^
1%
h>
LES
ANCIENNES MAISONS DE PARIS
<OJjS >s-AI>OI>EON III.
BRUXELLES. — IMPRIMEIUE DE CASLMIK COOMANS.
I^KS
ANCIENNES MAISONS
DE PARIS
SÔOS NAPOLÉOM UL
PAIS
L'HISTORIOGRAPHE LEFEUVE
(Sbition intevnatioualc.
TOME SECOND.
PARIS. 1 BRUXELLES.
5^. roc Neuve-Saint-Auguslin, 58. I 15. rue Dupont, 13..
1873
Rue de Boiidy. (i)
Deffieux. — Le Jeu de V Ambassade . — Le Q'^
Portails. — Les Théâtres, — M. de Murinais,
— Le 66. — Le C"^ de Lariboisière — La
(^tesse Merlin. — Les présidents Rosambo et
d'Aligre. — Truchot. — Le M^ de Chevaux.
— il/"*' Laguèrre. — La Maison en Loterie. —
M^^ de Beauharnais. — Le Duc de Chaulnes.
— Le Château- d'Eau. — Le Wauxhall.
Lors de l'ouverture du testament de Louis XVI,
le chemin de la Voirie, plus tard rue des Fossés-
Saint-Martin, puis rue de Bondy, ne se compo-
sait encore que de 4 maisons, pourvues le soir
d'un luminaire isolé. Une des 48 sections de Paris lui
emprunta son nom définitif, sous la premièie
république, quoiqu'il provînt d'une forêt de mas-
sacrante réputation.
Le restaurant Deflieux, dont la spécialité em-
brasse les repas de corps et les noces, n'a quitté
le boulevard du Temple qu'en 1853, pour s'installer
près la Porte-Saint-Martin. C'est justement à l'angle
d'un pâté de maisons appétissant pour cet ogre de
Paris nouveau, en train de dévorer à petites
bouchées ce qui surcharge l'assiette de l'autre
(1) Notice écrite en 1858. La rue de Bondj' de celte
époque s'est vu enlever ses onze premiers numéros
pairs par ]a nouvelle caserne du Prince-Eugène, i'ou-
verture du boulevard Magenta et l'élargissement des
rues de la Douane et Vieille-du-Temple. Elle a aussi
perdu son Château-d'Eau, mais on en a établi uu autre
devant la caserne, sur la nouvelle place du Château-
d'Eau,
f^O*J i>^Â^\J^^
6 RUE DK BONDY.
Paris, Gargantua moins vorace, mais sauvé par
ce nouveau convive d'une indigestion déjà lourde.
L'établissement DefiTieux n'en date pas moins de
cent vingt ans; son local d'à-présent est tribu-
taire de M. Romieu, cousin et homonyme du
célèbre dîneur, qui a été préfet dans le départe-
ment des trutîes.
Le superbe balcon qui domine la porte-prmccps
a été encombré, les jours où le boulevard deve-
nait un spectacle, par les membres du cercle de
Commerce, qui formait la bourgeoise aristocratie
de cet îlot de pierres et de moellons, avant de
se transférer au iDoulevard Poissonnière. Aussi bien
le même hôtel à été occupé par le général
Schramm, par l'amiral de Bougainville, sénateur
du premier empire, par l'ambassadeur de Tur-
quie, et avant ce ministre, vers la fin du règne
de Louis XVI, par Capello, ambassadeur de Ve-
nise. Le représentant de cette république donnait
k jouer tous les soirs; un pamphlet du temps
lui reprochait d'avoir toujours à son service le
prétexte de la même migraine, à la même heure,
pour se retirer dans ses appartements, sans ac-
corder de revanche aux perdants.
A une époque antérieure, Moreaux, l'un des
architectes de Louis XV, maître-général, contrô-
leur et inspecteur des bâtiments de la Ville,
garde ayant charge des eaux et fontaines pu-
bliques, avait habité cette maison.
En ce temps-là l'immeuble ne pouvait pas encore
appartenir au comte Portails, qui, avant d'être minis-
tre, fut un ingénieux avocat. Un jour qu'il plaidait
en séparation de corps pour la comtesse Mirabeau, la
redoutable partie adverse tint à se défendre en
personne. Mirabeau se vanta d'avoir eu pour sa
femme tous les ménagements, bien que ses
mains fussent pleines, disait-il, de lettres qui
prouvaient des oublis. — Je vous défie de les
RUE DE BONDY. 7
montrer, s'écria Portails. — Alors, je vais les
lire, répliqua le bouillant orateur... Le fait est
que sa correspondance incriminait la demande-
resse; mais, quand tout en fut divulgué, son avocat
reprit la parole : — Après un tel éclat, mes-
sieurs les juges, la cohabitation est-elle encore pos-
sible ?
Un balcon plus modeste ressort du foyer des
acteurs du théâtre de la Porte -Saint -Martin,
pièce décorée des bustes de Potier, de Mazurier
et de M""" Dorval. Il s'agit du n" 15, qui ouvre
d'autre part sur le boulevard. Cette propriété,
laissée par un oncle à M. Havin, député, ne fai-
sait qu'une d'abord avec celle du théâtre, qui y
conserve à bail ses bureaux et ses loges d'ac-
teurs. Dans une pièce différente, attenante au
foyer du public, a vu le jour et a été bercé
l'enfant devenu avec le temps historiographe des
Anciennes Maisons de Paris.
Les entrepreneurs auxquels avait été confiée
l'exécution rapide du plan de Lenoir, quant à la
salle de spectacle substituée par destination à
l'Opéra incendié, y avaient aussi accolé les 11°' 13,
il et 9; un étage de plus, sur la rue, sert de
socle à ces trois maisons, d'abord indivises, dont
une autre façade borde le boulevard, et il a
fallu la même cale pour donner de l'assiette à
tout le reste de ce qu'on a bâti sur la même
ligne. M. Gournay père- a légué à son fils le
n° 7, où demeure Paul de Kock, romancier qui
n'est plus que populaire, et où a demeuré Fré-
dérick-Lemaître, le plus grand acteur de son
temps. Le 5 et le 3, eux aussi, sont à double
porte et presque machinés à portants, comme
des coulisses de théâtre; il y régne, de plus, à
l'intérieur, un balcon, dans une cour carrée, qui
rappelle la décoration d'une fameuse auberge,
celle des Adrets. Le théâtre de l'Ambigu, fondé
8 RTIE DE BONDY.
par Audinot, tient depuis l'année 1769 la place
de l'hôtel Murinais, dont le jardin formait l'en-
coignure. Le chevalier d'Auberjon- Murinais,
comme député, attaqua Mirabeau, Philippe-îlgalité
et Robespierre; puis, membre du conseil des
Anciens, il s'affilia au club de Clichy et, déporté
h Sinnamary, il y succomba.
Le n" 96 ne s'éleva pas tout d'une pièce;
mais il sortit, sous Henri IV, d'un plan de
choux, avec un des ses pareils, qui est encore
avec lui côte à côte. Le 70 n'a surgi, à son
tour, dans une des pièces de marais voisines, qui
relevaient de la censive du Temple, qu'une tren-
taine d'années avant la suppression de tous les
privilèges seigneuriaux. Le devant du 68 est de
la même génération ; mais il a remplacé une
vigne, h laquelle survit, dans le fond, le domi-
cile du vigneron.
Le 66 a fait honneur, pour commencer, au
comte de Sechtré, et sa veuve l'a coupé en deux, pour
en laisser la moitié à chacune de ses filles,
M"'" de Rennepont et M"'" de Castéja, qui a brillé
à la cour de Louis XVL M. Worms de Ro-
milly, maire du V" arrondissement, a acheté l'hô-
tel du fond, vers 1830, et M. Lecomte, un peu
après, s'est pourvu de celui qui sert de vesti-
bule à l'autre: deux étages ont été ajoutés de-
vant et derrière.
Giamboni, banquier de la cour, a lancé dans
le monde cadastral une superbe propriété, dont
les grands arbres donnent encore de l'ombre à
la rue du* Chàteau-d'Eau. On y entre par une
allée de tilleuls, que décore une statue en mar-
bre de Cicéron, comme s'il avait écrit ses Tus-
culanes dans cette villa urbaine. La fille du
financier de l'ancien régime a vendu l'hôtel, en
1810, au général comte Baston de Lariboi-
sière, un des héros de la journée d'Austerlitz. La
RUE DE BONDY, 9
femme du général, lille du comte Roy, el que
remplace rue de Boudy son lils, sénateur, an-
cien pair de France, a contribué par ses dispo-
sitions testamentaires à la fondation de l'hôpital
Lariboisière, qu'on a dit en commençant Louis-
Pliilippe. Les fds du roi avaient assisté aux bals
de M"'' de la Riboisière, qui étaient magnifiques,
mais qui n'avaient pas plus de succès que les
soirées musicales données dans le même hôtel
par la comtesse Merlin. M. le comte Desaix, Ois
du général tué à Marengo, occupe l'ancien ap-
partement de M""' Merlin. Le 64, qui n'a pas sur
la rue plus d'une croisée par étage, a fait de
naissance partie du même immeuble.
Un cottage garde, au n" 60, ses bouquets de
verdure et de fleurs, avec un air de bonhomie
sereine, comme avant la Révolution. Un autre
grand hôtel touche ce pavillon ; il a été inau-
guré par le président Rosambo, père ou grand-
père de Louis, marquis de Rosambo, qui a porté
sa tête sur l'échafaud en 1793, avec l'illustre
Malcsherbes, son beau-père. Pendant de longues
années, M. le baron Taylor a fondé des sociétés
de bienfaisance sous l'ancien toit des Ro-
sambo.
l'uis vient l'hôtel d'Aligre, dénomination qu'ont
portée simultanément le 56, pavillon au bout
d'une avenue, et le 54, maison à façade sculptée
adjugée en 1823 à M. Lavalaise et dont M. Phui-
chat, notaire, jouit maintenant. Ces lieux ont
été occupés par Etienne-François d'Aligre, pre-
mier président au parlement, décédé en 1798.
Le corps de logis principal a pour auteur le
sieur Ferrand, qui avait donné d'un terrain d'en-
viron 130 perches, au lieu dit les Coutures-Saint-
Martin, la somme de 25,000 livres h Antoine
Jugié, jardinier, et comme l'emplacement était
dans la mouvance de Saint-Martin-des-Champs,
10 RUE DE BONDT.
le prieur claustral de ce monastère avait entëriné
l'acte de vente.
Vers la même époque, le nommé Lécluse fit
bâtir à la place d'un quartier de gardes-fran-
çaises une salle de spectacle en bois, grandie
six ans plus tard en théâtre des Jeunes-Artistes:
Désaugiers, Martainville et Brazier y donnaient
des vaudevilles. Supprimée en 1807, la salle dépouilla,
sa jolie devanture pour se convertir en maison de re-
venu. M'"'' Feignez, duègne en province et veuve
du directeur de ce spectacle, où elle a joué avec
Juillet, Volanges, Monrose, les deux Lepeintre et
M'"*' Vautrin, a conservé un pied-à-terre au même
endroit, c'est-à-dire n° 52.
A l'autre coin de la rue Lancry, un restaurant
a ceci de particulier qu'il porté encore le nom
de Trucbot, devenu le chef d'un établissement
rival. Ce transfuge peut dire, au détriment de
la maison qu'il a d'abord fondée :
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.
Dupuy, marchand de chevaux, avait acquis
au-delà de la rue de Bondy, lorsqu'elle finissait
à la hauteur de celle de Lancry, qui n'existait
pas encore, les marais de trois ou quati^e jar-
diniers, placés sous la censive de Sainte-Oppor-
tune; il obtint, le 18 octobre 1770, le prolonge-
ment de la rue de Bondy, qu'il avait facilité par
un échange de terrain, et puis il divisa sa pro-
priété en 10 lots. Le père de M. Hortensius
de Saint-Albin, conseiller à la cour impériale,
s'accommoda d'une de ces parts, et au maître-
maçon Delafond échut l'emplacement des n"" 32,
30, 28, 26 et 24. Ayant fait de mauvaises affaires,
celui-ci eut plusieurs successeurs dans son lot, et
l'un d'eux fut Lemaistre, en ce qui regardait les
fondements du n'' 30.
Bientôt M"e Laguerre, première chanteuse de
RUE DE BONDY. 11
l'Opéra, compta le prix de cet hôtel à Le-
maistre. Elle l'accrut d'un corps de bâtiment, à
présent celui du milieu, car M. Michel Aarou a
ajouté depuis celui du fond. Quelle voix claire que la
sienne quand elle était en voix! Mais cette chanteuse
ne se ménageait guère; elle brûlait de plus de
(eux que les opéras de Gluck n'en allumaient, et
l'ivresse des applaudissements ne lui suffisait pas
toujours : on dit que les fumées du Champagne
la tirent chevroter tout un soir dans Iphigénie
en Tauride. Quoique sa vie, au point de vue
des plaisirs et de la durée, ait réalisé la de-
vise : courte et bonne, M"*' Laguerre savait comp-
ter et garder une poire pour la soif. On trouva
dans son portefeuille 800,000 livres en billets de
la caisse d'escompte ; elle laissait, en outre,
40,000 livres bien trébuchantes, force bijoux, son
hôtel et plusieurs enfants : tout lui venait des
plus grands seigneurs. On peut à plus forte rai-
son regarder comme sienne la tille qui, à la
mort du maréchal de Saxe, frère naturel de la dau-
phine, fut reconnue, à la diligence de cette prin-
cesse et de M"« de Chalut, par un acte de
notoriété, comme née du vainqueur de Fontenoy.
Grâce à cette adoption posthume, et sans qu'il
fût question de sa mère dans le titre qui lui ren-
dait son père, l'enfant eut une position qui lui
permit de s'unir au financier Dupin de Fran-
cueil, le grand-père de M""" Sand. Quant à la
maison de la rue de Bondy, elle n'a pu passer
qu'indirectement des mains de la mère de M'"*^
iJupin dans celles de M. Aaron, notable négociant,
propriétaire actuel.
Dupuy avait réservé un passage pour les che-
vaux, dont il faisait commerce, et c'est mainte-
nant l'entrée du café Parisien qui, lui-même,
tient la place d'un hôtel éditié par Delafond,
acheté ensuite par Mazières, fermier-général et
12 RUE DE BONDY.
grand joueur, qu'exproprièrent ses créanciers.
Le successeur de Mazières fut le marquis de Myons,
gentilhomme dont l'émigration lit placer sous séques-
tre cette propriété, mise en loterie le 29 ger-
minal an H et gagnée par le sieur Roussel,
porteur dn n" 55,501, Une tradition ajoute que
l'impératrice Joséphine, alors M'"" de Beauharnais,
y vécut quelque temps, bien avant que ce fût
l'une desmairies de Paris. Maison démolie pour faire
place h une vaste, mais fort triste halle aux
demi-tasses !
Comment douter que le 24 ait été le frère
utérin du 26? Le passage de l'un était béant,
bouche de servitude, sur la face de l'autre,
remarquable par son escalier et par un balcon
sur la cour. Magnifiques escaliers au 22 et au
20, où logèrent la marquise de Ferrières, le mar-
quis de Folleville et bien d'autres, ku même
temps on venait voir le cabinet du duc de Chaul-
nes, dans celui des hôtels de notre rue qui
portait le n" 45 avant 89. Les maisons de Paris
.étaient cotées par des chiffres depuis les pre-
miers temps du règne de Louis XV; mais je ne
sais pas à quel bout de la rue de Bondy com-
mençait son premier numérotage.
Elle se confond avec le boulevard entre la rue
de Lancry et celle du Faubourg-du-Temple, et
le milieu de cette accolade est marqué par le
Chàteau-d'Eau, qu'on a inauguré le 15 août 1811.
A ce monument le VauN.hall, qui donnait ses
bals près de là, dut souhaiter la bienvenue. Mais
le Vauxhall, à cela près, avait déjh dégénéré
depuis le temps où l'Italien Torré y tirait des
feux d'artihce. L'exemple de M"'*" Dubarry, qui
était alors au pinacle, donnait de tels encoura-
gements aux jolies filles qu'il y en avait toujoui'S
pour fouler aux pieds l'innocence, du premier
RUE DE BONDT. 13
au dernier degré, dans cette coulisse de la Bourse
des amours. Les fêtes de Tempe y florissaient
en 1782, et elles étaient foraines, entremêlées
de farces et d'ariettes. Le prince de Soubise, plus
d'une fois, y a flatté le dé de la galanterie, et
l'un des meilleurs points qu'il ait amenés était la
jeune nièce de M"" Lany, jeune elle-même au
théâtre, dont il resta le vieux coquin de neveu
pour quelque temps. La salle de danse, au Vaux-
hall, était de forme elliptique et au centre d'un
arpent et demi d'anciens plants d'artichauds trans-
formés en parc; un plafond élevé y portait sur
de belles cariatides, et deux rangs de galerie
tournaient au-dessus d'un café souterrain. L'or-
chitecte de ce Vauxhall, construit en 1785, était
Mélan, et le décorateur Munich. On payait 30
sols pour entrer, et il y avait deux portes : l'une
rue des 3Iarais, l'autre rue Is'euve-Saint-Nicolas.
L'emplacement différait donc de celui de la salle
de bal qui répond encore à la même désignation.
Rue <los Bons-Enfants, (i)
Son Histoire, à cela près de ÏOrdre chronologique.
■jîsie des pro|U"îélaîre>» ou principaux locataires
(le loufes lc<« iiiai<i»on!>> de la rue de!!> Bon««-
Enfanlïi en Tan I7^0 :
(Eôté rjaiuljc Côté broit
en venant de la rue Saint- Honoré.
Les chanoines de Saint- Les chanoines de Saint-
Honoré.
De k Planche.
D'Argenson.
]\Ime de Saincou.
Bellet.
M-^e de Matignon.
Le Vasseur.
jVJnio de Matignon.
Le Bûutier, prieur.
De Courville.
Comtois.
Honore,
De Serrant.
Ranchin et M'"» Rassiu.
De la Guillonnière.
Chenut et Fontenay.
De l'Estoile.
Antre recensement sans date., mais proba-
blement du même siècle, se rapportant aux
mêmes propriétés :
Chanoines de Saint-Honoré.iChanoines de Saint-Honoré.
M""3 de la Planche. Eglise Sainte- Claire.
M'se de Nonant. Collège des Bons-Enfants.
Mme de Matignon. ir/., id., iJ., l'd.. l'd., id., id.
M's de Nomon. |M"e Ralabon.
M"": de Seignelay. -M. de Montelon, premier
M. Desfossez. j président à Rouen.
M Desfourneaux. JM. Valdor.
Idem. !m. Renault.
(1) Notice écrite en 18i)«.
RUE DES BONS-ENFANTS. 15
Cette double nomenclature ne nous tait pas
retrouver le toit sous lequel chercha refuge, rue
des Bons-Enfants, le connétable d'Armagnac, dans
cette nuit du 2'8 au 29 mai 1418 qui favorisa
de ses ténèbres la trahison de Perrinet-le-Clerc,
livrant la porte de Buci aux Bourguignons et
aux Anglais. La retraite du connétable, complice
de ce crime, fut dénoncée au populaire furieux
par un maçon, habitant la maison, et d'abord on
se contenta de s'assurer de sa personne. Mais la
colère publique se réveilla ensuite pour forcer la Con-
ciergerie et percer de mille coups d'Arma-
gnac : le cadavre de ce descendant de Clovis
par Charîbert, frère de Dagobert, fut traîné par
toutes les rues sur le chemin de la voirie.
Les n"' 1, 3 et 5 sont évidemment les pro-
priétés que désignent au commencement de
la rue, côté gauche, les deux catalogues produits
plus iiaut ; l'une d'elles a conservé un escalier
h balustres de bois antérieur au Palais-Cardi-
nal, et la même famille possède depuis soixante-
dix ans l'immeuble qui vient après, hôtel Baillif
ix l'usage des voyageurs. Le 7, dont un corridor
sombre se dit le passage Henri IV, donne avec
ce conduit cour des Fontaines, et se trouve au
cœur de la place qu'occupait une salle de spec-
tacle qui fut .celle de Molière lui-même et qui
fut aussi l'Opéra. Un passage plus clair
et plus large, qui vient après, tigurait déjti sur le
plan de Paris qui reconnaissait ^ notre rue, en ITli,
25 maisons et 11 lanternes : On l'appela passage
du Palais-Royal rendant de la. rue des Bons-
Enfants au travers des basses-cours dudit palais.
Le premier incendie dudit théâtre du Palais-Royal,
car il y eut deux incendies, valait à cette voie publi-
que la rectification de son alignement dès l'an-
née 1680. Un bâtiment, qui avait obstrué la cir-
culation, n'y était plus; mais les frais des
18 RUE DES BONS-ENFANTS.
embellissements locaux avaient été mis par une
ordonnance royale à la charge des propriétaires
appelés à en proliter de première main, dans
les rues Saint-Honoré, des Bons-Eiitants et Neuve-
des-Bons-Eniants. On voit maintenant les choses
de plus haut à rHôteWde-Ville; il n'y en a pas
moins, pour la carte de Paris, maintes améliora-
tions que sullirait à défrayer la plus-value des
immeubles en bordure sur les points qu'elles fa-
vorisent.
Le surnom de Mélusine a été donné à un
hôtel bâti en même temps que le Palais-Royal,
et dans lequel une tapisserie représentait cette
fée des romans de chevalerie. Richelieu avait,
commencé par se mettre sous la main, dans ce
pavillon attenant au jardin du palais, le poète
Boisrobert, son favori, lequel y avait reçu l'Aca-
démie-française quand cette compagnie ne se réu-
nissait encore (lue chez quelques-uns de ses
premiers membres. La merveilleuse Mélusine joue
aussi un rôle historique dans les traditions du
Poitou; elle est devenue, dit-on, par son mariage
avec Raymondin, comte de Poitiers, la tige de
la maison de Lusignan, qui a fourni des rois à
Jérusalem et à Chypre. A coup sûr l'hôtel Mélusine
est dit Lusignan en 1694, et s'il ne doit pas
cette autre désignation h un autre personnage de
la même tapisserie, c'est à l'un de ses descen-
dants. Il y aura bien un marquis de Lusignan
aux Etats-Généraux de 1789 !
Louis XIV ayant constitué en apanage la pro-
priété du Palais-Royal à son frère, le duc d'Or-
léans, au mois de février 1672, c'est seulement
trente années plus tard que l'hôtel latéral passe
dans le domaine privé de la branche cadette de
la famille royale. L'abbé Dubois n'a attendu pour
y demeurer ni son portefeuille de ministre ni sa
barrette de cardinal. Mais, n'étant que précep-
RUE DES BONS-ENÊANTS, 17
leur du duc de Chartres, prince d'Orléans, il
joue déjà un personnage : négocier le mariage
de son élève avec une lille légitimée du roi, ce
n'est pas une petite affaire. Le maître a pris soin
de cultiver l'intelligence peu commune du futur
régent, en n'opposant que cette dérivation aux
premiers entraînements de son amour ardent
pour les plaisirs. La jeune cour du Palais-Royal
porte bientôt ombrage à la vieillesse du grand
roi : le prince dessine à ravir, les sciences na-
turelles le font savant, et il se distingue dans les
armes; on recherche déjà la protection de ses
amis, Broglie, d'Elfiat, Canillac, Noce, Brancas
et La Fare, et la comtesse d'Argenton serait
traitée de favorite sans le grand nombre de dou-
blures déjà données à ce chef d'emploi. Pour-
tant le duc sait montrer des égards à la nouvelle du-
chesse d'Orléans, en présence de laquelle il
oubliera toujours M""' de Montespan, sa mère.
Le roi garde rancune à ce neveu d'avoir voulu
monter, par une conspiration, sur le trône d'Es-
pagne; mais il repousse hautement de» calomnies
imputant ensuite à ce prince la mort de plu-
sieurs membres de la famille royale de France.
Le peuple, toujours prompt à croire que les
débauches et les crimes vont de pair, investit le
le Palais-Royal, en proférant les cris les plus
menaçants, et le duc n'échappe au danger qu'en
passant par l'une des fenêtres de son chance-
lier, pour enfiler la rue des Bons-Enfants.
Or il a confié ses sceaux de prince du sang
à Bautru, comte de Serrant, qui vient de mou-"
rir à l'ûge de 93 ans, et l'hôtel Mélusine-Lusignan
est devenu le siège officiel de la chancellerie d'Or-
léans, rétabli par Boffrand et décoré de pein-
tures, parmi lesquelles se remarque le plafond
des Dieux désarmés par les Amoitrs, d'Antoine
Coypel.
18 RUE DES BONS-ENFANTS.
Charlotte Bautru, nièce dudit chancelier, est
l'épouse en secondes noces du prince Armand de
Roiian de Montauban, que Moréri prend à tort,
dans son Dictionnaire liistorique, pour un prince
de Montbazon, et elle revend au régent, le 17
avril 1720, la maison .même de la Chancellerie,
en s'en réservant l'usufruit viager. L'une des
anecdotes qui courent alors sur le compte de
cette princesse de Montauban, nous revient, à
propos. Elle se lait si souvent solliciteuse que
Dubois huit par donner directement à l'une de ses
demandes cette réponse plus que discourtoise : —
Allez vous ûiir.; f M""' de Montauban se hâte
de s'en plaindre au régent, qui est trop galant
homme pour donner tort à une dame, mais qui
en passe plus encore à l'ancien cuistre dont il
met à profit les talents politiques. — Chère ma-
dame, répond-il, que voulez -vous? Dubois a ses mo-
ments d'humeur; mais c'est, au fond, un homme
de bon conseil.
Cette rentière cesse de vivre le 10 décembre
1725; sa mort réunit l'usufruit à là nu-propriété
de l'hôtel entre les mains de Louis, duc d'Oj'-
léans, hls unique du régent, car il y a déjà
deux ans que ce dernier est mort d'un coup de
sang, dans les bras de la duchesse de Pha-
laris.
Le cardinal Dubois a lui-même survécu peu de
mois au régent, dont il n'a pas été que l'âme
danniée. Le duc d'Orléans, premier prince du
sang, a maintenu dans ses fonctions particulières
un ancien adversaire de Law, le comte d'Ar-
genson, qu'avait son père pour dernier chance-
lier, chef de son conseil, surintendant de ses
maison et finances; mais celui-ci s'est démis
de la charge de lieutenant-de-police, pour pas-
ser conseiller d'Etat, puis ministre de la guerre.
A ce chancelier, qui a rétabli l'crdre dans les
RUE DES BONS-ENFANTS. 19
finances princières, Louis d'Orléans doit, en ou-
tre, son mariage personnel avec la princesse de
Bade&t un autre mariage par procuration, pour Louis
XV, avec Marie Leczniska, la lille du roi de Po-
logne. Malheureusement la princesse de ^ Bade
meurt après deux années d'union, et le fils du
régent en demeure inconsolable : peu lui importe
que le cardinal de Fleury l'ait dépouillé de la
charge de colonel-général de l'infanterie fran-
çaise. Pieux et ami des jansénistes, bienfaisant,
protecteur des lettres, il prend avant peu un
pied-k-terre à l'abbaye de Sainte-Geneviève, où
il finit par se fixer, en remettant l'administra-
tion de ses attaires à la douairière d'Orléans, et
il ferme les yeux en 1752. Or, par acte rendu
authentique vingt-six années avant sa mort, il a
donné à vie l'hôtel de la Chancellerie au comte
d'Argenson. Mais ce nouvel usufruitier est de-
venu surintendant de la généralité de Paris avant
la disgrâce de M'"'' de Chàteauroux, et l'année 1740
l'a vu abdiquer au Palais-Royal en faveur de
son frère aîné. De cette façon la place est oc-
cupée rue des Bons-Enfants par le marquis d'Ar-
genson, naguère ministre des affaires étrangères,
ancien condisciple de Voltaire, et lui-même a
laissé quelques écrits, plus un curieux recueil
de chaiisons qui ne s'est imprimé que de nos
jours.
En 173:2, un autre duc d'Orléans, fils unique
du pensionnaire de Sainte-Geneviève, fait dona-
tion de l'hôtel traditionnel au bibliophile Marc-
René de Paulmy d'Argenson, marquis de Voyer,
fils du comte d'Argenson, et ii Jeanne-Marie-Con-
stance de Mailly, son épouse, sous la seule
réserve du droit de retour en faveur des princes
d'Orléans, en ras d'extinction de la postérité des
donataires. Vers ce temps-là, Silhouette est chan-
celier, et il a pour successeur direct ou indi-
20 RUE DES BONS-ENFANTS.
rect l'abbé de Breteuil, dont les bureaux se
tiennent rue Saint-Honoré, près l'Assomption, en
1780. Quatre ans après, le marquis précité, qui
a été un an ministre, de la guerre et plusieurs
fois ambassadeur, n'a pas encore fermé les yeux;
néanmoins ses enfants refont bail au prince
Louis-Philippe, duc d'Orléans, de cette même
maison, restaurée sur le plan de Wailly et
principalement enrichie d'un Lever < e l Aurore,
en plafond, par Durameau, moyennant 10,000
livres de rente foncière, non rachetable, payable
jusqu'à l'extinction de leur postérité.
La succession dudit prince s'ouvre le 18 no-
vembre 1785, et son tils, qui sera plus tard
Philippe -Egalité, lui succède au Palais-Royal,
tant en vertu de ses droits héréditaires que
comme cessionnaire de ceux de sa sœur, prin-
cesse de Bourbon -Condé. Mais est-on jamais
riche quand on se lance dans les spéculations
aventureuses, dans d'énormes paris et dans les
premiers frais d'une popularité dorée! Le duc
d'Orléans s'y endette au point de n'avoir plus
assez de ses immenses revenus, et alors, au lieu
de réduire son train de maison, qui est consi-
dérable, il sacrifie la moitié du jardin où tant
de promeneurs se croient chez eux, pour y éta-
blir des galeries et en faire une foire perpétuelle.
Jusque-là ce jardin, plus ombreux, mieux agré-
menté, a été ouvert en plein jour au public,
excepté pour les gens mal mis, les soldats et
les domestiques. Philippe, qui sera Egalité, dé-
mocratise d'avance cette promenade, rapetissée
dans plus d'une acception du mot, en suppri-
mant non-seulement les conditions de décorum
qu'il fallait y remplir, mais encore les portes
où il y avait des gardés. Aussi bien les allées
et les bosquets étaient déjà su Palais-Cardinal,
c'est-à-dire du temps de Richelieu, fréquentés le
RUE DES BONS-ENFANTS. 21
soir plus agréablement par des privilégiés, que
ces gardes laissaient passer, ou qui sortaient de
l'une des maisons donnant sur le quadrilatère
verdoyant. Chacune de ces maisons a eu sa clef
des champs, sa porte sur une allée, comme nous
pouvons encore nous en assurer rue de Valois
pour celles qui portent des numéros impairs dans
la rue parrallèledes Bons-Enfants. Tous les habitants
du pourtour, déshérités par ce duc d'Orléans des
plaisirs de la vue et des entrées par privilège
dont l'habitude leur est douce, lui en veulent
tant et plus : quoi d'étonnant à cela! N'est-ce
pas bien le moins qu'une caricature du temps,
rehaussée de son calembour, travestisse le prince
en chiffonnier ramassant, avec un crochet, des
locataires?
La Révolution le débarrasse enfin des frais de
représentation; les officiers de sa maison se
réduisent à un petit nombre de confidents, de
prête-noms et d'agents d'affaires, depuis l'émigra-
tion forcée de la chancellerie. Philippe-Egalité
n'a plus de médecins par quartier à ses trousses,
sans compter le médecin vétéran, et il ne s'en
porte pas plus mal. Ses créanciers, devenus ses
amis en même temps que ses égaux, ont inté-
rêt à s'entendre avec lui pour mettre ses biens
à l'abri des éventualités de confiscation. Le 6
mars 1792, en vertu de conventions arrêtées
dans un concordat le 9 janvier de la même an-
née entre le ci-devant duc et ses créanciers, le
ci-devant palais est mis en vente, et l'année sui-
vante, en présence d'un agent du trésor public,
le 13 août, le citoyen Alexis-Louis Arnoult,
à titre d'adjudicataire, est envoyé en possession. Pen-
dant la République encore. M'"'' de Maurville,
épouse divorcée, poursuit la saisie de cet im-
meuble contre François-Jean Bellanger des Bou-
lets, qui en est devenu propriétaire : cette dame,
22 RUE DES BONS-ENFANTS.
née de Ligeac, esl crëaiicière de 2,000 livres de
rente viagère.
Mëol, traiteur en vogue sous le Directoire, est
aussi installé dans la ci-devant Chancellerie d'Or-
léans. L'abbé Delille, dans VHomme des Champs,
parle de jeunes botanistes herborisant dans les
montagnes et déjeunant avec frugalité, et il dit
que :
Leui" appétit insulte à tout l'art des Méots.
Il n'en fallait même pas tant pour l'aire à
jamais oublier les restaurants antérieurs de la rue.
L'ombre et le silence y planent sur les anciens
hôtels garnis de Mars, d'Orléans et de Candie,
où le dîner revenait h 30 sols en 1769 : une
chambre s'y payait de 12 à 30 livres par mois.
A plus forte raison s'est éteint, jusqu'à la der-
nière étincelle de sa réputation, le feu devant
lequel rôtissaient un siècle auparavant les pou-
lets d'un traiteur à l'enseigne des Bons-Enfants.
En même temps que cette cuisine à l'usage d'un
public mobile, tlambaient celles des deux hôtels
particuliers du Hallier et de la Roche-
Guyon, qui, d'après un contemporain, tenaient
compagnie en ce temps-lii à l'hôtel d'Argenson.
Ce dernier immeuble est acquis, tout à la tin du
règne de Louis XVIII, par M. Pape, facteur de
pianos, et la même facture industrielle est en-
core portée par des instruments pareils dans le
même local. M. Pape a pourtant vendu ce n" 19
de la rue des Bons-Enfants en 1853 à M. Fas-
tré, avocat, père du propriétaire actuel. Du côté
de la rue de Valois sont les bureaux du Consti-
tutionnel, qui comportent deux salons merveil-
leusement décorés, dont l'un conserve des pein-
tures de Lebrun,
Quel était l'hôtel du Hallier de cette rue?
nous le cherchons encore. Mais ne se pouvait-il
RUE DES BONS-ENFANTS. 23
pas que ladite rue se prolongeât, avant la for-
mation de la rue Neuve-des-Bons-Enfants et de
la place des Victoires, et quand l'hôtel de la
Vrillière, maintenant de la Banque, occupait
moins d'espace, jusqu'à l'ancien hôtel qui porte
sur cette place le n" 48 actuel de la rue Page-
vin? Le maréchal de l'Hospital, comte de Rosnay,
seigneur du Rallier, disposait alors de celui-là.
Nous retrouvons dans le 21 un hôtel construit
en 1636 pour M. de Liancourt, comte de la
Roche-Guyon, et qui ensuite était d'Effiat. Un
d'Etlîat, nous le répétons, faisait partie des sou-
pers du régent. La propriété fut adjugée en
1720 au marquis d'Artaguette, beau-père et pré-
décesseur du comte de Carvoisin. C'est proba-
blement deux locataires qu'on y voyait ultérieu-
rement dans M'"*' de Matignon et dans M. Dupuy
de la Garde, premier-commis au département de
la guerre. M"'*' de Matignon avait pour père le
l)aron de Breteuil et pour fille la duchesse de
Montmorency. Elle se faisait remarquer par ses
toilettes recherchées et avait pris un abonnement
chez M"'' Berlin, marchande de modes, pour
changer de pouf tous les soirs. Aussi bien, dans
la petite guerre des amours, fit-elle plus d'un
prisonnier et força-t-elle jusque dans les retranche-
ments du camp épiscopal M^"'" de Pamiers. La même
maison fut vendue par M. de Lussac, gendre de M. de
Carvoisin, à M.Marigner, receveur-général de Paris,
en 1791 : elle se trouvait alors sous la censive de
la Nation, représentant le chapitre de Saint-Ho-
noré. L'acquéreur payait 20,000 tr., indépen-
damment du prix de l'immeuble, ses boiseries,
glaces et autres ornements, parmi lesquels, au
rez-de-chaussée, figurait Don Quichotte, une
tapisserie des Gobelins. M, Bertrand , notaire,
acheta l'hôtel l'année 1821.
Le nom de Le Vasseur se rapporte au 23,
24 RUE DES BONS-ENFANTS.
■ maison à porte monumentale, augmentée sous
l'Empire, et qui, depuis lors, appartient à la
famille de M. Boullay; mais, parmi les prédé-
cesseurs de ce dernier, ont figuré : Lefebvre,
auteur dramatique et lecteur du duc d'Orléans,
M'"'' Caqué et Jean-Louis Aymard de Clermont-
Tonnerre , pourvu dès 1743 d'un bénéfice à
Luxeuil, diocèse de Besançon. L'hôtel dont il
s'agit a ces traits de communs avec les précédents :
qu'il a tenu table ouverte aux médianoches de
l'autre siècle, auxquelles il donnait pour apéritif
une promenade du soir, émaillée de rencontres
fortuites, quand ce n'était pas de rendez-vous ;
que ses glaces et autres accessoires décoratifs
ont mérité de former, à chaque mutation, lot à
part, et que sa toiture est de cuivre.
Les gens de M""' de Matignon tenaient garnison
au 25, que perce d'outre en outre un passage
déjà vieux, menant rue de Valois. Le 29 nous
paraît avoir changé de face, depuis que ce n'est
plus un logis prioral. La porte bâtarde qui vient
après s'ouvrait pour les Courville, et pourquoi
ne pas remarquer à l'jntérieur la jolie rampe
d'escalier sur le fer de laquelle tant de mains
ont passé, en s'y usant, comme si c'était une
lime? Or, il y a eu deux familles de ce nom,
l'une provençale et l'autre du pays clïartrain, où
la terre de Courville a été érigée en marquisat
pour le duc de Sully en 1636.
Passons du côté droit, en commençant par les
hauts numéros. MM. de l'Estoile, que nous vous
avons annoncés, portaient : d'azur à une étoile
d'or. Leur hôtel, qui toutefois avait déjà donné
ses prémices à d'autres, répond au chiflre 32.
M. Mainpoud do la Roche vend le 30, en 1751,
à M"" de la Maisonrouge, et la bru de celle-ci le
laisse aux Rotinet, ses père et mère, faute de
descendants, l'année suivante; il passe de là à
RUE DES BONS-ENFANÏS. Ih
Claude Menand, dont Cheiiut et Fontenay sont
simplement les locataires, puis à son neveu
Bonnet, quelques années avant la prise de la
Bastille.
