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E M I LE,
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DE L'ÉDUCATION.
T0M.E //,
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/amileoudeldu02rous
Tom ir
1 aç -o
Hem\es, ihv.iii.
E M I L E>
0 «
DE L'ÉDUCATION.
Par /. J, Rousseau,
Citoyen de Genève^
TOME SECOND.
y^ LA HAYE,
Chez Jean Néaulme , Libraire,
M. DCC. LXII.
A'Vtc Privilège de Nojfeign. les Etats de Hollande
& de ff^ejlfri/è»
É MIL Es
O U
DE L'ÉDUCATION.
LIVRE I ï I.
U o I Q u E jufqu'à l'adolef^
cence touc le cours de la vie
foit un tems de foiblefle, il
elt un point dans la durée de ce pre-
mier âge où , le progrès des forces
ayant paOe celui des befoins, ranin:ial
croiflant, encore abfolument foible,
devient fort par relation. Ses tefoins
n'étant pas tous développés, fes forces
Tome 11. A
\ Emile,
a^luÊÙes font plus que fuffifantes pour
pourvoir à ceux qu'il a. Comme hom-
me il feroit très-foible ; comme en-
fant il eft très-fort.
D'où vient la foibleiïe de l'homme?
De l'inégalité qui fe trouve entre fa
force & fes dcfirs. Ce font nos paffions
qui nous renJent'foibles , parce qu'il
faudroit pour les contenter plus de
forces que ne nous en donna la Na-
ture. Diminuez donc les defirs , c'eft
comme fi vous augmentiez les forces;
celui qui peut plus qu'il ne délire , en a
de refle : il ell: certainement un être
très-fort. Voilà le troifiéme état dé
l'enfance & celui dont j'ai maintenante
parler. Je continue à l'appeller enfan-
ce , faute de terme propre à l'expri-
mer ; car ctx. âge approche de l'ado-
lefcence, fans être encore celui de la
puberté,
A douze ou treize ans les forces dô
i'enfânt fe développent bien plus rapi-
ou DE l'Éducation, ^
dément que fes befoins. Le plus vio-
lent, le plus terrible ne s'efl pas encore
fait fentir à lui ; l'organe même en
refte dans l'imperfeclion , & femble
pour en fortir attendre que fa volonté
l'y force. Peu fenfible aux injures dé
l'air & des faifons, fa chaleur naiflanté
lui tient lieu d'habit, fon appétit lui
tient lieu d'afTaifonnemeht ; tout ce
qui peut nourrir eft bon à fon âge ; s'il
a fommeil , il s'étend fur la terre &
dort ; il fe voit par-tout entouré de
tout ce qui lui efl nécelfaire ; aucun
befoin imaginaire ne le tourmente ;
l'opinion ne peut rien fur lui ; fes dé-
firs ne vont pas plus loin que fes bras :
non-feulement il peut fe fuffire à lui-
même , il a de la force au-delà de cd
qu'il lui en faut ; c'eft le feul tems dé
fa vie où il fera dans ce cas.
Je preiTens l'objedion. L'on ne dirai
|5as que l'enfant a plus de befoins que
je ne lui en donne, mais on niera qu'il
A 2.
c
4 Ëmilè,
ait la force que je lui attribue : on ne
fongera pas que je parle de mon cleve ,
non de ces poupées ambulantes qui
voyagent d'une chambre à l'autre >
qui labourent dans une caifl'e, & por-
tent des fardeaux de cartori. L'on me
dira que la force virile ne fe manifelle
qu'avec la virilité , que les efprits vi-
taux élaborés dans les vaifleaux conve-
nables & répandus dans tout le corps,
peuvent feuls donner aux mufclcs la
confiftance, l'adivité, le ton , le ref-
fort d'où réfulte une véritable force.
Voilà la philofophie du cabinet, mais
moi j'en appelle à l'expérience. Je
vois dans vos campagnes de grands
garçons labourer , biner, tenir la char-
rue , charger un tonneau de vin , me-
ner là voiture tout comme leur père;
on les prendroit pour des hommes , Il
le fon de leur voix ne les trahilîoit pas.
Dans nos villes mêmes de jeunes ou-
vriers ;, forgerons, taillandiers, ma-
.■^
ou DE l'Éducation. ^
îéchaux,ront prefque aufîi robuftes que
les maîtres, & ne feroienc gueres moins
adroits fi on les eût exercés à rems.
S'il y a de la différence , 6c je conviens
qu'il y en a , elle efl: beaucoup moin-
dre, je le répète , que celle des defirs
fougueux d'un homme aux defirs bor-
nés d'un enfant. D'ailleurs il n'elf pas
ici queflion feulement de forces phy-
fiques , mais fur-tout de la force 6c
capacité de l'efprit qui les fupplçe ou
qui les dirige.
Cet intervalle où l'individu peut
plus qu'il ne defire , bien qu'il ne foie
pas le tems de fa plus grande force
abfolue, efl, comme je l'ai dit , celui de
la plus grande force relative. Il efl le
tems le plus précieux de la vie ; tems
qui ne vient qu'une feule fois ; tems
très-court , 6c d'autant plus court, com-
me on verra dans la fuite , qu'il lui
importe plus de le bien employer.
Que fer^-t-il donc de cet excédent
A3
6 Emïle,
de facultés & de forces qu'il a de trop
à préfent , & qui lui manquera dans
un autre âge ? Il tâchera de l'eni-
ployer à des foins qui luipuiflent pro-
fiter au hefoin. Il jettera, pour ainfi
dire , dans l'avenir le fuperflu de fon
être aduel : l'enfant robufte fera des
provifions pour l'homme foible : mais
il n'établira fes magafins ni dans des
coffres qu'on peut lui voler , ni dans
des granges qui lui font étrangères ;
pour s'approprier véritablement fon
acquis , c'eft dans ks bras , dans fa
tête, c'efl; dans lui qu'il le logera.
Voici donc le tems des travaux , des
inflruclions, des études; 6z remarquez
que ce n'cll pas moi qui fais arbitraire-
jnent ce choix , c'efl la Nature elle-
TfnêTie qui l'indique.
L'intelligence humaine a ks bor-
nes , & non-feulement un homme ne
peut pas tout favoir , il ne peut pas
jnême favoir en entier le peu que fa-
ou DE l'Éducation. j
vent les autres hommes. Puifqiie la
contradidoire de chaque propofition
faufîè efl une vérité , le nombre à.ç:^
vérités eft inépuifiible comme celui
des erreurs. Il y a donc un choix dans
les chofes qu'on doit enfeigner , ainfi
que dans le tem.s propre à les appren-
dre. Des connoifl'ances qui font à notre
portée , les unes fcnt faufl'es , les au-
tres font inutiles, les autres iérvent à
nourrir l'orgueil de celui qui les ao
Le petit nombre de celles qui contri-
buent réellement à notre bien - être
eft feul digne des recherches d'un
homme fage , & par conféquent d'un
enfant qu'on veut rendre tel. Il ne,
s'agit point de favoir ce qui eft, mais,
feulement ce qui eft utile.
De ce petit nombre il faut oter
encore ici les vérités qui demandent
pour être comprifes un entendement
déjà tout formé ; celles qui fuppof?nt:
la connoiiTance des rapports de i'hoîiiH,
A 4
§ Emile ,
me , qu'un enfant ne peut acquérir ;
celles qui , bien que vraies en elles-
mêmes , difpofent une ame inexpéri-
mentée à penfer faux fur d'autres
fujets.
Nous voilà réduits à un bien petit
cercle relativement à l'exiftence des
çhofes ; mais que ce cercle forme en?
core une fphere immenfe pour la me-
fure de l'elprit d'un enfant ! Ténèbres
de l'entendement humain , quelle main
téméraire ofa toucher à votre voile ?
Que d'abymes je vois creufer par nos
vaines fçiences autour de ce jeune
infortuné ! O roi qui vas le conduire
dans ces périlleux fentiers , & tirer
devant fes yeux le rideau facré de la
Nature, tremble. Allure -toi bien
premièrement de fa tête 6c de la tien-
ne ; crains qu'elle ne tourne à l'un ou à
l'autre , & peut-être à tous les deux.
Crains l'attrait fpécieux du menfonge.
Se les vapeurs enivrantes de l'orgueil^
ou DE l'Éducation. p
Souviens-toi , fouviens-toi fans cefie
que l'ignorance n'a jamais fait de mal,
que l'erreur feule eft funefte , & qu'on
ne s'égare point par ce qu'on ne fait
pas, mais par ce qu'on croit favoir.
Ses progrès dans la géométrie vous
pourroient fervir d'épreuve & de me-
fure certaine pour le développement
fie fon intelligence ; mais fi-t6t qu'il
peut difcerner ce qui efl utile & ce qui
ne l'efl pas , il importe d'ufer de beau-
coup de ménagement & d'art pour
l'amener aux études fpéculatives. Vou-
lez-vous, par exemple, qu'il cherche
une moyenne proportionnelle entre
çleux lignes ? commencez par faire
enforte qu'il ait befoin de trouver un
quarré égal à un redangle donné : s'il
s'agiiToit de deux moyennes propor-
tionnelles , il faudroit d'abord lui ren-
dre le problême de la duplication du
cube intereffant, 6cc. Voyez comment
|ious approchons par degrés des no-
10 Emile,
tions morales qui diftinguent le bien
& le mal .' Ju (qu'ici nous n'avons con-
nu de loi que celle de la nécelîité :
maintenant: nous avons égard à ce qui •
eft utile ; nous arriverons bientôt à ce
qui eft convenable & bon.
Le mêm.e inftinâ: anime les diverfes
facultés de l'homme. A laclivité du
corps qui cherche à fe développer ,
fuccéde l'adivité de l'efprit qui cher-
che à s'inftruire. D'abord les enfans
ne font que remuans ; enfuite ils font
curieux, de cette curiofirc bien diri-
gée eft le mobile de l'âge où nous
voilà parvenus. Diftingons toujours
les pcnchans qui viennent de la Na-
ture de ceux qui viennent de l'opinion.
Il eft une ardeur de favoir qui n'cft
fondée que fur le defir d'être eftimé
favant ; il en eft une autre qui naic
d'une curiofité naturelle à l'homme ,
pour tout ce qui peut l'interefter de
près ou de loin. Le defir inné du bien-
ou DE l'Éducation. ï ï
être (Se rimpofiibilité de contenter plei-
nement ce defir , lui fait rechercher
fans celle de nouveaux moyens d'y con-
tribuer. Tel efl ie premier principe
de la curiofité ; principe naturel au
cœur humain , mais dont le dévelop-
pement ne fe fait qu'en proportion de
nos paflions 5c de nos lumières. Sup-
pofez un Philofophe relégué dans une
Ifle déferte avec des inftrumens &
des livres, fur d'y pafTer feul le rc/te
de fes jours ; il ne s'embarraifera plus
gueres du fyilême du monde , des loix
de l'attradion , du calcul diiferenciel :
il n'ouvrira peut-être de fa vie un feul
livre ; mais jamais il ne s'abfliendra de
vifiter fon Ifie jufqu'au dernier recoin,
quelque grande qu'elle puifîe être.
Kejettons donc encore de nos premiè-
res études les connoilTanees dont le
goût n'efl point naturel à l'homme ,
Si. bornons-nous à celles quQ l'inflind
itbus porte à chercher.
12 Emile,
L'Ide du genre humain c'eil la tef-
re ; l'objet le plus frappant pour nos
yeux c'eft le foleil. Si- tôt que nous
commençons à nous éloigner de nous ,
nos premières obfervations doivent
tomber fur l'une 6c fur l'autre. Aufiî
la philofophie de prefque tous les
peuples fauvages roule-t-elle unique-
ment fur d'imaginaires divifions de la
terre , & fur la divinité du foleil.
Quel écart! dira -t- on , peut-être.
Tout-à-l'heure nous n'étions occupés
que de ce qui nous touche , de ce qui
nous entoure immédiatement : tout-à-
coup nous voilà parcourant le globe.
Se fautant aux extrémités de l'univers.'
Cet écart ell l'effet du progrès de nos
forces & de la pente de notre efprit»
Dans l'état de foiblelTe ôz d'infuffifan-
ce , le foin de nous conferver nous
concentre au-dedans de nous ; dans l'é-
tat de puilfance & de force , le defir
d'étendre notre être nous porte au-de-
ou DE l'Éducation. i ^
là , 6c nous fait élancer aufTi loin qu'il
nous eft poflible : mais comme le mon-
de intelleduel nous eil encore incon-
nu, notre penfée ne va pas plus loin
que nos yeux, & notre entendement ne
s'étend qu'avec l'efpace qu'il mefure.
Transformons nos fenfations en
idées, mais ne fautons pas tout d'un
coup des objets fenfibles aux objets in-
telleduels. C'efl par les premiers que
nous devons arriver aux autres. Dans
les premières opérations de l'efprit,
que les fens foient toujours fes guides.
Point d'autre livre que le monde,
point d'autre inftrudion que les faits.
L'enfant qui lit ne penfe pas, il ne faic
que lire ; il ne s'inflruit pas , il ap-
prend des mots.
Rendez votre élevé attentif aux
phénomènes de la Nature , bientôt
vous le rendrez curieux ; mais pouf
nourrir fa curiofiré , ne vous preflez
jamais de la fatisfaire. Mettejz les
î4 Emile,
queilions à fa portée , 5c laiiïez-lës îûî
rélbudre. Qu'il ne facile rien , parce
que vous le lui avez ciit , mais parce
qu'il l'a compris lui-même : qu'il n'ap-
prenne pas la fcience ; qu'il l'invente.
Si jamais vous fubftituez dans Ion efprit
l'autorité à la raifon , il ne raifonnera
plus ; il ne fera plus que le jouet de
l'opinion des autres.
Vous voulez apprendre la géogra-
phie à cet enfant, & vous lui allez
chercher des globes, desfpheres, des
cartes : que de machines ! Pourquoi
toutes ces repréfentations ? Que ne
commencez-vous par lui montrer l'ob-
jet môme , afn qu'il fâche au moins
de quoi vous lui parlez.
Une belle foirée, on va fe promener
dans un lieu favorable , où l'horizon
bien découvert lailfe voir à plein le
foleil couchant , & l'on obferve les
objets qui rendent rcconnoiflàble le
lieu de fon coucher. Le lendemain j
ou DE l'Éducation. ï 5
pour refpirer le frais , on retourne au
même lieu avant que le foleil fe levé.
On le voit s'annoncer de loin par les
traits de feu qu'il lance au-devant de
lui. L'incendie augmente , l'orient
paroît tout en fiâmes : à leur éclat on
attend l'aflre long-tems avant qu'il fe
montre : à chaque infiant on croit le
voir paroître, on le voit enfin. Un
point brillant part comme un éclair
êc remplit aufïï-tôt tout l'efpace : le
voile des ténèbres s'efface ôc tombe :
L'homme reconnoît fon féjour & le
trouve embelli. La verdure a pris
durant la nuit une vigueur nouvelle;
le jour naiffant qui l'éclairé, les pre- ^
iniers rayons qui la dorent , la mon-
trent couverte d'un brillant rézeau de
rofée , qui réfléchit à l'œil la lumière
& les couleurs. Les oifeaux en chœur fe
réuniffent & faluent de concert le père
de la vie ; en ce moment pas un feul
ne fe tait. Leur gazouillement foible
î6 Emile 9
encore , eft plus lent & plus doux que
dans le refte de la journée , il le fent
de la langueur d'un paifible réveil. Le
concours de tous ces objets porte aux
féns une imprelFion de fraîcheur qui
femble pénétrer jufqu'à lame. Il y a
là une demi-heure d'enchantement au-
quel nul homme ne réfifle : un fpeda-
cle fi grand , fi beau , fi délicieux n'ea
lâifle aucun de fans:- froid.
Plein de l'enthouhalme qu'il éprou-
ve , le maîne veut le communiquer à
l'enfant ; il croit l'émouvoir , en le ren-
dant attentif aux fenfations dont il eft
ému lui-même. Pure bétife ! C'eit
dans le cœur de l'homme qu'eft la v'i e
du fpedlacle de la Nature ; pour le
voir il faut le fentir. L'enfant apper-
çoit les objets ; mais il ne peut apper-
ccvoir les rapports qui les lient , il ne
peut entendre la douce harmonie de
leur concert. Il faut une expérience
qu'il n'a point acquife , il faut des
fentimens
ot; DE l'Éducation. 17
fentimens qu'il n'a point éprouvés ,
pour lentir l'imprefîîon compofée qui
îéfuhe à la fois de toutes ces fenla-
tions. S'il n'a long-tems parcouru des
plaines arides , fi des fables ardens
n'ont brûlé fes pieds , fi la réverbéra-
tion fuffoquante des rochers frappés
du foleil ne l'oppreiTa jamais , com-
ment goûtera-t-il l'air frais d'une belle
matinée ? Comment le parfum des
fleurs , le charme de la verdure , l'hu-
mide vapeur de la rofée , le marcher
mol & doux fur la peloufe , enchan-
teront-ils fes fens ? Comment le chant
des oifeaux lui caufera-t-il une émo-
tion voluptueufe , fî les accens de
l'amour & du plaifir lui font encore
inconnus ? Avec quels tranfports ver-
ra-t-il naître une il belle journée , fi
fon imagination ne fait pas lui pein-
dre ceux dont on peut la remplir ?
Enfin comment s'attendrira-t-il fur la
beauté du fpedacle de la Nature ,
Tovu IL B
î8 Emile,
s'il ignore quelle main prie foin de
l'orner ?
Ne tenez point à l'enfant des dif-
cours qu'il ne peut entendre. Point
de defcriptions , point d'éloquence ,
point de figures , point de poëfie. Il
n'efl pas maintenant queflion de fen-
timent ni de goût. Continuez d'être
clair, fimple <Sc froid; le tems ne vien-
dra que trop-tôt de prendre un autre
langage.
Elevé dans l'efprit de nos maximes,
accoutumé à tirer tous ks inflrumens
de lui-même , 6c à ne recourir jamais
à autrui qu'après avoir reconnu fon in-
fuffifance , à chaque nouvel objet qu'il
voit il l'examine long-tems fans rien
dire. Il ed penfif 6c non queftionneur.
Contentez-vous donc de lui préfenter
à propos les objets ; puis quand vous
verrez fa curiofité fuffifamment occu-
pée , fiites-lui quelque queflion laco-
nique qui le mette fur la voye de la
réfoudre.
otj DE l'Éducation. 19
Dans cette occafion après avoir bien
contemplé avec lui le foleil levant,
après lui avoir fait remarquer du mê-
ïne côté les montagnes 6c les autres
objets voifins , après l'avoir laifle eau-
fer là-deiïus tout à fon aife , gardez
quelques momens le filence comme
un homme qui rêve , & puis vous lui
direz ; je fonge qu'hier au foir le fo-
ieil s'efl couché-là , & qu'il s'eil levé-
là ce matin. Comment cela fe peut-il
faire ? N'ajoutez rien de plus ; s'il vous
fait des queflions n'y répondez point ;
parlez d'autre chofe. Lailîez-le à lui-
même, & foyez fur qu'il y penfera.
Pour qu'un enfant s'accoutume à
être attentif, & qu'il foit bien frappé
de quelque vérité fenfible , il faut
qu'elle lui donne quelques jours d'in-
quiétude avant de la découvrir. S'il
ne conçoit pas afi'ez celle-ci de cette
manière , il y a moyen de la lui ren-
dre plus fenfible encore , 6c ce moyen
B 2,
fx Emile,
c'efl de retourner la queflion. S'il ne
fait pas comment le Ibleil parvient de
fon coucher à fon lever , il fait au
moins comment il parvient de fon le-
ver à fon coucher ; fes yeux feuls le
lui apprennent. EclaircifTez donc la
première queflion par l'autre : ou vo-
tre élevé eiï abfolument flupide , ou
l'analogie eft trop claire pour lui pou-
voir échapper. Voilà fa première le-
çon de cofmographie.
Comme nous procédons toujours len-
tement , d'idée fenfible en idée fenfi-
ble , que nous nous familiarifons long-
tems avec la même avant de pafl'er à
une autre , & qu'enfin nous ne forçons
jamais notre élevé d'être attentif, il
y a loin de cette première leçon à la
connoiffance du cours du foleil & de
la figure de la terre : mais comme tous
les mouvcmens apparens des corps cé-
ledcs tiennent au même principe , &
que la première obfervation mené à
ou DE l'Éducation. 2è
toutes les autres , il faut moins d'effbrr>
quoiqu'il faille plus de tems , pour ar-
river d'une révolution diurne au cai*-
cul des éciipfes , que pour bien com-
prendre le jour & la nuit.
Puifque le foleil tourne autour du
monde il décrit un cercle , 6c tout
cercle doit avoir un centre, nous ùt-
vous déjà cela. Ce centre ne fauroic
fe voir, car il eft au cœur de la terre ,
mais on peut fur la furface marquer
deux points qui lui correfpondent. Une
broche pafiant par les trois points Ôc
prolongée jufqu'au ciel de part & d'au-
tre, fera l'axe du monde & du mouve-
ment journalier du foleil. Un toton
xond tournant fur fa pointe répréfent^
le ciel tournant fur fon axe , les deux
pointes du toton font les deux pôles ,
l'enfant fera fort aife d'en connoîti^
un; je le lui montre à la queue de ta.
petite ourfe. Voilà de ramufemeuc
pour la nuit ; peu-à-peu l'on fe fanû-
B 3
4^ Emile,
liarife avec les étoiles , & de-là naît te
premier goût de connoitre les plane-'
tes , & d'obferver les conftellations.
Nous avons vu lever le Ibleil à U
faine Jean ; nous Talions voir auïïi le-
ver à Noël ou quelque autre beau jour
d'hiver : car on fait que nous ne fom-
mes pas pareifeux & que nous nous
faifons un jeu de braver le froid. J'ai
foin de faire cette féconde obfervation
dans le même lieu où nous avons fait
la première , ôc moyennant quelque
adreife pour préparer la remarque ,
l'un ou l'autre ne manquera pas de
s'écrier. Oh , oh ! voilà qui efl plai-
fant ! le foleil ne fe levé plus à la même
place '. Ici font nos anciens renfeigne-
mens , & à pré'ent il s'efl; levé-là -, &;c.
Il y a donc un orient d'été 6c un orient
d'hiver, 6:c.,... Jeune maître, vous
voilà fur la voie. Ces exemples vous
doivent fuff.re pour enfeigner très-
clairement la fphere , en prenant le
ou DE l'Éducation. 25
monde pour le monde, 6c le foleil
pour le foleil.
En général ne fubfticuez jamais le
ligne à la chofe, que quand il vous efl
impofTible de la montrer. Car le figne
abforbe l'actencion de l'enfant, 6c lui
fait oublier la chofe repréfentée.
La fphere armillaire me paroît une
machine mal compofée , 6c exécutée
dans de mauvaifes proportions. Cette
confufion de cercles 6c les bizarres fi-
gures qu'on y marque, lui donnent un
air de grimoire qui effarouche l'efpric
des enfans. La terre eil trop petite ,
les cercles font trop grands , trop nom*'
breux; quelques-uns , comme les co-
lures, font parfaitement inutiles; cha-
que cercle eft plus large que la terre ;
l'épaiflTeur du carton leur donne un air
de folidité qui les fait prendre pour
des maifes circulaires réellement exif-
tantes , 6c quand vous dites à l'enfant
que ces cercles font imaginaires , il ne
34 Emile,
fait ce qu'il voit, il n'entend plus rien.
Nous ne lavons jamais nous mettre
à la place des enfans , nous n'entrons
pas dans leurs idées, nous leurs prêtons
les nôtres, &. fuivant toujours no5 pro-
pres raiibnneniens, avec des chaînes
de vérités, nous n'entairons qu'e^xtrava-
gances Se qu'erreurs dans leur tête.
On dii'pute fur le choix de l'aii.ilyfe
ou de la fynthcle pour étudier les Icien-
ces. Il n'eil pas toujours beioin déchoir
fir r Quelquefois on peut réfoudre' &
compofer dans les mêmes recherches ,
& guider l'enfant par la méthode en-
feignante , lorfqu'it croit ne faire qu'a-
nalyfer. Alors en employant en mê-
me tems l'un &. l'autre , elles fe fervi-
roient mutuellement de preuves. Par-
tant à la fois des deux points oppofés,
fans penfer faire la même route , il
feroit tout furpris de fe rencontrer ,
^ cette furprife ne pourroit qu'être
iurc agréable. Je voudrois , par exem,-
ou DE L*EdUCATION. 25
pie, prendre la géographie par Ces
deux termes , & joindre à l'étude des
révolutions du globe la mefure de fes
parties, à commencer du lieu qu'on
habite. Tandis cjue l'enfant étudie la
fphere ôc fe tranfporte ainfi dans les
deux , ramenez-le à la divifion de la
terre & montrez-lui d'abord fon pro-
pre féjour.
Ses deux premiers points de géo-
graphie feront la ville oii il demeure
ôc la maifon de campagne de fon père ;
enfuite les lieux intermédiaires , en-
fuite les rivières du voilinage , enfin
l'afpeftdu foleil & la manière de s'o-
rienter. Cefl ici le point de réunion.
Qu'il fafie lui-même la carte de touc
cela ; carte très-fimple & d'abord for-
mée de deux feuls objets auxquels il
ajoute peu-à-peu les autres , à mefure
qu'il fait, ou qu'il eilime, leur diflance
& leur pofition. Vous voyez déjà quel
avantage nous lui avons procuré d'à-
iS Ém
ILE,
vance, en lui mettant un compas dans
les yeux.
Malgré cela , fans doute , il faudra
le guider un peu , mais très-peu , fans
qu'il y paroiffe. S'il fe trompe , laiflcz-
le faire, ne corrigez point fes erreurs.
Attendez en filence qu'il foit en état
de les voir Sz de les corriger lui-mê-
me , ou tout au plus, dans une occafion
favorable, amenez quelque opération
qui les lui faiïe fentir. S'il ne fe trom-
poit jamais , il n'apprendroit pas fi
bien. Au refle, il ne s'agit pas qu'il
fâche exadement la topographie du
pays , mais le moyen de s'en inftruire;
peu importe qu'il ait des cartes dans
la tête pourvu qu'il conçoive bien ce
qu'elles repréfentent & qu'il ait une
idée nette de l'art qui fert à les dreffer»
Voyez déjà la différence qu'il y a du
favoir de vos élevés à l'ignorance du
mien ! Ils favent les cartes, <Sc lui les
fait . Voici de nouveaux ornemens
pour fa chambre.
ou DE l'Education. 27
Souvenez-vous toujours que l'efprit
de mon inflicution n'eft pas d'enfei-
gner à l'enfanc beaucoup de chofes,
mais de ne laiiïbr jamais encrer dans
fon cerveau que des idées jufles & clai-
res. Quand il ne fauroic rien , peu
m'importe, pourvu qu'il ne fe trompe
pas , & je ne mets des vérités dans fa
tête que pour le garantir des erreurs
qu'il apprendroit à leur place. La rai-
fon , le jugement viennent lentement,
les préjugés» accourent en foule , c'efl
d'eux qu'il le faut préferver. Mais fl
vous regardez la fcience en elle-même
vous entrez dans une mer fans fond ,
fans rives , toute pleine d'écueils ; vous
ne vous en tirerez jamais. Quand je
vois un homme épris de l'amour des
connoiffances , fe laiiïer féduire à leur
charme , & courir de l'une à l'autre
fans favoir s'arrêter , je crois voir un
enfant fur le rivage amaifant des co-
quilles , & commentant par s'en char-
î8 Emile;
ger ; puis , tenté par celles qu'il volt
encore, en rejetter , en reprendre,
jufqu'à ce qu'accablé de leur multitu-
de & ne fâchant plus que choifir , il
finiiTe par coût jetter & retourne à
vuide.
Durant le premier âge le tems étoîc
long ; nous ne cherchions qu'à le per^-
dre , de peur de le mal employer. Ici
c'eft tout le contraire , & nous n'en
avons pas aiïez pour faire tout ce qui
feroit utiie. Songez que les pafTions
approchent, & qae fi-tôt qu'elles frap-
peront à la porte , votre élevé n'aura
plus d'attention que pour elles. L'âge
paifible d'intelligence eft fi court , il
paiîe fi rapidement , il a tant d'autres
iifagesnéceffaires, que c'eft une folie
de vouloir qu'il fuffife à rendre un en-
fant favant. Il ne s'agit point de lui
enfeigner les fciences , mais de lui
donner du goût pour les aimer , Se
des méthodes pour les apprendtv'j^
ou DE l'Éducation. 29
quand ce goût fera mieux développé,
C'eft-là très-certainement un principe
fondamental de toute bonne éduca-
tion.
Voici le tems aufTi de l'accoutumer
■peu-à-peu à donner une attention fui-
vie au même objet ; mais ce n'efl ja-
mais la contrainte , c'eft toujours le
■plaifir ou le defir qui doit produire
cette attention ; il faut avoir grand foin
qu'elle ne l'accable point & n'aille pas
.jufqu'à l'ennui. Tenez donc toujours
l'œil au guet , & , quoi qu'il arrive ,
quittez tout avant qu'il s'ennuie ; xar
il n'importe jamais autant qu'il appren-
ne , qu'il importe qu'il ne fafl'e rien
malgré lui.
S'il vous queftionne lui-même , ré-
pondez autant qu'il faut pour nourrir
fa curiofité , non pour la ralfafier : fur-
tout quand vous voyez qu'au lieu de
queflionner pour s'inftruire , il fe mec
à battre la campagne 6ç à vous acca-
jô Emile,
bler de fottes queftions , arrêtez-voué
à rinftant ; fur qu'alors il ne fe fouciê
plus de la chofe, mais feulement de
vous aflervir à fes interrogations. Il
faut avoir moins d'égard aux mots
qu'il prononce, qu'au motif qui le faic
parler. Cet avertifl'ement , jufqu'ici
moins nécelTaire, devient de la der-
nière importance auiTi-tôt que l'enfant
commence à raifonner.
Il y a une ctiaine de vérités géné-
rales , par laquelle toutes les fciences
tiennent à des principes communs &
fe développent fuccefrivement. Cette
chaîne eft la méthode des Philofo-
phes ; ce n'eft point de celle-là qu'il
s'agit ici. Il y en a une toute différente
par laquelle chaque objet particulier
en attire un autre , & montre toujours
celui qui le fuit. Cet ordre qui nour-
rit par une curiofité continuelle l'at-
tention qu'ils exigent tous , eft celui
que fuivent la plupart des hommes >
ou DE l'Éducation. 3 1
6c fur-tout celui qu'il faut aux en fans.
En nous orientant pour lever nos car-
tes , il a fallu tracer des méridiennes.
Deux points d'interfedion entre les
ombres égales du matin & du foir ,
donnent une méridienne excellente
pour un Aflronome de treize ans. Mais
ces méridiennes s'effacent ; il faut du
tems pour les tracer ; elles affujettiflent
à travailler toujours dans le même
lieu ; tant de foins, tant de gêne l'en-
nuyeroient à la fin. Nous l'avons pré-
vu ; nous y pourvoyons d'avance.
Me voici de nouveau dans mes longs
& minucieux détails. Leéleurs , j'en-
tends vos murmures & je les brave:
je ne veux point facrifier à votre im-
patience la partie la plus utile de ce
livre. Prenez votre parti fur mes lon-
gueurs ; car pour moi j'ai pris le mien
Jfur vos plaintes.
Depuis long - tems nous nous étions
apperçus mon élevé 6c moi , que l'am-
3 2 Émîle;
bre , le verre , la cire , divers corjis
frottés attiroient les pailles , & que
d'autres ne les attiroient pas. Par ha-
zard nous en trouvons un qui a une
vertu plus finguliere encore : c'eft d'at-
tirer à quelque didance, & fans être
frotté , la limaille & d'autres brins de
fer. Combien de tems cette qualité
nous amufe fans que nous puiffions y
rien voir déplus: Enfin, nous trouvons
qu'elle fe communique au fer-méme
aimanté dans un certain fens. Un jour
nous allons à la foire ; un Joueur de
gobelets attire avec un morceau de
pain un canard de cire flottant fur un
ballin d'eau. Fort furpris , nous ne
dilons pourtant pas , c'eft un Sorcier ,
car nous ne favons ce que c'eft qu'un
Sorcier. Sans cefl^e frappés d'effets
dont nous ignorons les caufes , nous
ne nous preiîbns de juger de rien , &
nous reftons en repos dans notre igno-
rance , jufqu'à ce que nous trouvions
l'occafion d'en Ibrtir. De
ou DE l'Éducation; 33
De retour au logis , à force de par-
ler du canard de la foire , nous allons
nous mectre en tête de l'imiter : nous
prenons une bonne aiguille bien ai-
lîiantée , nous l'entourons de cire blan-
che^ que nous façonnons de notre
mieux en forme de canard , de forte
que l'aiguille traverfe le corps & que
la tête faffe le bec. Nous pofons fur
l'eau le canard, nous approchons du
bec un anneau de clef, 6c nous voyons
avec une joie facile à comprendre que
notre canard fuit la clef, précifémenc
comme celui de la foire fuivoit le mor-
ceau de pain. Obferver dans quelle
direAion le canard s'arrête fur l'eau
quand on l'y laiife en repos ; c'eft ce
que nous pourrons faire une autre fois.
Quant à préfent tout occupés de notre
objet , nous n'en voulons pas davan-
tage.
Dès le même foir nous retournons
à la foire avec du pain préparé dans
Tome II. G
§4 EmilÉj
nos poches ^ & fi-tôt que le Joueur dé
gobelets a fait fon tour , mon petit
dodeur, qui fecontenoit à peine, lui
dit que ce tour n'efl pas difficile , &
que lui-même en fera bien autant : il
eft pris au mot, A l'inilant il tire de
fa poche le pain où eft caché le mor-
ceau de fer : en approchant de la table
le cœur lui bat ; il préfente le pain
prefque en tremblant; le canard vient
Si. le fuit ; l'enfant s'écrie 6c trelfaillit
d'a'fe. Aux battemens de m.ains , aux
acclamations de l'aifemblée la tête lui
tourne, il eft hors de lui. Le Bate-
leur interdit , vient pourtant l'embraf-
fer, le féliciter, & le prie de l'hoTiorer
encore le lendemain de fa préfence ^
ajoutant qu'il aura foin d'alTembler
plus de monde encore pour applaudir
à fon habileté. Mon petit naturalifte
enorgueilli veut babiller ; mais fur le
thamp JL» lui ferme la bouche & Tem-
inene comblé d'éloges.
DU DE l'Éducation. 35
L'enfant j ufqu'au lendemain compte
les minutes avec une rifible inquié-
tude. Il invite tout ce qu'il rencon-
tre , il voudroit que tout le genre hu-
main fût témoin de fa gloire : il at-
tend l'heure avec peine , il la devan-
ce : on vole au rendez-vous ; la fallô
eft: déjà ploine. En entrant fon jeune
cœur s'épanouit. D'autres jeux doi-
vent précéder ; le Joueur de gobelets
fe furpalTe , & fait des chofes furpre-
hantes. L'enfant ne voit rien de tout
cela : il s'agite , il fue , il refpire à
jpeine; il paile fon tems à manier dans
fa poche fon morceau de pain d'une
main tremblante d'impatience. Enfin
fon tour vient ; le maître l'annonce au
Public a\ec pompe. Il s'approche ua
peu honteux , il tire fon pain nou-
velle viciiïitude des chofes humaines!
le canard , fi privé la veille , efi: devenu
fauvage aujourd'hui ; au lieu de préfen-
ter le bec, il tourne la queue & s'enfuit;
C 2,
^6 Émile^
il évite le pain &; la main qui le pre*
fente , avec autant de foin qu'il les fui-
voit auparavant. Après mille eflais
inutiles & toujours hués, l'enfant fe
plaint , dit qu'on le trompe , que c'efl
un autre canard qu'on a fubftitué au
premier, 6c défie le Joueur de gobe-
lets d'attirer celui-ci.
Le Joueur de gobelets fans répon-
«îre prend un morceau de pain , le
préfente au canard : à l'inflant le ca-
nard fuit le pain 6c vient à la main qui
le retire : l'enfant prend le même
morceau de pain , mais loin de réufîir
mieux qu'auparavant, il voit le canard
fe moquer de lui 6c faire des pirouettes
tout autour du baflîn; il s'éloigne enfin
tout confus 6c n'ofe plus s'expofer aux
huées.
Alors le Joueur de gobelets prend
le morceau de pain que l'enfant avoit
apporcé 6c s'en fert avec autant de
fuccès que du fien ; il en tire le fer
ou DE l'Éducation. 3^
devant tout le monde ; autre rifée à
nos dépens ; puis de ce pain , ainfi
vuidé, il attire le canard comme au-
paravant. Il fait la même chofe avec
un autre morceau coupé devant tout
le monde par une main tierce ; il en
fait autant avec fon gant , avec le bouc
de fon doigt. Enfin il s'éloigne au mi-
lieu de la chambre , & du ton d'em-
phafe propre à ces gens-là, déclarant
que fon canard n'obéira pas moins à fa
voix qu'à fon gefte , il lui parle & le
canard obéit ; il lui dit d'aller à droite
& il va à droite , de revenir & il re-
vient, détourner 6c il tourne; le mou-
vement eft auffi prompt que l'ordre.
Les applaudiflemens redoublés font
autant d'affronts pour nous ; nous nous
évadons fans être apperçus , & nous
^ous renfermons dans notre chambre
fans aller raconter nos fuccès à tout le
înonde, comme nous l'avions projette»
Le lendemain matin l'on frappe \
jS Émîle,
notre porte , j'ouvre ; c'efl l'hômm©
aux gobelets. Il fe plaint modefle-
ment de notre conduite ; que nous
avoit-il fait pour nous engager à vou-
loir décréditer fes jeux 6c lui ôter fon
gagne-pain? Qu'y a-t-il donc de 11
merveilleux dans l'art d'attirer un ca-
nard de cire, pour acheter cet honneur
^ux dépens de la fubfillance d'un hon-
nête homme ? Ma foi , Meflieurs , fi
ï'avois quelque autre talent pour vivre,
je ne me glorifierois gueres de celui-ci .
Vous deviez croire qu'un homme qui
a palTé fa vie à s'exercer à cette chétive
îndudrie , en fait là-defTus plus que
vous qui ne vous en occupez que quel-
ques momens. Si je ne vous ai pas d'a-
bord montré mes coups de maître ,
c'ed qu'il ne faut pas fe prefTer d'étaler
étourdiment ce qu'on fait ; j'ai toujours
foin de conferver mes meilleurs tours
pour l'occafion , & après celui-ci j'en
^i d'autres encore pour arrêter de jeu-
trj'
OU DE L EDUCATION. 3 9
nés indifcrets. Au refle, Meflleurs, je
viens de bon cœur vous apprendre ce
fecrec qui vous a tant embarrafles ,,
vous priant de n'en pas abufer pour
me nuire , & d'être plus retenus une
9,utre fois.
Alors il nous montre fa machine ,
& nous voyons avec la dernière fur-
prife qu'elle ne confifte qu'en un ai-
mant fort & bien armé , qu'un enfant
caché fous la table faifoit mouvoir fans
qu'on s'en apperçût.
L'homme replie fa machine , &
après lui avoir fiiit nos remercimens
& nos excufes, nous voulons lui faire
Un préfent ; il le refufe. « Non , Mef-
33 fleurs, je n'ai pas afîez à me louer
s> de vous pour accepter vos dons ;
3> je vous laiiTe obligés à moi malgré
33 vous ; c'eft ma feule vengeance.
x> Apprenez qu'il y a de la génerofité
33 dans tous les états ; je fais payer nie'.
23 tours & non mes leçons.
C 4;
40 Emile,
Enfortant, il m'adrelTe à moi nom-
mément 6c tout haut une réprimande,
J'excufe volontiers, me dit-il, cet en-^
fant ; il n'a péché que par ignorance.
Mais vous , Monfieur, qui deviez con»
roître fa faute , pourquoi la lui avoir
lailTé faire? Puifque vous vivez en-
femble , comme Iç plus âgé vous lui
devez vos foins , vos confeils : votre
expérience eft l'autorité qui doit le
conduire. En fe reprochant, étant-
grand, les torts de fa jeunefle, il vous
reprochera fans doute ceux dont vous
ne l'aurez pas averti.
Il part & nous laifTe tous deux très-
confus. Je me blâme de ma molle fa-
cilité ; je promets à l'enfant de la fa-
crifier une autre fois à fon intérêt, &
de l'avertir de fes fautes avant qu'il en
faiïe; car le tems approche où nos rap-
ports vont changer , & où la féverité
^u maître doit luccéder à la complai-
fance du camarade : ce changemenj
Où DE l'Éducation. 45
doit s'amener par dégrés ; il faut tout
prévoir, & tout prévoir de fort loin.
Le lendemain nous retournons à la
foire pour revoir le tour dont nous
avons appris le fecret. Nous abordons
avec un profond refped notre Bâte-
leur-Socrate ; à peine ofons-nous lever
les yeux fur lui : Il nous comble d'hon-
nêtetés , & nous place avec une dif-
tindion qui nous humilie encore. Il
fait fes tours comme à l'ordinaire ;
mais il s'amufe & fe complaît long-
tems à celui du canard, en nous regar-
dant fouvent d'un air aiïez fier. Nous
favons tout ôc nous ne foufflons pas.
Si mon élevé ofoit feulement ouvrir
la bouchCjCe feroit un enfant à écrafer.
Tout le détail de cet exemple im-
porte plus qu'il ne femble. Que de
leçons dans une feule ! Que de fuites
mortifiantes attire le premier mouve-
ment de vanité ! Jeune maître , épiez
ce premier mouvement avec foin. Si
42 Emile,
vous favez en faire fortir ainfi l'humî-
liation, les difgraces, foyez fur qu'il
n'en reviendra de long-tems un fécond.
Que d'apprêts , direz-vous ! j'en con-
viens; 6c le tout pour nous faire une
boudole qui nous tienne lieu de méri-
dienne.
Ayant appris que l'aimant agit à
travers les autres corps , nous n'avons
rien de plus prefle que de faire une
machine femblable à celle que nous
avons vue. Une table évuidée , un
baflin très-plat ajufté fur cette table ,
êc rempli de quelques lignes d'eau ,
un canard fait avec un peu plus de
foin , 6cc. Souvent attentifs autour
du bafiin , nous remarquons enfin que
le canard en repos affede toujours
à-peu-près la même diredion. Nous
fuivons cette expérience , nous exa-
minons cette diredion , nous trouvons
qu'elle eft du midi au nord ; il n'en
faut pas davantage , notre bouflble ef^
ou DE l'Éducation. 4^
trouvée , ou autant vaut ; nous voilà
dans la phyfique.
Il y a divers climats fur la terre,
& diverfes températures à ces climats.
Les laifons varient plus fenfiblement à
mefure qu'on approche du pôle ; tous
les corps fe reiïerrent au froid & fe
dilatent à la chaleur ; cet effet efl plus
mefurable dans les liqueurs , & plus
fenfible dans les liqueurs fpiritueufes :
de-là le thermomètre. Le vent frappe
le vifage ; l'air efl donc un corps , un
fluide , on le fent, quoiqu'on n'ait au-
cun moyen de le voir. Renverfez un
verre dans l'eau , l'eau ne le remplira,
pas , à moins que vous ne laiiïiez à
l'air une iflue ; l'air efl donc capable
de réfillance : enfoncez le verre da-
vantage , l'eau gagnera dans l'efpace
d'air , fans pouvoir remplir tout-à-faic
cet efpace ; l'air efl donc capable de
compreffion jufqu'à certain point. Un
ballon rempli d'air comprimé , bon-
44 Emile,
dit mieux que rempli de toute au-
tre matière ; l'air efl donc un corps
éiaftique. Etant étendu dans le bain ,
foulevez horizontalement le bras hors
de l'eau , vous le fentirez chargé d'un
poids terrible ; l'air eft donc un corps
pefant. En mettant l'air en équilibre
avec d'autres fluides, on peut mefurer
fon poids : de- là le baromètre , le fy-
phon , la canne à vent, la machine
pneumatique. Toutes les loix de la
flatique 6c de l'hydroilatique fe trou-
vent par des expériences tout aufîi
grofiieres. Je ne veux pas qu'on entre
pour rien de tout cela dans un cabinet
de phyfique expérimentale. Tout cet
appareil d'inftrumens & de machines
me déplaît. L'air fcientifique tue la
fcience. Ou toutes ces machines ef-
frayent un enfant , ou leurs figures par-
tagent & dérobent l'attention qu'il
devroit à leurs effets.
Je veux que nous fafîîons nous-mc»
OtJ DE l'Éducation. 45
mes toutes nos machines , & je ne veux
pas commencer par faire l'inflrumenc
avant l'expérience ; mais je veux qu'a-
près avoir entrevu l'expérience, com-
me parhazard, nous inventions peu-
à-peu l'inilrument qui doit la vérifier.
J'aime mieux que nos inflrumens ne
foient point fi parfaits & fi j uiles ; ôc que
nous ayons des idées plus nettes de ce
qu'ils doivent être , & des opérations
qui doivent en réfulter. Pour ma pre-
mière leçon de flatique , au lieu d'al-
ler chercher des balances , je mets un
bâton en travers fur le dos d'une chai-
fe , je mefure la longueur des deux
parties du bâton en équilibre, j'ajoute ^
de part & d'autre , des poids tantôt
égaux , tantôt inégaux ; & le tirant
ou le poullànt autant qu'il eft nécef-
faire , je trouve enfin que l'équilibre
réfulte d'une proportion réciproque
entre la quantité des poids & la lon-
gueur des leviers. Voilà déjà mon
4<î Emile,
petit phyficien capable de reâ;ifîer àeè
balances avant que d'en avoir vu.
Sans contredit , on prend des no-
tions bien plus claires & bien plus fu-
ies des chofes qu'on apprend ainfi de
foi-même , que de celles qu'on tient
des enfeignemens d'autrui ; ôc outre
qu'on n'accoutume point fa raifon à fe
foumettre fervilement à l'autorité ,
l'on fe rend plus ingénieux à trouver
des rapports , à lier des idées , à in-
venter des inflrumens , que quand,
adoptant tout cela tel qu'on nous le
donne , nous lailTbns affai er notre ef-
prit dans la nonchalance , co nme le
corps d'un Iwmme, qui , toujours h. -
bille , chauiïé , fervi par Ces gens , &
traîné par fes chevaux , perd à la fin
la force & Tufagc de fes membres.
Boileau fe vantoit d'avoir appris à
Racine à rimer difficilement : parmi
tant d'admirables méthodes pour abré-
ger l'étude des fciences , nous aurions
DU DE l'Éducation. 4^
grand beroin que quelqu'un nous en
donnât une pour les apprendre avec
elTort.
L'avantage le plus fenfible de ces len-
tes & laborieufes recherches , eft de
maintenir , au iTxilieu des études fpé-
culatives , le corps dans fon adivité ,
les membres dans leur fouplefle , 6c de
former fans ceflTe les mains au travail
& aux ufages utiles à l'homme. Tant
d'inflrumens inventés pour nous gui-
der dans nos expériences & fuppléer
à la juftefle des fens , en font négliger
l'exercice. Le graphometre difpenfe
d'eftimer la grandeur des angles ; l'œil
qui mefuroit avec précifion les diftan-
ces , s'en fie à la chaîne qui les mefure
pour lui ; la romaine m'exempte de
juger à la main le poids que je connois
par elle. Plus nos outils font ingé-
nieux , plus nos organes deviennent
grofliers & mal - adroits : à force de
ralTembler des machines autour de
48 Emile,
nous , nous n'en trouvons plus en nous*
mêmes.
Mais quand nous mettons à fabri*
quer ces machines l'adrefle qui nous
en tenoit lieu , quand nous employons
à les faire la fagacité qu'il falloic pour
nous en palTer , nous gagnons fans rien
perdre , nous ajoutons l'art à la Na-
ture , 6c nous devenons plus ingénieux
fans devenir moins adroits. Au lieu
de coller un enfant fur des livres , fi je
l'occupe dans un attelier , fes mains
travaillent au profit de fon efprit , il
• devient philofophe & croit n'être qu'un
ouvM-ier. Enfin cet exercice a d'autres
ufages dont je parlerai ci -après , ôc
l'on verra comment des jeux de la phi-
lofophie on peut s'élever aux vérita-
bles fonctions de l'homme.
J'ai déjà dit que les connoiiïances
purement fpéculatives ne convenoienc
gueres aux enfans, même approchans
de l'adolefcence ; mais fans les faire en-
trer
ou DE l'Éducation. 49
trer bien avant dans la phyfique fyflé-
matique , faites pourtant que toutes
leurs expériences fe lient l'une à l'au-
tre par quelque forte de dédudion ;
afin qu'à l'aide de cette chaîne ils puif-
fent les placer par ordre dans leur ef-
prit , & fe les rappeller au befoin ;
car il efl bien difficile que des faits,
Sz même des raifonnemens ifolés »
tiennent long-tems dans la mémoire ,
quand on manque de prife pour les y
ramener.
Dans la recherche des loix de la
Nature , commencez toujours par
les phénomènes les plus communs &
les plus fenfibles ; & accoutumez vo-
tre élevé à ne pas prendre ces phéno-
mènes pour des raifons, mais pour des
faits. Je prends une pierre , je feins
de la pofer en l'air ; j'ouvre la main ,
la pierre tombe. Je regarde Emile
attentif à ce que je fais , & je lui dis :
pourquoi cetce pierre eft-elle tombée?
Tome II, D
50 Emile,
Quel enfant reflera court à ceitâ
queflion? Aucun, pas même Emile >
fi je n'ai pris grand foin de le préparer
à n'y favoir pas répondre. Tous diront
que la pierre tombe parce qu'elle eft
pefante ; & qu'eft-ce qui eil pefant?
c'efl ce qui tombe. La pierre tombe
donc parce qu'elle tombe ? Ici mon
petit pliilofophe eft arrêté tout de bon.
Voilà fa première leçon de phylique
fyftématique , 6c , foit qu elle lui pro-
fite ou non dans ce genre , ce fera tou^
jours une leçon de bon-fens.
A mefure que l'enfant avance en in-
telligence , d'autres confiderations im-
portantes nous obligent à plus de
choix dans fes occupations. Si-tôt qu'il
parvient à fe connoître affez lui-même
pour concevoir en quoi conhile fon
bien-être , fi-tôc qu'il peut faifir des
rapports alTez étendus pour juger de ce
qui lui convient 6c de ce qui ne lui
convient pas , dès4ors il eft en état de
bu DE rÉDUCATioisr. 51
fèntir la différence du travail à l'amu-*
fement , & de ne regarder celui - ci
que comme le délaflemènt de l'autre.
Alors des objets d'utilité réelle peu-
Vent entrer dans (es études , 6c l'en-
gager à y donner une application plus
confiante qu'il n'en donnoit à de fim-
ples amufemens. La loi de la nccef-
fité toujours renailFante , apprend de
bonne heure à l'homme à faire ce qui
ne lui plaît pas, pour prévenir un mal
qui lui déplairoic davantage. Tel eft
l'ufage de la prévoyance; & de cette
prévoyance bien ou mal réglée , naîc
toute la fageife ou toute la mifere
humaine.
Tout homme veut être heureux ;
mais pour parvenir à l'être , il fau-
droit commencer par favoir ce que
c'eft que bonheur. Le bonheur de
rhomme naturel efl aufll fimple que
fa vie ; il confifte à ne pas fouffrir : la
fanté , la liberté , le nécelfaire le conf-
D 2.
52 Emile,
tituent. Le bonheur de l'homme mo-
ral eil autre choie ; mais ce n'eft pas
de celui-là qu'il efl ici queflion. Je
ne faurois trop répeter qu'il n'y a que
des objets purement phyfiques qui
puifi'ent intereflerles enfans, fur-touc
ceux dont on n'a pas éveillé la vanité ,
& qu'on n'a point corrompus d'avance
par le poifon de l'opinion.
Lorfqu'avant de fentir leurs befoins
ils les prévoyent , leur intelligence efl:
déjà fort avancée , ils commencent à
connoître le prix du tems. Il importe
alors de les accoutumer à en diriger
l'emploi fur des objets utiles , mais
d'une utilité fenfible à leur âge & à la
portée de leurs lumières. Tout ce qui
tient à l'ordre moral & à l'ufage de la
fociété ne doit point fi-tôt leur être pré-
fente, parce qu'ils ne font pas en état de
l'entendre. C'efl: une ineptie d'exiger
d'eux qu'ils s'appliquent à des chofes
qu'on leur dit vaguement être pour
ou DE l'Éducation. 55
leur bien ^ fans qu'ils fâchent quel eft
ce bien , 6c dont on les affûre qu'ils
tireront du profit étant grands, fans
qu'ils prennent maintenant aucun in-
térêt à ce prétendu profit qu'ils ne
fauroient comprendre.
Que l'enfant ne fafTe rien fur parole ;
rien n'eft bien pour lui , que ce qu'il
fent être tel. En le jettant toujours en
avant de fes lumières , vous croyez
ufer de prévoyance & vous en man-
quez. Pour l'armer de quelques vains
înftrumens dont il ne fera peut-être
jamais d'ufage, vous lui ôtez l'inflru-
ment le plus univerfel de l'homme ,
qui efl le bon fens ; vous l'accoutu-
mez à fe lailTer toujours conduire , à
n'être jamais qu'une machine entre les
mains d'autrui. Vous voulez qu'il foie
docile étant petit ; c'eft vouloir qu'il
foit crédule ôc dupe étant grand. Vous
lui dites fans celTe : tout ce que je vous
demande ejl^our yotn avantage j ma»^
54 Emile,
vous n'êtes pas en état de le connoftr&.
