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Full text of "Du vandalisme et du catholicisme dans l'art : (fragmens)"

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DU  VANDALISME 

Et 

DU  CATHOLICISME 

DANS  L'ART. 


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raîraPOOPCTT-Ti» 


IMPRIMERIE    DE    E.-J.    BAILLT, 

place  Sorbonne ,  2. 


TPrectaric  Overbeck 


Paria.  A.BoU=t.  1859 


Une  FamiUe  Ch/'t'tieruic  portant sa  Crouv 


Du 

attanbaltem* 


bu  ©atft*ltct#tttje 

îiane  l'2lrt; 

(^rajmens) 


par 


If  fomte  îif  itlantalmbert , 

Cuit  ïe  fiante. 


PARIS. 

DEBÉCOURT,  LIBRAIRE-ÉDITEUR, 

RUE   DES  SAINTS-PÈRES  ,  69. 

1839 


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AVANT-PROPOS.         I 


Dans  l'absence  à  peu  près  complète  d'ouvrages 
propres  a  servir  de  guide  aux  personnes  qui  sont 
attirées  vers  l'étude  des  monumens  de  l'art  chré- 
tien, on  a  cru  pouvoir  sans  trop  de  présomption 
recueillir  divers  fragmens  dictés  par  l'amour  de 
ces  trésors  de  l'antique  foi,  le  désir  de  les  conser- 
ver, et  l'espoir  de  les  voir  un  jour  inspirer  des 
oeuvres  qui  renoueront  la  chaîne  des  bonnes  et 
saintes  traditions.  Loin  de  nous  la  pensée  d'avoir 
voulu  combler  ,  même  en  partie  ,  la  lacune  si  dé- 
plorable que  laisse  dans  notre  éducation  religieuse, 
historique  et  littéraire ,  le  manque  de  traités  com- 
plets sur  les  diverses  branches  de  l'esthétique  chré- 
tienne. Notre  seule  ambition  est  de  pouvoir  offrir 
quelques  idées  catholiques  et  quelques  faits  nou- 
veaux ,  résultant  d'études  assez  approfondies  sur 
ces  objets,  aux  membres  du  clergé  qui  pourront  se 
trouver  chargés  de  la  conservation  ou  de  la  con- 
struction d'édifices  religieux,  comme  aussi  aux  jeu- 


—    VI    

nés  gens  qui  manqueraient  d'occasion  pour  s'in- 
struire dans  les  contrées  ou  les  livres  de  l'étranger. 

Ayant  long-temps  éprouvé  le  besoin  de  quel- 
ques indications  spéciales  sur  les  produits  de  l'art, 
inspirés  par  la  pensée  catholique,  dans  le  pays  qui 
est  le  but  de  la  plupart  des  voyageurs,  nous  avons 
dressé,  d'après  nos  observations  personnelles,  un 
tableau  de  toutes  les  oeuvres  des  peintres  italiens 
qui  ont  devancé  ou  résisté  à  l'envahissement  du  pa- 
ganisme dans  l'art  et  dans  la  société,  commencé 
sous  Laurent  de  Médicis,  et  achevé  sous  Louis  XIV. 

Nous  avons  ajouté  quelques  gravures  destinées 
à  rendre  plus  sensible  le  contraste  entre  l'art  chré- 
tien  et  l  art  païen. 

Il  nous  reste  à  déclarer,  pour  rendre  hommage 
à  la  justice,  que  la  plupart  des  idées  exposées  dans 
ces  fragmens,  ont  été  exprimées,  avec  une  grâce  et 
une  justesse  que  nous  sommes  bien  loin  d'avoir  pu 
atteindre,  dans  les  lettres  du  marquis  deBeauffort, 
intitulées  Souvenirs  d'Italie,  par  un  catholique. 
Dans  ce  volume,  M.  de  BeauiFort,  l'un  des  auteurs 
de  VEsprit  de  vie  et  de  mort,  a  montré  qu'il  savait 
appliquer  a  l'art  les  hautes  pensées  et  les  vives  lu- 
mières qu'il  avait  consacrées  dans  son  précédent 
ouvrage  sur  l'histoire  et  la  société.  La  date  de  ses 
lettres  sur  l'Italie,  quoique  publiées  tout  récem- 
ment, doit  lui  assurer  la  priorité  sur  tous  les  ou- 
vrages  de  la  même  tendance. 


NOTE  SUR  LES  GRAVURES. 


Nous  avons  voulu  donner  à  nos  lecteurs  une  idée  du  genre  des 
deux  peintres  les  plus  catholiques  qui  aient  existé,  et  tous  deux  à 
peu  près  aussi  inconnus  l'un  que  l'autre  en  France  :  Fra  Angelico 
au  quinzième  siècle ,  et  Overbeck  de  nos  jours. 

Le  frontispice  au  n.  i,  reproduit  un  petit  dessin  d'Overbeck 
qui  représente  une  famille  chrétienne  associant  ses  efforts  pour  por- 
ter la  croix  que  Dieu  leur  inflige.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'insis- 
ter sur  la  grâce  et  la  douce  piété  de  cette  idée. 

Le  n.  2,  est  un  groupe  tiré  du  jugement  dernier  de  Fra  Angelico 
à  Florence,  qui  est  décrit  en  détail  dans  le  texte,  page  102. 

Les  n.  3  et  4,  sont  destinés  à  mettre  en  regard  la  double  direc- 
tion donnée  aux  images  de  la  religion,  l'un  par  le  goût  païen  des 
siècles  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV,  l'autre  par  l'étude  et  l'amour 
des  époques  vraiment  chrétiennes.  Pour  rendre  le  contraste  en- 
core plus  frappant,  nous  avons  choisi  l'une  des  œuvres  les  plus 
renommées  du  classicisme  gallican,  la  Vierge  de  Bouchardou,  et 
une  simple  esquisse  d'un  jeune  peintre  vivant  de  Vienne,  M.  Steinle, 
peu  connu  encore,  mais  digne  élève  d'Overbeck.  Dans  cette  es- 
quisse, la  reine  des  cieux  est  représentée  dans  un  médaillon  en 
forme  d'amande,  selon  une  antique  habitude  de  l'art  italien  qui 


VIII    — • 

regardait  l'amande  comme  un  des  nombreux  symboles  de  la  virgi- 
nité empruntés  à  la  nature.  Dans  le  dessin  original ,  que  la  gra- 
vure n'a  pu  rendre  complètement,  l'intérieur  du  médaillon  est 
disposé  en  rayons  solaires,  afin  de  répondre,  avec  la  lune  qui  est 
aux  pieds  de  la  Vierge,  au  texte  :  Pulchra  ut  luna,  electa  ut  sol. 

Les  n.  5  et  6 ,  sont  destinés  à  reproduire  le  même  contraste 
dans  les  œuvres  d'architecture.  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu 
obtenir  un  dessin  des  belles  églises  gothiques  que  l'on  bâtit  de 
nos  jours  à  Munich,  conformément  aux  règles  de  l'art  catholique. 
A  leur  défaut,  nous  nous  sommes  contentés  de  prendre  la  Sainte- 
Chapelle  de  saint  Louis ,  œuvre  d'un  temps  de  barbarie  féodale , 
et  de  la  placer  à  côté  de  cette  espèce  de  souricière  qu'on  appelle 
Notre-Dame-de-Lorette,  et  où  toutes  les  profanations  de  l'art  mo- 
derne semblent  s'être  donné  rendez-vous. 


Dm  Manhàlxgme 

m  $ravut. 


fettre  à  JH,  Utctor  fijujo, 
1833. 


Vous  devez  me  permettre ,  Monsieur ,  de  mettre  sous  la 
protection  de  voire  nom  mes  insignifians  efforts  en  faveur 
d'une  cause  dont  vous  avez  fait  depuis  long-temps  la  vôtre. 
Comment  en  effet  s'occuper  de  notre  art  national ,  de  nos 
monumens  historiques ,  des  sublimes  débris  de  notre  passé , 
sans  songer  tout  d'abord  à  vous  qui ,  le  premier  en  France , 
vous  êtes  constitué  le  champion  de  cette  cause.  Vous  êtes 
descendu  encore  enfant  dans  l'arène  pour  elle,  et  depuis 
quatorze  ans ,  depuis  votre  ode  sur  la  Bande  Noire  jus- 
qu'aux pages  indignées  qui  ont  marqué  d'un  ineffaçable  ri- 

1 


—   2   — 

dicule  le  vandalisme  officiel  et  municipal  de  nos  jours â,  vous 
avez  lutté  pour  elle  sans  fléchir  ;  vous  l'avez  prise  toute  pe- 
tite, et  elle  a  grandi  entre  vos  mains  ;  vous  l'avez  parée  de 
votre  talent ,  et  dotée  de  votre  popularité.  La  voilà  qui 
prend  aujourd'hui  son  essor;  la  voilà  qui  fait  battre  une  foule 
déjeunes  et  nobles  cœurs  ;  la  voilà  qui  s'intronise  dans  tou- 
tes les  véritables  intelligences  d'artistes.  Si  la  victoire  lui 
reste  un  jour,  vous  ne  serez  point  oublié  ,  monsieur ,  votre 
mémoire  sera  toujours  bénie  par  ceux  qui  ont  voué  un  culte 
à  l'histoire  et  aux  souvenirs  de  la  patrie  ;  et  la  postérité  in- 
scrira parmi  vos  plus  belles  gloires  celle  d'avoir  ic  premier 
déployé  un  drapeau  qui  pût  rallier  toutes  les  âmes  jalouses 
de  sauver  l'art  en  France. 

Vous  ne  voulez  pas  combattre  seul ,  je  le  sais ,  vous  ne  dé- 
daignez aucun  auxiliaire  ;  vous  ne  demandez  pas  mieux ,  dans 
cette  œuvre  grande  et  sainte,  que  de  vous  associer  les  plus 
obscurs ,  les  plus  maladroits  travailleurs  :  vous  ne  deman- 
dez que  de  l'indignation  contre  les  barbares,  de  l'amour 
pour  le  passé.  Je  me  présente  à  vous  avec  ces  deux  condi- 
tions. Des  voyages  entrepris  dans  un  but  tout-à-fait  étran- 
ger à  l'art  m'ont  fait  découvrir  des  attentats  contre  lui  dont 
je  frémis  encore ,  et  que  j'ai  hâte  de  livrer  à^ïa  publicité.  En 
ce  qui  touche  à  l'art ,  je  n'ai  la  prétention  de  rien  savoir ,  je 
n'ai  que  celle  de  beaucoup  aimer.  J'ai  pour  l'architecture  du 
moyen  âge  une  passion  ancienne  et  profonde  ;  passion  mal- 
heureuse ,  car  ,  comme  vous  le  savez  mieux  que  personne  , 
elle  est  féconde  en  souffrances  et  en  mécomptes  ;  passion 
toujours  croissante  ,  parce  que  plus  en  étudie  cet  ai  l  divin 
de  nos  aïeux,  plus  on  y  découvre  de  beautés  à  admirer,  d'in- 
jures à  déplorer  et  à  venger  ;  passion  avant  tout  religieuse , 
parce  que  cet  art  est  à  mes  yeux  catholique  avant  tout,  qu'il 

'  Voyei  dans  la  livraison  du  1er  mars  1832  de  la  Revue  des  Deux- 
Mondes  ,  l'article  intitulé  Guerre  aux  Démolisseurs. 


_  3  — 

est  la  manifestation  la  plus  imposante  de  l'Eglise  dont  je  suis 
l'enfant,  la  création  la  plus  brillante  de  la  foi  que  m'ont  lé- 
guée mes  pères.  Je  contemple  ces  vieux  monumens  du  ca- 
tholicisme avec  autant  d'amour  et  de  respect  que  ceux  qui 
dévouèrent  leur  vie  et  leurs  biens  à  les  fonder  :  ils  ne  repré- 
sentent pas  pour  moi  seulement  une  idée ,  une  époque ,  une 
croyance  éteinte  ;  ce  sont  les  symboles  de  ce  qu'il  y  a  de  plus 
vivace  dans  mon  âme ,  de  plus  auguste  dans  mes  espérances. 
Le  vandalisme  moderne  est  non  seulement  à  mes  yeux  une 
brutalité  et  une  sottise ,  c'est  de  plus  un  sacrilège.  Je  mets 
du  fanatisme  à  le  combattre  ,  et  j'espère  que  ce  fanatisme 
suppléera  auprès  de  vous  à  la  tiédeur  de  mon  style  et  à  l'ab- 
sence complète  de  toute  science  technique. 

Vous  conviendrez  avec  moi  que  l'époque  actuelle  exige  la 
réunion  de  tous  les  eiforts  individuels ,  même  les  plus  chétifs , 
pour  réagir  contre  le  vandalisme ,  et  que ,  parmi  ceux  qui 
s'intéressent  encore  à  l'art ,  nul  n'a  le  droit  d'invoquer  sa 
faiblesse  pour  se  dispenser  de  prêter  à  cet  art  agonisant  un 
secours  tardif.  Sans  parler  de  ce  qui  se  passe  en  province , 
de  ces  arènes  de  Nîmes  transformées  en  écuries  de  cavalerie, 
de  ce  marché  aux  veaux  construit  sur  l'emplacement  de  l'ab- 
baye de  Saint-Bertin ,  de  ce  cloitre  de  Soissons  changé  en 
tir  d'artillerie ,  de  la  fameuse  tour  de  Laon,  dont  vous  avez 
dénoncé  la  destruction  à  la  fois  comique  et  honteuse  ;  sans 
parler  de  tout  cela,  ne  voyons  que  ce  qui  se  passe  sous  nos 
yeux ,  en  plein  Paris  :  c'est-à-dire  ,  les  ruines  de  Saint-Ger- 
main-FAuxerrois  et  de  la  chapelle  de  Chmy  ,  un  théâtre  in- 
fâme installé  sous  les  voûtes  d'une  charmante  église  gothi- 
que !,  une  autre  rasée  après  avoir  servi  long-temps  d'atelier 
de  dissection  2,  la  dégradation  des  Tuileries ,  et  en  face  de 
ces  raines,  le  type  des  reconstructions  officielles ,  ce  gâchis 
de  marbre  et  de  dorures  qu'on  nomme  le  palais  de  la  Cham- 

1  Saint-Benoît. 

2  Saint-Gôme. 


bre  des  députés.  N'en  voilà-t-il  pas  assez  pour  convaincre 
les  plus  incrédules?  Le  moment  presse  pour  que  chacun,  à 
défaut  d'autre  ressource ,  vienne  flétrir  d'une  inexorable 
publicité  tous  les  attentats  de  ce  genre. 

Le  moment  presse  encore ,  parce  qu'il  est  urgent  de  dé- 
rober la  France  à  la  réprobation  dont  doivent  la  frapper  tous 
les  étrangers ,  quand  ils  comparent  le  vandalisme  méthodi- 
que et  réfléchi  qui  règne  en  France  ,  avec  les  efforts  de  tous 
les  peuples  pour  dérober  au  temps  les  restes  des  siècles  pas- 
sés et  des  races  éteintes.  Partout  ailleurs  qu'en  France ,  on 
entoure  d'une  vénération  filiale  ces  souvenirs  d'un  autre  âge, 
ces  grandes  et  éclatantes  pages  de  l'histoire  de  l'humanité , 
que  l'architecture  s'est  chargée  d'écrire ,  et  surtout  ces  basi- 
liques sublimes  où  les  générations  sont  venues ,  l'une  après 
l'autre ,  prier  et  reposer  devant  leur  Dieu.  Dans  tous  les 
pays  de  l'Europe  et  jusque  sur  les  confins  de  la  Laponie ,  on 
trouve  partout  ce  culte  des  monumens  du  passé  qui  honore 
les  hommes  du  présent  ;  le  désir  de  conserver  dans  leur  ori- 
ginalité primitive  ces  monumens  a  même  remplacé  presque 
partout  la  manie  de  refaire  l'art  païen  et  de  rajeunir  avec 
son  secours  l'art  des  chrétiens  '.  La  plus  heureuse  réaction 
s'est  manifestée  partout  en  faveur  de  la  vérité  historique  et  du 
respect  des  créations  anciennes.  La  France  seule  est  restée 
en  dehors  et  en  arrière  de  ce  mouvement.  En  Italie,  pays  où  le 
paganisme  de  la  prétendue  renaissance  a  fait  le  plus  de  progrès 
et  jeté  les  plus  profondes  racines,  on  n'en  lit  pas  moins  sur  la  fa- 
çade de  la  cathédrale  de  Naples,  une  inscription  où  le  cardinal 
archevêque  s'enorgueillit  d'avoir  fait  réparer  cette  façade 
sans  changer  son  caractère  gothique ,  nec  gothica  delevit 

1  Depuis  qu'il  a  écrit  ces  lignes,  l'auteur  a  eu  occasion  de  se  con- 
vaincre que  le  vandalisme  était  malheureusement  encore  très  domi- 
nant à  l'étranger,  surtout  en  Suisse  et  en  Italie.  Il  fait  donc  ses  ré- 
serves sur  ce  point.  Voyez  du  reste  l'Appendice  à  ce  fragment  à  la  (in 
du  volume. 


—  5  — 

urbis  senescentîs  monumenta  artium  perennitati.  En 
Angleterre ,  il  y  a  plus  d'un  siècle  que  toutes  les  églises  sont 
restaurées  et  construites  sur  le  modèle  de  celles  du  moyen 
âge  ;  si  ces  copies ,  dont  plusieurs  sont  très  remarquables , 
manquent  de  la  vie  que  donne  l'inspiration  originale  ,  elles 
ont  le  grand  mérite  de  la  convenance  et  de  l'harmonie  avec 
les  idées  qu'elles  représentent  :  de  l'architecture  religieuse , 
la  réaction  gothique  a  passé  dans  l'architecture  civile  ;  les 
riches  propriétaires  se  font  bâtir  des  châteaux  qui  repro- 
duisent exactement  les  types  des  différens  âges  de  la  féoda- 
lité, tandis  que  les  particuliers ,  les  corporations ,  les  dio- 
cèses, les  comtés ,  s'imposent  les  plus  grands  sacrifices ,  pour 
conserver  dans  leur  intégrité  tous  les  monumens  originaux 
de  ces  âges ,  et  pour  leur  rendre  leur  aspect  primitif.  Dans 
la  pauvre  Irlande,  lorsque  le  paysan  catholique  peut  dérober 
aux  exactions  du  clergé  protestant  et  aux  clameurs  de  sa  fa- 
mille affamée  quelque  chétive  offrande ,  pour  la  consacrer  à 
élever  une  humble  chapelle  auprès  des  églises  bâties  par  ses 
pères  et  que  les  tyrans  hérétiques  lui  ont  volées ,  c'est  tou- 
jours une  chapelle  gothique.  Jamais  le  prêtre  de  ce  peuple 
opprimé  n'est  infidèle  au  type  inspiré  par  le  catholicisme , 
et  lorsque  la  vieille  foi  du  peuple  est  ramenée  par  la  liberté 
dans  ce  modeste  asile ,  elle  y  retrouve  les  formes  gracieuses 
et  consacrées  des  demeures  de  sa  jeunesse.  En  Belgique , 
pays  de  véritable  foi  et  surtout  de  véritable  liberté ,  un  des 
premiers  soins  du  nouveau  gouvernement  a  été  d'interdire , 
par  une  circulaire  aux  gouverneurs  de  province ,  la  destruc- 
tion de  tout  monument  historique  quelconque.  En  Allema- 
gne ,  le  culte  du  passé  dans  l'art  et  l'influence  de  ce  passé  sur 
les  constructions  modernes  ont  atteint  un  degré  de  popula- 
rité inouï ,  et  promettent  à  cette  contrée  illustre  d'être  la  pa- 
trie de  l'art  régénéré,  la  seconde  Italie  de  l'Europe  moderne. 
Ce  culte  est  universel  et  triomphe  de  toutes  les  différences  d'o- 
pinions, de  religions,  de  mœurs,  qui  divisent  la  race  germani- 


que.  Le  roi  de  Prusse,  souverain  protestant  et  intolérant,  pré- 
lève sur  tout  le  grand-duché  du  Bas-Rhin  un  impôt  spécial, 
nommé  impôt  de  la  cathédrale ,  exclusivement  consacré 
à  l'entretien  et  à  l'achèvement  graduel  de  la  cathédrale  ca- 
tholique, de  Cologne ,  métropole  de  Fart  catholique  et  de 
l'architecture  gothique.  Le  prince  royal ,  son  fils ,  a  dé- 
pensé des  sommes  énormes  pour  réparer  les  dévastations 
commises  par  les  Français  à  Marienbourg ,  ancien  et  célèbre 
chef-lieu  de  l'ordre  teutonique  ;  il  en  fait  sa  résidence  fa- 
vorite. Au  midi ,  le  roi  de  Bavière ,  avec  sa  liste  civile 
de  5,000,000  de  francs ,  ne  se  contente  pas  de  faire  exécu- 
ter à  vingt-six  peintres ,  dans  ses  divers  châteaux ,  des  fres- 
ques qui  reproduiront ,  en  les  popularisant ,  toutes  les  épo- 
pées chevaleresques  et  nationales  du  moyen  âge  ;  il  remplit 
sa  capitale  d'églises  vraiment  chrétiennes ,  parmi  lesquelles 
on  remarquera  surtout  celle  de  Saint-Louis ,  dont  l'archi- 
tecture sera  romane  ,  et  qui  sera  peinte  à  fresque  du  haut 
en  bas ,  à  l'instar  de  plusieurs  églises  d'Italie  et  surtout  de 
la  triple  basilique  d'Assise ,  par  le  célèbre  Cornélius.  Ce 
même  souverain  a  profité  de  la  découverte  qu'a  faite 
M.  Franck ,  qui  a  retrouvé  et  perfectionné  le  secret  de  tein- 
dre les  vitraux  des  couleurs  les  plus  tenaces  et  les  plus  bril- 
lantes ,  pour  doter  la  vieille  cathédrale  de  Ratisbonne  d'un 
grand  nombre  de  verrières  de  la  plus  rare  beauté  pour  la 
composition  comme  pour  le  coloris ,  au  prix  de  20  à  25,000 
francs  chacune.  Ce  prince  ne  fait  du  reste  que  s'associer 
au  merveilleux  élan  qu'a  pris  l'art  allemand  depuis  plusieurs 
années ,  élan  qui  date ,  en  architecture  ,  de  l'apparition  du 
grand  ouvrage  de  M.  Boîsserée  sur  la  cathédrale  de  Cologne, 
et  en  peinture  ,  de  l'œuvre  patriotique  qu'ont  accomplie  ce 
même  M.  Boisserée  et  son  frère  ,  en  conservant  pour  l'Alle- 
magne la  collection  des  chefs-d'œuvre  de  l'ancienne  école 
belge  et  allemande  qu'ils  avaient  sauvée  et  recueillie  pen- 
dant les  dévastations  des  guerres  impériales.  J'espère  vous 


entretenir  un  jour ,  plus  au  long ,  de  la  nouvelle  école  alle- 
mande, et  surtout  de  celle  de  peinture,  qui  chaque  jour  jette 
un  nouvel  éclat  sous  la  double  direction  d'Overbeck  et  de 
Cornélius.  Est-il  besoin  de  vous  dire  qu'à  cette  réaction  ac- 
tive vers  l'art  antique  correspond  le  soin  le  plus  scrupuleux 
et  le  plus  tendre  de  toutes  ses  beautés,  de  toutes  ses  ruines. 
Les  invasions  des  Suédois  et  des  Français ,  et  dans  quelques 
contrées  la  sécularisation  des  souverainetés  ecclésiastiques 
ont  multiplié  ces  ruines  ;  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  y  en  ait 
une  seule  que  l'on  puisse  imputer  à  la  froide  barbarie  ou  à 
l'avidité  de  la  population  environnante.  Un  attentat  de  ce 
genre  serait  sigaalé  aussitôt  par  les  organes  innombrables 
de  la  presse  littéraire  et  scientifique  ;  une  réprobation  popu- 
laire et  religieuse  s'attacherait  au  nom  des  coupables  :  ils 
seraient  mis  au  ban  de  la  nationalité  allemande. 

Il  n'y  a  donc  que  la  France  ,  où  le  vandalisme  règne  seul 
et  sans  frein.  Après  avoir  passé  deux  siècles  et  puis  trente 
ans  à  déshonorer  par  d'impures  et  grotesques  additions  nos 
vieux  monumens ,  le  voilà  qui  reprend  ses  allures  terroris- 
tes et  qui  se  vautre  dans  la  destruction.  On  dirait  qu'il  pré- 
voit sa  déchéance  prochaine ,  tant  il  se  hâte  de  renverser 
tout  ce  qui  tombe  sous  son  ignoble  main.  On  tremble  à  la 
seule  pensée  de  ce  que  chaque  jour  il  mine ,  balaie  ou  défi- 
gure. Le  vieux  sol  de  la  patrie ,  surchargé  comme  il  l'était 
des  créations  les  plus  merveilleuses  de  l'imagination  et  de  la 
foi,  devient  chaque  jour  plus  nu,  plus  uniforme,  plus  pelé.  On 
n'épargne  rien  :  la  hache  dévastatrice  atteint  également  les 
forêts  et  les  églises,  les  châteaux  et  les  hôtels-de-ville  ;  on 
dirait  une  terre  conquise  d'où  des  envahisseurs  barbares 
veulent  effacer  jusqu'aux  dernières  traces  des  générations 
qui  l'ont  habitée.  On  dirait  qu'ils  veulent  se  persuader  que 
le  monde  est  né  d'hier  et  qu'il  doit  finir  demain ,  tant  ils  ont 
hâte  d'anéantir  tout  ce  qui  semble  dépasser  une  vie  d'homme. 
On  ne  sait  pas  même  respecter  les  ruines  qu'on  a  faites ,  et 


tandis  qu'on  cite  en  Angleterre  des  seigneurs  qui  dépensent, 
chaque  année,  un  revenu  considérable  pour  préserver  celles 
qui  se  trouvent  sur  leur  domaine  ;  tandis  qu'en  Allemagne 
d'innombrables  populations  choisissent  les  décombres  des 
vieux  châteaux  pour  y  tenir  leurs  assemblées  libérales , 
comme  pour  mettre  leur  liberté  renaissante  sous  la  protec- 
tion des  anciens  jours  ;  chez  nous ,  nous  ne  laissons  pas 
même  le  temps  accomplir  son  œuvre ,  nous  refusons  à  la  na- 
ture son  deuil  de  mère.  Car  la  nature ,  toujours  douce  et 
aimante ,  l'est  surtout  envers  les  ruines  que  l'homme  a  fai- 
tes ;  elle  semble  se  plaire  à  les  orner  de  ses  plus  belles  pa- 
rures, comme  pour  les  consoler  de  leur  abandon  et  de 
leur  nudité.  Et  nous ,  nous  leur  arrachons  leur  linceul  de 
verdure ,  leur  couronne  de  fleurs  ;  nous  violons  ces  tom- 
beaux des  siècles  passés.  L'ancien  seigneur  les  met  à  l'encan 
et  les  vend  au  plus  offrant  :  le  nouveau  bourgeois  les  achète , 
et  s'il  ne  daigne  pas  leur  donner  une  place  clans  ses  con- 
structions nouvelles ,  il  les  recrépit  et  les  enjolive  sur  place. 
Tous  deux  se  coalisent  pour  déshonorer  ces  vieilles  pierres. 
Les  longs  souvenirs  font  les  grands  peuples.  La  mémoire 
du  passé  ne  devient  importune  que  lorsque  la  conscience  du 
présent  est  honteuse.  Ce  sera  dans  nos  annales  une  bien 
triste  page ,  que  ce  divorce  prononcé  contre  tout  ce  que  nos 
pères  nous  ont  laissé  pour  nous  rappeler  leurs  mœurs ,  leurs 
affections ,  leurs  croyances.  Rien  de  plus  naturel  que  ce  di- 
vorce dans  le  premier  moment  de  la  réaction  populaire  con- 
tre l'ancien  ordre  social  et  politique  ;  mais  y  persévérer 
après  la  victoire ,  y  persévérer  avec  récidive  en  face  de  l'Eu- 
rope surprise  et  dédaigneuse,  immoler  aux  préjugés  les  plus 
arriérés  ce  qui  fait  le  charme  d'une  patrie  et  la  gloire  de 
l'art,  c'est  un  crime  national  dont  il  n'y  a  pas  d'exemple 
dans  l'histoire.  J'ignore  quelle  peine  la  postérité  infligera  à 
ce  mépris  slupide  que  nous  tirons  de  notre  nullité  moderne, 
pour  le  lancer  à  la  figure  des  chefc-d'œuvre  de  nos  pères  ; 


mais  cette  peine  sera  grave  et  dure.  Nous  la  mériterons, 
non  seulement  par  nos  œuvres  de  destruction ,  mais  encore 
par  les  vils  usages  auxquels  nous  consacrons  ce  que  nous 
daignons  laisser  debout.  Le  Mont  Saint-Michel ,  Fonte- 
vrault ,  Saint- Augustin-lez-Limoges ,  Clairvaux ,  ces  gigan- 
tesques témoignages  du  génie  et  de  la  patience  du  moyen 
âge ,  n'ont  pas  eu ,  il  est  vrai ,  le  sort  de  Cluny  et  de  Ci- 
teaux ,  mais  le  leur  n'est-il  pas  encore  plus  honteux  ,  et  ne 
vaudrait-il  pas  mieux  pouvoir  errer  sur  les  débris  de  ces  cé- 
lèbres abbayes  que  les  voir ,  toutes  flétries  et  mutilées , 
changées  en  honteuses  prisons ,  et  devenir  le  repaire  du 
crime  et  des  vices  les  plus  monstrueux ,  après  avoir  été  l'a- 
sile de  la  douleur  et  de  la  science?  Croira-t-on  dans  l'avenir 
que,  pour  inspirer  à  des  Français  quelque  intérêt  pour  les 
souvenirs  d'un  culte  qu'ils  ont  professé  pendant  quatorze 
siècles ,  il  faille  démentir  leur  origine  et  leur  destination  sa- 
crée ?  Il  en  est  ainsi  cependant.  On  ne  parvient  à  fléchir  les 
divans  provinciaux ,  les  savans  de  l'empire,  qu'en  invoquant 
le  respect  dû  au  paganisme.  Si  vous  pouvez  leur  faire  croire 
qu'une  église  du  genre  anté-gothique  a  été  consacrée  à 
quelque  dieu  romain,  ils  vous  promettront  leur  protection , 
ouvriront  leurs  bourses ,  tailleront  même  leur  plume  pour 
honorer  votre  découverte  d'une  dissertation.  On  n'en  fini- 
rait pas  si  Ton  voulait  énumérer  toutes  les  églises  romanes 
qui  doivent  la  tolérance  qu'on  leur  accorde  à  cette  ingé- 
nieuse croyance.  Je  ne  veux  citer  que  la  cathédrale  d'An- 
goulème  dont  l'inappréciable  façade  n'a  été  conservée  que 
parce  qu'il  a  été  gravement  établi  que  le  bas-relief  du  Père 
éternel  qui  y  figure  entre  les  symboles  consacrés  des  quatre 
évangélistes ,  était  une  représentation  de  Jupiter.  On  lit  en- 
core sur  la  frise  du  portail  de  cette  cathédrale  :  Temple  de 
la  Raison. 

Et  ne  croyez  pas  que  ce  soit  la  religion  seule  que  l'on  ré- 
pudie ainsi.  Ne  croyez  pas  que  les  souvenirs  purement  his- 


—  10  — 

toriques,  les  souvenirs  même  de  poésie  et  d'amour  échappent 
aux  outrages  du  vandalisme.  Tout  est  confondu  dans  la  pro- 
scription. A  Limoges,  on  a  eu  la  barbarietïe  détruire  le  mo- 
nument devenu  célèbre  sous  le  nom  du  bon  mariage.  C'était 
le  tombeau  de  deux  jeunes  époux  du  Poitou,  partis,  peu  de 
temps  après  leurs  noces,  pour  aller  en  pèlerinage  à  Saint-Jac- 
ques de  Gompostelle.  La  jeune  femme  mourut  en  route  à  Li- 
moges ;  le  mari  alla  accomplir  son  vœu,  puis  revint  mourir 
de  douleur  à  Limoges.  Lorsqu'on  vint  pour  l'inhumer  dans 
le  tombeau  qu'il  avait  élevé  à  sa  femme,  celle-ci,  selon  la 
tradition  populaire,  se  retira  d'un  côté  pour  lui  faire  place. 
C'est  ce  même  tombeau  qui  a  été  détruit,  et  pas  une  voix  ne 
s'est  élevée  pour  le  sauver.  A  Avignon,  l'église  de  Sainte- 
Claire,  où  Pétrarque  vit  Laure  pour  la  première  fois,  le  ven- 
dredi saint  de  l'an  1328,  l'église  qu'il  avait  bénie  dans  ce 
sonnet  fameux  : 

Benedetto  sia  '1  giorno ,  e  '1  mcse ,  e  Panno 
E  la  stagione ,  e  '1  tempo ,  e  l'hora  ,  e  '1  punto, 
E  '1  bel  paëse ,  e  'l  loco ,  or'  io  fui  giunto 
Da  duo  begli  occhi ,  che  legato  m'hanno ,  etc. 

cette  église  a  péri  avec  cent  autres  :  elle  est  transformée 
aujourd'hui  en  manufacture  de  garance.  L'église  des  Corde- 
liers,  où  reposait  la  dépouille  de  cette  belle  et  chaste  Laure, 
à  côté  de  celle  du  brave  Grillon,  a  été  rasée  pour  faire  place 
à  un  atelier  de  teinture  ;  il  n'en  reste  debout  que  quelques 
arceaux  :  la  place  même  de  ses  cendres  n'est  marquée  que  par 
une  ignoble  colonne,  élevée  par  les  ordres  d'un  anglais  et  dé- 
corée d'une  inscription  lisible. 

Les  Goths  eux-mêmes ,  les  Ostrogoths  n'en  faisaient  pas 
tant.  L'histoire  nous  a  conservé  le  mémorable  décret  de  leur 
roi  Théodoric,  qui  ordonne  à  ses  sujets  vainqueurs  de  res- 
pecter scrupuleusement  tous  les  monumens  civils  et  religieux 
de  l'Italie  conquise. 


—  il  — 

Ces  faits  que  je  viens  de  citer  me  rappellent  que  je  dois 
vous  faire  connaître  quelques  uns  de  ceux  que  j'ai  recueillis 
pendant  mes  rapides  courses  dans  le  midi.  J'en  profiterai 
pour  justifier  une  sorte  de  classification  qu'il  m'a  semblé  na- 
turel d'établir,  en  cherchant  à  apprécier  le  caractère  des  ra- 
vages du  vandalisme  dans  les  provinces  de  France  que  j'ai 
parcourues.  Je  n'entends  nullement  la  garantir  pour  les  au- 
tres. J'y  joindrai  quelques  détails  spéciaux  sur  les  monumens 
du  moyen  âge  à  Toulouse  et  à  Bordeaux  que  j'ai  eu  l'occasion 
de  voir  plus  complètement. 

Tout  le  monde  doit  reconnaître  que  le  vandalisme  moderne 
se  divise  en  deux  espèces  bien  différentes  dans  leurs  motifs, 
mais  dont  les  résultats  sont  également  désastreux.  On  peut 
les  désigner  sous  le  nom  de  vandalisme  destructeur  et  de 
vandalisme  restaurateur. 

Chacun  de  ces  vandalismes  est  exploité  par  différentes  ca- 
tégories de  vandales,  que  je  range  dans  l'ordre  suivant,  en 
assignant  à  chacune  d'elles  le  rang  que  lui  mérite  son  degré 
d'acharnement  contre  les  vieilleries. 

I.   VANDALISME  DESTRUCTEUR. 

Première  catégorie.  —  Le  gouvernement. 

2e  >  Les  maires  et  les  conseils  municipaux. 

3*  »  Les  propriétaires. 

4*  j>  Les  conseils  de  fabriques  et  les  curés. 

En  5«  lieu,  et  à  une  très  grande  distance  des  préoédens,  l'émeute. 

II.   VANDALISME  RESTAURATEUR. 

Première  catégorie.  ■—  Le  clergé  et  les  conseils  de  fabrique. 
2e  >  Le  gouvernement. 

3*  »  Les  conseils  municipaux. 

*•  »  Les  propriétaires. 

L'émeute  a  au  moins  l'avantage  de  ne  rien  restaurer. 
Je  vous  fais  grâce  du  vandalisme  constructeur,  parce  que 
le  dégoût  qu'il  inspire  n'est  pas  même  tempéré  par  l'indigna- 


—  12  — 

tion.  Qui  est-ce  qui  aurait  le  courage  de  s'indigner  à  la  vue 
des  palais  de  justice,  des  hôtels  de  ville,  des  bourses,  des 
églises  à  la  façon  de  Notre-Dame  de  Lorette,  et  des  autres 
plaisantes  œuvres  qui  bourgeonnent  sous  les  auspices  du  con- 
seil des  bâtimens  civils. 

Je  dois  maintenant  justifier  la  classification  que  je  viens 
d'établir  par  rénumération  de  certains  traits,  de  certains  dé- 
tails que  j'ai  vus  de  mes  propres  yeux.  Ils  sont  en  petit  nom- 
bre, mais  j'espère  qu'ils  suffiront  pour  vous  convaincre  que 
je  n'ai  fait  de  passe-droit  à  aucune  de  mes  catégories. 

1°  Le  gouvernement  et  la  liste  civile. 

J'assigne  le  premier  rang  au  gouvernement ,  non  seule- 
ment à  cause  de  ce  qu'il  a  fait ,  mais  encore  à  cause  de  ce 
qu'il  laisse  faire.  Et  comment  ne  serait-il  pas  responsable 
de  tout  ce  qui  se  dévaste  ,  de  tout  ce  qui  se  dégrade  en 
France ,  lui  qui  s'arroge  le  droit  d'intervenir  dans  toutes  les 
démarches  de  la  vie  civile,  sociale,  religieuse  des  Français? 
Comment  lui  qui ,  armé  de  tous  les  articles  qu'il  puise  dans 
le  fouillis  impur  de  notre  législation ,  enlace  de  son  despo- 
tisme chaque  commune ,  chaque  famille ,  chaque  individu 
qui  cherche  à  se  développer ,  lui  qui  tient  le  compte  de  tous 
les  cailloux  de  nos  routes ,  lui  dont  il  faut  obtenir  la  royale 
autorisation  pour  déraciner  les  chênes  pourris ,  lui  qui  s'en 
va  prendre  chaque  petit  garçon  de  France  pour  le  jeter  dans 
ces  antres  qu'il  nomme  collèges ,  lui  dont  les  agens  s'en  vont 
écouter  aux  portes  de  tous  les  presbytères  et  fouiller  dans 
les  armoires  de  toutes  les  sacristies  \  lui  qui  tient  la  main  à 
tous  les  tripots ,  à  tous  les  égouts  j  comment  !  il  n'aurait  pas 
le  temps  de  veiller  aussi  un  peu  aux  monumens  qui  font  la 
gloire  et  l'ornement  du  pays  !  et  dans  sa  vaste  sollicitude  il 

'  Voyez  la  fameuse  circulaire  du  sous-préfet  de  Neufchâtel,  M.  Co« 
caguç. 


—  13  — 

ne  daignerait  pas  embrasser  cette  fortune  de  la  France  et 
de  l'art  dont  les  déficits  vont  toujours  croissant  *  ! 

Et  remarquez  bien ,  Monsieur ,  que  je  parle  ici  du  pouvoir 
en  général  et  non  d'aucun  pouvoir  en  particulier.  Depuis 
plusieurs  siècles ,  il  ne  change  malheureusement  pas  de  na- 
ture en  changeant  d'usufruitier.  Quant  au  vandalisme  qui 
nous  régit  aujourd'hui ,  il  me  semble  que  vous  en  avez  fait 
votre  domaine ,  et  qu'il  y  aurait  de  la  témérité  à  marcher 
sur  vos  traces.  Je  vous  le  laisse  donc  à  flétrir.  N'oubliez 
seulement  pas,  je  vous  en  supplie ,  la  mémorable  mise  à  l'en- 
can des  tours  de  Bourbon  l'Archambault ,  mesure  dont  la 
clameur  de  haro  du  public  a  fait  justice ,  mesure  qui  ne  fut 
pas  adoptée  par  mégarde ,  comme  on  l'a  dit ,  mais  bien ,  s'il 
faut  en  croire  une  autorité  honorable  et  sûre ,  par  calcul  et 
pour  allécher  quelque  fanatique  de  royalisme. 

Le  pouvoir  d'aujourd'hui  ne  fait  donc  qu'imiter  ses  prédé- 
cesseurs ,  qui  l'ont  dignement  précédé  dans  la  carrière. 
Les  ravages  que  je  vais  vous  dévoiler  doivent  principalement 
leur  être  imputés.  Figurez-vous  Fontevrault ,  la  célèbre ,  la 
royale ,  l'historique  abbaye  de  Fontevrault ,  dont  le  nom  se 
trouve  presque  à  chaque  page  de  nos  chroniques  des  onzième 
et  douzième  siècles  ;  Fontevrault ,  qui  a  eu  quatorze  prin- 
cesses de  sang  royal  pour  abbesses ,  et  où  ont  été  dormir 
tant  de  générations  de  rois ,  qu'on  lui  a  donné  le  nom  de 
Cimetière  des  Rois,-  Fontevrault ,  merveille  d'architecture 
avec  ses  cinq  églises ,  et  ses  cloîtres  à  perte  de  vue,  aujour- 
d'hui flétrie  du  nom  de  maison  centrale  de  détention.  Et 
si  l'on  s'était  encore  borné  à  lui  assigner  cette  misérable  des- 

1  II  faut  se  rappeler  que  ces  lignes  ont  été  écrites  en  1833,  et  qu'a- 
lors le  gouvernement  n'avait  pas  encore  manifesté  la  tendance  géné- 
reuse et  conservatrice  qui  a  signalé  les  efforts  des  ministères  de  l'in- 
térieur et  de  l'instruction  publique  depuis  cette  époque.  L'auteur, 
alors  âpre  dans  sa  censure ,  sera  aujourd'hui  le  premier  à  rendre 
hommage  aux  nouvelles  et  bienveillantes  allures  du  pouvoir. 


— .  16  — . 

tination  !  Mais  ce  n'est  pas  tout  ;  pour  la  rendre  digne  de 
son  sort  nouveau ,  on  a  tout  détruit;  ses  cloîtres  ont  été  blo- 
qués ,  ses  immenses  dortoirs ,  ses  réfectoires ,  ses  parloirs , 
rendus  méconnaissables  ;  ses  cinq  églises  détruites  ;  la  pre- 
mière et  la  principale ,  belle  et  haute  comme  une  cathédrale, 
n'a  pas  même  été  respectée  ;  la  nef  entière  a  été  divisée  en 
trois  ou  quatre  étages  et  métamorphosée  en  ateliers  et  en 
chambrées.  On  a  bien  voulu  laisser  le  chœur  à  son  usage 
primitif ,  et  il  serait  encore  admirable  de  pureté  et  d'éléva- 
tion ,  si  les  vandales  non  contens  d'en  avoir  brisé  tous  les  vi- 
traux ,  ne  l'avaient  encore  couvert,  depuis  la  voûte  jusqu'au 
pavé ,  d'un  plâtras  tellement  épais,  tellement  copieux ,  qu'il 
est ,  je  vous  assure,  fort  difficile  de  distinguer  la  forme  des 
pleins-cintres  des  galeries  supérieures.  On  est  aveuglé  par 
la  blancheur  éblouissante  de  ce  plâtras  ;  il  a  été  appliqué 
pendant  la  Restauration.  Les  seuls  débris  du  Cimetière  des 
Mois,  les  quatre  statues  inappréciables  de  Henri  II  d'Angle- 
terre ,  de  sa  femme  Éiéonore  de  Guienne,  de  Richard  Cœur- 
de-Lion ,  et  d'Isabelle ,  femme  de  Jean-sans-Terre ,  gisent 
dans  une  sorte  de  trou  voisin.  La  fameuse  tour  d' Evrault , 
maigre  tous  les  efforts  des  antiquaires  du  pays  pour  la  faire 
respecter  en  considération  de  son  origine  païenne ,  a  été  li- 
vrée aux  batteurs  de  chanvre;  la  poussière  a  confondu  tous 
les  ornemens  et  tous  les  contours  de  son  intérieur  en  une 
seule  masse  noirâtre  ;  et  sa  voûte  octogone  ,  qui  offre  des 
particularités  de  construction  unique  ,  ne  peut  manquer  de 
s'écrouler  bientôt ,  grâce  à  l'ébranlement  perpétuel  que  pro- 
duit cette  opération. 

A  Avignon ,  la  ville  papale,  la  ville  aux  mille  clochers,  la 
ville  sonnante,  comme  l'appelait  Rabelais ,  on  voyait  d'in- 
nombrables monumens  de  l'influence  du  saint-siége  sur  l'art, 
dans  un  temps  où  l'art  était  exclusivement  catholique ,  à  la 
différence  de  Rome  où,  par  une  anomalie  déplorable,  aucun 
édifice  remarquable  ne  porte  l'empreinte  des  siècles  où  la 


—   15   — 

foi  faisait  surgir  sur  tout  le  sol  chrétien  ces  merveilles  d'ar- 
chitecture dont  le  christianisme  seul  avait  inventé  les  for- 
mes et  les  détails  profondément  symboliques.  De  tous  ces 
monumens ,  le  plus  rare  était  à  coup  sûr  le  palais  des  Papes, 
habité  par  tous  ceux  qui  passèrent,  le  quatorzième  siècle  en 
France.  Je  ne  pense  pas  qu'il  existe  en  Europe  un  débris 
plus  vaste ,  plus  complet  et  plus  imposant  de  l'architecture 
civile  ou  féodale  du  moyen  âge.  Le  voyageur,  qui,  arrivant 
par  le  Rhône ,  aperçoit  de  loin  ,  sur  son  rocher ,  ce  groupe 
de  tours ,  liées  entre  elles  par  de  colossales  arcades ,  à  côté 
de  l'illustre  cathédrale,  est  saisi  de  respect.  Je  n'ai  vu  nulle 
part  l'ogive  jetée  avec  plus  de  hardiesse.  On  dirait  les  ger- 
bes d'un  feu  d'artifice  lancées  en  l'air  et  retenues ,  avant  de 
tomber ,  par  une  main  toute  puissante.  On  ne  saurait  conce- 
voir un  ensemble  plus  beau  dans  sa  simplicité  ,  plus  gran- 
diose dans  sa  conception.  C'est  bien  la  papauté  tout  entière, 
debout ,  sublime ,  immortelle  ,  étendant  son  ombre  majes- 
tueuse sur  le  fleuve  des  nations  et  des  siècles  qui  roule  à  ses 
pieds. 

Eh  bien  !  ce  palais  n'a  pas  trouvé  grâce  devant  les  royaux 
protecteurs  de  l'art  en  France.  L'œuvre  de  destruction  a  été 
commencé  par  Louis  XIV  ;  après  qu'il  eut  confisqué  le  com- 
tat  Venaissin  sur  son  légitime  possesseur ,  il  fit  abattre  la 
grande  tour  du  palais  pontifical ,  qui  dominait  les  fortifica- 
tions récentes  de  Villeneuve  d'Avignon.  La  révolution  en  fit 
une  prison ,  et  une  prison  douloureusement  célèbre  par  le 
massacre  de  la  Glacière.  L'empire  ne  paraît  avoir  rien  fait 
pour  l'entretenir.  La  Restauration  a  systématisé  sa  ruine. 
Certes,  ce  palais  unique  avait  bien  autrement  le  droit  d'être 
classé  parmi  les  châteaux  royaux  ,  que  les  lourdes  masures 
de  Bordeaux  ou  de  Strasbourg  ;  certes ,  le  roi  de  France  ne 
pouvait  choisir  dans  toute  l'étendue  de  son  royaume  un  lieu 
plus  propice  à  sa  vieille  majesté ,  au  milieu  de  ces  popula- 
tions méridionales  qui  avaient  encore  foi  en  elle.  Mais  point. 


—  16  — 

En  1820 ,  il  fut  converti  en  caserne  et  en  magasin,  sans  pré- 
judice toutefois  des  droits  de  la  justice  criminelle ,  qui  y  a 
conservé  sa  prison.  Aujourd'hui  tout  est  consommé  ;  il  ne 
reste  plus  une  seule  de  ces  salles  immenses  dont  les  rivales 
n'existent  certainement  pas  au  Vatican.  Chacune  d'elles  a 
été  divisée  en  trois  étages ,  partagée  par  de  nombreuses 
cloisons;  c'est  à  peine  si,  en  suivant  d'étage  en  étage  les 
fûts  des  gigantesques  colonnes  qui  supportaient  les  voûtes 
ogives,  on  peut  reconstruire  par  la  pensée  ces  enceintes  ma- 
jestueuses et  sacrées,  où  trônait  naguère  la  pensée  religieuse 
et  sociale  de  l'humanité.  L'extérieur  de  l'admirable  façade 
occidentale  a  été  jusqu'à  présent  respecté ,  mais  voilà  tout  : 
une  grande  moitié  de  l'immense  édifice  a  été  déjà  livrée  aux 
démolisseurs  ;  dans  tout  ce  qui  reste ,  ses  colossales  ogives 
ont  été  remplacées  par  trois  séries  de  petites  fenêtres  car- 
rées, correspondantes  aux  trois  étages  de  chambrées  dont  je 
viens  de  parler  :  le  tout  badigeonné  proprement  et  dans  le 
dernier  goût.  Dans  une  des  tours ,  de  merveilleuses  fresques, 
qui  en  couvraient  la  voûte ,  ne  sont  plus  visibles  qu'à  travers 
les  trous  du  plancher,  l'escalier  et  les  corridors  de  commu- 
nication ayant  été  démolis.  D'autres,  éparses  dans  les  salles, 
sont  livrées  aux  dégradations  des  soldats ,  et  aux  larcins  des 
touristes  anglais  et  autres.  Le  juste-milieu,  pour  ne  pas 
rester  en  faute  à  l'égard  de  ses  prédécesseurs,  vient  d'arrêter 
la  démolition  des  arcades  de  la  partie  orientale ,  pour  faire 
une  belle  cour  d'exercice.  Définitivement  l'art  et  l'histoire 
ont  de  moins  un  monument  unique ,  et  les  gouvernemens 
tutélaires  une  tache  de  plus. 

Je  ne  puis  m'empêcher  de  transcrire  ici  quelques  passages 
d'une  lettre  que  m'écrit  à  ce  sujet  un  jeune  industriel  d'A- 
vignon. Ils  vous  montreront  combien  il  y  a  souvent  d'intel- 
ligence et  d'élévation  enfouies  dans  nos  provinces  disgra- 
ciées. Voici  ses  paroles  : 

«  Sur  un  sol  où  le  culte  des  souvenirs  historiques  conser- 


—  17  — 

c  verait  quelques  autels ,  on  adorerait  ces  nobles  débris, 
t  Tandis  que  les  ruines  vont  tous  les  jours  s'amoncelant  sur 
t  notre  vieille  terre  d'Europe ,  on  ne  croirait  pas  qu'il  fût 
c  possible  de  dédaigner  un  des  plus  beaux  monumens  que 
t  la  foi  religieuse  du  moyen  âge  ait  transmis  à  l'incrédulité 
c  du  nôtre.  Si  le  palais  de  Jean  XXII  est  devenu  une  ca- 
«  serne  du  maréchal  Soult ,  si ,  à  ces  fenêtres  où  paraissait 
i  la  figure  radieuse  des  pontifes  pour  jeter  une  bénédiction 
«  solennelle  urbi  et  orbi,  l'œil  n'aperçoit  plus  aujourd'hui 
t  que  des  baudriers ,  des  équipemens  de  soldat  se  séchant 
«  au  soleil  ;  si  ces  salles ,  autrefois  remplies  de  cardinaux , 
c  d'évêques,  de  fidèles,  accourus  de  tous  les  points  du 
c  monde  chrétien,  sont  en  ce  moment  des  cuisines,  des  ate- 
t  liers ,  on  a  le  droit  de  gémir  et  de  maudire  tout  bas  le 
«  siècle  qui  a  pu  faire  une  saisie  si  amère,  une  confiscation 
t  si  violente  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  doux  dans  la  mé- 
t  moire  des  hommes,  t 

Notez  qu'il  n'y  a  aucune  excuse ,  aucun  prétexte  pour 
cette  froide  barbarie.  Il  n'y  a  pas  une  de  ces  pierres  ponti- 
ficales qui  ne  soit  blanche ,  solide ,  adhérente  aux  autres , 
comme  si  elle  avait  été  posée  hier;  elles  ont  essuyé  cinq 
cents  hivers  comme  un  jour;  le  temps  s'est  incliné  devant 
elles  et  a  passé  outre.  Il  a  fallu  que  la  chétive  main  des  rois 
modernes  vînt  tout  exprès  souiller  et  vexer  cette  grande 
chose. 

Un  sort  plus  triste  encore,  s'il  est  possible,  attend  le  châ- 
teau d'Angoulême ,  bien  moins  vaste  et  moins  grandiose, 
mais  à  qui  sa  position  admirable  et  ses  souvenirs  chevale- 
resques auraient  dû  concilier  le  respect  des  siècles.  C'est  là 
qu'expira  avec  gloire  la  féodalité  armée,  lorsque  le  duc 
d'Épernon ,  qui  en  était  gouverneur,  y  conduisit  la  veuve 
de  Henri  IV,  et  y  maintînt,  contre  toutes  les  forces  royales, 
les  droits  d'une  femme  et  de  son  épée.  Il  en  reste  encore 
trois  fort  belles  tours  qui  renferment  des  salles  renommées 

3 


—  18  — 

pour  leur  beauté  et  leur  étendue ,  décorées  des  insignes  de 
la  maison  de  Lusignan ,  qui  les  fit  construire.  Le  public  n'y 
est  plus  admis ,  parce  qu'on  en  a  fait  un  dépôt  de  poudre  à 
canon.  Le  tout  doit  être  abattu,  sauf  la  tour  du  télégraphe, 
afin  que  la  ville  d'Angoulème  puisse  posséder  une  rue  Louis- 
Philippe,  qui  permette  de  voir  de  la  place  du  marché  la 
nouvelle  préfecture ,  laquelle  a  un  toit  en  ardoises  et  six 
paratonnerres. 

A  Foix ,  il  y  a  pis  que  destruction ,  il  y  a  restauration  et 
même  construction.  Imaginez- vous  une  seconde  édition  des 
méfaits  de  la  Conciergerie  à  Paris.  Au  milieu  d'une  noble 
vallée,  resserrée  par  de  hautes  montagnes  qui  préludent  aux 
Pyrénées ,  on  voit  un  rocher  isolé  que  baignent  les  ondes 
rapides  de  l'Ariége.  Au  pied  de  ce  rocher,  un  charmant  édi- 
fice du  quinzième  siècle  sert  encore  de  palais  de  justice;  sur 
son  sommet  s'élevait  le  château  de  ces  fameux  comtes  de 
Foix  qui  luttèrent  avec  un  si  indomptable  courage  contre 
les  rois  de  France  et  d'Aragon ,  et  qui  finirent  avec  ce  Gas- 
ton ,  qui  eût  été  le  dernier  des  chevaliers ,  si  Bayard  ne  lui 
eût  survécu.  Il  reste  de  ce  château  trois  très  belles  tours ,  à 
peu  près  isolées,  d'époques  différentes,  mais  toutes  trois  an- 
térieures au  quinzième  siècle  :  elles  jouissent  d'une  célébrité 
proverbiale  dans  toutes  les  contrées  environnantes.  Eh  bien! 
on  les  a  masquées,  plâtrées,  abîmées  par  un  amas  de  pierres 
blanchies  en  forme  de  caserne  que  l'on  a  jugé  nécessaire  à 
l'exécution  du  plan  qui  a  transformé  ce  monument  en  prison. 
Pour  me  servir  de  l'expression  des  gens  du  pays,  on  a  affublé 
ces  vieilles  tours  d'un  bonnet  de  coton. 

Il  faut  encore  nommer  Eysse,  célèbre  abbaye,  près  Ville- 
neuve d'Agen,  qui  est  aussi  transformée  en  maison  centrale 
de  détention,  ce  qui  a  motivé  la  destruction  de  deux  églises, 
l'une ,  celle  des  religieux ,  célèbre  par  sa  beauté ,  l'autre , 
celle  de  la  paroisse  même ,  qui  avait  le  malheur  de  se  trou- 
ver sur  la  limite  des  nouvelles  constructions.  Il  paraît  que 


—  19  — 

de  tout  temps  le  vandalisme  a  été  du  goût  des  gouverne- 
mens.  Je  lisais  dernièrement  dans  une  vieille  histoire  du 
Cambresis  par  Le  Carpentier  (Leyde  1664,  p.  458),  que 
Charles-Quint  fit  détruire  à  Cambrai  la  magnifique  église 
collégiale  de  Saint-Géry,  pour  en  consacrer  les  matériaux  à 
la  construction  d'une  citadelle,  dont  il  se  servit  ensuite  pour 
ôter  à  la  ville  ses  droits  et  privilèges.  A  Gand,  il  en  agit  de 
même  :  la  vieille  et  immense  église  de  Saint-Bavon ,  avec 
son  monastère,  fut  rasée  par  cet  empereur  catholique,  pour 
faire  place  à  une  citadelle.  Louis  XIV  témoigna  le  même 
respect  pour  la  religion  et  pour  l'art ,  lorsque ,  après  avoir 
arraché  la  Franche-Comté  à  la  couronne  d'Espagne ,  sous 
laquelle  elle  vivait  heureuse  et  libre ,  il  fit  abattre  la  véné- 
rable cathédrale  de  Besançon,  Saint-Etienne,  le  berceau  de 
la  foi  dans  cette  province  si  catholique ,  pour  agrandir  les 
ouvrages  de  sa  citadelle  monarchique  '. 

En  voilà  assez  sur  les  exploits  des  gouvernemens  mo- 
dernes en  fait  de  beaux-arts.  Ne  serait-ce  pas  du  reste  une 
illusion  que  cette  croyance  invétérée  à  la  nécessité  de  la 
protection  du  pouvoir  pour  l'art?  Les  artistes  eux-mêmes 
n'ont-ils  pas  été  trop  souvent  enclins  à  mêler  leurs  voix  et 
leurs  souhaits  aux  idées  de  la  foule  sur  cette  matière?  N'ont- 
ils  pas  trop  souvent  oublié  que,  pour  être  fidèle  à  la  sainteté 
de  sa  mission ,  l'artiste  comme  le  prêtre  ne  doit  être  que 
l'homme  de  Dieu  et  du  peuple?  En  France  surtout,  les 
grands  noms  de  François  Ier,  de  Louis  XIV,  ont  établi  une 
sorte  de  foi  traditionnelle  dans  l'influence  tutélaire  du  pou- 
voir. Et  cependant  n'y  a-t-il  pas  entre  les  ébats  courtisanes- 
ques  de  l'art  sous  ces  monarques ,  et  sa  gigantesque  popu- 

'  De  nos  jours  il  faut  avouer  qu'on  y  regarde  de  plus  près  :  Notre- 
Dame  de  Fourvière,  ce  sanctuaire  chéri  des  Lyonnais,  devait  faire 
place  à  un  fort  dans  le  nouveau  système  de  la  ville  ;  mais  le  gou- 
vernement a  eu  le  bon  esprit  de  renoncer  à  ce  projet  pour  ne  pas 
blesser  les  populations. 


—   20  — 

larité  au  moyen  âge,  tout  l'intervalle  qui  sépare  la  chapelle 
de  Versailles  de  Noire-Dame?  En  Italie,  en  Allemagne, 
n'est-ce  pas  la  même  différence?  Je  ne  sais  quelle  popularité 
de  commande  s'est  attachée  au  nom  des  Médicis  dans  la 
superficielle  et  menteuse  histoire  telle  que  nous  l'a  léguée 
le  dix-huitième  siècle  ;  on  dirait  que  l'art  a  contracté  une 
dette  sacrée  envers 'cette  race  de  marchands  couronnés  et 
oppresseurs.  Mais  qu'on  aille  donc  à  Florence  ;  qu'on  fasse 
deux  parts  des  monumens  de  cette  ville  ;  que  l'on  prenne 
pour  point  de  séparation  le  jour  où  Laurent  de  Médicis,  ha- 
letant sur  son  lit  de  mort ,  tourne  le  dos  à  Savonarole  qui 
lui  offre  l'absolution  à  condition  que ,  par  une  parole  su- 
prême, il  rende  la  liberté  à  Florence  ;  que  l'on  compare  ces 
deux  moitiés  de  la  métropole  de  l'art  italien,  et  nous  défions 
les  courtisans  les  plus  aveugles  de  ne  pas  déplorer,  esthéti- 
quement au  moins,  la  révolution  qui  jeta  Florence  sous  les 
pieds  de  la  souveraineté  absolue.  Michel- Ange  le  sentait 
bien,  car,  lorsqu'en  1527  Florence  expulsa  les  Médicis  et 
proclama  qu'elle  n'avait  d'autre  roi  que  Jésus-Christ,  il  laissa 
là  les  tombeaux  qu'il  élevait  pour  les  ancêtres  de  ces  Médicis 
à  S.-Lorenzo ,  entreprit  de  fortifier  toute  l'enceinte  de  la 
ville,  prêta  mille  écus  à  la  république,  se  fit  nommer  un  des 
neuf  commissaires  des  affaires  militaires ,  revint  ensuite  de 
Venise,  au  plus  fort  du  siège,  pour  diriger  la  défense,  et  ne 
cessa  de  combattre  qu'au  dernier  moment  contre  ces  pro- 
tecteurs de  l'art.  Croyons  avec  lui  que  le  pouvoir,  à  toutes 
les  époques ,  possède  l'incontestable  faculté  de  dégrader  et 
de  dépopulariser  l'art  ;  mais  bien  rarement  de  le  ranimer  et 
de  l'inspirer. 

Pardon ,  Monsieur,  de  cette  digression.  Je  passe  à  ma  se- 
conde catégorie  de  vandales. 


1  — 


2°  Les  autorités  municipales. 

Je  n'ai  certes  rien  à  vous  offrir  dans  cette  catégorie  de 
comparable  à  votre  histoire  de  la  délibération  du  conseil 
municipal  de  Laon  sur  la  tour  de  Louis  d'Outremer;  mais 
je  me  flatte ,  ou  plutôt  je  rougis  d'avoir  à  consigner  quel- 
ques traits  qui  montreront  que  ces  messieurs  ont  des  émules 
dignes  d'eux  sur  tous  les  points  du  pays.  Voici ,  par  exem- 
ple ,  MM.  du  conseil  municipal  de  Poitiers  qui  ont  ingé- 
nieusement fait  détruire  les  antiques  et  célèbres  remparts 
de  leur  ville,  qui  lui  donnaient  un  aspect  si  original  et  si  at- 
trayant, pour  les  remplacer  par  un  petit  mur  à  hauteur 
d'homme,  dans  le  genre  de  celui  qui  entoure  Paris ,  accom- 
pagné de  grilles  en  fer  qui  servent  de  portes  et  de  barrières 
à  l'octroi.  A  Villeneuve  d'Agen,  c'est  encore  mieux  que  cela: 
aux  portes  de  cette  ville ,  sur  une  hauteur  qui  domine  le 
cours  du  Lot,  s'élevait  le  château  de  Pujols  qui  était  un  des 
monumens  les  plus  vastes  et  les  plus  magnifiques  du  moyen 
âge  dans  ces  contrées  ;  ce  château ,  quoique  pillé  et  dévasté 
à  l'intérieur,  et  malgré  sa  position  exposée,  avait  survécu  à 
la  révolution  et  était  devenu  la  propriété  de  la  ville.  Il  y  a 
quatre  ans ,  le  conseil  municipal  l'a  fait  détruire ,  et  voici 
comment.  On  avait  conçu  le  projet  d'agrandir  la  prison 
d'Eysse,  voisine  de  la  ville.  Les  matériaux  manquaient  :  un 
entrepreneur  se  présente  et  propose  d'acheter  et  de  démolir 
le  vieux  château  pour  en  consacrer  les  pierres  à  ce  nouvel 
usage.  Le  conseil  trouve  l'offre  intelligente  et  avantageuse, 
mais  des  débats  s'élèvent  sur  le  prix.  Le  conseil,  voulant 
faire  une  bonne  affaire  en  même  temps  qu'une  œuvre  d'art, 
demande  100  louis  de  ses  ruines  :  l'entrepreneur  n'en  veut 
donner  que  1,800  francs.  De  guerre  lasse  on  accepta  ses  of- 
fres, et  le  château  est  tombé  moyennant  1,800  fr.  de  profit 
pour  la  caisse  municipale. 


—  52  — 

À  Agen,  la  belle  cathédrale  de  Saint-Étienne  a  été  abattue 
sous  l'empire,  parce  qu'il  eût  coûté  trop  cher  de  la  réparer. 
Les  piliers  gothiques  de  la  nef  sont  restés  debout  comme 
pour  attester  le  vandalisme  des  autorités  :  l'enceinte  sacrée 
sert  de  marché  aux  bestiaux  ;  les  matériaux  provenant  de  la 
destruction  ont  été  employés  à  la  construction  d'une  nou- 
velle salle  de  spectacle.  A  Saint-Marcellin  en  Dauphiné,  on 
y  a  mis  moins  de  façon  ;  le  conseil  municipal  s'est  emparé 
d'une  des  deux  seules  églises  de  la  ville  et  a  décrété  qu'elle 
servirait  désormais  de  salle  de  spectacle.  Aussitôt  dit,  aus- 
sitôt fait. 

A  Saint-Savin  dans  les  Pyrénées,  près  de  Pierrefitte,  le 
conseil  municipal  vient  de  faire  raser  une  église  romane  de 
la  plus  haute  antiquité  et  d'un  incontestable  intérêt,  pour  la 
remplacer  par  une  place  publique. 

Tout  le  monde  a  entendu  parler  de  la  destruction  de  l'ab- 
baye de  Saint-Bertin  à  Saint-Omer,  crime  qui  a  eu  quelque 
retentissement  en  France ,  grâce  à  M.  Vitet.  Mais  ce  qu'on 
ne  sait  pas  généralement ,  et  ce  qui  m'a  été  affirmé  par 
d'honorables  habitans  de  Saint-Omer,  c'est  que  cette  des  - 
truction  a  été  surtout  motivée  par  l'ombre  que  projetaient 
ces  majestueuses  ruines  sur  les  tulipes  du  jardin  d'un  des 
principaux  fonctionnaires  municipaux.  Ote-toi  de  mon  so- 
leil, leur  a  dit  ce  Diogène  d'une  façon  nouvelle,  et  l'abbaye 
a  disparu. 

A  Moissac,  il  y  a,  comme  vous  savez,  une  abbaye  célèbre 
pour  avoir  reçu  l'hommage  féodal  d'un  roi  de  France  ,  de 
Philippe-le-Hardi ,  je  crois.  Elle  mérite  de  l'être  bien  plus 
encore  à  cause  de  l'extrême  beauté  de  son  église  et  de  son 
cloître ,  monumens  précieux  de  la  transition  du  plein-cintre 
à  l'ogive.  La  municipalité  s'est  emparée  de  ce  cloître ,  et 
savez-vous  le  parti  qu'elle  en  tire  ?  Elle  en  fait  scier  les  ad- 
mirables colonnes  une  à  une  pour  les  transporter  ailleurs , 
et  si  j'ai  bonne  mémoire ,  pour  les  utiliser  dans  la  construc- 


-  a3  ~ 

tion  d'une  halle.  L'église  elle-même  ne  leur  a  pas  échappé  ; 
il  y  a  quelques  années,  sa  façade,  qui  est  une  des  pages  les 
plus  curieuses  que  l'art  mystérieux  du  moyen  âge  ait  tracée 
dans  le  midi ,  parut  à  M.  l'adjoint  avoir  besoin  de  quelque 
enjolivement;  aussi  profita- t-il  de  l'absence  de  M.  le  maire 
pour  la  faire  badigeonner  du  haut  en  bas  ;  vous  ne  devine- 
riez jamais  en  quelle  couleur?  en  bleu!  L'intérieur  était 
déjà,  grâce  aux  soins  de  la  fabrique,  revêtu  d'une  triple  pa- 
rure de  bleu ,  blanc  et  jaune. 

Ce  n'est  plus  là  de  la  destruction ,  comme  vous  voyez , 
c'est  de  la  restauration  paternelle  et  bienveillante,  manie  qui 
possède  nos  autorités  de  tout  rang  et  de  toute  nature.  A 
Pamiers,  il  y  a  une  cathédrale  dont  Mansard  eut  le  bon  goût 
de  conserver  le  clocher  à  pignons  triangulaires ,  lorsqu'il 
reconstruisit  la  nef  dans  le  goût  du  dix -septième  siècle. 
Mais  ce  pauvre  clocher  n'a  pu  échapper  à  un  badigeonneur 
officiel ,  intitulé  architecte  du  département ,  lequel  est  venu 
tout  exprès  de  la  préfecture  pour  le  peindre  en  rose. 

Quand  ces  autorités  usent  de  leurs  droits  en  déléguant  des 
fonctions  importantes  pour  l'art  et  les  monumens  histori- 
ques, elles  déploient  d'ordinaire  autant  de  discernement 
que  lorsqu'elles  mettent  elles-mêmes  la  main  à  l'œuvre.  Je 
n'en  veux  citer  qu'un  exemple  :  on  a  nommé,  il  y  a  quelques 
années,  à  Amiens ,  un  bibliothécaire,  dont  toute  la  vie  pré- 
cédente avait  été  complètement  étrangère  à  ce  genre  d'é- 
tudes, et  qui ,  trouvant  que  les  manuscrits  in-folio  que  ren- 
fermait sa  bibliothèque  ne  pouvaient  pas  entrer  dans  les 
rayons  des  casiers ,  crut  que  le  meilleur  parti  était  de  les 
réduire  en  les  rognant  à  la  hauteur  nécessaire.  Il  est  très 
flatteur  pour  la  France  éclairée  et  régénérée  d'avoir  donné 
ainsi  une  seconde  édition  du  trait  de  ces  cosaques,  qui, 
lors  du  transport  de  la  bibliothèque  de  Varsovie  ou  de  Vilna 
à  Pétersbourg ,  scièrent  par  le  milieu  les  livres  qui  étaient 
trop  gros  pour  entrer  dans  leurs  caisses. 


—  2û  — 

Puisque  j'en  suis  aux  bibliothèques,  je  ne  puis  passer  sous 
silence  l'idée  lumineuse  de  ce  conseiller  municipal  de  Chà- 
lons-sur-Saône ,  qui,  pour  contribuer  de  son  mieux  à  la  dif- 
fusion des  lumières  et  cle  l'instruction  publique ,  proposa 
gravement  de  consacrer  à  la  reliure  des  livres  d'école  les 
parchemins  des  missels  et  autres  manuscrits  de  la  bibliothè- 
que de  la  ville. 

Après  avoir  vu  de  si  beaux  exploits  dans  sa  patrie ,  un 
Français  a  la  consolation  de  lire  dans  les  journaux  anglais 
que  la  corporation  ou  conseil  municipal  de  Chester  dépense 
tous  les  ans  des  sommes  considérables  pour  maintenir  dans 
un  état  de  réparation  complète  les  vieilles  murailles  de  cette 
ville,  et  qu'à  York  une  assemblée  populaire  (country  mee- 
ting) a  décidé  que  le  célèbre  château  de  ce  nom,  qui  mena- 
çait ruine ,  serait  reconstruit  exactement  sur  le  même  plan 
et  dans  le  même  genre. 

Passons  à  la  troisième  catégorie  : 

3o  Les  propriétaires. 

Je  ne  prétends  pas  assurément  que  les  ravages  exercés 
par  les  propriétaires  soient  aussi  déplorables  et  même  aussi 
nombreux  que  ceux  qui  peuvent  être  portés  au  compte  du 
gouvernement  et  des  autorités  locales;  il  y  a  une  bonne 
raison  pour  cela.  C'est  que  les  propriétaires  ont  rarement  à 
leur  disposition  des  monumens  assez  importans  pour  que  la 
disparition  en  soit  très  regrettable.  Mais  toutes  les  fois  que 
l'occasion  s'en  présente ,  on  remarque  chez  eux  le  même 
mépris,  la  même  insouciance  du  passé,  souvent  le  même 
acharnement  grossier  contre  les  nobles  restes  qui  tombent 
malheureusement  entre  leurs  mains.  Cette  tendance  est  sur- 
tout inexplicable  et  inexcusable  chez  ce  qu'on  appelle  les 
grands  propriétaires ,  chez  l'ancienne  noblesse  de  province, 
à  qui  tant  de  motifs  indépendans  de  l'art  devraient  inspirer 


—  25  — 

une  sorte  de  culte  pour  ces  vestiges  de  leur  propre  histoire. 
Eh  bien  !  en  général  il  n'en  est  rien.  Ni  de  glorieux  souve- 
nirs de  famille,  ni  le  respect  des  œuvres  de  leurs  pères ,  ni 
les  sympathies  politiques  qu'on  leur  impute  pour  le  passé 
dont  ces  monumens  sont  l'image,  rien  de  tout  cela  ne  fait  la 
moindre  impression  sur  la  majeure  partie  d'entre  eux.  Il 
eût  été  à  désirer,  au  moins  dans  les  intérêts  de  l'art ,  qu'ils 
eussent  été  conséquens  à  leurs  opinions  politiques  à  la  ma- 
nière de  M.  Voyer  d'Argenson,  qui,  en  vrai  niveleur,  a  fait 
raser  son  beau  château  des  Ormes  en  Poitou  par  amour  de 
l'égalité.  Par  amour  de  l'ancien  régime,  la  noblesse  roya- 
liste aurait  dû  nous  conserver  scrupuleusement  ses  castels. 
Mais  point  :  vous  les  verrez  laisser  vendre  sous  leurs  yeux 
et  à  vil  prix ,  ou  bien  vendre  eux-mêmes  impitoyablement 
le  manoir  de  leurs  pères ,  le  lieu  dont  ils  portent  le  nom , 
pour  peu  qu'un  séjour  plus  rapproché  de  Paris  ou  même  un 
avantage  pécuniaire  les  séduise.  S'ils  daignent  le  conserver, 
ce  sera  pour  en  sacrifier  mainte  fois  la  partie  la  plus  pré- 
cieuse et  la  plus  originale  à  une  commodité  du  jour,  à  une 
invention  parisienne  :  le  plus  souvent  ils  n'en  feront  aucun 
cas ,  ils  ne  se  donneront  pas  même  la  peine  de  détruire , 
tandis  qu'un  peu  d'intérêt  et  bien  peu  d'argent  eussent  suffi 
pour  préserver  ces  illustres  ruines  des  derniers  outrages. 
Je  crois  qu'au  risque  d'envahir  le  domaine  de  la  liberté  in- 
dividuelle ,  on  peut  et  on  doit  infliger  la  publicité  à  des  mé- 
faits de  ce  genre.  Vous  en  savez  beaucoup  plus  long  que 
moi  sur  ce  sujet,  Monsieur,  et  j'espère  que  vous  ne  garderez 
pas  toujours  pour  le  cercle  restreint  de  vos  amis ,  ces  plai- 
sans  récits  qui  nous  ont  souvent  à  la  fois  réjouis  et  indi- 
gnés. Pour  moi ,  je  ne  veux  parler  que  de  ce  que  j'ai  vu  par 
moi-même. 

En  entrant  dans  le  Périgord ,  à  Mareuil ,  on  voit  un  châ- 
teau abandonné ,  appartenant  à  la  famille  qui  porte  le  nom 
de  cette  province.  C'est  un  type  parfait  de  résidence  féodale 


-  16  — 

au  treizième  et  même  pendant  la  première  moitié  du  qua- 
torzième siècle.  Ce  château  est  dans  l'état  d'abandon  le  plus 
complet;  de  charmans  détails  de  sculpture  dans  les  tympans 
des  fenêtres  et  les  fausses  balustrades  des  croisées  sont  cha- 
que jour  endommagés  par  les  fermiers  qui  l'habitent  ;  les 
toits  des  tourelles  s'affaissent  et  entraînent  des  pans  de  murs 
avec  eux  ;  on  a  même  parlé  de  jeter  bas  la  tour  d'entrée 
et  les  ouvrages  avancés ,  et  d'en  vendre  les  matériaux  ;  et 
l'on  n'y  a  renoncé,  du  moins  c'est  ce  qui  m'a  été  assuré,  que 
sur  les  réclamations  de  la  ville,  qui  en  demandait  la  conser- 
vation comme  ornemens publics.  Il  y  a  ici  un  changement 
de  rôles  si  bizarre ,  une  anomalie  si  curieuse ,  que  je  cite  ce 
détail  sans  trop  y  croire  moi-même  ;  ce  serait  toujours  un 
trait  fort  honorable  pour  le  conseil  municipal  de  Mareuil , 
en  supposant  même  que  l'esprit  de  contradiction  y  entrât 
pour  quelque  chose. 

Plus  loin  dans  le  Périgord,  à  Bourdeille ,  on  voit  de  deux 
lieues  de  loin  la  haute  tour  du  château  qu'a  popularisé  et 
célébré  Brantôme.  M.  de  Jumilhac  l'a  vendue  pour  six  mille 
francs.  Encore  plus  loin ,  sur  les  charmantes  rives  de  la 
Dordogne,  un  immense  rocher  porte  les  imposantes  ruines 
de  Castelnau ,  château  qui  a  appartenu  depuis  des  siècles  à 
la  maison  de  Caumont  La  Force.  Le  duc  actuel  les  a  mises 
en  vente  pour  six  cents  francs  :  encore  a-t-il  eu  le  chagrin 
de  ne  pas  trouver  d'acquéreur,  tant  est  grand  le  respect  hé- 
réditaire que  porte  à  ces  vieilles  pierres  la  population  envi- 
ronnante. 

En  Angoumois ,  Aulnac ,  sur  les  bords  de  la  Charente , 
castel  qu'une  dépense  insignifiante  suffirait  pour  remettre 
dans  un  état  parfaitement  conforme  au  goût  du  quatorzième 
siècle,  avec  d'autant  plus  de  facilité  que  l'extérieur  n'a  subi 
aucune  restauration  maladroite  ;  Aulnac  est  livré  par  son 
propriétaire  actuel,  M.  de  Chambonneau,  à  une  ruine  gra- 
duelle qui  deviendra  dans  peu  d'années  irréparable. 


—  27  — 

Près  de  Toulouse,  le  même  sort  attend  le  célèbre  château 
de  Pibrac,  qui  donna  son  nom  à  Dufaur,  ambassadeur  de 
France  au  concile  de  Trente ,  qui  appartient  encore  à  ses 
descendans ,  et  que  les  souvenirs  d'Henri  IV,  qui  y  a  sé- 
journé quelque  temps  pendant  sa  vie  aventureuse  de  roi  de 
Navarre ,  n'ont  pu  préserver  d'un  abandon  complet.  Dans 
le  coin  d'une  grande  pièce  à  peine  fermée ,  on  voit  couché 
à  terre  et  couvert  de  poussière  un  tableau  sur  bois  vraiment 
remarquable  du  seizième  siècle ,  une  adoration  des  Mages  : 
on  a  l'air  de  le  regarder  comme  un  devant  de  cheminée. 

En  Anjou,  Pocé,  aux  portes  de  Saumur,  fameux  dans 
l'histoire  de  cette  province  par  les  bizarres  privilèges  que  la 
tradition  attribue  à  ses  châtelains,  est  inhabité  et  condamné 
à  servir  de  dépendance  à  une  ferme  voisine ,  bien  que  dans 
un  état  de  conservation  surprenante  à  l'extérieur  :  on  ne 
peut  pas  même  visiter  l'intérieur. 

Un  peu  plus  loin ,  en  pleine  Vendée ,  sur  cette  route  de 
Saumur  à  Thouars,  que  le  plus  beau  sang  de  France  a  si 
souvent  arrosée,  on  voit ,  dans  une  position  excellente  au 
dessus  de  Thouet,  le  château  de  Montreuil-Bellay,  immense 
et  majestueux,  véritable  forteresse,  renfermant  dans  son 
enceinte  la  belle  église  gothique  qui  sert  de  paroisse  à  la 
ville.  Il  a  appartenu  au  célèbre  prince  de  Talmont,  et  après 
avoir  traversé  comme  par  miracle  les  fureurs  de  la  guerre 
civile,  il  n'a  pas  su  trouver  grâce  devant  sa  veuve;  elle  l'a 
vendu  sous  la  Restauration  à  un  habitant  de  Saumur,  qui  le 
détruit  en  détail.  Au  bas  du  rempart  se  trouve  une  seconde 
église,  dont  il  ne  reste  que  les  murs  à  moitié  abattus ,  mais 
encore  couverts  de  fresques  que  les  intempéries  des  saisons 
n'avaient  pas  eu  le  temps  de  rendre  méconnaissables  à  l'é- 
poque où  j'y  suis  passé,  mais  qui  doivent  être  perdues 
maintenant. 

Sur  les  bords  de  la  Loire ,  entre  Saumur  et  Candes,  s'é- 
lève encore  le  château  de  Montsoreau ,  célèbre  dans  l'his- 


—  28   — 

toire  si  éminemment  chevaleresque  de  l'Anjou  par  mille 
aventures,  et  plus  tard  par  le  rendez-vous  fatal  de  Bussy 
d'Amboise.  Ce  château ,  dont  la  construction  date  du  plus 
beau  temps  de  la  renaissance ,  avait  aussi  échappé  au  van- 
dalisme révolutionnaire ,  mais  il  a  été  victime  de  celui  de 
son  dernier  propriétaire,  le  marquis  de  Sourches-Tourzel.  Il 
l'a  vendu  à  des  paysans  du  village  qui  l'ont  déchiqueté ,  dé- 
gradé ,  abîmé  de  mille  manières.  On  n'a  épargné  que  le  cu- 
rieux escalier  tournant  dans  la  tourelle  du  sud-est ,  dont  la 
voûte  surtout  est  regardée  comme  un  chef-d'œuvre  de  l'art. 
Mais  les  grandes  croisées  carrées  ornées  de  ravissante! 
sculptures,  les  salles  voûtées,  les  immenses  cheminées  ont 
disparu  pour  faire  place  à  une  foule  de  petites  chambrettes 
que  vous  montrent  complaisamment  ces  nouveaux  distribu- 
teurs, tout  fiers  d'avoir  tiré  un  si  bon  parti  d'une  si  utile 
grandeur.  C'est  à  peine  si  l'on  peut  découvrir  çà  et  là  quel- 
ques traces  d'un  de  ces  admirables  plafonds  en  bois  de 
chêne  à  carreaux  sculptés  dont  Fart  s'est  perdu  depuis. 

Enfin ,  on  vient  de  m'apprendre  qu'au  château  de  Mont- 
murand  en  Bretagne,  la  chapelle  où  Duguesclin  fut  armé 
chevalier  a  été  changée  en  buanderie,  et  qu'une  autre  cha- 
pelle a  été  bâtie  exprès  dans  la  cour  voisine  pour  la  rem- 
placer !  Une  pareille  profanation  ne  souffre  pas  de  com- 
mentaire. 

Il  est  juste  de  citer  à  côté  de  ces  scandales  quelques  rares 
et  nobles  exemples  d'un  culte  voué  par  quelques  familles 
aux  manoirs  de  leurs  pères.  Le  plus  éclatant  de  ces  exem- 
ples qui  soit  à  ma  connaissance  est  celui  du  château  de 
Biron,  sur  les  confins  de  l'Agénois  et  du  Périgord,  dont 
l'imposante  beauté,  les  trois  chapelles  gothiques,  ont  trouvé 
dans  les  possesseurs  actuels  des  protecteurs  éclairés.  Ce  châ- 
teau est  l'objet  d'une  véritable  affection  dans  le  pays ,  où  le 
nom  des  Biron  jouit  de  toute  sa  gloire ,  et  où  les  bergères 
chantent  encore  la  complainte  du  maréchal  que  fit  décapiter 


—  29  — 

Henri  IV.  On  peut  nommer  encore  en  Périgord ,  Bannes , 
préservé  dans  sa  forme  ancienne  par  MM.  de  Losse,  et  Lan- 
quais,  par  MM.  de  Gourgues  ;  en  Angoumois,  le  beau  et 
vaste  château  de  La  Rochefoucauld ,  racheté  par  la  maison 
de  ce  nom;  en  Anjou,  sur  la  rive  méridionale  de  la  Loire, 
la  belle  tour  de  Trêves,  haute  de  cent  pieds,  construite  en 
1016,  par  Foulques  d'Anjou,  donnée  par  Charles  VII  au 
chancelier  Robert-le-Maçon ,  en  reconnaissance  de  ce  qu'il 
lui  avait  sauvé  la  vie  lors  de  la  prise  de  Paris  par  les  Bour- 
guignons, et  parfaitement  entretenue  par  M.  de  Castellon 
qui  en  est  aujourd'hui  le  maître  (1). 

Malheureusement  ce  ne  sont  là  que  de  trop  rares  excep- 
tions à  une  règle  presque  générale  de  destruction  et  d'aban- 
don. S'il  en  est  ainsi  des  anciens  seigneurs ,  de  ceux  que 
tout  concourt  à  faire  regarder  comme  les  représentans  du 
principe  conservateur,  jugez  des  ébats  que  doivent  prendre 
les  nouveaux  acquéreurs  dans  leurs  antiques  possessions. 
Pour  eux ,  quand  ils  ne  renversent  pas  tout,  ils  mettent  tout 
à  neuf,  et  vous  savez  ce  que  cela  veut  dire.  Ils  sont  sou- 
vent, à  cet  égard,  d'une  bonne  foi  et  d'une  naïveté  comi- 
ques. On  voit  à  Montignac  le  vieux  château  des  comtes  de 
Périgord ,  détruit  à  la  révolution ,  sauf  le  donjon  carré , 

■  Il  faut  placer  au  premier  rang  de  ces  hommes  sages  et  vraiment 
éclairés  M.  Parquin,  ancien  bâtonnier  de  Tordre  des  avocats  de  Paris, 
propriétaire  des  belles  ruines  du  Vivier  en  Brie,  et  qui  conserve  tout 
ce  qui  reste  de  cet  ancien  manoir  de  nos  rois  avec  les  soins  les  plus 
paternels.  Elles  avaient  été  vendues  comme  matériaux  propres  à 
démolition  lorsqu'il  les  racheta,  les  dégagea,  les  restaura  ;  il  a  même 
fait  construire  une  longue  et  dispendieuse  chaussée  pour  supprimer 
deux  chemins  vicinaux  qui  amenaient  chaque  jour  des  passans  van- 
dales au  sein  de  ces  vénérables  débris.  Sous  le  titre  de  une  Journée 
au  Vivier,  1832,  in-4°,  on  a  publié  une  description  agréable  de  ce 
monument ,  qui  a  été  en  outre  l'objet  d'un  rapport  détaillé  fait  par 
une  commission  de  l'Institut  historique,  et  imprimé  dans  son  journal, 
numéro  de  février  1836 ,  avec  figures. 


—  30  — 

massif,  superbe,  que  Ton  a  arrangé  de  la  manière  que  vous 
allez  voir.  Je  laisse  parler  X Annuaire  de  la  Dordogne  de 
1824  :  «  Ces  ruines ,  dit  l'ingénieux  observateur,  ont  pris 
«  un  aspect  moins  hideux  depuis  que  le  propriétaire  ac- 
«  tucl ,  achevant  de  raser  à  moitié  hauteur  partie  du 
«  rempart  et  une  des  tours ,  s'est  construit  sur  cet  emplac 
«  cernent  un  petit  ermitage,  d'où  l'œil  découvre  la  ville 
«  et  la  vallée.  Cet  homme  industrieux  a  crépi  en  chaux 
«  bien  blanche  tous  les  joints  des  pierres  noirâtres  du 
«  mur  extérieur,  et  cela  donne  un  air  de  jeunesse  à  ces 
«  murs  séculaires.  » 

Par  compensation  de  cette  métamorphose  d'un  donjon  en 
ermitage,  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  propriétaire  de  l'er- 
mitage dit  d'Anne  d'Autriche,  au  dessus  d'Agen,  a  métamor- 
phosé le  sien  en  guinguette.  C'est  moins  pittoresque,  mais 
plus  productif  :  chacun  son  goût. 

Mais  on  ne  rit  plus,  on  rougit  et  on  s'indigne  en  son- 
geant au  monstrueux  abus  du  droit  de  propriété  que  font 
certains  nouveaux  riches,  dominés  par  des  préjugés  brutaux 
et  par  une  risible  terreur  de  l'histoire  et  de  la  religion,  que 
l'on  baptise  si  souvent  en  province  des  noms  de  carlisme  et 
de  jésuitisme.  Par  exemple,  à  Cuneault,  en  Anjou,  toujours 
sur  les  bords  de  cette  Loire  qui  baigne  de  ses  eaux  les  mo- 
numens  les  plus  nationaux  de  la  France ,  il  y  a  une  église 
que  la  tradition  populaire  fait  remonter  à  Dagobert,  que 
l'on  peut  hardiment,  je  crois,  dater  du  neuvième  siècle,  et 
que  je  n'hésite  pas  à  regarder  comme  un  des  débris  les  plus 
précieux  de  l'art  de  cette  époque.  Les  sculptures  des  chapi- 
teaux des  colonnes  de  la  nef  sont  de  l'exécution  la  plus  naïve 
et  la  plus  originale.  Le  clocher  surtout  est  étonnant.  A  part 
ces  beautés,  il  y  en  avait  une  toute  particulière,  résultant  de 
l'effet  de  perspective  que  devait  produire  la  construction  du 
vaisseau  qui  va  en  se  rétrécissant  depuis  le  portail  jusqu'au 
rond-point,  tandis  que  la  voûte  s'abaisse  successivement 


—  Si  — 

dans  la  même  direction.  A  la  révolution,  cet  effet  fat  détruit 
par  un  mur  de  refend ,  bâti  en  travers  du  chœur.  L'abside 
tout  entière  est  échue  en  partage  à  M.  Dupuy  de  Saumur, 
qui  Ta  transformée  en  grange  remplie  de  fagots,  après  avoir 
défoncé  les  vitraux  des  croisées. 

Ce  qui  dépasse  tout  ce  que  j'ai  vu  de  barbarie  en  ce  genre, 
c'est  le  spectacle  dont  j'ai  été  témoin  à  Cadouïn,  en  Péri- 
gord,  lieu  où  se  trouvent  enfouis  dans  un  désert  des  chefs- 
d'œuvre  de  peinture,  de  sculpture  et  d'architecture.  Cadouïn 
est  un  ancien  monastère  de  l'ordre  de  Cîteaux,  fondé, 
dit-on,  par  saint  Bernard  lui-même.  Il  en  reste  une  église 
et  un  cloître.  Je  veux,  en  passant ,  vous  parler  de  l'église. 
Elle  est  d'abord  très  remarquable  par  son  architecture ,  qui 
est  tout  en  plein  cintre,  avec  la  corniche  en  damier  qui 
se  retrouve  dans  tant  d'églises  romanes.  La  voûte  seule  est 
en  ogive  très  primitive.  La  façade  est  originale  :  elle  offre 
un  couronnement  semi-hexagonal ,  soutenu  par  une  colon- 
nade de  neuf  arcs  en  plein  cintre  d'une  grande  élégance. 
C'est  un  type  tout-à-fait  méridional ,  de  même  que  la  petite 
coupole  qui  s'élève  au  dessus  du  transept.  Le  chœur  est  par- 
fait, et  les  enroulemens  en  feuillages  des  cinq  croisées  qui 
l'échurent,  d'une  grande  délicatesse,  malgré  le  badigeon 
qui  les  recouvre.  A  la  voûte  de  ce  chœur  se  trouve  la  pein- 
ture la  plus  remarquable  du  moyen  âge  que  j'aie  rencontrée 
en  France  :  c'est  une  fresque  qui  représente  la  résurrection 
de  Notre-Seigneur.  Au  premier  regard  que  je  jetai  sur  cette 
voûte ,  mes  yeux ,  déshabitués  depuis  long-temps  de  jouis- 
sances pareilles ,  crurent  retrouver  leurs  anciennes  amours 
des  écoles  toscane  et  ombrienne ,  antérieures  à  Raphaël.  Le 
Christ,  tenant  à  la  main  le  gonfalon  de  la  croix ,  met  le  pied 
hors  du  tombeau  ;  deux  soldats  endormis  gisent  de  chaque 
côté  ;  deux  anges,  en  longues  tuniques,  soutenus  dans  l'air 
par  leurs  ailes  déployées ,  encensent ,  avec  des  encensoirs 
d'or,  le  vainqueur  du  péché  et  de  la  mort:  un  paysage  simple 


—  32  — 

et  gracieux  dans  le  fond,  avec  un  ciel  d'azur  foncé,  parsemé 
de  grandes  fleurs  de  lis  d'or  en  guise  d'étoiles.  En  Italie, 
cette  fresque,  qui  rivaliserait  avec  quelques  unes  des  plus 
célèbres  que  j'aie  vues,  serait  à  peu  près  de  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  Je  ne  connais  pas  assez  l'histoire  de  l'art  en 
France  pour  en  conjecturer  la  date  même  approximative  ; 
et,  dans  le  pays,  on  n'a  pu  me  fournir  aucun  renseignement 
ni  sur  son  époque ,  ni  sur  son  auteur.  Rien  ne  saurait  sur- 
passer la  majestueuse  placidité  du  Christ,  le  naturel  de  la 
pose  des  soldats  endormis ,  le  tendre  respect ,  l'amoureuse 
adoration  des  deux  anges.  Toute  la  composition  est  em- 
preinte de  cette  suavité  harmonieuse,  de  ce  goût  naïf  et  pur, 
de  cette  simplicité  exquise,  de  cette  transparence  de  cou- 
leur, enfin  de  cette  vie  surnaturelle  et  céleste,  si  bien  adap- 
tées aux  sujets  d'inspiration  religieuse,  et  si  universellement 
répandues  sur  toutes  les  œuvres  de  la  divine  dynastie  qui  a 
régné  sur  la  peinture  depuis  l'Angélique  moine  de  Fiésole 
jusqu'à  Pinturicchio  ;  dynastie  que  Raphaël  a  détrônée,  mais 
qui  n'en  sera  pas  moins  toujours  celle  des  princes  légitimes 
de  l'art. 