N'est-ce pas dans la maison contiguë ({ue
Bichelieu a attendu l'achèvement de son Palais-
Cardinal? La tradition n'en est pas confisquée
par la Révolution avec l'immeuble, qui a appar-
tenu à M. de la Guillonnière. Le 5 brumaire
an IV, comparait, rue Montmartre, dans le ci-
devant hôtel d'Uzès, par-devant François Duchà-
tel, Guillaume-Jacques-Adrien Guillotin et Louis-
Charles-Melchior Rémusson, membres du bureau
du Domaine national du déparlement de Paris,
le citoyen Charles-Frédéric Cramer, professeur
et Danois, porteur du n" 583,6iîb, lequel vient
de gagner {\ la loterie ladite propriété. Cramei-
est envoyé en possession d'une maison nue, car
le Domaine reprend les glaces et les elîets mo-
biliers garnissant les appartements. Sylvestre, ce
fondateur de l'établissement où les livres se ven-
dent encore ci la criée, achète de Cramer, le
19 frimaire an xiv; puis M. Barbé traite, en
1858, avec les héritiers de Sylvestre, mort à
Auteuil depuis seize ans, et les salles de l'hôtel
Bullion des livres n'en voient pas moins, au
même endroit, naître et mourir la plupart des
bibliothèques.
M'"« Rassin et 3L Ranchin, en fan 1780, sont
locataires ou propriétaires du t^. Le comte de
Serrant, qui, à la même époque, jouit du 24,
qu'on a rebâti de nos jours, est évidemment
quelque neveu de Bautru^-Serrant, chancelier d'Or-
léans. Nous avons, vu, dans l'une des salles Syl-
vestre, .un livre dont la garde portait son nom,
avec une date postérieure à la vie de son oncle :
c'était l'un dos 250 exemplaires de la plus pré-
cieuse édition de Daphnis et Chloé, où 28 dessins
2f) RUE DES BONS-ENFANTS.
de Philippe d'Orléans, le régent, s'encartent dans
150 pages de texte. M. Rome de l'Isle, con-
temporain de ce comte de Serrant, faisait les
honneurs de son cabinet d'histoire naturelle dans
une autre maison de la rue des Bons-Enfants.
Reste l'espace compris de notre temps entre
la rue Saint-Honoré et l'ancienne maison Serrant;
tout en appartenait aux chanoines de Saint-Honoré.
De cette propriété canoniale, dont il reste plus
d'un pan de mur et force caves, dépendait un
petit collège des Bons-Enfants, fondé au siècle
xiii, rétabli par Jacques Cœur en 1450, et un
siècle et demi plus tard par les chanoines de
Saint-Honoré. Quand Belot et Ada, ménage de
bourgeois, en eurent fait construire le premier
bâtiment pour treize pauvres écoliers de Paris
qui, au début, s'en allaient quêter par la ville,
on appela notre rue, non plus chemin de Clichy,
mais ruelle où ton va au collège des Bons-En-
fants. L'institution de cette pédagogie mendiante
n'était qu'k peine postérieure à Téditication de
l'église voisine, bâtie en l'an 1204 aux frais de
Ihérey, boulanger, sous l'invocation de saint
Honoré, évèque d'Amiens, à la place d'un mar-
ché aux pourceaux qui louchait à l'une des portes
de Paris. Le chapitre de Saint-Germain-l'Auxer-
rois nommait aux prébendes des chanoines
alternativement avec l'évéque de Paris, collateur
aux bourses du collège ; mais une chapelle
indépendante, fondée par Jacques Cœur un peu
plus haut que la rue Montesquieu actuelle, servit
spécialement aux écoliers, et une confrérie s'y
établit sous le patronage de sainte Claire. La
chapelle fut vendue et l'église démolie en 1792.
Cette église Saint-Honoré avait eu d'abord â elle un
cimetière, bordant la rue des Bons-Enfants. Le passage
à travers le Cloître était public pendant le jour; il n'y
RUE E>ES BONS-KNFANTS. 27
survit que peu de restes de rédifice religieux
qui s'y ouvrait entre la rue Saint-Honoré et le
petit passage de la Pompe, que eioise le pas-
sage d'Athènes. Sa grosse tour datait de IMiilippe-
le-Bcl ; les autres accroissements, de Henri III.
Saint-Honoré devint, au xynr" siècle, la plus
riche collégiale de Pai'is. Philippe de Champagne
était l'auteur d'une Présentation au Temple ornant
le maître-autel. La première ch?pellc à droite ne
se montrait pas trop tière du mausolée du car-
dinal Dubois, sculpté en marbre par un Costou,
et qui se trouvé maintenant à Saint-Roch. Celle
figure, dont la tête se retournait du côté de la
porte, avait été laissée tout près du seuil
par le chapitre, qui s'était ravisé à temps pour
sauver la place d'honneur désignée dans le pre-
mier projet, sous une arcade, à droite du maître-
autel. Par un scrupule du même genre. Couture,
chargé de l'épitaphe, s'était borné à l'énuméra-
tioii des dignités de l'ancien ministre, prince
de l'Eglise. Dubois, le neveu du défunt, était
lui-même chanoine de Saint-Honoré; il n'avait
accepté l'héritage de son oncle que^pour le dis-
tribuer aux pauvres, et quel éloquent désaveu !
L'éloge du cardinal Dubois n'était possible que
pour un diplomate ou pour un roué de la Ré-
gence !
Juste à l'endroit où, durant tant d'années, ce
mausolée a ligui'é, il s'est ouvert, sous la Révo-
lution, une maison de prostitution, ainsi que pour,
rappeler celle de la Fillon, assidûment fréquentée
par Dubois, qui y surprit le secret de la con-
spiration de Cellamare. Une crémerie tient au-
jourd'hui, au n" 14 du Cloître, la place oîi une
statue vivante, la mère Couturier, fut longtemps
debout tous les soirs pour présider au va-et-
vient des femmes fai-dées et décolletées qu'elle
28 RUE DES BONS-ENFANTS.
envoyait au-devant des passants. La voix de
rogomme qu'avait cette matrone servait d'horloge
dès que la nuit tombait, car, à chaque quart-
d'heure, elle criait : — Reviens! à l'une de ses
pensionnaires ; puis elle disait : — Sors ! à une
autre.
Rue du Bon-Puits, (i)
Le puits banal qui a donné son nom à cette
petite rue, ainsi appelée dès le règne de Phi-
lippe-le-Hardi , n'existait déjà plus en l'année
1744, époque où elle comptait 25 maisons et 4 lan-
ternes. En 1639 elle s'étendait jusqu'à la rue
Clopin : on en avait nommé la prolongation rue de
Bonne-Fortune à l'origine. Quelques années après la
mort du roi Lonis XV, elle fut bouchée du côté
de la rue' Clopin, ce qui donna naissance à l'im-
passe du Bon-Puits, masquée à notre époque par
un grand mur, où fait cascade l'égout de l'Ecole
polytechnique, et cet embellissement ne parfume
guère la pente de notre rue, déversoir sur lequel
l'égout cesse d'être souterrain. Cette continuelle
irrigation d'eau sale se plaît à démentir la dé-
nomination de la rue du Bon-Puits. Il est vrai
que c'est provisoire, attendu que de grands pro-
jets promettent non-seulement d'assainir avant
peu, mais encore de supprimer la rampe dont
nous parlons ici.
Plus d'un garni de la rue du Bon-Puits, sous
sa façade séculaire, sert de gîte a trois fois autant
de gagne-deniers que dans le temps où ceux de
Paris faisaient eux-mêmes leur tour de France,
pour se perfectionner dans leur état. Il en vient
de tous les pays et en tel nombre qu'il y a en-
Ci) Notice écrite en 1858. La rue du Bon-Puits est
actuellement remplacée par le square Mongo, a l'angle
de la nouvelle rue Monge et de la nouvelle rue des
Ecoles. Seulement les caves des maisons de la rue
disparue ne descendaient pas au-dessous de la nouvelle
promenade.
30 RUE DU BON-PUITS.
combrenient dans les chambrées à 4 sous par
tête et par nuit. Tant pis pour les ivrognes,
quand la place devient rare; on refuse alors leur
argent, sur les marches de l'escalier, s'ils ont
trébuché dans l'allée. Mais les autres trouvent
toujours un coin, une l'ois montés, ne serait-ce
que sur le palier. Les entants de la Savoie do-
minent dans cette latitude du quartier Moulîetard;
le fait est qu'au n" 13, rue du Bon-Puits, un
compatriote les accueilie, dont le nom est écrit
en grosses lettres sur la porte: Tron, des Alpes,
logeur.
Une maison biscornue, le 4, a conservé une
poulie en relief sur la rue, comme pour y mon-
ter le foin, bien que sa porte ne soit nullement
cochère et à peine de la taille ordinaire de
l'homme : nous sommes tenté de croire que cette
roue sert à monter des locataires. L'une des
maisons qui font face eut pour enseigne : à la
Petite-Treille. Nicolas Lebrun, maître-graveur, y
travaillait sous Louis XV.
L'enseigne d'un nourrisseur est encore au n" 9;
mais ses vaches viennent d'être abattues, r» cause
de la cherté appétissante de tout ce qui est chair
un peu fraîche. Leur fumier seul a maintenu
dans la rue quelque odeur de villégiature, dont
le souvenir lui-même va s'exhaler, et les bavo-
lets des laitières, qui pendent aux fenêtres, du côté
ou est l'ombre en plein midi, deviendront bientôt des
haillons, comme ceux qui sèchent vis-à-vis au
soleil.
La porte du 16 est sculptée, empreinte d'écus-
sons etïacés, comme si elle ouvrait au moins sur
l'ancien logis d'un bailli ; cet huis rapporté pro-
vient d'une église de campagne, achetée sur pied
la veille de sa démolition. N'entendez-vous pas,
par-derrière, piétiner et hennir des chevaux au
RUE DU BON-PUITS. 31
râtelier? C'est l'écurie de l'entrepreneur du trans-
port des prisonniers en voitures cellulaires.
Jetons surtout un dernier regard sur le n" 20, ma-
sure du temps de Louis XI, qui a gardé l'aspect ori-
ginel. Un cloutier y redresse ia vieille ferraille,
sans trop la marteler, sous un toit qui couvre à
demi cette maison, comme une armure; de vieux
barreaux de fer y veillent d'un air farouche sur
des trésors absents, et dans cet ancien domicile
d'un protégé d'Olivier Ledain, Enguerrand, le
crieur de nuit, il semble que, même en plein jour,
sonne incessamment l'heure du couvre-feu.
Rue Boucher, (i)
Souviiiirs bourgeois.
Loisquo les (jcheviiis de Paris cédèrent au loi
l'hôtel de Goiiti, pour y établir le nouvel hôtel
des Monnaies, Sa Majesté leur donna en échange
l'ancienne Monnaie avec ses dépendances, dont il
ne reste plus vestige dans la rue Bouclier, ou-
verte <3n 1776 sur l'emplacement de cette usine
royale. Pierre-Richard Boucher, écuyer, conseiller
du roi et de la Ville, était éehevin depuis plu-
sieurs années (juand cet échange lut consenti,
c'est-à-dire sous la prévôté de Jean-Baptiste-
Francois de la Michodière, et il tint sur les fonts
la rue nouvellement née. Tout Paris le prenait
pour le moins étourdi des bourgeois parvenus
aux honneurs de l'édilité, et pour le type de
l'homme d'ordre.
Ayant perdu toutelbis partie de sa fortune dans
les affaires de la Compagnie des Indes, il faillit
ccuTipromettrc le reste, bien qu'il fût difficile de
le placer plus loin. Par bonheur il avait une
sœur, I)'"' Madeleine Boucher, bourgeoise que l'é-
chevinage n'avait pas anoblie, mais qui, restée
marchande en ce qu'elle continuait à tenir par-
faitement les livres, trouvait folles toutes les en-
treprises plus aléatoires que le commerce. Bon-
di Notice écrite en 1858. La rue Boucher prenait
alors sa source dans Ja rue de la Monnaie ; on en a
démoli les cinq ou six premières maisons lors de l'ou
verture de la nouvelle rue du Ponl-Neul .
RUE BOUCHER. ' 83
cher avait secrètement imaginé un dangereux
moyen de combler son déficit, "en jouant gros
jeu, sans payer de sa personne, sur le tapis vert
des ambassadeurs d'Angleterre et de Venise; il
s'était abouché avec un chevalier de Puisaye,
expert au biribi, qui jouait pour lui, pendant
qu'il soupait tranquillement avec Madeleine, ou
chez un de ses collègues. Le pilier de brelans,
fondé des pouvoir de l'échevin, demeurait rue Boucher,
dans une maison, pourvue d'arcades, qui porte
actuellement le n" 2, et c'était encore, chose rare
pour un chevalier de lansquenet, c'était un assez
honnête homme. Tant mieux pour la fortune, cai-
elle ne se départ ordinairement de ses rigueurs qu'en
faveur des fripons! M. de Puisaye accusait cha-
que matin, au désespoir de son commanditaire,
des pertes qui n'étaient que trop réelles, et le
soir où la banque, faute de nouvel enjeu, fit
charlemagne, le chevalier arriva si pâle et si chagrin,
chez le décavé, et à une heure si indue, que le der-
nier bulletin de la campagne n'eut pas besoin
d'être autrement donné. M"« Madeleine, bien que
minuit eût sonné, n'était pas même coiflee de
nuit ; elle se présenta à l'improviste dans la pièce
où M. Bouclier embrassait, avec une solen-
nelle froideur, le visiteur, qui venait de lui dire sur le
ton d'un trappiste : — Mon frère, il faut mourir!
— ^ Au contraire, dit Madeleine en remettant à
l'un la somme entière que l'autre avait laissée
sur le tapis. Mais il ne faudrait pas recommen-
cer, mon frère. Ton homme de confiance m'ayant
prévenu h temps de la commission que tu lui
donnais, je n'ai' pas consenti sans peine ii te
laisser faire une sottise, qui est sans excuse à
ton âge; mais j'ai aposté, sans rien dire, un de
nos amis pour jouer en sens inverse le même
jeu absolument que monsieur, et, de cette façon-
34 RUE BOUCHER.
là, chaque fois que tu perdais dix louis, j'en
gagnais dix.
Le bonhomme qui a su profiter de cette leçon
n'était pas de la même famille que Charles Bou-
cher, seigneur d'Orsay, conseiller d'Etat et prévôt
des marchands de 1700 à 1707.
Au reste, nul ne sait bien à quelle époque
remonte l'établissement de la Monnaie sur le sol
de la rue Boucher et des voies publiques atte-
nantes. Le géographe Jaillot, dans ses Recherches
criiiques sur Paris, écrivait, en l'année 1775, qu'il
avait vu antérieurement les bâtiments de cet hôiel, et
que leur architecture se rapportait au règne de
saint Louis ou de Philippe-le-Hardi. Louis XIII
avait fait battre l'or, l'argent et le cuivre au
Louvre momentanément, et il avait disposé, en
1619, du jardin annexé à la Monnaie en faveur
du sieur Coltignon, qui s'y était bâti une maison.
Néanmoins, sous les règnes suivants, on en était
revenu à battre monnaie près de la rue qui
porte encore ce nom : un passage public,
fermé seulement la nuit, traversait l'hôtel, sous
Louis XV, et conduisait àlarue Thibautodé (commen-
cement actuel de la rue des Bourdonnais).
La plupart des maisons de la rue sont h ar-
cades et datent d'avant la fin de l'autre siècle;
on juge, d'après leur stature et les dispositions prises
dans l'intérieur, que leurs premiers propriétaires
n'avaient eu en vue que le rapport. Celle du
n" 1, dont le beau balcon fait retour sur la rue
de la Monnaie, appartient h M. Orsel, comme
le 3, et l'oncle de M. Orsel a fait élever ladite
maison, qui a peu de profondeur, mais beau-
coup de façade. La famille de M'"'^ .Mallat a ac-
quis le n" 4 de M. Ducret, architecte, qui l'avait
fait bâtir en belles pierres de taille pour lui-
même, et l'on sait que les architectes, en pareil
RUE BOUCHER. 35
cas, sont consciencieux. A peu près à la date
de l'ouverture de la rue remonte également le 8;
item le 5, que tient M""' de Bitte des héritiers
du général Dupont.
La Ville avait depuis trois années à sa dispo-
sition la plus grande partie du territoire de
cette rue, quand M. Charles-Simon ïrudon s'en
était arrangé en 1776. L'acquéreur s'était associé
avec M. Antoine-Jean Meslin, pour édifier le 12
et une autre maison de la rue Bouclier ; Meslin a cédé
le premier de ces immeuhles, en 1812, à M. Peti-
heau, médecin.
Une seule maison, avec cour donnant sur la
rue, paraît avoir été dans le principe un hôtel ;
nous devons supposer que l'échevin Boucher l'a
habitée avec sa sœur. Le 24 floréal an vin,
M Boëls l'achetait du sieur Eloy Coulon et de
M""' Saunier, sa femme ; M"'' Roéls la laissait, en
1823, à trois tantes, ses seules héritières, et
deux de ces dames, nées Aubertot, avaient pour
maris MM. Cheuvreux et Bourruet. Il semble
bien qu'à tous les titres ces deux beaux-frères,
MM. Cheuvreux ei Bouruet, étaient prédestinés
de naissance à l'association qui a greffé leur nom
sur celui d'Aubertot, non seulement par le ma-
riage, mais encore en raison de commerce-: ces
notables marchands de nouveautés avaient reçu
en naissant les mêmes prénoms, l'un François-
Casimir, et l'autre Casimir-François Leur hôtel
a porté autrefois le n" 9. Aujourd'hui c'est le
n" 6, et, sous le dernier règne, un avoué, ainsi
qu'un banquier, qui avait nom Martin-Didier, y
donnaient leur adresse. Un jugement d'expropria-
tion, en 1855, a fait passer ledit immeuble des
mains de M. Demis entre celles de la Ville, qui
y a établi, à titre provisoire, la mairie du IV*
36 RUE BOUCHER.
arrondissement. Le nouvel édifice de la place du
Louvre ne tardera pas à recevoir les bureaux de
cette mairie, et la porte de l'hôtel de la rue Bou-
cher échangera aussitôt son drapeau tricolore con-
tre des écriteaux de location.
Rues Ti'iidoii et Boudreau. (i)
La rue que nous venons d'historier aurait pu
pu s'appeler Trudon, puisque l'échevin de ce
nom en était le principal auteur; mais il n'en
avait fait la politesse h son collègue Boucher
qu'il charge de revanche, et peu d'années après
naquit sur la carte de Paris la rue Trudon, qui
pouvait n'être que sa fille honoraire. Elle par-
tageait le berceau de la rue Boudreau, adoptée
ou reconnue par Boudreau, greffier de l'Hôtel-de-
Ville. Et comment était fait le lit de ces deux
petites rues, qui ne cessent pas encore de se
tenir comme embrassées?
L'architecte Aubert avait pris des religieux ma-
thurins, le 18 février 1779, 3,285 toises de ter-
rain h bail pour 99 années ; les amphitéotes,
concessionnaires directs ou indirects d'Aubert,
ont érigé postérieurement cette jouissance à long
terme en toute propriété. Mais ce n'était pas la
seule spéculation faite personnellement par le
même architecte dans la Chaussée-d'Antin, dont
il avait crayonné force hôtels. Le sieur Lafreté
tenait du sieur Pellion, qui l'avait tenu d'Aubert,
un lot de 891 toises, 16 pieds, 8 pouces, sur
(1) Notice écrite en 1858. La longueur de la rue
Trudon, ultérieurement supprimée, différait à peine de
la ]ai£?eur de la nouvelle rue Auber. Entre celle-ci
toutefois el Ja rue Neuve-des-Mathurius il reste l'an-
cien hôtel d'architecte dont parle la notice. La rue
Boudreau n'a gagcé aus changements qui se sont opé-
rés si près que l'en-téte d'une construction neuve sur
son bras gauche, et Ja reine du chant, Adelina Patti,
M^e la marquise de Caui, y réside à la place qu'occupa
la maison de Ja célèbre RacheJ.
3
38 RUES TRUDON ET BOUDREAU.
lequel M"^*" Chabauoii a tait bâtir en 1798 le n" 6
actuel de la rue Boudreau; M'"'^' Reuou, pro-
priétaire ensuite, a laissé, moyennant des renies
h servir, ladite maison au carrossier Catherin,
dont nous avons parlé rue Bleue, et qui a perdu
la vie le 4 mars 1848; un des neveux de Ca-
therin en est actuellement détenteur.
Son locataire Achille Jubiual, qui écrit, qui est
député, cultive un autre art d'agrément: il collection-
ne des faïences, et je vous prie de croire qu'il en
voudrait au prince Napoléon, aux ministres et aux
pi'élets de sa connaissance si ces messieurs ne
lui montraient leur vaisselle qu'accotée à un mur
ou sur une étagère. Notre ami Jubinal, qui a de
l'esprit, n'est sérieux que comme gastronome; il
dîne k droite, mais il déjeune à gauche, et pro-
met tout ce qu'on veut à table. Il n'est jusqu'à
Soubies et jusqu'à Subervie, ces républicains de
Bagnères, qui ne disent du bon diable de député qu'on
leur impose : — Quel excellent préfet il aurait fait !
Du temps de Pellion, le comte d'Imécourt s'est
rendu acquéreur d'un champ ou marais, pour
l'ensemencer d'un hôtel magnifique qui porte le
n" 1 dans la même rue. L'une des dames d'hon-
neur de la princesse Elisabeth, sous le règne de
Louis XVI, était la vicomtesse d'Imécourt. Son
fils a passé vente de l'immeuble à M. Schneider,
directeur de l'exploitation des mines du Creuzot,
vice-président du Corps-législatif, qui en fait
les honneurs à de nombreux invités les jours de
réception.
La maison adjacente a été longtemps habitée
par la fille du comte Français de- Nantes, M"'*"
Bullot.
Le jardin de M. d'Imécourt, du côté de la rue
Trudon, qui forme avec la rue Boudreau un
angle droit, touchait à la propriété de M""' de
RUES TRUDON ET BOUDREAU. 39
Martainville. A cette dame appartenait ainsi l'em-
placement du petit hôtel qui fut plus tard la demeure
de M'"^ Rachel.
La grande tragédienne y passa pour la maî-
tresse d'un ambassadeur, plus tard ministre, et
puis d'un auteur dramatique, après lequel serait
venu un prince. Elle ne donnait pas, en effet,
leurs grandes entrées dans la maison à deux
personnages à la fois; mais s'il avait fallu comp-
ter les petites! L'amant en pied avait beau faire,
il ressemblait toujours pour M"*' Rachel au financier
bouffi qui, le premier, avait tenu ouvertement l'em-
ploi, et elle ne subissait que par politique la tyrannie
de ses assiduités; le caprice était le complice
des vengeances qu'elle en tirait, et ce rival avait
lui-même à craindre des infidélités d'occasion.
Le protecteur lui agaçant les nerfs, quelle que
fût sa suprématie, elle essaya parfois du protégé,
et de \h vient l'élévation de deux ou trois cabo-
tins sans talent. Il fallait même, pour attendre
et saisir un à-propos qui lui allait à l'àme, plus
de servilité qu'il n'y en a de compatible avec
les distractions auxquelles est sujet le poète,
avec la dignité des personnages habitués à tous
les commandements et avec le compte k-demi,
cet idéal de la paix des ménages. Souvent l'ac-
trice, en entrant dans sa loge, se sentait plus
portée aux tendres épanchemenls qu'à répéter le
rôle qu'elle allait jouer, et Racine ou Corneille
l'inspirait mieux en scène si l'amour avait pré-
sidé à .sa toilette.
M™" de Martainville avait pour second voisin
l'architecte Aubert lui-même, dont l'habitation,
rue Trudon et rue Neuve-des-Mathurins, est de
nos jours celle de M. Justin Durand.
Rue fies Boulangers, (i)
A ravénement de Jean-le-Bon, il existait ûéjh
une rue Neuve-Saint-Victor, dont le nom ne tarda
pas h devoir sa moditication à un groupe de
boulangers, si ce n'était pas à leur corporation.
Le plan de 1714 ne nous signale l'importance
de pas une des 34 maisons que mesurait le rec-
tangle de cette rue montueuse, dont les 5 lan-
ternes avaient l'air de jouer ii cache-cache. Aucun
signe particulier n'était dû, à vrai dire, au n" 34
actuel, en raison d'entants naturels de Louis XIV
qu'on y avait mis en nourrice, et qui devaient
être ceux de M""" de Montespan, avant que la
garde en fût confiée h. M'"« de Maintenon.
Une autre maison de la rue avait été au même
(1) Notice écrite en 1858. Depuis lors la nouvelle
rue Monge a raccourci la rue des Boulangers de ses
derniers numéros, principalement du côté des impairs.
Le couvent des Anglaises, proscrit par cela même,
occupait l'emplacement du n" 19, école communale de
filles, et tout ce qui venait après jusqu'à la rue des
Fossés-Sainl-Victor, où était sa grand'porte, bien que
la maison d'encoignure n'en dépendît plus. Une tran-
chée divise la rue, pour la faire descendre plus bas J.ins
Ja moitié de la largeur plus grande que lui réserve Ja
reconstruction; il y a donc parla comme deux rues, la
haute et la basse. La découverte d'arènes romaines n'a élé
faite qu'en 1870 du côté de la rue Monge, sur le territoire
même des Anglaises, et cet événement a paru d'autant
plus heureux qu'on était loin de s'y attendre. La preuve
historique d<^ i existence de cet amphithéâtre ne man-
quait pourtant pas; il s'en faut, quanta nous, que nous
nous flattions d'avoir été prophète eu indiquant, à dif-
férentes reprises, avant l'exhumation fortuite desdites
arènes^ leur emplacement au-delà du Panthéon.
RUE DES BOULANGERS. 41
temps celle de M. de la Poissière, père de
la comtesse d'Argenton. Cette maîtresse, que le
duc d'Orléans garda longtemps avant d'être ré-
gent, mais qu'il finit par renvoyer à son père,
pour, plaire au roi, était la mère du chevalier
d'Orléans, grand-prieur de France.
Tout ce que vous voyez au-delà du 17, à l'ex-
ception du dernier bâtiment , appartient aux
religieuses anglaises de la rue des Fossés-Saint-
Victor; deux jardins s'y étagent derrière un mur
et des bâtiments qui n'en contisquent ni la vue
ni les fraîches émanations. Depuis la grande révo-
lution la niche du 33 est vide.
Presque en face de ce cadre sans tableau, les
n"' 38 et 40 se partagent une maison plusieurs
fois centenaire, sous la porte cochère de laquelle
fait antichambre un buflet du xvn'" siècle, à larges van-
taux de chêne solidement ferrés, qu'on a casé
là faute de place dans les appartements, deve-
nus trop étroits pour ce meuble. La présidente
de Beaufort, le sieur Maboul, maître des requêtes,
et Le Sêtre, lieutenant invalide, ont possédé
l'immeuble successivement au xvni'' siècle. Aussi
bien, de ce côté pair, les maisons souvent ont
pour socle plusieurs étages de sous-sol par-der-
rière et souvent leur jardin descend, comme pour
gagner du terrain à la verdure fruitière et po-
tagère, tout près de la rue Saint-Victor; du
haut de leurs croisées, qui sont un belvédère,
on plane sur le Jardin-des-Plantes et Bercy, que
baigne la Seine; d'un clin-d'œil on passe à Bel-
leville, et de Paris à la campagne la vue fait d'au-
tres petits voyages. Le 30, charmant cottage en
cette heureuse exposition, est depuis près d'un
siècle dans la famille de l'éditeur Challamel. Les
24 et 26 parlent de plus loin, mais si peu distincte-
ment que l'écho ne gagnerait rîen à s'y montrer fidèle.
Le 22, qui. n'en est pas à la première de ses
42 RUE DES BOULANGERS.
restaurations, convient d'avoir appartenu à l'un
des petits collèges fondés au moyen-âge. Cette
maison s'en est adjoint une autre, et depuis
lors elle a le choix entre deux sorties diffé-
rentes, qui se rapprochent de l'un et de l'autre
bout de la rue des Boulangers; la fabrique de
lits de fer de M. Bainée s'y exploite. Presque
toute la journée ses ateliers exhalent un bruit
sourd, qui ressemble h des gammes jouées
sur un orgue immense par un accordeur qui
l'essaie, et la monotonie de. ces accords ferait
enrager les voisins si la force de l'habitude n'em-
pêchait pas l'oreille de percevoir les sons qui la
fatigueraient de leur répétition. Le citoyen Léonor
Viel a gagné cet immeuble, mis en loterie par suite
d'un décret de la Convention en l'an m; il était
porteur du n" 5,524.
On retrouve au 19 un ancien puits public,
fermé de nos jours au cadenas; l'eau pouvait
en servir à faire le levain de bien, des pains au
xv*" siècle. Le 13 est vraisemblablement la mai-
son doyenne de la rue; sa vaste cour, sa véné-
rable rampe d'escalier en fer, les petits carreaux
de ses croisées et des cheminées en marbre
bien travaillé rappellent que des riches en ont
connu les êtres, et pourtant quelle décadence!
Les pierres se disjoignent, comme si elles en
avaient assez ; tout est du haut en bas grisaille,
déprimé, usé; les habitants ont l'air de froids
revenants ; s'ils étaient ou maîtres ou valets,
ils prendraient plus de souci des dégradations
locales, et la mousse blanchâtre ou verdàtre,
dont la moisissure fait les frais, capitonnerait
chez eux moins d'encoignures. On a hissé des
maisons de plaisance jusqu'en ce monticule des
boulangers, vous en avez la preuve, et elles
y passent pour avoir grignoté plus de biscuit
galant que de pain de ménage. Où la petite mai-
RUE DES BOULANGERS. 43
son n'allait-elle pas se nicher! La porte ronde
et bâtarde à gros gonds du n" 10 a quelque
chose de trapu et de musculeux qui n'engage
déjà pas à s'y frotter, et' son allée est assez
noire pour ne pas attirer davantage les honnêtes
gens qui n'y ont que l'aire. La gibbosité du 6
est un effet de l'âge; mais le tassement, dans
bien des constructions modernes, n'attend pas le
nombre des années. Une bosse de même nature
mériterait au 1 la réputt.tion de bureau d'esprit
si le proverbe consolateur des bossus en chair
et en os s'appliquait aussi aux bâtisses.
Rue fies Boulets, (i)
Les carrosses n'allaient pas aisément jusque-là
dans la première moitié du siècle dernier; mais
des chaises à porteurs, dont les stores se bais-
saient en cas de besoin, pouvaient amener iso-
lément des invités de l'un ou de l'autre sexe à
la Folie-Titon, par la rue des Boulets. L'entrée
principale de ce domaine, qui avait commencé
par être un château, sous Louis XIV, pour de-
venir plus d'une petite maison, était rue de Mon-
treuil; un partage de famille avait suivi la mort
de Maximilien Tilon, et il y en eut un autre après
Evrard Titon du Tillet, conseiller au parlement,
qui se fit un nom à protéger les lettres. Que de
lots il faudrait réunir pour restituer l'ancienne
Folie-Titon ! Rien que sur la rue secondaire, il
y en avait déjà deux ou trois avant la fin du
règne de Louis XV. Des galanteries coûteuses
allaient y réduire Pierre ïiton, écuyer, vicomte
de la Forét-Taunier, seigneur de Coigny et autres
lieux, au déshabillé des amours de Boucher,
quand la mort vint lui fermer les yeux plus sé-
rieusement que la fatigue des plaisirs n'avait pu
le faire jusque-là. Sa petite maison et un clos
(1) Notice écrite en 1858. La rue des Boulets com-
mençait encore rue de Montreuil et finissait encore
rue de Charonne ; il y a mamleoant prolongement aux
deux extrémités, par suite de la suppression nominative
de la Petite-rue-Saint-Denis et de la rue de la Muette.
Celle des Boulets va maintenant de la rue du Fau-
bourg-Saint-Antoine à la rue de la Roquette; elle est
traversée par le nouveau boulevard du Prince-Eugène,
qui ne lui a enlevé (jue des bicoques et des cultures
de maraîclieis.
RUE DES BOULETS. 45
qui en dépendait, le tout mesurant 4 arpens,
furent l'objet d'un décret le 25 avril 1761: la
saisie en avait eu lieu à la requête de Jeanne-
Cécile Le Gray, veuve de Pierre Titon, qui de-
meurait rue Gérard-Beauquet, puis rue Beau-
treillis, et sur la réclamation de son douaire par
préciput. Les quatre criées officielles se firent k
l'issue de la grand'messe, devant l'église Sainte-
Marguerite, puis la vente eut lieu au Chàtelet,
où le dernier feu s'éteignit sur l'enchère du pro-
cureur de Marguerite Joly, veuve de Michel Chau-
vière, marchaad ci Montreuil-sous-Bois, et bisaïeule
de madame Lallier, propriétaire actuelle.
Un autre lot considérable était la maison de
camyagne de François-Eugène Magny, à cause
de sa première femme, Catherine Antheaume, et
passa h Louis-Eugène Magny, maître -peintre,
membre de l'académie de Saint-Luc, héritier de
la susnommée, sa mère, et de sa sœur, entrée
en religion. Ce quartier de Folie, qui donnait
sur la rue des Boulets par un passage décou-
vert de porte coclière, entre deux petits édifices,
et dont le grand jardin avait une autre issue
rue de Montreuil, fut adjugé en l'année 1767 à
Claude-Charles Girard, secrétaire des finances,
seigneur de Vaugieux et de la Sablière, demeu-
rant rue de Béthizy.
Modeste Guérin, jardinier, cultive un autre quar-
tier du même domaine, au n" 19 d'ii-présent, et il y
est propriétaire aussi bien que sa voisine. M"'® Lal-
lier. Deux portes de cette Folie se trouvaient en
1720 dans la rue des Boulets, dont elles estaient
alors les n"' 6 et 7.
Le fameux banquier Samuel Bernard dut aux
beaux yeux de sa cassette des bonnes fortunes
qui se suivaient de près au n" 4 du même temps :
il y payait son loyer au sieur Prudhomme,
comme le maître-jardinier du n" 5 i\ M. de Bassy.
46 RUE DES BOULETS.
Samuel reconnaîtrait encore sa petite maison
dans la manufacture de papiers-peints de Car-
pentier, n" 12, qui a été déjà en notre siècle
une filature de coton, disent les uns, et un cou-
vent, disent les autres. Le fait est que la rue
des Boulets, mais je ne sais plus à quelle épo-
que, a eu des filles de Sainte-Marie, communauté
fondée en 1713. L'immeuble subséquent fut acquis
il y a un demi-siècle par un soldat-laboureur,
dont le fils récolte et vend encore des primeurs,
grâce à des couches et à une orangerie qui lui
rapportent encore plus qu'elles ne coûtaient au bour-
geois d'autrefois. Laquelle des deux propriétés
dont nous parlons fut aussi la pension Chantereau?
L'un des élèves de cette pension devint le grand
chansonnier Béranger.
Samuel Bernard et les Titon avaient eu pour
prédécesseurs des maraîchers, qui dès-lors con-
damnaient la terre à la fécondité artificielle que
couve le fumier et que fait éclore l'arrosoir ;
ils en avaient aussi pour successeurs. La popu-
lation, maintenant encore, est au moins aussi
jardinière que maimfacturière dans la rue des
Boulets. Celle-ci a gardé sa physionomie subur-
baine, bien qu'elle ait cessé depuis un siècle de
l'aire partie du chemin de ronde ; mais le jour
où le boulevard du Prince-Eugène la balafrera,
dans le sens qui est déjà déterminé, les derniers
campagnards y passeront faubouriens. Quand la
ville n'allait pas plus loin, la banlieue commen-
rait au coin de la rue de Charonne, sous les
auspices de la croix Faubin, dont un quartier
suburbain prenait le nom. Au même carrefour
se trouvait un bureau pour recevoir les droits
cCentrée des vins, pied fourché, domaine, tarro.ges
et poids-le-Rny.
Le 41 n'est que vieux; mais la [)orte cintrée
du 43, derrière laquelle fermente un tas de
RUE DES BOULETS. 47
fumier, qui la condamne, a connu le chemin dont
on a fait cette rue, La dénomination des Boulets
s'y affirme sur le plan.de Jouvin, plan qui a vu
le jour en 1676. Probablement elle provenait d'une
canonnade pointée dans cette direction par les
partisans déclarés de M"^ de Montpensier ; pour-
tant une version différente la fait remonter aux
guerres civiles du xvi* siècle et l'étend à tout le
terroir, dit aussi les Basses-Vignoles.
Rue du Boulot, (i)
Les Carmélites. — Le Tabac. — Le Chancelier
Séguier. — La Ferme-Générale. — Le Cour-
rier Français. — Les Lussa.n. — Les Hotcl
leries. — Vancien Jeu de Paume. — Le Duc
du Lude. — Dreux d'Aithray. — La Reynie.
— M. ^^éro — Passage Véro-Dodat. — ^"*
Rachel.
Le plan de Nolin, qui nous fait voir Paris en
l'année 1699, met à la place des n"' 19, 21 et
23 de la rué du Bouloi actuelle une "maison du
même nom, donnant aussi rue Coquillière. Cette
maison remplaçait un jeu de boules, auquel devait
la rue de s'appeler des Bouliers, du Bouloir
ou du Bouloi, depuis le xiv*' siècle, et elle avait été
bâtie pour une colonie de carmélites en l'an
16o6. Ces dames avaient simultanément d'au-
tres maisons dans les deux rues; elles y sont
restées propriétaires beaucoup plus de temps
qu'établies. Toutefois M""' de Sévigné a connu,
ses Lettres en font foi, les carmélites de la rue
du Bouloi, avant le retour de ces enfants pro-
digues à la maison-mère du faubourg Saint-Jac-
ques. Elles recevaient en visite jusqu'aux maî-
tresses du roi, qui arrivaient les mains pleines
de bouquets, et si les nouvelles du dehors ne
laissaient pas les nonnes indillérentes à toutes
(J) Notice écrite en 1858.
RUE DU BOULOI. 49
les intrigues de la cour, les impatiences du roi
et ses malédictions ne s'en prenaient qu'à la
communauté.