Que m importe à moi , que vous Jajfie^^
ou non ce que j'exige ? C'ejl pour vous
feul que vous travaille^. Avec tous ces
beaux difcours que vous lui tenez main-
tenant pour le rendre fage , vous pré-
parez le fuccès de ceux que lui tiendra
quelque jour un vifionnaire , un louf-
fleur , un charlatan , un fourbe ou un
fou de toute efpecc pour le prendre à
fon piège , ou pour lui faire adopter
fa folie.
Il importe qu'un homme fâche bien
des chofes dont un enfant ne fauroic
comprendre l'utilité ; mais faut-il , &
fe peut-il qu'un enfant apprenne tout
ce qu'il importe à un homme de fa-
voir r Tâchez d'apprendre à l'enfanc
tout ce qui eft utile à fon âge , &. vous
verrez que tout fon tems fera plus que
yempli. Pourquoi voulez-vous , au pré-
judice des études qui lui conviennent
aujourd'hui , l'appliquer à celles d'un
ou DE l'Éducation. 55
âge auquel il ed fi peu fur qu'il pai%
vienne ? Mais , direz-vous , fera- 1- il
tems d'apprendre ce qu'on doit favoir
quand le moment fera venu d'en faire
ulage ? Je l'ignore; mais ce que ja
fais , c'efl qu'il eil impofîible de l'ap-
prendre plutôt ; car nos vrais maîtres
font l'expérience 6c le fentiment , 6c
jamais l'homme ne fent bien ce qui
convient à l'homme que dans les rap-
ports 011 il s'efl trouvé. Un enfant faic
qu'il eil fait pour devenir homme ;
toutes les idées qu'il peut avoir de
i'écat d'homme , font des occafions
d'inftrudion pour lui ; mais fur les
idées de cet état qui ne font pas à fa
portée , il doit refier dans une igno-
rance abfolue. Tout mon livre n'efl
qu'une preuve continuelle de ce prin-»
cipe d'éducation.
Si-tôt que nous fommes parvenus à
donner à notre élevé une idée du moc
utile f nous avons une grande prife d^
D4
5^ Emile,
plus pour le gouverner ; car ce mot 1©
frappe beaucoup , aitendu qu'il n'a
pour lui qu'un fens relatif à fon âge >
. êc qu'il en voit clairement le rapport
à fon bien-être aduel. Vos enfans ne
font point frappés de ce mot , parce
que vous n'avez pas eu foin de leur en
donner une idée qui foit à leur portée,
& que d'autres fe chargeant toujours
de pourvoir à ce qui leur eft utile, ils
n'ont jamais befoin d'y fonger eux-mê-
mes & ne lavent ce que c eil qu'utilité.
^ quoi cela efi-à bon ? Voilà dé-
formais le mot facré, le mot détermi-
nant entre lui & moi dans toutes les
adions de notre vie : voilà la queflion
qui de ma part fuit infailliblement tou-
tes les queflions , & qui fert de frein
il ces multitudes d'interrogations fot-
tes Se faftidieufes , dont les enfans fa-
tiguent fans relâche & fans fruit tous
ceux qui les environnent , plus pour
exercer fur eux quelque efpece d'em^
ou DE l'Éducation. 57
pire que pour en tirer quelque profit.
Celui à qui , pour fa plus importante
leçon , l'on apprend à ne vouloir rien
favoir que d'utile , interroge comme
Socrate ; il ne fait pas une queftion fans
s'en rendre à lui-même la raifon qu'il
fait qu'on lui en va demander avanc
que de la réfoudre.
Voyez quel puifTant inftrument je
vous mets entre les m.ains pour agir fur
votre élevé. Ne fâchant les raifons de
rien , le voilà prefque réduit au filence
quand il vous plaît ; 5c vous , au con-
traire , quel avantage vos connoiiTan-
ces & votre expérience ne vous don-
nent-elles point pour lui montrer l'uti-
lité de tout ce que vous lui propofez ?
car , ne vous y trompez pas , lui faire
cette queftion , c'efl lui apprendre à
vous la faire à fon tour , & vous devez
compter fur tout ce que vous lui pro-
poferez dans la fuite, qu'à votre exem-
ple il ne manquera pas de dire 3 d quoi
(ÇeU ejl-il bon ?
9
58 Emile
Ceil ici peut-être le piège le plus
difficile à éviter pour un gouverneur^
Si fur la queftion de l'enf-mt , ne cher-
chant qu'à vous tirer d'affaire , vous
lui donnez une feule raifon qu'il ne
foit pas en état d'entendre , voyant que
vous raii'onnez fur vos idées 6c non fur
les fiennes, il croira ce que vous lui
dites bon pour votre âge 6c non pour
le fien ; il ne fe fiera plus à vous , Se
tout ell: perdu : mais où efl: le maître
qui veuille bien refier court , 6c con-
venir de fes torts avec fon élevé ? Tous
le font une loi de ne pas convenir
même de ceux qu'ils ont , 6c moi je
m'en ferois une de convenir même de
ceux que je n'aurais pas , quand je ne
pourrois mettre mes raifons à fa por-
tée: ainfi ma conduite, toujours nette
dans fon efprit , ne lui feroit jamais
fufi^cde , 6c je me conferverois plus
de crédit en me fuppofant des fau-
tes , qu'ils ne font en cachant les leurs*
ou DE l'Éducation. 59
Premièrement, fongez bien que c'efl
yarement à vous de lui propofer ce
qu'il doit apprendre ; c'ell à lui de le
defirer , de le chercher , de le trou-
ver ; à vous de le mettre à fa portée ,
de faire naître adroitement ce dcfir ,
êc de lui fournir les moyens de le fatis-
faire. Il fuit de-là que vos queftions
doivent être peu fréquentes, mais bien
choifies , & que , comme il en aura
beaucoup plus à vous faire que vous à
lui , vous ferez toujours moins à dé-
couvert ôc plus fouvent dans le cas de
lui dire ; en quoi ce que vous me deman-
de:^ ejl-il utile â favoir}
De plus , comme il importe peu
qu'il apprenne ceci ou cela , pourvu
qu'il conçoive bien ce qu'il apprend
& l'ufage de ce qu'il apprend , fi-tôc
que vous n'avez pas à lui donner fur
ce que vous lui dites un éclairciffe-
ment qui foit bon pour lui , ne lui en
donnez point du tout. Dices-lui fans
^o Emile,
fcrupule : je n'ai pas de bonne réponfe
à vous faire; j'avoistort, laifions cela.
Si votre inftruélion écoir réellement
déplacée , il n'y a pas de mal à l'aban-
donner tout-à-fait ; fi elle ne l'étoit pas,
avec un peu de foin vous trouverez
bien-tôt l'occafion de lui en rendre
l'utilité fenfible.
Je n'aime point les explications en
difcours ; les jeunes gens y font peu
d'attention 6c ne les retiennent gueres.
Les chofes, leschofes! Je ne répéte-
rai jamais aflez que nous donnons
trop de pouvoir aux mots : avec notre
éducation babillarde , nous ne faifons
que des babillards.
Suppofons que , tandis que j'étudie
avec mon élevé le cours du foleil & la
manière de s'orient;er, tout-à-coup il
m'interrompe pour me demander à
quoi fert tout cela. Quel beau difcours
je vais lui faire! De combien de chofes
jefaifis l'occafion de l'inftruire en ré-
ou DE l'Éducation. 6î
pondant à fa queflion , fur-tout fi nous
avons des témoins de notre entretien !
'•' Je lui parlerai de futilité des voya-
ges , des avantages du commerce , des
produdiions particulières à chaque cli-
mat, des mœurs des differens peuples,
de l'ufage du calendrier , de la fuppu-
tation du retour des faifons pour l'a-
griculture , de l'art de la navigation ,
de la mianiere de fe conduire fur mer
& de fuivre exactement fa route fans
favoir où l'on eft. La politique, l'hif-
toire naturelle , l'aflronomie , la mo-
rale [même & le droit des gens, entre-
ront dans mon explication de manière
à donner à mon élevé une grande idée
de toutes ces fciences,& un grand delir
de les apprendre. Quand j'aurai touc
dit , j'aurai fait l'étalage d'un vrai pé-
* J'ai iouv.-nt remarqué ou;: dans les dodes inftric-
tions qu'on donne aux enfans, en fonge m^ins à fe
faire écouter d'eUs que des grandes perfonnes qui font
préfentes. Je fuis très-fûr de ce que je dis-là 3 car
j'en ai fait robfervatiûn fur inoi-ii;ême.
6t Emile,
dant , auquel il n'aura pas compris une
feule idée. Il auroit grande envie dé
me demander comime auparavant à
quoi lert de s'orienter; mais il n'ofe,
de peur que je ne me fâche. Il trouve
mieux fon compte à feindre d'enten-
dre ce qu'on l'a forcé d'écouter. Ainfi
fe pratiquent les belles éducations.
Mais no-tre Emile plus rufliquemenC
élevé, ôc à qui nous donnons avec tant
de peine une conception dure , n'écou-*
tcra rien de tout cela. Du premier
mot qu'il n'entendra pas , il va s'enfuir,
il va folâtrer par la chambre & me
laiiïer pérorer tout feul. Cherchons
une folution plus grolTiere ; mon ap-
pareil fcientifique ne vaut rien pour
lui.
Nous obfervions la pofition de la
forêt au nord de Montmorenci , quand
il m'a interrompu par fon importune
queflion , à quoi fart cda. ? Vous avez
raifon , lui dis-je , il y faut penfer à
ou DE l'Éducation. 6^
loifir, 6c fi nous trouvons que ce tra-
vail n'eft bon à rien , nous ne le repren-
drons plus, car nous ne manquons pas
d'amufemens utiles. On s'occupe d'au-
tre chofe , <Sc il n'efl: plus queftion de
géographie du refle de la journée.
Le lendemain matin je lui propofe
un tour de promenade avant le déjeu-
ner : il ne demande pas mieux ; pour
courir les enfans font toujours prêts >
6z celui-ci a de bonnes jambes. Nous
montons dans la forêt , nous parcou-
rons les champeaux , nous nous éga-
rons , nous ne favons plus où nous fom-
mes, 6c quand il s'agit de revenir, nous
ne pouvons plus retrouver notre che-
min. Le tems fe paiTe , la chaleur
vient ; nous avons faim , nous nous
preiTons , nous errons vainement de
côté 6c d'autre , nous ne trouvons par-
tout que des bois , des carrières , des
plaines , nul renfeignement pour nous
reconnoître. Bien échauffés, bien re-
^4 Emile,
crus , bien affamés , nous ne faifonÉ
avec nos courfes que nous égarer da-
vantage. Nous nous afieyons enfin pour
nousrepofer, pour délibérer. Emile,
que je fuppofe élevé comme un autre
enfant, ne délibère point, il pleure;
il ne fait pas que nous fommes à la
prote de Moncmorenci, & qu'un fim-
ple taillis nous le caclîe ; mais ce taillis
eH une forêt pour lui , un homme de
fa flature ei\ enterré dans des builfons.
Après quelques momens de filence,
je lui dis d'un air inquiet ; mon cher
Emile, comment ferons-nous pour for-
tir d'ici ?
Emile , en nage ,
à' pleurant à chaudes larmes.
Je n'en fais rien : je fuis las ; j'ai
faim ; j'ai foif ; je n'en puis plus.
Jean - Jaques.
Me croyez -vous en meilleur état
que vous , 6c penfez-vous que je me
fiile faute de pleurer fi je pouvois dé-
jeûner
ou DE l'Éducation. 6^
jeûner de mes larmes ? il ne s'agit pas
de pleurer , il s'agit de fe reconnoî-
tre. Voyons votre montre ; quelle
heure ell-il r
Emile,
Il efl midi , & je fuis à jeun,
Jean - Jaques.
Gela ell vrai ; il eft midi , & je fuis
à jeun.
Emile.
Oh ! que vous devez avoir faim I
J^.an - Jaques.
Le malheur eft que mon dîné ne
viendra pas me chercher ici. Il efl
midi ? c'efl juftement l'heure où nous
obfervionshier , de Montmorenci , la
pofition de la forêt ; fi nous pouvions
de même obferver de la forêt la po-
fition de Montmorenci ?..,
Emile.
Oui ; mais hier nous voyions la
forêt y 6c d'ici nous ne voyons pas 1^
ville.
Tome lit. JE
të Emile §
Jean - Jaques.
Voilà le m?.l Si nous pouvions
nous paffbr de la voir pour trouver fa
pofition
Emile.
Oh ! mon bon ami !
Jean - Jaques.
Ne difions-nous pas que la forêt
étoit
Emile.
Au nord de Montmorencl.
Jean - Jaques.
Par conféquent Moncmorenci doit
être. ....
Emile,
Au fud de la forêt,
Jean - Jaques.
Nous avons un moyen de trouver le
nord à midi.
Emile.
Oui, par la diredion de l'ombie-,
Jean - Jaques.
Mais le fud 't
ou DE l'Education, Gy
Emile.
Comment faire ?
Jean - Jaques.
Le fud ell roppofé du nord.
tmiU.
Cela eil vrai ; il n'y a qu'à chercher
î'oppofé de l'ombre. Oh! voilà le fud,
voilà le fud ! fûremenc ivloncmorenci
efl de ce côté ; cherchons de ce coté,
Jean - Jaques.
Vous pouvez avoir raifon ; prenons
ce fentier à travers le bois.
hmlLe frappant des mains ,
6* poufsant lin cri de joie.
Ah ! je vois Montmorenci ! le voilà
tout devant nous, tout à découvert.
Allons déjeûner , allons dîner ; cou-
rons vite : l'adronomic ell bonne à.
quelque choie.
Prenez garde que s'il ne dit pas cette
dernière phrafe, il la penfera ; peu im-
porte,pourvu que ce ne foit pas moi qui
la dife. Or foyez fur qu'il n'oubliera
E z
68 Emile,
de fa vie la leçon de cette journée ; aiî
lieu que fi je n'avois fait que lui fup-
pofer tout cela dans fa chambre , mon
difcours eût été oublié dès le lende-
main. Il faut parler tant qu'on peut
par les actions, 6c ne dire que ce qu'on
ne fauroit faire.
Le Ledeur ne s'attend pas que je le
méprife allez , pour lui donner un
exemple fur chaque efpece d'étude :
mais de quoi qu'il foie queflion , je ne
puis trop exhorter le gouverneur à
bien mefurer fa preuve fur la capacité
de l'élevé; car encore une fois^ le mal
ii'efl pas dans ce qu'il n'entend point ,
mais dans ce qu'il croit entendre.
Je me fouviens que voulant donner
à un enfant du goût pour la chymie ^
après lui avoir montré plufieurs pré-
cipitations métalliques , je lui expli-
quois comment fe faifoit l'encre. Je
lui difois que fa noirceur ne venoic
que d'un fer crès-divifé , détaché du
ou DE L'Education. 69
vitriol , & précipité par une liqueur
alcaline. Au milieu de ma dode ex-
plication, le petit traître, m'arrêta tout
court avec ma queflion que je lui avois
apprife : me voilà fort embarraiTé.
Après avoir un peu rêvé , je pris mon
parti. J'envoyai chercher du vin dans
la cave du maître de lamaifon, & d'au-
tre vin à huit fols chez un marchand de
vin. Je pris dans un petit flacon de la
dilTolution d'alcali fixe : puis ayant de-
vant moi dans deux verres de ces deux
differens vins * , je lui parlai ainfi.
On falfifie plufieurs denrées pour les
faire paroître meilleures qu'elles ne
font. Ces falfifications trompent l'œil
& le goût; mais elles font nuifibles,
& rendent la chofe falfifiée pire , avec
fa belle apparence , qu'elle n'étoit au-
paravant.
* A chaque explication qu'on veut donner à l'enfant,
un petit appareil qui la précède fert beaucoup à le
rendre attentif
E 3
70 Emile,
On falfifîe fur-tout les boiiTons Sq
fur-tout les vins , parce que la trom-
perie elt plus difficile à connoître , &
donne plus de profit au trompeur.
La falfiiication des vins verds ou
aigres fe fait avec de la litarge : la li-
targe eil une préparation de plomb.
Le plomb uni aux acides fait un fel
fort doux qui corrige au goût la ver-
deur du vin, mais qui eft un poilbn
pour ceux qui le boivent. Il importe
donc , avant de boire du vin fufpect,
de favoir s'il efl litargirc ou s'il ne l'eft
pas. Or voici comment je raifonne
pour découvrir cela.
La liqueur du vin ne contient pas
feulement de l'efprit inflammable ,
comme vous l'avez vu par l'eau -de-
vie qu'on en tire ; elle contient encore
de l'acide , comme vous pouvez le con-
noître par le vinaigre (5c le tartre qu'on
entireaudi.
L'acide a du rapport aux fubfianccs
Gu DE l'Éducation. 71-
méralliques & s'unit avec elles par dif-
^lution pour former un Tel compofé ,
tel par exemple que la rouille qui n'eft
qu'un fer dillbuc par 1 acide contenu
dans l'air ou dans l'eau, & tel aufîi que
le verd-de-gris qui n'cd; qu'un cuivre
diiîbut car le vinaisire^
Mais ce même acide a plus de rap-
port encore aux fubllances alcalines
qu'aux fubflances métalliques, en forte.
que par l'intervention des premières,
dans le-s fels compofés dont je viens de
vous parler , l'acide eft forcé de lâcher
le métal auquel il efi uni , pour s'ac-.
tacher à l'alcali.
Alors la fubllance métallique dé-
gagée de l'acide qui la tenoit difloute.
fe précipite & rend la liqueur opaque.
Si donc un de ces deux vins efl: litar-
giré, fon acide tient la litarge en dillb-
lution. Que j'y verfe de la liqueur al-
caline, elle forcera l'acide de quirrer
prife pour s'unir à elle; le plomb né-
E 4
j% Emile,
tant plus tenu en difîblution reparoî-.
tra , troublera la liqueur & fe précipi-
tera enfin dans le fond du verre.
S'il n'y a point de plomb * ni d'au-
cun métal dans le vin , l'alcali s'unira
paifiblement ** avec l'acide, le tout
refera dilTouc, <Sc il ne fe fera aucune
précipitation,
Enfuite jeverfai de ma liqueur alca-
line fucceliivement dans les deux ver-
res : celui du vin de la maifon refta
clair & diaphane , l'autre en un mo-
ment fut trouble , &; au bout d'une
* Les vins qu'on vend en détail chez les marchands de
vin de Paris, quoiqu'ils ne foient pas tous litargirés,
font rarement exempt de plomb; parce que les comp-
toirs de ces marchands font garnis de ce métal, & que le
vin qui fe répand dans la meUire en pafiànt & fejour-
nant fur ce plomb en diflbut toujours quelque i^artie.
Ji eft étrange qu'un abus fi manifelle & fi ikingereux
foit fouffert par la police. Mais il eft vrai que les gens
aifés ne buvant gueres de ces vins-là font peufujcts à
en être empoifonnés.
*• L'acide végétal eft fort doux. Si c'étoit un acide
minerai & qu il fût moins étendu, l'union ne fe feroit
pas (ans effervcfctnce.
ou DE l'Éducation. 75
heure on vit clairement le plomb pré-
cipité dans le fond du verre.
Voilà, repris-je, le vin naturel &
pur dont on peut boire , 6c voici le
vin falfifié qui empoi Tonne. Cela fe
découvre par les mêmes connoiflances
dont vous me demandiez l'utilité. Ce-
lui qui fait bien comment fe fait l'en-
cre , fait connoître auffi les vins fre-
latés.
J'étois fort content de mon exem-
ple , & cependant je m'apperçus que
l'enfant n'en étoit point frappé. J'eus
befoin d'un peu de tems pour fentir
que je n'avois fait qu'une fotife. Car
lans parler de l'impoffibilité qu'à douze
ans un enfant pût fuivre mon explica-
tion , l'utilité de cette expérience n'en-
troit pas dans fon efprit , parce qu'ayant
goûté des deux vins & les trouvant
tons tous deux , il ne joignoit aucune
idée à ce mot de falfification que je
penfois lui avoir fi bien expliqué ; ces
74 Emile»
autres mots mal-fain ,poifon , n'avoien^
même aucun fens pour lui , il étoit là-
deffus dans le cas del'hiftorien du Mé-
decin Philippe ; c'eft le cas de tous les,
en fans.
Les rapports des effets aux caufes
dont nous n'appercevons pas la liaifon,
les hîens & les maux dont nous n'avons,
aucune idée , les befoins que nous n'a-
vons jamais fentis font nuls pour nous ;
il efl impofîible de nous interefler par
çux à rien faire qui s'y rapporte. On,
voit à quinze ans le bonheur d'un
homme fage,comme à trente la gloire
du paradis. Si l'on ne conçoit bien
l'un & l'autre , on fera peu de chofe
pour les acquérir , êz quand même on
les concevroit , on fera peu de chofe
encore fi on ne les défire , fi on ne les
fent convenables à foi. Il eft aifé de
convaincre un enfant que ce qu'on veut
lui enfeigncr eft utile ; mais ce n'cft
rien de le convaincre fi l'on ne lait le.
ou DE l'Éducation. 75
perfuadcr. En vain la tranquille rai-
fon nous fai: approuver ou blâmer , il
n'y a que la paffion qui nous faile agir 5
6c comment fe palîionner pour des in-
térêts qu'on n'a point encore?
Ne montrez jamais rien à l'enfant
qu'il ne puiiTe voir. Tandis que l'iiu-
manité lui eft prefque étrangère, ne
pouvant rélever à l'état d'homme ,
rabailTez pour lui l'hommic à l'état
d'enfant. En fongeant à ce qui lui peut
être utile dans un autre âge, ne lui
parlez que de ce dont il voit dès-à-
préfent rutilité. Du refle jamais de
comparaifons avec d'autres en fans ,
point de rivaux, point de concurrens,
même àlacourfe, au iïi-tot qu'il com-
mence à raifonner : j'aime cent fois
mieux qu'il n'apprenne point ce qu'il
n'apprendroit que par jaloufie ou par
vanité. Seulement je m.arquerai tous
les ans les progrès qu'il aura faits ,
je les compareiai à ceux qu'il fera l'an-
7^ Emile,
née fuivante ; je lui dirai , vous êtes
grandi de tant de lignes , voilà le foffé
que vous fautiez , le fardeau que vous
portiez ; voici la dillance où vous lan-
ciez un caillou, la carrière que vous
parcouriez d'une haleine, &c. voyons
maintenant ce que vous ferez. Je l'ex-
cite ainfi fans le rendre jaloux de per-
fonne ; il voudra fe furpafler , il le
doit ; je ne vois nul inconvénient qu'il
foit émule de lui-même.
Je hais les livres; ils n'apprennent
qu'à parler de ce qu'on ne fait pas.
On dit qu'Hermès grava fur des co-
lonnes les élemens des fciences , pour
mettre fes découvertes à l'abri d'un
déluge. S'il les eût bien imprimées
dans la tête des hommes , elle s'y fe-
roient confervées par tradition. Des
cerveaux bien préparés font les monu-
mens où fe gravent le plus fûremcnt
les connoiflances humaines.
N'y auroit-il point moyen de rap'
ou DE l'Éducation. 77
prochertantde leçons éparfes dans tant
délivres? de les réunir fous un objet
commun qui pût être facile à voir ,
intereiTant à fuivre , & qui pût fervif
de ftimulant , même à cet âge P Si l'on
peut inventer une fituation où tous les
befoins natnrels de l'homme fe mon-
trent d'une manière fenfible à l'efprit
d'un enfant , & où les moyens de pour-
voir à ces mêmes befoins fe dévelop-
pent fucceflivement avec la même fa-
cilité , c'ell par la peinture vive 5c
naïve de cet état qu'il faut donner le
premier exercice à fon imagination.
Philofophe ardent, je vois déjà s'al-
lumer la vôtre. Ne vous mettez pas
en fraix ; cette fituation efl trouvée ,
elle eft décrite , & fans vous faire tort,
beaucoup mieux que vous ne la décri-
riez vous-m.ême ; du moins avec plus
de vérité & de fimplicité. Puis qu'il
nous faut abfolument des livres , il en
exiile un qui fournit, à mon gré , le plus
/S Emile,
heureux traité d'éducation natureiîe.
Ce livre fera le premier que lira mori
Emile: feulilcompofera durant long-
tems toute fa bibliothèque , & il y
tiendra toujours une place d»iflinguée.
Il fera le texte auquel tous nos entre-
tiens fur les fciences naturelles ne fer-
viront que de commentaire. Ihfervira
d'épreuve durant nos progrès à l'état
de notre jugement , 6c tant que notre
goût ne fera pas gâté , fa ledure nous
plaira toujours. Quel efl donc ce mer-
veilleux livre ? Eft-ce Ariftote , ed-ce
Pline, efl-ce Buffbn r Non ; c'efl Ro-^
binfon Crufoé.
KobinfonCrufocdansfonifle , feul,
dépourvu de l'afliftance de fes fembla-
bles 5c des inftrumens de tous les arts,
pourvoyant cependant à fa fubfiilan-
ce, à faconfervation, & fe procurant
même une forte de bien-être ; voilà
un objet intereflant pour tout âge , &
qu'on a mille moyens de rendre agréa-
ou DE l'Éducation. 79
l:;le aux enfans. Voilà comment nous
réalifons l'iile déferte qui me fervoic
d'abord de comparaifon. Cet état n'eil
pas , j'en-conviens , celui de l'homme
focial ; vraifemblablement il ne doit
pas être celui d'Emile ; mais c'eft fur
ce même état qu'il doit apprécier tous
les autres. Le plus fur moyen de s'é-
lever au-deiïus des préjugés , & d'or-
donner fesjugemens fur les vrais rap-
ports des chofes , . efl; de fe mettre à la
place d'un homme ifolé , Sz de juger
de tout comme cet homme en doic
juger lui-même , eu égard à fa propre
utilité.
Ce rom.an , débarraflfé de tout fon
fatras , commençant au naufrage de
Robinfon près de fon ifle , & finiiïànt
à l'arrivée du vaifTeau qui vient l'en ti-
rer , fera tout à la fois l'amufement &
l'inftrudion d'Emile durant l'époque
dont il efl ici queftion. Je veux que la
tête lui en tourne , qu'il s'occupe fans
80 ÉMILÈi
cefle de fon château , de fes chèvres^
de fes plantations ; qu'il apprenne en
détail , non dans des livres , m^-^is fur
les chofes , tout ce qu'il faut favoir en
pareil cas ; qu'il penfe être Robinfon
lui-même ; qu'il fe voye habillé de
peaux , portant un grand bonnet , un
grand fabre , tout le grotefque équi-
page de la figure , au parafol près
dont il n'aura pas befoin. Je veux qu'il
s'inquiette des mefures à prendre , fi
ceci ou cela venoit à lui manquer p
qu'il examine la conduite de fon hé-
ros ; qu'il cherche s'il n'a rien omis,
s'il n'y avoit rien de mieux à faire ;
qu'il marque attentivement fes fautes,
& qu'il en profite pour n'y pas tomber
lui-même en pareil cas : car ne doutez
point qu'il ne projette d'aller faire un
établilfement femblable ; c'eft le vrai
château en Efpagne de cet heureux
âge , où l'on ne connoît d'autre bon-^
heur que le néceflkire Sq la liberté.
Quelle
bir DE l'Éducation. 8ii
Quelle reflburce que cette folie pour
un homme habile , qui n'a fu la faire
naître qu'afin de la mettre à profit*
L'enfant prefTé de fé faire un magafin
pour fon ifle , fera plus ardent pour
apprendre, que le maître pour enfei-
gner. Il voudra favoir tout ce qui ell
utile , & ne voudra favoir que cela ;
vous n'aurez plus befoin de le guider,
vous n'aurez qu'à le retenir. Au refte j>
dépêchons-nous de l'établir dans cette
ifle , tandis qu'il y borne fa félicité ;
car le jour approche où , s'il y veut
vivre encore , il n'y voudra plus vivre
feui ; & où Vendredi, qui maintenant
ne le touche guère , ne lui fuffira pas
long-tems«
La pratique des arts naturels , aux-
quels peut fuffire un feul homme ,
mené à la recherche des arts d'induf-
trie , 6c qui ont befoin du concours
de plufieurs mains. Les premiers peu-
vent s'exercer par des folitaires , par.
Tome II. F
oi Emile 5
des fauvages ; mais les autres ne peu-
vent naître que dans la fociété , &
la rendent nécelTaire. Tant qu'on ne
connoît que le beloin phyfique, cha-
que homme Te falîit à lui-même; l'in-
trodudion du fuperflu rend indifpen-
fable le partage ^i la diflribution du
travail ; car bien qu'un homme tra-
vaillant feul ne gagne que la fubfiilan-
ce d'un homme , cent hommes tra-
vaillant de concert, gagneront de quoi
en faire fubfider deux cens. Si -tôt
donc qu'une partie des hommes le re-
pofe , il faut que le concours des bras
de ceux qui travaillent fupplée au tra-
vail de ceux qui ne font rien.
Votre plus grand foin doit être
d'écarter de Tefprit de votre élevé
toutes les notions des relations fociales
qui ne font pas à fa portée ; mais quand
l'enchaînement des connoifl'ances vous
force à lui montrer la mutuelle dé-
l^endance des hommes , au lieu de la
ou DE l'Éducation, 85
iui montrer par le côté moral , tour-
nez d'abord toute fon attention vers
rindufl;rie6c les arts méchaniques, qui
les rendent utiles les uns aux autres.
En le promenant d'attelier en attelier^
ne fouffrez jamais qu'il voye aucun tra-
vail fans mettre lui-même la m.ain à
l'œuvre ; ni qu'il en forte fans fa voir
parfaitement la raifon de tout ce qui
s'y fait , ou du moins de tout ce qu'il a
bbfervé. Pour cela travaillez vous-
même, donnez -lui par-tout l'exem-
ple ; pour le rendre maître , foyez
par-tout apprenti f; 5c comptez qu'une
heure de travail lui apprendra plus de
chofes, qu'il n'en retiendroit d'un jour
d'explications.
Il y a une eflime publique attachée
aux diflferens arts , en raifon inverfe
de leur utilité réelle. Cette eflime fe
mefure direêlement fur leur inudlité
même , & cela doit être. Les arts les
plus utiles font ceux qui gagnent lé
F z
84 Emile ^
moins , parce que le nombre des ou-
vriers fe proportionne au befoin des
hommes, & que le travail néceflàire
à tout le monde refle forcément à un
prix que le pauvre peut payer. Au
contraire > ces importans qu'on n'ap-
pelle pas artifans, mais arcides, tra-
vaillant uniquement pour les oififs 6c
les riches , mettent un prix arbitraire
à leurs babioles ; & comme le mérite
de ces vains travaux n'eft que dans
l'opinion , leur prix même fait partie
de ce mérite , 6c on les éflime à pro-
portion de ce qu'ils coûtent. Le cas
qu'en fait le riche ne vient pas de leur
ufage ; mais de ce que le pauvre ne
les peut payer. Nolo habere bona iiiji
quibus populus invidefit *.
Que deviendront vos élevés , fi vous
leur laifiez adopter ce fot préjugé , fi
vous lefavorifez vous-même , s'ils vous
voyent , par exemple , entrer avec
ou DE L*ÉDUCATI0N. 85
plus d'égards dans la boutique d'un
orfèvre que dans celle d'un ferrurier ?
Quel jugemenc porceront-its du vrai
mérite des arts & de la véritable va-
leur des chofes , quand ils verront par-
tout le prix de fantaifie en contradic-
tion avec le prix tiré de l'utilité réelle,
& que plus la chofe coûte , moins elle
vaut ? Au premier moment que vous
laiiTerez entrer ces idées dans leur tcte,
abandonnez le refle de leur éducation ;
malgré vous ils feront élevés comme
tout le monde ; vous avez perdu qua-?
torze ans de foins.
Emile fongeant à meubler fon ifle ,
aura d'autres manières de voir. Robin-
fon eût fait beaucoup plus de cas de la
boutique d'un taillandier , que de tous
les colifichets de Saïde. Le premier
lui eût paru un homme très-refpe£la-
ble, & l'autre un petit charlatan.
M Mon fils efl fait pour vivre dans
35 le monde ; il ne vivra pas avec des
F 3
85 Emile,
S5 fages , rnais avec des foux ; il faut
35 donc qu'il connoIiTe leurs folies ,
3> puifquc c'efl par elles qu'ils veulent
D3 être conduits. La connoiifance réel-
D> le des choies peut être bonne , mais
3> celle des hommes Se de leurs juge-
ai mens vaut encore mieux ; car dans
D5 la Ibciété humaine le plus grand inf-
35 trument de l'homme efl l'homme ,
D> & le plus fage efl: celui qui fe fert
:>3 le mieux de'cet inftrument. A quoi
D5 bon donner aux enfans l'idée d'un
D5 ordre imaginaire tout contraire à
D> celui qu'ils trouveront établi , & fur
:» lequel il faudra qu'ils fe règlent ?
3> Donnez leur premièrement des le-
35 çons pour être fages , ôc puis vous
i5 leur en donnerez pour juger en
S5 quoi les autres font foux.
Voilà les fpécieufes maximes fur
îefquelles la faulfe prudence des pères
travaille à rencire leurs enfans efclaves
4es préjuges dont ils les nouriiHent ,
ou DE l'Éducation. Zj
8c jouets eux-mêmes de la tourbe in-
fenfée dont ils penfent faire l'inflru-
ment de leurs pafTions. Pour parvenir
à connoicre l'homme, que de chofes
il faut connoitre avant lui! l'Iiomme
efl la dernière étude du fage 6c vous
prétendez en faire la première d'un
enfant ! Avant de l'inilruire de nos
fencimens , commencez par lui ap-
prendre à les apprécier : eft-ce con-
noitre une folie que de la prendre
pour la raifon ? Pour être fage , il faut
difcerner ce qui ne l'efc pas : comment
votre enfant connoîtra-t~il les hom-
mes , s'il ne fait ni juger leurs juge-
mens ni démêler leurs erreurs r C'eft
un mal de favoir ce qu'ils penfent ,
quand on ignore fi ce qu'ils penfent eft
vrai ou faux. Apprenez-lui donc pre-
mièrement ce que font les chofes en
elles-mêmes ; <Sc vous lui apprendrez
après ce qu'elles font à nos yeux : c'e{l
ainii qu'il faura comparer l'opinion à
F 4
88 Emile,
la vérité , 6c s'élever au-deflus du vul-
gaire : car on ne connoît point les pré-
jugés quand on les adopte , <5c l'on ne
mené point le peuple quand on lui
refiemble. Mais fi vous commencez
par l'inilruire de l'opinion publique
avant de lui apprendre à l'apprécier ,
alTurez-vous que , quoique vous puif-
fiez faire , elle deviendra la Tienne ,
6c que vous ne la détrairez plus. Je
conclus que pour rendre un jeune
homme judicieux , il faut bien former
fes jugemens , au lieu de lui dicter les
nôtres.
Vous voyez que jufqu'ici je n'ai point
parlé des hommes 5 mon élevé , il au-
roit eu trop de bon-fens peur m'enten-
dre ; {es relations avec fon efpece ne
lui font pas encore aflez femibles pour
qu'il puiire juger des autres par lui. Il
ne connoît d'Etre humain que lui feul,
♦Se même il eft bien éloigné de fe con-
tioicre : mais s'il porte peu de juge •
ou DE l'Éducation. 89
jnens fur fa perfonne , au moins il
n'en porce que de juftes. Il ignore
quelle efl la place des aucres; mais il
fent lafïenne & s'y tient. Au lieu des
loix fociales qu'il ne peut connoître ,
nous l'avons lié des chaînes de la né-
cefficé. Il n'efl prefque encore qu'un
être phyfique ; continuons de le trai-
ter comme tel.
C'efl par leur rapport fenfible avec
fon utilité , fa fureté , fa confervation ,
fon bien-être qu'il doit apprécier tous
les"corps de la Nature ôc tous les tra-
vaux des hommes. Ainfi le fer doit
être à fes yeux d'un beaucoup plus
grand prix que l'or , & le verre que le
diamant. De même il honore beau-
coup plus un cordonnier, un maçon,
qu'un l'Empereur , un le Blanc Se tous
les jouailliers de l'Europe ; un pâtif-
fier ell fur-tout, à fes yeux, un homme
très- important, & il donneroit toute
l'Académie des Sciences pour le moin-
90 Émîle,
dre confifeiir de la rue des Lombards.
Les orfèvres , les graveurs , les do-
reurs nefonc, àfonavis, que des fai-
néansquis'amufenc à des jeux parfaite-
ment inutiles ; il ne fait pas même un
grand cas de l'iiorlogerie. L'heureux
enfant jouit du tems fans en être efcla-
ve ; il en profite Se n'en connoît pas le
prix. Le calme des paiïions qui rend
pour lui fa fucceiïion toujours égale ,
lui tient lieu d'inllrument pour le me-
furer au befoin *. En lui fuppofant une
montre , aulTi - bien qu'en le faifant
pleurer, je me donnois un Emile vul-
gaire , pour être utile & me faire en-
tendre; car quant au véritable , un en-
fant il différent des autres ne ferviroic
d'exemple à rien.
Il y a un ordre non moins naturel,
êc plus judicieux encore , par lequel on
* Le tems perd pour nous fj mefure., quand nos paf-
fions veulent régler fon cours i leur gré. La montre
du fagc eft l'ésalité d'humeur & la yaix de Pâme; il
eft toujours à fon heure , &. illa connoit toujours.
ou DE l'Éducation. 91
confiJere les arts félon les rapports de
néceiTité qui les lient, mettant au pre-
mier rang les plus indcpendans, &z au
dernier ceux qui dépendent di'un plus
grand nombre d'autres. Cet ordre qui
fournit d'importantes conuderations
fur celui delà fociété générale, eftfem-
blable au précédent & fournis au même
renverfement dans l'eflime des hom-
mes ; en forte que l'emploi des matiè-
res premières fe fait dans dss métiers
fans honneur, prefque fans profit, &
que plus elles changent de mains , plus
la main d'oeuvre augmente de prix &
devient honorable. Je n'examine pas
s'il efl vrai que l'induRrie foit plus
grande & m.érite plus de récompenfe
dans les arts minucieux qui donnent la
dernière forme à ces matières, que dans
le premier travail qui les convertit à
l'ufage des hommes ; mais je dis qu'en
chaque chofe l'art dont l'ufage eft le
plus général 6c le plus indifpenfable ,
92 Emile,
eft inconteflablement celui qui mé-
rite le plus d'eftime, 6c que celui à
qui moins d'autres artsfont néceffaires
la mérite encore par-defTus les plus fu-
bordonnés, parce qu'il eft plus libre &
plus près de l'indépendance. Voilà les
véritables règles de l'appréciation des
arts 6c de l'indulbie; tout le refle eft
arbitraire 6c dépend de l'opinion.
Le premier 6c le plus refpedable
de tous les arts eft l'agriculture : je
mettrois la forge au fécond rang , la
charpente au troifiéme , 6c ainii de
fuite. L'enfant qui n'aura point été
féduit par les préjugés vulgaires en
jugera précifément ainfi. Que de ré-
flexions importantes notre Emile ne
tirera- t-il point là-delTus de fon Ro-
binfon r Que penfera-t-il en voyant que
les arts ne fe perfedlonnent qu'en fe
fubdivifant, en multipliant à l'infini
les inftrumens des uns 6c des autres r 11
fe dira ; tous ces gens-là font fottemenç
ou DE l'ÉdXTCATION. 93
ingénieux : on croiroit qu'ils ont peur
que leurs bras & leurs doigts ne leur
fervent à quelque chofe , tant ils in-
ventent d'inllrumens pour s'en paffèr.
Pour exercer un feul art ils font allervis
à mille autres , il faut une ville à cha-
que ouvrier. Pour mon camarade &
moi nous mettons notre génie dans
notre adrefl'e ; nous nous faifons des
outils que nous puifllons porter par-
tout avec nous. Tous ces gens fi fiers
de leurs talens dans Paris ne fauroienc
rien dans notre ifle , & feroient nos
apprentifs à leur tour.
Ledeur , ne vous arrêtez pas à voir
ici l'exercice du corps <5c l'adreiïe des
mains de notre élevé ; mais confiderez
quelle diredion nous donnons à fes
curiofités enfantines ; confiderez le
fens , l'efprit inventif, la prévoyan-
ce , confiderez quelle tête nous allons
lui former. Dans tout ce qu'il verra,
dans tout ce qu'il fera , il voudra tout
94 Émile^
connoître, il voudra favoir la raifdii
de tout : d'inftrumenc en inftrument il
voudra toujours remonter au premier;
il n'admettra rien par fuppofition ; il
refuferoit d'apprendre ce qui deman-
deroit une connoilTance antérieure
qu'il n'auroit pas : s'il voit faire un ren-
fort, il voudra favoir comment l'acier
a été tiré de la mine ; s'il voit ailém-
bler les pièces d'un coffre , il voudra
favoir comment l'arbre a été coupé.
S'il travaille lui-même , à chaque outil
dont il fe fert il ne manquera pas de
fe dire ; fi je n'avois pas cet outil ,
comment m'y prendrois-je pour en
faire un femblable ou pour m'en paf-
fer?
Au refte une erreur difficile à éviter
dans les occupations pour lefquelles
le maître fe paiîîonne , efl de fuppo-
fer toujours le même goût à l'enfant ;
gardez, quand l'amufement du travail
vous emporte, que lui, cependant, ne
bu DE l'Education. 95
s^ennuye fans vous l'ofer témoigner.
L'enfant doit être tout à la chofe ;
mais vous devez être tout à l'enfant ,
l'obferver, l'épier fans relâche & fans
qu'il y paroiffe, preifentir tous fes fen-
timens d'avance , & prévenir ceux qu'il
ne doit pas avoir; l'occuper enfin de
manière que non-feulement il fe fente
utile à la chofe , mais qu'il s'y plaife
à force de bien comprendre à quoi
fert ce qu'il fait.
La fociété des arts confifte en échan-
ges d'induftrie , celle du commerce
en échanges de chofes , celle des ban-
ques en échanges de fîgnes & d'argent;
toutes ces idées fe tiennent, & les no-
tions élémentaires font déjà prifes ;
nous avons jette les fondemens de tout
cela dès le premier âge , à l'aide du
jardinier Robert. Il ne nous refte
maintenant qu'à géneralifer ces mê-
mes idées, (Scies étendre à plus d'exem-
ples pour lui faire coxiiprendre le jeu
^6 Emile,
du trafic pris en lui-même , 5c rendu
fenfible par les détails d'hiiloire natu-
relle qui regardent les produdions
particulières à chaque pays , par les
détails d'arts & de fciences qui regar-
dent la navigation , enfin par le plus
grand ou moindre em.barras du trani^
port félon l'éloignement des lieux,
félon la fituation des terres , des mers,
des rivières , &:c.
Nulle fociété ne peut exifler fans
échange , nul échange fans mefure
commune , «Se nulle mefure commune
fans égalité. Ainfi toute fociété a pour
première loi quelque égalité conven-
tionnelle , foit dans les hommes, foit
dans les chofes.
L'égalité conventionnelle entre les
hommes, bien différente de l'égalité
naturelle , rend nécefiaire le droit po-
fitif , c'eil-à-dlre le gouvernement 5c
les loix. Les connoilfances politiques
d'un enfant doivent être nettes 5c bor-
nées
ou DE L*EdUCATION. 97
tiées : il ne doit connoître du gouver-
nement en général que ce qui fe rap-
porte au droit de propriété dont il a
déjà quelque idée.
L'égalité conventionnelle entre les
chofes , a fait inventer la monnoie ; car
la monnoie n'efl qu'un terme de com-
paraifon pour la valeur des chofes de
différentes efpeces , & en ce fens la
monnoie efl le vrai lien de lafociété ;
mais tout peut être monnoie ; autrefois
le bétail l'étoit , des coquillages le
font encore chez plufieurs peuples, le
fer fut monnoie à Sparte , le cuir
l'a été en Suéde , l'or & l'argent le fonc
parmi nous.
Les métaux , comme plus faciles à
tranfporter , ont été généralement
choifis pour termes moyens de tous les
échanges , & l'on a converti ces mé-
taux en monnoie , pour épargner la
mefure ou le poids à chaque échange :
car la marque de la monnoie n'eft
Tome IL G
98 Émîle,
qu'une attcilation que la pièce ainfi
marquée eft d'un tel poids , & le Prin-
ce Teul a droit de battre monnoie , at-
tendu que lui feul a droit d'exiger que
Ion témoignage faiFe autorité parmi
tout un peuple.
L'ufage de cette invention ainfi ex-
pliquée Te fciit fentir au plus ftupide.
11 ell; diilicile de comparer immédia-
tement des chofcs de ditTerentes natu-
res, du drap, par exemple, avec du
bled ; mais quand on a trouvé une
melure commune, favoir la monnoie,
il efi aifé au fabricant & au laboureur
de rapporter la valeur des choies qu'ils
veulent échanger à cette mefure com-
mune. Si telle quantité de drap vaut
une telle fomme d'argent , & que telle
quantité de bled vaille auffi la même
fomme d'argent , il s'enfuit que le
marchand recevant ce bled pour fo:i
drap fait un échange équitable. Ainfi
c'efl par la monnoie que les biens d'eC'
ou DE l'Education. 99
peces diverfes deviennent commenfu»
râbles, & peuvent fe comparer.
N'allez pas plus loin que cela , &
n'entrez point dans l'explication des
effets moraux de cette inflitution. En
toute chofe il importe de bien expofer
les ufages avant de montrer les abus.
Si vous prétendiez expliquer aux en-
fans comment les lignes font négliger
les chofes , comment de la monnoie
font nées toutes les chimères de l'opi-
nion, comment les pays riches d'ar-
gent doivent être pauvres de tout ,
vous traiteriez ces enfans non-feule-
ment en philofophes , mais en hom-
mes fages, & vous prétendriez leur
faire entendre ce que peu de philo-
fophes mêmes ont bien conçu.
Sur quelle abondance d'objets in-
térefîans ne peut-on point tourner ainfî
la curiolité d'un élevé, fans jamais
quitter les rapports réels & matériels
qui font à fa portée , ni fouffrir qu'il
G 2.
loô Emile,
s'élève dans fon efprit une feule idée
qu'il ne puifle pas concevoir? L'art du
maître eft de ne lailTer jamais appefan-
tir fes obfervations fur des minuties
qui ne tiennent à rien , mais de le
rapprocher fans ceffedes grandes rela-
tions qu'il doit connoître un jour pour
bien juger du bon 6c du mauvais ordre
de la fociété civile. Il faut favoir af-
fortir les entretiens dont on l'amufe
au tour d'efprit qu'on lui a donné.
Telle queftion qui ne pourroit pas
même effleurer l'attention d'un autre,
va tourmenter Emile durant fix mois.
Nous allons dîner dans une maifon
opulente ; nous trouvons les apprêts
d'un feftin , beaucoup de monde ,
beaucoup de laquais , beaucoup de
plats , un fervice élégant & fin. Tout
cet appareil de plaifir & de fête a
quelque chofe d'enivrant , qui porte
à la tête quand on n'y efl pas accou-
tumé. Je prcflens l'etTet de tout cela
ocr DE l'Éducation. ïôi
fur mon jeune élevé. Tandis que le
repas fe prolonge , tandis que les fer-
vices fe fuccédent, tandis qu'autour de
la table régnent mille propos bruyans,
je m'approche de fon oreille , & je lui
dis : par combien de mains eilimeriez-
vous bien qu'ait paiïe tout ce que vous
voyez fur cette table , avant que d'y
arriver? Quelle foule d'idées j'éveille
dans fon cerveau par ce peu de mots !
A l'inftant voilà toutes les vapeurs du
délire abatues. Il rêve, il réfléchit,
il calcule, il s'inquiète. Tandis que
les philofophes égayés par le vin ,
peut-être par leurs voifmes, radotent
^ font les enfans , le voilà lui philo-i
fophant tout feul dans fon coin ; il
m'interroge , je refufe de répondre ,
ie le renvoie à un autre tems ; il s'im-
patiente, il oublie de manger & de
boire , il brûle d'être hors de table
pour m'entretenir à fon aife. Quel ob-
j^t pour fa curiofité I quel texte pour
G 3
ÏC2 Emile,
fon inftruftion ! Avec un- jugement
fain que rien n'a pu corrompre , que
penfera-t-ii du luxe , quand il trouvera
que toutes les régions du monde ont
été miles à contribution , que vingt
millions de mains , peut-être , ont long-
tems travaillé , qu'il en a coûté la vie,
peut-être, à des milliers d'hommes,
êc tout cela pour lui préfenter en pom-
pe à midi ce qu'il va dépofer le foir
dans fa garde-robe ?
Epiez avec foin les conclufions Ce-
crettes qu'il tire en fon cœur de toutes
fes obfervations. Si vous l'avez moins
bien gardé que je ne le fuppofe , il
peut être tenté de tourner fes réflexions
dans un autre fens, Sz de fe regarder
comme un perfonnage important au
monde, en voyant tant de foins con-
courir pour apprêter fon dîner. Si
vous prclTcntez ce raifonnement , vous
pouvez aifément le prévenir avant
qu'il le falfe , ou du moins en effacer
ou DE l'Éducation. 105
aufTi-côt l'imprefTion. Ne fâchant en-
core s'approprier les chofes que par une
jouiflance mateiielle , il ne peuc juger
de leur convenance ou difconvenance
avec lui que par des rapports fenfibies.
La comparaifon d'un dîner fimple &
ruflique préparé par l'exercice , allai-
fonné par la faim , par la liberté , par
la joie , avec fjn feilin li magnifique
& fi compafle , fuffira pour lui faire
fentir que tout l'appareil du feftin, ne
lui ayant donné aucun profit réel , &
fon eftomac fortant tout auiTi content
de la table du payfan que de celle du
financier, il n'y avoit rien à l'un de
plus qu'à l'autre qu'il pût appeller
véritablement fien.
Imaginons ce qu'en pareil cas un
gouverrreur pourra lui dire. Rappel-
lez-vous bien ces deux repas , &
décidez en vous-même lequel vous
avez fait avec le plus de plaifir ; au-
quel avez- vous remarqué le plus de
G 4,
104 Emile,
joie ? auquel a-c-on mangé de plus
grand appétit , bu plus gaiement , ri
de meilleur cœur ? lequel a duré le
plus long-tems fans ennui , & fans avoir
befoin d'être renouvelle par d'autres
fervices ? Cependant voyez la diffé-
rence : ce pain bis que vous trouvez fi
bon , vient du bled recueilli par ce
payfan ; fon vin noir & groffier , mais
délalterant & fain , eft du crû de fa
vigne ; le linge vient de fon chanvre ,
filé l'hiver par fa femme , par fes filles,
par fa fervante : nulles autres mains
que celles de fa famille n'ont fait les
apprêts de fa table ; le moulin le plus
proche & le marché voifin font les
bornes de l'univers pour lui. En quoi
donc avez -vous réellement joui de
tout ce qu'ont fourni de plus la terre
éloignée & la main des hommes fur
l'autre table r Si tout cela ne vous a
pas fait faire un meilleur repas , qu'a-
vez-vous gagné à cette abondance ?
ou DE l'Education. 105
qu'y avoit-il4à qui fûc fait pour vous ?
Si vous eufliez été le maître de la mai-
fon , pourra - 1 - il ajouter , tout cela
vous fût reflé plus étranger encore ;
car le foin d'étaler aux yeux des autres
votre jouiiïance eût achevé de vous
l'ôter : vous auriez eu la peine <5c eux
le plaifir.
Ce difcours peut être fort beau ,
mais il ne vaut rien pour Emile dont
il parte la portée , & à qui l'on ne
dide point fes réflexions. Parlez -lui
donc pluslimplement. Après ces deux
épreuves , dites - lui quelque matin ;
où dînerons-nous aujourd'hui? autour
de cette montagne d'argent qui cou-
vre les trois quarts de la table , &: de
ces parterres de fleurs de papier qu'on
fert au deflert fur des miroirs ? parmi
ces femmes en grand panier qui vous
traitent en marionnette , & veulent
que vous ayez dit ce que vous ne favez
pas ? ou bien dans ce village à deux
io5 Emile,
lieues d'ici , chez ces bonnes gens
qui nous reçoivent fi joieufement , 6c
nous donnent de fi bonne crème? Le
choix d'Emile n'eft pas douteux ; car
il n'efl: ni babillard ni vain ; il ne peut
fouffrir la gêne, ôc tous nos ragoûts
fins ne lui plaifent point ; mais il eil
toujours prêt à courir en cam.pagne ,
& il aime fort les bons fruits , les bons
légumes , la bonne crème , & les.
bonnes gens *. Chemin faifant , la ré-
flexion vient d'elle-même. Je vois que^
ces foules d'hommes qui travaillent à
ces grands repas perdent bien leurs
* Le gjût que je fuppofe à mon élevé pjur la cam-
pagne eft un fruit naturel de Ion éducation. D'ailleurs,
n'ayant rien de cet air fat Si. requinqué qui p:aît tant
aux femmes , il en eft moins fêté que d'autres enfans;
par conféquent il fe plaît moins avec elles & fe gâte-
moms dans leur focieté dont il n'eii: pas encore erï
état de fenrir le charme. Je me fuis gardé de lui ap-
prendre à leur baifer la main , à leur dire des fadeu:s>
pas même à leur marq\ier nréferablement aux hommes
les égards qui leur font dûs: je me fuis fait une invio-
lable loi de n'exigT rien de lui dont la raifon ne fut k
fa portée , & il n'y a point de bonne raifon i>our un
enfant de traiter un icxc autrement que l'autre.
ou DE l'Éducation. 107
peines , ou qu'ils ne fongenc guère à
nos plaifirs.