Je  me  laisse  aller,  monsieur ,  à  une  admiration  que  vous 
partageriez,  j'en  suis  sûr,  si  vous  aviez  été  avec  moi,  et 
j'oublie  mon  cloître  et  mes  vandales.  A  côté  donc  de  cette 
église  se  trouve  un  autre  chef-d'œuvre ,  car  on  dirait  que 
les  chefs-d'œuvre  des  trois  arts  se  sont  donné  rendez -vous 
dans  ce  coin  de  terre  oublié  et  presque  inconnu  dans  les  en- 
virons mêmes.  C'est  le  cloître  intérieur  de  l'ancien  monas- 
tère, véritable  bijou  de  l'époque  la  plus  brillante  de  la 
transition  qui  a  précédé  la  renaissance,  marqué  au  sceau  de 
l'influence  mauresque  et  orientale  qui  envahit  alors  l'imagi- 
nation française.  Je  crois  qu'il  n'existe  pas  en  France  un 
morceau  de  ce  temps  plus  riche ,  plus  fini ,  plus  orné.  Si  on 
avait  le  courage  d'y  trouver  un  défaut,  ce  serait  la  profusion 
des  détails,  la  beauté  vraiment  trop  coquette  de*  ornemensj 


—  35  — 

On  est  tenté  de  croire  d'abord  que  l'imagination  du  sculp- 
teur s'est  abandonnée  sans  frein  à  ses  caprices  ;  mais  en 
examinant  de  plus  près ,  on  reconnaît  qu'il  n'y  a  rien  dans 
cette  incroyable  abondance  qui  ne  soit  strictement  en  har- 
monie avec  la  sainteté  du  lieu,  rien  qui  n'ait  été  dominé 
par  une  inspiration  profondément  religieuse.  Le  trône  de 
l'abbé  au  milieu  des  bancs  de  ses  moines ,  exposés  au  soleil 
du  midi,  est  surtout  remarquable  par  un  bas-relief  qui  re- 
présente Jésus-Christ  portant  sa  croix ,  aussi  pur  de  goût 
que  noble  et  simple  d'expression.  La  souche  de  chacune  des 
ogives  de  la  voûte  est  entourée  de  riches  sculptures  du 
même  genre ,  qui  reproduisent  les  principales  paraboles  de 
l'ancien  et  du  nouveau  Testament  ;  on  distingue  surtout  Job 
et  ses  amis,  le  mauvais  riche,  et  un  très  beau  groupe  du 
jugement  dernier.  Ces  sculptures  se  répètent  dans  les  cha- 
piteaux et  les  plinthes  des  colonnes  qui  forment  les  arcades 
à  ogives  par  où  le  jour  pénètre  dans  le  cloître.  Les  fenes- 
trages  de  ces  arcades  sont  découpées  à  jour  en  forme  de 
cœurs  ou  de  fïeurs-de-lis.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  admira- 
ble dans  cette  construction ,  ce  sont  les  pendentifs  de  la 
voûte  elle-même,  sillonnée  et  surchargée  d'arêtes  ciselées. 
Ces  pendentifs,  qui  se  trouvent  à  chaque  clef  de  voûte,  se 
composent  chacun  d'une  statuette  d'un  travail  exquis  :  c'est 
tantôt  le  symbole  consacré  d'un  évangéliste,  tantôt  un  pro- 
phète à  longue  barbe,  tantôt  un  ange  ailé,  se  balançant 
presque  sur  une  longue  banderolle  où  sont  inscrites  les 
louanges  de  Dieu  :  toutes  ces  figures  planent  sur  le  specta- 
teur, et  semblent  le  contempler  avec  une  infinie  douceur; 
on  dirait  que  les  cieux  se  sont  entrouverts ,  et  que  les  élus 
viennent  présider  aux  innocens  délassemens  des  habitans  de 
ce  lieu  solitaire  et  sacré. 

Maintenant  voulez-vous  savoir  ce  qu'est  devenu  ce  ravis- 
sant chef-d'œuvre?  Je  vais  vous  en  raconter  la  lamentable 
et  honteuse  histoire.  Vendu  révolutionnairement ,  il  appar- 

3 


—   34  — 

tient  maintenant  à  MM.  Verdier  et  Guimbaut,  dont  les 
noms  méritent  une  place  toute  spéciale  dans  les  annales  du 
vandalisme.  Il  y  a  quelques  années,  plusieurs  catholiques 
des  environs  conçurent  le  projet  de  fonder  un  établissement 
de  Trappistes  dans  ce  site  vénéré,  ce  qui  eût  assuré  la  con- 
servation en  entier  du  monument  et  de  toutes  ses  dépen- 
dances. L'on  fit  à  ce  sujet  les  offres  les  plus  avantageuses  à 
MM.  les  propriétaires ,  mais  ils  se  sont  bien  gardés  de  de- 
venir complices  d'un  acte  aussi  rétrograde.  Ils  ont  préféré 
détruire  peu  à  peu  tout  le  monastère  à  l'exception  du  petit 
cloître  intérieur  :  au  moment  où  je  m'y  suis  trouvé ,  une 
tour  hexagone  très  ornée  était  sous  le  marteau.  La  pioche 
de  l'ouvrier  a  atteint  sous  mes  yeux  une  charmante  sculp- 
ture qui  formait ,  à  ce  que  je  pense ,  le  chapiteau  de  la  re- 
tombée d'une  voûte.  Quant  au  cloître  intérieur,  destiné 
spécialement  aux  récréations  des  religieux  après  les  offices 
du  chœur,  comme  il  n'avait  de  communication  qu'avec 
l'église  et  les  cellules,  et  non  pas  avec  les  cours  extérieures , 
les  acquéreurs  ont  jugé  à  propos  de  réclamer  un  droit  de 
passage  à  travers  l'église.  Déboutés  de  leur  prétention  par 
les  tribunaux,  ils  s'en  sont  dédommagés  ainsi  qu'il  suit  :  ils 
ont  rempli  la  moitié  de  leur  cloître  de  bûches ,  de  fagots  et 
de  poutres,  qu'ils  ont  entassés  le  pftis  haut  possible  contre 
ces  délicieuses  sculptures  ;  et  chaque  jour,  en  les  déplaçant, 
on  abat  quelque  tète,  quelque  figurine,  on  enlève  quelque 
pendentif,  on  défonce  quelque  colonnette  des  croisées.  Dans 
l'autre  moitié,  ils  ont  parqué  des  pourceaux  ;  oui,  des  pour- 
ceaux. C'est  la  litière  d'une  truie  qui  occupe  la  place  du 
trône  de  l'abbé,  au  dessous  du  bas-relief  de  Jésus  portant 
sa  croix  ;  ces  représentai  des  propriétaires  broutent  le  jour 
dans  l'enceinte  intérieure  que  bordent  les  arceaux  du  cloî- 
tre, et  la  nuit  ils  se  vautrent  sous  les  trésors  de  beauté  dont 
je  viens  de  vous  parler. 
J'ai  senti  le  rouge  me  monter  au  front  en  contemplant  ce 


—   35  — 

spectacle.  Il  n'y  a  qu'en  France,  pensais-je  tristement,  où  je 
rougirais  ainsi  ;  il  n'y  a  qu'en  France  où  un  voyageur  soit 
exposé  à  rencontrer  une  dévastation  aussi  sacrilège,  un  mé- 
pris aussi  effronté  de  l'art,  de  la  religion,  de  l'histoire,  de  la 
gloire  du  pays. 

Et  encore  songez  que  Cadouïn  est  dans  un  pays  reculé, 
très  catholique ,  très  noirci  par  M.  Charles  Dupin ,  au  milieu 
des  landes  et  des  bois,  loin  de  toute  Tille  et  de  toute  route, 
et  qu'on  ne  peut  y  arriver  qu'à  cheval.  Ah  I  s'il  y  avait  eu 
dans  le  voisinage  quelque  grande  route ,  quelque  usine  à 
fonder,  le  tout  y  aurait  déjà  passé.  Ah  !  si  la  cupidité  s'était 
mêlée  à  la  froide  manie  de  destruction  !  Pour  le  moment , 
on  a  trouvé  qu'un  cloître  pareil  pouvait  servir,  aussi  bien 
qu'autre  chose,  d'étable  à  des  pourceaux. 

Pardonnez  à  ma  fureur,  monsieur,  et  hâtez -vous  d'aller 
voir  ce  lieu  encore  si  beau  dans  sa  misère,  avant  que  les 
brutes  de  diverses  espèces  qui  l'habitent  ne  l'aient  rendu 
complètement  méconnaissable  ', 

4°  Le  clergé. 

Je  passe  à  ma  quatrième  catégorie ,  celle  du  clergé.  C'est 
avec  une  véritable  douleur  que  je  me  vois  forcé  de  m'élever 
contre  les  erreurs  que  commettent ,  en  ce  qui  touche  à  l'art 
religieux  ,  plusieurs  membres  de  ce  corps  vénérable  et  sa- 
cré ,  aujourd'hui  surtout ,  par  ses  malheurs.  Mais  si  ces  li- 
gnes tombent  sous  les  yeux  de  quelques  uns  d'entre  eux,  ils 
y  discerneront ,  j'espère ,  une  nouvelle  preuve  de  l'intérêt 
et  du  respect  que  leur  porte  un  fils  et  un  ami. 

1  Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  ajouter  ici  que  ces  lignes  n'ont 
pas  été  tout-à-fait  inutiles,  qu'elles  ont  éveillé  la  sollicitude  des  ha- 
bitans  du  lieu  qui  ont  adressé  à  S.  M.  la  Reine  et  au  ministre  des 
pétitions  pour  obtenir  la  conservation  de  leur  cloître ,  et  qu'enfin, 
par  une  délibération  récente,  la  commission  des  monumens  histo- 
riques leur  a  alloué  un  subside  qui  pourra  les  aider  à  commencer 
le  rachat  de  leur  trésor. 


—  36  — 

Un  catholique  doit  déplorer  plus  qu'un  autre  le  goût  faux, 
ridicule ,  païen,  qui  s'est  introduit  depuis  la  renaissance  dans 
les  constructions  et  les  restaurations  ecclésiastiques.  Sa  foi, 
sa  raison,  son  amour-propre,  en  sont  également  blessés. 
Que  les  gouvernemens  et  les  municipalités  traitent  brutale- 
ment les  monumens  que  le  malheur  des  temps  leur  a  livrés, 
et  inscrivent  là  comme  ailleurs  l'histoire  de  leur  incapacité 
ou  de  leurs  bouleversemens ,  cela  se  comprend.  On  en  gé- 
mit ,  on  s'en  indigne ,  mais  on  n'en  est  point ,  grâce  au  ciel, 
responsable;  tandis  que  voir  l'Eglise  s'associer  avec  une  per- 
sévérance si  cruelle  au  triomphe  d'un  goût  anti-chrétien  qui 
date  de  l'époque  où  elle-même  a  été  dépossédée  peu  à  peu 
de  sa  popularité  et  de  sa  puissance  ;  la  voir  renier  les  inimi- 
tables inspirations  du  symbolisme  des  âges  catholiques  pour 
introniser  dans  ses  basiliques  les  pastiches  d'un  paganisme 
réchauffé  et  bâtard  ;  la  voir  enfin  chercher  à  cacher  sa  noble 
pauvreté ,  ses  plaies  glorieuses  sous  d'absurdes  replâtrages , 
c'est  un  spectacle  fait  pour  navrer  une  âme  qui  veut  le  ca- 
tholicisme dans  sa  sublime  et  antique  intégrité,  le  catholi- 
cisme roi  de  l'imagination  comme  de  la  prière ,  de  l'art 
comme  de  l'intelligence. 

Certes ,  et  cela  se  comprend  facilement ,  on  ne  saurait  re- 
procher au  clergé  une  envie  de  détruire  aussi  étrangère  à 
ses  habitudes  que  contraire  à  ses  devoirs  et  à  son  instinct  ; 
et  si  ce  n'étaient  quelques  traits  fâcheux  qui  sont ,  il  faut  le 
croire ,  plutôt  imputables  aux  conseils  de  fabrique ,  lesquels 
tiennent  beaucoup  de  la  nature  des  conseils  municipaux , 
qu'au  clergé  tout  seul ,  il  serait  juste  de  ne  point  lui  assigner 
de  rang  dans  la  hiérarchie  du  vandalisme  destructeur.  Mais 
en  revanche  il  occupe  ,  sans  contredit ,  la  première  place 
parmi  les  restaurateurs  ;  et  avec  les  meilleures  intentions 
du  monde ,  on  ne  restaure  jamais  rien,  surtout  de  nos  jours, 
sans  préalablement  détruire  beaucoup. 

C'est  surtout  une  bien  funeste  et  bien  surprenante  manie 


—  37  — 

que  celle  de  tout  repeindre  et  de  tout  reblanchir ,  dont 
clergé  a  été  possédé  pendant  les  quinze  années  de  la  Restau- 
ration ,  et  à  laquelle  il  est  loin  d'avoir  renoncé.  Il  a.l'air  de 
s'être  dit  :  «  Voilà  les  mauvais  jours  qui  vont  finir  ;  une  nou- 
velle ère  de  prospérité  et  d'éclat  va  se  lever  pour  le  catho- 
licisme en  France.  Donnons  en  conséquence  à  nos  églises  un 
air  de  fête.  Il  faut  les  rajeunir,  les  pauvres  vieilles  ;  il  faut 
prêter  à  ces  antiques  monumens  d'une  antique  croyance 
toute  la  fraîcheur  du  jeune  âge  ;  nous  en  lutterons  d'autant 
mieux  avec  toutes  les  nouvelles  religions  qui  pullulent  au- 
tour de  nous.  Sus  donc,  mettons-leur  du  rouge ,  du  bleu ,  du 
vert ,  du  blanc ,  surtout  du  blanc  ;  c'est  ce  qui  coûte  le  moins, 
et  puis  c'est  la  couleur  de  la  dynastie  des  Bourbons  ;  blan- 
chissons donc ,  regrattons ,  peignons ,  fardons ,  donnons  à 
tout  cela  l'éblouissante  parure  du  goût  moderne.  Ce  sera  une 
manière  comme  une  autre  de  montrer  que  la  religion  est  de 
tous  les  siècles  et  de  toutes  les  générations  \  » 

Et  chose  à  jamais  déplorable,  si  cela  ne  s'est  pas  dit,  cela 
s'est  fait ,  et  cela  se  fait  encore  tous  les  jours  ;  et  de  la  sorte 
on  est  parvenu  à  mettre  nos  plus  beaux  monumens  religieux 
en  état  de  lutter  en  blancheur  avec  la  Bourse ,  et  en  élégante 
légèreté  avec  le  ministère  de  la  rue  de  Rivoli.  Mais  encore 
une  fois ,  à  quoi  bon  ces  feintes  et  ces  enjolivemens  ?  Minis- 
tres du  Seigneur  !  puisque  les  calamités  du  temps  ne  vous 
ont  laissé  que  des  temples  de  bois  et  de  rude  pierre ,  laissez 
voir  ce  bois  et  cette  pierre ,  et  n'allez  pas  rougir  de  cette 
gloire  ! 

'  Cette  horrible  manie  est  encore  plus  répandue  en  Suisse  qu'en 
France  ;  il  n'y  a  pas  une  église  des  cantons  catholiques  qui  ne  soit 
déshonorée  par  le  blanc  de  chaux;  et  nous  avons  lu  dans  la  descrip- 
tion de  Schwytz,  par  un  statisticien  éclairé  de  nos  jours  (Meyer  de 
Knonau),  que  ce  blanc  de  chaux  est  un  symbole  de  la  candeur  et  de 
la  pureté  des  dogmes  catholiques!  Il  faut  noter  que  ce  symboliste  est 
lui-même  protestant. 


—  58  — 

Le  midi  de  la  France ,  bien  plus  encore  que  le  nord ,  est 
exposé  à  cette  épidémie  de  la  détrempe  et  du  badigeon  ;  car 
tous  les  ans  le  Dauphiné,  la  Provence,  le  Languedoc,  sont 
envahis  par  une  nuée  de  peintres  itinérans  venus  d'Italie , 
et  qui  étendent  leurs  déprédations  jusqu'aux  bords  de  la  Ga- 
ronne et  de  ses  affluens.  Ils  viennent  offrir  leur  talent  au 
rabais  dans  toutes  les  localités ,  et  n'épargnent  pas  môme  les 
plus  humbles  paroisses  de  campagne.  Il  est  bien  rare  qu'un 
curé  résiste  à  la  tentation  de  remettra  à  neuf  pour  une 
somme  minime  son  église ,  et  de  signaler  ainsi  son  adminis- 
tration. Il  y  cède  ordinairement  malgré  l'opposition  fré- 
quente des  paysans ,  chez  qui  j'ai  trouvé  souvent  la  répu- 
gnance la  plus  louable  pour  ces  rajeunissemens. 

Il  en  résulte  les  choses  à  la  fois  les  plus  grotesques  et  les 
plus  tristes.  Parmi  ces  belles  églises  des  provinces  riverai- 
nes du  Rhône  ,  il  n'y  a  guère  que  celle  de  Saint-Maximin  , 
la  plus  célèbre  de  la  Provence ,  qui  ait  échappé  jusqu'à  pré- 
sent à  la  brosse  dévastatrice ,  grâce  au  bon  esprit  de  son 
curé ,  M.  Laugier.  Mais  à  Saint-Marcellin ,  la  principale 
église ,  d'une  vétusté  très  remarquable ,  a  été  décorée  d'une 
malheureuse  fresque  qui  représente  le  jugement  dernier,  et 
au  centre  de  laquelle  domine  une  figure  du  Père  éternel  à 
chevelure  rousse ,  avec  la  signature  de  l'artiste  tout  au  long, 
et  cette  inscription  parfaitement  convenable  :  Terribilis  est 
locus  iste.  Mais  à  Valence  ,  la  cathédrale ,  édifice  à  plein 
cintre  d'une  haute  antiquité  et  d'une  beauté  réelle ,  a  été 
repeinte  en  entier  au  dehors  comme  en  dedans ,  et  de  plus 
complètement  défigurée  par  des  marbrures  feintes ,  et  d'au- 
tres niaiseries  semblables.  Mais  à  Saint- Antonin  ,  la  mer- 
veille du  Dauphiné,  l'église  consacrée  d'abord  par  Calixte  II 
en  4118 ,  reconstruite  à  l'époque  du  gothique  le  plus  élégant, 
église  à  cinq  nefs  et  à  la  voûte  d'une  élévation  prodigieuse , 
appuyée  sur  une  terrasse  de  maçonnerie  de  cent  pieds  de 
haut  et  de  vingt  pieds  d'épaisseur ,  s'élevant  solitaire  et  ca- 


—   39    ~ 

chée  presque  à  tous  les  yeux ,  loin  de  toute  route ,  de  toute 
rivière  navigable ,  de  tout  moyen  de  transport ,  dans  un 
désert  où  la  foi  seule  pouvait  faire  surgir  un  pareil  prodige; 
cette  admirable  église  a  vu  ses  cinq  nefs  enluminées  avec  la 
plus  impitoyable  exactitude  de  toutes  les  couleurs  qui  em- 
bellissent ordinairement  un  cabaret.  Mais  ce  qui  dépasse 
tout ,  à  Avignon ,  ville  qui  semble  dévouée  à  une  persécu- 
tion spéciale,  la  célèbre  cathédrale  de  Notre-Dame  des  Dons, 
fondée  sous  Charlemagne  ,  a  subi  dernièrement  l'outrage 
d'un  badigeonnage  général.  Rien  n'a  pu  arrêter  la  fougue  des 
restaurateurs.  Une  chapelle  où  Charlemagne  fonda  une  de 
ses  écoles  de  plain-chant,  et  où  se  trouve  scellée  dans  le  mur 
la  chaire  en  ogive  d'une  charmante  simplicité ,  qui  servait 
de  trône  pontifical  aux  papes  du  quatorzième  siècre  ;  cette 
chapelle  a  été  souillée  des  peintures  les  plus  risibles  :  c'est  à 
peine  si  l'on  a  épargné  le  magnifique  mausolée  de  Jean  XXII, 
type  des  tombeaux  à  dais  et  à  pendentifs  du  quatorzième 
siècle.  Sans  doute  pour  échapper  aux  dangers  de  la  concur- 
rence ,  la  même  brosse  a  effacé  jusqu'à  la  dernière  trace 
d'une  fresque  inappréciable ,  attribuée  à  Simon  Memmi  de 
Sienne ,  l'ami  de  Pétrarque  et  de  Laure ,  et  où  il  avait  re- 
présenté les  deux  amans  sous  les  traits  de  saint  Georges  et 
de  la  vierge  qu'il  délivre  du  dragon.  On  en  montre  encore 
la  place  toute  blanche  ! 

Passez  le  Rhône ,  parcourez  le  Languedoc  et  la  Guienne  ; 
remontez  jusqu'à  la  Loire ,  partout  le  même  système.  Je 
parlerai  tout  à  l'heure  en  détail  de  Toulouse.  A  Foix ,  la  prin- 
cipale église ,  très  beau  vaisseau  gothique  à  une  seule  nef, 
a  été  indignement  abîmée ,  il  y  a  peu  d'années  :  les  colonnes 
du  chœur  ont  été  transformées  en  pilastres  ioniques  avec 
accompagnement  de  chérubins  en  faïence.  A  Villeneuve 
d'Agen ,  la  voûte  extrêmement  curieuse  du  chœur  de  Sainte- 
Catherine  a  été  triplement  badigeonnée  en  vert ,  jaune  et 
blanc.  A  Agen ,  le  curé  de  Notre-Dame ,  ancienne  église  des 


—  40  — 

Dominicains ,  à  deux  nefs ,  d'un  gothique  sévère  et  pur 
comme  toutes  les  fondations  de  cet  ordre ,  a  dépensé  quatre- 
vingt  mille  francs  pour  y  faire  construire ,  à  l'extrémité  de 
chaque  iréf ,  un  monstrueux  autel  dans  le  genre  Pompadour , 
avec  volutes ,  gonflures ,  et  tout  ce  qui  caractérise  le  bon 
goût  du  dix-huitième  siècle  ;  plus  une  chaire  en  marbre 
creusée  dans  un  des  murs  latéraux  en  forme  de  coquetier. 
Je  n'ai  pas  été  à  Montauban ,  mais  un  jeune  homme  que  j'ai 
vu,  ramassait,  il  y  a  quelque  mois,  dans  la  chapelle  d'une 
confrérie ,  des  têtes  charmantes  provenant  de  sculptures  du 
moyen  âge  que  le  ciseau  d'un  maçon  faisait  voler  en  éclats. 
A  Auch ,  dans  un  diocèse  administré  d'une  manière  si  éclai- 
rée par  M.  le  cardinal  d'Isoard  ,  on  avait  sérieusement  ar- 
rêté la  démolition  du  jubé  de  l'admirable  cathédrale  ,  mo- 
nument presque  unique  dans  le  midi  de  la  France ,  mais  qui 
avait  le  tort  d'empêcher  les  fidèles  de  jouir  assez  complète- 
ment de  la  vue  de  l'officiant.  Et  ce  honteux  projet  n'a  été 
arrêté  que  par  l'intervention  d'un  jeune  homme  étranger  au 
pays. 

A  Péri  gueux ,  la  cathédrale  de  Saint-Front ,  l'une  des  plus 
anciennes  de  France  ,  dont  toutes  les  parties ,  moins  le  clo- 
cher ,  sont  antérieures  au  dixième  siècle ,  a  été  badigeonnée 
en  jaune  du  haut  en  bas ,  et  pour  mieux  trancher  sur  le 
jaune ,  les  pilastres ,  le  profil  des  pleins  cintres ,  les  bordures 
des  arcades  ont  été  peintes  en  orange  rougeâtre.  Le  portail 
de  l'église  encore  plus  ancienne  de  la  Cité  a  été  détruit  et 
remplacé  par  une  sorte  de  porte  cochère  bien  blanche ,  bien 
nue  et  bien  triangulaire.  Au  dessus  de  cette  nouvelle  entrée 
de  la  maison  de  Dieu  ,  et  sans  doute  pour  sa  plus  grande 
gloire ,  se  lit  en  grandes  lettres  le  nom  du  destructeur  et  du 
reconstructeur ,  Viger  1829.  Ce  monsieur  a  sans  doute 
voulu  se  recommander  ainsi  à  la  publicité  :  je  m'empresse 
de  concourir  autant  que  je  le  puis  à  l'accomplissement  de 
son  vœu. 


—  tli  - 

A  Bazas,  jolie  petite  ville  du  Bordelais,  il  y  a  une  merveil- 
leuse cathédrale  du  gothique  le  plus  pur ,  sans  transepts , 
qui  rappelle  celle  de  Caudebec ,  que  Henri  IV  appelait  la 
plus  belle  chapelle  qu'il  eût  jamais  vue  de  sa  vie ,  parce 
qu'il  lui  répugnait  de  donner  le  nom  d'église  à  un  édifice 
qui  ne  fût  pas  en  forme  de  croix.  Cette  cathédrale  est  excel- 
lente de  simplicité ,  d'élégance ,  d'unité.  Les  sculptures  des 
trois  portails  de  sa  façade  offrent  des  beautés  du  premier 
ordre  :  elles  représentent  la  vocation  de  saint  Pierre ,  le 
couronnement  de  Notre-Dame  et  le  jugement  dernier ,  avec 
le  cortège  obligé  de  saints  et  d'anges  nichés  dans  les  arceaux 
mêmes.  Les  anges  qui  présentent  les  âmes  à  Notre-Seigneur, 
et  les  morts  qui  brisent  leurs  tombeaux ,  sont  surtout  éton- 
nans  de  hardiesse  et  d'expression.  Tout  ceci ,  grâce  au  ciel, 
a  échappé  tant  bien  que  mal ,  ainsi  que  la  nef,  qui ,  par  une 
exception  presque  miraculeuse,  laisse  voir  les  joints  de  ses 
vieilles  pierres.  Mais  on  s'est  dédommagé  dans  les  bas-côtés  : 
ils  ont  éîé  peints  en  blanc  jaune  à  l'intérieur ,  et  en  gris 
bleu  au  dehors  :  de  plus ,  dans  chacune  des  chapelles ,  on  a 
peint  deux  cassolettes ,  comme  on  en  voit  sur  les  enseignes 
des  parfumeurs  qui  vendent  Veau  des  odalisques,  à  cela 
près  qu'elles  sont  de  grandeur  colossale ,  et  qu'il  s'en  échappe 
le  long  du  mur  des  torrens  de  flamme  du  plus  bel  écarlate  et 
une  fumée  proportionnelle.  Vous  concevez  l'effet  que  cela 
produit  au  fond  d'une  sombre  chapelle  à  ogive  et  à  fenêtre 
en  trèfle. 

Je  pourrais  encore  nommer  comme  victimes  de  semblables 
dévastations  les  églises  de  Langon ,  Angoulème ,  Bergerac  ; 
et  sur  les  bords  de  la  Loire  ,  Saint-Pierre  de  Saumur ,  le 
charmant  oratoire  de  Louis  XI  ;  enfin ,  à  Candes ,  la  belle 
église  bâtie  sur  le  lieu  où  mourut  saint  Martin ,  et  où  se 
passa ,  au  sujet  de  ses  reliques,  la  célèbre  dispute  des  Poite- 
vins et  des  Tourangeaux ,  dont  saint  Grégoire  de  Tours 
nous  a  conservé  le  touchant  et  poétique  récit.  Louis  XIV  en 


—  41  — 

commença  la  maladroite  restauration ,  qui  a  été  complétée 
dernièrement  par  un  replâtrage  général. 

Mais  je  n'ai  été  nulle  part  plus  indigné  que  dans  un  bourg 
du  Périgord ,  nommé  Beaumont ,  où  j'avais  été  attiré  par  la 
célébrité  dont  jouit ,  dans  les  histoires  du  pays ,  son  église , 
bâtie  par  les  Anglais  en  1272.  J'y  ai  été  témoin  d'un  vanda- 
lisme sans  pareil.  L'extérieur,  crénelé  comme  une  forteresse, 
ce  qui  se  retrouve  dans  beaucoup  d'églises  de  ces  contrées , 
et  la  façade ,  avec  une  galerie  à  balustrade  en  ogive  tréflée, 
et  une  corniche  qui  représente  les  signes  du  zodiaque ,  ont 
été  épargnés  j  mais  à  l'intérieur ,  quelle  ruine  !  La  voûte  en 
pierre  avait  eu  besoin  de  quelque  réparation ,  un  travail  fa- 
cile y  aurait  remédié  de  l'avis  même  du  plâtrier  chargé  de 
sa  démolition  ;  mais ,  par  sentence  de  M.  l'ingénieur  des 
ponts-et-chaussées  de  l'arrondissement,  la  voûte  entière 
avait  été  abattue,  et  ses  élégantes  ogives  remplacées  par  une 
sorte  de  toit  bombé  en  bois  blanchi.  Les  clefs  de  l'ancienne 
voûte  étaient  des  morceaux  d'excellente  sculpture ,  compo- 
sés d'un  sujet  en  ronde  bosse  sur  un  plan  circulaire  et  paral- 
lèle à  la  voûte  ,  à  laquelle  le  rattachaient  quatre  têtes  de 
saints  et  d'évêques.  Le  susdit  plâtrier  avait  eu  le  bon  esprit 
de  copier  ces  sculptures  sur  les  clefs  de  sa  voûte  en  bois , 
mais  savez-vous  où  j'ai  trouvé  les  originaux  ?  jetés  hors  de 
l'église  qu'ils  avaient  ornés  pendant  tant  de  siècles ,  ramas- 
sés en  tas ,  confondus  avec  les  débris  de  pierre  provenant  de 
la  destruction  ,  et  destinés  comme  eux  à  être  vendus  pour 
faire  des  cartelages ,  car  c'est  ainsi  qu'on  nomme  dans  le 
pays  des  matériaux  propres  à  des  constructions  nouvelles. 

La  voûte  n'a  point  été  la  seule  victime.  Sous  prétexte  qu'il 
y  avait  trop  de  jour ,  après  le  bris  des  vitraux  peints,  on  a 
bouché,  ou  pour  mieux  dire,  muré,  de  manière  à  les  cacher 
entièrement,  la  charmante  rosace  de  la  façade,  les  croisées 
du  côté  septentrional  en  entier ,  et  celles  du  côté  méridio- 
nal jusqu'à  la  moitié  de  leur  hauteur.  Au  milieu  de  la  grande 


—  ut  — 

croisée  du  fond ,  une  des  plus  remarquables  que  j'aie  vues 
pour  la  simplicité  et  la  légèreté  des  formes ,  on  vient  de  pla- 
quer un  autel  du  goût  et  de  la  forme  la  plus  ridicule.  L'ar- 
tiste constructeur ,  s'apercevant  de  mon  dépit ,  me  dit  :  Mais 
c'est  dorique ,  monsieur  !  —  C'est  pour  cela  que  c'est  mau- 
vais. —  yous  l'eussiez  peut-être  voulu  corinthien?  me  ré- 
pondit-il dans  la  ferveur  de  son  classicisme.  Ce  n'est  pas 
tout  ;  figurez-vous  le  chœur  entier  de  cette  antique  église 
peint  en  jaune  vif,  avec  des  raies  noires  en  forme  de  carrés, 
absolument  comme  l'antichambre  d'un  appartement  fraîche- 
ment décoré  et  orné  de  glaces.  Le  baptistère ,  d'une  date 
encore  plus  ancienne  que  l'église,  a  subi  la  même  opération, 
sauf  la  couleur  qui  est  ici  lilas  moucheté  de  noir.  L'autel  du 
Sacré-Cœur  a  reçu  pour  ornement  une  fresque  représentant 
un  cœur  colossal ,  sur  fond  blanc ,  traversé  par  un  sabre  à 
garde  recourbée  exactement  copié  sur  celui  de  quelque  sous- 
lieutenant  pendant  son  étape.  On  voit  enfin  un  nouveau 
confessionnal ,  surmonté  de  deux  clefs  en  forme  d'enseigne , 
et  pour  lequel  je  cherchais  une  comparaison ,  lorsqu'un 
paysan  qui  se  trouvait  là ,  m'en  fournit  la  plus  heureuse  pos- 
sible, en  s'écriant  :  «  Cela  a  l'air  d'une  devanture  de  bouti- 
que à  la  foire  !  »  Jugez  combien  la  dignité  du  sacrement  de 
pénitence  doit  gagner  à  de  pareilles  comparaisons. 

Et  ce  que  je  viens  de  relever  dans  l'église  ignorée  de  Beau- 
mont  ,  est-ce  un  fait  isolé ,  extraordinaire?  Non ,  et  qui  le 
sait  mieux  que  vous  !  c'est  la  reproduction  fidèle  de  ce  qui 
se  passe  chaque  jour  dans  toutes  les  cathédrales  et  dans  l'im- 
mense majorité  des  paroisses  de  France. 

ïl  n'en  est  pas  moins  vrai  que  c'est  du  clergé  seul  que  peut 
venir  le  salut  des  chefs-d'œuvre  dont  il  est  le  dépositaire. 
D'abord ,  il  a  seul  la  puissance  d'intervenir  dans  leur  desti- 
née d'une  manière  efficace  et  populaire  ;  puis  l'admirable 
unité  et  l'esprit  d'ensemble  qui  font  sa  force  comme  corps , 
assureraient  le  triomphe  et  l'application  rapide  et  générale 


—  uu  — 

d'un  principe  quelconque  de  régénération  et  de  conserva- 
tion ,  dès  qu'on  serait  venu  à  bout  de  le  convaincre  de  la  vé- 
rité de  ce  principe.  Enfin ,  et  ceci  touche  uniquement  à  mes 
observations  personnelles ,  dans  les  nombreuses  tentatives 
que  j'ai  faites  pour  réveiller  dans  différentes  localités  le  res- 
pect de  l'art  national  et  chrétien ,  le  culte  de  ses  sacrés  dé- 
bris ,  je  n'ai  trouvé  que  chez  les  ecclésiastiques  la  sympathie 
et  l'intelligence  nécessaire  pour  goûter  ces  idées.  Je  puis 
même  dire  que  jamais  je  n'ai  rencontré  de  prêtre  de  campa- 
gne ,  à  qui  elles  ne  parussent  tout  d'abord  raisonnables  et  re- 
ligieuses. J'ai  reconnu  que  si,  dans  leurs  reconstructions  et 
réparations ,  ils  laissent  prédominer  un  goût  si  faux  et  si  ri- 
sible,  c'est  uniquement  par  défaut  d'études  nécessaires, 
études  que  leurs  occupations  et  leur  petit  nombre  leur  ont 
rendu  impossibles.  Ce  goût  n'est  pas  le  leur ,  il  leur  est  im- 
posé soit  par  les  funestes  traditions  du  dernier  siècle,  soit  par 
les  exigences  des  conseils  de  fabrique ,  soit  enfin  par  les  pi- 
toyables projets  des  architectes. 

Je  citerai  d'ailleurs  plusieurs  exemples  de  fidélité  à  cette 
honorable  mission  qui  convient  si  naturellement  au  clergé. 
J'ai  déjà  parlé  du  soin  qu'avait  mis  M.  Laugier,  curé  de 
Saint-Maximin ,  à  préserver  son  église  du  vandalisme  res- 
taurateur. Je  dois  rendre  le  même  hommage  à  M.  Cha- 
trousse ,  curé  de  Vienne  * ,  qui  a  fait  dans  son  admirable 
cathédrale  de  Saint-Maurice  des  réparations  aussi  géné- 
reuses que  conformes  à  la  primitive  architecture  de  ce  saint 
édifice ,  dont  le  vieux  front  semble  se  mirer  avec  tant  de 
majesté  dans  les  eaux  du  Rhône.  A  Toulouse ,  l'ancien  curé 
de  Saint-Sernin  a  défendu  victorieusement  son  église  contre 
les  badigeonneurs  du  conseil  de  fabrique,  qui,  après  en 
avoir  couvert  l'extérieur  d'un  jaune  officiel ,  voulaient  en- 
core pénétrer  dans  l'intérieur  ;  mais  il  les  a  arrêtés  sur  le 
seuil.  A  Bordeaux ,  celui  de  Saint-Seurin  a  remporté  un 

1  Aujourd'hui  vicaire-général  a  Grenotle. 


—  45  — 

triomphe  encore  plus  beau  sur  la  fabrique,  qui  voulait  faire 
disparaître  comme  inutile  un  trône  épiscopal  avec  dais ,  du 
quinzième  siècle ,  en  pierre  sculptée  avec  la  plus  grande  dé- 
licatesse. Enfin,  au  moment  où  j'écris,  déjeunes  prêtres  qui 
ont  eu  le  courage  de  projeter  au  milieu  de  nos  orages  et  de 
nos  misères  le  rétablissement  des  sérieuses  et  solitaires  étu- 
des de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  viennent,  en  s'instal- 
lant  à  l'abbaye  de  Solesmes  dans  le  Maine,  de  sauver  les  célè- 
bres sculptures  de  Germain  Pilon  qui  décorent  cet  édifice , 
qui  trois  mois  plus  tard  seraient  tombées  sous  le  marteau 
destructeur,  et  que  certes  ni  le  gouvernement ,  ni  les  auto- 
rités locales ,  ni  les  propriétaires  voisins  n'auraient  jamais 
songé  à  défendre. 

Je  n'ai  rien  à  dire  de  ma  cinquième  catégorie,  de  V émeute. 
Elle  ne  se  laisse  pas  analyser. 

Je  pourrais  terminer  ici  ces  notes  confuses ,  si  je  ne  vou- 
lais vous  donner  quelques  détails  sur  les  deux  capitales  du 
sud-ouest  de  la  France,  Toulouse  et  Bordeaux. 

Toulouse  m'a  paru  être  la  métropole  et  comme  la  patrie 
du  vandalisme  ;  du  moins  n'en  ai-je  jamais  vu  tant  d'exem- 
ples resserrés  dans  un  si  petit  espace.  D'abord  le  vandalisme 
destructeur  de  la  révolution  y  a  laissé  des  traces  plus  dura- 
bles de  son  passage  que  partout  ailleurs.  Certes,  à  Paris,  on 
a  détruit  absolument  tout  ce  que  l'on  pouvait  atteindre ,  et 
l'antique  aspect  de  la  ville  gothique  a  été  complètement  ef- 
facé ;  mais  encore  y  a-t-il  une  sorte  de  pudeur  à  faire  dispa- 
raître ce  que  l'on  a  profané,  à  en  enlever  jusqu'à  la  dernière 
pierre.  Il  en  a  été  ainsi  à  Paris,  où,  sauf  quelques  rares  ex- 
ceptions ,  des  maisons ,  des  rues ,  des  quartiers  tout  entiers 
ont  surgi  sur  le  site  des  anciens  monumens.  A  Toulouse,  au 
contraire ,  on  a  laissé  debout ,  grandes ,  belles ,  presque  in- 
tactes au  dehors ,  les  basiliques  qu'on  a  outragées ,  comme 
pour  perpétuer  le  souvenir  du  sacrilège.  On  peut  être  près- 


—  Û6  — 

que  sûr,  quand  on  voit  de  loin  quelque  construction  gran- 
diose du  moyen  âge ,  qu'elle  n'offre  de  près  qu'un  spectacle 
de  dévastation  et  de  honte.  Au  premier  abord,  Toulouse 
présente  l'aspect  d'une  de  ces  villes  des  paysages  du  quin- 
zième siècle ,  dominées  par  une  foule  de  clochers  pyrami- 
daux et  d'immenses  nefs,  hautes  et  larges  comme  des  tentes 
plantées  par  une  race  de  géans  pour  abriter  leurs  descen- 
dans  affaiblis.  On  approche,  on  ne  trouve  qu'une  ignoble 
écurie ,  un  grenier  à  foin ,  un  prétendu  musée ,  d'où  vous 
écarte  en  criant  quelque  grossier  soldat. 

Toulouse  n'en  est  pas  moins  une  ville  qui  mérite  au  plus 
haut  point  l'intérêt  et  l'attention  du  voyageur,  ne  fût-ce  qu'à 
cause  du  grand  nombre  de  ruines  qui  la  parent  encore ,  et 
qui  ont  conservé  au  milieu  de  leur  humiliation  tant  d'impo- 
santes traces  de  leur  antique  beauté.  Mais  le  sentiment  le 
plus  vif  et  le  plus  fréquent  que  leur  vue  doit  exciter  n'en  est 
pas  moins  celui  de  l'indignation. 

Rien  n'a  été  respecté ,  et  l'on  dirait  qu'on  a  choisi  avec 
une  sorte  de  recherche  les  plus  curieux  monumens  du  passé 
pour  les  consacrer  aux  usages  les  plus  vils.  L'église  des 
Cordeliers,  bâtie  au  quatorzième  siècle,  célèbre  par  ses  fres- 
ques, ses  vitraux,  par  des  bas-reliefs  de  Bachelier,  élève  de 
Michel-Ange ,  et  l'un  des  meilleurs  sculpteurs  de  la  renais- 
sance, par  les  tableaux  d'Antoine  Rivalz,  par  le  tombeau  du 
président  Duranti ,  et  surtout  par  son  caveau ,  qui  avait  la 
propriété  de  conserver  les  corps  dans  leur  état  naturel; 
cette  église  a  été  complètement  dépouillée  et  changée  en 
magasin  de  fourrages.  Ceux  qui  sont  assez  heureux  pour  y 
entrer  par  la  protection  de  quelque  palefrenier,  peuvent 
encore  admirer  l'élévation  et  la  hardiesse  des  voûtes ,  mais 
voilà  tout.  Les  croisées  ont  été  murées  ;  on  a  comblé  le  ca- 
veau où  l'on  avait  montré  pendant  si  long-temps  un  corps 
qu'on  disait  être  celui  de  cette  belle  Paule,  si  renommée 
par  sa  beauté  au  temps  de  François  Ier;  qui  faisait  naître 


—  kl  — 

une  émeute  à  Toulouse  lorsqu'elle  se  dérobait  pendant  trop 
long-temps  aux  regards  du  peuple ,  et  qui  fut  condamnée 
par  arrêt  du  parlement  à  se  montrer  en  public  au  moins  deux 
fois  par  semaine. 

L'église  des  Jacobins  ou  Dominicains ,  à  deux  nefs  d'une 
hauteur  prodigieuse ,  si  vantées  dans  toutes  les  anciennes 
descriptions  de  Toulouse ,  est  complètement  inaccessible 
aujourd'hui.  Elle  a  été  octroyée  à  l'artillerie  qui  a  établi  une 
écurie  dans  la  partie  inférieure,  et  distribué  le  reste  en  gre- 
niers et  en  chambres.  On  ne  peut  juger  de  son  ancienne 
forme  que  par  l'extérieur  qui  est  en  briques ,  et  notamment 
par  son  admirable  clocher  étage ,  qui  a  été  épargné  jusqu'à 
présent,  et  qui  est  le  plus  beau  de  Toulouse.  Je  vous  fais  ob- 
server en  passant  qu'une  sorte  de  fatalité  toute  particulière 
semble  s'attacher  aux  églises  construites  par  les  Domini- 
cains, toujours  d'un  goût  si  simple,  si  pur,  si  régulier  :  elles 
sont  partout  choisies  en  premier  lieu  par  les  destructeurs; 
A  Avignon,  la  belle  église  de  Saint-Dominique,  la  plus  célè- 
bre de  cette  ville  après  la  cathédrale ,  a  été  aussi  métamor- 
phosée en  fonderie  de  canons. 

L'église  des  Augustins,  le  troisième  des  grands  monumens 
monastiques  de  Toulouse ,  a  été  transformée  en  musée.  Le 
cloître  attenant ,  qui  est  d'un  caractère  excellent ,  avec  des 
arcades  en  ogives  tréflées  du  quatorzième  siècle ,  doit  être 
disposé  pour  recevoir  le  musée  de  sculpture,  qui  se  compose 
des  débris  les  plus  précieux  de  tombeaux  et  de  bas-reliefs 
du  moyen  âge.  Je  ne  pense  pas  qu'il  se  trouve  en  France  de 
collection  plus  originale,  plus  nationale.  On  y  remarque 
surtout  les  statues  tumulaires  des  comtes  de  Comminges , 
des  évèques  et  archevêques  de  Toulouse  et  de  Narbonne , 
ainsi  que  de  délicieuses  madonnes  en  pierre  et  en  bois.  Il 
faut  espérer  que  ces  charmans  morceaux,  qui  gisent  aujour- 
d'hui pêle-mêle  dans  le  cloître,  y  seront  bientôt  disposés  par 
ordre  chronologique ,  et  surtout  que  l'on  ne  fera  aucun 


—  48  — 

changement ,  aucune  addition  postiche  au  cloître  qui ,  dans 
son  état  actuel,  est  du  plus  grand  mérite.  Malheureusement, 
le  sort  de  l'église,  destinée  à  recevoir  les  tableaux,  n'est  pas 
fait  pour  rassurer;  au  moins  fallait-il ,  en  lui  ôtant  sa  desti- 
nation sacrée ,  lui  laisser  sa  forme  primitive ,  qui  était  d'un 
gothique  élégant  et  simple.  Mais  les  barbares  transforma- 
teurs en  ont  jugé  autrement  ;  ils  n'ont  pas  su  comprendre 
tout  ce  qu'aurait  de  grandiose  et  de  beau  une  pareille  gale- 
rie :  ils  ont  élevé  le  plancher  à  six  pieds  au  dessus  de  l'an- 
cien niveau ,  ont  substitué  un  plafond  en  plâtre  à  la  voûte 
en  ogive ,  construit  une  sorte  de  colonnade  corinthienne  à 
l'endroit  du  maître-autel,  et,  enfin,  défoncé  la  rosace  de 
la  façade ,  dont  les  débris  jonchent  en  ce  moment  la  cour 
extérieure  \ 

Le  plus  curieux  édifice  religieux  de  Toulouse  est  sans 
contredit  l'église  de  Saint-Sernin ,  qui  a  été  achevée ,  telle 
qu'on  la  voit  aujourd'hui,  en  1097.  Je  la  regarderais  volon- 
tiers comme  le  modèle  le  plus  complet  du  genre  roman  qui 
existe  en  France.  Elle  a  la  forme  d'une  croix  latine  extrê- 
mement alongée  ;  son  extérieur  est  très  simple,  et  a  cet  air 
de  forteresse  qui  distingue  les  églises  de  cette  époque  ;  le 
clocher  en  étages  successivement  rétrécis ,  surmonté  d'une 
flèche,  et  percé  de  baies  à  sommet  triangulaire,  produit  tout 
l'effet  d'une  pyramide.  Malheureusement  ce  clocher  et  tout 
l'extérieur  ont  été  victimes  d'un  ridicule  badigeonnage  qui 
a  coûté  10,000  fr.,  tandis  qu'on  négligeait  les  réparations 
les  plus  urgentes.  Le  latéral  du  midi  a  deux  portails  égale- 
ment remarquables  :  le  premier,  précédé  par  une  arcade  de 
la  renaissance ,  est  très  curieux  par  les  sculptures  de  ses 
chapiteaux  qui  représentent  le  Massacre  des  Innocens , 

1  A  propos  de  ces  travaux,  le  Moniteur  du  2  février  1833  disait 
gravement  :  i  On  peut  déjà  apprécier  la  grandeur  du  plan  et  l'élé- 
gance des  détails...  Le  Musée  de  Toulouse  présentera  un  aspect 
monumental  inconnu  dans  nos  contrées  !  ï 


—  49  — 

et  autres  sujets  sacrés,  dans  le  goût  le  plus  primitif;  le  se- 
cond est  plus  grand  et  plus  moderne  :  les  chapiteaux  des 
colonnes  représentent  les  sept  péchés  capitaux.  Dans  une 
chapelle  grillée ,  à  côté  de  ce  portail ,  se  trouvent  les  tom- 
beaux de  trois  comtes  de  Toulouse  du  onzième  siècle ,  trop 
dégradés  pour  offrir  un  très  grand  intérêt.  L'intérieur  de 
cette  belle  église  a  échappé  aux  badigeonneurs  modernes , 
grâce  au  bon  esprit  de  son  ancien  curé,  comme  je  l'ai  déjà 
raconté.  Il  serait  à  désirer  que  son  successeur  fût  animé  des 
mômes  dispositions  ;  on  ne  le  verrait  pas  alors  faire  ouvrir, 
uniquement  pour  sa  commodité  particulière,  une  porte  dans 
la  chapelle  de  la  croisée  septentrionale ,  où  furent  déposés 
les  restes  de  Henri,  duc  de  Montmorency,  la  plus  noble  vic- 
time de  Richelieu.  La  triple  nef,  très  longue  et  très  étroite, 
offre  une  perspective  d'une  rare  beauté;  la  voûte,   très 
haute ,  est  parfaitement  cintrée  ;  les  piliers  des    arcades 
inférieures  ont  été  équarriées  et  défigurées  ;  mais  la  galerie 
supérieure  en  plein-cintre  est  excellente ,  ainsi  que  tout  le 
chœur.  Les  boiseries  des  stalles ,  sculptées  au  seizième  siè- 
cle ,  sont  dignes  d'être  observées  ;  on  y  reconnaît  l'esprit 
satirique  et  les  passions  violentes  de  cette  époque  ;  dans  l'une 
des  stalles ,  on  voit  un  porc  assis  dans  une  chaire ,  en  rase 
campagne ,  avec  cette  inscription  :  Calvin  le  porc  pres- 
chant.  Dans  les  chapelles  du  pourtour  du  chœur,  il  y  a  des 
châsses  en  bois  qui  sont  de  curieux  modèles  d'architecture 
ecclésiastique  très  ancienne  :  entre  ces  chapelles  sont  pla- 
cées les  statues  des  comtes  et  comtesses  de  Toulouse ,  qui 
ont  été  bienfaiteurs  de  cette  église  :  plusieurs  de  ces  statues 
sont  d'une  expression  touchante ,  et  toutes  sont  d'un  très 
grand  intérêt  historique.  Les  peintures  fort  anciennes  de  la 
voûte  du  chœur  représentent  Notre-Seigneur  entre  les  sym- 
boles des  quatre  évangélistes.  Les  cryptes  de  Saint-Sernin 
étaient  célèbres  par  le  nombre  des  reliques  et  la  richesse 
des  châsses  qu'elles  renfermaient  avant  la  révolution.  Elles 

U 


—  50   — 

ont  été  défigurées  par  une  série  de  restaurations  maladroi- 
tes*dès  la  fin  du  quinzième  siècle,  on  avait  substitué  aux  an- 
ciens pleins-cintres  des  ogives  surbaissées  et  écrasées ,  d'un 
très  mauvais  effet.  A  la  révolution,  le  souterrain  fut  dévasté, 
et  depuis,  sans  doute  en  guise  de  compensation,  il  a  été  re- 
mis à  neuf  et  proprement  repeint  en  diverses  couleurs  : 
l'impression  sombre  et  mystérieuse  que  devait  produire  ce 
sanctuaire  ne  peut  donc  exister  que  dans  l'imagination. 
C'est  absolument  le  même  contre-sens  qui  révolte  à  l'église 
souterraine  du  Mont-Cassin,  où  reposent  les  cendres  de  saint 
Benoit. 

La  cathédrale  de  Saint-É tienne  n'a  jamais  été  achevée;  il 
n'y  a  de  complet  que  son  chœur,  vraiment  grandiose  au  de- 
hors comme  au  dedans ,  orné  de  quelques  beaux  vitraux , 
mais  que  le  cardinal  de  Joyeuse  a  surchargé  au  dix-sep- 
tième siècle  d'une  sorte  de  jubé  en  forme  de  façade,  à  bas- 
reliefs  et  à  arabesques  de  très  mauvais  goût.  La  nef,  bâtie 
par  Raymond  VI ,  pendant  qu'il  était  assiégé  par  Simon  de 
Montfort,  n'a  aucune  relation  avec  le  chœur  qui  est  d'une 
époque  postérieure  :  elle  a  été  destinée  depuis  à  servir  de 
collatéral  ;  mais  ce  projet  a  été  abandonné ,  et  on  s'est  con- 
tenté de  lui  donner  une  largeur  tout- à- fait  disproportion- 
née à  sa  hauteur,  et  qui  ne  lui  permet  toutefois  d'arriver 
que  jusqu'au  tiers  de  la  largeur  du  chœur,  dont  les  deux 
autres  tiers  sont  brusquement  terminés  par  un  mur  de  re- 
fend. On  a  été  obligé  de  masquer  par  des  rideaux  cette  bi- 
zarre anomalie.  La  façade  et  le  clocher  sont  également  ir- 
réguliers. 

On  a  ridiculement  regratté  et  badigeonné  les  deux  belles 
façades  à  tourelles  crénelées  de  Notre-Dame  de  la  Dalbade 
et  de  l'église  du  Taur.  Celle  ci,  bâtie,  selon  la  tradition, 
sur  le  lieu  où  s'arrêta  le  taureau  qui  traînait  le  ? ajgt  martyr 
Saturnin,  patron  de  Toulouse,  est  remarquable  par  deux 
belles  statues  de  saint  François  et  de  saint  Dominique ,  de 


—   51  — 

grandeur  naturelle ,  nichées  des  deux  côtés  du  portail ,  et 
comprises  dans  le  blanchissage  général.  A  la  Dalbade ,  on 
a  laissé ,  au  milieu  de  la  façade  reblanchie ,  la  couleur  na- 
turelle du  temps  à  un  charmant  portail  de  la  renaissance , 
où  se  trouve  une  statue  de  la  sainte  Vierge ,  avec  ce  disi 
tique  : 

Chrestien,  si  mon  amour  est  en  ton  cœur  gravé, 
Ne  diffère  en  passant  de  me  dire  un  ave. 

La  nef  large  et  hardie  de  cette  église  est  défigurée  par 
trois  monstrueux  autels  à  baldaquin  qui  en  obstruent  tout  le 
fon 

A  Saint-Nicolas,  il  y  a  un  portail  curieux  et  un  clocher  à 
baies  triangulaires,  qui  a  eu  le  même  sort  que  celui  de 
Saint-Sernin,  dont  il  reproduit  le  type  :  il  a  été  badigeonné 
en  rose.  A  Notre-Dame  de  Nazareth ,  chapelle  assez  écrasée 
du  quatorzième  siècle,  il  y  a  des  vitraux  d'un  éclat  surpre- 
nant; je  les  crois  les  plus  beaux  de  Toulouse.  Enfin,  si 
jamais  vous  passez  à  Toulouse ,  je  vous  prie  de  ne  pas  ou- 
blier une  sainte  Vierge ,  à  mon  gré  délicieuse ,  placée  au 
coin  de  la  rue  des  Changes ,  dans  une  niche  et  sous  un  dais 
chargé  d'ornemens  à  la  façon  de  la  fin  du  quinzième  siècle. 

Je  n'ai  pas  le  courage  de  parler  des  autres  églises  qui , 
comme  Saint- P  îerre ,  Saint-Exupère ,  ont  été  hideusement 
modernisées  et  rendues  complètement  méconnaissables. 
Cette  contagion  a  gagné  la  Daurade ,  fameuse  basilique  qui 
a  été  fondée  p^r  les  Visîgoths,  et  qui  tire  son  nom  de  la 
dorure  des  anciennes  mosaïques  de  l'époque  hiératique. 

Quant  aux  monumens  d'architecture  civile,  il  y  a  plusieurs 
hôtels  du  seizième  et  du  dix -septième  siècle,  notamment 
l'hôtel  Saint-Jean,  ancien  grand-prieuré  de  Malte,  et  l'hôtel 
Daguin ,  qui  ne  me  paraissent  pas  mériter  la  réputation 
qu'ils  possèdent.  Le  Palais  de  Justice,  qui  datait  de  la  belle 
époque  de  1492,  vient  d'être  complètement  remis  à  neuf  et 


—  52  — 

abîmé  :  dans  sa  forme  actuelle,  cela  peut  être  tout  ce  qu'on 
veut,  caserne,  hôpital,  prison  ;  cela  ressemble  à  tout  et  ne 
ressemble  à  rien.  On  vous  montre  une  salle  d'assises  toute 
neuve,  que  Ton  vante  beaucoup,  et  dont  la  voûte  est  si 
prodigieusement  élevée  que  toutes  les  paroles  s'y  perdent. 
Il  y  a  encore  le  fameux  Capitole ,  avec  sa  vaste  et  lourde  fa- 
çade ,  terminée  en  1769 ,  et  tout-à-fait  digne  de  son  époque. 
On  y  montre  le  couperet  qui  servit  à  décapiter  le  duc  de 
Montmorency,  qui  fut  supplicié  dans  la  cour  intérieure  de 
cet  édifice  :  cela  rapporte  quelque  profit  au  concierge ,  et 
par  conséquent  on  le  conserve.  Que  n'en  est-il  de  même  des 
débris  de  l'ancien  Capitole,  qui  vont  s'effaçant  chaque  jour. 
La  salle  gothique  du  grand  consistoire,  ou  conseil  général 
delà  commune,  a  été  détruite  en  1808,  pour  faire  place  à 
une  salle  de  bal  destinée  à  recevoir  Napoléon  lors  de  son 
passage  à  Toulouse.  Il  ne  reste  de  l'ancien  édifice  qu'une 
sorte  de  donjon  flanqué  de  tourelles  et  coupé  dans  toute  sa 
largeur  par  deux  salles;  on  a  laissé  défoncer  la  voûte  de 
celle  d'en  haut  :  celle  d'en  bas ,  dite  du  petit  consistoire, 
est  encore  visible;  sa  voûte  en  arcs  doubleaux  dorés  et 
peints  de  diverses  couleurs  est  très  remarquable ,  mais  ce 
dernier  souvenir  du  principal  monument  de  la  vieille  Tou- 
louse ,  de  Toulouse  la  sainte  et  la  savante,  doit  dispa- 
raître à  son  tour  ;  on  pourra  se  rabattre  alors  sur  la  salle 
des  illustres,  où  se  trouvent  les  bustes  d'une  foule  de  célé- 
brités toulousaines.  Cette  salle  vient  aussi  de  subir  les  hon- 
neurs d'une  restauration  burlesque,  dont  les  principaux 
ornemens  m'ont  paru  être  le  buste  du  roi  en  plâtre  vert , 
et  de  grandes  cocardes  tricolores  en  papier  collées  au  mi- 
lieu de  rosaces  sculptées.  A  côté  se  trouve  la  salle  des  Jeux 
Floraux ,  qui  renferme  la  statue  de  leur  fondatrice ,  Clé- 
mence Isaure.  Cette  statue  a  été  enlevée  au  seizième  siècle 
de  dessus  son  tombeau,  qui  était  à  la  Daurade.  Elle  est  en 
marbre  blanc ,  de  grandeur  naturelle,  d'une  sculpture  sim- 


—  53  — . 

pie  et  belle,  et  doit  être  postérieure  de  peu  à  la  mort  de 
Clémence  Isaure ,  qui  eut  lieu  de  1415  à  1420.  On  lit  au 
dessous  sur  une  table  d'airain  son  épitaphe,  où  est  consigné 
le  legs  qu'elle  fit  aux  capitouls ,  «  à  condition  qu'ils  célébre- 
raient tous  les  ans  les  Jeux  Floraux  dans  la  maison  qu'elle 
avait  fait  bâtir  à  ses  frais,  qu'ils  y  donneraient  un  festin  et 
iraient  répandre  des  roses  sur  son  tombeau.  »  Peut-être 
aurait-on  pu  ajouter  à  cette  inscription  les  deux  dernières 
stances  du  lai  touchant  que  M.  Du  Mège  a  découvert  et 
lui  attribue,  et  que  sa  gloire  a  si  noblement  démenti. 

Soën ,  à  tort,  l'ergulhos  en  el  pensa 
Qu'  hondrad  sera  tostems  dels  aymadors; 
Mes  jo  saï  ben  que  lo  joen  trobadors 
Oblidaran  la  fama  de  Glamensa. 

Tal  en  lo  cams  la  rosa  primavera, 
Floris  gentils  quan  torna  le  gay  tems; 
Mes  del  bent  de  la  nueg  brancejado  rabens, 
Moric,  e  per  totjorn  s'esfassa  de  la  terra  '. 


De  Toulouse,  dont  les  poétiques  souvenirs  ne  rendent 
que  plus  honteux  le  vandalisme  actuel,  passons  à  Bordeaux, 
qui,  tout  industrielle  et  commerciale  qu'elle  est,  offre  mille 
fois  plus  de  consolations  et  d'espérance  à  l'ami  de  l'ancienne 


1  «Souvent,  à  tort,  l'orgueilleux  s'imagine  qu'il  sera  bonoré  de 
tout  temps  par  les  poètes  :  mais  moi  je  sais  bien  que  les  jeunes  trou- 
badours oublieront  la  renommée  de  Clémence. 

c  Telle  en  nos  champs,  la  rose  printanière  fleurit  gentille  au  re- 
tour des  beaux  jours  ;  mais  tout  à  coup  effeuillée  et  brisée  par  le  vent 
de  la  nuit ,  elle  meurt ,  et  pour  toujours  s'efface  de  la  terre.  » 

Ce  sont  ces  vers  qui  ont  suggéré  à  M.  de  Jouy,  dans  son  Ermite  en 
Province,  l'ingénieuse  observation  que  voici  :  «  Si  l'on  n'y  retrouve 
pas  autant  de  feu  que  dans  les  chants  de  Sapho ,  c'est  qu'une  vierge 
de  Toulouse  ne  doit  pas  s'exprimer  comme  une  fille  de  Lesbos.  * 


/ 


—  54  — 

architecture.  Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'y  ait  aussi  des  exem- 
ples déplorables  de  dévastation  et  de  maladresse,  mais  au 
moins  sont-ils  contrebalancés  par  des  travaux  qui  méritent 
vraiment  le  nom  de  restaurations,  et  par  un  esprit  de  con- 
servation qui  fait  le  plus  grand  honneur  à  ses  habitans  et  à 
ses  architectes. 

En  passant  rapidement  en  revue  les  principaux  monu- 
mens  antérieurs  au  dix-septième  siècle,  j'aurai  l'occasion  de 
marquer  tout  ce  qui  m'a  paru  digne  de  votre  indignation  ou 
de  votre  sympathie.  Je  commencerai  par  la  cathédrale  de 
Saint-André,  l'une  des  églises  les  plus  remarquables  de 
France,  tant  par  ses  constructions  anciennes  que  par  les  tra- 
vaux modernes  qui  y  ont  été  tentés  :  le  chœur  et  les  façades 
;  latérales  sont  de  tout  point  admirables;  mais  comme  à  Saint- 
Étienne  de  Toulouse ,  la  nef  n'est  point  en  rapport  avec  le 
chœur  ;  sa  hauteur  est  moindre  d'un  tiers  ;  il  en  résulte  un 
ensemble  incomplet.  Le  chœur  seul  est  terminé  ;  on  sent  que 
la  foi  a  manqué  à  ces  monumens  commencés  avec  le  projet 
de  leur  donner  une  grandeur  proportionnée  aux  villes ,  et 
interrompus  au  milieu  de  leur  éclatante  croissance  par  l'en- 
vahissement du  doute  et  de  l'égoïsme. 

Malgré  ce  qu'il  y  a  de  pénible  dans  cette  différence  du 
chœur  et  de  la  nef,  Saint- André  possède  le  rare  privilège  de 
n'offrir  aucune  trace  de  rapiécetage  classique  dans  la  ma- 
çonnerie ,  aucune  œuvre  postérieure  à  l'arc-boutant  exté- 
rieur voisin  de  la  sacristie  et  à  la  tribune  de  l'orgue,  dont 
les  piliers  sont  couverts  d'arabesques  pleines  de  grâce.  Ces 
deux  additions  sont  toutes  deux  de  la  belle  renaissance.  Il 
n'y  a  de  mauvais  dans  cette  église  que  des  marbrures  et  des 
boiseries  qu'un  archevêque  de  bon  goût  pourrait  facilement 
faire  disparaître.  ïl  faudrait  commencer  par  le  grand-autel 
en  baldaquin  qui  est  vraiment  hideux,  tant  par  safiarmeque 
par  son  excessive  disproportion  avec  la  nef. 

Quant  aux  travaux  tout-à-fait  récens,  cette  cathédrale  m& 


—   55  — 

rite  une  place  spéciale  dans  l'histoire  de  l'art,  puisqu'elle  a 
été  peut-être  la  première  en  France  à  recevoir  l'empreinte 
d'une  pensée  régénératrice.  En  1810,  les  deux  flèches  qui 
s'élèvent  à  cent  cinquante  pieds  au  dessus  de  sa  façade  sep- 
tentrionale, étant  menacées  d'une  ruine  totale,  on  voulait 
les  abattre  ;  un  architecte ,  nommé  M.  Combes,  entreprit  de 
les  restaurer  :  il  en  vint  à  bout  avec  un  succès  complet,  et 
sans  altérer  leur  caractère  primitif.  Il  fit  ensuite  les  galeries 
qui  lient  ensemble  les  piliers  de  la  nef,  mais  qui  malheu- 
reusement n'ont  pas  toute  la  légèreté  qu'on  pourrait  exiger. 
Son  élève,  M.  Poitevin,  a  construit  auprès  de  la  façade 
du  nord  une  sacristie  en  forme  de  chapelle ,  remarquable  à 
l'extérieur  comme  à  l'intérieur  par  la  conformité  du  style  et 
des  ornemens  avec  ceux  de  l'édifice  primitif.  On  voit  que 
l'architecte  n'a  pas  cherché  à  faire  de  Y  originalité  à  lui. 
Cela  me  semble  un  immense  pas  vers  le  bien. 

Mais  à  peine  l'œil  s'est-il  détourné  de  ce  spectacle  conso- 
lateur, qu'il  rencontre  un  monument  victime  d'un  exécrable 
vandalisme.  C'est  la  tour  dite  de  Peyberland,  élevée,  à  la  fin 
du  quinzième  siècle,  par  Pierre  Beriand,  fils  d'un  pauvre  la- 
boureur du  Médoc,  qui  devint,  à  force  de  piété  et  de  savoir, 
archevêque  de  Bordeaux  en  1430.  Cette  magnifique  pyra- 
mide, qui  avait  autrefois,  avec  sa  flèche,  trois  cents  pieds  de 
haut,  avait  été,  dit-on,  construite  avec  un  zèle  patriotique 
par  l'architecte  que  l'archevêque  avait  chargé  d'exécuter  son 
projet,  et  qui  était  stimulé  par  le  désir  d'élever  un  monument 
français  capable  de  lutter  avec  les  flèches  de  Saint -André, 
ouvrage  des  architectes  anglais.  Aussi  réussit-il  si  bien  que 
le  chapitre  métropolitain  lui  vota,  en  guise  de  récompense, 
un  habit  d'honneur  qui  fut  acheté  dix  francs.  Les  terroristes 
avaient  condamné  à  périr  cette  œuvre  si  pieuse,  si  touchante, 
si  nationale;  mais  leur  fureur  fut  impuissante  :  on  ne  put 
faire  tomber  que  la  flèche,  la  tour  résista  à  tous  les  efforts, 
et  l'on  fut  obligé  de  résilier  le  bail  qui  avait  été  passé  avec 


—  S6  — 

un  destructeur.  Elle  est  donc  encore  debout,  mais  déshono- 
rée et  dévastée.  Toutes  les  ouvertures  ont  été  bouchées  de- 
puis le  haut  jusqu'en  bas;  tous  les  ornemens,  les  riches  et 
innombrables  fantaisies  de  l'artiste  ont  été  arrachées,  il  n'en 
reste  que  ce  qu'il  faut  pour  convaincre  que  le  quinzième  siè- 
cle avait  rarement  produit  une  œuvre  où  se  fût  mieux  déve- 
loppé le  luxe  inépuisable  de  son  imagination.  Elle  sert  main- 
tenant, cette  pauvre  tour,  comme  celle  de  Saint- Jacques  la 
Boucherie  à  Paris  et  de  Saint -Martin  à  Tours,  elle  sert  à  fa- 
briquer du  plomb  de  chasse.  C'est  ainsi  que  l'on  trouve 
moyen,  en  ce  siècle  éclairé  et  progressif,  d'utiliser  ces  cris- 
tallisations de  la  pensée  humaine  lancée  vers  Dieu,  ces  in- 
flexibles doigts  levés  pour  montrer  le  ciel1. 

L'église  de  Saint- Michel  a  aussi  un  clocher  séparé  de  l'é- 
difice principal  et  de  la  même  époque,  du  môme  genre  de 
beauté  que  la  tour  de  Peyberland;  ce  clocher  était  surmonté 
d'une  flèche,  construite  en  1480,  et  que  Ton  vantait  comme 
la  plus  belle  du  midi;  elle  s'écroula  en  1768,  et  aujourd'hui 
la  tour  ne  sert  plus  que  de  télégraphe.  Le  projet  de  rétablis- 
sement, conçu  et  présenté  par  M.  Combes,  a  été  soigneuse- 
ment repoussé  par  l'administration.  L'extérieur  de  cette 
église  de  Saint-Michel  est  du  gothique  le  plus  riche  ;  la  façade 
du  nord  est  admirable,  mais  indignement  obstruée  par  la 
maison  curiale.  C'est  à  peine  si  on  peut  voir  le  portail  cen- 
tral et  les  bas-reliefs  qui  la  surmontent.  Ces  bas-reliefs  sont 
du  seizième  siècle,  un  peu  trop  maniérés,  mais  très  remar- 
quables :  ils  sont  doubles,  c'est-à-dire  qu'il  y  en  a  quatre 
adossés  l'un  à  l'autre,  dont  deux  font  face  à  l'extérieur  et 
deux  à  l'intérieur  de  l'église.  Ceux  du  dehors  représentent 
le  sacrifice  dlsaac  et  X  Agneau  pascal  ;  ceux  du  dedans, 
saint  Michel  terrassant  le  démon  et  Adam  et  Eve.  Les 
deux  couples  de  bas-reliefs  sont  séparés  par  un  double  groupe 

1  Wordsworth. 


~  57  — 

sculpté  de  grandeur  naturelle,  antérieur  d'un  siècle  au  moins; 
et  d'une  merveilleuse  expression.  A  l'extérieur  c'est  le  Bai- 
ser de  Juda,  à  l'intérieur  c'est  YEcce  Homo  :  rien  de  plus 
beau  que  la  tête  du  Christ  dans  tous  deux.  L'intérieur  de 
Saint-Michel  a  des  défauts  ;  de  ses  cinq  nefs,  les  trois  du  mi- 
lieu sont  égales  en  largeur,  ce  qui,  vu  le  peu  de  longueur  de 
toute  l'église,  produit  un  très  mauvais  effet.  Il  y  a  un  tran- 
sept, mais  pas  de  rond-point;  au  fond  de  chacune  des  trois 
nefs  s'élève  un  autel  épouvantable,  surtout  celui  du  centre, 
où  l'on  voit  saint  Michel  au  milieu  d'une  montagne  de  plâtre 
bouffie  destinée  à  figurer  des  nuages.  En  revanche,  il  y  a 
dans  la  quatrième  chapelle  du  bas -côté  de  la  nef,  à  gauche, 
un  autel  du  seizième  siècle  qui  est  l'un  des  plus  curieux  mo- 
numens  de  transition  qu'on  puisse  voir  ;  l'ogive  y  apparaît  à 
peine,  tout  affaissée  qu'elle  est  sous  le  poids  des  coupoles, 
des  tourelles,  des  arabesques,  des  ornemens  de  tout  genre 
que  lui  impose  l'imagination  émancipée  et  capricieuse  de 
l'artiste.  Ces  ornemens  servent  d'encadrement  à  trois  char- 
mantes statues,  Notre  Dame  et  l'enfant  Jésus,  sainte  Ca- 
therine et  sainte  Barbe,  celle-ci  délicieuse,  bien  qu'évi- 
demment inspirée  par  une  beauté  d'un  genre  tout  différent  de 
celle  qui  régnait  sur  les  imaginations  des  siècles  antérieurs  ; 
la  voûte  de  cette  chapelle,  comme  celle  de  la  nef,  est  très  or- 
née et  très  curieuse. 

La  plus  ancienne  et  la  plus  curieuse  église  de  Bordeaux  est 
celle  de  Sainte-Croix  :  fondée  par  Clovis  II,  en  651,  elle  a  été 
reconstruite  dans  sa  forme  actuelle  à  une  époque  que  les  au- 
torités les  plus  compétentes  s'accordent  à  fixer  à  l'année  851, 
sous  Guillaume-le-Bon,  duc  d'Aquitaine.  C'est  un  monument 
presque  unique  du  genre  mystique,  hiératique,  qui  a  précédé 
l'architecture  gothique,  et  de  la  transition  qui  y  a  conduit. 
Je  ne  me  sens  pas  le  droit  de  rien  dire  sur  son  caractère  mé- 
langé, ni  sur  les  célèbres  sculptures  symboliques  de  sa  façade, 
qui  a  été  décrite,  ainsi  que  tout  le  reste  de  l'édifice,  avec  au- 


—  58  — 

tant  d'exactitude  que  de  discernement  par  M.  Jouannet,  dans 
l'excellente  notice  qu'il  a  insérée  dans  le  Musée  d'Aqui- 
taine, et  que  vous  devez  connaître.  Mais  je  serai  fidèle  à 
ma  mission  eu  dénonçant  les  ravages  que  le  vandalisme  a 
infligés  à  cette  belle  et  pure  église,  qui,  saccagée  et  mutilée 
au  dehors  par  la  terreur,  a  été  flétrie  au  dedans  par  un  goût 
pitoyable.  On  ne  s'y  est  pas  contenté  de  radouber  toutes  les 
sculptures  des  chapiteaux,  les  corniches,  les  ornemens  de  tout 
genre  avec  une  épaisse  couche  de  plâtre  ;  on  y  a  profité  de  tous 
les  espaces  que  la  sculpture  n'avait  point  envahis  pour  y  pein- 
dre des  coupoles,  des  ciels  chargés  de  nuages,  un  grand  bal- 
con dans  la  voûte  au  dessus  du  maître- autel,  des  portés  en- 
tre-baillées  ingénieusement  placées  dans  des  arches  à  ogives, 
des  abat-jours  en  vitres  simulées  ;  enfin  toutes  les  fadaises 
possibles,  tout  cela  en  style  d'enseigne  de  cabaret,  dans  des 
dimensions  colossales,  et  remplissant  les  trois  ronds -points 
qui  occupent  le  fond  de  l'église,  de  manière  à  frapper  immé- 
diatement les  regards  de  celui  qui  descend  les  marches  par 
où  l'on  entre. 

Au  fond  d'une  poudreuse  chapelle ,  la  première  du  bas- 
côté  à  gauche ,  derrière  la  cuve  baptismale ,  revêtue  elle- 
même  d'une  sculpture  très  curieuse  qui  représente  la  Cène 
dans  une  salle  gothique ,  j'ai  distingué  une  planche  peinte , 
mais  recouverte  d'une  épaisse  poussière.  Après  l'avoir  fait 
légèrement  éponger,  j'ai  reconnu  que  c'était  un  tableau  sur 
bois  à  l'italienne ,  d'une  école  tout-à-fait  primitive ,  entouré 
d'une  inscription  en  caractères  gothiques,  indéchiffrables 
pour  moi  ;  on  y  voit  une  Pietà,  ou  la  sainte  Vierge  portant 
le  corps  de  Notre-Seigneur  sur  ses  genoux,  et  des  deux  côtés, 
dans  des  corapartimens  séparés ,  sainte  Barbe ,  saint  Domi- 
nique, saint  Sébastien ,  saint  André ,  sainte  Catherine  ;  tous 
ces  personnages  m'ont  paru  être  d'un  caractère  aussi  naïf 
qu'original.  Il  est  déplorable  que  jusqu'à  présent  ni  l'auto- 
rité ecclésiastique,  ni  aucun  amateur  de  l'art  ancien ,  n'ait 


—  59  — 

songé  à  placer  dans  un  lieu  convenable  cette  peinture  que 
son  antiquité  seule  suffirait  pour  rendre  intéressante. 

Après  Sainte-Croix,  l'église  la  plus  ancienne  de  Bordeaux 
est  celle  de  Saint-Seurin ,  qui  fut  la  cathédrale  avant  Saint- 
André.  L'intérieur,  d'un  gothique  très  ancien ,  est  encore 
sombre  et  beau ,  malgré  la  dégradation  des  colonnes  de  la 
nef,  en  1700 ,  et  un  badigeonnage  général  en  1822.  Sur  le 
mur  latéral  de  droite ,  on  voit  dans  le  tympan  d'une  porte 
à  ogive ,  aujourd'hui  murée ,  un  bas-relief  du  plus  haut  in- 
térêt, qui  représente  un  pape  disant  îa  messe  ;  un  cardinal, 
dont  la  tète  est  merveilleusement  belle ,  l'assiste  ;  Jésus- 
Christ,  entre  deux  anges,  plane  sur  l'autel.  Cette  sculpture 
inappréciable  remonte  au  quatorzième  siècle,  et  se  rapporte 
probablement  à  Bertrand  de  Goih,  archevêque  de  Bordeaux, 
qui  devint  pape,  sous  le  nom  de  Clément  V,  en  1305.  Vis-à- 
vis  ,  sur  le  mur  latéral  de  gauche ,  dans  un  tympan  sembla- 
ble, se  trouve  un  autre  bas-relief  de  la  même  époque  qui 
représente  Notre-Seigneur  au  milieu  des  douze  apôtres. 

En  entrant  dans  le  sanctuaire ,  on  retrouve  l'empire  du 
vandalisme  :  j'ai  déjà  parlé  du  trône  épiscopal  dont  le  con- 
seil de  fabrique  avait  voté  la  destruction ,  et  que  le  curé  a 
défendu  avec  succès  ;  mais  il  n'a  pu  le  préserver  d'un  blan- 
chissage funeste.  Les  trois  croisées  romanes  qui  occupent , 
par  une  disposition  assez  rare ,  le  fond  du  chœur  qui  n'est 
pas  arrondi ,  croisées  à  triples  arcades  avec  enroulemens 
très  ornés,  ont  été  peintes  en  brun.  Un  malheur  pareil  a 
atteint  les  élégantes  boiseries  des  stalles  du  chapitre ,  de 
même  que  les  sculptures  du  dessous  des  sièges ,  qui  repré- 
sentent des  scènes  populaires  et  souvent  burlesques ,  entre- 
mêlées à  des  traits  de  l'Écriture  sainte  :  ainsi  une  querelle 
d'ivrognes,  un  homme  qui  fait  cuire  des  poissons  sur  un  gril, 
à  côté  de  Samson  armé  de  sa  mâchoire  ;  tout  ce  beau  et  cu- 
rieux travail  a  été  surchargé  tout  récemment  d'une  pein- 
ture en  rouge  garance.  On  a  heureusement  épargné  de 


—  60  — 

toute  manière  le  monument  le  plus  précieux  de  cette  église; 
le  retable  du  maître-autel ,  formé  de  huit  bas-reliefè  en  mar- 
bre ,  réunis  en  un  seul  cadre ,  traités  avec  la  plus  grande 
finesse,  et  représentant  l'intéressante  légende  de  saint  Seu- 
rin  ou  Séverin,  évêque  de  Bordeaux  au  cinquième  siècle.  Il 
y  a  au  dessous  du  chœur  une  chapelle  souterraine  qui  ren- 
fermait les  reliques  de  saint  Fort ,  qui  a  toujours  été  l'objet 
d'une  immense  vénération,  et  où  chaque  année  les  mères  et 
les  nourrices  viennent  faire  dire  la  messe  sur  la  tète  de  leurs 
nourrissons ,  pour  attirer  sur  eux  la  protection  du  saint  : 
cette  chapelle  à  trois  nefs  en  plein-cintre  est  curieuse ,  mais 
elle  a  été  cruellement  dégradée  ;  d'abord  elle  a  été  badi- 
geonnée en  dépit  du  sens  commun ,  puis  on  lui  a  volé  pièce 
par  pièce  un  pavé  en  mosaïque,  dont  il  ne  reste  que  quelques 
pierres.  On  y  voit  encore  le  tombeau  du  saint,  ouvrage  très 
soigné  de  la  renaissance. 

L'extérieur  de  Saint-Seurin  est  en  général  très  irrégulier, 
mais  n'en  est  pas  moins  très  remarquable.  La  chapelle  de  la 
Sainte-Vierge,  à  droite  du  chœur,  est  beaucoup  plus  mo- 
derne que  la  nef.  Dans  un  angle  de  la  sacristie,  qui  est  aussi 
du  quinzième  siècle ,  il  y  a  une  charmante  statue  de  sainte. 
Le  clocher  quadrilatère  à  double  rangée  d'arceaux  en  plein- 
cintre,  est  d'une  grande  beauté.  L'ordre  supérieur  rappelle 
quelques  unes  des  plus  célèbres  églises  du  moyen  âge  en 
Italie.  Au  milieu  de  la  façade  latérale  du  midi  se  trouve  un 
porche  de  la  renaissance,  assez  élégant,  qui  couvre  et  pro- 
tège un  triple  portail  du  plus  haut  intérêt ,  dont  les  trois 
portes  sont  entourées  par  une  série  de  sculptures,  datées  de 
1267  et  travaillées  avec  un  soin  infini,  représentant  la  Vigne 
du  Seigneur  et  le  Jugement  dernier,  sujet  très  fréquent 
dans  les  belles  églises  gothiques  de  ces  contrées.  Ce  triple 
portail  est  flanqué  par  les  statues  des  douze  apôtres  et  de 
deux  personnages  couronnés ,  en  pied  et  de  grandeur  natu- 
relle, malheureusement  endommagées,  mais  produisant  en- 


—  61   - 

core  un  excellent  effet.  La  façade  occidentale ,  qui  devait 
servir  d'entrée  principale,  n'a  point  été  achevée  du  temps  de 
la  construction  primitive  de  l'église.  Il  n'y  a  qu'un  vestibule 
très  curieux,  et  qui  remonte  évidemment  aux  premiers  temps 
de  la  fondation ,  au  neuvième  ou  au  dixième  siècle ,  formé 
de  trois  voûtes  basses ,  se  prolongeant  Tune  après  l'autre , 
séparées  et  soutenues  par  trois  arceaux  cintrés  dont  les  cha- 
piteaux sont  couverts  de  sculptures  très  bizarres  et  du  genre 
le  plus  élémentaire.  Je  n'ai  pu  distinguer  qu'un  seul  sujet 
connu,  le  Sacrifice  d'Abraham.  Au  bout  de  ce  vestibule 
s'élève  aujourd'hui  une  façade ,  dessinée  par  M.  Poitevin 
(qui  a  été  destitué  par  l'administration  éclairée  de  nos  jours), 
et  exécutée  par  son  successeur,  M.  Lasmolle.  Cette  façade  a 
le  mérite  d'avoir  été  conçue  de  manière  à  se  rapporter  au 
caractère  général  de  l'édifice ,  et  la  partie  inférieure  répond 
assez  bien  à  ce  dessein.  Mais  en  élevant  tout-à-fait  inutile- 
ment la  partie  supérieure ,  décorée  d'une  balustrade  beau- 
coup trop  lourde ,  on  ôte  au  spectateur  la  vue  d'un  ordre 
entier  4e  l'admirable  clocher.  On  m'a  même  assuré  qu'il  y 
avait  sur  ce  même  clocher  d'excellens  bas-reliefs ,  aujour- 
d'hui recouverts  par  le  prolongement  du  toit  en  ardoises  et 
complètement  inaccessibles.  Puis  on  a  surchargé  cette  nou- 
Telle  façade  de  statues  absurdes ,  exécutées  par  un  artiste 
espagnol;  il  y  en  a  quatre  colossales,  deux  évêques,  qui  ont 
coûté  10,000  francs  chaque,  et  deux  évangélistes ,  à  5,200 
francs  la  pièce ,  tous  les  quatre  détestables  en  tous  points. 
[Voilà  de  compte  fait  30,400  francs  d'inutilement  dépensés 
sur  les  45,000  qu'a  coûtés  la  façade  entière.  Je  ne  dis  rien 
d'un  bas-relief  qui  est  encore  pire  que  les  statues ,  et  qui  a 
dû  coûter  proportionnellement.  Ces  calculs  montrent  que  ce 
sont  bien  moins  les  ressources  matérielles  qui  manquent  à 
la  restauration  de  nos  vieux  monumens ,  que  l'intelligence 
de  leur  caractère  et  l'instinct  des  convenances. 
Je  reprocherai  ensuite  à  M.  Lasmolle  de  n'avoir  pas  em- 


—  62  — 

ployé  dans  sa  nouvelle  façade  le  portail  qui  terminait  aupa- 
ravant le  vestibule  dont  j'ai  parlé  ;  portail  double,  sans  arc, 
divisé  par  un  pilier  qui  supportait  une  statue  de  saint  Seurin, 
et  surmonté  d'une  charmante  corniche  avec  modillons  à 
ogive  en  ressaut.  Ce  portail  se  trouve  aujourd'hui  dans  le 
jardin  de  M.  Coudère,  imprimeur. 

M.  Lasmolle  a  encore  fort  bien  restauré,  en  1828 ,  la  fa- 
çade de  la  petite  église  de  Saint-Éloi,  pour  laquelle  il  a 
choisi  l'ogive  surbaissée  et  ornée,  copiée  avec  esprit  des  mo- 
numens  de  la  fin  du  quinzième  siècle.  Je  ne  sais  si  c'est  lui 
qui  a  restauré  le  porche  occidental  de  Sainte-Eulalie ,  éga- 
lement en  harmonie  avec  le  gothique  du  corps  de  l'église , 
sauf  les  deux  contreforts  qui  sont  lourds  et  disproportion- 
nés. L'intérieur  de  Sainte-Eulalie  offre  des  sculptures  re- 
marquables dans  les  clefs  de  voûte  du  chœur,  mais  elle  est 
honteusement  défigurée  par  des  peintures  et  des  dorures 
ridicules. 

Dans  l'église  du  Collège,  remarquable  par  la  hardiesse  de 
sa  voûte  à  arcs  doubleaux  en  ogive ,  on  voit  le  tombeau  de 
Montaigne  et  sa  statue ,  beau  morceau  de  la  statuaire  du 
seizième  siècle.  Il  est  couché  tout  de  son  long ,  les  mains 
jointes  et  le  corps  tout  bardé  de  fer,  à  la  manière  des  an- 
ciens chevaliers.  Cela  paraît  d'abord  en  contradiction  avec 
son  caractère ,  tel  qu'on  se  le  figure  généralement  ;  mais  on 
se  rappelle  bientôt  l'époque  guerrière  où  il  vivait,  et  la  piété 
qu'il  déploya  sur  son  lit  de  mort. 

Je  n'ai  rien  à  dire  de  Saint-Bruno ,  tout  rempli  de  statues 
dans  le  goût  du  Bernin,  par  le  cardinal  de  Sourdis,  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle,  ni  de  Saint-Paul,  Saint- 
Dominique,  et  autres  mauvaises  églises  des  dix-septième  et 
dix-huitième  siècles. 

En  fait  d'architecture  civile ,  Bordeaux  a  conservé  deux 
de  ses  anciennes  portes ,  la  première ,  au  dessous  d'une  des 
quatre  tours  de  l'hôtel-de-ville ,  bâties  en  1246 ,  qui  s'éle- 


—  63  — 

vaient  à  deux  cent  cinquante  pieds  de  haut,  et  dont  la  réu- 
nion devait  former  un  ensemble  unique.  Il  n'en  reste  au- 
jourd'hui que  celle  dite  la  Tour  de  l'Horloge,  surmontée  de 
trois  tourelles  en  flèche ,  d'un  gothique  noble  et  imposant, 
La  seconde  porte,  dite  du  Caillau,  fut  bâtie  en  1494,  en  mé- 
moire de  la  bataille  de  Fornoue  ;  quoique  dégradée ,  elle 
n'en  offre  pas  moins  toute  l'élégance  et  tout  le  charme  des 
monumens  de  cette  époque.  Ses  trois^toureîles  et  ses  croi- 
sées ,  en  carré  arrondi ,  qui  ont  tous  les  caractères  de  la 
belle  renaissance,  produisent  un  effet  très  pittoresque,  sur- 
tout lorsqu'en  la  contemplant  de  la  rivière ,  on  la  voit  s'é- 
lever au  milieu  du  mouvement  industriel  du  port  sur  lequel 
elle  donne. 

D'après  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  Monsieur,  vous 
reconnaîtrez,  j'espère,  que  Bordeaux  est  une  ville  qui  pro- 
cure une  véritable  satisfaction  aux  défenseurs  de  l'art  anti- 
que. Malgré  la  profusion  de  mauvais  goût  qui  règne  dans 
les  ornemens  intérieurs  des  églises ,  malgré  plusieurs  exem- 
ples du  vandalisme  que  j'ai  cités,  il  est  impossible  de  ne  pas 
reconnaître  chez  les  architectes  de  cette  ville  une  tentative 
de  reconstruction  et  de  régénération  gothique,  tentative 
accompagnée  de  tâtonnemens  et  d'erreurs  que  j'ai  osé  signa- 
ler, mais  digne  de  toute  notre  sympathie,  de  tous  nos  éloges, 
d'autant  plus  qu'ils  persévèrent  silencieusement  et  obscu- 
rément depuis  plus  de  vingt  ans.  Personne  que  je  sache  ne 
leur  a  rendu  sous  ce  rapport  la  justice  qu'ils  méritent,  mais 
ils  ont  inscrit  leurs  droits  à  la  reconnaissance  nationale , 
d'une  manière  plus  éclatante  que  dans  les  journaux ,  sur  les 
pierres  immortelles  de  Saint-André  et  de  Saint-Seurin. 

En  un  mot,  Bordeaux  est  une  ville  consolante;  elle  l'est 
surtout,  comparée  à  Paris,  qui  semble  condamné  à  ne  jamais 
se  relever  de  l'espèce  d'interdit  jeté  sur  lui  par  le  bon  goût 
depuis  près  de  trois  siècles.  Si  la  France  a  la  honte  d'être 


—  64  — 

moins  avancée  en  fait  d'art  que  le  reste  de  l'Europe ,  Paris 
a  la  double  honte  d'être  encore  en  arrière  de  toute  la  France. 
Tandis  que  généralement,  en  province,  l'élude  etla protection 
de  nos  chefs-d'œuvre  anciens  devient  le  signe  de  ralliement 
de  tous  les  architectes  distingués ,  tandis  que  des  essais  de 
restauration  intelligente,  en  harmonie  avec  le  caractère  ori- 
ginal des  édifices,  et  motivés  par  des  besoins  réels ,  ont  lieu 
dans  plusieurs  localités ,  Paris  seul  reste  indifférent  et  livré 
sans  défense  aux  caprices  dévastateurs,  aux  projets  ineptes, 
mais  heureusement  interminables ,  des  maçons  ministériels 
et  académiques.  À  part  quelques  jeunes  gens  chez  qui  Notre- 
Dame  de  Paris  a  réveillé  un  nouveau  sens ,  et  qui  depuis 
jettent  en  passant  sur  la  vieille  basilique  un  regard  de  tris- 
tesse et  d'admiration  ;  à  part  quelques  artistes  proscrits  par 
les  académies  et  méconnus  du  public ,  Paris  n'offre  nul  es- 
poir de  régénération.  En  fait  de  constructions  nouvelles , 
peu  de  villes  au  monde  sont ,  à  ce  que  je  pense ,  assez  mal- 
heureuses pour  que  des  fidèles  soient  condamnés  à  échanger 
la  grotesque  rotondité  de  l'Assomption  contre  la  masse  in- 
forme et  inintelligible  de  la  Madeleine ,  contre  l'indécente 
coquetterie  de  Notre-Dame-de-Lorette.  En  fait  de  restaura- 
tion, on  en  est  toujours  à  ce  même  esprit  qui  fit  équarrir  et 
revêtir  de  marbre  le  chœur  de  Notre-Dame,  dans  ce  qu'on 
appelle  encore  le  grand  siècle.  Ce  que  je  connais  de  plus 
neuf  en  ce  genre,  ce  sont  les  incroyables  chapelles  de  la  Sainte- 
Vierge  à  Saint-Étienne-du-Mont ,  et  à  Saint- Germain-des- 
Prés.  Le  grotesque,  le  faux ,  le  ridicule,  n'ont  jamais  atteint 
plus  haut. 

Malgré  toutes  les  misères  que  je  vous  ai  racontées ,  je  ne 
veux  pas  terminer  sans  reconnaître  comme  un  fait  accompli 
l'existence  d'une  réaction  en  faveur  de  l'art  historique  et 
national ,  réaction  timide  et  obscure ,  mais  progressive  et 
pleine  d'avenir.  Cette  réaction,  Monsieur,  c'est  vous  qui  l'a- 
vez commencée ,  qui  l'avez  popularisée  ;  je  ne  me  lasse  pas 


—   65  — • 

de  le  répéter,  car  j'aime  à  vous  faire  un  patrimoine  de  cette 
gloire.  Eîle  se  manifeste  aujourd'hui  de  deux  manières  : 
d'abord  par  des  recherches  approfondies  sur  les  divers  ca- 
ractères et  les  développemens  successifs  des  monumens  lo- 
caux ;  tels  sont  les  excellens  travaux  de  M.  de  Caumont  et 
de  la  société  archéologique  de  Normandie,  à  Caen  ;  ceux  de 
MM.  Liquet  et  I^anglois,  à  Rouen  ;  de  M.  Jouannet,  à  Bor- 
deaux j  de  M.  Du  Mège1,  à  Toulouse-,  enfin,  de  M.  Charles 
Magnin  dans  cette  même  Revue.  Il  n'y  a  pas  jusqu'au  Cons- 
titutionnel qui  ne  nous  ait  prêté  le  secours  de  son  impo- 
sante autorité ,  et  qui ,  dans  un  feuilleton  très  remarquable 
du  17  octobre  1832,  n'ait  arboré,  lui  aussi,  le  drapeau  de  la 
réaction  historique. 

D'un  autre  côté,  il  y  a  déjà  des  applications  de  cet  esprit 
régénéré,  peu  nombreuses  et  peu  étendues,  il  est  vrai,  mais 
qui  n'en  sont  pas  moins  louables  et  consolantes.  Ainsi ,  à 
côté  des  travaux  de  MM.  Combes ,  Poitevin  et  Lasmolle,  à 
Bordeaux,  on  peut  citer  ceux  de  M.  Pollet  à  Lyon  :  il  a  ré- 
tabli l'église  d'Ainay,  qui  date  des  premiers  siècles  du  Chris- 
tianisme ,  dans  sa  forme  originale ,  et  réparé  celle  de  Saint- 
Nizier,  la  plus  belle  de  Lyon,  avec  une  parfaite  intelligence 
de  son  caractère.  Dans  la  cathédrale  de  Metz ,  il  y  a  quel- 
ques essais  de  gothique  moderne ,  mais  bien  malheureux. 
Ce  qui  surpasse ,  à  mon  gré ,  toutes  les  entreprises  de  ce 
genre ,  ce  sont  les  restaurations  vraiment  surprenantes  des 
sculptures  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  exécutées  par 
MM.  Kirstein  et  Haumack ,  avec  une  exactitude  si  parfaite , 
un  sentiment  si  profond  et  si  pieux,  qu'au  premier  abord  on 
est  tenté  de  les  confondre  avec  les  originaux  que  la  hache 
du  terrorisme  a  épargnés ,  et  qui  comptent  à  juste  titre , 
surtout  le  groupe  de  la  mort  de  la  Vierge  au  portail  orien- 

1  Ce  savant  écrivain  vient  d'annoncer Ja  publication  d'un  ouvrage 
qui  sera  du  plui  grand  intérêt,  intitulé  ;  Archéologie  Pyrénéenne. 