Aussi bien le grand bureau du Tabac tient moins
de place d'abord que dans la suite, et moins
près de la rue Coquillière;' il commence par
n'occuper, rue du Bouloi, qu'un corps de logis,
appartenant au roi, mais enclavé dans le do-
maine monastique, dont il doit avoir fait partie.
La ferme des tabacs a été établie en 1674, mais
elle n'est distraite de la ferme-générale qu'en
1697, et cette division fait de la denrée dont le
100 pesant a été imposé de 40 sols en 1621,
puis de 7 livres, 11 sols plus tard, l'objet d'un
fermage de 250,000 livres, dont 100,000 pour
indemniser la ferme-générale. Dès l'année 1714,
la progression devient considérable : . un bail est
fait pour six années, moyennant 2,000,000, avec
augmentation de 200,000 livres pour chacune des
quatre dernières années. Avant l'expiration du
bail, la compagnie d'Occident en prend la suite
pour 4,020,000 livres. Nouvel affermage en 1721.
La compagnie des Indes, deux ans plus tard,
est subrogée au fermier des tabacs^ entin le
privilège de la vente exclusive de ce produit,
dont l'usage se répand de plus en plus, est
réuni de nouveau à la ferme-générale en 1730,
moyennant 7,500,000 livres livres pour chacune
des premières années, et 8,000,000 pour chacune
des autres. L'ancien hôtel de la ferme des Tabacs,
qu'il ne fiiut pas confondre avec celui de la
Ferme-Générale, en devient habitation particulière,
puis siège de l'administration des Domaines; c'est
aussi l'ancien monastère des Carmélites et l'an-
cienne maison du Bouloi, dont la vaste cour à
porte monumentale est toujours dite des Domai-
nes, et il a gardé une sortie sur la rue Coquil-
lière, mais il en a perdu rue Croix- des-Petits-
50 RUE DU BOULOI.
Champs une autre. L'ancien hôtel a été transformé
en une cité industrielle; seulement la façade a
été séparée des bâtiments en fer-à-cheval du
fond par une division immobilière qui remonte
à l'époque d'un retour à l'Etat. Les n°^ 19 et 23,
pris sur cette façade, ont fait d'anciennes fausses-
portes leurs deux entrées.
On a dit aussi rue Basile celle que nous res-
tituons à son passé; mais cette désignation,
en ayant le dessous, est restée à une cour, de
l'autre côté de la rue. L'hôtel de Jean de la
Perrière, vidame de Chartres, ami de Coligny,
était voisin; Jeanne d'Albret, reine de Navarre,
y mourut en odeur d'empoisonnement le 8 juin
io72, et le logis passa à Françoise d'Orléans,
veuve de Louis de Bourbon, puis h Henri de
Bourbon, duc de Montpensier, puis au duc de
Bellegarde.
Le chancelier Séguier en fit l'acquisition et,
pour s'y agrandir tant de la cour Basile que
d'une portion d'un cimetière y attenant, il donna
en échange à la paroisse Saint-Eustache non-
seulement le terrain de l'église et du cimetière
Saint-Joseph, rue Montmartre, mais encore cette
église construite tout exprès. Il tenait d'autant
plus à s'établir dans ce quartier qu'on y avait
connu sa famille avant lui. Biaise Séguier, son
bisaïeul, avait épousé Catherine Chenou, fille
d'un maître de la Monnaie, et, cette dame ayant
été la bienfaitrice de l'église Saint-Honoré, ses
descendants y nommèrent jusqu'à la Révolution les
titulaires de la chapelle des Vertus Le chancelier a
reçu dans son hôtel, qui par-devant ouvrait rue de
Grenelle-Saint-Honoré (i), ses collègues de l'Aca-
(1) La rue de Grenelie-Siiint-Honoré fail maintenant
partie de la rue Jean-Jacques Rousseau.
RUE DU BOULOI. m
demie-Française, et cette compagnie y a tenu
ses séances plus régulièrement que chez Conrart
et chez Boisrobert, avant que l'hospitalité du
Louvre lui fût offerte. Séguier ne protégeait pas
que cette Académie, où il prenait Richelieu pour
modèle; il avait aussi le bon esprit d'aller au-
devant du mérite inconnu. D'ailleurs, quel autre
aurait su tenir les sceaux dans une balance qui
ne penchait ni du côté de la régente Anne d'Au-
triche ni du côté de la Fronde? Malgré tout ce
qu'il avait fait de bien, on se moquait encore
des alliances prétentieuses que lui devait sa
famille, dont le premier membre en crédit avait
été un apothicaire du roi. Quel chemin les Séguier
avaient fait dans un monde où ils étaient entrés
par la porte de derrière! Des deux tilles du
chancelier, l'une épousa le marquis de Coislin,
puis le marquis de Laval; l'autre,, le duc de
Sully, puis Henri de Bourbon, duc de Verneuil,
fils naturel de Henri IV.
Les fermiers-généraux achetèrent 1 hôtel Séguier,
pour en faire le leur, une douzaine d'années
avant la fin du xvn*" siècle, et quel bouleverse-
ment n'entraîna pas l'installation de nombreux
bureaux ! Les rouliers entraient à l'hôtel des
Fermes par la rue du Bouloi; du même côté il
y avait des écuries et des magasins, qui dans la
suite servirent de remises aux messageries LatTitte-
et-Caillard. Le lecteur, ayant droit à la porte
d'honneur, sera forcé, comme nous, de faire
le tour par la rue de Grenelle, où il nous
retrouvera.
Nous avons encore à le promener, pour le
moment, dans la rue parallèle, dont les proprié-
taires étaient en 1705 :
5S
RUE DU BOULOI.
(iJatulje :
ÏDroitc
à partir de la rue Croiœ-des-Petits-Champs.
Dorgerac, au coin de la rue
Croix- des-Petits-Champs.
Hersan, hôtel garni du Bou-
loir.
Le même.
Cosain.
De Chapuy, couspiller- se-
crétaire du roi, hôtel garni
de Notre-Dame. ■
De Pallnau, hôtel garni du
t-amt-Espi it.
Naulain, à l'enseigne de la
Madeleine.
Les carmélites.
Le roi, bureau du Tabac.
Les carmélites . à l'image
de 8ainte-ïhéi èse.
Les mêmes, à la Ville-de-
Dijon.
Les mêmes.
Les mêmes.
De la Reyiiie.
Marais, procureur.
De Neuilly , au Cheval -
Blanc.
De Fourcy, jeu de paume,
au Coq-à-Cheval.
Culot.
De Courcelle elTHÔtel-Dieu,
derrière d'un jeu de pau-
me.
De Bazy, à la Ville-de-Ca-
lais.
De Courcelles.
Louvet, médecin.
Derrière de l'hôtel des Fer-
mes-Générales.
De Verneuil, mur de son
jard.n et sa maison, au
coin de la rue Coquil -
lièro.
Cela faisait déjk 24 maisons, et il y en eut
bientôt, d'après Lacaille, une couple de plus :
elles jouissaient de 10 lanternes. Comme il serait
facile aux habitants d'alors de retrouver leur place
respective! Pas une porte de moins, pas une de
plus !
Le n" 26, édifié aux dépens des fermiers-géné-
raux sur le jardin de l'ancien hôtel Séguier, a
été, sous la République, adjugé au sieur Des-
marré, qui l'a vendu à réméré, le 24 thermidor
an IX, à la banque territoriale; le retrait de ce
réméré a été exercé plus tard par Desmarré, qui
est rentré en possession de l'immeuble. On y a
vu, sous Louis-Philippe, les bureaux du journal
le Courrier Français, parmi les collaborateurs
duquel nous figurions sous la direction Durrieu :
le loyer en était payé à la famille Brinquant.
RUE DU BOULOl. 53
Quant à l'espèce de tour qui arrondit l'angle de
la rue Coquillière, sur la même ligne, elle a cer-
tainement fait partie de l'hôtel de M. de Ver-
neuil.
Pour que les dames carmélites eussent dans
cette rue huit maisons d'enfilade, il fallait bien
que le n" 17 fût encore du nombre. Nous devons
pourtant y voir aussi un ancien hôtel de Lussan,
avec une maison contiguë de la rue Croix-des-
Petits-Champs. Le comté de Lussan a été érigé
dans le diocèse d'Uzès, en 1645, en faveur du
père de Jean d'Audibert, baron de Valrose, sei-
gneur de Saint-Marcel, premier gentilhomme de
la chambre du grand Condé, prince du sang. La
fille de celui-ci a épousé Fidtz-James, duc d'Al-
bermaie, lieutenant-général des armées de France,
pair de la Grande-Bretagne, tils naturel de Jac-
ques II; mais elle a eu d'un autre lit Forth-
•Drummond de Melfort, comte de Lussan, seigneur
de Brignon, Rosières, etc. Il y a eu aussi un
Lussan premier gentilhomme de la chambre du
comte de Charolais et lieutenant-général en 1748.
Si cette famille habitait encore la propriété sous
Charles X, elle y eut pour réveille-matin un rou-
lage qui, du reste, n'était pas de trop pour
donner de l'animation à une grande cour faisant
pendant à celle du 21 Dans une cave en répa-
ration, il n'y a guère que vingt ans, des ouvriers
piochant au pied d'un mur mirent à découvert
des cercueils. Un vieux domestique de la pro-
priétaire, qui se trouvait dans une autre cave,
entendit le premier leurs exclamations et crut
qu'ils trouvaient un trésor; il accourut tant qu'il
avait de jambes, dans l'espoir d'en avoir sa
part, et le spectacle des bières effondrées lui fut
une si triste surprise qu'il en perdit ses der-
niers cheveux d'un jour ii l'autre et qu'une dé-
V
54 RUE DU BOULOr.
crépitude rapide le rapprocha de sa dernière
heure.
Que si les religieuses n'avaient ni aliéné ni
donné en location l'hôtel de Lussan au milieu du
xvur siècle, il avait pu antérieurement se trouver
propriété du roi et bu eau du Tabac. Toujours
est-il que les carmélites n'avaient plus que sept
maisons dans la rue du Bouloi quand elles en
vendirent deux à 31. Etienne et une autre ù
M. Bonnaire, Louis XVI étant sur le trône.
Plusieurs maisons voisines, pour ne pas déro-
ger absolument de leur ancienne qualité d'hôtel,
se sont ouvertes aux voyageurs. N° 20 on lit:
Hôtel d'Albion. Un escalier h rampe de fer y
avait précédé les Pellegrain de Lestang, pro-
priétaires de 1739 à 1810, et peut encore enter-
rer tout son monde. La porte était restée cou-
ronnée de ses armoiries sculptées en pierre
quand le marquis de Goimpy, chevalier de Saint-
Louis, acquit l'immeuble, en 1827, pour en faire
l'hôtel de Grenoble. Cet ancien émigré avait été
pour 130,000 fr. partie prenante au milliard de
l'indemnité; néanmoins ses affaires allaient d'un
train médiocre. La table-d'hôte, chez le marquis,
était de bonne compagnie, et elle avait pour
habitués des gardes-du-corps; deux jolies demoi-
selles, filles ûo la maison, en faisaient les hon-
neurs, comme si elles eussent vécu dans leur
château.
Le 18, qui sans doute avait été jeu de paume,
a porté le n" 37 dans la section de la Halle-
au-Blé et appartenu à l'hospice de l'Humanité,
pendant les premières années de la Bépublique;
les citoyens Duchâtel, Guillotin et Rennesson,
membres du bureau du Domaine, l'ont adjugé,
le 4 messidor an m, au citoyen Vignon, mercier.
La tille de Vignon, femme divorcée du citoyen
RUE DU BOULOI. 55
Mahault, a épousé plus tard un chef de parc
des équipages militaires du quartier-général de
l'armée d'Allemagne, M. Hatton, et puis elle a
vendu en 1814 l'immeuble ii la belle-mère de
M. Picliard du Verger, officier supérieur. C'est
pour le moment l'hôtel du Commerce.
On comptait, au surplus, sept hôtelleries dans
la rue en l'an de grâce 1769. Deux seulement
ont gardé le même nom jusqu'à nous, c'est l'hôtel
Notre-Dame, que tenait alors Doulay, et où le
repas coûtait 32 sols, puis l'hôtel du Bouloir,
où Gion demandait à ses locataires de 18 à 30
livres par mois, et dont la porte cochère et l'es-
calier à cage can'ée, h rampe de fer jusqu'au
premier étage, puis à balustres de bois plus
haut, sont à nos yeux de véritables parures. Ces
deux hôtels séculaires se retrouvent n*"' 9 et 5.
Que si, comme hôtellerie, le 13 date modeste-
ment de dix lustres et a porté l'enseigne du
Croissant, avant de passer hôtel d'Allemagne, ce
n'est pas une raison pour que, comme édifice,
il reste le cadet des numéros voisins, presque
tous frères, ajant suivi de près ou devancé de
peu la reconstruction Séguier. Des bureaux de
chemins de fer et d'omnibus correspondants main-
tiennent dans ce quartier, quoi qu'il en soit, un reste
de l'aflluence de voyageurs qu'y avait attirée la proxi-
mité des messageries Latîitte-et-Caillard. Est-ce
que, d'ailleurs, Paris ne va pas être assez grand pour
que les Parisiens eux-mêmes s'habituent à payer
quelquefois, dans le quartier où ils se seront
attardés, leur gîte pour la nuit?
Pour si petit que soit le 12, il a appartenu à
M. de Fourcy, comme emplacement pour le
moins, et, en servant assez longtemps de pas-
sage à la rue de Grenelle, il ' a rendu un
service au piiblic d'autant plus réel que la galerie
Véro-Dodat n'existait pas encore : avant des loge-
56 RUE DU BOULOI.
ments il y avait eu là un jeu de paume, dont le
passage gardait la dénomination.
Le nom de Palluau, qui figure dans notre tableau,
n'a-t-il pas de notoriété plus historique? Un comte
de Palluau fut nommé maréchal de France de
17o3. Pendant plusieurs générations, la famille de
ce maréchal a disposé du 11, propriété profonde,
qu'elle a iransmise en 1728 à Janot, bourgeois
de Paris, et dont un escalier, celui du centre,
montre une rampe de fer magnifique aux étran-
gers qui, de nos jours, descendent à l'hôtel des
Empires.
Le- 8 et le 10 ne faisaient qu'une habitation de
grand seigneur du temps où la rue du Bouloi
avait ses Carmélites. Ce fut l'hôtel de Henri de
Daillon, comte du Lude, lieutenant-général, puis
duc et pair en 1673, dont la seconde femme devint
dame d'honneur de la dauphine, alors duchesse
de Bourgogne. Du Lude, l'un des Mécènes du temps,
préférait le bel-esprit à la grandeur et M'"'' de
Sévigné à toutes les princesses de la cour. Il laissa
une fortune immense et un trésor de jolis mots.
Messire Dreux d'Aubray, conseiller du roi et
lieutenant-civil de la ville, prévôté et vicomte de
Paris, sous la régence d'Anne d'Autriche, eut sa
résidence officielle h côté. Le grand et le petit hôtel
de la Lieutenaiice-civile allaient d'une rue h l'autre,
comme l'hôtel Séguier. Hélas ! le même magistrat,
j)ère de la marquise de Brinvilliers, devait être aussi
sa victime. Heureux s'il en eût été quitte pour la
disgrâce qui supprima sa charge ! A la place d'un
lieutenant, on en nomma deux autres, et celui
de police ne se bornait pas à partager l'autorité
du prévôt de Paris, il empiétait sur les attribu-
tions du corps de Ville..
Gabriel-Nicolas de la Reynie, premier lieute-
nant-général de police, succéda au lieutenant-civil
jusqu'en sa demeure, et Louis XIV avait eu la
RUE DU BOULOI. 57
rpain si heureuse qu'on ne vit oneques cette
charge si bien remplie. Tout était à organiser ;
La Reynie y a si bien suffi que d'une adminis-
tration au dépourvu il a fait un département, et
que ses règlements de police sont un des moim-
ments de la raison. Il avait 85 ans quand il
mourut, peu de mois avant le grand roi. Jean-
Nicolas de la Reynie, seigneur de Saint Sulpice,
hérita de l'hôtel, lequel passa ensuite à Jacques
d'Alby, conseiller du roi, lieutenant-particulier,
assesseur au siège de Brives, puis à Louis-Antoine
Rouillé de Boissy, conseiller honoraire au par-
lement. Cette maison historique se reconnaît ex-
térieurement à une large façade, que décorent
un fronton, un joli baloon, des mascarons et des
médaillons; un ancien notaire, M. Valpinçon, en
est propriétaire. •
La croix des Petits-Champs se dressait en
face du n" 2 ; mais la rue devant sa dénomina-
tion à cette croix retenait, regardait comme sien
ledit n° 2, avant la Révolution, et il nous paraît
nonobstant avoir été tiré d'une côte de la Lieu-
tenance. Les Quatremer, i'amille parlementaire,
occupaient cet hôtel sous le règne de Louis XVL
Ses dépendances, à leur tour, ont été mises à
protit, sous la Restauration, par les charcutiers Véro
et Dodat, pour l'ouverture de leur galerie. Véro,
quoique la charcuterie eût fait sa réputation avec sa
fortune, avait la crainte que son nom ne
passât pas à la postérité, et celle-ci, grâce à la
galerie, était appelée à passer sous ce nom, écrit
en lettres d'or. Quel honneur, quelle joie pour
Véro! Que lui restait-il à souhaiter? Son château
de Brunoi dominait et avait l'air de protéger l'an-
cienne maison de campagne de Talma, qui en
était proche. Pourquoi iaut-il fjue ce nouveau
seigneur, dont les prétentions n'allaient pas au-
delà de la bourgeoisie, ait aussi mal hni que le
58 RUE DU BOULOI.
fastueux, l'extravagant marquis de Brunoi? Assis
devant une table bien fournie de ce qu'il aimait,
il n'avait plus d'appétit pour le reste; il gardait
la place d'honneur et le dos au feu, ou au soleil,
quels que lussent les convives, et il fallait pour
son bonheur que la famille ne le gênât pas beau-
coup. Le tête-h-tête faisait partie du menu en temps
et lieu. Du moins Véro eut le bonheur de n'entendre
pas gronder l'orage; il ne vit même pas luire la fou-
dre, il ne lut pas les mots cabalistiques, faits pour
troubler la digestion, et la salle du festin menaçait
de s'écrouler sans qu'il en prît souci : un jugement
d'interdiction lui avait été signifié avant que le
couvert se levât sur son mané, thékel, phares.
De 1838 â 1842, M'"- Rachel eu! son apparte-
ment dans une maison du passage Véro-Dodat.
Elle passait, pour se rendre au Théâtre-Français,
devant l'ancien magasin du célèbre fabricant de
saucisses truffées ; mais elle s'arrêtait, de pré-
férence, devant l'éventaire d'une marchande, â
l'entrée" de la cour des Fontaines, et elle y ache-
tait des pommes à un sou le tas, pour en cro-
quer, entre deux scènes à'Andromaque ou de
Cinna, dans les coulisses. M"'' Rachel n'en ren-
trait pas moins chargée de couronne's dans la rue
du Bouloi, qui avait pris aisément l'habitude de
recevoir ce glorieux tribut après chacune de ses
représentations. Il y avait de quoi, pour cette
rue, prendre goût aux jeux de la scène; mais
elle avait commencé par .donner la préférence à
l'innocent jeu de boules, si cher aux procureurs
du temps de Furetières, d'après le Roman bour-
geois !
Rue d\4boiikir
EN CE QUI s'en aPPKLAIT XAGUEKE
nie Boiii*l>oii-Villeiieiivc. ( i)
N" 1. — Les architectes modernes, pour éco-
nomiser le terrain, remplacent souvent la cour,
par une allée ; mais la maison dont il s'agit céans
a mis ,dans la tirelire, dont le soupirail de la
cave ligure à-peu-près l'embouchure, l'allée elle-
même, ce sou pour livre de la cour. On dirait
que la dernière marche de son escalier vermoulu
en cherche une autre, que la rue lui a prise, et
le fait est qu'elle aurait plutôt avancé que reculé,
par l'effet du tassement, depuis le xvi" siècle où
la rue s'appelait encore Saint Côme-du-milieit- des-
Fossés.
N" 3. — Construction plus élevée, mais moins
ancieinie, dont le rez-de-chaussée est occupé par
un bouclier, et justement nos mères, au temps
de la Fronde, allaient ou envoyaient chercher la
viande au même endroit : l'une des boucheries
autorisées alors était établie dans la maison qu'a
remplacée, sous le régne de Louis XV, le n" 3
d'à présent.
(l) Notice écrite en 185?!. Trois rues, celles des
Fossés-Montmatre, Neuve-Saiiit-Eustache et BourboH-
Villeneuve se sont plus récemment déguisées en une
seule et même riie d'Aboukir. Ce travestisement his-
torique ne rappelle à aucune des trois son origine, un
trait de son histoire ou la gloire d'un de ses enfants,
bien qu'il ait été essayé sous le Consulat et le premier
empire. Il a, en outre, le défaut de célébrer une victoire
qui porte le même nom que deux délaites, essuyées
vers le même temps.
60 RUE D'ABOUKIR,
N"^ 6, 8, 10, 12, 14, 16. — Si le lézard est
ami de l'homme et de la lézarde, il a de quoi
se contenter dans ces masures, pleines de loca-
taires jusqu'au débord. Pas un lit qui n'y serve
qu'à une seule personne, fût-elle vierge; pas une
chambre où il n'y ait qu'un lit, et pas de cloison
sans crevasse, encore habitée quelque peu. Bien
que l'une de ces façades soit ornée d'un fronton,
elles n'ont pas été' faites pour l'écusson. A l'inté-
rieur les fissures se dessinent plus capricieuses
et avec plus de suite que par-devant, comme si
le mastic, la chaux ou la colle des badigeonneurs
n'avait fait que tromper la soif d'eau du ciel et
d'air qui les brûle. Se pourrait-il que, par ana-
logie, les rides y fussent mieux vues qu'ailleurs!
Des visages fardés en laissent voir souvent aux
passants, derrière des rideaux entrebaillés de fe-
nêtres, qu'on croirait devant une alcôve, et ces
vilaines figures sourient aux myopes, qui ne s'a-
perçoivent pas que leur sourire est une grimace
de plus. La jeunesse et l'amour font bien de se
cacher plus haut, dans les mansardes : leur im-
pudente contrefaçon se mettra-t-elle jamais trop
bas! Elle laisse dans les allées, malgré l'eau-de-
cologne qui croupit dans le plomb, l'une des
odeurs de Paris qui ressemblent le moins à d'au-
tres, en ne rappelant que par sa persistance la puan-
teur du blaireau ou du renard.
N"' 5, 7, 9, 11, 13 et plusieurs autres. — Nous
nous inclinons volontiers devant l'honnêteté des
gens qui n'ont jamais fait parler d'eux, et il en
est de même pour les maisons. Celles dont la
série fait pendant ii la précédente jouissent pour
nous dudit avantage, malgré leur âge, plus ou
moins avancé, et comme il s'en présenterait un
peu plus loin de centenaires encore, qui sont
dans le même cas, nous demandons d'ores et
déjà à bénéficier de la même excuse à leur endroit.
NAGUÈRE RUE BOURBON-VILLENEUVE. 61
N" 18. — Il a servi de borne à l'ancienne
cour des Miracles, Ilion de la bohème dont Victor
Hugo est l'Homère. On y voyait, Louis-Philippe
régnant, un marchand de vin à l'enseigne des
Trois-Lurons, représentés par des forts de la
halle, et déjà la maison appartenait à l'illustre
famille des Chevet du Palais-Royal.
N" 20. — Delestville, marchand chandelier, de-
meurait en l'an ni rue Neuve-de-l'Égalité, c'est-
à-dire rue Bourbon-Villeneuve, n" 20, - dans une
maison qu'il vendait à Hulot Delatour, le 7 plu-
viôse, et qui portait le n" 333, division Bonne-
Nouvelle. Le citoyen marchand l'avait lait bâtir
nouvellement sur l'emplacement de celle adjugée
le 16 décembre 1790 au citoyen Loyson, qui avait
été son fondé de pouvoir.
Cette maison, sous Louis XIV, donnait sur une
place, quadrilatère oblong ; les rues de Cléry,
de Sainte-Foy, des Filles- Dieu, de Saint-Claude
et de Bourbon-Villeneuve étaient les affluents de
ce bassin, et un corps-de-garde s'y trouvait ;
mais le quartier alors avait sans doute moins
besoin qu'aujourd'hui de la surveillance assidue
des sergents de ville, nouveau modèle, dans les
attributions desquels rentre le maintien de la
décence et de la modestie de certaines femmes,
chauves-souris de l'amour. Ce service, ressortis-
sant au bures|u des mœurs dans notre capitale,
était dévolu dans la ville d'Athènes à vingt otti-
ciers, dits rjvatxovo'ijiot et ce corps d'officiers tout
entier ne serait pas trop nombreux aujourd'hui
pour ledit quartier de Paris. La rue Bourbon-Vil-
leneuve n'y comptait, il est vrai, que 36 mai-
sons et 11 lantei'nes, du temps de la place aux quatre
coins. Celle-ci n'a pas attendu pour disparaître que
la place du Caire se formât, de l'autre côté, au
moment où la rue Neuve-Egalité passait d'Abou-
kir. C'est à la rentrée de Louis XVIIÏ que l'an-
62 RDE D'AHOUKIR,
cien nom i-eprit ses droits, pour en perdre la
moitié de 1830 à 1837, en s'appelant Villeneuve
tout court.
N"' 24 et/2Q. — Que de (ois il est arrivé à un
homme tombé de haut de se relever aux yeux
de la postérité! La mémoire de Beaune de Sam-
blançay, ancien général des tinances, condamné
en l'année 1527 à la corde pour crime de pé-
culat, a eu particulièrement i\ se louer de ce pouvoir-
posthume, qui tend à infirmer dans le ressort de l'His-
toire l'autorité de la -chose mal jugée. N'est-il pas
avéré depuis longtemps que les juges de Samblançay
étaient dévoués au chancelier Duprat et h la
duchesse d'Angoulême, ses mortels ennemis ? Il
était d'usage que les criminels, conduits de la
Bastille ou du Châtelet à Montfaucon, le jour de
leur exécution, tissent une station en chemin
devant la croix des Filles-Dieu. Le financier
condamné à finir comme un maraud fut introduit
tête-nue dans ce couvent par Maillard, lieutenant-
criminel, et son cortège; il s'agenouilla au pied
de la croix, qui s'adossait h l'église des reli-
gieuses et qui s'abritait sous un dais.
L'origine des Fillés-Dieu remonte au commence-
ment du siècle xni, et jamais, rappelle Sauvai,
il n'y a^ait en autant de femmes de mauvaise
vie qu'alors dans le royaume. Grâce à une charte
de Baudouin, vingtième prieur de Saint-Martin-des-
Champs, 200 femmes, qui se repentaient d'avoir
été folles de leur corps, s'étaient établies, en
l'année 1226, dans la future rue de l'Echiquier,
chemin qui ne dépendait encore que d'un faubourg
extérieur : le curé de Syint-Laurent leur avait imposé
de tenir un hôpital. On avait démoli leurs bâtiments,
sous le roi Jean-le-bon, de peur que les Anglais
ne s'y retranchassent ; mais elles avaient bientôt
commencé à s'établir dans la rue Saint-Denis, en
se chargeant d'une léproserie, ([ue Lyons y avait
NAGUERE RUE BOURBON-VILLENEUVE. 63
fondée. Quand Charles VIII, à la prière d'Anne
d'Orléans, donna aux Filles-Dieu leur principale
maison, en y posant la première pierre d'une nou-
velle église, elles n'étaient plus des sœin^s hospita-
lières, elles étaient des bénédictines de Fontevrault,
et pourtant on leur imposa plusieurs des charges
qui convenaient essentiellement au caractère reli-
gieux de leurs devancières. Il leur avait été for-
mellement imposé de garder une nuit toutes les
pauvres voyageuses qui arrivaient en ville par la
grand'route, et de donner à chacune un denier
parisis ; de plus, elles subvenaient à l'entretien
d'une sorte de caserne de passage, afin que les
soldats qui venaient de loin, isolément ou en
petit groupe, eussent leur pied-^i-terre, avec un
coup h boire, aux abords de la porte Saint-Denis.
L'exercice de cette hospitalité était rendu de plus
en plus difficile par les agrandissemei»tsdela ville;
néanmoins il ne tomba pas en désuétude sans que
plusieurs évêques de Paris en eussent requis et
obtenu le maintien. Ce ne fut pas trop du crédit des
deux sexes de Fontevrault, religieux et religieuses des
quatre provinces de cet oidre, dont le chef-d'ordre
compta pour supérieures quatorze princesses, parmi
lesquelles il y en avait cinq de la maison de
Bourbon ; ce ne fut pas trop pour affranchir enfin
les Filles-Dieu de l'obligation de tenir auberge,
cantine et hôpital. Ces diversions avaient servi
d'occasion, de prétexte et d'excuse à maints désor-
dres dans le couvent, avant et depuis le change-
ment de règle. A ce compte il n'y avait pas que
le temporel qui gagnât à la conversion de l'ancienne
maladrerie en maisons de rapport, prenant jour
sur la rue Saint-Denis.
Quant à la rue Bourbon-Villeneuve, elle tenait
ce nom de Jeanne de Bourbon, abbesse de Fon-
tevrault h l'époque du mariage de Maris de Médicis
avec Henri IV. Les deux maisons de cette rue qui
64 RUE D'ABOUKIR,
ont appartenu aux religieuses étaient occupées
par leurs directeurs, par les administrateurs de
leur temporel et par des religieux de leur ordre qui
avaient affaire h Paris et dont elles restaient les
hôtesses, alors que « révérendes dames sœurs
Geneviève Beauvillain, Elisabeth Lauvy et Marguerite
Guillet estaient prieure, dépositaire et boursière
du couvent royal des Filles-Dieu de ceste ville,
du sainct ordre de Fontevrauld. » La même
hospitalité fut donnée en 1778 a une grande-
prieure de l'ordre, Marguerite de Rochechouart,
qui hivernait aux Filles-Dieu, en attendant
l'achèvement de grands travaux qu'elle avait
commandés à Montmartre, oîi elle passait
abbesse. Puis des locataires ordinaires étaient admis
dans les deux maisons dont nous parlons : Biers,
agent de change du duc d'Orléans, y demeurait
sur la fin du règne de Louis XVL Vendues par la
Nation, avec une troisième maison de la rue, en 1791,
elles tenaient du côté du levant au ci-devant jardin
des sœurs, du côté du midi à une halle, qui
devint le passage du Caire.
N" 32. — S'il perdait en élévation ce qui lui
manque de largeur, il devrait Ji son couronne-
ment d'assez grands airs pour l'aire croire que la
noblesse de robe y a devancé celle de bouche,
comme au 18 de la même rue. Là les Chevet, mais
ici les Chapard, émérites restaurateurs, signent les
quittances de loyer.
Cet immeuble nous paraît l'une des deux maisons
dont le sculpteur Mazeline disposait pendant les
moins heureuses des années du grand roi. A ce
propos, mieux vaut donner tout de suite le tableau
des propriétaires qui se partageaient alors l'espace
entre la rue des Filles-Dieu et celle Saint-
Claude (1) :
(1) Maiuleuunt rue Cliénier,
NAGUÈRE RUE BOURBON-VILLENEUVE. Gâ
Dii» d'Aiolle, maison petite. — D^e Boissellière, id.
— Marié. — De Lassalle, chirurgien, au Lion d'or. —
Mazeline, sculpteur, deux maisons. Veuve Jamarre,
Grosyeux, Chédeville et SouUier. — D'Orbec, marbrier
du roi. — Lebrun, rubanier. — D'Aligensé, boulanger.
— Pouciier, seigneur de Soindres, maître des requêtes
de l'hôtel. — De Blainville.
N"' 33, -35, 37. — Maisons bourgeoises très-
vénérables. L'une d'elles a été restaurée le plus
coquettement du monde ; un titre de fraîche
date en recommande une autre à la postérité, en ce
qu'elle comporte le bureau d'un journal à l'exis-
tence duquel nos arrière-neveu\ croiront ditlici-
lement, Moniteur de la Cordonnerie; la troisième
est pourvue d'un escalier dont la rampe de 1er
a fait pendant jadis k plus d'une canne à pomme
d'or. Le Blanc, exempt du guet, logeait sous
l'un de ces toits, au milieu du siècle dernier.
Amigauft, procureur, avait été propriétaire dans
ces parages et contemporain de Mazeline.
N"" 34 ei 36. — De ces constructions d'environ
150 ans, la première est encore pourvue d'un vieux
balcon très-attrayant, que notre diligent M. Rous-
seau n'avait plus que la ressource d'escalader,
s'il s'était entêté à prendre connaissance des
lieux : l'incorruptible portier l'avait renvoyé au
propriétaire, M. de Gheldre, 9, quai Bourbon, d'où
un autre portier, de naturel moins malléable encore,
l'avait à son tour renvoyé rue Bourbon-Villeneuve.
N° 39. — ■ C'est un de ceux qui ouvrent aussi
sur la rue de Cléry. En novembre 1778, Leclerc,
tapissier, vend l'immeuble à Béraud, baron de
Courville, mestre-de-camp de cavalerie, capitaine-
général des chasses du comte d'Artois; trente
ans plus tard, Daston, receveur-général des droits
réunis du département de Vosges, achète des hé-
ritiers Courville; enfin, le 21 octobre 1812, l'entrée
dans le monde a lieu Jà d'un enfant destiné à devenir
66 RUE D'ABOUKIR,
un archéologue distingué, dessinateur enoutreetgra-
veurau besoin, M. ErnestBreton, îxuieur ûe Potnpéia .
N"' 38 et 40. — Bureau de Mont de Piété d'une
part, maison de tolérance de l'autre, payant en-
semble tribut au même propriétaire. Des relations
de si bon voisinage existent d'un numéro à l'au-
tre, qu'ils ont parfois la même clientelle. Que
l'on aille au 38 en sortant du 40, ou qu'on suive
la marche contraire, il est bien ditficile de- dire
sous la porte duquel on passe la tête le plus haute.
Nos 44^ 45 gt 46 — dq premier nous savons
qu'il porte à peu de chose près trois siècles. La
maîtresse du citoyen Caussidière, préfet de police,
habitait le second, en 1848. Le troisième im-
meuble dont s'agit, ci devant occupé par le dépôt
de filature des pauvres, fut vendu par l'Etat, le
16 vendémiaire an v, à Joseph Grubert, fabricant
de forté-pianos ; les tenants indiqués étaient au
levant la veuve Tardu, au couchant le citoyen
Vréoiant ; les administrateurs et la leceveuse du
Domaine signaient au bas de l'acte : citoyen GuU-
lotin, citoyen Duchâtel et citoyenne Vallon-Ville-
neuve. Près d'une année avant cette adjudication
immobilière, le bail de la maison avait lui-même été
mis aux enchères, et le citoyen Carruyer, négo-
gociant de Rouen, avait été le plus fort enché-
risseur; son bail lui imposait, entre autres clau-
ses, de payer les gages du portier au taux fixé
par la décision du bureau du Domaine.
N** ol. — Jolies croisées, ourlées de légers
ornements, ferrées avec coquetterie et ne laissant
pénétrer à l'intérieur cju'un demi-jour, sur quel
établissement projetez-vous la faveur de ce clair-
obscur? La description et les éloges ne sauraient
aller plus avant, sans compromettre la dignité de
notre collecteur de notes, car il s'agit encore
d'une station où l'amour coûte le même prix
qu'une heure de coupé. M'"« Delaunay, vers la
NAGUÈRE RUE BOURBON'-VlLLENEUVE. 67
chute du premier empire, a créé la maison, que
tient depuis douze ans la mère Frédéric.
N«' 53, 55, 56, 57, 58, 59 et 61. — Les deux
premières maisons que désigne ce sous-titre
ont été restaurées pour et par M. Gisors, archi-
tecte, estimateur des biens nationaux sous la
République; on y remarque un escalier, dont l'am-
pleur magistrale contraste avec le pitoyable aspect
de ce qui vient par-derrière : des croisées déman-
telées, où pend du linge qu'on dirait oublié par
des générations éteintes de ménagères, attristent
l'explorateur qui se hasarde jusque-là. Le 56 fut
éditié pour un intendant de grande maison et fort
probablement aux frais d'icelle; un pâtissier en
bonne:'odeur, Lançon, y est devenu l'intendant delà
friandise du public. Un quincaillier de la rue
Saint-Denis a fait bâtir le 57, un an avant la
mort de Louis XV, sur un terrain lui venant de
son beau-père. A l'époque de cette construction,
le vis-à-vis, n" 58, tenait d'un côté à M'"*' Chap-
pan, et de l'auti^e à M. Lalouette, médecin ; la
prieure des Filles-Dieu, qui était alors Marie-
Françoise-Geneviève Flavigny, en percevait seigneu-
rialement le cens, reconnu avant et depuis l'an'
1622 auxdites dames du tîet de la Ville-Neuve ;
néanmoins la propriété devait 20 sols de rente,
non rachetable, au domaine de la Ville, dès
l'année 1673. Au 59, qui a été refait, demeurait le
fleuriste de la reine Marie-Antoinette, chez lequel,
un peu plus tard, l'apprenti Constantin étudiait
les secrets diplomatiques de bien des cabinets...
de toilette. Le gi'and-père de M. Lefébure, qui
dispose actuellement du n" 61, y était boissellier
en 1791, et un long stage de locataire y précéda
sa prise de possession.
L'éternelle jeunesse à laquelle, par la seconde
moitié de son nom*, reste vouée cette voie publi-
que, sourit à des myriades de jeunes ouvrières
RUE D'ABOUKIR, ETC. 68
qui gaîment y font des chapeaux, des corsets,
des enveloppes en papier, du linge, de la passe-
menterie et des fleurs artificielles pour les deux
mondes. Les gens de Bourse ont beau croire que
c'en est fait de la grisette, la population féminine
des ateliers dont nous parlons s'en tient le plus
souvent à l'espèce de juste-milieu, en matière de
pudeur et de moralité, qui les éloigne autant des
Filles-Dieu, dont l'exemple n'est plusquemémoire,
que des filles de Satan, qui les remplacent si mal
dans notre rue. Le cidre et les marrons défrayent
encore les jeunes amours de ce quartier, oùtoutn'esp
pas à vendre, et la grisette n'y renonce que déjà mûre
à une innocence relative. Son front rougit et
son petit cœur saigne des premières tentations
de la vénalité ; mais ce n'est pas h dire qu'elle
se pique d'une constance h l'épreuve de la trahison.
