grâce à ces généreux efforts,
les catholiques apprennent à connaître les purs trésors que
leur ont légués leurs pères ; et que dans le domaine de l'art,
comme dans celui de la littérature, des sciences , de l'his-
toire , ils ne se résignent plus à adopter pour toute instruc-
tion les résultats des mensonges systématiques , des lâches
concessions et des inconséquences gallicanes du dix-hui-
tième siècle.
Juillet 1037.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
DBS
ÉCOLES CATHOLIQUES DE PEINTURE
EN ITALIE.
-f-O-*
Nous avons cherché à présenter dans ce tableau, sous une forme facile
et rapide, un aperçu de l'histoire de la peinture catholique en Italie, qui
pourra servir de résumé au livre de M. Rio et aux notes que nous y avons
jointes. Nous espérons que ce petit travail ne sera pas sans utilité à ceux
de nos lecteurs qui , soit dans leurs études , soit dans leurs voyages, se
sentiront entraînés vers les inspirations de l'art vraiment chrétien. Nous
pouvons affirmer qu'un travail semblable n'existe pas, tous les résumés de
ce genre ne commençant qu'à l'époque de l'envahissement du paganisme
dit Renaissance, où nous nous sommes arrêtés. Nous indiquerons par des
lettres gothiques les peintres qui ont le plus approché de l'idéal chrétien,
et par des capitales penchées ceux qui ont introduit les élémens de déca-
dence dans leur école.
(Les astérisques indiquent les œuvres d'une beauté supérieure et qui méritent une
attention spéciale.)
NOMS DES PEINTRES.
-Date de leur naissance, INDICATION DE LEURS PRINCIPAUX
de leur mort , ou de OUVRAGES.
l'époque où4 ili floris-
saient.
I. ÉCOLE SEMI-BYSANTINE.
Saint François, à* la sacristie de la grande
église d'Assise. — Dans l'église des Anges : Cru-
cifix peint sur une croix de bois , le mieux con-
GitNTA de Pise , J gerv£ de geg ouvrages< un auirc crucifix por-
fl. 1210-1236. ] tant ia date de 1236. — Crucifix qui stigmatisa
sainte Catherine, dans la Contracta dell'oca, à
Sienne.
NOMS DES PEINTRES.
Fra Giacorao
da Turrita.
m. 1286.
André Tafi,
1213-1294.
Gaddo Gaddi.
1239-1312.
ClMABUE.
1240-1300.
Bonaventura
Berlinghieri,
en 1233.
Margàritone,
1212-1289.
Pietro Cavallini,
1259-1344.
— 136 —
INDICATION DES OUVRAGES.
La grande mosaïque de Sainte-Marie-Majeure,
à Home.
Les mosaïques du baptistère de Florence.
( Florence, à Sta-Maria-Novella, une grande Ma-
I donne.
Au château de Guiglia, près Modène, saint
François.
/ Sienne, à S.-Bernardino , un Saint François.
< — Arezzo, plusieurs crucifix. — Florence, à
( Santa-Croce , un crucifix.
I Assise : fresques. — Florence, à S. -Marco, An-
\ nonciation.
II. ECOLE SIENiXOISE ,
GOIDO,
vivait en 1226.
Sienne, à S.-Domenico, grande Madonne.
DlODATO
en 1288
da ucia, JASaint-Ccrbonne, près la ville, un crucifix.
^288. j '
Diotisalyi, l Sienne, à S. -Clémente, Madonne ; à l'Acadé-
1260. \ mie, couverture des livres du Camerlingo.
Ducciodï
boninsegna
fi. en 1282.
, f Sienne, à la
cathédrale, Histoires de la Bible.
Ambrogio
LORENZETTTI ,
1257-1340.
Pietro Lorenzetti,
fi. en 1317-1355.
Pise, au Campo-Santo, la Vie des Pères du dé-
sert, par tous deux. — Florence , aux Uffizi,
même sujet, par l'un d'eux. — Sienne, au Pa-
lais-Public, les Vertus et autres fresques sym-
boliques par Ambrogio ; à l'académie des Beaux-
Arts, * Incoronazione, par le même ; à la rallié-
drale, sur la porte de la Stanza dcl Pilone ,
Vie de Notre-Dame, par Pietro.
— 137 —
NOMS DES PEINTRES.
Simon Memmi,
1284-1344.
INDICATION DES OUVRAGES.
'Pise, au Campo-Santo , * l'Histoire de Saint'
Raynier. — Florence , à Santa-Maria-Novella,
dans la chapelle des Espagnols, les fresques de
l'orient et du nord, *** l'Eglise militante et
triomphante, la Crucifixion, la Descente aux
limbes»
Manno di Simone, (Sienne, au Palais-Public, ** Madonne sous un
en 1387. 1 baldaquin, entourée de saints et d'anges.
Andréa Vanni,
H. de 1369-1413.
Taddeo Bartoli,
fl. en 1414.
Gregorio da Sien a,
vers 1420.
I Sienne, à S.-Domenico, Portrait de sainte Ca-
j therine de Sienne.
i Sienne, au Palais-Public , * Assomption , Sym-
\ bolesdu Credo. — Padoue, à l'Annunziata, *Ma-
{ donne allaitant, et traits de sa vie.
Sienne, à S.-Clemente, Madonne, etc.
Ansano di Pietro, ( Sienne : à l'académie , Vision du pape Ca-
en 1449. ( lixte 111 -, au Palais-Public, * Incoronaxione.
DomenicodiBARTOLO, (Sienne, à l'hospice de Santa-Maria délia Scala,
fl. en 1446. ( les OEuvres de miséricorde, etc.
Lorenzodi Pietro, 1 sienne, au Palais-Public, SS. Bernardino et
ÏIA' } Catherine.
Fra Gabrielle Mattei, ) sienne, les miniatures des livres de chœur à la
sem!e' * cathédrale.
vers 1450.
Matteo da Siena,
en 1479.
Stefano,
frère du précédent.
Sienne : à S.-Domenico , * Madonne entre
SS. Jérôme, Jacques, etc., Ste Barbe couron-
née; à S.-Agostino, Massacre des innocens;
à S.-Clemente, Massacre des innocens , *Ma-
donne vêtue de blanc , Madeleine et Joseph ; h
S.-Spirito, * Assomption dans un médaillon
d'anges.
Hieronimo de \
Benvenuto, son neveu (Sienne, a S.-Domenico , Les deux saintes Ca-
en 1508. j therine devant la Madonne.
Bernardino Fungai JSiennc : a l'Académie, Madonne; à S. -Cle-
{ mente, Incoronazione.
— 138
NOMS DES PEINTRES, INDICATION DES OUTRAGES.
! Florence : aux Uffizi, Madonne entre S. Joseph
et S. Biaise.-— Sienne : à S.-Nicolo del Carminé,
* Ascension; à S.-Bernardino, fresque de l'o-
ratoire voisin ; à la maison de Ste-Catherine de
Sienne, ** Visite au corps de Ste Agnès de
Montepulciano.
BECcTfvMJ ) Sienne : à S--Martm0> Nativité \ deux fresques
dit IL MECAMNO ,[ de I'0rat°ire de S.-Bernardino; à S.-Fran-
1484-1549 1 cesc0> Descente aux limbes.
Giacomo
Pacchiàrotto ,
en 1497.
Antonio RAZZ1,
dit IL SODOM A,
1479-1554.
r Sienne : à S.-Francesco, * Déposition de croix ,
♦quatre fresques de l'oratoire de S.-Bernar-
dino; *à la chapelle du Palais-Public, Madonne
entre SS. Joseph et Calixte.
III. ÉCOLE FLORENTINE.
Première section. — Ecole primitive.
GlOTTO,
1276-1336.
'Padoue, à la chapelle de l'Annuniiata, *** les
Vertus et les vices, le Jugement dernier, la vie
de Notre Seigneur et de Notre Dame.— Assise,
** fresque de la voûte de l'église inférieure.
— Rome, à S. -Pierre, dans le Stanza Capito-
lare , plusieurs petits tableaux. — Florence : à
S.-Croce, *Incoronazione signée de lui ; à l'A-
cadémie, Vie de Notre-Seigneur en douze sujets.
Ptrccio Cap aj*ha, j AgsisC) fresques de la gïande église.
BtTFFALMACO,
vers 1350.
Pise, au Campo-Santo, la Création.— Florence»
à S.-Maria-Novella , Incoronazione. — Assise,
fresques.
Stefano Fiorbntino, (Milan, à la galerie de la Brera, Adoration des
1301-1350. ( rois. — Assise, fresques de la grande église.
Jean de Melatïo, 1 Florence, à Ognissanti, Deux saintes. — Assise,
en 1365. j dan« l'église inf., Scène de la jeunesse de N>~S.
— 139 —
INDICATION DES OUVRAGES.
/ Florence , à Sta-Maria-Novella , dans la chapelle
( des Espagnols, fresques de l'occident et de la
l voûte, **les Vertus et les sciences , la Naviga-
l tion de saint Pierre, etc.; à Sta-Croce , dans
I le transept méridional, **ft« de Notre Dame,
[ douze sujets à fresque, et dans la chapelle 1U-
\ nuccini, *Madonne avec plusieurs saints.
f Prato , à la cathédrale, ^Histoire de la Cintola,
\ ou ceinture de Notre Dame.—' Florence, à l'A-
l cadémie , Madonne entre quatre saints,
f Florence , à la sacristie de Sta.-Croce, **Hïs-
J toirede S. Sylvestre et de Constantin; à l'A-
j cadémie, * Apparition de Notre Dame à saint
\ Bernard.— Naples, au Musée, Assomption, etc,
* < Pise, au Campo-Santo, fin de Vhist. de S. Reynier.
'Pise, au Campo-Santo , * le Triomphe de la
mort; le Jugement dernier; l'Enfer. — Florence,
à Santa-Maria-Novella, ** le Jugement dernier,
*** le Paradis , V Enfer ; *Notre Seigneur entre
saint Thomas d'Àquin et saint Pierre ; tableau
d'autel daté de 1357. A Santa-Maria del Fiore ,
le Dante ,* à l'Académie , Annonciation avec
27 saints et saintes,
Francesco Traïni, Pise, à Ste-Catherine, *S. Thomas d'Aquin.
Gherardo Starnina, ! Florence, à Sta-Maria-Novella , Les quatre doc-
1354-1403. ) teurs et les quatre évangelistes.
Piicolo dî Pietro, (Pise, àS.-Francesco, dans la salle du chapitre,
en 1383. ) l'Histoire de la passion.
NOMS DES PEINTRES.
Taddeo Gaddi ,
1300-1352.
Agnolo Gaddi,
1324-1387.
GIOTTINO,
1324-1343.
Antonio Veneziano
1384.
1319-1389.
Spinello Aretino
1328-1400.
ÎS.-Miniato,
noit.— Arc
S.-Angelo,
S.-Miniato, près Florence, **Histoire de S. Be-
Arezzo, à la cathédrale, Crucifixion; a
Bataille des anges.
Lorenzo Bicci ,
1400-1450.
Ghelini,
en 1444.
{Florence, à Sla-Maria-del-Fiore, le saint pa-
tron de chaque chapelle latérale. — Arezzo ,
dans le cloître de S.-Bernardo , Histoire de la
vie de S. Bernard.
( Florence : fresque du Bigallo ; dans la sacristie
I de S.-Remigio, Déposition de croix.
NOMS DES PEINTRES.
— 140 —
INDICATION DES OUVRAGES.
Deuxième section. — Ecole Mystique,
Sta tf ioMitni
fca Simie,
1387-1455.
Don Lorenzo
degl* Angeli,
camaldule,
en 1413.
/Paris, au Louvre, ** Incoronazione et vie de
' S. Dominique.— Orvieto, à la cathédrale, **JVo-
tre Seigneur au jugement dernier et le Chœur
des prophètes,— Rome : au Vatican, dans la cha-
pelle de Nicolas V, Histoire de S. Etienne et
de S. Laurent; à la galerie Corsini, * Ascension et
descente du Saint-Esprit ; à la galerie Fescli,
** Jugement dernier', chez M. Valentini, * Résur-
rection. — Fiesole : à S.-Domenico, *Madonne
avec plusieurs saints ; à S.-Girolamo , *Ma-
donne entre SS. Jérôme , Etienne, etc. — Cor-
tone : au Gesù , * Annonciation , *Vie de Notre
Dame, Vie de S. Dominique ; à S.-Domenico,
** Incoronazione. — Florence : à S.-Marco, dans
le cloître, ** Jésus crucifié avec S. Dominique,
et les lunettes des portes ; dans la salle du cha-
pitre , *** Crucifixion avec beaucoup de saints
et l'arbre généalogique des SS. dominicains ;
dans chaque cellule , ** une fresque de lui ; à
Sta-Maria-Novella , dans la sacristie, *** trois
reliquaires; à la galerie de l'Uffizi, S. Pierre,
*S. Marc, Madonne avec plusieurs saints,
et le Meurtre de S. Pierre martyr, la Nati-
vité de S, Jean, **la Prédication de S. Pierre,
*le Sposalizio, H' Adoration des mages, **la
Mort de Marie, *** Couronnement de Ma-
rie au milieu de la cour céleste ; à l'Académie
des Beaux-Arts, *** Descente de croix, *S. Tho-
mas et le B. Albert-le-Franc faisant leurs le-
çons, ***Fw de Notre Seigneur en trente-cinq
tableaux, ***Jugement dernier, chef-d'œu-
vre de la peinture chrétienne. — A Berlin , au
musée royal, S. François et S. Dominique
' s'embrassant.
NOMS DES PEINTRES.
INDICATION DES OUVRAGES.
/Pise, au Campo-Santo, ***Histoire de la Bible
depuis Noé jusqu'à Salomon , vingt-quatre
fresques. — - Monte-Falco , à S.-Fortunat et à
S. -François , * Histoire de Notre Dame et de
S. François. — Pérouse, Madonne entre quatre
saints. — Orvieto , à la cathédrale , Chœur des
apôtres, des martyrs, des docteurs, etc., dans le
Jugement dernier commencé par Fra Angelico.
— S.-Gimignano, à la cathédrale et aux Augus-
tins, fresques nombreuses. — Florence, daûs la
chapelle du palais Riccardi, la ***£avalcade
DES ROIS MAGES.
[Florence, à S. Ambrogio, **Miracle du S. Sa-
Cosimo Roselli, j crement; à Sta-Maria-Maddalena, Incorona-
vivait en 149G. j zione.— Rome, à la chapelle Sixtine, quatre fres-
v ques, Histoire de Moïse et de Notre Seigneur.
1400-1478.
Alessandro Botticelli
1437-1515.
Rome , à la chapelle Sixtine , trois fresques :
**Moïse et les filles de Jéthro , le Châtiment
de Coré et la Tentation de Notre Seigneur.
—Florence : àS.-JacopodeRipoli, *Incorona*>
zione avec Ste Elisabeth et autres saints fran-
ciscains ; aux Uffizi , * M adonne avec l'enfant
Jésus tenant une grenade; ***M adonne écri-
vant le Magnificat; à l'Académie, *Inco-
ronazione avec une ronde d'anges, *** les An-
ges présentant la couronne d'épines à Venfant
Jésus en présence de sa Mère.
Andréa Verrochio,( Maître de Lorenzo di Credi et de Leouardi de
1432-1488. ( Vinci : on n'a point de ses tableaux.
Rome : à la chapelle Sixtine , Vocation des SS.
Pierre et André ; au palais Borghèse , * Ma-
donne entourée d'anges.— Florence : à l'hospice
degl' Innocenti, *** Adoration des mages; à
S.-Trinità, fresques de la **F«e de S. Fran-
çois ; à Sta-Maria-Novella , fresques de la *Vie
de S. Jean-Baptiste et de Notre-Dame, qua-
torze compartimens ; au palai9 Pitti , Madonne
avec Venise dans le lointain; aux Uffizi , Ado-
ration des rois, etc.
Domenico
GHIRLANDAJO,
1451-1495.
— 1*2 ~
NOMS DES PEINTRES.
1443-1532.
Ridolfo
Ghirlandajo,
1485-4^60.
INDICATION DES OUVRAGES.
Paris, au Louvre, **Madonne entre S. Nicolas
et S. Julien.— Pistoie, à la cathédrale, **Jtfa-
donne entre deux saints, — Florence, à l'Aca-
démie, ***deux Nativités avec la sainte Vierge
en adoration devant l'enfant Jésus ; aux Uffizi,
deux **Madonnes en adoration, ^Annoncia-
tion, **Noli me tangere, etc.
i Paris, au Louvre, */a Vierge à genoux pour être
couronnée. — Berlin, au Musée, * Assomption.
— Pistoie, à S.-Pierre, **Madonne entre quatre
saints.— -Florence, aux Uffizi, *les Miracles de
S. Zanobio.
Michèle di Ridolfo, \ Florence , à l'Académie, le Mariage de sainte
eu 1568. j Catherine.
Troisième section. — Ecole Naturaliste,
Paolo Uccello, I Florence, au cloître de Sta-Maria-Novella, Hii-
1389-1472. \ toires bibliques à fresque.
! Florence, à Sla-Maria-del-Fiore, les vitraux de
la coupole sont peints d'après ses cartons; mais
ce sont surtout ses sculptures qui exercent d«
l'influence sur les peintres.
» i- n4aBiain.rr /Florence: al Carminé, la première moitié de
Masolino daPANiCALE, ± vmmir(i de saint pierre . à PAcadémiej Ma.
( donne adorant son enfant.
1378-1415.
MASACCIO,
1401-1443.
Filippo L1PPÏ,
1400-1469.
Andréa
del CASTAGNO,
1403-1477.
Filippino LIPPJ,
1460-1505.
{Rome, à S-CIemente, ** Histoire de Ste Cathe-
rine, — Florence, au Carminé, ^seconde partie
de l'Histoire de S. Pierre.
/Florence, à la Badia, *** Apparition de Marie
à S, Bernard. — Prato, à la cathédrale, *His-
toire de S. Etienne , *Mort de S. Bernard. —
Spolette, à la cathédrale , Histoire de la sainte
Vierge.
I Florence , à Santa Lucia de' Magnuoli , un jta-
< bleau d'autel ; dans le gradin , quelques sujets
( de l'Histoire sainte.
( Rome, à Stc-Marie-Mineure, S. Thomas d'A-
! quin. — Florence, à Sta-Maria-Novella , Hit-
\ toire des SS< Philippe et Jean Evangéliste.
— 143 —
NOMS DES PEINTRES. INDICATION DES OUVRAGES.
Alessio )
BALDOVINETTI , [Florence, à l'Annunziata, Nativité.
1425-1499. )
Rafaellino del Garbo ,1 Florence ^ l'Académie, Résurrection.
1466-1524. j
Antonio /Florence, aux Uffizi, SS. Eustache, Jacques et
Antonio )FlorenceJ
POLLAJUOLO, rvincmt
1426-1498. ) VmCmt
Pietro di COS1MO , (Paris, au Louvre, Couronnement de Notre-
1441-1521. I Dame.
/Florence: à l'Académie, * S. Vincent Ferrer,
[ Apparition de Marie à S. Bernard; au palais
Fra Bartolommeo \ Pmi> S Marc.-- Sienne.dans le cloître de S.-Spi-
deîla Porta, < rito, Crucifixion. — Lucques : à la cathédrale ,
1469-1517. | Madonne entre S. Jean- Baptiste et S. Sébas-
[ tien; àS.-Romano, **Ste Catherine et SteMa*
\ deleine , M adonne de la miséricorde.
ALBERTlïtELU , )Florence : à l'Académie, *la Trinité ; aux Uffizi,
i la Visitation.
1467-1512. ; r
a a ai QAnrn (Florence, à l'Annunziata * Histoire de S. Phi-
Andréa deibAtiiu, i Uppe Bmizzii surtout le compartiment de la
1488-1530. ^ résurrection de l'enfant.
BUONABMTTI, )^s Prophètes, k la voûte de la chapelle Six-
1474-1565. ' 1 tine*
IV. ÉCOLE OMBRIENNE
Andréa et Bartolommeo
Oryietani ,
1405-1457.
^ lut.* *«Jl . f Milan, au musée de Brera, *Incoronazione. —
Gent,ledaFABBKiANO, ^ chezM ^^ ^^ de$fois
{ —Florence, à l'Académie, ** Adoration des rois.
Pietro délia
Francesca , J Arezzo, S.-Francesco, fresques du chœur.
1398-1484.
Malteo di Gualdo, 1 Assise à riiôpital, Légende de S. Jacques.
en 1468. )
iUU
NOMS DES PEINTRES.
Lorenz<|di Giaco
da VlTERBO,
en 1469.
Pietro-Antonio
da Foligno,
Yers 1450.
Nicolb Alunno
da Foligno,
t. 1458-1492.
Fiorenio da Foligno
vers 1460.
INDICATION DES OUVRAGES.
JVilerbe, à S.-Maria-delle-Verità, Vie de Notre
j Dame.
Î Assise, à la chapelle de l'hôpital, Miracle de
gS. Jacques.
Pérouse, à Sta-Maria-Nuova , ***Bannière de la
confrérie de YAnnunziate.— Foligno, àS.-Agos-
tino, deux tableaux. — LaBastia, un tableau
dans l'église. — Assise , dans l'église inférieure ,
Scènes de la passion.
} > Pérouse, à S.-Francesco, Madonne.
Pibtro Vanlcci , dit
il |J^rujgin0,
1446-1524.
/ Florence : à l'Académie, Déposition de croix,
* Portraits de deux abbés , Notre- Seigneur au
jardin des Olives , ^^Crucifixion , **Assomp-
tion ; à la tribune, **M adonne entre S. Jean-
Baptiste et S. Sébastien ; à Sta-Maria-Maddale-
na,*** Crucifixion avec plusieurs saints (cette
fresque, placée dans le cloître du couvent, ne
peut être vue qu'avec la plus grande difficulté).
Rome : à la chapelle Sixtine, Baptême de Notre
Seigneur, S. Pierre recevant les clefs; au pa-
lais Albani, * Madonne et anges adorant No-
tre Seigneur ; au Musée du Vatican , ***Ma-
donne entre quatre saints, ***Marie et Jo-
seph agenouillés devant l'enfant Jésus, dit le
Presepe della Spineta , terminé par Pin-
turicchio et Raphaël , et chef-d'œuvre de l'é-
cole ; au palais Borghèse, S. Sébastien, * Dépo-
sition de croix. — Bologne, à la Pinacothèque,
** Assomption avec quatre saints au bas. —
Pérouse : au collège del Cambio , Nativité,
* Transfiguration, ^Prophètes et Sibylles, fres-
ques de la chapelle voisine ; au Palais-Public,
* Madonne entre quatre saints ; à l'Académie ,
*S. Bernardin; à S.-Agostino, dans l'oratoire
de la confrérie, *S. Sébastien aux pieds de la
Madonne ; dans l'église, *** Nativité, ***2?ajî-
tême, *** Adoration des rois et des bergers, et
I plusieurs autres tableaux ; à S.-Pietro , cinq
V bustes de saints; àS.-Pietro-Martire, Madonne;
145 —
NOMS DES PEINTRES.
Suite de
PlETRO VaNUCCI ,
il jpmtgma
dit
INDICATION DES OUVRAGES.
à la Chiesa del Monte, fresque; à S.-Severo,
au bas du Christ de Raphaël , *Cinq saints, —
Sienne, à S.-Agoslino, ***Crucifixion avec
Notre Dame , la Madeleine, S. Jean et S. Jé-
rôme.—Vérone, à Sta-Maria-della-Scala, *Ma-
donne entre SS. Pierre, Jérôme, Etienne et
Catherine. — Munich, à la Pinacothèque, ***JLp-
parition de Notre Dame à S. Bernard; la
sainte Yierge adorant son enfant.
Sinibaldo lui, JPérouse, à S.-Francesco, S. Antoine entre SS.
t. en 1528. I François et Bernardin.
/'Pérousejà l'Académie, *** Notre Seigneur et
GiannicoloMANNi. \ Notre Dame dans le ciel et une foule de saints
\ sur la terre»
IOrvieto, à la cathédrale , la partie inférieure du
Jugement dernier, commencé par Fra Angelico
et Benozzo. — Rome , à la chapelle Sixline ,
Moïse en Egypte et sa mort.
j Pérouse, à l'Académie , ***Sainte famille avec
l'Annonciation ; YEcce Homo ; SS. Jérôme et
Augustin.— Rome : à S. Onuphre, *les fresques
de la tribune ; à Sta-Maria-del-Popolo, fres-
ques de la première et de la troisième chapelle
à droite et de la voûte du chœur, les plus belles
de Rome, ***Nativité , Assomption, Vie de
Notre Dame et de S. Jérôme, Incoronazione,
Evangélistes, docteurs et sibylles ; à Ara-Coeli,
*fresques de la chapelle de S. Bernardin ; à Sta-
Croce in-Gerusalemme, la voûte de l'abside,
Invention de la sainte croix ; au Capitole, dans
la chapelle des conservateurs, ** M adonne
adorant son fils endormi sur ses genoux.
— Sienne , à la bibliothèque de la cathédrale ,
***fresqucs de VHistoire de Pie II , surtout le
Mariage de ï empereur et la Canonisation de
Ste Catherine de Sienne (on attribue une par-
tie de ces fresques à Pacchiarotto et à Raphaël).
— Spello, au Duomo, **fresques de la Capella
bella, surtout l'Adoration des bergers.— Berlin,
au Musée , * Histoire de Tobie,
10
jphtfuricrijtfl,
1434-1513.
— 146
NOMS DES PEINTRES.
Uaîaelio 8a\\}\o
yttrbtno,
1483-1520.
INDICATION DES OUVRAGES.
ilan, à la Brera, ***Sposalizio , ou mariage
de Notre Dame. — Breseia, chez le comte Tosi,
**Le Christ montrant la plaie de son côté. —
Pérouse : à S.-Severo, le Christ dans les deux ;
au palais Albani, **Madonne ; au palais Con-
testable, * M adonne. — Rome : chez le cardinal
Fesch, ** Crucifixion, (fait à l'âge de 18 ans);
au palais Borghèse, *** Déposition de croix;
au palais Sciarra, Il Sonatore ; au Vatican , les
fresques des Stanze, surtout la *** Dispute du
S.-Sacremcnt, 1$ Miracle de Bolsène, la Théo-
logie, la Jurisprudence, la Poésie et l'His-
toire ; dans la galerie des tableaux, ***Incoro-
nazione, ** la Madonne de Foligno , *** le
Presepe délia Spineta- en commun arec Péru-
gin et Pinturicchio.— Florence : à la Tribune,
***Za Madonne au chardonneret, Portraits de
Maddalena Doni et de * Jules II ; au palais
Pitti, la Vision d'Ezéchiel , la Madonne délit
Seggiola.—VàfiSy *la Madonne dite la Belle jar-
dinière.—-Berlin, Madonne Colonna.— Munich,
plusieurs **Madonnes.— En Russie, ***la Ma-
donne dite délia Casa d'Alba , naguère à Lon-
l dres, chez M. Coesveld.
V. ECOLE DE BOLOGNE.
GUid\er7Î200SSIMOiBologne' à la piûacothè^e> Ineoronazione.
i Bologne : à S.-Proculo,**Hadonneen(reS. Do
minique et un saint pape ; aux Servîtes, |
S.-Giovanni-in-Monte, à TAnnunziata, Ma-
donnes.
Vitale da Bologna, j A la Pinacotûèque) mdonne.
t. en 1345. j
Jacop© Avanzi, Wdoue) à S.-Antonio, *fresques de la c
t. en 1370. F de s ..-Félix. —Bologne, à l'église de Mezi
hapell
Mezzarattf
AldighieridaZetio, l fresques.
v. en 1383.
Simone /Bologne, à la Pinacothèque, *Incoronazion
dei Crocefissi, | entouré de l'Histoire de Notre Dame, Cruci
vers 1377. ( fixion; fresques à l'église de Mexzarata.
— 147 —
NOMS DES PEINTRES.
Catharina Vigri
(sainte Catherine
de Bologne),
1413-1463.
Michèle di Matteo ,
ea 1469.
INDICATION DES OUVRAGES.
Melozzo da
1436-1492.
Marco Zoppo,
1468-1498.
SxcMmw
Jvancia,
1450-1535.
f Venise, à l'Académie, Ste Ursule et ses vierges.
I — Bologne, à la Pinacothèque, même sujet.
i Venise, à l'Académie, *Madonne avec beaucoup
de saints.
Foeli ( Ro.me * Ia sacristic de S. -Pierre, * Anges mu-
' 1 skient ; au Quirinal, Madonne entourée d'an-
\ ges.
j Bologne, à la Pinacothèque, plusieurs tableaux.
\ Milan, à la Brera, Annonciation.— Brescia, chez
le comte Tosi, Madonne. — Rovigo, au musée,
*Madonne.— Rome : au palais Borghèse, *JW a-
donne, **Ste Catherine avec la sainte Famille^
* Madonne assise; au palais Sciarra, ** Ma-
donne entre S. François et S. Jérôme. — Luc-
ques,au palais du duc, ** Madonne; à S.-Fre-
diano, * Adoration des rois; à la cathédrale, à
S.-Salvatore, * M adonnes. —Florence, aux Uffizi,
Portrait de Vangelista Scarpi. — Ferrare, à la
cathédrale, Sainte famille. —Bologne, à la Pina-
cothèque, ***Madonne avec SS. François, Au-
gustin, Sébastien, Monique, et un ange jouant
de la mandoline, chef-d'œuvre de l'école et de
l'art: *** Annonciation avec SS. Jérôme et
Jean-Baptiste, **Madonne entre SS. Georges,
Augustin et Etienne, **Nativité, ***Marie et
Joseph en adoration devant l'enfant Jésus , et
S. Augustin hésitant entre le sang de Jésus et
le lait de Marie; à S.Giacomo-Maggiore,
dans la chapelle de Ste-Cécile, ***Histoire de
la sainte (par lui et ses élèves); dans la cha-
pelle Benlivoglio , ***Madonne avec SS. Jean-
Sébastien et un saint évêque\ à S.-Martino-
Maggiore, **Sainte famille; h l'Annunziata,
* Annonciation. — Berlin, au musée , plusieurs
*Madonnes. — Vienne, à la galerie impériale,
**Madonne entre S. François et Ste Catherine.
— Munich , à la Pinacothèque, ***Marie s'a-
genouillant devant V enfant Jésus dans un jar-
din de roses ; chez le duc de Leuchtenberg ,
\ **Mad*nne entre S. Dominique et Ste Barbe.
/
iPEtt
NOMS DES PEINTRES.
— 148 —
INDICATION DES OUVRAGES.
Giacomo Francia, ( ^Iognc, à Ja Pinacothèque , *Madonne entre
JK„^ \ &• faut et Ste Madeleine. S. François stiama-
enl557. ( ^
Amico Aspertini, ( Bolo&ne> à S.-Martino-Maggiore, Madonne avec
a&ik A*** \ Ste Lucie- — Lacques , à S. Frediano, fresques
1474-1552. ( de ,a chapelle s..4ugustin>
Girolamo Marches!, \
dit le Cotignola, [Bologne, à la Pinacothèque, Sposalizio.
1480-1550. ;
Innocenzo \
FRANCUCCI I Bologne , à la Pinacothèque, Madonne avec an-
da Imola, ( ges . à S.-Giacomo, Nativité.
1494-1550. J
VI. ÉCOLE DE FERRARE (1).
Gelasio di Nicolo,
vers 1242.
Galasso Galassi, \ Ferrare, chez le marquis Costabili , «Déposition
1404-1450. ) de croix avec Ste Claire et autres saints.
Ant°1n îm*™' lFerrare' ibid- Mort â'une iaintt-
Cosimo Tura
dit il Cosmè.
1406-1469.
Ferrare, ibid., S. Jérôme» Portrait de S. Ber-
nardin de Sienne ; au palazzo del Magistrato,
Martyre de S. Maurèle ; à la cathédrale , *An-
non dation.
Francesco Cossa, I Bologne, à la Pinacothèque, * Madonne entre
vivait en 1474. \ S. Pétrone et S. Jean év.
Francesco Zaganelli ^ „ „, ..
da Cotignola, ( Ravenne, aux Observantins , tableau cité par
t. en 1518. ' ) M- Laderchi.
Bernardino
Zaganelli
DA COTIGNOLA,
t. en 1509.
Ferrare, chez le marquis Costabili, S. Sébastien.
i Ferrare : au Palais-Public, *la Visitation; à
Domenico Panetti, ) S.-Andrea, S. André ; chez le marquis Costa-
1460-1530. \ *>"* , **la Mort de la sainte Vierge, la Présen-
{ tation , *la Déposition de croix.
(1) Nous devons la plupart de nos renseigneracns sur celte école à l'excellent
opuscule de M. Camille Merci», dont nous parlons à l'Appendice n° iv.
— 149 —
NOMS DES PEINTRES.
Lorenzo Costa ,
1450-1530.
Timoleo délia Vite
1470-1524.
Ercole Grandi ,
1491-1531.
Lodovico Mazzolino,
1481-1530.
Benvenuto Garofolo,
1481-1559.
INDICATION DES OUVRAGES.
'Bologne : à S.-Giae%mo, *Madonne avec la fa-
mille Bentivoglio; à S.-Petronio, Madonne
entre deux saints; à S.-Giovanni-in-Monte,
** Ascension ; à S.-Martino, ** Assomption ; h
la chapelle de Ste-Cécile, deux des fresques,
**le Pape prêchant Yalérien et Ste Cécile dis-
tribuant ses biens aux pauvres ; à la Pinaco-
thèque, * S. -Pétrone tenant Bologne dans ta
main. — Ferrare, au palais Costabili, S. Sébas-
tien, * Madonne entre deux saints,*** Nativité,
^Déposition de croix.
' (Bologne, à la Pinacothèque, ** Madeleine.
( Ferrare, chez le marquis Costabili , * Histoires
\ de l'Ancien Testament , *S. François d'Assise,
\ plusieurs **Madonnes.
Rome, au palais Borghèse, * Adoration des Ma-
ges, S. Thomas. — Bologne, à la Pinacothèque,
^Nativité, le Père éternel.— Ferrare, au Palais-
Public, ***Marie et Joseph adorant V infant
Jésus ; chez le marquis Costabili, **Sainte fa-
mille avec S. Roch et S. Sébastien , deux autres
Madonnes avec divers saints, **Marie en ado-
ration devant l'enfant (deux fois), * Jésus mort
sur les genoux de sa Mère.