Mes exemples, bons peut-être pour
un fujet , feront mauvais pour mille
autres. Si l'on en prend l'efprit , on fau-
ra bien les varier au befoin, le choix
tient à l'étude du génie propre à cha-
cun , & cette étude tient aux occaiions
qu'on leur offre de fe montrer. On
n'imaginera pas que dans l'efpace de
trois ou quatre ans que nous avons à
remplir ici, nous puiffions donner à
l'enfant le plus heureufement né , une
idée de tous les arts & de toutes les
fcienccG naturelles , fuffifante pour les
apprendre un jour de lui-même ; mais
en faifant ainfi pafler devant lui tous
les objets qu'il lui importe de ccnnoî-
tre , nous le mettons dans le cas de dé-
velopper fon goût , fon talent, de faire
les premiers pas vers l'objet où ie
porte fon génie , & de nous indiquer
la route qu'il lui faut ouvrir pour fé-
conder la Nature.
ïo8 Emîle,
Un autre avantage de cet enchaî-
nement de connoiffances bornées , mais
juftes , eft de les lui montrer par
leurs liaifons , par leurs rapports , de
les mettre toutes à leur place dans fon
cftime, & de prévenir en lui les pré-
jugés qu'ont la plupart des hommes
pour les talens qu'ils cultivent , contre
ceux qu'ils ont négligés. Celui qui
voit bien l'ordre du tout , voit la place
où doit être chaque partie ; celui qui
voit bien une partie , & qui la con-
noît à fond , peut être un favant hom-
me ; l'autre eft un homme judicieux ,
êc vous vous fouvenez que ce que nous
nous propofons d'acquérir , eil moins
la fcience que le jugement.
Quoi qu'il en foit , ma méthode ed
indépendante de mes exemples ; elle
ell fondée fur la mefure des facultés
de l'homme à fes differens âges , &
fur le choix des occupations qui con-
viennent à ces facultés. Je crois qu'on
ou DE l'Éducation. 105
îrouveroit aifément une autre métho-
de avec laquelle on paroîtroit faire
mieux; mais fi elle étoit moins ap-
propriée à l'efpece , à l'âge , au fexe ,
je doute qu'elle eût le même fuccès.
En commençant cette féconde pério-
de , nous avons profité de la furabon-
dance de nos forces fur nos befoins ,
pour nous porter hors de nous : nous
nous fommes élancés dans les cieux ;
nous avons mefuré la terre ; nous avons
recueilli les loix de la Nature ; en un
mot , nous avons parcouru l'ifle entiè-
re ; maintenant nous revenons à nous ;
nous nous rapprochons infenfiblemenc
de notre habitation. Trop heureux, en
y rentrant , de n'en pas trouver encore
en pofTelTion l'ennemi qui nous me-
nace , <Sc qui s'apprête à s'en emparer 1
Que nous refle-t-il à faire après
avoir obfervé tout ce qui nous envi-
ronne ? D'en convertir à notre ufage
tout ce que nous pouvons nous appro-
iio Emile,
prier , Se de tirer parti de notre ctî-
riofité pour l'avantage de notre bien-
être. Jufqu'ici nous avons fait provi-
fion d'inflrumens de toute efpece , fans
favoir defquels nous aurions befoin.
Peut-être , inutiles à nous-mêmes , les
nôtres pourront-ils fervir à d'autres ;
& peut-être, à notre tour , aurons-
nous befoin des leurs. Ainfi nous trou-
verions tous notre compte à ces échan-
ges ; mais pour les faire il faut connoî-
tre nos befoins mutuels , il faut que
chacun fâche ce que d'autres ont a fon
ufage , 6c ce qu'il peut leur offrir en
retour. Suppofons dix hommes, donc
chacun a dix fortes de befoins. 11 faut
quechacun, pour fon néceflaire, s'ap-
plique à dix fortes de travaux ; mais
vu la différence de génie Si de talent ,
l'un réuflira moins à quelqu'un de ces
travaux , l'autre à un autre. Tous ,
propres à diverfes chofes , feront les
mêmes & feront mal fervis. JFormoni
ou DE l'Éducation. i i i
une fociété de ces dix hommes , 6c
que chacun s'applique pour lui feul <Sc
pour les neuf autres, au genre d'occu-
pation qui lui convient le mieux ; cha-
cun profitera des talens des autres com-
me fi lui feul les avoit tous ; chacun
perfectionnera le fien par un continuel
exercice, & il arrivera que tous les
dix , parfaitement bien pourvus , au-
ront encore du furabondant pour d'au-
tres. Voilà le principe apparent de
toutes nos inditutions. Il n'eft; pas de
mon fujet d'en examiner ici les confé-
quences ; c'ell ce que j'ai fait dans un
autre écrit.
Sur ce principe , un homme qui
voudroit fe regarder comme un être
ifolé , ne tenant du tout à rien & fe
fuffifant à lui-même , ne pourroit être
que miferable. Il lui feroit même im-
pofiible de fubfifter ; car trouvant la
terre entière couverte du tien <5c du
mien, Se n'ayant rien à lui que fon
112 Emile 5
corps, d'où tireroit-il fon nécefiaîre ?
En fortant de Tétac de Nature, nous
forçons nos femblables d'en fortir aufîî ;
nul n'y peut demeurer malgré les au-
tres , & ce feroit réellement en fortir,
que d'y vouloir refter dans l'impoiTibi-
lité d'y vivre. Car la première loi de
la Nature ell le foin de fe conferver.
Ainfi fe forment peu-à-peu dans
l'efprit d'un enfant , les idées des rela-
tions fociales, même avant qu'il puil-
fe être réellement membre adif de la
fociété. Emile voit que pour avoir des
inftrumcns à fon ufage , il lui en faut
encore à l'ufage des autres, par lef-
quels il puifie obtenir en échange les
chofes qui lui font nécelTaires , & qui
font en leur pouvoir. Je l'amené aifé-
ment àfentir le befoin de ces échanges,
& à fe mettre en état d'en profiter.
Monfeigneur y il jaut que je vive ^
difoit un malheureux auteur fatyrique
au Miniflre qui lui reprochoit l'in-
famie
bu DE l'éducation. 113
famîê de ce métier. Je n'en vois pas
la nécejfité , lui répartie froidemenc
l'homme en place. Cette réponfe, ex-
cellente pour un Miniflre, eût été bar-
bare & fauiïe en toute autre bouche.
Il faut que tout homme vive. Cet ar-
gument auquel chacun donne plus ou
moins de force, à proportion qu'il a
plus ou moins d'humanité , me paroîc
fans réplique pour celui qui le fait,
relativement à lui-même. Puifque de
toutes les averfions que nous donne la
Nature, la plus forte efl celle de mou-
rir, il s'enfuit, que tout ell permis par
elle à quiconque n'a nul autre moyen
poiïible pour vivre. Les principes fur
lefquels l'homme vertueux apprend à
méprifer fa vie &: à l'immoler à fon
devoir , font bien loin de cette jQmpli-
cité primitive. Heureux les peuples
chez lefquels on peut être bon fans ef-
fort ôc jufle fans vertu! S'il efl quel-*
que miiérablectat au monde j où cha^
Tçms IL H
114 Emile,
cun ne puifTe pas vivre fans mal faire ,
& où les citoyens foient fripons par né-
cefTité, ce n'efl pas le malfaiteur qu'il
faut pendre , c'eil celui qui le force à
le devenir.
Si-tôt qu'Emile faura ce que c'eft
que la vie , mon premier foin fera de
lui apprendre à la conferver. Jufqu'ici
je n'ai point dillingué les états , les
rangs , les fortunes , <Sc je ne les diflin-
guerai gueres plus dans la fuite , parce
que l'homme e(ï le même dans tous les
états ; que le riche n'a pas l'eflomac
plus grand que le pauvre , 6c ne di-
gère pas mieux que lui ; que le maître
h'a pas les bras plus longs ni plus forts
que ceux de fon efclave ; qu'un Grand
h'eft pas plus grand qu'un homme du
peuple ; & qu'enfin les befdins naturels
étant par-tout les mêmes , les moyens
d'y pourvoir doivent être par - tout
égaux. Appropriez l'éducation de
l'homme àfhomme, Si. non pas à ce
ou DE l'Éducation, i i ^
qui n'ell point lui. Ne voyez-vous pas
qu'en travaillant à le former exclufive-
menu pour un état, vous le rendez inu-
tile à tout autre ; ôz que s'il plaît à la
fortune , vous n'aurez travaillé qu'à le
rendre malheureux? Qu'y a-t-il de
plus ridicule qu'un grand Seigneur
devenu gueux , qui porte dans fa mi-
fere les préjugés de fa naiilance ? Qu'y
a-t-il de plus vil qu'un riche appauvri,
qui, fe fouvenanc du mépris qu'on doit
à la pauvreté , fe fent devenu le der-
nier des hommes ? L'un a pour toute
reflburce le métier de fripon public,
l'autre celui de valet rampant , avec
ce beau mot : il faut que je vive.
Vous vous fiez à l'ordre aduel de
la fociété, fans fonger que cet ordre
eft fujetàdes résolutions inévitables,
& qu'il vous eft impoifible de prévoir
ni de prévenir celle qui peut regarder
vos enfans. Le Grand devient petit j
le riche devient pauvre , le monarque
H z
tï6 Emile 5
devient fujet : les coups du fort font-lls
fî rares que vous pulffiez compter d'en
être exempt ? Nous approchons de
l'état de crife & du fiécle des révolu-
tions *. Qui peut vous répondre de ce
que vous deviendrez alors? Tout ce
qu'ont fait les hommes , les hommes
peuvent le détruire : Il n'y a de carac-
tères inéfaçables que ceux qu'imprime
la Nature, 6c la Nature ne fait ni prin-
ces , ni riches , ni grands Seigneurs,
Que fera donc , dans la baflélTe , ce Sa-
trape que vous n'avez élevé que pour la
grandeur? Que fera, dans la pauvreté,
ce publicain qui rie fait vivre que d'or ?
Que fera, dépourvu de tout , ce faftueux
imbécillè qui ne fait point ufer de lui-
même , ôc ne met fon être que dans ce
* Je tiens pour imoofllble , qus les grandes monar-
chies'de TEurope aient encore long-tems h durer ; tou-
tes ont brillé , & tout Etat qui briile eft fur fon dé-
clin. J'ai de mon opinion dcsraifons plus particulières
que cette maxime;' mais il n'ert pas i propos de les
dire , & chacun ne les voie que trop.
ou DE l'Education. ïîj
qui eft étranger à lui .-' Heureux celui
qui fait quitter alors Tétar qui le quit-
te , & refter homme en dépit du fort!
Qu'on loue tant qu'on voudra ce Roi
vaincu , qui veut s'enterrer en furieux
fous les débris de fon trône ; moi je le
méprife ; je vois qu'il n'exide que par
fa couronne, & qu'il n'efc rien du tout
s'il n'eft Roi : mais celui qui la perd &:
s'en paife , efl: alors au-deiTus d'elle.
Du rang de Roi, qu'un lâche, un mé-
chant, un fou peut remplir comme un
autre, il monte à l'état d'homme que
û peu d'hommes favent remplir. Alors
il triomphe de la fortune , il la brave ,
il ne doit rien qu'à lui feul; & quand
il ne lui refte à montrer que lui , il n'efl
point nul, il efl quelque chofe. Oui ,
j'aime mieux cent fois le Roi de Syra-
cufe , maître d'école à Corinthe , & le
Roi de Macédoine, greffier à Rome,
qu'un malheureux Tarquin , ne fâchant
que devenir s'il ne régne pasj que
Tom, II. *
1 18 Emile,
l'héritier & le fils d'un Roi des Rois *^
jouet de quiconque ofe infulter à fa mi-
fere , errant de Cour en Cour , cher-
chant par-tout des fecours , & trouvant
par-tout des affronts , faute de favoir
iaire autre chofe qu'un métier qui n'efl
plus en fon pouvoir.
L'homme & le citoyen , quel qu'il
foit j n'a d'autre bien à mettre dans la
fociété que lui-même, tous fes autres
biens y font malgré lui ; & quand un
homme efl: riche , ou il ne jouit pas
de fa richefle, ou le Public en jouit
auffi. Dans le premier cas , il vole aux
autres ce dont il fe prive; & dans le
fécond, il ne leur donne rien. Ainfi la
dette focialelui refte toute entière, tant
qu'il ne paye que de fon bien. Mais
mon père , en le gagnant , a fervi la fo-
ciété ! Soit 3 il a payé fa dette , mais
non pas la vôtre. Vous devez plus aux
autres que fi vous fuflîez né fans bien ,
puifque vous êtes né favorifé. Il n'efl:
■♦■ Vononc , fils de Phraate , Roi des Partlics,
ou DE l'Éducation. 119
point jufle que ce qu'un homme a faic
pour la fociécé , en décharge un autre
de ce qu'il lui doit : car chacun fe de-
vant tout entier ne peut payer que
pour lui , <5c nul père ne peut tranf-
mettre à fon fils le droit d'être inutile
à fes femblables ; or c'cfl pourtant ce
qu'ilfait,felonvous, enluitranfmettant
fes richefles , qui font la preuve & le
prix du travail. Celui qui mange dan^
l'oifiveté ce qu'il n'a pas gagné lui-
même , le vole ; & un rentier que
l'Etat paye pour ne rien faire , ne dif-
fère guère, à mes yeux, d'un brigand
qui vitaux dépens des paflans. Hors de,
la ibciété , l'homme ifolé ne devant rien
à perfpnne, a droit de vivre comme il
lui plaît ; mais dans la fociété , où il
vit néceffairement aux dépens des au-
tres , il leur doit en travail le prix de
fpn entretien ; cela cil Tans exception.
Travailler eil donc un devoir indif-
penfable à l'homme focial. Riche oa
H 4
Î20 Emile,
pauvre , puifl'ant ou foible , tout ci-
toyen oifif efl un fripon.
Or de toutes les occupations qui
peuvent fournir la fubfeftance à l'hom-
me, celle qui le rapproche le plus de
l'état de Nature efl le travail des mains:
de toutes les conditions, la plus indé-
pendante de la fortune & des hommes
efl celle de l'artifan. L'artifan ne dé-
pend que de fon travail ; il efl auffi li-
bre que le. laboureur efl efclave : car
celui-ci tient à fon champ dont la ré-
colte efl à la difcrétion d'autrui . L'en-
nemi , le prince , un voifin puillant,
un pro(!ès lui peut enlever ce champ;
par ce champ on peut le vexer en mil-
le manières : mais par-tout où l'on veut
vexer l'artifan , fon bagage efl bientôt
fait; il emporte (es bras & s'en va^
Toutefois l'agriculture efl le premier
métier de l'homme ; c'eft le plus hon-
nête , le plus utile , & par conféquenc
le plus noble qu'il puifTe exercer. Ja
ou DE l'Éducation. ï2î
ne dis pas à Emile , apprends l'agri-
culture ; il la fait. Tous les travaux
rufliques lui font familiers; c'efl: par
eux qu'il a commencé ; c'efl à eux
qu'il revient fans cefTe. Je lui dis
donc, cultive l'héritage de tes pères;
mais fi tu perds cet héritage , ou fi tu
n'en as point , que faire ? Apprends un
métier.
Un métier à mon fils î mon fils ar-
tifan ! Monfieur , y penfez-vous ? J'y
penfe mieux que vous , Madame , qui
voulez le réduire à ne pouvoir jamais
être qu'un Lord , un Marquis , un Prin-
ce , & peut-être un jour moins que
rien ; moi, je lui veux donner un rang
qu'il ne puifle perdre, un rang qui
l'honore dans tous les tems , 6ç quoi-
que vous en puiifiez dire , il aura
moins d'égaux à ce titre qu'à tous
ceux qu'il tiendra de vous.
La lettre tue & l'efprit vivifie. Il
s'agit moins d'apprendre un métie/
m Emile 5
pour favoir un métier , que pour vain-
cre les préjuges qui le méprifent. Vous
ne ferez jamais réduira travailler pour
vivre. Eh .'tant-pis, tant-pis pour vous!
Mais n'importe , ne travaillez point
par nécefTicé , travaillez par glaire,
Abbaiflez-vous à l'état d'artiTan pour
être au-deiïus du vôtre. Pour vous fou-
mettre la fortune & les chofes , com-
mencez par vous en rendre indépen-
dant. Pour régner par l'opinion , com-
mencez par régner fur elle.
Souvenez-vous que ce n'efl point ua
talent que je vous demande ; c'efl un
métier , un vrai métier , un art pu-
rement méchanique , où les mains tra-
vaillent plus que la tête, & qui ne
mené point à la fortune , mais avec le-
quel on peut s'en palTer. Dans des
maifons fort au-dciïiis du danger de
manquer de pain , j'ai vu des pcres
pouffer la prévoyance jufqu'à joindre
au foin d'inilruire leurs cnfans celui de
ou DE l'Éducation. 125,
les pourvoir de connoiirances , dont, à
tout événement , ils pufl'ent tirer par-
ti pour vivre. Ces pères prévoyans
croyent beaucoup faire : ils ne font
rien ; parce q^ue les relTources qu'ils
penfenc ménager à leurs enfans , dé-
pendent de cette même fortune au-def-
fus de laquelle ils les veulent mettre.
En forte qu'avec tous ces beaux talens,
fi celui qui les a, ne le trouve dans des
circonftances favorables pour en fiire
ufage , il périra de milere comme s'il
n'en avoit aucun.
Dès qu'il eft queflion de manège
& d'intrigues , autant vaut les em-
ployer à fe maintenir dans l'abondan-
ce, qu'à regagner, du fein de la mifere,
de quoi remonter à fon premier état.
Si vous cultivez des arts dont le fuccès
tient à la réputation de l'artifle ; fi
vous vous rendez propre à des emplois
qu'on n'obtient que par la faveur, que
vous fervira tout cela , quand juflemenc
124 Emile,
dégoûté du monde vous dédaignerez
les moyens , fans lefquels on n'y peut
îéufTir? Vous avez étudié la politique
& les intérêts des Princes : voilà qui va
fort bien ; mais que ferez-vous de ces
connoilTances , fi vous ne (avez parve-
nir aux miniilres , aux femmes de la
cour , aux chefs des bureaux , fî vous
n'avez le fecret de leur plaire ; fi tous
ne trouvent en vous le fripon qui leur
convient ? Vous êtes architede ou
peintre : foit , mais il faut faire con-
noître votre talent. Penfez-vous allet
de but en blanc expofer un ouvrage
aufallon ? Oh! qu'il n'en va pasainfi }
Il faut être de l'Académie ; il y faut
même être protégé pour obtenir au
coin d'un mur quelque place obfcure.
Quittez-moi la règle & le pinceau ,
prenez un fiacre , 6c courez de porte
en porte ; c'efl ainfi qu'on acquiert la
célébrité. Or vous devez favoir que
toutes ces iiluilres portes ont des fuili
ou DE l'Éducation. 125
fes ou des portiers qui n'entendent que
par gefle , ôc. dont les oreilles font dans
leurs mains. Voulez -vous enfeigner
ce que vous avez appris, 6c devenir
maître de géographie , ou de mathé-
matique , ou de langue , ou de mu(i-
que , ou de defîein ? Pour cela même
il faut trouver des écoliers , par confé-
quent des preneurs. Comptez qu'il
importe plus d'être charlatan qu'ha-
bile , 5c que fi vous ne favez de métier
que le vôtre , jamais vous ne ferez
qu'un ignorant.
Voyez donc combien toutes ces
brillantes reflburces font peu folides ,
6c combien d'autres refTources vous fonc
néceffaires pour tirer parti de celles-
là. Et puis , que deviendrez-vous dans
ce lâche abbaiifement f Les revers j
fans vous inftruire , vous aviliflent;
jouet plus que jamais de l'opinion pu-
blique, comment vous éleverez-vous
au-delTus despréjugés^arbitres de votre
Ï26 Emile,
fort ? Comment mépriferez - vous îa
bafleire <5c les vices dont vous avez be-
foin pour fubfiller t Vous ne dépendiez
que des richeifes , & maintenant vous
dépendez des riches ; vous n'avez fait
qu'empirer votre efclavage, êc le fur-
charger de votre mifere. Vous voilà
pauvre fans être libre ; c'efl le pire étac
où l'homme puifl'e tomber.
Mais au lieu de recourir pour vivre
à ces hautes connoiiïances qui font fai-
tes pour nourrir l'ame & non le corps,
fi vous recourez au befoin , à vos mains
& à l'ufage que vous en favez faire ,
toutes les difficultés difparoifl'ent, tous
les manèges deviennent inutiles; la
reflburce eil toujours prête au moment
d'en ufer ; la probité , l'honneur ne
font plus un obilacle à la vie ; vous
n'avez plus befoin d'être lâche & men-
teur devant les grands , fouple & ram-
pant devant les fripons, vil complai-
fant de tout le monde, emprunteur
ou DE l'Éducation, i ij
ou voleur , ce qui efi: à peu près la
même chofe quand on n'a rien : l'o^
pinion des autres ne vous touche point ;
vous n'avez à faire votre cour à perfon-
ne, point de fot à flater , point de
fuiiïe à fléchir , point de courtifanne à
payer , & , qui pis eft , à encenfer . Que
des coquins mènent les grandes affai-
res ; peu vous importe : cela ne vous
empêchera pas , vous , dans votre vie
obfcure , d'être honnête homme &
d'avoir du pain. Vous entrez dans la
première boutique du métier que vous
avez appris. Maître , j'ai befoin d'ou-
vrage; compagnon, mettez- vous-là j
travaillez. Avant que l'heure du dîner
foit venue , vous avez gagné votre
dîné: (i vous êtes diligent & fobre ^
avant que huit jours fe pafîent , vous
aurez de quoi vivre huit autres jours:
vous aurez vécu libre , fain , vrai ,
laborieux , jufte : ce n'eft pas perdre
fon tems que d'en gagner ainfi.
1^8 Émile^
Je veux abfolument qu'Émiîe ap-
prenne unmétier. Un métier honnéce,
au moins, direz vous. Que fignifie ce
mot ? Tout métier utile au public
n'efl: il pas honnête ? Je ne veux point
<5u'il fôit brodeur , ni doreur , ni ver-
niiïeur comme le gentilhomme de
Locke ; je ne veux qu'il foit ni mufi-
cien , ni comédien , ni faifeur de li-
vres. A ces profefTions près , & celles
qui leur reffemblent , qu'il prenne
celle qu'il voudra ; je ne prétends le
gêner en rien. J'aime mieux qu'il foit
cordonnier que poète ; j'aime mieux
qu'il pave les grands chemins que de
faire des fleurs de porcelaine. Mais,
direz-vous , les archers , les efpions ,
les bourreaux font des gens utiles. Il
ne tient qu'au gouvernement qu'ils ne
le foient point : mais palTons , j'avois
tort ; il ne fuffit pas de choifir un mé-
tier utile , il faut encore qu'il n'exige!
pas des gens qui l'exercent, des qua-
lités
ou DE l'Éducation. 129
litésd'ameodieufes, & incompatibles
avec l'humanité. Ainfi revenant au pre-
inier mot , prenons un métier honnête;
mais fouvenons-nous toujours qu'il n'y
a point d'honnêteté fans l'utilité.
Un célèbre Auteur de ce iiécle,dont
les livres font pleins de grands projets
6c de petites vues , avoit fait vœu ,
comme tous les prêtres de fa commu-
nion , de n'avoir point de femme en
propre ; mais fe trouvant plus fcrupu-
leux que les autres fur l'adultère , on
dit qu'il prit le parti d'avoir de jolies
fervantes, avec lefquelles il réparoic
de fon mieux l'outrage qu'il avoit fait
à fon efpece , par ce téméraire enga-
gement. 11 regardoit comme un de-
voir du citoyen d'en donner d'autres à
la patrie , & du tribut qu'il lui payoit,
en ce genre, il peuploit la clalTe des ar-
tifans. Si-tôt que ces enfans étoient en
âge, il leur faifoit apprendre à tous
un métier de leur goût , n'excluant que
Tom& IL I
130 Emile,
les profefTions oifeufes , futiles ou fu-
jettes à la mode, telles, par exemple ^
que celle de perruquier, qui n'eil ja-
mais néceflaire , & qui peut devenir
inutile d'un jour à l'autre , tant quô
la Nature ne fe rebutera pas de nous
donner des cheveux.
Voilà l'eTprit qui doit nous guider
dans le choix du métier d'£mile; ou
plutôt ce n'efl pas à nous de faire ce
choix , c'efl à lui ; car les maximes
dont il ell imbu , ccnfervant en lui le
mépris naturel des chofes inutiles , ja-
mais il ne voudra confumer fon tems
en travaux de nulle valcur,& il ne con-
noît de valeur aux chofes , que celle de
leur utilité réelle ; il lui faut un métier
qui pût fervir à Robinfon dans fon ifle.
En faifant paifer en revue devanc
un enfant les produif^lions de la Nature
& de l'art ; en irritant fa curiofité , en
le fuivant où elle le porte , on a l'avan-
tage d'étudier les goûts , fcs inclina-
ou DE l'Éducation, i 3 î
tions, fes penchans, & de voir briller
la première étincelle de fon génie ,
s'il en a quelqu'un qui foie bien décidé.
Mais une erreur commune & dont il
faut vous préierver , c'eft d'attribuer
à l'ardeur du talent l'eftec de l'occalion ,
& de prendre pour une inclination
marquée vers tel ou tel art , l'elpric
imicatif commun à l'homme & au fin-
ge , (Se qui porte machinalement l'un
Se l'autre à vouloir faire tout ce qu'il
voit faire , fans trop favoir à quoi cela
ell bon. Le monde ell plein d'artil'ans
& fur-tout d artifies , qui n'ont poinn
le talent naturel de l'art qu'ils exercent,
<Sc dans lequel on les a pouflés dès leur
bas âge , foit déterminé par d'autres
convenances, foit trompé par un zélé
apparent qui les eût portés de même
vers tout autre art , s'ils l'avoient vu
pratiquer auffitôt. Tel entend un tam-
bour & fe croit Général ; tel voie
bâtir 6c veut être architede. Chacun
I a
132 Emile 5
eft tenté du métier qu'il voit faire ^
quand il I3 croit eflimé.
J'ai connu un laquais, qui , voyant
peindre & defllner fon maître , fe mit
dans la tête d'être peintre & deffina-
teur. Dès l'inilant qu'il eut formé cette
réfolution , il prit le crayon , qu'il n'a
plus quitté que pour prendre le pin-
ceau , qu'il ne quittera de fa vie. Sans
leçons 6c fans régies il fe mit à deffiner
tout ce qui lui tomboit fous la main.
Il palîà trois ans entiers collé fur {es
barbouillages , fans que jamais rien
pût l'en arracher que fon fervice ,
Se fans jamais fe rebuter du peu de
progrès que de médiocres difpofrtions
lui iaifloient faire. Je l'ai vu durant
(ix mois d'un été très-ardent , dans une
petite antichambre au midi, où l'on
fuiToquoit au palTage , afTis , ou plutôt
cloué tout le jour fur fa chaife , devant
un globe , defiiner ce globe , le redei-
ûner , commencer & recommencer
ou DE L Education. 155
fans cefTe avec une invincible obUina-
tion, jufqu'à ce qu'il en eût rendu la
ronde-bolTe alTez bien pour être con-
tent de ion travail. Enfin , favorifé de
fon maître ôc guidé par un artifle , il
eft parvenu au point de quitter la li-
vrée , & de vivre de fon pinceau. Juf-
qu'à certain terme la perféverance lup-
plée au talent ; il a atteint ce terme ,
ôc ne le palTera jamais. La confiance
Se l'émulation de cet honnête garçon
font louables. Il fe fera toujours efli-
mer par fon aiîiduité , par fa fidélité,
par fes mœurs ; mais il n.e peindra ja-
mais que des deffus de porte. Qui elt-
ce qui n'eût pas été trompé par fon
zèle , 6c ne l'eût pas pris pour un vraî
talent ? Il y a bi:n de la différence
entre fe plaire à un travail , <Sc y être
propre. Il faut des obfervations plus
fines qu'on ne penfe , pour s'affurer da
vrai génie & du vrai goût d'un enfant,
qui montre bien plus fes defirs que fes
Ï34 Emile,
dirpofitions ; & qu'on juge toujom-^
par les premiers, faute de favoir étu-
dier les autres. Je voudrois qu'un hom-
me judicieux nous donnât un traité de
l'art d'Qbferver les enfans. Cet art fe-
roit très - important à connoître : les
pères & les maîtres n'en ont pas enco-
re les élémcns.
Mais peut-être donnons-nous ici trop
d'importance au choix d'un métier.
Puifqu'il ne s agit que d'un travail des
mains , ce choix n'eft rien pour Emile ;
& fon apprenti iTage eft: déj:i plus d'à
moitié fait , par les exercices dont nous
l'avons occupé jufqu'à préfent. Que
voulez-vous qu'il faiïe r II efl prêt à
tout : il fait déjà manier la bêche & la
houe; il fait fe fervir du tour , du mar-
teau , du rabot , de la lime ; les outils
de tous les m^éticrs lui font déjà fami-
liers. Il ne s'agit plus que d'acquérir
de quelqu'un de ces outils un ufage,
aflez prompt, alfez facile pour égaler.
ou DE l'Éducation. 135
en diligence les bons ouvriers qui s'en
fervent , & il a fur ce point un grand
avantage par-defllis tous , c'eft d'avoir
le corps agile, les membres flexibles,
pour prendre , lans peine , toutes for-
tes d'attitudes, & prolonger , fans ef-
fort, toutes fortes de mouvemens. De
plus , il a les organes julles & bien
exercés; toute la méclianic]ue des arts
lui efl déjà connue. Pour favoir tra-
vailler en maître , il ne lui manque
que de l'habitude ; & l'habitude ne fe
gagne qu'avec le tems. Auquel des
métiers , dont le choix nous refte à
faire , donnera-t-il donc affez de tems
pour s'y rendre diligent r Ce n eft plus
que de cela qu'il s'agit.
Donnez à l'homme un métier qui
convienne à fon fexe , ce au jeune hom-
me un métier qui convienne à fon âge.
Toute profefîion fédentaire & cafa-
niere , qui efféminé & ramollit le
corps , ne lui plaît ni ne lui convient,
14
1^6 Emile,
Jamais jeune garçon n'afpira de lu;-
même à être tailleur ; il faut de l'art
pour porter à ce métier de femmes^
le (exe pour lequel il n'eft pas fait*.
L'aiguille & 1 epée ne fauroient être
maniées par les mêmes mains. Si j'étois
Souverain , je ne permettrois la cou-
ture, & les métiers à l'aiguille , qu'aux
femmes , & aux boiteux réduits à s'oc-
cuper comme elles. En fuppofant les
eunuques nécelTaires , je trouve les
Orientaux bien fous d'en faire exprès.
Que ne fe contentent-ils de ceux qu'a
faitlaNature , de ces foules d'hommes
lâches dont elle a mutilé le cœur , ils en
auroient de refle pour le befoin. Tout
homme foible , délicat , craintif, eft
condamné par elle à la vie fédentaire ;
il efl fait pour vivre avec les femmes ,
ou à leur manière. Qu'il exerce quel-
• Il nV avoir point de tailleurs parmi les ancien^:
les habits des hommes le failbieiu dans la mailon pa^
les femmes.
ou DE l'Éducation. 137
■qu'un des métiers qui leur font pro-
pres, à la bonne heure ; ôc s'il faut
abfolumenn de vrais eunuques , qu'on
réduife à cet état les hommes qui dés-
honorent leur fexe en prenant des em-
plois qui ne lui conviennent pas. Leur
choix annonce l'erreur de la Nature :
corrigez cette erreur de manière ou
d'autre , vous n'aurez fait que du bien.
J'interdis à mon élevé les métiers
jnal-fains , mais non pas les métiers péni-
bles , ni même les métiers périlleux.
Ils exercent à la fois la force & le cou-
rage ; ils font propres aux hommes
feuls, les femmes n'y prétendent point :
comment n'ont-ils pas honte d'empié-
ter fur ceux qu'elles font ?
Luclantur paucce , comedunt colUphia pciuc(e.
Vos lanam trahitis , calathifque peraBi refenii
Vellera *
En Italie , on ne voit point de fem-
mes dans les boutiques ; & l'on ne peut
* Juven, Sat. II.
138 Emile,
lien imaginer de plus trifle que îe
coup - d'œil des rues de ce pays-là ^
pour ceux qui font accoutumes à celles
de France &: d'Angleterre. En voyant
àts marchands de modes vendre aux
Dames des rubans , des pompons, du
rezeau , de la chenille , je trouvois
ces parures délicates bien ridicules
dans de grofTes mains, faites pour fouf-
fler la forge &: frapper fur l'enclume.
Je me difois ; dans ce pays les femmes
devroient , par repréfailles , lever des
boutiques de fourbifleurs & d'armu-
riers. Eh ! que chacun faiïe & vende
les armes de fon fexe. Pour les con-
noître, il les faut employer.
Jeune homme , imprime à tts tra-
vaux la main de l'homme. Apprends
à manier d'un bras vigoureux la hache
&: la fcie , à équarrir une poutre , à
monter fur un comble , à pofer le faî-
te , à l'affermir de jambes-de-force <Sc
d'cntraits; puis crie à ta focur de venir
ou DE l'Éducation. 139
t'aider à ton ouvrage , comme elle te
difoit de travailler à fon point-croifé.
J'en dis trop pour mes agréables
contemporains, je le fens ; mais je me
lailTe quelquefois entraîner à la force
des conféquences. Si quelque homme
que ce foit a honte de travailler en
public , armé d'une doloire & ceinc
d'un tablier de peau , je ne vois plus
en lui qu'un efclave de l'opinion , prêt
à rougir de bien faire , fi-tôt qu'on fe
jira des honnêtes gens. Toutefois cé-
dons au préjugé des pères tout ce qui
ne peut nuire au jugement des enfans.
Il n'eft pas nécefTaire d'exercer toutes
les profeffions utiles pour les honorer
toutes ; il fuffit de n'en eilimer aucune
au-delfous de foi. Quand on a le choix,
& que rien d'ailleurs ne nous détermi-
ne , pourquoi ne confulteroit-on pas
l'agrément , l'inclination , la conve-
nance entre les profeffions de même
rang r Les travaux des métaux fonç
140 Emile,
utiles , & même les plus utiles de tous;
Cependant , à moins qu'une raifon
particulière ne m'y porte , je ne ferai
point de votre fils un maréchal , un
ferrurier , un forgeron ; je n'aimerois
pas à lui voir , dans fa forge , la figure
d'un cyclope. De même, je n'en ferai
pas un maçon , encore moins un cor-
donnier. Il faut que tous les métiers fe
fafient ; mais qui peut choifir , doit
avoir égard à la propreté ; car il n'y a
point-là d'opinion : fur ce point les
fens nous décident. Enfin je n'aime-
rois pas ces flupides proférions , dont
les ouvriers, fans indufhrie & prefque
automates , n'exercent jamais leurs
mains qu'au même travail. Les tifle-
rands, les faifeurs de bas, les fcieursde
pierre ; à quoi fert d'employer à ces
métiers des hommes de fens? c'eft une
machine qui en mené une autre.
Tout bien confideré , le métier qu«
i'aimerois le mieux qui fût du goût d*
ou DE l'Éducation. 141
mon élevé, eft celui de ménuifier. Il
Cil propre , il eft utile , il peut s'exer-
cer dans la maifon ; il tient fuffifam-
ment le corps en haleine ; il exige ,
dans l'ouvrier de l'adrefTe & de l'induf-
trie, & dans la forme des ouvrages
que l'utilité détermine , l'élégance &
le goût ne font pas exclus.
Que fi par hazard le génie de votre
élevé étoit décidément tourné vers les
fciences fpéculatives , alors je ne blâ-
merois pas qu'on lui donnât un m^étier
conforme à fes inclinations ; qu'il ap-
prît , par exemple , à faire des inflru-
mens de mathématiques , des lunettes,
des télefcopes , &c.
Quand Emile apprendra fon mé-
tier , je veux l'apprendre avec lui ; car
je fuis convaincu qu'il n'apprendra ja-
mais bien que ce que nous appren-
drons enfemble. Nous nous mettrons
donc tous deux en apprentilTage , &
nous ne prétendrons point être traités
t^2 Emile,
en Mefîîeiirs, mais en vrais apprentifs^
qui ne le ionc pas pour rire : pourquoi
ne le ferions-nous pas tout de bon ? Le
Czar Pierre écoit charpentier au chan-
tier, & tambour dans les propres trou-
pes : penfez - vous que ce Prince ne
vous valût pas par la naifi'ance ou par
le mérite ? Vous comprenez que ce
n'eft point à Emile que je dis cela ;
c'eft à vous, qui que vous puiiîiez être.
Malheureufement nous ne pouvons
pafler tout notre tems à l'établi. Nous
ne fommes pas feulement apprentie
ouvriers, nous fommesapprentifs hom-
mes ; & l'apprentilTage de ce dernier
métier ei\ plus pénible & plus long
que l'autre. Comment ferons - nous
donc? Prendrons-nous un maître de
rabot une heure par jour comme on
prend un maître à danfer ? Non , nous
ne ferions pas des .apprenti fs , mais
des dilciples; 6c notre ambition n'eft
pas tant d'apprendre la menuiferic^
Ou DE l'Éducation. 145
aue de nous élever à l'état de ménuifier.
Je Tuis donc d'avis que nous allions
routes les iemaines une ou deux fois ,
au moins , palier la journée entière
chez le maître , que nous nous levions
à fon heure , que nous foyons à l'ou-
vrage avant lui , que nous mangions
à fa table, que nous travaillions fous
fes ordres : & qu'après avoir eu l'hon-
neur de fouper avec fa famille , nous
retournions , fi nous voulons , cou-
cher dans nos lits durs. Voilà com-
ment on apprend plufieurs métiers à
la fois , & comm.ent on s'exerce au
travail des mains , fans négliger l'autre
apprentiHàge.
Soyons fimples en faifant bien. N'al-
lons pas reproduire la vanité par nos
foins pour lacombattre. S'enorgueillir
d'avoir vaincu les préjugés , c'efl s'y
foumettre. On dit que par un ancien
ufage de la Maifon Ottomane , le
Grand Seigneur efl obligé de travail-
144 Emile,
1er de fes mains , & chacun fait que
les ouvrages d'une main royale ne peu-
vent être que des chef-d'œuvres. Il
diftribue donc magnifiquement ces
chef-d'œuvres aux Grands de la Porte;
& l'ouvrage efl payé félon la qualité
de l'ouvrier. Ce que je vois de mal à
cela n'ell pas cette prétendue vexation;
car , au contraire , elle eft un bien.
En forçant les Grands de partager avec
lui les dépouilles du peuple, le Prince
ell d'autant moins obligé de piller le
peuple diredement. C'elt un foula-
gement nécelfaire au defpotifme , &
fans lequel cet horrible Gouvernement
ne fauroit fubfifler.
Le vrai mal d'un pareil ufage , efl
l'idée qu'il donne à ce pauvre homme
de fon mérite. Comme le Roi Midas,
il voit changer en or tout ce qu'il tou-
che ; mais il n'arperçoit pas quelles
oreilles cela fait pouller. Pour en con-
ferver de courtes à notre Emile , pré-
fervoi^
ou DE l'Éducation. 145
férvons fes mains de ce riche talent ;
que ce qu'il fait ne tire pas fon prix
de l'ouvrier , mais de l'ouvrage. Ne
fouffrons jamais qu'on juge du fien
qu'en le comparant à celui des bons
maîtres. Que fon travail foit prifé par
le travail même , & non parce qu'il
efl de lui. Dites de ce qui ell bien fait,
voilà qui ejl bienfait ; mais n'ajoutez
point, qui ejl ce qui a fait cela ? S'il dit
lui-même d'un air fier & content de
lui j c'efl moi qui V ai fuit ; ajoutez froi-
dement ; vous ou un autre , il iiim"
porte \ cefl toujours un travail bien fait.
Bonne mère , préferve-toi fur-tout
des menfonges qu'on te prépare. Si
ton fils fait beaucoup de chofes , défie-
toi de tout ce qu'il fait : s'il a le mal-
heur d'être élevé dans Paris & d'être
riche , il eft perdu. Tant qu'il s'y
trouvera d'habiles artiftes, il aura tous
leurs talens ; mais loin d'eux , il n'en
aura plus. A Paris le riche fait tout ;
Tome II» K.
Ï46 EMILE,
il n'y a d'ignorant que le pauvre. Cette
capitale eil pleine d'amateurs 6c fur-
tout d'amatrices qui font leurs ouvra-
ges comme M. Guillaume inventoit les
couleurs. Je connois à ceci trois excep-.
tions honorables parmi les hommes ,
il y en peut avoir davantage ; mais je
n'en connois aucune parmi les fem-
mes, & je doute qu'il y en ait. En gé-
néral on acquiert un nom dans les arts
comme dans la robe ; on devient artifle
6c juge des artifles comme on devient
Dodleur en droit 6c Magiftrat.
Si donc il étoic une fois établi qu'il
eft beau de favoir un métier , vos en-
fans le fauroient bientôt fans l'appren-
dre : ils palTeroient maîtres comme les
Confeillers de Zurich. Point de tout
ce cérémonial pour Emile ; point d'ap-
parence 6c toujours de la réalité. Qu'on
ne dife pas qu'il fait ; mais qu'il ap-
prenne en filence. Qu'il fade toujours
fon chef-d'œuvre , 6c que jamais il ne
ou DE l'Éducation. 14^
pafie maître ; qu'il ne fe montre pas
ouvrier par Ion titre , mais par fon
travail.
Si jufqu'ici je me fuis fait entendre ,
on doit concevoir comment avec l'ha-
bitude de l'exercice du corps &. du tra-
vail des mains , je donne inienfibie-
ment à mon élevé le goût de la ré-
flexion & de la méditation, pour ba-
lancer en lui la pareiTe qui réfukeroic
de fon indiiîerence pour les jugemens
des hommes , & du calme de fes pat-
fions. Il faut qu'il travaille en payfan ,
& qu'il penfe en philofophe , pour
n'être pas aufli fainéant qu'un fauvage.
Le grand fecret de l'éducation e(ï de
faire que les exercices du corps &
ceux de l'efprit fervent toujours de
délaflTement les uns aux autres.
Mais gardons-nous d'anticiper fur
les indrudions qui demandent un ef-
prit plus mûr. Emile ne fera pas long-
cems ouvrier , fans reiî'entir par lui-
K 2.
148 ÉmILE)
thème l'inégalité des conditions, qu'il
n'avoit d'abord qu'apperçue. Sur les
maximes que je lui donne & qui font à
fa portée il voudra m'examiner à mon
tour. En recevant tout de moi feul ,
en fe voyant fi près de l'état des pau-
vres , il voudra favoir pourquoi j'en
fuis fi loin. Il me fera peut-être , au
dépourvu , des que/lions fcabreufes.
Jy'ous êtes riche , vous pie l'uve^ dit,
&je le vois. Un riche doit aujfi fon trj.-
yail à la. focicté , fui [qu'il cjl homme.
JMais vous f que faites vous donc pour
elle ? Que diroit à cela un beau gou-
verneur ? je l'ignore. Il feroit peut-
être alfez foc pour parler à l'enfant
des foins qu'il lui rend. Quant à moi>
Tactelier me tire d'affaire, l^'cilà , cher
Emile y une excellente quejîion. Je vous
promets d'y répondre pour moi , quand
yous y fere:^ pour vous-même une re'ponje
dont vous Joye:^ content. En attendant
.j'aurai foin de rendre à vous & aux
ou DE l'Éducation. 14^
pauvres ce que j'ai de trop y & de faire
une table ou un banc par ftinaine , afiji
de n'être pas tout à fait inutile à tout.
Nous voici revenus à nous - mêmes.
Voilà notre enfant, prêt à celTer de
l'être, rentré dans fon individu. Le
voilà Tentant plus que jamais la néceffi-
té qui l'attache aux chofes. Après avojr
commencé par exercer fon corps &
fes fens , nous avons exercé fon efprit
& fon jugement. Enfin nous avons
réuni l'ufage de fes membres à celui
de fes facultés. Nous avons fait un être
agiifant & penfant ; il ne nous relie
plus , pour achever l'homme , que de
faire un être aimant & fenfible ; c'eft-
à-dire de perfedionner la raifon par le
fentiment. Mais avant d'entrer dans ce
nouvel ordre de chofes , jettons les
yeux fur celui d'où nous fortons , &
voyons le plus exademcnt qu'il e^i
poiïible juiqu'où nous fommes parve-
nus.
Î50 Emîle,
Notre é4evc n'avoir d'abord que des
fenlacions , maintenant ii a des idées ;
il ne faifoit que fentir , maintenant il
juge. Car de la comparailbn de plu-
fieurs fcnfations fuccelTives ou fimulta-
nées , & du jugement qu'on en porte,
naît une forte de fenfarioa mixte ou
complexe , que j'appelle idée.
La manière de formeriez idées efl
ce qui donne un caractère à Tefprit hu-
main. L'efprit qui ne forme fes idées
que fur des rapports réels, efl un efprit
folide ; celui qui fe contente des rap-
ports apparens, efl un efprit fuperfi-
ciel : celui qui voit les rapports tels
qu'ils font, eft un efprit jufte ; celui
qui les apprécie mal , efc un efpric
iliux : celui qui controuve des rapports
imaginaires qui n'ont ni réalité ni ap-
parence, en un fou; celui qui ne com-
pare point , eft un imbécille. L'apti-
tude plus ou inoins grande à comparer
dcj idées 6l à trouver des rapports, c(k
OCJ DE L*ÉduCATION. I 5 I
ce qui fait dans les hommes le plus ou
le moins d'efprit , &:c.
Les idées (impies ne font que des
ienfations comparées. Il y a des juge-
mens dans les fimples fenfacions auflî
bien que dans les fenfacions complexes
que j'appelle idées iimples. Dans la
fenfacion , le jugement eft purement
paiTif, il affirme qu'on fenc ce qu'on
fenc. Dans la perception ou idée , le
jugement efl adif ; il rapproche , il
compare , il détermine des rapports
que le fens ne détermine pas. Voilà
toute la différence , mais elle eft gran-
de. Jamais la Nature ne nous trom-
pe ; c'efl toujours nous qui nous trom-
pons.
Je vois fervir à un enfant de huit ans
d'un fromage glacé. Il porte la cuil-
lier à fa bouche , flms favoir ce que
c'eft , (Se faifi du froid , s'écrie : ^^i 1
ceLi me brûle ! Il éprouve une fenfà-
tion très- vive; il n'en connoit point
K4
152 Emile,
de plus vive qu^ la chaleur du feu , &■
il croit fencir celle-là. Cependant il
s'abufe ; le faififlement du froid le
blelTe , mais il ne le brûle pas , & ces
deux fenfations ne font pas fembla-
bles , puifque ceux qui ont éprouve
l'une (5c l'autre ne les confondent point.
Ce n'eil donc pas la fenfation qui le
trompe , mais le jugement qu'il en
porte.
Il en ell: de même de celui qui voit,
pour la première fois , un miroir ou
une machine d'optique, ou qui entre
dans une cave profonde , au cœur de
l'hiver ou de Tété , ou qui trempe dans
l'eau tiède une main très -chaude ou
très - froide , ou aui fait rouler en-
tre deux doigts croifésune petite bou-
le, &.C. s'il fe contente de dire ce qu'il
apperçoit, ce qu'il fent, fon jugement
étant purement pafîîf, il eft impoiïi-
ble qu'il le trompe ; m.ais quand il
juge de la chofe par l'apparence , il eil
ou DE L-ÉduCATION. 15^
actif, il compare , il établie par in-
duclion des rapports qu'il n'apper-
çoit pas , alors il fe trompe ou peut
fe tromper. Pour corriger ou pré-
venir l'erreur , il a beioin de l'ex-
périence.
Montrez de nuit à votre élevé des
nuages pafiant entre la lune êç lui , il
croira que c'efl la lune qui paile en
fens contraire , & que les nuages font
arrêtés. Il le croira par une indudion
précipitée , parce qu'il voit ordinaire-
ment les petits objets fe mouvoir pré-
ferablement aux grands, ôc que les
nuages lui femblent plus grands que la
lune dont il ne peut eilimer l'éloigné^
ment. Lorfque dans un bateau qui
vogue , il regarde d'un peu loin le
rivage , il tombe dans l'erreur contrai-
re , &: croit voir courir la terre, parce
que ne fe fentant point en mouve-
ment il regarde le bateau, la mer ou
la rivière, 6c tout fon horizon , com-
Î54 Emile,
me un tout îmmobile dont le rivage
qu'il voie courir ne lui femble qu'une
partie.
La première fois qu'un enfant voit
un bâton à moitié plongé dans l'eau , il
voit un bâton brifé , la fenfation efl:
vraie ; & elle ne lailleroit pas de l'être,
quand même nous ne faurions point la
raifon de cette a.pparence. Si donc vous
lui demandez ce qu'il voit, il dit : un
bâton brifé, &: il dit vrai ; car il eH très-
fûr qu'il a la fenfation d'un bâton brifé.
Mais quand trompé par fon jugement,
il va plus loin , 6c qu'après avoir affir-
mé qu'il voit un bâton brifé, il affirme
encore que ce qu'il voit eft en effet un
bâton brifé , alors il dit faux : pour-
quoi cela ? Parce qu'alors il devient
aclif , & qu'il ne juge plus par infpec-
tion, mais par indudion , en affirmant
ce qu'il ne fent pas , favoir que le ju-
gement qu'il reçoit par un fens fcroic
confirmé par un autre.
ou DE l'Éducation. 15^
Puifque toutes nos erreurs viennent
de nos jugemens , il eii clair que i\ nous
n'avions jamais befoin de juger , nous
n'aurions nul befoin d'apprendre ; nous
ne ferions jamais dans le cas de nous
tromper ; nous ferions plus heureux de
notre ignorance que nous ne pouvons
l'être de notre favoir. Qui efl-ce qui
nie que les favansne fâchent mille cho-
fes vraies que les ignorans ne fauronc
jamaisfLesfavans font-ils pour cela plus
près de la vérité ? Tout au contraire ;
ils s'en éloignent en avançant , parce
que la vanité de juger faifant encore
plus de progrès que les lumières , cha-
que vérité qu'ils apprennent ne vient
qu'avec cent jugemens faux. Il eft de
la dernière évidence que les compa-
gnies favantes de l'Europe ne font que
de3 écoles publiques de menfonges; &
très-fûrement il y a plus d'erreurs dans
l'Académie des Sciences que dans touc
un peuple de Hurons.
■î^
1^6 hMILE,
Puifque plus les hommes faventj,,
plus ils fe trompent ; le feul moyen
d'éviter l'erreur ell Tignorance. Ne
jugez point , vous ne vous abuferez
jamais ? C'eft la leçon de la Nature
aufll-bien que de la raifon. Hors les
rapports immédiats en très-petit nom-
bre 5c très-fenlibles que les choies ont
avec nous, nous n'avons naturellement
qu'une profonde indifférence pour toyc
le relie. Un Sauvage ne tourneroit pas
le pied pour aller voir le jeu de la plus
belle machine , 6c tous les prodiges de
l'éledlricité. Q^ue m'importe ? eft le mot
le plus familier à l'ignorant , ê<. le plus
convenable au fage.
A'Iais malheureufement ce mot ne
nous va plus. Tout nous importe de-
puis que nous fommes dépendans de
tout ; & notre curiofité s'étend néceiTai-
rement avec nos befoins. Voilà pour-
quoi j'en donne une très-grande au Phi-
Jofophe &L n'en, donne point au Sauva.-
ou DE l'Éducation. 157
S-e. Celui-ci n'a befoin de perfonne ;
l'autre a befoin de tout le monde , ôc
flir-tout d'admirateurs.
On me dira que je fors de la Nature;
je n'en crois rien. Elle choifit fes inf-
trumens & les régie , non fur l'opi-
nion , mais fur le befoin. Or les be-
foins changent félon la fituation des
hommes. Il y a bien de la différence
entre l'homme naturel vivant dans
l'état de Nature , & l'homme naturel
vivant dans l'état de fociécé. Emile
n'eft pas un fauvage à reléguer dans les
déferts; c'eft un fauvage fait pour ha-
biter les villes. Il faut qu'il fâche y
trouver fon néceflaire , tirer parti de
leurs habitans ; & vivre , finon comme
eux , du moins avec eux.
Puifqu'au milieu de tant de rap-
ports nouveaux , dont il va dépendre ,
il faudra malgré lui qu'il juge , appre-
fions-lui donc à bien juger.
La meilleure manière d'apprendre
Î58 Emile,
à bien juger , eft celle qui tend le plus
à fimplifier nos expériences, ôc à pou-
voir même nous en palier fans tomber
dans l'erreur. D'où il fuit qu'après
avoir long-tems vérifié les rapports
des fens l'un par l'autre , il faut encore
apprendre à vérifier les rapports de
chaque fens par lui-même , fans avoir
befoin de recourir à un autre fens ;
alors chaque fenfation deviendra pour
nous une idée , ôc cette idée fera tou-
jours conforme à la vérité. Telle eft
la forte d'acquis dont j'ai tâché de
remplir ce troifiéme âge de la vie
humaine.
Cette manière de procéder exige
une patience Sz une circonfpedion
dont peu de maîtres font capables , &
fans laquelle jamais le difciple n'ap-
prendra à juger. Si , par exemple ,
lorfque celui-ci s'abufe fur l'apparence
du bâton brifé , pour lui montrer fon
erreur vous vous preilez de tirer le
ou DE l'Education. 159
lîâton hors de l'eau , vous le détrom-
perez peut-être ; mais que lui appren-
drez-vous r Kien que ce qu'il auroic
bientôt appris de lui-même. Oh que
ce n'ell pas-là ce qu'il faut faire ! Il
s'agit moins de lui apprendre une vé-
rité , que de lui montrer comment il •
faut s'y prendre pour découvrir tou-
jours la vérité. Pour mieux l'inflr uire ,
il ne faut pas le détromper fi-tot. Pre-
nons Emile & moi pour exemple.
