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Full text of "Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III"

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LES 


ANCIENNES  MAISONS  DE  PARIS 


<OJjS    >s-AI>OI>EON    III. 


BRUXELLES.    —   IMPRIMEIUE    DE    CASLMIK    COOMANS. 


I^KS 


ANCIENNES  MAISONS 

DE  PARIS 

SÔOS    NAPOLÉOM   UL 


PAIS 


L'HISTORIOGRAPHE    LEFEUVE 


(Sbition   intevnatioualc. 


TOME   SECOND. 


PARIS.  1  BRUXELLES. 

5^.  roc  Neuve-Saint-Auguslin,  58.    I         15.  rue  Dupont,  13.. 
1873 


Rue    de    Boiidy.    (i) 


Deffieux.   —  Le    Jeu    de   V Ambassade .   —   Le    Q'^ 
Portails.   —  Les   Théâtres,  —  M.  de  Murinais, 

—  Le  66.  —  Le  C"^  de  Lariboisière  —  La 
(^tesse  Merlin.  —  Les  présidents  Rosambo  et 
d'Aligre.     —   Truchot.    —   Le   M^  de  Chevaux. 

—  il/"*'  Laguèrre.  —  La  Maison  en  Loterie.  — 
M^^  de  Beauharnais.   —  Le  Duc    de    Chaulnes. 

—  Le  Château- d'Eau.   —  Le    Wauxhall. 

Lors  de  l'ouverture  du  testament  de  Louis  XVI, 
le  chemin  de  la  Voirie,  plus  tard  rue  des  Fossés- 
Saint-Martin,  puis  rue  de  Bondy,  ne  se  compo- 
sait encore  que  de  4  maisons,  pourvues  le  soir 
d'un  luminaire  isolé.  Une  des  48  sections  de  Paris  lui 
emprunta  son  nom  définitif,  sous  la  premièie 
république,  quoiqu'il  provînt  d'une  forêt  de  mas- 
sacrante réputation. 

Le  restaurant  Deflieux,  dont  la  spécialité  em- 
brasse les  repas  de  corps  et  les  noces,  n'a  quitté 
le  boulevard  du  Temple  qu'en  1853,  pour  s'installer 
près  la  Porte-Saint-Martin.  C'est  justement  à  l'angle 
d'un  pâté  de  maisons  appétissant  pour  cet  ogre  de 
Paris  nouveau,  en  train  de  dévorer  à  petites 
bouchées    ce    qui    surcharge    l'assiette  de  l'autre 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  Bondj'  de  celte 
époque  s'est  vu  enlever  ses  onze  premiers  numéros 
pairs  par  ]a  nouvelle  caserne  du  Prince-Eugène,  i'ou- 
verture  du  boulevard  Magenta  et  l'élargissement  des 
rues  de  la  Douane  et  Vieille-du-Temple.  Elle  a  aussi 
perdu  son  Château-d'Eau,  mais  on  en  a  établi  uu  autre 
devant  la  caserne,  sur  la  nouvelle  place  du  Château- 
d'Eau, 


f^O*J  i>^Â^\J^^ 


6  RUE  DK  BONDY. 

Paris,  Gargantua  moins  vorace,  mais  sauvé  par 
ce  nouveau  convive  d'une  indigestion  déjà  lourde. 
L'établissement  DefiTieux  n'en  date  pas  moins  de 
cent  vingt  ans;  son  local  d'à-présent  est  tribu- 
taire de  M.  Romieu,  cousin  et  homonyme  du 
célèbre  dîneur,  qui  a  été  préfet  dans  le  départe- 
ment des  trutîes. 

Le  superbe  balcon  qui  domine  la  porte-prmccps 
a  été  encombré,  les  jours  où  le  boulevard  deve- 
nait un  spectacle,  par  les  membres  du  cercle  de 
Commerce,  qui  formait  la  bourgeoise  aristocratie 
de  cet  îlot  de  pierres  et  de  moellons,  avant  de 
se  transférer  au  iDoulevard  Poissonnière.  Aussi  bien 
le  même  hôtel  à  été  occupé  par  le  général 
Schramm,  par  l'amiral  de  Bougainville,  sénateur 
du  premier  empire,  par  l'ambassadeur  de  Tur- 
quie, et  avant  ce  ministre,  vers  la  fin  du  règne 
de  Louis  XVI,  par  Capello,  ambassadeur  de  Ve- 
nise. Le  représentant  de  cette  république  donnait 
k  jouer  tous  les  soirs;  un  pamphlet  du  temps 
lui  reprochait  d'avoir  toujours  à  son  service  le 
prétexte  de  la  même  migraine,  à  la  même  heure, 
pour  se  retirer  dans  ses  appartements,  sans  ac- 
corder de  revanche  aux  perdants. 

A  une  époque  antérieure,  Moreaux,  l'un  des 
architectes  de  Louis  XV,  maître-général,  contrô- 
leur et  inspecteur  des  bâtiments  de  la  Ville, 
garde  ayant  charge  des  eaux  et  fontaines  pu- 
bliques, avait  habité  cette  maison. 

En  ce  temps-là  l'immeuble  ne  pouvait  pas  encore 
appartenir  au  comte  Portails,  qui,  avant  d'être  minis- 
tre, fut  un  ingénieux  avocat.  Un  jour  qu'il  plaidait 
en  séparation  de  corps  pour  la  comtesse  Mirabeau,  la 
redoutable  partie  adverse  tint  à  se  défendre  en 
personne.  Mirabeau  se  vanta  d'avoir  eu  pour  sa 
femme  tous  les  ménagements,  bien  que  ses 
mains  fussent  pleines,  disait-il,  de  lettres  qui 
prouvaient    des  oublis.    —  Je  vous  défie  de  les 


RUE  DE  BONDY.  7 

montrer,  s'écria  Portails.  —  Alors,  je  vais  les 
lire,  répliqua  le  bouillant  orateur...  Le  fait  est 
que  sa  correspondance  incriminait  la  demande- 
resse; mais,  quand  tout  en  fut  divulgué,  son  avocat 
reprit  la  parole  :  —  Après  un  tel  éclat,  mes- 
sieurs les  juges,  la  cohabitation  est-elle  encore  pos- 
sible ? 

Un  balcon  plus  modeste  ressort  du  foyer  des 
acteurs  du  théâtre  de  la  Porte -Saint -Martin, 
pièce  décorée  des  bustes  de  Potier,  de  Mazurier 
et  de  M"""  Dorval.  Il  s'agit  du  n"  15,  qui  ouvre 
d'autre  part  sur  le  boulevard.  Cette  propriété, 
laissée  par  un  oncle  à  M.  Havin,  député,  ne  fai- 
sait qu'une  d'abord  avec  celle  du  théâtre,  qui  y 
conserve  à  bail  ses  bureaux  et  ses  loges  d'ac- 
teurs. Dans  une  pièce  différente,  attenante  au 
foyer  du  public,  a  vu  le  jour  et  a  été  bercé 
l'enfant  devenu  avec  le  temps  historiographe  des 
Anciennes  Maisons   de  Paris. 

Les  entrepreneurs  auxquels  avait  été  confiée 
l'exécution  rapide  du  plan  de  Lenoir,  quant  à  la 
salle  de  spectacle  substituée  par  destination  à 
l'Opéra  incendié,  y  avaient  aussi  accolé  les  11°'  13, 
il  et  9;  un  étage  de  plus,  sur  la  rue,  sert  de 
socle  à  ces  trois  maisons,  d'abord  indivises,  dont 
une  autre  façade  borde  le  boulevard,  et  il  a 
fallu  la  même  cale  pour  donner  de  l'assiette  à 
tout  le  reste  de  ce  qu'on  a  bâti  sur  la  même 
ligne.  M.  Gournay  père-  a  légué  à  son  fils  le 
n°  7,  où  demeure  Paul  de  Kock,  romancier  qui 
n'est  plus  que  populaire,  et  où  a  demeuré  Fré- 
dérick-Lemaître,  le  plus  grand  acteur  de  son 
temps.  Le  5  et  le  3,  eux  aussi,  sont  à  double 
porte  et  presque  machinés  à  portants,  comme 
des  coulisses  de  théâtre;  il  y  régne,  de  plus,  à 
l'intérieur,  un  balcon,  dans  une  cour  carrée,  qui 
rappelle  la  décoration  d'une  fameuse  auberge, 
celle  des  Adrets.    Le   théâtre  de  l'Ambigu,  fondé 


8  RTIE  DE  BONDY. 

par  Audinot,  tient  depuis  l'année  1769  la  place 
de  l'hôtel  Murinais,  dont  le  jardin  formait  l'en- 
coignure. Le  chevalier  d'Auberjon- Murinais, 
comme  député,  attaqua  Mirabeau,  Philippe-îlgalité 
et  Robespierre;  puis,  membre  du  conseil  des 
Anciens,  il  s'affilia  au  club  de  Clichy  et,  déporté 
h   Sinnamary,  il  y  succomba. 

Le  n"  96  ne  s'éleva  pas  tout  d'une  pièce; 
mais  il  sortit,  sous  Henri  IV,  d'un  plan  de 
choux,  avec  un  des  ses  pareils,  qui  est  encore 
avec  lui  côte  à  côte.  Le  70  n'a  surgi,  à  son 
tour,  dans  une  des  pièces  de  marais  voisines,  qui 
relevaient  de  la  censive  du  Temple,  qu'une  tren- 
taine d'années  avant  la  suppression  de  tous  les 
privilèges  seigneuriaux.  Le  devant  du  68  est  de 
la  même  génération  ;  mais  il  a  remplacé  une 
vigne,  h  laquelle  survit,  dans  le  fond,  le  domi- 
cile  du    vigneron. 

Le  66  a  fait  honneur,  pour  commencer,  au 
comte  de  Sechtré,  et  sa  veuve  l'a  coupé  en  deux,  pour 
en  laisser  la  moitié  à  chacune  de  ses  filles, 
M"'"  de  Rennepont  et  M"'"  de  Castéja,  qui  a  brillé 
à  la  cour  de  Louis  XVL  M.  Worms  de  Ro- 
milly,  maire  du  V"  arrondissement,  a  acheté  l'hô- 
tel du  fond,  vers  1830,  et  M.  Lecomte,  un  peu 
après,  s'est  pourvu  de  celui  qui  sert  de  vesti- 
bule à  l'autre:  deux  étages  ont  été  ajoutés  de- 
vant et  derrière. 

Giamboni,  banquier  de  la  cour,  a  lancé  dans 
le  monde  cadastral  une  superbe  propriété,  dont 
les  grands  arbres  donnent  encore  de  l'ombre  à 
la  rue  du*  Chàteau-d'Eau.  On  y  entre  par  une 
allée  de  tilleuls,  que  décore  une  statue  en  mar- 
bre de  Cicéron,  comme  s'il  avait  écrit  ses  Tus- 
culanes  dans  cette  villa  urbaine.  La  fille  du 
financier  de  l'ancien  régime  a  vendu  l'hôtel,  en 
1810,  au  général  comte  Baston  de  Lariboi- 
sière,  un  des  héros  de  la  journée  d'Austerlitz.  La 


RUE  DE  BONDY,  9 

femme  du  général,  lille  du  comte  Roy,  el  que 
remplace  rue  de  Boudy  son  lils,  sénateur,  an- 
cien pair  de  France,  a  contribué  par  ses  dispo- 
sitions testamentaires  à  la  fondation  de  l'hôpital 
Lariboisière,  qu'on  a  dit  en  commençant  Louis- 
Pliilippe.  Les  fds  du  roi  avaient  assisté  aux  bals 
de  M"''  de  la  Riboisière,  qui  étaient  magnifiques, 
mais  qui  n'avaient  pas  plus  de  succès  que  les 
soirées  musicales  données  dans  le  même  hôtel 
par  la  comtesse  Merlin.  M.  le  comte  Desaix,  Ois 
du  général  tué  à  Marengo,  occupe  l'ancien  ap- 
partement de  M""'  Merlin.  Le  64,  qui  n'a  pas  sur 
la  rue  plus  d'une  croisée  par  étage,  a  fait  de 
naissance  partie  du  même  immeuble. 

Un  cottage  garde,  au  n"  60,  ses  bouquets  de 
verdure  et  de  fleurs,  avec  un  air  de  bonhomie 
sereine,  comme  avant  la  Révolution.  Un  autre 
grand  hôtel  touche  ce  pavillon  ;  il  a  été  inau- 
guré par  le  président  Rosambo,  père  ou  grand- 
père  de  Louis,  marquis  de  Rosambo,  qui  a  porté 
sa  tête  sur  l'échafaud  en  1793,  avec  l'illustre 
Malcsherbes,  son  beau-père.  Pendant  de  longues 
années,  M.  le  baron  Taylor  a  fondé  des  sociétés 
de  bienfaisance  sous  l'ancien  toit  des  Ro- 
sambo. 

l'uis  vient  l'hôtel  d'Aligre,  dénomination  qu'ont 
portée  simultanément  le  56,  pavillon  au  bout 
d'une  avenue,  et  le  54,  maison  à  façade  sculptée 
adjugée  en  1823  à  M.  Lavalaise  et  dont  M.  Phui- 
chat,  notaire,  jouit  maintenant.  Ces  lieux  ont 
été  occupés  par  Etienne-François  d'Aligre,  pre- 
mier président  au  parlement,  décédé  en  1798. 
Le  corps  de  logis  principal  a  pour  auteur  le 
sieur  Ferrand,  qui  avait  donné  d'un  terrain  d'en- 
viron 130  perches,  au  lieu  dit  les  Coutures-Saint- 
Martin,  la  somme  de  25,000  livres  h  Antoine 
Jugié,  jardinier,  et  comme  l'emplacement  était 
dans   la    mouvance    de   Saint-Martin-des-Champs, 


10  RUE  DE  BONDT. 

le  prieur  claustral  de  ce  monastère  avait  entëriné 
l'acte  de  vente. 

Vers  la  même  époque,  le  nommé  Lécluse  fit 
bâtir  à  la  place  d'un  quartier  de  gardes-fran- 
çaises une  salle  de  spectacle  en  bois,  grandie 
six  ans  plus  tard  en  théâtre  des  Jeunes-Artistes: 
Désaugiers,  Martainville  et  Brazier  y  donnaient 
des  vaudevilles.  Supprimée  en  1807,  la  salle  dépouilla, 
sa  jolie  devanture  pour  se  convertir  en  maison  de  re- 
venu. M'"''  Feignez,  duègne  en  province  et  veuve 
du  directeur  de  ce  spectacle,  où  elle  a  joué  avec 
Juillet,  Volanges,  Monrose,  les  deux  Lepeintre  et 
M'"*'  Vautrin,  a  conservé  un  pied-à-terre  au  même 
endroit,  c'est-à-dire  n°  52. 

A  l'autre  coin  de  la  rue  Lancry,  un  restaurant 
a  ceci  de  particulier  qu'il  porté  encore  le  nom 
de  Trucbot,  devenu  le  chef  d'un  établissement 
rival.  Ce  transfuge  peut  dire,  au  détriment  de 
la  maison  qu'il  a  d'abord  fondée  : 

Rome  n'est  plus  dans  Rome,  elle  est  toute  où  je  suis. 

Dupuy,  marchand  de  chevaux,  avait  acquis 
au-delà  de  la  rue  de  Bondy,  lorsqu'elle  finissait 
à  la  hauteur  de  celle  de  Lancry,  qui  n'existait 
pas  encore,  les  marais  de  trois  ou  quati^e  jar- 
diniers, placés  sous  la  censive  de  Sainte-Oppor- 
tune; il  obtint,  le  18  octobre  1770,  le  prolonge- 
ment de  la  rue  de  Bondy,  qu'il  avait  facilité  par 
un  échange  de  terrain,  et  puis  il  divisa  sa  pro- 
priété en  10  lots.  Le  père  de  M.  Hortensius 
de  Saint-Albin,  conseiller  à  la  cour  impériale, 
s'accommoda  d'une  de  ces  parts,  et  au  maître- 
maçon  Delafond  échut  l'emplacement  des  n""  32, 
30,  28,  26  et  24.  Ayant  fait  de  mauvaises  affaires, 
celui-ci  eut  plusieurs  successeurs  dans  son  lot,  et 
l'un  d'eux  fut  Lemaistre,  en  ce  qui  regardait  les 
fondements  du  n''  30. 

Bientôt  M"e  Laguerre,    première   chanteuse  de 


RUE  DE  BONDY.  11 

l'Opéra,  compta  le  prix  de  cet  hôtel  à  Le- 
maistre.  Elle  l'accrut  d'un  corps  de  bâtiment,  à 
présent  celui  du  milieu,  car  M.  Michel  Aarou  a 
ajouté  depuis  celui  du  fond.  Quelle  voix  claire  que  la 
sienne  quand  elle  était  en  voix!  Mais  cette  chanteuse 
ne  se  ménageait  guère;  elle  brûlait  de  plus  de 
(eux  que  les  opéras  de  Gluck  n'en  allumaient,  et 
l'ivresse  des  applaudissements  ne  lui  suffisait  pas 
toujours  :  on  dit  que  les  fumées  du  Champagne 
la  tirent  chevroter  tout  un  soir  dans  Iphigénie 
en  Tauride.  Quoique  sa  vie,  au  point  de  vue 
des  plaisirs  et  de  la  durée,  ait  réalisé  la  de- 
vise :  courte  et  bonne,  M"*'  Laguerre  savait  comp- 
ter et  garder  une  poire  pour  la  soif.  On  trouva 
dans  son  portefeuille  800,000  livres  en  billets  de 
la  caisse  d'escompte  ;  elle  laissait,  en  outre, 
40,000  livres  bien  trébuchantes,  force  bijoux,  son 
hôtel  et  plusieurs  enfants  :  tout  lui  venait  des 
plus  grands  seigneurs.  On  peut  à  plus  forte  rai- 
son regarder  comme  sienne  la  tille  qui,  à  la 
mort  du  maréchal  de  Saxe,  frère  naturel  de  la  dau- 
phine,  fut  reconnue,  à  la  diligence  de  cette  prin- 
cesse et  de  M"«  de  Chalut,  par  un  acte  de 
notoriété,  comme  née  du  vainqueur  de  Fontenoy. 
Grâce  à  cette  adoption  posthume,  et  sans  qu'il 
fût  question  de  sa  mère  dans  le  titre  qui  lui  ren- 
dait son  père,  l'enfant  eut  une  position  qui  lui 
permit  de  s'unir  au  financier  Dupin  de  Fran- 
cueil,  le  grand-père  de  M"""  Sand.  Quant  à  la 
maison  de  la  rue  de  Bondy,  elle  n'a  pu  passer 
qu'indirectement  des  mains  de  la  mère  de  M'"*^ 
iJupin  dans  celles  de  M.  Aaron,  notable  négociant, 
propriétaire  actuel. 

Dupuy  avait  réservé  un  passage  pour  les  che- 
vaux, dont  il  faisait  commerce,  et  c'est  mainte- 
nant l'entrée  du  café  Parisien  qui,  lui-même, 
tient  la  place  d'un  hôtel  éditié  par  Delafond, 
acheté    ensuite  par   Mazières,  fermier-général  et 


12  RUE  DE  BONDY. 

grand  joueur,  qu'exproprièrent  ses  créanciers. 
Le  successeur  de  Mazières  fut  le  marquis  de  Myons, 
gentilhomme  dont  l'émigration  lit  placer  sous  séques- 
tre cette  propriété,  mise  en  loterie  le  29  ger- 
minal an  H  et  gagnée  par  le  sieur  Roussel, 
porteur  dn  n"  55,501,  Une  tradition  ajoute  que 
l'impératrice  Joséphine,  alors  M'""  de  Beauharnais, 
y  vécut  quelque  temps,  bien  avant  que  ce  fût 
l'une  desmairies  de  Paris.  Maison  démolie  pour  faire 
place  h  une  vaste,  mais  fort  triste  halle  aux 
demi-tasses  ! 

Comment  douter  que  le  24  ait  été  le  frère 
utérin  du  26?  Le  passage  de  l'un  était  béant, 
bouche  de  servitude,  sur  la  face  de  l'autre, 
remarquable  par  son  escalier  et  par  un  balcon 
sur  la  cour.  Magnifiques  escaliers  au  22  et  au 
20,  où  logèrent  la  marquise  de  Ferrières,  le  mar- 
quis de  Folleville  et  bien  d'autres,  ku  même 
temps  on  venait  voir  le  cabinet  du  duc  de  Chaul- 
nes,  dans  celui  des  hôtels  de  notre  rue  qui 
portait  le  n"  45  avant  89.  Les  maisons  de  Paris 
.étaient  cotées  par  des  chiffres  depuis  les  pre- 
miers temps  du  règne  de  Louis  XV;  mais  je  ne 
sais  pas  à  quel  bout  de  la  rue  de  Bondy  com- 
mençait son  premier  numérotage. 

Elle  se  confond  avec  le  boulevard  entre  la  rue 
de  Lancry  et  celle  du  Faubourg-du-Temple,  et 
le  milieu  de  cette  accolade  est  marqué  par  le 
Chàteau-d'Eau,  qu'on  a  inauguré  le  15  août  1811. 

A  ce  monument  le  VauN.hall,  qui  donnait  ses 
bals  près  de  là,  dut  souhaiter  la  bienvenue.  Mais 
le  Vauxhall,  à  cela  près,  avait  déjh  dégénéré 
depuis  le  temps  où  l'Italien  Torré  y  tirait  des 
feux  d'artihce.  L'exemple  de  M"'*"  Dubarry,  qui 
était  alors  au  pinacle,  donnait  de  tels  encoura- 
gements aux  jolies  filles  qu'il  y  en  avait  toujoui'S 
pour  fouler  aux    pieds    l'innocence,  du    premier 


RUE  DE  BONDT.  13 

au  dernier  degré,  dans  cette  coulisse  de  la  Bourse 
des  amours.  Les  fêtes  de  Tempe  y  florissaient 
en  1782,  et  elles  étaient  foraines,  entremêlées 
de  farces  et  d'ariettes.  Le  prince  de  Soubise,  plus 
d'une  fois,  y  a  flatté  le  dé  de  la  galanterie,  et 
l'un  des  meilleurs  points  qu'il  ait  amenés  était  la 
jeune  nièce  de  M""  Lany,  jeune  elle-même  au 
théâtre,  dont  il  resta  le  vieux  coquin  de  neveu 
pour  quelque  temps.  La  salle  de  danse,  au  Vaux- 
hall,  était  de  forme  elliptique  et  au  centre  d'un 
arpent  et  demi  d'anciens  plants  d'artichauds  trans- 
formés en  parc;  un  plafond  élevé  y  portait  sur 
de  belles  cariatides,  et  deux  rangs  de  galerie 
tournaient  au-dessus  d'un  café  souterrain.  L'or- 
chitecte  de  ce  Vauxhall,  construit  en  1785,  était 
Mélan,  et  le  décorateur  Munich.  On  payait  30 
sols  pour  entrer,  et  il  y  avait  deux  portes  :  l'une 
rue  des  3Iarais,  l'autre  rue  Is'euve-Saint-Nicolas. 
L'emplacement  différait  donc  de  celui  de  la  salle 
de  bal  qui  répond  encore  à  la  même  désignation. 


Rue    <los    Bons-Enfants,    (i) 


Son  Histoire,   à  cela  près  de  ÏOrdre  chronologique. 

■jîsie  des  pro|U"îélaîre>»  ou  principaux  locataires 
(le  loufes  lc<«  iiiai<i»on!>>  de  la  rue  de!!>  Bon««- 
Enfanlïi    en    Tan    I7^0    : 

(Eôté  rjaiuljc  Côté  broit 

en  venant  de  la  rue  Saint- Honoré. 


Les     chanoines    de     Saint-  Les     chanoines     de    Saint- 

Honoré. 
De    k  Planche. 


D'Argenson. 

]\Ime  de    Saincou. 

Bellet. 

M-^e  de  Matignon. 

Le  Vasseur. 

jVJnio   de    Matignon. 

Le  Bûutier,   prieur. 

De  Courville. 

Comtois. 


Honore, 
De   Serrant. 
Ranchin  et   M'"»  Rassiu. 
De  la   Guillonnière. 
Chenut  et   Fontenay. 
De   l'Estoile. 


Antre  recensement  sans  date.,  mais  proba- 
blement du  même  siècle,  se  rapportant  aux 
mêmes    propriétés   : 

Chanoines  de  Saint-Honoré.iChanoines  de  Saint-Honoré. 

M""3   de  la   Planche.  Eglise    Sainte- Claire. 

M'se    de    Nonant.  Collège     des    Bons-Enfants. 

Mme  de    Matignon.  ir/.,  id.,  iJ.,  l'd..  l'd.,    id.,    id. 

M's    de  Nomon.  |M"e  Ralabon. 

M"":  de    Seignelay.  -M.     de    Montelon,    premier 

M.   Desfossez.  j     président   à   Rouen. 

M    Desfourneaux.  JM.  Valdor. 

Idem.  !m.   Renault. 


(1)  Notice   écrite  en     18i)«. 


RUE   DES   BONS-ENFANTS.  15 

Cette  double  nomenclature  ne  nous  tait  pas 
retrouver  le  toit  sous  lequel  chercha  refuge,  rue 
des  Bons-Enfants,  le  connétable  d'Armagnac,  dans 
cette  nuit  du  2'8  au  29  mai  1418  qui  favorisa 
de  ses  ténèbres  la  trahison  de  Perrinet-le-Clerc, 
livrant  la  porte  de  Buci  aux  Bourguignons  et 
aux  Anglais.  La  retraite  du  connétable,  complice 
de  ce  crime,  fut  dénoncée  au  populaire  furieux 
par  un  maçon,  habitant  la  maison,  et  d'abord  on 
se  contenta  de  s'assurer  de  sa  personne.  Mais  la 
colère  publique  se  réveilla  ensuite  pour  forcer  la  Con- 
ciergerie et  percer  de  mille  coups  d'Arma- 
gnac :  le  cadavre  de  ce  descendant  de  Clovis 
par  Charîbert,  frère  de  Dagobert,  fut  traîné  par 
toutes  les  rues  sur  le  chemin  de  la  voirie. 

Les  n"'  1,  3  et  5  sont  évidemment  les  pro- 
priétés que  désignent  au  commencement  de 
la  rue,  côté  gauche,  les  deux  catalogues  produits 
plus  iiaut  ;  l'une  d'elles  a  conservé  un  escalier 
h  balustres  de  bois  antérieur  au  Palais-Cardi- 
nal, et  la  même  famille  possède  depuis  soixante- 
dix  ans  l'immeuble  qui  vient  après,  hôtel  Baillif 
ix  l'usage  des  voyageurs.  Le  7,  dont  un  corridor 
sombre  se  dit  le  passage  Henri  IV,  donne  avec 
ce  conduit  cour  des  Fontaines,  et  se  trouve  au 
cœur  de  la  place  qu'occupait  une  salle  de  spec- 
tacle qui  fut  .celle  de  Molière  lui-même  et  qui 
fut  aussi  l'Opéra.  Un  passage  plus  clair 
et  plus  large,  qui  vient  après,  tigurait  déjti  sur  le 
plan  de  Paris  qui  reconnaissait  ^  notre  rue,  en  ITli, 
25  maisons  et  11  lanternes  :  On  l'appela  passage 
du  Palais-Royal  rendant  de  la.  rue  des  Bons- 
Enfants  au  travers  des  basses-cours  dudit  palais. 
Le  premier  incendie  dudit  théâtre  du  Palais-Royal, 
car  il  y  eut  deux  incendies,  valait  à  cette  voie  publi- 
que la  rectification  de  son  alignement  dès  l'an- 
née 1680.  Un  bâtiment,  qui  avait  obstrué  la  cir- 
culation,  n'y     était    plus;     mais     les     frais    des 


18  RUE   DES  BONS-ENFANTS. 

embellissements  locaux  avaient  été  mis  par  une 
ordonnance  royale  à  la  charge  des  propriétaires 
appelés  à  en  proliter  de  première  main,  dans 
les  rues  Saint-Honoré,  des  Bons-Eiitants  et  Neuve- 
des-Bons-Eniants.  On  voit  maintenant  les  choses 
de  plus  haut  à  rHôteWde-Ville;  il  n'y  en  a  pas 
moins,  pour  la  carte  de  Paris,  maintes  améliora- 
tions que  sullirait  à  défrayer  la  plus-value  des 
immeubles  en  bordure  sur  les  points  qu'elles  fa- 
vorisent. 

Le  surnom  de  Mélusine  a  été  donné  à  un 
hôtel  bâti  en  même  temps  que  le  Palais-Royal, 
et  dans  lequel  une  tapisserie  représentait  cette 
fée  des  romans  de  chevalerie.  Richelieu  avait, 
commencé  par  se  mettre  sous  la  main,  dans  ce 
pavillon  attenant  au  jardin  du  palais,  le  poète 
Boisrobert,  son  favori,  lequel  y  avait  reçu  l'Aca- 
démie-française  quand  cette  compagnie  ne  se  réu- 
nissait encore  (lue  chez  quelques-uns  de  ses 
premiers  membres.  La  merveilleuse  Mélusine  joue 
aussi  un  rôle  historique  dans  les  traditions  du 
Poitou;  elle  est  devenue,  dit-on,  par  son  mariage 
avec  Raymondin,  comte  de  Poitiers,  la  tige  de 
la  maison  de  Lusignan,  qui  a  fourni  des  rois  à 
Jérusalem  et  à  Chypre.  A  coup  sûr  l'hôtel  Mélusine 
est  dit  Lusignan  en  1694,  et  s'il  ne  doit  pas 
cette  autre  désignation  h  un  autre  personnage  de 
la  même  tapisserie,  c'est  à  l'un  de  ses  descen- 
dants. Il  y  aura  bien  un  marquis  de  Lusignan 
aux  Etats-Généraux  de  1789  ! 

Louis  XIV  ayant  constitué  en  apanage  la  pro- 
priété du  Palais-Royal  à  son  frère,  le  duc  d'Or- 
léans, au  mois  de  février  1672,  c'est  seulement 
trente  années  plus  tard  que  l'hôtel  latéral  passe 
dans  le  domaine  privé  de  la  branche  cadette  de 
la  famille  royale.  L'abbé  Dubois  n'a  attendu  pour 
y  demeurer  ni  son  portefeuille  de  ministre  ni  sa 
barrette    de    cardinal.  Mais,  n'étant  que  précep- 


RUE  DES  BONS-ENÊANTS,  17 

leur  du  duc  de  Chartres,  prince  d'Orléans,  il 
joue  déjà  un  personnage  :  négocier  le  mariage 
de  son  élève  avec  une  lille  légitimée  du  roi,  ce 
n'est  pas  une  petite  affaire.  Le  maître  a  pris  soin 
de  cultiver  l'intelligence  peu  commune  du  futur 
régent,  en  n'opposant  que  cette  dérivation  aux 
premiers  entraînements  de  son  amour  ardent 
pour  les  plaisirs.  La  jeune  cour  du  Palais-Royal 
porte  bientôt  ombrage  à  la  vieillesse  du  grand 
roi  :  le  prince  dessine  à  ravir,  les  sciences  na- 
turelles le  font  savant,  et  il  se  distingue  dans  les 
armes;  on  recherche  déjà  la  protection  de  ses 
amis,  Broglie,  d'Elfiat,  Canillac,  Noce,  Brancas 
et  La  Fare,  et  la  comtesse  d'Argenton  serait 
traitée  de  favorite  sans  le  grand  nombre  de  dou- 
blures déjà  données  à  ce  chef  d'emploi.  Pour- 
tant le  duc  sait  montrer  des  égards  à  la  nouvelle  du- 
chesse d'Orléans,  en  présence  de  laquelle  il 
oubliera  toujours  M""'  de  Montespan,  sa  mère. 
Le  roi  garde  rancune  à  ce  neveu  d'avoir  voulu 
monter,  par  une  conspiration,  sur  le  trône  d'Es- 
pagne; mais  il  repousse  hautement  de»  calomnies 
imputant  ensuite  à  ce  prince  la  mort  de  plu- 
sieurs membres  de  la  famille  royale  de  France. 
Le  peuple,  toujours  prompt  à  croire  que  les 
débauches  et  les  crimes  vont  de  pair,  investit  le 
le  Palais-Royal,  en  proférant  les  cris  les  plus 
menaçants,  et  le  duc  n'échappe  au  danger  qu'en 
passant  par  l'une  des  fenêtres  de  son  chance- 
lier,  pour  enfiler  la  rue  des  Bons-Enfants. 

Or  il  a  confié  ses  sceaux  de  prince  du  sang 
à  Bautru,  comte  de  Serrant,  qui  vient  de  mou-" 
rir  à  l'ûge  de  93  ans,  et  l'hôtel  Mélusine-Lusignan 
est  devenu  le  siège  officiel  de  la  chancellerie  d'Or- 
léans, rétabli  par  Boffrand  et  décoré  de  pein- 
tures, parmi  lesquelles  se  remarque  le  plafond 
des  Dieux  désarmés  par  les  Amoitrs,  d'Antoine 
Coypel. 


18  RUE   DES  BONS-ENFANTS. 

Charlotte  Bautru,  nièce  dudit  chancelier,  est 
l'épouse  en  secondes  noces  du  prince  Armand  de 
Roiian  de  Montauban,  que  Moréri  prend  à  tort, 
dans  son  Dictionnaire  liistorique,  pour  un  prince 
de  Montbazon,  et  elle  revend  au  régent,  le  17 
avril  1720,  la  maison  .même  de  la  Chancellerie, 
en  s'en  réservant  l'usufruit  viager.  L'une  des 
anecdotes  qui  courent  alors  sur  le  compte  de 
cette  princesse  de  Montauban,  nous  revient,  à 
propos.  Elle  se  lait  si  souvent  solliciteuse  que 
Dubois  huit  par  donner  directement  à  l'une  de  ses 
demandes  cette  réponse  plus  que  discourtoise  :  — 

Allez  vous  ûiir.;  f M""'  de  Montauban  se  hâte 

de  s'en  plaindre  au  régent,  qui  est  trop  galant 
homme  pour  donner  tort  à  une  dame,  mais  qui 
en  passe  plus  encore  à  l'ancien  cuistre  dont  il 
met  à  profit  les  talents  politiques.  —  Chère  ma- 
dame, répond-il,  que  voulez -vous?  Dubois  a  ses  mo- 
ments d'humeur;  mais  c'est,  au  fond,  un  homme 
de  bon  conseil. 

Cette  rentière  cesse  de  vivre  le  10  décembre 
1725;  sa  mort  réunit  l'usufruit  à  là  nu-propriété 
de  l'hôtel  entre  les  mains  de  Louis,  duc  d'Oj'- 
léans,  hls  unique  du  régent,  car  il  y  a  déjà 
deux  ans  que  ce  dernier  est  mort  d'un  coup  de 
sang,  dans  les  bras  de  la  duchesse  de  Pha- 
laris. 

Le  cardinal  Dubois  a  lui-même  survécu  peu  de 
mois  au  régent,  dont  il  n'a  pas  été  que  l'âme 
danniée.  Le  duc  d'Orléans,  premier  prince  du 
sang,  a  maintenu  dans  ses  fonctions  particulières 
un  ancien  adversaire  de  Law,  le  comte  d'Ar- 
genson,  qu'avait  son  père  pour  dernier  chance- 
lier, chef  de  son  conseil,  surintendant  de  ses 
maison  et  finances;  mais  celui-ci  s'est  démis 
de  la  charge  de  lieutenant-de-police,  pour  pas- 
ser conseiller  d'Etat,  puis  ministre  de  la  guerre. 
A   ce    chancelier,    qui  a  rétabli  l'crdre  dans  les 


RUE  DES  BONS-ENFANTS.  19 

finances  princières,  Louis  d'Orléans  doit,  en  ou- 
tre, son  mariage  personnel  avec  la  princesse  de 
Bade&t  un  autre  mariage  par  procuration,  pour  Louis 
XV,  avec  Marie  Leczniska,  la  lille  du  roi  de  Po- 
logne. Malheureusement  la  princesse  de  ^  Bade 
meurt  après  deux  années  d'union,  et  le  fils  du 
régent  en  demeure  inconsolable  :  peu  lui  importe 
que  le  cardinal  de  Fleury  l'ait  dépouillé  de  la 
charge  de  colonel-général  de  l'infanterie  fran- 
çaise. Pieux  et  ami  des  jansénistes,  bienfaisant, 
protecteur  des  lettres,  il  prend  avant  peu  un 
pied-k-terre  à  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève,  où 
il  finit  par  se  fixer,  en  remettant  l'administra- 
tion de  ses  attaires  à  la  douairière  d'Orléans,  et 
il  ferme  les  yeux  en  1752.  Or,  par  acte  rendu 
authentique  vingt-six  années  avant  sa  mort,  il  a 
donné  à  vie  l'hôtel  de  la  Chancellerie  au  comte 
d'Argenson.  Mais  ce  nouvel  usufruitier  est  de- 
venu surintendant  de  la  généralité  de  Paris  avant 
la  disgrâce  de  M'"''  de  Chàteauroux,  et  l'année  1740 
l'a  vu  abdiquer  au  Palais-Royal  en  faveur  de 
son  frère  aîné.  De  cette  façon  la  place  est  oc- 
cupée rue  des  Bons-Enfants  par  le  marquis  d'Ar- 
genson, naguère  ministre  des  affaires  étrangères, 
ancien  condisciple  de  Voltaire,  et  lui-même  a 
laissé  quelques  écrits,  plus  un  curieux  recueil 
de  chaiisons  qui  ne  s'est  imprimé  que  de  nos 
jours. 

En  173:2,  un  autre  duc  d'Orléans,  fils  unique 
du  pensionnaire  de  Sainte-Geneviève,  fait  dona- 
tion de  l'hôtel  traditionnel  au  bibliophile  Marc- 
René  de  Paulmy  d'Argenson,  marquis  de  Voyer, 
fils  du  comte  d'Argenson,  et  ii  Jeanne-Marie-Con- 
stance de  Mailly,  son  épouse,  sous  la  seule 
réserve  du  droit  de  retour  en  faveur  des  princes 
d'Orléans,  en  ras  d'extinction  de  la  postérité  des 
donataires.  Vers  ce  temps-là,  Silhouette  est  chan- 
celier,  et  il  a  pour   successeur   direct    ou    indi- 


20  RUE  DES   BONS-ENFANTS. 

rect  l'abbé  de  Breteuil,  dont  les  bureaux  se 
tiennent  rue  Saint-Honoré,  près  l'Assomption,  en 
1780.  Quatre  ans  après,  le  marquis  précité,  qui 
a  été  un  an  ministre,  de  la  guerre  et  plusieurs 
fois  ambassadeur,  n'a  pas  encore  fermé  les  yeux; 
néanmoins  ses  enfants  refont  bail  au  prince 
Louis-Philippe,  duc  d'Orléans,  de  cette  même 
maison,  restaurée  sur  le  plan  de  Wailly  et 
principalement  enrichie  d'un  Lever  <  e  l Aurore, 
en  plafond,  par  Durameau,  moyennant  10,000 
livres  de  rente  foncière,  non  rachetable,  payable 
jusqu'à  l'extinction  de  leur  postérité. 

La  succession  dudit  prince  s'ouvre  le  18  no- 
vembre 1785,  et  son  tils,  qui  sera  plus  tard 
Philippe -Egalité,  lui  succède  au  Palais-Royal, 
tant  en  vertu  de  ses  droits  héréditaires  que 
comme  cessionnaire  de  ceux  de  sa  sœur,  prin- 
cesse de  Bourbon -Condé.  Mais  est-on  jamais 
riche  quand  on  se  lance  dans  les  spéculations 
aventureuses,  dans  d'énormes  paris  et  dans  les 
premiers  frais  d'une  popularité  dorée!  Le  duc 
d'Orléans  s'y  endette  au  point  de  n'avoir  plus 
assez  de  ses  immenses  revenus,  et  alors,  au  lieu 
de  réduire  son  train  de  maison,  qui  est  consi- 
dérable, il  sacrifie  la  moitié  du  jardin  où  tant 
de  promeneurs  se  croient  chez  eux,  pour  y  éta- 
blir des  galeries  et  en  faire  une  foire  perpétuelle. 
Jusque-là  ce  jardin,  plus  ombreux,  mieux  agré- 
menté, a  été  ouvert  en  plein  jour  au  public, 
excepté  pour  les  gens  mal  mis,  les  soldats  et 
les  domestiques.  Philippe,  qui  sera  Egalité,  dé- 
mocratise d'avance  cette  promenade,  rapetissée 
dans  plus  d'une  acception  du  mot,  en  suppri- 
mant non-seulement  les  conditions  de  décorum 
qu'il  fallait  y  remplir,  mais  encore  les  portes 
où  il  y  avait  des  gardés.  Aussi  bien  les  allées 
et  les  bosquets  étaient  déjà  su  Palais-Cardinal, 
c'est-à-dire  du  temps  de  Richelieu,   fréquentés  le 


RUE  DES  BONS-ENFANTS.  21 

soir  plus  agréablement  par  des  privilégiés,  que 
ces  gardes  laissaient  passer,  ou  qui  sortaient  de 
l'une  des  maisons  donnant  sur  le  quadrilatère 
verdoyant.  Chacune  de  ces  maisons  a  eu  sa  clef 
des  champs,  sa  porte  sur  une  allée,  comme  nous 
pouvons  encore  nous  en  assurer  rue  de  Valois 
pour  celles  qui  portent  des  numéros  impairs  dans 
la  rue  parrallèledes  Bons-Enfants.  Tous  les  habitants 
du  pourtour,  déshérités  par  ce  duc  d'Orléans  des 
plaisirs  de  la  vue  et  des  entrées  par  privilège 
dont  l'habitude  leur  est  douce,  lui  en  veulent 
tant  et  plus  :  quoi  d'étonnant  à  cela!  N'est-ce 
pas  bien  le  moins  qu'une  caricature  du  temps, 
rehaussée  de  son  calembour,  travestisse  le  prince 
en  chiffonnier  ramassant,  avec  un  crochet,  des 
locataires? 

La  Révolution  le  débarrasse  enfin  des  frais  de 
représentation;  les  officiers  de  sa  maison  se 
réduisent  à  un  petit  nombre  de  confidents,  de 
prête-noms  et  d'agents  d'affaires,  depuis  l'émigra- 
tion forcée  de  la  chancellerie.  Philippe-Egalité 
n'a  plus  de  médecins  par  quartier  à  ses  trousses, 
sans  compter  le  médecin  vétéran,  et  il  ne  s'en 
porte  pas  plus  mal.  Ses  créanciers,  devenus  ses 
amis  en  même  temps  que  ses  égaux,  ont  inté- 
rêt à  s'entendre  avec  lui  pour  mettre  ses  biens 
à  l'abri  des  éventualités  de  confiscation.  Le  6 
mars  1792,  en  vertu  de  conventions  arrêtées 
dans  un  concordat  le  9  janvier  de  la  même  an- 
née entre  le  ci-devant  duc  et  ses  créanciers,  le 
ci-devant  palais  est  mis  en  vente,  et  l'année  sui- 
vante, en  présence  d'un  agent  du  trésor  public, 
le  13  août,  le  citoyen  Alexis-Louis  Arnoult, 
à  titre  d'adjudicataire,  est  envoyé  en  possession.  Pen- 
dant la  République  encore.  M'"''  de  Maurville, 
épouse  divorcée,  poursuit  la  saisie  de  cet  im- 
meuble contre  François-Jean  Bellanger  des  Bou- 
lets, qui  en  est  devenu  propriétaire  :  cette  dame, 


22  RUE  DES   BONS-ENFANTS. 

née  de  Ligeac,  esl  crëaiicière  de  2,000   livres  de 
rente  viagère. 

Mëol,  traiteur  en  vogue  sous  le  Directoire,  est 
aussi  installé  dans  la  ci-devant  Chancellerie  d'Or- 
léans. L'abbé  Delille,  dans  VHomme  des  Champs, 
parle  de  jeunes  botanistes  herborisant  dans  les 
montagnes  et  déjeunant  avec  frugalité,  et  il  dit 
que   : 

Leui"   appétit   insulte   à  tout   l'art  des  Méots. 

Il  n'en  fallait  même  pas  tant  pour  l'aire  à 
jamais  oublier  les  restaurants  antérieurs  de  la  rue. 
L'ombre  et  le  silence  y  planent  sur  les  anciens 
hôtels  garnis  de  Mars,  d'Orléans  et  de  Candie, 
où  le  dîner  revenait  h  30  sols  en  1769  :  une 
chambre  s'y  payait  de  12  à  30  livres  par  mois. 
A  plus  forte  raison  s'est  éteint,  jusqu'à  la  der- 
nière étincelle  de  sa  réputation,  le  feu  devant 
lequel  rôtissaient  un  siècle  auparavant  les  pou- 
lets d'un  traiteur  à  l'enseigne  des  Bons-Enfants. 
En  même  temps  que  cette  cuisine  à  l'usage  d'un 
public  mobile,  tlambaient  celles  des  deux  hôtels 
particuliers  du  Hallier  et  de  la  Roche- 
Guyon,  qui,  d'après  un  contemporain,  tenaient 
compagnie  en  ce  temps-lii  à  l'hôtel  d'Argenson. 

Ce  dernier  immeuble  est  acquis,  tout  à  la  tin  du 
règne  de  Louis  XVIII,  par  M.  Pape,  facteur  de 
pianos,  et  la  même  facture  industrielle  est  en- 
core portée  par  des  instruments  pareils  dans  le 
même  local.  M.  Pape  a  pourtant  vendu  ce  n"  19 
de  la  rue  des  Bons-Enfants  en  1853  à  M.  Fas- 
tré,  avocat,  père  du  propriétaire  actuel.  Du  côté 
de  la  rue  de  Valois  sont  les  bureaux  du  Consti- 
tutionnel, qui  comportent  deux  salons  merveil- 
leusement décorés,  dont  l'un  conserve  des  pein- 
tures de  Lebrun, 

Quel  était  l'hôtel  du  Hallier  de  cette  rue? 
nous  le  cherchons  encore.  Mais  ne  se  pouvait-il 


RUE    DES  BONS-ENFANTS.  23 

pas  que  ladite  rue  se  prolongeât,  avant  la  for- 
mation de  la  rue  Neuve-des-Bons-Enfants  et  de 
la  place  des  Victoires,  et  quand  l'hôtel  de  la 
Vrillière,  maintenant  de  la  Banque,  occupait 
moins  d'espace,  jusqu'à  l'ancien  hôtel  qui  porte 
sur  cette  place  le  n"  48  actuel  de  la  rue  Page- 
vin?  Le  maréchal  de  l'Hospital,  comte  de  Rosnay, 
seigneur  du  Rallier,  disposait  alors  de  celui-là. 

Nous  retrouvons  dans  le  21  un  hôtel  construit 
en  1636  pour  M.  de  Liancourt,  comte  de  la 
Roche-Guyon,  et  qui  ensuite  était  d'Effiat.  Un 
d'Etlîat,  nous  le  répétons,  faisait  partie  des  sou- 
pers du  régent.  La  propriété  fut  adjugée  en 
1720  au  marquis  d'Artaguette,  beau-père  et  pré- 
décesseur du  comte  de  Carvoisin.  C'est  proba- 
blement deux  locataires  qu'on  y  voyait  ultérieu- 
rement dans  M'"*'  de  Matignon  et  dans  M.  Dupuy 
de  la  Garde,  premier-commis  au  département  de 
la  guerre.  M"'*'  de  Matignon  avait  pour  père  le 
l)aron  de  Breteuil  et  pour  fille  la  duchesse  de 
Montmorency.  Elle  se  faisait  remarquer  par  ses 
toilettes  recherchées  et  avait  pris  un  abonnement 
chez  M"''  Berlin,  marchande  de  modes,  pour 
changer  de  pouf  tous  les  soirs.  Aussi  bien,  dans 
la  petite  guerre  des  amours,  fit-elle  plus  d'un 
prisonnier  et  força-t-elle  jusque  dans  les  retranche- 
ments du  camp  épiscopal  M^"'"  de  Pamiers.  La  même 
maison  fut  vendue  par  M.  de  Lussac,  gendre  de  M.  de 
Carvoisin,  à  M.Marigner,  receveur-général  de  Paris, 
en  1791  :  elle  se  trouvait  alors  sous  la  censive  de 
la  Nation,  représentant  le  chapitre  de  Saint-Ho- 
noré.  L'acquéreur  payait  20,000  tr.,  indépen- 
damment du  prix  de  l'immeuble,  ses  boiseries, 
glaces  et  autres  ornements,  parmi  lesquels,  au 
rez-de-chaussée,  figurait  Don  Quichotte,  une 
tapisserie  des  Gobelins.  M,  Bertrand ,  notaire, 
acheta  l'hôtel  l'année  1821. 

Le   nom   de    Le   Vasseur    se    rapporte    au   23, 


24  RUE  DES  BONS-ENFANTS. 

■  maison  à  porte  monumentale,  augmentée  sous 
l'Empire,  et  qui,  depuis  lors,  appartient  à  la 
famille  de  M.  Boullay;  mais,  parmi  les  prédé- 
cesseurs de  ce  dernier,  ont  figuré  :  Lefebvre, 
auteur  dramatique  et  lecteur  du  duc  d'Orléans, 
M'"''  Caqué  et  Jean-Louis  Aymard  de  Clermont- 
Tonnerre ,  pourvu  dès  1743  d'un  bénéfice  à 
Luxeuil,  diocèse  de  Besançon.  L'hôtel  dont  il 
s'agit  a  ces  traits  de  communs  avec  les  précédents  : 
qu'il  a  tenu  table  ouverte  aux  médianoches  de 
l'autre  siècle,  auxquelles  il  donnait  pour  apéritif 
une  promenade  du  soir,  émaillée  de  rencontres 
fortuites,  quand  ce  n'était  pas  de  rendez-vous  ; 
que  ses  glaces  et  autres  accessoires  décoratifs 
ont  mérité  de  former,  à  chaque  mutation,  lot  à 
part,  et  que  sa  toiture  est  de  cuivre. 

Les  gens  de  M""'  de  Matignon  tenaient  garnison 
au  25,  que  perce  d'outre  en  outre  un  passage 
déjà  vieux,  menant  rue  de  Valois.  Le  29  nous 
paraît  avoir  changé  de  face,  depuis  que  ce  n'est 
plus  un  logis  prioral.  La  porte  bâtarde  qui  vient 
après  s'ouvrait  pour  les  Courville,  et  pourquoi 
ne  pas  remarquer  à  l'jntérieur  la  jolie  rampe 
d'escalier  sur  le  fer  de  laquelle  tant  de  mains 
ont  passé,  en  s'y  usant,  comme  si  c'était  une 
lime?  Or,  il  y  a  eu  deux  familles  de  ce  nom, 
l'une  provençale  et  l'autre  du  pays  clïartrain,  où 
la  terre  de  Courville  a  été  érigée  en  marquisat 
pour  le  duc  de  Sully  en  1636. 

Passons  du  côté  droit,  en  commençant  par  les 
hauts  numéros.  MM.  de  l'Estoile,  que  nous  vous 
avons  annoncés,  portaient  :  d'azur  à  une  étoile 
d'or.  Leur  hôtel,  qui  toutefois  avait  déjà  donné 
ses  prémices  à  d'autres,  répond  au  chiflre  32. 
M.  Mainpoud  do  la  Roche  vend  le  30,  en  1751, 
à  M""  de  la  Maisonrouge,  et  la  bru  de  celle-ci  le 
laisse  aux  Rotinet,  ses  père  et  mère,  faute  de 
descendants,  l'année    suivante;    il  passe  de  là  à 


RUE  DES  BONS-ENFANÏS.  Ih 

Claude  Menand,  dont  Cheiiut  et  Fontenay  sont 
simplement  les  locataires,  puis  à  son  neveu 
Bonnet,  quelques  années  avant  la  prise  de  la 
Bastille. 

N'est-ce  pas  dans  la  maison  contiguë  ({ue 
Bichelieu  a  attendu  l'achèvement  de  son  Palais- 
Cardinal?  La  tradition  n'en  est  pas  confisquée 
par  la  Révolution  avec  l'immeuble,  qui  a  appar- 
tenu à  M.  de  la  Guillonnière.  Le  5  brumaire 
an  IV,  comparait,  rue  Montmartre,  dans  le  ci- 
devant  hôtel  d'Uzès,  par-devant  François  Duchà- 
tel,  Guillaume-Jacques-Adrien  Guillotin  et  Louis- 
Charles-Melchior  Rémusson,  membres  du  bureau 
du  Domaine  national  du  déparlement  de  Paris, 
le  citoyen  Charles-Frédéric  Cramer,  professeur 
et  Danois,  porteur  du  n"  583,6iîb,  lequel  vient 
de  gagner  {\  la  loterie  ladite  propriété.  Cramei- 
est  envoyé  en  possession  d'une  maison  nue,  car 
le  Domaine  reprend  les  glaces  et  les  elîets  mo- 
biliers garnissant  les  appartements.  Sylvestre,  ce 
fondateur  de  l'établissement  où  les  livres  se  ven- 
dent encore  ci  la  criée,  achète  de  Cramer,  le 
19  frimaire  an  xiv;  puis  M.  Barbé  traite,  en 
1858,  avec  les  héritiers  de  Sylvestre,  mort  à 
Auteuil  depuis  seize  ans,  et  les  salles  de  l'hôtel 
Bullion  des  livres  n'en  voient  pas  moins,  au 
même  endroit,  naître  et  mourir  la  plupart  des 
bibliothèques. 

M'"«  Rassin  et  3L  Ranchin,  en  fan  1780,  sont 
locataires  ou  propriétaires  du  t^.  Le  comte  de 
Serrant,  qui,  à  la  même  époque,  jouit  du  24, 
qu'on  a  rebâti  de  nos  jours,  est  évidemment 
quelque  neveu  de  Bautru^-Serrant,  chancelier  d'Or- 
léans. Nous  avons,  vu,  dans  l'une  des  salles  Syl- 
vestre, .un  livre  dont  la  garde  portait  son  nom, 
avec  une  date  postérieure  à  la  vie  de  son  oncle  : 
c'était  l'un  dos  250  exemplaires  de  la  plus  pré- 
cieuse édition  de  Daphnis  et  Chloé,  où  28  dessins 


2f)  RUE  DES  BONS-ENFANTS. 

de  Philippe  d'Orléans,  le  régent,  s'encartent  dans 
150  pages  de  texte.  M.  Rome  de  l'Isle,  con- 
temporain de  ce  comte  de  Serrant,  faisait  les 
honneurs  de  son  cabinet  d'histoire  naturelle  dans 
une  autre  maison  de  la  rue  des  Bons-Enfants. 

Reste  l'espace  compris  de  notre  temps  entre 
la  rue  Saint-Honoré  et  l'ancienne  maison  Serrant; 
tout  en  appartenait  aux  chanoines  de  Saint-Honoré. 
De  cette  propriété  canoniale,  dont  il  reste  plus 
d'un  pan  de  mur  et  force  caves,  dépendait  un 
petit  collège  des  Bons-Enfants,  fondé  au  siècle 
xiii,  rétabli  par  Jacques  Cœur  en  1450,  et  un 
siècle  et  demi  plus  tard  par  les  chanoines  de 
Saint-Honoré.  Quand  Belot  et  Ada,  ménage  de 
bourgeois,  en  eurent  fait  construire  le  premier 
bâtiment  pour  treize  pauvres  écoliers  de  Paris 
qui,  au  début,  s'en  allaient  quêter  par  la  ville, 
on  appela  notre  rue,  non  plus  chemin  de  Clichy, 
mais  ruelle  où  ton  va  au  collège  des  Bons-En- 
fants. L'institution  de  cette  pédagogie  mendiante 
n'était  qu'k  peine  postérieure  à  Téditication  de 
l'église  voisine,  bâtie  en  l'an  1204  aux  frais  de 
Ihérey,  boulanger,  sous  l'invocation  de  saint 
Honoré,  évèque  d'Amiens,  à  la  place  d'un  mar- 
ché aux  pourceaux  qui  louchait  à  l'une  des  portes 
de  Paris.  Le  chapitre  de  Saint-Germain-l'Auxer- 
rois  nommait  aux  prébendes  des  chanoines 
alternativement  avec  l'évéque  de  Paris,  collateur 
aux  bourses  du  collège  ;  mais  une  chapelle 
indépendante,  fondée  par  Jacques  Cœur  un  peu 
plus  haut  que  la  rue  Montesquieu  actuelle,  servit 
spécialement  aux  écoliers,  et  une  confrérie  s'y 
établit  sous  le  patronage  de  sainte  Claire.  La 
chapelle    fut  vendue  et  l'église  démolie  en  1792. 

Cette  église  Saint-Honoré  avait  eu  d'abord  â  elle  un 
cimetière,  bordant  la  rue  des  Bons-Enfants.  Le  passage 
à  travers  le  Cloître  était  public  pendant  le  jour;  il  n'y 


RUE    E>ES   BONS-KNFANTS.  27 

survit  que  peu  de  restes  de  rédifice  religieux 
qui  s'y  ouvrait  entre  la  rue  Saint-Honoré  et  le 
petit  passage  de  la  Pompe,  que  eioise  le  pas- 
sage d'Athènes.  Sa  grosse  tour  datait  de  IMiilippe- 
le-Bcl  ;  les  autres  accroissements,  de  Henri  III. 
Saint-Honoré  devint,  au  xynr"  siècle,  la  plus 
riche  collégiale  de  Pai'is.  Philippe  de  Champagne 
était  l'auteur  d'une  Présentation  au  Temple  ornant 
le  maître-autel.  La  première  ch?pellc  à  droite  ne 
se  montrait  pas  trop  tière  du  mausolée  du  car- 
dinal Dubois,  sculpté  en  marbre  par  un  Costou, 
et  qui  se  trouvé  maintenant  à  Saint-Roch.  Celle 
figure,  dont  la  tête  se  retournait  du  côté  de  la 
porte,  avait  été  laissée  tout  près  du  seuil 
par  le  chapitre,  qui  s'était  ravisé  à  temps  pour 
sauver  la  place  d'honneur  désignée  dans  le  pre- 
mier projet,  sous  une  arcade,  à  droite  du  maître- 
autel.  Par  un  scrupule  du  même  genre.  Couture, 
chargé  de  l'épitaphe,  s'était  borné  à  l'énuméra- 
tioii  des  dignités  de  l'ancien  ministre,  prince 
de  l'Eglise.  Dubois,  le  neveu  du  défunt,  était 
lui-même  chanoine  de  Saint-Honoré;  il  n'avait 
accepté  l'héritage  de  son  oncle  que^pour  le  dis- 
tribuer aux  pauvres,  et  quel  éloquent  désaveu  ! 
L'éloge  du  cardinal  Dubois  n'était  possible  que 
pour  un  diplomate  ou  pour  un  roué  de  la  Ré- 
gence ! 

Juste  à  l'endroit  où,  durant  tant  d'années,  ce 
mausolée  a  ligui'é,  il  s'est  ouvert,  sous  la  Révo- 
lution, une  maison  de  prostitution,  ainsi  que  pour, 
rappeler  celle  de  la  Fillon,  assidûment  fréquentée 
par  Dubois,  qui  y  surprit  le  secret  de  la  con- 
spiration de  Cellamare.  Une  crémerie  tient  au- 
jourd'hui, au  n"  14  du  Cloître,  la  place  oîi  une 
statue  vivante,  la  mère  Couturier,  fut  longtemps 
debout  tous  les  soirs  pour  présider  au  va-et- 
vient   des    femmes  fai-dées   et  décolletées  qu'elle 


28  RUE   DES  BONS-ENFANTS. 

envoyait  au-devant  des  passants.  La  voix  de 
rogomme  qu'avait  cette  matrone  servait  d'horloge 
dès  que  la  nuit  tombait,  car,  à  chaque  quart- 
d'heure,  elle  criait  :  —  Reviens!  à  l'une  de  ses 
pensionnaires  ;  puis  elle  disait  :  —  Sors  !  à  une 
autre. 


Rue  du    Bon-Puits,    (i) 


Le  puits  banal  qui  a  donné  son  nom  à  cette 
petite  rue,  ainsi  appelée  dès  le  règne  de  Phi- 
lippe-le-Hardi ,  n'existait  déjà  plus  en  l'année 
1744,  époque  où  elle  comptait  25  maisons  et  4  lan- 
ternes. En  1639  elle  s'étendait  jusqu'à  la  rue 
Clopin  :  on  en  avait  nommé  la  prolongation  rue  de 
Bonne-Fortune  à  l'origine.  Quelques  années  après  la 
mort  du  roi  Lonis  XV,  elle  fut  bouchée  du  côté 
de  la  rue'  Clopin,  ce  qui  donna  naissance  à  l'im- 
passe du  Bon-Puits,  masquée  à  notre  époque  par 
un  grand  mur,  où  fait  cascade  l'égout  de  l'Ecole 
polytechnique,  et  cet  embellissement  ne  parfume 
guère  la  pente  de  notre  rue,  déversoir  sur  lequel 
l'égout  cesse  d'être  souterrain.  Cette  continuelle 
irrigation  d'eau  sale  se  plaît  à  démentir  la  dé- 
nomination de  la  rue  du  Bon-Puits.  Il  est  vrai 
que  c'est  provisoire,  attendu  que  de  grands  pro- 
jets promettent  non-seulement  d'assainir  avant 
peu,  mais  encore  de  supprimer  la  rampe  dont 
nous  parlons  ici. 

Plus  d'un  garni  de  la  rue  du  Bon-Puits,  sous 
sa  façade  séculaire,  sert  de  gîte  a  trois  fois  autant 
de  gagne-deniers  que  dans  le  temps  où  ceux  de 
Paris  faisaient  eux-mêmes  leur  tour  de  France, 
pour  se  perfectionner  dans  leur  état.  Il  en  vient 
de  tous  les  pays  et  en  tel  nombre  qu'il  y  a  en- 


Ci)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  du  Bon-Puits  est 
actuellement  remplacée  par  le  square  Mongo,  a  l'angle 
de  la  nouvelle  rue  Monge  et  de  la  nouvelle  rue  des 
Ecoles.  Seulement  les  caves  des  maisons  de  la  rue 
disparue  ne  descendaient  pas  au-dessous  de  la  nouvelle 
promenade. 


30  RUE  DU  BON-PUITS. 

combrenient  dans  les  chambrées  à  4  sous  par 
tête  et  par  nuit.  Tant  pis  pour  les  ivrognes, 
quand  la  place  devient  rare;  on  refuse  alors  leur 
argent,  sur  les  marches  de  l'escalier,  s'ils  ont 
trébuché  dans  l'allée.  Mais  les  autres  trouvent 
toujours  un  coin,  une  l'ois  montés,  ne  serait-ce 
que  sur  le  palier.  Les  entants  de  la  Savoie  do- 
minent dans  cette  latitude  du  quartier  Moulîetard; 
le  fait  est  qu'au  n"  13,  rue  du  Bon-Puits,  un 
compatriote  les  accueilie,  dont  le  nom  est  écrit 
en  grosses  lettres  sur  la  porte:  Tron,  des  Alpes, 
logeur. 

Une  maison  biscornue,  le  4,  a  conservé  une 
poulie  en  relief  sur  la  rue,  comme  pour  y  mon- 
ter le  foin,  bien  que  sa  porte  ne  soit  nullement 
cochère  et  à  peine  de  la  taille  ordinaire  de 
l'homme  :  nous  sommes  tenté  de  croire  que  cette 
roue  sert  à  monter  des  locataires.  L'une  des 
maisons  qui  font  face  eut  pour  enseigne  :  à  la 
Petite-Treille.  Nicolas  Lebrun,  maître-graveur,  y 
travaillait  sous  Louis  XV. 

L'enseigne  d'un  nourrisseur  est  encore  au  n"  9; 
mais  ses  vaches  viennent  d'être  abattues,  r»  cause 
de  la  cherté  appétissante  de  tout  ce  qui  est  chair 
un  peu  fraîche.  Leur  fumier  seul  a  maintenu 
dans  la  rue  quelque  odeur  de  villégiature,  dont 
le  souvenir  lui-même  va  s'exhaler,  et  les  bavo- 
lets  des  laitières,  qui  pendent  aux  fenêtres,  du  côté 
ou  est  l'ombre  en  plein  midi,  deviendront  bientôt  des 
haillons,  comme  ceux  qui  sèchent  vis-à-vis  au 
soleil. 

La  porte  du  16  est  sculptée,  empreinte  d'écus- 
sons  etïacés,  comme  si  elle  ouvrait  au  moins  sur 
l'ancien  logis  d'un  bailli  ;  cet  huis  rapporté  pro- 
vient d'une  église  de  campagne,  achetée  sur  pied 
la  veille  de  sa  démolition.  N'entendez-vous  pas, 
par-derrière,   piétiner  et    hennir  des    chevaux   au 


RUE  DU  BON-PUITS.  31 

râtelier?  C'est  l'écurie  de  l'entrepreneur  du  trans- 
port des  prisonniers  en  voitures  cellulaires. 

Jetons  surtout  un  dernier  regard  sur  le  n"  20,  ma- 
sure du  temps  de  Louis  XI,  qui  a  gardé  l'aspect  ori- 
ginel. Un  cloutier  y  redresse  ia  vieille  ferraille, 
sans  trop  la  marteler,  sous  un  toit  qui  couvre  à 
demi  cette  maison,  comme  une  armure;  de  vieux 
barreaux  de  fer  y  veillent  d'un  air  farouche  sur 
des  trésors  absents,  et  dans  cet  ancien  domicile 
d'un  protégé  d'Olivier  Ledain,  Enguerrand,  le 
crieur  de  nuit,  il  semble  que,  même  en  plein  jour, 
sonne  incessamment  l'heure  du  couvre-feu. 


Rue    Boucher,    (i) 


Souviiiirs   bourgeois. 

Loisquo  les  (jcheviiis  de  Paris  cédèrent  au  loi 
l'hôtel  de  Goiiti,  pour  y  établir  le  nouvel  hôtel 
des  Monnaies,  Sa  Majesté  leur  donna  en  échange 
l'ancienne  Monnaie  avec  ses  dépendances,  dont  il 
ne  reste  plus  vestige  dans  la  rue  Bouclier,  ou- 
verte <3n  1776  sur  l'emplacement  de  cette  usine 
royale.  Pierre-Richard  Boucher,  écuyer,  conseiller 
du  roi  et  de  la  Ville,  était  éehevin  depuis  plu- 
sieurs années  (juand  cet  échange  lut  consenti, 
c'est-à-dire  sous  la  prévôté  de  Jean-Baptiste- 
Francois  de  la  Michodière,  et  il  tint  sur  les  fonts 
la  rue  nouvellement  née.  Tout  Paris  le  prenait 
pour  le  moins  étourdi  des  bourgeois  parvenus 
aux  honneurs  de  l'édilité,  et  pour  le  type  de 
l'homme  d'ordre. 

Ayant  perdu  toutelbis  partie  de  sa  fortune  dans 
les  affaires  de  la  Compagnie  des  Indes,  il  faillit 
ccuTipromettrc  le  reste,  bien  qu'il  fût  difficile  de 
le  placer  plus  loin.  Par  bonheur  il  avait  une 
sœur,  I)'"'  Madeleine  Boucher,  bourgeoise  que  l'é- 
chevinage  n'avait  pas  anoblie,  mais  qui,  restée 
marchande  en  ce  qu'elle  continuait  à  tenir  par- 
faitement les  livres,  trouvait  folles  toutes  les  en- 
treprises plus  aléatoires  que  le  commerce.  Bon- 


di  Notice    écrite   en    1858.    La   rue    Boucher    prenait 
alors  sa  source  dans   Ja  rue    de  la   Monnaie  ;   on    en  a 
démoli  les  cinq  ou   six  premières  maisons  lors  de  l'ou 
verture    de  la  nouvelle   rue  du  Ponl-Neul . 


RUE    BOUCHER.  '       83 

cher  avait  secrètement  imaginé  un  dangereux 
moyen  de  combler  son  déficit,  "en  jouant  gros 
jeu,  sans  payer  de  sa  personne,  sur  le  tapis  vert 
des  ambassadeurs  d'Angleterre  et  de  Venise;  il 
s'était  abouché  avec  un  chevalier  de  Puisaye, 
expert  au  biribi,  qui  jouait  pour  lui,  pendant 
qu'il  soupait  tranquillement  avec  Madeleine,  ou 
chez  un  de  ses  collègues.  Le  pilier  de  brelans, 
fondé  des  pouvoir  de  l'échevin,  demeurait  rue  Boucher, 
dans  une  maison,  pourvue  d'arcades,  qui  porte 
actuellement  le  n"  2,  et  c'était  encore,  chose  rare 
pour  un  chevalier  de  lansquenet,  c'était  un  assez 
honnête  homme.  Tant  mieux  pour  la  fortune,  cai- 
elle  ne  se  départ  ordinairement  de  ses  rigueurs  qu'en 
faveur  des  fripons!  M.  de  Puisaye  accusait  cha- 
que matin,  au  désespoir  de  son  commanditaire, 
des  pertes  qui  n'étaient  que  trop  réelles,  et  le 
soir  où  la  banque,  faute  de  nouvel  enjeu,  fit 
charlemagne,  le  chevalier  arriva  si  pâle  et  si  chagrin, 
chez  le  décavé,  et  à  une  heure  si  indue,  que  le  der- 
nier bulletin  de  la  campagne  n'eut  pas  besoin 
d'être  autrement  donné.  M"«  Madeleine,  bien  que 
minuit  eût  sonné,  n'était  pas  même  coiflee  de 
nuit  ;  elle  se  présenta  à  l'improviste  dans  la  pièce 
où  M.  Bouclier  embrassait,  avec  une  solen- 
nelle froideur,  le  visiteur,  qui  venait  de  lui  dire  sur  le 
ton  d'un  trappiste  :  —   Mon  frère,  il  faut  mourir! 

— ^  Au  contraire,  dit  Madeleine  en  remettant  à 
l'un  la  somme  entière  que  l'autre  avait  laissée 
sur  le  tapis.  Mais  il  ne  faudrait  pas  recommen- 
cer, mon  frère.  Ton  homme  de  confiance  m'ayant 
prévenu  h  temps  de  la  commission  que  tu  lui 
donnais,  je  n'ai'  pas  consenti  sans  peine  ii  te 
laisser  faire  une  sottise,  qui  est  sans  excuse  à 
ton  âge;  mais  j'ai  aposté,  sans  rien  dire,  un  de 
nos  amis  pour  jouer  en  sens  inverse  le  même 
jeu  absolument  que  monsieur,  et,  de  cette  façon- 


34  RUE     BOUCHER. 

là,    chaque   fois   que    tu    perdais   dix  louis,    j'en 
gagnais  dix. 

Le  bonhomme  qui  a  su  profiter  de  cette  leçon 
n'était  pas  de  la  même  famille  que  Charles  Bou- 
cher, seigneur  d'Orsay,  conseiller  d'Etat  et  prévôt 
des  marchands  de  1700  à  1707. 

Au  reste,  nul  ne  sait  bien  à  quelle  époque 
remonte  l'établissement  de  la  Monnaie  sur  le  sol 
de  la  rue  Boucher  et  des  voies  publiques  atte- 
nantes. Le  géographe  Jaillot,  dans  ses  Recherches 
criiiques  sur  Paris,  écrivait,  en  l'année  1775,  qu'il 
avait  vu  antérieurement  les  bâtiments  de  cet  hôiel,  et 
que  leur  architecture  se  rapportait  au  règne  de 
saint  Louis  ou  de  Philippe-le-Hardi.  Louis  XIII 
avait  fait  battre  l'or,  l'argent  et  le  cuivre  au 
Louvre  momentanément,  et  il  avait  disposé,  en 
1619,  du  jardin  annexé  à  la  Monnaie  en  faveur 
du  sieur  Coltignon,  qui  s'y  était  bâti  une  maison. 
Néanmoins,  sous  les  règnes  suivants,  on  en  était 
revenu  à  battre  monnaie  près  de  la  rue  qui 
porte  encore  ce  nom  :  un  passage  public, 
fermé  seulement  la  nuit,  traversait  l'hôtel,  sous 
Louis  XV,  et  conduisait  àlarue  Thibautodé  (commen- 
cement actuel  de  la  rue  des  Bourdonnais). 

La  plupart  des  maisons  de  la  rue  sont  h  ar- 
cades et  datent  d'avant  la  fin  de  l'autre  siècle; 
on  juge,  d'après  leur  stature  et  les  dispositions  prises 
dans  l'intérieur,  que  leurs  premiers  propriétaires 
n'avaient  eu  en  vue  que  le  rapport.  Celle  du 
n"  1,  dont  le  beau  balcon  fait  retour  sur  la  rue 
de  la  Monnaie,  appartient  h  M.  Orsel,  comme 
le  3,  et  l'oncle  de  M.  Orsel  a  fait  élever  ladite 
maison,  qui  a  peu  de  profondeur,  mais  beau- 
coup de  façade.  La  famille  de  M'"'^  .Mallat  a  ac- 
quis le  n"  4  de  M.  Ducret,  architecte,  qui  l'avait 
fait  bâtir  en  belles  pierres  de  taille  pour  lui- 
même,  et  l'on  sait  que  les  architectes,   en  pareil 


RUE    BOUCHER.  35 

cas,  sont  consciencieux.  A  peu  près  à  la  date 
de  l'ouverture  de  la  rue  remonte  également  le  8; 
item  le  5,  que  tient  M""'  de  Bitte  des  héritiers 
du   général   Dupont. 

La  Ville  avait  depuis  trois  années  à  sa  dispo- 
sition la  plus  grande  partie  du  territoire  de 
cette  rue,  quand  M.  Charles-Simon  ïrudon  s'en 
était  arrangé  en  1776.  L'acquéreur  s'était  associé 
avec  M.  Antoine-Jean  Meslin,  pour  édifier  le  12 
et  une  autre  maison  de  la  rue  Bouclier  ;  Meslin  a  cédé 
le  premier  de  ces  immeuhles,  en  1812,  à  M.  Peti- 
heau,  médecin. 

Une  seule  maison,  avec  cour  donnant  sur  la 
rue,  paraît  avoir  été  dans  le  principe  un  hôtel  ; 
nous  devons  supposer  que  l'échevin  Boucher  l'a 
habitée  avec  sa  sœur.  Le  24  floréal  an  vin, 
M  Boëls  l'achetait  du  sieur  Eloy  Coulon  et  de 
M""'  Saunier,  sa  femme  ;  M"''  Roéls  la  laissait,  en 
1823,  à  trois  tantes,  ses  seules  héritières,  et 
deux  de  ces  dames,  nées  Aubertot,  avaient  pour 
maris  MM.  Cheuvreux  et  Bourruet.  Il  semble 
bien  qu'à  tous  les  titres  ces  deux  beaux-frères, 
MM.  Cheuvreux  ei  Bouruet,  étaient  prédestinés 
de  naissance  à  l'association  qui  a  greffé  leur  nom 
sur  celui  d'Aubertot,  non  seulement  par  le  ma- 
riage, mais  encore  en  raison  de  commerce-:  ces 
notables  marchands  de  nouveautés  avaient  reçu 
en  naissant  les  mêmes  prénoms,  l'un  François- 
Casimir,  et  l'autre  Casimir-François  Leur  hôtel 
a  porté  autrefois  le  n"  9.  Aujourd'hui  c'est  le 
n"  6,  et,  sous  le  dernier  règne,  un  avoué,  ainsi 
qu'un  banquier,  qui  avait  nom  Martin-Didier,  y 
donnaient  leur  adresse.  Un  jugement  d'expropria- 
tion, en  1855,  a  fait  passer  ledit  immeuble  des 
mains  de  M.  Demis  entre  celles  de  la  Ville,  qui 
y  a  établi,  à  titre  provisoire,    la  mairie    du    IV* 


36  RUE   BOUCHER. 

arrondissement.  Le  nouvel  édifice  de  la  place  du 
Louvre  ne  tardera  pas  à  recevoir  les  bureaux  de 
cette  mairie,  et  la  porte  de  l'hôtel  de  la  rue  Bou- 
cher échangera  aussitôt  son  drapeau  tricolore  con- 
tre des  écriteaux  de  location. 


Rues    Ti'iidoii    et    Boudreau.  (i) 


La  rue  que  nous  venons  d'historier  aurait  pu 
pu  s'appeler  Trudon,  puisque  l'échevin  de  ce 
nom  en  était  le  principal  auteur;  mais  il  n'en 
avait  fait  la  politesse  h  son  collègue  Boucher 
qu'il  charge  de  revanche,  et  peu  d'années  après 
naquit  sur  la  carte  de  Paris  la  rue  Trudon,  qui 
pouvait  n'être  que  sa  fille  honoraire.  Elle  par- 
tageait le  berceau  de  la  rue  Boudreau,  adoptée 
ou  reconnue  par  Boudreau,  greffier  de  l'Hôtel-de- 
Ville.  Et  comment  était  fait  le  lit  de  ces  deux 
petites  rues,  qui  ne  cessent  pas  encore  de  se 
tenir  comme  embrassées? 

L'architecte  Aubert  avait  pris  des  religieux  ma- 
thurins,  le  18  février  1779,  3,285  toises  de  ter- 
rain h  bail  pour  99  années  ;  les  amphitéotes, 
concessionnaires  directs  ou  indirects  d'Aubert, 
ont  érigé  postérieurement  cette  jouissance  à  long 
terme  en  toute  propriété.  Mais  ce  n'était  pas  la 
seule  spéculation  faite  personnellement  par  le 
même  architecte  dans  la  Chaussée-d'Antin,  dont 
il  avait  crayonné  force  hôtels.  Le  sieur  Lafreté 
tenait  du  sieur  Pellion,  qui  l'avait  tenu  d'Aubert, 
un  lot   de   891   toises,  16   pieds,   8  pouces,  sur 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  longueur  de  la  rue 
Trudon,  ultérieurement  supprimée,  différait  à  peine  de 
la  ]ai£?eur  de  la  nouvelle  rue  Auber.  Entre  celle-ci 
toutefois  el  Ja  rue  Neuve-des-Mathurius  il  reste  l'an- 
cien hôtel  d'architecte  dont  parle  la  notice.  La  rue 
Boudreau  n'a  gagcé  aus  changements  qui  se  sont  opé- 
rés si  près  que  l'en-téte  d'une  construction  neuve  sur 
son  bras  gauche,  et  Ja  reine  du  chant,  Adelina  Patti, 
M^e  la  marquise  de  Caui,  y  réside  à  la  place  qu'occupa 
la  maison    de  Ja  célèbre   RacheJ. 

3 


38      RUES  TRUDON  ET  BOUDREAU. 

lequel  M"^*"  Chabauoii  a  tait  bâtir  en  1798  le  n"  6 
actuel  de  la  rue  Boudreau;  M'"'^'  Reuou,  pro- 
priétaire ensuite,  a  laissé,  moyennant  des  renies 
h  servir,  ladite  maison  au  carrossier  Catherin, 
dont  nous  avons  parlé  rue  Bleue,  et  qui  a  perdu 
la  vie  le  4  mars  1848;  un  des  neveux  de  Ca- 
therin en  est  actuellement  détenteur. 

Son  locataire  Achille  Jubiual,  qui  écrit,  qui  est 
député,  cultive  un  autre  art  d'agrément:  il  collection- 
ne des  faïences,  et  je  vous  prie  de  croire  qu'il  en 
voudrait  au  prince  Napoléon,  aux  ministres  et  aux 
pi'élets  de  sa  connaissance  si  ces  messieurs  ne 
lui  montraient  leur  vaisselle  qu'accotée  à  un  mur 
ou  sur  une  étagère.  Notre  ami  Jubinal,  qui  a  de 
l'esprit,  n'est  sérieux  que  comme  gastronome;  il 
dîne  k  droite,  mais  il  déjeune  à  gauche,  et  pro- 
met tout  ce  qu'on  veut  à  table.  Il  n'est  jusqu'à 
Soubies  et  jusqu'à  Subervie,  ces  républicains  de 
Bagnères,  qui  ne  disent  du  bon  diable  de  député  qu'on 
leur  impose  :  —  Quel  excellent  préfet  il  aurait  fait  ! 

Du  temps  de  Pellion,  le  comte  d'Imécourt  s'est 
rendu  acquéreur  d'un  champ  ou  marais,  pour 
l'ensemencer  d'un  hôtel  magnifique  qui  porte  le 
n"  1  dans  la  même  rue.  L'une  des  dames  d'hon- 
neur de  la  princesse  Elisabeth,  sous  le  règne  de 
Louis  XVI,  était  la  vicomtesse  d'Imécourt.  Son 
fils  a  passé  vente  de  l'immeuble  à  M.  Schneider, 
directeur  de  l'exploitation  des  mines  du  Creuzot, 
vice-président  du  Corps-législatif,  qui  en  fait 
les  honneurs  à  de  nombreux  invités  les  jours  de 
réception. 

La  maison  adjacente  a  été  longtemps  habitée 
par  la  fille  du  comte  Français  de-  Nantes,  M"'*" 
Bullot. 

Le  jardin  de  M.  d'Imécourt,  du  côté  de  la  rue 
Trudon,  qui  forme  avec  la  rue  Boudreau  un 
angle   droit,  touchait  à  la  propriété  de  M""'   de 


RUES  TRUDON  ET  BOUDREAU.      39 

Martainville.  A  cette  dame  appartenait  ainsi  l'em- 
placement du  petit  hôtel  qui  fut  plus  tard  la  demeure 
de  M'"^  Rachel. 

La  grande  tragédienne  y  passa  pour  la  maî- 
tresse d'un  ambassadeur,  plus  tard  ministre,  et 
puis  d'un  auteur  dramatique,  après  lequel  serait 
venu  un  prince.  Elle  ne  donnait  pas,  en  effet, 
leurs  grandes  entrées  dans  la  maison  à  deux 
personnages  à  la  fois;  mais  s'il  avait  fallu  comp- 
ter les  petites!  L'amant  en  pied  avait  beau  faire, 
il  ressemblait  toujours  pour  M"*'  Rachel  au  financier 
bouffi  qui,  le  premier,  avait  tenu  ouvertement  l'em- 
ploi, et  elle  ne  subissait  que  par  politique  la  tyrannie 
de  ses  assiduités;  le  caprice  était  le  complice 
des  vengeances  qu'elle  en  tirait,  et  ce  rival  avait 
lui-même  à  craindre  des  infidélités  d'occasion. 
Le  protecteur  lui  agaçant  les  nerfs,  quelle  que 
fût  sa  suprématie,  elle  essaya  parfois  du  protégé, 
et  de  \h  vient  l'élévation  de  deux  ou  trois  cabo- 
tins sans  talent.  Il  fallait  même,  pour  attendre 
et  saisir  un  à-propos  qui  lui  allait  à  l'àme,  plus 
de  servilité  qu'il  n'y  en  a  de  compatible  avec 
les  distractions  auxquelles  est  sujet  le  poète, 
avec  la  dignité  des  personnages  habitués  à  tous 
les  commandements  et  avec  le  compte  k-demi, 
cet  idéal  de  la  paix  des  ménages.  Souvent  l'ac- 
trice, en  entrant  dans  sa  loge,  se  sentait  plus 
portée  aux  tendres  épanchemenls  qu'à  répéter  le 
rôle  qu'elle  allait  jouer,  et  Racine  ou  Corneille 
l'inspirait  mieux  en  scène  si  l'amour  avait  pré- 
sidé à  .sa  toilette. 

M™"  de  Martainville  avait  pour  second  voisin 
l'architecte  Aubert  lui-même,  dont  l'habitation, 
rue  Trudon  et  rue  Neuve-des-Mathurins,  est  de 
nos  jours  celle  de  M.  Justin  Durand. 


Rue    fies    Boulangers,  (i) 


A  ravénement  de  Jean-le-Bon,  il  existait  ûéjh 
une  rue  Neuve-Saint-Victor,  dont  le  nom  ne  tarda 
pas  h  devoir  sa  moditication  à  un  groupe  de 
boulangers,  si  ce  n'était  pas  à  leur  corporation. 
Le  plan  de  1714  ne  nous  signale  l'importance 
de  pas  une  des  34  maisons  que  mesurait  le  rec- 
tangle de  cette  rue  montueuse,  dont  les  5  lan- 
ternes avaient  l'air  de  jouer  ii  cache-cache.  Aucun 
signe  particulier  n'était  dû,  à  vrai  dire,  au  n"  34 
actuel,  en  raison  d'entants  naturels  de  Louis  XIV 
qu'on  y  avait  mis  en  nourrice,  et  qui  devaient 
être  ceux  de  M"""  de  Montespan,  avant  que  la 
garde  en  fût  confiée  h.  M'"«  de  Maintenon. 

Une  autre  maison  de  la  rue  avait  été  au  même 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  Depuis  lors  la  nouvelle 
rue  Monge  a  raccourci  la  rue  des  Boulangers  de  ses 
derniers  numéros,  principalement  du  côté  des  impairs. 
Le  couvent  des  Anglaises,  proscrit  par  cela  même, 
occupait  l'emplacement  du  n"  19,  école  communale  de 
filles,  et  tout  ce  qui  venait  après  jusqu'à  la  rue  des 
Fossés-Sainl-Victor,  où  était  sa  grand'porte,  bien  que 
la  maison  d'encoignure  n'en  dépendît  plus.  Une  tran- 
chée divise  la  rue,  pour  la  faire  descendre  plus  bas  J.ins 
Ja  moitié  de  la  largeur  plus  grande  que  lui  réserve  Ja 
reconstruction;  il  y  a  donc  parla  comme  deux  rues,  la 
haute  et  la  basse.  La  découverte  d'arènes  romaines  n'a  élé 
faite  qu'en  1870  du  côté  de  la  rue  Monge,  sur  le  territoire 
même  des  Anglaises,  et  cet  événement  a  paru  d'autant 
plus  heureux  qu'on  était  loin  de  s'y  attendre.  La  preuve 
historique  d<^  i  existence  de  cet  amphithéâtre  ne  man- 
quait pourtant  pas;  il  s'en  faut,  quanta  nous,  que  nous 
nous  flattions  d'avoir  été  prophète  eu  indiquant,  à  dif- 
férentes reprises,  avant  l'exhumation  fortuite  desdites 
arènes^   leur  emplacement   au-delà   du  Panthéon. 


RUE  DES  BOULANGERS.  41 

temps  celle  de  M.  de  la  Poissière,  père  de 
la  comtesse  d'Argenton.  Cette  maîtresse,  que  le 
duc  d'Orléans  garda  longtemps  avant  d'être  ré- 
gent, mais  qu'il  finit  par  renvoyer  à  son  père, 
pour,  plaire  au  roi,  était  la  mère  du  chevalier 
d'Orléans,   grand-prieur  de  France. 

Tout  ce  que  vous  voyez  au-delà  du  17,  à  l'ex- 
ception du  dernier  bâtiment ,  appartient  aux 
religieuses  anglaises  de  la  rue  des  Fossés-Saint- 
Victor;  deux  jardins  s'y  étagent  derrière  un  mur 
et  des  bâtiments  qui  n'en  contisquent  ni  la  vue 
ni  les  fraîches  émanations.  Depuis  la  grande  révo- 
lution la  niche  du  33  est  vide. 

Presque  en  face  de  ce  cadre  sans  tableau,  les 
n"'  38  et  40  se  partagent  une  maison  plusieurs 
fois  centenaire,  sous  la  porte  cochère  de  laquelle 
fait  antichambre  un  buflet  du  xvn'"  siècle,  à  larges  van- 
taux de  chêne  solidement  ferrés,  qu'on  a  casé 
là  faute  de  place  dans  les  appartements,  deve- 
nus trop  étroits  pour  ce  meuble.  La  présidente 
de  Beaufort,  le  sieur  Maboul,  maître  des  requêtes, 
et  Le  Sêtre,  lieutenant  invalide,  ont  possédé 
l'immeuble  successivement  au  xvni''  siècle.  Aussi 
bien,  de  ce  côté  pair,  les  maisons  souvent  ont 
pour  socle  plusieurs  étages  de  sous-sol  par-der- 
rière et  souvent  leur  jardin  descend,  comme  pour 
gagner  du  terrain  à  la  verdure  fruitière  et  po- 
tagère, tout  près  de  la  rue  Saint-Victor;  du 
haut  de  leurs  croisées,  qui  sont  un  belvédère, 
on  plane  sur  le  Jardin-des-Plantes  et  Bercy,  que 
baigne  la  Seine;  d'un  clin-d'œil  on  passe  à  Bel- 
leville,  et  de  Paris  à  la  campagne  la  vue  fait  d'au- 
tres petits  voyages.  Le  30,  charmant  cottage  en 
cette  heureuse  exposition,  est  depuis  près  d'un 
siècle  dans  la  famille  de  l'éditeur  Challamel.  Les 
24  et  26  parlent  de  plus  loin,  mais  si  peu  distincte- 
ment que  l'écho  ne  gagnerait  rîen  à  s'y  montrer  fidèle. 

Le  22,   qui.  n'en  est  pas  à  la   première   de  ses 


42  RUE  DES  BOULANGERS. 

restaurations,  convient  d'avoir  appartenu  à  l'un 
des  petits  collèges  fondés  au  moyen-âge.  Cette 
maison  s'en  est  adjoint  une  autre,  et  depuis 
lors  elle  a  le  choix  entre  deux  sorties  diffé- 
rentes, qui  se  rapprochent  de  l'un  et  de  l'autre 
bout  de  la  rue  des  Boulangers;  la  fabrique  de 
lits  de  fer  de  M.  Bainée  s'y  exploite.  Presque 
toute  la  journée  ses  ateliers  exhalent  un  bruit 
sourd,  qui  ressemble  h  des  gammes  jouées 
sur  un  orgue  immense  par  un  accordeur  qui 
l'essaie,  et  la  monotonie  de.  ces  accords  ferait 
enrager  les  voisins  si  la  force  de  l'habitude  n'em- 
pêchait pas  l'oreille  de  percevoir  les  sons  qui  la 
fatigueraient  de  leur  répétition.  Le  citoyen  Léonor 
Viel  a  gagné  cet  immeuble,  mis  en  loterie  par  suite 
d'un  décret  de  la  Convention  en  l'an  m;  il  était 
porteur  du  n"  5,524. 

On  retrouve  au  19  un  ancien  puits  public, 
fermé  de  nos  jours  au  cadenas;  l'eau  pouvait 
en  servir  à  faire  le  levain  de  bien,  des  pains  au 
xv*"  siècle.  Le  13  est  vraisemblablement  la  mai- 
son doyenne  de  la  rue;  sa  vaste  cour,  sa  véné- 
rable rampe  d'escalier  en  fer,  les  petits  carreaux 
de  ses  croisées  et  des  cheminées  en  marbre 
bien  travaillé  rappellent  que  des  riches  en  ont 
connu  les  êtres,  et  pourtant  quelle  décadence! 
Les  pierres  se  disjoignent,  comme  si  elles  en 
avaient  assez  ;  tout  est  du  haut  en  bas  grisaille, 
déprimé,  usé;  les  habitants  ont  l'air  de  froids 
revenants  ;  s'ils  étaient  ou  maîtres  ou  valets, 
ils  prendraient  plus  de  souci  des  dégradations 
locales,  et  la  mousse  blanchâtre  ou  verdàtre, 
dont  la  moisissure  fait  les  frais,  capitonnerait 
chez  eux  moins  d'encoignures.  On  a  hissé  des 
maisons  de  plaisance  jusqu'en  ce  monticule  des 
boulangers,  vous  en  avez  la  preuve,  et  elles 
y  passent  pour  avoir  grignoté  plus  de  biscuit 
galant  que  de  pain  de  ménage.  Où  la  petite  mai- 


RUE  DES  BOULANGERS.  43 

son  n'allait-elle  pas  se  nicher!  La  porte  ronde 
et  bâtarde  à  gros  gonds  du  n"  10  a  quelque 
chose  de  trapu  et  de  musculeux  qui  n'engage 
déjà  pas  à  s'y  frotter,  et' son  allée  est  assez 
noire  pour  ne  pas  attirer  davantage  les  honnêtes 
gens  qui  n'y  ont  que  l'aire.  La  gibbosité  du  6 
est  un  effet  de  l'âge;  mais  le  tassement,  dans 
bien  des  constructions  modernes,  n'attend  pas  le 
nombre  des  années.  Une  bosse  de  même  nature 
mériterait  au  1  la  réputt.tion  de  bureau  d'esprit 
si  le  proverbe  consolateur  des  bossus  en  chair 
et  en  os  s'appliquait  aussi  aux  bâtisses. 


Rue  fies   Boulets,  (i) 


Les  carrosses  n'allaient  pas  aisément  jusque-là 
dans  la  première  moitié  du  siècle  dernier;  mais 
des  chaises  à  porteurs,  dont  les  stores  se  bais- 
saient en  cas  de  besoin,  pouvaient  amener  iso- 
lément des  invités  de  l'un  ou  de  l'autre  sexe  à 
la  Folie-Titon,  par  la  rue  des  Boulets.  L'entrée 
principale  de  ce  domaine,  qui  avait  commencé 
par  être  un  château,  sous  Louis  XIV,  pour  de- 
venir plus  d'une  petite  maison,  était  rue  de  Mon- 
treuil;  un  partage  de  famille  avait  suivi  la  mort 
de  Maximilien  Tilon,  et  il  y  en  eut  un  autre  après 
Evrard  Titon  du  Tillet,  conseiller  au  parlement, 
qui  se  fit  un  nom  à  protéger  les  lettres.  Que  de 
lots  il  faudrait  réunir  pour  restituer  l'ancienne 
Folie-Titon  !  Rien  que  sur  la  rue  secondaire,  il 
y  en  avait  déjà  deux  ou  trois  avant  la  fin  du 
règne  de  Louis  XV.  Des  galanteries  coûteuses 
allaient  y  réduire  Pierre  ïiton,  écuyer,  vicomte 
de  la  Forét-Taunier,  seigneur  de  Coigny  et  autres 
lieux,  au  déshabillé  des  amours  de  Boucher, 
quand  la  mort  vint  lui  fermer  les  yeux  plus  sé- 
rieusement que  la  fatigue  des  plaisirs  n'avait  pu 
le   faire  jusque-là.    Sa    petite  maison  et  un  clos 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  des  Boulets  com- 
mençait encore  rue  de  Montreuil  et  finissait  encore 
rue  de  Charonne  ;  il  y  a  mamleoant  prolongement  aux 
deux  extrémités,  par  suite  de  la  suppression  nominative 
de  la  Petite-rue-Saint-Denis  et  de  la  rue  de  la  Muette. 
Celle  des  Boulets  va  maintenant  de  la  rue  du  Fau- 
bourg-Saint-Antoine à  la  rue  de  la  Roquette;  elle  est 
traversée  par  le  nouveau  boulevard  du  Prince-Eugène, 
qui  ne  lui  a  enlevé  (jue  des  bicoques  et  des  cultures 
de   maraîclieis. 


RUE  DES  BOULETS.  45 

qui  en  dépendait,  le  tout  mesurant  4  arpens, 
furent  l'objet  d'un  décret  le  25  avril  1761:  la 
saisie  en  avait  eu  lieu  à  la  requête  de  Jeanne- 
Cécile  Le  Gray,  veuve  de  Pierre  Titon,  qui  de- 
meurait rue  Gérard-Beauquet,  puis  rue  Beau- 
treillis,  et  sur  la  réclamation  de  son  douaire  par 
préciput.  Les  quatre  criées  officielles  se  firent  k 
l'issue  de  la  grand'messe,  devant  l'église  Sainte- 
Marguerite,  puis  la  vente  eut  lieu  au  Chàtelet, 
où  le  dernier  feu  s'éteignit  sur  l'enchère  du  pro- 
cureur de  Marguerite  Joly,  veuve  de  Michel  Chau- 
vière,  marchaad  ci  Montreuil-sous-Bois,  et  bisaïeule 
de  madame  Lallier,  propriétaire  actuelle. 

Un  autre  lot  considérable  était  la  maison  de 
camyagne  de  François-Eugène  Magny,  à  cause 
de  sa  première  femme,  Catherine  Antheaume,  et 
passa  h  Louis-Eugène  Magny,  maître -peintre, 
membre  de  l'académie  de  Saint-Luc,  héritier  de 
la  susnommée,  sa  mère,  et  de  sa  sœur,  entrée 
en  religion.  Ce  quartier  de  Folie,  qui  donnait 
sur  la  rue  des  Boulets  par  un  passage  décou- 
vert de  porte  coclière,  entre  deux  petits  édifices, 
et  dont  le  grand  jardin  avait  une  autre  issue 
rue  de  Montreuil,  fut  adjugé  en  l'année  1767  à 
Claude-Charles  Girard,  secrétaire  des  finances, 
seigneur  de  Vaugieux  et  de  la  Sablière,  demeu- 
rant rue  de  Béthizy. 

Modeste  Guérin,  jardinier,  cultive  un  autre  quar- 
tier du  même  domaine,  au  n"  19  d'ii-présent,  et  il  y 
est  propriétaire  aussi  bien  que  sa  voisine.  M"'®  Lal- 
lier. Deux  portes  de  cette  Folie  se  trouvaient  en 
1720  dans  la  rue  des  Boulets,  dont  elles  estaient 
alors  les  n"'  6  et  7. 

Le  fameux  banquier  Samuel  Bernard  dut  aux 
beaux  yeux  de  sa  cassette  des  bonnes  fortunes 
qui  se  suivaient  de  près  au  n"  4  du  même  temps  : 
il  y  payait  son  loyer  au  sieur  Prudhomme, 
comme  le  maître-jardinier  du  n"  5  i\  M.  de  Bassy. 


46  RUE  DES  BOULETS. 

Samuel  reconnaîtrait  encore  sa  petite  maison 
dans  la  manufacture  de  papiers-peints  de  Car- 
pentier,  n"  12,  qui  a  été  déjà  en  notre  siècle 
une  filature  de  coton,  disent  les  uns,  et  un  cou- 
vent, disent  les  autres.  Le  fait  est  que  la  rue 
des  Boulets,  mais  je  ne  sais  plus  à  quelle  épo- 
que, a  eu  des  filles  de  Sainte-Marie,  communauté 
fondée  en  1713.  L'immeuble  subséquent  fut  acquis 
il  y  a  un  demi-siècle  par  un  soldat-laboureur, 
dont  le  fils  récolte  et  vend  encore  des  primeurs, 
grâce  à  des  couches  et  à  une  orangerie  qui  lui 
rapportent  encore  plus  qu'elles  ne  coûtaient  au  bour- 
geois d'autrefois.  Laquelle  des  deux  propriétés 
dont  nous  parlons  fut  aussi  la  pension  Chantereau? 
L'un  des  élèves  de  cette  pension  devint  le  grand 
chansonnier  Béranger. 

Samuel  Bernard  et  les  Titon  avaient  eu  pour 
prédécesseurs  des  maraîchers,  qui  dès-lors  con- 
damnaient la  terre  à  la  fécondité  artificielle  que 
couve  le  fumier  et  que  fait  éclore  l'arrosoir  ; 
ils  en  avaient  aussi  pour  successeurs.  La  popu- 
lation, maintenant  encore,  est  au  moins  aussi 
jardinière  que  maimfacturière  dans  la  rue  des 
Boulets.  Celle-ci  a  gardé  sa  physionomie  subur- 
baine, bien  qu'elle  ait  cessé  depuis  un  siècle  de 
l'aire  partie  du  chemin  de  ronde  ;  mais  le  jour 
où  le  boulevard  du  Prince-Eugène  la  balafrera, 
dans  le  sens  qui  est  déjà  déterminé,  les  derniers 
campagnards  y  passeront  faubouriens.  Quand  la 
ville  n'allait  pas  plus  loin,  la  banlieue  commen- 
rait  au  coin  de  la  rue  de  Charonne,  sous  les 
auspices  de  la  croix  Faubin,  dont  un  quartier 
suburbain  prenait  le  nom.  Au  même  carrefour 
se  trouvait  un  bureau  pour  recevoir  les  droits 
cCentrée  des  vins,  pied  fourché,  domaine,  tarro.ges 
et    poids-le-Rny. 

Le  41  n'est  que  vieux;  mais  la  [)orte  cintrée 
du    43,    derrière    laquelle    fermente   un    tas    de 


RUE  DES  BOULETS.  47 

fumier,  qui  la  condamne,  a  connu  le  chemin  dont 
on  a  fait  cette  rue,  La  dénomination  des  Boulets 
s'y  affirme  sur  le  plan.de  Jouvin,  plan  qui  a  vu 
le  jour  en  1676.  Probablement  elle  provenait  d'une 
canonnade  pointée  dans  cette  direction  par  les 
partisans  déclarés  de  M"^  de  Montpensier  ;  pour- 
tant une  version  différente  la  fait  remonter  aux 
guerres  civiles  du  xvi*  siècle  et  l'étend  à  tout  le 
terroir,  dit  aussi  les  Basses-Vignoles. 


Rue    du    Boulot,    (i) 


Les  Carmélites.  —  Le  Tabac.  —  Le  Chancelier 
Séguier.  —  La  Ferme-Générale.  —  Le  Cour- 
rier Français.  —  Les  Lussa.n.  —  Les  Hotcl 
leries.  —  Vancien  Jeu  de  Paume.  —  Le  Duc 
du  Lude.  —  Dreux  d'Aithray.  —  La  Reynie. 
—  M.  ^^éro  —  Passage  Véro-Dodat.  —  ^"* 
Rachel. 


Le  plan  de  Nolin,  qui  nous  fait  voir  Paris  en 
l'année  1699,  met  à  la  place  des  n"'  19,  21  et 
23  de  la  rué  du  Bouloi  actuelle  une  "maison  du 
même  nom,  donnant  aussi  rue  Coquillière.  Cette 
maison  remplaçait  un  jeu  de  boules,  auquel  devait 
la  rue  de  s'appeler  des  Bouliers,  du  Bouloir 
ou  du  Bouloi,  depuis  le  xiv*'  siècle,  et  elle  avait  été 
bâtie  pour  une  colonie  de  carmélites  en  l'an 
16o6.  Ces  dames  avaient  simultanément  d'au- 
tres maisons  dans  les  deux  rues;  elles  y  sont 
restées  propriétaires  beaucoup  plus  de  temps 
qu'établies.  Toutefois  M""'  de  Sévigné  a  connu, 
ses  Lettres  en  font  foi,  les  carmélites  de  la  rue 
du  Bouloi,  avant  le  retour  de  ces  enfants  pro- 
digues à  la  maison-mère  du  faubourg  Saint-Jac- 
ques. Elles  recevaient  en  visite  jusqu'aux  maî- 
tresses du  roi,  qui  arrivaient  les  mains  pleines 
de  bouquets,  et  si  les  nouvelles  du  dehors  ne 
laissaient    pas   les    nonnes   indillérentes   à  toutes 


(J)   Notice  écrite   en   1858. 


RUE   DU    BOULOI.  49 

les  intrigues  de  la  cour,  les  impatiences  du  roi 
et  ses  malédictions  ne  s'en  prenaient  qu'à  la 
communauté. 

Aussi  bien  le  grand  bureau  du  Tabac  tient  moins 
de  place  d'abord  que  dans  la  suite,  et  moins 
près  de  la  rue  Coquillière;'  il  commence  par 
n'occuper,  rue  du  Bouloi,  qu'un  corps  de  logis, 
appartenant  au  roi,  mais  enclavé  dans  le  do- 
maine monastique,  dont  il  doit  avoir  fait  partie. 
La  ferme  des  tabacs  a  été  établie  en  1674,  mais 
elle  n'est  distraite  de  la  ferme-générale  qu'en 
1697,  et  cette  division  fait  de  la  denrée  dont  le 
100  pesant  a  été  imposé  de  40  sols  en  1621, 
puis  de  7  livres,  11  sols  plus  tard,  l'objet  d'un 
fermage  de  250,000  livres,  dont  100,000  pour 
indemniser  la  ferme-générale.  Dès  l'année  1714, 
la  progression  devient  considérable  : .  un  bail  est 
fait  pour  six  années,  moyennant  2,000,000,  avec 
augmentation  de  200,000  livres  pour  chacune  des 
quatre  dernières  années.  Avant  l'expiration  du 
bail,  la  compagnie  d'Occident  en  prend  la  suite 
pour  4,020,000  livres.  Nouvel  affermage  en  1721. 
La  compagnie  des  Indes,  deux  ans  plus  tard, 
est  subrogée  au  fermier  des  tabacs^  entin  le 
privilège  de  la  vente  exclusive  de  ce  produit, 
dont  l'usage  se  répand  de  plus  en  plus,  est 
réuni  de  nouveau  à  la  ferme-générale  en  1730, 
moyennant  7,500,000  livres  livres  pour  chacune 
des  premières  années,  et  8,000,000  pour  chacune 
des  autres.  L'ancien  hôtel  de  la  ferme  des  Tabacs, 
qu'il  ne  fiiut  pas  confondre  avec  celui  de  la 
Ferme-Générale,  en  devient  habitation  particulière, 
puis  siège  de  l'administration  des  Domaines;  c'est 
aussi  l'ancien  monastère  des  Carmélites  et  l'an- 
cienne maison  du  Bouloi,  dont  la  vaste  cour  à 
porte  monumentale  est  toujours  dite  des  Domai- 
nes, et  il  a  gardé  une  sortie  sur  la  rue  Coquil- 
lière,   mais   il  en    a  perdu   rue  Croix- des-Petits- 


50  RUE   DU    BOULOI. 

Champs  une  autre.  L'ancien  hôtel  a  été  transformé 
en  une  cité  industrielle;  seulement  la  façade  a 
été  séparée  des  bâtiments  en  fer-à-cheval  du 
fond  par  une  division  immobilière  qui  remonte 
à  l'époque  d'un  retour  à  l'Etat.  Les  n°^  19  et  23, 
pris  sur  cette  façade,  ont  fait  d'anciennes  fausses- 
portes  leurs  deux  entrées. 

On  a  dit  aussi  rue  Basile  celle  que  nous  res- 
tituons à  son  passé;  mais  cette  désignation, 
en  ayant  le  dessous,  est  restée  à  une  cour,  de 
l'autre  côté  de  la  rue.  L'hôtel  de  Jean  de  la 
Perrière,  vidame  de  Chartres,  ami  de  Coligny, 
était  voisin;  Jeanne  d'Albret,  reine  de  Navarre, 
y  mourut  en  odeur  d'empoisonnement  le  8  juin 
io72,  et  le  logis  passa  à  Françoise  d'Orléans, 
veuve  de  Louis  de  Bourbon,  puis  h  Henri  de 
Bourbon,  duc  de  Montpensier,  puis  au  duc  de 
Bellegarde. 

Le  chancelier  Séguier  en  fit  l'acquisition  et, 
pour  s'y  agrandir  tant  de  la  cour  Basile  que 
d'une  portion  d'un  cimetière  y  attenant,  il  donna 
en  échange  à  la  paroisse  Saint-Eustache  non- 
seulement  le  terrain  de  l'église  et  du  cimetière 
Saint-Joseph,  rue  Montmartre,  mais  encore  cette 
église  construite  tout  exprès.  Il  tenait  d'autant 
plus  à  s'établir  dans  ce  quartier  qu'on  y  avait 
connu  sa  famille  avant  lui.  Biaise  Séguier,  son 
bisaïeul,  avait  épousé  Catherine  Chenou,  fille 
d'un  maître  de  la  Monnaie,  et,  cette  dame  ayant 
été  la  bienfaitrice  de  l'église  Saint-Honoré,  ses 
descendants  y  nommèrent  jusqu'à  la  Révolution  les 
titulaires  de  la  chapelle  des  Vertus  Le  chancelier  a 
reçu  dans  son  hôtel,  qui  par-devant  ouvrait  rue  de 
Grenelle-Saint-Honoré  (i),  ses  collègues  de  l'Aca- 


(1)   La  rue  de    Grenelie-Siiint-Honoré  fail  maintenant 
partie    de  la   rue   Jean-Jacques  Rousseau. 


RUE  DU   BOULOI.  m 

demie-Française,  et  cette  compagnie  y  a  tenu 
ses  séances  plus  régulièrement  que  chez  Conrart 
et  chez  Boisrobert,  avant  que  l'hospitalité  du 
Louvre  lui  fût  offerte.  Séguier  ne  protégeait  pas 
que  cette  Académie,  où  il  prenait  Richelieu  pour 
modèle;  il  avait  aussi  le  bon  esprit  d'aller  au- 
devant  du  mérite  inconnu.  D'ailleurs,  quel  autre 
aurait  su  tenir  les  sceaux  dans  une  balance  qui 
ne  penchait  ni  du  côté  de  la  régente  Anne  d'Au- 
triche ni  du  côté  de  la  Fronde?  Malgré  tout  ce 
qu'il  avait  fait  de  bien,  on  se  moquait  encore 
des  alliances  prétentieuses  que  lui  devait  sa 
famille,  dont  le  premier  membre  en  crédit  avait 
été  un  apothicaire  du  roi.  Quel  chemin  les  Séguier 
avaient  fait  dans  un  monde  où  ils  étaient  entrés 
par  la  porte  de  derrière!  Des  deux  tilles  du 
chancelier,  l'une  épousa  le  marquis  de  Coislin, 
puis  le  marquis  de  Laval;  l'autre,,  le  duc  de 
Sully,  puis  Henri  de  Bourbon,  duc  de  Verneuil, 
fils  naturel  de  Henri  IV. 

Les  fermiers-généraux  achetèrent  1  hôtel  Séguier, 
pour  en  faire  le  leur,  une  douzaine  d'années 
avant  la  fin  du  xvn*"  siècle,  et  quel  bouleverse- 
ment n'entraîna  pas  l'installation  de  nombreux 
bureaux  !  Les  rouliers  entraient  à  l'hôtel  des 
Fermes  par  la  rue  du  Bouloi;  du  même  côté  il 
y  avait  des  écuries  et  des  magasins,  qui  dans  la 
suite  servirent  de  remises  aux  messageries  LatTitte- 
et-Caillard.  Le  lecteur,  ayant  droit  à  la  porte 
d'honneur,  sera  forcé,  comme  nous,  de  faire 
le  tour  par  la  rue  de  Grenelle,  où  il  nous 
retrouvera. 

Nous  avons  encore  à  le  promener,  pour  le 
moment,  dans  la  rue  parallèle,  dont  les  proprié- 
taires étaient  en  1705   : 


5S 


RUE  DU    BOULOI. 


(iJatulje  : 


ÏDroitc 


à  partir   de  la  rue   Croiœ-des-Petits-Champs. 


Dorgerac,  au  coin  de  la  rue 
Croix- des-Petits-Champs. 

Hersan,  hôtel  garni  du  Bou- 
loir. 

Le   même. 

Cosain. 

De  Chapuy,  couspiller- se- 
crétaire du  roi,  hôtel  garni 
de  Notre-Dame.    ■ 

De  Pallnau,  hôtel  garni  du 
t-amt-Espi  it. 

Naulain,  à  l'enseigne  de  la 
Madeleine. 

Les    carmélites. 

Le     roi,   bureau    du   Tabac. 

Les  carmélites  .  à  l'image 
de    8ainte-ïhéi èse. 

Les  mêmes,  à  la  Ville-de- 
Dijon. 

Les  mêmes. 

Les   mêmes. 


De  la  Reyiiie. 

Marais,   procureur. 

De  Neuilly  ,  au  Cheval  - 
Blanc. 

De  Fourcy,  jeu  de  paume, 
au   Coq-à-Cheval. 

Culot. 

De  Courcelle  elTHÔtel-Dieu, 
derrière  d'un  jeu  de  pau- 
me. 

De  Bazy,  à  la  Ville-de-Ca- 
lais. 

De   Courcelles. 

Louvet,    médecin. 

Derrière  de  l'hôtel  des  Fer- 
mes-Générales. 

De  Verneuil,  mur  de  son 
jard.n  et  sa  maison,  au 
coin  de  la  rue  Coquil - 
lièro. 


Cela  faisait  déjk  24  maisons,  et  il  y  en  eut 
bientôt,  d'après  Lacaille,  une  couple  de  plus  : 
elles  jouissaient  de  10  lanternes.  Comme  il  serait 
facile  aux  habitants  d'alors  de  retrouver  leur  place 
respective!  Pas  une  porte  de  moins,  pas  une  de 
plus  ! 

Le  n"  26,  édifié  aux  dépens  des  fermiers-géné- 
raux sur  le  jardin  de  l'ancien  hôtel  Séguier,  a 
été,  sous  la  République,  adjugé  au  sieur  Des- 
marré, qui  l'a  vendu  à  réméré,  le  24  thermidor 
an  IX,  à  la  banque  territoriale;  le  retrait  de  ce 
réméré  a  été  exercé  plus  tard  par  Desmarré,  qui 
est  rentré  en  possession  de  l'immeuble.  On  y  a 
vu,  sous  Louis-Philippe,  les  bureaux  du  journal 
le  Courrier  Français,  parmi  les  collaborateurs 
duquel  nous  figurions  sous  la  direction  Durrieu  : 
le  loyer    en    était    payé  à    la  famille    Brinquant. 


RUE  DU    BOULOl.  53 

Quant  à  l'espèce  de  tour  qui  arrondit  l'angle  de 
la  rue  Coquillière,  sur  la  même  ligne,  elle  a  cer- 
tainement fait  partie  de  l'hôtel  de  M.  de  Ver- 
neuil. 

Pour  que  les  dames  carmélites  eussent  dans 
cette  rue  huit  maisons  d'enfilade,  il  fallait  bien 
que  le  n"  17  fût  encore  du  nombre.  Nous  devons 
pourtant  y  voir  aussi  un  ancien  hôtel  de  Lussan, 
avec  une  maison  contiguë  de  la  rue  Croix-des- 
Petits-Champs.  Le  comté  de  Lussan  a  été  érigé 
dans  le  diocèse  d'Uzès,  en  1645,  en  faveur  du 
père  de  Jean  d'Audibert,  baron  de  Valrose,  sei- 
gneur de  Saint-Marcel,  premier  gentilhomme  de 
la  chambre  du  grand  Condé,  prince  du  sang.  La 
fille  de  celui-ci  a  épousé  Fidtz-James,  duc  d'Al- 
bermaie,  lieutenant-général  des  armées  de  France, 
pair  de  la  Grande-Bretagne,  tils  naturel  de  Jac- 
ques II;  mais  elle  a  eu  d'un  autre  lit  Forth- 
•Drummond  de  Melfort,  comte  de  Lussan,  seigneur 
de  Brignon,  Rosières,  etc.  Il  y  a  eu  aussi  un 
Lussan  premier  gentilhomme  de  la  chambre  du 
comte  de  Charolais  et  lieutenant-général  en  1748. 
Si  cette  famille  habitait  encore  la  propriété  sous 
Charles  X,  elle  y  eut  pour  réveille-matin  un  rou- 
lage qui,  du  reste,  n'était  pas  de  trop  pour 
donner  de  l'animation  à  une  grande  cour  faisant 
pendant  à  celle  du  21  Dans  une  cave  en  répa- 
ration, il  n'y  a  guère  que  vingt  ans,  des  ouvriers 
piochant  au  pied  d'un  mur  mirent  à  découvert 
des  cercueils.  Un  vieux  domestique  de  la  pro- 
priétaire, qui  se  trouvait  dans  une  autre  cave, 
entendit  le  premier  leurs  exclamations  et  crut 
qu'ils  trouvaient  un  trésor;  il  accourut  tant  qu'il 
avait  de  jambes,  dans  l'espoir  d'en  avoir  sa 
part,  et  le  spectacle  des  bières  effondrées  lui  fut 
une  si  triste  surprise  qu'il  en  perdit  ses  der- 
niers cheveux  d'un   jour  ii  l'autre  et  qu'une  dé- 


V 


54  RUE  DU    BOULOr. 

crépitude    rapide    le    rapprocha    de    sa  dernière 
heure. 

Que  si  les  religieuses  n'avaient  ni  aliéné  ni 
donné  en  location  l'hôtel  de  Lussan  au  milieu  du 
xvur  siècle,  il  avait  pu  antérieurement  se  trouver 
propriété  du  roi  et  bu  eau  du  Tabac.  Toujours 
est-il  que  les  carmélites  n'avaient  plus  que  sept 
maisons  dans  la  rue  du  Bouloi  quand  elles  en 
vendirent  deux  à  31.  Etienne  et  une  autre  ù 
M.   Bonnaire,  Louis  XVI  étant  sur  le  trône. 

Plusieurs  maisons  voisines,  pour  ne  pas  déro- 
ger absolument  de  leur  ancienne  qualité  d'hôtel, 
se  sont  ouvertes  aux  voyageurs.  N°  20  on  lit: 
Hôtel  d'Albion.  Un  escalier  h  rampe  de  fer  y 
avait  précédé  les  Pellegrain  de  Lestang,  pro- 
priétaires de  1739  à  1810,  et  peut  encore  enter- 
rer tout  son  monde.  La  porte  était  restée  cou- 
ronnée de  ses  armoiries  sculptées  en  pierre 
quand  le  marquis  de  Goimpy,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  acquit  l'immeuble,  en  1827,  pour  en  faire 
l'hôtel  de  Grenoble.  Cet  ancien  émigré  avait  été 
pour  130,000  fr.  partie  prenante  au  milliard  de 
l'indemnité;  néanmoins  ses  affaires  allaient  d'un 
train  médiocre.  La  table-d'hôte,  chez  le  marquis, 
était  de  bonne  compagnie,  et  elle  avait  pour 
habitués  des  gardes-du-corps;  deux  jolies  demoi- 
selles, filles  ûo  la  maison,  en  faisaient  les  hon- 
neurs, comme  si  elles  eussent  vécu  dans  leur 
château. 

Le  18,  qui  sans  doute  avait  été  jeu  de  paume, 
a  porté  le  n"  37  dans  la  section  de  la  Halle- 
au-Blé  et  appartenu  à  l'hospice  de  l'Humanité, 
pendant  les  premières  années  de  la  Bépublique; 
les  citoyens  Duchâtel,  Guillotin  et  Rennesson, 
membres  du  bureau  du  Domaine,  l'ont  adjugé, 
le  4  messidor  an  m,  au  citoyen  Vignon,  mercier. 
La  tille   de   Vignon,  femme  divorcée  du    citoyen 


RUE    DU    BOULOI.  55 

Mahault,  a  épousé  plus  tard  un  chef  de  parc 
des  équipages  militaires  du  quartier-général  de 
l'armée  d'Allemagne,  M.  Hatton,  et  puis  elle  a 
vendu  en  1814  l'immeuble  ii  la  belle-mère  de 
M.  Picliard  du  Verger,  officier  supérieur.  C'est 
pour  le  moment  l'hôtel  du  Commerce. 

On  comptait,  au  surplus,  sept  hôtelleries  dans 
la  rue  en  l'an  de  grâce  1769.  Deux  seulement 
ont  gardé  le  même  nom  jusqu'à  nous,  c'est  l'hôtel 
Notre-Dame,  que  tenait  alors  Doulay,  et  où  le 
repas  coûtait  32  sols,  puis  l'hôtel  du  Bouloir, 
où  Gion  demandait  à  ses  locataires  de  18  à  30 
livres  par  mois,  et  dont  la  porte  cochère  et  l'es- 
calier à  cage  can'ée,  h  rampe  de  fer  jusqu'au 
premier  étage,  puis  à  balustres  de  bois  plus 
haut,  sont  à  nos  yeux  de  véritables  parures.  Ces 
deux  hôtels  séculaires  se  retrouvent  n*"'  9  et  5. 
Que  si,  comme  hôtellerie,  le  13  date  modeste- 
ment de  dix  lustres  et  a  porté  l'enseigne  du 
Croissant,  avant  de  passer  hôtel  d'Allemagne,  ce 
n'est  pas  une  raison  pour  que,  comme  édifice, 
il  reste  le  cadet  des  numéros  voisins,  presque 
tous  frères,  ajant  suivi  de  près  ou  devancé  de 
peu  la  reconstruction  Séguier.  Des  bureaux  de 
chemins  de  fer  et  d'omnibus  correspondants  main- 
tiennent dans  ce  quartier,  quoi  qu'il  en  soit,  un  reste 
de  l'aflluence  de  voyageurs  qu'y  avait  attirée  la  proxi- 
mité des  messageries  Latîitte-et-Caillard.  Est-ce 
que,  d'ailleurs,  Paris  ne  va  pas  être  assez  grand  pour 
que  les  Parisiens  eux-mêmes  s'habituent  à  payer 
quelquefois,  dans  le  quartier  où  ils  se  seront 
attardés,  leur  gîte  pour  la  nuit? 

Pour  si  petit  que  soit  le  12,  il  a  appartenu  à 
M.  de  Fourcy,  comme  emplacement  pour  le 
moins, et,  en  servant  assez  longtemps  de  pas- 
sage à  la  rue  de  Grenelle,  il  '  a  rendu  un 
service  au  piiblic  d'autant  plus  réel  que  la  galerie 
Véro-Dodat  n'existait  pas  encore  :  avant  des  loge- 


56  RUE  DU    BOULOI. 

ments  il  y  avait  eu  là  un  jeu  de  paume,  dont  le 
passage  gardait  la  dénomination. 

Le  nom  de  Palluau,  qui  figure  dans  notre  tableau, 
n'a-t-il  pas  de  notoriété  plus  historique?  Un  comte 
de  Palluau  fut  nommé  maréchal  de  France  de 
17o3.  Pendant  plusieurs  générations,  la  famille  de 
ce  maréchal  a  disposé  du  11,  propriété  profonde, 
qu'elle  a  iransmise  en  1728  à  Janot,  bourgeois 
de  Paris,  et  dont  un  escalier,  celui  du  centre, 
montre  une  rampe  de  fer  magnifique  aux  étran- 
gers qui,  de  nos  jours,  descendent  à  l'hôtel  des 
Empires. 

Le- 8  et  le  10  ne  faisaient  qu'une  habitation  de 
grand  seigneur  du  temps  où  la  rue  du  Bouloi 
avait  ses  Carmélites.  Ce  fut  l'hôtel  de  Henri  de 
Daillon,  comte  du  Lude,  lieutenant-général,  puis 
duc  et  pair  en  1673,  dont  la  seconde  femme  devint 
dame  d'honneur  de  la  dauphine,  alors  duchesse 
de  Bourgogne.  Du  Lude,  l'un  des  Mécènes  du  temps, 
préférait  le  bel-esprit  à  la  grandeur  et  M'"''  de 
Sévigné  à  toutes  les  princesses  de  la  cour.  Il  laissa 
une  fortune  immense  et  un  trésor  de  jolis  mots. 

Messire  Dreux  d'Aubray,  conseiller  du  roi  et 
lieutenant-civil  de  la  ville,  prévôté  et  vicomte  de 
Paris,  sous  la  régence  d'Anne  d'Autriche,  eut  sa 
résidence  officielle  h  côté.  Le  grand  et  le  petit  hôtel 
de  la  Lieutenaiice-civile  allaient  d'une  rue  h  l'autre, 
comme  l'hôtel  Séguier.  Hélas  !  le  même  magistrat, 
j)ère  de  la  marquise  de  Brinvilliers,  devait  être  aussi 
sa  victime.  Heureux  s'il  en  eût  été  quitte  pour  la 
disgrâce  qui  supprima  sa  charge  !  A  la  place  d'un 
lieutenant,  on  en  nomma  deux  autres,  et  celui 
de  police  ne  se  bornait  pas  à  partager  l'autorité 
du  prévôt  de  Paris,  il  empiétait  sur  les  attribu- 
tions du  corps   de  Ville.. 

Gabriel-Nicolas  de  la  Reynie,  premier  lieute- 
nant-général de  police,  succéda  au  lieutenant-civil 
jusqu'en  sa  demeure,  et  Louis  XIV    avait    eu    la 


RUE  DU    BOULOI.  57 

rpain  si  heureuse  qu'on  ne  vit  oneques  cette 
charge  si  bien  remplie.  Tout  était  à  organiser  ; 
La  Reynie  y  a  si  bien  suffi  que  d'une  adminis- 
tration au  dépourvu  il  a  fait  un  département,  et 
que  ses  règlements  de  police  sont  un  des  moim- 
ments  de  la  raison.  Il  avait  85  ans  quand  il 
mourut,  peu  de  mois  avant  le  grand  roi.  Jean- 
Nicolas  de  la  Reynie,  seigneur  de  Saint  Sulpice, 
hérita  de  l'hôtel,  lequel  passa  ensuite  à  Jacques 
d'Alby,  conseiller  du  roi,  lieutenant-particulier, 
assesseur  au  siège  de  Brives,  puis  à  Louis-Antoine 
Rouillé  de  Boissy,  conseiller  honoraire  au  par- 
lement. Cette  maison  historique  se  reconnaît  ex- 
térieurement à  une  large  façade,  que  décorent 
un  fronton,  un  joli  baloon,  des  mascarons  et  des 
médaillons;  un  ancien  notaire,  M.  Valpinçon,  en 
est  propriétaire.  • 

La  croix  des  Petits-Champs  se  dressait  en 
face  du  n"  2  ;  mais  la  rue  devant  sa  dénomina- 
tion à  cette  croix  retenait,  regardait  comme  sien 
ledit  n°  2,  avant  la  Révolution,  et  il  nous  paraît 
nonobstant  avoir  été  tiré  d'une  côte  de  la  Lieu- 
tenance.  Les  Quatremer,  i'amille  parlementaire, 
occupaient  cet  hôtel  sous  le  règne  de  Louis  XVL 
Ses  dépendances,  à  leur  tour,  ont  été  mises  à 
protit,  sous  la  Restauration,  par  les  charcutiers  Véro 
et  Dodat,  pour  l'ouverture  de  leur  galerie.  Véro, 
quoique  la  charcuterie  eût  fait  sa  réputation  avec  sa 
fortune,  avait  la  crainte  que  son  nom  ne 
passât  pas  à  la  postérité,  et  celle-ci,  grâce  à  la 
galerie,  était  appelée  à  passer  sous  ce  nom,  écrit 
en  lettres  d'or.  Quel  honneur,  quelle  joie  pour 
Véro!  Que  lui  restait-il  à  souhaiter?  Son  château 
de  Brunoi  dominait  et  avait  l'air  de  protéger  l'an- 
cienne maison  de  campagne  de  Talma,  qui  en 
était  proche.  Pourquoi  iaut-il  fjue  ce  nouveau 
seigneur,  dont  les  prétentions  n'allaient  pas  au- 
delà  de  la  bourgeoisie,  ait  aussi  mal  hni  que  le 


58  RUE  DU    BOULOI. 

fastueux,  l'extravagant  marquis  de  Brunoi?  Assis 
devant  une  table  bien  fournie  de  ce  qu'il  aimait, 
il  n'avait  plus  d'appétit  pour  le  reste;  il  gardait 
la  place  d'honneur  et  le  dos  au  feu,  ou  au  soleil, 
quels  que  lussent  les  convives,  et  il  fallait  pour 
son  bonheur  que  la  famille  ne  le  gênât  pas  beau- 
coup. Le  tête-h-tête  faisait  partie  du  menu  en  temps 
et  lieu.  Du  moins  Véro  eut  le  bonheur  de  n'entendre 
pas  gronder  l'orage;  il  ne  vit  même  pas  luire  la  fou- 
dre, il  ne  lut  pas  les  mots  cabalistiques,  faits  pour 
troubler  la  digestion,  et  la  salle  du  festin  menaçait 
de  s'écrouler  sans  qu'il  en  prît  souci  :  un  jugement 
d'interdiction  lui  avait  été  signifié  avant  que  le 
couvert  se  levât  sur  son  mané,  thékel,  phares. 

De  1838  â  1842,  M'"-  Rachel  eu!  son  apparte- 
ment dans  une  maison  du  passage  Véro-Dodat. 
Elle  passait,  pour  se  rendre  au  Théâtre-Français, 
devant  l'ancien  magasin  du  célèbre  fabricant  de 
saucisses  truffées  ;  mais  elle  s'arrêtait,  de  pré- 
férence, devant  l'éventaire  d'une  marchande,  â 
l'entrée"  de  la  cour  des  Fontaines,  et  elle  y  ache- 
tait des  pommes  à  un  sou  le  tas,  pour  en  cro- 
quer, entre  deux  scènes  à'Andromaque  ou  de 
Cinna,  dans  les  coulisses.  M"''  Rachel  n'en  ren- 
trait pas  moins  chargée  de  couronne's  dans  la  rue 
du  Bouloi,  qui  avait  pris  aisément  l'habitude  de 
recevoir  ce  glorieux  tribut  après  chacune  de  ses 
représentations.  Il  y  avait  de  quoi,  pour  cette 
rue,  prendre  goût  aux  jeux  de  la  scène;  mais 
elle  avait  commencé  par  .donner  la  préférence  à 
l'innocent  jeu  de  boules,  si  cher  aux  procureurs 
du  temps  de  Furetières,  d'après  le  Roman  bour- 
geois ! 


Rue   d\4boiikir 

EN    CE    QUI    s'en    aPPKLAIT    XAGUEKE 

nie  Boiii*l>oii-Villeiieiivc.  (  i) 


N"  1.  —  Les  architectes  modernes,  pour  éco- 
nomiser le  terrain,  remplacent  souvent  la  cour, 
par  une  allée  ;  mais  la  maison  dont  il  s'agit  céans 
a  mis  ,dans  la  tirelire,  dont  le  soupirail  de  la 
cave  ligure  à-peu-près  l'embouchure,  l'allée  elle- 
même,  ce  sou  pour  livre  de  la  cour.  On  dirait 
que  la  dernière  marche  de  son  escalier  vermoulu 
en  cherche  une  autre,  que  la  rue  lui  a  prise,  et 
le  fait  est  qu'elle  aurait  plutôt  avancé  que  reculé, 
par  l'effet  du  tassement,  depuis  le  xvi"  siècle  où 
la  rue  s'appelait  encore  Saint  Côme-du-milieit- des- 
Fossés. 

N"  3.  —  Construction  plus  élevée,  mais  moins 
ancieinie,  dont  le  rez-de-chaussée  est  occupé  par 
un  bouclier,  et  justement  nos  mères,  au  temps 
de  la  Fronde,  allaient  ou  envoyaient  chercher  la 
viande  au  même  endroit  :  l'une  des  boucheries 
autorisées  alors  était  établie  dans  la  maison  qu'a 
remplacée,  sous  le  régne  de  Louis  XV,  le  n"  3 
d'à  présent. 


(l)  Notice  écrite  en  185?!.  Trois  rues,  celles  des 
Fossés-Montmatre,  Neuve-Saiiit-Eustache  et  BourboH- 
Villeneuve  se  sont  plus  récemment  déguisées  en  une 
seule  et  même  riie  d'Aboukir.  Ce  travestisement  his- 
torique ne  rappelle  à  aucune  des  trois  son  origine,  un 
trait  de  son  histoire  ou  la  gloire  d'un  de  ses  enfants, 
bien  qu'il  ait  été  essayé  sous  le  Consulat  et  le  premier 
empire.  Il  a,  en  outre,  le  défaut  de  célébrer  une  victoire 
qui  porte  le  même  nom  que  deux  délaites,  essuyées 
vers  le   même  temps. 


60  RUE  D'ABOUKIR, 

N"^  6,  8,  10,  12,  14,  16.  —  Si  le  lézard  est 
ami  de  l'homme  et  de  la  lézarde,  il  a  de  quoi 
se  contenter  dans  ces  masures,  pleines  de  loca- 
taires jusqu'au  débord.  Pas  un  lit  qui  n'y  serve 
qu'à  une  seule  personne,  fût-elle  vierge;  pas  une 
chambre  où  il  n'y  ait  qu'un  lit,  et  pas  de  cloison 
sans  crevasse,  encore  habitée  quelque  peu.  Bien 
que  l'une  de  ces  façades  soit  ornée  d'un  fronton, 
elles  n'ont  pas  été'  faites  pour  l'écusson.  A  l'inté- 
rieur les  fissures  se  dessinent  plus  capricieuses 
et  avec  plus  de  suite  que  par-devant,  comme  si 
le  mastic,  la  chaux  ou  la  colle  des  badigeonneurs 
n'avait  fait  que  tromper  la  soif  d'eau  du  ciel  et 
d'air  qui  les  brûle.  Se  pourrait-il  que,  par  ana- 
logie, les  rides  y  fussent  mieux  vues  qu'ailleurs! 
Des  visages  fardés  en  laissent  voir  souvent  aux 
passants,  derrière  des  rideaux  entrebaillés  de  fe- 
nêtres, qu'on  croirait  devant  une  alcôve,  et  ces 
vilaines  figures  sourient  aux  myopes,  qui  ne  s'a- 
perçoivent pas  que  leur  sourire  est  une  grimace 
de  plus.  La  jeunesse  et  l'amour  font  bien  de  se 
cacher  plus  haut,  dans  les  mansardes  :  leur  im- 
pudente contrefaçon  se  mettra-t-elle  jamais  trop 
bas!  Elle  laisse  dans  les  allées,  malgré  l'eau-de- 
cologne  qui  croupit  dans  le  plomb,  l'une  des 
odeurs  de  Paris  qui  ressemblent  le  moins  à  d'au- 
tres, en  ne  rappelant  que  par  sa  persistance  la  puan- 
teur du  blaireau  ou  du  renard. 

N"'  5,  7,  9,  11,  13  et  plusieurs  autres. — Nous 
nous  inclinons  volontiers  devant  l'honnêteté  des 
gens  qui  n'ont  jamais  fait  parler  d'eux,  et  il  en 
est  de  même  pour  les  maisons.  Celles  dont  la 
série  fait  pendant  ii  la  précédente  jouissent  pour 
nous  dudit  avantage,  malgré  leur  âge,  plus  ou 
moins  avancé,  et  comme  il  s'en  présenterait  un 
peu  plus  loin  de  centenaires  encore,  qui  sont 
dans  le  même  cas,  nous  demandons  d'ores  et 
déjà  à  bénéficier  de  la  même  excuse  à  leur  endroit. 


NAGUÈRE  RUE  BOURBON-VILLENEUVE.      61 

N"  18.  —  Il  a  servi  de  borne  à  l'ancienne 
cour  des  Miracles,  Ilion  de  la  bohème  dont  Victor 
Hugo  est  l'Homère.  On  y  voyait,  Louis-Philippe 
régnant,  un  marchand  de  vin  à  l'enseigne  des 
Trois-Lurons,  représentés  par  des  forts  de  la 
halle,  et  déjà  la  maison  appartenait  à  l'illustre 
famille  des  Chevet  du  Palais-Royal. 

N"  20.  —  Delestville,  marchand  chandelier,  de- 
meurait en  l'an  ni  rue  Neuve-de-l'Égalité,  c'est- 
à-dire  rue  Bourbon-Villeneuve,  n"  20,  -  dans  une 
maison  qu'il  vendait  à  Hulot  Delatour,  le  7  plu- 
viôse, et  qui  portait  le  n"  333,  division  Bonne- 
Nouvelle.  Le  citoyen  marchand  l'avait  lait  bâtir 
nouvellement  sur  l'emplacement  de  celle  adjugée 
le  16  décembre  1790  au  citoyen  Loyson,  qui  avait 
été  son  fondé  de  pouvoir. 

Cette  maison,  sous  Louis  XIV,  donnait  sur  une 
place,  quadrilatère  oblong  ;  les  rues  de  Cléry, 
de  Sainte-Foy,  des  Filles- Dieu,  de  Saint-Claude 
et  de  Bourbon-Villeneuve  étaient  les  affluents  de 
ce  bassin,  et  un  corps-de-garde  s'y  trouvait  ; 
mais  le  quartier  alors  avait  sans  doute  moins 
besoin  qu'aujourd'hui  de  la  surveillance  assidue 
des  sergents  de  ville,  nouveau  modèle,  dans  les 
attributions  desquels  rentre  le  maintien  de  la 
décence  et  de  la  modestie  de  certaines  femmes, 
chauves-souris  de  l'amour.  Ce  service,  ressortis- 
sant au  bures|u  des  mœurs  dans  notre  capitale, 
était  dévolu  dans  la  ville  d'Athènes  à  vingt  otti- 
ciers,  dits  rjvatxovo'ijiot  et  ce  corps  d'officiers  tout 
entier  ne  serait  pas  trop  nombreux  aujourd'hui 
pour  ledit  quartier  de  Paris.  La  rue  Bourbon-Vil- 
leneuve n'y  comptait,  il  est  vrai,  que  36  mai- 
sons et  11  lantei'nes,  du  temps  de  la  place  aux  quatre 
coins.  Celle-ci  n'a  pas  attendu  pour  disparaître  que 
la  place  du  Caire  se  formât,  de  l'autre  côté,  au 
moment  où  la  rue  Neuve-Egalité  passait  d'Abou- 
kir.  C'est  à  la  rentrée  de   Louis  XVIIÏ  que  l'an- 


62  RDE  D'AHOUKIR, 

cien  nom  i-eprit  ses  droits,  pour  en  perdre  la 
moitié  de  1830  à  1837,  en  s'appelant  Villeneuve 
tout  court. 

N"'  24  et/2Q.  —  Que  de  (ois  il  est  arrivé  à  un 
homme  tombé  de  haut  de  se  relever  aux  yeux 
de  la  postérité!  La  mémoire  de  Beaune  de  Sam- 
blançay,  ancien  général  des  tinances,  condamné 
en  l'année  1527  à  la  corde  pour  crime  de  pé- 
culat,  a  eu  particulièrement  i\  se  louer  de  ce  pouvoir- 
posthume,  qui  tend  à  infirmer  dans  le  ressort  de  l'His- 
toire l'autorité  de  la -chose  mal  jugée.  N'est-il  pas 
avéré  depuis  longtemps  que  les  juges  de  Samblançay 
étaient  dévoués  au  chancelier  Duprat  et  h  la 
duchesse  d'Angoulême,  ses  mortels  ennemis  ?  Il 
était  d'usage  que  les  criminels,  conduits  de  la 
Bastille  ou  du  Châtelet  à  Montfaucon,  le  jour  de 
leur  exécution,  tissent  une  station  en  chemin 
devant  la  croix  des  Filles-Dieu.  Le  financier 
condamné  à  finir  comme  un  maraud  fut  introduit 
tête-nue  dans  ce  couvent  par  Maillard,  lieutenant- 
criminel,  et  son  cortège;  il  s'agenouilla  au  pied 
de  la  croix,  qui  s'adossait  h  l'église  des  reli- 
gieuses et  qui  s'abritait  sous  un  dais. 

L'origine  des  Fillés-Dieu  remonte  au  commence- 
ment du  siècle  xni,  et  jamais,  rappelle  Sauvai, 
il  n'y  a^ait  en  autant  de  femmes  de  mauvaise 
vie  qu'alors  dans  le  royaume.  Grâce  à  une  charte 
de  Baudouin,  vingtième  prieur  de  Saint-Martin-des- 
Champs,  200  femmes,  qui  se  repentaient  d'avoir 
été  folles  de  leur  corps,  s'étaient  établies,  en 
l'année  1226,  dans  la  future  rue  de  l'Echiquier, 
chemin  qui  ne  dépendait  encore  que  d'un  faubourg 
extérieur  :  le  curé  de  Syint-Laurent  leur  avait  imposé 
de  tenir  un  hôpital.  On  avait  démoli  leurs  bâtiments, 
sous  le  roi  Jean-le-bon,  de  peur  que  les  Anglais 
ne  s'y  retranchassent  ;  mais  elles  avaient  bientôt 
commencé  à  s'établir  dans  la  rue  Saint-Denis,  en 
se  chargeant  d'une  léproserie,  ([ue  Lyons  y  avait 


NAGUERE  RUE  BOURBON-VILLENEUVE.      63 

fondée.  Quand  Charles  VIII,  à  la  prière  d'Anne 
d'Orléans,  donna  aux  Filles-Dieu  leur  principale 
maison,  en  y  posant  la  première  pierre  d'une  nou- 
velle église,  elles  n'étaient  plus  des  sœin^s  hospita- 
lières, elles  étaient  des  bénédictines  de  Fontevrault, 
et  pourtant  on  leur  imposa  plusieurs  des  charges 
qui  convenaient  essentiellement  au  caractère  reli- 
gieux de  leurs  devancières.  Il  leur  avait  été  for- 
mellement imposé  de  garder  une  nuit  toutes  les 
pauvres  voyageuses  qui  arrivaient  en  ville  par  la 
grand'route,  et  de  donner  à  chacune  un  denier 
parisis  ;  de  plus,  elles  subvenaient  à  l'entretien 
d'une  sorte  de  caserne  de  passage,  afin  que  les 
soldats  qui  venaient  de  loin,  isolément  ou  en 
petit  groupe,  eussent  leur  pied-^i-terre,  avec  un 
coup  h  boire,  aux  abords  de  la  porte  Saint-Denis. 
L'exercice  de  cette  hospitalité  était  rendu  de  plus 
en  plus  difficile  par  les  agrandissemei»tsdela  ville; 
néanmoins  il  ne  tomba  pas  en  désuétude  sans  que 
plusieurs  évêques  de  Paris  en  eussent  requis  et 
obtenu  le  maintien.  Ce  ne  fut  pas  trop  du  crédit  des 
deux  sexes  de  Fontevrault,  religieux  et  religieuses  des 
quatre  provinces  de  cet  oidre,  dont  le  chef-d'ordre 
compta  pour  supérieures  quatorze  princesses,  parmi 
lesquelles  il  y  en  avait  cinq  de  la  maison  de 
Bourbon  ;  ce  ne  fut  pas  trop  pour  affranchir  enfin 
les  Filles-Dieu  de  l'obligation  de  tenir  auberge, 
cantine  et  hôpital.  Ces  diversions  avaient  servi 
d'occasion,  de  prétexte  et  d'excuse  à  maints  désor- 
dres dans  le  couvent,  avant  et  depuis  le  change- 
ment de  règle.  A  ce  compte  il  n'y  avait  pas  que 
le  temporel  qui  gagnât  à  la  conversion  de  l'ancienne 
maladrerie  en  maisons  de  rapport,  prenant  jour 
sur  la  rue  Saint-Denis. 

Quant  à  la  rue  Bourbon-Villeneuve,  elle  tenait 
ce  nom  de  Jeanne  de  Bourbon,  abbesse  de  Fon- 
tevrault h  l'époque  du  mariage  de  Maris  de  Médicis 
avec  Henri  IV.  Les  deux  maisons  de  cette  rue  qui 


64  RUE  D'ABOUKIR, 

ont  appartenu  aux  religieuses  étaient  occupées 
par  leurs  directeurs,  par  les  administrateurs  de 
leur  temporel  et  par  des  religieux  de  leur  ordre  qui 
avaient  affaire  h  Paris  et  dont  elles  restaient  les 
hôtesses,  alors  que  «  révérendes  dames  sœurs 
Geneviève  Beauvillain,  Elisabeth  Lauvy  et  Marguerite 
Guillet  estaient  prieure,  dépositaire  et  boursière 
du  couvent  royal  des  Filles-Dieu  de  ceste  ville, 
du  sainct  ordre  de  Fontevrauld.  »  La  même 
hospitalité  fut  donnée  en  1778  a  une  grande- 
prieure  de  l'ordre,  Marguerite  de  Rochechouart, 
qui  hivernait  aux  Filles-Dieu,  en  attendant 
l'achèvement  de  grands  travaux  qu'elle  avait 
commandés  à  Montmartre,  oîi  elle  passait 
abbesse.  Puis  des  locataires  ordinaires  étaient  admis 
dans  les  deux  maisons  dont  nous  parlons  :  Biers, 
agent  de  change  du  duc  d'Orléans,  y  demeurait 
sur  la  fin  du  règne  de  Louis  XVL  Vendues  par  la 
Nation,  avec  une  troisième  maison  de  la  rue,  en  1791, 
elles  tenaient  du  côté  du  levant  au  ci-devant  jardin 
des  sœurs,  du  côté  du  midi  à  une  halle,  qui 
devint  le  passage  du  Caire. 

N"  32.  —  S'il  perdait  en  élévation  ce  qui  lui 
manque  de  largeur,  il  devrait  Ji  son  couronne- 
ment d'assez  grands  airs  pour  l'aire  croire  que  la 
noblesse  de  robe  y  a  devancé  celle  de  bouche, 
comme  au  18  de  la  même  rue.  Là  les  Chevet,  mais 
ici  les  Chapard,  émérites  restaurateurs,  signent  les 
quittances  de  loyer. 

Cet  immeuble  nous  paraît  l'une  des  deux  maisons 
dont  le  sculpteur  Mazeline  disposait  pendant  les 
moins  heureuses  des  années  du  grand  roi.  A  ce 
propos,  mieux  vaut  donner  tout  de  suite  le  tableau 
des  propriétaires  qui  se  partageaient  alors  l'espace 
entre  la  rue  des  Filles-Dieu  et  celle  Saint- 
Claude  (1)  : 


(1)   Maiuleuunt  rue   Cliénier, 


NAGUÈRE  RUE  BOURBON-VILLENEUVE.      Gâ 

Dii»  d'Aiolle,  maison  petite.  —  D^e    Boissellière,    id. 

—  Marié.  —  De  Lassalle,  chirurgien,  au  Lion  d'or.  — 
Mazeline,  sculpteur,  deux  maisons.  Veuve  Jamarre, 
Grosyeux,  Chédeville  et  SouUier.  —  D'Orbec,  marbrier 
du  roi.   —    Lebrun,   rubanier.  —  D'Aligensé,  boulanger. 

—  Pouciier,  seigneur  de  Soindres,  maître  des  requêtes 
de  l'hôtel.   —  De  Blainville. 

N"'  33,  -35,  37.  —  Maisons  bourgeoises  très- 
vénérables.  L'une  d'elles  a  été  restaurée  le  plus 
coquettement  du  monde  ;  un  titre  de  fraîche 
date  en  recommande  une  autre  à  la  postérité,  en  ce 
qu'elle  comporte  le  bureau  d'un  journal  à  l'exis- 
tence duquel  nos  arrière-neveu\  croiront  ditlici- 
lement,  Moniteur  de  la  Cordonnerie;  la  troisième 
est  pourvue  d'un  escalier  dont  la  rampe  de  1er 
a  fait  pendant  jadis  k  plus  d'une  canne  à  pomme 
d'or.  Le  Blanc,  exempt  du  guet,  logeait  sous 
l'un  de  ces  toits,  au  milieu  du  siècle  dernier. 
Amigauft,  procureur,  avait  été  propriétaire  dans 
ces  parages  et  contemporain  de  Mazeline. 

N""  34  ei  36.  —  De  ces  constructions  d'environ 
150  ans,  la  première  est  encore  pourvue  d'un  vieux 
balcon  très-attrayant,  que  notre  diligent  M.  Rous- 
seau n'avait  plus  que  la  ressource  d'escalader, 
s'il  s'était  entêté  à  prendre  connaissance  des 
lieux  :  l'incorruptible  portier  l'avait  renvoyé  au 
propriétaire,  M.  de  Gheldre,  9,  quai  Bourbon,  d'où 
un  autre  portier,  de  naturel  moins  malléable  encore, 
l'avait  à  son  tour  renvoyé  rue  Bourbon-Villeneuve. 

N°  39.  — ■  C'est  un  de  ceux  qui  ouvrent  aussi 
sur  la  rue  de  Cléry.  En  novembre  1778,  Leclerc, 
tapissier,  vend  l'immeuble  à  Béraud,  baron  de 
Courville,  mestre-de-camp  de  cavalerie,  capitaine- 
général  des  chasses  du  comte  d'Artois;  trente 
ans  plus  tard,  Daston,  receveur-général  des  droits 
réunis  du  département  de  Vosges,  achète  des  hé- 
ritiers Courville;  enfin,  le  21  octobre  1812,  l'entrée 
dans  le  monde  a  lieu  Jà  d'un  enfant  destiné  à  devenir 


66  RUE  D'ABOUKIR, 

un  archéologue  distingué,  dessinateur  enoutreetgra- 
veurau  besoin,  M.  ErnestBreton,  îxuieur ûe Potnpéia . 

N"'  38  et  40.  —  Bureau  de  Mont  de  Piété  d'une 
part,  maison  de  tolérance  de  l'autre,  payant  en- 
semble tribut  au  même  propriétaire.  Des  relations 
de  si  bon  voisinage  existent  d'un  numéro  à  l'au- 
tre, qu'ils  ont  parfois  la  même  clientelle.  Que 
l'on  aille  au  38  en  sortant  du  40,  ou  qu'on  suive 
la  marche  contraire,  il  est  bien  ditficile  de-  dire 
sous  la  porte  duquel  on  passe  la  tête  le  plus  haute. 

Nos  44^  45  gt  46  —  dq  premier  nous  savons 
qu'il  porte  à  peu  de  chose  près  trois  siècles.  La 
maîtresse  du  citoyen  Caussidière,  préfet  de  police, 
habitait  le  second,  en  1848.  Le  troisième  im- 
meuble dont  s'agit,  ci  devant  occupé  par  le  dépôt 
de  filature  des  pauvres,  fut  vendu  par  l'Etat,  le 
16  vendémiaire  an  v,  à  Joseph  Grubert,  fabricant 
de  forté-pianos  ;  les  tenants  indiqués  étaient  au 
levant  la  veuve  Tardu,  au  couchant  le  citoyen 
Vréoiant  ;  les  administrateurs  et  la  leceveuse  du 
Domaine  signaient  au  bas  de  l'acte  :  citoyen  GuU- 
lotin,  citoyen  Duchâtel  et  citoyenne  Vallon-Ville- 
neuve. Près  d'une  année  avant  cette  adjudication 
immobilière,  le  bail  de  la  maison  avait  lui-même  été 
mis  aux  enchères,  et  le  citoyen  Carruyer,  négo- 
gociant  de  Rouen,  avait  été  le  plus  fort  enché- 
risseur; son  bail  lui  imposait,  entre  autres  clau- 
ses, de  payer  les  gages  du  portier  au  taux  fixé 
par  la    décision  du  bureau  du  Domaine. 

N**  ol.  —  Jolies  croisées,  ourlées  de  légers 
ornements,  ferrées  avec  coquetterie  et  ne  laissant 
pénétrer  à  l'intérieur  cju'un  demi-jour,  sur  quel 
établissement  projetez-vous  la  faveur  de  ce  clair- 
obscur?  La  description  et  les  éloges  ne  sauraient 
aller  plus  avant,  sans  compromettre  la  dignité  de 
notre  collecteur  de  notes,  car  il  s'agit  encore 
d'une  station  où  l'amour  coûte  le  même  prix 
qu'une    heure    de    coupé.  M'"«  Delaunay,  vers  la 


NAGUÈRE  RUE  BOURBON'-VlLLENEUVE.      67 

chute  du  premier    empire,  a  créé  la  maison,  que 
tient  depuis  douze  ans  la  mère  Frédéric. 

N«'  53,  55,  56,  57,  58,  59  et  61.  —  Les  deux 
premières  maisons  que  désigne  ce  sous-titre 
ont  été  restaurées  pour  et  par  M.  Gisors,  archi- 
tecte, estimateur  des  biens  nationaux  sous  la 
République;  on  y  remarque  un  escalier,  dont  l'am- 
pleur magistrale  contraste  avec  le  pitoyable  aspect 
de  ce  qui  vient  par-derrière  :  des  croisées  déman- 
telées, où  pend  du  linge  qu'on  dirait  oublié  par 
des  générations  éteintes  de  ménagères,  attristent 
l'explorateur  qui  se  hasarde  jusque-là.  Le  56  fut 
éditié  pour  un  intendant  de  grande  maison  et  fort 
probablement  aux  frais  d'icelle;  un  pâtissier  en 
bonne:'odeur,  Lançon,  y  est  devenu  l'intendant  delà 
friandise  du  public.  Un  quincaillier  de  la  rue 
Saint-Denis  a  fait  bâtir  le  57,  un  an  avant  la 
mort  de  Louis  XV,  sur  un  terrain  lui  venant  de 
son  beau-père.  A  l'époque  de  cette  construction, 
le  vis-à-vis,  n"  58,  tenait  d'un  côté  à  M'"*'  Chap- 
pan,  et  de  l'auti^e  à  M.  Lalouette,  médecin  ;  la 
prieure  des  Filles-Dieu,  qui  était  alors  Marie- 
Françoise-Geneviève  Flavigny,  en  percevait  seigneu- 
rialement  le  cens,  reconnu  avant  et  depuis  l'an' 
1622  auxdites  dames  du  tîet  de  la  Ville-Neuve  ; 
néanmoins  la  propriété  devait  20  sols  de  rente, 
non  rachetable,  au  domaine  de  la  Ville,  dès 
l'année  1673.  Au  59,  qui  a  été  refait,  demeurait  le 
fleuriste  de  la  reine  Marie-Antoinette,  chez  lequel, 
un  peu  plus  tard,  l'apprenti  Constantin  étudiait 
les  secrets  diplomatiques  de  bien  des  cabinets... 
de  toilette.  Le  gi'and-père  de  M.  Lefébure,  qui 
dispose  actuellement  du  n"  61,  y  était  boissellier 
en  1791,  et  un  long  stage  de  locataire  y  précéda 
sa  prise  de  possession. 

L'éternelle  jeunesse  à  laquelle,  par  la  seconde 
moitié  de  son  nom*,  reste  vouée  cette  voie  publi- 
que, sourit  à  des  myriades  de   jeunes   ouvrières 


RUE  D'ABOUKIR,    ETC.  68 

qui  gaîment  y  font  des  chapeaux,  des  corsets, 
des  enveloppes  en  papier,  du  linge,  de  la  passe- 
menterie et  des  fleurs  artificielles  pour  les  deux 
mondes.  Les  gens  de  Bourse  ont  beau  croire  que 
c'en  est  fait  de  la  grisette,  la  population  féminine 
des  ateliers  dont  nous  parlons  s'en  tient  le  plus 
souvent  à  l'espèce  de  juste-milieu,  en  matière  de 
pudeur  et  de  moralité,  qui  les  éloigne  autant  des 
Filles-Dieu,  dont  l'exemple  n'est  plusquemémoire, 
que  des  filles  de  Satan,  qui  les  remplacent  si  mal 
dans  notre  rue.  Le  cidre  et  les  marrons  défrayent 
encore  les  jeunes  amours  de  ce  quartier,  oùtoutn'esp 
pas  à  vendre,  et  la  grisette  n'y  renonce  que  déjà  mûre 
à  une  innocence  relative.  Son  front  rougit  et 
son  petit  cœur  saigne  des  premières  tentations 
de  la  vénalité  ;  mais  ce  n'est  pas  h  dire  qu'elle 
se  pique  d'une  constance  h  l'épreuve  de  la  trahison. 
Par  malheur,  tous  les  remisiers  des  agents-de- 
change  spéculent,  dans  les  prix  doux,  sur  la 
difficulté  qu'éprouve  une  ouvrière  à  subsister  du 
travail  de  ses  doigts,  et  ils  sont  toujours  indignés 
de  rencontrer  la  vraie  grisette,  qui  ne  sacrifie 
pas  l'agréable  à  l'utile.  Naguère,  si  l'on  ne  crai- 
gnait pas  de  traiter  de  drôlesse  la  malheureuse 
qui  se  vend  en  détail,  aucun  jaloux  n'osait  jeter 
la  pierre  à  la  jolie  fille  qui  se  donne.  Mais  voyez 
si  le  siècle  a  marché!  Un  commis  d'agent-de- 
change  ne  craignait  pas  de  guetter  l'autre  soir, 
dans  cette  rue,  à  la  sortie  d'un  magasin,  une 
frangeuse  de  vingt  ans,  blonde  et  charmante,  pour 
lui  dire  devant  ses  compagnes  :  —  Je  te  pardon- 
nerais de  m'avoir  trompé,  coquine,  avec  quelqu'un 
de  plus  riche  que  moi.  Mais  j'ai  pris  mes  rensei- 
gnements ;  tu  me  préfères  un  garçon  sans  le  sou, 
et  il  faut  que  tu  sois  bien  perverse  pour  te  faire 

la  p des  pauvres.   Quel  déshonneur  pour  moi 

de  l'avoir  connue  ! 


