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CELEBRITES CONTEMPORAINES
ALPHONSE
DAUDET
JULES CLARETIE
PARIS
A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
7, RUE SAINT-BENOIT, 7
883
IV
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«*sfai/ & rasst&siye^ t&. &~ fsJij *<*-Sé- *Z*sS ee*^ , ?y stssss/ s?és sfZJZi&~ s^
ALPHONSE DAUDET
,\:antm
ALPHONSE DAUDET
e ne sont pas les documents,
comme on dit, qui manqueront
à nos petits -neveux lorsqu'ils
voudront écrire Fhistoire très
curieuse de ce temps, Le jour-
nalisme américanisé a introduit de nouvelles
mœurs dans les lettres et, après les indiscré-
tions des reporteurs, nous avons (et nous en
sommes bien aise) les confessions des artistes
eux-mêmes et les révélations de leurs proches
+ CELEBRITES CONTEMPORAINES.
ou de leurs amis. Je ne sais qui a imprimé ce
paradoxe, qu'on n'a tant et tant écrit sur Molière
que parce qu'il n'a rien laissé sur lui-même.
Pas un aveu, à peine quelques rares autogra-
phes qu'on se dispute comme des joyaux. On
n'aura pas de telles recherches à faire sur nos
contemporains, et c'est un signe des temps que
ce besoin de vérité, d'explications, de révéla-
tions qui fait courir le public aux confidences
de ceux qu'il aime et qui pousse les hommes
populaires vers le public.
J'ai là un livre fraternel écrit par M. Ernest
Daudet sur Alphonse Daudet, et ce volume
excellent, plein de faits, intitulé Mon frère et
moi, faciliterait singulièrement ma tâche, si je
ne voulais, à mon tour, donner quelques sou-
venirs personnels sur le plus délicat, le plus
sympathique et le plus entraînant de nos ro-
manciers. Il y a, sur les origines de famille,
sur les intimités du foyer, sur les années
d'enfance et de débuts, dans' le livre excellent
d'Ernest Daudet, tout ce qui peut intéresser un
biographe. Alphonse Daudet lui-même, en ses
préfaces, qui formeront un livre et un des
plus curieux parmi ses ouvrages, Y Histoire de
mes livres, a mis tout ce qui peut plaire au
ALPHONSE DAUDET.
psychologue, à l'artiste, à quiconque se pas-
sionne pour la genèse d'une œuvre d'art et
la germination lente ou spontanée d'une idée. Je
voudrais simplement crayonner de Fauteur du
Nabab et de Numa Roiunestan un portrait ra-
pide et évoquer, pour ma propre satisfaction,
les rencontres, les journées heureuses que j'ai
pu, dans ma vie littéraire, avoir avec un des
hommes qui ont le plus fait, si je puis dire en
style quasi académique, pour la parure de ma
génération.
Académique! Eh! vraiment oui. Je le vois
bientôt, d'ailleurs, revêtu de l'habit à palmes
vertes, lisant, l'œil sur son papier, quelque
discours exquis et salué, comme il le mérite,
par la harangue d'un récipiendaire qui n'aura
qu'à s'inspirer des bravos du public pour lui
souhaiter la bienvenue. M. Sully Prudhomme
a été le premier des hommes nés en 1840 qui
auront porté la parole et témoigné de nos
efforts, de nos recherches, de nos tendances,
devant l'Institut; Alphonse Daudet sera le
second. Le poète du roman entrera immédiate-
ment, sans doute, et je l'espère, après le philo-
sophe de la poésie.
Un de mes meilleurs souvenirs de jeunesse,
6 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
c'est une journée de clair soleil passée à Seine-
Port, il y a bien des années déjà, chez Ville-
messant, qui donnait une fête pour le baptême
de son petit-fils. Nous étions là une poignée
de fous qui riions de tout, en commençant par
nos vingt ans, et, tout le jour, ramant sur la
rivière ou gagnant des canards à la foire voi-
sine, nous avions jeté au vent les fusées de
nos gaietés. Le plus gai de nous tous était
peut-être Alphonse Daudet, s'amusant comme
un enfant, avec sa verve de méridional et son
esprit de Parisien, inventant avec nous une
Revue de fin d'année dont nous n'avons jamais
improvisé que les couplets lancés comme des
pétards sous les grands arbres du jardin :
Chantons, oui, chantons ce bon Dollingue
Car c'est sa fête ce matin,
C'est certain !
Il fallait entendre Daudet donner à ce Dollin-
geinng, à ce mateinng, à ce certainng, Faccent
argentin, alliacé et narquois des bonnes gens
de Nîmes. Il entrevoyait déjà les plaisanteries
méridionales, les drôleries et les railleries de
son Tartarin de Tarasconet de son Roumestan
aux arènes.
ALPHONSE DAUDET.