Premièrement , à la féconde des
deux queflions fuppofées , tout enfant
élevé à l'ordinaire ne manquera pas
de répondre affirmativement. C'efl •
fûrement , dira-t-il , un bâton brifé.
Je doute fort qu'Emile me falTe la mê-
me réponfe. Ne voyant point la né-
celTité d'être favant ni de le paroitre,
il n'ell jamais prelfé de juger ; il ne
juge que fur l'évidence , & il efl bien
éloigné de la trouver dans cette occa-
fion , lui qui fait combien nos juge-
ï6o Emile,
rnens fur les apparences font fujets à
l'illufion , ne fù:-ce que dans la perf=
peilive.
D'ailleurs, comme il fait par expé-
rience que mes queftions les plus fri-
voles ont toujours quelque objet qu'il
•n'apperçoit pas d'abord , il n'a point
pris l'habitude d'y répondre étourdi-
ment. Au contraire , il s'en défie , il
s'y rend attentif, il les examine avec
grand foin avant d'y répondre. Jamais
il ne me fait de réponfe qu'il n'en foit
content lui-même ; 6c il eft difficile à
contenter. Enfin nous ne nous piquons
'ri lui ni moi de favoir la vérité des
chofes ; mais feulement de ne pas don-
ner dans l'erreur. Nous ferions bien
plus confus de nous payer d'une raifon
qui n'efl: pas bonne , que de n'en point
trouver du tout. Je ne fuis , eft un mot
qui nous va fi bien à tous deux , & que
nous répetons fi fouvent , qu'il ne coûté
plus rien à l'un ni à l'autre. Mais foit
que
bu DE l'Éducation. i^ï
que cette étourderie lui échappe , où
qu'il l'évite par notre commode ye /ze
fais , ma réplique ell la même; voyons^
examinons.
Ce bâton qui trempe à moitié dans
l'eau , eft fixé dans une fituation per-
pendiculaire. Pour favoir s'il efl bri-
fé , comme il le paroît , que de chofes
n'avons-nous pas à faire avant de le ti-
rer de l'eau , ou avant d'y porter la
main ?
1°. D'abord nous tournons tout au-
tour du bâton , 6c nous voyons que !a
brifure tourne comme nous. C'efldonc
notre œil feul qui la change , &: les
regards ne remuent pas les corps.
2.°. Nous regardons bien à plomb
fur le bout du bâton qui eft hors de
l'eau , alors le bâton n'eft plus courbe ,
le bout voifin de notre œil nous cache
exadement l'autre bout. Notre œil
a-t-il redreiTé le bâton ?
3°. Nous agitons la furface de l'eau,
Tome IL L
10 2 Emile,
nous voyons le bâton fe plier en pîû-
fieurs pièces , fe mouvoir en zigzag ,
6c fuivre les ondulations de l'eau. Le
mouvement que nous donnons à cette
eau luffir-il pour brifer , amollir <Sc
fondre ainfi le bâton ?
jÇ. Nous faifons écouler l'eau , &
nous voyons le bâton fe redreifer
pèu-à-peu à iîiefure que l'eau bailTe.
N'en voilà-t-il pas pltis qu'il ne faut
pour éclaircir le fait ôc trouver la
réfradion? Il n'eft donc pas vrai que
lu vue nous trompe -, puifque nous
n'avons befoin que d'elle feule pour
redifier les erreurs que nous lui at-
tribuons.
Suppofons l'enfant alTez ftupide pour
rie pas fentir le réfultat de ces expé-
riences; c'efl: alors qu'il faut appeller
le toucher au fccours de la vue. Au
lieu de tirer le bâton hors de l'eau ,
laiifez-le dans fa fituation ; & que l'en-
fant y palTe la main d'un bout à l'autre ,
ou DE l'Éducation. 165
il ne fentira point d'angle : le bâton
n'efl donc pas brifé.
Vous me direz qu'il n'y a pas feule-
ment ici des jugemens ; mais des rai-
fonnemens en forme. Il eft vrai ; mais
ne voyez-vous pas que fi-tôt que l'ef-
prit cft parvenu jufqu'aux idées , tout
jugement eÙ. un raifonnement, La
confcience de toute fenfation efl une
propofition, un jugement. Doncfi-tôt
que l'on compare une fenfation à une
autre , on raifonne. L'art de juger
& l'art de raifonner , font exadement
le même.
Emile ne faura jamais la dioptri-
que , ou je veux qu'il l'apprenne au-
tour de ce bâton. Il n'aura point diifé-
qué d'infedes ; il n'aura point compté
les taches du foleil ; il ne faura ce que
c'eft qu'un microfcope & un télef-
cope. Vos doâ:es élevés fe moque-
ront de fon ignorance. Ils n'auront pas
tort ; car avant de fe fervir de ces
L 5
1^4 Emile,
inftrumens , j'entends qu'il les inventé
& vous vous doutez bien que cela ne
viendra pas fi-tôt.
Voilà refprit de route ma méthode
dans cette partie. Si l'enfant fait rou-
ler une petite boule entre deux doigts
croifés , ôc qu'il crôye fentir deux bou-
les, je ne lui permettrai point d'y re-
garder , qu'auparavant il ne foit con-
vaincu qu'il "n'y en a qu'une.
Ces cclairciiTemens fuffiront , je
penfe , pour marquer nettement le
progrès qu'a fait jufqu'ici l'elprit de
mon cleve , & la route par laquelle
il a fuivi ce progrès. Mais vous êtes
elTrayés , peut-ctre , de la quantité de
chofes que j'ai fait palTer devant lui.
Vous craignez que je n'accable fon
efprit fous ces multitudes de connoiC-
fances. C'efl: tout le contraire ; je lui
apprends bien plus à les ignorer qu'à
les favoir. Je lui montre la route de
la fcicnce aifée , à la vérité ; mais
ou DE l'Êditcation. I 6%
longue , immenfe , lente à parcourir.
Je lui fais faire les premiers pas pour
qu'il reconnoiife l'encrée ; mais je ne
lui permets jamais d'aller loin.
Forcé d'apprendre de lui-même,
il ufe de fa raifon & non de celle d'au-
trui ; car pour ne rien donner à l'opi-
nion, il ne faut rien donner à l'autori-
té , & la plupart de nos erreurs nous
viennent bien moins de nous que des
autres. De cçt exercice continuel il
doit réfuker une vigueur d'efprit ,
femblable à celle qu'on donne au corps
parle travail & par la. fatigue. Urî
autre avantage , efl: qu'on n'avance
qu'à proportion de fes forces. L'efprit,
non plus que le corps , ne porte que
ce qu'il peut porter. Quand l'entende-
inent s'approprie les chofes avant de
les dépofer dans la mémoire , ce qu'il
en tire enfuite ell à lui. Au lieu qu'en
furchargeant la mémoire à fon infçu ,
on s'expofe à n'en jamais rien tirer qui
lui foit Dropre. L ^
'%66 Emile,
Emile a peu de connoiiïances , maïs
celles qu'il a font véritablement Tien-
nes ; il ne fait rien à demi. Dans le
petit nombre des chofes qu'il fait , 6ç
qu'il fait bien , la plus importante eft,
qu'il y en a beaucoup qu'il ignore ôc
qu'il peut favoir un jour , beaucoup
plus que d'autres hommes favent &
qu'il ne faura de fa vie, & une infinité
d'autres , qu'aucun homme ne faura
jamais. Il a un efprit ilniverfel , non
par les lum^ieres , mais par la faculté,
d'en acquérir ; un efprit ouvert, in-
telligent, prêt atout, & , comme
dit Montagne , fi - non inllruit , du
moins inftruifable. Il me fuffit qu'il
fâche trouver l'a (juoi bon , fur tout ce
qu'il fait, & \q pourquoi , fur tout ce
qu'il croit. Encore une fois , mon ob-
jet n'eft point de lui donner la fcien-
ce , mais de lui apprendre à l'acquciir
au befoin , de la lui faire eilimer exac-
tement ce qu'elle vaut , 6c de lui faire
ou DE l'Education, i 67
aimer la vérité par-deffus tout. Avec
cette méthode on avance peu , mais
on ne fait jamais un pas inutile, & l'on
n'efl point forcé de rétrograder.
Emile n'a que des connoiflances na-
turelles 6c purement phyfiques. Il ne
fait pas même le nom de l'hiftoire ,
ni ce que c'efl que métapiiyfique &
morale. Il connoît les rapports efien--
tiels de l'homme aux chofes, mais nul
des rapports moraux de l'homme à
l'homme. Il fait peu géneralifer d'i-
dées , peu faire d'abftraâiions. Il voie
des qualités communes à certains corps
fans raifonner fur ces qualités en elles-
mêmes. Il connoît l'étendue abilraite
à l'aide des figures de la géométrie ,
il connoît la quantité abflraite à l'aide
des fignes de l'algèbre. Ces figures êc
ces fignes font les fupports de ces abf-
tradions , fur lefquels fes fens fe repo-
fent. Il ne cherche point à connoître
les chofes par leur nature , mais feu-
h 4
j6S Emile,
iement par les relations qui l'intéreA
fent. Il n'ellime ce qui lui eft étran-
ger que par rapport à lui ; mais cette
eflimation eft exade & fûre. La fan-
taifie , la convention n'y entrent pour
rien. Il fait plus de cas de ce qui lui
eft plus utile , & ne fe départant ja-
mais de cette manière d'apprécier , il
ne donne rien à l'opinion.
Emile eft laborieux , tempérant ,
patient, ferme, plein de courage.
Son imagination nullement allumée
ne lui grolfit jamais les dangers ; il eft
fenlible à peu de maux , <Sc il fait fouf-
frir avec conltance , parce qu'il n'a
point appris à difputer contre la defti-
née. A l'égard de la mort, il ne fait
pas encore bien ce que c'eft ; mais ac-
coutumé à fubir fans réfiftance la loi
de la nécelfité , quand il faudra mou-
rir , il mourra fans gémir & fans fe
débattre ; c'eft tout ce que la Nature
permet dans ce moment abhorré de
ou DE L KDUCATION. I69,
tous. Vivre libre <Sc peu tenir aux cho:-
fes humaines , eft le meilleur moyen
d'apprendre à mourir.
En un mot , Emile a de la vertu
tout ce qui fe rapporte à lui-même.
Pour avoir aufTi les vertus fociales , il
lui manque uniquement de connoîcre
les relations qui les exigent , il lui
manque uniquement des lumières que
fon efprit efl tout prêt à recevoir.
Il le confidere fans égard aux autres,
^ trouve bon que les autres ne penfent
point à lui II n'exige rien de perfon-
ne, & ne croit rien devoir à perfonne.
Il eft feul dans la fociété humaine ,
il ne compte que fur lui feul. Il a
droit auffi plus qu'un autre de compter
fur lui-même , car il efl tout ce qu'on
peut être à fon âge. Il n'a point d'er-
reurs ou n'a que celles qui nous font
inévitables ; il n'a point de vices ou
n'a que ceux dont nul homme ne peut
fe garantir. 11 a le corps fain , les mem-
ijo Emile,
bres agiles , l'efprit jufle 6c fans pré-
jugés , le cœur libre & fans palfions.
L'amour - propre , la première & la
plus naturelle de toutes , y eft encore
à peine exalté. Sans troubler le repos
de perfonne , il a vécu content, heu-
reux Se libre autant que la Nature l'a
permis. Trouvez -vous qu'un enfant
ainfi parvenu à fa quinzième année
ait perdu les précédentes ?
Fin du Liyre troijiéme.
ou DE l'Education. ijt
LIVRE IV.
V^ U E nous paflbns rapidement fur
cetce terre ! le premier quart de la
vie eft écoulé , avant qu'on en con-
noilTe l'ufage; le dernier quart s'écoule
encore , après qu'on a ceiié d'en jouir.
D'abord nous ne favons point vivre :
bientôt nous ne le pouvons plus ; & ,
dans l'intervalle qui fépare ces deux
extrémités inutiles , les trois quarts du
tems qui nous refte font confumés par
le fommeil , par le travail , par la
douleur , par la contrainte , par les
peines de toute efpece. La vie eft
courte , moins par le peu de tems
qu'elle dure , que parce que , de ce
peu de tems , nous n'en avons prefque
point pour la goûter. L'inflant de la
mort a beau être éloigné de celui de la
nailTance , la vie eft toujours trop cour-
te , quand cet efpace ell mal rempli.
ï7^ Emile,
Nous naiflons , pour ainfi dire , en
deux fois : l'une pour exifter , & l'au-
tre pour vivre ; l'une pour l'erpece ,
Se l'autre pour le fexe. Ceux qui re-
gardent la femme comme un homme
imparfait ont tort , fans doute ; mais
l'analogie extérieure ell pour eux.
Juiqu'à l'âge nubile, les enfans des
deux fexes n'ont rien d'apparent qui
les diflingue ; même vifage , même
figure , même teint , même voix , tout;
efl égal ; les filles font des enfans, les
garçons font des enfans ; le même nom
fuffit à des êtres fi femblables. Les
mâles en qui l'on empoche le déve^
loppement ultérieur du fexe gardent
cette conformité toute leur vie ; ils
font toujours de grands enfans : & les
femmes ne perdant point cette mcmç
conformité , femblent , à bien des
égards , ne jamais être autre chofe.
Mais l'homme en général n'efl: pas
Élit pour refter toujours dans l'enfance.
ou DE l'Éducation. 175
îl en fort au tems prefcrit par la Na-
ture, 6c ce moment de crife, bien
Tqu'afTez court, a de longues influences.
Comme le mugiiïement de la mer
précède de loin la tempête, cette ora-
geufe révolution s'annonce par le mur-
mure des paillons nailTantes : une fer-
mentation fourde avertit de l'approche
du danger. Un changement dans l'hu-
meur , des emportemens fréquens ,
une continuelle agitation d'efprit,
rendent l'enfant prefque indifciplina-
ble. Il devient fourd à la voix qui le
rendoit docile : c'eft un lion dans fa
fièvre; il méconnoît fon guide, il ne
veut plus être gouverné.
Aux lignes moraux d'une humeur
qui s'altère , fe joignent des change-
mens fenfibles dans la figure. Sa phy-
fior.omie fe développe & s'empreint
d'un caraélere ; le coton rare & doux
qui croît au bas de fes joues brunit &
prend delà confiilance. Sa voix mue,
Ï74 Emile 9
ou plutôt il la perd : il n'eft ni enfant
ni homme & ne peut prendre le ton
d'aucun des deux. Ses yeux , ces or-
ganes de l'ame , qui n'ont rien dit juf-
qu'ici, trouvent un langage <Sc de l'ex-
preffion ; un feu nailfant les anime ,
leurs regards plus vits ont encore une
fainte innocence , mais ils n'ont plus
leur première imbécillité : il fent déjà
qu'ils peuvent trop dire, il commence
à favoir les bailler & rougir; il devienc
fenfible , avant de favoir ce qu'il fent ;
il eft inquiet fans raifonde l'être. Tout
cela peut venir lentement & vous laif-
fer du tems encore ; mais fi fa vivacité
fe rend trop impatiente , fi fon em-
portement fe change en fureur , s'il
s'irrite & s'attendrit d'un înflant à l'au-
tre , s'il verfe des pleurs fans fujet , fi,
près des objets qui commencent à de-
venir dangereux pour lui , fon pouls
s'élève & fon œil s'enflamme, fi la main
d'une femme fe pofant fur la fienne lé
°0u DE l'Éducation. 175
fait frilTonner , s'il fe trouble ou s'inti-
mide auprès d'elle ; UlyiTe , 6 fage
Ulyiïe ! prends garde à toi ; les outres
que tu fermois avec tant de foin font
ouvertes ; les vents font déjà déchaî-
nés ; ne quitte plus un moment le
gouvernail , ou tout eft perdu.
C'eft ici la féconde nailîànce dont
j'ai parlé ; c'efl ici que l'homme naîc
véritablement àla vie , &. que rien d'hu-
main n'ell étranger à lui. Jufqu'ici nos
foins n'ont été que des jeux d'enfant , ils
ne prennent qu'à préfent une véritable
importance. Cette époque, oùfiniiïent
les éducations ordinaires , çft propre-
ment celle où la notre doit commen-
cer : mais pour bien expofer ce nouveau
plan , reprenons de plus haut l'état des
■chofes qui s'y rapportent.
Nos pafTions font les principaux inf-
trumens de notre confervation ; c'efl
donc une entreprife aufïï vaine que
ridicule de vouloir les détruire ; c'efl
ijS Emile,
controller la Nature , c'efl réformer
l'ouvrage de Dieu. Si Dieu diibit à
l'homme d'anéantir les paillons qu'il
lui donne , Dieu voudroic &; ne vou-
droit pas, il Ce contrediroit lui-même.
Jamais il n'a donné cet ordre infenfé,
rien de pareil n'eft écrit dans le cœur
humain ; & ce que Dieu veut qu'un
homme falTe , il ne le lui fait pas dire
par un autre homme , il le lui dit lui-
même , il récrit au fond de fon cœur.
Or je trouverois celui qui voudroit
empêcher les partions de naître, pref-
qu'auffi fou que celui qui voudroit les
anéantir ; 6c ceux qui croiroient que
tel a été mon projet jufqu ici , m'au-
roient fûrement fort mal entendu.
Mais raifonneroit-on bien, fi, de ce
qu'il efl dans la nature de l'homme
d'avoir des partions, onalloitconclurre
que toutes les partions que nous fentons
en nous , & que nous voyons dans les
autres , font naturelles ï Leur fource
ou DE l'Éducation. 177
efl naturelle , il efl vrai ; mais mille
ruilTeaux étrangers l'ont groiïie ; c'eft
un grand fleuve qui s'accroît fans ceiTe,
& dans lequel on retrouveroit à peine
quelques gouttes de fes premières eaux.
Nos paffions naturelles font très -bor-
nées ; elles font les inilrumens de no-
tre liberté , elles tendent à nous con-
ferver. Toutes celles qui nous fubju-
guent ôc nous détruifent , nous vien-
nent d'ailleurs ; la Nature ne nous les
donne pas, nous nous les approprions
à fon préjudice.
La fource de nos pafîions , l'origine
&; le principe de toutes les autres , la
feule qui naît avec l'homme & ne le
quitte jamais tant qu'il vit , eft l'amour
de foi : paffion primitive , innée, an-
térieure à toute autre , &z dont toutes
les autres ne foret , en un fens , que des
modifications. En ce fens toutes , (i
l'on veut , font naturelles. Mais la plu-
part de ces modifications ont des cail-
Tome II, M
178 Émîle,
fes étrangères , lans lefquelles elles
n'auroient jamais lieu ; & ces mêmes
modifications , loin de nous être avan-
tageufes , nous font nuifibles ; elles
changent le premier objet , & vont
contre leur principe : c'eft alors que
l'homme fe trouve hors de la Nature ,
«Se fe met en contradidlion avec foi.
L'amour de foi-même efh toujours
bon «5c toujours conforme à l'ordre.
Chacun étant chargé fpécialement de
fa propre confcrvation , le premier 5c
le plus important de fes foins , eft ,- 6c
doit être , d'y veiller fans cefle ; Se com-
ment y veilleroit-il ainfi , s'il n'y pre-
noit le plus grand intérêt r
Il faut donc que nous nous aimions
pour nous conferver ; & par une iuite
immédiate du même fentiment , nous
aimons ce qui nous conferve. Tout en-
fant s'attache à fa nourrice : Romulus
devoit s'attacher à la Louve qui l'avoic
allaité. D'abord cet attachement etl
ou DE l'Éducation. 179
purement machinal. Ce qui favorife
le bien - erre d un individu l'attire ,
ce qui lui nuit le repouiïe ; ce n'efl-
là qu'un inftind aveugle. Ce qui trans-
forme cet initind en fentiment , l'at-
tachement en amour , l'averfion en
haine , c'eft l'intention manifeflée de
nous nuire ou de nous être utile. On
ne fe paiïionne pas pour les êtres in-
fendblesqui ne fuivent que l'impuliion
qu'on leur donne ; mais ceux dont on
attend du bien ou du mal par leur dit-
pofition intérieure , par leur volonté ,
ceux que nous voyons agir librement
pour ou contre , nous infpirent des
fentimensfemblables à ceux qu'ils nous
montrent. Ce qui nous fert , on le
cherche; mais ce qui nous veut fervir,
on l'aime : ce qui nous nuit , on le fuit ;
mais ce qui nous veut nuire , on le hait.
Le premier fentiment d'un enfanc
eft de s'aimer lui-même ; ôc le fécond^
qui dérive du premier , eli d'aimer
M z
î8ô Emile,
ceux qui l'approchent ; car dans l'état
de foiblefle oii il eft , il ne connoîr
perfonne que par l'afliilance Se les foins
qu'il reçoit. D'abord l'attachement
qu'il a pour fa nourrice & fa gouver-
nante n'eft qu'habitude. Il les cherche
parce qu'il a befoin d'elles, & qu'il fe
trouve bien de les avoir ; c'eft plutôt
connoilfance que bienveuillance. Il lui
faut beaucoup de tems pour compren-
dre que non-feulement elles lui font
utiles, mais qu'elles veulent l'être ; &
c'e/l alors qu'il commence à les aimer.
Un enfant ed donc naturellement
enclin à la bienveuillance , parce qu'il
voit que tout ce qui l'approche efl
portéàralTirter, <5c qu'il prend de cette
obfervation l'habitude d'un fentiment
favorable à fon eipece ; mais à mefure
qu'il étend fes relations , Ces befoins ,
fes dépendances adives ou paffives ,
le fentiment de fes rapports à autrui
s'éveille, & produit celui des devoirs
ou DE l'Education, i 8 ï
8c des préférences. Alors l'enfant de-
vient impérieux , jaloux , trompeur ,
vindicatif. Si on le plie à l'obéiffance;
ne voyant point l'utilité de ce qu'ot^
lui commande, ill'attribue au caprice,
à l'intention de le tourmenter , & il
fe mutine. Si on lui obéit à lui-même i
aufll-tôt que quelque chofe lui réfifle ,
il y voit une rébellion , une intention
de lui réfifler , il bat la chaife ou la
table pour avoir délbbéi. L'amour de
foi , qui ne regarde qu'à nous, eft con-
tent quand nos vrais befoins font fatis-
faits ; mais l'amour - propre , qui fe
compare , n'efl jamais content & ne
fauroit l'être ; parce que ce fentiment,
en nous préférant aux autres , exige
auffi que les autres nous préfèrent à
eux ; ce qui efl impolTible. Voilà,
comment les padions douces & affec-
tueufes naiiïent de l'amour de foi , &;
comment les paffions haineufes&: iraf-
cibles nailîént de l'amour - propre*.
M 3
î82 Emile,
Ainfi ce qui rend l'homme eiïentieile-
ment bon , eft: d'avoir peu dô befoins &
de peu fe comparer aux autres ; ce qui
le rend eflenciellemeni: méchant, eft
d'avoir beaucoup de belbins & de te-
nir beaucoup à l'opinion. Sur ce prin-
cipe , il eft ailé de voir comment on
peut diriger au bien ou au mal toutes
les paftions des enfans & des hommes.
Il eft vrai que ne pouvant vivre tou-
jours feuls , ils vivront difficilement
toujours bons : cette difficulté même
augmentera nécefiairement avec leurs
relations; &c'eftenceci,ftir-tout, que
les dangers de la fociété nous rendent:
l'art Se les foins plus indifpenfables ,
pour prévenir , dans lecceur humain , la
dépravation qui naît de ics nouveaux
belbins.
L'étude convenable à l'homme eft
celle de Tes rapports. Tant qu'il ne fe
connoît que par fon être phyfique , il
doit s'étudier par fes rapports avec les
ou DE l'Education. 185
chofes ; c'eft l'emploi de fon enfance :
quand il commence à fentir l'on être
moral, il doit s'étudier parfes rapports
avec les hommes ; c'ell l'emploi de fa
vie entière , à commencer au point 011
nous voilà parvenus.
Si-tôt que rhom.mie a befoin d'une
compagne, il n'eft plus un être ifolé ,
fon cœur n'eft plus feul. Toutes fes
relations avec fon efpece , toutes les
affedlions de fon ame naillent avec
celle-là. Sa première paflion fait bien-
tôt fermenter les autres.
Le penchant de rinitinâ: eft indé-
terminé. Un fexe eft attiré vers l'au-
tre, voilà le mouvem.ent de la Nature.
IvC choix, les préférences, l'attache-
ment perfonnel font l'ouvrage des lu-
mières, des préjugés , de l'habitude;
il faut du tems & des connoiiïances .
pour nous rendre capables d'atnour ;
on n'aime qu'après avoir jugé, on ne
préfère qu'après avoir comparé. Ces
M 4
î84 Emile,
jugemens fe font fans qu'on s'en ap.r
perçoive , mais ils n'en font pas moini
réels. Le véritable amour , quoi qu'on
en diie, fera toujours honoré des hom-
jnes ; car , bien que fes emportemens
nous égarent , bien qu'il n'exclue pas
du cœur qui le fent des qualités odieu-
fes & même qu'il en produife , il ea
fuppofe pourtant toujours d'ellimables
fans lefquelles on feroic hors d'état de
le fentir. Ce choix qu'on met en op-
pofition avec laraifon nous vient d'elle;
on a fait l'Amour aveugle , parce qu'il
a de meilleurs yeux que nous , ôc qu'il
voit des r3.pports que nous ne pouvons
appercevoir. Pour qui n'auroic nulle
idée de m.érite ni de beauté , toute
femme feroit également bonne , &: la
première venue feroit toujours la plus
aimable. Loin que l'amour vienne de
la Nature , il eft la régie & le frein
de ks penchans : c'eft par lui, qu'ex-
cepté l'objet aimé , un fexe n'ellplus
rien pour l'autre.
ou DE l'Education. 185
La préférence qu'on accorde , on
veut l'obtenir ; l'amour doit être ré-
ciproque. Pour être aimé , il faut fe
rendre aimable ; pour être préféré , il
faut fe rendre plus aimable qu'un au-
tre , plus aimable que tout autre , au
moins , aux yeux de l'objet aimé. De-là
les premiers regards fur fes femblables ;
de-là les premières comparaifons avec
eux ; de-là l'émulation , les rivalités ,
la jaloufie. Un cœur plein d'un fenti-
rnent qui déborde , aime à s'épancher ;
du befoin d'une maîtrefle naît bientôt
celui d'un ami ; celui qui fent combien
il eft doux d'être aimé , voudroit l'être
de tout le monde , ôc tous ne fauroient
vouloir de préférence , qu'il n'y ait
beaucoup de mécontens. Avec l'amour
«Se l'amitié naillent les diflenfions, l'ini-
îîiitié , [a haine. Du fein de tant dp
paillons diverfes je vois l'opinion s'éle-
ver un trône inébranlable , & les ftu-
pides mortels aller /is à fon empire, ne
iS6 Emile,
fonder leur propre exiflence que fur.
les jugemens d'autrui.
Écendez ces idées , 5c vous verrez
d'où vient à notre amour -propre la
forme que nous lui croyons naturelle ;
& comment l'amour de foi , cefi'anc
d'être un fentiment abfolu y devient
orgueil dans les grandes âmes , vanité
dans les petites ; & , dans toutes , fe
nourrit fans ceffe aux dépens du pro-
chain. L'efpecedecespa(îions,n'ayanc
point fon germe dans le cœur des en-
fans, n'y peut naître d'elle-même; c'efl
nous feuls qui l'y portons, & jamais
elles n'y prennent racine que par notre
faute ; mais il n'en eft plus ainfi du
cœur du jeune homme ; quoi que nous
puifîîons faire , elles y naîtront malgré
nous. Il efl donc tems de changer de
méthode.
Commençons par quelques réflexions
importantes fur l'état critique dont il
s'agit ici. Le paifage de l'enfance à la
ou DE l'Éducation. î 87
puberté n'efl; pas tellement déterminé
par la Nature qu'il ne varie dans les
individus félon le:: temperamens , &
dans les peuples félon les climats. Tout
le monde fait les diftindions obfervées
fur ce point entre les pays chauds &
les pays froids , Sz chacun voit que les
temperamens ardens font formés plu-
tôt que les autres ; mais on peut fe
tromper fur les caufes , Se fou vent at-
tribuer au phyfique ce qu'il faut impu-
ter au moral ; c'eil un des abus les plus
fréquens de la Philofophie de notre
fiécle. Les inftrudions de la Nature
font tardives & lentes , celles des hom-
mes font prefque toujours prématurées.
Dans le premier cas , les fens éveil-
lent l'imagination ; dans le fécond ,
l'imagination éveille les fens; elle leur
donne une adivité précoce qui ne peut
manquer d'énerver , d'affoiblir d'abord
les individus , puis l'efpece même à la
longue. Une obfervation plus généra-
i88 Emile,
le 6c plus fiire que celle de l'elTet des
climats, efi que la puberté & la puif-
fance du fexe eft toujours plus hâtive
chez les peuples inflruits 5c policés ,
que chez les peuples ignorans & bar-
bares *. Les enfans ont une fagacité
* Dms les Villes, dit M. de B.iffon, &• chef les
gens aifés , les enf.ins accnitumés à des nourritures
alondmtes 6* Succulentes arrivent plutôt à cet état ; à
la ca.rnp.ivne bf dms le pauvre p:w4e , les enfans font
plus tardifs, '■'arce qu'ils font mal &• trop peu nourris j il
leur faut deux' ou trois années de plus. Hill. Nat. T. IV'
p. ajS. J'admets robfervation, mais non Texplication ,
puifque dans les pays où le villageois fe nourrit très-bien
& mange beaucoup , comme dans le Valais , & même
en certains cantons montueus de l'Italie comme le
Frioul , l'âge dî puberté djns les deux fexes ell égale-
ment plus tardif qu'au fein des Villes jOÙ pour fatisfaire
la vanité , l'on met fouvent dans le manger une extrême
parcimon e , & où la plupart font , comme dit le
proverbe , habit de velours &• ventre de f.m. On eft
étonné dans ces montagnes de voir de grands garçons
fjrts comme des hommes avoir encore la voix aiguë &
le nT-ntùn fans barbe, & de grandes filles , d'ailleurs
très formées , n'avoir aucun figne périodique de leur
fexe. Uifferenc; qui me paroît venir uniquement de ce
que dans la ri.Ti'->licité de leurs mœurs , leur imagina-
tion plus long-tems paifible & calme fait plus tard fer-
menter leur fang , & rend leur tempérament moins
précoce.
ou DE l'Éducation. 1 89
finguliere pour démêler à travers tou-
tes les fingeries de la décence , les
mauvaifes mœurs qu'elle couvre. Le
langage épuré qu'on leur dide , les
leçons d'honnêteté qu'on leur donne ,
le voile du miftere qu'on affede de
tendre devant leurs yeux , font autant
d'aiguillons à leur curiofité. A la ma-
nière dont on s'y prend , il eil clair que
ce qu'on feint de leur cacher n'eft que
pour le leur apprendre, & c'efl , de
toutes les inftruclions qu'on leur don-
ne , celle qui leur profite le mieux.
Confultez l'expérience , vous com-
prendrez à quel point cette méthode
infenlée accélère l'ouvrage de la Na-
ture & ruine le tempérament. C'efl
ici l'une des principales caufes qui font
dégénérer les races dans les Villes.
Les jeunes gens , épuifés de bonne
heure, rertent petits, foihles, mal-
faics , vieillilfen: au lieu de grandir ;
comme la vigne à qui l'on fait porter
190 Emile,
du fruit au printems, languit Sz meurt
avant l'automne.
Il faut avoir vécu chez des peuples
grofîiers & fimples pour conhoître juf-
qu'à quel âge , une heureufe ignorance
y peut prolonger l'innocence des en-
fans. Cell un fpedacle à la fois tou-
chant 6c rifible d'y voir les deux [exes
livrés à la fécuricé de leurs cœurs ,
prolonger dans la fleur de l'âge & de
la beauté les jeux naïfs de l'enfance ,
& montrer par leur familiarité mcme
la pureté de leurs plaifirs. Quand en-
fin cette aimable Jeunciïe vient à fe
marier , les deux époux fe donnant
mutuellement les prémices de leur
perfonne , en font plus chers l'un à
l'autre ; des multitudes d'enfans liiins
& robuiles deviennent le gage d'une
ur.ion que rien n'altère , êc le fruit de
la fageffe de leurs premiers ans.
Si l'âge où l'homme acquiert la
confcience de fon fexe , diffère autant
ou DE l'Éducation. 191
par l'effet de l'éducation que par l'ac-
tion de la Nature , il fuit de-là qu'on
peut accélérer & retarder cet âge félon
la manière dont on élèvera les enfans;
éc il le corps gagne ou perd de la con-
fiftance à mefure qu'on retarde ou
qu'on accélère ce progrès , il fuit en-
core que, plus on s'applique à le retar-
der , plus un jeune homme acquière
de vigueur 6c de force. Je ne parle
encore que des effets purement phy-
fiques ; on verra bientôt qu'ils ne fe
bornent pas-là.
De ces réflexions je tire la folution
de cette queftion fi fouvent agitée ,
s'il convient d'éclairer les enfàns de
bonne heure fur les objets de leur cu-
riofité , ou s'il vaut mieux leur donner
ie change par de modeftes erreurs ?
Je penfe qu'il ne faut faire ni l'un ni
l'autre. Premièrement, cette curiofi-
té ne leur vient point fans qu'on y aie
donné lieu. Il faut donc faire en forte
1^2 Emile,
qu'ils ne l'aient pas. En fécond lieu ,
des queftions qu'on n'eft pas forcé de
réfoudre , n'exigent point qu'on trom-
pe celui qui les fait : il vaut mieux lui
impofer filence que de lui répondre
en mentant. Il fera peu furpris de cette
loi , fi l'on a pris foin de l'y affervir
dans les chofcs indifférentes. Enfin fi
l'on prend le parti de répondre , que
ce foit avec la plus grande (implicite ,
fans mifiere , fans embarras , fans fou-
rire. Il y a beaucoup moins de dan-
ger à fatisfaire la curiofité de l'enfanc
qu'à l'exciter.
Que vos réponfes foient toujours
graves , courtes , décidées , ôc fans ja-
mais paroître héfiter. Je n'ai pas be-
foin d'ajouter qu'elles doivent être
vraies. On ne peut apprendre aux
enfans le danger de mentir aux hom-
mes , fans fentir , de la part des hom-
mes , le danger plus grand de mentir
aux enfans. Un fecil menfonge avéré
du
ou DE l'Éducation. 195
du maître à l'élevé , ruineroit à ja-
mais tout le fruic de l'éducation.
Une ignorance abfolue fur certaines
matières, eft, peut-être, ce qui con-
viendroit le mieux aux enfans : mais
qu'ils apprennent de bonne heure ce
qu'il eft impofîible de leur cacher tou-
jours. Il faut , ou que leur curiofité
ne s'éveille en aucune manière , ou
qu'elle foit fatisfaite avant l'âge où elle
n'eft plus fans danger. Votre conduite
avec votre élevé dépend beaucoup, eil
ceci, de fa fituation particulière , des
fociétés qui l'environnent, des circonf-
tances où l'on prévoit qu'il pourra fe
trouver , &c. Il importe ici de ne
Hen donner au hazard , 6c fi vous
n'êtes pas fur de lui faire ignorer juf-
qu'à feize ans la différence des fexes ,
ayez foin qu'il l'apprenne avant dix.
Je n'aime point qu'on aftede avec
les enfans un langage trop épuré , ni
qu'on fafie de longs détours , donc ils
Tom^ IL K
194 Jlmîle, '
s'apperçoivent , pour éviter de don-
ner aux choies leur véritable nom.
Les bonnes mœurs , en ces matières ,
ont toujours beaucoup de fimplicité ;
mais des imaginations fouillées par le
vice rendent l'oreille délicate , & for-
cent de rafiner fans celle fur les expref-
(îons. Les termes grollîers font fans
conféquence ; ce font les idées lafcives
qu'il faut écarter.
Quoique la pudeur foit naturelle
à l'efpece humaine , naturellement les
enfans n'en ont point. La pudeur ne
naît qu'avec la connoilTance du mal :
6c comment les enfans qui n'ont ni ne
doivent avoir cette connoiRance , au-
roient-ils le fentimcnt qui en efl l'ef-
fet ? Leur donner des leçons de pu-
deur & d'honnêteté , c'efh leur ap-
prendre qu'il y a des chofes honteu-
fes ^: déshonnôtes ; c'efl: leur donner
un defir fecret de connoître ces cho-
fes-là. Tôt ou tard ils en viennent à
ou DE l'EdUCATÏON. I95
bout , & la première étincelle qui
touche à l'imagination , accélère à coup
fur Tembrafement des fens. Quicon-
que rougit efl déjà coupable : la vraie
innocence n'a honte de rien.
Les enfans n'ont pas les mêmes de-
firs que les hommes; mais fujets, comx-
me eux , à la malpropreté qui blelTô
les fens , ils peuvent de ce feul aiïu-
Jettiffement recevoir les mêmes leçons
de bienféance. Suivez l'efprit de la
Nature , qui , plaçant dans les mêmes
lieux les organes des plaifirs fecrets ,
êc ceux des befoins dégoûtans , nous
infpire les mêmes foins à differens âges ,
tantôt par une idée & tantôt par une
autre ; à l'hommiC par la modeftie , à
l'enfant par la propreté.
Je ne vois qu'un bon moyen dé
conferver aux enfans leur innocence;
c'efl que tous ceux qui les entourent
la refpeélcnt & l'aiment. Sans cela ,
toute la retenue dont on tâche d'ufer
N A
T^6 Ëmilé,
avec eux fe dément tôt où tard; urt
Iburire, un clin d'œil , un gefte échap-
pé , leur difent toiic ce qu'on cher-
che à leur taire : il leur fuffit pour
l'apprendre , de voir qu'on le leur a
voulu cacher. La délicateiïe de tours
ôc d'exprelîions dont fe fervent entre
eux les gens polis, fuppofant des lu-
mières que les enfans ne doivent point
avoir, efl tout-à-fait déplacée avec
eux ; mais quand on honore vraiment
leur fimplicité , l'on prend aifément ,
en leur parlant , celle des termes qui
leur conviennent. Il y a une certaine
naïveté de langage qui fied & qui
plaît à l'innocence : voilà le vrai ton
qui détourne un enfant d'une dange-
ïeufe curiofité. En lui parlant fim-
ïplement de tout , on ne lui lailTe pas
ibupçonner qu'il refle rien de plus à
lui dire. En joignant aux mots grof-
fiers les idées déplai fautes qui leur
conviennent , on étouffe le premier
ou DE L'tDiTCATION. ï 97
i^u de rimagination : on ne lui dé-
fçnd pas de prononcer ces mots &
d'avoir ces idées ; mais on lui donne,
fans qu'il y fongs , de la répugnance
à les rappeller ; & combien d'embar-
ras cette liberté naïve ne fauve-t-elle
point à ceux qui , la tirant de leur
propre cœur, difent toujours ce qu'il
faut dire , êc le difenc toujours com-
me ils l'ont fenti ?
Comment fe font les erjfansl Ques-
tion embarralTante qui vient aiTez na-
turellement aux enfans , Sz dont la
réponfe indifcrette ou prudente dé-
cide quelquefois de leurs mxurs 6ç
de leur fanté pour toute leur vie. La
manière la plus courte qu'une mère
imagine pour s'en débarraifer fans
tromper fon fils, efl de lui impofer
filence : cela feroit bon , fi on l'y eue
accoutumé de longue main dans des
queflions indifférentes, & qu'il ne
foupçonnât pas du miilere à ce nou-
N 3
3^8 Emile,
\eau ton. Mais rarement elle s'en
tient-là. C'cfl le fecret des gens mariés ,
lui dira-t-ellc ; de petits garçons ne dol-
'Vent point être fi curieux. Voilà qui
eft fort bien pour tirer d'embarras la
mcre ; mais qu'elle fâche que , piqué
de cet air de mépris , le petit garçon
n'aura pas un moment de repos qu'il
n'ait appris le fecret des gens mariés ,
& qu'il ne tardera pas de l'apprendre.
Qu'on me permette de rapporter
une réponfe bien différente que j'ai
entendu faire à la même queflion ,
& qui me frappa d'autant plus , qu'elle
partoit d'une femme aulTi modcfle
dans fes difcours que dans '^qs ma-
nières , mais qui favoit au befoin fou-
ler aux pieds , pour le bien de fon
fils <Sc pour la vertu , la faulfe crainte
du blâme 6c les vains propos de^
plaifans. 11 n'y avoir pas long-tems
que l'enfant avoit jette par les urines
TLine petite pierre qui lui avoit déchiré
ou DE l'Éducation. 19^
l'urètre ; mais le mal paiïe étoit ou-
blié. Maman , dit le petit étourdi,
comment fe font Les enfans'^ Mon fils ,
répond la mère fans héfiter , les fem-
mes les plfsent avec des douleurs qui
leur coûtent quelquefois la vie. Que
les foux rient , que les fots foienc
fcandalifés ; mais que les fages cher-
chent fi jamais ils trouveronc une ré-
ponfe plus judicieufe , 6c qui aille
mieux à Tes fins.
D'abord l'idée d'un bcfoin naturel y
S: connu de l'enfant , détourne celle
d'une opération miflerieufe. Les idées
accefibires de la douleur & de la
mort couvrent celle-là d'un voile de
triflelle , qui amortit Timaginatioa
êc réprime la curiofité : tout porte
l'efprit fur les fuites de l'accouche-
ment , 6: non pas fur fcs caufes. Les
infirmités de la nature humaine , des.
objets dégoûtans, des images de fouf-
france , voilà les éclaircifiémens où
N 4
2C0 Fmile,
ïTiene cette réponfe, fila répugnance
qu'elle infpire permet à l'enfant de
les demander. Far où l'inquiétude
des defirs aura-t-elle occsiîon de naî-
tre dans des entretiens ainfi dirigés?
«Se cependant vous voyez que la véri-
té n'a point été altérée , & qu'on n'a
point eu befoin d'abufer fon élevé au
lieu de l'inftruire.
Vos enfans lilent ; ils prennent dans
leurs leélures des connoiiTances qu'ils
ç'auroient pas s'ils n'avoient point liu
S'ils étudient , l'imagination s'allume
«5c s'aiguite dans le lîlence du cabi-
net. S'ils vivent dans le monde , ils
entendent un jargon bizarre , ils voyent
des exemples dont ils font frappés ;
on leur a lî bien periuadé qu'ils étoienç
tommes , que dans tout ce que font les
hommes en leur préfence,ils cherchent
îiulîi-tôt comment cela peut leur con-
venir ; il faut bien que les aélions d'au-
U'ui leur fervent de modèle, quand les
ou DE l'Éducation, ioî
jugemens d'autrui leur fervent de loi.
JDes domefliques qu'on fait dépendre
d'eux , par conféquent interedés à leur
plaire , leur font leur cour aux dépens
des bonnes mœurs ; des gouvernantes
rieufes leur tiennent à quatre ans des
propos , que la plus effrontée n'ofe-
roit leur tenir à quinze. Bientôt elles
oublient ce qu'elles ont dit ; mais ils
n'oublient pas ce qu'ils ont entendu.
Les entretiens poliflbns préparent les.
mœurs libertines ; le laquais fripon
rend l'enfant débauché , & le fecret de
r^in fert de garant à celui de l'autre.
L'enfant élevé félon fon âge efl
feul. Il ne connoît d'attachemens que
ceux de l'habitude ; il aime fa fœur
comme fa montre , & fon ami comme,
fon chien. Il ne fe fent d'aucun fexe,
d'aucune efpece ; l'homme & la fem-
me lui font également étrangers ; il
ne rapporte à lui rien de ce qu'ils
font ni de ce qu'ils difent ; il ne le
202 Emile,
voit ni ne l'entend, ou n'y fait nulle
attention ; leurs difcours ne l'interef-
fent pas plus que leurs exemples ;
tout cela n'cfl point fait pour lui. Ce
n'efl pas une erreur artificieufe qu'on
lui donne par cette méthode , c'ell
l'ignorance de la Nature. Le tems
vient où la même Nature prend foin
d'éclairer fon élevé ; 6c c'eft- alor^
feulement qu'elle l'a mis en état de
profiter fans rifque des leçons qu'elle
lui donne. Voilà le principe: le dé-
tail des règles n'eft pas de mon fujet ;
& les moyens que je propofe en vue
d'autres objets, fervent encore d'exem-
ple pour celui-ci.
Voulez -vous mettre l'ordre &. la
règle dans les pallions nailTantes? éten-
dez lefpace durant lequ^el elles fe dé-
veloppent, afin qu'elles aient le tems
de s'arranger à mefure qu elles naiifent.
Alors ce n'efl pas l'homme qui les
ordonne , c'eft la Nature elle-même ;
ou DE L*EdUCATION. lOj
Votre foin n'eft que de la laiiTer arran-
ger fon travail. Si votre élevé étoic
feu! , vous n'auriez rien à faire ; mais
tout ce qui l'environne enflamme fon
imagination. Le torrent des préjugés
l'entraîne ; pour le retenir il faut le
pouffer en fens contraire. Il faut que
le fentiment enchaîne l'imagination ,
Zc que la raifon faffe taire l'opinion
des hommes. La fource de toutes les
paflions eft la fenfibilité , l'imagina-
tion détermine leur pente. Tout être
qui fent fes rapports , doit être aifeélé
quand ces rapports s'altèrent , & qu'il
en imagine , ou qu'il en croit imagi-
ner de plus convenables à fa nature.
Ce font les erreurs de l'imagination
qui transforment en vices les paflions
de tous les êtres bornés , même des
Anges, s'ils en ont : car il faudroit
qu'ils connuflent la nature de tous les
êtres , pour favoir quels rapports con-
viennent le mieux à la leur.
Tom.II. 16*
204 Emile,
Voici donc le fommaire de toute la
fagefie humaine dans l'ufage des paf-
fions. 1°. Sentir les vrais rapports de
l homme, tant dans l'efpece que dans
l'individu. 2". Ordonner toutes les af-
fedîons de Tame félon ces rapports.
Mais l'homme eft-il maître d'ordon-
ner fes afTedions félon tels ou tels rap-
ports r fans doute, s'il eft maître de di-
riger fon imagination fur tel ou tel
objet, ou de lui donner telle ou telle
habitude. D'ailleurs il s'agit moins ici
de ce qu'un homme peut faire fur lui-
racme,quede ce que nous pouvons faire
fur notre élevé par le choix des cir-
conftancesoù nousle plaçons. Expofer
les moyens propres à le maintenir dans
l'ordre de la nature , c'eft dire affez
comment il en peut lortir.
Tant que fa fenfibilité relie bornée
à fon individu, il n'y a rien de moral
dans fes aélions ; ce n'eft: que quand
elle commence à s'étendre hors de lui.
ou DE l'Éducation. 205
qu'il prend d'abord les fentimens , &
enfuke les notions du bien & du mal ,
qui le conllitùent véritablement hom-
me & partie intégrante de fon efpece.
C'eft donc à ce premier point qu'il
faut d'abord fixer nos obfervations.
Elles font difficiles , en ce que pour
les faire , il faut rejetter les exemples
qui font fous nos yeux , & chercher
ceux où les développemens fucceffifs
fe font félon l'ordre de la Nature.
Un enfant façonné , poli , civilifé,
qui n'attend que la puiffance de mettre
en œuvre les inftrudions prématurées
qu'il a reçues, ne fe trompe jamais fur
le moment où cette puilfance lui fur-
vient. Loin de l'attendre , il l'accélère ;
il donne à fon fan g une fermentation
précoce ; il fait quel doit être l'obje^
de fes defirs long-tems même avant
qu'il les éprouve. Ce n'eft pas la Na-
ture qui l'excite, c'eft lui qui la force :
elle n'a plus rien à lui apprendre ea
20^ Emile 5,
le faifant homme. Il l'écoit par îa pen-
fée long-tems avant de lecre en effet.
La véritable marche de la Nature
eft plus graduelle & plus lente. Peu-
à-peu le iang s'enflamme , les efprits
s'élaborent , le tempérament fe forme.
Xefage ouvrier qui dirige la fabrique,
-a foin de perfedionner tous fes inftru-
piens avant de les mettre en œuvre ;
une longue inquiétude précède les
premiers defirs, une longue ignorance
leur donne le change , on defire fans
favoir quoi : le fang fermente & s'agi-
te ; une furabondànce de vie cherche
à setendre au-dehors. L'œil s'anime
&. parcourt les autres êtres ; on com-
mence à prendre intérêt à ceux qui
.nous environnent ; on com^mence à
ientir qu'on n'eft pas fait pour vivre
feul ; c'efl; ainfi que le cœur s'ouvre
aux afledions humaines , 6c devient
<:apable d'attachement.
Le premier feuciment dont un jeune
ou DE l'Éducation. 207
homme élevé foigneufement efl fuC>
ceptible n'eft pas l'amour , c'eft l'ami-
tié. Le premier ade de fon imagina-
tion naiiïànte efl de lui apprendre qu'il
a des fembiables, & l'efpece l'afiede
avant lé fexe. Voilà donc un autre
avantage de l'innocence prolongée;
c'efl de profiter de la fenfibilité naif.
fantc, pour jetter dans le cœur du jeu-
ne adolefcent les premières femences
de l'humanité. Avantage d'autant plus
f>récieux , que c'efl le feul tems de la
vie où les mêmes foins puiflent avoir
un vrai fuccès.
J'ai toujours vu que les jeunes gens
corrompus de bonne heure , & livrés
aux femmes & à la débauche , étoienc
inhumains &: cruels ; la fougue du tem-
pérament les rendoit impatiens , vin-
dicatifs , furieux : leur imagination
pleine d'un feul objet, fe refufoit à
tout le refte ; ils ne connoilToient ni
pitié ni mifericordej ils auroienc fa^
ao8 É
MILE.
crifié père mère 6c l'univers entier, àiî
moindre de leurs plaifirs. Au contrai-
re , un jeune homme élevé dans une
heureufe fimplicité , eil porté par les
premiers mouvemens de la Nature vers
les paffions tendresse affeclueufes : fon
cœur compatilTant s'émeut fur les pei-
nes de fes femblables ; il treflaillit d'ai-
fe quand il revoit fon camarade , {es
bras fa vent trouver des étreintes caref-
fantes , fes yeux favent verfer des lar-
mes d'attendrifTement ; il efl: fenfible
à la honte de déplaire , au regret d'a-
voir offenfé. Si l'ardeur d'un fang qui
s'enflamme le rend vif, emporté, co-
lère , on voit le moment d'après toute
la bonté de fon cœur dans l'effufion de
fon repentir ; il pleure > il gémit fur
la bleflure qu'il a faite, il voudroit au
prix de fon fang racheter celui qu'il a
verfé ; tout fon emportement s éteint ^
toute fa fierté s'humilie devant le fen-
«ment de fa faute. £ll-àl olfenfé lui-
même ?
ou DE l'Éducation. 209
fiiême ? au fort de fa fureur une excu-
fe , un mot le défarme ; il pardonne
les torts d'autrui d'auiïi bon cœur qu'il
répare les Gens. L*^adolefcence n'efl
l'âge ni de la vengeance ni de la haine ,
elle eft celui de la comnDifé ration, de
la clémence , de la génerofité. Oui
je le foutiens , & je ne crains point
d'être démenti par l'expérience , un
enfant qui n'ell pas mal né-, & qui a
confervé jufqu'à vingt ans fon inno-
cence, eft, à cet âge, le plus généreux,
le meilleur , le plus aimant & le plus
aimable des hommes. On ne vous a
jamais rien dit de femblable ; je le
trois bien : vos Philofophes élevés dans
toute la corruption des Collèges, n'onc
garde de favoir cela.
C'eft la foiblelfe de l'homme qui
le rend fociable ; ce font nos miferes
communes qui portent nos cœurs à
l'humanité : nous ne lui devrions rien
(1 nous n'étions pas hommes. Tour
Tome H, O
2 îo Emile ,
attachement ell un figne d'infuffirancèî
ii chacun de nous n'avoit nul befoin
des autres , il ne fongeroit guère à
s'unir à eux. Ainfi de notre infirmité
même naît notre frêle bonheur. Un
être vraiment heureux eft un être foli-
taire : Dieu feul jouit d'un bonheur ab-
folu , mais qui de nous en a l'idée ? Si
quelque être imparfait pouvoit fe fuf-
fire à lui-même, de quoi jouiroit-il
félon nous? Il feroit feul, il feroit mi-
ferable. Je ne conçois pas que celui
qui n*a befoin de rien , puille aimer
quelque chofe : je ne conçois pas que
celui qui n'aime rien , puifle être heu-
reux.
11 fuit de - là que nous nous atta-
chons à nos femblables , moins par le
fentiment de leurs plaifirs, que par ce-
lui de leurs peines ; car nous y voyons
bien mieux l'identité de notre Nature,
& les garants de leurattachement pour
nous. Si nos befoins communs nous
I
ou DE L'ÉdUCATIOxNT. 21 I
linilTent par intérêt, nos miferes com-
munes nous uniiTent par affedion. L'af-
pecl d'un homme heureux infpire aux
autres moins d'amour que d'envie ;
on l'accuferoit volontiers d'ufurper un
droit qu'il n'a pas , en fe faifant un
bonheur exclufif ; & l'amour - propre
fouffre encore , en nous faifant fentir
que cet homme n'a nul befoin de nous.
Mais qui efl-ce qui ne plaint pas le
malheureux qu'il voit fouffrir r Qui
eft-ce qui ne voudroir pas le délivrer
de fes maux , s'il n'en coûtoic qu'un
fouhait pour cela? L'imagination nous
met à la place du miferable, plutôt
qu'à celle de l'homme heureux ; on
fent que l'un de ces états nous tou-
che de plus près que l'autre. La pi-
tié eft douce , parce qu'en fe met-
tant à la place de celui qui foulfre,
on fent pourtant le plaifir de ne pas
fouffrir comme lui. L'envie efl ame-
re , en ce que l'afpeâ: d'un homme
O 2.