Rue   Boui*l»oii-le«Chà4eaii*  (i) 


L'annonce  n'est  pas  du  tout  une  invention  de 
notre  siècle,  qui  s'est  borné  à  la  perfectionner. 
On  lit  dans  YAlmanach  des  Arts-eC  Métiers  pour 
1769  : 

Le  sieur  Roussel,  à  l'Abbaye  de  Saint- Germain  dcs- 
Prés,  débite  le  Béchique,  souverain  contre  les  maux 
de   poitrine. 

Le  sieur  Lasserre,  à  l'Abbaj-e  de  Saint-Gerraaiu-des- 
Prés,  vend  avec  succès  par  privilège  du  roi,  en  consé- 
quence de  la  délibération  de  la  Commission  royale  de 
médecine,  un  éiixir  pour  les  dents,  qui  est  le  fruit  de 
vingt  années  de  travail  :  cette  liqueur  est  claire,  trans- 
parente, agréable  à  la  vue  et  flatteuse  à  l'odoral.  Elle 
apaise  -et  guérit  radicalement  tous  les  maux  dont  les 
dents  peuvent  être  attaquées.  Prix:  3  livres,  H6  sols 
et  gratis  pour  les   pauvres. 

Roussel  et  Lasserre,  ces  locataires  de  l'abbaye 
royale,  demeuraient  au  n°  6  actuel  de  la  rue 
Bourbon-le-Château,  de  leur  vivant  rue  du  Petit- 
Bourbon  :  propriété  gardant  de  cette  époque  bon 
nombre  de  petites  vitres  à  ses  l'enêtres. 

Une  autre  maison,  n"  3,  qui  s'alïaisse  sur  elle- 
même  depuis  le  règne  de  Henri  IV,  est  également' 
pourvue  de  fenêtres  à  coulisses  ;  elle  dépendait  du 
domaine  monastique,  sans  que  ses  babitanls  d'alors 
fussent  plus  cloîtrés  ([ue  les  filles  de  joie  en 
cbambres  qui,  du  matin  au  soir,  tant  (|u'il  fait 
jour,  en  sont  le  colé  sinistre  et  repoussant.  Au 
no    4   s'exploita    rbùtellerie   de    l'Ecu,  tenue   par 

(1)  Notice    écrite   en    1853. 


70  RUE  BOURBON-LE-CHATEAU. 

Dialan;  le  gîte  n'y  coulait  pas  moins  de  10  sols 
par  tête,  et  le  souper,  pas  moins  de  20  sols  ; 
mais  VAlmanach  précité  dit  aussi  qu'un  cavalier 
y  payait  son  écot  h  meilleur  compte  que  celui  de 
sa  moulure,  qui  s'élevait  ii  40  sols  par  nuit.  Le 
2  fut  édifié  il  y  a  trente  ans  en  bonnes  pierres 
de  taille,  mais  sur  un  plan  assez  original,  pour 
iVr"«  Bancelin,  du  restaurant  du  Cadran-Bleu,  à  la 
place  d'une  maison  basse,  aussi  ancienne  que  le 
palais  abbatial,  qui  fut  inauguré  par  le  cardinal 
de  Bourbon,  parrain  de  la  petite  rue  dont  nous 
parlons.  Le  i  remonte  au  moins  à  cent  ans  ;  ses 
boiseries  du  premier  étage  étaient  dorées  avant  qu'un 
cafetier  y  plaçât  des  billards. 

A  l'un  des  deux  angles  occupés  par  ces  n"'  1 
et  2,  3,500  livres  rendirent  l'épicier  Vignes  adju- 
dicataire d'une  maison  dont  le  marquis  de  Conflans 
était  exproprié,  eu  l'année  i7o2.  Julien  Levesque, 
premier  cbirurgien  de  S.  A.  R.  Mademoiselle, 
souveraine  de  Bombes,  avait,  vers  le  milieu  du 
règne  de  Louis  XIV,  une  autre  propriété  dans 
cette  rue  ;  il  y  tenait  d'une  part  au  comte  de 
Vert,  d'autre  part  à  une  petite  rue,  par-derrière 
à  un  jeu  de  boules  payant  loyer  aux  héritiers  de 
M.  et  de  M'""  de  Moucy.  Le  vendeur  du  chirur- 
gien avait  été  Jacques  de  la  Noue,  comte  de  Vert, 
capitaine  aux  cuirassiers  du  roi,  à  qui  cet  héritage 
venait  de  son  aïeul,  Jacques  de  Moucy,  procureur- 
général  au  bureau  des  finances  de  Paris.  Le 
jnême  procureur-général  avait  un  ou  deux  jardins 
sur  la  rue,  au  moment  de  son  ouverture,  et  s'était 
réservé  le  droit  d'y  bâtir  tout  ce  qu'il  voudrait. 
Un  de  ses  proches,  Jean  de  Moucy,  conseiller  du 
roi,  auditeur  en  sa  chambre  des  comptes,  avait 
vendu,  le  3  juillet  1610,  h  François  de  Bourbon, 
prince  de  Conti,  abbé  de  Saint-Germain-des-Prés, 
U'Ut  le  terrain  à  prendre,  pour  ledit  percement,  entre 


RUE   BOURBON  LE-CHATEAU.  71 

la  rue  de  Buci  et  le  guichet,  près  du  vieux  portail, 
du  pont-levis  et  des  fosstïs  du  château  abhatial. 
Ainsi  avait  été  formée  cette  rue  Bourbon-le-Chàteau, 
allas  de  Bourbon-Guise,  touchant  d'un  bout  au  jeu  de 
paume  de  l'Abbaye.  Elle  reçut  l'un  après  l'autre  les 
pseudonymes  dé  Lucrèce-Vengée,  de  la  Chaumière 
et  de  l'Abbaye,  de  i79P,   -i    1814. 


Quai    Itoui'boii.    (i) 


Marie,  Lagrange  et  les  Syndics  de  Vile.  —  M.  de 
Charron.  —  Les  Jassaud. — Histoire  d\me  Dot 
au  \\[f  Siècle.  —  François  Levaic.  —  Le  Maître- 
d'hôtel  du  Roi.  —  Le  Procureur  qui  se  pour- 
suit. —  Un  Devis  en  1640.  —  Choppin  de  Gou- 
::angré.    —  Maisons  diverses. 

Epargnons  à  l'ami  lecteur,  comme  d'habitude, 
la  peine  de  consulter  lui-même,  en  ce  qui  re- 
garde le  quai  Bourbon,  les  150  plans  de  Paris 
dont  nos  doigts  usent  les  angles  et  les  plis, 
mais  dont  les  incessantes  consultations  ne  ména- 
gent pas  nos  yeux  davantage.  En  1609,  d'après 
le  plan  de  Quesnel,  tout  serait  paysage  sans  fa- 
brique dans  l'île  Notre-Dame  et  dans  l'île  aux 
Vaches,  et  nous  pourrions  y  contredire,  le  désert 
n'étant  pas  complet  à  cetteépoquedans  ces  deux  cam- 
pagnes flottantes  qui  semblent  à  la  remoi-que 
d'un  immense  vaisseau,  la  Cité.  La  seconde  ap- 
partient, comme  la  première,  au  chapitre  de  l'é- 
glise de  Paris;  elles  n'en  sont  pas  moins  abor- 
dables aux  canotiers  et  aux  baigneurs  d'alors. 
Marie,  Le  Regrattier  et  Poulletier  lancent  l'amarre 
d'une  grande  spéculation  qui  met  les  deux  îles 
bout  à  bout,  pour  en  l'aire  un  quartier  superbe 
de  la  capitale  :  l'île  Saint-Louis.  Quant  au  canal 


(1)  Notice  ('crile  eu  1858.  La  démolitiou  est  posté- 
rieure des  1,02  a3,  yr,^  3-7^  3^  g^  55  ^u  q\xix.i  Bourbon, 
qui  ont  livré  passage  à  une  rue  de  traverse  dans  Taxe 
du  pont  Louis-Pliilippe.  Cette  rue  sans  maisons  garde 
jusqu'à   présent   l'anonyme- 


•    QUAI  BOURBON.  73 

qui,  même  de  nos  jours,  la  sépare  de  la  Cité,  il 
lut  convenu  entre  le  roi  et  le  chapitre,  en  l'an- 
née 164i2,  qu'il  ne  serait  jamais  comblé.  A  cette 
condition  expresse,  les  chanoines  cédaient  moyen- 
nant 50,000  livres  ii  Louis  XIII,  touchant  ii  sa 
tin,  l'île  sur  laquelle  leurs  droits  n'étaient  pas 
sans  .contestation  ;  celle-ci  devait  déjà,  depuis  la 
mort  de  Henri  IV,  assez  de  valeur  au  morcellement 
de  son  terrain,  oii  les  belles  maisons  commençaient 
à  être  moins  rares  que  les  bicoques,  pour  suppor- 
ter allègrement  la  levée  des  susdites  50,000  livres, 
à  raison  de  oO  sols  par  toise. 

Du  pont  3Iarie,  où  commence  notre  quai,  la 
première  pierre  avait  été  posée  le  M  octobre  1614 
par  le  même  roi,  alors  enfant,  et  par  Marie  de 
Médicis,  en  présence  de  Miron,  le  prévôt  des 
marchands,  et  d'une  foule  considérable.  Les  trois 
entrepreneurs  des  quais,  rues  et  ponts  de  l'île, 
Marie,  Poulletier  et  Le  Regraltier,  avaient 
été  surpris  par  une  crue  de  dépenses  telle- 
ment au-dessus  de  l'étiage  de  leurs  ressources 
([u'ellc  avait  entraîné  l'interruption  des  travaux. 
Jean  de  Lagrange,  secrétaire  du  roi,  qui  en  avait 
pris  la  suite  en  i6iî'>,  avait  obtenu  le  droit  d'é- 
tablir un  bain,  un  jeu  de  paume,  douze  étaux 
de  boucher,  des  bateaux  de  lavandières,  ainsi 
que  des  galeries  d'étages  latéraux  sur  le  pont  des 
Tournelles,  dont  la  construction  lui  fut  due,  et 
sur  le  pont  Marie,  auquel  cette  surcharge  permit 
de  devenir  le  centre  du  commerce  des  pierres 
précieuses.  Lagrange  présida  aussi  à  l'établisse- 
ment du  pont  de  bois  reliant  le  quai  Bourbon 
tout  neuf  au  vieux  quartier  de  Saint-Landry,  dans 
la  Cité.  De  nouveaux  tiraillements  permettaient 
néanmoins  à  Marie  et  à  ses  deux  associés  de 
ressaisir  les  l'ênes  de  l'entreprise  et  d'y  courir 
les  chances  de  nouveaux  procès,  d'une  part  avec 
les  chanoines  et   d'autre  part  avec  les  insulaires 


7i  QUAI   BOURBON. 

mécontents,  qui  s'étaient  réunis  sous  la  conduite 
d'Hébert,  l'un  d'eux.  Leurs  démêlés  se  prolongèrent 
tant  que  le  cardinal  de  Richelieu  vécut.  Ce  ministre, 
dont  la  politique  ne  voyait  pas  moins  clair  à  l'é- 
tranger que  sa  police  en  France,  laissait  flotter 
la  petite  ville  naissante  que  lui  cachaient  les 
tours  de  Notre-Dame.  La  compagnie  financière, 
qui  elle-même  nageait  entre  deux  eaux,  s'enfonça 
de  nouveau,  mais  pour  ne  plus  remonter.  L'an- 
née même  de  la  mort  du  roi,  Hébert  et  des 
syndics,  représentant  les  habitants  de  l'île,  parve- 
naient, en  assumant  toutes  les  obligations  rela- 
tives, à  être  subrogés  à  Marie,  ainsi  qu'à  La- 
grange,  dans  tous  leurs  droits,  parmi  lesquels 
figuraient  12  deniers  de  rente  dus  pour  soixante 
années  par  chaque  toise  de  terrain  concédé. 

Sur  le  plan  en  relief  de  Gomboust  (1652)  une 
légende  particulière  accompagne  un  seul  des  hô- 
tels du  quai  dont  nous  parlons,  et  la  voici  :  M.  de 
Charron.  L'objet  en  parait  être  à  égale  distance 
de  la  rue  dès  Deux-Ponts  et  de  la  rue  de  la 
Femme-sans-ïête,  autrelois  Regrattière  (i);  seu- 
lement Nolin,  contemporain  de  Gomboust,  case 
l'hôtel  dont  il  s'agit  un  peu  plus  près  du  pont 
3Iarie.  En  tenant  compte  des  modifications  qu'ont 
dû  subir  depuis  l'élévation,  la  distribution  et  les 
dépendances,  messire  Claude  le  Charron,  seigneur 
de  Villemaréchal,  se  reconnaîtrait  au  n"  io,  belle 
maison  à  masearons,  dont  dépend  le  13.  Une  qua- 
]'antaine  d'années  avant  la  substitution  des  pierres 
du  quai  Boui'bon  à  la  verdure  battue  du  bord 
de  l'eau,  le  prévôt  des  marchands  était  de  la 
lamille    de    ce    conseiller    d'Etat,    intendant    des 


(1)  On  a  en  le  bon  esprit  dp  rciulrc  la  dénomina- 
lion  de  riio  Le  Rpf;rat(iei-  à  relie  do  la  Ferame-sans- 
TèlP,  malgré  la  icniine  décapitée  en  pierre  qui  reste 
l'ensfignc    jiarli'.iito   de    l'une   lico   cucoij/nures  du  quai. 


QUAI  BOURBON.  75 

tinaiices,  ancien  conseiller  au  parlement  de  Paris, 
qui  avait  épousé  en  secondes  noces  Françoise 
Garin,  fdle  d'un  magistrat,  pour  on  avoir  jusqu'à  sept 
entants,  entre  autres  une  abbesse  de  Panthemont. 
Au  commencement  du  règne  suivant,  l'hôtel  Char- 
ron était  entre  les  mains  de  Francois-Louis-Phi- 
lippe-Jacques  de  Vitry.  L'énumération  des  maisons 
et  des  lanternes  du  quai  Bourbon  donnait  alors  : 
33,   10. 

Une  façade  à  trois  frontons  et  un  joli  balcon, 
signalent  à  notre  attention  quelques  portes  plus 
bas  l'ancienne  résidence  d'un  magistrat  du  xyii"-" 
siècle.  Beau  plumage  et  belle  envergure!  Mais 
un  hôtel  de  la  première  volée  n'est  pas  un 
oiseau  rare  dans  l'île  Saint-Louis.  Notre  épo- 
que n'en  vient-elle  pas  à  trouver  de  telles  mai- 
sons trop  grandes  ?  On  en  donnerait  gratis 
qu'on  ne  trouverait  plus  personne  pour  y 
vivre  sans  mettre  à  la  porte  des  écriteaux  d'ap- 
partements à  louer.  Celle-ci  montre,  au-delà 
de  sa  large  cour,  quelques  arbres  éloignés  du 
bruit  qui  ont  été  plantés  quand  Nicolas  de  Jassaud, 
maître  des  requêtes,  faisait  jeter  ses  fondements, 
peu  de  temps  après  que  le  grand  siècle  fût  entré 
dans  sa  seconde  moitié  et  dans  son  apogée. 
L'un  des  lîls  de  ce  fondateur  n'a  pas  manqué  de 
voir  le  régent,  car  il  était  exempt  de  ses  gardes- 
du-corps;  Guillaume,  autre  tils  de  Nicolas,  a 
rempli  les  fonctions  de  conseiller  en  la  grand' 
chambre  dès  1681,  et  est  mort  trente -sept  ans 
plus  tard,  laissant  pour  lils  aîné  Pierre-Guillaume, 
lui-même  conseiller  en  17iJ^.  Des  chevaliers,  mem- 
bres de  cette  famille,  se  qualitiaient,  au  xvur- 
siècle,  seigneurs  de  Boischantel,  de  Bornanville, 
etc.,  plus  volontiers  qu'ils  ne  portaient  leur  nom 
patronymique. 

Mais     un     Jassaud,     seigneur    d'Arquinvilliers, 
s'était  rendu  locataire  en  169!2   d'une    autre  mai- 


76  QUAI  BOURBON. 

son  sur  le  quai,  touchant  aussi,  ou  il  s'en  (allait 
de  peu,  à  la  rue  de  la  Femme-sans-Tète,  el  il 
y  a  payé  assez  longtemps  1,450  livres  de  loyer. 
Aussi,  d'après  une  carte  lopographique,  deux  proprié- 
tés, qu'une  seule  autre  séparait  sur  le  quai,  portaient- 
elles  le  nom  de  ladite  famille,  et  alors  M.  d'Apogny, 
ou  d'Appoigny,  en  avait  une  près  la  rue  des  Deux- 
Ponts. 

La  seconde  maison  Jassaud,  quoique  la  pre- 
mière ait  toujours  tenu  plus  de  place,  s'est  di- 
visée en  deux  ou  trois  logis  d'autant  plus  aisément 
.qu'il  y  a  eu  trois  portes,  deux  sur  le  quai  et 
nne  sur  la  rue,  dont  la  clef  ne  coûtait  que  300 
livres  par  année  an  locataiie  qui  avait  pour  voi- 
sin M.  Jassaud  d'Arquinvilliers.  Mais  pourquoi 
ne  pas  remonter  i\  l'origine  de  cette  trinité  loca- 
tive?  D'abord,  en  l'année  1620,  Marie  et  consorts 
vendent  le  sol  à  Forestier,  maitre-tailleur;  sa 
veuve,  vingt  ans  après,  y  a  pour  successeur  son 
gendre  Chabas,  lequel  proi)riétaire  a  pour  tenants  : 
d'une  part  Guillaud,  marcliand  de  bois,  d'autre 
part  M''  Gayant,  procureur  au  Cliàtelet,  et  Lliuil- 
lier,  maître  des  comptes,  et  d'un  bout  par-der- 
rière Auger,  charpentier  de  bateaux.  Rangé  sous 
la  censive  du  roi,  le.  lot  dont  il  s'agit  demeure, 
en  outre,  grevé  des  12  deniers  par  toise  de 
rente  temporaire  dont  toutes  les  places  à  bâtir 
ont  été  chargées  au  i)roht  des  suzerains  do  la 
spéculation  insulaire,  PouUelier,  Le  Hegrattier, 
Marie;  mais  cette  rente  est  due  u  MM.  du  cha- 
pitre de  Notre-Dame,  par  suite  d'arrangements 
nouveaux,  lorsque  le  sieur  Chabas  transmet  h 
titre  d'échange  la  même  portion  de  terre  à  mes- 
sire  Nicolas  Gaillard,  ([ui  enlhi  lait  bâtir  l'hôtel, 
et  qui,  d'ailleurs,  a  acheté  de  Sarrus,  un  con- 
seiller au  parlement,  211  autres  toises  15,825 
livres.  L'an  1653,  Gaillard  marie  son  fils  et  lui 
donne  la  maison,  avec   sa  position   de   conseiller 


QUAI  BOURBON.  77 

du  roi,  audileur  eu  la  chambre  des  comptes, 
qui  a  coûté  72,000  livres;  M"''  Cousiuet,  de  sou 
côté,  apporte  eu  dot  (3^2,000  livres,  espèces  ne 
demaudaut  qu';i  trébucher.  Deveuu  seigueur  de 
Pommeray,  que  sais-je  eucore  !  le  jeuue  Gaillard 
résigne  avant  peu  sa  charge  d'auditeur,  saus  se 
résigner  davantage  à  celle  d'époux  irréprochable. 
Neuf  années  d'exercice  sulhsent,  en  revanche,  à 
la  patience  conjugale  de  M""  Gousinet,  et  elle 
obtient  judiciairement  cette  séparation  de  corps 
qui  entraîne  toujours  la  séparation  des  biens,  et  ces 
deux-là  l'ont  du  moins  bon  ménage.  Bien  que  les 
créanciers  de  Pommeray  se  lancent  dans  la  procé- 
dure après  sa  mort,  la  propriété  répond  des  reprises 
de  la  veuve,  qui  la  lègue  à  son  second  mari,  Thomas, 
sieur  de  la  Tour,  et  ce  dernier  se  remarie  lui- 
même  avec  dame  Geneviève  "de  Thibert,  déjà 
veuve  de  Lacour,  un  des  marchands  de  vin  de 
Loufs  XIV.  En  l'allait-il  donc  plus  que  ce  divorce, 
suivi  de  trois  ou  quatre  veuvages  qui  y  ressem- 
blent, pour  que  l'immeuble  passant  de  main  en 
main  procédât,  presque  de  lui-môme,  à  sa  pro- 
pre sortie  d'indivision'.'  Outre  que  les  infractions  du 
premier  lit  ont  bien  pu  écorner  l'hôtel,  tout  ap- 
port, à  force  d'être  couché  dans  les  contrats, 
s'use  en  vertu  de  la  même  loi  que  la  vigueur 
d'un  homme  trop  longtemps  alité,  et  il  s'en  éva- 
pore cliaque  fois  quelque  chose,  outre  ce  qui  se 
noie  dans  l'écritoire  des  notaires.  Peut-on,  d'ail- 
leurs, reprocher  à  des  veuves  d'avoir  aidé  à 
fractionner  ce  que,  faute  de  temps,  Gaillard  de 
Pommeray  n'avait  pas  dissipé  de  l'héritage  pa- 
ternel'? Toute  veuve  se  morcelle  elle-même  en 
convolant.  Aussi  bien  les  deux  ou  trois  lots  de 
la  maison  sont  réunis  postérieurement  par  Nico- 
las Poulet,  secrétaire  du  roi,  lequel  a  pour  acqué- 
reur, vers  la  un  du  xvu''  siècle,  Jean  Le  Bou- 
lengei-,  maître  en  la  chambre  des  comptes.  Cap- 


•78  QUAI  BOURBON. 

pelet,  maître  en  la  même  chambre,  occupe  déjà 
l'aile  de  la  maison  qui  thit  coin  de  rue,  lorsqu'il 
achète  encore,  en  1754,  l'aile  qui  maintenant 
touche  le  n"  23. 

Or,  ce  n'est  pas  seulement  au  21  que  nous 
rencontrons,  quai  Bourbon,  la  famille  Le  Bou- 
lenger.  Pierre-Charles  de  Chavannes,  contrôleur- 
général  à  l'extraordinaire  des  guerres,  acquérait 
la  dernière  maison  du  quai,  vers  la  fin  de  l'année 
1768,  des  hoirs  de  Louis-Charles  Le  Boulenger, 
seigneur  de  Chaumont.  conseiller  du  roi,  maître 
en  sa  chambre  des  comptes  :  deux  de  ces  hé- 
ritiers, sur  trois,  étaient  encore  maîtres  des 
comptes.  L'année  de  la  mort  du  grand  roi  avait, 
vu  Louis  Billard,  seigneur  de  Fontenay,  aban- 
donner l'hôtel  à  Lebrun,  avocat,  en  échange 
d'une  maison  de  campagne  à  Cormeilles,  avec 
droit  au  banc  dans  l'église  de  ce  village  près 
Pontoise.  Jean  Billard  de  Fontenay  l'avait  hérité 
de  sa  femme;  celle-ci  était  fille  de  François 
Levau,  architecte  ordinaire  des  bâtiments  du  roi 
et  de  Mademoiselle,  auteur  de  l'édifice  qu'il  avait 
habité  et  laissé  dans  sa  succession.  François  avait 
j)0ur  frère  Louis  Levau,  architecte  de  l'hôtel  Lambert 
et  directeur  des  bâtiments  du  roi;  de  plus,  il 
denieurait  tout  près  de  Philippe  de  Champagne, 
peintre  de  Sa  Majesté,  comme  on  verra  plus 
bas;  d'où  il  suit  que  si  les  artistes  habitant 
maintenant  l'île  Saint-Louis  croient  y  avoir  uni- 
quement succédé  à  des  robins,  l'erreur  ne  fait 
pas  doute.  II  est  vrai  que  les  arabesques  et  les 
médaillons  qu'on  retrouve  au  premier  étage,  dans 
le  salon,  datent  seulement  du  règne  de  Louis  XV; 
mais  une  plaque  de  fonte  fixée  dans  la  cheminée 
dudit  salon  porte  le  millésime  1659.  La  famille 
Lecoq  a  été  adjudicataire  de  cette  maison-frontière, 
dès  le  9  fioréal  an  ix,  par  suite  de  licitation 
entre  les  deux  fils  de  Charles  de  Chavannes.- 


QUAI  BOURBON.  79 

Que  si  hi  pénultième  propriété  du  quai  Bour- 
bon appartient  su  maire  de  iMontreuil,  descendant 
du  poète  Rotrou,  qui  lui-même  administrait  si 
noblement  une  ville,  elle  a  d'intéressant,  en 
outre,  ses  rapports  d'origine  avec  l'hôtel  Levau, 
et  voici  comme.  Dublet,  juré  du  roi,  vendait  le 
16  novembre  1657,  au  prix  de  22,654  livres,  tant 
à  François  Levau  qu'au  maître-maçon  Charles 
Thoison,  son  beau-frère,  une  place  à  bâtir  de 
227  toises,  dans  l'île  Notre-Dame,  h  la  pointe  du 
pont  Saint-Landry,  place  tenant  d'un  côté  h  celle 
de  Champagne,  "peintre  ordinaire  du  roi,  et  à 
celle  de  Buisson,  menuisier,  et  de  l'autre  côté  faisant 
face  au  quai  Bourbon,  etc.  Ce  lot  appartenait  au 
sieur  Dublet,  comme  faisant  partie  d'un  terrain 
à  lui  adjugé  par  les  successeurs  de  Marie  aux 
termes  d'un  contrat  signé  iVAnnouU;  des  murs 
de  fondation  y  existaient  déjà  quand  l'adjudicataire 
s'en  était  dessaisi.  A  Thoison,  qui  était  de  moitié 
avec  son  beau-frère,  il  échut  de  quoi  bâtir  le 
n"  51. 

Au  reste,  sur  le  quai  dont  nous  nous  occu- 
pons, les  liens  de  parenté  entre  insulaires  don- 
nent à  leurs  maisons  l'air  de  famille;  l'isolement  n'y 
est  qu'accidentel.  Le  gendre  de  Levau,  que  nous 
vous  citions  tout  à  l'heure,  est  le  père  de  Louis- 
Hubert  Billard  de  Fontenay,  maître-d'hôtel  du 
roi,  qui  a  laissé  le  49  à  Maussion  de  Candé,  son 
gendre,  mort  conseiller  au  grand-conseil  en  1758,  Les 
fils  de  Maussion,  l'un  seigneur  de  Candé  et  conseiller 
au  parlement,  l'autre,  seigneur  de  la  Frizelière  et 
membre  du  grand-conseil  comme  son  père,  ont 
vendu  le  4  juillet  1767  à  Jacques  Poirée,  joaillier, 
deucG  maisotis  en  face  du  yont  de  bois,  joignant 
Vune  Vautre,  occupée  Vune  par  Constantin,  pro- 
cureur au  parlement,  et  Vautre  par  le  sieur  de 
Blanzac.  Les  numéros  de  ces  deux  maisons 
juxta-posées  sont  aujourd'hui  49,  45,  car  le  n"  47 


80  QUAI  BOURBON. 

a  disparu  à  tout  jamais  :  c'est  une  échoppe  d'é- 
crivain public,  à  roulettes,  qui  répond  pour  le  chiffre 
absent. 

On  peut  croire,  qui  plus  est,  que  le  n"  43  a 
lait  trio  avec  les  deux  autrefois  réunis,  et  que 
des  dépendances  s'y  ajoutaient  encore  par-der- 
rière. Son  escalier  à  balustres  de  bois  s'éclaire 
sur  une  cour  banale,  qu'un  petit  mur  divise  en 
plusieurs  cases,  lesquelles  rayonnent  autour  d'un 
puits  commun.  Au  lieu  de  s'égayer  de  palier  eu 
palier,  la  vue  dont  on  jouit  en  montant,  par  les 
échappées  qui  s'y  superposent,  linit  par  être  à  l'ex- 
cès pittoresque.  Ces  derrières  d'hôtel,  qu'ils  aient 
appartenu  ou  non  ii  un  maître-d'hôtel  royal, 
aljusent  de  ce  que  les  ordonnances  concernanl 
l'entretien  externe  regardent  seulement  les  façades; 
on  néglige  dans  le  font  jusqu'à  l'échenillage  :  trop 
de  mousse  grimpante  sur  des  murs  décrépits  et  pas 
assez  de  vitres  aux  fenêtres,  voilà  un  double 
signe  d'abandon  (|ui  devrait  être  justillé  par  la 
lèpre!  En  179ïî,  le  io  avait  pour  tenants  à  l'orient 
un  immeuble  au  citoyen  Vilard  de  Passy  et  de 
l'autre  côté  un  immeuble  à  la  citoyenne  veuve 
de  Jacques  Poirée,  sur  le  quai  de  la  République, 
daus  l'Ile  de  la  Fraternité. 

Napoléon,  dès  le  Consulat,  Ut  appeler  d'Alen- 
(;on  ce  quai,  qui,  après  lui,  reprit  son  premier 
nom;  mais  alors  Vitard  do  Passy  habitait  une 
autre  Ile,  celle  de  la  Réunion;  il  vendait,  par 
procuration,  à  des  merciers  de  la  rue  Saint-Denis, 
les  sieurs  Ducatel  et  Mercey,  la  maison  qu'il  te- 
nait de  sa  femme,  veuve  en  premières  noces  de 
Monguillon,  tils  décrassé  d'un  procureur  au  Chà- 
telet. 

Au  nom  de  la  République  également  a  eu  lieu, 
le  'ii  tloréal  an  vu,  l'adjudicntion  régulière  du 
fonds,  tresfonds,  propi^iétr,  superficie  et  jouissance 
d'un  grand    immeuble    touchant  celui    de    Vitard 


QUAI  BOURBON.  81 

(le  Passy,  au  profit  de  la  citoyenne  Marie-Adé- 
laïde de  Loynes,  veuve  de  François-Auguste  Le- 
clerc  de  Lamotte,  propriétaire  antérieurement.  Ce 
bien  se  composait  du  n"  l->9,  que  des  réparations 
ont  rajeuni  du  haut  en  bas,  et  du  37,  dont  la 
vieille  porte  est  encore  piquée  de  fer.  En  1774, 
la  même  propriété,  placée  sous  la  censive  de 
l'église  de  Paris,  s'était  vue  l'objet  d'un  litige 
entre  le  marquis  de  Bonneval  et  Marguerite  Fré- 
zeau  de  la  Frizelière,  son  épouse,  non  commune 
en  biens.  Le  nom  pimpant  et  frisque  de  la  noble  dame 
nous  rappelle  qu'un  de  ses  parents  contracta 
liymenée  avec  la  nièce  du  poète  Le  Roy,  auteur 
de  ballets  et  d'opéras,  et  que  leur  lille  fut  mar- 
quise de  Persan;  quant  au>c  Bonneval,  voici  leur 
armes  :  «  d'azur  à  un  lion  d'or,  armé  et  lam- 
passé  de  gueules;  support  :  deux  grillons  d'or.  » 
Bien  que  l'uuion  fût  assez  assortie,  ne  nous  éton- 
nons pas  que,  sous  leurs  pieds,  ait  levé  la 
graine  processivs  qu'y  avait  semée  à  pleines  mains 
le  propriétaire  précédent,  procureur  au  Cliâtelet 
ayant  nom  maître  Pierre  Roy. 

Lorsque  les  plaideurs  hésitaient  à  passer  l'eau 
pour  élire  domicile  chez  ce  procureur  insulaire, 
il  s'intentait  des  procès  à  lui-même,  d'abord  pour 
ne  pas  déroger.  Exemple  :  une  de  ses  deux  mai- 
.sons  (le  37),  dont  il  a  en  partie  démoli  l'édifice, 
pour  le  mieux  rétablir,  et  agrandi  le  jardin,  se 
trouve  décrétée,  au  commencement  de  1695,  à  la 
requête  de  son  confrère  Barbier,  qui  l'a  saisie 
pour  en  faire  le  gage  d'une  faible  créance.  Donc 
les  criées  ont  lieu  sur  les  marches  de  l'église. 
Saint-Louis,  et  tous  les  paroissiens  de  s'apitoyer 
sur  le  désrstre  qui  menace  un  des  leurs.  Oh! 
que  les  bonnes  gens  sont  déjà  bêtes  en  ce  temps- 
là  !  Le  décret  n'est  qu'un  leurre  imaginé  à  bon 
escient  par  ce  matois  de  procureur,  qui  tient  ù 
passer  pour   gêné,  et  la  preuve  en  existe  parmi 


82  QUAI   BOURBON. 

les    titres    de    propriété,    dans    la    contre-lettre 
suivante  : 

Il  Je  sotxssgaé,  procureur  en  parleineuf.  reconnois 
que  qnoy  qu'il  paroisse  par  uu  projet  de  senteuce 
que  ÎNIonsieur  R03-,  procureur  en  U  Cour,  mon  con  • 
frère,  me  doivi;  la  somme  de  500  livres,  poilée  eu  Ja 
promesse  y  mentionnée,  néanmoins  la  vérité  est  que 
je  n'ay  ])oiut  de  promesse  de  luy  et  qu'il  ne  me  doit 
aucunes  choses,  ne  luy  faisant  que  prester  mon  nom, 
pour,  à  ma  requête,  faire  prendre  un  décret  volontaire 
sur  lui  de  sa  maison  qu'il  a  acquise  de  la  veuve  et 
des  héritiers  de  M.  du  Corroy,  au  moyen  de  quoy 
la  sentence  qui  interviendra  en  conformité  du  projet 
ne   pourra   avoir  aucun    effet   à    mon   égard. 

Fait  ce   décembre   l(i94. 
Barbier.    » 

François  du  Corroy,  secrétaire  de  la  chambre 
du  roi,  a  en  etïet  cessé  de  vivre  lorsque  sa 
maison  fixe  l'attention  de  trois  honnêtes  procu- 
reurs, Monguillon,  Bourjot,  Roy,  brelan  d'amis 
qui  se  servent  de  prête-nom  l'un  à  l'autre  pour 
déprécier,  surenchérir,  acheter  ou  revendre,  dans 
l'île  ce  qu'ils  y  trouvent  disponible,  et  Roy  se 
fait  aider  par  ses  deuv  acolytes  pour  amener 
l'opération  à  bien.  Un  peu  avant  cette  mutation, 
la  veuve  ou  la  sœur  du  défunt  administre  la  pro- 
priété, loi'sque  les  syndics-directeurs  qui  ont  suc- 
cédé à  Marie  remplacent  la  rente,  originairement 
garantie  à  ce  dernier  sur  chaque  maison,  par 
une  contribution  foicée  de  8  livres  par  toise 
une  fois  i)ayées  et  pour  libération  définitive  (an- 
née 1693).  kn  remontant  enfin  h  l'origine  de  la 
construction  on  .encontre  Bertrand  du  Corroy, 
juré-mesureur  de  grains,  père  de  François.  Un 
devis  notarié,  qui  se  retrouve  aux  pièces,  a  été 
disposé  en  1640  et  témoigne  de  la  prud'hommie 
de  Du   Corroy,  tenant   à  prévoir  au  juste  la  dé- 


QUAI  BOUÏIBON.  83 

pense;  seulement  un  des  maçons  ne  sachant  pas 
signer  son  nom,  on  lui  a  demandé  une  croix,  et  il 
a  dessiné  un  marteau,  qui  conclut  mieux,  vu  la 
nature  de  l'acte.  Le  39,  il  est  vrai,  n'a  pas  eu 
le  même  fondateur  que  le  37  ;  quatre  ans  après 
avoir  pendu  sa  première  crémaillère,  le  juré-me- 
sureur s'est  arrangé  de  l'autre  bâtiment  avec  un  con- 
seiller au  parlement,   Michel  Parrua. 

Le  citoyen  Courmont  disposait  en  l'an  vu  du 
n"  35,  où  avait  résidé  en  1789  M.  Hermant,  mi- 
nistre du  prince  évoque  de  Spire.  Au  milieu  du 
même  siècle,  un  conseiller  au  grand-conseil  avait 
eu  également  ses  pénates  sous  ce  large  toit; 
c'était  Choppin  de  Gouzangré,  qui  depuis  long- 
temps aussi  remplissait  \â  charge  de  premier 
président  à  la  cour  des  Monnaies.  Le  père  du 
président  avait  été  lieutenant-criminel,  et  son  fds, 
Charles-Etienne,  entrait  au  parlement  avec  la 
qualité  de  conseiller  en  i7oi.  L'hôtel  n'a  pas 
porté,  que  nous  sachions,  le  nom  de  cette  famille, 
originaire  de  l'Anjou,  qui  pouvait  bien  n'en  être 
que  locataire.  Des  sculptures  et  un  balcon  déco- 
rent sa  façade;  quelques  peintures  qui  ont  passé 
le  temps  où  la  mode  les  traitait  de  surannées, 
Ibnt  dessus-de-portes  h  l'intérieur. 

Cette  épée  flamboyante  d'archange  qui  a  chassé 
Adam  du  paradis  terrestre  semble  s'être  allongée, 
tordue  en  arabesque,  pour  aider,  au  contraire, 
depuis  pkis  de  deux  siècles,  à  monter  l'e^^calier 
du  n"  33,  dont  la  splendeur  déchoit  évidemment 
depuis  que  la  marquise  de  Nesles  n'y  est  plus, 
en  d'autres  termes,  depuis  la  fin  du  règne  de 
Louis   XVIII. 

Quel  beau  morceau  ensuite  que  la  porte  du  31, 
toute  lardée  de  gros  clous  à  tête!  La  maison 
attenante  est  ferrée  d'une  rampe  d'escalier  comme 
on  ne  saurait  plus  en  battre;  elle  aidait  à  mon- 


84  QUAI  BOURBON. 

ter,  en  1750,  messire  Roualle  de  Boisgelou,  non 
pas  II  des  honneurs  (Boisgelou  était  déjà  membre 
du  grand-conseil),  mais  tout  bonnement  à  son 
appartement.  Saluons  dans  le  25  un  des  doyens 
de  l'île  Saint-Louis;  on  dit  que  ce  fut  un  des 
hôtels  du  duc  de  Nevers,  neveu  de  Mazarin. 
Comme  le  9  appartient  à  M.  de  Gheldre,  nous 
voilii  obligé  de  renvoyer  notre  lecteur  au  n"  34 
de  la  rue  Bourbon-Vifleneuve,  dans  notre  publi- 
cation même  :  ce  multiple  propriétaire  ne  reçoit 
de  bonne  grâce  ses  locataires  eux-mêmes  que  le 
jour  du  terme. 

Au  reste,  en  se  rapprochant  de  la  rue  des 
Deux-Ponts,  les  façades  du  quai  changent  d'aspect  ; 
leurs  portes,  qui  sont  bâtardes,  font  ressortir 
l'ampleur  des  autres,  '  qui  convenait  si  bien  h  la 
grande  robe.  Finissons-en  par  le  n"  1,  dont  l'allée 
basse  et  l'escalier  sans  rampe-  se  font  jour  avec 
peine  :i  travers  une  bâtisse  portant  assurément 
deux  siècles,  mais  magnifique  encore  de  suffisance, 
comme  un  gueux  qui  s'en  va  drapé  de  son  manteau 
remis  à  neuf;  pourtant,  que  dis-je  !  dans  le  nombre 
des  gens  qui  franchissent  son  allée  basse,  ses 
degrés  inégaux,  il  en  est  qui  soupirent  après  un  lit 
dressé  dans  une  maison  encore  plus  modeste  : 
c'est  un  bureau  de  placement. 


La  rue  ei  rSiiipassc  dos  Boiii*<1oiiiiais.  (i) 


J.   —  Entre  la   Rue   de  la   Poterie   et  la 
Rue  Saint-Honoré. 

Une  maison  qu'il  a  fallu  couper,  en  1787,  pour 
percer  la  petite  rue  Lenoir,  et  qui  se  retrouve 
aujourd'hui  rue  des  Bourdonnais,  4o,  appartenait, 
d'après  le  plan  de  Turgot,  à  la  rue  de  la  Chaus- 
setterie,  maintenant  incorporée  h  celle  Saint- 
Honoré.  En  elVet,  li  travers  une  grille,  voyez  cette 
cour  réduite  de  moitié,  ces  balcons  ou  plutôt  ces 
ponts  renouant  à  chaque  étage  la  communication 
interrompue  ;  voyez  enfin  ces  jours,  pris  sur  la 
rue  par  des  simulacres  de  croisées,  comme  dans 
un  décor  de  thécàtre.  Le  nom  propre  qu'on  ne  lit 
déjà  plus  sur  les  écriteaux  bleus  à  lettres  blan- 
ches était  celui  de  Lenoir,  lieutenant  de  police  : 
le  bout  de  rue  dédié  à  ce  magistrat  a  mis  en 
appétit  la  rue  des  Bourdonnais,  qui  a    fini    par 


(1)  Notice  écrite  eu  1R58.  Il  s'en  lallait  alors  de  quel- 
que chose  que  la.  rue  -des  Bourdonnais  se  prolongtàt 
jusqu'à  l'einplacement  de  la  rue  Berger  actuelle  :  à  celle 
extrémité  elle  s'est  élargie  et  remise  à  neul',  depuis  la 
rue  Saint-Honoré,  et  la  nouvelle  rue  des  Halles  la  croise 
au  même  carrefour.  L'autre  bout  a  changé  de  niveau, 
comme  le  quai  de  la  Mégisserie,  mais  seulement  pour 
les  voilures  :  des  marches  et  des  parapets  réservent 
aux  piétons  deux  trottoirs  à  l'ancienne  élévation.  Tout 
y  est  de  construction  nouvelle  jusqu'à  la  rue  Saint- 
Oermain-l'Auxerrois,  qui  naguère  traversait  la  rue  des 
Bourdonnais,  mais  qui  n'y  donue  plus  que  d'un  côte. 
L'une  des  autres  maisons  séculaires  qui  ont  disparu 
était  au  fond  de  l'impasse  des  Bourdonnais,  maintenant 
à  jour,  qui  conduirait  à  ia  nouvelle  rue  du  Pont-Neuf  si 
une   barraque  n'y  mettait  le    holà. 

6 


8(1    LA  RUE  ET  I/IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

n'en  l'aire  qu'une  boucliée,  pour  se  trouver  encore 
plus  près  des  Halles.  Le  passage  de  l'Échaudé, 
déjà  ouvert  sous  Louis  XIV,  allait  de  la  rue  au 
Lard  à  la  boucherie  de  Beauvais,  rue  de  la  Poterie, 
et  la  viande  s'étalait  jusque  dans  ce  passage.  Une 
porte  à  colonnes,  dominée  par  un  grand  balcon, 
fait  remarquer  la  plus  moderne  des  maisons  de 
l'ancienne  rue  Lenoir  ;  l'arcliitecte  Souris  l'édiliait, 
sous  Louis  XVI,  pour  M"""  Damesme,  marchande 
de  vin  vis-à-vis,  dont  le  fils  ensuite  fut  banquier, 

//.  —  Ancienne  Rue  des  Bourdonnais,  comprise 
entre  les  Rues  Saini-Honoré  et  Rivoli:  26  Maisons, 
7  Lanternes  en  1714. 

Le  nom  de  rue  Adam-Bourdon-et-sire-Guillaume- 
Bourdon  est  porté  tout  au  long,  dès  1297,  par 
celle  qui  l'abrège  un  peu  plus  tard.  Guillaume 
Bourdon  est  de  la  même  époque  et  il  a  un  ou 
plusieurs  frères,  ladite  rue  comptant  alors  de  6  à 
7  Bourdon  pour  habitants. 

La  draperie,  la  bonneterie,  la  toile  et  autres 
branches  du  commerce  des  tissus  ont  leur  café 
de  prédilection  au  coin  des  rues  Saint-Honoré  et 
Bourdonnais;  la  laine  s'y  assouplit,  le  coton  s'y 
détord,  le  crin  lui-même  s'y  amadoue,  depuis 
l'époque  de  la  Convention,,  et  plus  d'un  commis- 
voyageur  y  a  vu,  dans  une  seule  soirée,  jusqu'à 
450  demi-tasses  passer  à  son  débit  ou  à  son 
crédit  sur  le  grand-livre  de  la  dame  du  comptoir. 
Dans  le  cours  du  siècle  précédent,  cette  encoi- 
gnure appartint  à  Foin,  conseiller  au   parlement. 

Les  autres  propriétaires  de  la  rue  des  Bour- 
donnais d'alors  étaient  du  même  côté,  c'est-à-dire 
à  gauche  pour  qui  venait  de  la  rue  Saint-Honoré  : 

M.  Pajû't,  eu  son  hôtel.  —  Le  même,  à  l'enseigne  du 
Grand-Louis.  —  M.  Je  Chaunoy.  —  M.  Boulat)ger.  — 
M.    Roger.   —  Le    même.   —  Le   mciue. 


LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNALS.    87 
Sur  la  droite  se  suivaient  : 

M.   de  Clérambaut,  à  l'angle   de  la   rue  Saint-Honoré. 

—  La  présidente  Boucher,  à  ia  Pomme-d'or.  —  M.  Porlier, 
à  la  Tête-Noire.  —  M"*'  Maillié.  —  La  même,  à  la 
Provideuce.  —  M.  Boutef,  au  Roi-des-Romains  et  à  la 
Croix-d'or.  —  M.  de  Bourgss,  maître  des  comptes,  à 
la   Ville-de-Lj'ou.    —   Le    même,    à    l'Ecu  de-Bretagne. 

—  Les  héritiers   du  président  Roze,  à  ia  Couronne-d'or. 

—  M.  Noblet.  —  M,  Truchot,  greffier.  —  Le  même.  — 
La   veuve  Honoré.  —  M.  Prédot,  architecte. 

Et  la  plupart  de  leurs  maisons  se  retrouvent. 

Le  39  a  eu  beau  changer  d'enseigne,  au  coin  de 
l'impasse  des  Bourdonnais,  sa  Barbe-d'or  ne  reluit 
qu'au  menton  de  l'ancienne  Tête-Noire.  D'autres 
sculptures  peintes  et  des  inscriptions  commerciales 
barriolent  le  mur  extérieur  de  cette  propriété, 
qui  fut  un  petit  hôtel  entre  cour  et  jardin. 
D'autres  logis  bien  plus  considérables  pouvaient 
prétendre  au  doyenné  de  la  rue,  en  tant  que 
dignité  ;  mais  celui-là  pouvait  leur  disputer  la 
doyenneté  d'âge.  La  directe  en  étant  contestée 
au  tief  de  la  Trémoille,  il  y  avait  eu  transaction, 
vers  le  milieu  du  règne  de  Louis  XIV,  entre 
l'Archevêché  et  le  Domaine,  ce  dernier  s'étant 
désisté  de  ses  prétentions  moyennant  compensa- 
tion. M""'  Porlier,  née  Suzanne  Fardoël,  était  pro- 
priétaire à  cette  époque  ;  elle  eut  pour  héritiers 
les  Porlier  de  Compiègne,  se«  fils,  auxquels  succéda 
la  famille  Brochant  en  l'année  1729.  Les  Brochant 
vendirent  à  Barbier,  vingt-neuf  ans  après,  et 
c'est  alors  que  la  Barbe  l'emporta  :  un  jeu  de 
mots  pesait  dans  la  balance.  Barbier  était  mar- 
chand ;  il  n'en  acheta  pas  moins  dans  l'impasse 
et  la  rue  deux  autres  maisons,  contiguës  h.  la 
Barbe-d'or,  l'une  aux  enchères  publiques  et  l'autre 
de  JuUier,  secrétaire  du  roi,  à  l'image  de  la  Reine- 
de-Pologne,  à  l'ancienne  image  de   l'Enfant-Jésus. 


88    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

Il  avait  donc  en  i786  les  \V"  39  et  41  d'à-présent, 
et  le  43  était  au  sieur  Hamelin.  M.  Barbier,  mar- 
chand de  soieries,  s'établissait  encore  en  l'an  IV 
dans  la  principale  de  ces  maisons,  à  la  place  de 
quelqu'un  des  siens. 

La  Barbe-d'Ûr  avait  plusieurs  portes  sur  l'im- 
passe, qui  avait  cessé  d'en  être  une  pendant  le 
règne  de  Charles  VI,  car  elle  se  prolongeait 
alors,  et  pendant  les  règnes  qui  suivirent,  jusqu'il 
la  rue  Tirechappe,  sous  le  nom  de  rtœ  du  Cul- 
de-Sac,  puis  de  rue  qui-aboutit-à-la-rue-des- 
Bourdonnais.  Dans  le  cours  du  xvi'^  siècle,  la 
dénomination  plus  pittoresque  de  ruelle,  puis  de 
cul-de-sac  de  la  Fosse-aux-Chiens,  prévalut  mal- 
heureusement :  elle  rappelle  un  dépôt  local  de 
boues,  de  charognes  et  d'autres  immondices,  qu'eut 
la  ville  au-delà  de  sa  deuxième  enceinte.  De  cette 
voirie  il  restait  quelque  odeur  dans  le  marché 
aux  Porcs  qui  en  avait  d'abord  pris  la  place.  En  l'an 
1319,  on  y  avait  brûlé  deux  femmes  hérétiques,  de  la 
secte  des  Turlupins,  et  cet  autodafé  purement 
d'essai  avait  été  suivi,  trois  siècles  après,  de 
beaucoup  d'autres,  en  vertu  de  la  loi  incessante 
du  progrès;  on  y  avait  aussi  plongé  dans  l'eau 
bouillante  des  faux-monnayeurs,  schismatiques 
dont  l'hérésie  pratique  élàit  autrement  dange- 
reuse. 

Un  peu  avant  la  mort  de  Louis  XIV,  l'impasse 
comportait  déjà  4  maisons  et  2  lanternes,  mais 
encore  conciliantes,  encore  prêtes  à  fermer  les 
yeux  sur  bien  des  choses  :  c'était  pourtant  l'âge 
d'or  du  cul-de-sac  aux  antécédents  fanatiques  et 
pestilentiels.  Ses  murs  bossues,  ses  portes  pres- 
que romanes,  ses  fenêtres,  dont  bien  des  vitres 
sont  en  papier,  d'autres  en  verre  de  bouteille, 
enfin  ses  escaliers  à  marches  déprimées  ont  encore 
moins  dégénéré  que  le  rang  de  ses  habitants.  Nous 
doutons,  il  faut  en  convenir,  qu'Henri  de  Valois, 


LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS.     89 

seigneur  d'Orcé,  historiographe  du  roi,  rencontrât 
plus  de  fondrières  et  de  flaques  d'eau,  au  xvii«  siècle 
que  si  c'était  au  moment  ou  nous  écrivons,  pour 
rentrer  dans  l'hôtel  où  il  vivait  avec  sa  mère  et  ses 
IVères  (2'"'-  porte  cochère  à  gauche  dans  l'im- 
passe). Cette  circonstance  n'était  pas  de  nature  à 
guérir  la  mauvaise  humeur  qui  lui  était  familière, 
mais  qui  ne  l'empêcha  pas  de  se  marier,  à  l'âge 
de  60  ans  et  aveugie,  avec  une  jeune  femme,  de 
laquelle  il  eut  sept  enfants.  Son  frère,  Adrien  de 
Valois,  également  historiographe  et  pensionné 
comme  homme  de  lettres.  Ht  un  mariage  tout 
aussi  peu  précoce.  L'un  d'eux  était  le  père  de 
l'ingénieux  écrivain  Charles  de  Valois,  membre  de 
l'Académie  des  inscriptions  et  auteur  de  Vale- 
siana.  Même  impacse,  n"  6,  un  escalier  à  belle 
rampe  est  de  l'âge  qu'aurait  l'aîné  de  ces  Valois;  un 
maréchal-de-camp  possédait  la  maison,  avant 
qu'elle  fût  réparée  en  1770  par  le  vendeur  du 
grand-père  de  M.  Hérelle,  notre  contemporain. 
Quant  à  la  Fosse-aux-Chiens,  son  nom  a  été 
supprimé  seulement  en  1808,  sur  la  demande 
des  habitants,  accueillie  par  M.  Frochot,  préfet  de 
la  Seine. 

Voici,  du  reste,  quels  étaient  les  voisins  de 
la  précitée  M'"*  Porlier  dans  le  cul-de-sac  où  elle 
avait  au  moins   une  porte  cochère  : 

Alexandre,  au  Château-Couronné,  où  l'on  entrait  par 
la  rue  Saint-Honoré.  —  Gaillard,  porte  cochère  (an- 
cien hôtel  Valois).  —  Godeheu,  enlrôe  rue  Tirechappc. 
—  L'abbé  Gilbert,  Hem.  —  De  Mennes,  banquier,  porte 
cochère.  —  Boutet.  entrée  por  le  cul  de-sac  et  par  la 
rue  des  Bourdonnais.  —  M"e  Maillet,  futrée  par  la 
rue  des  Bourdonnais". 

Les  4  maisons  oHiciellement  portées  â  l'avoir 
du  cul-de-sac  étaient  probablement  celles  de 
Barbier,   de  Gaillard,   du  bantiuier  Mennes  et  de 


00    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

Boulet.  .M.  de  Fromand  était  propriétaire  dans 
le  fond,  sur  la  fin  de  l'ancien  régime. 

L'hôtel  Valois,  au  reste,  dépendait  de  l'hôtel 
Mazarin  (n"  35  de  la  rue)  :  quoi  d'étrange  à  ce 
que  le  cardinal-ministre  logeât  Henri  de  Valois, 
auquel  il  servait  une  pension,  tout  comme  le 
président  de  Mesmes,  et  qu'il  mit  sur  son  tes- 
tament! Alors  on  se  préoccupait  peut-être  un 
peu  trop  tôt,  mais  cela  vaut  encore  mieux  que 
trop  tard,  du  qu'en  dira-t-on  de  l'histoire,  qui, 
pour  ne  pas  s'écrire  dans  un  grenier,  loin  des 
secrets  d'Etat,  ne  les  en  surprenait  que  mieux. 
L'unité,  il  est  vrai,  n'en  avait  pas  fait  une  énigme 
diflicile  à  déchiffrer  ;  il  y  avait  en  ce  temps-là  non- 
seulement  les  vœux  et  les  prétentions,  mais  encore 
les  droit  des  parlements,  des  juridictions,  de  l'Eglise, 
des  paroisses,  des  provinces,  des  communes,  des 
seigneuries  et  de  la  bourgeoisie,  pour  contredire 
au  bon  plaisir  du  roi,  des  princes  du  sang  et 
des  ministres,  qui  seraient  maintenant  désolés 
d'avoir  aflaire  à  si  forte  partie.  L'historiographe 
du  roi  et  celui  de  la  Ville  jouissaient  alors  de 
plus  d'indépendance  encore  que  la  presse  oflicielle 
et  officieuse  de  notre  temps;  mais  les  mémoires, 
ces  épreuves  de  l'histoire,  faisaient  toujours  de 
l'opposition.  Aussi  bien  l'hôtel  Mazarin  de  la  rue 
des  Bourdonnais  doit  avoir  été  peu  de  temps  et  de 
bonne  heure  la  résidence  en  titre  du  cardinal, 
qui  avait  commencé  par  recevoir  à  Paris,  comme 
nonce  du  pape,  l'hospitalité  de  Richelieu,  dont  il 
était    la    créature. 

Gomboust,  lorsqu'il  gravait  son  plan  de  Paris, 
soulignait  cet  hôtel,  bâtiments  et  jardins,  d'une 
légende  microscopique  en  lettres  italiques,  laquelle 
au  moyen  d'une  loupe  nous  avons  déchiffrée  ainsi  : 
La  Donania  ;  l'invraisemblance  de  cette  version 
trahissant  une  faute  d'impression,  nous  croyons 
(pie    l'hôtel    Mazarin    était    devenu    La  Douane. 


LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS,     n 

Il  se  peut  néanmoins  que  ce  fût  ou  Le  Domaine 
ou  La  Monnaie.  Celle-ci,  à  la  vérité,  s'étendait 
plus  tard  de  la  rue"  de  la  Monnaie  aux  rues 
Bouclier  et  Thibautodé,  c'est-à-dire  plus  bas  ; 
mais  ayant,  par  ordre  de  Louis  XIII,  essayé  de 
s'établir  au  Louvre,  elle  avait  pu,  après  cela,  se 
contenter  quelque  temps  d'un  local  provisoire.  En 
1623  une  propriété,  donnant  du  même  côté  sur 
la  rue  et  du  même  sur  le  cul-de-sac,  avait  ap- 
partenu à  Levieulx,  et  il  est  probable  que  nous 
la  revoyons  aujourd'hui  dans  l'ancien  séjour  de 
Mazarin,  dans  l'ancien  Roi-des-Romains  et  dans 
l'ancienne  Croix-d'or.  Michel  Boutet,  l'un  des 
quartiniers  de  la  ville  de  Paris,  y  demeurait  déjti 
lorsqu'il  acquit,  en  l'année  1699,  le  tiei"  de  la 
ïrémoille.  Mais  le  moyen  que  cette  terre  noble  ne 
lût  pas  dès-lors  divisée  !  Ne  tigure-t-ello  pas  parmi 
les  neuf  tiefs  dont  l'historien  Sauvai,  mort  en 
1670,  avait  'i  sa  manière  passé  reconnaissance  à 
l'archevêque  de  Paris?  Comme  un  hôtel  superbe 
se  fait  encore  sentir  dans  les  trois  corps  de  logis 
de  Boutet,  maintenant  i\.  M.  Lesage  de  Mongey! 
Les  marchandises  l'encombrent,  il  ne  plie  pas  ! 
De  magnifiques  escaliers  en  pierre,  larges  comme 
ceux  des  Tuileries,  prêtent  leurs  rampes  de  fer 
aux  mains  calleuses,  bien  que  l'un  d'eux  soit 
encore  décoré  du  chiffre  de  Son  Eminence.  M.  de 
Mongey  a  transporté  dans  sa  maison  de  cam- 
pagne un  immense  portrait  du  cardinal,  dont  la 
famille  Séguier  a  la  copie,  et  qui  ornait  le  grand 
salon  du  premier  ;  son  appartement  de  Paris  est 
enrichi  de  consoles  et  de  girandoles,  fortes  en 
dorures,  qu'il  a  fallu  retirer  de  la  même  pièce, 
pour  y  élager  des  rayons.  Le  derrière  de  l'hôtel 
va  être  prochainement,  entamé,  pour  élargir  la 
rue  Tirechappe. 

M.    le  comte  d'Haulerive,    propriétaire    du   33, 
s'est  empressé  de  mettre  ses  titres  ii  la  disposi- 


92    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

tion  de  l'historiographe  des  anciennes  maisons  de 
Paris  ;  malheureusement  ils  ne  vont  pas  plus  haut 
que  le  milieu  du  siècle  précédent,  et  aucun  nom 
propre  n'y  éclipse  ceux  du  détenteur  actuel  et 
de  ses  prédécesseurs  déjà  cités,  les  deux  de 
Bourges,  famille  à  laquelle  s'est  allié  M.  Leroux 
de  Lincy,  archéologue.  Malgré  la  grande  porte  de 
cette  propriété,  elle  a  dû  être  originairement, 
au  cœur  du  flef  de  la  Trémoille,  le  petit  hôtel 
d'un  des  deux  plus  grands  qui   l'enserraient. 

.  Le  31  occupe  l'emplacement  de  la  Couronne- 
d'Or,  qui  avait  été  l'hôtel  des  Carnaulx.  Des 
négociants,  MM.  Cohin  et  C'e,  l'ayant  fait  recons- 
truire en  1841,  ont  donné,  pour  ne  pas  tout 
perdre  de  cet  édifice  merveilleux,  manoir  aux 
pierres  brodées  comme  par  les  fées,  une  tourelle 
et  un  escalier  fort  remarquables  a  l'école  des 
Beaux-Arts.  Deux  pierres  finement  sculptées  ont 
échappé,  toutes  seules,  et  à  la  destruction  et  à  l'exil  ; 
on  les  a  incrustées  de  chaque  côté  du  portail,  à 
l'intérieur  de  ce  temple  du  commerce  aux  comp- 
toirs si  multipliés.  Les  arabesques  enchâssées  dans 
cette  cour  rappellent  aux  initiés  l'histoire  de  la 
maison  la  plus  célèbre  de  la  rue.  La  totalité  n'en 
fut  pas  construite  par  Pierre  Le  Gendre,  tréso- 
rier de  l'extraordinaire  des  guerres  sous  Louis 
XII,  car  elle  avait  été  dès  le  xni«  siècle  séjour 
royal  :  Philippe-le-Bel,  puis  Charles  d'Orléans, 
frère  du  roi  Jean,  y  avaient  résidé.  Guy  de  la 
Trémoille  fut  fiefié,  le  premier,  de  la  grande  et 
de  la  petite  Trémoille  ;  il  en  fit  décorer  le  chef- 
lieu  avec  un  goût  auquel  on  rend  encore  hom- 
mage. Vint  ensuite  Louis  de  la  Trémoille,  sur 
qui  le  roi  ne  vengea  pas  les  injures  faites  au 
duc  d'Orléans.  Petite  terre  pour  de  grands-ofli- 
ciers  de  la  Couronne,  mais  bien  située,  îi  quel- 
ques pas  du  Louvre!  Ils  y  avaient  droit  de 
justice,    et   leur   censive  se   maintint   jusqu'à  la 


LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS.    9:5 

Révolution  au  profit  de  leur  ayant-droits,  sur  tous 
les  terrains  aliénés  de  l'une  et  de  l'autre  Tré- 
moille.  Les  sires  de  cette  vaillante  race  lurent 
même  de  maison  souveraine  :  Anne  de  Laval, 
fille  de  Charlotte  d'Aragon,  princesse  de  Tarente, 
en  épousant  un  membre  de  cette  famille,  lui 
apporta  ses  prétentions  au  trône  de  Naples  en 
l'année  io21,  et  de  là  vient  le  titre  d'altesse  ac- 
cordé à  leurs  descendants.  Le  grand  hôtel  dont 
nous  parlons  longeait  toute  la  rue  de  Béthisy 
jusqu'à  celle  Tirechappe  (i),  avec  plusieurs  issues. 
Une  portion  tout  au  moins  en  appartenait  à  An- 
toine du  Bourg,  chancelier  de  France,  sous  le 
règne  de  François  I*'';  néanmoins  les  Drapiers 
en  acquéraient  aussi,  dès  1527,  de  quoi  faire 
un  hôtel  pour  leur  communauté;  ils  y  plaçaient 
tout  de  suite  leur  bureau,  et  puis  y  mettaient  les 
maçons,  au  milieu  du  siècle  suivant,  pour  opérer 
une  reconstruction.  L'an  1629,  cette  corpo- 
ration, dont  Philippe-Auguste  avait  érigé  les  sta- 
tuts, demandait  des  armoiries  aux  prévôt  et 
échevins,  et  bientôt  elle  portait  :  un  navire  d'ar- 
gent à  la  bannière  de  France  flottante,  un  œil 
en  chef  sur  un  champ  d'azur.  3Iais  cette  con- 
fi'érie  avait  une  rivale  dans  celle  des  Drapiers- 
chaussetiers,  dont  le  patron  était  ditférent,  et 
qui  lui  disputa  le  pas  jusqu'à,  la  réunion  des 
deux  corps,  en  l'année  1648.  Cependant  Pomponne 
de  Bellièvre,  surintendant  des  linances  d'Henri  III, 
puis  disgracié,  puis  chancelier  de  France  sous  Henri 
IV,  puis  encore  déshérité  de  la  faveur  royale, 
laissa  tout  ce  que  le  chancelier  du  Bourg  avait  eu 
de  l'hôtel  en  sa  possession  antérieure  à  Nico- 
las, un  de  ses  fils,  président  ii  mortier,  doué  d'une 


(1)  La  rue  de  Béthisy  a  été  eii^^lobée  par  le  pro- 
longement de  la  rue  de  Rivoli,  et  celle  Tirechappe 
par  la   nouvelle    rue   du   Pout-Neuf. 


W    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

énergie  héroïque:  ce  dernier  engendra  un  autre 
président,  qui  épousa  la  fille  de  Bullion  le  surin- 
tendant, et  qui  vécut  avec  magniticence,  tout  en 
appliquant  beaucoup  d'argent  à  la  fondation  de 
l'Hôpital-Général. 

La  famille  de  M.  Lacrosse  dispose  depuis 
1820  d'un  immeuble,  sis  à  l'angle  de  la  rue 
Limace  (i),  qui  fut  adjugé  en  1787  à  Muraine, 
marchand  de  draps.  Le  reste  de  ses  antécédents 
se  confond  avec  ceux  d'une  maison  à  laquelle  il 
se  rattachait,  et  dont  nous  allons  vous  parler. 

La  belle  porte,  au  n"  30  !  et  comme  cette  façade 
irait  bien  à  l'ancien  chef-lieu  d'une  Trémoille,  ne 
fût-ce  que  la  petite,  ou  de  quelque  autre  fief! 
La  Trémoille  s'étendit,  en  effet,  d'une  rive  à 
l'autre  de  la  rue  des  Bourdonnais  ;  mais  le 
hef  de  la  Crosse-Saint-Yon  y  occupait  fun  des 
deux  angles  de  la  rue  Boucher,  auquel  vis-à-vis 
était  fait  par  l'un  des  angles  du  fief  Popin.  Pierre 
Legendre,  ce  contemporain  de  Louis  delà  Trémoille, 
ne  fut  pas  moins  pi-opriétaire  au  30  qu'au  31  de 
notre  époque  et  il  doit  y  avoir  d'autres  pré- 
cédents communs  aux  deux  immeubles.  Le 
linancier  du  temps  de  Louis  XTI  remplissait,  sous 
le  règne  suivant,  les  fonctions  de  prévôt  des  mar- 
chands, lorsque  se  livra  cette  bataille  où  tout 
fut  perdu  fors  thonneur.  Il  laissa  son  second 
hôtel,  avec  d'autres  biens,  terres  et  seigneuries, 
à  son  petit-neveu,  Nicolas  de  Neufville,  lequel 
fui  élu  à  son  tour,  en  l'année  1566,  chef  de 
l'édilité  parisienne.  Ce  Neufville,  qui  vécut  encore 
trente-deux  ans,  et  que  le  roi  ht  chevalier  de 
son  ordre,  se  trouva  le  grand'père  du  marquis  de 


(1)  Cette  petite  rue  débouchait  naguère  à  IVndroit  où 
s'élève  une  construction  neuve,  qui  porte  le  n"  3b,  en 
lace  de  l'iuii)atse  des  Bourdonnais  et  de  Ja  Barbc- 
d"Or. 


LA  RUE  ET  LJMPASSE  DES  BOURDONNAIS.    95 

Villeroi,  gouverneur  du  Lyonnais  en  1615,  mort 
à  vingt-sept  années  de  là.  Nicolas,  fils  de  celui- 
ci,  eut,  au  lieu  d'une  province,  l'enfance  de 
Louis  XIV  à  gouverner,  fut  maréchal  de  France, 
puis  duc  et  pair.  Ainsi  la  rue  des  Bourdonnais, 
dans  laquelle  plus  d'un  porte-balle,  venu  à  Paris 
en  sabots,  s'est  érigé  lui-même  en  millionnaire,  a 
vu  se  faire  plus  lentement  la  haute  fortune  des 
Villeroi,  œuvre  de  plusieurs  générations.  Le  maré- 
chal vivait  encore  lorsque  Pajot  prit  possession  de 
la  propriété,  ayant  une  seconde  entrée  rue  des 
Déchargeurs,  et  le  nouveau-venu  en  lit  bientôt  l'hôtel 
des  Postes,  dont  il  était  contrôleur-général  :  Pajot, 
reçu  secrétaire  du  roi  en  1680,  était  l'époux  de 
Marie-Anne  Oger,  dame  de  Villers,  Onz-en-Bray 
et  Saint-Aubin.  Son  ills,  comte  d'Onzembray,  fut 
aussi  contrôleur-général  des  postes  et  relais  de 
France,  et  de  plus  gendre  de  Rouillé,  son  pré- 
décesseur ;  ils  avaient  leur  hôtel  de  campagne  à 
Bercy,  où  mourut  plus  tard  Louis-Léon,  un  de  leurs 
enfants,  honoraire  de  l'Académie  des  Sciences, 
ancien  intendant-général  des  postes,  et  dont  un  frère 
aussi,  Pajot  de  Villers,  avait  rempli  les  fonctions  qui 
sortirent  si  difficilement  de  leur  lamille.  Les  hon- 
neurs du  Mercure  de  France  ont  été  faits  en  septem- 
bre 1739  aux  d'Onzembray,  dont  le  savant,  mort 
sexagénaire  en  1754,  avait  nommé  son  légataire  uni- 
versel Léon-François  Le  Gendre  d'Onzembray,  lieu- 
tenant-général des  armées  du  roi.  Leur'  hôtel 
s'adjugea  en  1768  à  Antoine  Gérard  Galley,  direc- 
teur des  bâtiments  du  roi.  M.  Combe,  direc- 
teur de  l'entrepôt  des  verreries  de  Saint-Quirini, 
achetait  la  même  propriété,  en  1792,  des  hoirs 
de  Ducloslange,  décédé  secrétaire  du  roi  cinq  ans 
avant.  Enfin  Tollard,  marchand  de  graines  et 
médecin,  prenant  aussi  dans  les  contrats  sa  qualité 
d'auteur  du  Traité  des  Végétaux,  léguait  l'immeuble 
en  1842  à  M.  Gervais. 


9U    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

Encore  une  maison,  le  28,  détachée  de  l'hôtel 
voisin  et  qui  a  été  pour  le  moins  tributaire  du 
lief  de  la  Trémoille. 

Mais  en  scrutant  ainsi  la  vie  privée  de  l'ancienne 
rue  des  Bourdonnais,  pour  en  livrer  h  la  publicité 
des  particularités  caractéristiques,  où  allons-nous 
placer  un  hôtel  de  Fleury,  dont  Sauvai  ne  nous  a 
rien  dit,  mais  qu'il  a  dû  connaître  ?  C'était  assu- 
rément l'une  des  maisons  dont  nous  venons  de 
forcer  la  porte. 

III.  —  Ancienne  Rue  Thihautodé,  ajoutée  à  celle  des 
Bourdonnais  en  1852  :  29  Maisons,  6  Lanterties 
en  1714. 

Ce  tronçon  de  la  rue  dont  nous  nous  entre- 
tenons serpente  entre  la  rue  de  Rivoli  et  celle 
Saint-Germain-l'Auxerrois.  Ïhibaut-Odet,  trésorier 
d'Auvergne  en  1242,  lui  aurait  donné  son  premier 
nom,  au  dire  de  l'abbé  Lebeuf;  toutefois  on 
écrivait  rue  Thihault-aux-Dez  au  siècle  xni,  et 
cette  orthographe  nous  reporte  à  l'existence  pro- 
bable d'un  joueur  heureux,  qui  a  bâti  pignon 
sur  rue  au  lieu  de  se  jeter  ù  l'eau.  Au  début  du 
règne  de  Louis  XV,  des  boutiques  commençaient 
à  remplacer,  au  rez-de  chaussée  des  maisons  de 
cette  rue,  les  écuries  des  petits  hôtels  de  magis- 
trat qui  s'y  trouvaient,  mais  qui  étaient  plus 
divisés  et  par  conséquent  plus  nombreux  que  les 
immeubles  de  notre  époque,  affectés  au  commerce 
en  gros  pour  la  plupart.  Les  édifices,  à  la  divi- 
sion près,  sont  demeurés  ce  qu'ils  étaient  alors 
([u'il  en  ressortissait  de  la  Trémoille.  Néanmoins 
le  fief  Popin  fut  dit  aussi  Thihautodé  ;  il  figurait 
sur  le  Terrier  de  l'archevêque  de  Paris  pour 
10  maisons,  et  l'évêque  du  même  diocèse  en 
avait  reçu  foi  et  hommage  alors  que  la  justice 
particulière  du  lief  se  tenait  au  porche  de  l'église 


LA  RUE  ET  L'TMPASSE  DES  BOURDONNAIS.     97 

Saint-Jacques-la-Boucherie.  Olivier  de  Villecroix 
avait  vendu  ce  domaine  féodal,  en  l'année  1357, 
Il  Etienne  Marcel,  séditieux  prévôt  des  marchands. 
Je  crois  que  la  censive  de  Notre-Dame  pesa  à 
titre  plus  direct  sur  un  héritage  qui  paraît  être 
le  n"  12  de  la  présente  rue  des  Bourdonnais. 

Tout  ce  qui  s'en  appelait  ThibauLodé  eut  simul- 
tanément pour  propriétaires  riverains  dans  le 
courant  du  XVIir-  siècle: 

A  cjunche,  en  vcnani  de  la  rue  des  Prèires-Sainl-Germain- 
VAuxertois  :  —  Massaux,   au  coin  de  cette   dernière  rue» 

—  Cottaud,  secrétaire  du  roi.  —  Henry.  —  BJouin, 
avocat.  —  Guéribout.  —  Patu,  2  maisons.  —  M")';  de 
MailJy.  —  Le  Bros.  —  Màcou.  —  de  Saiut-Genis.  — 
S.  M.  1l!  roi.  —  -Maillet,  conseiller  au  parlement,  bùtel 
de  Beauvais  —  M"'«  de  la  Villemareuil,  à  l'enseigne 
du   Roi- de-France,   au   coin   de   la  rue  Bcihisy, 

^•1  droite:  —  Le  Double,  maître  des  comptes,  pour 
la  maison  qui  venait  alors  la  4'"^  après  la  rue  i-aint- 
Germain-l'Auxerrois.  —  Halle,  ensuite.  —  Beaulieu, 
maître  des  comptes,  '3  maisons.  —  La  vtuve  de  M. 
de  la  Bonne,    au  coin  de     la   ruelle  des  Trois-Visages. 

—  Charron.  —  Darbaut.  —  Mlle  Laurent,  au  coin  de  la 
rue  des   Deux-Boules. 

Plaise  à  l'ami  lecteur,  muni  de  ce  viatique,  de 
reprendre  avec  nous  le  cours  de  la  pérégmia- 
tion. 

26,  ancien  liùlel  Le  Boulianger.  Plusieurs  bran- 
ches de  la  même  famille,  ou  plusieurs  familles  à 
peu-près  du  même  nom,  se  sont  illustrées  dans 
la  robe.  Vincent  Le  Boulianger,  avocat  au  par- 
lement de  Paris,  puis  procureur  du  roi  à  Amiens, 
uni  à  Antoinette  du  Béguin,  «  dont  le  père  était 
«  mayeur  de  la  même  ville,  »  a  fait  imprimer  en 
it)86  des  Ordonnances  politiques.  Son  tils,  Philippe 
Le  Boulianger,    seigneur   de    Salleux,    Hamel    et 


08    LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

autres  lieux,  conseiller  du  roi,  élu  en  l'élection 
d'Amiens,  a  été  à  son  tour  le  père  de  Nicolas, 
avocat  au  parlement.  Ces  deux  derniers  ont  bien 
connu  le  petit  père  André  Le  BouUanger,  parent 
des  magistrats,  et  de  plus  augustin  réformé,  qui 
a  prêché  pendant  55  ans  dans  le  royaume  et 
n'est  mort  qu'en  l'année  1657.  La  reine-mère, 
le  prince  de  Coudé  et  beaucoup  d'autres  per- 
sonnages goûtaient  son  genre  d'éloquence  exu- 
bérante d'originalité.  \]a  jour,  entre  autres,  il 
comparait  les  quatre  docteurs  de  l'Eglise  à  des 
rois,  à  ceux  du  jeu  de  cartes:  saint  Augustin  était 
roi  de  cœur,  à  cause  de  sa  charité;  sainte  Am- 
broise,  roi  de  trèfle,  pour  les  fleurs  de  son  élo- 
quence; saint  Jérôme  l'était  de'  pique,  en  vertu 
de  son  style  mordant  ;  et  de  carreau,  saint  Grégoire- 
le-Grand,  vu  sa  logique  terre-à-terre.  La  famille 
de  3L  Leclère  dispose,  depuis  60  ans,  de  la  mai- 
son Le  BouUanger,  qui  vraisemblablement  fut  aussi 
à  Darbaut,  et  où,  pour  délecter  les  amateurs,  se  main- 
tiennent un  large  escalier  à  rampe  de  fer  plus  d'une 
fois  séculaire  et  une  belle  porte  toute  mouchetée  de 
clous. 

M.  Rousseau  a  trouvé  au  2:2,  ne  faisant  jadis 
qu'un  avec  le  n"  iî4,  un  escalier  non  moins  inté- 
ressant ;  mais  le  nouveau  propriétaire  habite  un 
château  éloigné,  et  le  concierge,  dit-on,  n'a  pas 
même  l'état  des  glaces  à  réclamer  aux  anciens 
locataires.  Malgré  tant  de  lacunes,  M.  Rousseau 
a  recueilli  sur  les  lieux  des  traditions  orales, 
qui  en  disent  plus  long  que  le  nom  de  31.  Charron, 
inscrit  au  tableau  ci-dessus.  La  maison  fut  à 
l'origine  celle  des  commandements  de  la  reine 
Blanche  ;  elle  a t tenait  à  la  campagne  ;  on  y  vénère 
encore  une  borne,  dite  le  ix(s  de  la  reine,  dont 
elle  se  servait  pour  monter  sur  un  âne.  Un  prévôt 
des  marchands,  ajoute-t-on  sans  le  nommer,  a 
postérieurement  habité  ce  petit  manoir  historique  ; 


LA  RUE  ET  LIMPASSE  DES  BOURDONNAIS.     99 

seulement  son  nom  n'a  pas  fait  comme  la  borne, 
et  c'est  à  nous  de  courir  après.  Mais  nous  n'irons 
pas  loin,  un  prévôt  des  marcliands  s'étant  appelé 
Charron, 

L'impasse  des  Trois-Visages  vient  ensuite,  mais 
elle  est  fermée  par  une  grille,  comme  les  loges 
des  animaux  carnassiers  au  Jardin-des-Plantes. 
Un  honorable  négociant,  M.  Varin,  qui  compte  au 
nombre  des  édiles  parisiens,  est  locataire  du  n"  20, 
hôtel  qui  sent  encore  la  grande  robe  et  que 
pourtant  a  occupé  en  l'an  1780  Froisy,  simple 
procureur  au  grand-conseil.  M""'  de  la  Bonne  elle- 
même  n'en  a-t-elle  pas  été  propriétaire  ?  Nous 
ne  pouvons  nous  y  tromper  que  d'un  numéro. 

Or  ça,  vieille  porte  à  clous  du  16,  dont  la  sonnette 
est  un  anachronisme,  veux-tu  reprendre  pour  un 
moment  ton  marteau  d'autrefois  ?  —  Pan  !  pan  !  mes- 
sire  l'Hoste  de  Beaulieu  est-il  céans?  —  Vous  le  trou- 
verez à  la  cour  des  comptes Or  cette  indication 

nenousditpasgrand'chose  quant  h  l'année.  L'hoste, 
seigneur  de  Beaulieu,  était  maître  des  comptes  dès 
1683  ;  mais  son  petit-fds  l'était  aussi,  quand  com- 
mença la  guerre  de  Sept-ans  :  un  membre  du  grand- 
conseil,  qui  s'était  démis  de  sa  charge  en  l'année 
1722,  avait  eu  celui-ci  pour  llls  et  celui-lh  pour 
père.  Pinguet  de  Bellingan  laissa  ensuite  en  héritage 
à  la  veuve  d'un  Le  Boullanger,  seigneur  de  Kivery, 
conseiller  du  roi,  lieutenant  au  bailliage  et  siège 
l)résidial  d'Amiens,  l'hôtel  qui  se  trouvait  sous  la 
censive  de  la  chapelle  des  Cinq-Saints,  laquelle 
faisait  partie  de  l'église  Saiiit-Germain-l'Auxerrois. 
Hariagne  de  Guiberville,  seigneur  des  Corcelles, 
président  honoraire  au  parlement,  disposait  alors 
d'une  maison  toute  voisine,  qu'on  ne  tarda  pas 
h  joindre  h  l'autre  et  qu'il  tenait  de  sa  mère, 
veuve  de  Pierre  Hariagne,  secrétaire  du  roi,  tré- 
sorier du  duc  d'Orléans.  Après  la  signature  du 
funeste  traité  de  Paris,   conclusion  de  la  guerre 


100  LA  RUE  ET  I/IMPASSE  DES  BOURDONNAIS. 

•de  Sept-ans,  le  sieur  Cosseron,  ancien  mercier 
de  la  rue  Saint-Honoré,  possédait  l'une  et  l'autre 
propriété,  qu'il  joignait  en  les  réparant  d'impor- 
tance. L'immeuble  appartenait  postérieurement  à 
M.  Tiolier,  graveur-général  des  monnaies  sous 
l'Empire.  M.  le  général  baron  de  Béville,  à  pré- 
sent aide-decamp  de  l'Empereur,  a  épousé  une 
D"e  Tiolier;  c'est  ainsi  que  M.  Grenet  tient  de 
jVI.  de  Béville  ladite  propriété,  ainsi  que  le  n"  18, 
qui  venait  d'être  presque  entièrement  refait. 

Un  passage  mettait  la  rue  Thibautodé  en  com- 
munication directe  avec  l'ancienne  Monnaie.  L'ha- 
bitation du  chef  de  l'établissement  a  entièrement 
échappé  à  la  démolition,  autorisée  en  1776,  des 
bâtiments  de  cette  Monnaie;  vous  le  voyez  dans 
le  n"  19,  dont  la  façade  est  ornée  de  sculptures 
et  séparée  de  la  rue  par  une  cour  :  des  ves- 
tiges de  peintures  y  .  apparaissent  derrière  des 
rayons  de  magasins.  Georges  de  Saint-Julien, 
procureur  au  Chàtelet,  s'est  fait  adjuger,  après 
la  translation  de  la  IMonnaie,  l'ancienne  maison 
du  directeur,  et  depuis  lors,  mais  en  vain,  l'Etat 
a  essayé  de  revenir  sur  l'adjudication. 

Que  dire  ensuite  du  14,  après  avoir  franchi 
sa  porte  à  clous?  Noël  Halle,  peintre  distingué, 
y  précéda  son  lils,  qui  devint  médecin  de  Napo- 
léon P'',  puis  de  Monsieur  sous  Louis  XVIH.  La 
rue  avait  eu  antérieurement  pour  habitants  les 
deux  frères  Berthollet,  médecins,  et  comme 
Greuze,  à  son  tour,  y  eut  son  atelier,  rien  n'em- 
pêchait qu'il  y  succédât  à  Noël  Halle.  La  maison  a 
gardé  une  cour  étriquée,  et  cette  cour  un  arbre, 
prisonnier  qui  demande  en  grâce,  pour  ses  ra- 
meaux, du  soleil  et  de  Tair,  que  lui  mesurent 
avec  avarice  les  maisons  enserrant  le  préau. 

Quelles  ombres  va  évoquer  le  13,  au  fond 
duquel  s'agite  maintenant  une  hôtellerie,  dite  de 


LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNAIS.  JOl 

Cxrammont?  Parais  d'abord,  seignoui'  de  Villo- 
loaux,  d'Ami»  et  dos  deux  Trémoille  en  loOH; 
renvoie  ^mi  possession,  pour  noire  édincation,  les 
Baduel,  adjudicataires  quatre  ans  après  de  cette 
maison,  décrétée  sur  Mauger,  avocat  en  conseil 
privé.  Noble  bomme  Baduel  ïinant,  secrétairer 
interprète  de  Louis  XIII  ès-langue  germanique, 
préside,  en  l'année  même  où  ce  monarque  rend 
son  âme  à  Dieu,  à  la  vente  ([ue  font  la  veuve  et 
les  enfants  d'Henry  Baduel  à  Glaud<^  Breget,  mé- 
decin du  roi  en  son  Cbâtelel.  Mais  on  appelle 
alors  écbange  la  vente  des  immeubles  dont  le  prix  se 
paye  en  un  transport  de  rentes;  c'est  ainsi  que  Bre- 
get passe  pour  avoir  accfuis  par  voie  d'écbange  la 
propriété  des  Baduel,  laquelle  en  1612S  payait  son 
cens  de  6  deniers  parisis  par  an  au  baron  de  Gisnors 
et  de  Hesmes,  seigneur  du  fief  de  la  Trémoille. 
Le  financier  Bénigne  Bernard,  secrétaire  du  roi, 
maison  et  Couronne  de  France,  a  succédé  au 
baron  de  Gisnors,  lorsque  Breget  passe  de  vie 
à  trépas;  la  veuve  du  médecin,  de  concert  avec 
sa  fiimille,  cède  à  son  gendre  Blouin,  un  avocat, 
l'bôtel  qu'elle  babite  avec  lui  et  qui  relève  alors 
du  président  au  parlement  Musnier.  Le  droit 
d'ensaisiner,  de  par  le  fief,  revient  ensuite  à 
Gbarles  de  Laval,  marquis  de  la  Trémoille,  du 
clief  de  son  épouse,  dont  feu'  le  président  Mus- 
nier était  le  père.  Quant  à  l'immeuble,  il  passe 
des  Blouin,  par  béritage,  à  Mareschal  de  Mont- 
Heury,  conseiller  au  Cbfilelet.  Il  se  compose  alors 
de  trois  corps  de  logis  distincts,  dont  un  petit  : 
comment  s'explique  cette  agglomération? 

Pour  le  savoir,  il  nous  faut  recourir  à  l'iiisto- 
riipie  d'une  maison  voisine,  que  le  notaire  Serret 
possédait  en  1690.  La  présidente  Sanguin,  ni'^e  Sé;- 
guieret  partant  cousine  du  cbancelier,  l'acbetait 
sous  la  régence  d'Anne  d'Autricbe  ;  c'était  la  veuve 
de  .  Cristotle  Sanguin   Tinant,  seigneur  de   Livry, 


102  LA  RUE  ET  L'IMPASSE  DES  BOURDONNALS. 

président  aux  onquêtes  et  prévôt  des  marchands; 
c'était  aussi  la  mère  d'un  poète  et  de  quel  poète! 
Denis  Sanguin  de  Sainl-Pavin,  bossu  et  rieur 
comme  Scarron,  était  pourvu  de  l'abbaye  de 
Livry;  mais  il  en  avait  t'ait  un  séjour  de  piaisii-, 
dont  le  luxe  était  relevé  par  i'esprit  qui  s'y 
dépensait.  Saint-Pavin,  sous  les  auspices  du  grand 
Condé,  dont  il  était  l'hôte,  a  frayé  avec  des 
personnages  de  marque,  qui  ne  dé/laignaient  pas 
toujours  de  taire  carrousse  avec  lui.  Il  ne  doit, 
à  vrai  dire,  son  immortalité  qu'à  des  épigrammes 
de  Boileau. 

En  1657,  treize  ans  avant  la  mort  du  poète, 
sa  mère  tronve  ini  acquéreur  dans  son  locataire 
Jean-Phélippes  Patu,  trésorier-général  du  sceau. 
Au  bout  de  HO  ans,  messires  Clande-Guillaume 
I.ambert  et  lloualle  de  Boisgelou,  membres  ûu 
grand-conseil,  époux  de  deux  D""^'  Patu,  s'enten- 
dent avec  leur  belle-so^ur,  veuve  d'un  conseiller 
an  parlement,  et  Louis  Patu,  conseiller  aux  comp- 
tes, pour  vendre  celte  maison,  dite  la  Rose-Piouge, 
au  sieur  Raton,  t;iilleur  d'iiabits,  qui  a  pour 
successeur  son  lils,  un  avocat.  Puis  M"^  Mares- 
chal  de  Monttleury,,  déjà  propriétaire  à  côté  en 
1785,  s'agrandit  de  la  Rose-Rouge  :  Bochard, 
marquis  de  Champigny,  ratifie  celte  acquisition, 
comme  seigneur  du  tief  de  la  Trémoille. 

La  réunion  matérielle  des  trois  corps  de  bâti- 
ment n'a  lieu  qu'en  1792,  entre  les  mains  d'un 
autre  détenteur,  qui  les  cède  en  un  seul,  le  î) 
nivôse  an  xn,  à  Maugis,  plus  tard  conseiller  à 
la  cour  royale  de  Paris,  grand'père  de  M'"*"  Saunac, 
dont  le  mari  est  aussi  magistrat  et  qui  dispose 
actuellement  de  la  totalité  du   IIj. 

D'autres  maisons,  qui  ne  sont  pas  puînées, 
mais  qu'on  a  bien  pu  rajeunir,  entourent  l'hôlel 
dont    nous    venons   d'esquisser   la   biographie,   et 


LA  RUE  ET  I/IMPASSE  DES  BOURDONNAIS.  lO.'J 

qui  tenait  à  une  maison  au  comte  de  Mailly  en  1789. 
Malfçré  ce  comte  et  quelques  autres  gentilshom- 
mes y  atta(îh('s  par  le  droit  de  propriété,  la 
rue  Thibautodé  et  celle  des  Bourdonnais  ne  fu- 
rent en  quelque  chose  représentées  que  par  le 
tiers-état  aux  derniers  Etats-G(înérau\'.  Aujourd'hui 
les  deux  autres  ordres  n'auraient  plus  guère  d'élec- 
teurs i)armi  les  habitants  de  la  luie  des  Bour- 
donnais, si  j'excepte  le  n"  10,  où  demeure  un 
littérateur,  M.  le .  comte  de  Saint-Geniès.  Le 
facteur,  si  la  qualité  de  comte  ou  d'homme  de 
lettres  figure  sur  une  enveloppe  de  lettre,  n'a 
plus  besoin  de  lire  le  reste;  il  sait  d'avance 
quel  nom  et  quel  numéro    suivent. 

IV.  —  Ancienne  Rue  de  l'Arche-Markm^  assimi- 
lée en  1852  à  celle  des  Bonrdonncus  :  1  Maison, 
0  Lanterne  en   1711, 

Quelle  était  donc  cette  maison  isolée?  Voici 
le  3,  dont  l'escalier  encore  manque  de  rampe, 
mais  qui  peut-être  manquait  aussi  d'escalier  à 
cette  époque-là.  Voilà  le  4,  une  construction 
qui  est  beaucoiq)  plus  que  centenaire,  mais  qu'on 
a  lebâtie  il  y  aura  tantôt  00  ans.  On  ne  comptait 
sans  doute  pas  l'arche  Marion,  dont  l'arcade  avait 
deux  piliers,  souvent  témoins  le  soir  de  duels 
entre  gardes-françaises.  Au-dessus  était  bien 
une  prison,  le  For-ri-Aêque;  mais  elle  épar- 
gnait les  dueilisles,  pour  se  réserver  aux  débiteurs 
et  aux  acteurs  réfractaires.  En  1530,  un  abreuvoir 
et  des  étuves  avaient  été  établis  sur  la  Seine,  en 
face  de  ce  bout  de  l'ue;  en  1565,  la  femme  qui 
les  tenait  s'appelait  Marion.  ])ans  la  seconde 
moitié  du  xv'  siècle,  le  |u\*décesseur  de  Marion 
avait  eu  nom  Jean  de  la  Poterne,  et  l'abreuvoir 
avait  alors  quitté  la  dénomination  Thibautodé, 
comme  la  ruelle  celle  des  Jardins,  pour  s'appe- 
lei'  tous  deux   Jean-de-la  Poterne . 


Rue    iâi*oiié(a.     (i) 


L'auborgo  du  Chariot-d'Or,  démolio  de  nos 
jours  dans  la  rue  Grenéta  et  dans  la  rue  du  Grand- 
Hurleur,  s'est  tout  de  suite  relevée  à  la  même 
place.  Pourtant  les  époux  Langelée,  qui  tenaient 
l'auberge  au  ww  siècle,  y  rentreraient  assez  dif- 
ficilement sans  se  tromper  de  porte  et  de  rue, 
peut-être  même  de  quartier.  La  cour  de  leur 
maison  servait  de  passage  public,  de  la  rue  Gre- 
néta, qu'on  appelait  aussi  Darnetal,  à  celle  du 
Grand-Hurleur,  (i)  C'est  au  Cbariot-d'Or  qu'on  pre- 
nait place  dans  le  carrosse  faisant  le  service 
d'Anvers  et  dans  celui  qui  se  dirigeait  périodi- 
quement sur  la  route  de  la  Lorraine,  avec  cor- 
respondance pour  l'Allemagne.  Car  on  n'en  était 
pas  encore  aux  diligences. 

Deux  almanachs,  que  nous  avons  sous  la  main, 
renvoient  aussi  à  la  rue  Darnetal,  ou  Grenéta, 
pour  les  avis  et  renseignements  que  voici  : 

IGOl   :  —  Caresses  pour  Lille   et  roule,    à  l'enseigne 
(lu    Mouton-couronné.   —  Ifl.    pour   Compiôgne  et  Pé 
ronne,  à  la  Croix-de-Lorraine.  —  Le  messager  de  Bray 
s'arrète  au   Mouton.  —  Celui    de  Condô  à  la  Couronne- 
d'Or.   —   Le    sieur    Bessière,    chirurgien,   fameux  pour 


(1)  Noiice  (''crite  on  18C4.  Le_  boulevard  Sébastopol 
et  la  rue  de  Palestro  avaient  déjà  fait  Jours  trouées 
dans  la  vieille  rue  Grenéta.  Elle  s'est  depuis  augmen- 
tée de  la  rue  du  Renard-Saint-Sauveur  et  de  la  rue 
Beaurepaire. 

(2)  Cette  rno  du  Grand-IInrleur  a  été  enlevée  par 
celle  de  Tuibigo,  où  il  en  reste  pourtant  quelques 
maisons. 


105  RUE    GRENETA. 

les  plaies  et  grandes  opératious,  près  la  Triuité.  — 
Les  sieurs  (iaudel,  Le  Clerc  et  Du  Val  fout  com- 
merce de  ces  sortes  de  rubaus  étroits  qui  sont  appe- 
lés des  nomparciUcs.  —  Il  y  a  un  magasin  de  jarre- 
tières de  soie,   uu  Signe-de-Ja-Croix. 

1787  :  —  Muller,  fumiste,  à  la  Cheminée-iuipérialc. 
—  Cotliu.  fumiste  du  priuce  de  Coudé,  au  i'etit- 
.Suisse. 

La  Ibiitaiiie  dilo  do  la  Reine,  à  reiicoigiiiirc 
do  la  rue  Saiiil-Denis,  datait  de  173o,  coiiiine 
construction,  mais  remontait  pour  le  moins  au 
xni''  siècle,  comme  Ibntaine  voisine  d'une  Croix- 
la-Reine  :  l'eau  y  venait  d'abord  des  prés  Saiut- 
Gervais,  puis  de  la  Seine,  par  la  pompe  Notre- 
Dame.  A  l'autre  bout  de  la  rue  Grenëta,  il  se 
tenait  du  côté  gauche  un  petit  marché  et  du 
côté  droit  l'une  des  barrières  dites  des  Sergents. 

Les  Quatre-Vents,  au  coin  de  cette  rue  Bourg- 
l'Abbé,  appartenaient  à  M""  de  Lisle  et  postérieu- 
rement à  Jubert.  La  troisième  maison  après  le  Char- 
riot-d'Ur  était  la  Corne-de-Cerr,  au  collège  de 
Beauvais.  Sur  l'autre  ligne,  les  seize  premières 
l)ropriétés  qui  venaient  après  la  fontaine  dépendaient 
de  l'enclos  de  la  Trinité,  dont  la  porte,  quelque 
|)eu  monumentale,  taisait  vis-à-vis  à  la  rue 
Bourg-l'Abbé.  La  cour  des  Bleus  est  encore  par- 
derrière  quelques-unes  de  ces  maisons;  elle  nous 
l'appelle  qu'on  habillait  uniformément  de  gros 
bleu  les  enfants  de  neuf  ans  et  plus  (|ui,  depuis 
Francjois  l"\  se  succédaient,  pour  appretidrc  un 
état,  à  l'ancien  hôpital  de  la  Trinité.  Le  travail 
manuel  était,  dans  tout  l'enclos,  alfranchi  des  en- 
traves de  la  maîtrise. 

Les  Maîtres  Gouverneurs  et  Confrères  de  la- 
Passion  et  Résurrection  de  Notre-Seigneur  avaient 
transformé  en  théâtre  la  grande  salle  de  l'hôpi- 
tal, et  ne  l'avaient  (piittée  que  depuis  peu  d'an- 


106  RUE    GRENETA. 

nées,  pour  passer  à  l'Iiôtel  de  Flandre,  rue  Co- 
guillière,  quand  [leur  premier  local  fut  aftecté 
au  logement  desdits  enfants  bleus.  On  y  avait 
représenté  pendant  un  siècle  des  Mystères,  aux- 
quels il  avait  fallu  joindre  Moralités,  Farces  et 
Sotties,  pour  faire  naître  le  goût  du  tliéàtre  dans 
une  ville  où,  depuis,  c'est  un  besoin.  Les  religieux 
prémontrés  disaient  alors  la  messe  dans  la  chapelle 
de  la  Trinité. 

L'hôpital  de  ce  nom  avait  été  fondé,  en  1121:2, 
soit  par  Wilhem  Escuacol  et  Jean  de  Palée, 
frères  de  mère,  tous  deux  chevaliers  et  seigneurs 
des  Calendes,  soit  par  Anceau  et  Robert  de  Gar- 
lande,  alliés  aux  Montmorency,  en  faveur  des 
pauvres  pèlerins  qui,  pour  coucher  en  ville,  se 
présentaient  trop  tard  aux  portes,  fermées  au 
coucher  du  soleil.  Mais  les  religieux  d'Hermières, 
chargés  de  desservir  cet  hôpital,  avaient  déjà 
cessé  d'y  exercer  l'hospitalité  avant  que  les  con- 
frères de  la  Passion   devinssent  leurs  locataires. 

La  rue  Darnetal  n'a  été  dite  aussi  de  la  Trinité 
qu'au  moment  de  l'ouverture  du  caravansérail 
hospitalier.  Le  mot  Darnetal,'  usité  principalement 
en  Normandie,  signifiait  :  vallon.  L'établissement 
postérieur  d'un  grenier,  ou  bien  le  commerce  des 
gi-aines,  telle  est  l'origine  plus  que  probable  de  Gre- 
néta,  la  dernière  dénomination.  Parmi  les  habitants 
de  la  rue  Damestal,  Louis-le-Hutin  étant  roi,  Guille 
Damet,  aide  au  four,  ligurait  comme  taillable. 
De  plus,  en  l'an  1411,  la  grange  des  confrères 
de  la  Passion  était  notoirement  située  devant  la 
croix  Saint-Laurent,  laquelle  surgissait  en  la 
même  rue,  ou  du  moins   à  l'un  des  deux  bouts. 


Kiie   aux    Ours,  (i) 


Les  oies,  à  Rome,  uiit  sauvé  le  Oa[iitole  ;  à 
Paris,  leurs  ëLals  de  service  jettent  moins  crédat, 
beaucoup  moins.  N'ont-ils  pas  inspiré  en  masse 
les  liistoriograplies  parisiens,  qui  nient  généra- 
lement le  droit  direct  et  légitime  des  ours  à  la 
dédicace  d'une  rue  s'iionorant  de  leur  i»atrc»- 
jiage?  La  reclierclie  de  la  paternité  donne  ainsi 
lieu  à  des  subtilités  qui,  en  droit,  la  font  inter- 
dire. Que  les  oies  aient  été  des  oues,  dans  le 
langage  du  moyen-âge,  quelle  corruption  iinio- 
cente!  Seulement  nos  pères,  s'ils  avaient  conlondu 
avec  des  quadrupèdes  carnassiers  d'utiles  oiseaux 
de  basse-cour,  dont  ils  trouvaient  la  chair  si 
savoureuse,  laute  de  dindons  et  de  poulardes  ; 
nos  ])ères  auraient  eu  l'estomac  plus  crnellement 
ingrat  que  les  uns  et  pkis  de  simplicité  (juc  les 
autres.  En  vérité,  les  aïeux  ont  bon  dos!  C'est 
sur  eux-mêmes  qu'on  ose  tii'cr  à  l'oie,  alin  de 
dire  :  «  Prenez  mon  ours.  »  A  notre  tour,  es- 
sayons d'explicjuer,  sans  recourir  au  moyen  extrême 
du  (]uipro(iuo,  comment  la  rue  aux  Oies  passa 
aux  Ours. 

Des  rôtisseurs,  des  uicrs  {aucan'i),  peuplent 
originairement  cette  vue  on-Vencidt-les-ocs  {viens 
ubi  coqmmtiir  anseres),  et  c'est  alors  un  lieu 
de   rendez-vous   hors    de   la    ville  pour    les  cita- 


(1)  Notice  C'crile  en  ]8()4.  La  me  aux  Ours  n'en- 
globait pas  eurorc  J'aucienne  rue  Maucouscil,  eiilio  la 
rue    i^aitil-Dcuis    et  la   rue    MonlorLîuoil. 


108  RUE  AUX  OURS. 

dins,  comme  seront  plus  tard  les  Porcherons. 
3Iais,  dès  le  règne  de  Pliilippe-Auguste,  pendant 
que  Paris  s'agrandit,  embrasse  d'une  clôture  nou- 
velle, les  pelletiers  connnencent  à  dominer  dans 
la  même  rue,  et  leurs  enseignes  ou  leurs  éta- 
lages modilient  tout  naturellement  sa  dénomina- 
tion gastronomique,  quand  la  dernieie  lj¥Oclie  va 
laire  plus  loin  ses  évolutions  appétissantes.  Les 
])eaux  d'ours,  les  ours  empaillés  ont-ils  jamais 
manqué  chez  les  fourreurs?  Les  habitants  notables 
de  cette  rue,  sous  Philippe-le-Bel,  sont  : 

Etienne  d'Espcrjioii  le  genue.  —  Jeliau  Dupiu.  — 
Tibaut  de  Gandeluz.  —  Guill'  Courgis.  —  Gervcsc  le 
ïouuelier.  —  Frémin  l'Oublaier.  —  Tièce  la  Ferronne. 

—  Robert  le  Paontiier.  —  Jehan  Chaufecirc.  —  Guill' 
Douville.  —  Robert,  qui  tainct  les  piaus.  —  Lorenz  de 
Frênes.  —  Guill'  le  Peletier.  —  Pierre  le  Peictier.  — 
.Tean   l'Archier.  —  Mestre  .Jourdan,  Presire   de  l'escole. 

—  Jehan  l'Imagier.  —  [Mahiet  de  Gricourt.  —  Jaccjues 
de  Brégi.  —  Malii  le  Tailleur.  —  Guill'  du  Sap.  — 
Jacques   Deday. 

Un  sacrilège,  dit-on,  llit  commis  le  3  juillet 
1417,  dans  la  rue  aux  Ours,  à  l'endroit  oii  passe 
maintenant  le  boulevard  Sébastopol  :  un  soldat 
suisse,  ayant  perdu  au  jeu  tout  son  argent  et 
jusqu'à  ses  habits,  frappa  de  son  couteau  une 
image  de  la  Vierge,  (pii  en  saigna  miraculeuse- 
ment, à  l'angle  de  la  rue  8aile-au-Comte.  On 
ajoutait  (lue  le  parlement  lit  lier  à  un  poteau, 
devant  cette  image,  le  soldat,  qui  dans  les  tor- 
tures y  périt.  Chaque  année,  à  pareil  jour,  les 
habitants  de  la  rue  aux  Ours  faisaient  dire  une 
messe  à  Saint-Leu;  le  lendemain,  à  la  même 
église,  un  service  se  célébrait  pour  ceux  des 
leurs  qui  étaient  morts,  et  un  mannequin  en 
osier,  pendant   trois    jours    promené   et  llagellé, 


RUE  AUX  OURS.  109 

était  ensuite  livré  aux  tlammes,  au  milieu  d'un 
feu  d'artiiice.  Les  gardes-suisses,  qui  n'étaient 
pas  encore  organisées  en  France  sous  Charles  VI, 
se  plaignirent  au  \vin'=  siècle,  non  sans  l'aison, 
de  l'habit  rouge  dont  on  atlublait  le  mannequin 
dans  cette  procession  annuelle,  dégénérant  en 
mascarade,  et  Louis  XV  lit  supprimer  le  costume. 
La  circulation  du  mannequin  fut  interdite  sous 
le  règne  suivant.  Quant  à  la  lampe  qui  brûlait 
en  l'honneur  de  Notre-Dame  de  la  rue  aux  Ours, 
elle  ne  s'éteignit  à  ses  pieds  qu'au  souttle  de  la 
Révolution. 

La  maison  décorée  de  cette  ligure  de  la  Sainte- 
Vierge  appai'tenait,  sous  la  Régence,  à  M.  de 
Laverdy,  professeur  royal  de  droit,  auteur  d'une 
Histoire  du  Collège  de  France.  Du  même  côté, 
c'est-à-dire  sur  la  ligne  des  chilfres  impairs,  les 
deux  premières  maisons  étaient  aux  ursulines  de 
Poissy,  et  la  dernière  à  M.  de  Belloj.  Le  Cha- 
pitre de  Notre-Dame  en  avait  une  vis-à-vis  des 
ursulines;  M.  de  Villapoux,  une  autre,  à  l'ensei- 
gne du  Rendez-vous,  le  n"  8  ou  le  10,  et  la 
veuve  Gascon,  une  autre,  dont  le  président  Hé- 
nault  fut  ensuite  propriétaire,  en  lace  de  la  rue 
Quincampoix.  De  cette  rue-là,  si  encombrée  lors 
du  tratic  sur  les  actions  de  Law,  les  agioteurs 
venaient  dîner  en  foule  à  la  Croix-Blanche,  rue 
aux  Ours. 

Une  autre  encore  des  maisons  de  la  rue  aux 
Ours  appartenait  au  sieur  de  l'Orme,  et  il  y  pen- 
dait une  image  avec  cette  inscription  :  aux  En- 
vieux-de-l'Orme.  L'Entonnoir  avait  été  l'enseigne  d'un 
coutelier,  à  l'apogée  du   règne  de  Louis  XIV. 


Rue    Brantôme^ 

NiGULRb; 

de»  Petitiit-Chaiiipdi-i'^^aiiit-.^lartiii, 
ot  rue  «lu   illaiire.    (  i  ) 


Les  Doiiics   de  Mi»ttmarire.    —    Péril  en  Demeure 
pour  tH jiineur  du  Couxent   —  Le  bor-in(.c-Dames . 

—  Le  Fief  Saint-Merri .    —  La  Reine  Blanche. 

—  Les  Petits-Champs.  —  Marie  de  Beauvilliers. 

—  Gabrielle  d'Estrées.   —  Le  Rachat  des    Droits 
seigneuriaux.    —   La  Confrérie   des   Ménétriers. 

—  Les  Maîtres   il   danser.   —  Les  Doctrinaires, 

—  Le    Cha2ielain.    —   La   Messe   des  Agents  de 
Change.  —  Saint-J  ulien-des-  Ménétriers . 

Le  donuiinc  accorilë  aux  i-eligieuses  de  Moiil- 
uiai'tre  par  J.oiiis-le-Gros  et  par  sa  i'einme,  Adé- 
laïde de  Savoie,  comportait  le  lief  du  For-aux- 
Dames.  Les  droits  seigneuriaux  de  ces  dames 
lurent  autlienti()uement  eonlirmés  par  les  cinq 
derniers  rois  de  la  branche  des  Valois;  mais  elles 
n'étaient  plus  alors  propriétaires  de  la  maison, 
sise  rue  de  la  Heaunierie,  près  Saint-Jaeques-la- 
Bouclierié,  qui  servait  de  siège  audit  lie!  dès  la 
lin  du  MM'^  siècle.  Un  iiicendie,  sous  Henri  II, 
et  puis  la  guerre  civile  avaient  fort  compromis  leur 
lenq)0rel,  sans  [)rolit  pour  le  spirituel.  J/abbesse 
en  était  quitte  jtour  transterer,  pendant  les  plus 
mauvais  jours,  sa  résidence  personnelle  dans  \\n 
liùtel    garni,    comme   cela  avait    eu  lieu    sous    la 

(1)  Notice  écrilo  en  1864.  La  rue  des  Petits-Champs- 
•Saint-Marlin  n'avait  j)as  encore  reçu  le  nom  d'un  chro- 
niqueur  illustre   du    wi^   siècle. 


RUE  BRANTOME,    ETC. 


111 


l'an  1319,  qu'à  la 
doijé,  encore  que 
Tût  réuni    h    celui 


domination  anglaise,  et  bailli,  greflier,  procureur, 
agent-voyer  étaient  encore  ce  qui  souffrait  le 
moins  de  la  rigueur  des  temps,  à  l'abbaye;  le 
relâchement  absolu  de  la  règle  n'était  pas  plus 
de  nature  que  le  désœuvrement  de  la  misère  à 
sauver  l'bonneur  du  couvent.  «  Peu  de  religieuses, 
dit-on,  chantaient  l'oflice;  les  moins  déréglées 
travaillaient  pour  vivre  et  mouraient  presijue  de 
l'aim;  lés  jeunes  faisaient  les  coquettes;  les  vieilles 
allaient  garder  les  vaches  et  servaient  de  conli- 
dentes  aux  jeunes.  »  Catherine  de  Clermont,  ab- 
besse  depuis  longtemps,  lut  obligée  de  plaider 
pour  obtenir,  en  1587,  l'accès  d'une  pièce  au 
rez-de-chaussée,  que  ses  olHciers  appelaient  encoi'o 
local  des  plaids  du  For -aux- Dames.  Ces  dames 
n'y  avaient  aliéné  leur  droit  de  propriété,  dès 
réserve  des  prisons  et  du  plai- 
le  bailliage  du  For-aux-Dames 
de  Montmarti'e.  Or  la  moitié 
de  la  rue  des  Petits-Chamj)s  était  dans  la  justice 
et  censive  dudit  lief,  comme  s'y  trouvaient  des 
maisons  de  la  rue  Saint-Martin  et  de  la  rue 
Neuve-Saint-Merri.  Aussi  M""'  de  Clermont  avait-elle 
pour  tributaires,  dans  la  première  de  ces  trois  rues: 

ÎDroitc  . 

Thibault,  conseiller  au  par- 
lement. 

Le   Sueur. 

Claude  Bretcaii,  à  l'imayo 
de    Saint-Claude. 

Les  héritiers  de  Jacques 
Ernond,  pjur  une  maison 
provenant  de  l'église  et 
hôpital    de    Saint- Julien. 

Martin  et  consorts,  pour  2 
maisons  de  la  même  pro- 
venance. 

Pierre  de  Caen,  2  maisons. 

Les     héritiers    de     Jacques 

Eniond. 


(^auclje  : 


Bouchet,  succédant  à  M"« 
Du  l'aï. 

Gass'ot. 

(Après  celle  de  Gassut  ve- 
nait une  maison  aux  re- 
ligieuses de  Montmartre 
ejles-mênies.) 

Henry  Gérard,  hôtel  avec 
jardin. 

Perronne  de  Ranguet,  veuve 
de  Jean  le  Gresle. 


lu  RUE   BRANTOME, 

Or  le  côté  droit  de  cette  me  et  le  côté  gauche 
de  la  cour  du  More,  uiaiiitenaut  qualiliée  rue  du 
Maure,  avaient  la  même  bordure  de  constructions. 

Le  reste  relevait  leodalement  des  vénérables 
chefcier,.  chanoines  et  chapitre  de  Saint-Merri, 
aux  deux  extrémités  de  la  rue,  du  côté  gauche, 
et  à  l'entrée,  du  côté  droit,  y  compris  le  ir  8, 
qui  appartenait  alors  aux  héritiers  de  Guillot  I)i- 
guet,  et  qu'on  regarde  aussi  comme  l'un  des 
anciens  logis  de  la  reine  Blanche,  qui  en  avait 
autant  que  de  |iromenades  lavorites!  Les  Petits- 
Champs,  'à  la  vérité,  ont  tenu  assez  de  place 
pour  (jue  plusieurs  hôtels  aient  commencé  par  y 
être  des  villas,  et,  connue  pour  nous  iaire  me- 
surer l'étendue  de  cette  ancienne  campagne,  trois 
rues  de  Paris  en  retiennent  le  nom.  Celle  dont 
nous  parloJis,  et  (pi'on  est  encore  dans  l'usage 
de  dire  la  rue  des  Petits-Champs-Saint-Martin, 
pour  la  mieux  distinguer  des  rues  Neuve-des- 
Potits-Champs  et  Croix-des- Petits-Champs,  est 
ainsi  désignée  dès  iiî73  dans  un  accord  passé 
entre  Philippe-le-Hardi  et  le  chapitre  de  Saint- 
Merri. 

Beaucoup  de  monde  sait  (ju'en  braquant  des 
canons  sur  sa  boinie  ville  de  Paris,  Henri  IV 
rempoi'ta,  à  l'abbaye  de  Montmartre,  une  victoire 
amoureuse,  qui  lui  parut  de  bon  augure.  Les 
trais  en  étaient  laits  par  la  nonnain  Marie  de 
Beauvilliers,  pendant  qu'une  abbesse  nouvelle  s'en- 
luyait  devant  les  gens  de  guei'i-e,  avant  d'avoir 
j'cru  ses  bulles.  On  sauva  bien  les  apparences, 
en  racontant  (|ue  le  droit  de  la  guerre  n'avait 
lait  entrer  le  iiéarnais  chez  ces  religieuses  qu'a- 
près le  départ  des  jeunes,  réfugiées  -à  Senlis 
sous  la  pi'oteclion  tant  de  M""'  de  Sourdis,  pa- 
rente de  Marie  de  Beauvilliers,  (pic  de  la  maréchale 
d'Aumont,    gi-and'mère    de   M""=    de    Montmartre. 


NAGUERE  DES  PETITS  CHAMPS,  ETC.      113 

dépendant  le  prince  remuait  ciel  et  terre  pour 
ï'cndi'e  agréable  le  séjour  de  cette  ville  à  la  jolie 
transfuge,  qu'une  surprise  du  coi'ur  gagnait  à  son 
jiarti.  Néanmoins  Gahrielle  d'Estrées  lit  bientôt 
oublier  Marie  de  Beauvilliei's,  sa  cousine,  et  Paris, 
mieux,  garde;  que  Montmarlr(\  continuait  à  se  dé- 
tendre, 

Ur,  dans  l(^  conir  même  de  la  belle  (iabrielle, 
Henri  IV  ne  succédait  à  Henri  III  qu'après  un 
intérim  iirincipalement  rempli  par  Zamet,  le  car- 
dinal de  Guise,  le  duc  de  Longueville  et  le  duc 
de  Bellegarde.  Klle  se  montra  pourtant  imicoi'c 
plus  constante  en  matière  d'amour  qu'en  lait  de 
l'ésidence,  la  maîtresse  en  titre  de  Henri  IV.  Ne 
voyons-nous  pas  l'une  des  nombreuses  demeu- 
res de  cette  favorite  légendaire  dans  le  n"  ITi, 
où  le  susnommé  Henry  Gérard  fut  mitoyen  avec 
les  religieuses  de  Montmartre? 

Marie  de  Beauvilliers,  ayant  pleuré  sincèrement 
sa  faute,  encore  plus  que  son  royal  amant,  en 
l'abbaye  de  Beaumont-les-ïours,  iut  appelée  à 
Montmartre,  où  elle  prit  le  titre  d'abbcsse,  vers 
la  fin  du  règne  de  Henri  IV,  avec  un  grand  cé- 
rémonial, qui  lui  donnait  la  marquise  de  Sourdis 
et  la  comtesse  de  Sagonne  poni*  assistantes,  et 
ce  jour-là  un  capucin  célèbre,  Anne  de  Joyeuse, 
prononçait  le  sermon.  Pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  qui  ne  fut  pas  entièrement  employé  à 
lutter  contre  l'indiscipline  et  les  désordres  de 
ses  subordonnées,  cette  abbesse  eut  le  temps 
d'écrire  posément  ses  Conférences  d\cne  Supétv'eure 
avec  ses  Religieuses.  Elle  racbeta  de  .lean  Bour- 
geois et  consorts,  en  1G04,  l'bôtel  du  For-an\- 
Dames,  pour  le  compte  de  l'abbaye,  et  Nicolas 
Hardy,  gretlîer  de  la  justice  du  tief,  prit  cet 
hôtel  à  bail  en  165;),  a  cette  date,  r)6  ans  déjà 
s'étaient  passés  depuis  que  M"""  de  Sourdis  avait 


114  RUE  BRANTOME, 

formé  les  yeux  de  Gal)riello,  et  Marie  de  Beauvil- 
liers  ne  cessa  que  l'annëe  suivante,  en  rendant  à  son 
tour  le  dernier  soupir,  d'exereer  des  droits,  res- 
pectés sur  une  des  maisons  où  il  régnait  toujours 
un  souvenir  de  son  ancieime  rivale. 

Il  y  avait  en  IGrio  à  l'abbaye  : 

Noble  dame  Marie  de  Beauvilliers,  ahhessp,  damo  (Je 
Montmartre,  de  ClignancoMrt,  des  Percherons  et  du  For- 
mix-Damcs  :  illustre  princesse  Franooise-Renée  de  Lor- 
raine, roadjulrice  ;  sœur  Jacqueline  de  la  Noue,  pr/eurp 
à  Moniinarlre ;  sœur  Margueiile  Langlois,  prioire  aux 
Martyrs;  sœur  Elisabeth  Poullet,  sous-prie^ire  à  Mont- 
martre; sceur  Catherine  de  Meaux,  snus'jirievre  au.v 
Martyrs;  sœur  Louise  .Tollivet,  célcrière  aux  Martyrs; 
sœur  Louise  do  Morges,  portière;  sœur  Catherine  de 
Chanènes,  dépositaire;  sœur  Marie  Benoit,  boursière: 
sœur  Magdeleine  Picarl,  secrétaire  du  rhapiire,  et  Claude 
de   Sèves,   céierière  d   Monlmartre. 

Quant  aux  propriétaires  de  l'ancienne  maison 
de  Gabrielle,  ils  n'étaient  autres  que  Isaac  Ché- 
rct  maître  des  comptes,  et  Marguerite  de  Fies- 
selles,  sa  femme,  tenant  aux  hoirs  Colombel  et 
toujours  auxdites  religieuses.  M"''  Marguerite  Chéret 
ayant  ensuite  épousé  Nicolas  Leclerc,  la  pro- 
priété fut  vendue,  en  1741,  par  M"*'  Henriette  Leclerc 
de  Grandmaison,  tille  majeure,  à  Lartigue,  ancien 
chapelier;  mais  l'adjudication  en  avait  lieu  au  Chà- 
telet,  ^ri  ans  plus  tard,  sur  décret  poursuivi  i>  la 
requête  de  M""*  Marie-Henriette  et  Elisabeth  Leclerc 
de  Grandmaison,  (tilles  mineures  émancipées  d'âge 
sous  la  curatelle  de  leur  mt-re,  née  Ledoux  de  Mille- 
ville)  contre  ledit  Lartigue,  qui  n'avait  pas  rem- 
pli les  engagements  pris  dans  l'acte  de  vente. 
Les  I^enoir,  parmi  lesquels  il  se  trouvait  un 
ancien  greffier  de  la  chambre  des  domaines,  se 
rendirent  adjudicataires,  et  ils  ne  vendirent  qu'en 


XAGUÈRR  DES  PETITS  CHAMPS,  ETC.      ]1;> 

■1792,  après  avoir  fait  aux  administrateurs  des 
domaines  nationaux,  par  huissier,  des  «  oflres 
réelles  de  'iOO  fr.  pour  les  remboursement,  ra- 
eliat  et  extinction  des  droits  ci-devant  seigneu- 
riaux, tant  lixes  que  casiiels,  échus,  courants  et 
à  venir,  dont  ladite  maison  pouvait  être  tenue 
envers  la  Nation,  reprt'sentant  la  ci-devant  abbaye, 
saut  à  parfaire,  s'il  y  avait  lieu,  après  la  véri- 
lication  de  la  valeur  de  ladite  maison  et  la  liqui- 
dation desdits  droits,  lesquelles  offres  lesdils 
sieurs  administrateurs  avaient  refusé  de  rece- 
voir. » 

D'autre  part,  la  maison  de  ces.  dames,  ajant 
pour  locataire  le  procureur  Bignon  du  temps  de 
Maître  Chéret,  touchait  à  celle  de  Martin  Boudon, 
secrétaire  du  roi,  où  pendait  une  Annonciation. 
Nivet  ou  Nevet,  procureur  au  Châtelet,  séparait 
Boudon  de  Germain  Gallyot.  Vous  faut-il  d'autres 
noms  de  propriétaires  contemporains  de  Gallyot 
dans  la  même  rue  et  dans  la  même  cour?  Jean 
Briot.  le  sieur  de  Vaucorbeil,  Benjamin  Bédé, 
écuyer,  sieur  de  Longcourt,  les  héritiers  l.e 
Normand,  Philippe  de  l'iesselle,  François-Etienne, 
sieur  d'Amanville,  Jean  Richard,  secrétaire  du 
roi,  Cournier,  contrôleur  des  l'entes  provinciales 
d'Orléans,  la  confrérie  des  31énélri(;rs  et  les  pères 
de  la  Doctrine-chrétienne  y  ont  en  même  temps 
droit  de  bourgeoisie.  Biuet,  perruquier  de  Louis 
XIV,  habite  également  la  rue  :  les  grandes  per- 
l'uques  sont  de  son  invention  à  telle  enseigne  qu'on 
les  appelle  des  binettes. 

Daps  les  commencements  du  l'ègne  suivant, 
Jacques  Lefeuve  aura  l'un  des  coins  de  la  yvw 
Beaubourg  et  de  la  coui-  du  Maure,  au  lieu  de 
Jean  Richard.  L'angle  d'en  face,  faisant  également 
encoignure  sur  la  rue  des  Petits-Champs,  appar- 
tiendra à  Vallier,  comte  du  Saussey,   président  ri 


IIG  RUE    BRANTOME, 

mortier  au  parlement-  de  Metz,  Pierre  Babel, 
avocat,  ne  sera  séparé  de  la  même  rue  Beau- 
bourg que  par  une  seule  maison  de  la  rue  des 
Petits-Champs,  où  Masson,  un  autre  avocat,  viendra 
avant  Gallyot,  greffier-criminel  au  Cbâlelet,  tenant 
toujours  à  Nevet  ou  Nivet. 

Les  dames  de  Montmartre  avaient  abandonné 
gratuitement  un  terrain,  entre  les  rues  des  Petits- 
Champs,  du  Maure  et  Saint-Martin,  sur  lequel 
Jacques  Grare  de  Pistoye  et  Huet  la  Guette,  deux 
ménétriers,  avaient  fondé  un  hospice,  avec  une 
chapelle  dédiée  à  saint  Genest,  patron  des  co- 
médiens, et  à  saint  Julien.  Une  confrérie  de  37 
ménétriers,  dont  faisait  partie  Pariset,  ménestrel 
du  roi,  avait  contril)ué  à  l'o'uvre  de  toutes 
ses  forces,  et  la  constitution  de  cette  confrérie 
datait  de  l'an  13:21.  La  petite  église  s'est  appelée 
avant  peu  Saint-Julien-des-Ménétriers  :  sur  son 
portail  étaient  représentés  des  joueurs  d'instru- 
ments. 

Aussi  bien  les  musiciens  et  les  jongleurs  se 
réunissent  d'abord  dans  une  rue  voisine,  celle 
des  Ménétriers;  mais  plus  souvent  et  plus  long- 
temps on  va  jusqu'à  la  rue  du  Maure,  sur  une 
place  attenante  à  l'église,  pour  y  louer  jusqu'à 
des  poètes,  moins  souvent  que  des  bateleurs,  mais 
principalement  des  musiciens,  et  accessoirement 
des  danseurs.  Si  bien  que  la  communauti'^  des 
maîtres  à  danser  se  fixe  elle-même  à  Saint-Julien, 
avec  une  tribune  spéciale  dans  la  chapelle.  Dame! 
Saint-Julien  est  d'une  grande  ressource  pour  les 
fêtes  particulières  et  pour  toutes  les  entreprises 
se  proposant  l'amusement  public  :  noces,  bap- 
têmes, distributions  de  prix,  entrées  solennelles, 
bals,  concerts,  spectacles,  mascarades,  curiosités 
en  foire,  sérénades  à  l'espagnole,  vaudevilles  et 
charivaris  à  la  française.  Rien  que  de  charmant 


NAGUÈRE  DES  PETITS  CHAMPS,  ETC.      117 

jusque-là  ;  par  malheur  on  accuse  un  jour  la  con- 
frérie de  couvrir  de  ses  privilèges  non  pas  seu- 
lement un  reste  de  ménestrels,  des  troubadours 
en  survivance,  des  comé,diens  comme  l'a  été 
saint  Genest,  des  joueurs  de  violon,  des  ràcleurs 
de  guitare,  des  jongleurs  et  des  baladins,  mais 
encore  des  vagabonds,  des  tilles  perdues  et  des 
voleurs. 

Oh  !  alors,  la  reine  Anne  d'Autriche  favorise 
les  prétentions  des  pères  de  la  Doctrine-chré- 
tienne, nouvellement  établis  au  quartier  Saint- 
Victor,  et  ils  y  gagnent  d'abord  une  succui'sale 
ai'demment  convoitée,  mais  qui  leur  est  tout  de 
suite  disputée.  Ces  pères  imposent  aux  confrères 
une  transaction  ;  deux  arrêts  du  conseil  prononcent 
en  sens  contraire  sur  les  difficultés  qui  en  résul- 
tent. Procédure  nouvelle  .  et  nouvel  arrangement 
entre  les  parties,  la  veille  de  l'audience.  Conflit, 
imbroglio,  malentendus,  en  somme,  h  n'en  pas 
finir  de  si  tôt  !  Sans  compter  que  les  réunions 
autorisées  au  cabaret  de  l'Epée-de-Bois ,  rue 
Quincampoix  et  rue  de  Venise,  d'une  société 
semi-académique,  dite  du  Roi  des  Violons,  se 
trouvent  venger  Ma/arin  de  maintes  mazarinades 
trop  popularisées  par  les  confrères  de  la  rue  du 
Maure  et  de    la  rue  des  Petits-Champs. 

A  la  mort  de  Favier,  chapelain  de  Saint-Julien,  qui 
a  été  choisi  comme  ses  prédécesseurs,  par  deux 
ménétriers,  investis  des  pouvoirs  de  la  jurande, 
on  nomme  Pezé,  frère  de  deux  doctrinaires.  De 
plus,  le  roi  ayant  créé  des  charges  de  jurés  à 
titre  d'offices  dans  chaque  corps,  celles  des 
joueurs  de  violon  et  des  maîtres  à  danser  sont 
achetées  par  de  nouveaux  jurés,  créatures  des 
doctrinaires.  L'acte  d'abandonnement  est  con- 
senti par  lesdits  chapelain  et  jurés;  l'archevêque 
approuve  l'union,  et  des  lettres-patentes  semblent 

8 


118  RUE    BRANTOME, 

mettre  le  sceau  à  l;i  substitution.  Voici  pourtant 
(jue  la  vénalité  des  charges  est  supprimée  dans 
toutes  les  communautés.  Aussitôt  les  danseurs  et 
les  musiciens  d'élire  do  nouveaux  jurés,  et  de 
signer  une  protestation  au  nombre  de  280  maîtres, 
contre  tout  ce  qu'ont  fait  les  jurés  précédents. 
Pendant  l'instance,  qui  reprend  de  plus  belle,  Pezé 
passe  de  vie  à  trépas;  musiciens  et  danseurs 
nomment  en  remplaceiiient  Cliarles-Hugues  Gala:Kl, 
ancien  curé  de  Magny.  Le  procès  enfin  est  jugé, 
en  1718,  sur  le  rapport  de  Tabbé  Pucelle,  con- 
seiller-clerc au  parlement  et  neveu  de  Catinat: 
Galand  reste  chapelain. 

Les  pères  de  la  Doctrine  n'en  conservent  pas 
moins  sept  maisons,  qu'ils  ont  achetées  dans  la 
rue  des  Petits-Champs  depuis  longtemps,  en  vue 
d'un  établissement  définitif.  La  première  est  l'an- 
cien logis  de  la  reine  Blanche,  où  les  ont  pré- 
cédés Philippe  de  Flesselles  et  son  neveu.  Séra- 
phin Baudouin,  seigneur  de  Soupire.  Ils  tiennent 
les  suivantes  de  Leroux,  de  Laborde  et  des  hé- 
ritiers Doussin.  Les  trois  dernières  étaient  pri- 
mitivement l'hospice  de  Saint-Julien  et  la  demeure 
du  chapelain;  le.s  ménétriers  les  ont  aliénées  en 
1588,  et  elles  ont  appartenu,  un  siècle  plus  tard, 
deux  h  Etienne  d'Osbolles,  seigneur  d'Osmonville, 
et  l'autre  au  prévôt  des  marchands,  31.  de  Ber- 
nage;  Amurat  et  Lambert,  gendres  d'Osbolles,  en 
ont  hérité  chacun  une;  mais  celle  de  Lambert, 
à  défaut  de  payement  d'une  rente  foncière  dont 
elle  était  grevée,  a  fait  retour,  en  169(3,  aux 
joueurs  d'instruments.  Celle-ci  est  l'ancienne  mai- 
son du  chapelain,  et  les  doctrinaires  n'en  jouis- 
sent qu'à  charge  de  payer  une  rente  de  oOO  livres. 
A  cette  époque,  les  maistres  gouvempurs  dr  la 
confrairie  des  Joueurs  de  violons  et  cmtres  instrii- 
mens  payent  le  cens  à  M""'  de  Montmartre,  pour 
la  place  et  l'église  de  Saint-Julien-des-Ménétriers 


NAGUERE    DES  PETITS-CHAMPS,  ETC.      119 

ot  un  petit  logement  à  côté.  En  cette  église,  ii 
partir  de  17i'0,  les  agents  de  change  font  célé- 
brer leur  messe  annuelle  du  Saint-Esprit  et  un 
requiem  pour  chacun  des  leurs  qui  vient  à  mou- 
rir. 

Ea  conuTiunauté  des  Ménétriers  n'a  cessé  de 
vivre  qu'avec  toutes  les  communautés  suppriméees 
en  1776.  Ee  temporel  de  l'église  qu'elle  avait 
créée  et  patronnée^  n'a  plus  été  administré  que 
par  le  lieutenant  de  police.  Mais  un  chapelain 
titulaire  n'a  cessé  de  dire  la  messe  que  pendant 
la  Révolution,  et  l'on  démolissait  presque  au  même 
temps  Saint-Julien-des-Ménétriers. 


Rue    des    Prêcheurs,    (i) 


Des  lettres  de  Maurice  de  Sully,  évêque  de 
Paris,  prouvent  que  Jean  de  Mosterolo  avait  cédé 
à  l'abbé  de  Saint-Magloire,  avant  l'année  1184, 
des  droits  in  terrO  Morinensi,  et  9  sois  sui'  la 
maison  de  Robert-le-Prêcheur.  On  en  conclut 
que  la  rue  des  Prêcheurs  s'est  lait  jour  vei'S  la 
même  époque  sur  le  petit  fief  de  Tliérouenne. 
Mais,  peu  de  temps  après,  saint  Dominique  en- 
voyait à  Paris  des  religieux  qui  n'avaient  rien 
de  commun  avec  ceux  du  monastère  de  Saint- 
Magloii'e  déjà"  établi  rue  Saint-Denis,  et  ils  s'ap- 
pelaient tout  uniment  frères  prêcheurs,  en  arri- 
vant, avant  de  s'installer  près  d'une  chapelle 
Saint-Jacques,  qui  leur  a  valu  le  nom  de  jacobins. 
J.e  xnr^  siècle,  qui  les  voyait  venir,  voyait  aussi 
sculpter  un  arbre,  emblème  qui  apparaît  encore 
à  l'angle  de  la  rue  des  Prêcheurs  et  de  la  rue 
Saint-Denis  :  de  cet  arbre,  couronn<î  d'une  Sainte- 
Vierge,  émergent  douze  rameaux,  et  à  l'extrémité 
de  chaque  petite  branche  fleurit  une  tulipe,  qui 
sert  de  cliaire  à  un  frère  prêcheur.  N'est-ce  donc 
pas  le  berceau  d'une  compagnie  célèbre  que  tra- 
hit, à  défaut  des  livres,  cette  illustration  d'encoi- 
gnure? Depuis  que  les  jacobins  tlorissaient  rue 
Saint-Jacques,  il  ne  restait  certainement  plus  dans  la 
rue  des  Prêcheurs  que  ceux-là,  au  nombre  de 
douze,  qui  perchaient  sur  l'aibre  symbolique. 
Pieri-e  Mouton,  dès  il2o2,  figurait  comme  pro- 
priétaire en  ladite  rue  aux  Preescheurs,  où,  qua- 
rante ans  après,  les  contribuables  étaient  : 


{])  Noiice  écrile  en  18C4. 


RUE  DES  PRÊCHEURS.  121 

Jehan  de  Souvigoy.  —  Clyinent  le  Fanier.  —  Aaliz 
la  Parrice.   —  Ses   enfanz.  —  Jehan,  de    Grant-Moulin. 

—  Jehan  le  Convers.  —  Gillebert  de  Dampierre.  — 
Richard   Lenglais,    Tailleur.  —   Thomas    le  Ceedoanier. 

—  Guiir  Pelil,  Queu.  —  Gautier  le  Sueur.  —  Rem^' 
de  Sens.  —  Pierre  de   la  Fosse.  —  Robert  de  Gilvez. 

—  Thoumas  le  Meire.  —  Alain  Tyrenlire.  —  Tibaut 
de  Senlis.  —  Jehan  Navet.  —  Son  gendre.  —  Aubour 
l'Espinguière.  —  Jehan  Potage  le  genne  (jeune).  — 
Ermensart  de  Bétisi.  —  GielVoi  Je  Clerc,  Mestri;  de 
l'escole.  —  Thoumas  Chevalier.  —  Pierre  de  Nesle.  — 
Aleire  la  Teilière.  --  Jehan  Chasteauf'ort.  —  Hubelel 
Tonquan.   —  Jacques  le    Tounclier. 

Une  maison  que  s'était  coiislriiile  Gabriel  père, 
un  des  architectes  de  J.ouis  XIV,  portait  rensei- 
gne de  la  Poinme-de-Pin,  et  elle  -n'était  séparée 
de  la  rue  Mondétour  que  par  une  maison  à 
l'image  de  la  Puceile-tenant-une-lJcorne,  qui  ai»- 
partenait  à  Langlois,  avocat,  puis  à  son  iils, 
Langlois  de  Campis,  maître  des  comptes.  Toutes 
les  deux  disparurent  avec   d'autres,  en   185^. 

Dans  une  des  maisons  qui  leur  survivent  fut 
le  bureau  des  potiers  d'étain.  Les  membres  de 
cette  communauté  poinçonnaient  tous  les  usten- 
siles qui  sortaient  de  leurs  ateliers,  et  il  leur 
était  défendu  d'en  vendre  qui  ne  fussent  pas 
fabriqués  à  Paris.  Leurs  derniers  statuts,  remon- 
tant à  1613,  les  qualiliaient  :  maîtres  potiers  d'é- 
tain et  tailleurs  d'armes  sur  étain  Aussi  pou- 
vaient-ils  armorier  et  graver  de  cliilïres  leur 
vaisselle  métallique;  mais  ils  n'avaient  le  droit 
d'enjoliver  d'or  et  d'argent  que  les  ouvrages  des- 
tinés à  l'Eglise.  Enlin  ils  ne  devaient  se  servir 
du  marteau  que  depuis  5  lieui-es  du  matin  jus- 
qu'à 8  heures  du  soir.  Le  patron  de  la  compa- 
gnie était  saint  Fiacre.  L'apprentissage  durait 
5  ans,  et  le  compagnonnage  3.  Le  brevet  se  payait 


1-22  RUE  DES   PRÊCHEURS. 

36  livres,  et  la  maîtrise  500,  outre  qu'elle  ne 
pouvait  s'obtenir  sans  la  production  d'un  chel- 
d'a?uvre. 

En  1776.  les  faïenciers  et  les  vitriers  entrèrent 
dans  la  môme  famille  professionnelle  que  les  po- 
tiers d'étain.  Le  cliquetis  et  le  luisant  tout  battant 
neuf  des  articles  de  ménage  dont  ils  faisaient 
commerce  attiraient  particulièrement  les  nouveaux 
mariés  sous  les  piliers  des  Halles  qui,  du  côté 
où  débouchait  la  rue  des  Prêcheurs,  paraissaient 
des  piliers  d'Etain  et  étaient  connus  sous  ce  nom. 
La  rue  des  Halles-centrales  reçoit  maintenant  cet 
aftluent.  (i) 


(1)    Elle    ù'iipjielle  aujouid'Jiui   rue  Picrie-Lesrol. 


Rue    ]\[eiive<-Naiii<"i^Iei*ri.    (i) 


Propriétaires  des  maisons   de  cette  rue  en  M'î'i. 


môté  gaiuljc 

J.   do   Soisy.  contrôleur    de 

la  maisou  du  roi. 
DtiuTilJiers,    mercier     établi 

sur   le  pont  au  Change. 
Morel,  pâtissier. 
V.  de  Mannerille,  conseiller 

au_  Cliâlelet. 
Lelièvre,    marquis      de      la 

(.îrange. 
Les    héritieis    de    J.-B.   de 

Faverolles.  correcleur  des 

comptes  :  3  maisons. 
LaMse   Colbert    de    Blaiii- 

vi!le,  née  Rochcciiouard  : 

coin    (h  la  r^ie  du  Uenarâ. 
Lecaron,  conseiller  au  Chà- 

tolet  :  anlre  coin. 
I.c    duc   de    la    ïrénioille. 
Huot.  serrurier,  à  l'enseigne 

du  Chal-lié. 
Bonne  de  Kerner,  veuve  Si- 

monnet. 
Catherine  Juberl  de  Bouville, 

épouse   de  Gilles-Marie  de 

Mauiieou,    maitre  des  re- 

(juêtes,    et  Hunet,  avocat, 

4  maisons. 
Quilles  des  Buttes,  trésorier 

de  la  généralité  d'Orléan 
Triboust,  ancien  syndic  des 

lentes  de  J'Hôtei-dc-ville. 
La  Ms<^  d'Ecquevilly,  nceDu- 

niouceau  :  coin  Briscmichc. 


(Hôte  bvoit 

Devaux,  ollicier  du  roi. 

Les  Jiériiiers  de  Mercier, 
marchand. 

Rave,  avocat. 

La  veuve  de  Lauglois,  audi- 
teur des  comptes. 

Mathieu,  marchand  :  coin  ilii. 
cul-de-sac  de  lEspérance  ou. 
du  Bd'uf. 

La  présidente Lerebours,  née 
Mail  et  :  coin  dudil  cul-de- 
sac  cl  coin  de  la  rue  Pierre- 
au-Lard. 

Auvray,  oncicii  notaire  :  aidre 
coin. 

Les  héritiers  de  Proust,  sei- 
gneur d'Houilles  et  duMyr- 
tray,  lieutenanf  particulier 
au  Cbàtelet. 

Piclion,  maitre  des  comi)tes. 

Tarade,  cunseiller  au  Cliàlc- 
Jet,  à  cause  de  sa  femme, 
liée  Legagneur. 

Dupuis,  payeur  dns  t'agesdes 
ofliciers  du  Châtelet ,  à 
cause  de  >d.  l'cmme,  née 
Blondin. 

Simon  Rousseau,  architecte. 

Capronnier, seigneur  deGaul- 
l'recourt,  geulilhomme  oi- 
dinaire  du  duc  d'Orléans. 

La  succession  Chuberé. 

Arsant  de   Puisieux,  gentil- 


(1)    Notice  écrite   en    18G1. 


124 


RUE  NEUVE-SAINT-MERRI. 


L'Hôpital-Général,  donalaire 
eu  lG72des  frères  QuesneJ, 
oiatorieus  :  autre  coin. 

La  veuve  de  Daguerre,  sei- 
gutur  de  Voyenne,  com- 
missaire des  guerres. 

Les  hoirs  de  Buquel,  pro- 
cureur. 

Boulin,  bachelier  eu  théo- 
logie. 

Le  président  Camus  de  Ponl- 
carré,  1^^'  président  au  par- 
lement de  Rouen. 

(iautier,  avocat. 

Boulaut,   écuyer. 

De  la  Garde,  président  au 
parlemexTt. 

Babille,  lieutenant  des  chas- 
ses  du   duc  de  Yendùme. 


homme  de  la  chambre  du 
duc  de  Bern,  capitaine  de 
la  chambre  du  roi,  au  nom 
et    comme   tuteur   de    son 
fils,    ce    dernier    légataire 
universel  de  Marie  Héron, 
veuve    d'Abel    de    Sainte- 
Alarthe,  conseiller  aux  ai- 
des. 
La  succession  Prestj^. 
François  de  Pans,  brigadier 
des  armées,  capitaine  aux 
gardes- françaises  ,    dona- 
taire  de  Fleuriot,   évêque 
d'Aire  :  coin  Poirier. 
L'A  veuve  de  l'avocat  Lefèvrc, 
née    Langlois  ;    '-)  maisons, 
lune  au  second  coin  Poirier. 
Guioet,  marchand  de  vin. 
Les  héritiers  de  la  veuve  de 
Guillaume,      commissaire 
des  guerres,  née  Meunier. 
L'Hôtel-Dieu. 

Remigeau-  Montoire,  conseil- 
ler au  parlement  de  Metz, 
à  cause  de   sa  femme,  née 
Fourmcnt. 
Les  lils  de  P.  le  Cordelier, 

sieur  des  Brosses. 
Colin, seigneur  de  Liaucourt. 
Les  successeurs  deDesbruyt^- 
res,  à  l'enseigne  des  Deux- 
Boules,  ci  devant  la  Co- 
quille. 


Tableau  complet,  ou  peu  s'en  faut!  Mais  le 
l)remier  plan,  où  est-il?  Quelques  notes  de  plus 
vont  y  jeter,  çh  et  là,   un  peu  de  lumière. 

Le  marquis  de  la  Grange  avait  acheté  son  hôtel 
(u"  9  présentement)  d'un  président  au  parlement, 
célèbre  par  son  attachement  à  Henri  IV,  Nicolas 
Pottier  de  Blaucmesnil,  dont  la  reine  Marie  de 
Médicis  lit  ensuite  son  chancelier.  La  plus  grande 
maison  de  Faverolles  avait  été  saisie  sur  M.  Jac- 
ques   Mouille,    trésorier   des    ponts-et-chaussées, 


BUE    NEUVE-SAINT-MERRI.  125 

dans  le  cours  de  l'année  1683,  avec  la  qualifi- 
cation de  ci-devant  manufacture  royale  de  chan- 
delles; un  de  leurs  successeurs  fut  M.  Hubert 
de  Torcy,  après  lequel  vint  David,  bourgeois  de 
Paris,  sous  Louis  XVI.  M.  Colbert  de  Blainville, 
grand-maître  des  cérémonies  de  France,  surin- 
tendant des  mines,  colonel  du  régiment  de  Cham- 
pagne, était  curateur  judiciaire  à  la  personne  et 
aux  biens  de  sa  femme;  celle-ci  tenait  l'hôtel 
qu'il  habitait  de  Rochechoiiart  de  Tonnay-Cha- 
rente,  son  père,  et  de  Marie  Phélypeaux  de  la 
Vrillière,  sa  mère.  M'""  de  Rochechouart  disposa 
ensuite  de  cet  héritage,  que  le  notaire  iJubreuil 
acquit  des  enfants  de  M.  de  Rochechouart,  du(; 
de  Mortemart.  Un  intéressant  cabinet  d'histoire, 
naturelle  fut  formé  au  coin  de  la  rue  du  Renard 
par  le  médecin  Maquart,  avant  la  Révolution.  A 
la  famille  parlementaire  Pottier  avait  aussi  appar- 
tenu l'hôtel  dont  le  jeune  duc  de  la  Trémoille, 
président-né  des  Etats  de  Bretagne  et  pair  de 
France,  avait  hérité  par  son  bisaïeul  maternel, 
René  de  Marillac,  conseiller  d'Etat  et  conseiller 
d'honneur  au  parlement  de  Paris  ;  mais  cette 
propriété,  sise  rue  du  Renard,  n'avait  guère  sui- 
la  rue  Neuve-Saint-Merri  qu'un  passage  de  ser- 
vitude. M.  Hennequin  d'Ecquevilly,  pour  sa  part, 
n'était  rien  moins  que  capitaine-général  de  la 
vénerie  du  roi,  premier  guidon  des  gendarmes  de 
sa  garde,  et  M"'"  d'Ecquevilly  avait  hérité  sa 
maison  de  M.  Camus  des  Touches,  contrôleui- 
général  de  l'artillerie.  M.  Camus  de  Pontcarré, 
premier  magistrat  de  Normandie,  recevait  du  pro- 
cureur Chardon  les  loyers  de  sa  propriété,  qui 
passa  à  un  président  aux  enquêtes  du  jiarle- 
ment  de  Paris,  portant  le  même  nom.  M.  de 
Lagarde  était,  de  son  côté,  remplacé  par  M.  Voi- 
trin. 

Passons  maintenant   sur  la   ligne    des  numéros 


IIC>  RUE  NEUVE-SAINT-MERRI. 

pairs.  Le  président  Robert  Aubei^,  enleiré  à 
Saint-Merri;  Denis  de  Noirmoutier  et  Renée-Julie 
Aubery,  sa  leninie;  Jean  Bouër,  secrétaire  du  l'oi 
et  de  son  conseil  d'Etat,  et  Yves  Mallet,  secré- 
taire du  roi,  avaient  précédé  Tbierry  Lerebours, 
seigneur  de  Bertranlbsse,  président  iionoraire  du 
j^rand-conseil,  et  sa  femme,  Marie  Mallet,  en 
riiôtel  Lerebours,  auquel  se  trouvaient  attacbés  le 
droit  perpétuel  de  fontaine  à  la  maison  et  le  droit 
de  cbapelle  à  l'église  Saint-Meri-i.  Une  petite  pro- 
l)riété  adjacente  avait  été  vendue  aux  Mallet-Lere- 
liours,  et  une  autre  à  M.  Jean  Baillif,  bourgeois,  par 
Abraliam,  seigneur  de  Clialange,  maître-d'bôlei 
ordinaire  du  roi,  vers  l'an  KiSo.  M.  Devint  donna 
en  1787  100,000  livres  à  M-"*  de  Morangis,  née 
Lerebours,  de  ce  qu'elle  avait  de  bien  rue  Neuve- 
Saint-Merri,  comme  héritière  bénéliciaire  de  Le- 
lebours,  intendant  des  finances.  La  lamille  Piclion 
avait  acquis  antt'rieurement  sa  maison  de  M.  Pi- 
nette,  trésorier  du  duc  d'Oiléans.  A  qui  M.  Rous- 
seau avait-il  eu  rbonneur  de  succéder  dans  sa 
propriété  jtlus  grande?  A  Marie -Madeleine  du 
Guesclin,  comtesse  et  cliauoinesse  de  Poussey, 
et  à  sa  sœur,  veuve  de  Despeaux,  seigneur  du 
Chemin,  toutes  les  deux  héritières  de  M"'*'  Bour- 
din  de  Chapuis,  née  Cousinot.  A  qui,  M"'"  Le- 
fèvre?  A  M^'"  Le  Pilleur,  évêque  de  Saintes,  et 
à  sa  famille.  Et  enfin  31.  Remigeau  Montoire?  A 
Marie-Anne  Jabacb,  veuve  de  M.  Nicolas  Fourmeni, 
directeur  de  la  manufaclure  loyale  de  butïles  de 
Corbeil,  (}iii  elle-même  venait  après  son  frère, 
M.Evrard  Jabacb,  qualifié  dans  un  livi'e  d'adresses 
j)remier  banquier  pour  la  Hongrie^  In  Turquie  et 
la   Pologne. 

A  l'hùlel  Jabacb  se  rattachaient  trois  ou  quatre 
Itelites  maisons,  dont  l'une,  donnant  sur  notre  rue. 
fut  occupée,  du  temps  de  la  famille  Fourment,  par 
Barat,  garde-magasin  de  la  manufacture  de  bullles. 


RUE  NEUVE-SAIN r-MEHRI.  Ui 

N'est-ce  donc  pas  h  juste  titre  que  riiistoriograplie 
Germain  Brice  reproche  à  i'iiôlel  le  peu  de  clarté 
de  ses  appartements  et  de  «  ses  jardins  serrés  »  ? 
Il  dit  aussi  :  «  Bulet  a  l'ail  plus  que  les  autres 
pour  riiôtel  Jabacli,  où  tous  les  noijles  architectes 
ont  donné  des  dessins,»  et  il  loue  la  distribution 
lieureuse  des  appartements  restaurés  par  Du  lin. 
Mais  on  cite  ailleurs  Jean  Marot  comme  l'architecU' 
dont  le  travail  à  été  mis  le  plus  à  prolit.  Au 
reste,  Evrard  Jabach  devait  s'être  établi  rue  Neuve- 
Saint-Merri  pendant  la  jeunesse  du  grand  roi,  et 
avoir  lait  son  hôtel  d'une  maison  (lue  Jean  Go- 
belin  le  jeune  avait  eue  à  sa  disposition  sous 
Henri  III.  Vers  le  milieu  du  wuf  siècle,  il  s'y 
tenait  des  assemblées:  on  appelait  ainsi  des  fêtes 
de  nuit  organisées  pour  le  jeu  et  la  danse  dans  un 
but  de  spéculation,  et  l'Opéra  leur  en  voulait  de 
faire  concurrence  à  ses  bals. 

En  sortant  de  l'hôtel  Jabach,  au  petit  jour,  que 
de  fois  les  joueurs  fatigués  ont  eu  la  brusque 
perspective  du  seul  repos  qui  leur  fût  assuré! 
Le  bureau  des  jurés-crieurs,  préposés  aux  ])om- 
pes  funèbres,  se  tenait  presque  en  face,  et  l'on  s'y 
levait  matin.  Gette  confrérie,  instituée  par  Char- 
les V,  se  ■  composait  de  30  membres,  dont  le 
doyen  avait  nom  Fournier,  et  le  syndic,  Doucel, 
alors  que  le  siège  s'en  trouvait  dans  la  rue  dont 
nous  vous  parlons. 

On  racontait  en  ce  temps-là  que  Catherine  de 
Médicis,  étant  princesse  ou  étant  reine,  avait  logé  de 
sa  personne  dans  la  maison  où  depuis  les  jurés- 
crieurs  disposaient  tout  pour  les  cérémonies  funè- 
bres, et  que  la  maison  voisine,  habitée  par  Du])ont, 
maître  de  mathématiques,  avait  appartenu  à  la  mère 
de  saint  Louis.  Or  la  propriété  dans  laquelle  ce 
maître  donnait  des  leçons  de  géométrie,  de  trigono- 
métrie, de  mathématiques  et  d'hydrographie,  n'était 
séparée  de  la  rue   Saint-Martin  que  par  i^ept  ou 


128  RUE  NEUVE-SAINT-MERRI. 

huit  façades.  Rappelons  que  Dupont  se  plaisait  à 
faire  aux  curieux  les  honneurs  de  son  logement, 
décoré  de  sculptures  et  de  dorures  anciennes, 
et  qu'on  y  remarquait  une  tleur  de  lis.  Cet  auguste 
emblème  n'avait  mallieureusement  pas  servi  de 
protection  à  la  noble  famille  Chatillon,  qui  oc- 
cupait un  hôtel  de  la  rue  au  moment  de  la  Saint- 
Barthélémy, 

Quant  au  savant  du  moyen-âge  Raoul  de  Presles, 
fils  du  secrétaire  de  Philippe-le-Bel,  il  demeura 
indubitablement  dans  ladite  rue,  mais  plus  près 
de  l'autre  extrémité.  Cet  avocat,  traducteur  delà 
Cité  de  Dieu,  était  attaché  comme  conseiller  à  la 
compagnie  des  marchands  forains  de  marée. 
Charles  V,  son  protecteur,  l'autorisa  à  établir  un 
pont  sur  une  ruelle,  poui'  relier  deux  maisons 
dont  il  était  propriétaire.  Mort  en  l'année  1382, 
il   reçut  la  sépultui'e  à  Saint-Merri,  sa    pai'oisse. 

Dans  la  même  rue,  sous  le  règne  précédent, 
Jean  Baillet,  trésorier  des  finances,  avait  été  as- 
sassiné par  un  commis-changeur,    Perrin  Macé. 

Elle  existait  déjà  sous  le  règne  de  IMiilip[)e- 
Auguste. 

Vous  jugez  donc  de  ce  qu'elle  a  vu  passer  de 
générations  et  d'entreprises,  faire  de  fortunes  et 
s'en  défaire,  de  crédits  poindre,  s'étaler  sur  la 
place  et  s'évanouir  dans  les  ténèbres,  d'affaires 
enfin,  sous  toutes  les  lurmcs,  se  succéder  infa- 
tigablement! Combien  d'ailes  et  d'étages  par  siècle 
ajoutés  à  ces  bâtiments,  oi^i  le  plus  vieux  est  encore  le 
plus  solide!  En  de  telles  rues  passez,  n'y  cou- 
diez pas,  si  vos  attectious  sont  ailleurs  :  mia 
fois  Ih,  vous  w'iin  voudriez  plus  sortir  (jucnrichi  ho- 
norablement, c'est-iVdire  en  y  niellant  le  temps, 
ou  bien  les  deux  pieds  en  avant. 