5 


—  66  — 

tal,  parmi  les  chefs-d'œuvre  de  la  statuaire  chrétienne.  Dans 
une  sphère  plus  restreinte ,  vous  connaissez  les  charmantes 
œuvres  de  M.  de  Triquéti  et  de  mademoiselle  de  Fauveau. 

Un  jour  peut-être  surgira-t-il  au  sein  de  nos  chambres 
un  législateur  assez  éclairé ,  assez  patriotique,  pour  deman- 
der des  dispositions  spéciales  en  faveur  des  monumens  natio- 
naux, comme  on  en  demande  chaque  jour  en  faveur  de  l'in- 
dustrie et  du  commerce.  La  loi  sur  1  expropriation  offrait 
pour  cela  une  excellente  occasion  :  mais  Tune  des  deux 
chambres  l'a  déjà  laissé  échapper,  et  l'autre  n'en  profitera 
certainement  pas. 

Il  serait  à  désirer  que  nous  vissions  bientôt  s'organiser  à 
Paris  une  association  centrale  pour  la  défense  de  nos  monu- 
mens historiques,  association  qui  offrira  un  point  de  rallie- 
ment à  tous  les  efforts  individuels ,  un  foyer  d'unité  pour 
toutes  les  recherches  et  toutes  les  dénonciations ,  qui  sont 
en  ce  moment  nos  seules  armes  contre  les  dévastations  des 
administrations  et  des  propriétaires.  Peut-être  viendrait-on 
ainsi  à  bout  d'engager  peu  à  peu  tout  ce  qui  est  jeune ,  in- 
telligent et  patriotique  dans  une  sorte  de  croisade  contre  le 
honteux  servage  du  vandalisme ,  et  purifier,  par  la  force  de 
la  réprobation  publique,  notre  sol  antique  de  cette  souillure 
trop  long-temps  endurée  \ 

Toutefois  je  ne  vous  dissimule  pas  l'intime  conviction  où 
je  suis ,  que  cette  réaction  n'aura  jamais  rien  de  général , 
rien  de  puissant,  rien  de  populaire,  tant  que  le  clergé  n'y 
aura  pas  été  associé,  tant  qu'il  n'aura  pas  été  persuadé  qu'il 
y  a  pour  lui  un  devoir  et  un  intérêt  à  ce  que  les  sanctuaires 
de  la  religion  conservent  ou  recouvrent  leur  caractère  pri- 
mitif et  chrétien.  Le  clergé  seul,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut, 
peut  exercer  une  influence  positive  sur  le  sort  des  monu- 

1  II  faut  se  rappeler  que  ceci  était  éjrit  en  1833.  Nous  rendrons 
justice  à  ce  qui  a  été  fait  depuis,  dans  notre  Appendice  n°  I. 


—  67  — 

mens  ecclésiastiques  qui  sont  incontestablement  les  plus 
nombreux  et  les  plus  précieux  de  tous  ceux  que  nous  a  lé- 
gués le  moyen  âge.  Lui  seul  peut  donner  quelque  ensemble 
à  des  tentatives  de  restauration,  et  à  un  système  de  préser- 
vation ;  lui  seul  peut  obtenir  dimportans  résultats  avec  de 
chétifs  moyens  ;  lui  seul  enfin  peut  attacher  à  cette  œuvre 
un  caractère  de  popularité  réelle,  en  y  intéressant  la  foi  des 
masses.  Or,  point  d'art  sans  foi  ;  c'est  un  principe  dont  l'é- 
vidence ne  nous  est  que  trop  douloureusement  démontrée 
aujourd'hui.  C'est  la  foi  seule  qui  a  pu  peupler  la  France 
des  innombrables  richesses  de  notre  architecture  nationale,* 
c'est  elle  seule  qui  pourra  les  défendre  et  les  conserver. 

Je  finis  ici  mon  invective,  rédigée  d'après  des  notes 
bien  incomplètes  et  des  souvenirs  bien  confus.  Vous- 
même  ,  peut-être  trouverez-vous  que  j'y  ai  mis  trop  de 
passion  et  d'amertume  ;  mais  vous  devez  comprendre  que 
nous  autres  catholiques  nous  avons  un  motif  de  plus 
que  vous  pour  gémir  de  cette  brutalité  sacrilège  et  pour 
nous  indigner  contre  elle.  C'est  que  nous  allons  adorer  et 
prier  là  où  vous  n'allez  que  rêver  et  admirer-  c'est  qu'il 
nous  faut  pour  y  bien  prier  nos  vieilles  églises,  telles 
que  la  foi  si  féconde  et  la  piété  si  ingénieuse  de  nos  aïeux 
les  ont  conçues  et  créées ,  avec  tout  leur  symbolisme  iné- 
puisable et  leur  cortège  d'inspirations  célestes  cachées  sous 
un  vêtement  de  pierre.  C'est  que  là  se  dresse  encore  devant 
nous  la  vie  tout  entière  de  nos  aïeux ,  cette  vie  si  dominée 
par  la  religion,  si  absorbée  en  elle,  leur  imagination  si  riche 
et  si  intarissable,  mais  en  même  temps  si  réglée  et  si  épurée 
par  la  foi,  leur  patience,  leur  activité,  leur  résignation,  leur 
désintéressement  ;  tout  cela  est  là  devant  nous,  leurs  tièdes 
et  faibles  descendans,  comme  une  pétrification  de  leur  exis- 
tence si  exclusivement  chrétienne.  C'est  que  pas  une  de  ces 
formes  si  gracieuses ,  pas  une  de  ces  pierres  si  fantastique- 
ment brodées,  pas  un  de  ces  ornemens.  qu'on  appelle  capri- 


—  68  — 

deux ,  n'est  pour  nous  sans  un  sens  profond ,  une  poésie  in- 
time, une  religion  voilée.  C'est  qu'il  nous  est  permis  et 
presque  commandé  de  voir  dans  cette  croix  alongée  que 
reproduit  le  plan  de  toutes  les  églises  anciennes,  la  croix  sur 
laquelle  mourut  le  Sauveur;  dans  cette  triplicité  perpétuelle 
de  portails ,  de  nefs  et  d'autels,  un  symbole  de  la  trinité  di- 
vine ;  dans  la  mystérieuse  obscurité  des  bas-côtés ,  un  asile 
offert  à  la  confusion  du  repentir,  à  la  souffrance  solitaire  ; 
dans  ces  vitraux  qui  interceptent  en  les  tempérant  les  rayons 
du  jour,  une  image  des  saintes  pensées  qui  peuvent  seules 
intercepter  et  adoucir  les  ennuis  trop  perçans  de  la  vie  ; 
dans  l'éclatante  lumière  concentrée  sur  le  sanctuaire  ,  une 
lueur  delà  gloire  céleste;  dans  le  jubé,  un  voile  abaissé  en- 
tre notre  faiblesse  et  la  majesté  d'un  sacrifice  où  la  victime 
est  un  Dieu.  L'orgue,  n'est-ce  pas  la  double  voix  de  l'huma- 
nité, le  cri  glorieux  de  son  enthousiasme  mêlé  au  cri  plaintif 
de  sa  misère  ?  Ces  roses  éclatantes  de  mille  couleurs ,  cette 
vie  végétale,  ces  feuilles  de  vigne,  de  chou,  de  lierre,  mou- 
lées avec  tant  de  finesse ,  n'indiquent- elles  pas  une  sanctifi- 
cation de  la  nature ,  et  de  la  nature  humble  et  populaire , 
par  la  foi?  Dans  cette  exclusion  générale  des  lignes  hori- 
zontales et  parallèles  à  la  terre ,  dans  le  mouvement  una- 
nime et  altier  de  toutes  ces  pierres  vers  le  ciel,  n'y  a-t-il  pas 
une  sorte  d'abdication  de  la  servitude  matérielle  et  un  élan- 
cement de  l'âme  affranchie  vers  son  créateur?  Enfin,  la 
vieille  église  tout  entière,  qu'est-elle  si  ce  n'est  un  lieu  sacré 
par  ce  qu'il  y  a  de  plus  pur  et  de  plus  profond  dans  le  cœur 
de  vingt  générations ,  sacré  par  des  émotions ,  des  larmes , 
des  prières  sans  nombre,  toutes  concentrées  comme  un  par- 
fum sous  ces  voûtes  séculaires ,  toutes  montant  vers  Dieu 
avec  la  colonne ,  toutes  s'inclinant  devant  lui  avec  l'ogive , 
dans  un  commun  amour  et  une  commune  espérance  ? 

Fils  du  vieux  catholicisme ,  nous  sommes  là  au  milieu  de 
nos  titres  de  noblesse  :  en  être  amoureux  et  fiers,  c'est  notre 


-  69  — 


droit  ;  les  défendre  à  outrance ,  c'est  notre  devoir.  Voilà 
pourquoi  nous  demandons  à  répéter,  au  nom  du  culte  anti- 
que ,  comme  vous  au  nom  de  l'art  et  de  la  patrie ,  ce  cri 
d'indignation  et  de  honte  qu'arrachait  aux  papes  des  grands 
siècles  la  dévastation  de  l'Italie  ;  Expulsons  les  Barbares. 


DE 

LA  PEINTURE  CHRÉTIENNE 

EUT  ITALIE, 
A  L'OCCASION  DU  LIVRE  DE  M.  RIO  *. 


Nous  désirons  faire  connaître  plus  en  détail  et  dans  un 
ordre  méthodique  les  objets  traités  dans  l'ouvrage  que 
M.  Rio  a  publié  récemment,  les  idées  principales  qui  y  sont 
exposées ,  les  découvertes  précieuses  que  les  hommes  sérieux 
et  religieux  peuvent  y  faire.  En  donnant  ainsi  un  aperçu 
des  richesses  renfermées  dans  ce  volume ,  nous  croyons  ren- 
dre un  véritable  service  à  ceux  d'entre  nos  lecteurs  qui  no 
l'ont  pas  lu ,  et  nous  espérons  ne  pas  déplaire  à  ceux  qui  le 
connaissent  déjà ,  en  les  aidant  à  classer  et  à  coordonner 
dans  leur  mémoire  les  notions  nouvelles  et  importantes 
qu'ils  ont  dû  y  puiser. 

Amis  passionnés  de  l'art  chrétien ,  et  ayant  suivi ,  quoique 

1  De  la  Poésie  Chrétienne,  dans  son  principe,  dans  sa  matière  et 
dans  ses  formes  ;  par  A.  F.  Rio.  A  Paris ,  chez  Debécourt ,  1836.  1 
vol.  in-8°. 


—  71  — 

de  très  loin,  M.  Rio  dans  la  route  qu'il  a  si  glorieusement 
ouverte ,  c'est  pour  nous  un  droit  et  un  devoir  de  ne  rien 
négliger  pour  que  le  public  catholique  puisse  apprécier  toute 
l'importance  de  l'œuvre  dont  M.  Rio  a  doté  notre  littérature 
historique  et  religieuse. 

Nous  n'hésiterons  pas  à  dire  que  ce  livre  est  un  de  ceux 
qui  peuvent  avoir  le  plus  besoin  d'être  ainsi  révélés  et  an- 
noncés au  public ,  car  il  est  de  ceux  dont  on  pourrait  dire 
avec  vérité  au  premier  abord  ,  qu'on  ne  sait  à'oîi  il  vient 
ni  où  il  va.  Il  serait  très  difficile  de  se  faire  une  idée 
juste  de  son  contenu  et  de  sa  valeur  d'après  son  titre. 
Ce  titre  s'applique  à  un  vaste  ensemble  de  travaux,  où 
l'auteur  embrasse  la  partie  la  plus  séduisante  et  la  plus 
féconde  du  domaine  de  la  pensée  chrétienne  et  dont  ce  vo- 
lume n'est  qu'un  fragment  j  mais  M.  Rio  a  eu  le  tort  de  ne 
pas  nous  montrer  comment  le  fragment  se  rattachait  à  l'en- 
semble. Aucun  préambule ,  aucune  conclusion  ne  nous  ap- 
prend pourquoi  dans  un  livre  qui  annonce  devoir  traiter  de 
la  poésie  chrétienne ,  la  première  page  du  texte  commence 
ainsi  :  De  la  Peinture  Chrétienne  d'abord  dans  les  cata- 
combes ,  etc.  On  ne  sait  ce  que  veulent  dire  ces  mots  : 
Forme  de  l'Art,  qui  font  partie  du  titre  ;  et  ces  autres  : 
Seconde  Partie ,  tandis  qu'on  cherche  en  vain  de  quoi  il 
peut  être  question  dans  la  première,  et  si  elle  existe  ou  non , 
achèvent  de  jeter  la  confusion  dans  l'esprit  du  lecteur.  Il  est 
vrai  que  sur  la  couverture  brochée  du  volume ,  on  lit  :  De 
l'Art  Chrétien  ;  et  cette  addition  met  sur  la  voie  de  la  pen- 
sée fondamentale  de  l'auteur,  savoir  :  que  l'art  est  identique 
avec  la  poésie  ,  surtout  dans  l'ordre  religieux  ;  qu'il  n'est 
autre  chose  qu'une  des  formes  de  la  poésie ,  et  qu'on  ne  sau- 
rait isoler  l'histoire ,  l'étude ,  l'intelligence  de  l'un  et  de  l'au- 
tre. C'est  là  une  vérité  incontestable  à  nos  yeux  :  mais  l'au- 
teur n'aurait  pas  dû  oublier  que  cette  identité  de  la  poésie 
et  de  l'art  n'a  jamais  été  proclamée  en  France  et  qu'elle  n'est 


-  73  ~ 

rien  moins  que  constatée  ,  ni  même  soupçonnée  par  l'im- 
mense majorité  des  lecteurs  français.  Il  était  donc  néces- 
saire de  bien  établir  préalablement  ce  point  de  départ. 

M.  Rio ,  ne  pouvant  ou  ne  voulant  pas  nous  présenter  en 
ce  moment  cette  base  fondamentale  de  ses  travaux ,  aurait 
dû  se  borner  à  prendre  pour  titre  les  premiers  mots  de  son 
premier  chapitre:  De  la  Peinture  Chrétienne;  et  en  y 
ajoutant  ceux-ci  :  en  Italie,  il  aurait  donné  à  chacun  une  no- 
tion claire  et  complète  du  beau  volume  que  nous  allons  passer 
en  revue ,  heureux  de  pouvoir ,  grâce  à  lui,  donner  à  nos  lec- 
teurs une  esquisse  historique  des  produits  de  cette  admirable 
branche  de  l'art  chrétien  dans  le  temps  où  elle  a  été  la  plus 
féconde  et  la  plus  brillante. 

Il  est  donc  sous-entendu  que  pour  M.  Rio ,  la  peinture, 
comme  tous  les  autres  arts ,  n'est  qu'une  des  formes  de  la 
poésie  -,  or ,  comme  la  poésie  religieuse  est  nécessairement 
la  poésie  la  plus  haute ,  sinon  la  seule ,  il  s'en  suit  que  la 
peinture  religieuse  occupe  nécessairement  aussi  le  premier 
rang  dans  le  développement  de  la  peinture.  Cette  primauté 
est  d'ailleurs  suffisamment  démontrée  par  le  fait  en  Italie  : 
c'est  ce  qui  explique  pourquoi  l'étude  de  cet  art  touche  de 
si  près  à  la  religion. 

Cela  posé  nous  commencerons  par  établir  quels  sont  les 
principaux  mérites  de  M.  Rio  dans  cet  ouvrage.  Et  d'abord 
nous  placerons  au  premier  rang  le  catholicisme  du  livre  et 
de  son  auteur.  Et  qu'on  nous  entende  bien ,  c'est  d'un  bon 
et  solide  catholicisme  que  nous  voulons  parler,  non  pas  de 
ce  vague  sentiment  religieux  qui  est  à  la  mode  aujourd'hui , 
qui  consent  à  ne  rien  nier  pourvu  qu'il  ne  soit  pas  obligé  de 
rien  admettre  comme  incontestable.  M.  Rio  n'est  pas  de 
cette  trempe-là  :  à  chaque  page  de  son  livre  on  voit  que  c'est 
un  homme  qui  n'a  ni  honte  ni  peur  de  croire  tout  ce  qu'il  a 
trouvé  dans  le  catéchisme,  l'Évangile  et  la  tradition  de  l'É- 
glise :  et  il  en  résulte  pour  le  lecteur  un  sentiment  de  bien- 


~  74  — 

être  qui  vaut  presque  mieux  que  l'enthousiasme  ;  et  comme 
une  sorte  de  soulagement  ineffable  qui  repose  et  qui  exalte 
en  même  temps.  On  voit  encore  qu'il  pratique  ce  qu'il  croit  : 
on  voit  qu'il  a  prié  au  pied  de  ces  autels  dont  il  décrit  la 
parure  avec  tant  de  poésie ,  que  les  trésors  de  l'art  chrétien 
n'ont  pas  été  pour  lui  des  toiles  mortes ,  débris  plus  ou 
moins  curieux  de  la  mythologie  chrétienne,  mais  bien  des 
symboles  plus  ou  moins  parfaits  de  l'éternelle  vérité.  En  un 
mot  M.  Rio  est  franchement  et  avant  tout  catholique  :  plus 
on  le  lit  et  plus  on  reconnaît  en  lui  un  frère ,  un  homme  à 
côté  de  qui  on  serait  aise  d'élever  sa  prière  à  Dieu ,  un 
homme  que  tout  catholique  pourrait  accoster  avec  confiance 
soit  dans  une  église ,  soit  dans  une  galerie ,  soit  dans  une  aca- 
démie, et  lui  prendre  la  main ,  et  lui  donner  son  cœur ,  sans 
craindre  de  se  tromper,  et  de  trouver  le  froid  sourire  de  l'in- 
crédulité ou  la  vanité  satisfaite  du  pédant  sous  le  voile  d'un 
enthousiasme  factice. 

C'est  là  ce  qui  place  M.  Rio  bien  au  dessus  de  Rumohr,  et 
de  tous  les  Allemands  qui  ont  pu  rivaliser  avec  lui  par  la 
science  et  le  sentiment  de  l'art ,  mais  qui  sont  restés  bien 
en  deçà  pour  la  foi ,  à  l'exception  du  seul  Frédéric  Schlegel. 

Ce  doit  être  quelque  chose  de  bien  déconcertant ,  ce  nous 
semble ,  pour  vous ,  Messieurs  les  critiques ,  qui ,  dans  vos 
jugemens  souverains  sur  l'art  ancien  et  moderne,  posez  d'a- 
bord en  principe  que  le  catholicisme  est  définitivement 
mort ,  qu'il  est  aujourd'hui  dénué  de  toute  sève  créatrice , 
et  qu'aucun  être  doué  de  raison ,  et  à  plus  forte  raison ,  de 
science ,  ne  peut  y  trouver  la  règle  actuelle  et  positive  de 
ses  jugemens  et  de  ses  idées  ?  Daignerez-vous  seulement 
vous  retourner  dans  votre  marche  triomphale  du  salon 
de  1837  au  salon  de  1838  ,  pour  écouter  la  voix  grave  et 
éloquente  d'un  homme  qui  aurait  cependant  quelque  droit  à 
votre  attention  ?  Car  ici  il  ne  s'agit  pas  d'un  peintre  obscur, 
atteint  et  convaincu  de  faire  des  pastiches  du  moyen  âge , 


—  75  — 

seloa  le  terme  inventé  pour  flétrir  aux  yeux  des  fins  connais- 
seurs toute  tentative  de  régénération  ;  c'est  un  savant  pro- 
fesseur de  l'Université ,  qui  après  avoir  commencé  à  vivre 
sur  les  champs  de  bataille  et  avoir  gagné  à  quinze  ans  la 
croix  d'honneur,  a  enseigné  long-temps  l'histoire  avec  éclat; 
et  puis  tout-à-coup ,  à  la  fleur  de  l'âge ,  s'est  senti  saisi  d'un 
tel  amour  pour  l'art  purement  chrétien ,  qu'il  a  renoncé  à 
toute  autre  occupation  pour  l'étudier  et  pour  en  révéler  les 
doux  mystères  et  les  saintes  traditions.  Un  esprit  aussi  ré- 
trograde vous  étonne  peut-être  :  mais ,  s'il  plaît  à  Dieu , 
vous  en  verrez  bien  d'autres. 

A  côté  de  ce  mérite  suprême  de  la  foi  complète  et  coura- 
geuse ,  vient  se  placer  chez  M.  Rio  celui  d'une  science  appro- 
fondie et  complètement  originale.  Son  livre  est  en  quelque 
sorte  un  répertoire  de  découvertes  en  fait  d'art ,  qu'il  y  a  eu 
autant  de  mérite  à  faire  que  de  courage  à  publier ,  tant  elles 
froissent  la  routine  des  jugemens  ordinaires  et  tant  elles 
sont  éloignées  de  la  voie  battue  depuis  trois  siècles  que  le 
paganisme  a  envahi  tous  les  domaines  de  l'intelligence.  Mais 
c'est  encore  à  la  foi  chrétienne  que  M.  Rio  doit  sa  vraie 
science  ;  c'est  elle  qui  lui  a  donné  la  lumière ,  qui  lui  a  pro- 
curé le  point  de  vue  aussi  neuf  que  satisfaisant  où  il  place  ses 
lecteurs.  Ce  point  de  vue,  nous  nous  hâtons  de  le  dire ,  ne 
résulte  d'aucune  théorie  arbitraire  ni  individuelle  :  il  n'y  a 
peut-être  pas  dans  son  livre  une  seule  page  de  théorie  pro- 
prement dite ,  et  nous  l'en  félicitons  hautement  ;  il  n'est 
parti  que  d'une  seule  donnée  toute  simple  et  toute  chré- 
tienne, c'est  que  toutes  les  œuvres  de  l'homme  racheté  par 
Dieu ,  doivent  concourir  à  la  gloire  de  son  Sauveur  et  au  sa- 
lut de  son  âme.  Or,  comme  cette  loi  suprême ,  si  étrangère 
à  tous  les  docteurs  de  l'art  depuis  la  renaissance ,  a  heureu- 
sement dominé  le  génie  des  peintres  italiens  pendant  deux 
ou  trois  siècles ,  il  a  été  facile  à  M.  Rio  de  rassembler  assez 
de  faits  positifs ,  assez  de  détails  biographiques,  assez  deju- 


—  76  — 

gemens  de  visu  sur  des  œuvres  capitales ,  pour  dresser  un 
inventaire  des  riches  produits  du  génie  chrétien  pendant  la 
période  que  ce  volume  embrasse.  C'est  de  cet  inventaire 
même  que  ressort  une  théorie,  ou  plutôt  une  série  de  con- 
séquences toutes  naturelles ,  que  chacun  peut  et  doit  en  dé- 
duire ,  et  dont  l'auteur  a  laissé  souvent  la  déduction  à  la  sa- 
gacité du  lecteur.  Nous  les  résumerons  toutes  en  une  seule , 
savoir  :  que  la  peinture  chrétienne  est  la  plus  belle  de  tou- 
tes, et  qu'elle  répudie  tout  ce  qui ,  soit  dans  l'expression, 
soit  dans  l'inspiration ,  tient  de  près  ou  de  loin  au  matéria- 
lisme ,  ou ,  en  d'autres  termes ,  au  culte  de  la  nature ,  qui 
règne  dans  l'art  depuis  les  Médicis. 

C'est  donc  un  immense  service  rendu  par  M.  Rio ,  aux 
chrétiens  d'abord;  et  ensuite  à  tous  ceux  qui  s'occupent  con- 
sciencieusement de  l'art ,  que  d'apporter  un  livre  de  faits , 
un  livre  d'érudition  et  d'observations  personnelles ,  au  mi- 
lieu de  ce  déluge  de  prétendus  critiques ,  dont  les  jugemens 
téméraires  et  les  stériles  théories  inondent  tous  les  feuilletons 
de  nos  jours,  et  finit  par  déborder  jusque  dans  les  journaux 
religieux  ou  soi-disant  tels. 

Un  service  presque  aussi  grand  et  plus  facile  à  apprécier , 
c'est  d'avoir  enfin  donné  aux  voyageurs  en  Italie  un  manuel 
qui  puisse  leur  ouvrir  les  yeux  sur  les  beautés  de  l'ordre  le 
plus  élevé,  et  justement  le  plus  méconnu ,  que  leur  présen- 
tera le  pays  qu'ils  parcourent.  Pour  nous ,  à  qui  il  a  fallu 
trois  voyages  et  trois  séjours  prolongés  en  Italie ,  pour  nous 
dépêtrer  complètement  du  bourbier  matérialiste  où  Ton  est 
lancé  tout  d'abord  par  l'effort  combiné  et  unanime  de  tous 
les  livrets ,  de  tous  les  guides ,  de  tous  les  itinéraires ,  en 
un  mot  de  tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  l'Italie ,  en  français 
en  anglais ,  en  italien ,  en  prose  ou  en  vers ,  depuis  les  effu- 
sions lyriques  de  lord  Byron  jusqu'au  fameux  Guide  écono- 
mique et  culinaire  de  madame  Starke;  pour  nous ,  qui  en 
sommes  enfin  bien  sortis ,  grâce  à  Dieu ,  et  à  M.  Rio,  nous 


—  77   — 

nous  hâtons  de  lui  adresser  nos  actions  de  grâces ,  en  même 
temps  que  nous  le  recommandons  à  tous  nos  compagnons 
d'infortune  passés  ou  futurs.  Nous  leur  dirons  que ,  s'il  y  a 
eu  en  Allemagne  quelques  symptômes  de  régénération  sous 
ce  rapport ,  la  France  a  été  privée  jusqu'à  présent ,  non  seu- 
lement d'un  ouvrage  savant  et  fondamental  comme  celui-ci, 
mais  même  du  plus  petit  essai ,  de  la  plus  insignifiante  mo- 
nographie ,  rédigée  dans  un  esprit  de  justice  et  d'affection 
pour  l'art  catholique.  Il  a  paru  dernièrement  un  ouvrage 
très  estimable  en  cinq  gros  volumes  ,  intitulé  X Indicateur 
Italien,  par  M.  Valéry  :  c'est  certainement  ce  qu'il  y  a  de 
plus  complet  jusqu'à  présent  sur  l'Italie,  et  on  y  trouve  beau- 
coup de  faits  et  de  recherches  très  curieuses  ;  mais  que  pen- 
sera l'amateur  de  l'art  chrétien  lorsqu'il  verra  dès  les  pre- 
mières pages ,  que  la  cathédrale  de  Milan  n'est  qu'un  énorme 
colifichet ,  qu'on  lui  recommandera  le  Saint- Jérôme  de 
Prévitale  à  Bergame,  comme  très  élégant!  Sans  parler  des 
innombrables  péchés  d'omission  envers  des  chefs-d'œuvre 
les  plus  suaves.  Et  ce  sera  bien  pire  si  l'infortuné  remonte 
plus  haut  et  se  trouve  pris  à  la  gorge  par  les  Dupaty  ,  les 
Cochin ,  les  Lalande.  Mais 

Non  ragionam  di  lor... 

Laissons  le  dix-huitième  siècle  pourrir  en  paix.  Répétons 
seulement  que  le  livre  de  M.  Rio  est  le  meilleur  guide  pour 
l'étude  de  la  peinture  en  Italie.  Bienheureux  ceux  qui  n'au- 
ront pas  eu  d'autre  guide  que  lui ,  qui  prendront  ce  livre 
pour  premier  Cicérone  :  nous  n'avons  pas  eu  ce  bonheur  ; 
mais  nous  savons  par  l'expérience  d'autrui  le  bien  qui  en  ré- 
sulte, et  nous  avons  vu  la  facilité  et  la  rapidité  avec  laquelle 
•des  voyageurs  encore  purs  de  tout  contact  avec  l'esthétique 
routinière ,  ont  été  conduits  à  l'étude  et  à  la  connaissance 
du  vrai  par  ce  livre  qui ,  selon  leur  propre  expression  ,  ver- 
sait des  flots  de  poésie  dans  leur  âme. 


— ■  78  — 

Il  eût  été  à  désirer  que  M.  Rio  eût  songé  à  adjoindre  à 
toute  cette  poésie  un  index  topographique  qui  en  eût  facilité 
l'usage  au  voyageur ,  à  mesure  qu'il  parcourt  les  lieux  qui 
renferment  les  trésors  décrits  par  l'écrivain.  Mais  comme 
nous  l'avons  déjà  vu  pour  son  titre  ,  M.  Rio  ne  songe  pas 
toujours  à  se  rendre  accessible  au  vulgaire.  L'index  n'existe 
pas.  Chacun  peut  s'en  faire  un  ';  et,  tel  qu'il  est,  le  meil- 
leur conseil  que  nous  puissions  donner  à  ceux  de  nos  lecteurs 
qui  feront  ou  referont  le  voyage  d'Italie  ,  c'est  d'emporter 
avec  eux  ce  volume.  C'est  dans  l'espoir  d'obtenir  pour  ces 
pages  l'honneur  d'être  adjointes ,  à  titre  de  supplément ,  à 
ce  précieux  vade  mecum ,  que  nous  relèverons  avec  quel- 
que détail  certaines  omissions  de  M.  Rio,  et  que  nous  com- 
battrons ses  opinions  sur  certains  peintres  ou  certains  ta- 
bleaux ,  mais  toujours  dans  l'intérêt  exclusif  de  la  même 
cause  et  en  partant  des  mêmes  principes,  ne  différant  de  lui 
que  pour  leur  application. 

Après  ce  préambule,  qui  n'est  pas  trop  long  pour  l'impor- 
tance de  l'ouvrage ,  nous  allons  passer  à  l'analyse  des  divers 
chapitres ,  en  avertissant  d'abord  nos  lecteurs  que  toutes  les 
idées  et  tous  les  faits  que  nous  citerons  sont  tirés  de  l'ou- 
vrage même,  à  moins  de  mention  contraire. 

Dans  le  premier  chapitre ,  nous  assistons  tout  d'abord  au 
magnifique  spectacle  de  la  peinture  chrétienne ,  venant  au 
monde  dans  le  berceau  sanglant  des  catacombes ,  et  contra- 
stant autant  par  sa  direction  intime  que  par  ses  manifesta- 
tions extérieures  avec  les  dégoûtantes  orgies  de  l'art  sous 
les  Césars  persécuteurs.  Un  bon  résumé  des  sujets  représen- 
tés dans  les  catacombes  fait  ressortir  la  sublime  abnégation 

1  Au  moment  où  nous  relisons  ces  lignes,  nous  apprenons  que 
M.  Guénebault,  déjà  si  honorablement  connu  par  des  travaux  d'ar- 
chéologie chrétienne  dans  les  Annales  de  Philosophie  chrétienne, 
vient  de  terminer  une  table  à  la  fois  alphabétique  et  analytique  de 
l'ouvrage  de  M.  Rio. 


—   7*  — 

de  soi ,  avec  laquelle  les  artistes  martyrs  évitaient  toute 
commémoration  même  indirecte  de  leurs  supplices.  Puis , 
avec  l'affranchissement  de  l'Église  par  Constantin ,  viennent 
ces  grandes  mosaïques  romaines ,  que  Ghirlandajo  appelait 
à  si  juste  titre  la  vraie  peinture  pour  l'éternité.  Mais  la  vi- 
talité de  l'école,  justement  qualifiée  par  M.  Rio  de  romano- 
chrétienne,  fut  menacée  dès  lors  par  une  controverse  très 
curieuse  entre  les  Pères  les  plus  illustres  de  l'Église  latine 
et  quelques  Pères  de  l'Église  grecque ,  appuyés  avec  fureur 
par  les  moines  de  l'ordre  de  Saint-Basile.  Ceux-ci  soutenaient 
que  Jésus-Christ  avait  été  le  plus  laid  des  enfans  des  hom- 
mes ,  tandis  que  leurs  adversaires  disaient,  comme  plus  tard 
saint  Bernard ,  que  la  merveilleuse  beauté  du  Christ  surpas- 
sait celle  des  anges ,  et  faisait  l'admiration  de  ces  êtres  céles- 
tes. On  sait  assez  que  l'Occident  tout  entier  se  rangea  du 
côté  de  ses  Pères.  Mais  en  vérité ,  lorsque  nous  avons  lu  ce 
passage  du  livre  de  M.  Rio,  nous  nous  sommes  rappelé  les 
horribles  travestissemens  des  principaux  faits  de  la  vie  de 
Notre  Seigneur ,  qui ,  non  contens  de  s'étaler  périodique- 
ment sur  les  murs  du  Louvre ,  viennent  souiller  à  demeure 
les  parois  de  nos  églises,  dignes  pendans,  du  reste ,  de  la  mu- 
sique d'opéra  qu'on  y  entend  ;  nous  nous  sommes  rappelé 
ces  éditions  de  luxe  des  livres  les  plus  sacrés ,  où  les  traits 
de  notre  divin  Maître,  de  la  Vierge  mère ,  des  apôtres ,  de 
Madeleine ,  etc.,  sont  livrés  aux  mêmes  imaginations  et  aux 
mômes  burins  qui  se  sont  fait  un  nom  en  illustrant  (c'est  le 
terme  consacré)  les  saletés  de  Voltaire  et  de  Lafontaine  ; 
nous  nous  sommes  rappelé  enfin  le  débordement  de  vulga- 
rité ,  de  niaiserie ,  d'inconvenance ,  qui  caractérise  tout  ce 
qu'on  appelle  aujourd'hui  des  sujets  religieux ,  et  que  le 
clergé  a  la  bonté  d'admettre  comme  tels  ;  et  puis  nous  nous 
sommes  demandé  si  par  hasard  la  doctrine  byzantine  n'avait 
pas  été  ressuscitée  de  nos  jours ,  et  si  tous  les  coryphées  de 
nos  écoles  modernes  ne  s'étaient  pas  donné  le  mot  secrète* 


—  80   — 

ment  pour  représenter  Notre  Seigneur  et  tous  les  personna- 
ges religieux  comme  les  plus  laids  des  en  fans  des  hom- 
mes. Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est  certain  que  les  fanatiques 
byzantins  du  quatrième  et  du  cinquième  siècle ,  s'ils  renais- 
saient au  dix-neuvième,  ne  pourraient  qu'être  flattés  de  voir 
une  pratique  aussi  conforme  à  leur  théorie. 

M.  Rio  se  livre  aux  considérations  les  plus  sages  sur  la 
nature  dégradante  des  doctrines  byzantines  qui  préludaient 
dès-lors  au  schisme  de  Photius,  et  dont  l'autocratie  mosco- 
vite est  au  sein  de  notre  société  moderne  le  dernier  résul- 
tat :  elles  exercèrent  long-temps  la  plus  funeste  influence  en 
Italie  :  heureusement  le  siège  infaillible  et  immortel  de 
Pierre  réagit  constamment  contre  elles.  Ne  pouvant  intro- 
niser le  laid  dans  l'art  religieux,  Byzance  et  ses  empereurs 
devinrent  iconoclastes  pour  anéantir  dès  le  berceau  cet  art 
sublime.  Delà  cette  guerre  admirable,  que  M.  Rio  compare 
justement  aux  croisades,  qui  unit  toute  l'Italie,  sauf  Na- 
ples,  pour  la  défense  du  pape  et  des  saintes  images,  et  que 
Gibbon  a  jugée  avec  sa  mauvaise  foi  ordinaire.  Cependant, 
l'école  romano-chrétienne  devait  mourir ,  à  ce  que  croit 
l'auteur,  et  il  fixe  l'époque  de  cette  extinction  complète 
aux  douzième  et  treizième  siècles.  Nous  protestons  de  toute 
notre  àme  contre  cette  assertion  ;  car,  à  notre  avis,  les 
mosaïques  de  Sainte-Marie  in  Transtevere  et  de  Sainte-Ma- 
rie-Majeure, qui  datent  précisément  de  ces  deux  siècles, 
sont  les  plus  belles  de  Rome.  Mais  nous  admettons  volon- 
tiers que  cette  école ,  à  laquelle  nous  attachons  du  reste 
moins  d'importance  que  l'auteur  et  quelques  autres  écrivains 
modernes,  a  été  avantageusement  remplacée  par  l'école 
germano-chrétienne,  née  avec  Charlemagne,  et  dont  il 
nous  reste  des  monumens  nombreux  dans  les  miniatures  des 
manuscrits,  et  plus  tard,  dans  les  vitraux.  Il  importe  d'éta- 
blir, comme  l'a  fait  M.  Rio ,  que  rien  dans  cette  école  ne 
sent,  comme  on  s'en  va,  le  répétant  tous  les  jours,  l'imita- 


—  81  — 

tion  servile  de  ce  qui  s'était  fait  à  Byzance  et  en  Italie.  Le 
clergé  ne  cessa  jamais  de  diriger  cet  art  dont  il  avait  été  le 
père ,  et  de  lui  donner  cette  fécondité  que  le  catholicisme 
communique  à  tout  ce  qu'il  enfante  \  Aussi  l'originalité 
des  écoles  de  France,  de  Belgique,  de  Cologne,  du  dixième 
au  treizième  siècle ,  est  un  fait  qui  ressortira  chaque  jour 
davantage  de  l'étude  approfondie  de  leurs  produits.  M.  Rio 
énumère  avec  soin  les  traits  distinctifs  du  genre  occidental 
et  du  genre  byzantin  :  il  suit  les  différentes  phases  de  l'exis- 
tence languissante  de  celui-ci  en  Italie ,  et  relève  les  déplo- 
rables conséquences  de  son  influence  sur  l'école  napolitaine, 
qui  n'a  jamais  pu  se  relever  de  ce  honteux  vasselage  ;  mais 
nous  lui  demandons  grâce  pour  le  bon  vieux  Giuntade  Pise, 
qu'il  regarde  comme  le  dernier  représentant  de  l'art  byzan- 
tin ,  et  que  nous  voudrions  délivrer  de  cette  flétrissure ,  en 
considération  du  beau  portrait  de  saint  François  qu'on  voit 
de  lui  à  la  sacristie  d'Assise ,  comme  aussi  de  ce  crucifix  peint 
par  lui ,  qui  stigmatisa  sainte  Catherine  de  Sienne ,  et  que 
l'on  conserve  encore  dans  la  maison  paternelle  de  cette 
grande  sainte  à  la  Contrada  delï  oca,  à  Sienne. 

Le  chapitre  II  est  consacré  à  Y  école  siennoise.  Quoiqu'à 
peu  près  passée  sous  silence  par  Vasari ,  les  recherches  pos- 
térieures, surtout  celles  de  Rumohr,  ont  bien  établi  que 
Sienne,  qui  s'honorait  du  titre  de  Cité  de  la  Vierge,  a  été 
le  berceau  delà  peinture  chrétienne  d'Italie,  au  treizième 
siècle.  On  y  voit  encore  quelques  ouvrages  de  ces  premiers 
maîtres  si  purs  et  si  dévots ,  signés  de  leur  nom ,  avec  l'addi- 
tion d'une  prière  ou  dune  éjaculation  pieuse.  Tels  sont  : 
Guido,  dont  la  grande  Madone,  à  Saint- Dominique,  est  le 
premier  tableau  à  date  certaine  (1221),  de  l'Italie  ;  Duccio, 

•  On  ne  saurait  lire  sans  émotion  cette  admirable  définition  du 
concile  d'Arras  en  1205,  où  il  est  dit  que  la  peinture  est  le  livre  des 
ignorons  qui  ne  sauraient  pas  en  lire  d'autres. 

6 


— ■  82   — 

vanté  par  Ghiberti  ;  Ambrogio,  qui  fit  la  grande  fresque  al- 
légorique d'une  des  salles  du  palais  public ,  que  M.  Rio  dé- 
clare n'avoir  pas  comprise,  mais  où  l'on  pourrait,  ce  nous 
semble,  clairement  reconnaître  les  principales  vertus  chré- 
tiennes ,  avec  les  symboles  universellement  admis  dans  la 
peinture  et  la  sculpture  chrétienne  de  cette  époque ,  belle 
idée  assurément  pour  une  salle  de  justice.  Il  ne  reconnaît 
qu'un  seul  tableau  authentique  do  Pietro ,  frère  d'Ambrogio  : 
il  a  oublié  la  jolie  Madone ,  voisine  de  l'hospice  délia  Scala, 
que  nous  citons  à  cause  de  sa  touchante  et  simple  inscrip- 
tion :  Opus  Laurentii Pétri pictoris  :  fecit  ob  suam  devo- 
tionem.  Ces  deux  frères  se  sont  immortalisés  par  leur  grande 
fresque  du  Campo-Santo  de  Pise,  représentant  les  divers 
épisodes  de  la  vie  des  Pères  du  Désert,  chef-d'œuvre  de 
grâce  et  de  simplicité  naïve.  M.  Rio  relève  avec  raison  toute 
la  poésie  de  ce  sujet  :  il  nous  donne  ensuite  un  récit  char- 
mant de  la  légende  de  saint  Rainier,  qui  forme  un  des  orne- 
mens  de  ce  même  Campo-Santo ,  et  qui  a  été  peint  par  ce 
Simon  Memmi  que  Pétrarque  mettait  sur  la  même  ligne  que 
Giotto.  Nous  regrettons  de  ne  pas  trouver  quelques  détails 
sur  les  magnifiques  fresques  du  même  Simon  Memmi ,  à  la 
chapelle  des  Espagnols,  à  Florence  ;  cette  admirable  repré- 
sentation de  l'Eglise  triomphante  et  militante ,  avec  tout  le 
fécond  symbolisme  de  l'époque;  ce  Jésus  descendant  aux 
limbes,  et  écrasant  le  démon  vaincu  sous  la  porte  brisée 
des  enfers,  et  tant  d'autres  sujets  traités  avec  une  supério- 
rité réelle,  méritaient  une  attention  spéciale  de  la  part  de 
l'auteur,  qui  n'aurait  pas  dû  se  borner  à  nous  renvoyer  à  Va- 
sari,  dont  il  nous  a  recommandé,  et  à  si  juste  titre,  de  nous 
défier. 

Mais  quelque  chose  de  bien  plus  grave  que  cette  omission, 
c'est  l'injustice  avec  laquelle  M.  Rio  donne  congé  à  toute 
l'école  siennoise,  après  avoir  cité  ces  trois  ou  quatre  noms , 
en  déclarant  qu'après  eux  sa  fécondité  ne  fut  que  purement 


—   83  — 

numérique  jusqu'au  quinzième  siècle.  Nous  verrons  que 
M.  Rio  n'est  pas  moins  injuste  pour  les  grands  peintres  sien- 
nois  du  quinzième  ;  et  en  attendant,  nous  réclamons  de  tou- 
tes nos  forces  en  faveur  de  plusieurs  peintres  que  des  sé- 
jours malheureusement  trop  courts  à  Sienne ,  nous  ont 
permis  cependant  de  connaître  ;  et ,  en  premier  lieu ,  nous 
citerons  Mannodi  Simone,  auteur  dès  1287,  à  ce  qu'on  dit, 
de  la  fresque  de  la  chapelle  du  palais  public,  qui  représente 
Notre-Dame  entourée  d'anges  et  de  saints ,  assise  sur  un 
trône  et  sous  un  vaste  baldaquin  porté  par  les  saints  protec- 
teurs de  Sienne ,  tandis  que  deux  anges  agenouillés  devant 
elle  lui  présentent  des  corbeilles  de  fleurs  :  nous  connaissons 
peu  de  productions  plus  grandioses  et  plus  catholiques.  Puis 
ce  Sano  di  Pietro,  dont  on  voit  une  admirable  Incorona- 
zione  (1) ,  à  la  chancellerie  du  palais  public ,  datée  de  1345  ; 
et  enfin  cet  André  Vanni ,  que  son  goût  pour  la  peinture 
n'empêcha  pas  d'être  capitaine  du  peuple  et  ambassadeur 
auprès  du  pape,  à  qui  sainte  Catherine  de  Sienne  adressa 
une  lettre  sur  l'art  de  bien  gouverner,  et  qui  en  revanche 
nous  a  laissé  d'elle  un  portrait  authentique  et  délicieux,  au 
capellone  de  l'église  Saint-Dominique.  On  voit  aussi  de  lui 
à  l'académie  les  quatre  Trionfi  de  Pétrarque ,  assez  ingé- 
nieusement reproduits.  Nous  n'hésitons  donc  pas  à  dire,  et 
nos  observations  ultérieures  viendront  à  l'appui  de  ce  juge- 
ment ,  que  dans  la  prochaine  édition  de  son  livre ,  M.  Rio 
doit  refaire  toute  la  partie  de  l'école  siennoise,  sous  peine 
d'être  confondu ,  quant  à  ce ,  avec  cette  masse  banale  de 
voyageurs  dont  les  yeux  et  le  cœur  restent  toujours  fermés 
aux  productions  du  véritable  art  chrétien. 
Le  chapitre  III  nous  introduit  à  l'étude  de  X école primU 

1  C'est  la  désignation  italienne  du  couronnement  de  la  Sainte- 
Vierge  dans  le  ciel,  sujet  favori  des  peintres  chrétiens  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  pays. 


—  su  — 

ttve  de  Florence  9  née  un  demi-siècle  après  celle  de  Sienne. 
M.  Rio  fait  bonne  justice  de  la  réputation  exagérée  de  Ci- 
mabuë,  qui  a  passé  long-temps  pour  le  régénérateur  de  l'art, 
et  que  les  feuilletonistes  éclectiques  de  nos  jours  se  résignent 
quelquefois  à  citer  comme  un  grand  génie.  C'est  à  Giotto 
qu'appartient  plus  justement  le  titre  de  régénérateur  ;  ce  fut 
lui  qui  brisa  définitivement  les  types  byzantins.  M.  Rio  le 
démontre  par  des  observations  d'une  rare  sagacité,  et  réfute 
les  absurdes  reproches  que  Rumohr  a  adressés  à  ce  grand 
peintre.  Il  passe  en  revue  ses  principaux  ouvrages  et  les 
traits  de  son  caractère  qui  nous  ont  été  conservés.  On  s'é- 
tonnera seulement  de  ce  qu'il  regarde  la  révolution  opérée 
par  Giotto  dans  la  peinture,  comme  contemporaine  de  celle 
par  laquelle  l'architecture  moderne  s'affranchissait  du  joug 
classique.  Quand  même  l'architecture  ogivale  daterait  de 
l'époque  de  Giotto ,  ce  qui  n'est  pas,  M.  Rio  ne  saurait  être 
du  nombre  de  ceux  qui  regardent  les  cathédrales  de  Spire  et 
de  Mayence,  le  dôme  et  le  baptistère  de  Pise,  Saint-Marc 
de  Venise ,  et  tant  d'autres  monumens  du  dixième  au  dou- 
zième siècle ,  comme  émanant  de  l'architecture  classique  : 
cela  ressemblerait  trop  à  ce  savant  de  la  renaissance,  qui 
prétendait  avoir  découvert  que  la  cathédrale  de  Milan  avait 
été  bâtie  d'après  les  règles  tracées  par  Vitruve.  Nous  dé- 
plorons aussi  la  brièveté  excessive  avec  laquelle  notre  au- 
teur passe  sur  les  grandes  fresques  de  la  chapelle  de  FArena 
à  Padoue,  qui  sont ,  selon  nous,  l'œuvre  capitale  de  Giotto , 
et  où  se  trouvent  douze  sujets  de  la  vie  de  Notre-Dame  jus- 
qu'à son  mariage ,  vingt-quatre  sujets  de  la  vie  de  Notre- 
Seigneur,  dont  plusieurs  de  la  plus  haute  beauté,  surtout  la 
résurrection  de  Lazare  et  la  déposition  de  Croix,  un  magni- 
fique Jugement  dernier,  le  plus  ancien  que  nous  connaissions, 
et  enfin  les  figures  des  Vertus  et  des  Vices  en  grisaille , 
qui  surpassent  tout  le  reste.  Son  Espérance  et  sa  Charité 
n'ont  de  rivales  que  les  figures  analogues  de  la  porte  du 


—  85  — 

baptistère  de  Florence  par  André  de  Pise.  Le  symbolisme  si 
remarquable  de  ces  figures  avait  frappé  l'attention  de  notre 
savant  d'Hancar  ville ,  à  une  époque  où  Giotto  était  encore 
regardé  comme  un  barbare  ;  elles  viennent  de  fournir  à  un 
écrivain  de  Padoue ,  le  comte  Selvatico ,  le  sujet  d'un  opus- 
cule très  intéressant  '.  Comme  ces  fresques  forment  l'ensem- 
ble le  plus  vaste ,  le  plus  complet  et  le  plus  ancien  de  cette 
époque ,  nous  croyons  qu'elles  exigeaient  plus  d'attention 
de  la  part  de  M.  Rio.  Pour  le  plus  grand  avantage  des  voya- 
geurs, nous  dirons  encore  que  les  belles  fresques  de  Giotto, 
représentant  les  sacremens  d'Ordre  et  de  Mariage,  que  l'on 
admire  encore  à  Naples ,  se  voient  à  Y Incoronata ,  petite 
église  presque  souterraine,  près  le  Château  neuf,  et  non  pas, 
comme  dit  M.  Rio,  à  Sainte-Claire,  celles  qui  ornaient  cette 
dernière  église  ayant  été  blanchies  à  la  chaux  par  les  hommes 
éclairés  du  dernier  siècle.  A  l'occasion  du  célèbre  tableau 
signé  par  Giotto,  à  Santa-Croce  de  Florence,  M.  Rio  signale 
la  présence  d'anges  jouant  de  divers  instrumens  de  musi- 
que ;  heureuse  innovation  qui  a  fourni  de  tout  temps  aux 
peintres  vraiment  chrétiens  des  épisodes  délicieux  dans  leurs 
plus  beaux  tableaux2.  Du  reste,  les  sujets  traités  avec  le 
plus  de  prédilection  par  ce  peintre  furent,  selon  M.  Rio ,  la 

*  Suîla  capellina  degîi  Scrovegni  nell'  Arena  di  Padova,  e  su  ï 
freschi  di  Giotto  in  essa  dipinti  :  osservazioni  di  Pietro  Estense 
Selvatico;  Padova  1836.  Nous  recommandons  cet  ouvrage  à  nos  lec- 
teurs comme  le  seul  que  nous  ayons  encore  rencontré  en  Italie ,  où 
l'art  du  moyen  âge  soit  assez  bien  apprécié ,  malgré  les  inconsé- 
quences bizarres  qu'on  y  rencontre  mêlées  aux  jugemens  les  plus 
sains. 

*  M.  Guénebault  attribue  cette  innovation  à  André  Tafi,  qui  vivait 
vers  1233,  et  remarque  avec  raison  que  l'origine  de  cette  idée  se 
trouve  dans  le  passage  de  saint  Augustin  où  il  énumère  les  jouis- 
sances du  Paradis  :  e  Quae  cantica!  quœ  organa!  quae  cantilenae  ibi 
c  sine  fine  decantantur  !  sonant  ibi  semper  melliflua  bymnorum  or- 
c  gana,  suavissima  angelorum  melodia,  etc.  »  HHanwU,  c.  vi,  n°  2. 


—  86  — 

Crucifixion  et  la  vie  de  saint  François.  Nous  ne  savons  pour- 
quoi il  dit  que  dans  cette  glorieuse  vie,  il  y  a  très  peu  d'ac- 
tions extérieures,  très  peu  d'épisodes  dramatiques 
(pag.  69).  Nous  n'en  connaissons  pas  au  contraire  où  il  s'en 
trouve  plus ,  témoin  les  grandes  fresques  de  l'église  supé- 
rieure d'Assise ,  que  notre  auteur  traite  bien  légèrement. 

La  révolution  opérée  par  Giotto  trouva  à  Florence  une 
adhésion  unanime  ;  mais  elle  eut  à  combattre  quelques  res- 
pectables résistances,  comme  celle  du  vieux  Margaritone^ 
qui  avait  envoyé  un  crucifix  de  sa  façon  à  ce  Farinât  a  (dont 
le  Dante  trace  un  portrait  si  imposant) ,  pour  le  récom- 
penser d'avoir  sauvé  sa  patrie  ;  puis  à  Rome ,  celle  d'un  élève 
même  de  Giotto ,  Cavallini ,  auteur  du  crucifix  miraculeux 
qui  parla  à  sainte  Brigitte  h 

Rien  de  plus  faux  que  l'assertion  des  classiques  qui  pré- 
tendent que  la  peinture  a  été  stationnaire  pendant  le  demi- 
siècle  qui  suivit  la  mort  de  Giotto,  c'est-à-dire  jusqu'au  mo- 
ment où  le  naturalisme  envahit  Fart  avec  Masaceio.  M.  Rio 
détruit  de  fond  en  comble  cette  erreur  par  son  éloquente 
énumération  des  œuvres  principales  des  successeurs  immé- 
diats de  Giotto,  énumération  habilement  parsemée  de  détails 
charmans  sur  leur  vie  et  leur  piété.  Nous  voyons  passer 
successivement  Taddeo  Gaddi ,  digne  filleul  et  disciple  de 
Giotto ,  qui  avait  pris  saint  Jérôme  pour  sujet  de  prédilec- 
tion. Giottino ,  bien  supérieur  encore  à  Giotto ,  selon  nous, 
quoique  son  nom  semble  indiquer  un  diminutif  du  talent  de 
celui-ci.  Agnolo  Gaddi,  fils  de  Taddeo,  auteur  de  la  légende 
de  la  ceinture  de  Notre-Dame ,  peinte  à  fresque  dans  la  ca- 
thédrale de  Rato,  et  que  M.  Rio  nous  raconte  avec  une  en- 
traînante sympathie  ;  enfin  le  grand  Orgagna ,  qui  a  mérité 

•  C'est  la  tradition,  répétée  par  M.  Rio,  mais  assez  peu  d'accord 
a?ec  les  faits;  puisque  ce  crucifix  de  sainte  Brigitte  que  l'on  montre 
encore  à  Saint-Paul  hors  des  murs ,  et  qui  a  échappé  au  dernier 
incendie ,  est  sculpté  en  bois  et  non  pas  peint. 


-  87  — 

d'être  appelé  le  Michel-Ange  de  son  siècle,  à  cause  de  sa 
suprématie  simultanée  dans  la  peinture,  la  sculpture  et  l'ar- 
chitecture ,  mais  avec  celte  différence  qu'il  a  toujours  été 
aussi  chrétien  dans  ses  œuvres  que  Michel  Ange  a  été  païen, 
et  qu'il  a  ouvert  dans  l'art  une  ère  de  pure  et  pieuse  beauté, 
tandis  que  Michel-Ange  en  ouvrit  une  d'exagération  anato- 
mique  et  de  décadence  morale.  Son  Triomphe  de  la  Mort 
au  Campo  Santo  de  Pise ,  et  son  Paradis  à  Sainte-Marie- 
Novella ,  compteront  toujours  parmi  les  chefs-d'œuvre  de 
la  peinture  chrétienne ,  et  se  distinguent  surtout  par  une 
intensité  d'expression ,  comme  dit  fort  heureusement 
M.  Rio,  que  nul  n'avait  encore  atteinte  à  un  si  haut  point. 
Ce  chapitre  se  termine  par  un  résumé  des  progrès  faits  par 
la  peinture  jusqu'alors,  et  des  principaux  traits  qui  caracté- 
risent celte  période.  L'éloignement  pour  toutes  les  tradi- 
tions grecques  '  s'est  de  plus  en  plus  enraciné.  Les  sujets 
mystiques  sont  exclusivement  cultivés ,  le  goût  pour  les  su- 
jets dramatiques  ne  s'étant  pas  encore  annoncé ,  selon 
M.  Rio;  et  cependant  nous  ne  savons  trop  ce  qu'il  peut  y  avoir 
de  plus  dramatique ,  dans  le  meilleur  sens  du  mot ,  que  les 
différentes  époques  de  la  vie  de  Notre-Seigneur,  de  Notre- 
Dame  et  le  Jugement  dernier,  répétés  si  fréquemment  par 
les  peintres  de  cette  époque.  L'histoire  de  saint  François 
est  aussi  exploitée  avec  un  amour  tout  particulier;  cela  a  été 
le  privilège  perpétuel  de  ce  grand  saint  :  mais  nous  ne  pou- 

»  M.  Rio  cite  comme  preuve  remarquable  de  cette  antipathie ,  que 
jamais  les  Pères  de  l'Eglise  grecque  n'ont  été  mêlés  aux  Pères  de  l'E- 
glise latine,  qui  faisaient  presque  de  droit  partie  de  toutes  les  grandes 
fresques.  Presque  toutes  nos  recherches  ont  confirmé  la  vérité  de 
cette  observation  ;  nous  n'avons  vu  qu'un  seul  exemple  de  cetfe 
union ,  mais  en  assez  bon  lieu  pour  mériter  d'être  noté.  C'est  à  la 
chapelle  Saint-Laurent  du  Vatican,  où  le  bienheureux  Angélique  a 
représenté  saint  Athanase  et  saint  Jean  Chrysoslome  comme  pendans 
de  saint  Léon  et  de  saint  Grégoire-le-Grand. 


—  68  — 

vons  admettre  avec  Fauteur  que  la  préférence  donnée  à 
cette  histoire  sur  celle  de  saint  Dominique  tienne  à  la  diffé- 
rence originelle  de  leurs  deux  institutions.  Quand  on  voit 
les  délicieuses  peintures  que  le  dominicain  Fra  Angelico  de 
Fiesole  a  consacrées  au  père  de  son  ordre  à  Cortone ,  et  sur 
le  gradino  de  son  couronnement  de  la  Vierge  au  Louvre , 
on  peut  bien  admettre  que  la  vie  de  saint  Dominique  prêtait 
autant  que  celle  de  saint  François  aux  inspirations  de  la 
peinture  chrétienne  ;  et  d'ailleurs ,  comment  se  fait-il  que 
l'ordre  des  Frères  Prêcheurs  ait  produit  tant  de  grands  ar- 
tistes, et  du  premier  rang,  tels  que  Fra  Angelico  et  Fra 
Bartoîommeo,  tandis  que  le  nombre  de  ceux  sortis  des  Frères 
Mineurs  est  infiniment  moindre.  Nous  avouons  que  nous 
sommes  jaloux  de  la  moindre  parcelle  de  la  gloire  de  saint 
Dominique ,  surtout  depuis  que  nous  l'avons  entendu  traiter 
de  profond  scélérat  par  un  célèbre  député,  membre  de  l'A- 
cadémie française. 

Dès  cette  époque  primitive  l'art  qui  avait  son  foyer  à  Flo- 
rence ,  rayonnait  au  loin  ;  de  toutes  les  parties  de  l'Italie 
une  foule  d'artistes  venaient  étudier  à  Florence  ;  une  tou- 
chante confraternité  s'établit  entre  eux;  elle  avait  pour  base 
l'esprit  exclusivement  chrétien  de  leurs  travaux.  «  Nous 
«  autres  peintres ,  disait  Buffalmacco ,  élève  de  Giotto ,  nous 
«  ne  nous  occupons  d'autres  choses  que  de  faire  des  saints 
«  et  des  saintes  sur  les  murs  et  les  autels,  afin  que ,  par  ce 
«  moyen ,  les  hommes ,  au  grand  dépit  des  démons ,  soient 
«  plus  portés  à  la  vertu  et  à  la  piété  »  (p.  88).  Aussi  dans  la 
première  académie  de  peinture  dont  l'histoire  fasse  mention, 
la  confrérie  de  Saint-Luc  fondée  en  1350,  les  membres  s'as- 
semblaient ,  non  pour  se  communiquer  leurs  découvertes  ou 
délibérer  sur  l'adoption  de  nouvelles  méthodes ,  mais  tout 
simplement  pour  chanter  les  louanges  de  Dieu  et  lui  rendre 
des  actions  de  grâces  (p.  39). 
L'âme  sincèrement  et  logiquement  catholique  se  repose 


— .  89  — 

avec  délices  sur  cette  époque  si  belle  et  si  pure ,  où  rien  ne 
vient  ternir  l'éclat  de  la  jeune  parure  dont  la  religion  vê- 
tissait  le  monde ,  où  tout  ce  qui  ornait  et  charmait  la  vie  de 
l'homme  lui  rappelait  le  ciel.  M.  Rio  a  compris  la  beauté  et 
l'unité  de  cette  époque  dans  la  partie  qui  a  été  l'objet  de  ses 
études  :  si  nous  avons  un  reproche  à  lui  faire ,  ce  serait  de 
n'avoir  pas  assez  insisté  sur  cette  période  de  son  ouvrage  , 
de  nous  avoir  privés  de  bien  des  détails  précieux ,  d'avoir 
omis  quelques  peintres  dignes  d'être  appréciés  par  lui ,  tels 
que  Gherardo  Starnina  f,  beaucoup  trop  sévèrement  jugé 
dans  un  chapitre  subséquent  (p.  107),  et  Nicolas  di  Pietro ?; 
mais  peut-être  ces  défauts  seront-ils  justement  des  qualités 
aux  yeux  d'autres  moins  ardens  et  moins  exclusifs  que  nous, 
dans  notre  amour  pour  l'art  purement  catholique  et  tel  qu'il 
était  avant  le  mélange  de  tout  autre  élément  inférieur.  Dans 
tous  les  cas ,  M.  Rio  a  la  gloire  incontestable  d'avoir  mieux 
jugé  et  mieux  loué  cette  glorieuse  richesse  de  notre  foi , 
qu'aucun  autre  écrivain  français,  et  c'est  une  gloire  dont  il 
lui  sera  chaque  jour  tenu  plus  de  compte. 

Dès  Ta  seconde  période  de  l'école  florentine ,  que  les  cha- 
pitres IV  et  V  nous  exposent ,  l'unité  a  cessé.  La  résurrec- 
tion du  paganisme,  qui  équivalait  à  celle  du  matérialisme, 
voilà,  comme  M.  Rio  le  reconnaît ,  le  germe  de  cette  déca- 
dence qui  se  développe  lentement  et  à  l'ombre ,  pendant  que 
la  peinture  marchera  à  sa  perfection.  On  en  trouve  des 
symptômes  manifestes  chez  Paolo  Uccello  (mort  en  1423), 
qui  ne  voyait  dans  la  peinture  d'autre  beauté  que  la  per- 

1  M.  Rio  paraît  avoir  oublié  qu'il  peiguit  les  quatre  Evangélistes  à 
la  voûte  de  la  chapelle  latérale  du  transept  méridional  de  Santa- 
Croce. 

9  Auteur  des  admirables  fresques  de  la  Pas  ion  de  N.-S.,  au  cou- 
vent de  San-Francesco  à  Pise.  Jamais  sainte  Madeleine  n'a  été  re- 
présentée avec  plus  de  génie  chrétien.  Ce  chef-d'œuvre  a  été  gravé 
au  trait  par  le  cav.  Lasinio. 


—  10   — 

spective ,  et  à  qui  les  Médicis  firent  peindre  des  animaux 
dans  leurs  palais  ;  première  marque  de  la  protection  accor- 
dée par  cette  famille  à  l'art ,  et  digne  symbole  de  ce  funeste 
patronage.  Un  autre  peintre  nommé  Dello ,  alla  peindre  des 
sujets  mythologiques  pour  le  roi  d'Espagne.  La  peinture 
devenant  peu  à  peu  tributaire  du  pédantisme  classique  et  du 
luxe  des  banquiers ,  un  nouvel  élément  de  décadence ,  celui 
du  naturalisme  ,  s'y  introduit  par  l'usage  profane  de  multi- 
plier les  portraits  dans  les  tableaux  de  piété ,  en  donnant 
les  traits  d'un  protecteur  ou  d'un  ami  vivant  aux  person- 
nages les  plus  sacrés  ;  usage  bien  différent  de  l'humble  et 
chrétienne  inspiration  qui  faisait  représenter  le  peintre  ou  le 
donateur  d'un  tableau  aux  genoux  de  la  Madone ,  ou  con- 
fondu parmi  les  bergers  ou  la  suite  des  rois  qui  venaient  of- 
frir leurs  hommages  à  l'Enfant  Jésus.  Les  progrès  du  paga- 
nisme et  du  naturalisme  déterminèrent  bientôt  une  scission 
dans  l'école  florentine ,  elle  se  décompose  en  trois  tendances 
bien  distinctes ,  selon  M.  Rio  (et  cette  distinction  est  fonda- 
mentale pour  la  suite  de  son  ouvrage) ,  1°  celle  des  peintres 
restés  fidèles  aux  habitudes  giottesques ,  tels  que  Lorenzo 
Bicci  et  Chelini  ;  2°  celle  des  peintres  qui  réagirent  contre 
les  innovateurs  profanes ,  par  le  perfectionnement  de  l'élé- 
ment mystique;  et  3°  ceux  qui  cultivèrent  surtout  la  forme 
et  la  firent  progresser,  mais  aux  dépens  de  l'esprit  chrétien 
des  œuvres  primitives.  Ghiberti  est  à  la  tête  de  ces  derniers  ; 
ses  bas-reliefs  de  la  porte  du  Baptistère  font  époque  dans 
l'histoire  de  la  peinture  aussi  bien  que  dans  celle  de  la  sculp- 
ture ,  car  il  eut  pour  collaborateurs  plusieurs  des  peintres 
les  plus  célèbres  de  son  époque.  Nous  croyons  que  M.  Rio 
est  en  contradiction  avec  lui-même  lorsqu'il  regrette  que 
toute  l'école  florentine  n'ait  pas  puisé  ses  inspirations  dans 
ces  fameux  bas-reliefs  ;  on  y  voit,  ce  nous  semble ,  ce  beau 
génie  marcher  graduellement  vers  le  matérialisme  ;  ils  ont 
pour  voisins  ceux  d'André  de  Pise ,  qui  assurément  répon- 


BL  91  - 

dent  bien  mieux  à  l'idéal  chrétien  '.  Masolino  fut  le  plus  ha- 
bile des  collaborateurs  de  Ghiberti  ;  il  commença  la  célèbre 
chapelle  del  Carminé.  Mais  nous  aimerions  mieux  le  juger 
et  le  ranger  dans  la  catégorie  des  peintres  restés  purs ,  d'a- 
près le  charmant  tableau  de  lui  à  l'académie.  Masaccio , 
qui  acheva  la  chapelle  del  Carminé ,  et  exerça  par  cette 
œuvre  une  si  grande  influence  sur  son  époque ,  alla  à  Rome 
pour  s'y  inspirer  des  souvenirs  classiques;  mais  en  y  arrivant 
il  était  encore  bien  complètement  pur  et  chrétien ,  s'il  faut 
en  juger  par  sa  magnifique  histoire  de  sainte  Catherine , 
peinte  à  fresque  dans  l'église  de  Saint-Clément ,  et  que 
M.  Rio  juge  avec  une  sévérité  qui  nous  a  vivement  blessé  ; 
car  s'il  est  vrai  que  ces  fresques  ont  été  cruellement  retou- 
chées ,  il  en  reste  encore  les  contours  si  fins  et  si  gracieux , 
et  surtout  l'esprit  général  de  la  composition ,  digne  des  plus 
beaux  monumens  de  l'art  chrétien.  Chaque  tête  mérite  une 
étude  spéciale2.  Mais  Rome  gâta  ce  jeune  talent.  De  retour 
à  Florence ,  il  fit  cette  chapelle  del  Carminé ,  où  le  natura- 
lisme triomphe  complètement,  où  il  n'y  a  plus  même  vestige 
de  la  simplicité  et  de  la  profondeur  primitives ,  ce  qui  expli- 
que parfaitement  l'enthousiasme  qu'elle  a  excité  chez  Vasari 
et  ses  copistes  classiques. 

Les  fresques  del  Carminé  devinrent  aussitôt  un  centre 
d'inspirations  pour  une  foule  de  peintres.  Le  moine  Filippo 
Lippi,  dont  la  vie  romanesque  et  déréglée  est  connue,  devint 
le  plus  ardent  imitateur  de  Masaccio  :  le  premier  il  osa  re- 
présenter sa  maîtresse ,  la  trop  célèbre  Lucrezia  Luti ,  avec 
les  attributs  de  la  Reine  des  Anges.  Ce  seul  trait  peut  faire 

1  Dans  une  publication  récente  faite  à  Paris ,  on  n'a  donné  que  la 
dernière  porte  de  Ghiberti,  celle  de  l'est,  et  on  a  soigneusement  omis 
celle  d'André  de  Pise ,  et  celle  où  Ghiberti  lui-même  se  montrait  en- 
core complètement  chrétien. 

a  On  peut  en  juger  d'après  les  belles  gravures  au  trait  publiées  à 
Rome  par  Labruzii ,  en  44  planches. 


—  92  ë 

juger  des  progrès  que  le  mal  avait  faits.  Cependant  il  faut 
avouer  que  ce  Lippi  a  laissé  quelques  œuvres  dignes  d'un 
meilleur  auteur,  et  M.  Rio  reconnaît  en  lui  le  premier  paysa- 
giste de  l'école  florentine.  Cet  impudique  eut  pour  disciple 
l'assassin  André  del  Castagno ,  plus  célèbre  par  ses  crimes  * 
que  par  ses  œuvres ,  fort  habile  dans  la  perspective,  les  rac- 
courcis et  les  portraits ,  et  qui  fut  à  son  tour  le  maître  d'un 
nommé  Pesello ,  lequel  n'avait  point  d'égal  pour  la  repré- 
sentation des  oiseaux ,  des  quadrupèdes  et  des  insectes.  L'é- 
cole hollandaise ,  si  chère  aux  matérialistes  des  derniers  siè- 
cles ,  et  la  peinture  mesquine ,  qu'on  appelle  de  genre , 
étaient  déjà  en  germe  chez  cet  homme. 

Mais  bientôt  Rome  offrit  aux  artistes  florentins  un  théâtre 
plus  vaste  et  plus  glorieux  qu'aucun  autre.  Les  grands  murs 
de  la  chapelle  Sixtine  leur  furent  livrés  par  Sixte  IV.  On  y 
voit  les  œuvres  de  trois  peintres  qui ,  quoique  sortis  de  l'é- 
cole naturaliste  de  Ghiberti ,  surent  lutter  contre  les  prin- 
cipes de  déchéance  qu'ils  devaient  y  puiser  :  d'abord  Cosimo 
Roselli ,  moins  pur  au  Vatican  que  dans  sa  belle  fresque 
de  S.  Ambrogio  à  Florence  ;  puis  Botticelli  dont  le  groupe 
des  Filles  de  Jethro ,  au  dessus  du  trône  papal ,  est  un 
chef-d'œuvre  de  poésie  pastorale ,  et  que  M.  Rio  aurait  dû 
placer  dans  l'école  mystique ,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de  cette 
seule  mais  exquise  Madone  écrivant  le  Magnificat,  qu'on 
voit  aux  TJffizi  à  Florence  ;  enfin  Domenico  Ghirlandajo 
commença  dignement  par  sa  Vocation  de  saint  Pierre  / 
les  chefè-d'œuvre  dont  il  devait  plus  tard  orner  sa  patrie. 
Nous  sommes  loin  d'admettre  toutefois  avec  M.  Rio  que  ses 
grandes  fresques  de  Santa-Maria-Novella  soient  les  plus  ma- 
gnifiques ouvrages  de  ce  genre  que  possède  Florence.  Nous 
n'hésitons  pas  à  leur  préférer  non  seulement  la  chapelle  Ric- 

1  II  assassina  Antonio  le  vénitien,  qui  lui  avait  appris  le  secret  de 
la  peinture  à  l'huile. 


—   03  — 

cardi  de  Benozzo  Gozzoli ,  mais  encore  les  fresques  d'Orga- 
gna  dans  la  même  église  ;  cette  différence  d'opinion  donnera 
aux  lecteurs  compétens  la  juste  mesure  de  la  distance  qui 
nous  sépare  de  M.  Rio.  En  revanche  nous  adhérons  de  tout 
notre  cœur  aux  éloges  qu'il  décerne  à  X Histoire  de  Saint 
François,  qu'on  voit  à  Santa-Trinità ,  et  à  l'admirable  ta- 
bleau de  Y  Adoration  des  Mages,  qui  fait  l'ornement  de 
l'hospice  des  Enfans-Trouvés.  Quoique  le  type  de  ses  vier- 
ges soit  défectueux  et  trop  bourgeois ,  il  est  vrai  que  Ghir- 
landajo  a  surpassé  tous  les  autres  peintres  de  son  époque  en 
dehors  de  l'école  mystique.  Avant  d'en  venir  à  celle-ci , 
M.  Rio  juge  avec  une  juste  rigueur  Filippino  Lippi ,  fils  du 
moine ,  qui  chercha  à  racheter  la  honte  de  sa  naissance  par 
la  moralité  de  sa  vie ,  mais  qui  ne  s'éleva  jamais  très  haut 
dans  l'art  ;  puis  Antoine  Pollajuolo ,  qui  eut  la  triste  gloire 
d'introduire  dans  la  peinture  l'élément  des  études  anatomi- 
ques ,  et  qui  s'en  servit  le  premier  pour  profaner  ce  noble 
sujet  du  martyre  de  saint  Sébastien ,  qui  l'a  été  tant  de  fois 
depuis.  Son  chef-d'œuvre  représente  un  combat  entre  dix 
gladiateurs  tout  nus.  Il  préparait  ainsi  les  voies  à  Michel- 
Ange,  qui  ne  trouva  rien  de  mieux  que  de  présenter  les 
saints  et  même  les  saintes  dans  un  état  de  nudité  complète , 
dans  ce  fameux  Jugement  dernier,  dont  M.  Sigalon  ne  nous 
a  donné  récemment  qu'une  copie  trop  exacte. 

Avant  d'abordor  l'école  mystique ,  M.  Rio  résume ,  à  la  fin 
du  cinquième  chapitre  ,  les  progrès  vers  le  bien  et  le  mal 
que  la  peinture  avait  faits  à  l'époque  où  nous  sommes  arri- 
vés (1490),  L'application  des  lois  de  la  perspective,  la  meil- 
leure combinaison  de  la  lumière  et  des  ombres ,  le  charme 
et  la  fraîcheur  des  paysages ,  en  un  mot  tout  le  beau  côté 
du  naturalisme  ne  saurait  compenser  la  diminution  propor- 
tionnelle (Au  goût  et  de  l'intelligence  des  inspirations  vrai- 
ment saintt  *•  Certains  sujets  traditionnels  et  mystiques,  tels 
que  le  Coun  armement  de  la  Sainte-  Vierge,  incompatibles 


—  9k  — 

avec  le  nouveau  développement ,  tombèrent  malgré  leur 
immense  popularité  en  désuétude ,  et  finirent  par  disparaître 
du  répertoire  de  l'art  \  Le  naturalisme  ne  pouvait  profiter 
qu'au  genre  historique  ;  aussi  les  livres  de  l'Ancien  Testa- 
ment furent  exploités  plus  volontiers  que  l'Évangile,  et  bien- 
tôt l'histoire  de  Grèce  et  de  Rome  le  fut  préférablement  à 
l'histoire  sainte.  •  Les  inspirations  païennes  venaient  à  l'art 
de  deux  côtés  à  la  fois,  des  ruines  majestueuses  de  l'antique 
Rome  ,  et  de  la  cour  des  Médicis.  Le  paganisme  des  Médicis 
était  né  de  la  corruption  des  mœurs  autant  que  des  progrès 
de  l'érudition...  Que  demandait  Laurent  de  Médicis  aux  pre- 
miers artistes  de  Florence ,  quand  il  voulait  exercer  à  leur 
égard  ce  patronage  si  éclairé  dont  il  est  fait  tant  de  bruit 
dans  l'histoire  !  A  Pollajuolo ,  il  demandait  les  douze  travaux 
d'Hercule  ;  à  Ghirlandajo,  l'histoire  si  édifiante  des  malheurs 
de  Vulcain ;  à  Luca  Signorelli,  des  dieux  et  des  déesses,  avec 
tous  les  charmes  de  la  nudité ,  et  par  compensation  ,  une 
chaste  Pallas  à  Botticelli,  qui ,  malgré  la  pureté  naturelle  de 

1  C'est  là  une  des  mille  observations  si  exactes  et  si  fécondes  qui 
se  trouvent  dans  le  livre  de  M.  Rio.  En  effet,  pour  peu  qu'on  repasse 
dans  sa  mémoire  les  différentes  écoles  de  peinture,  on  s'aperçoit  que 
ce  sujet  vraiment  céleste  n'a  été  fréquemment  traité  que  dans  les 
temps  tout-à-fait  chrétiens,  et  qu'il  a  été  presque  entièrement  aban- 
donné depuis  trois  siècles.  En  France,  où  il  n'y  a  jamais  eu  de  pein- 
ture chrétienne ,  si  ce  n'est  dans  les  vitraux  et  les  miniatures  des 
missels ,  où  la  peinture  proprement  dite  n'est  arrivée  que  pour  par- 
ticiper aux  débauches  de  la  cour  de  François  Ier,  le  Couronnement 
de  la  Sainte-Vierge  est  un  sujet  à  peu  près  inconnu  :  mais  nous  espé- 
rons que  le  public  français  en  aura  une  idée  satisfaisante  lorsque 
M.  Curmer  aura  publié  le  Livre  d'Eglise  pour  lequel  nous  avons  eu 
le  bonheur  d'obtenir  des  dessins  d'Overbeck,  au  premier  rang  des- 
quels figurera  Marie  assise  sur  le  trône  de  son  Fils  et  la  tête  penchée 
sur  son  épaule.  Ce  Couronnement  de  Notre-Dame  i a,  pelle  avec 
un  charme  tout  nouveau  les  plus  vieilles  mosaïques  da  ce  sujet  à 
Rome. 


—  95   —  > 

son  imagination ,  fut  en  outre  obligé  de  peindre  une  Vénus 
pour  Côme  de  Médicis ,  et  de  répéter  plusieurs  fois  le  même 
sujet  avec  des  variantes  suggérées  par  son  savant  protec- 
teur »  (p.  154).  En  résumé ,  si  la  peinture  avait  fait  depuis 
Masaccio  des  progrès  rapides  en  développemens  externes, 
elle  avait  cessé  d'être ,  pour  un  grand  nombre  d'artistes , 
une  des  formes  de  la  poésie  chrétienne. 

Pour  nous  consoler  de  cette  décadence  graduelle  dans  l'é- 
cole naturaliste ,  M.  Rio  consacre  ses  chapitres  VI  et  VII  à 
nous  montrer  les  développemens  de  l'école  mystique.  C'est 
assurément  la  partie  la  plus  intéressante  et  la  plus  originale 
de  son  ouvrage  :  il  est  le  premier  et  le  seul  qui  ait  jusqu'à 
présent  bien  nettement  distingué  les  élémens  de  cette  école, 
et  bien  hautement  proclamé  sa  gloire.  Il  commence  très  sa- 
gement par  établir  que  l'intelligence  de  cette  école  n'est  plus 
de  la  compétence  de  ce  qu'on  appelle  vulgairement  les  con- 
naisseurs; qu'elle  exige ,  avant  tout ,  une  sympathie  forte 
et  profonde  pour  les  pensées  religieuses  des  artistes  ;  que 
c'est  dans  la  vie  des  saints  bien  plus  encore  que  dans  celle 
des  peintres  qu'il  faut  chercher  la  preuve  des  rapports  in- 
times entre  la  religion  et  l'art.  Il  cite  à  l'appui  de  cette  as- 
sertion des  traits  touchans  de  la  vie  de  saint  Bernardin ,  de 
la  B.  Humiliane ,  et  un  souvenir  charmant  de  ses  excursions 
dans  les  lagunes  de  Venise.  Il  est  clair  que ,  pour  le  catho- 
lique ,  l'école  qui  a  le  mieux  compris  cette  relation  entre  la 
foi  et  l'art  doit  occuper  la  plus  haute  place  dans  la  hiérar- 
chie catholique ,  même  quand  la  combinaison  de  l'idée  avec 
la  forme  n'a  pas  lieu  d'une  manière  précisément  conforme 
aux  lois  de  l'optique  ou  de  la  géométrie.  Au  XIVe  siècle , 
tous  les  peintres  suivaient  plus  ou  moins  cette  voie  :  au  XVe, 
comme  nous  l'avons  vu ,  le  naturalisme  envahit  Florence  ; 
et  pour  retrouver  les  peintres  qui  cherchaient  plus  haut 
leurs  inspirations,  et  les  grouper  ensemble ,  M.  Rio  parcourt 
les  petites  villes  de  la  Toscane ,  celles  de  i'Ombrie ,  et  les 


—  96  — 

cloîtres ,  véritables  sanctuaires  de  la  pénitence  chrétienne. 
Il  reconnaît  que  Sienne ,  envers  qui  nous  l'avons  trouvé  si 
injuste ,  est  restée  bien  plus  fidèle  que  Florence  aux  vieilles 
traditions.  Il  parle  de  Taddeo  Bartolo ,  auteur  de  l'histoire 
de  Marie ,  à  la  chapelle  du  Palais-Public  ;  nous  eussions  dé- 
siré plus  de  détails  sur  cette  œuvre ,  et  surtout  sur  le  com- 
partiment où  Ton  voit  Notre-Seigneur  venant  retirer  sa  mère 
de  son  tombeau ,  sujet  traité  d'une  manière  unique  par  ce 
grand  peintre  :  c'était  un  artiste  essentiellement  original  et 
profond  ,  comme  le  démontre  la  curieuse  manière  dont  il  a 
représenté  chacune  des  phrases  du  Credo ,  sur  les  stalles 
de  cette  même  chapelle.  Nous  excepterons  du  dédain  avec 
lequel  M.  Rio  traite  ses  travaux  hors  de  Sienne ,  la  délicieuse 
Madone  allaitant  son  enfant ,  à  l'Annunziata  de  Padoue. 
Notre  auteur  regrette  de  n'avoir  rien  retrouvé  de  ce  qu'il 
fit  à  Pérouse,  à  cause  de  l'influence  incontestable  qu'il  exerça 
sur  l'école  ombrienne ,  dont  cette  ville  fut  le  chef-lieu  j  la 
belle  Descente  du  Saint-Esprit,  qu'on  voit  à  Sant-Agostino 
de  Pérouse ,  ne  serait-elle  pas  de  lui  ? 

Mais  les  miniatures  des  manuscrits  et  livres  de  chœur 
furent  surtout  le  refuge  du  spiritualisme  dans  l'art.  Au  sein 
des  cloîtres  la  miniature  conserve  toute  sa  pureté  primitive, 
tout  en  brisant  complètement  ses  entraves  byzantines.  Deux 
ordres  monastiques ,  les  Dominicains  et  les  Camaldules ,  cul- 
tivèrent cette  branche  de  l'art  avec  le  plus  grand  succès  : 
les  moines  du  Mont-Cassin  les  suivirent  de  près.  M.  Rio 
passe  en  revue  les  magnifiques  produits  de  ces  écoles  que 
l'on  voit  encore  à  Sienne ,  à  Ferrare ,  au  Vatican ,  à  la  bi- 
bliothèque laurentienne. 

Tous  ces  moines  peintres  furent  les  précurseurs  de  celui 
que  nous  n'hésiterons  pas  à  nommer  le  plus  grand  des  pein- 
tres chrétiens ,  comme  il  en  fut  le  plus  saint ,  le  bienheureux 
frère  Jean  de  Fiesole ,  ^rnommé  Angelico ,  à  cause  de  son 
angélique  piété ,  et  que  l'on  nomme  encore  aujourd'hui  à 


—  97   — 

Florence,  comme  par  excellence,  UBeato\  Cet  incompara- 
ble artiste ,  qui  commence  à  peine  à  être  connu  de  nom  en 
France,  bien  que  nous  possédions  un  de  ses  chefs-d'œuvre2, 
a  triomphé  même  des  préjugés  et  des  répugnances  classiques 
de  Vasari,  et  trouve  dans  M.  Rio  un  digne  et  éloquent  pa- 
négyriste. C'était  lui  qui  se  mettait  en  prières  chaque  jour 
avant  de  commencer  à  peindre ,  car  il  ne  travaillait  que 
pour  exprimer  à  Dieu  sa  foi ,  son  espérance  et  son  amour  ; 
c'était  lui  qui  pleurait  à  chaudes  larmes  chaque  fois  qu'il 
avait  à  peindre  une  crucifixion ,  tant  il  souffrait  avec  le  Sau- 
veur mort  pour  le  racheter.  Tout  catholique  doit  éprouver 
un  ineffable  bonheur  en  contemplant  ces  œuvres  merveil- 
leuses où  Dieu  a  permis  que  la  perfection  de  l'expression 
vînt  répondre  à  la  sainteté  de  l'intention ,  et  qui  sont ,  on 
peut  le  dire  hardiment ,  le  necplus  ultra  de  Fart  chrétien. 
Ce  qui  le  prouve  mieux  que  tout ,  c'est  le  sentiment  de 
piété ,  de  componction  qui  saisit  tout  d'abord  à  la  vue  d'un 
des  tableaux  du  Beato,-  on  reconnaît  la  religion,  avec  toute 
sa  force ,  qui  nous  parle  sous  le  voile  de  la  plus  pure  beauté. 
On  nous  pardonnera  peut-être  de  citer  à  cette  occasion,  les 
lignes  suivantes  que  nous  avons  surprises  dans  les  effusions 
rapides  d'une  âme  jeune  et  pieuse  qui  se  trouvait  pour  la 
première  fois  devant  la  Déposition  de  Croix  que  M.  Rio 
recommande  spécialement.  «  Oh!  »  écrivait-elle,  «  quelle 
«  surabondance  d'amour  de  Dieu ,  d'immense  et  ardente 
«  contrition  devait  avoir  ce  cher  Fra  Angelico  le  jour  où  il 
«  a  peint  cela  î  comme  il  aura  médité  et  pleuré  ce  jour-là , 
«  dans  le  fond  de  sa  petite  cellule  ,  sur  les  souffrances  de 
«  notre  divin  Maître!  chaque  coup  de  pinceau ,  chaque  trait 

»  Voyez  notre  biographie  de  ce  peintre,  appendice  n°  11  de  ce 
volume. 

a  Le  couronnement  de  Marie  et  la  vie  de  faint  Dominique, 
n«>  100G  de  la  galerie  du  Louvre,  gravé  en  1817  par  les  soins  de 
M.  Schlegel,  et  aujourd'hui  exposé  dans  la  galerie  des  dessins. 

7 


.     —  98  — 

c  qui  en  sortait ,  semblent  autant  de  regrets  et  d'amour , 
«  provenant  du  fond  de  son  âme.  Quelle  émouvante  prédi- 

«  cation  que  la  vue  d'un  pareil  tableau! 0  délicieux 

«  chef-d'œuvre  !  quel  bonheur ,  quelle  véritable  grâce  que 
«  de  pouvoir  contempler  dans  cette  merveilleuse  représen- 
«  tation  de  la  passion  de  Notre-Seigneur  ,  le  cœur  tout  en- 
«  tier  si  ardent  et  si  contrit  du  saint ,  qui  exhalait  ainsi  les 
«  sentimens  de  douleur  et  d'amour  dont  son  àme  était  inon- 
«  dée ,  pendant  les  longues  heures  qu'il  passait  dans  le  calme 
«  de  sa  solitude  en  la  présence  de  Dieu.  Donnez-moi ,  Sei~ 
«  gneur,  quelque  part  à  cette  componction  immense;  qu'en 
«  contemplant  ces  œuvres ,  mon  cœur  soit  si  profondément 
«  initié  par  ce  séraphique  religieux  dans  la  voie  de  vos  dou- 

*  leurs ,  que  je  songe  sans  cesse  à  y  prendre  part,  à  entrer 
«  dans  cette  voie  de  la  croix  avec  l'entraînement  de  l'amour, 
«  toutes  les  fois  qu'il  vous  plaira  de  m'envoyer  quelques  pei- 
«  nés.  Je  devrais  peut-être  borner  ma  demande  à  la  sou- 
«  mission,  mais  c'est  trop  peu.  Oh  !  oui ,  l'entraînement  de 

.<  l'amour,  c'est  là  ce  que  je  souhaite ,  ce  que  j'ose  vous  sup- 
«  plier  de  m'accorder ,  après  avoir  vu  toutes  ces  œuvres  de 

*  votre  peintre.  D'autres  y  voient  simplement  des  œuvres 
«  d'art;  moi,  j'y  aurai  puisé,  je  le  sens,  d'ineffables  conso- 
«  lations,  de  profonds  enseignemens.  » 

Nous  ne  pensons  pas  que  la  vue  d'aucun  des  chefs-d'œu- 
vre de  l'école  classique,  ni  même  des  prétendus  tableaux  de 
piété  dont  on  tapisse  nos  églises ,  inspire  jamais  de  pareils 
sentimens. 

M.  Rio  indique  avec  assez  d'exactitude  les  principaux  tra- 
vaux du  Beato.  Il  a  omis  toutefois  le  beau  Jugement  der- 
nier, de  la  galerie  Fesch ,  acheté  par  le  cardinal  chez  un 
boulanger  pour  une  somme  minime  ;  et  surtout  les  gran- 
dioses fresques  de  la  chapelle  de  Saint-Brice ,  à  Orvieto,  qui 
représentent  aussi  le  jugement  dernier,  mais  sur  une  échelle 
plus  grande  qu'aucune  des  autres  productions  de  Fra  Ange- 


—  99  — 

lico  ;  sa  mort  ne  lui  laissa  pas  le  temps  de  finir  son  œuvre 
que  Signorelli  a  malheureusement  terminée;  mais  on  y  voit 
de  lui  le  célèbre  et  sublime  Chœur  des  prophètes,  et  le 
Christ  foudroyant  les  médians ,  bien  autrement  divin  que 
le  Christ  forcené  de  Michel-Ange ,  qui  a  voulu  l'imiter.  Nous 
ajouterons  aussi,  comme  un  trait  précieux  pour  les  amis  de 
cette  grande  renommée  catholique  ,  que  deux  madones  de 
Rome ,  célèbres  par  leurs  miracles ,  lui  sont  attribuées  :  Tune 
à  Sainte-Cécile,  et  l'autre  à  Sainte-Marie-Madeleine. 