212 Emile,
heureux , loin de mettre l'envieux à
fa place , lui donne le regret de n'y
pas être. 11 femble que l'un nous
exempte des maux qu'il fouffre, &
que l'autre nous ôte les biens dont il
jouit.
Voulez- vous donc exciter & nourrir
dans le cœur d'un jeune homme les
premiers mouvcmens de la fenfibilité
nailTante , 6c tourner fon caradere
vers la bienfaifance & vers la bonté ?
N'allez point faire germer en lui l'or-
gueil , la vanité', l'envie par la trom-
peufe image du bonheur des hommes; •
n'expofez point d'abord à fes yeux la
pompe des cours, le faile des palais ,
fattrait des fpedacles : ne le prome-
nez point dans les cercles , dans les
brillantes aflemblées. Ne lui montrez
l'extérieur de la grande focicté qu'a-
prcs l'avoir mis en état de l'apprécier
en elle-même. Lui montrer le monde
avant qu'il connoilïe les hommes , ce
ou DE l'Éducation. 21^
c'efc pas le former ; c'efl le corrom-
pre : ce n'efl pas l'inllruire ; c'eil le-
tromper.
Les hommes ne font naturellement
ni Rois , ni Grands , ni Courtifans ,
ni riches. Tous font nés nuds & pau-
vres , tous fujets aux miferes de la vie ,.
aux chagrins , aux maux, aux befoins,
aux douleurs de toute efpece ; enfia-
tous font condamnés à la mort. Voilà
ce qui efe vraiment de l'homme; voilà
de quoi nul mortel n'eil exempt,.
Commencez donc par étudier, delà
nature humaine , ce qui en efl le plus,
in réparable , ce qui conflitue le mieux;
l'humanité..
A feize ans l'adolefcent fait ce que
c'eft que fouffrir , car il a'fouffert lui-
même : mais à peine fait-il que d'au-,
très êtres fouffrent aufii : le voir fans
le fentir , n'eft pas le favoir , 6c com-
me je l'ai dit cent fois, l'enfant n'ima-
ginant point ce que fentent les autres ^
03
214 Emile,
ne connoît de maux que les fiens ; mais,
quand le premier développement des
fens allume en lui le feu de l'imagina-
tion , il commence à fe fentir dans [es
femblables , à s'émouvoir de leurs
plaintes , & à foutTrir de leurs dou-
leurs. C'eil: alors que le trifte tableau
de l'humanité foufliante doit porter à
fon cœur le premier attendriliement
qu'il ait jamais éprouvé.
Si ce mom.ent n'eft pas facile à re-
marquer dans vos enfans , à qui vous
en prenez-vous? Vouslesinftruifezde
fi bonne heure à jouer le fentiment,
vous leur en apprenez fi-tôt le langage,
que parlant toujours fur le même ton ,
ils tournent vos leçons contre vous-
même , & ne vous lailTcnt nul moyen
de diftinguer quand , cefiant de men-
tir , ils commencent à fentir ce qu'ils
difent. Mais voyez mon Emile ; à
rage où je l'ai conduit , il n'a ni fenti
îli menti. Avant de favoir ce que c'efl
ou DE l'Éducation. 215
qu'aimer , il n'a dit à perforxne : je.
vous aime bien j on ne lui a point prêt-
cric la contenance qu'il dévoie pren^
dre en entrant dans la chambre de fon
père , de fa mère ou de Ton gouver-
neur malade ; on ne lui a point montré
Tart d'affecter la trilleiîe qu'il n'avoir
pas. Il n'a feint de pleurer fur la mort
de perfonne ; car il ne fait ce que c'efl
que mourir. La même infenfibilité
qu'il a dans le cœur , efl aulfi dans fes
manières. Indiffèrent à tout , hors à
lui-mêmiC , comme tous les autres en-
fans , il ne prend intérêt à perfonne ;
tout ce qui le diftingue , efl qu'il ne
veut point paroître en prendre , 5c qu'il
n'eft pas faux comme eux.
Emile ayant peu rcPiCchi fur les
êtres fenfibles , faura tard ce que c'ed
que foufi'rir & mourir. Les plaintes
& les cris commenceront d'agiter {qs
entrailles, l'afpecl du fang qui coule
lui fera détourner les yeux , les con-
O 4
2i6 Emile,
vulfions d'un animal expirant lui don-,
neront je ne fais quelle angoifle, avant
qu'il Tache d'où lui viennent ces nou-
veaux mouvemens. S'il étoit reflé flu-
pide & barbare , il ne les auroit pas ;
s'il étoit plus inflruit , il en connoî-
troit la fource : il a déjà trop comparé
d'idées pour ne rien fentir, & pasafTez
pour concevoir ce qu'il ibnt.
Ainfi naît la pitié , premier fcnti-
ment relatif qui touche le cœur hu-
main, félon Tordre delà Nature. Pour
devenir fenfible & pitoyable, il faut
que l'enfant fâche qu'il y a des êtres
femblables à lui , qui fouftrent ce qu'il
a fouffert , qui fcntent les douleurs
qu'il a fenties , & d'autres don: il doit
avoir l'idée , comme pouvant les fen-
tir auffi. En effet , comment nous laif-
fons-nous émouvoir à la pitié , fi ce
n'efi; en nous tranfportant hors de nous ,
& nous identifiant avec l'animal fouf-
frant ? en quittant , pour ainfi dire ,
ou DE l'Éducation. 217
r.otre être pour prendre le lien ? nous
ne fouffrons qu'autant que nous jugeons
qu'il fouffre ; ce n'eft pas dans nous •
c'eil dans lui que nous foufirons. Ainfi
nul ne devient fenfible que quand fort
imagination s'anime & commence à
le tranfporter hors de lui.
Pour exciter 6c nourrir cette fenfl-
bllité naiîTante , pour la guider ou la
fuivre dans- fa pente naturelle , qu'a-
vons- nous donc à faire , fi ce n'efl d'of-
frir au jeune homme des objets fur
iefquels puiil'e agir la force expanfive
de fon cœur , qui le dilatent , qui
rétendent fur les autres êtres , qui le
faffent par- tout retrouver hors de lui ;
d'écarter avec foin ceux qui le reifer-
rent, le concentrent, 6c tendent le
relTort du moi humain ? c'efl-à-dire
en d'autres termes , d'exciter en lui la
bonté, l'humanité, la commifération,
la bienfaifance , toutes les paffions at-
prantes 6c douces qui plaifent nacu'
2î8 Emile 5
fellement aux hommes , Se d'empl-
cher de naître l'envie , la convoicifej,
la haine , toutes les paffions repouiTan-
tes & cruelles, qui rendent, pour ainfl
dire, la feniibilité non-feulement nulle,
mais négative, & fonde tourment de
celui qui les éprouve.
Je crois pouvoir réfumer toutes les
réflexions précédentes en deux ou trois
maximes précifes , claires & faciles à
iaifir.
Première Maxime.
Il nc/lpas dans le cxur humain de.
fe mettre à la pince des gens qui font
plus heureux que nous , mais feulement
de ceux qui font plus à plaindre.
Si l'on trouve des exceptions à cette
maxime , elles font plus apparentes
que réelles. Ainfi Ton ne fe met pas
à la place du riche ou du Grand au-
quel on s'attache ; même en s'attachant
fiucerement on ne fait que s'appro-
ou DE l'ÉdxTCATION. 2191
prier une partie de fon bien-être,
Quelquefois on l'aime dans fes mal-
heurs : mais tant qu'il profpere , il n'a
de véritable ami que celui qui n'ed
pas la dupe des apparences , & qui
le plaint plus qu'il ne l'envie , malgré
fa profperité.
On eft touché du bonheur de cer-
tains états , par exemple , de la vie
champêtre & paflorale. Le charme de
voir ces bonnes gens heureux , n'efl
point empoifonné par l'envie : on s'in-
terefle à eux véritablement : pourquoi
cela ? parce qu'on fe fent maître de
defcendre à cet état de paix 8z d'in-
nocence , & de jouir de la même féli-
cité : c'eit un pis- aller qui ne donne
que des idées agréables , attendu qu'il
fuffit d'en vouloir jouir pour le pou-
voir. Il y a toujours du plaifir à voir
fes relTources, à contempler Ion pro-
pre bien , même quand on n en veuc
pas ufer.
2 20 Emile,
Il fuit de-là que pour porter un jeu^
ne homme à l'humanité , loin de lui
faire admirer le fort brillant des au-
tres , il faut le lui montrer , par les
côtés triftes, il faut le lui faire crain-
dre. Alors , par une conféquence évi-
dente , il doit fe frayer une route au
bonheur , qui ne foie fur les traces de
perfonne.
Deuxième Maxime.
On ne plaint jamais dans autrui
que les maux dont on ne fe croit pas
exempt foi -même.
Non ignara mali , miferis fuccurrere difco.
Je ne connois rien de fi beau , de fl'
profond , de fi touchant , de fi vrai
que ce vers -là.
Pourquoi les Rois font-ils fans pitié
pour leurs fujets r c efl qu'ils comptent
de n'ctre jamais hommes. Pourquoi
Içs riches font-ils fi durs envers les pau"*
vres ? c'en qu'ils n'ont pas peur de 1q
ou DE l'Éducation. 221
<îevenir. Pourquoi la NoblelTe a-t-elle
un fi grand mépris pour le peuple ?
c'efl qu'un noble ne fera jamais rotu-
rier. Pourquoi les Turcs font -ils gé-
néralement plus humains, plus liofpi-
taliers que nous ? c'eit que dans leur
gouvernement , tout-à-fait arbitraire ,
la grandeur & la fortune des particu-
liers étant toujours précaires ôc chan-
cellantes , ils ne regardent point l'ab-
bailTement 6c la mifere comme un état
étranger à eux * ; chacun peut être
demain ce qu'eft aujourd'hui celui qu'il
affifte. Cette réflexion , qui revient fans
celle dans les romans orientaux , don-
ne à leur ledure je ne fais quoi d'at-
tendriflant que n'a point tout l'apprêc
de notre feche morale.
N'accoutumez donc pas votre élevé
à regarder du haut de fa gloire les
* Cela paroît changer un peu maintenant : les états
femblent devenir plus fixes , Sc les hommes deviennent
aufli plus durs.
222 Emile,
peines des infortunés, les travaux dés
miierables , (Se n'efperez pas lui ap-
prendre à les plaindre, s'il les confidere
comme lui étant étrangers. Faites-lui
bien comprendre que le fort de ces
malheureux peut être le fien , que
tous leurs maux font fous fes pieds,
que mille évenemens imprévus & iné-
vitables peuvent l'y plonger d'un mo-
nient à l'autre. Apprenez - lui à ne
compter ni fur la naifTance , ni fur la
fanté , ni fur les richelTes, montrez-
lui toutes IcsvicilTitudes de la fortune,
cherchez - lui les exemples toujours
trop fréquens de gens qui d'un état
plus élevé que le fien font tombés au-
deflbus de ces malheureux : que ce foie
par leur faute ou non , ce n'eft pas
maintenant de quoi il efl queftion ;
fait-il feulement ce que c'eflque fau-
te ? n'empiétez jamais fur l'ordre de
fes connoiffances, & ne l'éclairez que
par les lumières qui font à fa portée »
NU DE l'Éducation. 223
il n'a pasbefoin d'être fort favanc pour
fentir que toute la prudence humaine
ne peut lui répondre fi dans une heure
il fera vivant ou mourant ; fi les dou-
leurs de la néphrétique ne lui feront
point grincer les dents avant la nuit,
fi dans un mois il fera riche ou pauvre ,
fi dans un an , peut-être , il ne ramera
point fous le nerf- de -bœuf dans les
galères d'Alger. Sur-tout n'allez pas
lui dire tout cela froidement comme
ion catéchifme : qu'il voye , qu'il fente
les calamités humaines : Ebranlez ,
effrayez fon imagination des périls
dont tout homme eft fans celle environ-
né ; qu'il voye autour de lui tous ces
abymes , & qu'à vous les entendre dé-
crire il fe preiie contre vous de peur d'y
tomber. Nous le rendrons timide &
poltron, direz-vous. Nous verrons dans
la fuite , mais quant-à-préfent com-
mençons par le rendre humain j voilà
fur-touc ce qui nous importe.
224 F MI LE,
Troisième Maxime.
La pitié quon a du mal cï autrui
TLd fe mefure pas fur la quantité de ce
mal y mais fur lefentiment qu'on prête
à ceux qui le fouirent.
On ne plaint un malheureux qu'au-
tant qu'on croit qu'il fe trouve à plain-
dre. Le fentiment phyfique de nos
maux eft plus borné qu'il ne femble ;
mais c'eft par la mémoire qui nous
en fait fentir la continuité , c'efl par
l'imagination qui les étend fur l'ave-
nir, qu'ils nous rendent vraiment à
plaindre. Voilà je penfe une des cau-
ses qui nous endurcilfent plus aux maux
des animaux qu'à ceux des hommes y
quoique la fenlibilicé commune duc
également nous identifier avec eux.
On ne plaint guère un cheval de char-
tier dans fon écurie , parce qu'on ne
préfume pas qu'en mangeant fon foin
il fonge aux coups qu'il a reçus & aux
fatigues
ou DE l'Éducation. 2 2 5*
fatigues qui l'attendenc. On ne plaine
pas non plus un mouton qu*on voie
paître , quoiqu'on fâche qu'il fera bien-
tôt égorgé ; parce qu'on juge qu'il ne
prévoit pas fon fort. Par extenfion l'on
s'endurcit ainfi fur le fort des hommes ,
6c les riches fe confolent du mal qu'ils
font aux pauvres en les fuppofant aflez
flupides pour n'en rien fentir. En gé-
néral , je juge du prix que chacun mec
au bonheur de fes femblablespar le cas
qu'il paroît faire d'eux. Il êd naturel
qu'on falïe bon marché du bonheur
des gens qu'on méprife. Ne vous éton-
nez donc plus (i les politiques parlent
du peuple avec tant de dédain , ni fi.
la plupart des Philofophes aflfedlent de
faire l'homme fi méchant.
C'eftle peuple qui compofe le genre
humain ; ce qui n'efl pas peuple efl
fi peu de chofe que ce n'efl pas la
peine de le compter. L'homme eft le
même dans tous les états ; fi cela efl ^
Tome IL P
%2S Emîle,
les états les plus nombreux méritent
le plus de refped. Devant celui qui
penfe toutes les diftindions civiles
difparoifl'ent : il voit les mêmes paf-
fions , les mêmes fentimens dans le
goujat & dans l'homme illullre ; il n'y
difcerne que leur langage,qu un coloris
plus ou moins apprêté , & fi quelque
différence elTenciellelesdiflingue, elle
e(l au préjudice des plus diffimulés.
Le peuple fe montre tel qu'il ell, ôc
n'cfl: pas aimable; mais il faut bien
que les gens du monde fe déguifent ;
s'ils le montroient tels qu'ils font, ils
feroient horreur.
Il y a , difcnt encore nos fages ,
même dofe de bonheur & de peine
dans tous les états : maxime auflî funef-
te c^u'infoutenable ; car fi tous font éga-
lement heureux , qu'ai - je befoin de
m'incomoder pour perfonne ? Que
chacun refle comme il efl : que l'efcla-
ve foit maltraité, que l'infirme fouffie.
ou DE L'ÉdUCATFON. ^2/
que le gueux perifle ; il n'y a rien à
gagner pour eux à changer d'état. Ils
font l'énumeration des peines du riche
& montrent l'inanité de fes vains plai-
firs : quel grofTier fophifme ! les pei-
nes du riche ne lui viennent point de
fon état , mais de lui feul , qui en abu->
fe. Fût-il plus malheureux que le pau-
vre même, il n'eft point à plaindre,
parce que fes maux font tous fon ouvra-
ge, & qu'il ne tient qu'à lui d'être heu'
reux. Mais la peine du miferable lut
vient des chofes , de la rigueur du fore
qui s'appefantit fur lui. Il n'y a point
d'habitude qui lui puiiïe ôter le fenti-
ment phyfique de la fatigue , de l'é-
puifement , de la faim : le bon efpric
ni la fageffe ne fervent de rien pour
l'exempter des maux de fon état. Que
gagne Épidlete de prévoir que fon
maître va lui cafTer la jambe ? la lui caf
fc-t-il moins pour cela? il a par-de0lis
fon mal , le mal de la prévoyance*
P 2.
228 Emile,
Quand le peuple feroit aufli fenfe que
nous le Tuppoions flupide , que pour-
roic-il être autre que ce qu'il cft , que
pourroit-il faire autre que ce qu'il
fait ? étudiez les gens de cet ordre ,
vous verrez que fous un autre langage
ils ont autant d'efprit & plus de bon
fens que vous. Refpe(3:ez donc votre
efpece ; fongez qu'elle eft compofée
ciïenciellement de la coUedion des
peuples , que quand tous les Rois 6c
tous les Philofophes en feroient ôtés ,
il n'y paroîtroit gueres , & que les
chofes n'en iroient pas plus mal. En
un mot , apprenez à votre élevé à
aimer tous les hommes & même ceux
qui les déprifent ; faites en forte qu'il
ne fe place dans aucune clafle , mais
qu'il fe retrouve dans toutes : parlez
devant lui du <i;enre humain avec at-
tendriiïement, avec pitié même, mais
jamais avec mépris. Homme, ne dé«-
honore point l'homme.
ou DE l'Éducation. 229
C'eft par ces routes ôc d'autres fem-
blables, bien contraires à celles qui
font frayées, qu'il convient de pénétrer
dans le cœur d'un jeune adoiefcenc
pour y exciter les premiers mouve-
mensdela Nature, le développera
l'étendre fur fes iemblables ; à quoi
j'ajoute qu'il importe de mêler à ces
mouvemens le moins d'intérêt perfon-
nel qu'il eft poiïîble ; fur-tout point
de vanité , point d'émulation , point
de gloire , point de ces fentimens qui
nous forcent de nous comparer aux
autres; car ces comparaifonsne fe font
jamais fans quelque impreffion de hai-
ne contre ceux qui nous difputent la
préférence , ne fût - ce que dans notre
propre eftime. Alors il faut s'aveu-
gler ou s'irriter , être un méchant ou
un fot ; tâchons d'éviter cette alter-
native. Ces. paffions fi dangereufes
naîtront tôt ou tard , me dit - on ,
malgré nous. Je ne le nie pas; cha-
230 Emile,
que chofe a fon tems & fon lieu ; je
dis feulement qu'on ne doit pas leur
aider à naître.
Voilà l'efprit de la méthode qu'il
faut fe prefcrire. Ici les exemples &
les détails font inutiles , parce qu'ici
commence la divifion prefque infinie
des caractères , ôc que chaque exem-
ple que je donnerois ne conviendroic
pas peut-être à un fur cent mille.
C'efl à cet âgeauiîi que commence,
dans l'habile maître , la véritable fonc-
tion de l'obfervateur & du Philofo-
phe qui fait l'art de fonder les cœurs
en travaillant à les former. Tandis
que le jeune homme ne fonge point
encore à fe contrefaire , & ne l'a point
encore appris , à chaque objet qu'on
lui préfente , on voit dans fon air ,
dans fes yeux , dans fon gerte , l'im-
preflîon qu'il en reçoit ; on lit fur fon
vifage tous les mouvemens de foi^
^me ; à force de les épier on parvient
ou DE L*ÉdUCATION. 23 l
à les prévoir , ôc enfin à les diriger.
On remarque en général que le
fang, les bleil'ures, les cris, les gé-
miliemens , l'appareil des opérations
douloureufes , & tout ce qui porte
aux fens des objets de fouffrance , failit
plutôt & plus généralement tous les
hommes. L'idée de deftrudion étant
plus compofée , ne frappe pas de mê-
me ; l'image de la mort touche plus
tard & plus foiblemcnt , parce que
nul n'a par devers foi l'expérience de
mourir ; il faut avoir vu des cadavres
pour fentir les angoilîés des agoni-
fans. Mais quand une fois cette image
s'eft bien formée dans notre efprit ,
il n'y a point de fpeélacle plus hor-
rible à nos yeux ; foit à caufe de
l'idée de deftruélion totale qu'elle
donne alors par les fens, foit parce
que fâchant que ce moment eft iné-
vitable pour tous les hommes , on fe
fenc plus vivement affedé d'une fitua-
P4
âp Emile,
tion à laquelle on efl fur de ne pou-
voir échapper.
Ces impre (fions diverfes ont leurs
modifications , leurs degrés qui dé-
pendent du caradere particulier dç
chaque individu & de fes habitudes
antérieures ; mais elles font univerfel-
les, & nul n'en efl tout à-fait exempt.
Il en efl de plus tardives 6c de moins
générales , qui font plus propres aux
âmes fcnfibles. Ce font celles qu'on
reçoit des peines morales , des dou-
leurs internes, des afflictions , des lan-
gueurs , de la trifteffe. Il y a des gens
qui ne favent être émus que par des cris
& des pleurs ; les longs & lourds gé-
miflemens d'u:. cœur ferré de détrelTe
re leur ont jamais arraché des foupirs ;
jamais l'afped d'une contenance abat-
tue , d'un vifage hâve & plombé, d'ui;i
œil éteint 6c qui ne peut plus pleurer ,
re les fit pleurer eux-mêmes; lesmaujc
de l'ame ne font rien pour eux ; ils
ou DE l'Éducation. 23 ^
font jugés , la leur ne fenc rien : n'ae-
tendez d'eux que rigueur inflexible,
endurcilTemenc, cruauté. Ils pourront
être intègres & jufles , jamais démens,
généreux , pitoyables. Je dis qu'ils
pourront être jufles , û toutefois un
homme peut l'être quand il n'eft pas
mifericordieux.
Mais ne vous prefTez pas de juger
les jeunes gens par cette régie , fur-
tout ceux qui , ayant été élevés com-
me ils doivent l'être , n'ont aucune
idée des peines morales qu'on ne leur
a jamais fait éprouver : car encore
une fois , ils ne peuvent plaindre que
les maux qu'ils connoilTent ; & cette
apparente infenlibilité , qui ne vient
que d'ignorance , fe change bientôt
en attendrifl^ement , quand ils com-
mencent à fentir qu'il y a dans la vie
humaine mille douleurs qu'ils ne con-
noiffoient pas. Pour mon Emile , s'il a
eu de la fimpiicité & du bon fens dans
234 Emile,
Ion enfance , je fuis bien fur qu'il aura
àe l'ame & de la fenfibilicé dans fa jeu-
nefie; car la vérité des fentimens tient
beaucoup à la juftelîe des idées.
Mais pourquoi le rappeller ici ?
Plus d'un Lcdeur me reprochera,
fans doute , l'oubli de mes premières
réfolutions , 6c du bonheur confiant
que j'avois promis à mon élevé. Des
malheureux , des mourans , des fpec-
tacles de douleur 6c de mifere ! Quel
bonheur ! quelle jouiflance pour un
jeune cœur qui naît à la vie ! fon trifte
inflituteur qui lui deflincit une édu-
cation fi douce, ne le fait naître que
pour fouffrir. Voilà ce qu'on dira :
Que m'importe ? j'ai promis de le
rendre heureux, non de faire qu'il
parût l'être. Eft~ce ma faute fi , tou-
jours dupes de l'apparence , vous la
prenez pour la réalité ?
Prenons deux jeunes gens fortanc
de la première éducation , 6c entrant
ou DE l'Éducation. 235
dans le monde par deux portes direc-
tement oppofées. L'un monte tout-
à-coup fur l'Olympe , & fe répand
dans la plus brillante fociété. On le
mené à la Cour , chez les Grands ,
chez les riches , chez les jolies fem-
mes. Je le fuppofe fêté par-tout , &
je n'examine pas l'effet de cet accueil
fur fa raifon ; je fuppofe qu'elle y ré-
fifle. Les plaifirs volent au-devant de
lui, tous les jours de nouveaux objets
l'amufent , il fe livre à tout avec un
intérêt qui vous féduit. Vous le voyez
attentif, empreffé , curieux ; fa pre-
mière admiration vous frappe ; vous
l'eftimez content , mais voyez l'état
de fon ame : vous croyez qu'il jouit ;
moi je crois qu'il fouffre.
Qu'apperçoit-il d'abord en ouvrant
les yeux ? Des multitudes de préten-
dus biens qu'il ne connoiiîbit pas , 6c
dont la plupart n'étant qu'un moment
à fa portée , ne fembienc fe montrer
2^6 Emile,
à lui que pour lui donner le regret
d'en être privé. Se promene-t-il dans
un Palais r Vous voyez à fon inquiè-
te curionté qu'il fe demande pour-
quoi fa mai Ton pauernelle n'efl pas
ainfi. Toutes fes queflions vous difenc
qu'il fe compare fans celle au maître
de cette mai Ion ; & tout ce qu'il trou-
ve de mortifiant pour lui dans ce pa-
rallèle , aiguife fa vanité en la révol-
tant. S'il rencontre un jeyne homme
mieux mis que lui , je le vois mur-
murer en fecret contre l'avarice de
fes parens. Eft-il plus paré qu'un au-
tre ? Il a la douleur de voir cet autre
l'effacer ou par fa nai fiance ou par
fon efprit , 6c toute fa dorure humi-
liée devant un fimple habit de drap.
Brille-t-il feul dans une alTemblée ?
s'éleve-t-il fur la pointe du pied pour
être mieux vu ? Qui eil-ce qui n'a pas
une difpofition fecrette à rabailler
Vair fuperbe 6c vain d'un jeunç iàc I
OIT DE l'Éducation-. 237
Tout s'unit bientôt comme de con-
cert ; les'regards inquiétans d'un hom-
me grave , les mots railleurs d'un
cauftique ne tardent pas d'arriver jus-
qu'à lui ; & ne fût-il dédaigné que
d'un feul homme , le mépris de cet
homme empoifonne à l'inflant les ap-
plaudiflTemens des autres.
Donnons -lui tout ; prodigons-luî
les agrémens , le mérite ; qu'il foit
bien fait , plein d'elprit , aimable ; il
fera recherché des femmes ; mais en
le recherchant avant qu'il les aime ,
elles le rendront plutôt fou qu'amou-
reux ; il aura des bonnes fortunes ,
mais il n'aura ni tranfports ni pafîion
pour les goûter. Ses defirs , toujours
prévenus , n'ayant jamais le tems de
naître , au fein des plaifirs il ne fenc
que l'ennui de la gêne ; le fexe fait
pour le bonheur du fien le dégoûte
& le raGafie même avant qu'il le con-
noifl'e , s'il continue à le voir , ce n'efl
â^S Emile,
plus que par vanité ; & quand il s^y
attacheroic par un goût véritable , il
ne fera pas feul jeune , feul brillant ,
feul aimable , & ne trouvera pas tou-
jours dans les maîcreflès des prodiges
de fidélité.
Je ne dis rien des tracalTeries , des
trahifons , des noirceurs, des repen-
tirs de toute efpece inféparables d'une
pareille vie. L'expérience du monde
en dégoûte , on le fait ; je ne parle
que des ennuis attachés à la première
illufion.
Quel contrafte pour celui qui , ren-
fermé jufqu'ici dans le fein de fa fa-
mille 6c de fes amis , s'eft vu l'unique
objet de toutes leurs attentions , d'en-
trer tout -à- coup dans un ordre des
chofes où il efl compté pour li peu ,
de fe trouver comme noyé dans une
fphere étrangère , lui qui fit fi long-
tems le centre de la fienne ! Que
d'alTionts .' que d'humiliations ne fauc-
ou DE l'Éducation. 239
il pas qu'il effuye , avant de perdre ,
parmi les inconnus, les préjugés de fon
importance pris 6c nourris parmi les
Tiens ! Enfant , tout lui cédoit , tout
s'empreflbit autour de lui ; jeune hom-
me , il faut qu'il cède à tout le monde;
ou, pour peu qu'il s'oublie ôc conferve
fes anciens airs , que de dures leçons
vont le faire rentrer en lui - même !
L'iiabitude d'obtenir aifément les ob-
jets de fes defirs , le porte à beaucoup
defirer , & lui fait fentir des priva-
tions continuelles. Tout ce qui le
flatte , le tente ; tout ce que d'autres
ont , il voudroit l'avoir ; il convoite
tout , il porte envie à tout le monde,
il voudroit dominer par-tout ; la va-
nité le ronge , l'ardeur des defirs effré-
nés enflamme fon jeune cœur , la ja-
ioufie & la haine y naiiîent avec eux ;
toutes les paiîîons dévorantes y pren-
nent à la fois leur efbr : il en porte
l'agitation dans le tumulte du monde ;
240 Emile,
ii la rapporte avec lui tous les folrs ;
il rentre mécontent de lui ôc des au-
tres : il s'endort plein de mille vains
projets , troublé de mille fantaifres ;
ôc fon orgueil lui peint jufques dans
fes fonges les chimériques biens dont
le deiir le tourmente, &: qu'il ne pof-
fédera de fa vie. Voilà votre élevé;
voyons le mien.
Si le premier fpeftacle qui le frappe
eft un objet de triflefle , le premier
retour fur lui-même efl un fentiment
de plaifir. En voyant de combien de
maux il efl exempt , il fe fent plus
heureux qu'il ne penfoit l'être. Il par-
tage les peines de fes femblables ;
mais ce partage efl volontaire 6c doux.
Il jouit à la fois de la pitié qu'il
|a pour leurs maux , 6c du bonheur
qui l'en exempte ; il fe fent dans
cet état de force qui nous étend au-
de-là de nous , 6c nous fait porter ail-
leurs l'aciivité fuperliue à notre bien-
être.
ou DE l'Éducation. 241
Itre. Pour plaindre le mal d'aucrui ,
fans doute il faut le connoîcre , mais
il ne faut pas le fentir. Quand on a
fouffert , ou qu'on craint de fouffrir ,
on plaint ceux qui fouffrent -, mais tan-
dis qu'on fouifre , on ne plaint que foi.
Or fi , tous étant afl'ujettis aux miferes
de la vie , nul n'accorde aux autres
que la fenfibilité dont il n'a pas aduel-
lement befoin pour lui-même , il s'en-
fuit que la commileration doit être
un fentiment très- doux , puifqu'elle
dépofe en notre faveur , 6c qu'au con-
traire un homme dur efl toujours mal-
heureux , puifque l'état de fon cœur
ne lui laiffe aucune fenfibilité furabon-
dante, qu'il puiife accorder aux peines
d'autrui»
Nous jugeons trop du bonheur fur
les apparences ; nous le fuppofons où
il efl le moins ; nous le cherchons où
il ne fauroit être : lagaité n'en eft
qu'un figne très-équivoque. Un hem-
Tome IL Q
242 IIMILE,
me gai n'eft fouvenc qu'un infortuné,
qui cherche à donner le change aus
autres , 6c à s'étourdir lui-même. Ces
gens fi rians, fi ouverts, fi fereins dans
un cercle , font prefque tous trifles &
PTondeurs chez eux , 6c leurs domefti-
ques portent la peine de l'amufemenc
qu'ils donnent à leurs fociétés. Le vrai
contentement n'eilni gai , ni folâtre ;
jaloux d'un fentiment fi doux , en le
goûtant on y penfe , on le favoure ,
on craint de l'évaporer. Un homme
Vraiment heureux ne parle guère , &
ne rit guère ; il refferre , pour aind
dire, le bonheur autour de l'on cœur.
Les jeux bruyans, la turbulente joie
voilent les dégoûts & l'ennui. Mais la
mélancolie efl amie de la volupté :
l'attend ri.Tement 6: les larmes accom-
pagnent les plus douces jouiifances ,
6c l'exceiïive joie elle-même arrache
plutôt des pleurs que des ris.
Si d'abord la multitude 6c la variété
où DE l'Éducation. 24 j
des amufemens paroît contribuer au
bonheur , fi runiformité d'une vie
ép'ale paroît d'abord ennuyeufe; en y
regardant mieux , on trouve, au con-
traire, que la plus douce habitude de
l'ame confifte dans une modération de
jouiiTance, qui laiiTe peu de prife au
defir & au dégoût. L'inquiétude des
délits produit la curiofité, i'inconflan-
ce; le vuide des tuibulens plaifirs pro-
duit l'ennui. On ne s'ennuye jamais
de fon état , quand on n'en connoît
point de plus agréable. De tous les
hommes du monde , les Sauvages font
les moins curieux & les moins en-
nuyés ; tout leur eft indiffèrent : ils ne
jouiifent pas des chofes , mais d'eux ;
ils paifent leur vie à ne rien faire , «Se
ne s'ennuyent jamais.
L'homme du monde ell: tout entier
dans fon mafque. N'étant preique ja-
mais en lui-même, il y efl toujours
étranger ôc mal à fon aife , quand il ell
244 Emile,
forcé d'y renrrer. Ce qu'il efi; n'efl
rien , ce qu'il paroît efl tout pour lui.
Je ne puis m'empêcher de me repré-
fenter fur le vifage du jeune homme
dont j'ai parlé ci-devant , je ne fais quoi
d'impertinent, de doucereux, d'aifedé,
qui déplaît , qui rebute les gens unis ;
& fur celui du mien , une phyfionomie
intéreffante & fimple qui montre le
contentement , la véritable iérénité
de l'ame , qui infpire l'eftime , la con-
fiance , 6c qui femble n'attendre que
l'épanchement de l'amitié , pour don-
ner la fienne à ceux qui l'approchent.
On croit que la phyfionomie n'efl
qu'un fimple développement de traits
déjà marqués par la Nature. Pour moi
je pcnferois qu'outre ce développe-
ment , les traits du vifage d'un hom-
me viennent infenfiblement à fe for-
mer & prendre de la phyfionomie par
l'imprefiion fréquente 6c habituelle de
certaines affediuns de famé. Ces af-
ou DE l'Éducation. 245
ferlions fe marquent fur le vifage,
rien n'eil plus certain ; & quand elles
tournent en habitudes , elles y doivent
laiOer des impreffions durables. Voilà
comment je conçois que la phyTiono-
mie annonce le caradlere , & qu'on
peut quelquefois juger de l'un par l'au-
tre, fans aller chercher des explica-
tions mifterieufes , qui fuppofent des
connoiiTances que nous n'avons pas.
Un enfant n'a que deux affedions
bien marquées , la joie & la douleur ;
il rit ou il pleure, les intermédiaires
ne font rien pour lui : fans celle il
paffe de l'un de ces mouvemens à l'au-
tre. Cette alternative continuelle em-
pêche qu'ils ne falTent fur fon vifage
aucune imprefTion confiante , & qu'il
ne prenne de la phyfionomie ; mais
dans l'âge oii , devenu plus fenfible ,
il eft plus vivement , ou plus conftam-
ment affeâé , les impreffions plus pro-p
fondes lailfent des traces plus difficiles
t^G Emile,
I dérniire , 6c de l'état habituel da;
l'arxie réfulte un arrangement de traits
que le tems rend inéfaçabie. Cepen-
dant il n'eflpaj rare de voir des hom-
mes changer de phyfionomie à diffe-
rens âges. J'en ai vu plufieurs dansce
cas , & j'ai toujours trouvé que ceux
que j'avois pu bien obferver & fuivre ,
avoient aufli changé de paflîon habi-
tuelles. Cette feule obfervation bien
confirmée me paroîtroit décifive , 6c
n'efc pas déplacée dans un traité d'édu-
cation , où il importe d'apprendre à
juger des mouvemens de l'ame par les
fignes extérieurs.
Je ne fais fi , pour n'avoir pas appris
à imiter des manières de convention ,
6: à feindre des léntimens qu'il n'a pas,
mon jeune hornme fera moins aima-
ble ; ce n'ell: pas de cela qu'il s'agit ici ;
je fais feulement qu'il fera plus aimant,
& j'ai bien de la peine à croire que
celui qui n'aime que lui , puilTe aifes
OF DE l'Éducation. 247-
bien fe déguifer pour plaire autant
que celui qui tire de fon attachement
pour les autres , un nouveau lentiment
de bonheur. Mais quant à ce fentiment
même , je crois en avoir afiez dit pour
guider fur ce point un Leéleur railbn-
nable , & montrer que je ne me fuis
pas contredit. -
Je reviens donc à ma méthode , 6c
je dis; quand l'âge critique approche ,
offrez aux jeunes gens des ipedacles
qui les retiennent , Se non des fpeda-
cles qui les excitent : donnez le change
à leur imagination naiifante par des ob-
jets, qui, loin d'enflammer leurs fens,
en répriment l'activité. Éloignez-les
des grandes villes, où la parure & l'im-
modeftie des femmes hâte 6c prévient
les leçons de la Nature , où tout pré-
fente à leurs yeux des plaifirs qu'ils ne
doivent connoître que quand ils fau-
ront les choifir. Ramenez -les dans
leurs premières habitations, où la fim-
24^ Emile,
plicité cîiampêcre laifle les pafTions de
leur âge fe développer moins rapide-
ment ; ou fi leur goût pour les arts
les attache encore à la ville , prévenez
en eux, par ce goût même, une dange-
reufe oiliveté. Choifiirez avec foin
leurs fociétés, leurs occupations, leurs
plaifirs ; ne leur montrez que des ta-
bleaux touchans , mais modeftes, qui
les remuent fans les leduire,(Sc qui nour-
^rilfent leur feiiiibilité fans émouvoir,
leurs fens. Songez auffi qu'il y a par-
tout quelques excès à craindre, & que
les paffions immodérées font toujours
plus de mal qu'on n'en veut éviter. Il
ne s'agit pas de faire de votre élevé un
garde-malade , un frère de la charité ,
d'afiiiger fes regards par des objets
continuels de douleurs & de foutTran-
ces , de le promener d'infirme en infir-
me , d'hôpital enhôpital, & de la
grève aux prifons. 11 faut le toucher
^ non l'endurcir à l'afped des miferest
ou DE l'Éducation. 249
îiumaines. Long-tems frappé des mê-
mes fpedacles , on n'en fenc plus les
impreflions , l'habicude accoutume à
tout; ce qu'on voit trop on ne l'imagi-
ne plus , êc ce n'eft que l'imagination
qui nous fait fentir les maux d'autrui ;
c'eft ainfi qu'à force de voir mourir &
fouffrir , les Prêtres & les Médecins
deviennent impitoyables. Que votre
élevé connoifle donc le fort de l'hom-
me & les miferes de fes femblables ;
mais qu'il n'en foit pas trop fouvent le
témoin. Un feul objet bien choifi , &
montré dans un jour convenable , lui
donnera pour un mois d'attendrilTe-
ment & de réflexion. Ce n'efl pas tant
ce qu'il voit , que fon retour fur ce
qu'il a vu , qui détermine le jugement
qu'il en porte ; & l'impreffion durable
qu'il reçoit d'un objet, lui vient moins
de l'objet même , que du point de vue
fous lequel on le porte à fe le rappeller.
Ç'eft ainfi qu'en ménageant les exem-
S50 Êmilé,
pies , les leçons , les images , voua;
émoulTerez long tems l'aiguillon des
fens, & donnerez le changea la Natu-
re, en fuivant fes propres diredions.
A mefure qu'il acquiert des lumiè-
res , choifiirez des idées qui s'y rap-
portent ; à mefure que fes dedrs s'allu-
ment , choififlez. des tableaux propres
à les réprimer. Un vieux militaire qui
s'cll diftingué par fes mœurs, autant
que par fon courage , m'a raconté que ,
dans fa première jeuneire , fon père,
homme de fens , mais très - dévot ,
voyant fon tempérament naifTant \e
livrer aux femmes , n'épargna rien
pour le contenir ; mais enfin malgré
tous fes foins , le fentant prêt à lui
échapper , il s'avifa de le mener dans.
un hôpital de véroles , & fans le pré-
venir de rien , le fit entrer dans une
falle , où une troupe de ces malheu-
reux expioient par un traitement ef-
froyable le défurdre qui les y avoit
ou DE l'Éducation. 2 5 ^
expofés. A ce hideux afpeâ:, qui ré-
volcoic à la fois tous les fens , le jeune
homme faillie à fe trouver mal. Va ,
viifcrable débauché , lui dit alors le
père d'un ton véhément , fuis le vil
penchant qui t entraine \ bientôt tu
feras trop heureux d'être admis dans
cette falle f où , viâime des plus infâmes
douleurs , tu forceras ton père à remer^
çier Dieu de ta. mort.
Ce peu de mots , joints à l'énergique
tableau qui frappoit le jeune homme ,
lui firent une impreffion qui ne s'effaça
jamais. Condamné , par fon état , à
paffer fa jeuneife dans des garnifons ,
il aima mieux effuyer toutes les rail-
leries de fes camarades , que d'imiter
leur libertinage. T ai été homme , me
dit-il f J'ai eu des foiblefses j mais par-
venu jufqu' à monade , je n'ai jamais
pu voir une fille publique fans horreur.
Maître ! peu de difcours ; mais appre-
niez à choilir les lieux , les tems , les
2^2 Emile,
perfonnes ; puis donnez toutes vos le-
çons en exemples , 6c foyez fur de
leur eftbc.
L'emploi de l'enfance eft peu de
chofe. Le mal qui s'y glilTe n'ell point
fans remède , & le bien qui s'y fait
peut venir plus tard ; mais il n'en efl
pas ainfi du premier âge où l'hom-
me commence véritablement à vivre.
Cet âge ne dure jamais aifez pour l'ufa-
ge qu'on en doit faire , & fon impor-
tance exige une attention fans relâche :
voilà pourquoi j'infifle fur l'art de le
prolonger. Un des meilleurs précep-
tes de la bonne culture eft , de tout
retarder tant qu'il eilpoffible. Rendez
les progrès lents & fûrs ; empêchez
que l'adolefcent ne devienne homme
au moment où rien ne lui refle à faire
pour le devenir. Tandis que le corps
croît , les efprits deilinés à donner du
baume au fana: 6c de la force aux
fibres , fe forment 6c s'élaborent. Si
ou DE l'Éducation. 255
vous leur faites prendre un cours dif-
férent , & que ce qui eft defliné à per-
fedionner un individu ferve à la for-
mation d'un autre , tous deux relient
dans un état de fcibleife , 6c l'ouvrage
de la Nature demeure imparfait. Les
opérations de l'elprit fe fentent à leur
tour de cette altération , & l'ameaufli
débile que le corps n'a que des fondions
foibles & languilfantes. Des membres
gros êc robuftes ne font ni le courage
ni le génie , & je conçois que la force
de l'ame n'accompagne pas celle du
corps , quand d'ailleurs les organes de
la communication des deux fubflances
font mal difpolés. Mais quelque bien
difpofés qu'ils puiiïent être , ils agi-
ront toujours foiblement , s'ils n'ont
pour principe qu'un fangépuifé, ap-
pauvri, & dépourvu de cette fubflance
qui donne de la force & du jeu à tous
les relTorts de la machine. Génerale-
çient on apperçoit plus de vigueur
254 ÉmilEj
d'ame dans les hommes dont les jeti-
nés ans ont été préiervés d'une corrup-
tion prématurée , que dans ceux donc
le défordre a commencé avec le pou-
voir de s'y livrer ; 6c c'efl , fans doute,
une des raifons pourquoi les peuples
qui ont des mœurs furpalTent ordinai-
rement en bon fens & en courage les
peuples qui n'en ont pas. Ceux-ci bril-
lent uniquement par je ne Tais quelles
petites qualités déliées , qu'ils appel-
lent efprit , fugacité , linelîe ; mais ces
grandes & nobles fondions de fagefle
6c de raifon qui diftinguent 6c hono-
rent l'homme par de belles adions ,
par des vertus , par des foins vérita-
blement utiles , ne fe trouvent guère
que dans les premiers.
Les maîtres fe plaignent que le fèu
de cet âge rend la jeunelTe indifcipli-
rable , 6c je le vois ; mais n'eft-ce pas
leur faute ? Si-tôt qu'ils ont laiiTé pren-
dre à ce feu fon cours par les fens,
ou DE l'Education. 255
fgnorent-ils qu'on ne peut plus lui en
donner un autre ? Les longs & froids
fermons d'un pédant effaceront - ils
dans l'efprit de fon élevé l'image des
plaifn's qu'il a conçus ? Banniront-ils
de fon cœur les defîrs qui le tourmen-
tent ? Amortiront-ils l'ardeur d'un tem-
pérament dont il fait l'ufage? Ne s'ir-
ritera-t-il pas contre les obilacles qui
s'oppofent au feul bonheur dont il aie
l'idée ; & dans la dure loi qu'on lui
prefcrit fans pouvoir la lui faire en-
tendre , que verra- 1- il, fmon le ca-
price & la haine d'un hommç qui cher-
che à le tourmenter ? Efl-il étrange
qu'il fe mutine & le haïiïe à fon tour?
Je conçois bien qu'en fe rendant
facile , on peut fe rendre plus fuppor-
table , & conferver une apparente au-
torité. Mais je ne vois pas trop à quoi
fert l'autorité qu'on ne garde fur fon
élevé qu'en fomentant les vices qu'elle
devroic réprimer ; c'efl comme fi pour
2^6 Emile,
calmer un cheval fougueux , récuyet
le failbit fauter dans un précipice.
Loin que ce feu de l'adolefcence
foit un obflacle à l'éducation , c'efl par
lui qu'elle fe confomme ôc s'achève ;
c'efl lui qui vous donne une prife fur
le cœur d'un jeune homme , quand il
celle d'être moins fort que vous. Ses
premières affedions font les rênes avec
lefquelles vous dirigez tous Ces mou-
vemens ; il étoit libre , 6c je le vois
atiervi. Tan; qu'il n'aimoit rien, il ne
déi endoitque de lui-même 6c de fes
beloins ; lî-tot qu'il aime , il dépend
de Tes atiachemens. Ainfi fe forment
les premiers liens qui l'unilfent à fon
efpece. En dirigeant fur elle fa feniibi-
lité naiflante, ne croyez pas qu'elle em-
brafi'era d'abord tous les hommes , &
que ce mot de genre humain lignifiera
pour lui quelque chofe. Non , cette
fenfibilité fe bornera premierem.ent à
fes femblables , &, fes femblables ne
feront:
ou DE l'Éducation. 257
feront point pour lui des inconnus ;
mais ceux avec lefquels il a des liai-
fons, ceux que l'habitude lui a rendus
chers ou néceifaires , ceux qu'il voie
évidemment avoir avec lui des maniè-
res de penfer 6c de fentir communes,
ceux qu'il voit expofés aux peines qu'il
a fouiîertes , & fenfibles aux plaifirs
qu'il a goûtés ; ceux, en un mot, en
qui l'identité de Nature plus mani-
feftée lui donne une plus grande diC-
pofition à s'aimer. Ce ne fera qu'après
avoir cultivé fon naturel en mille ma-
nières , après bien des réflexions fur
fes propres fentimens j 6c fur ceux
qu'il obfervera dans les autres , qu'il
pourra parvenir à géneralifer fes no-
tions individuelles , fous l'idée abflrai-
te d'humanité , oc joindre à {es affec-
tions particulières celles qui peuvent
l'identifier avec fon efpece.
En devenant capable d'attaché-»
tnent , il devient fenfible à celui de$
Tome II, K
258 Ému
LL
autres ^ , Se par-là même, attentif aux
fîgnes de cet attachement. Voyez-vous
quel nouvel empire vous allez acqué-
rir fur lui ? Que de chaînes vous avez
mifes autour de fon cœur avant eyj'il
s'en apperçût î Que ne fentira-t-il
point, quand, ouvrant les yeux fur lui-
même j il verra ce que vous avez fait
pour lui ; quand il pourra fe compa-
rer aux autres jeunes gens de fon âge,
& vous comparer aux autres gouver-
neurs ? Je dis quand il le verra , mais
gardez-vous de le lui dire ; fi vous le
lui dites , il ne le verra plus. Si vous
exigez de lui de l'obéiflance en re-
tour des foins que vous lui avez ren-
dus , il croira que vous l'avez furpris :
* L'attachement peut fe pafTer de retour , jamais
l'amitié. Elle eft un échange , un contrat comme les
autres ; mais elle eft le plus faint de tous. Le mot
d'ami n'a point d'autre coriéîatif que lui-même. Tout
homme qui ri'eft pas Tâmi do Ion ami eft très-fûrement
tm fourbe ; car ce n'elt qu'en rendant ou feignant de
tendre l'amitié , qu'on peut l'olnenir,
ou DE l'Éducation. 259
il fe dira , qu'en feignant de l'obliger
gratuitemenc , vous avez prétendu le
charger d'une dette, &. le lier par un
contrat auquel il n'a point confenti.
En vain vous ajouterez que ce que
vous exigez de lui n'eft que pour lui-
même ; vous exigez , entin , & vous
exigez en vertu de ce que vous avez
fait fans fon aveu. Quand un malheu-
reux prend l'argent qu'on feint de lui
donner, <5c fe trouve enrollé malgré
lui , vous criez à l'injurtice ; n'êtes-
vous pas plus injufte encore de deman-
der à votre élevé le prix des foins
qu'il n'a point acceptés ?
L'ingratitude feroit plus rare , fï
les bienfaits à ufure étoient moins
communs. Or\ aime ce qui nous faic
du bien ; c'eft un lentiment fi naturel !
L'ingratitude n'efi; pas dans le cœur de
l'homme ; mais l'intérêt y eil : il y a
moins d'obligés ingrats , que de bien-
faiteurs intéreifés. Si vous me vendez
R z
iSo Emile,
vos dons, je marchanderai furie prix;
inais fi vous feignez de donner , pour
vendre enfuite à votre mot , vous ufez
de fraude. C'efl d'être gratuits qui les
rend ineflrmables. Le cœur ne reçoit
ide loix que de lui-même ; en voulant
l'enchaîner on le dégage, on l'enchaî-
ne en lelaiiTant libre.
Quand le pêcheur amorce l'eau,
le poiflbn vient, & refhe autour de lui
fans défiance ; mais quand, pris à Tha-
meçon caché fous l'appât , il fent re-
tirer la ligne , il tâche de fuir. Le
pêcheur eft-il le bienfaiteur , le poif-
fon eft-il l'ingrat? Voit -on jamais
qu'un homme oublié par fon bienfai-
teur l'oublie? Au contraire, il en par-
le toujours avec plaifir , il n'y fonge
point fans attend ri ifemc-nt : s'il trouve
occafion de lui montrer par quelque
fervice inattendu qu'il fe reflouvient
des liens , avec quel contentement in-
térieur il fatisfait alors fa gratitude!
ou DE l'Éducation. 25 ï
avec quelle douce joie il fe fait recon-'
noîcre ! avec quel tranfport il lui dit :
mon cour eft venu ! Voilà vraiment la
voix de la Nature ; jamais un vrai
bienfait ne iit d'ingrat. *
Si donc la reconnoilTance eft un (en-^
timent naturel, & que vous n'en dé-
truifiez pas l'effet par votre faute, alTu-
rez-vous que votre élevé, commen-
çant à voir le prix de vos foins , y fera
fenfible , pourvu que vous ne les ayez
point mis vous-même, à prix ; & qu'ils
vous donneront dans fon cœur une
autorité que rien ne pourra détruire.
Mais avant de vous être bien alfuré de
cet avantage, gardez de vous l'ôter, en
vous faifant valoir auprès de lui. Lui
vanter vos fervices, c'eft les lui rendre
inlupportables ; les oublier , c'eft l'en
faire fouvenir. Jufqu'à ce qu'il foit
tems de le traiter en homme , qu'il ne
foit jamais queflion de ce qu'il vous
doiç f mais de ce qu'il fe doit. Pour
R 3
2Si. Emile,
le rendre docile , laillez-lui toute fa
liberté , derobez-vous pour qu'il vous
cherche, élevez Ion ame au noble l'en-
timent de la reconnoiiiknce , en ne
lui parlant jamais que de fon intérêt.
Je n'ai point voulu qu'on lui dit que
ce qu'on faifoit étoit pour fon bien ,
avant qu'il fût en état de l'entendre ;
dans ce difcours il n'eût vu que votre
dépendance , <5c il ne vous eu: pris que
pour fon valet. Mais maintenant qu'il
commence à fentir ce que c'efl qu'ai-
mer , il fent auffi quel doux lien peut
unir un homme à ce qu'il aime ; & dans
le zélé qui vous fait occuper de lui fans
cclfc , il ne voit plus l'attachement
d'un efclave, mais l'aft'ediond'un ami»
Or rien n'a tant de poids fur le cœur
humain , que la voix de l'amitié biea
reconnue ; car on fait qu'elle ne nous
parle jamais que pour notre intcrct.
On peut croire qu'un ami fe trompe ;
mais non qu'il veuille nous tromper.
ou DE l'Éducation. 26j^
Quelquefois on réfiile à fes confeilsî
mais jamais on ne les méprife.
Nous entrons enfin dans l'ordre mo-
ral : nous venons de faire un fécond
pas d'homme. Si c'en étoit ici le lieu ,
j'eflayerois de montrer comment des
premiers mouvemens du cœur s'éle-
vent les premières voix de la conf-
çience ; 6c comment des fentimens
d'amour & de haine naiiienc les pre-
mières notions du bien & du mal. Je
ferois voir que JuJ^ice Se bonté ne font
point feulement des m.ots abflraits , de
purs êtres moraux formés par l'enten-
dement ; mais de véritables affedions
de l'ame éclairée par laraifon , & qui
ne font qu'un progrès ordonné de nos
affediions primitives; que par la raifon
feule , indépendamment de la conf-
cience, on ne peut établir aucune loiî
naturelle ; &. que tout le droit de la
INature n'eft qu'une chimère , s'il n'efl
fondé fur un befoin naturel au cœur
K 4.