Ruo  du   Roiilo.   (0 


Jean-Ronë  de  Longueil,  marquis  de  Maisons  et 
de  Poissy,  conseiller  du  roi  en  tous  ses  conseils, 
président  à  mortier  au  parlement,  membre  hono- 
raire de  l'Académie  des  sciences,  avait  été  chan- 
celier de  la  reine.  Seigneur  des  liels  du  Roule 
et  de  Béthisy,  à  l^aris,  il  habitait  avec  sa  femme, 
.Marie-Louise  Bauyn  d'Angervilliers,  un  liôtel  où 
se  trouvait  auparavant  la  Douane,  rue  de  Béthisy, 
près  celle  des  Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, 
quand,  en  1689,  tut  autorisé  le  percement  de  la 
rue  du  Roule,  à  l'entrée  de  laquelle  se  maintint 
le  chef-lieu  du  lief  jusqu'à  l'abolition  de  toutes 
les  seigneuries,  (^e  président  fut  inhumé,  en  1731, 
aux  Cordeliers,  dans  une  sépulture  de  familh; 
qui,  après  lui,  n'avait  plus  personne  à  attendre. 
L'hôtel  d'Alembon,  appartenant  à  Charles  Grousset, 
marquis  d'Alembon,  et  attenant  à  l'hôtel  de  Mont- 
bazon,  avait  été  entièrement  démoli  pour  faire 
place  à  la  nouvelle  rue,  dont  les  terrains  avaient 
été  acquis  par  une  compagnie  d'entrepreneui's 
ayant  pour  chef  Prédot,  un  architecte  des  bâti- 
ments du  roi.  Une  sentence  du  Châtelet  y  déli- 
niitait,  le  11  décembre  1684,  sur  le  toisé  de 
Gabriel  Leduc,  autre  architecte  du  roi,  le  lief 
du  For-aux-Dames,  contigu  sur  ce  point  au  lief  du 
Roule  et  relevant  de  l'abbaye  de  Montmartre.  Le  plan 
de  1652  n'avait  marqué  particulièrement  à  la  place 
future  de  cette  rue  que  l'hôtel  ûcM.  de  Longueville. 

Un  plan  plus  détaillé  y  aurait    indiqué,  année 


(1)  Notice   écrite   eu    18Gi. 


130 


RUE    DU    ROULr:. 


1704,  (Jeux  groupes  de  maisons  neuves,   sous  les 
noms  que  voici    : 


(Eôté  gaufljc 


Jiôray  du  Canel,  acquéreur 
de  Prédot,  enseigne  de  la 
Chasse- rovale  (dont  1/24 
seulement  du  fief  du 
Roule). 

Josse   Trishin,    peiulre. 

Françoise  f.anglois,  veuve 
d'Andié  Leiiûtre. 

Anne  Leolére,  veuve  d'Ed 
me  Pelle,  secrétaire  du 
roi,  au  Saint-Esprit,  ci- 
devant  à  la  Levrette,  coin 
de  la  rue  Saint-Houoré 
(fensive    de    Montmartre). 


(Eôté  broit   : 

Michel  Delaporle,  seigneur 
de  Verville,  tenant  d'une 
part  à  Mau^uet,  d'autre 
part  à  X.,  et  par-derrière 
au  jeu  de  paume  de  la  rue 
Tirechappe  (1/4  seulement 
de  sa  maison  était  dans 
la   mouvance  du   Roule). 

Mauguet,  sieur  de  Mezières. 

J.-B.  Prédot,  architecte  et 
bourgeois  de  Paris  :  4  mai- 
sons, bâties  sur  l'empla- 
cement d'une  maison  à 
l'image  du  Bœuf-couronné 
et  sur  l'hôtel  d'Alerabon 
en  partie,  l'une  des  qua- 
tre au  coin  de  la  rue  Saint- 
Ilonoré. 


Ces  maisons,  vous  pouvez  les  revoir  sans  ex- 
ception. Mais  la  rue  en  comptait  28  avant  la  lin 
du  règne  de  Louis  XIV.  Aujourd'hui  l'énuméra- 
lion  ne  va  pas  au-delà  de  28. 

Favières  lils,  marchand  de  bas  du  roi,  était 
établi  rue  du  Roule;  il  épousa,  en  i7o9,  M""  Chan- 
vray,  née  h  Paris  16  années  1:2  auparavant.  Tout 
alla  bien  pendant  la  lune  de  miel.  La  jeune  femme 
était  une  jolie  blonde,  laite  au  tour,  ni  petite  ni 
grande,  qui  chantait  gracieusement  en  s'accoin- 
pagnant  au  clavecin;  seulement  ses  deux  petites 
mains,  qui  commençaieiit  par  carre.sser  les  tou- 
ches, les  grillaient  avec  impatience  à  la  moindre 
note  douteuse  :  était-ce  d'un  rassurant  augure 
pour  le  contrat  qu'elle  venait  de  signer?  Elle 
trouva  son  mari  laid  en  regardant  un  garçon, 
son  commis,  qui  fut  renvoyé,  mais  trop  tard. 
Les  œillades  d'un  marquis  de  Bandolle,  qui  pas- 


RUE    DU    ROULE.  l'Jl 

sait  et  repassait  devant  la  boutique,  rallumèrent 
des  querelles  de  ménage  mal  éteintes,  et  ce  roué 
lit  jouer  d'habiles  entremises  pour  tromper  non- 
seulement  Favières,  mais  encore,  dans  la  même 
journée,  31'"'^  Favières  avec  une  iille  novice.  La 
séduction  n'alla  plus  loin  ni  pour  celle-ci,  dont  le 
père  était  limonadier  dans  la  rue  dos  Petits-Car- 
reaux, ni  pour  celle-là,  ù  laquelle  son  mari  ferma 
!)resque  la  porte  au  nez.  i/.\  veuve  Cbanvray  pro- 
digua h  sa  Iille  les  consolations  et  les  conseils 
de  toutes  les  mères  en  pareil  cas  ;  si  bien  que 
M"'"  Favières,  logée  dans  un  couvent,  constitua 
procureur,  demanda  et  obtint  séparation  de  corps. 
Une  fois  libre,  elle  s'afiiclia  dans  le  monde  avec 
le  chevalier  du  Bec-de-Lièvre,  mais  elle  avait 
encore  pour  amant  de  cœur  le  complice  de  sa 
première  faute. 

Trente  ans  après  l'époque  où  s'y  mariait  le 
marchand  dont  nous  venons  de  pleurer  l'infortune, 
comme  on  la  pleurait  de  son  temps,  la  même 
rue,  rien  que  sur  sa  rive  droite,  voyait  se  suc- 
céder, en  fait  d'établissements  qu'on  peut  noter  : 

Une  manufacture  de  papiers  peints,  sous  la  direc- 
tion de  Windsor.  —  Le  bureau  de  VAhnavach  de  Parit, 
donnant  annuellement  les  adresses  des  personnes  de 
rondition,  chez  Lesclapart,  libraire.  —  La  boutique  de 
Moinai,  ferblantier,  inventeur  d'une  lampe  sans  /uviéc, 
sans  odeur.  —  Le  magasin  de  Ducoudray,  joaillier  de 
tous  les  ordres  roj'^aux.  —  T.o  bureau  aes  journaux  de 
harpe,  clavecin  et  niusirjue,  et  du  journal  liebdomadaire 
de   Leduc. 

Sous  le  premier  empire,  la  rue  du  Koule  était 
encore  plus  commerçante  :  des  lanq)istes  à  in- 
ventions et  le  parfumem-  Fargeon  y  florissaient, 
ainsi  que  M""  Gaillard,  qui  ne  demandait  qu'h 
faire  voir  un   cabinet  d'histoire  naturelle. 


l.i->  RUE    DU     ROULE. 

Au  n°  47,  SOUS  Charles  X,  demeurait  Martain- 
ville,  journaliste  mordant  et  auteur  dramatique. 
Il  discutait  avec  les  libéraux,  et  surtout  il  jugeait 
j'Empire,  comme  l'histoire  le  juge  déj:i,  en  se 
montrant  reconnaissant  des  libertés  restikiées  par 
la  Charte.  Pour  y  avoir  mis  trop  desprit,  il  ne 
sut  pas  faire  vivi-e  le  Drapeau-  blanc,  feuille  qui 
lui  laissa  tant  d'ennemis!  Mais  quel  homme  que 
Martainvill  e,  quand  des  anciens  sergents  ou  lieu- 
tenants de  l'Kmpire,  qui  se  disaient  eux-mêmes 
des  libéraux,  menaçaient  de  l'exterminer!  C'é- 
tait le  traiter  en  ami  des  étrangers,  qu'ils  avaient 
liarcelés  pour  obéir  à  Napolécm  seul;  mais  il 
bravait  tous  les  périls  que  lui  Taisaient  courir 
ces  braves,  qui  Unirent  Jîar  se  convaincre  qu'il 
était  aussi  IVançais  qu'eux.  Un  soir  surtout,  le 
ol  juillet  18:22,  les  amis  de  Martainville  craigni- 
l'ent  de  le  perdre,  tant  les  clameurs  étaient  vio- 
lentes qui  accueillaient  son  entrée  dans  une 
loge,  au  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin!  Pour- 
quoi? parce  qu'il  ne  blâmait  jias  M.  de  Coi'bière 
d'avoir  permis  à  «les  acteurs  anglais  de  jouer  là 
les  chefs-d'œuvre  d'un  théâtre  étranger.  Que  voilà 
bien  l'esprit  des  gens  qui  portaient  à  la  bouton- 
nière \\w  bouquet  de  violettes  en  ce  temps-là  ! 
Le  journalisie  répondit  au  commandant  de  la 
force  armée,  (pii  le  suppliait  de  se  retirer  dans 
la  crainte  que  les  vocilV'rateurs  du  parterre  n'es- 
caladassent la  galeiie  :  —  Monsieur,  je  préfère 
demeurer  sous  la  protection  de  l'autorité.  Si  je 
suis  assassine;,  j'aurai  tait  mon  devoir,  et  vous 
n'aurez  pas  fait  le  vôtre. 


Rue  Guérin-Boisseau.    (i) 


On  ne  la  connaissait  encore,  de  12o0  à  1350, 
que  sous  l'invocation  de  Guérin-Boucel,  particu- 
lier qui  vraisemblablement  avait  présidé  à  sa 
formation. 

En  la  dernière  année  du  règne  de  Louis  XIV 
9  lanternes  s'y  échelonnaient  le  long  des  deux 
rangées  de  maisons.  Trois  de  celles-ci  appartenaient 
au  sieui'  Rousselet,  avec  un  jeu  de  paume  par- 
derrière,  et  elles  se  trouvaient  au  milieu  de  la 
rue,  du  côté  droit,  contiguës  à  une  assez  grande 
propriété,  où  demeurait  M"^*"  Sémillard.  Mais  cette 
étroite  voie  publique  prenait  alors  sa  source  de- 
vant le  prieuré  de  Saint-Martin-des-Champs.  La 
première  maison  de  la  rive  gauche  portait  l'en- 
seigne du  Mouton;  M.  de  Creil  en  était  pro- 
priétaire. 

Les  grandes  innovations  du  règne  actuel  ne 
coûtent  pas  l\  ladite  rue  moins  de  50  immeubles 
plus  que  séculaires,  dont,  presque  toutes  les  bou- 
tiques étalaient  depuis  longtemps  des  bottes  re- 
montées et  des  souliers  ressemelés.  Il  en  reste 
si  peu  au  rez-de-chaussée  des  façades  survivantes 
qu'on  accuse  les  Anglais  d'avoir  accaparé,  de- 
puis le  dernier  traité  de  commerce,  la  matière 
première  de  l'industrie  locale,  c'est-à-dire  acheté 
sur  pied  toute  la  récolte  de  chaussures  avariées. 


(1)  Notice  écrite  en  1SG4.  Les  anciens  numéros  de 
la  rue  ne  sont  pas  encore  remplacés  par  de  nouveaux 
du  côté  où  Je  36  vient  le  premier.  De  l'autre,  tout 
est  neuf,  sans  porte,   sans  numéro. 

9 


134  RUE  GUE RIN-BOIS SEAU. 

Dernièrement  un  vieux  connaisseur  qui,  pour  la 
première  fois  de  sa  vie,  quittait  la  place  sans 
y  avoir  trouvé  de  chaussure  à  son  pied,  ramas- 
sait par  dépit  un  petit  morceau  de  craie  pour 
écrire  vis-à-vis,  sur  une  porte  neuve  :  «  Ci-gît 
la  rue  Guérin-Boisseau.   » 

Et  remarquez  que  la  mauvaise  humeur  de  cette 
ancienne  pratique  comblait  une  lacune.  Il  n'y  a 
pas  encore  d'autre  inscription  que  la  sienne  à 
l'angle  de  la  rue  de  Palestro,  au  moment  où 
nous  écrivons. 


Rue  des  Vieilles-Étuves-Sfaiiit-Ilonoré 
et  rue    Sauvai, 

NAGUÈRE 

des    Vieîlleft-Étuves-l§iaint-Mai-tin.    (i) 


Dieu  tient  le  cœur  des  rois  en  sa  main  de  clémence  ; 
Soit  chrétien,  soit  païen,  leur  pouvoir  vient  d'en  haut. 
Et  nul   mortel  ne  peut  (c'est  un  faire   le   faut) 
Dispenser  leurs  sujets   du  joug  d'obéissance. 

On  lisait  ce  pauvre  quatrain,  rue  des  Vieilles- 
Étuves-Saint-Martin,  sur  une  maison  bâtie  par 
un  des  architectes  de  Henri  IV.  Il  va  sans  dire 
que  la  Révolution  a  gratté  pareille  inscription. 

En  même  temps,  comme  nul  ne  l'ignore,  on  a 
supprimé  les  maîtrises.  Dans  celle  des  barbiers- 
perruquiers  étaient  incorporés  les  baigneurs-étu- 
vistes.  Sauvai  remarquait,  dès  l'année  1660,  que  les 
étuves  devenaient  rares  à  Paris,  et  il  rappelait  qu'à 
la  fin  du  siècle  précédent  on  ne  pouvait  faire  un 
pas  sans  en  rencontrer  un  établissement.  Néan- 
moins, du  vivant  de  Sauvai,  des  maisons  de  bains 
assez  nombreuses  faisaient  encore  concurrence 
aux  maisons  borgnes  comme  il  y  en  a  une  au 
n°  14  de  ladite  rue,  et  cela  contrairement  à  une 
quantité  d'ordonnances    de    police    répétant    une 


(1)  Notice  écrite  en  1864,  Le  nom  du  magistrat  Sau- 
vai, auteur  des  Recherchos  sur  les  Antiquités  de  Paris, 
n'était  pas  encore  donné  à  la  rus  des  Vieilles-Etuves- 
i^^aint-Honoré,  qui  n'avait  pas  encore  englobé  la  petite 
rue  Devarenne  entre  la  rue  des  Deux-Ecus  et  la  Halle- 
au-Blé. 


RUE  DES  VIEILLES-ÉTUVES  136 

défense,  qui  était  déjà  faite,  du  temps  d'Etienne  Boi- 
leau,  aux  baigneurs  du  xni^  siècle,  en  ces  termes  : 
«  Que  nuls  ne  soustiengne  en  leurs  mesons  bor- 
diaux  ne  de  jour  ne  de  nuict.  » 

A  cette  époque  reculée  les  étuvistes  parisiens 
n'étaient  qu'au  nombre  de  26,  et  celui  de  la  rue 
des  Étuves-Saint-Martin  s'appelait  Richard  ;  celui 
de  la  rue  des  Étuves-Saint-Honoré,  Guillaume.  Les 
voisins  de  ce  dernier  étaient  :  Amiot  le  lombart, 
Guille  de  Launoy,  taunier,  Lorenz,  François,  bou- 
cher, Zehanne  de  londis,  qui  taille  or,  et  devant  sa 
porte  il  coulait  un  ruisseau  dit  le  rij  des-  Etuves.  Il 
en  coûtait  moitié  moins  cher  pour  s'estuver  chez 
Guillaume  et  chez  Richard  que  ])Our  s'y  baingnier. 
De  bon  matin  leurs  crieurs  réveillaient  les  habi- 
tants de  leur  quartier  respectif,  en  annonçant  que 
l'eau  était  chaude.  Aussi  Guillaume  de  Villeneuve 
chroniquait-il  ainsi   dans  ses  Crieries    de    Paris  : 

Oiez   cou  crie   au  point  du  jor: 
Seignor,  qu'or  vous  alez  baingnier 
Et  Estuver  sans  délacer  ; 
Li-bains  sont  chaut,    c'est   sans  mentir  ! 

Un  des  prédécesseurs  de  Richard  avait  coulé 
des  bains  pour  la  reine  Blanche  ;  un  de  ses  suc- 
cesseurs fut  Geoffroi,  h  l'image  du  Lion-d'argent, 
et  h  cause  de  lui,  sous  Jean-le-Bon  et  sous  Charles 
V,  on  disait  rue  Geoftroi-les-Bains.  La  maison  où 
cette  dynastie  de  baigneurs  devait,  tenant  estuves 
à  femmes,  ne  chauffer  icelles  peur  hommes,  et 
dans  laquelle  on  se  baignait  encore  en  1578,  est 
maintenant  le  n°  4. 

L'autre  rue  des  Vieilles-Étuves  prenait  transi- 
toirement  le  nom  de  Jacques-de-Verneuil,  sous 
Philippe-le-Bel  ;  elle  rejoignait  alors  la  rue  de 
Nesle,  aujourd'hui  d'Orléans,  plus  haut  que  celle 
des  Deux-Écus,  connue  comme  rue  Traversaume, 
et  elle  aboutissait  à  un    hôtel,  qye   dis-je  !  à  un 


ET   RUE    SAUVAL.  137 

palais.  Là,  en  effet.,  Philippe-le-Bel  venait  après 
Louis  IX,  et  avant  Ciiaiies  de  Valois,  Jean  de 
Luxembourg,  roi  de  Bohême,  Charles  V,  Amédée 
VL  comte  de  Savoie,  Louis  XII,  étant  duc  d'Orléans, 
Catherine  de  Médicis,  Catherine  de  Bourbon, 
Charles  de  Soissons,  le  prince  de  Garignan,  la 
banque  de  Law,  dont  le  dernier  marché  aux  actions 
lut  en  cet  hôtel,  et  enfin  la  Halle-au-Blé.  L'agran- 
dissement-de  l'hôtel  de  Soissons  pour  Catherine 
de  Médicis  raccourcissait,  dans  ces  parages,  en 
1577,  et  la  rue  d'Orléans  et  celle  des  Vieilles- 
Étuves,  où  le  n"  16,  dit-on,  appartint  à  la  même 
reine.  Maison  dont  le  propriétaire,  sous  Louis 
XVI,  signait  :  Dupont.  A  cette  époque  le  chevalier 
Desforges  disposait  des  deux  immeubles  situés  en 
face.  De  toute  façon  un  hôtel  garni  de  Carignan 
avait  été  porté  en  1769  h  l'avoir  de  cette  rue 
des  Vieilles-Etuves. 

N'y  cherchez  plus  l'estaminet  où  naguère  se 
réunissaient,  pendant  la  quinzaine  de  Pâques,  tous 
les  comédiens  et  comédiennes  de  France  sans 
engagement  :  le  Roman  comique  a  quitté  la  bras- 
serie qu'on  y  voit  encore,  pour  un  café  de  la  rue 
des  Marais-Saint-Martin  et  pour  son  allée  favorite 
au  jardin  du  Palais-Royal. 

En  la  même  rue  avait  résidé,  à  l'enseigne  du 
Barillet,  Ogier  de  Gombaud,  l'un  des  poètes  fêtés 
à  l'hôtel  Rambouillet,  qui  fit  la  tragédie  des  Danaïdes 
et  qui  fut  le  premier  à  s'asseoir  dans  l'un  des 
fauteuils  de  l'Académie-française.  Le  sieur  Joubert 
y  vendait  des  olives  et  des  anchois,  en  ce  temps- 
là,  au  Soulier-d'Or.  Quant  aux  bains,  ils  étaient 
déjà  de  l'histoire  ancienne  pour  ces  deux  habitants. 
A  plus  forte  raison  .Jaillot  u'eii  parla-t-il  que  rétros- 
pectivement, en  les  mettant  au  nombre  de  ceux 
où  le  maître,  étuviste  n'avait  que  faire  d'être  bar- 
bier, s'il  se  conformait  aux  mesures  qui  les  ouvraient 


138        RUE  DES  VIEILLE S-ETUVES.  ETC. 

exclusivement  au  sexe  qu'il  était  autorisé  à  y 
recevoir.  Leur  établissement  datait  d'avant  l'encla- 
vement de  la  rue  dans  l'enceinte  de  Philippe- 
Auguste?  N'en  pourrait-on  pas  dire  presque 
autant  de  l'escalier  à  vis  qui  tourne  encore  dans 
le  fond  du  n"  6,  et  de  la  petite  niche  à  madone 
du  14? 


Rue   du    Hasard,  (i) 


Boileau  dit  : 

On  a  vu  le  vin   et    le  hazard 
Inspirer  quelquefois  une  muse  grossière. 

Et  il  ne  parle  pas,  en  ce  passage,  d'une  com- 
binaison de  circonstances  indépendantes  de  la 
volonté  ;  il  parle  d'un  jeu,  proprement  dit  de  son 
temps  encore  le  hazard,  que  les  Grecs  du  Bas- 
Empire  avaient  appelé  àÇâptaj  et  que  l'on  préten- 
dait, lors  des  difficultés  de  Philippe-le-Bel  avec 
Boniface  VIII,  avoir  vu  jouer  à  ce  pape  {ludens 
ad  azaros)  en  téte-à-téte  avec  une  dame.  C'était, 
d'ailleurs,  un  terme  de  jeu  de  paume  et  de  jeu 
de  quilles  ;  on  disait  d'une  balle  qui  rebondis- 
sait d'une  façon  insolite,  ou  d'une  boule  qu'un 
obstacle  imprévu  dérangeait  une  fois  lancée,  que 
cette  balle  ou  cette  boule  faisait  hasard.  Mais, 
surtout  comme  synonyme  d'as  à  l'usage  des 
joueurs  de  dés,  il  en  était  venu  à  servir  de 
dénomination  k  un  genre  de  partie.  Un  passage 
du  Parlement  d' Amour ^  d'Alain  Chartier,  nous  met 
sur  la  voie  en  ces  termes  : 

Et  elle  faisoit  à   tous  tours 

Son  poinct  double;   et   c'estoit   par  l'ait 

De   ses   délicieux  atours, 

S'y   gardant  de  gecter  azart. 

Une  maison  de  jeu,  par  extension,  garde  le 
nom  du  Hazard  et  le  fait  partager  à    la    ruelle 


(1)  Notice  écrite  eu  1864. 


140  RUE  DU  HASARD. 

OÙ  elle  est  située.  Cette  petite  rue  ne  tîgure  pas 
encore  sur  le  plan  de  1652  ;  mais  elle  était  déjà 
portée  au  censier  de  l'archevêché  trente  ans  plus 
tôt.  Par  conséquent,  les  joueurs  s'y  rendaient  en 
passant  devant  l'hôtel  Mercœur,  qui  appartenait 
alors  au  marquis  d'Estrées,  et  devant  l'hôtel  de 
Rambouillet,  au  sieur  Dufresne,  avant  que  le 
Palais-Cardinal  s'élevât  à  la  place  de  ces  deux 
hôtels.  Combien  de  maisons,  en  la  rue  du  Hasard, 
à  la  fin  du  xvn^  siècle?  13,  dont  l'une  avait  pour 
enseigne  :  à  la  Butte-des-Moulins.  Combien  de 
réverbères  ?  4,  et  il  n'en  fallait  pas  davantage  pour 
reconnaître  nuitamment  la  maison  dans  laquelle 
on  avait  déjà  remué  les  dés,  à  pareille  heure,  sous 
la  régence  de  Marie  de  Médicis  :  le  sculpteur 
Legrand  en  était  propriétaire  une  quinzaine  d'années 
avant  la  régence  de  Philippe  d'Orléans. 

La  même  maison  devient  postérieurement  hôtel 
Séguier  :  les  bureaux  de  cet  avocat-général  au 
parlement  y  sont  installés.  Magistrat  de  la  vieille 
roche  pai'  ses  traditions  de  famille,  il  s'oppose, 
mais  en  vain,  à  la  condamnation  de  Lally  ;  il 
donne  sa  démission  quand  le  parlement  Maupeou 
est  substitué  au  parlement  dont  il  ne  partage  pas 
les  disgrâces,  et  il  ne  reprend  les  fonctions  du 
ministère  public  qu'au  retour  des  anciens  con- 
seillers. 

Depuis  1757  M  Séguier  fait  partie  de  l'Acadé- 
mie-française,  et  il  n'en  jette  pas  moins,  à  l'issue 
de  chaque  audience,  sa  robe  de  magistrat  aux  orties 
d'une  robe  encore  plus  facile  à  déposer,  mais  non  à 
rajuster.  Il  a  toujours  une  maîtresse  en  titre;  une 
année,  c'est  la  fille  Buclict,  qui  ne  se  gêne  pas  trop, 
comme  on  disait  alors,  pour  jouer  au  reversis 
avec  bien  d'autres  ;  l'année  suivante,  c'est  Jeanne 
Vaubertrand.  Cette  autre  fille  .du  monde,  encore 
un  mot  du  temps  !  a  principalement  mis  à  con- 


RUE  DU  HASARD.  141 

tributioii  M.  Geneste,  commissaire  des  guerres, 
et  un  neveu  du  trésorier  de  la  reine,  puis  M. 
Clausier,  qui  vient  de  l'Amérique  ;  elle  a  voulu 
monter  sur  les  planches,  et  comme  elle  chante  et 
danse  passablement,  Monet,  auteur  et  directeur, 
l'a  engagée  pour  les  deux  foires,  à  raison  de  50 
louis;  mais,  au  lieu  de  (aire  son  servjce,  elle 
reçoit  M.  l'avocat-général  dans  un  hôtel  de  la 
rue  de  Thorigny,  où  la  place  d'honneur  lui  est 
avant  peu  disputée  par  Dufour,  père  nourricier 
du  Dauphin.  M.  Séguier  fait  k  la  belle  des  scènes 
de  jalousie  à  émouvoir  tous  les  habitants  du 
Marais,  excepté  elle,  qui  a  un  train  de  maison 
à  soutenir  quand  même  avec  équipage  et  laquais. 
D'historiettes  de  ce  genre  la  biographie  de  Séguier 
regorgerait  ;  il  a  près  de  Saint-Laurent  une  petite 
maison,  que  la  Hecquet,  entremetteuse,  ne  laisse 
pas  chômer  de  parties  fines.  Il  fait  des  dettes, 
que  le  roi  paye  une  fois,  afin  de  le  marier,  avec 
un  douaire  de  8,000  livres.  Chez  lui,  dii  reste, 
l'avocat-général  observe  si  bien  les  convenances 
qu'il  se  met  rarement  à  la  fenêtre,  crainte.de  recon- 
naître à  la  leur  une  ou  deux  drôlesses  qui  habitent 
la  même  rue. 

La  D"<'  Perrière  est  du  nombre  ;  son  visage, 
picoté  par  la  petite-vérole,  n'en  a  gardé  que  des 
traits  plus  piquants  ;  et  puis,  comme  on  la  dit  bien 
faite!  M.  Séguier,  qui  connaît  son  histoire,  l'ap- 
pellerait M™«  de  Serres,  si  le  mariage  lui-même 
pouvait  donner  h  de  telles  femmes  autre  chose 
qu'un  nom  de  guerre.  Élevée  par  sa  tante,  à 
Montreuil,  elle  n'a  appris  d'un  chanoine  de  Vin- 
cennes  que  l'a,  b,  c,  de  son  état;  De  Serres  l'a 
rencontrée  chez  la  Montigny,  où  elle  faisait  ses 
humanités,  et  quand  M.  de  Bregé,  doyen  du  grand- 
conseil,  a  meublé  richement  cette  fille,  il  a  mis 
à  la  porte  De  Serres,  qui  n'a  pu  rentrer  par  la 
fenêtre  qu'au  moyen  d'un  mariage   secret.   M,  de 


RUE  DU  HASARD.  142 

Bregé,  plus  épris  que  jamais,  s'est  débarrassé  du 
mari,  en  lui  achetant  une  charge  d'officier  dans 
les  gardes  de  la  ville  ou  chez  le  roi,  valant  25,000 
livres,  et  il  a  placé  pareille  somme  sur  la  tète 
de  son  épouse.  Mais  celle-ci  dépense  trop  pour 
que  le  grand-conseil  y  suffise  sans  la  cour  des 
aides.  La  propagande  que  fait  son  greluchet  d'époux, 
pour  elle  et  pour  d'autres  danseuses,  le  dégoûte 
tellement  des  femmes  qu'il  se  tourne  d'un  autre 
côté. 

Le  Lycée  de  Paris,  fondé  en  1799  par  Lebrun, 
mais  qui  fait  suite  au  Lycée  des  Étrangers  et  à 
l'Athénée  des  Étrangers,  occupe  le  ci-devant  hôtel 
Séguier.  Cet  établissement  donne  des  concerts  et 
des  bals  pour  l'agrément  de  ses  abonnés  à  l'année 
ou  au  semestre,  en  même  temps  qu'il  ajoute  à 
leur  instruction  par  des  cours,  par  des  conféren- 
ces, par  des  lectures.  Les  professeurs  du  Lycée 
de  Paris  sont: 

Duclerc,  pour  lu  cosmographie  ;  Leblanc,  économie 
politique;  PaliSFOt-B?auvois,  géologie;  Rauque,  physio- 
logie; Blanvillain,  lilléralure  italienne;  Baldowinii,  lan- 
gue anglaise  ;  Gautherot  et  Cadet,  physique  ;  BelJangé, 
architectura   rurale;   Sepz,  hygiène. 

Le  tripot  du  Hasard,  la  maison  de  Legrand, 
l'hôtel  Séguier  et  le  Lycée,  tout  cela  porte  au- 
jourd'hui un  6  pour  signe  particulier.  L'apparte- 
ment de  la  D"°  Perrière  était  au  11,  transformé 
en  hôtel  du  Pérou,  puis  de  Pologne,  et  occupé 
ensuite  par  une  réunion  de  filles  du  monde,  sous 
la  direction  de  la  femme  Bessières,  maîtresse 
d'un  sieur  Hérault,  propriétaire  de  Timmeuble,  à 
laquelle  Bessières  a  succédé  la  femme  d'Orsay,  puis 
la  femme  Bourgeois.  On  peut  encore,  sous  ce 
toit  galamment  hospitalier,  se  demander  avec 
Lucain  : 

Quem   tamcn  inveniel  tam  longa    potentia  finem  ? 


Rue    Bourg;-!' Abbé    (i) 

DONT  LE  RESTE  EST  MAINTENANT  ABSORBÉ  PAR  LA  NOUVELLE 

rue    de  Palestre. 


Où  s  en  va  V Argent  mal  acquis.  —  Comment  se 
range  un  mauvais  Sujet.  —  L'Hôtel  de  Mau- 
roy.  —  Un  Couple  cCAmis.  —  Une  Etape  de 
ytfiyales  Amours.  —  Extrait  Ce  VAlmanach  du 
Commerce  et  des  Papiers  terriers  sous  Louis 
XIV.  —  La  Poterne  du  Bourg  de  VAbbé.  — 
La  Simplesse  de  l'Amour   local. 

Tout  cet  argent  volé  qui  s'en  va  chez  les  fem- 
mes de  mauvaise  vie  n'y  reste  guère;'  on  dit 
même  qu'elles  partagent  toujours  avec  de  petits 
comédiens,  des  garçons  perruquiers  ou  des  sol- 
dats, ce  qu'elles  ont  extorqué,  mais  la  plupart 
du  temps  de  seconde  main,  aux  honnêtes  gens. 
La  galanterie  coûte  cher,  en  somme,  même  à 
ceux  qui  n'y  laissent  pas  leur  probité,  et  les 
tilles  dites  de  joie  prélèvent,  k  Paris,  pour  sub- 
venir aux  frais  du  culte  dont  elles  représentent 
les  idoles,  presque  tout  ce  dont  il  est  fait  tort 
aux  créanciers,  aux  actionnaires,  aux  caisses  pu- 
bliques ou  particulières,  aux  conventions,  aux 
successions,  au  jeu,  aux  absents  et  aux  pupilles. 
Notre  sexe,  par  exemple,  fait  parfois  rembourser 
aux   femmes  du  monde  quelque  chose  de  ce  que 

(1)  Notice  écrite  en  1858.  Le  boulevard  Sébastopol 
avait  déjà  enlevé  à  la  rue  Bourg-l'Abbé  tout  un  côté  ; 
mais  la  rue  de  Palestro  n'était  pas  encore  percée,  dont 
les  nos  17,  19^  21  gt  23  actuels  appartenaient  à  la  rue 
disparue. 


]44  RUE   BOURG-L'ABBE 

tanl  d'autres  ont  pu  tirer  de  sa  concupiscence  in- 
corrigible. En  effet,  qu'une  femme  mariée  prenne 
un  amant,  c'est  souvent  plus  d'un  tort  qu'elle  fait 
à  son  mari;  elle  a  rarement  pour  complice  de 
sa  faute  quelqu'un  dont  la  fortune  ne  soit  pas  à 
faire  ou  à  refaire,  car  les  femmes  n'éprouvent 
que  de  l'estime  pour  ceux  qui  peuvent  tout 
acheter.  Aussi  le  moins  qui  en  puisse  coûter  au 
gérant  responsable  de  la  communauté,  du  moment 
que  le  registre  à  souche  a  circulé,  c'est  que  les 
actions  fondamentales,  qui  devaient  rester  au  talon 
conjugal,  aient  été  converties  en  valeurs  au  por- 
teur, pour  obtenir  au  favori  une  place,  une  mis- 
sion, un  titre  ou  une  croix,  également  de  la  main 
à  la  main.  Aussi  bien  le  mariage  dans  le  monde, 
voire  même  sous  l'ancien  régime,  a  presque  tou- 
jours été  une  spéculation  avantageuse  pour  le 
prétendu;  tout  fils  de  bourgeois  ii  30  ans,  pour 
peu  qu'il  pût  acheter  à  la  taxe  un  office  de  con- 
seiller aux  enquêtes  ou  en  cour  des  aides,  ou 
encore  au  grenier-à-sel,  était  tout  de  suite  en 
passe  d'obtenir,  dans  le  quartier  des  Bourdonnais, 
la  main  de  la  fille  ou  de  la  veuve  d'un  gros  mar- 
chand, six  fois  plus  riche  en  espérances  ou  en 
deniers  comptants. 

Mieux  encore  croyait  avoir  fait,  sous  le  règne 
de  Louis  XV,  W  Vinet,  juge-enquêteur.  Sa  femme, 
pour  premier  mari,  avait  eu  le  coureur  des  vins 
de  la  reine,  office  unique  et  d'un  prix  plus  élevé, 
dont  elle  avait  fait  son  deuil,  car  il  avait  fallu  le 
vendre  pour  convoler  dans  les  enquêtes.  Le  nou- 
veau ménage  s'était  installé  rue  Bourg-FAbbé,  dans 
une  vaste  maison  qui  porte  de  nos  jours  le  n"  41  ; 
mais  Vinet  avait  pris  des  renseignements  fort  minu- 
tieux sur  l'apport  exact  de  la  veuve,  au  préjudice 
d'autres  informaticns.  La  dame  eût  cru  manquer 
à  la  mémoire  de  son  premier  époux,  en  ne  con- 
servant pas   du    défunt  jusqu'à   l'amant    qu'il  lui 


ET  RUE  DE  PALESTRO.  145 

avait  souffert  de  son  vivant  :  c'était  pour  elle  un 
legs,  un  ex-voto.  Or  ce  galant,  ancien  cornette 
ne  servant  plus  que  le  jeu  et  les  belles,  ressem- 
blait au  héros  d'un  conte  de  Bocace,  Roger  de 
Jéroli,  le  plus  mauvais  sujet  de  Salerne.  qui  était 
de  bonne  famille,  mais  dont  les  fredaines,  les 
sottises  et  les  escroqueries  avaient  pour  consé- 
quence de  lui  fermer  la  porte  de  ses  parents. 
Dans  le  Décaméron.  {n"  journée,  nouvelle  10),  nous 
voyons  comment  en  usa  avec  Roger  de  Jéroli  la 
femme  de  Mazzéo,  dès  la  première  de  leurs  en- 
trevues :  «  Après  s'être  amusée  comme  on  le 
fait  dans  un  tête-à-tête  amoureux,  la  dame  pro- 
fita de  cet  agréable  moment  pour  sermonner  le 
jeune  homme;,  elle  le  pria  de  renoncer,  pour  l'a- 
mour d'elle,  à  ses  filouteries  et  autres  méchantes 
actions  qui  l'avaient  perdu  de  réputation,  en  s'o- 
bligeant,  pour  mieux  l'y  engager,  à  lui  donner 
de  l'argent  de  temps  en  temps.  »  Même  morale 
administrée  depuis  trois  ans  au  ci-devant  porte- 
étendart  de  cavalerie,  par  cet  autre  amour  mé- 
decin, qui  lui  en  dorait  la  pilule,  en  la  multi- 
pliant par  des  présents.  M«  Vinet  voulut  s'opposer, 
comme  de  juste,  aux  visites  de  ce  parasite  à 
double  titre;  mais  le  mauvais  sujet  se  prétendit 
le  cousin  du  défunt,  chez  lequel  il  avait  laissé 
un  rond  de  serviette  à  son  chitTre.  Les  régals 
continuèrent  ainsi  rue  Bourg-l'Abbé;  seulement 
le  sigisbé  faisait  mine  d'en  rendre  quelque  chose 
au  second  mari,  sous  forme  de  collations  à  la 
campagne,  et  puis  il  s'arrangeait  pour  perdre  aux 
cartes,  chaque  fois  qu'il  faisait  sa  p?rtie,  sauf 
à  prendre  des  mesures  contraires  quand  il  jouait 
avec  la  dame.  Bref,  c'était  un  ménage  îi  trois, 
non  moins  curieux  que  celui  de  Mazzéo;  le  soi- 
disant  cousin  n'avait  plus  de  sergents  à  ses 
trousses  que  comme  moyen  de  comédie,  quand 
il   voulait  tirer   une    lettre   de  change  plus  forte 


146  RUE   BOURG-L'ABBE 

qu'à  l'ordinaire  sur  la  maîtresse  qu'il  exploitait 
de  plus  eu  plus.  Au  bout  de  quelques  années, 
]yime  vinet^  qui  comptait  moins  souvent  avec  son 
coffre-fort  qu'avec  son  cœur,  constant  à  sa  ma- 
nière, fut  forcée  de  donner  congé  de  l'apparle- 
ment  du  premier  et  fit  monter  tables  et  lits  au 
second  étage,  sur  le  derrière  de  la  maison,  pour 
diminuer  les  charges  du  trio.  Les  visites  quoti- 
diennes de  l'amant  y  devinrent  hebdomadaires, 
puis  mensuelles,  mais  plus  rançonneuses  que 
jamais,  en  dépit  de  la  gêne  croissante.  La  belle 
s'en  chagrina  et  en  mourut,  laissant  un  testament 
en  faveur  de  l'ingrat  qui  l'ayait  ruinée  aux  trois- 
quarts.  M*'  Vinet  fut  par  suite  obligé,  à  l'âge  de 
40  ans,  de  vendre  son  office,  pour  acquitter  une 
portion  du  legs  fait  sur  les  propres  de  sa  femme, 
et  quant  au  légataire  universel,  il  ne  se  gêna 
pas  pour  traiter  l'époux  survivant  de  dissipateur 
hypocrite  et  de  banqueroutier  domestique. 

La  maison  d'à  côté  fut  l'hôtel  de  Mauroy,  fa- 
mille noble  de  la  Champagne,  et  fit  retour  à 
l'Etat  par  suite  de  l'émigration  d'Anne-Joseph  de 
Mauroy,  né  le  14  juin  i7o0,  un  des  fils  du  lieu- 
tenant-général marquis  de  Mauroy.  Le  primidi 
de  la  seconde  décade,  pluviôse  an  n,  furent  ven- 
dues deux  maisons  ci-devant  à  l'émigré  Mauroy, 
portant  alors  rue  Bourg-l'Abbé  les  n°'  30  et  31, 
section  des  Amis  de  la  Patrie,  tenant  à  droite 
au  citoyen  Orselle,  à  gauche  au  citoyen  Dupont 
et  dans  le  fond  à  la  veuve  Abraham.  L'adjudica- 
taire était  le  citoyen  Brunot;  toutefois  un  bail 
consenti  en  1789  par  M.  de  Mauroy,  pour  neuf 
années,  à  Biaise  Laugier,  parfumeur,  non-seule- 
ment suivit  son  cours,  mais  encore  fut  renou- 
velé tant  au  nom  de  Laugier,  qui  resta  là  30  ans, 
qu'au  nom  de  Sichel,  qui  acheta  son  fonds  de 
commerce,  et  le  même  contrat  de  louage  sort 
encore  son  exécution  à  notre  époque.  Le  fils  de 


ET  RUE  DE  PALESTRO.  147 

Biaise  Laugier  et  M.  de  Beaufort,  amis  intimes  qui 
ne  se  quittaient  pas,  qui  s'étaient  fait  une  dona- 
tion mutuelle  de  leurs  biens  au  dernier  vivant, 
disposaient  de  l'immeuble,  sous  Louis -Philippe,  et 
c'était  moins  une  couple  qu'un  couple  d'amis  fra- 
ternels :  on  ne  savait  plus,  dans  le  quartier, 
lequel  des  deux  avait  mis  l'immeuble  dont  il  s'agit 
dans  leur  communauté. 

Suivent  de  petites  maisons  plus  que  séculaires, 
dont  les  portes  se  passent  probablement  de  por- 
tiers. Deux  vastes  cours,  trois  corps  de  bâtiment 
composent  le  n"  29;  celui  du  milieu  date  de 
l'année  où  fut  rétabli  le  calendrier  grégorien  fer- 
mant l'ère  républicaine,  et  les  deux  autres  pas- 
sent pour  l'un  des  anciens  pied-à-terre  des 
royales  amours  de  Gabrielle  d'Estrées.  Le  fait 
est  que  des  escaliers  tournent  encore  dans  les 
caves,  mais  s'y  arrêtent  court,  qui  avaient  pour 
issue  de  longs'  passages  souterrains.  Une  marine, 
peinture  ancienne,  décore  la  chambre  de  M.  Rol- 
land, dont  le  magasin  de  jouets  d'enfants  en  gros 
remonte  à  environ  80  ans.  Au  21  est  le  passage 
du  même  nom  que  la  rue,  percé  en  1828.  La 
grande  porte  du  19,  son  ensemble  et  son  âge  dé- 
noncent un  vieux  hôtel  de  magistrat. 

En  plein  règne  de  Louis  XIV,  il  y  avait  dans 
cette  rue  :  un  traiteur,  à  l'enseigne  du  Louis; 
un  marchand  de  chevaux,  nommé  Lebreton,  à  la 
Croix-de-Fer,  une  maison  du  Lion-d'Argent,  où  se 
tenaient  des  joailliers  forains  de  Saint-Claude,  et 
un  Lion-d'Or,  pour  des  marchands  de  Dieppe,  et 
le  bureau  des  coches  de  Montreuil,  Calais,  Dun- 
kerque  et  Saint-Omer,  à  l'image  de  l'Ecu-Dau- 
phin. 

Il  s'y  suivait,  peu  de  temps  après,  une  quin- 
zaine de  propriétés  dans  cet  ordre,  sans  solution 
de  continuité  : 


148  RUE   BOURG-L'ABBÉ 

Mi'e  de  Lisle,  aux  Quatre -Vents,  encoignure  de  la 
rue  Grenéta.  —  La  même.  —  De  Laporte,  magistrat, 
à  la  Croix-d'Or,  porte  cochère  (c'était  l'une  au  moins 
des  deux  maisons  qu'eut  plus  tard  la  famille  de  Mau- 
roy).  —  Liseau,  procureur,  à  l'Agneau-Pascal.  —  Le- 
maire  et  consorts,  au  Chef-Saint-Jean.  —  Biiannois,  à 
Notre-Dame-des-Vertus,  porte  cochère.  —  Granger,  huis- 
sier, au  Persan.  —  De  Monceaux,  substitut,  au  Petit- 
Saint-Jean.  —  Santsuil.  —  Belmet,  au  Roi-Henri.  — 
Chevallier.  —  Lacas,  plombier,  à  Saint-Michel.  —  La 
fabrique  de  Saint-Nicolas-des-Champs.  —  Lalien.  — 
Le   même.    —    Santeuil,   porte    cochère.   —  Aubry. 

Les  premières  desdites  maisons  appartenaient 
en  1786  à  : 

Juberl,  —  le  même,  —  le  M's  de  Mauro3',  —  le  même, 
—  Dupont,   —  Salambrié,    —  Beaugé,  —  Patage. 

En  vertu  d'un  arrêt  de  i8o4,  la  rue  ne  bat 
plus  à  peine  que  d'une  aile  :  l'autre  s'est  entiè- 
rement fondue  au  soleil  d'un  nouveau  boulevard. 
En  revanche,  il  arrive  jusqu'à  nous  deux  versions 
sur  l'origine.  Le  bourg  de  l'Abbé  dépendait  de 
l'abbaye  Saint-Martin  et  faisait  groupe  sous  les 
rois  de  la  seconde  race,  d'après  certains  auteurs; 
d'autres  soutiennent  que  ces  premiers  confondent 
le  bourg  de  l'Abbé  avec  le  beau  Bourg,  et  que 
si  celui-ci  était  à  l'abbé  Saint-Martin,  celui-là  rele- 
vait, au  contraire,  de  Saint-Magloire.  .Un  livre  très- 
curieux  de  M.  Bonnardot,  les  Anciennes  Encein- 
tes de  Paris,  nous  apprend  que  la  poterne 
Bourg-l'Abbé  était  située  rue  de  ce  nom,  un  peu 
au-dessus  de  la  rue  aux  Ours;  par  ainsi,  quand 
Philippe-Auguste  a  fait  entrer  dans  notre  ville 
une  portion  du  bourg  dont  il  s'agit,  le  mur  de  l'en- 
ceinte urbaine  a  surgi  où  est  maintenant  ce  boulevard 
neuf  qui  nous  a  déjà  fait  tomber  plus  de  la 
moitié  des  maisons  de  la  vieille  rue  Bourg- 
l'Abbé. 


ET  RUE  DE  PALESTRO.  U9 

Cette  rue,  maintenant  à  l'agonie,  a  été  jeune, 
ingénue,  amoureuse,  et  l'amour  y  venait  si  franc, 
si  partagé  et  si  durable  que  c'était  à  se  croire 
entre  bergers  et  bergères.  La  naïveté  pastorale 
de  leurs  mœurs  faisait  dire  en  ce  temps-là  des 
gens  de  la  rue  Bourg-l'Abbé  :  —  Ils  ne  deman- 
dent qu'amour  et  simplesse! 


10 


Rue    de    Boiirf(og;ne.    (i) 


Le  Duc   de    Bourgogne.    —  Advienne   Lecouvreur. 

—  Sainte- Valêre.   —  Le  30  et  le  32.  — Le  40. 

—  Oudinot.   —   M""^  de  Fitzjames.   —  La    Ca- 
serne.  —   Molière.  —  M.  Joly. 

Louis,  duc  de  Bourgogne,  fils  du  dauphin,  naît 
à  Versailles  en  l'année  où  la  flotte  de  son  grand- 
père  Louis  XIV,  qui  n'a  pas  encore  dit:  Il  ny  a 
plus  de  Pyrénées,  prélude,  en  bombardant  Alger, 
aux  conquêtes  destinées  à  faire  dans  la  suite  un 
lac  français  de  la  Méditerranée,  Ce  prince  gran- 
dit, élève  de  Fénélon;  mais  il  entre,  déjà  dans 
sa  vingt-cinquième  année,  il  est  marié  et  il  a  des 
fils  quand  le  roi,  en  1707,  ordonne  l'ouverture  de 
la  rue  de  Bourgogne  entre  la  rue  de  Varennes  et 
le  quai  de  la  Grenouillère,  bientôt  d'Orsay,  sur 
des  terrains  provenant  en  partie  de  la  com- 
munauté des  filles  de  Saint-Joseph,  mais  princi- 
palement du  Pré-aux-Clercs,  La  mort  du  dauphin 
rend  le  duc  de  Bourgogne  héritier  présomptif.de 
la  Couronne,  en  l'an  1711;  mais  il  succombe  lui- 
même,  l'année  suivante,  et  deux  autres  coups, 
mortellement  frappés  presque  en  même  temps 
dans  la  région  du  trône,  font  au  moins  croire  à 
une  épidémie  princière;  mais  partout  les  familles 
nombreuses  se  déciment  ainsi,  coup  sur  coup, 
comme  si  la  mort  elle-même  craignait  l'isolement  ! 
Sous  la  Régence,  on  songe  à  prolonger  la  rue 
de  Bourgogne  jusqu'à  la  rue  Plumet  ;  seulement  le 
projet   en    est    abandonné    après  commencement 


(l;  Notice  écrite   en   1858. 


RUE  DE  BOURGOGNE.  151 

d'exécution.  Louis-Joseph  de  Bourbon,  prince  de 
Condé,  est  autorisé,  en  1776,  h  changer  quelque 
peu  la  direction  de  cette  voie  publique  entre  les 
•rues  de  l'Université  et  Saint-Dominique,  pour  for- 
mer devant  le  palais  Bourbon  une  place  demi- 
circulaire;  mais,  entre  les  deux  rues  susdites, 
des  constructions  régulières  ne  s'élèvent  qu'à  la 
seconde  rentrée  de  Louis  XVIH,  pour  mieux  faire 
cortège  à  la  place.  Il  s'en  faut  toutefois  que  le 
palais  ait,  dès  son  origine,  le  même  aspect  qu'à 
notre  époque.  Deux  pavillons  à  l'italienne  le  pré- 
cèdent du  côté  du  pont,  qui  d'abord  porte  le 
nom  de  Louis  XVI,  et  son  emplacement,  avant 
que  le  prince  ait  décoré  d'un  si  magnitique  vestibule 
cette  nouvelle  entrée  du  faubourg  Saint-Germain, 
a  été  un  désert  marécageux,  tout  au  plus  occupé 
par  des  chantiers  à  l'époque  où  le  quai  n'était 
encore  qu'une  berge. 

Par  une  nuit  bien  silencieuse,  lorsque  déjà 
Louis  XV  gouvernait  par  lui-même,  M.  de  Laubinière 
y  a  mis  pied  à  terre,  en  sortant  d'un  carrosse 
de  louage,  suivi  d'une  voiture  de  même  sorte. 
Trois  hommes,  par  ses  ordres,  ont  creusé  furtive- 
ment- une  fosse  sur  ce  terrain  humide,  et  un 
cadavre  dans  sa  bière  a  été  inhumé  en  toute  hâte, 
comme  pour  cacher  un  crime,  à  une  portée  de 
mousquet  delà  rivière.  Tels  ont  été  les  seuls  de- 
voirs suprêmes  rendus  par  un  ami  à  Adrienne 
Lecouvreur,  grande  actrice,  dont  la  fin  tragique, 
outre  qu'elle  était  l'œuvre  du  poison,  a  eu  l'in- 
tolérance religieuse  pour  apothéose.  Languet  de 
Gergy,  curé  de  Saint-Sulpice,  avait  refusé  l'entrée 
de  l'église  et  jusqu'à  celle  du  cimetière  au  corps 
d'Adrienne  Lecouvreur  :  le  préjugé  contre  les  comé- 
diens était  alors  en  France  dans  toute  sa'  force, 
bien  que,  vers  le  même  temps,  Olfieds,  célèbre 
actrice  de  l'Angleterre,  fût  enterrée  à  Westminster 
avec  les  rois  ! 


152  RUE  DE  BOURGOGNE. 

Aussi  bien  toute  la  rue  de  Bourgogne,  jusqu'au 
point  où  la  rue  de  Grenelle  la  traverse,  n'est 
encore  bordée  en  1739  que  de  murs  de  jardins 
et  de  bâtiments  en  aile  appartenant  aux  hôtels 
des  rues  qui  la  croisent.  Le  revers  de  l'hôtel  de 
Broglie  se  présente  alors  sur  la  gauche,  au  coin 
de  la  rue  Saint-Dominique,  et  aujourd'hui  encore 
le  21,  qu'on  a  refait  il  y  a  deux  ans,  dépend  de 
l'hôtei  du  comte  d'Haussonville,  gendre  du  duc  de 
Broglie.  Aussi  bien  M""  la  duchesse  de  Valmy 
dispose  maintenant,  sous  la  rubrique  des  no*  31, 
33  et  35,  d'un  segment  de  propriété,  et  l'arc  de 
ce  segment  est  son  jardin  comme  la  rue  en  est 
la  corde.  Le  24  ne  comporte  encore,  lors  des 
trois  journées  de  Juillet,  que  les  communs  de 
l'hôtel  de  Périgord,  qui  ouvre  rue  Saint-Dominique; 
mais  quand  l'église  de  Sainte-Valère  est  évincée  du 
territoire  qu'elle  occupe,  dans  la  même  rue,  le  duc 
de  Périgord  cède  aux  édiles  parisiens,  moyennant  un 
loyer,  de  quoi  la  transférer  rue  de  Bourgogne.  Depuis 
que  Sainte-Clotilde  est  ouverte  aux  fidèles,  Sainte- 
Valère  n'a  plus  de  raison  d'être;  mais  le  curé 
paie  lui-même  5,000  francs  de  rente  Ji  M.  de 
Périgord  pour  avoir  dans  l'ancienne  église  la  cha- 
pelle du  catéchisme  de  Sainte-Clotilde  et  la  mai- 
son de  secours  des  sœurs  de  charité. 

Sur  ce  plan  de  Paris  en  1739  que  nous  inter- 
rogeons, rien  ne  se  reconnaît  des  n"'  30  et  32 
actuels,  qui  sont  de  construction  pareille.  Mais 
ne  sont-ils  pas  la  couple  de  maisons  jumelles  que 
M.  Pasquier  se  fit  ériger,  sur  le  dessin  de  Trep- 
sat,  dans  cette  rue,  en  l'année  1772?  D'autres 
plans  en  peuvent  tenir  compte.  Il  en  est  au 
moins  un  qui  signale  comme  propriétaire  de  deux 
places,  dans  le  bas  de  la  rue,  le  maréchal  d'Es- 
trées  en  1725,  et  un  autre,  les  hôtels  de  Conti 
et  de  Lignerac,  aux  encoignures  de  la  rue  Saint- 
Dominique,   en  1744.   Celui    que   nous  consultons 


RUE  DE  BOURGOGNE.  Ibi 

pi"iiicipalement  montre,  à  deux  des  angles  de  la 
rue  de  Grenelle,  un  pan  de  l'hôtel  de  Sens  et  un 
côté  du  couvent  des  Carmélites  ;  au-delà,  il  nous 
fait  entrer  dans  ce  qu'il  y  a  de  bordé  de  mai- 
sons à  son  époque  en  la  rue  de  Bourgogne,  qui 
n'a  guère  d'habitants  plus  bas  à  elle  seule. 

Ainsi  le  n"  40  était  vendu,  dès  1719,  par  Du 
Tillet  à  François  Mouchard,  directeur  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  puis  passait  à  son  fils  unique, 
écuyer,  secrétaire  du  roi,  receveur-général  des 
finances  en  Champagne,  qui  cédait  en  1773  à 
Villeminot  constructions  et  terrain,  mesurant  496 
toises.  Quatre  ans  ensuite,  le  comte  d'Antzy,  pro- 
priétaire de  l'hôtel  voisin,  acquérait  une  portion 
de  ladite  propriété,  tenant  par-derrière  à  l'hôtel 
du  Chàtelet.  Enfin,  le  14  fï-uctidor,  peu  de  temps 
après  la  chute  et  l'exécution  de  Robespierre, 
l'explosion  de  la  poudrière  de  Grenelle  vint  faire 
croire,  pour  un  moment,  à  la  résurrection  volca- 
nique du  fameux  dictateur,  et  ce  fut  une  secousse 
immense  des  deux  manières  pour  tous  les  habi- 
tants de  la  maison.  Celle-ci  portait  alors  le 
n"  1417  et  fut  transportée  en  l'an  v  par  la  veuve 
de  Villeminot  au  citoyen  Pérou,  dont  la  famille 
est  encore  propriétaire. 

Après  cela,  voulez-vous  voir  l'ancien  hôtel  du 
comte  d'A.ntzy?  frappez  n''  44.  L'adjudication  en 
a  été  prononcée  par  l'administration  centrale  du 
département  de  la  Seine,  17  pluviôse  an  vu,  au 
profit  des  trois  frères  Trabuchy  et  de  Quinette  ; 
ce  dernier,  qui  n'était  en  1808  que  préfet  de  la 
Somme,  a  eu  pour  acheteur,  le  16  avril,  ce  gé- 
néral comte  Ou'dinot  qui  avait  soutenu  h  Fried- 
land,  avec  10,000  grenadiers,  le  choc  de  80,000 
Russes.  Depuis  cette  journée,  qui  avait  décidé  de 
la  paix  de  Tilsitt,  l'empereur  avait  inscrit  le  nom 
du  général  sur  la  liste  de  ceux  auxquels  il  ac- 
cordait   100,000    l'r.    pour    acheter    un    hôtel    et 


154  RUE  DE  BOURGOGNE. 

100,000  IV.  sur  le  grand-livre  :  riirteiitioii  de  Na- 
poléon était  dès-lors  de  leur  créer  un  fief  ina- 
liénable dit  majorât.  On  sait  que  la  valeur  bien 
réfléchie  de  celui  que  Wagram  fit  bientôt  maré- 
chal d'Empire,  duc  de  Reggio,  fut  avant  tout 
amie  de  l'ordre  public;  la  maréchale  Oudinot,  née 
de  Coucy,  passa  sous  la  Restauration  dame  d'hon- 
neur de  la  duchesse  de  Rerri.  Le  général,  fils  du 
duc  de  Reggio,  habite  l'hôtel  de  son  illustre  père, 
dont  l'architecture  se  rapporte  à  celle  du  numéro 
suivant,  bien  que,  du  côté  du  jardin,  elle  de- 
vienne différente  et  l'emporte  par  la  majesté.  Le 
46  est  occupé  par  une  vénérable  duchesse,  M"'"  de 
Fitzjames,  née  Ghoiseul,  qui  a  planté  un  cèdre  du 
du  Liban  dans  le  jardin  de  l'hôtel,  étant  jeune  : 
cet  arbre  toujours  vert  ne  tardera  pas  à  être 
octogénaire.  De  cette  propriété-mère,  fondée  par 
le  duc  de  Praslin,  s'est  probablement  détaché 
l'immeuble  précédent. 

Les  n°'  47  et  49  dépendent  encore  de  l'hôtel 
de  M"'«  la  duchesse  de  Duras.  Le  53,  à  l'origine, 
n'avait  pas  plus  d'autonomie.  Le  48  a  été  édifié, 
sous  le  règne  de  Louis  XVI,  pour  le  compte  de 
l'Hôpital-Général  ;  une  pension  s'y  établissait  pendant 
la  République  ;  la  duchesse  de  Damas  y  résidait' 
sous  la  Restauration  ;  la  famille  de  M.  le  comte 
de  Fermon  l'a  acheté  en   1828. 

Un  ci-devant  quartier  de  gardes-françaises,  le 
57  !  Ses  murs  épais  se  sont  prêtés  aux  mo- 
difications qui  en  ont  fait  une  de  ces  l'uches 
dont  le  miel  se  butine  par  terme  de  loyer  ;  seule- 
ment, pendant  qu'on  réparait,  un  jeune  cheval 
anglais  qui  piaffait  dans  une  écurie  a  mis  h 
découvert  la  bouche  d'un  puits  profond,  depuis 
fort  longtemps  supprimé,  et  il  a  fallu  procéder 
au  sauvetage  du  noble  animal. 

De    cette  tradition    d'écurie    remontons    à  une 


RUE  DE  BOURGOGNE.  155 

transmission,  qui  n'est  pas  moins  orale,  mais  qui 
l'egarde  le  théâtre.  On  dit  que  Molière  a  joué  la 
comédie,  étant  jeune  homme,  dans  une  petite  salle 
antérieure  de  soixante-dix  ans  à  l'ouverture  de  la 
rue,  et  qui  était  placée  où  se  trouve  présente- 
ment le  n°  50.  De  croire  qu'on  ait  pris  la  licence 
de  confondre  le  théâtre  de  l'hôtel  de  Bourgogne 
avec  celui  auquel  la  tradition  fait  allusion,  le 
moyen!  La  bévue  ne  serait-elle  pas  trop  forte? 
Il  se  peut  parfaitement  qu'un  des  seigneurs  élevés, 
comme  Poquelin,  chez  les  jésuites,  ait  eu  sa  petite 
maison  dans  ces  parages,  et  notamment  Armand 
de  Bourbon,  prince  de  Conti,  son  camarade  de 
classe.  Le  cardinal  de  Richelieu  avait  déjà  mis 
à  la  mode  le  goût  des  spectacles  à  Paris,  et  il  s'était 
déjà  formé  plus  d'un  théâtre  particulier,  où  l'on  jouait 
Rotrou,  Desmarets,  Corneille  et  Scudéri,  lorsque 
Poquelin  suivit  Louis  XIII  i\  Narbonne  comme 
valet  de  chambre-tapissier,  en  remplacement  de 
son  pèi-e,  l'année  1641.  Avant  de  prendre  le  nom 
de  Molière,  Poquelin  revint  dans  la  grand'ville; 
il  réunit  plusieurs  jeunes  gens  avec  lesquels  il 
jouait  la  comédie  de  société.  Bientôt  cette  com- 
pagnie nouvelle  éclipsa  les  autres  troupes  d'ama- 
teurs et  fut  dite  V Illustre  théâtre  ;  elle  donna  des 
représentations  rue  deBuci,  dans  un  jeu  de  paume, 
mais  en  d'autres  endroits  aussi.  C'est  pour  sûr  à 
cette  époque-lâ  que  se  rapporte  Von  dit  dont  nous 
donnons  l'écho. 

Jean  Joly,  secrétaire  des  commandements  du 
prince  de  Condé,  a  fait  bâtir  en  1772  les  n"''  50 
et  52,  en  même  temps  qu'on  élevait  le  Palais- 
Bourbon,  et  cette  simultanéité  a  porté  ensuite  les 
malveillants  à  croire  que  les  matériaux  de  son 
hôtel,  touchant  aux  écuries  delà  reine,  lui  étaient 
revenus  à  bon  compte.  Un  joaillier  fort  connu, 
M.  Halphen,  a  possédé  l'un  et  l'autre  de  ces  im- 
meubles ;    mais   le    50    avait    été    par  excellence 


156  ,    RUE  DE  BOURGOGNE. 

l'hôtel  Joly,  et  l'autre,  qu'avaient  d'abord  occupé 
des  officiers  de  la  maison  de  Marie-Antoinette, 
est  de  nos  jours  h  M"'^  de  Nonjon. 

Des  provinciaux  et  des  étrangers  forment  la 
clientèle  de  l'hôtel  garni  de  Thionville,  depuis  plus 
d'un  demi-siècle,  au  58.  L'hôtellerie  antérieurement 
connue  dans  la  même  rue  arborait  l'enseigne  de 
la  Providence  et  était  tenue  par  Bouten. 

Quant  au  71,  son  aspect  a  changé  sous  la 
dernière  république;  la  première  avait  vu  en  lui 
deux  propriétés  bien  distinctes.  Citez-moi  une  paire 
d'amis  qui  puisse  dire,  de  nos  jours,  avec  autant 
de  vraisemblance  : 

Nunc  àuQ  concordes    anima  moriemur  in  und  ! 


Rue    des    Bourguignons,    (i) 

DOM    LE    RESTE    EST    MAINTENANT  ABSOUHi;  l>AH  LE  NOUVEAU 

boulevard  de  Fort-Ko^al. 


Les   Jansénistes.  —  La  Maison  de  Santé.     —   Les 
Convulsionnaires .    —   M.    Carré    de   Montgeron. 

—  Le  Sacrilège.  —  Les  Pénitences  locales.  — 
L'Hôtel.  —  La  Petite-Maison.  —  Les  Hôtel- 
leries   de   Faubourg.    —   Les   Gardes- françaises. 

—  L'Ambulance  de    Vénus. 

Le  génie  élevé  de  Bossuet,  qui  à  coup  sûr  fut 
gallican,  ne  saurait  nuire  à  celui  de.Bourdaloue, 
que  les  ultramontains  de  notre  temps  ne  sont 
pas  seuls  à  honorer.  Le  génie  rapproche  les  dis- 
tances, comme  la  vapeur,  qui  au  xix*'  siècle  en 
réalise  l'image  longtemps  cherchée;  il  semble  que 
la  grâce  ait  revêtu  en  lui  son  expression  supé- 
rieure à  la  controverse.  Il  est  vrai  que  du  vivant 
de  Bossuet,  ami  de  M"*^  de  Mauléon,  on  hésitait 
déjà  à  le  classer  parmi  les  jansénistes,  malgré 
son  peu  d'accord  avec  les  molinistes;  on  lui  eût 
volontiers  reproché,  de  part  et  d'autre,  le  m«w- 
léonisme.  Il  y  avait  plus  que  divergence  d'écoles. 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  des  Bourguifjnons 
existait  encore  ;  elle  n'est  plus.  Le  nouveau  boulevard 
de  Port-Royal  s'en  est  applique  :  1°  une  masure 
avec  un  reste  de  jardin,  laquelle  viendrait  en  qua- 
trième à  gauche  si  le  numérotage  parlait  de  la  rue 
Saint-Jacques;  2°  une  maison  que  met  au  nouvel  ali- 
gnement, sous  le  i\°  -26,  la  suppression  d'un  jardin 
qui  la  précédait.  Le  boulevard  passe  au  moyeu  d'un 
viaduc  sur  la  rue  de  Lourciu'^,  au  niveau  de  laquelle 
commençait  naguère    celle   des  Bourguignons. 


158  RUE    DE8  BOURGUIGNONS 

deux  partis  étalent  en  présence;  si  l'un  avait 
pouf  quartier-général,  au  cœur  du  quartier  des 
études,  le  collège  de  Clermont,  autrement  dit 
Louis -le -Grand,  les  académies  de  Port -Royal 
étaient  le  centre  d'action  de  l'autre,  et  tout  leur 
voisinage  de  s'en  ressentir.  La  carte  de  Paris 
elle-même  tenta  de  rapprocher  les  deux  camps, 
en  prolongeant  la  rue  Saint-Jacques,  celle  que 
domina  le  collège  des  jésuites,  aux  dépens  de  la 
rue  qui  faisait  suite  et  côtoyait  la  maison  de 
Port-Royal.  Mais  le  public  religieux  et  le  public 
lettré  n'admettaient  pas  sans  résistance  que  le 
laubourg  Saint-Jacques  se  reportât,  plus  haut.  Qui 
pourrait  même  nier  que,  pour  beaucoup  d'entre 
nous,  une  barrière  se  maintient  encore  entre 
Louis  le-Grand,  quoique  renouvelé,  et  les  restes 
de  Port-Royal?  Leur  querelle  aujourd'hui  semble 
éteinte,  le  feu  n'en  est  que  souterrain  et  laisse 
à  l'industrie  le  privilège  d'attiser  le  feu  des  chau- 
dières, où  le  génie  moderne  fait  cuvée  neuve. 
En  tant  que  raisonneurs,  les  disciples  de  Jansénius 
ont  fait  faire  plus  d'un  [»as  à  l'enseignement, 
et,  comme  église  dans  l'Eglise,  il  n'a  pas  été 
moins  utile  que  ces  rénovateurs  vinssent  renchérir 
sur  la  rigueur  des  pratiques  religieuses,  qui  ten- 
daient au  relâchement.  On  pourrait  comparer 
en  quelque  chose  le  jansénisme  à  ces  modestes 
pensions  bourgeoises,  si  nombreuses  de  nos  jours 
dans  le  quartier  qui  a  été  le  sien,  et  où  vivent 
en  commun  avec  une  quiétude  monacale,  en  re- 
grettant au  lieu  de  protester,  maints  célibataires 
des  deux  sexes,  vieillards,  convalescents  et  petits 
rentiers,  astreints  au  même  régime  sain,  écono- 
mique et  réglé  par  l'ordoiniance  d'un  médecin  et 
par  l'état  de  leur  fortune.  Les  sectaires  qui  ap- 
pelaient de  la  bulle  Unigenitus  s'étaient  fait  là, 
avant  ces  invalides  de  la  bourgeoisie  de  Paris, 
mais  à  bien  plus  gi-ands  frais  de  patience  et  d'es- 


ET  BOULEVARD  DE  PORT-ROYAL.         159 

prit,  d'éloquence  et  de  savoir,  une  petite  église 
I  de  santé;  on  y  protestait  moins  par  conviction 
que  pour  avoir  une  raison  de  plus  de  s'imposer 
des  pénitences,  et  elles  étaient  assez  sévères 
pour  racheter  jusqu'aux  fautes  du  parti. 

Hôtel  de  la  Santé,  ainsi  s'appelait  il  y  a  dix 
ans  le  modeste  n"  35  de  cette  rue  des  Bourgui- 
gnons qui  avait  mené  à  Port-Royal.  Les  balustres 
de  bois  d'un  petit  escalier  n'y  dénoncent-ils  pas 
une  construction  antérieure  aux  querelles  du  jan- 
sénisme? Avant  d'être  une  pension  bourgeoise, 
cette  maison  h  jardin  a  gardé  pendant  un  siècle, 
de  père  en  fils,  une  tamille  de  jardiniers-fleu- 
ristes, qui  avait  succédé  <i  Louis-Baziie  Carré 
de  Montgeron,  acquéreur  en  1711  d'une  charge 
de  conseiller  au  parlement.  Remontons  donc 
jusqu'à  ce  magistrat. 

Sa  jeunesse  a  été  livrée  aux  plaisirs  ;  mais, 
parvenu  à  l'âge  mûr,  il  appelle,  puis  il  réappelle 
de  la  bulle  Unigénitus,  et  passe  à  l'état  de  co- 
ryphée du  jansénisme  à  l'époque  des  prétendus 
miracles  opérés  sur  la  tombe  du  mémorable  dia- 
cre Paris.  Il  est  paroissien  de  Saint-Jacques-du- 
Haut-Pas,  église  métropolitaine  de  l'opposition  en 
vigueur,  Saint-Médard  ne  venant  qu'après  ;  mais 
il  prend  à  toute  heure  la  rue  tortueuse  de  l'Ar- 
balète, pour  assister,  rue  d'Oiléans,  dans  le  cime- 
tière Saint-Médard,  au  spectacle  donné  par  les 
convulsionnaires.  Ces  énerguménes,  que  l'exalta- 
tion leligieuse  rend  épileptiques  par  les  mérites 
du  saint  quand  même  que  Rome  refuse  de  cano- 
niser, se  montrent  insensibles  aux  coups  et  aux 
l)iqûres,  sans  le  secours  apparent  d'un  agent  anes- 
thésique,  et  ils  bénéticient  de  guérisons  sans 
douches.  Lorsque  l'archevêque  Vintimille  succède 
au  cardinal  de  Noailles,  qui  s'était  monti'é  favo- 
rable, comme  un  certain  nombre  de  membres  du 


160  RUE  DES  BOURGUIGNONS 

clergé  et  la  moitié  du  parlement,  aux  opinions  de 
Pascal  et  d'Arnaud,  mais  non  aux  Irénésies  de 
Saint-Médard,  le  cimetière  transformé  par  les 
convulsionnaires  en  un  véritable  théâtre  est  ri- 
goureusement fermé,  et  Montgeron  exilé  momen- 
tanément en  Auvergne.  Dès  qu'il  peut  revenir  à 
Paris,  il  fait  de  son  humble  maison  l'asile  des 
fugitifs  à  la  poursuite  desquels  s'emploie  Hérault, 
le  lieutenant-de-police.  Puis,  par  un  beau  jour  de 
juillet,  en  l'année  1737,  il  se  rend  à  Versailles, 
présente  au  roi  ex-abrupto  son  livre.  De  la  Vé- 
rité des  miracles  du  diacre  Paris;  il  fait  ensuite 
la  même  surprise  au  duc  d'Orléans,  au  premier 
président  et  au  procureur-général.  C'est  un  héros! 
disent  quelques-uns;  voilà  un  fou!  s'écrient  bien 
d'autres.  Mais  Louis  XV,  qu'a  blessé  l'hommage 
du  plus  bravache  des  jansénistes,  prend  un  terme 
moyen  en  l'envoyant  à  la  Bastille.  Sur  la  demande 
de  sa  compagnie,  la  captivité  de  Montgeron  est 
commuée  en  un  autre  exil  ;  il  peut  donc  écrire 
d'autres  livres,  avant  que  son  corps  à  Grenoble 
soit  ébranlé  par  une  convulsion  suivie  de  l'éternelle 
insensibilité. 

Au  reste,  la  rue  des  Bourguignons,  dite  seu- 
lement de  Bourgogne  par  Gilles  Corrozet,  premier 
iiistorien  de  Paris  et  libraire,  avait  à  se  purger, 
depuis  l'année  1688,  d'un  sacrilège  incontesté. 
C'était  alors  un  chemin  sans  pavé,  qui  ne  com- 
mençait au  champ  des  Capucins  qu'à  l'endroit  où 
depuis  on  éleva,  signe  de  réparation  durable,  une 
croix  de  la  Sainte-Hostie.  Là  trois  voleurs  avaient 
jeté  furtivement,  au  pied  du  mur  du  Val-de-Grâce, 
toutes  les  hosties  d'un  saint-ciboire  pris,  après 
effraction  du  tabernacle,  dans  l'église  Saint-Martin 
au  cloître  Saint-Marcel.  Une  cérémonie  expiatoire 
avait  été  célébrée  audit  lieu,  et  une  procession 
annuelle  en  rappelait  solennellement  le  jour. 

Les  constructions    de    cette   rue   ouvrière,   où 


ET  BOULEVARD   DE  PORT-ROYAL.         161 

chacun  avait  le  droit  de  travailler  pour  son  pro- 
pre compte  sans  maîtrise,  étaient  en  1714  au 
nombre  de  19,  pour  la  plupart  petites  ;  toutefois 
elles  jouissaient  déjà  de  leurs  7  lanternes  la  nuit. 
Presque  toutes  ces  maisons  se  reconnaitraienl 
encore,  et  il  en  est  plus  d'une  qui  semble  avoir 
repris,  en  mémoire  du  crime  dont  la  rue  s'est 
purgée  et  ne  se  souvient  plus,  le  cilice  de  la 
pénitence.  Celles-là  ont  fait  vœu  de  pauvreté  sans 
doute,  car  on  s'y  chauffe  de  cendre,  au  lieu  de  feu  ; 
leurs  fenêtres  à  coulisses  sont  des  bouches  de 
brèche -dents,  qui  s'ouvrent  et  se  referment 
sur  d'incessantes  grimaces,  et  dont  la  bave  de 
loques  éraillées  fait  imparfaitement  l'office  des 
bourrelets.  Les  locataires  de  ces  bouges  sont  à 
coup  sûr  plus  nombreux  que  leurs  meubles  ;  dès 
qu'ils  ont  hérité  d'une  chaise  à  quatre  pieds, 
d'un  rideau,  d'une  gravure  en  cadre,  d'un  pot  à 
l'eau  et  d'une  seringue,  ils  exposent  bien  vite 
h   leur  porte  ce  lot  d'objets  de  luxe  à  vendre. 

Il  n'en  est  pas  de  même  du  27,  pensionnat  de 
garçons,  qui  a  été  l'hôtel  d'une  famille  Verteuil 
ou  Verneuil,  succédant  à  la  maisonnette  d'un  jar- 
dinier, qui  en  payait  loyer  au  sieur  Mathieu.  Les 
Verneuil,  maison  noble  et  originaire  de  Bretagne, 
servaient  dans  les  armées  ;  un  des  leurs  était 
prêtre  et  docteur  en  théologie  lors  de  l'avéne- 
ment  de  Louis  XVL  Quant  au  marquis  de  Verteuil, 
nous  avons  vu  des  poules  et  des  pourceaux  vaguer 
en  plein  Médoc,  dans  son  ancien  château,  le 
Bourg-Dieu,  et  nous  gardons  un  savoureux  souve- 
nir du  produit  de  ses  anciennes  vignes  seigneuriales, 
entre  Chàteau-Lafiitte  et  Saint-Estèphe,  suj-  la  com- 
mune de  Verteuil.  M.  Chéri  Blanchard  a  depuis 
restauré  le  castel,  et  ses  vins  valent  ceux  de 
Château-Laffitte. 

Presque  en  face  de  l'ancienne  maison  bourgeoise 
dont    nous    parlons,     s'est    formé    le    cul-de-sac 


102  RUE  DES  BOURGUIGNONS 

Hautefort  vers  la  fin  du  xvii*  siècle,  sur  un  terrain 
appartenant  h  la  tamillo  de  M'"=  de  Hautefort,  que 
Louis  XIII  a  aimée  platoniquement.  Le  chevalier 
d'Hauteforl  y  avait  deux  maisons  en  1724,  avec 
Charles  de  Bourbon,  comte  de  Charolais,  pour  loca- 
taire. N'a-t-on  pas  peine  ii  croire  que  ce  prince, 
connu  surtout  par  ses  d('bauches,  ait  fait  choix 
d'une  villa  en  si  bon  air  dans  le  but  d'y  étudier 
les  simples,  ou  pour  se  rapprocher  des  leçons 
de  Port-Royal  ?  Un  assez  grand  terrain,  au  fond 
de  l'impasse,  est  cultivé  encore  par  un  horticul- 
teur. 

Le  10  et  le  ll2  ont  conservé  une  apparence 
assez  bourgeoise  :  l'un  de  ces  deux  immeubles 
a  vu  naître,  nous  dit-on,  M.  AUard,  naguère  le 
chef  de  la  police  de  sûreté  ;  l'autre  a  été  plus 
récemment  acquis  par  un  portier  de  la  rue  de 
Rivoli.  Que  Dieu  soit  loué  si  sur  notre  âge  de 
de  fer  il  s'ouvre  encore  plus  d'une  porte  d'or  ! 
Mais  comme  il  faut  qu'on  ait  graissé  le  marteau, 
au  lieu  de  demander  tout  simplement  le  cordon  ! 

A  l'appel  de  l'hôtel  de  Saye,  qu'on  distinguait 
près  de  la  rue  Lourcine  sur  la  fin  de  l'ancien 
régime,  nul  immeuble  ne  répond  militairement  : 
Présent!  Ce  silence  nous  donne  à  penser  que 
M.  de  Saye  habita  la  propriété  Hautefort  ou  celle 
Verteuil.  Voici,  en  revanche,  mie  patrouille  d'hô- 
lolleries  de  faubourg,  dont  le  petit  détachement 
est  commandé  par  l'hôtel  de  Bourgogne,  où  logent 
des  officiers  de  la  caserne  de  Lourcine.  Cette 
maison  meublée  et  le  n''  4  ont  formé  un  quar- 
tier de  gardes-françaises  ;  un  hôphal  spéciarl  y  a 
même  été  ouvert  à  ladite  garde,  en  l'année  1745, 
par  la  générosité  du  maréchal  duc  de  Biron, 
pour  le  traitement  des  maladies  de  Vénus  :  le 
service  en  était  confié  au  chirurgien  Keyser,  qui 
demeurait  rue  Saint-Louis- en-l'Ile. 


ET  BOULEVARD    DE  PORT-ROYAL.  163 

Littéralement  à  l'entrée  de  la  rue,  deux  bâti- 
ments grognards  font  sentinelle  et  ne  demandent 
pas  encore  à  être  relevés,  bien  que  la  faction 
puisse  compter  :  l'un,  \e  n°  2,  n'a  pas  cessé  de 
se  tenir  aussi  droit  qu'un  garde-française  présen- 
tant arme  au  maréchal  de  Saxe;  l'autre,  dont 
les  jambes  alourdies  ne  laissent  pas  que  de  plier 
sous  une  consigne  qui  date  de  deux  siècles,  reste 
à  cela  près  fixe  au  port-d'arme. 


Rue  Bourtibourg^.  (i) 


N«^  1,  6,   9,   10,    12,   14,   15,  16,  17,  18,  19,  20,  21 
et  22. 

Dans  une  auberge  voisine  de  celle  rue  descend 
encore  un  messager  de; Fontainebleau,  qui  va  et 
revient  tous  les  cinq  jours,  pour  mieux  dire  toutes 
les  cinq  nuits.  Celui  d'il  y  a  cent-cinquante  ans 
avait  son  adresse  de  Paris  rue  Bourtibourg,  à 
l'image  du  Comte-Robert.  Les  coches  par  terre 
et  par  eau  suffisaient  encore  moins  aux  commis- 
sions à  faire  que  le  chemin  de  fer  aujourd'hui, 
et  la  Poste  confiait  d'abord  au  messager  le  trans- 
port des  dépêches.  Il  trouverait  maintenant  les 
sacs  trop  lourds,  la  capitale  démesurée,  le  che- 
min à  y  suivre  méconnaissable  et  son  quartier 
aussi.  Il  demanderait  où  est  la  place  du  Marché- 
Saint-Jean  (2);  mais  il  ne  saurait  reprocher  à  la 
rue  Bourtibourg,  qui  y  donnait,  d'avoir  pris  un 
travestissement,  dans  le  carnaval  imposé  à  tant 
de  rues  et  de  maisons  !  L'éclairage  y  était  de 
8  lanternes,  rayonnant  pour  35  propriétés,  et  le 
nombre  de  celles-ci  n'a  subi  qu'une  diminution 
peu  sensible,  qui  vient  principalement  de  sub- 
divisions supprimées  çà  et  là. 

Le  territoire  d'un  ancien  cimetière  de  Saint- 
Jean-en-Grève  avait  non- seulement  aidé  à  la  for- 


(1)  Notice  écrite  en   1858. 

(2)  On  a  pourtant  sauvé  de  cette  place  de  quoi 
faire  une  rue  du  même  nom,  entre  les  rues  dr»  la 
Verrerie    et   de    Rivoli. 


RUE  BOURTIBOURG.  105 

mation  de  la  place,  mais  encore  servi  à  la 
construction  de  plusieurs  maisons  de  la  place  et 
de  la  rue.  Des  juifs  y  pullulaient,  malgré  cette 
consécration  originelle.  Mais  la  malédiction  royale 
n'y  était  pas  moins  légère  à  la  terre  depuis 
qu'on  y  avait  rasé  l'hôtel  de  Pierre  de  Craon, 
qui  avait  tenté  de  faire  assassiner  le  connétable 
Olivier  de  Clisson,  en  1392.  La  rue  Bourtihourg, 
à  cette  date,  comptait  déjà  plus  de  deux  siècles 
et  demi  d'existence,  et  elle  abontissait  en  face 
de  l'hôtel  de  Craon.  Sa  dénomination  venait  d'un 
boin^g  appelé  le  Petit-Bourg,  ou  dont  le  colon 
principal  était  ïhibourg  :  les  historiens  de  Paris 
se  sont  encore  divisés  sur  ce  point. 

Le  n°  1  de  ladite  rue  n'a  toutefois  rien  de 
caduc;  il  a  suffi  d'en  reprendre  le  rez-de-chaus- 
sée en  sous-œuvre  pour  le  mettre  au  niveau  du 
soi  de  la  nouvelle  rue  de  Rivoli,  qui  avait  en- 
globé la  place,  et  la  façade  a  gagné  sui-  la  cave 
plus  d'un  mètre  à  ce  déchaussement.  L'im- 
meuble avait  appartenu  au  marquis  de  Fénélon 
avant  la  Révolution.  Quel  beau  jeu  de  (juilles  on 
ferait  des  balustres  d'escalier  d'un  garni,  au 
n"  6!  L'époque  de  François  P'"  a  dû  acconcher 
de  cette  maison,  dont  le  ventre  grossit  à  son 
tour;  mais  ce  n'est  plus  signe  de  fécondité,  c'est 
une  dittbrmité,  produite  par  les  années,  qui  vaut 
encore  mieux  qu'une  bosse  ii  la  façon  de  Tri- 
boulet  :  nne  maison  trop  serrée  par-derrière  ne 
peut  se  faire  dodue  que  dans  le  sens  contraire. 
Le  iO,  où  se  retrouve  une  belle  porte,  a  dû  ne 
former  qu'un  avec  le  12, 

i]n  des  dues  de  Vendôme,  fils  et  petit-lils  de 
Henri  IV,  eut  son  hôtel  en  face,  dans  une  maison 
peinte  en  vert,  couleur  assurément  locale  pour 
l'herboriste  qui  y  vend  des  feuilles  de  poirée  et 
des  queues  de  cerises.  Des  ti'umeaux  au-dessus 
des  glaces,   un  escalier    superbe    h.   marches  de 

11 


IflO  RUE    BOURTIBOURrx. 

piei're  et  à  rnmpe  de  fer,  im  autre  dans  le  fond 
:\  balusti'es  de  bois,  une  porte  qui  au  besoin  rece- 
vrait deux  carrosses  de  front  et  des  caves  vrai- 
ment magnitiques,  voilfi  ce  qui  a  survécu  des 
splendeurs  de  cette  résidence,  dont  l'entrée  prin- 
cipale fut  néanmoins  à  l'origine  dans  la  petite 
rue  de  Moussy,  aujourd'hui  fermée  aux  voitures  (i)  : 
la  façade  sur  la  notre  paraît  moins  ancienne. 
Cette  maison  fut  achetée  en  deux  lots  (1674-1681) 
par  le  savant  apothicaire  GeotTroy,  ancien  éche- 
vin,  et  celui-ci  pour  l'agrandir,  en  1688,  prenait 
de  la  fabrique  de  Saint-Jean  ;i  bail  emphytéotique 
10  toises  de  terrain  environ,  qui  avaient  fait  par- 
tie du  cimetière  de  cette  église  et  attenaient  au 
mur  de  l'hôtel.  Etienne-François  Geoffroy,  lils  de 
l'apothicaire,  lui  succéda  cïe  toutes  les  maniè- 
res, et  ce  professeur  éminent  de  cliimie  et  de 
médecine,  (pii  était  membre  de  l'Académie  des 
sciences,  vécut  jusqu'en  1731.  Trente-sept  années 
plus  tard,  Claude-Joseph  de  la  môme  famille,  na- 
guère commissaire  des  guerres,  était  d'accord 
avec  les  créanciers  du  feu  son  frère,  avocat, 
conseiller  du  roi,  pour  vendre  72,100  livres  l'an- 
cien hôtel  de  Vendôme,  (dont  les  trois  corps  de 
bâtiments  rapportaient  alors  4,000  livres  ii  Charles- 
Nicolas  Marlot,  conseiller  du  roi,  syndic  des  ins- 
pecteurs des  vins,  syndic  des  olliciers  mesureurs 
de  charbon).  La  propriété  tenait  à  cette  époque 
du  côté  droit  ;i  La  Marguerie-Langelet.  un  con- 
seiller au  pai'lement,  du  côté  gauche  à  Serville,  mar- 
chand   de   vins.  Quant    aux    droits    censuels,   les 


(1)  Depuis  lors,  l'une  des  deux  grilles  Je  la  i)etil.e 
x'iie  de  Mour-sy  ne  s'ouvrant  plus  du  tout,  la  o'rniila- 
tion  y  est  interdite  aux  piétons.  Ce  demi-emprisonne- 
ment soulève,  mais  on  vain,  les  réclamations  des  habi- 
tants de  cette  ruelle,  qui  par  le  fait  n'est  qu'une 
impasse. 


RUE    BOURTIBOURG.  167 

parties  contractantes  ne  savaient  déjà  plus  i\ 
qui  ils  étaient  dus;  mais  le  Temple,  à  coup  sûr, 
n'y  avait  pas  droit  :  l'acte  en  faisait  tout  sim- 
plement réserve.  Au  commencement  de  la  Répu- 
olique,  le  bail  de  99  ans  relatil"  aux  10  toises 
de  terrain  étant  venu  à  terme,  la  Nation  les  fai- 
sait vendre,  avec  le  corps  de  logis  s'y  élevant, 
dans  la  section  des  Droits-de-l'Homme,  dite  en- 
suite du  Roi-de-Sicile,  et  ce  nouveau  propriétaire, 
substitué  aux  fabriciens,  y  avait  mitoyenneté  avec 
le  citoyen  Marlot,  avec  le  détenteur  d'une  autre 
maison  bâtie  aussi  sur  le  sol  de  l'ancien  cime- 
tière, et  au  fond  avec  la  citoyenne  Lesseville.  L'ad- 
judication fut  prononcée  au  profit  du  susdit  Mar- 
lot,  ci-devant  usufruitier. 

Que  si  nous  mettons  le  plan  de  Gomboust  sur 
le  tapis,  nous  y  remarquons  rue  Bourtibourg 
un  autre  liôtel  (actuellement  n"'  15,  17  et  19) 
qui  avait,  lui  aussi,  une  porte  rue  de  Moussy. 
De  prime-abord  ce  fut  le  séjour  des  Nicolaï, 
plusieurs  fois  présidents  de  la  chambre  des 
comptes  de  père  en  fils  depuis  le  règne  de 
Louis  XII,  et  Colletet  ne  connaissait  encore  en 
1664  ce  logis  magistral  que  sous  leur  nom.  Ils 
eurent  pour  successeurs,  dans  la  rue,  Nicolas 
d'Argouges,  lieutenant-général  des  armées  du  roi, 
colonel-général  des  dragons,  en  laveur  duquel  les 
baronnies  d'Arnbec  et  de  Rannes  furent  érigées 
en  marquisat,  et  père  de  Louis  d'Argouges,  maré- 
chal-de-camp. Ce  dernier  eut  lui-même  un  de 
ses  fils  lieutenant-colonel  des  dragons  de  Chapt 
et  une  fille,  Marie-Thérèse,  abbesse  de  Chaillot. 
Un  lieutenant-civil  fut  aussi  membre  de  cette 
famille,  dont  la  sépulture  décorait  l'église  Saint- 
Paul  d'une  des  plus  belles  œuvres  de  Coyzevox. 
Toutefois,  en  l'année  1780,  une  portion  de  l'hôtel 
d'Argouges  était  louée  à  M.  d'Outremont,  con- 
seiller au  parlement.   Vers   le  milieu  de  la    rue, 


1G8  RUE    BOURTIBOURO. 

sui'  In   mémo  ligne,  quati'o  maisons  apparlenaiont 
alors   au   sieur  Masson. 

C'est  encore  une  porte  magislrale  qui  se  ferme 
sur  le  14,  qu'on  a  refait  il  n'y  a  pas  longtemps, 
et  que  l'avocat  Pauly,  conseiller  du  duc  de  Bouil- 
lon, habitait  du  temps  d'Outremont  et  de  Masson. 
Le  16,  le  18  et  le  20,  sénile  construction  à  trois 
corps,  dont  deux  sur  la  rue,  nous  représentent  un 
liôtel  sans  notoriété  hisloriiiue,  bien  qu'il  remonte  au 
règne  des  Valois,  Nous  y  remarquons,  en  passant 
outi'e  à  une  vénérable  porte  cintrée,  un  escalier  h 
rampe  de  chêne,  penché  sous  le  poids  des  années 
encore  moins  (jue  par  l'inquiétude,  et  reculant  devant 
maintes  cheminées  qui  menacent  ses  débris  futurs  : 
il  périra,  en  etïet,  par  le  feu,  et  chaque  pas  des 
générations  qui  se  sont  succédé  depuis  trois  siècles 
sur  ses  marches,  l'a  rapproché,  mais  avec  une 
lenteur  qui  a  pu  faire  des  jaloux,  des  chenets  où 
luira  sa  tombe.  La  division  de  cette  propriété 
date  des  dernières  années  du  roi  Louis  XV.  En 
1764,  Guyot  en  acquérait  de  Bachelier  une  part  ; 
à  quatre  années  de  là,  Blanquier,  baron  de  Trélan, 
prenait  des  arrangements  pour  succéder,  dans  un 
autre  corps  de  bâtiment,  à  Charron  de  Liancourt, 
son  beau-frère,  et  la  même  famille  y  payait  encore 
l'impôt  foncier  sous  Louis  XVÎIL 

C'est  vraiment  la  rue  aux  grandes  pcu'tes  ;  j'en 
attCvSte  à  son  tour  le  n"  22,  ancien  logis  de  niagis- 
trat,  que  desservent  deux  escaliers  ii  belle  ferrure. 
Propriété  plus  vaste,  le  21  a  eu  pour  fondateur 
un  négociant  en  produits  coloniaux,  quand  Lafayette 
était  en  Amérique  ;  un  appartement  principal  avec 
balcon  donnait  sur  un  jardin,  supprimé  depuis 
vingt  années.  Rien  à  vous  dire  des  numéros  sui- 
vants, en'  dépit  du  temps  reculé  on  fut  posée  leur 
première  piéride. 


Rue    Boiitebrics   (i) 


Que  de  rois  et  reines,  déchus,  caplils,  exilés 
ou  décapités,  ont  eu  l'iioinieur  de  laisser  derrière 
eux,  glorieuse  exception  à  coup  sûr,  des  courti- 
sans "de  leur  malheur  !  La  tlatterie,  en  général, 
ne  survit  pas  à  la  lortune  des  grands  ;  toute 
hdélité  posthume  prend,  en  revanche,  la  propor- 
tion d'un  culte.  Les  rues-martyres,  quand  bien 
môme  un  palais,  en  les  prenant  pour  avenue,  eût 
rendu  leur  chaussée  auguste,  n'ont  vraiment  pas 
jias  à  espérer  cette  supi'éme  consolation  des  rois. 
La  même  décollation  met  un  terme  à  leur  vie  et 
à  leui'  majesté.  Une  rue  royale  peut  devenir  un 
marché  sans  ({ue  persoime  se  lécrie  ;  une  t'ois 
(pi'elle  a  disparu,  l'un  regrette  encore  sa  vieille 
maison  qui  n'est  plus,  l'autre  en  secret  pleure 
sa  délunte  chambre,  un  ti'oisième  se  rappelle  avec 
attendrissement  le  bail  de  sa  boutique  humide  ; 
mais  de  la  voie  publique,  quand  bien  même  le 
char  triomphal  de  César  l'eût  inaugurée,  plus  un 
mot.  Dire  <jue  les  grands  se  plaignent  si  Tort 
d'être  oubliés  après  leur  vie  !  Si  les  rues  suppri- 
mées pailaient,  elles  auraient  bien,  je  crois, 
d'autres    griel's    contre  les  nouveaux  boulevards, 


(1)  Notice  écrite  en  1H58.  La  rue  Boiiiebric  venait 
de  iierdre  un  quadrille  d'immeubles  aux  angles  de  la 
lue  du  Foin,  riuc  remplace  pour  elle  un  tronçon  du 
boulevard  Saint-Germain.  Les  maisons  qui  survivent 
du  côté  des  numéros  pairs  sont  [)lus  que  séculaire». 
Mais  l'élargissement  de  la  rue  fait  des  impairs  les  éti- 
(luettes  d'un  étalage  neul',  principalement  composé  des 
ia(,:ades  d'une  maison  de  secours  et  d'une  école  de 
lilîes  au    service    du    v^  arrondissement. 


170  RUE  BOUTEBRIE. 

OÙ  leur  ancienne  place  n'est  pas  même  indiquée 
par  un  ormeau  ou  par  une  borne. 

La  rue  Boutebrie,  quant  h  elle,  n'était  pas  con- 
damnée à  mort  ;  seulement  on  a  fait  choir  sa  cou- 
ronne dans  le  macadam,  en  plein  boulevard  Saint- 
Germain.  Le  chef  branlant  de  ladite  rue,  née  dès  le 
xni''  siècle,  portait  tout  dernièrement  encore,  comme 
un  diadème,  la  maison  de  la  reine  Blanche.  C'était 
l'ancien  hôtel  d'Henri  de  Marie;  une  reine  l'avait 
habité,  peut-être  même  la  mère  de  saint  Louis.  Tant 
de  pignons  et  de  tourelles,  il  est  vrai,  ont  passé  pour 
ancien  séjour  de  la  reine  Blanche  qu'on  a  été 
heureux  de  découvrir  la  probabilité  de  quelque 
équivoque  historique.  Toutes  les  reines,  une  fois 
veuves,  étaient  ainsi  nommées  dans  le  principe, 
parce  qu'elles  portaient  le  deuil  en  blanc.  Anne  de 
Bretagne  fut  la  première  à  le  porter  en  noir, 
quand  elle  perdit  Charles  VIIL 

En  l'ace  de  l'ancien  séjour  de  la  leine  se  trou- 
vait naguère  une  caserne;  on  avait  du  moins 
aft'ecté  à  cet  usage,  en  l'an  xui  de  la  Bépublique, 
les  bâtiments  du  ci-devant  collège  de  Maitre-Ger- 
vais.  Ce  nid,  oîi  des  boursiers  étaient  cléricale- 
ment  couvés  pour  éclore  prêtres  et  pédagogues, 
avait  été  l'ormé  en  1370  de  cinq  brins  de  mai- 
sons, dont  trois  rue  Boutebrie  et  les  deux  autres 
l'ue  du  Foin-Saint-Jacques,  où  donnait  la  maîtresse- 
porte  de  l'institution.  La  fondation  de  ce  collège 
sans  exercice  était  due  h  Gervais  Chrétien,  cha- 
noine de  Paris,  et  ladite  pédagogie,  quelle  que 
fût  sa  modestie,  jouissait  de  droits  seigneuriaux  : 
une  maison  de  la  rue  Mondétour,  entre  les  rues 
de  la  Chanvrerie  et  du  Cygne,  était  dans  la 
censive  du  collège  de  Maître-Gervais,  laquelle  y 
faisait  face  à  celle   du   franc-lief  de  .loigny. 

Cet  établissement  n'avait  pas  lieu  de  se  croire 
aussi  vieux  que  la  rue,  qui  était  partiellement 
construite  dès  l'année    1250    et  qui    ne    se  rac- 


RUE   BOUTEBRIE.  171 

courcit,  en  somme,  que  bien  longtemps  après 
sa  première  dénomination.  Boutebrie  est  une  con- 
traction d'Ere)nbourg-de-Brie .  Au  xvi''  siècle  on 
a  essayé  de  dire  :  rue  des  Enhmimeicrs.  Cette 
qualification  n'a  sans  doute  eu  que  la  durée  d'un 
bail,  passé  à  ce  corps  de  métier,  pour  son  bu- 
reau, ou  a  des  maîtres  en  vue.  Bien  des  indus- 
tries, il  est  vrai,  se  disputaient  alors  ce  quar- 
tier, d'autant  plus  vivant  qu'il  s'y  trouvait  la 
grande  Poste. 

Le  collège  Louis-le-Gi'and  était  propriétinre, 
dans  lu  rue  Boutebrie,  de  (}uatre  maisons  se  fai- 
sant suite  :  la  maison  du  sieur  Denoux  y  atte- 
nait,  sous  la  Régence,  au  Nord,  et  la  rue  du  Foin 
au  3Iidi.  De  l'autre  côté,  le  même  collège  en 
avait  une,  plus  méridionale  (lue  celles  de  M.  de 
Silvy  et  de  M.  Lizardu-Cormier,  qui  la  suivaient. 
L'iiuile  de  la  Ville  alimentait  alors  4  lanternes 
dans  cette  rue,  sur  laquelle  19  toits  épanchaient 
l'eau  du  ciel. 

M.  Rousseau,  ([uc  la  |)luic  y  surprit  au  tort 
des  recherches  à  taire  de  porte  eu  porte  qui 
sont  souvent  sa  part  de  collaboration  à  notre 
livre,  ne  se  plaignait  pas  ce  jour-là  des  plombs 
modernes  :  ils  remplacent  bourgeoisement,  pour 
les  maisons  particulières,  les  gargouilles  élevées 
(pii  lancent  encore,  du  haut  des  palais,  des 
trombes  d'eau  crevant  les  parapluies.  Mais  il  est 
j'are  que  la  pluie  tombe  en  ligne  perpendiculaire, 
ce  qui  donne  un  grand  avantage,  pour  les  pié- 
tons, aux  rues  étroites  sur  les  larges  boulevards. 
Une  averse,  quand  le  vent  se  met  de  la  partie, 
ménage,  soit  à  gauche,  soit  à  droite,  la  moitié 
de  la  rue  Boutebrie.  Pour  n'en  pas  recevoir  uue 
goutte,  le  prudent  M.  Rousseau  non-seulement 
choisit  son  côté,  mais  encore  y  reste  sous  une 
porte  où  un  7,  nombre  de  la  pléiade,  n'est  visible 
que  du  côté  où  il  pleut  le  plus  fort.  L'abrité  en 


172  RUE   BOUTEBRIE. 

reçoit  pourtant  comme  une  éclaboussure  en  plein 
visage;  il  y  porte  la  main,  qui  en  est  aussi  ar- 
rosée :  un  mince  tilet  d'eau,  mais  à  jet  continu, 
le  poursuit  horizontalement  dans  ses  retranche- 
ments. Comment  ne  pas  croire  qu'un  gamin, 
adroitement  caché,  braque  d'en  face  un  petit 
modèle  de  l'arme  des  apothicaires?  Mais,  en  pro- 
férant de  vaines  menaces,  l'innocente  victime  s'a- 
perçoit qu'un  tuyau  engorgé,  où  l'eau  se  fait  jour, 
est  Tunique  mystificateur.  Pour  passer  sa  mau- 
vaise humeur  et  se  sécher,  M.  Rousseau  de 
rentrer  dans  le  rôle  d'éclaireur  historiographique, 
auquel  il  a  fait  diversion  par  envie  de  guetter  au 
passage  maints  bas  blancs  qui  se  décollettent,  pour 
préserver  maintes  jupes  de  mouches  de  crotte  ne 
demandant  elles-mêmes  qu'à  monter.  On  lui  indi- 
que la  chambre  qu'habite  au  troisième  étage  un 
vieillard,  ayant  accoutumé  de  représenter  en  tout 
un  propriétaire  invisible.  Les  diverses  questions 
d'usage  sur  l'âge  et  l'origine  de  la  propriété  sont 
adressées  poliment  à  cet  homme,  dont  le  visage 
exprime  la  méliance,  et  l'intérieur  une  vraie  mé- 
diocrité, que  ne  dore  pas  la  moindre  poésie;  mais, 
avant  d'y  répoHdre,  celui-ci  veut  savoir  dans  quel 
intérêt  on  les  pose.  Force  est  donc  à  notre  en- 
voyé de  refaire,  pour  la  millième  fois,  le  pros- 
pectus de  la  publication;  cependant,  au  lieu  d'étu- 
dier, sur  la  rustique  ligure  de  l'interlocuteur,  l'eftét 
que  produit  son  discours,  il  copie  sans  en  avoir 
l'air,  sur  son  carnet,  des  noms,  dates  et  inscrip- 
tions, que  la  décrépitude  du  badigeon  rend  dé- 
chiffrables, sur  un  mur  sans  papier   : 

Simon,  Claude  et  Marie  Mahu,  enlumineurs,  1572. 
—  Germain,  ilhiiiiinc.  —  Sijîvain  aime  Glorictte  à  tou- 
jours. —  Pamieudo,  né  à  Lisbonne  le  20  mai  1690.  — 
Oraiio,  jejuniuin,  seiiecius,  œs  triplex.  —  Loyson,  commis 
aux  aides.  —  Naissance  de  Régulas  Thomas  le  2  prai- 
rial  au     ni    et  de    Pliociou-Decius    Thomas  le  1-i    tri- 


RUE   BOUTEBRIE.  173 

maire  an  v  :  signé  le  citoyen  Thomas,  employé  chez 
le  citoyen  Saugraiu  aux  réverbères.  —  Mort  à  Bailly  ! 
vive  Robespierre'  vive  Cavaignac!  —  Gagné  nn  terne 
le  10  janvier  1821.  —  Jean  Pruneau^  2™e  de  luédeciue. 
—  Atala.  —  Adèle  Crujot.  —  Clara  Fontaine.  —  Vive 
la  Charte  !  —  Boquillon  et  Soutou,  élèves  en  phar- 
macie. —  Jules  Clopin,  homme  de  lettres.  -  Indiana 
Soufflard.  coloriste.  —  A   bas   Cavaignac!    vive   Barbes! 

—  Monsieur,  finit  par  dire  le  vieillard  au  pro- 
pagateur mal  compris,  je  ne  lis  pas  dans  ces 
livres-là;  si  mon  lils  n'était  pas  huissier  h  Beau- 
gency,  il  donnerait  son  avis  là-dessus;  mais  moi!... 
J'étais  cncoi"e  fruitier  rue  de  Kohan,  il  j  acincjans; 
par  malheui"  mon  bail  allait  linii-,  je  n'ai  presque 
pas  eu  d'indemnité. 

—  Alors,  lui  dit  M.  Rousseau,  il  était  superflu, 
mon  brave,  de  me  faire  d'autres  objections.  •  Heu- 
reusement la  muraille  parlait,  j'ai  écouté.  Votre 
maison,  qu'on  a  i-eplàtrée  il  y  a  ini  ou  deux  siè- 
cles,  est  du  temps  de  Charles  IX, 

—  Diable  soit  des  démolisseurs!  reprend  le 
vieillard,  qui  croit  enfin  deviner  de  quoi  il  re- 
tourne. 

—  Bonhomme,  rassurez-vous.  Au  lieu  d'abattre, 
je  compte  ce  qu'on  nous  a  encore  fait  la  gi-âce 
d'épargne)'. 

—  Oh  !  que  nenni,  continue  l'autre.  Sans  les 
démolitions.  Monsieur,  savez-vous  que  j'aurais 
mené  une  vie  très-heureuse?  J'ai  eu  deux  avan- 
tages qui  manquent  à  bien  d'autres,  une  l'emme 
très-sage  et  un  fils  homme  d'esprit. 

—  L'un  de  vos  deux  bonheurs.  Monsieur,  sem- 
ble en  effet  très-peu  compatible  avec  l'autre.  Mais 
la  pluie  a  cessé  ;  mes  renseignements  sont  pris  : 
je  vous  olîre  mes  salutations. 


Rue   de    Braque,    (i) 


Liste  des  propriétaires  de  cette  rue,  de  1779  à  1789 


(Hôte  gtintljc 


Les  i-eligieux   de  la    Merci. 

Mauduit  de  Tavers. 

Nicolaï,  ancien  premier  pré- 
sident de  la  chambre  des 
comptes. 

M"'«   Calie}-. 

Bournigal,  huissier  du  roi. 


(iloté  broit   : 

Le  comte  de  Briqueville. 
Le  marquis  de  Ja  Grange. 
Joly  de  Fieur}',  procureur- 
général   au    parleuieul. 
Les  Trudaine. 
Mlle    de    Valory. 
Pajf't   de  Juviej. 


TJne  poterne  ^^ervait  de  limite  à  la  ville,  dans 
reuceiiite  de  Philippe-Auguste,  à  l'endroit  où  Ar- 
noul  de  Braque,  en  1348,  lit  bàlir  la  chapelle  et 
l'hôpital  de  la  Merci,  dont  il  subsiste  un  éditice, 
(lue  nous  retrouverons  en  parlant  de  la  rue  du 
Chaume,  et  des  débris  ^  l'un  des  angles  formés 
par  cette  lue  et  celle  de  Braque,  ha  laniille  de 
ce  nom,  dont  taisait  partie  Germain  Braque,  éclie- 
vin  sous  Charles  VII,  avait  sa  sépulture  à  la 
Merci  ;  mais,  avant  de  se  nonnner  comme  elle,  la 
rue  s'était  appelée  des  Boucheries-du-Temi)le,  à 
cause  d'une  boucherie  qu'en  il8i^  y  avaient 
établie  les  chevalieis  de  cet  ordre,  dont  les 
droits  seigneuriaux  étaient  encore  perrus  par 
la  comnianderie  du  Temple  en  1789.  Celte  voie 
publi(|ue,  au  surplus,  a  vieilli  sans  changer 
grand'chose  à  la  disposition  extérieure  de  ses 
<leux  j'ives  depuis  la  lin  du  règne  de  Louis 
XIV  ;    à    cette    époque,   la     Ville,    par    une    pro- 


{\)    Notice  éciilc   eu    18."iy. 


RUE  DE  BRAQUE.  175 

digalité  exceptionnelle,  entretenait  presque  une 
lanterne  par  maison,  pour  éclairer  aux  habitants 
de  la  rue  ;  il  est  vrai  que,  comme  on  va  voir,  la 
qualité  expliquait  le  crédit  des  d^x  propriétaires 
de  ce  temps-là. 

Girard,  procureur-général  en  la  chambre  des 
comptes,  tenait  de  son  père  et  laissait  à  sa  tille, 
la  duchesse  de  Brancas,  un  hôtel  dont  il  est  resté 
quelque  chose  au  n"  3;  la  marquise  de  Beauvau, 
née  de  Brancas,  en  héritait  ensuite,  avant  que 
Mauduit  de  Tavers,  syndic  des  contrôleurs  oi- 
dinaires  des  guerres,  gérât  ce  bien  de  ville  pour 
le  compte  de  son  frère,  irappé  d'interdiction.  Le 
5  appartenait  à  la  marquise  du  Luc,  femme  d'un 
lieutenant-général,  et  ne  passait  qu'ensuite  à  Ay- 
mard-Jean  Nicolaï,  marquis  de  Goussainville,  qui 
demeurait  place  Royale. 

Le  plan  de  165!2  nous  montre  un  grand  hôtel, 
qui  vient  ensuite  et  qui  se  rattache  alors  à  un 
j)lus  grand,  dit  séjour  des  Montmorency  ;  ce  der- 
nier donne  rue  Sainte-Avoye  (maintenant  du  Tem- 
ple) ;  ses  jardins  vont  toucher  ceux  de  l'hôtel 
Novion,  impasse  Pecquay,  et  son  gigantesque 
pourtour  englobe  d'autres  maisons  de  la  rue  Sainte- 
Avoye,  ainsi  que  l'hôtel  Sourdis,  rue  de  Paradis  (i).- 
En  cet  hôtel  Montmorency  est  mort  le  connétable, 
après  la  bataille  de  Saint-Denis;  Henri  II,  quel- 
que temps  avant,  y  rendfiit  d'assez  fréquentes 
visites  h  cet  adversaire  des  huguenots  pour  qu'on 
le  dise  ancien  logis  du  roi.  Beaucoup  de  l'im- 
mense hôtel  et  la  totalité  de  son  annexe,  rue  de 
Braque,  passent,  avant  la  fin  du  suivant  siècle, 
entre  les  mains  de  Jean-Antoine  de  Mesmes,  (jui  les 


(1)    Maiutenant    annexée   à    la    rue    des    Francs-Bour- 
geois. 


176  RUE   DE  BRAQUE. 

fait   tous  deux    rétablir  postérieurement    sur    les 
dessins  de  Bulet  et  de  Germain  Bertrand. 

Bientôt  l'illustre  magistrat  est  nommé  pi-emier 
président  et  de  rAcadémie-Française.  Son  collè- 
gue Déspréaux  lui  dit  :  —  Je  viens  vous  voir 
pour  être  lelic  lé  d'avoir  un  collègue  tel  que 
vous...  Mais  les  bureaux  de  la  banque  de  Law 
sont  installés,  pour  commencer,  dans  un  bâti- 
ment du  ci-devant  séjour  Montmorency;  le  pré- 
sident, au  nom  du  parlement,  en  tait  l'objet  de 
remontrances  respectueuses  au  régent,  qui  le  Ibnt 
exiler  à  Pontoise.  Seulement,  d'autres  sujets  de 
remontrances  ramènent,  une  lois  réintégré,  le 
président  près  du  clief  de  l'Etat,  qui  un  jour  le 
paie  d'un  gros  mot,  réponse  extra-parlementaire. 
—  Monseigneur  désire-t-il,  réplique  le  magistral, 
(lue  sa  réponse  soit  enregistrée'/ 

Or  ou  appelle  |>elii  hôtel  de  Mesmes  cette  mai- 
son (n"  7)  ({u'iiabite  postérieurement  M.  de  Ver- 
gennes,  ministre  de  J.ouis  XVI,  (pii  a  lait  recon- 
naître aux  Anglais  rindépendance  des  Etals-Unis. 
Les  bureaux  de  la  lecelte-générale  des  linances  oc- 
cupent à  la  niénie  épo(jue  le  plus  grand  des  hôtels 
de  31esmes,  où  les  remplacent  i)eu  de  temps  après 
ceux  de  l'administration  des  Droits-Réunis,  qu'a 
créée  et  organisée  le  génie  du  comte  Français  de 
Nantes.  Puis  cette  i>ropriété  considérable  est  divi- 
sée par  lots.  Mais  celle  de  la  rue  de  Braque  a  été 
achetée  en  1707  du  marquis  de  3Iesnies,  seigneur 
de  la  ^haussée,  maréchal-de-canq),  par  Kaynat, 
receveur-général  des  rentes  de  l'Hôtel-de-Ville,  cl 
Kaynat  en  a  gratitié  la  veuve  du  financier  Bronod, 
sa  légataire  universelle  :  elle  appartient  de  nos 
jours  à  M.  Ticquet,  maire  de  la  commune  du 
Mesnil. 

Du  vivant  de  (iomboust,  l'hôtel  en  regard  de 
la   Merci   a   nom   Baiileul.    Le   président  Bailleu), 


RUE   DE  BRAQUE.  177 

seigneur  de  Valois,  y  a  pour  successeur  le  che- 
valier Bailleul,  seigneur  de  Champlàtreux  ;  puis 
l'hôtel  passe  à  Jean  Mole,  ensuite  à  Mole  de 
Champlàtreux,  président  à  mortier.  No«^l  Boulon, 
marquis  de  Chamilly,  on  est  ajirès  cela  pio- 
priétaire.  Gros  et  grand  homme,  an  dire  de  Saint- 
Simon,  hrave  et  rempli  d'honneur,  excellent  maré- 
chal de  France,  mais  d'un  esprit  au-dessous  de 
son  bâton,  peu  capable  d'inspirer  l'amour.  Néan- 
moins cet  ancien  lieutenant  de  Schomberg  s'est 
épris  d'une  religieuse  assez  sensible  pour  lui 
écrire  douze  lettres  mémorables  sous  le  titre  de 
Lettres  d'une  Portugaise.  Le  conseiller  l-'lorent 
de  (iuignonville  a  trailé  ensuite  de  l'hùtel,  et  il 
a  eu  pour  héritière  sa  lllle,  marquise  de  la  Lni- 
zerne,  belle-mère  du  comte  GeolïVoy-Cyrus  de 
Briqueville. 

Le  numéro  suivant  n'est  qu'une  moitié  de 
l'hôtel  que  Joseph  Le  Lièvre,  marquis  de  la 
Grange,  maréchal-de-camp,  gouverneur  do  Brie- 
Comte-Robert,  a  liéi'ité  de  son  père,  grand-con- 
seiller, acquéreur  des  Galland,  secrétaire;-!  du  grand- 
conseil.  L'autre  moitié,  par  suite  d'un  partage 
devenu  détinitil'  en  1740,  appartient  à  la  sœur 
du  maréchal-de-camp,  femme  de  Joly  de  Fleury, 
lequel  a  succédé  ;\  d'Aguesseau  comme  procureur- 
général  au  parlement  ;  c'est  justement  à  la  même 
date  (|ue  notre  émineut  magistrat,  qui  a  été  aussi 
sous  la  Régence  meml)re  du  conseil  de  conscience, 
s'adjoint  son  hls  aîné,  en  lui  assurant  la  survi- 
vance de  sa  charge  et  en  lui  abandonnant  son 
hôtel  de  la  lue  de  Braque.  En  somme,  l'archi- 
tecture de  ces  n"'  4  et  f»  prouve  snraijondamment 
la  communauté  d'oi-igine  ;  leurs  escaliers  remai-- 
(juables  sont  tout  pareils;  plusieurs  plalbnds  illustrés 
dont  l'un  (n°  6)  est  une  magnifique  peinture  de 
Lebrun,  qui  i-eprésente  la  Justice,  font  regret- 
ter les   grisailles    disparnes    qui    décoraient    les 


178  RUE  DE  BRAQUE . 

pièces  voisines.  M'*'^  Blanche  de  Caulaincourt, 
veuve  du  duc  de  Vicence  en  1827,  posséda  l'un 
et  l'autre  de  ces  hôtels  jumeaux. 

Quant  aux  propriétaires  du  côté  droit  de  la  rue 
qui  figurent  encore  dans  la  petite  liste  placée  en 
tète  de  notre  notice,  c'étaient  :  1°  les  tuteurs 
honoraire  et  onéraire  de  (Iharles-Louis  et  de 
Charles-Michel  Trudaine,  fils  du  ministre  ;  2" 
M"''  de  Valory,  fille  d'un  lieutenant-général,  seigneur 
de  Bourgneul",  dont  l'épouse  était  légataire  uni- 
verselle de  Claude-Louis  Aubry,  son  beau-père, 
colonel  des  dragons  de  Bellisle,  décédé  en  1709  ; 
8"  Charles-François  Pajot  de  Juvisy,  seigneur  des 
Pavillons,  gouverneur  d'Auch,  qui  avait  eu  pour 
prédécesseurs  au  même  endroit  Michel-Robert  Le 
Peletier,  comte  de  Saint-Fargeau ,  conseiller 
d'Etat,  et  Pierre  Bruneau,  seigneur  de  Maulevrier. 

Il  ne  nous  reste  plus  à  ajouter  que,  M.  de  Necker 
étant  ministre,  la  famille  La  Michodière  jouissait 
d'un  des  hôtels  angulaires  de  cette  rue,  dans  laquelle 
les  honneurs  d'un  cabinet  d'histoire  naturelle  étaient 
laits  par  le  comte  de  Carbury. 


Rue   de   Bretag^ue.    (i) 


Promenade  rétrospective  entre  les  Rues  dn  Temple, 
et    Vieille-du- Temple. 

René  Moreau,  savant  médecin,  cessa  de  vivre 
quelques  années  avant  le  cardinal  de  Mazarin;  il 
laissait  une  bibliothèque  considérable  et  différents 
écrits  en  latin,  de  sa  composition,  sur  la  méde- 
cine et  la  chirurgie,  qu'il  avait  pratiquées  et 
enseignées,  outre  qu'il  avait  traduit  de  l'espagnol 
en  français  un  Traité  sur  le  Chocolat,  d'Antonio 
Calrnonero  (Paris,  1643,  in-Zt").  Moreau,  premier 
médecin  do  la  dauphine,  tenait  de  René  Moreau 
un  terrain  sur  lequel  a  été  bâtie  en  iG98  l'avanl- 
dernière  maison  de  la  rue  de  Rretagne,  côté  des 
numéros  impairs.  Porte  coclière  l)ien  aristocra- 
tique pour  le  tonnelier  Denis,  habitant  et  pro- 
priétaire au  commencement  du  règne  de  Louis 
XVI!  Sans  comptei'  qu'il  y  avait  une  cour  entre 
cette  porte  et  le  bâtiment,  qui  maintenant  est 
celui  du  fond. 

Aux  n°'  63  et  61,  dont  les  petites  portes  et 
les  façades  ont  été  refaites,  se  rattache  le  nom 
de  Claude  Fagot,  qui  acquit  cette  propriété  des 
religieux  dits  les  Enfants-Rouges,  en  17rJ4;  toute- 
fois, si  nous  remontons  cent-huit  années  plus 
haut,  nous  y  trouvons  maître  Jean  de  la  Rarre, 
procureur  au  grenier-à-sel.  Puis  vient  un  rez-de- 
chaussée,  surélevé  d'un  étage,  où  sont  les  ate- 
liers d'une  manufacture  d'aiguilles,  et  qui  appar- 
tint aussi  aux  Enfants-Rouges  ;  il  ne  figure  pas, 

(1)  Notice   écrite   en    1858. 


180  RUR  DE  BRETAGNE. 

comme  les  propriétés  voisines,  dans  le  Papier 
terrier  de  la  Cornmanderie  du  Temple,  dressé  de 
1779  à  1789,  par  le  bailly  de  Crussol,  pour  le 
duc  d^Angoulème,  grand-prieur  de  France,  et 
cette  omission  doit  signifier  qu'il  n'était  pas 
dans  la  censive  du  Temple. 

Un  fronton  continue  à  décorer  l'entrée  du  57, 
maison  d'origine  nobiliaire,  qui  en  fit  deux  au 
XVII''  siècle  et  (|ui  devint  une  brasserie  en  l'an  xiii, 
du  côté  le  plus  procbe  du  Temple.  Elle  avait  eu 
pour  maîtres  des  d'Kntragues,  et  ceux-là  étaient 
à  demeure  ;  des  Sourdis,  alliés  aux  d'Entragues  ; 
un  comte  de  Verdon  ^t  un  marquis  de  Varenne, 
fils  du  seigneur  de  Verdon-le-Bailly,  qui  l'avait 
achetée,  en  17oo,  d'un  curé  du  diocèse  de  Hlià- 
lons-sur->rarne.  Le  Terrier  précité  en  faisait  tenir 
le  propriétaire  «  vers  Orient,  à  M.  le  comte  de 
Gaucourt  et  d'autre  part,  à  M.  Louis-Paul  de 
Zéneaulme.   » 

(le  comte  de  Gaucourt,  brigadier  du  roi  et 
enseigne  des  gendarmes  de  sa  garde,  n'était  que 
ju'opriétaire  du  n"  SS  :  il  demeurait  quai  Mala- 
quais.  Fieubet,  marquis  de  Sivry,  avait  laissé  à  sa 
fille,  M""'  de  Gaucourt,  cette  maison,  que  Fieubet, 
iîbancelier  de  la  reine,  avait  payée  en  1680  aux 
d'Entragues,  et  Chevalier,  un  conseiller  d'Etat,  avait 
clé  le  vendeur  des  d'Entragues,  cinquante  deux  ans 
aui)aravant.  L'ani;ien  liùtel  dont  nous  parlons  fut 
transformé  en  poste  militaire  à  l'époque  où  le 
Temple  servait  de  prison  à  Louis  XVI  ;  puis 
Aubinot,  fournisseur  des  armées,  en  tit  un  magasin 
de  farine. 

La  roture,  par  exemple,  peut  tout  revendiquer 
{\\ï  49  et  du  Ti  :  celui-ci  appartenait  à  un  maître 
menuisier,  quand  celui-Hi  fut  bâti  pour  un  sellier, 
sur  terrain  aliéné  par  le  même  couvent,  peu  de 
temps  avant  la  convocation  des  Etats-Généraux. 
Le  quartier  n'était  pas  encore  aussi  ouvrier   qu'il 


RUE  DE  BRETAGNE.  181 

présent  ;  mais  des  artisans  y  devenaient  proprié- 
taires avant  que  de  prendre  leur  grade  en  bour- 
geoisie pour  se  retirer  des  affaires.  La  population 
laborieuse  n'avait  même  pas  à  passer  dans  l'enclos 
du  Temple,  lien  de  franchise,  par  la  fdière  de 
l'apprentissage  et  de  la  maîtrise  :  la  main-d'œuvre 
y  coûtait  moins  cher  par  concurrence.  C'était  non- 
seulement  l'un  des  refuges  consacrés  aux  réfrac- 
taires  des  arts  et  métiers,  mais  encore  un  asile 
de  liberté,  non  moins  inviolable,  pour  des  débi- 
teurs poursuivis  :  le  droit  de  prise  de  corps  pour 
dettes  ne  pouvait  s'y  exercer  en  aucun  temps. 

Toutes  les  maisons  déjà  citées  dans  la  mono- 
graphie que  nous  donnons  ici,  dépendaient  de  la 
rue  de  la  Corderie,  ajoutée  de  nos  jours  à  celle 
de  Bretagne.  Cette  rue  longeait  un  mur  du 
Temple,  citadelle  chevaleresque  rappelant  déjà  un 
ordre  qu'avaient  aboli  des  supplices  ;  elle  devait  sa 
dénomination  aux  artisans  (|ui,  de  longue  date,  y 
faisaient  du  tortis  du  chanvre.  Quand  le  droit  de 
justice,  rendue  au  nom  des  rois,  mais  souvent  à 
leur  préjudice,  passa  pour  un  moment  au  peuple, 
l'heure  sonna  d'un  nouveau  martyre  juridique,  et 
l'auguste  prisonnier  du  Temple  paya  mie  dette 
qui,  protestée  trop  tard,  n'en  érigea  pas  moins 
la  monarchie  en  autorité  responsable  ;  son  droit 
divin  changeait  de  caractère  ;  les  arrhes  du  sang 
répandu  rachetaient  des  droits  aliénés  par  la 
Couronne,  et  elles  l'affranchissaient  d'exigeantes 
associations  qu'elle  avait  beaucoup  moins  acceptées 
par  intérêt  que  par  accès  de  gratitude  chevale- 
resque. Quant  au  donjon,  geôle  royale,  c'était  le 
reste  d'une  forteresse  à  laquelle  Plîilippe-le-Hardi 
et  saint  Louis  avaient  contlé  la  garde  de  leurs 
trésors,  et  Philippe-le-Bel  sa  personne.  Démolie 
en  1811,  la  tour  suprême  ne  projette  plus  son 
ombre  sur  cet  enclos  du  Temple,  qui  mesurait 
2u  arpens    avant    Henri    IV.   Réduit   encore  une 

12 


182  RUE    DR    BRETAfiNE. 

fois,  reiiclos,  dont  il  reste  quelques  arbres,  vient 
de  ressusciter  eu  square,  et  l'image  du  vieil  édifice 
reste  le  blasou  d'un  quartier  qui  n'en  porte  plus 
que  le  nom. 

Le  square  longe  l'ancienne  rue  de  la  Cordei'ie  ; 
c'est  une  parure  plus  riante  à  coup  sur  que  les 
quatre  bastions,  le  mur,  les  créneaux  et  le  fossé  qui 
fortifiaient  ce  côté  du  Temple.  La  rue  de  Beauce,  à 
son  tour,  est  emprisonnée  sous  des  grilles,  qui 
la  réduisent  en  impasse  (i)  ;  elle  a  séparé  autre- 
fois la  rue  de  la  Corderie  de  la  rue  de  Bretagne, 
laquelle  s'est  appelée  de  Bourgogne,  pendant  un 
temps,  dans  ce  qu'elle  a  de  compris  entre  les 
rues  de  Saintonge  et  de  Beauce.  Aussi  bien  en 
1806  on  a  classé  comme  rue  Neuve-de-Bretagne 
un  autre  prolongement,  appendice  ajouté  sans 
autorisation  officielle. 

Que  si  nous  poussons  plus  avant,  la  rue  qui 
sous  l'ancien  régime  avait  déjà  la  province  bre- 
tonne pour  marraine,  nous  en  paraît  plutôt  les 
antipodes,  sous  le  rapport  de  la  noblesse.  La 
plupart  des  maisons  y  sont  plus  roturières  que 
le  long  de  fancienne  corderie  ;  ce  qui  n'empêche 
pas  leur  faîte  de  s'être  couronné  sous  Louis  XIII 
du  rameau  traditionnellement  inaugurateur  des 
maçons.  Heur  otiêrte,  Iruit  à  recevoir.  Percée 
sur  la  culture  du  Temple  en  l'année  1626,  cette 
rue  de  Bretagne  proprement  dite  ne  s'est  pres- 
que pas  départie  de  son  aspect  des  premiers 
jours.  Le  plan  de  1754  y  montrait  bien  le  marché 
et  la  boucherie  des  Enfants-Bouges,  abrités  comme? 
de  nos  jours  par  leurs  trois  corps  de  bâtiment, 
en   tace  de    la    l'ue  de  Beaujolais   [i)  ;    seulement 


(1)  Celte   riinlle  a  oté   rendue  <lepuis   Jors  à  la  liberlf^. 
^2)    Cette     MK^     do    Bi^atijolois    est     dcvcnno      celle    de 
Picardie. 


RUE  DE   BRETAGNE.  183 

l'hospice  desdits  Enfants,  fondé  en  1554  par  Mar- 
guerite de  Navarre  pour  les  pauvres  orphelins, 
n'encadre  plus  ce  tableau  animé  et  d'autant  plus 
parlant  que  les  femmes  y  dominent. 

Si  ledit  plan  ne  jetait  pas  un  voile  sur  tout 
le  reste  de  la  rue,  il  pourrait  nous  y  montrer  au 
coin  de  celle  Vieil le-du-Temple  une  maison  à 
M""  de  Sensse,  fille  mineure  d'un  procureur-tiers 
référendaire  au  parlement,  enveloppée  pour  ainsi 
dire  dans  les  plis  d'un  hôtel  qui  appartenait  h  De 
la  Brosse,  marquis  de  Ponceau,  et  que  tenaient 
embrassé  trois  rues,  Yieille-du-Temple,  Bretagne 
et  Saint-Louis  (i).  Poulleport,  fruitier-oranger, 
occupait  dans  le  même  temps,  à  l'angle  de  la  rue 
Périgueux  {'■2},  une  maison  dont  les  propriétaires 
avaient  été  avant  lui  :  Déieri,  bourgeois  de  Paris, 
Legallois,  marchand  et  bourgeois,  Leclercq  et 
d'abord  3Iathieu,  marchand  de  vin.  Ce  débitant 
l'avait  fait  élever  sur  une  place,  qui  mesurait 
3  toises,  1  pied  1/2  de  façade  rue  de  Bretagne,  et 
que  lui  avait  cédée  Charion,  vinaigrier,  acquéreur 
de  Michel  Sigon.  Or  Sigon  spéculait  par-là  sur 
un  espace  bien  plus  vaste;  il  en  vendit  un  autre 
lot,  en  l'année  1610,  au  fameux  éditeur  Sébastien 
Cramoisy,  doi?.i  nous  revoyons  la  façade,  modèle 
encore  de  régularité  et  d'ornementation  bour- 
geoise, n"  (3. 

Le  1  fut  hôtel  de  Tallard;  mais  il  a  seuil  en 
autre  rue.  Un  boucher  qui  dispose  du  rez-de- 
chaussée  de  cet  immeuble  a  mis  sur  sa  devan- 
ture :  Engiish  spoken.  •  Le  Marais  serait-il  donc 
las  de  faire  quarantaine  avec  ses  petits  rentiers? 


(1)  Cetie  doriiièro    porte   le   nom    de  Tureinio. 

(2;  La  rue  Deljelleynie  actuelle  se  dé<"omposaii  na- 
guère cil  rues  de  Périgueux,  de  Limoyes,  de  l'Ecliaudé 
et   Neuve-Saint-Francois. 


184  RUE    DE   BRETAGNE. 

Il  commenco  effeclivement  à  attirer  des  étrangers, 
transfuges  de  l'élégant  faubourg  Saint-Honorc  : 
l'Anglais  ne  craint  les  extrémités  qu'en  fait  de 
viande  de  boucherie.  Entre  le  boulevard  Beau- 
marchais, la  place  Royale  et  Saint-.Tacques-la- 
Boucherie,  bat  le  cceur  d'un  ancien  Paris,  qui 
peut  revenir  îi  la  mode,  bien  que  ses  pulsations, 
accélérées  outre  mesure  les  jours  de  révolution 
])ar  le  contact  trop  fiévreux  des  faubourgs,  puis 
ralenties  pour  de  long  intervalles,  en  aient  fait 
un  cœur  de  province. 


Rue    de    BretoiivHliersi«    (i) 


La  Belle-mere  de  Fronsac.  —  Le  Baigneur.  — 
L'Arcade.  —  Les  Breionoilliers.  —  Le  Bal 
masqué.  —  M.  de  Monimirail.  —  Le  Bureau 
des  Priviléfjiés.  —  Les  Hydrotliennes.  —  La 
Basse-Cour. 

Au  milieu  du  xvir  siècle,  ce  que  nous  appe- 
lons le  n"  1  dépendait  de  l'hôtel  d'Astry,  d'après 
une  carte  qui  n'en  montrait  pas  moins  à  proxi- 
mité les  hôtels  Bretonvilliers  et  Lambert,  en 
regard  l'un  de  l'autre  dans  la  rue  Saint-Louis-en- 
rile.  xVstrée  fut  une  déesse  qui  n'habita  la  terre 
qu'en  l'âge  d'or,  et  VAstrée  un  roman  fameux. 
Mais  Astry?  Faut-il  lire  Astricï  Les  noms  pro- 
pres n'ont  jamais  moins  de  deux  orthographes. 
Damoiselle  Marie  Coomans  d'Astry,  ou  Gommans 
d'Astric,  épousa  Jean  Rouillé,  comte  de  Meslay, 
après  avoir  acquis,  tant  des  créanciers  de  Louis 
Levau,  premier  architecte  du  roi,  auteur  des 
pavillons  de  Flore  et  de  Marsan  aux  Tuileries, 
que  de  la  famille  Bretonvilliers,  de  quoi  former 
l'hôtel  d'Astry.  Rouillé  de  Meslay  mourut  en 
léguant  i!25,0'00  livres  à  l'Académie  des  sciences, 
pour  encourager  la  recherche  de  la  quadrature 
du  cercle  ;  son  lils,  introducteur  des  ambassa- 
deurs, ne  laissa  pas  de  postérité,  et  sa  hlle 
Marguerite  -  Thérèse  fut  d'abord  marquise  de 
Noailles,  puis  duchesse  de  Richelieu.  Le  duc, 
déjà  marié  deux  fois,  ne  donnait  pas  son  nom 
à    une   troisième    compagne  sans  que  l'hôtel   en 


(1)   Xolice    écrite   eu   185y. 


186  RUE  DE  BRETONTILLIERS. 

prît  sa  part.  L'escalier  h  balustrade  en  chêne  du 
n"  1  y  faisait  dès-lors  son  service  ;  mais  pour 
que  le  n°  3,  dont  le  mur  extérieur  supporte  un 
balcon  de  même  âge,  ait  dépendu  de  la  même 
propriété,  il  faut  que  peu  de  temps  après  il  soit 
rentré  dans  la  possession  des  Bretonvilliers; 
quant  aux  u^'  16  et  18  du  quai  des  Balcons,  ou 
du  Dauphin,  autrement  dit  de  Béthune,  ils  étaient 
indubitablement  de  l'hôtel  Richelieu.  Le  duc  et  le 
comte  de  Noailles  héritèrent  de  la  duchesse  de  Ri- 
Richelieu,  née  Rouillé  ;  mais  elle  eut  pour  légataire 
P^ronsac,  fils  de  son  second  mari.  Aussi  les 
trois  sœurs  consanguines  et  utérines  du  futur 
maréchal  de  Richelieu,  dont  l'une  était  à  Pôrt- 
Royal,  n'avaient-elles  rien  à  prétendre  dans  la 
propriété  de  l'ancien  hôtel  d'Astry,  qui  lui  ap- 
partenait h  titre  de  legs,  et  dont  nous  avons 
déjà   eu  II  nous  entretenu-  (juai  de  Béthune. 

Nous  avons  vu  sur  le  même  quai,  pour  la  pre- 
mière fois,  le  baigneur  Turquin,  qui  se  trouvait 
lui-même  locataire  du  côté  que  nous  tenons  de 
la  rue  Bretonvilliers.  Il  n'était  pas  le  patron  que 
de  l'école  de  natation  qui  flottait  h  la  pointe  de 
l'île  ;  il  avait  sous  sa  direction,  outre  cela,  à 
l'autre  bout  du  quai  de  Béthune,  des  Bains  Chi- 
nois, où  l'eau  chauffée  coulait  dans  chaque  bai- 
gnoire au  prix  de  36  sols  pour  trois  personnes, 
et  de  24  sols  pour  une  seule.  A  distance  à-peu- 
près  égale  entre  ces  deux  établissements  de  tem- 
pérature différente,  le  domicile  du  baigneur  qui 
soufflait  le  froid  et  le  chaud  attenait  au  bureau 
des  coches  d'Auxerre,  dont  le  service  par  eau 
n'a  cessé  de  se  faire  qu'après  l'avènenioMit  de 
Napoléon  IIL 

Des  partages  de  famille  n'avaient  pas  entraîné 
la  démolition  de  l'arcade  originairement  jetée  sur 
la  rue  de  Bretonvilliers.  Le  3,  malgré  cette  ac- 
colade,    appartenait    isolément    à    Françoise    Le 


RUù  DE   BRETONVILLIERS.  18T 

Ragois  de  Bretonvilliers,  qui  s'était  retirée  chez 
les  filles  de  la  Croix,  rue  de  Cliaronne,  depuis 
la  mort  de  son  mari,  Aune  d'Héruard,  chevalier, 
conseiller  du  loi,  maître  des  i-equêtes.  M.  de  la 
Mouche,  auditeur  en  la  chamhre  des  comptes, 
occupait  cette  propriété,  que  l'arcade  reliait  à 
celle  de  Jean-Baptiste  Le  Ragois  de  Saint-Dié, 
lieutenant -général  au  gouvernement  de  Paris, 
IVère  de  ladite  M'"''  d'Héruaitl.  Cette  autre  maison 
à  trois  corps  était  ensuite  donnée  en  location  à 
Joly  de  Menneville,  ancien  maître  des  comptes. 
Il  n'y  a  même  entre  les  deux  immeubles  aucune 
séparation  plus  apparente,  aujourd'hui  que  leur 
communauté  d'origine  est  loin  de  s'étendre  à 
leurs  détenteurs.  On  a  pourtant  parlé  en  ce 
temps-ci  de  supprimer  l'arcade  Bretonvilliers,  et, 
comme  on  s'est  gardé  de  dire  pourquoi,  il  l'aut 
qu'il  y  ait  en  jeu  <|uelque  intérêt  qui  n'est  pas 
celui  du   public  : 

,Cel  onicle    est    plus    sûr   qn"    felui    de    Calclias. 

La  principale  porte  par  laquelle  on  entrait  à 
riiôtel  Brelonvilliccs,  avant  même  qu'il  y  eût  di- 
vision, la  voici  au  n"  2!  Le  financier  Le  Ragois, 
intéressé  d'Ans  les  Termes  sous  Louis  XIII,  et  sei- 
gneur de  Bretonvilliers,  commanda  cette  demeure 
princière  'a  Ducerceau.  8a  femme,  née  Acarie, 
lut  longlemps  belle  et  remai-quable  par  la  fraî- 
cheur du  ieint;  il  n'en  eut  pas  tout  le  profit,  s'y 
coulentaui  d'une  part  d'intérêt,  conune  dans  les 
affaires  du  roi  ;  ses  richesses  lui  faisaient,  d'ail- 
leurs, assez  de  jaloux  sans  que  les  rigueurs  de 
madame  s'en  mêlassent.  Le  premier  des  Breton- 
villiers rendit  gorge  de  la  vie  en  iG4o.  Deux  ou 
trois  des  Bretonvilliers  (|u'il  eut  pour  successeurs 
présidèrent  en   cour  des  comptes. 

Leur  hôtel  fut  pour  le  moins  prêté  au  prince 
Emmanuel  de  Portugal,  qui  y  donna  un  bal  mas- 


188  RUE  DE  BRETONVILLIERS, 

que  dans  le  cours  de  l'année  où  mourut  Louis 
XIV.  Le  môme  soir,  une  flottille  de  bateaux  tirait 
un  l'eu  d'artilice  de  gala,  et  il  en  retombait  une 
l)luie  d'étincelles,  qui  avait  l'air  de  propager 
l'embrasement  dans  l'onde  frémissante;  mais  les 
gouttes  de  l'eau  n'étaient  pas  lécondées  pai-  ces 
farmes  de  feu,  dans  le  lit  froid  du  fleuve,  que 
les  étoiles  elles-mêmes  clairsemaient  aussi  de 
vains  reflets.  La  superbe  terrasse  qui  encadrait 
le  jardin  mettait  les  invités  du  prince  aux  pre- 
mières loges  pour  se  régaler  du  spectacle,  et  le 
public  en  profitait  dehors.  N'y  avait-il  pas,  au 
besoin,  de  quoi  mettre  à  couvert  tous  les  habi- 
tants de  l'île  Saint-Louis  dans  les  bàtiments^  qui 
régnaient  sur  les  trois  grandes  cours  de  l'hôtel? 
Une  galerie  s'y  remarquait,  que  Bourdon  avait 
décorée  de  ses  peintures  et  que  Monoyer  avait 
festonnée  de  fleurs,  de  fruits  et  de  corniches  à 
médaillons  en  porcelaine  historiée.  Le  tableau  de 
la  Continence  de  Scipion,  par  Bourdon,  des  copies 
de  Raphaël,  faites  par  Mignard,  et  des  ouvrages 
du  Poussin,  de  Vouet  et  de  Silvestre  paraient  en- 
core d'autres  pièces. 

Le  président  Bénigne  Le  Ragois  de  Bretonvil- 
liers  épousa  une  d'Albon,  mais  postérieurement 
au  mariage  d'un  autre  président  du  même  nom 
avec  une  Perrault.  Or  il  y  eut  aussi  quai  des 
Balcons  un  hôtel  Perrault.  On  ne  dédaignait  pas 
en  ce  temps-là  de  se  marier  porte  à  porte  : 
cinquante  pas  ne  suflisent  plus,  de  nos  jours, 
que  pour  une  rencontre  au  pistolet.  Le  président 
Perrault,  neveu  de  l'architecte  de  la  colonnade 
du  Louvre,  acquit  de  La  Baume,  comte  de  Saint- 
Amour,  la  baronnie  de  Montmirail,  près  Chartres, 
qu'il  transféra  plus  tard  avec  d'autres  biens  au 
prince  de  Conti,  dont  la  veuve,  fille  légitimée 
de  France,  le  revendit  en  1729  à  Havet  de 
Neuilly,  un  conseiller  au   parlement.  Mais  est-ce 


RUE  DE   BRETONVILLIERS.  189 

bien  du  pays  chartraiu  que  venait  féodalement  la 
famille  Montmirail  qui  succéda  à  celle  Breton- 
villiers,  comme  propriétaire  de  l'hôlel  ?  Un  mar- 
quisat de  Montmirail  fut  érigé  ailleurs  par  Mis- 
trail,  conseiller  au  parlement  de  Daupliiné,  et  il 
y  eut  un  marquis  de  Montmirail,  colonel  des 
cent-suisses,  président  de  l'Académie  des  sciences, 
admirateur  passionné  de  Polybe  et  de  Tacite, 
qui  lit  parler  de  lui  sous  Louis  XV. 

Ce  roi  était  encore  mineur  quand  on  installait 
à  riiôtel  Bretonvilliers  le  bureau  des  aides,  puis 
celui,  dépendant  des  Fermes,  où  s'encaissaient  les 
droits  d'entrée,  ci-devant  à  l'hôtel  Gharny.  On  y  appli- 
quait en  l'année  1775  cette  indication  otticielle  : 

«  Bureau  général  pour  la  distribution  dos  Papiers  et 
Parchemins  timbres,  appelés  Formules,  à  Thôtel  Bre- 
tonvilliers, ou  il  y  a  un  garde-magasin  et  un  garde- 
général  de  cette  Formule.  —  Même  hôte!,  recette  pour 
les  Papiers  et  Parchemins  timbrés  à  l'extraordinaire, 
pour   la   Généralité  de   Paris  et   celle   d'Orléans.    >• 

Le  bureau  des  Privilégiés  y  prenait  le  dessus 
peu  de  temps  après,  et  la  propriété  n'appartenait 
pas  moins  k  M.  de  Montmirail.  L'émigi'ation  de 
ce  dernier  entraîna  le  retour  de  l'immeuble  î) 
l'Etat,  et  la  Convention,  pour  répondre  favorable- 
ment à  une  demande  faite  pai-  des  ouvriers, 
permit  d'y  établir  une  manufacture  d'armes  à  feu. 
Toutefois  la  vente  eut  lieu,  au  profit  de  la  Nation, 
le  29  fructidor  an  ni,  et  le  morcellement  en 
résulta  plus  que  jamais.  L'administration  des 
Hydruthermes  s'installa,  après  la  révolution  de 
Juillet,  au  n"  2  de  la  rue  Bretonvilliers,  qui  fut 
depuis  exhaussé  de  deux  étages.  Le  i,  où  l'hôtel 
eut  en  ses  plus  beaux  jours  sa  basse-cour,  est  devenu 
un  atelier  de  teinture. 


Rue   de   Buei. 


Le    Pilori.  —  Lea  Annales   de  la  Porte  de  Buci. 

—  Le  Médecin- Prêtre.  —  Evocation  de  Bour- 
geois des  xvi%  XYli'=  et  xviii"'  Siècles.  —  Le  Théâ- 
tre-Illustre. —  Le  Cabareiier  Landelle.  —  V Hô- 
tellerie de  Stockholm.    —  L'Estrade  i^atriotique. 

—  Les  Septembriseurs.  —  Le  'i'i    Février. 

Jusqu'au  xv*"  siècle,  il  fallait  être  clerc  avant 
que  de  passer  médecin;  mais  ou  représenta  aux 
l'ois  qu'il  était  plus  convenable  à  un  laïque  de 
paraître  jour  et  imit  au  chevet  de  ses  clientes, 
et  la  robe  doctorale  cessa  d'avoir  la  robe  ecclé- 
siastique pour  doublure.  Maître  Philippe  Lecu- 
rieux,  cler(î  du  collège  d'Arras  et  médecin,  qui 
pouvait  célébrer  lui-même  des  messes  pour  le 
repos  des  âmes  (jue  son  art  avait  aidé  à  passer 
d'un  monde  dans  l'autre,  avait  et  habitait  l'une 
des  dix  maisons  de  cette  rue  en  l'année  1388. 
Ou  disait  alors  :  Liiie  qui  tend  dit  pilori  à  la 
porte  de  Buci  et  elle  n'était  ouverte  ipie  depuis 
trente-sept  ans.  Le  pilori  de  8aiiit-Geruiain-des- 
Près  lonctionnait  en  vertu  d'une  charte  accordée 
|)ar  lMiilii)pe-l(^-Hardi  à  celte  abbaye.  Si  de  pa- 
reils instruments  de  dilTamaliou  ne  se  relèvent 
plus,  on  en  rend  grâce  à  de  nouveaux  sentiments 
d'humanité;  mais  le  pilori  est  remplacé,  avec  aggra- 
vation de  peine  pour  beaucoup  de  patients,  par 
les  comptçs-rendus  judiciaires.  Quant  à  la  poite, 
Philippe-Auguste  n'avait  pas  attendu  qu'elle  fût 
achevée  pour  la  donner  aux  mêmes  religieux,  et 
elle  était  encore  Jite  de  Saint-Germain,  précédée 
d'une  place,  surmontée  d'un  logis  et  tlanquée  de 


RUE   DE  BUCI.  1§1 

deux  tours  le  16  août  13oi2,  jour  où  Simon  de 
Buci,  conseiller  du  roi,  premier  président  au  par- 
lement, l'avait  prise  à  bail,  moyennant  ^20  livres 
de  rente,  plus  6  deniers  de  cens  féodal. 

Qui  de  nous  a  oublié  qu'en  1  il8  la  porte  de  Buci 
l'ut  livrée  par  Périnet-le-Clerc  aux  Boui-guignons? 
Le  patriotisme  dévoyé  des  Parisiens  érigea  d'abord 
une  statue  sur  le  pont  Saint-Michel  au  traître,  en 
haine  des  Armagnacs  doîit  la  faction  de  Bourgo- 
gne avait  fait  deux  fois  boucherie;  mais,  à  la 
rentrée  de  Charles  VII,  on  jeta  bas  la  statue, 
la  porte  fut  murée.  Aussi  bien  ne  prenons  pas 
le  change  sur  la  situation  de  ce  monument  de 
flétrissure  ;  il  ne  s'érigeait  pas  précisément  dans 
la  rue  qui  partagea  au  xvi'=  siècle  sa  seconde 
dénomination;  il  était  passé  le  carrefour,  entre 
la  rue  Contrescarpe  (i)  et  la  cour  du  Commerce 
d'à  présent. 

François  l^'  réhabilita  en  l'année  1359  la  poi'te 
de  Buci,  qui  se  rouvrit,  avec  un  pont-dormant 
du  côté  de  la  porte  de  Nesles.  Dans  les  années 
suivantes,  le  bureau  de  la  Ville  consentit  par 
brevet  des  baux  de  60  à  80  ans,  ayant  pour  objet 
des  terres  vagues  sur  la  rue  de  Buci,  à  la  charge 
d'y  élever  des  maisons  manables.  Les  premiers 
titulaires  de  ces  emphytéoses  avaient  noms  Jean 
de  Bernay,  Philibert  Pourtillot,  puis  Jean  Arnout, 
Leconte,  Houldec,  Garret,  Cormillotte,  Chapelle, 
et  j'en  passe.  Une  donation  entre  vifs  mettait  au 
même  temps  les  chanoines  de  Sainte-Croix-de-la- 
Bretonnerie  en  possession  d'une  maison  rue  de 
Buci,  au  coin  de  celle  des  Mauvais-Garçons  (Gré- 
goire-de-Tours),  à  la  place  de  Michel  Bernard, 
prêtre.  Le  révérend  père  Pierre  Dagneaux,  prêtre, 


(1)  Celte  rue  Contrescaipc-DauphiDO  s'appeJle  à  l'heure 
qu'il   est  Mazel. 


192  RUE    DE    BUCI. 

chanoine  régulier,  receveur  et  procureur  desdits  re- 
ligieux, passait  reconnaissance  de  cette  maison  à 
l'abbaye  de  8ainl-Germaiii-des-Près  en  1687.  Le 
même  angle,  ou  bien  son  pendant,  était,  sous  la 
Régence,  vendu  25,000  livres  par  Philippe  et  Pas- 
savant aux   D""'  Jassaud. 

La  p(>rto  monumeutale,  comme  pour  laver  elle- 
même  une  tache  faite  par  la  trahison,  rendit  ser- 
vice au  parti  des  victimes  dans  la  trop  mémo- 
rable nuit  du  24  août  1572;  elle  eut  le  bon 
esprit  de  rester  dose  devant  le  duc  de  Guise, 
qui  s'acharnait  à  la  poursuite  des  protestants,  et 
les  haches,  .pour  avoir  raison  de  cet  obstacle, 
tirent  assez  de  bruit  et  prirent  assez  de  temps 
pour  conseiller  la  tuile  et  la  faciliter  à  ceux-là 
dont  la  vie  était  menacée  de  si  près.  Puis,  Paris 
continuant  à  rompre  ses  enceintes,  comme  la 
tète  d'un  enfant  qui  grandit,  ses  bourrelets, 
l'ancienne  poj'le    de   Buci    fut  démolie  en   1672. 

Le  bureau  de  l'Hôtel-de-Ville  en  profita  pour 
l)rendre  un  plus  grand  nombre  de  fermiers  par 
emphytéose,  dits  ongagistes;  les  toits  se  multi- 
plièrent. Mais  à  l'expiration  des  baux,  ou  même 
avant,  moyennant  une  indemnité  payée  aux  en- 
gagistes  par  de  nouveaux  propriétaires,  l'abandon 
du  terrain  n'eut  plus  lieu  par  contrat  de  louage, 
mais  moyennant  un  prix  d'achat  déterminé,  plus 
une  redevance  annuelle  et  perpétuelle,  non  raclie- 
table.  Puis  on  vendit  sans  aucune  restriction,  h 
la  requête  (h  Bertier  de  Sauvigny,  inlendant  de 
la  généralité  de  Paris,  en  exécution  d'un  arrêt 
du  conseil  d'État  en  date  du  9  novembre  1749, 
l'emplacement  de  la  porte  susnommée  et  les  mai- 
sons (|ui  avaient  lait  retour  |)ar  épuisement  de 
concession  temporaire. 

l^eu  de  temps  après  la  dispai-ition  de  son  mo- 
nument patronynii(iue,  la  rue  compte  au  nombre 
de  ses  propriétaires  :  M"*^  du  Mesnil,  à  l'enseigne 


RUE    DE  BUCI.  193 

des  Quati'e-Fils-Aymoiid;  Jean  Gai-de,  à  l'image 
du  Gros-Raisin,  ci-devani,  au  IMed-de-Biclie,  deux 
ou  trois  portes  après  la  rue  de  Bourbon-Guise, 
allas  Bourbon-le-Château,  et  Amyot,  qui  a  deux 
maisons  près  le  Petit-Marché,  en  (ace  de  la  bar- 
rière des  Huissiers.  M"*'  Anne  d'Esperon  du 
Mesnil  est  fille  majeure.  Jean  Garde  sert  en  qua- 
lité de  concierge  et  de  garde-meuble  chez  S.  A.  R. 
Mademoiselle,  souveraine  de  Dombes,  qui  réside 
au  palais  d'Orléans  (le  Luxembourg);  sa  pro- 
priété, qui  donne  par-derrière  sur  le  jeu  de 
longue-paume  de  l'abbaye,  plus  tard  cul-de-sac 
de  Metz,  puis  du  Guicbet,  puis  rue  de  l'Echaudé 
appartiendra  en  1728  à  Laisné,  écuyer,  sieur  de 
Beaumarchais,  gentilhomme-servant  ordinaire  du 
roi,  puis  à  David  Le  Bercher,  sculpteur  des  bâ- 
timents du  roi,  et  ensuite  h  sa  veuve.  Amyot 
est  principal  commis  au  gros  criminel  du  par- 
lement pour  les  audiences  de  la  chambre  du 
conseil  et  du  petit-criminel;  il  habite  l'une  de 
ses  maisons. 