Par malheur, tous les remisiers des agents-de-
change spéculent, dans les prix doux, sur la
difficulté qu'éprouve une ouvrière à subsister du
travail de ses doigts, et ils sont toujours indignés
de rencontrer la vraie grisette, qui ne sacrifie
pas l'agréable à l'utile. Naguère, si l'on ne crai-
gnait pas de traiter de drôlesse la malheureuse
qui se vend en détail, aucun jaloux n'osait jeter
la pierre à la jolie fille qui se donne. Mais voyez
si le siècle a marché! Un commis d'agent-de-
change ne craignait pas de guetter l'autre soir,
dans cette rue, à la sortie d'un magasin, une
frangeuse de vingt ans, blonde et charmante, pour
lui dire devant ses compagnes : — Je te pardon-
nerais de m'avoir trompé, coquine, avec quelqu'un
de plus riche que moi. Mais j'ai pris mes rensei-
gnements ; tu me préfères un garçon sans le sou,
et il faut que tu sois bien perverse pour te faire
la p des pauvres. Quel déshonneur pour moi
de l'avoir connue !
Rue Boui*l»oii-le«Chà4eaii* (i)
L'annonce n'est pas du tout une invention de
notre siècle, qui s'est borné à la perfectionner.
On lit dans YAlmanach des Arts-eC Métiers pour
1769 :
Le sieur Roussel, à l'Abbaye de Saint- Germain dcs-
Prés, débite le Béchique, souverain contre les maux
de poitrine.
Le sieur Lasserre, à l'Abbaj-e de Saint-Gerraaiu-des-
Prés, vend avec succès par privilège du roi, en consé-
quence de la délibération de la Commission royale de
médecine, un éiixir pour les dents, qui est le fruit de
vingt années de travail : cette liqueur est claire, trans-
parente, agréable à la vue et flatteuse à l'odoral. Elle
apaise -et guérit radicalement tous les maux dont les
dents peuvent être attaquées. Prix: 3 livres, H6 sols
et gratis pour les pauvres.
Roussel et Lasserre, ces locataires de l'abbaye
royale, demeuraient au n° 6 actuel de la rue
Bourbon-le-Château, de leur vivant rue du Petit-
Bourbon : propriété gardant de cette époque bon
nombre de petites vitres à ses l'enêtres.
Une autre maison, n" 3, qui s'alïaisse sur elle-
même depuis le règne de Henri IV, est également'
pourvue de fenêtres à coulisses ; elle dépendait du
domaine monastique, sans que ses babitanls d'alors
fussent plus cloîtrés ([ue les filles de joie en
cbambres qui, du matin au soir, tant (|u'il fait
jour, en sont le colé sinistre et repoussant. Au
no 4 s'exploita rbùtellerie de l'Ecu, tenue par
(1) Notice écrite en 1853.
70 RUE BOURBON-LE-CHATEAU.
Dialan; le gîte n'y coulait pas moins de 10 sols
par tête, et le souper, pas moins de 20 sols ;
mais VAlmanach précité dit aussi qu'un cavalier
y payait son écot h meilleur compte que celui de
sa moulure, qui s'élevait ii 40 sols par nuit. Le
2 fut édifié il y a trente ans en bonnes pierres
de taille, mais sur un plan assez original, pour
iVr"« Bancelin, du restaurant du Cadran-Bleu, à la
place d'une maison basse, aussi ancienne que le
palais abbatial, qui fut inauguré par le cardinal
de Bourbon, parrain de la petite rue dont nous
parlons. Le i remonte au moins à cent ans ; ses
boiseries du premier étage étaient dorées avant qu'un
cafetier y plaçât des billards.
A l'un des deux angles occupés par ces n"' 1
et 2, 3,500 livres rendirent l'épicier Vignes adju-
dicataire d'une maison dont le marquis de Conflans
était exproprié, eu l'année i7o2. Julien Levesque,
premier cbirurgien de S. A. R. Mademoiselle,
souveraine de Bombes, avait, vers le milieu du
règne de Louis XIV, une autre propriété dans
cette rue ; il y tenait d'une part au comte de
Vert, d'autre part à une petite rue, par-derrière
à un jeu de boules payant loyer aux héritiers de
M. et de M'"" de Moucy. Le vendeur du chirur-
gien avait été Jacques de la Noue, comte de Vert,
capitaine aux cuirassiers du roi, à qui cet héritage
venait de son aïeul, Jacques de Moucy, procureur-
général au bureau des finances de Paris. Le
jnême procureur-général avait un ou deux jardins
sur la rue, au moment de son ouverture, et s'était
réservé le droit d'y bâtir tout ce qu'il voudrait.
Un de ses proches, Jean de Moucy, conseiller du
roi, auditeur en sa chambre des comptes, avait
vendu, le 3 juillet 1610, h François de Bourbon,
prince de Conti, abbé de Saint-Germain-des-Prés,
U'Ut le terrain à prendre, pour ledit percement, entre
RUE BOURBON LE-CHATEAU. 71
la rue de Buci et le guichet, près du vieux portail,
du pont-levis et des fosstïs du château abhatial.
Ainsi avait été formée cette rue Bourbon-le-Chàteau,
allas de Bourbon-Guise, touchant d'un bout au jeu de
paume de l'Abbaye. Elle reçut l'un après l'autre les
pseudonymes dé Lucrèce-Vengée, de la Chaumière
et de l'Abbaye, de i79P, -i 1814.
Quai Itoui'boii. (i)
Marie, Lagrange et les Syndics de Vile. — M. de
Charron. — Les Jassaud. — Histoire d\me Dot
au \\[f Siècle. — François Levaic. — Le Maître-
d'hôtel du Roi. — Le Procureur qui se pour-
suit. — Un Devis en 1640. — Choppin de Gou-
::angré. — Maisons diverses.
Epargnons à l'ami lecteur, comme d'habitude,
la peine de consulter lui-même, en ce qui re-
garde le quai Bourbon, les 150 plans de Paris
dont nos doigts usent les angles et les plis,
mais dont les incessantes consultations ne ména-
gent pas nos yeux davantage. En 1609, d'après
le plan de Quesnel, tout serait paysage sans fa-
brique dans l'île Notre-Dame et dans l'île aux
Vaches, et nous pourrions y contredire, le désert
n'étant pas complet à cetteépoquedans ces deux cam-
pagnes flottantes qui semblent à la remoi-que
d'un immense vaisseau, la Cité. La seconde ap-
partient, comme la première, au chapitre de l'é-
glise de Paris; elles n'en sont pas moins abor-
dables aux canotiers et aux baigneurs d'alors.
Marie, Le Regrattier et Poulletier lancent l'amarre
d'une grande spéculation qui met les deux îles
bout à bout, pour en l'aire un quartier superbe
de la capitale : l'île Saint-Louis. Quant au canal
(1) Notice ('crile eu 1858. La démolitiou est posté-
rieure des 1,02 a3, yr,^ 3-7^ 3^ g^ 55 ^u q\xix.i Bourbon,
qui ont livré passage à une rue de traverse dans Taxe
du pont Louis-Pliilippe. Cette rue sans maisons garde
jusqu'à présent l'anonyme-
• QUAI BOURBON. 73
qui, même de nos jours, la sépare de la Cité, il
lut convenu entre le roi et le chapitre, en l'an-
née 164i2, qu'il ne serait jamais comblé. A cette
condition expresse, les chanoines cédaient moyen-
nant 50,000 livres ii Louis XIII, touchant ii sa
tin, l'île sur laquelle leurs droits n'étaient pas
sans .contestation ; celle-ci devait déjà, depuis la
mort de Henri IV, assez de valeur au morcellement
de son terrain, oii les belles maisons commençaient
à être moins rares que les bicoques, pour suppor-
ter allègrement la levée des susdites 50,000 livres,
à raison de oO sols par toise.
Du pont 3Iarie, où commence notre quai, la
première pierre avait été posée le M octobre 1614
par le même roi, alors enfant, et par Marie de
Médicis, en présence de Miron, le prévôt des
marchands, et d'une foule considérable. Les trois
entrepreneurs des quais, rues et ponts de l'île,
Marie, Poulletier et Le Regraltier, avaient
été surpris par une crue de dépenses telle-
ment au-dessus de l'étiage de leurs ressources
([u'ellc avait entraîné l'interruption des travaux.
Jean de Lagrange, secrétaire du roi, qui en avait
pris la suite en i6iî'>, avait obtenu le droit d'é-
tablir un bain, un jeu de paume, douze étaux
de boucher, des bateaux de lavandières, ainsi
que des galeries d'étages latéraux sur le pont des
Tournelles, dont la construction lui fut due, et
sur le pont Marie, auquel cette surcharge permit
de devenir le centre du commerce des pierres
précieuses. Lagrange présida aussi à l'établisse-
ment du pont de bois reliant le quai Bourbon
tout neuf au vieux quartier de Saint-Landry, dans
la Cité. De nouveaux tiraillements permettaient
néanmoins à Marie et à ses deux associés de
ressaisir les l'ênes de l'entreprise et d'y courir
les chances de nouveaux procès, d'une part avec
les chanoines et d'autre part avec les insulaires
7i QUAI BOURBON.
mécontents, qui s'étaient réunis sous la conduite
d'Hébert, l'un d'eux. Leurs démêlés se prolongèrent
tant que le cardinal de Richelieu vécut. Ce ministre,
dont la politique ne voyait pas moins clair à l'é-
tranger que sa police en France, laissait flotter
la petite ville naissante que lui cachaient les
tours de Notre-Dame. La compagnie financière,
qui elle-même nageait entre deux eaux, s'enfonça
de nouveau, mais pour ne plus remonter. L'an-
née même de la mort du roi, Hébert et des
syndics, représentant les habitants de l'île, parve-
naient, en assumant toutes les obligations rela-
tives, à être subrogés à Marie, ainsi qu'à La-
grange, dans tous leurs droits, parmi lesquels
figuraient 12 deniers de rente dus pour soixante
années par chaque toise de terrain concédé.
Sur le plan en relief de Gomboust (1652) une
légende particulière accompagne un seul des hô-
tels du quai dont nous parlons, et la voici : M. de
Charron. L'objet en parait être à égale distance
de la rue dès Deux-Ponts et de la rue de la
Femme-sans-ïête, autrelois Regrattière (i); seu-
lement Nolin, contemporain de Gomboust, case
l'hôtel dont il s'agit un peu plus près du pont
3Iarie. En tenant compte des modifications qu'ont
dû subir depuis l'élévation, la distribution et les
dépendances, messire Claude le Charron, seigneur
de Villemaréchal, se reconnaîtrait au n" io, belle
maison à masearons, dont dépend le 13. Une qua-
]'antaine d'années avant la substitution des pierres
du quai Boui'bon à la verdure battue du bord
de l'eau, le prévôt des marchands était de la
lamille de ce conseiller d'Etat, intendant des
(1) On a en le bon esprit dp rciulrc la dénomina-
lion de riio Le Rpf;rat(iei- à relie do la Ferame-sans-
TèlP, malgré la icniine décapitée en pierre qui reste
l'ensfignc jiarli'.iito de l'une lico cucoij/nures du quai.
QUAI BOURBON. 75
tinaiices, ancien conseiller au parlement de Paris,
qui avait épousé en secondes noces Françoise
Garin, fdle d'un magistrat, pour on avoir jusqu'à sept
entants, entre autres une abbesse de Panthemont.
Au commencement du règne suivant, l'hôtel Char-
ron était entre les mains de Francois-Louis-Phi-
lippe-Jacques de Vitry. L'énumération des maisons
et des lanternes du quai Bourbon donnait alors :
33, 10.
Une façade à trois frontons et un joli balcon,
signalent à notre attention quelques portes plus
bas l'ancienne résidence d'un magistrat du xyii"-"
siècle. Beau plumage et belle envergure! Mais
un hôtel de la première volée n'est pas un
oiseau rare dans l'île Saint-Louis. Notre épo-
que n'en vient-elle pas à trouver de telles mai-
sons trop grandes ? On en donnerait gratis
qu'on ne trouverait plus personne pour y
vivre sans mettre à la porte des écriteaux d'ap-
partements à louer. Celle-ci montre, au-delà
de sa large cour, quelques arbres éloignés du
bruit qui ont été plantés quand Nicolas de Jassaud,
maître des requêtes, faisait jeter ses fondements,
peu de temps après que le grand siècle fût entré
dans sa seconde moitié et dans son apogée.
L'un des lîls de ce fondateur n'a pas manqué de
voir le régent, car il était exempt de ses gardes-
du-corps; Guillaume, autre tils de Nicolas, a
rempli les fonctions de conseiller en la grand'
chambre dès 1681, et est mort trente -sept ans
plus tard, laissant pour lils aîné Pierre-Guillaume,
lui-même conseiller en 17iJ^. Des chevaliers, mem-
bres de cette famille, se qualitiaient, au xvur-
siècle, seigneurs de Boischantel, de Bornanville,
etc., plus volontiers qu'ils ne portaient leur nom
patronymique.
Mais un Jassaud, seigneur d'Arquinvilliers,
s'était rendu locataire en 169!2 d'une autre mai-
76 QUAI BOURBON.
son sur le quai, touchant aussi, ou il s'en (allait
de peu, à la rue de la Femme-sans-Tète, el il
y a payé assez longtemps 1,450 livres de loyer.
Aussi, d'après une carte lopographique, deux proprié-
tés, qu'une seule autre séparait sur le quai, portaient-
elles le nom de ladite famille, et alors M. d'Apogny,
ou d'Appoigny, en avait une près la rue des Deux-
Ponts.
La seconde maison Jassaud, quoique la pre-
mière ait toujours tenu plus de place, s'est di-
visée en deux ou trois logis d'autant plus aisément
.qu'il y a eu trois portes, deux sur le quai et
nne sur la rue, dont la clef ne coûtait que 300
livres par année an locataiie qui avait pour voi-
sin M. Jassaud d'Arquinvilliers. Mais pourquoi
ne pas remonter i\ l'origine de cette trinité loca-
tive? D'abord, en l'année 1620, Marie et consorts
vendent le sol à Forestier, maitre-tailleur; sa
veuve, vingt ans après, y a pour successeur son
gendre Chabas, lequel proi)riétaire a pour tenants :
d'une part Guillaud, marcliand de bois, d'autre
part M'' Gayant, procureur au Cliàtelet, et Lliuil-
lier, maître des comptes, et d'un bout par-der-
rière Auger, charpentier de bateaux. Rangé sous
la censive du roi, le. lot dont il s'agit demeure,
en outre, grevé des 12 deniers par toise de
rente temporaire dont toutes les places à bâtir
ont été chargées au i)roht des suzerains do la
spéculation insulaire, PouUelier, Le Hegrattier,
Marie; mais cette rente est due u MM. du cha-
pitre de Notre-Dame, par suite d'arrangements
nouveaux, lorsque le sieur Chabas transmet h
titre d'échange la même portion de terre à mes-
sire Nicolas Gaillard, ([ui enlhi lait bâtir l'hôtel,
et qui, d'ailleurs, a acheté de Sarrus, un con-
seiller au parlement, 211 autres toises 15,825
livres. L'an 1653, Gaillard marie son fils et lui
donne la maison, avec sa position de conseiller
QUAI BOURBON. 77
du roi, audileur eu la chambre des comptes,
qui a coûté 72,000 livres; M"'' Cousiuet, de sou
côté, apporte eu dot (3^2,000 livres, espèces ne
demaudaut qu';i trébucher. Deveuu seigueur de
Pommeray, que sais-je eucore ! le jeuue Gaillard
résigne avant peu sa charge d'auditeur, saus se
résigner davantage à celle d'époux irréprochable.
Neuf années d'exercice sulhsent, en revanche, à
la patience conjugale de M"" Gousinet, et elle
obtient judiciairement cette séparation de corps
qui entraîne toujours la séparation des biens, et ces
deux-là l'ont du moins bon ménage. Bien que les
créanciers de Pommeray se lancent dans la procé-
dure après sa mort, la propriété répond des reprises
de la veuve, qui la lègue à son second mari, Thomas,
sieur de la Tour, et ce dernier se remarie lui-
même avec dame Geneviève "de Thibert, déjà
veuve de Lacour, un des marchands de vin de
Loufs XIV. En l'allait-il donc plus que ce divorce,
suivi de trois ou quatre veuvages qui y ressem-
blent, pour que l'immeuble passant de main en
main procédât, presque de lui-môme, à sa pro-
pre sortie d'indivision'.' Outre que les infractions du
premier lit ont bien pu écorner l'hôtel, tout ap-
port, à force d'être couché dans les contrats,
s'use en vertu de la même loi que la vigueur
d'un homme trop longtemps alité, et il s'en éva-
pore cliaque fois quelque chose, outre ce qui se
noie dans l'écritoire des notaires. Peut-on, d'ail-
leurs, reprocher à des veuves d'avoir aidé à
fractionner ce que, faute de temps, Gaillard de
Pommeray n'avait pas dissipé de l'héritage pa-
ternel'? Toute veuve se morcelle elle-même en
convolant. Aussi bien les deux ou trois lots de
la maison sont réunis postérieurement par Nico-
las Poulet, secrétaire du roi, lequel a pour acqué-
reur, vers la un du xvu'' siècle, Jean Le Bou-
lengei-, maître en la chambre des comptes. Cap-
•78 QUAI BOURBON.
pelet, maître en la même chambre, occupe déjà
l'aile de la maison qui thit coin de rue, lorsqu'il
achète encore, en 1754, l'aile qui maintenant
touche le n" 23.
Or, ce n'est pas seulement au 21 que nous
rencontrons, quai Bourbon, la famille Le Bou-
lenger. Pierre-Charles de Chavannes, contrôleur-
général à l'extraordinaire des guerres, acquérait
la dernière maison du quai, vers la fin de l'année
1768, des hoirs de Louis-Charles Le Boulenger,
seigneur de Chaumont. conseiller du roi, maître
en sa chambre des comptes : deux de ces hé-
ritiers, sur trois, étaient encore maîtres des
comptes. L'année de la mort du grand roi avait,
vu Louis Billard, seigneur de Fontenay, aban-
donner l'hôtel à Lebrun, avocat, en échange
d'une maison de campagne à Cormeilles, avec
droit au banc dans l'église de ce village près
Pontoise. Jean Billard de Fontenay l'avait hérité
de sa femme; celle-ci était fille de François
Levau, architecte ordinaire des bâtiments du roi
et de Mademoiselle, auteur de l'édifice qu'il avait
habité et laissé dans sa succession. François avait
j)0ur frère Louis Levau, architecte de l'hôtel Lambert
et directeur des bâtiments du roi; de plus, il
denieurait tout près de Philippe de Champagne,
peintre de Sa Majesté, comme on verra plus
bas; d'où il suit que si les artistes habitant
maintenant l'île Saint-Louis croient y avoir uni-
quement succédé à des robins, l'erreur ne fait
pas doute. II est vrai que les arabesques et les
médaillons qu'on retrouve au premier étage, dans
le salon, datent seulement du règne de Louis XV;
mais une plaque de fonte fixée dans la cheminée
dudit salon porte le millésime 1659. La famille
Lecoq a été adjudicataire de cette maison-frontière,
dès le 9 fioréal an ix, par suite de licitation
entre les deux fils de Charles de Chavannes.-
QUAI BOURBON. 79
Que si hi pénultième propriété du quai Bour-
bon appartient su maire de iMontreuil, descendant
du poète Rotrou, qui lui-même administrait si
noblement une ville, elle a d'intéressant, en
outre, ses rapports d'origine avec l'hôtel Levau,
et voici comme. Dublet, juré du roi, vendait le
16 novembre 1657, au prix de 22,654 livres, tant
à François Levau qu'au maître-maçon Charles
Thoison, son beau-frère, une place à bâtir de
227 toises, dans l'île Notre-Dame, h la pointe du
pont Saint-Landry, place tenant d'un côté h celle
de Champagne, "peintre ordinaire du roi, et à
celle de Buisson, menuisier, et de l'autre côté faisant
face au quai Bourbon, etc. Ce lot appartenait au
sieur Dublet, comme faisant partie d'un terrain
à lui adjugé par les successeurs de Marie aux
termes d'un contrat signé iVAnnouU; des murs
de fondation y existaient déjà quand l'adjudicataire
s'en était dessaisi. A Thoison, qui était de moitié
avec son beau-frère, il échut de quoi bâtir le
n" 51.
Au reste, sur le quai dont nous nous occu-
pons, les liens de parenté entre insulaires don-
nent à leurs maisons l'air de famille; l'isolement n'y
est qu'accidentel. Le gendre de Levau, que nous
vous citions tout à l'heure, est le père de Louis-
Hubert Billard de Fontenay, maître-d'hôtel du
roi, qui a laissé le 49 à Maussion de Candé, son
gendre, mort conseiller au grand-conseil en 1758, Les
fils de Maussion, l'un seigneur de Candé et conseiller
au parlement, l'autre, seigneur de la Frizelière et
membre du grand-conseil comme son père, ont
vendu le 4 juillet 1767 à Jacques Poirée, joaillier,
deucG maisotis en face du yont de bois, joignant
Vune Vautre, occupée Vune par Constantin, pro-
cureur au parlement, et Vautre par le sieur de
Blanzac. Les numéros de ces deux maisons
juxta-posées sont aujourd'hui 49, 45, car le n" 47
80 QUAI BOURBON.
a disparu à tout jamais : c'est une échoppe d'é-
crivain public, à roulettes, qui répond pour le chiffre
absent.
On peut croire, qui plus est, que le n" 43 a
lait trio avec les deux autrefois réunis, et que
des dépendances s'y ajoutaient encore par-der-
rière. Son escalier à balustres de bois s'éclaire
sur une cour banale, qu'un petit mur divise en
plusieurs cases, lesquelles rayonnent autour d'un
puits commun. Au lieu de s'égayer de palier eu
palier, la vue dont on jouit en montant, par les
échappées qui s'y superposent, linit par être à l'ex-
cès pittoresque. Ces derrières d'hôtel, qu'ils aient
appartenu ou non ii un maître-d'hôtel royal,
aljusent de ce que les ordonnances concernanl
l'entretien externe regardent seulement les façades;
on néglige dans le font jusqu'à l'échenillage : trop
de mousse grimpante sur des murs décrépits et pas
assez de vitres aux fenêtres, voilà un double
signe d'abandon (|ui devrait être justillé par la
lèpre! En 179ïî, le io avait pour tenants à l'orient
un immeuble au citoyen Vilard de Passy et de
l'autre côté un immeuble à la citoyenne veuve
de Jacques Poirée, sur le quai de la République,
daus l'Ile de la Fraternité.
Napoléon, dès le Consulat, Ut appeler d'Alen-
(;on ce quai, qui, après lui, reprit son premier
nom; mais alors Vitard do Passy habitait une
autre Ile, celle de la Réunion; il vendait, par
procuration, à des merciers de la rue Saint-Denis,
les sieurs Ducatel et Mercey, la maison qu'il te-
nait de sa femme, veuve en premières noces de
Monguillon, tils décrassé d'un procureur au Chà-
telet.
Au nom de la République également a eu lieu,
le 'ii tloréal an vu, l'adjudicntion régulière du
fonds, tresfonds, propi^iétr, superficie et jouissance
d'un grand immeuble touchant celui de Vitard
QUAI BOURBON. 81
(le Passy, au profit de la citoyenne Marie-Adé-
laïde de Loynes, veuve de François-Auguste Le-
clerc de Lamotte, propriétaire antérieurement. Ce
bien se composait du n" l->9, que des réparations
ont rajeuni du haut en bas, et du 37, dont la
vieille porte est encore piquée de fer. En 1774,
la même propriété, placée sous la censive de
l'église de Paris, s'était vue l'objet d'un litige
entre le marquis de Bonneval et Marguerite Fré-
zeau de la Frizelière, son épouse, non commune
en biens. Le nom pimpant et frisque de la noble dame
nous rappelle qu'un de ses parents contracta
liymenée avec la nièce du poète Le Roy, auteur
de ballets et d'opéras, et que leur lille fut mar-
quise de Persan; quant au>c Bonneval, voici leur
armes : « d'azur à un lion d'or, armé et lam-
passé de gueules; support : deux grillons d'or. »
Bien que l'uuion fût assez assortie, ne nous éton-
nons pas que, sous leurs pieds, ait levé la
graine processivs qu'y avait semée à pleines mains
le propriétaire précédent, procureur au Cliâtelet
ayant nom maître Pierre Roy.
Lorsque les plaideurs hésitaient à passer l'eau
pour élire domicile chez ce procureur insulaire,
il s'intentait des procès à lui-même, d'abord pour
ne pas déroger. Exemple : une de ses deux mai-
.sons (le 37), dont il a en partie démoli l'édifice,
pour le mieux rétablir, et agrandi le jardin, se
trouve décrétée, au commencement de 1695, à la
requête de son confrère Barbier, qui l'a saisie
pour en faire le gage d'une faible créance. Donc
les criées ont lieu sur les marches de l'église.
Saint-Louis, et tous les paroissiens de s'apitoyer
sur le désrstre qui menace un des leurs. Oh!
que les bonnes gens sont déjà bêtes en ce temps-
là ! Le décret n'est qu'un leurre imaginé à bon
escient par ce matois de procureur, qui tient ù
passer pour gêné, et la preuve en existe parmi
82 QUAI BOURBON.
les titres de propriété, dans la contre-lettre
suivante :
Il Je sotxssgaé, procureur en parleineuf. reconnois
que qnoy qu'il paroisse par uu projet de senteuce
que ÎNIonsieur R03-, procureur en U Cour, mon con •
frère, me doivi; la somme de 500 livres, poilée eu Ja
promesse y mentionnée, néanmoins la vérité est que
je n'ay ])oiut de promesse de luy et qu'il ne me doit
aucunes choses, ne luy faisant que prester mon nom,
pour, à ma requête, faire prendre un décret volontaire
sur lui de sa maison qu'il a acquise de la veuve et
des héritiers de M. du Corroy, au moyen de quoy
la sentence qui interviendra en conformité du projet
ne pourra avoir aucun effet à mon égard.
Fait ce décembre l(i94.
Barbier. »
François du Corroy, secrétaire de la chambre
du roi, a en etïet cessé de vivre lorsque sa
maison fixe l'attention de trois honnêtes procu-
reurs, Monguillon, Bourjot, Roy, brelan d'amis
qui se servent de prête-nom l'un à l'autre pour
déprécier, surenchérir, acheter ou revendre, dans
l'île ce qu'ils y trouvent disponible, et Roy se
fait aider par ses deuv acolytes pour amener
l'opération à bien. Un peu avant cette mutation,
la veuve ou la sœur du défunt administre la pro-
priété, loi'sque les syndics-directeurs qui ont suc-
cédé à Marie remplacent la rente, originairement
garantie à ce dernier sur chaque maison, par
une contribution foicée de 8 livres par toise
une fois i)ayées et pour libération définitive (an-
née 1693). kn remontant enfin h l'origine de la
construction on .encontre Bertrand du Corroy,
juré-mesureur de grains, père de François. Un
devis notarié, qui se retrouve aux pièces, a été
disposé en 1640 et témoigne de la prud'hommie
de Du Corroy, tenant à prévoir au juste la dé-
QUAI BOUÏIBON. 83
pense; seulement un des maçons ne sachant pas
signer son nom, on lui a demandé une croix, et il
a dessiné un marteau, qui conclut mieux, vu la
nature de l'acte. Le 39, il est vrai, n'a pas eu
le même fondateur que le 37 ; quatre ans après
avoir pendu sa première crémaillère, le juré-me-
sureur s'est arrangé de l'autre bâtiment avec un con-
seiller au parlement, Michel Parrua.
Le citoyen Courmont disposait en l'an vu du
n" 35, où avait résidé en 1789 M. Hermant, mi-
nistre du prince évoque de Spire. Au milieu du
même siècle, un conseiller au grand-conseil avait
eu également ses pénates sous ce large toit;
c'était Choppin de Gouzangré, qui depuis long-
temps aussi remplissait \â charge de premier
président à la cour des Monnaies. Le père du
président avait été lieutenant-criminel, et son fds,
Charles-Etienne, entrait au parlement avec la
qualité de conseiller en i7oi. L'hôtel n'a pas
porté, que nous sachions, le nom de cette famille,
originaire de l'Anjou, qui pouvait bien n'en être
que locataire. Des sculptures et un balcon déco-
rent sa façade; quelques peintures qui ont passé
le temps où la mode les traitait de surannées,
Ibnt dessus-de-portes h l'intérieur.
Cette épée flamboyante d'archange qui a chassé
Adam du paradis terrestre semble s'être allongée,
tordue en arabesque, pour aider, au contraire,
depuis pkis de deux siècles, à monter l'e^^calier
du n" 33, dont la splendeur déchoit évidemment
depuis que la marquise de Nesles n'y est plus,
en d'autres termes, depuis la fin du règne de
Louis XVIII.
Quel beau morceau ensuite que la porte du 31,
toute lardée de gros clous à tête! La maison
attenante est ferrée d'une rampe d'escalier comme
on ne saurait plus en battre; elle aidait à mon-
84 QUAI BOURBON.
ter, en 1750, messire Roualle de Boisgelou, non
pas II des honneurs (Boisgelou était déjà membre
du grand-conseil), mais tout bonnement à son
appartement. Saluons dans le 25 un des doyens
de l'île Saint-Louis; on dit que ce fut un des
hôtels du duc de Nevers, neveu de Mazarin.
Comme le 9 appartient à M. de Gheldre, nous
voilii obligé de renvoyer notre lecteur au n" 34
de la rue Bourbon-Vifleneuve, dans notre publi-
cation même : ce multiple propriétaire ne reçoit
de bonne grâce ses locataires eux-mêmes que le
jour du terme.
Au reste, en se rapprochant de la rue des
Deux-Ponts, les façades du quai changent d'aspect ;
leurs portes, qui sont bâtardes, font ressortir
l'ampleur des autres, ' qui convenait si bien h la
grande robe. Finissons-en par le n" 1, dont l'allée
basse et l'escalier sans rampe- se font jour avec
peine :i travers une bâtisse portant assurément
deux siècles, mais magnifique encore de suffisance,
comme un gueux qui s'en va drapé de son manteau
remis à neuf; pourtant, que dis-je ! dans le nombre
des gens qui franchissent son allée basse, ses
degrés inégaux, il en est qui soupirent après un lit
dressé dans une maison encore plus modeste :
c'est un bureau de placement.
La rue ei rSiiipassc dos Boiii*<1oiiiiais. (i)
J. — Entre la Rue de la Poterie et la
Rue Saint-Honoré.
Une maison qu'il a fallu couper, en 1787, pour
percer la petite rue Lenoir, et qui se retrouve
aujourd'hui rue des Bourdonnais, 4o, appartenait,
d'après le plan de Turgot, à la rue de la Chaus-
setterie, maintenant incorporée h celle Saint-
Honoré. En elVet, li travers une grille, voyez cette
cour réduite de moitié, ces balcons ou plutôt ces
ponts renouant à chaque étage la communication
interrompue ; voyez enfin ces jours, pris sur la
rue par des simulacres de croisées, comme dans
un décor de thécàtre. Le nom propre qu'on ne lit
déjà plus sur les écriteaux bleus à lettres blan-
ches était celui de Lenoir, lieutenant de police :
le bout de rue dédié à ce magistrat a mis en
appétit la rue des Bourdonnais, qui a fini par
(1) Notice écrite eu 1R58. Il s'en lallait alors de quel-
que chose que la. rue -des Bourdonnais se prolongtàt
jusqu'à l'einplacement de la rue Berger actuelle : à celle
extrémité elle s'est élargie et remise à neul', depuis la
rue Saint-Honoré, et la nouvelle rue des Halles la croise
au même carrefour. L'autre bout a changé de niveau,
comme le quai de la Mégisserie, mais seulement pour
les voilures : des marches et des parapets réservent
aux piétons deux trottoirs à l'ancienne élévation. Tout
y est de construction nouvelle jusqu'à la rue Saint-
Oermain-l'Auxerrois, qui naguère traversait la rue des
Bourdonnais, mais qui n'y donue plus que d'un côte.
L'une des autres maisons séculaires qui ont disparu
était au fond de l'impasse des Bourdonnais, maintenant
à jour, qui conduirait à ia nouvelle rue du Pont-Neuf si
une barraque n'y mettait le holà.
6
8(1 LA RUE ET I/IMPASSE DES BOURDONNAIS.
n'en l'aire qu'une boucliée, pour se trouver encore
plus près des Halles. Le passage de l'Échaudé,
déjà ouvert sous Louis XIV, allait de la rue au
Lard à la boucherie de Beauvais, rue de la Poterie,
et la viande s'étalait jusque dans ce passage. Une
porte à colonnes, dominée par un grand balcon,
fait remarquer la plus moderne des maisons de
l'ancienne rue Lenoir ; l'arcliitecte Souris l'édiliait,
sous Louis XVI, pour M""" Damesme, marchande
de vin vis-à-vis, dont le fils ensuite fut banquier,
//. — Ancienne Rue des Bourdonnais, comprise
entre les Rues Saini-Honoré et Rivoli: 26 Maisons,
7 Lanternes en 1714.
Le nom de rue Adam-Bourdon-et-sire-Guillaume-
Bourdon est porté tout au long, dès 1297, par
celle qui l'abrège un peu plus tard. Guillaume
Bourdon est de la même époque et il a un ou
plusieurs frères, ladite rue comptant alors de 6 à
7 Bourdon pour habitants.
La draperie, la bonneterie, la toile et autres
branches du commerce des tissus ont leur café
de prédilection au coin des rues Saint-Honoré et
Bourdonnais; la laine s'y assouplit, le coton s'y
détord, le crin lui-même s'y amadoue, depuis
l'époque de la Convention,, et plus d'un commis-
voyageur y a vu, dans une seule soirée, jusqu'à
450 demi-tasses passer à son débit ou à son
crédit sur le grand-livre de la dame du comptoir.
Dans le cours du siècle précédent, cette encoi-
gnure appartint à Foin, conseiller au parlement.
Les autres propriétaires de la rue des Bour-
donnais d'alors étaient du même côté, c'est-à-dire
à gauche pour qui venait de la rue Saint-Honoré :
M. Pajû't, eu son hôtel. — Le même, à l'enseigne du
Grand-Louis. — M. Je Chaunoy. — M. Boulat)ger. —
M. Roger. — Le même. — Le mciue.
LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNALS. 87
Sur la droite se suivaient :
M. de Clérambaut, à l'angle de la rue Saint-Honoré.
— La présidente Boucher, à ia Pomme-d'or. — M. Porlier,
à la Tête-Noire. — M"*' Maillié. — La même, à la
Provideuce. — M. Boutef, au Roi-des-Romains et à la
Croix-d'or. — M. de Bourgss, maître des comptes, à
la Ville-de-Lj'ou. — Le même, à l'Ecu de-Bretagne.
— Les héritiers du président Roze, à ia Couronne-d'or.
— M. Noblet. — M, Truchot, greffier. — Le même. —
La veuve Honoré. — M. Prédot, architecte.
Et la plupart de leurs maisons se retrouvent.
Le 39 a eu beau changer d'enseigne, au coin de
l'impasse des Bourdonnais, sa Barbe-d'or ne reluit
qu'au menton de l'ancienne Tête-Noire. D'autres
sculptures peintes et des inscriptions commerciales
barriolent le mur extérieur de cette propriété,
qui fut un petit hôtel entre cour et jardin.
D'autres logis bien plus considérables pouvaient
prétendre au doyenné de la rue, en tant que
dignité ; mais celui-là pouvait leur disputer la
doyenneté d'âge. La directe en étant contestée
au tief de la Trémoille, il y avait eu transaction,
vers le milieu du règne de Louis XIV, entre
l'Archevêché et le Domaine, ce dernier s'étant
désisté de ses prétentions moyennant compensa-
tion. M""' Porlier, née Suzanne Fardoël, était pro-
priétaire à cette époque ; elle eut pour héritiers
les Porlier de Compiègne, se« fils, auxquels succéda
la famille Brochant en l'année 1729. Les Brochant
vendirent à Barbier, vingt-neuf ans après, et
c'est alors que la Barbe l'emporta : un jeu de
mots pesait dans la balance. Barbier était mar-
chand ; il n'en acheta pas moins dans l'impasse
et la rue deux autres maisons, contiguës h. la
Barbe-d'or, l'une aux enchères publiques et l'autre
de JuUier, secrétaire du roi, à l'image de la Reine-
de-Pologne, à l'ancienne image de l'Enfant-Jésus.
88 LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
Il avait donc en i786 les \V" 39 et 41 d'à-présent,
et le 43 était au sieur Hamelin. M. Barbier, mar-
chand de soieries, s'établissait encore en l'an IV
dans la principale de ces maisons, à la place de
quelqu'un des siens.
La Barbe-d'Ûr avait plusieurs portes sur l'im-
passe, qui avait cessé d'en être une pendant le
règne de Charles VI, car elle se prolongeait
alors, et pendant les règnes qui suivirent, jusqu'il
la rue Tirechappe, sous le nom de rtœ du Cul-
de-Sac, puis de rue qui-aboutit-à-la-rue-des-
Bourdonnais. Dans le cours du xvi'^ siècle, la
dénomination plus pittoresque de ruelle, puis de
cul-de-sac de la Fosse-aux-Chiens, prévalut mal-
heureusement : elle rappelle un dépôt local de
boues, de charognes et d'autres immondices, qu'eut
la ville au-delà de sa deuxième enceinte. De cette
voirie il restait quelque odeur dans le marché
aux Porcs qui en avait d'abord pris la place. En l'an
1319, on y avait brûlé deux femmes hérétiques, de la
secte des Turlupins, et cet autodafé purement
d'essai avait été suivi, trois siècles après, de
beaucoup d'autres, en vertu de la loi incessante
du progrès; on y avait aussi plongé dans l'eau
bouillante des faux-monnayeurs, schismatiques
dont l'hérésie pratique élàit autrement dange-
reuse.