2^4 Emile,
humain *. Mais je fonge que je n'a|
point à faire ici des Traités de Méta-
phyfique & de Morale , ni des cours
d'études d'aucune efpece ; il me fuffit
de marquer l'ordre & le progrès de
nos fentimens 6c de nos connoifl'ances ,
* Le précepte même d'agir avec autrui comme nous
voulons qu'on agiiïe avec nous , n'a de vrai fondement
que la confticnce &. le lentiment ; car où elt la raiforî
précife d'agir étant moi comme fi j'étois un autre , i'ur-
tout quand je fuis moralement fur de ne iamais me trou-
ver dans le même cas ; & qui me répondra qu'en fui-
vant bien fidèlement cette maxime j'obtiendrai qu'on la
f'.iivc de même avec moi ? Le méchant tire avantage de
la probité du jufte & de fa propre injuflice ; il cil bieii
aife que tout le monde foit jufte excepté lui. Cet aç-
çord-là , quoi qu'on en dife , n'cft pas fort avantageux
aux gens de b'én. Mais quand la force d'une ame ex-
panfive m'identifie avec mon femblablc & que je me
fens pour ainfi dire en lui , c'eft pour ne pas fouffrir
que je ne veux pas qu'il fouflfre; je m'intcrefle à lui
pour 1 amour de moi , & la raifon du précepte eft;
dans la Nature elle-même, qui m'infpire ledcfir de mon
bien-être en quelque lieu que je me fente exiiter. D'où
îc conclus qu'il n'cft pas vrai qu ■ les précer,tes de la loi
naturelle foient fon.lés fur la raifni feule ; ils ont une
bàfe nlus folide & plus fûre. L'amour des hommes dérivé
d^ l'amour de foi elt le principe de la juihce humaine.
Le fommairc de toute la morale cft donné dans l'évan-
gUe par celui de la loi.
ou DE l'Éducation. 26^
relativement à notre conftitution.
D'autres démontreront peut-être ce
que je ne fais qu'indiquer ici.
Mon Emile n'ayant jufqu'à préfenc
regardé que lui-même , le premier re-
gard qu'il jette fur fes femblables le
porte à fe comparer avec eux ; 6c le pre^
mier fentiment qu'excite en lui cette:
comparaifon , ell de defirer la premiè-
re place. Voilà le point où l'amour de
foi fe change en amour-propre, 5c où
commencent à naître toutes les pafTions
qui tiennent à celle-là. Mais pour dé-
cider fi celles de ces partions qui domi-
neront dans fbn caraétere , feront hu-
maines & douces , ou cruelles & mal-
faifanres , fi ce feront des pafTions de
bienfaifance & de commiferation , ou
d'envie & de convoitife, il faut favoir
à quelle place il fe fentira parmi les
hommes , 6c quels genres d'obflacles il
pourra croire avoir à vaincre , pour.
parvenir à celle qu'il veut occuper.
266 Emile»
Pour le guider dans cette recher-
che , après lui avoir montré les hom-
mes par les accidens communs à i'ef-
pece , il faut maintenant les lui mon-
trer par leurs différences. Ici vient la
mefure de l'inégalité naturelle Se civi-
le , & le tableau de tout l'ordre Ibcial.
11 faut étudier la fociété par les
hommes , 6c les hommes par la fo-
ciété : ceux qui voudront traiter fé-
parément la politique 5c la morale ,
n'entendront jamais rien à aucune des.
deux. En s'attachant d'abord aux re-
lations primitives , on voit comment
les hommes en doivent être affeâiés ,
& quelles paiïions en doivent naître.
On voit que c'efl réciproquement par
le progrès des payions que ces rela-
tions fe multiplient êc fe reiïerrent.
C'ell moins la force des bras que la
modération des cœurs , qui rend les
hommes indépendans <Sc libres. Qui-
conque defire peu de chofes tient à
pu DE l'Éducation. 2^7.
peu de gens; mais confondant toujours
nos vains defirs avec nos befoins phy-
{îques, ceux qui ont fait de ces dernier^
les fondemens de la foçiété humaine ,
ont toujours pris les effets pour les eau-
{es , & n'ont fait que s'égarer dans tous
leurs raiionnemenso
Il y a dans i'état de Nature une égali-
té de fait réelle & indeflruAlble, parce,
qu'il efl impolîibie dans cet état que la
feule différence d'homme à homme
foit aiïez grande, pour rendre l'un dé-
pendant de l'autre. Il y a dans l'étac
civil une égalité de droit chimérique
& vaine , parce que les moyens dedi-
nés à la maintenir fervent eux-mêmes
à la détruire ; & que la force publique
ajoutée au plus fort pour opprimer le
foibie , rompt l'efpece d'équilibre que
la Nature avoit mis entr'eux *. De
* L'efprit univerfel desLoix de tous les pays eltdé
favortfer toujours le furt contre le foibie , & ctlui
q ui a , contre celui qui n'a rien ; cet inconvénient eft
iucvitabisj & i\ dt fans exception.
iSS Emile,
cette première contradidion découlent
toutes celles qu'on remarque dans l'or-
dre civil , entre l'apparence ôc la réa-
lité. Toujours la multitude fera facri-
fiée au petit nombre , & l'intérêt pu-
blic à l'intérêt particulier. Toujours
ces noms fpécieux de juftice & de lu-
bordination lerviront d'inflrumens à la
violence & d'armes à l'iniquité : d'où
il fuit que les ordres diflingués qui fe
prétendent utiles aux autres , ne font,
en effet , utiles qu'à eux-mêmes aux
dépens des autres ; par où l'on doit
juger de la confideration qui leur eft
due félon la juftice & félon la raifon.
Refte à voir fi le rang qu'ils fe fonc
donné efl plus favorable au bonheur
de ceux qui l'occupent , pour favoir
quel jugement chacun de nous doit
porter de fon propre fort. Voilà main-
tenant l'étude qui nous importe ; mais
pour la bien faire , il faut commencer
par connoître le cœur humain.
bXT DE l'ÉdîTCATION. 2^^
S'il ne s'agifToit que de montrer aux
jeunes gens l'homme par fon mafque,
on n'a;uroit pas befoin de le leur mon-
trer, ils le verroient toujours de refle;
mais puifque le mafque n'efl pas l'hom-
me , 6c qu'il ne faut pas que fon vernis
les féduife , en leur peignant les hom-
mes peignez -les leur tels qu'ils font ;
non pas afin qu'ils les haïflent , mais
afin qu'ils les plaignent , & ne leur
veuillent pas reiïembler. C'efl:, à mon
gré , le fentiment le mieux entendu que
l'homme puilTe avoir fur fon efpece.
Dans cette vue , il importe ici dé
prendre une route oppofée à celle
que nous avons fuivie jufqu'àpréfent,
Ôc d'inftruire plutôt le jeune homme
par l'expérience d'autrui , que par la
fienne. Si les hommes le trompent,
il les prendra en haine ; mais fi ref-
pedlé d'eux il les voit fe tromper mu-
tuellement, il en aura pitié. Le fpec-
tacle du monde , difoit Pitagore , ref-
^jo Emile,
femble à celui des jeux Olympiques;
Les uns y tiennent boutique , & ne
fongent qu'à leur profit ; les autres y
payent de leur perfonne, & cherchenc
la gloire ; d'autres Te contentent de
voir les jeux , <5c ceux-ci ne iont pas
les pires.
Je voudrois qu'on choisît tellement
les fociétés d'un jeune homme, qu'il
pensât bien de ceux qui vivent avec
lui ; & qu'on lui apprît à fi bien con-
îioître le monde , qu'il pensât mal de
tout ce qui s'y fait. Qu'il fâche que
î'homme eft naturellement bon , qu'il
le fente, qu'il juge de fon prochain
par lui-même ; mais qu'il voye com-
ment la fociété déprave & pervertit
les hommes : qu'il trouve dans leurs
préjugés la fource de tous leurs vice<; :
qu'il foit porté à eftimer chaque indi-
vidu , mais qu'il méprife la multitude :
qu'il voye que tous les hommes por-
tent à peu près le même mafque ; mais
ou DE l'Éducation. 271
qu'il fâche àuffi qu'il y a des vifages plus
beaux que le mafque qui les couvre.
Cette méthode , il faut l'avouer , a
fes inconvéniens , & n'ell pas facile
dans la pratique ; car s'il devient obfer-
vateur de trop bonne heure , fi vous
l'exercez à épier de trop près les ac-
tions d'autrui , vous le rendrez médi-
fant & fatyrique , décifif & prompt à
juger ; il fe fera un odieux plaifir de
■chercher à tout de finiflres interpréta-
tions , & à ne voir en bien , rien même
de ce qui eft bien. .11 s'accoutumera
du moins au fpedacle du vice , 6c à
voiries méchans fans horreur , comme
on s'accoutume à voir les malheureux
fans pitié. Bientôt la perverfité géné-
rale lui fervira moins de leçon que
d'exemple : il fe dira, que fi l'homme
eft ainfi , il ne doit pas vouloir être
autrement.
Que (i vous voulez l'inftruire par
principes , ^ lui faire connoître avec
"tji Emile 5
la nature du cœur humain l'applica-
tion des caufes externes qui tournent
nos penchans en vices , en le tranfpor-
tant ainfi tout d'un coup des objets
fenfibles aux objets intelleduels, vous
employez une mécaphyfique qu'il n'eft
point en état de comprendre ; vous
retombez dans l'inconvénient i évité ft
foigneufement jufqu'ici, de lui donner
des leçons qui rellemblenc à des leçons,
de fubllituer dans fon efpric l'expé-
rience & l'autorité du maître à fa pro-
J)re expérience , ôç, au progrès de fa
raifon.
Pour lever à la fois ces deux obfla-
cles , ôc pour mettre le cœur humain
à fa portée fans rifquer de gâter le fieri,
je voudrois lui montrer les hommes au
loin , les lui montrer dans d'autres
tems ou dans d'autres lieux , & de
forte qu'il pût voir la fcène fans jamais
y pouvoir agir. Voilà le moment de
l'Hiiloire } c'eilpar elle qu'il lira dans
les
ou DE l'Education. 271
les cœurs fans les leçons de la philofo»
phie ; c'eft par elle qu'il les verra ,
fimple fpedateur , fans intérêt & fans
pafllon, comme leur juge , non com-
me leur complice ni comme leur ac-
cufateur.
Pour connoître les hommes il faut
les voir agir. Dans le monde on les
entend parler , ils montrent leurs dif-
cours & cachent leurs adions ; mais
dans l'Hifloire elles font dévoilées , &
on les juge fur les faits. Leurs propos
mêmes aident à les apprécier. Car
comparant ce qu'ils font à ce qu'ils di-
fent , on voit à la fois ce qu'ils font &
ce qu'ils veulent paroître ; plus ils fe
déguifent , mieux on les connoît.
Malheureufement cette étude a fes
dangers , fes inconvéniens de plus d'une
efpece. Il eft difficile de fe mettre
dans un point de vue , d'où l'on puilTe
juger fes femblables avec équité. Un
des grands vices de l'Hiftoire eft ,
Toms II, S
2/4 Emile,
qu'elle peint beaucoup plus les hom-
mes par leurs mauvais côtés que par les
bons : comme elle n'efl intereiïànte que
par les révolutions , les cataftrophes ,
tant qu'un peuple croît ôç profpere
dans le calme d'un paifible gouverne-
ment , elle n'en dit rien ; elle ne com-
mence à en parler que quand , ne pou-
vant plus fe fuffire à lui-même , il
prend part aux affaires de fes voilins ,
eu les laifle prendre part aux Tiennes ;
elle ne l'illullre que quand il efl: déjà
fur fon déclin : toutes nos Hiitoires
commencent où elles devroient finir.
Nous avons fort exadement celle des
peuples qui fe dctruifent , ce qui nous
manque efl celle des peuples qui fe
multiplient ; ils font affez heureux &
afl'ez fages pour qu'elle n'ait rien à
dire d'eux : 6c en effet , nous voyons,
même de nos jours, que les gouverne-
mens qui fe conduifent le mieux , font
weux doot on parle le moins. Nous ne
ou DE L Education. 275
favons donc que le mal , à peine le
bien fait-il époque. Il n'y a que les
znéchans de célèbres , les bons font
oubliés ou tournés en ridicule ; & voilà
comment l'Hiftoire , ainfi que la Phi-
lofophie , calomnie fans ceffe le genre
humain.
De plus , il s'en faut bien que les
faits décrits dans l'Hiftoire , ne foienc
la peinture exaéle des mêmes faits
tels qu'ils font arrivés. Ils changent de
forme dans la tête de l'Hiftorien , ils
fe moulent fur fes intérêts , ils pren-
nent la teinte de fes préjugés. Qui efl-
ce qui fait mettre exadement le Lec-
teur au lieu de la fcène , pour voit un,
événement tel qu'il s'efl paifé ? L'ig^iov
rance ou la partialité déguifent tout.
Sans altérer même un trait hiflorique,
en étendant ou reiïerrant des circonf-
tances qui s'y rapportent, que de faces
différentes on peut lui donner î iVIettez
un même objet à divers points de vue,
S z
27^ Emile,
à peine paroîtra-c-il le même , 5c pour-
tant rien n'aura changé , que l'œil du
fpedaceur. Suffit -il , pour l'honneur
de la vérité , de me dire un fait véri-
table, en me le faifant voir tout au-
trement qu'il n'eft arrivé ? Combien
de fois un arbre de plus ou de moins ,
un rocher à droite ou à gauche , un
tourbillon de poufîiere élevé par le
vent , ont décidé de l'événement d'un
combat , fans que perfonne s'en foie
apperçu ? Cela empêche-t-il que l'Hit
torien ne vous dife la caufe de la dé-
faite ou de la vidoire avec autant d'af-
furance que s'il eût été par-tout ? Or,
que m'importent les faits en eux-mê-
mes , quand la raifon m'en reite in-
connue ; & quelles leçons puis-je tirer
d'un événement dont j'ignore la vraie
caufe r L'Hiilorien m'en donne une ,
mais il la controuve ; 6c la critique
elle-même, dont on fait tant de bruit,
n'ell qu'un art de conjedurer ; l'arc de
ou DE l'Éducation, ijj
clioifir entre plufieurs menfonges, ce-
lui qui relTemble le mieux à la vérité.
N'avez-vous jamais lu Cléopatre ou
Caflandre , ou d'autres livres de cette
efpece r L'Auteur choifit un événe-
ment connu ; puis l'accommodant à
fes vues , l'ornant de détails de fon in-
vention , de perfonnages qui n'ont ja-
mais exillé , & de portraits imaginai-
res , entafle fiélions fur fidions pour
rendre fa lei^ure agréable. Je vois peu
de différence entre ces Romans & vos
Hiftoires , fi ce n'eft que le Roman-
cier fe li,vre davantage à fa propre
imagination, & que l'Hiftorien s'af-
fervit plus à celle d'autrui ; à quoi
j'ajouterai , fi l'on veut , que le pre-
mier fe propofe un objet moral , bon
ou mauvais , dont l'autre ne fe foucie
guère.
On me dira que la fidélité de l'Hif-
toire intereffe moins que la vérité des
moeurs & des caraderes \ pourvu qu«
s 5
2/8 Emile,
le cœur humain foit bien peint , il
importe peu que les événemens foienc
fidèlement rapportés ; car après tout ,
ajoute- t-on , que nous font des faits ar-
rivés il y a deux mille ans? On a rai-
fon , fi les portraits font bien rendus
d'après Nature ; mais fi la plupart n'ont
leur m.odele que dans l'imagination
de l'Hiflorien , n'efl-ce pas retomber
dans l'inconvénient qu'on vouloit fuir,
ôz rendre à l'autorité des écrivains , ce
qu'on veut ôter à celle du maître? Si
mon élevé ne doit voir que des ta-
bleaux de fantaifie , j'aime mieux qu'ils
foient tracés de ma main que d'une au-
tre ; ils lui feront , du moins , mieux
appropriés.
Les pires Hifloriens pour un jeune
îiomme, font ceux qui jugent. Les faits,
6: qu'il juge lui-même ; c'eft ainfi qu'il
apprend à connoître les hommes. Si
le jugement de l'Auteur le guide fans
çelTe , il ne fait que voir par l'œil d'ua
ou DE l'Éducation. 279
autre ; & quand cet œil lui manque ,
il ne voit plus rien.
Je laiiïe à part l'Hifloire moderne ;
non-feulement parce qu'elle n'a plus
de phyfionomie , & que nos hommes
fe refTemblent tous ; mais parce que
nos Hifloriens , uniquement attentifs à
briller , ne fongent qu'à faire des por-
traits fortement coloriés , Se qui fou-
vent ne repréfentent rien *. Générale-
ment les anciens font moi ns de por-
traits,mettent m-oins d'efprit &; plus de
fens dans. leurs jugemens , encore y a-
t-il entr'eux un grand choix à faire ; Sz
il ne faut pas d'abord prendre les plus
judicieux , mais les plus fmiples. Je
ne voudrois mettre dans la main d'un
jeune homme ni Polybe , ni Sallulie ;
Tacite çll le livre des vieillards , les
* Voyez Davila , Guicciardin , Sxrada , Solis , Ma-
chiavel , & quelquefois de Thou lui-même. V'ertot
eft prefque le feul qui favoit peindre ians faire de
portraits-
S 4
28o Fmile,
jeunes gens ne font pas faits pour l'en-
tendre : il faut apprendre à voir dans
les adions humaines les premiers traits
du cœur de l'homme , avant d'en vou-
loir fonder les profondeurs ; il faut fa-
voir bien lire dans les faits avant de
lire dans les maximes. La Fhilofophie
en maximes ne convient qu'à l'expe^-
rience. La jeunelTe ne doit rien géne-
ralifer ; toute fon inllrudion doit être
en régies particulières.
Thucydide efl , à mon gré , le vrai
modèle des Hifloriens. Il rapporte
les faits fans les juger ; mais il n'omet
aucune descirconftances propres à nous
en faire juger nous-mêmes. Il met
tout ce qu'il raconte fous les yeux du
Le^Seur ; loin de s'interpofer entre les
événemens & les Lefteurs , il fe déro-
be ; on ne croit plus lire, on croit voir.
Malheureufement il parle toujours de
guerre , & l'on ne voit prefque dans
fes récits que la chofe du monde la,
ou DE l'Éducation. iSî
movins inilrudive , favoir des combats.
La retraite des dix mille , & les com-
mentaires de Céfar , ont à peu près la
même Tageffe & le même défaut. Le
bon Hérodote , fans portraits , fans
maximes, mais coulant, naïf, plein
de détails les plus capables d'intereifer
& de plaire , feroit , peut-être , le meil-
leur des Hifloriens , (i ces mêmes dé-
tails ne dégéneroient fouvent en fim-
plicités puériles , plus propres à gâter
le goût de la jeunefle qu'à le former :
il faut déjà du difcernement pour le
lire. Je ne dis rien de Tite-Live , fon
tour viendra ; mais il eft politique , il
efl rhéteur^, il efl tout ce qui ne con-
vient pas à cet âge.
L'Hiftoire en général eft défedueu-
fe , en ce qu'elle ne tient regiftre que
de faits fenfibles & marqués , qu'on
peut fixer par des noms , des lieux ,
des dates ; mais les caufes" lentes &
progrelîives de ces faits , lefquelles ne
a2t Emile,
peuvent s'afllgner de même , reHenc
toujours inconnues. On trouve fouvenc
dans une bataille gagnée ou perdue,
la raifon d'une révolution qui , même
avant cette bataille , étoit déjà deve-
nue inévitable. La guerre ne fait guère
quemanifefter des événemens déjà dé-
terminés par des caufes morales que
les Hiftoriens favent rarement voir.
L'efprit philofophique a tourné de
ce côté les réflexions de pluGeurs écri-
vains de ce ficcle ; mais je doute que
l^. vérité gagne à leur travail. La
fureur des fyflémes setant emparée
d'eux tous , nul ne cherche à voir les
chofes comme elles font , mais comme
elles s'accordent avec fon fyrtéme.
Ajoutez à toutes ces réflexions, que
l'Hiftoire montre bien plus les aiftions
que les hommes , parce qu'elle ne fai-
fit ceux-ci que dans certains momens
choifis, dans leurs vétemens de para-
de ; elle n'expofe que l'homme public
ou DE l'Éducation. 283
qui s'efl: arrangé pour être vu. Elle ne
le fuit point dans fa maifon , dans fon.
cabinet , dans fa famille , au milieu de
fes amis , elle ne le peint que quand il
repréfente ; c'eft bien plus fon habic
que fa perfonne qu'elle peint.
J aimerois mieux la ledure des vies
particulières pour commencer l'étude
du cœur humain ; car alors l'homme a
beau fe dérober , l'Hillorien' le pour-
fuit par-tout ; il ne lui laiile aucun
moment de relâche , aucun recoin
pour éviter l'œil perçant du fpedla-
teur , & c'eft quand l'un croit mieux
fe cacher , que l'autre le fait le mieux
çonnoître. Ceuji', dit Montagne, gui
écrivent Les vies , d'autant qu'Us s amu-
fent plus aux confeils qu'aux évém-
mens , plus à ce qui fe pafse au-dedans ,
qu'à ce qui arrive au-d.ehors \ ceux-là
me font plus propres \ voila pourquoi
C'ejl mon homme que Plutarque.
Il eft vrai que le génie des hommes
^^4 EMILE,
aiïemblés ou des peuples eft fort difFe-
rent du caradere de l'homme en par-
ticulier , & que ce feroit connoître
très-imparfaitement le cœur humaia
que de ne pas l'examiner auffi dans la
multitude ; mais il n'efl pas moins vrai
qu'il faut commencer par étudier
l'homme pour juger les hommes , &
que qui connoîtroit parfaitement les
penchans de chaque individu , pourroit
prévoir tous leurs effets combinés dajis
le corps du peuple.
Il faut encore ici recourir aux An-
ciens , par les raifons que j'ai déjà
dites , & de plus , parce que tous les
détails familiers <5c bas , mais vrais &
caraélérifliques étant bannis du ftyle
moderne, les hommes font auffi parés
par nos auteurs dans leurs vies privées
que fur la fcène du monde. La décen-
ce, non moins févere dans les écrits
que dans les aftions , ne permet plus
de dire en public que ce qu'elle per-
ocj DE l'Éducation. 285
met d'y faire ; & comme on ne peut
montrer les hommes que repréfentans
toujours, on ne les connoît pas plus
dans nos livres que fur nos théâtres.
On aura beau faire & refaire cent fois
la vie des Rois , nous n'aurons plus
de Suétones *.
Plutarque excelle par ces mêmes
détails dans lefquels nous n'ofons plus
entrer. Il a une grâce inimitable à
peindre les grands hommes dans les pe-
tites chofes, & il efl fi heureux dans le
choix de fes traits , que fouvent un
mot , un fourire , un gefle lui fuffit
pour cara6lerifer fon héros. Avec un
miot plaifant Annibal rafl'ure fon ar-
mée effrayée , & la fait marcher en
riant à la bataille qui lui livra l'Italie :
Agefilas à cheval fur un bâton , me
* Un feul de nos Hiftoriens qui a imité Tacite dans
jes grands traits , a ofé imiter Suétone & quelquefois
tranfctire Comines dans les petits, & cela. même
qui ajoute au prix de fon Livre , Ta fait critiquer parm-'
Q,OUS>
28^ Emile,
fait aimer le vainqueur du grand Koî t
Ccfar traverfant un pauvre village &
caulanc avec ks amis , décelé ians y
penfer le fourbe qui difoit ne vouloir
qu'être l'égal de Pompée : Alexandre
avale une médecine , & ne dit pas un
feul mot ; c'efl le plus beau moment
de fa vie : Ariflide écrit fon propre
nom fur une coquille , & juflifie ainfi
fon furnom : Philopemen, le manteau
bas , coupe du bois dans la cuifine de
fon hôte. Voilà le véritable art de
peindre. La phyfionomie ne fe mon-
tre pas dans les grands traits , ni le
caraélere dans les grandes adions :
c'efl: dans les bagatelles que le naturel
fe découvre. Les chofes publiques fonc
ou trop communes ou trop apprêtées,
& c'efl: prefque uniquement à celles-ci
que la dignité moderne permet à nos
auteurs de s'arrêter.
Un des plus grands hommes du
fiécle dernier fut incontellablement
ou DE l'Éducation. 28/
M.deTurenne. On a eu le courage de
rendre fa vie intereiTante par de petits
détails qui le font connoître & aimer ;
mais combien s'eft-on vu forcé d'en
lupprimerqui l'auroient fait connoître
& aimer davantage î Je n'en citerai
qu'un, que je tiens de bon lieu, &
que Plutarque n'eût eu garde d'omet-
tre , mais, que Ramfai n'eût eu garde
d'écrire quand il l'auroit fu.
Un jour d'été qu'il faifoit fort chaud,
le Vicomte de Turertne en petite vefle
blanche & en bonnet étoit à la fenêtre
dans fon antichambre. Un de Ces gens
furvient , & trompé par l'habillement,
le prend pour un aide de cuifine, avec
lequel ce domeftique étoit familier.
Il s'approche doucement par derrière,
& d'une main qui n'étoit pas légère
lui applique un grand coup fur les
fefl'es. L'homme frappé fe retourne à
l'inftant. Le valet voit en frémilTanc
le vifage de fon maître. Il fe jette à
238 Emilh,
genoux tout éperdu. Monfelgmuf- ^
j'ai cru que c'étoit George.... Et quand
c'-eût été George , s'écrie Turenne en
fe frottant le derrière ; // nefuLLoitpas
frapper Ji fort. Voilà donc ce que vous
n'ofez dire ? miferables 1 foyez donc
à jamais fans naturel , fans entrailles :
trempez , durcilTez vos cœurs de fer
dans votre vile décence : rendez-vous
méprifables à force de dignité» Mais
toi , bon jeune homme , qui lis ce
trait, & qui fens avec attendrilfement
toute la douceur d'ame qu'il montre ,
même dans le premier mouvement ;
lis auffi les petitelîes de ce grand hom-
me , dès qu'jl é:oit queftion de fa naif-
fance & de fon nom. Songe que c'efl
le même Turenne qui atfedoit de
céder par-tout le pas à fon neveu, afin
qu'on vît bien que cet enfant étoit le
chef d'une maifon fouveraine. Rap-
proche ces contraries, aime la Nature,
méprife ropinion,& connois l'homme.
Il
ou DE l'Éducation. 289
Il y a bien peu de gens en état de
concevoir les efiets que des ledures ,
ainfi dirigées, peuvent opérer furl'ef.
prie tout neuf d'un jeune homme. Ap-
pefantis fur des livres dès notre en-
fance , accoutumés à lire fans penfer ,
ce que nous lifons nous frappe d'autant
moins , que , portant déjà dans nous-
mêmes les paffions & les préjugés qui
remplifTent l'hilloire & les vies des
hommes , tout ce qu'ils font nous
paroît naturel , parce que nous fom-
mes hors de la Nature , & que nous
jugeons des autres par nous. Mais
qu'on fe repréfente un jeune homme
élevé félon mes maximes : Qu'on fe
figure mon Emile , auquel dix-huic
ans de foins aflîdus n'ont eu pour ob-
jet que de conferver un jugement in-
tègre ôc un cœur fain ; qu'on fe le fi-
gure au lever de la toile, jettant, pour
la première fois , les yeux fur la fcène
du monde; ou, plutôt, placé derrière
Tome IL T
200 Emile,
le théâtre , voyant les adeurs prendre
& pofer leurs habits , & comptant les
cordes 5c les poulies dont le groffier
preflige abufe les yeux des fpedateurs»
Bientôt à fa première furprife fuccé-
deront des mouvemens de honte & de
dédain pour fon efpece ; il s'indignera
de voir ainfi tout le genre humain du-
pe de lui-même , s'avilir à ces jeux
d'enfans ; il s'affligera de voir fes frères
s'ent redéchirer pour des rêves , 6c fe
changer en bêtes féroces pour n'avoir
pas fu fe contenter d'être hommes.
Certainement avec les difpofitions
naturelles de l'élevé , pour peu que le
ir.aitre apporte de prudence & de
choix dans fes ledures, pour peu qu'il
le mette fur la voie des réflexions qu'il
en doit tirer , cet exercice fera pour lui
un cours de philofophie - pratique,
meilleur fûremcnt, &. mieux entendu,
que toutes les vaines fpéculations donc
on brouille l'efpric des jeunes gens dans
ou DE l'Éducation. 291:
iios écoles. Qu'après avoir fuivi les
romanefques projets de Pyrrhus , Cy-
néas lui demande quel bien réel lui
procurera laconquête du monde, dont
il ne puiflé jouir dès-à-préfenc fans
tant de tourment ; nous ne voyons-là
qu'un bon mot qui paiTe ; mais Emile
y verra une réflexion très-fage qu'il
eût faite le premier , & qui ne s'effacera
jamais de fon efprit , parce qu'elle n'y
trouve aucun préjugé contraire qui
puiflTe en empêcher l'impreffion .Quand
enfuite en lifant la vie de cet infenfé ,
il trouvera que tous fes grands defleins
ont abouti à s'aller faire tuer par la
main d'une femme ; au lieu d'admirer
cet heroïfme prétendu , que verra-t-il
dans tous les exploits d'un fi grand ca-
pitaine , dans toutes les intrigues d'un.
fi grand politique , fi ce n'efl autant de
pas pour aller chercher cette malheu-
reufe tuile,qui devoir terminer fa vie &
fes projets par une mort déshonorante?
T 2,
292 Émilé,
Tous les conquerans n'ont pas été
tués ; tous les ufurpateurs n'ont pas
échoué dans leurs entreprifes ; plu-
fieurs paroîtront heureux aux efprits
prévenus des opinions vulgaires; mais
celui qui , fans s'arrêter aux apparen-
ces , ne juge du bonheur des hommes
que par l'état de leurs cœurs , verra
leurs miferes dans leurs fuccès mêmes,
il verra leurs defirs & leurs Ibucis ron-
geans s'étendre & s'accroître avec leur
fortune ; il les verra perdre haleine
en avançant , fans jamais parvenir à
leurs termes. Il les verra femblables
à ces voyageurs inexpérimentés , qui ,
s'engageant pour la première fois dans
les Alpes, penfentles franchir à chaque
montagne, & quand ils font au fommet,
trouvent avec découragement de plus
hautes montagnes au-devant d'eux.
Augufte après avoir foumis fes con-
citoyens , ôz détruit fes rivaux , ré-
git durant quarante ans le plus grand
ou DE l'Éducation. 295
empire qui ait exifté ; mais tout cec
immenfe pouvoir l'empêchoit - il de
frapper les murs de fa tête , & de rem-
plir fon vafte palais de fes cris , en
redemandant à Varus fes légions ex-
terminées ? Quand il auroit vaincu
tous fes ennemis , de quoi lui auroienc
fervi fes vains triomphes , tandis que
les peines de toute efpece naifToient
fans ceffe autour de lui , tandis que (es
plus chers amis attentoient à fa vie , &
qu'il étoit réduit à pleurer la honte ou
la mort de tous fes proches ? L'infor-
tuné voulut gouverner le monde , &
ne fut pas gouverner fa maifon ! Qu'ar-
riva-t-il de cette négligence ? Il vie
périr à la fleur de l'âge fon neveu , fon
fils adoptif , fon gendre ; fon petit-
fils fut réduit à manger la bourre de
fon lit pour prolonger de quelques
heures fa miferable vie ; fa fille Ôc fa
petite-fille , après l'avoir couvert de
leur infamie , moururent , l'une de mi*
T3
294 Emile,
fere & de faim dans une ifle déferte ,
l'autre en prilon par la main d'un ar-
cher. Lui-même enfin , dernier refle-
de fa malheureufe famille , fut ré-
duit par fa propre femme à ne laiffer
après lui qu'un monftre pour lui fuc-
céder. Tel fut le fort de ce maître du
inonde , tant célébré pour fa gloire ôç
pour fon bonheur : croirai -je qu'un
feul de ceux qui les admirent les vou-
lût acquérir au même prix ?
J'ai pris l'ambition pour exemple ;
mais le jeu de toutes les paffions hu-
maines offre de femblables leçons à qui
veut étudier i'Hifloire pour fe con-
noître,& fe rendre fage aux dépens des
morts. Le tems approche où la vie
d'Antoine aura, pour le jeune homme,
une inffruélion plus prochaine que
celle d'Auguite. Emile ne fe recon-
noîtra guère dans les étranges objets
qui frapperont fes regards durant ces
tiouvellcs études ; mais il faura d' avance
ou D& l'Éducation. 295
écarter l'illufion des paiTions avant ,.
qu'elles naiiïenc, & voyant que de tous
les tems elles ont aveuglé les hommes,
il fera prévenu de la manière dont elles
pourront l'aveugler à fon tour, fi ja-
mais il s'y livre. Ces.leçons, je le fais,
lui font mal appropriées ; peut-être au
befoin feront- elles tardives , infuffifan-
tes; mais fouvenez-vous que ce ne font
point celles que j'ai voulu tirer de cette-
étude. En la commençant je me pro-
pofois un autre objet ; & fûremçnt fi
cet objet efl mal rempli , ce fera la
faute du maître.
Songez qu'aufîî-tôt que l'amour-
propre efl développé , le moi relatif
ie met en jeu fans ceffe , & que jamais
le jeune homme n'obferve les autres
fans revenir fur lui-même & fe compa-
rer avec eux. Il s'agit donc de favoir
à quel rang il fe mettra parmi fes femr
blables , après les avoir examinés. Je
vois à la manière dont on fait lire l'Hif-
T 4.
2^6 Émïle,*
toire aux jeunes gens , qu'on les trans-
forme , pour ainfi dire , dans tous les
perfonnages qu'ils voyent ; qu'on s'ejp-
force de les faire devenir , tantôt Ci-
ceron , tantôt Trajan , tantôt Alexan-
dre , de les décourager lorfqu'ils ren-
trent dans eux-mcmes , de donner à
chacun le regret de n'être que foi.
Cette méthode a certains avantages
donc je ne difconviens pas ; mais quant
à mon Emile , s'il arrive une feule fois
dans ces parallèles qu'il aime mieux
être un autre que lui , cet autre fût-
il Socrate , fût-il Caton , tout eft man-
qué ; celui qui commence à fe rendre
étranger à lui-même ne tarde pas à
s'oublier tout-à-fait.
Ce ne font point les Philofophes
qui connoiflent le mieux les hommes ;
ils ne les voient qu'à travers les préju-
gés de la philofophie, ôc je ne fâche
aucun état où l'on en ait tant. Un Sau-
vage nous juge plus fainement que ne
ou DE l'Éducation. 297
fait un Philofophe. Celui-ci fent {es
vices , s'indigne des nôtres , & dit en
lui-même : nous fommes tous méchans;
l'autre nous regarde fans s'émouvoir ,
&: dit : vous êtes des foux. Il a raifon ,
car nul ne fait le mal pour le mal. Mon
élevé eft ce fauvage , avec cette dif-
férence qu'Emile ayant plus réfléchi ,
plus comparé d'idées , vu nos erreurs
de plus près , fe tient plus en garde
contre lui-même & ne juge que de ce
qu'il connoît.
Ce font nos pafTions qui nous irritent
contre celles de autres ; c'eû notre in-
térêt qui nous fait haïr les méchans ;
s'ils ne nous faifoîent aucun mal, nous
aurions pour eux plus de pitié que de
haine. Le mal que nous font les mé-
chans , nous fait oublier celui qu'ils fe
font eux-mêmes. Nous leur pardon-
nerions plus aifément leurs vices , fi
nous pouvions connoître combien leur
propre cœur les en punit. Nous fen-
298 Emile,
tons l'offenfe & nous ne voyons pas le
châtiment ; les avantages font ap pa-
ïens , la peine eft intérieure. Celui
qui croit jouir du fruit de/es vices n'efl
pas moins tourmenté que s'il n'eue
point réuffi ; l'objet eft changé , l'in-
quiétude efl la même : ils ont beau
montrer leur fortune & cacher leur
cœur , leur conduite le montre en
dépit d'eux : mais pour le voir il n'en
faut pas avoir un femblable.
Les padions que nous partageons
nous féduifent ; celles qui choquent
nos intérêts nous révoltent, ôc par une
inconféqucnce qui nous vient d'elles ,
nous blâmons dans les autres ce que
nous voudrions imiter. L'averfion &
l'illufion font inévitables, quand on efl
forcé de foutfrir de la part d'autrui
le mal qu'on feroit fi l'on étoic à fa
place.
Que faudroit-il donc pour bien ob-
ferver les hommes : Un grand intérêt
ou DE l'Éducation. 299
à les connoîcre , une grande impartia-
lité à les juger : un cœur aflTez fenfible
pour concevoir toutes les paflions hu-
maines , & aiTez calme pour ne les pas
éprouver. S'il efl dans la vie un mo-
ment favorable à cette étude , c'eil
celui que j'ai choifi pour Emile ; plus
tôt ils lui eulTent été étrangers , plus
tard il leur eût été Temblable. L'ooi-
nion dont il voit le jeu n'a point enco-
re acquis fur lui d'empire. Les paf-
lions dont il fent l'eiTet , n'ont point
agité fon cœur. Il efl homme , il s'in-
tereffe à ks frères; il ell équitable,
il juge ks pairs. Or fûrement s'il les
juge bien , il ne voudra être à la place
d'aucun d'eux ; car le but de tous les
tourmens qu'ils fe donnent étant fondé
fur des préjugés qu'il n'a pas , lui pa-
roît un but en l'air. Pour lui , tout ce
qu'il defire ell à fa portée. De qui
dépendroit-il, fe fuffifant à lui-même,
& libre de préjugés P 11 a des bras , de
300 Emile,
la fanté * , de la modération , peu de
befoins , & de quoi les facisfaire.
Nourri dans la plus abfolue liberté ,
le plus grand des maux qu'il conçoit
eft la fervitude. Il plaint ces mifera-
blés Rois efclaves de tout ce qui leur
obéit ; il plaint ces faux fages enchaî-
nés à leur vaine réputation ; il plaint
ces riches fots , martyrs de leur faite,;
il plaint ces voluptueux de parade ,
qui livrent leur vie entière à l'ennui ,
pour paroître avoir du plaifir. Il plain-
droit l'ennemi qui lui feroit du mal
à lui-même , car dans fes méchancetés
il verroit fa mifere. Il fe diroit ; en
le donnant le befoin de me nuire , cet
homme a fait dépendre fon fort du
mien.
Encore un pas , & nous touchons
* Je crois pouvoir compter hardiment la fanté &
la bonne conftitiition au nombre des avantages acquis
par Ion éducation ; ou plutôt au nombre des dons
de la Nature que fan éducation lui a confervés.
ou DE l'Education. 301
au but. L'amour-propre eft un inflru-
ment utile , mais dangereux ; fouvent
il blefle la main qui s'en fert , & fait
rarement du bien fans mal. Emile en
confiderant fon rang dans l'efpece hu-
maine & s'y voyant fi heureulement
placé , fera tenté de faire honneur à
fa raifon de l'ouvrage de la votre , 5c
d'attribuer à fon mérite l'effet de fon
bonheur. Il fe dira , je fuis fage & les
hommes font foux. En les plaignant
il les méprifera , en fe félicitant il s'ef-
timera davantage , & fe fentant plus
heureux qu'eux, il fe croira plus digne
de l'être. Voilà l'erreur la plus à crain-
dre , parce qu'elle efl la plus difficile
à détruire. S'il reftoit dans cet état ,
il auroit peu gagné à tous nos foins ;
ôc s'il falloit opter , je ne fais fi je n'ai-
merois pas mieux encore l'illufion des
préjugés que celle de l'orgueil.
Les grands hommes ne s'abufent
point fur leur fuperiorité ; ils la voient.
302 Émilêj
la Tentent, ôz n'en font pasmoînsmo=
défies. Plus ils ont , plus ils connoif-
fent tout ce qui leur manque. Ils font
moins vains de leur élévation fur nous,
qu'humiliés du fentiment de leur mi-
fere , & dans les biens exclufifs qu'ils
poiTédent , ils font trop fenfés pour
tirer vanité d'un don qu'ils ne fe font
pas fait. L'homme de bien peut être
fier de fa vertu , parce qu'elle eft à lui ;
mais de quoi l'homme d'efprit eft-il
fier r Qu'a fait Racine, pour n'être pas
Pradon ? qu'a fait Boileau , pour n'ê-
tre pas Cotin ?
Ici c'eft toute autre chofe encore.
Keftons toujours dans l'ordre com-
mun. Je n'ai fuppofé dans mon élevé
ni un génie tranfcendant, ni un enten-
dement bouché. Je l'ai choifi parmi
les efprits vulgaires , pour montrer
ce que peut l'éducation fur l'hom-
me. Tous les cas rares font hors de
régies. Quand donc en conféquence
ou DE l'Education. 303
de mes foins, Emile préfère fa ma-
nière d être , de voir, de fentir àcelle
des autres hommes , Emile a raifon.
Mais quand il fe croit pour cela d'une
nature plus excellente, écplusheureu-
fement né qu'eux , Emile a tort. Il
fe trompe , il faut le détromper , ou
plutôt prévenir l'erreur, de peur qu'il
ne foit trop tard enfuite pour la dé-
truire.
Il n'y a point de folie dont on ne puilTe
défabufer un homme qui n'efl pas fou,
hors la vanité ; pour celle-ci , rien n'en
guérit que l'expérience, fi toutesfois
quelque chofe en peut guérir ; à fa naif-
fance au moins on peut l'empêcher de
croître. N'allez donc pas vous perdre
en beaux raifonnemens , pour prouver
à l'adolefcent qu'il efl homme comme
les autres & fujet aux mêmes foibleffes.
Faites-le lui fentir ou jamais il ne le
fâura. C'elî encore ici un cas d'excep-
tion à mes propres régies j c'ell le cas
3^4 Emile,
d'cxpofer volontairement mon élevé
à tous les accidens qui peuvent lui
prouver qu'il n'eft pas plus fage que
nous. L'aventure du Bateleur ieroic
répétée en mille manières ; je laif-
ferois aux flatteurs prendre tout leur
avantage avec lui ; fi des étourdis
l'entraînoient dans quelque extrava-
gance , je lui en lailTerois courir le
danger ; fi des filoux l'attaquoienc
au jeu , je le leur livrerois pour en
faire leur dupe * ; je le laillerois en-
* Au refte , notre élève donnera peu dans ce piè-
ge , lui que tant d'amufemens environnent , lui qui ne
s'ennuya de fa vie , & qui fait à peine h quoi fert l'ar-
gent. Les deux- mobiles avec lefquels on conduit les
enfàns étant l'intérêt & la vanité, ces deux mêmes mo-
biles fervent aux courti fanes & aux efcrocs jiour s'em-
parer d'eux dans la fuite. Quand vous voyez exciter
leur avidité par des prix 5 par desrécompenfes , quand
vous les voyez a-.^plaudir à dix ans dans un afte public
au Collège , vous vo^^^ez comment on leur fera
lai/Ter à vingt Ic.ir bourfe dans un brelan & leur fanté
dans un mauvais lieu. Il y a toujours à parier que
le plus favant de fa clafTe deviendra le plus joueur &
le plus débauché. Or les moyens dont on n'ufa point
dans l'enfancs n'ont point dans la jeuneflè le même
c enfer ,
ou DE l'Éducation. 305
cenfer , plumer , dévalifer par eux j
êc quand, l'ayant mis à fec, ils fini-
roienc par fe moquer de lui , je les re-
mercierois encore , en fa préfence , des
leçons qu'ils ont bien voulu lui donner.
Les feuls pièges dont je le garantirois
avec foin , feroient ceax des Courti-
fanes. Les feuls ménagemens que j'au-
rois poiir lui, feroient de partager
tous les dangers que je lui laiflbrois
courir , & tous les affronts que je lui
laiiferois recevoir. J'endurerois tout
enfllence, fans plainte, fans reproche ,
fans jamais lui en dire un feul mot ;
6c foyez fur qu'avec cette difcrétion
bien foutenue , tout ce qu'il m'aura
vu fouffrir pour lui , fera plus d'im-
prefFion fur fon cœur , que ce qu'il
aura foulTert lui-même.
abus. Mais on doit fe fouvenir qu'ici ma conftante
maxime eft de mettre par-tout la chofe au pis. Je
cherche d'abord à prévenir le vice , & puis je le
fisppofe , afin d'y remédier.
Tome IL Y
^o6 Emile,
Je ne puis m'empêcher de relever
ici la fauife dignité des gouverneurs
qui , pour jouer fotemenc les fages ,
rabailTent leurs élevés , affedent de les
traiter toujours en enfans , & de fe
diilinguer toujours d'eux dans tout ce
qu'ils leur font faire. Loin de ravaler
ainfi leurs jeunes courages, n'épargnez
rien pour leur élever l'ame ; j^ites-en
vos égaux afin qu'ils le deviennent ,
& s'ils ne peuvent encore s'élever à
vous , defcendez à eux fans honte , fans
fcrupule. Songez que votre honneur
n'efl plus dans vous , mais dans votre
élevé : partagez fes fautes pour l'en
corriger : charsiez - vous de fa honte
pour l'eifacer : imitez ce brave Romain
qui , voyant fuir fon armée & ne pou-
vant la rallier , fe mit à fuir à la tête
de fes Ibldats , en criant : ils ne fuyent
pas , ils fuivcnt leur ca-pïtaine. Put-il
déshonoré pour cela ? tant s'en faut :
en facrifiant ainfi fa gloire il l'augmen-
ou DE l'Education. 307
ta. La force du devoir , la beauté de
la vercu entraînent malgré nous nos
fuffrages 6c renverfent nos infenfés pré-
jugés. Si je recevois un foufflet en tem-
plilTant mes fondions auprès d'Emile,
loin de me venger de ce fouffiet ,
j'irois par-tout m'en vanter , & je doute
qu'il y eût dans le monde un homme
afTez vil pour ne pas m'en refpecler
davantage.
Ce n eft pas que l'élevé doive fup-
pofer dans le maître des lumières aufîl
bornées que les fîennes , & la même
facilité à fe laiiTer féduire. Cette opi-
nion efl bonne pour un enfant qui ne
fâchant rien voir, rien comparer, mes
tout le monde à fa portée , &z ne donne
fa confiance qu'à ceux qui favent s'y
mettre en effet. Mais un jeune homme
de l'âge d'Emile , & auffi fenfé que
lui, n'eft plus aflez fot pour prendre
ainfi le change , & il ne feroit pas bon
qu'il le prît. La confiance qu'il dolc
V 2.
5o8 Émilë,
avoir en fon gouverneur eil d'une avî*
tre efpece ; elle doit porter fur Tau-
torité de la raifon , fur la fuperiorité
des lumières , fur les avantages que le
jeune homme eft en état de connoître,
ck dont il fent l'utilité pour lui. Une
longue expérience l'a convaincu qu'il
ell aimé de fon conducteur ; que ce
condudeur efc un homme fage, éclai-
ré, qui, voulant fon bonheur, fait ce
c]ui peut le lui procurer. Il doit lavoir
que, pour fon propre intérêt, il lui
convient d'écouter fes avis. Or fi le
maître fe laiiToit tromper comme le
difciple , il perdroit le droit d'en exi-
ger de la déférence & de lui donner
des leçons. Encore moins l'élevé doit-
il fuppofer que le maître le laiflé , à
delTcin, tomber dans des pièges, &
tend des embûches à fa fimplicité.
Que faut-il donc faire pour éviter à la
fois ces deux inconvéniens r Ce qu'il
y a de meilleur ôc de plus naturel.
ou DE l'Éducation. 309
être fimple & vrai comme lui, l'aver-
tir des périls auxquels il s'expofe, les
lui montrer clairement, lenfiblement,
mais fans exagération , fans humeur ,
fans pédantefque étalage ; fur-tout fans
lui donner vos avis pour des ordres ,
jufqu'à ce qu'ils le foient devenus , &
que ce ton impérieux foit abfolumenc
néceffaire. S'obftine - 1 - il après cela,
comme il fera très-fouvent ? Alors ne
lui dites plus rien ; laiiTez-le en liber-
té, fuivez-le , imitez-le, & cela gai-
nent, franchement ; livrez-vous, amu-
fez-vous autant que lui , s'il efl podible.
Si les conféquences deviennent trop
fortes , vous êtes toujours-là pour les
arrêter ; & cependant combien le jeune
homme, témoin de votre prévoyance
6c de votre complaifance , ne doit-il
pas être à la fois frappé de l'une & tou-
ché de l'autre ? Toutes fes fautes font
autant de liens qu'il vous fournit pour
le retenir au befoin. Or ce qui fait ici
V 3
5îO Emile,
le plus grand art du maître , c'efl
d'amener les occaiions <Sc de diriger
les exhortations , de manière qu'il fâ-
che d'avance quand le jeune homme
cédera 6c quand il s'obflinera, afin de
l'environner par-tout des leçons de
l'expérience , fans jamais l'expoier à
de trop grands dangers.
Avertiffez - le de fes fiutes avant
qu'il y tombe ; quand il y e(i tombe ne
les lui reprochez point, vous ne feriez
qu'enflammer 6c mutiner fon amour-
propre. Une leçon qui révolte ne pro-
jeté pas. Je ne connois rien de plus
inepte que ce mot : Je vous l'avais bien
dit. Le meilleur moyen de faire qu'il
fe fouvicnne de ce qu'on lui a dit , eft
de paroître l'avoir oublié. Tout au
contraire , quand vous le verrez hon-
teux de ne vous avoir pas cru , elTacez
doucement cette humiliation par de
bonnes paroles. Il s'affcélionera fûre-
ment à vous , en voyant que vous vous
ou DE l'Éducation. 3 1 1
oubliez pour lui, & qu'au lieu d'ache-
ver de l'écrafer, vous leconfolez. Mais
fi à fon chagrin vous ajoutez des re-
proches , il vous prendra en haine , &
fe fera une loi de ne vous plus écouter ,
comme pour vous prouver qu'il ne
penfe pas comme vous fur Timpor-
tance de vos avis.
Le tour de vos confolations peut
encore être pour lui une inftrudion
d'autant plus utile, qu'il ne s'en défiera
pas. En lui difant , jefuppofe, que
mille autres font les mêmes fautes ,
vous le mettez loin de fon compte,
vous le corrigez en ne paroiflant que
le plaindre : car pour celui qui croit
valoir mieux que les autres hommes ,
c'eft une excufe bien mortifiante que
de fe confoler par leur exemple ; c'eft
concevoir que le plus qu'il peut pré-
tendre , eft qu'ils ne valent pas mieux
que lui.
Le tems des fautes ell: celui- des
V 4;
^12 Emile,
fables. En cenfurant le coupable fous
un mafque étranger, on l'inftruic fans
l'ofFenfer ; 6c il comprend alors que
l'apologue n'eil: pas un menfonge , par
la vérité dont il fe fait l'applicarion.
L'enfant qu'on n'a jan:iais trompé par
des louanges , n'entend rien à la fable
que j'ai ci - devant examinée ; mais
l'étourdi qui vient d'être la dupe d'un
flatteur , conçoit à merveille que le
corbeau n'étoit qu'un fot. Ainfi d'un
fait il tire une maxime ; & l'expérien-
ce, qu'il eût bientôt oubliée, fe grave,
au moyen de la fable , dans fon juge-
ment. 11 n'y a point de connoilTance
morale qu'on ne puifie acquérir par
l'expérience d'autrui ou par la fienne.
Dans les cas où cette expérience efl
dangereufe , au lieu de la faire foi-
même, on tire fa leçon de l'Hiiloire.
Quand l'épreuve efl fans conféquence,
il efl bon que le jeune homme y refle
expofé; puis, au moyen de l'apologue,
ou DE l'Education. 5 1 3
on rédige en maximes les cas particu-
liers qui lui font connus.
Je n'entends pas pourtant que ces
maximes doivent être développées ni
même énoncées. Rien n'efl: fi vain , (i
mal entendu , que la morale par la-
quelle on termine la plupart des fa-
bles ; comme fi cette morale n'étoit
pas ou ne devoit pas être étendue dans
la fable même, de manière à la rendre
fenfible au Le£leur. Pourquoi donc ,
en ajoutant cette morale à la lin , lui
ôter le plaifir de la trouver de fon chef.
Le talent d'inflruire efl de faire que le
difciple fe plaife à l'inftrudtion. Or ,
pour qu'il s'y plaife , il ne f.tut pas que
fon efprit refte tellement pafTif à tout
ce que vous lui dites , qu'il n'ait abfo-
lument rien à faire pour vous enten-
dre. Il faut que l'amour - propre du
maître laiiTe toujours quelque prife au
lien ; il faut qu'il fe puiiTe dire ; je con-
çois, je pénètre, j'agis, je m'inllruis.
514 Emile,
Une des cliofes qui rendent ennuyeux
le pantalon de la Comédie italienne,
efl le foin qu'il prend toujours d'inter-
préter au parterre des platiies qu'on
n'entend déjà que trop. Je ne veux
point qu'un gouverneur foit pantalon ,
encore moins un Auteur. Il faut tou-
jours fe faire entendre ; m.ais il ne faut
pas toujours tour dire : celui qui dit
tout dit peu de chofcs , car à la fin on
ne l'écoute plus. Que figniGent ces
quatre vers que la Fontaine ajoute à la
fable de la grenouille qui s'enfle ? A-t-
il peur qu'on ne l'ait pas compris ? A-t-
ilbefoin, ce grand peintre, d'écrire les
noms au-deiîous des objets qu'il peint ?
Loindegcneralifer par-là fa morale, il
la particulariié , il la reftreint, en quel-
que forte , aux exemples cités , & em-
pêche qu'on ne l'applique à d'autres.