Et quel bizarre assemblage de personnalités,
toutes amusantes, dans cette maison de Seine-
Port! Faure, l'admirable artiste, offrant de
confectionner un macaroni à la napolitaine,
comme Rossini. Alfred de Caston, mort
aujourd'hui, se livrant, sur le sable du jardin,
à des tours de cartes qui stupéfiaient le bon
curé, un peu dérouté et croyant à la sorcellerie;
Villemessant jetant sur nos plaisanteries sa
grosse verve entraînante et coiffant sa tête
énorme, bienveillante et redoutable à la fois,
d'un grand chapeau de paille à demi défoncé,
dont il disait fièrement :
« C'est le chapeau de Murger ! Il le portait à
Chambon lorsqu'il me promenait sur le lac ! »
Et brochant sur le tout, Déjazet, la vieille
Déjazet, toujours pimpante, chantant de sa
voix grêle et pénétrante la Lisette de Béran-
ger:
Enfants, c'est moi qui suis Lisette,
La Lisette du chansonnier...
et invitant à venir l'entendre dans les Prés-
Saint- Gervais, à son petit théâtre du boule-
vard du Temple, le curé, le pauvre curé un
peu confus, pris entre un sorcier devinant les
8 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
as et une charmeuse filant des sons, et, tout
rouge devant cette tentation, disant naïvement
en regardant la comédienne sexagénaire :
« Elle fait encore illusion! »
Si jamais Alphonse Daudet place un tel sou-
venir dans ses mémoires intimes, Vingt ans
de Paris, comme il doit les appeler, quelle
jolie page, toute parfumée des lilas de la jeu-
nesse, il écrira sur cette journée dont nous
avons reparlé bien souvent.
Et que c'est loin tout cela ! Le petit Bourdin,
comme nous disions alors, le « petit Bourdin »
qu'on baptisait, doit être à présent un collégien
à moustaches, un homme! Et nous, qui gami-
nions encore en péchant des ablettes, nous
voici arrivés au cap de la quarantaine, n'entre-
voyant plus qu'à travers une sorte de brume
un passé tout rempli de rires, mais déjà tout
plein de morts.
Du moins, ces quarante ans, Alphonse
Daudet les a bien employés. Il était, à l'heure
dont je parle, déjà célèbre, aimé, choyé : on en-
tendait partout réciter les triolets de ses Prunes :
Mon oncle avait un grand verger,
Et moi j'avais une cousine,
Nous nous aimions sans y songer...
ALPHONSE DAUDET.
On avait lu — avec quel plaisir raffiné! — son
petit poème attendri et narquois, la Double
conversion; on avait applaudi, à FOdéon, la
Dernière Idole, où débutait Rousseil; à la
Comédie-Française, V Œillet blanc, où Mme Vic-
toria Lafontaine portait lestement le travesti ;
à TOpéra-Comique, les Absents, où, tout en
chantant, M. Capoul faisait, au bout d'un bâ-
ton, tourner des assiettes.
J'ai là, devant moi, tous ces livres de jeu-
nesse. Le premier conte en vers, cette « double
conversion » de la petite juive Sarah, qui se
fait chrétienne pour épouser son André, et du
petit André qui se fait juif pour devenir le mari
de la jolie israélite, un poème railleur, qui se
termine par un hymne à l'amour, doux comme
un printemps :
Oh! puisque l'amour est si grand,
Mignonne, qu'au fond de nos âmes
Il fait table rase en entrant
Et qu'il y trône en conquérant
Sur des débris et sur des flammes;
Puisque nous voyons aujourd'hui
Que ni croyances ni systèmes,
Rien ne peut tenir contre lui,
Puisque je t'aime et que tu m'aimes,
Or donc pourquoi nous obstiner ?
Laissons faire l'amour, mignonne,
Et suivons l'élan qu'il nous donne.
io CELEBRITES CONTEMPORAINES.
C'est à Dieu de nous pardonner
Si besoin est qu'on nous pardonne!
Donc, maîtresse, si tu m'en crois,
Nous allons courir par les bois;
Et nous fuirons comme la peste
La théologie et le reste.
Le ciel est bleu, les arbres verts;
Prenons notre course au travers
Des champs de Bièvre ou de Chevreuse.
Toute la terre est amoureuse,
Viens-t'en nous aimer quelque part!
— Oui! mais ne rentrons pas trop tard !
La Double conversion, éditée en 1861 par Pou-
let-Malassis et de Broise, avec une eau-forte
dont j'ignore l'auteur, représentant les amou-
reux pris entre le prêtre et le rabbin, est au-
jourd'hui devenue rare. Rarissime, disent les
catalogues, comme le Roman du Chaperon
rouge, que Daudet publiait chez Michel Lévy
(1862) en le faisant imprimer chez Poupart
Davyl. Je vois, sur le faux titre de ce recueil
de « scènes et fantaisies », dont toutes sont
exquises, entre autres les Rossignols du Cime-
tière, une sorte de poème hamlétique en prose,
annoncé un recueil de contes en vers : Sous
presse : le P entamer on.