Le  carrefour  du  Petit-Marché  et  le  carrefour 
Buci  font  la  paire  aux  deux  bouts  de  la  rue, 
sur  le  plan  de  1714,  qui  donne  îi  celle-ci  un 
total  de  SI  maisons  et  de  11  lanternes,  avec 
une  boite  aux  lettres,  à  l'encoignure  de  la  rue 
Bourbon  et  des  étaux  de  boucherie  h  celle  de 
la  rue  Mazarine.  Mais  la  place  du  Théâtre-Il- 
lustre n'est  indiquée  sur  aucune  carte  de  Paris. 
Cherchons-la  donc  nous-même  au  n"  il  de  ce 
temps-ci,  qui  appartient  à  M.  Crapelet  et  paraît 
n'avoir  pas  toujours  été  séparé  du  n»  d'après.  Ils 
tiennent  h  eux  deux  la  place  du  jeu  de  paume  de  la 
Croix- Blanche,  où  de  jeunes  amateurs  jouèrent 
la  comédie  avec  Molière.  La  troupe  de  ce  théâ- 
tre, se  donnant  à  lui-môme  le  brevet  de  la  cé- 
lébrité, s'était  pourtant  improvisée  et  recrutée  de 
fils  de    famille;  son    succès  ne  s'élevant  pas  du 


194  RUE  DE  BUCI. 

premier  coup  h  la  hauteur  de  ses  prétentions, 
elle  gagna  la  province  en  1663,  sous  la  direction 
du  plus  illusti^e  des  siens,  pour  y  donner  des 
représentations.  D'autres  acteurs,  ceux  de  l'Opéra- 
Comique,  retirent  plus  tard  du  même  jeu  de 
paume  une  salle  de  spectacle  à  titre  provisoire, 
leur  loge  de  la  foire  Saint-Germain  ayant  été 
abattue  pour  faire  place  k  un  marché  :  ils  y 
donnaient  le  13  février  1725  la  première  repré- 
sentation d'un  opéra-comique  intitulé  ÏAmbigu- 
Comiqite,  et  ce  n'est  pas  la  seule  pièce  nouvelle 
qu'ils  aient  montée  dans  ce  théâtre  de  hasard. 

Nous  trouvons  aux  archives  un  acte  du  31  mars 
1742,  pai  lequel  «  Louis  de  Bourbon,  comte  de 
Clermont,  prince  du  sang,  abbé  commendataire 
de  l'abbaye  royale  de  Saint  Germaindes-Prés, 
demeurant  en  son  palais  abbatial,  cède  aux  prieur 
et  religieux,  assemblés  en  leur  chapitre  au  son 
de  la  cloche  en  la  manière  accoutumée,  une 
maison  faisant  partie  de  la  mense  abbatiale,  sise 
rue  de  Buci,  occupée  ci-devant  par  un  potier 
d'(U.ain,  joignant  d'un  côté  une  maison  nouvelle- 
ment bâtie  par  le  sieur  de  Jetlonville,  contenant 
7  toises  1/2  et  17  pieds  de  terrain,  boutique,  etc., 
le  tout  en  très-mauvais  état.  »  Lesdites  proprié- 
tés correspondent  maintenant  aux  chiilies  30,  32 
et  34,  et  lesdits  moines  ont  au  moins  reconstruit 
la  première,  qui  porte  des  sculptures  près  du  faîte 
et  qui  fait  retour  sur  la  rue  de  l'Echaudé,  autre- 
fois cul-de-sac  du  Guichet,  en  ouvrant  sur  autre 
une  voie,  celle  de  Bourbon-lc-Château. 

De  documents  puisés  à  la  môme  source  il  ap- 
pert que  Hubert,  bourgeois  de  Paris,  disposait 
de  l'un  des  deux  angles  de  la  rue  de  Seine  en 
1747  ;  que  le  président  Hénault,  notre  grand 
chronologue,  s'était  rendu  adjudicataire  de  l'autre, 
ainsi  que  de  la  maison  y  attenante,  cinq  ans 
plus  tôt,   et  que  l'écuyer  Robineau,  avocat,  doc- 


RUE  DE  BTTCI,  195 

leur  ès-lois,  secrétaire  du  roi,  a  vendu  en  1767 
le  coin  de  la  rue  des  Boucheries,  maintenant  rue 
de  l'Ecole-de-Médecine,  h  Duliamel,  orfèvre  éta- 
bli dans  une  autre  maison  à  lui  appartenante  rue 
de  Buci  :  le  contrat  de  vente  y  relatif  était  en- 
tériné par  Marchai  de  Sainsey,  économe  séquestre 
des  revenus  de  Tabbaye,  dans  la  mouvance  de 
laquelle  se  trouvait,  comme  tant  d'autres,  la  mai- 
son vendue  ! 

Et  Landelle  ?  demandent  les  meilleurs  de  nos 
lecteurs,  sachant  que  c'est  l'instant  et  le  lieu  d'en 
parlei-.  Oîi  prenez-vous  le  cabaret  de  ce  traiteur, 
qui  servait  des  dîners  de  .-J  h  !â4  livres  p.ar  tête, 
et  chez  lequel  se  rencontraient  des  grands  sei- 
gneurs avec  des  beaux-esprits,  tels  que  Gresset, 
Crébillon  fils  et  Collé?  Landelle  ne  se  bornait  pas 
à  garnir  la  panse,  il  paraît  l'embonpoint,  et  il 
savait  aussi  dissimule)'  l'opiniâtre  maigreur  des 
gourmands  qu'il  n'avait  pas  eu  le  talent  d'engrais- 
ser ;  il  était  maître-tailleur  en  même  temps  que 
cabaretier,  à  l'époque  du  moins  où  sa  réputation 
allait  croissant.  Mais  il  prenait  plus  largement  la 
mesure  de  l'appétit  que  de  veste  et  culotle.  11 
recevait  sa  double  clientelle,  vis-à-vis  la  rue  des 
Mauvais-Garçons,  à  l'hôtel  de  Buci,  maison  à 
porte  cochère,  comportant  par-derrière  une  autre 
maison,  et  qui  avait  i)orté  l'image  de  l'Aigle-d'Or. 
Deniset,  intendant  de  S.  A.  S.  le  comte  de  Clermont, 
a  reçu  en  1650  les  droits  et  aveux  dus  par  Lan- 
delle à  la  seigneurie  abbatiale  en  raison  de  cette 
propriété,  acquise  de  «  haute  et  puissante  dame 
Rose,  veuve  de  haut  et  puissant  seigneur  Antoine 
Portail,  seigneur  de  Vaudreuil,  premier  président 
au  parlement  et  l'un  des  quarante  de  l'Académie- 
Française. 

Sous  Louis  XIV  on  avait  dîné  plus  modeste- 
ment, dans  la  même  rue,  h  la  Ville-de-Stockholrn, 
où  pour  15  sols  on    en  voyait  la  farce,  d'après 


19G  RUE   DE  BUCI. 

un  aneien  nlnianach.  Cette  hôtellerie  était  deve- 
nue sous  le  règne  suivant  une  maison  de  la 
Raquette,  appartenant  au  président  Langlois  de 
la  Fortotto,  de  la  cour  des  comptes,  entre  une 
maison  h  Béguin  et  une  autre  à  Giraud,  notaire. 

Le  limonadier  Emery  tenait  déjà  en  1783  le 
café  qui  se  maintient  encore  à  l'encoignure  de 
la  rue  Bourlion.  Le  cabinet  d'histoire  naturelle 
de  M,  Berson,  près  la  rue  de  Seine,  avait  alors 
de  la  réputation. 

Le  carrefour  Buci  a  reçu  en  1792  le  premier 
des  échafaudages  dressés  sur  la  voie  publique 
pour  enrôler,  au  nom  de  la  Patrie  en  danger, 
des  volontaires.  Malheureusement  il  n'est  pas 
moins  constant  que  le  2  septembre,  entre  deux 
et  quatre  heures,  l'échafaudage  patriotique,  inter- 
ceptant à  demi  la  circulation,  ralentit  la  course 
de  cinq  fiacres  portant  des  prêtres  ii  la  prison 
de  l'Abbaye,  et  qu'un  des  hommes  de  l'escorte 
ayant  d'un  coup  de  sabre  frappé  un  prêtre  de  la 
première  voiture,  il  fut  préludé  de  la  sorte  à 
légorgement  général  des  prisonniers.  D'une  bar- 
ricade, au  même  carrefoui',  est  parti  un  autre 
signal,  avec  le  premier  cri  de  Vive  la  République! 
jeté  par  la  révolution  de  1848.  Quels  souvenirs 
que  ceux-là  pour  une  rue  du  faubourg  Saint- 
Germain,  dans  laquelle  se  retrouvent  des  maisons 
exhaussées  du  wi''  siècle  et  même  du  xv!  Elle 
faisait  déjà  l'S,  elle  était  passante  et  marchande 
quand   la   Ligue  y  faisait  des  siennes. 


L'Avenue,  la  Place   et  la   Rue    de 
Breteull.    (i) 


V  Union,  Y  Ami  de  la  Religion  et  quelques  au- 
tres journaux  quotidiens  nous  ont  fait  l'honneur 
de  donner  en  articles  variétés  ou  cVédilité  pari- 
sienne plus  de  la  moitié  des  notices  de  ce  recueil, 
alors  qu'elles  étaient  inédites.  Par  mégarde  un 
article  trop  court  sur  la  rue  de  Breteuil  avait 
été  offert  à  deux  de  ces  feuilles,  qui  eurent  bien 
raison  de  le  refuser, 

M.  de  Riancey  fit,  d'ailleurs,  cette  objection  :  — 
Mais  la  rue  de  Breteuil,  cher  collaborateur,  est 
une  avenue  ;  vous  induiriez  nos  lecteurs  en  er- 
reur. 

—  C'est  une  place,  prenez-y  garde  !  se  récria, 
de  son  côté,  l'abbé  Sisson. 

Pourquoi  méconnaître,  en  effet,  cette  imposante 
avenue  de  Breteuil,  percée  dès  1680,  qui  se  dé- 
veloppe derrière  les  Invalides,  entre  la  place 
Vauban  et  l'extrémité  de  la  rue  de  Sèvres  ?  Elle 
-a  passé  gratuitement  du  Domaine  de  l'Etat  dans 
celui  de  la  Ville,  sous  le  règne  de  Louis-Philippe. 
On  compte  quelques  maisons  sur  ses  deux  rives; 
des    murailles  k  hauteur    d'appui  y   bordent   des 


(1>  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  Breteuil.  depuis 
lors  élaigie  par  la  démolition  des  bâtiments  immatri- 
culés de  ses  numéros  impairs,  met  présentement 
à  jour  un  merveilleux  côté  de  Saint-Martin-dcs-Champs-, 
dont  la  restauration  vient  d'être  faite  au  proiit  des 
Arts-et-Métiers,  puis  une  vieille  tour,  qui  doit  rester 
des  l'oitifications  dont  ce  couvent  s'était  fait  une  cein- 
ture  sous  le  règne    de    Louis-le-Gros. 

13 


198  L'AVENUE,  LA  PLACE 

marais  plantureusemeiit  cultivés  ;  une  faisanderie, 
diverses  fabriques,  un  lavoir  et  un  abattoir  y 
fournissent  d'utiles  adresses  à  V Annuaire  de 
Firmin-Didot.  Seulement  l'herbe  y  croît  au  pied 
des  arbres,  rien  de  plus  n'y  est  historique. 

La  placp  du  même  nom,  tracée  un  siècle  après 
l'allée,  forme  un  cercle  ;  au  centre  nous  retrou- 
vons l'ancien  puits  de  Grenelle,  et  c'est  la  pre- 
mière fois  qu'un  puits  se  transporte  ;  mais  il  n'y 
a  pour  nous  que  de  l'eau  à  boire  dans  ce  pro- 
grès de  la  science. 

On  a  placé  à  l'époque  de  l'Empire,  d'après  la 
chronique  officielle,  sous  l'invocation  d'un  Bre- 
teuil  ledit  boulevard,  avec  son  couronnement. 
A  ce  compte.  Napoléon  P',  qui  ne  laissait  rien 
faire  que  par  ses  ordres,  aurait  été,  en  vérité, 
bien  bon.  Pourquoi  dédier  cette  avenue  mili- 
taire h  un  ancien  ministre  de  Louis  XVI,  qui 
ne  l'avait  pas  été  de  la  guerre,  et  que  le 
Consulat  avait  vu  revenir  pauvrement  de  l'émigra- 
tion royaliste,  pour  expirer  l'année  1807  ? 
Les  aïeux  de  cet  homme  d'Etat  n'étant  sortis  de 
l'obscurité  que  sous  les  auspices  du  cardinal  Dubois, 
inutile  d'en  chercher  un  parmi  les  chevaliers  de 
Saint-Louis  de  la  première  promotion,  y  prenant 
part  avec  Vauban.  Nul  Breteuil  n'a  pu  présider  à 
l'ouverture  d'une  allée  dans  le  rayonnement  majes- 
tueux des  grandes  voies  des  Invalides,  alors  que 
Louis  XIV  ouvrait  lui-même  aux  mutilés  des 
champs  de  bataille  ce  palais,  dont  le  dôme  doré 
s'élevait,  comme  un  autre  soleil,  bien  au-dessus 
des  arbres  plantés  autour.  C'est  dans  les  premiers 
temps  du  règne  suivant,  quand  s'instituait  l'école 
militaire,  que  l'avenue  a  dû  recevoir  avec  assez 
d'honneurs  Breteuil,  baron  de  Preuilly,  ministre 
de  la  guerre,  pour  mériter  l'adoption  qui,  avant 
ou  après,   nous  paraît  déplacée. 

Un  autre  membre  de  cette  famille  ministérielle, 


ET  LA  RUE  DE  BRETEUIL.  199 

l'abbé  Elisabeth-Théodore  Le  ïonnellier  de  Breteuil, 
prieur  commendataire  de  Saint-Martin-des-Champs, 
chancelier  du  duc  d'Orléans,  garde-des-sceaux  de 
ce  prince  et  chef  de  son  conseil,  a  servi  de 
parrain  à  la  rue  de  Breteuil,  tracée  vers  le  même 
temps  que  la  place,  mais  sur  le  territoire  prioral 
du  patron.  Cette  ruelle  n'est  pas  droite  ;  elle  n'en 
devait  paraître  que  plus  spirituelle  au  bossu,  qui 
lui  octroyait  de  bonne  grâce  le  droit  de  partager  son 
nom,  tout  en  gagnant  de  la  popularité  à  ce  mariage 
de  convenance. 

Sous  le  n-  4  de  cette  rue,  qui"  a  été  maçonné 
légèrement,  régnent  toujours  des  caveaux  monas- 
tiques, également  fermés  à  la  diable,  qui  joignaient 
autrefois  ceux  de  Saint-Nicolas-des-Champs.  Le 
2  et  le  4  sont  les  contemporains  du  percement 
de  la  rue.  Une  bicoque  de  même  origine,  n"  o, 
a  donné  souvent  en  marâtre  une  demi-hospitalité 
à  un  poète  sans  domicile.  Charles  Moreau,  dit 
Hégésippe  Moreau,  lorsqu'il  avait  erré  toute  une  nuit, 
trouvait  là  le  matin,  sous  la  porte  d'une  chambre 
sans  papier,  la  clef  d'un  maître  d'étude,  son  ami. 
Ce  dernier  avait  une  maîtresse,  circonstance  qui 
l'empêchait  seule  de  partager  durant  la  nuit  avec 
l'auteur  du  Myosotis  un  maigre  lit  qui,  surtout 
en  plein  jour,  avait  l'air  de  demander  grâce. 
Néanmoins  notre  vagabond,  notre  pauvre  homme 
de  talent,  quand  sa  contre-patrouille  nocturne 
était  finie,  arrivait  rompu  de  fatigue,  houspillé  par 
le  froid,  pâle,  défait,  crotté  ou  poudreux,  mais  la 
tête  fraîche  et  regorgeant  d'idées  plus  rarement 
acerbes  que  virginales,  mélodieuses,  colorées 
d'azur  ;  il  prenait  à  son  tour  la  position  horizon- 
tale au  coup  de  sept  heures  du  matin,  pour  y 
faire  le  tour  du  cadran  en  sens  inverse.  Après 
avoir  dîné  d'un  pareil  somme,  il  soupait  de 
bière  et  d'eau-de-vie,  le  plus  souvent,  dans  quelque 
café  d'étudiants. 


200  L'AVENUE,  LA  PLACE,  ETC. 

Au  chiffre  11  répond  une  autre  cassine,  dont 
les  fenêtres  sont  à  coulisses.  Le  15  dépendait  autre- 
fois de  Saint-Martin-des-Champs,  et  il  ne  lait  plus 
que  s'accoter  au  Conservatoire  des  Arts-et-Métiers, 
qui  s'est  substitué  en  1795  au  ci-devant  monastère. 
Les  religieux  avaient  jeté  à  cet  endroit  un  pont 
pour  passer  de  l'autre  côté  de  la  rue,  et  ce  trait- 
d'union,  qui  ressemblait  à  la  voûte  au  Maire,  à 
l'arcade  Colbert  et  h  l'arcade  Bretonvilliers,  n'a 
disparu  que  sous  le  règne  de  Louis-Philippe.  La 
maison  à  laquelle  attenait  l'un  de  ses  deux  piliers  est 
tombée  en  même  temps  que  l'arche  ;.  le  n"  8  en 
occupe  la  place  et   ne  fait  qu'un  avec  le  6. 


Rues  Taillepaiii  et  Brise iiiiclie.    (i) 


La  mort  de  Théodose,  au  x"  siècle,  laissait  la 
princesse  Pulchérie,  sa  sœur,  maîtresse  de  l'empire 
d'Orient  ;  celle-ci  n'attendit  pas  le  consentement 
de  Valentinien,  empereur  d'Occident,  pour  faire 
élire  Marcien,  qu'elle  épousa,  et  ce  mariage  donna 
plus  d'autorité  h  son  règne.  Mais  la  nouvelle  impéra- 
trice chrétif  une  avait  d'avance  fait  ses  conditions,  et 
Marcien  s'était  engagé  à  respecter  la  ferme  réso- 
lution qu'elle  avait  prise  de  rester  vierge.  Ge 
régime,  qu'on  ne  saurait  adopter  que  sur  parole, 
réservait  l'iiniocence  dotale,  au  lieu  de  la  mettre 
dans  la  communauté,  comme  le  premier  des 
acquêts  ;  il  fallait  bien  des  conventions  spéciales 
pour  que  le  respect  dans  l'espèce  ne  pût  pas  être 
taxé  de  vice  rédhibitoire  h  la  première  querelle 
du  nouveau  ménage.  Convenons  pourtant  que  l'âge 
respectif  dos  conjoints  rendait  ce  mode  séparatif 
moins  délicat  h  proposer,  moins  discourtois  à 
accepter  et,  de  plus  en  plus  facile  à  observer  pour 
l'avenir  :  la  mariée  était  quinquagénaire  et  l'époux 
de  son  choix  l'emportait  sur  elle  de  quelques 
lustres.  Le  pape  saint  Léon  écrivit  ;i  l'impératrice, 
en  l'an  45iî,  pour  rendre  témoignage  des  services 
qu'elle  avait  rendus  dans  l'ancien  monde  îi  ren- 
contre des  hérésies  de  Nestorius  et  d'Eutychès. 
L'année  suivante,  Pulchérie  expirait,    après  avoir 


(1)  Notice  écrite  eu  1858.  Les  deux  petites  rues  qui 
eu  sont  l'objet  ne  se  ressentent  depuis  d'aucun  chan- 
gement essentiel  à  noter,  si  ce  n'est  que  Ja  grille  àpt 
la  rue  Taillcpain  sur  la  rue  du  Cloitre-Saint-Merri 
s'cntr'ouvre  et  s'ouvre,  au  lieu  de  rester  presque  tou- 
jours  fermée. 


202        RUES  TAILLEPAIN  ET  BRISEMICHE. 

fondé  divers  églises,  monastères  et  hôpitaux.  L'Eglise 
honore  la  mémoire  de  cette  sainte,  dont  la  fête 
est  au  10  septembre,  et  la  couronne  qui  lui  reste 
est  reconnue  dans  un  monde  plus  vaste  que  son 
empire  d'autrefois.  Son  image  a  trop  voyagé  pour 
que  nous  soyons  étonné  de  retrouver  à  Paris  une 
maison  qui  se  mit  sous  son  patronage. 

C'est  le  n"  7,  dans  la  ruelle  Brisemiche  ;  mais 
la  petite  porte  de  cette  maison  haute  donne  sur 
la  ruelle  Taillepain.  Sa  Sainte-Pulchéric  portait  le 
voile  et  le  diadème  à  l'époque  où  Corneille  fit 
une  tragédie  dont  la  principale  héroïne  était  le 
même  personnage.  Nous  croyons  qu'une  arcade 
aliénait  h  cet  angle  et  servait  de  fausse-porte  à 
la  petite  rue  y  aboutissant.  La  maison,  ruche 
actuelle  de  cabinets  garnis,  était  sous  la  censive 
des  chevecier^  chanoines  et  chapitre  de  Véglise  collé- 
giale de   Saint-Merri. 

Les  deux  ruelles,  d'ailleurs,  ont  fait  partie  du 
Cloître  même  de  cette  église,  pourtour  de  maisons 
et  de  terrains  encore  plus  canoniaux  d'origine  que 
les  héritages  qui  se  bornaient  à  relever  du  iief 
capitulaire.  Celle  Taillepain  fut  tracée  à  l'équerre  ; 
mais  deux  grilles  en  tiennent  la  moitié  en  clôture. 
Ne  ferait-on  pas  mieux  d'y  supprimer  une  estam- 
pille sur  deux  et  de  mettre  :  Impasse  ? 

Par  contre,  la  rue  Brisemiche  était  d'abord  Je 
cul-de-sac  Baille-Heu,  que  le  xiv<"  siècle  vit  se 
défoncer,  puis  se  prolonger  en  ligne  plus  droite 
que  la  rue  Taillepain  et  prendre  une  dénomination 
ejusdem  farina:.  Sauvai  rapporte,  dans  ses  Ayiti- 
quités  de  Paris,  qu'un  curé  de  Besons,  mort  en 
1515,  s'appelait  Etienne  Brisemiche,  et  il  regarde 
comme  possible  qu'un  des  ancêtres  de  ce  curé 
ait  eu  pignon  sur  la  ruelle  dont  s'agit.  Elle  com- 
portait, du  vivant  de  Sauvai,  5  maisons,  chacune 
d'elles  brandissant  sa  lanterne  ;  mais  l'importance 


RUES  TAILLEPAIN  ET  BRISEMICHE.        203 

relative  de  cette  illumination  n'a  pas  éclairé  la 
question  étymologi(iue.  Nous  ne  doutons  pas  que 
les  deux  rues  donnant  l'une  dans  l'autre  aient  dû 
leur  confraternité  d'appellation  à  une  seule  et 
même  boulangerie.  Le  grand-panetier  de  France 
pouvait  avoir  par-lii  sa  manutention,  vers  le  temps 
où  Robert  de  Sarmizelles  remplissait  ces  liantes 
fonctions.  Seulement  il  est  plus  probable  que  le 
chapitre  de  Saint-Merri  y  faisait  tout  bonnement 
cuire  et  distribuer  le  pain  qui  se  consommait 
dans  l'étendue  du  Cloître. 

Les  habitants  de  ce  quartier,  malgré  son  origine 
îi  part,  ressemblaient  trop  à  tous  les  autres  pour 
se  contenter  du  menu  de  la  nourriture  spirituelle, 
qui  ne  suffit,  d'ailleurs,  qu'aux  anges.  Les  cha- 
noines se  donnaient  si  peu  pour  des  êtres  imma- 
tériels qu'ils  veillaient  eux-mêmes  au  grain,  tout 
en  demandant  à  Dieu  leur  pain  quotidien;  d'ailleurs, 
ils  n'entraient  pas  pour  grand'cliose  dans  la  popu- 
lation de  leur  Cloître. 

Déjà  l'élément  féminin  ne  s'y  produisait  que 
trop  en  l'année  K-)87,  puisqu'une  ordonnance  du 
prévôt  de  Paris  expulsait  du  Cloître,  à  cette  date, 
nombre  de  ribaudes,  sur  la  prière  du  curé  de 
Saint-Merri  ;  mais  les  bourgeois  des  rues  Brise- 
miche,  ïaillepain  et  autres,  où  le  commerce  eût 
souffert  de  cet  éloignement,  formèrent  opposition 
à  l'exécution  de  l'ordonnance,  et  le  parlement  se 
prononça  contre  le  prévôt,  par  son  arrêt  du  21 
janvier  1388.  Sous  Louis  XI  encore  la  rue  Brise- 
miche,  à  cause  de  ses  femmes  folles  ou  ivrognesses 
de  leurs  corps,  comptait  parmi  les  rues  prevôta- 
lement  soumises  à  une  police  dont  les  autres 
étaient  exemptes.  M.  Leroux  de  Lincy  nous  blâme 
de  donner  à  l'occasion  des  renseignements  de  cette 
sorte  ;  mais  la  galanterie  tient  autant  de  place 
dans  l'histoire  de  Paris  que  dans  sa  vie  présente, 
et  nous  répondons  aux  critiques  du  plus  prude  ou 


204        RUES  TAILLEPAIN  ET  BRISEMICHE. 

du  plus  jaloux  de  nos  confrères  par  cet  apophthegme 
de  saint  Louis  :  «  Les  Parisiens  sont  souvent 
enclins  à  paillardise  et  à  baguenauderie,  mais  le 
cœur  corrige  leurs  billevesées.  » 

Depuis  lors  la  rue  s'est  rangée  ;  mais  elle  n'a 
grandi  qu'en  sagesse,  et  sur  plusieurs  points  encore 
elle  se  contente  d'un  mètre  de  largeur.  On  y 
compte  deux  ou  trois  fois  plus  de  maisons  que 
sous  Louis  XIV,  bien  que  la  plupart,  à  la  division 
près,  soient  demeurées  ce  qu'elles  étaient  alors. 
Deux  d'entre  elles,  qui  n'en  avaient  fait  qu'une  et 
qui  donnaient  rue  du  Cloître-Saint-Merri  et  rue 
Brisemiche,  appartenaient  en  1702  :  l'une  à  Héliot 
de  Boissy,  écuyer,  lieutenant  pour  le  roi  au 
Cbâteau-Trompette  de  Boi^deaux,  et  l'autre  à  Pajot 
d'Ardivilliers.  La  famille  Le  Clerc  de  Lesseville 
disposait  de  l'encoignure  pareille. 


Rue  (le  la  Biicherie.    (i) 


Les  Enseignes.  —  Les  Bàchiers  et  leurs  Succes- 
seurs dans  la  Rue.  —  Le  Contentieux  du  Domaine 
utile  de   V Abbaye.  —  Les   Ecoles  de   Médecine. 

La  rue  que  voici  prend  sa  source  îi  la  place 
Maubert,  en  face  de  la  rue  des  Grands-Degrés, 
au  coin  de  la  rue  du  Haut-Pavc,  et  suit  un  cours 
parrallèle  k  la  Seine  jusqu'au  point  où,  grossie 
par  l'aliluent  de  la  rue  du  Petit-Pont,  elle  débou- 
che sur  le  quai.  Au  vi^  siècle  elle  lut  tirée  d'un 
port  aux  Bûches,  où  commençait  la  rue  du 
Fouarre,  et  sa  prolongation  ne  fut  possible,  à 
partir  du  règne  de  Louis  VIII,  que  par  suite  de 
la  division  du  clos  Mauvoisin,  baillé  à  cens  à  la 
condition  d'y  bâtir.  Or  les  façades  qu'on  y  longe 
ont  été  plus  d'une  fois  renouvelées,  et  comment 
ne  pas  être  dérouté  par  les  numéros  qui  ont 
succédé  aux  enseignes,  points  de  repère  du  moyen- 
àge?  Lorsque  le  Petit-Chàtelet  servait  de  limite 
à  cette  rue  de  la  Bùcherie  du  côté  du  Petit-Pont, 
par-del^  l'Hôtel-Dieu,  il  pendait  h  toutes  ses 
portes  de  quoi  les  distinguer  déjà  l'une  de  l'autre  : 
ici  un  petit  Saint-Jean,  ou  une  Notre-Dame,  là 
un  Lion-ferré,  l'Ecu-de-France,  un  Père-Noir,  un 
Couperet,  ou  tout  simplement  une  Escouvette,  au- 
trement dite  une  Vergette.  Chaque  maison  avait 
son  image  par-devant,  et  souventes  fois  un  chan- 
tier par-derrière,  car  la  rue  de  la  Bùcherie  gardait 
encore  au  xvi*  siècle  ses  marchands  de  bois,  qui 
passèrent  à  la  Râpée, 

(1)  Notice  écrite  en   1858. 


206  RUE   DE  LA  BUCHERIE, 

Il  y  en  avait  eu  davantage  sur  la  fin  du  siè- 
cle \m%  d'après  cet  extrait  du  registre  de  la  Taille  : 

«  Jehan  le  Batiiilleur,  bùchier,  Pronele,  de  Reims. 
Mestre  Rémy  Je  charpenlier.  Jehan  Je  charpentier. 
GuiJI'  Laurent  de  bûche.  Robert  Auraz  Je  bùchier. 
Adeleiue  famé  du  feu  Thomas  au  bois.  Hemon  le  Bre- 
ton, fournier.  Gefroi  Je  Coislin.  bùchier.  Guill'  Auuel, 
bùchier.  Alain  le  Breton,  concertant.  Thomas  de  Breban, 
bùchier.  Denise  le  Xeveu.  Denise  Je  Breton,  bùchier. 
Gautier  Roussel,  mesureur.  Grégoire  Jolis.  Rogier 
Hardi,  maçon.  Le  Glois,  maçon.  Guill'  Le  Grel,  bù- 
chier. Jehau  Lescujer,  son  geudre.  Jeiian  le  Breton, 
bùchier. 

Au  temps  de  Franrois  P',  on  trouvait  aussi  en 
cette  rue  deux  jeux  de  paume,  et  en  1674  main- 
levée était  donnée  à  M*  Henri  David  d'une  saisie 
pratiquée  sur  sa  maison  et  jeu  de  la  Bùcherie, 
où  pendait  un  Saint-Louis,  par  le  trésorier  du 
Domaine  utile  de  la  congrégation  de  Sainte- Gene- 
viève, seigneurie  censitaire  de  la  plupart  des  pro- 
priétés. Celles  du  voisinage  avaient  appartenu  ou 
appartenaient  :.  à  Ogier,  boucher,  Herpin,  pro- 
cureur au  Cliàtelet,  Chabert,  sergent  à  cheval, 
L'EnseignauIt ,  teinturier,  Chevrier,  bonnetier , 
Guillaume  de  Voisins,  écuyer,  et  Delamarre, 
doreur  de  livres  ;  au  chapelain  de  la  chapelle 
des  Forgets,  k  l'abbé  de  Saint-Eloi,  de  Noyon, 
à  la  fabrique  de  Saint-Landry  et  au  collège  de 
la  Marche. 

Le  Chàtelet  rendit  jusqu'à  36  sentences,  à  la 
requête  également  des  religieux  génovéfains,  qui 
formaient  opposition  sur  des  loyers  pour  sûreté 
des  arrérages  d'une  l'ente,  et  celle-ci  leur  était  due  en 
raison  de  la  fondation  dans  leur  église  d'une  cha- 
pelle de  Saint-3Iaurice.  Si  bien  qu'en  1627  le 
trésorier  de  Sainte-Geneviève  ne  craignait  pas  de 
s'attaquer    à  Antoine  Duboulay,   un  procureur  au 


RUE  DE  LA  BUCHEUIE.  207 

parlement,  possédant  deux  maisons,  l'une  à  l'im^ige 
de  Saint  Jean,  et  l'autre  à  l'Aigle-d'Or,  qui  ou- 
vrait rue  du  Fouarre,  et  faute  par  Duboulay 
d'avoir  produit  ses  titres  de  propriété,  de  s'être 
fait  inscrire  au  terrier  de  l'abbaye  et  d'avoir 
acquitté  le  cens,  ledit  bien  faisait  retour  au  do- 
maine de  Sainte-Geneviève,  dont  il  s'était  détaché 
en  l'année  1432  h  titre  d'accensement  ;  seulement 
Boulard,  confrère  de  Duboulay,  formait  appel  de 
la  sentence.  Or  tout  nous  aide  à  reconnaître 
aujourd'hui,  dans  le  n"  21,  l'ancien  immeuble  du 
procureur  au  parlement,  détenu  par  le  citoyen 
Jacques  lors  de  l'amortissement  obligatoire  des 
redevances  ci-devant  seigneuriales.  Quant  k  l'hu- 
meur processive  des  seigneui's  génovéfains  à 
l'endroit  de  notre  rue,  les  gains  de  cause  la 
rendaient  chronique  ;  sous  Louis  XV,  ils  saisis- 
saient encore  les  revenus  de  propriétés  échues  à 
l'Hôtel-Dieu,  qui  enjambait  la  rue  ultérieurement, 
en  jetant  un  pont  couvert  d'une  rive  à  l'autre. 

Legoux,  sujet  de  Charles  VII  et  charpentier  de 
la  grande  cognée,  avait  pris  du  même  monastère 
h  rente  perpétuelle  plusieurs  maisons,  rue  de  la 
Bûcherie,  notamment  un  hôtel  îi  double  corps 
et  à  l'enseigne  de  Saint-Marc,  adjacent  h  une 
autre  de  ses  propriétés,  et  le  rachat  forcé  de 
la  redevance  déterminée  en  4450  y  incombait, 
sous  la  Convention,  aux  citoyens  Leclerc  et 
Firmin.  Le  charpentier  accapareur  tenait  aussi 
de  l'abbaye,  à  croix  de  cens  :  1"  une  masure  à 
l'angle  de  la  rue  des  Rats,  aujourd'hui  de  l'Hôtel- 
Colbert  (i),   et  c'étaient    les   débris  d'une  maison 


(1)  La  rue  de  ]"Hôfel-Co]bert  ouvre  actuellement  sur 
]e  quai,  où  Ja  pioche  lui  a  donué  plus  de  largeur 
qu'au-delà  de  la  rue  de  la  Biicherie,  où  elle  commen- 
(.■ait   naguère. 


208  RUE  DE  LA  BUCHERIE. 

ayant  appartenu  antérieurement  à  Geoffroy-le- 
ïort,  sergent  ;  2"  une  autre  bicoque,  située  au 
coin  de  la  place  Maubert  et  que  les  religieux 
s'étaient  fait  adjuger  aux  criées  du  Chhtelet  ; 
3"  une  autre  encore,  contiguë  à  la  précédente 
et  ayant  la  même  origine,  maison  qui  touchait  rue  de 
la  Bùcherie  à  l'hôlel  de  la  Tèle-Noire,  possédé 
à  cette  époque-là  par  M""  Labouclière.  L'image 
de  la  Tête-Noire  décorait  la  porte  du  9,  dont 
toute  la  ferrure  a'escalier  et  de  fenêtres  ne 
semble  remonter  actuellement  qu'à  deux  siècles  ; 
quant  aux  masures,  elles  ont  été  refaites  vers 
le  même  temps,  j'en  atteste  le  fronton  du  7.  Un 
autre  fronton,  n"  il,  est  venu  ennoblir  l'encoi- 
gnure de  la  rue  des  Rats  antérieurement  à  1714, 
époque  où  la  rue  de  la  Bîicherie  alignait  54  mai- 
sons et  '12  lanternes. 

Vis-à-vis  avance  le  14,  angle  de  l'ancienne 
ruelle  des  Petiis-Degrès  (i)  :  Jaillot  voit  même 
dans  cette  dernière  la  ruelle  qu'on  avait  com- 
mencé par  aliliger  de  la  désignation  repous- 
sante de  Trou-Punais.  Dans  tous  les  cas,  le 
bâtiment  dont  s'agit  a  été  cédé  par  Nicole  de 
Vielfeullay,  maître  ès-arts,  à  Courtillier,  mar- 
chand, en  l'année  1429  :  il  arborait  l'image  de 
Saint-Pierre,  il  avait  un  chantier  pour  dépen- 
dance, et  le  tout  confinait  d'une  part  à  la  maison 
dite  de  Notre-Dame,  ])Ourvue  également  d'un 
chantier,  de  laquelle  une  vieille  porte  à  clous  nous 
indique  tout  au  moins  la  place  n''  16,  et  d'autre 
part  aux  degi'és  qui  menaient  de  notre  rue  à  la 
rivière.  Douze    ans  plus  tôt  le  même  Vielfeullay, 


(1)  La  rue  des  Petits-Dcgrès  n'avait  ])lus  de  nom; 
elle  fait  maintenant  partie  de 'la  rue  du  Fouarre.  Pour 
donner  plus  de  Jarfteur  à  cette  extrémité  nouvelle,  cm 
y  a  démoli  vers  18G4  une  maison,  qui  avait  servi  de 
côrps-de-gardo. 


RUE  DE  LA  BUCHERIE.  209 

en  échange  de  messes  à  dire  après  sa  mort, 
pour  le  repos  de  son  âme,  avait  constitué  une 
rente  au  collège  de  Sorbonne,  et  une  autre  de 
20  livres  parisis  h  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève, 
outre  le  cens  qu'il  devait  h  celle-ci  déjà,  lesdites 
rentes  reposant  sur  une  maison  rue  de  la  Bù- 
clierie,   devant  l'hôtel  de  la  Couronne. 

Le  13  n'a  qu'un  étage,  mais  on  en  a  fait  deux; 
les  femmes  qui  y  séjournent  se  multiplient  elles- 
mêmes,  dans  une  proportion  bien  plus  large, 
dont  les  galants  pressés  ont  les  frais  à  leur  charge. 

Au  fond  du  13.,  dont  le  précédent  immeuble 
a  dépendu  de  fondation,  un  lavoir  fait  entendre 
son  roulement  de  caquets  et  son  clapotis  de  coups 
de  battoir  ;  on  y  entre  par  la  rue  du  Fouarre. 
Il  occupe  une  salle  spacieuse,  où  de  vieilles 
arcades  n'ont  que  partiellement  disparu,  et  pour 
charger  des  hottes  de  linge  mouillé  on  s'y 
appuie  à  des  piliers  dont  la  plupart  sont  plus 
que  séculaires.  De  la  cour  qui  précède,  le  curieux 
voit  s'élever  la  rotonde,  terminée  en  coupole  et 
soutenue  par  huit  colonnes  d'ordre  dorique,  qui 
fut  l'amphithéâtre,  dans  l'ancienne  métropole  de 
la  Faculté  de  médecine  de  Paris  ;  il  y  remar- 
que aussi  deux  frontons,  des  sculptures  de  la 
Renaissance  et  deux  inscriptions  latines,  auxquelles 
il  manque  seulement  quelques  lettres. 

Les  chartreux  avaient  vendu  dès  1172  à  la 
-Nation  de  Picardie,  d'où  est  sortie  ladite  Faculté, 
et  qui  faisait  partie  auparavant  de  celle  des 
Arts,  un  terrain  dans  la  rue  du  Fouarre;  mais 
il  y  a  eu  des  écoles  de  Médecine  sur  l'un  et 
l'autre  des  côtés  de  ladite  rue.  On  qualifia  col- 
lège celle  qui  s'ouvrait  neuf  ans  après  l'acquisi- 
tion du  terrain  des  chartreux,  et  une  chapelle, 
puis  une  autre,  ainsi  qu'un  jardin  affecté  à  la 
botanique    médicinale  grandirent  l'institution,  en 


210  RUE   DE  LA  BUCHERIE. 

élargissant  son  domaine.  Les  docteurs-régents  y 
ajoutaient,  en  l'année  1617,  une  maison  de  la 
rue  de  la  Bùclierie,  à  l'image  du  Cheval-Blanc, 
que  les  religieux  de  Sainte-Geneviève  avaient 
baillée  à  cens  dès  1430,  et  ils  y  faisaient  élever 
l'ampliitliéâtre,  restauré  aux  dépens  de  Le  Masle, 
seigneur  des  Roches,  chantre  et  cHiànoine  de 
l'église  de  Paris  en  l'année  1678,  et  qu'on  a 
rétabli  encore  en  1744. 

Les  assemblées  de  la  î'aculté  avaient  lieu  ré- 
gulièrement dans  une  salle  du  premier  étage,  que 
décoraient  les  portraits  des  doyens  et  qui  allait 
de  plain-pied  avec  une  chapelle  où  tous  les  sa- 
medis se  célébrait  une  grand'messe.  C'est  aussi 
là  qu'on  procédait  à  toutes  les  élections;  que  la 
robe  et  le  bonnet  se  prenaient  en  grande  cérémo- 
nie; qu'on  reconnaissait  les  professeurs,  et  que 
les  examens  se  passaient  à  l'issue  de  l'office 
religieux  du  samedi.  Les  cours  étaient  faits  principa- 
lement dans  les  bâtiments  contigus  au  sanctuaire 
doctoral  où  se  prenaient  les  grades,  avant  leur 
translation  rue  Saint-Jean-de-Beauvais,  dans  l'an- 
cienne école  de  Droit.  Toutefois  il  y  avait  des 
jours  où  l'amphithéâtre  régentait,  et  ce  fut  même 
avec  autant  de  suite  que  de  succès  de  1781  à 
1785. 

Quelques  années  plus  tard,  qu'arrive-t-il?  Les 
baux  à  rente  perpétuelle  que  les  ci-devant  reli- 
gieux ont  consentis  sont  réduits  à  l'état  de  pure 
et  simple  emphytéose;  le  sol  de  l'ancien  Cheval- 
Blanc  et  les  constructions  y  élevées  pour  les 
écoles  de  Médecine  passent  aux  Hospices,  les- 
quels permettent,  sous  l'Empire,  qu'on  y  ensei- 
gne encore  l'anatomie.  Cette  administration 
se  défait  du  n"  15  au  commencement  de  la  Res- 
tauration; M'-'^Boutry,  femme  d'un  ancien  notaire, 
dispose  dudit  immeuble  depuis  1849. 

C'est  sans  doute  h  l'autre  coin  de   la    rue  du 


RUE  DE  LA  BUCHERIE.  îll 

Fouarre  que  Mignot,  receveur  des  tailles,  a 
laissé,  au  milieu  du  règne  de  Louis  XIV,  une 
maison  à  Mignot,  trésorier-principal  de  l'extraor- 
dinaire des  guerres,  et  à  d'autres  héritiers  du 
même  nom,  parmi  lesquels  sans  doute  figurait 
le  fameux  pâtissier-traiteur,  impatiente  victime 
de  Boileau.  Une  douzaine  d'années  plus  tard, 
c'est-îi-dire  en  1694,  Mignot,  boucher  de  la  feue 
reine,  était  propriétaire  en  cette  rue,  et  Bédé, 
écuyer,  sieur  de  Longcourt,  l'était  aussi,  mais 
du  chef  de  sa  femme,  entre  la  maison  dudit 
boucher  et  les  écoles  de  Médecine. 


Rue    de    BuflauU.    (i) 


M.  Lenoir.  —  M.  Buffcmlt.  —  M.  Lejeune.  — 
Castil-Blaze.  —  Charles  Maurice.  —  M.  Mos- 
selmann.  —  Saintine.  —  Adolphe  Adam.  — 
Rœderer.  —  Le  Général  Gérard. 

Par  un  bail  emphytéotique  de  99  années,  signé 
le  P'"  octobre  i77S,  Samson-Nicolas  Lenoir  prend 
un  vaste  terrain,  à  la  condition  d'y  bâtir,  des 
religieuses  de  l'hospice  Sainte-Catherine,  dont  le 
fondé  de  pouvoir  est  Antoine-François  Rossignol, 
prêtre  et  administrateur  de  l'hospice.  L'archevêque 
de  Paris  contresigne  au  contrat,  sans  doute  comme 
titulaire  des  droits  de  cens  grevant  le  sol  et 
pour  entérinement  seigneurial  de  la  mutation.  Du 
chapitre  de  Sainte-Opportune  relève  toutefois,  dix 
ans  plus  tard,  une  autre  suite  de  places  à  bâtir, 
adjacentes  au  lot  de  Lenoir  et  successivement 
adjugées  à  Pigeot  de  Carey,  un  avocat  au  par- 
lement, et  h.  sa  femme,  née  Boullée.  Les  deux 
spéculateurs  de  demander  ensuite  la  permission 
d'ouvrir  une  voie  nouvelle,  en  prenant  à  leur 
charge  la  dépense  du  premier  pavé;  le  congé 
leur  en  est  donné  la  seconde  année  du  règne  de 
Louis  XVI,  et  ils  obtiennent  que  la  dédicace  de 
la  rue  ait  lieu  au  titre  de  Buftault,  par  gratitude 
d'avoir  mené  l'affaire  à  bien  par  le  crédit  de 
l'échevin  de   ce  nom,  chevalier  de  l'ordre  du  roi 


(!)  Notice  écrite  en  1838.  Le  prolongement  de  la 
rue  Lafayette  et  celui  de  Ja  ruo  Olivier,  dite  '  après 
coup  du  Cardinal-Fescli,  ont  lait  depuis  deux  larges 
trouées  à    travers  la  rue   de   Buffault, 


RUE  DE  BUFFAULT.  213 

et  son  conseiller  en  l'Hôtel-de-Ville.  Le  perce- 
ment de  la  voie  isole  l'une  dft  l'autre  les  deux 
propriétés  ;  la  rive  gauche  est  à  l'avocat,  la  rive 
droite  au  concessionnaire  des  hospitalières  de 
Sainte-Catherine.  Présentez-vous  maintenant,  bour- 
geois friands  de  parts  toutes  laites  au  gâteau! 

Buffault,  qui  n'y  gagne  que  la  fève,  doit  mieux 
que  cela  h  M"^*"  Duberry,  dont  le  crédit  lui  a 
valu  de  bonnes  positions  :  elle  s'est  généreuse- 
ment souvenue,  quoique  favorite  royale,  d'avoir 
fait  son  apprentissage  de  modiste  aux  Traits- 
Galants,  magasin  tenu  par  la  femme  de  Buflault 
dans  la  rue  Saint-Honoré.  Le  protégé  de  M'""  Du- 
barry  est  devenu  directeur  de  l'Académie  royale  de 
musique,  receveur-général  des  Domaines  et  même 
prévôt  des  marchands  :  sous  sa  prévôté  ont  été  éche- 
vins  Jacques  Chauchat  et  Charles  Richer,  parrains 
aussi  de  deux  rues  du  quartier. 

Les  héritiers  de  Carey  font  crier  au  Châtelet, 
en  1791,  les  deux  maisons  n^'  3  et  5,  qu'il  a 
fait  construire  et  qui  tiennent  au  terrain  d'en- 
coignure loué  à  M.  de  Cossé  h  cette  époque  ; 
dans  l'adjudication  sont  réservés  le  cens  et  les 
droits  seigneuriaux.  Mais  ia  propriété  dont  il  s'agit  ne 
se  divise  en  deux  (jue  l'amiée  1844.  Celles  qui  sui- 
vent sont,  en  général,  un  terrain  encore  vague  à 
la  mort  de  Pigeot  de  Carey. 

Le  7  n'a  de  particulier  que  de  servir  d'habi- 
tation actuelle  à  M.  Lejeune,  rusé  chasseur  qui, 
pour  son  propre  compte  et  comme  prête-nom, 
poursuit  avec  passion  son  gibier  favori  :  le  dé- 
biteur solvable.  Fossé,  barrière,  irrigation,  aucun 
obstacle  ne  l'arrête  dans  sa  course,  et  il  met  ses 
chiens  sur  les  dents.  Aussi  que  de  malédictions 
sur  la  tête  de  ce  braconnier,  qui  se  passe  de 
port-d'arme  sans  être  garde-chasse!  Pourtant  il 
a  si    peu   la    réputation   de  tirer  sa  poudre    aux 

14 


214  RUE  DE  BUFFâULT. 

moineaux  que  chaque  papier  timbré  qui  se  si- 
gnifie à  sa  requête  relève  quelque  peu  le  crédit  aux 
aboisdu débiteur.  Rarement  on  amisletlairdeLejeune 
en  défaut.  Une  fois  néanmoins  un  de  ses  débi- 
teurs avait  si  mal  tourné  qu'à  l'échéance  il  fallait  pro- 
tester les  billets  de  son  bordereau  au  bagne.  Le 
créancier  n'était  pas  homme  k  reculer  devant  le 
supplément  de  frais  occasionné  par  la  complication 
du  peuplant  à  :  le  nouveau  galérien  lui  paraissait  de 
ceux  que  l'objet  de  leur  condamnation  h  temps  avait 
pu  enrichir  pour  l'avenir.  Mais,  ù  l'expiration  de  sa 
peine,  le  maladroit  escalada  bientôt  le  mur  d'un 
paysan,  qui  le  tua  d'un  coup  de  fourche.  Le 
journal  raconta  le  fait,  et  M"'"  Lejeune  en  pleura; 
heureusement  Lejeune  vint  essuyer  ses  larmes  en 
s'écriant  :  —  Nous  sommes  sauvés  !  L'homme 
a  si  mal  fini  parcequ'il  avait  manqué  de  toute 
prévoyance;  mais,  pendant  qu'il  était  galérien,  sa 
femme  légitime  a  fait  fortune,  grâce  aux  libéralités 
d'un  sénateur  dont  elle  est  la  maîtresse,  et  comme 
son  mariage,  faute  de  contrat,  lui  impose  le 
régime  de  la  communauté,  la  succession  du  mari 
est  ouverte. 

En  1792,  Délaissement,  menuisier,  s'est  rendu 
adjudicataire  d'un  compartiment  pour  élever  le 
n°  9,  où  a  cessé  de  vivre  l'an  dernier  Castil- 
Blaze,  musicien,  auteur  dramatique  et  journaliste. 
L'entresol  du  19  est  à  jours  d'ouverture  cintrée, 
et  des  balustres  de  pierre  garnissent  les  croisées 
du  premier  ;  c'est  là  que  Charles  Maurice,  homme  de 
lettres  plus  érudit  que  ses  écrits  ne  l'ont  fait  paraître, 
a  rédigé  son  Courrier  des  Théâtres  au  commence- 
ment du  règnede  Louis-Philippe.  Vers  le  môme  temps 
a  été  édifiée  ou  refaite  la  maison  qui  suit,  pour 
Mosselmann  ;  or  cet  ancien  épicier,  plusieurs  fois 
millionnaire,  n'a  pas  craint  de  servir  lui-même 
ses  maçons,  afin  que  l'œil  du  maître  fût  d'accord 
avec  ses  épaules  pour  se  rendre  compte  du  choix 


RUE  DE  BUFFAULT.  215 

des  matériaux,  avant  que  la  main-d'œuvre  en 
eût  fait  l'assimiliation.  Susse,  marchand  de  bois, 
acquéreur  de  Pigeot  de  Garey  ou  de  ses  hoirs, 
a  cédé  en  1808  à  un  entrepreneur,  appelé  Molloy, 
de  quoi  mettre  debout  le  23,  dont  un  petit  jar- 
din sépare  encore  à  notre  époque  les  deux  corps 
de.  bâtiment  :  Saintine,  l'auteur  de  Picciola,  y 
demeurait  en  i84S.  Le  2o,  nain  passé  géant, 
s'est  d'abord  contenté  d'un  seul  étage,  qui  depuis 
treize  ans  ne  lui  vient  plus  qu'aux  genoux. 

De  l'autre  côté  de  la  rue,  les  propriétaires 
sont  enclins  beaucoup  moins  aux  réparations  ; 
chaque  fois  qu'ils  vont  porter  la  redevance  em- 
phytéotique semestrielle  au  bureau  de  l'Assistance 
publique,  administration  subrogée  dans  tous  les 
droits  de  l'ancien  hospice  Sainte-Catherine,  ils  ont  en- 
core six  mois  de  moins  à  demeurer  propriétaires.  Le 
bail  n'expire-t-il  pas  en  1874?  Les  Hospices  re- 
prendront, au  jour  et  à  l'heure  dits,  les  con- 
structions et  le  terrain,  tel  que  l'a  mesuré  un 
procès-verbal  de  bornage,  dressé  en  1770  par 
Persard  et  Payen,  architecte-experts,  en  présence 
de  Rossignol,  pour  le  côté  appartenant  à  Sainte- 
Catherine,  et  de  Pigeot  de  Carey,  pour  le  côté 
où  se  suivent  nos  chiffres  impairs.  La  toute-pro- 
priété à  gauche,  l'emphytéose  près  de  son 
terme  à  droite  :  cette  inégalité  de  conditions 
n'explique-t-elle  pas  assez  (Jue  les  frais  d'entre- 
tien soient  plus  épargnés  ici  que  là?  Voyez  déjii 
une  masure  qu'on  a  absolument  abandonnée, 
le  n"  18,  quoique  ce  fut  l'objet  d'un  procès 
entamé  ! 

Un  petit  hôtel  garni,  portant  le  même  nom  que 
la  rue,  donne  aussi  la  mesure  d'un  triste  laissez- 
aller  :  Lasciate  ogni  speranza.  Le  30  et  le  32, 
maison  meublée  plus  consolante,  n'ont  comme  le 
précédent,  qu'une  moitié  d'étage  ordinaire  et  un  bout 


Î16  RUE  DE  BUFFAULT. 

de  jardin  :  ali  !  comme  on  se  dépêcherait  de  bâtir 
au  fond  et  de  surélever  la  façade,  si  ce  n'était 
pas  travailler  pour  le  roi  de  Prusse!  Le  6  his, 
logis  d'ouvriers,  ne  compte  pas  pour  se  relever 
sur  son  principal  locataire,  qui  est  la  matrone 
de  la  -maison  de  tolérance  voisine. 

La  propriété  dans  laquelle  Adolphe  Adam,  que 
nous  avions  pour  ami,  a  récemment  rendu  le 
dernier  soupir,  fait  exception  :  elle  porte  le  deuil 
en  blanc. .  On  en  a  même  récrépit  tous  les  murs, 
redressé  les  planchers  et  repavé  la  cour  oblongue, 
au  moment  où  le  musicien  y  arrêtait  un  appar- 
tement sur  le  derrière,  et  l'on  eût  dit  que  c'était 
pour  lui  faire  honneur!  Ce  n"  24  n'est  pas  le 
seul  qui  ragoùte  encore  la  vue;  mais  la  majorité 
des  autres  fait  le  contraire.  Le  2,  que  Lenoir  a 
fait  bâtir,  garde  un  premier  étage  qui  se  res- 
pecte. Les  êtres  et  le  balcon  du  22  trahissent 
l'ancien  hôtel  particulier.  C'est,  je  crois,  la  mai- 
son qu'occupait  en  l'an  vin  Rœderer,  qui  avait 
provoqué  aux  Etats-Généraux  l'abolition  des  or- 
dres monastiques.  Il  y  a  de  cela  trop  longtemps 
pour  que  le  numérotage  soit  encore  le  même  : 
Rœderer  donnait  son  adresse  n"  43. 

Le  général  Gérard  a  résidé  au  26,  après  avoir 
épousé  M"«=  de  Valence,  la  petite-fille  de  M"'*  de 
Genlis.  C'était  sous  la  seconde  restauration. 
Gérard  se  trouvait  sans  emploi,  bien  qu'il  eût  été 
l'un  des  généraux  chargés  de  présenter  au  roi 
la  soumission  de  l'armée  en  1815.  On  sait  que 
Louis-Philippe  lui  a  donné  depuis  le  bâton  de 
maréchal;  mais  il  n'habitait  plus  alors  l'hôtel,  où 
l'avait  remplacé  comme  locataire  le  coulisbier 
Saucède,  patron  du  passage  de  ce  nom,  et  qui 
a  mangé  6  millions  dans  différentes  entreprises. 
Cet  immeuble,  au  surplus,  n'est  jamais  sorti  de 
la  famille  de  son  artisan,  c'est-à-dire  de  David, 
entrepreneur  des  bâtiments  de  l'hospice  Beaujon. 


Rue    de   Btiflbii.   (i) 


Ce  qu'il   y   avait  avant  la  Rue.   —  MM.  de  Buf- 
fon   Père  et  Fils.  —  Le  Serrurier.  —  Esquirol 

—  M.   Métivié.,  —  MM.  Loizerolles  Père  et  Fils. 

—  M.  Dubief.    —   Dom    Théodore. 

Pierre  Jubert  de  Basseville,  ingénieur  du  roi, 
a  dressé  en  1739  un  atlas  de  la  censive  ou  sei- 
gneurie directe  de  l'abbaye  royale  de  Sainte- 
Geneviève  dans  la  ville  et  faubourgs  de  Paris. 
Une  chaussée  y  est  seulement  tracée  entre  le 
Jardin-du-Roi  et  des  chantiers',  marais  ou  autres 
jardins,  dont  celui-là  depuis  s'est  agrandi,  et  elle 
s'élève  au  rang  de  voie  pavée  sur  un  plan  rec- 
tificatif annexé  au  terrier  vingt-six  années  plus 
tard  par  Rivière,  géomètre  et  arpenteur  du  roi 
en  la  maîtrise  des  eaux  et  forêts  au  département 
de  Paris.  Vers  l'extrémité  de  cette  avenue, 
amorce  de  la  rue  qui  nous  occupe,  une  mai- 
son est  ouverte  au  public  par  Dubois,  pâtissier- 
traiteur,  et  il  en  dépend,  outre  des  marais,  un 
fourré  de  bois,  aujourd'hui  enclavé  dans  le  Jardin- 
des-Plantes  en  face  du  n"  31  de  la  rue  de  Buffon. 
Ce  bois  touche,  d'après  le  plan,  aux  petites  fer- 
mes du  sieur  Plée  ;  des  jardins  régnent  alentour, 
dont  le  baron  de  Goulas  dispose  et  qui  seront  englobés 
eux-mêmes  par  le  Jardin-du-Roi.  La  petite  rivière 
des  Gobelins,  aux  deux  rives  bordées  de  saules, 
suit  à  travers  le  clos  Patouillet  une  direction 
parallèle  à  la  chaussée,    qui   coupe  en   deux   un 


(l)  Nolicc   écrite    en    1858. 


218  RUE   DE  BUFFON. 

groupe  de  marais  et  de  chantiers  clairsemé  de 
maisonnettes.  Le  premier  des  chantiers,  celui  qui 
se  dessine  le  plus  près  de  la  Seine  h  gauche, 
est  mis  par  la  Ville  au  service  des  marchands 
de  bois  forains. 

Or  la  maison  Dubois  n'était  rien  moins  que 
l'ancien  hôtel  Patouillet,  et  le  pâtissier  ne  jouis- 
sait pas  de  tout  le  clos  de  ce  nom,  qui  était 
encore  à  des  particuliers  en  1663  :  Marie-Angé- 
lique Dulbur  de  Nogent,  femme  du  marquis  de 
Bannes  d'Avéjan,  maréchal-de-camp,  en  avait 
vendu  la  meilleure  partie  à  Sardier,  plus  de 
vingt  ans  auparavant,  et  le  Jardin-des-Plantes 
en  engloba  postérieurement  la  presque  totalité. 
Ainsi  se  perdit  un  nom  de  lieu  porté  de  temps 
immémorial. 

Quant  au  Jardin-^des-Plantes,  Jacques  Canaye  y 
avait  reconnu  la  seigneurie  génovéfaine  en  l'an 
1603,  et  les  ancêtres  de  ce  propriétaire  de  l'hôtel 
des  Patriarches,  maintenant  un  marché,  avaient 
été  au  XV*  siècle  des  teinturiers,  rivalisant  avec 
les  Gobelin.  Vingt-deux  ans  plus  tard,  Philémon 
Voisin,  secréiaire  du  roi,  avait  renouvelé  cet 
acte  de  vasselage,  bien  qu'il  parlât  de  la  maison- 
jardin  royalle  des  plantes  médicinales,  contenant 
environ  vingt-un  arpens,  y  compris  la  hutte  des 
Coypeauœ,  servant  de  voirie  aux  sujets  de  tah- 
baye  Saincte-Geneviefve,  contenant  lesdictes  huttes 
six  arpens,  occupé  le  tout  par  Antoine  Vallot, 
premier  médecin  de  Sa  Majesté.  Ce  tout  appar- 
tenait encore  à  messire  Philémon  Voisin;  mais 
Louis  XIII  s'en  rendit  acquéreur  l'année  1633  et 
ne  tarda  pas  à  nommer  Guy-Labrosse  inten- 
dant du  Jardin-du-Roi.  Du  fief  Copeau  il  restait 
en  dehors  la  maison-mère  et  2  arpens  \;2.  Malgré 
les  Tournefort  et  les  Jussieu,  la  royale  école 
d'histoire  naturelle  ne  lit  florès  dans  le  monde 
savant    que    sous   l'intendance   de   Dufay,  qui   se 


RUE  DE  BUFFON  <?19 

montra  géomètre,  astronome,  mécanicien,  anato- 
miste,  chimiste  et  botaniste  îi  l'Académie  des 
sciences,  et  obtint  pour  Burton  la  survivance  de 
sa  place   au  Jardin-des-Plantes. 

Le  prince  des  naturalistes  y  renouvela  l'école 
de  botanique,  acheta  l'hôtel  de  Magny,  sur  la 
rue  de  Seine,  à  présent  rue  Cuvier,  pour  y  cons- 
truire le  grand  amphithéâtre,  doubla  le  jardin 
au  moyen  d'autres  acquisitions,  y  planta  de  lon- 
gues allées  et  fit  de  la  chaussée  une  rue,  qui 
ne  se  prolongea  toutefois  jusqu'au  bout  qu'en 
1790,  aux  dépens  d'anciens  chemins  herbeux  du 
clos  Patouillet.  Ce  dernier  avait  été  acheté  en 
1777  par  Buffon,  en  son  propre  nom,  avant  de 
s'incorporer  autrement  que  de  fait  au  Jardin- 
du-Boi.  Même  transition  pour  la  maison  Copeau, 
qui  appartenait  encore  à  Tassin  en  1755,  mais 
au  sujet  de  la  quelle  une  déclaration  censuelle 
fut  passée  à  seize  années  de  là  par  Georges-Louis 
Leclerc,  écuyer,  seigneur  de  Buffon,  et  confirmée 
en  1778  par  Georges-Louis  Leclerc,  comte  de 
Buffon.  C'était  le  même  intendant,  le  même  écri- 
vain qu'avant,  mais  avec  un  titre  de  plus,  et  il 
se  mettait  pour  écrire  en  grande  toilette,  soit  à 
l'hôtel  de  l'Intendance,  que  nous  revoyons  dans 
cette  rue  et  dans  celle  Geoffroy-Saint-Hilaire,  soit 
au  château  de  Montbard,  en  Bourgogne.  Il  n'avait 
pas  conçu  d'un  jet  tout  son  plan  de  régénéra- 
tion et  d'extension  applicable  au  Jardin-du-Roi  : 
quel  génie,  d'ailleurs,  est  exempt  des  nouveaux 
problêmes  à  résoudre  que  lui  pose  la  mise  en 
œuvre  et  qui  donnent  lieu  à  des  reprises!  Il 
arrive,  par  exemple,  à  l'intendant  Buffon  de  céder 
en  1781  aux  religieux  de  Saint-Victor,  ses  voi- 
sins, 12,404  toises  de  ce  clos  Patouillet  dont  il 
s'est  rendu  possesseur  quatre  ans  plus  tôt,  et  de 
recevoir,  en  échange,  un  terrain,  qu'il  vend  an 
roi   l'année   suivante;  mais  il  se  ravise  en  1787 


220  RUE  DE  BUFFON. 

et  rachète  presque  tout  le  lot  dont   les  victorins 
s'étaient  arrangés  pour  sa  commodité. 

Le    fils   de  Buftbn,  à  son   tour,   peu  de  temps 
avant  que    la    Terreur     envoyé   à    l'échafaud  cet 
héritier  d'un   nom   qui  devrait  lui  servir  d'égide, 
vend  693    toises    de    toises     de    terrain,     entre 
notre     rue     et    le    cours    d'eau     des     Gobelins, 
le   5  juin  1792,   i\  Mille,    serrurier,    qui    a    déjà 
acquis   de  Buffon   père   un  autre  lot,   sur  lequel 
il    a    édifié  le  iv  23  actuel  de    la  rue    de    Buf- 
fon.   Petit    homme   et   bossu,  ce  Mille!  qui  n'en 
élevait   pas  moins  son  métier  à  la   hauteur  d'un 
art.  De  lui  sont  toutes  les  grilles  qui  ferment  le 
Jardin-des-Plantes,   ainsi  que  le  pavillon  du  Bel- 
védère, tout  en  fer  et  en  cuivre,  considéré  comme 
un  chef-d'œuvre.    Il   occupait  le   n"  37.   Quant  à 
son  autre  propriété,   elle  fut  réunie  dès  1789   à 
la  maison   qui  répond   au  chiffre   25  et  dont   le 
comte  de  Buffon    avait  transmis  l'emplacement  à 
Fiat,   pharmacien   distingué.   C'est  \h.  qu'au  com- 
mencement   de  la  Révolution   Esquirol    employa, 
le  premier,  les  passions  humaines  comme   agent 
curatif  des  maladies  mentales  :  jusque-là  on  s'é- 
tait   borné    à  enchaîner    les   fous,    lorsqu'on   les 
jugeait  dangereux.  De  tous  les  points  du  monde 
on  vint  consulter  ce  chef  d'une  maison  d'un  nou- 
veau genre,  à  la  mémoire  duquel  s'élève  à  Cha- 
renton  un  monument,  consécration  de  son  initia- 
tive et  des  applications  heureuses  de  son  système. 
Aussi  bien  un  autre  médecin,  M.  Métivié,   attaché 
à     la     Salpétrière    comme    Esquirol,  se    montre 
depuis  1808  fidèlement  attaché  au  même  immeu- 
ble; il  y  a  eu  pour  prédécesseurs  M"""  de  Loi- 
zerolles   et  son  fils,   dont    le  nom  nous  rappelle 
un     épisode    révolutionnaire.     On    avait    arrêté 
M.    de    Loizerolles    père,   en    même    temps   que 
son  fils,  sous  la  Terreur,  et  tous  les  deux  atten- 
daient l'heure  fatale,  à  Saint-Lazare,  l'avant-veille 


RUE   DE  BUFFON.  221 

du  9  thermidor.  Un  huissier  vient  h  la  prison, 
avec  une  liste,  et  fait  l'appel  des  victimes  des- 
tinées à  l'holocauste  du  lendemain;  le  nom  est  pro- 
noncé de  LoizeroUes  tils,  jeune  homme  de  2!2  ans, 
qui  dort  dans  un  coin  de  la  salle,  et  le  père  se 
dépèche  de  répondre  h  sa  place:  —  Présent!... 
Le  greffier  en  est  quitte  pour  changer  sur  la  liste 
l'âge  du  prisonnier  dont  la  mort  va  lever  l'écrou.  L'un 
des  deux  LoizeroUes  est,  le  lendemain  malin,  au 
nombre  des  malheureux  qu'emporte  une  chaiette 
de  la  Conciergerie  à  la  guillotine  ;  l'autre,  en 
gagnant  un  jour,  doit  son  salut  à  la  chute  de 
Robespierre. 

Les  n"'  53,  55,  comportent  des  pavillons  de 
l'autre  siècle,  servant  de  magasin  et  de  logement 
à  des  employés  du  Jardin.  Au  reste,  les  numé- 
ros de  la  rue  ne  répondent  pas  tous  à  l'appel  ; 
il  en  est  qui  s'appliquent,  par  une  ambitieuse 
prévoyance  de  l'administration  urbaine,  à  de  sim- 
ples places  à  bâtir. 

Il  s'y  rencontre  encore  un  ou  deux  jardiniers- 
pépiniéristes,  autrefois  plus  nombreux  dans  ce 
quartier  avant  tout  botanique.  Le  n"  61  a  passé, 
par  exemple,  de  l'un  de  ces  horticulteurs  à  un 
notable  charpentier,  M.  Dubief,  qui  depuis  1826 
a  assemblé  des  pièces  de  bois  pour  toutes  les 
maisons  neuves  de  sa  rue  et  de  bien  d'autres 
rues.  Deux  fils  de  M.  Dubief  étaient  nos  condis- 
ciples modèles  à  Sainte-Barbe. 

Au  n"  73,  vis-â-vis  de  l'ancienne  résidence  de 
Buttbn,  loge  un  savant  modeste,  dom  Théodore. 
Le -comte  de  Saint-Geniès  a  fait  pour  ce  béné- 
dictin, fort  érudit  dans  les  sciences  naturelles, 
les  vers  qui  suivent  : 

Lorsque    la   gloire    de   BuOTon 
Obtient   de   nos   respects   le    tribut   légitime, 

Nous  gardons    une  part  d'estime 
Pour   son  modeste  ami,    le   sage    Daubeuton. 


222  RUE  DE  BUFFON. 

Leur  exemple   se   renouvelle, 

Nous  Yoj'ons  encor  des  savants 

De   cette  union    fraternelle 

Offrir   des   modèles  vivants. 
r,e  nom  de  d'Orbigny  décore  un  vaste  ouvrage, 
Précieux   monument   d'un    travail   infini; 
Mais,   comme    le   travail,  la    gloire    se   partage, 

El   nous   rendons   un  juste   hommage 

Au   Daubenton  de    d'Orbigny. 


Rue  Cadet,  (i). 


N"'  5,  7,  9,  13,  15,  16,  19,  21,  23,  24,  26,  28,  30. 

A  Paris,  la  noblesse  qui  n'a  pas  fait  ses  preuves 
avant  la  Révolution,  descend  ordinairement  des 
Halles.  Là  se  réalisent  depuis  longtemps  les 
premiers  des  profits  qui  permettent  à  un  maraî- 
cher économe,  laborieux  et  marié  h  l'avenant, 
d'avoir  des  descendants  qui  le  renient  pour  aïeul. 
Le  chevalier  Cadet  de  Chambine,  qui  était  maire 
d'Enghien-Montmorency  sous  la  Restauration, 
aurait-il  reconnu  de  gaieté  de  cœur  pour  ancêtres 
les  anciens  jardiniers  du  clos  Cadet?  Il  y  avait 
toutefois  des  Cadet  déjà  en  vue  au  temps  de  la 
Pléiade  poétique  de  la  Renaissance,  dont  pas  une 
étoile  n'a  jeté  un  éclat  aussi  populaire  et  aussi 
clair.  Jacques  et  Jean  Cadet  étaient  maîtres-jar- 
diniers dès  le  règne  de  Charles  IX  au  terroir  des 
Porcherons,  où  pour  passer  à  la  postérité  ils 
n'ont  jamais  eu  d'autre  titre  que  leurs  titres  de 
propriété,  et  la  famille  Saulnier  s'est  levée  aussi 
matin  pour  ramer  ses  pois  près  des  leurs. 

Que  de  maisons  il  a  poussé  dans  les  marais 
arrosés  de  la  sueur  des  jardiniers  Baudin,  Saul- 
nier et  Cadet,  depuis  que  la  campagne  s'y  est  con- 
vertie en  faubourg,  puis  en  quartier  de  la  grand'ville! 
La  fleur  même  de    la    bourgeoisie  n'a-t-elle  pas 


(1)  Notice  écriie  en  1858.  La  rue  Lafayetle  commen- 
çait encore  à  la  rue  du  Faubourg-Poisonnière  ;  depuis 
lors  elle  a  traversé  de  part  en  ])art  Ja  rue  Cadet,  qui 
a  perdu  du  coup  une  quinzaine  de  maisons,  dont  quel- 
ques-unes  seulement  sont  remplacées  par  des  constructions 
neuves. 


224  RUE  CADET. 

quelquefois  commencé  par  en  être  la  gousse,  la 
plante  potagère  ?  L'esprit  d'ordre  gagnerait  à  ce 
que  bien  des  familles  se  souvinssent,  par  tradition, 
d'avoir  arrosé,  récolté,  épluché  quantité  de 
légumes. 

En  1670  le  jardinier  Etienne  Pévi^er  et  sa  femme, 
Elisabeth  Cadet,  achetaient  de  Jean  Saulnier  et 
de  Michelle  Baudin  plusieurs  pièces  de  terre  cul- 
tivée, dans  la  censive  des  cheveder,  chanoine  et 
chapitre  de  Vesglise  collégiale  Madame  Saincte- 
Opportune  à  Paris,  sieurs  des\  Percherons,  du 
fief  de  Coquatuse,  Huran  et  austres  fiefs  assis  à 
la  place  aux  Veaux.  M"*"  de  Lorraine,  abbesse 
de  Montmartre,  était  aussi  dame  des  Percherons, 
mais  en  partie  ;  son  ressort  seigneurial  ne  s'y 
confondait  pas  avec  celui  de  Sainte-Opportune,  dans 
lequel  se  trouvait  le  clos  Cadet.  Lorsqu'Anne  et 
Elisabeth  Février  furent  en  possession  de  l'héri- 
tage de  leurs  père  et  mère  susnommés,  elles 
avaient  des  terres  mitoyennes  avec  celles  de 
Jeanne  Cadet,  femme  de  Dufresnoy,  tailleur 
d'habits. 

Mais  le  clos  Cadet  proprement  dit  appartenait 
en  1694  à  Marie  Ranier,  épouse  de  Mathieu  de 
Montholon,.  conseiller  au  Châtelet.  C'était  une 
petite  maison  avec  trois  arpens  de  marais,  clos 
de  murs  ;  la  face  principale  en  regardait  la  place 
du  même  nom,  par-dessus  le  mur  ou  ii  travers  une 
une  grille,  et  la  croix  Cadet  surgissait  au  même 
angle  ;  mais  la  porte  donnait  sur  la  rue  qui  prit 
le  nom  dudit  Montholon.  Ce  magistrat  y  avait 
pour  tenants  Jean  Saulnier  d'une  part,  Simon 
Brochet  d'autre  part,  et  par-derrière  étaient  70 
perches  que  lui  avaient  vendues  Anne  et  Elisabeth 
Février.  A  M.  de  Montholon  appartenait  également, 
du  chef  de  sa  femme,  un  terrain  de  5  arpens 
contigu  à  la  propriété  locale  de  labbesse  de 
Montmartre  et  à  celle  de    Cagnet;    ledit    terrain 


RUE  CADET.  225 

longeait  la  rjie  du  Faubourg-Poissonnière,  alors 
Faubourg-Sainte-Anne,  entre  les  rues  de  Montho- 
lon  et  Bleue.  Du  clos  Cadet  avaient  dû  se  déta- 
cher l'hôtel  et  la  maison  des  frères  Lecocq  dont 
nous  avons  parlé  rue  Bleue.  Mais  le  chemin 
conduisant  de  la  porte  Montmartre  à  Clignancourt 
ne  sappelait  encore  comme  le  clos  que  par 
variante. 

A  ce  chemin  aboutissait  en  1690  un  terrain 
d'un  arpent  et  demi  qui  touchait  à  l'égoût  de  la 
ville  (rue  Richer)  et  que  la  comtesse  de  la  Mark 
tenait  de  sa  mère,  marquise  de   Bougainville. 

Dès  le  commencement  du  règne  de  Louis  XV 
on  connaissait  la  rue  Cadet  ;  mais  on  disait 
encore  plus  volontiers  :  rue  de  la  Voirie,  à  cause 
d'un  dépôt,  d'ailleurs  favorable  ii  la  culture  des 
marais  et  des  jardins  du  voisinage,  qui  occupait 
l'encoignure  de  gauche  à  l'entrée  de  la  rue  Roclie- 
chouart.  Une  berge  de  voirie  longeait  ce  côté 
de  la  rue  qui  servait  à  la  fois  d'avenue  et  de 
déversoir  au  réceptacle  d'immondices.  Le  pont 
des  Porcherons  était  jeté,  comme  un  voile  pudique, 
sur  les  embrassements  fangeux  qui  mariaient  la 
voirie  avec  l'égout,  au  bas  de  l'avenue.  Elle  était, 
avant  tout,  celle  des  plaisirs  populaires,  malgré 
les  impuretés  matérielles  dont  l'air  de  la  campa- 
gne s'y  imprégnait.  Des  guinguettes  n'avaient  pas 
eu  peur  de  s'y  ouvrir  sur  un  marché  aux  Porcs. 
L'eau  qui  suivait  sa  pente,  au  pied  des  cabarets, 
était  trouble  et  puante  avant  même  d'en  emporter 
le  trop-plein  ;  elle  n'en  donnait  que  moins  envie 
au  vin  de  sa  mésallier  dans  les  verres.  Sans  le 
fumier,  pas  un  Cadet  pour  metti'c  en  plein  rapport 
le  jardin  le  mieux  exposé  !  Les  jardiniers  des 
Porcherons  fournissaient  même  des  bouquets  pour 
tant  de  fêtes,  des  melons  et  des  fraises  à  tant  de 
bonnes  tables,  des  fèves  et  des  salades  à  tant  de 
couverts  sans    nappe  que  la  reconnaissance  leur 


226  RUE  CADET. 

faisait  un  devoir  de  verser  rasade  aujc  /?/î,  dans 
les  cabarets  d'alentour.  Mais  savez-vous  encore, 
ô  Parisiens  contemporains  du  Casino-Cadet,  qui 
l'on  appelait  des  fifi  ?  Leur  surnom  venait,  disait- 
on,  de  ce  que  les  jolies  1111  es  refusaient,  aux  Por- 
cherons,  de  danser  avec  ces  gens-lîi  et  répondaient 
à  leurs  invitations  par  des  fi  tellement  dédaigneux 
que  le  nez  en  ftiisait  la  moue  avec  la  bouche 
sur  la  figure  de  ces  Parisiennes,  encore  plus  bégueu- 
les que  celles  du  Casino.  Delamarre  parlait  d'eux 
en  son  Traité  de  Police  ;  il  nous  suffit  d'en  citer 
le  renvoi  qui  figure  dans  la  table  du  iv"'*  volume  : 
«  Maîtres  Fifi,  ou  maîtres  des  basses-œuvres  ne 
cureront  les  fosses  et  retraits  sans  permission  de 
justice.  » 

L'odeur  prédominante  en  cette  rue  a  rarement 
été,  nous  en  convenons,  celle  de  la  poudre  îi  la 
maréchale.  Néanmoins  le  duc  de  Richelieu  y  a 
eu  ses  Porcherons,  et  c'était  dans  la  maison  même 
dont  le  Casino-Cadet  dépend.  Le  terrain  de  M'"^ 
de  la  Mark  avait  été  incorporé  ou  conlinait  à 
cette  vaste  propriété,  qui  fut  d'abord  un  hôtel 
de  campagne  pour  le  prince  de  Monaco,  avec  ses 
écuries  de  l'autre  côté  de  la  rue. 

La  maison  et  le  jardin  passèrent,  sous  la 
Régence,  \\  un  sieur  Charpentier,  qui  pendant 
plus  de  dix  années  y  eut  pour  locataire  le  roué 
par  excellence.  Au-dessous  venait  une  bicoque  à 
Ambroise,  gagne-denier,  puis  le  clos  affermé  par 
Montholon  à  un  jardinier.  Au  dessous  :  Lemoine, 
salpôtrier  ;  Renault,  jardinier;  Lecocq;  Desmoulins, 
sergent  de  gardes-françaises,  non-seulement  pro- 
priétaire, mais  encore  occupant,  comme  s'il  n'était 
que  bourgeois  ;  un  carrossier  enhn,  au  pont.  Les 
propriétaires  du  côté  opposé  étaient  en  ce  temps-lù 
Baudin,  bourgeois,  la  veuve  Millet  et  Lemoyne, 
oisellier.  Le  sergent  de  ladite  rue  y  était-il  en 
état  de  service  ?  Il  y  avait  un  peu  plus  tard,  nous 


RUE  CADET.  >*  227 

en  avons  la  preuve,  un  corps-de-garde  à  l'endroit 
où  elle  s'élargissait  en  manière  de  place,  et 
il  se  percevait  sur  ce  carrefour  des  droits 
d'entrée  en  ville  à  la  même  époque.  Le  carrossier 
était  le  locataire  ou  le  successeur  des  Harel,  héri- 
tiers de  Raoul  :  ledit  Raoul,  potier  d'étain,  avait 
bâti  sur  un  terrain  acquis  de  Fontaine,  secrétaire 
du  roi,  mais  aliéné  dès  l'année  1601  par  le  cha- 
pitre de  Sainte-Opportune  au  profit  de  Gellée, 
entre  la  Grange-Batelière  et  des  terres  au  petit 
Hôtel-Dieu  (sur  la  rue  du  Faubourg-Montmartre). 
Si  bien  que  le  pont  des  Porcherons  était  dit 
aussi  pont-Raoul. 

Pour  la  rue  Rochechouart,  elle  fut  d'abord 
chemin  de  la  Croix-Cadet-îi-Clignancourt  et  des 
Porcherons -à-Glignancourt  ;  la  dernière  de  ces 
désignations  s'étendit  même  au  chemin  de  la 
Voirie.  Mais,  en  dépit  de  l'autorité  topographi- 
que du  plan  de  Turgot,  la  dénominaiion  de  Cadet 
a  commencé  à  être  préférée  dès  que  le  chemin 
s'est  érigé  en  rue  ;  ainsi  le  fond  du  n"  80,  tel 
que  vous  pouvez  le  voir,  se  bâtissait  pour  Magne, 
voiturier,  en  l'an  de  grâce  1717,  sur  une  place 
cultivée  en  marais,  avec  permission  d'alignement 
sur  le  chemin  du  Clos-Cadet,  dit  aussi  des 
Porcherons-à-Clignancourt .  L'amiral  Duperré  n'était 
encore  que  capitaine  de  vaisseau  lorsque,  sous 
Louis  XVIII,  il  avait  ce  domicile.  Les  n"'  28  et 
26  sont  des  constructions  basses  du  même  temps. 
Le  24  n'est  venu  faire  sa  partie  qu'un  peu  plus 
tard  dans  le  concert  galant  des  Porcherons,  mais 
avec  la  sourdine  de  la  petite-maison,  pendant  que 
les  guinguettes  jouaient  plus  bruyamment  le»  mêmes 
airs. 

Disons  adieu,  en  traversant  la  rue,  à  l'ancien 
manège  royal.  Tranféré  rue  Cadet  en  1823.  il 
y  succédait  à  un  quartier  de  cavalerie,  qui  lui- 
même  occupait  l'ancien  hôtel  d'un  grand  seigneur  ; 


228  RUE  CADET. 

le  comte  d'Aure  a  dirigé,  avant  Tassinari,  cette 
école  d'équitation,  dont  la  Ville  payait,  le  loyer 
et  que  subventionnait  l'État.  Sa  porte  monumentale 
et  décorée  de  chevaux,  qui  rappel ent  ceux  de 
Marly,  va  disparaître  ;  la  pioche  aura  raison  de  ce 
qu'à  épargné  la  tlamme  il  y  a  treize  ans,  dans 
cette  propriété,  et  l'incendie  y  paraissait  si  bien 
l'avant-coureur  d'une  démolition  sans  réserve  que  des 
tronçons  de  poutres  montrent  encore  leurs 
moignons  carbonisés,  comme  si  le  feu  était 
éteint  d'hier.  Tassinari  a  transporté  l'école  près 
de  là,  passage  des  Deux-Sœurs,  où  M.  Leblanc 
donne  à  son  tour  des  leçons  d'équitation  et  des 
chevaux  en  location.  Adieu  pareillement  à  des 
masures  qui,  rue  Cadet,  touchent  l'ancien  manège 
et  ont  été  logis  de  maraîchers  !  Le  tond  des  n°*  19, 
15,  13,  dont  les  constructions  remontent  seule- 
ment" à  1828,  repose  sur  un  terrain  qui  apparte- 
nait   aux  Hospices. 

Le  16,  qu'a  occupé  M.  André  Cottier  père, 
négociant,  et  puis  le  maréchal  Clausel,  n'est  autre 
que  l'ancien  pied-à-teri'e  de  Richelieu.  Bien  que 
le  plan  de  1739  ait  déjà  mis  en  vue  cette  pro- 
priété, elle  garde  encore,  en  les  cachant,  de 
grands  arbres  plantés  par  les  ordres  de  M.  de 
Savary,  grand-maître  des  eaux  et  forêts  de  Nor- 
mandie, donataire  en  l'année  1773  de  Le  Cordier 
de  Bégars,  marquis  de  la  Londe,  président  à 
mortier  au  parlement  de  Rouen.  Le  prince  Murât, 
propriétaire  actuel,  ne  s'y  plaint  pas  des  empié- 
tements de  la  pierre  de  taille  et  du  moellon;  il 
les  lavorise,  au  contraire,  n'ignorant  pas  que  les 
arbres  rapportent  beaucoup  moins.  Le  Grand- 
Orient  et  le  Casino  n'occupent  pas  tout  l'immeuble 
du   prince. 

En  face,  voici,  n"  9,  l'ancien  hôtel  du  marquis 
de  Cromont.  Ce  nom  seigneurial  n'était-il  pas 
une  contraction  de  Coqueromont  ?  Un  Coqueromont, 


RUE  CADET.  229 

qui  n'avait  pour  ergot  que  ses  talons  rouges, 
ne  fut-il  pas  beau-frère  du  comte  de  Bermotiville? 
Si  le  propriétaire  de  cet  Lôtel,  en  1766,  n'était 
pas  de  la  même  famille,  il  ne  s'en  fallait  que 
d'une  lettre;  dans  un  titre  censitaire  son  nom 
se  présente  ainsi:  Jules-David  Cromot  du  Bourg. 
A  sa  place,  en  1710,  avait  été  Philippe  Lemoine. 
La  salle  Pleyel  mettait  l'immeuble  en  vue,  et  la 
bonne  compagnie  en  connaissait  bien  le  chemin 
quand  les  concerts  qu'on  y  donnait  avaient  pour 
virtuoses  Tulou,  Martin,  M"'«  Malibran,  Nourrit, 
Ponchard.  Des  négociants  y  ont  à  cette  heure 
leur  comptoir,  et  la  Caisse  hypothécaire  ses  pré- 
cieuses archives,  registre  censuel  de  Monseigneur 
l'argent,  auquel  tant  de  propriétaires  sont  tenus 
de  rendre  plus  que  foi  et  hommage.  Le  7  a  été 
édifié,  en  1813,  sur  l'ancien  jardin  du  marquis. 

Claude  Michelet,  écuyer,  capitaine  des  chasses 
et  garde  de  la  vénerie  de  Louis  XIV,  a  épousé 
M""  Ambroise  Hérisson,  propriétaire  de  2  arpens 
1/2  sur  le  terroir  des  Porcherons,  en  la  censive 
de  Sainte-Opportune  et  grevés  d'une  petite  rente 
envers  l'hôpital  Sainte-Catherine.  Jean  Baudin, 
jardinier,  a  acheté  de  cette  dame,  en  1693,  et 
revendu  ensuite  par  lots  ledit  terrain,  et  ce  n'est 
pas  la  seule  opération  du  même  genre  qu'il  ait 
faite  sur  la  même  ligne,  où  notre  l'ue  bordait  le 
triage  des  Pointes,  d'après  le  cadastre  seigneu- 
rial du  chapitre  de  Sainte-Opportune.  Baudin  le 
susnommé  était  mitoyen  avec  Philippe  Lemoine 
pour  une  propriété  comportant  deux  maisons 
et  un  jardin.  Un  autre  Baudin,  jardinier-botaniste 
aux  Porcherons,  était  cité  en  1783  pour  son 
cabinet  d'histoire  naturelle. 

De  respectables  bicoques  se  retranclient  dans 
la  cour  du  n°  5,  et  nous  y  remarquons  une 
vacherie,  dont  le  laitage  se  débitait  déjà  avant  l'a- 
vénement  de  Louis  XVL   Faut-il  que  celte,  étable 

15 


230  RUE  CADET. 

ait  la  vie'  dure  pour  avoir  résisté,  sur  un  point 
de  Paris  devenu  si  vivant,  à  la  nécessité,  de  plus 
en  plus  pressante,  de  réduire  les  habitations  aux 
proportions  des  alvéoles  d'une  ruche  !  Le  grand- 
père  de  Guilliet,  le  nourrisseur  actuel,  achetait 
la  propriété  dès  l'année  1773,  et  fournissait  lui- 
même  un  petit  lait  réparateur  aux  roués  et  aux 
filles  d'Opéra  dont  les  petits  soupers  avaient  délabré 
l'estomac. 


Les  rue,    place  et  passag^e  du  Caire,  (i) 


Du  23  juillet  1798  date  l'entrée  victorieuse  des 
troupes  françaises  au  Caire.  A  la  fin  de  l'autre 
siècle  remonte  aussi  la  foire  du  Caire,  nom  col- 
lectif donné  pour  commencer  aux  passages  et  à 
la  rue  du  même  nom,  ouverts  à  la  place  du  ci- 
devant  couvent  des  Filles-Dieu,  et  principalement 
sur  le  jardin  de  ces  religieuses.  La  spéculation 
en  était  faite  par  une  compagnie  constituée  tout 
exprès,  et  le  terrain  qu'elle  exploitait  était  resté 
en  dehors  de  la  ville  jusq^u'au  règne  de  Charles  V. 
Un  hôpital  suburbain  y  avait  été  fondé  en  l'an 
1316,  et  les  Filles-Dieu  n'en  avaient  pris  posses- 
sion qu'après  s'être  établies  dans  le  faubourg 
Saint-Denis,   qui  resta  plus  longtemps  forain. 

Ce  monastère  devait  ii  sa  seconde  installation 
la  contiguité  de  la  cour  des  Miracles,  ou  plutôt 
du  principal  des  repaires  connus  à  Paris  sous  ladite 
dénomination.  Cette  cour,  qui  fut  supprimée  à 
l'époque  de  la  majorité  de  Louis  XIV,  ne  con- 
sistait plus  alors  qu'en  un  très  grand  cul-de-sac 
puant  et  boueux;  il  y  fourmillait  encore  des  mendiants 
et  des  voleurs,  parlant  argot  et  jaloux  de  con- 
server le  droit  d'asile,  dont  vint  pourtant  à  bout 
la  force  armée.  C'en  était  fait  d'une  bohème  qui, 
depuis  Louis  XI,  avait  dégénéré,  si  tant  est  que 
la  lie  puisse  encore  descendre  !  Les  truands  de 
la  cour  des  Miracles  avaient  eu  leurs  lois  et  leur 
chef,  d'après  le  tableau  si  chaud  de  ton  que 
nous  en  a  donné  Victor  Hugo,  dans  son  roman 
épique  :  Notre-Dame-de-Paris.    Notre     bohème    à 

(1)  Notice    écrite  en  1858. 


232  LES   RUE,    PLACE 

nous  va  moins  en  guenilles  ;  mais  elle  promet 
toujours  plus  qu'elle  ne  tient  :  nouvelle  façon  de 
vivre  aux  dépens  du    prochain  ! 

Contentons-nous  d'une  place  du  Caire  moins  pit- 
toresque assurément  que  le  fut  le  royaume  des 
truands  et  truandes.  Les  cardeuses  de  matelas  s'y 
réunissent  chaque  jour,  en  se  racontant  tout  ce 
qu'elles  savent,  et  le  champ  est  vaste.  Ou  ne  leur 
confie  pas  uue  seule  toile  h  matelas  sans  qu'il  se  lève 
au  moins  une  chemise  devant  ces  sages-femmes  de  la 
couchette  ;  elles  distinguent  la  place  du  mari  de 
celle  de  sa  femme,  rien  qu'au  tlair,  et  quand  il 
arrive  à  la  laine  de  garder  deux  empreintes  qui 
n'en  font  qu'une,  il  n'y  a  pas  de  danger  qu'elles 
disent:  C'est  un  ménage!  Leurs  illusions  et  leurs 
cheveux  tombaient  déjà  lorsque  s'est  édenté  lé 
démêloir  de  ledr  jeimesse  ;  des  griffes  d'acier  y 
ont  poussé  à  temps,  et  la  carde,  substituée 
au  peigne,  décrasse,  démêle,  crêpe  enfin  une  che- 
lure  qui  ne  craint  plus  la  calvitie.  Eu  rajeunissant 
la  litei'ie  d'un  étudiant  ou  d'une  grisette,  d'une 
actrice  ou  d'un  vieux  garçon,  comme  elles  sou- 
pirent !  comme  tout  leur  rappelle  un  temps  où  elles 
chômaient  aussi  les  fêtes  sans  carillon,  et  si  mobiles, 
de  la  reucontre,  du  rendez-vous,  du  cadeau,  des 
adieux,  du  retour  !  Plus  une  cardeuse  a  l'air  d'une 
sorcière,  mieux  elle  s'entend  h  rafraîchir  la 
couche  de  la  veuve,  au  sommier  semi-mortuaire, 
dont  elle  fait  celle  d'un  autre  hymen.  Mais,  pour 
se  rajeunir  elle-même,  il  faut  qu'elle  aille  jusqu'à 
se  comparer  aux  mascarons,  aux  sphinx  et  aux 
petits  bonshommes  égyptiens,  ces  derniers  courant 
sur  une  frise,  qui  décorent  la  maison  d'en  face 
et  où  commence  le  passage.  Ce  musée  d'un  style 
exotique  s'est  inspiré  des  Pyramides,  et  des  géné- 
rations de  matelassières,  depuis  la  formation  de 
la  place,  vénèrent  dans  ces  hiéroglyphes  un  symbole 
de  leur  profession,  honorée  sans  doute  à  Memphis 


ET  PASSAGE  DU  CAIRE.  233 

de  la  même  façon  qu'à  Paris  ;  il  suffit  que  le 
sphinx  ait  la  tête  et  les  mains  d'une  femme, 
avec  des  griffes,  pour  qu'elles  voient  une  cardeuse 
de  Tlièbes  dans  cette  image  fabuleuse,  qui  ne  leur 
paraît  plus  un  monstre. 

Le  passage  du  Caire,  dont  la  principale  indus- 
trie est  l'impression  lithographique,  aurait  bien 
dû  illuminer  quand  Napoléon  III  a  supprimé  l'obli- 
gation du  timbre  pour  les  circulaires  de  commerce  ; 
cette  émancipation  a  enrichi  le  passage,  qui  s'en 
est  montré  reconnaissant  par  des  frais  d'embellis- 
sement. Jusque-là  il  fallait  tenir,  en  cas  de  pluie, 
les  parapluies  ouverts  dans  ses  galeries,  qiij  en 
plusieurs  endroits  manquaient  de  couverture  vitrée. 

On  y  compte  plus  de  numéros  que  de  maisons, 
chaque  raison  de  commerce  voulant  le  sien.  C'est 
au  n"  127  qu'un,  élégant  viveur  naufragé,  ayant 
nom  Froment,  a  fondé  un  canard,  soi-disant  journal 
de  spectacles,  pour  en  faire  sa  planche  de  salut, 
sous  le  règne  de  Louis-Philippe.  Notoirement 
illettré,  il  eut  pour  rédacteur  et  pour  second  un 
comédien  sans  engagement,  dont  la  plume  s'exerça 
dès-lors  à  la  tlatterie  :  régisseurs,  contrôleurs  et 
directeurs  étaient  portés  aux  nues  en  style  quel- 
conque par  l'acteur  qui  passait  auteur.  Celui-ci 
n'a  pas  eu,  depuis,  d'autre  talent  ;  mais  c'en  était 
assez  pour  prospérer  ;  il  continue  ses  platitudes 
sur  une  échelle  plus  en  vue.  Celui-là,  au  contraire, 
a  misérablement  fini,  après  avoir  passé  trois  ans 
à  courir  après  des  annonces  au  rabais  et  chez 
les  divers  marchands  de  vin  où  il  avait  rendez- 
vous,  tous  les  soirs,  avec  les  crieurs  de  program- 
mes qui  avaient  stationné  à  la  porte  des  théâtres. 
Froment  a  succombé  à  une  tâche  qui,  plus  tard, 
a  mieux  réussi  à  quelques-uns  de  ceux  qui,  le 
pied  leste,  sans  bagage  qui  les  embarrasse,  entrent 
furtivement  dans  la  presse  ou  dans  le  théâtre,  par 
quelle  porte?  par  celle  des  claqueurs,  des  mar- 


234  LES   RUE,    PLACE 

chauds  de  contre-marques  et  des  coureurs  d'an- 
nonces. Les  mendiants  de  la  cour  des  Miracles 
se  couvraient  jadis  de  fausses  plaies  ;  les  intri- 
gants de  notre  époque  n'ont  de  postiche  que  les 
qualités  dont  ils  se  parent,  et  si  vous  en  voyez 
qui  réussissent  h  se  faiie  prendre  pour  ce  qu'il 
ne  sont  pas,  tenez  pour  assuré  que  dans 
leurs  veines  il  coule  encore  du  sang  de  ces 
mêmes  gueux  qui  montraient  autrefois  de  fausses 
ankyloses. 

La  spécialité  commerciale  des  chapeaux  de  paille 
domine,  au  contraire,  dans  la  rue  du  Caire,  dont 
toutes  les  maisons  ressemblaient  d'abord  à  celles 
qui  n'ont  encore  que  deux  petits  étages.  Parmi 
les  maisons  exhaussées  il  y  a  environ  vingt  an- 
nées, figure  le  21,  où  mourut,  le  !28  avril  1810, 
un  modeste  vieillard,  Gilles  Thomassin,  qui  n'avait 
échappé  à  la  mort  révolutionnaire  qu'à  cause  de 
de  la  chute  subite  de  Robespierre.  L'ancien  régime 
avait  peu  de  partisans  plus  enthousiastes  que  ce 
bonhomme,  portant  jusqu'à  la  tin  un  bonnet  de 
coton  sur  une  coiffure  à  queue.  Le  jour  où  la 
corporation  des  cuisiniers-queux-traiteurs,  dont  il 
était  le  buraliste,  avait  été  tout-àfait  supprimée, 
Thomassin  avait  pour  tout  de  bon  désespéré  de 
son  pays.  Les  statuts  de  la  communauté,  objet  de 
ses  regrets  amers,  dataient  du  mois  de  mars 
1599  ;  à  différentes  reprises  Louis  XIII  et  Louis 
XIV  les  avaient  confirmés,  et  notre  homme  les 
savait  par  cœur,  aussi  bien  que  le  nom  de  tous 
les  bâtonniers  de  cette  confrérie,  dont  il  n'était 
pourtant  pas  membre  ;  son  ex-bureau  était  quai 
Pelletier.  A  plus  d'une  reprise  il  avait  adressé 
à  l'empereur,  par  l'entremise  d'un  aide-de-cuisine 
attaché  à  Cambacérès,  une  pétition  suppliante  pour 
relever  sa  chère  institution  et  pour  mettre  un 
frein  aux  désordres  nés  de  l'anarchie  culinaire. 
Celte  rare  persévérance  eût  fait  croire  que  le  feu 


ET  PASSAGE   DU  CAIRE.  235 

sacré,  le  génie  de  cet  art  l'éclairait  ;  mais  c'était 
pour  sa  propre  gloire  un  culte  désintéressé.  Etant 
jeune  il  avait  échoué,  comme  aspirant  à  la  maîtrise, 
en  subissant  son  examen  devant  des  bacheliers, 
maîtres  et  administrateurs  de  la  confrérie  ;  il 
avait  manqué  le  chef-d'œuvre  que  l'apprenti^^vait 
exécuter  sous  les  yeux  mêmes  des  jurés,  et  cette 
déconvenue,  subie  k  la  lueur  des  fourneaux,  avait 
relégué  le  praticien  dans  les  ténèbres  de  la  bureau- 
cratie. Pour  obtenir  la  maîtrise  sans  épreuve,  il 
eût  fallu  que  Thomassin  fût  fils  de  maître  et  élève 
de  son  père,  ou  qu'on  l'eût  agréé  comme  aide 
dans  une  maison  princière. 


Rue   de   la   Calandre.    {i\ 


L'Impôt  des  Calendes.  —  Le  Prieuré  de  Saint- 
Eloi.  —  Pépin-le-Bref.  —  Flicoteaux.  —  Les 
Images.  —  Hôtel  de  Bourgueil.  —  Le  Coupe- 
Gorge.  —  Dagobert.  —  Juin  1848.  —  L'Evêque. 
—  L'Auberge.    —  L'Industrie. 

Tristes  misero  vendre  calcnâœ, 

disait  Horace.  Les  calendes,  ces  premiers  du 
mois,  étaient  chez  les  Romains  jours  d'échéance 
et  de  contribution.  Du  temps  de  Jules-César,  on 
appelait  à  Paris  via  Kalendaria  la  rue  où  se 
payait  l'impôt  :  tout  autre  interprétation  étymolo- 
gique fait  fausse  route,  bien  qu'au  xni'=  siècle  la 
rue  de  la  Calandre  ait  porté,  outre  son  vrai  nom, 
celui  de  Rue  qui  va  du  Petit-pont  à  la  place 
Saint-Michel. 

Saint  Marcel,  évêque  de  Paris,  y  était  né;  c'est 
pourquoi,lejour  de  l'Ascension,  le  clergé  de  Notre- 
Dame  faisait  une  station  au  seuil  d'une  maison  qu'on 
trouvait  la  cinquième  à  droite,  en  partant  d'une 
place  Saint-Michel,  ensuite  rue  de  la  Barillerie  (:2). 
Cette  propriété  que  céda  à  titre  d'échange,  en 
l'an  1230,  le  prieur  du  Temple  au  chapitre 
de  Saint-Marcel,  est  du  petit  nombre  de 
celles  qui,  dans  la  rue,  ont  fait  place  à  des  con- 
structions postérieures  au    règne  de    Louis   XV. 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  la  Calandre  a 
disparu  depuis;  Ja  place  en  est  prise  par  la  caserne  de 
Ja  Cité. 

(2)  Maintenant  boulevard   du  Palais. 


RUE   DE  LA  CALANDRE.  237 

Parmi  les  pièces  relatives  aux  biens  et  héritages 
qui  s'échelonnaient  en  face  sous  Charles  VI,  nous 
remarquons:  1'*  un  bail  fait  par  les  religieux  de 
Saint-Eloi  au  profit  de  Belloyn,  pelletier,  et  il 
s'y  agissait  d'une  maison  qui  tenait  du  côté  de  Notre- 
Dame  à  des  dépendances  de  leur  prieuré  et  qui 
avait  pour  vis-ii-vis  les  jardins  du  Palais,  en 
aboutissant  par  derrière  aux  galeries  et  jardins 
conventuels;  2"  un  acte  pareil,  rendant  Lamouroux, 
autre  pelletier,  locataire  d'une  maison  contiguë 
à  la  susdite  ;  3"  l'acte  d'une  donation,  faite  par  le 
curé  de  Saint-Merri  aux  religieux,  d'une  propriété 
assise  entre  le  mur  du  cloître  et  celle  de  Simon, 
qui  formait  angle  devant  .le  Palais.  Ces  construc- 
tions du  moyen-âge  ont  été  jetées  bas  lors  de 
l'élargissement  de  la  rue  de  la  Barillerie,  et  rempla- 
cées sur  un  plus  petit  espace. 

Le  n"  3!2  actuel,  que  M.  Bosc  a  fait  bien  ré- 
parer, était  l'une  des  maisons  priorales  indiquées 
plus  haut  comme  adjacentes  t^i  la  location  de 
Belloyn;  elle  a  servi  de  résidence  h  quelques-uns 
des  successeurs  dÉtienne  de  Senlis,  évêque  de 
Paris,  prieur  de  Saint-ÉIoi,  et  c'est  plus  tard,  en 
1629,  qu'ont  été  mis  les  barnabites  au  lieu  et 
place  des  religieux  de  Saint-Éloi.  Aucun  jour  ne 
pouvait  encore  y  être  pris  sur  le  jardin  de  la 
communauté,  en  1541;  mais  la  prohibition,  provisoi- 
rement levée  lors  du  séjour  épiscopal,  a  per- 
mis de  faire  payer  chèrement  la  même  tolérance 
aux  propriétaires  postérieurs,  en  sus  des  30  livres 
tournois  et  11  deniers  de  cens  dûs  à  l'arche- 
vêque de  Paris,  qui  restait  leur  seigneur.  En 
1766,  la  maison  était  adjugée  par  sentence  de 
licitation  h  l'un  des  héritiers  de  Dehansy,  huis- 
sier du  roi.  L'ancienne  salle  de  l'évêque  s'y 
divise  aujourd'hui  en  quatre  pièces.  Des  vestiges 
de  peintures,  des  médaillons  curieux,  des  espa- 
gnolettes dédorées,   des  plaques    de   contre-cœur 


238  RUE   DE  LA  CALANDRE. 

de  cheminées  aux  chiffres  de  François  I",  de 
Henri  IV,  de  Louis  XIV,  et  une  vaste  cuisine, 
qui  descend  insensiblement  du  rez-de-chaussée  au 
sous-sol  :  telles  sont  les  curiosités  de  l'immeuble 
dans  lequel  nous  voyons  l'ancien  chef-lieu  féodal 
de  Saint-Eloi. 

La  belle  porte  cochère  du  30,  une  Sirène  sculptée 
en  pierre  et  un  balcon  semi-circulaire  à  jolie  rampe 
de  fer,  que  se  passent,  comme  une  bague,  comme  un 
gage  d'alliance,  deux  bâtiments,  du  côté  de 
la  cour:  ne  sont-ce  pas  également  des  reliques 
a  conserver?  Cette  propriété,  dans  laquelle  un 
sieur  Rousseau  forma  une  belle  bibliothèque 
vers  1685,  avait  fait  partie  d'un  séjour  de 
Pépin-le-Bref,  que  nous  retrouverons  rue  Saint- 
Éloi.  Célébrité  plus  moderne,  un  prince  de 
la  cuisine  regrattière,  dont  le  pays  Latin  a 
constitué  lentement  l'apanage,  faisait  emplette  de 
l'immeuble  en  l'an  xn,  le  22  nivôse;  c'était  Jean- 
Nicolas  Flicoteaux,  traiteur  à  prix  réduits,  dont  la 
réputation  dans  le  quartier  des  écoles  rejaillit,  après 
lui,  sur  plus  d'un  successeur,  non  moins  habile 
à  substituer  aux  mets  connus  des  plats  n'en  ayant 
que  le  nom.  Joseph  Barrière,  bijoutier  de  la  cour, 
a  possédé  de  même  le  n°  28,  avant  la  grande 
révolution. 

Frappons  maintenant  à  une  petite  porte  dont 
les  deux  battants  sont  sculptés,  n"  31.  L'année  1573, 
une  sentence  était  rendue  par  le  bailli  de  la  justice 
temporelle  de  Saint-Eloi,  qui  condamnait  Claude 
de  Héry.  graveur,  propriétaire  de  ce  logis  à  l'ensei- 
gne du  Cheval-blanc,  et  ci-devant  au  Mouton,  tenant 
d'un  côté  à  la  Couronne,  d'autre  part  à  la  Cloche 
et  par-derrière  en  vue  de  la  rivière,  k  payer  4  deniers 
parisis  de  cens  h  l'évéque,  avec  quinze  années 
d'arrérages.  En  ce  temps-là  chaque  façade  mon- 
trait une  image  différente.  Il  y  avait  ainsi  rue 
de  la  Calandre:  le    Singe,    dont    le    propriétaire 


RUE    DE   LA  CALANDRE.  239 

plaidait  en  1503  avec  les  religieux  ;  le  Cygne, 
pris  à  cens  en  1443  par  Fradin,  sergent  à  che- 
val, ayant  pour  voisins  le  couvent  et  un  hôtel 
ci-devant  à  Pierre  de  la  Roche;  les  Trois-Rois, 
requis  pour  le  cens  par  sentence  de  la  prévôté 
en  1587  ;  la  Treille,  contiguë  aux  Trois-Pas  de- 
Gré;  Saint-Martin,  qui  touchait  à  une  allée  de 
cinq  pieds,  débouché  réservé  en  1480  au  jardin 
conventuel  par  Jacques  de  Cauleir,  archevêque 
d'Ambrun,  prieur  commendataire  ;  l'Écu-de- 
France,  sur  lequel  étaient  contestés  les  droits 
seigneuriaux  de  Saint-Éloi,  sous  Henri  II,  par  la 
veuve  de  Hotman,  propriétaire,  et  par  le  pro- 
cureur du  roi,  maître  au  Trésor.  Plus  tard  les 
enseignes  se  rangeaient,  là  comme  dans  toutes 
les  autres  rues;  il  ne  leur  était  plus  permis  de 
pendre  sur  la  tête  des  passants  ;  mais  on  conti- 
nuait cl  en  compter  autant  que  de  portes,  dans 
la  rue  de  la  Calandre,  au  moment  de  la  Révo- 
lution, entr'autres  le  Croissant,  le  Lasse-Quenet, 
la  Prison-de-Saint-Crépin,  le  Cœur-Royal,  la  Cou- 
ronne-d'Or,  le  Heaume,  le  Rœuf-Couronné. 

Les  degrés  à  rampe  de  fer  jusqu'au  second, 
puis  à  balustres  de  bois,  qui  desservent  le  25, 
paraissent  presque  jeunes  dans  une  rue  d'origine 
romaine  :  le  pendant  ne  s'en  trouve  ni  aux  arènes 
d'Arles  ni  dans  l'exhumation  d'Herculanum.  Mais 
la  Cité,  cœur  de  Paris,  n'a  rien  gardé  qui  ne 
soit  fort  empreint  du  caractère  national.  Le 
moyen-âge  en  a  fait  disparaître  toutes  les  traces 
d'une  domination  dont  l'invasion  des  Francs  n'é- 
tait venue  à  bout  que  par  une  assimilation  reli- 
gieuse qui  les  avait  rendus  libérateurs.  D'ailleurs 
la  rue  de  la  Calandre  avait  vu  payer  aux  Césars 
trop  d'impôts  pour  vouer  un  culte  au  percepteur, 
dont  le  bureau,  s'il  avait  survécu,  ne  réjouirait 
que  nos  archéologues. 

Le  23,  qui  depuis    un    siècle    appartient   h    la 


240  RUE    DE    LA   CALANDRE. 

même  famille  par-devant,  el  dont  l'arrière-corps 
de  logis  forme  un  immeuble  différent,  est  pourvu 
d'un  escalier  à  vis,  dont  les  marches  déprimées 
rayonnent  dans  une  cage  d'épaisseur  gothique  :  on 
lit  encore  sur  la  porte  le  titre  (X Hôtel  Bourgueil, 
Donc  les  abbés  de  Bourgueil,  près  Saumur,  y 
ont  eu  leur  maison  de  ville.  Leur  prédécesseur 
Etienne  de  Bourgueil,  professeur  de  droit  à  Angers, 
puis  archevêque  de  Tours  et  fondateur  d'un  col- 
lège à  Paris,  avait  autrefois  pris  part  à  des 
discussions  réglées  sur  les  juridictions  ecclésias- 
tiques, où  Philippe  de  Valois  était  représenté 
par  Pierre  de  Cugnières.  L'hôtel  de  Bourgueil  est 
longé  par  la  ruelle  des  Cargaisons,  barrée  depuis 
1825,  dont  la  largeur  varie  en  deçà  d'un  mètre  ; 
ce  coupe-gorge,  qui  s'appela  aussi  rue  de  la 
Femme-Écartelée,  était  muni  en  1714,  de  deux 
lanternes  à  la  clarté  desquelles  on  parvenait  à 
s'engager  dans  un  cul-de-sac  encore  moins  spa- 
cieux. 

Va  se  découvre  la  seconde  porte  du  n"  19, 
qui  en  a  une  troisième,  quai  du  Marché-Neuf, 
16,  où  se  perpétue  la  vieille  enseigne  du  Pélican. 
La  face  regardant  notre  rue  est  sénile  îi  rendre 
jalouses  d'une  longévité  domestique  encore  valide, 
Jîien  des  ruines  plus  monumentales  de  l'antiquité. 
Néanmoins  la  tradition  va  un  peu  loin  qui  fait  de 
ce  manoir  l'un  des  anciens  séjours  de  Dagobert, 
vis-à-vis  de  la  rue  de  saint  Eloi,  son  compère. 
3Iarie-Elisabeth  de  Nicolaï,  veuve  du  marquis  de 
la  Châtre,  et  Geneviève  Vallier,  femme  de  mes- 
sire  Le  Mayrat,  en  étaient  détentrices,  l'année 
1631  ;  ensuite  M"'"  Le  Mayrat,  épouse  d'un  Pajot 
d'Onzembrai,  en  a  disposé,  comme  le  faisait  encore 
en  1785  la  présidente  Gaultier  de  Bessigny,  lille 
du  marquis  Joachim  Le  Mayrat,  président  à  la 
cour  des  comptes.  Puis  le  grand-père  de  M.  Pan- 
nier  s'est  rendu  en  l'an  xni    adjudicataire    de    la 


RUE  DE  LA  CALANDRE.  241 

maison,  dont  la  toiture,  en  juin  1848,  a  servi  à 
couler  des  balles  :  cette  place  de  guerre  offrait 
d'avantageux  la  triple  issue  et  les  triples  caves  aux 
quelles  plus  d'un  vaincu  dut  son  salut,  pendant  qu'un 
jeune  mobile  célébrait  sa  victoire,  dans  la  man- 
sarde d'une  jeune  fille,  où  il  fit  un  seul  pri- 
sonnier, qu'elle  cacha  pendant   neuf  mois. 

Quant  au  17,  qu'un  mur,  crénelé  d'une  grille, 
sépare  sévèrement  d'un  bâtiment  avec  lequel  il 
faisait  d'abord  qu'un,  il  n'a  pas  eu  de  rois,  mais  un 
évêque  pour  premier  occupant,  dit-on  :  ses  sculp- 
tures et  ses  ferrures,  en  effet,  ne  dérogeraient 
pas  à  cette  origine  distinguée.  La  maison  appar- 
tenait à  la  fabrique  de  Saint-Germain-le-Vieux  depuis 
un  temps  immémorial. 

De  l'autre  côté  de  la  ruelle,  Gaspard  Moreau 
de  Verneuil,  maître  des  comptes,  était  propriétaire 
au  temps  où  florissait  la  présidente  ;  il  y  suc- 
cédait à  son  père,  Gaston  Moreau  de  Bréville, 
sieur  de  Verneuil,  et  îi  sa  mère,  Jacqueline  Le- 
poupet,  qui  eux-mêmes  avaient  pris  possession 
des  lieux  après  la  famille  Arnouillet.  11  y  avait 
place  pour  Leroy-Duvivier  entre  Moreau  de  Ver- 
neuil et  l'aubergiste  Confier,  dont  l'Arche-de-Noé 
communiquait  par  une  allée  avec  les  Trois-Rois. 
L'Arclie-de-Noé  avait  appartenu  auparavant  à  M'"*  de 
la  Hogue,  née  ïoutain,  à  M'"*=  Toutain,  née  Leva- 
seur,  h  I.evasseur  et  h  Claude  de  Ferrière,  ayant 
un  tapissier  pour  locataire.  Confier  avait,  d'autre 
part,  le  nommé  George  pour  plus  proche  voisin, 
et  celui-ci  M.  de  la  Morillière,  après  lequel  ve- 
naient dans  le  même  sens  :  la  veuve  d'Aubigny, 
Hersandault,  le  président  Portail  et  le  comte 
d'Arias. 

Pierre  de  Ravel  eut,  vers  la  même  époque, 
deux  maisons,  près  celle  de  M'"*'  Gaultier  de 
Bessigny.    Toutefois  cette  dame  fut,  à   un    autre 


242  RUE   DE   LA  CALANDRE. 

moment,  en  mitoyenneté  simultanée  avec  la  fabri- 
que de  Saint-Germain  et  avec  MM.  Sauvage,  con- 
tigus  au  marquis  de  Vaugny. 

Notre-Dame  pendait  à  l'un  des  deux  coins  de 
la  rue  aux  Fèves,  lorsque  Germain  de  Montèrent 
disposait  de  l'autre,  où  il  pendait  un  Saint-Michel, 
et  qui  aliénait  à  une  maison  au  curé  de  Saint- 
Pierre-des-Arcis.  La  famille  Ancel-Desgranges  suc- 
céda a  ce  détenteur  et  précéda  Lemierre,  épicier, 
qui  perdit  à  la  Résolution  le  droit  que  lui  don- 
nait cet  immeuble  de  se  qualifier  déjà  bourgeois  de 
Paris.  Le  lapidaire  Jacques  Tellier  avait  les  deux 
corps  de  logis  de  Notre-Dame,  en  1779.  La  di- 
recte de  l'archevêché  ne  s'étendait  qu'à  la  moitié 
de  cette  propriété  ;  l'autre  moitié  en  était  recon- 
nue à  la  commanderie  de  Saint-Jean-de-Latran 
par  un  arrêt  du  grand-conseil,  prononcé  le  25 
mai  1734,  Une  autre  maison  appartenait  à  Jean- 
Marie  ïiron  de  Nanteuil,  orfèvre-bijoutier  du  roi, 
sous  Louis  XV  et  sous  Louis  XVL  Le  bureau  du 
corps  des  Teinturiers  se  trouvait  alors  même 
rue  ;  mais  ce  n'était  pas  une  raison  pour  qu'elle 
tirât  son  nom  de  la  machine  qui  sert  à  lustrer 
les  étoffes. 

La  plupart  des  maisons  s'y  trouvaient  occupées 
aux  xvi*  et  xvn*  siècles  par  des  maîtres  de  tous 
corps  d'étal,  qui  ne  souffraient  sous  le  même 
toit  que  leur  famille  et  leurs  apprentis.  Cet  isole- 
ment n'est  plus,  rue  de  la  Calandre,  que  le  pro- 
pre d'un  ou  deux  cabarets  à  deux  fins,  où  l'ivresse 
du  gros  vin  et  de  l'eau-de-vie  de  pomme  de  terre 
coûte  mouis  bon  marché  que  celle  de  la    chair. 


Rue   du   Canivet.  (i) 


S'il  faut  absolument  donner  de  la  particule  h 
cette  petite  rue,  nous  préférons  au  du  le  de.  Il  y  eut 
un  Canivet  partisan  sous  Louis  XIII,  et  que  l'on 
accusa  d'avoir  accaparé  les  deniers  prélevés  sur 
les  vins  à  titre  de  droits  d'entrée,  pendant  le 
siège  de  Corbie,  que  les  Espagnols  gardèrent 
peu  de  temps.  Ce  financier  traitait  avec  l'Etat 
pour  la  ferme  des  impôts,  comme  Lefeuve,  son 
oeau-frère,  comme  Chabenat,  comme  Eimery  ;  il 
fut  un  assez  grand  personnage  pour  qu'un  hôtel 
au  moins  portât  son  nom,  et  cet  hôtel  pouvait 
donner  dans  la  petite  rue  que  nous  voyons,  ou 
l'avoir  pour  avenue,  ou  encore  l'avoir  fait  sortir 
de  ses  dépendances.  Elle  reliait  dès  1636  la  rue 
Pérou  à  celle  des  Fossoyeurs  (Servandoni).  Mais 
sa  dénomination  pourrait  aussi  provenir  du  vieux 
mot  canivet,  signifiant  petit  canif,  et  faire  allu- 
sion à  la  préexistence  d'une  enseigne  de  coutelier. 
L'article  du  n'est  pas  autrement  justifié  par  la 
version  officielle.  Cette  hypothèse  étymologique 
nous  inspire,  à  la  vérité,  d'autant  moins  de  con- 
fiance que  la  même  orthographe,  si  l'on  y  lient, 
serait  mieux  commandée  par  une  autre  interpré- 
tation. Les  maçons  appellent  caniveau  une  pierre 
creusée  dans  le  milieu  pour  faire  écouler  l'eau, 
et  la  déclivité  du  terrain  n'a  jamais  cessé  de 
rendre  insuffisants,  en  cas  de  pluie,  les  ruisseaux 
des  deux  rues  perpendiculaires  h  celle  du  Canivet. 

Etienne  Charlet,  sieur  de  Versailles,  capitaine 
au  régiment  du  roi,  donnait  en  1670  d'une  mai- 


Ci)  Notice  écrite  eu  1858. 


244  RUE  DU  CANIVET. 

son,  sise  rue  Canivet,  16,o00  livres  tournois  à 
Jacques  Sanguin,  qui  l'avait  héritée  du  président 
au  parlement  de  Bretagne  Yves  Sanguin  :  le  nou- 
veau propriétaire  y  tenait  encore  d'une  part  à 
un  Sanguin,  également  président,  par  une  petite 
maison,  et  de  l'autre  côté  par-derrière  à  Guillaume 
Sanguin,  oncle  de  ce  magistrat.  La  veuve  Edmont, 
cinquante  deux  ans  plus  tard,  vendait  ïî4,300  livres 
une  propriété  dans  la  même  rue  à  Paris  de 
Montmartel,  frère  de  Pàris-Duverney  et  de  deux 
autres  linanciers.  Les  quatre  Paris  avaient  orga- 
nisé de  concert  l'opération  du  visa,  qui  rédui- 
sait d'un  quart  la  dette  de  l'Etat  à  la  mort  de 
Louis  XIV.  Montmartel,  postérieurement  garde  du 
Trésor,  puis  banquier  de  la  cour,  fut  fait  comte 
de  Sampigny. 

Rien  de  ces  deux  mutations,  que  les  Archives 
de  l'Empire  nous  révèlent,  ne  transpirait  dans  les 
souvenirs  locaux.  Que  savent  donc  les  indigènes 
actuels  de  leurs  prédécesseurs?  Ils  ne  risquent 
rien  de  nous  dire  que  l'immeuble  portant  le 
chiffre  1  a  fait  son  lit  en  même  temps  que  la  rue  : 
une  petite  niche  sert  de  timbre  ii  cet  acte  de 
naissance  sur  la  façade.  Mais  sans  eux  nous  ne 
saurions  guère  que  la  porte  bien  ferrée  du  2 
ferme  sur  Tancienne  propriété  d'une  communauté 
religieuse  du  quartier.  Ils  regardent  le  3  comme 
bâti  pour  le  prijice  de  Beauvau,  mais  occupé 
ensuite  par  un  des  membres  de  cette  famille 
Breteuil  dont  la  fortune  remonte  à  la  faveur  du 
cardinal  Dubois.  M.  Gocliin,  qui  est  le  plus  Parisien 
des  membres  de  l'Institut  et  de  la  Commission 
municipale,  a  disposé,  avant  M.  de  Mongeon,  de 
cet  immeuble,  dont  l'aristocratie  déchue  nous 
impose  encore  davantage  que  bien  des  trains  de 
maison  princiers  de  ce  temps-ci.  Toutes  les 
grandeurs  gagnent-elles  à  être  vues  de  près  ? 


Rue  Cardinale,  (i) 


Pas  de  rue  Cardinale  visible  sur  les  anciens 
plans,  de  Paris  qui  le  plus  souvent  sont  nos  gui- 
des. Son  percement  n'en  a  pas  moins  eu  liea, 
quinze  années  avant  la  mort  de  Louis  XIV,  sur 
un  terrain  dépendant  du  palais  abbatial  de  Saint- 
Germain-des-Prés,  sous  les  auspices  de  très-haut, 
très-puissant  et  éminentissisme  Mgr  Guillaume 
Egon,  landgrave  de  Furstenberg,  cardinal  de  la 
sainte  Eglise  romaine,  évêque  et  prince  de  Stras- 
bourg, abbé  commendataire  de  la  dite  abbaye 
royale.  Ce  cardinal  restaura  le  palais  abbatial  et 
y  rendit  le  dernier  soupir  en  1704:  il  avait  eu  sa 
maison  de  campagne  à  Saint-Germain-en-Laye,  en 
même  temps  que  sa  maison  de  ville  au  faubourg 
Saint-Germain. 

La  rue  Cardinale  tourne,  comme  une  aile  de  paren- 
thèse. Ses  maisons  ouvrent  presque  toutes  sur 
d'autres  rues.  M.  Rousseau,  qui  a  compté  ses 
portes,  n'a  pu  aller  que  jusqu'à  2.  Rien  à  tirer 
des  autres  pour  notre  prudent  émissaire,  inappris 
aux  échelles    de  soie  aventureuses. 

On  lui  a  pourtant  raconté  qu'une  escalade  eut 
lieu  dans  cette  rue  d'origine  monastique,  à  la 
tombée  de  la  nuit,  en  janvier  1832.  L'écrivain 
romantique  Gustave  Drouineau,  qui  demeurait  n"  4, 
avait  été  forcé  de  ceindre,  comme  bizet,  les  buffle- 
teries  de  la  garde  nationale  ;  il  venait  de  faire 
faction  à  la  porte  de  sa  mairie,  sans  distraction, 
sacrifice  suffisant,  et  il  revenait  déjà  las  du  voyage  ; 
il   allait    retrouver    chez    lui    ses    chers     livres, 


(1)  Notice  écrite   en   18r>8. 

16 


RUE    CARDINALE.  246 

ses  rêveries  de  poète,  au  lieu  de  passer  la  nuit 
sur  le  lit  de  camp  patriotique,  lorsqu'il  enten- 
dit tout-à-coup  des  cris  jetés  par  une  jeune 
femme.  Une  fenêtre  était  entr'ouverte,  au  pre- 
mier des  petits  étages  qui  composent  le  n"  5, 
et  les  clameurs  aiguës  partaient  de  là.  Emprun- 
ter une  échelle  à  son  portier,  grimper  jusqu'à  la 
fenêtre,  le  sabre  au  poing,  fut  l'affaire  d'un  instant 
pour  l'auteur  du  Manuscrit  Vert.  Son  travestisse- 
ment militaire  allait  enfin  servir  à  quelque  chose, 
s'il  empêchait  un  mari  de  battre  sa  femme,  ou 
un  amant  jaloux  de  se  baigner  dans  le  sang  de 
sa  maîtresse.  Mais,  une  fois  dans  la  place,  le 
bizet  chevaleresque  se  vit  lestement  éconduit  par 
un  monsieur,  en  gilet  de  flanelle,  qui  à  coup  sûr 
se  trouvait  dans  son  droit.  —  Quel  est  ce  don 
Quichotte,  dit-il  à  Drouineau,  qui  pousse  l'imper- 
tinence jusqu'à  entrer  ici  par  escalade,  pour  y 
voir  ma  femme  qui  accouche  ?  Partez  vite,  ou  je 
vous  fais  descendre  sans  échelle. 

Le  7  et  le  9,  rue  Cardinale,  sont  de  construc- 
tion pareille  au  5,  et  cette  identité  nous  étonne 
d'autant  moins  qu'ils  ont  originairement  fait  partie 
des  communs  du  palais.  Toutefois  l'aliénation  a  pu 
commencer  avec  la  conversion  en  rue  de  ce 
chemin  intérieur  de  l'abbaye,  qui  n'en  resta  pas 
moins  dans  l'enclos  abbatial  jusqu'à  la  Révolution. 
Le  bourgeois  Barré  père  s'y  rendait  adjudicataire,  en 
1754,  d'une  maison  qui  était  mise  en  vente  sur 
licitation  entre  co-héritiers. 

De  1808  à  1814  la  rue  a  porté  le  nom  de 
Guntzbourg,  en  raison  du  combat  livré  le  9 
octobre  1805. 


Rue  des    Cariiiei^.   (i) 


Collèges   de  Laon,  de   Presles   et    des    Lombards. 

Pour  faire  place  à  la  rue  des  Ecoles,  les  n°*  7, 
9,  11,  13,  15  et  17,  16,  18,  20,  22  et  24  delà 
rue  des  Carmes  vont  disparaître.  Les  locataires 
de  ces  vieux  bâtiments  ont  tous  effectué,  le  15 
du  présent  mois  d'avril  1858,  leur  déménage- 
ment définitif,   et  la  démolition  est    commencée. 

La  petite  et  montueuse  rue  des  Carmes,  percée 
vers  1250,  porta  d'abord  le  nom  du  Clos-Bruneau, 
sur  lequel  elle  s'était  ouverte  ;  mais,  lors  de 
l'avènement  des  Valois,  on  l'appelait  rue  Saint- 
Hilaire,  parce  qu'elle  aboutissait  à  l'église  placée 
sous  cette  invocation.  Les  grands-carmes,  dits 
aussi  les  carmes  de  la  place  Maubert,  s'y  établi- 
rent en  1318,  au  point  oli  se  trouvent  aujourd'hui 
et    la  rue    Basse-des-Carmes  et  le    marché.    Ces 


(1)  Au  moment  où  Vllnion  (numéro  du  24  avril  1858) 
douiiaità  ses  lecteurs  la  primeiir  de  celte  notice,  Je 
vent  de  la  démolition  sonfilait  avec  fracas  dans  la  rue 
des  Carmes,  croisée  par  la  nouvelle  rue  des  Ecoles  ; 
celle  ci,  tout  en  déployant  son  envereure  aux  dépens 
de  l'ancienne,  daignait  y  faire  entrer  dans  son  pjumage, 
dès  le  premier  duvet,  une  aile  de  l'ancienne  rue  de 
Judas.  Pareillement,  au  bas  de  la  rue  des  Carmes, 
celle  des  Noyers  a  mué  au  profit  du  boulevard  Saint- 
Germain.  Le  prolongement  de  la  rue  Du  Sommerard, 
ci-devant  des  Mathui  ins-Saint- Jacques,  a  ouvert  plus 
récemment  une  autre  parenthèse  dans  l'alinéa  des 
numéros  pairs.  Tant  d'accointances  nouvelles  imposaient 
un  abaissement  de  niveau  et  un  élargissement,  dont  les 
amorces  donnent  lieu  à  deux  sortes  d'inégalités. 


248  RUE  DES  CARMES. 

religieux  îi  manteaux  barriolés  avaient  acheté  les 
bâtiments  du  collège  de  Dace,  fondé  par  un 
Danois  sous  Pb'Mppe-le-Hardi,  et  ils  en  revendi- 
rent une  portion  au  collège  de  Laon.  Dans  la 
même  rue,  au  surplus,  se  tinrent  plusieurs  écoles 
mémorables. 

Les  numéros  impairs,  parmi  ceux  dont  le  deuil 
commencerait  pour  Fédilité  parisienne,  si  elle  en 
avait  moins  à  porter  du  même  genre,  répondent 
à  l'ancien  édifice  du  collège  de  Laon  et  à  ses 
dépendances.  L'histoire  de  cet  établissement  n'est 
fixée  par  aucun  des  livres  vieux  ou  nouveaux  ; 
il  nous  faut  recourir,  pour  en  donner  le  précis, 
à  ces  documents  inédits,  bonnes  fortunes  de 
l'explorateur,  qui  sont  épars  dans  les  archives 
de  l'Empire,   de  l'Université  et  de  la  Ville. 

Gui,  chanoine  de  Laon  et  de  Saint-Quentin, 
trésorier  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  applique 
dès  l'an  1305  à  des  écoliers  pauvres,  nés  ù  Laon, 
étudiant  à  Paris,  2i2  livres  parisis  de  rente  sur  la 
prévôté  de  Laon  ;  par  cette  assignation  il  rem- 
plit, fidèle  exécuteur  testamentaire,  le  vœu  de 
Huard  de  Courtegis  :  cette  rente  doit  servir 
de  première  pierre  à  l'édifice  d'un  collège  de  Laon, 
que  ledit  Stuard  a  eu  l'intention  de  fonder.  Un 
peuavantlafindu  règne  de  Philippe  le-Bel,  Gui  s'asso- 
cie il  Raoul  de  Presles,  avocat-secrétaire  du  roi, 
pour  ouvrir  à  la  fois,  sur  le  mont  Sainte-Geneviève, 
deux  maisons,  fondations  distinctes,  en  dépit  de 
la  vie  commune  des  vingt-huit  écoliers  de  Laon 
et  de  Soissons  qui  y  sont  défrayés  :  la  provision, 
pour  ceux  de  Laon,  consiste  en  une  rente  de 
100  livres  et  des  maisons  rue  Saint-Hilaire.  Mais 
les  deux  créateurs,  qui  ont  trop  présumé  de 
l'amitié  qui  les  unit  en  voulant  qu'elle  fût  trans- 
missible,  séparent  les  deux  collèges,  eu  l'an 
1323  ;  ils  chargent  leur  ami  Thomas  de  Marfon- 
taine,  conseiller  de  Charles  IV,  de  procéder  à  un 


RUE    DES  CARMES.  249 

partage,  et  cet  arbitre  prend  conseil  du  légiste 
Pierre  de  Cugnières.  Les  boursiers  de  Laon  en 
sont  réduits  d'abord  à  l'emplacement  que  plus 
tard  a  occupé  le  collège  de  L'sieux  ;  ceux  de 
Presles  gardent  la  chapelle  et  la  plupart  des 
constructions,  à  condition  de  servir  24  livres  de 
rente  à  l'autre  communauté. 

Aux  termes  des  statuts,  mis  en  vigueur  dans 
celle-ci  en  1327,  et  qu'Albert  de  Laon  déclare 
d'inspiration  divine  lorsque  deux  ans  après  il  les 
confirme,  les  écoliers  doivent  avoir  atteint  l'âge 
de  puberté,  être  aptes  à  prendre  les  degrés  de  la 
faculté  des  Arts  et  assez  pauvres  pour  que  leur 
revenu,  soit  comme  patrimoine,  soit  comme  béné- 
fices, n'excède  pas  8  livres  parisis.  Seize  bour- 
siers, nommés  pour  sept  ans  et  par  l'évêque  de 
Laon,  doivent  élire  leur  principal,  ainsi  que  leurs 
procureurs,  qui  rendront  chaque  année  des  comptes. 
La  nourriture  pour  chaque  élève  est  évaluée 
3  sols  parisis  par  semaine,  avec  variante  faculta- 
tive, selon  la  hausse  ou  la  baisse  du  prix  des 
denrées  ;  la  dépense  en  est  suspendue  pendant 
les  vacances,  c'est-à-dire  de  la  Saint-Jean  à  la 
Saint-Rémy,  excepté  pour  le  principal,  le  chape- 
lain et  deux  boursiers,  commis  i\  surveiller  les 
bien  communs. 

En  mai  1328  meurt  Gui  de  Laon,  et  des  con- 
testations s'élèvent  entre  le  collège  et  la  succes- 
sion du  cardinal  de  Bruges,  dont  le  défunt  a  été 
l'administrateur.  Gérard  de  Montaigu,  autre  avocat 
du  roi,  chanoine  de  Paris  et  de  Reims,  exécuteur 
des  dernières  volontés  du  trésorier  de  la  Sainte- 
Chapelle,  détermine  une  transaction  ;  puis  il 
parfait  l'œuvre  du  fondateur,  en  dotant  la  com- 
munauté de  l'hôtel  du  Lion-d'Or,  qu'il  habite,  rue 
Saint-Hilaire,  près  du  collège  de  Dace,  dont  tout 
n'est  pas  cédé  par  les  carmes  aux  boursiers  de 
Laon.  Montaigu  donne,  en  outre,    300  livres    aux 


250  RUE  DES  CARMES. 

seigneurs  religieux  de  Sainte-Geneviève,  pour  per- 
mettre le  transfert  des  écoliers  à  l'hôtel  du  Lion-d'Or, 
déplacement  qui  s'effectue  en  cérémonie  le  8  octobre 
1340,  avec  l'approbation  de  Roger  d'Armagnac,  évê- 
que  de  Laon.  Foulques,  évêque  de  Paris,  accorde,  le 
15  juillet  1342,  la  permission  d'y  ouvrir  une  cha- 
pelle. Les  bâtiments  abandonnés  sont  dans  un  si 
mauvais  état  que  le  cardinal  de  Dormans,  fonda- 
teur d'un  autre  collège,  en  traite  pour  14  livres 
de  rente.  Eh  bien,  le  Lion-d'Or  est  ce  même 
édifice  que  rase  à  l'heure  qu'il  est  la  grande  rue 
des  Ecoles  (rue  des  Carmes,  n°'  7,  9  et    11). 

L'exemple  de  Montaigu  est  suivi  par  des  bien- 
faiteurs, pieux  ou  savants,  qui  successivement 
dotent  le  collège  de  Laon,  en  y  fondant  des 
messes  ou  des  bourses.  Parmi  ces  donateurs  nous 
remarquons  :  * 

Le  principal  Jean  Blonde!,  docteur  en  théologie  :  60 
sols    parisis   de  rente   (1344). 

Le  CaroQ,  chanoine  de  Saint-Denis-du-Haut-Pas,  qui 
crée    une  bourse   en  léguant  deux   maisons   (1353). 

Adée  de  Cemy,  femme  d'un  apothicaire  :  20  livres 
12  sols  de   rente   (135.1). 

Jean  de  Couci,  docteur  en  médecine,  chanoine  de 
Reims  et  de  Laon,  ancien  boursier,  léguant  40  rcahs 
et  sa  bibliothèque  au  collège,  plus  36  livres  de  rente 
pour  deux  bourses  (1364). 

L'ancien  principal  Thomas  Froissait  de  Yoyennes, 
docteur    en   médecine  :   une   maison   (1375). 

Buisye,  pénitencier  de  l'église  de  Paris  :  56  livres 
de   rente    (1381). 

François  de  Montaigu,  qui  a  pour  mandataires  posthu- 
mes Gérard  de  Versignj-  et  Pierre  Cramette,  lègue  500 
livres  pour  fonder  une  bourse  avec  chapellenie,  dont 
le  premier  titulaire  est  le  susdit  Gérard,  qui  passe 
ensuite   principal  (1382). 

Le  même   Gérard  de   Versigny,    (:n  qualité  d'exécuteur 


RUE   DES  CARMES.  251 

testamentaire  et  au  nom  de  Raoul  de  Rousselot,  évêque 
de  Laon,  décédé  en  J323,  approvisionne  deux  nou- 
veaux boursiers,  tant  artiens  que  théologiens,  et  cette 
fondation  est  assise  sur  la  moitié  d'une  vaste  propriété 
du  testateur,  sise    rue  de  la  Verrerie  (1388). 

Escaillart,  doyen  de  l'église  de  I.aon  :  100  francs 
d'or   il39]). 

Raoul  de  Harbes,  docteur  en  médecine  et  cbancùne 
de  Chartres,  crée  quatre  bourses,  avec  deux  maisons 
pour  assiette,  lesquelles  sont  l'objet  d'un  procès  qui 
durera  plus  d'un  siècle  et  demi  (1407). 

Motel,  chanoine  de  Noyon,  ami  de  Raoul  de 
Harbes,  consacre  1,000  écus  à  une  bourse  chapelaine 
(1408). 

Landreau,  notaire  au  Chàtelet,  gratifie  la  communauté 
d'une  propriété  à  l'enseigne  de  la  Tète-Noire,  rue 
Saint-Antoine,  et  de  20  sols  de  retite  sur  une  maison 
rue   des  Barres,  à   l'enseigne   des   Chapelets   (1450). 

Jeanne,  veuve  de  Noument,  avocat  aux  comptes:  40 
sols  de    rente    (1461). 

Henri  Dufour,  bedeau  de  la  nation  de  Picardie  : 
même  somme  (1185). 

Desfontaines:   75  livres  11  sols  4  deniers  (149S). 

Le  principal  Gobert  de  TournemeuUe  :  4  deniers  (1512.) 

Roussel,  ancien  prieur  de  Saiut-Deuis-de-Poix,  crée 
par  testament  une  grande  et  une  petite  bourse,  à  la 
préseutatioa  du  prieur  de  Pois:  2,900  livres  tournois 
(l.'jSli). 

Le  principal  Jean  Berthoul,  pour  une  bourse  à  la 
nomination  des  maire  et  échevius  de  Chaourse,  diocèse 
de  Laon  :  une  maison  et  des  vignes  à  Arcueil,  plus 
610  livres  tournois  (1542). 

Jean  Villain,  graud-chapeiain  et  procureur  des  écoliers 
de  Laon  :  3  pièces  de  tapisserie,  7  volumes  de  grande 
glose  et  80  livres   (1555). 

lie  grand-chapelain  Pierre  Gourdoux  :  55  sols  tournois 
de   rente  (155/). 

Le    principal    Claude   Cardon  :   100   livres  (1580). 


252  RUE   DES    CARMES. 

Le  Pot,  prieur  de  Saiat-Mesme,  pour  une  petite 
bourse  à  la  collation  des  prieur  et  religieux  de 
l'dbbaye  de  Saint-Quentin  :  filO  écus  d'or,  valant  1920 
livres. 

Chrétien  curé  de  Nantouillet,  pour  une  petite  bourse 
et  un  obit  :  une  maison  rue  des  Bernardins,  plus  30 
livres    de   rente     (1603). 

L'ancien  principal  Jean  Boquillart,  chanoine  de  Laon, 
nomme  le  collège  et  la  fabrique  de  Notre-Dame  de 
Laon  ses  légataires  universels,  pour  qu'enfin  les 
boursiers  puissent  subvenir  à  la  dépense  d'obtention 
des  degrés  rendue  obligatoire  par  les  statuts,  mais 
jusque-là  trop  lourde  pour  la  plupart:  2,202  livres  .5 
sols  7  deniers.  (1638) 

Stupra,  prêtre  de  Notre  Dame-des-Vertus,  lègue  100 
livres  au  principal,  à  la  charge  perpétuelle  de  faire 
apprendre  des  métiers  à  des  orphelins  de  son  village 
(1643) 

Le  principal  Jean  Hubert,  abbé  de  Saint-Rémy-lès- 
Secs  :  1800  livres,  pour  le  revenu  en  être  distribué, 
moitié  aux  enfants  pauvres  de  sa  lignée,  moitié  aux 
boursiers  malades   de   Laon    (1650J. 

Charles  de  Vendeuil,  chanoine  de  Laon,  crée,  moyen- 
nant 2,000  livres,  une  petite  bourse  pour  un  enfant  de 
chœur  de  la  cathédrale  de  Laon,  à  la  charge,  pour  le 
titulaire,  d'enseigner  le  plain-chant  aux  autres  petits- 
boursiers. 

Tilorier,  chanoine  de  Laon,  fonde  une  petite  bour&e 
en  1678,  puis  une  grande,  cinq  ans  après,  pour  des 
étudiants  de  Marie,   diocèse  de  Laon. 

Laffilet,  capitaine  au  régiment  de  Picardie,  300  livres 
(1678). 

Garbe,  docteur-régent  de  la  faculté  de  Médecine  : 
4,000    livres     (16H7). 

Le    grand-chapelain    Paucet  :     300    livres   (l<î70). 

L'abbé  Menguy,  exécuteur  testamentaire  et  au  nom 
de  Louis  Cousin,  président  de  la  cour  des  Monnaies: 
3,800    livres  pour  6   bourses  (1707). 


RUE    DES   CARMES.  253 

Marteau,  docteur-régent  de  la  faculté  de  Médecine  : 
600  livres  (1710). 

Ce  rappel  ne  suffit-il  pas  pour  nous  initier  à 
la  vie  et  à  la  raison  d'être  des  petits  collèges 
d'autrefois?  Ne  voit-on  pas  avec  plaisir  que 
souvent  les  boursiers,  les  officiers  d'une  pédagogie 
se  gardaient  d'oublier,  s'ils  arrivaient  à  la  fortune, 
les  bancs  oîi  ils  avaient  appris  ii  s'en  passer  ou 
îi  s'en  servir  noblement  ?  Outre  les  principaux  du 
collège  de  Laon  dont  les  noms  figurent  ci-dessijs, 
il  en  est  quelques-uns  dont  fadministration  lais- 
sait de  bons  souvenirs  à  l'université  de  Paris. 
Par  exemple  :  Louis  Dubois,  aumônier  de  Louis 
XIV  ;  son  successeur,  Philippe  Dormay,  oncle  du 
capitaine  Laflilet  susnommé  ;  Le  Comte,  qui 
gouverna  la  maison  durant  la  Régence  ;  David, 
dont  le  commencement  du  régne  de  Louis  XV 
vit  la  principauté. 

La  suppression  des  petits  collèges,  ordonnée 
par  le  parlement  en  1763,  n'a  renvoyé  à  Louis- 
le-Grand,  érigé  en  chef-lieu  des  bourses  de  ces 
collèges,  que  trente  boursiers,  dont  douze  théo- 
logiens, pour  celui  de  Laon,  principal  et  cbape- 
lains  compris,  au  lieu  de  quarante-quatre,  chiffre 
où  s'élevaient  les  diverses  fondations.  Les  rentes 
ayant  subi,  depuis  quatre  siècles,  plus  d'une  réduc- 
tion, des  économies  sur  les  charges  avaient  été 
indispensables. 

Ses  vastes  bâtiments  n'étaient  plus  occupés 
exclusivement  par  le  collège  de  Laon,  au  moment 
de  cette  réunion  ;  il  y  avait  aussi  pour  locataires  des 
particuliers.  Les  élèves  passaient  dèjîi  rue  de  la 
Montagne-Sainte-Geneviève  par  une  seconde  issue, 
qui  faisait  presque  une  rue  des  cours.  Le  principal 
tirait  1,500  livres  du  corps  de  logis  du  milieu,  qu'oc- 
cupait encore  il  y  a  quelques  jours  un  barbier 
qui,  tous  les  dimanches,  rasait  h  peu  près  mille 
mentons,  et  dont  le  gigantesque  lavabo  comportait 


251  RUE  DES    CARMES. 

seize  cuvettes.  Le  chef  de  cetto  usine  jouissait 
d'un  jardin  qui  avait  servi  à  un  pensionnat  de 
jeunes  filles.  L'occupant  des  mêmes  lieux,  sous 
l'Empti'e,  était  un  vacher,  et  la  Ville  s'en  trouvait 
d'avance  propriétaire,  comme  pour  faciliter  tôt  ou 
tard  l'expropriation. 

Les  trois  caduques  propriétés  qui  suivent,  et 
dont  la  dernière  heure  sonne  également,  n'ont- 
elles  pas  leur  pierre  à  léguer  au  ilionument  que 
nous  élevons  ?  Elles  tlgurent  au  nombre  des  dix- 
sept  maisons  possédées  en  ville  par  le  collège 
de  Laon  à  l'époque  de  sa  fermeture.  La  première, 
placée  sous  la  censive  des  chanoines  de  Saint- 
Benoît,  avait  pour  enseigne  la  Corne-de-Cerf  ;  la 
confrérie  de  Saint-Yves  en  disposait  sous  Charles 
VII  ;  elle  produisait  71S  livres  en  1763.  La  seconde, 
grevée  d'un  cens  au  profit  de  Sainte-Geneviève, 
répondit  à  l'image  de  Saint-Marc  et  au  Nom-de- 
Jésus  ;  construite,  comme  la  précédente,  sur  les 
dépendances  du  Lion-d'Or,  elle  était  divisée  en 
deux  avant  nsi,  époque  où  ses  loyers  montaient 
à  688  livres  ;  en  dépit  de  la  décrépitude  de  ses 
murs,  qui  était  avérée  déjà  en  1763,  elle  rappor- 
tait encore  653  livres,  exploitée  en  hôtellerie  de 
bas  étage  ;  l'abbé  Fourneau,  comme  administra- 
teur des  bourses  des  collèges  supprimés,  en 
passait  bai)  à  un  relieur  six  ans  plus  tard.  A 
la  porte  de  la  troisième  desdites  maisons,  laquelle 
fait  le  coin  de  la  sinistre  rue  du  Clos-Bruneau,  dite 
précédemment  de  Judas,  pendait  jadis  une  Epée-de- 
Bois,  que  remplaça  une  Sainte-Catherine  ;  ce  n'était 
le  17  décembre  1519,  jour  où  le  collège  de  Laon 
en  donnait  100  pistoles,  ce  n'était  qu'une  étable, 
avec  un  lopin  de  terre  par-derrière,  en  la  censive 
de  Saint-Marcel  du  côté  de  la  rue  des  Carmes, 
et  de  Sainte-Geneviève  sur  la  rue  de  Judas. 

Quant  au  collège  de  Presles,  frère  jumeau  de 
celui  de  Laon,  nous  retrouvons    n"*  6,  8,  18,  12 


RUE  DES    CARMES.  255 

et  44  ses  bâtiments,  dont  la  plupart  composent 
une  caserne,  en  face  du  marché  établi  en  1813. 
Raoul  de  Presles  fut  arrêté  par  l'ordre  de  Louis- 
le-Hutin,  comme  complice  de  Latilly,  chancelier 
de  France  ;  on  ne  le  reconnut  que  plus  tard 
innocent  de  l'empoisonnement  de  Philippe-le-Bel,  et 
Philippe-le-Long  l'anoblit,  le  chargea  d'aflaires,  en 
montrant  plus  de  confiance  encore  à  Jeanne  de 
Presles,  sa  parente,  dont  les  royales  amours  con- 
tribuaient du  moins  à  réhabiliter  une  famille 
taxée  injustement  de  régicide.  Laon  avait  vu  naître 
Raoul.  Jeanne  de  Chastel,  sa  femme,  coopéra 
avec  lui  à  la  fondation  du  collège,  qui  fut  aussi 
dit  de  Soissons,  et  les  boursiers  lui  durent  une 
maison,  placée  sous  la  censive  de  l'évêque,  et 
qui  n'est  plus  de  nos  jours  enclavée  dans  la 
même  propriété  :  Chaulet,  marchand  de  vin  de  la 
rue  Saint-Jean-de-Beauvais,  père  de  M'"''  Tardu, 
propriétaire  actuelle,  acheta  de  la  Nation  en  l'an 
Yi  cet  immeuble,  maintenant  le  n"  6.  Raoul  de 
Presles,  sieur  de  Lisy,  personnellement  donna, 
entre  autres  choses,  à  sa  communauté  de  treize 
boursiers,  plus  deux  chapelains  :  1"  le  bois  de 
Lisy,  près  Château-Thierry,  dont  les  héritiers 
d'Enguerrand  de  Couci  lui  avaient  fait  hommage  ; 
2°  trois  maisons,  rue  des  Carmes.  Ce  roi  lui-même 
dont  Raoul  fut  le  secrétaire  gratifia  le  collège  de 
24  arpens  de  bois.  Nous  posons  donc  les  jalons 
de  l'histoire  d'un  établissement  de  fondation 
royale. 

Bernard  Hémard,  principal  de  Presles  au  com- 
mencement du  xv*'  siècle,  acquiert  de  Raoul 
Maquerel  la  terre  d'Amigny,  tenue  en  foi  et 
hommage  du  sire  de  Couci,  surintendant  des  finan- 
ces de  Charles  VI,  et  puis  le  fief  du  Mets,  rele- 
vant du  duc  d'Orléans,  dont  Couci  est  aussi  le 
chambellan.  De  ces  biens  sont  dotés  le  collège  ; 
mais  le  bienfaiteur  ne  veut  pas  y  créer  de  bourses 


256  RUE  DES  CARMES. 

nouvelles  ;  il  se  borne  à  ordonner  qu'on  prenne 
h  l'avenir  quatre  boursiers  dans  sa  famille,  ou  dans 
celle  de  Godefroid  Bouille,  ancien  principal  du 
collège,  ou  bien  natifs  de  Saint-Pierre-de-Vitry, 
et  il  impose  à  ces  quatre  étudiants  le  culte  par- 
ticulier de  la  Sainte-Vierge,  à  laquelle  n'est  pas 
moins  dévot  Louis  XI,   qui  règne  alors. 

Jean  Pinchard  succède  aHémard,  lorsque  l'occu- 
pation anglaise  a  diminué  les  revenus  de  la  maison 
et  par  suit^  le  nombre  des  boursiers,  lacunes 
qu'il  prend  à  cœur  de  remplir  ;  il  meurt  le  28 
octobre  1470,  léguant  h  la  communauté  ses  meu- 
bles, sa  bibliothèque  et  des  biens-fonds,  dont  sept 
maisons  dans  la  rue  du  collège.  Au  nombre  de 
celles-ci  figurent,  les  n"'  i6,  18,  22  et  24,  que 
les  pioches  ont  déjà  décapités  de  leur  toiture  au 
moment  où  j'écris.  A  la  mort  de  Pinchard,  on  a 
laissé  la  jouissance  viagère  de  deux  de  ces  corps 
de  bâtiment,  où  pendait  un  Sauvage,  h  son  neveu, 
Pierre  Pinchard,  chanoine  de  Saint-Cloud  ;  puis 
le  médecin  Jean  Le  Reuil  les  a  pris  à  loyer. 
Les  deux  autres  numéros  cités  ont  répondu  à 
l'image  de  la  Bouteille,  puis  à  celle  de  l'Etoile  ; 
■  affermés  de  même  h  Le  Reuil,  ils  n'ont  plus  fait  dès- 
lors  qu'une  propriété  avec  les  précédents,  en  arbo- 
rant de  concert  le  Ca^oissant-d'Argent.  Le  tout  a 
été  loué  plus  tard  par  un  tailleur,  qu'y  a  trouvé 
le  bureau  d'administration  des  petits  collèges,  lors 
de  leur  réunion,  sous  la  grand'maîtrise  de  Fourneau, 
en  1763.  Du  26  au  38,  toutes  les  propriétés  ont 
fait  partie  du  même  legs  et  seigneurialement  relevé 
de  Saint-Marcel.  On  y  a  remarqué,  presque  en 
face  du  23,  la  Petite-Caille,  baillée  à  rente  en 
l'année  1608  à  Desjardins,  sous  la  condition  de 
la  rebâtir  ;  ce  tenancier  y  a  établi  par-derrière  un 
jeu  de  paume,  que  le  collège  a  repris  à  lin  de 
bail. 

Un  autre  principal,  Nicole  Le  Sage,  assure  qu'il 


RUE    DES  CARMES.  257 

lui  est  dû  par  la  maison,  en  1553,  la  somme  de 
2,099  livres  ;  mais  il  en  fait  l'abandon  par  testa- 
ment, à  la  condition  que  son  âme  participera  aux 
prières  de  ses  obligés. 