Nous  avouons  que  nous  eussions  désiré  que  M.  Rio  se  fût 
un  peu  plus  étendu  sur  les  œuvres  de  ce  peintre ,  qu'il  eût 
donné  à  ses  lecteurs  une  idée  du  plan  et  de  l'ensemble  de 
ces  compositions  sans  rivales.  A  son  défaut  nous  essayerons 
de  le  faire  pour  un  tableau  qui  est  indiqué  dans  une  note  de 
M.  Rio  (p.  196),  le  Jugement  dernier  qui  se  trouve  à  l'A- 
cadémie des  Beaux- Arts  de  Florence.  Nous  ferons  d'abord 
remarquer  qu'un  pareil  sujet  suffit  seul  pour  constituer  la 
difficulté  la  plus  grande  que  l'on  puisse  avoir  à  surmonter. 
Comment  répondre  en  effet  d'une  manière  satisfaisante  à  l'i- 
dée que  tout  chrétien  se  fait  d'une  scène  qui  surpasse  en 
grandeur  et  en  majesté ,  comme  en  variété  et  en  immensité, 
toute  autre  scène  remarquable,  et  qui  renferme  la  consom- 
mation et  le  résumé  de  toute  la  religion  ?  La  moindre  ten- 
tative exige  nécessairement  et  à  la  fois  l'imagination  la  plus 
pure,  la  foi  la  plus  sincère  et  le  talent  le  plus  accom- 
pli. Tout  y  est  surnaturel ,  ce  n'est  qu' 'en  transfigurant , 
pour  ainsi  dire,  les  signes  et  les  formes  que  la  nature 
fournit  à  l'artiste,  qu'il  peut  espérer  d'atteindre  son  but  $ 
aussi  peut-on  affirmer  que  les  peintres  des  écoles  mystiques 
ou  exclusivement  catholiques,  peuvent  seuls  traiter  ce 
sujet,  et  que  seuls  ils  y  ont  réussi.  Fra  Angelico  a  surpassé 
tous  les  autre?  et  s'est  surpassé  lui-même  dans  le  tableau 
dont  nous  allons  tracer  une  trop  sèche  esquisse.  Qu'on  se 
figure  donc  une  planche  de  quelques  pieds  carrés  ;  au  mi- 


—  100  — 

lieu  de  la  partie  supérieure ,  Notre-Seigneur  est  assis  dans  sa 
gloire  ;  ses  deux  bras  sont  étendus  ;  sa  main  droite  portant 
l'empreinte  rayonnante  de  la  plaie  du  crucifiement ,  est  ou- 
verte du  côté  des  élus ,  qu'il  semble  convier  à  entrer  dans 
son  royaume  ;  sa  gauche  est  également  étendue  du  côté  des 
damnés ,  mais  elle  est  fermée,  ils  n'en  voient  que  le  revers  ; 
ce  geste  seul  dit  tout  :  il  est  d'une  simplicité  sublime.  Le 
Seigneur  est  au  centre  d'une  nuée  de  séraphins  disposés  en 
forme  d'amande  (forme  consacrée  à  cause  de  la  Trinité, 
dont  ce  fruit  était  le  symbole);  ces  séraphins  sont  rouges 
pour  exprimer  l'ardeur  de  l'amour  qui  les  consume  ;  autour 
d'eux  sont  rangés  en  ellipses  concentriques  toute  la  hiérar- 
chie céleste ,  en  adoration ,  chaque  ordre  avec  son  symbole, 
les  archanges  avec  ùespalliwn,  les  puissances  avec  des  cas- 
ques et  des  lances ,  etc.  ;  chacune  de  ces  petites  figures  est  en 
soi  une  charmante  miniature.  Aux  pieds  du  Christ  un  ange 
dresse  la  croix  triomphante ,  et  deux  autres  sonnent  encore 
des  longues  trompettes  qui  ont  éveillé  le  genre  humain.  A 
sa  droite ,  Marie ,  vêtue  d'une  longue  robe  blanche  semée 
d'étoiles ,  doublée  de  vert  (couleur  de  l'espérance) ,  les  mains 
timidement  croisées  sur  sa  poitrine,  lève  vers  son  fils  un  dé- 
licieux regard  d'amour  et  de  prière  pour  les  pauvres  mor- 
tels; à  sa  gauche ,  saint  Jean-Baptiste  présente  au  Juge  su- 
prême l'agneau  symbolique  comme  pour  l'apaiser  ;  derrière 
la  reine  des  anges  et  le  plus  grand  des  saints ,  sur  la  même 
ligne  sont  assis  en  deux  rangées,  sur  leurs  trônes,  les  patriar- 
ches, les  apôtres  et  les  principaux  saints  ;  Joseph  à  côté  de 
Marie ,  et  comme  protégé  par  elle  ;  Pierre  avec  la  clef  d'or 
du  paradis  et  la  clef  d'argent  du  purgatoire  ;  Paul  avec  son 
épée ,  Moïse ,  David  avec  sa  lyre ,  François  d'Assise  avec  ses 
stj  gmates  lumineux  ;  Etienne ,  la  figure  tout  empreinte  de 
la  joie  du  martyre ,  et  bien  d'autres.  De  légers  nuages  blancs 
voilent  leurs  pieds  ;  de  longs  rayons  de  feu  resplendissent  de 
tous  côtés  autour  d'eux;  car  ils  sont  déjà  au  sein  de  la  gloire 


—  101  — 

céleste.  Rien  ne  saurait  égaler  l'expression  de  toutes  ces  tè- 
tes, ce  mélange  ineffable  de  béatitude  calme  et  sereine  avec 
le  saint  respect  dont  les  frappe  l'éclat  de  la  justice  divine. 
L'imagination  la  plus  exigeante  reste  satisfaite  et  même  dé- 
passée: il  semble,  comme  s'écrie  Vasari  lui-même,  que  les 
âmes  bienheureuses  ne  peuvent  pas  être  autrement  dans  le 
ciel.  La  partie  inférieure  du  tableau  répond  parfaitement  à  la 
moitié  d'en  haut;  le  centre  est  occupé  par  une  longue  avenue 
de  tombes  ouvertes  et  vides ,  dont  la  perspective  se  termine 
par  le  grand  tombeau  de  Jésus-Christ ,  le  seul  fermé  parce 
qu'il  ri  a  rien  à  rendre.  Le  jugement  vient  d'être  prononcé  : 
chacun  connaît  son  sort.  A  gauche  les  damnés  de  toute 
classe ,  parmi  lesquels  le  Bienheureux  (  quoique  né  dans  un 
siècle  de  fanatisme  et  d'oppression)  n'a  pas  craint  de  pla- 
cer des  rois ,  des  cardinaux  et  beaucoup  de  moines ,  sont  en- 
traînés par  une  foule  de  démons  vers  l'enfer ,  qui  occupe 
l'extrémité  du  tableau ,  et  où  l'on  voit  les  sept  péchés  capi- 
taux punis  dans  sept  cercles  différens  ;  et  au  fond  le  grand 
Lucifer,  du  Dante,  dévorant  un  pécheur  dans  chacune  de 
ses  trois  gueules.  A  droite  sont  les  élus ,  et  c'est  ici  où  l'on 
peut  voir  jusqu'à  quel  point  le  génie  chrétien  triomphe  des 
difficultés ,  et  comment  une  inconcevable  variété  peut  se 
concilier  avec  la  plus  complète  unité  ;  tous  ont  la  tête  levée 
vers  le  ciel ,  tous  regardent  leur  Sauveur  en  le  remerciant , 
en  l'adorant  ;  et  nul  ne  ressemble  à  son  voisin.  Au  premier 
rang  on  voit  un  pape ,  dont  le  visage  calme  et  sublime  sem- 
ble exprimer  surtout  la  joie  du  repos  après  ses  durs  travaux; 
derrière  lui  un  empereur ,  type  du  chevalier  chrétien  ;  puis 
un  roi  et  à  côté  du  roi  un  pauvre  pèlerin  ,  qui  a  cheminé 
jusqu'au  ciel  ;  une  jeune  princesse ,  tout  éclatante  de  pureté 
et  de  foi  ;  beaucoup  de  religieuses ,  d'évêques ,  de  laïcs ,  de 
moines  d'une  beauté  ravissante ,  mais  chez  qui  Ton  voit  bien 
que  la  beauté  physique  n'est  que  le  rayonnement  extérieur 
de  la  beauté  morale.  Mais  voici  les  anges  gardiens  qui  vien- 


—  102  — 

nent  chercher  les  élus  sur  lesquels  ils  ont  veillé  pendant  le 
temps  d'épreuve  :  chaque  ange  s'agenouille  à  côté  de  son  élu, 
et  imprime  sur  ses  lèvres  un  baiser  fraternel  *;  puis  il  le  con- 
duit au  ciel  à  travers  une  prairie  émaillée  de  fleurs,  où  les 
anges  et  les  hommes  sauvés  dansent  ensemble ,  cantantes 
chorosque  ducentes  in  occursum  régis  /  les  uns  et  les  au- 
tres sont  couronnés  de  roses  blanches  et  rouges  ;  dans  la  seule 
expression  de  leurs  mains  qu'ils  se  tendent  l'un  à  l'autre ,  il 
y  a  un  trésor  de  poésie.  La  ronde  finie ,  ils  s'envolent  deux 
à  deux  vers  la  Jérusalem  céleste.  On  aperçoit  dans  le  loin- 
tain ses  murs  resplendissans  ;  son  portail  entr'ouvert  laisse 
échapper  un  torrent  de  rayons  dorés  au  milieu  desquels  va 
se  perdre  un  couple  heureux  ,  peut-être  un  ange  et  son 
élu ,  peut  être  deux  âmes  qui  se  sont  aimées  et  sauvées  en- 
semble : 

Suso  aile  poste  rivolando  iguali. 

PlRG.  C.  VIII. 

Qu'on  ajoute  à  cette  esquisse  le  prestige  d'un  coloris  frais 
et  pur ,  un  dessin  correct  sans  exagération  anatomique ,  des 
draperies  d'une  grâce  parfaite ,  des  expressions  de  visage 
vraiment  divines ,  et  l'on  aura  une  faible  idée  de  ce  Juge- 
ment  dernier11.  Quand  on  Ta  vu  et  compris ,  on  reste  bien 
froid  devant  celui  de  Michel- Ange. 

Tel  est  le  maître  que  les  Italiens  modernes  relèguent  parmi 
les  barbares  de  ce  qu'ils  appellent  i  tempi  bassi,  les  temps 
bas  !  C'est  au  point  que  l'entrée  de  la  chapelle  Saint-Lau- 
rent au  Vatican  qu'il  a  couverte  de  fresques  admirables ,  très 
bien  appréciées  par  M.  Rio,  est  interdite  aux  jeunes  artistes 
italiens  et  même  étrangers ,  par  les  ordres  de  M.  Agricola , 

'  C'est  d'après  le  calque  d'un  de  ces  groupes  charmans  que  nous 
ayons  fait  graver  la  figure  ci-contre ,  afin  de  donner  à  nos  lecteurs 
une  légère  idée  du  génie  de  ce  peintre  Bienheureux. 

2  Par  une  disposition  habile ,  et  qui  se  retrouve  daDS  le  grand  ta- 


E  .Pra  Giovanni  Angriico  àa.  Fie  sole  p 


Pans,A.Boolet.l83  9 


Un  Elu  recevant  le  baiser  de  so/i  Si '/ige gardien  au  Jugement  dernier 


— .  ao3  — 

p  cintre  Ini-mems  ci  conservateur  du  m<  <êe  pont 'fical.  Dans 
sa  sollicitude  pour  les  progrès  de  l'art,  ce  monteur  ne  veut 
pas  que  de  jeunes  talens  soient  exposés  à  se  perdre  en  don- 
nant dans  la  voie  qu'a  suivie  le  Beato. 

Reprenons  maintenant,  à  la  suite  de  M.  Rio,  notre  mar» 
che,  et  voyons  avec  lui  quels  sont  les  peintres  qui  sont  reste* 
fidèles  à  ces  inspirations  si  bien  comprises  par  Fra  Angelico. 
Benozzo  Gozzoli ,  son  disciple  chéri,  semble  servir  de  tran- 
sition entre  lui  et  l'école  ombrienne.  Nous  blâmerons  M.  Rio 
du  laconisme  avec  lequel  il  s'exprime  sur  la  magnifique  ca- 
valcade des  rois  mages ,  que  Benozzo  a  peinte  à  fresque  au 
palais  Riccardi  ;  nous  le  blâmerons  surtout  d'avoir  comparé 
ces  cavaliers  aux  bas-reliefs  du  Parthénon  :  Dieu  merci,  ils 
n'ont  rien  de  commun  ;  et  le  grand  peintre  chrétien  dont 
chaque  coup  de  pinceau  et  jusqu'au  moindre  détail  exprime 
cette  pensée  chrétienne  qui,  comme  nous  le  disions  plus  haut, 
doit  transfigurer  la  nature  ,  n'a  rien  de  commun  avec  la 
beauté  anatomique  et  apprêtée  des  œuvres  du  paganisme. 
En  revanche ,  l'auteur  nous  donne  une  bonne  appréciation 
des  œuvres  gigantesques  de  Benozzo,  au  Campo  Santo  de 
Pise  ,  ainsi  qu'à  Monte  Falco.  Il  lui  décerne,  ajuste  titre, 
la  palme  du  genre  patriarchal ,  le  plus  difficile  de  tous. 

Gentile  de  Fabriano ,  autre  élève  du  Beato ,  et  le  plus  an- 
cien des  grands  peintres  ombriens ,  sema  dans  toute  1  Italie 
des  chefs- d'œHvre  de  peinture  vraiment  mystique,  et  jouit 
dune  popularité  immense. 

Pierre  Antonio  de  Foligno,  Nicolas  de  Foligno ,  Fiorenzo 

bleau  de  F.  Angelico  au  Louvre ,  les  vêtemens  de  toutes  les  figures 
retombent  de  manière  à  ce  que  leurs  pieds  ne  soient  jamais  vis  blés  : 
on  ne  saurait  croire  combien  l'ensemble  en  devient  plus  aérien ,  plus 
surnaturel. 

Ce  chef-d'œuvre  est  enfoui  dans  une  petite  salle  basse  de  l'Aca- 
démie. Il  n'a  jamais  été  gravé ,  ni  même  décrit,  à  ce  que  nous  sa- 
chions. 


—  104  — 

di]  Lorenzo  ',  tous  peintres  ombriens,  montrent  dans  leurs 
œuvres  l'influence  évidente  de  Taddeo  Bartoli ,  le  Siennois , 
et  de  Benozzo  Gozzoli ,  le  Florentin. 

La  plus  pure  fleur  de  l'école  de  Sienne  et  de  Florence , 
avait  été  peu  à  peu  transplantée  et  soigneusement  cultivée 
sur  les  montagnes  de  l'Ombrie ,  où  le  tombeau  de  saint  Fran- 
çois d'Assise ,  regardé  au  moyen  âge  comme  le  lieu  le  plus 
sacré  du  monde ,  après  Jérusalem ,  attirait  et  nourrissait  la 
piété  ;  où  Pérouse ,  toujours  guelfe  au  milieu  des  dissensions 
de  l'Italie ,  avait  toujours  offert  un  asile  sûr  aux  souverains 
pontifes ,  trop  souvent  exilés  de  Rome.  Aussi  à  la  fin  du  XVe. 
siècle ,  après  la  mort  du  Beato  et  de  Benozzo,  la  suprématie 
de  Fart  chrétien  est  dévolue  à  l'école  ombrienne  dans  la 
personne  de  Pérugin ,  de  Pinturicchio,  et  de  Raphaël  avant 
sa  chute ,  glorieuse  trinité  qui  n'a  jamais  été  et  ne  sera  ja- 
mais surpassée.  M.  Rio  établit ,  d'une  manière  satisfaisante, 
que  le  Pérugin  eut  pour  maître  Fiorenzo  di  Lorenzo  ,  élève 
et  imitateur  de  Benozzo ,  au  lieu  des  naturalistes  Buonfigli 
ou  Piero  délia  Francesca  :  il  réfute  ensuite  victorieusement, 
d'après  Mariotti ,  les  calomnies  atroces  dont  Vasari  a  chargé 
la  mémoire  du  Pérugin ,  et  qui  s'expliquent  par  l'antipathie 
profonde  et  réciproque  qui  régna  entre  Pérugin  et  l'école  de 
Michel-Ange,  à  laquelle  appartint  plus  tard  Vasari.  Celui-ci 
était  du  reste  servile  courtisan  des  Médicis ,  qui  ne  vou- 
lurent jamais  charger  d'aucun  travail  le  Pérugin ,  exclusion 
qui  l'honorera  toujours  aux  yeux  de  ceux  qui  apprécient  la 
déplorable  influence  de  ces  marchands ,  si  vantés  par  les 
païens  des  XVIe  et  XVIIe  siècles ,  et  par  les  incrédules  du 
XVIIIe.  Il  est  certain ,  comme  dit  M.  Rio ,  que  les  lauréats 

1  Puisque  M.  Rio  cite  un  tableau  de  celui-ci  à  la  sacristie  de  San- 
Francesco  de  Pérouse ,  nous  sommes  surpris  qu'il  n'ait  point  parlé 
de  Vittore  Pisanello ,  peintre  de  Vérone,  auteur  de  la  belle  série  des 
actions  de  saint  Bernardin,  qu'on  voit  dans  cette  même  sacristie.  Il 
a  tous  les  droite  de  compter  parmi  les  maîtres  de  l'école  mystique. 


—  105  — 

soldés  de  la  cour  des  Médicis  ne  pouvaient  guère  sympathiser 
en  désintéressement  avec  un  peintre  qui  peignait  à  fresque 
tout  l'intérieur  d'un  oratoire  pour  une  omelette  {una  frit- 
tata)  ',  ainsi  que  l'avait  fait  le  Pérugin,  dans  sa  ville  natale. 
Ce  merveilleux  artiste  sut  effectuer  la  conciliation  si  difficile, 
alors  surtout,  de  progrès  immenses  dans  le  coloris  et  le  des- 
sin avec  la  pureté  et  la  profondeur  des  traditions  mystiques. 
Ses  divers  travaux  sont  énumérés  et  jugés  par  M.  Rio,  avec 
son  talent  et  sa  perspicacité  ordinaires  ;  toutefois,  nous  n'a- 
dopterons pas  sans  exception  tous  ses  jugemens,  ni  son  ad- 
miration pour  le  tableau  du  palais  Albani ,  à  Rome ,  et  les  tê- 
tes de  saints  à  Saint-Pierre  de  Pérouse  ,  ni  la  proscription 
qu'il  prononce  impitoyablement  contre  toutes  les  œuvres  du 
Pérugin  postérieures  à  l'an  1500.  Nous  lui  demanderons  si 
l'admirable  saint  Sébastien ,  à  genoux  sur  une  marche  du 
trône  de  la  Madone ,  et  qui  lui  offre  les  flèches  dont  il  a  été 
percé  ,  si  ce  tableau  qui  se  trouve  à  la  sacristie  de  Sant- 
Agostino ,  et  qui  est  daté  de  1510  ,  n'est  pas  digne  des  meil- 
leurs jours  du  Pérugin  ?  Et  la  grande  fresque  de  San-Severo, 
peinte  en  1521 ,  lorsqu'il  était  octogénaire ,  est-ce  une  œu- 
vre de  décadence  ?  Pour  nous,  nous  croyons  qu'il  faut  une 
tendre  indulgence  pour  la  vieillesse  des  peintres  chrétiens 
et  même  pour  leurs  faiblesses ,  lorsqu'ils  sont  restés  jusqu'au 
bout  fidèles  à  la  pureté  et  à  la  vérité  ,  et  qu'ils  n'ont  pas , 
comme  Raphaël ,  honteusement  sacrifié  au  veau  d'or  de  la 
sensualité  et  du  paganisme.  Quoi  qu'il  en  soit ,  s'il  y  a  eu 
décadence  chez  le  Pérugin  dans  ses  dernières  années ,  il  n'y 
en  eut  aucune  dans  son  école  ;  «  elle  était  cependant ,  dit 
M.  Rio ,  sous  le  rapport  de  la  variété  des  sujets ,  plus  pauvre 
que  les  autres  écoles  contemporaines  ;  on  n'y  exploitait  ni 
les  turpitudes  mythologiques ,  ni  l'étude  des  bas-reliefe  anti- 
ques, ni  même  les  grandes  scènes,  historiques  de  l'histoire 

I  Mariotti ,  Lettere  Perugine. 


—  106  — 

sainte  ;  on  fe  bornait  au  développement  et  au  perfectionne- 
ment de  ce*  tains  types,  très  restreints  en  nombre,  mais  qui 
réunissaient  tout  ce  que  la  foi  peut  inspirer  de  poésie  et 
d'exaltation.  La  gloire  de  l'école  ombrienne  est  d'avoir  pour- 
suivi sans  relâche  le  but  transcendental  de  l'art  chrétien  y 
sans  se  laisser  séduire  par  l'exemple,  ni  distraire  par  les  cla- 
meurs ;  il  semblerait  qu'une  bénédiction  spéciale  fût  attachée 
aux  lieux  particulièrement  sanctifiés  par  saint  François  d'As- 
sise ,  et  que  le  parfum  de  sa  sainteté  préservait  les  beaux 
arts  de  la  corruption ,  dans  le  voisinage  de  la  montagne  où 
tant  de  peintres  pieux  avaient  contribué  l'un  après  l'autre  à 
décorer  son  tombeau.  De  là  s'étaient  élevées  comme  un  en- 
cens suave  vers  le  ciel  des  prières  dont  la  ferveur  et  la  pu- 
reté assuraient  l'efficacité  :  de  là  aussi  étaient  jadis  descen- 
dues comme  une  rosée  bienfaisante  sur  les  villes  les  plus 
corrompues  de  la  plaine ,  des  inspirations  de  pénitence  qui 
avaient  gagné  de  proche  en  proche  le  reste  de  l'Italie.  L'heu- 
reuse influence  exercée  sur  la  peinture  faisait  partie  de  cette 
mission  de  purification  ,  et  nous  voyons  en  effet  le  Pérugin , 
qui  fut  le  grand  missionnaire  de  l'école  ombrienne, 
en  étendre  les  ramifications  d'un  bout  à  l'autre  de  l'I- 
talie. » 

Sienne  fut  la  première  ville  qui  répondit  à  son  appel  :  il  y 
a  laissé  un  tableau  dont  M.  Rio  ne  parle  pas ,  mais  qui 
est,  selon  nous ,  son  chef  d'oeuvre  ;  la  Crucifixion  à  Sant- 
Ago  tino.  Mais  en  parlant  de  Sienne,  nous  retrouverons 
chez  M.  Rio  ce  mélange  de  légèreté  et  de  sévérité  que 
nous  lui  avons  plus  haut  reproché.  Il  parle  de  Mathieu 
de  Sienne  avec  \me  injustice  vraiment  révoltante  :  il 
lui  reproche  un  Massacre  des  Innocens  qu'il  qualifie  de 
hideux  :  ce  n'est  sans  doute  pas  au  tableau  qui  représente 
ce  sujet  dans  l'église  des  Servîtes  de  Pérouse  que  s'applique 
ce  jugement  :  car  il  est  très  beau ,  et  la  tête  d'Hérode  sur- 
tout est  étonnante.  Le  même  sujet  a  été  traité  par  ce  même 


.    —  t07  — 

maître  au  chœur  de  Sant-Agostino ,  d'une  manière  satisfai- 
sante. Mais  comment  notre  auteur  a-t-ii  pu  oublier  le  déli- 
cieux tableau  de  Matteo,  daté  de  1479 ,  dans  la  même  cha- 
pelle où  est  la  célèbre  Madone  du  vieux  Guido ,  tableau  où 
Ton  voit  Marie  entourée  d'anges  musiciens ,  tous  charmans , 
ayant  à  ses  genoux  saint  Jérôme  et  saint  Jacques ,  à  ses  cô- 
tés saint  Sébastien  et  un  pape  martyr ,  et  au  dessus  du  tout» 
une  admirable  adoration  des  rois  ?  Mais  lui-même  nous  en  a 
indiqué  un  autre  plus  délicieux  encore  à  San-Spirito,  qui  re- 
présente la  Sainte-Vierge  Assunta,  dans  un  médaillon  de 
Séraphins  obfong  comme  le  calice  d'une  fleur  dont  les  ailes 
des  anges  formeraient  les  pétales.  Le  neveu  de  Matteo ,  Jé- 
rôme ,  méritait  aussi  d'être  nommé ,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de 
ce  beau  tableau  où  l'on  voit  les  deux  saintes  Catherine  à 
genoux  devant  la  madone ,  daté  de  1508 ,  dans  l'église  de 
Saint-Dominique.  Pacchiarotto ,  disciple  illustre  et  presque 
rival  du  Pérugin ,  est  traité  avec  une  brièveté  désespérante , 
et  mis ,  on  ne  sait  pourquoi,  sur  la  même  ligne  que  Baccafumi , 
homme  de  la  décadence.  Comment  M.  Rio  n'a-t-il  pas  étudié 
un  peu  sa  vie,  qui  fut  politique  aussi  bien  qu'artistique, 
comme  celle  de  Vanni  ;  car  il  aurait  été  pendu  comme  chef 
d'émeute ,  si  les  Franciscains  ne  l'avaient  pas  sauvé  et  fait 
passer  en  France  '?  Comment  n'a-t-il  pas  consacré  une  ligne 
à  cette  admirable  fresque  qui  orne  un  lieu  cher  et  sacré 
pour  tout  catholique ,  la  chambre  occupée  par  sainte  Cathe- 
rine de  Sienne  dans  la  maison  de  son  père  le  teinturier, 
fresque  qui  représente  la  visite  de  Catherine  à  son  amie 
sainte  Agnès  de  Montepulciano  étendue  morte  sur  sa  bière , 
et  où  la  beauté  féminine  a  atteint  ce  point  où  l'inspiration 
chrétienne  peut  seule  conduire?  Nous  renouvellerons  donc 
ici  le  désir  et  l'espoir  de  voir  toute  la  partie  de  Sienne  re- 
faite. Nous  concevrions  ces  omissions ,  ces  injustices  chez 

1  Valéry,  iv,  p.  278; 


—  108  — 

tout  autre ,  mais  nous  ne  les  pardonnons  pas  à  un  homme 
qui  s'est  identifié  ,  comme  M.  Rio  ,  avec  toutes  les  lois  et 
toutes  les  jouissances  de  la  véritable  esthétique.  Quant  à  nous, 
nous  estimons  que ,  après  tant  d'oubli  et  d'impies  dédains , 
c'est  un  devoir  de  recueillir  et  de  chérir  scrupuleusement 
jusqu'aux  moindres  travaux  des  peintres  restés  purs ,  comme 
une  portion  précieuse  du  trésor  catholique. 

Boccaccio  Boccaccini  fut  à  Crémone  le  digne  représentant 
du  Pérugin  :  tandis  que  la  liaison  intime  de  celui-ci  avec 
André  Verocchio  et  Lorenzo  di  Credi ,  le  maître  et  le  condis- 
ciple de  Leonardo  de  Vinci ,  assurait  à  ces  doctrines  une  in- 
fluence légitime  sur  la  magnifique  et  si  chrétienne  école  de 
Lombardie. 

Mais  ce  fut  surtout  à  Bologne  que  l'école  ombrienne  trouva 
une  sympathie  qui  eut  les  suites  les  plus  heureuses  pour  l'art. 
A  M.  Rio  appartient  la  gloire  d'avoir  réhabilité ,  ou  pour 
mieux  dire  découvert  la  véritable  école  bolonaise,  non  pas 
celle  du  Dominiquin  et  des  Carraches  qui  a  été  si  long- 
temps et  à  si  juste  titre  l'objet  du  culte  des  matérialistes  ; 
mais  l'ancienne  et  religieuse  école  des  XIVe  et  XVe  siècles  , 
qui  ne  s'éteignit  que  dans  la  ruine  générale  de  l'art  au  XVI8 
siècle.  Elle  se  distinguait  peut-être  plus  encore  que  celle  de 
Florence ,  par  sa  piété  traditionnelle.  Vitale ,  élève  de  ce 
Franco  que  le  Dante  a  vanté  (Purgat.  c.  II) ,  ne  put  jamais 
se  résoudre  à  peindre  une  crucifixion ,  disant  que  c'était  une 
tâche  trop  douloureuse  pour  son  cœur.  Jacopo  Avanzi ,  dont 
on  voit  encore  d'admirables  fresques  al  Santo  de  Padoue , 
fut  long-temps  retenu  par  le  même  scrupule.  Lippo  Dalma- 
sio  ne  voulait  peindre  que  des  images  de  la  Sainte- Vierge , 
et  «  telle  était  à  ses  yeux  l'importance  de  ce  travail  qu'il 
n'y  mettait  jamais  la  main  sans  s'y  [être  préparé  la  veille 
par  un  jeûne  austère,  et  le  jour  même  parla  communion  » 
Aussi  ce  genre  de  préparation  lui  réussit-il  si  bien  que  le 
Guide ,  en  plein  dix-septième  siècle ,  restait  ravi  d'admira- 


—  109  — 

tion  devant  sa  Madone  :  celle  qu'on  voit  encore  sur  la  façade 
de  l'église  San-Proculo  justifie  bien  son  extase.  Nous  som- 
mes surpris  que  dans  cette  énumération  des  gloires  primitives 
de  l'école  bolonaise ,  M.  Rio  ait  omis  un  nom  qui  devait  le 
frapper  particulièrement ,  celui  de  sainte  Catherine  de  Bolo- 
gne :  elle  s'appelait  Catherine  Vigri ,  naquit  à  Ferrare  en 
1413,  fut  abbesse  des  Clarisses  à  Bologne ,  et  y  mourut  en 
1453  ■  :  au  milieu  des  vertus  héroïques  et  des  actions  mira- 
culeuses qui  l'ont  fait  canoniser ,  elle  cultivait  avec  ardeur 
la  musique  et  la  peinture  :  on  conserve  deux  de  ses  tableaux, 
qui  tous  deux  représentent  sainte  Ursule ,  l'un  à  l'académie 
de  Venise ,  l'autre  à  la  Pinacothèque  de  Bologne. 

Francesco  Francia  est  l'astre  rayonnant  de  l'école  de  Bo- 
logne :  contemporain  et  émule  du  Pérugin ,  il  a  puisé  aux 
mêmes  sources ,  et  mérite  de  prendre  place  avec  lui ,  Fra 
Angelico ,  Lerenzo  di  Credi ,  et  quelques  autres ,  dans  ce 
cercle  de  peintres  d'élite  où  doivent  se  concentrer  les  admi- 
rations du  chrétien.  Il  n'est  guère  connu ,  même  de  nom , 
en  France.  Notre  fameux  musée  du  Louvre  ne  possède  pas 
un  seul  tableau  de  lui ,  quoique  tous  ceux  d'Allemagne  aient 
pu  facilement  s'en  pourvoir.  Les  beaux  génies  qui  ont  pré- 
sidé à  cette  collection  ont  sans  doute  cru  que  cette  peinture 
mystique  ne  méritait  pas  de  figurer  à  côté  des  Rubens  et 
des  Lebrun  :  c'est  à  ce  même  esprit  que  nous  devons  de  n'a- 
voir pas  un  seul  tableau  remarquable  du  Pérugin ,  tandis 
que  le  petit  nombre  de  tableaux  des  anciennes  écoles  qu'on  a 
laissé  s'y  glisser,  sont  relégués  dans  l'antichambre  ■-.  Francia 

1  Elle  a  été  canonisée  en  1722  ;  sa  fête  se  célèbre  le  9  mars. 

a  M.  Rio  a  très  sagement  relevé  ce  gâchis  qui  règne  dans  la  dis- 
tribution des  tableaux  de  notre  galerie ,  et  qui  contraste  d'une  ma- 
nière si  humiliante  pour  nous  avec  l'excellent  arrangement  chrono- 
logique des  galeries  de  Berlin ,  Munich  et  Florence.  Mais  qu'est-ce 
que  cela  auprès  du  grossier  vandalisme  qui  fait  clouer  des  planches 
pendant  cinq  mois  de  chaque  année  devant  tous  les  tableaux  anciens, 


—  110  — 

a  atteint,  pour  le  type  de  la  Madone,  une  perfection  sans 
rivale  :  la  tendre  dévotion  qu'il  lui  portait,  pouvait  seule  lui 
révéler  ces  secrets  célestes.  Sa  modestie  égalait  sa  piété  :  il 
signait  toujours  ses  tableaux  Francia  Aurifex ,  se  croyant 
indigne  du  nom  de  peintre.  Nous  voudrions  pouvoir  donner 
la  description  du  tableau  ravissant  que  semble  indiquer 
M.  Rio  (p.  249) ,  et  qui  représente  saint  Augustin  hésitant 
entre  Jésus  et  Marie;  mais  le  temps  et  l'espace  nous  pressent. 
Francia  se  lia  avec  le  jeune  Raphaël ,  pendant  que  celui-ci 
était  dans  toute  la  pureté  de  sa  première  manière  :  mais 
c'est  une  calomnie  impudente  de  Vasari,  comme  le  démontre 
très  bien  M.  Rio ,  que  de  prétendre  que  Francia  mourut  de 
chagrin  en  se  voyant  éclipsé  par  la  Sainte  Cécile  de  Ra- 
phaël. S'il  était  en  effet  mort  de  chagrin ,  c'eût  été  sans 
doute  d'y  voir  la  dégradation  précoce  du  génie  ;  malheureu- 
sement pour  la  véracité  de  Vasari ,  il  survécut  de  deux  ans 
à  Raphaël ,  mais  en  se  gardant  bien  de  l'imiter ,  et  ayant 
même  cessé  toute  intimité  et  toute  correspondance  avec  lui 
depuis  l'adoption  de  sa  dernière  manière.  Que  pouvait-il  y 
avoir  de  commun  entre  le  peintre  des  ravissantes  Madones 
qu'on  voit  à  Bologne  justement  en  face  de  la  Sainte  Cécile,  et 
l'air  déjà  si  effronté  de  la  Madeleine  de  ce  dernier  tableau  'î 
Francia  eut  de  nombreux  élèves.  L'élite  d'entre  eux  travailla 
avec  lui  aux  fresques  de  Sainte  Cécile,  si  belle  encore  malgré 
l'abandon  où  l'a  laissée  l'incurie  des  Italiens  pour  leurs  an- 
ciens maîtres.  Giacomo,  son  fils,  et  Amico  Aspertini  restèrent 
fidèles  à  la  bonne  voie.  D'autres ,  parmi  lesquels  on  remar- 
que le  fameux  graveur  Marc- Antoine  ,  cédèrent  à  la  séduc- 

afin  de  pouvoir  exposer  1rs  productions  des  médiocrités  modernes? 
La  postérité,  en  lisant  ce  fait  dans  l'histoire  de  l'art  de  notre  ternis, 
aura  peine  à  le  croire. 

«  On  peut  en  juger  d'après  la  gravure  de  la  fainte  Cécile,  récem- 
ment faite  par  Gandolfi,  ou  celle  publiée  en  France  par  Desnoyers, 
£  ce  qu'il  nous  semble. 


—  111  — 

tion  du  paganisme.  On  regrette  de  ne  pas  trouver  ici  un 
mot  sur  un  élève  de  Francia  ,  Timoteo  Viti  ou  délie  Vite  -, 
auteur  d'une  Madeleine  pénitente  (  à  la  Pinacothèque)  dont 
la  pudeur  et  la  ferveur  forment  un  noble  contraste  avec  les 
affreuses  profanations  dont  ce  sujet  a  été  accablé  depuis  la 
renaissance.  Ce  serait  aussi  la  place  naturelle  de  quelques 
renseignemens  sur  les  grands  maîtres  de  la  primitive  école 
de  Ferrare ,  Costa,  Mazzolini  et  Panetti ,  dignes  rivaux  du 
délicieux  Francia  *. 

Après  avoir  examiné  ainsi  les  résultats  de  l'influence  du 
Pérugin  au  dehors ,  M.  Rio  revient  à  ses  disciples  en  Ooabrie 
même.  Puisqu'il  a  honoré  de  ses  éloges  Gerino  de  Pistoja , 
et  Paris  Alfani ,  qui  en  sont,  selon  nous ,  bien  indignes ,  on 
ne  conçoit  pas  pourquoi  il  a  omis  Sinibaldo  Ibi ,  dont  on 
voit  un  si  beau  Saint-Antoine  à  San-Francesco  de  Pérouse , 
et  surtout  Giannicola  Manni ,  dont  le  tableau  vraiment  su- 
blime forme  avec  la  Madone  de  Pinturicchio  ,  si  justement 
appréciée  par  l'auteur,  le  plus  bel  ornement  de  la  petite 
mais  délicieuse  galerie  de  Pérouse  2.  Les  ouvrages  de 
Pinturicchio  ont  été  traités  avec  soin  et  prédilection  par 
M.  Rio ,  surtout  ses  fresques  exquises  de  Sainte-Marie  du 
Peuple,  «  la  première  église  que  l'étranger  salue  en  entrant 
dans  Rome.  »  Nous  lui  reprochons  seulement  trop  de  sévé- 
rité pour  les  œuvres  de  ce  pauvre  Pinturicchio  à  Spello  ,  et 
l'oubli  complet  de  la  Cappella  Bella  peinte  par  lui  dans 
cette  petite  ville ,  et  où  dans  une  Nativité ,  il  a  eu  la  belle 
idée  de  montrer  sur  les  langes  qu'un  Séraphin  apporte  à  l'en» 


1  Cetîe  lacune  a  été  depuis  comblée  par  un  eicell;nt  opusci  b  de 
M.  Camiilo  Lederchi,  sur  l'ancienne  écola  ferra  aise,  dont  i  oas 
pari  m  ons  dan-  l'appendice  n°  3. 

2  Le  directeur  de  cette  galerie ,  M.  Sanguinetti ,  est  du  très  petit 
nombre  des  Italiens  qui  aiment;  comprennent  et  pratiquent  la  pein- 
ture catholique. 


—  112  — 

fant  divin,  l'empreinte  prophétique  de  la  croix.  Nous  avons 
dit  plus  haut  pourquoi  nous  étions  plus  indulgent  que  M.  Rio 
pour  la  vieillesse  des  grands  peintres  chrétiens  :  nous  pré- 
férons la  vieillesse  de  Pinturicchio  au  progrès  de  Raphaël. 
Nous  ne  dirons  rien  de  ce  Signorelli,  renégat  de  l'école 
mystique,  qui  poussa  l'amour  de  l'anatomie  jusqu'à  l'étudier 
sur  le  cadavre  de  son  propre  fils  :  mais  nous  nous  hâterons 
d'arriver  à  Raphaël,  le  plus  illustre  des  élèves  du  Péru- 
gin.  Nous  admettrions  volontiers  avec  M.  Rio  qu'il  a  porté 
l'art  chrétien  à  son  plus  haut  degré  de  perfection,  si 
nous  n'étions  attristés  et  révoltés,  même  en  présence  de  ses 
chefc-d'œuvre  les  plus  purs ,  par  la  pensée  de  sa  déplorable 
défection.  Il  est  certain  que  nul  n'a  réuni  à  un  si  haut  point 
que  lui  toutes  les  qualités  les  plus  variées ,  pendant  les  dix 
premières  années  de  sa  carrière  :  mais  c'est  justement  parce 
qu'il  a  le  mieux  conçu  et  le  mieux  pratiqué  la  sainte  vérité, 
qu'il  est  plus  coupable  d'avoir  volontairement  embrassé  des 
erreurs  profanes.  Quoique  les  tableaux  de  sa  première  ma- 
nière soient  les  plus  beaux  du  monde,  on  ne  doit  pas  dire  qu'il 
a  été  le  plus  grand  des  peintres,  pas  plus  qu'on  ne  pourrait  dire 
qu'Adam  a  été  le  plus  saint  des  hommes,  parce  qu'il  a  été  sans 
péché  dans  le  Paradis.  M.  Rio  analyse  avec  une  attention  par- 
faite les  principales  œuvres  de  Raphaël  depuis  l'an  1 500  où  il  se 
fit  l'élève  du  Pérugin,  jusqu'au  moment  où  il  renonça  aux  tra- 
ditions ombriennes  pour  fonder  l'école  Romaine l.  Il  établit 
une  foule  de  rapports  très  précieux  entre  les  circonstances 
extérieures  de  la  vie  de  Raphaël ,  ses  amitiés ,  les  lieux  qu'il 

1  On  est  encore  si  peu  familiarisé  en  France  avec  la  première 
manière  (c'est-à-dire  la  manière  chrétienne  )  de  Raphaël,  que  nous 
nous  souvenons  d'avoir  lu  dans  la  Revue  de  Paris  du  40  octobre 
1836  un  article  signé  L.  Thoré,  dont  l'auteur  paraît  stupéfait  de  ce 
qu'un  tableau  de  Raphaël,  daté  de  1506,  ait  pu  exciter  son  admira- 
tion. Qu'aurait  donc  dit  cet  écrivain  devant  le  Crucifiement  du  cardi- 
nal Fesch,  qui  est  dç  1503  ,  et  le  Sposalizio ,  qui  est  de  J504  ? 


—   113   — 

visita  et  ses  ouvrages.  Il  commence  par  le  Sposalizio ,  et 
finit  à  la  Dispute  du  Saint- Sacrement  :  ce  sont  les  deux 
termes  extrêmes  du  génie  chrétien  de  Raphaël ,  et  on  peut 
le  dire  ,  les  deux  plus  merveilleuses  productions  de  la  pein- 
ture. Mais  croirait-on  que  le  Sposalizio ,  cette  œuvre  heu- 
reusement popularisée  en  France  par  la  belle  gravure  de 
Longhi ,  cette  œuvre ,  comme  dit  M.  Rio  ,  à  la  fois  nawe 
et  sublime ,  est  si  peu  comprise  à  Milan  qui  a  le  bonheur  de 
la  posséder ,  que  les  fins  connaisseurs  de  cette  ville  disent 
que  c'est  un  tableau  d'apprenti ,  et  regrettent  les  40,000  fr. 
qu'il  a  coûté.  Nous  n'essaierons  pas  de  suivre  M.  Rio  dans 
son  examen  qui  mérite  une  lecture  approfondie.  Nous  re- 
grettons qu'il  n'ait  pas  fait  mention  des  Madones  Alfani  et 
Contestabile  à  Pérouse ,  et  qu'il  ait  parlé  si  légèrement  du 
petit  tableau  du  comte  ïosi  à  Brescia  ,  qui  représente  notre 
Seigneur  à  mi-corps  ,  le  doigt  sur  la  plaie  de  son  côté  ,  et  di- 
sant à  ses  disciples  Pax  vobis  :  jamais  Raphaël  n'a  mieux 
réussi  dans  la  tête  du  Christ  \  M.  Rio  a  commis ,  ce  nous 
semble ,  une  erreur  grave  en  disant  que  le  premier  ta- 
bleau fait  par  Raphaël  après  le  Sposalizio ,  la  sublime  In- 
toronazione  du  Vatican ,  a  été  terminé  vingt  ans  plus  tard 
par  Jules  Romain  et  le  Fattore.  Dans  ce  délicieux  tableau 2, 
tout  est  d'un  seul  jet ,  et  ce  jet  s'élance  des  sources  les  plus 
limpides  de  l'art  mystique  :  rien  n'indique  l'attouchement 
impur  de  Jules  Romain.  M.  Rio  l'a  sans  doute  confondu  avec 
le  tableau  voisin ,  dit  la  Madona  di  Monte  Luce ,  qui  re- 
présente le  même  sujet ,  œuvre  conjointe  de  ces  deux  élèves 
dégénérés  de  Raphaël ,  mais  à  laquelle  le  génie  du  Raphaël 

1  Ce  petit  chef-d'œuvre,  très  peu  connu,  a  été  parfaitement  gravé 
par  M.  Grimer,  pour  la  traduction  italienne  de  la  vie  de  Raphaël,  par 
Quatremère  de  Quincy ,  ainsi  que  pour  l'ouvrage  publié  récemment 
par  M.  Passavant,  en  Allemagne ,  sur  les  travaux  de  Raphaël. 

a  Gravé  à  Dresde,  par  Stolzel,  en  1832,  mais  avec  trop  de 
dureté. 

8 


—  nu  — 

péruginesque  est  complètement  étranger.  Il  a  omis  aussi,  on 
ne  sait  pourquoi ,  le  chef-d'œuvre  de  la  galerie  du  Vatican  , 
le  Presepe  délia  Spineta ,  que  l'on  croit  être  le  fruit  du 
travail  réuni  du  Pérugin  ,  de  Pinturicchio  et  de  Raphaël.  Il 
serait  fort  difficile  de  distinguer  la  part  de  chacun  :  mais  on 
peut  dire  hardiment  que  s'ils  y  ont  tous  trois  travaillé,  ils  s'y 
sont  tous  trois  surpassés.  La  Vierge  dite  du  duc  d'Albe,  dont 
M.  Rio  dit  avec  raison  que  «  nul  tableau  n'est  plus  propre  à 
«  exalter  les  âmes  pieuses  qui  veulent  méditer  sur  les  mys- 
«  tères  de  la  Passion  ,  »  naguère  à  Londres ,  chez  le  géné- 
reux M.  Coesvelt ,  vient  de  passer  à  Pétersbourg ,  et  est  par 
conséquent  perdue  pour  l'Europe  catholique  et  civilisée.  Le 
rapprochement  entre  la  Dispute  du  Saint- Sacrement  et 
le  poème  du  Dante ,  est  naturel  et  juste  :  cette  fresque  est 
en  effet  un  véritable  poème  en  peinture.  Pourquoi  faut-il 
qu'aussitôt  après  l'avoir  terminée,  Raphaël  ait  cédé  aux  sug- 
gestions du  serpent  ?  Comme  dit  notre  auteur,  «  le  contraste 
est  si  frappant  entre  le  style  de  ses  premiers  ouvrages  et 
celui  qu'il  adopta  dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie , 
qu'il  est  impossible  de  regarder  l'un  comme  une  évaluation 
ou  un  développement  de  l'autre.  Évidemment  il  y  a  eu 
solution  de  continuité,  abjuration  d'une  foi  antique  en 
matière  d'art ,  pour  embrasser  une  foi  nouvelle.  »  Cette  foi 
nouvelle  n'est  autre  que  la  foi  au  paganisme  et  au  matéria- 
lisme ,  qui  a  eu  pour  révélation  les  fresques  de  l'histoire  de 
Psyché ,  et  la  Transfiguration. 

M.  Rio  remet  à  un  autre  moment  l'histoire  de  cette  grande 
chute  pour  nous  donner  celle  de  la  croisade  prêchée  par  Sa- 
vonarole  contre  l'invasion  du  paganisme  dans  la  société  et 
surtout  dans  l'art.  Cet  épisode ,  qui  occupe  tout  le  chapitre 
VIII,  est  peut-être  la  partie  du  livre  qui  fait  le  plus  d'hon- 
neur à  l'auteur  ;  ou  plutôt  ce  chapitre  fait  à  lui  seul  un  beau 
livre.  Nous  ne  tenterons  pas  d'analyser  ce  récit  plein  de 
mouvement,  d'éloquence  et  de  raison ,  qui  initie  le  lecteur  à 


—  115  — 

la  crise  la  plus  importante  de  l'histoire  de  l'art  et  de  la  poé- 
sie chrétienne.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  l'histoire  de 
l'art ,  c'est  à  l'histoire  religieuse  en  général  que  M.  Rio  a 
rendu  un  service  essentiel ,  en  pulvérisant  les  mensonges  à 
l'aide  desquels  les  protestans  et  les  philosophes  ont  jusqu'à 
présent  exploité  le  rôle  joué  par  Savonarole  au  profit  de 
leurs  haines  contre  l'Église  romaine.  Tout  dernièrement 
encore  un  professeur  de  théologie  luthérienne  (si  tant 
est  qu'il  y  ait  encore  une  théologie  luthérienne)  à  Iéna , 
M.  Meyer ,  a  publié  un  gros  volume  où  il  cherche  à  démon- 
trer que  Savonarole  était  le  digne  précurseur  de  Luther ,  et 
même  son  rival  sur  plusieurs  points.  D'un  autre  côté,  dans 
le  siècle  dernier ,  les  jansénistes  italiens ,  imbus  des  doctri- 
nes que  Joseph  II  rendit  si  fatales  à  l'Église  et  à  la  société , 
publièrent  plusieurs  écrits  contre  lui ,  comme  rebelle  à  l'au- 
torité légitime  et  paternelle  des  Médicis ,  rebelle  au  nom  du 
fanatisme ,  comme  l'étaient  les  Belges  contre  Joseph  II. 
M.  Rio  a  réhabilité  les  opinions  religieuses  et  politiques  de 
ce  grand  homme;  il  a  prouvé  que  son  catholicisme  était  aussi 
pur  que  sa  politique  était  sage  et  éloignée  de  la  démagogie 
qu'on  lui  impute  ;  il  a  reconquis  pour  l'Église  la  gloire  et  le 
génie  de  Savonarole.  Qu'il  en  soit  béni  !  Aussi  bien  est-il 
impossible  de  lire  ce  chapitre  sans  éprouver  la  plus  vive  sym- 
pathie à  la  fois  pour  le  héros  du  récit  et  pour  le  narrateur , 
car  on  sent  que  l'un  n'est  compris  que  grâce  aux  efforts  de 
l'autre.  Il  a  fallu  que  M.  Rio  vînt  compulser  avec  un  soin 
scrupuleux  le  recueil  déjà  si  rare  des  sermons  de  Savonarole 
pour  en  retirer  les  admirables  invectives  de  l'apôtre  chrétien 
contre  le  classicisme  corrupteur  de  l'éducation,  contre  le  pa- 
ganisme avec  tous  ses  souvenirs  antiques,  ses  héros  profanes, 
sa  littérature  obscène  et  son  art  voluptueux  ;  en  même  temps 
qu'une  théorie  du  beau  chrétien ,  qui  avait  une  bien  autre 
originalité,  une  bien  autre  profondeur  que  toutes  les  trivia- 
lités qu'on  répétait  servilement  alors  d'après  Aristote  et 


—  116  — 

Quintilien.  On  conçoit    le  soulèvement  qu'il  dut  exciter 
contre  lui  dans  une  société  où  la  découverte  d'un  ma- 
nuscrit grec  ou  latin  était  regardée  comme  un  des  plus 
grands  bienfaits  du  ciel ,  et  où  l'on  osait  mettre  sur  les  au- 
tels les  portraits  des  courtisanes  les  plus  célèbres  en  guise  de 
Madones  ;  aussi ,  malgré  le  pur  enthousiasme  qu'il  inspira  à 
la  jeunesse  ,  et  dont  M.  Rio  raconte  les  résultats  avec  tant 
de  charme ,  malgré  l'influence  toute  puissante  qu'il  exerça 
sur  les  savans ,  les  guerriers  et  les  plus  grands  artistes  de 
son  siècle ,  Tic  de  la  Mirandole ,  Salviati ,  Valori ,  Lorenzo 
di  Credi,  Fra  Bartolommeo ,  Luca  délia  Robbia ,  Cronaca  , 
il  succomba  sous  les  efforts  réunis  des  vieux  débauchés,  des 
professeurs  de  littérature  païenne ,  et  surtout  des  banquiers 
et  des  usuriers ,  qui  ne  voulaient  pas  se  laisser  enlever,  par 
l'influence  de  la  religion  ,  le  gouvernement  des  affaires  pu- 
bliques. M.  Rio  ne  le  suit  pas  jusqu'à  sa  catastrophe  ;  s'il 
l'avait  fait,  il  aurait  certes  reconnu  que,  dans  les  derniers 
temps  de  sa  vie ,  Savonarole  manqua  lui-même  de  cette  hu- 
milité et  de  cette  modération  qui  donnent  la  victoire.  Mais 
notre  auteur  n'a  pas  oublié  la  noble  justice  rendue  à  la  vic- 
time du  paganisme  par  la  cour  de  Rome  ;  justice  qui  ne  fut 
pas  tardive  puisque  l'on  voit ,  dix  ans  après  sa  mort ,  Ra- 
phaël le  représenter  parmi  les  docteurs  de  l'Église ,  dans  la 
fresque  du  Saint-Sacrement ,  avec  l'autorisation  de  Jules  II , 
successeur  immédiat  d'Alexandre  VI  qui  l'avait  condamné. 
Nous  regrettons  que  M.  Rio  n'ait  pas  cité  ou  analysé  quel- 
ques uns  des  nombreux  poèmes  de  Savonarole ,  qui  sont  en 
manuscrit  à  la  Magliabecchiana ,  et  dont  plusieurs  ont  été 
publiés  par  Meyer.  Il  eût  été  bon  aussi  de  rappeler  l'influence 
qu'exercèrent  ses  sermons  sur  Benvenuto  Cellini ,  comme 
celui-ci  nous  le  raconte  avec  son  énergie  habituelle  '.  Ben- 
venuto ,  malgré  ses  excès  en  tout  genre  et  la  direction  ex- 

1  VoyeiVitadi Cellini,  èûit.  de  Tassi,t.  u,p.  1, et  aussi  t.  i,p.65. 


—   117 

elusivement  païenne  de  son  talent ,  avait  conservé  une  foi 
très  fervente ,  et  par  tout  l'ensemble  de  son  caractère ,  il 
nous  paraît  avoir  été  le  dernier  représentant  de  la  dignité 
et  de  l'indépendance  de  l'artiste  du  moyen  âge. 

Fidèle  à  la  distinction  fondamentale  de  son  ouvrage , 
M.  Rio ,  dans  son  chapitre  IX ,  sépare  et  juge  les  peintres 
de  Florence  qui ,  au  commencement  du  seizième  siècle ,  se 
lancèrent  à  pleines  voiles  dans  le  naturalisme ,  et  ceux  qui , 
dominés  par  le  souvenir  de  Savonarole ,  formèrent  une  nou- 
velle école  purement  religieuse.  Lorenzo  di  Credi  occupe  la 
première  place  parmi  ceux-ci.  Le  tableau  qu'on  voit  de  lui 
au  Louvre  peut  donner  une  idée  de  son  genre ,  quoique  la 
Vierge  y  soit  inférieure  à  son  type  habituel  si  pur  et  si  ten- 
dre à  la  fois ,  qu'on  le  place  volontiers  à  côté  de  ceux  du 
Pérugin  et  de  Francia.  Fra  Bartolommeo  fut  plus  enthou- 
siaste que  tout  autre  de  Savonarole ,  et  il  eut ,  comme  Lo- 
renzo di  Credi ,  la  gloire  de  ne  jamais  vouloir  traiter  des  su- 
jets profanes  ;  mais  nous  ne  saurions  partager  l'admiration 
que  ses  œuvres  inspirent  à  M.  Rio,  si  ce  n'est  pour  le  tableau 
de  l'église  S.  Romano  à  Lucques ,  qui  représente  sainte 
Madeleine  et  sainte  Catherine  de  Sienne  au  pied  de  Notre- 
Seigneur  crucifié  '.  Ridolfo  Ghirlandajo ,  nourri  à  l'école  de 
Savonarole ,  ami  de  Fra  Bartolommeo  et  de  Raphaël  pen- 
dant la  jeunesse  de  celui-ci,  resta  fidèle  jusqu'au  bout  aux  in- 
spirations chrétiennes ,  en  les  parant  d'un  coloris  plus  suave 
et  plus  harmonieux  peut-être  que  celui  de  tout  autre  maître 
florentin.  On  peut  en  juger  d'après  X Incoronazione  qui 
est  au  Louvre  et  qu'il  fit  à  dix-neuf  ans  ;  il  mourut  en  1560  ; 
il  fut  le  dernier  des  peintres  chrétiens.  Nous  ne  suivrons 
pas  M.  Rio  dans  l'examen  détaillé  qu'il  fait  des  peintres  na- 

1  II  ne  faut  pas  confondre  ce  tableau  avec  celui  du  même  auteur 
dan»  la  même  église ,  qui  représente  la  Madone  de  la  Miséricorde  : 
celui-ci  est  selon  nous  bien  inférieur,  surtout  pour  le  type  de  Marie. 


—  118  — 

turalistes  de  la  première  moitié  du  seizième  siècle ,  Piero  di 
Cosimo ,  Mariotto  Aîbertinelli ,  André  del  Sarto  et  le  Pon- 
tormo  ;  ils  excellaient  tous  plus  ou  moins  dans  le  coloris , 
«  cet  élément  subalterne  de  la  peinture  » ,  mais  ils  Meurent 
jamais  une  inspiration  purement  et  profondément  chré- 
tienne, si  ce  n'est  André  del  Sarto  dans  deux  ou  trois 
fresques  de  la  vie  de  saint  Philippe  Benizzi  à  XAnnunziata. 
Nous  ne  concevons  même  pas  comment  M.  Rio  a  eu  le  cou- 
rage de  s'étendre  si  longuement  sur  ces  peintres  de  a  déca- 
dence ,  lui  qui  a  été  si  avare  de  détails  sur  les  œuvres  de  Fra 
Angelico.  11  est  vrai  que  dans  ses  pages  on  trouve  des  ren- 
seignemens  très  significatifs  sur  la  vie  de  ces  hommes  ;  et  l'on 
peut  en  déduire  à  priori  un  jugement  très  sûr  quant  au  ca- 
ractère de  leurs  ouvrages.  On  y  voit  toute  la  honteuse  his- 
toire d'André  del  Sarto ,  qui  escroquait  de  l'argent  à  Fran- 
çois Ier  et  peignait  sa  femme  grosse  en  guise  de  Madone.  On 
y  voit  que  Mariotto  mourut  de  débauche  à  la  fleur  de  l'âge, 
et  que  Pierre  di  Cosimo  aimait  tellement  la  nature  qu'il 
cherchait  à  s'inspirer  «  dans  le  voisinage  des  hôpitaux ,  près 
«  des  murs  où  les  malades  avaient  l'habitude  de  cracher 
«  depuis  des  siècles,  et  devant  des  découpures  et  des  ondula- 
«  tions  de  toute  forme  et  de  toute  couleur  il  restait  quelque- 
c  fois  des  heures  entières  en  contemplation ,  à  moins  qu'il 
«  ne  vînt  à  entendre  le  son  des  cloches  ou  le  chant  des  moi- 
«  nés ,  car  il  aurait  fui  à  l'autre  extrémité  de  Florence  pour 
«  échapper  à  ce  double  supplice  ».  Cet  artiste  avait,  à  ce 
qu'il  paraît,  les  mêmes  répugnances  que  certains  esprits 
éclairés  de  nos  jours. 

L'école  naturaliste  mixte,  c'est-à-dire  encore  mêlée  de 
quelques  élémens  religieux  et  poétiques ,  s'éteignit  avec  le 
Pontormo ,  pour  faire  place  à  l'école  naturaliste  pure  des 
Allori  et  des  imitateurs  de  Michel-Ange  ,  dont  il  doit  être 
question  dans  une  partie  ultérieure  de  l'ouvrage. 

Nous  voici  arrivés  au  chapitre  Xe  et  dernier  de  ce  pré- 


—  119   —  * 

cieux  volume  ;  il  traite  de  l'école  vénitienne  primitive  et  de 
ses  branches  collatérales  dans  diverses  villes  des  possessions 
de  Venise.  Il  nous  semble  que  ce  chapitre ,  avec  celui  qui 
renferme  le  magnifique  épisode  de  Savonarole,  est  la  partie 
de  son  livre  que  l'auteur  a  traitée  avec  le  plus  d'amour,  et 
nous  lui  en  savons  d'autant  plus  gré  que  ces  deux  sujets 
n'ont  pas  même  été  effleurés  jusqu'ici ,  pas  même  par  la 
scrupuleuse  pénétration  des  Allemands.  Après  quelques  con- 
sidérations préliminaires ,  un  peu  trop  sévères  selon  nous , 
sur  le  dialecte  si  gracieux  de  Venise ,  M.  Rio  établit  que  la 
poésie  chrétienne  n'a  revêtu  à  Venise  que  les  seules  formes 
de  la  légende  et  de  l'art;  il  nous  dit  que  la  poésie  légendaire 
de  Venise  est  plus  riche  qu'aucune  autre  du  monde  dans 
ses  variétés.  Nous  croyons  cette  assertion  singulièrement 
exagérée,  mais  nous  espérons  qu'un  jour  M.  Rio  essaiera  de 
la  justifier  en  nous  initiant  à  la  connaissance  de  ces  trésors, 
et  en  les  comparant  avec  les  richesses  légendaires  du  monde 
germanique  et  du  reste  de  l'Italie.  Passant  de  suite  à  la 
forme  de  l'art,  il  juge  rapidement  l'empire  passager  de  l'é- 
cole byzantine ,  frappée  là  comme  ailleurs  d'une  heureuse 
stérilité.  Les  travaux  de  Giotto  à  Padoue ,  trop  légèrement 
appréciés  par  M.  Rio ,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  y 
enfantèrent  une  école  dont  le  plus  beau  monument  se  trouve 
au  Baptistère  de  cette  ville.  Nous  avouons  que  la  coupole 
de  cet  édifice  qui  représente  la  Gloire  céleste ,  peinte  par 
Giusto  et  Antoine  de  Padoue ,  avec  la  foi  sévère  et  naïve  de 
cette  heureuse  époque ,  nous  parait  un  spectacle  beaucoup 
plus  radieux  que  les  savans  raccourcis  des  coupoles  du  sei- 
zième siècle  que  M.  Rio  leur  compare.  Guariento ,  condis- 
ciple des  peintres  du  Baptistère ,  se  distingua  d'eux  par  l'o- 
riginalité de  ses  productions  ;  c'est  lui  qui  fit  à  Venise  le 
premier  tableau  à  la  fois  religieux  et  national  dont  l'histoire 
ait  gardé  le  souvenir,  qui  représentait  la  Sainte  Vierge  inau- 
gurée par  Jésus-Christ  comme  Reine  de  Venise  ;  et  de  plus , 


—   120   — 

comme  symbole  de  la  fraternité  qui  devait  régner  entre  les 
citoyens ,  saint  Antoine  et  saint  Paul  partageant  dans  le  dé- 
sert le  pain  qui  leur  était  envoyé  du  ciel.  Ce  tableau  a  mal- 
heureusement péri  ;  mais  comme  dit  fort  bien  l'auteur,  «  tout 
«  l'avenir  de  la  peinture  vénitienne  était  là ,  tout  son  cycle 

«  lui  était  tracé  d'avance c'est-à-dire  l'élément  religieux 

«  et  mystique  planant  au  dessus  de  l'élément  social  et  pa- 
«  triotique.  »  M.  Rio  nomme  parmi  les  élèves  de  Guariento, 
Avanzi,  auteur  des  belles  fresques  de  la  chapelle  Saint^Félix 
al  Santo  de  Padoue.  Ce  Giacomo  Avanzi  de  Bologne,  doit 
être  le  même,  si  nous  ne  nous  trompons,  que  celui  qu'a  cité 
plus  haut  M.  Rio,  comme  disciple  de  Vital,  dans  l'ancienne 
école  de  Bologne  ;  ses  œuvres  sont  dignes  de  cette  illustre 
origine.  Mais  dès  le  commencement  du  quinzième  siècle , 
une  déviation  funeste  eut  lieu  au  sein  de  cette  brillante  école 
de  Padoue ,  sous  la  direction  de  Squarcione  et  plus  encore 
de  son  élève  le  célèbre  Mantegna  ,  tous  deux  épris  du  plus 
aveugle  enthousiasme  pour  l'art  antique.  Devenu  plus  tard 
beau-frère  de  Jean  Bellini,  il  améliora  son  style  et  son  goût. 
M.  Rio  cite  plusieurs  de  ses  travaux  qui  portent  l'empreinte 
de  ce  progrès  ;  notamment  les  deux  tableaux  de  la  galerie 
du  Louvre ,  objets  de  l'admiration  si  prononcée  de  Frédéric 
Schlegel.  Mais  Mantegna  ne  réussit  point  à  former  des  élè- 
ves dignes  de  lui  (sauf  toutefois  Monsignori,  qui  doit  comp- 
ter de  droit  parmi  les  mystiques)  ;  aussi  Venise  eut-elle  le 
mérite  d'éviter  tout  contact  avec  cette  école  païenne ,  elle 
aima  mieux  se  mettre  en  communication  avec  l'école  pure 
et  mystique  de  l'Ombrie.  Carlo  Crivelli,  l'un  de  ses  plus  an- 
ciens peintres ,  dont  on  voit  de  si  beaux  tableaux  à  la  ga- 
lerie de  Milan ,  alla  se  former  à  Fabriano ,  tandis  que  Gen- 
tile  da  Fabriano ,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut ,  vint  en 
U20  à  Venise  y  fonder  l'école  des  Bellini.  Il  reste  encore 
dans  cette  ville  un  monument  curieux  de  ses  relations  avec 
Venise ,  dont  M.  Rio  n'a  pas  parlé  ;  c'est  une  très  belle  Ado- 


—   121   — 

ration  des  Mages,  dans  la  galerie  de  M.  Craglietta  ;  les 
costumes  orientaux  y  sont  fidèlement  reproduits ,  et  on  y 
voit  des  inscriptions  en  caractères  regardés  comme  indé- 
chiffrables,  jusqu'à  ce  qu'un  jeune  savant  français,  M.  Eu- 
gène Bore  »,  y  eût  reconnu  des  paroles  arméniennes.  Gentile 
da  Fabriano  avait ,  selon  la  tradition  vénitienne ,  accompa- 
gné le  patricien  Zeno  dans  son  ambassade  en  Perse ,  et  ce 
tableau  était  sans  doute  destiné  à  commémorer  pieusement 
cet  aventureux  voyage.  On  le  verra  avec  intérêt ,  en  atten- 
dant qu'il  passe  entre  les  mains  de  quelque  riche  Anglais 
qui  l'enfermera  dans  un  castel  de  province ,  où  le  proprié- 
taire en  fera  valoir  non  pas  la  beauté,  mais  le  prix,  aux 
yeux  ennuyés  de  quelques  fashionables.  Tel  a  été,  depuis  un 
demi-siècle,  le  sort  de  bien  des  chefë-d'œuvre. 

A  côté  de  l'influence  de  l'école  ombrienne  vient  se  placer 
tout  naturellement  celle  de  l'Allemagne,  où  florissait  à  cette 
époque  l'admirable  école  de  Van-Eyck  et  de  Hemmeling. 
Venise  possédait  autrefois  un  grand  nombre  de  productions 
de  ces  princes  de  Fart  germanique.  On  y  voit  encore  le  Bré- 
viaire unique  par  la  beauté  de  ses  miniatures ,  peintes  par 
Hemmeling.  Un  certain  Jean  d'Allemagne ,  que  l'on  trouve 
souvent  comme  collaborateur  des  Vivarini,  venait  sans  doute 
du  Bas-Rhin.  Nous  reprocherons  une  dernière  fois  à  M.  Rio 
la  froideur  et  l'injustice  avec  laquelle  il  parle  de  cette  fa- 
mille des  Vivarini,  qui  a  si  bien  mérité  de  Fart  chrétien,  et 
que  tous  les  véritables  amis  de  cet  art  ne  peuvent  manquer 
de  chérir  en  apprenant  à  connaître  leurs  ouvrages.  Nous 
n'hésiterons  pas  à  les  regarder  comme  les  véritables  pères 
de  la  peinture  catholique  à  Venise.  Nous  citerons  parmi  les 
chefs-d'œuvre  de  ces  peintres  le  Couronnement  de  la 
Vierge,  signé  Jean  et  Antoine  Vivarini,  1444 ,  qui  est  à 

•  Auteur  d'une  notice  récemment  publiée  sur  Saint-Lazare,  so- 
ciété religieuse  des  Arméniens. 


—  122  — 

San-Pantaleone  de  Venise ,  et  qui  peut  servir  de  type  à  ce 
beau  sujet ,  tarit  ils  ont  tiré  parti  de  tous  les  motife  que  leur 
fournissait  la  tradition  ;  puis  une  très  belle  Ancona  (ou  ré- 
table) d'Antonio  et  Bartolommeo  de  Murano,  en  1450,  à  la 
Pinacothèque  de  Bologne ,  où  l'on  voit  Marie  couronnée 
par  les  Anges ,  tandis  qu'elle  semble  protéger  de  ses  mains 
jointes  et  de  son  tendre  regard  le  sommeil  de  son  divin  En- 
fant endormi  sur  ses  genoux  ;  enfin  et  surtout  le  grand  ta- 
bleau qui  est  à  l'entrée  de  l'Académie  de  Venise ,  et  qui 
semble  en  quelque  sorte  la  bannière  patronale  de  la  ville. 
C'est  Marie,  dont  le  visage  offre  une  expression  ineffable  de 
mélancolie  et  d'innocence  à  la  fois  ;  elle  porte  dans  ses  bras 
l'Enfant  Jésus,  qui  tient  une  grenade  fleurie  ;  elle  est  sur  un 
trône  recouvert  d'un  baldaquin ,  que  soutiennent  quatre 
anges  à  grandes  ailes  enflammées,  et  qui  regardent  d'un  air 
triomphant  ;  à  droite  et  à  gauche  sont  les  quatre  docteurs 
de  l'Eglise  ;  l'ensemble  est  d'un  grandiose  complet  et  d'une 
beauté  rare.  Le  catalogue  de  l'Académie  l'attribue  à  Jean  et 
Antoine  de  Murano ,  mais  Ridolfi ,  le  plus  ancien  historien 
des  artistes  vénitiens ,  le  désigne  de  la  manière  la  plus  for- 
melle (p.  18)  comme  étant  de  Jacopello  Flore,  qui  florissait 
en  1420,  et  dont  l'on  voit  à  S.  Francesco  délia  Vigna  une 
bien  belle  madone.  Selon  un  type  assez  fréquent  dans  la 
primitive  école  vénitienne,  elle  adore  son  enfant  étendu  sur 
ses  genoux ,  en  lui  faisant  comme  un  dais  de  ses  mains  join- 
tes!. 

M.  Rio  reléguant  les  pauvres  Vivarini  dans  leur  île  soli- 
taire de  Murano,  croit  que  l'école  vénitienne  a  été  le  produit 
de  l'assimilation  de  tous  les  bons  élémens  des  diverses  éco- 
les ultramontaines  et  italiennes.  Le  grand  mouvement  de 
l'art  y  est  commencé ,  selon  lui ,  par  les  deux  frères  Bellini , 
Gentile  et  Jean.  Il  ne  reste  rien  des  quatorze  grandes  fres- 

1  Quadri  attribue  ce  tableau  à  Fra  Antonio  de  Negreponte. 


—  123   — 

ques  qu'ils  eurent  l'honneur  de  peindre  dans  le  palais  ducal, 
lesquelles  représentaient  l'histoire  d'Alexandre  III  et  de  Fré- 
déric Barberousse  à  Venise,  et  que  M.  Rio  nomme  les  qua- 
torze chants  de  l'épopée  nationale  de  la  république  ;  mais 
l'Académie  des  Beaux-Arts  nous  a  conservé  assez  de  tableaux 
de  Gentile  pour  nous  mettre  à  même  de  le  juger,  surtout  la 
magnifique  Procession  de  la  vraie  Croix  sur  la  place 
Saint-Marc ,  qui  est  comme  une  apparition  de  la  splendeur 
catholique  de  l'ancienne  Venise,  et  que  le  pieux  artiste  a  si- 
gné ainsi  : 

Gentilts  Bellinus  amore  incensus  crucis,  U96. 

Quel  beau  temps  cependant  pour  des  chrétiens ,  que  celui 
où  le  génie  proclamait  sa  foi  en  signant  son  chef-d'œuvre  de 
ces  mots  simples  et  sublimes  :  Un  tel,  enflammé  de  Va- 
mour  de  la  croix  !  Quant  à  son  frère  Jean  Bellini ,  les 
églises  et  les  galeries  de  Venise  sont  pleines  de  ses  tableaux  ; 
M.  Rio  en  signale  les  plus  beaux  avec  beaucoup  de  détails  et 
en  les  comblant  d'éloges.  Nous  aussi  nous  admirons  beau- 
coup Jean  Belin,  surtout  pour  la  pureté  de  son  imagination  ' 
et  la  gravité  grandiose  de  tous  les  personnages  mâles  ;  mais 
nous  ne  pouvons  aimer  le  type  de  ses  vierges ,  malgré  leur 
mélancolie  prophétique.  En  général  il  nous  semble  que 
toute  l'école  vénitienne,  à  l'exception  des  Vivarini,  a  échoué 
le  plus  souvent  dans  ses  représentations  de  la  Sainte  Vierge. 
Nous  ne  connaissons  guère  qu'une  seule  madone  vraiment 
belle,  par  Cima  de  Conegliano ,  dans  la  collection  Barbini. 
Ce  Cima  de  Conegliano  nous  paraît  être  le  plus  grand  pein- 
tre de  l'école  chrétienne  de  Venise;  du  moins  son  tableau 

*  Il  faut  dire  à  la  gloire  de  Venise ,  comme  à  celle  du  peintre 
qu'on  ne  trouve  pas  un  seul  tableau  païen  ou  mythologique  parmi 
tous  ceux  que  les  patriciens  de  Venise  firent  exécuter  à  Jean  Belin; 
et  cela  dé  1460  à  1515,  à  une  époque  où  Florence  et  Rome  étaient 
inondées  par  le  paganisme. 


—  124   — 

de  Saint  Thomas  et  de  Notre- Seigneur,  à  l'Académie, 
surpasse  en  éclat  et  en  majesté  tous  les  autres.  Mais  M.  Rio 
nous  rappelle  ses  rivaux,  qu'il  est  bien  doux  d'admirer  de 
nouveau  dans  ces  éloquentes  pages  où  ils  sont  pour  la  pre- 
mière fois  appréciés  et  compris  ;  tels  sont  Basaïti ,  dont  le 
Christ  mort ,  étendu  entre  deux  anges  qui  contemplent  ses 
plaies ,  est  peut-être  le  plus  pathétique  des  tableaux  de  Ve- 
nise; puis  Carpaccio,  qui  se  consacra  surtout  aux  sujets  lé- 
gendaires, et  dont  l'histoire  de  saint  Jérôme  et  de  saint 
George  à  San  Giorgio  degli  Schiavoni,  et  surtout  la  magni- 
fique série  des  huit  tableaux  de  la  légende  de  sainte  Ursule 
à  l'Académie ,  peuvent  passer  pour  des  chefs-d'œuvre  de  ce 
genre.  M.  Rio  a  oublié  ses  figures  isolées  de  saint  Martin  à 
S.  Giovanni  in  Bragora ,  et  de  saint  Etienne  à  la  galerie  de 
Milan ,  où  il  nous  paraît  avoir  atteint  l'idéal  de  la  beauté 
chrétienne  chez  les  hommes  ;  aussi  conçoit-on  la  touchante 
épitaphe  que  lui  a  consacrée  le  vieil  historien  Ridolfi  :  Pianto 
dai  cittadini,  sorrise  ne/le  béate  stanze  del  cielo  '.  Ces 
trois  peintres,  Cima,  Basaïti  et  Carpaccio,  étaient  élèves  de 
Jean  Belin,  et  quoi  qu'en  dise  M.  Rio,  nous  estimons  qu'ils 
ont  été  bien  plus  richement  dotés  que  leur  maître  en  poésie 
chrétienne  ;  mais  à  celui-ci  appartient  la  gloire  incontestable 
d'avoir  fondé  une  école  qui  sut  maintenir  jusqu'au  milieu 
du  seizième  siècle ,  c'est-à-dire  plus  long-temps  qu'aucune 
autre,  les  traditions  de  l'art  chrétien,  et  conquérir  le  suf- 
frage populaire,  malgré  la  dangereuse  rivalité  de  Giorgione 
et  du  Titien.  Contemporains  ou  successeurs  des  peintres 
que  nous  venons  de  louer,  Mansueti,  Catena  et  les  deux 
Santa  Croce ,  ont  orné  Venise  d'un  grand  nombre  de  tra- 
vaux qui  sont  décrits  par  M.  Rio  de  la  manière  la  plus  satis- 
faisante. Il  ne  se  plaindrait  plus  de  la  rareté  des  tableaux 

•  Il  fut  pleuré  par  ses  concitoyens ,  tandis  qu'il  souriait  au  sein 
de  la  béatitude  céleste. 


—  125  — ^ 

de  Francesco  Santa  Croce,  l'aîné  des  deux,  s'il  avait  pu  voir 
le  Musée  Correr  ouvert  l'année  dernière,  légué  par  son 
fondateur  à  la  pauvre  Venise,  comme  une  légère  compensa- 
tion pour  tant  de  pertes ,  et  où  Ton  voit  un  assez  grand 
nombre  des  productions  de  cet  excellent  artiste.  Ne  serait- 
ce  pas  à  lui  qu'il  faudrait  aussi  attribuer  le  beau  tableau  du 
transept  des  Frari,  qui  représente  la  Sainte  Vierge  recueil- 
lant ses  cliens  sous  son  manteau,  dont  deux  anges  étendent 
les  pans  autant  que  possible ,  tandis  que  deux  autres  anges 
couronnent  leur  Reine,  qui  porte  son  divin  Enfant  au  milieu 
de  sa  poitrine ,  dans  une  espèce  de  médaillon  ;  disposition 
assez  fréquente  dans  la  peinture  et  la  sculpture  vénitiennes  : 
cette  œuvre  capitale ,  surtout  remarquable  par  l'expression 
grave  et  pure  du  visage  de  Marie,  figure  bien  dans  l'église  qui 
porte  le  titre  de  Sainte  Marie  la  Glorieuse  des  Pauvres 
Frères  Mineurs  \  Quant  à  Jérôme  Santa  Croce,  il  s'est  il- 
lustré par  un  tableau  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  %  qui 
répond  pleinement  à  l'idée  qu'on  peut  se  faire  de  ce  grand 
saint,  et  certes  c'est  beaucoup  dire. 

JMais  ce  ne  fut  pas  à  Venise  seulement  que  l'influence  de 
Jean  Belin  s'exerça  d'une  manière  si  heureuse;  elle  s'étendit 
sur  to  utes  les  villes  du  patrimoine  de  saint  Marc ,  depuis  le 
Frioul  jusqu'aux  frontières  du  Milanais,  et  malgré  la  redou- 
table concurrence  des  écoles  de  Mantegna  et  de  Leonardo 
da  Vinci*,-  Bergame  surtout  lui  donna ,  dans  Cariano  et  Pre- 
vitali,  des  élèves  dignes  de  lutter  avec  ceux  qu'il  avait  trou- 
vés à  Venise  même.  Trévise  produisit  Pennachi,  célèbre  par 
ses  grandioses  plafonds  à  Murano  et  à  Venise  ;  puis  Bissolo, 
dont  on  voit  à  l'Académie  Jésus-Christ  donnant  à  sainte 
Catherine  de  Sienne  le  choix  entre  la  couronne  de  reine 
etù%  couronne  d'épines ;  tableau  dont  l'exécution  est  aussi 

«  56  '»»ta  Maria  Gloriosa  de'  Frari. 
a  A  r  'épliw  Saint-Sylvestre  de  Venise. 


—  126  — 

belle  que  l'idée.  Enfin  le  Frioul  eut  tout  une  école  locale , 
fondée  par  le  disciple  chéri  de  Jean  Belin,  et  restée  toujours 
fidèle  aux  traditions  chrétiennes. 

M.  Rio  s'arrête  au  moment  où  le  dualisme  du  bon  et  du 
mauvais  principe  cesse  dans  l'école  vénitienne ,  envahie  ex- 
clusivement par  les  disciples  de  Giorgione ,  du  Titien  et  de 
la  satanique  influence  de  l'Arétin.  Il  lui  suffit  d'avoir  con- 
staté que  la  prééminence  universellement  reconnue  de  l'é- 
cole vénitienne  pour  le  coloris,  a  été  fondée  par  les  anciens 
maîtres  catholiques  que  nous  venons  d'énumérer.  Selon  lui, 
les  trois  dons  qui  constituent  la  perfection  dans  la  peinture, 
se  répartissent  entre  les  trois  grandes  écoles  d'Italie  de  la 
manière  suivante  :  à  l'école  florentine ,  l'excellence  du  des- 
sin, la  science  des  contours  et  des  formes;  à  l'école  om- 
brienne l'expression  des  pieux  élans  et  des  pures  affections 
de  l'âme  ;  enfin  à  l'école  vénitienne,  la  perfection  du  coloris. 
Cette  distinction ,  peut-être  trop  absolue ,  est  suivie  de  con- 
sidérations très  ingénieuses  sur  l'analogie  de  l'harmonie 
musicale  avec  celle  des  couleurs,  analogie  rendue  incontes- 
table par  de  précieux  détails  biographiques  sur  le  goût  pro- 
noncé de  tous  les  peintres  grands  coloristes  pour  la  mu- 
sique. 

A  la  suite  de  cette  partie  pittoresque  de  son  chapitre , 
l'auteur  se  trouve  naturellement  amené  à  juger  le  caractère 
national  et  les  destinées  de  cette  Venise  où  l'art  chrétien 
avait  survécu  plus  long-temps  que  partout  ailleurs.  On  nous 
permettra  de  ne  pas  passer  sous  silence ,  en  terminant  cette 
longue  analyse ,  l'un  des  morceaux  les  plus  frappans  de  ce 
beau  volume.  C'a  été  pour  nous  une  trop  vive  satisfaction 
que  de  voir  ce  grand  sujet  de  l'histoire  de  Venise  enfin  traité, 
ne  fût-ce  qu'en  passant ,  par  une  plume  catholique ,  qui 
puisse  nous  reposer  un  peu  de  ces  invectives  éternellement 
répétées  contre  la  politique  vénitienne ,  le  conseil  des  Dix , 
l'inquisition ,  et  ainsi  que  des  déclamations  non  moins  ba- 


—  127  — 

nales  sur  la  beauté  et  la  décadence  de  Venise,  faites  par  des 
gens  qui  n'ont  pas  même  soupçonné  la  véritable  source  de 
cette  immortelle  beauté.  Mais  on  ne  conçoit  que  trop  l'ini- 
mitié des  uns  et  l'inintelligence  des  autres ,  quand  on  se  re- 
porte à  cette  dévotion  si  patente,  si  populaire,  si  nationale, 
dont  tant  de  monumens  sont  encore  debout,  même  dans  la 
Venise  découronnée  et  dépeuplée  de  nos  jours ,  et  qui  frap- 
pent tout  d'abord  et  bon  gré  mal  gré  l'observateur.  Quand 
on  voit  non  seulement  dans  les  églises ,  mais  dans  tous  les 
édifices  publics;  non  seulement  dans  les  monumens  de  l'art 
primitif,  mais  dans  ceux  des  seizième  et  dix-septième  siè- 
cles ,  tous  ces  doges ,  ces  sénateurs,  ces  représentans  divers 
du  pays  et  de  la  puissance  publique,  tous  agenouillés  de- 
vant la  sainte  Vierge ,  le  lion  de  Saint-Marc ,  ou  la  croix 
du  Nazaréen ,  tous  proclamant  ainsi  que  le  catholicisme 
était  le  principe  suprême  et  fondamental  de  l'existence  de 
Venise  ;  on  comprend  fort  bien  l'impression  désagréable  qui 
doit  résulter  de  cette  vue  dans  l'esprit  des  savans  et  des  his- 
toriens modernes,  et  la  répugnance  qu'ils  ont  dû  en  déduire 
pour  un  gouvernement  semblable  ;  on  se  figure  leur  dépit 
de  ne  pouvoir  concilier,  malgré  toutes  leurs  lumières,  l'exis- 
tence des  merveilleux  chefs-d'œuvre  de  cette  cité  avec  la 
superstition  et  le  fanatisme  si  enracinés  et  si  effrontément 
avoués  dans  cette  malheureuse  république.  M.  Rio,  animé 
par  d'autres  intentions  et  éclairé  par  une  autre  lumière  que 
celle  dont  s'enorgueillissaient  les  écrivains  qui  l'ont  pré- 
cédé, M.  Rio  nous  montre  Venise  sous  un  tout  autre  point 
de  vue  :  il  établit  comme  résultat  de  ses  recherches  que 
Venise  a  conservé  plus  long-temps  que  Rome  et  Florence, 
dans  sa  vie  publique  comme  dans  son  école  de  peinture , 
l'empreinte  religieuse  qui  distingue  particulièrement  les  ré- 
publiques italiennes  au  moyen  âge.  «  Venise ,  »  dit-il ,  «  a 
t  été  la  plus  chrétienne  des  républiques  »  ;  et  à  ce  propos  il 
s'élève  avec  une  trop  juste  indignation ,  non  moins  contre 


—  128  — ■ 

les  calomnies  du  rationalisme  moderne,  que  contre  •  la  hon- 
«  teuse  négligence  avec  laquelle  les  chrétiens  ont  livré  leur 
«  propre  héritage  aux  écrivains  soi-disant  philosophes  »»  (p. 
529).  Il  montre  Venise,  placée  comme  la  Pologne  et  l'Espa- 
gne, en  sentinelle  avancée  de  la  chrétienté  contre  les  Barba- 
res; il  énumère  quelques  unes  des  gloires  du  pavillon  vénitien, 
celui  de  tous  «  qui,  chrétiennement  parlant,  a  laissé  les  plus 
«  honorables  souvenirs.  »  Il  rappelle  à  la  fin  du  dix-sep- 
tième siècle  les  Mocenigo ,  les  Morosini ,  dignes  rivaux  de 
Sobieski  dans  cette  dernière  des  croisades,  «  à  laquelle  les 
«  grandes  puissances  européennes  assistaient  avec  une  stu- 
«  pide  indifférence ,  toutes  fières  de  se  trouver  à  jamais 
«  guéries  de  l'enthousiasme  religieux.  »  A  propos  de  cette 
inscription  du  palais  Vendramin,  non  nobis,  Domine,  sed 
nomini  tuo  da  gloriam ,  il  constate  la  durée  de  la  noble 
habitude ,  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure ,  qu'avaient 
conservée  pendant  tout  le  seizième  siècle  les  souverains  et 
les  généraux  de  Venise  de  faire  honneur  de  leurs  victoires 
à  Marie,  et  de  se  faire  peindre  à  genoux  devant  la  sainte 
Vierge.  Après  avoir  rappelé  le  grand  nombre  de  saints  per- 
sonnages canonisés  par  l'Eglise ,  parmi  l'aristocratie  véni- 
tienne des  premiers  siècles,  et  ces  doges  Trevisani  et  Priuli, 
plaçant  la  plus  fervente  piété  sur  le  trône,  comme  pour  con- 
soler Venise  chrétienne  de  la  scandaleuse  présence  de  l'A- 
rétin,  il  nous  cite  sur  diverses  familles  illustres  de  la  répu- 
blique des  particularités  dignes  d'être  à  jamais  consacrées 
dans  l'histoire  catholique;  enfin,  comme  pour  rendre  à  Ve- 
nise une  dernière  justice,  à  l'occasion  de  sa  déplorable  chute, 
il  insiste  sur  l'attachement  et  les  regrets  que  lui  témoignè- 
rent en  ce  moment  suprême  les  provinces  qu'elle  avait  con- 
quises et  réunies  à  son  empire.  Il  aurait  pu  citer  la  conduite 
généreuse  de  Bergame  sous  le  noble  Ottolini ,  celle  de  Vé- 
rone ,  Trévise  et  autres  villes  de  terre-ferme  ;  mais  se  por- 
tant à  l'autre  extrémité  des  possessions  vénitiennes ,  il  s'est 


—  129   — 

borné  à  citer  textuellement  les  adieux  de  la  ville  de  Péraste 
en  Dalmatie ,  à  la  glorieuse  bannière  de  Saint-Marc.  Cette 
admirable  effusion  de  piété  et  de  reconnaissance  nationale 
est  une  noble  et  digne  péroraison  du  chapitre  sur  Venise 
et  de  cette  partie  du  travail  de  M.  Rio. 

En  lisant  ces  dernières  pages  de  son  volume ,  où  il  dé- 
ploie une  connaissance  si  approfondie  et  une  appréciation  si 
catholique  et  si  juste  de  l'histoire  de  Venise ,  en  les  rappro- 
chant de  son  admirable  chapitre  sur  Savonarole,  nous  avons 
été  presque  tenté  de  regretter  que  M.  Rio ,  au  lieu  de  se 
borner  à  l'étude  des  arts ,  n'eût  pas  consacré  son  âme  et  son 
talent  à  l'histoire  politique  et  religieuse  de  Venise  ou  même 
de  l'Italie  en  général.  Ce  dernier  sujet ,  le  plus  beau  peut- 
être  qu'il  y  ait  au  monde  ,  était  digne  de  son  zèle  pour  la 
vérité  et  de  son  enthousiasme  pour  la  foi.  Nous  posséderions 
alors  un  travail  bien  essentiel  à  notre  jeunesse ,  aujourd'hui 
réduite  à  avoir  recours  aux  perfides  sophismes  d'un  Saint- 
Marc  ,  à  l'hostilité  voltairienne  d'un  Sismondi ,  pour  se  don- 
ner un  aperçu  d'une  histoire  plus  travestie ,  plus  maltraitée 
que  ne  l'a  été  peut-être  celle  même  de  la  France  '. 

Du  reste ,  tout  en  nous  associant  de  bon  cœur  à  l'enthou- 
siasme et  à  la  sympathie  de  M.  Rio  pour  Venise ,  nous  de- 

»  Gomme  s'il  entrait  dans  les  tues  de  la  Providence  que  l'Alle- 
magne ,  patrie  de  la  réforme,  devînt  de  nos  jours  la  patrie  de  la  régé- 
nération de  la  science  historique ,  c'est  encore  un  écrivain  allemand 
et  protestant,  M.  Léo,  professeur  à  l'Université  de  Halle  en  Saxe  , 
qui,  dans  son  Histoire  des  Etats  d'Italie,  5  vol.  in-8°,  1830-1834,  a  été 
le  premier  à  envisager  l'élément  catholique  de  l'histoire  d'Italie,  à 
rendre  justice  au  caractère  personnel  de  quelques  souverains  pon- 
tifes ,  enfin  à  montrer  comment  les  réformes  irréligieuses  et  arbitrai- 
res de  Joseph  II,  de  Léopold  en  Toscane,  de  Tannucci  à  Naples, 
avaient  frayé  le  chemin  du  carbonarisme  et  de  la  révolution.  Nous 
lui  devons  cet  hommage,  malgré  ses  récentes  hoitilités  contre  la  li- 
berté de  l'Eglise  en  Allemagne. 

9 


—  150  — 

vons  cependant  luire  quelques  réserves  à  son  admiration 
exclusive ,  et  nous  établirons  une  distinction  plus  tranchée 
qu'il  ne  la  faite  entre  la  belle  et  pieuse  Venise  des  Pisani  et  des 
Dandolo ,  et  la  Venise  savante  et  opulente  des  siècles  posté- 
rieurs. Nous  ne  croyons  pas  que  l'influence  du  néo-paganisme 
desMédicis  ait  été  aussi  tardive  et  aussi  faible  à  Venise  qu'il  le 
dit.  Cela  peut  être  vrai  pour  la  peinture,  et  encore  partielle- 
ment ;  cela  ne  l'est  certes  point  pour  la  sculpture  et  l'architec- 
ture. Les  principes  de  l'architecture  chrétienne  y  ont  été  ré- 
pudiés tout  aussitôt  que  dans  le  reste  de  l'Italie  ;  et  certes  le 
gouvernement  qui  permettait  à  Sansovino  d'introduire  dans  sa 
fameuse  porte  de  bronze  de  l'église  de  Saint-Marc  le  portrait 
de  l'infâme  Aretin,  avait  une  bien  étrange  idée  de  la  liberté 
religieuse  en  fait  de  sculpture.  N'est-ce  pas  lui  aussi  qui,  sur  la 
Loggia,  au  pied  de  la  grande  tour  de  St-Marc,  ne  rougit  pas 
de  faire  représenter  sous  la  figure  de  Jupiter  et  de  Vénus  les 
royaumes  de  Candie  et  de  Crète,  conquis  et  si  glorieusement 
défendus  au  nom  de  la  foi  du  Christ.  Nous  nous  souvenons 
même  d'un  certain  tombeau  de  Benedetto  Pesaro  à  l'église 
des  Frari,  qui  date  de  1503,  et  où  ce  guerrier  est  représenté 
avec  la  Madone  au  dessus  de  sa  tête ,  et  le  dieu  Mars  tout 
nu  à  ses  côtés.  Nous  ne  croyons  pas  avoir  jamais  rencontré 
en  Italie  une  profanation  d'une  date  aussi  reculée.  Ce  qui  est 
plus  grave,  et  ce  que  M.  Rio  paraît  avoir  perdu  de  vue ,  c'est 
la  conduite  trop  souvent  irrespectueuse ,  défiante  et  coupa- 
ble du  gouvernement  vénitien  envers  le  Saint-Siège ,  surtout 
au  commencement  du  dix- septième  siècle,  lors  du  démêlé 
avec  Paul  V.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Venise  a  donné  le 
premier  exemple  d'un  état  catholique  qui  déclare  un  interdit 
pontifical  non  avenu;  qu'elle  s'est  constituée  juge  et  interprète 
suprême  de  la  discipline  ecclésiastique  ;  qu'elle  a  condamné 
les  prêtres  qui  avaient  interrompu  l'exercice  du  culte  par 
obéissance  au  pape  ,  à  cette  affreuse  captivité  dont  les  trop 


—  131   — 

fameux  Pozzi  portent  encore  la  trace  '.  Venise  est  entrée  la 
première,  bien  avant  Louis  XIV  et  Joseph  II ,  dans  cette  fu- 
neste voie  où  n'ont  pas  tardé  à  la  suivre  tous  les  gouverne- 
mens  catholiques  ou  soi-disant  tels  ;  et  il  nous  est  permis  de 
croire  que  ,  lorsqu'à  la  fin  du  dernier  siècle ,  le  Tout-Puis- 
sant a  pesé  dans  son  éternelle  balance  les  destinées  de  Ve- 
nise ,  ce  crime  qui  lui  a  valu  si  long-temps  les  applaudisse- 
mens  des  faux  prophètes ,  n'a  pas  peu  contribué  au  sévère 
arrêt  que  la  justice  divine  a  prononcé  contre  elle. 

Pour  en  revenir  au  sujet  proprement  dit  du  livre  de  M.  Rio, 
il  nous  faut  avouer  qu'il  termine  son  livre  à  peu  près  comme 
il  l'a  commencé ,  sans  dire  pourquoi  :  il  ne  nous  donne  pas 
la  plus  légère  indication  sur  la  marche  qu'il  compte  suivre 
dans  la  continuation  de  son  ouvrage.  Nous  voyons  cepen- 
dant qu'il  a  passé  en  revue  les  produits  de  l'inspiration  pu- 
rement chrétienne  dans  toutes  les  écoles  de  l'Italie ,  sauf  tou- 
tefois l'école  lombarde.  Partout  il  s'arrête  au  moment  où  le 
paganisme  vainqueur ,  grâce  à  l'aveuglement  général ,  s'em- 
pare presque  exclusivement  du  domaine  de  l'art.  Nous  pen- 
sons qu'après  nous  avoir  présenté ,  avec  tout  le  charme  qu'il 
sait  mettre  dans  de  tels  récits ,  les  œuvres  trop  rares  de  Leo- 
nardo  da  Vinci ,  et  les  fresques  encore  si  nombreuses  et  si 
célestes  de  Borgognone  à  la  chartreuse  de  Pavie,  de  Luini  à 
Lugano ,  à  Saronno  et  à  la  Brera ,  il  nous  conduira  à  l'exa- 
men approfondi  des  maîtres  qui  sont  jusqu'à  présent  en  pos- 
session de  l'admiration  des  connaisseurs  et  des  amateurs ,  à 
proportion  du  degré  auquel  ils  ont  renié  les  traditions  et  les 
inspirations  de  la  religion.  Nous  suivrons  avec  le  plus  vif 
intérêt  M.  Rio  dans  cette  nouvelle  carrière.  Nous  avons  hâte 
de  lui  voir  porter ,  au  nom  de  la  foi  et  de  la  poésie  chré- 

'  Voyez  les  inscriptions  citées  par  lord  Byron ,  dans  les  notes  du 
4e  chant  de  Childa  Harold,  et  que  chacun  peut  lire  encore  dans  cet 
hideux  cachots. 


—  122  — 

tienne,  un  jugement  logique  et  sévère  sur  Raphaël ,  le  Ra- 
phaël de  la  Fornarina  et  de  la  Transfiguration  ;  sur  le  Ti- 
tien ,  Tintoret ,  le  Corrège ,  les  Carraches ,  le  Domini- 
quin,  etc.  Il  sera  curieux  de  voir  enfin  une  appréciation 
religieuse  de  la  manière  dont  tous  ces  peintres  païens  ont 
traité  des  sujets  chrétiens  ;  quelque  chose  qui  diffère  de  cette 
banale  admiration  que  les  voyageurs  et  les  auteurs  de  livres 
sur  Fart  s'en  vont  répétant  les  uns  aux  autres  jusqu'à  satiété. 
C'est  à  M.  Rio  à  nous  expliquer  ce  jugement  déjà  ancien  de 
Goethe ,  jugement  dicté  par  le  mépris  classique  du  christia- 
nisme dont  ce  prétendu  grand  homme  était  le  coryphée , 
mais  au  fond  très  conséquent  avec  le  point  de  vue  païen  qui 
préside  à  toute  l'esthétique  moderne ,  et  qui  exprime  très 
bien  la  contradiction  si  flagrante  depuis  trois  siècles  entre 
la  théorie  païenne  de  l'art  et  son  application  à  des  sujets  re- 
ligieux. «  Ce  qui  empêche  surtout  de  jouir ,  »  dit- il  à  propos 
des  tableaux  religieux  de  la  seconde  école  de  Bologne ,  «  ce 
«  sont  les  sujets  absurdes  des  tableaux  ;  il  y  a  de  quoi  ren- 
«  dre  fou...  On  dirait  les  monstres  issus  du  mariage  des  en- 
«  fans  de  Dieu  avec  les  filles  des  hommes.  On  est  attiré  par 
«  le  goût  céleste  du  Guide ,  par  son  pinceau  qui  n'aurait  dû 
«  être  consacré  qu'à  représenter  la  perfection  ;  mais  on  est 
«  aussitôt  repoussé  par  les  sujets  qui  lui  ont  été  imposés,  su- 
«  Jets  si  horriblement  stupides,  qu'il  n'y  a  pas  d'insultes 
«  au  monde  dont  on  ne  dût  les  flétrir1.  Partout  le  héros 
«  souffre  ;  nulle  part  il  n'agit  :  jamais  d'intérêt  présent ,  tou* 
«  jours  quelque  chose  de  fantastique  et  d'attendu  du  dehors. 
«  Ce  sont  ou  des  scélérats  ou  des  gens  en  extase,  des  crimi- 

1  Von  den  abscheulick  dummen,  mit  keinen  Scheltworten  der 
Welt  (jenuy  zu  erniedrigenden  Gegenstœnden ,  Goethe,  Voyage  en 
Italie,  Lettre  du  19  octobre  1786.  C'est  dans  ce  même  ouvrage  qu'on 
▼oit  employer  pour  la  première  fois,  à  ce  qu'il  nous  semble,  l'exprès- 
«ion  de  mythologie  catholique,  ù  usitée  par  les  grauds  esprits  de  no* 
joui». 