Qu'était-ce que cePentaméron? Il n'a jamais
paru.
ALPHONSE DAUDET.
Le Daudet de Seine-Port, le Daudet de nos
vingt ans, c'était donc le poète des Prunes, du
Chaperon rouge et des Cerisiers.
Vous reposiez... vous reposiez...
Je vous pris pour une cerise;
C'était la faute aux cerisiers !
Il avait aussi collaboré çà et là à bien des
journaux de fantaisie et de jeunesse, et jus-
qu'au Musée des Familles, où Ton trouverait
de lui, chose curieuse, au tome XXIX, une
biographie de peintre, une étude ou un petit
roman sur Carlo Maratti ! Et jusque-là, déjà,
il a sa langue, sa couleur, son style ! Alphonse
Daudet avait écrit déjà encore quelques Lettres
de mon moulin, des chefs-d'œuvre; la Mort du
petit Dauphin, ce petit Dombey couronné; le
curé de Cucugnan.
Ce fin visage de méridional brun qu'a peint
Feyen-Perrin était déjà baigné de cette rose
lumière de la première gloire, que Vauvenar-
gues compare tout justement aux premiers feux
du jour. Il n'y avait qu'un point noir dans
cette aurore. On disait alors que Daudet, fort
malade, était menacé d'anémie. Il fallait, pa-
raît-il, à cet enfant de Nîmes, un soleil plus
12 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
réchauffant encore que celui de sa Provence, le
soleil d'Afrique. On envoya Daudet à Alger, et
le bon Alphonse Duchesne, le collaborateur de
Delvau pour les Lettres de Junius, disait, en
hochant la tête : « On ne sait pas si Daudet en
reviendra ».
Il en revint solide et, sous la capote du garde
national, en décembre 1870, le jour de Cham-
pigny, lorsque je le vis de planton près de
Vincennes, sur la route, il avait vraiment
mâle tournure. C'est du lendemain de la guerre
que date, en quelque sorte, la transformation
du talent de Daudet; le poète charmant allait
devenir un romancier exquis et puissant. Notre
biographie, à nous littérateurs d'à présent, qui
vivons au coin du feu, bien différents des
chercheurs d'aventures de i83o, est toute dans
nos livres. Alphonse Daudet a fixé les dates de
sa vie dans une lettre écrite, il y a quelques
années, à un rédacteur du Bien public, mais
c'est à M. Ernest Daudet, qui l'a racontée avec
une émotion vraie, qu'il faut demander l'his-
toire intime et toute simple de l'auteur du
Nabab. Il eût pu la signer: Un témoin de sa vie.
Alphonse Daudet est né en 1840 à Nîmes.
De Nîmes il alla au lycée de Lyon, triste
ALPHONSE DAUDET.
ville pour un amoureux des cigales. Ce qu'on
y entend, ce n'est pas le vol des ortolans dans
les figuiers ou les chansons des magnanarelles,
mais le bruit sourd des métiers des canuts. En
i856, à seize ans, Daudet entrait comme maître
d'étude au collège d'Alais. Il a été pion, ce
poète, comme Alphonse Karr, l'ami des fleurs.
Un an après, il arrivait à Paris et apportait un
volume de vers, ses premiers vers, les Amou-
reuses, à l'éditeur Tardieu, humouriste qui si-
gna J.- T. de Saint-Germain, des nouvelles agréa-
bles, Pour une épingle, entre autres. Tardieu
accepta les Amoureuses, et les publia. C'est dans
les Amoureuses que les frères Lionnet allèrent
« cueillir » les Prunes qu'ils disaient si bien.
Daudet entrait, trois ans après, chez M. de
Morny comme secrétaire. Il y pouvait rimer
tout à son aise. Après une enfance douloureuse,
une adolescence triste, le poète du Roman du
petit Chaperon rouge se préparait, par un
doux farniente, à une virilité laborieuse.
Mais, hélas! il traînait justement, comme un
léger boulet, le poids de ce joli livre de fan-
taisies. Le volume, qui vaut cher aujourd'hui,
s'était peu vendu, et l'auteur en devait la fac-
ture de l'impression à l'imprimeur. Un matin
î-t CELEBRITES CONTEMPORAINES.
tomba, dans le cabinet de M. de Morny, — je
dirais comme le tonnerre, si ce n'était calom-
nier la foudre, un papier timbré. Ohimé!
Un huissier chez le président du Corps lé-
gislatif! L'imprimeur mettait saisie-arrêt sur
les appointements du secrétaire.
M. de Morny fit appeler Alphonse Daudet.
Le poète se crut perdu. Je me souviens d'avoir
lu cette histoire dans les Mémoires d'un homme
de lettres. Il n'osait lever les yeux sur Morny.