/Rome : au palais Chigi , *** Ascension ; au palais
Borghèse, **Nativité, Noces de Cana, Jésus
et la Samaritaine, *Déposition de croix ,-au pa-
lais Doria, **Tisitation; au palais Corsi ni, Jé-
sus portant sa croix; chez le cardinal Fesch
** Adoration des bergers; au Capitole, *Sainte
famille dans un paysage, Madonne avec deux
saintes franciscaines.— Bologne, à S. Salvatore
*S. Jean-Baptiste et Zacharie. — Ferrare , au
Palais-Public, *** Jésus au jardin des Olives,
*YiedeS. Sylvestre, *les Douze apôtres, ** Ado-
ration des Mages ; à la cathédrale, *SS. Pierre
et Paul, Annonciation, * Assomption ; dans une
écurie de la caserne de S.-Benedetto, *Pietà;
à S .-Andréa, S.-Francesco , etc., nombreux ta-
bleaux— Munich, chez le duc de Leuchtenberg ,
Miracle d'un saint, la Cène.
NOMS DES PEINTRES.
— 150 —
INDICATION DES OUVRAGES.
VII. ÉCOLE DE VENISE.
Giusto et Antonio
da Padova,
élèves de Giotto.
GtfARIENTO
da Padova,
t. en 1365.
Garlo Gritelli ,
t. en 1476.
Jacopello Flore ,
t. en 1436.
Luigi Vitarini
1>A MuRANO,
t. en 1414.
Padoue, ***fresques de la coupole du baptistère.
Padoue, fresques de l'église des Eremîtani.
Milan , à la Brera , *Madonnc et plusieurs
saints.
f Venise, à S.-Francesco-della*Vigna, **M adonne
\ qui adore son enfant endormi sur ses genoux.
> Venise, à l'Académie, S. Jean-Baptiste.
Venise, à S.-Panta!eone, *** Couronnement de
la Vierge au milieu du Paradis ( par Jean et
Antoine) ; à l'Académie, ***Madonne sous un
baldaquin aveu les quatre docteurs (par les mê-
mes), **Madonne entre quatre saints (par Bar-
thélémy) ; à Sta-Maria-dei-Frari, SS. Ambroise,
Sébastien, etc., avec le couronnement de la
Vierge en haut (par Barthélémy et Basaïti),
Giovanni Vivarini
da Murano, en 1444.
Antonio Vitarini
DA MURANO , en 1401. ) ^ Jmn ^ pfl(|^ ^^ ^ «^^ ^ *fa
l Christ mort; à S.-Giovanni-in-Bragora, JRë-
surrection ; à Sta-Maria-Formosa, M adonne au
manteau étendu.— Bologne, à la Pinacothèque,
***J|fafte couronnée par les anges pendant
qu'elle protège le sommeil de son fils endormi
sur ses genoux (par Antoine et Barthélémy).
da Murano, en 1498.
Jacopo Squarcione,
XVe siècle.
Andréa Manîegna,
1430-1506.
Gentile Bellini,
1421-1501.
Padoue, aux Eremitani, Histoire de S. Christo-
phe et de S. Jacques.— Milan, à la Brera, S. Ber-
nardin, S. Marc— Vérone, à S.-Zeno-Maggiore,
la Madonne entre trois apôtres et trois saints.
— Paris, au Louvre, Sujets allégoriques et Jtfa-
donne de la Victoire.
! Milan, à la Brera, S. Marc prêchant à Alexan-
drie.—Venise, à l'Académie/ ^Procession de la
sainte croix sur la place $.-Marc, *Miracle de
la croix tirée de l'eau,
— 151
NOMS DES PEINTRES.
Giovauni Bellini
1427-1517.
INDICATION DES OUVRAGES.
/Venise : à S.-Zaccaria, Madonne avec S te Aga-
the, S. Jérôme, etc.] au Redentore, dans la sa-
cristie, ** M adonne les mains jointes pour pro-
téger le sommeil de l'enfant Jésus, **Madonne
entre Ste Catherine et S. Jean évang., Ma-
donne entre SS. François et Jérôme; à Sta-
Maria-de'-Frari, Madonne entre quatre saints ;
à S.-Giovanni-Crisostomo, *S. Jérôme; à SS.-
Giovanni-e-Paolo , Madonne avec Ste Cathe-
Cima da Conegliano,
1493-1517.
1502-1522.
Marco Basaïti,
t. en 1520.
donne entre SS. Job, François, Louis, etc., avec
trois anges musiciens, * M adonne avec V enfant
Jésus endormi , Madonne avec SS, Jean-Bap-
tiste, Jérôme, etc.; à S.-Pierre de Murano , *le
doge à genoux devant la Madonne. — Dresde ,
à la galerie, Christ en pied,
'Milan, à la Brera, *S. Pierre apôtre, **S. Pierre
martyr. — Venise : à S.-Giovanni-in-Bragora,
**Baptême de Notre Seigneur ; à Sta-Maria-del-
Carmine , ***Nativité avec Ste Catherine et Ste
Hélène ; à Sta-Maria-delPOrto, **S. Jean-Bap-
tiste entre SS, Pierre, Paul, Marc et Jérôme ;
à l'Académie, Madonne avec plusieurs saints ,
*** Incrédulité de S. Thomas ; chez M. Barbini,
*Madonne. — Dresde , à la Galerie, Présenta-
tion de Notre Dame.
Milan, à la Brera, ***S. Etienne.— Venise : à
S. - Giorgio - dè*gli - Schiavoni, **Légende de
S. Georges et de S. Jérôme ; à SS.-Giovanni-e-
Paolo, *Incoronazione; à S.-Giovanni-in-Bra-
gora , *S. Martin ; à l'Académie , ***Légende
de Ste Ursule , ^Rencontre de S. Joachim et
de Ste Anne avec S. Louis et Ste Ursule, Mi-
racle du patriarche de Grado , ^Présentation
de Notre Seigneur', à la galerie Correr, * Lé-
gende d'une sainte, *** VEnfant Jésus lisant
pendant que Marie l'adore à genoux. — Paris,
\ au Louvre , * Prédication de S. Etienne.
i Bergame, à la galerie Carrara , *Tête de Notre
1 Seigneur. —Venise : à Sta-Maria-della-Salute ,
■ S. Sébastien ; à Sta-Maria-de'-Frari, *Incoro-
nazione au dessus du S. Ambroise de Vivarini; à
l'Académie, ^Vocation des fils de Zébédée , *la
— 152
NOMS DES PEINTRES.
Suite de Marco Basaïii.
Vincenzo Catena,
m. en 1530.
Giovanni Mansueti,
t. en 1300.
Francesco
Sahta-Croce,
1507-1541.
INDICATION DES OUVRAGES.
Prière au jardin des Oliviers, ***le Christ
mort entre deux anges ; à la galerie Cor-
rer, **le Christ mort entre trois anges , dont
l'un baise son pied. ^^
( Venise : à Sta-Maria-Mater-Domini ***Martyrc
de Ste Christine; à SS.-Giovanni-e-Paolo, S.
François et deux saints évoques. — Dresde :
Sainte famille avec deux évêques.
Venise » à l'Académie , * Miracle de la croix au
pont S.-Leone; à la galerie Correr, ** Marie
allaitant l'enfant Jésus pendant que deux an-
ges la couronnent.
Venise : à S.-Pietro-di-Murano , *M adonne
entre Jérémie et S. Jérôme ; à S.-Francesco-
delle- Vigne, Cène; à la galerie Correr, *Madonne
couronnée par les anges , ^Crucifixion , ^Dé-
position de croix, **Saintc famille avec plu-
sieurs saintes assises en cercle.
Venise , à S.-Francesco-delle-Vigne, Jésus sau-
veur; à S.-Martino, *Cene; à Sta-Maria-de'-
Frari , **Marie étendant son manteau sur ses
fidèles ; à S.-Sylvestro, ***S. Thomas de Can-
torbéry entre S. Jean-Baptiste et S. François ;
à la galerie Correr , *Madonne avec le doge et
la dogaresse à ses pieds ; à Burano, S. Marc
entre quatre saints ; au palais Manfrini, Adora-
tion des mages. — Milan, à la Brera, *Madonno
entre S. François et S. Jérôme.
/Venise : à S.-Francesco-delle-Vigne, ***Ânnon-
i dation ; à la Madonna-dei-Miracoli , le plafond
PiermariaPENHACCHi, V fk cinquante compartimens , ** Saints, patriar-
t. en 1520. j ches, etc.; à Murano, le plafond, *Incorona-
I zione , au milieu, avec patriarches et prophe-
V tes à l'entour.
Î Venise, à l'Académie, ** Notre Seigneur donnant
à choisir à Ste Catherine de Sienne entre la
couronne de reine et la couronne d'épines.
(Venise, à l'Académie, ** Descente de croix avec
la Madeleine, S. Benoit et Ste Scholastique.
j Venise, à l'Académie, **le Christ parmi les doc-
[ teurs.
Girolamo
Santa-Croce ,
t. en 1520-1549.
Francesco Bissolo,
t. en 1520.
Ilocco Marconi;,
t. en 1505.
Giovanni d'UoiNE ,
1494-1561.
153 —
NOMS DES PEINTRES.
Sebastiano
?lorigorio d'Udine,
t. en 1533.
jiorgio Barbarelli, dit
IL GIORGIONE,
1477-1511.
VZIANO VECELL1,
1477-1576.
Boiiifazio Bembo ,
t. en 1461.
Paris BORDONE,
1500-1570.
Giovanni-Antonio
PORDENONE,
1484-1540.
INDICATION DES OUVRAGES.
Venise, à l'Académie, SS. François, Antoine et
Jean évang.
Dresde, à la galerie, ^Rencontre de Jacob et de
Rachel. — Munich , à la galerie Beauharnais ,
Adoration des bergers.
Venise, à S.-Marie-de'-Frati, la Famille Pesaro
présentée à la sainte Vierge après la bataille de
Lépante; à la galerie Manfrioi, ^Déposition de
croix.— Padoue, à la Scuolo-del-Santo, *Fret»
ques de l'histoire de S. Antoine. — Rome, à la
galerie Fesch, **les Quatre docteurs de l'É-
glise d'Occident. — Dresde, **le Christ dit délia
Moneta.
Venise : à l'Académie, *le Festin du riche Epu-
ion, Ht adonne avec Ste Anne, etc.; àSS.-Gio-
vanni-e-PaoIo , plusieurs * saints. —Dresde , à
la galerie, Invention de Moïse.
Trévise, à la cathédrale, S. Laurent , Stè Ca-
therine, etc. — Venise, à l'Académie, *le Pêcheur
apportant au doge Vanneau de S. Marc. —Mi-
lan, à Ste-Marie, près S.-Celse, S.Jérôme rece-
vant son chapeau des mains du Christ.
*
Venise, à l'Académie , 5, Laurent Giustiniani
et autres saints.
VIII. SUCCURSALES DE L'ÉCOLE VÉNITIENNE.
1° Vérone.
Viltore Pisanello,
t. en 1450.
Stefano da Zevio,
t. en 1400.
Dominico Morone,
1430-1500.
Fraucesco-Girolamo
MON9IGNORI ,
1455-1519.
I Vérone , à S.-Fermo-Maggiore, * Annonciation.
\ — Pérouse, à S.-Francesco , ^Histoire de
( S. Bernardin.
) Vérone, à S.-Fermo-Maggiore, Têtes de jpro-
\ phètes autour de la chaire.
Vérone, àS.-Bernardino, Crucifixion.
Vérone : à S.-Bernardino s *Madonnc; à S.-
Fermo-Maggiore, *Madonne avec S. Christo-
phe, etc.) à S.-Nazaro-e-Celso , Madonne avec
SS. Sébastien et Biaise. — Milan, à la Brera,
\ SS. Bernardin et Louis.
— 154 —
NOMS DES PEINTRES.
Nicolb Giolfino,
vers 1490.
Libérale ,
1431-1536.
Girolamo dei Libri,
1472-1555.
Giovanni Carotto,
1470-1536.
Paolo Catazzola ,
mort à 31 ans.
INDICATION DES OUVRAGES.
i Vérone : à S.-Bernardino , Histoire de la Pas-
1 sion ; à Sta-Anastasia, Descente du Saint~Es-
\ prit-, àSta-Maria-iu-Organo, fresques.
( Vérone, à Sta-Anastasia, Déposition de croix ,
{ * Assomption.
Vérone : à Sta-Anaslasià , **Madonne entre
deux saints avec le donateur; à S.-Giorgio,
***Madonne entre S. Laurent Giustiniani et
S. Zenon, avec le Père éternel et trois angest
chef-d'œuvre de cette école.
Vérone : à S.-Bernardino, *S. Barthèlemi,
*S. François, les Adieux de Jésus et de Ma-
rie; à Sta-Anastasia, *S. Martin; à S.-Giorgio,
*Ste Ursule et ses compagnes; à S.-Fermo-
Maggiore , **Madonne avec Ste Anne.
(Vérone, à S. -Bernardin, **Madonne avec SS.
{ François, [Ste Elisabeth et les autres saintt
' franciscains ; Histoire de la Passion en partie.
2» Brescia.
Vincenso Foppa,
t. en 1455, m. en 1492
2 > Bergame, a la galerie Carrara, * Crucifixion.
Hieronimo Rumani,
XVe siècle.
Alessandro Buonvicini ,
dettO IL MORETTO,
1514-1547.
Girolamo Satoldo,
vers 1540.
/Padoue, à S.- Justine, dans la vieille église laté-
< raie, *Madonne avec Ste Justine, Ste Scholas-
\ tiqué et deux saints évêques.
i Brescia, au Duomo, la Pâque, le Sacrifice d'A-
braham. — Milan, à la Brera, plusieurs * saints.
—Vérone, à S.-Giorgio, Ste Cécile avec d'autres
vierges.— Paris, au Louvre, Quatre saints fran-
ciscains.
3° Bergame.
Giovanni Cariano, f Bergame, à la galerie Carrara, Madonne avec
1500-1519. ( plusieurs saints.
A ( Bergame, à la cathédrale , *S. Benoit et deux
# ïï* V™\"0o autres saints; h S.-André, Descente de croix y
t. en 1500, m. en 15-». ( à g#.AttgUBtiD> Ste Vrsuh avec ses compagnes ;
NOMS DES PEINTRES.
155 —
INDICATION DES OUVRAGES.
Suite d'Andréa
Previtali.
Gavio.
Antonio Boselli,
1309-1536.
PALM A Vecchio,
1508-1556.
Francesco Morone ,
1474-1529.
Lorenzo Lotto ,
t. en 1554.
Enea Saimeggia,
mort 1626.
à S.-Alessandro-della-Croce , Crucifixion ; à
S.-Spirito, S. J. -Baptiste entre quatre autres
saints. — Milan î à la Brera, Notre Seigneur et
le Saint-Esprit ; chez le duc Melzi , **Sainte
famille.
Resté fidèle à l'ancienne école vénitienne.
Paris, au Louvre, Quatre saintes.
'Bergame, à la galerie Carrara, Madonne et qua-
tre saints.— Florence, aux Uffizi, *Portrait d'un
astronome. — Dresde , Sainte famille avec Ste
Catherine ; les trois arts.— Venise, dans beau-
coup d'églises , tableaux en général médiocres.
—Munich, à la galerie Beauharnais, Ste famille
avec Ste Barbe et Ste Catherine.
! Bergame : à la galerie Carrara, *Madonne avec
S. François ; à S.-Alessandro-della-Croce, In-
coronazione. — Florence , à la tribune , ^Por-
trait prétendu de S. Ignace de Loyola.
'Bergame : à S.-Bartolommeo , *Madonnè et
plusieurs saints ; à la galerie Carrara, Mariage
de Ste Catherine. — A Alzano , près Brescia ,
*Madonne et plusieurs saints. —Brescia, chez
le comte To si, Adoration des bergers.— Venise :
à Sta-Maria-del-Carmine, S. Nicolas et autres
saints; à S.-Giovanni-e-Paolo, S. Antonin;
dans d'autres églises , beaucoup de tableaux.
— Munich, à la galerie royale, Mariage de Ste
\ Catherine.
i Bergame, à Sta-Grata, ** Madonne avec Ste
Grate, Ste Scholastique, Ste Catherine.
IX. ÉCOLE LOMBARDE.
Bramantino
«TAgostino,
t. en 1450.
Leonardo da Vinci,
1452-1519.
j Milan : à la Brera, fresques ; chez le duc Melzi,
I Madonne.
Milan, à la Madonne-delle-Grazie, ***la Cène,
presque effacée,— Florence, à la Tribune, ***la
Fille d'Hérodiade (attribuée aussi à Luini).
— raris, au Louvre **la Vierge aux rochers.—
— 156 —
NOMS DES PEINTRES.
Suite
de Leonardo da Vinci.
2lmbnrigk»
Ira Jtoeaw ,
ou U flar jgagnane,
1475-1522.
INDICATION DES OUVRAGES.
Vaprio, entre Milan et |Bergame , **Madonne
colossale à fresque. — On a conservé fort peu
d'œuvres authentiques de Leonardo, et il est
difficile de les distinguer de celles de Luini.
rMilan : à Sta-Maria, près S.-Celse, *Nativitê;
à S.-Eustorgio, **Madonne entre SS. Jacques
et Henri ; à S.-Ambrogio , ** Notre Seigneur
disputant avec les docteurs , **Notre Seigneur
entre deux Anges ; à S.-Simpliciano, Incoro-
nazione ; à la Brera, ***Marie couronnée par
son Fils pendant que Dieu le Père les embrasa
tous deux au milieu de la cour du Paradis. ;
chez le duc Melzi, ** Présentation , *S. Roch
et S. Sébastien. — A la Chartreuse de Pavie ,
***fresques nombreuses et admirables , surtout
le Couronnement de Marie et la Famille Vis-
conti aux pieds deJMarie , dans les deux tran-
septs.
UkrirarMito ffumi,
vivait encore en 1530.
Bernardino Zenalb
da Treviglio ,
m. en 1526.
Giovanni Antonio
Bbltbafio ,
1467-1516.
Milan : à Sta-Maria-della-Passione, *Pietà; à
S.-Maurizio, **Scènes de la Passion; dan»
d'autres églises, nombreuses et belles fresques;
à la Brera , ***Sle Catherine ensbvelib
par les anges , ** Histoire de S. Joachim et
Ste Anne, **S. Joseph choisi pour époux de
Marie, ***Vision de S. Joseph sur l'innocence
de Marie , plusieurs **Madonnes ; à la galerie
Melzi , *** Madonne entre S. Martin et S.
Etienne et plusieurs autres, Voyage en Egypte*
—A Chiaravalle, fcrès Milan , ***Madonne.— A
la Chartreuse de Pavie, **Madonne et Jésut
cueillant une fleur. — Saronno, ***fresques du
chœur de l'église, sublimes.— Como, à la cathé-
drale, ***Madonne avec SS. Jérôme, Abbon-
dio, etc.— Lugano, au couvent des Franciscains,
**Cène, ** Crucifixion, **Madonne, etc.
Milan, à la Brera, * Madonne entre les quatre
docteurs.
Jmî
Milan, à la Brera, Ecee Homo.
— 157 —
NOMS DES PEINTRES.
Marco d'OcGiONE,
1520.
Bartolommeo
MOINTAGNA ,
t. en 1507.
Andréa Sabino,
vers 1530.
laudenzio FERRARI,
1484-1550.
îoccaccio Bocc accini j
daCREMONA, '
élève du Pérugin, /
1460-1518. '
CesaredaSESTO, '
m. en 1524.
INDICATION DES OUVRAGES.
Milan, à Sla-Eufemia, **Madonne avec Ste Eti-
phémie et autres. On attribue à ce peintre la
délicieuse Madonna del Lago, doot il existe
une gravure par Longhi, sans qu'on sache où
l est l'original.
{Pavie, à la Chartreuse, **Madonne et saints
avec trois anges musiciens.
Î Munich, à la galerie Beauharnais, Sainte Vierge
sur les genoux de Ste Anne.
\ Milan, à la Brera, ^Martyre de Ste Catherine.
Crémone : admirables fresques de la cathédrale;
> à S.-Vincent, *Madonne.
Milan, chez le duc Melzi, **SS. Roch, Sébastien,
* Jean-Baptiste, etc. — Munich, chez le duc de
1 Leuchtenberg, Sainte Famille.
Andréa SOL ARI ,
j Pavie, à la Chartreuse, **les Apôtres au torn-
) beau de Marie. — Paris , au Louvre , Madonne
t. en 15^0. ^ allaitant Venfant Jésus, la Fille d'Bérodiade.
X. ÉCOLES DIVERSES.
( Nous indiquons s'OUS celte catégorie le petit nombre de peintres du moyen
je qui n'ont pu se ran çer sous une des écoles précédentes, ainsi que ceux des
ècles postérieurs qui ont échappé au goût païen et classique dans quelques unes
a leurs œuvres. )
ÎGêiies j à Sta-Maria-di-Castello, ^Annonciation
av ec plusieurs saints, *Mariage des deux Stes
Catherine avec Notre Seigneur,
Antonio Sol a Rio , ou l Naplos, aux Studii, plusieurs M adonnes et saints;
ï Zingaro, de Naples, { deux .Bénédictins, *Vie de S. Benoît et de S.
1382-1455. ( Placide.
Bernard ino Campi,
da Creinona,
1522-1590.
Pavie, à 1% Chartreuse, * Assomption,
158 —
NOMS DES PEINTRES.
Lodovico Cardi
da GiGOLl
1559-1613.
Giovan - Batista S alti
da Sassoferrato ,
1605-1685.
Carlo Dolci
1616-168.
Guido Reni,
1575-1642.
Francesco Barberi ,
detto il Guercino,
1590-1666.
INDICATION DES OUVRAGES.
De l'école florentine, se met à part de ses con-
temporains par la piété avec laquelle il repré-
\ sente S. François.
rSe distingue par le clmrme avec lequel il a tou-
jours peint la Madonne. — • Ses chefs-d'œuvre
sont : à Florence, aux Uffizi, une *Madonne veil-
lant sur le sommeil de Jésus. •— Rome , à Ste-
Sabine , ***la Madonne entre S. Dominique
et Ste Catherine de Sienne, à qui l'enfant
Jésus met la couronne d'épines ; et à la galerie
Borghèse, ***Jes Trois âges,
ÎA souvent réussi à trouver l'expression chré-
tienne, surtout dans sa M adeleinç et sa Ste Lu-
cie, à Florence.
{Quelques unes de ses madonues ont de la pu-
reté et de la profondeur, surtout, à Bologne ,
celle dite la Madonne délia pietà.
Ce peintre , quoique très pieux , a rarement pu
rendre le sentiment chrétien dans ses tableaui
de sainteté; toutefois il a de temps à autre
réussi dans ses figures de saints et de moines ,
comme on peut s'en convaincre à la Pinacothè-
que de Bologne et au Louvre.
RNous croyons devoir ajouter que , sauf pour l'école de Ferrare et une
douzaine de tableaux des autres écoles , les notes qui précèdent sont ex-
clusivement le résultat de nos propres observations.
DE L'ÉTAT ACTUEL
DE
L'ART RELIGIEUX EN FRANCE',
1837.
« L'étude des monumens religieux a ranimé parmi nous
le sentiment et le goût de l'art chrétien. Ce sentiment a
bientôt tourné au profit du Christianisme lui-même. En ap-
prenant à comprendre, à admirer nos églises, on est devenu
presque juste , presque affectueux pour la foi qui les a éle-
vées. C'est là un retour un peu futile vers la religion , re-
tour sincère cependant , et qu'il ne faut pas dédaigner. L'art
rend ainsi aujourd'hui à la religion quelque chose de ce qu'il
1 Cet essai sert d'introduction à la collection des Monument de
l'Histoire de sainte Elisabeth, publiée par M. A. Boblet.
— 1G0 —
en a reçu jadis '. » Ainsi parlait , il y a peu de temps, dans
une occasion solennelle, un homme dont la patrie s'honore,
bien que malheureusement la religion ne puisse le compter
parmi ses fidèles. Ces paroles expriment avec noblesse une
vérité généralement mais vaguement sentie. Plus que per-
sonne leur auteur a contribué à ramener en France le senti-
ment de l'art religieux , d'abord par le nouveau jour qu'il a
jeté sur l'histoire des temps où cet art naquit , et ensuite par
ses généreux ejforts , pendant qu'il était au pouvoir , pour
sauver et populariser les débris de notre ancienne gloire
artistique. Un immense changement s'est opéré dans les es-
prits depuis le temps où nous nous sentions excités à élever
une voix humble , inconnue et presque solitaire , contre les
Vandales de diverses espèces qui dévastaient les monumens
de notre foi et de notre histoire 2. En peu d'années tout a
changé de face. La révolution de juillet, en portant le der-
nier coup à Y ancien régime dans le présent et dans l'avenir,
a donné un nouvel élan à l'étude et à l'appréciation de l'an*
cienne France dans le passé , non pas dans le passé bâtard
et inconséquent des derniers siècles , mais le passé de cette
grande époque où le Christianisme régnait sur l'âme et le
corps de l'humanité. Le nouveau gouvernement s'est rangé
franchement du côté du petit nombre d'hommes qui , in-
spirés par les éloquentes invectives de M. Victor Hugo , es-
sayaient de lutter contre le torrent des dévastations. Usant
avec une salutaire énergie de leur puissance , M. Guizot et
ses successeurs à l'intérieur et à l'instruction publique , ont
étendu les bras immenses et inévitables de la centralisation
pour arrêter le marteau municipal et la brosse fabricienne ,
en même temps qu'ils ont créé ou encouragé de vastes et im-
' Discours de M. Guizot à la Société des Antiquaires de Normandie,
eu août 1837.
• Du vandalisme en France. (Voyez plus haut.)
— 161 —
portantes publications , destinées à tirer de la poussière et à
révéler au pays les antiques trésors de son art national. No-
ble et bienfaisant exemple qu'il appartenait au pouvoir an-
térieur de donner , et qu'il faudra bien , Dieu merci , suivre
a l'avenir. D'un autre côté , une étude de plus en plus appro-
fondie de l'étranger a produit rapidement des résultats tout-
à-fait inattendus. En voyant de plus près les mœurs et la
science de l'Allemagne et de l'Angleterre , on s'est aperçu
du profond respect, de la tendre sollicitude que ces grandes
nations professent pour les monumens de leur passé ; la pen-
sée s'est naturellement reportée sur la patrie , et on a re-
connu , avec surprise et admiration , que la France renfer-
mait encore dans ses villes de province des cathédrales plus
belles , malgré le triste dénuement des unes et le fard ridi-
cule des autres , que les plus célèbres cathédrales de l'An-
gleterre. On a trouvé dans la poudre de ses bibliothèques
des poèmes plus originaux, plus inspirés que les épopées les
plus populaires de l'Allemagne. On a vu encore les manus-
crits de ces poèmes souvent ornés de miniatures plus fines ,
plus gracieuses que les plus vantées du Vatican. On est ar-
rivé ainsi à comprendre et à découvrir que , même en
France, il avait existé un autre art, une autre beauté que
la beauté matérialiste et l'art païen du siècle de Louis XIV
et de l'empire. Cette découverte renfermait implicitement
celle de Y art religieux. Nous nhésitons pas à employer ce
mot de découverte , parce qu'une réhabilitation aussi com-
plète, aussi fondamentale que celle qui est exigée pour l'art
religieux vaut bien l'invention la plus difficile. Malheureu-
sement cette découverte n'a guère été faite que par des gens
de lettres ou des voyageurs. La faire passer dans la vie pra-
tique , la faire reconnaître par les artistes ou ceux qui aspi-
rent à le devenir , la faire comprendre par ceux qui comman-
dent ou qui jugent les œuvres dites d'art religieux , c'est là
le difficile j mais c'est aussi là l'essentiel ; car , à l'heure qu'il
11
— 162 —
est, il n'y a pas d'art religieux en France, et ce qui en
porte le nom n'en est qu'une parodie dérisoire et sacrilège.
Ce n'est pas assurément que la matière de l'art religieux
manque aujourd'hui en France plus qu'en aucun autre pays
ou à aucune autre époque. Il y a une religion en France qui
compte encore des millions de fidèles ; or , toute religion
qui n'est pas née à l'état de secte, comme le protestantisme,
a toujours donné la vie à un art qui pût lui servir d'organe,
parler son langage à l'imagination et au cœur de ses enfans,
traduire ses dogmes en images vénérées et chéries , enfin pa-
rer ses rites et ses cérémonies d'un attrait mystérieux et po-
pulaire. Ce que la religion des Hindous , des Égyptiens , des
Grecs , des Mexicains a fait , la religion catholique l'a fait
aussi , mais avec une splendeur et une puissance à nulle au-
tre égale. Notre patrie est couverte des produits de l'art
catholique , qui ont survécu à trois siècles de profanations ,
d'ignorance et de ravages. Pour un Louvre , pour un Ver-
sailles dont la France s'enorgueillit , elle a cent cinquante
cathédrales , elle a six mille églises qui remontent aux temps
où régnait le véritable art chrétien. Ces cathédrales et ces
églises , malgré leur pauvreté et leur nudité actuelle , ou
plutôt à cause de cette nudité , offrent aux peintres et aux
sculpteurs le champ le plus vaste , et presque le seul , pour
leurs travaux ; car on ne pourra pas avoir le bonheur et la
gloire de faire un musée de Versailles à chaque règne, et où
trouver aujourd'hui des particuliers qui remplacent pour l'art
les princes et les prélats d'autrefois ? Ces églises ouvrent cha-
que jour leurs portes à une foule plus ou moins nombreuse de
personnes , qui y voient avec intérêt et émotion les repré-
sentations des objets de leur culte et de leurs croyances , et
qui ne demanderaient pas mieux que de s'y intéresser avec
ardeur et enthousiasme, si Ton prenait la peine de donner à
ces représentations une valeur réelle et de la leur expliquer.
Ce n'est donc pas , nous le répétons, la matière qui manque
— 1C3 ~
en France à l'art religieux ; ce qui lui manque , c'est le bon
sens , c'est la science , c'est la foi , c'est la pudeur chez la
plupart de ceux qui en sont les prétendus ouvriers. Ce qui
importe , c'est de dénoncer aux hommes sincères et consé-
quens l'étrange abus qu'on fait des mots et des choses, dans
un ordre d'idées et de faits qui exige plus de conscience et
plus de scrupule qu'aucun autre. Ce qui importe encore ,
c'est de mettre à nu les plaies qui gangrènent l'application
religieuse de l'art, afin que la partie saine de la jeune géné-
ration d'artistes qui s'élève puisse en éviter le contact et la
honteuse contagion.
Mais , avant d'aller plus loin , répondons d'avance , en
deux mots , à une multitude d'objections et de reproches qui
pourraient nous être adressés. Qu'on le sache bien , nous
n'entendons nullement parler de l'art en général , mais uni-
quement de l'art consacré à reproduire certaines idées et
certains faits enseignés par la religion : tout le reste est com-
plètement étranger à nos plaintes et à nos invectives. Nous
n'empiéterons pas sur cette vaste extension d'idées qui com-
prend aujourd'hui , sous le nom d'artistes, jusqu'aux coif-
feurs et aux cuisiniers. Nous ne prétendons en rien interve-
nir dans les grandes transformations , dans le rôle humani-
taire que divers critiques et philosophes assignent à l'art ,
d'abord parce que nous n'y croyons pas , ensuite parce que
nous n'y comprenons rien , enfin et surtout , parce qu'il n'y
a rien de commun entre tout cela et le Catholicisme. En ef-
fet le Catholicisme n'a rien & humanitaire, il n'est que di-
vin, à ce que nous croyons ; du moins il n'est nullement
progressif, il est encroûté (pour me servir d'un terme fa-
milier et emprunté à l'art) ; d'où il suit que les œuvres d'art
qu'il est censé inspirer ne doivent et ne peuvent être qu'^/z
croûtées comme lui. Plein de respect pour la critique et
pour la philosophie , nous leur laissons le domaine intact et
l'usage exclusif de tous les tableaux de batailles , de toutes
— 164 —
les scènes historiques , des marines , des paysages , de la
peinture de genre dans toutes ses intéressantes branches :
nous leur laissons les masses d'infanterie et de cavalerie sa-
vamment échelonnées , les assemblées politiques et popu-
laires d'hommes en frac ; les intérieurs , les cuisines , les
plats de fruits avec des mouches qui en dégustent délicate-
ment le suc j le lever et le coucher des grisettes , les pêcheurs
d'huîtres , les intérieurs de chenil , les belles dames en robe
de satin, et les notabilités municipales en habit de garde na-
tional , en un mot , tous les sujets qui , depuis la renais-
sance , inspirent la peinture moderne et réjouissent le publie
civilisé ; nous ne nous réservons absolument que le droit de
parler sur le tout petit coin qui est laissé à l'art religieux ;
ou, pour parler plus justement, à l'art catholique ; ou en-
core, pour être intelligible aux hommes les plus éclairés, à
l'art concentré dans le domaine du fanatisme et de la su-
perstition.