—  155  — 

•  nels  ou  des  fous.  Le  peintre  n'a  pour  toute  ressource  que 

•  de  leur  accoler  quelque  beau  garçon  tout  nu ,  quelque  jo- 
«  lie  spectatrice  :  ses  héros  ecclésiastiques  ne  peuvent  lui 
«  servir  que  de  mannequins ,  pour  faire  voir  son  talent  à 
«  bien  jeter  les  plis  de  leurs  manteaux.  Il  n'y  a  pas  une  idée 

•  humaine  dans  tout  cela.  «> 

Ne  croit-on  pas  lire  le  fond  de  la  pensée  des  auteurs  et  des 
critiques  de  presque  tous  les  tableaux  dits  de  piété  que  nous 
avons  eu  le  malheur  de  voir  aux  expositions  des  dernières 
années ,  et ,  ce  qui  pis  est ,  de  retrouver  dans  nos  églises  ? 
M.  Rio ,  nous  l'espérons ,  sera  aussi  franc  dans  son  opinion 
que  Goethe  l'a  été  dans  la  sienne ,  quand  il  en  sera  à  traiter 
de  cette  école  bolonaise  et  des  autres  écoles  païennes  qui  l'ont 
précédée.  A  dire  vrai,  nous  regrettons  beaucoup  qu'il  ait 
ainsi  scindé  en  deux  son  travail ,  et  qu'il  ne  nous  ait  pas 
donné  en  même  temps  et  sa  réhabilitation  des  peintres  vrai- 
ment chrétiens  et  sa  sentence  de  condamnation  contre  les 
peintres  apostats.  Nous  croyons  que  c'eût  été  dans  l'intérêt 
de  son  livre  autant  que  dans  celui  de  l'art  chrétien  dont  il 
veut  être  l'interprète.  Le  lecteur,  imbu  de  ces  doctrines , 
de  ces  admirations  toutes  nouvelles ,  a  besoin,  ce  nous  sem- 
ble ,  de  savoir,  sans  désemparer ,  ce  qu'il  doit  penser  désor- 
mais de  ces  grands  noms  qui  ont  été  jusqu'à  présent  l'objet 
de  sa  vague  idolâtrie.  Les  éloges  décernés  par  l'auteur  aux 
grands  peintres  chrétiens ,  avant  lui  relégués  parmi  les  bar- 
bares du  moyen  âge,  auraient  gagné  au  contraste  immé- 
diat avec  le  jugement  porté  sur  leurs  successeurs.  Nous  ne 
connaissons  rien  de  plus  frappant  que  cette  juxtaposition  des 
œuvres  de  l'un  et  de  l'autre  système.  C'est  ainsi  qu'à  Venise 
on  peut  mesurer  d'un  seul  regard  la  distance  qui  sépare  la 
pensée  pieuse  d'un  artiste  nourri  dans  les  traditions  chré- 
tiennes ,  des  efforts  de  l'artiste  moderne  pour  diviniser  la 
matière ,  lorsqu'à  l'académie  des  beaux  arts  on  voit  les  grou- 
pes de  saints  du  Cima  ou  de  Jean  Belin ,  si  graves ,  si  doux 


—  nu 

et  si  religieux ,  à  côté  de  la  fameuse  Assomption  du  Titien, 
objet  de  l'enthousiasme  des  Cicérone  et  de  leurs  cliens  les 
Anglais ,  où  les  Apôtres  sont  posés  comme  des  boxeurs ,  et 
où  la  Vierge  semble  écraser  les  nuages  de  son  poids  ;  ou  bien 
lorsque  dans  la  sacristie  de  la  Sainte  on  voit  le  saint  Sébas- 
tien de  Basaïti  à  côté  des  fresques  de  ce  même  Titien ,  si 
vantées ,  et  qui  méritent  de  l'être  comme  le  nec  plus  ultra 
du  matérialisme  ignoble ,  transporté  dans  les  sujets  reli- 
gieux. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  lorsque  M.  Rio  se  décidera  à  nous  don- 
ner dans  un  autre  volume  le  fruit  de  ses  recherches  et  de  ses 
méditations  sur  l'art  du  seizième  siècle,  nous  l'accueillerons 
avec  autant  de  joie  que  d'affectueuse  sympathie.  Nous  l'en- 
gageons ,  en  attendant ,  à  se  mettre  lui-même  en  garde  con- 
tre les  séductions  de  ce  siècle ,  et  notamment  contre  cette 
magie  du  coloris  vénitien  qu'il  vante  tant.  Nous  le  remer- 
cions ardemment  de  l'inappréciable  présent  qu'il  a  fait  dans 
ce  fragment  de  sa  vaste  entreprise  aux  hommes  religieux  et 
aux  artistes  chrétiens.  Il  aura  la  gloire  d'avoir  posé  la  pre- 
mière pierre  d'une  esthétique  nouvelle  parmi  nous ,  de  cette 
science  du  beau,  aussi  inconnue  de  nom  que  de  fait  dans  la 
France  moderne.  M.  Rio  aura  contribué  par  ses  récits  et  ses 
enseignemens,  à  la  régénération  de  l'art  religieux  en  France. 
Et  en  vérité ,  il  est  temps  que ,  grâce  à  ces  généreux  efforts, 
les  catholiques  apprennent  à  connaître  les  purs  trésors  que 
leur  ont  légués  leurs  pères  ;  et  que  dans  le  domaine  de  l'art, 
comme  dans  celui  de  la  littérature,  des  sciences ,  de  l'his- 
toire ,  ils  ne  se  résignent  plus  à  adopter  pour  toute  instruc- 
tion les  résultats  des  mensonges  systématiques ,  des  lâches 
concessions  et  des  inconséquences  gallicanes  du  dix-hui- 
tième siècle. 

Juillet  1037. 


TABLEAU  CHRONOLOGIQUE 


DBS 


ÉCOLES  CATHOLIQUES  DE  PEINTURE 

EN  ITALIE. 


-f-O-* 


Nous  avons  cherché  à  présenter  dans  ce  tableau,  sous  une  forme  facile 
et  rapide,  un  aperçu  de  l'histoire  de  la  peinture  catholique  en  Italie,  qui 
pourra  servir  de  résumé  au  livre  de  M.  Rio  et  aux  notes  que  nous  y  avons 
jointes.  Nous  espérons  que  ce  petit  travail  ne  sera  pas  sans  utilité  à  ceux 
de  nos  lecteurs  qui  ,  soit  dans  leurs  études ,  soit  dans  leurs  voyages,  se 
sentiront  entraînés  vers  les  inspirations  de  l'art  vraiment  chrétien.  Nous 
pouvons  affirmer  qu'un  travail  semblable  n'existe  pas,  tous  les  résumés  de 
ce  genre  ne  commençant  qu'à  l'époque  de  l'envahissement  du  paganisme 
dit  Renaissance,  où  nous  nous  sommes  arrêtés.  Nous  indiquerons  par  des 
lettres  gothiques  les  peintres  qui  ont  le  plus  approché  de  l'idéal  chrétien, 
et  par  des  capitales  penchées  ceux  qui  ont  introduit  les  élémens  de  déca- 
dence dans  leur  école. 


(Les  astérisques  indiquent  les  œuvres  d'une  beauté  supérieure  et  qui  méritent  une 
attention  spéciale.) 

NOMS    DES  PEINTRES. 

-Date  de  leur  naissance,  INDICATION  DE  LEURS  PRINCIPAUX 

de  leur  mort  ,    ou  de  OUVRAGES. 

l'époque  où4  ili  floris- 

saient. 

I.  ÉCOLE  SEMI-BYSANTINE. 

Saint  François,  à*  la  sacristie  de  la  grande 
église  d'Assise.  —  Dans  l'église  des  Anges  :  Cru- 
cifix peint  sur  une  croix  de  bois ,  le  mieux  con- 
GitNTA  de  Pise  ,  J  gerv£  de  geg  ouvrages<  un  auirc  crucifix  por- 
fl.  1210-1236.  ]  tant  ia  date  de  1236.  —  Crucifix  qui  stigmatisa 
sainte  Catherine,  dans  la  Contracta  dell'oca,  à 
Sienne. 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Fra  Giacorao 
da  Turrita. 

m.  1286. 

André  Tafi, 

1213-1294. 

Gaddo  Gaddi. 

1239-1312. 

ClMABUE. 

1240-1300. 

Bonaventura 
Berlinghieri, 

en  1233. 

Margàritone, 
1212-1289. 

Pietro   Cavallini, 
1259-1344. 


—   136  — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 

La  grande  mosaïque  de  Sainte-Marie-Majeure, 
à  Home. 


Les  mosaïques  du  baptistère  de  Florence. 


(  Florence,  à  Sta-Maria-Novella,  une  grande  Ma- 
I   donne. 

Au  château   de   Guiglia,  près  Modène,  saint 
François. 

/  Sienne,  à  S.-Bernardino ,  un  Saint  François. 
<  —  Arezzo,  plusieurs  crucifix.  —  Florence,  à 
(  Santa-Croce ,  un  crucifix. 

I  Assise  :  fresques.  —  Florence,  à  S. -Marco,  An- 
\  nonciation. 


II.  ECOLE  SIENiXOISE , 


GOIDO, 

vivait  en  1226. 


Sienne,  à  S.-Domenico,  grande  Madonne. 


DlODATO 

en  1288 


da    ucia,  JASaint-Ccrbonne,  près  la  ville,  un  crucifix. 
^288.  j  ' 


Diotisalyi,  l  Sienne,  à  S. -Clémente,  Madonne  ;  à  l'Acadé- 

1260.  \   mie,  couverture  des  livres  du  Camerlingo. 


Ducciodï 

boninsegna 

fi.  en  1282. 


,       f  Sienne,  à  la 


cathédrale,  Histoires  de  la  Bible. 


Ambrogio 

LORENZETTTI  , 

1257-1340. 
Pietro  Lorenzetti, 

fi.  en  1317-1355. 


Pise,  au  Campo-Santo,  la  Vie  des  Pères  du  dé- 
sert,  par  tous  deux.  —  Florence ,  aux  Uffizi, 
même  sujet,  par  l'un  d'eux.  —  Sienne,  au  Pa- 
lais-Public, les  Vertus  et  autres  fresques  sym- 
boliques par  Ambrogio  ;  à  l'académie  des  Beaux- 
Arts,  *  Incoronazione,  par  le  même  ;  à  la  rallié- 
drale,  sur  la  porte  de  la  Stanza  dcl  Pilone , 
Vie  de  Notre-Dame,  par  Pietro. 


—  137  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Simon  Memmi, 
1284-1344. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

'Pise,  au  Campo-Santo ,  *  l'Histoire  de  Saint' 
Raynier.  —  Florence  ,  à  Santa-Maria-Novella, 
dans  la  chapelle  des  Espagnols,  les  fresques  de 
l'orient  et  du  nord,  ***  l'Eglise  militante  et 
triomphante,  la  Crucifixion,  la  Descente  aux 
limbes» 

Manno  di  Simone,  (Sienne,  au  Palais-Public,  **  Madonne  sous  un 
en  1387.  1  baldaquin,  entourée  de  saints  et  d'anges. 

Andréa  Vanni, 
H.  de  1369-1413. 

Taddeo   Bartoli, 
fl.  en  1414. 

Gregorio  da  Sien  a, 
vers  1420. 


I  Sienne,  à  S.-Domenico,  Portrait  de  sainte  Ca- 
j   therine  de  Sienne. 

i  Sienne,  au  Palais-Public ,  *  Assomption ,  Sym- 
\  bolesdu  Credo. — Padoue,  à  l'Annunziata,  *Ma- 
{  donne  allaitant,  et  traits  de  sa  vie. 

Sienne,  à  S.-Clemente,  Madonne,  etc. 


Ansano  di  Pietro,   (  Sienne  :  à   l'académie ,  Vision   du   pape    Ca- 
en  1449.  (  lixte  111 -,  au  Palais-Public,  *  Incoronaxione. 

DomenicodiBARTOLO, (Sienne,  à  l'hospice  de  Santa-Maria  délia  Scala, 
fl.  en  1446.  (  les  OEuvres  de  miséricorde,  etc. 

Lorenzodi  Pietro,  1  sienne,  au  Palais-Public,  SS.  Bernardino  et 
ÏIA'    }  Catherine. 

Fra  Gabrielle  Mattei,  )  sienne,  les  miniatures  des  livres  de  chœur  à  la 
sem!e'  *  cathédrale. 


vers  1450. 


Matteo  da   Siena, 
en  1479. 


Stefano, 

frère  du  précédent. 


Sienne  :  à  S.-Domenico  ,  *  Madonne  entre 
SS.  Jérôme,  Jacques,  etc.,  Ste  Barbe  couron- 
née; à  S.-Agostino,  Massacre  des  innocens; 
à  S.-Clemente,  Massacre  des  innocens  ,  *Ma- 
donne  vêtue  de  blanc ,  Madeleine  et  Joseph  ;  h 
S.-Spirito,  *  Assomption  dans  un  médaillon 
d'anges. 


Hieronimo  de        \ 
Benvenuto,  son  neveu  (Sienne,  a  S.-Domenico ,  Les  deux  saintes  Ca- 
en  1508.  j   therine  devant  la  Madonne. 

Bernardino    Fungai  JSiennc  :  a  l'Académie,  Madonne;   à  S. -Cle- 
{  mente,  Incoronazione. 


—  138 


NOMS  DES  PEINTRES,  INDICATION  DES  OUTRAGES. 

!  Florence  :  aux  Uffizi,  Madonne  entre  S.  Joseph 
et  S.  Biaise.-— Sienne  :  à  S.-Nicolo  del  Carminé, 
*  Ascension;  à  S.-Bernardino,  fresque  de  l'o- 
ratoire voisin  ;  à  la  maison  de  Ste-Catherine  de 
Sienne,  **  Visite  au  corps  de  Ste  Agnès  de 
Montepulciano. 

BECcTfvMJ        )  Sienne  :  à  S--Martm0>  Nativité  \  deux  fresques 
dit  IL  MECAMNO ,[  de  I'0rat°ire  de  S.-Bernardino;  à  S.-Fran- 
1484-1549  1  cesc0>  Descente  aux  limbes. 


Giacomo 
Pacchiàrotto  , 

en  1497. 


Antonio  RAZZ1, 

dit  IL  SODOM A, 

1479-1554. 


r  Sienne  :  à  S.-Francesco,  *  Déposition  de  croix , 
♦quatre  fresques  de  l'oratoire  de  S.-Bernar- 
dino; *à  la  chapelle  du  Palais-Public,  Madonne 
entre  SS.  Joseph  et  Calixte. 


III.  ÉCOLE  FLORENTINE. 


Première  section.  —  Ecole  primitive. 


GlOTTO, 

1276-1336. 


'Padoue,  à  la  chapelle  de  l'Annuniiata,  ***  les 
Vertus  et  les  vices,  le  Jugement  dernier,  la  vie 
de  Notre  Seigneur  et  de  Notre  Dame.—  Assise, 
**  fresque  de  la  voûte  de  l'église  inférieure. 
—  Rome,  à  S. -Pierre,  dans  le  Stanza  Capito- 
lare ,  plusieurs  petits  tableaux.  —  Florence  :  à 
S.-Croce,  *Incoronazione  signée  de  lui  ;  à  l'A- 
cadémie, Vie  de  Notre-Seigneur  en  douze  sujets. 


Ptrccio  Cap aj*ha,    j AgsisC)  fresques  de  la  gïande  église. 


BtTFFALMACO, 

vers  1350. 


Pise,  au  Campo-Santo,  la  Création.—  Florence» 
à  S.-Maria-Novella ,  Incoronazione.  —  Assise, 
fresques. 


Stefano Fiorbntino,  (Milan,  à  la  galerie  de  la  Brera,  Adoration  des 
1301-1350.  (  rois.  —  Assise,  fresques  de  la  grande  église. 

Jean  de  Melatïo,     1  Florence,  à  Ognissanti,  Deux  saintes.  —  Assise, 
en  1365.  j  dan«  l'église  inf.,  Scène  de  la  jeunesse  de  N>~S. 


—  139  — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 

/  Florence ,  à  Sta-Maria-Novella ,  dans  la  chapelle 
(  des  Espagnols,  fresques  de  l'occident  et  de  la 
l  voûte,  **les  Vertus  et  les  sciences ,  la  Naviga- 
l  tion  de  saint  Pierre,  etc.;  à  Sta-Croce ,  dans 
I  le  transept  méridional,  **ft«  de  Notre  Dame, 
[  douze  sujets  à  fresque,  et  dans  la  chapelle  1U- 
\  nuccini,  *Madonne  avec  plusieurs  saints. 

f  Prato ,  à  la  cathédrale,  ^Histoire  de  la  Cintola, 
\  ou  ceinture  de  Notre  Dame.—'  Florence,  à  l'A- 
l  cadémie ,  Madonne  entre  quatre  saints, 

f  Florence ,  à  la  sacristie  de  Sta.-Croce,  **Hïs- 
J  toirede  S.  Sylvestre  et  de  Constantin;  à  l'A- 
j  cadémie,  *  Apparition  de  Notre  Dame  à  saint 
\  Bernard.— Naples,  au  Musée,  Assomption,  etc, 

*  <  Pise,  au  Campo-Santo,  fin  de  Vhist.  de  S.  Reynier. 

'Pise,  au  Campo-Santo ,  *  le  Triomphe  de  la 
mort;  le  Jugement  dernier;  l'Enfer. — Florence, 
à  Santa-Maria-Novella,  **  le  Jugement  dernier, 
***  le  Paradis ,  V Enfer  ;  *Notre  Seigneur  entre 
saint  Thomas  d'Àquin  et  saint  Pierre  ;  tableau 
d'autel  daté  de  1357.  A  Santa-Maria  del  Fiore , 
le  Dante  ,*  à  l'Académie ,  Annonciation  avec 
27  saints  et  saintes, 

Francesco  Traïni,     Pise,  à  Ste-Catherine,  *S.  Thomas  d'Aquin. 

Gherardo  Starnina,  !  Florence,  à  Sta-Maria-Novella  ,  Les  quatre  doc- 
1354-1403.  )   teurs  et  les  quatre  évangelistes. 

Piicolo  dî  Pietro,     (Pise,  àS.-Francesco,  dans  la  salle  du  chapitre, 
en  1383.  )  l'Histoire  de  la  passion. 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Taddeo  Gaddi  , 
1300-1352. 


Agnolo  Gaddi, 
1324-1387. 


GIOTTINO, 

1324-1343. 

Antonio  Veneziano 
1384. 


1319-1389. 


Spinello  Aretino 

1328-1400. 


ÎS.-Miniato, 
noit.—  Arc 
S.-Angelo, 


S.-Miniato,  près  Florence,  **Histoire  de  S.  Be- 
Arezzo,  à  la  cathédrale,  Crucifixion;  a 
Bataille  des  anges. 


Lorenzo    Bicci , 
1400-1450. 


Ghelini, 
en  1444. 


{Florence,  à  Sla-Maria-del-Fiore,  le  saint  pa- 
tron de  chaque  chapelle  latérale.  —  Arezzo , 
dans  le  cloître  de  S.-Bernardo ,  Histoire  de  la 
vie  de  S.  Bernard. 

(  Florence  :  fresque  du  Bigallo  ;  dans  la  sacristie 
I   de  S.-Remigio,  Déposition  de  croix. 


NOMS  DES  PEINTRES. 


—    140   — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 


Deuxième  section.  —  Ecole  Mystique, 


Sta  tf  ioMitni 
fca  Simie, 

1387-1455. 


Don  Lorenzo 

degl*  Angeli, 

camaldule, 

en  1413. 


/Paris,  au  Louvre,  ** Incoronazione  et  vie  de 
'  S.  Dominique.— Orvieto,  à  la  cathédrale,  **JVo- 
tre  Seigneur  au  jugement  dernier  et  le  Chœur 
des  prophètes,— Rome  :  au  Vatican,  dans  la  cha- 
pelle de  Nicolas  V,  Histoire  de  S.  Etienne  et 
de  S.  Laurent;  à  la  galerie  Corsini,  * Ascension  et 
descente  du  Saint-Esprit  ;  à  la  galerie  Fescli, 
**  Jugement  dernier',  chez  M.  Valentini,  *  Résur- 
rection. —  Fiesole  :  à  S.-Domenico,  *Madonne 
avec  plusieurs  saints  ;  à  S.-Girolamo ,  *Ma- 
donne  entre  SS.  Jérôme ,  Etienne,  etc.  —  Cor- 
tone  :  au  Gesù ,  * Annonciation ,  *Vie  de  Notre 
Dame,  Vie  de  S.  Dominique  ;  à  S.-Domenico, 
**  Incoronazione.  —  Florence  :  à  S.-Marco,  dans 
le  cloître,  **  Jésus  crucifié  avec  S.  Dominique, 
et  les  lunettes  des  portes  ;  dans  la  salle  du  cha- 
pitre ,  ***  Crucifixion  avec  beaucoup  de  saints 
et  l'arbre  généalogique  des  SS.  dominicains  ; 
dans  chaque  cellule ,  **  une  fresque  de  lui  ;  à 
Sta-Maria-Novella  ,  dans  la  sacristie,  *** trois 
reliquaires;  à  la  galerie  de  l'Uffizi,  S.  Pierre, 
*S.  Marc,  Madonne  avec  plusieurs  saints, 
et  le  Meurtre  de  S.  Pierre  martyr,  la  Nati- 
vité de  S,  Jean,  **la  Prédication  de  S.  Pierre, 
*le  Sposalizio,  H' Adoration  des  mages,  **la 
Mort  de  Marie,  *** Couronnement  de  Ma- 
rie au  milieu  de  la  cour  céleste  ;  à  l'Académie 
des  Beaux-Arts,  ***  Descente  de  croix,  *S.  Tho- 
mas et  le  B.  Albert-le-Franc  faisant  leurs  le- 
çons,  ***Fw  de  Notre  Seigneur  en  trente-cinq 
tableaux,  ***Jugement  dernier,  chef-d'œu- 
vre de  la  peinture  chrétienne.  —  A  Berlin ,  au 
musée  royal,  S.  François  et  S.  Dominique 
'  s'embrassant. 


NOMS  DES  PEINTRES. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

/Pise,  au  Campo-Santo,  ***Histoire  de  la  Bible 
depuis  Noé  jusqu'à  Salomon  ,  vingt-quatre 
fresques.  — -  Monte-Falco  ,  à  S.-Fortunat  et  à 
S. -François ,  *  Histoire  de  Notre  Dame  et  de 
S.  François. — Pérouse,  Madonne  entre  quatre 
saints.  —  Orvieto ,  à  la  cathédrale ,  Chœur  des 
apôtres,  des  martyrs,  des  docteurs,  etc.,  dans  le 
Jugement  dernier  commencé  par  Fra  Angelico. 
—  S.-Gimignano,  à  la  cathédrale  et  aux  Augus- 
tins,  fresques  nombreuses.  —  Florence,  daûs  la 
chapelle  du  palais  Riccardi,  la  ***£avalcade 

DES  ROIS  MAGES. 

[Florence,  à  S.  Ambrogio,  **Miracle  du  S.  Sa- 

Cosimo  Roselli,     j  crement;  à  Sta-Maria-Maddalena,   Incorona- 

vivait  en  149G.        j  zione.— Rome,  à  la  chapelle  Sixtine,  quatre  fres- 

v  ques,  Histoire  de  Moïse  et  de  Notre  Seigneur. 


1400-1478. 


Alessandro  Botticelli 
1437-1515. 


Rome  ,  à  la  chapelle  Sixtine ,  trois  fresques  : 
**Moïse  et  les  filles  de  Jéthro ,  le  Châtiment 
de  Coré  et  la  Tentation  de  Notre  Seigneur. 
—Florence  :  àS.-JacopodeRipoli,  *Incorona*> 
zione  avec  Ste  Elisabeth  et  autres  saints  fran- 
ciscains ;  aux  Uffizi ,  * M adonne  avec  l'enfant 
Jésus  tenant  une  grenade;  ***M  adonne  écri- 
vant le  Magnificat;  à  l'Académie,  *Inco- 
ronazione  avec  une  ronde  d'anges,  ***  les  An- 
ges présentant  la  couronne  d'épines  à  Venfant 
Jésus  en  présence  de  sa  Mère. 


Andréa  Verrochio,( Maître  de  Lorenzo  di  Credi  et  de  Leouardi  de 
1432-1488.  (  Vinci  :  on  n'a  point  de  ses  tableaux. 

Rome  :  à  la  chapelle  Sixtine ,  Vocation  des  SS. 
Pierre  et  André  ;  au  palais  Borghèse ,  *  Ma- 
donne entourée  d'anges.— Florence  :  à  l'hospice 
degl'  Innocenti,  ***  Adoration  des  mages;  à 
S.-Trinità,  fresques  de  la  **F«e  de  S.  Fran- 
çois ;  à  Sta-Maria-Novella  ,  fresques  de  la  *Vie 
de  S.  Jean-Baptiste  et  de  Notre-Dame,  qua- 
torze compartimens  ;  au  palai9  Pitti ,  Madonne 
avec  Venise  dans  le  lointain;  aux  Uffizi ,  Ado- 
ration des  rois,  etc. 


Domenico 

GHIRLANDAJO, 

1451-1495. 


—   1*2  ~ 


NOMS  DES  PEINTRES. 


1443-1532. 


Ridolfo 
Ghirlandajo, 

1485-4^60. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Paris,  au  Louvre,  **Madonne  entre  S.  Nicolas 
et  S.  Julien.— Pistoie,  à  la  cathédrale,  **Jtfa- 
donne  entre  deux  saints,  —  Florence,  à  l'Aca- 
démie, ***deux  Nativités  avec  la  sainte  Vierge 
en  adoration  devant  l'enfant  Jésus  ;  aux  Uffizi, 
deux  **Madonnes  en  adoration,  ^Annoncia- 
tion, **Noli  me  tangere,  etc. 

i Paris,  au  Louvre,  */a  Vierge  à  genoux  pour  être 
couronnée.  —  Berlin,  au  Musée,  *  Assomption. 
— Pistoie,  à  S.-Pierre,  **Madonne  entre  quatre 
saints.— -Florence,  aux  Uffizi,  *les  Miracles  de 
S.  Zanobio. 


Michèle  di  Ridolfo,  \  Florence ,  à  l'Académie,  le  Mariage  de  sainte 
eu  1568.  j    Catherine. 


Troisième  section.  —  Ecole  Naturaliste, 


Paolo  Uccello,       I  Florence,  au  cloître  de  Sta-Maria-Novella,  Hii- 
1389-1472.  \   toires  bibliques  à  fresque. 

!  Florence,  à  Sla-Maria-del-Fiore,  les  vitraux  de 
la  coupole  sont  peints  d'après  ses  cartons;  mais 
ce  sont  surtout  ses  sculptures  qui  exercent  d« 
l'influence  sur  les  peintres. 

»     i-  n4aBiain.rr  /Florence:  al  Carminé,   la  première  moitié  de 
Masolino  daPANiCALE,     ±  vmmir(i  de  saint  pierre  .  à  PAcadémiej  Ma. 

(   donne  adorant  son  enfant. 


1378-1415. 


MASACCIO, 
1401-1443. 


Filippo  L1PPÏ, 
1400-1469. 


Andréa 
del  CASTAGNO, 

1403-1477. 

Filippino  LIPPJ, 
1460-1505. 


{Rome,  à  S-CIemente,  **  Histoire  de  Ste  Cathe- 
rine, —  Florence,  au  Carminé,  ^seconde  partie 
de  l'Histoire  de  S.  Pierre. 

/Florence,  à  la  Badia,  *** Apparition  de  Marie 
à  S,  Bernard.  —  Prato,  à  la  cathédrale,  *His- 
toire  de  S.  Etienne  ,  *Mort  de  S.  Bernard.  — 
Spolette,  à  la  cathédrale ,  Histoire  de  la  sainte 
Vierge. 

I  Florence ,  à  Santa  Lucia  de'  Magnuoli ,  un  jta- 
<  bleau  d'autel  ;  dans  le  gradin ,  quelques  sujets 
(   de  l'Histoire  sainte. 

(  Rome,  à  Stc-Marie-Mineure,  S.  Thomas  d'A- 
!  quin.  —  Florence,  à  Sta-Maria-Novella  ,  Hit- 
\  toire  des  SS<  Philippe  et  Jean  Evangéliste. 


—  143  — 

NOMS  DES  PEINTRES.  INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Alessio  ) 

BALDOVINETTI ,    [Florence,  à  l'Annunziata,  Nativité. 
1425-1499.  ) 

Rafaellino  del  Garbo  ,1 Florence  ^  l'Académie,  Résurrection. 
1466-1524.  j 

Antonio  /Florence,  aux  Uffizi,  SS.  Eustache,  Jacques  et 


Antonio  )FlorenceJ 

POLLAJUOLO,       rvincmt 

1426-1498.  )  VmCmt 


Pietro  di  COS1MO ,  (Paris,  au  Louvre,  Couronnement   de  Notre- 
1441-1521.  I  Dame. 

/Florence:  à  l'Académie,   *  S.  Vincent  Ferrer, 

[    Apparition  de  Marie  à  S.  Bernard;  au  palais 

Fra  Bartolommeo      \  Pmi>  S  Marc.--  Sienne.dans  le  cloître  de  S.-Spi- 

deîla  Porta,         <  rito,  Crucifixion.  —  Lucques  :  à  la  cathédrale , 

1469-1517.  |  Madonne  entre  S.   Jean- Baptiste  et  S.  Sébas- 

[   tien;  àS.-Romano,  **Ste  Catherine  et  SteMa* 

\  deleine ,  M  adonne  de  la  miséricorde. 

ALBERTlïtELU  ,    )Florence  :  à  l'Académie,  *la  Trinité  ;  aux  Uffizi, 
i  la  Visitation. 
1467-1512.  ;       r 

a  a       ai  QAnrn    (Florence,  à  l'Annunziata   *  Histoire  de  S.  Phi- 
Andréa  deibAtiiu,  i    Uppe  Bmizzii  surtout  le   compartiment  de  la 
1488-1530.  ^  résurrection  de  l'enfant. 

BUONABMTTI,     )^s  Prophètes,  k  la  voûte  de  la  chapelle  Six- 
1474-1565.     '       1  tine* 


IV.  ÉCOLE  OMBRIENNE 


Andréa  et  Bartolommeo 
Oryietani  , 

1405-1457. 


^    lut.*  *«Jl     . f  Milan,  au  musée  de  Brera,  *Incoronazione.  — 

Gent,ledaFABBKiANO,     ^  chezM   ^^  ^^  de$fois 

{  —Florence,  à  l'Académie,  **  Adoration  des  rois. 


Pietro  délia 

Francesca  ,         J  Arezzo,  S.-Francesco,  fresques  du  chœur. 
1398-1484. 


Malteo  di  Gualdo,    1  Assise  à  riiôpital,  Légende  de  S.  Jacques. 
en  1468.  ) 


iUU 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Lorenz<|di  Giaco 

da  VlTERBO, 

en  1469. 

Pietro-Antonio 

da  Foligno, 

Yers  1450. 


Nicolb  Alunno 
da  Foligno, 

t.  1458-1492. 


Fiorenio  da  Foligno 
vers  1460. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

JVilerbe,  à  S.-Maria-delle-Verità,  Vie  de  Notre 
j  Dame. 

Î  Assise,  à  la  chapelle  de  l'hôpital,  Miracle  de 
gS.  Jacques. 

Pérouse,  à  Sta-Maria-Nuova ,  ***Bannière  de  la 
confrérie  de  YAnnunziate.— Foligno,  àS.-Agos- 
tino,  deux  tableaux.  —  LaBastia,  un  tableau 
dans  l'église.  —  Assise ,  dans  l'église  inférieure , 
Scènes  de  la  passion. 

}  >  Pérouse,  à  S.-Francesco,  Madonne. 


Pibtro  Vanlcci  ,  dit 

il  |J^rujgin0, 

1446-1524. 


/  Florence  :  à  l'Académie,  Déposition  de  croix, 
*  Portraits  de  deux  abbés ,  Notre- Seigneur  au 
jardin  des  Olives  ,  ^^Crucifixion  ,  **Assomp- 
tion  ;  à  la  tribune,  **M adonne  entre  S.  Jean- 
Baptiste  et  S.  Sébastien  ;  à  Sta-Maria-Maddale- 
na,*** Crucifixion  avec  plusieurs  saints  (cette 
fresque,  placée  dans  le  cloître  du  couvent,  ne 
peut  être  vue  qu'avec  la  plus  grande  difficulté). 
Rome  :  à  la  chapelle  Sixtine,  Baptême  de  Notre 
Seigneur,  S.  Pierre  recevant  les  clefs;  au  pa- 
lais Albani,  * Madonne  et  anges  adorant  No- 
tre Seigneur  ;  au  Musée  du  Vatican ,  ***Ma- 
donne  entre  quatre  saints,  ***Marie  et  Jo- 
seph agenouillés  devant  l'enfant  Jésus,  dit  le 
Presepe  della  Spineta  ,  terminé  par  Pin- 
turicchio  et  Raphaël ,  et  chef-d'œuvre  de  l'é- 
cole ;  au  palais  Borghèse,  S.  Sébastien,  *  Dépo- 
sition de  croix.  —  Bologne,  à  la  Pinacothèque, 
**  Assomption  avec  quatre  saints  au  bas.  — 
Pérouse  :  au  collège  del  Cambio  ,  Nativité, 
* Transfiguration,  ^Prophètes  et  Sibylles,  fres- 
ques de  la  chapelle  voisine  ;  au  Palais-Public, 
* Madonne  entre  quatre  saints  ;  à  l'Académie , 
*S.  Bernardin;  à  S.-Agostino,  dans  l'oratoire 
de  la  confrérie,  *S.  Sébastien  aux  pieds  de  la 
Madonne  ;  dans  l'église,  *** Nativité,  ***2?ajî- 
tême,  ***  Adoration  des  rois  et  des  bergers,  et 
I  plusieurs  autres  tableaux  ;  à  S.-Pietro  ,  cinq 
V  bustes  de  saints;  àS.-Pietro-Martire,  Madonne; 


145  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Suite  de 

PlETRO  VaNUCCI  , 

il  jpmtgma 


dit 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

à  la  Chiesa  del  Monte,  fresque;  à  S.-Severo, 
au  bas  du  Christ  de  Raphaël ,  *Cinq  saints,  — 
Sienne,  à  S.-Agoslino,  ***Crucifixion  avec 
Notre  Dame  ,  la  Madeleine,  S.  Jean  et  S.  Jé- 
rôme.—Vérone,  à  Sta-Maria-della-Scala,  *Ma- 
donne  entre  SS.  Pierre,  Jérôme,  Etienne  et 
Catherine.  —  Munich,  à  la  Pinacothèque,  ***JLp- 
parition  de  Notre  Dame  à  S.  Bernard;  la 
sainte  Yierge  adorant  son  enfant. 


Sinibaldo  lui,      JPérouse,  à  S.-Francesco,  S.  Antoine  entre  SS. 
t.  en  1528.  I   François  et  Bernardin. 

/'Pérousejà  l'Académie,  ***  Notre  Seigneur  et 
GiannicoloMANNi.     \    Notre  Dame  dans  le  ciel  et  une  foule  de  saints 
\  sur  la  terre» 

IOrvieto,  à  la  cathédrale ,  la  partie  inférieure  du 
Jugement  dernier,  commencé  par  Fra  Angelico 
et  Benozzo.  —  Rome ,  à  la  chapelle  Sixline , 
Moïse  en  Egypte  et  sa  mort. 


j  Pérouse,  à  l'Académie ,  ***Sainte  famille  avec 
l'Annonciation  ;  YEcce  Homo  ;  SS.  Jérôme  et 
Augustin.— Rome  :  à  S.  Onuphre,  *les  fresques 
de  la  tribune  ;  à  Sta-Maria-del-Popolo,  fres- 
ques de  la  première  et  de  la  troisième  chapelle 
à  droite  et  de  la  voûte  du  chœur,  les  plus  belles 
de  Rome,  ***Nativité ,  Assomption,  Vie  de 
Notre  Dame  et  de  S.  Jérôme,  Incoronazione, 
Evangélistes,  docteurs  et  sibylles  ;  à  Ara-Coeli, 
*fresques  de  la  chapelle  de  S.  Bernardin  ;  à  Sta- 
Croce  in-Gerusalemme,  la  voûte  de  l'abside, 
Invention  de  la  sainte  croix  ;  au  Capitole,  dans 
la  chapelle  des  conservateurs,  **  M  adonne 
adorant    son  fils    endormi  sur  ses   genoux. 

—  Sienne ,  à  la  bibliothèque  de  la  cathédrale  , 
***fresqucs  de  VHistoire  de  Pie  II ,  surtout  le 
Mariage  de  ï empereur  et  la  Canonisation  de 
Ste  Catherine  de  Sienne  (on  attribue  une  par- 
tie de  ces  fresques  à  Pacchiarotto  et  à  Raphaël). 

—  Spello,  au  Duomo,  **fresques  de  la  Capella 
bella,  surtout  l'Adoration  des  bergers.—  Berlin, 
au  Musée ,  *  Histoire  de  Tobie, 

10 


jphtfuricrijtfl, 

1434-1513. 


—  146 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Uaîaelio  8a\\}\o 
yttrbtno, 

1483-1520. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

ilan,  à    la  Brera,  ***Sposalizio  ,  ou  mariage 
de  Notre  Dame.  —  Breseia,  chez  le  comte  Tosi, 
**Le  Christ  montrant  la  plaie  de  son  côté.  — 
Pérouse  :  à  S.-Severo,  le  Christ  dans  les  deux  ; 
au  palais  Albani,  **Madonne  ;  au  palais  Con- 
testable, *  M  adonne. —  Rome  :  chez  le  cardinal 
Fesch,  **  Crucifixion, (fait  à  l'âge  de  18  ans); 
au  palais  Borghèse,    ***  Déposition  de  croix; 
au  palais  Sciarra,  Il  Sonatore  ;  au  Vatican ,  les 
fresques  des  Stanze,  surtout  la  ***  Dispute  du 
S.-Sacremcnt,  1$  Miracle  de  Bolsène,  la  Théo- 
logie, la  Jurisprudence,  la   Poésie  et  l'His- 
toire ;  dans  la  galerie  des  tableaux,  ***Incoro- 
nazione,  **  la  Madonne  de  Foligno ,   ***  le 
Presepe  délia  Spineta-  en  commun  arec  Péru- 
gin  et  Pinturicchio.—  Florence  :  à  la  Tribune, 
***Za  Madonne  au  chardonneret,  Portraits  de 
Maddalena  Doni  et  de  *  Jules   II  ;   au  palais 
Pitti,  la  Vision  d'Ezéchiel ,   la  Madonne  délit 
Seggiola.—VàfiSy  *la  Madonne  dite  la  Belle  jar- 
dinière.—-Berlin,  Madonne  Colonna.— Munich, 
plusieurs  **Madonnes.—  En  Russie,  ***la  Ma- 
donne dite  délia  Casa  d'Alba ,  naguère  à  Lon- 
l  dres,  chez  M.  Coesveld. 


V.  ECOLE  DE  BOLOGNE. 


GUid\er7Î200SSIMOiBologne'  à  la  piûacothè^e>  Ineoronazione. 

i Bologne  :  à  S.-Proculo,**Hadonneen(reS.  Do 
minique  et  un  saint  pape  ;  aux  Servîtes,  | 
S.-Giovanni-in-Monte,  à  TAnnunziata,  Ma- 
donnes. 

Vitale  da  Bologna,  j  A  la  Pinacotûèque)  mdonne. 
t.  en  1345.  j 


Jacop©  Avanzi,       Wdoue)  à  S.-Antonio,   *fresques  de  la  c 
t.  en  1370.  F  de  s  ..-Félix.  —Bologne,  à  l'église  de  Mezi 


hapell 
Mezzarattf 


AldighieridaZetio,  l  fresques. 
v.  en  1383. 


Simone  /Bologne,  à    la   Pinacothèque,   *Incoronazion 

dei  Crocefissi,       |    entouré  de  l'Histoire  de  Notre  Dame,  Cruci 
vers  1377.  (  fixion;  fresques  à  l'église  de  Mexzarata. 


—  147  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Catharina  Vigri 

(sainte  Catherine 

de  Bologne), 

1413-1463. 

Michèle  di  Matteo , 
ea  1469. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 


Melozzo  da 
1436-1492. 


Marco  Zoppo, 
1468-1498. 


SxcMmw 
Jvancia, 

1450-1535. 


f  Venise,  à  l'Académie,  Ste  Ursule  et  ses  vierges. 
I  —  Bologne,  à  la  Pinacothèque,  même  sujet. 

i  Venise,  à  l'Académie,  *Madonne  avec  beaucoup 
de  saints. 

Foeli  (  Ro.me  *     Ia  sacristic  de  S. -Pierre,  * Anges  mu- 
'  1   skient  ;  au  Quirinal,  Madonne  entourée  d'an- 
\  ges. 

j Bologne,  à  la  Pinacothèque,  plusieurs  tableaux. 

\  Milan,  à  la  Brera,  Annonciation.— Brescia,  chez 
le  comte  Tosi,  Madonne.  —  Rovigo,  au  musée, 
*Madonne.— Rome  :  au  palais  Borghèse,  *JW a- 
donne,  **Ste  Catherine  avec  la  sainte  Famille^ 
* Madonne  assise;  au  palais  Sciarra,  ** Ma- 
donne entre  S.  François  et  S.  Jérôme.  —  Luc- 
ques,au  palais  du  duc,  ** Madonne;  à  S.-Fre- 
diano,  *  Adoration  des  rois;  à  la  cathédrale,  à 
S.-Salvatore,  *  M  adonnes. —Florence, aux  Uffizi, 
Portrait  de  Vangelista  Scarpi.  —  Ferrare,  à  la 
cathédrale,  Sainte  famille. —Bologne,  à  la  Pina- 
cothèque, ***Madonne  avec  SS.  François,  Au- 
gustin, Sébastien,  Monique,  et  un  ange  jouant 
de  la  mandoline,  chef-d'œuvre  de  l'école  et  de 
l'art:  *** Annonciation  avec  SS.  Jérôme  et 
Jean-Baptiste,  **Madonne  entre  SS.  Georges, 
Augustin  et  Etienne,  **Nativité,  ***Marie  et 
Joseph  en  adoration  devant  l'enfant  Jésus  ,  et 
S.  Augustin  hésitant  entre  le  sang  de  Jésus  et 
le  lait  de  Marie;  à  S.Giacomo-Maggiore, 
dans  la  chapelle  de  Ste-Cécile,  ***Histoire  de 
la  sainte  (par  lui  et  ses  élèves);  dans  la  cha- 
pelle Benlivoglio ,  ***Madonne  avec  SS.  Jean- 
Sébastien  et  un  saint  évêque\  à  S.-Martino- 
Maggiore,  **Sainte  famille;  h  l'Annunziata, 
*  Annonciation.  —  Berlin,  au  musée ,  plusieurs 
*Madonnes.  —  Vienne,  à  la  galerie  impériale, 
**Madonne  entre  S.  François  et  Ste  Catherine. 
—  Munich ,  à  la  Pinacothèque,  ***Marie  s'a- 
genouillant  devant  V enfant  Jésus  dans  un  jar- 
din de  roses  ;  chez  le  duc  de  Leuchtenberg  , 

\  **Mad*nne  entre  S.  Dominique  et  Ste  Barbe. 


/ 


iPEtt 


NOMS  DES  PEINTRES. 


—    148    — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 


Giacomo  Francia,  (  ^Iognc,  à  Ja  Pinacothèque  ,   *Madonne  entre 

JK„^  \   &•  faut  et  Ste  Madeleine.  S.  François  stiama- 

enl557.  (  ^ 

Amico  Aspertini,  (  Bolo&ne>  à  S.-Martino-Maggiore,  Madonne  avec 

a&ik  A***  \   Ste  Lucie-  —  Lacques ,  à  S.  Frediano,  fresques 

1474-1552.  (  de  ,a  chapelle  s..4ugustin> 

Girolamo  Marches!,  \ 

dit  le  Cotignola,  [Bologne,  à  la  Pinacothèque,  Sposalizio. 

1480-1550.  ; 

Innocenzo  \ 

FRANCUCCI  I  Bologne  ,  à  la  Pinacothèque,  Madonne  avec  an- 

da  Imola,  (  ges  .  à  S.-Giacomo,  Nativité. 

1494-1550.  J 

VI.  ÉCOLE  DE  FERRARE  (1). 

Gelasio  di  Nicolo, 
vers  1242. 

Galasso  Galassi,  \  Ferrare,  chez  le  marquis  Costabili ,  «Déposition 

1404-1450.  )  de  croix  avec  Ste  Claire  et  autres  saints. 

Ant°1n  îm*™'  lFerrare' ibid-  Mort â'une iaintt- 


Cosimo  Tura 

dit  il  Cosmè. 

1406-1469. 


Ferrare,  ibid.,  S.  Jérôme»  Portrait  de  S.  Ber- 
nardin de  Sienne  ;  au  palazzo  del  Magistrato, 
Martyre  de  S.  Maurèle  ;  à  la  cathédrale  ,  *An- 
non  dation. 


Francesco  Cossa,     I  Bologne,  à  la  Pinacothèque,  * Madonne  entre 
vivait  en  1474.        \  S.  Pétrone  et  S.  Jean  év. 

Francesco  Zaganelli  ^  „ „,  .. 

da  Cotignola,       ( Ravenne,  aux  Observantins  ,  tableau  cité  par 

t.  en  1518.    '      )  M-  Laderchi. 


Bernardino 
Zaganelli 

DA  COTIGNOLA, 

t.  en  1509. 


Ferrare,  chez  le  marquis  Costabili,  S.  Sébastien. 


i Ferrare  :  au  Palais-Public,  *la  Visitation;  à 
Domenico  Panetti,  )  S.-Andrea,  S.  André  ;  chez  le  marquis  Costa- 
1460-1530.  \  *>"* ,  **la  Mort  de  la  sainte  Vierge,  la  Présen- 

{  tation ,  *la  Déposition  de  croix. 


(1)  Nous  devons  la  plupart  de  nos  renseigneracns  sur  celte  école  à  l'excellent 
opuscule  de  M.  Camille  Merci»,  dont  nous  parlons  à  l'Appendice  n°  iv. 


—  149  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Lorenzo  Costa  , 
1450-1530. 


Timoleo  délia    Vite 
1470-1524. 

Ercole  Grandi  , 
1491-1531. 


Lodovico  Mazzolino, 
1481-1530. 


Benvenuto  Garofolo, 
1481-1559. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

'Bologne  :  à  S.-Giae%mo,  *Madonne  avec  la  fa- 
mille Bentivoglio;  à  S.-Petronio,  Madonne 
entre  deux  saints;  à  S.-Giovanni-in-Monte, 
** Ascension  ;  à  S.-Martino,  ** Assomption  ;  h 
la  chapelle  de  Ste-Cécile,  deux  des  fresques, 
**le  Pape  prêchant  Yalérien  et  Ste  Cécile  dis- 
tribuant ses  biens  aux  pauvres  ;  à  la  Pinaco- 
thèque, *  S. -Pétrone  tenant  Bologne  dans  ta 
main.  —  Ferrare,  au  palais  Costabili,  S.  Sébas- 
tien, *  Madonne  entre  deux  saints,***  Nativité, 
^Déposition  de  croix. 

'  (Bologne,  à  la  Pinacothèque,  ** Madeleine. 

(  Ferrare,  chez  le  marquis  Costabili ,  *  Histoires 
\  de  l'Ancien  Testament ,  *S.  François  d'Assise, 
\  plusieurs  **Madonnes. 

Rome,  au  palais  Borghèse,  *  Adoration  des  Ma- 
ges, S.  Thomas.  —  Bologne,  à  la  Pinacothèque, 
^Nativité,  le  Père  éternel.— Ferrare,  au  Palais- 
Public,  ***Marie  et  Joseph  adorant  V infant 
Jésus  ;  chez  le  marquis  Costabili,  **Sainte  fa- 
mille avec  S.  Roch  et  S.  Sébastien ,  deux  autres 
Madonnes  avec  divers  saints,  **Marie  en  ado- 
ration devant  l'enfant  (deux  fois),  *  Jésus  mort 
sur  les  genoux  de  sa  Mère. 

/Rome  :  au  palais  Chigi ,  *** Ascension  ;  au  palais 
Borghèse,  **Nativité,  Noces  de  Cana,  Jésus 
et  la  Samaritaine,  *Déposition  de  croix  ,-au  pa- 
lais Doria,  **Tisitation;  au  palais  Corsi ni,  Jé- 
sus portant  sa  croix;  chez  le  cardinal  Fesch 
** Adoration  des  bergers;  au  Capitole,  *Sainte 
famille  dans  un  paysage,  Madonne  avec  deux 
saintes  franciscaines.—  Bologne,  à  S.  Salvatore 
*S.  Jean-Baptiste  et  Zacharie.  —  Ferrare ,  au 
Palais-Public,  *** Jésus  au  jardin  des  Olives, 
*YiedeS.  Sylvestre,  *les  Douze  apôtres,  ** Ado- 
ration des  Mages  ;  à  la  cathédrale,  *SS.  Pierre 
et  Paul,  Annonciation,  *  Assomption  ;  dans  une 
écurie  de  la  caserne  de  S.-Benedetto,  *Pietà; 
à  S  .-Andréa,  S.-Francesco ,  etc.,  nombreux  ta- 
bleaux— Munich,  chez  le  duc  de  Leuchtenberg , 
Miracle  d'un  saint,  la  Cène. 


NOMS  DES  PEINTRES. 


—  150  — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 


VII.  ÉCOLE  DE  VENISE. 


Giusto  et  Antonio 

da  Padova, 
élèves  de  Giotto. 

GtfARIENTO 

da  Padova, 
t.  en  1365. 

Garlo  Gritelli  , 
t.  en  1476. 

Jacopello  Flore  , 

t.  en  1436. 
Luigi  Vitarini 

1>A  MuRANO, 

t.  en  1414. 


Padoue,  ***fresques  de  la  coupole  du  baptistère. 


Padoue,  fresques  de  l'église  des  Eremîtani. 

Milan  ,  à  la  Brera ,  *Madonnc  et  plusieurs 
saints. 

f  Venise,  à  S.-Francesco-della*Vigna,  **M  adonne 
\    qui  adore  son  enfant  endormi  sur  ses  genoux. 

>  Venise,  à  l'Académie,  S.  Jean-Baptiste. 

Venise,  à  S.-Panta!eone,  *** Couronnement  de 
la  Vierge  au  milieu  du  Paradis  (  par  Jean  et 
Antoine)  ;  à  l'Académie,  ***Madonne  sous  un 
baldaquin  aveu  les  quatre  docteurs  (par  les  mê- 
mes), **Madonne  entre  quatre  saints  (par  Bar- 
thélémy) ;  à  Sta-Maria-dei-Frari,  SS.  Ambroise, 
Sébastien,  etc.,  avec  le  couronnement  de  la 
Vierge  en  haut  (par  Barthélémy  et  Basaïti), 


Giovanni  Vivarini 
da  Murano,  en  1444. 

Antonio  Vitarini 

DA  MURANO  ,  en  1401.  )    ^  Jmn   ^  pfl(|^   ^^    ^    «^^   ^    *fa 

l  Christ  mort;  à  S.-Giovanni-in-Bragora,  JRë- 
surrection  ;  à  Sta-Maria-Formosa,  M  adonne  au 
manteau  étendu.—  Bologne,  à  la  Pinacothèque, 
***J|fafte  couronnée  par  les  anges  pendant 
qu'elle  protège  le  sommeil  de  son  fils  endormi 
sur  ses  genoux  (par  Antoine  et  Barthélémy). 


da  Murano,  en  1498. 


Jacopo  Squarcione, 
XVe  siècle. 


Andréa  Manîegna, 
1430-1506. 


Gentile  Bellini, 
1421-1501. 


Padoue,  aux  Eremitani,  Histoire  de  S.  Christo- 
phe et  de  S.  Jacques.— Milan,  à  la  Brera,  S.  Ber- 
nardin, S.  Marc— Vérone,  à  S.-Zeno-Maggiore, 
la  Madonne  entre  trois  apôtres  et  trois  saints. 
—  Paris,  au  Louvre,  Sujets  allégoriques  et  Jtfa- 
donne  de  la  Victoire. 

!  Milan,  à  la  Brera,  S.  Marc  prêchant  à  Alexan- 
drie.—Venise,  à  l'Académie/  ^Procession  de  la 
sainte  croix  sur  la  place  $.-Marc,  *Miracle  de 
la  croix  tirée  de  l'eau, 


—   151 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Giovauni  Bellini 
1427-1517. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

/Venise  :  à  S.-Zaccaria,  Madonne  avec  S  te  Aga- 
the, S.  Jérôme,  etc.]  au  Redentore,  dans  la  sa- 
cristie, **  M  adonne  les  mains  jointes  pour  pro- 
téger le  sommeil  de  l'enfant  Jésus,  **Madonne 
entre  Ste  Catherine  et  S.  Jean  évang.,  Ma- 
donne entre  SS.  François  et  Jérôme;  à  Sta- 
Maria-de'-Frari,  Madonne  entre  quatre  saints  ; 
à  S.-Giovanni-Crisostomo,  *S.  Jérôme;  à  SS.- 
Giovanni-e-Paolo ,  Madonne  avec  Ste  Cathe- 


Cima  da  Conegliano, 
1493-1517. 


1502-1522. 


Marco  Basaïti, 
t.  en  1520. 


donne  entre  SS.  Job,  François,  Louis,  etc.,  avec 
trois  anges  musiciens,  * M adonne  avec  V enfant 
Jésus  endormi ,  Madonne  avec  SS,  Jean-Bap- 
tiste, Jérôme,  etc.;  à  S.-Pierre  de  Murano  ,  *le 
doge  à  genoux  devant  la  Madonne.  —  Dresde , 
à  la  galerie,  Christ  en  pied, 

'Milan,  à  la  Brera,  *S.  Pierre  apôtre,  **S.  Pierre 
martyr.  —  Venise  :  à  S.-Giovanni-in-Bragora, 
**Baptême  de  Notre  Seigneur  ;  à  Sta-Maria-del- 
Carmine ,  ***Nativité  avec  Ste  Catherine  et  Ste 
Hélène  ;  à  Sta-Maria-delPOrto,  **S.  Jean-Bap- 
tiste entre  SS,  Pierre,  Paul,  Marc  et  Jérôme  ; 
à  l'Académie,  Madonne  avec  plusieurs  saints , 
***  Incrédulité  de  S.  Thomas  ;  chez  M.  Barbini, 
*Madonne.  —  Dresde ,  à  la  Galerie,  Présenta- 
tion de  Notre  Dame. 

Milan,  à  la  Brera,  ***S.  Etienne.— Venise  :  à 
S.  -  Giorgio  -  dè*gli  -  Schiavoni,  **Légende  de 
S.  Georges  et  de  S.  Jérôme  ;  à  SS.-Giovanni-e- 
Paolo,  *Incoronazione;  à  S.-Giovanni-in-Bra- 
gora ,  *S.  Martin  ;  à  l'Académie ,  ***Légende 
de  Ste  Ursule ,  ^Rencontre  de  S.  Joachim  et 
de  Ste  Anne  avec  S.  Louis  et  Ste  Ursule,  Mi- 
racle du  patriarche  de  Grado  ,  ^Présentation 
de  Notre  Seigneur',  à  la  galerie  Correr,  * Lé- 
gende d'une  sainte,  ***  VEnfant  Jésus  lisant 
pendant  que  Marie  l'adore  à  genoux.  —  Paris, 
\  au  Louvre ,  *  Prédication  de  S.  Etienne. 

i  Bergame,  à  la  galerie  Carrara ,  *Tête  de  Notre 
1  Seigneur.  —Venise  :  à  Sta-Maria-della-Salute  , 
■  S.  Sébastien  ;  à  Sta-Maria-de'-Frari,  *Incoro- 
nazione  au  dessus  du  S.  Ambroise  de  Vivarini;  à 
l'Académie,   ^Vocation  des  fils  de  Zébédée ,  *la 


—  152 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Suite  de  Marco  Basaïii. 


Vincenzo  Catena, 
m.  en  1530. 


Giovanni  Mansueti, 
t.  en  1300. 


Francesco 

Sahta-Croce, 

1507-1541. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Prière  au  jardin  des  Oliviers,  ***le  Christ 
mort  entre  deux  anges  ;  à  la  galerie  Cor- 
rer, **le  Christ  mort  entre  trois  anges ,  dont 
l'un  baise  son  pied.  ^^ 

(  Venise  :  à  Sta-Maria-Mater-Domini  ***Martyrc 
de  Ste  Christine;  à  SS.-Giovanni-e-Paolo,  S. 
François  et  deux  saints  évoques. —  Dresde  : 
Sainte  famille  avec  deux  évêques. 

Venise  »  à  l'Académie ,  *  Miracle  de  la  croix  au 
pont  S.-Leone;  à  la  galerie  Correr,  ** Marie 
allaitant  l'enfant  Jésus  pendant  que  deux  an- 
ges la  couronnent. 

Venise  :  à  S.-Pietro-di-Murano  ,  *M adonne 
entre  Jérémie  et  S.  Jérôme  ;  à  S.-Francesco- 
delle- Vigne,  Cène;  à  la  galerie  Correr,  *Madonne 
couronnée  par  les  anges  ,  ^Crucifixion ,  ^Dé- 
position de  croix,  **Saintc  famille  avec  plu- 
sieurs saintes  assises  en  cercle. 

Venise ,  à  S.-Francesco-delle-Vigne,  Jésus  sau- 
veur; à  S.-Martino,  *Cene;  à  Sta-Maria-de'- 
Frari ,  **Marie  étendant  son  manteau  sur  ses 
fidèles  ;  à  S.-Sylvestro,  ***S.  Thomas  de  Can- 
torbéry  entre  S.  Jean-Baptiste  et  S.  François  ; 
à  la  galerie  Correr ,  *Madonne  avec  le  doge  et 
la  dogaresse  à  ses  pieds  ;  à  Burano,  S.  Marc 
entre  quatre  saints  ;  au  palais  Manfrini,  Adora- 
tion des  mages.  —  Milan,  à  la  Brera,  *Madonno 
entre  S.  François  et  S.  Jérôme. 

/Venise  :  à  S.-Francesco-delle-Vigne,  ***Ânnon- 
i   dation  ;  à  la  Madonna-dei-Miracoli ,  le  plafond 
PiermariaPENHACCHi,  V  fk  cinquante  compartimens ,  ** Saints,  patriar- 
t.  en  1520.  j  ches,  etc.;  à  Murano,  le  plafond,  *Incorona- 

I  zione ,   au  milieu,  avec  patriarches  et  prophe- 
V  tes  à  l'entour. 

Î  Venise,  à  l'Académie,  **  Notre  Seigneur  donnant 
à  choisir  à  Ste  Catherine  de  Sienne  entre  la 
couronne  de  reine  et  la  couronne  d'épines. 

(Venise,  à  l'Académie,  ** Descente  de  croix  avec 
la  Madeleine,  S.  Benoit  et  Ste  Scholastique. 

j  Venise,  à  l'Académie,  **le  Christ  parmi  les  doc- 
[  teurs. 


Girolamo 
Santa-Croce , 

t.  en  1520-1549. 


Francesco  Bissolo, 
t.  en  1520. 

Ilocco  Marconi;, 
t.  en  1505. 

Giovanni  d'UoiNE , 
1494-1561. 


153  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Sebastiano 
?lorigorio  d'Udine, 

t.  en  1533. 

jiorgio  Barbarelli,  dit 
IL  GIORGIONE, 

1477-1511. 


VZIANO  VECELL1, 

1477-1576. 


Boiiifazio  Bembo  , 
t.  en  1461. 


Paris  BORDONE, 
1500-1570. 


Giovanni-Antonio 

PORDENONE, 

1484-1540. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Venise,  à  l'Académie,  SS.  François,  Antoine  et 
Jean  évang. 

Dresde,  à  la  galerie,  ^Rencontre  de  Jacob  et  de 
Rachel.  —  Munich ,  à  la  galerie  Beauharnais  , 

Adoration  des  bergers. 

Venise,  à  S.-Marie-de'-Frati,  la  Famille  Pesaro 
présentée  à  la  sainte  Vierge  après  la  bataille  de 
Lépante;  à  la  galerie  Manfrioi,  ^Déposition  de 
croix.— Padoue,  à  la  Scuolo-del-Santo,  *Fret» 
ques  de  l'histoire  de  S.  Antoine.  —  Rome,  à  la 
galerie  Fesch,  **les  Quatre  docteurs  de  l'É- 
glise d'Occident.  —  Dresde,  **le  Christ  dit  délia 
Moneta. 

Venise  :  à  l'Académie,  *le  Festin  du  riche  Epu- 
ion,  Ht  adonne  avec  Ste  Anne,  etc.;  àSS.-Gio- 
vanni-e-PaoIo ,  plusieurs  *  saints.  —Dresde  ,  à 
la  galerie,  Invention  de  Moïse. 

Trévise,  à  la  cathédrale,  S.  Laurent ,  Stè  Ca- 
therine, etc. — Venise,  à  l'Académie,  *le  Pêcheur 
apportant  au  doge  Vanneau  de  S.  Marc.  —Mi- 
lan, à  Ste-Marie,  près  S.-Celse,  S.Jérôme  rece- 
vant son  chapeau  des  mains  du  Christ. 

* 

Venise,  à  l'Académie ,  5,  Laurent  Giustiniani 
et  autres  saints. 


VIII.  SUCCURSALES  DE   L'ÉCOLE  VÉNITIENNE. 


1°   Vérone. 


Viltore  Pisanello, 
t.  en  1450. 

Stefano  da  Zevio, 
t.  en  1400. 

Dominico  Morone, 
1430-1500. 

Fraucesco-Girolamo 

MON9IGNORI  , 

1455-1519. 


I  Vérone ,  à  S.-Fermo-Maggiore,  *  Annonciation. 
\  —  Pérouse,  à  S.-Francesco ,  ^Histoire  de 
(   S.  Bernardin. 

)  Vérone,  à  S.-Fermo-Maggiore,  Têtes  de  jpro- 
\  phètes  autour  de  la  chaire. 


Vérone,  àS.-Bernardino,  Crucifixion. 


Vérone  :  à  S.-Bernardino s  *Madonnc;  à   S.- 
Fermo-Maggiore,  *Madonne  avec  S.  Christo- 
phe, etc.)  à  S.-Nazaro-e-Celso ,  Madonne  avec 
SS.  Sébastien  et  Biaise.  —  Milan,  à  la  Brera, 
\    SS.  Bernardin  et  Louis. 


—  154  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Nicolb    Giolfino, 
vers  1490. 

Libérale  , 
1431-1536. 

Girolamo  dei  Libri, 
1472-1555. 


Giovanni  Carotto, 
1470-1536. 


Paolo  Catazzola  , 
mort  à  31  ans. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

i  Vérone  :  à  S.-Bernardino  ,  Histoire  de  la  Pas- 
1  sion  ;  à  Sta-Anastasia,  Descente  du  Saint~Es- 
\  prit-,  àSta-Maria-iu-Organo,  fresques. 

( Vérone,  à  Sta-Anastasia,  Déposition  de  croix , 
{  * Assomption. 

Vérone  :  à  Sta-Anaslasià ,  **Madonne  entre 
deux  saints  avec  le  donateur;  à  S.-Giorgio, 
***Madonne  entre  S.  Laurent  Giustiniani  et 
S.  Zenon,  avec  le  Père  éternel  et  trois  angest 
chef-d'œuvre  de  cette  école. 

Vérone  :  à  S.-Bernardino,  *S.  Barthèlemi, 
*S.  François,  les  Adieux  de  Jésus  et  de  Ma- 
rie; à  Sta-Anastasia,  *S.  Martin;  à  S.-Giorgio, 
*Ste  Ursule  et  ses  compagnes;  à  S.-Fermo- 
Maggiore ,  **Madonne  avec  Ste  Anne. 

(Vérone,  à  S. -Bernardin,  **Madonne  avec  SS. 
{  François,  [Ste  Elisabeth  et  les  autres  saintt 
'  franciscains  ;  Histoire  de  la  Passion  en  partie. 


2»  Brescia. 


Vincenso  Foppa, 
t.  en  1455,  m.  en  1492 


2  >  Bergame,  a  la  galerie  Carrara,  *  Crucifixion. 


Hieronimo  Rumani, 
XVe  siècle. 


Alessandro  Buonvicini , 

dettO  IL  MORETTO, 

1514-1547. 

Girolamo  Satoldo, 
vers  1540. 


/Padoue,  à  S.- Justine,  dans  la  vieille  église  laté- 
<  raie,  *Madonne  avec  Ste  Justine,  Ste  Scholas- 
\  tiqué  et  deux  saints  évêques. 

i  Brescia,  au  Duomo,  la  Pâque,  le  Sacrifice  d'A- 
braham. —  Milan,  à  la  Brera,  plusieurs  *  saints. 
—Vérone,  à  S.-Giorgio,  Ste  Cécile  avec  d'autres 
vierges.— Paris,  au  Louvre,  Quatre  saints  fran- 
ciscains. 


3°  Bergame. 


Giovanni  Cariano,  f  Bergame,  à  la  galerie  Carrara,  Madonne  avec 
1500-1519.  (  plusieurs  saints. 

A  (  Bergame,  à  la  cathédrale  ,  *S.  Benoit  et  deux 

#  ïï*  V™\"0o  autres  saints;  h  S.-André,  Descente  de  croix  y 
t.  en  1500,  m.  en  15-».  (   à  g#.AttgUBtiD>  Ste  Vrsuh  avec  ses  compagnes  ; 


NOMS  DES  PEINTRES. 


155   — 

INDICATION  DES  OUVRAGES. 


Suite  d'Andréa 
Previtali. 


Gavio. 

Antonio  Boselli, 
1309-1536. 


PALM  A  Vecchio, 
1508-1556. 


Francesco  Morone  , 
1474-1529. 


Lorenzo  Lotto  , 
t.  en  1554. 


Enea  Saimeggia, 
mort  1626. 


à  S.-Alessandro-della-Croce ,  Crucifixion  ;  à 
S.-Spirito,  S.  J. -Baptiste  entre  quatre  autres 
saints.  —  Milan  î  à  la  Brera,  Notre  Seigneur  et 
le  Saint-Esprit  ;  chez  le  duc  Melzi ,  **Sainte 
famille. 

Resté  fidèle  à  l'ancienne  école  vénitienne. 

Paris,  au  Louvre,  Quatre  saintes. 

'Bergame,  à  la  galerie  Carrara,  Madonne  et  qua- 
tre saints.— Florence,  aux  Uffizi,  *Portrait  d'un 
astronome.  —  Dresde  ,  Sainte  famille  avec  Ste 
Catherine  ;  les  trois  arts.— Venise,  dans  beau- 
coup d'églises ,  tableaux  en  général  médiocres. 
—Munich,  à  la  galerie  Beauharnais,  Ste  famille 
avec  Ste  Barbe  et  Ste  Catherine. 

!  Bergame  :  à  la  galerie  Carrara,  *Madonne  avec 
S.  François  ;  à  S.-Alessandro-della-Croce,  In- 
coronazione.  —  Florence ,  à  la  tribune ,  ^Por- 
trait prétendu  de  S.  Ignace  de  Loyola. 

'Bergame  :  à  S.-Bartolommeo ,  *Madonnè  et 
plusieurs  saints  ;  à  la  galerie  Carrara,  Mariage 
de  Ste  Catherine.  —  A  Alzano ,  près  Brescia , 
*Madonne  et  plusieurs  saints.  —Brescia,  chez 
le  comte To si,  Adoration  des  bergers.— Venise  : 
à  Sta-Maria-del-Carmine,  S.  Nicolas  et  autres 
saints;  à  S.-Giovanni-e-Paolo,  S.  Antonin; 
dans  d'autres  églises ,  beaucoup  de  tableaux. 
—  Munich,  à  la  galerie  royale,  Mariage  de  Ste 

\  Catherine. 

i  Bergame,  à  Sta-Grata,  ** Madonne  avec  Ste 
Grate,  Ste  Scholastique,  Ste  Catherine. 


IX.  ÉCOLE  LOMBARDE. 


Bramantino 
«TAgostino, 
t.  en  1450. 


Leonardo  da  Vinci, 
1452-1519. 


j  Milan  :  à  la  Brera,  fresques  ;  chez  le  duc  Melzi, 

I    Madonne. 

Milan,  à  la  Madonne-delle-Grazie,  ***la  Cène, 
presque  effacée,— Florence,  à  la  Tribune,  ***la 
Fille  d'Hérodiade  (attribuée  aussi  à  Luini). 
— raris,  au  Louvre  **la  Vierge  aux  rochers.— 


—  156  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Suite 
de  Leonardo  da  Vinci. 


2lmbnrigk» 

Ira  Jtoeaw , 

ou  U  flar jgagnane, 

1475-1522. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Vaprio,  entre  Milan  et  |Bergame  ,  **Madonne 
colossale  à  fresque.  —  On  a  conservé  fort  peu 
d'œuvres  authentiques  de  Leonardo,  et  il  est 
difficile  de  les  distinguer  de  celles  de  Luini. 

rMilan  :  à  Sta-Maria,  près  S.-Celse,  *Nativitê; 
à  S.-Eustorgio,  **Madonne  entre  SS.  Jacques 
et  Henri  ;  à  S.-Ambrogio ,  **  Notre  Seigneur 
disputant  avec  les  docteurs ,  **Notre  Seigneur 
entre  deux  Anges  ;  à  S.-Simpliciano,  Incoro- 
nazione  ;  à  la  Brera,  ***Marie  couronnée  par 
son  Fils  pendant  que  Dieu  le  Père  les  embrasa 
tous  deux  au  milieu  de  la  cour  du  Paradis.  ; 
chez  le  duc  Melzi,  **  Présentation ,  *S.  Roch 
et  S.  Sébastien.  —  A  la  Chartreuse  de  Pavie , 
***fresques  nombreuses  et  admirables ,  surtout 
le  Couronnement  de  Marie  et  la  Famille  Vis- 
conti  aux  pieds  deJMarie ,  dans  les  deux  tran- 
septs. 


UkrirarMito  ffumi, 

vivait  encore  en  1530. 


Bernardino  Zenalb 
da  Treviglio , 

m.  en  1526. 

Giovanni    Antonio 

Bbltbafio  , 

1467-1516. 


Milan  :  à  Sta-Maria-della-Passione,  *Pietà;  à 
S.-Maurizio,  **Scènes  de  la  Passion;  dan» 
d'autres  églises,  nombreuses  et  belles  fresques; 
à  la  Brera ,  ***Sle  Catherine  ensbvelib 
par  les  anges  ,  **  Histoire  de  S.  Joachim  et 
Ste  Anne,  **S.  Joseph  choisi  pour  époux  de 
Marie,  ***Vision  de  S.  Joseph  sur  l'innocence 
de  Marie ,  plusieurs  **Madonnes  ;  à  la  galerie 
Melzi ,  ***  Madonne  entre  S.  Martin  et  S. 
Etienne  et  plusieurs  autres,  Voyage  en  Egypte* 
—A  Chiaravalle,  fcrès  Milan  ,  ***Madonne.— A 
la  Chartreuse  de  Pavie,  **Madonne  et  Jésut 
cueillant  une  fleur.  —  Saronno,  ***fresques  du 
chœur  de  l'église,  sublimes.—  Como,  à  la  cathé- 
drale, ***Madonne  avec  SS.  Jérôme,  Abbon- 
dio,  etc.— Lugano,  au  couvent  des  Franciscains, 
**Cène,  ** Crucifixion,  **Madonne,  etc. 

Milan,  à  la  Brera,  *  Madonne  entre  les  quatre 
docteurs. 


Jmî 


Milan,  à  la  Brera,  Ecee  Homo. 


—  157  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 


Marco  d'OcGiONE, 

1520. 


Bartolommeo 

MOINTAGNA  , 

t.  en  1507. 

Andréa  Sabino, 

vers  1530. 

laudenzio  FERRARI, 

1484-1550. 
îoccaccio  Bocc  accini  j 

daCREMONA,  ' 

élève  du  Pérugin,      / 
1460-1518.  ' 

CesaredaSESTO,     ' 
m.  en  1524. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

Milan,  à  Sla-Eufemia,  **Madonne  avec  Ste  Eti- 

phémie  et  autres.  On  attribue  à  ce   peintre  la 

délicieuse  Madonna  del  Lago,  doot  il  existe 

une  gravure  par  Longhi,  sans  qu'on  sache  où 

l  est  l'original. 

{Pavie,  à  la  Chartreuse,  **Madonne  et  saints 
avec  trois  anges  musiciens. 

Î  Munich,  à  la  galerie  Beauharnais,  Sainte  Vierge 
sur  les  genoux  de  Ste  Anne. 

\  Milan,  à  la  Brera,  ^Martyre  de  Ste  Catherine. 


Crémone  :  admirables  fresques  de  la  cathédrale; 
>  à  S.-Vincent,  *Madonne. 

Milan,  chez  le  duc  Melzi,  **SS.  Roch,  Sébastien, 
*  Jean-Baptiste,  etc.  —  Munich,  chez  le  duc  de 
1  Leuchtenberg,  Sainte  Famille. 


Andréa  SOL ARI , 


j  Pavie,  à  la  Chartreuse,  **les  Apôtres  au  torn- 
)   beau  de  Marie.  —  Paris  ,  au  Louvre ,  Madonne 
t.  en  15^0.  ^  allaitant  Venfant  Jésus,  la  Fille  d'Bérodiade. 


X.  ÉCOLES  DIVERSES. 


(  Nous  indiquons  s'OUS  celte  catégorie  le  petit  nombre  de  peintres  du  moyen 
je  qui  n'ont  pu  se  ran  çer  sous  une  des  écoles  précédentes,  ainsi  que  ceux  des 
ècles  postérieurs  qui  ont  échappé  au  goût  païen  et  classique  dans  quelques  unes 
a  leurs  œuvres.  ) 


ÎGêiies  j  à  Sta-Maria-di-Castello,  ^Annonciation 
av  ec  plusieurs  saints,  *Mariage  des  deux  Stes 
Catherine  avec  Notre  Seigneur, 
Antonio  Sol  a  Rio ,  ou  l  Naplos,  aux  Studii,  plusieurs  M  adonnes  et  saints; 
ï  Zingaro,  de  Naples,  {  deux  .Bénédictins,  *Vie  de  S.  Benoît  et  de  S. 
1382-1455.  (   Placide. 


Bernard  ino  Campi, 

da  Creinona, 

1522-1590. 


Pavie,  à  1%  Chartreuse,  *  Assomption, 


158  — 


NOMS  DES  PEINTRES. 

Lodovico  Cardi 
da  GiGOLl 

1559-1613. 


Giovan  - Batista    S alti 
da  Sassoferrato  , 

1605-1685. 


Carlo  Dolci 
1616-168. 


Guido  Reni, 
1575-1642. 


Francesco    Barberi  , 
detto  il  Guercino, 

1590-1666. 


INDICATION  DES  OUVRAGES. 

De  l'école  florentine,  se  met  à  part  de  ses  con- 
temporains par  la  piété  avec  laquelle  il  repré- 
\  sente  S.  François. 

rSe  distingue  par  le  clmrme  avec  lequel  il  a  tou- 
jours peint  la  Madonne.  — •  Ses  chefs-d'œuvre 
sont  :  à  Florence,  aux  Uffizi,  une  *Madonne  veil- 
lant sur  le  sommeil  de  Jésus.  •—  Rome ,  à  Ste- 
Sabine  ,  ***la  Madonne  entre  S.  Dominique 
et  Ste  Catherine  de  Sienne,  à  qui  l'enfant 
Jésus  met  la  couronne  d'épines  ;  et  à  la  galerie 
Borghèse,  ***Jes  Trois  âges, 

ÎA  souvent  réussi  à  trouver  l'expression  chré- 
tienne, surtout  dans  sa  M adeleinç  et  sa  Ste  Lu- 
cie, à  Florence. 

{Quelques  unes  de  ses  madonues  ont  de  la  pu- 
reté et  de  la  profondeur,  surtout,  à  Bologne , 
celle  dite  la  Madonne  délia  pietà. 

Ce  peintre ,  quoique  très  pieux ,  a  rarement  pu 
rendre  le  sentiment  chrétien  dans  ses  tableaui 
de  sainteté;  toutefois  il  a  de  temps  à  autre 
réussi  dans  ses  figures  de  saints  et  de  moines , 
comme  on  peut  s'en  convaincre  à  la  Pinacothè- 
que de  Bologne  et  au  Louvre. 


RNous  croyons  devoir  ajouter  que ,  sauf  pour  l'école  de  Ferrare  et  une 
douzaine  de  tableaux  des  autres  écoles ,  les  notes  qui  précèdent  sont  ex- 
clusivement le  résultat  de  nos  propres  observations. 


DE  L'ÉTAT  ACTUEL 


DE 


L'ART  RELIGIEUX  EN  FRANCE', 

1837. 


«  L'étude  des  monumens  religieux  a  ranimé  parmi  nous 
le  sentiment  et  le  goût  de  l'art  chrétien.  Ce  sentiment  a 
bientôt  tourné  au  profit  du  Christianisme  lui-même.  En  ap- 
prenant à  comprendre,  à  admirer  nos  églises,  on  est  devenu 
presque  juste ,  presque  affectueux  pour  la  foi  qui  les  a  éle- 
vées. C'est  là  un  retour  un  peu  futile  vers  la  religion ,  re- 
tour sincère  cependant ,  et  qu'il  ne  faut  pas  dédaigner.  L'art 
rend  ainsi  aujourd'hui  à  la  religion  quelque  chose  de  ce  qu'il 

1  Cet  essai  sert  d'introduction  à  la  collection  des  Monument  de 
l'Histoire  de  sainte  Elisabeth,  publiée  par  M.  A.  Boblet. 


—   1G0   — 

en  a  reçu  jadis  '.  »  Ainsi  parlait ,  il  y  a  peu  de  temps,  dans 
une  occasion  solennelle,  un  homme  dont  la  patrie  s'honore, 
bien  que  malheureusement  la  religion  ne  puisse  le  compter 
parmi  ses  fidèles.  Ces  paroles  expriment  avec  noblesse  une 
vérité  généralement  mais  vaguement  sentie.  Plus  que  per- 
sonne leur  auteur  a  contribué  à  ramener  en  France  le  senti- 
ment de  l'art  religieux  ,  d'abord  par  le  nouveau  jour  qu'il  a 
jeté  sur  l'histoire  des  temps  où  cet  art  naquit ,  et  ensuite  par 
ses  généreux  ejforts ,  pendant  qu'il  était  au  pouvoir ,  pour 
sauver  et  populariser  les  débris  de  notre  ancienne  gloire 
artistique.  Un  immense  changement  s'est  opéré  dans  les  es- 
prits depuis  le  temps  où  nous  nous  sentions  excités  à  élever 
une  voix  humble ,  inconnue  et  presque  solitaire ,  contre  les 
Vandales  de  diverses  espèces  qui  dévastaient  les  monumens 
de  notre  foi  et  de  notre  histoire 2.  En  peu  d'années  tout  a 
changé  de  face.  La  révolution  de  juillet,  en  portant  le  der- 
nier coup  à  Y  ancien  régime  dans  le  présent  et  dans  l'avenir, 
a  donné  un  nouvel  élan  à  l'étude  et  à  l'appréciation  de  l'an* 
cienne  France  dans  le  passé ,  non  pas  dans  le  passé  bâtard 
et  inconséquent  des  derniers  siècles ,  mais  le  passé  de  cette 
grande  époque  où  le  Christianisme  régnait  sur  l'âme  et  le 
corps  de  l'humanité.  Le  nouveau  gouvernement  s'est  rangé 
franchement  du  côté  du  petit  nombre  d'hommes  qui ,  in- 
spirés par  les  éloquentes  invectives  de  M.  Victor  Hugo ,  es- 
sayaient de  lutter  contre  le  torrent  des  dévastations.  Usant 
avec  une  salutaire  énergie  de  leur  puissance ,  M.  Guizot  et 
ses  successeurs  à  l'intérieur  et  à  l'instruction  publique ,  ont 
étendu  les  bras  immenses  et  inévitables  de  la  centralisation 
pour  arrêter  le  marteau  municipal  et  la  brosse  fabricienne  , 
en  même  temps  qu'ils  ont  créé  ou  encouragé  de  vastes  et  im- 


'  Discours  de  M.  Guizot  à  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie, 
eu  août  1837. 
•  Du  vandalisme  en  France.  (Voyez  plus  haut.) 


—   161   — 

portantes  publications ,  destinées  à  tirer  de  la  poussière  et  à 
révéler  au  pays  les  antiques  trésors  de  son  art  national.  No- 
ble et  bienfaisant  exemple  qu'il  appartenait  au  pouvoir  an- 
térieur de  donner ,  et  qu'il  faudra  bien ,  Dieu  merci ,  suivre 
a  l'avenir.  D'un  autre  côté ,  une  étude  de  plus  en  plus  appro- 
fondie de  l'étranger  a  produit  rapidement  des  résultats  tout- 
à-fait  inattendus.  En  voyant  de  plus  près  les  mœurs  et  la 
science  de  l'Allemagne  et  de  l'Angleterre ,  on  s'est  aperçu 
du  profond  respect,  de  la  tendre  sollicitude  que  ces  grandes 
nations  professent  pour  les  monumens  de  leur  passé  ;  la  pen- 
sée s'est  naturellement  reportée  sur  la  patrie ,  et  on  a  re- 
connu ,  avec  surprise  et  admiration ,  que  la  France  renfer- 
mait encore  dans  ses  villes  de  province  des  cathédrales  plus 
belles ,  malgré  le  triste  dénuement  des  unes  et  le  fard  ridi- 
cule des  autres ,  que  les  plus  célèbres  cathédrales  de  l'An- 
gleterre. On  a  trouvé  dans  la  poudre  de  ses  bibliothèques 
des  poèmes  plus  originaux,  plus  inspirés  que  les  épopées  les 
plus  populaires  de  l'Allemagne.  On  a  vu  encore  les  manus- 
crits de  ces  poèmes  souvent  ornés  de  miniatures  plus  fines , 
plus  gracieuses  que  les  plus  vantées  du  Vatican.  On  est  ar- 
rivé ainsi  à  comprendre  et  à  découvrir  que  ,  même  en 
France,  il  avait  existé  un  autre  art,  une  autre  beauté  que 
la  beauté  matérialiste  et  l'art  païen  du  siècle  de  Louis  XIV 
et  de  l'empire.  Cette  découverte  renfermait  implicitement 
celle  de  Y  art  religieux.  Nous  nhésitons  pas  à  employer  ce 
mot  de  découverte  ,  parce  qu'une  réhabilitation  aussi  com- 
plète, aussi  fondamentale  que  celle  qui  est  exigée  pour  l'art 
religieux  vaut  bien  l'invention  la  plus  difficile.  Malheureu- 
sement cette  découverte  n'a  guère  été  faite  que  par  des  gens 
de  lettres  ou  des  voyageurs.  La  faire  passer  dans  la  vie  pra- 
tique ,  la  faire  reconnaître  par  les  artistes  ou  ceux  qui  aspi- 
rent à  le  devenir ,  la  faire  comprendre  par  ceux  qui  comman- 
dent ou  qui  jugent  les  œuvres  dites  d'art  religieux ,  c'est  là 
le  difficile  j  mais  c'est  aussi  là  l'essentiel  ;  car ,  à  l'heure  qu'il 

11 


—   162   — 

est,  il  n'y  a  pas  d'art  religieux  en  France,  et  ce  qui  en 
porte  le  nom  n'en  est  qu'une  parodie  dérisoire  et  sacrilège. 
Ce  n'est  pas  assurément  que  la  matière  de  l'art  religieux 
manque  aujourd'hui  en  France  plus  qu'en  aucun  autre  pays 
ou  à  aucune  autre  époque.  Il  y  a  une  religion  en  France  qui 
compte  encore  des  millions  de  fidèles  ;  or ,  toute  religion 
qui  n'est  pas  née  à  l'état  de  secte,  comme  le  protestantisme, 
a  toujours  donné  la  vie  à  un  art  qui  pût  lui  servir  d'organe, 
parler  son  langage  à  l'imagination  et  au  cœur  de  ses  enfans, 
traduire  ses  dogmes  en  images  vénérées  et  chéries ,  enfin  pa- 
rer ses  rites  et  ses  cérémonies  d'un  attrait  mystérieux  et  po- 
pulaire. Ce  que  la  religion  des  Hindous ,  des  Égyptiens ,  des 
Grecs ,  des  Mexicains  a  fait ,  la  religion  catholique  l'a  fait 
aussi ,  mais  avec  une  splendeur  et  une  puissance  à  nulle  au- 
tre égale.  Notre  patrie  est  couverte  des  produits  de  l'art 
catholique ,  qui  ont  survécu  à  trois  siècles  de  profanations , 
d'ignorance  et  de  ravages.  Pour  un  Louvre ,  pour  un  Ver- 
sailles dont  la  France  s'enorgueillit ,  elle  a  cent  cinquante 
cathédrales ,  elle  a  six  mille  églises  qui  remontent  aux  temps 
où  régnait  le  véritable  art  chrétien.  Ces  cathédrales  et  ces 
églises ,  malgré  leur  pauvreté  et  leur  nudité  actuelle  ,  ou 
plutôt  à  cause  de  cette  nudité ,  offrent  aux  peintres  et  aux 
sculpteurs  le  champ  le  plus  vaste ,  et  presque  le  seul ,  pour 
leurs  travaux  ;  car  on  ne  pourra  pas  avoir  le  bonheur  et  la 
gloire  de  faire  un  musée  de  Versailles  à  chaque  règne,  et  où 
trouver  aujourd'hui  des  particuliers  qui  remplacent  pour  l'art 
les  princes  et  les  prélats  d'autrefois  ?  Ces  églises  ouvrent  cha- 
que jour  leurs  portes  à  une  foule  plus  ou  moins  nombreuse  de 
personnes ,  qui  y  voient  avec  intérêt  et  émotion  les  repré- 
sentations des  objets  de  leur  culte  et  de  leurs  croyances ,  et 
qui  ne  demanderaient  pas  mieux  que  de  s'y  intéresser  avec 
ardeur  et  enthousiasme,  si  Ton  prenait  la  peine  de  donner  à 
ces  représentations  une  valeur  réelle  et  de  la  leur  expliquer. 
Ce  n'est  donc  pas ,  nous  le  répétons,  la  matière  qui  manque 


—  1C3  ~ 

en  France  à  l'art  religieux  ;  ce  qui  lui  manque ,  c'est  le  bon 
sens ,  c'est  la  science ,  c'est  la  foi ,  c'est  la  pudeur  chez  la 
plupart  de  ceux  qui  en  sont  les  prétendus  ouvriers.  Ce  qui 
importe ,  c'est  de  dénoncer  aux  hommes  sincères  et  consé- 
quens  l'étrange  abus  qu'on  fait  des  mots  et  des  choses,  dans 
un  ordre  d'idées  et  de  faits  qui  exige  plus  de  conscience  et 
plus  de  scrupule  qu'aucun  autre.  Ce  qui  importe  encore , 
c'est  de  mettre  à  nu  les  plaies  qui  gangrènent  l'application 
religieuse  de  l'art,  afin  que  la  partie  saine  de  la  jeune  géné- 
ration d'artistes  qui  s'élève  puisse  en  éviter  le  contact  et  la 
honteuse  contagion. 

Mais ,  avant  d'aller  plus  loin  ,  répondons  d'avance ,  en 
deux  mots ,  à  une  multitude  d'objections  et  de  reproches  qui 
pourraient  nous  être  adressés.  Qu'on  le  sache  bien ,  nous 
n'entendons  nullement  parler  de  l'art  en  général ,  mais  uni- 
quement de  l'art  consacré  à  reproduire  certaines  idées  et 
certains  faits  enseignés  par  la  religion  :  tout  le  reste  est  com- 
plètement étranger  à  nos  plaintes  et  à  nos  invectives.  Nous 
n'empiéterons  pas  sur  cette  vaste  extension  d'idées  qui  com- 
prend aujourd'hui ,  sous  le  nom  d'artistes,  jusqu'aux  coif- 
feurs et  aux  cuisiniers.  Nous  ne  prétendons  en  rien  interve- 
nir dans  les  grandes  transformations ,  dans  le  rôle  humani- 
taire que  divers  critiques  et  philosophes  assignent  à  l'art , 
d'abord  parce  que  nous  n'y  croyons  pas ,  ensuite  parce  que 
nous  n'y  comprenons  rien ,  enfin  et  surtout ,  parce  qu'il  n'y 
a  rien  de  commun  entre  tout  cela  et  le  Catholicisme.  En  ef- 
fet le  Catholicisme  n'a  rien  &  humanitaire,  il  n'est  que  di- 
vin,  à  ce  que  nous  croyons  ;  du  moins  il  n'est  nullement 
progressif,  il  est  encroûté  (pour  me  servir  d'un  terme  fa- 
milier et  emprunté  à  l'art)  ;  d'où  il  suit  que  les  œuvres  d'art 
qu'il  est  censé  inspirer  ne  doivent  et  ne  peuvent  être  qu'^/z 
croûtées  comme  lui.  Plein  de  respect  pour  la  critique  et 
pour  la  philosophie ,  nous  leur  laissons  le  domaine  intact  et 
l'usage  exclusif  de  tous  les  tableaux  de  batailles ,  de  toutes 


—  164  — 

les  scènes  historiques ,  des  marines ,  des  paysages ,  de  la 
peinture  de  genre  dans  toutes  ses  intéressantes  branches  : 
nous  leur  laissons  les  masses  d'infanterie  et  de  cavalerie  sa- 
vamment échelonnées ,  les  assemblées  politiques  et  popu- 
laires d'hommes  en  frac  ;  les  intérieurs ,  les  cuisines ,  les 
plats  de  fruits  avec  des  mouches  qui  en  dégustent  délicate- 
ment le  suc  j  le  lever  et  le  coucher  des  grisettes ,  les  pêcheurs 
d'huîtres ,  les  intérieurs  de  chenil ,  les  belles  dames  en  robe 
de  satin,  et  les  notabilités  municipales  en  habit  de  garde  na- 
tional ,  en  un  mot ,  tous  les  sujets  qui ,  depuis  la  renais- 
sance ,  inspirent  la  peinture  moderne  et  réjouissent  le  publie 
civilisé  ;  nous  ne  nous  réservons  absolument  que  le  droit  de 
parler  sur  le  tout  petit  coin  qui  est  laissé  à  l'art  religieux  ; 
ou,  pour  parler  plus  justement,  à  l'art  catholique  ;  ou  en- 
core, pour  être  intelligible  aux  hommes  les  plus  éclairés,  à 
l'art  concentré  dans  le  domaine  du  fanatisme  et  de  la  su- 
perstition. 

Qu'on  se  rassure  donc ,  il  ne  s'agit  nullement  pour  nous 
de  savoir  si  Fart  en  général  sera  catholique  ou  non.  C'est  là 
tout  bonnement  la  question  de  la  destinée  du  monde.  Il  est 
certain  que  si  la  société  tout  entière  redevenait  catholique , 
l'art  le  serait  aussi ,  bon  gré  mal  gré  ;  mais  il  est  également 
certain  que ,  si  cela  arrive  jamais ,  ce  ne  sera  pas  de  nos 
jours,  et  que  tout  le  monde  aura  le  temps  d'y  penser.  Quant 
à  nous ,  nous  ne  nous  occupons  que  du  présent ,  et  voici  ce 
que  nous  en  disons  :  il  est  de  fait  qu'actuellement  en  France 
il  y  a  beaucoup  d'hommes  fanatiques  et  superstitieux ,  dits 
Catholiques ,  et  que  ces  Catholiques  ont  des  églises  vastes 
et  nombreuses,  publient  des  livres  de  piété  illustrés,  ornent 
des  chapelles  et  des  oratoires,  pour  lesquelles  églises ,  ora- 
toires ,  chapelles ,  livres  illustrés  et  autres ,  les  artistes  de 
nos  jours ,  grands  et  petits ,  font  tous  les  ans  une  foule  de 
tableaux ,  estampes ,  lithographies ,  statues ,  bas-reliefs  en 
carton-pierre  et  en  marbre.  Il  semblerait,  au  premier  abord, 


—  165  — 

que  tous  ces  divers  objets  d'art  étant  à  l'usage  exclusif  des 
gens  religieux ,  dussent  porter  quelques  traces  de  l'esprit  de 
leur  religion  même.  Eh  bien  !  il  n'en  est  rien.  Au  milieu  du 
fractionnement  général  de  la  société,  fractionnement  que 
Fart  a  suivi  de  manière  à  administrer  à  chacun  selon  ses 
besoins  et  ses  idées ,  la  fraction  des  hommes  qui  usent  du 
culte,  comme  dit  M.  Audry  de  Puyraveau ,  soit  en  théorie , 
soit  en  pratique,  cette  fraction  est  comme  la  tribu  de  Lévi  ;  elle 
n'a  rien,  ou  plutôt  moins  que  rien,  pire  que  rien  ;  car  elle  est 
inondée  de  produits  divers  qui  lui  sont  inintelligibles  et  inu- 
tiles ,  ou  bien  antipathiques  et  injurieux.  Avez-vous  les  goûts 
militaires  ?  MM.  Horace  Vernet ,  Bellangé ,  Eugène  Lamy  , 
et  mille  autres ,  sont  là  pour  vous  pourvoir  abondamment 
de  toutes  les  batailles  que  vous  pouvez  désirer.  Aimez-vous, 
au  contraire,  la  vie  sédentaire,  les  jouissances  domestiques, 
ce  qu'on  appelle  les  études  de  mœurs  ?  Alors  MM.  Court , 
Franquelin ,  Roqueplan ,  etc. ,  se  chargent  de  récréer  vos 
yeux  par  une  foule  de  représentations  empruntées  à  cet  or- 
dre d'idées  et  d'habitudes ,  et  souvent  pleines  de  talent  et 
d'esprit.  Fatigué  de  la  monotonie  de  la  vie  française ,  aspi- 
rez-vous après  l'éclatant  soleil  et  les  pittoresques  mœurs  de 
l'Italie?  MM.  Schnetz ,  Edouard  Bertin,  Winterhalter,  vous 
transporteront  au  sein  de  cette  patrie  de  la  beauté  par  la 
chaleur  et  la  fidélité  de  leurs  pinceaux.  Avez-vous ,  par  ha- 
sard ,  juré  une  fidélité  désespérée  à  la  mythologie  antique  ? 
Il  y  a  toujours  à  chaque  salon ,  surtout  parmi  les  sculpteurs, 
plusieurs  traînards  du  paganisme  ;  et  d'ailleurs  vinssent-ils 
à  manquer ,  il  vous  resterait  toujours  les  doctrines  de  l'Aca- 
démie des  Beaux-Arts ,  les  concours  pour  les  prix  de  Rome 
et  les  regrets  de  certains  feuilletonnistes.  Préférez-vous  sa- 
gement les  gloires  et  les  souvenirs  de  notre  Europe  mo- 
derne ?  Vous  avez  MM.  Scheffer,  Delaroche,  Hesse  et  d'au- 
tres qu'on  pourrait  nommer  à  côté  d'eux ,  qui  ont  conquis 
une  place  honorable  dans  l'histoire  de  l'art  pour  l'école  fran- 


—  166  — 

çaise  de  nos  jours.  En  un  mot ,  tout  le  monde  en  a  pour  son 
goût  :  et  si  la  caricature  réclame  par  le  fait  une  place  dans 
chacun  de  ces  divers  genres ,  elle  peut  le  faire  avec  bon 
droit ,  parce  qu'elle  n'en  envahit  aucun ,  et  que  sa  modestie 
ajoute  à  sa  vérité.  Il  n'y  a  que  dans  le  cas  où  vous  seriez 
catholique ,  que  toute  satisfaction  vous  est  refusée  ;  il  ne 
vous  reste  d'autre  ressource  que  de  voir  la  religion ,  la  seule 
chose  au  monde  qui  n'admette  pas  un  côté  comique ,  envahie 
par  la  caricature  ;  et  c'est  encore  le  nom  le  plus  doux  qu'on 
puisse  donner ,  sauf  un  très  petit  nombre  d'exceptions ,  aux 
parodies ,  tantôt  horribles ,  tantôt  ridicules ,  qui  couvrent 
chaque  année  les  murs  du  Louvre ,  et  s'en  vont  de  là  souil- 
ler nos  églises  sous  le  titre  mensonger  de  tableaux  reli- 
gieux i . 