Je voudrois qu'avant de mettre les fa-
bles de cet Auteur inimitable esitre les
mains d'un jeune homme, on en re-
ou DE l'Éducation. 315.
tranchât toutes ces conclufions , par
lefqueUes il prend la peine d'expliquer
ce qu'il vient de dire auîii clairement
qu'agréablement. Si votre élevé n'en-
tend la fable qu'à l'aide de l'explica-
tion , foyez fur qu'il ne l'entendra pa5
même ainfi.
Il importeroit encore de donner à
ces fables un ordre plus didadique &
plus conforme au progrès des fenti-
mens & des lumières du jeune adolef-
cent. Conçoit-on rien de moins rai-
fonnable que d'aller fuivre exadement
l'ordre numérique du livre, fans égard
au befoin ni à l'occafion r D'abord le
corbeau , puis la cigale , puis la gre-
nouille , puis les deux mulets , &c.
J'ai fur le cœur ces deux mulets , par-
ce que je me fouviens d'avoir vu un
enfant élevé pour la finance , & qu'on
étourdiifoit de l'emploi qu'il aiioit
lempiir , lire cette fable , l'appren-
dre ;, la dire, la redire cent & cent
^i6 Emile,
fois, fans en tirer jamais la moindre
objedion contre le métier auquel il
étoit defliné. Non-feulement je n'ai
jamais vu d'enfans faire aucune appli-
cation folide des fables qu'ils appre-
noient ; mais je n'ai jamais vu que per-
fonne fe fouciât de leur faire faire cette
application. Le prétexte de cette étu-
de eft l'inflrudlion morale ; mais le vé-
ritable objet de la mère 6c de l'enfant ,
n'ell que d'occuper de lui toute une
compagnie tandis qu'il récite fes fa-
bles : aufli les oublie-t-il toutes en gran-
dilTant , lorfqu'il n'eft plus queftion de
les réciter, mais d'en profiter. Encore
une fois, il n'appartient qu'aux hom-
mes de s'inflruire dans les fables , Se
voici pour Emile le tems de com-
mencer.
Je montre de loin , car je ne veux
pas non plus tout dire, les routes qui
détournent de la bonne , afin qu'on ap-
prenne à les éviter. Je crois qu'en fui-
ou DE l'Education. ^ 17
vant celle que j'ai marquée , votre élevé
achètera la connoilTance des hommes
ôc de foi-même au meilleur marché
qu'il efh pofiible, que vous le mettrez
au point de contempler les jeux de la
fortune fans envier le fort de fes favoris ,
& d'être content de lui fans fe croire
plus fage que les autres. Vous avez
auffi commencé à le rendre adeur pour
le rendre fpedateur , il faut achever ;
car du parterre on voit les objets tels
qu'ils paroiiïent ; mais de la fcène on les
voit tels qu'ils font. Pour embraffer le
tout il faut fe mettre dans le point de
vue ; il faut approcher pour voir les dé-
tails. Mais à quel titre un jeune homme
entrera-t-il dans les affaires du monde ?
Quel droit a-t-il d'être initié dans ces
mifleres ténébreux ? Des intrigues de
plaifir bornent les intérêts de fon âge ;
il ne difpofe encore que de lui-même,
c'eft comme s'il ne difpofoit de rien.
L'homme eil la plus vile des marchan-
3i8 Emile,
difes ; 6c parmi nos imporrans droits
de propriété , celui de la perfonne efl
toujours le moindre de tous.
Quand je vois que dans l'âge de la
plus grande adivité l'on borne les jeu-
nes gens à des études purement fpécu-
latives, 5c qu'après, fans la moindre ex-
périence , ils ("ont tout d'un coup jettes
dans le monde & dans les affaires , je
trouve qu'on ne choque pas moins la
raifon que la Nature, & je ne fuis plus
furpris que fi peu de gens fâchent fe
conduire. Par quel bizarre tour d'ef-
prit nous apprcnd-on tant de chofes
inutiles , tandis que l'art d'agir efl
Compté pour rien ? On prétend nous
former pour la fociété , <Sc l'on nous
inflruit comme fi chacun de nous de-
voit palier fa vie à penfcr fcul dans
fa cellule , ou à traiter des fujets en
l'air avec des indifferens. Vous croyez
apprendre à vivre à vosenfans, en
leur enfeignant certaines cor.toi fions
ou DE l'iI^DU CATION. 3 î ^
du corps 6c certaines formules de pa-
roles qui ne fignifient rien. Moi auflî ,
j'ai appris à vivre, à mon Emile , car je
lui ai appris à vivre avec lui-même,
& de plus à favoir gagner fon pain :
mais ce n'eft pas aiïez. Pour vivre
dans le monde il faut favoir traiter
avec les hommes , il faut connoître les
inftrumens qui donnent prife fur eux ;
il faut calculer l'adion & réadion de
l'intérêt particulier dans la fociété ci-
vile, & prévoir fi jufle les événemens,
qu'on foit rarement trompé dans [es
entreprifes , ou qu'on ait du moins
toujours pris les meilleurs moyens pour
réuffir. Les loix ne permettent pas
aux jeunes gens de faire leurs propres
affaires & de difpofer de leur propre
bien ; mais que leur ferviroient ces
précautions , fi , juf^u'à l'âge prefcrit,
ils ne pouvoient acquérir aucune ex-
périence ? Ils n'auroient rien gagné
d'attendre , 5c feroient tout auifi neufs
^20 Emile,
à vingt -cinq ans qu'à quinze. Sand
doute , il faut empêcher qu'un jeune
homme , aveuglé par fon ignorance
ou trompé par fes pafTions , ne fe faiïe
du mal à lui-même ; mais à tout âge
il eft permis d'être bienfaifant , à tout
âge on peut protéger , fous la direc-
tion d'un homme fage , les malheu-
reux qui n'ont befoin que d'appui.
Les nourrices, les mères s'attachent
aux enfans par les foins qu'elles leur
rendent ; l'exercice des vertus fociales
porte au fond des cœurs l'amour de
l'humanité ; c'efh en faifant le bien
qu'on devient bon , je ne connois point
de pratique plus fûre. Occupez votre
élevé à toutes les bonnes avions qui
font à fa portée ; que l'intérêt des in-
digens foit toujours le fien ; qu'il ne les
afTifle pas feulement de fa bourfe, mais
de fes foins ; qu'il les ferve, qu'il les
protège, qu'il leur confacre fa perfon-
ne Si. fon tems ; qu'il fe faife leur hom-
me
ou DE l'Education. 321
me d'affaires , il ne remplira de fa vie
un fi noble emploi. Combien d'oppri-
mes , qu'on n'eût jamais écoutés , ob-
tiendront juflice , quand il la deman-
dera pour eux avec cette intrépide
fermeté que donne l'exercice de la
vertu ; quand il forcera les portes des
Grands & des riches; quand il ira,
s'il le faut , jufqu'aux pieds du Trône
faire entendre la voix des infortunés ,
à qui tous les abords font fermés par
leur mifere , & que la crainte d'être
punis des maux qu'on leur fait , empê-
che même d'ofer s'en plaindre.
Mais ferons-nous d'Emile un che-
valier errant , un redrefleur des torts,
un paladin ? Ira-t-il s'ingérer dans les
affaires publiques , faire le fage & le
défenfeur des loix chez les Grands,
chez les Magiflrats , chez le Prince ,
faire le foUiciteur chez les Juges &
l'Avocat dans les tribunaux ? Je ne
fais rien de tout cela. Les noms badins
Tomi II, X
.^2 2 Emile,
Se ridicules ne changent rien à la na-
ture des chofes. Il fera tout ce qu'il
fait être utile & bon. Il ne fera rien
de plus , & il fait que rien n'efl utile
&: bon pour lui , de ce qui ne convient
pas à fon âge. 11 fait que fon premier
devoir eft envers lui-même , que les
jeunes gens doivent fe défier d'eux ,
être circonfpeds dans leur conduite ,
refpedueux devant les gens plus âgés ,
retenus 6c difcretsà parler fans fujet ^
jnodellcs dans les choies indifférentes ,
mais hardis à bien faire 6c courageux
à dire la vérité. Tels étoient ces illul-
tres Romains, qui , avant d'être admis
dans les charges , pafiToient leur jeu-
nelîe à pourfuivre le crime 6c à dé-
fendre rinnoccnce , fans autre inte-
îct que celui de s'inflruire , en fer-
vant la juflice 6c protégeant les bon-
nes mœurs.
Emile n'aime ni le bruit , ni les que^
stVits , non-feulement entre les hom*
ou DE l'Éducation. 323
knes * , pas même entre les animaux.
* Mais û on lui cherche querellï à Iif-méme , com-
ment fe conduira-t-il i" je réponds qu'il n'aura jamais
de querelle , qu'il ne s'y prêtera iamais alTez pour
en avoir. Mais enfin pourfuivra-t-on , qui eft-ce qui
cft à l'abri d'un foufBet ou d'un dé.nenti de la part
d'un brutal , d'un ivrogne ou d'un brave coquin ,
qui pour avoir le plaifir de tuer fon homme , com-
mence par le déshonorer ? C'eft autre chofe ; il ne
faut point que l'honneur des citoyens ni leur vie foie
à la merci d'un brutal , d'un ivrogie ou d'un brave-
coquin , & l'on ne peut pas plus le préferver d'un
pareil accident que de la chute d'une tuile. Un foufflet
& un démenti reçu & enduré ont des effets civil ,
que nulle fagelTe ne peut prévenir & dont nul Tri-
bunal ne peut venger l'offenié. L'inluffifance des
Loix lui rend donc en cela fon indépendance ; il eft
alors feul Magiftrat , feul Juge entre l'offenfeur & lui :
il eil feul interprète & Miniftre de la Loi Naturelle ,
îl fe doit juftice & peut feul fe la rendre , & il n'y
a fur la terre nul gouvernement aflcz infenfé pour
le punir de fe l'être une en pareil cas. Je ne dis
pas qu'il doive s'aller battre, c'eft une extravagance;
je dis qu'il fe doit juftice & qu'il en eft le feul dif-
penfateur. Sans tant de vains Édits contre les duels»
fi j'étois Souverain je réponds qu'il n'y auroit jamais
ni foufl3et , ni démenti donné dans mes Etats , &
cela par un moyen fort fimple dont les Tribunaux ne
fe mêleroient point. Quoiqu'il'en fou, Emile fait en
pareil cas la juftice qu'il fe doit à lui-même, &
l'exemple qu'il doit à la fiireté des gens d'honneur.
Il ne dépend pas de l'homme le plus ferme d'emiê»
cher qu'on ne l'infulte, mais il dépend de lui d'em-
pêcher qu'on ne fe vante long-tems de l'avoir infulté,
X z
5^4 Emile,
Il n'excita jamais deux chiens à fe bat-
tre; jamais il ne fit pourfuivre un chàc
par un chien; Cet efprit de paix eft
un effet de Ton éducation , qui , n'ayanc
point fomenté l'amour -propre & la
haute opinion de lui-même , l'a dé-
tourné de chercher Ces plaifirs dans la
domination, ôc dans le malheur d'au-
trui. 11 fouffre quand il voit fouffrir ;
c'ell un fentiment naturel. Ce qui fait
qu'un jeune homme s'endurcit & fe
complaît à voir tourmenter un être
fcnfiblc , c'efl quand un retour de va-
nité le fait fe regarder comme exempt
des mêmes peines par fa fageiïe ou par
fa fuperiorité. Celui qu'on a garanti
de ce tour d'efprit , ne faurcit tomber
dans le vice qui en*ell l'ouvrage. Ém.ile
aime donc la paix. L'image du bon-
heur le fiatte ; & quand il peut contri-
buer à le produire , ccd un moyen de
plus de le partager. Je n'ai pas fuppo-
fé , qu'en voyant des malheureux , il
ou DE l'Éducation. 325
ri'auroit pour eux que cette pitié flerile
& cruelle, qui fe contente de plaindre
les maux qu'elle peut guérir. Sa bien-
faifance adive lui donne bientôt des
lumières, qu'avec un cœur plus dur il
n'eût point acquifes , ou qu'il eût ac-
quifes beaucoup plus tard. S'il voit ré-
gner la difcorde entre fes camarades,
il cherche à les réconcilier : s'il voie
des affligés , il s'informe du fujet dp
leurs peines : s'il voit deux hommes fe
haïr , il veut connoître la caufe de leur
inimitié : s'il voit un opprimé gémir
des vexations du puiifant & du riche j
il cherche de quelles manœuvres fe
couvrent ces vexations ; & dans l'inté-
rêt qu'il prend à tous les miferables,
les moyens de finir leurs maux ne fonc
jamais indifferens pour lui. Qu'avons-
ïious donc à faire pour tirer parti
de ces difpofitions d'une manière con-
venable à fon âge ? De régler fes
ibins & fes connoiflances , & d'em^,
'^26 ÉmilEj
ployer fon zele à les augmenter.
Je ne me laiTe point de le redire :
mettez toutes les leçons des jeunes gens
en allions plutôt qu'en difcours. Qu'ils
n'apprennent rien dans les livres de ce
que l'expérience peut leur enfeigner»
Quel extravagant projet de les exercer
à parler fans fujet de rien dire ; de
croire leur foire fcntir, fur les bancs
d'un Collège , l'énergie du langage
des paiïions , & toute la force de l'art
de perfuader, lans intérêt de rien per-
fuader à perfonne! Tous les préceptes
de la Rhétorique ne femblent qu'un
pur verbiage à quiconque n'en fent pas
i'ufage pour fon profit. Qu'importe à un
écolier de favoir comment s'y prit An-
ïîibal pour déterminer fes foldats à paf-
fer les Alpes ? Si au lieu de ces magni-
fiques harangues vous lui difiez com-
ment il doit s'y prendre pour porter fon
Préfet à lui donner congé , foyez fur
^u'il feroit plus attentif à vos régies.
ou DE l'Education. 3 27
Si je voulois enfeigner ia Rhécori-
que à un jeune homme, conc toutes
les pafllons fudenc déjà développées,
je lui préfenterois fans ceiîe des objets
propres à flatter ces paifions, 6: j'exa-
minerois avec lui quel langage il doit
tenir aux autres hommes , pour les
engager à favorifer fes defirs. r.Iais
mon Emile n'efl; pas dans une fituation
{] avantageufe à l'art oratoire. Borné
prefque au feul nécelïàire phyfique ,
il a moins befoin des autres que les
autres n'ont befoin de lui ; & n'ayant
lien à leur demander pour lui-même 5,
ce qu'il veut leur perfuader ne le tou-
che pas d'alTez près pour l'émouvoir
excefTivement. 11 fuit de-là qu'en gé-
néral il doit avoir un langage limple
& peu figuré. Il parle ordinairement
au propre , & feulement pour être
entendu. Il efi: peu fentenci-eux , parce
qu'il n'a pas appris à géneralifer ks
idées; il a peu d'images parce qu'il eil
rarement pafîionné. X 4
^28 Emile,
Ce n'efl pas pourtant qu'il foit tout-
à-fait flegmatique 6c froid. Ni fori
âge , ni les mœurs, ni fes goûts ne le.
permettent. Dans le feu de l'adolef-
çence , les efprits vivifians retenus Se
cohobés dans fon fang portent à fon
jeune cœur une chaleur qui brille dans
fes regards , qu'on fent dans fes dif-
cours , qu'on voit dans fes adlions.
Son langage a pris de l'accent & quel-
quefois de la véhémence. Le noble
fentiment qui l'infpire lui donne de la
force ôc de l'élévation ; pénétré du
tendre amour de l'humanité , il tranf-
met en parlant les mouvemens de fon
ame ; fa génereufe franchife a je ne
fais quoi de plus enchanteur que l'ar-
tificieufe éloquence des autres , ou
plutôt lui fcul ell véritablement élo-
quent , puifqu'il n'a qu'à montrer ce
qu'il fent pour le communiquer à ceux
qui l'écoutent.
Plus j'y penfe , plus je trouve qu'en
ou DE l'Éducation. 329
jmettant ainfi la bienfaifance en adion
& tirant de nos bons ou mauvais fuccès
des réflexions fur leurs caufes , il y a
peu de connoiiTances utiles qu'on ne
puilTe cultiver dans l'efprit d'un jeune
homme, ôc qu'avec tout le vrai favoir
qu'on peut acquérir dans les Collèges ,
il acquerra de plus une fcience plus im-
portante encore , qui efl: l'application
de cet acquis aux ufages de la vie.
Il n'eft pas poflîble que , prenant tant
d'intérêt à fes femblables , il n'appren-
ne de bonne heure à pefer & apprécier
leurs adions , leurs goûts , leurs plai-
firs , & à donner en général une plus
jufle valeur à ce qui peut contribuer
ou nuire au bonheur des hommes ,
que ceux qui, ne s'intéreffantàperfon-
ne, ne font jamais rien pour autrui.
Ceux qui ne traitent jamais que leurs
propres affaires , fe pafTionnent trop
pour juger fainement des chofes. Rap-
portant tout à eux feuls 6c réglant fur
330 Émîle,
leur feul intérêt les idées du bien 8c
du mal , ils le reniplillent l'efprit de
mille préjugés ridicules , 6c dans tout
ce qui porte atteinte à leur moindre
avantage, ils voyent aulFi-tot le bou-
leverfement de tout l'univers.
Etendons l'amour-propre fur les ait-
très êtres , nous le transformerons en
vertu, 6c il n'y a point de cœur d'hom-
me dans lequel cette vertu n'ait fa raci-
ne. Moins l'objet de nos foins tient
immédiatement à nous-méme , moins
l'illufion de l'intérêt particulier elï à
craindre , plus on géneralife cet interêtj
plus il devient équitable , 6c l'amour
du genre humain n'ell autre chofe en
nousque l'amour de la juflice. Voulons-
nous donc qu'Emile aime la verité,vou-
lons-nous qu'il la connoilTer Dans les af-
faires tenons-le toujours loin de lui . Plus
fes foins feront confacrés au bonheur
d'autrui , plus ils feront éclairés 6c
iages , 6c moins il fe trompera fur ce
ou DE l'Éducation. 331
qui ell bien ou mal : mais ne foufirons
jamais en lui de préférence aveugle ,
fondée uniquement fur des acceptions
de perfonnes ou fur d'injulles préven-
tions. Et pourquoi nuiroic-il à l'un
pour fervir l'autre ? Peu lui importe
à qui tombe un plus grand bonheur en
partage , pourvu qu'il concourre au
plus grand bonheur de tous : c'eil - là
le premier intérêt du fage, après l'in-
térêt privé ; car chacun efl partie de
fon efpece, & non d'un autre individu.
Pour empêcher la pitié de dégéné-
rer en foiblelfe , il faut donc la géne-
ralifer , & l'étendre fur tout le genre
humain. Alors on ne s'y livre qu'au-
tant qu'elle efl d'accord avec la jufli-
ce , parce que de toutes les vertus , la
juftice eft celle qui concourt le plus
au bien commun des hommes. Il faut
par raifon , par amour pour nous ,
avoir pitié de notre efpece encore plus
que de notre prochain , 5c c'efl une
33? Emile,
très-grande cruauté envers les îiom-
mes que la pitié pour les méchans.
Au rcfle il faut fe fouvenir que tous
ces moyens par lefquels je jette ainfi.
mon élevé hors de lui-même ont ce-
pendant toujours un rapport dired à
lui ; puifque non-feulement il en ré-
fulte une jouilTance intérieure , mais
qu'en le rendant bicnfaiiant au profit
des autres , je travaille à fa propre
indruclion.
J'ai d'abord donné les moyens, &
maintenant j'en montre l'effet. Quelles
grandes vues je vois s'arranger peu-à-
peu dans fa tête ! Quels fentimens fu-
blimes étouffent dans fon cœur le ger-
me des petites paflîonsî Quelle nettetç
de judiciaire ! Quelle jufleife de raifon
je voisfe former en lui de fes penchans
cultivés , de l'expérience qui concen-
tre les vœux d'une ame grande dans
l'étroite borne des poffibles ôc fait
qu'un homme fuperieur aux autres, nq
ou DE l'Education. ■ 55^
pouvant les élever à fa mefure , fait
s'abbailTer à la leur ! Les vrais prin-
cipes du jufle , les vrais modèles du
beau, tous les rapports moraux des
êtres , toutes les idées de l'ordre fé
gravent dans fon entendement ; il voit
la place de chaque chofe & la caufe
qui l'en écarte ; il voit ce qui peut faire
le bien & ce qui l'empêche. Sans avoir
éprouvé les paiïîons humaines il con-
noît leurs illufions & leur jeu.
J'avance attiré par la force des
chofes , mais fans m'en impofer fur
les jugemens des Leileurs. Depuis
long-tems il me voyent dans le pays
des chimères ; moi je les vois toujours
dans le pays des préjugés. En m'écar-
tant fi fort des opinions vulgaires , je
ne ceffe de les avoir préfentes à mon
efprit ; je les examine , je les médite ,
non pour les fuivre ni pour les fuir,
mais pour les pefer à la balance du
raifonnemçnt. Toutes les fois qu'il me
554 Emile,
force à m'écarter d'elles , inllruit par
l'expérience, je me tiens déjà pour dit
qu'ils ne m'imiteront pas ; je fais que
s'obftinant à n'imaginer que ce qu'ils
voyent , ils prendront le jeune homme
que je figure pour un erre imaginaire
& fantallique , parce qu'il diffère de
ceux auxquels ils le comparent; fans
fonger qu'il faut bien qu'il en diffère ,
puifqu'élcvé tout différemment, affec-
té defentimenstout contraires, inflruit
tout autrement qu'eux, il feroit beau-
coup plus furprenant qu'il leur reffem-
blât que d'être tel que je le fuppofe.
Ce n'eil pas l'homme de l'homme,
c'êft; l'homme de la Nature. Aifuré-
ment il doit être fort étranger à leurs
yeux.
_ En commençant cet ouvrage , je ne
fuppofois rien que tout le monde ne
pût obferver ainfi que moi , parce
qu'il eft un point , favoir la nailfance
de l'homme, duquel nous partons tous
otj DE l'Éducation. 335
également ; mais plus nous avançons,
moi pour cultiver la Nature, Se vous
pour la dépraver , plus nous nous éloi-
gnons les uns des autres. Mon élevé à
lix ansdifferoit peu des vôtres que vous
n'aviez pas eu le tems de défigurer ;
maintenant ils n'ont plus rien de fem-
blable , 6c l'âge de l'homme-fait donc
il approche , doit le montrer fous une
forme abfolument différente , fi je n'ai
pas perdu tous mes foins. La quantité
d'acquis efl peut-être aflez égale de
part 6c d'autre ; mais les chofes acqui-
fes ne fe reffemblent point. Vous êtes
étonnez de trouver à l'un des fenti-
mens fublimes dont les autres n'ont pas
le moindre germe; mais confiderez
aufTi que ceux ci font déjà tous Fhilo-
fophes 6c Théologiens, avant qu'Emi-
le Cache ce que c'ell que philofophie 6c
qu'il ait même entendu parler de Dieu.
Si donc on venoit me dire : rien de
6e que vous fuppofez n'exille ; les jeu-
3 3 6 Emile,
nés gens ne font point faits ainfi ; ih
ont telle ou telle pafîion ; ils font ceci
ou cela ; c'efl comme fi l'on nioit que
jamais poirier fût un grand arbre, par-
ce qu'on n'en voit que de nains dans
nos jardins.
t Je prie ces juges fi prompts à la cen-
fure de confiderer que ce qu'ils difent-
là je le fais tout aufîi bien qu'eux , que
j'y ai probablement réfléchi plus long-
tems, & que n'ayant nul intérêt à leur
en impofer , j'ai droit d'exiger qu'ils
fe donnent au moins le tems de cher-
cher en quoi je me trompe : qu'ils exa-
minent bien la conftitution de l'hom-
me , qu'ils fuivent les premiers déve-
loppemens du cœur dans telle ou telle
circonilance , afin de voir combien un
individu peut différer d'un autre par la
force de l'éducation , qu'enfuite ils
comparent la mienne aux effets que je
lui donne , 6c qu'ils difent en quoi j'ai
mal raifonné; je n'aurai rien à répondre.
Ce
ou DE l'ÉdUCATIONT. 3^ j
Ce qui me rend plus affirmacif , &
|e crois plus excufable de l'être , c'eil
qu'au lieu de me livrer à l'efprit de
fyftême , je donne le moins qu'il eft
pofîible au raifonnement , & ne me fie
qu'à l'obfervarion. Je ne me fonde
point fur ce que j'ai imaginé , mais
fur ce que j'ai vu. 11 efl vrai que je
n'ai pas renfermé mes expériences
dans l'enceinte des murs d'une ville ,
ni dans un feul ordre de gens : mais
après avoir comparé tout autant de
rangs & de peuples que j'en ai pu voir
dans une vie palTée à les obferver , j'ai
retranché , comme artificiel , ce qui
étoit d'un peuple 5c non pas d'un au-
tre, d'un état & non pas d'un autre;
&: n'ai regardé , comme appartenant
inconteftablement à l'homme, que ce
qui étoit commun à tous , à quelque
âge , dans quelque rang , & dans
quelque nation que ce fût.
Or , Il fuivant cette méthode vous
Tome IL Y
^3^ Emile j
fuivez dès l'enfance un jeune honimè
qui n'aura point reçu de forme parti-
culière , (Se qui tiendra le moins qu'il
eft polTîble à l'autorité & à l'opinion
d'autrui , à qui , de mon élevé ou des
vôtres, penfez-vous qu'il refi'emblera
le plus ? Voilà , ce me femble , la
queftion qu'il faut réfoudre , pour fa-
voir fi je me fuis égaré.
L'homme ne commence pas aifé-
ment à penfer ; mais fi-tôc qu'il com-
mence il ne ceiTe plus. Quiconque a
penfé penfera toujours : & l'entende-
ment une fois exercé à la réfiexion , ne
peut plus relier en repos. On pourroic
donc croire que j'en fais trop ou trop
peu , que l'cfprit humain n'cft point
naturellement li prompt à s'ouvrir , &
qu'après lui avoir donné des facilités
qu'il n'a pas , je le tiens trop long-tems
infcrit dans un cercle d'idées qu'il doit
avoir franchi.
Mais confiderez premièrement que,
bu DE l'Education. 339
voulant former l'homme de la Nature,
il ne s'agit pas pour cela d'en faire un
fauvage , <5c de le reléguer au fond des
bois; mais qu'enfermé dans le tourbil-
lon focial , il fuffit qu'il ne s'y laiiTe en-
traîner ni par les paffions , ni par les
opinions des hommes, qu'il voye par
fes yeux , qu'il fente par fon cœur ,
qu'aucune autorité ne le gouverne hors
celle de fa propre raifon. Dans cette
poiîtion il ell clair que la multitude
d'objets qui le frappe , les fréquens
fentimens dont il eil affedé, les divers
moyens de pourvoir à fes befoiris réels,
doivent lui donner beaucoup d'idées
qu'il n'auroit jamais eues , ou qu'il eût
acquifes plus lentement. Le progrès
naturel à l'efprit éll accéléré , mais non
renverfé. Le même homme qui doic
refter ilupide dans les forêts , doit de-
venir raifonnable & fenfé dans les vil-
les , quand il y fera fimple fpeclateur.
Rien n'efl; plus propre à rendre fag@
Y 2.
340 É Al I L Ë ,
que les folies qu'on voie fans les partâ=
ger ; ôc celui même qui les partage
s'inftruic encore , pourvu qu'il n'en
Ibit pas la dupe , ôc qu'il n'y porte pas
l'erreur de ceux qui les font.
Confiderez auffi que , bornés par
pos facultés aux chofes fenfibles , nous
n'offrons prcfque aucune prife aux no-
tions abflraites de la philofophie &
?ux idées purement intelleduelles.
Pour y atteindre il faut , ou nous dé-
gager du corps , auquel nous Ibmmes
fi fortement attachés, ou faire d'objet
en objet un progrès graduel ôc lent ^
ou enfin franchir rapidement 6c pref-
que d'un faut l'intervalle , par un pas
de géant dont l'enfance n'ell pas ca-
pable , & pour leqoel il faut même
aux hommes bien des échelons faits
exprès pour eux. La. première idée
abflraite eft le premier de ces échelons ;
mais j'ai bien de la peine à voir com*
ment on s'avife de le conilruire.
oir DE l'Education. 341
L'Etre incompréhenfible qui cm-
bralîe tout , qui demie le mouvemenc
au monde , & forme tout le fyftême
des êtres, lïefl ni vihble à nos yeux,
ni palpable à nos mains ; il échappe à
tous nos fens. L'ouvrage fe montre ;
mais l'ouvrier fe cache. Ce n eft pas
une petite affaire de connoître enfin
qu'il exifle , & quand nous fommes
parvenus-là , quand nous nous deman-
dons quel ed-il, où eft-il? notre efpric
fe confond, s'égare, £c nous ne favoiis
plus que penfer.
Locke veut qu'on comimence par
l'étude des efprits , <Sc qu'on paflb en-
fuite à celle des corps : cette méthode
eft cell« de la fuperftition , des préju-
gés , de l'erreur ; ce n'eil point celle
de la raifon , ni même de la Nature
bien ordonnée , c'eft; fe boucher les
yeux pour apprendre à voir. Il faut
avoir long-tems étudié les corps pour
fe faire une véritable notion des efprics
Y 3
Se foupçonncr qu'ils exiftent. L'ordre,
contraire ne fert qu'à établir le mate-
rialifme.
Puifque nos fens font les premiers inC-
trumens de nos connoillànces, les êtres
corporels &. fenhbles font les feuls dont
nous ayons immédiatement l'idée. Ce
mot efprit , n'a aucun fens pour qui-
conque n'a pas pbilofophé. Un efpric
n'efl: qu'un corps pour le peuple & pour
lesenfans. N'imaginent-ils pas des ef-
prits qui crient , qui parlent , qui bat-
tent, qui font du bruit? or onfn'avoue-
la que des efprits qui ont des bras 6c
des langues rellemblent beaucoup à
des corps. Voilà pourquoi tous les
peuples du monde , fans excepter les
Juifs , fe foni: faits des Dieux corpo-
rels. Nous-mêmes, avec nos termes
d'Efprit , de Trinité, dePerfonnes,
fommes pour la plupart de vrais au-
tropomorphîtes. J'avoue qu'on nous
^.pprend à dire que Dieu efl par-tout ;
ou DE l'Éducation. ^4^.
mais nous croyons auffi que l'air eft
par-tout , au moins dans notre atmof-
phere , & le mot efprit dans fon ori-
gine ne fignifie lui-même que fouffie
Se vent. Si -tôt qu'on accoutume les
gens à dire des mots fans les entendre ,
il ell facile , après cela , de leur faire
dire tout ce qu'on veut.
Le fentiment de notre adion fur les
autres corps a dû d'abord nous faire
croire que quand ils agiiK=)ient: fur nous,
c'étoit d'une manière femblable à celle
dontnousagilTons fur eux. Ainfi l'hom-
me a commencé par animer tous les
êtres dont il fentoit l'aâion. Se fen-
tant m^oins fort que la plupart de ces
êtres, faute de connoître les bornes de
leur puiflance , il l'a fuppofée illimu-
tée , & il en fît des Dieux aufTi-tôr
qu'il en fit des corps. Durant les pre-
miers âges , les hommes , effrayés de
tout , n'ont lien vu de mort dans la
• Nature. L'idée de la miatiere n'a,p?s
Y4
344 Emile,
été moins lente à fe former en eux
que celle de l'efprit , puifque cette
première idée eft une abftradiûn elle-
même. Ils ont ainli rempli l'univers
de Dieux lenfibles. Les aftres , les
vents , les montagnes , les fleuves , les
arbres, les villes, les mailons mêmes,
tout avoit fon amc , Ton Dieu , fa vie.
Les marmoufets de Laban , les mani-
tou des Sauvages , les fétiches des Nè-
gres, tous les ouvrages de la Nature
& des hommes ont été les premières
divinités des mortels : le polythéifme
^ été leur première religion , & l'idolâ-
trie leur premier culte. Ils n'ont pu
reconnoître un feiil Dieu que quand ,
géneralifant de plus en plus leurs idées,
ils ont été en état de remonter à une
première caufe , de réunir le fyflêmo
total des êtres fous une feule idée , &
de donner un fens au niotfub fiance , le-
quel efl: au fond la plus grande des abf-
tradions. Tout enfant qui croit ew
ou DE l'KdFCATION. 345
Dieu eft donc néceiïairement: idolâtre,
ou du moins antropomorphice ; ôc
quand une fois l'imagination a \ù.
Dieu , il eft bien rare que l'enrende-
ment le conçoive. Voilà précifémene
l'erreur où mené l'ordre de Locke.
Parvenu , je ne fais comment , à
l'idée abftraite de la fabUance , on
voit que pour admettre une fubitance
unique , il lui fîiudroit fuppofer des
qualités incompatibles qui s'excluent
mutuellement , telles que la penfée &
l'étendue , dont l'une eil effencielle-
ment divilible, & dont l'autre exclue
toute divifibiiité. On conçoit d'ail-
leurs que la penfée , ou fi l'on veut le
fentiment, efl: une qualité primitive &
inféoarable de la fubftance à laquelle
1 1
elle appartient , qu'il en cft de même
de l'étendue par rapport à fa fubdance.
D'où l'on conclut que les êtres qui per-
dent une de ces qualités perdent la
fubliance à laquelle elle appartient ;
54^ Emile,
quepar confcquent la mort n'efl: qu'une,
réparation de fub fiances , 6c que les
êtres où ces deux qualités font réu-
nies , font compofés des deux fubllan-
ces aufquelles ces deux qualités ap-
j'artiennent.
Or, confiderez maintenant quelle
diftance relie encore entre la notion
des deux fubflances <5c celle de la na-
ture divine ; entre fidée incompré-
henfible de Tadion. de notre amc fur
notre corps , 6c l'idée de l'adion de
Dieu fur tous les çtres. Les idées de
création, d'annihilation, d'ubiquité,
d'éternité , de toute-puiifance , celle
des attributs divins , toutes ces idées
qu'il appartient à fi peu d'hommes de
voir aulFi confufcs 6c auffi oblcures
qu'elles le font , 6c qui n'ont rien d'obi-
cur pour le peuple parce qu'il n'y com-
prend rien du tout , comment fe pré-
fenteront-elles dans toute leur force,
ç'ell-à-dire , dans toute leur obfcuritç.
ou DE l'Éducation. 347.
à de jeunes efprics encore occupés aux
premières opérations des fens , 6c qui
ne conçoivent que ce qu'ils touchent ?
C'efL en vain que les abymes de l'infini
font ouverts tout autour de nous ; un
enfant n'en fait point être épouvanté ,
fes foibles yeux n'en peuvent fonder la
profondeur. Tout efl infini pour les
enfans , ils ne fivent mettre des bor-
nes à rien ; non qu'ils falfent la mefure
fort longue , majs parce qu'ils ont l'en-
tendement court. J'ai même remar-
qué qu'ils mettent l'infini moins au-
de-là qu'au de-çà des dimenfions qui
leur font connues. Ils eftimeront ua
efpace immenfe , bien plus par leurs
pieds que par leurs yeux ; il ne s'éten-
dra pas pour eux plus loin qu'ils ne
pourront voir ; mais plus loin qu'ils ne
pourront aller. Si on leur parle de la
puiifancedeDieUjilsl'eflimeront pref
que auifi fort que leur père. En toute
çhofe leur connoifiance étant pour eux
34^ Emile,
la mefure des poflîbles, ils jugent ce
qu'on leur dit toujours moindre que
ce qu'ils favent. Tels font les juge-
mens naturels à l'ignorance & à la foi-
bleife d'efprit. Ajax eût craint de fe
mefurer avec Achille , & déï\e Jupiter
au combat, parcequ'il connoît Achille
& ne connoît pas Jupiter. Un payfan
SuilTe qui fe croyoit le plus riche des
hommes , 6c à qui l'on tâchoit d'expli-
quer ce que c'étoit qu'un Roi, deman-
doit d'un air fier fi le Roi pourroic
bien avoir cent vaches à la montagne.
Je prévois combien de Ledleurs fe-
ront furpris de me voir fuivre tout le
premier âge de mon élevé fans lui par-
ler de religion. A quinze ans il ne fa-
voit s'il avoit une ame , 6c peut-être à
dix-huit n'efl-il pas encore tems qu'il
l'apprenne ; car s'il l'apprend plutôt
qu'il ne faut, il court rifque de ne le
favoir jamais.
Si j'avois à peindre la ftapidité fàr
ou DE l'Éducation. 749
clie'ufe , je peindrois un pédant enfei-
gnant le catéchifme à des enfans ; fi je
v<)ulois rendre un enfant fou , je l'obii-
gerois d'expliquer ce qu'il dit en di-
fant fon cacéchifme. On m'objeftera
que la plupart des dogmes du ChriJf-
tianifme étant des mifleres , attendre
que l'efprit humain foit capable de
1-es concevoir , ce n'efl: pas attendre
que l'enfant foit homme , c'efl atten-
dre que l'homme ne foit plus. A cela
je réponds premierentent, qu'il y a des
mifleres qu'il elt non-feulement impof-
fible à l'homme de concevoir , mais de
croire , 6c que je ne vois pas ce qu'on
gagne à les enfeigner aux enfans , fi ce
ft'effc de leur apprendre à mentir de
bonne heure. Je dis de plus , que pour
admettre les mifleres , il faut comoren-
dre, au moins, qu'ils font incompréhen-
fïbles ; & les enfans ne font pas même
capables de cette conception-là. Pour
l'âge où tout efl miftere , il n'y a poinc
de milleres proprement dits.
350 Émîle,
Jl faut croire en Dieu pour être faU'
-yé. Ce dogme mal entendu efl le prin-
cipe de la Tanguinaire intolérance , &
la caufe de toutes ces vaines inflruc-
tions qui portent le coup mortel à là
raifon humaine en l'accoutumant à fe
payer de mots. Sans doute , il n'y a
pas un moment à perdre pour mériter
le falut éternel : mais fi pour l'obtenir
il fuffit de répéter de certaines paro-
les , je ne vois pas ce qui nous empê-
che de peupler lé Ciel de fanfonets &
de pies , tout aufTi bien que d'enfans.
L'obligation de croire en fuppofe
la pofTibilité. Le Philofophe qui ne
croit pas à tort , parce qu'il ufe mal
de la raifon qu'il a cultivée , & qu'il
eft en état d'entendre les vérités qu'il
rejette. Mais l'enfaiit qui profelTe la
religion chrétienne, que croit-il? ce
qu'il conçoit , 6c il conçoit fi peu ce
qu'on lui fait dire, que fi vous lui dites
le contraire, il l'adoptera tout audi vo-
ou DE l'Éducation. 351
îontiers. La foi des enfans 6z de beau-
coup d'homrrtes eil une affaire de géo-
graphie. Seront-ils récompenfés d'être
nés à Rome plutôt qu'à la Mecque.
On dit à l'un que Mahomet eft le Pro-
phète de Dieu , <Sc il dit que Mahomet
eft le Prophète de Dieu; on dit à l'au-
tre que Mahomet efl un fourbe , & il
dit que Mahomet efl un fourbe. Cha-
cun des deux eût affirmé ce qu'affirme
l'autre s'ils fe fuffent trouvés tranlpofés.
Peut-on partir de deux difpofitions (î
fêmblables pour envoyer l'un en Para-
dis & l'autre en Enfer ? Quand un en-
fant dit qu'il croit en Dieu , ce n'eft
pas en Dieu qu'il croit , c'eil à Pierre
ou à Jaques qui lui difent qu'il y a
quelque chofe qu'on appelle Dieu ; &
il le croit à la manière d'Euripide.
O Jupiter ! car de toi rien fiiion
Je ne cannois feulement que le nom *. ~
* Plutarque , Traité de V Amour, trad. d'Amyot.
C'eft ainfi que commcnçoit d'abord la Tragédie de
Kfénalippe ; mais les clameurs du Peuple d'Athènes
forcèrent Euripide à changer ce commencement.
l'y?. ÉmILÈ,
Nous tenons que nul enfant morÊ
avant l'âge de raifon ne fera privé
du bonheur éternel ; les Catholiques
croient la même chofe de tous les en-
fans qui ont reçu le baptême, quoi-
qu'ils n'aient jamais entendu parler de
Dieu. Il y a donc des cas où l'on peut
être fauve fans croire en Dieu , 6c ces
cas ont lieu, foit dans l'enfance, foie
dans la démence , quand l'efprit hu-
main efl incapable des opérations né-
ceflaires pour rcconnoitre la Divinité.
Toute la diflérence que je vois ici en-
tre vous 6c moi,efl; que vous prétendez
que les cnfans ont à fept ans cette ca-
pacité , 6c que je ne la leur accorde
pas même à quinze. Que j'aye tort ou
raifon, il ne s'agit pas ici d'un article
de foi , mais d'une fimple obfervation
d'hiiloire naturelle.
Par le même principe , il efl: clair
que tel hommtC pavenu jufqu'à là
vieillelfe lans croire en Dieu , ne fera
pas
ou DE l'Éducation. 555
pas pour cela privé de fa préfence dans
i l'autre vie fi fon aveuglement n'a pas
été volontaire , & je dis qu'il ne l'efl
pas toujours. Vous en convenez pour
les infenfés qu'une maladie prive de
leurs facultés fpirituelles , mais non de
leur qualité d'homme , ni par confé-
quent du droit aux bienfaits de leur
Créateur. Pourquoi donc n'en pas con-
venir auffi pour ceux qui , fequeftrés
déroute fociété dès leur enfance, au-
roient mené une vie abfolument fau-
vage , privés des lumières qu'on n'ac-
quiert que dans le commerce des hom-
mes * r Car il efl d'une impofîlbilité
démontrée qu'un pareil Sauvage pûc
jamais élever fes réflexions jufqu'à la
connoifTance du vrai Dieu. La raifon
nous dit qu'un homme n'eft punifl'able
que par les fautes de fa volonté, &
* Sur rétat naturel de l'efprit humain Se fur la
lenteur de fes progrès : Voye^ la. première pinie in
difcours fur LHnégalité.
Tome II, Z
354 Emile,
qu'une ignorance invincible ne lui fau-
roit être imputée à crime. D'où il iuit
que devant la juflice éternelle tout
homme qui croiroit , s'il avoit les lu-
mières nécelTaires , eil réputé croire ,
& qu'il n'y aura d'incrédules punis que
ceux dont le cœur fe ferme à la vérité.
Gardons -nous d'annoncer la vérité
à ceux qui ne fout pas en état de l'en-
tendre , car c'efl y vouloir fubftituer
l'erreur. Il vaudroit mieux n'avoir au-
cune idée de la Divinité que d'en avoir
■des idées baOcs , fantailiques , inju-
lieufes, indignes d'elle ; c'eft un moin-
dre mal de la méconnoître que de
routrao:er. J'aimerois mieux , dit le
bon Plutarque j qu'on crût qu'il n'y a
point de Plutarque au monde , que fi
l'on difoit que Plutarque eft injufle,
envieux, jaloux, &:fi tiran, qu'il exige
plus qu'il ne lailfe le pouvoir de faire.
Le grand mal des images difformes
de la Divinité qu'on trace dans l'efprit
ou DE l'Éducation. 355
des enfans efl qu'elles y reftent toute
leur vie, & qu'ils ne conçoivent plus
étant hommes d'autre Dieu que celui
des enfans. J'ai vu en Suifle une bonne
& pieufe mère de famille tellement
convaincue de ce:te maxime , qu'elle
ne voulut point instruire fon fils de la
religion dans le premier âge^, de peur
que content de cette inftrudion grof-
fiere , il n'en négligeât une meilleure
à l'âge de raifon. Cet enfant n'enten-
doit jamais parler de Dieu qu'avec re-
cueillement & révérence , & fi-tôc
qu'il en vouloit parler lui-même on
lui impofoit filence , comme fur un
fujet trop fublime <5c trop grand pour
lui. Cette réferve excitoit fa curiofité,
êc fon amour-propre afpiroit au mo-
ment de connoître ce miftere qu'on
lui cachoit avec tant de foin. Moins on
lui parloit de Dieu, moins on fouffroit
qu'il en parlât lui-même , & plus il
s'en occupoic : cet enfant voyoit Dieu
Z z
25^ Emile,
par-tout; & ce que je craindrois de cet
air de millere indifcretement affedé,
feroic qu'en allumant trop l'imagina-
tion d'un jeune homme , on n'altérât
fa tête , & qu'enfin l'on n'en fit un fa-
natique au lieu d'en faire un croyant.
Mais ne craignons rien de femblable
pour mon Emile , qui , refufant conf-
tament fon attention à tout ce qui eft
au-defliisde fa portée, écoute avec la
plus profonde indifférence les chofes
qu'il n entend pas. Il y en a tant fur
lefquelles il eft habitué à dire , cela
n'efl pas de mon relTorc, qu'une de
plus ne rembarraffe guère ; & quand
il commence à s'inquiéter de ces gran-
des queflions , ce n'ell pas pour les
avoir entendu propofer , mais c'ed
quand le progrès de fes lumières por-
te ks recherches de ce côté-là.
Nous avons vu par quel chemin l'ef
prit humain cultivé s'approche de ces
mifteres , & je conviendrai volontiers
ou DE l'Éducation. 257
qu'il n'y parvient naturellement au
fein de la fociété même , que dans un
âge plus avancé. Mais comme il y
a dans la même fociété des caufes
inévitables par lefquelles le progrès
des payons efl accéléré ; (i l'on n'ac-
céleroit de même le progrès des
lumières qui fervent à régler ces
paiïions , c'ell: alors qu'on fortiroit
véritablement de l'ordre de la Na-
ture , & que l'équilibre feroit rom-
pu. Quand on n'efl pas maître de mo-
dérer un développement trop rapide ,»
il faut mener avec la même rapidité
ceux qui doivent y correfpondre , en
forte que l'ordre ne foit point interver-
ti , que ce qui doit marcher enfem-
ble ne foit point féparé, & que l'hom-
me , tout entier à tous les momens
de fa vie , ne foit pas à tel point par
une de fes facultés , & à tel autre
point par les autres.
Quelle difficulté je vois s'élever ici!
358 Emile,
difficulté d'autant plus grande, qu'elle
eft moins dans les chores que dans la
pufillanimité de ceux qui n'ofent la
réioudre : commençons , au moins ,
par ofer la propofer. Un enfant doit
être élevé dans la religion de fon père ;
on lui prouve toujours très-bien que
cette religion , telle qu'elle foit , efl
la feule véritable , que toutes les au-
tres ne font qu'extravagance & abfur-
dite. La force des argumens dépend
abfolument , fur ce point , du pays où
l'on les propofe. Qu'un Turc , qui
trouve le Chriftianifme fi ridicule à
Conflantinople , aille voir com.ment
on trouve le Mahométifme à Paris:
c'efl fur-tout en matière de- religion
que l'opinion triomphe. Mais nous
qui prétendons fecouer fon joug en
toute chofe , nous qui ne voulons rien
donner à l'autorité , nous qui ne vou-
lons rien enfeigner à notre Emile qu'il
ne pût ap^prendre de lui-même par
ou DE l'Éducation. 359
tout pays , dans quelle religion l'éle-
verons-nous ? à quelle fedle aggrége-
rons-nous l'homme de la Nature r La
réponfe efl fort (impie , ce me fem-
ble ; nous ne l'aggrégerons ni à celle-
ci , ni à celle-là , mais nous le mettrons
en état de choilir celle où le meilleur
ufage de fa raifon doit le conduire.
Incedo per i^nes
Suppofitos cineri dolojb.
N'importe ; le zèle & la bonne foi
m'ont jufqu'ici tenu lieu de prudence.
J'efpere que ces garants ne m'aban-
donneront point au befoin. Led:eurs ,
ne craignez pas de moi des précau-
tions indignes d'un ami de la vérité :
je n'oublierai jamais ma devife ; mais
il m'efl trop permis de me défier de
mes jugemens. Au lieu de vous dire
ici de mon chef ce que je penfe, je
vous dirai ce que penfoit un homme
qui valoit mieux que moi. Je garantis
h vérité des faits qui vont être rap-
3^0 Emile»
portés ; ils font réellement arrivés à
l'auteur du papier que je vais tram-
crire : c'eft à vous de voir fi l'on peut
en tirer des réflexions utiles fur le fu-
jet dont il s'agit. Je ne vous propofe
point le fentiment d'un autre ou le
mien pour régie ; je vous l'offre à
examiner.
Fin du Tome fécond.
36i
TABLE
DES MATIERES,
POUR LES DEUX PREMIERS VOLUMES.
I. Défigne le Tome premier.
11. le Tome fécond,
n. les notes.
^Bbé de St. Pierre; comment établif-
foit fes enrans. T. H. p. ng
Comment appelloit les hommes. I. m
Académies , font des écoles publiques de
menfonges. II. 15 j
Accent , s'il faut fe piquer de n'en point
avoir. I. 131
Ce que le François m.et à la place. Ibia.
Les enfans en ont peu. I. ^iz
Achille , allégorie de fon immerfion dans
le Styx, I. 37
Comment le Poète lui ôte le mérite de
la valeur. I. 64
Aâlivité , furabondante dans les enfans , &
défaillante dans les vieillards. I. nj
Adolefcence , fignes des approches de cet
âge. ^ ^ II- I7Î
Peut être accélérée ou retardée par
l'éducation. II. lyi
Tome IL A â
^6t -TABLE
Affaires y comment un jeune homme peut
les apprendre. IL 517
Ceux qui ne traitent que les leurs pro-
pres, s'y paffionnent trop. IL ^2.g
j/lffeêiation d'un parler modefie , mauyaife
avec les enfans. IL 193
Affronts déshonorons , à qui en appartient
la vengeance. IL 313 n.
Age de force. IL i
Son emploi. IL 6
Age -prodigieux. I. 70 n.
Ajax , eut craint Achille & défie Jupiter.
IL 348
Alexandre , croyoit à la vertu. I. xji
AlimensfolideSy nourrirent mieux que les
liquides. L 79 n.
Alimens des premiers hommes. I. ^zi
Amateurs &- Amutrices , comment font à
Paris leurs ouvrages. IL 146
Exceptions. Ibid,
./^/ROi/r , exige des connoinTances. II i8î
A de meilleurs yeux que nous. Ibia,
Fixe & rend excluiif le penchant de la
Nature. Ibid.
Partions qu'il entraine à fa fuite. IL 185
Amour de foi y principe de toutes nos paf-
fions. IL 177
Toujours bon & conforme à l'ordre.
IL 178
Quelles fortes de paflîons en nai fient.
IL i8i
DES MATIERES. 365
j^mour-propre , pourquoi n'eft jamais con-
tent. ^ II. l8£
Quelles fortes de paflions en naiflent. Ib.
Devient orgueil dans les grandes âmes ,
vanité dans les petites. II. 186
Commentfe transforme en vertu. II. 330
Analyfe. II. z^
Analogie grammaticale , les enfans la fui-
vent mieux que nous. I. 126
Angle vifuel , comment nous trompe.
I. ?79
Anglais , fe difent un peuple de bon natu-
rel. I. 430 n,
Angloife , à dix ans , excelloit fur le cla^
vecin. I. 407
Animaux , ont tous quelque éducation.
ï- 94
Dorment plus l'hiver que l'été. I. 3 38
Antoine (Marc) , tems où i'hifloire de fa
vie eft initrudive. II. 294
Amhropojnorphites. II. 342 , 34^
Appétit des enfans. I. 429
Apprentijfages , comment Émiie en fait
deux à la fois. II. 145
Araignées , quels enfans en ont peur. I, 97
Arme-à-feu. 1. 99
Art de gouverner fans préceptes. I. 301
^rî d'obferver les enfans. II. 134
Arts y en quel ordre l'eftime publique les
range. II. 8j
A a ^
564 TABLE
yîrîs , Emile les rangera dans la fienne en
un ordre inverfe. Ibid.
Autre manière d'ordonner les Arts , fé-
lon les rapports de nécefllté qui les
lient. ii. 91
Ansfauvages & Arts civils , diftindion àes
uns & des autres. II. 81
Anijan , fon état eft le plus indépendant
de tous. II. 12.0
Ânifans des villes ^ fottement ingénieux.
Ajtianax. I. 99
Attachement des enfans , n'eft d'abord
qu'habitude. II. i8o
En quoi l'attachement diffère de l'amitié.
II. 258
AveTtiJfem.ens négligés-, s'il en faut reparler
après coup. II 210
Augure , étoit le précepteur de {qs petits-
rils. I. 44 n.
S'il efl vrai qu'il ait été heureux. II. 292
Autorité-, il ne faut rien lui donner quand on
ne veut rien donner à l'opinion. II.
Si celle du maître doit fe conferver aux
dépens des mœurs. II. 255
Jj A N I AN s. I. 450 n.
Bâton à moitié plongé dans l'eau. II. 154
Berceau. I. 86 n.
Bibliothèque d'Emile, II. 77
DES M AT lE RES. 365
Bienfaiteurs interejfés , plus communs que
les obligés ingrats. II. 259
Biens & maux de la vie humaine exami-
nés. I. 152 ù'fuiv.
Bonheur de l'homme naturel , en quoi con-
fifte. ^ II. ji
Si la mefure du bonheur eft égale dans
tous les états. IL 2.27
Nous jugeons trop du bonheur fur les
apparences. II. 241
Bons-mots , fecret pour en trouver. I. 249
Bonté , de tous les attributs de la Divinité
toute-puifTante , celui fans lequel on
la peut le moins concevoir. I. m
Bouchers , en quel pays ne font pas reçus
en témoignage. I. 43 1
Boui//ze , nourriture peu faine. I. 122
Boule roulée entre deux doigts croifés. II.
1)2 , 164
Boujfole , comment nous l'inventons. II. 41
Bruit d'une arme-à-feu. I. 99
Buffouj (M. de) cité I. 22 , 87 i- 355 n.