En  ce  temps-là  le  collège  de  Presles  et  celui 
de  Beauvais,  qui  ne  sont  séparés  que  par  un  mur, 
se  rapprocbent  encore  plus  l'un  de  l'autre  par 
une  amitié  réciproque  dont  sont  animés  leurs 
élèves  ;  si  bien  que  le  principal  de  Presles  Pierre 
Laramée,  célèbre  sous  le  nom  de  Ramus,  s'en- 
tend avec  Omer  Talon,  principal  de  Beauvais, 
pour  qu'une  porte  soit  ouverte  entre  les  deux  cours 
respectives.  Ramus,  ancien  élève  de  Navarre,  puis 
maître  de  logique  h  l'Ave-Maria,  a  commencé  par 
démontrer  qu'Aristote  n'est  pas  inlaillible,.  mais  en 
affichant  la  même  indépendance  au  point  de  vue 
religieux  de  la  Réforme  ;. aussi  Antoine  de  Gouvéa, 
barbiste  de  cette  époque,  a-t-il  dénoncé  les  ten- 
dances impies  et  séditieuses  des  écrits  et  des 
leçons  de  ce  maître,  auquel  Henri  II  a  interdit 
l'enseignement  de  la  philosophie.  Ramus  donne 
des  leçons  de  dialectique  aux  étudiants  de  Presles, 
et  ceux  de  Beauvais  en  profitent.  La  Sorbonne, 
qui  s'émeut  du  succès  de  son  cours,  travaille  à 
l'expulsion  du  principal  de  Presles  ;  mais  le  car- 
dinal de  Lorraine  fait  rapporter  l'arrêt  prohibitif, 
et  Ramus  est  nommé  professeur  de  philosophie 
et  d'éloquence  au  Collège  de  France,  en  dépit  de 
l'université,  qu'il  menace  elle-même  d'idées  réno- 
vatrices. Charles  IX,  qui  a  reçu  directement  la  com- 
munication d'un  plan  îi  cet  égard,  ne  craint  pas 
de  donner,  à  Fontainebleau,  un  asile  sûr  au  maître 
incriminé  d'avoir  enlevé  de  la  chapelle  de  Presles 
toutes  les  images  des  saints  ;  cependant  les  gou- 
véistes  forcent  la  porte  du  principal,  qui  n'est  pas 
cl  son  poste,  s'en  prennent  k  ses  livres,  n'épar- 
gnent même  pas  ses  meubles.  Avec  la  bibliothèque 
particulière  de  Ramus,   disparaît  celle   que   Jean 


358  RUE    DES  CARMES. 

Péna,  son  élève,  a  léguée  au  collège  en  1550 
avec  une  somme  de  600  livres  pour  la  fondation 
d'une  bourse.  Tantôt  il  revient,  reprend  ses  cours  ; 
tantôt  il  se  réfugie  au  camp  de  Condé,  ou  bien  à 
Heidelberg,  selon  que  la  politique  de  Catherine  de 
Médicis  élargit  ou  restreint  la  tolérance  religieuse. 
Par  malheur,  il  est  rue  des  Carmes  la  nuit  de 
la  Saint-Barthélémy,  et  il  se  cache  dans  les 
caves  du  collège  ;  on  l'y  poursuit,  il  veut  rache- 
ter sa  vie  ;  ranç-on  est  acceptée,  payée,  et  néan- 
moins le  poignard  fait  son  œuvre  ;  le  corps  de 
l'illustre  pédagogue  est  ensuite  traîné  dans  la 
boue,  et  par  qui  '!  par  des  écoliers. 

La  principauté  de  Presles  passe  de  Médard 
Bourgeotte  à  Quentin  Hoyau,  qui  cède  en  1616 
h  Jean  Oranger,  principal  de  Beauvais,  la  direc- 
tion de  l'exercice  des  classes  pendant  sa  vie,  et 
le  mur  de  séparation  est  jeté  bas  entre  les  deux 
collèges  :  leur  temporel  n'en  reste  pas  moins 
distinct.  L'an  1640,  Oranger  résigne  les  honneurs 
de  la  supériorité  générale  entre  les  mains  d'Antoine 
Moreau,  principal  de  Presles,  successeur  de 
Charles  Morel  ;  à  la  mort  de  Moreau,  en  1679, 
il  s'élève  des  contestations,  à  l'issue  desquelles  nos 
boursiers  cèdent  à  l'autre  communauté  une  portion  de 
leur  cour  et  deux  corps  de  logis,  où  se  trouve 
leur  chapelle,  moyennant  2,000  livres,  et  cette 
somme  s'ajoute  à  celle  de  4,000,  qui  a  été  léguée 
par  le  chanoine  Hannecaut,  ainsi  que  ses  livres, 
pour  relever  ladite  chapelle,  avec  bibliothèque  à 
l'étage  supérieur  ;  aux  termes  du  même  acte,  Beau- 
vais se  cjiarge  seul,  pour  l'avenir,  de  l'exercice  des 
classes.  C'est  ainsi  que  l'institution  de  Raoul  de  Presles 
tombe  à  l'état  de  collège  dépourvu  de  plein  exer- 
cice ;  mais  le  mur  de  séparation  est  relevé  par  la 
sollicitude  du  célèbre  RoUin. 

Les  derniers  principaux  de  Presles  que  nous 
connaissions  sont  :  Louis  Levasseur  (1693)  ;  Pierre 


RUE  DES    CARMES.  2r.9 

Rabœuf  (1705)  ;  Millet  (1713)  ;  Simon  Derveau, 
docteur  en  Sorbonne  (1720).  Leurs  élèves  non-bour- 
siers payent  3  livres  par  semaine  en  temps 
ordinaire,  et  4  pendant  le  carême  ;  mais  la  four- 
niture du  vin,  du  pain,  du  bois,  de  la  chandelle, 
etc.,  n'est  pas  comprise  dans  le  prix  de  la  pension. 

Un  peu  avant  la  suppression  de  son  auto- 
nomie (1763),  cette  pédagogie,  dont  le  domaine 
demeurait  réduit  de  ce  qu'en  avait  acheté  Beau- 
vais,  n'avait  plus  que  1300  livres  de  revenu 
fondamental  ;  mais  il  y  restait,  dans  la  censive 
de  l'archevêque,  de  quoi  loger  boursiers  et  chape- 
lain, réfectoire,  cuisine,  etc.  En  1781,  il  y 
avait  à  Louis-le-Grand  dix-huit  boursiers  de  Presles, 
les  biens  de  cet  ancien  collège"  rapportant  alors 
11,169  francs.  Enhn  la  Nation  vendait  aux 
enchères,  le  3  thermidor  an  iv,  les  bâtiments  de 
l'établissement  supprimé. 

Autre  collège,  celui  des  Lombards,  vers  le  haut 
de  la  rue,  à  gauche  ;  1334,  date  de  sa  fondation, 
due  au  cardinal  André  de  Chini.  Son  édifice  tombait 
en  ruine  lorsque  deux  prêtres  irlandais,  sous 
Louis  XIV,  le  tirent  reconstruire.  Toutefois  ses 
bâtiments  et  sa  chapelle,  que  nous  laisse  voir  la 
porte  cintrée  du  23,  furent  de  nouveau  rétablis 
sur  les  dessins  de  Boscry,  vers  1760.  Ordre 
corinthien,  portail,  porche  elliptique,  colonnes  et 
pilastres  ioniques,  entablement,  fronton  brisé,  rien 
ne  manque  encore  à  l'extérieur  de  cette  chapelle,  que 
les  armes  de  l'abbé  de  Vaubrun,  qui  figuraient 
dans  le  tympan.  Lorsque  l'on  eut  gratté  cet 
écusson,  les  bâtiments  furent  confisqués  sur  le 
collège  des  Irlandais,  qui  en  avait  fait  son  annexe. 
La  restitution  de  Louis  XVIII  permet  que  de  nos 
jours  encore  ils  appartiennent  à  la  maison  des 
Irlandais,  Anglais  et  Ecossais  réunis  ;  mais  le 
tout  en  est  transformé  en  magasins  pour  des 
libraires-éditeurs. 


200  RUE    DES    CARMES. 

Livres  en  feuilles  tenus  au  frais,  à  l'ombre  de 
souvenirs  scolastiques,  vous  gardez  un  parfum 
modeste,  mystérieux,  que  l'assemblage  et  la  reliure 
vous  feront  perdre  sous  la  poussière  dissolvante 
des  rayons  de  bibliothèque  !  Pourquoi  faut-il  qu'il 
se  mêle,  rue  des  Carmes,  à  cette  senteur  de 
passé  et  d'avenir,  l'arôme  trop  présent  du  vieux 
linge  et  des  habits  en  loques,  pendus  k  maintes 
portes  de  marchands  de  chiffons  ?  Le  vestiaire, 
lui  aussi,  se  tire  à  plus  d'une  édition,  tant  que 
l'étoffe  ne  fait  pas  défaut  :  tel  pan  de  redingotte 
usée  deviendra  casquette  des  dimanches,  et  telle 
chemise  hors  d'usage,  insuffisante  pour  un  suaire, 
sauvera  encore  plusieurs  blessés,  une  fois  effilée 
en  charpie  ;  tel  morceau  de  peau  fait  pitié,  qui 
a  déjà  servi  de  selle,  de  tablier  ou  de  plastron, 
et  qui  passera  gaine  ou  gant  de  gendarme,  avec 
une  souplesse  qu'envient  les  immuables  clichés 
de  la  typographie. 


Rue  des    Canettes. 


Propriétaires   de   la  rue   en   1735. 


Côté  gattcl)c 


Cîôté  broit  : 

Le  Robours. 

Idem. 
Mil»  Maillard. 
De  Marie. 

Les  héritiers  Prévost. 
M™»  de   Saint-Georges 
Desmont    dit  Honoré, 
Moreau. 

Phelippon,  maçon. 
Les  enfants  Le  Couvreur. 
Misochin. 
Fromentin,  vitrier. 
Le  M'"  de  Gambais. 
L'abbaye. 
L'académie  de  Vendeuii. 


Isabeau,  pour   une   commu- 
nauté  religieuse. 

Les  récoilettes  de  la  rue  du 
Bac. 

Ferret. 

Caffiéri. 

Les  héritiers  Le   Roux. 

Drouart-Olivier. 

L'abbé  Hueren. 

M""*  Seigneur. 

Les  religieuses  du  Précieux- 
Sang. 

Charlier. 

Femme  Le  Couvreur,  épi- 
tiière. 

L'hospice  des  Petites-Mai 
sons. 

Rémy,  maître  des   comptes 

Marie-Nicole  de  Beaumout, 
veuve  de  Brossard,  mar- 
chand. 


Que  si  nous  procédons  à  un  nouvel  appel, 
il  y  aura  déclaration  d'absence  pour  au  moins  une 
des  deux  propriétés  Le  Rebours.  En  effet,  depuis  que 
la  rue  du  Four  a  pris  du  ventre,  s'est  élargie 
sur  un  seul  point,  notre  rue  des  Canettes  boite  de  la 
jambe  droite,  dont  le  pied  laisse  le  pied  gauche 
en  arrière.    Le    n"    19    d'à    présent   appartenait, 


(1)  Notice   écrite  en   1858. 


17 


2  62  RUE  DES  CANETTES. 

ainsi  qu'une  maison  contiguë,  à  la  succession 
Prévost  lorsqu'en  1716  Jean  Barbotdit  Saint-George, 
sergent  aux  gardes-françaises,  en  fit  l'acquisition, 
pour  le  laisser  après  lui  à  sa  veuve. 

Le  16  et  le  18  furent  bâtis  vers  la  fin  de  la 
Régence  par  Phelippon,  sur  l'emplacement  d'un 
hôtel  dont  l'enseigne  y  est  conservée  :  ce  bas- 
relief  en  pierre,  qui  représente  des  canes  nageant 
sur  un  étang,  a  valu  à  la  rue  Neuve-Saint-Sulpice 
de  passer  définitivement  en  1651  rue  des  Canettes. 
Le  maître-maçon  spéculateur  n'avait  épargné  ni 
la  pierre  de  taille,  ni  le  bois,  ces  matières  pre- 
mières déjà  chères,  ni  la  serrurerie  pour  garni- 
ture, ni  la  sculpture,  faite  pour  engager  des  gens  de 
qualité  à  se  rendre  ses  locataires  ;  mais  il  fut  obligé 
de  vendre  à  Moreau  la  plus  petite  de  ses  pro- 
priétés, pour  jouir  fort  peu  d'années  de  la  plus 
grande  :  l'argent  qu'il  avait  emprunté  pour  bâtir, 
grâce  à  des  arrérages  montait  toujours,  et  avait 
engagé  d'avance  l'une  et  l'autre.  Dans  une  des 
boutiques  qu'on  y  trouve,  M""*  Cardinal  a  fondé 
en  1818  un  cabinet  de'  lecture  fort  digne  d'être 
promu  au  rang  de  bibliothèque  des  romans  ;  tous 
les  ouvrages  de  ce  genre,  après  avoir  fourni 
inégalement  leur  carrière  locative,  survivent  à 
leur  succès,  comme  objets  de  curiosité,  dans  la 
collection-Cardinal,  au  lieu  d'être  hiis  au  pilon  : 
le  chef  de  cet  établissement  se  regarde  comme 
le  sacristain  commis  à  la  garde  d'un  trésor  qui 
embarrasserait  fort  dans  une  église  :  le  nombre 
des  reliques  y  va  toujours  croissant,  en  raison 
inverse  des  fidèles  !  L'hôtel  garni  qui  fait  son 
profit  de  l'enseigne  patronymique  de  la  rue,  est 
aussi  l'ancienne  maison  Ferret,  possédée  en  1788 
par  Goguier  de  Chaligny  de  Pleine,  docteur  en 
Sorbonne. 

Egalement  susnommés  sont  les  héritiers  Le 
Couvreur,  et  néanmoins    la   mense  abbatiale  de 


RUE  DES  CANETTES.  263 

Saint-Germaiii-des-Prés  était  propriétaire  de  l'immeu- 
ble n°  20,  qui  tenait  aux  religieuses  de  la  Miséricorde 
par-derrière  :  les  Le  Couvreur  n'en  avaient  que 
l'usufruit,    par  emphytéose. 

Les  n"'  24,  26,  28  ne  remontent  certainement 
qu'à  la  seconde  moitié  du  xvui«  siècle.  Sur  une 
portion  de  leur  emplacement  s'était  élevée  une 
maison  à  deux  corps,  avec  jardin,  qu'un  conseiller 
du  roi,  Denis  Lambert,  avait  eue  par  échange 
en  1658  de  Judith  Lesacque,  veuve  de  Devaux, 
boulaiiger  ;  la  fille  du  conseiller  en  avait 
lait  présent,  trente-quatre  années  après,  à  M. 
Denis  de  MarsoUier,  membre  du  grand-conseil  et 
grand-oncle  de  MarsoUier,  l'auteur  dramatique  ; 
M""  MarsoUier  l'avait  à  son  tour  apporté  à  son 
mari,  Louis  de  Nyers,  marquis  de  Gambais,  pre- 
mier valet  de  chambre  du  roi,  gentilhomme  ordi- 
naire de  sa  maison,  son  lieutenant  en  Franche- 
Comté,  gouverneur  de  Limoges,  capitaine-con- 
cierge du  Louvre.  Notre  rue  des  Canettes  avait 
alors  pour  déversoir  la  rue  du  Colombier,  et 
non  la  place  Saint-Sulpice,  dont  l'équarrisse- 
ment  a  supprimé  un  grand  hôtel.  Les  dépendances 
de  l'hôtel,  qui  formait  pan  coupé  à  cet  angle, 
remplissaient  un  côté  de  la  place.  C'était  l'académie 
royale  de  Jouan  ;  elle  faisait  pendant  de  loin  à 
celle  de  Dugard,  Académie  du  Roi,  établie  au 
manège  des  Tuileries. 

Les  leçons  y  étaient  données,  en  1760  :  par  M. 
de  Jouan,  écuyer  du  roi,  pour  la  voltige  ;  par 
M.  de  Ménil-Hury,  maître  de  mathématiques, 
demeurant  aux  écuries  d'Orléans,,  rue  Vivienne  ; 
par  M.  Motet,  maître  en  fait  d'armes,  logé  à 
l'académie  ;  par  M.  Chartier,  maître  à  danser, 
habitant  la  rue  de  la  Comédie-Française    (i),   et 


(1)  Rue  de  l' Ancienne-Comédie. 


264  RUE  DES  CANETTES. 

par  M.  de  Laval,  qui  venait  de  la  rue  Saint- 
Honoré,  près  le  Palais-Royal,  pour  faire  faire 
aux  élèves  l'exercice  militaire.  L'aumônier  de  la 
maison  était  l'abbé  de  Lacour.  On  y  prenait 
des  jeunes  gens  en  demi-pension  ;  on  recevait 
même  des  externes,  qui  ne  venaient  qu'à  l'heure 
des  leçons.  La  pension  entière  était  de  1500 
livres  par  an,  et  si  l'élève  avait  avec  lui  un 
gouverneur,  c'était  700  livres  de  plus  ;  un  valet 
de  chambre,  500  livres  ;  un  laquais,  400.  Il  se 
payait,  en  outre,  200  livres  de  bienvenue,  qu'on 
appelait  les  entrées.  Un  gentilhomme  qui  n'avait 
pas  passé  par  une  école  de  ce  genre  n'était,  toute  sa 
vie,  qu'un  hobereau  de  campagne. 

La  même  académie  avait  flori  sous  la  direc- 
tion de  Vendeuil,  au  beau  milieu  du  règne  de 
Louis  XIV,  et  François-Anne  de  Vendeuil,  cheva- 
lier, seigneur  de  Courbevoie  et  de  Stelfaye, 
écuyer  du  roi,  succédait  lui-même  à  Desroches. 
Roquefort  et  d'Auricour  y  étaient  écuyers  avec 
Vendeuil,  qui  payait  le  loyer  de  son  académie 
de  manège  aux  moines  de  Saint-Germain-des-Prés. 
Les  dames  de  la  Miséricorde  avaient  mis  cette  abbaye 
en  possession  des  lieux  à  leur  place,  pour  se  libérer 
de  leurs  dettes,  déjà  payées  par  lesdits  religieux, 
mais  au  moyen  d'un  prêt  de  62,835  livres  fait 
par  François  d'Argouges.  A  cette  créance  s'ajou- 
taient 3,000  livres,  prêtées  par  les  bernardines  du 
Précieux-Sang  de  la  rue  de  Vaugirard  à  la 
mense  abbatiale,  en  1687,  pour  réparer  et  aug- 
menter les  bâtiments  de  l'académie,  qui  n'en 
occupa  la  totalité  que  pendant   m   temps. 

AprèsM.  deJouan,M.deNesmond,  frère  de  l'évêque 
de  ce  nom,  et  qui  avait  servi  avec  honneur  dans 
la  marine,  eut  pour  hôtel  l'ancienne  académie,  qui 
ne  tarda  pas  beaucoup  à  menacer  ruine.  L'abbaye, 
voulant  amortir  des  rentes  constituées  sur  la  mense 
et  dont  le  capital  excédait  300,000  livres,  entra  à  son 


RUE  DES  CANETTES.  265 

tour  dans  la  voie  des  aliénations  et  céda  la  propriété 
dont  nous  parlons,  moyennant  160,000  livres,  h 
Jacques  Herbert,  fermier  des  coches  d'Orléans,  qui 
la  vendit  ensuite  à  Dulau,  curé  de  Saint-Sulpice, 
pour  la  formation  de  la  place. 

Revenons  maintenant  à  l'aile  gauche.  Les 
façades  y  sont  encore  moins  changées  que  sur 
l'autre  aile  et  retrouvent  respectivement  d'anciens 
maîtres  dans  le  tableau  produit  au  début.  Celle 
qui  suit  l'hôtel  des  Canettes  a  supplanté  l'habitation 
de  Jacques  Caffiéri,  sculpteur  du  roi,  et  de  ses  fils, 
Philippe  et  Jean-Jacques,  qui  ont  aussi  illustré  le 
nom  :  l'aïeul  de  ces  derniers,  Philippe  Caffiéri,  avait 
lui-même  initié  leur  père  aux  secrets  de  leur  art, 
s'était  allié  aux  grandes  familles  de  Rome,  et  Mazarin 
l'avait  appelé  en  France,  Colbert  l'avait  logé  aux 
Gobelins.  Leur  propriétéde  la  rue  des  Canettes  venait 
aux  Caffiéri  de  M"*  Rousseau,  fllle  d'un  marchand  de 
vin  de  la  cour  et  femme  de  Caffiéri  II  ;  bâtie  pour 
Barre,  maître-brodeur,  elle  avait  fait  partie,  comme 
sol,  d'un  grand  terrain  acheté  du  prince  de  Tournon, 
comte  de  Roussillon,  grand-sénéchal  d'Auvergne, 
par  les  frères  Saulier.  Jean-Jacques  Caffiéri  est 
l'auteur  des  bustes  de  Corneille  et  de  Piron  (au 
foyer  delà  Comédie-Franoaise,)  deQuinault  et  de 
Lulli  (à  l'Opéra)  ;  ses  élèves  n'étaient  pas  seuls  à 
reconnaître  le  caractère  misanthropique  du  maître  ; 
ses  collègues  de  l'Académie  avaient  appris  à  ne 
compter  que  sur  sa  mauvaise  humeur,  et  chaque 
fois  qu'il  y  avait  dans  l'urne  une  seule  boule 
noire,  tous'  les  autres  votants  de  dire  :  —  C'est  le 
jeton  de  présence  de  Caffiéri  ! 

A  la  porte  du  11,  du  temps  de  l'abbé  Huerne, 
il  pendait  encore  Deux-Épées,  et  au  19,  maison 
de  M""*  Seigneur,  un  Dauphin  ;  du  15  avaient  fait 
bail  les  religieuses  du  Précieux-Sang  à  Miot,  chi- 
rurgien, et  Charlier  disposait  de  la  construction 
qui  vient   après,   refaite    depuis  sans    perdre   sa 


266  RUE  DES  CANETTES. 

petite  niche.  Du  19,  avant  une  épicière,  avait  été 
propriétaire  Liennard,  brodeur.  L'autre  coin  de  la 
rue  Guisarde  avait  dejk  ses  cinq  étages  sous  Louis 
XIV  ;  Dufresne,  valet  de  chambre  du  duc  d'Orléans, 
époux  d'Elisabeth  Branchu,  y  avait  précédé  la 
même  dame  Le  Couvreur,  propriétaire  d  u  premier 
coin  et  épicière.  Or  il  existe  encore  dans  la  maison 
un  magasin  d'épiceries.  Regnaud-l'Official,  autre 
brodeur,  avait  vendu  l'an  1658  au  Grand-Bureau 
des  Pauvres,  prédécesseur  des  Petites-Maisons  de  la 
rue  de  la  Chaise,  l'immeuble  23.  Quant  aux 
propriétés  de  Rémy  et  de  la  veuve  Brossard,  dont 
le  mur  tout  nu  faisait  angle  où  se  trouve  mainte- 
nant la  place,  elles  furent  acquises  par  Languet 
de  Gergy  et  Dulau,  successivement  curés  de  Saint- 
Sulpice. 

Le  commerce  au  xyu'  siècle  était  prospère  dans 
la  rue  des  Canettes,  à  cause  du  voisinage  de  la 
foire  Saint-Germain  :  on  y  trouvait  des  boulangers, 
des  ébénistes,  des  vinaigriers,  des  traiteurs,  des 
fourbisseurs  d'armes,  aussi  bien  que  des  gentils- 
hommes, beaux  cavaliers,  des  procureurs,  des 
artistes,  des  abbés. 


Rue   €aron.  [i] 


Caron,  maître-général  des  bâtiments  du  roi  et 
des  ponts-et-chaussées  de  France,  a  dessiné  un 
premier  plan  pour  l'établissement  du  marché 
Sainte-Catherine,  sur  l'emplacement  du  prieuré 
royal  de  la  Couture-Sainte-Catherine,  au  Marais; 
mais,  par  motif  d'économie,  un  plan  de  Brébion, 
architecte,  a  obtenu  la  préférence,  et  l'exécution 
a  commencé  en  1783.  Caron.  n'en  est  pas  moins 
resté  le  parrain  d'une  des  petites  rues  qui  ser- 
vent d'avenues  au  marché,  ouverte  la  même  an- 
née sur  un  terrain  acquis  par  Marchant-Duco- 
lombier.  Les  deux  maisons  qui  la  composent  ont 
le  même  acte  de  naissance. 


(1).  Notiice   écrite   en   1858. 


Rue  Carpentier.    (i) 


Dans  un  renfoncement  qui  confine  au  gymnase 
des  pompiers  de  la  rue  du  Vieux-Colombier,  une 
maison  de  la  rue  Carpentier  fut  saisie  en  1743 
sur  la  famille  Baudouin  de  Montorcy  et  adjugée 
en  parlement  aux  Orphelins  de  la  paroisse  Saint- 
Sulpice,  institution  de  charité  fondée  depuis  soi- 
xante-cinq ans  dans  la  rue  du  Vieux-Colombier 
par  ÏBasnière  de  Poussé,  curé  de  Saint-Sulpice. 
L'établissement  des  Orphelins  s'incorpora  cette 
maison,  sous  la  censive  de  Saint-Germain-des- 
Prés,  et  puis,  lorsqu'il  fut  supprimé,  elle  se  loua 
isolément. 

Un  étage  du  n"  5,  bâtisse  non  moins  étroite 
que  haute,  servait  de  logement,  en  l'année  1713, 
h  Edme  Ravaisson,  pitancier  de  V Académie.  Cette 
profession  anormale  nous  rappelle  qu'il  y  avait 
alors  dans  le  quartier  deux  académies  royales 
d'équitation  :  l'une  rue  des  Canettes,  vis-à-vis  de 
la  première  communauté  de  Saint-Sulpice,  et  l'autre 
rue  de  l'Egout,  en  face  de  la  rue  Sainte-Mar- 
guerite. 

Cette  petite  rue  Carpentier,  dont  presque  toutes 
les  constructions  donnent  en  même  temps  sur 
d'autres  rues,  portait  déjà  sa  dénomination  sous 
la  minorité  de  Louis  XIV.  Il  circulait  dès-lors 
un  écrit  révolutionnaire  sous  ce  titre  :  Tuer  un 
Tyran  nest  pas  un  Crime,  et  il  était  attribué  a 
Carpentier  de  Marigny,  ardent  frondeur,  auteur 
de  divers  pamphlets  contre  le   cardinal  Mazarin. 

(1)  Notice  éerite     en   1858. 


Rue  du  Buisson-Saiiit-Louis.   (i) 


Comme  il  y  a  beau  jour  que  les  écoliers  n'y 
font  plus  l'école  buissonnière  !  Mais  on  ne  la 
fit  pas  toujours  pour  s'amuser  au  lieu  d'aller  en 
classe.  Plus  de  temps  encore  s'est  passé  depuis 
qu'on  ne  tient  plus  en  plein  air  la  véritable  école 
buissonnière,  pour  se  soustraire  au  droit  prélevé 
par  les  chantres  sur  les  petites  écoles  régulière- 
ment rattachées  aux  églises.  Qu'il  est  loin,  d'ail- 
leurs, le  hallier  !  Il  s'en  faut  que  la  rue  y  mène. 
Elle  n'était  encore  qu'un  sentier  quand  on  y 
battait  les  buissons  ;  les  oiseaux  ne  s'y  laissent 
plus  prendre,  et  il  y  a  longtemps  aussi  que  les 
mains  qui  ont  arraché,  le  long  du  chemin,  ses 
dernières  touffes  d'arbrisseaux  n'ont  plus  besoin 
de  feu  qui  les  réchauffe.  Néanmoins  ce  n'est  pas 
au  règne  de  Louis  IX  que  remonte  l'hôpital  Saiut- 
Louis,  dont  nous  revoyons  en  passant  un  bâti- 
ment, affecté  aux  payants,  dont  le  style  à  la 
Henri  IV  rappelle  l'origine  de  l'établissement.  La 
rue  ne  doit  la  seconde  moitié  de  son  nom  qu'à 
cet  hospice  voisin. 

Elle  a  gagné  en  population  depuis  la  révolution 
de  1789.  Toutefois  elle  avait,  sous  Louis  XVI,  la 
troupe  d'un  théâtre  parmi  ses  habitants,  et  ce 
théâtre  était  l'arène  de  la  barrière  du  Combat. 
Clientelle  romaine  par  sa  profession  !  Un  boucher 
de  Paris  n'en  était  pas  moins  le  principal  inté- 
ressé dans  l'entreprise. 

Du    même   temps  nous  vient  le  n"  19,  cottage 
(1)  Notice  écrite  en  1858. 


270  RUE  DU  BUISSON- SAINT-LOUIS. 

dont  le  jardin  est  sujet  à  reculement  et  occupé 
par  un  lampiste.  Le  12  aussi,  et  les  tilleuls  bien 
disposés  de  son  jardin.  Cette  villa  appartenait 
naguère  à  M.  Muron,  adjoint  au  maire  du  I"' 
arrondissement;  elle  avait  été  la  retraite  de 
M.  Haré,  avocat,  qui  avait  présenté  une  ode  au 
roi  Louis  XVI,  le  jour  même  de  son  sacre,  à 
Reims. 


Rue  Cassette*   (i) 


MM.  Gaume.  —  M.  Barthe.  —  M.  Froelicher.  — 
M^^  Guyon.  —  Les  Finances  d'un  Couvent  en 
1709,  puis  en  1790.  —  Les  Peintres.  —  Les 
Libraires.  —  M.  Arachequesne .  —  M.  et  M"** 
de  Salvandy.  —  Le  troisième  Consul.  —  Le 
Maréchal  de  Brissac.  —  Le  Concert.  —  Les 
d'Hinnisdal.  —  Le  Rapt  sans   Ravisseur. 

Les  héritiers  de  la  marquise  de  Fiers  ont 
vendu,  vers  1844,  l'immeuble  n"  4,  datant  d'un 
autre  siècle,  h  M.  Gaume,  qui  a  maintenant  son 
fils  pour  successeur  comme  libraire-éditeur.  Le 
mojen  que  ce  nom  ne  rappelle  pas  l'anathème  lancé 
par  l'abbé  Gaume,  frère  de  Gaume  père,  sur  la 
littérature  païenne  ! 

Mais  l'école  romantique  en  avait  déjà  fait  autant 
à  un  point  de  vue  différent,  et  le  Dictionnaire  de 
la  Fable  n'est  pas  le  vade-mecum,  que  nous  sa- 
chions, de  l'école  réaliste,  qui  l'emporte  aujour- 
d'hui en  fait  de  littérature,  d'art,  de  mœurs  et  de 
gouvernement.  Quoi  de  plus  réel  que  l'argent  ! 
Que  voyez-vous  de  fabuleux  dans  le  culte  de  la 
cassette?  Tout  le  paganisme  de  nos  jours  est  là. 
Mais  jamais  temple    n'a    desservi    cette   idolâtrie 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  Rennes  n'allait 
alors  que  de  la  rue  de  Vaugirard  au  boulevard  Mont- 
Parnasse  ;  son  prolongement  est  venu  écharper  la  rue 
Cassette,  au  point  de  faire  sauter  ses  no^  i,  2,  S,  4,  5, 
6,  7,  8,  10,  12,  14,  15  et  18.  Seulement  on  retrouve  dans 
le  76  actuel  de  la  rue  de  Remues  presque  tout  l'an- 
cien 8  de  l'autre,  où  sont  rebâtis  l'ancieH  16  et  l'ancien 
18,  appelés  à  porter  les  chiffres  2  et  4. 


272  RUE  CASSETTE. 

dans  la  rue  qu'un  hôtel  de  Cassel,  connu  sous 
François  P%  a  fait  nommer  par  corruption  Cassette. 

La  bicoque  du  n"  3  n'a  jamais  eu  pour  coffre- 
fort  qu'une  tirelire,  et  que  de  fois  encore  n'a-t-il 
pas  fallu  la  casser!  Le  7,  hôtel  de  M.  Barthe, 
ancien  ministre,  président  de  la  cour  des  comptes, 
a  été  pendant  tout  un  siècle,  ainsi  que  le  5,  aux 
Rocher  de  Bazancourt,  y  succédant  eux-mêmes 
à  des  religieuses.  De  quel  couvent  ?  M.  Barthe 
l'ignore.  Avant  la  Révolution,  une  maison  qui 
changeait  de  maître  apportait  toujours  au  nou- 
veau des  parchemins,  établissant  comment  et  à 
quelles  dates  l'avait  prise  et  quittée  chacun  de 
ses  anciens  maîtres;  mais  les  nombreux  immeu- 
bles qui  ont  fait  retour  ii  l'Etat,  pendant  le  grand 
interrègne,  en  ont  reçu  des  livrets  tout  neufs, 
quelque  curieuse  que  pût  être  leur  histoire,  lettre 
close  pour  les  ayant-droits  de  cet  auteur  hors 
ligne.  Là  en  est  le  n"  8,  dont  la  grande 
cour,  ombragée  de  tilleuls,  dessert  divers  corps 
de  logis.  N'était-ce  pas  le  couvent  des  religieux 
de  Notre-Dame-de-Saint-Joseph,  qui,  pour  sûr, 
habitèrent  la  rue  avant  qu'une  portion  du  8  fût 
occupée,  au  milieu  du  xvii"  siècle,  par  Marie 
Zoccoli,  sous-gouvernante  des  enfants  de  France, 
veuve  de  Robiecq,  baron  de  Palier,  y  étant  venu 
lui-même  après  les  auteurs  de  ses  jours? 

Un  escalier  convenablement  ferré  tournoie  entre 
les  murs  du  local  actuel  d'une  imprimerie,  le 
n"  9,  qui  appartenait  sous  Louis  XV  h.  Rissoan, 
un  pharmacien.  Le  censier  de  Saint-Germain-des 
Prés  mettait,  d'ailleurs,  au  xvii"  siècle  encore  plus 
de  fournisseurs  que  plus  tard,  et  jusqu'à  des 
valets  de  chambre  de  grande  maison,  au  nombre 
des  propriétaires  de  la  rue  Cassette.  Après  la  rue 
Carpentier  venait  l'hôtel  de  Soûl  lé,  marquis  de 
Grunenaux  et  de  Martangis,  acquéreur  du  mai^quis 
de  Birague.   Cette  propriété  a  vu  naître  en   1735 


RUE  CASSETTE.  273 

Convers-Désormeaux,  qui  a  cessé  de  vivre  à 
quatre-vingt-cinq  ans,  doyen  des  architectes  de 
Paris,  et  dont  la  petite-fille  a  épousé  elle-même 
un  architecte  recommandable,  M.  Frœlicher.  Eton- 
nez-vous encore,  après  cela,  de  l'excellent  état 
de  conservation  d'une  maison  qui,  depuis  plus 
d'un  siècle,  appartient  à  des  architectes  !  Parfai- 
tement clos  et  couverts  y  ont  été,  comme  de 
juste,  le  fameux  archevêque  de  Pradt,  le  géo- 
graphe Barbie  du  Bocage,  le  baron  Feutrier, 
pair  de  France,  et  Mgr  Dupanloup,  évêjue  d'Or- 
léans, représentant  du  peuple,  membre  de  l'Aca- 
démie-Française. 

Autre  hôtel,  n"  17,  duquel  ont  disposé,  depuis 
le  règne  de  Louis  XVI  jusqu'à  celui  de  Charles  X, 
MM.  de  Langlard,  médecins.  Le  23,  construc- 
tion récente,  a  remplacé  la  maison  de  Le  Comte 
de  la  Chaussée,  capitaine  sous  Louis  XV  au  Royal- 
Bombardiers. 

Passons  maintenant,  si  vous  voulez,  chez  les 
dames  de  i'Adoration-Perpétuelle-du-Saint-Sacre- 
ment,  transférées  de  la  rue  Férou  à  la  rue  Cas- 
sette en  1654,  sous  les  auspices  d'Anne  d'Autriche, 
et  dont  les  chroniqueurs  qui  nous  ont  précédé 
disent  fort  peu  de  chose.  Ces  rehgieuses  béné- 
dictines avaient  acquis  des  pères  de  Saint-Joseph 
l'ancien  hôtel  de  Chemilly,  petit  édifice  fort  k 
l'aise  dans  ses  deux  arpens  de  jardin  ;  elles  ache- 
tèrent ensuite  des  créanciers  de  Gontier  de  Longe- 
ville,  président  de  la  cour  des  comptes,  mais  avec 
le  consentement  du  débiteur,  un  autre  hôtel  con- 
sidérable, qui  touchait  au  premier  et  aux  pro- 
priétés de  M.  de  Bezemaux,  le  gouverneur  de  la 
Bastille,  de  M.  Ledoux  de  Milleville,  conseiller, 
et  de  M.  de  Bourgneuf  Leur  domaine  agrandi 
bordait  la  rue  Cassette,  vis-à-vis  des  rues  Mézières 
et  Honoré-Chevalier.  Leur  chapelle,  décorée  par 
l'Espingola  et  Plate-Montaigne,  se  voyait  dès  qu'on 


274  RUB  CASSETTE. 

franchissait  la  grande  porte;  elle  s'ouvrait  au  fond 
d'une  cour  carrée,  où  s'élevaient  trois  corps  de 
logis,  sans  compter  d'autres  bâtiments  venant 
par-derrière.  Dans  ce  couvent,  dans  cette  cha- 
pelle, Bossuet  confessa  madame  Guyon,  la  quié- 
tiste,  en  1696,  après  avoir  été  l'un  des  juges 
provisoires  chargés  de  la  faire  revenir  de  ses 
subtilités  théologiques.  Élève  de  Fénélon  et  belle- 
mère  du  comte  de  Vaux,  elle  était  persécutée 
comme  hérésiarque  et  traquée  de  couvent  en 
bastille  depuis  huit  années  ;  on  venait  de  la 
mettre  dans  une  maison  de  la  rue  Vaugirard, 
sous  la  direction  de  M.  de  la  Chétardié,  curé 
de  Saint-Sulpice,  et  son  procès  pendait  en  cour 
de  Rome  :  les  dames  du  Saint-Sacrement  donnaient 
des  soins  à  cette  pénitente,  en  prêtant  leur  mo- 
nastère à  ses  dernières  entrevues  avec  l'évêque 
de  Meaux,  qui  lit  même  un  séjour  à  cette  occa- 
sion dans  lés  dépendances  du  couvent.  Pourtant 
ni  l'évêque  de  Cambrai,  ni  les  ducs  de  Chevreuse 
et  de  Beauvillier,  ni  le  comte  de  Vaux  n'aban- 
donnaient M'"*  Guyon,  ce  qui  embarrassa  M""  de 
Maintenon,  portée  à  se  repentir  de  l'avoir  reçue 
à  Saint-Cyr.  Le  fils  du  surintendant  Fouquet,  dont 
la  disgrâce  rappelle  aussi  bien  des  rigueurs, 
constitua  une  petite  rente  aux  religieuses,  pour 
reconnaître  les  services  qu'elles  avaient  rendus 
à  sa  belle-mère,  depuis  que  le  curé  de  Saint- 
Sulpice  était  chargé  de  veiller  sur  sa   personne. 

Cette  rente  figure  aux  comptes  établis  en  1709 
pour  M"'"=  Radegonde  de  Beauvais  (en  religion, 
de  la  Présentation),  prieure  du  Saint-Sacrement: 
le  comte  de  Vaux,  le  marquis  d'O,  M.  de  Moussy, 
le  marquis  de  la  Trémoille,  la  marquise  de  Bres- 
sieux,  M.  de  Lancy,  le  président  Lessaulle  et 
M.  Rolland  doivent  alors  au  couvent  3,817  livres 
de  rente.  Son  revenu  se  compose,  en  outre,  de 
2,393  livres  sur  la    Ville    et  de    4,660,    produit 


RUE  CASSETTE.  S75 

de  cinq  maisons  dans  le  voisinage.  Quelques  pen- 
sions viagères  sont  payées,  en  sus,  par  des 
sœurs  qui  les  ont  apportées  en  dot;  elles  s'élè- 
vent à  2,400  livres  et  sont  servies  par  les  per- 
sonnes suivantes:  Bosc,  conseiller  d'Etat;  M"" 
Meusnier  ;  le  père  de  sœur  Sainte-Ide,  qu'on 
appelle  M.  le  président,  mais  qui  n'a  pas  donné 
son  nom;  M.  deSéchelle;  Robin;  Camuset,  avocat; 
Fournit,  auditeur  des  comptes,  et  M.  de  Lessaulle 
(deux  autres  noms  sont  peu  lisibles).  Puis  3,150 
livres  sont  payées  annuellement  par  quelques 
pensionnaires  :  M"'^  Dartigues  et  sa  femme  de 
cbambre,  1,300  livres,  outre  le  loyer  {mais  on 
est  obligé  de  la  nourrir  matin  et  soir  de  volailles, 
de  petits-pieds  et  de  desserts);  M"*  de  Tbionville, 
400  livres  ;  trois  autres  à  300  pour  chacune  ; 
une  autre,  250  livres,  puis  deux  autres  h  raison 
de  150.  Total  du  revenu  brut,  16,420  livres,  et 
cette  somme,  qui  paraît  modeste,  est  importante 
pour  qui  se  rend  compte  de  la  valeur  qu'avait 
alors  l'argent. 

Toutefois  considérons  les  charges  de  la  maison, 
en  cette  même  année.  Tant  religieuses,  professes 
et  novices,  que  pensionnaires,  tourières  et  domes- 
tiques :  56  personnes  à  nourrir.  Aussi  figure-t-il 
au  passif  4,275  livres  dues  à  un  seul  boucher, 
788  au  rôtisseur,  2,425  à  l'épicier,  972  au  pâtis- 
sier, sans  compter  les  autres  fournisseurs.  On 
ne  donne  rien  au  chirurgien,  parce  qu'il  a  mis 
sa  fille  depuis  lage  de  sept  ans  dans  la  maison, 
et  elle  en  a  dix-neuf  ;  mais  on  compte  les  visites 
du  médecin  Gollot.  Bref,  de  toutes  les  dépenses 
forcées  il  résulte,  pour  les  religieuses,  un  état 
de  gêne  assez  sensible.  Le  couvent,  outre  ses 
dettes  courantes,  a  signé  des  obligations  ou  des 
billets  aux  religieux  de  Fontevrault,  à  Caboust,  à 
Maitrot,  intendant  de  la  marquise  de  Lamberty, 
à  M""»  Du  Mesnil  et  à  trois  pensionnaires,   M"^' 


276  RUE  CASSETTE. 

Dartigues,  de  Vieuxville  et  de  Bécourt  :  en  tout, 
14,146  livres.  Ces  dames  du  Saint-Sacrement  n'en 
pensionnent  pas  moins  sur  le  pied  de  2S0  livres 
trois  religieuses  qu'elles  ont  exilées.  Nous  n'avons 
dressé  ce  bilan  que  pour  faire  connaître  de  la 
vie  monastique  sous  Louis  XIV  le  côté  réaliste, 
qu'on  a  généralement  laissé  dans  l'ombre. 

M.  Lambert  de  Sainte-Croix,  ancien  notaire,  a 
la  bonté  de  nous  communiquer  des  notes  sur  l'état 
de  la  fortune  immobilière  de  cet  établissement  reli- 
gieux lors  de  sa  suppression.  Ce  sont  deux  bor- 
dereaux de  pièces  reçues  à  titre  officiel  le  12  avril 
1719  par  le  citoyen  Balduc,  au  nom  de  la 
Nation  : 

BAUX  DES   MAISONS 

appartenantes  aux  Dames  Religieuses  Bénédictines  de  TAdo- 
ration-PerpéiupUe-du-Saint-Sacrement,  établie  Rue  Cassette^ 
à  Paris. 

BAUX   A    VIE. 

1°  (rue  Cassette),  à  M.  L'abbé  de  St-Simon, 
moj-ennant  la  somme  de  trois  mille  livres 
par  chaque  année  tant  que  durera  sa  jouis- 
sance, par  Bail  passé  devant  M^  Legrasen 
datte    du  9   avril    177G 3,000..»..» 

20  (rue  Cassette),  à  M.  L'abbé  du  Cusac, 
moyennant  la  somme  de  sept  cent  livres  par 
an  et  mille  livres  argent  coraplant,  passé 
devant   Me  Sauveige  le    14  juillet   1783.     .     .       700..»..» 

30  (rue  Cassette),  à  M.  Le  comte  d'Hu- 
nolstein,  moyennant  la  somme  de  quatre 
mille  livres  par  au,  passé  devant  M^  Fou- 
cault de   Pavant  le   31     octobre  1787.     .     .     4,000..»..» 

A  reporter.  7,7001. .«. .» 


RUE  CASSETTE.  277 

Report.  7,700'..». .» 

BAUX    A    LOYER. 

1»  (rue  Cassette),  à  M.  Bouttart,  moyen- 
nant la  somme  de  trois  cent  cinquante  livres 
par  an,  passé  devant  Me  Legras  le  26  juin 
1781 350..>..'> 

2°  (rue  Cassette,)  à  Mad.  La  comtesse  de 
Gravier,  moyennant  la  somme  de  trois  mille 
livres  par  an,  passé  devant  M«  Foucault  le 
19  septembre  1786,  cy 3,000..»..» 

3°  (rue  Cassette),  à  M.  Peytouraud,  moyen- 
nant la  somme  de  quinze  cent  livres  par 
an,  passé  devant  M«  Foucault  le  S  avril 
1788 1,500..>^..» 

40  (rue  Cassette),  à  M.  Petit-Blée,  de  la 
somme  de  cinq  cent  livres  par  an,  passé 
devant  M»   Foucault  le  9  mai  1788.     .     .     .       500..>..» 

50  (rue  Cassette),  à  M.  Le  marquis  d'Estou- 
teville,  moyennant  la  somme  de  quatre 
mille  cinq  cent  livres  par  an,  passé  devant 
Me  Foucault  de  Pavant  le  6  septembre 
1788 4,500..».. 

6°  (rue  du  Cherche-Midi),  Mad.  Despart, 
moyennant  la  somme  de  huit  mille  livres 
par  an,  passé  devant  M»  Foucault  de  Pavant. 
Cy 8,«00...... 

7°  (pour  une  ferme  dite  de  Cramillon, 
située  en  la  paroisse  de  Bully,  près  Neuf- 
chatel)  au  sieur  Mesteil,  moyennant  la  somme 
de  mille  livres  par  an,  passé  devant  M^  Rose, 
notaire  audit  Neufchatel-en-Bray,  le  15  mai 
1782 l.OOO..»..» 


Total.  26,550..»,.» 
Reçu  les  pièces  cy-dessus   ce  12  avril  1701. 

Balduc,  chef. 

18 


278  RUE  CASSETTE. 

CONTRATS  DE   RENTES 

sur  la  Ville  de  Paris  appartenantes  aux  Dames  Religieuses 
(lu  Saint-Sacrement,  rue  Cassette,  faub.  St-Germain. 

lo  coatrat  de  375  livres,  passé  devant 
Me  Jourdain  le  5  avril  1731.  M.  de  la  Bou- 
traye,   payeur 375..»..» 

io  contrat  de  ÎOO  1.,  passé  devant  ledit  M^ 
Jourdain  le  29  mars  1721,  et  légué  à  la 
communauté  par  la  Sœur  Rollin,  lors  Tou- 
rière,  pour  la  profession  de  Marie-Anne  de 
La  Charlonie,  dite  Saint-Jean.  L'acte  de 
profession  de  ladite  dame  est  en  date  des  26 
et  27   septembre  1735.  M.  Bouillard,    payeur.       200..»..» 

3°  contrat  de  125  1.,  passé  devant  M^ 
Desptaces  le  17  mai  1721.  M.  Radix-Chevillon, 
payeur 125..»..» 

40  autre  de  88  1  ,  réduit  à  55,  passé  devant 
Me  Jourdain  le  22  octobre  1715,  enregistré 
à  l'Hôtel-de-Ville  le  23  octobre  1720.  M.  Nau 
de    Sainle-Marie,    payeur 55.."..» 

50  îautre  |de  165  1.,  passé  au  profit  de 
Di'e  Charlotte  Fayette,  fille  majeure  et  M''* 
Léon  Fayette  devant  Me  Dionis  le  jeune, 
notaire,  le  13  décembre  1720,  cédé  et  trans- 
porté à  la  communauté  par  M""  et  M"e  Fayette 
par  acte  du  15  mai  1741,  passé  devant  M* 
Jourdain  le  7  novembre,  mais  qui  n'a  été 
délivré  que  le  deux  août  1753.  M.  Defrance, 
payeur 165..»..» 

60  autre'de  650  1.,  passé  devant  M*^  Desplaces 
le  28  novembre  1720.  M.  Lempereur,  payeur.       650..»..» 

70  contrat  de  100  1.,  passé  devant  M^ 
Desplaces  le  même  jour,  28  novembre  1720. 
M.     Lempereur,     payeur lOO..»..» 

8°  autre  de  8(*7  1.,  passé  devant  M^  Jourdain 
le   22  novembre    1720.    M.    Cochin,   payeur.       807..»..» 

A  reporter.  2,477'..»..» 


RUE  CASSETTE.  279 

Report.  2,47/'.  .o..» 

90  autre  du  2G  juin  17-21,  de  125  1.,  passé 
devant  le  M*  Jourdain.   M.  Cochiu,  payeur.       125..»..» 

10°  deux  autres  de  250  1.  chacun,  passés  au 
profit    de    M.     Ponlie,     citoyen    de   Milan,  *' 

devant  M"  Foucault,  notaire,  le  9  novembre 
1720,  et  à  nous  cédés  et  transportés  par  les 
actes  du  27  juin  1727  et  lettre  de  ratifica- 
tion en  date  du  17  juillet  1727,  lesdits 
actes  de  transports  passés  devant  M^  Jour- 
dain ledit  jour,  27  juin  1727.  M.  Pauchin, 
payeur 500..»..» 

11»  autre  de  SOO  1.,  à  preudre  en  un  de 
1200,  passé  au  profit  de  Dlle  Darlons 
devant  M»  Lormier  le  6  septembre  1720  et 
à  nous  transporté  par  acte  passé  devant  M^ 
Jourdain  le  1er  mars  1752,  et  auquel  est 
annexé  un  autre  acte  passé  devant  M«  Lormier 
en  datte  du  26  octobre  1717  concernant  le 
testament  de  M  Dominique  Darlons.  M. 
Pauchin,  payeur 300..»..» 

12°  autre  de  125  1.,  passé  devant  M« 
Foucaud  au  profit  de  Gedeon  Mallet  le  8 
mars  1721  et  reconstitué  au  profit  de  Dlle 
Marie-Emilie  Fauconnier  par  contrat  du  .31 
octobre  1777,  passé  devant  Me  Thirion,  et 
à  nous  cédé  et  transporté  par  acte  du  17 
janvier  1778,  passé  devant  M«  Legras.  M. 
Maupetit,  payeur 125..»..» 

13°  autre  de  212  1.,  8  sols,  constitué  au  profit 
de  Nicolas  Manpin  par  contrat  passé  devant 
M»  Junot  le  7  juin  1721  et  reconstitué  au 
profit  de  Marie-Emilie  Fauconnier  pur  contrat 
passé  devant  M«  Thirion  le  26  janvier  177G, 
et  à  nous  transporté  par  acte  passé  devant 
Legras  le  19  janvier  1778.  M.  Legras, 
payeur.    ..      .     .     .  ' 212..»8s«. 

A  reporter.  3,7391. .b8s» 


280  RUE  CASSETTE. 

Report.  3,739'.. »8s» 

140  quittance  de  finance  sur  la  généralité 
et  Élection  de  Paris,  de  83  1.,  en  date  du 
31  octobre  1722  et  enregistrée  au  contrôle 
général  des  finances  de  France  le  10  décem- 
bre 1722  et  registrée  au  bureau  des  finances 
de  Paris  le  II  janvier  1733.  Cette  rente  à 
été  créée  par  Éiit  du  mois  d'août  1720.  M. 
Chauchat,  payeur 83..«..» 

15°  expédition  d'une  rente  de  50  livres, 
sur  l'ancien  clergé,  constituée  le  17  octobre 
1571  à  Nicolas  Rondeau  et  réduite  à  15  livres. 
M.  Faucher,  payeur 15..>..» 

16»  autre  expédition  d'un  contrat  de  17  1., 
10s  réduit  à  5  1.,  et  constitué  le  7  septem- 
bre 1564  à  François  Buchau.  M.  Roberge, 
payeur 5..  5..» 

Total.  3.842.13..» 

Reçu  les  pièces  cy -dessus  ce  12  avril   1991. 

Baldu®,   chef. 

De  ce  couvent  il  reste  en  grande  partie,  aux 
n"^  18,  20,  22  et  24  de  la  rue  Cassette,  les  bâti- 
ments et  les  jardins,  qui  furent  adjugés  aux  enchères 
du  14  fructidor  et  du  27  prairial  an  vi.  La  comtesse 
de  Bury  jouissait  du  18,  et  la  marquise  de  Chau- 
vallon  du  20,  comme  locataires-  des  religieuses, 
au  commencement  du  xyu!*"  siècle.  L'aéronaute 
M"*  Blanchard,  qui  périt  en  1820  dans  l'exercice 
de  son  art,  habita  au  n°  20  l'ancienne  galerie 
de  la  chapelle.  Nous  revoyons  son  appartement 
quand  nous  rendons  visite  au  docteur  Caltois, 
l'archéologue.  Le  détenteur  actuel  du  22  est  M. 
Hersent,  de  l'Institut.  Ce  peintre  de  l'école  classi- 
que, pour  faire  le  portrait  de  Louis-Philippe  et 
de  plusieurs  membres   de  sa   royale    famille,    a 


RUE  CASSETTE.  281 

reçu  plusieurs  visites  de  ses  modèles.  M"*  Hersent, 
qui  a  ouvert  elle-même  un  atelier  pour  enseigner 
aux  dames  la  peinture,  en  a  confié  la  direction 
à  M""*  Dénos,  une  de  ses  meilleures  élèves,  et 
M.  Galimard  y  succède  à  M"""  Dénos.  L'atelier  de 
cet  auteur  d'une  Léda  célèbre  domine  la  place 
qu'occupait  la  chapelle. 

Maintenant,  qu'est-ce  que  le  27,  de  l'autre  côté 
de  la  rue?  Il  ne  faisait  qu'un  autrefois  avec  le 
numéro  suivant,  où  M.  Le  Glère,  éditeur,  n'a  aucun 
loyer  Ji  payer.  Un  autre  grand  libraire,  M.  Tou- 
louse, tient  de  M.  Dufougerais,  qui  a  été  rédac- 
teur de  la  Mode,  représentant  du  peuple  et  avocat, 
le  n*  33,  qui,  ainsi  que  le  31,  dépendait  de  l'an- 
cien Noviciat  des  Jésuites,  dont  nous  avons  parlé 
rue  Bonaparte.  Lors  de  la  suppression  de  l'ordre, 
en  1763,  M.  Alaume  de  Tril  fit  l'acquisition  de  la 
propriété,  puis  il  la  légua  à  sa  cousine.  Un  des 
hôtels  Mole  se  retrouve  ensuite,  occupé  par 
M.  Dodun,  qui  y  conserve  le  magnifique  portrait 
de  Dodun,  marquis  d'Herbault,  contrôleur  des 
finances,  peint  par  Rigault;  toutefois,  en  1677, 
Antoinette  Dollebeau,  veuve  de  Raoul  Le  Boutin 
de  Bellevue,  donnait  ce  bâtiment,  dont  l'escalier 
et  la  rampe  sont  superbes,  ci  l'hôpital  de  Sainte- 
Reine,  en  Bourgogne.  Immédiatement  après,  un 
chef  d'institution  tient  ses  élèves  dans  le  petit 
hôtel  Cossé-Brissac,  où  sont  reproduits  encore, 
dans  un  cabinet,  les  traits  de  plusieurs  maîtres 
du  logis. 

Et  le  41,  sur  quelle  résidence  se  repliaient  les 
battants  de  sa  large  porte  ?  Sur  une  propriété  con- 
ventuelle, dit  la  tradition  orale.  Mais  M.  Arache- 
quesne,  maire  de  Compiègne,  veut  bien  nous 
adresser  la  liste  des  locataires  notables  qu'elle 
a  comptés  depuis  la  Révolution  :  Lebrun,  consul  ; 
M.  le  comte  de  Montalivet,  M.  de  Vergés,  M™' 
de    Rostopchin,    enfin  M'i'^  Corneille,  qui  a  dû  à 


282  RUE  CASSETTE. 

ce  glorieux  nom  d'être  assistée  par   le  Théâtre- 
Français    et  par  la    reine  Amélie. 

Que  si  de  gauche  nous  revenons  à  droite  pour 
tout-k-fait,  nous  en  étions  au  n°  26,  où  commen- 
çait le  vaste  territoire  des  carmes  de  la  rue  de 
Vaugirard.  Ces  pères,  lorsqu'on  défendit  aux 
grandes  communautés  d'acquérir  de  nouveaux 
terrains,  pouvaient  se  contenter  de  la  place  qu'ils 
avaient  déjà  au  soleil  ;  ils  en  prirent  de  quoi 
faire  bâtir  l'un  après  l'autre  des  hôtels  sur  la 
rue  Cassette.  Nous  allons  donc  en  rencontrer  qui 
ont  une  origine  commune.  Le  marquis  de  Con- 
tades  a  succédé  h  des  carmélites,  sous  la  Res- 
tauration, au  n"  26.  Encore  un  éditeur  notable, 
M.  Parent-Desbarres,  au  n"  28,  propriété  adjugée  sous 
la  première  république  à  la  famille  de  Dubois,  pré- 
fet de  police!  Par-derrière  c'est  une  villa,  où  une 
pelouse,  des  fleurs  et  des  arbres  rafraîchissent 
agréablement  la  vue  du  citadin. 

Un  académicien,  ancien  ministre,  le  comte  de 
Salvandy,  est  mort  l'année  dernière  dans  la  maison 
d'après,  qui  était  déjà  sienne  avant  1830.  L'im- 
meuble en  formait  alors  deux.  Dans  les  apparte- 
mens  miroitent  des  glaces  sur  un  fond  de  papier 
peint,  qu'il  suffira  d'enlever  pour  qu'elles  s'enca- 
drent de  belles  arabesques.  M""'  de  Salvandy,  en 
faisant  recouvrir  avec  précaution  cette  décoration, 
passée  de  mode  sous  le  dernier  règne,  a  donné 
une  nouvelle  preuve  de  bon  goût  et  de  prévoyance  : 
le  temps  est  déjà  venu  de  relever  le  rideau. 
M.  de  Salvandy  avait  eu  pour  prédécesseur  un 
autre  homme  littéraire  qui,  comme  lui,  avait  joué 
un  rôle  politique  et  participé  au  pouvoir:  c'était 
Lebrun,  duc  de  Plaisance.  Tendons  même  une 
chaîne  à  la  porte,  si  vous  voulez,  comme  on  fait 
en  Espagne  quand  le  souverain  est  entré  quelque 
part!  Napoléon  a  dîné  chez  Lebrun.  Seulement  le 
troisième  consul  était  encore  le  collègue  dupre- 


RUE  CASSETTE.  283 

mier,  et,  en  sa  qualité  de  traducteur  d'Homère, 
il  tenait  de  longs  discours,  comme  les  héros  de 
ce  poète,  au  lieu  de  venir,  de  voir  et  de  vaincre 
à  la  fois  comme  le  César  des  temps  modernes. 
Il  s'agissait  rue  Cassette,  ce  jour-là,  d'une  mesure 
à  prendre  rapidement,  au  sujet  de  laquelle  l'élo- 
quence de  l'amphytrion  s'était  exercée  sans  con- 
clure. —  On  voit  bien,  dit  Napoléon,  que  le 
consul  Lebrun  a  été  de  la  Constituante  ;  il  en 
garde  l'idéologie. 

Ici  commence  sur  le  plan  de  Paris  en  1652 
un  mur,  qui  ne  finit  qu'avec  la  rue.  Mais  la  spé- 
culation immobilière  des  oarmes  est  encore  loin 
de  toucher  h  son  terme,  et  trois  hôtels  de  plus 
surgissent  bientôt  sur  la  lisière  de  leur  domaine  : 
de  beaux  jardins  les  accompagnent  toujours. 

Plaise  à  l'ami  lecteur  d'en  recomiaître  un  da»s 
le  n"  38,  qui  a  plus  d'une  fois  chan|fé  de  nom.  Ah  ! 
comme  l'on  vantait,  sous  Lousis  XÎV,  l'eMablement 
dorique  qui  couronnait  son  édifice,  et  la  commo- 
dité de  l'habitation,  et  ses  murronHiers,  jeunes 
alors,  et  la  belle  grille  en  fer  séparant  la  cour 
du  jardin  !  Germain  Brice,  dans  sa  Description 
de  Paris,  dit  la  date  de  la  construction  :  1704.  Mais 
les  dispositions  architecturales  ont  été  modifiées  par 
le  dernier  gouverneur  de  Paris,  M.  de  Brissac,  auteur 
du  pavillon  de  gauche,  dont  le  perron  a  disparu,  et 
qui  menait  à  la  salle  des  gardes  pavée  en  marbre  : 
de  chaque  côté,  à  la  porte  de  cette  salle,  il  y 
avait  un  grand  éteignoir,  qui  servait  à  éteindre 
les  torches  que  les  valets  de  pied  tenaient,  le 
soir,  derrière  les  voitures- 
Dans  de  Nouveaux  Essais  sur  Paris,  mis  au 
jour  en  1781  par  Chevalier,  dit  Du  Coudray,  je 
lis  que  l'hôtel  du  maréchal  de  Brissac  avait  été 
habité  par  le  marquis  de  Sachet  et  qu'il  y  donnait 
des  concerts  superbes  vers  1740.    Il    semblerait 


284  RUE  CASSETTE. 

que  des  musiciens,  ainsi  placés  entre  des  carmes 
et  des  bénédictines,  devaient  rarement  sortir  des 
oratorio  ;  mais  la  musique  profane  avait  aussi 
ses  entrées  chez  les  sœurs:  une  de  leurs  pen- 
sionnaires chantait  alors  mieux  qu'on  ne  chan- 
tait à  l'Opéra,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de 
payer  le  maximum  de  la  pension,  500  livres,  plus 
300  pour  sa  tille  de  chambre.  Il  paraît  même  que 
l'on  a  fait  longtemps  de  la  musique  chez  le 
marquis.  Un  Tableau  de  Paris  publié  sans  nom 
d'auteur  en  1763  cite  encore  le  marquis  de  Sache  de 
la  rue  Cassette  parmi  les  amateurs  qui  donnent 
à  Paris  des  concerts  réglés. 

Lors  des  massacres  de  Septembre,  le  jardin 
du  ci-devant  hôtel  du  gouverneur  a  servi  de  refuge 
à  l'abbé  Potel,  vicaire  de  Saint-Sulpice,  échappé 
de  la  prison  des  Carmes  ;  mais  cet  ecclésiastique, 
en  escaladant  la  muraille,  s'est  fait  une  blessure 
au  pied,  qui  l'a  estropié  pour  la  vie.  Vers  1808 
M.  d'Hinnisdal  a  acheté  la  propriété  ;  mais  M.  de 
Frémilly,  pair  de  France,  en  a  occupé  depuis 
une  portion,  et  il  y  a  donné  l'hospitalité  ci  un  poëte, 
Cordellier-Delanoue.  C'est  encore  le  nom  de  l'hôtel 
d'Hinnisdal  qui  brille  au-dessus  de  la  porte. 
Des  ancêtres  de  François  d'Hinnisdal,  fait  comte 
le  10  février  1723  par  l'empereur  Charles  VI,  avaient 
figuré  aux  Croisades  ;  le  baron  Jean-Herman  d'Hin- 
nisdal, seigneur  de  Ferfay  en  Artois,  brigadier 
des  armées  de  Louis  XIV,  avait  épousé  en  1714 
la  fille  du  marquis  de  Lillers. 

L'un  des  petits  hôtels  de  cette  rue  a  porté  le 
n"  de  section  914  et  eu  pour  locataire,  depuis 
l'année  1797  jusqu'à  l'année  1805  au  moins,  une 
dame  dont  la  vie  avait  été  tissue  de  malheurs 
romanesques.  Elle  était  née  en  1762,  fille  naturelle 
du  prince  de  Conti  et  d'une  duchesse  aussi  riche 
que  belle  ;  Versailles  et  Fontainebleau  l'avaient 
vue  descendre,  à  l'âge  de  huit  ans,  d'une  voiture 


RUE  CASSETTE.  285 

h  la  livrée  de  son  père,  ami  de  Jean-Jacques 
Rousseau,  et  elle  devait  être  légitimée,  pourvue 
d'un  apanage.  Mais  une  institutrice.  M""'  de  Lorme, 
d'accord  avec  la  mère,  dont  la  réputation  aurait 
souffert  d'une  réparation  si  éclatante,  avait  enlevé 
la  petite  fille  à  onze  ans  et  l'avait  cachée  à  Lons- 
le-Saulnier,  en  faisant  croire  au  prince  qu'une 
maladie  d'enfant  lui  avait  été  mortelle.  M""*  Delorme, 
qui  se  disait  sa  mère,  avait  amené  sa  victime  à 
Cliâlon-sur-Saone,  pour  la  marier,  nubile  à  peine  ; 
mais  la  jeune  fille  s'y  était  refusée,  en  essayant 
inutilement  de  fuir.  On  l'avait  laissée  porter  le 
deuil  de  Louis  XV  et  puis  du  prince  de  Conti, 
Il  l'abbaye  Saint-Antoine,  en  la  gardant  toujours 
à  vue  et  en  interceptant  ses  lettres  au  nouveau 
roi,  h  M""*  Elisabeth.  Son  mariage  avec  un  fer- 
mier s'était  enfin  conclu,  et  à  cette  occasion  la 
pension  de  12,000  francs,  qu'on  lui  servait,  avait 
été  portée  à  25,000.  Toutefois,  M'"«  Delorme  ayant 
cessé  de  vivre,  sa  prétendue  fille  avait  aussitôt 
demandé,  mais  sans  succès,  que  le  mariage  fut 
cassé.  Réduite  à  la  misère  par  la  Révolution, 
elle  avait  donné  pour  vivre  jusqu'à  des  leçons 
de  mathématiques,  avant  d'obtenir  du  Directoire 
une  pension  de  200  francs  par  mois. 


Rue    8ug:er.  (i) 


Le  Cimetière.  —  Le  Collège  de  Boissi.  —  Chasse- 
bras  de  Cramailles.  —  L'Epouse  fouettée.  —  La 
Maison   du  Chapitre. 

Le  célèbre  ministre  des  rois  Louis  VI  et  Louis 
VII,  dont  la  maison  de  ville  touchait  à  Saiat- 
Merri,  en  eut  une  de  campagne  sur  la  terre  de 
Laas,  vignoble  qui  s'étendait  entre  la  porte  de 
Nesle,  celle  de  Saint-Germain,  les  murs  de  l'uni- 
versité et  la  rue  de  la  Huchette.  Néanmoins  la 
rue  qui  s'ouvrit  près  de  cette  villa,  ou  sur  son 
emplacement,  fut  dite  des  Sachettes  ou  des  Sache- 
tiers,  à  cause  d'un  couvent,  qui  se  ferma  au 
milieu  du  xiv^  siècle.  D'autres  effets  de  couleur 
locale  la  firent  appeler  ensuite  des  Deux-Portes 
et  du  Cimetière-Saint-André  pendant  environ  cinq 
cents  ans.  Vers  le  n"  13,  que  vous  y  voyez,  est 
indiquée  sur  le  plan  de  Gomboust  l'entrée  du 
cimetière  de  l'église  Saint-André-des-Arts.  L'inscrip- 
tion municipale  en  consacra  le  souvenir,  après  la 
suppression  de  l'église  et  de  son  champ  semé  de 
tombes  ;  mais  sur  la  demande  des  habitants,  en 
l'année  1844,  l'estampille  se  modifia.  Elle  évoqua 
le  nom  du  ministre  Suger,  abbé  de  Saint-Denis, 
qui  par  hasard  avait  été  chez  lui  au  milieu  de 
l'ancienne  terre  de  Laas.  Mais,  sans  cette  circons- 
tance, nous  aurions  préféré  un  autre  nom,  rappe- 
lant une  fondation  trop  peu  connue,  qui  se  rattache 
plus  directement  à  l'origine  de  plusieurs  immeubles 
de  la  rue. 


(1)  Notice  écrite  eu  1861. 


RUE  SUGÉR.  287 

Sous  le  règne  de  Jean-le-Bon,  le  testament  nuncu- 
patif  de  Godefroy  de  Boissi,  chanoine  de  Chartres, 
ordonnait  d'employer  en  bonnes  œuvres  le  prix 
de  son  hôtel,  à  présent  le  n"  8  ou  12  de  la  rue, 
et  de  quelques  autres  maisons,  plus  un  assez 
grand  nombre  de  petites  rentes,  au  profit  de 
pauvres  de  Paris  et  de  Boissi-le-Sec,  près  Etampes, 
pays  natal  du  donateur.  Ses  exécuteurs  testamen- 
taires étaient  Etienne  Visé  de  Boissi,  clerc  du 
roi,  chanoine  de  Laon,  puis  de  Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  neveu  du  défunt  ;  Guy  Lesueur,  Jean 
Quatre-Deniers  et  Jacques  Vie  de  Foresta. 

A  leur  diligence  est  fondé  le  collège  de  Boissi 
pour  sept  écoliers,  dont  un  chapelain,  avec  un 
domestique  pour  les  servir,  dans  la  dernière  habi- 
tation de  feu  Godefroy.  Mais,  le  jour  même  où 
l'acte  y  relatif  se  passe,  Etienne  Vidé  donne  de 
son  chef  aux  mêmes  écoliers,  sous  la  même  forme 
authentique,  son  domaine  de  Nantouillet,  ses  livres 
de  droit  canonique  et  civil,  un  lit  garni  pour 
chacun  des  boursiers  et  de  nouvelles  rentes,  ainsi 
que  trois  autres  maisons  :  l'une,  rue  Saint-André- 
des-Arts,  qu'il  habite  et  qu'habitait  précédemment 
son  oncle,  de  qui  il  la  tient  ;  une  autre,  dite  le 
Château-Gaillard  et  dont  l'origine  est  la  même, 
sise  dans  la  rue  qui  nous  occupe  ;  puis  une  troi- 
sième, attenante  à  la  seconde,  quoiqu'elle  ait  son 
entrée  principale  rue  des  Poitevins.  Seulement 
ce  donateur  se  réserve  la  jouissance  viagère  de 
tout  ou  partie  desdits  biens  mobiliers  et  immobi- 
liers ;  c'est  pourquoi  le  nombre  des  écoliers  ne  se 
trouve  que  pour  l'avenir  porté  h  douze,  outre  le 
principal  et  le  chapelain,  aux  termes  des  statuts 
approuvés  le  7  mars  1358-59  par  les  recteur, 
doyens,  procureurs  et  députés  de  l'université  de 
Paris.  La  collation  aux  bourses  est  déférée  au 
chancelier  de  cette  université  et  au  prieur  des 
chartreux  conjointement  ;  ils  y    devront  nommer, 


888  RUE  SUGER. 

par  préférence,  des  membres  de  la  famille  des 
fondateurs,  des  sujets  de  Boissi-le-Sec  ou  des 
villages  environnants,  ou  nés  sur  la  paroisse  de 
Saint-André  des-Arts,  mais  à  la  condition  expresse 
que  les  élus  soient  pauvres  et  de  basse  extrac- 
tion, comme  les  fondateurs  :  «  non  nobiles,  sed 
de  humili  plèbe  et  pauperes,  sicut  nos  et  prede- 
cessores  nostri  fuimus.  »  Trois  de  ces  écoliers 
étudieront  en  grammaire,  trois  en  philosophie, 
trois  en  droit  canon  et  trois  en  théologie  ;  les 
grammairiens  devront  être  en  état  d'expliquer  Donat 
et  Caton  ;  tout  boursier  qui  ne  travaillera  pas 
sera  exclu  ;  le  Château-Gaillard'  est  le  siège  déli- 
nitif  affecté  à  l'établissement,  dont  le  local  provi- 
soire sera  donné  à  bail  une  fois  libre.  Au  bout 
de  peu  d'années  Etienne  Vidé  cesse  de  vivre,  après 
avoir  confirmé  et  complété  sa  donation  en  nom- 
mant le  collège  son  légataire  universel  et  en  char- 
geant non-seulement  le  chapelain  de  l'établisse- 
ment, mais  encore  le  curé  de  Saint- André-des-Arts, 
moyennant  une  somme  de  20  sols  parisis,  de 
dire  des  messes  pour  l'oncle  et  le  neveu. 

D'autres  bienfaiteurs  suivent,  en  divers  temps, 
l'exemple  de  Godefroy  et  d'Etienne.  Guillaume  de 
Melun,  archevêque  de  Sens,  abandonne  aux  bour- 
siers en  1364  la  terre  des  Lombards,  acquise  de 
Colinet  de  Metz  deux  ans  avant,  au  village  de 
Rubel,  et  45  arpens  sis  à  Vingneuf.  Jean  Boileau, 
chanoine  de  Thérouanne,  lègue  une  maison  rue 
des  Poitevins,  grevée  d'une  usufruit  au  profit  de 
la  famille  Bréban.  Jean  Guillard,  prêtre  et  ancien 
principal  du  collège,  est  resté  débiteur  de  l'établis- 
sement ;  il  acquitte  sa  dette  par  l'abandonnement 
d'une  maison  rue  des  Poitevins,  puis  il  en  donne 
trois  autres  sises  dans  la  même  rue,  en  1417, 
à  charge  de  messes  à  dire  dans  la  chapelle.  Benoît 
de  Maillac  exerce  la  principauté  sous  le  règne  de 
François  \*\  et  Charles  Dulis,  fils    d'un    avocat- 


RUE  SUGER.  189 

général  à  la  cour  des  aides,  au  commencement 
du  règne  de  Louis  XIII,  avec  Nicolas  de  Martineau, 
conseiller  et  aumônier  du  roi,  protonotaire  du 
Saint-Siège,  pour  chapelain.  Un  de  leurs  succes- 
seurs, Gervais  Lenoir,  sieur  de  Maulone,  fonde 
le  17  mars  1655  un  lit  aux  Incurables,  k  la 
nomination  du  principal  de  Boissi  et  du  curé 
de  Saint-André-des-Arts,  pour  un  pauvre  du 
village  de  Boissi-le-Sec,  ou  des  environs,  ou  bien 
de  la  paroisse  Saint-André-des-Arts. 

Malgré  des  apports  successifs,  la  fortune  de  la 
communauté  pédagogique  suit  une  marche  quel- 
que peu  décroissante  :  des  rentes  se  sont  perdues, 
d'autres  ont  été  réduites,  et  à  plusieurs  reprises 
il  a  fallu  sacrifier  une  propriété  pour  subvenir 
à  l'entretien  des  autres  ;  c'est  pourquoi  le  nombre 
des  boursiers  n'a  que  rarement  atteint  le  chiffre 
déterminé  par  les  actes  constitutifs.  La  généalo- 
gie des  fondateurs  est  dressée  en  présence  des 
collateurs,  le  19  juillet  1673,  et  bien  qu'on  y 
voie  figurer  seigneurs,  gens  de  robe  et  militaires, 
à  côté  de  marchands,  d'artisans  et  de  laboureurs, 
tous  les  membres  vivants  de  cette  famille  à  bran- 
ches divergentes  sont  dans  une  condition  modeste  : 
«  l'un  a  dételé  le  matin,  l'autre  l'après-dîner  »  cons- 
tate le  généalogiste.  Conformément  aux  vœux 
d'Etienne  Vidé,  chaque  fois  qu'il  y  a  une  vacance 
à  remplir,  à  mérite  égal  on  préfère  au  pauvre 
un  plus  pauvre.  L'œuvre  est  fortifiée  de  nouveaux 
statuts,  fidèles  à  ce  principe,  le  16  août  1680  : 
les  bourses  sont  réduites  provisoiremeut  à  sept, 
y  compris  celle  du  principal,  qui  se  nomme  aux 
voix,  ainsi  que  celle  du  chapelain,  et  ces  deux 
bourses  comptent  double;  la  durée  des  études 
est  fixée  à  sept  ans,  avec  faculté  de  prolongation 
pour  prendre  le  degré  de  licence  et  puis  le  bon- 
net de  docteur.  La  suppression  d'une  bourse  a 
encore  lieu  pendant  le  règne  de  Louis  XIV,  par 


290  RUE   SUGER. 

mesure  d'économie  ;  heureusement  elle  se  trouve 
rétablie,  le  9  février  1717,  par  le  legs  d'une 
rente  de  400  livres  sur  les  aides  et  gabelles,  due 
au  prêtre  Guillaume  Hodey,  qui  a  été  36  ans 
principal.  Il  est  vrai  que  le  testateur  impose  de 
chanter  vêpres  désormais  tous  les  jours  fériés,  et 
que  cette  condition  porte  la  communauté  à  refuser 
d'abord  l'allocation  ;  mais  une  sentence  du  Châ- 
telet  rend  la  charge  moins  onéreuse  et  facilite 
l'acceptation  du  legs  conditionnel.  Par  exemple, 
le  collège  refuse  absolument,  trois  ans  plus  tard, 
500  livres  de  rente  attachées  par  la  baronne  de 
Milleville  à  une  nouvelle  fondation  de  messes, 
avec  nomination  de  chapelain  réservée  à  la  famille 
de  la  donatrice:  ladite  fondation  est  transportée 
à  la  chapelle  Saint-Côme,  située  près  des  Gor- 
deliers. 

Le  principal  est  Ghevillard  au  milieu  du  xvni^ 
siècle.  Les  biens  de  ville,  fermes  et  rentes  du 
collège  rapportent  encore  5,000  livres  en  1762, 
et  ses  charges,  tant  en  bourses  et  messes  qu'en 
droits  de  cens  et  frais  ordinaires  d'entretien,  ne 
s'élèvent  pas  tout-à-fait  à  cette  somme.  Néanmoins 
les  boursiers  de  Boissi  sont  déversés,  comme 
ceux  de  plus  de  vingt  autres  petits  collèges  de 
Paris,  à  Louis-le-Grand.  L'ancien  Ghâteau-Gaillard, 
qu'ils  occupent  depuis  cinq  siècles,  est  vendu 
dès  l'année  1764  ii  M.  Le  Juge  de  Bouzonville 
par  MM.  Gochin,  conseiller  au  parlement,  Vallette, 
ancien  recteur  de  l'université,  et  l'abbé  Fourneau, 
ancien  recteur  également,  tous  les  trois  adminis- 
trateurs des  biens  des  petits  collèges  supprimés. 
Un  horloger  nommé  Voisin  reçoit  le  prix  du  même 
immeuble,  en  l'an  IX  de  la  République,  des  mains 
de  M.  Vivant,  père  du  propriétaire  actuel.  G'est 
le  n°  3  de  la  rue  Suger.  L'ancienne  chapelle  du 
collège  y  sert  de  magasin  à  un   brocheur. 

Outre  la  bibliothèque  du  collège  de  Boissi,  on 


RUE  SUGER.  291 

citait  dans  la  même  rue,  avant  la  fin  du  xvii^ 
siècle,  la  bibliothèque  de  Chassebras  de  Cramailles. 
L'hôtel  de  ce  particulier,  riche  également  d'une 
collection  de  curiosités  d'Italie  et  du  Levant,  d'es- 
tampes, de  monnaies,  etc.,  faut-il  le  voir  dans 
le  n°  16,  où  depuis  1818  on  fait  de  l'encre,  ou  bien 
dans  le  n°  7,  qui  a  porté,  dit-on,  la  dénomination 
d'hôtel  Serpente?  Si  le  petit  musée  avait  été  au 
n"  5,  qui  a  conservé  des  sculptures  et  une  jolie 
rampe  de  fer,  ne  l'aurait-on  pas  désigné  comme 
contigu  au  collège? 

L'une  à  coup  sûr  des  trois  maisons  avait  été 
habitée  avant  Chassebras  de  Cramailles  par  Nicolas 
Cotignon,  sieur  de  Chauvry,  conseiller  au  parle- 
ment, puis  président  de  la  cour  des  monnaies. 
Ce  magistrat  tenait  de  son  père,  secrétaire  des^ 
commandements  de  la  régente  Marie  de  Médicis/ 
la  terre  de  Chauvry,  près  de  Montmorency.  Il  avait 
épousé  une  jolie  brune,  petite  femme  d'un  esprit 
vif,  née  Rambouillet,  à  laquelle  il  osa  une  fois 
administrer  une  correction  paternelle  pour  une 
simple  désobéissance.  Les  préliminaires  de 
cette  exécution  inusitée  annonçant  plutôt  des 
caresses,  quelle  surprise  pour  la  jeune  femme  ! 
Comment  désarmer  son  bourreau  ?  Inutile  de  verser 
des  larmes,  qu'il  n'aurait  pas  même  vu  couler  ! 
Ce  qu'elle  montrait  de  bonne  grâce  parlait  encore 
mieux  en  sa  faveur,  mais  hélas  !  en  pure  perte. 
Heureusement  elle  aimait  son  mari  à  ne  lui  en 
vouloir  que  d'infractions  à  la  foi  conjugale  ;  telle 
était  même  sa  jalousie  qu'elle  lui  défendait  de 
mettre  les  pieds  chez  sa  sœur  !  Tallemant  des 
Réaux,  notre  grand  conteur  d'historiettes,  avait 
épousé  cette  autre  M""  Rambouillet.  La  prési- 
dente Cotignon,  une  fois  veuve,  resta  dame  du 
village  de  Chauvry  jusqu'à  la  majorité  de  son  jeune 
fils. 

Un  immeuble  de  l'ancienne  rue   du    Cimetière 


292  RUE  SUGER. 

porte  actuellement  le  chiffre  14  sur  la  place 
Saint-André-des-Arts,  et  ce  fut  la  maison  capi- 
tulaire  de  l'église  à  laquelle  succède  ladite  place. 
On  y  remarque  les  sculptures  admirablement  con- 
servées de  deux  mansardes  qui  donnent  sur  la 
cour. 


Rue   (les  Poitevins,    (i) 


VHôtel  Panekoucke.  —  L'ancien  Bureau  du  Moni- 
teur. —  La  Maison  contiguë.  —  L'Hospice  de 
la  Paroisse  Saint- André-des- Arts, 

Comme  nous  dansions  chez  ce  M.  Panckouke, 
et  quels  grands  yeux  nous  ouvrions  sur  le  musée 
qu'on  appelait  son  hôtel  !  Il  avait  su  y  rassem- 
bler des  souvenirs  de  tous  les  âges  et  de  tous 
les  peuples,  en  travaillant  à  la  gloire  de  son  temps 
et  de  son  pays,  dont  il  réunissait  aussi  l'aris- 
tocratie politique,  littéraire  et  artistique,  sans  oublier 
celle  de  la  jeunesse. 

A  propos  de  belles  gravures,  et  de  vers  encore 
plus  beaux,  Voltaire  avait  écrit  ii  M.  Panekoucke 
père,  traducteur  de  Lucrèce,  de  l'Arioste  et  du 
Tasse,  ce  que  les  nombreux  hôtes  du  fils  lui 
répétaient  :  «  Je  vous  aime  encore  mieux  que 
tout  cela,  car  vous  êtes  fort  aimables,  vous  et 
madame  votre  épouse.  » 

Ce  fils  avait  été  secrétaire  du  Sénat,  position 
qu'il  avait  quittée  pour  prendre  la  direction  du 
Moniteur,  après  son  père,  et  pour  se  livrer  à  son 
tour  aux  grandes  entreprises  d'éditeur  qui  ne 
l'empêchaient  pas  d'être  peintre,  ainsi  que  plu- 
sieurs membres  de  sa  famille.  Le  Dictionnaire  des 
Sciences  Médicales,  les  Victoires  et  Conquêtes  dés 
Français,  la  Description  de  VÉgypte  et  la  Biblio- 
thèque Latine-Franraise ^  à  laquelle  l'éditeur  colla- 
bora comme  traducteur,   ainsi  que    son    fils,  M. 


(1)  Notice   écrite  en  1861. 

19 


294  RUE  DES  POITEVINS. 

Ernest  Panckoucke,  ont  soutenu  au  xix*  siècle  la 
réputation  d'une  maison  qui  avait  publié  au  siècle 
précédent  les  œuvres  de  Voltaire  et  de  Buffon  et 
V Encyclopédie  Méthodique  :  le  souvenir  en  a  été 
consacré  par  les  illustrations  d'un  des  plafonds 
de  l'hôtel,  par  des  meubles  figurant  de  petits 
monuments,  par  une  colonne  en  albâtre  sur  le  fût 
de  laquelle  on  a  gravé  les  noms  des  auteurs  et 
des  traducteurs  de  la  Bibliothèque  Latine  et  enfin 
par  quatre  médailles.  M.  Panckoucke,  ayant  voué 
un  culte  particulier  h  Tacite,  donnait  ce  nom  à  une 
salle,  et  puis  il  publiait  en  1839  une  Bibliographie, 
comprenant  1055  éditions  du  prince  des  histo- 
riens. La  mémoire  d'un  amour  illustre  a  été  honorée 
pareillement,  dans  la  salle  gothique,  par  un  curieux 
monument  :  un  fragment  d'une  côte  d'Héloïse  et 
un  fragment  du  crâne  d'Abélard  y  sont  gardés  dans 
un  reliquaire  de  bronze.  Parmi  les  peintures 
qui  décorent  les  plafonds  de  diverses  pièces,  il  en 
est  une  attribuée  â  Rubens  et  h  Jordaens,  dans 
la  plus  grande  pièce  du  rez-de  chaussée  :  on  y  voit 
représentés  un  satyre,  une  nymphe  et  trois  tigres 
jouant  avec  des  enfants.  Une  P allas  domine  la 
salle  voisine,  après  avoir  été  l'un  des  tableaux  de 
la  galerie  du  cardinal  Fesch.  D'autres  plafonds 
sont  tout-â-fait  modernes  ;  mais  les  deux  du  rez- 
de-chaussée  revêtent  surtout  des  peintures  du  xyu!*^ 
siècle. 

L'ancien  secrétaire  du  Sénat  n'a  personnelle- 
ment disposé  qu'en  1819  de  cette  belle  propriété, 
qui  appartenait  avant  lui  à  M.  Agasse,  son  beau- 
frère,  et  qui  avait  été  l'hôtel  de  Mesgrigny,  dans 
un  corps  de  logis  duquel  se  trouvait  déjà  instal- 
lée la  librairie  Buisson  au  moment  de  la  Révolu- 
tion. Sous  le  règne  de  Louis  XV,  on  appelait  la 
maison  hôtel  des  Étatsde-Blois.  Les  -députés  des 
États  de  Blois  y  avaient,  à  Paris  leur  lieu  de 
réunion.  M.  Panckouke,  ayant  le   tort  de    croire 


RUE  DES  POITEVINS.  295 

que  sa  maison  avait  été  construite  au  milieu  dudit 
règne,  a  commis  la  faute  d'en  convenir  dans 
une  brochure  publiée  en  1841.  Mais  un  escalier 
magistral  à  cage  carrée  et,  qui  plus  est,  les  ba- 
lustres  de  chêne  d'un  bout  d'escalier,  au  grenier, 
datent  au  moins  du  xvi''.  siècle,  qui  assista  li  plus 
d'une  convocation  des  États  de  Blois,  et  l'hôtel  des 
États  fut  aussi  un  hôtel  de  Thou  à  cette  époque. 
Il  avait  même  pour  origine  probable  le  logis  des 
parrains  de  la  rue  Guile-Queux,  ainsi  dite  du 
temps  de  saint  Louis,  appelée  au  siècle  suivant 
la  rue  Guillard-aux-Poitevins  et  longtemps  distincte 
de  la  ruelle  du  Pet,  qui  la  prolonge  de  nos 
jours  par  un  crochet  jusqu'il  la  rue  Serpente. 
L'immeuble  qui  appartient  encore  ci  la  famiBe 
Panckoucke,  n'est-ce  pas  tout-à-fait  la  seule  mai- 
son de  la  rue  qu'ait  pu  habiter  Chi-istophe  de 
Thou,  père  de  l'historien,  grand'père  du  conjuré 
que  le  cardinal  de  R-ichelieu  fit  périr  avec  Cinq- 
Mars?  Ce  premier  président  ne  poussait  pas 
l'austérité  trop  loin;  il  fut  le  premier  Parisien 
qui  se  donna  le  luxe  d'un  carrosse. 

Nous  n'ignorons  cependant  pas  qu'en  échange 
d'une  autre  maison,  assez  spacieuse,  Christophe 
de,  Thou  donna  au  collège  de  Boissi,  qui  la  tenait 
d'Etienne  Vidé,  une  rente  de  1S3  livres  13  sols  8 
deniers  sur  l'Hôtel-de-Ville,  le  4  mars  1559; 
nous  savons  même  que  ce  magistrat,  pour  parfaire 
la  constitution  de  cette  rente,  avait  sacrifié  sa 
vaisselle  d'argent  au  mois  de  mai  1554.  La  famille 
de  Thou  résidait  certainement  rue  des  Poitevins 
avant  la  mort  de  l'historien  qui  avait  joué  un 
grand  rôle  dans  les  événements  du  règne  de 
Henri  IV,  et  la  bibliothèque  de  Thou  y  fut 
fondée  ;  celle-ci  fut  vendue  en  1680  et  réunie  dans 
la  suite  à  la  bibliothèque  du  roi,  de  laquelle 
messire  de  Thou  avait  été  nommé  grand-maître 
en    1593.    Sylvie    de    Pierrevive,    chancelier   de 


296  RUE  DES  POITEVINS. 

l'église  et  de  l'université  de  Paris,  et  frère  Adam 
Ogier,  humble  prieur  de  la  Chartreuse  de  Paris, 
donnèrent  leur  autorisation,  comme  supérieurs- 
nés  du  collège  de  Boissi,  à  la  vente  de  16  toises 
de  terrain,  prises  sur  le  jardin  du  collège,  qui 
coûtèrent  aux  De  Thou,  le  27  août  1613,  480 
livres,  plus  une  nouvelle  rente  de  50  livres  sur 
l'Hôtel-de-Ville.  Cette  rente  fut  rétrocédée  en 
1654  à  Jacques-Auguste  de  Thou,  comte  de  Meslay, 
président  au  parlement,  ambassadeur  près  dès 
Étals-généraux,  et  ledit  frère  cadet  de  la  victime 
du  cardinal  constitua  en  échange  une  rente  sur 
son  hôtel,  rachetable  au  principal  de  800  livres. 
Mais  cette  rente  ne  reposait  en  aucune  sorte  sur 
l'hôtel  des  États-de-Blois,  elle  était  assise  sur  la 
propriété  que  la  famille  avait  acquise  du  collège 
de  Boissi,  et  divisée  en  grand  et  petit  hôtel  de 
Thou,  les  n°'  6  et  8  d'à  présent.  Gervais  Lenoir, 
principal  de  Boissi,  exerça  des  poursuites  en 
1669  ;  il  réclamait  des  arrérages,  il  se  portait 
même  opposant  h  la  vente  dudit  hôtel  de  Thou, 
par  suite  d'une  contestation  relative  à  un  jour 
de  mitoyenneté. 

Ces  deux  maisons  appartenaient,  un  siècle  après, 
l'une  à  Guillaume  de  Panthon,  ancien  capitaine 
au  régiment  de  Piémont,  et  l'autre  au  président 
de  Cotte.  Les  héritiers  Jamard  en  avaient  trois 
autres  dans  la  rue  à  la  même  époque,  et  ils 
tenaient  du  Levant  au  sieur  Le  Juge,  du  Couchant 
au  collège  Louis-le-Grand.  Dans  celle  du  prési- 
dent de  Cotte  se  trouvaient  réunis,  en  1787,  les 
bureaux  de  la  Gazette  de  France,  du  Mercure 
de  France,  du  Journal  de  Genève  et  de  VEncy- 
ciopédie  Méthodique  :  le  libraire  Panckouke  y  était 
établi.  Il  y  vendait  à  50,000,  tirage  fait  en  quinze 
jours  et  qui  semblait  alors  prodigieux,  le  fameux 
compte-rendu  de  Necker,  dit  conte  bleu  ù  cause 
de  sa  couverture.  Il    fut  également   l'éditeur   du 


RUE  DES  POITEVINS.  297 

Moniteur,  et  la  signature  du  journal  est  revenue 
sous  Louis-Philippe  à  son  petit-fils,  neveu  et 
successeur  de  M"'*  Agasse.  Les  ttureaux  et  l'im- 
primerie du  Moniteur  ont  occupé  un  demi-siècle 
cette  maison  de  la  rue  des  Poitevins,  vendue  il 
y  a  six  ans  par  les  Panckoucke  à  M.  Capiomont, 
constructeur  de  machines   typographiques. 

Dans  la  même  rue  avait  été  fondé  par  Desbois 
de  Rochefort,  dernier  curé  de  Saint-André-des- 
Arts,  un  hospice  pour  huit  malades,  desservi  par 
quatre  sœurs,  avec  une  salle  d'asile  pour  des 
petites  filles,  qu'on  y  nourrissait  en  leur  apprenant 
à  liler. 


Rue  IScrpciite.  (i) 


Hôtel  de  la  Serpent.  —  Panchoucke.  —  Le  Père 
d'Helvctius.  —  Les  de  Bures.  —  Les  Raoux.  — 
Les  Collèges.  —  Catelan.  —  Hôtels  d'Henneval 
et     du    l'illet. 

Avant  d'habiter  l'ancien  hôtel  des  États-de-Blois, 
rue  des  Poitevins,  feu  31.  Panckoucke  demeurait 
rue  Serpente.  De  plus,  nous  croyons  que  son 
père,  fils  lui-même  d'un  libraire  de  Lille  qui  avait 
écrit  VArt  de  desopiler  la  Raie,  y  ouvrit  le  salon 
dont  l'influence  marquait  à  la  fin  du  règne  de 
Louis  XVJ.  3Lais  on  se  bornait  alors  à  indiquer 
le  bureau  de  la  Collection  des  Mémoires  jarticu- 
liers  de  VHistoire  de  France  dans  cette  autre 
maison  Panckoucke,  dont  la  grande  porte  cintrée 
se  retrouve  rue  Serpente,  entre  le  boulevard 
Sébastopol  et  la  rue  Hautefeuille,  et  qu'on  appe- 
lait de  longue  date  hôtel  Serpente.  La  cour  en 
est  carrée,  et  l'escalier  principal  à  balustres. 
Nous  y  reconnaissons  une  portion  de  l'hôtel  que 
l'abbé  et  les  religieux  de  Fécamp  entretenaient  i» 
Paris  sous  Philippe  de  Valois,  manoir  que  l'en- 
seigne d'une  Sirène  avait  déjà  lait  dire  de  la 
Ser])ent.  La  rue  de  la  Serpent,  en  ce  temps-là, 
n'allait  pas  au-delà  de  la  rue  Hautefeuille;  le 
reste  s'en  nommait  rue  de  la  Plàtrière,  plus 
tard  du  Battoir. 

Le  médecin  hollandais  Helvélius,  père  du  phi- 


(1)  Notice  «crile  en  18G1.  I/él;irt;isscniei)1  de  la  nie 
qu'eMe  concerne  entre  le  boulevard  Saint-MicJu'l  et  Ja 
rue  Iliiutcfeuille,  esi  postérieur. 


RUE  SERPENTE.  299 

losoplie,  eut  sa  résidence  dans  le  même  hôtel  ; 
il  y  distribuait  de  la  poudre  émétique  pour  guérir 
la  dyssenterie  et  la  colique.  Louis  XIV  fit  donner 
à  cette  utile  innovateur  une  gratification  de  mille 
louis  pour  avoir  propagé  l'usage  de  l'ipécacuanha, 
racine  qu'il  mettait  en  poudre  et  qui  avait  paru 
en  France  pour  la  première  fois  on  1672. 

Les  de  Bure,  autre  race  de  libraires  distingués, 
occupèrent,  sous  l'ancien  régime,  une  maison  que 
.  le  nouveau  boulevard  Sébastopol  de  la  rive  gauche  (i) 
a  fait  tomber.  Les  Raoux,  qui  de  père  en 
fils  étaient  fabricants  de  cors  de  chasse,  faisaient 
face  II  l'hôtel  Serpente. 

Etienne  de  Bourgueil,  archevêque  de  Tours, 
avait  fondé  au  xiv  siècle  le  collège  de  Tours 
entre  cet  hôtel  et  la  rue  de  la  Harpe.  Nicolas 
Brachet,  président  aux  enquêtes,  commissaire  député 
par  le  parlement  de  Paris  pour  la  réformation  des 
collèges,  s'était  entendu  en  1540  avec  Martin  Ruzé, 
grand-vicaire  de  Tours,  chanoine  et  chantre  de 
l'église  de  Paris,  conseiller  au  parlement,  pour 
donner  de  nouveaux  statuts  à  ce  collège  de  la 
rue  de  la  Serpent,  où  il  y  avait  provision  pour 
six  boursiers,  outre  le  principal.  Grammaire, 
logique,  médecine,  droit  canon  et  théologie  y 
faisaient  l'objet  des  études  ;  mais  un  titulaire 
pouvait  quitter  l'établissement  pour  étudier  en 
droit  civil  et  reprendre  ensuite  sa  bourse.  Citons 
Geoffroy  Larcher,  Hardouin  Lemasle,  Pierre  Le- 
verrier  et  Belluot  parmi  les  principaux  qui  s'y 
sont  succédé.  Chayet,  prêtre  du  diocèse  de  Sens, 
forma  en  IToO  dans  le  collège,  sous  les  auspices 
de  la  compagnie  de  Jésus,  une  congrégation  qui 
bientôt  devint  nombreuse  et  qui  ne  fut  entière- 
ment dissipée,  comme  dépourvue  d'autorisation, 
qu'au  moment  de  la  réunion  des  petits    collèges 

(1)  A  présent  boulevard  Saint-MiclieJ. 


300  RUE  SERPENTE. 

h  Louis-le-Grand.  Deux  maisons,  rue  de  la  Harpe 
et  rue  Percée,  appartenaient  encore  h  Tinstitu- 
tion  ;  mais  elles  étaient  grevées  de  dettes.  La 
maison  du  collège  et  sa  chapelle  furent  données 
en  location  k  un  maître  de  pension,  puis  vendues 
par  la  Nation  le  21  août  1793.  On  ne  les  a  vues 
disparaître  qu'avec  la  tête  de  la  rue  Serpente, 
où  l'ordre  numérique  n'a  pas  encoreri^eculé  depuis 
cette  décollation. 

Le  collège  de  Suède,  dont  la  création  remonte 
à  la  même  époque,  avait  été  fermé  beaucoup 
plus  tôt  :  il  était  vraisemblablement  de  l'autre 
côté  de  la  rue.  Le  collège  Mignon  occupait  l'angle 
de  la  rue  Mignon,  comme  aura  îi  le  redire  la 
notice  de  cette  rue. 

Dans  la  ci-devant  rue  du  Battoir  nous  retrouvons 
plusieurs  maisons  qui  ont  été  de  condition;  s'il 
n'y  en  avait  qu'une,  nous  y  replacerions  sans 
hésiter  la  famille  d'un  gentilhomme  dont  le  nom 
est  resté  au  Pré-Catelan  dans  le  Bois  de  Boulogne  : 
Catelan  succéda,  comme  capitaine  des  chasses, 
au  père  de  M"''  de  Beauvais,  que  Louis  XIV  tout 
jeune  avait  aimée. 

Rien  n'empêche  que  les  Catelan  aient  eu  pour 
habitation  soit  l'hôtel  d'Henneval,  corps  énorme 
dont  un  escalier  à  vénérable  rampe  de  fer  paraît 
l'àme,  soit  l'hôtel  du  Tillet,  contigu  à  l'hôtel 
d'Henneval,  et  qui  avait  déjà  deux  portes  au  xvn" 
siècle,  les  deux  dernières  de  la  rue,  côté  des 
numéros  impairs.  Du  Tillet  de  Montarmé,  briga- 
dier des  armées  du  roi,  avait  la  plus  grosse 
part  de  cette  propriété,  etMaynard  de  Bellefontaine, 
son  allié,  la  portion  dans  laquelle  aujourd'hui 
encore  on  s'émerveille  de  l'état  de  conservation 
d'un  charmant  escalier  à  balustres.  La  lar- 
geur modeste  en  sulhsait  au  locataire  Boinet,  qui 
était  auditeur  des    comptes    au    beau    milieu    du 


RUE  SERPENTE.  301 

règne  de  Louis  XIV,  puis  à  Buisson-Lejeune,  un 
procureur  au  parlement,  acquéreur  de  la  propriété 
en  1770. 


Rue   Haiitefeiiillo.  (i) 


XIII'-  et  XI V-  siècles.  —  La  rue  Hauteieuillc, 
dont  on  estime  que  la  dénomination  provient 
d'une  haute  futaie,  fait  parler  d'elle  dès  le  règne 
de  saint  Louis  et  se  prolonge  originairement 
jusqu'à  l'enceinte  de  Philippe-Auguste,  entre  la 
porte  Saint-Michel  et  la  porte  de  Buci.  Mais  les 
cordeliers,  auxquels  on  interdit  d'ahord  d'aller 
prendre  leurs  récréations  sous  la  haute- feuillde, 
ne  tardent  pas  à  gagner  du  terrain,  à  entrer  en 
possession  de  l'emplacement  où  ils  étahliront  le 
réfectoire  du  couvent,  présentant  la  forme  d'une 
église,  en  face  de  la  rue  Hautefeuille.  Le  bas  de 
la  rue  s'appelle  du  Chevet-Saint-André,  à 
cause  de  l'église  Saint-André-des-Arts,  et  la  mémo 
extrémité,  si  ce  n'est  un  tronçon  intermédiaire, 
se  dit  aussi  rue  de  la  Barre,  en  raison  d'un  lieu 
de  justice,  ou  d'une  limite  de  juridiction,  ou  d'une 
barrière  comme  le  droit  appartient  aux  nobles 
de  la  haute  volée  d'en  avoir  h  leur  porte,  ou 
enfin  à  cause  du  logis  de  Jean  de  la  Barre,  avocat. 
L'ordre  des  prémontrés  acquiert  de  Pierre  Sarra- 
zin,  en  l'an  'l:2ol2,  une  maison  où  se  fonde  le  collège 
des  Prémontrés,  en  regard  des  Cordeliers.  Leur 
établissement,  dans  le  principe,  est  encadré  et 
isolé  par  quatre  rues,  celle  des  Cordeliers,  qui 
deviendra  rue  de  lÉcole-de-Médecine,  celle  des 
Étuves,  qui  sera  supprimée  après  avoir  fait  suite 
îi  la  rue  Mignon,  celle  de  l'Archevêque  de-Beims 
ou   du  Petit-Paon,  dont  il  subsistera  au  xix'-  siècle 


'\)  Nmicf?  ôcrife  en  I8r;i.  La  nie  Hautpfeiiillc  s'ouvrait 
dôs-lois,  mais  d'un  seul  côté,  au  nouveau  boulevard  Saint- 
Germain,  qui   ne   la  traverse   pas  encore. 


RUE  HAUTEFEUILLE.  303 

le  cul-de-sac  Larrey,  et  enfin  celle  Hautefeuille, 
qualifiée  aussi  rue  qui  va  à  Saint-André.  Il  est 
])ossible  que  Pierre  Sarrazin  demeure  propriétaire 
de  la  maison  située  vis-à-vis  du  collège,  et  qu'a- 
noblit une  tourelle  ti  l'angle  de  la  rue  Pierre- 
Sarrazin.  On  rapporte  pourtant  au  règne  de  Phi- 
lippe de  Valois  l'existence  notoire  d'un  hôtel  de 
Forez,  qui  peut  avoir  surgi  avec  ce  pavillon,  ou 
l'avoir  englobé,  bien  que  ledit  hôtel  ait  séparé  de 
la  rue  Pierre-Sarrazin  celle  des  Deux-Portes, 
anéantie  par  le  boulevard  Saint-Gerniain.  Au  même 
temps  l'hôtel  de  Fécamp  occupe  tout  l'espace  entre 
la  rue  Percée  et  celle  Serpente,  avec  retour  sur 
l'une  et  l'autre  (i).  Une  tourelle,  .  qui  revêtira 
intérieurement  au  xvi*  siècle  une  boiserie  sculptée 
d'arabesques  et  de  moulures,  et  pour  ornements 
extérieurs  des  Heurs  de  lys  avec  une  Salamandre, 
emblème  affectionné  de  François  P'',  y  restera 
voisine  des  colonnes  d'une  ancienne  chapelle.  On 
retrouve  de  nos  jours,  dans  la  soupente  d'un 
entresol,  servant  de  magasin  au  libraire  Cantel, 
la  corniche  d'une  de  ces  colonnes,  sur  laquelle 
sont  gravés  deux  mots  :  Pax   Vitœ. 

XVII''  siècle.  —  L'empoisonneuse  dame  do 
Brinvilliers  a  pour  complice  Sainte-Croix,  qui 
habite  l'appartement  de  l'ancien  hôtel  de  Fécamp 
dont  la  jolie  tourelle  fait  partie.  Une  quinzaine 
d'années  après  l'exécution  de  la  Brinvilliers,  la 
bibliothèque  de  Boucot  règne  à  l'étage  supérieur. 
En  ce  temps-là  Tucheux,  avocat,  dispose  de  deux 
maisons  situées  plus  haut,  sur  la  même  ligne,  et 
il  a  pour  tenants  d'une  part  le  président  Pom- 
mereuil,  de  l'autre  l'avocat-général  Talon.  Sallier, 


(1)  La  rue  Porrre-Saint- André  u'cst  plr.s  qu'une  im- 
passe, qui  semble  convertie  en  avenue  particulière  :  elle 
enlr'ouvre   une  porte   sur   la   rue  Hautefeuille. 


304  RUE  HAUTEFEUILLE. 

membre  du  grand-conseil,  est  propriétaire  au 
coin  de  la  rue  des  Poitevins.  Madeleine  Gobelin, 
veuve  de  Pierre  Frogier,  a  acheté  en  1670  une 
propriété  venant  de  Claude  Frogier,  capitaine  au 
régiment  de  la  reine,  entre  Beaussan  etMonthelon. 
De  plus,  une  espèce  d'almanacli,  publié  en  l'année 
1692,  donne  rue  Hautefeuille  les  adresses  d'un 
particulier,  riche  et  homme  de  goût,  nommé 
Bonart  et  de  M.  de  Villevaut,  maître  des  requêtes, 
en  ajoutant  que  ce  dernier  donne  entrée  chez  lui 
toutes  les  après  dinées  aux  sçavans  de  considéra- 
tion, qui  tiennent  une  conférence  curieuse  sur 
tous  les  sujets  qui  se  prése^itent.  Un  OU  deux  de 
ces  documents  regardent  très-probablement  l'hôtel 
dont  la  façade  est  décorée  de  trois  tourelles  peu 
saillantes,  au-dessus  de  la  rue  Serpente,  et  dont 
la  construction,  attribuée  aux  chartreux,  a  l'air 
dé  remonter  Ji  la  lin  du  xV'  siècle. 

XVIII''  siècle.  —  Joly  de  Fleury,  magistrat, 
demeure  sous  Louis  XV  près  de  la  rue  des 
Deux-Portes,  vis-à-vis  de  Ghauchat,  avocat,  puis 
échevin  un  peu  plus  tard.  D'autre  part,  les  archives 
de  l'administration  de  la  Lorraine  étant  trans- 
portées il  Paris,  immédiatement  après  la  mort 
du  roi  de  Pologne  Stanislas  Leczinski,  duc  de 
Lorraine  et  de  Bar,  on  les  confie  à  la  garde 
d'un  dépositaire  particulier,  l'avocat  Cochin,  qui 
habite  l'hôtel  de  Fécamp.  Ces  papiers  quittent 
la  rue  Hautefeuille  pour  être  réunis  au  dépôt  du 
Louvre,  en  vertu  d'un  décret  de  l'Assemblée  à  la 
date  du  7  août  1790;  ils  sont  maintenant  aux 
Archives  de  l'Empire.  Dans  l'immense  dépôt  de 
documents  qui  s'est  enrichi  de  ce  nouveau  trésor 
historique,  nous  mettons  la  main  sur  une  pièce 
qui  rapporte  à  la  rue  Hautefeuille  pour  l'année 
1784  la  série  de  propriétaires  que  voici: 

Les  héritiers  de  Pommereu,  au  coin  de  Ja  rue  Pierre- 
Sarrazin.  —   M^e  I.ebretoo  d'Houry,  imprimeur,  maison 


RUE  HAUTEFEUILLE.  305 

donnant  au  Nord  rue  des  Deux-Portes.  —  Deux  maisons 
au  collège  Louis-le-Grand,  ù  l'autre  coin  de  ladite 
rue.  —  Deux  à  la  Chartreuse  de  Paris,  au  coin  delà 
rue  Serpente.  —  De  l'autre  côté  de  la  rue  Haulefeuille  : 
Tyron  de  Nanteuil,  tenant  au  Nord,  vers  la  rue  du 
Battoir,  à  l'Hôtel-Dieu,  et  dans  le  sens  contraire  au  prési- 
dent   de   Murard. 

XJX*  siècle.  —  Tissot,  beaucoup  avant  de  donner 
sa  voix,  comme  académicien,  à  Dupaty,  le  rencontre 
souvent  dans  un  escalier  :  ils  résident  tous  deux 
au  commencement  de  l'Empire  sous  le  même  toit 
que  le  libraire  Testu,  successeur  d'Houry,  éditeur 
do  YAlmanach  Impérial,  ex-national  et  ex-royal, 
dans  la  ci-devant  habitation  de  Joly  de  Fleury. 
Le  célèbre  orientaliste  Silvestre  de  Sacy  a  son 
appartement  alors  dans  la  maison  aux  trois  tou- 
relles. M.  de  Bourrienne,  ancien  camarade  de 
Bonaparte  h  l'école  de  Brienne,  avait  été  le  secré- 
taire intime  du  premier-consul  et  un  ami  pour 
Joséphine;  mais  il  devint  l'ennemi  de  l'empereur 
Napoléon  :  dans  ses  appartements  de  la  rue  Hau- 
lefeuille se  donnèrent  des  soirées  politiques,  dont 
les  honneurs  étaient  faits  par  M'"*  de  Bou'rrienne, 
femme  d'esprit.  Dès  le  commencement  de  la 
Révolution,  Panckoucke  s'était  rendu  acquéreur 
du  collège  des  Prémontrés,  pour  y  emmagasiner 
son  EncueiopécUe.  La  chapelle  du  ci-devant  collège 
est  présentement  un  café,  et  le  peintre  Courbet  a 
son  atelier  dans  le  haut  de  la  maison.  M,  Desmares, 
oculiste  distingué,  qui  depuis  peu  d'années  a 
transformé  en  dispensaire  l'ancien  hôtel  Sallier, 
y  a  remis  h  jour  des  peintures  séculaires,  que 
recouvrait  le  badigeon. 


Rue    Caiiiuartiii.  (i) 


N'''  1,  2,  7,  24,  32,  34,  36,  48,  49,  52,  So,  66,  67,  68. 

Famille  noble  dès  le  règne  de  Charles  VI  que 
celle  des  Letèvre  de  Caumartin,  alliée  à  celle  de 
Créqui,  et  qui  a  donné  un  évèque,  membre  de 
l'Académie-Française,  dont  le  fauteuil  a  passé  à 
Moncrif  en  1733  !  Antoine-Louis-Franrois  de  Cau- 
martin, marquis  de  Saint-Ange,  comte  de  Moret, 
prévôt  des  mai'chands  de  1778  h  1784,  demeu- 
rait rue  Sainte-Avoye  (2)  ;  il  lit  autoriser,  le  3  juillet 
1779,  l'ouverture  de  la  rue  portant  son  nom,  entre 
le  rempart  et  la  rue  Neuve-des-Mathurins,  sur  des 
terrains  acquis  des  religieux  mathurius  par  Charles 
Marin-l)elaiiaye,  fermier-général,  qui  habitait  la 
rue  Vendôme  (3).  Il  y  avait  déjà  sept  années  que 
le  président  Thiroux  d'Arconville,  résidant  rue 
du  Grand-Chantier  à  l'hôtel  Gervillier,  avait  servi 
de  parrain  à  la  petite  rue  Thiroux,  percée  plus 
bas  que  la  rue  Caumartin  aux  frais  de  Sandrier 
des  Fossés,  entrepreneur  des  bâtiments  du  roi. 
M.  de  Sainte  Croix  n'en  fit  que  plus  facilement 
adopter,  en  1780,  le  tracé  d'une  petite  rue 
venant  plus  bas  encore  et  à  la  suite  des  deux 
autres  ;  elle  passait  au  travers  d'un    marais  bien 


(1)  Notice  L'crilti  en  1858.  La  ruo  dont  elle  rionno 
J'hisloriquu  n'était  eacoie  traversée  lu  par  la  nouvelle 
rue  Auber  ni  par  le  nouveau  boiilevaid  Ilaussmann, 
qui  lui  ont  enlevé   pa^  mal   de   maisons. 

(■2)  Préseulenient    du  Temple 

1:^1)  Présentement   Béranger. 


RUE  CAUMARTIN.  307 

cultivé  et  d'un  chemin  de  ronde  qiie  les  barrières 
de  la  ville  avaient  dépassée  :  les  édiles  ne  deman- 
dèrent pas  mieux  que  de  la  placer  sous  l'invoca- 
tion de  son  auteur.  Ces  trois  tron(;ons  de  la  même 
voie,  frayée  par  des  habitants  du  Marais  dans 
la  Chaussée-d'Antin  naissante,  portent  la  même 
dénomination  depuis  le  5  mai  1849. 

L'architecte  Aubert,  à  lui  seul,  éleva  28  hôtels 
dans  ce  quartier,  que  la  mode  tout  d'abord  prit 
sous  sa  protection,  et  notamment  deux  pavillons, 
décorés  de  ligures  en  demi-relief,  de  petits  amours, 
de  médaillons,  de  cornets,  de  castagnettes,  etc. y 
qui  se  font  pendant  l'un  à  l'autre  aux  angles  de 
la  rue  Basse-du-Rempart  et  de  la  rue  Caumartin. 
L'une  de  ces  deux  maisons,  n°  !<  garda  assez 
longtemps  une  toiture  qui  rappelait  les  jardins 
suspendus  de  Babylone  ;  c'était  une  terrasse  de 
120  toises,  plantée  d'arbustes  et  parsemée  de  parterres 
de  tleurs,  avec  une  pièce  d'eau,  des  rochers, 
une  cascade  et  des  statues,  le  tout  hérissé  de 
pyramides  et  de  tronçons  de  colonnes  pour  dérober 
la  vue  des  tuyaux  de  cheminée.  La  surélévation 
de  l'édifice  l'a  décapitée  de  cette  plate-forme  ;  tou- 
tefois une  ou  deux  pyramides  tiennent  encore 
embrassée,  sur  le  faîte,  la  tôle  où  passe  la  fumée, 
et  ces  tuyaux  communiquaient  jadis  avec  l'appar- 
tement de  Mirabeau,  qui  a  demeuré  au-dessous. 
Le  2  était  édihé,  ainsi  que  deux  autres  maisons, 
pour  le  compte  d'un  riche  marseillais,  qui  avait 
traité  du  terrain  ;  mais  le  duc  d'Aumont,  pj-emier 
gentilhomme  de  la  Chambre,  en  devint  bientôt 
possesseur.  Dominique  Le  Noir  vendait,  en  1808, 
le  môme  hôtel  au  père  de  M.  Dubois  de 
l'Estang. 

La  rue  Caumartin  primitive  n'était  commune, 
quelques  années  après  son  ouverture,  qu'aux  pro- 
priétaires se  suivant  clans  cet  ordre  : 


308 


RUE  CAUMARTIN. 


(î?axulj£  : 


Delabaye. 
X 

Les  héritiers  Cordier. 

Mme  Hocquart. 

Cochois. 

Delahaye  (pour    9    maisons 
ou  places  à    bâtir.) 


ÎBroitt  ; 

Le  duc  d'Aumont. 

Delahaye. 

Le  C"^  de  Bavière,  ou  le  C'e 

Desnos. 
Delahaj-e. 
X. 

Le  M's  de  Bras. 
Delahaye. 
P^lagot. 
Id. 

Ganguet. 
Delahaye. 
Durand, 
^jine   Diisson. 


Plus  d'un  lot  attendait  encore  les  maçons,  à 
cet  âge  encore  tendre  de  la  rue.  Pour  le  marquis 
de  Calvimont  s'ouvrit  toute  fraiche  la  bonbon- 
nière du  7,  petit  bôtel,  qui  plus  tard  fut  le 
dernier  vaisseau  monté  par  l'amiral  Mackau,  ancien 
ministre  de  la  marine.  De  même,  un  maréchal  de 
France,  Dode  de  la  Brunerie,  cessa  de  vivre  au  n"  24, 
qu'habite  sa  belle-mèie  depuis  1820.  Le  spécula- 
teur Delahaye  n'avait  pas  tardé  ii  céder  sou 
encoignure  de  la  rue  Neuve-des-Mathurins  h  la 
duchesse  d'Ancenis.  Le  marquis  de  Feuquières, 
descendant  du  vaillant  auteur  des  Mémoires  de 
la  Guerre,  était  avant  la  fin  du  règne  de  Louis 
XVI  propriétaire  à  la  place  de  Pélagot,  et  M'"* 
de  Mazades,  à  celle  de  Durand,  premier  angle  de 
la  rue  Boudreau.  Tous  deux  habitaient  respecti- 
vement leur  maison  :  une  pièce  authentique  nous 
l'indique.  Nous  avons,  d'autre  part,  entendu 
dire  à  un  ancien  beau  du  premier  empire, 
M.  Bérenger,  actuellement  juge  de  paix,  que  l'un  des 
premiers  occupants  du  n°  32  fut  un  conseiller  d'Etat, 
ancien  président  des  Etats-Généraux,  ancien  préfet, 
dont  le  tlls  est  devenu  ensuite  pair  de  France,  le 
baron  Mounier. 


RUE  CAUMARTIN.  309 

Le  34  et  le  36  faisaient  partie  d'un  autre  hôtel 
du  duc  d'Aumont,  élevé  aussi  sur  le  dessin 
d'Aubert,  au  coin  de  la  rue  Neuve-des-Matliurins.  On 
dit  que  les  premiers  équipages  remplaçant  le  cocher 
par  un  jockey  h  cheval  sortaient  de  chez  ce  grand 
seigneur,  qui  les  mit  à  la  mode  plutôt  qu'il  ne 
les  inventa.  Il  en  débouchait  à  coup  sûr  des  rues 
de  la  Chaussée-d'Antin  sur  le  boulevard  avant  le 
siècle  dans  lequel  nous  vivons.  Comme  on  parlait 
un  jour  à  Mirabeau  d'un  mari  dont  le  train  de 
maison  devenait  élégant  et  luxueux  depuis  que 
l'amant  de  sa  femme  contribuait  à  la  dépense:  — 
C'est  un  ménage  attelé  à  la  d'Aumont,  dit  l'auteur 
des  Lettres  à  Sophie. 

Mais  le  bâtiment  doyen  de  notre  rue  Caumartin  est, 
comme  de  juste,  un  legs  de  la  rue  Thiroux.  Une 
manufacture  de  porcelaine  s'établissait  au  oo  avant 
la  lin  du  règne  de  Louis  XV,  et  la  France  ne 
comptait  alors  qu'un  très-petit  nombre  de  pareilles 
fabriques. 

Une  tache  d'huile  sur  un  bel  habit  avertit  d'en 
éviter  d'autres  ;  l'utilité  de  la  masure  qui  porte 
rue  Caumartin  le  chiffre  49  consiste  à  tenir  tout 
prêts  plusieurs  coupés  de  remise  pour  s'en  éloi- 
gner au  plus  vite.  Cette  maison  appartint  d'abord 
aux  capucins  de  la  rue  Sainte-Croix,  dont  le 
couvent,  édifié  par  Chalgrin,  fut  transformé  par 
la  Révolution  en  hospice  pour  les  vénériens  et 
les  galeux,  au  grand  déplaisir  des  voisins,  qui 
n'en  pensaient  que  mieux  à  émigrer.  Un  peu 
plus  tard,  l'église  Saint-Louis-d'Antin  partageait 
le  ci-devant  couvent  avec  le  lycée  Bonaparte,  dont 
nous  avons  écrit  séparément  l'histoire,  et  les 
Hospices  n'en  gardaient  pas  moins  la  maison  de 
la  rue  Thiroux.  Les  citoyens  Cuvillier,  Huré  et 
autres,  demeurant  rue  Sainte-Croix,  du  côté  de 
l'hospice,  avaient  connu  propriétaire  du  n"  52 
l'ancien  Ijoucher  Legendre,  conventionnel,  qui  avait 

20 


310  RUE  CAUMARTIN. 

osé  coiffer  le  roi  d'un  bonnet  phrygien  le  20 
juin  1792.  Le  citoyen  Vézelai  était  propriétaire 
derrière  l'hospice,  au  temps  dont  nous  parlons,  et  les 
deux  extrémités  de  la  rue,  sur  l'autre  ligne,  apparte- 
naient aux  citoyens  Bourlon  et  Cramail. 

Mais,  h  droite  comme  à  gauche,  il  s'était  élevé 
près  de  la  capucinière,  et  vers  le  même  temps,  des 
hôtels  tracés  sur  le  papier  par  le  même  crayon.  M.  de 
Sainte-Croix  avait  pendu  la  crémaillère  au  n-  GT, 
où  lit  un  bail  Eusèbe  Salverte,  et  qui  comporte 
un  fort  joli  salon,  style  Louis  XVL  L'un  des 
immeubles  en  regard  avait  été  hôtel  de  Cessé. 
Sur  la  ligne  de  cet  hôtel,  la  porte  avant  la  rue 
Joubert  avait  commencé  par  s'ouvrir  pour  M.  de 
Varanchon,  lérmier-général,  après  lequel  la  famille 
de  Saint-Geniès,  à  titre  d'héritière,  prit  possession 
de  l'immeuble.  Pendant  plusieurs  années  de  la 
République,  M""-  de  Permont  avait  occupé  l'un 
des  appartements  de  la  maison,  avec  sa  tille, 
sans  qu'on  eût  jugé  oppoj'tun  de  lui  présenter  des 
quittances  de  loyer  ;  mais  quand  la  demoiselle  fut 
devenue  la  femme  du  gouverneur  de  Paris  et 
duchesse  d'Abrantès,  une  réclamation  h  ce  sujet 
arriva  jusqu'à  elle.  Junot,  h  la  rigueur,  n'avait 
rien  à  payer  des  anciennes  dettes  de  sa  belle- 
mère,^  dont  sa  femme,  M"'«  d'Abrantès,  s'était 
refusée  à  accepter  la  succession  ;  toutefois  il  ren- 
voya les  Saint-Geniès  à  son  beau-frère  Maldaii, 
homme  de  manières  communes,  mais  honnête 
homme,  qui  ne  voulut  pas  que  sa  famille  fût  en 
reste  de  bons  procédés  avec  celle  du  propriétaire. 

Le  66,  qu'habita  le  comte  Alexandre  de  Girardin, 
ne  tit  d'abord  qu'une  propriété  avec  le  68,  qui 
attenait  au  vieux  château  du  Coq  ;  le  banquier 
Aguado  y  précéda  la  maréchale  Ney,  dont  les 
quatre  fds  suivaient  les  cours  du  collège  voisin, 
et  leur  mère,  qui  recevait  beaucoup,  voyait  com- 
munément la  reine  de  Naples,  veuve    de    Murât, 


RUE  CAUMARTIN.  311 

le  duc  d'Orléans,  fils  du  roi,  le  général  Bertrand, 
le  maréchal  Molitor,  Jacques  LalTitte,  Orfila,  le 
duc  de  Monlébello  et  l'abbé  Cœur.  Où  sont-ils 
presque  tous  ces  hôtes  qu'avait  réunis,  non  sans 
peine,  la  révolution  de  Juillet  ?  Où  sont  allés 
eux-mêmes  trois  des  fils  de  la  maréchale  ? 

0  livre  aux  souvenirs,  ettleure,  n'appuie  pas. 
Vois  vivants,  jeunes  encore,  pleins  d'espérance  et 
pleins  d'avenir,  tout  ce  que  j'eus  de  condisciples,  de 
modèles  et  de  maîtres  au  lycée  Bonaparte,  alors 
qu'on  le  nommait  collège  Bourbon.  Il  surtlt  de 
ressusciter  dans  le  cœur  de  beaucoup  d'amis 
pour  jouir,  après  la  vie,  d'une  immortalité  qui 
ressemble  à  celle  de  la  gloire.  Nous  espérons, 
du  moins,  faire  une  petite  place  dans  l'histoire, 
cette  seconde  vie,  à  des  milliers  de  maisons  im- 
mobiles. La  durée  est  le  plus  grand  mérite  ti 
reconnaître  dans  une  maison,  grande  ou  petite, 
et  ce  n'est  pas  l'en  récompenser  trop  que  de 
relever  en  son  honneur  des  souvenirs  tombés 
avant  elle  et  qui  seront  comme  une  àme  pour 
son  corps. 


Rue  lie  la  Cerisaie,  (i) 


Zamet.  —  La  Chatte  de  Vllôtel  Lesdignières.  — 
Pierre-le-Grand.  —  il/'"*  de  Vaudeuil.  —  Le 
Goxiverneur  de  la  Bastille.  —  Tiion  du  Tillet. 
—  Philibert  Delcrme.  —  Les  Souterrains.  — 
Cardillac.  —  Les   Visitandines . 

Nous  avons  déjà  indiqué,  en  parlant  de  la  rue 
Beautreillis,  où  se  trouvait  l'hôtel  de  Zamet  ;  c'est 
l'aïeul  d'un  plus  petit  hôtel,  qui  le  représente 
encore  et  dont  la  porte  uniquement  donne  rue 
de  la  Cerisaie.  Trop  peu  de  temps  après  la  fin 
tragique  de  Gabrielle  d'Estrées,  Marie  de  Médicis 
passe  quinze  jours  dans  cette  maison,  où  Henri 
IV  plus  d'une  fois  assemble  son  conseil.  La 
mort  de  ce  roi  est  hâtée  par  le  couteau  de 
Ravaillac,  et  la  reine,  une  fois  régente,  vient 
encore  dîner  chez  Zamet,  où  a  été  servie  la  colla- 
tion fatale  à  Gabrielle  ;  elle  y  donne  ses  audiences 
les  plus  courues.  Jusqu'à  ses  derniers  jours  le 
confident  de  Marie  de  Médicis  se  livre  corps  et 
âme  aux  intrigues  de  la  cour,  en  menant  h  bien 
une  négociation  avec  MM.  d'Épernon  et  de  Guise, 
qui  la  menacent.  L'un  de  ses  fils,  valeureux  officier, 
hérite  de  quelques-unes  de  ses  charges,  avant 
de  passer  maréchal-de-camp  ;  il  vend  l'hôtel  à 
Créqui,  plus  tard   connétable. 

Or  la  duché-pairie  de  Lesdiguières  a  été  érigée, 
en  même  temps  que  pour  le  maréchal,  propriétaire 


(1)  Notice   écrite   on    1858. 


RUE  DE  LA  CERISAIE.  3J3 

de  la  terre  du  même  nom,  pour  son  gendre,  le  sire  de 
Créqui  ;  par  suite  l'hôtel  Zamet  passe  Lesdiguiè- 
res.  Celte  duché-pairie  s'éteint  le  o  août  1712  parla 
mort  d'Alphonse  de  Blanchefort  de  Créqui,  duc 
de  Lesdiguières,  et  c'est  alors  que  le  duc  de 
Villeroi,  gendre  de  Louvois,  entre  par  droit  de 
succession  en  possession  de  la  propriété.  Mais 
jusqu'à  la  restauration  de  ce  séjour  quasi-royal, 
([ui  n'aura  lieu  que  trente  ans  après,  un  petit 
monument  y  consacre  les  plus  chères  afteclions 
de  Paule-Francoise-Marguerite  de  Gondi,  duchesse 
de  Retz,  marquise  de  Gamache,  comtesse  de 
Joigny,  baronne  de  Mortagne,  etc.,  qu'a  épousée 
en  i67o  François-Emmanuel  de  Bonne  de  Créqui, 
duc  de  Lesdiguières.  Cette  dame,  qui  a  fait  imprimer, 
dix  ans  avant  de  mourir,  une  Histoire  de  Gondi, 
écrite  sous  ses  auspices,  a  distrait  de  cette  noble 
préoccupation  une  extrême  sollicitude  pour  sa 
chatte,  qu'elle  a  fait  enterrer  avec  les  mêmes 
égards  dans  un  endroit  apparent  de  son  jardin, 
et  son  mari  n'a  pas  eu  à  s'en  plaindre,  car  elle 
était  quitte  envers  lui  des  honneurs  tumulaires 
depuis  l'année  1681  : 

Cy  gist  une   chatte  jolie. 
Sa  maîtresse,  qui  n'aima  rien, 
L'aima  jusques  à  la  folie. 
Pourquoi  le  dire.-*  on  le   voit  bien. 

Pour  continuer  les  traditions  locales  de  royale 
hospitalité,  M.  de  Villeroi,  qui  de  mauvais  maréchal 
de  France  est  devenu  le  gouverneur  du  tout  jeune 
roi  Louis  XV,  meuble  magnifiquement  cette  rési- 
dence, et  il  y  reçoit  Pierre-le-Grand  en  1717.  Les 
honneurs  de  Versailles  sont  faits  par  le  régent 
au  czar,  que  Louis  XIV  s'est  refusé  à  attirer  en 
France,  et  Louis  XV  enfant  lui  rend  visite  dans 
l'ancien  hôtel  Lesdiguières  :  pour  éviter,  dans  cette 
circonstance,   les   embarras  du  pas,  qu'il  ne  veut 


314  RUE  DE  LA  CERISAIE. 

ni  prendre  ni  céder,  Pierre-Ie-Grand  (rouve  un 
excellent  moyen,  c'est  de  porter  dans  ses  bras  le  roi 
de  France. 

Le  jardin  de  l'hôtel  se  réduit  considérablement 
de  1737  à  1742,  et  un  prolongement  y  est  gagné 
par  la  rue  de  la  Cerisaie,  qu'on  a  percée  au 
commencement  du  règne  de  François  l"'  sur  une 
plantation  de  cerisiers,  qui  lleurissaient  au  milieu 
des  jardins  du  palais  de  Saint-Paul.  Quant  à  l'hôtel, 
(|ui  n'est  que  rebâti  en  petit,  il  ne  perd  pas  son  ancien 
titre.  Le  conseiller  d'État  Drouyn  de  Vandeuij 
lait  en  1776  l'acquisition  du  grand  et  du  pelil 
hôtel  dits  de  Lesdiguières,  aujourd'hui  iv"  12  et  1-4, 
rue  de  la  Cerisaie.  M""'  de  Vandeuil  n'occupe 
que  le  fond  du  12,  où  elle  finit  de  vivre  à  84 
ans,  la  Terreur  s'étant  contentée  de  l'enlermer 
comme  suspecte.  M.  Landry,  maître  de  pension, 
s'est  établi,  sur  le  devant,  à  la  tête  d'élèves  qui 
suivent  les  cours  du  lycée  Charlemagne  ;  ses  lils 
transfèrent  ensuite  dans  le  rayon  du  lycée  Bona- 
parte l'institution,  que  remplace  pour  un  temps, 
rue  de  la  Cerisaie,  une  pension  de    demoiselles. 

La  rue  de  Lesdiguières  n'était  encore  en  1800 
qu'un  passage  avec  ses  deux  grilles  ;  elle  sillonne, 
comme  la  rue  Castex,  l'ancien  domaine  du  duc 
de   Lesdiguières. 

De  l'incendie  suprême  de  la  Bastille  il  est  resté, 
au  milieu  des  débris,  jusqu'il  des  flammes  sculp- 
tées en  pierre,  qu'a  épargnées  fraiernellement  le 
feu,  qui  venait  en  aide  à  la  pioche;  on  peut  les 
revoir  n"  8,  sur  ur.e  terrasse  touchant  à  l'ancien 
mur  de  M.  Delaunay.  Ce  gouvei-neur  de  la  Bas- 
tille occupait  le  n"  6,  que  vers  1830  on  a  recons- 
truit ;  le  fond  du  8  ne  s'est  rien  ajouté,  rien  retran- 
ché depuis  ({u'il  n'attient  plus  au  jardin  particulier 
du  gouverneur. 

En  face  de  l'hôtel  Lesdiguières,  quand  les  pro- 
portions s'en  restreignii'cnt   si  fort,  celui  d'f^vrard 


RUE  DE  LA  CERISAIE  315 

Titon  du  Tillet,  ancien  maître-d'liôtel  de  la  dau- 
phine,  mère  du  roi,  parut  moins  petit  qu'auparavant. 
M.  d'Argenville  dit  bien  dans  son  Voyage  Pitto- 
resque à  Paris,  paru  en  1752,  que  ce  l'iclie 
particulier  demeurait  rue  de  Montreuil,  et  nous  par- 
lons nous-même  d'une  folie-Titon  à-propos  de  la  rue 
des  Boulets.  Titon,  le  Mécène  de  son  temps,  se  taisait 
déjà  vieux  au  milieu  du  XYIIl*"  siècle,  et  l'heure 
de  la  retraite  ayant  sonné,  couvre-feu  des  amours, 
sa  petite  maison  était  devenue  sa  grande  :  elle 
donnait  à  la  l'ois  rue  de  Montreuil  et  rue  des 
Boulets.  Son  hôtel  à  la  ville  n'était  plus  que 
son  cabinet,  une  des  curiosités  de  Paris  ;  mais 
à  un  âge  moins  avancé  il  n'avait  eu  que  là  son 
domicile  avoué.  En  1731  l'abbé  Antonini  avait 
écrit  dans  son  Mémorial  de  Paris  :  «  M.  Titon 
demeure  dans  une  des  cours  de  l'Arsenal.  « 

Or,  près  des  anciennes  cours  de  l'Arsenal, 
aujoui'd'hui  place  de  l'Arsenal,  nous  trouvons  aux 
numéros  13,  15  et  17  de  la  rue  de  la  Cerisaie, 
une  apparence  d'âge  en  concoi'dance  avec  l'époque 
à  la([uelle  Titon,  prolecteur  des  lettres,  a  dû  former 
son  cabinet.  Il  se  composait  de  quatre  pièces 
au  premier,  magistralement  ornées  de  tableaux  et 
de  sculptures;  on  y  remarquait,  outre  le  buste 
de  Despréaux,  par  Girardon,  ce  rnéme  groupe  du 
Parnasse  Franç.ais,  inventé  par  Titon,  exécuté 
par  Nicolas  Poilly,  où  Louis  XIV  préside  en 
Apollon,  et  qui  se  monti'c  de  nos  jours  à  la 
Bibliothèque  Impériale. 

Un  lopin  de  jardin,  un  arrière-corps  de  bâti- 
ment superbe,  un  escalier  à  vis  en  pierre  massive, 
des  greniers  établis  pour  servir  d'atelier,  une 
glace  qui  remonte  à  l'époque  où  la  fabrication 
des  glaces  commençai i  seulement  en  France,  une 
serrure  de  quinze  pouces  carrés,  dont  la  clef 
pèse  1  livre  3/4,  voilà  ce  qui  reste,  n"  22,  de 
la  maison  que  Philibeit    Delorme    s'est   bâtie,  au 


316  RUE   DE  LA.  CERISAIE. 

moment  même  où  il  tournait  une  page  au  grand 
livre  de  rarchitecture.  Ne  substituait-il  pas  la  Renais- 
sance au  gothique  dans  la  construction  du  château 
des  Tuileries,  dont  il  fut  le  gouverneur  ?  En  celte 
dernière  qualité,  il  lit  refuser  un  jour  l'accès  du 
Jardin  à  Ronsard,  qui  se  proposait  d'y  suivre 
Catherine  de  iMëdicis  ;  le  poète,  pour  s'en  venger, 
reprocha  dans  une  satire  à  l'architecte  les  abbayes 
dont  il  était  pourvu  et  demanda  à  quoi  l'on  pen- 
sait de  crosser  ainsi  la  truelle.  Sous  la  chapelle 
de  son  hôtel,  Delorme  communiquait,  au  moyen 
de  conduits  souterrains,  avec  plusieurs  de  ses 
voisins.  Il  y  avait,  en  pareil  cas,  réciprocité  de 
servitude,  mais  une  sorte  d'assurance  mutuelle, 
qu'on  contractait  en  vue  de  conjurer  des  périls 
de  toutes  les  sortes.  Les  intrigues  de  l'amour  et 
de  l'ambition  pouvaient  bien  abuser  du  passe  par- 
tout; mais  c'était  beaucoup  moins  la  clef  des 
noirceurs  criminelles  que  des  précautions  domes- 
tiques: l'ennemi,  ne  fut-il  que  le  feu,  pouvait  se 
présenter  en  force,  par  la  porte  de  derrière  on 
appelait  h  l'aide  ou  l'on  échappait  au  danger. 
Correspondance  mystérieuse,  dont  les  courriers 
gagnaient  aussi  du"  temps  à  éviter  les  embarras, 
les  détours  de  la  voie  publique  !  Maints  souterrains 
particuliers  de  cette  poste  expéditive  se  croisaient 
sous  les  carrefours. 

Mais  peu  de  caves  étaient  plus  compliquées  que 
celles  qui  s'entrelaçaient  sous  le  n"  31,  lequel 
servit  de  bureau  à  l'administration  du  temporel 
des  céleslins,  et  puis  passa  aux  Mortemart.  Une 
ti'appc  y  faisait  surgir,  à  un  signal  donné,  un 
dîner  tout  servi.  Qui  sait  môme  si  la  gourmandise 
était  le  seul  des  péchés  capitaux  appelés  à  jouer 
son  rôle  sur  ce  théâtre  particulier,  si  ingénieusement 
machiné  ? 

Le  32,  (|ui  plus  est,  a  ti'cmpé  dans  des  crimes, 
par  la  complicité  du  recel,  sous  Louis  XIII.  L'or- 


RUE   DE  LA  CERISAIE.  ;U7 

fèvre  Cardillac  y  vendait  des  bijoux  de  prix  aux 
seigneurs  de  la  place  Royale,  dont  les  abords 
étaient  encore  déserts,  et  le  soir  il  mettait  un 
masque  pour  s'embusquer,  avec  des  détrousseurs 
de  profession,  sur  le  cliemin  de  ses  meilleures 
pratiques,  auxquelles  il  faisait  rendre  de  lorce  la 
marchandise  qui  venait  d'être  achetée  de  gré.  Ce 
héros  d'une  cause  célèbre,  qui  a  fourni  le  sujet 
et  le  titre  d'un  drame  joué  au  théâtre  de  l'Ambigu, 
a  tini  par  être  tiré  à  quatre  chevau.x.  La  maison 
en  a  été  quitte  pour  un  semblant  de  pénitence 
au  couvent  des  Yisitandines,  dont  elle  a  fait  partie, 
mais  à  titre  de  pavillon  réservé  aux  dames  pen- 
sionnaires, puis  livré  à  de  simples  locataires. 
Ces  religieuses,  qui  portaient  régulièrement  le  titre 
de  Tilles  de  la  Visitation-de-Sainte-Marie,  s'étaient 
trouvées  à  l'étroit  dans  l'ancien  hôtel  de  Cossé  et 
s'étaient  agrandies  par  voie  d'acquisition  aux  dépens 
de  l'hôtel  Lesdiguières  et  du  couvent  des  Célestins. 
Leur  ancienne  chapelle  n'est  rien  moins  que  le 
temple  protestant  de  la  rue  Saint-Antoine. 


Boulc%aiMl    Moii^iiiarire.  (i) 


Frascati.  —  Le  Comte  de  Mercy.  —  L' Inspecteur 
de  Police  et  sa  Maîtresse.  , —  La  Z)"*^  Mars  du 
XVI  11^  Siècle.  —  La  Manufacture.  —  Boïeldieu, 
—  Le  Prince  Tuffahine. 

Le  Cours,  où  des  arbres  furent  plantés  en  1676, 
se  divisa  postérieurement  en  boulevards  de  divers 
noms,  et  le  boulevard  Poissonnière  fut  assez  long- 
temps dit  de  Montmartre.  Celui  (|u'on  connaît  à 
présent  sous  son  ancienne  dénomination  s'appelait 
boulevard  Riclielieu. 

Il  n'y  reste  plus  trace  de  l'hôtel  Lecoulteux, 
construit  sur  le  plan  de  Brongniart  ;  mais  l'en- 
seigne d'un  café  et  celle  d'un  pâtissier  rappellent 
où  lurent  le  jardin  et  la  maison  de  jeu  Frascati, 
transformation  de  l'hôtel  Lecoulteux  à  l'époque 
du  Directoire.  Garchi,  glacier  napolitain,  avait 
fait  du  jardin  un  lieu  public  fort  à  la  mode,  dont 
la  terrasse  et  les  allées,  le  soir,  alternaient  l'ombre 
et  la  lumière  au  moyen  de  verres  de  couleur, 
au  moyen  de  feux  d'artilice  tirés  les  jours  de 
grande  fête.  Perrin  prit  à  louage  Frascati  de 
M.  du  ïhillère,  grand-veneui'  de  l'empereur;  il  y 
transféra  celle  de  ses  banques  de  jeu  qui  s'ex- 
ploitait dans  une  maison  voisine,  rue  Richelieu, 
et  puis  le  Grand-Salon  des  Etrangers,  fondé  dans 
un  hôtel  d'Augny  que  nous  retrouverons  rueDrouot. 
Ce  Perrin  maria  sa  lille  au  neveu  de  Desaix  et 
mourut  insolvable,   après  avoir  eu  seize  millions. 


(1)  Notice    écrite    en    l.^^Gl. 


BOULEVARD  MONTMARTRE.  319 

Savary,  ministre  de  la  police,  lui  avait  donné 
pour  successeur  îi  la  ferme  des  jeux  l'ancien 
fabricant  d'armes  nommé  Bernard;  mais  ce  der- 
nier, n'ayant  pu  obtenir  de  son  prédécesseur  la 
cession  du  local  de  Frascati,  avait  porté  de  nou- 
veau le  Salon  des  Etrangers  à  l'hôtel  d'Augny; 
le  tapis  vert  ne  refleurit  que  plus  tard  à  l'angle 
de  la  rue  de  Richelieu  et  du  boulevard  Mont- 
martre. 

Notre  notice  de  la  rue  Drouot  donne  l'historique 
de  la  grande  propriété  située  à  l'opposite  sur  le 
boulevard.  La  maison  qu'occupe  l'ancien  cercle  a 
été  un  hôtel  Mercy.  Le  comte  de  3Iercy-d'Ar- 
genteau,  ambassadeur  du  Saint-Empire,  y  résida, 
comme  h  l'hôtel  d'Augny;  il  descendait  de  François 
de  Mercy,  dans  lequel  Turenne  et  le  grand  Condé 
eurent,  en  Allemagne,  un  si  digne  adversaire  qu'on 
grava  sur  sa  tombe  cette  épitaphe  :  «  Sta,  viator, 
heroem    calcas. 

Le  jardin  de  l'hôtel  Montmorency,  bâti  en  l'an 
1704  sur  les  dessins  de  Lassurance,  bordait  le 
boulevard;  les  regards  du  passant  s'y  arrêtaient 
sur  un  kiosque  chinois,  que  M.  de  Montmorency- 
Luxembourg  avait  fait  construire  après  coup.  Le 
théâtre  des  Variétés,  le  passage  des  Panoramas 
et  le  prolongement  de  la  rue  Vivienne  ouvrent 
sur  les  anciennes  lini'tes  de  ce  jardin  particulier. 

Le  café  de  la  Porte-Montmartre  existait  déjà 
sous  Louis  XV  :  la  maison  d'encoignure  où  il 
s'est  maintenu  n'a  été  depuis  que  refaite.  Ne  re- 
trouverait-on pas  le  logement  qu'une  tille  Richard, 
dite  Emilie,  y  arrêta  au  printemps  de  l'année 
1764,  deux  étages  au-dessus  du  limonadier?  Elle 
avait  quitté  brusquement,  par  une  nuit  du  mois 
de  mars,  Marais,  inspecteur  de  police,  avec  lequel 
elle  vivait;  mais  Brissault,  leur  ami  commun,  les 
avait  remis  en  i)résence  l'un  de  l'autre,  et  le 
subordonné  de   M.    de    Sartines    avait    subi    des 


320  BOULEVARD   MONTMARTRE. 

conditioiia  nouvelles  qui  consacraient  l'indépen- 
dance  d'une  maîtresse  digne  d'un  tel  amant.  Aux 
termes  de  cet  arrangement,  la  Richard  logeait 
seule  et  pouvait  recevoir  qui  bon  lui  semblait, 
hommes  ou  femmes.  Deux  femmes  justement,  ses 
pareilles,  les  nommées  Martin  et  Latour,  demeu- 
raient sous  le  même  toit,  et  la  nouvelle-venue 
entrait  en  tiers  dans  une  affection  particulière 
.qu'elles  avaient  l'une  pour  l'autre. 

Le  côté  droit  du  boulevard  ne  tarda  pas  à 
opposer  au  triumvirat  féminin  du  coin  de  la  rue 
Montmartre  une  héroïne  h  laquelle  reviendrait  une 
place  plus  brillante  dans  les  fastes  de  la  galan- 
terie. Mais  le  dédain  de  la  postérité  n'est-il  pas 
dû  à  cette  sorte  de  gloire  ?  La  femme  galante  qui 
eut  pour  domicile  une  des  maisons  restées  debout 
entre  l'hôtel  Mercy  et  la  rue  du  Faubourg-Montmartre, 
portait  un  nom  que  sa  fille  ou  sa  nièce  a  rendu 
célèbre  au  théâtre,  et  il  semble  que  la  vie  privée 
des  comédiennes  relève  elle-même  des  lumières 
de  la  rampe  D'historiettes  se  compose  toute  leur 
biographie,  et  il  peut  en  fleurir  jusque  sur  les 
rameaux  de  leur  arbre  généalogique.  La  mère  de 
M"*  Mars  fut  actrice  en  province,  et  elle  parut 
aussi  sur  le  théâtre  de  la  République  ;  mais  on 
ne  la  citait  que  pour  sa  beauté.  Elle  ou  sa  sœur 
fut  la  D"*^  Mars,  née  en  Provence,  qui  se  fit 
quelque  temps  appeler  Salveta. 

Cette  fille  avait  débarqué  en  1768,  jeune  et 
jolie  comme  les  Amours,  chez  la  D"*'  3Iarquise, 
une  grosse  marseillaise  dont  nous  avons  à  parler 
plus  d'une  fois  ;  Cormier  de  Chamilly,  trésorier  des 
écuries  du  roi,  avait  eu  soin,  sa  femme  étant  jalouse, 
de  ne  donner  que  peu  de  notoriété  à  son  intrigue 
avec  cette  recrue,  qui  n'était  plus  une  débutante, 
car  elle  avait  déjii  connu,  outre  Diesbach,  ofllcier 
suisse,  un  riche  Américain,  M.  de  Carcadeux.  Ce 
dernier,    en    renouant    avec    elle    au  printemps. 


BOULEVARD  MONTMARTRE.  321 

s'allégeait  de  30  louis  par  mois.  Mais  que  faisait- 
elle  au  temps  chaud  ?  A  cette  question  les  échos 
du  boulevard  ne  répondent  plus  en  chœur  et  d'un 
seul  trait  ;  la  multiplicité  des  sons,  la  confusion 
des  voix,  les  disparates  remplacent  l'unisson,  et, 
au  lieu  d'une  note  à  la  fois,  c'est  une  gamme. 
Les  relations  de  la  belle  provençale  sont  deve- 
nues, à  vrai  dire,  un  concert,  où  dominent  les 
dissonances,  les  faux  accords,  les  transactions 
inharmoniques  de  la  vénalité.  Bien  des  exécutants 
s'y  croient  virtuoses,  tels  que  le  maîlre-d'hôtel  du 
duc  d'Orléans,  et  M.  de  la  Taste,  mouquetaire, 
et  le  notaire  Dufresnoy  ;  ils  ne  sont  que  des 
instruments  ! 

Aussi  bien  reste-t-il  jamais,  dans  la  chanson 
des  courtisanes,  autre  chose  de  l'amour  qu'un 
refrain,  qui  veut  être  repris  en  chœur?  Le  refrain 
soupe,  il  aime  la  compagnie  et  craint  le  tête-c^- 
tête,  comme  un  redoublement  d'isolement,  il  dispose 
il  l'inconstance  ou  en  console,  et  son  autorité,  qui 
commande  la  bonne  humeur,  l'esprit  quand  même 
et  la  philosophie  dans  le  plaisir,  interrompt,  réduit 
au  silence,  laisse  mourir  au  pied  du  mur,  dans 
ses  propres  ténèbres,  la  romance  de  l'amour,  écho 
vieilli  des  sérénades.  Vive  le  chœur  des  petits- 
soupers  !  Le  Champagne  luit  pour  tout  le  monde  : 
maudits  soient  les  amants  qui  préfèrent  y  tremper 
leurs  lèvres  dans  le  verre  l'un  de  l'autre  sans 
témoins  ! 

Grand  souper,  par  exemple,  chez  la  1)"''  Laforêt,  le 
21a'' soir  de  juillet,  et  puis  partie  de  vingt-et-un  jus- 
qu'il deux  heures  du  matin  :  les  D"''"  Rey,  Marquise  et 
Mars  quittent  alors  le  jeu,  mais  ne  quittent  pas  les 
joueurs,  et  M.  de  Sainte-Colombe  y  gagne  ce  que  perd 
M.  de  la  Taste,  qui  n'est  pas  là.  L'amant  trompé  se 
retire  tout-ti-fait,  après  mille  écus  de  dépense  avec 
la  belle,  et  Marquise  la  présente  h  M.  de  la  Sablière, 
qui  laisse  25  louis  le  matin  sur  le  marbre  de  sa 


322  BOULEVARD  MONTMARTRE, 

cheminée.  La  volage  sait  très-bien  compter  ;  par 
malheur,  elle  perd,  au  mois  d'août,  un  procès  de 
19,000  livres  contre  un  ancien  amant  nommé 
Nadille,  marchand  de  hl  d'or.  Des  gens  de  qualité 
lui  l'ont,  à  ce  propos,  des  compliments  de  condo- 
léances, en  la  rencontrant  aux  Tuileries,  et  jus- 
qu'où ne  va  pas  sa  franchise  !  —  Venez  chez  moi, 
dit-elle,   que  je  me  rattrape  ! 

L'année  suivante,  le  prince  de  Guémenée 
donne  à  Versailles  une  série  de  soupers,  présidés 
par  M"*  Mars,  et  l'amphytrion  ne  s'y  vante  pas  de 
tout  ce  que  sa  maîtresse  lui  a  fait  pa'rtager.  Cheld, 
chambellan  de  l'électeur  de  Cologne,  la  prend  à 
ses  gages,  la  délaisse,  puis  la  reprend  au  milieu 
de  l'été,  son  intérim  ayant  été  rempli  par  Ladaw, 
sujet  de  Catherine  IL  3Iilord  Binting  passe  presque 
inaperçu. 

Mais  il  en  est  dilïéremment  d'un  jeune  mous- 
quetaire gris  ayant  nom  d'Hérouville  :  il  aime,  et 
il  le  prouve  en  contractaat  assez  de  dettes  pour 
compromettre  son  avenir  ;  par  exception,  il  est 
beaucoup  aimé.  Le  père  de  ce  jeune  homme,  alln 
de  mettre  un  terme  à  des  relations  ruineuses, 
s'entend  avec  son  commandant,  et  le  jeune  mous- 
quetaire est  enfermé,  par  ordre,  à  l'Abbaye.  Le 
lendemain,  dimanche.  M"''  Mars  attend  son  amant 
au  Wauxhall.  Son  cœur  bat,  chaque  fois  qu'elle 
croit  l'apercevoii",  et  ce  n'est  jamais  qu'une  illu- 
sion. Gomment  fait-elle  donc  pour  s'y  tromper  ? 
Personne  ne  ressemble  que  de  bien  loin  à  l'être 
qu'elle  chérit,  et  qui  sait  rendre  encore  plus 
d'amour  qu'elle  ne  lui  en  a  prodigué  !  Cependant 
l'heure  avance  ;  l'inquiétude  commence  et  tout  de 
suite  est  au  comble  :  la  jalousie  flaire  une  trahison. 
Une  rivale  ?  il  faut  la  découvrir,  la  deviner  au  besoin 
et  la  punir,  avant  que  le  jour  éclaire  sa  perfidie  !  Quelle 
est  la  brillante  habituée  qui  ce  soir-là  manque  au 
^Yauxhall  ?  Où  demeure-t-elle  ?  Faites  avancer  un 


BOULEVARD  MONTMARTRE.  323 

tiacre,  qui  roulera  toute  la  nuit.  Mais  un  ami 
apprend  à  Mars  qu'on  a  mis  en  prison,  pour 
le  séparer  d'elle,  l'amant  qu'elle  soupçonne  d'une 
inlidélité,  et  dans  son  désespoir  elle  se  trouve 
mal.  Quatre  hommes  la  portent  jusqu'à  la  voiture  ; 
elle  ne  reprend  tont-à-lait  connaissance  qu'en 
arrivant  au  boulevard  Montmartre.  Tout  lui  rappelle, 
dans  son  appartement,  la  tendre  allection  qui  lui 
est  arrachée,  et  elle  y  paye  pour  la  première  fois 
son  tribut  de  larmes  à  l'amour.  Puis  elle  change 
de  meubles  et  de  quartier,  avant  de  reprendre  le 
cours  des  galanteries  qui  laissent  son  cœur  libre. 
Quant  au  lils  de  famille,  on  le  rend  à  la  liberté  : 
mais  la  leçon  lui  protilera-t-elle  ?  A  quelques  années 
de  là  une  ligurante,  nommée  tololte,  devient  com- 
tesse d'Hérouville  pour  tout  de  bon. 

La  manufacture  de  papiers  peints  et  veloutés 
de  Robert  se  trouvait  établie,  sur  le  ooulevard, 
près  de  la  maison  où  demeurait  la  Mars. 

L'immortel  Boïeldieu,  sous  la  Restauration,  habi- 
tait le  même  boulevard,  et  il  y  écrivait  sa  plus 
belle  partition,  la  Dame  Blanche.  Rossini  et  Carafa, 
par  une  coïncidence  fortuite,  avaient  leurs  appar- 
tements à  cette  époque  dans  la  même  maison  que 
Boïeldieu,  en  d'autres  temps  ambassade  de  Turquie 
et  hôtel  du  prince   Tullakiue. 

Ce  prince  jusse  avait  pour  secrétaire,  sous 
le  règne  de  Louis-Philippe,  M.  Georges,  qui  l'ac- 
compagnait presque  partout  et  lui'  faisait  vis- 
à-vis  en  voiture.  A  cause  d'une  infirmité,  Tuffa- 
kine  portait  la  tête  excessivement  penchée  sur 
l'épaule  droite;  son  secrétaire,  à  force  détendre 
le  cou  pour  converser  avec  le  prince,  et  peut- 
être  aussi  par  llatterie,  contracta  le  même  tic 
dans  le  sens  opposé  :  son  épaule  gauche  fit  cous- 
sin pour  sa  tête.  Lorsque  tous  deux  marchaient 
à  pied,  et  que  le  bras  droit  de  M.  George  sou- 
tenait le  bras  gauche  du  prince,  il  leur  était  im- 


su  BOULEVARD  MONTMARTRE. 

possible  de  causer;  s'ils  changeaient  de  côté,  les 
deux  têtes  se  cognaient,  et  les  passants  d'en  rire. 
Le  passage  Jouffroy,  formé  en   1845,    traverse 
l'ancienne   habitation  de  ïuflakîne. 