Un peu avant la mort de Louis XIV, l'impasse
comportait déjà 4 maisons et 2 lanternes, mais
encore conciliantes, encore prêtes à fermer les
yeux sur bien des choses : c'était pourtant l'âge
d'or du cul-de-sac aux antécédents fanatiques et
pestilentiels. Ses murs bossues, ses portes pres-
que romanes, ses fenêtres, dont bien des vitres
sont en papier, d'autres en verre de bouteille,
enfin ses escaliers à marches déprimées ont encore
moins dégénéré que le rang de ses habitants. Nous
doutons, il faut en convenir, qu'Henri de Valois,
LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS. 89
seigneur d'Orcé, historiographe du roi, rencontrât
plus de fondrières et de flaques d'eau, au xvii« siècle
que si c'était au moment ou nous écrivons, pour
rentrer dans l'hôtel où il vivait avec sa mère et ses
IVères (2'"'- porte cochère à gauche dans l'im-
passe). Cette circonstance n'était pas de nature à
guérir la mauvaise humeur qui lui était familière,
mais qui ne l'empêcha pas de se marier, à l'âge
de 60 ans et aveugie, avec une jeune femme, de
laquelle il eut sept enfants. Son frère, Adrien de
Valois, également historiographe et pensionné
comme homme de lettres. Ht un mariage tout
aussi peu précoce. L'un d'eux était le père de
l'ingénieux écrivain Charles de Valois, membre de
l'Académie des inscriptions et auteur de Vale-
siana. Même impacse, n" 6, un escalier à belle
rampe est de l'âge qu'aurait l'aîné de ces Valois; un
maréchal-de-camp possédait la maison, avant
qu'elle fût réparée en 1770 par le vendeur du
grand-père de M. Hérelle, notre contemporain.
Quant à la Fosse-aux-Chiens, son nom a été
supprimé seulement en 1808, sur la demande
des habitants, accueillie par M. Frochot, préfet de
la Seine.
Voici, du reste, quels étaient les voisins de
la précitée M'"* Porlier dans le cul-de-sac où elle
avait au moins une porte cochère :
Alexandre, au Château-Couronné, où l'on entrait par
la rue Saint-Honoré. — Gaillard, porte cochère (an-
cien hôtel Valois). — Godeheu, enlrôe rue Tirechappc.
— L'abbé Gilbert, Hem. — De Mennes, banquier, porte
cochère. — Boutet. entrée por le cul de-sac et par la
rue des Bourdonnais. — M"e Maillet, futrée par la
rue des Bourdonnais".
Les 4 maisons oHiciellement portées â l'avoir
du cul-de-sac étaient probablement celles de
Barbier, de Gaillard, du bantiuier Mennes et de
00 LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
Boulet. .M. de Fromand était propriétaire dans
le fond, sur la fin de l'ancien régime.
L'hôtel Valois, au reste, dépendait de l'hôtel
Mazarin (n" 35 de la rue) : quoi d'étrange à ce
que le cardinal-ministre logeât Henri de Valois,
auquel il servait une pension, tout comme le
président de Mesmes, et qu'il mit sur son tes-
tament! Alors on se préoccupait peut-être un
peu trop tôt, mais cela vaut encore mieux que
trop tard, du qu'en dira-t-on de l'histoire, qui,
pour ne pas s'écrire dans un grenier, loin des
secrets d'Etat, ne les en surprenait que mieux.
L'unité, il est vrai, n'en avait pas fait une énigme
diflicile à déchiffrer ; il y avait en ce temps-là non-
seulement les vœux et les prétentions, mais encore
les droit des parlements, des juridictions, de l'Eglise,
des paroisses, des provinces, des communes, des
seigneuries et de la bourgeoisie, pour contredire
au bon plaisir du roi, des princes du sang et
des ministres, qui seraient maintenant désolés
d'avoir aflaire à si forte partie. L'historiographe
du roi et celui de la Ville jouissaient alors de
plus d'indépendance encore que la presse oflicielle
et officieuse de notre temps; mais les mémoires,
ces épreuves de l'histoire, faisaient toujours de
l'opposition. Aussi bien l'hôtel Mazarin de la rue
des Bourdonnais doit avoir été peu de temps et de
bonne heure la résidence en titre du cardinal,
qui avait commencé par recevoir à Paris, comme
nonce du pape, l'hospitalité de Richelieu, dont il
était la créature.
Gomboust, lorsqu'il gravait son plan de Paris,
soulignait cet hôtel, bâtiments et jardins, d'une
légende microscopique en lettres italiques, laquelle
au moyen d'une loupe nous avons déchiffrée ainsi :
La Donania ; l'invraisemblance de cette version
trahissant une faute d'impression, nous croyons
(pie l'hôtel Mazarin était devenu La Douane.
LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS, n
Il se peut néanmoins que ce fût ou Le Domaine
ou La Monnaie. Celle-ci, à la vérité, s'étendait
plus tard de la rue" de la Monnaie aux rues
Bouclier et Thibautodé, c'est-à-dire plus bas ;
mais ayant, par ordre de Louis XIII, essayé de
s'établir au Louvre, elle avait pu, après cela, se
contenter quelque temps d'un local provisoire. En
1623 une propriété, donnant du même côté sur
la rue et du même sur le cul-de-sac, avait ap-
partenu à Levieulx, et il est probable que nous
la revoyons aujourd'hui dans l'ancien séjour de
Mazarin, dans l'ancien Roi-des-Romains et dans
l'ancienne Croix-d'or. Michel Boutet, l'un des
quartiniers de la ville de Paris, y demeurait déjti
lorsqu'il acquit, en l'année 1699, le tiei" de la
ïrémoille. Mais le moyen que cette terre noble ne
lût pas dès-lors divisée ! Ne tigure-t-ello pas parmi
les neuf tiefs dont l'historien Sauvai, mort en
1670, avait 'i sa manière passé reconnaissance à
l'archevêque de Paris? Comme un hôtel superbe
se fait encore sentir dans les trois corps de logis
de Boutet, maintenant i\. M. Lesage de Mongey!
Les marchandises l'encombrent, il ne plie pas !
De magnifiques escaliers en pierre, larges comme
ceux des Tuileries, prêtent leurs rampes de fer
aux mains calleuses, bien que l'un d'eux soit
encore décoré du chiffre de Son Eminence. M. de
Mongey a transporté dans sa maison de cam-
pagne un immense portrait du cardinal, dont la
famille Séguier a la copie, et qui ornait le grand
salon du premier ; son appartement de Paris est
enrichi de consoles et de girandoles, fortes en
dorures, qu'il a fallu retirer de la même pièce,
pour y élager des rayons. Le derrière de l'hôtel
va être prochainement, entamé, pour élargir la
rue Tirechappe.
M. le comte d'Haulerive, propriétaire du 33,
s'est empressé de mettre ses titres ii la disposi-
92 LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
tion de l'historiographe des anciennes maisons de
Paris ; malheureusement ils ne vont pas plus haut
que le milieu du siècle précédent, et aucun nom
propre n'y éclipse ceux du détenteur actuel et
de ses prédécesseurs déjà cités, les deux de
Bourges, famille à laquelle s'est allié M. Leroux
de Lincy, archéologue. Malgré la grande porte de
cette propriété, elle a dû être originairement,
au cœur du flef de la Trémoille, le petit hôtel
d'un des deux plus grands qui l'enserraient.
. Le 31 occupe l'emplacement de la Couronne-
d'Or, qui avait été l'hôtel des Carnaulx. Des
négociants, MM. Cohin et C'e, l'ayant fait recons-
truire en 1841, ont donné, pour ne pas tout
perdre de cet édifice merveilleux, manoir aux
pierres brodées comme par les fées, une tourelle
et un escalier fort remarquables a l'école des
Beaux-Arts. Deux pierres finement sculptées ont
échappé, toutes seules, et à la destruction et à l'exil ;
on les a incrustées de chaque côté du portail, à
l'intérieur de ce temple du commerce aux comp-
toirs si multipliés. Les arabesques enchâssées dans
cette cour rappellent aux initiés l'histoire de la
maison la plus célèbre de la rue. La totalité n'en
fut pas construite par Pierre Le Gendre, tréso-
rier de l'extraordinaire des guerres sous Louis
XII, car elle avait été dès le xni« siècle séjour
royal : Philippe-le-Bel, puis Charles d'Orléans,
frère du roi Jean, y avaient résidé. Guy de la
Trémoille fut fiefié, le premier, de la grande et
de la petite Trémoille ; il en fit décorer le chef-
lieu avec un goût auquel on rend encore hom-
mage. Vint ensuite Louis de la Trémoille, sur
qui le roi ne vengea pas les injures faites au
duc d'Orléans. Petite terre pour de grands-ofli-
ciers de la Couronne, mais bien située, îi quel-
ques pas du Louvre! Ils y avaient droit de
justice, et leur censive se maintint jusqu'à la
LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS. 9:5
Révolution au profit de leur ayant-droits, sur tous
les terrains aliénés de l'une et de l'autre Tré-
moille. Les sires de cette vaillante race lurent
même de maison souveraine : Anne de Laval,
fille de Charlotte d'Aragon, princesse de Tarente,
en épousant un membre de cette famille, lui
apporta ses prétentions au trône de Naples en
l'année io21, et de là vient le titre d'altesse ac-
cordé à leurs descendants. Le grand hôtel dont
nous parlons longeait toute la rue de Béthisy
jusqu'à celle Tirechappe (i), avec plusieurs issues.
Une portion tout au moins en appartenait à An-
toine du Bourg, chancelier de France, sous le
règne de François I*''; néanmoins les Drapiers
en acquéraient aussi, dès 1527, de quoi faire
un hôtel pour leur communauté; ils y plaçaient
tout de suite leur bureau, et puis y mettaient les
maçons, au milieu du siècle suivant, pour opérer
une reconstruction. L'an 1629, cette corpo-
ration, dont Philippe-Auguste avait érigé les sta-
tuts, demandait des armoiries aux prévôt et
échevins, et bientôt elle portait : un navire d'ar-
gent à la bannière de France flottante, un œil
en chef sur un champ d'azur. 3Iais cette con-
fi'érie avait une rivale dans celle des Drapiers-
chaussetiers, dont le patron était ditférent, et
qui lui disputa le pas jusqu'à, la réunion des
deux corps, en l'année 1648. Cependant Pomponne
de Bellièvre, surintendant des linances d'Henri III,
puis disgracié, puis chancelier de France sous Henri
IV, puis encore déshérité de la faveur royale,
laissa tout ce que le chancelier du Bourg avait eu
de l'hôtel en sa possession antérieure à Nico-
las, un de ses fils, président ii mortier, doué d'une
(1) La rue de Béthisy a été eii^^lobée par le pro-
longement de la rue de Rivoli, et celle Tirechappe
par la nouvelle rue du Pout-Neuf.
W LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
énergie héroïque: ce dernier engendra un autre
président, qui épousa la fille de Bullion le surin-
tendant, et qui vécut avec magniticence, tout en
appliquant beaucoup d'argent à la fondation de
l'Hôpital-Général.
La famille de M. Lacrosse dispose depuis
1820 d'un immeuble, sis à l'angle de la rue
Limace (i), qui fut adjugé en 1787 à Muraine,
marchand de draps. Le reste de ses antécédents
se confond avec ceux d'une maison à laquelle il
se rattachait, et dont nous allons vous parler.
La belle porte, au n" 30 ! et comme cette façade
irait bien à l'ancien chef-lieu d'une Trémoille, ne
fût-ce que la petite, ou de quelque autre fief!
La Trémoille s'étendit, en effet, d'une rive à
l'autre de la rue des Bourdonnais ; mais le
hef de la Crosse-Saint-Yon y occupait fun des
deux angles de la rue Boucher, auquel vis-à-vis
était fait par l'un des angles du fief Popin. Pierre
Legendre, ce contemporain de Louis delà Trémoille,
ne fut pas moins pi-opriétaire au 30 qu'au 31 de
notre époque et il doit y avoir d'autres pré-
cédents communs aux deux immeubles. Le
linancier du temps de Louis XTI remplissait, sous
le règne suivant, les fonctions de prévôt des mar-
chands, lorsque se livra cette bataille où tout
fut perdu fors thonneur. Il laissa son second
hôtel, avec d'autres biens, terres et seigneuries,
à son petit-neveu, Nicolas de Neufville, lequel
fui élu à son tour, en l'année 1566, chef de
l'édilité parisienne. Ce Neufville, qui vécut encore
trente-deux ans, et que le roi ht chevalier de
son ordre, se trouva le grand'père du marquis de
(1) Cette petite rue débouchait naguère à IVndroit où
s'élève une construction neuve, qui porte le n" 3b, en
lace de l'iuii)atse des Bourdonnais et de Ja Barbc-
d"Or.
LA RUE ET LJMPASSE DES BOURDONNAIS. 95
Villeroi, gouverneur du Lyonnais en 1615, mort
à vingt-sept années de là. Nicolas, fils de celui-
ci, eut, au lieu d'une province, l'enfance de
Louis XIV à gouverner, fut maréchal de France,
puis duc et pair. Ainsi la rue des Bourdonnais,
dans laquelle plus d'un porte-balle, venu à Paris
en sabots, s'est érigé lui-même en millionnaire, a
vu se faire plus lentement la haute fortune des
Villeroi, œuvre de plusieurs générations. Le maré-
chal vivait encore lorsque Pajot prit possession de
la propriété, ayant une seconde entrée rue des
Déchargeurs, et le nouveau-venu en lit bientôt l'hôtel
des Postes, dont il était contrôleur-général : Pajot,
reçu secrétaire du roi en 1680, était l'époux de
Marie-Anne Oger, dame de Villers, Onz-en-Bray
et Saint-Aubin. Son ills, comte d'Onzembray, fut
aussi contrôleur-général des postes et relais de
France, et de plus gendre de Rouillé, son pré-
décesseur ; ils avaient leur hôtel de campagne à
Bercy, où mourut plus tard Louis-Léon, un de leurs
enfants, honoraire de l'Académie des Sciences,
ancien intendant-général des postes, et dont un frère
aussi, Pajot de Villers, avait rempli les fonctions qui
sortirent si difficilement de leur lamille. Les hon-
neurs du Mercure de France ont été faits en septem-
bre 1739 aux d'Onzembray, dont le savant, mort
sexagénaire en 1754, avait nommé son légataire uni-
versel Léon-François Le Gendre d'Onzembray, lieu-
tenant-général des armées du roi. Leur' hôtel
s'adjugea en 1768 à Antoine Gérard Galley, direc-
teur des bâtiments du roi. M. Combe, direc-
teur de l'entrepôt des verreries de Saint-Quirini,
achetait la même propriété, en 1792, des hoirs
de Ducloslange, décédé secrétaire du roi cinq ans
avant. Enfin Tollard, marchand de graines et
médecin, prenant aussi dans les contrats sa qualité
d'auteur du Traité des Végétaux, léguait l'immeuble
en 1842 à M. Gervais.
9U LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
Encore une maison, le 28, détachée de l'hôtel
voisin et qui a été pour le moins tributaire du
lief de la Trémoille.
Mais en scrutant ainsi la vie privée de l'ancienne
rue des Bourdonnais, pour en livrer h la publicité
des particularités caractéristiques, où allons-nous
placer un hôtel de Fleury, dont Sauvai ne nous a
rien dit, mais qu'il a dû connaître ? C'était assu-
rément l'une des maisons dont nous venons de
forcer la porte.
III. — Ancienne Rue Thihautodé, ajoutée à celle des
Bourdonnais en 1852 : 29 Maisons, 6 Lanterties
en 1714.
Ce tronçon de la rue dont nous nous entre-
tenons serpente entre la rue de Rivoli et celle
Saint-Germain-l'Auxerrois. Ïhibaut-Odet, trésorier
d'Auvergne en 1242, lui aurait donné son premier
nom, au dire de l'abbé Lebeuf; toutefois on
écrivait rue Thihault-aux-Dez au siècle xni, et
cette orthographe nous reporte à l'existence pro-
bable d'un joueur heureux, qui a bâti pignon
sur rue au lieu de se jeter ù l'eau. Au début du
règne de Louis XV, des boutiques commençaient
à remplacer, au rez-de chaussée des maisons de
cette rue, les écuries des petits hôtels de magis-
trat qui s'y trouvaient, mais qui étaient plus
divisés et par conséquent plus nombreux que les
immeubles de notre époque, affectés au commerce
en gros pour la plupart. Les édifices, à la divi-
sion près, sont demeurés ce qu'ils étaient alors
([u'il en ressortissait de la Trémoille. Néanmoins
le fief Popin fut dit aussi Thihautodé ; il figurait
sur le Terrier de l'archevêque de Paris pour
10 maisons, et l'évêque du même diocèse en
avait reçu foi et hommage alors que la justice
particulière du lief se tenait au porche de l'église
LA RUE ET L'TMPASSE DES BOURDONNAIS. 97
Saint-Jacques-la-Boucherie. Olivier de Villecroix
avait vendu ce domaine féodal, en l'année 1357,
Il Etienne Marcel, séditieux prévôt des marchands.
Je crois que la censive de Notre-Dame pesa à
titre plus direct sur un héritage qui paraît être
le n" 12 de la présente rue des Bourdonnais.
Tout ce qui s'en appelait ThibauLodé eut simul-
tanément pour propriétaires riverains dans le
courant du XVIir- siècle:
A cjunche, en vcnani de la rue des Prèires-Sainl-Germain-
VAuxertois : — Massaux, au coin de cette dernière rue»
— Cottaud, secrétaire du roi. — Henry. — BJouin,
avocat. — Guéribout. — Patu, 2 maisons. — M")'; de
MailJy. — Le Bros. — Màcou. — de Saiut-Genis. —
S. M. 1l! roi. — -Maillet, conseiller au parlement, bùtel
de Beauvais — M"'« de la Villemareuil, à l'enseigne
du Roi- de-France, au coin de la rue Bcihisy,
^•1 droite: — Le Double, maître des comptes, pour
la maison qui venait alors la 4'"^ après la rue i-aint-
Germain-l'Auxerrois. — Halle, ensuite. — Beaulieu,
maître des comptes, '3 maisons. — La vtuve de M.
de la Bonne, au coin de la ruelle des Trois-Visages.
— Charron. — Darbaut. — Mlle Laurent, au coin de la
rue des Deux-Boules.
Plaise à l'ami lecteur, muni de ce viatique, de
reprendre avec nous le cours de la pérégmia-
tion.
26, ancien liùlel Le Boulianger. Plusieurs bran-
ches de la même famille, ou plusieurs familles à
peu-près du même nom, se sont illustrées dans
la robe. Vincent Le Boulianger, avocat au par-
lement de Paris, puis procureur du roi à Amiens,
uni à Antoinette du Béguin, « dont le père était
« mayeur de la même ville, » a fait imprimer en
it)86 des Ordonnances politiques. Son tils, Philippe
Le Boulianger, seigneur de Salleux, Hamel et
08 LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS.
autres lieux, conseiller du roi, élu en l'élection
d'Amiens, a été à son tour le père de Nicolas,
avocat au parlement. Ces deux derniers ont bien
connu le petit père André Le BouUanger, parent
des magistrats, et de plus augustin réformé, qui
a prêché pendant 55 ans dans le royaume et
n'est mort qu'en l'année 1657. La reine-mère,
le prince de Coudé et beaucoup d'autres per-
sonnages goûtaient son genre d'éloquence exu-
bérante d'originalité. \]a jour, entre autres, il
comparait les quatre docteurs de l'Eglise à des
rois, à ceux du jeu de cartes: saint Augustin était
roi de cœur, à cause de sa charité; sainte Am-
broise, roi de trèfle, pour les fleurs de son élo-
quence; saint Jérôme l'était de' pique, en vertu
de son style mordant ; et de carreau, saint Grégoire-
le-Grand, vu sa logique terre-à-terre. La famille
de 3L Leclère dispose, depuis 60 ans, de la mai-
son Le BouUanger, qui vraisemblablement fut aussi
à Darbaut, et où, pour délecter les amateurs, se main-
tiennent un large escalier à rampe de fer plus d'une
fois séculaire et une belle porte toute mouchetée de
clous.
M. Rousseau a trouvé au 2:2, ne faisant jadis
qu'un avec le n" iî4, un escalier non moins inté-
ressant ; mais le nouveau propriétaire habite un
château éloigné, et le concierge, dit-on, n'a pas
même l'état des glaces à réclamer aux anciens
locataires. Malgré tant de lacunes, M. Rousseau
a recueilli sur les lieux des traditions orales,
qui en disent plus long que le nom de 31. Charron,
inscrit au tableau ci-dessus. La maison fut à
l'origine celle des commandements de la reine
Blanche ; elle a t tenait à la campagne ; on y vénère
encore une borne, dite le ix(s de la reine, dont
elle se servait pour monter sur un âne. Un prévôt
des marchands, ajoute-t-on sans le nommer, a
postérieurement habité ce petit manoir historique ;
LA RUE ET LIMPASSE DES BOURDONNAIS. 99
seulement son nom n'a pas fait comme la borne,
et c'est à nous de courir après. Mais nous n'irons
pas loin, un prévôt des marcliands s'étant appelé
Charron,
L'impasse des Trois-Visages vient ensuite, mais
elle est fermée par une grille, comme les loges
des animaux carnassiers au Jardin-des-Plantes.
Un honorable négociant, M. Varin, qui compte au
nombre des édiles parisiens, est locataire du n" 20,
hôtel qui sent encore la grande robe et que
pourtant a occupé en l'an 1780 Froisy, simple
procureur au grand-conseil. M""' de la Bonne elle-
même n'en a-t-elle pas été propriétaire ? Nous
ne pouvons nous y tromper que d'un numéro.
Or ça, vieille porte à clous du 16, dont la sonnette
est un anachronisme, veux-tu reprendre pour un
moment ton marteau d'autrefois ? — Pan ! pan ! mes-
sire l'Hoste de Beaulieu est-il céans? — Vous le trou-
verez à la cour des comptes Or cette indication
nenousditpasgrand'chose quant h l'année. L'hoste,
seigneur de Beaulieu, était maître des comptes dès
1683 ; mais son petit-fds l'était aussi, quand com-
mença la guerre de Sept-ans : un membre du grand-
conseil, qui s'était démis de sa charge en l'année
1722, avait eu celui-ci pour llls et celui-lh pour
père. Pinguet de Bellingan laissa ensuite en héritage
à la veuve d'un Le Boullanger, seigneur de Kivery,
conseiller du roi, lieutenant au bailliage et siège
l)résidial d'Amiens, l'hôtel qui se trouvait sous la
censive de la chapelle des Cinq-Saints, laquelle
faisait partie de l'église Saiiit-Germain-l'Auxerrois.
Hariagne de Guiberville, seigneur des Corcelles,
président honoraire au parlement, disposait alors
d'une maison toute voisine, qu'on ne tarda pas
h joindre h l'autre et qu'il tenait de sa mère,
veuve de Pierre Hariagne, secrétaire du roi, tré-
sorier du duc d'Orléans. Après la signature du
funeste traité de Paris, conclusion de la guerre
100 LA RUE ET I/IMPASSE DES BOURDONNAIS.
•de Sept-ans, le sieur Cosseron, ancien mercier
de la rue Saint-Honoré, possédait l'une et l'autre
propriété, qu'il joignait en les réparant d'impor-
tance. L'immeuble appartenait postérieurement à
M. Tiolier, graveur-général des monnaies sous
l'Empire. M. le général baron de Béville, à pré-
sent aide-decamp de l'Empereur, a épousé une
D"e Tiolier; c'est ainsi que M. Grenet tient de
jVI. de Béville ladite propriété, ainsi que le n" 18,
qui venait d'être presque entièrement refait.
Un passage mettait la rue Thibautodé en com-
munication directe avec l'ancienne Monnaie. L'ha-
bitation du chef de l'établissement a entièrement
échappé à la démolition, autorisée en 1776, des
bâtiments de cette Monnaie; vous le voyez dans
le n" 19, dont la façade est ornée de sculptures
et séparée de la rue par une cour : des ves-
tiges de peintures y . apparaissent derrière des
rayons de magasins. Georges de Saint-Julien,
procureur au Chàtelet, s'est fait adjuger, après
la translation de la IMonnaie, l'ancienne maison
du directeur, et depuis lors, mais en vain, l'Etat
a essayé de revenir sur l'adjudication.
Que dire ensuite du 14, après avoir franchi
sa porte à clous? Noël Halle, peintre distingué,
y précéda son lils, qui devint médecin de Napo-
léon P'', puis de Monsieur sous Louis XVIH. La
rue avait eu antérieurement pour habitants les
deux frères Berthollet, médecins, et comme
Greuze, à son tour, y eut son atelier, rien n'em-
pêchait qu'il y succédât à Noël Halle. La maison a
gardé une cour étriquée, et cette cour un arbre,
prisonnier qui demande en grâce, pour ses ra-
meaux, du soleil et de Tair, que lui mesurent
avec avarice les maisons enserrant le préau.
Quelles ombres va évoquer le 13, au fond
duquel s'agite maintenant une hôtellerie, dite de
LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNAIS. JOl
Cxrammont? Parais d'abord, seignoui' de Villo-
loaux, d'Ami» et dos deux Trémoille en loOH;
renvoie ^mi possession, pour noire édincation, les
Baduel, adjudicataires quatre ans après de cette
maison, décrétée sur Mauger, avocat en conseil
privé. Noble bomme Baduel ïinant, secrétairer
interprète de Louis XIII ès-langue germanique,
préside, en l'année même où ce monarque rend
son âme à Dieu, à la vente ([ue font la veuve et
les enfants d'Henry Baduel à Glaud<^ Breget, mé-
decin du roi en son Cbâtelel. Mais on appelle
alors écbange la vente des immeubles dont le prix se
paye en un transport de rentes; c'est ainsi que Bre-
get passe pour avoir accfuis par voie d'écbange la
propriété des Baduel, laquelle en 1612S payait son
cens de 6 deniers parisis par an au baron de Gisnors
et de Hesmes, seigneur du fief de la Trémoille.
Le financier Bénigne Bernard, secrétaire du roi,
maison et Couronne de France, a succédé au
baron de Gisnors, lorsque Breget passe de vie
à trépas; la veuve du médecin, de concert avec
sa fiimille, cède à son gendre Blouin, un avocat,
l'bôtel qu'elle babite avec lui et qui relève alors
du président au parlement Musnier. Le droit
d'ensaisiner, de par le fief, revient ensuite à
Gbarles de Laval, marquis de la Trémoille, du
clief de son épouse, dont feu' le président Mus-
nier était le père. Quant à l'immeuble, il passe
des Blouin, par béritage, à Mareschal de Mont-
Heury, conseiller au Cbfilelet. Il se compose alors
de trois corps de logis distincts, dont un petit :
comment s'explique cette agglomération?
Pour le savoir, il nous faut recourir à l'iiisto-
riipie d'une maison voisine, que le notaire Serret
possédait en 1690. La présidente Sanguin, ni'^e Sé;-
guieret partant cousine du cbancelier, l'acbetait
sous la régence d'Anne d'Autricbe ; c'était la veuve
de . Cristotle Sanguin Tinant, seigneur de Livry,
102 LA RUE ET L'IMPASSE DES BOURDONNALS.
président aux onquêtes et prévôt des marchands;
c'était aussi la mère d'un poète et de quel poète!
Denis Sanguin de Sainl-Pavin, bossu et rieur
comme Scarron, était pourvu de l'abbaye de
Livry; mais il en avait t'ait un séjour de piaisii-,
dont le luxe était relevé par i'esprit qui s'y
dépensait. Saint-Pavin, sous les auspices du grand
Condé, dont il était l'hôte, a frayé avec des
personnages de marque, qui ne dé/laignaient pas
toujours de taire carrousse avec lui. Il ne doit,
à vrai dire, son immortalité qu'à des épigrammes
de Boileau.
En 1657, treize ans avant la mort du poète,
sa mère tronve ini acquéreur dans son locataire
Jean-Phélippes Patu, trésorier-général du sceau.
Au bout de HO ans, messires Clande-Guillaume
I.ambert et lloualle de Boisgelou, membres ûu
grand-conseil, époux de deux D""^' Patu, s'enten-
dent avec leur belle-so^ur, veuve d'un conseiller
an parlement, et Louis Patu, conseiller aux comp-
tes, pour vendre celte maison, dite la Rose-Piouge,
au sieur Raton, t;iilleur d'iiabits, qui a pour
successeur son lils, un avocat. Puis M"^ Mares-
chal de Monttleury,, déjà propriétaire à côté en
1785, s'agrandit de la Rose-Rouge : Bochard,
marquis de Champigny, ratifie celte acquisition,
comme seigneur du tief de la Trémoille.
La réunion matérielle des trois corps de bâti-
ment n'a lieu qu'en 1792, entre les mains d'un
autre détenteur, qui les cède en un seul, le î)
nivôse an xn, à Maugis, plus tard conseiller à
la cour royale de Paris, grand'père de M'"*" Saunac,
dont le mari est aussi magistrat et qui dispose
actuellement de la totalité du IIj.
D'autres maisons, qui ne sont pas puînées,
mais qu'on a bien pu rajeunir, entourent l'hôlel
dont nous venons d'esquisser la biographie, et
LA RUE ET I/IMPASSE DES BOURDONNAIS. lO.'J
qui tenait à une maison au comte de Mailly en 1789.
Malfçré ce comte et quelques autres gentilshom-
mes y atta(îh('s par le droit de propriété, la
rue Thibautodé et celle des Bourdonnais ne fu-
rent en quelque chose représentées que par le
tiers-état aux derniers Etats-G(înérau\'. Aujourd'hui
les deux autres ordres n'auraient plus guère d'élec-
teurs i)armi les habitants de la luie des Bour-
donnais, si j'excepte le n" 10, où demeure un
littérateur, M. le . comte de Saint-Geniès. Le
facteur, si la qualité de comte ou d'homme de
lettres figure sur une enveloppe de lettre, n'a
plus besoin de lire le reste; il sait d'avance
quel nom et quel numéro suivent.
IV. — Ancienne Rue de l'Arche-Markm^ assimi-
lée en 1852 à celle des Bonrdonncus : 1 Maison,
0 Lanterne en 1711,
Quelle était donc cette maison isolée? Voici
le 3, dont l'escalier encore manque de rampe,
mais qui peut-être manquait aussi d'escalier à
cette époque-là. Voilà le 4, une construction
qui est beaucoiq) plus que centenaire, mais qu'on
a lebâtie il y aura tantôt 00 ans. On ne comptait
sans doute pas l'arche Marion, dont l'arcade avait
deux piliers, souvent témoins le soir de duels
entre gardes-françaises. Au-dessus était bien
une prison, le For-ri-Aêque; mais elle épar-
gnait les dueilisles, pour se réserver aux débiteurs
et aux acteurs réfractaires. En 1530, un abreuvoir
et des étuves avaient été établis sur la Seine, en
face de ce bout de l'ue; en 1565, la femme qui
les tenait s'appelait Marion. ])ans la seconde
moitié du xv' siècle, le |u\*décesseur de Marion
avait eu nom Jean de la Poterne, et l'abreuvoir
avait alors quitté la dénomination Thibautodé,
comme la ruelle celle des Jardins, pour s'appe-
lei' tous deux Jean-de-la Poterne .
Rue iâi*oiié(a. (i)
L'auborgo du Chariot-d'Or, démolio de nos
jours dans la rue Grenéta et dans la rue du Grand-
Hurleur, s'est tout de suite relevée à la même
place. Pourtant les époux Langelée, qui tenaient
l'auberge au ww siècle, y rentreraient assez dif-
ficilement sans se tromper de porte et de rue,
peut-être même de quartier. La cour de leur
maison servait de passage public, de la rue Gre-
néta, qu'on appelait aussi Darnetal, à celle du
Grand-Hurleur, (i) C'est au Cbariot-d'Or qu'on pre-
nait place dans le carrosse faisant le service
d'Anvers et dans celui qui se dirigeait périodi-
quement sur la route de la Lorraine, avec cor-
respondance pour l'Allemagne. Car on n'en était
pas encore aux diligences.
Deux almanachs, que nous avons sous la main,
renvoient aussi à la rue Darnetal, ou Grenéta,
pour les avis et renseignements que voici :
IGOl : — Caresses pour Lille et roule, à l'enseigne
(lu Mouton-couronné. — Ifl. pour Compiôgne et Pé
ronne, à la Croix-de-Lorraine. — Le messager de Bray
s'arrète au Mouton. — Celui de Condô à la Couronne-
d'Or. — Le sieur Bessière, chirurgien, fameux pour
(1) Noiice (''crite on 18C4. Le_ boulevard Sébastopol
et la rue de Palestro avaient déjà fait Jours trouées
dans la vieille rue Grenéta. Elle s'est depuis augmen-
tée de la rue du Renard-Saint-Sauveur et de la rue
Beaurepaire.
(2) Cette rno du Grand-IInrleur a été enlevée par
celle de Tuibigo, où il en reste pourtant quelques
maisons.
105 RUE GRENETA.
les plaies et grandes opératious, près la Triuité. —
Les sieurs (iaudel, Le Clerc et Du Val fout com-
merce de ces sortes de rubaus étroits qui sont appe-
lés des nomparciUcs. — Il y a un magasin de jarre-
tières de soie, uu Signe-de-Ja-Croix.
1787 : — Muller, fumiste, à la Cheminée-iuipérialc.
— Cotliu. fumiste du priuce de Coudé, au i'etit-
.Suisse.
La Ibiitaiiie dilo do la Reine, à reiicoigiiiirc
do la rue Saiiil-Denis, datait de 173o, coiiiine
construction, mais remontait pour le moins au
xni'' siècle, comme Ibntaine voisine d'une Croix-
la-Reine : l'eau y venait d'abord des prés Saiut-
Gervais, puis de la Seine, par la pompe Notre-
Dame. A l'autre bout de la rue Grenëta, il se
tenait du côté gauche un petit marché et du
côté droit l'une des barrières dites des Sergents.
Les Quatre-Vents, au coin de cette rue Bourg-
l'Abbé, appartenaient à M"" de Lisle et postérieu-
rement à Jubert. La troisième maison après le Char-
riot-d'Ur était la Corne-de-Cerr, au collège de
Beauvais. Sur l'autre ligne, les seize premières
l)ropriétés qui venaient après la fontaine dépendaient
de l'enclos de la Trinité, dont la porte, quelque
|)eu monumentale, taisait vis-à-vis à la rue
Bourg-l'Abbé. La cour des Bleus est encore par-
derrière quelques-unes de ces maisons; elle nous
l'appelle qu'on habillait uniformément de gros
bleu les enfants de neuf ans et plus (|ui, depuis
Francjois l"\ se succédaient, pour appretidrc un
état, à l'ancien hôpital de la Trinité. Le travail
manuel était, dans tout l'enclos, alfranchi des en-
traves de la maîtrise.
Les Maîtres Gouverneurs et Confrères de la-
Passion et Résurrection de Notre-Seigneur avaient
transformé en théâtre la grande salle de l'hôpi-
tal, et ne l'avaient (piittée que depuis peu d'an-
106 RUE GRENETA.
nées, pour passer à l'Iiôtel de Flandre, rue Co-
guillière, quand [leur premier local fut aftecté
au logement desdits enfants bleus. On y avait
représenté pendant un siècle des Mystères, aux-
quels il avait fallu joindre Moralités, Farces et
Sotties, pour faire naître le goût du tliéàtre dans
une ville où, depuis, c'est un besoin. Les religieux
prémontrés disaient alors la messe dans la chapelle
de la Trinité.
L'hôpital de ce nom avait été fondé, en 1121:2,
soit par Wilhem Escuacol et Jean de Palée,
frères de mère, tous deux chevaliers et seigneurs
des Calendes, soit par Anceau et Robert de Gar-
lande, alliés aux Montmorency, en faveur des
pauvres pèlerins qui, pour coucher en ville, se
présentaient trop tard aux portes, fermées au
coucher du soleil. Mais les religieux d'Hermières,
chargés de desservir cet hôpital, avaient déjà
cessé d'y exercer l'hospitalité avant que les con-
frères de la Passion devinssent leurs locataires.
La rue Darnetal n'a été dite aussi de la Trinité
qu'au moment de l'ouverture du caravansérail
hospitalier. Le mot Darnetal,' usité principalement
en Normandie, signifiait : vallon. L'établissement
postérieur d'un grenier, ou bien le commerce des
gi-aines, telle est l'origine plus que probable de Gre-
néta, la dernière dénomination. Parmi les habitants
de la rue Damestal, Louis-le-Hutin étant roi, Guille
Damet, aide au four, ligurait comme taillable.
De plus, en l'an 1411, la grange des confrères
de la Passion était notoirement située devant la
croix Saint-Laurent, laquelle surgissait en la
même rue, ou du moins à l'un des deux bouts.
Kiie aux Ours, (i)
Les oies, à Rome, uiit sauvé le Oa[iitole ; à
Paris, leurs ëLals de service jettent moins crédat,
beaucoup moins. N'ont-ils pas inspiré en masse
les liistoriograplies parisiens, qui nient généra-
lement le droit direct et légitime des ours à la
dédicace d'une rue s'iionorant de leur i»atrc»-
jiage? La reclierclie de la paternité donne ainsi
lieu à des subtilités qui, en droit, la font inter-
dire. Que les oies aient été des oues, dans le
langage du moyen-âge, quelle corruption iinio-
cente! Seulement nos pères, s'ils avaient conlondu
avec des quadrupèdes carnassiers d'utiles oiseaux
de basse-cour, dont ils trouvaient la chair si
savoureuse, laute de dindons et de poulardes ;
nos ])ères auraient eu l'estomac plus crnellement
ingrat que les uns et pkis de simplicité (juc les
autres. En vérité, les aïeux ont bon dos! C'est
sur eux-mêmes qu'on ose tii'cr à l'oie, alin de
dire : « Prenez mon ours. » A notre tour, es-
sayons d'explicjuer, sans recourir au moyen extrême
du (]uipro(iuo, comment la rue aux Oies passa
aux Ours.
Des rôtisseurs, des uicrs {aucan'i), peuplent
originairement cette vue on-Vencidt-les-ocs {viens
ubi coqmmtiir anseres), et c'est alors un lieu
de rendez-vous hors de la ville pour les cita-
(1) Notice C'crile en ]8()4. La me aux Ours n'en-
globait pas eurorc J'aucienne rue Maucouscil, eiilio la
rue i^aitil-Dcuis et la rue MonlorLîuoil.
108 RUE AUX OURS.
dins, comme seront plus tard les Porcherons.
3Iais, dès le règne de Pliilippe-Auguste, pendant
que Paris s'agrandit, embrasse d'une clôture nou-
velle, les pelletiers connnencent à dominer dans
la même rue, et leurs enseignes ou leurs éta-
lages modilient tout naturellement sa dénomina-
tion gastronomique, quand la dernieie lj¥Oclie va
laire plus loin ses évolutions appétissantes. Les
])eaux d'ours, les ours empaillés ont-ils jamais
manqué chez les fourreurs? Les habitants notables
de cette rue, sous Philippe-le-Bel, sont :
Etienne d'Espcrjioii le genue. — Jeliau Dupiu. —
Tibaut de Gandeluz. — Guill' Courgis. — Gervcsc le
ïouuelier. — Frémin l'Oublaier. — Tièce la Ferronne.