Le visage du comte ou du duc (je ne sais trop
quel titre il portait alors) avait parfois des froi-
deurs de marbre.
Daudet fut tout étonné de l'entendre rire.
— Comment, mon cher monsieur, vous avez
des dettes? Vous aviez des dettes, et vous ne le
disiez pas? Cela me raccommode avec vous ; je
vous trouvais trop sage! On déchirera ce pa-
pier timbré, ne vous inquiétez pas !
Victor Hugo a eu raison de dire de cet élé-
gant sceptique de Mora qu'il pouvait être étu-
dié par Marivaux, à condition d'être ressaisi
par Tacite.
Alphonse Daudet collaborait alors volon-
tiers avec M. Ernest Lépine, qui signe au-
jourd'hui Quatrelles, de jolies nouvelles, très
ALPHONSE DAUDET. 15
délicates. L'auteur de la Double conversion
rêvait les succès du théâtre, les chaudes soirées
de bataille. Il écrivait pour le Vaudeville le
Frère aîné, puis le Sacrifice. D'une de ses
Lettres de mon moulin il tirait les cinq actes
de V Artésienne, pour Fargueil, décidée à jouer
un rôle de mère. On fut injuste pour cette
touchante idylle provençale coupée brus-
quement par un dénouement tragique et où
M1,e Bartet, qui débutait, portait gentiment le
fichu et la coiffe des filles d'Arles.
Daudet s'en consolait en poète : il avait en-
tendu la farandole de Bizet.
« Ce qui m'a surtout séduit dans ma pièce,
nous disait-il un soir, c'est qu'en me prome-
nant dans les coulisses du Vaudeville et en
coudoyant tous ces costumes de là-bas, je me
croyais sous les oliviers de mon pays. »
Encore aujourd'hui, il conte spirituellement,
avec une bonne grâce amusante (c'est un eau*
seur délicieux que Daudet), ses mésaventures
d'auteur dramatique et comment, à l'Ambigu,
le soir de la première de Lise Tavernier, en
mettant le pied sur la scène, derrière les dé-
cors, il aperçut un des fils de Mme Marie Lau-
rent et lui demanda, anxieux :
i6 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
— Eh bien ! comment ça marche-t-il !
— Maintenant, répondit M. Laurent, cela
va un peu mieux ! »
Tout juste le mot douloureux d'une garde-
malade après une crise.
Je ne sais pas si Daudet attendit la fin de la
pièce, mais je m'imagine ce nerveux frôlant,
en se promenant, la toile de fond, et se de-
mandant (nous en avons eu plus d'une fois, de
ces désolations) ce qu'il venait faire, lui, le dé-
licat, dans ces cirques où le public figure la
bête féroce, et pourquoi il s'obstinait à verser
de son fin muscat des vignes ensoleillées à des
buveurs de gros vin bleu ou d'alcool!
On se dit cela, au surplus, quand le public
résiste, puis, quand on aime le théâtre et sa
griserie, on revient à la bataille, et, lorsqu'on
est Daudet, on triomphe. On acclimate la poé-
sie même dans la poussière des coulisses et
même entre cour et jardin. Alphonse Daudet
devait revoir le manteau aT Arlequin rentrer au
théâtre, mais y rentrer par une sorte de chemin
de traverse, par le roman.
De Fromont jeune et Risler aîné, tout d'a-
bord, il voulait faire une comédie pour le
Vaudeville. L'aventure de V Artésienne le dé-
A L P H O N S E D A U D E T. 17
goûta. 11 en lit un roman, et de là date, non
un succès (il était de'jà goûté comme il le méri-
tait depuis les Femmes d'artistes, un maître
livre, le Petit Chose, Tartarin de Tarascon,
depuis ses débuts, en un mot), mais sa popu-
larité.
Fromont jeune inaugura, pour le roman, ces
succès de vogue qui ont donné aux romanciers
de notre temps cette gloire argent comptant
dont parlait Alphonse Rabbe. Le livre fut ra-
pidement enlevé. Daudet, jusque-là, avait eu
pour lui les artistes. Dès lors, il eut pour lui
les femmes.
Heureux ceux d'entre nous qui peuvent
loger leur nom au fond des cœurs féminins!
La femme, infidèle ailleurs quelquefois, est
fidèle à ses romanciers ; elle vieillit avec ses
poètes. Elle se retrouve toujours jeune au fond
de ses miroirs livresques, pour parler comme
Montaigne, qui Pont comprise et qui Font
charmée.
Désormais, il ne faut plus citer les succès
d'Alphonse Daudet, il suffit d'énumérer ses
livres. Le Nabab succéda à Fromont jeune et
le dépassa, je pense. Le livre devait réussir.
Morny était dans l'affaire! Jack, un peu long
CELEBRITES CONTEMPORAINES.
en deux volumes, fut un succès de larmes et
d'émotion, le plus durable des succès. On s'at-
tendrit sur le pauvre enfant sans mère avec une
mère vivante, et le cénacle des ratés devint
aussi célèbre que le comédien Delobelle.