Rue   CaH^iiii.   (i) 


Colbert  sut  retenii"  eu  France,  eu  lui  offrant 
ses  lettres  de  naturalisation,  l'Italien  Cassini,  dont 
les  découvertes  astronomiques  signaient  de  pareils 
titres  aux  étoiles,  en  vertu  du  génie,  procuration 
du  ciel,  et  ce  fut  un  astre  de  plus  dans  la  pléiade 
Irançaise  du  grand  siècle.  Une  étoile  ne  va  jamais 
seule.  Celles  des  Cassini  se  suivirent  comme  une 
seconde  voie  lactée.  Jacques  Cassini,  satellite  de 
Jean-Dominique,  eut  lui-même  pour  petites  planètes 
les  Cassini  de  Thury,  membres  aussi  de  l'académie 
des  Sciences  et  directeurs  de  l'Observatoire,  pour 
continuer  l'orbite  décrite  de  père  en  fils. 

Nous  avons  revu  dans  la  rue  de  Babylone,  près 
de  l'hôtel  Matignon,  un  hôtel  Cassini.  Jacques  n'en 
habita  pas  moins,  et  son  père  peut-être  avant 
lui,  une  maison  à  jardin  dans  la  rue  des  Deux- 
Anges,  qui  s'est  encore  appelée  Maillet,  sortes 
de  prénoms  qu'on  a  fait  suivre  du  glorieux  nom 
de  famille  qui  reste  sur  l'écriteau  ;  cette  propriété 
donnait  aussi  rue  du  Faubourg-Saint-Jacques,  et 
elle  avait  pour  encoignure  le  bureau  des  entrées 
en    ville. 

De  l'autre  côté  sont  un  autre  jardin  et  une 
autre  maison,  bâtie  aussi  pour  un  des  Cassii.i. 

Dans  l'une  des  deux,  il  y  a  quelques  années, 
un  maître  de  pension  avait  parqué  ses  élèves. 
Mais  à  l'époque  où  M'""  Sand  écrivait  Léiia  ot 
Valentine,  nous  eussions  vu  souvent  Jules  Sandeau 
se  promener  ou  s'asseoir,  sous  les  arbres  du  jardin, 
entre  Balzac  et  M'"''  Sand  ;  or  l'auteur  du  Docteur 


(1)  Notice   écrite   en    1808. 

21 


S26  RUE    CASSINI. 

Herheau  est  resté  depuis  comme  rivé  à  cet  emploi 
de  trait-d'union  par  la  nature  même  de  son 
talent.  Les  dames  du  Sacré-Cœur  ne  sont  que 
momentanément  les  locataires  de  cette  villa  intra 
muros,  pendant  que  leur  maison,  boulevard  des 
Invalides,  se  rétablit  de  fond   en  comble. 


Rue    Giiénég;aiid.    (i) 


Henri  de  Guénégaud,  ministre  et  secrétaire  d'Etat, 
acheta  de  la  princesse  Marie  de  Gonzague  de 
Clèves,  veuve  du  duc  de  Nevers,  l'hôtel  de  Nevers, 
et  il  s'y  établit,  après  y  avoir  fait  de  grandes 
réparations,  en  quittant  le  Marais.  Le  théâtre 
particulier  de  l'hôtel  avait  servi  aux  répétitions 
de  Pomone,  le  premier  des  opéras  français  ;  cet 
ouvrage,  monté  par  l'abbé  Perrin,  qui  avait  écrit 
les  paroles,  par  Lambert,  auteur  de  la  musique,  beau- 
père  de  Lulli,  et  par  le  marquis  de  Sourdac,  tous 
trois  en  possession  du  premier  privilège,  fut  repré- 
senté en  mars  1671  rue  Mazarine,  dans  une  salle 
de  spectacle  substituée  h  un  jeu  de  paume,  et 
qui  suivit  l'exemple  de  la  rue  située  vis-à-vis  en 
prenant  le  nom  de  Guénégaud.  Mais  l'hôtel,  en 
passant  par  voie  d'échange  entre  les  mains  de 
la  princesse  de  Conti,  changea  encore  de  déno- 
mination, avant  de  faire  place  à  l'hôtel  des  Mon- 
naies, dont  la  première  pierre  fut  posée  par  l'abbé 
Terray. 

Des  représentations  d'un  autre  genre  étaient 
données  vers  le  même  temps  à  l'un  des  angles 
de  la  rue  Guénégaud,  vis-à-vis  du  château-Gaillard, 
petite  tour  en  encorbellement  sur  la  Seine.  Le 
fameux  Jean  Brioché  y  exploitait  son  Ihéâti-e  de 
marionnettes. 

Peu  d'années  après  l'ouverture  du  collège  des 
Quatre-Nations,  l'abbé  de  la  Roque  habitait  l'une 
des  maisons    appartenant  audit    collège    dans    la 


(1)   Notice  écrite   en   1861. 


■:iiifi  RUE  GUENEGAUD. 

rue  Guénégaud:  il  y  avait  tous  les  jeudis  chez 
cet  ecclésiastique  une  conférence  scientifique. 

Au  n°  12  demeurait  M.  de  Blégny,  médecin  du 
roi,  «  préposé  ci  la  recherche  et  vérification  des 
nouvelles  découvertes  de  la  médecine,  dit  un  livret 
du  temps,  et  renommé  pour  les  descentes,  les 
maux  vénériens  et  généralement  les  maladies 
extraordinaires.  »  Ce  praticien  tenait  ii  Popincourt, 
dans  la  rue  du  même  nom,  une  grande  maison 
de  santé,  avec  bibliothèque  et  jardin  botanique. 
Oh  !  alors  M.  de  Blégny  semblait  marcher  de 
pair  avec  Fagon,  qui  avait  le  Jardin-des-Plantes 
sous  sa  direction  et  qui  était  premier  médecin 
du  roi.  Il  figurait  sur  la  liste  des  curieux,  c'est- 
à-dire  des  amateurs  d'objets  d'art  et  de  curiosité, 
et  il  faisait  parler  de  sa  bienfaisance,  en  homme 
qui  savait  déjà,  tout  comme  les  intrigants  de 
nos  jours,  que  c'est  pour  la  publicité  la  meilleure 
forme  à  revêtir.  On  s'aperçut  trop  tard  que  ce 
prince  de  la  science  cachait  un  charlatan,  et 
plus  il  avait  eu  le  talent  de  donner  le  change, 
plus  le  scandale  de  sa  chute  fut  honteux.  Que 
de  gens  se  plaignirent  alors  d'avoir  été  les  dupes 
de  ce  savant  bienfaiteur  de  l'humanité  !  Mais  des 
victimes  encore  plus  à  plaindre  se  taisaient  pour  de 
bonnes  raisons. 

Un  autre  médecin  du  roi,  nommé  Daguin,  avait 
eu  en  1667  près  du  quai,  dans  la  même  rue, 
son  domicile,  qui  n'était  séparé  du  réservoir  d'eaux 
à  l'usage  de  M,  de  Guénégaud  que  par  une  maison 
tenant  l'angle. 

Quelle  que  fût  la  notoriété  de  ces  confrères 
de  M.  Purgon,  il  restait  après  eux  dans  la  rue 
Guénégaud  un  coin  encore  dépourvu  de  construc- 
tions. Une  assez  grande  place  à  bâtir  s'y  adjugea 
en  1719,  moyennant  24,000  livres,  à  Jacques  Tassy, 
sur  décret  poursuivi  à  la  requête  des  créanciers  unis 
de  M.   de    Plancy.  Ce  débiteur  lui-même   n'était- 


RUE  GUENEGAIID.  329 

il  pas  le  fils  de  Pierre  de  Plancy,  apothicaire  de 
la  princesse  Henriette  de  France,  reine  d'Angleterre? 

Dans  un  hôtel  garni  de  la  même  rue,  par  un 
beau  jour  de  juin  1762,  descendit  une  Italienne, 
la  dame  Paganini,  qui  venait  de  chanter  à  Londres 
l'opéra.  Le  mari  de  cette  actrice  était  de  la  famille 
(lu'un  virtuose  a  rendue  célèbre  depuis  lors,  et 
il  accompagnait  sa  femme,  qui  était  belle,  bien 
(}u'elle  eût  atteint  quarante  ans.  C'est  la  seule 
quarantaine,  hélas  !  que  M™''  Paganini  imposa  à 
l'amour  d'un  seigneur  espagnol,  le  comte  de 
Cantilane,  marquis  de  Castromonte,  ambassadeur 
de  Naples  h  Paris.  Combien  de  fois  n'oublia-t-elle 
pas  l'heure  à  laquelle  son  mari  l'attendait  aux 
Tuileries,  une  canne  à  la  main,  pour  y  faire  avec  elle 
un  tour  de  promenade!  Les  aflaires  ne  souffraient 
en  rien  des  audiences  données  à  la  belle  par 
l'ambassadeur,  paresseux  chef  d'emploi,  auquel  il 
se  trouvait  bien  qu'on  eût  donné  pour  doublure 
un  bon  secrétaire,  qui  n'était  autre  que  l'abbé 
Galiaiii,  l'économiste  et  le  littérateur.  L'ambassadeur 
ne  faisait  rien  sans  son  second.  Le  secrétaire,  qui 
plus  est,  infligea  la  peine  du  talion  au  galant  qui 
trompait  M.  Paganini.  Mais  ce  dernier  n'en  eut 
que  plus  longtemps  à  croquer  le  marmot  au  jardin 
des  Tuileries  ! 

Plus  tard  encore  l'illustre  Condorcet  occupait  cinq 
ou  six  pièces  de  l'entresol,  k  l'hôtel  de  la  Monnaie, 
et  le  député  Camus,  ancien  avocat  du  clergé, 
archiviste  de  la  République,  puis  garde  des  Archives 
Nationales,  un  autre  logement  dans  la  rue,  au 
n"  9  ou   17. 


hiC»  Galeries  fin  Palaisi^-Royal*  (i) 


Précis  historique  des  2V  ans  for  mations  du  Jardin, 
des  Galeries,  des  Spectacles,  des  Restaurants  et 
des  Maisons  de  Jeu    du   Palais-Royal. 

L'hôtel  de  Rambouillet,  qui  avait  appartenu  au 
connétable  d'Armagnac,  et  l'hôtel  de  Mercœur 
furent  démolis  pour  faire  place  au  palais  élevé 
par  le  cardinal  de  Richelieu,  qui  supprima  égale- 
ment les  murailles  et  les  fossés  de  l'enceinte  de 
Charles  V  traversant  diagonalement  l'emplacement 
du  jardin  du  palais.  Cet  emplacement,  qui  relevait  de 
trois  seigneuries  dilîérentes,  étaitdu  fief  Popin,  pourla 
plus  grande  partie;  du  fief  du  chapitre  Saint-Honoré, 
dit  les  Treize-Arpents,  pour  la  plus  petite,  et  dans  la 
eensive  de  l'archevêché,  pour  le  reste.  Une  borne 
fut  plantée,  un  an  avant  la  mort  du  cardinal,  et 
en  présence  de  son  fondé  de  pouvoirs,  pour  mar- 
quer le  point  de  contact  des  censives  de  Saint- 
Honoré  et  de  l'archevêché  :  là  se  trouve  braqué 
de  nos  jours  le  petit  canon  sur  les  bordées  duquel 
se  règlent  tant  de  montres  et  tant  d'horloges  ! 
Toutefois  le  terrain  garda  d'abord  des  inégalités, 
dans  ce  jardin  où  il  y  avait  un  mail,  et  un  manège, 
et  deux  bassins.  Le  testament  du  cardinal  lit 
hommage  au  roi  du  palais,  qu'Anne  d'Autriche 
habita,  puis  la  reine  d'Angleterre,  veuve  de  Charles 
P',  et  dont  Louis  XIV  constitua  la  propriété  en 
apanage  à  son  frère,  le  duc  d'Orléans.  Les  aca- 
démies de    peinture    et    de    sculpture    y    tinrent 


(1)  Notice   écrite  ea   1861. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.  331 

néanmoins  leurs  séances,  mais  dans  le  palais  Brion, 
pavillon  détaché  du  grand  palais  sur  la  rue  Richelieu. 
Le  régent  lit  ensuite  du  jardin  du  Palais-Royal, 
en  y  donnant  plus  facilement  accès,  la  promenade 
de  la  bonne  compagnie.  Le  fils  du  régent  ordonna 
de  le  retracer  entièrement  ;  alors  des  statues, 
des  charmilles  taillées  en  portiques,  quatre  allées 
d'ormes  et  des  quinconces  de  tilleuls  furent  disposés 
autour  des  deux  bassins  et  à  l'ombre  de  quelques- 
uns  des  grands  marronniers  dont  Richelieu  avait 
planté  l'allée. 

La  promenade  n'était  pas  absolument  publique, 
et  pourtant  le  jardin  des  Princes,  dont  le  Théâtre- 
Français  occupe  en  partie  la  place,  était  le  seul 
dont  la  maison  princière  réservât  la  jouissance  à 
ses  familiers.  Les  habit^uits  de  toutes  les  maisons 
qui  formaient  le  pourtour  du  grand  jardin,  rue 
Richelieu,  rue  Neuve-des-Pelits-(;hamps,  rue  Neuve- 
des-Bons-Enfants  et  rue  des  Bons-Enfants,  avaient 
le  droit  de  s'y  promener  jusqu'à  une  heure  du 
matin;  mais  les  femmes  en  manteau  de  lit,  ou 
autre  déshabillé,  et  les  hommes  en  veste,  robe  de 
chambre  ou  bonnet,  n'avaient  la  permission  de 
s'y  montrer  que  dans  la  matinée,  et  encore  sans 
s'y  arrêter.  Les  domestiques  ne  pouvaient  tra- 
verser le  jardin  que  jusqu'à  une  certaine  heure, 
et  s'y  promener  que  le  jour  de  la  fête  du  roi, 
ainsi  que  le  jour  de  la  fête  du  prince.  Le  diman- 
che, l'affluence  était  considérable  dans  les  allées 
de  ce  quadrilatère,  deux  fois  plus  étendu  que  de 
nos  jours  et  disposé  plus  agréablement.  Les 
belles  soirées  y  attiraient  surtout  une  foule  élé- 
gante, à  la  sortie  de  l'Opéra,  qui  était  situé  près 
de  la  cour  des  Fontaines  et  fermait  à  dix  heures. 
Les  portiers  des  propriétés  attenantes  tiraient 
parti  de  leur  clef  de  communication  et  ne  rece- 
vaient pas  d'autres  gages,  en  général,  que  cette 
rétribution.  Celui  de  la  maison   qui   formait    en- 


332         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

coignure  du  côté  de  l'hôtel  de  Toulouse,  main- 
tenant la  Banque,  ouvrait  aux  heures  indues, 
moyennant  un  écu,  dans  les  premières  années  <lu 
règne  de  Louis  XVI,  et  le  portier  du  petit  hôtel 
Radziwill  apostait  un  commissionnaire,  toute  la 
nuit,  pour  introduire  à  son  profit  les  couples, 
amis  des  ténèbres,  qui  se  glissaient  dans  les  bos- 
quets. Le  lieutenant-de-police  n'avait  rien  à  y 
voir;  de  son  autorité  ne  relevait  pas  l'ancien 
inspecteur  de  police,  chevalier  de  Saint-Louis, 
nommé  Buot,  chargé  par  le  duc  d'Orléans,  avec 
un  petit  nombre  de  gardes  sous  ses  ordres,  de 
réprimer  beaucoup  trop  d'infractions  pour  qu'il 
ne  fermât  pas  les  yeux  sur  quelques-unes. 

En  l'année  1780  la  propriété  du  palais  et  de 
ses  dépendances  fut  transmise  à  titre  de  donation 
par  le  duc  d'Orléans  à  son  fils  Louis-Philippe- 
Joseph,  duc  de  Chartres,  qui  avait  formé  le  pro- 
jet d'y  élever  aux  dépens  du  jardin  un  entourage 
de  portiques,  surmontés  de  bâtiments  divisés  en 
appartements.  Ce  qui  devait  être  une  source  de 
revenus  en  même  temps  qu'un  embellissement. 
Car  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  constructions 
environnantes  n'étaient  plus  toutes  d'un  aspect  fort 
décent,  nous  en  pouvons  encore  juger.  Comme 
celles-ci  perdaient  de  leur  valeur  k  être  séparées 
du  jardin,  les  propriétaires  contestèrent  au  prince 
le  droit  de  faire  bâtir;  mais  le  parlement  de 
Paris  prononça  contrairement  à  leurs  prétentions. 

Lesdits  propriétaires  se  suivaient  dans  l'ordre 
suivant  : 

De  Maussion,  linaucicr,  deineurant  chaussée  d'Ântin, 
propriétaire  rue  Richelieu,  près  ]e  Palais.  —  La  B"»<^  de 
Nieuwerkerque,  demeurant  au  Louvre.—  Le  président 
d'Ecquevilly,  à  Arpajon.  —  Dalainville,  maréchal-des- 
logis  du  roi.  —  DuquesQoy,  grand-maître  des  eaux  et 
forêts.   -  De  Bourboulon,  trésorier  de  S.  A.  R.  la  comtesse 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROVAL.         333 

d"Arlois.  —  Doclie,  rue  de  l'Echelle- Sainl-Honoré.  — 
Rousseau  de  Bel-Air,  rue  Sainte-Avoyo.  —  Le  président 
Sarol,   rue    de    l'Universilé,  vis-à-vis  la    rue  de  Beau  ne. 

—  Le  M's  de   Péruse-d'Escars,  rue  des  Vieilles-Tuileries. 

—  Desperre,  ancien  syndic  des  perruquiers.  —  De 
l'Epine,  demeurant  au  carrefour  aes  Quatrc-(Jheniins, 
butte  Saint-Roch,  et  Mlle  Dionis,  rue  de  la  Sour- 
dière  :  2  maisons.  —  Vigoureux,  épicier-cirier  rue  Croix- 
des-Pelits-Champs  :  2  maisons.  —  Lecomte,  secrétaire 
du  roi.   —  Leroy,  demeurant  rue  Neuvo-dcs-Pctits-Pères. 

—  Neveu,  architecte,  rue  du  Four- Saint-Germain  :  3 
maisons.  —  Jousserand,  limonadier:  3  maisons.  —  Boudel, 
maître-maçon,  demeurant   rue  du    Four-Sainl-Germain  : 

2  maisons.  —  Pv,oger,  à  Charonne  :  2  maisons.  —  V^ 
Fortier  :  2  maisons.  — {Ici  twnaiciit  3  maisons  sises  au 
coin  de  la  rue  Neuvc-dei-Petiis-Charnps  ci  ne  donnant 
pas  vue  sur  le  jardin.)  —  Boitcl,  pâtissier,  rue  Ncuve- 
des-Petits-Champs:    2   maisons: —   De  Laroche,  notaire  : 

3  maisons.  —  Jardin,  architecte,  demeurant  rue  du 
Doj'enné  :  3  maisons.  —  Lesin-it,  libraire  du  duc  de 
Chartres,  rue  Saint-ïhomas-du-Louvi  e.  —  Le  M^-~  de 
Talaru,  rue  Neuve-Saint-Marc,  et  ^NI""^'  V"  Dubois:  2 
maisons.  — Collignon,  demeurantà  la  gramiePoste  :  -2  mai- 
sons.—  V^  Saliard:  4  maisons.  —  Teillagory,  maître  on  fait 
d'armes:  2  maisons.  —  Tourlot,  ancien  receveur  des 
finances:  3  maisons.  —  Lebla''C:  3  maisons.  —  De 
Blainville,  ancien  secrétaire  du  roi  :  3  maisons,  au 
coin  de  la  rue  Neuve-des-Bons-Enfauts.  —  Guiraud  de 
Tallej'rac,  maître-maoou,  demeurant  chaussée  d'Antin, 
propriétaire   rue    Neuve-desBons-Enfants.    —    Legrand. 

—  Favre.  —  Bellanger,  conseiller  au  Chàtelet.  —  Caquet, 
chef  du  bureau  des  insihuations,  demeurant  rue  Mont- 
martre, près  la  rue  Tiquetonne.  —  Alove,  prêtre.  — 
La  pupille  de  Leteigner,  architecte,  demeurant  rue  de 
Grenelle.   —  Léger,  ancien  procureur,  rue    du  Chantre. 

—  Dennery.  —  M^e  Duchauffour,  demeurant  à  l'hôtel 
Charost,  rue  Montmartre.  —  Gaillard,  écuyer  du  roi, 
rue     Grange-Batelière.      —     Froment    de    Charagal,    à 


334  LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

Versailles.  —  Moreau,  architecte  du  roi  et  de  la  Ville, 
rue  de  la  Mortellerie.  —  Deroulet,  conseiller  au  parlement, 
rue  Sainte-Anne.  —  Le  Mis  de  Cany.  —  Aurj-,  ancien 
avocat.  -■•  M"e  Je  Grigny,  demeurant  au  Palais.  —  M^e 
Caquet,  chez  M.  Duchàtcîet.  —  Le  C*e  de  Carvoisin,  rue 
de  Bourbon.  — Le  Mi^  de  Voyer-d'Argenson,  hôtel  de  la 
Chancellerie  d'Orléans,    rue  des    Bons-Enfants. 

Le  17  juin  1781  lui-eiit  signées  les  lettres-pa- 
tentes autorisant  le  duc  de  Chartres  à  aliéner 
;2,oOu  toises  du  jardin  du  Palais  Royal,  à  pi^endre 
dans  son  pourtour.  Toulefois,  sur  les  dessins  de 
l'architecte  Louis,  auteur  du  théâtre  de  Bordeaux, 
étaient  déjà  commencés  les  travaux  de  la  cons- 
truction des  galei^ies,  dont  Berthault  tils  avait 
l'entreprise  générale,  lorsque  la  salle  de  l'Opéra, 
déjà  incendiée  dix-huit  années  avant,  brûla  de 
nouveau  le  8  juin  1781,  après  une  représentation 
(ÏOrphée.  Pour  cette  fois  le  Palais-Royal  perdit 
tout-à-fait  l'Opéra,  qui  h\i  rebâti  près  la  porte 
Saint-Martin.  En  revanche,  le  prince  jeta  un  peu 
plus  tard  les  fondements  d'une  autre  salle  de 
spectacle  sur  une  portion  du  jardin  des  Princes 
et  de  l'ancienne  grande  galerie,  qui  occupait  un 
emplacement  destiné  par  le  cardinal  de  Richelieu 
à  la  construction  d^un  hôtel  pour  son  petit-neveu. 
Ce  théâtre  ne  fut  ouvert  que  postérieurement 
encore,  sous  le  nom  de  théâtre  de  la  Nation. 
Seulement  Gaillard  et  d'Orféuille,  qui  en  furent 
les  directeurs  en  vertu  d'un  bail  arrêté  d'avance, 
s'établissaient  tout  près  de  là,  dans  une  salle 
provisoire  en  bois,  dès  le  commencement  de 
1784,  à  la  tête  d'une  troupe  déjà  très-connue  dans 
les  foires,  où  l'avait  protégé  le  lieutenant-de-police 
Lenoir,  la  troupe  des  Variétés  amusantes.  Divers 
genres  étaient  exploités;  mais  ni  la  comédie  à  ariettes 
ni  la  tragédie  ne  se  jouait  audit  théâtre  des 
Variétés,  où  se  créèrent  les  Jeannots  et  les 
Pointus,   types  comi(iues. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.  335 

D'autres  établissements  ayant  en  vue  Tamuse- 
ment  public,  qui  se  groupèrent  au  Palais-Royal 
après  la  construction  des  galeries,  mais  avant  la 
Révolution,  étaient  ceux-ci  :  —  Le  musée  des 
Enfants,  ouvert  en  octobre  1785,  au-dessus  d'un 
café  et  près  des  Variétés.  Son  directeur,  qui 
avait  nom  Tessier,  était  probablement  le  même 
qui  avait  dirigé  le  théâtre  des  Elèves-de-l'Opéra, 
boulevard  du  Temple,  de  1779  l\  1784.  —  Le 
spectacle  des  Pygmées-Français,  qui  dut  faire 
concurrence  au  musée  des  Enfants  et  qui  avoi- 
sinait  le  passage  des  Trois-Pavillons.  —  Le  cabinet 
de  Gurtius,  peintre  et  sculpteur,  qui  ne  dédai- 
gnait pas  de  fabriquer  des  ligures  de  cire  qu'on 
montrait  pour  2  sols,  proche  le  café  Corazza. 
—  Le  spectacle  des  Famoccini,  où  l'Italien  Gas- 
tagna  donnait  deux  représentations  par  jour. 
Les  spectateurs  y  payaient  1  livre  16  sols  dans 
les  loges.  —  Les  Ombres-Chinoises,  tenues  par 
Séraphin.  Ce  spectacle  mécanique,  auquel  on 
assistait  moyennant  12  ou  24  sols,  était  recom- 
mandé à  cause  de  sa  moralité  aux  enfants,  aux 
demoiselles  et  aux  abbés  par  le  crieur  chargé 
d'annoncer  aux  passants  chaque  représentation, 
devant  les  n"^  119,  120  et  121  actuels.  —  Le 
Concert-des-Amateurs,  salle  construite  en  1783 
à-peu-près  à  l'extrémité  de  l'aile  gauche  des 
galeries.  Les  séances  musicales  de  cette  salle 
faisaient  suite  k  de  brillants  concerts  qui,  pen- 
dant douze  années,  avaient  presque  rivc.lisé  avec 
le  Concert-Spirituel  des  Tuileries.  —  Le  théâtre 
Beaujolais,  fondé  dans  le  même  temps  et  au 
bout  de  la  même  galerie.  Le  duo  de  Chartres  en 
confia  l'entreprise  à  Gardeur-Lebiun,  après  une 
série  de  représentations  données  à  un  public 
d'élite  et  auxquelles  succédaient  tout  bonnement 
les  exercices  des  petits  comédiens  ordinaires  du 
comte  de  Beaujolais,  le  plus  jeune   des    fds    du 


33G         LKS  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

j)i'iiice.  Ces  petits  comédiens  étaient  de  grandes 
marionnettes,  auxquelles  se  substituèrent  des 
acteurs  vivants,  qui  chantaient  ;  malheureusement 
l'Opéra  s'en  émut,  le  théâtre  Beaujolais  lut  rappelé 
à  l'ordre  et  ne  mit  plus  en  scène  que  des  enfants, 
marionnettes  sans  heelles,  pour  lesquelles  on 
recommença  à  parler  et  à  chanter  dans  la  cou- 
lisse. —  Enlln  le  Cirque,  construction  à  demi 
souterraine,  dominée  par  une  teirasse et  présen- 
tant à  l'inlérieur  une  arène  destinée  à  des  exer- 
cices équestres,  mais  oi!  l'on  joua  la  comédie, 
où  l'on  donna  des  bals  et  de  grands  repas  :  cet 
amphithéâtre  en  sous-sol  était  pris  à  l3ail  par 
Rose  de  Saint-Pierre,  restaurateur.  Pourtant  le 
prince  destinait  originairement  le  Cirque  à  des 
fêtes  et  à  des  exercices  particuliers  à  sa  maison, 
comme  l'annoneaitune  lettre  élogieusede  Dulaure, 
publiée  en  i787.' 

Un  ou  deux  établissements  de  bains  avaient  été 
créés  également  par  le  prince  ;  on  y  prenait  des 
bains-dépilatoires  et  des  douches.  Il  y  avait  jusqu'à 
une  hôtellerie,  dite  l'hôtel  des  Bains-de-Son-Al- 
tesse-Sérénissime,  faisant  à-peu -près  face  au 
café  Corazza.  Sur  plusieurs  points  des  clubs 
s'étaient  formés  ;  on  appelait  ainsi  tous  les  cer- 
cles à  cette  époque,  mais  suitout  un,  dans  le 
Palais-Royal,  un  qui  ne  portait  pas  d'autre  nom  et 
dans  lequel  on  ne  jouait  pas.  Le  Salon-des-Arts 
s'était  ouvert  en  novembre  1784  au-dessus  du 
café  du  Caveau,  et  une  assemblée  Militaire,  com- 
posée d'ollîciers  supérieurs,  près  du  Salon-des- 
Arts.  La  société  Olympique,  dont  tous  les  membres 
devaient  être  aftiliés  à  quelque  loge  maçonnique, 
se  trouvait  encore  plus  voisine  de  la  société  des 
Colons,  exclusivement  composée  d'Américains  pos- 
sesseurs de  biens  aux  Antilles,  et  il.  y  avait  en 
outre  à  l'étage  supérieur  une  logé  maçonnique: 
le  tout  entre  l'hôtel  des  Bains  et  les   galeries  de 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         337 

Bois.  Le  Salon-des-Échecs,  installé  au-dessus  du 
café  de  Foy,  était  l'académie  des  joueurs  d'échecs; 
tout  autre  jeu  était  prohibé  dans  ce  cercle  ;  un 
membre  nouveau  n'y  pouvait  être  admis  qu'à 
l'unanimité  des  voix. 

Le  café  de  Foy  avait  été  fondé  par  un  ancien 
officier  de  ce  nom  en  1749,  dans  une  maison  de 
la  rue  Richelieu  répondant  de  nos  jours  au  n" 
46,  et  dont  l'escalier  donnant  sur  le  jardin  d'alors 
existe  encore  à  l'état  de  passage  entre  cette  rue 
et  la  rue  Beaujolais.  Jousserand  fut  successeur 
de  Foy  ;  sa  femme  obtint  du  duc  d'Orléans,  vers 
1774,  l'autorisation  de  vendre  des  glaces  dans  le 
jardin,  sans  y  dresser  de  tables  :  la  limonade  et 
les  glaces  du  café  étaient  servies  sur  des  plateaux, 
qu'on  plaçait  seulement  sur  des  chaises.  A  la 
formation  des  galeries,  Jousserand  se  rendit  lo- 
cataire des  arcades  situées  en  regard  de  son 
ancien  café,  qui  n'eut  qu'à  traverser  la  nouvelle 
rue,  et  à  cette  location  vint  s'ajouter  celle  de 
quatre  pavillons  dans  le  jardin.  À  l'étage  supé- 
rieur se  donnaient  des  concerts,  qui  ne  commen- 
çaient pas  avant  minuit,  crainte  de  déranger  les 
parties  engagées  au  Salon-des-Échecs. 

Aussi  bien  le  Palais-Royal  n'était-il  pas  le  lieu 
du  monde  où  l'on  faisait  alors  le  plus  de  musique  ? 
Autant  de  cercles,  autant  de  salles  de  concerts. 
Le  baron  de  Pudinée,  résidant  à  l'entrée  de  la 
galerie  Montpensier,  recevait  les  chanteurs  et 
chanteuses  en  vogue,  (|u'il  accompagnait  au  clavecin. 
Parfois  un  duo  conjugal  enchantait  la  même  galerie, 
où  Cliéron,  basse-taille,  et  M"'"  Chéron  habitaient 
celle  des  arcades  du  Palais  qui  répondait  au  n" 
29.  Or  Cliéron  ne  quitta  le  théâtre  qu'en  1808; 
mais  sa  femme,  née  Dozon,  qui  avait  débuté  à 
l'Opéra  dans  l'emploi  de  M"'^  Saint-Huberti,  malgré 
ce  chef  d'emploi,  émigra  au  bras  de  son  amant, 
un  gentilhomme.  Les  gluckistes  et  les  piccinistes 


338  LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

se  donnaient  rendez-vous  au  café  du  Caveau,  et 
le  soir,  après  le  spectacle,  quand  on  avait  fermé 
les  volets  derrière  lesquels  ces  habitués  s'échauf- 
faient dans  la  querelle  d'école  à  école,  il  ne  fal- 
lait rien  moins,  pour  les  mettre  un  instant  d'accord, 
qu'une  romance  que  leur  chantait  Garât.  Les  célèbres 
Rameau,  Boucher,  Piron,  Collé,  Duclos,  Fuzelier 
et  Crébillon  fils  avaient  été  au  nombre  des  fon- 
dateurs de  la  société  du  Caveau,  qui  se  réunis- 
sait chez  Dubuisson,  et  l'établissement  de  ce 
dernier  n'avait  kii-même  ([u'îi  peine  changé  de 
place  en  s'avanrant  sous  les  arcades.  A  Dubuis- 
son succéda  Cuisinier,  dont  la  fenmie,  veuve  en 
premières  noces  d'un  médecin,  ouvrit  fructueu- 
sement au  café  du  Caveau  une  souscription  pour 
les  pauvres,  à  l'occasion  des  rigueurs  excessives 
de  l'hiver  de  1788. 

Comme  i-emontant  à  cette  époque,  citons  encore  : 
le  restaurant  Véry,  le  café  de  Ghailres,  le  café 
de  Valois  et  l'établissement  que  Beauvilliers,  ancien 
chef  de  cuisine  du  prince  de  Condé,  ouvrit  pri- 
mitivement vers  le  milieu  de  la  galerie  de  Valois. 
Dans  une  loge  de  francs-maçons,  au-dessus  du 
café  de  Valois,  se  carrait  une  salle  à  manger  de 
60  h  80  couverts.  L'origine  du  magasin  de  comes- 
tibles de  Corcellet,  autre  célébrité  gastronomique, 
n'est  qu'à  peine  postérieure  à  la  construction  des 
arcades,  et  il  en  est  de  même  pour  celui  de 
Chevet,  qui  s'établit  dans  les  galeries  de  Bois. 
Ces  galeries,  au  nombre  de  deux,  avaient  été  élevées 
à  peu  de  frais,  en  attendant  la  construction  pro- 
jetée d'une  quatrième  galerie.  On  les  avait 
garnies  d'échopes  en  planches,  sous-louées  prin- 
cipalement à  des  libraires  et  à  des  marchandes 
de  modes  par  Romain  et  G%  qui  en  étaient  fermiers. 

Une  sorte  d'almanach  de  1787  énumérait  ainsi 
les  arcades  où  l'industrie  avait  un  caractère  par- 
ticulier à  signaler: 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         339 

No  2:  Feutre  appelé  his-bis,  qui  conserve  les  lèvres  et 
empêche  les  gerçures  ùi  le  gontlement.  Prix  :  3  liv. 
Par  le   sieur  Arnoux. 

No  8:  Curtius. 

N»  î)  :  Magasin  d'effets  précieux  à  prix  fixe,  par  Verrier 
et  C'e. 

No  13:  Papier  fait  avec  des  plantes,  écorces  et  végé- 
taux, inventé  par  le  sieur  Levrier-Delisle.  Volume 
in-12  imprimé  sur  ce  papier;  prix:  7  liv.  4  sols, 
chez  le  sieur  Ha'-douin,   libraire. 

No  15  :  Hôtel   de  Penthièvre,  garui. 

No  2]  :  Magasin   de  tableaux   du   sieur  Hamond. 

No  29  :  h' Amour  conduit  par  la  Folie,  gravé  par  M.  Bonnier, 
peintre    du  roi. 

N»  36:  Hôtel    de  Vauban,  meublé. 

No  40  :  Hôtel  de    Valois. 

No  42:  Magasin   de  dessins  et  d'estampes    de     Leuoir. 

No  J4  :  Cabinet  d'histoire  naturelle  de  M.  Adanson,  de 
l'Académie   des   sciences. 

No  50  :  Magasin  de  la  Manufacture  des  crystaux  de 
Saint-Cloud,   protégée  par  la   reine. 

No  65:  La  Société   Olympique. 

Nos  72,  75  :  b'alles   de   vente. 

No  78  :  Les  petits  comédiens  do  M.  le  duc  de  Beaujolois. 

No  87:  Magasin  de   bijoux  et  diamants  à  prix  fixe. 

No  90  :  Le   café  du  Caveau. 

No  92:  Bureau  de  la  souscription  des  Costumes  de 
théâtre. 

No  93  :  Cabinet  de   physique   du   sieur   Nozeda. 

No  98  :  Bureaux  de   MM.  Sarlat   et  C'». 

N»  99:  Entrepôt  de  toutes   sortes   de   vins. 

No  100  :  Hôtel  de  Moutpensier,  meublé. 

No  116:  Hôtel  d'Orléans. 

No  123:  Hôtel  du  Parc-Sainte-James. 

N"  127  :  Les  Ombres  chinoises,  spectacle  du  sieur 
Séraphin. 

No  133  :  Hôtel  de   Bèàujolois,  garni. 

No  137:  Hôtel   de  la  Reine. 


340        LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

N'o  113:  Magasin    de    confiance,  à    prix    fixe. 

^I"  107:  Bains   publics  d'e;au    des    fontaines   épuratoires. 

No  171  :  Société   des   Colons. 

Aussi  bien  l'exercice  de  toutes'  les  professions 
n'était  pas  toléré  sous  l'ancien  régime  au  Palais- 
Royal,  et  les  vidangeurs,  par  exemple,  n'en  étaient 
pas  moins  exclus  que  les  femmes  galantes  par 
état,  qualifiées  alors  /îiies  du  monde.  Un  marchand  et 
un  artisan  dépourvus  de  maîtrise  s'y  fussent  mis 
à  l'alnù  de  poursuites,  qu'aurait  rendues  impos- 
sibles leur  séjour  dans  l'enclos  de  la  résidence 
d'un  prince  du  sang  ;  le  règlement  empêchait 
donc  de  les  admettre  à  titre  de  locataires  dans 
le  pourtour  privilégié.  Ce  règlement,  arrêté  par 
le  prince  le  15  septembre  i78!2,  confiait  la  police 
générale  du  palais  et  de  ses  dépendances  à  Gardeur- 
Lebrun  le  jeune,  en  portant  au  nombre  de  huit 
les  gardes  placés  sous  les  ordres  du  nouvel  ins- 
pecteur. Que  si  cette  police  particulière  n'avait 
pas  été  bientôt  rattachée  à  la  police  générale 
par  les  rapports  hebdomadaires  de  Ronesse,  le 
successeur  où  le  collègue  de  Gaitleur-Lebrun,  son 
action  n'eût  pas  été  grande.  3Iais  nous  trouvons 
la  preuve  d'un  rapprochement  amiable  à  cet 
égard  dans  une  lettre  écrite  le  20  avril  1784  par 
le  lieutenant-de-police  à  l'abbé  Beaudeau,  et  que 
voici  : 

(c  Je  ne  puis  que  vous  remercier.  Monsieur,  de 
la  nouvelle  assurance  \ue  vous  voulez  bien  me 
donner  des  intentions  de  Monseigneur  le  Duc  de 
Chartres.  L'ordre  du  Prince  pour  maintenir  dans 
les  maisons  de  son  palais  le  même  ordre  qui 
s'observe  dans  presque  tout  le  surplus  de  la 
ville  retiendra  quelques  locataires  qui  voulaient 
abuser  de  la  faculté  du  privilège.  J'accepte  bien 
volontiers  le  parti  que  vous  me  proposez  d'en- 
tendre toutes  les  semaines  M.  Ronesse.  J'en  suis 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         341 

convenu  avec  lui,  et  vous  me  trouverez  continu- 
ellement disposé  à  concilier  tous  les  égards  res- 
pectueux dus  à  Son  Altesse  Sérénissime  avec 
l'exercice  d'une  police  qui,  pour  être  bien  faite, 
doit  suivre  les  règles  de  l'unité. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  autant  d'estime  que 
d'attachement,  Monsieur,  votre  très-humble  et 
très-obéissant  serviteur,  Lenoik.  » 

La  surveillance  de  l'inspecteur  était  facilitée  le 
soir,  dans  les  galeries,  par  le  plus  brillant  éclai- 
rage dont  on  se  fît  l'idée  en  ce  temps-là.  Hon- 
douin  avait  soumissionné  l'illumination,  à  raison 
de  50  livres  par  an  pour  l'entretien  de  chaque 
réverbère  allumé  six  heures  par  jour,  et  il  y 
avait  autant  de  réverbères  que  d'arcades,  c'est-à- 
dire  180. 

Si  les  galeries  du  Palais-Royal  avaient  été  tout 
de  suite  le  réfectoire  des  gourmets  et  un  bazar, 
une  loire  perpétuelle  et  une  ruche  de  bureaux 
d'esprit,  réunis  au  centre  de  Paris,  elles  tirent 
un  peu  plus  de  façons  pour  s'en  montrer  le 
lupanar  et  le  brelan.  Les  lilles  du  monde  y  fré- 
quentaient, dès  le  commencement,  les  promenades 
couvertes  et  découvertes  ;  mais  leurs  repaires  ne 
formaient  pas  encore,  sans  solution  de  continuité, 
le  couronnement  des  pilastres  corinthiens  séparant 
les  arcades.  Avant  de  permettre  qu'elles  y  fussent 
à  demeure,  sous  toutes  les  mansardes,  il  fallait 
bien  souffrir,  dans  un  lieu  public,  leur  passage. 
Le  soir,  ces  chauves-souris  de  l'amour  avaient 
déjà^  l'air  d'être  chez  elles  dans  le  jardin  et  les 
galeries  ;  mais  leurs  ailes  membraneuses  de  mam- 
mifères carnassiers  ne  faisaient  qu'y  raser  le  sol, 
et  il  leur  était  interdit  d'accrocher  aux  murailles, 
comme  les  hirondelles,  leurs  nids,  qui  promet- 
taient trop  souvent  la  couvée  pour  que  tout  n'y 
fût  pas  de  leur  part    imposture.    Il    leur    tall?i\ 

22 


342        LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

pour  s'élever,  en  passant,  au-dessus  du  rez-de 
chaussée,  un  galant  qui  ne  craignît  pas  de  leur 
donner  le  bras,  dans  l'escalier  d'un  hôtel,  où 
cette  contrebande  ne  passait  que  moyennant  le 
péage  d'un  demi-louis  par  heure.  Il  y  avait  même 
une  galerie  dans  laquelle  on  faisait  payer  le  même 
genre  d'hospitalité  deux  fois  plus  cher  au  parti 
de  l'opposition,  dans  une  ou  deux  maisons  qui 
restaient  fermées  au  beau  sexe.  Proh!  pudor.  Vln- 
sieurs  permissions  de  jeu,  accordées  antérieure- 
ment par  M.  de  Sartines  à  des  femmes,  qui 
restaient  soumises  au  contrôle  de  la  police,  avaient 
bien  été  renouvelées;  mais  on  maintenait  leurs 
tripots  autant  que  possible  dans  l'ancien  pourtour 
du  jardin.  On  jouait  chez  le  comte  de  Thiard, 
écuyer  du  duc  d'Orléans,  et  un  autre  tapis  vert 
s'arrosait  d'or  au  Palais  même  ;  mais  les  ambas- 
sades étrangères,  usant  du  même  privilège  que 
les  maisons  princières,  donnaient  pareillement  à 
jouer  sans  permission. 

Le  Palais-Royal  fut  aussi  le  premier  point  de 
repère  des  agitations  révolutionnaires.  Camille 
Desmoulins  y  mérita,  par  ses  discours,  le  surnom 
de  premier  apôtre  de  la  liberté,  et  la  prise  de 
la  Bastille  fut  décidée  d'abord  au  café  de  Foy. 
Plus  de  clubs  encore  y  avaient  pris  naissance  que 
nous  n'en  avons  cités  ;  toutes  ces  sociétés  venaient 
d'être  dissoutes  par  ordonnance,  en  1789.  N'y  en 
avait-il  pas  assez  pour  jeter  les  industriels  des 
galeries,  en  général,  dans  le  parti  du  mouvement 
quand  mênîe?  Le  prince  que  la  mort  de  son  père 
avait  fait,  ;t  son  tour,  duc  d'Orléans  était  dès-lors 
au  nombre  des  malcontents  et  n'attendait  pas  pour 
se  mettre  ouvertement  de  leur  parti  qu'ils  fussent 
victorieux  ;  il  allait  se  faire  peuple  sous  le  nom  d'E- 
galité, en  démocratisant  par  l'application  du  même 
titre  un  palais  que  spontanément  il  avait  fait  bour- 
geois, dix  ans  plus  tôt. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.        343 

Au  Cirque  eurent  lieu  les  premières  réunions 
des  Amis-de-la-Constitution,  et  Bonneville  y 
fonda  le  Club-Social,  dont  l'orateur  principal  fut 
Fauchet.  Par  malheur  les  conquêtes  de  la  liberté 
n'arrêtaient  pas  celles  de  la  licence,  qui  installait 
partout  des  filles  de  joie,  voire  même  au  Cirque, 
avec  un  jeu  de  passe-dix.  Artaud,  censeur  royal, 
écrivait  contre  le  pouvoir  des  libelles  sans  signa- 
ture, qu'il  dénonçait  lui-même  une  fois  lancés  :  il 
réunissait  pour  dîner  des  beaux-esprits,  tels  que  Cham- 
fort,  qui  était  son  voisin,  l'abbé  Delille  et  Rivarol, 
dans  un  ancien  salon  du  cercle  des  Échecs,  ou  au- 
dessus,  puis  il  donnait  à  jouer  à  de  plus  riches 
invités,  dans  ses  réunions  du  soir. 

Au  Perron  et  aux  alentours  on  se  contentait 
d'agioter  en  plein  jour.  C'était  la  Bourse.  Il  paraît 
que  les  coulissiers  de  l'époque  n'avaient  pas  l'é- 
légance de  ceux  qui,  de  nos  jours,  perdraient  tous 
leurs  clients  s'ils  n'avaient  pas  au  moins  l'air 
d'être  riches.  Mercier,  dans  son  Nouveau  Paris, 
parlait  des  agioteurs  du  Palais-Royal  en  ces 
termes  :   «  Leur  costume  est  assez  uniforme  :  c'est 

un  bonnet  à  poil  à  queue  de  renard Ils  sont 

en  veste,  ont  des  bottes  sales,  des  cheveux 
gras.....  Ils  se  tiennent  près  des  tavernes,  leurs 
repaires,  à  la  porte  des  théâtres.  » 

Le  directeur  du  théâtre  Beaujolais,  ayant  fait 
de  mauvaises  affaires,  passa  avec  sa  troupe  au 
boulevard  du  Temple,  dans  l'ancienne  salle  de 
Tessier,  qu'il  appela  le  théâtre  des  Variétés-Amu- 
santes, et  il  n'y  réussit  pas  mieux.  M""^  Marguerite 
Briant  de  Montansier,  directrice  des  spectacles 
de  Versailles,  de  Saint-Cloud  et  de  Fontainebleau, 
fit  agrandir  la  salle  Beaujolais,  et  l'ouverture  du 
théâtre  de  la  Montansier  y  eut  lieu  le  \^  avril 
1790.  Il  s'y  donna  des  opéras-comiques,  des 
comédies,  des  tragédies,  et  parmi  les  acteurs  qui 
débutèrent  sur    cette   scène,    auparavant    qu'elle 


344  I.ES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

s'appelât  théâtre  du  Péristyle-du-Jardin-Égalité, 
furent:  Baptiste  Cadet,  que  signala  surtout  la 
création  du  Désespoir  de  Jocrisse,  Damas,  M""  Sain- 
val  et  jusqu'à  M'"'  Mars.  La  directrice  de  ce 
spectacle  avait  épousé  l'acteur  Bourdon-Neuville; 
elle  habitait  le  second  étage  au-dessus  du  cate 
de  Chartres,  et  cet  appartement  qu'elle  conserva 
jusqu'à  la  fin  de  sa  longue  vie,  agitée  constam- 
ment par  les  intrigues,  les  dettes,  les  procès  ou  les 
persécutions,  communiquait  par  un  couloir  avec 
son  théâtre.  Le  foyer  en  fut  pendant  dix  ans 
l'un  des  refuges  de  la  gaieté  française  et 
de  l'esprit  de  conversation  ;  mais  le  salon  parti- 
culier de  M"'^^^  3Iontansier  acquit  de  son  côté,  dès 
les  premières  années  de  la  Révolution,  une  im- 
portance historique.  M.  Girault  de  Saint-Fargeau 
en  parle  comme  du  véritable  pandémonium  de 
l'époque.  «  On  y  a  vu  rassemblés,  dit-il,  dans 
une  même  soirée  Dugazon  et  Barras,  le  père 
Duchéne  et  le  duc  de  Lauzun,  Robespierre  et 
M"*=  Maillard,  Saint-Georges  et  Danton,  Martainville 
et  le  marquis  de  Chauvelin,  Lays  et  Marat,  Volange 
et  le  duc  d'Orléans.  Toutes  les  combinaisons  de 
l'intrigue  ont  trouvé  place  dans  ce  salon,  depuis 
les  intrigues  amoureuses  jusqu'aux  intrigues  poli- 
tiques ;  on  y  donnait  la  même  importance  à  une 
nuit  de  plaisirs  qu'à  une  journée  départi;  on  s'y- 
occupait  aussi  sérieusement  des  succès  de  la 
petite  Mars  que  des  événements  du  31  mai  ;  la 
belle  M"*"  Lillier  faisait  autant  d'impression  que 
les  discours  de  Vergniaud.  Au  bout  du  même 
canapé  de  damas  bleu  de  ciel,  usé,  tané  et  dé- 
chiré, sur  lequel  la  Montansier  arrangeait  son 
spectacle  de  la  semaine  avec  Verteuil,  son  régis- 
seur, le  comédien  Grammont  organisait,  à  l'autre 
bout,  avec  Hébert,  l'émeute  du  lendemain  aux 
Cordeliers.  Dans  un  coin  du  salon.  Desforges 
perdait  contre  Saint-Georges,  à  l'impériale,  l'argent 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 


345 


qu'il  empruntait  à  la  Montansier  sur  ses  droits 
d'auteur  de  la  pièce  eu  répétition.  Une  bruyante 
table  de  quinze  rassemblait  joyeusement  après  le 
spectacle  les  actrices  du  tbéàtrc,  qui  délassaient 
par  leurs  saillies  de  coulisses  tous  les  coryphées 
de  la  Convention.  » 

M"'"  Montansier  et  son  mari  avaient  acheté  la 
salle  de  spectacle  et  la  maison  où  ils  demeu- 
raient, le  1'^'  octobre  1790.  La  presque  totalité 
des  trois  galeries  avait  été  aliénée  dès  la  même 
année.  La  plupart  des  industriels  y  occupant  de 
grands  locaux  avaient  été  poussés  h  se  rendre 
acquéreurs  par  la  crainte  que  leurs  arcades  ne 
tombassent  entre  les  mains  d'un  acquéreur  peu 
disposé  il  consentir  un  bail  aux  mêmes  conditions 
qu'avant  :  les  premiers  locataires  n'avaient  eu  à 
payer  par  an  et  par  arcade,  y  compris  les  étages 
supérieurs,  que  1,200  livres.  Nous  allons  donner 
un  tableau  des  pro}3riétaires  des  arcades  en  1791 
et  rappeler  leur  prix  d'acquisition,  en  suivant  le 
même  ordre  que  les  numéros  d'à  présent  : 


M.    d'Orléans  ,    2    arcades, 

louées  à  Desenue. 
Poixmeuu,  4  arcades:  181,499 

Ifv.   10    sols. 
Corazza,  4  arcades:  186,000 

livres. 
Gattey,  3arcades:  112,500  liv. 
M.  d'Orléans,  5  arcades,  avec 
bail  à  vie  consenti  à  Beudet, 

transporté  à    Boileau. 
M.     d'Orléans,     3    arcades, 

louées     à     Lefèvre     des 

Nouettes. 
Lcl'èvre     des     Nouettes,    3 

arcades  :   110,000  liv. 
De  Baran,  4  arcades  :  130,000 

liv. 
M^e   de  Feriaris,  3  arcades  : 

163.500  liv. 
Orsel.  5  arcades  :  234,320  liv. 
M.  d'Orléans,  3  arcades,  lou- 
ées à  Rivetle. 


Huré,   3  arcades  :  222,500  liv. 
Tis.sot,  4  arcades:  262,500  liv. 
Gomand,  7  arcades  :    262,500 
livres. 

Lecomle,  4  arcades. 
Février,  5  arcades  :    262,500 

livres. 
Gandron,     cessionnaire     de 

Fauvin,  3  arcades  :  187,.'>0() 

livres. 

Payen,  3  arcades  :  167,500  liv 
Laiwé,  3  arcades:  123,046  liv. 
17  sols,  0   deniers. 

Pelletier,  cessionnaire  de 
Descarrières,  3  arcades  : 
187,500   liv. 

De  Courville,   3   arcades. 
Leltu,  6  arcades  :  375,000  liv. 


346         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 


Thiveau,  4  arcades  :  200.000 

lirres. 
Ducrest,  7   arcades  :   437,500 

livres. 
Berlhellemot,    3     arcades  : 

127,000  liv. 
Jousserand,  7  arcades:253,760 

livres. 
Prévost,  5  arcades  :    140,000 

livres. 
Bourdon-Neuville    et     M^e 

Montansier,  mis     en  lieu 

et  place   de  Gardeur,  dé- 
possédé, llarcades: 570,000 

livres. 
Fontaine,  4  arcades  :  ÎOa.SOO 

livres. 
•Véry  frères, 3  arcades:  19i5, -275 

livres. 
Cuisinier,  6  arcades  :  612,500 

livres. 
Broudes,3  arcades:  204,492 

livres. 


Beauvilliers,  3  arcades  :  157, 
500  livres. 

Guénin,  3  arcades  :  167,500 
livres. 

De  Pestre,   cessionnaire    de 
Resewski ,    9     arcades  : 
400,000  livres. 

Saiffer,  ou  Scheffer,  ou 
Chauffert  ,  3  arcades  : 
147,440  livres. 

Moulhié  ou  Monthiers,  4 
arcades:    150,000  livres. 

L^duc,  8  arcades:  335,000  liv. 
Denaix,   4    arcades  :   250,000 
livres. 

Rémy,  4  arcades  :  248,000 
livres. 


Les  deux  tiers  des  nouveaux  acquéreurs  se 
trouvaient  encore  redevables,  en  1791,  d'une 
portion  du  prix  d'acquisition,  et  quelques-uns  de 
ces  débiteurs  étaient  même  en  arrière  pour  le 
service  des  intérêts.  A  la  charge  des  propriétaires 
incombait  leur  quote-part  dans  les  frais  d'illu- 
mination et  environ  i!2  francs  par  arcade  de 
redevance  annuelle  pour  le  cens. 

Le  pape,  dans  la  même  année,  n'était-il  pas 
brûlé  en  effigie  au  jardin  du  Palais,  comme  Lafayette 
l'année  suivante  ?  Les  frères  Grammont,  tous  deux 
acteurs  au  théâtre  de  la  Montansier,  n'en  restèrent 
pas  quittes  pour  si  peu.  Le  conventionnel  Le 
Peletier  de  Saint-Fargeau,  immédiatement  après 
avoir  voté  la  mort  du  roi,  fut  tué  par  Paris,  ci- 
devant  garde-du-corps,  en  sortant  de  chez 
Février,  fameux  restaurateur,  au  milieu  de  la 
galerie  de  Valois. 

M"'=  Montansier  elle-même,  qui  avait    gouverné 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         347 

peu  de  temps  le  théâtre  Louvois,  et  à  laquelle 
en  voulaient  mortellement  les  acteurs  des  théâtres 
auxquels  le  sien  faisait  du  tort,  resta  sous  les 
verroux  pendant  dix  mois  à  la  petite  Force  et 
dans  l'ancien  collège  du  Plessis.  Sa  salle  du 
Palais-Egalité,  qui  était  alors  le  théâtre  de  la 
Montagne,  devint,  peu  de  temps  après,  le  spec- 
tacle des  Variétés,  dont  la  troupe  passa  en  1806 
boulevard  Montmartre  avec  Brunet    et  Tiercelin. 

Quant  au  théâtre  dirigé  par  d'Orfeuille  et  Gail- 
lard, il  s'était  transformé  en  1791,  avec  le  con- 
cours de  Talma,  de  Monvel  et  de  Dugazon,  en 
Théâtre-Français  de  la  rue  Richelieu.  Avec  beau- 
coup moins  de  succès  on  joua  la  comédie,  sous 
la  Constituante,  puis  sous  la  Convention,  dans 
la  salle  du  Cirque,  qui  devint  la  proie  des  flam- 
mes pendant  la  nuit  du  25  frimaire  an  VII.  Une 
ménagerie  s'y  trouvait  établie,  un  orang-outang 
fut  brûlé.  Au  moyen  d'une  contribution  se  défraya 
le  rétablissement  du  cœur  du  jardin  sur  les  débris 
de  la  salle  incendiée. 

Quelques-uns  de  nos  lecteurs  ne  s'alarment-ils 
pas  de  n'avoir  pas  encore  vu  citer  les  Frères- 
Provençaux  dans  cette  monographie  des  Galeries  ? 
Quelle  cuisine  mérite  mieux  d'envoyer  jusqu'à  la 
postérité  le  fumet  de  sa  gloire  !  Mais  cette  maison, 
dont  la  cave  était  déjà  sans  seconde  sous  la 
Restauration,  avait  commencé  sur  une  plus  petite 
échelle,  près  des  grands  salons  qu'elle  occupe 
dans  la  galerie  de  Beaujolais.  Maneille,  Simon  et 
Barthélémy  l'avaient  ouverte  au  premier  chant 
de  la  Marseillaise,  ou  peu  s'en  faut,  et  ils  n'étaient 
ni  frères  ni  provençaux.  Au-dessus  d'eux  logeait 
la  Bacchant,  courtisane  déjà  descendue  au  niveau 
populaire  de  la  prostitution  avant  la  Révolution, 
et  dont  tout  le  monde  savait  au  moins  le  nom  ; 
elle  n'avait  pourtant  de  remarquable  que  sa  che- 
velure épaisse  et  crépue.  Le  monde  avait  changé 


348         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.' 

de  lace  sang  modifier  le  genre  de  vie  de  cette 
femme,  qui,  du  haut  de  sa  mansarde,  régnait  tou- 
jours, parce  qu'elle  y  changeait  à  chaque  instant 
de  courtisans,  en  ne  dédaignant  pas  de  les  re- 
cruter elle-même  dans  les  galeries  de  Bois,  dites  le 
Camp  des  Tdrtares,  et  dans  la  galerie  vitrée, 
dite  le  Camp  des  Barbares,  faisant  suite  à  celles 
de  Bois,  du  côté  de  la  rue  Richelieu.  Un  épisode 
du  roman  de  Faubias  avait  valu  leurs  surnoms  à 
ces  galeries  ;  Louvet  de  Couvray,  auteur  dudit 
ouvrage,  y  avait  ouvert  un  magasin  de  librairie, 
tenu  par  sa  femme,  qu'il  appelait  sa  Lodoïska.  Les 
librairies  Ladvocat,  Delaunay  et  Barba  étaient  nées 
au  même  endroit,  ainsi  que  le  cabinet  de  lecture 
de  la  Tente,  transféré  ensuite  près  du  Perron  et 
tenu  par  l'éditeur  Dumon. 

Le  canon  régulateur  du  Palais  se  tirait,  sous 
la  République,  de  haut  de  la  maison  du  limo- 
nadier Cuisinier,  auquel  Cambacérès  fit  obte- 
nir, pendant  le  Consulat,  la  permission  d'éta- 
blir une  rotonde  à  la  place  des  tentes  sous  les- 
quelles on  mettait  des  tables.  Le  café  du  Caveau, 
fréquenté  par  David  le  peintre,  par  Lalande  et 
d'autres  savants,  qui  souvent  venaient  s'y  asseoir 
au  coup  de  sept  heures  du  matin,  fut  dit  café 
de  la  Rotonde.  Mais  le  sous-sol,  avec  entrée  rue 
Beaujolais,  conserva  un  établissement,  appelé  le 
caveau  du  Sauvage,  qui  ne  recevait  pas  aussi 
bonne  compagnie.  Or,  dans  un  caveau  du  même 
genre,  un  sauvage  de  contrebande  s'était  accou- 
plé publiquement  avec  une  femme  de  son  espèce, 
spectacle  coûtant  24  sols,  et  des  représentants 
du  peuple  s'étaient  retrouvés  en  prison  avec  le 
principal  auteur  de  ces  actes  cyniques,  qui  auraient 
paru  monstreux  ci  l'époque  de  la  Régence,  mais 
qui  causaient  un  peu  moins  d'étonnemeut  au  temps 
où  la  Justine  du  marquis  de  Sade  était  vendue 
ouvertement  dans  les  galeries  de  Bois. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS- ROYAL.        349 

Le  café  des  Aveugles  occupait  et  occupe  encore 
un  autre  sous-sol  ;  les  filles  du  Palais-Royal  s'y  re- 
layaient toute  la  soirée,  poussant  à  la  consommation, 
et  une  douzaine  de  quinze-vingts,  montés  sur  une 
estrade,  faisaient  de  la  musique,  avec  une  femme 
qui  jouait  du  cor.  Martainville,  que  ses  opinions 
anti-républicaines  n'empêchaient  pas  de  se  mon- 
trer partout,  rencontra  une  fois,  au  caveau  des 
Aveugles,  certains  révolutionnaires  et  sans-culottes, 
qui  lui  offrirent  un  bol  de  punch,  puis  lui 
demandèrent  une  chanson.  Pour  ne  pas 
être  en  reste  de  politesse,  Martainville  leur  im- 
provisa le  petit  couplet  qui  va  suivre  : 

Embrassons-nous,  cliers  Jacobins  ; 
Longtemps  je  vous  crus  des  mutins 

Et  de  faux  patriotes. 
Oublions  tout,  et  désormais 
Donnons-nous  le  baiser  de  paix  : 

J'ôterai  mes  culottes. 

Beauvilliers,  s'étant  vu  e:i  butte  à  des  persé- 
cutions sous  la  Terreur,  avait  cessé  de  restaurer  ses 
concitoyens.  Mais  l'inaction  lui  fut  à  charge,  et  il 
se  rétablit,  dans  l'une  des  premières  années  de 
l'Empire,  rue  Montpensier,  à  l'endroit  où  se  voit 
le  passage  Potier.  En  ce  temps-là  on  ne  sur- 
prenait plus  Bonaparte  et  Barras,  dînant  ensem- 
ble aux  Frères-Provençaux  ;  mais  on  voyait  entrer 
au  café  de  Chartres  Berchoux,  Grimod  de  la 
Reynière  et  Murât  :  au  café  Valois,  le  comte  de 
Lauraguais,  le  marquis  de  Chauvron,  les  nota- 
bilités du  parti  royaliste,  et-  chez  Lemblin,  au 
café  Italien,  Boïeldieu,  Brillât-Savarin,  Gambronne, 
de  Jouy.  Le  café  Corazza,  fréquenté  par  des 
Italiens,  avait  aussi  pour  habitués  Redouté  et 
ïalma;  ce  dernier  s'asseyait  souvent  devant  une 
table,  qu'avait  affectionnée  Napoléon,  son  protec- 
teur, et   qu'on    montre    encore    près    du    poêle  : 


350         LES  GALERIES  DU  PAL ALS-ROYAL. 

Douix,  élève  de  Beauvilliers  et  ancien  maître- 
d'iîôtel  de  Charles  X,  qu'il  a  suivi  à  Holy-Rood, 
a  fait  u'.î  restaurant  du  café  Corazza.  Barré,  direc- 
teur du  Vaudeville,  rarcliitect.3  Célerier,  Carie  et 
Horace  Vernet  se  réunissaient  tous  les  jours, 
avec  un  petit  cercle  d'amis,  au  café  de  Foy  ;  un  beau 
soir  de  1806,  après  la  fermeture  des  portes,  Horace 
Vernet,  y  prit  la  palette  d'un  peintre  en  bâtiment, 
qui  donnait  une  couche  aux  boiseries,  et,  grimpé 
sur  le  poêle,  il  peignit  au  plafond  une  hirondelle, 
qu'on  a  conservé>3.  J.e  poète  Lebrun,  surnommé 
le  pindarique,  mourut  l'année  suivante,  au  second 
étage  de  la  maison  dudit  café  de  Foy.  M'""'  Romain, 
ia  belle  limonadière,  attirait  alors  beaucoup  de 
monde  au  café  des  Mille-Colonnes  ;  elle  a  Uni 
par  se  faire  religieuse.  Le  café  du  Mont-Saint- 
Bernard,  que  décoraient  des  grottes  artificielles, 
dominait  le  magasin  du  confiseur  Berthellemot, 
qui  avait  des  poètes  à  ses  gages.  Fitz-James, 
en  se  donnant  le  titre  de  premier  ventriloque  de 
France,  exerçait  son  talent  dans  un  café,  et  son 
rival  Borel  dans  un  caveau.  Que  d'étrangers,  au 
gousset  bien  garni,  venaient  passer  une  semaine 
à  Paris,  sans  sortir  du  Palais-Royal  !  Tout  pour- 
tant n'y  était  pas  luxe,  tant  s'en  faut!  On  dînait 
déjà  pour  2  francs  au  restaurant  Billiotte.  En 
revanche,  un  napoléon  n'était  pas  trop  pour  se 
réconforter  honnêtement  chez  Naudet  et  chez 
Robert,  ci-devant  ,  cuisinier  du  fermier-général 
Chalandray. 

Quant  aux  maisons  de  jeu,  telles  que  le  Direc- 
toire en  avait  autorisé  l'organisation,  elles  étaient 
au  nombre  de  quatre,  don!  trois  dans  la  galerie 
du  Lycée  ou  des  Bons-Enfants,  dénominations 
passagères  de  la  galerie  de  Valois  à  l'époque  où 
la  galerie  Montpensier  s'appelait  de  Quiberon  et 
celle  de   Beaujolais  galerie  d'Arcole.   Mais  Perrin 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         351 

eut  bientôt  jusqu'à  cinq  établissements  de  ce  genre 
sous  sa  direction,  rien  qu'aux  galeries. 

On  jouait  le  biribi,  le  passe-dix  et  le  trente- 
et-quarante  dans  les  salons  qni  n'étaient  séparés 
des  galeries  de  Bois  que  par  une  dizaine  d'arca- 
des, aile  de  Valois.  Un  des  onze  bureaux  de 
prêt  sur  gages  desservant  le  Palais-Royal 
planait  au-dessus  de  cette  maison  de  jeu,  qui 
subsista  moins  longtemps  que  les  autres.  On  faisait 
en  1807  les  grandes  parties  de  trente-et-un  au 
n"  154  actuel,  où  de  vieilles  marquises  ne  crai- 
gnaient pas  de  se  produire,  et  où  se  tenaient 
aussi  des  bureaux  de  prêt.  Il  n'y  avait  plus  tard 
que  des  tables  de  roulette  et  de  trente-et-qua- 
rante  à  l'or,  c'est-à-dire  à  vingt  francs  pour  mi- 
nimum de  mise,  dans  cet  établissement,  qui 
s'étendait  au-dessus  de  cinq  arcades,  et  dans 
lequel  tout  le  monde  n'entrait  pas  ;  il  fallait  être 
connu  ou  présenté,  ou  muni  d'un  laissez-passer 
demandé  îi  l'avance,  et  de  bonne  compagnie,  pour 
y  avoir  accès.  Les  boiseries  sculptées  et  dorées 
d'un  des  salons  du  154  furent  transportées,  après 
la  suppression  de  la  ferme-générale  des  jeux, 
dans  un  des  salons  qui  dépendent  du  café  de 
Foy,  au  premier,  et  elles  y  servent  encore  d'or- 
nement. Le  113,  au  contraire,  fut  toujours  assez 
populaire  :  il  n'a  exclu  que  la  veste,  la  blouse  et 
la  casquette.  Huit  pièces  recevaient  les  pontes, 
autour  dune  table  de  passe-dix  et  de  six  tables 
de  roulette,  où  la  banque  ne  dédaignait  pas  de 
tenir  trente  sous,  et  où  se  faisait  la  partie  depuis 
dix  heures  du  matin  jusqu'à  minuit,  dans  la 
région  supérieure  des  arcades  110,111,112,118. 
Les  plus  hardies  filles  de  joie  y  circulaient  en 
toilettes  de  bal,  comme  dans  les  galeries  de  Bois  ; 
ces  femmes  étaient  tout  le  luxe  du  113,  tant  que 
se  prolongea  pour  la  j^rostitution  la  période  ré- 
volutionnaire qui   lui  avait  livré  jusqu'au     Palais, 


3f.2  LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

avant  l'installation  du  Tribunat.  Si  elles  tentaient 
la  tortiuie,  cotait  avec  un  avantage  encoi'e  plus 
sûr  que  celui  de  la  banque,  pourvu  qu  elles  réus- 
sissent à  se  rattraper  d'une  perte  en  taisant  la 
conquête  d'un  joueur  plus  heureux.  L'exploitation 
du  vice  sur  une  plus  grande  échelle  avait  lieu 
galerie  Monlpensier,  n'"*  9,  iO,  11  et  12.  Deux 
tapis  verts  pour  \c  trente-et-quarante,  qui  ne 
différait  guère  du  trente-et-un  des  maisons  de 
jeu,  et  une  table  de  creps  occupaient  là  trois 
grandes  pièces,  pi'ès  desquelles  se  trouvaient  des 
salles  de  trictrac  et  de  billard,  ainsi  que  des 
buvettes,  où  tlanfibait  le  punch,  pour  mettre  le 
vertige  l\  la  place  de  l'hésitation,  de  l'inquiétude 
ou  du  remords  des  plus  timides,  et  pour  désal- 
térer les  plus  ardents.  On  ne  se  contentait  pas 
d'y  jouer  jusqu'à  minuit,  devant  une  galerie  de 
femmes  qui  ne  venaient  pas.  uniquement  pour  le 
jeu  ;  on  dansait  à  l'étage  supérieur  jusqu'à  six 
heures  du  matin,  sans  que  le  jeu.  souffrit  d'inter- 
ruption. Au-dessus  du  bal,  qu'on  appelait  sans 
tard  le  Pince- Cul,  la  progression  continuait 
encore,  et  la  débauche  n'avait  plus  qu'à 
descendre. 

Avant  l'achèvement  de  la  galerie  d'Orléans, 
substituée  aux  galeries  de  Bois,  deux  des  maisons 
de  jeu  du  Palais-Royal  changèrent  de  place.  Celle 
qui  répondait  au  plus  haut  numéro  dans  la 
galerie  de  Valois  fut  transférée  entre  le  127  et 
le  134  même  galerie,  où  elle  renonça  au  biribi 
et  au  passe-dix,  pour  se  vouer  au  trente-et-qua- 
ranle  et  à  la  roulette.  L'établissement  de  la  galerie 
parallèle  passa  au  n°  36,  où  il  se  conforma,  comme 
les  établissements  voisins,  à  un  règlement  plus 
sévère,  qui  bamiissait  les  femmes  de  ses  salons 
et  transformait  les  breuvages  excitants,  dont 
on  avait  trop  abusé,  en  bavaroises  et  en  verres 
de  bière  servis  gratuitement  aux  joueurs. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.         353 

Le  dernier  directeur  des  jeux  fut  Bénazet,  an- 
cien avoué  de  Bordeaux,  père  du  directeur  actuel 
des  jeux  de  Bade:  il  succédait  à  Bernard,  dont 
les  prédécesseurs  avaient  été  Perrin,  Clialabre, 
Boursault.  Des  maisons  exploitées  en  dehors  du 
Palais-Boyal  dépendirent  aussi  de  la  ferme  des 
jeux  ;  il  y  en  eut  sous  l'intendance  de  Perrin  et 
de  Bernard  non- seulement  rue  Bichelieu  et  rue  Gran- 
ge-Batelière, dans  ce  qui  en  est  devenu  Drouot,  mais 
encore  place  du  Palais-Royal,  place  Vendôme,  rue 
du  Bac  et  rue  Daupliine,  comme  il  y  en  avait 
eu  rue  Saint-André-des-Arts,  rue  Favart,  rue 
Quincampoix,  boulevard  du  Temple,  et  comme  la 
rue  Marivaux  eut  la  sienne  postérieurement. 
Elles  étaient  soumises  intérieurement  à  des  règle- 
mens  différents.  Les  fêtes  de  Frascati,  auxquelles 
on  conviait  principalement  les  étrangers,  furent 
officiellement  défendues  lors  de  la  signature  du 
dernier  bail  ;  mais  une  tolérance  officieuse  permit 
de  passer  outre  h  l'amendement,  et  la  grande 
maison  du  bout  de  la  rue  Richelieu  continua  à 
déployer  un  !uxe  que  le  Palais-Royal  n'avait 
jamais  connu.  On  voit  encore  errer,  comme 
des  âmes  en  peine,  des  femmes  qui  n'ont  plus 
du  tout  l'air  d'avoir  contribué,  sous  les  plus  riches 
parures,  à  faire  les  honneurs  de  ce  dernier 
eldorado  du  vice,  et  qui  toutefois  ont  été  sous 
les  armes  dans  l'escadron  volant  des  femmes  de 
Frascati. 

On  a  reproché  à  M.  de  Rambuteau  d'avoir  donné, 
pour  la  dernière  fois,  la  préférence  à  M.  Bénazet 
sur  un  autre  soumissionnaire,  M.  Renault,  de 
Lyon,  qui  offrait  à  la  ville  1,200,000  IV.  déplus 
par  an  ;  mais  le  cahier  des  charges  autorisait, 
par  l'article  24,  M.  le  préfet  de  la  Seine  à 
choisir  l'adjudicataire  parmi  les  concurrents,  sans 
rendre  compte  des  motifs  de  sa  décision.  Indé- 
pendamment des  conditions  de  solvabilité,  d'apti- 


354         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

titude  administrative  et  d'expérience,  que  tous  les 
caiididats  ne  pouvaient  pas  remplir  au  même 
degré,  une  autre  considération  avait  encore 
son  importance.  La  Chambre  des  députés,  malgré 
M.  Guizot  et  d'autres  honorables  partisans  du 
statu  qiio,  voulait  la  suppression  de  cette  exploi- 
tation, qui  prolitait  avant  tout  à  la  Ville  ;  il  fallait 
jusqu'à  l'heure  suprême  demeurer  sur  la  défensive, 
il  fallait  ne  quitter  la  place  qu'avec  les  honneurs 
de  la  guerre,  autant  pour  atténuer  les  récrimina- 
tions rétrospectives  que  pour  garder  un  espoir, 
de  retour.  Et  qui  donc  eût  été  capable  de  répondre 
aux  besoins  de  la  situation  avec  autaiil  de  dignité 
relative  et  d'observation  des  convenances  que  M. 
Bénazet  ?  Il  avait  pour  premier  refait,  dans  cette 
partie  engagée  sur  le  tapis  parlementaire,  le 
silence  des  meilleurs  organes  de  la  presse.  Est-ce 
(|u'un  de  ses  tils  ne  collaborait  pas  activement  ii 
la  rédaction  du  Journal  des  Débats  ?  Un  savoir- 
vivre  sans  égal  mettait  le  père  lui-même  fort  à 
sa  place  parmi  les  gens  d'esprit,  et  lui  conciliait 
gratuitement  plus  d'égards  que  tout  autre  n'eût 
réussi  à  en  acheter.  On  reprochait  à  la  ferme 
des  jeux  d'avoir  une  police  spéciale  ;  mais  l'article 
37  ne  réservait  qu'au  préfet  de  la  Seine  le  pou- 
voir d'organiser  un  service  de  ce  genre  en  dehors 
des  attributions  de  la  police  proprement  dite,  qui 
était  la  première  à  exercer  une  surveillance  active 
sur  de  tels  établissements  ;  ledit  article  n'avait 
sans  doute  en  vue  qu'une  police  administrative, 
car  il  parlait  aussi  de  la  ijose,  des  ajoutés  et 
des  relevés  de  l)anque,  sur  lesquels  l'autorité 
préfectorale  gardait  son  action.  La  véritable 
direction  passait  bien  moins  entre  les  mains  de 
l'administration  temporaire  des  jeux  qu'elle  ne 
demeurait  dans  les  attributions  de  l'édilité  pari- 
sienne. L'Hôtel-de-Ville  restait  le  siège  de  l'autorité 
spirituelle    et    temporelle   quant   à    ce  privilège. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.        355 

Seulement  le  fermier  des  jeux  avait  bon  dos.  On 
l'accusait  de  ne  mettre  en  usage  que  des  moyens 
de  corruption  vis-à-vis  des  représentants  de  l'intérêt 
public  et  de  l'opinion;  on  lui  prêtait  une  influence 
démesurément  dispendieuse,  qui  ne  s'arrêtait  pas 
au  seuil  de  la  Chambre  des  députés  ;  on  en  faisait 
un  marquis  de  Carabas,  dont  toutes  les  poignées 
de  main  cachaient  un  pot-de-vin.  Il  n'est  donc 
pas  sans  intéi'êt  de  metti-e  en  regard  quelques 
chilï'res  rappelant  la  situation  de  la  ferme-régie 
des  jeux,  et  de  prouver  que  M.  Bénazet  n'exerçait 
pas,  aux  termes  de  son  bail,  une  puissance  dis- 
crétionnaire qui  lui  permît  d'enrayer  à  prix  d'or 
la  circulation  de  toutes  les  consciences. 

Jetons  un  coup-d'œil,  par  exemple,  sur  les 
clauses  en  .38  articles  arrêtées  le  27  avril  1827 
par  l'administration  municipale,  en  ce  qui  regarde 
l'exploitation  des  jeux  pour  l'année  1828  et  les 
suivantes  :  ces  clauses  réservent  à  la  Ville  les 
trois-quarts  des  bénéfices  bruts,  en  sus  du  prix 
déterminé  de  la  ferme.  Avant  d'être  admis  à  con- 
courir à  l'adjudication  de  la  ferme-régie  des  jeux, 
par  voie  de  soumission  cachetée,  il  faut  déposer 
à  l'avance  des  pièces  justificatives  pour  fixer 
l'édilité  sur  les  garanties  qu'il  est  de  son  devoir 
d'exiger  des  concurrents,  puis  déposer,  à  titre  de 
cautionnement,  500,000  francs  à  la  caisse  des 
Consignations.  Au  jour  fixé  pour  l'adjudication,  les 
soumissions  sont  reçues  à  rHôtel-de-Ville  en  séance 
publique,  et  lues  à  haute  voix  par  le  préfet,  qui, 
dépouillement  fait,  proclame  l'adjudicataire  séance 
tenante. 

Les  bénéfices  bruts,  d'après  les  comptes  réglés 
successivement  avec  la  Ville  sont  : 


1828  1er  trimestre.     .     .  2.607,398  24 

•  2e          —         ...  2,472,9&5  08 

.>  -30          —         ...  2,129,215  99 

«  4«          -         ...  '2,147,086  27 


9,350,694  .58 


356 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 


1859 

l8r 

trimestre. 

,i> 

2e 

— 

1) 

ae 

— 

•' 

4" 

— 

1830 

1er 

trimestre. 

« 

2e 

— 

11 

■M 

— 

»> 

4e 

— 

1831 

1er 

trimestre 

» 

ie 

— 

» 

4e 

— 

1832 

1er 

trimestre. 

)i 

2e 

— 

n 

3e 

— 

« 

4e 

— 

1833 

1er 

trimestre  . 

D 

2« 

— 

» 

He 

— 

> 

4e 

— 

9,356>94  5S 
8,946,819  50 


Report.      . 
2,248,605  60 
1,921,399  07 
2,281,304  03 
■2,494,950  80 

2,379,442  46 
2,147,303  '02 
1,^67,1.39  94 
1,846,273  66 

1,737  247  56 
1,647,713  86 
1,943,068  25 
2,166,517  66 

1,703, -,74  67  \ 

1,499,091  20  1  f.  jj„  Qn„  p^rt 

1,437,345  91   «'857,906  60 

2.217,694  82  ' 

2,170,501  42   ^ 
1,605,269  34 
1,914,948  88 
1,987  052  55 


8,040,161  08 


7,484,547  33 


•  7,691,272  19 


Total   des  produits  bruts.      .     48,387,401  82 

Il  résulte  des  conditions  du  bail  que  la  Ville  de  Paris 
alloue  au  fermier,  savoir  : 

1,500,000  fr.  par  an  pour  frais  d'exploitation,  laquelle 
somme  doit  être  prélevée  sur  les  bénéfices,  avec  la 
condition  qu'en  cas  d'insuffissance  la  dififérence  est 
supportée  par  le  fermier. 

25,000  fr.  par  an  pour  les  intérêts  du  cautionnement 
de  500,000  fr.,  laquelle  somme  doit  être  également  pré- 
levée sur  les  bénéfices  ;  mais,  en  cas  de  perte,  la  Ville 
est   tenue  de   la  reconnaître  au    fermier. 

C'est  d'après  ces  bases  que  les  liquidations  annuelles 
ont    successivement  lieu  avec  la   Ville   de  Pans. 

Ces   liquidations  présentent  les  résultats  suivants  : 


Pru(lui(s  bruts.     ,     .     . 

A   déduire  : 

Prix  de  la  ferme.  ti,0bâ,100  » 

Frais   alloués  .  1,500,000  » 

Intérêts..    .    .       ib,000  » 


'.t,330.69i  oS       fir,,r/i.e». 


7,580,100   »     1,770,594  58 


Perles. 


r.ES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 


ani 


Produits  Oruts.    .    . 

A  déduire  : 

Prix  de  ferme.  (i,OoS,iO() 

Frais  alloues  .  l,riOO,OÛO. 

Intérêts  .    .    .       23,000 


.    S,'JWi,8«ft  m        Hhiffices. 


7,.'<80,10(J    »      J,36(i,71<J  .10 


Perifs. 


1830. 

Produits  bruts.    .    .    .    8,040,101  08 
A  déduire  : 
Piix  de  ferme.  O.OriS.lOO  »   \ 
Frais  alloués.  .  1,300,000  »  '.  7,;i80,KK)    •> 
Iiiléréts   .    .    .       25,000  »  \ 


4<10,0CI  10 


Produits  bruis.    .     .     .    7,494,.'>47  33 
A  déduire  : 
Prix  de  ferme!  6,058,100  »   \ 
Frais  alloués  .  1,500,000  »   |  7,555,  llX)    >■ 
liUérêls  pr  Mém.  ) 


ti0,532  07 


Produits  bruts.    .     .     .    0,857,900  00 
A  déduire  : 
Prix  de  ferme.  0,055,155  »  j 
Frais  alloués.  ;  1,500,000  »   (  7,535,100   » 
Intérêts  |)i  Mém.  i 


G'.»7,I93  40 


Produits  bruts.     .    . 

A  déduire  : 

Prix  de  ferme.  6,055,100 

Frais  alloués  .   I,:i00,000 

Intérêts  .     .     .        23,000 


IS33. 

.    7,091,272  10 


'  7,380, 


100   ..     111,17-i  I!), 


3,714,347  37  —  737,746  07 


li   résulte  du  tableau  qui  précède    que    les  bénéfices 
partageables  entre   la  Ville  et  le  fermier  s'élèvent,    dans 

23 


358         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

les  années  1828,   1829,  1830  et  1833,  à.     3,714,547  fr.  37  c. 

Tandis  que  les  pertes  restées  à  la 
charge  du  fermier  dans  les  années 
1881    et  183?    montent    à 757,746  fr.  07  c. 

Il  est  reconnu  à  la  Ville  de  Paris 
pour  les  3/4  des  bénéfices  obtenus  dans 
les  4  années   heureuses 2,785,910  fr.  52  c. 

Le   1/4   des  bénéfices  levenant   au 

fermier  s'élève  donc  à 928.636  fr.  8'»  c. 

Dont  : 

444,144  fr.  65  c.     pour  l'année  1828. 

341,679        88  pour  l'année  1829. 

115,015        ?H  pour  l'année  1830. 

27,793        04  pour  l'année  1833. 

928,689        85  de    laquelle    somme     il    convient    de 

déduire  les  pertes  restées  k  la  charge  de 
l'entreprise  : 

60,552  fr,  C7  c.  eu  l'année  1831. 
697,193         40        en  l'année  1832. 

Total.     757,746         07 

170,890  fr.  78  c.  restent  en  bénéfices,  non  compris 
le  boni  à  prendre,  d'après  le  résultat  de  l'entreprise,  • 
sur  les  frais  alloués  par  la  Ville,  c'est-à-dire  1,735,814  fr, 
99  c.  pour  l'exercice  desdites  six  années,  plus  38,370  fr. 
39  c,  retenue  consentie  sur  le  prix  de  la  ferme  pour 
indemniser  le  fermier  des  jours  d'interruption  en 
juillet  et  août  1830  et  quelques  autres  bonifications 
portant  le  chiffre  des  bénéfices  à  1,951,558  fr.  21  c. 
Seulement  il  faut  retrancher  dudit  actif  les  frais  de 
première  organisation,  qui  sont  indépendants  des  frais 
relatifs  à  l'exploitation  journalière  de  l'entreprise,  et 
un  supplément  exifé  par  la  Ville  en  1833,  s'élevant 
ensemble  à  429,454  fr.  74  c.  Ainsi  se  trouve  réduit 
le  total  des  bénéfices  du  fermage  à  1,522,103  fr.  47  c. 
Or  M.  Bénazet,  avant  de  soumissionner,  en  1827,  a 
divisé  l'entreprise  en  huit  parts.  A  chacune  de  ces 
huit  parts  est  afférent  le    huitième    de    ladite    somme. 


LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL.        359 

pour  tout  produit  pendant  les  six  années,  représentant 
ii  la  fois  les  intérêts  d'un  fonds  de  roulement  con- 
sidérable  et   le   profit. 

Les  maisons  de  jeu  ont  toutes  été  fermées  pour 
les  étrennes  de  l'année  1838.  Jusque-là  le  Palais- 
Royal  ne  se  ressentait  pas  défavorablement,  au 
point  de  vue  purement  commercial,  du  bannisse- 
ment de  la  prostitution,  dont  il  avait  été  la  métro- 
pole avant  la  constrution  de  la  galerie  d'Orléans. 
La  suppression  des  roulettes  y  porta  un  coup 
plus  sensible.  Depuis  lors,  plusieurs  boulevards 
rivalisent  avec  les  galeries  pour  le  luxe  des 
magasins,  et  le  centre  commercial  circonscrit  par 
les  galeries  s'est  agrandi,  sans  trop  se  déplacer. 
Seulement  il  est  fort  douteux  que  chaque  arcade  se 
loue  maintenant  11,000  francs,  tout  comme  en 
1823.  C'est  encore  au  Palais-Royal  que  se  donnent 
rendez-vous  les  provinciaux,  les  étrangers,  et 
principalement  sous  la  rotonde  construite  par 
Habert,  reconstruite  par  Chabrol,  vis-à-vis  le 
passage  du  Perron.  Mais  il  faudrait  au  moins 
quatre  théâtres,  faisant  appel  à  des  plaisirs 
permis,  pour  encadrer  les  galeries  de  ce  brillant 
quadrilatère  et  lui  rendre  l'animation  qu'il  dut  à 
toutes  les  licences.  Au  lieu  de  quatre  théâtres, 
nous  n'en  voyons  que  deux. 

La  Comédie-Française  perpétue  de  son  mieux 
les  plus  hautes  traditions  de  l'art,  dans  la  salle 
où  d'Orfeuille  fit  débuter  Talma,  où  M"*-  Mars  fut 
longtemps  jeune,  et  où  M'"'  Rachel,  plus  prompte- 
ment  enlevée,  laisse  un  vide  d'autant  plus  grand. 
Le  théâtre  du  Palais-Royal  défraye  la  gaieté  natio- 
nale, depuis  le  6  juin  1831,  dans  la  salle  de  la 
Montansier,  convertie  en  café-chantant  vers  la  fin 
du  premier  empire,  et  puis  en  spectacle  gymnas- 
tique, où  s'étaient  montrés  jusqu'à  des  chiens 
savants. 


360         LES  GALERIES  DU  PALAIS-ROYAL. 

Sur  cette  scène,  que  de  brillants  succès  ont 
été  enlevés  à  la  pointe  du  couplet  par  M"*"  Déjazet  ! 
Cette  éminente  actrice  avait  alors  pour  domicile 
l'étage  le  plus  élevé  de  plusieurs  arcades,  presque 
au  milieu  de  la  galerie  Montpensier,  ancien  loge- 
ment de  M'"^  Clîéron,  et  souvent  le  Louis  XV 
des  Beignets  à  la  Cour  y  donnait  à  souper  au 
plus  favorisé  de  ses  sujets,  sans  avoir  pris  le 
temps  de  changer  de  costume.  Encore  plus  au 
naturel,  M"^  Déjazet  a  joué  sur  la  scène  du  Palais- 
Royal  le  rôle  de  Sophie  Arnould.  Entre  la  copie 
et  le  modèle  quel  air  de  famille  frappant  !  Signa- 
lons un  rapport  de  plus  entre  les  deux  actrices 
célèbres.  Celle  du  XVIIP  siècle  a  eu  ses  fenêtres 
sur  le  même  jardin  que  celle  du  XIX%  le  jardin 
du  Palais-Royal,  et  de  chez  elle  a  été  tiré  un 
feu  d'artifice  le  jour  de  la  naissance  du  prince 
qui  a  laissé  son  nom  ii  la  rue  et  à  la  galerie  de 
Valois.  Sophie  Arnould  demeurait  rue  Neuve-des- 
Petits-Champs. 

Peu  de  temps  après  la  révolution  de  Juillet, 
une  jolie  marchande  de  cravates  brillait  au  pérys- 
tile  Valois,  n"  187,  et  parfois  la  police  interve- 
nait dans  les  rassemblements  que  formait  la  curio- 
sité à  la  porte  de  cette  marchande.  Elle  avait 
nom  Grammatica.  Sa  mère  vend  encore  du  savon 
et  des  pantoufles  au  même  endroit. 

Le  café  de  Valois,  qui  n'en  était  pas  loin,  fer- 
mait ses  portes  au  put)lic  en  1841  :  un  restaurant 
vient  de  reprendre  l'enseigne.  Le  fameux  res- 
taurant Véry,  dans  le  comptoir  duquel  a  brillé 
une  belle  juive,  devenue  ensuite  M'"''  Véry,  n'est 
tombé  en  déconfiture  que  depuis  un  petit  nombre 
d'années.  D'autres  établissements  du  même  genre 
ont  traversé  plus  heureusement  les  âges  ;  à  pres- 
que tous  nous  avons  accordé  une  mention  dans 
la  présente    notice,    mais    quelquefois    sous   des 


LES  GALERIES  DU  PALALS  ROYAL.         361 

dénominations  qui  ont  change.  Dans  ce  dernier 
cas  s'est  trouvé  le*  cale  Hollandais,  qui  date  du 
Consulat.  Le  restaurant  de  Véfour  jeune  est  moins 
ancien  d'une  vingtaine  d'années. 


Boulevard  des  Italien»»,  (i) 


Les  Menus- Plaisir  s.  —  Le  Dépôt  des  Gardes- 
françaises.  —  Rossini.  —  La  Comédie- Italienne. 
—  Les  Hôtels,  Cafés  et  Restaurants.  —  M'"'' 
Laruette.  —  il/""  Colombe.  —  If''"  de  Saint- 
Huherti.  —   Le  Grand-Salon,  —    Grétry. 

Des  boulevards  du  Nord,  formés  sous  Louis 
XIV,  celui  que  nous  appelons  boulevard  des 
Italiens  émargeait  encore  moins  de  maisons  que 
de  jardins  à  la  lin  du  règne  suivant.  A  chacune 
des  extrémités,  du  côté  des  numéros  pairs,  il  y 
avait  eu  d'abord  un  jeu  de  boules.  L'emplacement 
du  premier  lut  conservé  par  le  duc  de  Choiseul, 
après  l'aliénation  des  terrains  adjacents,  que  ce 
ministre  tenait  de  Crozat,  son  beau-père.  L'autre 
jeu  de  boules  se  trouvait  occupé  par  les  Menus- 
Plaisirs  du  roi  en  1758,  d'après  le  plan  de  Paris 
qu'ont  donné  Pasquier  et  Denis.  Mais  la  destina- 
tion de  cet  hôtel  dut  changer  peu  de  temps  après 
sa  construction  à  l'angle  du  chemin  de  la  Grande- 
Pinte,  future  rue  de  la  Chaussée-d'Antin.  Le  Dépôt 
des  Gardes-françaises  fut  établi  au  même  endroit 
par  le  colonel  duc  de  Biron  en  1764.  De  là  venait 
une  dénomination  qui  fut  portée  par  ledit  bou- 
levard, concurremment  avec  celles  d'Antin,  de 
Gaillon  et  de  la  Grande-Pinte,  peut-être  même 
de  Richelieu,  avant  qu'il  fût  question  des  Italiens 
dans  ses  parages. 

Le  boulevard  du  Dépôt  touchait  pour  ainsi  dire 
à  l'hôtel  de  Gontaut-Biron,  édifié  à  l'encoignure 
de  la  rue  Louis-le-Grand  et  du  boulevard  des 
Capucines.   Or  le  quadrilatère  de    bâtiments,  au- 

(1)  Notice   écrite  en  1861. 


BOULEVARD   DES    ITALIENS.  363 

jourci'liui  divisés,  qui  sépare  la  rue  du  Helder 
de  la  rue  de  la  Chaussée-d'Antin,  a  encore  l'air 
d'une  jolie  caserne  ;  l'architecture  identique  des 
maisons  dont  il  se  compose,  les  balustres  du 
premier  étage,  les  jours  arqués  de  l'entre-sol,  et 
jusqu'aux  têtes  de  Méduse  qui  décorent  une  porte 
cochère,  trahissent  le  wni*^  siècle  et  une  voca- 
tion originaire  qui  n'est  pas  celle  d'immeuble  à 
l'aire  des  rentes.  Néanmoins  le  plan  de  Jaillol, 
qui  a  paru  en  1773,  indique  une  solution  de 
continuité  dans  la  façade,  à  l'angle  même  de  la 
rue.  Une  gravure  de  1789  montre  sur  le  même 
point  une  grille,  que  flanque  un  petit  bâtiment 
lout-à-fait  à  l'extrémité  du  boulevard.  Cette  estampe 
consacre  la  mémoire  d'un  engagement,  qui  eut 
lieu  le  12  juillet  entre  le  régiment  Royal-Allemand 
et  un  détachement  de  gardes-lrancaises  :  ceux-ci 
sauvaient  leur  colonel,  M.  Duchàteiet,  de  l'effer- 
vescence populaire,  en  combattant  avec  le  peuple. 
L'entrée  de  la  caserne,  théâtre  de  cette  lutte, 
ne  garda  pas  longtemps  le  même  aspect.  Louis 
XVI,  pendant  son  procès,  était  promené  sous 
bonne  escorte  en  tiacre,  du  Temple  à  la  Con- 
vention, par  le  chemin  des  boulevards  :  il  remarqua, 
pendanf  un  de  ces  trajets,  que  l'éditice  avait  été 
achevé  et  ne  présentait  plus  que  des  lignes  ré- 
gulières. Mais  ce  perfectionnement,  il  était  dû  à 
une  initiative  antérieure,  â  un  plan  conçu,  arrêté, 
pi'esque  entièrement  exécuté  sous  l'ancien  régime. 
L'institution  libérale  que  le  colonel  du  régiment 
de  Biron  y  avait  l'ondée,  méritait,  certes,  d'ins- 
pirer un  regret. 

Le  Dépôt  était  une  école  pour  l'éducation  mili- 
taire. On  y  recevait  150  ou  200  fils  de  soldats, 
auxquels  on  apprenait  à  lire,  â  écrire,  à  compter, 
l'allemand,  l'escrime  et  l'exercice  â  feu,  depuis 
l'âge  de  10  ans  jusqu'à  celui  de  16  ;  les  élèves, 
qui  coûtaient  au  roi  8  sols  par  jour,  comme  les 


364  BOULEVARD    DES    ITALIENS. 

gardes,  étaient  à  la  nomination  du  colonel  et  du 
major  ;  un  officier  du  corps  et  quatre  sergents 
exerçaient  tout  le  commandement  de  l'école; 
des  caporaux,  qui  avaient  qualité  pour  aspirer  au 
grade  de  sergent,  mettaient  plusieurs  années  à 
gagner  leurs  galons  en  initiant  au  maniement  des 
armes  les  futurs  gardes.  Toutefois,  à  16  ans,  les 
élèves  étaient  libres  de  contracter  un  engagement, 
ou  de  renoncer  à  l'état  militaire  en  parfaite 
connaissance  de  cause,  non -seulement  sans  indem- 
nité, mais  encore  sans  rappel  possible. 

La  musique  des  gardes-françaises,  dont  le  corps 
était  au  Dépôt,  faisait  également  des  élèves.  Elle 
linit  par  y  renouer  des  rapports,  qui,  h  l'origine, 
avaient  pu  être  aussi  intimes,  avec  les  Menus- 
Plaisirs,  ou  du  moins  le  Conservatoire,  école  de 
chant  établie  en  1784  dans  le  même  hôtel,  au 
faubourg  Poissonnière.  Le  Conservatoire  se  fondit 
au  commencement  de  la  Révolution  avec  ladite 
école  de  musique  militaire  ;  il  n'était  même  plus 
connu  que  sous  le  nom  de  Musique  du  Dépôt-des- 
Gardes-françaises  au  moment  de  son  érection  en 
Institut  l'an  IL  La  municipalité  de  Paris,  en  mai 
1790,  avait  pris  h  sa  charge  le  corps  de  la  mu- 
sique de  la  garde  nationale,  que  l'officier  Larrette 
avait  formée  avec  celle  des  gardes-françaises.  Ce 
mélomane  fut  jeté  en  prison,  parce  qu'un  de  ses 
élèves  avait  joué  sur  le  cor  :  0  Richard,  ô  mon  roi! 
Mais  on  le  lit  sortir  de  Sainte-Pélagie  pour  or- 
ganiser la  musique  dans  la  fête  de  l'Etre-Suprême. 
L'Institut  avait  été  placé  rue  Saint-Joseph;  le 
Conservatoire  retourna  peu  de  temps  après  au 
faubourg  Poissonnière,  point  de  départ  des  écoles 
de  chant  et  de  déclamation.  L'honneur  n'en  revient 
l)as  moins  à  l'ancien  Dépôt  des  .Gardes-françaises 
d'avoir  servi  de  berceau  ci  l'enseignement  de  la 
musique  instrumentale  et  d'avoir  été  un  moment 
le  Conservatoire  tout  entier.  La  présence  de  Ros- 


BOULEVARD    DES    ITALIENS.  ;h65 

sini,  locataire  d'un  appartement  au-dessus  du 
café-restaurant  qui  s'est  mis  sous  l'invocation 
du  général  Foy,  t'ait  que  l'ancienne  école  est 
maintenant  habitée  par  un  des  plus  grands  maîtres 
de  la  musique. 

Le  théâtre  Favart,  Jjàti  sur  l'emplacement  de 
l'hôtel  Ghoiseul,  précédemment  Crozat,  tut  ouvert 
le  28  avril  1783  pai-  la  troupe  de  la  Comédie- 
Italienne,  qui  jouait  l'opéra-comique,  la  comédie 
à  ariettes,  et  l'on  appela  boulevard  de  la  Comédie- 
Italienne  les  allées  voisines  du  théâtre;  mais  le 
nom  de  boulevard  d'Antin  resta  encore  à  la  seconde 
moitié  du  boulevard  actuel  des  Italiens.  Sous  l'Empire, 
Vopera-biiffa  commença  à  être  chanté  par  de 
véritables  Italiens  dans  cette  salle,  après  la  fusion 
de  sa  troupe  française  avec  celle  de  Feydeau. 
Mais  c'est  sous  la  Restauration  et  au  commen- 
cement du  règne  de  Louis-Philippe  que  les  Italiens 
en  firent  la  première  scène  lyrique  du  monde. 
Un  incendie,  en  1838,  les  déplaça,  et  l'Opéra- 
Comique  reprit  possession    du    théâtre    restauré. 

Nous  ne  revoyons  plus  les  terrasses  des  hôtels 
de  Choiseul,  de  la  Massaye,  de  Boisfranc,  de 
Deux-Ponts  et  d'Antin,  dont  les  jardins  faisaient 
du  l^oulevard  un  lieu  de  rafraîchissement  pour 
le  promeneur.  Mais  comment  ne  pas  reconnaître 
le  mignon  pavillon  'du  maréchal  de  Richelieu, 
édifié  après  la  campagne  de  Hanovre  à  l'extrémité 
du  jardin  de  l'hôtel  d'Antin?  L'hôtel  de  Boufllers, 
dont  l'architecte  a  été  Bonnet,  et  qu'habitait  le 
poète  Boufllers  en  revenant  du  Sénégal,  dont  il 
avait  été  le  gouverneur,  s'élève  depuis  la  même 
époque  â  l'angle  de  la  rue  Choiseul,  et  l'hôtel 
de.  Lévis  au  coin  de  la  rue  Grammont.  Celui  de 
la  comtesse  de  la  Massaye  faisait  pendant  à  celui 
de  la  comtesse  de  Boufllers,  rue  de  Choiseul.  Le 
terrain  en  provenait  du  jardin  de  l'hôtel  Choiseul 
et  avait  été  aliéné   en    1778    par    le    comte  de 


366  BOULEVARD     DES    ITALIENS. 

Ghoiseul-Beaupré-Goutliei',  colonel  de  dragons.  La 
comtesse  avait  obtenu  la  permission  de  faire 
mettre  une  barrière  en  fer  devant  son  mur,  sur 
le  boulevard,  comme  les  propriétaires  dont  les 
hôtels  voisins  ouvraient  presque  tous  sur  la  rue 
Neuve-Saint- Augustin. 

Rue  Richelieu  et  sur  le  boulevard  a  demeuré 
le  chevalier  Lambert;  nous  retrouvons  la  maison 
d'encoignure  où  ce  banquier  forma  une  galerie 
de  tableaux.  Lambert  eut  pour  voisin  un  autre 
financier  plus  célèbre,  l'abbé  ïerray,  mais  qui 
serait  encore  plus  décrié  en  ce  temps-ci  qu'à  la 
fin  de  sa  vie.  Car  les  dettes  publiques  n'avaient 
pas  d'ennemi  plus  déclaré  que  l'abbé  Terray  :  son 
ministère  tenta  de  les  amortir  à  tout  prix.  L'excès 
contraire  fait  florès  aujourd'hui. 

Derrière  l'autre  rangée  d'arbres,  parmi  les 
maisons  qui  surgissent  sur  d'autres  terrains  vendus 
par  la  famille  Choiseul  à  Du  mont,  à  Forget,  à 
Laborde,  à  Vessu,  voici  la  belle  demeure  que 
s'est  donnée  sous  Louis  XVI  M.  de  Bospin,  à 
l'un  des  angles  de  la  rue  Le  Peletier.  Un  joli 
pavillon  s'y  rattachait,  avec  perron  sur  le  bou- 
levard, et  la  décoration  intérieure  d'un  salon  rond 
y  subsistait  encore  dans  son  éclat  quand  M.  Lupin 
père,  acquéreur  de  l'immeuble,  consulla  Visconti 
sur  l'opportunité  de  substituer  un  pan  coupé  à 
cette  parasite  rotondité.  L'architecte  demanda 
grâce  pour  l'encoignure,  à  cause  de  son  élégance  ; 
mais  il  ne  put  obtenir  qu'un  sursis  :  un  autre 
homme  de  l'art  a  détaché  le  chaton  de  la  bague. 
M.  Salmon  a  fait  bâtir  à  l'autre  angle  de  la  même 
rue,  et  à  la  même  é^wque,  une  maison  qui  de 
nos  jours  appartient  à  son  petit-fils. 

L'ancien  hôtel  d'Aubeterre,  qui  donne  sui'  le 
boulevard,  mais  qui  ouvre  l'ue  Laflitte,  a  perdu, 
lui  aussi,  un  pavillon  des  plus  coquets,  lorsque 
les  exigences  de    la    voirie    rendirent   impossible 


BOULEVARD    DES    ITALIENS.  367 

la  conservation  du  perron  donnant  accès  au  rez- 
de-chaussée.  M"'*'  Chevalier,  stucatrice  du  feu 
roi  de  Pologne,  a  inauguré,  par  l'exposition  per- 
manente des  objets  d'art  de  sa  composition,  un 
des  salons  actuels  de  Tortoni. 

Au  coin  de  la  rue  Taitbout,  l'architecte  Bellan- 
ger  a  dessiné  l'hôtel  Brancas,  dont  l'appartement 
le    plus  riche  était  destiné  au  comte  de  Lauraguais. 
Les  acquéreurs  de  M""'  de  Villoulreys,  née  Van- 
derberghe,  femme  du  général   Rapp  en  premières 
noces,  y  ont  été,  sous   Louis  XVIII,  M.    Habert 
et  M.  Lefeuve,  grand-oncle  et  père  de  l'historio- 
graphe dont  vous  voulez  bien  suivre    les  recher- 
ches. Puis  est  venue  la  marquise  d'Hertford.   Le 
testament  de  lord  Seymour,  un  des  deux  fils  de 
la  marquise,   a  légué  récemment  l'hôtel  à  l'Assis- 
tance   publique,    qui    en    tire    un    beau   revenu. 
Malgré    lesdites    mutations,     presque    rien    n'est 
changé  pour  l'appartement  du   premier,   dont  les 
Persiennes  et  les  volets  ne  se  sont  pas    ouverts 
souvent  depuis   leur  application.  Les   Brancas,    à 
cause  de  la  révolution  de  89,  et  le  général  Rapp, 
à   cause  de  ses  campagnes,    n'ont    pas    été    des 
hôtes  constants  ;  M"'*  de  Villoutreys,  M.  Cardon, 
M"'«  d'Hertford  et  lord  Seymour  n'ont  fait  de  ce 
logement  princier  qu'un  pied-à-terre,  habité  rare- 
ment.   Les  croisées  en  demeurent    closes  depuis 
la  vente  après  décès  du  riche  mobilier  de  milord. 
Le  boulevard  de  Coblentz  passa    boulevard   de 
Gand,   grâce  aux  Cent-Jours,  et  ce  nouveau  sur- 
nom tint  tête  à  la  révolution  de  Juillet  ;  un  vers 
d'Auguste  Barbier,  dans  la   Curée,    le    visa   sans 
l'atteindre  ;  il   n'a  été  laissé  pour  mort    que  sur 
le  champ  de  bataille  du  24  Février:  les  bureaux 
du  National,   h  feutrée  de    la    rue    Le    Peletier, 
ont  chanté  son  De  Profundis,  en  proclamant  de 
nouveau   la  République,  excessivement    propre    à 
rappeler  l'Empire.  Le  surnom  mémorable  de  bou- 


368  BOULEVARD     DES   ITALIENS. 

levard  de  Gand  n'ira  cependant  pas  à  la  postérité 
comme  un  souvenir  d'exil  ou  d'oppression,  de 
protestation  ou  de  défaite,  de  surprise  ou  de 
châtiment;  il  rappellera  tout  uniment  la  renais- 
sance du  boulevard  des  Italiens,  qui  n'a  jamais 
été  distingué,  animé,  spirituel,  amusant  et  parisien 
avec  autant  de  luxe,  avec  autant  de.  belle  humeur, 
que  pendant  la  Restauration  et  la  quasi-Restau- 
ration. 

Le  café  de  Paris,  établissement  sans  rival, 
qui  est  tombé,  comme  tant  d'institutions,  pour  se 
faire  goûter  davantage  et  regretter,  a  vécu  un  peu 
plus  que  le  boulevard  de  Gand  ;  il  était  né 
quelques  années  après,  dans  cet  ancien  hôtel 
Brancas  qu'il  n'aurait  pas  quitté  pour  un  empire. 
Les  traditions  du  cale  de  Paris  ont  peut-être  sur- 
vécu ailleurs,  en  ce  qui  regarde  le  service  ; 
mais  tout  le  monde  n'osait  pas  y  monter  les  quelques 
marches  du  perron  ;  beaucoup  d'appelés  craignaient 
h  juste  titre  d'y  paraître  déplacés  au  milieu  des 
élus.  Il  suffit,  au  contraire,  pour  diner  à  la 
Maison  d'or,  au  café  Riche,  au  café  Foy,  au  café 
Anglais,  au  café  Cardinal  ou  chez  Grossetéte, 
d'avoir  assez  d'argent  pour  en  sortir.  D'autres 
cafés  un  peu  moins  restaurants  se  multiplient 
aux    alentours,    comme  sur  tous  les  boulevards. 

Le  café  du  Helder,  avant  de  s'établir  sur  l'em- 
placement des  anciens  Bains-Chinois,  dont  l'ex- 
térieur était  plein  d'agrément,  et  près  d'une  maison 
qui  survit  au  grand  bazar  incendié  sous  la  Res- 
tauration, occupait  en  face  de  la  rue  Choiseul  le 
local  du  caté  Montmorency.  Ce  dernier  tire  son 
nom,  il  est  vrai,  d'un  hôtel  garni,  mais  d'un  hôtel 
garni  qui  se  plaça  entre  les  deux  hôtels  que  les 
Montmorency  occupèrent  boulevard  Montmartre  et 
boulevard  des  Capucines,  au  coin  de  la  rue  delaChaus- 
sée-d'Antin.  N'assure-t-on  pas,  dans  maints  livres 
sur  Paris,   ([ue,  sous  le  Consulat,  Sophie  Arnould 


BOULEVARD    DES    ITALIENS.  309 

a  rendu  le  dernier  soupir  précisément  au  même 
endroit,  vis-iWis  la  rue  Choiseul  ?  Nous  ne  disons 
ni  oui  ni  non. 

L'enseigne  d'un  autre  café  nous  rappelle  le 
séjour  de  l'illustre  Grétry,  boulevard  des  Italiens, 
n"  7,  en  regard  de  l'établissement  qui  s'est  placé- 
sous  son  invocation.  L'auteur  de  Richard  Cœur- 
de-Lion  mourut  dans  sa  maison  de  Montmorency, 
ancien  ermitage  de  Jean- Jacques  Rousseau  :  i\  ses 
dépouilles  mortelles,  rapportées  à  Paris,  de  pom- 
peuses funérailles  ne  firent  pas  défaut.  Sa  famille 
et  Liège,  sa  ville  natale,  se  disputèrent  le  cœur  du 
grand  musicien.  Toutes  les  pièces  de  son  mobilier 
furent  vendues  beaucoup  plus  cher  qu'elles  ne 
lui  avaient  coûté  :  Nicolo  Isouard  acheta  son 
clavecin  ;  Boieldieu,  sa  cartelle  ;  Berton,  la 
canne  avec  laquelle  il  mai-quait  la  mesure  aux 
répétitions. 

Une  quinzaine  d'années  plus  tard,  Hérold  occupait 
un  appartement  n"  3,  et  Panseron,  maison  du 
Grand-Balcon. 

D'autres  immeubles  du  boulevard  servirent  d'habi- 
tation à  des  actrices  de  la  Comédie-Italienne. 
M""'  Laruette  qui,  dans  sa  jeunesse,  avait  reçu 
de  brillants  hommages,  et  chez  laquelle  s'étaient 
rencontrés  le  duc  de  Nivernais,  31.  de  Vaugre- 
mont  et  le  marquis  de  Brancas,  trois  cordons- 
bleus,  avait  eu  des  relations  de  plus  longue  haleine 
avec  le  marquis  de  Flamarens:  elle  demeurait 
au  coin  de  la  rue  Marivaux  avant  la  mort  de 
son  mari,  acteur  qui  a  laissé  son  nom  ii  un  em- 
ploi, et  qui  était  aussi  compositeur.  M"*^  Ruggiéri, 
dite  Colombe,  qui  était  réellement  Italienne  de 
naissance,  bien  qu'elle  jouât  l'opéra-comique  en 
français,  habitait  le  boulevard  d'Antin,  du  même 
côté  que  son  théâtre.  MM"""'  Laruette  et  Trial 
avaient  réussi  plus    vite   que   cette    rivale    à    la 


370  BOULEVARD     DES    ITALIENS. 

Comédie-Italienne  ;  le  succès  ne  l'empêcha  pas  de 
prendre  sa  retraite  cinq  ans  après  la  translation 
de  son  théâtre  dans  la  salle  Favart.  La  Révolu- 
tion l'ayant  faite  pauvre,  l'âge  et  la  pauvreté 
rendirent  méconnaissable  cette  Colombe,  que  milord 
Mazarin  avait  ravie  à  ses  parents  en  1767,  et 
que  le  marquis  de  Lignerac  avait  enlevée  pour 
plusieurs  années  au  théâtre  peu  de  temps  après 
ses  débuts.  M"'"  de  Saint-Huberti,  de  l'Opéra,  qui 
s'appelait  réellement  Antoinette-Cécile  Clavel,  était 
locataire  de  Salmon.  Bien  flatteur  qui  la  trouvait 
belle  !  Elle  était  assez  grande  et  blonde,  mais 
assez  maigre  et  de  manières  provinciales.  Cette 
grande  artiste  lyrique  ne  passionnait  son  audi- 
toire qu'à  force  de  s'identifier  avec  ses  rôles. 
Quelqu'un  lui  faisait  compliment  du  frisson  qu'elle 
avait  donné  aux  spectateurs  â  la  fin  du  troisième 
acte  de  Didon  :  —  Celte  scène,  répondit-elle,  m'a 
encore  plus  émue  que  toute  la  salle  ;  dès  la 
dixième  mesure,  je  me  suis  sentie  morte. 

M"'^  de  Saint-Huberti  assistait  un  soir  au  spec- 
tacle de  la  Comédie-Italienne,  et  le  bruit  courut 
dans  la  salle  qu'elle  venait  de  réconcilier  Gluck 
avec  Piccini  :  le  public  s'y  montra  sensible  par 
des  acclamations  reconnaissantes  et  fit  descendre 
l'actrice  de  sa  loge  pour  la  couronner  sur  la 
scène. 

On  en  veut  encore  â  Heurtier,  l'architecte 
primitif  du  théâtre  Favart,  de  n'avoir  pas  tourné 
sur  le  boulevard  la  façade  de  l'édifice  ;  mais  les 
maisons  particulières  elles-mêmes  évitaient  autant 
que  possible  d'ouvrir  leurs  portes  sur  la  promenade  : 
précaution  qui  contribua  singulièrement  à  convertir 
ce  lieu  de  rendez-vous,  aussi  commode  qu'agréable, 
en  boulevard  par  excellence,  centre  des  plaisirs 
élégants.  Un  traiteur  fit,  dès  le  principe,  le  service 
du  Grand-Salon,  que  remplacèrent  successivement 
le  café  Chrétien,  le  restaurant  Nicolle,  puis  le  café 


BOULEVARD     DES    ITALIENS.  371 

du  Grand-  Balcon.  Chrétien,  juré  au  tribunal  révo- 
lutionnaire, avait  pour  clientèle,  dans  son  café, 
la  compagnie  des  Tape-durs,  souteneurs  armés 
d'un  gros  bâton  qu'ils  appelaient  par  métonymie 
la  Constitution  de  Van  m.  Ces  janissaires  du  comité 
de  sûreté  générale  rôdaient  principalement  sur 
le  boulevard  de  Coblentz,  nom  qu'ils  avaient  eux- 
mêmes  donné  au  boulevard  des  Italiens,  parce 
qu'il  restait  fréquenté,  en  général,  par  la  bonne 
compagnie. 

Au  commencement  de  l'Empire,  Hardy  et  M""" 
Riche  tenaient  en  face  de  Nicolle  deux  grands 
cafés,  qui  devenaient  déjà  des  restaurants.  Un 
marchand  de  vin  recevait  les  cochers  à  la  place 
du  café  Anglais,  dont  la  réputation  fut  bientôt 
faite  et  se  consolida  surtout  quand  Chevreuil  eut 
à  y  traiter  en  alliés  les  officiers  de  l'armée  étrangère. 
Cet  établissement  de  luxe  vient  de  s'agrandir  des 
beaux  salons  de  l'ancienne  maison,  dite  le  grand  13, 
que  la  ferme  des  jeux  n'ouvrait  rue  de  Marivaux 
qu'à  des  clients  choisis,  du  temps  de  M.  Bénazet. 
Le  café  Anglais  appartient  depuis  la  révolution 
de  Février  à  un  restaurateur  qui  servait  auparavant 
à  Bordeaux,  près  l'église  Saint-Dominique,  des 
dîners  à  32  sous,  et  qui  n'a  pas  changé  de  dame 
de  comptoir  depuis  sa  promotion  aristocratique  à 
Paris. 


Rue  de  la  Vie^oire.  (i) 


VAhhé  de  la  Victoire.  —  Les  Marais  de  Chantereine. 

—  Desforges.  ■ —  La  Salle  Chantereine.  — 
Adanson.  —  il/""  Falcon.  —  M"""  Stolz.  — 
M.  Cuisinier.  —  JH/™*"  de  Saint-JulUen.  —  il/"* 
Dervieux  et  ses  Antécédents.  —  Le  Théâtre- 
Olympique.  —  Mesmer.  — M.  Herz.  —  Cagliostro. 

—  Les  Néothermes.  —  V Hôtel  de  la  Victoire.  — 
La  C"^-**^    Waleioska. 

Un  couvent  de  la  Victoire  lut  londé  près  de 
Senlis  en  raison  de  la  bataille  de  Bouvines,  gagnée 
sur  l'Empereur  Otlion  et  ses  alliés  par  Philippe- 
Auguste.  Louis  VIII,  fils  et  successeur  de  ce  roi, 
réalisa  les  promesses  de  son  père,  ou  confirma 
ses  donations  au  profit  de  ladite  abbaye  en  l'année 
1223.  L'abbé  et  les  religieux  de  la  Victoire,  qui 
étaient  de  l'ordre  de  Saint-Augustin,  eurent  de 
temps  immémorial  un  jardin,  un  marais  et  un 
vinier,  au-delh  de  l'égoùt  qui  lut  établi  bien  pprès, 
dans  ce  qui  devint  le  quartier  de  la  Chaussée- 
d'Antin.  Cela  tenait  peu  de  place  entre  la  ferme 
des  Matliurins,  les  Porcherons  et  la  Grange-Bate- 


(1)  Notice  écrite  en  '1801.  Le  prolongement  de  la 
rue  Lafayelte  et  celui  de  la  rue  Le  Peletier,  qui  se 
croisent,  n'avaient  pas  encore  fait  perdre  à  la  rue 
de  la  Victoire  ses  nos  1,  2,  3,  4,  5,  6,  7,  .S.  9,  11,  13  et  15, 
et  une  synagogue  ne  prenait  pas  encore  la  place  du 
44.  Les  derrières  de  cette  propriété  et  des  rx°^  46,  48 
et  50  ont  été  supprimés  ou  conlisqués  plus,  récemment 
encore  par  le  prolongement  de  la  nie  Olivier,  bientôt 
dite   du  Cardinal-Fesch. 


RUE   DE   LA  VICTOIRE.  373 

lière  ;  cela  n'avait  même  pas  l'importance  du  lieu 
qui  était  dit  Chantereine  dans  la  même  circon- 
scription. Toutefois  on  les  disait  ensemble  marais  de  la 
Victoire  lorsque  Jacob  Duval  était  l'abbé,  c'est-h- 
dire  au  milieu  du  siècle  XVIP,  et  la  ruellette 
aux  Marais-des-Porclierons,  plus  tard  ruelle  des 
Postes,  puis  rue  Cbantereine,  suivait  le  même 
cours  que  notre  rue  de  la  Victoire,  exception  faite 
du  prolongement  entre  les  rues  de  la  Chaussée- 
d'Antin  et  Joubert,   qui  date  de  1847. 

Dès  l'an  1581  Jean  Cadet,  un  maître-jardinier  qui 
demeurait   rue    Montmartre,    passait     reconnais- 
sance au    chapitre     de     Sainte-Opportune     pour 
un  arpent  et  demi,  sis  à  Chantereine  ;  il  y  tenait 
à  René  Contesse,    aux    héritiers    de    Desmarais, 
aux  héritiers  de  Jacques  Cadet  et  h  Jean  Boucault. 
La  même  formalité  était  remplie,  six  années  plus 
tard,  par  la  veuve  de  Thomas    Bragelonne,  con- 
seiller du  roi  et  lieutenant-criminel  en  la  prévôté 
de    Paris,    pour  sept    quartiers     de    marais    au 
même  endroit,  où    ses    tenants    étaient    Thomas 
Baudin,    Jean    Verneau     et     Gellée:     son     bien 
aboutissait  à  certaine  ruelle  qui  menait  au  moulin 
des  dames  de  Montmartre.   Item  Jacques  Moreau, 
laboureur,   à  cause  de  Claude  Baudin,  sa  femme, 
héritière  de  Pierre  Baudin,  année  1663,  pour  sa 
maison  et  un  marais  avec,  où  il  tenait  à  Colombel 
d'une  part,  à  Noël  et   Louis    Moynet   de  l'autre, 
entre  la  rue  aux  Marais-des-Porcherons  et    celle 
qui  allait  du  Roule  k  Saint-Lazare.    Hem,    à    la 
même  date,    Noël    et    Louis    Moynet,    jardiniers 
demeurant  au    fauboui^   Saint-Antoine,    mitoyens 
à  Chantereine  avec  le  susnommé  et  ses  co-héritiers 
dans  la  succession  dudit  Pierre  Baudin  par  repré- 
sentation d'Anne  Baudin,   leur  mère.  Item,  l'abbé 
de  la  Victoire,  du  même  côté  de  notre  rue. 


u 


374  RUE  DE  LA  VICTOIRE. 

Extrait  d'un  relevé  censuel  fait  pour  le  côté 
opposé  en  1738  : 

Fille  ou  femme  Mignon,  un  marais,  à  l'angle  de  la  rue 
du  Faubourg-Montmartre.  —  Martin,  jardin  de  M.  Guil- 
iàumont.  —  A.  Légué.  —  N.  Brochet.  —  C.  Brière. 
—  JeanBaudin.  —  Etienne  Baudin.  —Héritiers  Antoine 
Baudin.  —  Héritiers  Marot.  —  A.  Légué.  —  Veuve 
Bourdet.  —  Denis  Cliquet.  —  Veuve  Fromentin.  — 
Veuve  Beaucousin.  —  A.  Brûlé.  —  G.  Hobé.  —  Veuve 
Bourdin.  —  Bourgeois. 

Presque  tous  ces  propriétaires  n'avaient  encore 
que  (les  marais.  Le  jardin  de  M.  Ruelle  n'était 
marqué  à  l'encoignure  de  la  chaussée  Gaillon, 
allas  d'Antiu,  que  par  le  topographe  Deharme,  en 
1766.  Mais  pour  nous  il  est  temps  de  passer  des 
haies  et  des  murs  aux  façades. 

L'une  des  deux  maisons  qui  répondent  présen- 
tement aux  chiffres  63  et  69  lut  habitée  par 
Desforges,  qui  avait  commencé  par  être  acteur. 
Il  avait  débuté  aux  Italiens,  comme  amoureux,  en 
1769,  puis  on  l'avait  engagé  avec  sa  femme  au 
théâtre  de  Saint-Pétersbourg,  où  il  s'était  fait  auteur, 
et,  de  retour  en  France,  il  avait  cessé  de  payer 
de  sa  personne  au  théâtre.  De  ses  nombreuses 
pièces  on  joue  encore  la  Femme  jalouse  et  Joconde. 
M""-'  Desforges  se  faisait  appeler  M™'=  Philippe, 
sur  la  scène  Favart,  tant  pour  se  distinguer  d'une 
homonyme,  qu'elle  avait  dans  la  même  troupe, 
que  par  égard  pour  son  mari,  avec  lequel  elle 
ne  vivait  plus. 

Le  petit  théâtre  Ghantereine,  qui  a  été  bâti  plus 
tard  par  Gromaire,  machiniste  d^  l'Opéra,  occu- 
pait une  aile  de  bâtiment,  n"  47  :  des  amateurs 
y  ont  donné  des  représentations  particulières,  et 
un  certain  nombre  d'élèves  s'y  sont  formés  pour 
la  scène.  La  salle  n'a  quitté  la  place  que  depuis  la 
révolution  de  1848.  Plusieurs  historiographes  font 


RUE  DE  LA  VICTOIRE.  375 

mourir  dans  la  même  maison,  en  1^06,  le  botaniste 
Michel  Adanson,  à  l'âge  de  79  ans.  Il  avait  enfin 
renoncé,  en*  se  retirant  rue  Cliantereine,  aux 
habitudes  nomades  que  lui  avaient  données  de 
nombreux  voyages.  Néanmoins  il  résida  au  n^ 
42,  dont  il  fut  le  propriétaire,  avant  de  traverser 
la  rue  avec  ses  meubles  et  ses    collections. 

M"*  Falcon,  de  l'Opéra,  avait  habité  le  17  lors- 
que M'"«  Stolz,  du  même  théâtre,  ne  craignit  pas 
d'enménager  au  13.  Ce  numéro  n'a  plus  rien  de 
néfaste  pour  qui  connaît  la  belle  humeur,  le  goût 
inné  et  cultivé  pour  tous  les  arts,  ainsi  que  l'état  de 
santé  florissant  dont  y  jouit  encore  M.  Cuisinier,  après 
avoir  été  le  condisciple,  à  Juilly,  du  prince  Jérôme, 
frère  de  Napoléon  P' .  Son  père,  qui  tenait  le  café 
de  la  Rotonde,  acquit  ledit  immeuble  du  comte 
de  Clérambault,  et  la  propriété  voisine,  avec 
ouverture  rue  Chauchat,  de  la  veuve  du  général 
Foy.  Les  deux  maisons  avaient  été  bâties  par  les 
frères  Noël,  entrepreneurs.  Le  détenteur  actuel, 
malgré  son  âge,  est  encore  un  des  habitués  du 
théâtre  des  Variétés,  où  il  a  acheté  de  l'auteur 
dramatique  Rochefort  père  ses  entrées  à  vie.  On  ne 
le  voit  pas  moins  au  café  du  même  théâtre,  où 
la  plupart  des  musiciens  qui  donnent  un  concert 
viennent  lui  présenter  des  billets,  qu'il  est  trop 
galant  homme  poui*  refuser.  Les  acteurs  font 
souvent  sa  partie  de  dominos;  ils  n'entrent  jamais 
en  scène  sans  le  saluer  d'un  clignement  d'œil, 
s'ils  le  voient  dans  une  stalle  d'orchestre.  Une  fois 
même,  en  jouant  le  3'"'  acte  des  Saltimbanques, 
Hyacinthe  s'est  écrié,  au  lieu  de  vive  monsieur  le 
maire:  —  Vive  monsieur  Cuisinier  !...,  Le  spectateur 
acclamé  n'osa  pas,  après  la  chute  du  rideau,  remercier 
l'acteur  de  cette  ovation  inattendue  ;  mais  c'est 
.par  pure  modestie  qu'il  eut  l'air  mécontent  d'une 
plaisanterie  qui"  mettait  le  sceau  de  la  popularité 
à  sa  réputation  d'ami  des  artistes. 


376  RUK  DE  LA  VICTOIRE. 

L'autre  côté  de  la  rue  Chantereine  vit  élever, 
sous  Louis  XV,  une  petite-maison,,  dont  nous 
croyons  reconnaître  l'entrée  n"  16.  M"'"  de  Saint- 
Jullien,  femme  du  receveur-général  des  rentes 
du  clergé,  y  rencontrait  le  comte  de  Maillebois. 
Cette  dame,  à  laquelle  Soubise  fit  la  cour,  ne 
dédaignait  nullement  les  guinguettes  des  Porcherons  ; 
on  répandit  le  bruit  qu'elle  y  couchait,  mais 
c'était  rue  Chantereine,  et  elle  s'y  sentait  plus 
libre  que  chez  elle,  rue  d'Artois  (i),  de  prendre, 
entre  autres  libertés,  celle  de  jurer  comme  un 
soldat  aux  gardes. 

Sur  les  dessins  de  Brongniart,  en  1774,  fut 
élevé  un  véritable  hôtel,  auquel  on  refusa  cette 
qualification  tant  qu'il  fut  habité  par  M"^  Dervieux, 
danseuse  à  l'Opéra.  La  signification  du  mot 
hôtel  impliquait  résidence  d'une  personne  de  con- 
dition. D'ailleurs,  il  y  avait  eu  cotisation  pour 
établir  la  jolie  danseuse  rue  Chantereine,  le  prince 
de  Soubise  n'ayant  contribué  que  pour  une  part 
à  l'acquisition  du  terrain  et  d'une  maison  préexis- 
tante en  décembre  1770.  D'autres  protecteurs 
succédaient  à  celui-là,  qui,  outre  l'entrée  de  jeu 
en  billets  de  la  Caisse  d'escompte  et  en  bijoux, 
avait  fait  200  louis  par  mois  à  M"*^  Dervieux. 
Mais  puisque  nous  remontons  à  l'époque  où  se 
consolida  la  fortune  de  cette  femme  de  théâtre, 
dont  l'esprit  l'emportait  encore  sur  le  talent,  nous 
la  voyons  constamment  entourée  de  ce  qu'on 
appelait  sa  troupe  dorée. 

A  l'avant-garde  se  remarquent  :  milord  Binting, 
dont  les  dépenses  excessives  alarment  Lambert, 
son  banquier  ;  le  comte  Warkowski,  largement 
mis  à  contribution  avant  milord  ;  le  chevalier  de 
Launay,  officier;  le  maréchal    de   Richelieu,    qui 


(1)  Ainsi  s'appelait   Ja   rue   Laffitte. 


RUE  DE  LA  VICTOIRE.  377 

reçoit  de  la  belle  plus  de  visites  qu'il  ne  lui  en 
rend;  Murquel  de  Peyre,  qui,  pour  le  jour  de 
l'an,  envoie  à  son  adresse  des  girandoles  ;  le 
duc  de  Chartres,  un  collier  de  diamants  ;  le  marquis 
de  Fitz-James,  beaucoup  moins  généreux,  mais 
encore  mieux  reçu  que  son  ami  le  duc  de  Chartres, 
et  que  fait  oublier  toutefois  un  simple  maître  de 
ballet,  nommé  Laval,  la  coqueluche  des  filles  d'Opéra  ! 

Est-ce  à  dire  (jue  les  deux  années  d'avant  aient 
laissé  M"«  Dervieux  dans  la  solitude  et  dans  l'ombre? 
D'autres  diamants  qu'a  passés  à  son  cou  le  prince 
de  Conti,  au  mois  d'août  1769,  ne  sont  venus 
qu'un  an  après  le  contrat  d'une  rente  viagère  de 
2,000  livres,  émanant  de  la  même  source  et  con- 
stituée au  nom  de  la  jeune  personne  ainsi  que 
de  sa  mère.  Était-ce  là  le  prix  du  sacrifice  que 
la  vertu  tait,  mais  ne  refait  pas  ï  L'âge  de  la 
fille,  quatorze  ans  à  peine,  donnait  alors  à  espérer 
ce  que  la  mère  osait  promettre  pour  la  dernièi-e 
fois,  il  est  vrai,  mais  pas  précisément  pour  la 
première.  Le  prince  de  Coudé  s'était  levé  encore 
plus  matin  que  le  prince  de  Conli,  et  le  comte 
de  Stainville,  dont  la  montre  avançait  en  diable, 
n'avait  reculé  qu'à  demi  devant  la  clarté  indécise 
du  crépuscule  matinal  : 

Déjà  faurore  aux    doigts    de   rose 
Ouvrait  les    portes  du   soleil. 

Aussi  bien  la  petite  avait  joué,  tout  au  com- 
mencement de  1768,  le  rôle  de  Colette  dans  le 
Devin  du  Village,  et  avec  un  succès  qui  avait 
mis  en  vue  l'enfant  prodige. 

La  salle  de  bain  et  les  boudoirs  de  M'""  Dervieux, 
devenue  à  son  apogée  l'une  des  maîtresses  du 
comte  d'Artois,  furent  décorés  en  1789  par  l'ar- 
chitecte Bellanger,  que  des  circonstances  dues  à  la 
Révolution  tirent  ensuite  le  mari  de  cette  sédui- 


378  RUE  DE  LA  VICTOIRE. 

santé  pécheresse,  qui  n'avait  plus  la  possibilité 
d'entrer  en  religion  dune  autre  manière.  Le  ci- 
devant  comte  Vilain  XIIII,  noble  belge  engagé 
dans  des  spéculations  financières,  prit  possession 
de  la  propriété,  avant  Louis  Bonaparte,  qui  y 
laissa  sa  femme,  la  reine  Hortense.  La  légation 
des  Etats-Unis  s'y  établit  ensuite  et  cela  devint 
l'hôtel  Thouroux.  Puis  Staub,  ancien  tailleur,  se 
rendit  acquéreur  de  l'immeuble.  Ce  n"  44  ne 
portait  sous  le  premier  empire  que  le  n"  28  : 
il  y  avait  au  n"  34  de  ce  temps-là  l'hôtel  Basoun, 
et  à  l'angle  de  la  rue  Saint-Georges  l'hôtel 
Henry. 

Des  chanteurs  italiens,  qui  vinrent  à  Paris  pendant 
le  Consulat,  débutèrent  dans  la  salle  du  Théâtre- 
Olympique,  précédemment  des  Victoires-Nationales 
et  originairement  des  Troubadours,  dont  le  n"  46 
indique  encore  les  proportions,  et  derrière  laquelle 
se  trouvait  un  jardin,  qui  pendant  les  entr'actes 
servait  de  foyer.  Ce  théâtre  fut  fréquenté  par 
les  femmes  les  plus  élégantes  des  généraux  et 
des  fournisseurs  de  l'armée  ;  d'autres  troupes 
l'exploitèrent  avec  moins  de  succès  que  les  acteurs 
de  Vopern-buffa.  On  donna  dans  la  même  salle, 
devenue  vacante,  des  concerts  et  des  bals,  et 
une  loge  maçonnique  y  était  installée  vers  la  fin 
de  1806  ;  l'Université  y  fit  même  la  distribution 
des  prix  du  Grand-Concours. 

A  cette  hauteur  de  la  rue,  avant  même  que 
s'y  ouvrît  le  spectacle  des  Troubadours,  on  avait 
fait  queue  â  la  porte  d'un  docteur  allemand. 
Mesmer  traita  rue  Chantereine,  aussi  bien  que 
rue  du  Coq-Héron,  par  le  magnétisme  animal 
des  malades  arrivant  par  chaînes,  et  le  médecin 
innovateur  prenait  â  chacun  d'eux  iO  louis  par 
mois.  Le  mesmérisme  n'était  pas  encore  à  la 
portée  de  toutes  les  bourses.  De  plus,  le  marquis 
de  Lafayette, .  le  baron  de  Breteuil,  M.  d'Eprémenil 


RLIK  DE  LA  VICTOIRE.  :û9 

et  d'autres  partisans  de  cette  doctrine  oHVireiit  k 
Mesmer  350,000  livres,  réunies  par  souscription, 
pour  le  retenir  à   Paris. 

Immédiatement  après  le  théâtre,  venait  une 
propriété  connue  avant  89  sous  le  nom  d'hôtel 
Gontaut,  et  que  M.  Barbet  de  Jouy  vendit,  en 
1839,  h  Henri  Herz.  Celte  construction  de  l'autre 
siècle  ne  sert-elle  pas  dignement  de  vestibule  Ji  la 
belle'fsalle  de  concert  qui  a  surgi  des  pelouses  du 
jardin  ?  M.  Herz,  cet  artiste  d'une  exécution 
brillante,  ce  maître  sûr  et  ce  compositeur, 
ressemble  de  tout  près  à  un  écrivain  de 
premier  ordre  qui  imprimerait  lui-même  ses 
ouvrages  par  horreur  des  fautes  d'impression.  Il 
emploie  plus  de  cent  ouvriers  h  la  Aibrication  de 
pianos  qui  t'ont  partie,  pour  ainsi  dire,  de  son 
talent,  de  sa  classe,  de  son  œuvre. 

D  autre  part,  ia  maison  de  M.  Herz  tient  à 
l'hôtel  de  M"""  de  Rigny,  antérieurement  Basoun, 
plus  anciennement  encore  Saint-Chamant,  et  dessiné 
par  Rougevin.  Là  descendit  Cagliostro,  lors  du 
premier  séjour  de  ce  thaumatuige  à  Paris,  oîi  il 
se  présentait  sous  les  auspices  du  prince  de  Rôhan. 
La  soif  des  nouveautés,  à  cette  époque,  était  inextin- 
guible. Cagliostro,  à  défaut  de  doctrine,  avait  lui- 
même  un  sac  rempli  de  recettes  merveilleuses  pour 
la  guérison  des  malades. 

Les  Néothermes,  établissement  rival  des  bains  de 
Tivoli,  se  fondèrent  en  1830,  sous  le  patronage  d'une 
princesse  ;  mais  une  révolution  vint  exiler  la  pro- 
tectrice avant  l'achèvement  des  travaux  prépara- 
toires. Cette  maison  de  santé  n'en  a  pas  moins 
réalisé  le  projet  qu'on  avait  connu  de  réunir  des 
malades  de  bonne  compagnie  au  cœur  de  la 
Chaussée-d'Antin  et  de  combiner  pour  eux  les 
avantages  du  traitement  hydrothérapique  le  plus 
complet  avec  le  plaisii-  d'être    dans  le    monde  et 


380  RUE  DE  LA  VICTOIRE. 

dans  le  meilleur  centre  de  distractions.  La 
chronique  ne  doit-elîe  pas  rendre  justice  à  une 
entreprise  qui,  d'ailleurs,  n'a  enrichi  qui  que  ce 
soit?  L'application  mesmérique  de  l'aimant  au 
traitement  des  maladies,  les  élixirs  de  longue  vie 
débités  par  Cagliostro  et  les  Néothermes  ont 
tour-à-tour  attiré  le  beau  monde,  qui  les  mettait 
à  la  mode,  dans  cette  rue.  En  faut-il  davantage 
pour  bien  mériter  du  Mgh  life  ! 

Mais  la  maison  de  la  Victoire  prend  part  à  une 
gloire  impérissable,  qui  fait  pâlir  l'ancienne  vogue 
du  charlatan  le  plus  distingué  et  de  la  courtisane 
courue  par  l'élite  des  galant:^  de  son    temps.  Le 
cri  victorieux  qui  retentit,  maintenant  encore,  à 
tous  les  coins  de  l'ancienne  rue  Chantereine,  est 
celui  de  l'armée  d'Italie  à  Arcole  ;  mais,  à  force 
d'y  prêter  l'oreille,  nous  distinguons  l'écho  vieilli 
de  la  bataille  de    Bouvines,    qui    s'y    mêle»  sans 
détoner.  L'abbé  de  la  Victoire  avait  été  propriétaire 
du  terrain  sur  lequel  fût  bâti  l'hôtel  de  la  Victoire, 
dessiné    par    Ledoux     pour    Caritat,  marquis  de 
Condorcet,    mathématicien,    philosophe,    membre 
de  l'Académie  des  sciences  et  de  l'Académie-Fran- 
caise,  député,  puis  conventionnel.    La    veuve  de 
Condorcet,  sœur  du  maréchal  de  Grouchy,  vendit 
cette  propriété  ii  Julie  Carreau,  qui  épousa  Talma, 
et  le  tragédien  illustre  y  eut  ses  jours  de  fête,  y  reçut 
les  Girondins,    Dumouriez,    Bonaparte.    Joséphine 
Beauharnais    en  donna   180,000  francs  et  y  devint 
M'""  Bonaparte.  La  substitution  officielle  du   nom 
de  la  maison  à  celui  de  la    rue    eut    lieu    le    8 
nivôse    an    vi.    Le    général    en  chef  de  l'armée 
d'Italie  n'avait,  depuis  quatre  ans,   que  cette  rési- 
dence en  ville    quand  il  y    convoqua,    un    beau 
matin,  tous  les  officiers  supérieurs    de   présence 
à  Paris.  Les  salons  de  son  hôtel  étant  trop  petits 
l)our  une  telle  assemblée,  il  la  harangua  du  perron. 
Le  conseil  des  Anciens  venait  de  l'investir  du  corn- 


RUE  DE  LA  VICTOIRE.  381 

mandement  de  la  il'"''  division  militaire  et  de  se 
transférer  k  Saint-Cloud,  où  la  séance  devait 
commencer  h  midi.  Mais,  la  France  étant  en 
danger,  l'insigne  l'honneur  de  la  sauver  ne  reve- 
nait-il pas  à  l'armée  ?  Le  général  parlait  à  des 
frères-d'armes,  qui  s'écrièrent  tous  :  —  En 
avant  !....  Et  le  18  Brumaire  fut  bientôt  fait. 

Le  premier-consul  donna  au  général  Lefèvre- 
Desnouettes  l'hôtel  de  la  Victoire,  que  plus  lard 
occupa,  au  retour  de  Sainte-Hélène,  le  général 
Bertrand.  La  Restauration,  en  mettant  au  greniei' 
la  défroque  militaire  de  la  République  et  de 
l'Empire,  n'avait  pas  épargné  le  vocable  de  cette 
rue,  tant  l'on  y  voyait  peu  la  dédicace  d'une 
ancienne  abbaye  de  fondation  royale  !  Chantereine 
avait  quelque  chose  de  moins  criard  et  de  plus 
royaliste  ;  toutefois  le  lieu  champêtre  qui  avait 
reçu  d'abord  cette  désignation,  la  devait  sans  doute 
à  une  chanterelle  ou  chantereine,  oiseau  qu'on  fait 
chanter  pour  en  attirer  d'antres. 

De  ce  chantage  d'oiseleur  a'i  chant  de  la 
Victoire  on  revint  en  1830.  Le  nid  du  Consulat 
eut  ensuite  pour  locataire  M.  Jacques  Coste, 
fondateur  du  journal  Le  Temps  et  aéronaute 
amateur.  M.  Gouby,  acquéreur  de  M'"»"  Lefèvre- 
Desnouettes,  fit  jeter  bas  l'édifice  de  Ledoux  en 
1860.  Que  reste-t-il  donc  du  logis  qui  fut  l'anti- 
chambre du  Luxembourg  et  des  Tuileries  pour 
une  dynastie  impériale  ?  La  porte,  la  loge  du 
suisse,  l'avenue,  quelques  arbres  du  jardin  et  cette 
inscription  : 

In  hâc  minimâ  jam  maximus  plus  quam  maxima 
concepit. 

Où  trouver  une  meilleure  place  pour  la  comtesse 
Walewska,  qui  l'avait  choisie  elle-même,  que  porte 
à  porte  avec  l'hôtel  de  la  Victoire  '!  Cette  dame 
polonaise,  à  laquelle  l'empereur   avait    laissé    un 


382  RUK  DE  LA  VICTOIRE. 

souvenir,  qui  lui  était  cher,  occupait  la  maison 
appartenant  de  nos  jours  à  M.  Dassier,  ancien 
membre  du  cont^eil  municipal  de  Paris.  M'"*  Valewska 
est  la  mère  du  ministre  du  second  empire,  membre 
du  conseil  privé,  qui  porte  au  masculin  le  même 
nom.  Le  comte  de  la  Bouillerie,  ancien  ministre,  se 
remarquait  parmi  les  prédécesseurs  de  M.  Dassier. 
Mais  la  virginité  de  l'hôtel  avait  été  foulée  au.\ 
pieds  par  M"'"  Guimard  ou  M"'  Duthé.  Ces  deux 
glandes  rivales  de  M""^  Dervieux,  outre  qu'elles 
partageaient  beaucoup  de  ses  succès  intimes, 
îiabitèrent  quelque  temps  sa  rue. 


Rue  Salii<-dt»or;;^e.    (i) 


Bellanger,  architecte  du  comte  d'Artois,  prési- 
dait d'autant  mieux,  en  1788,  h  la  construction 
du  n°  15  de  la  rue  Saint-George,  avec  fronton, 
avec  cintres  sur  les  fenêtres,  qu'il  y  travaillait 
pour  son  propre  compte.  Du  même  temps  et  du 
même  architecte  sont  deux  consiruclions  latérales 
qui  se  font  pendant  réciproque,  n"  13  et  r:'^  \obis; 
mais  elles  furent  édifiées  aux  frais  de  M"*^  Dervieux, 
dont  nous  venons  de  revoir  l'hôtel  rue  de  la 
Victoire.  M.  Alphonse  de  Rothschild,  régent  de 
la  Banque,  occupe  deux  de  ces  propriétés,  dont 
tout  ou  partie  était  l'hôtel  Henry  en  1813.  M.  Chaix- 
d'Est-Ange,  procureur-général,  hahite  l'autre,  oii 
cet  avocat,  transformé  en  principal  organe  du 
ministère  public,  dîne,  digère  et  dort  à  merveille 
dans  les  anciens  bureaux  du  National  :  journal 
qu'on  y  a  supprimé,  mais  dont  le  souvenir  plane 
sur  des  réquisitoires! 

Le  n°  38,  du  dessin  de  Ledoux,  a  été  établi 
pour  l'Américain  Asten,  beau-père  du  comte  d'Ar- 
juzon,  avec  une  seconde  porte  rue  Saint-Lazare. 
L'ambassadeur  de  Bade,  le  chargé  d'aftaires  du 
Danemark,  la  grand'mère  de  M.  Alphonse  de 
Rothschild,  le  général  Montholon  et  le  député 
Manuel   y  ont  été  domiciliés. 


(1)  Notice  écrite  en  1861.  La  rue  Saint-Georges,  depuis 
lors,  n'a  été  lacct.urcie  que  légèrement  par  le  itrolon- 
gement  de  la  rue  Lafaj'ette,  au  point  où  il  traverse  la 
rue  de  Provence.  Elle  a  payé  plus  cher,  au  milieu 
de  sou  parcours,  rélargissemrnt  et  le  prolongement  fit- 
la  rue   Olivier,  maintenant   du    Cardinal-Fesch. 


384  RUE  SAINT- GEORGE. 

Quelque  trente  ans  après  l'inauguration  de  cet 
hôtel,  l'entrepreneur  Chéronnet  a  élevé  rue  Saint- 
George  plusieurs  maisons  ;  22  et  24  sont  du  nombre. 
Ce  dernier  numéro  attient  à  un  asile  pour  les  gar- 
çons de  caisse,  fondé  en  1842  par  M.  Douau, 
banquier. 

Tourton,  Ravel  et  C'\  avant  la  tin  du  règne 
de  Louis  XVI,  avaient  bâti  dans  la  même  rue, 
mais  vers  le  bas,  notamment  le  n"  2,  qui  appartient 
encore  à  M.  Oppermann,  banquier,  dont  l'oncle 
a  vendu  le  2  bis,  vers  1833,  au  général  de  Saint- 
Joseph. 

La  rue  Saint- George,  qui  est  née  d'un  passage 
entre  les  rues  Chantercine  et  Saint-Lazare,  n'a 
commencé  rue  de  Provence  qu'en  1779,  grâce  à 
une  trouée  pratiquée  sur  un  terrain  à  la  dispo- 
sition de  Joseph  de  la  Borde,  secrétaire  des  linances, 
et  elle  n'a  tîni  place  Saint-George  qu'en  1824, 
date  de  son  prolongement  sur  le  sol  de  la  com- 
pagnie Dosne,  Loignon,  Censier  et  Constantin. 
De  la  même  spéculation  sur  les  terrains  il  reste 
à  M""'  Dosne  et  à  son  gendre,  M.  Thiers,  l'em- 
placement de  leur  hôtel  au  bout  de  la  rue. 


Ru«    .^loiisieur- le -Prince,    [i) 


N°^  4,  12,  22,  23,  37,  49,  58,  60. 

En  l'année  1670,  Bouvard,  conseiller  du  roi,  se 
rendait  acquéreur  d'un  jeu  de  longue-paume  dit 
de  Plaisance,  qui.  longeait  la  rue  des  Fossés- 
Monsieur-le-Prince  et  comportait  une  maison, 
le  tout  situé  h  Saint-Germain-des-Prés,  dans  la 
censive  de  cette  abbaye.  La  rue  devait  la  moitié 
de  son  nom  aux  fossés  de  l'enceinte  parisienne  du 
xu**  siècle,  entre  les  portes  Saint-Germain  et 
Saint-Michel  ;  l'autre  moitié  à  l'hôtel  du  prince  de 
Condé,  sur  l'emplacement  duquel  fut  bâti  l'Odéon 
sous  le  règne  de  Louis  XVL  D'après  un  plan 
particulier,  dressé  en  1753,  des,  dépendances  de 
1  hôtel  se  projetaient  au-delà  de  cette  rue,  où  il  en 
doit  survivre  des  bâtiments  accessoires,  comme  dans 
la  rue  de  Condé.  La  propriété  de  Bouvard  se 
trouvait  contiguë  au  manège  du  prince,  dont 
l'hôtel  avait  une  sortie  rue  des  Fossés;  un  pas- 
sage frayé  plus  bas  conduisait  à  la  rue  de  Condé. 

Le  n"  23  faisait  partie  des  Cordeliers  ;  plusieurs 
autres  maisons  sur  la  même  ligne  n'avaient  pas 
d'autre  propriétaire  que  ce  couvent.  Au  collège 
d'Harcourt,  que  remplace  le  lycée  Saint-Louis,  il  y 
avait  passaj^e  par  le  n"  49,  comme  en  ce  temps-ci. 

Plus  haut  la  rue  s'appelait,  h  l'origine,  rue  des 
Francs-Bourgeois-Saint-Michel.  Cette  dénomination 
remontait  à  l'époque  où  le  Parloir-aux-Bourgeois 


(1)  Notice  écrite  en  186],  avant  que  le  nouveau  bou- 
levard Saint-Micbel  eût  rogné  des  immeubles  à  l'eitré* 
mité   de  la  rue  Monsieur-le-Prince. 


38»)  RUE  MON^IEUR-LE-PRINCE. 

s'adossait  à  une  lour  de  l'enceinte  de  Philippe- 
Auguste,  construction  semi-circulaire  qui  subsiste 
encore  par  miracle  entre  la  rue  des  Grès  (4)  et 
le  nouveau  boulevard.  Les  deux  siècles  antérieurs 
au  nôtre  ont  rarement  distingué  la  rue  des  Francs- 
Bourgeois  de  l'autre,  que  la  République  a  nommée 
rue  de  la  Liberté,  et  le  premier  empire  rue 
Monsieur-le-Prince  ;  on  est  revenu  ensuite  à  la 
division  primitive,  annulée  officiellement  le  9  avril 
1851. 

La  maison  dont  le  péi'istyle  forme  l'angle  de  la 
rue  Voltaire,  fut  construite  avant  la  Révolution 
par  Vauthier,  marchand  de  tableaux,  qui  en  fit 
disposer  richement  l'intérieur  pour  un  musée  par- 
ticulier, avec  des  pièces  recevant  d'en  haut  la  lumière 
favorable  aux  exhibitions  de  la  peinture.  Le 
célèbre  Antoine  Dubois,  acquéreur  de  l'immeuble 
en  1816,  a  laissé  son  nom  ti  la  rue  en  escalier 
qui  le  menait  à  l'Ecôle-de-Médecine,  où  il  faisait 
son  cours  depuis  l'an  1790  :  cette  rue  s'appelait 
auparavant  de  l'Observance,  comme  une  ci-devant 
maison  religieuse  qui  s'était  rattachée  à  celle  des 
cordeliers.  M.  Paul  Dubois,  doyen  de  Ja  Faculté 
de  Médecine,  tient  la  place  de  son  père  dans 
la  maison  au  péristyle. 

Un  buste  de  Jean  Goujon,  flanqué  de  bas-reliefs 
où  la  sculpture  et  la  peinture  sont  personnifiées, 
illustre  un  autre  seuil,  à  l'encoignure  de  la  rue 
Racine  :  est-ce  à  dire  que  le  grand  artiste  du  xvi'' 
siècle  ait  personnellement  franchi  cette  porte? 
malheureusement  non.  Le  marbrier  nommé  Sellier 
n'a  pas  édifié  cette  maison  avant  1821;  mais  il  y 
voulait  réunir  dos  ateliers  d'artistes  ;  il  a  pris 
une  enseigne  pour  en  donner  avis,  et  comme  pour 


(1)  Cette  relique  si  digne  du  respect  de  l'édilité  pari- 
sienue,  a  été  sacrifiée  depuis,  et  la  rue  des  Grès  dite 
Cujas. 


RUE  MONSIEUR-LE-PRINCE.  387 

éloigner  h  tout  jamais  ces  Philistins  de  bourgeois, 
qui  feraient  d'une  pièce  tout  un  appartement. 
Dernièrement  encore  nos  livraisons  y  avaient  pour 
lecteur  un  maître,  élève  des  grands  maîtres,  le 
classique  Aligny,  doiit  l'atelier  vient  de  se  transpor- 
ter au  palais  Saint-Pierre,  h  Lyon.  Depuis 
longtemps  Aligny  sait  par  cœur  l'Italie  et  surtout 
la  Grèce,  qu'il  retrouvera  en  Provence,  h  quel- 
ques heures  de  la  place  des  Terreaux. 

De  l'art  pur  h  la  cote  des  contributions  il  y  a 
plus  près  encore,  du  moment  que  l'artiste  s'est 
mis  toul-à-t'ait,  dans  ses  meubles.  Hélas  !  la  seule 
consolation  que  nous  puissions  donner  aux  contri- 
buables de  notre  époque  consiste  à  leur  montrer 
où  fonctionnait  le  bureau  général  des  impositions 
de  Paris  vers  la  fin  de  l'ancien  régime  :  rue 
Monsieur-le-Prince,  58  et  60.  Le  vingtième  a  passé 
par  \h,  encaissé  par  un  roturier  de  receveur,  aux 
appointements  de  la  Ville,  qui  signait  pourtant: 
Le  Seigneur.  Pour  que  des  fonctions  anoblissent, 
il  fallait  qu  elle  fussent  gratuites  en  ce  temps-là  : 
âge  mesquin!  Les  titres  d'écuyer,  péniblement 
acquis  dans  l'échevinage,  avaient-ils  la  valeur  de 
ces  brevets  de  comte  distribués  d'un  seul  coup  plus 
tard  aux  membres  du  Sénat  et  du  Conseil  d'Etat, 
en  bloc,  par^dessus  le  marché  de  tous  leurs  gros 
traitements?  Étonnez-vous,  après  cela,  qu'on  veuille 
savoir  quelque  chose  de  ce  qu'un  titre  de  noblesse 
a  coûté,  et  îV  qui,  dans  la  crainte  souventes  fois 
fondée  qu'il  y  ait  lieu  d'en  rire. 