— Robert le Paontiier. — Jehan Chaufecirc. — Guill'
Douville. — Robert, qui tainct les piaus. — Lorenz de
Frênes. — Guill' le Peletier. — Pierre le Peictier. —
.Tean l'Archier. — Mestre .Jourdan, Presire de l'escole.
— Jehan l'Imagier. — [Mahiet de Gricourt. — Jaccjues
de Brégi. — Malii le Tailleur. — Guill' du Sap. —
Jacques Deday.
Un sacrilège, dit-on, llit commis le 3 juillet
1417, dans la rue aux Ours, à l'endroit oii passe
maintenant le boulevard Sébastopol : un soldat
suisse, ayant perdu au jeu tout son argent et
jusqu'à ses habits, frappa de son couteau une
image de la Vierge, (pii en saigna miraculeuse-
ment, à l'angle de la rue 8aile-au-Comte. On
ajoutait (lue le parlement lit lier à un poteau,
devant cette image, le soldat, qui dans les tor-
tures y périt. Chaque année, à pareil jour, les
habitants de la rue aux Ours faisaient dire une
messe à Saint-Leu; le lendemain, à la même
église, un service se célébrait pour ceux des
leurs qui étaient morts, et un mannequin en
osier, pendant trois jours promené et llagellé,
RUE AUX OURS. 109
était ensuite livré aux tlammes, au milieu d'un
feu d'artiiice. Les gardes-suisses, qui n'étaient
pas encore organisées en France sous Charles VI,
se plaignirent au \vin'= siècle, non sans l'aison,
de l'habit rouge dont on atlublait le mannequin
dans cette procession annuelle, dégénérant en
mascarade, et Louis XV lit supprimer le costume.
La circulation du mannequin fut interdite sous
le règne suivant. Quant à la lampe qui brûlait
en l'honneur de Notre-Dame de la rue aux Ours,
elle ne s'éteignit à ses pieds qu'au souttle de la
Révolution.
La maison décorée de cette ligure de la Sainte-
Vierge appai'tenait, sous la Régence, à M. de
Laverdy, professeur royal de droit, auteur d'une
Histoire du Collège de France. Du même côté,
c'est-à-dire sur la ligne des chilfres impairs, les
deux premières maisons étaient aux ursulines de
Poissy, et la dernière à M. de Belloj. Le Cha-
pitre de Notre-Dame en avait une vis-à-vis des
ursulines; M. de Villapoux, une autre, à l'ensei-
gne du Rendez-vous, le n" 8 ou le 10, et la
veuve Gascon, une autre, dont le président Hé-
nault fut ensuite propriétaire, en lace de la rue
Quincampoix. De cette rue-là, si encombrée lors
du tratic sur les actions de Law, les agioteurs
venaient dîner en foule à la Croix-Blanche, rue
aux Ours.
Une autre encore des maisons de la rue aux
Ours appartenait au sieur de l'Orme, et il y pen-
dait une image avec cette inscription : aux En-
vieux-de-l'Orme. L'Entonnoir avait été l'enseigne d'un
coutelier, à l'apogée du règne de Louis XIV.
Rue Brantôme^
NiGULRb;
de» Petitiit-Chaiiipdi-i'^^aiiit-.^lartiii,
ot rue «lu illaiire. ( i )
Les Doiiics de Mi»ttmarire. — Péril en Demeure
pour tH jiineur du Couxent — Le bor-in(.c-Dames .
— Le Fief Saint-Merri . — La Reine Blanche.
— Les Petits-Champs. — Marie de Beauvilliers.
— Gabrielle d'Estrées. — Le Rachat des Droits
seigneuriaux. — La Confrérie des Ménétriers.
— Les Maîtres il danser. — Les Doctrinaires,
— Le Cha2ielain. — La Messe des Agents de
Change. — Saint-J ulien-des- Ménétriers .
Le donuiinc accorilë aux i-eligieuses de Moiil-
uiai'tre par J.oiiis-le-Gros et par sa i'einme, Adé-
laïde de Savoie, comportait le lief du For-aux-
Dames. Les droits seigneuriaux de ces dames
lurent autlienti()uement eonlirmés par les cinq
derniers rois de la branche des Valois; mais elles
n'étaient plus alors propriétaires de la maison,
sise rue de la Heaunierie, près Saint-Jaeques-la-
Bouclierié, qui servait de siège audit lie! dès la
lin du MM'^ siècle. Un iiicendie, sous Henri II,
et puis la guerre civile avaient fort compromis leur
lenq)0rel, sans [)rolit pour le spirituel. J/abbesse
en était quitte jtour transterer, pendant les plus
mauvais jours, sa résidence personnelle dans \\n
liùtel garni, comme cela avait eu lieu sous la
(1) Notice écrilo en 1864. La rue des Petits-Champs-
•Saint-Marlin n'avait j)as encore reçu le nom d'un chro-
niqueur illustre du wi^ siècle.
RUE BRANTOME, ETC.
111
l'an 1319, qu'à la
doijé, encore que
Tût réuni h celui
domination anglaise, et bailli, greflier, procureur,
agent-voyer étaient encore ce qui souffrait le
moins de la rigueur des temps, à l'abbaye; le
relâchement absolu de la règle n'était pas plus
de nature que le désœuvrement de la misère à
sauver l'bonneur du couvent. « Peu de religieuses,
dit-on, chantaient l'oflice; les moins déréglées
travaillaient pour vivre et mouraient presijue de
l'aim; lés jeunes faisaient les coquettes; les vieilles
allaient garder les vaches et servaient de conli-
dentes aux jeunes. » Catherine de Clermont, ab-
besse depuis longtemps, lut obligée de plaider
pour obtenir, en 1587, l'accès d'une pièce au
rez-de-chaussée, que ses olHciers appelaient encoi'o
local des plaids du For -aux- Dames. Ces dames
n'y avaient aliéné leur droit de propriété, dès
réserve des prisons et du plai-
le bailliage du For-aux-Dames
de Montmarti'e. Or la moitié
de la rue des Petits-Chamj)s était dans la justice
et censive dudit lief, comme s'y trouvaient des
maisons de la rue Saint-Martin et de la rue
Neuve-Saint-Merri. Aussi M""' de Clermont avait-elle
pour tributaires, dans la première de ces trois rues:
ÎDroitc .
Thibault, conseiller au par-
lement.
Le Sueur.
Claude Bretcaii, à l'imayo
de Saint-Claude.
Les héritiers de Jacques
Ernond, pjur une maison
provenant de l'église et
hôpital de Saint- Julien.
Martin et consorts, pour 2
maisons de la même pro-
venance.
Pierre de Caen, 2 maisons.
Les héritiers de Jacques
Eniond.
(^auclje :
Bouchet, succédant à M"«
Du l'aï.
Gass'ot.
(Après celle de Gassut ve-
nait une maison aux re-
ligieuses de Montmartre
ejles-mênies.)
Henry Gérard, hôtel avec
jardin.
Perronne de Ranguet, veuve
de Jean le Gresle.
lu RUE BRANTOME,
Or le côté droit de cette me et le côté gauche
de la cour du More, uiaiiitenaut qualiliée rue du
Maure, avaient la même bordure de constructions.
Le reste relevait leodalement des vénérables
chefcier,. chanoines et chapitre de Saint-Merri,
aux deux extrémités de la rue, du côté gauche,
et à l'entrée, du côté droit, y compris le ir 8,
qui appartenait alors aux héritiers de Guillot I)i-
guet, et qu'on regarde aussi comme l'un des
anciens logis de la reine Blanche, qui en avait
autant que de |iromenades lavorites! Les Petits-
Champs, 'à la vérité, ont tenu assez de place
pour (jue plusieurs hôtels aient commencé par y
être des villas, et, connue pour nous iaire me-
surer l'étendue de cette ancienne campagne, trois
rues de Paris en retiennent le nom. Celle dont
nous parloJis, et (pi'on est encore dans l'usage
de dire la rue des Petits-Champs-Saint-Martin,
pour la mieux distinguer des rues Neuve-des-
Potits-Champs et Croix-des- Petits-Champs, est
ainsi désignée dès iiî73 dans un accord passé
entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-
Merri.
Beaucoup de monde sait (ju'en braquant des
canons sur sa boinie ville de Paris, Henri IV
rempoi'ta, à l'abbaye de Montmartre, une victoire
amoureuse, qui lui parut de bon augure. Les
trais en étaient laits par la nonnain Marie de
Beauvilliers, pendant qu'une abbesse nouvelle s'en-
luyait devant les gens de guei'i-e, avant d'avoir
j'cru ses bulles. On sauva bien les apparences,
en racontant (|ue le droit de la guerre n'avait
lait entrer le iiéarnais chez ces religieuses qu'a-
près le départ des jeunes, réfugiées -à Senlis
sous la pi'oteclion tant de M""' de Sourdis, pa-
rente de Marie de Beauvilliers, (pic de la maréchale
d'Aumont, gi-and'mère de M""= de Montmartre.
NAGUERE DES PETITS CHAMPS, ETC. 113
dépendant le prince remuait ciel et terre pour
ï'cndi'e agréable le séjour de cette ville à la jolie
transfuge, qu'une surprise du coi'ur gagnait à son
jiarti. Néanmoins Gahrielle d'Estrées lit bientôt
oublier Marie de Beauvilliei's, sa cousine, et Paris,
mieux, garde; que Montmarlr(\ continuait à se dé-
tendre,
Ur, dans l(^ conir même de la belle (iabrielle,
Henri IV ne succédait à Henri III qu'après un
intérim iirincipalement rempli par Zamet, le car-
dinal de Guise, le duc de Longueville et le duc
de Bellegarde. Klle se montra pourtant imicoi'c
plus constante en matière d'amour qu'en lait de
l'ésidence, la maîtresse en titre de Henri IV. Ne
voyons-nous pas l'une des nombreuses demeu-
res de cette favorite légendaire dans le n" ITi,
où le susnommé Henry Gérard fut mitoyen avec
les religieuses de Montmartre?
Marie de Beauvilliers, ayant pleuré sincèrement
sa faute, encore plus que son royal amant, en
l'abbaye de Beaumont-les-ïours, iut appelée à
Montmartre, où elle prit le titre d'abbcsse, vers
la fin du règne de Henri IV, avec un grand cé-
rémonial, qui lui donnait la marquise de Sourdis
et la comtesse de Sagonne poni* assistantes, et
ce jour-là un capucin célèbre, Anne de Joyeuse,
prononçait le sermon. Pendant plus d'un demi-
siècle, qui ne fut pas entièrement employé à
lutter contre l'indiscipline et les désordres de
ses subordonnées, cette abbesse eut le temps
d'écrire posément ses Conférences d\cne Supétv'eure
avec ses Religieuses. Elle racbeta de .lean Bour-
geois et consorts, en 1G04, l'bôtel du For-an\-
Dames, pour le compte de l'abbaye, et Nicolas
Hardy, gretlîer de la justice du tief, prit cet
hôtel à bail en 165;), a cette date, r)6 ans déjà
s'étaient passés depuis que M""" de Sourdis avait
114 RUE BRANTOME,
formé les yeux de Gal)riello, et Marie de Beauvil-
liers ne cessa que l'annëe suivante, en rendant à son
tour le dernier soupir, d'exereer des droits, res-
pectés sur une des maisons où il régnait toujours
un souvenir de son ancieime rivale.
Il y avait en IGrio à l'abbaye :
Noble dame Marie de Beauvilliers, ahhessp, damo (Je
Montmartre, de ClignancoMrt, des Percherons et du For-
mix-Damcs : illustre princesse Franooise-Renée de Lor-
raine, roadjulrice ; sœur Jacqueline de la Noue, pr/eurp
à Moniinarlre ; sœur Margueiile Langlois, prioire aux
Martyrs; sœur Elisabeth Poullet, sous-prie^ire à Mont-
martre; sceur Catherine de Meaux, snus'jirievre au.v
Martyrs; sœur Louise .Tollivet, célcrière aux Martyrs;
sœur Louise do Morges, portière; sœur Catherine de
Chanènes, dépositaire; sœur Marie Benoit, boursière:
sœur Magdeleine Picarl, secrétaire du rhapiire, et Claude
de Sèves, céierière d Monlmartre.
Quant aux propriétaires de l'ancienne maison
de Gabrielle, ils n'étaient autres que Isaac Ché-
rct maître des comptes, et Marguerite de Fies-
selles, sa femme, tenant aux hoirs Colombel et
toujours auxdites religieuses. M"'' Marguerite Chéret
ayant ensuite épousé Nicolas Leclerc, la pro-
priété fut vendue, en 1741, par M"*' Henriette Leclerc
de Grandmaison, tille majeure, à Lartigue, ancien
chapelier; mais l'adjudication en avait lieu au Chà-
telet, ^ri ans plus tard, sur décret poursuivi i> la
requête de M""* Marie-Henriette et Elisabeth Leclerc
de Grandmaison, (tilles mineures émancipées d'âge
sous la curatelle de leur mt-re, née Ledoux de Mille-
ville) contre ledit Lartigue, qui n'avait pas rem-
pli les engagements pris dans l'acte de vente.
Les I^enoir, parmi lesquels il se trouvait un
ancien greffier de la chambre des domaines, se
rendirent adjudicataires, et ils ne vendirent qu'en
XAGUÈRR DES PETITS CHAMPS, ETC. ]1;>
■1792, après avoir fait aux administrateurs des
domaines nationaux, par huissier, des « oflres
réelles de 'iOO fr. pour les remboursement, ra-
eliat et extinction des droits ci-devant seigneu-
riaux, tant lixes que casiiels, échus, courants et
à venir, dont ladite maison pouvait être tenue
envers la Nation, reprt'sentant la ci-devant abbaye,
saut à parfaire, s'il y avait lieu, après la véri-
lication de la valeur de ladite maison et la liqui-
dation desdits droits, lesquelles offres lesdils
sieurs administrateurs avaient refusé de rece-
voir. »
D'autre part, la maison de ces. dames, ajant
pour locataire le procureur Bignon du temps de
Maître Chéret, touchait à celle de Martin Boudon,
secrétaire du roi, où pendait une Annonciation.
Nivet ou Nevet, procureur au Châtelet, séparait
Boudon de Germain Gallyot. Vous faut-il d'autres
noms de propriétaires contemporains de Gallyot
dans la même rue et dans la même cour? Jean
Briot. le sieur de Vaucorbeil, Benjamin Bédé,
écuyer, sieur de Longcourt, les héritiers l.e
Normand, Philippe de l'iesselle, François-Etienne,
sieur d'Amanville, Jean Richard, secrétaire du
roi, Cournier, contrôleur des l'entes provinciales
d'Orléans, la confrérie des 31énélri(;rs et les pères
de la Doctrine-chrétienne y ont en même temps
droit de bourgeoisie. Biuet, perruquier de Louis
XIV, habite également la rue : les grandes per-
l'uques sont de son invention à telle enseigne qu'on
les appelle des binettes.
Daps les commencements du l'ègne suivant,
Jacques Lefeuve aura l'un des coins de la yvw
Beaubourg et de la coui- du Maure, au lieu de
Jean Richard. L'angle d'en face, faisant également
encoignure sur la rue des Petits-Champs, appar-
tiendra à Vallier, comte du Saussey, président ri
IIG RUE BRANTOME,
mortier au parlement- de Metz, Pierre Babel,
avocat, ne sera séparé de la même rue Beau-
bourg que par une seule maison de la rue des
Petits-Champs, où Masson, un autre avocat, viendra
avant Gallyot, greffier-criminel au Cbâlelet, tenant
toujours à Nevet ou Nivet.
Les dames de Montmartre avaient abandonné
gratuitement un terrain, entre les rues des Petits-
Champs, du Maure et Saint-Martin, sur lequel
Jacques Grare de Pistoye et Huet la Guette, deux
ménétriers, avaient fondé un hospice, avec une
chapelle dédiée à saint Genest, patron des co-
médiens, et à saint Julien. Une confrérie de 37
ménétriers, dont faisait partie Pariset, ménestrel
du roi, avait contril)ué à l'o'uvre de toutes
ses forces, et la constitution de cette confrérie
datait de l'an 13:21. La petite église s'est appelée
avant peu Saint-Julien-des-Ménétriers : sur son
portail étaient représentés des joueurs d'instru-
ments.
Aussi bien les musiciens et les jongleurs se
réunissent d'abord dans une rue voisine, celle
des Ménétriers; mais plus souvent et plus long-
temps on va jusqu'à la rue du Maure, sur une
place attenante à l'église, pour y louer jusqu'à
des poètes, moins souvent que des bateleurs, mais
principalement des musiciens, et accessoirement
des danseurs. Si bien que la communauti'^ des
maîtres à danser se fixe elle-même à Saint-Julien,
avec une tribune spéciale dans la chapelle. Dame!
Saint-Julien est d'une grande ressource pour les
fêtes particulières et pour toutes les entreprises
se proposant l'amusement public : noces, bap-
têmes, distributions de prix, entrées solennelles,
bals, concerts, spectacles, mascarades, curiosités
en foire, sérénades à l'espagnole, vaudevilles et
charivaris à la française. Rien que de charmant
NAGUÈRE DES PETITS CHAMPS, ETC. 117
jusque-là ; par malheur on accuse un jour la con-
frérie de couvrir de ses privilèges non pas seu-
lement un reste de ménestrels, des troubadours
en survivance, des comé,diens comme l'a été
saint Genest, des joueurs de violon, des ràcleurs
de guitare, des jongleurs et des baladins, mais
encore des vagabonds, des tilles perdues et des
voleurs.
Oh ! alors, la reine Anne d'Autriche favorise
les prétentions des pères de la Doctrine-chré-
tienne, nouvellement établis au quartier Saint-
Victor, et ils y gagnent d'abord une succui'sale
ai'demment convoitée, mais qui leur est tout de
suite disputée. Ces pères imposent aux confrères
une transaction ; deux arrêts du conseil prononcent
en sens contraire sur les difficultés qui en résul-
tent. Procédure nouvelle . et nouvel arrangement
entre les parties, la veille de l'audience. Conflit,
imbroglio, malentendus, en somme, h n'en pas
finir de si tôt ! Sans compter que les réunions
autorisées au cabaret de l'Epée-de-Bois , rue
Quincampoix et rue de Venise, d'une société
semi-académique, dite du Roi des Violons, se
trouvent venger Ma/arin de maintes mazarinades
trop popularisées par les confrères de la rue du
Maure et de la rue des Petits-Champs.
A la mort de Favier, chapelain de Saint-Julien, qui
a été choisi comme ses prédécesseurs, par deux
ménétriers, investis des pouvoirs de la jurande,
on nomme Pezé, frère de deux doctrinaires. De
plus, le roi ayant créé des charges de jurés à
titre d'offices dans chaque corps, celles des
joueurs de violon et des maîtres à danser sont
achetées par de nouveaux jurés, créatures des
doctrinaires. L'acte d'abandonnement est con-
senti par lesdits chapelain et jurés; l'archevêque
approuve l'union, et des lettres-patentes semblent
8
118 RUE BRANTOME,
mettre le sceau à l;i substitution. Voici pourtant
(jue la vénalité des charges est supprimée dans
toutes les communautés. Aussitôt les danseurs et
les musiciens d'élire do nouveaux jurés, et de
signer une protestation au nombre de 280 maîtres,
contre tout ce qu'ont fait les jurés précédents.
Pendant l'instance, qui reprend de plus belle, Pezé
passe de vie à trépas; musiciens et danseurs
nomment en remplaceiiient Cliarles-Hugues Gala:Kl,
ancien curé de Magny. Le procès enfin est jugé,
en 1718, sur le rapport de Tabbé Pucelle, con-
seiller-clerc au parlement et neveu de Catinat:
Galand reste chapelain.
Les pères de la Doctrine n'en conservent pas
moins sept maisons, qu'ils ont achetées dans la
rue des Petits-Champs depuis longtemps, en vue
d'un établissement définitif. La première est l'an-
cien logis de la reine Blanche, où les ont pré-
cédés Philippe de Flesselles et son neveu. Séra-
phin Baudouin, seigneur de Soupire. Ils tiennent
les suivantes de Leroux, de Laborde et des hé-
ritiers Doussin. Les trois dernières étaient pri-
mitivement l'hospice de Saint-Julien et la demeure
du chapelain; le.s ménétriers les ont aliénées en
1588, et elles ont appartenu, un siècle plus tard,
deux h Etienne d'Osbolles, seigneur d'Osmonville,
et l'autre au prévôt des marchands, 31. de Ber-
nage; Amurat et Lambert, gendres d'Osbolles, en
ont hérité chacun une; mais celle de Lambert,
à défaut de payement d'une rente foncière dont
elle était grevée, a fait retour, en 169(3, aux
joueurs d'instruments. Celle-ci est l'ancienne mai-
son du chapelain, et les doctrinaires n'en jouis-
sent qu'à charge de payer une rente de oOO livres.
A cette époque, les maistres gouvempurs dr la
confrairie des Joueurs de violons et cmtres instrii-
mens payent le cens à M""' de Montmartre, pour
la place et l'église de Saint-Julien-des-Ménétriers
NAGUERE DES PETITS-CHAMPS, ETC. 119
ot un petit logement à côté. En cette église, ii
partir de 17i'0, les agents de change font célé-
brer leur messe annuelle du Saint-Esprit et un
requiem pour chacun des leurs qui vient à mou-
rir.
Ea conuTiunauté des Ménétriers n'a cessé de
vivre qu'avec toutes les communautés suppriméees
en 1776. Ee temporel de l'église qu'elle avait
créée et patronnée^ n'a plus été administré que
par le lieutenant de police. Mais un chapelain
titulaire n'a cessé de dire la messe que pendant
la Révolution, et l'on démolissait presque au même
temps Saint-Julien-des-Ménétriers.
Rue des Prêcheurs, (i)
Des lettres de Maurice de Sully, évêque de
Paris, prouvent que Jean de Mosterolo avait cédé
à l'abbé de Saint-Magloire, avant l'année 1184,
des droits in terrO Morinensi, et 9 sois sui' la
maison de Robert-le-Prêcheur. On en conclut
que la rue des Prêcheurs s'est lait jour vei'S la
même époque sur le petit fief de Tliérouenne.
Mais, peu de temps après, saint Dominique en-
voyait à Paris des religieux qui n'avaient rien
de commun avec ceux du monastère de Saint-
Magloii'e déjà" établi rue Saint-Denis, et ils s'ap-
pelaient tout uniment frères prêcheurs, en arri-
vant, avant de s'installer près d'une chapelle
Saint-Jacques, qui leur a valu le nom de jacobins.
J.e xnr^ siècle, qui les voyait venir, voyait aussi
sculpter un arbre, emblème qui apparaît encore
à l'angle de la rue des Prêcheurs et de la rue
Saint-Denis : de cet arbre, couronn<î d'une Sainte-
Vierge, émergent douze rameaux, et à l'extrémité
de chaque petite branche fleurit une tulipe, qui
sert de cliaire à un frère prêcheur. N'est-ce donc
pas le berceau d'une compagnie célèbre que tra-
hit, à défaut des livres, cette illustration d'encoi-
gnure? Depuis que les jacobins tlorissaient rue
Saint-Jacques, il ne restait certainement plus dans la
rue des Prêcheurs que ceux-là, au nombre de
douze, qui perchaient sur l'aibre symbolique.
Pieri-e Mouton, dès il2o2, figurait comme pro-
priétaire en ladite rue aux Preescheurs, où, qua-
rante ans après, les contribuables étaient :
{]) Noiice écrile en 18C4.
RUE DES PRÊCHEURS. 121
Jehan de Souvigoy. — Clyinent le Fanier. — Aaliz
la Parrice. — Ses enfanz. — Jehan, de Grant-Moulin.
— Jehan le Convers. — Gillebert de Dampierre. —
Richard Lenglais, Tailleur. — Thomas le Ceedoanier.
— Guiir Pelil, Queu. — Gautier le Sueur. — Rem^'
de Sens. — Pierre de la Fosse. — Robert de Gilvez.
— Thoumas le Meire. — Alain Tyrenlire. — Tibaut
de Senlis. — Jehan Navet. — Son gendre. — Aubour
l'Espinguière. — Jehan Potage le genne (jeune). —
Ermensart de Bétisi. — GielVoi Je Clerc, Mestri; de
l'escole. — Thoumas Chevalier. — Pierre de Nesle. —
Aleire la Teilière. -- Jehan Chasteauf'ort. — Hubelel
Tonquan. — Jacques le Tounclier.
Une maison que s'était coiislriiile Gabriel père,
un des architectes de J.ouis XIV, portait rensei-
gne de la Poinme-de-Pin, et elle -n'était séparée
de la rue Mondétour que par une maison à
l'image de la Puceile-tenant-une-lJcorne, qui ai»-
partenait à Langlois, avocat, puis à son iils,
Langlois de Campis, maître des comptes. Toutes
les deux disparurent avec d'autres, en 185^.
Dans une des maisons qui leur survivent fut
le bureau des potiers d'étain. Les membres de
cette communauté poinçonnaient tous les usten-
siles qui sortaient de leurs ateliers, et il leur
était défendu d'en vendre qui ne fussent pas
fabriqués à Paris. Leurs derniers statuts, remon-
tant à 1613, les qualiliaient : maîtres potiers d'é-
tain et tailleurs d'armes sur étain Aussi pou-
vaient-ils armorier et graver de cliilïres leur
vaisselle métallique; mais ils n'avaient le droit
d'enjoliver d'or et d'argent que les ouvrages des-
tinés à l'Eglise. Enlin ils ne devaient se servir
du marteau que depuis 5 lieui-es du matin jus-
qu'à 8 heures du soir. Le patron de la compa-
gnie était saint Fiacre. L'apprentissage durait
5 ans, et le compagnonnage 3. Le brevet se payait
1-22 RUE DES PRÊCHEURS.
36 livres, et la maîtrise 500, outre qu'elle ne
pouvait s'obtenir sans la production d'un chel-
d'a?uvre.
En 1776. les faïenciers et les vitriers entrèrent
dans la môme famille professionnelle que les po-
tiers d'étain. Le cliquetis et le luisant tout battant
neuf des articles de ménage dont ils faisaient
commerce attiraient particulièrement les nouveaux
mariés sous les piliers des Halles qui, du côté
où débouchait la rue des Prêcheurs, paraissaient
des piliers d'Etain et étaient connus sous ce nom.
La rue des Halles-centrales reçoit maintenant cet
aftluent. (i)
(1) Elle ù'iipjielle aujouid'Jiui rue Picrie-Lesrol.
Rue ]\[eiive<-Naiii<"i^Iei*ri. (i)
Propriétaires des maisons de cette rue en M'î'i.
môté gaiuljc
J. do Soisy. contrôleur de
la maisou du roi.
DtiuTilJiers, mercier établi
sur le pont au Change.
Morel, pâtissier.
V. de Mannerille, conseiller
au_ Cliâlelet.
Lelièvre, marquis de la
(.îrange.
Les héritieis de J.-B. de
Faverolles. correcleur des
comptes : 3 maisons.
LaMse Colbert de Blaiii-
vi!le, née Rochcciiouard :
coin (h la r^ie du Uenarâ.
Lecaron, conseiller au Chà-
tolet : anlre coin.
I.c duc de la ïrénioille.
Huot. serrurier, à l'enseigne
du Chal-lié.
Bonne de Kerner, veuve Si-
monnet.
Catherine Juberl de Bouville,
épouse de Gilles-Marie de
Mauiieou, maitre des re-
(juêtes, et Hunet, avocat,
4 maisons.
Quilles des Buttes, trésorier
de la généralité d'Orléan
Triboust, ancien syndic des
lentes de J'Hôtei-dc-ville.
La Ms<^ d'Ecquevilly, nceDu-
niouceau : coin Briscmichc.
(Hôte bvoit
Devaux, ollicier du roi.
Les Jiériiiers de Mercier,
marchand.
Rave, avocat.
La veuve de Lauglois, audi-
teur des comptes.
Mathieu, marchand : coin ilii.
cul-de-sac de lEspérance ou.
du Bd'uf.
La présidente Lerebours, née
Mail et : coin dudil cul-de-
sac cl coin de la rue Pierre-
au-Lard.
Auvray, oncicii notaire : aidre
coin.
Les héritiers de Proust, sei-
gneur d'Houilles et duMyr-
tray, lieutenanf particulier
au Cbàtelet.
Piclion, maitre des comi)tes.
Tarade, cunseiller au Cliàlc-
Jet, à cause de sa femme,
liée Legagneur.
Dupuis, payeur dns t'agesdes
ofliciers du Châtelet , à
cause de >d. l'cmme, née
Blondin.
Simon Rousseau, architecte.
Capronnier, seigneur deGaul-
l'recourt, geulilhomme oi-
dinaire du duc d'Orléans.
La succession Chuberé.
Arsant de Puisieux, gentil-
(1) Notice écrite en 18G1.
124
RUE NEUVE-SAINT-MERRI.
L'Hôpital-Général, donalaire
eu lG72des frères QuesneJ,
oiatorieus : autre coin.
La veuve de Daguerre, sei-
gutur de Voyenne, com-
missaire des guerres.
Les hoirs de Buquel, pro-
cureur.
Boulin, bachelier eu théo-
logie.
Le président Camus de Ponl-
carré, 1^^' président au par-
lement de Rouen.
(iautier, avocat.
Boulaut, écuyer.
De la Garde, président au
parlemexTt.
Babille, lieutenant des chas-
ses du duc de Yendùme.
homme de la chambre du
duc de Bern, capitaine de
la chambre du roi, au nom
et comme tuteur de son
fils, ce dernier légataire
universel de Marie Héron,
veuve d'Abel de Sainte-
Alarthe, conseiller aux ai-
des.
La succession Prestj^.
François de Pans, brigadier
des armées, capitaine aux
gardes- françaises , dona-
taire de Fleuriot, évêque
d'Aire : coin Poirier.
L'A veuve de l'avocat Lefèvrc,
née Langlois ; '-) maisons,
lune au second coin Poirier.
Guioet, marchand de vin.
Les héritiers de la veuve de
Guillaume, commissaire
des guerres, née Meunier.
L'Hôtel-Dieu.
Remigeau- Montoire, conseil-
ler au parlement de Metz,
à cause de sa femme, née
Fourmcnt.
Les lils de P. le Cordelier,
sieur des Brosses.
Colin, seigneur de Liaucourt.
Les successeurs deDesbruyt^-
res, à l'enseigne des Deux-
Boules, ci devant la Co-
quille.
Tableau complet, ou peu s'en faut! Mais le
l)remier plan, où est-il? Quelques notes de plus
vont y jeter, çh et là, un peu de lumière.
Le marquis de la Grange avait acheté son hôtel
(u" 9 présentement) d'un président au parlement,
célèbre par son attachement à Henri IV, Nicolas
Pottier de Blaucmesnil, dont la reine Marie de
Médicis lit ensuite son chancelier. La plus grande
maison de Faverolles avait été saisie sur M. Jac-
ques Mouille, trésorier des ponts-et-chaussées,
BUE NEUVE-SAINT-MERRI. 125
dans le cours de l'année 1683, avec la qualifi-
cation de ci-devant manufacture royale de chan-
delles; un de leurs successeurs fut M. Hubert
de Torcy, après lequel vint David, bourgeois de
Paris, sous Louis XVI. M. Colbert de Blainville,
grand-maître des cérémonies de France, surin-
tendant des mines, colonel du régiment de Cham-
pagne, était curateur judiciaire à la personne et
aux biens de sa femme; celle-ci tenait l'hôtel
qu'il habitait de Rochechoiiart de Tonnay-Cha-
rente, son père, et de Marie Phélypeaux de la
Vrillière, sa mère. M'"" de Rochechouart disposa
ensuite de cet héritage, que le notaire iJubreuil
acquit des enfants de M. de Rochechouart, du(;
de Mortemart. Un intéressant cabinet d'histoire,
naturelle fut formé au coin de la rue du Renard
par le médecin Maquart, avant la Révolution. A
la famille parlementaire Pottier avait aussi appar-
tenu l'hôtel dont le jeune duc de la Trémoille,
président-né des Etats de Bretagne et pair de
France, avait hérité par son bisaïeul maternel,
René de Marillac, conseiller d'Etat et conseiller
d'honneur au parlement de Paris ; mais cette
propriété, sise rue du Renard, n'avait guère sui-
la rue Neuve-Saint-Merri qu'un passage de ser-
vitude. M. Hennequin d'Ecquevilly, pour sa part,
n'était rien moins que capitaine-général de la
vénerie du roi, premier guidon des gendarmes de
sa garde, et M"'" d'Ecquevilly avait hérité sa
maison de M. Camus des Touches, contrôleui-
général de l'artillerie. M. Camus de Pontcarré,
premier magistrat de Normandie, recevait du pro-
cureur Chardon les loyers de sa propriété, qui
passa à un président aux enquêtes du jiarle-
ment de Paris, portant le même nom. M. de
Lagarde était, de son côté, remplacé par M. Voi-
trin.
Passons maintenant sur la ligne des numéros
IIC> RUE NEUVE-SAINT-MERRI.
pairs. Le président Robert Aubei^, enleiré à
Saint-Merri; Denis de Noirmoutier et Renée-Julie
Aubery, sa leninie; Jean Bouër, secrétaire du l'oi
et de son conseil d'Etat, et Yves Mallet, secré-
taire du roi, avaient précédé Tbierry Lerebours,
seigneur de Bertranlbsse, président iionoraire du
j^rand-conseil, et sa femme, Marie Mallet, en
riiôtel Lerebours, auquel se trouvaient attacbés le
droit perpétuel de fontaine à la maison et le droit
de cbapelle à l'église Saint-Meri-i. Une petite pro-
l)riété adjacente avait été vendue aux Mallet-Lere-
liours, et une autre à M. Jean Baillif, bourgeois, par
Abraliam, seigneur de Clialange, maître-d'bôlei
ordinaire du roi, vers l'an KiSo. M. Devint donna
en 1787 100,000 livres à M-"* de Morangis, née
Lerebours, de ce qu'elle avait de bien rue Neuve-
Saint-Merri, comme héritière bénéliciaire de Le-
lebours, intendant des finances. La lamille Piclion
avait acquis antt'rieurement sa maison de M. Pi-
nette, trésorier du duc d'Oiléans. A qui M. Rous-
seau avait-il eu rbonneur de succéder dans sa
propriété jtlus grande? A Marie -Madeleine du
Guesclin, comtesse et cliauoinesse de Poussey,
et à sa sœur, veuve de Despeaux, seigneur du
Chemin, toutes les deux héritières de M"'*' Bour-
din de Chapuis, née Cousinot. A qui, M"'" Le-
fèvre? A M^'" Le Pilleur, évêque de Saintes, et
à sa famille. Et enfin 31. Remigeau Montoire? A
Marie-Anne Jabacb, veuve de M. Nicolas Fourmeni,
directeur de la manufaclure loyale de butïles de
Corbeil, (}iii elle-même venait après son frère,
M.Evrard Jabacb, qualifié dans un livi'e d'adresses
j)remier banquier pour la Hongrie^ In Turquie et
la Pologne.
A l'hùlel Jabacb se rattachaient trois ou quatre
Itelites maisons, dont l'une, donnant sur notre rue.
fut occupée, du temps de la famille Fourment, par
Barat, garde-magasin de la manufacture de bullles.
RUE NEUVE-SAIN r-MEHRI. Ui
N'est-ce donc pas h juste titre que riiistoriograplie
Germain Brice reproche à i'iiôlel le peu de clarté
de ses appartements et de « ses jardins serrés » ?
Il dit aussi : « Bulet a l'ail plus que les autres
pour riiôtel Jabacli, où tous les noijles architectes
ont donné des dessins,» et il loue la distribution
lieureuse des appartements restaurés par Du lin.
Mais on cite ailleurs Jean Marot comme l'architecU'
dont le travail à été mis le plus à prolit. Au
reste, Evrard Jabach devait s'être établi rue Neuve-
Saint-Merri pendant la jeunesse du grand roi, et
avoir lait son hôtel d'une maison (lue Jean Go-
belin le jeune avait eue à sa disposition sous
Henri III. Vers le milieu du wuf siècle, il s'y
tenait des assemblées: on appelait ainsi des fêtes
de nuit organisées pour le jeu et la danse dans un
but de spéculation, et l'Opéra leur en voulait de
faire concurrence à ses bals.
En sortant de l'hôtel Jabach, au petit jour, que
de fois les joueurs fatigués ont eu la brusque
perspective du seul repos qui leur fût assuré!
Le bureau des jurés-crieurs, préposés aux ])om-
pes funèbres, se tenait presque en face, et l'on s'y
levait matin. Gette confrérie, instituée par Char-
les V, se ■ composait de 30 membres, dont le
doyen avait nom Fournier, et le syndic, Doucel,
alors que le siège s'en trouvait dans la rue dont
nous vous parlons.
On racontait en ce temps-là que Catherine de
Médicis, étant princesse ou étant reine, avait logé de
sa personne dans la maison où depuis les jurés-
crieurs disposaient tout pour les cérémonies funè-
bres, et que la maison voisine, habitée par Du])ont,
maître de mathématiques, avait appartenu à la mère
de saint Louis. Or la propriété dans laquelle ce
maître donnait des leçons de géométrie, de trigono-
métrie, de mathématiques et d'hydrographie, n'était
séparée de la rue Saint-Martin que par i^ept ou
128 RUE NEUVE-SAINT-MERRI.
huit façades. Rappelons que Dupont se plaisait à
faire aux curieux les honneurs de son logement,
décoré de sculptures et de dorures anciennes,
et qu'on y remarquait une tleur de lis. Cet auguste
emblème n'avait mallieureusement pas servi de
protection à la noble famille Chatillon, qui oc-
cupait un hôtel de la rue au moment de la Saint-
Barthélémy,
Quant au savant du moyen-âge Raoul de Presles,
fils du secrétaire de Philippe-le-Bel, il demeura
indubitablement dans ladite rue, mais plus près
de l'autre extrémité. Cet avocat, traducteur delà
Cité de Dieu, était attaché comme conseiller à la
compagnie des marchands forains de marée.