M. Gaston Boissier, le cicéronien le plus vrai-
ment français que je connaisse, Nîmois comme
Daudet, nous disait naguère que M. le duc de
Broglie préfère, à tous les romans, Jack,
comme le président Garfield préférait Monsieur
Pick-wick, de Dickens. M. de Broglie le relit
souvent et souvent Ta lu tout haut, en famille.
Une grande partie des qualités du style,
chez tel auteur brillant, dit Sainte-Beuve quel-
que part (dans un livre de notes crayonnées au
bas des Maximes de La Rochefoucauld), tient à
l'inquiétude (catouilleuse) où il est de chacun
et qui le force à s'ingénier aux nuances. En
écrivant cela, Sainte-Beuve songeait, je pense,
à lui-même, à son amour de l'exquis et du fin,
et il semble qu'aujourd'hui on pourrait appli-
quer à Alphonse Daudet ce que l'auteur des
Causeries du Lundi disait de « tel auteur bril-
lant». Daudet est'un sensitif extraordinaire et
chez lui les impressions les plus fugitives en
apparence prennent un relief singulier. Il garde
ALPHONSE DAUDET.
en lui comme l'atmosphère et, si je puis dire,
l'odeur même, le parfum du passé.
Rien ne peint mieux sa manière d'être et de
sentir que les pages mises par lui en tète de
Robert Helmont. Inoubliables, les moindres
choses le frappent et se gravent en lui, et il les
rend ensuite comme si sa mémoire était une
plaque daguérienne.
« Un jour, à la campagne, écrit Daudet, lut-
tant avec un ami dans une de ces jolies îles vertes
qui s'espacent en bouquets sur la Seine entre
Ghamprosay et Saisy, je glissai sur l'herbe
grasse et je me cassai la jambe. Mon goût mal-
heureux pour la vie physique et les exercices
violents m'a joué tant de méchants tours, que
j'eusse oublié celui-là comme les autres, sans
sa date précise et très significative : 14 juillet
1870.... Et je me vois, à la fin de cette cruelle
journée, couché sur le divan de l'ancien atelier
d'Eugène Delacroix, dont nous habitions alors
la petite maison, à la lisière des bois de Sénart.
Ma jambe allongée, je ne souffrais pas trop,
déjà dans la vague agitation d'une fièvre com-
mençante qui doublait pour moi la chaleur
orageuse de l'atmosphère et enveloppait les ob-
jets et les êtres présents, comme des lambeaux
CELEBRITES CONTEMPORAINES.
(Tune gaze frissonnante. Onchantait les chœurs
d? Orphée au piano; personne, pas même moi,
ne soupçonnait la gravité de mon état. Par la
baie de l'atelier large ouverte entraient des ha-
leines de jasmins et de roses, des rondes de pa-
pillons de nuit et de courts battements d'éclairs,
montrant par-dessus le mur bas du jardin les
vignes en pente, la Seine, le coteau vis-à-vis.
Tout à coup la sonnette du facteur résonne
dans le calme ; les journaux du soir reçus et
dépliés : « Nous avons la guerre », firent des
voix émues, colères ou enthousiastes.
« A partir de ce moment, il ne me reste que
le souvenir fiévreux d'un abattement de six se-
maines, six semaines de lit, d'éclisses, de gout-
tière, d'appareil en plâtre, ou ma jambe sem-
blait enfermée avec des milliers d'insectes dé-
vorants. Dans cet été lourd, exceptionnellement
brûlé et orageux, cette immobilité pleine d'agi-
tation était atroce et d'une inquiétude accrue
par les désastres publics, dont les journaux
épars sur mon lit entretenaient mon inaction
et mes insomnies. La nuit, le roulement des
trains sur l'horizon me troublait comme la
marche de bataillons interminables. Le jour,
les visages tristes et défaits, des bouts de con-
ALPHONSE DAUDET.
versation sur la route ou chez le voisin, enten-
dus par ma fenêtre ouverte. « Les Prussiens
sont à Chàlons, mère Jean », et les voitures de
déménagement, soulevantàtouteheure la pous-
sière du calme petit pays, me donnaient l'écho
humain et sinistre de ma lecture des «nouvelles
delà guerre ». Bientôt, dans Champrosay, il n'y
eut plus que nous de Parisiens, seuls parmi les
paysans entêtés à la terre, se refusant encore
à Pidée de l'invasion; et sitôt que je pus me
lever, être transportable, le départ fut tout de
suite arrêté !