Qu'on se rassure donc , il ne s'agit nullement pour nous
de savoir si Fart en général sera catholique ou non. C'est là
tout bonnement la question de la destinée du monde. Il est
certain que si la société tout entière redevenait catholique ,
l'art le serait aussi , bon gré mal gré ; mais il est également
certain que , si cela arrive jamais , ce ne sera pas de nos
jours, et que tout le monde aura le temps d'y penser. Quant
à nous , nous ne nous occupons que du présent , et voici ce
que nous en disons : il est de fait qu'actuellement en France
il y a beaucoup d'hommes fanatiques et superstitieux , dits
Catholiques , et que ces Catholiques ont des églises vastes
et nombreuses, publient des livres de piété illustrés, ornent
des chapelles et des oratoires, pour lesquelles églises , ora-
toires , chapelles , livres illustrés et autres , les artistes de
nos jours , grands et petits , font tous les ans une foule de
tableaux , estampes , lithographies , statues , bas-reliefs en
carton-pierre et en marbre. Il semblerait, au premier abord,
— 165 —
que tous ces divers objets d'art étant à l'usage exclusif des
gens religieux , dussent porter quelques traces de l'esprit de
leur religion même. Eh bien ! il n'en est rien. Au milieu du
fractionnement général de la société, fractionnement que
Fart a suivi de manière à administrer à chacun selon ses
besoins et ses idées , la fraction des hommes qui usent du
culte, comme dit M. Audry de Puyraveau , soit en théorie ,
soit en pratique, cette fraction est comme la tribu de Lévi ; elle
n'a rien, ou plutôt moins que rien, pire que rien ; car elle est
inondée de produits divers qui lui sont inintelligibles et inu-
tiles , ou bien antipathiques et injurieux. Avez-vous les goûts
militaires ? MM. Horace Vernet , Bellangé , Eugène Lamy ,
et mille autres , sont là pour vous pourvoir abondamment
de toutes les batailles que vous pouvez désirer. Aimez-vous,
au contraire, la vie sédentaire, les jouissances domestiques,
ce qu'on appelle les études de mœurs ? Alors MM. Court ,
Franquelin , Roqueplan , etc. , se chargent de récréer vos
yeux par une foule de représentations empruntées à cet or-
dre d'idées et d'habitudes , et souvent pleines de talent et
d'esprit. Fatigué de la monotonie de la vie française , aspi-
rez-vous après l'éclatant soleil et les pittoresques mœurs de
l'Italie? MM. Schnetz , Edouard Bertin, Winterhalter, vous
transporteront au sein de cette patrie de la beauté par la
chaleur et la fidélité de leurs pinceaux. Avez-vous , par ha-
sard , juré une fidélité désespérée à la mythologie antique ?
Il y a toujours à chaque salon , surtout parmi les sculpteurs,
plusieurs traînards du paganisme ; et d'ailleurs vinssent-ils
à manquer , il vous resterait toujours les doctrines de l'Aca-
démie des Beaux-Arts , les concours pour les prix de Rome
et les regrets de certains feuilletonnistes. Préférez-vous sa-
gement les gloires et les souvenirs de notre Europe mo-
derne ? Vous avez MM. Scheffer, Delaroche, Hesse et d'au-
tres qu'on pourrait nommer à côté d'eux , qui ont conquis
une place honorable dans l'histoire de l'art pour l'école fran-
— 166 —
çaise de nos jours. En un mot , tout le monde en a pour son
goût : et si la caricature réclame par le fait une place dans
chacun de ces divers genres , elle peut le faire avec bon
droit , parce qu'elle n'en envahit aucun , et que sa modestie
ajoute à sa vérité. Il n'y a que dans le cas où vous seriez
catholique , que toute satisfaction vous est refusée ; il ne
vous reste d'autre ressource que de voir la religion , la seule
chose au monde qui n'admette pas un côté comique , envahie
par la caricature ; et c'est encore le nom le plus doux qu'on
puisse donner , sauf un très petit nombre d'exceptions , aux
parodies , tantôt horribles , tantôt ridicules , qui couvrent
chaque année les murs du Louvre , et s'en vont de là souil-
ler nos églises sous le titre mensonger de tableaux reli-
gieux i .
Mais je vous demande trop , lecteur , en supposant que
vous soyez catholique ; je veux seulement que vous ayez
quelques notions de la religion , que vous l'ayez tant soit peu
étudiée dans ses dogmes d'abord , puis dans son influence
sur la société à une époque où elle était souveraine : je ne
vous demande pas des convictions , je ne vous suppose que
quelques idées et quelques souvenirs , puisés par vous-même
à l'abri de la routine des écoles classiques. Voilà tout ce
que j'exige , et cela étant , je vous prends par la main , et je
vous conduis à la première église venue. Que ce soit une ca-
thédrale ou une paroisse de village , peu importe. Passons
même devant la cathédrale , si c'est une cathédrale des an-
ciens jours , sans nous y arrêter : nous perdrions de vue le
but immédiat de notre visite , tristement confondus que
1 Pour ne citer qu'un exemple entre dii raille, nous venons de voir,
dans la magnifique cathédrale de Troyes, une Transfiguration ré-
cemment donnée par le gouvernement , et que nous recommandons
aux voyageurs comme le type du grotesque horrible. Il nous semble
difficile de pousser plus loin la profanation , en ce qui touche la re-
présentation de notre divin Rédempteur.
— 167 —
nous serions à la vue de ces glorieuses façades mutilées de
mille façons par la haine et l'ignorance , quelquefois rem-
placées , comme à la sublime basilique de Metz , par un hor-
rible portail de théâtre , en l'honneur de Louis XV ; à la vue
de ces vitraux défoncés et suppléés par des verres blancs ou
des flaques de bleu et de rouge ; à la vue d'un badigeon
beurre frais , comme à Chartres , ou au Mans , ou partout,
sous lequel disparaissent à la fois les merveilles de la sculp-
ture et le prestige de l'antiquité ; à la vue d'un soi-disant
jubé qui, comme à Rouen, élève sa masse lourde, opaque et
grossière , à la place même qu'occupait jadis le voile du
sanctuaire brodé et découpé à jour en pierre ; à la vue enfin
d'un chœur brutalement déshonoré , comme à Strasbourg et
à Notre-Dame de Paris , par un revêtement en marbre de
couleur ou par une boiserie d'antichambre. Laissons donc
là la cathédrale qui réclame une bien autre indignation. Bor-
nons-nous à la simple paroisse moderne et décorée dans le
dernier goût , et voyons quelles sont les traces d'art chrétien
que nous y trouverons. Arrêtons-nous un instant devant la
façade : vous y verrez quelques colonnes serrées les unes
contre les autres , comme à Notre-Dame-de-Lorette , ou
bien une série de frontons superposés et flanqués de deux
excroissances alongées en pierre, qui ont la forme d'un radis
ou d'un sorbet dans son verre , comme à Saint-Thomas-d'A-
quin ; vous saurez que ce sont des trépieds où est censée
brûler la flamme de l'encens. Quelquefois une tour s'élève
au dessus de cette monstruosité j tour dépourvue à la fois
de grâce , de majesté et de sens , terminée par une terrasse
plate , ou par un toit de serre chaude , ou , comme en Fran-
che-Comté , par un capuchon en forme de verre à patte ren-
versé. Vous vous demandez ce que peut être un édifice qui
s'annonce ainsi , si c'est un théâtre , ou un observatoire , ou
une halle, ou un bureau d'octroi. On vous explique que c'est
un temple. A coup sûr , pensez-vous , c'est le temple de
— 168 —
quelque culte qui a remplacé le Christianisme. On vous
nomme un saint dont le nom figure dans le calendrier chré-
tien ; et vous finissez par découvrir une croix plantée quel-
que part avec autant de bonne grâce que le drapeau trico-
lore sur les tours de Notre-Dame. C'est donc vraiment une
église ! Vous entrez. Est-ce bien vrai ? Oui , il faut le croire ,
car voilà un autel , des confessionnaux , une chaire , des
crucifix. Mais est-ce bien une église catholique , une église
où Ton prêche les mêmes dogmes , où l'on célèbre le même
culte que celui qui a régné dans les églises d'il y a trois cents
ans ? Ces dogmes n'ont-ils pas été profondément altérés , ce
culte n'a-t-il pas subi quelque révolution violente ? Où est
donc cette forme consacrée de la croix , si naturellement in-
diquée et si universellement adoptée pour le plan de toutes
les anciennes églises ? Où a-t-on copié ces fenêtres carrées ,
rondes , en parallélogramme , en segment de cercle , quel-
quefois en poire garnie de feuillage , en un mot de toutes les
formes possibles , pourvu qu'elles ne tiennent ni du cintre ,
ni de l'ogive chrétienne? Est-ce de cette cage suspendue en-
tre deux piliers , ou de ce tonneau à demi creusé dans le
mur, que l'on prêche la parole du Dieu vivant dans la même
langue que saint Bernard et Bossuet ? Qu'est-ce que cette
montagne de rocaille qui grimpe à l'extrémité , qui cache le
chœur , s'il y en a un , qui élève , sur des colonnes cannelées,
un fronton garni de je ne sais combien de gros enfans tout
nus dans les postures les plus ridicules , et qui se répète en
petit tout le long des bas-côtés ? serait-ce par hasard l'autel
où se célèbrent les plus augustes mystères?
Mais approchons : examinons ces sculptures , ces tableaux
surtout, que l'on y expose à la vénération des fidèles. Quoi !
c'est le Fils de Dieu mourant sur la croix que cette étude
d'anatomie où vous pouvez compter tous les muscles , toutes
les côtes, mais où vous ne trouverez pas la trace la plus lé-
gère d'une souffrance divine, et dont les bras tendus et dres-
Paris. A. Boblet. 1839
LA SAINTE VIERGE
félon l'art régénère' -an .llh>ma<jne , auXKe Siècle
Pans,A.Bo"blet,18;
LA SAINTE VIERGE
J'clon l'art prétendu /W/t/ùv&r en France', depuis Louis XIV
— 160 —
ses verticalement au dessus de la tête semblent , conformé-
ment au symbole janséniste, s'ouvrir à peine afin d'embrasser
dans le sacrifice expiatoire le moins d'âmes possible1. Quoi !
cet être tout matériel, tout humain, tout courbé sous le
poids des basses conceptions du peintre , et entouré de figu-
res aussi ignobles que la sienne , ce serait là le Fils de Dieu
avec les douze pêcheurs qui lui ont conquis le monde? Quoi !
ce médecin juif qui semble demander le salaire de ses visi-
tes, c'est Jésus ressuscitant la jeune fille de Jaïre2? Cet
homme nu qui prêche d'un air goguenard à un auditoire de
gamins de Paris , c'est le précurseur martyr annonçant la
venue du Sauveur 5 ? Ces demoiselles prétentieuses , ces pe-
tites maîtresses affectées , dont le front n'a jamais réfléchi
que des vanités frivoles ou des passions impures , ce sont là
nos vierges martyres, nos Catherine, nos Cécile, nos Agnès,
nos Philomène? Cette femme échevelée, effrontée, à l'œil
ardent , au vêtement impudique , c'est la première des sain-
tes , l'amie du Christ , Madeleine ? Ces autres femmes aux
formes grossièrement matérielles , à la robe transparente ,
ce sont là les symboles de la religion et de la foi4? Cette sé-
rie de scènes fantasmagoriques , où je reconnais sous des ha-
1 On sait que l'on suivait l'usage contraire dans toutes les cruci-
fixions peintes ou sculptées dans les âges chrétiens. Un exemple frap-
pant se voit dans le magnifique bas-relief de la chaire du baptistère
de Pise, où Nicolas de Pise , père de la sculpture chrétienne , a re-
présenté N.-S. les bras étendus horizontalement, comme pour em-
brasser l'humanité tout entière dans sa rédemption.
2 Voyez un tableau peint par M. Delorme derrière le maître -autel
de Saint-Roch, à droite.
3 Voyez un autre tableau qui représente la prédication de saint
Jean-Baptiste, peint par M. E. Champmartin , et placé nouvellement
dans la même église. M. l'abbé Beuzelin, curé de la Madeleine, avait
eu le bon esprit d'expulser de son église cette caricature déplorable.
4 Voyez les deux figures destinées au bénitier de la Madeleine, de
M. Anlonin Moine, exposées au salon de 1836.
— 170 —
bits d'emprunt et dans des attitudes de théâtre , les figures
que je rencontre chaque jour dans les rues, c'est là l'histoire
de notre religion ' ? Ces Romains en toge , ces gladiateurs
nus, ces modèles complaisans de raccourci, ces déclamateurs
barbus , tous taillés sur le même patron , et dont je ne puis
deviner les noms qu'avec l'aide du suisse ou du bedeau , ce
sont là les saints dont autrefois des attributs distincts et tous
empreints d'une poésie sublime rendaient les noms chers et
familiers, même aux moindres enfans?
Quoi! enfin, cette matrone païenne, cette Junon ressus-
citée , cette Vénus habillée , cette image trop fidèle d'un
impur modèle , ce serait là , pour comble de profanation , la
très sainte Vierge, la mère du divin amour et de la céleste
pureté , l'emblème adorable qui suffit à lui seul pour creuser
un abîme infranchissable entre le Christianisme et toutes les
religions du monde , l'idéal qui évoque sans cesse l'artiste
vraiment chrétien à une hauteur où nul autre ne saurait le
suivre ? Quoi , vraiment , c'est là Marie ! Mais , dites-moi , je
vous en supplie , quels sont donc les profanes qui ont envahi
tous nos sanctuaires , et qui consommant le sacrilège sous
la forme de la dérision et du ridicule , pour mieux flétrir la
vieille religion de la France , ont intronisé le matériel , le
grotesque et l'impur , sur les autels de l'Esprit-Saint , des
martyrs et de la sainte Vierge?
Et que l'on ne croie point que ces profanateurs , quels
qu'ils soient , ont borné leurs envahissemens aux églises des
grandes villes. Nous l'avons déjà dit , il n'y a point de pa-
roisse de campagne où ils n'aient pénétré , et où ils n'aient
tout souillé. Il n'est point d'église de village où , après avoir
détruit les saintes images d'autrefois , défoncé ou bouché
les vestiges de l'architecture symbolique, badigeonné le
• Voyez la plupart des fresques de Notrc-Dame-de-Lorette , de
«elles du moins qui sont découvertes eu ce moment.
— 171 —
temple tout entier, ils n'aient exposé aux regards de la foule
désorientée une masse d'images qui ne sauraient être qu'un
objet de profonde ignorance pour les simples, de mépris pour
les incrédules , de scandale pour des fidèles instruits. Trop
heureuse encore la pauvre paroisse , si, dans la ferveur d'un
zèle plus funeste mille fois que celui des iconoclastes , on n'a
pas fait disparaître la vieille madone de bois brun ou de cire,
habillée de robes empesées en mousseline rose ou blanche ,
avec une couronne de fer-blanc sur la tête, mais que le peu-
ple préfère avec raison , parce que , malgré la simplicité
grossière de l'image , il n'y a là du moins aucune insulte à
la morale ni au sentiment chrétien. On sait que dernière-
ment le curé de Notre-Dame-de-Cléry ayant voulu enlever
la madone séculaire qui se vénère à ce lieu de pèlerinage ,
pour la remplacer par quelque chose de plus frais , le peu-
ple s'est révolté contre cette exécution , et il s'en est suivi
un procès correctionnel où l'on a vu l'étrange spectacle d'une
population qualifiée $ ignorante et de fanatique , obligée
de défendre les vieux objets de son amour et de son culte
contre le goût moderne de son pasteur.
C'est que , dans ce système de profanation méthodique ,
tout se tient avec une impitoyable logique ; le laid a tout en-
vahi ; il a souillé jusqu'aux derniers recoins où pouvait en-
core se cacher le symbolisme catholique. Il règne partout en
maître , depuis les énormes croûtes qui viennent chaque an-
née, après l'exposition, déshonorer les murs de nos églises,
masquer et défigurer leurs lignes architecturales \ jusqu'aux
petites images que l'on vend aux prêtres pour en garnir leurs
1 Qu'on entre pour un instant seulement à Saint-Germain-des-Prés
ou à Saint-Etienne-du-Mont, et l'on verra quel genre de services la
peinture moderne sait rendre à l'architecture chrétienne. Et cepen-
dant on assure que le clergé de Saint-Germain-des-Prés est jaloux de
ce que son église n'est pas encore tout-à-fait aussi déguisée par cette
mascarade en peinture , que Test Saint-Etieune-du-Mont!
— 172 —
bréviaires modernisés aussi comme tout le reste ', jusqu'à
ce prétendu bonnet carré dont on les coiffe quand ils mon-
tent en chaire ou conduisent un mort à sa dernière demeure,
espèce d'éteignoir dont je ne sais quelle liberté de l'église
gallicane semble réserver le privilège exclusif au clergé
français a.
Voilà donc jusqu'où est tombé cet art divin , enfanté par
le Catholicisme et porté par lui au plus haut point de splen-
deur qu'aucun art ait jamais atteint ! cet art créé et propagé
dans le monde chrétien par tant de grands papes et de saints
évêques ; cet art dont les Agricole , les Avit, les Martin , les
Nicaise , et tant d'autres pontifes français , avaient légué à
leurs successeurs le dépôt sacré en même temps que le sou-
venir de leur sainteté et de leur noble grandeur ; cet art si
populaire , si aimé , si généreux , qui avait mis les talens les
plus purs et les plus dévoués au service de l'intelligence des
pauvres et des humbles , qui avait peuplé jusqu'aux moin-
dres villages de trésors inimitables , et porté jusqu'au fond
des déserts et des forêts inhabitables le magnifique témoi-
gnage de la fécondité et de la beauté du Catholicisme : voilà
donc ce qu'il est devenu avec la permission du clergé mo-
derne î Ces peintres vraiment chrétiens des vieilles écoles
» Nous devons faire une exception en faveur des images récemment
publiées par M. Langlois ; on pourrait y désirer quelque chose de plus
mystique, de plus intime, mais la tendance en est bonne.
a A Rome et partout ailleurs dans le monde catholique, les prêtres
ont pour coiffure un véritable bonnet carré à quatre pans , d'une
forme à la fois digne et gracieuse , absolument semblable , sauf la
couleur, à la barrette des cardinaux. Il en était de même en France
avant Louis XIV. Qu'on n'accuse pas ces observations de minuties ;
dans le symbolisme chrétien , dont le vêtement sacerdotal est une
partie si essentielle , il n'y a rien d'insignifiant. Les moindres détails
étaient liés aux œuvres les plus grandioses sous le règne de la beauté
et de la vérité , et malheureusement ils le sont encore sous le règne
du laid et du profane.
— 173 —
d'Italie et d'Allemagne , ces hommes qui puisaient toutes
leurs inspirations dans le ciel ou dans des émotions épurées
par la piété la plus sincère , ces humbles génies , dont cha-
que coup de pinceau était, on peut le dire sans crainte , un
acte de foi , d'espérance et d'amour , ces admirables auxiliai-
res de la ferveur chrétienne , ces prédicateurs puissans de
l'amour des choses d'en haut , c'est donc en vain qu'ils ont
travaillé , puisque , relégués dans les galeries des princes, où
ils sont confondus le plus souvent avec tout ce que l'art a
produit de plus impur et de plus dégradé , ils voient la place
qu'ils ambitionnaient, sur les autels où leurs frères viennent
prier , usurpée par d'effrontés parodistes , sans qu'aucune
main sacerdotale vienne jamais purifier le sanctuaire de ces
souillures. On l'a dit avec une cruelle vérité; il y a beau-
coup d'églises qui n'ont pas été atteintes par les mutilations
iconoclastes des huguenots , il y en a beaucoup qui ont
échappé à la rage des vandales de la terreur , mais il n'y en
a pas une seule en France , quelle que soit sa majesté ou sa
petitesse , pas une seule qui ait échappé aux profanations
que commettent, depuis trois siècles, des architectes et des
décorateurs soldés , encouragés , ou du moins tolérés par le
clergé. Et cependant , dans ces églises où il n'y a pas une
pierre qui ne porte l'empreinte du paganisme régénéré, pas
un ornement qui ne témoigne du triomphe de la rocaille du
-dix-huitième siècle ou du classicisme païen du dix-septième,
on entend souvent des prédicateurs vanter du haut de la chaire
les services rendus par la religion à l'art , sans s'apercevoir
même que la religion a été honteusement expulsée de l'art
jusque dans le temple où ils parlent. On voit chaque jour des
apologistes de la religion, dissertant sur le même thème, avec
l'ignorance la plus inexcusable ou la plus plaisante confusion,
oublier les noms des artistes qui ont le plus honoré la religion,
ou bien ne les citer que pour les confondre avec ceux qui ne
se sont servi des sujets religieux que pour populariser la vie-
— illx —
toire de la chair sur l'esprit. Fra Angelico avec Titien ,
Giotto avec les Carraches , Van-Eyck avec Rubens , et le pur
et pieux Raphaël du Sposalizio et de la Dispute du Saint-
Sacrement avec ce Raphaël dégénéré qui n'avait plus pour
modèle que la boulangère dont il avait fait sa maltresse.
Toutefois n'accusons pas seulement le clergé français;
ceux d'Italie et d'Espagne ont été aussi loin que lui : celui
d'Allemagne a été plus loin encore , mais il a le bon esprit
de sentir aujourd'hui son erreur, et de revenir avec empres-
sement aux types chrétiens *. N'accusons pas même le clergé
en général, si ce n'est du tort d'avoir subi trop servilement
le joug des artistes dégénérés qui ont brisé le fil de la tra-
dition chrétienne ; et pendant long-temps il n'y en a point
eu d'autres. Accusons surtout ces artistes et leurs succes-
seurs , obligés par état d'étudier les différentes phases de
l'art religieux , d'avoir volontairement répudié la beauté et
1 Pour s'en convaincre , on n'a qu'à visiter la cathédrale de Fri-
bourg en Brisgau, à deux pas du Rhin. On y verra quel goût pur et
excellent préside aux réparations et à l'entretien de cette magnifique
et si complète église. Que si, en revenant, on passe par Strasbourg, et
que l'on jette un coup d'œil sur le chœur de cette cathédrale , on
verra quel abîme sépare la France de l'Allemagne sous le rapport de
l'intelligence de l'art chrétien. Mgr. Geissel , nouvellement élevé à
Tévêché de Spire, s'est fait un nom en Allemagne par l'histoire de sa
cathédrale, et dans son mandement d'installation, il a pris pour sujet
la beauté et le sens symbolique de cette célèbre église , dont il est
aujourd'hui le premier pasteur. Le Dr Milner , vicaire apostolique en
Angleterre, et si connu par ses écrits de controverse, avait acquis une
véritable popularité scientifique par son excellente histoire de la ca-
thédrale de Winchester. 11 était beau de voir un prélat catholique
consacrer sa plume et sa science à Y illustration d'une de ces grandes
créations de l'ancienne foi , où ses prédécesseurs avaient célébré les
pompes catholiques, mais dont les portes sont fermées aux fidèles
d'aujourd'hui par l'hérésie usurpatrice. Ce sont là de nobles exem-
ples que nous ne craignons pas de proposer au clergé de France.
— 175 —
la pureté des anciens modèles, pour affubler les sujets chré-
tiens d'un vêtement emprunté tour à tour à l'anatomie sa-
vante du paganisme, ou à la coquetterie débauchée du temps
de Louis XV. Accusons les princes et les grands seigneurs
des trois derniers siècles , qui n'ont eu que trop d'encoura-
gemens pour ces sacrilèges , et trop de galeries pour y dé-
poser leurs produits. Nous n'oublierons jamais un tableau
que nous avons vu à la galerie des anciens électeurs de Bavière
à Schleissheim , près Munich , que nous citerons comme le
type de ce que nous appelons le genre profanateur; c'est
une Madeleine peinte par je ne sais plus quel peintre fran-
çais du dix-huitième siècle : cette Madeleine est nue et sans
autre parure que ses cheveux , lesquels sont poudrés. Le
guide vous dit d'un ton sentimental que l'artiste a eu sa
femme pour modèle. Aujourd'hui, on ne met plus de poudre
aux Vierges et aux Madeleines , parce que ce n'est plus la
mode ; mais on leur met des féronnières et des bandeaux ,
parce que l'on en voit aux femmes du monde , au dessus
desquelles la pensée du peintre n'a jamais su s'élever. On
ne déshabille pas une sainte , parce qu'après tout on veut
que son tableau puisse être acheté par le gouvernement
pour telle ou telle église ; mais l'accoutrement qu'on lui
donne, la tenue et le regard qu'on lui prête, ne sont guère
plus décens ni plus édifians que la nudité complète de la
Madeleine de Schleissheim.
L'antiquité païenne , que nous admirons volontiers chez
elle et dans certaines limites , mais dont nous repoussons
avec horreur l'influence sur nos mœurs et notre société
chrétienne , l'antiquité était au moins conséquente dans les
symboles qu'elle nous a laissés de ses dieux et de ses croyan-
ces. Ces symboles sont tout-à-fait d'accord avec les récits
de ses prêtres et de ses poètes. Jamais elle n'a imaginé de
faire de son Jupiter une victime , de son Bacchus un dieu
mélancolique , de sa Vénus une vierge pudique et pieuse.
— 176 —
11 était réservé aux chrétiens , aux catholiques , de trouver
le secret de la profanation dans rinconséquence, d'emprun-
ter aux doctrines pulvérisées et flétries à jamais par le Chris-
tianisme les types de leurs constructions et de leurs images
religieuses , d'édifier l'église du Crucifié sur le plan du tem-
ple de Thésée ou du Panthéon , de métamorphoser Dieu le
père en Jupiter, la sainte Vierge en Junon ou en Vénus ha-
billée , les martyrs en gladiateurs , les saintes en nymphes ,
et les anges en amours !
Est-ce à dire qu'il faille asservir toutes les œuvres d'art
religieux à un joug uniforme? qu'il faille passer le niveau
impitoyable d'un type unique, comme celui de Byzance, sur
tous les fruits de l'imagination et de l'inspiration consacrée
par la foi? Il n'en est rien : l'art vraiment religieux ne re-
pousse que le contre-sens, mais il le repousse énergiquement ;
il a horreur de l'envahissement du païen dans le chrétien ,
de la matière et de la chair dans le royaume de la pureté
et de l'esprit. Il veut la liberté, mais la liberté avec l'ordre ;
il veut la variété, mais la variété dans l'unité, loi éter-
nelle de toute grandeur et de toute beauté. Mais au lieu de
longues explications théoriques, citons des noms et des
faits ; c'est le plus sûr moyen de montrer combien le génie
catholique sait être fécond et varié , sans jamais manquer
aux conditions de sainteté et de pureté qui le constituent.
Dira-t-on qu'il y a uniformité entre une cathédrale romane
et une cathédrale ogivale , entre Saint-Sernin de Toulouse
et Saint-Ouen de Rouen , entre la cathédrale de Mayence
et celle de Milan , et pour ne pas sortir de Paris , entre
Saint-Germain-des-Prés et l'intérieur de Saint-Eustache?
Non certes , et cependant tous ces édifices répondent égale-
ment à l'idée légitime et naturelle d'une église chrétienne ;
tandis qu'il y a répulsion complète et profonde entre cette
idée et des anachronismes comme la Madeleine et Notre-
Dame-de-Lorette. Est-ce que les bas-reliefs d'André de Pise
— 177 —
au baptistère de Florence , ceux des tombeaux de saint Au-
gustin à Pavie et de saint Pierre martyr à Milan , le Juge-
ment dernier au grand portail de Notre-Dame de Paris ,
ou les saintes exqujses de la Frauenkirche à Nuremberg ,
sont taillés sur le même modèle ? Non , certes , ces pierres
toutes vivantes par la foi et le génie qui les anime , ne se
ressemblent , ni par la disposition des sujets , ni par l'ex-
pression, ni par l'agencement, mais uniquement par ce sen-
timent de pudeur , de grâce et de dignité que le dogme de
la réhabilitation de l'homme donne à toutes ses idées : tan-
dis que la fameuse vierge de Brydone à Chartres , et le fa-
meux tombeau du maréchal de Saxe à Strasbourg ne sau-
raient commémorer que l'emphase et la prétention d'un siècle
corrompu. Qu'y a-t-il de commun entre la madone vraiment
divine de Van-Eyck à Gand , et celles de Francia et du Pé-
rugin ; entre les délicieuses miniatures de Hemling sur le
reliquaire de Sainte-Ursule à Bruges et celles de Fra Ange-
lico sur les reliquaires de Santa-Maria-Novella à Florence ;
entre les graves et grandioses fresques de la primitive école
florentine et celles si pures et si majestueuses de Luini ou
de Raphaël avant sa chute? Ce n'est certes ni Je coloris , ni
le dessin , ni les types choisis , rien en un mot , si ce n'est
une égale fidélité à l'idée chrétienne, et ce merveilleux effet
également produit sur Pâme par tous ces différens chefs-
d'œuvre. Entraînée par eux vers le ciel , elle est plongée
dans cette sorte d'extase mystérieuse qu'aucune parole ne
saurait rendre, et qui ne laisse à l'admiration d'autre res-
source que de dire comme le Dante, au souvenir des délices
du paradis .
Perch'io lo'ngegno e Farte e I'iko chiami ,
Si nol direi, che mai s'imraaginasse ;
Ma creder puossi et di veder si brami.
Que l'on ne croie pas non plus que cette fidélité à la pensée
12
— 178 —
chrétienne doive dépendre exclusivement d'une époque spé-
ciale , d'une organisation unique de la société , et que la
nôtre en soit déshéritée. A côté de ces exemples qui datent
des écoles primitives , on peut citer à juste titre l'admirable
école contemporaine d'Allemagne , je veux dire celle d'O-
verbeck et de ses nombreux disciples , si peu connue en
France , où l'on se croit cependant le droit de porter sur
elle les jugemens les plus bizarres , parce qu'on a vu deux
ou trois tableaux de l'école de Dusseldorf qui ne lui ressem-
ble en rien. Eh bien ! tous ceux qui ont vu et compris des
tableaux ou des dessins d'Overbeck, ne pourront s'empêcher
de reconnaître qu'il n'y a là aucunement copie des anciens
maîtres , mais bien une originalité puissante et libre , qui a
su mettre au service de l'idée catholique tous les perfec-
tionnemens modernes du dessin et de la perspective ignorés
des anciens. L'àme la mieux disposée à la poésie mystique
n'en est pas moins complètement satisfaite, comme devant
le chef-d'œuvre le plus suave des anciens jours , et l'intelli-
gence la plus revêche est forcée de convenir qu'il y a même
de notre temps la possibilité de renouer le fil des traditions
saintes , et de fonder une école vraiment religieuse , sans
remonter le cours des âges et sans cesser d'être de ce siècle.
Il est triste que l'Allemagne puisse s'attribuer à elle seule
la gloire de cette véritable et salutaire renaissance. Il est
triste que la Belgique , par exemple , où il y a , comme en
France, tant déjeunes talens, qui a produit, au quinzième siè-
cle, une école si chrétienne, si pure, et la première de toutes
par le coloris , celle de Van-Eyck , de Hemling , de Roger
Van de Weyde, de Schoreel, s'obstine aujourd'hui à ne voir
dans son brillant passé que l'école charnelle et grossière-
ment matérialiste de Rubens et de Jordaens. Il est triste que
la France n'ait pas revendiqué l'initiative de cette glorieuse
réaction en faveur du bon sens et du bon droit. Heureuse-
ment il est aujourd'hui constaté que cette réaction s'est
— 179 —
étendue jusqu'à elle, et que parmi nous une foule de nobles
cœurs d'artistes palpitent du désir de secouer le joug du
matérialisme païen. Ils aspirent, pour l'art auquel ils ont
dévoué leur vie., à des destinées plus élevées que celles qui
lui sont promises par les arbitres usurpateurs de la critique
moderne. Il est donc permis d'espérer que nous verrons
enfin s'élever une école de peinture chrétienne dans cette
France, qui, depuis les enlumineurs de nos vieux missels ,
n'a pas compté un seul peintre religieux, sauf le seul Le-
sueur, venu du reste à une époque qui rend sa gloire dou-
blement belle. De la peinture , cette révolution heureuse se
communique et se communiquera chaque jour davantage
aux deux autres branches de l'art. Nous ne voulons blesser
aucune modestie, ni entourer d'éloges prématurés des efforts
qui aboutiront plus tard à une couronne populaire et méri-
tée; mais à côté des œuvres si accomplies et si heureusement
inspirées de MM. Orsel et Signol, en peinture ', à côté des
monumens de mademoiselle de Fauveau , si parfaits , mais
jusqu'à présent trop rares et trop étrangers à la religion,
nous ne pouvons nous défendre de signaler les excellens
» Avec M. Orsel, il est juste de citer MM. Périn et Roger, chargés
comme lui de la décoration à fresque des chapelles du baptême , du
mariage et de la sainte Vierge à Notre-Dame-de-Lorelte. Ils ont
lutté courageusement ensemble pendant les mauvais jours ; et nous
avons la confiance que le moment où le public sera appelé à juger
leurs œuvres , signalera une nouvelle époque pour l'art religieux , en
même temps que les âmes chrétiennes auront quelques moyens de
se consoler des profanations de tout genre étalées dans cette pré-
tendue église.
Nous pouvons aussi nommer M. Hauser , car , quoique étranger
par sa naissance à la France, il lui consacre ses études. La sympathie
du public pour son tableau exposé à Saint-Roch , a dû le dédomma-
ger suffisamment des incroyables dédains d'un jury qui a eu le mal-
heur d'être répudié par M. Delaroche et M. Vernet.
— 180 —
oommencemens de MM. Bion et Duseigneur, en sculpture,
et les travaux d'architecture si patiens, si savans et si régé-
nérateurs de MM. Lassus, Durand et Louis Piel \ Chaque
année fortifie les dévouemens anciens et fait éclore des voca-
tions nouvelles pour la régénération de l'art religieux ; et
le jour viendra peut-être bientôt où l'on verra une phalange
serrée marcher au combat et à la victoire sur les vieux pré-
jugés et les nouvelles aberrations qui dominent l'art actuel.
Mais les obstacles sont nombreux , les ennemis sont achar-
nés ; la lutte sera longue et pénible. Constatons seulement
que cette lutte existe ; car, dans le fait seul de son existence,
il y a un progrès incalculable sur l'époque de la Restaura-
tion et un germe fécond de conquêtes pour l'avenir. Il faut,
du reste, nous habituer à regarder en face nos adversaires,
à les compter et surtout à peser leur valeur. C'est pourquoi
il ne sera peut-être pas hors de propos de faire ici une briève
énumération des différentes catégories d'adversaires que
» Nous renvoyons nos lecteurs au bénitier modelé par M. Bion pour
l'église de Saint-Eustache , ainsi qu'à sa chaire destinée à l'église de
Brou; au groupe de l'archange saint Michel, vainqueur de Satan, et
à la statue de Dagobert, par M. Duseigneur, qui est destinée au mu-
sée de Versailles. M. Piel a publié dans l'Européen un voyage archi-
tectural en Allemagne, dont nous n'adoptons pas toutes les conclu-
sions, mais qui est la première œuvre sérieuse sur cette matière. M. Hip-
polyte Durand a exposé de savantes et consciencieuses études sur
Notre -Dame-de-1'Épine et Saint-Remy de Reims. Il est chargé de
la restauration de cette dernière église, et s'acquitte de cette mission
importante à la satisfaction de tous les amis de l'art historique.