Mais  je  vous  demande  trop ,  lecteur ,  en  supposant  que 
vous  soyez  catholique  ;  je  veux  seulement  que  vous  ayez 
quelques  notions  de  la  religion ,  que  vous  l'ayez  tant  soit  peu 
étudiée  dans  ses  dogmes  d'abord  ,  puis  dans  son  influence 
sur  la  société  à  une  époque  où  elle  était  souveraine  :  je  ne 
vous  demande  pas  des  convictions ,  je  ne  vous  suppose  que 
quelques  idées  et  quelques  souvenirs ,  puisés  par  vous-même 
à  l'abri  de  la  routine  des  écoles  classiques.  Voilà  tout  ce 
que  j'exige ,  et  cela  étant ,  je  vous  prends  par  la  main ,  et  je 
vous  conduis  à  la  première  église  venue.  Que  ce  soit  une  ca- 
thédrale ou  une  paroisse  de  village ,  peu  importe.  Passons 
même  devant  la  cathédrale ,  si  c'est  une  cathédrale  des  an- 
ciens jours  ,  sans  nous  y  arrêter  :  nous  perdrions  de  vue  le 
but  immédiat  de  notre  visite ,  tristement  confondus  que 

1  Pour  ne  citer  qu'un  exemple  entre  dii  raille,  nous  venons  de  voir, 
dans  la  magnifique  cathédrale  de  Troyes,  une  Transfiguration  ré- 
cemment donnée  par  le  gouvernement ,  et  que  nous  recommandons 
aux  voyageurs  comme  le  type  du  grotesque  horrible.  Il  nous  semble 
difficile  de  pousser  plus  loin  la  profanation ,  en  ce  qui  touche  la  re- 
présentation de  notre  divin  Rédempteur. 


—  167  — 

nous  serions  à  la  vue  de  ces  glorieuses  façades  mutilées  de 
mille  façons  par  la  haine  et  l'ignorance ,  quelquefois  rem- 
placées ,  comme  à  la  sublime  basilique  de  Metz ,  par  un  hor- 
rible portail  de  théâtre ,  en  l'honneur  de  Louis  XV  ;  à  la  vue 
de  ces  vitraux  défoncés  et  suppléés  par  des  verres  blancs  ou 
des  flaques  de  bleu  et  de  rouge  ;  à  la  vue  d'un  badigeon 
beurre  frais ,  comme  à  Chartres ,  ou  au  Mans ,  ou  partout, 
sous  lequel  disparaissent  à  la  fois  les  merveilles  de  la  sculp- 
ture et  le  prestige  de  l'antiquité  ;  à  la  vue  d'un  soi-disant 
jubé  qui,  comme  à  Rouen,  élève  sa  masse  lourde,  opaque  et 
grossière ,  à  la  place  même  qu'occupait  jadis  le  voile  du 
sanctuaire  brodé  et  découpé  à  jour  en  pierre  ;  à  la  vue  enfin 
d'un  chœur  brutalement  déshonoré ,  comme  à  Strasbourg  et 
à  Notre-Dame  de  Paris ,  par  un  revêtement  en  marbre  de 
couleur  ou  par  une  boiserie  d'antichambre.  Laissons  donc 
là  la  cathédrale  qui  réclame  une  bien  autre  indignation.  Bor- 
nons-nous à  la  simple  paroisse  moderne  et  décorée  dans  le 
dernier  goût ,  et  voyons  quelles  sont  les  traces  d'art  chrétien 
que  nous  y  trouverons.  Arrêtons-nous  un  instant  devant  la 
façade  :  vous  y  verrez  quelques  colonnes  serrées  les  unes 
contre  les  autres ,  comme  à  Notre-Dame-de-Lorette ,  ou 
bien  une  série  de  frontons  superposés  et  flanqués  de  deux 
excroissances  alongées  en  pierre,  qui  ont  la  forme  d'un  radis 
ou  d'un  sorbet  dans  son  verre ,  comme  à  Saint-Thomas-d'A- 
quin  ;  vous  saurez  que  ce  sont  des  trépieds  où  est  censée 
brûler  la  flamme  de  l'encens.  Quelquefois  une  tour  s'élève 
au  dessus  de  cette  monstruosité  j  tour  dépourvue  à  la  fois 
de  grâce ,  de  majesté  et  de  sens ,  terminée  par  une  terrasse 
plate ,  ou  par  un  toit  de  serre  chaude ,  ou ,  comme  en  Fran- 
che-Comté ,  par  un  capuchon  en  forme  de  verre  à  patte  ren- 
versé. Vous  vous  demandez  ce  que  peut  être  un  édifice  qui 
s'annonce  ainsi ,  si  c'est  un  théâtre ,  ou  un  observatoire ,  ou 
une  halle,  ou  un  bureau  d'octroi.  On  vous  explique  que  c'est 
un  temple.  A  coup  sûr ,  pensez-vous ,  c'est  le  temple  de 


—  168  — 

quelque  culte  qui  a  remplacé  le  Christianisme.  On  vous 
nomme  un  saint  dont  le  nom  figure  dans  le  calendrier  chré- 
tien ;  et  vous  finissez  par  découvrir  une  croix  plantée  quel- 
que part  avec  autant  de  bonne  grâce  que  le  drapeau  trico- 
lore sur  les  tours  de  Notre-Dame.  C'est  donc  vraiment  une 
église  !  Vous  entrez.  Est-ce  bien  vrai  ?  Oui ,  il  faut  le  croire , 
car  voilà  un  autel ,  des  confessionnaux ,  une  chaire ,  des 
crucifix.  Mais  est-ce  bien  une  église  catholique  ,  une  église 
où  Ton  prêche  les  mêmes  dogmes ,  où  l'on  célèbre  le  même 
culte  que  celui  qui  a  régné  dans  les  églises  d'il  y  a  trois  cents 
ans  ?  Ces  dogmes  n'ont-ils  pas  été  profondément  altérés ,  ce 
culte  n'a-t-il  pas  subi  quelque  révolution  violente  ?  Où  est 
donc  cette  forme  consacrée  de  la  croix ,  si  naturellement  in- 
diquée et  si  universellement  adoptée  pour  le  plan  de  toutes 
les  anciennes  églises  ?  Où  a-t-on  copié  ces  fenêtres  carrées , 
rondes ,  en  parallélogramme  ,  en  segment  de  cercle  ,  quel- 
quefois en  poire  garnie  de  feuillage ,  en  un  mot  de  toutes  les 
formes  possibles ,  pourvu  qu'elles  ne  tiennent  ni  du  cintre , 
ni  de  l'ogive  chrétienne?  Est-ce  de  cette  cage  suspendue  en- 
tre deux  piliers ,  ou  de  ce  tonneau  à  demi  creusé  dans  le 
mur,  que  l'on  prêche  la  parole  du  Dieu  vivant  dans  la  même 
langue  que  saint  Bernard  et  Bossuet  ?  Qu'est-ce  que  cette 
montagne  de  rocaille  qui  grimpe  à  l'extrémité ,  qui  cache  le 
chœur ,  s'il  y  en  a  un ,  qui  élève ,  sur  des  colonnes  cannelées, 
un  fronton  garni  de  je  ne  sais  combien  de  gros  enfans  tout 
nus  dans  les  postures  les  plus  ridicules ,  et  qui  se  répète  en 
petit  tout  le  long  des  bas-côtés  ?  serait-ce  par  hasard  l'autel 
où  se  célèbrent  les  plus  augustes  mystères? 

Mais  approchons  :  examinons  ces  sculptures ,  ces  tableaux 
surtout,  que  l'on  y  expose  à  la  vénération  des  fidèles.  Quoi  ! 
c'est  le  Fils  de  Dieu  mourant  sur  la  croix  que  cette  étude 
d'anatomie  où  vous  pouvez  compter  tous  les  muscles ,  toutes 
les  côtes,  mais  où  vous  ne  trouverez  pas  la  trace  la  plus  lé- 
gère d'une  souffrance  divine,  et  dont  les  bras  tendus  et  dres- 


Paris.  A.  Boblet.  1839 


LA   SAINTE  VIERGE 
félon  l'art  régénère' -an  .llh>ma<jne ,  auXKe  Siècle 


Pans,A.Bo"blet,18; 


LA  SAINTE  VIERGE 
J'clon  l'art  prétendu  /W/t/ùv&r  en  France',  depuis  Louis  XIV 


—  160  — 

ses  verticalement  au  dessus  de  la  tête  semblent ,  conformé- 
ment au  symbole  janséniste,  s'ouvrir  à  peine  afin  d'embrasser 
dans  le  sacrifice  expiatoire  le  moins  d'âmes  possible1.  Quoi  ! 
cet  être  tout  matériel,  tout  humain,  tout  courbé  sous  le 
poids  des  basses  conceptions  du  peintre ,  et  entouré  de  figu- 
res aussi  ignobles  que  la  sienne ,  ce  serait  là  le  Fils  de  Dieu 
avec  les  douze  pêcheurs  qui  lui  ont  conquis  le  monde?  Quoi  ! 
ce  médecin  juif  qui  semble  demander  le  salaire  de  ses  visi- 
tes,  c'est  Jésus  ressuscitant  la  jeune  fille  de  Jaïre2?  Cet 
homme  nu  qui  prêche  d'un  air  goguenard  à  un  auditoire  de 
gamins  de  Paris ,  c'est  le  précurseur  martyr  annonçant  la 
venue  du  Sauveur 5  ?  Ces  demoiselles  prétentieuses ,  ces  pe- 
tites maîtresses  affectées ,  dont  le  front  n'a  jamais  réfléchi 
que  des  vanités  frivoles  ou  des  passions  impures ,  ce  sont  là 
nos  vierges  martyres,  nos  Catherine,  nos  Cécile,  nos  Agnès, 
nos  Philomène?  Cette  femme  échevelée,  effrontée,  à  l'œil 
ardent ,  au  vêtement  impudique ,  c'est  la  première  des  sain- 
tes ,  l'amie  du  Christ ,  Madeleine  ?  Ces  autres  femmes  aux 
formes  grossièrement  matérielles ,  à  la  robe  transparente , 
ce  sont  là  les  symboles  de  la  religion  et  de  la  foi4?  Cette  sé- 
rie de  scènes  fantasmagoriques ,  où  je  reconnais  sous  des  ha- 

1  On  sait  que  l'on  suivait  l'usage  contraire  dans  toutes  les  cruci- 
fixions peintes  ou  sculptées  dans  les  âges  chrétiens.  Un  exemple  frap- 
pant se  voit  dans  le  magnifique  bas-relief  de  la  chaire  du  baptistère 
de  Pise,  où  Nicolas  de  Pise ,  père  de  la  sculpture  chrétienne ,  a  re- 
présenté N.-S.  les  bras  étendus  horizontalement,  comme  pour  em- 
brasser l'humanité  tout  entière  dans  sa  rédemption. 

2  Voyez  un  tableau  peint  par  M.  Delorme  derrière  le  maître -autel 
de  Saint-Roch,  à  droite. 

3  Voyez  un  autre  tableau  qui  représente  la  prédication  de  saint 
Jean-Baptiste,  peint  par  M.  E.  Champmartin ,  et  placé  nouvellement 
dans  la  même  église.  M.  l'abbé  Beuzelin,  curé  de  la  Madeleine,  avait 
eu  le  bon  esprit  d'expulser  de  son  église  cette  caricature  déplorable. 

4  Voyez  les  deux  figures  destinées  au  bénitier  de  la  Madeleine,  de 
M.  Anlonin  Moine,  exposées  au  salon  de  1836. 


—  170  — 

bits  d'emprunt  et  dans  des  attitudes  de  théâtre  ,  les  figures 
que  je  rencontre  chaque  jour  dans  les  rues,  c'est  là  l'histoire 
de  notre  religion  '  ?  Ces  Romains  en  toge ,  ces  gladiateurs 
nus,  ces  modèles  complaisans  de  raccourci,  ces  déclamateurs 
barbus ,  tous  taillés  sur  le  même  patron ,  et  dont  je  ne  puis 
deviner  les  noms  qu'avec  l'aide  du  suisse  ou  du  bedeau ,  ce 
sont  là  les  saints  dont  autrefois  des  attributs  distincts  et  tous 
empreints  d'une  poésie  sublime  rendaient  les  noms  chers  et 
familiers,  même  aux  moindres  enfans? 

Quoi!  enfin,  cette  matrone  païenne,  cette  Junon  ressus- 
citée ,  cette  Vénus  habillée ,  cette  image  trop  fidèle  d'un 
impur  modèle ,  ce  serait  là ,  pour  comble  de  profanation ,  la 
très  sainte  Vierge,  la  mère  du  divin  amour  et  de  la  céleste 
pureté ,  l'emblème  adorable  qui  suffit  à  lui  seul  pour  creuser 
un  abîme  infranchissable  entre  le  Christianisme  et  toutes  les 
religions  du  monde ,  l'idéal  qui  évoque  sans  cesse  l'artiste 
vraiment  chrétien  à  une  hauteur  où  nul  autre  ne  saurait  le 
suivre  ?  Quoi ,  vraiment ,  c'est  là  Marie  !  Mais ,  dites-moi ,  je 
vous  en  supplie ,  quels  sont  donc  les  profanes  qui  ont  envahi 
tous  nos  sanctuaires ,  et  qui  consommant  le  sacrilège  sous 
la  forme  de  la  dérision  et  du  ridicule ,  pour  mieux  flétrir  la 
vieille  religion  de  la  France  ,  ont  intronisé  le  matériel ,  le 
grotesque  et  l'impur ,  sur  les  autels  de  l'Esprit-Saint ,  des 
martyrs  et  de  la  sainte  Vierge? 

Et  que  l'on  ne  croie  point  que  ces  profanateurs ,  quels 
qu'ils  soient ,  ont  borné  leurs  envahissemens  aux  églises  des 
grandes  villes.  Nous  l'avons  déjà  dit ,  il  n'y  a  point  de  pa- 
roisse de  campagne  où  ils  n'aient  pénétré ,  et  où  ils  n'aient 
tout  souillé.  Il  n'est  point  d'église  de  village  où ,  après  avoir 
détruit  les  saintes  images  d'autrefois ,  défoncé  ou  bouché 
les  vestiges  de  l'architecture  symbolique,  badigeonné  le 

•  Voyez  la  plupart  des  fresques  de  Notrc-Dame-de-Lorette ,  de 
«elles  du  moins  qui  sont  découvertes  eu  ce  moment. 


—  171   — 

temple  tout  entier,  ils  n'aient  exposé  aux  regards  de  la  foule 
désorientée  une  masse  d'images  qui  ne  sauraient  être  qu'un 
objet  de  profonde  ignorance  pour  les  simples,  de  mépris  pour 
les  incrédules ,  de  scandale  pour  des  fidèles  instruits.  Trop 
heureuse  encore  la  pauvre  paroisse ,  si,  dans  la  ferveur  d'un 
zèle  plus  funeste  mille  fois  que  celui  des  iconoclastes ,  on  n'a 
pas  fait  disparaître  la  vieille  madone  de  bois  brun  ou  de  cire, 
habillée  de  robes  empesées  en  mousseline  rose  ou  blanche , 
avec  une  couronne  de  fer-blanc  sur  la  tête,  mais  que  le  peu- 
ple préfère  avec  raison ,  parce  que ,  malgré  la  simplicité 
grossière  de  l'image  ,  il  n'y  a  là  du  moins  aucune  insulte  à 
la  morale  ni  au  sentiment  chrétien.  On  sait  que  dernière- 
ment le  curé  de  Notre-Dame-de-Cléry  ayant  voulu  enlever 
la  madone  séculaire  qui  se  vénère  à  ce  lieu  de  pèlerinage , 
pour  la  remplacer  par  quelque  chose  de  plus  frais ,  le  peu- 
ple s'est  révolté  contre  cette  exécution ,  et  il  s'en  est  suivi 
un  procès  correctionnel  où  l'on  a  vu  l'étrange  spectacle  d'une 
population  qualifiée  $  ignorante  et  de  fanatique ,  obligée 
de  défendre  les  vieux  objets  de  son  amour  et  de  son  culte 
contre  le  goût  moderne  de  son  pasteur. 

C'est  que ,  dans  ce  système  de  profanation  méthodique , 
tout  se  tient  avec  une  impitoyable  logique  ;  le  laid  a  tout  en- 
vahi ;  il  a  souillé  jusqu'aux  derniers  recoins  où  pouvait  en- 
core se  cacher  le  symbolisme  catholique.  Il  règne  partout  en 
maître ,  depuis  les  énormes  croûtes  qui  viennent  chaque  an- 
née, après  l'exposition,  déshonorer  les  murs  de  nos  églises, 
masquer  et  défigurer  leurs  lignes  architecturales  \  jusqu'aux 
petites  images  que  l'on  vend  aux  prêtres  pour  en  garnir  leurs 

1  Qu'on  entre  pour  un  instant  seulement  à  Saint-Germain-des-Prés 
ou  à  Saint-Etienne-du-Mont,  et  l'on  verra  quel  genre  de  services  la 
peinture  moderne  sait  rendre  à  l'architecture  chrétienne.  Et  cepen- 
dant on  assure  que  le  clergé  de  Saint-Germain-des-Prés  est  jaloux  de 
ce  que  son  église  n'est  pas  encore  tout-à-fait  aussi  déguisée  par  cette 
mascarade  en  peinture  ,  que  Test  Saint-Etieune-du-Mont! 


—  172  — 

bréviaires  modernisés  aussi  comme  tout  le  reste  ',  jusqu'à 
ce  prétendu  bonnet  carré  dont  on  les  coiffe  quand  ils  mon- 
tent en  chaire  ou  conduisent  un  mort  à  sa  dernière  demeure, 
espèce  d'éteignoir  dont  je  ne  sais  quelle  liberté  de  l'église 
gallicane  semble  réserver  le  privilège  exclusif  au  clergé 
français a. 

Voilà  donc  jusqu'où  est  tombé  cet  art  divin  ,  enfanté  par 
le  Catholicisme  et  porté  par  lui  au  plus  haut  point  de  splen- 
deur qu'aucun  art  ait  jamais  atteint  !  cet  art  créé  et  propagé 
dans  le  monde  chrétien  par  tant  de  grands  papes  et  de  saints 
évêques  ;  cet  art  dont  les  Agricole ,  les  Avit,  les  Martin ,  les 
Nicaise ,  et  tant  d'autres  pontifes  français ,  avaient  légué  à 
leurs  successeurs  le  dépôt  sacré  en  même  temps  que  le  sou- 
venir de  leur  sainteté  et  de  leur  noble  grandeur  ;  cet  art  si 
populaire ,  si  aimé ,  si  généreux ,  qui  avait  mis  les  talens  les 
plus  purs  et  les  plus  dévoués  au  service  de  l'intelligence  des 
pauvres  et  des  humbles  ,  qui  avait  peuplé  jusqu'aux  moin- 
dres villages  de  trésors  inimitables ,  et  porté  jusqu'au  fond 
des  déserts  et  des  forêts  inhabitables  le  magnifique  témoi- 
gnage de  la  fécondité  et  de  la  beauté  du  Catholicisme  :  voilà 
donc  ce  qu'il  est  devenu  avec  la  permission  du  clergé  mo- 
derne î  Ces  peintres  vraiment  chrétiens  des  vieilles  écoles 

»  Nous  devons  faire  une  exception  en  faveur  des  images  récemment 
publiées  par  M.  Langlois  ;  on  pourrait  y  désirer  quelque  chose  de  plus 
mystique,  de  plus  intime,  mais  la  tendance  en  est  bonne. 

a  A  Rome  et  partout  ailleurs  dans  le  monde  catholique,  les  prêtres 
ont  pour  coiffure  un  véritable  bonnet  carré  à  quatre  pans ,  d'une 
forme  à  la  fois  digne  et  gracieuse ,  absolument  semblable ,  sauf  la 
couleur,  à  la  barrette  des  cardinaux.  Il  en  était  de  même  en  France 
avant  Louis  XIV.  Qu'on  n'accuse  pas  ces  observations  de  minuties  ; 
dans  le  symbolisme  chrétien ,  dont  le  vêtement  sacerdotal  est  une 
partie  si  essentielle ,  il  n'y  a  rien  d'insignifiant.  Les  moindres  détails 
étaient  liés  aux  œuvres  les  plus  grandioses  sous  le  règne  de  la  beauté 
et  de  la  vérité  ,  et  malheureusement  ils  le  sont  encore  sous  le  règne 
du  laid  et  du  profane. 


—  173  — 

d'Italie  et  d'Allemagne ,  ces  hommes  qui  puisaient  toutes 
leurs  inspirations  dans  le  ciel  ou  dans  des  émotions  épurées 
par  la  piété  la  plus  sincère  ,  ces  humbles  génies ,  dont  cha- 
que coup  de  pinceau  était,  on  peut  le  dire  sans  crainte ,  un 
acte  de  foi ,  d'espérance  et  d'amour ,  ces  admirables  auxiliai- 
res de  la  ferveur  chrétienne ,  ces  prédicateurs  puissans  de 
l'amour  des  choses  d'en  haut ,  c'est  donc  en  vain  qu'ils  ont 
travaillé ,  puisque ,  relégués  dans  les  galeries  des  princes,  où 
ils  sont  confondus  le  plus  souvent  avec  tout  ce  que  l'art  a 
produit  de  plus  impur  et  de  plus  dégradé ,  ils  voient  la  place 
qu'ils  ambitionnaient,  sur  les  autels  où  leurs  frères  viennent 
prier ,  usurpée  par  d'effrontés  parodistes ,  sans  qu'aucune 
main  sacerdotale  vienne  jamais  purifier  le  sanctuaire  de  ces 
souillures.  On  l'a  dit  avec  une  cruelle  vérité;  il  y  a  beau- 
coup d'églises  qui  n'ont  pas  été  atteintes  par  les  mutilations 
iconoclastes  des  huguenots ,  il  y  en  a  beaucoup  qui  ont 
échappé  à  la  rage  des  vandales  de  la  terreur ,  mais  il  n'y  en 
a  pas  une  seule  en  France ,  quelle  que  soit  sa  majesté  ou  sa 
petitesse ,  pas  une  seule  qui  ait  échappé  aux  profanations 
que  commettent,  depuis  trois  siècles,  des  architectes  et  des 
décorateurs  soldés ,  encouragés ,  ou  du  moins  tolérés  par  le 
clergé.  Et  cependant ,  dans  ces  églises  où  il  n'y  a  pas  une 
pierre  qui  ne  porte  l'empreinte  du  paganisme  régénéré,  pas 
un  ornement  qui  ne  témoigne  du  triomphe  de  la  rocaille  du 
-dix-huitième  siècle  ou  du  classicisme  païen  du  dix-septième, 
on  entend  souvent  des  prédicateurs  vanter  du  haut  de  la  chaire 
les  services  rendus  par  la  religion  à  l'art ,  sans  s'apercevoir 
même  que  la  religion  a  été  honteusement  expulsée  de  l'art 
jusque  dans  le  temple  où  ils  parlent.  On  voit  chaque  jour  des 
apologistes  de  la  religion,  dissertant  sur  le  même  thème,  avec 
l'ignorance  la  plus  inexcusable  ou  la  plus  plaisante  confusion, 
oublier  les  noms  des  artistes  qui  ont  le  plus  honoré  la  religion, 
ou  bien  ne  les  citer  que  pour  les  confondre  avec  ceux  qui  ne 
se  sont  servi  des  sujets  religieux  que  pour  populariser  la  vie- 


—   illx  — 

toire  de  la  chair  sur  l'esprit.  Fra  Angelico  avec  Titien , 
Giotto  avec  les  Carraches ,  Van-Eyck  avec  Rubens ,  et  le  pur 
et  pieux  Raphaël  du  Sposalizio  et  de  la  Dispute  du  Saint- 
Sacrement  avec  ce  Raphaël  dégénéré  qui  n'avait  plus  pour 
modèle  que  la  boulangère  dont  il  avait  fait  sa  maltresse. 

Toutefois  n'accusons  pas  seulement  le  clergé  français; 
ceux  d'Italie  et  d'Espagne  ont  été  aussi  loin  que  lui  :  celui 
d'Allemagne  a  été  plus  loin  encore ,  mais  il  a  le  bon  esprit 
de  sentir  aujourd'hui  son  erreur,  et  de  revenir  avec  empres- 
sement aux  types  chrétiens  *.  N'accusons  pas  même  le  clergé 
en  général,  si  ce  n'est  du  tort  d'avoir  subi  trop  servilement 
le  joug  des  artistes  dégénérés  qui  ont  brisé  le  fil  de  la  tra- 
dition chrétienne  ;  et  pendant  long-temps  il  n'y  en  a  point 
eu  d'autres.  Accusons  surtout  ces  artistes  et  leurs  succes- 
seurs ,  obligés  par  état  d'étudier  les  différentes  phases  de 
l'art  religieux ,  d'avoir  volontairement  répudié  la  beauté  et 


1  Pour  s'en  convaincre ,  on  n'a  qu'à  visiter  la  cathédrale  de  Fri- 
bourg  en  Brisgau,  à  deux  pas  du  Rhin.  On  y  verra  quel  goût  pur  et 
excellent  préside  aux  réparations  et  à  l'entretien  de  cette  magnifique 
et  si  complète  église.  Que  si,  en  revenant,  on  passe  par  Strasbourg,  et 
que  l'on  jette  un  coup  d'œil  sur  le  chœur  de  cette  cathédrale ,  on 
verra  quel  abîme  sépare  la  France  de  l'Allemagne  sous  le  rapport  de 
l'intelligence  de  l'art  chrétien.  Mgr.  Geissel ,  nouvellement  élevé  à 
Tévêché  de  Spire,  s'est  fait  un  nom  en  Allemagne  par  l'histoire  de  sa 
cathédrale,  et  dans  son  mandement  d'installation,  il  a  pris  pour  sujet 
la  beauté  et  le  sens  symbolique  de  cette  célèbre  église ,  dont  il  est 
aujourd'hui  le  premier  pasteur.  Le  Dr  Milner ,  vicaire  apostolique  en 
Angleterre,  et  si  connu  par  ses  écrits  de  controverse,  avait  acquis  une 
véritable  popularité  scientifique  par  son  excellente  histoire  de  la  ca- 
thédrale de  Winchester.  11  était  beau  de  voir  un  prélat  catholique 
consacrer  sa  plume  et  sa  science  à  Y  illustration  d'une  de  ces  grandes 
créations  de  l'ancienne  foi ,  où  ses  prédécesseurs  avaient  célébré  les 
pompes  catholiques,  mais  dont  les  portes  sont  fermées  aux  fidèles 
d'aujourd'hui  par  l'hérésie  usurpatrice.  Ce  sont  là  de  nobles  exem- 
ples que  nous  ne  craignons  pas  de  proposer  au  clergé  de  France. 


—  175  — 

la  pureté  des  anciens  modèles,  pour  affubler  les  sujets  chré- 
tiens d'un  vêtement  emprunté  tour  à  tour  à  l'anatomie  sa- 
vante du  paganisme,  ou  à  la  coquetterie  débauchée  du  temps 
de  Louis  XV.  Accusons  les  princes  et  les  grands  seigneurs 
des  trois  derniers  siècles ,  qui  n'ont  eu  que  trop  d'encoura- 
gemens  pour  ces  sacrilèges ,  et  trop  de  galeries  pour  y  dé- 
poser leurs  produits.  Nous  n'oublierons  jamais  un  tableau 
que  nous  avons  vu  à  la  galerie  des  anciens  électeurs  de  Bavière 
à  Schleissheim ,  près  Munich ,  que  nous  citerons  comme  le 
type  de  ce  que  nous  appelons  le  genre  profanateur;  c'est 
une  Madeleine  peinte  par  je  ne  sais  plus  quel  peintre  fran- 
çais du  dix-huitième  siècle  :  cette  Madeleine  est  nue  et  sans 
autre  parure  que  ses  cheveux ,  lesquels  sont  poudrés.  Le 
guide  vous  dit  d'un  ton  sentimental  que  l'artiste  a  eu  sa 
femme  pour  modèle.  Aujourd'hui,  on  ne  met  plus  de  poudre 
aux  Vierges  et  aux  Madeleines ,  parce  que  ce  n'est  plus  la 
mode  ;  mais  on  leur  met  des  féronnières  et  des  bandeaux , 
parce  que  l'on  en  voit  aux  femmes  du  monde ,  au  dessus 
desquelles  la  pensée  du  peintre  n'a  jamais  su  s'élever.  On 
ne  déshabille  pas  une  sainte ,  parce  qu'après  tout  on  veut 
que  son  tableau  puisse  être  acheté  par  le  gouvernement 
pour  telle  ou  telle  église  ;  mais  l'accoutrement  qu'on  lui 
donne,  la  tenue  et  le  regard  qu'on  lui  prête,  ne  sont  guère 
plus  décens  ni  plus  édifians  que  la  nudité  complète  de  la 
Madeleine  de  Schleissheim. 

L'antiquité  païenne ,  que  nous  admirons  volontiers  chez 
elle  et  dans  certaines  limites ,  mais  dont  nous  repoussons 
avec  horreur  l'influence  sur  nos  mœurs  et  notre  société 
chrétienne ,  l'antiquité  était  au  moins  conséquente  dans  les 
symboles  qu'elle  nous  a  laissés  de  ses  dieux  et  de  ses  croyan- 
ces. Ces  symboles  sont  tout-à-fait  d'accord  avec  les  récits 
de  ses  prêtres  et  de  ses  poètes.  Jamais  elle  n'a  imaginé  de 
faire  de  son  Jupiter  une  victime ,  de  son  Bacchus  un  dieu 
mélancolique ,  de  sa  Vénus  une  vierge  pudique  et  pieuse. 


—  176  — 

11  était  réservé  aux  chrétiens ,  aux  catholiques ,  de  trouver 
le  secret  de  la  profanation  dans  rinconséquence,  d'emprun- 
ter aux  doctrines  pulvérisées  et  flétries  à  jamais  par  le  Chris- 
tianisme les  types  de  leurs  constructions  et  de  leurs  images 
religieuses ,  d'édifier  l'église  du  Crucifié  sur  le  plan  du  tem- 
ple de  Thésée  ou  du  Panthéon ,  de  métamorphoser  Dieu  le 
père  en  Jupiter,  la  sainte  Vierge  en  Junon  ou  en  Vénus  ha- 
billée ,  les  martyrs  en  gladiateurs ,  les  saintes  en  nymphes , 
et  les  anges  en  amours  ! 

Est-ce  à  dire  qu'il  faille  asservir  toutes  les  œuvres  d'art 
religieux  à  un  joug  uniforme?  qu'il  faille  passer  le  niveau 
impitoyable  d'un  type  unique,  comme  celui  de  Byzance,  sur 
tous  les  fruits  de  l'imagination  et  de  l'inspiration  consacrée 
par  la  foi?  Il  n'en  est  rien  :  l'art  vraiment  religieux  ne  re- 
pousse que  le  contre-sens,  mais  il  le  repousse  énergiquement  ; 
il  a  horreur  de  l'envahissement  du  païen  dans  le  chrétien , 
de  la  matière  et  de  la  chair  dans  le  royaume  de  la  pureté 
et  de  l'esprit.  Il  veut  la  liberté,  mais  la  liberté  avec  l'ordre  ; 
il  veut  la  variété,  mais  la  variété  dans  l'unité,  loi  éter- 
nelle de  toute  grandeur  et  de  toute  beauté.  Mais  au  lieu  de 
longues  explications  théoriques,  citons  des  noms  et  des 
faits  ;  c'est  le  plus  sûr  moyen  de  montrer  combien  le  génie 
catholique  sait  être  fécond  et  varié  ,  sans  jamais  manquer 
aux  conditions  de  sainteté  et  de  pureté  qui  le  constituent. 
Dira-t-on  qu'il  y  a  uniformité  entre  une  cathédrale  romane 
et  une  cathédrale  ogivale ,  entre  Saint-Sernin  de  Toulouse 
et  Saint-Ouen  de  Rouen ,  entre  la  cathédrale  de  Mayence 
et  celle  de  Milan ,  et  pour  ne  pas  sortir  de  Paris ,  entre 
Saint-Germain-des-Prés  et  l'intérieur  de  Saint-Eustache? 
Non  certes ,  et  cependant  tous  ces  édifices  répondent  égale- 
ment à  l'idée  légitime  et  naturelle  d'une  église  chrétienne  ; 
tandis  qu'il  y  a  répulsion  complète  et  profonde  entre  cette 
idée  et  des  anachronismes  comme  la  Madeleine  et  Notre- 
Dame-de-Lorette.  Est-ce  que  les  bas-reliefs  d'André  de  Pise 


—  177   — 

au  baptistère  de  Florence ,  ceux  des  tombeaux  de  saint  Au- 
gustin à  Pavie  et  de  saint  Pierre  martyr  à  Milan ,  le  Juge- 
ment dernier  au  grand  portail  de  Notre-Dame  de  Paris , 
ou  les  saintes  exqujses  de  la  Frauenkirche  à  Nuremberg , 
sont  taillés  sur  le  même  modèle  ?  Non ,  certes ,  ces  pierres 
toutes  vivantes  par  la  foi  et  le  génie  qui  les  anime ,  ne  se 
ressemblent ,  ni  par  la  disposition  des  sujets ,  ni  par  l'ex- 
pression, ni  par  l'agencement,  mais  uniquement  par  ce  sen- 
timent de  pudeur ,  de  grâce  et  de  dignité  que  le  dogme  de 
la  réhabilitation  de  l'homme  donne  à  toutes  ses  idées  :  tan- 
dis que  la  fameuse  vierge  de  Brydone  à  Chartres ,  et  le  fa- 
meux tombeau  du  maréchal  de  Saxe  à  Strasbourg  ne  sau- 
raient commémorer  que  l'emphase  et  la  prétention  d'un  siècle 
corrompu.  Qu'y  a-t-il  de  commun  entre  la  madone  vraiment 
divine  de  Van-Eyck  à  Gand ,  et  celles  de  Francia  et  du  Pé- 
rugin  ;  entre  les  délicieuses  miniatures  de  Hemling  sur  le 
reliquaire  de  Sainte-Ursule  à  Bruges  et  celles  de  Fra  Ange- 
lico  sur  les  reliquaires  de  Santa-Maria-Novella  à  Florence  ; 
entre  les  graves  et  grandioses  fresques  de  la  primitive  école 
florentine  et  celles  si  pures  et  si  majestueuses  de  Luini  ou 
de  Raphaël  avant  sa  chute?  Ce  n'est  certes  ni  Je  coloris ,  ni 
le  dessin ,  ni  les  types  choisis ,  rien  en  un  mot ,  si  ce  n'est 
une  égale  fidélité  à  l'idée  chrétienne,  et  ce  merveilleux  effet 
également  produit  sur  Pâme  par  tous  ces  différens  chefs- 
d'œuvre.  Entraînée  par  eux  vers  le  ciel ,  elle  est  plongée 
dans  cette  sorte  d'extase  mystérieuse  qu'aucune  parole  ne 
saurait  rendre,  et  qui  ne  laisse  à  l'admiration  d'autre  res- 
source que  de  dire  comme  le  Dante,  au  souvenir  des  délices 
du  paradis . 

Perch'io  lo'ngegno  e  Farte  e  I'iko  chiami , 
Si  nol  direi,  che  mai  s'imraaginasse  ; 
Ma  creder  puossi  et  di  veder  si  brami. 

Que  l'on  ne  croie  pas  non  plus  que  cette  fidélité  à  la  pensée 

12 


—  178  — 

chrétienne  doive  dépendre  exclusivement  d'une  époque  spé- 
ciale ,  d'une  organisation  unique  de  la  société ,  et  que  la 
nôtre  en  soit  déshéritée.  A  côté  de  ces  exemples  qui  datent 
des  écoles  primitives ,  on  peut  citer  à  juste  titre  l'admirable 
école  contemporaine  d'Allemagne ,  je  veux  dire  celle  d'O- 
verbeck  et  de  ses  nombreux  disciples ,  si  peu  connue  en 
France ,  où  l'on  se  croit  cependant  le  droit  de  porter  sur 
elle  les  jugemens  les  plus  bizarres ,  parce  qu'on  a  vu  deux 
ou  trois  tableaux  de  l'école  de  Dusseldorf  qui  ne  lui  ressem- 
ble en  rien.  Eh  bien  !  tous  ceux  qui  ont  vu  et  compris  des 
tableaux  ou  des  dessins  d'Overbeck,  ne  pourront  s'empêcher 
de  reconnaître  qu'il  n'y  a  là  aucunement  copie  des  anciens 
maîtres ,  mais  bien  une  originalité  puissante  et  libre ,  qui  a 
su  mettre  au  service  de  l'idée  catholique  tous  les  perfec- 
tionnemens  modernes  du  dessin  et  de  la  perspective  ignorés 
des  anciens.  L'àme  la  mieux  disposée  à  la  poésie  mystique 
n'en  est  pas  moins  complètement  satisfaite,  comme  devant 
le  chef-d'œuvre  le  plus  suave  des  anciens  jours ,  et  l'intelli- 
gence la  plus  revêche  est  forcée  de  convenir  qu'il  y  a  même 
de  notre  temps  la  possibilité  de  renouer  le  fil  des  traditions 
saintes ,  et  de  fonder  une  école  vraiment  religieuse ,  sans 
remonter  le  cours  des  âges  et  sans  cesser  d'être  de  ce  siècle. 
Il  est  triste  que  l'Allemagne  puisse  s'attribuer  à  elle  seule 
la  gloire  de  cette  véritable  et  salutaire  renaissance.  Il  est 
triste  que  la  Belgique ,  par  exemple ,  où  il  y  a ,  comme  en 
France,  tant  déjeunes  talens,  qui  a  produit,  au  quinzième  siè- 
cle, une  école  si  chrétienne,  si  pure,  et  la  première  de  toutes 
par  le  coloris ,  celle  de  Van-Eyck ,  de  Hemling ,  de  Roger 
Van  de  Weyde,  de  Schoreel,  s'obstine  aujourd'hui  à  ne  voir 
dans  son  brillant  passé  que  l'école  charnelle  et  grossière- 
ment matérialiste  de  Rubens  et  de  Jordaens.  Il  est  triste  que 
la  France  n'ait  pas  revendiqué  l'initiative  de  cette  glorieuse 
réaction  en  faveur  du  bon  sens  et  du  bon  droit.  Heureuse- 
ment il  est  aujourd'hui  constaté  que  cette  réaction  s'est 


—  179  — 

étendue  jusqu'à  elle,  et  que  parmi  nous  une  foule  de  nobles 
cœurs  d'artistes  palpitent  du  désir  de  secouer  le  joug  du 
matérialisme  païen.  Ils  aspirent,  pour  l'art  auquel  ils  ont 
dévoué  leur  vie.,  à  des  destinées  plus  élevées  que  celles  qui 
lui  sont  promises  par  les  arbitres  usurpateurs  de  la  critique 
moderne.  Il  est  donc  permis  d'espérer  que  nous  verrons 
enfin  s'élever  une  école  de  peinture  chrétienne  dans  cette 
France,  qui,  depuis  les  enlumineurs  de  nos  vieux  missels , 
n'a  pas  compté  un  seul  peintre  religieux,  sauf  le  seul  Le- 
sueur,  venu  du  reste  à  une  époque  qui  rend  sa  gloire  dou- 
blement belle.  De  la  peinture ,  cette  révolution  heureuse  se 
communique  et  se  communiquera  chaque  jour  davantage 
aux  deux  autres  branches  de  l'art.  Nous  ne  voulons  blesser 
aucune  modestie,  ni  entourer  d'éloges  prématurés  des  efforts 
qui  aboutiront  plus  tard  à  une  couronne  populaire  et  méri- 
tée; mais  à  côté  des  œuvres  si  accomplies  et  si  heureusement 
inspirées  de  MM.  Orsel  et  Signol,  en  peinture  ',  à  côté  des 
monumens  de  mademoiselle  de  Fauveau ,  si  parfaits ,  mais 
jusqu'à  présent  trop  rares  et  trop  étrangers  à  la  religion, 
nous  ne  pouvons  nous  défendre  de  signaler  les  excellens 


»  Avec  M.  Orsel,  il  est  juste  de  citer  MM.  Périn  et  Roger,  chargés 
comme  lui  de  la  décoration  à  fresque  des  chapelles  du  baptême ,  du 
mariage  et  de  la  sainte  Vierge  à  Notre-Dame-de-Lorelte.  Ils  ont 
lutté  courageusement  ensemble  pendant  les  mauvais  jours  ;  et  nous 
avons  la  confiance  que  le  moment  où  le  public  sera  appelé  à  juger 
leurs  œuvres ,  signalera  une  nouvelle  époque  pour  l'art  religieux ,  en 
même  temps  que  les  âmes  chrétiennes  auront  quelques  moyens  de 
se  consoler  des  profanations  de  tout  genre  étalées  dans  cette  pré- 
tendue église. 

Nous  pouvons  aussi  nommer  M.  Hauser ,  car ,  quoique  étranger 
par  sa  naissance  à  la  France,  il  lui  consacre  ses  études.  La  sympathie 
du  public  pour  son  tableau  exposé  à  Saint-Roch ,  a  dû  le  dédomma- 
ger suffisamment  des  incroyables  dédains  d'un  jury  qui  a  eu  le  mal- 
heur d'être  répudié  par  M.  Delaroche  et  M.  Vernet. 


—  180  — 

oommencemens  de  MM.  Bion  et  Duseigneur,  en  sculpture, 
et  les  travaux  d'architecture  si  patiens,  si  savans  et  si  régé- 
nérateurs de  MM.  Lassus,  Durand  et  Louis  Piel  \  Chaque 
année  fortifie  les  dévouemens  anciens  et  fait  éclore  des  voca- 
tions nouvelles  pour  la  régénération  de  l'art  religieux  ;  et 
le  jour  viendra  peut-être  bientôt  où  l'on  verra  une  phalange 
serrée  marcher  au  combat  et  à  la  victoire  sur  les  vieux  pré- 
jugés et  les  nouvelles  aberrations  qui  dominent  l'art  actuel. 
Mais  les  obstacles  sont  nombreux ,  les  ennemis  sont  achar- 
nés ;  la  lutte  sera  longue  et  pénible.  Constatons  seulement 
que  cette  lutte  existe  ;  car,  dans  le  fait  seul  de  son  existence, 
il  y  a  un  progrès  incalculable  sur  l'époque  de  la  Restaura- 
tion et  un  germe  fécond  de  conquêtes  pour  l'avenir.  Il  faut, 
du  reste,  nous  habituer  à  regarder  en  face  nos  adversaires, 
à  les  compter  et  surtout  à  peser  leur  valeur.  C'est  pourquoi 
il  ne  sera  peut-être  pas  hors  de  propos  de  faire  ici  une  briève 
énumération  des  différentes  catégories  d'adversaires  que 


»  Nous  renvoyons  nos  lecteurs  au  bénitier  modelé  par  M.  Bion  pour 
l'église  de  Saint-Eustache ,  ainsi  qu'à  sa  chaire  destinée  à  l'église  de 
Brou;  au  groupe  de  l'archange  saint  Michel,  vainqueur  de  Satan,  et 
à  la  statue  de  Dagobert,  par  M.  Duseigneur,  qui  est  destinée  au  mu- 
sée de  Versailles.  M.  Piel  a  publié  dans  l'Européen  un  voyage  archi- 
tectural en  Allemagne,  dont  nous  n'adoptons  pas  toutes  les  conclu- 
sions, mais  qui  est  la  première  œuvre  sérieuse  sur  cette  matière.  M.  Hip- 
polyte  Durand  a  exposé  de  savantes  et  consciencieuses  études  sur 
Notre -Dame-de-1'Épine  et  Saint-Remy  de  Reims.  Il  est  chargé  de 
la  restauration  de  cette  dernière  église,  et  s'acquitte  de  cette  mission 
importante  à  la  satisfaction  de  tous  les  amis  de  l'art  historique. 
Enfin,  les  travaux  de  restauration  de  la  Sainte-Chapelle  et  du  prieuré 
de  Saint -Martin -des -Champs  à  Paris,  ont  assez  fait  connaître 
M.  Lassus,  qui  vient  d'être  chargé  par  le  gouvernement,  en  même 
temps  que  M.  Amaury  Duval,  d'une  monographie  de  la  cathé- 
drale de  Chartres ,  dont  les  premiers  travaux  surpassent  en  exacti- 
tude ,  en  beauté  et  en  intelligence ,  tout  ce  que  nous  connaissons  en 
ce  genre. 


—  181  — 

nous  avons  à  redouter  ou  à  combattre  ;  je  ne  crains  pas  de 
dire  nous ,  parce  qu'il  y  a  certes  entre  ceux  qui  travaillent 
pour  la  réhabilitation  d'une  cause  immortelle  et  ceux  qui 
jouissent  du  fruit  de  leurs  généreux  efforts ,  une  union  de 
cœur  et  d'âme  assez  intime  pour  justifier  la  solidarité  des 
espérances  et  des  inimitiés. 

Posons  en  premier  lieu,  non  pas  comme  les  plus  redouta- 
bles ,  mais  comme  les  plus  nombreux  et  les  plus  aptes  à  se 
laisser  confondre  par  une  portion  du  public  avec  les  hommes 
du  progrès ,  posons  les  hommes  de  la  mode,  de  cette  mode; 
ignoble  parodie  de  l'art,  et  qui  en  est  la  mortelle  ennemie; 
de  cette  mode  qui  a  mis  le  gothique  en  encriers  et  en  écrans, 
qui  daigne  assigner  aux  produits  de  l'art  chrétien  une  place 
dans  ses  préférences ,  à  côté  des  pendules  de  Boule  et  des 
bergères  en  porcelaine  du  temps  de  Louis  XV;  de  cette 
mode  enfin  qui  inspire  à  un  certain  nombre  de  peintres  des 
tableaux  où  les  mœurs  et  les  croyances  du  moyen  âge  sont 
représentées  avec  autant  de  fidélité  que  dans  cette  foule  de 
pitoyables  romans  qui  inondaient  naguère  notre  littérature. 
Heureusement  le  bon  sens  public  a  déjà  fait  justice  de  ces 
charges  du  moyen  âge,  de  cette  prétendue  étude  du  passé, 
sans  goût,  sans  science  et  sans  foi.  La  mode  du  gothique  est 
à  la  veille  d'être  enterrée  ;  et  les  pieux  efforts  des  hommes 
qui  se  sont  dévoués  à  l'œuvre  de  la  régénération ,  seront 
bientôt  à  l'abri  d'une  confusion  humiliante  avec  l'exploi- 
tation de  ceux  qui  spéculent  sur  la  vogue  et  sur  toutes  les 
débauches  de  l'esprit. 

Est-ce  la  seconde  ou  bien  la  dernière  place  qu'il  faut  assi- 
gner aux  théoriciens  et  aux  praticiens  du  vieux  classicisme  ? 
S'il  fallait  ne  tenir  compte  que  de  la  valeur  ,  de  l'influence 
ou  de  la  popularité  de  leurs  œuvres  et  de  leurs  doctrines , 
en  vérité ,  ce  ne  serait  que  pour  mémoire  qu'on  aurait  le 
droit  de  les  mentionner.  Mais ,  puisqu'ils  occupent  toutes  les 
positions  officielles ,  puisqu'ils  ont  à  peu  près  le  monopole  de 


—  182  — 

l'influence  gouvernementale ,  puisqu'ils  s'y  sont  constitués 
comme  dans  une  citadelle  d'où  ceux  qui  font  quelque  chose 
se  vengent  de  la  réprobation  générale  qui  s'attache  à  leurs 
œuvres,  en  repoussant  opiniâtrement  les  talens  qui  ont  brisé 
leur  joug ,  et  d'où  ceux  qui  ne  font  rien  s'efforcent  d'empê- 
cher que  d'autres  ne  puissent  faire  plus  qu'eux-mêmes  ;  puis- 
que surtout  ils  ont  encore  la  haute  main  sur  tous  les  trésors 
de  l'État  consacrés  à  l'éducation  de  la  jeunesse  artiste ,  il  ne 
faut  jamais  se  lasser  de  les  attaquer ,  de  battre  en  brèche 
cette  suprématie  qui  est  une  insulte  à  la  France  ,  jusqu'à  ce 
que  l'indignation  et  le  mépris  public  aient  enfin  pénétré  dans 
le  sanctuaire  du  pouvoir  pour  en  chasser  ces  débris  d'un  au- 
tre âge.  Du  reste  ,  on  a  la  consolation  de  sentir  que ,  s'ils 
peuvent  encore  faire  beaucoup  de  mal ,  briser  beaucoup  de 
carrières,  tuer  en  germe  beaucoup  d'espérances  précieuses, 
leur  règne  n'en  touche  pas  moins  à  sa  fin  ;  il  ne  leur  sera  pas 
donné  de  flétrir  long-temps  encore  de  leur  souffle  malfaisant 
l'avenir  et  le  génie  d'une  jeunesse  digne  d'un  meilleur  sort; 
la  publicité  fera  justice  de  ces  ébats  du  classicisme  expirant, 
qui  seraient  si  grotesques,  s'ils  n'étaient  encore  plus  funestes; 
les  concours  de  Rome  les  tueront.  Nous  ne  subirons  pas  tou 
jours  le  règne  d'hommes  qui  ont  l'à-propos  de  donner  pour 
sujet  aux  élèves,  en  l'an  de  grâce  1837  ,  Apollon  gardant 
les  troupeaux  chez  Admète,  et  Marius  méditant  sur  les 
ruines  de  Carthage. 

Une  troisième  espèce  d'adversaires,  et,  selon  nous,  la  plus 
dangereuse ,  ce  sont  les  critiques.  Nous  entendons  sous  ce 
nom  les  écrivains  qui,  dans  divers  journaux ,  sont  chargés  de 
traiter  les  questions  d'art.  Tous  ces  juges  souverains  et  sans 
appel  semblent  s'être  donné  le  mot  pour  étouffer ,  soit  par 
un  silence  convenu ,  soit  par  des  blâmes  amers ,  tout  ce  qui 
porte  l'empreinte  d'une  régénération  religieuse  dans  l'art. 
En  attaquant  la  juridiction  de  ce  haut  tribunal ,  nous  avons 
besoin  de  répéter  ce  que  nous  avons  dit  en  commençant  ;  sa- 


—  183  — 

voir  :  que  nos  observations  et  nos  plaintes  roulent  unique- 
ment sur  la  partie  religieuse  des  différentes  branches  de  l'art  ; 
pour  tout  le  reste  ,  nous  nous  déclarons  de  nouveau  tout-à- 
fait  incompétens.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  l'avenir  d'un  élé- 
ment si  essentiel  et  si  intime  de  la  forme  religieuse ,  élé- 
ment qui  s'adresse  ou  qui  est  censé  du  moins  s'adresser  aux 
masses  catholiques,  nous  nous  sentons  le  droit  de  protester 
selon  la  mesure  de  nos  forces  contre  cette  ligue  mauvaise , 
dont  les  organes  impitoyables  sont  campés  dans  les  journaux 
les  plus  accrédités ,  et  même  dans  ceux  plus  spécialement 
consacrés  aux  arts '.  Si  cette  ligue  devait  triompher,  c'en 
serait  fait  assurément  de  toute  espèce  d'école  religieuse  en 
France.  Dès  qu'un  jeune  homme  montre  dans  ses  œuvres 
quelque  tendance  à  marcher  dans  une  voie  plus  pure  et  plus 
rationnelle  que  celle  qui  lui  est  tracée  à  l'École  des  Beaux- 
Arts  ,  ou  par  l'exemple  des  maîtres  en  vogue ,  ses  œuvres  et 
sa  tendance  sont  aussitôt  censurées  avec  l'animosité  la  plus 
cruelle.  Le  mot  de  pastiche  lui  est  jeté  avec  un  froid  mé- 
pris, comme  une  flétrissure  dont  il  ne  doit  jamais  se  relever. 
On  lui  impute  comme  un  crime  de  copier  servilement  les 
écoles  gothiques  ;  et  ce  reproche  lui  est  fait  par  des  hom- 
mes qui ,  à  chaque  ligne  de  leurs  écrits  ,  montrent  l'igno- 
rance la  plus  profonde  de  tout  ce  qui  touche  à  ces  malheu- 
reuses écoles  gothiques ,-  par  des  hommes  dont  les  paroles 
prouvent  qu'ils  n'ont  jamais  vu,  ou  du  moins  jamais  regardé 
un  tableau  de  l'époque  qu'ils  voudraient  mettre  au  ban  de 
l'intelligence  humaine  ;  par  des  hommes  qui  donnent  chaque 
jour  l'exemple  de  cette  confusion  historique  que  nous  rele- 
vions plus  haut  comme  très  regrettable  chez  les  ecclésiasti- 
ques ,  mais  qui  est  bien  autrement  inexcusable  chez  ceux  qui 

»  Nous  devons  faire  une  exception  éclatante  en  faveur  de  1' .Euro- 
péen, recueil  dont  plusieurs  articles  en  matière  d'art  sont  dictés  par 
une  science  profonde  et  le  sentiment  le  plus  pur  des  exigences  de  la 
pensée  chrétienne. 


—  184  — 

se  sont  investis  du  droit  de  régenter  l'art  passé  ,  présent  et 
à  venir.  Ils  ne  savent  pas  même  distinguer  entre  leurs  con- 
temporains ;  ils  déclarent  avec  la  plus  risible  certitude ,  que 
MM.  Ingres  etOverbeck  suivent  la  même  ligne;  ils  vous  disent 
que  la  sainte  Cécile  de  M,  Delaroche  rappelle  le  style  go- 
thique daPémgin l;  d'autres,  à  propos  du  même  tableau  , 
n'ont-ils  pas  été  parler  de  Giotto  et  d'Orgagna ,  comme  étant 
du  quinzième  et  du  seizième  siècle.  Après  quoi ,  dans  la 
même  phrase ,  ils  accouplent  deux  ou  trois  de  ces  grands 
noms,  pour  asseoir  sur  eux  un  jugement  tantôt  méprisant , 
tantôt  dédaigneusement  protecteur ,  et  établir  des  rappro- 
cherons inouis  entre  des  hommes  qui  n'ont  jamais  rien  eu 
de  commun  entre  eux ,  si  ce  n'est  d'être  également  ignorés 
de  ceux  qui  en  parlent  de  la  sorte.  Et  voilà  les  censeurs  qui 
donnent  ou  ôtent ,  à  leur  gré ,  le  droit  de  cité  dans  l'art  ! 
Voilà  les  aristarques  à  qui  nous  reconnaîtrions  le  droit  de 
former  nos  idées  sur  le  beau  !  Ce  n'est  pas  tout  :  après  qu'ils 
ont  ruiné  autant  qu'il  dépend  d'eux  la  pratique  du  vrai 
beau ,  il  nous  faut  subir  leurs  théories ,  apprécier  tout  ce 
qu'elles  renferment  de  pur,  de  satisfaisant  et  de  fécond,  tout 
ce  qu'elles  promettent  de  gloire  et  d'originalité  à  l'avenir  de 
l'art  en  France.  Il  faut  entendre  les*uns  proclamer  et  appe- 
ler de  tous  leurs  vœux  une  réaction  plus  ou  moins  effrontée 
en  faveur  des  nudités ,  l'apothéose  de  la  chair ,  le  retour  aux 
classiques  turpitudes  de  la  mythologie  ;  ils  nous  trouvent 
déjà  trop  loin  des  saletés  de  Boucher  et  de  Vanloo ,  des  so- 
lennelles nudités  de  l'Empire  :  on  dirait  qu'il  n'y  a  plus  assez 
de  barons  à  l'Académie  pour  les  servir  à  leur  gré.  Les  au- 
tres ,  avec  une  outrecuidance  despotique ,  s'indignent  de  ce 
que  nous  ne  restions  pas  cloués  au  seizième  siècle  ;  ils  veulent 
bien  reconnaître  que  les  Grecs  et  les  Romains  ne  sont  plus 
de  mise ,  mais  le  paganisme  de  la  renaissance ,  mitigé  par  la 

■  C'est  écrit,  mais  il  faut  le  lire  jour  le  croire,  dans  le  Temps, 
article  sur  le  Salon  de  1837. 


—  185  — 

civilisation  italienne ,  travesti  à  l'usage  de  ces  tyranneaux 
de  l'Italie ,  les  plus  corrompus  el  les  plus  sacrilèges  qu'on 
vit  jamais  ;  voilà  le  beau  idéal ,  qu'il  n'est  pas  donné  au  gé- 
nie chrétien ,  au  génie  national  de  dépasser  !  Mais  quels  que 
soient  leurs  dissentimens  intérieurs ,  leurs  différens  degrés 
de  pudeur  et  de  science ,  on  peut  être  sûr  qu'ils  se  trouve- 
ront tous  d'accord  pour  combattre,  en  bataille  rangée ,  con- 
tre ceux  qui  chercheront  à  ramener,  dans  l'art  religieux  , 
l'esprit  chrétien ,  dont  ils  ont  décrété  unanimement  la  mort 
et  la  sépulture ,  au  sein  des  vieilleries  des  temps  barbares. 
Eh  bien  !  on  peut  le  leur  prédire  hardiment,  leur  arrêt  sera 
cassé  ;  malgré  leur  union  et  leur  acharnement ,  ils  seront 
débordés  :  l'instinct  de  la  jeunesse  ne  se  laissera  pas  éga- 
rer j  les  idées  marcheront ,  et  un  beau  jour  ces  arbitres  re- 
doutables se  réveilleront  tout  seuls  sur  leur  tribunal  aban- 
donné ;  j'en  prends  à  témoin  et  le  nombre  toujours  crois- 
sant des  jeunes  gens  qui  bravent  la  malveillance  et  l'in- 
justice pour  suivre  la  voie  nouvelle ,  et  l'intérêt  toujours 
plus  vif  que  met  le  public  à  étudier  leurs  essais ,  malgré  les 
avertissemens  zélés  que  distribue  chaque  matin  le  journal 
de  chacun.  Mais  si  l'empire  de  la  critique  telle  qu'elle  est 
actuellement  organisée ,  doit  s'écrouler ,  elle  n'en  est  pas 
moins  très  puissante  à  l'heure  qu'il  est.  Pour  la  braver  et 
lui  survivre,  il  faut  aux  nouveaux  adeptes  de  l'art  chrétien, 
non  pas  l'ardeur  d'une  réaction  momentanée ,  non  pas  l'élan 
d'un  jeune  courage ,  mais  l'énergie  intime ,  l'enthousiasme 
calme  et  contenu ,  le  dévouement  religieux  à  ce  qui  est  im- 
mortel ,  et  cette  modestie  silencieuse  en  face  de  l'injustice 
qui  semble  l'ignorer  encore  plus  que  la  dédaigner,  toutes 
vertus  bien  rares  et  bien  difficiles ,  mais  dont  le  grand  et 
saint  Overbeck ,  au  fond  de  son  atelier  solitaire  de  Rome  , 
fournit  le  modèle  le  plus  accompli  et  le  plus  encourageant. 
Signalons  en  quatrième  lieu  une  autre  classe  d'adversaires 
qui  semblerait  rentrer  dans  la  précédente ,  mais  qui  offre 


—  186  — 

des  caractères  distincts.  Nous  voulons  parler  d'un  certain 
nombre  d'écrivains  sur  l'art ,  lesquels ,  dominés  par  ces  pré- 
visions vagues  et  ambitieuses  qui  sont  le  signe  à  la  fois  de  la 
grandeur  et  de  la  faiblesse  de  notre  temps ,  voudraient  lan- 
cer l'art  dans  des  voies  inconnues  et  impossibles  à  détermi- 
ner ,  au  risque  de  le  voir  s'égarer  ou  périr  d'impuissance.  Ils 
parlent  bien  des  conditions  essentielles  à  l'art  religieux  en 
général  ;  ils  connaissent  les  produits  de  l'ancien  art  chré- 
tien ;  ils  les  apprécient  même  sous  quelques  rapports ,  ils  les 
ont  étudiés  avec  plus  ou  moins  de  conscience  et  de  profon- 
deur; mais ,  entraînés  par  je  ne  sais  quelle  impulsion  huma- 
nitaire, ils  font  chorus  avec  les  adorateurs  du  paganisme 
et  de  la  renaissance  pour  déclamer  contre  le  moyen  âge  en 
général ,  pour  confondre  l'art  de  cette  époque  dans  leurs 
rancunes  contre  la  féodalité ,  pour  protester  contre  toute 
tendance  qui  semblerait  ressusciter  cette  époque  même  en 
peinture.  Ils  veulent  qu'on  n'étudie  les  chefs-d'œuvre  du  passé 
chrétien  que  le  temps  nécessaire  pour  asseoir  un  jugement 
souvent  superficiel  sur  des  noms  trop  ignorés ,  pour  leur  as- 
signer une  place  honorable  dans  la  grande  révolution  de 
l'humanité  ;  après  quoi  ils  lancent  l'art  dans  un  orbite  im- 
mense et  vague ,  dont  il  est  impossible  de  découvrir  le  but 
au  milieu  de  leurs  formules  éclectiques ,  dont  il  est  impos- 
sible surtout  de  retirer  aucune  application  pratique  pour 
réparer  les  dommages  et  combler  les  vides  des  temps  où  nous 
vivons.  En  un  mot,  ils  veulent  faire  une  philosophie  de 
l'art.  Déplorable  erreur  !  nous  ne  craignons  pas  le  dire ,  du 
moins  en  ce  qui  touche  à  l'art  religieux ,  si  cette  philosophie 
ne  doit  consister,  comme  celle  qu'on  nous  offre ,  qu'en  un  cer- 
tain nombre  de  formules  arbitraires ,  qui  nous  autoriseront  à 
renier  le  passé  pour  nous  livrer  aveuglément  aux  hasards 
de  l'avenir.  Malheur  à  l'art ,  si  cette  tendance  se  communi- 
quait à  beaucoup  de  jeunes  artistes  ;  sa  régénération  chré- 
tienne deviendrait  impossible.  Qu'on  le  sache  donc  bien,  il 


—  187  — 

en  est  de  l'art  religieux  comme  de  la  religion  elle-même. 
Quand  on  est  réduit  à  faire  de  la  philosophie  religieuse , 
c'est  qu'il  n'y  a  plus  de  religion  ;  quand  on  fait  de  la  phi- 
losophie de  l'art,  c'est  qu'il  n'y  a  plus  d'art.  Dans  l'art  chré- 
tien ,  il  ne  peut  y  avoir  rien  de  nouveau  au  fond ,  pas  plus 
que  dans  le  christianisme  lui-même.  L'un  tient  à  l'autre  par 
d'indissolubles  nœuds.  D'ailleurs,  n'invente  pas  qui  veut; 
ceux-là  surtout  qui  croient  et  qui  veulent  inventer,  sont 
justement  ceux  qui  inventent  le  moins.  Le  génie ,  dans  l'art 
comme  daos  tout ,  n'a  jamais  été  le  fruit  de  la  préméditation, 
du  calcul  ou  du  raisonnement  ;  c'est  le  fruit  de  ce  que  les 
uns  appellent  le  hasard ,  et  les  autres  l'inspiration  d'en  haut. 
Il  y  a  une  fin  de  non-recevoir  bien  facile  à  opposer  aux  au- 
teurs de  ces  théories  ambitieuses  :  c'est  de  leur  demander 
ce  qu'il  faut  donc  faire  actuellement  pour  bâtir  et  orner  nos 
églises ,  et  répondre  aux  divers  besoins  des  masses  religieu- 
ses ,  en  attendant  qu'eux  ou  les  artistes  qu'ils  ont  en  vue , 
s'il  y  en  a ,  aient  inventé  quelque  nouveau  progrès.  Quant 
à  nous ,  nous  répondrons  franchement  qu'il  faut  tout  bonne- 
ment marcher  sur  les  traces  des  grands  artistes  chrétiens , 
au  risque  de  se  borner  à  les  copier  et  de  procurer  à  ses  œu- 
vres la  terrible  dénomination  de  pastiches.  Le  champ  du 
véritable  art  chrétien  est ,  Dieu  merci  !  assez  vaste ,  depuis 
les  peintures  des  catacombes  jusqu'à  la  Dispute  du  Saint 
Sacrement,  depuis  les  sculptures  de  l'école  de  Pise  jus- 
qu'aux apôtres  de  Nuremberg,  depuis  l'Abbaye- aux-Hom- 
mes  de  Caen  jusqu'à  la  cathédrale  d'Orléans.  Oui ,  encore 
une  fois ,  étudiez ,  fût-ce  au  risque  de  les  imiter  servilement, 
les  grands  hommes  qui  ont  fait  de  si  grandes  œuvres  ;  étu- 
diez-les dans  ces  œuvres  d'abord ,  puis  dans  leur  vie ,  dans 
leur  croyances ,  dans  le  fécond  et  sublime  symbolisme  dont 
leurs  travaux  n'ont  été  que  l'expression.  L'étude  sérieuse  , 
consciencieuse,  amoureuse,  conduira  à  l'inspiration,  et  l'o- 
riginalité ne  manquera  pas  ;  nous  en  avons  pour  témoin  les 


—  188  — 

Ovcrbeck,  les  Veith,  les  Cornélius,  les  Hess,  toutes  les 
splendeurs  de  la  glorieuse  école  d'Allemagne. 

Nous  arrivons  enfin  à  ce  que  nous  ne  pouvons  ni  ne  vou- 
lons regarder  comme  la  disposition  hostile  d'une  dernière 
classe  d'adversaires ,  mais  à  ce  qui  n'en  est  pas  moins  l'ob- 
stacle le  plus  grave  et  peut-être  le  plus  difficile  à  surmonter 
que  présente  l'état  actuel  des  choses ,  c'est-à-dire  l'indiffé- 
rence et  l'éloignement  du  clergé  pour  les  idées  que  nous  ex- 
posons. Quand  on  songe  au  grand  nombre  de  travaux  que 
le  clergé  fait  exécuter  ou  sur  lesquels  il  influe  indirecte- 
ment ,  il  est  évident  que  tant  qu'il  n'interviendra  pas  d'une 
manière  décisive  en  faveur  de  la  régénération  chrétienne  et 
rationnelle  de  l'art ,  cette  régénération  manquera  de  l'im- 
pulsion la  plus  efficace  et  du  secours  le  plus  naturel.  Mal- 
heureusement, qu'il  nous  soit  permis  de  le  dire ,  dans  le  mo- 
ment actuel ,  le  clergé  est  en  général  assez  indifférent  à  tout 
ce  qui  se  fait  pour  le  salut  de  l'art  religieux  ;  beaucoup  de 
ses  membres  ignorent  l'histoire  et  les  règles  de  cet  art  ;  ils 
ne  comprennent  guère  les  monumens  admirables  qu'ils  en 
possèdent ,  et  surtout  ils  acceptent  et  consacrent  avec  le 
plus  aveugle  empressement  le  règne  du  paganisme  dans 
tous  les  travaux  qui  se  font  journellement  dans  nos  églises. 
Nous  savons  qu'il  y  a  d'honorables  exceptions ,  et  nous  nous 
faisons  un  devoir  de  signaler  celles  qui  sont  à  notre  connais- 
sance. M.  l'évèque  de  Belley,  par  exemple,  se  montre  aussi 
préoccupé  qu'aurait  pu  l'être  un  pontife  des  plus  beaux  siè- 
cles de  l'Eglise ,  du  maintien  et  du  progrès  de  l'esprit  chré- 
tien dans  les  monumens  de  son  diocèse  ',  les  archevêques 
d'Avignon  et  de  Bordeaux,  les  évêques  de  Ne  vers,  du  Mans, 
de  Rodez ,  de  Gap ,  du  Puy,  de  Versailles ,  ont  fait  des  circu- 
laires qui  manifestent  le  plus  louable  esprit  de  conservation 

•  Son  excellent  Manuel  des  connaissances  utiles  aux  ecclésiasti- 
ques sur  divers  objets  d'art  devrait  être  entre  les  mains  de  tous  les 
curés  de  France. 


—   189  — 

et  de  respect  pour  la  vénérable  antiquité.  Il  y  a  même  au 
séminaire  du  Mans  un  cours  d'archéologie  chrétienne  dont 
le  fondateur,  M.  l'abbé  Chevraux,  a  mérité  récemment  une 
médaille  d'or ,  décernée  par  la  société  que  préside  M.  de  Cau- 
mont.  Nous  croyons  qu'il  y  a  au  petit  séminaire  de  Saint- 
Germer,  près  Beauvais,  un  cours  semblable.  On  a  vu  derniè- 
rement dans  les  journaux  que  M.  l'abbé  Devoucoux ,  savant 
autunois ,  avait  fait  découvrir  les  magnifiques  sculptures  du 
portail  de  la  cathédrale  d'Autun,  recouvertes  à  dessein,  au 
xvme  siècle ,  par  une  épaisse  couche  de  plâtre ,  afin  de  pou- 
voir y  plaquer  un  gros  médaillon  digne  de  cette  malheu- 
reuse époque.  M.  Gros,  vicaire-général  du  diocèse  de  Reims, 
se  distingue  par  sa  sollicitude  pour  les  anciens  monumens 
religieux ,  et  par  le  concours  éclairé  qu'il  a  prêté  à  M.  Di- 
dron ,  chargé  par  M.  Guizot  de  dresser  la  statistique  monu- 
mentale de  cette  partie  de  la  Champagne.  A  Troyes ,  la  dé- 
licieuse église  de  Saint-Urbain ,  élevée  au  xme  siècle  par  le 
pape  Urbain  IV,  sur  le  site  de  l'échoppe  du  cordonnier  qui 
lui  avait  donné  le  jour ,  cette  église ,  témoignage  sublime  de 
i'humilité  et  de  la  piété  du  pontife ,  et  en  même  temps  mo- 
dèle du  plus  beau  style  ogival,  est  heureusement  entre  les 
mains  d'un  jeune  curé,  M.  l'abbé  Bourcelot ,  qui ,  à  force  de 
sacrifices  et  de  zèle ,  est  venu  à  bout  de  la  doter  d'un  autel 
plus  en  harmonie  avec  l'édifice  lui-même,  que  les  mons- 
trueux placages  qui  défigurent  presque  toutes  les  autres 
églises  de  cette  ville  si  riche  en  monumens  gothiques.  Son 
amour  pour  l'art  chrétien  ne  s'arrêtera  pas  là  :  peut-être 
verrons-nous,  grâce  à  ses  soins  et  à  l'appui  d'un  préfet  véri- 
tablement ami  de  la  belle  architecture ,  s'achever  ce  noble 
•édifice.  Nous  savons  encore  qu'il  y  a  un  jeune  curé  de 
Nantes ,  M.  l'abbé  Fournier,  qui ,  aidé  par  plusieurs  parois- 
siens instruits,  a  conçu  le  plan  de  rebâtir  son  église  sur  un 
modèle  du  moyen  âge.  Que  Dieu  le  conduise1!  Ce  sont  là 

L'architecte  chargé  de  la  reconstruction  est  M.  Piel,  que  nous 


—  190  — 

des  symptômes  heureux  et  consolans,  et  certes,  dans 
d'autres  parties  de  la  France,  on  en  pourrait  recueillir 
beaucoup  de  semblables.  Mais ,  hélas  !  ce  ne  sont  toujours 
que  des  exceptions.  La  grande  majorité  du  clergé  n'en  est 
pas  encore  là ,  il  s'en  faut.  Nous  le  disons  avec  une  profonde 
douleur ,  avec  une  douleur  augmentée  de  tout  le  respect,  de 
tout  le  filial  amour  que  nous  portons  à  ce  vénérable  corps , 
le  clergé  est  en  général  indifférent  à  la  renaissance  ou  à 
l'existence  de  l'élément  chrétien  dans  l'art ,  et  cette  indiffé- 
rence ne  saurait  provenir  que  de  son  ignorance  fâcheuse  sur 
cette  grave  matière.  Qu'il  nous  pardonne  cette  expression 
peut-être  trop  franche  de  la  vérité ,  arrachée  par  la  convic- 
tion et  de  longues  études  au  cœur  du  plus  dévoué  de  ses  en- 
fans  ,  de  celui  qu'il  trouvera  toujours  au  premier  rang  de 
ses  défenseurs. 

A  Dieu  ne  plaise  que  nous  regardions  cette  ignorance 
comme  intentionnelle ,  que  nous  reprochions  au  clergé 
comme  une  faute  ce  que  nous  envisageons  seulement  comme 
un  très  grand  malheur.  Nous  savons  mieux  que  personne 
toutes  les  difficultés  contre  lesquelles  il  lui  aurait  fallu  lutter 
pour  être  arrivé  aujourd'hui  au  point  que  nous  voudrions  lui 
voir  occuper.  Des  persécutions  et  des  épreuves  trop  longues 
ont  dû  naturellement  détourner  les  anciens  du  sanctuaire  de 
ce  genre  d'études  ;  et  depuis  la  paix  de  l'Église ,  le  nombre 
des  prêtres  a  été  trop  petit  pour  qu'ils  eussent  pu  dérober  au 
service  des  paroisses  les  loisirs  nécessaires  à  l'examen  de  ces 
grandes  questions.  Ils  n'ont  fait  d'ailleurs  que  recueillir  la 
succession  de  trois  siècles  d'inconséquences  et  d'erreurs  que 
l'on  pourrait,  à  plus  juste  titre,  reprocher  à  quelques  uns  de 
leurs  prédécesseurs.  Ceux-ci,  en  effet,  procédaient  avec  une 

avons  nommé  plus  haut.  Une  souscription  est  ouverte  à  la  paroisse 
de  Saint-Nicolas  de  Nantes,  pour  subvenir  aux  besoins  de  cette 
œuvre  vraiment  régénératrice.  Assurément  il  n'en  est  guère  qui  mé- 
ritent à  un  plus  haut  point  les  secours  des  Catholiques. 


—  191   — 

logique  désespérante  à  la  destruction  méthodique  de  tout 
ce  qui  pouvait  leur  rappeler  le  mieux  la  glorieuse  antiquité 
du  culte  dont  ils  étaient  les  ministres.  Il  ne  serait  pas  resté 
une  seule  de  nos  cathédrales  gothiques ,  si  ces  masses  indes- 
tructibles n'avaient  fatigué  leur  déplorable  courage  ;  mais 
on  peut  juger  de  leurs  intentions  par  certaines  façades  et 
certains  intérieurs  qu'ils  ont  réussi  à  arranger  à  leur  gré. 
C'est  grâce  à  eux  qu'on  a  vu  tomber  ces  merveilleux  jubés, 
barrière  admirable  entre  le  Saint  des  Saints  et  le  peuple 
fidèle ,  aujourd'hui  remplacée  par  des  grilles  en  fer  creux  ! 
Non  contents  de  l'envahissement  des  statues  et  des  tableaux 
païens  sous  des  faux  noms ,  on  les  vit,  pendant  le  cours  du 
dix-huitième  siècle ,  substituer  presque  partout  à  l'antique 
liturgie,  à  cette  langue  sublime  et  simple  que  l'Église  a  in- 
ventée et  dont  elle  a  seule  le  secret ,  des  hymnes  nouvelles, 
où  une  latinité  empruntée  à  Horace  et  à  Catulle  ,  dénonçait 
l'interruption  des  traditions  chrétiennes  *.  On  les  vit  en- 
suite défoncer  les  plus  magnifiques  vitraux ,  parce  que  sans 
doute  il  leur  fallait  une  nouvelle  lumière  pour  lire  dans  leurs 
nouveaux  bréviaires  :  puis  encore^abattre  les  flèches  prodi- 
gieuses qui  semblaient  destinées  à  porter  jusqu'au  ciel  l'écho 
des  chants  antiques  qu'on  venait  de  répudier.  Après  quoi , 
assis  dans  leurs  stalles  nouvelles,  sculptées  par  un  menuisier 
classique ,  il  ne  leur  restait  plus  qu'à  attendre  patiemment 
que  la  révolution  vint  frapper  aux  portes  de  leurs  cathédra- 
les ,  et  leur  apporter  le  dernier  mot  du  paganisme  ressuscité, 
en  envoyant  les  prêtres  à  l'échafaud ,  et  en  transformant  les 
églises  en  temples  de  la  Raison. 

Mais  grâce  pour  leur  ombre  !  ils  avaient  l'excuse  de  s'être 
laissés  entraîner  par  le  torrent  qui  a  entraîné  la  société  tout 
entière  depuis  les  soirées  platoniciennes  des  Médicis ,  jus- 

1  On  connaît  le  dicton  si  juste  que  fit  naître  cette  métamorphose  : 
Accessit  latinita$ ,  récessif  pietas. 


—  192  — 

qu'aux  courses  de  char  ordonnées  par  la  Convention  au 
Champ -de -Mars.  Eussent-ils  voulu  d'ailleurs  n'employer 
que  des  artistes  chrétiens,  où  les  auraient-ils  trouvés  au  mi- 
lieu de  la  désertion  générale  ?  Ainsi  donc  réclamons  des  plus 
sévères  aristarques  indulgence  pour  le  passé.  Le  clergé  y  a 
tous  les  droits.  Mais  la  pourrons-nous  réclamer  de  même 
pour  l'avenir  ?  Dè^à  l'on  commence  à  s'étonner  de  ce  que  si 
peu  de  ses  membres  ont  jugé  digne  de  leur  attention  et  de 
leur  dévouement,  ce  que  les  indifférens  appellent  Y  art  chré- 
tien. On  s'étonne  à  bon  droit  de  voir  que  si  cet  art ,  qui 
constitue  une  des  gloires  les  plus  éclatantes  du  Catholicisme, 
est  reconnu ,  est  apprécié  aujourd'hui ,  c'est  grâce  aux  ef- 
forts de  savans  laïcs ,  protestans ,  étrangers ,  d'hommes 
presque  tous  imbus  de  la  funeste  théorie  de  l'art  pour  l'art, 
tandis  que  le  clergé  et  les  Catholiques  français  s'en  occupent 
à  peine  '.On  s'étonne  de  ce  que  toutes  les  fatigues  et  toute 
la  gloire  de  cette  grande  œuvre  soient  livrées  sans  partage 
à  des  écrivains  tels  que  MM.de  Caumont,  de  Laborde, 
Didron ,  Magnin ,  Mérimée ,  Vitet ,  dont  les  travaux  ,  du 
reste,  si  savans  et  si  méritoires ,  ne  portent  pas  la  moindre 
trace  d'esprit  religieux  ;  on  s'en  étonne ,  disons-nous  ;  mais , 
après  tout ,  il  n'y  a  là  qu'une  conséquence  toute  naturelle 
d'un  fait  encore  bien  autrement  étonnant  ;  c'est  qu'il  n'y  a 
pas  peut-être  cinq  séminaires  en  France ,  sur  quatre-vingts, 
où  l'on  enseigne  à  la  jeunesse  ecclésiastique  l'histoire  de  l'E- 
glise !  Chose  merveilleuse  et  déplorable  à  la  fois ,  l'histoire 
de  l'Église ,  cette  série  d'événemens  et  d'individus  gigantes- 

1  Nous  devons  cependant  faire  une  exception  en  faveur  de  M.  l'abbé 
Pavy,  auteur  de  plusieurs  excellentes  monographies  sur  des  églises 
de  Lyon  ;  de  M.  l'abbé  Tron ,  qui  vient  de  mettre  au  jour  une  de- 
scription de  Saint-Maelou,  de  Ponloise  ;  et  de  M.  Gilbert,  qui  a  pu- 
blié des  descriptions  des  cathédrales  de  Paris,  Chartres,  Amiens, 
i\ouen ,  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Ouen  de  la  même  ville,  de 
Saint-Riquier  et  de  Saint-Wulfran  d'Abbeville. 


—  19S   — 

ques,  qui  préoccupe  aujourd'hui  tant  d'esprits  complètement 
étrangers,  sinon  hostiles ,  aux  convictions  religieuses,  cette 
manifestation  continuelle  d'une  force  supérieure  à  celle  de 
l'homme ,  semblerait  au  premier  abord  n'être  indifférente 
qu'au  clergé  catholique.  Veut-on  acquérir  quelques  notions 
justes  et  impartiales  sur  les  grands  hommes  et  les  grandes 
époques  de  cette  histoire  ?  veut-on  savoir  ce  qu'étaient  les 
croisades ,  saint  Grégoire  VII ,  Innocent  IIÏ ,  saint  Louis  , 
saint  Thomas,  Sixte-Quint,  il  faut  avoir  recours  à  des  livres 
traduits  des  protestans  allemands  ou  aux  écrits  trop  rare- 
ment orthodoxes  de  M.  Michelet ,  de  M.  Villemain  et  de 
M.  Guizot.  C'est  en  vain  qu'on  s'adresserait  au  clergé  fran- 
çais ,  successeur  et  représentant  de  ces  noms  glorieux  parmi 
nous  ;  on  courrait  risque  de  rencontrer ,  parmi  ses  publica- 
tions nouvelles ,  les  mensonges  gallicans  deFleury  ou  la  Dé- 
votion réconciliée  avec  l'esprit,  par  un  prélat  du  dernier 
siècle. 

Comment  se  ferait-il  donc  que ,  dépourvu  de  connaissan- 
ces étendues  et  approfondies  sur  les  événemens  et  les  per- 
sonnages des  temps  qui  ont  enfanté  l'art  chrétien ,  le  clergé 
pût  apprécier  les  produits  de  cet  art  qui  tient  par  les  liens 
les  plus  intimes  à  ce  que  l'histoire  a  de  plus  grand  et  de  plus 
important  ?  Comment  aurait-il  appris  à  distinguer  les  œu- 
vres fidèles  aux  bonnes  traditions  ou  qui  manifestent  une 
tendance  à  y  retourner,  de  toutes  celles  qui  les  parodient  et 
les  déshonorent  ?  Il  faut  bien  cependant  qu'il  se  hâte  de  re- 
venir à  cette  étude  et  à  cette  appréciation  ,  sous  peine  de 
laisser  porter  une  grave  atteinte  à  sa  considération  dans  une 
foule  d'esprits  sérieux.  Des  faits  trop  nombreux  viennent 
chaque  jour  à  l'appui  d'adversaires  malveillans.  On  a  déjà 
dit  que  pour  entendre  la  musique  religieuse ,  il  fallait  aller  à 
l'Opéra  ou  aux  concerts  publics ,  tandis  que  la  musique  théâ- 
trale se  retrouve  dans  les  églises.  Craignons  qu'on  ne  dise 
bientôt  que  l'art  religieux  a  des  sanctuaires  dans  le  cabinet 

13 


—  194  — 

des  amateurs ,  dans  les  boutiques  des  marchands  de  curiosi- 
tés, dans  les  galeries  du  gouvernement,  partout  enfin,  ex- 
cepté dans  l'église  !  Nous  avons  entendu  le  curé  d'une  ville 
importante ,  très  respectable  comme  prêtre ,  se  montrer 
même  scandalisé  de  cette  expression  d'art  chrétien ,  et  dé- 
clarer qu'il  ne  connaissait  d'autre  art  que  celui  de  faire  des 
chrétiens  !  Ce  n'était  ici  que  l'expression  un  peu  crue  d'une 
idée  trop  générale.  Citons  un  exemple  borné ,  mais  signifi- 
catif, de  cette  déplorable  absence  du  sentiment  de  l'art  chré- 
tien. On  a  moulé  depuis  plusieurs  années  quelques  unes  des 
plus  belles  madones  de  nos  belles  églises  gothiques ,  entre 
autres  celle  de  Saint-Denis ,  qui  a  été  transportée  à  Saint- 
Germain-des-Prés  '.  Ces  modèles  exquis  de  la  beauté  chré- 
tienne se  trouvent  chez  la  plupart  des  marchands  où  le  clergé 
et  les  maisons  religieuses ,  les  frères  des  écoles  chrétien- 
nes, etc.,  se  fournissent  des  images  qui  leur  sont  nécessaires. 
Il  semble  que  leur  choix  pourrait  se  fixer  sur  ces  monumens 
de  l'antique  foi,  que  le  zèle  de  quelques  jeunes  artistes  a  mis 
à  leur  portée.  Eh  bien  !  il  n'en  est  rien  ;  ils  sont  unanimes 
pour  préférer  cette  horrible  Vierge  du  dernier  siècle  ,  de 
Bouchardon ,  que  l'on  retrouve  dans  toutes  les  écoles ,  dans 
tous  les  couvens ,  dans  tous  les  presbytères ,  cette  Vierge  au 
front  étroit ,  à  l'air  insignifiant  et  commun ,  aux  mains  niai- 
sement étendues ,  figure  sans  grâce  et  sans  dignité  ,  qu'on 
dirait  inventée  à  dessein  pour  discréditer  le  plus  admirable 

1  Puisque  nous  nommons  cette  statue  célèbre ,  il  nous  est  impossi- 
ble de  ne  pas  signaler  le  vandalisme  qui  a  fait  reléguer  dans  une 
obscure  sacristie  ce  chef-d'œuvre  de  la  sculpture  chrétienne ,  tandis 
que  dans  la  même  église ,  à  la  chapelle  de  la  Sainte-Vierge ,  l'on  a 
intronisé  un  pitoyable  marbre  moderne  que  l'on  doit  au  ciseau  de 
feu  Dupaty  ,  de  l'Académie  des  Beaux- Arts,  digne  au  reste  du  fror- 
ton  classique  qui  l'encadre  en  contradiction  avec  tout  le  reste  de 
T église,  digne  encore  des  affreuses  fresques  en  grisaille  qui  la  flan- 
quent des  deux  côtés. 


Siècle 


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Eudes  rie  JvWtreaj],  Architecte  . 


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§4    ^ 


—  195  —J 

sujet  que  la  religion  offre  à  l'art.  Que  penser  ensuite ,  pour 
ne  pas  étendre  nos  observations  hors  de  Paris,  de  cette  cha- 
pelle Saint-Marcel ,  récemment  érigée  dans  Notre-Dame  ', 
monstrueuse  parodie  de  cette  architecture  gothique  dont  on 
avait  le  plus  beau  modèle  dans  l'église  même ,  et  où ,  par  un 
raffinement  exquis  de  barbarie ,  on  a  été  peinturlurer  en 
marbre  et  dorer  une  espèce  d'arcade  qui  semble  avoir  la 
prétention  d'être  ogivale  ?  On  sait  qu'à  Saint-Merry ,  ou 
Médéric ,  dans  une  restauration  récente ,  c'est  le  diable  qui 
occupe  la  place  de  Dieu  et  qui  préside  à  l'assemblée  des 
saints;  nouveau  système  de  symbolisme  théologique ,  affirmé 
par  M.  Godde ,  architecte  des  églises  de  Paris  et  grand-prê- 
tre du  vandalisme  municipal.  Est-il  possible  que  de  pareilles 
choses  se  passent  en  1837,  dans  la  métropole  de  Paris  et  de 
la  France  ?  Et  que  sera-ce  encore ,  s'il  ne  s'élève  pas  du  sein 
du  clergé  une  seule  voix  pour  protester  contre  cet  incroya- 
ble projet ,  qui  tend  à  transformer  en  sacristie  la  chapelle 
propre  de  la  Sainte-Vierge ,  située  au  chevet  de  la  basilique, 
en  violant  ainsi  l'éternelle  règle  de  l'architectoniqiië  chré- 
tienne ,  telle  que  toutes  nos  cathédrales  nous  la  révèlent , 
en  remplaçant  par  un  lieu  d'habillement  et  de  comptabilité, 
ce  sanctuaire  suprême ,  ce  dernier  refuge  de  la  prière ,  que 
la  tendre  piété  de  nos  pères  avait  toujours  réservé  au  point 
culminant  de  l'église ,  au  sommet  de  la  croix  ,  pour  cette 
vierge-mère  dont  Notre-Dame  est  un  des  plus  beaux  tem- 
ples? 

Enfin ,  quand  finira-t-on  de  voir  s'élever,  avec  l'approba- 
tion du  clergé  ou  par  ses  soins  directs ,  des  édifices  comme 
Notre-Dame-de-Lorette  ,  Saint- Pierre  du  Gros- Caillou  , 
Saint-Denis  du  Saint-Sacrement ,  Notre-Dame-de-Bonne- 
Nouvelie ,  la  chapelle  de  MM.  les  Lazaristes,  rue  de  Sèvres, 
où  repose  le  corps  de  Saint-Vincent-de-Paul ,  indignes  ma- 

1  Dans  le  transept  septentrional. 


—  196   — 

sures  dont  les  formes  lourdes  et  étriquées  à  la  fois  ne  sont 
conformes  qu'au  genre  classique  et  païen ,  contemporain  de 
la  réforme  ;  tandis  que  par  la  contradiction  la  plus  bizarre , 
les  protestans  construisent  dans  Paris  une  assez  jolie  cha- 
pelle gothique  !  sur  le  patron  inventé  et  consacré  par  le  Ca- 
tholicisme. 

En  vérité  quand  on  rapproche  ce  dernier  fait  de  la  quan- 
tité d'églises  gothiques  que  l'on  voit  bâtir  chaque  jour  en  An- 
gleterre, et  du  soin  religieux  avec  lequel  les  protestans  an- 
glais et  allemands  conservent  le  caractère  général  jusqu'aux 
moindres  ornemens  des  belles  cathédrales  catholiques  que 
la  réforme  a  fait  tomber  entre  leurs  mains ,  on  est  tenté  de 
croire  que  le  protestantisme  a  usurpé  le  monopole  de  l'art 
chrétien.  Heureusement  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  les  nouvelles 
chapelles  que  les  Catholiques  anglais  fondent  en  grand  nom- 
bre sont  fidèlement  copiées  sur  les  anciennes  églises  qu'on 
leur  a  prises.  Les  Jésuites  viennent  d'achever ,  à  Oscott,  un 
vaste  collège  avec  une  belle  église ,  l'un  et  l'autre  entière- 
ment gothiques ,  et  dont  le  plan  aussi  bien  que  les  détails , 
rappellent  les  plus  magnifiques  abbayes  du  moyen  âge.  Au 
mois  d'octobre  de  cette  année ,  dans  une  seule  semaine  et 
dans  la  même  province ,  on  a  consacré  trois  belles  églises  et 
une  abbaye  de  Trappistes ,  du  meilleur  style  gothique  \  Les 
Catholiques  d'Ecosse  et  d'Irlande  suivent  absolument  le 
même  système.  Enfin  le  roi  de  Bavière ,  ce  souverain  si  ca- 
tholique et  si  généreusement  dévoué  à  l'art ,  a  fait  restaurer, 
avec  autant  de  soin  que  de  science ,  les  belles  églises  de  son 

»  Rue  d'Aguesseau-Saint-Honoré.  Toutefois ,  il  vient  à  notre  con- 
naissance que  M.  Lemarié  est  en  ce  moment  occupé  d'ériger  une 
chapelle  gothique  pour  les  Dames  de  la  congrégation  Notre  -  Dame , 
dite  des  Oiseaux,  rue  de  Sèvres. 

a  Ces  trois  églises  sont  celles  de  la  Grâce-Dieu,  château  de  M.  Fhi- 
lips,  qui  l'a  fait  construire  ;  de  Notre-Dame-du-Mont-Saint-Beruard, 
et  de  Whitwich.  Voyez  Y  Ami  de  la  Religion  du  7  novembre  1837. 