L'auteur de tant de récits devenus populaires
a pris soin, de la sorte, en de très curieuses pré-
faces, d'expliquer lui-même comment il procède
pour l'exécution de ses livres. Il les porte long-
temps en lui, souvent il les essaye, si je puis dire,
sur le public. Le Nabab et la Mort du duc de
Mora figurent à l'état à? études rapides dans le
joli volume de Robert Helmont. Daudet a tou-
jours devant lui un type vrai, la nature. Il a
conté l'histoire même, l'histoire véridique de
Jack. Il adonné la clef de ce cénacle bizarre des
ratés: « Moronval, dit-il, Moronval, le mulâtre,
a vécu, lui aussi ; il a collaboré à la Revue colo-
niale et, après 1870, fut quelque temps député
22 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
Il habitait, quand je l'ai connu, une petite
maison à jardin aux Batignolles et vivait d'une
demi-douzaine de négrillons expédiés de Port-
au-Prince, de Tahiti, ensemble élèves et do-
mestiques, allant au marché et cirant les bottes
en expliquant l'épitomé. Même le petit roi de
Dahomey n'est pas une fiction; mais cette noire
petite figure souffreteuse me vint de Marseille,
par un écrivain de mes amis qui a été répéti-
teur au lycée de cette ville avant de tenir dans
la presse parisienne une plume dorée de chroni-
queur. » Faut-il le nommer aujourd'hui, ce
Moronval? On Ta porté naguère au cimetière;
il s'appelait Melvil-Bloncourt.
Jack n'avait pas, pour parler commerciale-
ment, le succès de vente de Fromont. « C'est
long et c'est cher, écrit Daudet, deux volumes
pour nos habitudes françaises. « Un peu trop
de papier, mon fils », me disait avec son bon
sourire mon grand Flaubert, à qui le livre
était dédié. On me reprochait aussi de m'être
trop acharné aux souffrances du pauvre mar-
tyr. George Sand m'écrivait qu'elle avait eu un
tel serrement de cœur de sa lecture, a qu'elle
était restée trois jours sans pouvoir travailler ».
Il fallait, en effet, que l'impression eût été
ALPHONSE DAUDET. 2\
vive pour déranger ce beau labeur courageux
et imperturbable. Eh oui ! livre cruel, livre
amer, livre lugubre, mais qu'est-il auprès de
Y existence vraie que je viens de raconter1? »
Le livre qui suivit Jack s'enleva plus rapi-
dement. Les Rois en exil continuèrent, en l'ac-
célérant, une vogue qui devait grandir encore
avec Nnma Roumestan. On avait cherché une
clef au. Nabab, on voulut deviner, dans les Rois
en exil, le secret des personnalités. Qui pour-
rait dire par quelles sortes d'infiltrations suc-
cessives, d'observations constantes, diverses,
disparates même, un caractère, un personnage,
un type, se glisse dans le cerveau d'un roman-
cier? Quand on peint les hommes, on ne peut
s'empêcher de les observer, et, quand ils passent,
inconsciemment ils sont nos modèles. On a
inventé récemment un système de portraits
photographiques en faisant poser plusieurs per-
sonnes d'une même famille devant l'objectif,
puis, en composant de tous ces portraits divers
un visage unique, on a un portrait-type qui
ressemble à tous les individus de même lignée,
sans ressembler spécialement à aucun. Ce pro-
i. A. Daudet, préface de Jack.
Bit CELEBRITES CONTEMPORAINES.
cédé, invention nouvelle de la science, il y a
longtemps que les peintres à la plume de la
nature humaine Font trouvé. Le Sage l'avait
appliqué déjà dans Gil Blas. On avait de-
mandé la clef des Rois en exil. Plus vivement
encore, on allait chercher celle de Nnma Rou-
mestan. Personne n'a été plus charmé que moi
par la lecture de ce dernier livre, tout embau-
mé de capiteuse odeur méridionale, ensoleillé
et tapageur; mais personne n'en a été, je l'a-
voue, plus inquiet que moi.
Il y avait des années que je commençais à
prendre des notes — les premières datent de
1872, — pour écrire Monsieur le Ministre, et
un vieil article de Montjoyeux dans le Gaulois
avait déjà conté toute l'histoire de mon livre
sur le chantier, lorsqu'un soir, chez Edouard
Pailleron, dans cette salle de billard où, après
dîner, tous les convives font beaucoup d'esprit
et quelques-uns des carambolages, Alphonse
Daudet, que je vois encore, sa tasse de café à
la main, au coin de la cheminée, me demanda
des nouvelles de mon roman futur, et com-
mença franchement, avec sa belle humeur atti-
sante, à me raconter le sien, et comme il sait
conter, le charmeur! C'était son Roumestan,
ALPHONSE DAUDET. aj
r homme du midi arrivant à Paris et s'y grisant
dtparisine, promettant tout à tout le monde et
ne tenant, auprès de sa femme, rien de ce qu'il
avait juré. Avec cela, un mépris de poète pour
la politique et les politiciens. La revanche de
l'esprit libre sur la pose officielle !