Enfin, les travaux de restauration de la Sainte-Chapelle et du prieuré
de Saint -Martin -des -Champs à Paris, ont assez fait connaître
M. Lassus, qui vient d'être chargé par le gouvernement, en même
temps que M. Amaury Duval, d'une monographie de la cathé-
drale de Chartres , dont les premiers travaux surpassent en exacti-
tude , en beauté et en intelligence , tout ce que nous connaissons en
ce genre.
— 181 —
nous avons à redouter ou à combattre ; je ne crains pas de
dire nous , parce qu'il y a certes entre ceux qui travaillent
pour la réhabilitation d'une cause immortelle et ceux qui
jouissent du fruit de leurs généreux efforts , une union de
cœur et d'âme assez intime pour justifier la solidarité des
espérances et des inimitiés.
Posons en premier lieu, non pas comme les plus redouta-
bles , mais comme les plus nombreux et les plus aptes à se
laisser confondre par une portion du public avec les hommes
du progrès , posons les hommes de la mode, de cette mode;
ignoble parodie de l'art, et qui en est la mortelle ennemie;
de cette mode qui a mis le gothique en encriers et en écrans,
qui daigne assigner aux produits de l'art chrétien une place
dans ses préférences , à côté des pendules de Boule et des
bergères en porcelaine du temps de Louis XV; de cette
mode enfin qui inspire à un certain nombre de peintres des
tableaux où les mœurs et les croyances du moyen âge sont
représentées avec autant de fidélité que dans cette foule de
pitoyables romans qui inondaient naguère notre littérature.
Heureusement le bon sens public a déjà fait justice de ces
charges du moyen âge, de cette prétendue étude du passé,
sans goût, sans science et sans foi. La mode du gothique est
à la veille d'être enterrée ; et les pieux efforts des hommes
qui se sont dévoués à l'œuvre de la régénération , seront
bientôt à l'abri d'une confusion humiliante avec l'exploi-
tation de ceux qui spéculent sur la vogue et sur toutes les
débauches de l'esprit.
Est-ce la seconde ou bien la dernière place qu'il faut assi-
gner aux théoriciens et aux praticiens du vieux classicisme ?
S'il fallait ne tenir compte que de la valeur , de l'influence
ou de la popularité de leurs œuvres et de leurs doctrines ,
en vérité , ce ne serait que pour mémoire qu'on aurait le
droit de les mentionner. Mais , puisqu'ils occupent toutes les
positions officielles , puisqu'ils ont à peu près le monopole de
— 182 —
l'influence gouvernementale , puisqu'ils s'y sont constitués
comme dans une citadelle d'où ceux qui font quelque chose
se vengent de la réprobation générale qui s'attache à leurs
œuvres, en repoussant opiniâtrement les talens qui ont brisé
leur joug , et d'où ceux qui ne font rien s'efforcent d'empê-
cher que d'autres ne puissent faire plus qu'eux-mêmes ; puis-
que surtout ils ont encore la haute main sur tous les trésors
de l'État consacrés à l'éducation de la jeunesse artiste , il ne
faut jamais se lasser de les attaquer , de battre en brèche
cette suprématie qui est une insulte à la France , jusqu'à ce
que l'indignation et le mépris public aient enfin pénétré dans
le sanctuaire du pouvoir pour en chasser ces débris d'un au-
tre âge. Du reste , on a la consolation de sentir que , s'ils
peuvent encore faire beaucoup de mal , briser beaucoup de
carrières, tuer en germe beaucoup d'espérances précieuses,
leur règne n'en touche pas moins à sa fin ; il ne leur sera pas
donné de flétrir long-temps encore de leur souffle malfaisant
l'avenir et le génie d'une jeunesse digne d'un meilleur sort;
la publicité fera justice de ces ébats du classicisme expirant,
qui seraient si grotesques, s'ils n'étaient encore plus funestes;
les concours de Rome les tueront. Nous ne subirons pas tou
jours le règne d'hommes qui ont l'à-propos de donner pour
sujet aux élèves, en l'an de grâce 1837 , Apollon gardant
les troupeaux chez Admète, et Marius méditant sur les
ruines de Carthage.
Une troisième espèce d'adversaires, et, selon nous, la plus
dangereuse , ce sont les critiques. Nous entendons sous ce
nom les écrivains qui, dans divers journaux , sont chargés de
traiter les questions d'art. Tous ces juges souverains et sans
appel semblent s'être donné le mot pour étouffer , soit par
un silence convenu , soit par des blâmes amers , tout ce qui
porte l'empreinte d'une régénération religieuse dans l'art.
En attaquant la juridiction de ce haut tribunal , nous avons
besoin de répéter ce que nous avons dit en commençant ; sa-
— 183 —
voir : que nos observations et nos plaintes roulent unique-
ment sur la partie religieuse des différentes branches de l'art ;
pour tout le reste , nous nous déclarons de nouveau tout-à-
fait incompétens. Mais lorsqu'il s'agit de l'avenir d'un élé-
ment si essentiel et si intime de la forme religieuse , élé-
ment qui s'adresse ou qui est censé du moins s'adresser aux
masses catholiques, nous nous sentons le droit de protester
selon la mesure de nos forces contre cette ligue mauvaise ,
dont les organes impitoyables sont campés dans les journaux
les plus accrédités , et même dans ceux plus spécialement
consacrés aux arts '. Si cette ligue devait triompher, c'en
serait fait assurément de toute espèce d'école religieuse en
France. Dès qu'un jeune homme montre dans ses œuvres
quelque tendance à marcher dans une voie plus pure et plus
rationnelle que celle qui lui est tracée à l'École des Beaux-
Arts , ou par l'exemple des maîtres en vogue , ses œuvres et
sa tendance sont aussitôt censurées avec l'animosité la plus
cruelle. Le mot de pastiche lui est jeté avec un froid mé-
pris, comme une flétrissure dont il ne doit jamais se relever.
On lui impute comme un crime de copier servilement les
écoles gothiques ; et ce reproche lui est fait par des hom-
mes qui , à chaque ligne de leurs écrits , montrent l'igno-
rance la plus profonde de tout ce qui touche à ces malheu-
reuses écoles gothiques ,- par des hommes dont les paroles
prouvent qu'ils n'ont jamais vu, ou du moins jamais regardé
un tableau de l'époque qu'ils voudraient mettre au ban de
l'intelligence humaine ; par des hommes qui donnent chaque
jour l'exemple de cette confusion historique que nous rele-
vions plus haut comme très regrettable chez les ecclésiasti-
ques , mais qui est bien autrement inexcusable chez ceux qui
» Nous devons faire une exception éclatante en faveur de 1' .Euro-
péen, recueil dont plusieurs articles en matière d'art sont dictés par
une science profonde et le sentiment le plus pur des exigences de la
pensée chrétienne.
— 184 —
se sont investis du droit de régenter l'art passé , présent et
à venir. Ils ne savent pas même distinguer entre leurs con-
temporains ; ils déclarent avec la plus risible certitude , que
MM. Ingres etOverbeck suivent la même ligne; ils vous disent
que la sainte Cécile de M, Delaroche rappelle le style go-
thique daPémgin l; d'autres, à propos du même tableau ,
n'ont-ils pas été parler de Giotto et d'Orgagna , comme étant
du quinzième et du seizième siècle. Après quoi , dans la
même phrase , ils accouplent deux ou trois de ces grands
noms, pour asseoir sur eux un jugement tantôt méprisant ,
tantôt dédaigneusement protecteur , et établir des rappro-
cherons inouis entre des hommes qui n'ont jamais rien eu
de commun entre eux , si ce n'est d'être également ignorés
de ceux qui en parlent de la sorte. Et voilà les censeurs qui
donnent ou ôtent , à leur gré , le droit de cité dans l'art !
Voilà les aristarques à qui nous reconnaîtrions le droit de
former nos idées sur le beau ! Ce n'est pas tout : après qu'ils
ont ruiné autant qu'il dépend d'eux la pratique du vrai
beau , il nous faut subir leurs théories , apprécier tout ce
qu'elles renferment de pur, de satisfaisant et de fécond, tout
ce qu'elles promettent de gloire et d'originalité à l'avenir de
l'art en France. Il faut entendre les*uns proclamer et appe-
ler de tous leurs vœux une réaction plus ou moins effrontée
en faveur des nudités , l'apothéose de la chair , le retour aux
classiques turpitudes de la mythologie ; ils nous trouvent
déjà trop loin des saletés de Boucher et de Vanloo , des so-
lennelles nudités de l'Empire : on dirait qu'il n'y a plus assez
de barons à l'Académie pour les servir à leur gré. Les au-
tres , avec une outrecuidance despotique , s'indignent de ce
que nous ne restions pas cloués au seizième siècle ; ils veulent
bien reconnaître que les Grecs et les Romains ne sont plus
de mise , mais le paganisme de la renaissance , mitigé par la
■ C'est écrit, mais il faut le lire jour le croire, dans le Temps,
article sur le Salon de 1837.
— 185 —
civilisation italienne , travesti à l'usage de ces tyranneaux
de l'Italie , les plus corrompus el les plus sacrilèges qu'on
vit jamais ; voilà le beau idéal , qu'il n'est pas donné au gé-
nie chrétien , au génie national de dépasser ! Mais quels que
soient leurs dissentimens intérieurs , leurs différens degrés
de pudeur et de science , on peut être sûr qu'ils se trouve-
ront tous d'accord pour combattre, en bataille rangée , con-
tre ceux qui chercheront à ramener, dans l'art religieux ,
l'esprit chrétien , dont ils ont décrété unanimement la mort
et la sépulture , au sein des vieilleries des temps barbares.
Eh bien ! on peut le leur prédire hardiment, leur arrêt sera
cassé ; malgré leur union et leur acharnement , ils seront
débordés : l'instinct de la jeunesse ne se laissera pas éga-
rer j les idées marcheront , et un beau jour ces arbitres re-
doutables se réveilleront tout seuls sur leur tribunal aban-
donné ; j'en prends à témoin et le nombre toujours crois-
sant des jeunes gens qui bravent la malveillance et l'in-
justice pour suivre la voie nouvelle , et l'intérêt toujours
plus vif que met le public à étudier leurs essais , malgré les
avertissemens zélés que distribue chaque matin le journal
de chacun. Mais si l'empire de la critique telle qu'elle est
actuellement organisée , doit s'écrouler , elle n'en est pas
moins très puissante à l'heure qu'il est. Pour la braver et
lui survivre, il faut aux nouveaux adeptes de l'art chrétien,
non pas l'ardeur d'une réaction momentanée , non pas l'élan
d'un jeune courage , mais l'énergie intime , l'enthousiasme
calme et contenu , le dévouement religieux à ce qui est im-
mortel , et cette modestie silencieuse en face de l'injustice
qui semble l'ignorer encore plus que la dédaigner, toutes
vertus bien rares et bien difficiles , mais dont le grand et
saint Overbeck , au fond de son atelier solitaire de Rome ,
fournit le modèle le plus accompli et le plus encourageant.
Signalons en quatrième lieu une autre classe d'adversaires
qui semblerait rentrer dans la précédente , mais qui offre
— 186 —
des caractères distincts. Nous voulons parler d'un certain
nombre d'écrivains sur l'art , lesquels , dominés par ces pré-
visions vagues et ambitieuses qui sont le signe à la fois de la
grandeur et de la faiblesse de notre temps , voudraient lan-
cer l'art dans des voies inconnues et impossibles à détermi-
ner , au risque de le voir s'égarer ou périr d'impuissance. Ils
parlent bien des conditions essentielles à l'art religieux en
général ; ils connaissent les produits de l'ancien art chré-
tien ; ils les apprécient même sous quelques rapports , ils les
ont étudiés avec plus ou moins de conscience et de profon-
deur; mais , entraînés par je ne sais quelle impulsion huma-
nitaire, ils font chorus avec les adorateurs du paganisme
et de la renaissance pour déclamer contre le moyen âge en
général , pour confondre l'art de cette époque dans leurs
rancunes contre la féodalité , pour protester contre toute
tendance qui semblerait ressusciter cette époque même en
peinture. Ils veulent qu'on n'étudie les chefs-d'œuvre du passé
chrétien que le temps nécessaire pour asseoir un jugement
souvent superficiel sur des noms trop ignorés , pour leur as-
signer une place honorable dans la grande révolution de
l'humanité ; après quoi ils lancent l'art dans un orbite im-
mense et vague , dont il est impossible de découvrir le but
au milieu de leurs formules éclectiques , dont il est impos-
sible surtout de retirer aucune application pratique pour
réparer les dommages et combler les vides des temps où nous
vivons. En un mot, ils veulent faire une philosophie de
l'art. Déplorable erreur ! nous ne craignons pas le dire , du
moins en ce qui touche à l'art religieux , si cette philosophie
ne doit consister, comme celle qu'on nous offre , qu'en un cer-
tain nombre de formules arbitraires , qui nous autoriseront à
renier le passé pour nous livrer aveuglément aux hasards
de l'avenir. Malheur à l'art , si cette tendance se communi-
quait à beaucoup de jeunes artistes ; sa régénération chré-
tienne deviendrait impossible. Qu'on le sache donc bien, il
— 187 —
en est de l'art religieux comme de la religion elle-même.
Quand on est réduit à faire de la philosophie religieuse ,
c'est qu'il n'y a plus de religion ; quand on fait de la phi-
losophie de l'art, c'est qu'il n'y a plus d'art. Dans l'art chré-
tien , il ne peut y avoir rien de nouveau au fond , pas plus
que dans le christianisme lui-même. L'un tient à l'autre par
d'indissolubles nœuds. D'ailleurs, n'invente pas qui veut;
ceux-là surtout qui croient et qui veulent inventer, sont
justement ceux qui inventent le moins. Le génie , dans l'art
comme daos tout , n'a jamais été le fruit de la préméditation,
du calcul ou du raisonnement ; c'est le fruit de ce que les
uns appellent le hasard , et les autres l'inspiration d'en haut.
Il y a une fin de non-recevoir bien facile à opposer aux au-
teurs de ces théories ambitieuses : c'est de leur demander
ce qu'il faut donc faire actuellement pour bâtir et orner nos
églises , et répondre aux divers besoins des masses religieu-
ses , en attendant qu'eux ou les artistes qu'ils ont en vue ,
s'il y en a , aient inventé quelque nouveau progrès. Quant
à nous , nous répondrons franchement qu'il faut tout bonne-
ment marcher sur les traces des grands artistes chrétiens ,
au risque de se borner à les copier et de procurer à ses œu-
vres la terrible dénomination de pastiches. Le champ du
véritable art chrétien est , Dieu merci ! assez vaste , depuis
les peintures des catacombes jusqu'à la Dispute du Saint
Sacrement, depuis les sculptures de l'école de Pise jus-
qu'aux apôtres de Nuremberg, depuis l'Abbaye- aux-Hom-
mes de Caen jusqu'à la cathédrale d'Orléans. Oui , encore
une fois , étudiez , fût-ce au risque de les imiter servilement,
les grands hommes qui ont fait de si grandes œuvres ; étu-
diez-les dans ces œuvres d'abord , puis dans leur vie , dans
leur croyances , dans le fécond et sublime symbolisme dont
leurs travaux n'ont été que l'expression. L'étude sérieuse ,
consciencieuse, amoureuse, conduira à l'inspiration, et l'o-
riginalité ne manquera pas ; nous en avons pour témoin les
— 188 —
Ovcrbeck, les Veith, les Cornélius, les Hess, toutes les
splendeurs de la glorieuse école d'Allemagne.
Nous arrivons enfin à ce que nous ne pouvons ni ne vou-
lons regarder comme la disposition hostile d'une dernière
classe d'adversaires , mais à ce qui n'en est pas moins l'ob-
stacle le plus grave et peut-être le plus difficile à surmonter
que présente l'état actuel des choses , c'est-à-dire l'indiffé-
rence et l'éloignement du clergé pour les idées que nous ex-
posons. Quand on songe au grand nombre de travaux que
le clergé fait exécuter ou sur lesquels il influe indirecte-
ment , il est évident que tant qu'il n'interviendra pas d'une
manière décisive en faveur de la régénération chrétienne et
rationnelle de l'art , cette régénération manquera de l'im-
pulsion la plus efficace et du secours le plus naturel. Mal-
heureusement, qu'il nous soit permis de le dire , dans le mo-
ment actuel , le clergé est en général assez indifférent à tout
ce qui se fait pour le salut de l'art religieux ; beaucoup de
ses membres ignorent l'histoire et les règles de cet art ; ils
ne comprennent guère les monumens admirables qu'ils en
possèdent , et surtout ils acceptent et consacrent avec le
plus aveugle empressement le règne du paganisme dans
tous les travaux qui se font journellement dans nos églises.
Nous savons qu'il y a d'honorables exceptions , et nous nous
faisons un devoir de signaler celles qui sont à notre connais-
sance. M. l'évèque de Belley, par exemple, se montre aussi
préoccupé qu'aurait pu l'être un pontife des plus beaux siè-
cles de l'Eglise , du maintien et du progrès de l'esprit chré-
tien dans les monumens de son diocèse ', les archevêques
d'Avignon et de Bordeaux, les évêques de Ne vers, du Mans,
de Rodez , de Gap , du Puy, de Versailles , ont fait des circu-
laires qui manifestent le plus louable esprit de conservation
• Son excellent Manuel des connaissances utiles aux ecclésiasti-
ques sur divers objets d'art devrait être entre les mains de tous les
curés de France.
— 189 —
et de respect pour la vénérable antiquité. Il y a même au
séminaire du Mans un cours d'archéologie chrétienne dont
le fondateur, M. l'abbé Chevraux, a mérité récemment une
médaille d'or , décernée par la société que préside M. de Cau-
mont. Nous croyons qu'il y a au petit séminaire de Saint-
Germer, près Beauvais, un cours semblable. On a vu derniè-
rement dans les journaux que M. l'abbé Devoucoux , savant
autunois , avait fait découvrir les magnifiques sculptures du
portail de la cathédrale d'Autun, recouvertes à dessein, au
xvme siècle , par une épaisse couche de plâtre , afin de pou-
voir y plaquer un gros médaillon digne de cette malheu-
reuse époque. M. Gros, vicaire-général du diocèse de Reims,
se distingue par sa sollicitude pour les anciens monumens
religieux , et par le concours éclairé qu'il a prêté à M. Di-
dron , chargé par M. Guizot de dresser la statistique monu-
mentale de cette partie de la Champagne. A Troyes , la dé-
licieuse église de Saint-Urbain , élevée au xme siècle par le
pape Urbain IV, sur le site de l'échoppe du cordonnier qui
lui avait donné le jour , cette église , témoignage sublime de
i'humilité et de la piété du pontife , et en même temps mo-
dèle du plus beau style ogival, est heureusement entre les
mains d'un jeune curé, M. l'abbé Bourcelot , qui , à force de
sacrifices et de zèle , est venu à bout de la doter d'un autel
plus en harmonie avec l'édifice lui-même, que les mons-
trueux placages qui défigurent presque toutes les autres
églises de cette ville si riche en monumens gothiques. Son
amour pour l'art chrétien ne s'arrêtera pas là : peut-être
verrons-nous, grâce à ses soins et à l'appui d'un préfet véri-
tablement ami de la belle architecture , s'achever ce noble
•édifice. Nous savons encore qu'il y a un jeune curé de
Nantes , M. l'abbé Fournier, qui , aidé par plusieurs parois-
siens instruits, a conçu le plan de rebâtir son église sur un
modèle du moyen âge. Que Dieu le conduise1! Ce sont là
L'architecte chargé de la reconstruction est M. Piel, que nous
— 190 —
des symptômes heureux et consolans, et certes, dans
d'autres parties de la France, on en pourrait recueillir
beaucoup de semblables. Mais , hélas ! ce ne sont toujours
que des exceptions. La grande majorité du clergé n'en est
pas encore là , il s'en faut. Nous le disons avec une profonde
douleur , avec une douleur augmentée de tout le respect, de
tout le filial amour que nous portons à ce vénérable corps ,
le clergé est en général indifférent à la renaissance ou à
l'existence de l'élément chrétien dans l'art , et cette indiffé-
rence ne saurait provenir que de son ignorance fâcheuse sur
cette grave matière. Qu'il nous pardonne cette expression
peut-être trop franche de la vérité , arrachée par la convic-
tion et de longues études au cœur du plus dévoué de ses en-
fans , de celui qu'il trouvera toujours au premier rang de
ses défenseurs.
A Dieu ne plaise que nous regardions cette ignorance
comme intentionnelle , que nous reprochions au clergé
comme une faute ce que nous envisageons seulement comme
un très grand malheur. Nous savons mieux que personne
toutes les difficultés contre lesquelles il lui aurait fallu lutter
pour être arrivé aujourd'hui au point que nous voudrions lui
voir occuper. Des persécutions et des épreuves trop longues
ont dû naturellement détourner les anciens du sanctuaire de
ce genre d'études ; et depuis la paix de l'Église , le nombre
des prêtres a été trop petit pour qu'ils eussent pu dérober au
service des paroisses les loisirs nécessaires à l'examen de ces
grandes questions. Ils n'ont fait d'ailleurs que recueillir la
succession de trois siècles d'inconséquences et d'erreurs que
l'on pourrait, à plus juste titre, reprocher à quelques uns de
leurs prédécesseurs. Ceux-ci, en effet, procédaient avec une
avons nommé plus haut. Une souscription est ouverte à la paroisse
de Saint-Nicolas de Nantes, pour subvenir aux besoins de cette
œuvre vraiment régénératrice. Assurément il n'en est guère qui mé-
ritent à un plus haut point les secours des Catholiques.
— 191 —
logique désespérante à la destruction méthodique de tout
ce qui pouvait leur rappeler le mieux la glorieuse antiquité
du culte dont ils étaient les ministres. Il ne serait pas resté
une seule de nos cathédrales gothiques , si ces masses indes-
tructibles n'avaient fatigué leur déplorable courage ; mais
on peut juger de leurs intentions par certaines façades et
certains intérieurs qu'ils ont réussi à arranger à leur gré.
C'est grâce à eux qu'on a vu tomber ces merveilleux jubés,
barrière admirable entre le Saint des Saints et le peuple
fidèle , aujourd'hui remplacée par des grilles en fer creux !
Non contents de l'envahissement des statues et des tableaux
païens sous des faux noms , on les vit, pendant le cours du
dix-huitième siècle , substituer presque partout à l'antique
liturgie, à cette langue sublime et simple que l'Église a in-
ventée et dont elle a seule le secret , des hymnes nouvelles,
où une latinité empruntée à Horace et à Catulle , dénonçait
l'interruption des traditions chrétiennes *. On les vit en-
suite défoncer les plus magnifiques vitraux , parce que sans
doute il leur fallait une nouvelle lumière pour lire dans leurs
nouveaux bréviaires : puis encore^abattre les flèches prodi-
gieuses qui semblaient destinées à porter jusqu'au ciel l'écho
des chants antiques qu'on venait de répudier. Après quoi ,
assis dans leurs stalles nouvelles, sculptées par un menuisier
classique , il ne leur restait plus qu'à attendre patiemment
que la révolution vint frapper aux portes de leurs cathédra-
les , et leur apporter le dernier mot du paganisme ressuscité,
en envoyant les prêtres à l'échafaud , et en transformant les
églises en temples de la Raison.
Mais grâce pour leur ombre ! ils avaient l'excuse de s'être
laissés entraîner par le torrent qui a entraîné la société tout
entière depuis les soirées platoniciennes des Médicis , jus-
1 On connaît le dicton si juste que fit naître cette métamorphose :
Accessit latinita$ , récessif pietas.
— 192 —
qu'aux courses de char ordonnées par la Convention au
Champ -de -Mars. Eussent-ils voulu d'ailleurs n'employer
que des artistes chrétiens, où les auraient-ils trouvés au mi-
lieu de la désertion générale ? Ainsi donc réclamons des plus
sévères aristarques indulgence pour le passé. Le clergé y a
tous les droits. Mais la pourrons-nous réclamer de même
pour l'avenir ? Dè^à l'on commence à s'étonner de ce que si
peu de ses membres ont jugé digne de leur attention et de
leur dévouement, ce que les indifférens appellent Y art chré-
tien. On s'étonne à bon droit de voir que si cet art , qui
constitue une des gloires les plus éclatantes du Catholicisme,
est reconnu , est apprécié aujourd'hui , c'est grâce aux ef-
forts de savans laïcs , protestans , étrangers , d'hommes
presque tous imbus de la funeste théorie de l'art pour l'art,
tandis que le clergé et les Catholiques français s'en occupent
à peine '.On s'étonne de ce que toutes les fatigues et toute
la gloire de cette grande œuvre soient livrées sans partage
à des écrivains tels que MM.de Caumont, de Laborde,
Didron , Magnin , Mérimée , Vitet , dont les travaux , du
reste, si savans et si méritoires , ne portent pas la moindre
trace d'esprit religieux ; on s'en étonne , disons-nous ; mais ,
après tout , il n'y a là qu'une conséquence toute naturelle
d'un fait encore bien autrement étonnant ; c'est qu'il n'y a
pas peut-être cinq séminaires en France , sur quatre-vingts,
où l'on enseigne à la jeunesse ecclésiastique l'histoire de l'E-
glise ! Chose merveilleuse et déplorable à la fois , l'histoire
de l'Église , cette série d'événemens et d'individus gigantes-
1 Nous devons cependant faire une exception en faveur de M. l'abbé
Pavy, auteur de plusieurs excellentes monographies sur des églises
de Lyon ; de M. l'abbé Tron , qui vient de mettre au jour une de-
scription de Saint-Maelou, de Ponloise ; et de M. Gilbert, qui a pu-
blié des descriptions des cathédrales de Paris, Chartres, Amiens,
i\ouen , de l'ancienne abbaye de Saint-Ouen de la même ville, de
Saint-Riquier et de Saint-Wulfran d'Abbeville.
— 19S —
ques, qui préoccupe aujourd'hui tant d'esprits complètement
étrangers, sinon hostiles , aux convictions religieuses, cette
manifestation continuelle d'une force supérieure à celle de
l'homme , semblerait au premier abord n'être indifférente
qu'au clergé catholique. Veut-on acquérir quelques notions
justes et impartiales sur les grands hommes et les grandes
époques de cette histoire ? veut-on savoir ce qu'étaient les
croisades , saint Grégoire VII , Innocent IIÏ , saint Louis ,
saint Thomas, Sixte-Quint, il faut avoir recours à des livres
traduits des protestans allemands ou aux écrits trop rare-
ment orthodoxes de M. Michelet , de M. Villemain et de
M. Guizot. C'est en vain qu'on s'adresserait au clergé fran-
çais , successeur et représentant de ces noms glorieux parmi
nous ; on courrait risque de rencontrer , parmi ses publica-
tions nouvelles , les mensonges gallicans deFleury ou la Dé-
votion réconciliée avec l'esprit, par un prélat du dernier
siècle.
Comment se ferait-il donc que , dépourvu de connaissan-
ces étendues et approfondies sur les événemens et les per-
sonnages des temps qui ont enfanté l'art chrétien , le clergé
pût apprécier les produits de cet art qui tient par les liens
les plus intimes à ce que l'histoire a de plus grand et de plus
important ? Comment aurait-il appris à distinguer les œu-
vres fidèles aux bonnes traditions ou qui manifestent une
tendance à y retourner, de toutes celles qui les parodient et
les déshonorent ? Il faut bien cependant qu'il se hâte de re-
venir à cette étude et à cette appréciation , sous peine de
laisser porter une grave atteinte à sa considération dans une
foule d'esprits sérieux. Des faits trop nombreux viennent
chaque jour à l'appui d'adversaires malveillans. On a déjà
dit que pour entendre la musique religieuse , il fallait aller à
l'Opéra ou aux concerts publics , tandis que la musique théâ-
trale se retrouve dans les églises. Craignons qu'on ne dise
bientôt que l'art religieux a des sanctuaires dans le cabinet
13
— 194 —
des amateurs , dans les boutiques des marchands de curiosi-
tés, dans les galeries du gouvernement, partout enfin, ex-
cepté dans l'église ! Nous avons entendu le curé d'une ville
importante , très respectable comme prêtre , se montrer
même scandalisé de cette expression d'art chrétien , et dé-
clarer qu'il ne connaissait d'autre art que celui de faire des
chrétiens ! Ce n'était ici que l'expression un peu crue d'une
idée trop générale. Citons un exemple borné , mais signifi-
catif, de cette déplorable absence du sentiment de l'art chré-
tien. On a moulé depuis plusieurs années quelques unes des
plus belles madones de nos belles églises gothiques , entre
autres celle de Saint-Denis , qui a été transportée à Saint-
Germain-des-Prés '. Ces modèles exquis de la beauté chré-
tienne se trouvent chez la plupart des marchands où le clergé
et les maisons religieuses , les frères des écoles chrétien-
nes, etc., se fournissent des images qui leur sont nécessaires.
Il semble que leur choix pourrait se fixer sur ces monumens
de l'antique foi, que le zèle de quelques jeunes artistes a mis
à leur portée. Eh bien ! il n'en est rien ; ils sont unanimes
pour préférer cette horrible Vierge du dernier siècle , de
Bouchardon , que l'on retrouve dans toutes les écoles , dans
tous les couvens , dans tous les presbytères , cette Vierge au
front étroit , à l'air insignifiant et commun , aux mains niai-
sement étendues , figure sans grâce et sans dignité , qu'on
dirait inventée à dessein pour discréditer le plus admirable
1 Puisque nous nommons cette statue célèbre , il nous est impossi-
ble de ne pas signaler le vandalisme qui a fait reléguer dans une
obscure sacristie ce chef-d'œuvre de la sculpture chrétienne , tandis
que dans la même église , à la chapelle de la Sainte-Vierge , l'on a
intronisé un pitoyable marbre moderne que l'on doit au ciseau de
feu Dupaty , de l'Académie des Beaux- Arts, digne au reste du fror-
ton classique qui l'encadre en contradiction avec tout le reste de
T église, digne encore des affreuses fresques en grisaille qui la flan-
quent des deux côtés.
Siècle
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£a Sainte iCÇopelle àfWrk
Eudes rie JvWtreaj], Architecte .
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— 195 —J
sujet que la religion offre à l'art. Que penser ensuite , pour
ne pas étendre nos observations hors de Paris, de cette cha-
pelle Saint-Marcel , récemment érigée dans Notre-Dame ',
monstrueuse parodie de cette architecture gothique dont on
avait le plus beau modèle dans l'église même , et où , par un
raffinement exquis de barbarie , on a été peinturlurer en
marbre et dorer une espèce d'arcade qui semble avoir la
prétention d'être ogivale ? On sait qu'à Saint-Merry , ou
Médéric , dans une restauration récente , c'est le diable qui
occupe la place de Dieu et qui préside à l'assemblée des
saints; nouveau système de symbolisme théologique , affirmé
par M. Godde , architecte des églises de Paris et grand-prê-
tre du vandalisme municipal. Est-il possible que de pareilles
choses se passent en 1837, dans la métropole de Paris et de
la France ? Et que sera-ce encore , s'il ne s'élève pas du sein
du clergé une seule voix pour protester contre cet incroya-
ble projet , qui tend à transformer en sacristie la chapelle
propre de la Sainte-Vierge , située au chevet de la basilique,
en violant ainsi l'éternelle règle de l'architectoniqiië chré-
tienne , telle que toutes nos cathédrales nous la révèlent ,
en remplaçant par un lieu d'habillement et de comptabilité,
ce sanctuaire suprême , ce dernier refuge de la prière , que
la tendre piété de nos pères avait toujours réservé au point
culminant de l'église , au sommet de la croix , pour cette
vierge-mère dont Notre-Dame est un des plus beaux tem-
ples?
Enfin , quand finira-t-on de voir s'élever, avec l'approba-
tion du clergé ou par ses soins directs , des édifices comme
Notre-Dame-de-Lorette , Saint- Pierre du Gros- Caillou ,
Saint-Denis du Saint-Sacrement , Notre-Dame-de-Bonne-
Nouvelie , la chapelle de MM. les Lazaristes, rue de Sèvres,
où repose le corps de Saint-Vincent-de-Paul , indignes ma-
1 Dans le transept septentrional.
— 196 —
sures dont les formes lourdes et étriquées à la fois ne sont
conformes qu'au genre classique et païen , contemporain de
la réforme ; tandis que par la contradiction la plus bizarre ,
les protestans construisent dans Paris une assez jolie cha-
pelle gothique ! sur le patron inventé et consacré par le Ca-
tholicisme.
En vérité quand on rapproche ce dernier fait de la quan-
tité d'églises gothiques que l'on voit bâtir chaque jour en An-
gleterre, et du soin religieux avec lequel les protestans an-
glais et allemands conservent le caractère général jusqu'aux
moindres ornemens des belles cathédrales catholiques que
la réforme a fait tomber entre leurs mains , on est tenté de
croire que le protestantisme a usurpé le monopole de l'art
chrétien. Heureusement il n'en est pas ainsi ; les nouvelles
chapelles que les Catholiques anglais fondent en grand nom-
bre sont fidèlement copiées sur les anciennes églises qu'on
leur a prises. Les Jésuites viennent d'achever , à Oscott, un
vaste collège avec une belle église , l'un et l'autre entière-
ment gothiques , et dont le plan aussi bien que les détails ,
rappellent les plus magnifiques abbayes du moyen âge. Au
mois d'octobre de cette année , dans une seule semaine et
dans la même province , on a consacré trois belles églises et
une abbaye de Trappistes , du meilleur style gothique \ Les
Catholiques d'Ecosse et d'Irlande suivent absolument le
même système. Enfin le roi de Bavière , ce souverain si ca-
tholique et si généreusement dévoué à l'art , a fait restaurer,
avec autant de soin que de science , les belles églises de son
» Rue d'Aguesseau-Saint-Honoré. Toutefois , il vient à notre con-
naissance que M. Lemarié est en ce moment occupé d'ériger une
chapelle gothique pour les Dames de la congrégation Notre - Dame ,
dite des Oiseaux, rue de Sèvres.
a Ces trois églises sont celles de la Grâce-Dieu, château de M. Fhi-
lips, qui l'a fait construire ; de Notre-Dame-du-Mont-Saint-Beruard,
et de Whitwich. Voyez Y Ami de la Religion du 7 novembre 1837.