Charles V, son protecteur, l'autorisa à établir un
pont sur une ruelle, poui' relier deux maisons
dont il était propriétaire. Mort en l'année 1382,
il reçut la sépultui'e à Saint-Merri, sa pai'oisse.
Dans la même rue, sous le règne précédent,
Jean Baillet, trésorier des finances, avait été as-
sassiné par un commis-changeur, Perrin Macé.
Elle existait déjà sous le règne de IMiilip[)e-
Auguste.
Vous jugez donc de ce qu'elle a vu passer de
générations et d'entreprises, faire de fortunes et
s'en défaire, de crédits poindre, s'étaler sur la
place et s'évanouir dans les ténèbres, d'affaires
enfin, sous toutes les lurmcs, se succéder infa-
tigablement! Combien d'ailes et d'étages par siècle
ajoutés à ces bâtiments, oi^i le plus vieux est encore le
plus solide! En de telles rues passez, n'y cou-
diez pas, si vos attectious sont ailleurs : mia
fois Ih, vous w'iin voudriez plus sortir (jucnrichi ho-
norablement, c'est-iVdire en y niellant le temps,
ou bien les deux pieds en avant.
Ruo du Roiilo. (0
Jean-Ronë de Longueil, marquis de Maisons et
de Poissy, conseiller du roi en tous ses conseils,
président à mortier au parlement, membre hono-
raire de l'Académie des sciences, avait été chan-
celier de la reine. Seigneur des liels du Roule
et de Béthisy, à l^aris, il habitait avec sa femme,
.Marie-Louise Bauyn d'Angervilliers, un liôtel où
se trouvait auparavant la Douane, rue de Béthisy,
près celle des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois,
quand, en 1689, tut autorisé le percement de la
rue du Roule, à l'entrée de laquelle se maintint
le chef-lieu du lief jusqu'à l'abolition de toutes
les seigneuries, (^e président fut inhumé, en 1731,
aux Cordeliers, dans une sépulture de familh;
qui, après lui, n'avait plus personne à attendre.
L'hôtel d'Alembon, appartenant à Charles Grousset,
marquis d'Alembon, et attenant à l'hôtel de Mont-
bazon, avait été entièrement démoli pour faire
place à la nouvelle rue, dont les terrains avaient
été acquis par une compagnie d'entrepreneui's
ayant pour chef Prédot, un architecte des bâti-
ments du roi. Une sentence du Châtelet y déli-
niitait, le 11 décembre 1684, sur le toisé de
Gabriel Leduc, autre architecte du roi, le lief
du For-aux-Dames, contigu sur ce point au lief du
Roule et relevant de l'abbaye de Montmartre. Le plan
de 1652 n'avait marqué particulièrement à la place
future de cette rue que l'hôtel ûcM. de Longueville.
Un plan plus détaillé y aurait indiqué, année
(1) Notice écrite eu 18Gi.
130
RUE DU ROULr:.
1704, (Jeux groupes de maisons neuves, sous les
noms que voici :
(Eôté gaufljc
Jiôray du Canel, acquéreur
de Prédot, enseigne de la
Chasse- rovale (dont 1/24
seulement du fief du
Roule).
Josse Trishin, peiulre.
Françoise f.anglois, veuve
d'Andié Leiiûtre.
Anne Leolére, veuve d'Ed
me Pelle, secrétaire du
roi, au Saint-Esprit, ci-
devant à la Levrette, coin
de la rue Saint-Houoré
(fensive de Montmartre).
(Eôté broit :
Michel Delaporle, seigneur
de Verville, tenant d'une
part à Mau^uet, d'autre
part à X., et par-derrière
au jeu de paume de la rue
Tirechappe (1/4 seulement
de sa maison était dans
la mouvance du Roule).
Mauguet, sieur de Mezières.
J.-B. Prédot, architecte et
bourgeois de Paris : 4 mai-
sons, bâties sur l'empla-
cement d'une maison à
l'image du Bœuf-couronné
et sur l'hôtel d'Alerabon
en partie, l'une des qua-
tre au coin de la rue Saint-
Ilonoré.
Ces maisons, vous pouvez les revoir sans ex-
ception. Mais la rue en comptait 28 avant la lin
du règne de Louis XIV. Aujourd'hui l'énuméra-
lion ne va pas au-delà de 28.
Favières lils, marchand de bas du roi, était
établi rue du Roule; il épousa, en i7o9, M"" Chan-
vray, née h Paris 16 années 1:2 auparavant. Tout
alla bien pendant la lune de miel. La jeune femme
était une jolie blonde, laite au tour, ni petite ni
grande, qui chantait gracieusement en s'accoin-
pagnant au clavecin; seulement ses deux petites
mains, qui commençaieiit par carre.sser les tou-
ches, les grillaient avec impatience à la moindre
note douteuse : était-ce d'un rassurant augure
pour le contrat qu'elle venait de signer? Elle
trouva son mari laid en regardant un garçon,
son commis, qui fut renvoyé, mais trop tard.
Les œillades d'un marquis de Bandolle, qui pas-
RUE DU ROULE. l'Jl
sait et repassait devant la boutique, rallumèrent
des querelles de ménage mal éteintes, et ce roué
lit jouer d'habiles entremises pour tromper non-
seulement Favières, mais encore, dans la même
journée, 31'"'^ Favières avec une iille novice. La
séduction n'alla plus loin ni pour celle-ci, dont le
père était limonadier dans la rue dos Petits-Car-
reaux, ni pour celle-là, ù laquelle son mari ferma
!)resque la porte au nez. i/.\ veuve Cbanvray pro-
digua h sa Iille les consolations et les conseils
de toutes les mères en pareil cas ; si bien que
M"'" Favières, logée dans un couvent, constitua
procureur, demanda et obtint séparation de corps.
Une fois libre, elle s'afiiclia dans le monde avec
le chevalier du Bec-de-Lièvre, mais elle avait
encore pour amant de cœur le complice de sa
première faute.
Trente ans après l'époque où s'y mariait le
marchand dont nous venons de pleurer l'infortune,
comme on la pleurait de son temps, la même
rue, rien que sur sa rive droite, voyait se suc-
céder, en fait d'établissements qu'on peut noter :
Une manufacture de papiers peints, sous la direc-
tion de Windsor. — Le bureau de VAhnavach de Parit,
donnant annuellement les adresses des personnes de
rondition, chez Lesclapart, libraire. — La boutique de
Moinai, ferblantier, inventeur d'une lampe sans /uviéc,
sans odeur. — Le magasin de Ducoudray, joaillier de
tous les ordres roj'^aux. — T.o bureau aes journaux de
harpe, clavecin et niusirjue, et du journal liebdomadaire
de Leduc.
Sous le premier empire, la rue du Koule était
encore plus commerçante : des lanq)istes à in-
ventions et le parfumem- Fargeon y florissaient,
ainsi que M"" Gaillard, qui ne demandait qu'h
faire voir un cabinet d'histoire naturelle.
l.i-> RUE DU ROULE.
Au n° 47, SOUS Charles X, demeurait Martain-
ville, journaliste mordant et auteur dramatique.
Il discutait avec les libéraux, et surtout il jugeait
j'Empire, comme l'histoire le juge déj:i, en se
montrant reconnaissant des libertés restikiées par
la Charte. Pour y avoir mis trop desprit, il ne
sut pas faire vivi-e le Drapeau- blanc, feuille qui
lui laissa tant d'ennemis! Mais quel homme que
Martainvill e, quand des anciens sergents ou lieu-
tenants de l'Kmpire, qui se disaient eux-mêmes
des libéraux, menaçaient de l'exterminer! C'é-
tait le traiter en ami des étrangers, qu'ils avaient
liarcelés pour obéir à Napolécm seul; mais il
bravait tous les périls que lui Taisaient courir
ces braves, qui Unirent Jîar se convaincre qu'il
était aussi IVançais qu'eux. Un soir surtout, le
ol juillet 18:22, les amis de Martainville craigni-
l'ent de le perdre, tant les clameurs étaient vio-
lentes qui accueillaient son entrée dans une
loge, au théâtre de la Porte-Saint-Martin! Pour-
quoi? parce qu'il ne blâmait jias M. de Coi'bière
d'avoir permis à «les acteurs anglais de jouer là
les chefs-d'œuvre d'un théâtre étranger. Que voilà
bien l'esprit des gens qui portaient à la bouton-
nière \\w bouquet de violettes en ce temps-là !
Le journalisie répondit au commandant de la
force armée, (pii le suppliait de se retirer dans
la crainte que les vocilV'rateurs du parterre n'es-
caladassent la galeiie : — Monsieur, je préfère
demeurer sous la protection de l'autorité. Si je
suis assassine;, j'aurai tait mon devoir, et vous
n'aurez pas fait le vôtre.
Rue Guérin-Boisseau. (i)
On ne la connaissait encore, de 12o0 à 1350,
que sous l'invocation de Guérin-Boucel, particu-
lier qui vraisemblablement avait présidé à sa
formation.
En la dernière année du règne de Louis XIV
9 lanternes s'y échelonnaient le long des deux
rangées de maisons. Trois de celles-ci appartenaient
au sieui' Rousselet, avec un jeu de paume par-
derrière, et elles se trouvaient au milieu de la
rue, du côté droit, contiguës à une assez grande
propriété, où demeurait M"^*" Sémillard. Mais cette
étroite voie publique prenait alors sa source de-
vant le prieuré de Saint-Martin-des-Champs. La
première maison de la rive gauche portait l'en-
seigne du Mouton; M. de Creil en était pro-
priétaire.
Les grandes innovations du règne actuel ne
coûtent pas l\ ladite rue moins de 50 immeubles
plus que séculaires, dont, presque toutes les bou-
tiques étalaient depuis longtemps des bottes re-
montées et des souliers ressemelés. Il en reste
si peu au rez-de-chaussée des façades survivantes
qu'on accuse les Anglais d'avoir accaparé, de-
puis le dernier traité de commerce, la matière
première de l'industrie locale, c'est-à-dire acheté
sur pied toute la récolte de chaussures avariées.
(1) Notice écrite en 1SG4. Les anciens numéros de
la rue ne sont pas encore remplacés par de nouveaux
du côté où Je 36 vient le premier. De l'autre, tout
est neuf, sans porte, sans numéro.
9
134 RUE GUE RIN-BOIS SEAU.
Dernièrement un vieux connaisseur qui, pour la
première fois de sa vie, quittait la place sans
y avoir trouvé de chaussure à son pied, ramas-
sait par dépit un petit morceau de craie pour
écrire vis-à-vis, sur une porte neuve : « Ci-gît
la rue Guérin-Boisseau. »
Et remarquez que la mauvaise humeur de cette
ancienne pratique comblait une lacune. Il n'y a
pas encore d'autre inscription que la sienne à
l'angle de la rue de Palestro, au moment où
nous écrivons.
Rue des Vieilles-Étuves-Sfaiiit-Ilonoré
et rue Sauvai,
NAGUÈRE
des Vieîlleft-Étuves-l§iaint-Mai-tin. (i)
Dieu tient le cœur des rois en sa main de clémence ;
Soit chrétien, soit païen, leur pouvoir vient d'en haut.
Et nul mortel ne peut (c'est un faire le faut)
Dispenser leurs sujets du joug d'obéissance.
On lisait ce pauvre quatrain, rue des Vieilles-
Étuves-Saint-Martin, sur une maison bâtie par
un des architectes de Henri IV. Il va sans dire
que la Révolution a gratté pareille inscription.
En même temps, comme nul ne l'ignore, on a
supprimé les maîtrises. Dans celle des barbiers-
perruquiers étaient incorporés les baigneurs-étu-
vistes. Sauvai remarquait, dès l'année 1660, que les
étuves devenaient rares à Paris, et il rappelait qu'à
la fin du siècle précédent on ne pouvait faire un
pas sans en rencontrer un établissement. Néan-
moins, du vivant de Sauvai, des maisons de bains
assez nombreuses faisaient encore concurrence
aux maisons borgnes comme il y en a une au
n° 14 de ladite rue, et cela contrairement à une
quantité d'ordonnances de police répétant une
(1) Notice écrite en 1864, Le nom du magistrat Sau-
vai, auteur des Recherchos sur les Antiquités de Paris,
n'était pas encore donné à la rus des Vieilles-Etuves-
i^^aint-Honoré, qui n'avait pas encore englobé la petite
rue Devarenne entre la rue des Deux-Ecus et la Halle-
au-Blé.
RUE DES VIEILLES-ÉTUVES 136
défense, qui était déjà faite, du temps d'Etienne Boi-
leau, aux baigneurs du xni^ siècle, en ces termes :
« Que nuls ne soustiengne en leurs mesons bor-
diaux ne de jour ne de nuict. »
A cette époque reculée les étuvistes parisiens
n'étaient qu'au nombre de 26, et celui de la rue
des Étuves-Saint-Martin s'appelait Richard ; celui
de la rue des Étuves-Saint-Honoré, Guillaume. Les
voisins de ce dernier étaient : Amiot le lombart,
Guille de Launoy, taunier, Lorenz, François, bou-
cher, Zehanne de londis, qui taille or, et devant sa
porte il coulait un ruisseau dit le rij des- Etuves. Il
en coûtait moitié moins cher pour s'estuver chez
Guillaume et chez Richard que ])Our s'y baingnier.
De bon matin leurs crieurs réveillaient les habi-
tants de leur quartier respectif, en annonçant que
l'eau était chaude. Aussi Guillaume de Villeneuve
chroniquait-il ainsi dans ses Crieries de Paris :
Oiez cou crie au point du jor:
Seignor, qu'or vous alez baingnier
Et Estuver sans délacer ;
Li-bains sont chaut, c'est sans mentir !
Un des prédécesseurs de Richard avait coulé
des bains pour la reine Blanche ; un de ses suc-
cesseurs fut Geoffroi, h l'image du Lion-d'argent,
et h cause de lui, sous Jean-le-Bon et sous Charles
V, on disait rue Geoftroi-les-Bains. La maison où
cette dynastie de baigneurs devait, tenant estuves
à femmes, ne chauffer icelles peur hommes, et
dans laquelle on se baignait encore en 1578, est
maintenant le n° 4.
L'autre rue des Vieilles-Étuves prenait transi-
toirement le nom de Jacques-de-Verneuil, sous
Philippe-le-Bel ; elle rejoignait alors la rue de
Nesle, aujourd'hui d'Orléans, plus haut que celle
des Deux-Écus, connue comme rue Traversaume,
et elle aboutissait à un hôtel, qye dis-je ! à un
ET RUE SAUVAL. 137
palais. Là, en effet., Philippe-le-Bel venait après
Louis IX, et avant Ciiaiies de Valois, Jean de
Luxembourg, roi de Bohême, Charles V, Amédée
VL comte de Savoie, Louis XII, étant duc d'Orléans,
Catherine de Médicis, Catherine de Bourbon,
Charles de Soissons, le prince de Garignan, la
banque de Law, dont le dernier marché aux actions
lut en cet hôtel, et enfin la Halle-au-Blé. L'agran-
dissement-de l'hôtel de Soissons pour Catherine
de Médicis raccourcissait, dans ces parages, en
1577, et la rue d'Orléans et celle des Vieilles-
Étuves, où le n" 16, dit-on, appartint à la même
reine. Maison dont le propriétaire, sous Louis
XVI, signait : Dupont. A cette époque le chevalier
Desforges disposait des deux immeubles situés en
face. De toute façon un hôtel garni de Carignan
avait été porté en 1769 h l'avoir de cette rue
des Vieilles-Etuves.
N'y cherchez plus l'estaminet où naguère se
réunissaient, pendant la quinzaine de Pâques, tous
les comédiens et comédiennes de France sans
engagement : le Roman comique a quitté la bras-
serie qu'on y voit encore, pour un café de la rue
des Marais-Saint-Martin et pour son allée favorite
au jardin du Palais-Royal.
En la même rue avait résidé, à l'enseigne du
Barillet, Ogier de Gombaud, l'un des poètes fêtés
à l'hôtel Rambouillet, qui fit la tragédie des Danaïdes
et qui fut le premier à s'asseoir dans l'un des
fauteuils de l'Académie-française. Le sieur Joubert
y vendait des olives et des anchois, en ce temps-
là, au Soulier-d'Or. Quant aux bains, ils étaient
déjà de l'histoire ancienne pour ces deux habitants.
A plus forte raison .Jaillot u'eii parla-t-il que rétros-
pectivement, en les mettant au nombre de ceux
où le maître, étuviste n'avait que faire d'être bar-
bier, s'il se conformait aux mesures qui les ouvraient
138 RUE DES VIEILLE S-ETUVES. ETC.
exclusivement au sexe qu'il était autorisé à y
recevoir. Leur établissement datait d'avant l'encla-
vement de la rue dans l'enceinte de Philippe-
Auguste? N'en pourrait-on pas dire presque
autant de l'escalier à vis qui tourne encore dans
le fond du n" 6, et de la petite niche à madone
du 14?
Rue du Hasard, (i)
Boileau dit :
On a vu le vin et le hazard
Inspirer quelquefois une muse grossière.
Et il ne parle pas, en ce passage, d'une com-
binaison de circonstances indépendantes de la
volonté ; il parle d'un jeu, proprement dit de son
temps encore le hazard, que les Grecs du Bas-
Empire avaient appelé àÇâptaj et que l'on préten-
dait, lors des difficultés de Philippe-le-Bel avec
Boniface VIII, avoir vu jouer à ce pape {ludens
ad azaros) en téte-à-téte avec une dame. C'était,
d'ailleurs, un terme de jeu de paume et de jeu
de quilles ; on disait d'une balle qui rebondis-
sait d'une façon insolite, ou d'une boule qu'un
obstacle imprévu dérangeait une fois lancée, que
cette balle ou cette boule faisait hasard. Mais,
surtout comme synonyme d'as à l'usage des
joueurs de dés, il en était venu à servir de
dénomination k un genre de partie. Un passage
du Parlement d' Amour ^ d'Alain Chartier, nous met
sur la voie en ces termes :
Et elle faisoit à tous tours
Son poinct double; et c'estoit par l'ait
De ses délicieux atours,
S'y gardant de gecter azart.
Une maison de jeu, par extension, garde le
nom du Hazard et le fait partager à la ruelle
(1) Notice écrite eu 1864.
140 RUE DU HASARD.
OÙ elle est située. Cette petite rue ne tîgure pas
encore sur le plan de 1652 ; mais elle était déjà
portée au censier de l'archevêché trente ans plus
tôt. Par conséquent, les joueurs s'y rendaient en
passant devant l'hôtel Mercœur, qui appartenait
alors au marquis d'Estrées, et devant l'hôtel de
Rambouillet, au sieur Dufresne, avant que le
Palais-Cardinal s'élevât à la place de ces deux
hôtels. Combien de maisons, en la rue du Hasard,
à la fin du xvn^ siècle? 13, dont l'une avait pour
enseigne : à la Butte-des-Moulins. Combien de
réverbères ? 4, et il n'en fallait pas davantage pour
reconnaître nuitamment la maison dans laquelle
on avait déjà remué les dés, à pareille heure, sous
la régence de Marie de Médicis : le sculpteur
Legrand en était propriétaire une quinzaine d'années
avant la régence de Philippe d'Orléans.
La même maison devient postérieurement hôtel
Séguier : les bureaux de cet avocat-général au
parlement y sont installés. Magistrat de la vieille
roche pai' ses traditions de famille, il s'oppose,
mais en vain, à la condamnation de Lally ; il
donne sa démission quand le parlement Maupeou
est substitué au parlement dont il ne partage pas
les disgrâces, et il ne reprend les fonctions du
ministère public qu'au retour des anciens con-
seillers.
Depuis 1757 M Séguier fait partie de l'Acadé-
mie-française, et il n'en jette pas moins, à l'issue
de chaque audience, sa robe de magistrat aux orties
d'une robe encore plus facile à déposer, mais non à
rajuster. Il a toujours une maîtresse en titre; une
année, c'est la fille Buclict, qui ne se gêne pas trop,
comme on disait alors, pour jouer au reversis
avec bien d'autres ; l'année suivante, c'est Jeanne
Vaubertrand. Cette autre fille .du monde, encore
un mot du temps ! a principalement mis à con-
RUE DU HASARD. 141
tributioii M. Geneste, commissaire des guerres,
et un neveu du trésorier de la reine, puis M.
Clausier, qui vient de l'Amérique ; elle a voulu
monter sur les planches, et comme elle chante et
danse passablement, Monet, auteur et directeur,
l'a engagée pour les deux foires, à raison de 50
louis; mais, au lieu de (aire son servjce, elle
reçoit M. l'avocat-général dans un hôtel de la
rue de Thorigny, où la place d'honneur lui est
avant peu disputée par Dufour, père nourricier
du Dauphin. M. Séguier fait k la belle des scènes
de jalousie à émouvoir tous les habitants du
Marais, excepté elle, qui a un train de maison
à soutenir quand même avec équipage et laquais.
D'historiettes de ce genre la biographie de Séguier
regorgerait ; il a près de Saint-Laurent une petite
maison, que la Hecquet, entremetteuse, ne laisse
pas chômer de parties fines. Il fait des dettes,
que le roi paye une fois, afin de le marier, avec
un douaire de 8,000 livres. Chez lui, dii reste,
l'avocat-général observe si bien les convenances
qu'il se met rarement à la fenêtre, crainte.de recon-
naître à la leur une ou deux drôlesses qui habitent
la même rue.
La D"<' Perrière est du nombre ; son visage,
picoté par la petite-vérole, n'en a gardé que des
traits plus piquants ; et puis, comme on la dit bien
faite! M. Séguier, qui connaît son histoire, l'ap-
pellerait M™« de Serres, si le mariage lui-même
pouvait donner h de telles femmes autre chose
qu'un nom de guerre. Élevée par sa tante, à
Montreuil, elle n'a appris d'un chanoine de Vin-
cennes que l'a, b, c, de son état; De Serres l'a
rencontrée chez la Montigny, où elle faisait ses
humanités, et quand M. de Bregé, doyen du grand-
conseil, a meublé richement cette fille, il a mis
à la porte De Serres, qui n'a pu rentrer par la
fenêtre qu'au moyen d'un mariage secret. M, de
RUE DU HASARD. 142
Bregé, plus épris que jamais, s'est débarrassé du
mari, en lui achetant une charge d'officier dans
les gardes de la ville ou chez le roi, valant 25,000
livres, et il a placé pareille somme sur la tète
de son épouse. Mais celle-ci dépense trop pour
que le grand-conseil y suffise sans la cour des
aides. La propagande que fait son greluchet d'époux,
pour elle et pour d'autres danseuses, le dégoûte
tellement des femmes qu'il se tourne d'un autre
côté.
Le Lycée de Paris, fondé en 1799 par Lebrun,
mais qui fait suite au Lycée des Étrangers et à
l'Athénée des Étrangers, occupe le ci-devant hôtel
Séguier. Cet établissement donne des concerts et
des bals pour l'agrément de ses abonnés à l'année
ou au semestre, en même temps qu'il ajoute à
leur instruction par des cours, par des conféren-
ces, par des lectures. Les professeurs du Lycée
de Paris sont:
Duclerc, pour lu cosmographie ; Leblanc, économie
politique; PaliSFOt-B?auvois, géologie; Rauque, physio-
logie; Blanvillain, lilléralure italienne; Baldowinii, lan-
gue anglaise ; Gautherot et Cadet, physique ; BelJangé,
architectura rurale; Sepz, hygiène.
Le tripot du Hasard, la maison de Legrand,
l'hôtel Séguier et le Lycée, tout cela porte au-
jourd'hui un 6 pour signe particulier. L'apparte-
ment de la D"° Perrière était au 11, transformé
en hôtel du Pérou, puis de Pologne, et occupé
ensuite par une réunion de filles du monde, sous
la direction de la femme Bessières, maîtresse
d'un sieur Hérault, propriétaire de Timmeuble, à
laquelle Bessières a succédé la femme d'Orsay, puis
la femme Bourgeois. On peut encore, sous ce
toit galamment hospitalier, se demander avec
Lucain :
Quem tamcn inveniel tam longa potentia finem ?
Rue Bourg;-!' Abbé (i)
DONT LE RESTE EST MAINTENANT ABSORBÉ PAR LA NOUVELLE
rue de Palestre.
Où s en va V Argent mal acquis. — Comment se
range un mauvais Sujet. — L'Hôtel de Mau-
roy. — Un Couple cCAmis. — Une Etape de
ytfiyales Amours. — Extrait Ce VAlmanach du
Commerce et des Papiers terriers sous Louis
XIV. — La Poterne du Bourg de VAbbé. —
La Simplesse de l'Amour local.
Tout cet argent volé qui s'en va chez les fem-
mes de mauvaise vie n'y reste guère;' on dit
même qu'elles partagent toujours avec de petits
comédiens, des garçons perruquiers ou des sol-
dats, ce qu'elles ont extorqué, mais la plupart
du temps de seconde main, aux honnêtes gens.
La galanterie coûte cher, en somme, même à
ceux qui n'y laissent pas leur probité, et les
tilles dites de joie prélèvent, k Paris, pour sub-
venir aux frais du culte dont elles représentent
les idoles, presque tout ce dont il est fait tort
aux créanciers, aux actionnaires, aux caisses pu-
bliques ou particulières, aux conventions, aux
successions, au jeu, aux absents et aux pupilles.
Notre sexe, par exemple, fait parfois rembourser
aux femmes du monde quelque chose de ce que
(1) Notice écrite en 1858. Le boulevard Sébastopol
avait déjà enlevé à la rue Bourg-l'Abbé tout un côté ;
mais la rue de Palestro n'était pas encore percée, dont
les nos 17, 19^ 21 gt 23 actuels appartenaient à la rue
disparue.
]44 RUE BOURG-L'ABBE
tanl d'autres ont pu tirer de sa concupiscence in-
corrigible. En effet, qu'une femme mariée prenne
un amant, c'est souvent plus d'un tort qu'elle fait
à son mari; elle a rarement pour complice de
sa faute quelqu'un dont la fortune ne soit pas à
faire ou à refaire, car les femmes n'éprouvent
que de l'estime pour ceux qui peuvent tout
acheter. Aussi le moins qui en puisse coûter au
gérant responsable de la communauté, du moment
que le registre à souche a circulé, c'est que les
actions fondamentales, qui devaient rester au talon
conjugal, aient été converties en valeurs au por-
teur, pour obtenir au favori une place, une mis-
sion, un titre ou une croix, également de la main
à la main. Aussi bien le mariage dans le monde,
voire même sous l'ancien régime, a presque tou-
jours été une spéculation avantageuse pour le
prétendu; tout fils de bourgeois ii 30 ans, pour
peu qu'il pût acheter à la taxe un office de con-
seiller aux enquêtes ou en cour des aides, ou
encore au grenier-à-sel, était tout de suite en
passe d'obtenir, dans le quartier des Bourdonnais,
la main de la fille ou de la veuve d'un gros mar-
chand, six fois plus riche en espérances ou en
deniers comptants.
Mieux encore croyait avoir fait, sous le règne
de Louis XV, W Vinet, juge-enquêteur. Sa femme,
pour premier mari, avait eu le coureur des vins
de la reine, office unique et d'un prix plus élevé,
dont elle avait fait son deuil, car il avait fallu le
vendre pour convoler dans les enquêtes. Le nou-
veau ménage s'était installé rue Bourg-FAbbé, dans
une vaste maison qui porte de nos jours le n" 41 ;
mais Vinet avait pris des renseignements fort minu-
tieux sur l'apport exact de la veuve, au préjudice
d'autres informaticns. La dame eût cru manquer
à la mémoire de son premier époux, en ne con-
servant pas du défunt jusqu'à l'amant qu'il lui
ET RUE DE PALESTRO. 145
avait souffert de son vivant : c'était pour elle un
legs, un ex-voto. Or ce galant, ancien cornette
ne servant plus que le jeu et les belles, ressem-
blait au héros d'un conte de Bocace, Roger de
Jéroli, le plus mauvais sujet de Salerne. qui était
de bonne famille, mais dont les fredaines, les
sottises et les escroqueries avaient pour consé-
quence de lui fermer la porte de ses parents.
Dans le Décaméron. {n" journée, nouvelle 10), nous
voyons comment en usa avec Roger de Jéroli la
femme de Mazzéo, dès la première de leurs en-
trevues : « Après s'être amusée comme on le
fait dans un tête-à-tête amoureux, la dame pro-
fita de cet agréable moment pour sermonner le
jeune homme;, elle le pria de renoncer, pour l'a-
mour d'elle, à ses filouteries et autres méchantes
actions qui l'avaient perdu de réputation, en s'o-
bligeant, pour mieux l'y engager, à lui donner
de l'argent de temps en temps. » Même morale
administrée depuis trois ans au ci-devant porte-
étendart de cavalerie, par cet autre amour mé-
decin, qui lui en dorait la pilule, en la multi-
pliant par des présents. M« Vinet voulut s'opposer,
comme de juste, aux visites de ce parasite à
double titre; mais le mauvais sujet se prétendit
le cousin du défunt, chez lequel il avait laissé
un rond de serviette à son chitTre. Les régals
continuèrent ainsi rue Bourg-l'Abbé; seulement
le sigisbé faisait mine d'en rendre quelque chose
au second mari, sous forme de collations à la
campagne, et puis il s'arrangeait pour perdre aux
cartes, chaque fois qu'il faisait sa p?rtie, sauf
à prendre des mesures contraires quand il jouait
avec la dame. Bref, c'était un ménage îi trois,
non moins curieux que celui de Mazzéo; le soi-
disant cousin n'avait plus de sergents à ses
trousses que comme moyen de comédie, quand
il voulait tirer une lettre de change plus forte
146 RUE BOURG-L'ABBE
qu'à l'ordinaire sur la maîtresse qu'il exploitait
de plus eu plus. Au bout de quelques années,
]yime vinet^ qui comptait moins souvent avec son
coffre-fort qu'avec son cœur, constant à sa ma-
nière, fut forcée de donner congé de l'apparle-
ment du premier et fit monter tables et lits au
second étage, sur le derrière de la maison, pour
diminuer les charges du trio. Les visites quoti-
diennes de l'amant y devinrent hebdomadaires,
puis mensuelles, mais plus rançonneuses que
jamais, en dépit de la gêne croissante. La belle
s'en chagrina et en mourut, laissant un testament
en faveur de l'ingrat qui l'ayait ruinée aux trois-
quarts. M*' Vinet fut par suite obligé, à l'âge de
40 ans, de vendre son office, pour acquitter une
portion du legs fait sur les propres de sa femme,
et quant au légataire universel, il ne se gêna
pas pour traiter l'époux survivant de dissipateur
hypocrite et de banqueroutier domestique.
La maison d'à côté fut l'hôtel de Mauroy, fa-
mille noble de la Champagne, et fit retour à
l'Etat par suite de l'émigration d'Anne-Joseph de
Mauroy, né le 14 juin i7o0, un des fils du lieu-
tenant-général marquis de Mauroy. Le primidi
de la seconde décade, pluviôse an n, furent ven-
dues deux maisons ci-devant à l'émigré Mauroy,
portant alors rue Bourg-l'Abbé les n°' 30 et 31,
section des Amis de la Patrie, tenant à droite
au citoyen Orselle, à gauche au citoyen Dupont
et dans le fond à la veuve Abraham. L'adjudica-
taire était le citoyen Brunot; toutefois un bail
consenti en 1789 par M. de Mauroy, pour neuf
années, à Biaise Laugier, parfumeur, non-seule-
ment suivit son cours, mais encore fut renou-
velé tant au nom de Laugier, qui resta là 30 ans,
qu'au nom de Sichel, qui acheta son fonds de
commerce, et le même contrat de louage sort
encore son exécution à notre époque. Le fils de
ET RUE DE PALESTRO. 147
Biaise Laugier et M. de Beaufort, amis intimes qui
ne se quittaient pas, qui s'étaient fait une dona-
tion mutuelle de leurs biens au dernier vivant,
disposaient de l'immeuble, sous Louis -Philippe, et
c'était moins une couple qu'un couple d'amis fra-
ternels : on ne savait plus, dans le quartier,
lequel des deux avait mis l'immeuble dont il s'agit
dans leur communauté.
Suivent de petites maisons plus que séculaires,
dont les portes se passent probablement de por-
tiers. Deux vastes cours, trois corps de bâtiment
composent le n" 29; celui du milieu date de
l'année où fut rétabli le calendrier grégorien fer-
mant l'ère républicaine, et les deux autres pas-
sent pour l'un des anciens pied-à-terre des
royales amours de Gabrielle d'Estrées. Le fait
est que des escaliers tournent encore dans les
caves, mais s'y arrêtent court, qui avaient pour
issue de longs' passages souterrains. Une marine,
peinture ancienne, décore la chambre de M. Rol-
land, dont le magasin de jouets d'enfants en gros
remonte à environ 80 ans. Au 21 est le passage
du même nom que la rue, percé en 1828. La
grande porte du 19, son ensemble et son âge dé-
noncent un vieux hôtel de magistrat.
En plein règne de Louis XIV, il y avait dans
cette rue : un traiteur, à l'enseigne du Louis;
un marchand de chevaux, nommé Lebreton, à la
Croix-de-Fer, une maison du Lion-d'Argent, où se
tenaient des joailliers forains de Saint-Claude, et
un Lion-d'Or, pour des marchands de Dieppe, et
le bureau des coches de Montreuil, Calais, Dun-
kerque et Saint-Omer, à l'image de l'Ecu-Dau-
phin.
Il s'y suivait, peu de temps après, une quin-
zaine de propriétés dans cet ordre, sans solution
de continuité :
148 RUE BOURG-L'ABBÉ
Mi'e de Lisle, aux Quatre -Vents, encoignure de la
rue Grenéta. — La même. — De Laporte, magistrat,
à la Croix-d'Or, porte cochère (c'était l'une au moins
des deux maisons qu'eut plus tard la famille de Mau-
roy). — Liseau, procureur, à l'Agneau-Pascal. — Le-
maire et consorts, au Chef-Saint-Jean. — Biiannois, à
Notre-Dame-des-Vertus, porte cochère. — Granger, huis-
sier, au Persan. — De Monceaux, substitut, au Petit-
Saint-Jean. — Santsuil. — Belmet, au Roi-Henri. —
Chevallier. — Lacas, plombier, à Saint-Michel. — La
fabrique de Saint-Nicolas-des-Champs. — Lalien. —
Le même. — Santeuil, porte cochère. — Aubry.
Les premières desdites maisons appartenaient
en 1786 à :
Juberl, — le même, — le M's de Mauro3', — le même,
— Dupont, — Salambrié, — Beaugé, — Patage.
En vertu d'un arrêt de i8o4, la rue ne bat
plus à peine que d'une aile : l'autre s'est entiè-
rement fondue au soleil d'un nouveau boulevard.
En revanche, il arrive jusqu'à nous deux versions
sur l'origine. Le bourg de l'Abbé dépendait de
l'abbaye Saint-Martin et faisait groupe sous les
rois de la seconde race, d'après certains auteurs;
d'autres soutiennent que ces premiers confondent
le bourg de l'Abbé avec le beau Bourg, et que
si celui-ci était à l'abbé Saint-Martin, celui-là rele-
vait, au contraire, de Saint-Magloire. .Un livre très-
curieux de M. Bonnardot, les Anciennes Encein-
tes de Paris, nous apprend que la poterne
Bourg-l'Abbé était située rue de ce nom, un peu
au-dessus de la rue aux Ours; par ainsi, quand
Philippe-Auguste a fait entrer dans notre ville
une portion du bourg dont il s'agit, le mur de l'en-
ceinte urbaine a surgi où est maintenant ce boulevard
neuf qui nous a déjà fait tomber plus de la
moitié des maisons de la vieille rue Bourg-
l'Abbé.
ET RUE DE PALESTRO. U9
Cette rue, maintenant à l'agonie, a été jeune,
ingénue, amoureuse, et l'amour y venait si franc,
si partagé et si durable que c'était à se croire
entre bergers et bergères. La naïveté pastorale
de leurs mœurs faisait dire en ce temps-là des
gens de la rue Bourg-l'Abbé : — Ils ne deman-
dent qu'amour et simplesse!
10
Rue de Boiirf(og;ne. (i)
Le Duc de Bourgogne. — Advienne Lecouvreur.
— Sainte- Valêre. — Le 30 et le 32. — Le 40.
— Oudinot. — M""^ de Fitzjames. — La Ca-
serne. — Molière. — M. Joly.
Louis, duc de Bourgogne, fils du dauphin, naît
à Versailles en l'année où la flotte de son grand-
père Louis XIV, qui n'a pas encore dit: Il ny a
plus de Pyrénées, prélude, en bombardant Alger,
aux conquêtes destinées à faire dans la suite un
lac français de la Méditerranée, Ce prince gran-
dit, élève de Fénélon; mais il entre, déjà dans
sa vingt-cinquième année, il est marié et il a des
fils quand le roi, en 1707, ordonne l'ouverture de
la rue de Bourgogne entre la rue de Varennes et
le quai de la Grenouillère, bientôt d'Orsay, sur
des terrains provenant en partie de la com-
munauté des filles de Saint-Joseph, mais princi-
palement du Pré-aux-Clercs, La mort du dauphin
rend le duc de Bourgogne héritier présomptif.de
la Couronne, en l'an 1711; mais il succombe lui-
même, l'année suivante, et deux autres coups,
mortellement frappés presque en même temps
dans la région du trône, font au moins croire à
une épidémie princière; mais partout les familles
nombreuses se déciment ainsi, coup sur coup,
comme si la mort elle-même craignait l'isolement !
Sous la Régence, on songe à prolonger la rue
de Bourgogne jusqu'à la rue Plumet ; seulement le
projet en est abandonné après commencement
(l; Notice écrite en 1858.
RUE DE BOURGOGNE. 151
d'exécution. Louis-Joseph de Bourbon, prince de
Condé, est autorisé, en 1776, h changer quelque
peu la direction de cette voie publique entre les
•rues de l'Université et Saint-Dominique, pour for-
mer devant le palais Bourbon une place demi-
circulaire; mais, entre les deux rues susdites,
des constructions régulières ne s'élèvent qu'à la
seconde rentrée de Louis XVIH, pour mieux faire
cortège à la place. Il s'en faut toutefois que le
palais ait, dès son origine, le même aspect qu'à
notre époque. Deux pavillons à l'italienne le pré-
cèdent du côté du pont, qui d'abord porte le
nom de Louis XVI, et son emplacement, avant
que le prince ait décoré d'un si magnitique vestibule
cette nouvelle entrée du faubourg Saint-Germain,
a été un désert marécageux, tout au plus occupé
par des chantiers à l'époque où le quai n'était
encore qu'une berge.