—   197   — 

royaume ,  surtout  les  cathédrales  de  Ratisbonne  et  de  Bain- 
berg  :  pour  celle-ci  le  respect  scrupuleux  de  l'art  chrétien  a 
été  poussé  si  loin  que  l'on  a  relégué  dans  un  cloître  voisin 
tous  les  mausolées  modernes ,  dont  le  classicisme  païen  for- 
mait un  contraste  choquant  avec  le  style  primitif  de  la  ba- 
silique où  reposent  les  corps  sacrés  de  saint  Henri  et  de  sainte 
Cunégonde.  Dans  ses  constructions  nouvelles ,  ce  prince  a 
embrassé  tous  les  genres  d'architecture  chrétienne  depuis  la 
basilique  des  premiers  siècles  jusqu'au  gothique  parfait  du 
quatorzième;  et  il  a  su  réserver  les  formes  classiques  pour  le 
Valhalla ,  espèce  de  Panthéon  historique ,  qui  n'a  rien  de 
commun  avec  la  religion.  C'est  qu'en  effet,  puisque  l'archi- 
tecture moderne  en  est  réduite  à  copier ,  il  faut  au  moins  sa- 
voir ordonner  ces  copies  d'une  manière  conséquente  et  ra- 
tionnelle. S'il  y  avait  quelque  nouvelle  architecture  bien  sé- 
duisante ,  bien  originale ,  on  conçoit  que  le  clergé  se  laissât 
séduire  comme  au  moment  de  la  renaissance  ;  mais  puisqu'on 
n'a  encore  rien  pu  inventer  qui  sorte  des  deux  grandes  divi- 
sions de  l'antique  et  du  moyen  âge,  du  païen  et  du  chrétien, 
pourquoi,  au  nom  du  ciel ,  aller  choisir  de  préférence  l'hé- 
ritage du  paganisme  pour  en  faire  hommage  au  Dieu  des 
chrétiens? 

Qu'on  ne  nous  objecte  pas  le  surcroît  de  dépenses  :  mau- 
vaise raison  ou  plutôt  excuse  mensongère ,  inventée  par  la 
routine  et  l'ignorance  des  architectes  classiques.  Il  ne  s'agit 
pas ,  dans  l'état  actuel ,  d'élever  de  ces  vastes  cathédrales, 
où  presque  chaque  pierre  est  un  monument  de  patience  et 
de  génie ,  œuvres  gigantesques  que  la  foi  et  le  désintéresse- 
ment peuvent  seuls  enfanter  :  il  s'agit  tout  simplement  de 
réparer,  de  sauver,  de  guérir  les  blessures  de  celles  qui 
existent,  et  puis  de  bâtir  çà  et  là  quelques  églises  de  paroisses 
petites  et  simples.  Or,  des  calculs  désintéressés  ont  prouvé 
qu'il  n'en  coûterait  pas  plus  (peut-être  moins)  pour  adopter 
le  système  ogival  ou  cintré ,  sans  abondance  d'ornemens , 


—  19S  — 

que  pour  écraser  le  sol  des  masses  opaques  et  percées  de 
parallélogrammes  que  Ton  construit  de  nos  jours.  Si  nous 
sommes  plus  pauvres  que  les  Anglais ,  nous  sommes ,  je 
pense ,  plus  riches  que  les  malheureux  paysans  d'Irlande. 
Cependant  ces  pauvres  serfs ,  tout  épuisés  qu'ils  sont  par  la 
famine,  les  rentes  qu'il  leur  faut  payer  à  leurs  seigneurs  ab- 
sens  du  pays ,  et  les  dîmes  que  leur  extorque  le  clergé  an- 
glican ,  ces  Ilotes ,  qui  n'ont  que  bien  rarement  du  pain  à 
manger  avec  leurs  pommes  déterre,  ces  martyrs  perpétuels, 
obligés  après  avoir  gorgé  de  leurs  dépouilles  un  clergé 
étranger,  de  nourrir  encore  celui  qui  les  console  dans  leur 
misère,  et  de  faire  une  liste  civile  à  O'Connell ,  ce  roi  de  la 
parole  qui  les  conduit  à  la  liberté;  ces  Irlandais  bâtissent 
\  eux  aussi  des  églises  pour  abriter  leur  foi ,  qui  ose  enfin  se 
montrer  au  grand  jour  ;  et  toutes  ces  églises  sont  gothiques !  ! 
Comme  dans  toute  l'Europe ,  après  la  grande  frayeur  de  la 
fin  du  dixième  siècle ,  le  sol  de  cette  pauvre  Irlande  ;  tout 
fraîchement  délivrée  d'une  affreuse  servitude,  se  couvre 
d'une  blanche  parure  d'églises  dignes  de  ce  nom ,  excu- 
tiendo  semet,  rejectâ  vetustate,  passim  candidam  ec- 
clesiarum  vestem  induit  (Raduîph  Glaber,  m,  tx).  Ils  vien- 
nent, cette  année  même,  de  faire  consacrer  une  belle  cathé- 
drale par  leur  archevêque  patriote,  monseigneur  M'Hale,  à 
Tuam.  Voilà  ce  qu'ils  font,  ces  glorieux  mendians!  Et  nous, 
Français,  nous  sommes  encore  à  nous  traîner  servilement 
dans  l'ornière  que  nous  a  tracée  le  conseil  des  bâtimens 
civils  ! 
Mais  on  nous  objectera  peut-être  que  le  clergé  n'est  plus, 


•  Pour  être  exact,  il  faut  avouer  que  la  chapelle  métropolitaine  de 
Marlborough-Street ,  à  Dublin ,  est  bâtie  dans  le  genre  classique  , 
parce  que,  commencée  il  y  a  plusieurs  années,  à  une  époque  où 
le  mauvais  goût  était  encore  puissant ,  même  en  Angleterre ,  elle  a 
été  achevée  d'après  le  plan  primitif. 


—  199  — 

comme  autrefois ,  le  maître  absolu  de  tous  les  édifices  reli- 
gieux ;  que,  par  une  inconséquence  ridicule  et  illégale,  mais 
passée  en  usage  dans  nos  mœurs  administratives,  il  n'a  plus 
le  droit  exclusif  d'accepter  ou  de  rejeter  les  œuvres  d'art 
qu'on  y  place ,  les  travaux  qu'on  y  fait  ;  qu'il  ne  lui  est  pas 
libre  de  s'opposer  aux  déprédations  qu'y  commettent  les  ar- 
chitectes municipaux ,  ni  d'empêcher  le  gouvernement  de 
s'habituer  à  regarder  les  églises  comme  autant  de  galeries 
où  il  lui  est  loisible  d'exposer  à  demeure  les  tableaux  soi- 
disant  religieux  que  la  protection  d'un  député  ou  le  caprice 
d'un  employé  subalterne  aura  fait  acheter.  Cela  n'est  que 
trop  vrai;  mais  il  n'en  est  pas  moins  positif  que  le  clergé 
fait  exécuter  une  foule  de  travaux  importans  pour  son  pro- 
pre compte  ;  c'est  sur  ceux-là  que  roulent  nos  observations 
précédentes.  Il  y  a ,  en  outre ,  beaucoup  de  petites  commu- 
nes en  France  qui ,  pour  devenir  paroisses  et  avoir  un  curé 
à  elles ,  s'imposent  de  grands  sacrifices  pour  construire  à 
leurs  frais  des  églises,  sans  autres  conseils  que  ceux  des 
prêtres  du  voisinage,  sans  autre  surveillance  que  la  leur.  Ce 
serait  là  une  voie  aussi  naturelle  qu'honorable  de  rentrer 
dans  le  vrai.  D'un  autre  côté ,  il  est  malheureusement  in- 
contestable que  le  clergé  n'a  manifesté  que  très  rarement 
son  opposition  au  vandalisme  des  architectes  officiels, 
au  scandale  des  tableaux  périodiquement  octroyés  aux 
églises.  Il  le  pourrait  cependant,  nous  en  sommes  persua- 
dés, en  s'appuyant  sur  ses.  droits  imprescriptibles,  et  sur 
des  textes  de  lois  dont  l'interprétation  actuelle  est  abusive. 
Il  le  pourrait  bien  mieux  encore  en  invoquant  le  bon  sens 
et  le  bon  goût  du  public ,  qui  ne  manquerait  pas  de  réagir 
aussi  sur  l'esprit  de  l'administration.  Il  y  aurait  unanimité 
'chez  les  gens  de  goût,  chez  les  véritables  artistes,  pour 
venir  au  secours  d'une  protestation  semblable  de  la  part  du 
clergé:  l'opinion  est  délicate  et  sûre  en  ces  matières,  comme 
on  l'a  vu  récemment  lors  des  sages  restrictions  mises  par 


—  200  — 

Mgr  l'archevêque  de  Paris  à  l'abus  de  la  musique  théâtrale 
dans  les  églises;  la  victoire  serait  bientôt  gagnée.  Quant  à 
nous ,  si  nous  avions  l'honneur  d'être  évêque  ou  curé ,  il  n'y 
a  pas  de  force  humaine  qui  put  nous  contraindre  à  consa- 
crer des  églises  comme  Notre-Dame-de-Lorette ,  à  accepter 
des  statues  comme  celles  qu'on  destine  à  la  Madeleine ,  à 
subir  des  tableaux  comme  ceux  que  l'on  voit  dans  toutes  les 
paroisses  de  Paris,  avec  une  pancarte  qui  annonce  pompeu- 
sement qu'ils  ont  été  donnés  par  la  ville  ou  le  gouverne- 
ment. En  outre ,  si  nous  avions  l'honneur  d'être  évêque  ou 
curé,  nous  ne  confierions  jamais  pour  notre  propre  compte, 
des  travaux  d'art  religieux  à  un  artiste  quelconque ,  sans 
nous  être  assuré ,  non  seulement  de  son  talent ,  mais  de  sa 
foi  et  de  sa  science  en  matière  de  religion  :  nous  ne  lui  de- 
manderions pas  combien  de  tableaux  il  a  exposés  au  Sa- 
lon ,  ni  sous  quel  maître  païen  il  a  appris  à  manier  les 
pinceaux,  nous  lui  dirions  :  «  Croyez-vous  au  symbole  que 
vous  allez  représenter,  au  fait  que  vous  allez  reproduire? 
ou ,  si  vous  n'y  croyez  pas ,  avez-vous  du  moins  étudié  la 
vaste  tradition  de  l'art  chrétien ,  la  nature  et  les  conditions 
essentielles  de  votre  entreprise?  Voulez-vous  travailler,  non 
pour  un  vil  lucre ,  mais  pour  l'édification  de  vos  frères  et 
l'ornement  de  la  maison  de  Dieu  et  des  pauvres?  S'il  en  est 
ainsi ,  mettez-vous  à  l'œuvre  ;  sinon ,  non.  >  Nous  deman- 
dons pardon  de  la  trivialité  de  la  comparaison  ;  mais,  en 
vérité ,  c'est  le  cas  de  renouveler  la  fameuse  recette  de  la 
Cuisinière  bourgeoise,  et  de  dire  :  c  Pour  faire  une  œuvre 
religieuse,  prenez  de  la  religion ,  etc.  » 

Qu'on  nous  permette  une  dernière  considération.  Dans 
les  beaux  travaux  qui  ont  paru  jusqu'à  présent  en  France 
sur  l'art  du  moyen  âge ,  et  dont  nous  avons  cité  plus  haut 
les  auteurs ,  on  remarque  un  vide  que  l'on  peut  dénoncer 
sans  être  injuste  envers  les  hommes  laborieux  et  intelligens 
qui  ont  ouvert  la  voie.  Ce  vide ,  c'est  celui  de  l'idée  fonda- 


—   201  — 

mentale,  du  sens  intime,  de  cette  mens  divinior  qui  animait 
tout  l'art  du  moyen  âge ,  et  plus  spécialement  son  architec- 
ture. On  a  parfaitement  décrit  les  monumens ,  réhabilité 
leur  beauté ,  fixé  leurs  dates ,  distingué  et  classifié  leurs 
genres  et  leurs  divers  caractères  avec  une  perspicacité  mer- 
veilleuse ;  mais  on  ne  s'est  pas  encore  occupé ,  que  nous 
sachions,  de  déterminer  le  profond  symbolisme ,  les  lois  ré- 
gulières et  harmoniques,  la  vie  spirituelle  et  mystérieuse  de 
tout  ce  que  les  siècles  chrétiens  nous  ont  laissé.  C'est  là 
cependant  la  clef  de  l'énigme  ;  et  la  science  sera  radicale- 
ment incomplète ,  tant  que  nous  ne  l'aurons  pas  découvert. 
Or,  nous  croyons  que  le  clergé  est  spécialement  appelé  à 
fournir  cette  clef,  et  c'est  pourquoi  nous  regardons  son 
intervention  dans  la  renaissance  de  notre  art  chrétien  et 
national ,  non  seulement  comme  prescrite  par  ses  devoirs 
et  ses  intérêts ,  mais  encore  comme  utile  et  indispensable 
aux  progrès  de  cette  renaissance  et  à  sa  véritable  stabilité. 
En  effet ,  par  la  nature  spéciale  de  ses  études ,  par  la  con- 
naissance qu'il  a,  ou  qu'il  devrait  avoir,  de  la  théologie 
du  moyen  âge,  des  auteurs  ascétiques  et  mystiques,  des 
vieux  rituels ,  de  toutes  ces  anciennes  liturgies ,  si  admira- 
bles, si  fécondes  et  si  oubliées,  enfin  et  surtout  par  la  pra- 
tique et  la  méditation  de  la  vie  spirituelle  impliquée  par  tous 
les  actes  qui  se  célèbrent  dans  une  église ,  le  clergé  seul  est 
en  mesure  de  puiser  à  ces  sources  abondantes  les  lumières 
définitives  qui  manquent  à  l'œuvre  commune.  Qu'il  sache 
donc  reprendre  son  rôle  naturel ,  qu'il  revendique  ce  noble 
patrimoine ,  qu'il  vienne  compléter  et  couronner  la  science 
renaissante  par  la  révélation  du  dernier  mot  de  cette  science. 
Qu'il  ne  croie  pas  en  faire  assez ,  lorsqu'il  n'étudiera  que 
les  dates ,  la  classification  ,  les  caractères  matériels  des  an- 
ciens monumens  :  c'est  là  l'œuvre  de  tout  le  monde.  Il  n'y  a 
pas  besoin  d'être  prêtre ,  ni  même  catholique  pour  cela  ; 
on  en  voit  des  exemples  tous  les  jours.  Le  clergé  a ,  dans 


—   202  — 

l'art,  une  mission  plus  difficile,  mais  aussi  bien  autrement 
élevée. 

En  terminant,  nous  ne  demanderons  pas  pardon  de  la 
brusque  franchise ,  de  la  violence  même ,  si  l'on  veut ,  que 
nous  avons  mise  à  protester  contre  les  maux  actuels  de  l'art 
religieux  ;  la  véritejious  excusera ,  et  nous  vaudra  l'indul- 
gente sympathie  des  cœurs  sincères  et  des  intelligences 
droites.  L'avenir  nous  justifiera.  Si  la  lutte  continue  avec 
la  même  constance  qui  a  été  montrée  jusqu'ici,  si  l'instinct 
du  public  se  développe  avec  la  même  progression ,  on  peut 
nourrir  l'espérance  d'une  victoire  prochaine.  Il  nous  sera 
peut-être  donné  de  voir  de  nos  yeux  des  évêques  qui  ne  rou- 
giront pas  d'être  architectes,  au  moins  par  la  pensée,  comme 
leurs  plus  illustres  prédécesseurs,  et  aussi  décidés  à  repous- 
ser de  leurs  églises  l'indécent ,  le  profane ,  les  innovations 
païennes ,  qu'à  anathématiser  une  hérésie  ou  un  scandale. 
Peut-être  alors  verrons-nous  encore  des  artistes  qui  com- 
prendront que  la  foi  est  la  première  condition  du  génie 
chrétien,  et  qui  ne  rougiront  pas  de  s'agenouiller  devant  les 
autels  qu'ils  aspirent  à  orner  de  leurs  œuvres.  Quant  à  nous, 
si  nos  faibles  paroles  avaient  pu  ranimer  quelque  courage 
éteint  ou  porter  une  seule  étincelle  de  lumière  dans  un  es- 
prit de  bonne  foi,  notre  récompense  serait  suffisante,  et 
notre  alliance  se  trouverait  ainsi  consommée  avec  ces  jeunes 
artistes  *  qui  se  dévouent  à  faire  rentrer  dans  l'art  consacré 

»  La  justice  et  la  sympathie  que  nous  éprouvons  pour  toutes  les 
tentatives  de  régénération  catholique  de  Fart ,  nous  font  un  devoir 
de  recommander  à  nos  lecteurs  des  œuvres  dont  nous  n'avons  eu  cou- 
naissance  qu'après  avoir  terminé  le  travail  qui  précède. 

Nous  nommerons  donc  ici  M.  Baptiste  Petit-Girard ,  qui  semble 
appelé  à  régénérer  l'art  si  délicieux  de  la  miniature  chrétienne; 
M.  Charles  Vasserot,  qui  a  eiposé  d'admirables  études  sur  la  cathé- 
drale d'Amiens  et  les  églises  d'Amalfi  ;  M.  Boileau  qui,  d'humble 
menuisier,  est  devenu  sculpteur  en  bois  pour  doter  l'église  de  Saint- 


—  203  — 

au  Christianisme  ces  caractères  de  pureté,  de  dignité  et  d'é- 
lévation morale,  seuls  dignes  delà  majesté  de  ses  mystères 
et  de  ses  destinées  immortelles.  Tous  ensemble,  ne  perdons 
pas  courage ,  et  saluons  cet  avenir  qui  doit  remettre  en 
honneur  la  loi  antique  et  souveraine  de  l'art ,  cette  loi  si 
cruellement  méconnue  depuis  trois  siècles ,  qui  proclame 
que  le  beau  n'est  que  la  splendeur  du  vrai. 

Ce  qui  précède  était  écrit,  lorsque  dans  une  de  ces  vieilles 
Vies  des  Saints ,  toutes  nourries  de  cette  poésie  de  la  foi 
qui  a  fait  le  charme  et  le  bonheur  de  nos  pères  pendant  tant 
de  siècles,  dans  une  de  ces  légendes  volumineuses  qu'on  li- 
sait jadis  dans  toutes  les  chaumières ,  et  qui  ont  été  mises 
de  côté  par  le  même  esprit  qui  a  défoncé  les  vitraux,  badi- 
geonné les  cathédrales ,  rogné  les  flèches  et  métamorphosé 
les  anciennes  liturgies ,  nous  avons  trouvé  une  belle  et  tou- 
chante histoire  qui  nous  semble  pouvoir  servir  tout  natu- 


Antoine  de  Compiègne  d'une  chaire  gothique  que  son  auteur  a  eu  le 
bon  esprit  de  rendre  conforme  aux  anciens  modèles,  première  chaire 
vraiment  chrétienne  et  raisonnable  qu'ait  enfantée  la  France  mo- 
derne. M.  Boileau,  âgé  de  24  ans  seulement,  eiécute  en  ce  mo- 
ment et  au  compte  du  chapitre ,  deux  chaires  épiscopales  pour  la 
cathédrale  de  Beauvais.  Enfin ,  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence 
le  livre  d'Heures ,  qui  a  paru  dernièrement ,  avec  des  compositions 
de  M.  Gérard  Séguin,  et  dont  chaque  page  est  encadrée  par  des  or- 
nemens  dus  à  M.  Daniel  Ramée,  d'une  variété,  d'une  sévérité  et 
d'une  exactitude  historique  qui  forment  le  plus  agréable  contraste 
avec  le  pitoyable  abus  qu'on  fait  du  gothique  dans  la  plupart  des 
illustrations  de  nos  jours.  Ce  livre  oïre  une  heureuse  idée  dont  la 
réalisation  est  satisfaisante,  et  un  heureux  contraste  avec  d'autres 
productions  du  même  genre.  Il  est  à  regretter  seulement  qu'on  n'ait 
pas  préféré  la  liturgie  romaine  à  la  liturgie  parisienne ,  et  que  ces 
beaux  encadremens  du  moyen  âge  servent  d'accompagnement  à  des 
hymnes  classiques  du  dix-septième  et  du  dix-huitième  siècle. 


—   20&  — 

reilement  d'épilogue  à  notre  travail ,  et  que  nous  citerons 
dans  son  vieux  langage  : 

«  L'Église  célèbre  ce  mesme  jour  la  feste  de  cinq  glorieux 
martyrs,  qui  estoient  excellens  sculpteurs  et  chrestiens, 
hormis  Simplicien  qui  estoit  payen ,  lequel  voyant  que  les 
ouvrages  de  marbre  et  d'autres  riches  estoffes  de  ses  quatre 
compagnons  se  trouvoient  si  parfaicts  et  accomplis,  qu'en  les 
eslabourant  tout  leur  succédoit  comme  ils  l'eussent  pu  dé- 
sirer, là  où  au  contraire  il  gastoit  beaucoup  d'outils  de  son 
art.  11  demanda  à  Simphorien,  qui  estoit  le  premier  de  tous, 
d'où  venoit  cela?  Il  lui  respondit  que  toujours  en  prenant 
quelque  instrument  pour  le  travail ,  ils  invoquoient  le  nom 
de  Jésus-Christ  leur  Dieu,  et  luy  remonstra  si  bien,  que  par 
la  faveur  de  Notre-Seigneur  il  fut  converty ,  et  baptisé  par 
un  sainct  evesque,  nommé  Cyrille ,  et  mourut  constamment 
avec  ses  quatre  compagnons  pour  la  foy  chrestienne.  D'au- 
tant que  l'empereur  leur  ayant  commandé  de  faire  un  ou- 
vrage de  certaine  idole,  entre  plusieurs  animaux,  ils  repré- 
sentèrent bien  au  vif  les  animaux ,  mais  ils  ne  voulurent 
jamais  esbaucher  l'idole....  L'empereur  sachant  cela,  cuida 
crever  de  despit ,  et  fit  faire  des  cercueils  de  plomb ,  dans 
lesquels  il  fit  enfermer  les  cinq  martyrs,  et  puis  jeter  au  fond 
de  la  rivière,  par  lequel  martyre  ils  achevèrent  glorieuse- 
ment le  cours  de  leur  pèlerinage,  et  gaignèrent  la  couronne 
d'immortalité  *.  » 

Disons-le  franchement  :  de  même  que  Simplicien  alla  de 
l'atelier  au  baptême,  et  du  baptême  au  martyre,  ainsi  faut- 
il  que  nos  jeunes  artistes  qui  aspirent  à  régénérer  l'art  reli- 
gieux, sachent  aller  avec  simplicité  au  baptême  de  la  foi,  et 
braver  ce  martyre  du  ridicule  et  de  l'invective  que  leur  pro- 
met une  impitoyable  critique. 

1  la  Fleur  des  Sainte,  p.  1037,  au  8  novembre. 


2lppnTïritt. 


i. 


DE  L'ATTITUDE  ACTUELLE  DU  VANDALISME 

EN  FRANCE, 

.    .      1838. 


Nous  sommes  engagés  en  ce  moment  dans  une  lutte  qui 
ne  sera  pas  sans  quelque  importance  dans  l'histoire,  et  qui 
tient,  de  près  et  de  loin,  à  des  intérêts  et  à  des  principes 
d'un  ordre  trop  élevé  pour  être  effleurés  en  passant.  En  fait, 
il  s'agit  simplement  de  savoir  si  la  France  arrêtera  enfin  le 
cours  des  dévastations  qui  s'effectuent  chez  elle  depuis  deux 
siècles,  et  spécialement  depuis  cinquante  ans,  avec  un  achar- 
nement dont  aucune  autre  nation  et  aucune  autre  époque 
n'a  donné  l'exemple  ;  ou  bien  si  elle  persévérera  dans  cette 
voie  de  ruines,  jusqu'à  ce  que  le  dernier  de  ses  anciens  sou- 
venirs soit  effacé ,  le  dernier  de  ses  monumens  nationaux 
rasé,  et  que,  soumise  sans  réserve  à  la  parure  q  e  lui  pré- 


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parent  les  ingénieurs  et  les  architectes  modernes,  elle  n'of- 
fre plus  à  l'étranger  et  à  la  postérité  qu'une  sorte  de  damier 
monotone  peuplé  de  chiffres  de  la  même  valeur,  ou  de  pions 
taillés  sur  le  même  modèle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  quel  que  doive  être  le  résultat  des 
tentatives  actuelles  en  faveur  d'un  meilleur  ordre  de  cho- 
ses, il  est  certain  qu'il  y  a  eu,  depuis  un  petit  nombre  d'an- 
nées, un  point  d'arrêt  ;  que  si  le  fleuve  du  vandalisme  n'en  a 
pas  moins  continué  ses  ravages  périodiques,  du  moins  quel- 
ques faibles  digues  ont  été  indiquées  plutôt  qu'élevées,  quel- 
ques clameurs  énergiques  ont  interrompu  le  silence  coupable 
et  stupide  qui  régnait  sous  l'Empire -et  la  Restauration.  Gela 
suffit  pour  signaler  notre  époque  dans  l'histoire  de  l'art  et 
des  idées  qui  le  dominent.  C'est  pourquoi  j'ose  croire  qu'il 
peut  n'être  pas  sans  intérêt  de  continuer  ce  que  j'ai  com- 
mencé il  y  a  cinq  ans,  de  rassembler  un  certain  nombre  de 
faits  caractéristiques  qui  puissent  faire  juger  de  l'étendue  du 
mal  et  mesurer  les  progrès  encore  incertains  du  bien.  J'ai 
grande  confiance  dans  la  publicité  à  cet  égard;  c'est  tou- 
jours un  appel  à  l'avenir,  alors  que  ce  n'est  point  un  remède 
pour  le  présent.  Si  chaque  ami  de  l'histoire  et  de  l'art  na- 
tional tenait  note  de  ses  souvenirs  et  de  ses  découvertes  en 
fait  de  vandalisme ,  s'il  les  soumettait  ensuite  avec  courage 
et  persévérance  au  jugement  du  public,  au  risque  de  le  fati- 
guer quelquefois  comme  je  vais  le  faire  aujourd'hui ,  par 
une  nomenclature  monotone  et  souvent  triviale,  il  est  pro- 
bable que  le  domaine  de  ce  vandalisme  se  rétrécirait  de  jour 
en  jour,  et  dans  la  même  mesure  où  l'on  verrait  s'accroître 
cette  réprobation  morale  qui ,  chez  toute  nation  civilisée , 
doit  stigmatiser  le  mépris  du  passé  et  la  destruction  de 
l'histoire. 

Il  est  juste  de  commencer  la  revue  trop  incomplète  que  je 
me  propose  de  faire,  par  le  sommet  de  l'échelle  sociale,  c'est- 
à-dire  par  le  gouvernement.  Autant  j'ai  mis  de  violence  à 


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l'attaquer  en  1833,  autant  je  lui  dois  déloges  aujourd'hui 
pour  l'heureuse  tendance  qu'il  manifeste  en  faveur  de  nos 
monumens  historiques ,  pour  la  protection  tardive ,  mais  af- 
fectueuse ,  dont  il  les  entoure.  Ce  sera  un  éternel  honneur 
pour  le  gouvernement  de  juillet  que  cet  arrêté  de  son  pre- 
mier ministre  de  l'intérieur,  rendu  presque  au  milieu  de  la 
confusion  du  combat  et  de  toute  l'effervescence  de  la  victoi- 
re, par  lequel  on  instituait  un  inspecteur-général  des  monu- 
mens historiques ,  à  peu  près  au  même  moment  où  l'on 
inaugurait  le  roi  de  la  révolution.  C'était  un  admirable  té- 
moignage de  confiance  dans  l'avenir,  en  même  temps  que 
de  respect  pour  le  passé.  On  déclarait  ainsi  que  l'on  pouvait 
désormais  étudier  et  apprécier  impunément  ce  passé,  parce 
que  toute  crainte  de  son  retour  était  impossible.  Cet  arrêté 
nous  a  valu  tout  d'abord  un  excellent  rapport  *  sur  les  mo- 
numens d'une  portion  notable  de  l'Ile-de-France,  de  l'Artois 
et  du  Hainaut ,  signé  par  le  premier  inspecteur-général , 
M.  Vitet.  C'était,  si  je  ne  me  trompe,  depuis  les  fameux 
rapports  de  Grégoire  à  la  Convention,  sur  la  destruction  des 
monumens,  la  première  marque  officielle  d'estime  donnée 
par  un  fonctionnaire  public  aux  souvenirs  de  notre  histoire. 
A  cette  première  impulsion  ont  succédé ,  il  faut  le  dire ,  de 
l'insouciance  et  de  l'oubli ,  que  l'on  peut ,  sans  trop  d'in- 
justice ,  attribuer  aux  douloureuses  préoccupations  qui  ont 
rempli  les  premières  années  de  notre  révolution.  Cependant 
le  progrès  des  études  historiques ,  fortement  organisé  et 
poussé  par  M.  Guizot ,  amenait  nécessairement  celui  des 

1  Rapport  à  M.  le  Ministre  de  l'intérieur  sur  les  monumens,  etc., 
des  départemens  de  l'Oise,  de  l'Aisne,  de  la  Marne,  du  Nord  et  du 
Pas-de-Calais,  par  M.  L.  Vitet.  Paris,  de  l'imprimerie  royale,  1831. 
—  Depuis,  M.  Mérimée,  qui  a  remplacé  M.  Vitet,  a  étendu  la  sphère 
de  ses  explorations  et  nous  a  donné  deux  volumes  pleins  de  rensei- 
gnemens  curieux  sur  l'état  des  monumens  dans  l'ouest  et  le  midi  de 
la  France. 


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études  sur  l'art.  Aussi  vit-on  ces  études  former  un  des  ob- 
jets du  second  comité  historique ,  institué  au  ministère  de 
l'instruction  publique  en  1834.  Avec  le  calme  revint  une 
sollicitude  plus  étendue  et  plus  vigoureuse;  on  demanda 
aux  chambres  et  on  obtint,  quoique  avec  peine,  une  somme 
de  200,000  francs  pour  subvenir  aux  premiers  besoins  de 
l'entretien  des  monumens  historiques.  M.  le  comte  de  Mon- 
talivet  a  mis  le  sceau  à  cette  heureuse  réaction  en  créant , 
le  29  septembre  1837,  une  commission  spécialement  char- 
gée de  veiller  à  la  conservation  des  anciens  monumens,  et 
de  répartir  entre  eux  la  modique  allocation  portée  au  bud- 
get sous  ce  titre.  De  son  côté  M.  de  Salvandy,  étendant  et 
complétant  l'œuvre  de  M.  Guizot,  a  créé  ce  comité  histori- 
que des  arts  et  monumens  que  le  rapport  de  M.  de  Gasparin 
a  fait  connaître  au  public,  et  qui,  sous  l'active  et  zélée  direc- 
tion de  cet  ancien  ministre  ,  s'occupe  avec  ardeur  de  la  re- 
production de  nos  chefs-d'œuvre,  en  même  temps  qu'il 
dénonce  à  l'opinion  les  actes  de  vandalisme  qui  parviennent 
à  sa  connaissance.  Enfin,  M.  le  garde -des-sceaux,  en  sa 
qualité  de  ministre  des  cultes ,  a  publié  une  excellente  cir- 
culaire sur  les  mesures  à  suivre  pour  la  restauration  des 
édifices  religieux,  circulaire  à  laquelle  il  ne  manquera  que 
d'être  suffisamment  connue  et  répandue  dans  le  clergé.  Il 
faut  espérer  maintenant  que  la  chambre  des  députés  renon- 
cera à  la  parcimonie  mesquine  qui  a  jusqu'à  présent  présidé 
à  ses  votes  en  faveur  de  l'art,  et  qu'elle  suivra  l'impulsion 
donnée  par  le  pouvoir. 

Il  y  a  là,  avouons-le,  un  contraste  heureux  et  remarqua- 
ble avec  ce  qui  se  passait  sous  la  Restauration.  Loin  de  moi 
la  pensée  d'élever  des  récriminations  inutiles  contre  un  ré- 
gime qui  a  si  cruellement  expié  ses  fautes,  et  à  qui  nous 
devons,  après  tout,  et  nos  habitudes  const  tutionnelles  et  la 
plupart  de  nos  libertés  ;  mais ,  en  bonne  justice ,  il  est  im- 
possible de  ne  pas  signaler  une  différence  si  honorable  pour 


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notre  époque  et  notre  nouveau  gouvernement.  Chose  étran- 
ge !  la  Restauration,  à  qui  son  nom  seul  semblait  imposer  la 
mission  spéciale  de  réparer  et  de  conserver  les  monnmens  du 
passé,  a  été  tout  au  contraire  une  époque  de  destruction 
sans  limites;  et  il  n'a  fallu  rien  moins  qu'un  changement  de 
dynastie  pour  qu'on  s'aperçût  dans  les  régions  du  pouvoir 
qu'il  y  avait  quelque  chose  à  faire,  au  nom  du  gouverne- 
ment, pour  sauver  l'histoire  et  l'art  national.  Sous  l'Empire, 
le  ministre  de  l'intérieur,  par  une  circulaire  du  k  juin  1810, 
fit  demander  à  tous  les  préfets  des  renseigne oiens  sur  les  an- 
ciens châteaux  et  les  anciennes  abbayes  de  l'Empire.  J'ai  vu 
des  copies  de  plusieurs  mémoires  fournis  en  exécution  de 
cet  ordre  ;  ils  sont  pleins  de  détails  curieux  sur  l'état  de  ces 
monumens  à  cette  époque,  et  il  doit  en  exister  un  grand 
nombre  au  bureau  de  statistique.  Sous  la  Restauration, 
M.Siméon,  étant  ministre  de  l'intérieur,  adopta  une  mesure 
semblable,  mais  on  ne  voit  pas  qu'il  ait  produit  des  résultats. 
Le  déplorable  système  d'insouciance  qui  a  régné  jusqu'en 
1816  à  1830,  se  résume  tout  entier  dans  celle  ordonnance, 
qu'on  ne  pourra  jamais  assez  regretter,  par  laquelle  le  ma- 
gnifique dépôt  des  monumens  historiques,  formé  aux  Petits- 
Augustins,  fut  détruit  et  dispersé,  sous  prétexte  de  restitu- 
tion à  des  propriétaires  qui  n'existaient  plus,  ou  qui  ne 
savaient  que  faire  de  ce  qu'on  leur  rendait.  Je  ne  sache  pas, 
en  effet,  un  seul  de  ces  monumens  rendus  à  des  particuliers 
qui  soit  encore  conservé  pour  le  pays,  et.  je  serais  heureux 
qu'on  pût  me  signaler  des  exceptions  individuelles  à  cette 
funeste  généralité.  Et  cependant,  malgré  la  difficulté  bien 
connue  de  disposer  de  ces  glorieux  débris,  on  ne  voulut  ja- 
mais permettre  au  fondateur  de  ce  musée  unique,  homme 
illustre  et  trop  peu  apprécié  par  tous  les  pouvoirs,  à  M.  Ale- 
xandre Lenoir,  de  former  un  restant  de  collection  i>vec  ce 
que  personne  ne  réclamait.  Ce  mépris,  cette  impardonnable 
négligence  de  l'antiquité  chez  un  gouvernement  qui  puisait 

14 


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sa  principale  force  dans  cette  antiquité  même,  s'étendit  jus- 
qu'au Conservatoire  de  Musique,  puisque  l'on  a  été  disperser 
ou  vendre  à  vil  prix  la  curieuse  collection  d'anciens  instru- 
mens  de  musique  qui  y  avait  été  formée,  ainsi  que  l'a  révélé 
le  savant  bibliothécaire  de  cet  établissement,  M.  Bottée  de 
Toulmon,  à  une  des  dernières  séances  du  Comité  des  Arts. 
Ce  système  de  ruine ,  si  puissant  à  Paris ,  se  pratiquait  sur 
une  échelle  encore  plus  vaste  dans  les  provinces.  Qui  pour- 
rait croire  que,  sous  un  gouvernement  religieux  et  moral, 
la  municipalité  d'Angers ,  présidée  par  un  député  de  l'ex- 
trême droite,  ait  pu  installer  un  théâtre  dans  l'église  gothi- 
que de  Saint-Pierre  ?  Qui  pourrait  croire  qu'à  Arles,  l'église 
de  Saint-Césaire ,  regardée  par  les  plus  savans  antiquaires 
comme  une  des  plus  anciennes  de  France ,  ait  été  transfor- 
mée en  mauvais  lieu,  sans  qu'aucun  fonctionnaire  ait  ré- 
clamé? Qui  croirait  que,  au  retour  des  rois  très-chrétiens ,  il 
n'ait  été  rien  fait  pour  arracher  à  sa  profanation  militaire  le 
magnifique  palais  des  papes  d'Avignon  ?  Qui  croirait  enfin 
qu'à  Clairvaux,  dans  ce  sanctuaire  si  célèbre,  et  qui  dépen- 
dait alors  directement  du  pouvoir,  l'église  si  belle,  si  vaste, 
d'un  grandiose  si  couplet  ;  cette  église  du  xne  siècle  que  l'on 
disait  grande  comme  Notre-Dame  de  Paris ,  l'église  com- 
mencée par  saint  Bernard ,  et  où  reposaient ,  à  coté  de  ses 
reliques,  tant  de  reines,  tant  de  princes,  tant  de  pieuses  gé- 
nérations de  moines,  et  le  cœur  d'Isabelle ,  fille  de  saint 
Louis;  cette  église  qui  avait  traversé,  debout  et  entière ,  la 
République  et  l'Empire,  ait  attendu,  pour  tomber,  la  pre- 
mière année  de  la  Restauration?  Elle  fut  rasée  alors,  avec 
toutes  ses  chapelles  attenantes ,  sans  qu'il  en  restât  pierre 
sur  pierre,  pas  même  la  tombe  de  saint  Bernard ,  et  cela 
pour  faire  une  place ,  plantée  d'arbres ,  au  centre  de  la  pri- 
son, qui  a  remplacé  le  monastère. 

Pour  ne  pas  nous  éloigner  de  Clairvaux  et  du  département 
le  l'Aube,  il  faut  savoir  qu'il  s'est  trouvé  un  préfet  de  la 


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Restauration  qui  a  fait  vendre  au  poids  sept  cents  livres  pe- 
sant des  archives  de  ce  même  Clairvaux,  transportées  à  la 
préfecture  de  Troyes.  Le  reste  est  encore  là,  dans  les  gre- 
niers d'où  il  les  a  tirés  pour  faire  cette  belle  spéculation  : 
et  j'ai  marché  en  rougissant  sur  des  tas  de  diplômes ,  parmi 
lesquels  j'en  ai  ramassé,  sous  mes  pieds,  du  pape  Urbain  IV, 
né  à  Troyes  même ,  fils  d'un  cordonnier  de  cette  ville ,  et 
probablement  le  plus  illustre  enfant  de  cette  province.  Ce 
même  préfet  a  rasé  les  derniers  débris  du  palais  des  anciens 
comtes  de  Champagne ,  de  cette  belle  et  poétique  dynastie 
des  Thibaud  et  des  Henri-le-Large,  parce  qu'ils  se  trouvaient 
air  la  ligne  d'un  chemin  de  ronde  qu'il  avait  malheureuse- 
ment imaginé.  La  charmante  porte  Saint-Jacques,  construite 
sous  François  1er;  la  porte  du  Beffroy,  ont  eu  le  même  sort. 
Un  autre  préfet  de  la  Restauration ,  dans  l'Eure-et-Loir , 
nous  a-t-on  dit,  n'a  éprouvé  aucun  scrupule  à  se  laisser 
donner  plusieurs  vitraux  de  la  cathédrale  de  Chartres,  pour 
en  orner  la  chapelle  de  son  château.  Ce  qui  est  sûr,  c'est 
qu'il  n'y  a  pas  un  département  de  France  où  il  ne  se  soit 
consommé ,  pendant  les  quinze  années  de  la  Restauration , 
plus  d'irrémédiables  dévastations,  que  pendant  toute  la  du- 
rée de  la  République  et  de  l'Empire  ;  non  pas  toujours,  il  s'en 
faut,  par  le  fait  direct  de  ce  gouvernement ,  mais  toujours 
sous  ses  yeux,  avec  sa  tolérance,  et  sans  éveiller  la  moindre 
marque  de  sa  sollicitude. 

Une  pareille  honte  semble ,  Dieu  merci,  être  écartée  pour 
l'avenir,  quoique  dans  les  allures  du  gouvernement  actuel 
tout  ne  soit  pas  également  digne  d'éloges.  Pourquoi  faut-il, 
par  exemple ,  qu'à  côté  des  mesures  utiles  et  intelligentes 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut ,  il  y  ait  quelquefois  des 
actes  comme  celui  que  nous  allons  citer  ?  Une  société  s'est 
formée  en  Normandie  sous  le  titre  de  Société  française, 
pour  la  conservation  des  monumens  ;  elle  a  pour  créateur 
M.  deCaumont,  cet  infatigable  et  savant  archéologue' qui  a 


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plus  fait  que  personne  pour  populariser  le  goût  et  la  seience 
de  l'art  historique  ;  elle  a  réussi,  après  maintes  difficultés,  à 
enrégimenter  dans  ses  rangs  les  propriétaires,  les  ecclésias- 
tiques, les  magistrats,  les  artistes,  non  seulement  de  la  Nor- 
mandie, mais  encore  des  provinces  voisines.  Elle  publie  un 
recueil  mensuel  plein  de  faits  et  de  renseignemens  curieux, 
sous  le  titre  de  Bulletin  monumental;  et  ce  qui  vaut  en- 
core mieux,  avec  le  produit  des  cotisations  de  ses  membres, 
elle  donne  des  secours  aux  fabriques  des  églises  menacées , 
et  obtient  ainsi  le  droit  d'arrêter  beaucoup  de  destructions, 
et  celui  plus  précieux  encore  d'intervenir  dans  les  répara- 
tions. Voilà,  on  l'avouera ,  une  société  qui  n'a  pas  sa  rivale 
en  France ,  ni  peut-être  en  Europe ,  et  qui  méritait ,  à  coup 
sûr,  l'appui  et  la  faveur  du  pouvoir.  Or,  devine-t-on  quel 
appui  elle  en  a  reçu?  M.  le  ministre  de  l'intérieur  lui  a  al- 
loué la  somme  de  trois  cents  francs ,  à  titre  d encourage- 
ment !  Que  penser  d'un  encouragement  de  ce  genre?  Et 
n'est-ce  pas  plutôt  une  insulte ,  une  véritable  dérision ,  que 
de  jeter  cent  écus  à  une  association  d'hommes  considérables 
dans  leur  pays ,  et  dont  le  zèle  et  le  dévouement  sont  pro- 
pres à  servir  de  modèles  au  gouvernement?  Espérons  au 
moins  que  l'année  prochaine  ce  délit  contre  l'art  et  l'histoire 
sera  réparé  d'une  manière  conforme  au  bons  sens  et  à  la 
justice. 

Après  le  pouvoir  central ,  il  est  juste  de  citer  un  certain 
nombre  de  magistrats  et  de  corps  constitués,  qui  ont  noble- 
ment secondé  son  impulsion.  Ainsi  plusieurs  préfets  ,  parmi 
lesquels  je  dois  spécialement  désigner  MM.  les  préfets  du 
Calvados  et  de  l'Eure  ;  M.  Gabriel ,  préfet  à  Troyes ,  après 
l'avoir  été  à  Auch  ;  M.  Rivet ,  à  Lyon  ;  M.  Chaper,  à  Dijon, 
et  surtout  M.  le  comte  de  Rambuteau,  à  Paris,  se  montrent 
pleins  de  zèle  pour  la  conservation  des  édifices  anciens  de 
leurs  départemens.  Ainsi,  quelques  conseils-généraux,  et  au 


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premier  rang  ceux  des  Deux-Sèvres ! ,  de  l'Yonne  a,  et  de  la 
Haute-Loire,  ont  voté  des  allocations  destinées  à  racheter  et 
à  réparer  des  monumens  qu'ils  estiment,  ajuste  titre,  comme 
la  gloire  de  leur  contrée.  Malheureusement  ces  exemples  sont 
encore  très  peu  nombreux ,  et  se  concentrent  dans  la  sphère 
des  fonctionnaires  les  plus  élevés,  et  par  conséquent  les  plus 
absorbés  par  d'autres  devoirs.  Partout,  ou  presque  partout, 
les  archives  départementales  et  communales  sont  dans  un 
état  de  grand  désordre  ;  si  dans  quelques  villes  elles  sont 
confiées  à  des  hommes  pleins  de  zèle  et  de  science  comme , 
par  exemple,  à  M.  Maillard  de  Chambure,  à  Dijon  ;  ailleurs, 
à  Perpignan,  il  y  a  peu  d'années  qu'on  découpait  les  parche- 
mins en  couvercles  de  pots  de  confiture,  et  à  Chaumont,  on 
déchirait,  tailladait  et  vendait  à  la  livre  tout  ce  qui  ne  pa- 
raissait pas  être  titre  communal.  Mais  comment  s'étonner 
de  cette  négligence ,  lorsqu'on  voit  la  chambre  des  députés 
refuser,  dans  sa  séance  du  30  mai  dernier,  une  misérable 
somme  de  25,000  francs,  destinée  à  élever  des  bibliothèques 
administratives  dans  quelques  préfectures.  Dans  les  admi- 

1  La  délibération  de  ce  conseil-général,  dans  sa  session  de  1838, 
mérite  d'être  citée  textuellement.  Après  avoir  voté  4,000  fr.,  au  Jieu 
de  3,000  que  le  préfet  proposait,  pour  huit  anciennes  églises  du  dé- 
partement, le  conseil  demande  que  ces  sommes  ne  soient  employées 
que  sou3  la  direction  de  l'architecte  du  département  et  les  avis  de 
M.  de  La  Fontanelle,  membre  correspondant  des  comités  historiques 
établis  près  le  ministère  de  l'instruction  publique.  Il  recommande  à 
ML  l'Architecte  de  veiller  à  ce  qu'on  ne  fas3e  pas  disparaître,  comme 
il  n'arrive  que  trop  souvent,  les  parties  de  l'édifice  qui  rappellent 
l'état  de  l'art  dans  le  pays,  et  qui  méritent,  par  cela  seul,  d'être 
conservées  de  préférence  par  des  réparations  faites  dans  le  même 
style. 

a  Celui-ci  a  sauvé ,  par  sa  généreuse  intervention ,  deux  églises 
aussi  précieuses  pour  l'histoire  que  pour  l'art  :  Vezelay,  où  saint  Ber- 
nard prêcha  la  croisade,  et  Fonligny,  qui  servit  d'asile  à  saint  Tho- 
mas de  Cnnlorbcry  pendant  *on  exil  en  France. 


nisf  rations  d'un  ordre  inférieur,  dans  le  génie  civil  et  mili- 
taire surtout,  la  ruine  et  le  mépris  des  souvenirs  historiques 
sont  encore  à  l'ordre  du  jour  *.  Et  lorsque  nous  mettons  le 
pied  sur  le  trop  vaste  domaine  des  autorités  locales  et  mu- 
nicipales, nous  retombons  en  plein  dans  la  catégorie  la  plus 
vaste  et  la  plus  dangereuse  du  vandalisme  destructeur.  Qu'on 
me  permette  de  citer  quelques  exemples. 

Ce  sont  sans  doute  de  fort  belles  choses  que  l'alignement 
des  rues  et  le  redressement  des  routes ,  ainsi  que  la  facilité 
des  communications  et  l'assainissement  qui  doivent  en  ré- 
sulter. Mais  on  ne  viendra  pas  à  bout  de  me  persuader  que 
les  ingénieurs  et  les  architectes  ne  doivent  pas  être  arrêtés 
dans  leur  omnipotence,  par  la  pensée  d'enlever  au  pays  qu'ils 
veulent  servir,  à  la  ville  qu'ils  veulent  embellir,  un  de  ces 
monumens  qui  en  révèlent  l'histoire,  qui  attirent  les  étran- 
gers ,  et  qui  donnent  à  une  localité  ce  caractère  spécial  qui 
ne  peut  pas  plus  être  remplacé  par  les  produits  de  leur  gé- 
nie et  de  leur  savoir  qu'un  nom  ne  peut  l'être  par  un  chiffre. 
Je  ne  saurais  admettre  que  cet  amour  désordonné  de  la  ligne 
droite  qui  caractérise  tous  nos  travaux  d'art  et  de  viabilité 
modernes ,  doive  triompher  de  la  beauté  et  de  l'antiquité , 
comme  il  triomphe  à  peu  près  partout  de  l'économie  *.  Je  ne 
saurais  croire  que  le  progrès  tant  vanté  des  sciences  et  des 
arts  mécaniques  doive  aboutir  en  dernière  analyse  à  niveler 

1  Parmi  les  exploits  du  génie  militaire ,  il  faut  citer  le  badigeon- 
nage  des  vieilles  fresques  qui  ornaient  la  chapelle  de  la  citadelle  de 
Perpignan ,  où  a  eu  lieu  le  procès  du  général  Brossard. 

a  On  pourrait  citer  de  nombreuses  localités  où  des  chemins ,  em- 
pierrés à  grands  frais ,  ont  été  pioches  et  transformés  en  bourbier, 
les  ressources  des  communes  et  des  départemens  scandaleusement 
gaspillées,  et  tous  les  besoin»  des  populations  méconnus,  parce  que 
,  le  pédantisme  de  quelque  jeune  ingénieur  aura  exigé  la  rectification, 
non  pas  d'une  pente ,  mais  une  innocente  et  insensible  courbe  d'un 
ou  deux  pieds. 


—   215  —        • 

le  pays  sous  le  joug  de  cette  ligne  droite,  c'est-à-dire  de  h 
forme  la  plus  élémentaire  et  la  plus  stérile  qui  existe,  au 
détriment  de  toutes  les  considérations  de  beauté  et  même  dfe 
prudence.  Ce  ne  serait  vraiment  pas  la  peine  de  se  féliciter 
du  talent  des  jeunes  savans  qui  sortent  de  nos  écoles ,  si  ce 
talent  se  borne  à  tailler  la  surface  de  la  France  et  de  ses  villes 
en  carrés  plus  ou  moins  grands,  et  à  renverser  impitoyable- 
ment tout  ce  qui  se  trouve  sur  le  chemin  de  leur  règle.  C'est 
cependant  là  le  principe  qui  semble  prévaloir  dans  tous  les 
travaux  publics  de  notre  temps  et  qui  amène  chaque  jour  de- 
nouvelles  ruines.  Ainsi  à  Dinan,  dans  une  petite  ville  de  Bre- 
tagne où  il  ne  passe  peut-être  pas  vingt  voitures  par  jour, 
pour  élargir  une  rue  des  moins  passagères ,  n'a-t-on  pas  é(é 
détruire  la  belle  façade  de  l'hospice  et  de  son  église,  l'un  des 
monumens  les  plus  curieux  de  ces  contrées  ?  Le  maire  a  essayé 
d'en  faire  transporter  une  partie  contre  le  mur  du  cimetière, 
mais  tout  s'est  brisé  en  route.  C'est  ainsi  que  naguère,  à  Di- 
jon, l'église  St-Jean,  si  curieuse  par  l'extrême  hardiesse  de 
sa  voûte,  qui  s'appuie  sur  les  murs  de  côté,  sans  aucune  co- 
lonne, cette  belle  église,  que  le  xvme  siècle  lui-même  avair, 
remarquée,  réduite  aujourd'hui  à  servir  de  magasin  de  ton- 
neaux, s'est  vue  honteusement  mutilée  :  on  a  élagué  son 
chœur,  rien  que  cela ,  comme  une  branche  d'arbre  inutile, 
et  un  mur  qui  rejoint  les  deux  transepts  sépare  la  nef  du 
pavé  des  voitures.  On  n'en  agit  ainsi  qu'avec  les  monumens 
publies  et  surtout  religieux  :  il  en  serait  tout  autrement  s'il 
était  question  d'intérêts  privés.  Que  les  maisons  voisines 
embarrassent  autant  et  plus  la  voie  publique ,  c'est  un  mal 
qu'on  subit;  mais  on  se  dit  :  «  Commençons  par  ruiner  l'é- 
glise ;  c'est  toujours  cela  de  gagné  ;  »  et  l'on  peut  affirmer  har- 
diment que  le  moindre  cabaret  est  aujourd'hui  plus  à  l'abri  des 
prétentions  des  élargisseurs  que  le  plus  curieux  monument 
du  moyen  âge.  A  Dieppe,  toujours  pour  élargir,  n'a-t-on  pas 
détruit  la  belle  porte  de  la  Barre ,  avec  ses  deux  grosses 


—  216  — 

lours,  par  laquelle  on  arrivait  de  Paris  ;  et  cela,  sans  doute, 
pour  la  remplacer  par  une  de  ces  grilles  monotones ,  flan- 
quées de  deux  hideux  pavillons  d'octroi,  avec  porche  et 
fronton,  cet  idéal  de  1  entrée  d'une  ville  moderne,  au  dessus 
duquel  le  génie  de  nos  architectes  n'a  pas  encore  pu  s'élever. 
A  Thouars,  le  vaste  et  magnifique  château  des  La  Tremoille 
va  êlre  démoli  pour  ouvrir  un  passage  à  la  grande  route  : 
ce  château  date  presque  entièrement  du  moyen  âge ,  et  l'on 
sait  que  les  monumens  militaires  de  cette  époque  sont  d'une 
rareté  désespérante.  A  Paris,  nous  approuvons  de  tout  no- 
tre cœur  les  nouvelles  rues  de  la  Cité ,  mais  sans  admettre 
la  nécessité  absolue  de  détruire  ce  qui  restait  des  anciennes 
églises  de  Saint- Landry  et  de  Saint-Pierre-aux-Bœufs ,  dont 
les  noms  se  rattachent  aux  premiers  jours  de  l'histoire  de  la 
capitale  ;  et  si  le  prolongement  de  la  rue  Rac^jne  eût  porté 
un  peu  plus  à  droite  eu  à  gauche ,  de  manière  à  ne  pas  pro- 
duire une  ligne  absolument  droite  de  FOdéon  à  la  rue  de  La 
Harpe ,  il  nous  semble  qu'on  eût  trouvé  une  compensation 
suffisante  dans  la  conservation  de  la  précieuse  église  de 
Saint-Côme ,  qui,  bien  que  souillée  par  son  usage  moderne, 
n'en  était  pas  moins  l'unique  de  sa  date  et  de  son  style  à 
Paris.  A  Poitiers,  la  fureur  de  l'alignement  est  poussée  si 
loin,  que  M.  Vitet  s'est  attiré  toute  l'animadversion  du  con- 
seil municipal ,  pour  avoir  insisté,  en  sa  qualité  d'inspecteur- 
général,  pour  le  maintien  du  monument  le  plus  ancien  de 
cette  ville,  le  baptistère  de  Saint- Jean,  dont  on  place  l'ori- 
gine entre  le  vie  et  le  vme  siècle  :  malheureusement  ce  tem- 
ple se  trouve  entre  le  pont  et  le  marché  aux  veaux  et  aux 
poissons ,  et  quoiqu'il  y  ait  toute  la  largeur  convenable  pour 
que  lesdits  veaux  et  poissons  soient  voitures  tout  à  leur  aise 
autour  du  vénérable  débris  d'architecture  franke ,  il  n'en 
est  pas  moins  désagréable  aux  yeux  éclairés  de  ces  magistrats, 
déjà  renommés  par  la  destruction  de  leurs  remparts  et  de 
leurs  anciennes  portes.  Ils  se  sont  révoltés  contre  la  préten- 


~~  217   — 

tion  de  leur  faire  conserver  malgré  eux  un  obstacle  à  la 
circulation/  de  là  des  pamphlets  contre  l'audacieux  M.  Vi- 
tet,  dans  lesquels  il  était  dénoncé  aux  bouchers  et  aux  pois- 
sardes comme  coupable  d'encombrer  les  abords  de  leur 
marché  ;  de  là ,  demande  au  gouvernement  d'une  somme 
de  douze  mille  francs,  pour  compenser  cet  irréparable  dom- 
mage; de  là,  plainte  jusque  devant  le  conseil  d'état,  où  la 
cause  de  l'histoire,  de  l'art  et  delà  raison,  n'a  pu  triompher, 
dit-on,  qu'à  la  majorité  dune  seule  voix.  Terminons  l'his- 
toire de  ces  funestes  alignemens,  en  rappelant  qu'au  mo- 
ment même  où  nous  écrivons ,  Valenciennes  voit  disparaître 
la  dernière  arcade  gothique  qui  ornait  ses  rues,  qui  lui  rap- 
pelait son  ancienne  splendeur,  alors  qu'elle  partageait  avec 
Mons  l'honneur  d'être  la  capitale  de  cette  glorieuse  race  des 
comtes  de  Hainaut,  qui  alla  régner  à  Constantinople.  On  y 
détruit  la  portion  la  plus  curieuse  de  l'ancien  Hôtel-Dieu , 
fondé  en  1431  par  Gérard  de  Pirfontaine,  chanoine  d'An- 
thoing,  avec  l'autorisation  de  Jacqueline  de  Bavière  ,  et  le 
secours  de  Philippe-le-Bon.  On  voit  que  les  plus  grands 
noms  de  l'histoire  locale  ne  trouvent  pas  grâce  devant  la 
municipalité  de  Valenciennes.  Il  faut,  du  reste ,  s'étonner  de 
l'intensité  tout-à-fait  spéciale  de  l'esprit  vandale ,  dans  ces 
anciennes  provinces  des  Pays-Bas  espagnols ,  qui  pouvaient 
naguère  s'enorgueillir  de  posséder  les  produits  les  plus  nom- 
breux et  les  plus  brillans  de  l'art  gothique.  Ce  n'est  guère 
que  là,  à  ce  qu'il  nous  semble,  qu'on  a  vu  des  villes  s'achar- 
ner après  leurs  vastes  et  illustres  cathédrales ,  au  point  d'en 
faire  disparaître  jusqu'à  la  dernière  pierre  pour  leur  substi- 
tuer une  place ,  comme  cela  s'est  fait  à  Bruges  pour  la  cathé- 
drale de  Saint-Donat  ;  à  Liège,  pour  celle  de  Saint-Lambert  ; 
à  Arras,  pour  celie  de  Notre-Dame;  à  Cambray,  pour  celle 
de  Notre-Dame  aussi ,  avec  sa  merveilleuse  flèche  î  Ce  n'est 
que  là  qu'on  a  vu,  comme  à  Saint-Omer,  la  brutalité  muni- 
cipale poussée  assez  loin  pour  démolir,  sous  prétexte  de 


—   218  — 

donner  du  travail  aux  ouvriers,  les  plus  belles  ruines  de 
l'Europe  centrale,  celles  de  l'abbaye  de  Saint-Bertin,  et  mar- 
quer ainsi  d'un  ineffaçable  déshonneur  les  annales  de  cette 
cité. 

Combien  de  fois  d'ailleurs  ne  voit-on  pas  la  destruction 
organisée  dans  nos  villes ,  sans  qu'il  y  ait  eu  même  l'ombre 
d'un  prétexte?  Ainsi  à  Troyes,  n'a-t-on  pas  mieux  aimé  dé- 
truire la  charmante  chapelle  de  la  Passion ,  au  couvent  des 
Cordeliers ,  changé  en  prison ,  et  puis  en  reconstruire  une 
nouvelle,  que  de  conserver  l'ancienne  pour  l'usage  de  la  pri- 
son? Ainsi  à  Paris,  peut- on  concevoir  une  opération  plus 
ridicule  que  ce  renouvellement  de  la  grille  de  la  Place- 
Royale,  que  la  presse  a  déjà  si  généralement ,  mais  si  inuti- 
lement blâmé?  Mêlé  à  cette  affaire  par  les  protestations 
inutiles  que  j'ai  été  chargé  d'élever  en  commun  avec  M.  du 
Sommerard  et  M.  le  baron  Taylor,  à  l'appui  des  argumens 
sans  réplique ,  des  calculs  approfondis  et  consciencieux  de 
M.  Victor  Hugo,  j'ai  pu  voir  de  près  tout  ce  qu'il  y  a  encore 
de  haine  aveugle  du  passé ,  de  considérations  mesquines , 
d'ignorance  volontaire  et  intéressée ,  dans  la  conduite  des 
travaux  d'arts  sur  le  plus  beau  théâtre  du  monde  actuel. 
Cette  vieille  grille  avait  en  elle-même  bien  peu  de  valeur  ar- 
tistique ;  mais  elle  représentait  un  principe ,  celui  de  la  con- 
servation. Et  les  mêmes  hommes  qui  se  sont  ainsi  obstinés  à 
affubler  la  Place-Royale  d'une  grille  d'ont  on  n'avait  nul 
besoin,  ne  rougissent  pas  de  l'état  ignominieux  où  se  trouve 
Notre-Dame ,  par  suite  dte  l'absence  de  cette  grille  indispen- 
sable qu'on  leur  demande  depuis  sept  années  !  Peu  leur  im- 
porte, en  vérité,  que  la  cathédrale  de  Paris  soit  une  borne  à 
immondices ,  comme  le  dit  avec  tant  de  raison  le  rapport 
du  comité  des  arts  au  ministre.  Ils  trouvent  de  l'argent  en 
abondance  pour  planter  un  anachronisme  au  milieu  de  la 
plus  curieuse  place  de  Paris ,  et  ils  n'ont  pas  un  centime  à 
donner  pour  préserver  des  mutilations  quotidiennes,  d'où- 


—  219  — 

trages  indicibles,  la  métropole  du  pays;  pour  fermer  cet 
horible  cloaque  qui  est  pour  Paris  et  la  France  entière,  pour 
la  population  et  surtout  pour  l'administration  municipale , 
une  flétrissure  sans  nom  comme  sans  exemple  en  Europe1. 
Lorsque  l'on  voit  sortir  des  exemples  pareils  du  sein  de 
la  capitale,  c'est  à  peine  si  l'on  se  sent  le  courage  de  s'indi- 
gner contre  les  actes  des  municipalités  subalternes  :  foute- 
fois  il  peut  être  bon  de  les  signaler.  Disons  donc  qu'à  Laon, 
cette  immense  cathédrale,  trop  sévèremment  jugée,  ce  nous 
semble,  par  M.  Vitet  ',  l'une  des  pins  vastes  et  des  plus  an- 
ciennes de  France ,  si  belle  pour  sa  position  unique ,  par  ses 
quatre  tours  merveilleusement  transparentes,  par  le  symbo- 
lisme trinitaire  de  son  abside  carré,  par  le  nombre  prodi- 
gieux de  ses  chapelles,  cette  cathédrale  inspire  aux  chefs  de 
la  cité  à  peu  près  autant  de  sympathie  que  Notre-Dame  aux 
édiles  parisiens.  Ses  abords ,  déjà  encombrés  d'une  manière 
fâcheuse,  le  seront  bientôt  complètement  par  la  construc- 
tion d'un  grand  nombre  de  maisons  sur  l'emplacement  du 
cloître,  vendu  pendant  la  révolution.  Ce  terrain  pouvait 
être  racheté  par  la  ville  pour  une  somme  insignifiante  ; 
mais,  aux  réclamations  élevées  par  des  personnes  intelligen- 
tes et  zélées,  il  a  été  répondu,  par  un  magistrat,  en  ces  ter- 
mes :  «  Franchement ,  je  ne  m'intéresse  pas  aux  édifices  de 
ce  genre  ;  c'est  à  ceux  qui  aiment  le  culte  à  l'appuyer.  » 
Réponse  digne,  comme  on  le  voit,  de  cette  municipalité  qui 
a  eu  le  privilège  de  détruire  le  plus  ancien  monument  histo- 
rique de  France ,  la  tour  de  Louis  d'Outremer,  et  qui  pas- 

'  En  1837,  lors  de  la  discussion ,  à  la  chambre  des  pairs,  sur  la 
cession  du  terrain  de  l'archevêché  à  la  ville,  on  éleva  quelques  objec- 
tions sur  cette  cession  à  titre  gratuit.  Il  fut  répondu  que  l'état  était 
suffisamment  dédommagé  par  l'obligation  que  contractait  la  ville  d'en- 
tourer ce  terrain  d'une  grille  î  On  voit  comme  cette  obligaiion  a  été 
bien  remplie. 

3  Page  58  de  son  rapport  au  ministre. 


—    220   — 

sera  à  la  postérité,  flagellée  par  l'impitoyable  verve  de 
M.  Hugo '.  Ailleurs ,  c'est  encore  la  môme  indifférence ,  ou 
plutôt  la  même  aversion  pour  tout  ce  qui  tient  à  l'histoire 
ou  à  l'art.  A  Langres,  quelques  jeunes  gens  studieux  avaient 
humblement  demandé  au  conseil  municipal  l'octroi  de  l'ab- 
side de  Saint-Didier,  la  plus  ancienne  église  de  la  ville  (  au- 
jourd'hui enlevée  au  culte  ),  afin  d'y  commencer  un  musée 
d'antiquités  locales ,  institution  vraiment  indispensable  dans 
une  contrée  où  chaque  jour,  en  fouillant  le  sol,  on  découvre 
d'innombrables  monumens  de  la  domination  romaine.  Mais 
le  sage  conseil  a  refusé  tout  net  et  a  préféré  transformer  sa 
vieille  église  en  dépôt  de  bois  et  de  pompes.  —  La  guerre 
déclarée  à  une  grande  idée  historique  vaut  bien  la  guerre 
faite  à  un  monument  ;  voilà  pourquoi  nous  allons  encore 
parler  de  Dijon.  Ce  n'est  pas  assez  pour  cette  ville  d'avoir 
détruit,  en  1803  ,  sa  Sainte-Chapelle,  œuvre  merveilleuse 
de  la  générosité  des  ducs  de  Bourgogne  ;  d'avoir  transformé 
ses  belles  églises  de  Saint-Jean  en  magasin  de  tonneaux,  de 
Saint-Etienne  en  marché  couvert,  et  de  Saint-Philibert  en 
écuries  de  cavalerie  ;  nous  allons  citer  un  nouveau  trait  de 
son  histoire.  On  sait  que  saint  Bernard  est  né  à  Fontaines, 
village  situé  à  peu  près  aussi  loin  de  Dijon  que  Montmartre 
l'est  de  Paris.  On  y  voit  encore,  à  côté  d'une  curieuse  église, 
le  château  de  son  père ,  transformé  en  couvent  de  feuillans, 
sous  Louis  XIII,  et  conservé  avec  soin  par  le  propriétaire 


»  Ajoutons  que  le  conseil-général  de  l'Aisne  vote  près  de  deux  mil- 
lions par  an  pour  ses  routes,  qu'il  ne  parvient  pas  à  employer  toute 
celte  somme  ;  mais  qu'il  refuse  d'en  consacrer  un  vingtième,  un  cin- 
quantième aux  réparations  urgentes  de  l'édifice  le  plus  remarquable 
du  département.  Il  se  borne  à  exprimer  le  vœu  que  le  gouvernement 
veuille  bien  Je  classer  parmi  les  monumens  nationaux;  comme  si 
tous  les  autres  départemens  n'avaient  pas  des  cathédrales  dignes  d'ê- 
tre rangée»  dans  la  même  catégorie. 


—   221    ~ 

actuel ,  M.  Girault  '.  On  a  ouvert  dernièrement  une  nou- 
velle porte  sur  la  route  qui  conduit  à  ce  village  :  la  voix 
publique,  d'un  commun  accord,  lui  a  donné  le  nom  déporte 
Saint-Bernard,  et  le  lui  conserve  encore.  Mais  devant  le 
conseil  municipal  il  en  a  été  autrement.  Lorsque  cette  pro- 
position y  a  été  faite  ,  il  s'est  trouvé  un  orateur  assez  intel- 
ligent pour  déclarer  que  saint  Bernard  était  un  fanatique 
et  un  mystique  dont  les  allures  sentaient  le  carlisme  et  le 
jésuitisme,  et  qui,  dans  tous  les  cas,  n'avait  rien  fait  pour 
la  ville  de  Dijon  !!  Et  le  conseil  municipal  s'est  rangé  de 
cet  avis.  Je  regrette ,  pour  mon  compte ,  que  par  voie  d'a- 
mendement on  n'ait  pas  nommé  la  porte  d'après  un  homme 
aussi  éclairé  que  cet  orateur,  mais,  dans  tous  les  cas,  il  aura 
été  récompensé  par  la  sympathie  et  l'approbation  de  M.  Eu- 
sèbe  Salverte,  qui,  dans  la  dernière  session,  a  si  énergique- 
ment  blâmé  le  ministère  d'avoir  consacré  quelques  faibles 
sommes  à  l'entretien  de  l'église  de  Vézelay,  où  saint  Ber- 
nard ,  en  prêchant  la  seconde  croisade ,  avait  trouvé  moyen 
de  plongerles  populations  fanatisées  plus  avant  dans  la  sta- 
gnation féodale  \ 

Si  maintenant  nous  passons  des  autorités  municipales  à  la 
troisième  des  catégories  de  vandales  que  j'ai  autrefois  éta- 
blies, celle  des  propriétaires,  il  nous  faut  avouer  que  le  mal, 
moins  facile  à  connaître  et  à  dénoncer,  est  peut-être  là  plus 
vaste  encore  que  partout  ailleurs.  Nul  ne  saurait  mesurer 
toute  la  portée  de  ces  dévastations  intimes  :  comme  le  tra- 
vail de  la  taupe ,  elles  échappent  à  l'examen  et  à  l'opposi- 
tion. Ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux  pour  l'art  dans  les  disposi- 
tions de  la  plupart  des  propriétaires  français ,  c'est  leur 


*  Bien  loin  d'imiter  tant  de  propriétaires  vandales ,  ou  pour  le 
moins  indifférens,  M.  Girault  a  publié  un  fort  bon  opuscule  intitulé  : 
la  Maison  natale  de  saint  Bernard  à  Fontaine-lez-Dijon,  4824. 

3  Discussion  du  budget  de  l'intérieur,  en  1838. 


—   222   — 

horreur  des  ruines.  Autrefois  on  fabriquait  des  ruines  artifi- 
cielles dans  les  jardins  à  l'anglaise;  aujourd'hui  on  trouve 
aux  ruines  véritables  des  édifices  les  plus  curieux  un  air 
incomfortable,  que  l'on  s'empresse  de  faire  disparaître,  en 
achevant  leur  démolition.  Celui  qui  aura  sur  ses  domaines 
quelques  débris  du  château  de  ses  pères ,  ou  d'une  abbaye 
incendiée  à  la  révolution ,  au  lieu  de  comprendre  tout  ce 
qu'il  peut  y  avoir  d'intérêt  historique  ou  de  beauté  pittores- 
que dans  ces  vieilles  pierres,  n'y  verra  qu'une  carrière  à  ex- 
ploiter. C'est  ainsi  qu'ont  disparu  notamment  toutes  les 
belles  églises  anciennes  des  monastères ,  dont  on  a  quelque- 
fois utilisé  les  bàtimens  d'habitation  :  c'est  ainsi,  par  exem- 
ple ,  que  nous  avons  vu  vendre  il  y  a  trois  mois ,  jusqu'à  la 
dernière  pierre  de  l'église  de  Foigny  en  Thiérache ,  près  la 
Capelle ,  église  fondée  par  saint  Bernard ,  qui  avait  quatre 
cents  pieds  de  long,  et  qui  subsistait  encore,  il  y  a  quelques 
années,  dans  toute  sa  pure  et  native  beauté  ;  et  on  a  pu  faire 
disparaître  ce  magnifique  édifice,  sans  qu'une  seule  récla- 
mation se  soit  élevée  pour  conserver  à  la  contrée  environ- 
nante son  plus  bel  ornement  et  une  preuve  vivante  de  son 
importance  historique.  Près  de  là,  dans  un  site  bien  boisé  et 
très  solitaire,  à  Bonne-Fontaine,  près  d'Aubenton ,  abbaye 
fondée  en  1153,  on  voit  encore  le  transept  méridional  et 
six  arcades  de  la  nef  de  l'église  qui  est  évidemment  du 
xne  siècle  :  mais  l'année  prochaine  on  ne  les  verra  peut-être 
plus,  parce  que  l'acquéreur  installé  dans  l'abbatiale,  en  ar- 
rache chaque  jour  quelques  pierres  pour  les  besoins  de  son 
ménage.  Il  y  a  quinze  jours,  un  ouvrier  était  occupé  à  dépe- 
cer la  grande  rosace  qui  formait  l'antéfixe  du  transept ,  et 
qui ,  laissée  à  nu  par  la  destruction  du  pignon ,  se  découpait 
à  jour  sur  le  ciel ,  et  produisait  un  effet  aussi  original  que 
pittoresque.  On  ne  conçoit  pas  qu'un  esprit  de  spéculation 
purement  industriel  n'inspire  pas  mieux,  et  qu'on  ne  songe 
jamais  aux  voyageurs  nombreux  qu'on  éloigne  en  dépouil- 


—   223     - 

lant  le  pays  de  toute  sa  parure,  de  tout  ce  qui  peut  distraire 
de  l'ennui,  éveiller  la  curiosité  ou  attirer  l'étude.  Quelle 
différence  déplorable  pour  nous  entre  le  système  français  et 
les  soins  scrupuleux  qui  ont  valu  à  l'Angleterre  la  conserva- 
tion des  admirables  ruines  de  Tintern,  de  Cloyland,  de  Net- 
ley,  de  Fountains,  et  de  tant  d'autres  abbayes  qui,  pour 
avoir  été  supprimées  et  à  moitié  démolies  par  la  réforme, 
n'en  offrent  pas  moins  aujourd'hui  d'inappréciables  ressour- 
ces à  l'artiste  et  à  l'antiquaire.  Et  s'il  faut  absolument  des- 
cendre à  des  considérations  aussi  ignobles ,  qu'on  aille  de- 
mander aux  aubergistes,  aux  voituriers,  à  la  population  en 
général  des  environs  de  ces  monumens,  s'ils  ne  trouvent  pas 
leur  compte  à  la  conservation  de  ces  vieilles  pierres  qui ,  si- 
tuées en  France,  auraient  depuis  long-temps  servi  à  réparer 
une  route  ou  une  écluse.  Où  en  seraient  les  rives  du  Rhin, 
si  fréquentées  et  si  admirées,  avec  le  mode  d'exploitation  des 
ruines  que  l'on  emploie  en  France?  Il  y  a  long-temps  que 
les  touristes  et  les  artistes  auraient  abandonné  ces  parages, 
comme  ils  ont  abandonné  la  France ,  celte  France  qui  était 
naguère ,  de  tous  les  pays  de  l'Europe ,  la  plus  richement 
pourvue  en  églises ,  en  châteaux  et  en  abbayes  du  moyen 
âge ,  et  qui  le  serait  encore  si  on  avait  pu  arrêter,  il  y  a 
vingt  ans,  le  torrent  des  dévastations  publiques  et  particu- 
lières. Aujourd'hui  c'est  à  l'Allemagne  qu'il  faut  céder  la 
palme ,  grâce  au  zèle  qui  anime  à  la  fois  le  gouvernement  et 
les  individus  contre  les  progrès  du  vandalisme ,  lequel  y  a 
régné  comme  chez  nous ,  mais  bien  moins  long-temps.  Les 
mesures  administratives  y  sont  appuyées  par  cette  bonne 
volonté  et  cette  intelligence  des  individus  qui  manquent  si 
généralement  en  France.  C'est  ainsi  qu'il  s'et-t  formé  dans 
plusieurs  villes  des  associations  avec  le  but  spécial  de  con- 
server tel  ou  tel  monument  voisin.  Nous  citerons  celle 
créée  à  Bamberg  pour  racheter  et  entretenir  Altenbourg , 
l'ancien  château  des  évêques  de  Bamberg.  M.  le  baron 


d'Àuftess ,  l'un  des  amis  les  plus  zélés  de  l'art  chrétien  et 
historique  en  Allemagne,  en  a  formé  une  autre  pour  sauver 
le  beau  châleau  de  Zwernitz,  en  Franconie,  et, la  même 
mesure  a  été  prise  par  une  réunion  de  prêtres  et  de  bour- 
geois dans  l'intérêt  de  la  vieille  église  située  au  pied  du 
Hohenstaufea. 

Peut-être  verrons-nous  en  France  des  améliorations  de  ce 
genre  :  la  société  formée  par  M.  de  Caumont  pour  la  con- 
servation des  monumens,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
pourra  se  propager  et  former  des  succursales  :  Dieu  le 
veuille!  car  en  France,  plus  qu'ailleurs ,  l'homme  isolé  n'a 
presque  jamais  la  conscience  de  l'étendue  de  sa  mission. 
Pour  un  homme  vraiment  énergique  et  éclairé  comme  M.  de 
Golbéry,  qui,  par  l'influence  que  lui  donne  sa  triple  qualité 
de  législateur,  de  magistrat  et  de  savant  très  distingué,  a 
rendu  des  services  si  éminens  à  l'art  chrétien  en  Alsace  ',  nous 
aurons  encore  pendant  long  tempscinquantehommescomme 
M.  Nicolas,  architecte  de  Bourbon-l'Archambault,  lequel, 
pour  donner  une  preuve  de  ses  connaissances  architectura- 
les, a  fait  démolir  la  Sainte-Chapelle  de  Bourbon-l'Archam- 
bault, l'ornement  et  la  gloire  du  Bourbonnais,  pour  en  ven- 
dre les  matériaux.  C'est  en  1833  que  le  dernier  débris  en 
a  disparu. 

1  Entre  autres  églises,  M.  de  Golbéry  a  sauvé  celle  d'Ottmarshein, 
qui  date,  selon  la  tradition,  des  temps  païens;  la  balle  église  de  Ge- 
berschwir,  et  celle  de  Sigolsheim ,  fondée  par  l'impératrice  sainte 
Richarde  au  neuvième  siècle.  Dans  cette  dernière  église ,  il  a  eu  le 
mérite  de  faire  prolonger  la  nef  de  plusieurs  arcades  en  conservant 
tout-à-fait  le  style  de  l'original ,  et  en  reponant  sur  la  nouvelle  fa- 
çade le  portail  du  neuvième  siècle,  au  lieu  de  laisser  plaquer  contre 
l'antique  édifice  une  sorte  de  coffre  en  plâtras  moderne ,  avec  un 
péristyle  à  triangle  obtus  ,  comme  cela  se  pratique  partout  où  les  be- 
soins de  la  population  exigent  l'agrandissement  d'une  vieille  église* 
Entre  mille  exemple  de  cette  absurdité ,  nous  citerons  Saint-Vallier, 
sur  le  Rhône. 


—  32*    «~ 

Mais  comment  qualifier  le  trait  que  je  vais  raconter,  et 
dans  quelle  catégorie  de  vandales  faut-il  ranger  ses  auteurs? 
Il  y  avd"  à  Montargis  une  tour  antique  qui  faisait  l'admira- 
tion des  voyageurs.  M.  Cotelle ,  notaire  à  Paris  et  proprié- 
taire à  Montargis,  jugeant  utile  de  conserver  ces  vénérables 
restes,  avait  provoqué  des  souscriptions  et  obtenu  même  du 
ministère  une  somme  de  1,200  francs  pour  réparations  ur- 
gentes. Malheureusement,  aux  élections  générales  de  1837, 
M.  Cotelle  se  présente  comme  candidat  ministériel;  aussitôt 
les  meneurs  de  l'opposition  se  sont  cru  parfaitement  en 
droit  d'exciter  quelques  individus  à  retirer  petit  à  petit  les 
pierres  qui  faisaient  la  base  de  l'édifice ,  et ,  à  leur  grande 
joie,  la  tour  s'écroula  avec  un  épouvantable  fracas.  La  nou- 
velle de  cette  belle  victoire  fut  aussitôt  expédiée  à  Paris  ;  ie 
tour  y  fut  jugé  bon,  et  plus  d'un  journal  sérieux  le  raconta 
avec  éloge  '.  Je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  un  autre  pays  au 
monde  où  un  pareil  acte  serait  toléré ,  bien  loin  d'être  en- 
couragé. 

En  quittant  le  temporel  pour  le  spirituel ,  si  on  examine 
l'état  du  vandalisme  chez  le  clergé ,  on  reconnaît  que  sa 
puissance  y  est  toujours  à  peu  près  aussi  étendue  et  aussi  en- 
racinée. Malgré  les  recommandations  et  les  prescriptions  de 
M.  l'évêque  du  Puy  et  de  plusieurs  autres  respectables 
évêques,  il  y  a  toujours  dans  la  masse  du  clergé  et  dans  les 
conseils  de  fabrique ,  la  même  manie  d'enjolivemens  profa- 
nes et  ridicules,  la  même  indifférence  barbare  pour  les  trop 
rares  débris  de  l'antiquité  chrétienne.  J'ai  dit  l'année  der- 
nière 2  combien  le  système  suivi  dans  les  constructions  ré- 
centes était  déplorable  :  il  me  reste  à  parler  de  la  manière 
dont  on  traite  les  édifices  anciens.  Je  sais  qu'il  y  a  dans  cha- 
que diocèse  d  honorables  exceptions,  et  que  le  nombre  de 

•  Voyez  le  Courrier  et  le  Siècle  des  premiers  jours  de  novembre  1837. 

•  Voyex  De  l'État  actuel  de  VArt  religieux. 

15 


—   226   — 

ces  exception»  s'accroît  chaque  jour  \  Mais  il  est  encore 
beaucoup  trop  petit  pour  lutter  contre  l'esprit  général,  pour 
empêcher  qu'il  n'y  ait  un  contraste  affligeant  entre  cet  état 
stationnaire ,  cette  halte  dans  la  barbarie,  et  la  réaction  sa- 
lutaire manifestée  par  le  gouvernement  et  par  des  citoyens 
isolés.  A  l'appui  de  ce  que  j'avance  ici ,  qu'il  me  soit  permis 
de  transcrire  littéralement  ce  qu'on  m'écrit  à  la  fois  des 
deux  extrémités  de  la  France  :  «  Vous  ne  sauriez  vous  ima- 
giner (  c'est  un  prêtre  breton  qui  parle)  l'ardeur  que  l'on 
met  dans  le  Finistère  et  les  Côtes-du-Nord  à  salir  de  chaux 
ce  qui  restait  encore  intact.  La  passion  de  bâtir  de  nouvelles 
églises  s'est  emparée  d'un  grand  nombre  de  mes  confrères  ; 
malheureusement  elle  n'est  point  éclairée.  On  veut  partout 
du  nouveau ,  de  l'élégant  à  la  manière  des  païens  :  pour  ne 
pas  ressembler  à  nos  pères ,  pour  ne  pas  imiter  leur  reli- 
gieuse architecture ,  on  nous  fait  ou  des  salles  de  spectacle , 
ou  de  misérables  masures  sans  dignité ,  sans  élégance ,  sans 
aucun  cachet  religieux ,  où  le  symbolisme  chrétien  est  tout- 
à-fait  sacrifié  au  caprice  de  MM.  les  ingénieurs.  Ce  n'est  pas 
que  l'on  ne  fasse  quelquefois  des  réclamations,  mais  comme 
elles  ne  sont  dictées  que  par  le  bon  sens  et  la  religion ,  et 
que,  pour  avoir  des  fonds,  il  faut  suivre  servilement  les 
plans  des  architectes  officiels ,  on  passe  à  l'ordre  du  jour.  »> 
D'un  autre  côté,  on  m'écrit  de  Langres  :  «  Le  clergé  de  no- 
tre diocèse  est  tellement  éloigné  de  tout  sentiment  de  l'art 
religieux ,  qu'il  s'oppose  généralement  aux  réparations 
faites  dans  le  caractère  des monumens gothiques,  et  qu'il 
n'est  presque  pas  de  prêtre  qui  ne  préfère  une  église  à  colon- 
nes et  à  pilastres  grecs ,  à  fenêtres  carrées  ou  en  demi-cer- 

*  Aux  noms  que  j'ai  eu  occasion  de  citer  ailleurs,  je  dois  ajouter 
M.  Pascal,  curé  de  la  Ferté ,  dans  le  diocèse  de  Blois,  qui ,  dans  sa 
polémique  avec  M.  Didron,  publiée  par  V  Univers,  a  donné  des  preu- 
ves de  science  et  de  «èle. 


—   227   — 

cle ,  garnies  de  rideaux  de  couleur ,  aux  monumens  gothi- 
ques. Et  chaque  jour  on  voit,  quand  une  église  est  trop  pe- 
tite ,  qu'au  lieu  de  l'agrandir  en  suivant  son  architecture 
primitive,  on  la  détruit,  et  on  la  remplace  par  une  salleaux 
murs  badigeonnés  de  jaune  et  de  blanc.  » 

Je  pourrais  citer  vingt  lettres  semblables ,  qui  ne  contien- 
nent toutes  que  l'exacte  vérité ,  comme  peut  s'en  assurer 
quiconque  est  doué  de  l'instinct  le  plus  élémentaire  en  ma- 
tière d'art  religieux  ,  et  qui  veut  se  donner  la  peine  d'inter- 
roger les  hommes  et  les  lieux.  Partout  il  trouvera  des  curés 
qui  se  reposent  sur  leurs  lauriers,  après  avoir  recouvert  leurs 
vieilles  églises  d'un  épais  badigeon  beurre-frais ,  relevé  par 
des  tranches  de  rouge  ou  de  bleu ,  après  avoir  jeté  aux  gra- 
vois  les  meneaux  de  leurs  fenêtres  ogivales,  et  échangé 
contre  les  produits  de  pacotille  religieuse  qu'on  exporte  de 
Paris ,  les  trop  rares  monumens  d'art  chrétien  que  le  temps 
avait  épargnés.  Je  prends  au  hasard  quelques  traits  parmi 
ceux  que  me  fournit  une  trop  triste  expérience  de  ce  qu'il 
faut  bien  nommer  le  vandalisme  fabricien  et  sacerdotal. 
Quelquefois  c'est  une  profonde  insouciance  qui  fait  la  géné- 
reuse aux  dépens  de  l'église.  Ainsi  plusieurs  tonnes  de 
vitraux  provenant  de  l'église  d'Epernay  ont  été  données  à 
un  grand-vicaire  de  Châlons ,  pour  orner  la  chapelle  de  son 
château  ;  ainsi  une  paix  en  ivoire  du  xive  siècle,  appartenant 
à  Saint-Jacques  de  Reims,  a  été  donnée  par  l'avant- dernier 
curé  de  cette  paroisse ,  à  un  antiquaire  de  la  ville.  Ailleurs , 
c'est  un  esprit  de  mercantile  avidité  qui  spécule  sur  les 
débris  de  l'antiquité  chrétienne ,  comme  sur  une  proie  assu- 
rée. On  se  rappelle  la  mise  en  vente  de  l'ancienne  église  de 
Châtillon,  l'une  des  plus  curieuses  de  la  Champagne ,  par  la 
fabrique ,  sur  la  mise  à  prix  de  M00  fr.,  heureusement  ar- 
rêtée par  le  zèle  infatigable  de  M.  Didron,  et  le  rapport  qu'ij 
adressa  au  ministre  de  l'instruction  publique  sur  cette  hon- 
teuse dilapidation,  Mais  là  où  on  ne  saurait  vendre  en  gros, 


—   228  — 

on  se  rabat  sur  le  détail.  A  Amiens ,  on  a  vendu  trois  beaux 
et  curieux  tableaux  sur  bois  du  xvie  siècle,  qui  se  trouvaient 
à  îa  cathédrale,  moyennant  le  badigeonnagc  d  une  des  cha- 
pelles. Il  y  en  a  d'autres  qui  servent  en  ce  moment  de  portes  au 
poulailler  d'un  jeune  abbé  !  C'est  dans  cette  même  église  qu'un 
des  chanoines  disait  naguère  à  M.  du  Sommerard  en  lui  mon- 
trant des  stalles  du  chœur,  monument  admirable  d'ancienne 
boiserie  :  «  Voyez  ce  grenier  à  poussière  !  Il  nous  empêche 
«  d'être  vus;  qui  nous  en  débarrassera?»  Dans  la  collection  de 
ce  savant  archéologue,  on  voit  de  curieux  émaux  byzantins, 
qu'il  avait  d'abord  admirés  à  la  cathédrale  de  Sens ,  et  qui 
lui  ont  été  apportés,  il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  par  un  bro- 
canteur, qui  les  avait  achetés  à  l'église ,  toujours  moyennant 
le  badigeonnage  d'une  chapelle.  A  Troye» ,  la  fabrique  de  la 
Madeleine  a  lait  tailler,  dans  les  bases  et  les  fûts  des  co- 
lonnes ,  un  certain  nombre  de  places ,  que  l'on  loue  à  S  ou  U 
francs  par  an,  au  risque  de  faire  écrouler  l'édifice  tout  entier. 
C'est,  du  reste,  la  même  fabrique  qui  voulait  absolument 
abattre  le  fameux  jubé  de  cette  église  ,  regardé  comme  le 
plus  beau  de  France,  sous  prétexte  que  ce  n'était  plus  de 
mode,  et  qui  ne  l'a  épargné  qu'à  condition  de  pouvoir  l'em- 
pâter sous  une  épaisse  couche  de  badigeon  '.  Rien  n'é- 
chappe à  ce  mépris  systématique  de  la  vénérable  antiquité  ; 
mais  ce  qui  semble  spécialement  exposé  à  ses  coups ,  ce 
sont  les  anciens  fonts  baptismaux ,  objets  de  l'étude  et  de 
l'appréciation  toute  particulière  de  nos  voisins  les  Anglais. 
A  Lagery ,  près  Reims ,  le  curé  a  fait  briser  des  fonts  romans 
pour  les  remplacer  par  des  fonts  modernes.  Il  en  est  de 
même  dans  presque  toutes  les  églises  du  nord  et  de  l'est  de 
la  France;  partout  les  fonts  sont  brisés  ou  relégués  dans  un 
coin  obscur,  pour  faire  place  à  quelque  conque  païenne.  De 
l'autre  côté  de  la  France,  près  Poitiers,  dans  une  église 

1  Arnaud,  Antiquités  de  Troyei ,  1827. 


—  Î39  — 

dont  j'ai  le  tort  d'avoir  oublié  le  nom ,  il  y  avait  un  ancien 
font  baptismal  par  immersion.  Cette  particularité  si  rare  et 
si  curieuse  n'a  pas  suffi  pour  lui  faire  trouver  grâce  devant 
le  curé,  qui  l'a  fait  détruire.  Ailleurs  ce  sont  ces  vieilles  ta- 
pisseries, si  estimées  aujourd'hui  des  antiquaires,  surtout 
depuis  que  le  bel  ouvrage  de  M.  Achille  Jubinal  est  venu  en 
révéler  toute  la  beauté  et  toute  l'importance.  A  Giermont  en 
Auvergne ,  il  y  a  dans  la  cathédrale  douze  tapisseries  prove- 
nant de  l'ancien  évêché,  et  faites  de  1505  à  1511 ,  sous  la 
direction  de  Jacques  d'Amboise ,  membre  de  cette  illustre 
famille  si  généreusement  amie  des  arts;  elles  sont  toutes 
déchirées,  moisies  et  abîmées  dépoussière.  M.  Thévenot, 
membre  du  comité  des  arts,  avait  offert  de  les  nettoyer  à  ses 
frais  et  d'en  prendre  un  calque;  mais  le  chapitre  lui  a  ré- 
pondu par  un  refus.  A  Notre-Dame  de  Reims ,  il  y  a  encore 
d'autres  tapisseries  du  xive  siècle ,  qui  sont  découpées,  et 
servent  de  tapis  de  pied  au  trône  épiscopal.  En  revanche , 
quand  on  aura  besoin  de  ce  genre  de  parures  pour  certaines 
fêtes  de  l'Église,  comme  c'est  encore  l'usage  à  Paris  pour  la 
semaine  sainte ,  soyez  sûr  qu'on  ira  chercher  au  hasard , 
dans  quelque  garde-meuble ,  tout  ce  qu'il  y  aura  de  plus 
ridiculement  contradictoire  avec  la  sainteté  du  lieu  et  du 
temps  ;  c'est  ainsi  que  le  vendredi  saint  de  cette  année  1838, 
tout  le  monde  a  pu  voir  au  tombeau  de  Saint-Sulpice ,  le 
Festin  d'Antoine  et  Cléopdtre  (Cléopâtre  dans  le  costume 
le  plus  léger),  et  à  celui  de  Saint-Germain l'Auxerrois f 
Vénus  amenant  l'Amour  aux  nymphes  de  Calypso! 
Terminons  cette  série  par  un  dernier  trait  de  ce  genre  :  à 
Saint-Guilhem ,  entre  Montpellier  et  Lodève ,  il  y  a  une 
église  bâtie,  selon  la  tradition,  par  Charîemagne  ,  et  dont 
l'autel  a  été  donné  par  saint  Grégoire  TU;  cet  autel  a  été 
arraché,  relégué  dans  un  coin,  par  le  curé  qui  y  a  substitué 
un  autel  en  bois  peint,  oubliant  sans  doute  qu'il  outrageait 


—   230    — 

ainsi  les  deux  plus  grands  noms  du  moyen  âge  catholique , 
Charlemaghe  et  Grégoire  VII  ! 