— 197 —
royaume , surtout les cathédrales de Ratisbonne et de Bain-
berg : pour celle-ci le respect scrupuleux de l'art chrétien a
été poussé si loin que l'on a relégué dans un cloître voisin
tous les mausolées modernes , dont le classicisme païen for-
mait un contraste choquant avec le style primitif de la ba-
silique où reposent les corps sacrés de saint Henri et de sainte
Cunégonde. Dans ses constructions nouvelles , ce prince a
embrassé tous les genres d'architecture chrétienne depuis la
basilique des premiers siècles jusqu'au gothique parfait du
quatorzième; et il a su réserver les formes classiques pour le
Valhalla , espèce de Panthéon historique , qui n'a rien de
commun avec la religion. C'est qu'en effet, puisque l'archi-
tecture moderne en est réduite à copier , il faut au moins sa-
voir ordonner ces copies d'une manière conséquente et ra-
tionnelle. S'il y avait quelque nouvelle architecture bien sé-
duisante , bien originale , on conçoit que le clergé se laissât
séduire comme au moment de la renaissance ; mais puisqu'on
n'a encore rien pu inventer qui sorte des deux grandes divi-
sions de l'antique et du moyen âge, du païen et du chrétien,
pourquoi, au nom du ciel , aller choisir de préférence l'hé-
ritage du paganisme pour en faire hommage au Dieu des
chrétiens?
Qu'on ne nous objecte pas le surcroît de dépenses : mau-
vaise raison ou plutôt excuse mensongère , inventée par la
routine et l'ignorance des architectes classiques. Il ne s'agit
pas , dans l'état actuel , d'élever de ces vastes cathédrales,
où presque chaque pierre est un monument de patience et
de génie , œuvres gigantesques que la foi et le désintéresse-
ment peuvent seuls enfanter : il s'agit tout simplement de
réparer, de sauver, de guérir les blessures de celles qui
existent, et puis de bâtir çà et là quelques églises de paroisses
petites et simples. Or, des calculs désintéressés ont prouvé
qu'il n'en coûterait pas plus (peut-être moins) pour adopter
le système ogival ou cintré , sans abondance d'ornemens ,
— 19S —
que pour écraser le sol des masses opaques et percées de
parallélogrammes que Ton construit de nos jours. Si nous
sommes plus pauvres que les Anglais , nous sommes , je
pense , plus riches que les malheureux paysans d'Irlande.
Cependant ces pauvres serfs , tout épuisés qu'ils sont par la
famine, les rentes qu'il leur faut payer à leurs seigneurs ab-
sens du pays , et les dîmes que leur extorque le clergé an-
glican , ces Ilotes , qui n'ont que bien rarement du pain à
manger avec leurs pommes déterre, ces martyrs perpétuels,
obligés après avoir gorgé de leurs dépouilles un clergé
étranger, de nourrir encore celui qui les console dans leur
misère, et de faire une liste civile à O'Connell , ce roi de la
parole qui les conduit à la liberté; ces Irlandais bâtissent
\ eux aussi des églises pour abriter leur foi , qui ose enfin se
montrer au grand jour ; et toutes ces églises sont gothiques ! !
Comme dans toute l'Europe , après la grande frayeur de la
fin du dixième siècle , le sol de cette pauvre Irlande ; tout
fraîchement délivrée d'une affreuse servitude, se couvre
d'une blanche parure d'églises dignes de ce nom , excu-
tiendo semet, rejectâ vetustate, passim candidam ec-
clesiarum vestem induit (Raduîph Glaber, m, tx). Ils vien-
nent, cette année même, de faire consacrer une belle cathé-
drale par leur archevêque patriote, monseigneur M'Hale, à
Tuam. Voilà ce qu'ils font, ces glorieux mendians! Et nous,
Français, nous sommes encore à nous traîner servilement
dans l'ornière que nous a tracée le conseil des bâtimens
civils !
Mais on nous objectera peut-être que le clergé n'est plus,
• Pour être exact, il faut avouer que la chapelle métropolitaine de
Marlborough-Street , à Dublin , est bâtie dans le genre classique ,
parce que, commencée il y a plusieurs années, à une époque où
le mauvais goût était encore puissant , même en Angleterre , elle a
été achevée d'après le plan primitif.
— 199 —
comme autrefois , le maître absolu de tous les édifices reli-
gieux ; que, par une inconséquence ridicule et illégale, mais
passée en usage dans nos mœurs administratives, il n'a plus
le droit exclusif d'accepter ou de rejeter les œuvres d'art
qu'on y place , les travaux qu'on y fait ; qu'il ne lui est pas
libre de s'opposer aux déprédations qu'y commettent les ar-
chitectes municipaux , ni d'empêcher le gouvernement de
s'habituer à regarder les églises comme autant de galeries
où il lui est loisible d'exposer à demeure les tableaux soi-
disant religieux que la protection d'un député ou le caprice
d'un employé subalterne aura fait acheter. Cela n'est que
trop vrai; mais il n'en est pas moins positif que le clergé
fait exécuter une foule de travaux importans pour son pro-
pre compte ; c'est sur ceux-là que roulent nos observations
précédentes. Il y a , en outre , beaucoup de petites commu-
nes en France qui , pour devenir paroisses et avoir un curé
à elles , s'imposent de grands sacrifices pour construire à
leurs frais des églises, sans autres conseils que ceux des
prêtres du voisinage, sans autre surveillance que la leur. Ce
serait là une voie aussi naturelle qu'honorable de rentrer
dans le vrai. D'un autre côté , il est malheureusement in-
contestable que le clergé n'a manifesté que très rarement
son opposition au vandalisme des architectes officiels,
au scandale des tableaux périodiquement octroyés aux
églises. Il le pourrait cependant, nous en sommes persua-
dés, en s'appuyant sur ses. droits imprescriptibles, et sur
des textes de lois dont l'interprétation actuelle est abusive.
Il le pourrait bien mieux encore en invoquant le bon sens
et le bon goût du public , qui ne manquerait pas de réagir
aussi sur l'esprit de l'administration. Il y aurait unanimité
'chez les gens de goût, chez les véritables artistes, pour
venir au secours d'une protestation semblable de la part du
clergé: l'opinion est délicate et sûre en ces matières, comme
on l'a vu récemment lors des sages restrictions mises par
— 200 —
Mgr l'archevêque de Paris à l'abus de la musique théâtrale
dans les églises; la victoire serait bientôt gagnée. Quant à
nous , si nous avions l'honneur d'être évêque ou curé , il n'y
a pas de force humaine qui put nous contraindre à consa-
crer des églises comme Notre-Dame-de-Lorette , à accepter
des statues comme celles qu'on destine à la Madeleine , à
subir des tableaux comme ceux que l'on voit dans toutes les
paroisses de Paris, avec une pancarte qui annonce pompeu-
sement qu'ils ont été donnés par la ville ou le gouverne-
ment. En outre , si nous avions l'honneur d'être évêque ou
curé, nous ne confierions jamais pour notre propre compte,
des travaux d'art religieux à un artiste quelconque , sans
nous être assuré , non seulement de son talent , mais de sa
foi et de sa science en matière de religion : nous ne lui de-
manderions pas combien de tableaux il a exposés au Sa-
lon , ni sous quel maître païen il a appris à manier les
pinceaux, nous lui dirions : « Croyez-vous au symbole que
vous allez représenter, au fait que vous allez reproduire?
ou , si vous n'y croyez pas , avez-vous du moins étudié la
vaste tradition de l'art chrétien , la nature et les conditions
essentielles de votre entreprise? Voulez-vous travailler, non
pour un vil lucre , mais pour l'édification de vos frères et
l'ornement de la maison de Dieu et des pauvres? S'il en est
ainsi , mettez-vous à l'œuvre ; sinon , non. > Nous deman-
dons pardon de la trivialité de la comparaison ; mais, en
vérité , c'est le cas de renouveler la fameuse recette de la
Cuisinière bourgeoise, et de dire : c Pour faire une œuvre
religieuse, prenez de la religion , etc. »
Qu'on nous permette une dernière considération. Dans
les beaux travaux qui ont paru jusqu'à présent en France
sur l'art du moyen âge , et dont nous avons cité plus haut
les auteurs , on remarque un vide que l'on peut dénoncer
sans être injuste envers les hommes laborieux et intelligens
qui ont ouvert la voie. Ce vide , c'est celui de l'idée fonda-
— 201 —
mentale, du sens intime, de cette mens divinior qui animait
tout l'art du moyen âge , et plus spécialement son architec-
ture. On a parfaitement décrit les monumens , réhabilité
leur beauté , fixé leurs dates , distingué et classifié leurs
genres et leurs divers caractères avec une perspicacité mer-
veilleuse ; mais on ne s'est pas encore occupé , que nous
sachions, de déterminer le profond symbolisme , les lois ré-
gulières et harmoniques, la vie spirituelle et mystérieuse de
tout ce que les siècles chrétiens nous ont laissé. C'est là
cependant la clef de l'énigme ; et la science sera radicale-
ment incomplète , tant que nous ne l'aurons pas découvert.
Or, nous croyons que le clergé est spécialement appelé à
fournir cette clef, et c'est pourquoi nous regardons son
intervention dans la renaissance de notre art chrétien et
national , non seulement comme prescrite par ses devoirs
et ses intérêts , mais encore comme utile et indispensable
aux progrès de cette renaissance et à sa véritable stabilité.
En effet , par la nature spéciale de ses études , par la con-
naissance qu'il a, ou qu'il devrait avoir, de la théologie
du moyen âge, des auteurs ascétiques et mystiques, des
vieux rituels , de toutes ces anciennes liturgies , si admira-
bles, si fécondes et si oubliées, enfin et surtout par la pra-
tique et la méditation de la vie spirituelle impliquée par tous
les actes qui se célèbrent dans une église , le clergé seul est
en mesure de puiser à ces sources abondantes les lumières
définitives qui manquent à l'œuvre commune. Qu'il sache
donc reprendre son rôle naturel , qu'il revendique ce noble
patrimoine , qu'il vienne compléter et couronner la science
renaissante par la révélation du dernier mot de cette science.
Qu'il ne croie pas en faire assez , lorsqu'il n'étudiera que
les dates , la classification , les caractères matériels des an-
ciens monumens : c'est là l'œuvre de tout le monde. Il n'y a
pas besoin d'être prêtre , ni même catholique pour cela ;
on en voit des exemples tous les jours. Le clergé a , dans
— 202 —
l'art, une mission plus difficile, mais aussi bien autrement
élevée.
En terminant, nous ne demanderons pas pardon de la
brusque franchise , de la violence même , si l'on veut , que
nous avons mise à protester contre les maux actuels de l'art
religieux ; la véritejious excusera , et nous vaudra l'indul-
gente sympathie des cœurs sincères et des intelligences
droites. L'avenir nous justifiera. Si la lutte continue avec
la même constance qui a été montrée jusqu'ici, si l'instinct
du public se développe avec la même progression , on peut
nourrir l'espérance d'une victoire prochaine. Il nous sera
peut-être donné de voir de nos yeux des évêques qui ne rou-
giront pas d'être architectes, au moins par la pensée, comme
leurs plus illustres prédécesseurs, et aussi décidés à repous-
ser de leurs églises l'indécent , le profane , les innovations
païennes , qu'à anathématiser une hérésie ou un scandale.
Peut-être alors verrons-nous encore des artistes qui com-
prendront que la foi est la première condition du génie
chrétien, et qui ne rougiront pas de s'agenouiller devant les
autels qu'ils aspirent à orner de leurs œuvres. Quant à nous,
si nos faibles paroles avaient pu ranimer quelque courage
éteint ou porter une seule étincelle de lumière dans un es-
prit de bonne foi, notre récompense serait suffisante, et
notre alliance se trouverait ainsi consommée avec ces jeunes
artistes * qui se dévouent à faire rentrer dans l'art consacré
» La justice et la sympathie que nous éprouvons pour toutes les
tentatives de régénération catholique de Fart , nous font un devoir
de recommander à nos lecteurs des œuvres dont nous n'avons eu cou-
naissance qu'après avoir terminé le travail qui précède.
Nous nommerons donc ici M. Baptiste Petit-Girard , qui semble
appelé à régénérer l'art si délicieux de la miniature chrétienne;
M. Charles Vasserot, qui a eiposé d'admirables études sur la cathé-
drale d'Amiens et les églises d'Amalfi ; M. Boileau qui, d'humble
menuisier, est devenu sculpteur en bois pour doter l'église de Saint-
— 203 —
au Christianisme ces caractères de pureté, de dignité et d'é-
lévation morale, seuls dignes delà majesté de ses mystères
et de ses destinées immortelles. Tous ensemble, ne perdons
pas courage , et saluons cet avenir qui doit remettre en
honneur la loi antique et souveraine de l'art , cette loi si
cruellement méconnue depuis trois siècles , qui proclame
que le beau n'est que la splendeur du vrai.
Ce qui précède était écrit, lorsque dans une de ces vieilles
Vies des Saints , toutes nourries de cette poésie de la foi
qui a fait le charme et le bonheur de nos pères pendant tant
de siècles, dans une de ces légendes volumineuses qu'on li-
sait jadis dans toutes les chaumières , et qui ont été mises
de côté par le même esprit qui a défoncé les vitraux, badi-
geonné les cathédrales , rogné les flèches et métamorphosé
les anciennes liturgies , nous avons trouvé une belle et tou-
chante histoire qui nous semble pouvoir servir tout natu-
Antoine de Compiègne d'une chaire gothique que son auteur a eu le
bon esprit de rendre conforme aux anciens modèles, première chaire
vraiment chrétienne et raisonnable qu'ait enfantée la France mo-
derne. M. Boileau, âgé de 24 ans seulement, eiécute en ce mo-
ment et au compte du chapitre , deux chaires épiscopales pour la
cathédrale de Beauvais. Enfin , nous ne pouvons passer sous silence
le livre d'Heures , qui a paru dernièrement , avec des compositions
de M. Gérard Séguin, et dont chaque page est encadrée par des or-
nemens dus à M. Daniel Ramée, d'une variété, d'une sévérité et
d'une exactitude historique qui forment le plus agréable contraste
avec le pitoyable abus qu'on fait du gothique dans la plupart des
illustrations de nos jours. Ce livre oïre une heureuse idée dont la
réalisation est satisfaisante, et un heureux contraste avec d'autres
productions du même genre. Il est à regretter seulement qu'on n'ait
pas préféré la liturgie romaine à la liturgie parisienne , et que ces
beaux encadremens du moyen âge servent d'accompagnement à des
hymnes classiques du dix-septième et du dix-huitième siècle.
— 20& —
reilement d'épilogue à notre travail , et que nous citerons
dans son vieux langage :
« L'Église célèbre ce mesme jour la feste de cinq glorieux
martyrs, qui estoient excellens sculpteurs et chrestiens,
hormis Simplicien qui estoit payen , lequel voyant que les
ouvrages de marbre et d'autres riches estoffes de ses quatre
compagnons se trouvoient si parfaicts et accomplis, qu'en les
eslabourant tout leur succédoit comme ils l'eussent pu dé-
sirer, là où au contraire il gastoit beaucoup d'outils de son
art. 11 demanda à Simphorien, qui estoit le premier de tous,
d'où venoit cela? Il lui respondit que toujours en prenant
quelque instrument pour le travail , ils invoquoient le nom
de Jésus-Christ leur Dieu, et luy remonstra si bien, que par
la faveur de Notre-Seigneur il fut converty , et baptisé par
un sainct evesque, nommé Cyrille , et mourut constamment
avec ses quatre compagnons pour la foy chrestienne. D'au-
tant que l'empereur leur ayant commandé de faire un ou-
vrage de certaine idole, entre plusieurs animaux, ils repré-
sentèrent bien au vif les animaux , mais ils ne voulurent
jamais esbaucher l'idole.... L'empereur sachant cela, cuida
crever de despit , et fit faire des cercueils de plomb , dans
lesquels il fit enfermer les cinq martyrs, et puis jeter au fond
de la rivière, par lequel martyre ils achevèrent glorieuse-
ment le cours de leur pèlerinage, et gaignèrent la couronne
d'immortalité *. »
Disons-le franchement : de même que Simplicien alla de
l'atelier au baptême, et du baptême au martyre, ainsi faut-
il que nos jeunes artistes qui aspirent à régénérer l'art reli-
gieux, sachent aller avec simplicité au baptême de la foi, et
braver ce martyre du ridicule et de l'invective que leur pro-
met une impitoyable critique.
1 la Fleur des Sainte, p. 1037, au 8 novembre.
2lppnTïritt.
i.
DE L'ATTITUDE ACTUELLE DU VANDALISME
EN FRANCE,
. . 1838.
Nous sommes engagés en ce moment dans une lutte qui
ne sera pas sans quelque importance dans l'histoire, et qui
tient, de près et de loin, à des intérêts et à des principes
d'un ordre trop élevé pour être effleurés en passant. En fait,
il s'agit simplement de savoir si la France arrêtera enfin le
cours des dévastations qui s'effectuent chez elle depuis deux
siècles, et spécialement depuis cinquante ans, avec un achar-
nement dont aucune autre nation et aucune autre époque
n'a donné l'exemple ; ou bien si elle persévérera dans cette
voie de ruines, jusqu'à ce que le dernier de ses anciens sou-
venirs soit effacé , le dernier de ses monumens nationaux
rasé, et que, soumise sans réserve à la parure q e lui pré-
— 206 —
parent les ingénieurs et les architectes modernes, elle n'of-
fre plus à l'étranger et à la postérité qu'une sorte de damier
monotone peuplé de chiffres de la même valeur, ou de pions
taillés sur le même modèle.
Quoi qu'il en soit, et quel que doive être le résultat des
tentatives actuelles en faveur d'un meilleur ordre de cho-
ses, il est certain qu'il y a eu, depuis un petit nombre d'an-
nées, un point d'arrêt ; que si le fleuve du vandalisme n'en a
pas moins continué ses ravages périodiques, du moins quel-
ques faibles digues ont été indiquées plutôt qu'élevées, quel-
ques clameurs énergiques ont interrompu le silence coupable
et stupide qui régnait sous l'Empire -et la Restauration. Gela
suffit pour signaler notre époque dans l'histoire de l'art et
des idées qui le dominent. C'est pourquoi j'ose croire qu'il
peut n'être pas sans intérêt de continuer ce que j'ai com-
mencé il y a cinq ans, de rassembler un certain nombre de
faits caractéristiques qui puissent faire juger de l'étendue du
mal et mesurer les progrès encore incertains du bien. J'ai
grande confiance dans la publicité à cet égard; c'est tou-
jours un appel à l'avenir, alors que ce n'est point un remède
pour le présent. Si chaque ami de l'histoire et de l'art na-
tional tenait note de ses souvenirs et de ses découvertes en
fait de vandalisme , s'il les soumettait ensuite avec courage
et persévérance au jugement du public, au risque de le fati-
guer quelquefois comme je vais le faire aujourd'hui , par
une nomenclature monotone et souvent triviale, il est pro-
bable que le domaine de ce vandalisme se rétrécirait de jour
en jour, et dans la même mesure où l'on verrait s'accroître
cette réprobation morale qui , chez toute nation civilisée ,
doit stigmatiser le mépris du passé et la destruction de
l'histoire.
Il est juste de commencer la revue trop incomplète que je
me propose de faire, par le sommet de l'échelle sociale, c'est-
à-dire par le gouvernement. Autant j'ai mis de violence à
— 207 —
l'attaquer en 1833, autant je lui dois déloges aujourd'hui
pour l'heureuse tendance qu'il manifeste en faveur de nos
monumens historiques , pour la protection tardive , mais af-
fectueuse , dont il les entoure. Ce sera un éternel honneur
pour le gouvernement de juillet que cet arrêté de son pre-
mier ministre de l'intérieur, rendu presque au milieu de la
confusion du combat et de toute l'effervescence de la victoi-
re, par lequel on instituait un inspecteur-général des monu-
mens historiques , à peu près au même moment où l'on
inaugurait le roi de la révolution. C'était un admirable té-
moignage de confiance dans l'avenir, en même temps que
de respect pour le passé. On déclarait ainsi que l'on pouvait
désormais étudier et apprécier impunément ce passé, parce
que toute crainte de son retour était impossible. Cet arrêté
nous a valu tout d'abord un excellent rapport * sur les mo-
numens d'une portion notable de l'Ile-de-France, de l'Artois
et du Hainaut , signé par le premier inspecteur-général ,
M. Vitet. C'était, si je ne me trompe, depuis les fameux
rapports de Grégoire à la Convention, sur la destruction des
monumens, la première marque officielle d'estime donnée
par un fonctionnaire public aux souvenirs de notre histoire.
A cette première impulsion ont succédé , il faut le dire , de
l'insouciance et de l'oubli , que l'on peut , sans trop d'in-
justice , attribuer aux douloureuses préoccupations qui ont
rempli les premières années de notre révolution. Cependant
le progrès des études historiques , fortement organisé et
poussé par M. Guizot , amenait nécessairement celui des
1 Rapport à M. le Ministre de l'intérieur sur les monumens, etc.,
des départemens de l'Oise, de l'Aisne, de la Marne, du Nord et du
Pas-de-Calais, par M. L. Vitet. Paris, de l'imprimerie royale, 1831.
— Depuis, M. Mérimée, qui a remplacé M. Vitet, a étendu la sphère
de ses explorations et nous a donné deux volumes pleins de rensei-
gnemens curieux sur l'état des monumens dans l'ouest et le midi de
la France.
— 208 —
études sur l'art. Aussi vit-on ces études former un des ob-
jets du second comité historique , institué au ministère de
l'instruction publique en 1834. Avec le calme revint une
sollicitude plus étendue et plus vigoureuse; on demanda
aux chambres et on obtint, quoique avec peine, une somme
de 200,000 francs pour subvenir aux premiers besoins de
l'entretien des monumens historiques. M. le comte de Mon-
talivet a mis le sceau à cette heureuse réaction en créant ,
le 29 septembre 1837, une commission spécialement char-
gée de veiller à la conservation des anciens monumens, et
de répartir entre eux la modique allocation portée au bud-
get sous ce titre. De son côté M. de Salvandy, étendant et
complétant l'œuvre de M. Guizot, a créé ce comité histori-
que des arts et monumens que le rapport de M. de Gasparin
a fait connaître au public, et qui, sous l'active et zélée direc-
tion de cet ancien ministre , s'occupe avec ardeur de la re-
production de nos chefs-d'œuvre, en même temps qu'il
dénonce à l'opinion les actes de vandalisme qui parviennent
à sa connaissance. Enfin, M. le garde -des-sceaux, en sa
qualité de ministre des cultes , a publié une excellente cir-
culaire sur les mesures à suivre pour la restauration des
édifices religieux, circulaire à laquelle il ne manquera que
d'être suffisamment connue et répandue dans le clergé. Il
faut espérer maintenant que la chambre des députés renon-
cera à la parcimonie mesquine qui a jusqu'à présent présidé
à ses votes en faveur de l'art, et qu'elle suivra l'impulsion
donnée par le pouvoir.
Il y a là, avouons-le, un contraste heureux et remarqua-
ble avec ce qui se passait sous la Restauration. Loin de moi
la pensée d'élever des récriminations inutiles contre un ré-
gime qui a si cruellement expié ses fautes, et à qui nous
devons, après tout, et nos habitudes const tutionnelles et la
plupart de nos libertés ; mais , en bonne justice , il est im-
possible de ne pas signaler une différence si honorable pour
— 209 —
notre époque et notre nouveau gouvernement. Chose étran-
ge ! la Restauration, à qui son nom seul semblait imposer la
mission spéciale de réparer et de conserver les monnmens du
passé, a été tout au contraire une époque de destruction
sans limites; et il n'a fallu rien moins qu'un changement de
dynastie pour qu'on s'aperçût dans les régions du pouvoir
qu'il y avait quelque chose à faire, au nom du gouverne-
ment, pour sauver l'histoire et l'art national. Sous l'Empire,
le ministre de l'intérieur, par une circulaire du k juin 1810,
fit demander à tous les préfets des renseigne oiens sur les an-
ciens châteaux et les anciennes abbayes de l'Empire. J'ai vu
des copies de plusieurs mémoires fournis en exécution de
cet ordre ; ils sont pleins de détails curieux sur l'état de ces
monumens à cette époque, et il doit en exister un grand
nombre au bureau de statistique. Sous la Restauration,
M.Siméon, étant ministre de l'intérieur, adopta une mesure
semblable, mais on ne voit pas qu'il ait produit des résultats.
Le déplorable système d'insouciance qui a régné jusqu'en
1816 à 1830, se résume tout entier dans celle ordonnance,
qu'on ne pourra jamais assez regretter, par laquelle le ma-
gnifique dépôt des monumens historiques, formé aux Petits-
Augustins, fut détruit et dispersé, sous prétexte de restitu-
tion à des propriétaires qui n'existaient plus, ou qui ne
savaient que faire de ce qu'on leur rendait. Je ne sache pas,
en effet, un seul de ces monumens rendus à des particuliers
qui soit encore conservé pour le pays, et. je serais heureux
qu'on pût me signaler des exceptions individuelles à cette
funeste généralité. Et cependant, malgré la difficulté bien
connue de disposer de ces glorieux débris, on ne voulut ja-
mais permettre au fondateur de ce musée unique, homme
illustre et trop peu apprécié par tous les pouvoirs, à M. Ale-
xandre Lenoir, de former un restant de collection i>vec ce
que personne ne réclamait. Ce mépris, cette impardonnable
négligence de l'antiquité chez un gouvernement qui puisait
14
— 210 —
sa principale force dans cette antiquité même, s'étendit jus-
qu'au Conservatoire de Musique, puisque l'on a été disperser
ou vendre à vil prix la curieuse collection d'anciens instru-
mens de musique qui y avait été formée, ainsi que l'a révélé
le savant bibliothécaire de cet établissement, M. Bottée de
Toulmon, à une des dernières séances du Comité des Arts.
Ce système de ruine , si puissant à Paris , se pratiquait sur
une échelle encore plus vaste dans les provinces. Qui pour-
rait croire que, sous un gouvernement religieux et moral,
la municipalité d'Angers , présidée par un député de l'ex-
trême droite, ait pu installer un théâtre dans l'église gothi-
que de Saint-Pierre ? Qui pourrait croire qu'à Arles, l'église
de Saint-Césaire , regardée par les plus savans antiquaires
comme une des plus anciennes de France , ait été transfor-
mée en mauvais lieu, sans qu'aucun fonctionnaire ait ré-
clamé? Qui croirait que, au retour des rois très-chrétiens , il
n'ait été rien fait pour arracher à sa profanation militaire le
magnifique palais des papes d'Avignon ? Qui croirait enfin
qu'à Clairvaux, dans ce sanctuaire si célèbre, et qui dépen-
dait alors directement du pouvoir, l'église si belle, si vaste,
d'un grandiose si couplet ; cette église du xne siècle que l'on
disait grande comme Notre-Dame de Paris , l'église com-
mencée par saint Bernard , et où reposaient , à coté de ses
reliques, tant de reines, tant de princes, tant de pieuses gé-
nérations de moines, et le cœur d'Isabelle , fille de saint
Louis; cette église qui avait traversé, debout et entière , la
République et l'Empire, ait attendu, pour tomber, la pre-
mière année de la Restauration? Elle fut rasée alors, avec
toutes ses chapelles attenantes , sans qu'il en restât pierre
sur pierre, pas même la tombe de saint Bernard , et cela
pour faire une place , plantée d'arbres , au centre de la pri-
son, qui a remplacé le monastère.
Pour ne pas nous éloigner de Clairvaux et du département
le l'Aube, il faut savoir qu'il s'est trouvé un préfet de la
— 211 —
Restauration qui a fait vendre au poids sept cents livres pe-
sant des archives de ce même Clairvaux, transportées à la
préfecture de Troyes. Le reste est encore là, dans les gre-
niers d'où il les a tirés pour faire cette belle spéculation :
et j'ai marché en rougissant sur des tas de diplômes , parmi
lesquels j'en ai ramassé, sous mes pieds, du pape Urbain IV,
né à Troyes même , fils d'un cordonnier de cette ville , et
probablement le plus illustre enfant de cette province. Ce
même préfet a rasé les derniers débris du palais des anciens
comtes de Champagne , de cette belle et poétique dynastie
des Thibaud et des Henri-le-Large, parce qu'ils se trouvaient
air la ligne d'un chemin de ronde qu'il avait malheureuse-
ment imaginé. La charmante porte Saint-Jacques, construite
sous François 1er; la porte du Beffroy, ont eu le même sort.
Un autre préfet de la Restauration , dans l'Eure-et-Loir ,
nous a-t-on dit, n'a éprouvé aucun scrupule à se laisser
donner plusieurs vitraux de la cathédrale de Chartres, pour
en orner la chapelle de son château. Ce qui est sûr, c'est
qu'il n'y a pas un département de France où il ne se soit
consommé , pendant les quinze années de la Restauration ,
plus d'irrémédiables dévastations, que pendant toute la du-
rée de la République et de l'Empire ; non pas toujours, il s'en
faut, par le fait direct de ce gouvernement , mais toujours
sous ses yeux, avec sa tolérance, et sans éveiller la moindre
marque de sa sollicitude.
Une pareille honte semble , Dieu merci, être écartée pour
l'avenir, quoique dans les allures du gouvernement actuel
tout ne soit pas également digne d'éloges. Pourquoi faut-il,
par exemple , qu'à côté des mesures utiles et intelligentes
dont nous avons parlé plus haut , il y ait quelquefois des
actes comme celui que nous allons citer ? Une société s'est
formée en Normandie sous le titre de Société française,
pour la conservation des monumens ; elle a pour créateur
M. deCaumont, cet infatigable et savant archéologue' qui a
— 212 —
plus fait que personne pour populariser le goût et la seience
de l'art historique ; elle a réussi, après maintes difficultés, à
enrégimenter dans ses rangs les propriétaires, les ecclésias-
tiques, les magistrats, les artistes, non seulement de la Nor-
mandie, mais encore des provinces voisines. Elle publie un
recueil mensuel plein de faits et de renseignemens curieux,
sous le titre de Bulletin monumental; et ce qui vaut en-
core mieux, avec le produit des cotisations de ses membres,
elle donne des secours aux fabriques des églises menacées ,
et obtient ainsi le droit d'arrêter beaucoup de destructions,
et celui plus précieux encore d'intervenir dans les répara-
tions. Voilà, on l'avouera , une société qui n'a pas sa rivale
en France , ni peut-être en Europe , et qui méritait , à coup
sûr, l'appui et la faveur du pouvoir. Or, devine-t-on quel
appui elle en a reçu? M. le ministre de l'intérieur lui a al-
loué la somme de trois cents francs , à titre d encourage-
ment ! Que penser d'un encouragement de ce genre? Et
n'est-ce pas plutôt une insulte , une véritable dérision , que
de jeter cent écus à une association d'hommes considérables
dans leur pays , et dont le zèle et le dévouement sont pro-
pres à servir de modèles au gouvernement? Espérons au
moins que l'année prochaine ce délit contre l'art et l'histoire
sera réparé d'une manière conforme au bons sens et à la
justice.
Après le pouvoir central , il est juste de citer un certain
nombre de magistrats et de corps constitués, qui ont noble-
ment secondé son impulsion. Ainsi plusieurs préfets , parmi
lesquels je dois spécialement désigner MM. les préfets du
Calvados et de l'Eure ; M. Gabriel , préfet à Troyes , après
l'avoir été à Auch ; M. Rivet , à Lyon ; M. Chaper, à Dijon,
et surtout M. le comte de Rambuteau, à Paris, se montrent
pleins de zèle pour la conservation des édifices anciens de
leurs départemens. Ainsi, quelques conseils-généraux, et au
— 213 ~
premier rang ceux des Deux-Sèvres ! , de l'Yonne a, et de la
Haute-Loire, ont voté des allocations destinées à racheter et
à réparer des monumens qu'ils estiment, ajuste titre, comme
la gloire de leur contrée. Malheureusement ces exemples sont
encore très peu nombreux , et se concentrent dans la sphère
des fonctionnaires les plus élevés, et par conséquent les plus
absorbés par d'autres devoirs. Partout, ou presque partout,
les archives départementales et communales sont dans un
état de grand désordre ; si dans quelques villes elles sont
confiées à des hommes pleins de zèle et de science comme ,
par exemple, à M. Maillard de Chambure, à Dijon ; ailleurs,
à Perpignan, il y a peu d'années qu'on découpait les parche-
mins en couvercles de pots de confiture, et à Chaumont, on
déchirait, tailladait et vendait à la livre tout ce qui ne pa-
raissait pas être titre communal. Mais comment s'étonner
de cette négligence , lorsqu'on voit la chambre des députés
refuser, dans sa séance du 30 mai dernier, une misérable
somme de 25,000 francs, destinée à élever des bibliothèques
administratives dans quelques préfectures. Dans les admi-
1 La délibération de ce conseil-général, dans sa session de 1838,
mérite d'être citée textuellement. Après avoir voté 4,000 fr., au Jieu
de 3,000 que le préfet proposait, pour huit anciennes églises du dé-
partement, le conseil demande que ces sommes ne soient employées
que sou3 la direction de l'architecte du département et les avis de
M. de La Fontanelle, membre correspondant des comités historiques
établis près le ministère de l'instruction publique. Il recommande à
ML l'Architecte de veiller à ce qu'on ne fas3e pas disparaître, comme
il n'arrive que trop souvent, les parties de l'édifice qui rappellent
l'état de l'art dans le pays, et qui méritent, par cela seul, d'être
conservées de préférence par des réparations faites dans le même
style.
a Celui-ci a sauvé , par sa généreuse intervention , deux églises
aussi précieuses pour l'histoire que pour l'art : Vezelay, où saint Ber-
nard prêcha la croisade, et Fonligny, qui servit d'asile à saint Tho-
mas de Cnnlorbcry pendant *on exil en France.
nisf rations d'un ordre inférieur, dans le génie civil et mili-
taire surtout, la ruine et le mépris des souvenirs historiques
sont encore à l'ordre du jour *. Et lorsque nous mettons le
pied sur le trop vaste domaine des autorités locales et mu-
nicipales, nous retombons en plein dans la catégorie la plus
vaste et la plus dangereuse du vandalisme destructeur. Qu'on
me permette de citer quelques exemples.
Ce sont sans doute de fort belles choses que l'alignement
des rues et le redressement des routes , ainsi que la facilité
des communications et l'assainissement qui doivent en ré-
sulter. Mais on ne viendra pas à bout de me persuader que
les ingénieurs et les architectes ne doivent pas être arrêtés
dans leur omnipotence, par la pensée d'enlever au pays qu'ils
veulent servir, à la ville qu'ils veulent embellir, un de ces
monumens qui en révèlent l'histoire, qui attirent les étran-
gers , et qui donnent à une localité ce caractère spécial qui
ne peut pas plus être remplacé par les produits de leur gé-
nie et de leur savoir qu'un nom ne peut l'être par un chiffre.