Un  des  appartements  de  la  maison  du  receveur 
était  occupé  au  même  temps  par  le  comédien 
Dazincourt,  qui  jouait  les  valets  de  bonne  com- 
pagnie, et  que  la  reine  avait  choisi  pour  lui  donner 
des  leçons  de  déclamation.  Le  voisinage  du  Théâtre- 
Français,  ouvert  le  9  avril  1782  dans  la  salle 
actuelle  de  l'Odéon,  attirait  rue  Monsieur-le-Prince 
bien  des  acteurs  de  l'excellente  troupe  qui  donna, 


388  RUE  MONSIEUR-LE.PRINCE. 

après  deux  années  d'installation,  le  Mariage  de 
Figaro.  Le  marquis  de  V École  des  Bourgeois,  qui 
reproduisait  dans  ce  rôle  les  airs  de  tête  et  les 
inflexions  de  voix  du  maréchal  de  Richelieu,  dont 
il  avait  reçu  les  conseils,  Fleury  habitait  la 
maison  attenante  au  collège  d'Harcourt.  M"*" 
Dugazon,  actrice  du  même  théâtre,  n'en  perdait  pas 
de  vue  la  façade  à  colonnes  pour  peu  qu'elle  se 
mît  à  sa  croisée,  n"  37.  Larochelle,  cet  autre 
valet  de  comédie,  demeurait  au  n"  4;  son  cama- 
rade Courville,    également. 


Rue    ^aint-I^azare.  (i) 


il/""  Mars.  —  Le  Square  et  Orléans.  —  Le  Duc 
de  Valentinois.  —  Les  Z)"*""  Saint-Germain.  — 
M.  Eimery.  —  Julie  Candeilie.  —  La  /)""' 
Rondeau.  —  Le  Cardinal  Fesch .  —  La  Z)"*^  Des- 
forges. —  VHOtel  des  Eaux.  —  Tivoli,  -  Les 
Ruggiéri.  — Les  deux  Châteaux  des  Porcherons.  — 
Autres  Propriétés   de    la  Rue   en  divers    Temps. 

Aucune  Célimène  et  pas  môme  une  Sylvia,  soit 
au  théâtre  soit  h  la  ville,  ne  fera  tort  au  souvenir 
qu'ont  gardé  de  M"*'  Mars  les  amateurs  qui  l'ont 
vue,  et  surtout  qui  l'ont  entendue,  dans  ces  deux 
rôles:  le  charme  de  son  organe  y  faisait  par- 
donner à  la  coquetterie  d'être  un  art,  dont  personne 
autant  qu'elle  ne  connaissait  les  secrets.  Les 
perles  que  roulait  sa  voix  enrichissaient  jusqu'il 
la  prose  d'un  rhytme,    qui  aurait    pu    se    noter; 

(1)  Notice  écrite  en  1861.  Postérieurs  sotU  :  1°  l'ab- 
sorption de  Ja  rue  des  Trois-Frères  par  la  rue  Tailbout 
et  le  prolongement  de  celle-ci  entre  les  rues  Saint- 
Lazare  et  d'Aumale  ;  2»  la  construction  de  l'église  de 
la  Trinité  et  la  formation  d'un  squaie  devant  cette 
église,  avec  une  grande  place  devant  le  square,  tout 
cela  uux  dépens  des  rues  Saint-Lazaie,  Blanche,  de 
Clichy  et  de  la  Chaussée-d'Anlin  ;  :o  l'élargissement 
de  la  rue  Saint-Lazare,  dans  la  seconde  moitié  de  son 
parcours,  et  la  substitution  de  l'avenue  du  Cof]  au 
château  d.;  ce  nom  :  4°  l'adjonctioM  d'une  nouvelle 
gare  à  celle  que  les  chemins  de  i'er  de  I  Ouest  avaient 
déjà  dans  cette  rue  ;  ^°  le  raccourcissement  de  la  rue 
de  l'Arcade  et  Je  prolongement  de  celle  l'asquier, 
naguère  de  la  Madeleine,  vis-à-vis  de  la  nouvelle  gare  ; 
C»  .'e  raccourcissement  de  la  lue  du  Rocher  et  l'ou- 
verture de  la  rue  de  Rome  en  regard  des  rues  de 
l'Arcade   et  I^asquier. 

25 


390  RUE     SAINT-LAZARE. 

elles  avaient  donc  encore  plus  de  prix  que  les 
200,000  francs  de  diamants  qu'on  volu  rue  Saint- 
Lazare  à  l'inimitable  actrice.  Cette  rue  lui  portait 
malheur.  Un  architecte,  qui  était  des  amis  de 
Châteauneuf,  créateur  du  square  d'Orléans,  avait 
fait  de  M"«  Mars  une  actionnaire  dans  cette  néfaste 
entreprise. 

Le  square  n'a  pas  cessé  d'être  une  cité  ouvrière 
à  l'usage  des  gens  qui  veulent  payer  cher  leur 
part  d'une  cour  commune,  servi»nt  de  jardin  ; 
mais  il  n'a  plus  sur  la  rue  Saint-Lazare  que  la 
porte  bâtarde  du  n"  36.  Pour  y  mener  la  vie  de 
château,  il  faudrait  un  amphytrion,  qui,  au  surplus, 
aurait  trop  d'invités.  Ces  sortes  de  caravansérails, 
dont  les  innombrables  fenêtres  sont  braquées  les 
unes  sur  les  autres  et  dont  tous  les  appartements 
semblent  donner  sur  le  même  carré,  offrent  aux 
gens  de  lettres  et  aux  artistes  l'avantage  de  les 
mettre  en  vue;  mais  il  y  a  de  quoi  déflorer 
l'intérêt  qui  s'attacherait  un  jour  à  la  lecture  de 
leurs  mémoires:  trop  de  profanes  à  la  fois  n'ont 
qu'à  se  mettre  à  la  croisée  pour  savoir  ce  qu'on 
fait  dans  le  sanctuaire,  ce  qu'il  y  faut  pour  vivre 
d'encens  et  de  sacrifices,  quels  néophytes  sont 
le  mieux  accueillis  et  à  quelle  heure  s'éteint  le 
dernier  cierge  !  Alexandre  Dumas,  George  Sand, 
Alphonse  Royer,  Kalkbrenner  et  Lablache  ne  sont 
pas  les  seuls  lévites  du  temple  qui  aient  essuyé 
en  braves  le  feu  croisé  des  indiscrétions  de  la 
curiosité,  au  square  d'Orléans.  Dantan  jeune  y 
est  entré  vers  l835,  dans  un  appartement  encore 
chaud  du  mobilier  de  l'auteur  de  Lélia,  et  il  y 
forma  le  cercle  des  Dominotiers,  académie  du 
double- six  et  du  calembour  comparés,  qu'il  trans- 
porta ensuite  rue  Blanche. 

L'illustre  comédienne  avait  acheté  du  maréchal 
Gouvion-Saint-Cyr  et  habitait  en  reine  du  théâtre, 


RUE    SAINT-LAZARE.  391 

ayant  sa  cour,  ses  petites  et  grandes  réceptions, 
l'ancien  hôtel  de  Bougainville,  maintenant  au 
prince  de  Wagram,  dont  1  entrée  principale  est 
rue  Larochefoucauld,  avec  passage  de  servitude 
rue  Saint-Lazare,  56.  M""  Mars,  que  les  jeux  de 
la  scène  n'empêchaient  pas  alors  d'étudier  k  ses 
risques  les  combinaisons  du  hasard,  perdit  des 
sommes  importantes  h  la  Bourse.  Dans  l'idée  que 
la  rue  lui  portait  encore  guignon,  elle  déménagea. 
Heureusement  elle  gagnait  toujours  h  faire  la  partie 
de  Marivaux,  qui  avait  inventé,  comme  à  son  intention, 
les  meilleurs /«Ma;   de  V Amour  et  du   Hasard. 

Lft  terrain  de  cet  immeuble  et  de  plusieurs 
constructions  contiguës,  élevées  pour  la  plupart 
il  y  a  cinquante  ans  par  Constantin  et  C'^'  sur 
les  rues  Saint- Lazare,  Larochefoucauld  et  de  la 
Tour-des-Dames,  qu'on  a  nommée  aussi  Bougain- 
ville; ce  terrain,  disons-nous,  s'est  détaché  d'une 
grande  propriété,  l'hôtel  Valentinois,  dont  le  jardin 
mesurait  5  arpens.  Le  duc  de  Valentinois,  colonel 
du  Royal-Cravate,  en  a  fait  restaurer  l'édihce  par 
Ledoux  (n''  60).  Un  cabaret  du  Sabot-d'or  venait 
immédiatement  après  cette  aristocratique  résidence, 
dans  la  grand'rue  des  Porcherons,  appelée  égale- 
ment rue  d'Argenteuil  par-ci,  rue  Saint-Lazare 
par-là,  qui  ne  prenait  que  de  loin  la  direction 
de  la  ville  d'Argenteuil,  mais  qui  menait  jusqu'au 
clos  Saint-Lazare,  en  passant  devant  la  chapelle 
des  Porcherons  (Notre  Dame-de-Lorette).  Le  général 
Montholon,  le  notaire  Jalabert  et  le  duc  de 
Bassano  ont  été  propriétaires  de  l'ancien  hôtel 
Valentinois,  avant  M.  le  comte  de  Chàieauvillars. 

En  regard,  voici  bien  l'hôtel  dessiné  en  177^ 
pour  la  D"*'  Saint- Germain.  Cette  beauté  facile 
était  'A  la  mode  depuis  quelques  années  ;  elle  avait 
une  sœur  pour  émule,  qui  vivait  sous  le  même 
toit.  L'une  des  deux  mourut  du  chagrin  que  lui 
causait  l'élévation  de  constructions  qui  lui  étaient, 


.192  RUE    SAINT-LAZARE. 

derrière  le  jardin,  des  récréations  pour  la  vue, 
en  supprimant  d'autres  jardins,  La  propriété  passa 
à  M.  de  Beaumé,  ancien  président  à  Douai  ;  puis 
au  maréchal  Ney.  M"""  la  duchesse  de  Vicence 
en  a  lait  l'acquisition  en  1818. 

Le  bureau  d'Eimery,  inspecteur  de  la  librairie 
du  royaume,  n'était  plus  en  l'année  1787  aux 
abords  du  pays  latin,  mais  bien  rue  Saint-Lazare, 
n"  48.  M.  Eimery,  qui  remplissait  aussi  les  fonctions 
de  receveur  des  pensions  militaires,  expédiait  en 
province  les  quartiers  de  ces  rentes,  sans  frais 
pour  les  destinataires  :  il  était  chevalier  de  Saint- 
(iOuis.  Même  maison  demeura  plus  tard  .kilie 
Candeille,  actrice  de  la  Comédie-Française,  qui  com- 
posa des  pièces.  Cet  auteur  de  la  Belle  Fermidre 
eut  encore  plus  de  maris  que  de  professions  :  le 
second  et  avant-dernier  fut  Jean  Simons,  chef 
d'une  fabrique  de  voitures  à  Bruxelles.  Vers  1835, 
un  des  appartements  avait  M""^  Rondeau  pour. loca- 
taire. Les  yeux  bleus  de  cette  courtisane  contras- 
taient agréablement  avec  sa  brune  chevelure.  Ses 
draps  de  lit,  qui  ne  supportaient  pas  le  blanchissage, 
valaient  une  robe  de  bal:   ils    étaient  de    satin. 

Phis  bas,  sur  la  même  ligne,  l'ancien  régime 
avait  également  vu  bâtir  la  maison  x\sten,  dont 
l'entrée  principale  était  rue  Saint-Georges.  Le 
charpentier  Guillaume  ne  se  donna  qu'en  1796  une 
belle  demeure  à  l'encoignure  de  la  rue  de  Clichy. 
Cinq  ans  après,  la  maison  Lebeau  faisait  honneur 
à  l'architecte  Moitte,  du  côté  de  Guillaume,  mais 
encore  plus  haut. 

De  l'hôtel  du  cardinal  Fesch,  ouvrant  surtout 
rue  du  Mont-Blanc,  autrement  dit  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  lit  partie  le  71,  dont  la  porte  servait  de 
sortie  aux  voitures  lorsqu'il  y  avait  réception 
chez  cet  oncle  de  l'empereur.  On  traita  même  de 
Palais-Cardinal    la    résidence    du    prélat    qui    ne 


RUE    SAINT-I,AZARE.  393 

craignit  pas  de  résister  à  son  neveu,  dans  l'in- 
t.érêt  de  Pie  VII,  et  dont  cet  anti-uépotisme  en- 
Iraina  tout  de  suite  la  disgrâce.  La  chapelle  de 
riiôtel  est  convertie  en  oratoire  protestant,  au 
n»75. 

D'un  membre  du  sacré  collège,  qui  eut  le  courage 
de  ses  opinions,  à  une  femme  de  théâtre,  qui 
manqua  vraisemblablement  des  quatre  vertus  car- 
dinales, il  y  a  loin,  mais  pas  dans  une  grande 
ville.  Un  prince  de  l'Eglise  et  une  danseuse  y 
demeurent  souvent  porte  à  porte,  malgré  les  diflé- 
rences  (juavouent  presque  la  robe  rouge  de  l'un  et 
la  jupe  courte  de  l'autre.  Seulement  M*"''  Deslbrges 
a  séjourné  dans  la  rue  Saint-Lazare  bien  avant 
le  cardinal  Fesch.  Cette  danseuse  delà  Comédie- 
Italienne  quittait  son  théâtre  en  1767,  parce  qu'elle 
y  eût  fait  des  pas  de  deux  à  elle  seule,  étant 
grosse  à  pleine  ceinture.  Elle  se  retira,  après 
ses  couches,  dans  une  chambre  garnie  en  face  de 
l'ue  de  Clichy,  qu'on  qualifiait  alors  une  avenue, 
et  elle  y  vécut  en  grisette  avec  un  extrait  de 
banquier,  petit  courtier  du  change  et  de  l'escompte. 
Milord  Rochard,  qui  avait  distingué  et  qui  aimait 
en  secret,  depuis  deux  ans,  M'"''  Desforges,  était 
à  Londres;  â  peine  eut-il  appris  (pie  la  danseuse 
n'avait  plus  qu'un  amant  de  cœur,  il  s'embai-qr.a, 
dans  l'intention  de  la  remettre  à  tlot.  Elle  lui 
accusa  20,000  francs  de  dettes,  dont  il  exigea  un 
état;  elle  ne  parvint  à  dresser  ce  mémoire  qu'en 
s'entendant  avec  tous  ses  marchands,  qui  se  fussent 
contentés  à  moins.  La  balance  penchait  ainsi  de 
son  côté,  sans  qu'il  y  eût  besoin  des  trente  louis 
destinés  à  faire  bon  poids,  et  qui  revinrent  tou.s 
les  mois  tant  que  dura  l'occupation  anglaise.  A 
milord  succéda  M.  Duplessis,  Américain,  puis  le 
banquier  Morin.  Le  greluchon  Gai'nier,  danseur  à 
l'Opéra,  fallait-il  le  compter?  Lorsque  la  Comédie- 
Française  eut  reçu   M'"''  Desforges  première  dan- 


:;)94  RUE    SAINT-LAZARE. 

seuse,  celle-ci  lit  sa  rentrée  ;  elle  passa  ensuite  au 
théâtre  Favarl. 

Que  si  vous  faites  venir  de  l'établissement  des 
l)ains  de  Tivoli  un  panier  de  bouteilles  d'eau-de- 
seltz,  l'en-tête  de  la  facture  vous  apprendra  que 
lesdits  bains  furent  créés  en  l'année  1799  par 
J urine  et  Triayre.  On  appelait  alors  hotel  des 
Eaux  l'édifice  carré  qui  forme  le  bâtiment 
principal  et  qui  s'était  érigé  dès  1788  sur  le 
plan  de  Henry.  Bientôt  ce  grand  pavillon  fut 
affecté  h  une  école  des  Ponts-et-Chaussées, 
berceau  de  l'école  Polytechnique,  et  l'intendance  des 
Ponts-et-Chaussées  y  survivait  encore  avant  que  les 
bains  prissent  sa  place.  Mais  l'hôtel  ne  s'était  bâti 
que  pour  servir  de  maison  de  campagne  au  financier 
Boulin,  dont  le  magnifique  jardin  gardait  une  entrée 
]'ue  de  Clichy. 

Ce  jardin,  qui  était  déjà  une  merveille  en  ré- 
putation avant  la  construction  du  pavillon,  devint 
un  parc  de  Tivoli,  qui  a  fait  les  délices  des  Parisiens 
sous  la  République,  l'Empire  et  le  règne  de  Louis 
XVIII.  Les  Clichiens  se  donnèrent  rendez-vous 
dans  ce  jardin  et  y  tinrent  leur  conventicule,  avant 
le  13  vendémaire,  dont  ils  furent  les  victimes.  Mais 
il  y  eut  un  autre  Tivoli  après  celui-là,  et  à  toutes 
les  fêtes  y  présidèrent  comme  artificiers,  sinon 
comme  directeurs,  les  Ruggiéri,  qui  avaient  donné 
auparavant  des  divertissements  du  même  genre 
dans  un  autre  jardin  du  quartier,  que  depuis  on 
désigne  par  esprit  de  famille  comme  ses  frères 
puînés.  Avant  la  Révolution,  le  jardin  Ruggiéri 
était  situé,  d'après  M.  de  Bouge,  géographe  du 
roi,  sur  l'emplacement  actuel  de  la  rue  Notre- 
Dame-de-Lorette,  jusqu'à  la  lue  Larochefoucauld, 
avec  une  porte  déjà  rue  Saint-Lazare.  Le  spectacle 
y  était  spécialement  pyrique  et  coûtait  un  écu 
par  tête  aux  premières  places,  moitié  prix  aux 
secondes. 


RUE    SAINT-LAZARB.  3115 

L'Italien  Pétronio  Ruggiéri  et  ses  trois  l'rères 
étaient  venus  à  Paris  dès  1789,  comme  artiti- 
ciers  de  la  Comédie-Italienne,  et  le  roi  les  avait 
chargés  de  tirer  ses  feux  d'artifice.  En  1745  ils 
étaient  retournés  dans  leur  pays,  pour  y  passer 
dix  années,  pendant  lesquelles  une  D''"''  Ruggiéri, 
plus  ou  moins  femme  de  théâtre,  avait  soutenu 
l'honneur  de  la  maison  par  d'autres  artifices:  les 
fusées  volantes  de  sa  galanterie  avaient  jeté  de  vives 
lueurs  de  crédit.  Louis  XV,  pour  reprendre  Pétronio 
il  son  service,  n'avait  pas  craint  de  lui  offrir  une 
manière  de  château  aux  Porcherons  et  6,000  livres 
de  pension.  Gaétan  Ruggiéri,  son  frère,  était 
artificier  du  roi  en  Angleterre. 

On  publiait  encore  en  1807  cette  annonce: 
«  Pierre  Ruggiéri,  aux  Porcherons,  donne  pendant 
la  belle  saison  un  spectacle  public,  prix  depuis 
6  livres  jusqu'à  1  livre  4  sols  ».  Leïivoli-Routin 
pouvait  se  dire  également  jardin  des  Porcherons; 
nous  estimons  pourtant  qu'à  cette  époque  il 
faisait  encore  deux  avec  l'établissement  des  Rug- 
giéri. A  Tivoli  on  avait  di'oit,  pour  2  francs,  à 
la  promenade,  à  la  danse,  aux  concerts,  aux  petits 
spectacles,  h  divers  jeux  et  même  à  des  courses 
sur  l'eau.  Des  montagnes  russes  ne  s'y  établirent 
que  sous  la  Restauration,  et  alors  il  y  lut  donné 
un  certain  nombre  de  fêtes  extraordinaires.  Mais 
l'afliclie  n'avait  pas  besoin  d'annoncer  un  surcroît 
de  divertissements  pour  que  tout  le  monde  vint 
en  grande  toilette,  et  les  hommes  chaussés 
d'escarpins,  danseurs  ou  non.  En  1826  on  a  détruit 
ce  superbe  jardin,  pour  y  tracer  des  rues,  dont 
l'une  garde  son  nom;  en  ce  temps-là  il  n'y  avait 
encore  que  des  chantiers  place  Saint-Georges,  où 
l'on  disait  aussi,  mais  par  analogie:  Ci-gît  un 
ancien  Tivoli  ! 

La  célébration  des  victoires  de  l'Empire  avait 
donné  lieu  à  tant  de  fêtes,  dans  lesquelles  Michel 


396  RUE    SAINT  LAZARE. 

Riiggiûi'i  trouvait  toujours  son  compte  il  reproduire 
par  la  pyrotechuie  les  emblèmes  de  la  gloire, 
()u'il  n'était  pas  charmé  delà  rentrée  des  Bourbons, 
arborant  l'étendart  de  la  paix.  L'artiticier  de  l'em- 
l)ereur  n'en  demeura  pas  moins  celui  du  roi,  et 
aujourd'liui  son  neveu  porte  encore  le  titre,  quasi- 
héréditaire,  que  la  lam.ille  tient  de  l'ancien  régime. 
Mais  Michel  avait  un  fds  otiicier,  qui  réellement 
donna  sa  démission  et  ne  reprit  du  service  qu'après 
la  révolution  de  Juillet;  il  passa  ensuite  en 
Egypte,   pour  être  artiticier  du  vice-roi. 

La  propriété  que  le  roi  avait  donnée  au  fonda- 
teur de  cette  dynastie  de  génies  du  feu  ne  devait 
sans  doute  qu'il  ses  antécédents  l'honneur  d'être 
traitée  de  château.  La  seigneurie  de  Sainte- 
Opportune  avait  commencé  en  l'année  1483  à  tenir 
ses  audiences  aux  Porcherons,  dans  un  endroit 
que  nous  croyons  celui-là  ;  la  maison  féodale  s'y 
remarquait  encore  du  temps  de  Piganiol  de  la 
Force,  histoi  ien  et  géographe  né  en  1673,  mort 
en  1753. 

On  ne  reconnaissait  déjà  plus  à  la  lin  du 
XVH-  siècle  d'autre  château  des  Porcherons  que 
celui  du  Coq.  Il  appartenait  à  Lecoq,  chevalier 
de  Saint- Jean-de-Jérusalem,  qui  le  tenait  de  ses  père 
et  mère  et  qui  avait  pour  tuteur  honoraire  son 
neveu  Lecoq,  marquis  de  la  Gaupinière,  conseiller 
au  parlement.  Cet  hôtel,  avec  un  jardin  et  un 
marais,  était  sis  entre  des  marais  aux  mathurins 
de  Paris  et  la  ferme  de  l'Hôtel-Dieu:  l'égoût  de 
la  ville  (rue  Saint-jN'icolas-d'Antin)  (i)  passait 
derrière.  Un  autre  Lecoq,  maître  des  requêtes, 
avait  là  les  sous-fermiers  du  tabac  pour  locataires 


;i)  La   rjjo   Saiiit-Nirolas-d'Anlin  fait,  aujourd'hui  iiarlie 
de  la  rue   de  Provence. 


RUE    SAINT-LAZARE  397 

une  trentaine  d'années  plus  tard.  La  contenance 
était  alors  de  1787  toises.  Mais  M.  Lecoq  tenait 
h  lui-môme  sur  un  point,  et  il  avait,  en  outre, 
des  maraîchers  pour  fermiers  dans  beaucoup  du 
terrain  qui  sé|)arait  les  rues  de  Clicliy  et  du  Rocher, 
alors  deux  chemins.  L'encoignure  de  la  chaussée 
d'Antin,  autrement  dite  Gaillon,  où  se  trouvait  le 
bureau  des  droits  d'entrée,  dépendait  de  la  ferme 
de  l'Hôtel-Dieu,  et  3L  Louis  avait  un  marais  à 
l'autre  angle,  occupé  dans  la  suite  par  le  cardinal 
Fesch.  On  disait  la  messe  au  château,  dans  une 
chapelle,  publique  les  jours  de  fêle.  L'étendue 
actuelle  de  la  rue  Saint-Lazare  se  rattachait  à 
trois  paroisses  différentes  :  celle  de  Montniartre 
prenait  le  côté  droit  jusqu'à  l'avenue  de  Clichy; 
tout  ce  qui  faisait  face  ressortissait  à  Saint- 
Eustache;  la  Madeleine  embrassait  tout  le  reste 
sur  les  deux  rives  de  la  rue,  peuplée  en  général 
de  jardiniers,  de  plâtriers  et  de  bourreliers. 

Quand  le  conventionnel  Lacroix  demeurait  en  ce 
château  du  Coq,  une  inscription  sur  marbre  noir 
dominait  encore  la  porte  : 

Cjôtcl   (îToq,   I3i0. 

A  cela  près,  l'hôtel  a  conservé,  mais  uniquement 
à  l'extérieur,  son  aspect  du  siècle  dernier  (n"  99) . 
Tout  fait  craindre  malheureusement  sa  démolition 
prochaine. 

M'est  avis  que  l'abbesse,  dame  de  Montmartre, 
avait  eu  dans  ce  château  le  chef-lieu  de  sa 
seigneurie  des  Petits-Porchcrons,  comme  les  cha- 
noines de  Sainte-Opportune  avaient  féodalement 
siégé  aux  Grands-Porcherons,  b  l'extrémité  de 
nôtre  rue.  Il  n'y  eut  pas  toujours  communauté 
d'audiences  pour  les  justices  féodales  de  Montmarti-e, 
de  Clignancourt,  des  Petils-Porcherons  et  du  Fort- 
aux-Dames,  bien  que  ces  tîefs  se  trouvassent  entre  les 


S98  RUE    SAINT- LAZARE. 

mêmes  mains  seigneurinles.  Quelquefois,  qui  plus 
est,  l'abbcsse  ne  dédaigna  pas  d'ajouter  à  sou  titre 
de  dame  desdits  lieux  celui  de  dame  de  Coq.  Les 
Porcherons  ayant  deux  seigneuries,  l'une  siégeait 
aux  Grands,  l'autre  aux  Petits;  mais  leurs  circons- 
criptions s'engageaient  l'une  dans  l'autre  sur 
toute  l'étendue  du  territoire  qu'elles  se  partageaient 
en  s'y  serrant  de  près.  Haute  et  puissante  princesse 
M"""  Francoise-Rénée  de  Loi"rain(\  abbesse  de  Mont- 
martre, est  qualifiée  dame  dudit  Montmartre,  de 
Clignancourt,  des  Porcherons,  du  Fort-aux-Dames, 
de  Coq  et  autres  lieux,  dans  un  état  des  comptes 
que  son  receveur,  l'avocat  Thomas  Harville.  lui  rend 
de  la  recette  des  cens,  surcens  et  rentes  seigneuriales 
pendant   18  années  à  partir  du   l"  janvier  I600. 

On  y  voit  figurer,  pour  l'année  1663,  Gille 
Boilean,  commis  au  greffe  du  parlement,  en  raison 
de  bon  nombre  de  quartiers  de  terre  et  d'une 
maison  de  campagne  à  Clignancourt,  attenante  à 
celle  du  seigneur  de  l'endroit,  entre  la  grand'rue 
et  le  chemin  conduisant  de  Lachapelle  Saint-Denis 
à  Saint-Ouen.  Or  le  poète  de  la  raison,  né  dans 
une  maison  de  la  rue  Boileau  qui  se  voit  encore  (1), 
n'a-t-il  pas  eu  pour  père  Gille  Boileau,  gretlier 
de  la  grand'chambre  au  parlement  ?  Nous  recon- 
naissons aussi  parmi  les  tributaires  qu'eut  l'abbaye, 
vers  le  même  temps,  deux  autres  parents  d'hommes 
célèbres:  Jehan  Androuet  du  Cerceau,  architecte 
du  roi,  pour  un  arpent  et  demi  de  terre  à  Mont- 
martre, chemin  de  la  Cure  ou  de  la  Cuve,  à 
l'image  des  Trois-Coins  (1641);  Michel  Pigalle, 
laboureur,  demeurant  à  Lachapelle-Saint-Denis, 
pour  un  arpent  de  terre  à  Clignancourt,  chemin 
des  Poissonniers  (1648). 


(l)   Près     de    l'ancien    hôtel  du   premier  président    du 
parlement,   maintenant  la  préfecture   de   Police. 


RUE   SAINT-LAZARE.  309 

A  cette  époque-l;i  un  chemin  indivis  menait 
du  Roule  à  Saint-Lazare;  la  rue  que  vous  voyez 
s'est  dégagée  du  chemin,  corps  d'une  longueur 
démesurée  où  elle  tenait  la  place  du  ventre.  Cette 
rue  n'a  pas  absorbé,  comme  simple  aliment,  tout 
ce  qui  lui  a  fait  une  vie,  d'abord  partagée,  en- 
'suite  propre;  il  s'est  l'orme  en  elle,  faute  de 
créature  i'i  son  image,  une  portée  de  renseigne- 
ments historiques,  et  elle  met  bas.  Quelques  petits 
manqueraient  à  la  ventrée  si  nous  jetions  h  l'eau 
les  notes  qui   suivent  : 

157f<.  —  L'abbé  et  le  couvent  de  la  Victoire  ont  un 
petit  bien  de  campagne,  attenant  en  quelque  chose  à  la 
maison   des   Petits-Porcherons. 

1581.  —  Jacques  Cadet,  Jean  Bouciult  et  Jean  Saulnicr, 
maîtres-jardiniers,  sont  simultanément  propriétaires  de 
marais  qui  se  suivent  au  lieu  dit  Chantereine,  terroir  des 
Porcherons,  sur  le  grand  chemin  du  Roule-à-Saint- 
Lazare. 

1660.  — Pierre  Baudin,  jardinier,  laisse  au  même 
endroit  des  maisons  et  des  marais  à  Jacques  Moreau, 
laboureur,  et  à  sa  femme,  Claude  Baudin,  ainsi  qu'à 
Noël  et   Louis  Moynet,  jardiniers,   fils  d'Anne   Baudin. 

1685.  —  Dame  Marguerite  de  Barentin,  veuve  d'Urbain 
de  Lava],  marquis  de  Boisdauphin  et  de  Sablé,  a  deux 
arpens  de  marais  au  lieu  dit  les  Saussayes.  faisant  le 
coin  du  chemin  qui  conduit  de  la  ferme  de  THôtel-Dieu 
à  la  porte  Gaillon.  Son  auteur  est  Achille  Barentin, 
conseiller  au  parlement.  Elle  tient  d'un  côté  à  Jacques 
Beudon   et  par-derriôre    à    Guillaume   Boucher. 

1721.  —  Anne  Chatenolle,  veuve  di  Nicolas  Boucher, 
maître  de  pension,  habite  aux  Porcherons,  grande  rue, 
une  maisoB  dont  elle  e?t  propriétaire  avec  François 
Vignon,  maître-peintre,  et  Di'e  Marie  Boucher,  sa  femme. 

1722.  —  Très-illustre  et  très-vertueuso  dame  M"'e  Mar- 
guerite  de  Rochechouart   est  abbesse  de  l'abbaye  royale 


400  RUE    SAINT-LAZARE. 

de  Notre-Dame  de  Montmartre  ;  Thérèse  Pollot,  prieure  ; 
Marie  BoUet,  prieure  du  cl'ùtre;  Augélique  Levavre, 
célerière;  Mane-Madoleine  Enocq,  secrétaire  du  cha- 
pitre: Louise  Hinart,  portière;  Marie  Anne  Parisou, 
dépositaire;  Marie-Bonne  Duooycr,  boursière;  Marcel 
Venant,  greffier  et  tabellion  de  la  Précodé,  haute  moyenne 
et  basse  Justice  ds  Montmarire,  CUtinancourt  et  lieux  dé' 
pendants. 

1792.  —  Le  conventionnel    Brissot  losc  rue  Lazare. 


Rue  Moiitiuartre.  (i) 


Fastes  de   la  Propriété   foncière  en   cette  Rue. 

La  première  porte  de  la  ville  qui  chevauclia 
sur  la  rue  Montmartre  n'était  qu'ù  la  hauteur  du 
11"  15  d'à-présent;  elle  tomba  vers  l'au  1380,  et 
Paris  s'étendit  jusqu'il  l'impasse  Saint-Claude  (i2). 
La  porte  qu'on  jeta  bas  en  1700  était  située  près 
de  i'emphicement  de  la  galerie  qui  communique 
au  passage  des  Panoramas. 

A  cette  dernière  date,  Philii.pe  de  Laporte  était 
propriétaire  du  n"  15  précité,  et  il  y  eut  pour 
successeur  Anjorrant,  conseiller  au  parlement, 
puis  André  Duibur,  seigneur  de  la  Noble-Maison 
de  laNau,  gendre  d'Anjorrant.  Cette  propriété  avait 
fait  corps  avec  l'hôtei  Lambesc,  ouvrant  égale- 
ment rue  du  Jour  et  rue  Plàtrière,  maintenant 
Jean-Jacques-Rousscau,  et  qui  avait  appartenu  au 
bourgeois  Martin  Bellet  en  1581,  à  Jean  du  Trem- 
blay en  1574  :  trois  ans  après  y  était  né  François 
]jeclerc  du  Tremblay,  qui  commen(,'a  par  servir 
dans  l'armée  avec  distinction,  se  lit  ensuite  ca- 
pucin et  devint  le  bras  droit  du  cardinal  de 
Richelieu  sous  ce  nom,  le  père  Joseph.  La  famille 
Anjorrant.  un  demi-siècle  après,  avait  M""'  Lépinot 
pour  voisine  au  n"  13. 

Du    temps    de    cette   dame,    M.    Le  Pileur  de 


(1)  Notice  écrile  en  18(51.  L'ancien  hôtel  d'LIzi^s  n'a 
fait  place,  rue  Moniraarlre,  à  une  nouvelle  rue  qu'eu 
18;0. 

(2)  Au  Jieu  de  Saint-Claude,  c'est  maintenant  Saint- 
Sauveur. 


40i  RUE    MONTMARTRE. 

Brévaiincs  vendait  à  Wiltersheim,  son  créancier, 
une  portion  de  Thôlel  de  Brévannes,  dit  aussi  de 
Quatremer,  sis  de  l'autre  côté  de  la  rue,  et  dont  la 
principale  entrée  est  encore  rue  Tiquetonne.  Le 
notaire  Momet  tenait  la  maison  conliguë  de  Gai- 
pin,  trésorier  de  France;  celui-ci  avait  succédé 
à  l'avocat  Desretz,  cessionnaire  de  Chambon, 
commissaire  au  Cliàlelet,  qui  avait  l'ait  bâtir,  après 
s'être  rendu  adjudicataire,  le  13  août  1533,  d'un 
tronçon  de  l'ancien  mur  de  ville.  La  communauté 
des  Fripiers,  dont  les  statuts  remontaient  pareille- 
ment au  règne  de  François  V'\  avec  confirmation 
de  Louis  XIV,  disposait  du  68,  où  elle  tenait  son 
bureau;  M.  de  Valcouit,  du  3o.  Les  banquiers 
Mallet  père  et  tils  étaient  établis  au  45  ou  au  47. 

Presque  en  lace  de  la  rue  de  la  Jussienne,  sous 
le  règne  de  Louis  XIV,  grande  propriété  à  la 
tamille  de  ïourville  :  en  disposa  indubitablement 
le  célèbre  marin,  lils  du  maréchal-de-camp  César 
de  Tourville.  La  seconde  porte  venant  après  é^ait 
celle  de  l'hôtel  Charost,  qui  passa  à  M.  de  Crécy  : 
un  membre  de  la  famille  Bethune-Charost,  cette 
branche  de  Sully,  avait  légué  au  roi  2,500  manus- 
crits, une  bibliothèque  et  un  musée  en  1655. 
Puis  deux  maisons  à  M.  de  Laubie.  Au  second  angle 
de  la  rue  de  Cléry,  Gilles  du  Caroy,  maître-d'hôtel  du 
grand-maître  de  la  maison  du  roi,  était  propriétaire 
tant  en  son  nom  que  comme  tuteur  de  Jean  du  Caroy, 
fourrier  du  corps  de  la  duchesse  de  Bourgogne, 
iils  mineur  dudit  Gilles  et  de  Catherine  Gouin,  sa 
femme.  Item,  pour  la  maison  attenante.  Les  deux 
suivantes  appartenaient  :  l'une  à  Antoinette  Mouil- 
lard,  veuve  de  Charles  Dubois,  maître-queux  du 
commun  du  roi,  écuyer-tranchant  de  la  duchesse 
d'Enghien,  et  à  Angélique  Dubois,  leur  fille,  veuve 
de  Roydot,  capitaine  au  régiment  de  Vivarais; 
l'autre  à  Penon,  secrétaire  du  roi. 

Du  côté  opposé,  propriété  à  M.    d'Herbecourt, 


RUE    MONTMARTRE.  403 

entre  la  rue  des  Vieux-Augustins  et  le  cul-de-sac 
Saint-Claude.  Sandrin,  Brûlé,  Casamajoi-,  Bovin, 
Geoffroi:  à  ces  noms  répondaient  les  maisons  sises 
de  la  rue  des  Fossés-Montmartre  (i)  ii  celle  du 
Mail. 

Dans  la  nôtre  se  trouve  alors,  à  l'image  de  la 
Grosse-Tête,  un  bureau  de  charrettes,  c'est-à-dire 
de  roulage,  pour  la  Normandie.  Une  annonce  du 
temps  dit  aussi  :  «  Le  sieur  Cadet,  machiniste, 
demeure  rue  Montmartre  ;  on  pourra  savoir  de 
ses  nouvelles  à  la  porte  Dauphine.  » 

M.  de  Saint-Contest  habita,  sous  le  règne  sui- 
vant, le  128  ou  l'un  des  numéros  suivants  ;  il  y 
entretenait  des  relations  avec  M"*  de  Montansier, 
plus  de  quinze  ans  avant  que  cette  directrice  d'une 
troupe  d'acteurs  de  province  ouvrît  ;i  Paris  le 
théùlre  qui  a  porté  son  nom.  Un  des  comédiens 
de  la  troupe  était  fils  de  l'associé  de  la  Montan- 
sier; comme  elle  lui  voulait  du  bien,  il  portait 
de  plus  riches  habits  que  M.  de  Saint-Contest, 
qui  en  faisait  les  frais.  Au  reste,  la  directrice  a 
épousé  son  pensionnaire  qui,  contrairement  aux 
habitudes  reçues,  adopta  le  surnom  de  sa  femme, 
née  Brunet,  pour  ne  plus  s'appeler  Bourdon-Neuville 
que  par-devant  notaire. 

L'appartement  occupé  au  130  par  Strauss,  chef- 
d'orchestre  des  bals  de  la  cour,  a  été  celui  de Paësiello, 
le  compositeur  italien,  ious  le  Consulat.  Le  marquis 
de  Breuil  a  demeuré,  mais  un  quart  de  siècle 
plus  tôt,  au  second  coin  de  la  rue  des  Jeûneurs. 
MM.  Rabuteau,  de  Chalabre  et  Fanon,  M""'  Rousseau 
et  M.  Guichard  ont  été  également  propriétaires 
entre  ladite  rue  et  le  boulevard,  avant  la  révolu- 
tion de  89.  Sur  l'autre  ligne  se  suivaient  au  même 
temps  les  héritiers  Larticle,  M.  et  M"''    Cointry, 


(1)  Maintenant  Aboukir. 


404  RUE  MONTMARTRE. 

Richard,  Maréchal,  Gahold,  Nogent,  la  succession 
Forgct,  Salgsalt,  Jacquet,  Gluchavd,  l'Hôtel-Dieu, 
Mouchard,  Caponelle,  Eiiguelard,  Derbois,  Boutron, 
Jourdain,  Dumas,  M'""  .Dunais,  Brayanl;,  Baudon 
d'Anaucourt.  \o  pelit  Rohmd  el  Duval,  depuis  la 
rue  du  Mail  jusqu'à  la  rue  Notre-Dame-des-Vic- 
loires,  et  Baudon  d'Anaucourt  n'y  avait  pas  moins  de 
trois  maisons.  Dans  celle  du  jeune  Roland  griffonnait 
le  secrétariat  de  Roland,  président  des  requêtes. 
Les  messagerii's  royales  avaient  dès-lors  pour 
avenue  le  cul-de-sac  Saint-Pierre. 

L'hôtel  dont  les  Montmorency  restèrent  les 
parrains  plus  longtemps  que  les  Duras,  n'a  en- 
tièrement pei'du  que  son  jardin,  puisqu'on  en 
l'econnaît  des  bâtiments,  convertis  en  propriétés 
de  revenu,  près  du  passage  des  Panoramas.  Las- 
sui  ance  en  avait  dessiné  l'édihce  principal  en  1704, 
et  la  grande  porte  en  faisait  face  à  la  rue  de 
Montmorency.  La  mesure  de  cette  propriété  nous 
est  donnée  par  les  galeries  du  passage.  On  a 
élevé  le  théâtre  des  Variétés  en  1807  sur  le  jardin 
de  l'hôtel,  qui  sur  le  boulevard  disait  terrasse. 
Mais  il  y  avait  déjà  des  locataires  du  côté  des 
l'ues  sur  la  tin  de  l'ancien  régime. 

Au  n"  155  M.  Lenoir-Dubreuil  laissait  voir  ses 
tableaux  des  écoles  tlamande  et  française,  dans  trois 
j)ièces,  sur  le  derrière.  Le  158  l'emportait  de  plus 
d'une  année  sur  le  160  :  Sébastien  de  Prépeaux,  am- 
bassadeur du  prince  de  Spire,  avait  été  propriétaire, 
sous  Louis  XV,  de  celle  des  deux  maisons^  déjà 
bâtie  et  du  terrain  de  l'autre.  L'hôtel  D'Uzès,  au 
172,  n'a  eu  Ledoux  que  pour  restaurateur.  Il 
portait  dès  l'année  1739  ce  nom,  qui  lui  venait 
d'un  philanthrope;  mais  il  avait  été  d'abord  la 
résidence  du  marquis  de  Lhospital,  gouverneur  de 
Toul,  mort  sans  postérité  en  1702,  à  qui  sa 
veuve  avait  érigé  un  monument  aux  Petits  Pères. 
Les  porteurs  d'eau  de  la  fontaine  voisine,  dont  la 


RUE    MONTMARTRE.  405 

Ville  vient  de  supprimer  le  robinet,  ont  fait 
célébrer  dans  ladite  église,  le  17  novembre  1766,  une 
messe  de  convalescence,  après  une  maladie  du  duc 
d'Uzès  :  ils  n'auraient,  certes,  plus  la  même  at- 
tention pour  M.  le  préfet  de  la  Seine.  La  confis- 
cation a  singulièrement  facilité  l'installation  de 
l'administration  des  Domaines-Nationaux  dans  cet 
bùtel,  h  l'époque  où  la  rue  s'appelait  légalement 
Mont-Marat,  comme  les  buttes  Montmartre  :  on 
y  vendait  à  la  criée  les  autres  propriétés  qui 
avaient  tait  retour  à  l'Etat.  La  Douane  a  occupé 
le  même  inmeuble,  avant  les  acquéreurs  qui  ont 
le  bon  goût  de  s'en  montrer  les  conservateurs  et 
qui  sont  MM.  Delessert,  grands  industriels  et 
banquiers,  au  nombre  desquels  toutefois  a  figuré  un 
préfet  de  police  et  figure  un  littérateur. 

Avant  le  boulevard,  deux  autres  propriétés  sont 
sœurs  jumelles;  un  bazar  se  fait  jour  derrière 
leur  façade.  Langlois,  intendant  des  finances,  a 
bâti  là,  sur  un  des  nombreux  lots  adjugés  parla 
Ville  à  Derbais,  son  beau-père,  ce  qu'on  appelait 
l'hôtel  Genlis  avant  1ère  républicaine.  Le  jardin 
.s'en  étendait  jusqu'à  la  rue  Saint-Fiacre.  M.  Lbuil- 
lier,  contemporain  du  marquis  de  Breuil,  a  été 
le  propriétaire  de  cette  maison,  qui  a  compté 
parmi  ses  locataires  M,  de  Laborde,  ancien  fermier- 
général,  et  le  président  Delhaye,  avant  M.  de 
Laborde. 


26 


Rue  Moiiffetar«l 
et   Avenue    des   Gobelins.   (i) 


L'une  des  Odeurs  de  Paris,  —  Les  Eglises.  — 
Le  Pont-aux-Tripes.  —  Les  deuos  Bourgs.  — 
Les  Boucheries.  —  Les  Enseignes.  —  Le  royal 
Séjour  —  Les  Patriarches  —  Les  Dames-de- 
la- Miséricorde.  —  Les  Canaye.  —  L'Enlève- 
ment. —  Les  Corps-de-Garde.  —  Les  Fabri- 
ques. —  La  AI anu facture  des  Gobelins.  —  Les 
Cabaretiers  et  les  Brasseurs.  —  Autres  Ha- 
bitants ou  Propriétaires. 

Qui  devinerait  que  les  savants  officiels  font 
dériver  le  mot  Mouffetard  de  Mons  Cetarius  ?  De 
traduction  en  corruption,  le  mont  Cétard  aurait 
fait,  à  leur  sens,  apjteler  Mouffetard  un  chemin 
qui  le  traversait  en  dehors  de  l'enceinte  de  Philippe- 
Augfuste,  et  où  s'élevait  l'église  Saint-Marcel.  A 
ce  compte,  la  Bièvre,  les  tanneries  et  les  dépôts 
de  gadoue  n'auraient  exhalé  que  postérieurement 
le  long  de  ce  chemin  l'odeur  désagréable  et  per- 
nicieuse qui  a  fait  dire:  quelle  mouffette,  quelle 
mofette  !  Les  tanneurs  et  les  gadouards,  ces 
prédécesseurs  des  compagnies  Domange  et  Richer, 


(1)  Notice  écrite  en  1861.  La  rue  Mouffetard  n'était 
pas  encore  aux  prises  avec  le  monstre  de  la  démolition 
forcée.  Aujourd'hui  cette  rue  îinit  à  la  hauteur  de  l'église 
Saint-Médard,  où  l'élargissement  de  la  rue  Censier,  le 
prolongement  de  la  rue  des  Feuillantines  et  de  la  rue 
de  l'Abbé-Je-l'Epée  et  la  nouvelle  rue  Monge  se  sont 
fait  jour.  La  nouvelle  avenue  des  Gobelins  absorbe 
tout  le  reste  de  la  rue  Mouffetard,  où  elle  n'a  laissé 
debout,  pour  se  les  appliquer,  que  la  manufacture  des 
Gobelins   et  quelques   maisons  venant  ensuite. 


RUE  MOUFFETARD,  ETC.  407 

ne  sont-ils  pas  en  cela  les  parrains  de  la  rue  ? 
Sa  population  toujours  croissante  l'a  assainie,  au 
cœur  du  faubourg  Saint-Marceau,  sans  qu'il  y  ait 
encore  moyen  de  prendre  ses  odeurs  particulières 
pour  des  parfums. 

L'église,  bâtie  au  xi"^  siècle  sur  les  ruines  d'une 
chapelle  attenante  au  cimetière  de  l'évêché  de 
Paris,  avait  été  le  lieu  de  sépulture  de  l'évêque 
saint  Marcel,  mort  en  l'an  436,  dont  la  châsse,  à 
l'époque  des  incursions  normandes,  avait  été 
portée  k  l'église  métropolitaine.  L'évêque  de  Paris 
était  le  seigneur  temporel  du  bourg  de  Saint- 
Marcel,  comme  aussi  de  bien  d'autres  tiefs  et 
d'une  bonne  portion  de  la  Cité  ;  il  avait  sous  sa 
dépendance  directe  les  églises  collégiales  de 
Saint-Marcel,  de  Sainte-Opportune  et  de  Saint- 
Honoré,  qui  étaient  dites  les  Filles  de  l'Évêque, 
tandis  que  les  églises  Saint-Merri,  du  Saint- 
Sépulcre,  Saint-Benoît  et  Saint-Etienne-des-Grès, 
comme  relevant  du  chapitre  métropolitain,  étaient 
Filles  de  Notre-Dame.  Aussi  bien  les  chanoines 
de  Saint-Marcel  exerçaient  dans  le  bourg  une 
juridiction  qui  empiétait  sur  le  faubourg  Saint- 
Jacques  et  sur  la  montagne  Saint-Hilairc,  dont 
l'église  voyait  sa  cure  à  la  nomination  audit  chapitre. 
Leur  justice  capitulaire  se  rattacha  ii  celle  du 
Ghàtelet  en  1674;  mais  Colonne  Dulac  obtint,  en 
1725,  que  le  chapitre  conservât  haute  justice  dans 
toute  l'étendue  du  cloître,  où  avaient  séjourné 
plusieurs  évèques  de  Paris,  et  moyenne  justice 
dans  toute  la  seigneurie.  Le  bailliage,  dont  les 
audiences  ne  se  tenaient  pas  â  jour  tixe,  était 
près  de  la  collégiale,  et  par  conséquent  dans  le 
cloître,  duquel  dépendaient  et  l'église  Saint-Martin, 
sise  place  de  la  Collégiale  (i),  et  le  marché  aux 


(1)  De   cette  place  sort  une   nouvelle  rue  qui  s'appelle 
de  même. 


408  RUE  MOUFFETARD 

Chevaux.  Le  séminaire  de  Saint-Marcel,  établi  par 
Sanciergues,  diacre,  avec  la  permission  de  M.  de 
Harlay,  archevêque  de  Paris,  confirmeeparM.de 
Noailles,  recevait  des  jeunes  gens  se  destinant  îi 
la  prêtrise,  mais  sortant  des  collèges  et  qui  payaient 
pension.  L'église,  supprimée  par  la  Révolution 
et  convertie  en  maison  particulière  au  commen- 
cement de  l'Empire,  faisait  face  rue  MoulTetard  ;» 
la  rue  Pierre-Assis  (i)  :  on  en  revoit  des  lron(;ons  de 
colonnes  exposés  dans  la  cour  du  palais  des 
Beaux-Arts.  Le  nom  de  cette  église  est  gardé  par 
une  rue,  parallèle  à  une  autre  rue  qui  rappelle 
Pierre  Lombard,  le  maUre  des  sentences,  enterré 
au   milieu  du  chœur  en  l'année  M64. 

La  rue  Saint-Hippolyte  (2),  qui  donne  rue  Pierre- 
Assis,  mais  qui  a  fait  coude  pour  donner  aussi  rue 
Mouffetard,  consacre  pareillement  le  souvenir  d'une 
église  :  celle-là  édifiée  en  1158,  et  dont  les  bâti- 
ments furent  aliénés  en   1793. 

Quant  au  bourg  Saint-Médard,  il  faisait  trait- 
d'union  entre  le  bourg  Saint-Marcel  et  la  ville.  Le 
territoire  de  ces  deux  anciens  bourgs  était  encore 
distinct  sous  le  règne  de  Louis  XY,  en  ce  que  la 
rue  Mouffetard  prenait  la  dénomination  de  rue  du 
Faubourg-Saint-Marcel  au  Pont-aux-Tripes.  On 
appela  Pont-aux-Tripes,  et  aussi  Pont-aux-Biches, 
l'emplacement  compris  entre  les  rues  Censier  et 
du  Fer-à-Moulin,  ainsi  qu'une  ruelle  y  débouchant. 
Ce  nom  provenait  évidemment  d'un  petit  pont  à 
cheval  sur  la  Bièvre.  Le  plan  de  1714  marquait 
précisément  une  boucherie  en  cet  endroit;  toute- 


(1)  Complètement  absorbée  par  le  percement  des  boule- 
vards Arago   et  de  Port- Royal. 

(2)  La  rue  Saint-Hippolyte  n'est  supprimée  par  la  forma- 
tion du  boulevard  Arago  qu'entre  les  rues  Pierre-Assis 
et   Pascal. 


ET    AVENUE  DES  GOBELINS.  409 

l'ois  six  autres  étaux  avaient  été  placés,  un  demi- 
siècle  auparavant,  moins  près  de  la  rue  d'Orléans  (i) 
(]ue  de  la  rue  de  l'Epée-de-Bois,  et  la  boucherie 
dite  des  Carneaux  aliénait  h  une  maison  à  l'enseigne 
de  l'Empereur-Charles,  Carolus-Impcrator,  dont  le 
jardin  donnait   rue  des  Postes  (^2). 

De  beaux  hôtels  et  jusqu'à  des  palais  avaient  fait 
contrasle  avec  les  maisons  pauvres  de  l'un  et  de 
l'autre  bourg.  Le  séjour  d'une  reine  Blanche, 
•jui  n'était  pourtant  pas  la  mère  de  saint  Louis  ; 
un  superbe  logis  d'Orléans,  l'hôlel  Scipion  et  l'hôtel 
de  Clamart  laissent  encore  des  souvenirs  et  des 
traces  de  splendeur  au  quartier  le  plus  misérable 
de  lagrand'ville,  dernier  refuge  de  la  cour  des 
Miracles. 

Les  enseignes,  ce  livre  dans  lequel  chaque  maison 
eut  son  alinéa  et  qui  se  tira  à  tant  d'éditions, 
restent  maintenant  un  ouvrage  incomplet.  Ce  qu'il  y 
manque  de  pages  fait  peine  à  voir  quand  on  pense 
que  l'esprit  français  y  a  revêtu  à  coup  sûr  sa 
forme  la  plus  populaire.  Oh  !  s'il  était  possible 
d'en  retrouver  un  exemplaire  complet,  de  n'importe 
quelle  année,  combien  de.  grands  et  petits  em- 
ployés, dans  les  bibliothèques  publiques,  brûleraient 
de  l'accaparer,  pour  s'en  servir  avant  tout  le 
monde!  Pas  un  sujet  traité  par  le  ciseau,  en  saillie 
ou  en  creux;  pas  une  peinture  sur  le  bois  ou  la 
tôle,  plaquée  contre  le  mur,  arborée  ou  pendue, 
tixe  ou  se  brimbalant  au  vent,  pas  une  légende 
entin  qui  n'eût  sa  raison  d'être,  toujours  sautant 
aux  yeux,  ou  son  secret,  curieux  à  pénétrer  ! 
Aussi  ne  regardons-nous  pas  comme  un  oiseux 
rappel  d'évoquer  les  enseignes  que  la  rue  Mouffelard 
brandissait  au  milieu  du  siècle  XVIP: 


(l)La  lue   d'Orléans-Saint-Marcel   a    passé  DanbiMiton. 
(i)  Maintenant   Lhomond. 


410  RUE  MOUFFETARD 

Le  Tabac-Fleury.  —  La  Véronique.  —  Les  Trois- 
Torches.  —  Les  Trois-Saulcières.  —  Le  Renard-Bardé  — 
Les  Rats  Gouleux.  —  Les  Quinze-Vingts.  —  Les  Quatre- 
Fils-Emond.  —  Les  Quatre-Evangélisles. —  Les  Quatre- 
Termes.  —  Les  Trois-Pucelles.  —  La  Petite-Arbalète.  — 
Le  Porc-Épi.  —  Les  Trois-Poissous.  —  Le  Grand-Saint- 
Joseph.  —  Le  Pont-aux-Tripes.  —  La  Pomme-de-Pin.  — 
Le  Pot-d'Etain.  —  Les  Trois-Pigeons  —  La  Ville-de- 
Palay.  —  Le  Pnits-Rouge-Virgiual.  —  Le  Petit-Paradis.  — 
I.e  Poing-d'Or-el-la-Main-d'Argent.  —  La  Pantoufle. —  Le 
Petit-Monde.  —  Le  Petit-Trou.  —  La  Pie.  —  Le  Pied-de- 
Biche.  -~  Le  Plat-d'Argent.  —  Le  Plat-d'Etain.  —  Les 
Pastoureaux. —  Les  Patriarches.  — Le  Paradis-Terrestre. 

—  La  Mère-Dieu.  —  La  Lune-  —  Les  Lunettes.  —  Le  Loup. 

—  La  Levrette.  —  L'Escouvette.  —   Le  Jardin-Saint-Jean. 

—  Jardin-la-Villette.  —  L'Image-Saint-Marcel-et-Sainte- 
Geneviefve.  —  La  Patère.  —  L'Image-Saint-Etienne  et- 
Saint-Marccl.  —  La  Hure-de-Sanglier.  —  L'Hôtel-du- 
Renard.  ---Le  Heaume.— Le  Bon-Haran.  —  Les  Trois- 
Haches.  —  Le  Gay.  —  La  Grosse-Armée.  —  La  Gibecière. 
Le  Moulin.  —  La  Chaire-SaintPierre.  —  Le  Faucheur.  — 
L'Escu-de-Milan.  —  L'Escu-d'Orléans.  —  L'Escu-de- 
France.  —  La  Souris.  --  L'Escu-d'Escosse.  — L'Escu-de- 
Bretagne.  —  LesTrois  Déesses.  —  Le  Chàteau-Saint-Ange. 

—  La  Croix-de-Jérusalem.  —  La  Croix-Blanche.  —  Le 
Cœur-Royal.  —  Cour-d'Albiac.  —  Saint-Cosme-et-Saint- 
Dami°n.  —  Les  Trois-Coulombes.  —  Le  Cygne-de-la- 
Croix.  —  Le  Castor-Blanc.  —  Le  Cavalier-François.  — 
Cbàteau-Landon.  —  Le  Chapcau-Rouge.  —  Le  Chaudron. 
• —  Le  Chevalier-au-Cygne.  —  Les  Armes-de-la-Ville.  — 
Les  Deux-Anges.  —  L'Arbalètre.  —  L'Arbre-de-Vie.  — 
L'Afjnus-Dci.  — Les  Trois-Barbeaux. —  Sainte-Bénigne.  — 
LaBcrgerie.  —  LaBoniic  Eau.  —  La  Cage.—  La  Callebassc. 

—  Le  Carolus.  — Les  Carneaux.  —  Le  Chat-qui-Dort. 

Le  cai'dinal  Berlrand  de  Chaiiac,  patriarche  de 
Jérusalem,  puis  Guillaume  de  Cliauac,  eurent  au 
XIV''  siècle  dans  la  rue  Moull'etaid  un  hôtel,  avec 
des  maisons  groupées  autour;  une  portion  de  celle 


ET   AVENUE  DES  GOBELINS.  411 

vaste  propriété,  notamment  une  maison  dite  du 
Patriarche,  passa  au  collège  de  Chanac,  fondation 
due  à  cette  famille.  Les  écoliers  bénéficiaires 
n'habitèrent  pourtant  pas  la  rue.  L'ancien  hôtel 
Chanac  restait  celui  des  Patriarches;  il  fut  au 
siècle  suivant  saisi  réellement  par  les  seigneurs 
abbé  et  religieux  de  Sainte-Geneviève  sur  Jean  de 
Grémans,  patriarche  d'Alexandrie,  lequel  y  avait 
succède  à  Jean  Favier.  Thibaut  Ganaye,  teinturier 
comme  Jean  Gobelin,  acquit  de  l'abbaye  Sainte- 
Geneviève  le  manoir  du  Patriai'che,  que  Jean  Ganaye 
laissa  ensuite  à  François  Ganaye,  puis  François 
à  un  maître  des  comptes  du  même  nom  que  son 
prédécesseur. 

Non-seulement  cette  famille  entra  dans  la  Réforme, 
mais  encore  un  des  corps  de  bâtiment  de  sa 
maison  devint,  au  commencement  des  guerres  de 
religion,  l'une  des  écuries  de  la  vache  à 
Colas,  ijw  ministre  calviniste  y  prêchait,  en  l'année 
1561,  et  le  prêche  fut  inlerronqîu  par  un  carillon 
si  bruyant  que  la  voix  de  Stentor  en  eût  été 
couverte  :  cette  contre-protestation,  qui  soudain 
imposait  silence  aux  disciples  de  Calvin,  descen- 
dait avec  un  fracas  inusité  du  clocher  de  l'église 
voisine.  Aucun -sonneur  n'avait  encore  lancé  à  de 
pareilles  volées  les  cloches  de  Saint-Médard.  Les 
religionnaires  de  croire  que  le  curé  et  bon  nombre 
de  paroissiens  prêtaient  main-forte  h  ce  carillon- 
neur.  Mais  ils  se  ruèrent  dans  l'église  presque 
vide,  et  une  résistance  trop  faible  ne  s'opposa 
qu'en  pure  perte  aux  dévastations  sacrilèges  dont 
ils  se  rendirent  coupables.  Avant  peu  justice  en 
l'ut  faite  itar  des  représailles  rigoureuses:  quel- 
ques-uns des  violateurs  furent  pendus  vis-à-vis  de 
l'église,  et  leurs  biens  employés  ii  la  réparation 
du  dommage  matériel.  De  plus,  le  connétable  lit 
raser  le  corps  de  logis  où  le  prêche  s'était  tenu, 


41-^  RUE   MOUFFETARl) 

et  une  procession  à  Saint-Médardllit  ordonnée  trois 
mois  après,   cérémonie  expiatoire. 

Philippe  de  Canaye,  sieur  de  Fresnes,  avait  été 
élevé  dans  le  calvinisme;  il  se  convertit  au  catho- 
licisme et  devint  ambassadeur,  sous  Henri  IV, 
après  avoir  été  conceiller  d'Etat  sous  le  règne 
précédent.  Les  six  corps  de  logis,  le  grand  jardin 
et  les  dépendances  de  l'ancien  séjour  des  Patriarches 
appartenaient  en  1660  h  Jacques  de  Canaye,  en 
1698  à  Etienne  de  Canaye  et  en  1761  h  son 
homonyme,  prêtre,  académicien-vétéran.  Mais  le 
maréchal  de  Biron,  sous  Louis  XVI,  était  pro- 
priétaire de  cette  maison  à  grande  cour,  oli  il  y 
avait  marché  le  mercredi  et  le  vendredi,  et  qui 
est  demeurée  marché  des  Patriarches,  avec  deux 
ouvertures  sur  la  rue  Mouftétard,  du  côté  dos 
chilTres  impairs.  En  regard  d'une  de  ces  deux  portes 
est  le  passage  des  Postes,  où  se  prolonge  ledit 
marché  (i). 

Plus  bas,  les  lilles  de  la  Miséricorde-de-Jésus 
desservaient  uu  hospice  destiné  à  leur  sexe:  lei": 
communauté,  instituée  ;\  Gentilly  en  1652,  avait 
été  transférée  à  Paris  l'année  suivante.  A  la  mort 
du  poète  Scarron,  sa  veuve  se  retira  pour  quelque 
temps  dans  cet  établissement  religieux  et  hospitalier, 
en  qualité  de  pensionnaire.  Quand  M.  d'Argenson, 
lieutenanl-de-police,  procéda  à  l'agrandissement 
des  bâtiments  de  la  Miséricorde,  n'était-ce  pas  en  vue 
de  taire  sa  cour  ù  M""^  de  Maintenon  ?  On  dit 
pourtant  que  cette  attention  du  magistrat  visait  à 
racheter  une  faute,  en  payant  comme  la  ramjon 
d'une  jolie  novice,  transfuge  de  fraîche  date,  (|ui 


(1)  Le  Marctié-des-Patriarcties  est  conservé,  mais 
complètement  dépnçré  i>af  suite  de  l'ouverture  de  la  rue 
Monge  et  de  l'élargissement  de  la  rue  Daubenlon 
(d'Orléans). 


ET    AVENUE  DES  GOBELINS.  413 

l'emplarail  M""^  de  Tencia  clans  les  affections  de 
M.  d'Argenson. 

De  telles  transactions  ne  révoltent  pas  moins 
les  fanatiques  de  la  liberté  individuelle  que  les 
puristes  du  sentiment  religieux  ;  mais  elles  n'avaient 
lieu  çà  et  là  qu'à  l'époque  où  la  vie  des  femmes 
était  un  combat  incessant  entre  l'amour  de  Dieu 
et  l'autre  amour,  une  alternative  continuelle  d'as- 
pirations contraires,  mais  inégales,  car-Dieu  l'empor- 
tait tôt  et  tard.  A.rrivait-il  que  le  devoir  se 
sacrifiât  à  la  passion,  et  qu'une  jeune  fille,  destinée 
au  mariage  ou  à  la  profession  religieuse,  quittât 
furtivement  la  supérieure  pour  un  amant?  on 
disait  que  la  ru«e  triomphait  de  l'innocence,  et  la 
force  de  la  faiblesse.  Mais  les  enlèvements  au 
couvent  étaient  plus  difficiles  à  opérer  qu'au  sein 
de  la  famille,  à  moins  que  la  victime  et  son  exécré 
ravisseur  ne  fussent  de  complicité.  Que  de  fois  la 
novice  ou  la  jeune  pensionnaire,  qui  avait  hésité, 
qui  avait  eu  grand'peine  à  s'affranchir  de  toutes 
les  entraves,  en  s'échappa nt  des  grilles  d'une 
(communauté,  se  sépara  plus  tard  du  monde  avec 
beaucoup  moins  de  regrets,  en  ne  prenant  conseil 
que  d'elle-même,  pour  enfermer  des  remords,  des 
chagrins  éternels  sous  les  verrous  d'un  cloître  plus 
austère  !  Presque  toutes  les  femmes  marquantes 
du  grand  siècle,  après  avoir  pu  comparer  les 
désillusions  précoces  de  l'amour  aux  déceptions 
mûries  du  mariage,  i-enoncèrent  au  monde,  elles 
aussi,  elles  surtout,  beaucoup  avant  l'heure  suprême  : 
plus  de  la  moitié  de  leurs  vies  se  passa  en 
moyenne  au  couvent. 

De  nos  jours,  le  bal  du  Vieux-Chêne  réunit  la 
jeunesse  dansante  d'alentour  au  n"  (39,  qui  appar- 
tenait aux  dames  de  la  Miséricorde.  Mais  beaucoup 
de  leur  territoire  a  été  englobé  par  la  caserne 
Mouffetard,  bâtie   sous    la    Restauration. 

Un  poste  de  gaides-franraises  veillait  en  1714 


414  RUE  MOUFFETARD 

entre  la  rue  Copeau  (n  et  celle  d'Ablon,  présen- 
tement Neuve-Saint-Médarcl.  Une  Compagnie  de 
fusiliers  de  la  même  garde  se  troâvait  casernée 
ensuite  du  côté  opposé  à  l'église  Saint-Marcel  et 
quelque  peu  au-delà;  cette  compagnie  occupa, 
soit  avant,  soit  après,  le  n"  86.  dont  un  collège 
lut  propriétaire.  Une  maison  à  l'image  de  la  Fleur- 
de-Lys,  puis  de  Sainl-Piorre,  apparienait  en  1760  à 
Bardon,  menuisier,  dix  ans  plus  tard  au  bouri^eois 
Thibault,  en  1770  à  Meunier,  menuisier,  et  en  1787 
au  tapissier  Mala:  vous  la  revoyez  n"  195.  Un 
corps-de-garde  de  pompiers,  peu  distant  de  l'im- 
passe d'Andrelas  (t2),  était  sous  le  môme  toit  qu'une 
manutacture  de  bonneterie,  au  moment  de  la 
Révolution. 

D'autres  fabriques  s'échelonnaient  sur  le  parcours 
de  cette  rue  ouvrière.  Moineiy,  manufacturier  en 
drap  et  teinturier,  prédécesseur  de  Vérité,  avait 
été  établi  par  arrêt  du  conseil,  en  date  du  12 
septembre  177o,  dans  une  ancienne  geôle  restant 
d'un  grand  logis  de  la  reine  Blanche.  La  cour 
avait  abandonne  tout-à-coup  le  royal  séjour,  à 
cause  d'un  incendie  qui  avait  éclaté  au  milieu 
d'une  fête  qu'on  y  donnait  au  jeune  Charles  VI. 
Et  le  moyen  de  ne  pas  garder  s(>uvenance  d'un 
tel  sinistre  !  Il  avait  coûté  la  vie  à  plus-  d'un 
seigneur  et  jeté  dans  la  raison  du  prince  les  premiers 
troubles. 

Lorsque  ce  château  florissait,  l'industrie  subur- 
baine avait  dû  se  ressentir,  aux  alentours,  de  la 
dérivation  de  la  Bièvrc,  opérée  au  profit  de  l'abbaye 
Saint-Victor  :  de  cette  petite  rivière  la  rue  de 
Bièvre  marque  pour  nous  l'ancienne  embouchure. 


(1)  La  rue   Copeui  osl  dev  niic   Lacopcde. 

(2)  Impasse     enliùremeiit     eiiipnriéc     par     la     nouvelie 
aveuue   des   Gob'elins. 


ET    AVENUE  DES  GOBELINS.  415 

Un  moulin,  indiqué  plus  tard  auprès  du  Pont- 
aux-Tripes,  était  ancien  sans  doute  et  avait  été  mû 
par  l'eau  de  la  Bièvre. 

Jean  Gobelin  doit  avoir  fondé  la  célèbre  manu- 
facture, déjà  florissante  en  l'année  14o0,  dans 
une  maison  que  deux  gros  lions  décorent,  qui  fut 
ensuite  un  cabaret  de  marque,  et  où  se  fabri- 
quèrent postérieurement  des  mouchoirs  de  couleur, 
le  n"  186.  Un  peu  plus  haut,  dans  le  principe, 
était  la  Folie-Gobelin,  qu'occupe  encore  la  grr.ndc 
manufacture.  La  célèbre  famille  de  ce  nom  avait 
sa  sépulture  h  l'église  Saint-Hippolyte.  On  sait  que 
l'érection  de  l'établissement  en  manufacture  royale 
date  de  Colbert,  qui  en  confia  la  direction  à 
l'illustre  peintre  Lebrun.  Jean  Gluck,  directeur  des 
Gobelins,  acheta  la  propriété  en  1667.  Lefeuvre, 
qui  était  chef  des  ateliers  de  haute-lisse,  contribua 
pour  une  forte  part  au  perfectionnement  du  travail  ; 
son  exemple  fut  suivi  par  Jean  Liansen,  natif  de 
Bruges,  et  par  Laurent,  qui  le  secondèrent.  Pierre 
était  directeur  des  Gobelins  sous  Louis  XVI,  et 
alors  Lenfant  et  Juliard,  peintres  du  roi,  y  travail- 
laient k  demeure. 

Le  pourtour  de  l'établissement,  à  cette  époque, 
était  encore  lieu  de  franchise  pour  les  ouvriers 
sans  maîtrise.  La  rue  du  Faubourg-Saint-Marcel, 
dont  la  seconde  moitié  avait  aussi  porté  la  déno- 
mination de  rue  des  Gobelins,  commen(;ait  à 
s'appeler  Mouffetard  tout  de  son  long.  Ce  qui 
n'empêchait  pas  la  rue  Gautier-Renaud,  qui  faisait 
suite,  en  commençant  au  coin  de  la  rue  Croule- 
barbe,  de  conserver  encore  sa  désignation  primitive. 

Qui  se  douterait  aujourd'hui  que  ce  quartier  des 
Gobelins  fut  une  courtille,  un  groupe  de  cabarets 
en  réputation,  où  les  exhalaiï^ons  de  la  lèche-IVite 
couvraient  celles  de  la  tannerie?  On  y  moulait 
pour  godailler;  la  descente  n'avait  donc  jamais  lieu 
en  bon  ordre.  Le   fauboui-g  Saint-M;u"cel  avait  sa 


41G  RUE  M  OUF  FETARD 

Pomine-de-Piii,  Limeux  beuclion,  à  l'anglp  de  la 
rue  Coiitrcscarpi!  (i),  el  sou  Sabot,  (|ne  IVéqueiUait 
Ronsard,  avaiil  qu'un  camp  de  la  jj:oinlVerie  plantai 
de  plus  nombreusi's  lentes  au-delà  du  Pont-aux- 
Tripes  Le  vin  et  la  bière  y  coulaient  à  Ilots, 
ainsi  que  pour  cimenler,  cwlvo.  i)apistes  ethuj^uenots, 
un  accord  dont  TBdit  de  Nantes  n'avait  (piejeté 
les  londements.  Comme  aussi  Frany.ois  Colietet 
aimait  à  passer   ce  pont-là! 

«  Entia    voici   les   Gobelius 
Où     rc.Eîncnt     les>     ex<'ellens  vins 
Et    les  bières  délicieuses 
Pour  les  beuveurs  et  les  beuveuses. 
Car    il    est    des    feiiiTnes    aussi 
Qui   vieniieiit  s'égiiyer  ici  ; 
Regarde  que    de   lieux   à   Ivoire, 
El  comme    uti    chœur  y   l'.iil  sa  gloire 
J)e  s'enyvrer  gaillardement 
Et   de   se   saouler  Doblement  ; 
Icy    sont   petils  corps   de    garde 
Pour   y    rire   avec   la  gaillarde, 
Là    seul   les    ijctils    lieux  d'honneur 
Où   s'en    va    tout   bourgoois    beuveur. 
r.es    cabarets    d'oii  l'on   ne  bouge, 
C'est  celuy    de   la   Rose-Rouge, 
Du  Liou  d'Or,  du   Mouton-Blauc, 
Du    Dauphin,    où  le    vin   est   fiam.'. 
Du  Juste,    eu    Flameiis,  Flauieendcs. 
Alleraans  avec   Allemandes 
Et  plusieurs   autres   Elraigers' 
S'embarquent   >ans  aucuns  dangers: 
\ty    l'on    trouve   toutes   choses. 
Et   tout   T  flaire   comme  roses, 


(1)  La    rufc   Comrescarpc    dont   nous     parlons    ici     e.>l 
devenue  la  rue   Blaiuville    à    droite  de  la  rue  Mouil'etard, 
et  le   prolongement   de    la   rue     du    Cardinal-Lemoine    à- 
gauche. 


ET  AVENUE  DES  GOliELINS. 


417 


Les   andouilles,   les  cervelas, 
Les  poulets  et  les   chapons   gras. 
Les  grillardos  et  les   saucisses. 
Dont  le  palais  craint  les  épiées, 
Car  mettant  le   palais  en   ieu 
On  ne  scaurail   boire  pour   peu. 
Cependant,  afin  de  mieux  boire 
Et  de    mieux   branler  la  mâchoire, 
Moy-mème  je   m'en   vais  là-bas 
Faire   choix    di;   quelques    bons   ])Iats  ; 
Je  scay   comme   Ion   s'accomode, 
Et   quelle  est    d'icy    la   métho.le. 
Quand   le    marché    d'abord   est   fait, 
,     On  n'a  plus   l'esprit    inquiet. 

Et   l'on  ne   craint  plus    à    sa    honte 
Que   trop  haut   un  écot  ne   monte. 
Boy   donc  cependant  que  jiray, 
Et  bien-tost  je   retournera^-. 

C'est  h  en  faire  venir  l'eau  à  la  bouche.  Les 
Folies-Gobelin,  ne  le  voyez-vous  pas  ?  avaient  de 
quoi  inspirer  un  poëte  de  cabaret.  On  .s'y  gorgeail 
plus  tard  de  bière  à  la  Brasserie-Française,  dont 
l'enseigne  remplaçait  les  Quatre-Evangélistes,  à  un 
angle  de  la  rue  de  i'Arbaléte,  pour  un  logis  h  deux 
grands  corps,  avec  jardin:  le  second  angle  portait  ure 
Arbalète.  Il  parait  môme  que  quand  les  brocs  de 
vin  et  les  poêles  h  frire  cessèrent  d'être  l'attrait 
principal  à  cette  barrière  de  Paris,  la  bière  n'y 
fit  que  plus  largement  ses  orges.  Elles  moussait 
et  faisait  sauter  elle-même  ses  bouchons  près  des 
Gobelins,  en  l'année  1724,  chez  des  brasseurs  que 
vous  pouvez  compter  dans  le  relevé  ci-dessous  : 

^  ÎDroitc 

après  la  rue  de  Lourcine  : 

De   risie,  avec   un    tanneur 
pour  locataire. 


^  (fôauclje 

après  la   rue  Cerisier  : 

Veuve  Beauchamp,  avant  la 
rue  du  Fer  à-Moulin. 


418 


RUE  MOUFFETARD,  ETC 


Jubert,  bourgeois,aprôs  larue 
du  Petit-Moine  (1). 

r.évesque,   vitrier  du    roi. 

Barre. 

Moirensy,  amidonnier. 

Le  cloître  Saint-Marcel  : 
une  des  maisons  de  notre 
rue  qui  en  dépendent  est 
louée    à   un     laboureur. 

Julienne,  teinturier  en  gran- 
de réputation,  après  la 
rue   de   la  Reine-Blanche 

Anenne.   brasseur. 

Dame  Foucault. 

Veuve  Fleury,  marcliandej 
de  vin. 

Caffier. 

Dame  Chanson,  chez  laquelle 
ebt  l(j  bureau  des  entrées, 
au  premier  coin  de  la  rue 
des   Fossés-St-Marcel  (-2). 

Thérouh,  avec  un  charron 
pour  locataire. 

Dame  Bouvier,  avec  un  frui- 
tier pour   locataire. 

Ousseau.  ayant  pour  loca- 
taire un  hôtelier,  après  la 
rue   du  Banquier. 

Sandrier,  avec  un  jardinier 
pour    fermier. 

Bricard. 

Veuve  Bessière,  terrain  ex- 
ploité eu  carrière. 

Les  héritiers  Hervier,  avec 
un  meunier    pour  fermier. 

Barillier.  menuisier. 


Bnne   de  Beauvais,     item. 

M.  M.  de  l'église  Saint-Mar- 
cel, ayant  un  meunier  pour 
fermier. 

Osmont,  mégissier,  au  coin 
de  la  rue    Saint-Hippolyle. 

Ramet,  brasseur,  au  coin  de 
la   rue   Pierre-Assis. 

Uzé,  brasseur. 

Boscour,   bourgeois. 

Longchamp,  ayant  pour  loca- 
taire un  brasseur,  au  coin 
de  la  rue  de  Bièvre,  au- 
trement dite  des  Gobelins, 
et  vis-à-vis  la  rue  de  la 
Reine-Blanche. 

Lebrun. 

Cousin,  brasseur. 

Les  Gobelins,  à  l'angle  de 
la  rue  Croulebarbe. 

Rigault,    bourgeois. 

Ramé,  brasseur,  avec  un 
jardinier  pour  locataire. 

Veuve  Guedet. 

Dubois. 

Berda,    carrier 

Blondeau. 

Véron,  à  l'angle  du  chemin 
du  Moulin  des-Près  (3). 


(1)  De  la  rue  du  Petit-Moine  s'est  détaché  ce  qui 
s'appelle  maintenact,  la  rue  Vésale  entre  les  rues  Scipion 
et  ue   la   Collégiale. 

(•2)  Présentement  rue  Lebrun. 

(3)  Le  chemin  du  Moulin -des-Près,  qui  depuis  long- 
temps ne  débouche  plus  rue  Mouffetard,  commence  à 
l'avenue   d'Italie  pour  finir  à  la  rue  du  Moulin-des-Près. 


Rue    Dam, 

XAnuÉRE 

De  la   Croix-dii-Roule.  (i) 


Le  buis  du  dimanche  des  Rameaux  s'accrochait, 
par  toutes  petites  pahnes,  h  une  croix,  dite  du 
Roule  ;  \â  croix  avait  d'al)ord  servi  à  reconnaître 
une  sente  bien  modeste,  n'ayant  pas  d'autre  signa- 
ture, qui,  une  fois  i.ubile,  se  fit  rue,  et  cette 
rue,  comme  bien  des  jeunes  filles,  dont  la  croix 
d'or  devient  gage  d'amour,  changea  de  vocation 
peu  de  temps  après.  On  l'appela  rue  de  Milan,  en 
1796,  à  cause  de  la  prise  de  cette  ville.  Les 
mariages  au  tambour  n'étaient  alors  pas  rares 
pour  les  rues  de  Paris;  mais  celui-là  fut  au  nombre 
des  mariages  pour  lesquels  ne  s'abrogea  pas  la  loi 
du  divorce.  La  campagne  d'Ralie  finit  avec  le  règne 
de  l'empt^reur  pour  cette  rue,  qui  reprit  aussitôt 
son  nom  de  baptême. 

Que  de  jardins  la  bordent  encore!  Il  en  est 
un,  dépendant  d'une  maison  de  la  rue  du  Fau- 
bourg-Saint-Honoré,  qui  rappelle  une  mésaventure, 
tempérée  il  est  vrai  par  de  gracieuses  réminis- 
cences, à  un  auteur  dramatique  bien  connu.  Pour 
Eugène  Scribe,,  chaque  fois  qu'il  passe  par-là,  un 
souvenir  aigredoux  se  réveille,  qui  le  reporte  au 


(1;  Notice  éc-ite  eu  1859.  Le  comte  Daru,  ministre  du 
premier  empire  et  memïjre  de  J'Tnstitut,  est  mort  trente 
ans  plutôt.  SoQ  fils,  également  littérateur  et  homme 
d'Etat,  n'a  aucun  titre  de  plus,  mais  aucun  de  moins, 
à  voir  son  nom  sur  l'estampille  de  l'ancienne  rue  de 
la  Croix,  dans  laquelle  on  ne  se  souvient  d'avoir  vu 
passer   ni  l'uu  ni  l'autre. 


420  '  RUE  DARU. 

temps  où  il  promettait  encore  plus  qu'il  ne  donnait, 
au   théâtre   comme   à  la  ville. 

M"''  Pauline,  des  Variétés,  que  M.  Rolet,  ci- 
devant  payeur  de  la  garde  impéiiale,  avait  mise 
dans  celle  bonboimière,  pralinée  sous  l'ancien 
régime  pour  les  meims-plaisirs  d'un  autre  gourmet, 
s'était  pourtant  montrée  sensible  aux  propos 
tendres  du  jeune  auteur.  Le  livre  des  amours  se 
trouvait  ainsi  tenu  en  partie  double,  au  coin  de 
la  rue  de  la  Croix  ;  mais  le  comptable,  ennemi  du 
report,  voulait  s'assurer  des  mécomptes  qui  figuraient 
à  son  passif,  et  il  usa  d'un  moyen  de  comédie 
qui  réussit  toujours,  même  à  la  ville.  On  appelle 
au  théâtre  cet  expédient  :  une  lausse  sortie.  Bref 
des  chevaux  de  poste  emportent  M.  Rolet,  par  un 
jour  sombre  du  mois  de  janvier,  comme  si  c'était 
la   saison  des  voyages. 

Pauline  et  le  favorisé,  qui  croient  à  une  absence 
de  longue  haleine,  comme  leur  tendresse  récipro- 
que, reviennent  ensemble  du  spectacle,  projet 
caressé  dès  la  veille,  et  l'actrice  sémillante  a  tout 
fait  disparaître  des  traces  de  son  protecteur;  un 
grand  bain  y  a  contribué,  la  preuve  s'en  analyserait 
encore  dans  une  baignoire,  qui  reste  pleine  d'une 
eau  parfumée.  L'alerte  est  vive,  par  conséquent, 
lorsqu'on  entend  grincer  dans  la  serrure  la  clef 
du  payeur  de  la  garde.  L'amant  de  cœur  n'a  qu'à 
peine  le  temps  de  passer  dans  la  salle  de  bain  ; 
il  s'y  plonge  dans  l'onde  refroidie,  tout  habillé, 
en  ramenant  sur  la  baignoire  le  couvercle  qui 
témoigne  ordinairement  du  vide.  Rolet  fait  donc 
de  vaines  perquisitions,  et  Pauline  le  suit  de  pièce 
en  pièce,  sous  prétexte  de  lui  faire  un  crime  de 
ses  soupçons,  mais  en  laissant  derrière  le  jaloux  une 
porte  entre  baillée  sur  le  jardin. 

Après  de  longs  moments  d'angoisses,  l'infortuné 
baigneur  sort  de  la  cuve,  plus  glacé  qu'elle,  et 
de  ses  habits  transformés  en    éponge    l'eau    qui 


NAGUERE  DE    LA  CROIX-DU-ROULE.        421 

dégoutte  fait  un  bruit  dangereux,  mais  qu'assourdit 
iieureusement  une  pluie  battante  au-dehors.  Dans 
cet  équipage  de  Triton,  il  ne  réussit  pas  sans 
peine  à  escalader  la  muraille;  seulement,  quand 
il  met  pied  à  terre,  une  patrouille  de  gardes 
nationaux,  qui  le  prend  pour  un  malfaiteur,  se 
met  en  devoir  de  l'arrêter.  Un  parfumeur,  qui 
commande  la  patrouille,  reconnaît  par  bonheur 
l'essence  qu'il  a  vendue  h  M"'  Pauline,  et  dont 
le  fugitif  exhale  des  pieds  k  la  tête  l'odeur  suave  : 
cette  circonstance  donne  de  la  vraisemblance  h 
ses  explications  confidentielles.  Le  rival  de  M.  Rolet 
en  est  donc  quitte  pour  une  fluxion  de  poitrine, 
qui  le  force  à  garder  le  lit  pendant  un  mois. 
Ses  émules  au  théâtre,  ses  collaborateurs,  moins 
heureux  que  lui  en  général,  se  fussent  assuré- 
ment noyés  dans  cette  cuve  d'ambroisie  ! 


27 


Rue  de  Sévij^iié, 

NAGUÈRE 

Culiure-Saiiite-Catlieriiie.  (i) 


Le  Théâtre  du  Marais.  —  Ses  Acteurs.  —  La  Loge 
de  la  Rue  Bourtihourg .  —  La  Charcuterie  Bi- 
quette.—  Les  Pompes-Funèbres.  —  M.  d'Orge- 
mont.  —  UHôtel  Carnavalet.  —  Les  Pensions.  — 
Le  52.  —  Les  Filles-Bleues.  —  il/'"*  de  Mont- 
morency.  —  Le    Connétable  de   Clisson.  —    Etc. 

De  la  croix  du  Roule  à  ki  culture  Saint-Catherine, 
quelle  enjambée!  Deux  rues  les  représentent  qui 
se  font  antipode  sur  la  carte  de  Paris,  et  pourtant 
elles  se  suivent  dans  Tordre  alphabétique.  A  Paris, 
comme  en  Suisse,  on  voyage  en  zig-zag,  tant  il  y 
a  de  stations  à  faire!  Aussi  bien  le  lecteur  se 
fatiguerait  plutôt  d'entrer  plusieurs  fois  de  suite 
dans  le  même  domaine  par  des  rues  diflerentes 
que  d'aller  du  faubourg  du  Roule  au  Marais,  ou 
de  faire   le  même  trajet  en  sens  inverse. 

Le  théâtre  du  Marais,  dans  la  construction 
duquel  furent  utilisés  des  matériaux  de  la  Bastille 
et  d'une  église,  probablement  celle  Saint-Paul, 
était  n"  il,  rue  Culture-Sainte-Catherine;  dans  ses 
anciennes  loges  en  baignoires  sont  coulés  aujour- 
d'hui de  véritables  bains.  Son  premier  directeur 
fut  Beaumarchais,  qui  l'avait  bâti,  mais  qui  aurait 
encore  moins  gagné  i^i  en  continuer  lui-même  l'ex- 


(1)  Notice   écrite   en    1859,  avant  que     la    rue     prît    le 
nom  du   plus  illustre   de   ses  hôtes. 


RUE  DE  SEVIGNE,  NAGUERE,  ETC.  423 

ploitation  qu'à  l'alfermer  à  un  entrepreneur  de 
spectacles,  qui  ne  le  paya  pas  toujours.  L'ouverture 
en  avait  eu  lieu  le  l*"'  septembre  1791,  par  la 
Métromanie  et  Y  Epreuve  nouvelle;  la  Mère  coupable 
y  fut  représentée  pour  la  première  fois  le  26 
juin  de  l'année  suivante.  Parmi  les  acteurs  de  la 
troupe  on  distinguait  Perlet,Gontliier,  Baptiste  aîné, 
qui  se  révéla  surtout  dans  Robert,  chef  de  brigands  ; 
mais  d'autres  ont  renoncé  aux  pompes  du  théâtre, 
pour  se  faire  libraires,  journalistes,  bibliothécaires, 
costumiers.  On  raconte  que,  ramené  en  ville 
par  la  promulgation  du  concordat,  l'ancien  arche- 
vêque de  Paris  fut  abordé,  le  premier  jour,  par 
un  homme  qu'il  avait  connu  enfant  de  chœur,  \m\s 
garyon  boucher,  et  qui  profltait  de  la  rencontre 
pour  implorer  l'absolution.  —  Qu'as-tu  fait  pendant 
la  Terreur?  lui  demanda  le  vieux  prélat,  en  s'at- 
tendant  à  d'atroces  confidences. — J'ai  abusé  du 
désordre  général,  reprit  l'autre  la  tête  basse,  pour 
jouer  un  peu  la  comédie  dans  une  salle  à  M.  de 
Beaumarchais.  —  Dieu  soit  loué!  reprit  l'archevê- 
que, qui  lui  promit  tous  les  secours  spirituels  et 
lui  donna  une  gratification,  excessivement  inespérée. 

Des  acteurs,  voulez-vous  passer  aux  spectateurs? 
Ils  n'étaient  pas  toujours  nombreux,  car  le  théâtre 
ferma  deux  fois,  avant  qu'un  décret  impérial  le 
supprimât,  comme  dix-sept  autres  théâtres.  Mais 
les  traditions  dramatiques  ne  manquaient  pas  dans 
ces  parages,  qui  avaient  eu,  rue  Vieille-du-Temple, 
une  salle  de  même  nom  au  xvii''  siècle;  bien 
plus,  la' culture  Sainte  Catherine  avait  servi  d'em- 
placement aux  représentations  des  mystères,  sous 
Charles  V  et  Charles  VI.  La  bourgeoisie  et  le 
commerce  d'avant  89  étaient  sédentaires,  et  aujour- 
d'hui encore  les  honnêtes  gens  qui  vont  â  pied 
n'aiment  pas  à  faire  une  lieue  pour  se  rendre  au 
spectacle.  Les  marchands  de  la  rue  Bourtibourg 
avaient  une  loge  au  théâtre  du  Marais,  et  je  doute 


424  RUE  DE  SEVIGNE,   NAGUÈRE 

qu'ils  l'aient  conservée  h  l'Odéon  ou  au  Gymnase  ; 
chaque  ménage  h  son  tour  jouissait  des  places 
de  la  loge,  et  le  jour  du  mari  n'était  pas  celui 
de  sa  femme,  l'un  des  deux  gardant  la  boutique. 
On  y  remarquait  surtout  M"'*'  Riquette,  charcutière 
de  l'Hùtel-de-Ville,  au  nom  de  laquelle  était  faite 
cette  location  collective,  et  elle  avait  du  charme, 
de  l'esprit  ei  de  bonnes  manières,  avec  un  bout 
de  toilette,  jusque  dans  son  comptoir.  Sa  maison 
de  commerce,  londée  sous  Louis  XIV,  est  encore 
tenue,  rue  Bourtibourg,  par  Gillocque,  son  gendre. 
La  notoriété  attachée  à  cette  charcuterie  Riquette 
balançait  celle  de  la  maison  Grimod,  point  de 
départ  des  La  Reynière,  avant  que  Véro  et  Dodat 
couvrissent  leurs  premiers  jambons  d'une  gelée 
lisse  et  transparente.  Depuis,  il  faut  en  convenir, 
les  diverses  préparations  de  la  viande  de  porc 
ont  bien  dégénéré  :  elles  se  présentaient  à  la  fois, 
sous  des  formes  variées  et  nombreuses,  sur  toute 
table  bien  servie  ;  maintenant,  c'est  trop  l'aliment 
du  pauvre. 

Pour  porter  malheur  au  théâtre  dont  Beau- 
marchais avait  été  le  premier  ii  désespérer,  il  y 
eut  surtout  un  affreux  voisinage,  celui  des  Pom- 
pes-funèbres, dont  l'administration  occupait  la 
caserne  actuelle  des  pompiers.  L'immeuble,  siège 
de  la  compagnie  des  funérailles,  avait  appartenu 
à  MM.  Pinon  de  Quincy  et  de  l'Avor,  neveux  et 
légataires  de  messire  Nicolas  Pinon,  comte  de 
Villemain,  conseiller  du  roi,  premier  président  du 
bureau  des  finances,  gouverneur  de  Brie-Comte- 
Robert  ;  ce  cumulateur  de  fonctions  avait  fondé  un 
lit  à  l'Hôtel-Dieu,  à  la  collation  de  sa  famille,  et 
il  était  mort  en  1724.  L'hôtel  portait  uniquement 
le  nom  de  l'Avor  en  1738,  mais  il  fut  confisqué 
révolutionnairement  sur  M.  Pinon  de  Quincy,  avec 
d'autres  maisons  qui,  avec  celle-ci,  lui  en  faisaient 
six  dans  la  rue    Culture.    Son    contemporain  M. 


CULTURE-SAINTfi-CATHERINE.  425 

Poullier,  ex-intendant  de  Lyon,  avait  plusieurs 
hôtels  et  maisons  de  la  même  rue. 

Un  seigneur  d'Orgèmont  y  demeurait  lors  des 
premières  campagnes  de  Louis  XIV.  Mais  le  moyen 
de  croire  qu'il  descendait  de  Pierre  d'Orgèmont, 
que  130  princes  et  barons  élurent  chancelier  en 
présence  de  Charles  V,  et  qui  fut  enterré  dans 
l'église  de  Sainte-Catherine  du-Val-des-Ecoliers, 
dont  le  marché  Sainte-Catherine  tient  la  place  !  La 
postérité  mâle  de  ce  personnage  historique  s'était 
éteinte  au  XV'  siècle;  comme  il  avait  laissé  un 
château  d'Orgèmont  près  Lalèrté-Âlais,  quelque 
nouveau  parvenu  s'en  était  probablement  lait  une 
savonnette  h  vilain  (i).  La  même  église,  dont  le 
vaisseau  gothique  avait  sa  proue  rue  Saint-Antoine, 
était  devenue  celle  du  prieuré  de  Saintc-Catherine- 
de-la-Culture  ;  elle  avait  aussi  donné  la  sépulture, 
le  15  août  loS6,  à  un  président  au  parlement, 
messire  Jacques  des  Ligneries,  -^^ue  François  P'" 
tenait  en  grande  estime,  et  qui  soutint  au  concile 
de    Trente  les  libertés  de    l'Église   gallicane. 

Ce  président  avait  acquis,  douze  ans  avant,  un  lot 
de  la  culture  Sainte-Catherine,  co)icédée  au  couvent 
par  Pierre  de  Brieinie,  mais  chargée  de  cens 
envers  l'abbaye  de  Saint- Victor,  et  grâce  à  Pierre 
Lescot,  à  Jean  Bullant,  h  Jean  Goujon,  à  Ponce, 
il  s'y  était  produit  un  des  chefs-d'œuvre  de  l'archi- 
tecture domestique,  un  des  meilleurs  exemplaires 
de  la  Renaissance.  Au  président  des  Ligneries 
était  fort  attaché  le  baron  François  de  Kernevenoy, 
descendant  pai-  sa  mère  de  Tarmeguy  Duchàtel, 
et  dont  le  nom  breton,  pour  s'adoucir,  se  changea 


(1)  Ledit  château  de  Pierre  d'Orgèmont,  garde-des- 
sceaux  de  France  au  xivc  siècle,  a  été  reconstruit  sans 
perdre  son  nom.  Il  apparliont  aujourd'hui  à  M  Goupjs 
dont  le  lils  a  épousé  en  1864  M"«  Alice  Baroche, 
lille  du  garde-des-sceaux,  comme  pour  y  renouer  la 
chaîne  des   temps. 


4-2G  RUE  DE  SEVIGNE,  NA-GUERE 

en  Carnavalet  ;  Henri  II  l'avait  pour  premier 
écuyer  et  le  donna  pour  gouverneur  au  duc 
d'Anjou,  son  lils,  ensuite  roi  de  Pologne,  puis  de 
France.  Après  avoir  suivi  pendant  dix  ans  le 
futur  Henri  III,  rempli  la  charge  de  gouverneur 
d'Anjou,  de  Bourbonnais  et  de  Forez,  Carnavalet 
l'ut  gratifié  par  Charles  IX  d'un  logement  au  Louvre 
sa  vie  durant.  C'est  bien  lui  qui  donna  la  main 
îi  la  maréchale  de  Cessé,  dame  d'honneur  d'Elisabeth 
d'Autriche,  lors  de  l'entrée  solennelle  à  Paris  de 
cette  reine,  femme  de  Charles  IX  ;  mais  il  mourut 
peu  de  temps  après,  et  sa  veuve,  Françoise  de 
la  Baume,  resta  maîtresse  de  l'hôtel  des  Ligne- 
ries,  quelle  ajouta,  de  son  vivant,  aux  fiefs  et 
propriétés  de  son  hls,  le  baron  Charles  de  Carna- 
valet. Un  siècle  de  résidence  valut  à  cette  famille 
l'honneur  de  laisser  à  jamais  son  nom  à  la  maison, 
qui  ne  lui  doit  pourtant  pas  toute  sa  gloire. 
Les  Carnavalet,  il  est  vrai,  ont  commandé  à 
Androuet  Ducerceau  la  Force  et  la  Vigilance^ 
deux  ligures  qui,  à  re\térieur,  décorent  les  tru- 
meaux du  premier  étage,  touchant  aux  pavillons, 
et  les  Quatre  Eléments,  qui  figurent,  à  l'intérieur, 
sur  la  façade  de  l'aile  gauche.  Mais  les  Quatre 
Saisons,  la  Renommée  et  les  ornements  de  la 
grande  porte  sont  de  Jean  Goujon,  valent  mieux 
et  datent  de  plus  loin. 

François  3Iansarl,  appelé  par  d'Agaurry,  riche 
magistrat  du  Dauphiné,  cessionnaire  des  Carna- 
valet, ajouta  une  aile  droite  manquant  à  l'éditice, 
fit  remplacer  par  une  rampe  en  fer  le  bois  sculpté 
qui  bordait  l'escalier  d'honneur,  et  augmenter  aussi 
de  plusieurs  figures  et  de  reliefs  allégoriques,  d'un 
mérite  moins  incontestable,  le  sculptural  trésor  de 
SCS  devanciers.  L'ornementation  intérieure  dut  des 
avantages  plus  réels  à  l'architecte  de  Louis  XIV, 
et  le  jardin  un  beau  bassin  de  pierre,  dont  le 
jet  d'eau  était  alimenté  par  la  fontaine  de  Birague. 


CULTURE-SAINTE-CATHERINE.  427 

<  Tt:JJe  est,  nous  dit  M.  Verdot  dans  une  notice  sur 
l'hôlel,  l'habitation  qui  fit  tant  d'envie  à  Marie  de 
Rabutin  de  Chantai,  marquise  de  Sévigné,  la  femme 
la  plus  spirituelle  de  la  cour  du  grand  roi,  mais  aussi 
la  plus  difficile  à  satisfaire,  la  plus  esclave  de  l'étiquette, 
des  belles  manières  et  du  ton.  Avant  cet  hôtel,  elle 
en  avait  chaugé  dix  fois,  comme  l'attestent  ses  lettres, 
et  aucun  n'avait  pu  lui  plaire.  Elle  avait  habité  toutes 
les  rues  du  Marais;  ici  c'était  le  salon,  là  le  jardin, 
plus  loin  le  voisinage  qui  ne  convenait  pas.  Son 
rêve,  c'était  un  hôtel  de  belle  apparence,  assez  vieux 
pour  être  noble,  assez  moderne  pour  être  élégant  et 
commode,  assez  grand  pour  que  sa  famille  y  tînt  à 
Taise,  assez  circonscrit  pour  que  son  état  de  maison 
n'y  parût  pas  trop  mesquin,  assez  animé  pour  que  la 
cour  de  Louis  XIV  put  3-  entrer  dans  ses  carrosses  et 
s'y  mouvoir  avec  fracas,  assez  paisible  pour  que  dans 
un  s=»iictuaire  intime,  donnant  sur  le  jardin,  la  maî- 
tresse se  recueillit  et  laissât  tomber  de  sa  plume  les 
lettres  les  plus  élégantes,  les  plus  spirituelles  qui 
soient  au  monde.  Ce  rêve,  l'hôtel  Carnavalet  le 
réalisa.  » 

M'"''  de  Sévigné,  qui  en  avait  pris  possession 
en  1677,  y  laissa  les  siens  après  elle.  Néanmoins 
les  traces  du  séjour  de  cette  femme  illustre  et  de 
sa  famille  se  retrouvent  encore,  à  notre  époque, 
sous  les  lambris  où  elle  se  plut  vingt  ans.  Une 
pièce,  où  deux  toiles  ovales  se  font  pendant, 
n'a-t-elle  pas  été  l'antichambre  de  l'appartement 
de  M""'  de  Grignan  ?  De  belles  cheminées  de 
marbre  existent,  substituées  pour  elle  et  sa  mère 
aux  cheminées  liantes  du  temps  de  Henri  II.  Le 
salon  de  l'une  et  le  salon  de  l'autre,  le  cabinet 
où  se  mira  dans  ses  œuvres,  si  claires  encore 
pour  la  postérité,  le  plus  charmant .  génie  épis- 
tolaire,  sont  demeurés  à-peu-près  intacts.  Voici 
le  balcon  de  M'"*'  de  Sévigné,  la  table  de  marbre 
où  elle    déjeunait,    pendant  l'été,  à  l'ombre  d'un 


428  RUE  DE  SEVIGNE,  NAGUERE 

sycomore,  toujours  debout;  voilà  aussi  la  porte 
du  jardin,  que  franchissait  le  baron  de  Sévigné 
pour  aller   souper  chez  Ninon. 

Après  une  telle  évocation,  comment  ne  trouve- 
rait-on pas  bourgeois  ce  qui  reste  à  dire  de  la 
maison  et  de  la  rue  ?  Que  M""'  de  Lillebonne  ait 
précédé  M""'  Sévigné,  sous  le  même  toit,  c'est  un 
l)oint  à  reconnaître  ;  mais  Marot,  dans  son  recueil 
des  Belles  Maisons  de  Paris,  cite  SOUS  le  titre 
d'iiôtel  d'Argouges  cette  résidence  historique,  qui 
eut  aussi  des  locataires  dans  la  grande  robe.  Le 
fermier-général  Brunet  de  Rancy  en  ht  l'acquisi- 
tion il  la  fin  du  wn'  siècle  ;  vint  après  M.  de  la  Briffé, 
intendant  de  Caen,  puis  M.  Bélanger,  secrétaire 
d'Etat,  et  M.  Dupré  de  Saint-Maur,  son  gendre, 
puis  la  famille  de  Pommereul,  qu'en  fit  sortir  la 
Révolution. 

La  maison  ne  tarda  pas  alors  à  recevoir  les 
bureaux  de  la  direction  de  Librairie,  à  laquelle 
fut  substituée  par  Napoléon  l'école  des  Ponts-et- 
Ghaussées  ;  le  baron  de  Prony,  un  savant  mis 
k  la  tète  de  l'École,  y  demeura  par  conséquent. 
Cette  marée  des  sciences  exactes  submergeait,  mais 
sans  les  noyer,  des  souvenirs  aristocratiques  ; 
elle  déposait  malheureusement,  seule  alluvion  tangi- 
ble, une  couche  de  badigeon,  dont  les  reliefs  de 
Bullant  et  les  statues  de  Jean  Goujon  mettront 
un  siècle  -a  se  désempeser  :  le  conseil  de  l'École 
ne  s'apercevait  pas  qu'il  se  tenait  dans  un  monu- 
ment !  Depuis  que  la  pépinière  des  ingénieurs  est 
transplantée  ailleurs,  une  pensiwi  du  collège  Ghar- 
lemagne  tient  sa  place,  \\*  23  ;  3L  Verdot,  déjà 
nommé,  en  est  le  chef  actuel  (i). 

(1)  L'administration  préfectorale  de  M.  Haussmanii, 
après  avoir  tant  fait  jiuur  dépayser  Je»  Parisiens,  a  eu 
le  bnn  esprit  d'acheter  l'IiôteJ  Carnavalet,  afin  d'y  établir 
le  Musée  ]iisiori(jue  de  la  Viile-de-Paris.  La  restau- 
ration de  l'hôiel,  commencée  par  J'architecte  Parmcn- 
tier,   est   continuée  par  sou   conlrère  Laîné. 


CULTURE-SATNTE-CATHERINE.  429 

Il  y  avait  bien  une  pension  Rolland,  vers  le 
milieu  du  xvni«  siècle,  dans  la  rue  Cultuie-Sainte- 
Catherine,  mais  nous  ne  savons  trop  à  quel  degré 
de  latitude.  lijutile  d'en  chercher  vestige  au  ;29, 
où  se  trouve  l'institution  Jaull'ret,  ancien  hôtel 
Peletier,  qui  s'était  détaché  sous  Louis  XIV  de 
l'arsenal  de  la  Ville.  Mariou  de  Lorme  y  avait 
demeuré  :  avis  aux  romanciers  et  auteurs  drama- 
tiques, car  ils  n'ont  sans  doute  pas  iini  d'ex- 
ploiter les  amours  de  la  belle  !  Michel  Robert  Le 
Peletier  de  Soucy  n'y  résida  qu'après  son  père, 
pour  lequel  lut  créée  une  place  de  directeur- 
général  des  Fortifications,  et  savant  homme,  sachant 
par  cœur  Tacite,  qui  se  retira  octogénaire  à 
l'abbaye  de  Saint-Victor.  Dans  ■celte  branche  de 
la  famille  Peletier,  qui  prit  aussi  le  nom  de  Saint- 
Fargeau,  fut  plusieurs  fois  le  contrôle-général 
des  finances  ;  un  de  ses  membres,  sous  la  Régence, 
était  ministre  d'Etat,  honoraire  de  l'académie  des 
Sciences  et  l'époux  d'une  Lamoignon.  Puis  on  les 
vit  au  parlement,  fulminant  contre  les  jésuites, 
et  le  conventionnel,  leur  descendant,  qu'on  assas- 
sina en  le  prenant  pour  un  autre  au  Palais-Royal, 
lut  exposé  place  Vendôme  et  rapporté  rue  Culture- 
Sainte-Catherine.  Pierre  Bulet  a  refait  l'hôtel,  pour 
l'ancien  directeur  des  Fortifications  de  France  ; 
une  orangerie  s'y  remarquait,  due  aux  dessins  de 
ce  même  architecle,  sobres  d'ornements,  quoique 
superbes. 

Le  5:2,  dont  les  rinceaux,  les  urnes,  les  masca- 
rons  et  les  amours  sont  du  crayon  de  l'archi- 
tecte de  Lisle,  membre  de  l'Académie,  appartenait 
avant  1768  à  M.  de  Flesselles,  du  chef  de  sa 
femme,  Rose-Ursule  Frajot,  qui  le  vendit  à  cette 
époque  à  Anne  Labbé,  veuve  en  premières  noces 
de  M.  Santeuil,  femme  ensuite  de  31.  Dupuis  de 
Gerville.  La  famille  Oulrequin  l'acquit  ensuite, 
à  laquelle  succédèrent,    le    !21    ventôse  an  m,  le 


430  RUE  DE  SEVIGNE,  NAGUERE 

cilo>eu  Jacques-Pierre  de  Sabardin,  ci-devant 
baron,  et  sa  femme,  Catherine  Biolley,  épouse  de 
Charon  de  Wattronviile,  trésorier  de  France,  en 
premier  lit.  Les  Sabardin  ne  s'en  sont  défaits 
qu'en  1840,  car  M'"«  de  Pirolle,  avec  laquelle 
M.  Fontaine  en  a  traité,  était  née  Sabardin.  Par 
malheur,  cet  hôtel,  aux  yeux  des  amateurs',  porte 
le  deuil  de  cin([  statues  d'Augier,  qui  en  décoraient  le 
jardin  :  Laocoon,  Hercule,  Flore,   Junon   et  Jupiter. 

Le  couvent  des  Filles-Bleues,  dont  le  jardin 
n'est  pas  entièrement  disparu,  se  recoimaît  par- 
faitement au  25,  au  27.  La  maréchale  Josias  de 
Ë'a'ntzau,  qui  avait  abjuré  le  luthéranisme,  s'y 
retira  une  fois  veuve,  puis  passa  en  Allemagne 
pour  y  fonder  une  maison  du  même  ordre,  dit 
des  Annonciades,  dont  la  règle  sévère  prohibait 
l'admission  de  pensionnaires  et  ne  permettait  de 
voir  les  parents  qu'une  fois  l'an.  La  marquise  de 
Verneuil  et  la  comtesse  de  Hameaux,  avec  l'agré- 
ment de  Louis  XIII,  avaient  créé  la  retraite  des 
Filles-bleues,  dont  le  terrain  et  les  bâtiments  avaient 
appartenu  ^  Jean  de  Vienne,  contrôleur-général 
des  iinances.  Une  des  filles  de  ce  dernier  était 
la  marquise  Tiercelin  de  Saveuse  ;  l'autre  avait 
épousé  François  de  Montmoreiicy-Boutteville,  qui 
tua  en  duel  le  comte  de.  Thorigny,  et  quand,  par 
suite  d'infractions  nombreuses  du  même  genre 
aux  édits  royaux,  la  peine  capitale  eut  été  pro- 
noncée contre  son  mari,  elle  fut  se  jeter,  avec 
la  princesse  de  Gondé,  les  duchesses  de  Montmo- 
rency, d'Angoulême  et  de  Venladour,  aux  pieds 
de  Louis  XIII,  que  rendait  inflexible  la  volonté 
de  Richelieu.  La  date  même  de  l'exécution  de 
la  sentence  est  postérieure  d'une  année  à  l'aliéna- 
tion de  l'hôtel  de  Vienne. 

Dans  cette  circonstance  pénible,  la  duchesse 
d'Angoulême  avait  agi  en  bonne  voisine,  car  le 
derrière  de  sa  propre   résidence,   passée    ens'uile 


CULTURE-SAINTE-CATHERINE.  431 

aux  Lamoignon,  était  aux  u"'  17-19,  qui  depuis 
lors  ont  plusieurs  lois  cliaugé  d'aspect.  Le  13, 
qui  n'a  fait  que  vieillir,  fut  le  séjour  de  Chavigny, 
ministre  de  Louis  XIII.  On  doit  croire,  car  la  rue 
est  du  siècle  xiv,  que  les  séjours  de  Vienne  et 
de  Chavigny  remontent  jusqu'à  l'époque  où  le 
connétable  de  Clisson  y  fut  assassiné  par  les 
sicaires  de  Pierre  de  Craon,  et  où  Charles  VI 
en  personne  vint  rendre  visite  au  mourant,  dans 
la  boutique  d'un  boulanger.  Qui  sait  même  si  le 
vieux  logis,  qui  n'a  plus  de  néfaste  que  son  numéro, 
ne  fut  pas  le  séjour,  marqué  dans  cette  rue, 
d'une  courtisane  italienne  qui  fit  grand  bruit  du 
temps  de  Henri  II  ?  Sur  le  seuil  même,  en  sortant 
de  cette  maison  au  point  du  jour,  le  cardinal  de 
Guise  faillit  avoii'  le  sort  du  connétable  do 
Clisson. 

Aussi  bien  les  maisons  de  la  rue  sont  presque 
toutes  plusieurs  lois  séculaires.  Le  38  en  est 
vermoulu  ;  40,  item  ;  le  46  brandit  une  rampe  en  fer, 
dont  l'arma  vraisemblablement  un  gentilhomme,  et 
pourra  tenir  encore  plusieurs  campagnes.  L'ampleur 
d'une  autre  construction,  son  jardin,  ses  rinceaux, 
et  des  sculptures  en  bois  à  l'intérieur,  méritent 
(|u'on  rende  au  n"  26  son  titre  d'hôtel  de  Villacerf: 
la  seigneurie  champenoise  dudit  nom  fut  apportée 
en  dot  par  Marie  Le  Fèvre  à  Edouard  Colbert 
de  Saint-Pouange,  bien  que  le  marquisat  de 
Villacerf  appartînt  à  la  fille  du  comte  de  Bavière, 
grand  d'Espagne.  Bonamy,  historiographe  de  la 
Ville,  membre  de  l'académie  des  Inscriptions, 
logeait  au  milieu  du  dernier  siècle  dans  la  rue 
Culture,  près  celle  Neuve-Saintc-Catherinc  (i). 


(l)  Présentement  annexée  à  ]a  rue  des  Francs-Buargcois. 


Place    Daiipliiiie.    (i) 


1607.  —  i6!2o.  —  1667.  —  1700.  —  1785. 
—  1788.  —   179^.  —  1859. 

Devant  rdligie  d'Heiiri  IV,  aux  pieds  du^iuel 
étaieiil  lailos  les  i)ublieations  de  paix,  se  trouvail 
l'île  du  Palais,  déiiomiiialioii  colleclive  donnée 
sous  Louis  XIV  à  la  place  Daupliine  et  à  son 
encadrement  sur  les  deux  quais  ainsi  que  sur 
la  rue  de  Harlay.  Toutes  les  maisons  qu'on  y  voit 
avaient  été  élevées  sur  un  terrain  de  31:20  toises 
1/2,  concédé  en  1607  par  Henri  IV  à  son  ami 
et  téal  conseiller  et  pj'emier  président  en  parlement, 
Achille  de  Harlay,  qui  avait  usé  de  son  crédit 
sur  les  Parisiens  pour  les  détacher  de  la  Ligue. 
Cet  abandon  avait  été  lait  au  président  à  la  charge 
de  bâtir  ou  faire  bâtir,  en  se  conformant  au  plan 
déjà  dressé,  qui  donnait  à  la  place  sa  foime 
triangulaire  et  aux  maisons  une  construction 
symétrique  en  brique,  avec  des  chaînes  de  pierre 
et  des  ardoises  pour  toiture.  Le  nom  de    place 


(I)  Notice  écrite  en  I85t).  Le  côlé  de  la  place  Dauphinc 
qui  donne  aussi  rue  de  Harlay  est  étage  de  grosses 
l»oulrcs  sur  ses  deux  faces,  et  la  préfecture  de  Police 
n*a  pas  encore  ces'^é  d'occuper  ce  tiers  Je  Ja  place  à 
titre  provisoire.  L'empiétement  administratif  qui  se 
prolonge  aurait  dû  être  pour  les  bàtimens  un  motif 
do  réparations  de  fond  eu  comble;  mais  leur  mauvais 
clat  ne  persiste  que  troj)  à  conlirmei  officielieuienl 
les  menaces  dont  la  place  entière  a  été  l'objet.  Quand 
t)n  rendra  Paris  aux  Parisiens,  ce  qui  doit  bien  arriver 
lot  ou  tard,  comment  s'y  prendront-ils  pour  se  recon- 
naître ? 


PLACE    DAUPHINE.  433 

Dauphine  venait  de  Louis  XIII,  lorsqu'il  n'était 
que  dauphin,  et  la  communii.'ation  entre  l'Ile-du- 
Palais  et  le  Palais  avait  été  pi-atiquée  aux  dépens 
du  jardin  de  Guillaume  de  Lanioignon,  à  son 
tour  premier  président. 

Lesdites  3120  toises  1,2  avaient  été  prises  tant 
sur  l'ancien  jardin  du  bailliage  du  Palais,  d'abord 
jardin  des  rois,  que  sur  une  place  inoccupée, 
formée  à  la  fin  du  xvi*  siècle  par  l'agrégation 
bien  constante  à  l'île  de  la  Cité  de  deux  îlols, 
lesquels  ont  donné  lieu,  comme  désignation,  îi 
une  confusion  qui  n'est  pas  encore  dissipée.  La 
construction  du  pont  Neuf,  commencée  sous  Henri 
III,  avait  été  l'occasion  de  ce  rapprochement  arti- 
ficiel. Ainsi  la  petite  île  aux  Bureaux  avait  disparu, 
avec  celle  aux  Juifs,  où  avaient  été  brûlés  vifs 
des  condamnés,  notamment  le  dernier  grand- maître 
des  templiers. 

Comme  il  est  peu  de  maisons  de  la  place 
auxquelles  nous  ne  puissions  restituer  leurs  ensei- 
gnes respectives  du  temps  de  Louis  XIV,  plaise 
au  lecteur  que,  pour  faire  le  tour,  nous  entrions 
par  le  pont  Neuf  11  droite  ! 

Qui  donc  n'y  connaît  pas  l'établissement  de 
l'ingénieur  Chevallier,  dont  le  thermomètre  fait 
autorité,  et  dont  les  instruments  d'optique  ont 
maintenant  à  se  braquer  sur  plus  d'étoiles  qu'en 
1740,  époque  de  sa  fondation?  Toutefois  la  maison 
Chevallier,  qui  de  beau-père  en  gendre  est 
demeurée  héréditaire,  n'a  quitté  la  tour  de  l'Horloge 
qu'à  l'époque  de  la  formation  du  Directoire. 
L'immeuble  qu'elle  occupe  depuis,  se  repliant  sur 
le  quai  des  Orfèvres,  a  conservé  un  étage  supérieur 
dentelé  de  mansardes  antérieures  à  Mansart.  L'en- 
seigne y  était  la  Coupe-d'Or,  quand  Pierre  de 
Creil,  maître  des  comptes,  et  Georges  de  la 
Porte-Père,  conseiller  du  roi,  se  succédèrent  comme 
propriétaires    (1667-1700).    La    maison    contiguë 


434  PLACE    DàUPHINE. 

suivait  le  même  sort,  à  l'image  de  Saint- Jérôme. 
Le  maître  des  comptes  possédait  encore  celle 
d'après,  au  Soleil-d'Or,  aujourd'hui  n"  27  ;  mais 
il  y  était  remplacé,  avant  la  tin  du  xvii«  siècle, 
par  Gabriel  de  Lattaignant,  seigneur  de  Grange- 
Menant,  oncle  tout  au  moins  d'un  autre  Lattaignant, 
homme  de  plaisir,  poète  et  chanoine  de  Reims. 

Sur  la  façade  venant  ensuite  nous  lisons: 
Hôtel  Henri  IV:  il  y  pendait  une  figure  de 
Saint-Pierre,  alors  que  Jacques  Le  Challeux  y 
tenait  à  Pierre  de  Creil.  Le  23  répondait  au  signe 
de  la  Croix-Verte,  et  la  veuve  de  Nicolas  Josse 
en  disposait,  avant  le  chevalier  de  Tinville.  Comme 
il  y  avait  alors  beaucoup  d'orfèvres  dans  l'Ihs-du- 
Palais,  il  est  évident  que  Molière,  qu'on  y  rencon- 
trait fréquemment,  utilisa  une  réminiscence  en 
ajoutant  un  sens  piquant  à  ce  que  bien  d'autres 
avaient  pu  dire  :  «  Vous  êtes  orfèvre,  monsieur 
Josse.  ))  En  1700,  M"«  Olympe  Hardy  avait  la 
Montre,  dans  le  n°  21,  et  Dumoulin  le  Saphir- 
Bleu,  dans  le  19,  dont  la  façade,  depuis  Henri 
IV,  n'a  guère  suIdI  de  modification. 

Catherine  Letellier,  veuvci,  Langlois,  jouissait  du 
n^  17,  où  pendait  une  Pomme-d'Orange  ;  or  son 
nom  de  femme  nous  rappelle  que  l'échevin  Langlois, 
qui  avait  favorisé  l'avènement  du  Béarnais,  fut 
ensuite  comblé  de  ses  bonnes  grâces,  maître  des 
requêtes,  puis  prévôt-des-marchands.  Bien  des 
Langlois  étaient  groupés,  sous  le  règne  du  roi- 
Soleil,  en  lace  de  la  statue  de  son  aïeul,  comme 
pour  prolonger  la  gratitude  du  leur,  qui  pouvait 
leur  avoir  transmis  une  de  leurs  quatre  ou  ciniq 
propriétés.  Néanmoins  ces  colons  de  l'Ile-du-Palais 
pouvaient  être  de  plusieurs  familles  :  l'un  d'eux 
se  fit  connaître  comme  graveur.  Quant  à  la  Pomme- 
d'Orange,  elle  avait  passé  des  mains  de  Françoise 
Chevallier,  femme  de  Georges  de  la  Porte-Père, 
dans  celles  de  Françoise  Letellier,  veuve  de  Jacques 


PLACE    DAUPHINE.  435 

Diel,  écuyer,  qui  l'avait  donnée  entre  vives  à  sa 
cousine,  M™"  Langlois.  N'est-ce  pas  la  même 
enseigne  qu'on  nommait  aussi  la  Pomme-d'Or? 
La  forme  et  la  couleur  n'avaient  rien  à  y  perdre, 
et  l'abréviation  était  facile  pour  la  légende.  ïhiault 
pratiquait  l'état  de  graveur  à  la  Pomme-d'Or. 

Passons  au  15,  qui  a  gardé  ses  briques  origi- 
naires, bien  que  surchargé  d'un  étage,  et  dont 
une  porte  donne  quai  des  Orfèvres,  avantage  partagé 
sans  doute  par  les  maisons  voisines.  Celles  qui 
n'avaient  pas  de  boutiques  se  grillaient  au  rez- 
de-cbaussée,  pour  y  former  des  ateliers,  car  toute 
la  place  Daupliine  retentissait  du  cliquetis  incessant 
des  petits  marteaux  de  joailliers.  Le  io  et  le  18 
avaient  eu  le  même  propriétaire,  au  début  du 
xvif  siècle,  dans  M""'  de  Béthune,  née  Georges 
de  la  Porte-Père.  L'un  de  ces  deux  immeubles, 
qui  à  cette  date  en  formaient  trois,  arborait  l'Ecu- 
de-France;  les  enfants  mineurs  de  feu  Gabriel 
Langlois  et  d'Etienne  Philips,  sa  veuve,  en  avaient 
hérité  avant  1667;  un  de  ces  héritiers  en  avait 
arrangé  treize  années  plus  tard  Isaac  Thuret, 
horiogeur.  Puis  l'orfèvre  Delaunay  et  le  capitaine 
Cersillier  se  faisaient  presque  vis-à-vis  en  se 
louchant,  à  l'angle  de  la  place  auquel  nous  voici 
arrivé. 

Les  maisons  y  cessent  de  longer  le  quai  des 
Orfèvres  pour  suivre  la  rue  de  Harlay,  sur  laquelle 
elles  prennent  ouverture;  enfilade  de  constractions 
qu'ont  envahies  provisoirement  les  bureaux  de  la 
préfecture  de  Police.  Le  capitaine  susnommé  y 
avait  pour  voisin  de  droite  l'huissier  Masson,  ii 
l'enseigne  de  la  Souche  ;  puis  venait  le  Cadran, 
au  président  Sévin,  y  succédant  au  président  Bizet 
de  la  Barroire. 

Avant  la  petite  rue  qui  relie  celle  de  Harlay  à 
la  place,  on  appelait  Croissant-d'Or  une  grande 
habitation    h    trois   façades,    qui    fit  l'objet  d'une 


436  PLACE    DAUPHINE. 

déclaration  de  cens  passée  devant  Plastrier,  notaire, 
le  2i  février  1671,  par  Jean-Baptiste  Poquelin, 
comme  tuteur  du  sieur  de  FavêroUes,  qui  ne  pou- 
vait manquer  d'être  mineur  qu'à  la  condition  d'être 
interdit.  C'est  bien  réellement  3Iolière,  né  Poquelin, 
qui,  sur  les  dernières  années  de  sa  vie,  ajoutait 
à  toutes  ses  occupations  et  préoccupations  de  mari, 
de  directeur,  d'auteur  et  d'acteur  la  tutelle  de  M. 
de  Faverolles.  L'immeuble,  ainsi  quetous  ses  pareils, 
devait  au  domaine  du  roi  un  sol  de  cens  par  toise 
de  terrain  ;  il  mesurait  !^1   toises. 

De  l'autre  côté  du  petit  bras  de  rue,  il  se  trou- 
vait bien  en  l'année  1700  :  les  Armes-de-Monsieur, 
le  Soleil-d'Or,  les  Armes-de-Mademoiselle  et  Saint- 
Ambroise,  reconnaissant  pour  maîtres  Bellanger, 
notaire,  M""'  de  Laferrière  et  la  veuve  de  Cliarles 
Poulet,  celle-ci  tenant  la  seconde  encoignure.  Mais 
au  nom  même  du  fondateur  de  la  place,  que  ré- 
présentaient des  neveux  appelés  comme  lui,  étaient 
encore  dix-huit  parts  de  propriétés  subdivisées, 
montrant  dix-huit  autres  enseignes,  en  1667  ;  or 
nous  avons  la  certitude  qu'elles  altenaient  les 
unes  aux  autres  rue  de  Harlay  et  place  Dauphine  ; 
par  conséquent,  nous  les  revoyons  toutes  dans  ce 
qu'occupe  l'administration  de  la  police  de  l'Empire. 
Elles  ne  furent  aliénées  que  par  le  troisième  des 
Harlay,  qui  devint  lui-même  premier  président 
en  1689  :  habile  courtisan,  fort  instruit,  bien  que 
la  gravité  toujours  tendue  du  chef  se  relâchât  dans 
la  dynastie  !  Apprenant  un  jour  qu'une  plaideuse, 
qui  redoutait  de  perdre  un  procès,  n'avait  pas 
craint  de  le  traiter  de  vieux  singe,  il  éplucha 
bien  son  dossier  ;  comme  elle  avait  le  bon 
droit  de  son  côté,  elle  n'en  gagna  que  mieux  sa 
cause,  et  elle  rendit  une  visite  de  remercîment 
à  messire  le  président,  qui  l'accueillit  avec  ces 
mots  :  —  Maintenant,  madame,    vous  saurez  que 


PLACE    DAUPHINE.  437 

les  vieux  singes  peuvent  encore  être  utiles  aux 
vieilles  guenons. 

Cette  revue,  si  nous  la  poursuivons,  attachera 
pareillement  le  nom  du  marquis  de  Laterrière  au 
n"*  10  ;  celui  d'une  dame  Bretaut  au  n"  12,  où 
veut  la  tradition  qu'Henri  IV  ait  été  reçu  par  son 
compère  Achille  de  Harlay.  Qui  commandait  au 
n"  14  du  vivant  de  Harlay  IIP  ?  un  sieur  Philippe 
Legros.  Qui  encore  dans  l'immeuble  subséquent, 
devant  lequel  s'arrêtent  tous  les  jours  mille 
omnibus  pour  leurs  correspondances,  et  qui,  ainsi 
que  par  prévision,  portait  l'image  du  Ciiariot-d'Or  ? 
demoiselle  Denise  Langlois,  veuve  de  Georges 
Berruyer.  Et  le  20,  n'a-t-il  pas  été  de  temps 
immémorial  habité,  comme  à  cette  heure-ci,  par 
un  orfèvre?  Le  détenteur  Desmartrais  Figeon, 
maître  des  comptes,  y  avait  une  Perle  pour 
blason. 

Mais  il  est  évident,  nous  le  répétons,  que  la 
propriété  était  plus  divisée,  place  Dauphine,  au 
grand  siècle  que  dans  celui-ci.  Son  chapelet 
d'aujourd'hui  ne  nous  laisse  plus  aux  doigts  que 
quatre  grains,  représentés  par  quatre  numéros, 
qui  jadis  s'égrenaient  en  sept.  Trois  noces  entre 
immeubles  ont  été  célébrées  sur  ce  point  de 
rile-du-Palais,  et  chaque  ménage  ensuite  n'a  fait 
qu'un  lit.  A  la  Perle  tenait,  en  effet,  la  Renommée 
du  sieur  ïhuret;  à  la  Renommée,  une  Paix  h  partager 
entre  les  hoirs  de  Jacques  Rémy,  brodeur.  Un  prêtre, 
Jacques-Claude  Laborie,  devait  à  Claude  Laborie  un 
héritage  faisant  suite,  qui  communiquait  avec  le  quai 
du  grand  cours  de  la  Seine,  et  où  nous  estimons 
qu'à  présent  sont  ouveits  les  bureaux  du  Droit. 
Enhn  messire  François  de  Montmorency  de  Saint- 
Héran,  capitaine  et  gouverneur  de  Fontainebleau, 
conjointement  avec  Nicolas  Le  Pelletier  de  la 
Houssaye,  maître  des  requêtes,  possédaient  trois 
maisons,  qui  n'en  sont  plus  que  deux.  La  dernière 

28 


438  PLACE     DAUPHINE. 

forme  le  pavillon  qui  fait  pendant  h  celui  de 
l'opticien  Chevallier  ;  l'autre  était  dite  à  la 
Pucelle. 

Peu  de  temps  après  que  le  corps  du  maréchal 
d'Ancre  eût  été  traîné  sur  une  claie  jusqu'au  pont 
Neuf  et  brûlé  devant  la  statue  du  roi,  le  burlesque 
Tabarin  égayait  de  ses  farces  cette  entrée  de  la 
place  ;  il  était  paillasse  au  service  de  Mondor, 
débitant  de  baumes  et  d'onguents.  Comme  Paris 
avait  alors  beaucoup  moins  de  ponts  qu'à  présent, 
le  pont  Neuf  se  trouvait  encore  plus  passant. 
Aussi  bien  n'a-t-il  pas  perdu  toutes  ses  gaietés  ! 
La  foire  Saint-Germain,  dont  c'était  le  chemin,  y 
commençait  réellement  quand  Tabarin  y  avait 
Ses  tréteaux,  quand  Gonin,  joueur  de  gobelets  en 
réputation,  faisait  ses  tours  au  terre-plein,  quand 
Brioché  tenait  au  quai  Conti  son  spectacle  de 
marionnettes.  Ah  !  les  tilous  avaient  beau  jeu,  tant 
les  badauds  se  groupaient  autour  des  charlatans, 
qui  captivaient  si  bien  leur  attention  !  Où  se  fussent 
plus  chantées  et  plus  vendues  ces  chansons  popu- 
laires, les  ponts-neufs  ?  La  Samaritaine  jouait, 
grâce  à  son  carillon,  d'autres  airs,  près  du  quai 
de  l'Ecole.  Le  café  du  Terre-Plein  réunissait  plus 
tard  l'astronome  Jérôme  de  Lalande,  Rétif  de  la 
Bretonne  et  Mercier,  y  devisant  le  soir  au  confluent 
de  trois  villes,  qui  auraient  pu  se  passer  de  n'en 
faire  qu'une.  L'académie  de  Peinture  et  de 
Sculpture  jouissait  en  ce  temps-lk  du  loyer  de 
vingt  loges,  surélevées  à  l'aplomb  des  piles  du 
pont  et  exploitées  par  le  commerce  ;  mais,  chaque 
jour,  de  petits  marchands  dressaient,  en  outre, 
des  boutiques  portatives,  d'une  loge  à  l'autre, 
moyennant  une  rétribution  au  protit  des  grands 
valets-de-pied    du  roi. 

Les  peintres  qui  n'étaient  pas  membres  de 
l'Académie  exposaient  tous  les  ans,  le  jour  de  la 
petite   Fête-Dieu,    leurs   tableaux    sur    la    place 


PLACE   DAUPHINE.  439 

Dauphine.  Au  milieu  s'élevait  un  reposoir,  exu- 
bérant de  fleurs  nouvelles,  et  l'exhibition  de  la 
voie  publique  y  gagnait  un  souflle  de  fraîcheur, 
de  poésie,  d'inspiration  divine,  que  le  salon  de  la 
grande  exposition  se  gardait  d'exhaler. 

Cependant  la  lecture  de  Plutarque  avait  donné 
d'héroïques  sentiments  à  la  liUe  d'un  graveur,  née 
dans  l'une  des  deux  dernières  maisons  que  nous 
avons  vues,  et  elle  était  devenue  M'"*^  Roland,  qui 
joua  un  grand  rôle  ii  la  Révolution.  Le  premier 
attroupement  dissipé  avec  effusion  de  sang  avait 
eu  lieu  ù  Paris  dès  le  28  août  1788,  à  l'occasion 
de  la  disgrâce  de  M.  de  Rrienne,  et  c'était  place 
Dauphine:  la  basoche  avait  donné  le  branle,  en 
se  livrant  à  une  manifestation  politique,  pour  faire 
sa  cour  à  MM.  de  la  grand'chambre,  et  le  cheva- 
lier du  guet  avait  chargé.  On  y  dressait,  quatre  ans 
après,  l'une  des  estrades  destinées  à  recevoir  les 
engagements  volontaires  dans  l'armée,  et  la  place 
prenait  pour  un  temps  le  nom  de  ïhionville,  que  les 
Autrichiens  venaient  d'assiéger  infructueusement. 
De  1802  date  la  fontaine  commémorative  de  la 
mort  du  général  Desaix  à  Marengo,  œuvre  de 
Perciei;  et  de  Fontaine. 


Rue    Daiipliiiie..  (i) 


Le  Pain  au  Beurre.  —  Nicolas  Carrel.  —  Les 
Augustins.  —  La  Curée.  —  Le  M'''  de  Mouy.  — 
Le  Micsée- de- Paris.  —  Le  Club  des  Cordeliers.  — 
Le  Théâtre  des  Jeunes-Eléves.  —  M.  Rousseau.  — 
Les  Maisons  Galleboicrg  el  Gaudin.  —  Gabrielle 
d'Estrées.  —  Les  Genlis.  —  La  Maison  de  Jeu.  — 
L'Armurier.  —  Lt  Mercier.  —  Les  Barhistes.  — 
Le  Mur  de  Philippe -Auguste.  —  La  Porte 
Dauphine.  —  Etc. 

Les  petits  pains  au  beurre  de  la  rue  Dauphine 
jouissent  d'une  célébrité  à  poste  fixe  depuis  un 
demi-siècle;  tous  les  soirs,  après  l'heure  du  bal 
el  du  spectacle,  maints  danseurs  du  Prado,  maints 
spectateurs  de  l'Odéon,  viennent  tremper  dans  un 
verre  de  lait  un  ou  deux  de  ces  gâteaux,  bavaroise 
du  quartier  Latin,  dans  la  boutique  de  Cretaine. 
Depuis  le  quai  Conti  jusqu'à  la  maison  aux  petits 
pains,  en  y  ajoutant  celle  qui  suit,  l'uniformité 
de  construction  révèle  une  origine  simultanée,  et 
celle-ci  remonte  assurément  jusqu'à  l'ouverture 
de  la  rue. 

Protégée  par  Henri  IV,  une  compagnie,  dont 
Nicolas  Carrel  était  le  chef,  acheta  en  1606  le 
collège  ou  l'hôtel  de  l'abbé  de  Saint-Denis,  avec  une 
ruelle,  touchant  à  l'hôtel  de  Nevers,  et  la  maison 
Chappes,  pour  76,500  livres,  et  se  mit  en  devoir 
de  percer  la  voie  nouvelle,  que  croisait  l'ancien 
mur  de  ville  entre  les  portes  de  Nesles  et  de 
Buci.  Mais  il  fallut  encore,  pour  déboucher  sur 
le  pont  Neuf,  prendre  au  jardin  des  Grands- 
Ci)  Notice  éerite  en  1859. 


RUE  DAUPHINE.  441 

Auguslins  quelque  chose  que  des  experts  évaluèr(;nt 
30,000  livres  tournois.  Il  fut  stipulé,  eu  outre  du 
prix,  que  les  matériaux  de  démolition  reviendraient  à 
ces  religieux,  et  qu'il  serait  établi  aux  frais  du 
roi  :  i°  un  mur  de  trois  toises  de  chaque  côté 
de  la  rue;  2"  deux  voûtes  souterraines  pour  mettre 
les  pères  en  communication  avec  des  maisons 
qui  leur  appartenaient  du  côté  de  l'hôtel  de  Nevers. 
Comme  les  augustins,  néanmoins,  se  plaignaient 
au  roi  de  tout  ce  dérangement,  ainsi  que  sont 
disposés  II  le  faire  les  expropriés  de  tous 
les  temps  :  —  Ventre-saint-gris  !  mes  pères,  dit 
Henri  IV,  les  maisons  que  vous  bâtirez  sur  la 
rue  nouvelle  vaudront  mieux  que  vos  choux...  Or, 
ces  fiches  de  consolation  furent  mises  bientôt  sur 
le  tapis,  et  la  plupart  des  maisons  de  la  rue 
dédiée  au  tils  de  Henri  IV,  notamment  entre  l'hôtel 
de  Nevers  et  le  couvent,  appartenaient  encore 
aux  augustins  dans  le  siècle  dernier. 

Presque  toutes  ces  constructions,  qui  avaient 
établi  au  couvent  un  assez  bon  revenu,  étaient  ou  sont 
encore  à  petites  portes.  Parmi  celles  qui  faisaient 
et  font  exception,  se  remarque,  sur  le  plan  de 
1652,  certain  hôtel  de  la  Curée,  plus  tard  de  Mouy, 
notre  n"  16.  Le  graveur  a  écrit:  delà  Carce;  mais 
nous  croyons  que  le  burin  s'est  trompé.  Sans  quoi 
l'hôtel  de  la  Curée,  signalé  par  Colletet  dans  la 
rue  Dauphine,  nous  paraîtrait  plus  à  sa  place  n"  24 
et  26  qu'au  16  et  au  18.  Ne  semble-t-il  pas,  eu 
tout  cas,  que  l'hôtel  de  la  Curée  fut  d'origine  un 
rendez-vous  de  chasse,  dont  le  pavillon,  avant  de 
passer  hôtel,  servit  à  de  franches  lippées?  La 
Curée  sonne  souvent  pour  les  chasseurs  au  plat, 
et  il  y  en  eut  de  tous  les  temps,  comme  dans  les 
satires  de  Régnier: 

L'im    en    titre    d'oflice  exerçoit  uu  berlati. 
L'autre   estoit  des  suivants  de  madame    Lipcc, 
El  l'autre    chevalier   de  la  petite    espée. 


44-2  RUE  DAUPHINE. 

Le  petit  Pré-aux-Clercs  s'était  étendu,  derrière 
Nesle,  entre  les  Grands  et  les  Petits-Augustins,  et 
Ion  pouvait  encore  s'y  dire  à  la  campagne  le 
mercredi,  1'  novembre  io89,  jour  où,  de  bon  matin, 
le  Béarnais  fit  la  prière  dans  le  grand  Pré-aux- 
Clercs  :  son  armée  y  campait,  avant  d'entrer 
victorieusement  au  bourg  Saint-Germain  et  au  fau- 
bourg Saint-Jacques.  A  la  fin  de  son  règne 
'seulement,  le  petit  Pré-aux-Clercs  fut  entièrement 
couvert  de  constructions. 

La  porte  cintrée  dudit  16  a  pour  le  moins  pris 
la  mesure  des  carrosses  du  temps  de  la  Fronde,  "^ 
et  toutefois  le  corps  de  bâtiment  sur  la  rue  est 
moins  ancien  que  celui  du  milieu,  qui  couvre  deux 
beaux  berceaux  de  caves  ;  la  bâtisse  du  fond  a  pris 
la  place  du  jardin.  En  l'an  1666,  ladite  propriété 
fut  saisie  sur  Henri  de  Lorraine,  marquis  de 
3Iouy,  à  la  requête  de  Jean  Parot,  en  sa  qualité  de 
tuteur  onéraire  des  enfants  mineurs  de  Lecoigneux, 
conseiller  au  parlement,  et  l'adjudication  se  prononça 
au  profit  d'un  autre  mineur,  pupille  et  neveu  de 
Gabriel-Nicolas  de  la  Reynie,  qui  n'était  alors  que 
maître-des-requêtes.  Puis  une  hôtellerie  exploita 
ce  grand  local,  sans  qu'il  changeât  de  nom,  et 
Louis  XIV,  dans  toute  la  splendeur  de  son  règne, 
n'empêcha  pas  de  publier  qu'on  dînait  rue  Dauphine 
pour  30  sols,  dans  un  autre  hôtel,  et  pour  15  d 
l'hôtel  de  Mouij,  qui  devait  être  un  peu  parent 
des  Tuileries.  Comment  ne  pas  voir  dans  Henri 
de  Lorraine,  comte  de  Mouy,  un  rejeton  de  la 
famille  qui  avait  donné  deux  reines  à  la  France 
et  une  à  l'Ecosse  coup  sur  coup?  Les  Rochebrunne 
vendaient  la  même  maison,  en  1755,  à  Carré, 
marchand-horloger.  Mais  nous  ne  savons  pas  â  quelle 
époque  s'en  était  détaché  le  18,  qu'on  a  refait  en 
18-26. 

Le  philologue  Court  de  Gébelin,  qui  fut  censeur 
de  la  librairie,  fondait  en  l'année  1780  dans  cette 


RUE    DAUPHINE.  443 

autre  moitié  du  même  hôtel  une  société  savante, 
le  Musée-de-Paris.  L'auteur  dramatique  Cailhava, 
qui  en  était  membre,  s'y  mit  à  la  télé  d'une  coterie 
hostile  au  fondateur  et  qui  le  soupçonnait  d'une 
mauvaise  gestion,  h  telles  enseignes  que  le  lieutenant- 
général  de  police  intervint  dans  le  démêlé.  Court 
de  Gébelin,  encore  en  possession  du  titre  de  pré- 
sident honoraire  perpétuel,  finit  par  fermer  le 
Musée,  un  jour  où  la  société  devait  tenir  grande 
séance.  Elle  ne  se  réunit  que,  plusieurs  mois  après, 
dans  les  salles  du  Musée-scientitique  de  Pilastre 
de  Rozier,  rue  Sainte-Avoye  (du  Temple),  sous  la 
présidence  de  Cailhava,  qui  ne  rentra  au  Musée- 
de-Paris  qu'après  la  mort  de  son  rival,  à  la  fin 
de  '178o.  La  réunion  des  deux  sociétés  fut  suivie 
de  transformations,  qui  laissaient  en  1787  le  local 
de  la  rue  Daupliine  à  la  disposition  de  la  franc- 
maçonnerie:  la  loge  des  Neuf-Sœurs  y  avait  pour 
président  le  duc  d'Orléans. 

Le  club  des  Cordeliers  tonna  dans  l'autre  l'hôtel 
de  la  même  origine,  si  ce  n'est  dans  les  anciennes 
salles  du  Musée,  et  le  tableau  desDroits-de-l'Homme, 
y  décorant  le  lieu  de  réunion,  fut  voiié  ])ar  Leclerc 
quand  les  citoyens  dantonistes,  maratistes,  héber- 
tistes  et  chaumeltistes,  qui  composaient  la  société, 
reprochèrent  à  la  Convention  et,  qui  plus  est, 
aux  jacobins,  de  ne  pas  s'élever  à  la  hauteur  des 
grands  principes  de  l'ère  nouvelle.  Le  siège  de 
ce  club  avait  été  aussi  une  salle  de  vente,  un  corps- 
de-garde.  Au  reste,  jamais  les  cordeliers  de  la  Révo- 
lution n'eussent  consenti  ;\  se  dire  :  Nous  nous  assem- 
blons rue  Daupliine.  Dès  le  samedi  soir,  27  octobre 
1792,  le  conseil-général  avait  décidé  que  82  rues 
porteraient  le  nom  des  82  départements  et  que,  de 
plus,  la  rue  Daupliine  s'appellerait  ïliionville, 
ainsi  que  Lille  la  rue  Bourbon,  en  l'honneur 
de  deux  villes  qui  venaient  d'être,  par  une  héroïque 
défense,  le  boulevard  de  la  Lil3erté. 


444  RUE    DAUPHINE. 

Cailhava  n'ouvrit  que  plusieurs  années  après, 
Il  la  place  du  Musée-de-Paris,  une  école  dramati- 
que. Dorfeuille  en  fit  le  théâtre  des  Jeunes-Elèves- 
de-la-rue-ïhionville,  dont  Belfort  était  le  directeur 
en  1802;  Firmin  et  Virginie  Dégazet  y  commen- 
cèrent leur  carrière  dramatique.  Cubières,  Pelletier 
de  Valmeranges  et  Nogaret  eurent  des  pièces  jouées 
sur  cette  scène.  Charles  3Iaurice  s'y  lia,  dans  les 
coulisses,  avec  Firmin,  avant  que  la  femme  d'un 
fameux  coifléur  de  la  rue  Vivienne  lui  avançât, 
dans  un  élan  d'amour,  les  100,000  francs  qui  ont 
permis  au  Courrier  des  Théâtres  de  lui  faire  gagner 
davantage.  Pendant  les  six  premières  années  du 
siècle,  on  passa  tous  les  genres  en  revue  aux  Jeunes- 
Eléves,  depuis  la  tragédie  jusqu'à  la  pantomime, 
de  six  heures  et  demie  à  dix  ;  ensuite  on  n'y  joua  plus 
que  la  comédie  bourgeoise,  et  puis  la  salle  de 
spectacle  se  convertit  en  salle  de  danse. 

M.  Rousseau,  lorsqu'il  bat  le  pavé  pour  notre 
compte,  n'a  jamais  l'heur  de  recueillir  sur  les  lieux 
assez  de  renseignements  inédits  pour  qu'il  soit 
superflu  de  recourir  aux  Archives.  S'il  ne  revient 
jamais  bredouille,  une  fois  qu'il  s'est  mis  en  chasse 
avec  un  carnet  pour  carnassière,  ce  n'est  pas  faute 
d'avoir  trouvé  plus  souvent  buisson  creux  que  la  bête. 
D'après  le  rapport  que  nous  présente  ce  mandataire, 
le  31  de  la  rue  Dauphine  pourrait  tirer  vanité  de 
ses  ferrures  d'un  autre  ftge;  seulement,  tout  ce  qui 
n'est  pas  loyer  à  percevoir  y  regarde  uniquement 
la  portière,  qui  a  pris  obstinément  M.  Rousseau, 
malgré  toutes  ses  dénégations,  pour  un  agent  de 
la  Salubrité. 

De  ce  côté,  les  Quatre-Fils-Aymond,   maison 


^D -  majeur^,   ^.^^^..   ,.^.v.,   ^^ 

procureur.  Sur  la  même  ligne,  Clément  de  Barville, 


RUE   DAUPIIINE.  445 

conseiller  aux  aides,  avait  vendu  l'année  précédente 
à  Bâillon,  écuyer,  premier  valet-de-chambre  de 
la  reine,  une  propriété  provenant  de  Gandin,  secré- 
taire du  roi,  aïeul  dudit  Barville,  et  tenant  d'une 
part  à  l'hôtel  d'Espagne,  de  l'autre  à  la  maison 
de  Fontenelle,  par-derrière  aux  Augustins.  Le 
spirituel  auteur  d-es  Entretiens  sur  la  Pluralité  des 
Mondes  n'avait  encore  que  94  ans,  et  il  ne  mourut 
que  centenaire;  mais  rien  ne  garantit  que  le 
Fontenelle  de  cette  rue  lût  le  membre  de  l'académie 
des  Sciences  et  de  l'Académie-Françaisc. 

Les  portes  qui  se  suivent  ne  se  ressemblent 
pas  toujours  ;  celles  qui  se  regardent,  encore  moins. 
De  la  bienveillance  éclairée  du  propriétaire  du 
;24-26,  M.  Rousseau  tient  assez  de  notes,  que 
confirment  nos  propres  recherches,  pour  aider  à 
l'éclaircissement  d'un  point  capital  de  riiistoire  de 
la  rue  Dauphine.  Le  3  de  la  petite  rue  d'Anjou  (i) 
communiquait  jadis  avec  cette  maison,  d'apparence 
seigneuriale,  qui  fut  fune  de  celles  où  Gabrielle 
d'Estrées  reçut  les  visites  de  Henri  IV.  La  galanterie 
inaugurait  alors,  comme  aujourd'hui,  les  quartiers 
neufs  de  la  bonne  ville.  Le  roi,  d'ailleurs,  con- 
descendait il  changer  fréquemment  le  théâtre  de 
ses  rendez-vous,  à  s'initier  aux  souterrains  des 
moines,  à  en  compliquer  même  les  issues,  ne  fût-ce 
que  pour  se  dérober  aux  tentatives  d'assassinat  qui 
pouvaient  en  trouver  la  clef.  On  travaillait  au 
pont  Neuf  avant  que  fût  percée  la  rue  ;  elle  trouva 
également  tout  fait  ce  nouveau  nid  pour  de  royales 
amours,  qui  s'y  cachaient  II  la  faveur  des  jardins  de 
Nevers,  de  Saint-Denis,  des  Augustins,  derrière 
l'ancien  mur  de  Paris,  sur  lequel  ne  tardèrent  plus  à  se 
mettre  à  cheval  d'autres  constructions.  L'édiîice  était 
de  pierres  et  de  briques,  avec  un  bel  escalier  de  bois, 
•qui  s'affaissait  entre  la  cour  et  le  jardin,  où  l'on 

(1)  A-présent  rue  de  Nesles- 


446  RUE  DAUPHINE. 

n'y  montait  plus  stuis  crainte,  quand  s'en  est  accompli 
le  sacrifice.  Le  niveau  du  jardin  demeure  inférieur 
de  2  mètres  50  ii  celui  de  la  rue. 

De  cet  hôtel,  au  XVII*'  siècle,  les  Genlis  avaient 
t'ait  le  leur,  et  il  avait  été  payé  108,000  livres  par 
M"""  Navarre  h  Pierre  Drulard  de  Genlis,  en  l'année 
1718.  Chez  ce  dernier  on  avait  joué  en  société  le 
lansqu(!net,  le  pharaon,  le  brelan,  la  dupe  ou  la 
bassette.  Des  tables  de  roulette  et  de  trente-et- 
quarante  succédèrent,  dans  les  mêmes  appartements, 
à  la  caisse  et  aux  bureaux  du  banquier  Gastinel, 
sous  le  premier  empire,  et  elles  faisaient  la  partie 
du  public.  Il  y  avait  même  tous  les  soirs,  pour 
en  aviser  les  passants,  un  employé  de  faction  à 
la  porte.  Cette  maison  de  jeu  était  auparavant 
dans  la  rue  Saint-André-des-Arts.  Elle  faisait  face, 
rue  Dauphine,  au  magasin  d'un  armurier,  qui  se 
contentait  de  montrer  aux  perdants,  en  tenant  sa 
vitrine  éclairée  le  plus  tard  possible,  de  quoi 
prendre  leur  suprême  revanche. 

Une  montre  beaucoup  plus  pacifique  était  celle 
d'un  mercier,  qui,  dans  le  même  immeuble,  tenait 
l'angle  de  la  rue  d'Anjou,  à  l'enseigne  du  Père- 
de-Famille.  Ce  magasin,  sous  le  règne,  de  Louis  XV, 
était  des  plus  achalandés;  il  n'avait  plus  le  même 
avantage  quand,  de  nos  j('urs,  M.  Beau  prit  le 
fonds,  pour  en  relever  le  commerce.  Les  titres 
de  propriété  sont  maintenant  dans  le  secrétaire 
de  cet  ancien  locataire. 

Du  temps  où  il  descendait  des  voyageurs  îi 
l'hôtel  de  Mouy,  la  même  rue  comptait  d'autres 
hôtelleries,  celle  d'Anjou,  celle  de  Flandre,  celle 
de  la  Ville-de-Bordeaux.  Nous  y  avons  dîné  dans 
un  hôtel  d'Espagne,  si  peu  castillan  qu'il  devait 
avoir  pris  le  temps  de  s'acclimater:  ne  datait-il 
pas  du  XVIIP  siècle?  Je  crois  que  l'hôtel  d'Aubus- 
son,  bureau  des  voitures  de  Fontenay-aux-Boses, 
fut  primitivement  d'Anjou;   mais  je  sais  par  moi- 


RUE   DAUPHINE.  447 

même  qu'il  s'appela  Dauphine.'  Un  groupe  d'élèves 
de  Sainte-Barbe,  que  venait  d'armer  bacheliers 
M.  Cousin,  se  distribua  sous  Louis-Philippe,  à  ma 
parfaite  connaissance,  dans  les  chambres  garnies 
de  cette  maison,  déjà  fort  décrépite.  Les  cham- 
pignons qu'y  faisait  sauter  l'hôte  avaient  dû  pousser 
sous  ses  lits,  qu'on  ne  se  contentait  pas  toujours 
de  partager  avec  d'imperceptibles  sauteuses,  trop 
vigilantes,  qui  semblaient  ne  s'étonner  de  rien, 
bien  qu'elles  descendissent  en  droite  ligne  des 
puces  d'un  cloître  ou  d'un  chapitre.  Ces  étudiants 
d'un  genre  à  part,  qui  sont  presque  tous  aujourd'hui 
des  mieux  placés,  observaient  les  convenances 
dehors,  mais  se  débraillaient  si  volontiers,  dans 
leurs  réunions  à  domicile,  que  le  maître  de  l'hôtel 
profita  des  vacances  pour  changer  tous  ses  loca- 
taires. —  Je  vous  louerai  mes  chambres  trente  francs, 
dit-il  à  d'autres  étudiants,  mais  h  la  condition  que 
vous  découcherez. 

Il  y  avait  dès-lors  onze  années  que  le  passage 
Dauphine  occupait  la  place  d'un  café  et  d'un  jardin 
s'y  rattachant.  Mais  à  deux  pas,  n"34,  nous 
revoyons  un  Coq,  servant  d'enseigne  depuis  un 
siècle  à  la  boutique  d'un  coutelier.  Nous  y  re- 
trouvons, qui  plus  est,  une  portion  de  l'enceinte  de 
Philippe-Auguste,  dont  dé}>end  une  tour,  avec  ses 
meurtrières  et  l'empreinte  d'un  moulin  de  défense, 
propre  à  faire  pleuvoir  des  nuées  de  projectiles 
sur  des  assaillants;  mais  ce  mur  de  deux  mètres 
d'épaisseur  venait  jadis  à  fleur-de-terre  douze 
pieds  plus  bas  qu'à-présent.  Le  bureau  de  Nicolas 
Carrel,  lors  de  la  formation  de  la  rue,  altenait  à 
ce  reste  de  fortification;  puis  ce  fut  un  hôtel, 
précédé  d'une  cour  d'honneur,  ii  Jérôme  de  Lhuil- 
lier,  procureur-général  en  la  chambre  des  comptes. 
Le  même  magistrat  obtint  du  bureau  de  la  Ville, 
à  des  conditions  peu  onéreuses,  la  concession 
d'une  allée  haute,  qui  régnait  sur  le  mur  d'enceinte 


418  RUE    DAUPHIXË. 

et  menait  à  la  rue  de  Nevers,  puis  il  la  condamna 
au  moyen  de  deux  portes.  Un  jui^ement  du  même 
bureau  ratifia  le  transport  du  bail  à  Guillaume  de  Bail", 
le  10  septembre  1613,  en  ce  qui  touchait  de  près  le 
même  hôtel,  dont  il  était  le  nouveau  propriétaire  ; 
mais  Lhuillier  possédait  encore  une  propriété  con- 
tiguë  et  se  réservait,  par  une  des  deux  portes,  un 
passage  de  sept  pieds  de  largeur  sur  ledit  mur; 
de  plus,  il  se  faisait  autoriser,  le  6  mars  1614, 
à  établir  des  marches  pour  l'escalader  tout-àfait 
et  se  rendre  sans  détour  «  dans  la  rue  au-derrière 
de  la  rue  Dauphine,  proche  l'égout  d'icelle  sortant 
au  travers  du  mur  de  la  ville,  le  long  de  la 
maison  du  sieur  de  la  Gazai  ».  Le  deuxième  hôtel 
fut  vendu,  en  1633,  ii  Martineau  par  les  héritiers 
de  Lhuillier,  parmi  lesquels  se  trouvait  Moreau, 
prcvôt-des-marchands,  époux  d'une  demoiselle 
Lhuillier,  et  les  droits  concédés  passèrent  à  l'ac- 
quéreur, qui  paya,  à  son  tour,  les  2  sols  6  deniers  par 
an  dont  le  bien  demeurait  chargé.  On  ne  transforma 
que  vers  1770  en  simple  maison  de  rapport  l'hôtel 
(jui  ne  s'est  pas  encore  séparé  de  la  tour  du 
XH*  siècle. 