Je l'arrêtai dans son récit. J'avais peur de
voir surgir dans l'amicale causerie l'idée même
du roman que je caressais de mon côté.
— Diable ! m'écriai-je, mais c'est mon livre !
— Allons donc! il n'est pas méridional, ton
ministre? me dit Daudet.
--Non.
— Il n'est pas ministre de l'instruction pu-
blique?
— Non, il est ministre de l'intérieur.
— Il ne pourrait pas s'appeler V Homme du
midi, comme j'ai failli baptiser le mien?
— Non, il pourrait plutôt s'appeler le Mi-
nistère, comme l'a dit Jules Levallois. Je ne
fais aucun portrait et ne songe à personne. Ce
que je vise, c'est surtout la politique, la poli-
tique et le ministère, cet enfer pavé de bonnes
intentions.
— Et moi, c'est le méridional, le Midi, le
Latin, qui a une nouvelle fois conquis la
16 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
Gaule. Nous ne nous ressemblons pas. Va ton
chemin! Moi, je ne songe qu'à l'homme de
Nimes et, pour bien faire, il faudrait que mon
roman fût lu tout haut, avec l'accent du
Midi !
Rien de plus vrai que cette observation
dernière. Il y a, dans ces pages éblouissantes
et capiteuses de Numa Roumestan quelque
chose de cet accent qu'avait Daudet lorsqu'il
chantait, à Seine-Port, la chanson de Dollin-
geinn, et sa fête, — ce mateing, c'est certeing!
Il y a aussi du soleil à poigne'es, la fine lu-
mière du Midi, le bruit de la foule, — joie de
rue, douleur de foyer, et consolante, péné-
trante, la bonne odeur du coin du feu, la
flamme douce du logis, la lueur calme de la
lampe après les pétards du feu d'artifice.
Jamais Daudet n'a été plus brillant et plus
net. Son style merveilleux a même là, dans
son admirable souplesse, une simplicité nou-
velle avec son pittoresque habituel. Style qui
sait tout peindre, comme l'œil sait tout voir.
Et quand je pense que ce peintre, — pour
répéter le mot, — est myope! Oui, mais d'une
myopie qui voit toutes choses, comme une
lentille de microscope. Daudet est un poète na-
ALPHONSE DAUDET.
turaliste qui a regardé le cœur humain à la
loupe. Il a peut-être, à son insu, mis quelque
chose de lui-même dans ce Roumestan que je
trouve, entin, si sympathique jusqu'en ses
erreurs, si vivant et si entraînant. Si le person-
nage a du charme, en dépit de tout, s^il séduit,
s'il conquiert, c'est par le magnétisme affiné
que Daudet lui a donné de lui-même. Tout en
le raillant, le romancier a voulu absoudre son
héros en lui prêtant de son esprit, comme
Cervantes, bafouant Don Quichotte, Ta fait
aimer en lui prêtant de sa grandeur d'âme de
pauvre soldat estropié. Et voilà la vérité
même de nos créations. Ne cherchez aux con-
ceptions des romanciers d'autre clef que dans
leurs sensations, leurs impressions, leurs sou-
venirs. Alphonse Daudet, aussi Parisien que
méridional, s'est révolté contre l'exubérance
envahissante des importants comme Roumes-
tan, qui font de Paris une ville prise. Poète,
lettré, prêt à donner tous les projets de loi pour
une page des Mémoires d'Outre-Tombe ou
une phrase de Michelet, il a voulu railler les
Tartarins de la politique. Ce qu'il avait ima-
giné dans Tartarin de Tarascon (car, Dieu
merci, s'il sait voir, il sait inventer, et son
28 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
imagination n'est pas à court), il Fa observé,
en une autre sphère, dans Numa Roumestan.
Il a mis là toute sa verve, comme dans Jack et
le Petit Chose il avait mis tout son cœur. Je
me trompe : il en restait assez pour faire lire
dans plus d'un chapitre du Nabab et des Rois en
exil des pages attendries. Anacréon avait écrit
V Amour mouillé. Il y en a, dans Daudet, de la
pitié mouillée de larmes.
Ce charmeur, qui est aussi un travailleur
acharné, fort peu enclin à faire antichambre
chez un ministre, ira chez le docteur Potain
solliciter et attendre, durant des heures, pour
amener le médecin au chevet de son enfant
malade. Seulement préoccupé de son œuvre,
il oubliera tout pour n'être que père, et lors-
que, courbé par la maladie, crachant le sang,
il aura peur, non de mourir, mais de mourir
avant d'avoir achevé les Rois en exil, il dira à
sa femme, confidente profonde de ses pensées,
poète, elle aussi, et d'une délicatesse rare
comme son frère, M. Léon Allard, est con-
teur :
— Si je m'en vais, finis mon bouquin!