Je ne saurais admettre que cet amour désordonné de la ligne
droite qui caractérise tous nos travaux d'art et de viabilité
modernes , doive triompher de la beauté et de l'antiquité ,
comme il triomphe à peu près partout de l'économie *. Je ne
saurais croire que le progrès tant vanté des sciences et des
arts mécaniques doive aboutir en dernière analyse à niveler
1 Parmi les exploits du génie militaire , il faut citer le badigeon-
nage des vieilles fresques qui ornaient la chapelle de la citadelle de
Perpignan , où a eu lieu le procès du général Brossard.
a On pourrait citer de nombreuses localités où des chemins , em-
pierrés à grands frais , ont été pioches et transformés en bourbier,
les ressources des communes et des départemens scandaleusement
gaspillées, et tous les besoin» des populations méconnus, parce que
, le pédantisme de quelque jeune ingénieur aura exigé la rectification,
non pas d'une pente , mais une innocente et insensible courbe d'un
ou deux pieds.
— 215 — •
le pays sous le joug de cette ligne droite, c'est-à-dire de h
forme la plus élémentaire et la plus stérile qui existe, au
détriment de toutes les considérations de beauté et même dfe
prudence. Ce ne serait vraiment pas la peine de se féliciter
du talent des jeunes savans qui sortent de nos écoles , si ce
talent se borne à tailler la surface de la France et de ses villes
en carrés plus ou moins grands, et à renverser impitoyable-
ment tout ce qui se trouve sur le chemin de leur règle. C'est
cependant là le principe qui semble prévaloir dans tous les
travaux publics de notre temps et qui amène chaque jour de-
nouvelles ruines. Ainsi à Dinan, dans une petite ville de Bre-
tagne où il ne passe peut-être pas vingt voitures par jour,
pour élargir une rue des moins passagères , n'a-t-on pas é(é
détruire la belle façade de l'hospice et de son église, l'un des
monumens les plus curieux de ces contrées ? Le maire a essayé
d'en faire transporter une partie contre le mur du cimetière,
mais tout s'est brisé en route. C'est ainsi que naguère, à Di-
jon, l'église St-Jean, si curieuse par l'extrême hardiesse de
sa voûte, qui s'appuie sur les murs de côté, sans aucune co-
lonne, cette belle église, que le xvme siècle lui-même avair,
remarquée, réduite aujourd'hui à servir de magasin de ton-
neaux, s'est vue honteusement mutilée : on a élagué son
chœur, rien que cela , comme une branche d'arbre inutile,
et un mur qui rejoint les deux transepts sépare la nef du
pavé des voitures. On n'en agit ainsi qu'avec les monumens
publies et surtout religieux : il en serait tout autrement s'il
était question d'intérêts privés. Que les maisons voisines
embarrassent autant et plus la voie publique , c'est un mal
qu'on subit; mais on se dit : « Commençons par ruiner l'é-
glise ; c'est toujours cela de gagné ; » et l'on peut affirmer har-
diment que le moindre cabaret est aujourd'hui plus à l'abri des
prétentions des élargisseurs que le plus curieux monument
du moyen âge. A Dieppe, toujours pour élargir, n'a-t-on pas
détruit la belle porte de la Barre , avec ses deux grosses
— 216 —
lours, par laquelle on arrivait de Paris ; et cela, sans doute,
pour la remplacer par une de ces grilles monotones , flan-
quées de deux hideux pavillons d'octroi, avec porche et
fronton, cet idéal de 1 entrée d'une ville moderne, au dessus
duquel le génie de nos architectes n'a pas encore pu s'élever.
A Thouars, le vaste et magnifique château des La Tremoille
va êlre démoli pour ouvrir un passage à la grande route :
ce château date presque entièrement du moyen âge , et l'on
sait que les monumens militaires de cette époque sont d'une
rareté désespérante. A Paris, nous approuvons de tout no-
tre cœur les nouvelles rues de la Cité , mais sans admettre
la nécessité absolue de détruire ce qui restait des anciennes
églises de Saint- Landry et de Saint-Pierre-aux-Bœufs , dont
les noms se rattachent aux premiers jours de l'histoire de la
capitale ; et si le prolongement de la rue Rac^jne eût porté
un peu plus à droite eu à gauche , de manière à ne pas pro-
duire une ligne absolument droite de FOdéon à la rue de La
Harpe , il nous semble qu'on eût trouvé une compensation
suffisante dans la conservation de la précieuse église de
Saint-Côme , qui, bien que souillée par son usage moderne,
n'en était pas moins l'unique de sa date et de son style à
Paris. A Poitiers, la fureur de l'alignement est poussée si
loin, que M. Vitet s'est attiré toute l'animadversion du con-
seil municipal , pour avoir insisté, en sa qualité d'inspecteur-
général, pour le maintien du monument le plus ancien de
cette ville, le baptistère de Saint- Jean, dont on place l'ori-
gine entre le vie et le vme siècle : malheureusement ce tem-
ple se trouve entre le pont et le marché aux veaux et aux
poissons , et quoiqu'il y ait toute la largeur convenable pour
que lesdits veaux et poissons soient voitures tout à leur aise
autour du vénérable débris d'architecture franke , il n'en
est pas moins désagréable aux yeux éclairés de ces magistrats,
déjà renommés par la destruction de leurs remparts et de
leurs anciennes portes. Ils se sont révoltés contre la préten-
~~ 217 —
tion de leur faire conserver malgré eux un obstacle à la
circulation/ de là des pamphlets contre l'audacieux M. Vi-
tet, dans lesquels il était dénoncé aux bouchers et aux pois-
sardes comme coupable d'encombrer les abords de leur
marché ; de là , demande au gouvernement d'une somme
de douze mille francs, pour compenser cet irréparable dom-
mage; de là, plainte jusque devant le conseil d'état, où la
cause de l'histoire, de l'art et delà raison, n'a pu triompher,
dit-on, qu'à la majorité dune seule voix. Terminons l'his-
toire de ces funestes alignemens, en rappelant qu'au mo-
ment même où nous écrivons , Valenciennes voit disparaître
la dernière arcade gothique qui ornait ses rues, qui lui rap-
pelait son ancienne splendeur, alors qu'elle partageait avec
Mons l'honneur d'être la capitale de cette glorieuse race des
comtes de Hainaut, qui alla régner à Constantinople. On y
détruit la portion la plus curieuse de l'ancien Hôtel-Dieu ,
fondé en 1431 par Gérard de Pirfontaine, chanoine d'An-
thoing, avec l'autorisation de Jacqueline de Bavière , et le
secours de Philippe-le-Bon. On voit que les plus grands
noms de l'histoire locale ne trouvent pas grâce devant la
municipalité de Valenciennes. Il faut, du reste , s'étonner de
l'intensité tout-à-fait spéciale de l'esprit vandale , dans ces
anciennes provinces des Pays-Bas espagnols , qui pouvaient
naguère s'enorgueillir de posséder les produits les plus nom-
breux et les plus brillans de l'art gothique. Ce n'est guère
que là, à ce qu'il nous semble, qu'on a vu des villes s'achar-
ner après leurs vastes et illustres cathédrales , au point d'en
faire disparaître jusqu'à la dernière pierre pour leur substi-
tuer une place , comme cela s'est fait à Bruges pour la cathé-
drale de Saint-Donat ; à Liège, pour celle de Saint-Lambert ;
à Arras, pour celie de Notre-Dame; à Cambray, pour celle
de Notre-Dame aussi , avec sa merveilleuse flèche î Ce n'est
que là qu'on a vu, comme à Saint-Omer, la brutalité muni-
cipale poussée assez loin pour démolir, sous prétexte de
— 218 —
donner du travail aux ouvriers, les plus belles ruines de
l'Europe centrale, celles de l'abbaye de Saint-Bertin, et mar-
quer ainsi d'un ineffaçable déshonneur les annales de cette
cité.
Combien de fois d'ailleurs ne voit-on pas la destruction
organisée dans nos villes , sans qu'il y ait eu même l'ombre
d'un prétexte? Ainsi à Troyes, n'a-t-on pas mieux aimé dé-
truire la charmante chapelle de la Passion , au couvent des
Cordeliers , changé en prison , et puis en reconstruire une
nouvelle, que de conserver l'ancienne pour l'usage de la pri-
son? Ainsi à Paris, peut- on concevoir une opération plus
ridicule que ce renouvellement de la grille de la Place-
Royale, que la presse a déjà si généralement , mais si inuti-
lement blâmé? Mêlé à cette affaire par les protestations
inutiles que j'ai été chargé d'élever en commun avec M. du
Sommerard et M. le baron Taylor, à l'appui des argumens
sans réplique , des calculs approfondis et consciencieux de
M. Victor Hugo, j'ai pu voir de près tout ce qu'il y a encore
de haine aveugle du passé , de considérations mesquines ,
d'ignorance volontaire et intéressée , dans la conduite des
travaux d'arts sur le plus beau théâtre du monde actuel.
Cette vieille grille avait en elle-même bien peu de valeur ar-
tistique ; mais elle représentait un principe , celui de la con-
servation. Et les mêmes hommes qui se sont ainsi obstinés à
affubler la Place-Royale d'une grille d'ont on n'avait nul
besoin, ne rougissent pas de l'état ignominieux où se trouve
Notre-Dame , par suite dte l'absence de cette grille indispen-
sable qu'on leur demande depuis sept années ! Peu leur im-
porte, en vérité, que la cathédrale de Paris soit une borne à
immondices , comme le dit avec tant de raison le rapport
du comité des arts au ministre. Ils trouvent de l'argent en
abondance pour planter un anachronisme au milieu de la
plus curieuse place de Paris , et ils n'ont pas un centime à
donner pour préserver des mutilations quotidiennes, d'où-
— 219 —
trages indicibles, la métropole du pays; pour fermer cet
horible cloaque qui est pour Paris et la France entière, pour
la population et surtout pour l'administration municipale ,
une flétrissure sans nom comme sans exemple en Europe1.
Lorsque l'on voit sortir des exemples pareils du sein de
la capitale, c'est à peine si l'on se sent le courage de s'indi-
gner contre les actes des municipalités subalternes : foute-
fois il peut être bon de les signaler. Disons donc qu'à Laon,
cette immense cathédrale, trop sévèremment jugée, ce nous
semble, par M. Vitet ', l'une des pins vastes et des plus an-
ciennes de France , si belle pour sa position unique , par ses
quatre tours merveilleusement transparentes, par le symbo-
lisme trinitaire de son abside carré, par le nombre prodi-
gieux de ses chapelles, cette cathédrale inspire aux chefs de
la cité à peu près autant de sympathie que Notre-Dame aux
édiles parisiens. Ses abords , déjà encombrés d'une manière
fâcheuse, le seront bientôt complètement par la construc-
tion d'un grand nombre de maisons sur l'emplacement du
cloître, vendu pendant la révolution. Ce terrain pouvait
être racheté par la ville pour une somme insignifiante ;
mais, aux réclamations élevées par des personnes intelligen-
tes et zélées, il a été répondu, par un magistrat, en ces ter-
mes : « Franchement , je ne m'intéresse pas aux édifices de
ce genre ; c'est à ceux qui aiment le culte à l'appuyer. »
Réponse digne, comme on le voit, de cette municipalité qui
a eu le privilège de détruire le plus ancien monument histo-
rique de France , la tour de Louis d'Outremer, et qui pas-
' En 1837, lors de la discussion , à la chambre des pairs, sur la
cession du terrain de l'archevêché à la ville, on éleva quelques objec-
tions sur cette cession à titre gratuit. Il fut répondu que l'état était
suffisamment dédommagé par l'obligation que contractait la ville d'en-
tourer ce terrain d'une grille î On voit comme cette obligaiion a été
bien remplie.
3 Page 58 de son rapport au ministre.
— 220 —
sera à la postérité, flagellée par l'impitoyable verve de
M. Hugo '. Ailleurs , c'est encore la môme indifférence , ou
plutôt la même aversion pour tout ce qui tient à l'histoire
ou à l'art. A Langres, quelques jeunes gens studieux avaient
humblement demandé au conseil municipal l'octroi de l'ab-
side de Saint-Didier, la plus ancienne église de la ville ( au-
jourd'hui enlevée au culte ), afin d'y commencer un musée
d'antiquités locales , institution vraiment indispensable dans
une contrée où chaque jour, en fouillant le sol, on découvre
d'innombrables monumens de la domination romaine. Mais
le sage conseil a refusé tout net et a préféré transformer sa
vieille église en dépôt de bois et de pompes. — La guerre
déclarée à une grande idée historique vaut bien la guerre
faite à un monument ; voilà pourquoi nous allons encore
parler de Dijon. Ce n'est pas assez pour cette ville d'avoir
détruit, en 1803 , sa Sainte-Chapelle, œuvre merveilleuse
de la générosité des ducs de Bourgogne ; d'avoir transformé
ses belles églises de Saint-Jean en magasin de tonneaux, de
Saint-Etienne en marché couvert, et de Saint-Philibert en
écuries de cavalerie ; nous allons citer un nouveau trait de
son histoire. On sait que saint Bernard est né à Fontaines,
village situé à peu près aussi loin de Dijon que Montmartre
l'est de Paris. On y voit encore, à côté d'une curieuse église,
le château de son père , transformé en couvent de feuillans,
sous Louis XIII, et conservé avec soin par le propriétaire
» Ajoutons que le conseil-général de l'Aisne vote près de deux mil-
lions par an pour ses routes, qu'il ne parvient pas à employer toute
celte somme ; mais qu'il refuse d'en consacrer un vingtième, un cin-
quantième aux réparations urgentes de l'édifice le plus remarquable
du département. Il se borne à exprimer le vœu que le gouvernement
veuille bien Je classer parmi les monumens nationaux; comme si
tous les autres départemens n'avaient pas des cathédrales dignes d'ê-
tre rangée» dans la même catégorie.
— 221 ~
actuel , M. Girault '. On a ouvert dernièrement une nou-
velle porte sur la route qui conduit à ce village : la voix
publique, d'un commun accord, lui a donné le nom déporte
Saint-Bernard, et le lui conserve encore. Mais devant le
conseil municipal il en a été autrement. Lorsque cette pro-
position y a été faite , il s'est trouvé un orateur assez intel-
ligent pour déclarer que saint Bernard était un fanatique
et un mystique dont les allures sentaient le carlisme et le
jésuitisme, et qui, dans tous les cas, n'avait rien fait pour
la ville de Dijon !! Et le conseil municipal s'est rangé de
cet avis. Je regrette , pour mon compte , que par voie d'a-
mendement on n'ait pas nommé la porte d'après un homme
aussi éclairé que cet orateur, mais, dans tous les cas, il aura
été récompensé par la sympathie et l'approbation de M. Eu-
sèbe Salverte, qui, dans la dernière session, a si énergique-
ment blâmé le ministère d'avoir consacré quelques faibles
sommes à l'entretien de l'église de Vézelay, où saint Ber-
nard , en prêchant la seconde croisade , avait trouvé moyen
de plongerles populations fanatisées plus avant dans la sta-
gnation féodale \
Si maintenant nous passons des autorités municipales à la
troisième des catégories de vandales que j'ai autrefois éta-
blies, celle des propriétaires, il nous faut avouer que le mal,
moins facile à connaître et à dénoncer, est peut-être là plus
vaste encore que partout ailleurs. Nul ne saurait mesurer
toute la portée de ces dévastations intimes : comme le tra-
vail de la taupe , elles échappent à l'examen et à l'opposi-
tion. Ce qu'il y a de plus fâcheux pour l'art dans les disposi-
tions de la plupart des propriétaires français , c'est leur
* Bien loin d'imiter tant de propriétaires vandales , ou pour le
moins indifférens, M. Girault a publié un fort bon opuscule intitulé :
la Maison natale de saint Bernard à Fontaine-lez-Dijon, 4824.
3 Discussion du budget de l'intérieur, en 1838.
— 222 —
horreur des ruines. Autrefois on fabriquait des ruines artifi-
cielles dans les jardins à l'anglaise; aujourd'hui on trouve
aux ruines véritables des édifices les plus curieux un air
incomfortable, que l'on s'empresse de faire disparaître, en
achevant leur démolition. Celui qui aura sur ses domaines
quelques débris du château de ses pères , ou d'une abbaye
incendiée à la révolution , au lieu de comprendre tout ce
qu'il peut y avoir d'intérêt historique ou de beauté pittores-
que dans ces vieilles pierres, n'y verra qu'une carrière à ex-
ploiter. C'est ainsi qu'ont disparu notamment toutes les
belles églises anciennes des monastères , dont on a quelque-
fois utilisé les bàtimens d'habitation : c'est ainsi, par exem-
ple , que nous avons vu vendre il y a trois mois , jusqu'à la
dernière pierre de l'église de Foigny en Thiérache , près la
Capelle , église fondée par saint Bernard , qui avait quatre
cents pieds de long, et qui subsistait encore, il y a quelques
années, dans toute sa pure et native beauté ; et on a pu faire
disparaître ce magnifique édifice, sans qu'une seule récla-
mation se soit élevée pour conserver à la contrée environ-
nante son plus bel ornement et une preuve vivante de son
importance historique. Près de là, dans un site bien boisé et
très solitaire, à Bonne-Fontaine, près d'Aubenton , abbaye
fondée en 1153, on voit encore le transept méridional et
six arcades de la nef de l'église qui est évidemment du
xne siècle : mais l'année prochaine on ne les verra peut-être
plus, parce que l'acquéreur installé dans l'abbatiale, en ar-
rache chaque jour quelques pierres pour les besoins de son
ménage. Il y a quinze jours, un ouvrier était occupé à dépe-
cer la grande rosace qui formait l'antéfixe du transept , et
qui , laissée à nu par la destruction du pignon , se découpait
à jour sur le ciel , et produisait un effet aussi original que
pittoresque. On ne conçoit pas qu'un esprit de spéculation
purement industriel n'inspire pas mieux, et qu'on ne songe
jamais aux voyageurs nombreux qu'on éloigne en dépouil-
— 223 -
lant le pays de toute sa parure, de tout ce qui peut distraire
de l'ennui, éveiller la curiosité ou attirer l'étude. Quelle
différence déplorable pour nous entre le système français et
les soins scrupuleux qui ont valu à l'Angleterre la conserva-
tion des admirables ruines de Tintern, de Cloyland, de Net-
ley, de Fountains, et de tant d'autres abbayes qui, pour
avoir été supprimées et à moitié démolies par la réforme,
n'en offrent pas moins aujourd'hui d'inappréciables ressour-
ces à l'artiste et à l'antiquaire. Et s'il faut absolument des-
cendre à des considérations aussi ignobles , qu'on aille de-
mander aux aubergistes, aux voituriers, à la population en
général des environs de ces monumens, s'ils ne trouvent pas
leur compte à la conservation de ces vieilles pierres qui , si-
tuées en France, auraient depuis long-temps servi à réparer
une route ou une écluse. Où en seraient les rives du Rhin,
si fréquentées et si admirées, avec le mode d'exploitation des
ruines que l'on emploie en France? Il y a long-temps que
les touristes et les artistes auraient abandonné ces parages,
comme ils ont abandonné la France , celte France qui était
naguère , de tous les pays de l'Europe , la plus richement
pourvue en églises , en châteaux et en abbayes du moyen
âge , et qui le serait encore si on avait pu arrêter, il y a
vingt ans, le torrent des dévastations publiques et particu-
lières. Aujourd'hui c'est à l'Allemagne qu'il faut céder la
palme , grâce au zèle qui anime à la fois le gouvernement et
les individus contre les progrès du vandalisme , lequel y a
régné comme chez nous , mais bien moins long-temps. Les
mesures administratives y sont appuyées par cette bonne
volonté et cette intelligence des individus qui manquent si
généralement en France. C'est ainsi qu'il s'et-t formé dans
plusieurs villes des associations avec le but spécial de con-
server tel ou tel monument voisin. Nous citerons celle
créée à Bamberg pour racheter et entretenir Altenbourg ,
l'ancien château des évêques de Bamberg. M. le baron
d'Àuftess , l'un des amis les plus zélés de l'art chrétien et
historique en Allemagne, en a formé une autre pour sauver
le beau châleau de Zwernitz, en Franconie, et, la même
mesure a été prise par une réunion de prêtres et de bour-
geois dans l'intérêt de la vieille église située au pied du
Hohenstaufea.
Peut-être verrons-nous en France des améliorations de ce
genre : la société formée par M. de Caumont pour la con-
servation des monumens, dont nous avons parlé plus haut,
pourra se propager et former des succursales : Dieu le
veuille! car en France, plus qu'ailleurs , l'homme isolé n'a
presque jamais la conscience de l'étendue de sa mission.
Pour un homme vraiment énergique et éclairé comme M. de
Golbéry, qui, par l'influence que lui donne sa triple qualité
de législateur, de magistrat et de savant très distingué, a
rendu des services si éminens à l'art chrétien en Alsace ', nous
aurons encore pendant long tempscinquantehommescomme
M. Nicolas, architecte de Bourbon-l'Archambault, lequel,
pour donner une preuve de ses connaissances architectura-
les, a fait démolir la Sainte-Chapelle de Bourbon-l'Archam-
bault, l'ornement et la gloire du Bourbonnais, pour en ven-
dre les matériaux. C'est en 1833 que le dernier débris en
a disparu.
1 Entre autres églises, M. de Golbéry a sauvé celle d'Ottmarshein,
qui date, selon la tradition, des temps païens; la balle église de Ge-
berschwir, et celle de Sigolsheim , fondée par l'impératrice sainte
Richarde au neuvième siècle. Dans cette dernière église , il a eu le
mérite de faire prolonger la nef de plusieurs arcades en conservant
tout-à-fait le style de l'original , et en reponant sur la nouvelle fa-
çade le portail du neuvième siècle, au lieu de laisser plaquer contre
l'antique édifice une sorte de coffre en plâtras moderne , avec un
péristyle à triangle obtus , comme cela se pratique partout où les be-
soins de la population exigent l'agrandissement d'une vieille église*
Entre mille exemple de cette absurdité , nous citerons Saint-Vallier,
sur le Rhône.
— 32* «~
Mais comment qualifier le trait que je vais raconter, et
dans quelle catégorie de vandales faut-il ranger ses auteurs?
Il y avd" à Montargis une tour antique qui faisait l'admira-
tion des voyageurs. M. Cotelle , notaire à Paris et proprié-
taire à Montargis, jugeant utile de conserver ces vénérables
restes, avait provoqué des souscriptions et obtenu même du
ministère une somme de 1,200 francs pour réparations ur-
gentes. Malheureusement, aux élections générales de 1837,
M. Cotelle se présente comme candidat ministériel; aussitôt
les meneurs de l'opposition se sont cru parfaitement en
droit d'exciter quelques individus à retirer petit à petit les
pierres qui faisaient la base de l'édifice , et , à leur grande
joie, la tour s'écroula avec un épouvantable fracas. La nou-
velle de cette belle victoire fut aussitôt expédiée à Paris ; ie
tour y fut jugé bon, et plus d'un journal sérieux le raconta
avec éloge '. Je ne pense pas qu'il y ait un autre pays au
monde où un pareil acte serait toléré , bien loin d'être en-
couragé.
En quittant le temporel pour le spirituel , si on examine
l'état du vandalisme chez le clergé , on reconnaît que sa
puissance y est toujours à peu près aussi étendue et aussi en-
racinée. Malgré les recommandations et les prescriptions de
M. l'évêque du Puy et de plusieurs autres respectables
évêques, il y a toujours dans la masse du clergé et dans les
conseils de fabrique , la même manie d'enjolivemens profa-
nes et ridicules, la même indifférence barbare pour les trop
rares débris de l'antiquité chrétienne. J'ai dit l'année der-
nière 2 combien le système suivi dans les constructions ré-
centes était déplorable : il me reste à parler de la manière
dont on traite les édifices anciens. Je sais qu'il y a dans cha-
que diocèse d honorables exceptions, et que le nombre de
• Voyez le Courrier et le Siècle des premiers jours de novembre 1837.
• Voyex De l'État actuel de VArt religieux.
15
— 226 —
ces exception» s'accroît chaque jour \ Mais il est encore
beaucoup trop petit pour lutter contre l'esprit général, pour
empêcher qu'il n'y ait un contraste affligeant entre cet état
stationnaire , cette halte dans la barbarie, et la réaction sa-
lutaire manifestée par le gouvernement et par des citoyens
isolés. A l'appui de ce que j'avance ici , qu'il me soit permis
de transcrire littéralement ce qu'on m'écrit à la fois des
deux extrémités de la France : « Vous ne sauriez vous ima-
giner ( c'est un prêtre breton qui parle) l'ardeur que l'on
met dans le Finistère et les Côtes-du-Nord à salir de chaux
ce qui restait encore intact. La passion de bâtir de nouvelles
églises s'est emparée d'un grand nombre de mes confrères ;
malheureusement elle n'est point éclairée. On veut partout
du nouveau , de l'élégant à la manière des païens : pour ne
pas ressembler à nos pères , pour ne pas imiter leur reli-
gieuse architecture , on nous fait ou des salles de spectacle ,
ou de misérables masures sans dignité , sans élégance , sans
aucun cachet religieux , où le symbolisme chrétien est tout-
à-fait sacrifié au caprice de MM. les ingénieurs. Ce n'est pas
que l'on ne fasse quelquefois des réclamations, mais comme
elles ne sont dictées que par le bon sens et la religion , et
que, pour avoir des fonds, il faut suivre servilement les
plans des architectes officiels , on passe à l'ordre du jour. »>
D'un autre côté, on m'écrit de Langres : « Le clergé de no-
tre diocèse est tellement éloigné de tout sentiment de l'art
religieux , qu'il s'oppose généralement aux réparations
faites dans le caractère des monumens gothiques, et qu'il
n'est presque pas de prêtre qui ne préfère une église à colon-
nes et à pilastres grecs , à fenêtres carrées ou en demi-cer-
* Aux noms que j'ai eu occasion de citer ailleurs, je dois ajouter
M. Pascal, curé de la Ferté , dans le diocèse de Blois, qui , dans sa
polémique avec M. Didron, publiée par V Univers, a donné des preu-
ves de science et de «èle.
— 227 —
cle , garnies de rideaux de couleur , aux monumens gothi-
ques. Et chaque jour on voit, quand une église est trop pe-
tite , qu'au lieu de l'agrandir en suivant son architecture
primitive, on la détruit, et on la remplace par une salleaux
murs badigeonnés de jaune et de blanc. »
Je pourrais citer vingt lettres semblables , qui ne contien-
nent toutes que l'exacte vérité , comme peut s'en assurer
quiconque est doué de l'instinct le plus élémentaire en ma-
tière d'art religieux , et qui veut se donner la peine d'inter-
roger les hommes et les lieux. Partout il trouvera des curés
qui se reposent sur leurs lauriers, après avoir recouvert leurs
vieilles églises d'un épais badigeon beurre-frais , relevé par
des tranches de rouge ou de bleu , après avoir jeté aux gra-
vois les meneaux de leurs fenêtres ogivales, et échangé
contre les produits de pacotille religieuse qu'on exporte de
Paris , les trop rares monumens d'art chrétien que le temps
avait épargnés. Je prends au hasard quelques traits parmi
ceux que me fournit une trop triste expérience de ce qu'il
faut bien nommer le vandalisme fabricien et sacerdotal.
Quelquefois c'est une profonde insouciance qui fait la géné-
reuse aux dépens de l'église. Ainsi plusieurs tonnes de
vitraux provenant de l'église d'Epernay ont été données à
un grand-vicaire de Châlons , pour orner la chapelle de son
château ; ainsi une paix en ivoire du xive siècle, appartenant
à Saint-Jacques de Reims, a été donnée par l'avant- dernier
curé de cette paroisse , à un antiquaire de la ville. Ailleurs ,
c'est un esprit de mercantile avidité qui spécule sur les
débris de l'antiquité chrétienne , comme sur une proie assu-
rée. On se rappelle la mise en vente de l'ancienne église de
Châtillon, l'une des plus curieuses de la Champagne , par la
fabrique , sur la mise à prix de M00 fr., heureusement ar-
rêtée par le zèle infatigable de M. Didron, et le rapport qu'ij
adressa au ministre de l'instruction publique sur cette hon-
teuse dilapidation, Mais là où on ne saurait vendre en gros,
— 228 —
on se rabat sur le détail. A Amiens , on a vendu trois beaux
et curieux tableaux sur bois du xvie siècle, qui se trouvaient
à îa cathédrale, moyennant le badigeonnagc d une des cha-
pelles. Il y en a d'autres qui servent en ce moment de portes au
poulailler d'un jeune abbé ! C'est dans cette même église qu'un
des chanoines disait naguère à M. du Sommerard en lui mon-
trant des stalles du chœur, monument admirable d'ancienne
boiserie : « Voyez ce grenier à poussière ! Il nous empêche
« d'être vus; qui nous en débarrassera?» Dans la collection de
ce savant archéologue, on voit de curieux émaux byzantins,
qu'il avait d'abord admirés à la cathédrale de Sens , et qui
lui ont été apportés, il y a trois ou quatre ans, par un bro-
canteur, qui les avait achetés à l'église , toujours moyennant
le badigeonnage d'une chapelle. A Troye» , la fabrique de la
Madeleine a lait tailler, dans les bases et les fûts des co-
lonnes , un certain nombre de places , que l'on loue à S ou U
francs par an, au risque de faire écrouler l'édifice tout entier.
C'est, du reste, la même fabrique qui voulait absolument
abattre le fameux jubé de cette église , regardé comme le
plus beau de France, sous prétexte que ce n'était plus de
mode, et qui ne l'a épargné qu'à condition de pouvoir l'em-
pâter sous une épaisse couche de badigeon '. Rien n'é-
chappe à ce mépris systématique de la vénérable antiquité ;
mais ce qui semble spécialement exposé à ses coups , ce
sont les anciens fonts baptismaux , objets de l'étude et de
l'appréciation toute particulière de nos voisins les Anglais.
A Lagery , près Reims , le curé a fait briser des fonts romans
pour les remplacer par des fonts modernes. Il en est de
même dans presque toutes les églises du nord et de l'est de
la France; partout les fonts sont brisés ou relégués dans un
coin obscur, pour faire place à quelque conque païenne. De
l'autre côté de la France, près Poitiers, dans une église
1 Arnaud, Antiquités de Troyei , 1827.
— Î39 —
dont j'ai le tort d'avoir oublié le nom , il y avait un ancien
font baptismal par immersion. Cette particularité si rare et
si curieuse n'a pas suffi pour lui faire trouver grâce devant
le curé, qui l'a fait détruire. Ailleurs ce sont ces vieilles ta-
pisseries, si estimées aujourd'hui des antiquaires, surtout
depuis que le bel ouvrage de M. Achille Jubinal est venu en
révéler toute la beauté et toute l'importance. A Giermont en
Auvergne , il y a dans la cathédrale douze tapisseries prove-
nant de l'ancien évêché, et faites de 1505 à 1511 , sous la
direction de Jacques d'Amboise , membre de cette illustre
famille si généreusement amie des arts; elles sont toutes
déchirées, moisies et abîmées dépoussière. M. Thévenot,
membre du comité des arts, avait offert de les nettoyer à ses
frais et d'en prendre un calque; mais le chapitre lui a ré-
pondu par un refus. A Notre-Dame de Reims , il y a encore
d'autres tapisseries du xive siècle , qui sont découpées, et
servent de tapis de pied au trône épiscopal. En revanche ,
quand on aura besoin de ce genre de parures pour certaines
fêtes de l'Église, comme c'est encore l'usage à Paris pour la
semaine sainte , soyez sûr qu'on ira chercher au hasard ,
dans quelque garde-meuble , tout ce qu'il y aura de plus
ridiculement contradictoire avec la sainteté du lieu et du
temps ; c'est ainsi que le vendredi saint de cette année 1838,
tout le monde a pu voir au tombeau de Saint-Sulpice , le
Festin d'Antoine et Cléopdtre (Cléopâtre dans le costume
le plus léger), et à celui de Saint-Germain l'Auxerrois f
Vénus amenant l'Amour aux nymphes de Calypso!
Terminons cette série par un dernier trait de ce genre : à
Saint-Guilhem , entre Montpellier et Lodève , il y a une
église bâtie, selon la tradition, par Charîemagne , et dont
l'autel a été donné par saint Grégoire TU; cet autel a été
arraché, relégué dans un coin, par le curé qui y a substitué
un autel en bois peint, oubliant sans doute qu'il outrageait
— 230 —
ainsi les deux plus grands noms du moyen âge catholique ,
Charlemaghe et Grégoire VII !
Quand on a ainsi disposé de la partie mobilière , il reste
l'immeuble, que l'on s'évertue le mieux que l'on peut à re-
vêtir d'un déguisement moderne. Quelle est l'église de France
qui ne porte les traces de ces anachronismes trop souvent
irréparables ? Hélas î il n'y en a littéralement pas une seule.