A  Saluste  Dorelli,  qui  avait  acheté  de  Simon 
Goursin  deux  lots  de  terrain  venant  du  duc  de 
Nevers,  on  avait  voulu  vendre  plus  chèrement  le 
simple  droit  d'avancer  son  logis  sur  la  muraille 
urbaine  ;  mais  Dufour,  son  neveu  et  légataire, 
put  faire  dégrever  sa  maison,  en  1650,  de  60  sols 
tournois  dus  au  domaine  de  la  Ville.  Gette  immu- 
nité trouvait  sa  double  raison  d'être  dans  une 
obligation,  passée  devant  notaire  en  1639,  où 
Dorelli  et  Dufour  s'engageaient  h  payer  3  livres  de 
rente  à  Edme  Ravière,  lequel  s'était  chargé 
d'édifier  la  porte  Dauphine,  en  devenant  par 
traité  propriétaire  de  divers  pans  de  la  muraille 
et  de  quelques  places  dans  le  l'ossé.  Mais  une 
inscription,  visible  au  n"  44  de  la  rue  Dauphine, 


RUE    DAUPHINE.  449 

nous  rappelle  que  cette  porte  qui  gênait  la  circula- 
tion, fut  rasée  dès  l'année  1672  : 

Dn  règne  de  Louis-Ie-Grand,  em  Paiinée 
IIDCLiIlVII,  la  Porte  Daii|tliiue,  qui  estoit  eu 
eet  endroit,  a  esté  déni*lie  par  Tordre  de 
Mlll.  les  Prêvo!!»t  des  marchanda  et  Eisciievins, 
et  la  présente  in»»eription  apposée  en  exéeution 
de  Farresiit  du  conseil  du  xxiHi  septembre  audit 
an,  pour  marquer  le  lieu  où  esfoit  cette  porte 
et   servir  ce  que    de  raison. 

Que  si  Ravière  eut  le  désagrément  d'assister 
au  spectacle  de  la  destruction  de  son  ouvrage, 
il  gardait,  pour  s'en  consoler,  plus  d'une 
bonne  propriété.  Toutefois  il  ne  disposait  pas  de 
l'hôtel,  répondant  de  nos  jours  au  n°  41,  dont 
la  splendeur  passée  reste  attestée  par  une  belle 
rampe  d'escalier  et  la  ferrure  d'un  balcon  sur 
la  cour  :  ce  n'est  pas  que  les  indices  y  man- 
quent d'une  construction  antérieure  à  l'époque  où 
vivait  Boucher,  auteur  de  jolis  dessus-de-porles 
qui  en  ont  été  retirés.  L'une  des  maisons  que 
retenait  Ravièr'e  se  rapprochait  pour  sûr  de  la  rue 
Contrescarpe  (i)  et  séparait  une  propriété  au 
sieur   Vervin  d'une    autre    à  la    dame    Mesnard. 

Sur  la  même  ligne,  le  duc  de  Nevers  avait 
vendu  directement,  dès  l607,  ù  Claude  Garlin, 
une  place  sur  laquelle  la  Ville  l'avait  empêché  de 
bâtir  durant  une  vingtaine  d'années,  dans  l'inten- 
tion d'y  ouvrir  un  passage  entre  la  rue  Dauphine 
et  la  porte  de  Buci.  Le  parlement  et  le  bureau 
de  la  Ville  étaient  en  désaccord  sur  ce  projet; 
mais  le  différend  finit  par  s'accommoder,  gi-àce  h 
un  nouvel  alignement  donné  aux  héritiers  de  Garlin 
par  le  maître-des-œuvres  de  l'édilité  parisienne, 


(1)  La  rue  Contrescarpe-Dauphine  est  devenue  la  rue 
Mazet. 


450  RUE  DAUPHINE. 

et  grâce  aussi  h  la  cession  qui  leur  était  faite  de 
32  toises  en  longueur,  sur  8  de  largeur,  ii  prendre 
sur  l'ancienne  enceinte  citadine,  ainsi  que  sur 
son  marchepied,  tout  auprès  de  la  contrescarpe, 
moyennant  deux  livres  de  revenu. 

Les  42,  44,  46  sont  d'une  architecture  trop 
sans-façon,  percés  de  jours  trop  inégaux,  emman- 
chés sur  des  escaliers  trop  à  pic,  trop  essoufflés 
enfin  par  les  deux  siècles  qui  ont  couru  devant  leurs 
portes,  pour  ne  pas  rehausser  encore  l'apparence 
valide,  vigoureuse  d'une  maison  voisine,  qui  se 
tient  mieux  en  selle.  Elle  est  pourtant  à  cheval 
sur  la  rue  Mazarine  depuis  le  commencement  du 
règne  de  Louis  XV,  et  l'étrier  lui  a  été  tenu  par 
l'architecte  Desmaisons,  lequel  affectionnait  les 
encoignures. 

Près  du  pont  Neuf  demeurait,  au  contraire,  le 
dentiste  Lejeune,  en  1683,  et  sa  devise  était  : 
Au-plus-Expert.  Le  comte  de  Milly  avait,  cent 
ans  plus  tard,  un  cabinet  d'histoire  naturelle  en 
réputation  dans  l'une  des  plus  belles  maisons  de 
la  rue  Dauphine. 


Rue  Oreiiier-siir-rEau.  (i) 

En  l'année  1241,  quelques  maisons  groupées  entre 
l'église  Sainl-Gervais  el  la  rivière  ont  été  données 
aux  templiers  par  Garnier  ou  Guernier,  non  propre 
dont  le  populaire  a  fait  ensuite  par  corruption 
Grenier,  et,  à  cela  près,  la  petite  rue  dans  laquelle 
se  trouvaient  les  nraisons  du  donateur  est  restée 
sa  filleule.  Néanmoins  on  disait  encore  en  1257  : 
rue  André-sur-l'Eau.  Elle  figurait  dans  les  comptes 
relevés  de  la  taille,  pour  l'an  1391,  sous  le  nom 
de  Garnier-sur-l'Eau,  et  deux  contribuables  y  étaient 
signalés,  Jacob  de  Marcilli,  Raulin  Petit:  le  premier 
pour  une  maison  «  qui  l'ust  aux  Nonneardierre, 
depuis  aux  moines  de  PruUy,  depuis  à  Jacques 
Lenoble,  tenant  à  la  maison  du  coin  de  ladicte 
rue  de  vers  Seine;»  le  second,  «  d'austre  part  de 
ladicte  rue,  maison  à  apentis.  » 

Dans  la  même  rue,  au-dessus  d'une  porte,  on 
a  vu  pendre  un  Cygne-percé-d'un-Dard,  sous  le 
règne  de  François  I"''.  N'était-ce  pas  la  flatterie, 
plutôt  que  le  hasard,  qui  reproduisait  cet  emblème  ? 
La  reine  Claude  l'avait  adopté  et  il  se  profile  en 
ronde-bosse,  avec  le  chiffre  couronné  de  cette  prin- 
cesse, avec  l'hermine  et  le  bouquet  de  lis  qui 
rappellent  aussi  la  candeur  de  son  âme,  sur  des 
médaillons  qu'on  remarque  depuis  lors  au  château 
de  Blois.  A  l'emblème  royal  s'attachait  cette  devise: 
Candida  candidis.  Plusieurs  savants  vont  encore 
nous  reprocher  de  ne  rien  vouloir  faire    comme 

(1)  Notice  écrite  en  18G4.  La  rue  Grenicr-sur-l'Eau 
donne  depuis  lors  un  démenti  au  proverbe  :  <■  Comme 
on  fait  son  lit  ou  se  couche.  »  Elle  allait  tomber  lour- 
dement dans  une  ruelle,  biou  plus  large  et  profonde 
que  l'espace  laissé  par  elle  entre  sa  vieille  couchette 
et  la  muraille,  où  des  bornes  tenaient  à  peine,  quand 
un  escalier  est  venu  à  son  scicours.  L'escalier  retient 
la  moitié  de  l'ancien  lit,  comme  si  c'était  le  baldatjuiu 
du  nouveau. 


452  RUE  GRENIER  SUR-L'EAU. 

eux,  qui  donnent  de  ces  deux  mots  une  traduction 
bien  différente  de  la  nôtre.  «  Blanche,  disent-ils, 
parmi  les  blanches,  »  et  nous  comprenons,  quant  à 
nous  :  Le  blxnc  sied  aux  candides. 

En  mars  1577,  Henri  III  établissait  par  édit  une 
communauté  nouvelle  des  Marchands-de-vin,  dont 
les  statuts  ont  été  confirmés  par  Henri  IV,  Louis 
XIII  et  Louis  XIV.  Sous  le  dernier  de  ces  rois, 
les  marchands  de  vin  eurent  le  siège  de  leur  cor- 
poration dans  la  rue  Grenier-sur-l'Eau,  au-dessus 
d'une  cour  de  passage,  formant  ruelle,  dont  parle 
Sauvai,  et  qui  menait  à  la  rue  aux  Bretons.  Leurs 
gardes  et  maîtres  jouissaient  des  mômes  privilèges 
que  ceux  des  six  corps  de  marchands,  et  ils  pou- 
vaient remplir,  par  conséquent,  les  charges  muni- 
cipales et  consulaires.  Les  armoiries  qu'ils  avaient 
obtenues  en  l'année  16ÎÎ9  comportaient  principale- 
ment un  navire  à  bannière  de  France,  qui  flottait 
entouré  de  six  petites  nets,  et  une  grappe  de  raisin 
en  chef,  sur  champ  d'azui".  Au  moment  de  la 
Révolution,  le  droit  de  réception  ne  s'élevait  plus 
qu'à  600  livres,  et  le  brevet  d'apprentissage  îw'l 2: 
le  bureau  se  trouvait  alors  rue  de  la  Poterie. 

Vers  le  même  temps  était  propriétaire  un  serrurier, 
qui  s'appelait  Prévost,  à  l'un  des  coins  de  la  rue 
Geoffroy-l'Asnier,  et  deux  maisons  qui  se  touchaient, 
du  même  côlé  de  la  rue  Grenier-sur-l'Eau,  mais 
au  milieu,  appartenaient  à  Tristant,  colonel  au 
régiment  de  Boulonnais. 

En  cette  ruelle  du  xin*"  siècle,  coupée  en  deux 
par  la  rue  du  Pont-Louis-Philippe,  et  qu'un  nouvel 
al'gnement  appelle  à  devenir  presque  aussi  large 
qiij  longue,  la  moitié  des  souvenirs  que  nous 
venons  d'évoquer  s'appliquent  à  des  maisons  encore 
debout.  Des  écoles  municipales  de  garçons  et  de 
filles  ne  sont  que  depuis  1830  au  n"  !2,  antérieure- 
ment occupé  par  les  sœurs  qui  tiennent  d'autres 
écoles  rue  Fauconnier. 


Rue    Ciiviei*.    (i) 


L'Abbaye  Saint-Victor.  —  Les  Nouveaux- Convertis . 
—  Leur  Cuisinier.  —  Les  deux  Ruelles.  —  UHôtel 
Magny.  —  Les  Marchands  de  Bois.  —  Le  Jardin- 
du-Roi.    —    V Etat-Major  du  Muséum. 

«  Rue  derrière  les  murs  de  Saint-Victor,  » 
telle  était,  en  l'an  1552,  la  dénomination  de  la 
rue  dite  ensuite  du  Ponceau,  puis  de  Seine,  puis 
Cuvier.  En  effet,  le  mur  des  victorins  longeait 
cette  voie  publique  à  droite,  comme  la  bordent 
de  nos  jours  à  gauche  les  maisons  du  Jardin-des- 
Plantes,  et  un  ponceau  était  jeté  sur  la  Bièvre, 
au  milieu  de  la  rue,  quand  cette  petite  rivière 
traversait  encore  l'enclos  de  l'abbaye. 

Un  temps  fut  où  toutes  les  maisons  de  la  rue, 
qui  ifen  avait  alors  que  du  côté  opposé  audit 
monastère  de  Saint-Victor,  appartenaient  au  sémi- 
naire des  Nouveaux-Convertis,  comme  le  dit  M. 
Deleuze,  dans  son  Histoire  et  Description  du 
Muséum  d'Histoire  Naturelle.  Pierre-François  de 
Riencourt  était  alors  supérieur  et  recteur  de  cet 
établissement,  fondé  dans  la  Cité  par  le  capucin 
Hyacinthe  de  Paris,  puis  transféré  là.  L'institution 
avait  pris  pour  modèle  celle  des  Nouvelles-Catho- 
liques ;  elle  n'avait  reçu  l'approbation  de  l'arche- 
vêque de  Paris,  du  pape  et  du  roi,  qu'à  la  condition 
de  s'en  tenir  au  séculier  et  de  ne  pouvoir  jamais 
.se  convertir  en  maison  de  profession  religieuse. 
Quant  aux  propriétés  que  cette  œuvre  avait 
réunies  dans  la  rue  dont  nous    vous  faisons  les 


(i;  Notice  écrite  en   1859. 

39 


451  RUE  CUVIER. 

honneurs,  elles  étaient,  antérieurement  à  leur  sorte 
d'entrée  en  religion  : 

Le  Chapeau-Royal,  à  M^e  de  Beaufort;  le  Rabot,  à 
Marie  Deffila,  veuve  de  Jacques  Violle  :  la  Douce-Vie, 
à  la  même  dame,  y  succédant  à  Antoine  VouUeraior, 
et  un  hôtel,  avec  chapelle  et  grand  jardin,  vendu  en 
1»>56  par  Thibault,  sieur  de  Ja  Boissière,  à  Cyrus  de 
Viiliers  de  la  Fuyo,  conseiller  du  roi,  évêque  de 
Périgueux,  directeur  de  la  Congrégation,  et  à  Antoine 
Barillon,  cheva'ier,  seigneur  de  Magny  et  de  Morangin, 
conseiller    du   roi. 

Deux  autres  maisons,  acquises  pour  faire  partie 
de  ce  collège  d'abjuration  protestante,  qui  n'eut 
de  raison  d'être  que  jusqu'à  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes,  s'élevaient  dans  la  ruelle  du  Tondeur, 
plus  rationnellement  qualitiée  du  Cochon.  Celle-ci 
rampait  le  long  de  l'hôtel  et  donnait  par  une 
porte  chartière  sur  le  Jardin-des-Plantes  du  roi, 
après  avoir  servi  d'avenue  à  un  dépôt  municipal 
d'immondices.  , 

Antoine  Valiot,  premier  médecin  du  roi,  avait 
fait  bâlir  dans  une  ruelle  parallèle  et  dans  celle- 
là,  qu'avait  habitée  après  lui  l'abbé  Valiot,  avec 
ses  frères.  Or  l'abbé  Fagon  occupait,  du  temps 
de  Riencourt,  dans  la  rue  du  Tondeur,  une  des 
maisons  Valiot,  qui  n'avait  pas  été  englobée  avec 
les  autres.  Une  autre  enfin  et  son  jardin  avaient 
par-là  pour  propriétaire  Jean  Dubois,  maître-cuisi- 
nier de  l'établissement  religieux  et  du  Jardin-des- 
Plantes. 

La  seconde  ruelle  devait  la  dénomination  de 
Jean-de-Cambray  à  l'acquéreur  qu'y  avaient  eu 
l'abbé  et  les  religieux  de  Saint-Victor  par  contrat 
du  28  juillet  1546.  Jean  de  Cambray  avait  laissé  à  son 
fils  le  grand  logis  et  le  jardin,  tenant  d'un  côté 


RUE  CUVIER.  455 

au  rû  de  la  Bièvre,  et  qu'eurent  à  leur  disposition  : 
Claude  Hubert,  puis  sa  veuve,  puis  Etienne  de 
Meuve,  puis  sa  veuve,  puis  leur  111  s,  puis  Margue- 
rite-Hélène de  Meuve,  veuve  du  marquis  des 
Réaulx,  puis  le  marquis  Foucault  de  Magny.  Ce 
dernier,  bien  qu'il  tût  antiquaire  et  littérateur, 
se  distingua  dans  l'administration,  comme  intendant 
de  diverses  généralités,  et  ne  se  vit  qu'ensuite  appelé 
à  Paris  ;  le  roi  l'y  fit  conseiller  d'Etat,  et  Madame, 
chef  de  son  conseil.  Ayant  obtenu  l'érection  en 
marquisat  de  la  terre  de  Magny,  acquise  en 
Normandie,  ce  premier  marquis  de  sa  famille 
mourut  rue  de  Seine-Saint- Victor,  en  1721.  Son 
fils  servit,  non  sans  éclat,  dans  les  armées.  Leur 
propriété,  contiguë  au  Jardin-du-Roi,  ne  se  bornait 
pas  à  celle  de  Jean  de  Cambray,  qu'ils  avaient 
accolée  à  un  hôtel  construit  rue  de  Seine,  sur 
le  plan  de  Bullet,  une  vingtaine  d'années  après 
la  fondation  des  Nouveaux-Convertis.  Cet  autre 
hôtel  avait  appartenu  à  M.  de  Vaiivray  en  1708, 
à  M.  Voulions  en  1707,  à  M.  Chomel  en  1701, 
îi  l'abbé  Le  Pileur  vers  1690  et  à  Jean  Debray 
auparavant.  M.  de  Vauvray  lui-même  y  avait  ajouté 
un  cottage,  dont  les  héritiers  de  M'"''  La  lieyne 
avaient  re(;u  le  prix.  Les  Magny,  non  contents- 
de  cette  nouvelle  agglomération,  augmentèrent  les 
dépendances  deieur  propriété,  en  acquérant  encore  : 
et  un  autre  jardin,  qui  provenait  de  Jean  Debray,  et 
les  Trois-Visages,  maison  et  jardin  dont  ne  se 
défit  pas  avant  1740  Dubuisson,  maitre-maçon, 
successeur  de  Turpin,*qui  l'était  de  Philippe  Leduc, 
et  jusqu'à  la  propriété  du  traiteur  Jean  Dubois, 
dont  les  Iburneaux  se  rallumèrent  sans  encombre  à  peu 
de  distance.  La  marquise  de  Fresnoy  était  locataire 
de  l'avocat  Langlois,  dès  17o4,  dans  l'une  des 
anciennes  propriétés  de  la  Propagation-de-la-Foi. 
Deux  années  plus  tôt,  Pierre  Angot,  mnître-char- 
pcnlicr,  avait  fait  bâtir  une  maison  de  l'autre  côté 


456  KUE  CUVIER. 

de  la  rue,  au  coin  de  celle  Saint-Victor  (i),  sur 
une  place  que  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève  avait 
baillée  à  cens.  Au  nombre  des  voisins  de  Magny, 
d'Angot  et  de  M""'  de  Fresnoy,  étaient  des  marchands 
de  bois  à  ces  enseignes  :  Saint-Pierre,  Saint-Louis, 
le  Chêne-Vert,  Saint-François,  la  Providence. 

Buffon  obtint  en  1787  que  tout  l'hôtel  Magny 
fût  acheté  par  le  roi  et  incorporé  à  son  Jardin- 
des-Plantes.  Le  principal  pavillon  de  ce  groupe 
vous  est  encore  facile  ii  distinguer,  lorsque  vous 
entrez  au  Jardin  par  le  n°  57  de  la  rue  Cuvier  : 
ledit  bâtiment  ceint  pour  diadème  un  fronton, 
comme  s'il  voulait  toujours  tenir  son  rang.  Le 
prince  des  naturalistes  installa  Daubenton  et  Lacé- 
pède  à  l'ancien  hôtel  de  3Iagny.  Lacépède  n'était 
encore  que  sous-démonstrateur  ;  Buffon  lui  légua, 
en  mourant,  son  héritage  scientifique.  Daubenton 
était  professeur  d'histoire  naturelle  au  Collège 
de  France  et  d'économie  rurale  à  Alfoi-t,  garde 
et  démonstrateur  du  cabinet  d'histoire  naturelle, 
avant  la  mort  de  son  illustre  ami  et  collaborateur. 

Le  ci-devant  hôtel  no  s'en  trouvait  pas  moins 
une  maison  d'éducation  au  commencement  de  la 
Bévolution,  et  parmi  les  élèves  de  cet  établisse- 
'ment  en  bonne  réputation,  que  patronnaient  sans 
doute  les  savants  ses  voisins,  figura  le  jeune 
Défriche,  plus  tard  célèbre  sous  le  nom  de  baron 
Desgenettes.  La  Convention  transforma  le  ci-devant 
Jardin-du  Roi  en  école  publique,  dite  Muséum 
d'histoire  naturelle  ;  Daubenton  y  fut  pourvu  de 
la  chaire  de  minéralogie,  et  c'est  alors  qu'il  se 
fixa  dans  le  pavillon  au  fronton.  Les  honneurs 
qui  n'avaient  pas  manqué  à  la  vie  politique  de 
Lacépède  s'étendirent  moins  vite  au  "sieillard  que 
l'élude  de  la  nature  lui  avait  donné  pour  émule  et 


(1)  De  ce  côté   la  rue  Saint-Viclor  s'appelle  aujourd'hui 
Linnée. 


RUE  CUVIfiR.  457 

qui  cessa  de  vivre  peu  de  temps  après  sa  nomi- 
nation de  sénateur. 

Fourcroy,  qui  garda  vingt-cinq  ans  la  chaire 
de  chimie  à  laquelle  BulVon  l'avait  no'Timé  en 
1784,  séjourna  également  h  l'hôtel  Magny  pendant 
un  certain  temps,  comme  deux  autres  notabilités  : 
André  Thouin,  fils  du  jardinier  en  chef,  devenu 
professeur  de  culture,  grand  voyageur,  auteur  de 
livres  estimés,  et  Bosc,  inspecteur  des  pépinières 
de  France.  Ce  dernier  occupait  le  bâtiment  qu'on 
trouve  à  droite  en  entrant  dans  la  cour,  et  qui 
s'était  substitué  aux  moulins  du  nommé  Léger, 
riverains  de  la  Bièvre.  L'autre  construction,  celle 
de  gauche,  abrita  l'abbé  Hai^iy,  physicien  distingué, 
membre  de  l'ancienne  académie  des  Sciences. 
Quant  au  fameux  Brongniart,  ex-apothicaire  de 
Louis  XVI,  pharmacien  militaire  en  même  temps 
que  professeur,  il  ne  profita  pas  personnellement 
de  son  appartement  sous  le  même  toit  que  l'abbé  ; 
mais  il  y  installa  son   frère. 

La  porte  du  43,  qui  rivalise  de  haute  mine 
avec  celle  du  57,  ne  vous  aide-t-elle  pas  h  recon- 
naître l'ancien  purgatoire  de  l'apostasie  ?  Ce  n'est 
pourtant  qu'une  des  maisons  dont  se  composa  la 
belle  hôtellerie  de  la  conversion.  Ah  !  si  Dubois 
nourrissait  aussi  bien  les  cathécumèiies  que  le 
recteur  les  logeait,  cela  valait  évidemment  une 
messe.  La  pilule  des  prêches  protestants  se  dorait 
ailleurs  pour  d'autres  néophytes,  mais  moins  bien. 
Les  tiacres  ont  eu  leur  régie  dans  l'hôtel  qui  avait 
dû  être  la  résidence  du  recteur  de  la  communauté. 
Puis  le  grand  bureau  des  fiacres  s'est  converti 
lui-même  en  un  magasin  h  farine.  La  cour  de  la 
ci  devant  régie,  où  figure  encore  de  nos  jours 
un  très-populaire  mammifère  de  l'ordre  des  cétacés, 
lui  a  dû  le  nom  de  cour  de  la  Baleine.  L'exten- 
sion du  Jardin-des-Plantes  a  érigé  cet  immeuble, 
avec  tous  ceux    qui  lui  forment  une  ceinture,  en 


488  RUE  CUVIER. 

colonie  d'une  classe  de  savants  dont  les  travaux 
font  de  cette  ville  h  part  la  métropole  des 
sciences  naturelles,  et  dont  les  noms  acquièrent 
lentement  leur  gloire.  Plus  un  naturaliste  se 
sent  vieillir,  plus  il  utilise  les  moments,  dans  la 
crainte  des  loisirs  forcés,  et  sa  seule  retraite  est 
la  mort.  On  a  eu  bien  raison  de  donner  le  nom 
de  l'un  d'eux,  choisi  dans  les  illustres,  à  la  rue 
qu'ils  habitent  le  plus  volontiers. 

Où  demeure  M.  Cordier,  c'est-à-dire  n"  33, 
demeurait  Faujas  de  Saint-Fond,  éminent  géologue, 
dont  le  fils  fut  maréchal-de-camp.  Le  13,  dont 
dépendait  le  17,  a  gardé  une  porte  cintrée, 
contemporaine  sans  doute  de  Calvin.  Georges 
Toscan,  bibliothécaire  du  Muséum,  ex-rédacteur 
de  la  Décade  philosophique,  était  propriétaire  du 
i3,  où  vécut  ensuite  Laugier  et  où  se  retrouve 
M.  Duméril,  qui  des  pieds  à  la  tête  est  encore  vert, 
bien  qu'il  ait  tàté  le  pouls,  comme  médecin,  à 
cinq  générations  de  la  famille  de  l'auteur  du 
présent  recueil,  et  que  Toscan  l'ait  connu  en  1797 
chef  des  travaux  anatomiques  à  rEcole-de-3Iédecine. 
Les  murs  déjà  séniles  du  \\  attenaient  en  ce 
temps-là  à  des  chantiers,  qu'a  englobés  le 
Jardin  depuis;  un  marchand  de  vin  y  tenait  table 
ouverte. 

Enfin  M.  Antoine-Laurent  de  Jussieu,  ce  membre 
d'une  famille  féconde  en  naturalistes  connus,  fut 
le  premier  savant  qui  s'établit  au  n''  61,  lors  de 
la  constitution  du  Muséum,  en  1793.  C'était  l'une 
des  maisons  de  la  rue  de  Seine  annexées  au  Jardin- 
des-Plantes  à  cette  époque,  qui  vit  aussi  y  amener 
la  ménagerie  de  Versailles.  Entre  ce  n'^"  61,  qui 
avait  été  le  plus  peuplé  des  bâtiments  de  l'établisse- 
ment religieux,  et  le  n"  o7,  se  reconnaît  l'ancienne 
chapelle  de  la  communauté;  on  allait  dernièrement 
en  taire  un  logis  de  portier,  quand  la  mort  du  prince 
Charles  Bonaparte,  qui  devait,  pour  suivre  ses  goûts 


RUK  CUVIER.  459 

bien  marqués  de  naturali'^le,  se  lixer  aux  Nouveaux- 
Couverlis,  est  venue  imposer  un  deuil  à  la 
science  cl  laisser  la  cliapcUe  liislori'iuc  au  statu  quo 
de  niat^asin. 


La   Rue    de    Jotiy 
et  les  «leiix  rues  Percée,  (i) 

De  1404  à  1864. 

«  Le  duc  de  Berry,  aux  termes  d'un  contrat  d'échange 
en  date  du  22  juin  1401,  cesde  au  duc  d'Orléans  son 
hostel  des  Tournelles  assis  prez  du  Chastel  ou  Bastide 
de  Saincl-Antoine,  lequel  hoslel  fust  paravant  à  Pierre 
d'Orgemont,  jadis  chancellier  de  France,  et  depuis 
à  Pierre  d'Orgemont,  son  fils,  évesque  de  Paris,  joignant 
d'une  part  aux  hoirs  feu  Braulard,  maison  en  laquelle 
demeure  présenclement  Jean  Thibaut,  et  à  l'hostel  et 
jardin  qui  fusrent  à  Nicole  de  Rincé  et  depuis  à  Pierre 
de  Giac,  d'austre  aux  maisons  de  Guillaume  Petit-Sainct, 
aboutissant  par-devant  sur  la  rue  Saincl-Antoine  et  par- 
derrière  à  la  cousture  Saincte-Catherine.  Et  en  contre- 
échange  ledict  duc  d'Orléans  cesde  audict  duc  de 
Berry  son  hostel  qui  fust  à  Hugues  Aubriot,  prévost 
de  Paris,  et  depuis  à  Pierre  de  Giac,  tenant  d'une 
part  à  la  ruelle  nommée  la  rue  Percée,  par  laquelle 
on  va  de  la  rue  de  Jouy  à  la  grant'rue  Sainct-Antoine, 
d'austre  part  aux  murs  de  l'ancienne  closture  de  la 
ville,  aboutissant  par-devant  à  la  rue  de  Jouy  et  par- 
derrière  aux  hostels  qui  fusrent  à  Pierre  de  Montigny 
et  à  Pierre  d'Orgemont,  et  depuis  à  Guillaume  d'Or- 
gemont, son  fils,  et  à  un  hostel  nommé  la  Pomme-de- 
Pin,  appartenant  à  Jacques  Guérard,  et  à  l'hostel  de 
Jean  Chanteprime    qui  joinct  auidicts   murs.  » 

Quoique  d'une  naissance  obscure,  Hugues  Aubriot 
était  devenu  surintendant  des  finances,  puis   capi- 

(1)  Notice    écrit-^î  en   18G4. 


LA    RUE  DE  JOUY,  ETC.  411 

taine  de  la  ville  de  Paris,  autrement  dit  prévôt 
de  Taris.  Il  avait  posé,  le  12  avril  1369,. la  première 
pierre  de  la  Bastille,  forteresse  destinée  ;'i  couvrir 
de  sa  protection  le  royal  liôtel  de  Saint-Paul, 
contre  les  incursions  des  Bourguignons  et  des 
Anglais  ;  mais  la  Bastille  s'était  montrée  bientôt 
d'une  ingratitude  sans  pareille,  en  servant  de  prison 
à  Aubriot,  que  l'université  de  Paris  accusait  de 
presque  tous  les  crimes.  En  1383,  le  roi  avait 
donné  l'ancien  hôtel  de  ce  prévôt,  ainsi  que  l'ancien 
mur  de  la  ville  compris  entre  la  rue  Saint-Antoine 
et  le  jardin  dudit  hôtel,  îi  Pierre  de  Giac,.  chan- 
celier de  France.  La  même  propriété  était  connue 
sous  le  nom  de  maison  des  Marmouzets  quand 
le  duc  d'Orléans  en  disposait.  Le  duc  de  Berri, 
frère  de  Charles  V,  la  donna,  dès  qu'il  en  fut  le 
maître,  au  surintendant  Jean  de  Montaigu.  Cinq 
ans  après,  pour  ce  dernier,  le  sablier  de  la  faveur 
était  vide  et  ne  devait  plus  se  remplir  :  le  prévôt 
Pierre  des  Essarts,  créature  du  duc  de  Bourgogne, 
arrêtait  près  la  porte  Saint-Victor,  en  plein  jour, 
Jean  de  Montaigu,  qui  eut  la  tête  tranchée.  Guil- 
laume, duc  de  Bavière,  tint  le  même  hôtel  de 
Charles  VI,  avant  que  ce  roi  en  gratifiât  Jean 
de  Bourgogne,  duc  de  Brabant,  contre  l'occupation 
duquel  se  pourvut  Louis  de  Bavière,  comme 
héritier  de  Guillaume.  Morcellement  de  la  propriété 
au  commencement  du  xvi'^  siècle.  Acquisition  d'une 
dernière  part  d'icelle,  en  l'année  1629,  moyen- 
nant 105,000  livres,  par  les  jésuites,  pour  l'agran- 
dissement de  leur  maison  professe,  ouvrant  prin- 
cipalement rue  Saint-Antoine.  Plus  d'un  mur  se 
reconnaîtrait  de  l'ancien  hôtel  d'Aubriot,  tant 
dans  la  ruelle  vénérable  qui  n'était,  de  son  temps, 
ni  plus  ni  moins  Percée,  que  dans  le  passage 
Charlemagne  et  dans  la  rue  du  môme  nom,  qui 
lit  partie  de  la  rue  de  Jouy.  On  sait  que  le  lycée 
Charlemagne  occupe,  depuis  sa  création,    le  ci- 


4G2  LA  RUE  DE  JOUY 

devant  séminaire  dans  lequel  Louis  XV,  par  lettres- 
patentes  du  2;>  mai  1767,  avait  donné  aux  jésuites 
exilés  pour  successeurs  les  chanoines  réguliers 
de  Sainte-Catlierine-du-Val-des-Écoliers. 

Cette  rue  Percée  cache  si  peu  qu'elle  existait 
déjà  au  xui''  siècle!  Qui  oserait  dire  qu'elle  n'a 
rien  conservé,  non-seulement  du  logis  prévôtal, 
mais  encore  des  hôtels  de  Jouy  et  de  Chaalis, 
dont  notre  rue  de  Jouy  n'a  certainement  plus  pierre 
sur  pierre?  L'abbaye  de  Chaalis,  de  l'ordre  de 
Cîteaux,  s'était  formée  sous  les  auspices  de  Louls- 
le-Gros,  dans  un  domaine  offert,  près  de  Senlis, 
par  Guillaume  de  Senlis,  seigneur  de  Chantilly  et 
grand-bouleiller  de  France  :  saint  Guillaume  de 
Corbeil,  archevêque  de  Bourges,  avait  été  lui-même 
abbé  de  Chaalis.  Les  religieux  et  l'abbé  de  cette 
maison  eurent  pendant  quelque  temps  une  succursale 
urbaine  dans  la  rue  à  VAhhé  de  Joity.  Du  même 
ordre,  l'abbaye  de  Jouy  devait  sa  fondation  en 
1124  près  de  Provins,  dans  la  forêt  de  Jouy,  à 
deux  gentilshommes  du  canton,  Pierre  de  Castel 
et  Milon  de  Naudé.  La  propriété  entretenue  par 
les  religieux  de  Jouy,  dans  la  rue  qui  portait  ce 
nom,  ne  fut  aliénée  qu'en  16b8  par  Pierre  de 
Bellièvre,  abbé  commendataire.  La  rue  de  Jouy, 
à  cette  date,  se  prolongeait  encore  jusqu'à  l'em- 
placement de  la  poterne  Saint-Paul,  qui  avait  fait 
corps  avec  l'enceinte  de  Philippe-Auguste.  Cette 
poterne  n'avait  donné  son  nom  que  passagèrement  et 
partiellement  à  ladite  rue,  de  laquelle  est  sortie 
ensuite,  mais  pour  n'y  plus  rentrer,  la  rue  des 
Prêtres-Saint-Paul,  convertie  en  rue  Charlemagne 
depuis  l'ouverture  du  lycée. 

En  revanche,  demandez  l'ancien  hôtel  d'Aumont, 
et  le  n"  7  de  la  rue  de  Jouy  s'empressera  de  ré- 
pondre: Présent!  La  pharmacie  centrale  de  France 
y  remplace  la  pension  Petit,  qui  elle-même  succédait 
à  la  mairie  du  lv=  arrondissement.  L'administration 


ET  LES  DEUX  RUES  PERCEE.  463 

de  celle  pharmacie  est  purement  civiFt;  et  libre; 
elle  se  propose  rapprovisionncment  de  toutes  les 
pharmacies,  bien  qu'elle  ait  pour  clients  des  corps 
constitués,  tels  que  la  garde  municipale.  Un  l'ameux 
linancier,  l'abbé  Terray,  a  occupé  le  même  hôtel, 
auquel  se  rattachait  le  n"  5  ;  ce  ministre  de  Louis  XV 
était  en  même  temps  propriétaire  à  l'angle  do  la 
rue  de  Fourcy  et  il  y  avait  en  ce  temps-Ki  dans 
hi  rue  un  hôtel  de  la  Croix-d'Or,  tenu  par  Lanoise. 

Un  siècle  s'était  déjà  passé  depuis  que  François 
Mansart,  le  vieux  et  le  grand  dos  deux  Mansart, 
avait  dessiné  l'hôtel  d'Aumont,  et  depuis  que 
Lebrun  l'avait  illustré  d'un  plafond,  YApothéose 
de  RomulKs,  plus  stable  que  la  Vénus  ù  demi 
couchée  d'Auguier,  qui  était  l'honneur  du  jardin. 
Le  premier  occupant  se  trouvait  un  duc  d'Aumont, 
que  sa  majorité  précoce,  comme  celle  des  rois, 
avait  fait  colonel  de  cavalerie  à  l'Age  de  iO  ans, 
capitaine  des  gardes  à  16,  Vie  bien  remplie  pourtant 
que  la  vie  de  ce  duc,  qui  a  servi  avec  honneur  et  gou- 
verné le  Boulonnais  !  Sa  mort  date  de  1704, 
et  il  s'était  entouré  à  Paris  d'un  si  grand  nombre 
de  curiosités  et  de  meubles  précieux,  qu'il  a  fallu 
plusieurs  mois  pour  les  vendre  publiquement  dans 
ses  appartements.  Un  autre  curieux,  qui  demeurait 
aussi  rue  de  Jouy,  M.  du  Plessis,  était  cité  dans 
l'almanach   de  169J   ou   1692. 

X  l'hôtel  adjacent  on  prend  moins  garde  ;  toutefois 
il  paraît  quelque  peu  plus  ancien  que  l'autre. 
N'a-t-il  pas  partagé  le  nom  de  Henri  de  Fourcy, 
qui  était  prévôt-des-marchands  de  1684  à  1692, 
avec  un  cul-de-sac  qui  survivait  à  la  rue  de 
l'Aviron,  antérieurement  ruelle  Hélie-Annot?  Ce 
cul-de-sac,  bien  que  déjà  donné  à  M.  de  Fourcy, 
subsista  encore  quelque  temps,  comme  cour  ouverte 
à  tout  le  monde;  sa  place  était  entre  les  n*"'  9 
et  il,  où  il  n'en  reste  plus  de  traces.  En  revanche, 
la  rue  de  Fourcj -Saint-Antoine,  qui  eut  le  même 


464  LA   RUE  DE  JOUY 

prévôt-dcs-marcliands  pour    parrain,    est    encore 
pleine  de  vie. 

La  cour  Guépine,  qualifiée  impasse  sur  une  plaque 
au  coin  de  la  rue  de  Jouy,  nous  remet  en  mémoire 
(|u'un  bourg  de  la  Guespine  avoisinait  la  porte 
Baudet,  sous  le  règne  de  Louis  IX. 

Le  n"  12  de  cette  rue  dépendait  de  l'hôtel  de 
Beauvais,  situé  dans  la  rue    Saint-Antoine  (i). 

A  l'époque  où  ledit  hôtel  appartenait  au  comte 
d'Eck,  31,  de  Bligny  était  propriétaire,  au  milieu 
de  la  rue  Percée,  d'une  maison  plus  que  séculaire. 
Elle  s'était  détachée  pour  sur  d'un  des  premiers 
hôtels  dont  fait  mention  la  présente  notice. 

Une  toute  autre  rue  Percée,  dite  Percée-Saint- 
André,  n'est  plus  même  une  impasse  depuis  qu'une 
porte  en  bois  la  bouche  sur  la  rue  Hautefeuille, 
au  pied  d'une  jolie  tourelle:  l'autre  issue  en  est 
condamnée  par  un  immeuble  du  boulevard  Sébas- 
topol.  Cette  ruelle,  qu'on  connaissait  déjà  comme 
viens  Perforatus,  donnait  encore  rue  de  la  Harpe 
avant  le  percement  dudit  boulevard. 

3Iignot,  le  plus  célèbre  des  pâtissiers-traiteurs, 
avait  sa  boutique  rue  de  la  Harpe,  vis-à-vis  de 
la  rue  Percée,  dans  la  seconde  moitié  du  grand 
siècle.  Ses  charges  de  maitre-queux  de  la  maison 
du  roi  et  d'écuyer  de  la  bouche  de  la  reine 
l'avaient-elles  préservé  de  ce  qui  ferait  actuelle- 
ment le  sujet  de  poursuites  en  diffamation  ?  Depuis 
que  les  menaces  de  la  loi  imposent  aux  journaux 
et  aux  livres  plus  de  respect  pour  l'industrie  du 
restaurateur  que  pour  le  sacerdoce  et  même  la 
législature,  combien  d'abus  croissent  et  se  perpé- 
tuent, au  détriment  de  la  sérénité,  quand  ce  n'est 


(1)   De    ce   cotp   la   rue   Sainl-.lntoine    s'appelle   main- 
tenant Francois-Miron. 


ET  LES  DEUX  RUES  PERCEE.  465 

pas  (le  la  santé  publique.  Le  vin  ordinaire  est 
devenu,  dans  tant  de  restaurants,  si  extraordi- 
naire qu'on  le  noyé  prudemment  dans  l'eau  gazeuse, 
au  lieu  d'y  noyer  ses  ennuis.  C'en  est  l'ait  du 
gril  et  de  la  broche,  par-dessus  le  marché,  si 
la  critique  reste  plus  longtemps  bâillonnée  !  Mignot 
avait  beau  se  plaindre  à  M.  Deflita,  le  lieutenant- 
criminel,  et  à  M.  de  Riants,  le  procureur  du  roi, 
les  satires  de  Boileau  n'en  continuaient  pas  moins 
à  le  traiter  d'empoisonneur, .  vengeant  ainsi  de 
mauvaises  digestions,  qui  de  nos  jours  resteraient 
impunies.  De  guerre  lasse,  que  fit  Mignot?  11 
servit  d'excellents  biscuits,  qui  n'auraient  jamais 
vu  le  jour  sans  la  polémique  culinaire  qui  finit, 
par  faire  sa  fortune  :  ces  biscuits  étaient  enveloppés 
dans  une  réponse  de  l'abbé  Cotin  aux  violentes, 
mais  utiles  critiques  de  Boileau. 


Rue  Payeuiic.  (i) 


il/'"''  de  Séoigné.  —  il/'"*^  de  Maintenon.  —  L'Arsenal 
de  la  Ville. .  —  Le  Duc  du  Lude.  —  M.  de 
MaMppjm.  —  Les  Religieuses.  —  M.  Rouillé.  —  Le 
Comédien  Floridor.  —  Marion  Delorme.  —  La 
Famille  Le  Peletier.  —  Les  d'Argouges.  —  La  Z)'-*** 
de  Chàtillon.  — M.  Hocqitart. 

Cette  rue  du  Marais,  si  vous  lui  demandez  quel 
fut  l'apogée  de  sa  fortune,  vous  ramène  aussitôt 
en  plein  xvii^  siècle.  Attendez-vous  donc  à  de  grands 
noms.  M"""  de  Sévigné  par-ci  et  M""'  de  Maintenon 
par-là  :  le  moyen  de  mieux  commencer!  Les  derrières 
du  célèbre  hôtel  Carnavalet,  où  s'écrivaient  des 
lettres  plus  célèbres  encore,  se  trouvaient  d'un 
côté  de  la  rue  ;  de  l'autre,  une  des  habitations  de  la 
femme  illustre  qui,  dans  le  même  siècle,  devait 
le  plus  changer  de  place.  Que  M""'  de  Maintenon, 
avant  de  porter  ce  nom  de  cour,  en  ait  été  réduite 
aux  charités  de  la  paroisse  Saint-Eustache,  et 
qu'elle  soit  sortie  de  cet  état  précaire  par  des 
expédients  encore  moins  avouables,  Saint-Siiiion 
ne  se  fait  pas  faute  de  le  dire;  mais  convient-il 
d'en  croire  ce  grand  ennemi  de  M'""  de  Maintenon  ? 
Croire,  au  contraire,  Scarron  assez  cul- de-jatte 
pour  que  sa  veuve  ait  pu  écrire  un  jour  à  d'Au- 
bigné,  son  frère  :  «  Je  n'étais  pas  mariée  »,  serait- 
ce  donner  dans  moins  d'invraisemblance  ?  Un  poète 
burlesque  se  marier  en  buste:  chasteté  absolue 
singulièrement  placée  entre  l'hymen  et  la  boulïbn- 


(1)  Notice   écrite  en    18(34. 


RUE    PAYENNE.  467 

nerie!  A  l'hôtel  du  Lude,  rue  Payenne,  l'i.itéressante 
protégée  appelée  à  devenir  une  si  haute  protectrice, 
n'était  pas  loin  de  la  chambre  jaune  que  la  belle 
et  spirituelle  Ninon  de  Lenclos,  à  ce  qu'on  ose  dire, 
lui  aurait  prêtée  en  cachette,  lorsqu'elle  avait  le 
plus  sa  fortune  à  taire  ;  mais  on  sait  que  Ninon 
refusait  pour  elle-même  le  plus  petit  cadeau,  en 
ennemie  déclarée  de  l'amour  intéressé  ! 

La  famille  de  Deslandes-Payen,  ami  de  Scarron, 
pouvait  avoir  tenu  cette  rue  sur  les  fonts  baptis- 
maux de  l'édilité  parisienne.  Toutefois  on  l'avait 
dite  Payelle,  Parelle  et  de  Guyenne,  avant  l'année 
1636.  Au  siècle  précédent,  Henri  II  avait  demandé  h 
la  Ville  certaines  granges,  b.  l'usage  de  l'artillerie,  qui 
avaient  été  prêtées  h  François  I'-''  en  1533,  et  il 
avait  offert  un  dédommagement,  sans  le  déterminer 
lui-même;  les  édiles,  par  délibération  du  10  mars 
1550,  avaient  choisi  une  grange  et  un  terrain  de 
la  culture  Sainte-Catherine,  que  le  roi  avait  achetés, 
pour  établir  l'Arsenal  de  la  Ville,  et  celui-ci  avait 
été  construit,  par  conséquent,  entre  les  rues 
Payenne  et  Culture-Sainte-Catherine,  près  celle  du 
Parc-Royal.  François  Trudaine,  sieur  de  Monceaux 
près  Ville  l'Evêque-Saint-Georges,  résidait  h.  côté 
en  l'an  1582.  Que  si  nous  remontons  encore  plus 
haut  le  cours  des  âges,  nous  voyons  que  Jean 
Payen,  écuyer,  avait  une  maison  dans  le  voisinage 
des  Tournelles,  sous  le  règne  de  Charles  VI  :  elle 
était  vraisemblablement  rue  Culture  et  rue  Saint- 
Antoine. 

Henri  de  Daillon,  comte  du  Lude,  grand-maître 
de  l'artillerie  de  France,  fait  duc  en  1675,  puis 
premier  gentilhomme  de  la  chambre,  gouverneur 
des  châteaux  de  Saint-Germain  et  de  Versailles, 
n'avait  pas,  en  ces  qualités,  à  jouer  un  mince 
personnage,  et  néanmoins  il  amusait  souvent  de 
ses  bons  mots  la  galerie  :  il  fut  l'un  des  adorateurs 
de  M""»  de  Sévigné.   Le  plan  de  Bulet,  achevé  en 


468  RUE  PAYENNE. 

rannée  1707,  indiquait  encore  la  place  de  l'hôtel 
du  Ludc  aux  n"'  11  et  13  d'iVprésent,  bien  que 
depuis  dix-sept  ans  déjî»  il  n'y  eût  plus  de  duc 
du  même  nom.  Le  comté  du  Lude  avait  successi- 
vement passé  £u  maréchal  de  Roquelaure,  dont 
la  mère  était  une  Daillon,  et  au  duc  de  Rohan- 
Ghabot,  dont  la  mère  avait  hérité  du  maréchal  de 
Roquelaure;  l'hôtel  avait  suivi  plus  ou  moins 
longtemps  le  "même  sort  que  cette  terre.  Un  plan 
de  1728  marquait  l'hôtel  Maupeou  au  même  endroit. 

M"'"  de  Sévigné  et  M'"«  de  Grignan,  h  l'hôtel 
Garnavalet,  avaient  immédiatement  pour  voisines, 
dans  la  rue  Payenne  aussi  bien  que  dans  la  rue 
Gulture-Sainte-Catherine,  les  annonciades  célestes, 
ou  fdles  bleues,  couvent  fondé  par  la  marquise 
de  Verneuil  en  \G±2,  et  dont  l'église  avait  un 
maître-autel  magniriquemenl  décoré  de  V Annoncia- 
tion   du  Poussin. 

Gette  inscription  topographique  de  Gomboust  : 
Religieuses  de  la  Nativité  de  Jésus,  et  cette  autre 
de  Bulet:  M.  Rouillé^  sont  remplacées  le  long  de 
notre  rue  par  les  premiers  chilIVes  impairs.  Ré- 
formées sous  le  titre  de  iîlles  de  la  Nativité-de- 
Jésus,  les  petites  cordelières  de  l'ordre  de  Sainte- 
Claire  venaient  du  faubourg  Saint-Marcel;  elles 
quittèrent  pour  la  rue  de  Grenelle-Saitit-Germain, 
en  1687,  celle  où  leur  succéda  M.  Rouillé.  Ce 
procureur-général  en  la  chambre  des  comptes, 
nonmié  ensuite  l'un  des  directeurs  des  finances, 
nous  est  représenté  par  Saint-Simon,  non  comme 
un  bourru  bienfaisant,  mais  comme  un  bourru 
débauché.  Quand  le  duc  deXoailles  fut  obligé  de 
s'effacer.  Rouillé  se  retira  volontairement  des 
affaires,  avec  une  pension  de  l,iJOO  livres  :  était- 
ce  là  un  acte  de  brusquerie  qui  rapportât  de  quoi 
nourrir  des  vices?  Il  en  avait,  par  malheur, 
défrayé  aux  dépens  de  l'Etat  s'il  était  ce  môme 
financier  Rouillé  qu'on  avait  condamné   en  1706 


RUE    PAY1-:NN1:.  4U9 

il  la  restitution  de  117,000  livres.  Sur  le  théâtre 
machiné  de  Tancienne  cour,  comme  les  chan- 
gements à  vue  s'opéraient  bien  !  Tout  n'y  procédant 
que  par  cabale,  quel  acteur  n'avait  pas  ses  jours 
pour  êtresifïlé? 

Le  Roman  comique  de  Scarron  nous  montre  assez 
que  les  tréteaux  véritables  mettent  encore  moins 
à  l'abri  des  disgrâces  le  comédien  de  prolession. 
Fioridor,  qui  en  avait  mené  la  vie  nomade,  s'ap- 
pelait réellement  Josias  de  Soûlas,  sieur  de 
Prinefosse;  il  avait  essayé  de  la  profession  des 
armes,  avant  que  de  servir  en  province  de  bilboquet 
à  la  fortune  dramatique,  et  par  bonheur  il  était 
parvenu  â  se  faire  goûter  du  public  parisien  dans 
les  premiers  rôles  de  la  comédie  et  de  la  tragédie. 
Ce  notable'  comédien  portail  le  titre  d'écuyer,  à 
la  ville;  il  y  demeurait  rue  Payenne,  non  loin  du 
théâtre  du  Marais,  où  avait  commencé  sa  répula- 
tion.  3Iais  c'est  à  l'hôtel  de  Bourgogne  que  Fioridor 
et  ses  confrères  de  la  troupe  royale  donnèrent 
en  spectacle  gratis  une  des  premières  représen- 
tations de  Stilicon,  ouvrage  de  Thomas  Corneille, 
et  un  ballet.  La  ;¥i<5e /(isi;or?gue  de  Loret,  chroni- 
queur en  vers,  rendait  compte  de  celte  solemiité  : 

Fioridor  et   ses  compagnons, 

Sans    estre    incitez,    ny    semons, 

Que   par  la  véritable  joj-e 

Que  dans  le  cœur   la    paix  envoyé, 

l'our   réjouir   grands  et   petits, 

.Jeudi   récitèrent  gratis 

Une  de  leuis  Pièct'S    rjojivelles 

Des  plus  graves   et  des    plus  belles, 

Qu'ils  liront   suivie  d'un   Balet 

Gui,    divertissant    et   folet; 

Contribuans,    de    bonne   giàcc. 

Aux   plaizirs   de    la    pojiu'ace 

Par  celle  générozité, 

30 


470  RUE     PAYENNE. 

Autrement  libéralité, 

Qui   fui   une    évidente   marque 

De  leur   zèle  pour   le   Mouaique. 

Les  principaux  «  compagnons  «  de  Floridor, 
dans  cette  circonstance  mémorable,  n'étaient  rien 
moins  que  Baron  père,  M"''  Béjard,  les  époux 
Brécourt  et  les  époux  Champmeslé,  qui  eurent, 
ainsi  que  lui,  l'insigne  honneur  de  servir  d'inter- 
prètes au  grand  Corneille,  :^  i\Ioliôre,  à  Racine. 
De  tels  comédiens  ne  méritaient-ils  pas  d'avoir 
un  théâtre  bien  à  eux?  Leurs  représentations 
d'alors  alternaient  avec  celles  d'une  troupe  italienne, 
que  Mazarin  avait  installée  à  l'hôtel  de  Bourgogne, 
et  ces  farceurs  de  Scaramouche,  Mezetin  et  Pan- 
talon y  donnaient  l'hospitalité  au  tragique  Stilicon. 
Plus  tard,  la  réunion  des  comédiens  français  de 
l'hôtel  de  Bourgogne  avec  ceux  de  la  troupe  du 
Marais  et  de  la  troupe  de  Molière,  à  laquelle  la 
mort  venait  d''enlever  son  directeur  illustre,  eut 
lieu  dans  une  salle  neuve,  au  bout  de  la  rue 
Guénégaud.  Un  genre  nouveau  de  comédie  italienne 
continuait  à  exploiter,  mais  sans  fjartage,  la  scène 
où  s'étaient  joués  le  Cid,  Andromaque,  Phèdre  et 
tant  d'autres  chefs-d'œuvre!  En  1697,  la  repré- 
sentation de  la  Fausse  Prude,  pièce  dont  l'héroïne 
ressemblait  trop  à  M'""  de  Maintenon,  flt  fermer, 
par  ordre  du  roi,  la  salle  de  l'hôtel  de  Bourgogne, 
à  laquelle  il  ne  fut  permis  de  rouvrir  ses  portes 
qu'après  la  mort  de  Louis  XIV. 

Parmi  les  membres  du  conseil  de  régence 
ligurait  Michel  Le  Peletier  de  Soucy,  directeur- 
général  des  fortilications,  membre  du  conseil  des 
finances,  du  conseil  d'Etat  et  de  l'académie  des 
Belles-lettres,  qui,  âgé  de  quatre-vingts  ans,  se 
retira  à  l'abbaye  de  Saint-Vicior.  Son  hôtel  occu- 
pait la  place  de  cet  Arsenal  de  la  Ville  dont  nous 
avons  parlé  un  peu  plus  haut,  et  il  y  avait  été 
précédé  par  Marion  Delorme,  cette    autre    étoile 


RUE  PAYENNE.  471 

de  la  pléiade  des  lemmes  illustres  du  xvii«  siècle. 
Le  Peletier  des  Forts,  comte  de  Saint-Fargeau,  fils  de 
M.  de  Soucy,  époux  deM"''  de  Lamoignon  et  grand- 
père  du  conventionnel  Le  Peletier  de  Saint-Fargeau, 
ci-devant  seigneur  de  Ménilmonlant,  fit  partie  de 
l'académie  des  Sciences  et  fut  contrôleur-général, 
après  cela  ministre  d  Etal.  L'ancienne  résidence  de 
celte  famille  sert  maintenant  de  siège  principal 
h    l'administration    du    Factage-parisien. 

De  l'hôtel  d'Argouges  il  survit,  môme  rue,  le 
n"  3. 

La  duchesse  douairière  de  Chàtillon,  propriétaire 
de  l'hôtel  de  Maupeou,  antérieurement  du  Lude, 
y  tenait  encore,  sous  la  lin  du  règne  de  Louis  XV, 
il  M.  d'Argouges,  d'une  part,  à  M.  d'Hérault,  d'autre 
part.  Sa  belle  maison  fut  acquise,  en  1783,  par 
M""' Hocquart,  femme  du  procureur-général  à  la 
cour  des  aides.  Celui-ci,  ou  quelqu'un  des  siens, 
remplissait,  quelques  années  plus  tard,  les  mêmes 
fonctions  à  la  cour  des  comptes,  d'après  un  livre 
d'adresses  ne  signalant  plus,  rue  Payenne,  que 
l'hôtel  et  les  bureaux  de  M.  Hocquart. 


Rue   du    llauro,  liupa^.*$o  de  Clairiaiix 

et    Passag^e    de  la   Réunion,  (i) 


V Assignation  cCil  y  a  cent  Ans.  —  Mesdames  de 
Montmartre.  —  Anciens  Propriétaires.  —  Saint- 
Julien- des-Ménëtrier  s .  —  Le  Pont  sans  Eau.  — 
L'Abbaye  de  Rigny.  —  Les  Moines  de  Clairvaux. 
—  La  Poterne.  —  Le  Cul-de-sac  des  Anglais.  — 
La  Rue  enchaînée.  —  La  Section  de  la  Réunion.  — 
Le  Passage.  —  Le  Citoyen   Possoz. 

»  L'an  mil-sept-cent-soixante-dix  le  treize  janvier  à  la 
Requête  de  Mesdames  les  abbesse  prieure  et  religieuses 
de  l'abbaye  Royalle  de  Montmartre  dames  du  for-aux- 
Dames  à  Paiis  et  autres  lieux  pour  lesquelles  domicile 
est  élu  en  leur  dite  abbaye  j'ai  Nicolas  François  Simon 
premier  huissier  ordinaire  du  Roy  en  son  Bailliage  du 
Palais  à  Paris  y  dcmeurahl  rue  Montmartre  jjaroisse  Saint- 
Eustache  soussigné  donné  assignation  à  la  D"e  Giroux 
propriétaire  au  lieu  du  sieur  Louis  Giroux  d'une  maison 
rue  cour  du  Maure  la  première  après  celle  du  coin 
tenant  d'une  part  à  la  D^'e  Cotelle  d'autre  aux  représen- 
tants du  sieur  Bernard  par-derrière  sur  les  maisons  de 
l'abbaye  de  Rigny  et  par  devant  sur  laditte  rue  cour  du 
Maure  étant  ladite  maison  en  la  censive  des  dittes  Dames 
de  Montmartre  à  cause  de  leur  seigneurie  do  for-aux- 
Dames  et  vers  elles  chargée  de  deux  derniers  obol 
tournois  de  cens  par  chacun  an  en  la  dite  maison  et 
domicile  de  la   ditle  D^'e    Giroux  parlant  à  sa  personne  ainsi 


(1  )  Notice  écrite  en  1864.  Voir  celle  que  nous  avons 
déjà  consacrée  à  la  rue  Branlômi?  et  à  la  rue  du 
Maure. 


RUE  DU  MAURE,  IMP.  DE  CLAIRVAUX,  ETC.  47J 

qu'elle  nt'a  dit  rire  à  compiiroir  à  la  huilaiiie  à  l'au- 
dience et  pardevant  monsieur  Je  Bailly  du  for-aux-D.'mcs 
transféré  à  Monlinartro  et  messieurs  les  ofliciers  tenant 
ledit  sicf,'0  cour  exîérieure  de  la  ditte  abbaj'e  pour  se 
voir  condamner  à  payer  aux  dites  dames  en  deniers 
ou  quittances  vingt  neuf  années  échues  le  jour  de  saint 
Denis  dernier  d'arrérages  de  cens  dus  sur  la  ditle 
maison  à  raison  de  deux  deniers  obol  tournois  par 
chacun  an  exhiber  les  titres  de  propriété  de  la  dite 
maison  et  passer  déclaration  aux  diiles  Dames  payer 
les  droits  de  lods  et  ventes  et  amendes  suivant  la  cou- 
tume sinon  et  faute  de  ce  faire  que  la  ditle  maison 
sera  et  demeurera  réunie  au  domaine  de  laditlc  abbaye 
dont  elle  sortie  sans  préjudice  d'autres  droits  le  tout 
avec  dépens  déclarant  que  maître  Pierre  Georges  Brunet 
procureur  audit  bailliage  demeurant  rue  des  Martirs 
à  Montmartre  occupera  pour  les  dittcs  dames  et  j'ai  à 
la  ditle  D"s  Giroux  et  parlant  comme  dessus  laissé  copie 
par  extrait  des  lettres  patentes  du  mois  d'avril  mil 
six  cent  soixante  seize  et  arrest  d'enregistrement  d'ycelles 
du  premier  avril  mil  six  cent  soixante  dix-sept  et  du 
présent  exploit  —  Simon  —  Covlrolle  à  rarix  le  \ii  jann'er 
1770  —  DuvAL  « 

Ainsi  pai'lait  ua  exploit,  doiU  le  style  élait  rendu  sin- 
gulièrement iiKligeslopai'rabsciicc  complète  depoiiits 
etde  virgules.  Acedétail  près,  la  saisie  reste  immuable 
dans  ses  expi^essions,  (luelles  que  soient  les  inno- 
vations introduites  dans  le  style  de  l'ameublement, 
dans  celui  de  l'arcliitecturc!  Parmi  les  religieuses 
^  la  requête  desquelles  l'acte  d'huissier  menaçait 
d'expropriation  M"''  Giroux,  on  ne  distinguait  qu'à 
l'abbaye  celles-ci  : 

Marie-Louife  de  Monimcrency-Laval,  ahhesse  :  Hen- 
riette P.irry  prieure;  Marie-Catherine  d'Entra^ues, 
prieure  du  cloître;  Mario-Madeleine  Dur^l,  portière; 
Marie-Madeleine  Botentuit,    rélcrière  ;    Catherine-Louise 


474  RUE  DU  xMAURE,  IMPASSE  DE  CLAIRVAUX 

Narcis,   secrétaire. du  chapitre  :    Maric-Calhcrinc  Lcm:iire, 
dépositaire. 

Louis  Giroux  avait  été  mitoyen,  dans  la  rue 
du  Maure,  avec  Justin  du  Châtelier  et  avec  les 
héritiers  de  François  Besnard,  procureur  au  par- 
lement. La  maison  desdits  héritiers  touchait  d'autre 
part  et  par-derrière  h  un  jardin  et  à  une  maison 
(jui  tous  les  deux  apparte?iaient  aux  abbé  et  re- 
ligieux de  Rigny,  de  Reigny  ou  d'Erigny.  Ces 
derniers  avaient  eu  aussi  un  jeu  de  paume,  dont 
s'était  détachée  la  maison  de  Justin  du  Châtelier, 
rue  du  Maure  et  rue  Saint-Martin.  Sur  la  même 
ligne,  au  coin  de  la  rue  Beaubourg,  un  ancien 
contrôleur  des  rentes  provinciales  d'Orléans,  nommé 
Cournier,  eut  Jacques  Lefeuve,  bourgeois  de  Paris, 
pour  acquéreur,  vers  l'époque  où  cessa  de  vivre 
Louis   XIV. 

Jean  Richard,  secrétaire  du  roi,  qui  avait  fait 
bâtir  vis-à-vis  de  Cournier,  y  tenait  par-derrière 
à  Philippe  de  Flexelles,  propriétaire  dans  la  rue 
des  Petits-Champs,  dont  on  vient  de  faire  la  rue 
Brantôme.  Le  quatrième  angle  était  occupé  par  la 
petite  église  Saint-Julien-des  Ménétriers,  que  rem- 
place en  façade  sur  la  rue  Saint-Martin  le  n"  168, 
qui  monte  cavalièrement  en  croupe  sur  notre 
petite  rue  du  Maure.  S'en  faut-il  de  beaucoup  que 
cette  chevauchée  traditionnelle  dure  depuis  trois 
siècles?  Robert  Rouelle,  conseiller  au  parlement, 
qui  se  trouvait  locataire  ii  long  bail  au  coin  de 
la  rue  Saint-Martin,  acheta  60  livres,  en  1568,  de 
la  confrérie  des  Joueurs-de-violon,  gouverneurs 
de  l'hôpital  des  Ménétriers,  le  droit  d'ajouter  h  son 
logis  une  pièce  attenante  au  jubé  de  leur  église, 
en  bâtissant  au-dessus  de  la  ruelle,  et  depuis  lors 
il  y  régnait  un  pont. 

Le  monastère  de  Rigny,  du  vivant  de  maître 
Robert  Rouelle,  avait  pour  succursale,  pour  maison 
de  ville,  une  portion  de  l'ancienne  succursale  du 


ET  PASSAGE  DE    LA  REUNION.  475 

moiiaslùre  de  Clairvaux,  et  à  l'entrée  de  cet  hôtel 
monacal  il  pendait  une  Croixd'or  sur  la  rue  Saint- 
3Iarlin.  Il  s'y  retrouve  do  nos  jours  une  impasse 
de  Clairvaux,  entre  les  n"^  178  et  180.  Cette  abbaye 
de  Rigny,  fille  de  Clairvaux,  ordre  de  Cîteaux, 
était  siluée  près  Yermanton,  dans  le  diocèse 
d'Auxerre;  l'abbé  commendataire  en  retirait  par 
an  de  6  h  8,000  livres,  au  xvui"  siècle.  L'abbaye 
de  Clairvaux  était  beaucoup  plus  riche  et  chef- 
d'ordre  de  la  filiation  de  Cîteaux.  Quant  à  la  pro- 
priété dans  laquelle  les  moines  de  Rigny  succé- 
daient il  ceux  de  Clairvaux,  elle  avait  une  porte 
sur  la  rue  du  Maure,  qui  s'était  dite  rue  Palée 
au  xiv=  siècle  (probablement  à  cause  de  Jean  Palée, 
fondateur  de  l'hôpital  de  la  Trinité)  et  ensuite  rue 
Saint-Julien,  puis  de  la  Poterne  ou  Fausse-Poterne. 
Ladite  maison  conventuelle  touchait  aussi  à  l'im- 
passe des  Anglais,  dénommée  Cul-de-Sac-sans-Tête 
en  1260  et  'Petit-Cul-de  Sac-près-la-Poterne  en 
1370.  La  poterne  ou  fausse  porte  Nicolas-Huidelon 
ou  Hidron  se  rattachait  h  l'enceinte  urbaine  de 
Philippe-Auguste,  et  alors  le  cul-de-sac  tenait  d'une 
part  à  ce  mur,  d'autre  part  à  un  jeu  de  paume. 
Sous  le  règne  de  Henri  IV  on  connaissait  déjà 
la  rue  ou  cour  du  Maure,  et  pourtant,  sous  le 
règne  suivant,  on  l'appelait  aussi  des  Anglais.  Le 
plan  de  Gomboust,  qui  est  venu  ensuite,  ferait 
croire  îi  une  origine  sépulcrale  i)ar  sa  façon  d'écrire  : 
vue  de  la  Cour-des-Morts.  Mais  de  nouveau  s'oriente 
l'orthographe,  |)lus  d'un  demi-siècle  apics,  sur  le 
plan  de  Laçai  lie,  où  se  lit:  rue  de  la  Cour-des- 
Mores. 

Il  y  eut  même  plusieurs  cours  dépendant  de 
ladite  rue,  et  le  prévôt  de  Paris  Antoine  Duprat 
autorisa,  en  15o9,  la  fermeture  de  celle-ci  aux 
doux  bouts,  celles-là  étant  devenues  toutes  les 
nuits  des  repaires  de  filous,  dont  les  bourgeois 
voisins  se  plaignaient  fort.  L'une  de  ces  cours  fut 


d7(j  RUE  DU  MAURE,  IMP.  DE  CLAIRYAUX,  ETC. 

absorbée  plus  tard  par  le  passage  de  la  Réunion, 
qui  se  formait  sous  les  auspices  de  la  section  du 
même  nom.  Ladite  Réunion,  qui  plus  est,  n'avait- 
clle  pas  pour  chcl-licu,  rue  du  Maure,  n"  6,  l'ancien 
hôtel  de  Rigny,  que  les  moines  de  Rigny  avaient 
cédé  avec  ses  dépendances,  en  1788,  à  Hussenol, 
marchand  de  dentelles,  moyennant  une  rente  fon- 
cière et  non  rachctable  de  8,000  livres?  Le  citoyen 
Possoz  s'établissait,  peu  de  temps  après,  marchand 
de  mousselines  en  gros,  dans  le  passage. 


Rue     (lu     Ponecau.  fil 


Pendant  la  Révolution,  la  section  des  Aniis-de- 
la-Patrie,  dans  le  quartier  de  la  Porte-Denis,  devint 
la  section  du  Ponceau,  parce  que  son  point  de 
repère  était  dans  la  rue  du  Ponceau.  Cette  voie 
publique  descendait  elle-même  en  ligne  transversale 
d'un  égout.  On  y  avait  couvert,  *dès  I6O0,  l'égout 
sur  lequel  était  jeté  le  ponceau  dit  de  Saint-Denis, 
et  la  rue  elle-même  avait  été  tracée  celte  année- 
là  aux  dépens  de  François  Miron,  messire  le  pvévôt- 
des-marchands,  qui  s'y  trouvait  propriétaire.  Les 
eaux  sales  passaient  depuis  lors  sous  cette  rue, 
en  la  croisant,  et  c'est  sur  la  même  ligne  que  de 
nos  jours  elle  a  livré  passage  au  boulevard  Sé- 
bastopol.  Tout  près  delà,  les  mêmes  eaux  n'étaient 
pas  plus  à  découvert:  elles  passaient  sous  le 
boulevard  Saint-Denis,  quand  les  remparts  furent 
plantés  en  boulevards. 

L'escalier  de  l'égout  séparait,  à  vrai  dire,  de  la 
rue  du  Ponceau  celle  nommée  des  Égouts;  mais 
ou  prenait  volontiers  sous  Louis  XV,  comme  sous 
Louis  XVI,  l'une  pour  l'autre  ces  deux  rues,  qui 
avaient  été  réunies  et  se  réunirent  de  nouveau, 
avant  d'être  encore  séparées  nominativement.  Gom- 


(1)  Notice  -écrite  eu  1864.  La  nouvelle  rue  de  Palestre,, 
le  boulevard  Sébastopol  et  le  j)roloi)gement  de  la  rue 
du  Caire  absorbent  actuellement  plus  des  deux  tiers 
de  l'ancienne  rue  du  Ponceau;  mais  la  moitié  de  ce 
qu'elle  y  a  perdu  était  annexée  à  la  rue  Nolre-Dame- 
de-Nazareth  avant  que  Ja  rue  du  Caire  se  prolongeât. 
Celle  de  Palestro,  pour  si  contemporaine  qu'elle  soit 
de  la  campagne  de  Crimée,  a  pour  no  :J7  un  ancien 
immeuble  de   la    rue   du  Ponceau. 


4T8  RUE  DU  TONCEAU. 

boList  en  marquail-il  plus  (ruiic,  au  milieu  du  xvii« 
siècle,  entre  les  rues  Saint-Denis  et  Saint-Martin, 
et  ne  l'appelait  il  pas  «  des  Esgouts»?  Telle  était 
en  tous  points  Ui  rue  du  Ponceau,  alors  qu'un 
décret  impérial  du  29  septembre  1834  en  fit  sauter 
plus  de  la  moitié,  h  distance  égale  des  deux  bouts. 
Si  la  rue  des  Égouts  avait  fait  lit  h  part  du  côté 
de  Saint-Marlin-des-Champs,  quand  il  y  avait  eu 
divorce,  l'autre  avait  eu  l'air  d'en  pleurer  avec  la 
fontaine  du  Ponceau,  Ji  l'angle  de  la  rue  Saint- 
Denis,  vis-ci-vis .  la  villa  des  tilles  de  Sainte- 
Catherine,  qui  n'était  habitée  que  quatre  mois  sur 
douze  par  €es  hospitalières. 

Au-dessus  de  l'escalier  de  l'égout,  un  passage 
communiquait  de  la  rue  des  Égouts  h  la  rue  Neuve- 
Saint-Denis,  présentement  Blondel  ;  un  autre,  qui 
ouvrait  plus  bas,  menait  de  la  rue  du  Ponceau  à 
la  cour  du  Roi-Francois,  qui  forme  aujourd'hui 
rue  Saint-Denis  le  n"  358.  Entre  ces  deux  passages, 
d'après  un  plan  de  Paris,  les  derrières  de  l'hôtel 
de  Milly  donnaient  du  même  côté  sur  la  rue  du 
Ponceau,  et  puis  ceux  de  la  communauté  des  tilles 
de  Saint-Chaumont,  un  peu  plus  près  de  l'escalier. 

Les  sept  premières  maisons  en  parlant  de  la 
fontaine,  et  toujours  sur  la  même  ligne,  appartinrent 
il  Tuillier,  perruquier,  sous  Louis  XV.  Les  mar- 
chands bourgeois  de  Paris  avaient  tous  en  ce 
temps-lii  un  cheval,  un  domestique  et  une  servante 
pour  le  moins;  mais  nous  ne  savions  pas  qu'un 
pareil  train  de  maison  Tût  compatible  avec  l'état 
de  perruquier.  Il  est  vrai  que  Tuillier  accommodait 
parfois  les  plus  grands  seigneurs  de  son  temps,  soit  à 
Paris,  soit  k  Versailles,  et  qu'il  avait,  partant,  son  rang 
;\  tenir.  Quel  était  ce  monsieur,  tiré  h  quatre 
épingles  et  parfumé  comme  un  bouquet  de  jasmin, 
qu'on  voyait  si  souvent,  au  Cours-la-Reine,  passer 
sur  un  cheval  l'ouan  cavecé  dte  noir?  —  Beau  cava- 
lier! murm'jrait  une  gi'iselte,  l'y  remarquant  pour 


RUt:  DU    PONCE  AU-.  HD 

la  pi'emière  ibis,  et  qui  le  trouvait  d'autant  plus 
Il  son  goût  qu'elle  n'avait  pas  encore  de  mobilier. 
—  Puali  !  s'écriait  de  plus  loin  un  habitué,  voilà 
l'odeur  du  croquant  de  perruquier  qu'on  reconnaît 
tous  les  jours  par  ici,   les  yeux  fermés! 

Du  côté  opposé  h  celui  des  maisons  du  bourgeois- 
pcrru(iuier,  se  tenaient  le  bureau-général  et  le 
dépôt  de  l'éclairage  public.  L'enlrepreneoi-  de 
l'illumination  de  la  ville  et  des  faubourgs  de  Paris, 
sous  Louis  XVI,  était  M.  Tourtille  Saugrain. 
L'invention  du  réverbère,  cette  lampe  à  rétle(;teur 
pour  éclairer  les  rues,  avait  été  récompensée  d'un 
prix  proposé  par  M.  de  Sartines,  lieutenant-de- 
police,  et  décerné  par  l'académie  des  Sciences. 
On  avait  donc  substitué,  en  1769,  aux  vieilles 
lanternes  de  M.  de  la  Reynie,  les  nouvelles  de  sou 
successeur;  mais  on  ne  s'était  pas  encore  décidé 
à  allumer  les  jours  do  lune.  Ces  jours-là  n'avaient 
pas  de  nuit,  dans  l'almanacli  des  lieutenants-de- 
police.  Lorsque  la  lune  faisait  mal  son  servicQ, 
n'était-ce  pas  fête  pour  les  amours  cachées?  Les 
réverbères  clair-semés  à  la  porte  des  commissaires 
luisaient  assez,  par  exception,  pour  mettre  les  vo- 
leurs sur  leurs  gardes  au  passage  de  la  patrouille. 
Par  malheur  les  petits-soupers  étaient  suivis,  dans  les 
faubourgs,  d'autres  rencontres  plus  fâcheuses  pour 
le  guet,  qu'on  punissait  alors  de  ses  indiscrétions 
réitérées,  en  le  rossant  d'importance  après  boire. 

A  cette  époque  la  rue  du  Ponceau  pienait,  im- 
médiatement après  les  maisons  deTuillier,  un  sens 
parallèle  à  la  rue  Saint-Denis;  puis  elle  reprenait 
la   perpendiculaire  dans  l'axe  de  la  rue  des  Égouts. 

De  celle-ci  nous  reste  près  delà  moitié,  entre 
le  boulevard  Sébastopol  et  la  rue  Saint-Martin; 
seulement  on  vient  de  l'ajouter  à  la  rue  Notre- 
Dame-de-Nnzareth.  La  maison  Cerveau  y  fut  bâtie 
en  l'an  X  à  l'angle  de  la  rue  Saint-Martin,  et  le 
département  des  Estampes  en  gaide  le  plan  originel, 


4^0  RUE  D(i  poncp:au 

h  la  Bibliolhôquo  Impériale:  une  belle  boutique, 
avec  .sa  devanture,  est  ce  qu'on  y  remarque,  et  elle 
na  pu  nionis  faire  que  d'avoir  pour  deslinaire 
un   contiseur. 


Rue  de  Turbig^o.  (i] 


Cette  voie,  née  à  peine,  n'a  encore  pour  histoire 
qu'un  nom  de  guerre  glorieusement  attaché  à  une 
campagne  récente,  et  sous  de  tels  auspices  elle 
ira  loin,  appelée  îi  relier  en  ligne  transversale  les 
Halles  au  houlevard  du  Prince-  Eugène.  Mais  déjà 
elle  englobe  deux  rues,  dont  les  maisons  viennent 
de  tomber  dru,  sans  qu'on  en  ait  dit  un  seul  mot. 
Deux  de  celles-ci,  échappées  par  miracle  h  cet 
abatis  imprévu,  regardent  passer  l'alignement  nou- 
veau, qui  les  relègue  dans  un  angle  rentrant. 

La  première  de  ces  maisons,  naguère  10,  rue 
du  Grand-Hurleur,  répond  pour  le  moment  au 
chiffre  37  dans  la  rue  neuve. 

La  propriété  contiguë,  qui  doit  à  une  moindre 
élévation  et  h  deux  mansardes  d'avant  Mansart  sa 
physionomie  beaucoup  plus  pittoresque,  dépend 
depuis  plusieurs  siècles  de  l'auberge  du  Chariot- 
d'Or,  dont  la  façade  sur  la  rue  Grenéta  a  changé 
depuis  peu  d'aspect  et  d'alignement.  Des  rouliers, 
comme  par  le  passé,  descendent  au  Chariot-d'Or  ; 
mais  aucun  des  autres  voyageurs  n'y  est  plus  amené 
par  le  coche  dont  le  bureau  et  les  écuries  se 
trouvaient  dans  l'hôtellerie  même.  Le  public  a 
également  fait  son  deuil  d'un  passage  libre  à  travers 
les  cours  du  Chariot-d'Or. 

Un  sieur  Garguille,  qui  n'était  pas  le  farceur 
Gautier-Garguille,  notabilité  des  temps  héroïques 
de  notre  théâtre,  mais  qui  n'en  bouflbnna  pas 
moins  contre  l'église,  comme    les    parpaillots  du 


(1)  Notice  écrite  en  18G4. 


482  RUE  DE  TURBIGO. 

è 

xix"  siècle,  ce  Garguille-là  demeurait  au  xv  dans 
une  rue  de  Huleu,  dite  également  du  Pet,  qui  n'est 
pas  autre  que  celle  du  Grand-Hurleur.  Il  s'amenda, 
après  avoir  donné  scandaleusement  dans  le  liber- 
tinage, et  entra  dans  la  confrérie  du  Saint-Esprit, 
fondée  à  l'hôpital  de  ce  nom.  Une  (bis  reçu  dans 
cette  compagnie,  on  donnait  ordinairement  ù  tous 
les  confrères  un  repas  de  corps.  Garguille  fit  bien 
les  choses,  et  qui  sait,  je  vous  prie,  si  ce  ne  fut 
pas  au  Chariot-d'Or?  Mais  il  se  plut  ensuite  à  se 
dire  membre  de  la  confrérie  aux  Goulus,  sobriquet 
qui  resta  à  cette  compagnie. 

Des  37  maisons  que  comptait,  à  la  fin  du  xvii« 
siècle,  ladite  rue  du  Grand-Hurleur,  il  y  en  avait 
une  appartenant  Ix  l'église  Saint-Jacques-de-l'Hôpilal, 
et  qui  touchait  à  la  rue  Saint-Martin,  du  côté 
opposé  à  celui  de  l'auberge.  Puis  venaient  trois 
ou  quatre  maisons  ù  Grenier,  grellier  des  consigna- 
tions; une  autre  ensuite  à  un  payeur  de  rentes, 
frère  de  ce  grellier. 

Dans  la  rue  du  Pelit-Hurleur,  sur  la  même 
ligne,  cl  l'angle  delà  rue  Bourg  l'Abbé,  l'archevêque 
de  Paris,  comme  propriétaire,  était  suivi  par  le 
sieur  de  Santeuil,  qui  n'avait  pas  moins  de  quatre 
maisons.  Vis-à-vis,  c'est-ii-dire  à  droite  en  allant 
de  la  rue  Bourg-l'Abbé  (i)  à  la  rue  Saint-Denis, 
Aubry  disposait  de  deux  propriétés  ;  la  veuve  Gau- 
tier, de  deux  autres  ;  Santeuil,  déjà  nommé,  des 
deux  dernières. 

Les  rues  du  Grand  et  du  Petit-Hurleur  avaient 
porté  d'autres  dénominations,  moins  difliciles  peut- 
être  à  expliquer,  mais  qui  ne  méritent  pas  plus 
de  regrets.  Le  pseudonyme  de  rue  Sallée  fut  ap- 


(I)  La  place  de  la  défunte  rue  Bourg-l'Abbé  reste 
indiquée  par  le  passage  de  ce  nom,  qui  y  donnait  du 
côté  de   la  rue  de  Palestro. 


RUE  DE  TURBIGO.  483 

pliqué  à  la  plus  petite,  qui  tenait  à  la  rue  Saint- 
Denis  :  le  plan  de  Lacaille  en  l'ait  foi.  Il  est  probable 
que  la  salle,  cbeflieu  de  la  juridiction  de  l'abbé 
de  Saint-Martin-des-Cliamps,  avait  été  dans  cette 
voie  publique,  dite  en  conséquence  rueSallée,  et 
qui  se  trouvait,  du  reste,  au  beau  milieu  de  l'ancien 
bourg  de  l'Abbé. 

L'autre  rue,  sur  le  plan  de  Gomboust,  se  nomme 
exclusivement  du  Pet.  La  préfecture  de  la  Seine 
a  décemment  lait  de  n'en  pas  réveiller  le  souvenir, 
dans  son  remaniement  des  inscriptions  municipales, 
et  toutefois  cette  dénomination  pouvait  avoir  une 
origine  en  odeur  de  saine  morale.  Dans  son  Instruc- 
tion à  ses  filles,  le  cbevalier  de  la  Tour  a  raconté 
ceci: 

«  Geoffroi  de  Laiigres  avoit  coutume  de  s'informer, 
quand  il  estoit  en  campagne,  à  qui  apparlenoient  les 
chasleaux  qu'il  voyoit  ;  et  quand  ou  lui  montroit  le 
chasteau  d'une  dame  de  mauvaise  réputation,  il  se  seroit 
destourné  d'une  demi-heure  pour  y  aller:  foisoit  un  pet 
à  la  porte  et  escrivoit  dessus  avec  de  la  craye,  iing 
pet,   ung   pet.  » 

Ce  Geoffroi  de  Langres  exprimait  son  mépris 
autrement  que  bien  des  moralistes.  Un  autre  Geoffroi 
était  porté  ii  prendre,  d'après  Ronsard,  la  même 
chose  tout  différemment,  afin  de  se  montrer  cour- 
tisan à  tout  prix: 

Si  i'Empereui     foisoit    un     pet, 
Geoffroi  dit  oit   qu'il  sent  la  rose, 
Et  le  sénat  aspireroit  .... 
A  l'honneur  de  prouver  la  chose. 

Avant  de  porter  celui  de  ses  surnoms  qui  est  le 
moins  de  bonne  compagnie,  la  rue  de  Huleu  fut 
connue,  voire  même  en  l'année  1^253. 


Rues     «li^     Laiicry 
et     Grîmige-aii.v-Kelles.  (i) 


La  Rue  de  Lancry  d  VAge  de  treize  Ansi. —  Le 
Théâtre  de  Lécluse.  -  L"  Vauxhall.  —  La  Mairie 
et  les  Belles.  —  Le  Marais  et  la  Grange.  — 
La  Confrérie  des  Jardiniers.  -  La  Censive  de 
Sainte- Opi^rr  tune . 

Étaient  propriétaires  dans  la    rue    de    Lancry, 
tout  au  commeiicemenl  de  la  Révolution  : 

a  6aucl)e  ^  ï?roitc 

Lancrj',   au   coin   de    la   nie 

de    Bondy. 
Idem,    an     coin     de     la   rue 

Sainl-Nicolas. 
Moreaii,  autre  angle  de  ladite 

rue, 
Lanciy,    tenant  par-derrière 

au    curé    tie  l'église  Saiut- 

Laurent  et  à  Lefebvro  de 

Caumar'in. 
Borneaux,  au  coin  de  la  rue 

des    Marais  et  tenant   par- 

deriière  au   curédeSauit- 

I.aurenl. 


ladite 


Lécluso,   au    coin    de  1 
de    Bondy. 

Le   premier   président. 

Lancry. 

M'"e  Ferrand. 

Lancry,  au    eoin   de    lii 

Saint-Nicolas. 

lîiolte,  autre  angl< 
rue, 

Lancrj". 

Goupy. 

Lavieille. 

Lancry. 

Le  curé  de  l'église  Saint- 
Laurent,  au  coin  de  la  rue 
des   Marais. 

Lécluse,    que  sous  rancieii  régime  on   appelait 
sieur  de  l'Ecluse,   avait  été  directeur  de  spectacle. 


[])  Notice  écrite  en  18^4.  Un  nouveau  boulevard, 
celui  de  Magenta,  ne  traversait  pas  encore  la  rue  de 
Lancry,  où    il   a   l'ait    sauter  une  dizaine    de   maisons. 


RUES  DE  LANCRY,    ETC.  485 

et  sa  salle,  d'une  dimension  restreinte,  avait  pris 
la  place  d'une  caserne  de  gardes-françaises,  à 
l'encoignure  de  la  rue  de  Bondy.  M.  Girault  de 
Saint-Fargeau   écrivait  en  184o: 

«A  côté  du  théâtre  de  Torré  un  sieur  de  l'Écluse  fit 
bâtir,  en  1779,  un  petit  théâtre  en  bois,  qui  ouvrit  le 
12  avril  par  le  Juç/ement  de  Paris,  et  auquel  l'Ecluse 
donna  le  nom  de  Théâtre  des  Variétés  amusantes.  Plus 
tard  ce  théâtre  ne  put  se  soutenir  et  fut  démoli.  Vers. 
1789  de  nouveaux  administrateurs  firent  reconstruire 
une  jolie  salle,  petite  et  commode,  qui  reçut  le  nom 
de  Théâtre  français,  comique  et  lyrique  :  on  y  jouait  la 
comédie,  l'opéra  et  des  drames,  dont  quelques-uns 
obtinrent  du  succès;  mais  sa  destinée  était  d'attirer  la 
foule  par  de  grandes  niaiseries  :  Les  battus  payent 
l'amende,  où  le  célèbre  Volanges  jouait  Jeannot,  eurent 
un  succès  prodigieux.  Beffroy  de  Rigny,  plus  connu 
sous  le  nom  du  cousin  Jacques,  y  fit  représenter  Ni- 
rodème  dans  la  Lune,  qui  eut,  de  1790  à  179'',  trois  cent- 
soixante  représentations;  ce  fut  Juillet,  devenu  depuis 
une  des  gloires  de  l'Opéra-Comique,  qui  créa  le  rôle 
de  Nicodème.  Vers  1795  ou  1796  ce  théâtre  prit  le  nom 
de  Théâtre  des  jeunes  artistes.  Désaugiers  y  débuta  et  y 
donna  ses  premières  pièces,  et  Lepeintre  aîné,  aujour- 
d'hui un  de  nos  meilleurs  comédiens,  s'y  fit  remarquer 
dans  les  rôles  d'Arlequin.  Parmi  les  autres  comédiens 
qui  depuis  se  firent  un  nom,  nous  citerons  encore 
Monrose,  Lepeintre  jeune,  Lafont,  notre  célèbre 
violoniste,  qui  débuta  dans  le  rôle  de  Rose  d'amour, 
M'oe  Vautrin,  M"e  Galathée,  M.  Elomire,  etc.,  etc. 
Martainviîle  y  fit  jouer  les  Assemblées  primaire.i  et  le 
Concert  de  la  rue  Feydeau,  et  Brazier  y  fit  représenter 
Caroline  de  LicJilfield  et  la  Jardinière  dt  Vincennes.  Le 
théâtre  des  Jeunes-Artistes  fut  supprimé  par  le  décret 
du  9  août  1807  et  transformé  en  une  maison  particu- 
lière, oîi  sont  établis  aujourd'hui  les  ateliers  de  M.  Joc- 
ker,   fabricant    d'insti  unients    de   matliématiques.  " 

31 


486  RUES  DE  LANCRY 

Les  sieurs  Lancry  et  Lollot  avaient  été  autorisés, 
par  des  lettres-patentes  en  date  du  :22  novembre 
1776,  à  ouvrir  une  rue  nouvelle  entre  la  rue  de 
Bondy  et  celle  Saint-Nicolas,  présentement  du 
Château-d'Eau.  Un  hôtel,  h  l'angle  de  celle-ci, 
était  debout  l'année  suivante,  et  Lancry,  à  peine 
installé  dans  ledit  hôtel,  obtenait  le  droit  de  pro- 
longer sa  rue  jusqu'à  la  rue  des  Marais.  Pourtant 
on  n'y.  comptait  encore,  en  1789,  que  quatre 
maisons,  ou  guère  plus:  une  à  Goupy,  une  à 
Moreau,  le  théâtre  de  Lécluse  et  l'hôtel  du  patron 
de  la  rue,  qui  n'a  été  jeté  bas  qu'en  1860  ou 
1861. 

Le  premier  président,  qui  avait  du  terrain  près 
du  théâtre,  était  M.  d'Aligre;  son  hôtel  ouvrait 
rue  de  Bondy.  Le  terrain  du  curé  de  Saint-Laurent 
ne  donnait  que  par  une  pointe  sur  la  rue  de  Lancry, 
au  bout,  même  côté  ;  mais  il  s'étendait  par-derrière 
entre  la  rue  des  Marais  et  la  rue  Saint-Nicolas. 
De  l'autre  côté,  Lancry  avait  acquis  l'ancien  em- 
placement du  Vauxhall,  sur  lequel  avait  été  prise 
la  première  moitié  de  la  rue  elle-même  :  Lancry 
y  tenait  par-derrière,  et  sur  la  rue  de  Bondy,  à 
la  famille  de  Saint-Cont,  st,  laquelle  avait  là  son 
hôtel,  et  par-derrière  également,  mais  près  de  la 
rue  Saint-Nicolas,  au  marquis  de  Villers. 

L'artiticier  Torré  avait  fondé,  en  1761,  dans  la 
rue  de  Bondy,  son  Vauxhall,  qui  était  d'abord  un 
théâtre  de  pantomime,  où  la  pyrotechnie  jouait  un 
rôle  capital,  notamment  dans  cette  pièce  :  Les 
Forges  de  Vuicain.  On  avait  bientôt  permis  à  Torré 
d'y  donner  des  fêtes  foraines,  dans  lesquelles  se 
jouaient  des  farces  et  se  chantaient  des  ariettes. 
La  chanson  et  la  danse  étant  de  bon  conseil,  tous 
les  plaisirs  ne  finissaient  pas  là.  Les  rendez-vous 
bourgeois,  comme  disaient  nos  pères,  suivaient 
de  près  la  plupart  des  renconti^es  qu'on  avait 
faites  au  Vauxhall,  où  l'intérêt  ne  disputait  pas 


ET  GRANGE-AUX-BELLES.  487 

toujours  à  l'amour  une  proie  de  bonne  volonté. 
En  1769,  les  dispositions  de  rétablissement  furent 
modifiées  par  une  icconstruction,  et  c'est  proba- 
blement alors  qu'il  changea  de  maître  et  de  place. 
Nous  croyons  qu'il  était  déjà  dans  la  rue  Samson, 
à  main  gauche,  entre  les  rues  Saint-Nicolas  et  des 
Marais,  quand  on  le  qualifia  Vauxhall-d'Été.  Les 
Fêtes  de  Tempe  y  avaient  de  la  vogue  en  1782. 
Une  salle  de  bal,  qui  natïlche  actuellement  ni 
autant  d'ambition  ni  autant  de  littérature,  se  trouve 
dans  la  rue  de  la  Douane,  qui  continue  la  rue 
Samson;  mais  c'est  au  moins  la  quatrième  étape 
d'un  voyage  en  zig-zag  autour  du  Chàteau-d'Eau, 
poui'  le  Vauxhall,  qui  donnait  ii  danser  précé- 
demment boulevard  Saint-Martin,   13. 

A  la  rue  de  Lancry  faisait  suite  le  chemin  de 
la  Grange-aux-Belles,  érigé  en  rue  du  même  nom 
l'an  1783,  entre  les  rues  des  Marais  et  des  Récollets. 
La  mairie  du  v  arrondissement  y  siégeait  au 
moment  de  la  Restauration.  Nombre  de  belles  n'en 
continuaient  pas  moins  à  contracter  tout  simplement 
des  mariages  de  grange,  et  surtout  dans  la  rue  de 
Lancry,  qui  devait  k  la  proximité  des  théâtres  du 
boulevard  sa  population  prédominante  d'auteurs 
dramatiques  et  d'acteurs,  d'actrices  et  d'ouvreuses 
de  loges.  On  y  a  même  vu,  n"  33,  un  théâtre 
d'élèves,  ayant  reçu  d'un  peintre  en  bâtiment  sa 
dénomination  de  salle  Génard.  Puis  cette  rue  s'est 
prolongée,  en  18o2,  aux  dépens  de  la  rue  Grange- 
aux-Belles,  qui  depuis  lors  la  continue  toujours, 
mais  plus  haut,  c'est-à-dire  depuis  le  quai  Jemmapes 
jusqu'à  la  ci-devant  barrière  du  Combat,  en  ab- 
sorbant l'ancienne  rue  de  l'Hôpital-Saint-Louis. 

Au  lieu  dit  Grange-aux  Pelles,  puis  Grange-aux- 
Beiles  par  enjolivement,  trois  arpons  et  un  tierceau 
do  marais  appartenaient  en  1714  à  damoiselle  Anne 
de  la  Londe,  veuve  do  Jean-Eustache  Taitbout, 
conseiller  du  roi,  juge  au  Châtelet  ;  à  Marie-Anne- 


488  RUES  DE  LANCRY 

Elisabeth  Taitbout,  veuve  de  Copineau,  procureur 
au  parlement,  et  à  Jean-Eustache  Taitbout,  mineur 
sous  la  tutelle  de  Jean-Etienne  Taitbout. 

D'autres  quartiers  de  terre  au  même  endroit 
avaient,  quelque  trente  ans  auparavant,  des  tenants 
et  aboutissants  que  nous  allons  faire  connaître, 
en  même  temps  que  les  propriétaires.  Denis  de 
Mauroy,  écuyer,  seigneur  de  la  Madeleine:  un 
marais,  tenant  d'une  part  à  Philippe  Levesque, 
d'autre  part  h  une  ruelle  menant  à  l'hôpital  Saint- 
Louis,  et  d'uîi  bout  à  Michel  Frémyn,  trésorier 
de  France,  d'autre  bout  à  une  ruelle  conduisant 
à  la  rue  de  Carême-Prenant,  plus  anciennement 
appelée  les  fossés  de  Sainte-Opportune  et  plus 
récemment  rue  Bichat.  Le  même,  comme  héritier 
de  son  frère,  Antoine  de  Mauroy,  abbé  de  Saint- 
Vincent  h  Bourg-sur-Mer  :  marais,  tenant  d'une  part 
aux  hoirs  de  Fiacre  Legrand,  d'autre  part  à  la 
fabrique  de  Saint-Nicolas-des-Champs,  d'un  bout  h 
Jean  Cobret,  d'autre  bout  h  la  grande  ruelle  des 
Marais.  La  confrérie  de  Saint-Fiacre,  établie  en 
l'église  Saint-Nicolas-des-Champs:  un  quartier  de 
marais,  tenant  à  Boy  vin,  avocat,  à  Lebret,  mari 
de  Geneviève  Convin,  aux  héritiers  de  Jacques 
Himet  aussi  et  à  Touri  i,  tout  en  aboutissant  à 
la  fabrique  Saint-Nicolas  d'un  côté  et  aux  fossés 
de  Sainte-Opportune  de  l'autre  côté. 

Les  jardiniers  en  charge  de  la  confrérie  de 
Saint-Fiacre,  au  printemps  de  l'année  1685,  étaient 
Martin  Hémery,  maître-jardinier-fleuriste,  rue  et 
faubourg  Saint-Victor,  vis-à-vis  l'abbaye;  Jacques 
Legendre,  id.,  au  faubourg  Saint- Antoine  ;  Laurent 
de  la  Chambre,  id.,  chemin  des  Poissonniers, 
proche  la  Nouvelle-France,  et  Jean  Cloud,  id.,  à 
la  porte  Gaillon,  proche  la  Ville-l'Evêque.  Le  maître- 
jardinier  Pierre  Giroust  avait  légué  à  cette  confrérie 
ledit  marais,  sis  sur  le  terroir  de  la  Courtille,  au 
lieu  dit  la  Grange-au-Pelé  ou  aux  Pellées,  et    la 


ET    GRANGE-AUX-BELLES.  489 

délivrance    du  legs,  l'aile    par  Isabcaii,  veuve  du 
testateur,  datait  de  l'an  1477, 

Or,  on  a  appelé  pelée  une  mesure  de  bois  mort. 
Mais  pellée  est  maintenant  encore  la  forme  la  plus 
correcte,  bien  que  la  moins  usitée,  des  mots  pelletée 
et  pelierée.  Nous  pensons  donc,  sans  en  être  bien 
sûr,  que  lors  de  la  formation  des  fossés  dits  la 
ceinture  de  Sainte-Opportune,  ou  bien  lors  de  la 
formation  de  l'égout  longeant  la  rue  Saint-Nicolas, 
la  terre  déblayée,  les  gravois  et  les  pelles  furent 
l'objet  d'un  dépôt,  dans  une  grange  située  entre 
lesdits  fossés  et  ledit  égout.  Cette  grange  aux 
Pellées  et  aux  Pelles  devait  être  établie  tout 
près  de  l'impasse  Sainte-Opportune,  qui  donne 
maintenant  rue  de  Lancry,  et  elle  était  certaine- 
ment placée,  avec  ses  dépendances,  dans  la  censive 
du  chapitre   de  Sainte-Opportune. 


Rue     des     Mart,yri§.  (i) 


Les  Guinguettes.  —  La  Brasserie.  —  Les  Petites- 
Maisons.  —  La  Maîtresse  du  Duc  d'Orléans.  — 
M.   de  Malesherhes. 

La  rue  des  Martyrs  n'a  pas  toujours  été  distinguée 
de  la  rue  du  Faubourg-Montmartre,  qu'on  a  été 
jusqu'à  confondre  elle-même  avec  la  rue  Mont- 
martre. Qui  plus  est,  le  chemin  des  Martyrs,  dé- 
nomination collective  d'un  âge  plus  reculé, 
commençait  près  la  rue  du  Jour  à  la  fm  du  xn« 
siècle;  il  n'a  reculé  que  par  étapes,  et  il  n'a 
battu  en  retraite  qu'en  laissant  son  nom  à  une  rue, 
située,  comme  on  disait  alors,  aux  Porcherons. 
Des  guinguettes  s'étaient  groupées  autour  de  la 
chapelle  des  Porcherons,  remplacée  en  1646  par 
une  église  Notre-Dame-de-Loretle,  voisine  de  l'église 
actuelle.  Le  lieu  s'appelait  des  Porcherons.  Mais 
le  souvenir  des  supplices  dont  les  buttes  Mont- 
martre avaient  été  le  théâtre  à  l'époque  des 
persécutions  du  christianisme,  ce  souvenir  ne  fut 
pas  consacré  sans  variante  par  le  nom  du  chemin 
ou  de  la  rue  des  Martyrs,  que  le  plan  de  Lacaille 
qualifiait  chemin  de  Montmartre,  en  y  marquant 
au  bas  la  place  des  commis  chargés  de  percevoir 
les  droits  d'entrée  en  ville.  On  essaya  aussi  d'une 
désignation    exclusivement    sépulcrale,  de  1793  à 


(1)  Notice    écrite   en  1861. 


RUE  DES  MARTYRS.  491 

1806,    en    disant:  rue  et  barrière  du  Champ-du- 
Repos. 

Comment  ton  ombre,  ô  Ramponneau,  n'en  aurait- 
elle  pas  frémi?  La  plus  éhontée  des  guinguette» 
aurait-elle  pu  tenir  sous  cette  enseigne?  Tous  les 
buveurs  n'y  regardent  pas  de  si  près;  il  en  est 
de  philosophes,  qui  veulent  des  cabarets  à  la  porte 
du  cimetière  et  qui  aiment  à  y  prendre,  le  verre 
en  main,  l'air  du  bureau  de  l'autre  monde.  Mais 
il  n'y  a  pas  de  fille,  pas  de  femme  qui  choisisse, 
pour  jeter  son  bonnet  par-dessus  les  moulins  de 
Montmartre,  l'avenue  dans  laquelle  les  fournisseurs 
de  pierres  et  d'ornements  tumulaires  exposent 
obstinément  leur  marchandise.  Il  est  vrai  que  les 
Ramponneau  de  l'ancien  régime  avaient  fait  de 
meilleures  affaires  îi  la  Courtille  qu'aux  Porcherons, 
petits  ou  grands,  où  ils  n'étaient  venus  qu'après. 
La  rue  des  Martyrs  a  vu  naître  et  mourir  des 
établissements  moins  connus,  mais  rivaux  de  ceux 
des  Ramponneau. 

Les  charmilles  du  Rœuf-Rouge  sont  rappelées 
par  un  jardin,  derrière  le  n"  12,  construction 
moderne  qui  remplace  une  maisonnette  :  M.  Hittorf, 
le  savant  architecte,  chez  lequel  on  arrive  par  la 
rue  Lamartine,  ici  et  iii  succède  à  son  beau-père, 
M.  Lepère,  également  architecte,  l'un  des  auteurs 
de  la  colonne  Vendôme  (i).  Le  Lion-d'Argent  était 
au  n"  16.  Riccoli  a  versé  h  boire  et  fait  danser 
dans  les  salles  rapetissées  d'un  restaurant,  dit  du 
Faisan-Doré  depuis  1843.  Autant  d'établissements 
pareils  s'échelonnaient  aux  Porcherons,  où  la  bonne 
fortune  souriait  lestement  au  plus  mince  commis  ; 


(1)  M.  Hiltorff  n'est  plus,  ni  sa  demeure,  qui  fait 
place  à  la  rue  nouvelle  Hippolyte-Lebas,  du  côté  de 
celle  des  Martyrs. 


492  RUE  DES  MARTYRS. 

autant  les  crémeries  se  suivent  de  nos  jours,  dans 
les  mêmes  parages,  et  l'on  y  fait  directement 
crédit  aux  danseuses  qui  brillent  dans  d'autres  bals 
publics.  Les  gaietés  de  Paris  ne  se  contentaient 
pas  là  d'un  lieu  de  rendez-vous;  elles  fondaient 
le  quartier  des  Martyrs,  bien  avant  l'annexe  Bréda, 
où  la  moindre  grisette  s'est  érigée  en  femme 
entretenue,  avec  entreteneur  ou  sans.  La  foire 
Saint-Germain,  la  foire  Saint-Laurent,  la  Courtille, 
la  Râpée,  le  Vauxhall  et  le  Colisée  ont-ils  jamais 
fait  aux  Porcberons  une  concurrence  bien  dan- 
gereuse? Nulle  part  les  plaisirs  n'étaient  pris  toute 
l'année  avec  le  même  entrain,  dans  le  siècle  où 
l'on  s'amusait  le  plus,  le  XVIIP. 

Notre  brasserie  de  la  rue  des  Martyrs,  que  fré- 
quentent surtout  des  peintres  et  des  gens  de  lettres, 
passe  pour  un  refuge  agréable,  pour  un  abri  contre 
le  décorum,  pour  le  cercle  de  la  bohème,  moins 
soucieux  que  tous  les  autres  cercles,  et  l'esprit 
satirique  y  daube,  en  général,  l'ancien  régime;  mais 
cet  eldorado  de  la  jeunesse  en  belle  humeur,  en  verve' 
et  en  déshabillé,  il  eût  paru  infiniment  moins  gai 
quand  florissaient  les  Porcherons  :  telle  devait  être 
la  réunion  des  gens  du  guet,  lorsqu'on  venait  de 
les  rosser.  La  bière  elle-même  en  ce  temps-là 
moussait,  en  envoyant  des  bouchons  au  plafond, 
une  excitation  au  cerveau;  maintenant  c'est  une 
eau  dormante,  plus  ou  moins  jaune,  une  potion 
dont  on  se  gorge,  un  lavement  dont  on  abuse,  et 
qui  n'aspire  qu'à  descendre. 

Il  y  avait  aussi  rue  des  Martyrs  ce  qu'on  appelait 
alors  des  petites-maisons.  Nous  en  reconnaissons 
deux  toutes  petites,  au  n*'  77.  Plusieurs  autres  for- 
maient groupe  entre  les  n"'  21  et  29,  vaste  propriété 
divisée  par  M'"*  Hélène  vers  1830.  Une  de  ces 
maisons  pourvues  de  jardins  a  été  habitée  par  le 
poète    Déranger   et   son    ami,  le  député  Manuel, 


RUE  DES  MARTYRS.  493 

puis  par  M.  de  Lawœstine,  avant  que  M.  Gaillard, 
juge  au  tribunal  de  commerce,  y  substituât  les 
remises  de  son  hôtel. 

Dans  cette  rue  précisément  le  duc  de  la  Tjémoille, 
sous  le  rèejne  de  Louis  XV,  avait  un  pied-ii-terre 
pour  ses  galanteries;  le  28  décembre  1762,  il  y 
donnait  à  souper  à  MM.  de  Froulay,  d'Étampes, 
de  Vieuville  et  de  Valençay,  ainsi  qu'aux  I)"'^* 
Lozanges,  Saint-Martin,  Ledoux  et  Buart,  figurantes 
Il  l'Opéra. 

Au  même  corps  de  ballet  appartenait  la  D""  Mar- 
quise, à  demeure  rue  des  Martyrs  deux  ans  auparavant. 
Elle  avait  déjà  des  relations  avec  le  duc  d'Orléans, 
père  de  Philippe-Égalité,  et  elle  mit  au  monde 
un  garçon,  qu'il  fut  question  de  légitimer.  Les 
avis  du  conseil  que  le  prince  assembla  ii  deux 
repi-ises,  pour  en  délibérer,  lurent  partagés  :  l'abbé 
de  Breteuil,  chancelier  de  sa  maison,  était  favora- 
ble au  projet  ;  mais  le  prince  de  Conti  parlait 
contre  avec  énergie.  Aussi  bien  le  duc  d'Orléans 
n'était  pas  sûr  que  l'enfant  ne  ressemblât  pas  au 
jeune  marquis  de  Villeroi.  Mais  au  commencement 
du  mois  de  mars  suivant,  il  annonça  à  toute  sa 
cour  la  seconde  grossesse  de  sa  maîtresse.  Mar- 
quise fut  surprise  à  Bagnolet,  pendant  l'été,  par 
les  douleurs  de  l'enfantement;  elle  accoucha  de 
deux  enfants,  différents  par  le  sexe,  mais  tous 
deux  assez  délicats  pour  qu'on  jugeât  prudent  de 
les  baptiser  sur-le-champ,  en  l'absence  du  prince. 
M.  le  curé  de  Bagnolet  demanda  quel  était  le 
père  au  parrain  et  â  la  marraine,  qui  n'osèrent 
pas  le  nommer,  et  le  baptême  fut  retardé.  Quant 
aux  deux  enfants,  ils  vécurent  ;  l'un  est  la  souche 
d'une  famille  peu  estimable,  mais  assez  haut  placée. 

Que  l'auréole  d'un  souvenir  différent  couronne 
la  notice  qui  va  tlnir  !  Guillaume  de  Lamoignon- 
Malesherbes,   ministre  d'État,  qui  avait  réuni  auprès 


494  RUE    DES  MARTYRS. 

de  lui  un  curieux  cabinet  d'histoire  naturelle,  a 
habité  la  rue  dont  il  s'agit  :  ce  courageux  défenseur 
de  Louis  XVI  a  subi  le  même  sort  que  le  roi,  peu 
de  temps  après.  Son  hôtel  reste,  dans  une  cité 
Malesherbes,  qui  ouvre  sur  la  rue  des  Martyrs,  et 
une  maison  qui  vient  après  dépendait  de  ïa  pro- 
priété. 


Rues    Pig;allei,  Larocliefoueaulcl    et    de 
la     Toiii*-fles-iDaiiiei!i.  (i) 


La  Poste-aux-Chevavx.  —  Les  Amis- Réunis.  — 
1^""  Raucourt.  —  La  Z)"*'  Adeline.  —  Bellanger. 
—  jH/nic  BoursauU.  —  tV/'"*  Scribe  —  La  Hue  en 
Deuil.  —  Pigaîle.  —  Volney.  —  AI.  de  Laroche  fou- 
cauld.  — UAbhesse.  —  Picot. — M.  de  Laporte.  — 
Fortia  d'Urban.  —  Baudin.  — M.  de  Sancy.  — 
Le  Prince  deWagram.  —  il/"*  Mars.  —  Bougain- 
ville.  —  Le  Moulin.  —  M.  Baillot.  —  ^"" 
Duchesnois.  —  La,  Z)"*^  Ozi.  —  Horace  Vernet.  — 
Paul  Delaroche.  —  Talma.  —  Grisier. 

Glic-clac!  voici  lu  Poste-aux  Chevaux.  Mais  celte 
institution  du  roi  Louis  XI  a  perdu  toute  son 
importance  depuis  la  création  des  chemins  de  ter. 
La  Poste-aux-Chevaux  fait  des  déménagements  ; 
ses  postillons  se  cachent  sous  des  blouses  de 
roulier.  Pourtant  des  chevaux  de  poste  s'atleilent 
encore  à  des  voilures  découvertes,  les  jours  de 
course  aux  environs  de  Paris,  ou  de  grandes  eaux 
à  Versailles,  quelquefois  même  les  jours  de  car- 
naval, et  alors  reparait  le  costume  traditionnel  : 
chapeau  de  cuir,  vesie  à  parements  rouges,  plaque 
en  cuivre  sur  la  poitrine,  boutons  blancs  non  moins 
astiqués,  culotte  verte  ou  jaune  en  peau,  bottes 
énormes  et  petit  fouet  ii  manche  pomponné.  Cbc- 
clac,  clic-clac!  Piétons,  garde  à  vous;  cet  équipage 
a  mené  loin  plus  que  n'ira  jamais  la  vapeur  ;  il  a  franchi 
encore  plus  de  montagnes  que  la  mine  n'en  fera 


(1)  Notice  écrite    eu  1801. 


496       RUES  PIGA[,LE.  L AROCHEFOUCAULD 

sauter,  el  (|uaiid  il  a  versé  des  voyageurs,  il  est 
resté  près  d'eux  jusqu'à  la  guérisoii  des  contusions 
et  des  blessures,  au  iicu  de  .l'uir  comme  une 
locomotive,  qui  ne  s'arrête  pas  pour  si  peu.  Clic- 
clac!  Il  vint  un  jour  où  l'aristocratie  n'osait  plus 
se  poudrer  les  cheveux;  mais  combien  de  fois 
le  postillon,  quand  il  entraînait  ses  berlines,  lui 
montra-t-il  encore  avec  orgueil  la  queue  qui 
blanchissait  son  dos,  en  y  battant  la  mesure  du 
galop  de  sa  monture!  Clic-clac! 

La  Poste-aux-Chevaux  piaffait  rue  Contrescarpe- 
Dauphine,  avant  la  Révolution;  un  bureau  pour  la 
délivrance  des  passeports  y  demeurait  ouvert,  môme 
la  nuit;  Lanchère  de  la  Grandière,  bisaïeul  maternel 
de  MM.  Dailly  frères,  était  déjà  maître-de-poste, 
en  vertu  d'un  brevet  signé  le  16  août  1786.  Or 
depuis  le  môme  temps  le  bureau  de  la  direction- 
générale  des  postes  aux  Chevaux  du  royaume  était 
rue  Neuve-des-Mathurins;  on  y  prenait  également 
des  passeports,  mais  seulement  pendant  la  journée  ; 
le  duc  de  Polignac  avait  la  charge  de  directeur- 
général,  dont  la  survivance  était  promise  au  marquis 
de  Polignac.  Le  fils  et  successeur  de  Lanchère 
ne  resta  pas  longtemps  rue  Contrescarpe;  il  était 
place  Saint-Germain-des-Près  lorsqu'il  donna  sa 
hlle  et  son  établissement,  en  1814,  ;i  M.  Dailly, 
père  des  maîtres-de-poste  actuels.  C'est  en  aoi!it 
1830  que  M.  Dailly  s'installa  rue  Pigalle,  dans  un 
hôtel  auquel  il  venait  d'ajouter  des  constructions 
aux  dépens  d'un  jardin.  M.  Schikler,  vendeur, 
n'avait  pas  habité  cette  propriété,  dans  laquelle 
des  bureaux  déjà  avaient  été  placés  sous  Louis 
XVL  Hersant-Destouches,  intendant-général  de  la 
maison  et  finances  de  la  comtesse  d'Artois,  avait 
quitté  la  rue  Saint-Marc,  en  1787,  pour  établir  en 
cet  endroit  son  administration,  sa  résidence  et  sa 
galerie  de  tableaux  flamands  et  hollandais,  de  por- 
celaines et   de  bi'onzes. 


ET  DE  LA  TOUR-DES-DAMES.  497 

A  cette  époque  la  loge  maçonnique  des  Amis- 
Réunis  se  trouvait  au  34.  De  plus,  une  maison 
dont  nous  croyons  revoii'  et  le  jardin  et  d'autres 
restes,  li  l'angle  de  la  i-ue  de  Laval,  servait 
d'habitation  h  M""  Rr.ucourt.  Cinq  ans  avant  on 
avait  joué  Henriette,  et  l'auteur  de  cette  comédie 
en  trois  actes  était  la  belle  et  imposante  tragé- 
dienne à  laquelle  Dorât   s'adressait  en  ces  termes  : 

Toi,   la  plus    belle   des   Didons  ! 

Adeline  Ruggiéri,  née  à  Venise,  qui  avait  une 
sœur  aînée,  Colombe  Ruggiéri,  attachée  comme  elle 
îi  la  Comédie-Italienne,  pendit  la  crémaillère  en 
1788  dans  un  petit  hôtel  de  cette  rue,  élevé  ù  son 
intention  sur  le  dessin  de  Rellanger:  on  y  remar- 
quait un  boudoir  en  stuc.  Figurante  et  danseuse 
à  l'Opéra  dès  l'âge  le  plus  tendre,  Adeline  avait 
été  mise  dans  ses  premiers  meubles  par  M.  de 
Selle,  conseiller  honoraire  au  parlement,  et  elle 
avait  vécu  un  'certain  temps  avec  ce  prolecteur 
d'un  âge  respectable.  La  D"'-'  Rouscarel  ahiée  avait 
été  pourtant  son  chaperon  et  l'avait  i)résentée  au 
duc  de  Chartres,  avec  la  protection  de  M.  de 
Fitzjames;  puis  toutes  deux  avaient  suivi  la  cour 
en  novembre  {\  Fontainebleau,  où  la  meilleure 
conquête  d'Adeline  lui  avait  attaché  pour  un  mois 
le  comte  de  Roze,  avant  qu'elle  se  retournât  du 
côté  de  l'ancien  magistrat.  Des  succès  de  ce  genre 
avaient  sans  doute  ralenti,  au  point  de  vue  du 
talent,  ses  progrès,  car  elle  n'avait  cessé  d'être 
considérée  comme  débutante,  à  son  théâtre,  qu'en 
1779.  Adeline  est  morte  â  Versailles  en  1841. 

Une  autre  maison  avait  été  bâtie  au  même  temps 
parle  même  Rellanger,  né  en  1744  et  prénommé 
François-Joseph,  qui  l'habita.  Il  était  premier  ar- 
chitecte du  comte  d'Artois  ;  la  Révolution  ne  le 
priva  que  de  sa  liberté,  qui  lui  lut  même  rendue. 
Mais    la    captivité    l'avait   remis  en  rapport  avec 


498       RUES  PIGALIJ:.,  L AROCHEFOUCAULD 

Tune  des  princesses  de  la  galai.terie  qu'il  avait 
eues  pour  elieiUes,  M""  Dervieux,  comme  lui  prison- 
nière, et  cette  infortune  partagée  les  avait  rapprochés 
au  point  qu'il  se  mariaient  en  so.tant.  Peu  de 
jours  avant  la  mort  de  Louis  XYIÏ,  un  commissaire 
de  la  Commune  dessinait  le  portrait  du  jeune 
martyr,  dans  la  prison  du  Temple,  et  ce  commis- 
saire n'était  autre  que  Bellanger,  d'après  lequel 
Beaumont  fit  du  portrait  un  buste  en  marbre.  Il 
prit  l'initiative,  en  1814,  du  rétablissement  par 
souscription  de  la  statue  de  Henri  IV  sur  le 
Pont-  Neuf.  Le  comte  d'Artois  avait  refait  Bellanger 
intendant  de  ses  bâtiments. 

Henri,  confrère  de  Bellanger,  édifia  pour  M. 
Vassal  (et  l'on  nous  dit  aussi  M.  Vassate),  en  4790, 
une  maison  de  plus  grande  importance,  qui  nous 
a  tout  l'air  de  répondre  aux  ir' 19,  21  et  28.  Mais, 
outre  les  immeubles  qui  nous  rappellent  M"*-'  Rau- 
court,  les  Amis-Réunis  et  le  chevalier  Destouches, 
il  en  est  au  moins  cinq  dont  la  création  remonte 
ii-peu-près  h  la  même  époque:  deux  seulement 
ont  appartenu  à  Bellanger  et  à  Adeline.  Le  27  a 
été  laissé  par  M'"'"  Boursault,  veuve  de  l'ancien 
fermier  des  jeux,  k  sa  lille,  M""-'  de  Rubempré.  Le 
10  n'a  que  peu  d'importance;  la  veuve  d'Eugène 
Scribe  en  dispose,  ainsi  que  de  l'hôtel  moderne 
qui  vient  après,  et  dans  lequel  dernièrement  le 
célèbre  auteur  dramatique  a  rendu  le  dernier  soupir. 

Le  17  peut  passer  pour  la  plus  ancienne 
des  maisons  encore  debout  qui  aient  été  bâties 
dans  le  temps  où  la  rue  Pigalle  s'appellait  Royale, 
c'est-à-dire  depuis  l'année  1772  jusqu'à  la  Répu- 
blique. On  avait  même  qualifié  cette  rue  chemin 
de  Montmartre,  tout  comme  la  rue  des  Martyrs, 
et  pendant  que  celle-ci  broyait  du  noir,  comme 
rue  du  Champ-du-Repos,  celle-là,  itérativement 
prise  de  l'esprit  d'imitation,  portait  le  même  deuil, 
comme  rue  du  Champ-d'Asiîe,  en    attendant  que 


ET  DE  LA  TOUR -DES-DAMES.  490 

l'ail  XI  la  fit  Pigalle.  D'aucuns  rapportent  qu'elle 
était  habitée  h  cette  époque  par  M^'"  Pigalle, 
parentes  de  l'artiste  moit  sous  l'ancien  régime. 
Seulement  le  sculpteur  illustre  avait  épousé  à  un 
âge  avancé  sa  propre  nièce,  et  aucun  enfant  n'était 
né  de  ce  mariage.  Si  Pigalle  avait  demeuré  per- 
sonnellement rue  Royale,  comme  on  le  lit  dans 
plusieurs  livres,  c'était  probablement  au  17. 

On  croit  aussi  que  la  rue  Larochefoucauld  se 
dédia  à  l'auteur  des  Maximes,  vers  le  même  temps 
que  l'autre  à  Pigalle;  mais  tout  le  monde  n'abonde 
pas  dans  ce  sens.  Paris  chez  Soi,  en  cherchant 
ti  son  tour  quel  lut  le  parrain  de  cette  rue,  penche 
pour  un  vieux  M.  de  Larochefoucauld,  qui  y  demeurait 
à  une  époque  encore  moins  éloignée.  La  rue  se 
mêle  en  eflét,  depuis  lors,  d'être  sentencieuse  et 
de  faire  la  personne  de  bon  sens.  A  l'intérieur  du 
n"  2o,  dont  la  façade,  quoique  peu  grandiose,  est 
ornée  d'une  statue  et  de  deux  lustres,    on  lit: 

«  L'an  1802,  le  voyageur  VoIr:ey,  devenu  sénateur,  peu 
confiaut  en  Ja  fortune,  a  bâti  celle  petite  maison,  plus 
gran  Je   que    ses    désirs.  « 

Chassebœuf  de  Volney,  constituant,  avait  dédié 
11  l'Assemblée  son  ouvrage.  Les  Ruines,  sans  qu'il 
y  eût  intention  ironique  de  sa  part  ;  il  n'eût  pourtant 
quitté,  sans  le  9  Thermidor,  la  prison  que  pour 
l'échafaud.  Sa  participation  au  succès  du  18  Brumaire 
l'a  fait  ensuite  sénateur  et  comte  de  l'Empire. 
Mais  n'ayons  pas  trop  l'air  de  croire  qu'il  se  soit 
toujours  contenté  de  son  habitation  de  la  rue 
Larochefoucauld  :  il  a  donné  plus  tard  la  préférence 
à  un  grand  hôtel  de  la  rue  de  Vaugirard.  Mort 
pair-de-France  en  1820,  il  avait  épousé  dix  ans 
plus  tôt  sa  cousine,  M"'^  de  Chassebœuf. 

Faut-il  penser,  décidément,  que  l'histoire  des 
rues  de  Paris  est  plus  malaisée  à  écrire  que  la 
biographie  des  grands  hommes?  Je  suis,  Dieu  me 


500        RUES  PIGALLE,  LAROCHEFOUCAULD 

pardonne,  le  premier  qui  publie  que  la  rue  Laroche- 
tbucauld  se  forma  sur  le  domaine  de  l'abbaye  de 
Montmartre,  M"""  Catherine  de  Larochefoucauld- 
Cousage  étant  abbesse.  Le  monastère  de  Saint- 
Jean-Baptiste-de-Buxo,  près  Orléans,  l'avait  pour 
abbesse  quand  elle  fut  nommée  en  l'année  1737 
à  Montmartre,  où  elle  gouverna  vingt-cinq  ans. 
La  pierre  tombale  sous  laquelle  reposait  cette 
supérieure  fut  enlevée  et  sciée  en  deux  au  moment 
de  la  Révolution;  elle  sert  aujourd'hui  de  degré 
collatéral  à  chacun  dés  angles  du  maître-autel, 
dans  l'église  paroissiale  de  Montmartre.  Le  bas  de 
la  rue  qui  nous  rappelle  cette  abbesse  n'était,  avant 
elle,  qu'une  ruelle  de  la  ïour-des-Dames. 

Une  maison  décorée  de  bas-reliefs,  qui  fait  pen- 
dant à  celle  de  Volney  depuis  au  moins  trente 
ans,  a  été  bâtie  pour  Picot;  l'éminent  peintre  y 
est  toujours. 

Arnaud  de  Laporte,  intendant- général  de  la  mari- 
ne, avait  été  ministre  ;  il  vivait,  auparavant  de  passer 
en  Espagne,  dans  cette  rue,  alors  qu'y  donnait 
l'une  des  portes  de  l'ancien  château  des  Percherons, 
consacré  â  des  amusements  pyrotechniques  par 
l'artificier  Ruggiéri.  Louis  XVI  a  rappelé  M.  de 
Laporte,  pour  le  faire  intendant  de  la  liste  civile 
en  1790,  et  deux  années  après  l'éprouvé  confident 
payait  de  la  vie  son  dévouement  à  une  cause  perdue. 
La  résidence  de  M.  de  Laporte  n'est  plus  recon- 
naissable  au  n"  23,  hôtel  neuf  remplaçant  un  hôtel 
délabré  ;  pas  beaucoup  plus  au  n°  19,  bien  que 
l'ancien  ministre  en  ait  joui. 

Aussi  bien  un  hôtel  de  la  rue  Larouchefoucauld 
se  trouve  porté  â  l'avoir  de  la  rue  d'Aumale,  depuis 
le  percement  de  cette  dernière  rue  ;  il  appartient 
l\  M.  le  comte  François  Clary,  cousin  de  l'empereur. 
Le  marquis  de  Fortiad'Urban,  membre  de  l'Institut, 
y  a  cessé  de  vivre  dans  sa  quatre-vingt-huitième 
année,  le  4  août  1843.   Parmi  les  écrits    iniiom- 


ET  DE  LA  TOUR-DES-DAMES.  501 

J3rables  de  cet  auteur  figure  une  brochure,  que 
nous  avons  vainement  cherché  h  consulter,  et  dont 
voici  le  titre  :  Recueil  den  titres  de  liropriété  d'une 
maison  et  terrain  situés  au  faubourg  Montmartre. 
(In-42,  avec  plan,   1809.) 

Un  autre  littérateur,  le  marquis  de  Custine,  se 
rendait  acquéreur  en  1834  du  n"  12,  où  la  maréchale 
Ney  avait  passé  quelques  années,  et  qu'avait  fait 
construire  la  famille  de  Nicolas  Baudin,  marin  et 
botaniste,  mort  en  1803.  Certaine  avenue  Baudin 
a  relié  la  rue  à  une  avenue  Saint-Georges,  donnant 
rue  Saint-Lazare.  Le  n"  6  fut  acheté  sous  la  Restau- 
ration par  la.  mère  de  M.  de  Sancy,  propriétaire 
actuel. 

Vis-iVvis  se  montre  l'hôtel  du  prince  de  Wagram, 
précédemment  à  M"''  Mars  et  d'abord  à  Bougainville, 
propriété  qui  ouvre  sur  chacune  des  rues  qu'em- 
brasse cette  notice  ternaire.  Celle  des  trois  rues  qui 
sert  de  trait-d'union  aux  deux  autres,  a  été  Bougain- 
ville ;  mais  à  cette  désignation  momentanée  a  succédé 
celle  de  la  Tour-des-I)ames,  qui  prenait  racine  plus 
avant  dans  les  traditions  locales. 

Dès  le  xv'  siècle  le  moulin-à-vent  de  ce 
nom  appartenait  aux  dames  de  Montmartre,  ayant 
pour  abbesse  Agnès  Desjardins.  Claude  de  Beau- 
villier,  sous  Henri  IV,  portait  la  crosse  au  même 
monastère  quand  le  nommé  Martin  Levignard,  de 
la  paroisse  Saint-Laurent,  devint  meunier  de  la 
Tour-des- Dames  en  vertu  d'un  nouveau  bail.  Mais 
l'abbesse  M'"''  de  Bellefond  n'affermait  plus,  en 
l'année  1717,  à  Pierre  Langlois,  marchand  de 
chevaux,  que  la  tour  et  la  maison  où  le  moulin  avait 
joué  des  ailes.  La  tour  n'a  été  détruite  qu'en  1822, 
et  dans  ses  murs  épais  on  a  trouvé  une  petite 
provision  de  vin,  mis  en  bouteilles  du  temps  de 
Henri  IV  :  trop  de  vieillesse  l'avait  décomposé.  Un 
chemin  faisait  cercle  autour  du  moulin  seigneurial, 
dont  on  retrouverait  la  place  dans  un  hôtel  primi- 

32 


RUES  PIGALLE,  LAROCHEFOUCAULD,  ETC.  50-2 

tivement  destiné  au  prince  Paul  de  Wurtemberg, 
mais  achevé  pour  M.  Baillot,  pair-de-France,  ayant 
pour  fille  M'"''  de  Béhague,  et  maintenant  à 
M.  Lestapis. 

Ne  s'étonne-t-on  pas  qu'une  rue  aussi  courte  et 
aussi  peu  passante  regorge  déjà  de  souvenirs?  Nous 
les  trouvons,  quant  à  nous,  trop  modernes,  comme 
s'ils  vieillissaient  plus  lentement  que  nous:  qu'ils 
n'aillent  pourtant  pas  se  perdre!  Si  le  n°  1  n'a 
pas  su  bien  garder  les  diamants  de  M"*  Mars, 
c'est  que  les  rues  tranquilles  attirent  les  voleurs  ; 
mais  à  quelque  chose  il  est  bon  que  la  police  y 
soit  mal  faite,  puisque  M"«  Duchesnois  a  caché 
au  n°  3,  pendant  et  après  les  Cent-Jours,  des 
victimes  désignées  tour-à-tour  aux  vengeances  de 
l'un  et  de  l'autre  parti.  Cette  rivale  de  M"«  Georges 
a  retiré  chez  elle  la  mère  de  Lavalette;  elle  a 
tenté  de  sauver  Labédoyère.  Le  même  toit,  trente 
ans  plus  tard,  abritait  la  D"''  Ozi,  femme  de  théâtre. 

Immédiatement  après  viennent  deux  maisons 
habitées  par  Horace  Vernet,  puis  par  son  gendre, 
Paul  Delaroche,  lequel  y  a  fermé  les  yeux.  Un 
autre  grand  artiste  s'est  éteint  au  n"  9  en  1826  : 
Talma.  Enfin  celui  de  tous  les  maîtres-d'armes  dont 
on  aura  le  plus  parlé,  G lisier,  demeurait  au  n°  12 
sous  Louis- Philippe. 


Rue    du    Koclier.  (i) 


Le  Duc  de  Chartres.  —  Les  Moulins.  —  Les 
Cabarets.  —  Les  Petites-Maisons.  —  La  Barrière. 
— Joseph  Bonaparte.  — M'"^  Lœtitia.  —  Gouvion- 
Saint-Cyr.  — V Amour  à  trois  — Lucien  Bona- 
parte. —  Le  Cimetière  de  la  Révolution.  —  Voyer- 
d'Argenson. 

Le  duc  de  Chai'ti-es,  celui  qui  prit  plus  tard 
le  nom  de  Philippe-Egalité,  avait  sa  petite  maison 
rue  du  Rocher,  ou  rue  des  Errancis,  dans  le  fau- 
bourg dit  de  la  Petite-Pologne.  Le  prince  transféra 
rue  de  Valois-du-Roule  (2)  l'iiôtelleriede  ses  plaisirs, 
pendant  que  le  cra>on  de  Carmontel  faisait  surgir, 
comme  par  enchantement,  toutes  les  merveilles  des 
Folies-de-Chartres,  dont  le  parc  de  Monceaux, 
quoique  réduit  de  beaucoup,  donne  encore  une  idée. 
A  cette  époque  la  rue  du  Rocher  allait  seulement 
jusqu'à  la  rue    de    la    Bienfaisance,    et    le  reste 


(1)  Notice  écrite  en  1801.  La  rue  qu'elle  étudie 
prend  racine  moins  bas  depuis  que  la  nouvelle  rue 
de  Rome,  en  poussant  à  la  même  place,  lui  a  coupé 
l'herbe  sous  le  pied.  Elles  ont,  d'ailleurs,  pour  tige 
commune  un  espace  laissé  libre,  à  l'entrée  d'une  nouvelle 
gare.  Un  carrefour  s'est  formé  plus  haut,  au  point 
où  cette  rue  du  Rochrr  leucontre  celles  de  Vienne, 
de  la  Bienfaisance  et  de  Stockohu.  Plus  hau'  encore, 
d'autres  démolitions  et  l'établissement  d'un  viaduc  font 
passer  sous  la  môme  rue  celle  de  Madrid,  qu'aborde 
près  du  pont  celle  Portails.  Et  là  ne  finit  pas  le  réseau 
des  percements  de  fraiche  date.  Ou  a  donné  sur  la 
gauche  un  prolongement  à  la  rue  de  Naples,  naguère 
de  Hambourg;    on  a  ouvert  à   droite   une    rue  Larribo, 

(2)  Actuellement  rue  de  Monceaux. 


504  RUE  DU  ROCHER. 

s'appelait  des  Errancis,  des  Estropiés  en  français 
plus  moderne.  Les  deux  rues,  en  effet,  ne  répon- 
dirent pas  au   même  nom  avant  l'année  4807. 

Au  commencement  du  règne  de  Louis  XV,  ce  n'était 
encore  qu'un  chemin,  qui  serpentait  entre  les  trois 
moulins  Boute-à-Feu,  des  Prunes  et  de  la  Marmite. 
Le  cabaret  de  la  Grande-Pinte,  aussi  nommé  de 
la  Petite-Pologne,  se  trouvait  encore  à  une  certaine 
distance,  puisque  c'était  rue  du  Roule-à-Saint- 
Lazare,  en  regard  de  la  chaussée  d'Antin.  Mais  il 
ne  manquait  pas  d'autres  pintes  au  cœur  de  la 
Petite-Pologne,  et  des  commis  ne  furent  pas  plus  tôt 
apostés  dans  une  voiture  roulante,  au  bas  de  la 
rue  qui  nous  occupe,  que  le  sobriquet  du  quartier 
suburbain  passait  à  la  barrière. 

Sous  le  même  roi,  mais  plus  tard,  la  barrière  de  la 
Petite-Pologne  attenait,  rue  du  Rocher,  à  un  demi- 
arpentdont  J.  Offroy  était  propriétaire.  A.  Brûlé  avait 
un  arpent  au-dessus,  puis  Gabriel  FrançoisetGayenne 
la  moitié  d'un  chacun. 

Avant  la  lin  du  règne  suivant,  la  finance  avait 
à  sa  disposition  dans  la  rue  autant  de  maisons  de 
de  plaisance  qu'il  y  avait  eu  de  moulins,  et  l'une 
des  trois  était  probablement  celle  dont  le  prince 
avait  joui.  Le  premier  de  ces  petits  hôtels,  n"  26, 
appartint  certainement  aux  héritiers  du  fermier- 
général  Varanchon  de  Saint-Geniès, .  lequel  avait 
eu  pour  allié  M.  de  Chalut,  son  confrère.  De  la 
seconde  propriété,  numérotée  30,  quoique  pour- 
vue d'une  entrée  nouvelle  par  la  rue  de  Vienne, 
M.  Riant  est  propriétaire,  et  les  tranchées  du 
chemin  de  fer  ont  fait  de  cette  maison,  vue  par- 
derrière,  un  belvéder  très-élevé.  La  troisième,  qui 
répond  au  chiffre  59  ou  61,  fut  la  résidence  de 
Joseph  Bonaparte  et,  à  un  autre  moment,  celle 
de  sa  mère.  M"""  Laetitia.  Joseph,  bien  qu'il  eût 
pour  lui-même  peu  d'ambition,  fut  deux  fois  roi, 


RUE  DU  ROCHER.  505 

et  ne  fallut-il  pas  aussi  que  Napoléon  imposât  à 
Madame-Mère  la  tyrannie  d'une  représentation 
auguste'.' Jusque-là  La?titia  n'avait  consenti  h  changer 
que  d'appartement  ;  tous  les  honneurs  que  l'em- 
pereur lui  lit  rendre  ne  l'empêchaient  pas  de 
raisonner  en  mère  prévoyante  et  de  rester  amie 
de  la  simplicité:  —  Qui  donc,  disait-elle,  qui  donc 
sait  si  je  ne  serai  pas  obligée  de  procurer  du  pain 
aux  rois  mes  hls? 

Le  maréchal  Gouvion-Saint-Cyr,  qui  habita  plus 
tard  l'hôtel,  se  rappelait  lui-même,  étant  ministre, 
l'époque  de  ses  obscurs  débuts,  en  qualité  de 
comédien-amateur,  dans  la  salle  que  Beaumarchais 
avait  fait  construire  au  Marais.  Une  des  pensions 
dont  les  élèves  suivent  les  cours  du  lycée  Bonaparte, 
occupe  maintenant  le  local,  qui  semble  expier,  en 
vouant  son  âge  mûr  à  l'instruction  et  à  la  mo- 
ralisation  d'une  nouvelle  génération,  les  gaillardises 
dont  s'est  rendue  complice,  en  les  cachant,  sa 
première  jeunesse  à  lui-même.  Cette  petite-maison 
d'un  tinancier  de  l'ancien  régime  avait  commencé 
par  se  mettre  sur  la  conscience  pis  encore  :  un 
amour  à  trois,  dans  lequel  pas  un  n'était  dupe! 
Elle  avait  été  bâtie  en  1772  aux  frais  de  deux 
danseuses,  pensionnaires  du  roi,  Marie-Marguerite 
de  Libessart  et  Marie-Anne-Josèphe  de  Libessart, 
sous  la  conduite  de  Bandieri  de  Laval,  maître-des- 
ballets  du  roi  et  maître  â  danser  des  enfants  de 
France,  qui  vivait  avec  ces  deux  sœurs,  d'tes 
Grandis  k  l'Opéra. 

Le  sieur  Fontaine  de  Tréville  tenait  une  autre 
pension,  dès  l'année  1787,  dans  la  rue  des  Errancis, 
où  s'élevaient  encore  peu  de  maisons.  La  rue  du 
Rocher,  plus  peuplée,  avait  déjà  vu  édifier  le  n"  28, 
où  une  pension  encore  est  installée  depuis  la 
Restauration.  Ce  fut  l'hôtel  de  Lucien  Bonapaiie, 
que  M'"'  Ltetitia  parut  souvent  préférer  à  ses  frères, 
et  avec  lequel,  à  diflerentes  reprises,   elle  mena 


506  RUE  DU  ROCHER 

vie  commune.  Lucien  a  demeuré  toutefois  Grande- 
rue-Verte,  avant  de  prêter  les  mains  avec  tant 
d'opportunité,  comme  président  du  conseil  des 
Cinq-Cents,  au  coup-d'État  qui  anéantissait  la 
représentation  nationale.  D'autres  vues  que  celles 
de  Napoléon  lui  ont  fait  dire,  le  lendemain  du  18 
Brumaire:  —  La  liberté  est  née  dans  le  jeu  de 
paume  de  Versailles;  elle  vient  de  se  consolider 
dans  l'orangerie  de  Saint- Cloud. 

La  liberté,  la  liberté!  Eh  !  n'avait-elle  pas  entassé 
assez  de  corps  décapités,  dans  un  clos  converti 
en  voirie  révolu tioimaire,  au  bout  de  la  rue? 
Philippe-Egalité  y  avait  été  inhumé,  à  l'extrémité 
du  cimetière  qui  se  trouvait  improvisé  entre  sa 
petite-maison  et  ses  grandes  Folies-de-Chartres. 
A  l'entrée,  au  contraire,  du  côté  de  la  rue,  étaient 
enfouis  les  restes  de  Maximilien  Robespierre,  et 
la  mort  séparait  rarement  les  suppliciés  qui  avaient 
fait  partie  de  la  même  fournée;  on  avait  donc 
creusé  deux  ou  trois  fosses  pour  y  jeter,  près  du 
fameux  tribun:  Robespierre  le  jeune,  Couthon  et 
Saint-Just,  conventionnels;  Dumas,  président  du 
tribunal  révolutionnaire,  Gombeau,  substitut  de 
l'accusateur  public  ;  Payan,  agent  de  la  Commune; 
Vivier,  président  des  jacobins;  Henriot,  chef  de  la 
force  armée  de  Paris  ;  Lavalette,  général  ;  Lescot- 
Fleuriot,  maire  de  Paris:  Simon,  cordonnier, 
geôlier  du  Temple,  membre  de  la  Commune  de 
Paris,  et  dix  autres  membres  de  ladite  Commune, 
également  mis  hors  la  loi  par  la  Convention  dans 
la  séance  du  9  thermidor.  Un  an  auparavant,  le 
cimetière  avait  reçu  les  dépouilles  sanglantes  de 
Charlotte  Corday;  mais  le  iDOurreau,  avant  de  les 
abandonner  au  fossoyeur,  avait  publiquement 
souffleté  le  visage  encore  chaud  de  l'héroïque  vic- 
time, qui  en  avait  rougi  pour  la  dernière  fois. 
Le  terrain  planté  d'arbres  qui  a  si  bien  servi  de 
-déversoir  h  la  guillotine  de  la  place  de  la  Concorde, 


RUE  DU  ROCHER.  507 

appartient  à  M.  Anspacli  et  à  M.  de  Gipierre, 
après  avoir  été  la  propriété  du  marquis  d'Aligre. 
La  plus  grande  portion  en  est  occupée,  depuis 
longtemps  déjà,  par  une  guinguette,  où  l'on  danse 
tout  l'été.  Seulement  l'entrée  de  ce  jardin  public 
n'est  plus  rue  du  Rocher:  des  constructions  nou- 
velles ont  supprimé  une  porte;  il  en  reste  une 
autre  rue  de  Valois,   n°81. 

L'orateur  libéral  Voyer-d'Argenson  était  domicilié 
rue  du  Rocher  sous  Louis-Philippe;  il  y  mourut, 
quelques  années  après  le  républicain  Michel  Buo- 
narotti,  auquel  il  avait  donné  l'hospitalité  et  qui 
avait  conspiré  avec  Babeuf  contre  le    Directoire. 


Rue  De^cartes.  (d) 


De  l'ancien  collège  de  Navarre,  dont  nous  parlons 
dans  la  notice-  de  la  rue  Clovis,  la  chapelle  est 
restée  debout  et  fait  partie  des  bâtimens  de  l'école 
Polytechnique.  La  voilà,  bien  en  vue,  au  n"  9, 
rue  Descartes!  Un  petit  magasin  de  cottrets  et 
de  charbon  occupe  le  premier  plan  dans  la  déco- 
ration dont  ce  vieil  édifice  tient  la  toile  de  fond. 
Quel  théâtre  que  ce  Paris!  Faut-il  qu'un  décor 
soit  mal  fait  pour  n'y  servir  qu'à  une  seule  pièce 
et  ne  pas  rester  lui-même  au  répertoire  !  Il  s'en 
faut,  au  surplus,  que  le  collège  de  Navarre  soit 
tombé  comme  une  mauvaise  pièce:  il  a  longtemps 
remporté  des  succès.  On  a  même  distingué  de 
ses  restes  ce  qui  avait  été  aussi  le  collège  de  Boncourt, 
fondé  au  wv  siècle  et  dans  lequel  Jodelle  avait 
fait  jouer  ses  premières  pièces,  en  présence  de 
Henri  II.  Beaucoup  de  nos  lecteurs  en  ont  pu 
voir  le  bâtiment,  servant  d'abord  de  siège,  rue 
Descartes,  à  l'administration  de  l'Ecole  ;  mais 
d'autres  constructions  l'ont  remplacé  ;  Boncourt  a 
donc  fini  par  disparaître,  comme  le  collège  de 
ïournay,  son  voisin,  qui  remontait  à  l'année  1283  : 
l'un  et  l'autre,  dès  le  règne  de  Louis  XIII,  avaient 
été   réunis  à  Navarre. 

Entre  le  15  et  le  17  aboutissait  encore  la  rue 
Clopin,  avant  que  les  élèves  de  Laplace  et  de 
Prony  eussent  pris  possession  des  trois  collèges 
d'autrefois.  Les  boursiers  de  ceux-ci  avaient  été 
propriétaires  d'un  certain  nombre  de  maisons  dans 
la  rue,  dont  les  plus  importantes  sont  encore  le 


(1)  Notice  écrite  en   18S9. 


RUE  DESCARTE^.  509 

16  et  le  18;  il  y  a  plus,  cet  immeuble  qui  a 
dû  plus  d'une  fois  changer  de  face,  au-dessous 
de  l'impasse  Clopin,  appartenait  en  premier  lieu 
aux  comtes  de  Bar,  mitoyens  avec  les  écoliers  de 
Boncourt  dans  la  première  moitié  du  siècle  xni. 
L'abbaye  de  Sainte-Geneviève  avait  donné  à  cens, 
dans  le  principe,  les  ir'  27,  29  et  31,  et  pro- 
bablement beaucoup  d'autres. 

Mais  cette  rue  qui  serpente  n'a  jamais  décrit 
une  ligne  plus  brisée  que  de  notre  temps.  L'une 
et  l'autre  "de  ses  deux  rives  sont  héiissées  de 
promontoires  ;  l'alignement  ancien  s'y  débat  plu- 
sieurs fois  avec  le  nouveau  :  c'est  plutôt  une  scie 
qu'un  reptile. 

Depuis  4250  jusqu'en  1809,  elle  s'est  appi  lée 
rue  Bordet,  comme  la  porte  qui  s'élevait  à  son 
extrémité,  et  dont  fut  jeté  bas  en  1683  l'éditii  c 
flanqué  de  tours,  avec  pont  de  bois  et  pont-levis. 

Bien  que  les  dépouilles  mortelles  de  Descartes 
eussent  été  rapportées  de  Slockolm  à  Paris  par 
le  chevalier  de  Torlon,  ambassadeur  de  Louis  XIV, 
au  commencement  de  l'année  1667,  et  déposées 
dans  l'église  Sainte-Geneviève  d'alors  ;  bien  que 
les  cendres  du  philosophe  savant  eussent  été 
transférées  au  Panthéon  l'an  ii,  puis  le  3  vendémiaire 
an  vni  au  musée  des  Monuments-Français,  la  topo- 
graphie de  Paris,  à  laquelle  il  manquait  une  rue 
décorée  de  ce  nom,  ne  devint  cartésienne  que 
sous  Napoléon  L'.  L'odyssée  des  cendres  de 
Descartes  fut  encore  reprise  en  1819  ;  l'église 
Saint-Germain-des-Prés  les  recédait  en  grande  pompe 
le  26  février. 


Fin  du  tome  second. 


TABLfc  DES  MATIÈRES 
contenues    dans     le     tome    second,    (i) 


Pages. 

Rue  de   Bondy.  5 

Rue  des  Bons-Enfants.  14 

Rue  du  Bon-Puits.  29 

Rue  Boucher.  32 

Rues  Trudon   et  Boudreau.  37 

Rue  des  Boulangers.  40 

Rue  des  Boulets.  44 

Rue  du  Bouloi.  48 
Rue  d'Aboukir,  naguère  rue  Bourbon- Villeneuve,     59 

Rue  Bourbon -le-Château,  69 

Quai   Bourbon.  72 

Rue  et   impasse  des   Bourdonnais.  85 

Rue  Grenéta.  104 

Rue  aux  Ours.  107 
Rue   Brantôme,  naguère  des  Petit  Champs-Saint- 

Mariin,  et  rue  du  Maure.  110 

Rue  des  Prêcheurs.  120 

Rue  Neuve-Saint-Merri.  123 

Rue  du  Roule.  129 


(1)  Une    table    par     ordre    alphabétique    vient    après 
Ue-ci.   Voir  la   Table    Gniérale    à    la    lin    du    dernier 


ce 
volume. 


—  511  — 


Rue   Guérin-Boisseau. 

Rue   des  Vieilles-Eluves-Saint-Honoré    et    rue 

Pages. 

133 

Sauvai,  naguère  des    Vieilles-Etuvos  Saint- 

Martin. 

135 

Rue  du   Hasard. 

139 

Rue  Bourg-l'Abbé,  dont  le  reste  est  maintenant 

absorbé  par   la  nouvelle  rue  Palestre. 
Rue   de    Bourgogne. 

143 
150 

Rue  des  Bourguignons,  dont  le  reste  est  mainte- 

nant absorbé  par    le    nouveau    boulevard   de 

Port-Royal. 
Rue   Bourtibourg. 
Rue   Boutebrie. 

157 
164 
169 

Rue  de  Braque. 
Rue  de  Bretagne. 
Rue  de   Bretonvilliers. 

174 
179 
185 

Rue   de   Buci. 

190 

Avenue,  place  et  rue   de   Breteuil,. 

197 

Rues  Taillepain  et   Brisemiche. 
Rue  de  la  Bûcherie. 

201 
205 

Rue  de  Buffault. 

212 

Rue  de    BufFon. 

217 

Rue   Cadet. 

223 

Rue,   place  et  passage   du   Caire. 
Rue   de   la  Calandre. 

231 
236 

Rue  Canivet. 

243 

Rue  Cardinale. 
Rue  des   Carmes. 

245 
247 

Rue  des  Canettes. 

261 

Rue   Caron. 

268 

Rue  du   Buisson-Si-Louis. 

269 

—  512  — 

Pages. 

Rue  Cassette.  271 

Rue  Suger.  286 

Rue  des  Poitevins.  293 

Rue  Surpente.  298 

Rue  Hautefeuille.  302 

Rue   Caumariin.  306 

Rue  de   la  Cerisaie.  312 

Boulevard    Montmartre.  318 

Rue  Cassini.  325 

Rue   Guénégaud.  327 

Galeries  du  Palais-Royal.  330 

Boulevard    des  Italiens.  362 

Rue  de  la  Victoire.  372 

Rue  Saint-George.  383 

Rue   Monsieur-le-Prince.  385 

Rue   Saint-Lazare.  389 

Rue  Montmartre  401 

Rue   Mouffeiard    et    avenue  des    Gobelins,  406 

Rue  Daru,    naguère  de    la   Croix-du-Roule.  419 
Rue  Sévigné,  naguère  Culture-Sainie-Catherine.     422 

Place  Dauphine.  432 

Rue  Dauphine.  440 

Rue  Grenier-sur-l'Eau.  451 

Rue   Cuvier,  453 

La  Rue  de   Jouy  et  les  deux   rues  Percée.  460 

Rue   Pajenne.  466 
Rue  du  Maure,  impasse  de  Clairvaux  et   passage 

de    la  Réunion.  472 

Rue  du   Ponceau,  477 

Rue  de  Turbigo.  481 

Rues   de  Lancry   et  Grangc-aux-Belles.  484 


-  5i;i  — 

Pages. 

Rue  des  Martyrs.  '  490 

Rues   Pigaile,   Larochefoucauld  et  de  la  Tour-des- 

Daraes.  405 

Rne  du  Rocher.  503 

Rue  Descartes.  508 

Table  des  matières  contenues  dans  le  tome  second.  510 
Ici.   par  ordre  alphabétique.  514 


iïabU   par     orbve   alpljabétiquc 

pour    le  même   tome. 


Pages* 

Aboukir.    (rue   d')  56 

Bondy.   (rue   de)  5 

Bons-Enfauts.   (rue  des)  14 

Bon-Puits,    (rue   du)  29 

Boucher,  (rue)  32 

Boudreau.    (rue)                             *  37 

Boulanger.^,    (rue    des)  40 

Boulets,  (rue   des)  44 

Bouloi.  (rue  du)  48 

Bourbon-Villeneuve,   (rtie)  59 

Bourbon-le-Chàteau.  (rup)  69 

Bourbon,   (quai    de)  72 

Bourdonnais,  (rue   et    impassf  des)  85 

Bourgl'Abbé.   (rue)  143 

Bo'irgogne.   (rue    de)  150 

Bourguignons,   (rue   des)  157 

Bourtibourg.    (rue)                                                   ,  164 

Boulebrie.    (rue)  169 

Brantôme,  (rue   de)  110 

Braque,   (rue  de)  174- 

Bretagne,    (rue  de)  179 

Breteuil.   (avenue,    place    et    ru^-  de)  197 

Brisemiche.    (rue)  201 

Buci.    (rue   de)  190 

Bùcherie.  (rue  de  la)    '  205 

Buffault.   (rue  de)  212 

Buffon.  (rue   de)  217 

Buissou-Saint-Louis.   (rue  du)  269 

Cadet,   (rue)  223 

Caire,  (rue,  place   et  passage  du)  231 

Calandre,    (rue   de   la)  2o6 

Canettes,  (rue   des)  2(31 

Canivet.    (rue  du)  243 


—  515  — 

Pages. 

Cardinale,    (rue)  245 

Caron.    (rue)  267 

Carpentier.  (rue)                                   '  268 

Carmes,  (rue  des)                                            .  247 

Cassette,   (ru.»)  271 

Cassiui.   (rue)  ^25 

Caiimartin.    (vne)  300 

Cerisaie,   (rue  de  lu)  312 

Clairvaux.    (impasse    de)  472 

Croix-du-Roiile.   (ruejde  la)  419 

Culture-Sainto-Catherine.   (rue)  422 

Cuvier.   (rue)  458 

Daru.    (rue)  419 

Dauphine.    (place)  432 

Dauphine.    (rue)  440 

Descartes,  (rue)  508 

Gcbelins.    (avenir  des)  406 

Grange-aux-Belles.    (rue)  484 

Grenéta.  (rue)  104 

Grenier-sur-l'Eau    (rue)  451 

Guérin-Boisseau.    (rue)  133 

Guéuégaud.   (rue)  327 

Hasard,   (rue  du)  139 

Hautefeuille.   (rue)  302 

Italiens,  iboulevard  des)  362 

Jouy,  (rue  de)  460 

Lancry.    (rue   de)  484 

Martyrs,   (rue   des)  490 

Maure,   (rue  du)  110 

Même  rue.                                               _  472 

Monsieur-le-Prince.   (rue)  385 

Montmartre,  (boulevard)  318 

Montmartre,   (rue)  401 

Mouffetard.   (rue)  406 

Neuve-Saint-Merri.  (rue)  123 

Ours,   (rue  aux)  107 

Palais-Royal.  (Galeries  du)  330 


—  516  - 

l>»ges. 

Palestro.   (lue  de)  143 

Payenne.   (rue)  46G 

Percée,  (les  deux    ru^s)  '•                                460 

Petits-Cbanips-S.iint-Martin,   (rue  des)  110 

Pigalle.   (rue)  '195 

Poitevins,    (rue  des)  29.3 

Ponceau.   (rue    dul  477 

Port-Royal,    (boulevard    de)  157 

Prêcheurs,  (rue    des)  120 

Réunion,   (passage    de  la)  472 

Larochefoucauld.    (rue)  495 

Rocher,    (rue  du)  503 

Roule,  (rue    du)  12Ô' 

Saint-Lazare,    (rue)  389 

Saint-George,    (rue)  383 

Sauvai,  (rue)  135 

Serpente,  (rue)  «                              298 

Sévigné.   (rue   de)  422 

Suger.  (rue)  a          286 

J'aillepain.    (rue)  201 

Tour-des-Damfcs.    frue   de    la)  495 

Tiirbigo.    (rue  de)  481 

Tr'idon.    (rue)  37 

Vicoire.    (rue  de  ia)  372 

Vieilles-Etuves-Sa:nt-Honoré.  (rue   des)                           135 

Vieil! es-Eluves-Sdiut-Martin.  (rue  îles)                             135 


FiX  DES  TABLES  DU  TÛME  SECOND. 


UNIVERSITY  OF  CALIFORNIA  LIBRARY 

Los  Angeles 

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