(^ A D RES dorés , à quoi bons.' I. 397
Campagne , renouvelle les générations des
villes. I. 82
Canard de la foire. II. 32
Caprice , ne vient point de la liberté. I.
N'eft point l'ouvrage de la Nature. I.
Aa 3
^66 TABLE
Caprice f exemples delà manière d'en gué-
rir un entant. I. 308, }i4
Carrer géographiques. II. a> , 16
Catcn le Cenfeur , éleva fon tîls dès le ber-
ceau. I. 44 n.
Cerf-volant. I. 465
Chirdin , cité. I. 351
Ckarité , manière inepte dont on croit i'inf-
pirer aux entans. I. 140
Chat y examine tous les objets nouveaux.
Châtiment , doit être ignoré des enfans. I.
198, 231
C/iet'j/, réflexion fur cet exercice. I. 347
Chimères , ornent les objets réels. I. 447
Ciceron , cité. L 18
Citoyenne. I. iz
Citoyens , ce qu'il faut faire quand ils font
forcés d'être fripons. II. 1 14
Climat. I. 56
Climats tempérés , leurs avantages. Ibid.
Coéffures des enfans. I. 331
Collèges. I. 14, 13,
Colère. I. zij
Commander & obéir , mots qui doivent être
inconnus à l'enfant. I. i86
Concurrence , quand doit ceffer d'être uq
inftrument de l'éducation. IL 7j
Confidentes , font ordinairement des nour-
D E s M A T I E R E s. 367
rices dans les drames anciens. I. yy
Connoijfances j leur choix relativement aux
bornes de l'intelligence humaine. II. 7
Bien vues par leurs rapports , préfer-
vent des préjugés pour celle qu'on a
cultivée. I. 108
Confoladons , tour qu'on peut leur donner
pour humilier l'amour-propre. II. 311
Contradiôlîons de V ordre focial , quelle eft
leur fource. II. 268
Conuendons & devoirs , ouvrent la porte à
tous les vices. I. 231
Corps débile 2iffo\h\\tl'd.me. I. 61 II. 253
Corps humain , différence de l'habitude
qui lui convient dans l'exercice , ou
dans l'inadion. I. 330
Cofmo^raphie , fa première leçon. II. 20
Courage , en quels lieux il faut le chercher.
I. 66
Courfe. I. 381
Inftrudion que l'enfant peut tirer de cet
exercice. I. 387
Couverts. 1. 131
Cris des enfans. I. roj
Cuif.ne françoife. I. 424
Culture , un de fes grands préceptes eft
de tout retarder. II. 25^
Curiofiîé , fa première fource. II. n
Commentfe fait fon développement. Ib.
Quelle feroit celle d'un Philofophe re-
légué dans une ifle déferte. Ibid,
Aa ^
î68 TABLE
Çuriofué , raifon pourquoi le Philofophe en
a tant, & le Sauvage ii peu. II. 156
Oyclopes. I. 451
Ciar Pierre. II. 141
G A N s E. I- 376 , j77
Déclamer. I. 416
Définitions j comment pourroient être bon-
nes. I. 2j8 n.
Dents , moyen de faciliter leur éruption,
I. 17. 1 ù'fuiv.
Dépendance des chofes & dépendance des
hommes. I. 17 i
La première ne nuit point à la liberté.
Ibid.
Défordre moTil-, par où commence. I. 33
DejTsin-, réfiexions fur cet art. I. 39a
Deue fociale 1 comment fe paye. II. 118
Devoir , impofé mal-à-propos aux enfans.
I. 196
. Eifet de cette indifcrétion. I. 193
Ce qu'on doit mettre à la place. I. 194
Dialogue de morale entre le maitre & l'en-,
hint. I. 189
Dieux du paganlfme , comment furent ima-
ginés. II. 54}
Dijlances , moyen d'apprendre aux enfans
à en juger, I. 102,
Divinité, il vaut mieux n'en point parler
aux enfans, que de leur en donner de
faufles idées. II. 354
DES MATIERES. 369
Docilité, effets de celle qu'on exige des
enfans. II. 54
Domination , tient à l'opinion comme tout
le refte. I. 166
Douleur , l'homme doit apprendre à la
connoître. I. 144, 179
Comment perd fon amertume au goût
desentans. I. 345
mI A u y dans quel état l'enfant la doit
boire. !• 355
E^Mcario/i , fes diverfes efpeces I. 5, 15
Oppolîtion entre elles. I. 9
Choix. I. 7 , 16
But. I. 7
Sens de ce mot chez les Anciens. I. 19
Commence à la naiflance. I. 93
]\e fe partage pas. !• H
î^ouvelles difficultés. I. 47
Quel en doit être le véritable inftru-
ment. I. 197
Importance de la retarder. I. :oz
Difficulté. I. 207
Doit être d'abord purement négative.
I. 203
Progrès de fes différences. II. 335
éducation exclufive , préfère les inftruftions
coûteufes. I. 347
Education naturelle , doit rendre l'homme
propre à toutes les conditions humai-
nes. I. ^8
Maintient l'enfant dans la feule dépen-
dance des chofes. I. 173
37Ô TABLE
Education vulgaire , difpenfe les cnfans
d'apprendre à penfer. I. 297
Quel efprit elle leur donne. I. 299
Egalité civile Se naturelle , leur différence.
II. 267
Egalité conventionnelle , rend néceffaires le
droit polîtif-'&: les loix. IL 96
A fait inventer la monnoie. IL 67
Elevé imaginaire que l'Auteur fe donne.
Elevé ne doit point s'envifager comme
devant être un jour féparé de fon
gouverneur. I. 59
Inconvénient qu'il pafle fucceflîvement
par diverfes mains. L 75
Avantage qu'il n'apprît rien du tout juf-
qu'à douze ans. L 204
Comment on le trouvera capable d'in-
telligence , de mémoire, de raifon-
nement. L 294
Ne doit recevoir de leçons que de l'ex-
périence. L 298
Doit toujours croire faire fa volonté en
faifant la vôtre. L 505
Le mal de fon inrtrudion eft moins dans
ce qu'il n'entend point , que dans ce
qu'il croit entendre. IL 68
Comment je m'y prends , pour que le
mien ne foit pas aufli fainéant qu'un
Sauvage. IL 147
Utilité de fes travaux dans les arts. IL
93
En parcourant les atteliers, doit mettre
DES M AT 1ERE s. 371
lui-même la main à l'œuvre. II. 8j
Elevé , choix de fon métier , s'il a du goût
pour les fciences fpéculatives. II,
En ceflant d'être enfant , doit fentir la
fuperiorité du maitre. II. 307
Différence du vôtre & du mien. II. 3 3 j
Elevés, ce qu'on leur apprend , plutôt qu'à
nager. I. 347
Eloquence , manière inepte de Tenfeigner
aux jeunes gens. II. 316
Vrai moyen. II. 32.7
'Emile , pourquoi paroît d'abord peu fur la
fcène. I. 5^
Riche, & pourquoi. I. jS
A de la nailTance , & pourquoi. Ibid.
Orphelin , en quel fens. Ibid,
Première chofe qu'il doit apprendre. I.
144
N'aura ni maillot. I. 86
N i charriots , ni bourlets , ni lifieres. I.
146
Pourquoi je l'élevé d'abord à la cam-
pagne. I. 81 , zio
Son dialogue avec le jardinier Robert.
1. 2ZÎ
N'apprendra jamais rien par cœur. 1.
^ , ^75
Comment apprend à lire. I. 291
A deffiner. I. 392
A nager. I. 348
Boira fans eau froide ayant chaud ; pré-
caution, i* 335
37* TABLE
Emile j avis que je lui donne fur les fur-
prifes noétumcs. I. 570
Peniif &non queftionneur dans fa curio-
fité. II. 18
Son aventure à la foire. II. 32.
Sa première leçon de cofmographie II.
2.0
De ftatique. II. 45
- De phyfique fyftématique. II. 49
Mot déterminant entre lui & moi dans
toutes les adïons de notre vie. II. 56
Queil:ion qui , de ma part , fuit infailli-
blement toutes les Tiennes. Ibid.
Comment je lui fais fentir l'utilité de fa^
voir s'orienter. II. 62.
Quel livre compofera long-tems feul fa
bibliothèque. II. 77
Émule de lui-même. II. 76
S'intereiTe à des queftions qui ne pour-
roient pas même efHeurer l'attention
d'un autre ; exemple. II. 100
Pourquoi peu fêté des femmes dans fon
enfance , & avantage de cela. II.
■ u.. ^^^ "•
Q. Pourquoi je veux qu'il apprenne un mé-
,-j. tier. II. 12.Z
, _ Choix de fon métier. II. 140
^i Fait à la fois deux apprentiflages. IL
H}
r Comment je, loue fon ouvrage , quand
^\ il efl: bien fait. IL 145
... iQaeftion qu'il me fait , quand il juge
que je fuis riche , & ma riponfe. IL
148
DES MATIERES. jyj
Emile , efl: un Sauvage fait pour' habiter
les villes. II. ij^
Ne répond point étourdiment à mes
queftions. II. i^^
Sait l'a quoi bon fur tout ce qu'il fait , Sc
\t pourquoi fur tout ce qu'il croit. II.
i66
Etat de Ces progrès à douze ans. I. 4^1
A quinze. 11. 166
N'eft pas faux comme les autres enfans.
11. iij
Saura tard ce que c'efl: que fouffrir &
mourir. Ibid.
Quand il com.mence à fe comparer à fes
femblables. II. 265
Quelles pafTions domineront dans fon
caradere. Ibid.
Imprefllon que feront fur lui les leçons
de l'Hirtoire. II. 289
Ne fe transformera point dans ceux dont
il lira les vies. H. 296
Jugera trop bien les -autres pour envier
leur fort. II. 298
Pourra s'enorgueillir de fa fuperiorité.
n. 301
Remède à cela. H. 305
Comment s'inftruira dans les affaires, lî.
3Z0
Aime la paix. II. 324:
Son parler n'efi: nivellement. ,11. 327
Ni froid. II. j2g
Étendue de {es idées , & élévation de
fes fentimens. II. 3,^
Ne s'inquiette point des idées qui paf-
fentfa portée. ii. ;jô
374 TABLE
Emile y à quelle fede doit être aggregé,
II. 3s8
Encre y comment elle fe fait. II. 68
Utilité de favoir cela. II. 73
Era/àncÉ' , premier état. I. loj
Deuxième étati I. 141
Troiliéme état. il. 2.
Court tableau de fa dépravation. I. 41
Seul moyen de l'en garantir. I. 45
Ses premiers développemens fe font
prefque tous à la fois. J. 1 59
Doit être aimée & favorifée. 1. 149
Son état par rapport à l'homme. H. 18 j
&- fuiv.
Ne peut guère abufer de la liberté. I.
186
A des manières de penfer qui lui font
propres. I. 191
Doit meurir dans les enfans. I. 206
Il y a à^s hommes qui n'y pafTent point.
1. 248
Ne point feprefler de la juger, l. 254
Semblable dans les deux fexes. H. i-jz.
Enfans , comiuent traités à leur naiflance.
1. 21, 86, ibî
Supportent des changemens que ne fup-
porteroient pas les hommes. 1. 39
Doivent être nourris à la campagne. !.
81
Leurs premières fenfations purement af-
fedtivcs. 1. 9J
Doivent être de bonne heure accoutu-
més aux ténèbres. I. 96
Ont rarement peur du tonnerre. I. 100
DÉS MATIERES. 375
Enfans , comment apprennent à juger des
diftances. I. loi
Ont les mufcles de la face très-mobiles.
I. lOJ
Pourquoi font fi volontiers du dégât. 1.
Hz
Comment deviennent impérieux. I. 114
Maximes de conduite avec eux. I. iij
En grandififant deviennent moins re-
muans. Ibid.
Ne point les flatter pour les faire taire.
I. 118
Sont prefque tous fevrés de trop bonne
heure. I. m
Suivent mieux que nous l'analogie gram-
maticale. 1. ii6
On s'emprefle trop de les faire parler.
î. IZ7 , 137 & fuiv.
Et de corriger leurs fautes de la langue.
Apprennent à parler plus diftinârement
dans les Couvens & dans les Collèges.
H. 130
Pourquoi ceux des Payfans articulent
mieux que les nôtres. IL 129
Donnent fouvent aux mots, d'autres fens
que nous. II. 138
Ne point montrer un air allarmé quand
ils fe bleffent. ii. 14$
Avantage pour eux d'être petits & foi-
bles. II. 144
Souffrent plus de la gêne qu'on leur im-
pofe , que des incomodités dont on
les garantit. 1, 178
3^6 TABLE
Enfcins , en les gâtant , on les rend mifera-
bles. I. 179 t" fuiv.
Régies pour accorder ou refufer leurs
demandes. i. 186 n.
On les conduit par les paflîons qu'on leur
donne. 1. 196
D'où vient leur pétulance. I. 198
Abus des longs difcours qu'on leur tient.
I. 2Ii
Ne font point naturellement portés à
mentir. f- ^5 5 &'fuiv.
Pourquoi trouvent quelquefois d'heu-
reux traits. I. 249
Leur apparente facilité d'apprendre ,
caufe leur perte. I. Z56
On ne leur apprend que des mots. 1. x6o
N'ont point une véritable mémoire. 1.
Comment fe cultive celle qu'ils ont. I.
Quelle efl: leur Géographie.
Si l'Hiftoire eft à leur portée.
Comment fe perd leur jugement.
De leurs vétemens.
Et de leur coeffure.
Généralement trop vêtus.
Sur-tout dans les villes. I.
En quel mois il en meurt le plus.
S'ils doivent boire ayant chaud.
Ont befoin d'un long fommeil.
Moyen de les faire dormir.
Et fe réveiller d'eux-mêmes.
Comment fupportent gaiment la
leur.
^74
264
26s
172
326
33*
. Î32
86 n.
• 333
. 336
• 337
. 340
• 341
dou-
345
Enfans ,
D E s M A T I E il E s.
ni
En/ans , peuvent être exercés aux jeux
d'adreiTe. f. 405.
S'ils doivent ztoit: les mêmes alimens
que nous. -• <-î
Diiiiculté de les obferver. '. 46?
On ne fait point fe mettre à leur place»
if. 24
ÈfFet de la docilité qu'on en exige. Ii.
Î4
Ne les pay^r que de raifons qu'ils, puif-
fent entendre. I . 58
Font peu d'attention aux leçons en dif-
cours- ÎI. 6cf
Si l'on doit leur apprendre à être galans
près des femmes, li: 106 n.
Un appareil de machines & d'inflrumensi
les effraye ou les diftrait. !L Ï44
Nes'intereflent qu'aux chofes purement
phyfiques!. 1.'. i^i
Sont naturellement portés à la bienveil-
lance» H. 180
Mais leurs premiers âttachemêns ne font
qu'habitude. il. 201
Leur curiofité fur certaines matières^
'I* 189'
Comfnefit doit être éludée. II. loi
Apprennent à joacr le rentimenti iU
214
Inconvénient de cela; Ibid.
- Tout eft innni pour eux. TI. 2^|
Enfant i augmente de prix en avançant en
âge. < j. /^o
Doit favoir être malade. I» 6S
Tome //. B b
?78 TABLE
Enfant f fi.ppoféhommeàfanaiflance. T, 90
iPourquoi tend la main avec effort pour
faifir un objet éloigné. I. 102, 116
A quelle dépendance doit être ailujetti.
I. I7J
Ne doit point être contraint dans les
mouvemens. I. 174
Ne doit rien obtenir par des pleurs.
'. 175
Ne doit pas avoir plus de mots que
d'idées. ?. 139
De ia première fauffe idée qui entre dans
fa tête naiiTent l'erreur & le vice, h
Ne joint pas à ce qu'il dit les mêmes
idées que nous. !. 150
Gouverne le maître dans les éducations
foignées. I. 301
Comment n'épiera pas les mœurs du
maître. 1. 305
Ne doit point apprendre à déclamer. I;
452
Moyen de le rendre curieux. 1!. 13
Ne peut être ému par le fentiment. Ui
ï6
Ne s'interefle à rien dontil ne voye
ï'urilité. II. 74
Situation où tous les be foins naturels de
l'homme , & les moyens d'y pourvoir
fe développent feniiblement à fonef-
prit. ' • 77
Comment il faut lui montrer les relations
fociales. II. 8}
Sa première étude eft une forte de phy~
D E s M A T I E R É s. ^9
. fique expérimentale, W 322
Ènfarit , ne doit rien faire fur parole. II,
355
Enfant quife croit hrùlépiiT la glace. II. 131
Enfant difcole , manière de le contenir, lU
Efifant-fàk. 1 . 447
Sa peinturé. I. 449 &• fuiv„
Ennui t d'où vient. 1!. 243
Entendement humain , fon premier terme
& ks progrès, 1. 90
Envie, eft amere & pourquoi. II. 211
Epicîete , fa prévoyance ne lui fertdè rien,
Jl. ZZ7
Erreur y le fcul mdyen de l'éviter , eft
l'ignorance. 11. 156
Erreurs de nos fens , (brit des erreurs de
nos jugemens ; exemple. H. 151
Efprit , chaque efprit a fa forme , félon la-
quelle il doit être gouverné, li 20Ç
Ses caraderes. 1'. ijo
Efprit ( r ) d'un enfant doit être d'abord
exhalé modérément, puis retenu, h
. , M«
Efprit de votre éîeve & du mien, h 299
Efprit vulgaire , à quoi fe recDnnoît dans
l'enfance. i. 252
Sens du mot Efprit > pour le peuple &c
pour les enfans. 11. 34i
Sens prim'tif. V. 343
Etat de JWnure, en en fortznt nous forçons
nos femblables d'en fortir auHi. 1 : , 11*
Bb z
j8o TABLE
Ewfj quelle occupation nous en rappro-
che le plus, li. iiô
Etat de Nature , état Civil : ce qu'il faiidroit
pour en réunir les avantages. I. 175
Etudes , s'il y en a où il ne faille que des
yeux. I. 2.6$
S'il y en a qui conviennent aux enfans.
Etudes fpéculatives , trop cultivées aux dé-
pens de l'art d'agir. U. 318
Etudier par cœur, habitue à mal prononcer.
1. 331
Ez/ripz^e ,, ce qu'il dit de Jupiter. H. 351
Excès d'indulgence ou de rigueur à éviter.
1. 177
Exercice du corps , s'il nuit aux Opérations
de l'efprit. I. 295
Explications en difcours , font peu d'impreC-
lion fur les enfans. II. 60
Mauvaife explication par les chofes. il.
69
jT A B LES. Si leur étude cohvient aux
enfans. 1. 275
Analyfe d'une de celles de la Fontaine.
1. 278
Examen de leur morale. I. 184
Quel eft leur vrai tems. II. 311
La morale n'y doit pas être développée.
^'- 515
Facultés fuperjlue s de l'homme , caufes de
fa mifere. I. 158
Famille , comment fe dilfout. I. 145
Fantaifus des enfans gâtés. 1. iJJi
DESMATIEPiES, 3^1
Farineux. I. 78
Favorin , cité, T. 158
Fautes y leur tems eft celui des Fables.
II. 311
Ftliciié de Thomme ici-bas efl: négative.
i. 152.
Femme , confiderée comme un homme im-
parfait. II. ijt
N'eft à bien des égards qu'un grand en-
fant. " Ibid,
Femmes , notre première éducation leur
appartient. I. z p..
Ne veulent plus être nourrices ni mères.
I. z9, M
Quel air leur plaît dans les hommeS; IT,
106
Fétiches. II, z^
Feu de la jeunejfe , pourquoi la rend indif-
ciplinable. Il, 254
C'eft par lui qu'on la peut gouverner,
II. 256
Foi des enf ans y à quoi tient. II. 351
Fo^^/i?/7^ > en quoi confifte. I. 1^7
D'où vient celle de l'homme. 11. a
C'efi elle qui le rend fociable. II, ^,09
Force y en quoi conflue. I. 157
A quel âge l'homme a le plus de force
relative. ' II, 5,
Comment il en doit employer l'excé-
dent. " li, 6
Force du génie &* de Vaine-, comment s'an-
nonce dans l'enfance. l'^S^
38i T A B L E
Forêt de Montmorencu îî. 6\
François, ce qui rend leur abord repouflant
'&: défagréabie. I. 133, 383 ff.
(jf A n É y figne très- équivoque du con-
tentement. II. 142.
Cj-ufrcs ifoperinietres, I. 403
Qaures. I. 43a
Qénevois , peut-être ne feroient plus libres,
s'ils n'avoient fù marcher fans fouliers.
I. 375
Génie , a fouvent clan§ Tenfence l'apparen-
ce de la ftupidité. I. iji
(je'/iie cff j hamnies , différent dans les peu-
ples & dans les individus. II. 284
Géographie , idée qu'en ont les enfans. I.
2.64
Ses premières leçons. II. ij
Géométrie , s'il eft vrai que les enfans l'ap-
prennent. L Z57
Notre manière de l'enfeigner donne plus
à l'imagination qu'au raifonnement.
L 598
Comment Emile en apprendra les pre-
miers élemens. I. 399
Moyen de la rendre intéreflante. II. 9
Gourmandife , préférable à la vanité , jjpur
mener les enfans. I. Jij
Vice des cœurs fans étoffe. I. 416
Coût. R-emarques fur ce fens. I. 419 O'fui.
Çoutf naturels , font les plus faiiples. L
4ii
DES MATIERES. 385
Et lesplusuniverfels. I. 42^
Gouverne me fît p&litique > à quoi doit fè
borner l'idée qu'il en faut donner à
l'enfant. II. 97
Gouverneur , premieie qualité qu'il dc-
vroit avoir. î. 47
Moyen d'éviter la difficulté du choix.
I. 43
Doit être jeune. J. n
S'il doit avoir déjà fait une éducatiouo
I- 54
Doit chojfir aufii Ton eleve. 1. ^j
Ne doit point s'enyiHiger comme en de-
vant être un jour féparé. I. J9
Ne doit peint fe charger d'un éleye in-
firme. L 61
Doit avoir de l'autorité fur tout ce qui
entoure fon élevé , & moyen d'ac-
quérir cette autorité. î, 109
Poit fe faire apprentif avec fon élevé.
II. 8j
Abus à éviter dans leurs communs tra-
vaux, II. 94
Fondement de la connance que l'élevé
doit avoir en lui. II. 308
Comment doit fe conduire dans les fau-
tes de fon éleye devenu grand. IL
Gouverneurs , leur faulfe dignité. II. 306
Grand Seigneur devenu gueux. II. 115
Grajfeyer. I. iz8
Crfffes , pain de Piémont. î. 12.4
Gjmnujiique, ï« 3^5
^^ TABLE
JrlABiruDE y n'eft point la Nature. T. 7
Seule habitude qu'on doit donner à
l'enFant dans le premier âge. 1. 96
D'où vient l'attrait de Vkabiiude. 1. 45 j
Habitude du corps convenable à l'exer-
cice , diiîerence de celle qui convient
à i'inaftion. 1. i^z
Haleine de rkomme , mortelle à l'hon^.me.
" I. 8i
Henri IV. Mot de ce Prince fur les pré-
dirions des A urologues. I, 2.49
Héritier, comment s'éieve. 1. jiz
Hermès. 11. 76
Hérodote) cité. I. }3i, 44a
Hijloire , n'eft point à la portée des enfans.
Exempiç. 1. zôj
Teras de fon étude. II. z-jz
Calomnie le genre humain. II. i-4
îsj'eft jamais iidele. 11. i-y
EnquQi fumblable aux Romans. ". ^77
Doit peindre fans faire de portraits, il.
•J.79
Montre plus les actions que les hommes.
'■ • ^^^
Hijloire moderne , n> point de phyliono-
mie. li. i79
Hifloriens anciens. 1. 440 «.
Itxobbes , comment appelloit le méchant.
I. m
En quel fens fon grand principe eft vrai.
I. i8o
DES MATIERES. 38?
Hochets. J. i2t , izz
Homme , comment défapprend à mourir.
I. 66
Son haleine eft mortelle à Tes fembla-
bles. ^ I. 8i
Fort par lui-même , rendu foible par la
focie'té. I. 168 , 171
Doit s'armer contre les accidens impré-
vus. ^ ^ I. 57J
Eft le même dans tous les états, II. 1 1^
Ce qui le rend eflenciellement bon ou
méchant. lî. iSz
Doit être form.é avant d'ufer de foq
iexe. II. 2JZ
Ne pas le montrer aux jeunes gens par
fon mafque. ^ IL 269
Commence difficilement à penfer & ne
ceiTe plus. II. :5 38
Homme courant d'étude en étude , à quoi
comparé. II. z^
Homme du monde , tout entier dans fon
mafque. II. 3^^^
Homme naturel , en quoi confifte fon bon-
heur. II. 51
Homme naturel , vivant dans l'état de Na-
ture , fort diiïerent de rhomme na-
turel vivant dans l'état civil. II. 157,
Borné par fes facultés aux chqfes fen-
libles. il. j^o
Hommes , pourquoi j'en parle fi tard à mon
élevé. II. ijg
Hommes vulgaires > ont feuîs befoin d'ê-
tre élevés. I. jj
•5§6 TABLE
Humanité y premier devoir de l'homme.
I. 14^
Ce qui la conflitiie. II. 215
Comment s'excite & fe nourrit dans le
creur d'un jeune liomme. II. txj , Z2.9
Maximes pour cela. II. 218 6'/uzV.
Hjgiene, J. 68
J DéESi diftinguées des images. I. 156
Et des fenfations. II. 150
La manière de les former eft ce qui
donne un caractère à refprit humain.
Ibid.
Idées iimples, ce que c'eft. II. i^i
Identité fiiccejjîve , comment nous avons le
fentiment de la nôtre. I. 147
yfeunes femmes , leur manège pour ne pas
nourrir leurs ent'ans. I 19
Jeunes gens corromp'.^s de bonne heure ,
font durs & cruels. II. io8
Caradere de ceux qui confervent long-
tems leur innocence. Ibid.
Pourquoi paroilTent quelquefois infenfi-
bles,quoiqu'ilsne le foienrpas. II. 23 j
Inconvénient de les rendre trop obfer-
vateurs. II. 171
Jeune homme y objets qu'on doit lui mon-
trer à certain âge. II. 217 , 247 ,
Exemple. II, 2^0
Doit penfer bien de ceux qui vivent avec
lui. II. 7.70
Eftimer les individus, & méprifer là
mukitude. Ibid,
D ES MATIERES, ^8/
Jeux , par qui & à quelle occafion inven-
tés. I. 440
Jeux de nuit j utilité & pratique. I. 354 ,
366
Jeux olympiques , à quoi comparés. II. 270
Imagination , étend h melure des j OiTibles,
I. 155
Transforme en vices les pafllons des
êtres bornés- II. zoj
Imitaiion , goût naturel. J. 244
Comment dégénère en vice. I. 24$
Indigejlions , con;;ment les cnfàns n'en aur
ront jamais. î* 439
Infans. I. 141
Infini. II. 345
Ingratitude , n'efl pas dans le cœur de
l'homme. IL 259
D'où elle vient. H. 260
Inoculation. I, 345
Infiinâ , comment devient fentiment. II.
179
Injhuêiion , à quel prix on la donne aux
enfans. I. 197
Doit être renvoyée autant qu'on peut.
I. 215
L'on n'y doit einployer ni rivalité , ni
vanité. II. 7^
InJlTuâiions de la Nature font tardives ,
celles des hommes prématurées. II.
lajlrumens méchanîques , leur multitude nuit
à l'adreiTe des mains & à la juRefie
des fens. lï- 47
întelUgence , épreuve $z mefure de fon
3S8 TABLE
développement. II. 5
Intolérance , quel dogme eft Ton principe,
II. 350
Jugemens adifs & paffifs. II. 151
Diibndion. Ibid.
Comment on apprend à bien juger. II.
M7
Jujiice y quel eft en nous fon premier fen-
timent. I. 218
Jujlice humaine j fpn principe. II. 264 n^
Jujlics & bonté ne font pas de purs êtres
moraux. II. 263
Juvenal , cité. II. 157
•^-^A Fontaine , fi fes Fables conviennent
aux entans. I. 27 j
Laki fi le choix du lait de la mère ou
d'une autre , efl: indiffèrent. I. 30
D'abord féreqx , puis prend de la con-
fiftance. !• 73
Eft une fubfiance végétale, 1-77
Se caille toujours dans l'eftomac. I. 79
'Langue naturelle. I. lo-f
Langues , fi leur étude convient aux en-
fans. I. 161
Un enfant n'en apprend jamais qu'une.
I. 26^
Pourquoi l'on enfeigne aux enfa.ns par
préférence les /a^eu<?j mortes. I. 263
Leçons doivent être plus en a«flion qu'eu
difcours. I. 227
Liberté , le premier de tous les biens. I.
168
DES MATIERES. 389
Liierté bien réglée , feul infirument d'une
bonne éducation. î. 1^7
Lire , manière d'apprendre à lire aux en-
fens. ï. 2.89
Liftere , îaifle une mauvaife démarche aux
enfans. I. 146 n.
Lit, moyen de n'en trouver jamais de
mauvais. J- 3 39
Quel efl le meilleur. I. 340
Litarge. II. 70
Livre , qui compofera feul là bibliothèque
d'Emile. II. 77
Livres , inftrumens de la mifere àts en-
fans. I. 289
Loche recommande de ne point droguer
les enfans. I. 67
Examen de fa maxime, qu'il faut raifon-
ner avec eux. I. 188
Comment veut qu'on rende un enfarit
libéral. I. 241
Veut qu'on apprenne à lire aux enfans
avec des dés. I. 290
Inconféquence de cet Auteur , fur leur
boijîbn. I. 334, 33 j
Métier qu'il donne à fon Gentilhomme.
II. 128
Veut qu'on étudie les efprits avant les
corps. II. 341
Loix , ce qu'il leur manque pour rendre
les hommes libres. I. 171
Favorifent le fort contre le foible. II.
265 n.
Loix de la Nature , dans leur recherche
ne pas prendre les faits pour des
^9<5 T A Ë L E
raiforîs. II. 49
Lolx de la Nature , exemple fur la pefan-
teur. 11. 50
Lotophiges. !• 4^1
Louche , précaution pour qu'un enfant ne
le devienne pas. I. 6s
Lune , au-delà d'un nuage en mouvement,
paroit fe mouvoir en fens contraire.
II. Mj
Ljiîens , comment donnèrent le change
à leur faim. I. 440
/Ij CHINES , leur appareil effraye ou
diftrait les enfans. II. 44
N ous ferons nous-mêmes les nôtres. I L
4Î
A force d'en raffembler autour de foi »
l'on n'en trouve plus en foi-même. I.47
Maigre , n'échauffe que par l'aflaifonne-
ment. I. 80
Maillot. I. 24» 86, 117
Maître , gouverné par l'enfant. I. 301
Mal , n'en faire à perfonne , la première
& la plus importante leçon de morale.
I. i4î
Maux entaffés fur l'enfance. I. 38
Maux phy/iques , moins cruels que les au-
tres. I- 141
Maux moraux , tous dans l'opinion , hors
un feul. I; 160
Maux de Vaine , n'excitent pas fi généra-
lement à compaffiOn que les autres.-
II. ijsi
ManïtQUi II- }44
DES MAT î ERE s.
J91
Marcel, célèbre maître à danfer. I. 376 n,
Marinoujets de Lahan , H* 3 "4
Maroc , ce que Montagne a dit d'un de Tes
Rois. _ I. 3 H
Mafqusi , comment on empêche un enfant
d'en avoir peur. I. 98
Matme , U- Hî
Maximes de conduite avec les enfans I.
Maximes fur là pitié. II. 2.» 8.
Médecine y d'où vient fon empire. I. 62.
Maux qu'elle nous donne. I. 6}
Sophifme far fon ufage. I. 64
Au(fi nuilible à l'ame qu'au corps. I. 65
IS'a fait aucun bien aux hommes. I. 160
Médecin , ne doit être appelle qu'à l'ex-
trémité. I. 67
Mélancolie , amie de la volupté. II. 2^2.
Mémoire , les enfans n'en ont pas une véri-
table. I. 257 , 2.72
Comment fé cultive celle qu'ils ont. I.
Menalippe , Tragédie d'Euripide. 1. ^$1 n*
Menfon'^e de fait & de droit. î. z j i
JSi l'un, ni l'autre n'eft naturel aux en-
fans. I. 2.35 & fvJ:\
Menuiferie. IL 11
Mères , d'elles dépend tout l'ordre moral.
I-î4
Avantage pour elles de nourrir leurs en-i
fans. I. 35
Méridienne à tracer. II. 31
Aventure qu'elle amené. II. 32
Mefures naturelles, h 39!
^9* TABLE
Métaux j choifis pour termes moyens c(es
échanges. II. gj
Méthode , il en faudroit nne pour appren-
dre difficilement les fciences. II. 4(5
La mieux appropriée à l'efpece , à l'âge *
au fe.Ke, eil: la meilleure. II. 109
Métier , pourquoi je veux qu'Emile en ap-
jtrenne un. II. 12.Z
Métiers , raifons de leur diftindtion. II. i lo
Miferes de Vhomme , le rendent humain. IL
ioç &• fuiv:
Mœurs y comment peuvent renaître. I. 34
Comment l'enfant n'épiera pas celles de
Ton gouverneur. I. p/
En quoi les peuples qui en ont furpallén f
ceux qui n'en ont pas. II. zî4
Monnaie , pourquoi inventée. II. 97
N'eft qu'un terme de comparaifon. Ibid.
Tout peut être monnoie» Ibid;
Pourquoi marquée. I. 98
Son ufage; Ibid,
Eifets moraux de cette invention ne
peuvent être expliqués aux enfans. 1. 99
Monfeigneur , il faut que je vive : réflexion
fur ce mot & fur la réponfe. IL m
Montaigne c\vé. 1.31), 544. IL z8}
Montre du f âge. IL 90
Morale , comment on l'enfeigne aux enfans.
I. 189
Unique leçon qu'oîi leur en doit donner.
L m;
Morale & politique ne peuvent fe traiter
féparémentv IL 266
Morale des fables , ex2imixiée. L 2.84
Morale /
DES MATIERES. 395
Morale , ne doitpasètre développée. II. 3 1 5
Moralité , il n'y en a point dans nos actions
avant l'âge de raifon. I. iiz
Mort , comment devient un grand mal pour
l'homme. I. 159
Comment fe Lit peu fentir. L 3 +4
L'idée s'en imprime tard dans l'efprit des
enfans. II. 251
Mots , l'enfant n'en doit pas plus favoir
qu'il n'a d'idées. ^'^",9
Seule chofe qu'on apprenne aux enfans.
I. 160
Difficulté de leur donner toujours le
même fens. I. z^S n.
Mouvement , c'eft par lui que nous appre-
nons qu'il y a des chofes qui ne font
pas nous. I. 102.
Mufcles de la face y plus mobiles dans l'en-
fant que dans l'homme. I. lo^
Mujique , moyen de l'entendre par les
doigts. I- ?7j
Peut fervir à parler aux fourds. Ibid,
De la manière de l'enfeigner aux enfans.
I. 41J
Mjjleres. 11. }-;9
1\ Agek , quel exercice on préfère à ce-
lui-là dans la grande éducation, 1. 347
Ce qui le rend périlleux. I. 348
Naijfance de l'homme , a , pour ainfi dire ,
deux époques. II. lyz , lyjf
Nature , routes contraires par lefquelles on
en fort dès l'enfance. I. 36
Exerce inceflamment les enfans. I. ,7
Toms II. C c
^94 TABLE
Nature, comment l'homme en fort par fes
paillons. IL 178
Ses inihudions tardives & lentes. II. 187
Son progrès en développant la puifiancè
du fexe. IL 206
Nature de Vhomme. I. 7
Nature divine. IL 346
■Newton , portoit l'hiver fes habits d'été.
I- 3 3^
Notions inorales , leur progrès dans mon
élevé. IL 10
Nourrice y la véritable. I. 4}
La meilleure au gré de l'accoucheur.
L 72.
Choix. i' 7}
Doit être la gouvernante de fon nour-
rilVon. L 7j
N e doit pas changer de manière de vivre.
Nourrices, comment traitées, & pourquoi.
L 5z
Raifon de leur attachement à l'ufage du
maillot. I. 88
Excellent dans l'art de diftraire un en-
tant qui pleure. I. 121
Précai-ition qu'elles négligent. IbiJ..
Difent aux enfans trop de mot» inutiles,
L iz4
Nuage , pafTant entre la lune & l'enfant lui
paroit immobile , 6c la lune en mou-
vement. IL 15 j
Nuit, d'où vient l'effroi qu'elle caufe. I. jjj
Lemede, I. 356
Expédition noôlurne de l'Auteur dans
fon enfance. I. 561
DES MATIERES.
39Î
o
Ejections.
Contre la liberté lailTée aux enfans. 1. 1 jo
Contre l'éducaiion retardée. L 7.07
Contre la méthode ina&ve de ne rien
apprendre aux enfans. I. ^93
Contre l'emploi que l'Auteur feit de
l'enfance. 1. 314
Contre la culture prématurée d'un corps
non formé. I. 408
Contre la pratique de former à i 'enfant
un jugement à lui. II. 85
Contre le choix des objets que l'Auteur
oiFreàTadolefcent. II. ^34
Objets , choix de ceux qu'on doit montrer
à l'enfant. I. •.jj , 98
De nos premières obfervations , fi-tôt
que nous commençons à nous éloigner
de nous. IL n
Objets purement phjfiques , les feuls qui
puilfent intereiier les enfans. II. 151
Objets intelleâ'uels ne font pas li-tôt à la
portée des jeunes gens. 11. z7z
Obfemition des mœurs , inconvénient d'y
livrer trop un jeune homme. I. z'i
Odorat , réiiexion fur ce fens. I. 441
Oifiveté efl: un vol public. II. izo
Opinion , ce qu'il faut faire pour régner
par elle. II. izi
Pour ne lui rien donner, il ne faut rien
donner à l'autorité. II. 165
Elevé fon trône fur les partions des hom-
mes. II. 186
Ordre à fuivre dans les études. II. 30
Ce z
Î96 TABLE
Ordre mord > comment l'homme y entre*
II. z(/5
Ordre focial , tems d'en expofer le tableau
au jeune homme. II, 2.66
Source de toutes fes contradiâ:ions. II.
2.68
Témérité de s'y fier. II. iiy
Organ.es des plaiurs fecrets & des befoins
degoùtans , pourquoi placés dans les
mêmes lieux. II. 195
Ottomans , ancien ufage àQS Princes de
cette iV.aifon. II. 14}
Ovide cité. I. 140
Ouie , culture de ce fens. I. 409
Organe adif qui lui correfpond. I. 411
Outils , plus les nôtres foni ingénieux , plus
nos organej deviennent grofllers &
mal-adroits. II. 37
JlA n t a l 0 n , pourquoi ennuyeux.
, II- 3H
Fardhle de mon élevé & du votre entrant
tous deux dans le monde. 11.235 &fuiv.
Parejfe , comment on en guent les enrans.
1. 341
■Pajjîons , une feule eft naturelle à l'homme,
I. 199
Sontlesinftrumensde notre confervation.
II. 175
Quelle eft celle qui fert de principe aux
autres. II. 17;
Comment par elles l'hommiC fort de la
Nature. II. 178
Commtnt fe dirigent au bien ou au mal.
II. i8i
DES M ATIE R ES. 597
PaJJïons , fommaire de la fagefie humaine
dans leur ufage. IL 2.04
Leur progrès force d'accélérer celui des
lumières. II. ^57
PaJJïons douces G* affeclueufes naiîTent de
l'amour de foi ; paJjîons kiineufes &*
iTafcibles naiuent de l'amour-propre.
IL 181
Pajlons impttueufes , moyen d'en faire peur
aux enfans. I. 2.14
Pajîoas naïjfintes , moyen de les ordonner.
IL 2QZ
Paume y exercice pour les garçons. L 404
P.iu^re , n'a pas befoin d'éducaLion. I. 57
Paj/fan Suijfe , idée qu'il avoir de li pmC-
fance Fioyale. II. 548
Pajfans , n'ont point peur des araignées
I. 97
Leurs enfans articulent mieux que les
nôrres. I. 130
Ne grafleyent jamais. 1. izS
Pourquoi plus grofùers que les Sauvages.
i. 2.^6
Pédarete , citoyen. L li
Père , fa tâche. L 45
Ne doit point avoir de préférence entre
Tes enfans. ■ . 60
PeTfpective , fans ft^s illufions nous ne ver-
rions aucun efpace. !. 578
Péruviens , comment traitoient les enfans.
1. 87 n.
Petite-vérole. i. 545
Pétrone , cité. I!. 84
Péiuhnce desenfjins, d'cù vient. \ 115 , 198
Ce q
598 TABLE
Peuple f a autant d'efprit & plus de bon
fens que vous. 11. zzS
Peuples corrompus , n'ont ni vigueur, ni vrai
courage. H. 154
Peuples qui ont des mœurs , qualités qui
leur font propres. Ibid.
Philippe , Médecin d'Alexandre , fon his-
toire. 1. z67
Philojophic en maximes , ne convient qu'à
l'expérience. il. 2.80
Philo/ophie de notre fitcle , un de fes plus-
tréquens abus. !'• 187
Phyfonoiiiie. II. 2.44
Phfque , fes premières leçons. ".45
PHjJique experiinentdle , veut de la fimpli-
cité dans Tes inllrumens. 11. 44
Phyf.que fyflemaiiquc , à quoi bonne. H. 49
Sa prennere leçon. Ibid.
Picagore , à quoi comparoit le fpeâ:acle du
monde. li. i~o
Pitié , comment elle agit fur nous. li. 116
Eft douce, & pourquoi. 11. m
Comment on l'empêche de dége'nerer en
foiblefle. H. 551
Pitié pour les 7néch.ins , cruelle au genre
humain, 11. 3 3i
Plan que l'Auteur s'efl: tracé. 1. 5 1
Pleurs des enfans i I. 105 G'/ui;. 119, 120 ,
Plutarque cité. I- 44j ^- H. 5^1
En quoi il excelle. II. 18?
Poifon , quelle idée en ont les enfans. 1. i^o
Pclitsjfe , idée de celle qu'on donne aux
enfans des riches. 1. 176
DES MATIERES. 399
Poupées ambulantes, 1^-4
Précepteur , quel eft le vrai. I- 45
Incapacité de l'Auteur pour ce métier.
1. 49
Préjugé qui méprife les métiers , comment
j'apprends à Emile à le vaincre. H. iia
Préjugés , s'enorgueillir de les vaincre c'eft
s'y foum.ettre. Il 145
Préfent , ne doit point être facrilîé à l'ave-
nir dans l'éducation. I. 148
Prêtres Sl Médecins j peu pitoyables. II. i49
Prévoyance , fource de nos miféres. i- 162.
Prévoyance des befoins , marque une intelli-
gence déjà fort avancée. II. fi
Ptincipes des chofes , pourquoi tous les
peuples qui en ont reconnu deux j ont
regardé le mauvais comuue inférieur
au bon. I m
Progrès d'Emile à ^ouze ans. I. 14J
A quinze. H 166
Propriété , exemple de la manière d'en don-
ner la première idée à l'enfant, l. Zil
Puberté , varie dans les individus félon les
temperamens , & dans les hommes fe-.
Ion les climats. i;. 187
Peut être accélérée ou retardée par des
caufes morales. Ibid.
Toujours plus hâtive chez les peuples
policés. il i83
Et dans les Villes. îbid^
Pu(ifur, les enfans n'en ont point. II 194-
Puijfmce dufexe y com.ment les enfans l'ac-
célèrent, lï ZOJ
Pjrr/iM^, jugement d'Emile fur fa vie. II- zgi
Ce -j
400 TABLE
(JUestion par laquelle on réprime les
fottes & faftidieufes queftions des en-
-fans. 11. î6
Ses avantages. II. j7
Çu'^Jlionfcabreufe y & réponfe. II. 19J
Quindlien cité. I. xgz.
JxAcEs periflent ou dégénèrent dans les
villes. l 8i
Raifon y frein de la force. 1. 191
Comment on la décrédite dans l'efprit
des enfans. l- 20J
Kaifonjenjitive. I. 321
Ses inftrumens. 1. 31 j
Haifons , importance de n'en point donner
aux enfens qu'Us ne puifTent entendre.
t. î8
Raifonnement , de quelle efpece efl: celui
des enfans. '-158
Si-tôt que l'efprit efl parvenu jufqu'aux
idées, tout jugement ei^ un ra/jon^e-
menr. li. 163
ReconnoiJJance , fentiment naturel au creur
humain. 1 ' ^60
Moyen de l'exciter dans le cœur du jeu-
ne homme. • . 261
Rêfraôlion. 11. 158 & fulv.
Refus , n'en être point prodigue &c n'en ja-
mais révoquer. 1 17Ç
Régime phagoricien. I 80/1. 4^1
Régime végétal , convenable aux nourrices.
I 77
Relations fociales , comment on doit les
D E s M A T I E R E s. 401
montrer à l'enfant. II. 8j
B-eligion y choix de celle d'Emile. 11. 359
Repas rujlique comparé avec un feftin d'ap-
pareil. II. 103
Réprimande que m'adrefle un Bateleur en
préfence d'Emile. 11 39
République de Platon n'eft pas un traité de
Politique. 1. 13
Ce que c'eft. I. 14
Comment les enfans y font élevés. I 255
Riche , l'éducation de fon état ne lui con-
vient point. 1. 57
Riche appauvri. II. 11 j
Riches, trompés en tout. I. yz
Rivage , pourquoi quand on le cotoye en
bateau paroit fe mouvoir en fens con-
traire. '^- 153
Rohen , jardinier , fon dialogue avec l'Au-
teur & fon élevé. 1. 22.3
Robinfon Crufoé. II. 78
Romains illujlres , à quoi paflbient leur jeu-
neilé. II. 31Z
Romans orientaux , plus attendriflans que
les nôtres, II. xii
Rômulus devoit s'attacher à la Louve qui
l'avoit allaité. il, 178
Sagesse humaine , en quoi confifte.
1. 154 , II. 204
Savans , font plus loin de la vérité que les
ijnorans. !.. 15 c
Saveurs fortes , nous répugnent naturelle-
ment, li. 411
Inconvénient de s'y :iccoutumen I. 424
402. TABLE
Sauvages , pourquoi plus fubtils que les
payfans. I 196
Devioient , félon les Médecins , être
perclus de rhumatifmes.. I. 554 /z.
Pourquoi cruels. I 431
De tous les hommes les moins curieux
& les moins ennuyés. \\. t^-^
Science humr.inc , la portion propre aux Sa-
vans très-petite , en comparaifon de
celle qui efl: commune à tous. I. 93
Sens y lequel fe développe le plus tard. I.
lor n.
De l'art de les exercer. 1- 549 &fuiv.
Deux manières de veriner leurs rapports.
Il- 158
Sens-commun f ce que c'eU. I 446
Senjutïons & fentimens ont des exprell'ions
différentes. 1. 10 j
DiTtinguées des idées. Il 1^0
Comment chacune peut devenir pour
nous une idée. 11. 1 j8
Moyen d'en avoir à la fois deux con-
traires en touchant le même corps.
Senfdtions affeêlives précédent les repré^
fcntadves. I. 9>
Senfibilïti , comment on l'étouffé ou l'em-
pêche de germer. 11. 212,
Comment elle nait. H- 11^
A quoi d'abord elle fe borne dans un
jeune homme. H ij6
Doit fervir à le gouverner. H 258
Seniimcns , gradation de ceux d'un enfant.
il. 179
DES M ATI ERES. 40J
Sêntîmens , quel eft le premier dont foitfuf-
ceptible un jeune homme bien élevé.
II. 207
Sevrer, terns & moyen. I. izi
Signe, ne doit jamais être fubftitué à la
chofe , que quand il eft impofTible de
la montrer. H. 25
Situations où les befoins naturels de l'hom-
me & les moyens d'y pourvoir, fe dé-
veloppent fenliblement à l'efprit d'un
enfant. II. 77
Socïtit f a fait l'homme foible. I. 168
Toute fociété confifte en échanges.
Application de ce principe au commerce
& aux arts. J^- 9)
D'où il fuit que toute fociété a pour pre-
mière loi quelque égalité convention-
nelle. II. 96
Soleil , fon lever. II. 15
Sommeil des enf an s. I. 357
Moyens d'en régler la durée. I. 340 ,
Sourds y moyen de leur parler en mufique,
}■ ^^^
Spartiates , élevés en polifibns , n'étoient
pas pour cela grofllers étant grands.
l- îoi
S'p e 61 acle du mondée j à quoi comparé. H.
Sphère armillaire , machine mal com'^ofée.
., . ^'- ^5
Statique i fa première leçon. II. 45*
Stupidité d'un enfant toujours élevé dans
la maifon. 1. 320
404 TABLE
Stupidité fâckeufe t fous quels traits je la
peincirois. il- ^49
SuhJixTice animale en putréfaction fourmille
de vers. 1- 77
Subji^inces-, cowhienW y end.. Il- 34^
Sucs nourrijfans , doivent être exprimés
d'alimens folides. 1. 79
Suétone cité. I. 44 n.
Surprifes noôîurnes, 1- 369
Sjnikèfe. 11. 14
J Ac iTE f à quel âge cet Auteur efl: bon
à lue. •'• Z79
Tailleurs , inconnus chez les Anciens. 1 1 .
i}6 n.
Talens élevés y inconvénient de n'avoir
qu'eux pour toute reiiource. ii iij
Talens naturels , facilité de s'y tromper,
11- iji
Exemple. II. ijî
Thémijlode , comment fon fils gouvernoit
la Grèce. 1- 166 n.
Thucydide , modèle àss Hiftoriens. il.
280
Tems y c'efl: plus le perdre d'en mal ufer
que de n'en rien faire. 1- 254
Quand il eiï avantageux d'en perdre.
i. 202
Trop long dans le premier âge , & trop
court dans celui de l'inUruction. li 28
Quand les entans commencent à connoi-
tre fon prix. !l. 52
Ténèbres , on y doit de bonne heure ac-
coutumer les eiifans. i- 96
D E s M A T I E R E s. 405
Tonnerre , rarement les enfans en ont peur.
I 100
Toucher , culture de ce fens. I- 3 ji &fuiv.
Ses jugemens bornes & fùrs. 1. 371
Comment peut fuppléer à la vue. I. jjj
A l'ouie. ' 372.
Moyens de l'aiguifer ou de rénioufier.
', 375
Sans lui nous n'aurions aucune idée de
l'étendue. 1. 390
Trtfor de St. Marc à Venife , ce qui lui
manque. 1 31^
Turenne , trait de douceur de ce grand
homme. li- 287
PetitelTe, II. z88
^ A LERE- Maxime , c\té. I 141
Vanité , fuites mortifiantes de Ton premier
mouvement dans Emile. 11. 41
Varron cité. I- 19
Vertu , en la prêchant aux enfans on leur
fait aimer le vice. I- 239
Vertus , font des apprentiffages de l'en-
fance. I. 344
Vertus par imitation. I 239
Vêtemens , obfervations fur ceux des en-
fans. I- 326, 33i
Vérité , doit coûter quelque chofe à con-
noitre , pour que l'enfant y faffe at-
tention. 11 19
Quand on peut fans rifque exiger qu'un
enfant la dife. 1 318 n.
Viande , fon goût r/eft pas naturel à l'Lom-
me. 1* 45%?
4o6 TABLE
Viande , lambeau de Plutarque fur cet alU
ment. I. 451
Vice , il n'y en a pas un dans le cœur de
l'homme dont on ne puiffe dire com-
ment il y efl: entré. I. 199
Vie y pour qui la peur de la perdre en fait
tout le prix. I. 6j
K quel point commence véritablement
celle de l'individu. I. 147
On doit la lailfer goûter aux enfans. 1.
Les vieillards la regrettent plus que les
jeunes gens. i- 167
Vie dure , multiplie les fenfations agréa-
bles. I- ?39
Vie humaine , (qs plus grands rifques font
dans fon commencement. I. 147
Courte à plus d'un égard. H. 1-2,
Vies particulières , préférables à l'hiftoire.
II. i8j
Fïfi//ar^j , déplaifent aux enfans. I- 5J
Aiment à voir tout en repos autour d'eux.
I. II?
Vigueur d'efprit , comment fe contradte.
II. 117
Villes , font le gouffre de l'efpece humaine.
1. 8z
Pourquoi les races y dégénèrent. H- 1^9
Vin , nous ne l'aimons pas naturellement.
I. 4ii
Falfifîé par la litarge eft un poifon. 1 1 • 67
Moyen de connoitre cette falllfication.
II. 69
Virgile, fon plus beau Vers. II. iio
D E s M A T I E R E s. 407
Virginité , importance de la conferver long-
tems. 11. 190 , 2oi
Préceptes. II. 191 > ^47
Vifage s plus beaux que leurs mifques. il. 271
poivre, ce que c'elh 1. 21
Vocabulaire de Venfant , doit être court.
I . I ? 9
Voix , combien de fortes l'homme en a.
I. 411
Fo/^/ït , eft unjeu de femme. I. 404
Ufage , en prendre prefque toujours le con-
tre-pied pour bien faire. 1. 204
Ufages , en toute chofe doivent être bien
expliqués avant de montrer les abus.
II. 99
Utilité , fens de ce mot dans l'efprit des
enfans. Il- 52
Pourquoi ce mot dans notre bouche les
frappe fi peu. 11. 56
Exemple de l'art de le leur faire enten-
dre. II. 62
Fiwe , exercice de ce fens. I. ^77t;'fuiv.
Ce qui rend fes jugemens équivoques.
1- ?7«j i79
Comment la courfe exerce un enfant à
mieux voir. 1. 387
-^Enophon cité. I. jy
^ Ur I c h , comment paffent maîtres les
Confeillers de cette Ville. JI. 14e
Fin de la Table,