Là où la pioche et la râpe n'ont pas labouré ces saintes
pierres , l'ignoble badigeon les a toujonrs souillées. Qu'ils
parlent , ceux qui ont eu le bonheur de voir une de nos
cathédrales du premier ordre, Chartres, par exemple, il y a
quelques dix ans , avant qu'elle ne fût jaunie de cet ocre
blafard que l'évêque a mis tant de zèle à obtenir, et qu'ils
nous disent, si la parole leur suffit pour cela, tout ce qu'une
église peut perdre en grandeur, en majesté, en sainteté , à
ce sot travestissement î Statues, bas-reliefs, chapiteaux, rin-
ceaux, fresques, pierres tombales, épitaphes , inscriptions
pieuses , rien n'est épargné : il faut que tout y passe; il faut
cacher tout ce qui peut rappeler les siècles de foi et d'en-
thousiasme religieux, ou du moins rendre méconnaissable ce
qu'on ne peut complètement anéantir. D'où il résultera cet
autre avantage , que les murs de l'église seront plus écla-
tans que le jour qui doit pénétrer par les fenêtres, même
quand celles-ci seront dégarnies de leurs vitraux , et que par
conséquent les conducteurs naturels de la lumière auront
l'air de lui faire obstacle. Faire l'histoire des ravages du
badigeon , ce serait faire la statistique ecclésiastique de la
France; je me borne à invoquer la vengeance de la publicité
contre les derniers attentats qui sont parvenus à ma connais-
sance. A Coutances , dans cette fameuse cathédrale qui a si
long-temps occupé les archéologues, le dernier évêque a fait
peindre en jaune les deux collatéraux, et la nef du milieu en
blanc , en même temps qu'il écrasait l'un des transepts sous
la masse informe d'un autel dédié.à saint Pierre , parce qu'il
— 231 —
s'appelait Pierre. A Boury , village près Gisors , le curé a
trouve' bon de donner à sa vieille église le costume suivant :
les gros murs en bleu, les colonnes en rose, le tout relevé
par des plinthes et des corniches m jaune. A Laon, l'église
romane de la fameuse abbaye de Saint-Martin a été badi-
geonnée en ocre des pieds à la tête, par son curé, et dans la
cathédrale, cette charmante chapelle de la Vierge qui a
germé comme une fleur sur les lignes sévères du transept
septentrional, a été recouverte d'un jaune épais , et ornée
d'une série d'arcades à rez-terre, en vert marbré, relevées
par des colonnes orange ; cette mascarade est due à un ec-
clésiastique de la paroisse , et il n'y a de plus affreux que la
longue balustrade qui coupe par le milieu l'extrémité carrée
du chœur, et qui est peint en noir parce que le mur auquel
elle s'appuie, est peinte en blanc. A la grande collégiale de
Saint-Quentin , il y a autour du chœur cinq chapelles que
M. Vitet a qualifiées avec raison de « ravissantes, d'un goût
« et d'un dessin tout-à-fait mauresque * . » Mais je ne sais si,
de son temps, celle du chevet était décorée aves des bandes
de papier peint marbré , absolument comme l'antichambre
d'un hôtel garni , avec un prétendu vitrail en petits carrés
de verre bleus et rouges, à travers lesquels les enfans
peuvent s'amuser à voir trembloter le feuillage d'un arbre
planté au chevet de l'église. On n'a pas respecté davantage
la curieuse église de l'abbaye de Saint-Michel en Thiérache,
que je recommande vivement aux antiquaires qui seront
chargés de la statistique si importante du département de
l'Aisne ; dans une position charmante et presque cachée au
bord des vastes forêts qui longent la frontière belge , elle
offre le plus grand intérêt parla disposition tout-à-fait excen-
trique de ses cinq absides, et par son transept duxne siècle.
Les moines l'avaient refaite à moitié dans le xvnc siècle, et
' Rapport au minisire de l'intérieur, page 61.
avaient plaqué beaucoup de marbre sur ce qui restait d'ancien.
Mais il y a deux ans que sa solitude et sa beauté n'ont pu la
mettre à l'abri d'une couche générale de jaune, d'orange et de
blanc qui en alourdit et allèreles proportions. Dans le midi on
doit déplorer les badigeonnâmes récens de St-André-le-Bas à
Vienne,de Notre-Dame-dOrcival en Auvergne, deSt-Michel
au Puy-en-Veîay, enfin de la cathédrale de Lyon ; cette der-
nière œuvre est du fait de M. Chenavard, architecte à qui des
juges plus compétens que moi ont déjà imputé l'écroulement
de l'ancienne nef de la cathédrale deBelley, ainsi que des res-
taurations et constructions très affligeantes, à Saint- Vincent
de Chàlons-sur-Saône K Quant à ce qui se passe dans Paris,
j'emprunte l'énergique langage du rapport de M. de Gasparin :
* On empâte , dit-il , de peinture , et on cache sous le stuc
deux chapelles de Saint-Germain-des-Prés , en attendant
qu'on ait assez d'argent pour habiller ainsi l'église entière.
On déguise, sous des couleurs vert-pomme et bleu-pàîe dé-
trempées dans l'huile, l'église Saint-Laurent, et on en trans-
forme en ce moment les chapelles en armoires. Enfin l'on
badigeonne et l'on gratte tout à la fois la grande église de
Saint-Sulpice qu'une vieille teinte grise commençait déjà à
rendre respectable2. »
Ce n'est pas au clergé, c'est au conseil des bâtimens ci-
vils, siégeant à Paris, qu'il faut attribuer et reprocher l'o-
dieux système que l'on suit partout à rencontre des clochers
d'églises rurales. Il est à peu près reconnu par tout le monde
que les flèches gothiques, ou en pointe , sont le plus bel or-
nement des horizons de nos campagnes. Mais malheur à
celle qui exige des réparations. Fût-elle la plus antique, la
* Cet architecte vandale est justement jugé dans la lettre de M. de
Guilhermy au minisire de l'instruction publique, sur les monumens
du Lyonnais , insérée dans le Journal de l'Instruction publique de
novembre 1838.
* Moniteur du 3 août 1838.
— 233 —
plus noble , la plus gracieuse du monde, point de pitié. Dès
qu'on y touche, il faut la remplacer par deux pans coupés,
ou par une sorte de calotte ou chaudière. C'est la règle pre-
scrite par le conseil des bâtimens , qui ne souffre pas qu'on
s'en écarte , quand même on aurait tout l'argent nécessaire
pour payer quelque chose de mieux. La ville de Charmes ,
dans les Vosges , avait près de cent mille francs de fonds
municipaux disponibles, pour une réparation de cette na-
ture : on ne l'en a pas moins forcée à remplacer, par un ca-
puchon en forme de marmite renversée , sa flèche élégante
et fière , qui de trois lieues à la ronde ornait le paysage. On
pourrait citer une foule d'autres exemples de ce genre. Le
résultat général de cette sorte de progrès consiste à abaisser
partout les croix de village de trente à quarante pieds. Belle
victoire pour la civilisation.
Enfin , avant de sortir des églises , il faut bien consacrer
quelques mots à une classe spéciale de vandales qui y ont
élu domicile, c'est-à-dire aux organistes. Si c'est un crime
d'offenser les yeux par des constructions baroques et ridi-
cules, c'en est un, assurément, que d'outrager des oreilles
raisonnables par une prétendue musique religieuse qui ex-
cite dans l'âme tout ce qu'on veut , excepté des sentimens
religieux , et d'employer à cette profanation le roi des ins-
trumens, Y organe intime et majestueux des harmonies chré-
tiennes. Or, dans toute la France, et spécialement à Paris,
les organistes se rendent coupables de ce crime. Règle gé-
nérale, toutes les fois qu'on invoquera le secours si puissant
et si nécessaire de l'orgue pour compléter les cérémonies du
culte, toutes les fois qu'on verra affiché sur le programme
de quelque fête que l'orgue sera touché par M.'"*, on peut
être d'avance sur d'entendre quelques airs du nouvel opéra,
des valses, des contredanses, des tours de force, si l'on veut,
mais jamais un motet vraiment empreint de sentiment reli-
— nu —
gieux; jamais une de ces grandes compositions des anciens
maîtres d'Allemagne ou d'Italie ; jamais surtout une de ces
vieilles mélodies catholiques, faites pour l'orgue et pour les-
quelles seules l'orgue lui-même est fait. Je ne conçois rien de
plus grotesque et de plus profane à la fois que le système suivi
par les organistes de Paris» Leur but semble être de mon-
trer que l'orgue , sous des mains habiles comme les leurs ,
peut rivaliser avec le piano de la demoiselle du coin, ou avec
la musique du régiment qu'on entend passer dans la rue.
Quelquefois ils descendent plus bas, et le jour de Pâques de
cette année 1838, on a entendu au salut de Saint-Étienne-
du-Mont, un air fort connu des buveurs, dont les premières
paroles sont :
Mes amis, quand je bois,
Je suis plus heureux qu'un roi.
On voit que ce n'est guère la peine pour Mgr. l'archevêque de
Paris d'interdire la musique de théâtre dans les églises,
puisque les organistes y introduisent de la musique de caba-
ret. Il y a long-temps cependant que ces abus, si patiem-
ment tolérés aujourd'hui, sont proscrits par l'autorité com-
pétente ; et, pour me mettre à l'abri du reproche d'être un
novateur audacieux, je veux citer deux anciens canons qu'on
trouve dans le Bréviaire de Paris. Le premier est du concile
de Paris , en 1528 , décret 17 : « Les saints Pères n'ont in-
troduit dans l'Eglise l'usage des orgues que pour le culte et
le service de Dieu. Ainsi , nous défendons qu'on joue dans
l'église sur ces instrumens des chanls lascifs ; nous ne per-
mettons que des sons doux , dont la mélodie ne représente
que de saintes hymnes et des cantiques spirituels. » Le se-
cond est de l'archevêque François de Harlay , article 32 des
statuts du synode de \ 674 : « Nous défendons expressément
d'introduire dans les églises et chapelles des musiques pro-
fanes et séculières, avec des modulations vives et sautil*-
— 235 —
lantes; de jouer sur les orgues des chansons ou autres airs
indignes de la modestie et de la gravité du chant ecclésias-
tique Enfin, nous défendons d'envoyer ou d'afficher des
programmes pour inviter les fidèles à des musiques dans les
églises, comme à des pièces de théâtre ou à des spectacles. *
Pour pardonner tout ce qu'on fait et tout ce qui se laisse
faire dans les églises , il faut se souvenir qu'on se borne à
suivre la route tracée par la plupart de nos savans et de nos
artistes attitrés , dont tout le génie consiste à mépriser et à
ignorer l'art chrétien ; il faut se souvenir que l'un des ar-
chitectes les plus renommés de la capitale, et qui postule
aujourd'hui une importante restauration gothique , qualifie
l'architecture du moyen âge &' architecture à chauve-sou-
ris, et qu'une des lumières de l'Académie des Beaux- Arts dé-
plore partout l'appui donné par le gouvernement à la seule
tendance qu'il importe de décourager.
Je ne puis terminer cette invective sans faire une ré-
tractation exigée par la justice. J'ai dit naguère, que
partout, excepté en France, les monumens d'art ancien
étaient respectés, et j'ai nommé la Belgique parmi les pays
qui lui donnaient cette salutaire leçon. Après avoir pris une
connaissance plus approfondie des faits , je suis obligé de
dire qu'il n'en est rien , et que , si le gouvernement et la lé-
gislation belge sont plus avancés que les nôtres sous ce rap-
port , en revanche , les dispositions générales du pays sont
plutôt en arrière de celles de la France. Par une contradic-
tion remarquable, la Belgique , qui avait su se garantir plus
qu'un autre pays des doctrines gallicanes et philosophiques
du xvme siècle , comme l'a démontré son insurrection con-
tre Joseph II , avait cependant subi à un degré incroyable
l'influence de l'art dégénéré des époques de Louis XIV et
de Louis XV. Je ne connais rien en France de comparable
aux gaînes colossales par lesquelles on a trouvé moyen de
défigurer la nef de la cathédrale de Malines ; à la façade de
— 236 —
Notre-Dame-de-Finistère à Bruxelles, véritable passoir à café
flanquée de deux bilboquets ; aux miroirs, aux plâtres et aux
marbrures qui déshonorent Saint-Paul et Saint-Jacques à
Liège ; à ces autels monstres en marbre noir, inventés ex-
près pour détruire, comme à Anvers , l'effet de la plus belle
église gothique. La Belgique n'a pas encore su se dégager
de ces langes grotesques. Et, chez elle, le vandalisme res-
taurateur marche fièrement à côté du vandalisme destruc-
teur. Ce dernier lui fut apporté par la conquête française ,
qui fit disparaître presque toutes ses magnifiques abbayes et
deux de ses plus anciennes cathédrales. Le règne de la mai-
son d'Orange fut aussi une époque de dévastation et d'aban-
don systématique. Je ne veux en citer que deux traits. A
l'époque où le roi Guillaume Ier mettait en vente à son pro-
fit pour 94 millions de domaines nationaux belges, et où il
livrait à la hache d'impitoyables spéculateurs cette forêt de
Soignes, la plus belle de l'Europe occidentale, l'ornement de
Bruxelles et du pays tout entier, ce prince éclairé crut faire
une bonne affaire en faisant vendre aux enchères l'ancien
château de Vianden, dans le Luxembourg, édifice immense
et admirable, sur un rocher qui domine l'Our, parfaitement
conservé et habité \ et qui devait en outre avoir, à ses yeux
le mérite d'avoir été la première possession de la maison de
Nassau dans les Pays-Bas2. Il fut adjugé pour six mille
francs à un entrepreneur, qui en enleva les plombs, les bois;
et le rendit ainsi aussi inhabitable que possible, jusqu'à ce que
le roi , éveillé par les clameurs que faisait pousser cet acte
de vandalisme inoui , racheta les ruines du château de ses
pères moyennant 3,000 francs. C'étaient toujours 1,000 écus
1 Le roi l'avait repris à M. de Marbœuf , qui l'avait reçu en dota-
tion de Napoléon , et qui l'entretenait fort bien.
* En 1340, Marguerite de Spanheim, héritière du comte de Vian-
den . l'apporta en dot à Otbon , comte de Nassau.
— 237 —
de profit, et une gloire de moins pour sa couronne et pour
le pays ; et cependant voilà ce qu'on appelait une restaura-
tion ! Ces ruines , dans leur état actuel , sont , de l'avis una-
nime des voyageurs , plus vastes et mieux conservées que
tout ce qu'on voit de ce genre sur les bords du Rhin ; qu'on
juge du prix qu'avait un pareil monument dans son intégri-
té. Sous ce même règne, en 1822, on voyait encore, à quatre
lieues de Bruxelles , l'immense abbaye des Prémontrés de
Ninove. Ses quatre façades offraient un vaste ensemble d'ar-
chitecture classique, dans les proportions les plus imposantes
et les plus régulières; sa reconstruction, en 1718, avait
coûté 3,500,000 francs. En 1822, elle était dans un état de
conservation parfaite, et on la mettait en vente pour 80,000
francs. La province delà Flandre- Orientale voulut en faire
l'acquisition pour l'offrir comme château au prince d'Orange,
qui faisait alors bâtir à Bruxelles un palais dont toute l'é-
tendue n'égale pas une seule des quatre façades de Ninove ;
mais le roi refusa cette offre. Il n'eut pas davantage l'idée
d'utiliser cet immense édifice, si voisin de sa capitale , pour
en faire un hospice, un collège, ou une caserne; et l'adjudi-
cation définitive eut lieu le 15 janvier, après l'affiche sui-
vante que nous croyons devoir transcrire comme une curieuse
pièce justificative de la futurehistoire du vandalisme : « Cette
abbaye , dont la construction a coûté plus de i, 500, 000 flo-
rins avant la révolution, offre, sous le rapport de la démo-
lition, des avantages immenses. Tous les matériaux en sont
de la plus grande beauté : le fer , le plomb , les ardoises
fortes , les grès , le marbre, n'y ont pas été épargnés; la
charpente en est énorme ; aucune planche n'a été clouée.
Pour le transport , la Dendre offre un moyen facile. Les
fortifications de Termonde , les travaux à Bruxelles , etc.,
assurent le débit avantageux des matériaux. En un mot,
cette vente se présente aux spéculateurs sous l'aspect et dans
les circonstances les plus favorables. »
— 238 —
Tous ces avantages ont été si bien saisis qu'aujourd'hui il
ne reste pas pierre sur pierre de l'édifice. Seulement on peut
en examiner les plans chez un menuisier de la ville, et vrai-
ment c'est une visite qui vaut la peine d'être faite, pour voir
jusqu'où la fureur de détruire peut aller, en pleine paix et
sous un gouvernement régulier.
Depuis la révolution de 1830 , le nouveau gouvernement
s'est occupé avec quelque sollicitude de la conservation des
raonumens. La loi communale , tout en accordant aux mu-
nicipalités des attributions plus larges qu'en aucun autre pays
du monde, leur défend de procéder, sans Y approbation du
roi, « à la démolition des monumens de l'antiquité et aux
réparations à y faire, lorsque ces réparations sont de nature
à changer le style ou le caractère des monumens1. Voilà de
belles et sages paroles, dont l'absence se fait regretter dans
notre loi municipale française ! Pour que l'approbation du
roi ne soit jamais surprise , il a été institué une commission
royale des monumens, présidée par le comte Amédée de
Beauffort, et qui a déjà rendu de grands services. Il faut es-
1 Voici un arrêté du roi Léopold, qui montre comment cette loi
excellente est exécutée. Il est daté du 28 novembre 1838. C'est un
contraste hnmiliant pour nous que celui des mesures prises à Dinant
en Belgique, avec les dévastations de Dinan en Bretagne, dont nous
par lions plus haut , page 215.
« Vu l'arrêté du 25 août 1837 , ordonnant le redressement de la
route de première classe , n° 3 , de Namur vers Givet , dans la partie
de la traverse de Dînant , comprise entre la place Saint-Nicolas et la
sortie de la ville vers Givet ;
Considérant que , par suite de ce redressement , la porte Saint-
Nicolas ^devait être démolie; que cependant, cette porte étant d'une
belle construction et d'une grande antiquité , il est désirable qu'elle
soit conservée intacte en la dégageant convenablement ; que , sous ce
dernier rapport, de nouvelles dépenses deviennent nécessaires ;....
Considérant que la ville de Dinant est particulièrement intéressée à
la conservation de la porte dont il s'agit, et que l'Etat, tout en prê-
— 239 —
pérer que , grâce à ces précautions , on ne verra plus ce qui
s'est passé il y a quelques années à Chimay, lorsque la pierre
sépulcrale de l'historien Froissart (chanoine de la collégiale
de Chimay) fut enlevée et brisée pour faire une entrée par-
ticulière dans la chapelle des fonts ! On est déjà parvenu à
sauver, entre autres débris curieux, la vieille porte de Hall,
à Bruxelles, qui renferme encore de très belles salles, et que
l'on s'acharnait à remplacer par deux de ces barraques à
porche et à fronton obtus qui ornent toutes les autres entrées
de la capitale. On a même été assez heureux pour rendre à
Sainte-Gudule une portion notable de son ancienne beauté,
en détruisant le maître-autel qui obstruait son chevet. M. Ro-
gier , ancien ministre de l'intérieur , et actuellement gou-
verneur de la province d'Anvers , avait conçu et proposé la
magnifique idée de faire terminer la flèche de la cathédrale
de Malines , par une souscription populaire , afin de placer
sous cette consécration religieuse et nationale , le souvenir
de la révolution de 1830, et le point central du système des
chemins de fer qui doit changer industriellement la face de la
Belgique. Malheureusement on a cru s'apercevoir que les
fondemens de la tour ne supporteraient pas une augmenta-
tion de poids aussi considérable. La ville de Malines mérite-
rait , du reste , assez peu cet honneur , car sa régence est
tant son concours à la chose , n'est cependant déterminé que par un
intérêt secondaire quant à la voirie ;
Dispose :
Art. 1er. Il est accordé à la ville de Dînant , à titre de subside, une
somme de trois cents francs, pour contribuer à la dépense que néces-
sitera la conservation de la porte dite de Saint-Nicolas en cette ville.
Art. 2. Les terrains nécessaires, et notamment celui qui se tronve
au delà de la porte et qui forme l'angle de séparation de Pancienne
route de la nouvelle, seront acquis et occupés conformément aux lois
en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.
— 240 —
occupée en ce moment à postuler avec acharnement la des-
truction de la belle porte à tourelles qui conduit à Bruxelles;
et lorsqu'on leur reproche cette barbarie , ils répondent :
«Oh ! nous en avons détruit une, il y a quelques années, celle
de Louvain, qui était bien plus belle encore! » Et ils disent
vrai, à leur plus grande honte. Mais si le gouvernement
a quelque prise sur les administrations provinciales et munici-
pales, il n'en a point sur les particuliers ni sur le clergé. La
vente des vitraux et des chaires , de tous les fragmens mobi-
liers d'art chrétien , à des Anglais ou à des brocanteurs de
Paris, est organisée sur une très grande échelle; il n'a fallu
rien moins que l'intervention du roi protestant, pour empê-
cher le curé catholique d'Alsemberg , de vendre la chaire
gothique de son église à un Anglais. A Aine , abbaye fondée
par saint Bernard , sur les bords de la Sambre , il existe en-
core la plus grande partie de la maison et une moitié en-
viron de l'église, qui date de l'époque même du fonda-
teur. Croirait-on que ce sont les anciens religieux eux-
mêmes , qui, ayant racheté ces ruines, les vendent par
charretées! ASainte-Gudule même, dont la restauration se
fait , en général , avec beaucoup de zèle et de goût , il faut
cependant dénoncer l'architecte qui a trouvé bon de faire
arracher un grand nombre de consoles richement sculptées
sur les tours delà façade, sous prétexte que ces consoles
sans statues ne signifiaient rien. Quant au règne du badi-
geon, il est encore bien plus universel et plus solidement
établi qu'en France. Je ne crois pas qu'à l'exception de
Sainte-Waudru de Mons , il y ait une seule église de Belgi-
que , grande ou petite , qui ne soit pas périodiquement ra-
doubée et mastiquée dune pâte impitoyablement épaisse;
il en résulte que la sculpture , si florissante au moyen âge
en Belgique, est comme annulée partout où il s'en trouve
quelques monumens dans les églises : comment reconnaître
non seulement l'expression , mais jusqu'aux premières for-
— 241 —
mes d'une figure qui est recouverte d'au moins dix couches
successives de plâtre? On ne se figure pas le changement
que subiraient toutes les églises belges , si quelque chimiste
tout-puissant trouvait le moyen de les dégager de cette en-
veloppe déjà séculaire, et de les rendre à leur légèreté pri-
mitive. Il n'y a pas jusqu'au délicieux jubé de Louvain, dont
la transparence ne soit interceptée autant que possible par
un voile écailleux. Seulement au lieu du beurre frais et de
l'ocre, usités en France, c'est le blanc qui est universelle-
ment adopté en Belgique, un blanc vif, luisant, éblouissant,
dont on ne se fait pas une idée avant de l'avoir vu. On sort
de là comme d'un moulin , avec la crainte d'être soi-même
blanchi. Puis si on jette un regard en arrière sur l'édifice,
on se croit encore poursuivi par la brosse fatale, car, par un
raffinement barbare , ce n'est pas seulement l'intérieur qui
est métamorphosé en banc de craie, ce sont encore les por-
ches, les portails , tout ce qui peut se relever sur la couleur
sombre des pierres extérieures, et jusqu'aux meneaux et aux
archivoltes de toutes les fenêtres , qui sont passés au blanc
par dehors, comme pour avertir le passant du sort qui l'at-
tend au dedans. Je n'ai vu nulle part le moindre germe de
réforme sur ce point.
Pour en revenir à notre France , et pour qu'on ne me re-
proche pas de parler si long-temps sans indiquer un remède,
je finirai en insistant sur la nécessité de régulariser et de
fortifier l'action de l'inspecteur-général des monumens his-
toriques, et celle de la commission qui délibère sur ses pro-
positions au ministère de l'intérieur : une loi , ou au moins
une ordonnance royale, est urgente pour leur donner un
droit d'intervention légale et immédiate dans les décisions
des municipalités et des conseils de fabrique. J'ai déjà cité
la loi belge à ce sujet ; en Prusse il y a un édit royal qui in-
terdit strictement la destruction de tout édifice quelconque
revêtu d'un caractère monumental ou se rattachant à un
16
— 242 —
souvenir historique , et qui ordonne de conserver, dans tou-
tes les réparations de ces édifices, le caractère et le style de
l'architecture primitive. En Bavière la même prohibition
existe, et s'étend, par une disposition récente, jusqu'aux
chaumières des montagnes de la Haute-Bavière , si pittores-
ques , si bien calculées pour le climat et la localité , et aux-
quelles il est défendu de substituer les boîtes carrées que
voulaient y importer certains architectes urbains. Il faut que
quelque mesure sérieuse de ce genre soit adoptée en France ;
c'est la seule chance de salut pour ce qui nous reste : c'est le
seul moyen d'appuyer les progrès trop lents et trop timides
de l'opinion.
Et , en vérité , il est temps d'arrêter les démolisseurs. A
mesure que l'on approfondit l'étude de notre ancienne his-
toire et de la société telle qu'elle était organisée dans les
siècles catholiques , on se fait , ce me semble , une idée plus
nette et une appréciation plus sérieuse des formes matériel-
les que cette société avait créées, pour lui servir de mani-
festations extérieures. Il est impossible alors de n'être pas
frappé du contraste que présente le monde actuel avec le
monde d'alors, sous le rapport de la beauté. On a fait bien
des progrès de tous genres ; je n'entends ni les contester, ni
même les examiner ; il en est que j'adopte avec toute la fer-
veur de mon siècle ; mais je ne puis m'empêcher de déplorer
que tous ces progrès n'aient pu être obtenus qu'aux dépens
de la beauté, qu'ils aient intronisé le règne du laid , du plat
et du monotone. Le beau est un des besoins de l'homme , de
ses plus nobles besoins ; il est de jour en jour moins satisfait
dans notre société moderne. Je m'imagine qu'un de nos bar-
bares aïeux du xve ou du xvie siècle nous plaindrait amère-
ment si , revenant du tombeau parmi nous , il comparait la
France telle qu'il l'avait laissée avec la France telle que nous
l'avons faite, son pays tout parsemé de monumens innom-
brables et aussi merveilleux par [leur beauté que par leur
— 243 —
inépuisable variété , avec sa surface actuelle de jour en jour
plus uniforme et plus aplatie ; ces villes annoncées de loin
par leur forêt de clochers, par des remparts et des portes si
majestueuses, avec nos quartiers neufs qui s'élèvent , tailles
sur les mêmes patrons , dans toutes les sous-préfectures du
royaume; ces châteaux sur chaque montagne, et ces abbayes
dans chaque vallée, avec les masses informes de nos manu-
factures ; ces églises, ces chapelles dans chaque village, tou-
jours remplies de sculptures et de tableaux d'une originalité
complète, avec les hideux produits de l'architecture officielle
de nos jours; ces flèches à jour avec les noirs tuyaux de nos
usines, et , en dernier lieu , son noble et gracieux costume
avec notre habit à queue de morue. — Laissons au moins
les choses telles qu'elles sont ; le monde est assez laid comme
cela ; gardons au moins les trop rares vestiges de son an-
cienne beauté, et, pour cela , empêchons un vandalisme dé-
crépit de continuer à mettre en coupe réglée les souvenirs
de notre histotee et de défricher officiellement les monu-
mens plantés sur le sol de la patrie par la forte main de nos
aïeux.
NOTICE SUR LE BIENHEUREUX FRÈRE
ANGÉLIQUE DE FIESOLE '.
Le nom du moine Jean de Fiesole, peintre de l'école ca-
tholique de Florence (Fra Giovanni Angelico da Fiesole),
surnommé Y Angélique, et communément appelé en Italie
il Beato, ne se trouve presque dans aucun des ouvrages qui
ont traité de l'art pendant les trois derniers siècles. On ne
saurait ni s'en étonner, ni s'en plaindre. La gloire de celui
qui a atteint l'idéal de l'art chrétien méritait de n'être pas
confondue avec celle qu'on a décernée à des artistes comme
Jules Romain , le Dominiquin , les Carraches et autres de ce
genre : mieux valait pour lui être totalement oublié que
d'être placé sur la même ligne qu'eux. Peu de temps après
sa mort, le paganisme fit irruption dans toutes les branches
de la société chrétienne : en politique , par l'établissement
* Cette notice est extraite de la seconde livraison des Monument
de l'Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, publiés par A. JBoblet ,
Paris, 1838-1839.
— 245 —
des monarchies absolues ; en littérature, par l'étude exclu-
sive des auteurs classiques; dans l'art, par le culte de la my-
thologie, de la nudité et du naturalisme qui signale l'époque
de la renaissance. Devenu rapidement vainqueur et maître,
il eut soin de discréditer et les hommes et les choses qui por-
taient l'empreinte ineffable du génie chrétien : Fra Angelico
eut l'honneur d'être confondu dans la proscription qui enve-
loppa à la fois et les constitutions sociales du moyen âge , et
cette poésie pieuse et chevaleresque dont l'Europe avait été
si long-temps charmée, et enfin cet art si glorieusement et
si heureusement inspiré par les mystères et les traditions de
la foi catholique. Tout cela fut déclaré barbare, digne d'ou-
bli et de mépris; et pendant trois siècles on l'a oublié et mé-
prisé, conformément au décret des maîtres. Aujourd'hui que
l'esprit humain , arrivé peut-être au terme de ses longs éga-
remens, s'arrête incertain, et semble jeter un regard d'envie
et d'admiration vers les âges catholiques, on recommence à
étudier l'art qui était la parure de cette époque si complète ;
et le peintre béatifié a repris peu à peu la place que lui avait
assignée le jugement de ses contemporains. Encore étrange-
ment méconnu en Italie, il est admiré avec enthousiasme en
Allemagne, et la France, qui possède un de ses chefs-d'œu-
vre, s'habitue à son tour à le voir compter parmi les grands
maîtres. Comme il occupe par sa vie , aussi bien que par ses
œuvres, le premier rang entre les peintres vraiment dignes
du nom de catholiques , des lecteurs catholiques nous par-
donneront à coup sûr quelques courts détails sur cette vie.
Né en 4387 à Mugello, petit village des environs de Flo-
rence , à vingt et un ans il prit à Fiesole l'habit de l'ordre
des Frères- Prêcheurs , fondé par saint Dominique ; il porta
désormais le nom de l'endroit où il s'était consacré à Dieu.
On dit qu'auparavant dans le monde il s'appelait Guido ou
Santi Tosini. Il vint peu après à Florence , où il entra au
couvent de Saint -Marc , dans cette illustre maison qui de-
— 246 —
vait produire plus tard le grand Savonarole et Fra Barto-
lommeo , mais dont notre bienheureux peintre devait être la
première et la plus pure illustration. Ce fut là qu'il com-
mença à se livrer à la pratique de la peinture. On ne connaît
pas son maître ; quel que soit celui dont il ait reçu les pre-
mières leçons, il faut bien admettre que Dieu seul a pu ins-
pirer un génie comme le sien , et admirer cette vitalité puis-
sante, fruit du silence et de la paix du cloître. La peinture
n'a été évidemment pour lui qu'un moyen de réunion avec
Dieu : c'était sa manière de gagner le ciel , son humble et
fervente offrande à celui qu'il aimait par dessus tout ; c'était
la forme du culte spécial et intime qu'il rendait à son Ré-
dempteur. Jamais il ne prenait ses pinceaux sans s'être livré
à l'oraison, en guise de préparation1. Il restait à genoux
pendant tout le temps qu'il employait à peindre les figures
de Jésus et de Marie 2; et chaque fois qu'il lui fallait retracer
la crucifixion , ses joues étaient baignées de larmes *. Son
art était si bien à ses yeux une chose sacrée , qu'il en respec-
tait les produits comme les fruits d'une inspiration plus haute
que son intention ; il ne retouchait ni ne perfectionnait ja-
mais ses travaux, et se bornait au premier jet, croyant, à
ce qu'il disait sans détour, que c'était ainsi que Dieu les vou-
lait 4. Il ne faut rien moins que le témoignage précis de son
biographe sur ce fait pour y croire, quand on examine l'in-
» Non havrebbe messo mano ai penelli se prima non havesse fatto
orazione. (Va sari.)
2 Voyez le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico, par
W. DE SCHLEGEL.
3 Non fece mai crocifisso, che non si bagnasse le gote di lagrime.
(Vasari.)
4 Haveva per costume non ritoccare , ne racconciar mai alcuna sua
dipintura , ma lasciarle semprc in quel modo , che erano venuti a
prima volta ♦ per creder, secundo ch'egli diceva , che cosi fosse la to-
ontà di Dio. (Vasari.)
— 247 —
croyable perfection, le fini, la délicatesse de toutes ses œu-
vres. Mais on comprend qu'avec ces dispositions son dévoue-
ment à l'art ne pouvait nuire en rien à l'exercice de toutes
les vertus monastiques. Aussi toute sa vie fut-elle marquée
par une fidélité touchante aux trois vœux sacrés qui le
liaient à Dieu par la règle du grand saint Dominique. Quant
à sa pureté, il suffit de contempler au hasard une figure
quelconque sortie de son pinceau , et l'on restera convaincu
que jamais une pensée indigne de Jésus et de Marie n'a pu
s'arrêter dans une àme capable de se reproduire par des re-
flets semblables. Sa pauvreté monastique lui était si chère
qu'il refusait toujours de stipuler un prix pour ses œuvres ,
et distribuait aux malheureux la totalité des sommes qu'elles
lui rapportaient ; il aimait les pauvres pendant sa vie , dit
Vasari, « aussi tendrement que son âme peut aimer aujour-
« d'hui le ciel où il jouit de la gloire des bienheureux *. »
Enfin l'habitude de Vobéissance lui était si naturelle qu'il
ne voulait même recevoir de commandes pour son art que
par l'intermédiaire de son supérieur spirituel , le prieur de
Saint-Marc ; et lorsqu'on venait lui demander un travail , il
répondait simplement qu'il fallait en convenir avec le père
prieur, et qu'il ferait tout ce qui lui serait ordonné2. Un jour
qu'il était à dîner chez le pape Nicolas V, il ne voulut pas
manger de la viande, parce que son prieur n'était pas là
pour le lui permettre, oubliant, dans sa douce simplicité,
qu'il y était convié par le pontife , dont l'autorité était plus
que suffisante pour le dispenser. Mais toutes ces choses exté-
rieures lui étaient étrangères et indifférentes ; il disait sans
cesse : « Celui qui veut peindre a besoin de tranquillité et de
i Vivendo fù de' poveri tanto amico , quanlo penso , che sia ora
l'anima sua del cielo. (Vasari.)
■ Àchiunque ricercava opère da lui diceva , che ne facesse esser
contente- il priore, e che roi non mancherebbe. (Vasari.)