M. Edmundo de Amicis, qui est soldat et se
connaît en consigne, a raison d'admirer ce trait
ALPHONSE DAUDET. 29
d'un écrivain au seuil de la mort. Mais qui ne
jetterait le même cri en regardant la page ina-
chevée et la compagne qui survivra, gardienne
d'un nom à la fois aimé et honoré?
Alphonse Daudet profita de répreuve pour
y trouver quelques-unes des pages les plus
poignantes des Rois en exil. Tels ces médecins
qui s'étudient eux-mêmes et lèguent à la
science le secret même de leurs souffrances.
Aujourd'hui, Daudet est arrivé à la pleine
possession de son talent et de sa renommée.
Dans le roman, il est acclamé; il est applaudi
au théâtre qu'il a emporté de haute lutte. Au-
tant qu'un artiste nerveux et éternellement oc-
cupé de mieux faire est heureux, l'auteur de
Numa Roumestan jouit des fruits de son labeur
et de sa renommée incontestée. L'hiver, il rêve
en regardant du haut de sa fenêtre les arbres
dénudés du Luxembourg; il a quitté ce grand
hôtel du Marais, où il a cependant certaine-
ment trouvé le cadre de cette attendrissante
tragédie bourgeoise : Fromont et Risler, et
qu'il a dépeint dans Jack. C'était toujours
dans le grand cabinet de travail, — aux deux
larges et hautes fenêtres, — du palais Lamoi-
gnon. Lisez les premières pages du chapitre
30 CELEBRITES CONTEMPORAINES.
intitulé Jack en ménage, vous aurez l'horizon
de maisons ouvrières, de toitures de zinc, de
hautes cheminées d'usines consolidées de longs
cordages de fer, que mes yeux, lorsqu'ils se
levaient du papier, voyaient à travers les vitres
ruisselantes et la brume des jours parisiens. Le
soir, toutes les fenêtres serrées sur ces hautes
façades s'allumaient à tous les étages, décou-
pant des silhouettes courageuses, des attitudes
penchées au travail bien avant dans la nuit,
surtout vers le jour de l'an, dont ce quartier
de bimbelotiers alimente les baraques et les
étalages. Mais les meilleures pages s'écrivaient
encore à Champrosay, où les premiers lilas
nous voyaient arriver pour une villégiature
prolongée jusqu'aux premières neiges. »
Il a raison de travailler ainsi, sous les ar-
bres, et de fuir là-bas les importuns et même
les amis. « Nos maisons de Paris les mieux
gardées, les plus closes, dit-il encore, sont en-
core ouvertes à trop de distractions et d'im-
prévu. C'est l'ami qui vous apporte son souci
et sa joie, le journal du matin aux nouvelles
agitantes, le gêneur éhonté qui force les con-
signes, et la corvée mondaine, les dîners, les
premières représentations auxquelles l'obser-
ALPHONSE DAUDET. 31
vateur, le peintre de mœurs modernes, n'a pas
le droit de se soustraire. A la campagne, l'es-
pace est vaste, l'air libre, le temps long, et, dis-
posant à son gré de sa personne et de ses heu-
res, on a surtout la sécurité de cette indépen-
dance, la sensation d'être bien seul avec son
idée. C'est une ivresse dépensée et de travail. »
L'été donc, il va à Champrosay chercher du
repos, du soleil, des fleurs et des arbres verts.
Il s'étend parfois dans un canot et songe,
comme dans l'herbe, son; sous-préfet aux champs .
Il y a aussi les voyages. En 1881, il allait de-
mander de l'oxygène à la Suisse, avec le peintre
Joseph de Nittis. lien rapportait même le pro-
jet d'un roman satirique ou les hôteliers de
Suisse, — Guillaume Tell tarihant ses quar-
tiers de pomme, — devaient être aussi raillés
que les inflexibles de Tarascon. Mais peut-
être a-t-il abandonné ce projet pour écrire le
doux roman du foyer, de l'honneur et du bon-
heur bourgeois, avec ce livre annoncé sous le
titre de Trousseaux et Layettes.
Point banal, en réalité, dans sa bienveillance
aiguisée, M. Alphonse Daudet a, dans les
lettres de ce temps, une situation hors de con-
teste, et les nouveaux venus, ceux-là mêmes
3a CELEBRITES CONTEMPORAINES.
qui nous marchent sur les talons, impatients
d'arriver, justement avides de lumière, de suc-
cès, de luttes, et préoccupés de leur gloire, ceux
qui jettent comme un signal d'assaut, comme
un généreux commandement de pas décharge,
le cri de Place aux jeunes! ne manquent ja-
mais d'ajouter : Salut au maître!
Et pourtant, mon vieux camarade d'autrefois
regrette peut-être (qui sait?) comme je le re-
grette moi-même souvent, le temps où nous
corrigions nos épreuves chez Kugelmann, dans
la petite cage vitrée, à droite de la cour, et où
nous étions joyeux de tout, pouffant de rire à
voir voler une mouche dans un rayon de
soleil !
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