Quand  on  a  ainsi  disposé  de  la  partie  mobilière ,  il  reste 
l'immeuble,  que  l'on  s'évertue  le  mieux  que  l'on  peut  à  re- 
vêtir d'un  déguisement  moderne.  Quelle  est  l'église  de  France 
qui  ne  porte  les  traces  de  ces  anachronismes  trop  souvent 
irréparables  ?  Hélas  î  il  n'y  en  a  littéralement  pas  une  seule. 
Là  où  la  pioche  et  la  râpe  n'ont  pas  labouré  ces  saintes 
pierres ,  l'ignoble  badigeon  les  a  toujonrs  souillées.  Qu'ils 
parlent ,  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  voir  une  de  nos 
cathédrales  du  premier  ordre,  Chartres,  par  exemple,  il  y  a 
quelques  dix  ans ,  avant  qu'elle  ne  fût  jaunie  de  cet  ocre 
blafard  que  l'évêque  a  mis  tant  de  zèle  à  obtenir,  et  qu'ils 
nous  disent,  si  la  parole  leur  suffit  pour  cela,  tout  ce  qu'une 
église  peut  perdre  en  grandeur,  en  majesté,  en  sainteté ,  à 
ce  sot  travestissement  î  Statues,  bas-reliefs,  chapiteaux,  rin- 
ceaux, fresques,  pierres  tombales,  épitaphes ,  inscriptions 
pieuses ,  rien  n'est  épargné  :  il  faut  que  tout  y  passe;  il  faut 
cacher  tout  ce  qui  peut  rappeler  les  siècles  de  foi  et  d'en- 
thousiasme religieux,  ou  du  moins  rendre  méconnaissable  ce 
qu'on  ne  peut  complètement  anéantir.  D'où  il  résultera  cet 
autre  avantage ,  que  les  murs  de  l'église  seront  plus  écla- 
tans  que  le  jour  qui  doit  pénétrer  par  les  fenêtres,  même 
quand  celles-ci  seront  dégarnies  de  leurs  vitraux ,  et  que  par 
conséquent  les  conducteurs  naturels  de  la  lumière  auront 
l'air  de  lui  faire  obstacle.  Faire  l'histoire  des  ravages  du 
badigeon ,  ce  serait  faire  la  statistique  ecclésiastique  de  la 
France;  je  me  borne  à  invoquer  la  vengeance  de  la  publicité 
contre  les  derniers  attentats  qui  sont  parvenus  à  ma  connais- 
sance. A  Coutances ,  dans  cette  fameuse  cathédrale  qui  a  si 
long-temps  occupé  les  archéologues,  le  dernier  évêque  a  fait 
peindre  en  jaune  les  deux  collatéraux,  et  la  nef  du  milieu  en 
blanc ,  en  même  temps  qu'il  écrasait  l'un  des  transepts  sous 
la  masse  informe  d'un  autel  dédié.à  saint  Pierre ,  parce  qu'il 


—  231   — 

s'appelait  Pierre.  A  Boury ,  village  près  Gisors ,  le  curé  a 
trouve'  bon  de  donner  à  sa  vieille  église  le  costume  suivant  : 
les  gros  murs  en  bleu,  les  colonnes  en  rose,  le  tout  relevé 
par  des  plinthes  et  des  corniches  m  jaune.  A  Laon,  l'église 
romane  de  la  fameuse  abbaye  de  Saint-Martin  a  été  badi- 
geonnée en  ocre  des  pieds  à  la  tête,  par  son  curé,  et  dans  la 
cathédrale,  cette  charmante  chapelle  de  la  Vierge  qui  a 
germé  comme  une  fleur  sur  les  lignes  sévères  du  transept 
septentrional,  a  été  recouverte  d'un  jaune  épais ,  et  ornée 
d'une  série  d'arcades  à  rez-terre,  en  vert  marbré,  relevées 
par  des  colonnes  orange  ;  cette  mascarade  est  due  à  un  ec- 
clésiastique de  la  paroisse ,  et  il  n'y  a  de  plus  affreux  que  la 
longue  balustrade  qui  coupe  par  le  milieu  l'extrémité  carrée 
du  chœur,  et  qui  est  peint  en  noir  parce  que  le  mur  auquel 
elle  s'appuie,  est  peinte  en  blanc.  A  la  grande  collégiale  de 
Saint-Quentin ,  il  y  a  autour  du  chœur  cinq  chapelles  que 
M.  Vitet  a  qualifiées  avec  raison  de  «  ravissantes,  d'un  goût 
«  et  d'un  dessin  tout-à-fait  mauresque  * .  »  Mais  je  ne  sais  si, 
de  son  temps,  celle  du  chevet  était  décorée  aves  des  bandes 
de  papier  peint  marbré ,  absolument  comme  l'antichambre 
d'un  hôtel  garni ,  avec  un  prétendu  vitrail  en  petits  carrés 
de  verre  bleus  et  rouges,  à  travers  lesquels  les  enfans 
peuvent  s'amuser  à  voir  trembloter  le  feuillage  d'un  arbre 
planté  au  chevet  de  l'église.  On  n'a  pas  respecté  davantage 
la  curieuse  église  de  l'abbaye  de  Saint-Michel  en  Thiérache, 
que  je  recommande  vivement  aux  antiquaires  qui  seront 
chargés  de  la  statistique  si  importante  du  département  de 
l'Aisne  ;  dans  une  position  charmante  et  presque  cachée  au 
bord  des  vastes  forêts  qui  longent  la  frontière  belge ,  elle 
offre  le  plus  grand  intérêt  parla  disposition  tout-à-fait  excen- 
trique de  ses  cinq  absides,  et  par  son  transept  duxne  siècle. 
Les  moines  l'avaient  refaite  à  moitié  dans  le  xvnc  siècle,  et 

'  Rapport  au  minisire  de  l'intérieur,  page  61. 


avaient  plaqué  beaucoup  de  marbre  sur  ce  qui  restait  d'ancien. 
Mais  il  y  a  deux  ans  que  sa  solitude  et  sa  beauté  n'ont  pu  la 
mettre  à  l'abri  d'une  couche  générale  de  jaune,  d'orange  et  de 
blanc  qui  en  alourdit  et  allèreles  proportions.  Dans  le  midi  on 
doit  déplorer  les  badigeonnâmes  récens  de  St-André-le-Bas  à 
Vienne,de  Notre-Dame-dOrcival  en  Auvergne,  deSt-Michel 
au  Puy-en-Veîay,  enfin  de  la  cathédrale  de  Lyon  ;  cette  der- 
nière œuvre  est  du  fait  de  M.  Chenavard,  architecte  à  qui  des 
juges  plus  compétens  que  moi  ont  déjà  imputé  l'écroulement 
de  l'ancienne  nef  de  la  cathédrale  deBelley,  ainsi  que  des  res- 
taurations et  constructions  très  affligeantes,  à  Saint- Vincent 
de  Chàlons-sur-Saône  K  Quant  à  ce  qui  se  passe  dans  Paris, 
j'emprunte  l'énergique  langage  du  rapport  de  M.  de  Gasparin  : 
*  On  empâte ,  dit-il ,  de  peinture ,  et  on  cache  sous  le  stuc 
deux  chapelles  de  Saint-Germain-des-Prés ,  en  attendant 
qu'on  ait  assez  d'argent  pour  habiller  ainsi  l'église  entière. 
On  déguise,  sous  des  couleurs  vert-pomme  et  bleu-pàîe  dé- 
trempées dans  l'huile,  l'église  Saint-Laurent,  et  on  en  trans- 
forme en  ce  moment  les  chapelles  en  armoires.  Enfin  l'on 
badigeonne  et  l'on  gratte  tout  à  la  fois  la  grande  église  de 
Saint-Sulpice  qu'une  vieille  teinte  grise  commençait  déjà  à 
rendre  respectable2.  » 

Ce  n'est  pas  au  clergé,  c'est  au  conseil  des  bâtimens  ci- 
vils, siégeant  à  Paris,  qu'il  faut  attribuer  et  reprocher  l'o- 
dieux système  que  l'on  suit  partout  à  rencontre  des  clochers 
d'églises  rurales.  Il  est  à  peu  près  reconnu  par  tout  le  monde 
que  les  flèches  gothiques,  ou  en  pointe ,  sont  le  plus  bel  or- 
nement des  horizons  de  nos  campagnes.  Mais  malheur  à 
celle  qui  exige  des  réparations.  Fût-elle  la  plus  antique,  la 

*  Cet  architecte  vandale  est  justement  jugé  dans  la  lettre  de  M.  de 
Guilhermy  au  minisire  de  l'instruction  publique,  sur  les  monumens 
du  Lyonnais ,  insérée  dans  le  Journal  de  l'Instruction  publique  de 
novembre  1838. 

*  Moniteur  du  3  août  1838. 


—   233  — 

plus  noble ,  la  plus  gracieuse  du  monde,  point  de  pitié.  Dès 
qu'on  y  touche,  il  faut  la  remplacer  par  deux  pans  coupés, 
ou  par  une  sorte  de  calotte  ou  chaudière.  C'est  la  règle  pre- 
scrite par  le  conseil  des  bâtimens ,  qui  ne  souffre  pas  qu'on 
s'en  écarte ,  quand  même  on  aurait  tout  l'argent  nécessaire 
pour  payer  quelque  chose  de  mieux.  La  ville  de  Charmes , 
dans  les  Vosges ,  avait  près  de  cent  mille  francs  de  fonds 
municipaux  disponibles,  pour  une  réparation  de  cette  na- 
ture :  on  ne  l'en  a  pas  moins  forcée  à  remplacer,  par  un  ca- 
puchon en  forme  de  marmite  renversée ,  sa  flèche  élégante 
et  fière ,  qui  de  trois  lieues  à  la  ronde  ornait  le  paysage.  On 
pourrait  citer  une  foule  d'autres  exemples  de  ce  genre.  Le 
résultat  général  de  cette  sorte  de  progrès  consiste  à  abaisser 
partout  les  croix  de  village  de  trente  à  quarante  pieds.  Belle 
victoire  pour  la  civilisation. 

Enfin ,  avant  de  sortir  des  églises ,  il  faut  bien  consacrer 
quelques  mots  à  une  classe  spéciale  de  vandales  qui  y  ont 
élu  domicile,  c'est-à-dire  aux  organistes.  Si  c'est  un  crime 
d'offenser  les  yeux  par  des  constructions  baroques  et  ridi- 
cules, c'en  est  un,  assurément,  que  d'outrager  des  oreilles 
raisonnables  par  une  prétendue  musique  religieuse  qui  ex- 
cite dans  l'âme  tout  ce  qu'on  veut ,  excepté  des  sentimens 
religieux ,  et  d'employer  à  cette  profanation  le  roi  des  ins- 
trumens,  Y  organe  intime  et  majestueux  des  harmonies  chré- 
tiennes. Or,  dans  toute  la  France,  et  spécialement  à  Paris, 
les  organistes  se  rendent  coupables  de  ce  crime.  Règle  gé- 
nérale, toutes  les  fois  qu'on  invoquera  le  secours  si  puissant 
et  si  nécessaire  de  l'orgue  pour  compléter  les  cérémonies  du 
culte,  toutes  les  fois  qu'on  verra  affiché  sur  le  programme 
de  quelque  fête  que  l'orgue  sera  touché  par  M.'"*,  on  peut 
être  d'avance  sur  d'entendre  quelques  airs  du  nouvel  opéra, 
des  valses,  des  contredanses,  des  tours  de  force,  si  l'on  veut, 
mais  jamais  un  motet  vraiment  empreint  de  sentiment  reli- 


—  nu  — 

gieux;  jamais  une  de  ces  grandes  compositions  des  anciens 
maîtres  d'Allemagne  ou  d'Italie  ;  jamais  surtout  une  de  ces 
vieilles  mélodies  catholiques,  faites  pour  l'orgue  et  pour  les- 
quelles seules  l'orgue  lui-même  est  fait.  Je  ne  conçois  rien  de 
plus  grotesque  et  de  plus  profane  à  la  fois  que  le  système  suivi 
par  les  organistes  de  Paris»  Leur  but  semble  être  de  mon- 
trer que  l'orgue ,  sous  des  mains  habiles  comme  les  leurs , 
peut  rivaliser  avec  le  piano  de  la  demoiselle  du  coin,  ou  avec 
la  musique  du  régiment  qu'on  entend  passer  dans  la  rue. 
Quelquefois  ils  descendent  plus  bas,  et  le  jour  de  Pâques  de 
cette  année  1838,  on  a  entendu  au  salut  de  Saint-Étienne- 
du-Mont,  un  air  fort  connu  des  buveurs,  dont  les  premières 
paroles  sont  : 

Mes  amis,  quand  je  bois, 

Je  suis  plus  heureux  qu'un  roi. 

On  voit  que  ce  n'est  guère  la  peine  pour  Mgr.  l'archevêque  de 
Paris  d'interdire  la  musique  de  théâtre  dans  les  églises, 
puisque  les  organistes  y  introduisent  de  la  musique  de  caba- 
ret. Il  y  a  long-temps  cependant  que  ces  abus,  si  patiem- 
ment tolérés  aujourd'hui,  sont  proscrits  par  l'autorité  com- 
pétente ;  et,  pour  me  mettre  à  l'abri  du  reproche  d'être  un 
novateur  audacieux,  je  veux  citer  deux  anciens  canons  qu'on 
trouve  dans  le  Bréviaire  de  Paris.  Le  premier  est  du  concile 
de  Paris ,  en  1528 ,  décret  17  :  «  Les  saints  Pères  n'ont  in- 
troduit dans  l'Eglise  l'usage  des  orgues  que  pour  le  culte  et 
le  service  de  Dieu.  Ainsi ,  nous  défendons  qu'on  joue  dans 
l'église  sur  ces  instrumens  des  chanls  lascifs  ;  nous  ne  per- 
mettons que  des  sons  doux ,  dont  la  mélodie  ne  représente 
que  de  saintes  hymnes  et  des  cantiques  spirituels.  »  Le  se- 
cond est  de  l'archevêque  François  de  Harlay ,  article  32  des 
statuts  du  synode  de  \  674  :  «  Nous  défendons  expressément 
d'introduire  dans  les  églises  et  chapelles  des  musiques  pro- 
fanes et  séculières,  avec  des  modulations  vives  et  sautil*- 


—   235  — 

lantes;  de  jouer  sur  les  orgues  des  chansons  ou  autres  airs 
indignes  de  la  modestie  et  de  la  gravité  du  chant  ecclésias- 
tique  Enfin,  nous  défendons  d'envoyer  ou  d'afficher  des 

programmes  pour  inviter  les  fidèles  à  des  musiques  dans  les 
églises,  comme  à  des  pièces  de  théâtre  ou  à  des  spectacles.  * 

Pour  pardonner  tout  ce  qu'on  fait  et  tout  ce  qui  se  laisse 
faire  dans  les  églises ,  il  faut  se  souvenir  qu'on  se  borne  à 
suivre  la  route  tracée  par  la  plupart  de  nos  savans  et  de  nos 
artistes  attitrés ,  dont  tout  le  génie  consiste  à  mépriser  et  à 
ignorer  l'art  chrétien  ;  il  faut  se  souvenir  que  l'un  des  ar- 
chitectes les  plus  renommés  de  la  capitale,  et  qui  postule 
aujourd'hui  une  importante  restauration  gothique ,  qualifie 
l'architecture  du  moyen  âge  &' architecture  à  chauve-sou- 
ris, et  qu'une  des  lumières  de  l'Académie  des  Beaux- Arts  dé- 
plore partout  l'appui  donné  par  le  gouvernement  à  la  seule 
tendance  qu'il  importe  de  décourager. 

Je  ne  puis  terminer  cette  invective  sans  faire  une  ré- 
tractation exigée  par  la  justice.  J'ai  dit  naguère,  que 
partout,  excepté  en  France,  les  monumens  d'art  ancien 
étaient  respectés,  et  j'ai  nommé  la  Belgique  parmi  les  pays 
qui  lui  donnaient  cette  salutaire  leçon.  Après  avoir  pris  une 
connaissance  plus  approfondie  des  faits ,  je  suis  obligé  de 
dire  qu'il  n'en  est  rien ,  et  que ,  si  le  gouvernement  et  la  lé- 
gislation belge  sont  plus  avancés  que  les  nôtres  sous  ce  rap- 
port ,  en  revanche ,  les  dispositions  générales  du  pays  sont 
plutôt  en  arrière  de  celles  de  la  France.  Par  une  contradic- 
tion remarquable,  la  Belgique ,  qui  avait  su  se  garantir  plus 
qu'un  autre  pays  des  doctrines  gallicanes  et  philosophiques 
du  xvme  siècle ,  comme  l'a  démontré  son  insurrection  con- 
tre Joseph  II ,  avait  cependant  subi  à  un  degré  incroyable 
l'influence  de  l'art  dégénéré  des  époques  de  Louis  XIV  et 
de  Louis  XV.  Je  ne  connais  rien  en  France  de  comparable 
aux  gaînes  colossales  par  lesquelles  on  a  trouvé  moyen  de 
défigurer  la  nef  de  la  cathédrale  de  Malines  ;  à  la  façade  de 


—   236   — 

Notre-Dame-de-Finistère  à  Bruxelles,  véritable  passoir  à  café 
flanquée  de  deux  bilboquets  ;  aux  miroirs,  aux  plâtres  et  aux 
marbrures  qui  déshonorent  Saint-Paul  et  Saint-Jacques  à 
Liège  ;  à  ces  autels  monstres  en  marbre  noir,  inventés  ex- 
près pour  détruire,  comme  à  Anvers ,  l'effet  de  la  plus  belle 
église  gothique.  La  Belgique  n'a  pas  encore  su  se  dégager 
de  ces  langes  grotesques.  Et,  chez  elle,  le  vandalisme  res- 
taurateur marche  fièrement  à  côté  du  vandalisme  destruc- 
teur. Ce  dernier  lui  fut  apporté  par  la  conquête  française , 
qui  fit  disparaître  presque  toutes  ses  magnifiques  abbayes  et 
deux  de  ses  plus  anciennes  cathédrales.  Le  règne  de  la  mai- 
son d'Orange  fut  aussi  une  époque  de  dévastation  et  d'aban- 
don systématique.  Je  ne  veux  en  citer  que  deux  traits.  A 
l'époque  où  le  roi  Guillaume  Ier  mettait  en  vente  à  son  pro- 
fit pour  94  millions  de  domaines  nationaux  belges,  et  où  il 
livrait  à  la  hache  d'impitoyables  spéculateurs  cette  forêt  de 
Soignes,  la  plus  belle  de  l'Europe  occidentale,  l'ornement  de 
Bruxelles  et  du  pays  tout  entier,  ce  prince  éclairé  crut  faire 
une  bonne  affaire  en  faisant  vendre  aux  enchères  l'ancien 
château  de  Vianden,  dans  le  Luxembourg,  édifice  immense 
et  admirable,  sur  un  rocher  qui  domine  l'Our,  parfaitement 
conservé  et  habité  \  et  qui  devait  en  outre  avoir,  à  ses  yeux 
le  mérite  d'avoir  été  la  première  possession  de  la  maison  de 
Nassau  dans  les  Pays-Bas2.  Il  fut  adjugé  pour  six  mille 
francs  à  un  entrepreneur,  qui  en  enleva  les  plombs,  les  bois; 
et  le  rendit  ainsi  aussi  inhabitable  que  possible,  jusqu'à  ce  que 
le  roi ,  éveillé  par  les  clameurs  que  faisait  pousser  cet  acte 
de  vandalisme  inoui ,  racheta  les  ruines  du  château  de  ses 
pères  moyennant  3,000  francs.  C'étaient  toujours  1,000  écus 


1  Le  roi  l'avait  repris  à  M.  de  Marbœuf ,  qui  l'avait  reçu  en  dota- 
tion de  Napoléon ,  et  qui  l'entretenait  fort  bien. 

*  En  1340,  Marguerite  de  Spanheim,  héritière  du  comte  de  Vian- 
den .  l'apporta  en  dot  à  Otbon ,  comte  de  Nassau. 


—  237  — 

de  profit,  et  une  gloire  de  moins  pour  sa  couronne  et  pour 
le  pays  ;  et  cependant  voilà  ce  qu'on  appelait  une  restaura- 
tion !  Ces  ruines ,  dans  leur  état  actuel ,  sont ,  de  l'avis  una- 
nime des  voyageurs ,  plus  vastes  et  mieux  conservées  que 
tout  ce  qu'on  voit  de  ce  genre  sur  les  bords  du  Rhin  ;  qu'on 
juge  du  prix  qu'avait  un  pareil  monument  dans  son  intégri- 
té. Sous  ce  même  règne,  en  1822,  on  voyait  encore,  à  quatre 
lieues  de  Bruxelles ,  l'immense  abbaye  des  Prémontrés  de 
Ninove.  Ses  quatre  façades  offraient  un  vaste  ensemble  d'ar- 
chitecture classique,  dans  les  proportions  les  plus  imposantes 
et  les  plus  régulières;  sa  reconstruction,  en  1718,  avait 
coûté  3,500,000  francs.  En  1822,  elle  était  dans  un  état  de 
conservation  parfaite,  et  on  la  mettait  en  vente  pour  80,000 
francs.  La  province  delà  Flandre- Orientale  voulut  en  faire 
l'acquisition  pour  l'offrir  comme  château  au  prince  d'Orange, 
qui  faisait  alors  bâtir  à  Bruxelles  un  palais  dont  toute  l'é- 
tendue n'égale  pas  une  seule  des  quatre  façades  de  Ninove  ; 
mais  le  roi  refusa  cette  offre.  Il  n'eut  pas  davantage  l'idée 
d'utiliser  cet  immense  édifice,  si  voisin  de  sa  capitale  ,  pour 
en  faire  un  hospice,  un  collège,  ou  une  caserne;  et  l'adjudi- 
cation définitive  eut  lieu  le  15  janvier,  après  l'affiche  sui- 
vante que  nous  croyons  devoir  transcrire  comme  une  curieuse 
pièce  justificative  de  la  futurehistoire  du  vandalisme  :  «  Cette 
abbaye  ,  dont  la  construction  a  coûté  plus  de  i, 500, 000  flo- 
rins avant  la  révolution,  offre,  sous  le  rapport  de  la  démo- 
lition, des  avantages  immenses.  Tous  les  matériaux  en  sont 
de  la  plus  grande  beauté  :  le  fer ,  le  plomb  ,  les  ardoises 
fortes ,  les  grès ,  le  marbre,  n'y  ont  pas  été  épargnés;  la 
charpente  en  est  énorme  ;  aucune  planche  n'a  été  clouée. 
Pour  le  transport ,  la  Dendre  offre  un  moyen  facile.  Les 
fortifications  de  Termonde ,  les  travaux  à  Bruxelles ,  etc., 
assurent  le  débit  avantageux  des  matériaux.  En  un  mot, 
cette  vente  se  présente  aux  spéculateurs  sous  l'aspect  et  dans 
les  circonstances  les  plus  favorables.  » 


—  238  — 

Tous  ces  avantages  ont  été  si  bien  saisis  qu'aujourd'hui  il 
ne  reste  pas  pierre  sur  pierre  de  l'édifice.  Seulement  on  peut 
en  examiner  les  plans  chez  un  menuisier  de  la  ville,  et  vrai- 
ment c'est  une  visite  qui  vaut  la  peine  d'être  faite,  pour  voir 
jusqu'où  la  fureur  de  détruire  peut  aller,  en  pleine  paix  et 
sous  un  gouvernement  régulier. 

Depuis  la  révolution  de  1830  ,  le  nouveau  gouvernement 
s'est  occupé  avec  quelque  sollicitude  de  la  conservation  des 
raonumens.  La  loi  communale ,  tout  en  accordant  aux  mu- 
nicipalités des  attributions  plus  larges  qu'en  aucun  autre  pays 
du  monde,  leur  défend  de  procéder,  sans  Y  approbation  du 
roi,  «  à  la  démolition  des  monumens  de  l'antiquité  et  aux 
réparations  à  y  faire,  lorsque  ces  réparations  sont  de  nature 
à  changer  le  style  ou  le  caractère  des  monumens1.  Voilà  de 
belles  et  sages  paroles,  dont  l'absence  se  fait  regretter  dans 
notre  loi  municipale  française  !  Pour  que  l'approbation  du 
roi  ne  soit  jamais  surprise ,  il  a  été  institué  une  commission 
royale  des  monumens,  présidée  par  le  comte  Amédée  de 
Beauffort,  et  qui  a  déjà  rendu  de  grands  services.  Il  faut  es- 

1  Voici  un  arrêté  du  roi  Léopold,  qui  montre  comment  cette  loi 
excellente  est  exécutée.  Il  est  daté  du  28  novembre  1838.  C'est  un 
contraste  hnmiliant  pour  nous  que  celui  des  mesures  prises  à  Dinant 
en  Belgique,  avec  les  dévastations  de  Dinan  en  Bretagne,  dont  nous 
par  lions  plus  haut ,  page  215. 

«  Vu  l'arrêté  du  25  août  1837 ,  ordonnant  le  redressement  de  la 
route  de  première  classe ,  n°  3 ,  de  Namur  vers  Givet ,  dans  la  partie 
de  la  traverse  de  Dînant ,  comprise  entre  la  place  Saint-Nicolas  et  la 
sortie  de  la  ville  vers  Givet  ; 

Considérant  que ,  par  suite  de  ce  redressement ,  la  porte  Saint- 
Nicolas  ^devait  être  démolie;  que  cependant,  cette  porte  étant  d'une 
belle  construction  et  d'une  grande  antiquité ,  il  est  désirable  qu'elle 
soit  conservée  intacte  en  la  dégageant  convenablement  ;  que ,  sous  ce 
dernier  rapport,  de  nouvelles  dépenses  deviennent  nécessaires  ;.... 

Considérant  que  la  ville  de  Dinant  est  particulièrement  intéressée  à 
la  conservation  de  la  porte  dont  il  s'agit,  et  que  l'Etat,  tout  en  prê- 


—  239  — 

pérer  que ,  grâce  à  ces  précautions ,  on  ne  verra  plus  ce  qui 
s'est  passé  il  y  a  quelques  années  à  Chimay,  lorsque  la  pierre 
sépulcrale  de  l'historien  Froissart  (chanoine  de  la  collégiale 
de  Chimay)  fut  enlevée  et  brisée  pour  faire  une  entrée  par- 
ticulière dans  la  chapelle  des  fonts  !  On  est  déjà  parvenu  à 
sauver,  entre  autres  débris  curieux,  la  vieille  porte  de  Hall, 
à  Bruxelles,  qui  renferme  encore  de  très  belles  salles,  et  que 
l'on  s'acharnait  à  remplacer  par  deux  de  ces  barraques  à 
porche  et  à  fronton  obtus  qui  ornent  toutes  les  autres  entrées 
de  la  capitale.  On  a  même  été  assez  heureux  pour  rendre  à 
Sainte-Gudule  une  portion  notable  de  son  ancienne  beauté, 
en  détruisant  le  maître-autel  qui  obstruait  son  chevet.  M.  Ro- 
gier  ,  ancien  ministre  de  l'intérieur ,  et  actuellement  gou- 
verneur de  la  province  d'Anvers ,  avait  conçu  et  proposé  la 
magnifique  idée  de  faire  terminer  la  flèche  de  la  cathédrale 
de  Malines ,  par  une  souscription  populaire ,  afin  de  placer 
sous  cette  consécration  religieuse  et  nationale ,  le  souvenir 
de  la  révolution  de  1830,  et  le  point  central  du  système  des 
chemins  de  fer  qui  doit  changer  industriellement  la  face  de  la 
Belgique.  Malheureusement  on  a  cru  s'apercevoir  que  les 
fondemens  de  la  tour  ne  supporteraient  pas  une  augmenta- 
tion de  poids  aussi  considérable.  La  ville  de  Malines  mérite- 
rait ,  du  reste ,  assez  peu  cet  honneur ,  car  sa  régence  est 


tant  son  concours  à  la  chose ,  n'est  cependant  déterminé  que  par  un 
intérêt  secondaire  quant  à  la  voirie  ; 

Dispose  : 

Art.  1er.  Il  est  accordé  à  la  ville  de  Dînant ,  à  titre  de  subside,  une 
somme  de  trois  cents  francs,  pour  contribuer  à  la  dépense  que  néces- 
sitera la  conservation  de  la  porte  dite  de  Saint-Nicolas  en  cette  ville. 

Art.  2.  Les  terrains  nécessaires,  et  notamment  celui  qui  se  tronve 
au  delà  de  la  porte  et  qui  forme  l'angle  de  séparation  de  Pancienne 
route  de  la  nouvelle,  seront  acquis  et  occupés  conformément  aux  lois 
en  matière  d'expropriation  pour  cause  d'utilité  publique. 


—  240   — 

occupée  en  ce  moment  à  postuler  avec  acharnement  la  des- 
truction de  la  belle  porte  à  tourelles  qui  conduit  à  Bruxelles; 
et  lorsqu'on  leur  reproche  cette  barbarie ,  ils  répondent  : 
«Oh  !  nous  en  avons  détruit  une,  il  y  a  quelques  années,  celle 
de  Louvain,  qui  était  bien  plus  belle  encore!  »  Et  ils  disent 
vrai,  à  leur  plus  grande  honte.  Mais  si  le  gouvernement 
a  quelque  prise  sur  les  administrations  provinciales  et  munici- 
pales, il  n'en  a  point  sur  les  particuliers  ni  sur  le  clergé.  La 
vente  des  vitraux  et  des  chaires ,  de  tous  les  fragmens  mobi- 
liers d'art  chrétien ,  à  des  Anglais  ou  à  des  brocanteurs  de 
Paris,  est  organisée  sur  une  très  grande  échelle;  il  n'a  fallu 
rien  moins  que  l'intervention  du  roi  protestant,  pour  empê- 
cher le  curé  catholique  d'Alsemberg ,  de  vendre  la  chaire 
gothique  de  son  église  à  un  Anglais.  A  Aine ,  abbaye  fondée 
par  saint  Bernard ,  sur  les  bords  de  la  Sambre  ,  il  existe  en- 
core la  plus  grande  partie  de  la  maison  et  une  moitié  en- 
viron de  l'église,  qui  date  de  l'époque  même  du  fonda- 
teur. Croirait-on  que  ce  sont  les  anciens  religieux  eux- 
mêmes ,  qui,  ayant  racheté  ces  ruines,  les  vendent  par 
charretées!  ASainte-Gudule  même,  dont  la  restauration  se 
fait ,  en  général ,  avec  beaucoup  de  zèle  et  de  goût ,  il  faut 
cependant  dénoncer  l'architecte  qui  a  trouvé  bon  de  faire 
arracher  un  grand  nombre  de  consoles  richement  sculptées 
sur  les  tours  delà  façade,  sous  prétexte  que  ces  consoles 
sans  statues  ne  signifiaient  rien.  Quant  au  règne  du  badi- 
geon, il  est  encore  bien  plus  universel  et  plus  solidement 
établi  qu'en  France.  Je  ne  crois  pas  qu'à  l'exception  de 
Sainte-Waudru  de  Mons ,  il  y  ait  une  seule  église  de  Belgi- 
que ,  grande  ou  petite ,  qui  ne  soit  pas  périodiquement  ra- 
doubée et  mastiquée  dune  pâte  impitoyablement  épaisse; 
il  en  résulte  que  la  sculpture ,  si  florissante  au  moyen  âge 
en  Belgique,  est  comme  annulée  partout  où  il  s'en  trouve 
quelques  monumens  dans  les  églises  :  comment  reconnaître 
non  seulement  l'expression ,  mais  jusqu'aux  premières  for- 


—   241   — 

mes  d'une  figure  qui  est  recouverte  d'au  moins  dix  couches 
successives  de  plâtre?  On  ne  se  figure  pas  le  changement 
que  subiraient  toutes  les  églises  belges ,  si  quelque  chimiste 
tout-puissant  trouvait  le  moyen  de  les  dégager  de  cette  en- 
veloppe déjà  séculaire,  et  de  les  rendre  à  leur  légèreté  pri- 
mitive. Il  n'y  a  pas  jusqu'au  délicieux  jubé  de  Louvain,  dont 
la  transparence  ne  soit  interceptée  autant  que  possible  par 
un  voile  écailleux.  Seulement  au  lieu  du  beurre  frais  et  de 
l'ocre,  usités  en  France,  c'est  le  blanc  qui  est  universelle- 
ment adopté  en  Belgique,  un  blanc  vif,  luisant,  éblouissant, 
dont  on  ne  se  fait  pas  une  idée  avant  de  l'avoir  vu.  On  sort 
de  là  comme  d'un  moulin ,  avec  la  crainte  d'être  soi-même 
blanchi.  Puis  si  on  jette  un  regard  en  arrière  sur  l'édifice, 
on  se  croit  encore  poursuivi  par  la  brosse  fatale,  car,  par  un 
raffinement  barbare ,  ce  n'est  pas  seulement  l'intérieur  qui 
est  métamorphosé  en  banc  de  craie,  ce  sont  encore  les  por- 
ches, les  portails ,  tout  ce  qui  peut  se  relever  sur  la  couleur 
sombre  des  pierres  extérieures,  et  jusqu'aux  meneaux  et  aux 
archivoltes  de  toutes  les  fenêtres ,  qui  sont  passés  au  blanc 
par  dehors,  comme  pour  avertir  le  passant  du  sort  qui  l'at- 
tend au  dedans.  Je  n'ai  vu  nulle  part  le  moindre  germe  de 
réforme  sur  ce  point. 

Pour  en  revenir  à  notre  France ,  et  pour  qu'on  ne  me  re- 
proche pas  de  parler  si  long-temps  sans  indiquer  un  remède, 
je  finirai  en  insistant  sur  la  nécessité  de  régulariser  et  de 
fortifier  l'action  de  l'inspecteur-général  des  monumens  his- 
toriques, et  celle  de  la  commission  qui  délibère  sur  ses  pro- 
positions au  ministère  de  l'intérieur  :  une  loi ,  ou  au  moins 
une  ordonnance  royale,  est  urgente  pour  leur  donner  un 
droit  d'intervention  légale  et  immédiate  dans  les  décisions 
des  municipalités  et  des  conseils  de  fabrique.  J'ai  déjà  cité 
la  loi  belge  à  ce  sujet  ;  en  Prusse  il  y  a  un  édit  royal  qui  in- 
terdit strictement  la  destruction  de  tout  édifice  quelconque 
revêtu  d'un  caractère  monumental  ou  se  rattachant  à  un 

16 


—  242  — 

souvenir  historique ,  et  qui  ordonne  de  conserver,  dans  tou- 
tes les  réparations  de  ces  édifices,  le  caractère  et  le  style  de 
l'architecture  primitive.  En  Bavière  la  même  prohibition 
existe,  et  s'étend,  par  une  disposition  récente,  jusqu'aux 
chaumières  des  montagnes  de  la  Haute-Bavière ,  si  pittores- 
ques ,  si  bien  calculées  pour  le  climat  et  la  localité ,  et  aux- 
quelles il  est  défendu  de  substituer  les  boîtes  carrées  que 
voulaient  y  importer  certains  architectes  urbains.  Il  faut  que 
quelque  mesure  sérieuse  de  ce  genre  soit  adoptée  en  France  ; 
c'est  la  seule  chance  de  salut  pour  ce  qui  nous  reste  :  c'est  le 
seul  moyen  d'appuyer  les  progrès  trop  lents  et  trop  timides 
de  l'opinion. 

Et ,  en  vérité ,  il  est  temps  d'arrêter  les  démolisseurs.  A 
mesure  que  l'on  approfondit  l'étude  de  notre  ancienne  his- 
toire et  de  la  société  telle  qu'elle  était  organisée  dans  les 
siècles  catholiques ,  on  se  fait ,  ce  me  semble ,  une  idée  plus 
nette  et  une  appréciation  plus  sérieuse  des  formes  matériel- 
les que  cette  société  avait  créées,  pour  lui  servir  de  mani- 
festations extérieures.  Il  est  impossible  alors  de  n'être  pas 
frappé  du  contraste  que  présente  le  monde  actuel  avec  le 
monde  d'alors,  sous  le  rapport  de  la  beauté.  On  a  fait  bien 
des  progrès  de  tous  genres  ;  je  n'entends  ni  les  contester,  ni 
même  les  examiner  ;  il  en  est  que  j'adopte  avec  toute  la  fer- 
veur de  mon  siècle  ;  mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  déplorer 
que  tous  ces  progrès  n'aient  pu  être  obtenus  qu'aux  dépens 
de  la  beauté,  qu'ils  aient  intronisé  le  règne  du  laid ,  du  plat 
et  du  monotone.  Le  beau  est  un  des  besoins  de  l'homme ,  de 
ses  plus  nobles  besoins  ;  il  est  de  jour  en  jour  moins  satisfait 
dans  notre  société  moderne.  Je  m'imagine  qu'un  de  nos  bar- 
bares aïeux  du  xve  ou  du  xvie  siècle  nous  plaindrait  amère- 
ment si ,  revenant  du  tombeau  parmi  nous ,  il  comparait  la 
France  telle  qu'il  l'avait  laissée  avec  la  France  telle  que  nous 
l'avons  faite,  son  pays  tout  parsemé  de  monumens  innom- 
brables et  aussi  merveilleux  par  [leur  beauté  que  par  leur 


—   243  — 

inépuisable  variété ,  avec  sa  surface  actuelle  de  jour  en  jour 
plus  uniforme  et  plus  aplatie  ;  ces  villes  annoncées  de  loin 
par  leur  forêt  de  clochers,  par  des  remparts  et  des  portes  si 
majestueuses,  avec  nos  quartiers  neufs  qui  s'élèvent ,  tailles 
sur  les  mêmes  patrons ,  dans  toutes  les  sous-préfectures  du 
royaume;  ces  châteaux  sur  chaque  montagne,  et  ces  abbayes 
dans  chaque  vallée,  avec  les  masses  informes  de  nos  manu- 
factures ;  ces  églises,  ces  chapelles  dans  chaque  village,  tou- 
jours remplies  de  sculptures  et  de  tableaux  d'une  originalité 
complète,  avec  les  hideux  produits  de  l'architecture  officielle 
de  nos  jours;  ces  flèches  à  jour  avec  les  noirs  tuyaux  de  nos 
usines,  et ,  en  dernier  lieu ,  son  noble  et  gracieux  costume 
avec  notre  habit  à  queue  de  morue.  —  Laissons  au  moins 
les  choses  telles  qu'elles  sont  ;  le  monde  est  assez  laid  comme 
cela  ;  gardons  au  moins  les  trop  rares  vestiges  de  son  an- 
cienne beauté,  et,  pour  cela ,  empêchons  un  vandalisme  dé- 
crépit de  continuer  à  mettre  en  coupe  réglée  les  souvenirs 
de  notre  histotee  et  de  défricher  officiellement  les  monu- 
mens  plantés  sur  le  sol  de  la  patrie  par  la  forte  main  de  nos 
aïeux. 


NOTICE  SUR  LE  BIENHEUREUX  FRÈRE 

ANGÉLIQUE  DE  FIESOLE  '. 


Le  nom  du  moine  Jean  de  Fiesole,  peintre  de  l'école  ca- 
tholique de  Florence  (Fra  Giovanni  Angelico  da  Fiesole), 
surnommé  Y  Angélique,  et  communément  appelé  en  Italie 
il  Beato,  ne  se  trouve  presque  dans  aucun  des  ouvrages  qui 
ont  traité  de  l'art  pendant  les  trois  derniers  siècles.  On  ne 
saurait  ni  s'en  étonner,  ni  s'en  plaindre.  La  gloire  de  celui 
qui  a  atteint  l'idéal  de  l'art  chrétien  méritait  de  n'être  pas 
confondue  avec  celle  qu'on  a  décernée  à  des  artistes  comme 
Jules  Romain ,  le  Dominiquin ,  les  Carraches  et  autres  de  ce 
genre  :  mieux  valait  pour  lui  être  totalement  oublié  que 
d'être  placé  sur  la  même  ligne  qu'eux.  Peu  de  temps  après 
sa  mort,  le  paganisme  fit  irruption  dans  toutes  les  branches 
de  la  société  chrétienne  :  en  politique ,  par  l'établissement 

*  Cette  notice  est  extraite  de  la  seconde  livraison  des  Monument 
de  l'Histoire  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  publiés  par  A.  JBoblet , 
Paris,  1838-1839. 


—  245   — 

des  monarchies  absolues  ;  en  littérature,  par  l'étude  exclu- 
sive des  auteurs  classiques;  dans  l'art,  par  le  culte  de  la  my- 
thologie, de  la  nudité  et  du  naturalisme  qui  signale  l'époque 
de  la  renaissance.  Devenu  rapidement  vainqueur  et  maître, 
il  eut  soin  de  discréditer  et  les  hommes  et  les  choses  qui  por- 
taient l'empreinte  ineffable  du  génie  chrétien  :  Fra  Angelico 
eut  l'honneur  d'être  confondu  dans  la  proscription  qui  enve- 
loppa à  la  fois  et  les  constitutions  sociales  du  moyen  âge ,  et 
cette  poésie  pieuse  et  chevaleresque  dont  l'Europe  avait  été 
si  long-temps  charmée,  et  enfin  cet  art  si  glorieusement  et 
si  heureusement  inspiré  par  les  mystères  et  les  traditions  de 
la  foi  catholique.  Tout  cela  fut  déclaré  barbare,  digne  d'ou- 
bli et  de  mépris;  et  pendant  trois  siècles  on  l'a  oublié  et  mé- 
prisé, conformément  au  décret  des  maîtres.  Aujourd'hui  que 
l'esprit  humain ,  arrivé  peut-être  au  terme  de  ses  longs  éga- 
remens,  s'arrête  incertain,  et  semble  jeter  un  regard  d'envie 
et  d'admiration  vers  les  âges  catholiques,  on  recommence  à 
étudier  l'art  qui  était  la  parure  de  cette  époque  si  complète  ; 
et  le  peintre  béatifié  a  repris  peu  à  peu  la  place  que  lui  avait 
assignée  le  jugement  de  ses  contemporains.  Encore  étrange- 
ment méconnu  en  Italie,  il  est  admiré  avec  enthousiasme  en 
Allemagne,  et  la  France,  qui  possède  un  de  ses  chefs-d'œu- 
vre, s'habitue  à  son  tour  à  le  voir  compter  parmi  les  grands 
maîtres.  Comme  il  occupe  par  sa  vie ,  aussi  bien  que  par  ses 
œuvres,  le  premier  rang  entre  les  peintres  vraiment  dignes 
du  nom  de  catholiques ,  des  lecteurs  catholiques  nous  par- 
donneront à  coup  sûr  quelques  courts  détails  sur  cette  vie. 
Né  en  4387  à  Mugello,  petit  village  des  environs  de  Flo- 
rence ,  à  vingt  et  un  ans  il  prit  à  Fiesole  l'habit  de  l'ordre 
des  Frères- Prêcheurs ,  fondé  par  saint  Dominique  ;  il  porta 
désormais  le  nom  de  l'endroit  où  il  s'était  consacré  à  Dieu. 
On  dit  qu'auparavant  dans  le  monde  il  s'appelait  Guido  ou 
Santi  Tosini.  Il  vint  peu  après  à  Florence ,  où  il  entra  au 
couvent  de  Saint -Marc ,  dans  cette  illustre  maison  qui  de- 


—   246  — 

vait  produire  plus  tard  le  grand  Savonarole  et  Fra  Barto- 
lommeo ,  mais  dont  notre  bienheureux  peintre  devait  être  la 
première  et  la  plus  pure  illustration.  Ce  fut  là  qu'il  com- 
mença à  se  livrer  à  la  pratique  de  la  peinture.  On  ne  connaît 
pas  son  maître  ;  quel  que  soit  celui  dont  il  ait  reçu  les  pre- 
mières leçons,  il  faut  bien  admettre  que  Dieu  seul  a  pu  ins- 
pirer un  génie  comme  le  sien ,  et  admirer  cette  vitalité  puis- 
sante, fruit  du  silence  et  de  la  paix  du  cloître.  La  peinture 
n'a  été  évidemment  pour  lui  qu'un  moyen  de  réunion  avec 
Dieu  :  c'était  sa  manière  de  gagner  le  ciel ,  son  humble  et 
fervente  offrande  à  celui  qu'il  aimait  par  dessus  tout  ;  c'était 
la  forme  du  culte  spécial  et  intime  qu'il  rendait  à  son  Ré- 
dempteur. Jamais  il  ne  prenait  ses  pinceaux  sans  s'être  livré 
à  l'oraison,  en  guise  de  préparation1.  Il  restait  à  genoux 
pendant  tout  le  temps  qu'il  employait  à  peindre  les  figures 
de  Jésus  et  de  Marie 2;  et  chaque  fois  qu'il  lui  fallait  retracer 
la  crucifixion ,  ses  joues  étaient  baignées  de  larmes  *.  Son 
art  était  si  bien  à  ses  yeux  une  chose  sacrée ,  qu'il  en  respec- 
tait les  produits  comme  les  fruits  d'une  inspiration  plus  haute 
que  son  intention  ;  il  ne  retouchait  ni  ne  perfectionnait  ja- 
mais ses  travaux,  et  se  bornait  au  premier  jet,  croyant,  à 
ce  qu'il  disait  sans  détour,  que  c'était  ainsi  que  Dieu  les  vou- 
lait 4.  Il  ne  faut  rien  moins  que  le  témoignage  précis  de  son 
biographe  sur  ce  fait  pour  y  croire,  quand  on  examine  l'in- 

»  Non  havrebbe  messo  mano  ai  penelli  se  prima  non  havesse  fatto 
orazione.  (Va  sari.) 

2  Voyez  le  Couronnement  de  la  Vierge  de  Fra  Angelico,  par 

W.  DE  SCHLEGEL. 

3  Non  fece  mai  crocifisso,  che  non  si  bagnasse  le  gote  di  lagrime. 
(Vasari.) 

4  Haveva  per  costume  non  ritoccare ,  ne  racconciar  mai  alcuna  sua 
dipintura ,  ma  lasciarle  semprc  in  quel  modo ,  che  erano  venuti  a 
prima  volta  ♦  per  creder,  secundo  ch'egli  diceva ,  che  cosi  fosse  la  to- 

ontà  di  Dio.  (Vasari.) 


—   247    — 

croyable  perfection,  le  fini,  la  délicatesse  de  toutes  ses  œu- 
vres. Mais  on  comprend  qu'avec  ces  dispositions  son  dévoue- 
ment à  l'art  ne  pouvait  nuire  en  rien  à  l'exercice  de  toutes 
les  vertus  monastiques.  Aussi  toute  sa  vie  fut-elle  marquée 
par  une  fidélité  touchante  aux  trois  vœux  sacrés  qui  le 
liaient  à  Dieu  par  la  règle  du  grand  saint  Dominique.  Quant 
à  sa  pureté,  il  suffit  de  contempler  au  hasard  une  figure 
quelconque  sortie  de  son  pinceau ,  et  l'on  restera  convaincu 
que  jamais  une  pensée  indigne  de  Jésus  et  de  Marie  n'a  pu 
s'arrêter  dans  une  àme  capable  de  se  reproduire  par  des  re- 
flets semblables.  Sa  pauvreté  monastique  lui  était  si  chère 
qu'il  refusait  toujours  de  stipuler  un  prix  pour  ses  œuvres , 
et  distribuait  aux  malheureux  la  totalité  des  sommes  qu'elles 
lui  rapportaient  ;  il  aimait  les  pauvres  pendant  sa  vie ,  dit 
Vasari,  «  aussi  tendrement  que  son  âme  peut  aimer  aujour- 
«  d'hui  le  ciel  où  il  jouit  de  la  gloire  des  bienheureux  *.  » 
Enfin  l'habitude  de  Vobéissance  lui  était  si  naturelle  qu'il 
ne  voulait  même  recevoir  de  commandes  pour  son  art  que 
par  l'intermédiaire  de  son  supérieur  spirituel ,  le  prieur  de 
Saint-Marc  ;  et  lorsqu'on  venait  lui  demander  un  travail ,  il 
répondait  simplement  qu'il  fallait  en  convenir  avec  le  père 
prieur,  et  qu'il  ferait  tout  ce  qui  lui  serait  ordonné2.  Un  jour 
qu'il  était  à  dîner  chez  le  pape  Nicolas  V,  il  ne  voulut  pas 
manger  de  la  viande,  parce  que  son  prieur  n'était  pas  là 
pour  le  lui  permettre,  oubliant,  dans  sa  douce  simplicité, 
qu'il  y  était  convié  par  le  pontife ,  dont  l'autorité  était  plus 
que  suffisante  pour  le  dispenser.  Mais  toutes  ces  choses  exté- 
rieures lui  étaient  étrangères  et  indifférentes  ;  il  disait  sans 
cesse  :  «  Celui  qui  veut  peindre  a  besoin  de  tranquillité  et  de 

i  Vivendo  fù  de'  poveri  tanto  amico ,  quanlo  penso ,  che  sia  ora 
l'anima  sua  del  cielo.  (Vasari.) 

■  Àchiunque  ricercava  opère  da  lui  diceva ,  che  ne  facesse  esser 
contente-  il  priore,  e  che  roi  non  mancherebbe.  (Vasari.) 


—  2fc8  — 

«  vivre  sans  pensées  ;  celui  qui  s'occupe  des  choses  du  Christ 
«  doit  être  toujours  avec  le  Christ f.  » 

C'était  là  sa  théorie  de  l'art ,  et  Dieu  lui  permit  de  la 
mettre  en  pratique  avec  un  bonheur  et  un  éclat  dignes  de 
ces  hautes  pensées.  Il  débuta  par  des  chefs-d'œuvre ,  dès  sa 
première  jeunesse  :  ancor  giovinetto,  dit  Vasari,  bénis- 
simofare  sapeva.  Ses  premiers  travaux  furent  consacrés  à 
orner  de  miniatures  admirables  les  livres  de  chœur  de  son 
monastère ,  en  société  avec  son  frère  aîné ,  moine  et  peintre 
comme  lui.  Bientôt  il  se  livra  à  la  peinture  sur  fresque,  dans 
des  proportions  considérables ,  sans  renoncer  toutefois  à  ces 
charmantes  miniatures  dont  les  reliquaires  donnés  par  lui  à 
Santa-Maria-Novella  peuvent  nous  donner  une  idée.  Encore 
aujourd'hui,  ce  célèbre  monastère  de  Saint-Marc ,  illustre 
par  tant  de  titres ,  offre  au  voyageur  catholique  la  plus  com- 
plète collection  des  œuvres  du  saint  artiste,  dans  les  grandes 
et  sublimes  fresques  de  la  salle  du  Chapitre,  le  crucifix  et 
les  lunettes  du  cloître ,  et  enfin  la  série  d'histoires  de  la  vie 
de  Marie ,  qu'il  voulut  peindre  dans  la  cellule  de  chacun  de 
ses  frères.  Mais  on  n'y  retrouve  plus  sur  le  grand  autel  cette 
Madone,  qui ,  selon  Vasari,  par  son  exquise  simplicité,  exci- 
tait à  la  dévotion  tous  ceux  qui  la  regardaient  \  Dans  un 
siècle  où  les  inspirations  d'un  art  encore  tout  imprégné  du 
christianisme  constituaient  une  partie  essentielle  de  la  vie 
religieuse  et  publique,  un  génie  comme  celui  du  frère  Jean 
ne  pouvait  rester  long-temps  caché  dans  son  cloître.  Aussi 
fut-il  recherché  avec  avidité,  et  célébré  avec  enthousiasme; 
ses  œuvres,  en  se  multipliant,  acquirent  une  immense  po- 
pularité dans  toute  l'Italie.  Vasari ,  dont  le  goût  classique  et 


*  Usando  spesse  fiate  di  dire,  che  chi  faceva  questa  arte,  haveva 
bisogno  di  quiète ,  e  di  vivere  senza  pensieri  ;  e  che  chi  fa  cose  di 
Christo,  con  Christo  dove  stare  sempre.  (Vasari.) 

1  MuoYe  a  divozione  chi  la  guarda  per  la  simplicità  sua. 


—  249   — 

matérialiste  ne  pouvait  certes  sympathiser  avec  celui  du 
mystique  de  Fiesole ,  nous  a  conservé ,  dans  l'article  qu'il  lui 
a  consacré,  l'écho  de  cette  exaltation  pieuse  et  tendre 
qu'inspiraient  les  œuvres  de  notre  moine ,  et  que  venait  ra- 
tifier le  jugement  des  plus  fins  connaisseurs.  «  Ce  tableau, 
«  dit-il  en  parlant  d'une  predella  ■  qui  représentait  la  lé- 
«  gende  de  saint  Côme  et  saint  Damien ,  est  si  parfait,  qu'il 
«  est  impossible  de  s'imaginer  un  travail  plus  diligent,  ni 
«  des  figures  plus  délicates,  mieux  entendues  que  celles 
«  qu'on  y  voit.  »  «  Cette  annunzîata,  dit-il  encore  à  propos 
«  d'une  Madone  recevant  le  message  divin ,  a  un  profil  si 
«  pieux,  si  délicat  et  si  parfait,  qu'on  la  dirait  vraiment 

•  peinte  non  par  des  mains  d'homme,  mais  dans  le  Paradis  *. 
«  Les  saints  qu'il  a  peints  ressemblent  plus  à  des  saints  que 
«  ceux  d'aucun  autre  peintre.  »  Enfin ,  parlant  du  magnifi- 
que Couronnement  de  Vierge,  que  l'on  peut  voir  au 
Louvre,  le  biographe  ajoute  :  «  On  y  voit  une  quantité  de 
«  saints  et  de  saintes,  si  nombreux,  si  parfaits,  dans  des  at- 

•  titudes  si  variées,  et  avec  des  airs  de  tête  si  gracieux,  que 
«  l'on  éprouve  une  douceur  incroyable  à  les  regarder;  on 
«  sent  que  les  esprits  bienheureux ,  s'ils  avaient  des  corps , 

•  ne  pourraient  être  autrement  dans  le  ciel  qu'il  ne  les  a  re- 
«  présentés;  ils  ne  paraissent  pas  seulement  vivans,  mais  la 
«  douceur  et  la  délicatesse  de  leur  expression  est  telle  qu'on 

«  On  appelle  predella  ou  gradino  le  petit  cadre  longitudinal  qui  se 
trouve  au  dessous  de  la  plupart  des  grands  tableaux  d'après  des  an- 
ciens maîtres,  et  où  ils  représentaient  divers  traits  de  la  vie  des  saints 
qu'ils  avaient  peints  en  pied  dans  la  partie  supérieure  du  tableau. 
C'est  ainsi  que  dans  le  chef-d'œuvre  de  Fra  Angelico  au  Louvre,  le 
gradino  représente  la  vie  de  saint  Dominique  que  l'on  voit  en  pied 
dans  le  Couronnement  de  Notre-Dame  qui  fait  le  sujet  du  tableau 
lui-même. 

3  Con  un  profilo  di  viso  tanlo  devoto ,  delicato  e  ben  fatto  che  par 
veramente  non  da  un  uomo,  ma  fatto  in  Paradi§o. 


—   2&0   — 

«  les  dirait  peints  de  la  main  d'un  ange  et  d'un  saint, 
«  comme  ils  îe  sont  en  effet;  car  c'était  un  ange  que  ce  bon 
«  religieux ,  et  on  l'a  toujours  surnommé  frère  Jean  Y  Ange- 
«  h'que....  Pour  moi ,  j'avoue  que  je  ne  puis  jamais  contem- 
«  pler  cette  œuvre  sans  qu'elle  me  paraisse  nouvelle,  et  je 
«  n'en  suis  jamais  rassasié  quand  je  m'en  sépare  \  » 

Si  la  vue  de  ce  tableau  arrachait  au  matérialiste  Vasari 
d'aussi  précieux  aveux ,  quels  transports  ne  doit-il  pas  exci- 
ter dans  une  âme  prédisposée  par  l'étude  et  l'amour  de  la  vé- 
ritable poésie  chrétienne  !  Nous  avons  le  bonheur  de  le  pos- 
séder à  Paris 2.  Mais  c'est  encore  à  Florence ,  dans  les  fres- 
ques de  Saint-Marc,  et  à  l'Académie  des  Beaux-Arts ,  qu'il 
faut  aller  pour  apprécier  toute  l'étendue  et  toute  la  profon- 
deur du  génie  de  ce  peintre  angélique.  Nous  avons  cherché  à 
décrire  ailleurs  le  tableau  que  nous  regardons  comme  son 

1  Una  mollitudine  infinita  di  santi  e  santé ,  tanti  in  numéro,  tanto 
ben  fatti,  a  con  si  varie  attitudine,  e  diverse  arïe  di  teste,  chein- 
credibile  piacere,  e  dolcezza  si  sente  in  guardarle,  anzi  pare  che 
quei  spïriti  beati,  non  possino  essere  in  cielo  altriraente ,  o  per  me- 
glio  dire,  se  havessero  corpo,  non  potrebbono;  perciocche....  non 
solo  sono  vivi  e  con  arie  délicate,  e  dolci,  ma  tutto  il  coiorito  di 
queiropera  par  che  sia  di  mano  d'un  santo,  o  d'un  angelo,  corne 
sono,  onde  a  gran  ragione  fù  sempre  chiamato  questo  da  ben  reli- 
gioso,  Frate  Giovanni  Angelico....  Io  per  me  posso  con  verità  affer- 
mare,  che  non  veggio  mai  questo  opéra  che  non  mi  para  cosa  nuova, 
ne  me  ne  parto  mai  sazio. 

a  Apres  avoir  subi  toutes  sortes  d'épreuves  et  avoir  été  long-temps 
dérobé  aux  regards  du  public ,  ce  trésor ,  enlevé  à  l'église  Saint- 
Dominique  de  Fiesole  pendant  les  guerres  d'Italie ,  vient  d'être  ex- 
posé dans  la  nouvelle  galerie  des  dessins  que  le  roi  a  fait  disposer  dans 
l'aile  occidentale  de  la  cour  du  Louvre.  Nous  conseillons  à  tous  ceux 
qui  aiment  ou  veulent  connaître  l'art  chrétien  ,  d'aller  contempler  et 
étudier  ce  tableau ,  qui  en  est  un  des  plus  merveilleux  produits.  Le 
coloris  en  a  été  très  malheureusement  affaibli ,  parce  qu'il  a  fallu  en- 
lever un  vernis  dont  des  mains  grossières  et  ignorantes  l'avaient  affu- 
blé il  y  a  quelques  années.  Il  est  en  outre  placé  à  une  hauteur  qui 


chef-d'œuvre ,  son  Jugement  dernier  \  Ne  pouvant  donner 
ici  une  idée,  même  superficielle,  de  ses  divers  travaux,  nous 
citerons  l'excellent  résumé  qu'en  a  donné  l'écrivain  qui  jus- 
qu'ici a  le  mieux  parlé  de  la  peinture  chrétienne.  «Lacom- 
.  ponction  du  cœur,  dit  M.  Rio,  ses  élans  vers  Dieu,  le  ra- 
«  vissement  extatique ,  l'avant-goût  de  la  béatitude  céleste , 
«  tout  cet  ordre  d'émotions  profondes  et  exaltées  que  nul 
«  artiste  ne  peut  rendre  sans  les  avoir  préalablement  éprou- 
«  vées,  furent  comme  le  cycle  mystérieux  que  le  génie  de 
«  frère  Angélique  se  plaisait  à  parcourir,  et  qu'il  recommen- 
«  çait  avec  le  même  amour  quand  il  l'avait  achevé.  Dans  ce 
«  genre,  il  semble  avoir  épuisé  toutes  les  combinaisons  et 
«  toutes  les  nuances,  au  moins  relativement  à  la  qualité  et  à 
«  la  quantité  de  l'expression  ;  et  pour  peu  qu'on  examine  de 
«  près  certains  tableaux  où  semble  régner  une  fatigante  mo- 
«  notonie ,  on  y  découvrira  une  variété  prodigieuse  qui  em- 
«  brasse  tous  les  degrés  de  poésie  que  peut  exprimer  la  phy- 
c  sionomie  humaine.  C'est  surtout  dans  le  Couronnement  de 
«  la  Vierge  au  milieu  des  anges  et  de  la  hiérarchie  céleste, 
«  dans  la  représentation  du  Jugement  dernier,  au  moins  en 
«  ce  qui  concerne  les  élus,  et  dans  celle  du  Paradis,  limite 
«  suprême  de  tous  les  arts  d'imitation  ;  c'est  dans  ces  sujets 
«  mystiques ,  si  parfaitement  en  harmonie  avec  les  pressen- 
«  timens  vagues,  mais  infaillibles  de  son  âme ,  qu'il  a  dé- 
«  ployé  avec  profusion  les  inépuisables  richesses  de  son  ima- 
«  gination.  On  peut  dire  de  lui,  que  la  peinture  n'était  autre 


ne  permet  point  d'en  saisir  tous  les  détails.  Espérons  enfin  qu'on  fera 
disparaître  le  cadre  affreux  qui  le  déshonore,  et  où  deux  grotesques 
Renommées  semblent  placées  à  dessein  pour  figurer  la  dégénération 
de  l'art  moderne.  Il  a  été  gravé  et  publié  avec  un  texte  explicatif,  par 
le  célèbre  A.-W.  de  Schlegel,  Paris ,  1816,  in-folio  :  cette  publica- 
tion est  excessivement  rare. 
'  Voyez  page  99. 


—  252  — 

«  chose  que  sa  formule  favorite  pour  les  actes  de  foi,  d'espé- 
«  rance  et  d'amour  '.  » 

Ce  n'est  pas  seulement  Florence  qu'il  enrichit  de  cette  pa- 
rure chrétienne.  Sa  gloire,  en  se  répandant  au  loin,  le  fit 
appeler  dans  diverses  villes  de  la  Toscane  et  de  l'Ombrie. 
On  voit  encore  quelques  débris  de  ses  travaux  à  Cortone ,  à 
Pérouse  et  surtout  à  Orvieto.  Enfin,  le  pape  Nicolas  V,  si 
ami  des  arts,  le  fit  venir  à  Rome,  où  il  peignit  à  fresque  la 
chapelle  du  Saint-Sacrement ,  que  Paul  III  fit  détruire  pour 
élargir  un  escalier,  et  la  chapelle  dite  de  Saint-Laurent,  si 
complètement  oubliée  par  la  barbarie  des  dix-septième  et 
dix-huitième  siècles,  que  le  savant  Bottari  ne  put  y  entrer 
qu'en  escaladant  la  fenêtre,  les  clefs  de  la  porte  ayant  été 
perdues.  «  Cette  œuvre  si  simple ,  dit  M.  Rio ,  si  pure,  si  dé- 
«  gagée  de  tout  alliage  profane ,  n'était  pas  cependant  ce  qui 
«  avait  fait  la  plus  forte  impression  sur  l'esprit  du  pape.  Il 
«  s'était  aperçu  que  l'âme  de  l'artiste  valait  encore  mieux 
«  que  son  pinceau.  »  L'archevêché  de  Florence  ayant  vaqué 
sur  ces  entrefaites,  il  le  jugea  digne  d'en  être  revêtu.  Mais 
Fra  Angelico ,  en  apprenant  l'intention  du  pontife,  le  supplia 
instamment  de  lui  faire  grâce  de  ce  fardeau ,  parce  qu'il  ne 
se  sentait  nullement  propre  à  gouverner  les  peuples8.  Mais 
il  ajouta  qu'il  y  avait  dans  son  ordre  un  moine,  nommé  An- 
tonin,  très  amoureux  des  pauvres,  très  habile  dans  la  con- 
duite des  âmes ,  craignant  Dieu  3,  et  beaucoup  mieux  fait 
que  lui  pour  être  revêtu  de  cette  dignité.  Le  pape ,  plein  de 
confiance  dans  sa  recommandation,  lui  accorda  la  nomina- 
tion qu'il  sollicitait 4,  et  l'humble  peintre  eut  ainsi  la  gloire 

1  De  la  Poésie  chrétienne,  par  M.  Rio,  Forme  de  l'Art;  2«  partie, 
p.  193. 

a  Perocche  non  si  senitivaatto  a  governarpopoli.  (Vasari.) 

3  Havendo  la  sua  religione  un  frate  amorevole  de  poveri ,  dottis- 
fimo  di  governo  e  timorato  di  Dio.  (Vasari.) 

*  Gli  fece  la  grazia  liberamente.  (Vasari.) 


—  35S  — 

d'appeler  au  siège  de  Florence  celui  qui  devait  y  briller  d'un 
éclat  si  pur,  et  que  l'Église  vénère  aujourd'hui  sous  le  nom 
de  saint  Antonin  \ 

Fra  Angelico  mourut  à  Rome  en  U55 ,  à  l'âge  de  soixante- 
huit  ans.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  son  ordre,  la  seule 
gothique  qui  soit  restée  à  Rome,  et  dont  le  nom  est  comme 
le  symbole  de  la  victoire  éternelle  du  christianisme  sur  le  pa- 
ganisme au  sein  de  la  capitale  du  monde ,  Santa-Maria- 
sopra-Minena.  On  y  voit  encore  sa  tombe,  avec  sa  figure 
en  pied  et  les  mains  jointes,  gravée  au  trait,  et  on  y  lit  cette 
épitaphe  : 

c  Non  mihi  ait  laudi ,  quod  eram  velut  alter  Apelles , 
«  Sed  quod  1  liera  tuis  omnia ,  Chrisle ,  dabam  : 

c  Altéra  nam  terris  opéra  exslant ,  altéra  cœlo  ; 
c  Urbs  me  Joannem  flos  tulit  AStrurise.  » 

«  Qu'on  ne  me  loue  pas  de  ce  que  j'ai  peint  comme  un 
«  autre  Apelle,  mais  de  ce  que  j'ai  donné  tout  ce  que  je 
«  gagnais  à  tes  pauvres ,  ô  Christ  !  J'ai  travaillé  pour  le  ciel 
«  en  même  temps  que  pour  la  terre  ;  je  m'appelais  Jean  ;  la 
*  ville  qui  est  la  fleur  de  l'Étrurie  a  été  ma  patrie.  » 

Après  sa  mort,  au  surnom  d'Angélique  vint  se  joindre  ce- 
lui de  Bienheureux,  il  Beato.  C'est  ainsi  qu'il  est  principa- 
lement désigné  encore  aujourd'hui  a  Florence  et  dans  toute 
l'Italie.  Toutefois  cette  expression  de  la  pieuse  admiration 
des  chrétiens  n'implique  nullement  un  culte  public  et  auto- 
risé par  l'Eglise. 

Au  premier  rang  de  ses  élèves  on  voit  figurer  Benozzo 
Gozzoli,  qui  continua  fidèlement  la  ligne  tracée  par  son 
maître,  et  dont  la  gloire  est  inscrite  sur  les  murs  du  plus  bel 
édifice  de  l'Italie,  le  Campo-Santo  de  Pisej  puis  encore  Gen- 
tile  da  Fabriano,  le  père  de  cette  dynastie  sublime  des  pein- 

11  a  été  canonisé  par  Adrien  VI. 


—  254 
très  de  l'école  d'Ombrie  qui  devait  finir  avec  la  défection  de 
Raphaël ,  en  laissant  à  l'art  chrétien ,  comme  pour  le  conso- 
ler, Francia  de  Bologne.  On  peut  ainsi  regarder  Fra  Angelico 
comme  la  souche  des  trois  grandes  branches  de  l'école  mys- 
tique ,  celles  de  Florence ,  d'Ombrie  et  de  Bologne. 


§111 

DE  L'ANCIENNE  ÉCOLE  DE  FERRARE, 

PAR  M.  LADERGHI. 


C'est  avec  le  plus  vif  plaisir  que  nous  voyons  se  dévelop- 
per graduellement  en  Italie  l'amour  et  l'appréciation  de  l'art 
chrétien  du  moyen  âge ,  opposé  à  l'art  païen  des  siècles  mo- 
dernes ,  qui  a  régné  jusqu'à  présent  despotiquement  sur 
cette  belle  contrée.  Notre  satisfaction  redouble  quand  nous 
voyons  ce  mouvement  de  justice  et  de  science  à  la  fois,  partir 
du  centre  même  de  l'unité,  des  états  romains.  Déjà  l'année 
dernière ,  M.  le  chevalier  Minardi ,  président  de  l'Académie 
des  Beaux- Arts  de  Rome ,  avait  établi,  dans  un  discours  qui 
fit  beaucoup  d'effet,  la  supériorité  de  l'inspiration  chrétienne 
des  écoles  primitives  sur  la  prétendue  peinture  religieuse  des 
siècles  récens.  Voici  maintenant  que ,  se  conformant  à  un 
usage  italien ,  un  citoyen  de  Ferrare ,  M.  Camillo  Laderchi , 
à  l'occasion  des  noces  du  jeune  comte  Costabili  avec  la  com- 
tesse Malvina  Mosti ,  publie  une  description  de  la  galerie 
Costabili ,  à  laquelle  il  rattache  un  essai  historique  tout-à-fait 
original  sur  l'ancienne  école  de  Ferrare.  L'ouvrage  porte  le 


—   256  ~ 

titre  suivant  :  Descrizione  délia  quadreria  Costabilt, 
parte  prima;  VAntica  scuola  Ferrarese,  par  M.  Camitlo 
Laderchi  ;  Ferrara,  1837.  —  La  sympathie  que  Fauteur  ex- 
prime dans  son  ouvrage  pour  les  idées  de  M.  Rio  et  nos  fai- 
bles efforts  en  faveur  de  la  réforme  de  l'art  religieux ,  est  un 
motif  de  plus  pour  que  nous  contribuions,  en  rendant 
compte  de  ses  travaux ,  à  resserrer  ce  lien  religieux  et  litté- 
raire entre  la  France  et  l'Italie.  L'opuscule  de  M.  Laderchi 
est  même  spécialement  destiné  à  combler  une  lacune  que 
présente  l'ouvrage  publié  par  M.  Rio  sur  l'Art  chrétien  en 
Italie  y  ouvrage  que  l'auteur  ferrarais  signale  avec  tant  de 
raison  comme  le  plus  complet  et  le  plus  important  qui  ait 
encore  paru  sur  cette  matière.  Adoptant  tous  les  principes 
posés  par  M.  Rio,  quant  à  l'influence  prépondérante  de  la 
piété  catholique  sur  la  peinture  du  moyen  âge ,  et  à  sa  répu- 
gnance légitime  pour  le  naturalisme  et  le  paganisme,  M.  La- 
derchi nous  donne  une  série  de  renseignemens  détaillés  et 
très  curieux  sur  seize  peintres  ferrarais,  depuis  Gelasio  di 
Nicolo,  qui  florissait  en  1240,  jusqu'à  Michelli  Cortellini, 
dont  on  a  des  tableaux  datés  de  1517.  On  ne  trouve  ailleurs 
que  des  notions  très  rares  et  très  inexactes  sur  ces  artistes , 
tous  exclusivement  consacrés  à  la  peinture  mystique,  et  dont 
M.  Laderchi  nous  fait  connaître  avec  le  plus  grand  soin  la 
vie  et  les  œuvres.  Il  s'étend  avec  raison  sur  les  astres  vrai- 
ment rayonnans  de  cette  école  :  Panetti,  né  en  1460  ;  Ercole 
Grandi ,  né  en  1/191  ;  Mazzolino,  né  en  1481 ,  et  surtout  Lo- 
renzo  Costa.  M.  Rio  avait  déjà  reconnu  l'identité  du  but,  de 
l'esprit  et  des  inspirations  qui  dominaient  à  la  fois  l'école  de 
Bologne  (à  laquelle  il  rattache  celle  de  Ferrare)  et  l'école 
d'Ombrie,  celle  de  Gentile  de  Fabriano,  du  Pérugin  et  de  Ra- 
phaël. Il  en  avait  conclu  à  priori  qu'il  avait  dû  y  avoir  des 
communications  matérielles  entre  elles  deux.  Or,  M.  Lader- 
chi est  venu  répandre  la  lumière  la  plus  satisfaisante  sur  ces 
diverses  ramifications  de  l'école  mystique,  en  démontrant 


—    257   — 

que  Lorenzo  Costa ,  en  même  temps  que  Gentile  de  Fa- 
briano,  fut  l'élève  de Benozzo  Gozzoli,  lui-même  élève  chéri 
et  fidèle  du  bienheureux  Fra  Angelico  da  Fiesole,  qui  se 
trouve  ainsi  la  tige  commune  des  plus  fécondes  branches  de 
la  poésie  mystique  dans  l'art.  M.  Laderchi  démontre  encore 
que  Costa  a  été  le  maître  de  Francia,  et  non  pas  son  élève , 
comme  tous  les  auteurs  Font  dit  jusqu'à  présent.  «  Ce  maître 
«  insigne,  dit  l'auteur,  fondateur  de  trois  écoles ,  à  Ferrare, 
«  à  Bologne  et  à  Mantoue ,  doit  être  placé  avant  son  tendre 
«  ami  et  compagnon  Francesco  Francia,  avec  Perugino, 
«  avec  Leonardo,  Lorenzo  di  Credi  et  quelques  autres,  dans 
«  un  cercle  d'artistes  élus ,  au  milieu  desquels  siège  le  bien- 
«  heureux  de  Fiesole,  et  où  doit  se  concentrer  l'admiration 
«  de  quiconque  comprend  la  peinture  chrétienne.  > 

Tout  voyageur  catholique ,  par  respect  pour  le  grand  nom 
de  Ferrare ,  pour  les  souvenirs  chevaleresques  et  poétiques 
du  Tasse ,  de  FArioste ,  de  la  première  et  si  illustre  maison 
d'Esté ,  doit  s'arrêter  dans  cette  ville  ;  il  y  admirera  la  ma- 
gnifique façade  de  la  vieille  cathédrale  (si  indignement  van- 
dalisée  au  dedans) ,  la  statue  du  glorieux  pèlerin  dont  date 
l'éclat  de  la  maison  d'Esté ,  le  vaste  château  qui  rappelle  leur 
grande  et  féodale  existence  ;  enfin  la  petite  mais  charmante 
galerie  de  tableaux.  Guidé  par  l'excellent  opuscule  de 
M.  Laderchi,  il  ajoutera  à  ces  visites  obligées  celle  de  la  ga- 
lerie Costabili.  Nous  ne  pouvons  que  lui  souhaiter  de  trouver 
souvent,  pour  d'autres  villes,  un  guide  aussi  fidèle,  aussi 
sûr  et  aussi  religieusement  intelligent. 

M.  Rosini ,  de  Pise,  vient  aussi  de  publier  le  premier  essai 
d'une  Histoire  de  la  peinture  en  Italie,  accompagnée  de 
gravures ,  où  l'on  voit  avec  satisfaction  revenir  sur  les  faus- 
ses appréciations  de  Lanzi  et  de  beaucoup  d'autres ,  et  an- 
noncer de  longues  et  solides  études  sur  les  grands  peintres 
de  l'époque  chrétienne. 

17 


§rv 

COLLECTION  DES  MONUMENS 

DE 

L'HISTOIRE  DE  SAINTE  ELISABETH. 


Fidèle  au  principe  que  nous  avons  posé  plus  haut,  sur  l'impor- 
tance vitale  de  l'étude  des  anciens  maîtres  pour  tous  ceux  qui  veu- 
lent consacrer  leur  talent  à  l'application  religieuse  de  l'art ,  nous 
avons  voulu  contribuer  selon  la  mesure  de  nos  forces  à  l'œuvre  ré- 
paratrice ,  en  publiant  une  collection  de  monumens ,  composée  à  la 
fois  de  divers  travaux  qui  datent  des  vieux  siècles  catholiques,  et 
d'autres  qui ,  fruit  de  la  nouvelle  école  allemande ,  serviront  à  mon- 
trer comment  l'on  peut,  même  au  sein  de  l'anarchie  morale  et  intel- 
lectuelle de  nos  jours,  rattacher  l'art  moderne  à  la  pureté  et  à  la 
sainteté  de  la  pensée  ancienne.  Le  sujet  de  cette  collection  se  trou- 
vait indiqué,  de  droit  comme  de  fait,  dans  l'Histoire  de  sainte  Eli- 
sabeth, à  laquelle  nous  avions  consacré  plusieurs  années  de  travaux  , 
et  qui  a  eu  le  privilège  d'inspirer  à  toutes  les  époques  le  ciseau  et 
le  pinceau  des  artistes  chrétiens.  Nous  avons  eu  le  bonheur  de  trou- 
ver un  éditeur  aussi  dévoué  que  nous  à  la  régénération  religieuse  de 
l'art,  et  qui  s'est  chargé  de  celte  entreprise  avec  un  zèle  et  un  dés- 
intéressement puisé  dans  les  plus  nobles  motifs.  Fort  de  son  appui , 
nous  avons  pu  profiter  de  nos  voyages  pour  recueillir  en  Italie  et  en 
Allemagne  tout  ce  que  nous  avions  découvert  ou  remarqué  de  plus 
important  parmi  les  monumens  relatifs  à  notre  Sainte. 

Nous  reproduisons  en  premier  lieu  les  tableaux  qui  lui  ont  été 
consacrés  par  les  plus  illustres  représentans  de  l'ancienne  école  flo- 
rentine ,  Taddeo  Gaddi  (  1330  ) ,  le  principal  élève  de  Giotto ,  et  di- 
gne émule  de  son  maître;  Andréa  Orgagna  (1319-1389) ,  le  plus  grand 
des  peintres ,  des  sculpteurs  et  des  architectes  de  son  temps ,  qui 
précéda  Michel-Ange  dans  cette  triple  supériorité ,  et  qui ,  certes , 


—  259  — 
sous  le  point  de  vue  chrétien ,  l'a  surpassé  de  beaucoup  ;  le  bienheu- 
reux Fra  Angelico  da  Fiesole  (1387-1455),  le  plus  angéliquc,  le  plus 
accompli  des  artistes  chrétiens  ;  enfin ,  Alessandro  Botticelli  (1487- 
1515) ,  qui  |  au  milieu  de  la  dégénération  déjà  trop  générale  de  l'art, 
due  à  l'influence  des  Médicis,  sut  rester  fidèle  à  la  poésie  mystique 
de  ses  prédécessurs. 

Passant  de  l'Italie  à  la  vieille  Allemagne ,  nous  donnons  l'œuvre 
d'un  peintre  anonyme  de  la  pure  et  primitive  école  de  Cologne  (1350- 
1400) ,  qui  fut  pour  l'Allemagne  ce  que  l'école  de  Sienne  avait  été 
pour  l'Italie;  puis  celle  d'un  peintre  bâlois  du  quinzième  siècle,  dont 
le  nom  est  resté  également  inconnu  ;  celle  de  Lucas  de  Leyde  (1494- 
1533) ,  qui  termine  le  cycle  des  anciens  peintres  catholiques  au  delà 
du  Rhin,  et  enfin  une  miniature  attribuée  à  Hemling  (1429-1499),  le 
Fiesole  de  la  Flandre,  et  tirée  du  célèbre  bréviaire  Grimani  à  Venise. 
Un  grand  vitrail  de  la  cathédrale  de  Cologne  nous  montrera  sainte 
Elisabeth  dignement  placée  dans  l'église  qui  est  le  type  de  l'époque 
qu'elle  a  glorifiée  ;  lejjas-relief,  presque  contemporain  de  la  Sainte, 
qui  orne  son  tombeau  à  Marbourg  ;  ceux,  plus  récens,  que  l'on  voit 
sur  les  autels  de  son  église  ;  la  châsse  si  célèbre  où  fut  renfermé  son 
corps  sacré ,  et  la  statue  qui  a  été  pour  nous  le  premier  indice  de  son 
histoire ,  serviront  à  faire  connaître  la  marche  parallèle  de  la  sculp- 
ture et  de  la  peinture  des  anciennes  écoles  germaniques. 

A  ces  précieux  débris  d'un  passé  qui  ne  reviendra  jamais,  nous 
avons  la  consolation  de  joindre  des  témoignages  vivans  de  la  résur- 
rection de  ce  feu  sacré  de  la  foi  qui  l'animait ,  dans  les  œuvres  des 
artistes  contemporains  de  l'Allemagne.  Frédéric  Overbeck ,  la  gloire 
de  l'art  chrétien  de  nos  jours  et  le  flambeau  de  son  avenir ,  a  bien 
voulu  interrompre  le  cours  des  grands  travaux  qu'il  poursuit  au  sein 
de  la  ville  éternelle,  pour  enrichir  notre  humble  collection  d'un  des- 
sin qui  représente  un  des  traits  les  plus  populaires  de  l'histoire  de 
notre  Sainte.  On  verra  ensuite  le  même  sujet  traité  en  bas-relief  par 
Schwanthaler,  qui  occupe  le  premier  rang  dans  la  sculpture  nouvelle 
d'Allemagne,  comme  Overbeck  dans  la  peinture.  Frédéric  Mùller, 
jeune  peintre  de  Cassel,  qui  a  cultivé  sur  le  sol  d'Italie  les  excel- 
lentes dispositions  de  sa  nature  germanique ,  nous  a  apporté  son 
tribut  de  dévotion  à  la  Sainte  qu'il  chérit  comme  nous.  Enfin, 
nous  nous  félicitons  de  fournir  aux  personnes  qui  s'intéressent 
à  l'art  une  occasion  de  connaître  la  nature  et  la  portée  d'un  jeune 
aient  qui  nous  semble  promettre  à  la  peinture  chrétienne  un  vérita- 


—  260  — 

ble  représentant ,  si  Dieu  le  maintient  dans  la  voie  salutaire  qu'il  a 
daigné  lui  ouvrir.  Octave  Hauser,  d'origine  allemande,  né  en  1822,  a 
eu  le  bonheur  de  passer  son  enfance  à  Florence.  Ses  yeux  se  sont  ou- 
verts à  la  lumière  de  l'art ,  en  face  des  admirables  fresques  de  Fra 
Angelico,  de  Memmi,  de  Giotto,  d'Orgagna  :  c'est  dans  ces  pages  im- 
mortelles qu'il  a  lu  sa  destinée  ;  et  dès  l'âge  de  treize  ans  ,  guidé  par 
les  conseils  d'un  père  qui  a  consacré  sa  vie  au  service  de  l'art  chré- 
tien ,  cet  enfant  commença  à  étudier  d'après  les  grands  maîtres  ca- 
tholiques. Kentré  en  France ,  à  quatorze  ans  il  a  commencé  la  série 
de  compositions  relatives  à  la  vie  de  sainte  Elisabeth,  qui  forme  une 
partie  de  notre  collection.  Il  se  peut  que  nous  soyons  aveuglé  par  la 
tendre  sympathie  avec  laquelle  nous  avons  suivi  dans  une  âme  si 
jeune,  le  développement  d'une  pensée  identique  à  celle  qui  a  si 
long-temps  absorbé  la  nôtre;  mais  il  nous  semble  que  tout  juge  non 
prévenu  y  reconnaîtra  avec  nous  une  originalité ,  une  profondeur  de 
sentiment  et  une  pureté  d'inspiration  que  l'on  cherche  en  vain  dans 
les  prétendues  œuvres  d'art  religieux  de  nos  jours.  Assurément  nous 
ne  donnons  pas  ces  produits  du  crayon  d'un  enfant  de  quinze  ans 
comme  des  chefs-d'œuvre,  mais  bien  comme  une  preuve  des  heureux 
résultats  d'une  éducation  formée  par  l'étude  pieuse  des  véritables 
maîtres  chrétiens,  et  dégagée  des  liens  de  la  routine  classique. 

En  dernier  lieu ,  la  collection  se  complète  par  des  médailles ,  des 
lettres  ornées  tirées  d'anciens  manuscrits,  et  autres  objets  relatifs  à 
notre  Sainte.  Des  vues  du  château  de  "Wartbourg,  où  elle  fut  élevée 
et  où  elle  vécut  avec  son  mari ,  ainsi  que  de  la  ville  de  Marbourg ,  où 
elle  passa  ses  années  de  veuvage  et  où  elle  mourut,  reproduisent 
l'état  actuel  des  lieux  immortalisés  par  son  souvenir.  Enfin ,  on  verra 
des  fragmens  de  la  célèbre  église  qui  porte  son  nom ,  et  qui  a  été  le 
premier  monument  du  style  ogival  pur  que  l'Allemagne  ait  possédé. 

Il  nous  a  été  doux  d'offrir  ce  nouvel  hommage  à  celle  qui  nous  a 
valu  d'ineffables  consolations,  il  nous  est  doux  de  mettre  sous  sa 
douce  et  puissante  protection  nos  humbles  efforts  pour  rendre  quel- 
que sève  et  quelque  vie  à  une  branche,  naguère  si  belle  et  si  fleurie, 
de  l'arbre  catholique. 

19  novembre  1837.  Fête  de  sainte  Elisabeth. 


FHI, 


i 


TABLE  DES  MATIERES. 


Avant-propos i 

Explication  des  gravures ni 

Du  Vandalisme  en  France  ;  1833 1 

De  la  Peinture  chrétienne  en  Italie  ;  1837 72 

Tableau  chronologique  des  Ecoles  catholiques  en  Italie .    .    .  135 

De  l'État  actuel  de  l'Art  religieux  ;  1837  .     .     .     .,.*?%    .  159 

APPENDICE. 

I.  De  l'Attitude  du  Vandalisme  en  1838 205 

II.  Fra  Angelico  da  Fiesole -, 243 

III.  Ecole  de  Ferrare ;    ...  254 

IV.  Collection  des  Monumens  de  l'Histoire  de  sainte  Elisabeth.  258 

INSTRUCTION  POUR  PLACER  LES  GRAVURES. 

1.  Une  Famille  chrétienne  portant  sa  Croix  ....    Frontispice. 

2.  Un  Elu  recevant  le  baiser  de  son  Ange  gardien 102 

3  et  4.  La  Vierge  d'après  Bouchardon  et  d'après  Steinle.    ,    .  170 

5  et  6.  La  Sainte-Chapelle  et  Notre-Dame-de-Lorette    ...  195 


FIN   DE   LA   TABLE. 


POUR  PARAITRE  DANS  QUELQUE  TEMPS. 


HISTOIRE  DE  LA  VIE  ET  DU  SIECLE 
DE  SAINT  BERNARD, 

abbé  de  Clairvaux  ; 

1091  —  1153. 

Pur  l'auteur  î>e  l'histoire  oe  «ointe  tëlisobetl). 


Après  avoir  montré  dans  l'histoire  de  sainte  Elisabeth  l'influence 
bienheureuse  de  la  religion  sur  les  affections  du  cœur  et  la  vie  inté- 
rieure, on  s'efforcera  de  montrer  dans  celle  de  saint  Bernard  les 
glorieux  effets  de  la  même  influence  sur  la  société  en  général ,  sur 
la  vie  des  peuples  et  des  rois.  Une  étude  approfondie  des  institutions 
monastiques  se  rattache  naturellement  au  saint  moine  qui  fonda 
cent  soixante  monastères.  Il  en  est  de  même  de  tous  les  événemens 
importans  du  XIIe  siècle,  époque  où  l'Eglise  continua  avec  tant  de 
gloire  et  de  succès  l'œuvre  de  régénération  et  d'affranchissement 
commencée  par  S.  Grégoire  VIL  La  fondation  des  Chartreux,  des 
Prémontrés,  des  Templiers,  la  propagation  merveilleuse  de  l'ordre  de 
Cîteaux,  la  lutte  de  Henri  V  et  de  Pascal  II,  le  concordat  de  Worms, 
la  création  du  royaume  de  Portugal,  l'avènement  de  la  maison  de 
Hohenstaufen,  la  seconde  croisade  ;  l'abbé  Suger,  Pierre-le- Véné- 
rable, saint  Norbert,  sainte  Hildegarde,  Abeilard,  Guillaume  de 
Champeaux ,  Gilbert  de  la  Porée ,  saint  Guillaume  de   Poitiers , 


—  264  — 

Louis  VIII ,  Innocent  II ,  Eugène  III  :  tous  ces  grands  faits,  tous  ces 
noms  célèbres  se  groupent  autour  de  celui  qui  régna  sur  son  époque 
par  l'éloquence,  la  science,  le  courage,  la  charité  et  le  génie  chré- 
tien. 

Après  une  eiposition  détaillée  de  cette  époque ,  où  l'Elise ,  les 
ordres  religieux  et  la  royauté  chrétienne  jetaient  un  si  vif  éclat ,  un 
supplément  pourvu  de  documens  inédits,  conduira  l'histoire  de  l'or- 
dre de  Gîteaux  et  de  la  maison  de  Glairvaux,  à  travers  les  différentes 
phases  de  leur  décadence  progressive ,  jusqu'à  l'époque  où  ces  deux 
grandes  existences  ont  succombé  sous  le  coup  des  influences  mo- 
dernes. 

L'ouvrage  aura  trois  volumes ,  et  sera  publié  dans  le  courant  de 
1840. 


MONUMENS  DE  L'HISTOIRE 

DE 

SAINTE  ELISABETH, 

duchesse  de  Thuriuge , 

RECUEILLIS  PAR  LE  COMTE  DE  MONTALEMBERT  , 

pair  de  France, 

ET  PUBLIÉS  PAR  ACHILLE  BOBLET. 


A  une  époque  où  la  régénération  catholique  de  l'art  semble  avoir 
quelques  chances  de  s'effectuer,  après  trois  siècles  d'égaremens,  il 
semble  qu'on  ne  puisse  rendre  de  meilleur  service  aux  amis  de  l'art 
chrétien  que  de  leur  faire  connaître  à  la  fois  et  les  monumens  élevés 
par  les  grands  artistes  des  siècles  catholiques,  et  les  nobles  tentatives 
de  ceux  qui ,  de  nos  jours ,  ont  résolu  de  purifier  les  sujets  religieux 
trop  long-temps  profanés.  L'histoire  de  sainte  Elisabeth  offre  une  oc- 
casion toute  naturelle  de  concourir  à  ce  but,  puisqu'elle  a  fourni  des 
inspirations  à  plusieurs  peintres  célèbres  des  anciennes  écoles  d'Ita- 
lie et  d'Allemagne,  en  même  temps  qu'aux  artistes  les  plus  distingués 
de  cette  nouvelle  école  allemande  qui  renferme  en  elle  tous  les  ger- 
mes de  salut  pour  l'art ,  et  qui  est  encore  presque  totalement  incon- 
nue en  France. 

Nous  avons  donc  résolu  de  publier  sous  le  titre  de  Monumens  de 
V Histoire  de  sainte  Elisabeth ,  une  collection  de  gravures  tant  au 

18 


—  266  — 

Irait  que  terminées,  qui  reproduiront  les  différentes  oeuvres  de  pein- 
ture et  de  sculpture  consacrées  à  la  gloire  de  la  chère  sainte  . 

Nous  donnons  ici  la  liste  des  planches  publiées  et  de  celles  qui 
restent  encore  à  paraître. 

Planches  déjà  publiées. 

Extérieur  de  l'église  de  Sainte-Elisabeth  à  Marbourg,  d'après  Geor- 
ges Millier  ;  XIIIe  siècle. 
Grand  portail  occidental  de  l'église  de  Sainte-Elisabeth  à  Marbourg, 

d'après  le  même. 
Chasse  de  sainte  Elisabeth,  à  Marbourg.  XIII*  siècle. 
Bas-relief  du  tombeau  de  sainte  Elisabeth,  à  Marbourg.  XIIIe  siècle. 
Statue  de  sainte  Elisabeth,  tirée  de  l'église  de  son  nom  à  Marbourg. 

XYe  siècle. 
Haut-relief  de  l'autel  du  transept.  XVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  en  habit  de  Franciscaine,  tenant  des  fleurs  miracu- 
leuses, d'après  Taddeo  Gaddi.  XIVe  siècle.  Figure  en  pied. 
Sainte  Elisabeth  recevant  des  pauvres  dans  son  hospice ,  d'après  le 

même. 
Tête  de  sainte  Elisabeth,  grandeur  de  l'original,  d'après  Andréa  Or- 

gagna.  XIVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  en  habit  de  veuve,  d'après  un  maître  anonyme  de 

l'école  de  Cologne.  XIVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  portant  les  fleurs  miraculeuses  dans  un  pan  de  sa 

robe,  d'après  le  bienheureux  frère  Angélique  de  Fiesole.  XVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  contemplant  le  paradis ,  d'après  Alessandro  Bolli- 

celli,  grandeur  de  l'original.  XVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  distribuant  des  aumônes,  d/aprèsune  miniature  de 

Hans  Hemmeling.  XVe  siècle. 
Sainte  Elisabeth  d'après   un  vitrail  de  la  cathédrale  de  Cologne. 

XVe  siècle. 
Figure  de  sainte  Elisabeth,  d'après  Lucas  de  Leyde.  XVIe  siècle.  Ce 

tableau,  dont  le  sujet  principal  représente  le  baptême  de  N.  S., 

appartient  à  M.  le  comte  de  Montalembert. 
Sainte  Elisabeth  distribuant  des  aumônes  pendant  la  disette,  d'après 

Frédéric  Mùller,  de  Ca5sel,  vivant. 
Le  miracle  des  roses,  d'après  un  bas -relief  de  H.  Schwanthaler,  de 

Munich,  vivant. 
Monnaie  de  sainte  Elisabeth.  1502. 


—  267  — 

De  la  série  d'Octave  Hauser,né  à  Mulhouse  en  1822,  ont  paru  : 

La  jeune  Elisabeth  dépose  sa  couronne  au  pied  du  crucifix.  Ch.  III 

de  l'Histoire. 
Mariage   d'Elisabeth  de  Hongrie  avec  le  duc  Louis  de  Thuringe. 

Ch.  IY. 
Elisabeth  nourrit  et  soigne  les  pauvres  de  son  hôpital.  Ch.  VIII. 
Un  ange  apporte  du  ciel  à  sainte  Elisabeth  une  couronne   et  un 

manteau.  Ch.  XI. 
Retour  du  duc  Louis  après  la  disette.  Ch.  XIV. 
Sainte  Elisabeth  découvre  la  croix  des  croisés  dans  l'aumônière  de 

son  mari.  Ch.  XV. 
Adieux  de  sainte  Elisabeth  et  de  son  mari  partant  pour  la  croisade. 

Ch.  XV. 
Sainte  Elisabeth  est  chassée  de  la  Wartbourg.  Ch.  XVIII. 
Sainte  Elisabeth  reçoit  un   ambassadeur  du  roi  André  son   père. 

Ch.  XXV. 
Le  Fonlispice  de  ces  mouumens  reproduit  le  pignon  de  l'égise  col- 
légiale de  Marbourg. 

Jl  reste  à  publier; 

Sainte  Elisabeth  d'après  un  peintre  anonyme  de  l'école  catholique 

d'Allemagne.  XVe  siècle. 
Le  Miracle  des  roses,  d'après  un  dessin  de  F.  Overbeck  ,  fait  exprès 

pour  noire  Collection. 
Funérailles  de  sainte  Elisabeth,  d'après  un  tableau  de  F.  Miïller,  de 

Cassel. 
Une  grande  lettre  tirée  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Mon- 
sieur à  l'Arsenal ,  représentant  sainte  Elisabeth  lavant  les  pieds 

des  pauvres  et  buvant  l'eau  du  lavage. 
Elisabeth  reçoit  un  miroir  de  son  fiancé ,  d'après  Octave  Hauser. 

Ch.  IV. 
Elisabeth  met  un  lépreux  dans  le  lit  de  son  mari,  d'après  le  même. 

Ch.  VIII. 
Mort  d'Elisabeth,  d'après  le  même.  Ch.  XXIV. 
Vue  de  la  ville  d'Eisenach  et  du  château  de  la  Wartbourg,  d'après 

E.-C.  Schmidt. 
Vue  générale  de  la  ville  de  Marbourg,  d'après  Georges  Miïller. 


—  268   — 

Le*  dessins  de  A.    Flalze   du  Tyrol,   s'ils   nous   parviennent    à 

temps,  etc.,  etc. 

Cette  Collection  est  précédée  d'une  Introduction  sur  l'état  actuel 
de  l'art  religieux  en  France, 

CONDITIONS  DE  LA  SOUSCRIPTION. 

La  Collection  aura  au  moins  trente  planches  sur  quart-coloaibier  ; 
chaque  planche  aura  une  ou  deux  pages  de  texte  explicatif. 

Le  prix  de  chaque  livraison,  contenant  trois  planches  (1),  sera  de 
trois  francs  sur  papier  de  Chine. 

Dix  livraisons  sont  en  vente,  et  les  suivantes  seront  publiées  de 
vingt  joursen  vingt  jours  jusqu'à  la  fin  de  la  publication. 

PARIS. 

A.  BOBLET,  Editeur,  quai  des  Augustin»,  37; 
DEBÉCOURT,  Libraire,  rue  des  Saints-Pères,  69. 


(1)  Le  petit  sombre  de  feuilles  qui  devront  être  coloriées  seront 
comptées  chacune  pour  deux. 


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