— 2fc8 —
« vivre sans pensées ; celui qui s'occupe des choses du Christ
« doit être toujours avec le Christ f. »
C'était là sa théorie de l'art , et Dieu lui permit de la
mettre en pratique avec un bonheur et un éclat dignes de
ces hautes pensées. Il débuta par des chefs-d'œuvre , dès sa
première jeunesse : ancor giovinetto, dit Vasari, bénis-
simofare sapeva. Ses premiers travaux furent consacrés à
orner de miniatures admirables les livres de chœur de son
monastère , en société avec son frère aîné , moine et peintre
comme lui. Bientôt il se livra à la peinture sur fresque, dans
des proportions considérables , sans renoncer toutefois à ces
charmantes miniatures dont les reliquaires donnés par lui à
Santa-Maria-Novella peuvent nous donner une idée. Encore
aujourd'hui, ce célèbre monastère de Saint-Marc , illustre
par tant de titres , offre au voyageur catholique la plus com-
plète collection des œuvres du saint artiste, dans les grandes
et sublimes fresques de la salle du Chapitre, le crucifix et
les lunettes du cloître , et enfin la série d'histoires de la vie
de Marie , qu'il voulut peindre dans la cellule de chacun de
ses frères. Mais on n'y retrouve plus sur le grand autel cette
Madone, qui , selon Vasari, par son exquise simplicité, exci-
tait à la dévotion tous ceux qui la regardaient \ Dans un
siècle où les inspirations d'un art encore tout imprégné du
christianisme constituaient une partie essentielle de la vie
religieuse et publique, un génie comme celui du frère Jean
ne pouvait rester long-temps caché dans son cloître. Aussi
fut-il recherché avec avidité, et célébré avec enthousiasme;
ses œuvres, en se multipliant, acquirent une immense po-
pularité dans toute l'Italie. Vasari , dont le goût classique et
* Usando spesse fiate di dire, che chi faceva questa arte, haveva
bisogno di quiète , e di vivere senza pensieri ; e che chi fa cose di
Christo, con Christo dove stare sempre. (Vasari.)
1 MuoYe a divozione chi la guarda per la simplicità sua.
— 249 —
matérialiste ne pouvait certes sympathiser avec celui du
mystique de Fiesole , nous a conservé , dans l'article qu'il lui
a consacré, l'écho de cette exaltation pieuse et tendre
qu'inspiraient les œuvres de notre moine , et que venait ra-
tifier le jugement des plus fins connaisseurs. « Ce tableau,
« dit-il en parlant d'une predella ■ qui représentait la lé-
« gende de saint Côme et saint Damien , est si parfait, qu'il
« est impossible de s'imaginer un travail plus diligent, ni
« des figures plus délicates, mieux entendues que celles
« qu'on y voit. » « Cette annunzîata, dit-il encore à propos
« d'une Madone recevant le message divin , a un profil si
« pieux, si délicat et si parfait, qu'on la dirait vraiment
• peinte non par des mains d'homme, mais dans le Paradis *.
« Les saints qu'il a peints ressemblent plus à des saints que
« ceux d'aucun autre peintre. » Enfin , parlant du magnifi-
que Couronnement de Vierge, que l'on peut voir au
Louvre, le biographe ajoute : « On y voit une quantité de
« saints et de saintes, si nombreux, si parfaits, dans des at-
• titudes si variées, et avec des airs de tête si gracieux, que
« l'on éprouve une douceur incroyable à les regarder; on
« sent que les esprits bienheureux , s'ils avaient des corps ,
• ne pourraient être autrement dans le ciel qu'il ne les a re-
« présentés; ils ne paraissent pas seulement vivans, mais la
« douceur et la délicatesse de leur expression est telle qu'on
« On appelle predella ou gradino le petit cadre longitudinal qui se
trouve au dessous de la plupart des grands tableaux d'après des an-
ciens maîtres, et où ils représentaient divers traits de la vie des saints
qu'ils avaient peints en pied dans la partie supérieure du tableau.
C'est ainsi que dans le chef-d'œuvre de Fra Angelico au Louvre, le
gradino représente la vie de saint Dominique que l'on voit en pied
dans le Couronnement de Notre-Dame qui fait le sujet du tableau
lui-même.
3 Con un profilo di viso tanlo devoto , delicato e ben fatto che par
veramente non da un uomo, ma fatto in Paradi§o.
— 2&0 —
« les dirait peints de la main d'un ange et d'un saint,
« comme ils îe sont en effet; car c'était un ange que ce bon
« religieux , et on l'a toujours surnommé frère Jean Y Ange-
« h'que.... Pour moi , j'avoue que je ne puis jamais contem-
« pler cette œuvre sans qu'elle me paraisse nouvelle, et je
« n'en suis jamais rassasié quand je m'en sépare \ »
Si la vue de ce tableau arrachait au matérialiste Vasari
d'aussi précieux aveux , quels transports ne doit-il pas exci-
ter dans une âme prédisposée par l'étude et l'amour de la vé-
ritable poésie chrétienne ! Nous avons le bonheur de le pos-
séder à Paris 2. Mais c'est encore à Florence , dans les fres-
ques de Saint-Marc, et à l'Académie des Beaux-Arts , qu'il
faut aller pour apprécier toute l'étendue et toute la profon-
deur du génie de ce peintre angélique. Nous avons cherché à
décrire ailleurs le tableau que nous regardons comme son
1 Una mollitudine infinita di santi e santé , tanti in numéro, tanto
ben fatti, a con si varie attitudine, e diverse arïe di teste, chein-
credibile piacere, e dolcezza si sente in guardarle, anzi pare che
quei spïriti beati, non possino essere in cielo altriraente , o per me-
glio dire, se havessero corpo, non potrebbono; perciocche.... non
solo sono vivi e con arie délicate, e dolci, ma tutto il coiorito di
queiropera par che sia di mano d'un santo, o d'un angelo, corne
sono, onde a gran ragione fù sempre chiamato questo da ben reli-
gioso, Frate Giovanni Angelico.... Io per me posso con verità affer-
mare, che non veggio mai questo opéra che non mi para cosa nuova,
ne me ne parto mai sazio.
a Apres avoir subi toutes sortes d'épreuves et avoir été long-temps
dérobé aux regards du public , ce trésor , enlevé à l'église Saint-
Dominique de Fiesole pendant les guerres d'Italie , vient d'être ex-
posé dans la nouvelle galerie des dessins que le roi a fait disposer dans
l'aile occidentale de la cour du Louvre. Nous conseillons à tous ceux
qui aiment ou veulent connaître l'art chrétien , d'aller contempler et
étudier ce tableau , qui en est un des plus merveilleux produits. Le
coloris en a été très malheureusement affaibli , parce qu'il a fallu en-
lever un vernis dont des mains grossières et ignorantes l'avaient affu-
blé il y a quelques années. Il est en outre placé à une hauteur qui
chef-d'œuvre , son Jugement dernier \ Ne pouvant donner
ici une idée, même superficielle, de ses divers travaux, nous
citerons l'excellent résumé qu'en a donné l'écrivain qui jus-
qu'ici a le mieux parlé de la peinture chrétienne. «Lacom-
. ponction du cœur, dit M. Rio, ses élans vers Dieu, le ra-
« vissement extatique , l'avant-goût de la béatitude céleste ,
« tout cet ordre d'émotions profondes et exaltées que nul
« artiste ne peut rendre sans les avoir préalablement éprou-
« vées, furent comme le cycle mystérieux que le génie de
« frère Angélique se plaisait à parcourir, et qu'il recommen-
« çait avec le même amour quand il l'avait achevé. Dans ce
« genre, il semble avoir épuisé toutes les combinaisons et
« toutes les nuances, au moins relativement à la qualité et à
« la quantité de l'expression ; et pour peu qu'on examine de
« près certains tableaux où semble régner une fatigante mo-
« notonie , on y découvrira une variété prodigieuse qui em-
« brasse tous les degrés de poésie que peut exprimer la phy-
c sionomie humaine. C'est surtout dans le Couronnement de
« la Vierge au milieu des anges et de la hiérarchie céleste,
« dans la représentation du Jugement dernier, au moins en
« ce qui concerne les élus, et dans celle du Paradis, limite
« suprême de tous les arts d'imitation ; c'est dans ces sujets
« mystiques , si parfaitement en harmonie avec les pressen-
« timens vagues, mais infaillibles de son âme , qu'il a dé-
« ployé avec profusion les inépuisables richesses de son ima-
« gination. On peut dire de lui, que la peinture n'était autre
ne permet point d'en saisir tous les détails. Espérons enfin qu'on fera
disparaître le cadre affreux qui le déshonore, et où deux grotesques
Renommées semblent placées à dessein pour figurer la dégénération
de l'art moderne. Il a été gravé et publié avec un texte explicatif, par
le célèbre A.-W. de Schlegel, Paris , 1816, in-folio : cette publica-
tion est excessivement rare.
' Voyez page 99.
— 252 —
« chose que sa formule favorite pour les actes de foi, d'espé-
« rance et d'amour '. »
Ce n'est pas seulement Florence qu'il enrichit de cette pa-
rure chrétienne. Sa gloire, en se répandant au loin, le fit
appeler dans diverses villes de la Toscane et de l'Ombrie.
On voit encore quelques débris de ses travaux à Cortone , à
Pérouse et surtout à Orvieto. Enfin, le pape Nicolas V, si
ami des arts, le fit venir à Rome, où il peignit à fresque la
chapelle du Saint-Sacrement , que Paul III fit détruire pour
élargir un escalier, et la chapelle dite de Saint-Laurent, si
complètement oubliée par la barbarie des dix-septième et
dix-huitième siècles, que le savant Bottari ne put y entrer
qu'en escaladant la fenêtre, les clefs de la porte ayant été
perdues. « Cette œuvre si simple , dit M. Rio , si pure, si dé-
« gagée de tout alliage profane , n'était pas cependant ce qui
« avait fait la plus forte impression sur l'esprit du pape. Il
« s'était aperçu que l'âme de l'artiste valait encore mieux
« que son pinceau. » L'archevêché de Florence ayant vaqué
sur ces entrefaites, il le jugea digne d'en être revêtu. Mais
Fra Angelico , en apprenant l'intention du pontife, le supplia
instamment de lui faire grâce de ce fardeau , parce qu'il ne
se sentait nullement propre à gouverner les peuples8. Mais
il ajouta qu'il y avait dans son ordre un moine, nommé An-
tonin, très amoureux des pauvres, très habile dans la con-
duite des âmes , craignant Dieu 3, et beaucoup mieux fait
que lui pour être revêtu de cette dignité. Le pape , plein de
confiance dans sa recommandation, lui accorda la nomina-
tion qu'il sollicitait 4, et l'humble peintre eut ainsi la gloire
1 De la Poésie chrétienne, par M. Rio, Forme de l'Art; 2« partie,
p. 193.
a Perocche non si senitivaatto a governarpopoli. (Vasari.)
3 Havendo la sua religione un frate amorevole de poveri , dottis-
fimo di governo e timorato di Dio. (Vasari.)
* Gli fece la grazia liberamente. (Vasari.)
— 35S —
d'appeler au siège de Florence celui qui devait y briller d'un
éclat si pur, et que l'Église vénère aujourd'hui sous le nom
de saint Antonin \
Fra Angelico mourut à Rome en U55 , à l'âge de soixante-
huit ans. Il fut enterré dans l'église de son ordre, la seule
gothique qui soit restée à Rome, et dont le nom est comme
le symbole de la victoire éternelle du christianisme sur le pa-
ganisme au sein de la capitale du monde , Santa-Maria-
sopra-Minena. On y voit encore sa tombe, avec sa figure
en pied et les mains jointes, gravée au trait, et on y lit cette
épitaphe :
c Non mihi ait laudi , quod eram velut alter Apelles ,
« Sed quod 1 liera tuis omnia , Chrisle , dabam :
c Altéra nam terris opéra exslant , altéra cœlo ;
c Urbs me Joannem flos tulit AStrurise. »
« Qu'on ne me loue pas de ce que j'ai peint comme un
« autre Apelle, mais de ce que j'ai donné tout ce que je
« gagnais à tes pauvres , ô Christ ! J'ai travaillé pour le ciel
« en même temps que pour la terre ; je m'appelais Jean ; la
* ville qui est la fleur de l'Étrurie a été ma patrie. »
Après sa mort, au surnom d'Angélique vint se joindre ce-
lui de Bienheureux, il Beato. C'est ainsi qu'il est principa-
lement désigné encore aujourd'hui a Florence et dans toute
l'Italie. Toutefois cette expression de la pieuse admiration
des chrétiens n'implique nullement un culte public et auto-
risé par l'Eglise.
Au premier rang de ses élèves on voit figurer Benozzo
Gozzoli, qui continua fidèlement la ligne tracée par son
maître, et dont la gloire est inscrite sur les murs du plus bel
édifice de l'Italie, le Campo-Santo de Pisej puis encore Gen-
tile da Fabriano, le père de cette dynastie sublime des pein-
11 a été canonisé par Adrien VI.
— 254
très de l'école d'Ombrie qui devait finir avec la défection de
Raphaël , en laissant à l'art chrétien , comme pour le conso-
ler, Francia de Bologne. On peut ainsi regarder Fra Angelico
comme la souche des trois grandes branches de l'école mys-
tique , celles de Florence , d'Ombrie et de Bologne.
§111
DE L'ANCIENNE ÉCOLE DE FERRARE,
PAR M. LADERGHI.
C'est avec le plus vif plaisir que nous voyons se dévelop-
per graduellement en Italie l'amour et l'appréciation de l'art
chrétien du moyen âge , opposé à l'art païen des siècles mo-
dernes , qui a régné jusqu'à présent despotiquement sur
cette belle contrée. Notre satisfaction redouble quand nous
voyons ce mouvement de justice et de science à la fois, partir
du centre même de l'unité, des états romains. Déjà l'année
dernière , M. le chevalier Minardi , président de l'Académie
des Beaux- Arts de Rome , avait établi, dans un discours qui
fit beaucoup d'effet, la supériorité de l'inspiration chrétienne
des écoles primitives sur la prétendue peinture religieuse des
siècles récens. Voici maintenant que , se conformant à un
usage italien , un citoyen de Ferrare , M. Camillo Laderchi ,
à l'occasion des noces du jeune comte Costabili avec la com-
tesse Malvina Mosti , publie une description de la galerie
Costabili , à laquelle il rattache un essai historique tout-à-fait
original sur l'ancienne école de Ferrare. L'ouvrage porte le
— 256 ~
titre suivant : Descrizione délia quadreria Costabilt,
parte prima; VAntica scuola Ferrarese, par M. Camitlo
Laderchi ; Ferrara, 1837. — La sympathie que Fauteur ex-
prime dans son ouvrage pour les idées de M. Rio et nos fai-
bles efforts en faveur de la réforme de l'art religieux , est un
motif de plus pour que nous contribuions, en rendant
compte de ses travaux , à resserrer ce lien religieux et litté-
raire entre la France et l'Italie. L'opuscule de M. Laderchi
est même spécialement destiné à combler une lacune que
présente l'ouvrage publié par M. Rio sur l'Art chrétien en
Italie y ouvrage que l'auteur ferrarais signale avec tant de
raison comme le plus complet et le plus important qui ait
encore paru sur cette matière. Adoptant tous les principes
posés par M. Rio, quant à l'influence prépondérante de la
piété catholique sur la peinture du moyen âge , et à sa répu-
gnance légitime pour le naturalisme et le paganisme, M. La-
derchi nous donne une série de renseignemens détaillés et
très curieux sur seize peintres ferrarais, depuis Gelasio di
Nicolo, qui florissait en 1240, jusqu'à Michelli Cortellini,
dont on a des tableaux datés de 1517. On ne trouve ailleurs
que des notions très rares et très inexactes sur ces artistes ,
tous exclusivement consacrés à la peinture mystique, et dont
M. Laderchi nous fait connaître avec le plus grand soin la
vie et les œuvres. Il s'étend avec raison sur les astres vrai-
ment rayonnans de cette école : Panetti, né en 1460 ; Ercole
Grandi , né en 1/191 ; Mazzolino, né en 1481 , et surtout Lo-
renzo Costa. M. Rio avait déjà reconnu l'identité du but, de
l'esprit et des inspirations qui dominaient à la fois l'école de
Bologne (à laquelle il rattache celle de Ferrare) et l'école
d'Ombrie, celle de Gentile de Fabriano, du Pérugin et de Ra-
phaël. Il en avait conclu à priori qu'il avait dû y avoir des
communications matérielles entre elles deux. Or, M. Lader-
chi est venu répandre la lumière la plus satisfaisante sur ces
diverses ramifications de l'école mystique, en démontrant
— 257 —
que Lorenzo Costa , en même temps que Gentile de Fa-
briano, fut l'élève de Benozzo Gozzoli, lui-même élève chéri
et fidèle du bienheureux Fra Angelico da Fiesole, qui se
trouve ainsi la tige commune des plus fécondes branches de
la poésie mystique dans l'art. M. Laderchi démontre encore
que Costa a été le maître de Francia, et non pas son élève ,
comme tous les auteurs Font dit jusqu'à présent. « Ce maître
« insigne, dit l'auteur, fondateur de trois écoles , à Ferrare,
« à Bologne et à Mantoue , doit être placé avant son tendre
« ami et compagnon Francesco Francia, avec Perugino,
« avec Leonardo, Lorenzo di Credi et quelques autres, dans
« un cercle d'artistes élus , au milieu desquels siège le bien-
« heureux de Fiesole, et où doit se concentrer l'admiration
« de quiconque comprend la peinture chrétienne. >
Tout voyageur catholique , par respect pour le grand nom
de Ferrare , pour les souvenirs chevaleresques et poétiques
du Tasse , de FArioste , de la première et si illustre maison
d'Esté , doit s'arrêter dans cette ville ; il y admirera la ma-
gnifique façade de la vieille cathédrale (si indignement van-
dalisée au dedans) , la statue du glorieux pèlerin dont date
l'éclat de la maison d'Esté , le vaste château qui rappelle leur
grande et féodale existence ; enfin la petite mais charmante
galerie de tableaux. Guidé par l'excellent opuscule de
M. Laderchi, il ajoutera à ces visites obligées celle de la ga-
lerie Costabili. Nous ne pouvons que lui souhaiter de trouver
souvent, pour d'autres villes, un guide aussi fidèle, aussi
sûr et aussi religieusement intelligent.
M. Rosini , de Pise, vient aussi de publier le premier essai
d'une Histoire de la peinture en Italie, accompagnée de
gravures , où l'on voit avec satisfaction revenir sur les faus-
ses appréciations de Lanzi et de beaucoup d'autres , et an-
noncer de longues et solides études sur les grands peintres
de l'époque chrétienne.
17
§rv
COLLECTION DES MONUMENS
DE
L'HISTOIRE DE SAINTE ELISABETH.
Fidèle au principe que nous avons posé plus haut, sur l'impor-
tance vitale de l'étude des anciens maîtres pour tous ceux qui veu-
lent consacrer leur talent à l'application religieuse de l'art , nous
avons voulu contribuer selon la mesure de nos forces à l'œuvre ré-
paratrice , en publiant une collection de monumens , composée à la
fois de divers travaux qui datent des vieux siècles catholiques, et
d'autres qui , fruit de la nouvelle école allemande , serviront à mon-
trer comment l'on peut, même au sein de l'anarchie morale et intel-
lectuelle de nos jours, rattacher l'art moderne à la pureté et à la
sainteté de la pensée ancienne. Le sujet de cette collection se trou-
vait indiqué, de droit comme de fait, dans l'Histoire de sainte Eli-
sabeth, à laquelle nous avions consacré plusieurs années de travaux ,
et qui a eu le privilège d'inspirer à toutes les époques le ciseau et
le pinceau des artistes chrétiens. Nous avons eu le bonheur de trou-
ver un éditeur aussi dévoué que nous à la régénération religieuse de
l'art, et qui s'est chargé de celte entreprise avec un zèle et un dés-
intéressement puisé dans les plus nobles motifs. Fort de son appui ,
nous avons pu profiter de nos voyages pour recueillir en Italie et en
Allemagne tout ce que nous avions découvert ou remarqué de plus
important parmi les monumens relatifs à notre Sainte.
Nous reproduisons en premier lieu les tableaux qui lui ont été
consacrés par les plus illustres représentans de l'ancienne école flo-
rentine , Taddeo Gaddi ( 1330 ) , le principal élève de Giotto , et di-
gne émule de son maître; Andréa Orgagna (1319-1389) , le plus grand
des peintres , des sculpteurs et des architectes de son temps , qui
précéda Michel-Ange dans cette triple supériorité , et qui , certes ,
— 259 —
sous le point de vue chrétien , l'a surpassé de beaucoup ; le bienheu-
reux Fra Angelico da Fiesole (1387-1455), le plus angéliquc, le plus
accompli des artistes chrétiens ; enfin , Alessandro Botticelli (1487-
1515) , qui | au milieu de la dégénération déjà trop générale de l'art,
due à l'influence des Médicis, sut rester fidèle à la poésie mystique
de ses prédécessurs.
Passant de l'Italie à la vieille Allemagne , nous donnons l'œuvre
d'un peintre anonyme de la pure et primitive école de Cologne (1350-
1400) , qui fut pour l'Allemagne ce que l'école de Sienne avait été
pour l'Italie; puis celle d'un peintre bâlois du quinzième siècle, dont
le nom est resté également inconnu ; celle de Lucas de Leyde (1494-
1533) , qui termine le cycle des anciens peintres catholiques au delà
du Rhin, et enfin une miniature attribuée à Hemling (1429-1499), le
Fiesole de la Flandre, et tirée du célèbre bréviaire Grimani à Venise.
Un grand vitrail de la cathédrale de Cologne nous montrera sainte
Elisabeth dignement placée dans l'église qui est le type de l'époque
qu'elle a glorifiée ; lejjas-relief, presque contemporain de la Sainte,
qui orne son tombeau à Marbourg ; ceux, plus récens, que l'on voit
sur les autels de son église ; la châsse si célèbre où fut renfermé son
corps sacré , et la statue qui a été pour nous le premier indice de son
histoire , serviront à faire connaître la marche parallèle de la sculp-
ture et de la peinture des anciennes écoles germaniques.
A ces précieux débris d'un passé qui ne reviendra jamais, nous
avons la consolation de joindre des témoignages vivans de la résur-
rection de ce feu sacré de la foi qui l'animait , dans les œuvres des
artistes contemporains de l'Allemagne. Frédéric Overbeck , la gloire
de l'art chrétien de nos jours et le flambeau de son avenir , a bien
voulu interrompre le cours des grands travaux qu'il poursuit au sein
de la ville éternelle, pour enrichir notre humble collection d'un des-
sin qui représente un des traits les plus populaires de l'histoire de
notre Sainte. On verra ensuite le même sujet traité en bas-relief par
Schwanthaler, qui occupe le premier rang dans la sculpture nouvelle
d'Allemagne, comme Overbeck dans la peinture. Frédéric Mùller,
jeune peintre de Cassel, qui a cultivé sur le sol d'Italie les excel-
lentes dispositions de sa nature germanique , nous a apporté son
tribut de dévotion à la Sainte qu'il chérit comme nous. Enfin,
nous nous félicitons de fournir aux personnes qui s'intéressent
à l'art une occasion de connaître la nature et la portée d'un jeune
aient qui nous semble promettre à la peinture chrétienne un vérita-
— 260 —
ble représentant , si Dieu le maintient dans la voie salutaire qu'il a
daigné lui ouvrir. Octave Hauser, d'origine allemande, né en 1822, a
eu le bonheur de passer son enfance à Florence. Ses yeux se sont ou-
verts à la lumière de l'art , en face des admirables fresques de Fra
Angelico, de Memmi, de Giotto, d'Orgagna : c'est dans ces pages im-
mortelles qu'il a lu sa destinée ; et dès l'âge de treize ans , guidé par
les conseils d'un père qui a consacré sa vie au service de l'art chré-
tien , cet enfant commença à étudier d'après les grands maîtres ca-
tholiques. Kentré en France , à quatorze ans il a commencé la série
de compositions relatives à la vie de sainte Elisabeth, qui forme une
partie de notre collection. Il se peut que nous soyons aveuglé par la
tendre sympathie avec laquelle nous avons suivi dans une âme si
jeune, le développement d'une pensée identique à celle qui a si
long-temps absorbé la nôtre; mais il nous semble que tout juge non
prévenu y reconnaîtra avec nous une originalité , une profondeur de
sentiment et une pureté d'inspiration que l'on cherche en vain dans
les prétendues œuvres d'art religieux de nos jours. Assurément nous
ne donnons pas ces produits du crayon d'un enfant de quinze ans
comme des chefs-d'œuvre, mais bien comme une preuve des heureux
résultats d'une éducation formée par l'étude pieuse des véritables
maîtres chrétiens, et dégagée des liens de la routine classique.
En dernier lieu , la collection se complète par des médailles , des
lettres ornées tirées d'anciens manuscrits, et autres objets relatifs à
notre Sainte. Des vues du château de "Wartbourg, où elle fut élevée
et où elle vécut avec son mari , ainsi que de la ville de Marbourg , où
elle passa ses années de veuvage et où elle mourut, reproduisent
l'état actuel des lieux immortalisés par son souvenir. Enfin , on verra
des fragmens de la célèbre église qui porte son nom , et qui a été le
premier monument du style ogival pur que l'Allemagne ait possédé.
Il nous a été doux d'offrir ce nouvel hommage à celle qui nous a
valu d'ineffables consolations, il nous est doux de mettre sous sa
douce et puissante protection nos humbles efforts pour rendre quel-
que sève et quelque vie à une branche, naguère si belle et si fleurie,
de l'arbre catholique.
19 novembre 1837. Fête de sainte Elisabeth.
FHI,
i
TABLE DES MATIERES.
Avant-propos i
Explication des gravures ni
Du Vandalisme en France ; 1833 1
De la Peinture chrétienne en Italie ; 1837 72
Tableau chronologique des Ecoles catholiques en Italie . . . 135
De l'État actuel de l'Art religieux ; 1837 . . . .,.*?% . 159
APPENDICE.
I. De l'Attitude du Vandalisme en 1838 205
II. Fra Angelico da Fiesole -, 243
III. Ecole de Ferrare ; ... 254
IV. Collection des Monumens de l'Histoire de sainte Elisabeth. 258
INSTRUCTION POUR PLACER LES GRAVURES.
1. Une Famille chrétienne portant sa Croix .... Frontispice.
2. Un Elu recevant le baiser de son Ange gardien 102
3 et 4. La Vierge d'après Bouchardon et d'après Steinle. , . 170
5 et 6. La Sainte-Chapelle et Notre-Dame-de-Lorette ... 195
FIN DE LA TABLE.
POUR PARAITRE DANS QUELQUE TEMPS.
HISTOIRE DE LA VIE ET DU SIECLE
DE SAINT BERNARD,
abbé de Clairvaux ;
1091 — 1153.
Pur l'auteur î>e l'histoire oe «ointe tëlisobetl).
Après avoir montré dans l'histoire de sainte Elisabeth l'influence
bienheureuse de la religion sur les affections du cœur et la vie inté-
rieure, on s'efforcera de montrer dans celle de saint Bernard les
glorieux effets de la même influence sur la société en général , sur
la vie des peuples et des rois. Une étude approfondie des institutions
monastiques se rattache naturellement au saint moine qui fonda
cent soixante monastères. Il en est de même de tous les événemens
importans du XIIe siècle, époque où l'Eglise continua avec tant de
gloire et de succès l'œuvre de régénération et d'affranchissement
commencée par S. Grégoire VIL La fondation des Chartreux, des
Prémontrés, des Templiers, la propagation merveilleuse de l'ordre de
Cîteaux, la lutte de Henri V et de Pascal II, le concordat de Worms,
la création du royaume de Portugal, l'avènement de la maison de
Hohenstaufen, la seconde croisade ; l'abbé Suger, Pierre-le- Véné-
rable, saint Norbert, sainte Hildegarde, Abeilard, Guillaume de
Champeaux , Gilbert de la Porée , saint Guillaume de Poitiers ,
— 264 —
Louis VIII , Innocent II , Eugène III : tous ces grands faits, tous ces
noms célèbres se groupent autour de celui qui régna sur son époque
par l'éloquence, la science, le courage, la charité et le génie chré-
tien.
Après une eiposition détaillée de cette époque , où l'Elise , les
ordres religieux et la royauté chrétienne jetaient un si vif éclat , un
supplément pourvu de documens inédits, conduira l'histoire de l'or-
dre de Gîteaux et de la maison de Glairvaux, à travers les différentes
phases de leur décadence progressive , jusqu'à l'époque où ces deux
grandes existences ont succombé sous le coup des influences mo-
dernes.
L'ouvrage aura trois volumes , et sera publié dans le courant de
1840.
MONUMENS DE L'HISTOIRE
DE
SAINTE ELISABETH,
duchesse de Thuriuge ,
RECUEILLIS PAR LE COMTE DE MONTALEMBERT ,
pair de France,
ET PUBLIÉS PAR ACHILLE BOBLET.
A une époque où la régénération catholique de l'art semble avoir
quelques chances de s'effectuer, après trois siècles d'égaremens, il
semble qu'on ne puisse rendre de meilleur service aux amis de l'art
chrétien que de leur faire connaître à la fois et les monumens élevés
par les grands artistes des siècles catholiques, et les nobles tentatives
de ceux qui , de nos jours , ont résolu de purifier les sujets religieux
trop long-temps profanés. L'histoire de sainte Elisabeth offre une oc-
casion toute naturelle de concourir à ce but, puisqu'elle a fourni des
inspirations à plusieurs peintres célèbres des anciennes écoles d'Ita-
lie et d'Allemagne, en même temps qu'aux artistes les plus distingués
de cette nouvelle école allemande qui renferme en elle tous les ger-
mes de salut pour l'art , et qui est encore presque totalement incon-
nue en France.
Nous avons donc résolu de publier sous le titre de Monumens de
V Histoire de sainte Elisabeth , une collection de gravures tant au
18
— 266 —
Irait que terminées, qui reproduiront les différentes oeuvres de pein-
ture et de sculpture consacrées à la gloire de la chère sainte .
Nous donnons ici la liste des planches publiées et de celles qui
restent encore à paraître.
Planches déjà publiées.
Extérieur de l'église de Sainte-Elisabeth à Marbourg, d'après Geor-
ges Millier ; XIIIe siècle.
Grand portail occidental de l'église de Sainte-Elisabeth à Marbourg,
d'après le même.
Chasse de sainte Elisabeth, à Marbourg. XIII* siècle.
Bas-relief du tombeau de sainte Elisabeth, à Marbourg. XIIIe siècle.
Statue de sainte Elisabeth, tirée de l'église de son nom à Marbourg.
XYe siècle.
Haut-relief de l'autel du transept. XVe siècle.
Sainte Elisabeth en habit de Franciscaine, tenant des fleurs miracu-
leuses, d'après Taddeo Gaddi. XIVe siècle. Figure en pied.
Sainte Elisabeth recevant des pauvres dans son hospice , d'après le
même.
Tête de sainte Elisabeth, grandeur de l'original, d'après Andréa Or-
gagna. XIVe siècle.
Sainte Elisabeth en habit de veuve, d'après un maître anonyme de
l'école de Cologne. XIVe siècle.
Sainte Elisabeth portant les fleurs miraculeuses dans un pan de sa
robe, d'après le bienheureux frère Angélique de Fiesole. XVe siècle.
Sainte Elisabeth contemplant le paradis , d'après Alessandro Bolli-
celli, grandeur de l'original. XVe siècle.
Sainte Elisabeth distribuant des aumônes, d/aprèsune miniature de
Hans Hemmeling. XVe siècle.
Sainte Elisabeth d'après un vitrail de la cathédrale de Cologne.
XVe siècle.
Figure de sainte Elisabeth, d'après Lucas de Leyde. XVIe siècle. Ce
tableau, dont le sujet principal représente le baptême de N. S.,
appartient à M. le comte de Montalembert.
Sainte Elisabeth distribuant des aumônes pendant la disette, d'après
Frédéric Mùller, de Ca5sel, vivant.
Le miracle des roses, d'après un bas -relief de H. Schwanthaler, de
Munich, vivant.
Monnaie de sainte Elisabeth. 1502.
— 267 —
De la série d'Octave Hauser,né à Mulhouse en 1822, ont paru :
La jeune Elisabeth dépose sa couronne au pied du crucifix. Ch. III
de l'Histoire.
Mariage d'Elisabeth de Hongrie avec le duc Louis de Thuringe.
Ch. IY.
Elisabeth nourrit et soigne les pauvres de son hôpital. Ch. VIII.
Un ange apporte du ciel à sainte Elisabeth une couronne et un
manteau. Ch. XI.
Retour du duc Louis après la disette. Ch. XIV.
Sainte Elisabeth découvre la croix des croisés dans l'aumônière de
son mari. Ch. XV.
Adieux de sainte Elisabeth et de son mari partant pour la croisade.
Ch. XV.
Sainte Elisabeth est chassée de la Wartbourg. Ch. XVIII.
Sainte Elisabeth reçoit un ambassadeur du roi André son père.
Ch. XXV.
Le Fonlispice de ces mouumens reproduit le pignon de l'égise col-
légiale de Marbourg.
Jl reste à publier;
Sainte Elisabeth d'après un peintre anonyme de l'école catholique
d'Allemagne. XVe siècle.
Le Miracle des roses, d'après un dessin de F. Overbeck , fait exprès
pour noire Collection.
Funérailles de sainte Elisabeth, d'après un tableau de F. Miïller, de
Cassel.
Une grande lettre tirée d'un manuscrit de la bibliothèque de Mon-
sieur à l'Arsenal , représentant sainte Elisabeth lavant les pieds
des pauvres et buvant l'eau du lavage.
Elisabeth reçoit un miroir de son fiancé , d'après Octave Hauser.
Ch. IV.
Elisabeth met un lépreux dans le lit de son mari, d'après le même.
Ch. VIII.
Mort d'Elisabeth, d'après le même. Ch. XXIV.
Vue de la ville d'Eisenach et du château de la Wartbourg, d'après
E.-C. Schmidt.
Vue générale de la ville de Marbourg, d'après Georges Miïller.
— 268 —
Le* dessins de A. Flalze du Tyrol, s'ils nous parviennent à
temps, etc., etc.
Cette Collection est précédée d'une Introduction sur l'état actuel
de l'art religieux en France,
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION.
La Collection aura au moins trente planches sur quart-coloaibier ;
chaque planche aura une ou deux pages de texte explicatif.
Le prix de chaque livraison, contenant trois planches (1), sera de
trois francs sur papier de Chine.
Dix livraisons sont en vente, et les suivantes seront publiées de
vingt joursen vingt jours jusqu'à la fin de la publication.
PARIS.
A. BOBLET, Editeur, quai des Augustin», 37;
DEBÉCOURT, Libraire, rue des Saints-Pères, 69.
(1) Le petit sombre de feuilles qui devront être coloriées seront
comptées chacune pour deux.
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