Par une nuit bien silencieuse, lorsque déjà
Louis XV gouvernait par lui-même, M. de Laubinière
y a mis pied à terre, en sortant d'un carrosse
de louage, suivi d'une voiture de même sorte.
Trois hommes, par ses ordres, ont creusé furtive-
ment- une fosse sur ce terrain humide, et un
cadavre dans sa bière a été inhumé en toute hâte,
comme pour cacher un crime, à une portée de
mousquet delà rivière. Tels ont été les seuls de-
voirs suprêmes rendus par un ami à Adrienne
Lecouvreur, grande actrice, dont la fin tragique,
outre qu'elle était l'œuvre du poison, a eu l'in-
tolérance religieuse pour apothéose. Languet de
Gergy, curé de Saint-Sulpice, avait refusé l'entrée
de l'église et jusqu'à celle du cimetière au corps
d'Adrienne Lecouvreur : le préjugé contre les comé-
diens était alors en France dans toute sa' force,
bien que, vers le même temps, Olfieds, célèbre
actrice de l'Angleterre, fût enterrée à Westminster
avec les rois !
152 RUE DE BOURGOGNE.
Aussi bien toute la rue de Bourgogne, jusqu'au
point où la rue de Grenelle la traverse, n'est
encore bordée en 1739 que de murs de jardins
et de bâtiments en aile appartenant aux hôtels
des rues qui la croisent. Le revers de l'hôtel de
Broglie se présente alors sur la gauche, au coin
de la rue Saint-Dominique, et aujourd'hui encore
le 21, qu'on a refait il y a deux ans, dépend de
l'hôtei du comte d'Haussonville, gendre du duc de
Broglie. Aussi bien M"" la duchesse de Valmy
dispose maintenant, sous la rubrique des no* 31,
33 et 35, d'un segment de propriété, et l'arc de
ce segment est son jardin comme la rue en est
la corde. Le 24 ne comporte encore, lors des
trois journées de Juillet, que les communs de
l'hôtel de Périgord, qui ouvre rue Saint-Dominique;
mais quand l'église de Sainte-Valère est évincée du
territoire qu'elle occupe, dans la même rue, le duc
de Périgord cède aux édiles parisiens, moyennant un
loyer, de quoi la transférer rue de Bourgogne. Depuis
que Sainte-Clotilde est ouverte aux fidèles, Sainte-
Valère n'a plus de raison d'être; mais le curé
paie lui-même 5,000 francs de rente Ji M. de
Périgord pour avoir dans l'ancienne église la cha-
pelle du catéchisme de Sainte-Clotilde et la mai-
son de secours des sœurs de charité.
Sur ce plan de Paris en 1739 que nous inter-
rogeons, rien ne se reconnaît des n"' 30 et 32
actuels, qui sont de construction pareille. Mais
ne sont-ils pas la couple de maisons jumelles que
M. Pasquier se fit ériger, sur le dessin de Trep-
sat, dans cette rue, en l'année 1772? D'autres
plans en peuvent tenir compte. Il en est au
moins un qui signale comme propriétaire de deux
places, dans le bas de la rue, le maréchal d'Es-
trées en 1725, et un autre, les hôtels de Conti
et de Lignerac, aux encoignures de la rue Saint-
Dominique, en 1744. Celui que nous consultons
RUE DE BOURGOGNE. Ibi
pi"iiicipalement montre, à deux des angles de la
rue de Grenelle, un pan de l'hôtel de Sens et un
côté du couvent des Carmélites ; au-delà, il nous
fait entrer dans ce qu'il y a de bordé de mai-
sons à son époque en la rue de Bourgogne, qui
n'a guère d'habitants plus bas à elle seule.
Ainsi le n" 40 était vendu, dès 1719, par Du
Tillet à François Mouchard, directeur de la Com-
pagnie des Indes, puis passait à son fils unique,
écuyer, secrétaire du roi, receveur-général des
finances en Champagne, qui cédait en 1773 à
Villeminot constructions et terrain, mesurant 496
toises. Quatre ans ensuite, le comte d'Antzy, pro-
priétaire de l'hôtel voisin, acquérait une portion
de ladite propriété, tenant par-derrière à l'hôtel
du Chàtelet. Enfin, le 14 fï-uctidor, peu de temps
après la chute et l'exécution de Robespierre,
l'explosion de la poudrière de Grenelle vint faire
croire, pour un moment, à la résurrection volca-
nique du fameux dictateur, et ce fut une secousse
immense des deux manières pour tous les habi-
tants de la maison. Celle-ci portait alors le
n" 1417 et fut transportée en l'an v par la veuve
de Villeminot au citoyen Pérou, dont la famille
est encore propriétaire.
Après cela, voulez-vous voir l'ancien hôtel du
comte d'A.ntzy? frappez n'' 44. L'adjudication en
a été prononcée par l'administration centrale du
département de la Seine, 17 pluviôse an vu, au
profit des trois frères Trabuchy et de Quinette ;
ce dernier, qui n'était en 1808 que préfet de la
Somme, a eu pour acheteur, le 16 avril, ce gé-
néral comte Ou'dinot qui avait soutenu h Fried-
land, avec 10,000 grenadiers, le choc de 80,000
Russes. Depuis cette journée, qui avait décidé de
la paix de Tilsitt, l'empereur avait inscrit le nom
du général sur la liste de ceux auxquels il ac-
cordait 100,000 l'r. pour acheter un hôtel et
154 RUE DE BOURGOGNE.
100,000 IV. sur le grand-livre : riirteiitioii de Na-
poléon était dès-lors de leur créer un fief ina-
liénable dit majorât. On sait que la valeur bien
réfléchie de celui que Wagram fit bientôt maré-
chal d'Empire, duc de Reggio, fut avant tout
amie de l'ordre public; la maréchale Oudinot, née
de Coucy, passa sous la Restauration dame d'hon-
neur de la duchesse de Rerri. Le général, fils du
duc de Reggio, habite l'hôtel de son illustre père,
dont l'architecture se rapporte à celle du numéro
suivant, bien que, du côté du jardin, elle de-
vienne différente et l'emporte par la majesté. Le
46 est occupé par une vénérable duchesse, M"'" de
Fitzjames, née Ghoiseul, qui a planté un cèdre du
du Liban dans le jardin de l'hôtel, étant jeune :
cet arbre toujours vert ne tardera pas à être
octogénaire. De cette propriété-mère, fondée par
le duc de Praslin, s'est probablement détaché
l'immeuble précédent.
Les n°' 47 et 49 dépendent encore de l'hôtel
de M"'« la duchesse de Duras. Le 53, à l'origine,
n'avait pas plus d'autonomie. Le 48 a été édifié,
sous le règne de Louis XVI, pour le compte de
l'Hôpital-Général ; une pension s'y établissait pendant
la République ; la duchesse de Damas y résidait'
sous la Restauration ; la famille de M. le comte
de Fermon l'a acheté en 1828.
Un ci-devant quartier de gardes-françaises, le
57 ! Ses murs épais se sont prêtés aux mo-
difications qui en ont fait une de ces l'uches
dont le miel se butine par terme de loyer ; seule-
ment, pendant qu'on réparait, un jeune cheval
anglais qui piaffait dans une écurie a mis h
découvert la bouche d'un puits profond, depuis
fort longtemps supprimé, et il a fallu procéder
au sauvetage du noble animal.
De cette tradition d'écurie remontons à une
RUE DE BOURGOGNE. 155
transmission, qui n'est pas moins orale, mais qui
l'egarde le théâtre. On dit que Molière a joué la
comédie, étant jeune homme, dans une petite salle
antérieure de soixante-dix ans à l'ouverture de la
rue, et qui était placée où se trouve présente-
ment le n° 50. De croire qu'on ait pris la licence
de confondre le théâtre de l'hôtel de Bourgogne
avec celui auquel la tradition fait allusion, le
moyen! La bévue ne serait-elle pas trop forte?
Il se peut parfaitement qu'un des seigneurs élevés,
comme Poquelin, chez les jésuites, ait eu sa petite
maison dans ces parages, et notamment Armand
de Bourbon, prince de Conti, son camarade de
classe. Le cardinal de Richelieu avait déjà mis
à la mode le goût des spectacles à Paris, et il s'était
déjà formé plus d'un théâtre particulier, où l'on jouait
Rotrou, Desmarets, Corneille et Scudéri, lorsque
Poquelin suivit Louis XIII i\ Narbonne comme
valet de chambre-tapissier, en remplacement de
son pèi-e, l'année 1641. Avant de prendre le nom
de Molière, Poquelin revint dans la grand'ville;
il réunit plusieurs jeunes gens avec lesquels il
jouait la comédie de société. Bientôt cette com-
pagnie nouvelle éclipsa les autres troupes d'ama-
teurs et fut dite V Illustre théâtre ; elle donna des
représentations rue deBuci, dans un jeu de paume,
mais en d'autres endroits aussi. C'est pour sûr à
cette époque-lâ que se rapporte Von dit dont nous
donnons l'écho.
Jean Joly, secrétaire des commandements du
prince de Condé, a fait bâtir en 1772 les n"'' 50
et 52, en même temps qu'on élevait le Palais-
Bourbon, et cette simultanéité a porté ensuite les
malveillants à croire que les matériaux de son
hôtel, touchant aux écuries delà reine, lui étaient
revenus à bon compte. Un joaillier fort connu,
M. Halphen, a possédé l'un et l'autre de ces im-
meubles ; mais le 50 avait été par excellence
156 , RUE DE BOURGOGNE.
l'hôtel Joly, et l'autre, qu'avaient d'abord occupé
des officiers de la maison de Marie-Antoinette,
est de nos jours h M"'^ de Nonjon.
Des provinciaux et des étrangers forment la
clientèle de l'hôtel garni de Thionville, depuis plus
d'un demi-siècle, au 58. L'hôtellerie antérieurement
connue dans la même rue arborait l'enseigne de
la Providence et était tenue par Bouten.
Quant au 71, son aspect a changé sous la
dernière république; la première avait vu en lui
deux propriétés bien distinctes. Citez-moi une paire
d'amis qui puisse dire, de nos jours, avec autant
de vraisemblance :
Nunc àuQ concordes anima moriemur in und !
Rue des Bourguignons, (i)
DOM LE RESTE EST MAINTENANT ABSOUHi; l>AH LE NOUVEAU
boulevard de Fort-Ko^al.
Les Jansénistes. — La Maison de Santé. — Les
Convulsionnaires . — M. Carré de Montgeron.
— Le Sacrilège. — Les Pénitences locales. —
L'Hôtel. — La Petite-Maison. — Les Hôtel-
leries de Faubourg. — Les Gardes- françaises.
— L'Ambulance de Vénus.
Le génie élevé de Bossuet, qui à coup sûr fut
gallican, ne saurait nuire à celui de.Bourdaloue,
que les ultramontains de notre temps ne sont
pas seuls à honorer. Le génie rapproche les dis-
tances, comme la vapeur, qui au xix*' siècle en
réalise l'image longtemps cherchée; il semble que
la grâce ait revêtu en lui son expression supé-
rieure à la controverse. Il est vrai que du vivant
de Bossuet, ami de M"*^ de Mauléon, on hésitait
déjà à le classer parmi les jansénistes, malgré
son peu d'accord avec les molinistes; on lui eût
volontiers reproché, de part et d'autre, le m«w-
léonisme. Il y avait plus que divergence d'écoles.
(1) Notice écrite en 1858. La rue des Bourguifjnons
existait encore ; elle n'est plus. Le nouveau boulevard
de Port-Royal s'en est applique : 1° une masure
avec un reste de jardin, laquelle viendrait en qua-
trième à gauche si le numérotage parlait de la rue
Saint-Jacques; 2° une maison que met au nouvel ali-
gnement, sous le i\° -26, la suppression d'un jardin
qui la précédait. Le boulevard passe au moyeu d'un
viaduc sur la rue de Lourciu'^, au niveau de laquelle
commençait naguère celle des Bourguignons.
158 RUE DE8 BOURGUIGNONS
deux partis étalent en présence; si l'un avait
pouf quartier-général, au cœur du quartier des
études, le collège de Clermont, autrement dit
Louis -le -Grand, les académies de Port -Royal
étaient le centre d'action de l'autre, et tout leur
voisinage de s'en ressentir. La carte de Paris
elle-même tenta de rapprocher les deux camps,
en prolongeant la rue Saint-Jacques, celle que
domina le collège des jésuites, aux dépens de la
rue qui faisait suite et côtoyait la maison de
Port-Royal. Mais le public religieux et le public
lettré n'admettaient pas sans résistance que le
laubourg Saint-Jacques se reportât, plus haut. Qui
pourrait même nier que, pour beaucoup d'entre
nous, une barrière se maintient encore entre
Louis le-Grand, quoique renouvelé, et les restes
de Port-Royal? Leur querelle aujourd'hui semble
éteinte, le feu n'en est que souterrain et laisse
à l'industrie le privilège d'attiser le feu des chau-
dières, où le génie moderne fait cuvée neuve.
En tant que raisonneurs, les disciples de Jansénius
ont fait faire plus d'un [»as à l'enseignement,
et, comme église dans l'Eglise, il n'a pas été
moins utile que ces rénovateurs vinssent renchérir
sur la rigueur des pratiques religieuses, qui ten-
daient au relâchement. On pourrait comparer
en quelque chose le jansénisme à ces modestes
pensions bourgeoises, si nombreuses de nos jours
dans le quartier qui a été le sien, et où vivent
en commun avec une quiétude monacale, en re-
grettant au lieu de protester, maints célibataires
des deux sexes, vieillards, convalescents et petits
rentiers, astreints au même régime sain, écono-
mique et réglé par l'ordoiniance d'un médecin et
par l'état de leur fortune. Les sectaires qui ap-
pelaient de la bulle Unigenitus s'étaient fait là,
avant ces invalides de la bourgeoisie de Paris,
mais à bien plus gi-ands frais de patience et d'es-
ET BOULEVARD DE PORT-ROYAL. 159
prit, d'éloquence et de savoir, une petite église
I de santé; on y protestait moins par conviction
que pour avoir une raison de plus de s'imposer
des pénitences, et elles étaient assez sévères
pour racheter jusqu'aux fautes du parti.
Hôtel de la Santé, ainsi s'appelait il y a dix
ans le modeste n" 35 de cette rue des Bourgui-
gnons qui avait mené à Port-Royal. Les balustres
de bois d'un petit escalier n'y dénoncent-ils pas
une construction antérieure aux querelles du jan-
sénisme? Avant d'être une pension bourgeoise,
cette maison h jardin a gardé pendant un siècle,
de père en fils, une tamille de jardiniers-fleu-
ristes, qui avait succédé <i Louis-Baziie Carré
de Montgeron, acquéreur en 1711 d'une charge
de conseiller au parlement. Remontons donc
jusqu'à ce magistrat.
Sa jeunesse a été livrée aux plaisirs ; mais,
parvenu à l'âge mûr, il appelle, puis il réappelle
de la bulle Unigénitus, et passe à l'état de co-
ryphée du jansénisme à l'époque des prétendus
miracles opérés sur la tombe du mémorable dia-
cre Paris. Il est paroissien de Saint-Jacques-du-
Haut-Pas, église métropolitaine de l'opposition en
vigueur, Saint-Médard ne venant qu'après ; mais
il prend à toute heure la rue tortueuse de l'Ar-
balète, pour assister, rue d'Oiléans, dans le cime-
tière Saint-Médard, au spectacle donné par les
convulsionnaires. Ces énerguménes, que l'exalta-
tion leligieuse rend épileptiques par les mérites
du saint quand même que Rome refuse de cano-
niser, se montrent insensibles aux coups et aux
l)iqûres, sans le secours apparent d'un agent anes-
thésique, et ils bénéticient de guérisons sans
douches. Lorsque l'archevêque Vintimille succède
au cardinal de Noailles, qui s'était monti'é favo-
rable, comme un certain nombre de membres du
160 RUE DES BOURGUIGNONS
clergé et la moitié du parlement, aux opinions de
Pascal et d'Arnaud, mais non aux Irénésies de
Saint-Médard, le cimetière transformé par les
convulsionnaires en un véritable théâtre est ri-
goureusement fermé, et Montgeron exilé momen-
tanément en Auvergne. Dès qu'il peut revenir à
Paris, il fait de son humble maison l'asile des
fugitifs à la poursuite desquels s'emploie Hérault,
le lieutenant-de-police. Puis, par un beau jour de
juillet, en l'année 1737, il se rend à Versailles,
présente au roi ex-abrupto son livre. De la Vé-
rité des miracles du diacre Paris; il fait ensuite
la même surprise au duc d'Orléans, au premier
président et au procureur-général. C'est un héros!
disent quelques-uns; voilà un fou! s'écrient bien
d'autres. Mais Louis XV, qu'a blessé l'hommage
du plus bravache des jansénistes, prend un terme
moyen en l'envoyant à la Bastille. Sur la demande
de sa compagnie, la captivité de Montgeron est
commuée en un autre exil ; il peut donc écrire
d'autres livres, avant que son corps à Grenoble
soit ébranlé par une convulsion suivie de l'éternelle
insensibilité.
Au reste, la rue des Bourguignons, dite seu-
lement de Bourgogne par Gilles Corrozet, premier
iiistorien de Paris et libraire, avait à se purger,
depuis l'année 1688, d'un sacrilège incontesté.
C'était alors un chemin sans pavé, qui ne com-
mençait au champ des Capucins qu'à l'endroit où
depuis on éleva, signe de réparation durable, une
croix de la Sainte-Hostie. Là trois voleurs avaient
jeté furtivement, au pied du mur du Val-de-Grâce,
toutes les hosties d'un saint-ciboire pris, après
effraction du tabernacle, dans l'église Saint-Martin
au cloître Saint-Marcel. Une cérémonie expiatoire
avait été célébrée audit lieu, et une procession
annuelle en rappelait solennellement le jour.
Les constructions de cette rue ouvrière, où
ET BOULEVARD DE PORT-ROYAL. 161
chacun avait le droit de travailler pour son pro-
pre compte sans maîtrise, étaient en 1714 au
nombre de 19, pour la plupart petites ; toutefois
elles jouissaient déjà de leurs 7 lanternes la nuit.
Presque toutes ces maisons se reconnaitraienl
encore, et il en est plus d'une qui semble avoir
repris, en mémoire du crime dont la rue s'est
purgée et ne se souvient plus, le cilice de la
pénitence. Celles-là ont fait vœu de pauvreté sans
doute, car on s'y chauffe de cendre, au lieu de feu ;
leurs fenêtres à coulisses sont des bouches de
brèche -dents, qui s'ouvrent et se referment
sur d'incessantes grimaces, et dont la bave de
loques éraillées fait imparfaitement l'office des
bourrelets. Les locataires de ces bouges sont à
coup sûr plus nombreux que leurs meubles ; dès
qu'ils ont hérité d'une chaise à quatre pieds,
d'un rideau, d'une gravure en cadre, d'un pot à
l'eau et d'une seringue, ils exposent bien vite
h leur porte ce lot d'objets de luxe à vendre.
Il n'en est pas de même du 27, pensionnat de
garçons, qui a été l'hôtel d'une famille Verteuil
ou Verneuil, succédant à la maisonnette d'un jar-
dinier, qui en payait loyer au sieur Mathieu. Les
Verneuil, maison noble et originaire de Bretagne,
servaient dans les armées ; un des leurs était
prêtre et docteur en théologie lors de l'avéne-
ment de Louis XVL Quant au marquis de Verteuil,
nous avons vu des poules et des pourceaux vaguer
en plein Médoc, dans son ancien château, le
Bourg-Dieu, et nous gardons un savoureux souve-
nir du produit de ses anciennes vignes seigneuriales,
entre Chàteau-Lafiitte et Saint-Estèphe, suj- la com-
mune de Verteuil. M. Chéri Blanchard a depuis
restauré le castel, et ses vins valent ceux de
Château-Laffitte.
Presque en face de l'ancienne maison bourgeoise
dont nous parlons, s'est formé le cul-de-sac
102 RUE DES BOURGUIGNONS
Hautefort vers la fin du xvii* siècle, sur un terrain
appartenant h la tamillo de M'"= de Hautefort, que
Louis XIII a aimée platoniquement. Le chevalier
d'Hauteforl y avait deux maisons en 1724, avec
Charles de Bourbon, comte de Charolais, pour loca-
taire. N'a-t-on pas peine ii croire que ce prince,
connu surtout par ses d('bauches, ait fait choix
d'une villa en si bon air dans le but d'y étudier
les simples, ou pour se rapprocher des leçons
de Port-Royal ? Un assez grand terrain, au fond
de l'impasse, est cultivé encore par un horticul-
teur.
Le 10 et le ll2 ont conservé une apparence
assez bourgeoise : l'un de ces deux immeubles
a vu naître, nous dit-on, M. AUard, naguère le
chef de la police de sûreté ; l'autre a été plus
récemment acquis par un portier de la rue de
Rivoli. Que Dieu soit loué si sur notre âge de
de fer il s'ouvre encore plus d'une porte d'or !
Mais comme il faut qu'on ait graissé le marteau,
au lieu de demander tout simplement le cordon !
A l'appel de l'hôtel de Saye, qu'on distinguait
près de la rue Lourcine sur la fin de l'ancien
régime, nul immeuble ne répond militairement :
Présent! Ce silence nous donne à penser que
M. de Saye habita la propriété Hautefort ou celle
Verteuil. Voici, en revanche, mie patrouille d'hô-
lolleries de faubourg, dont le petit détachement
est commandé par l'hôtel de Bourgogne, où logent
des officiers de la caserne de Lourcine. Cette
maison meublée et le n'' 4 ont formé un quar-
tier de gardes-françaises ; un hôphal spéciarl y a
même été ouvert à ladite garde, en l'année 1745,
par la générosité du maréchal duc de Biron,
pour le traitement des maladies de Vénus : le
service en était confié au chirurgien Keyser, qui
demeurait rue Saint-Louis- en-l'Ile.
ET BOULEVARD DE PORT-ROYAL. 163
Littéralement à l'entrée de la rue, deux bâti-
ments grognards font sentinelle et ne demandent
pas encore à être relevés, bien que la faction
puisse compter : l'un, \e n° 2, n'a pas cessé de
se tenir aussi droit qu'un garde-française présen-
tant arme au maréchal de Saxe; l'autre, dont
les jambes alourdies ne laissent pas que de plier
sous une consigne qui date de deux siècles, reste
à cela près fixe au port-d'arme.
Rue Bourtibourg^. (i)
N«^ 1, 6, 9, 10, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
et 22.
Dans une auberge voisine de celle rue descend
encore un messager de; Fontainebleau, qui va et
revient tous les cinq jours, pour mieux dire toutes
les cinq nuits. Celui d'il y a cent-cinquante ans
avait son adresse de Paris rue Bourtibourg, à
l'image du Comte-Robert. Les coches par terre
et par eau suffisaient encore moins aux commis-
sions à faire que le chemin de fer aujourd'hui,
et la Poste confiait d'abord au messager le trans-
port des dépêches. Il trouverait maintenant les
sacs trop lourds, la capitale démesurée, le che-
min à y suivre méconnaissable et son quartier
aussi. Il demanderait où est la place du Marché-
Saint-Jean (2); mais il ne saurait reprocher à la
rue Bourtibourg, qui y donnait, d'avoir pris un
travestissement, dans le carnaval imposé à tant
de rues et de maisons ! L'éclairage y était de
8 lanternes, rayonnant pour 35 propriétés, et le
nombre de celles-ci n'a subi qu'une diminution
peu sensible, qui vient principalement de sub-
divisions supprimées çà et là.
Le territoire d'un ancien cimetière de Saint-
Jean-en-Grève avait non- seulement aidé à la for-
(1) Notice écrite en 1858.
(2) On a pourtant sauvé de cette place de quoi
faire une rue du même nom, entre les rues dr» la
Verrerie et de Rivoli.
RUE BOURTIBOURG. 105
mation de la place, mais encore servi à la
construction de plusieurs maisons de la place et
de la rue. Des juifs y pullulaient, malgré cette
consécration originelle. Mais la malédiction royale
n'y était pas moins légère à la terre depuis
qu'on y avait rasé l'hôtel de Pierre de Craon,
qui avait tenté de faire assassiner le connétable
Olivier de Clisson, en 1392. La rue Bourtihourg,
à cette date, comptait déjà plus de deux siècles
et demi d'existence, et elle abontissait en face
de l'hôtel de Craon. Sa dénomination venait d'un
boin^g appelé le Petit-Bourg, ou dont le colon
principal était ïhibourg : les historiens de Paris
se sont encore divisés sur ce point.
Le n° 1 de ladite rue n'a toutefois rien de
caduc; il a suffi d'en reprendre le rez-de-chaus-
sée en sous-œuvre pour le mettre au niveau du
soi de la nouvelle rue de Rivoli, qui avait en-
globé la place, et la façade a gagné sui- la cave
plus d'un mètre à ce déchaussement. L'im-
meuble avait appartenu au marquis de Fénélon
avant la Révolution. Quel beau jeu de (juilles on
ferait des balustres d'escalier d'un garni, au
n" 6! L'époque de François P'" a dû acconcher
de cette maison, dont le ventre grossit à son
tour; mais ce n'est plus signe de fécondité, c'est
une dittbrmité, produite par les années, qui vaut
encore mieux qu'une bosse ii la façon de Tri-
boulet : nne maison trop serrée par-derrière ne
peut se faire dodue que dans le sens contraire.
Le iO, où se retrouve une belle porte, a dû ne
former qu'un avec le 12,
i]n des dues de Vendôme, fils et petit-lils de
Henri IV, eut son hôtel en face, dans une maison
peinte en vert, couleur assurément locale pour
l'herboriste qui y vend des feuilles de poirée et
des queues de cerises. Des ti'umeaux au-dessus
des glaces, un escalier superbe h. marches de
11
IflO RUE BOURTIBOURrx.
piei're et à rnmpe de fer, im autre dans le fond
:\ balusti'es de bois, une porte qui au besoin rece-
vrait deux carrosses de front et des caves vrai-
ment magnitiques, voilfi ce qui a survécu des
splendeurs de cette résidence, dont l'entrée prin-
cipale fut néanmoins à l'origine dans la petite
rue de Moussy, aujourd'hui fermée aux voitures (i) :
la façade sur la notre paraît moins ancienne.
Cette maison fut achetée en deux lots (1674-1681)
par le savant apothicaire GeotTroy, ancien éche-
vin, et celui-ci pour l'agrandir, en 1688, prenait
de la fabrique de Saint-Jean ;i bail emphytéotique
10 toises de terrain environ, qui avaient fait par-
tie du cimetière de cette église et attenaient au
mur de l'hôtel. Etienne-François Geoffroy, lils de
l'apothicaire, lui succéda cïe toutes les maniè-
res, et ce professeur éminent de cliimie et de
médecine, (pii était membre de l'Académie des
sciences, vécut jusqu'en 1731. Trente-sept années
plus tard, Claude-Joseph de la môme famille, na-
guère commissaire des guerres, était d'accord
avec les créanciers du feu son frère, avocat,
conseiller du roi, pour vendre 72,100 livres l'an-
cien hôtel de Vendôme, (dont les trois corps de
bâtiments rapportaient alors 4,000 livres ii Charles-
Nicolas Marlot, conseiller du roi, syndic des ins-
pecteurs des vins, syndic des olliciers mesureurs
de charbon). La propriété tenait à cette époque
du côté droit ;i La Marguerie-Langelet. un con-
seiller au pai'lement, du côté gauche à Serville, mar-
chand de vins. Quant aux droits censuels, les
(1) Depuis lors, l'une des deux grilles Je la i)etil.e
x'iie de Mour-sy ne s'ouvrant plus du tout, la o'rniila-
tion y est interdite aux piétons. Ce demi-emprisonne-
ment soulève, mais on vain, les réclamations des habi-
tants de cette ruelle, qui par le fait n'est qu'une
impasse.
RUE BOURTIBOURG. 167
parties contractantes ne savaient déjà plus i\
qui ils étaient dus; mais le Temple, à coup sûr,
n'y avait pas droit : l'acte en faisait tout sim-
plement réserve. Au commencement de la Répu-
olique, le bail de 99 ans relatil" aux 10 toises
de terrain étant venu à terme, la Nation les fai-
sait vendre, avec le corps de logis s'y élevant,
dans la section des Droits-de-l'Homme, dite en-
suite du Roi-de-Sicile, et ce nouveau propriétaire,
substitué aux fabriciens, y avait mitoyenneté avec
le citoyen Marlot, avec le détenteur d'une autre
maison bâtie aussi sur le sol de l'ancien cime-
tière, et au fond avec la citoyenne Lesseville. L'ad-
judication fut prononcée au profit du susdit Mar-
lot, ci-devant usufruitier.
Que si nous mettons le plan de Gomboust sur
le tapis, nous y remarquons rue Bourtibourg
un autre liôtel (actuellement n"' 15, 17 et 19)
qui avait, lui aussi, une porte rue de Moussy.
De prime-abord ce fut le séjour des Nicolaï,
plusieurs fois présidents de la chambre des
comptes de père en fils depuis le règne de
Louis XII, et Colletet ne connaissait encore en
1664 ce logis magistral que sous leur nom. Ils
eurent pour successeurs, dans la rue, Nicolas
d'Argouges, lieutenant-général des armées du roi,
colonel-général des dragons, en laveur duquel les
baronnies d'Arnbec et de Rannes furent érigées
en marquisat, et père de Louis d'Argouges, maré-
chal-de-camp. Ce dernier eut lui-même un de
ses fils lieutenant-colonel des dragons de Chapt
et une fille, Marie-Thérèse, abbesse de Chaillot.
Un lieutenant-civil fut aussi membre de cette
famille, dont la sépulture décorait l'église Saint-
Paul d'une des plus belles œuvres de Coyzevox.
Toutefois, en l'année 1780, une portion de l'hôtel
d'Argouges était louée à M. d'Outremont, con-
seiller au parlement. Vers le milieu de la rue,
1G8 RUE BOURTIBOURO.
sui' In mémo ligne, quati'o maisons apparlenaiont
alors au sieur Masson.
C'est encore une porte magislrale qui se ferme
sur le 14, qu'on a refait il n'y a pas longtemps,
et que l'avocat Pauly, conseiller du duc de Bouil-
lon, habitait du temps d'Outremont et de Masson.
Le 16, le 18 et le 20, sénile construction à trois
corps, dont deux sur la rue, nous représentent un
liôtel sans notoriété hisloriiiue, bien qu'il remonte au
règne des Valois, Nous y remarquons, en passant
outi'e à une vénérable porte cintrée, un escalier h
rampe de chêne, penché sous le poids des années
encore moins (jue par l'inquiétude, et reculant devant
maintes cheminées qui menacent ses débris futurs :
il périra, en etïet, par le feu, et chaque pas des
générations qui se sont succédé depuis trois siècles
sur ses marches, l'a rapproché, mais avec une
lenteur qui a pu faire des jaloux, des chenets où
luira sa tombe. La division de cette propriété
date des dernières années du roi Louis XV. En
1764, Guyot en acquérait de Bachelier une part ;
à quatre années de là, Blanquier, baron de Trélan,
prenait des arrangements pour succéder, dans un
autre corps de bâtiment, à Charron de Liancourt,
son beau-frère, et la même famille y payait encore
l'impôt foncier sous Louis XVÎIL
C'est vraiment la rue aux grandes pcu'tes ; j'en
attCvSte à son tour le n" 22, ancien logis de niagis-
trat, que desservent deux escaliers ii belle ferrure.
Propriété plus vaste, le 21 a eu pour fondateur
un négociant en produits coloniaux, quand Lafayette
était en Amérique ; un appartement principal avec
balcon donnait sur un jardin, supprimé depuis
vingt années. Rien à vous dire des numéros sui-
vants, en' dépit du temps reculé on fut posée leur
première piéride.
Rue Boiitebrics (i)
Que de rois et reines, déchus, caplils, exilés
ou décapités, ont eu l'iioinieur de laisser derrière
eux, glorieuse exception à coup sûr, des courti-
sans "de leur malheur ! La tlatterie, en général,
ne survit pas à la lortune des grands ; toute
hdélité posthume prend, en revanche, la propor-
tion d'un culte. Les rues-martyres, quand bien
môme un palais, en les prenant pour avenue, eût
rendu leur chaussée auguste, n'ont vraiment pas
jias à espérer cette supi'éme consolation des rois.
La même décollation met un terme à leur vie et
à leui' majesté. Une rue royale peut devenir un
marché sans ({ue persoime se lécrie ; une t'ois
(pi'elle a disparu, l'un regrette encore sa vieille
maison qui n'est plus, l'autre en secret pleure
sa délunte chambre, un ti'oisième se rappelle avec
attendrissement le bail de sa boutique humide ;
mais de la voie publique, quand bien même le
char triomphal de César l'eût inaugurée, plus un
mot. Dire <jue les grands se plaignent si Tort
d'être oubliés après leur vie ! Si les rues suppri-
mées pailaient, elles auraient bien, je crois,
d'autres griel's contre les nouveaux boulevards,
(1) Notice écrite en 1H58. La rue Boiiiebric venait
de iierdre un quadrille d'immeubles aux angles de la
lue du Foin, riuc remplace pour elle un tronçon du
boulevard Saint-Germain. Les maisons qui survivent
du côté des numéros pairs sont [)lus que séculaire».
Mais l'élargissement de la rue fait des impairs les éti-
(luettes d'un étalage neul', principalement composé des
ia(,:ades d'une maison de secours et d'une école de
lilîes au service du v^ arrondissement.
170 RUE BOUTEBRIE.
OÙ leur ancienne place n'est pas même indiquée
par un ormeau ou par une borne.
La rue Boutebrie, quant h elle, n'était pas con-
damnée à mort ; seulement on a fait choir sa cou-
ronne dans le macadam, en plein boulevard Saint-
Germain. Le chef branlant de ladite rue, née dès le
xni'' siècle, portait tout dernièrement encore, comme
un diadème, la maison de la reine Blanche. C'était
l'ancien hôtel d'Henri de Marie; une reine l'avait
habité, peut-être même la mère de saint Louis. Tant
de pignons et de tourelles, il est vrai, ont passé pour
ancien séjour de la reine Blanche qu'on a été
heureux de découvrir la probabilité de quelque
équivoque historique. Toutes les reines, une fois
veuves, étaient ainsi nommées dans le principe,
parce qu'elles portaient le deuil en blanc. Anne de
Bretagne fut la première à le porter en noir,
quand elle perdit Charles VIIL
En l'ace de l'ancien séjour de la leine se trou-
vait naguère une caserne; on avait du moins
aft'ecté à cet usage, en l'an xui de la Bépublique,
les bâtiments du ci-devant collège de Maitre-Ger-
vais. Ce nid, oîi des boursiers étaient cléricale-
ment couvés pour éclore prêtres et pédagogues,
avait été l'ormé en 1370 de cinq brins de mai-
sons, dont trois rue Boutebrie et les deux autres
l'ue du Foin-Saint-Jacques, où donnait la maîtresse-
porte de l'institution. La fondation de ce collège
sans exercice était due h Gervais Chrétien, cha-
noine de Paris, et ladite pédagogie, quelle que
fût sa modestie, jouissait de droits seigneuriaux :
une maison de la rue Mondétour, entre les rues
de la Chanvrerie et du Cygne, était dans la
censive du collège de Maître-Gervais, laquelle y
faisait face à celle du franc-lief de .loigny.
Cet établissement n'avait pas lieu de se croire
aussi vieux que la rue, qui était partiellement
construite dès l'année 1250 et qui ne se rac-
RUE BOUTEBRIE. 171
courcit, en somme, que bien longtemps après
sa première dénomination. Boutebrie est une con-
traction d'Ere)nbourg-de-Brie . Au xvi'' siècle on
a essayé de dire : rue des Enhmimeicrs. Cette
qualification n'a sans doute eu que la durée d'un
bail, passé à ce corps de métier, pour son bu-
reau, ou a des maîtres en vue. Bien des indus-
tries, il est vrai, se disputaient alors ce quar-
tier, d'autant plus vivant qu'il s'y trouvait la
grande Poste.
Le collège Louis-le-Gi'and était propriétinre,
dans lu rue Boutebrie, de (}uatre maisons se fai-
sant suite : la maison du sieur Denoux y atte-
nait, sous la Régence, au Nord, et la rue du Foin
au 3Iidi. De l'autre côté, le même collège en
avait une, plus méridionale (lue celles de M. de
Silvy et de M. Lizardu-Cormier, qui la suivaient.
L'iiuile de la Ville alimentait alors 4 lanternes
dans cette rue, sur laquelle 19 toits épanchaient
l'eau du ciel.
M. Rousseau, ([uc la |)luic y surprit au tort
des recherches à taire de porte eu porte qui
sont souvent sa part de collaboration à notre
livre, ne se plaignait pas ce jour-là des plombs
modernes : ils remplacent bourgeoisement, pour
les maisons particulières, les gargouilles élevées
(pii lancent encore, du haut des palais, des
trombes d'eau crevant les parapluies. Mais il est
j'are que la pluie tombe en ligne perpendiculaire,
ce qui donne un grand avantage, pour les pié-
tons, aux rues étroites sur les larges boulevards.
Une averse, quand le vent se met de la partie,
ménage, soit à gauche, soit à droite, la moitié
de la rue Boutebrie. Pour n'en pas recevoir uue
goutte, le prudent M. Rousseau non-seulement
choisit son côté, mais encore y reste sous une
porte où un 7, nombre de la pléiade, n'est visible
que du côté où il pleut le plus fort. L'abrité en
172 RUE BOUTEBRIE.
reçoit pourtant comme une éclaboussure en plein
visage; il y porte la main, qui en est aussi ar-
rosée : un mince tilet d'eau, mais à jet continu,
le poursuit horizontalement dans ses retranche-
ments. Comment ne pas croire qu'un gamin,
adroitement caché, braque d'en face un petit
modèle de l'arme des apothicaires? Mais, en pro-
férant de vaines menaces, l'innocente victime s'a-
perçoit qu'un tuyau engorgé, où l'eau se fait jour,
est Tunique mystificateur. Pour passer sa mau-
vaise humeur et se sécher, M. Rousseau de
rentrer dans le rôle d'éclaireur historiographique,
auquel il a fait diversion par envie de guetter au
passage maints bas blancs qui se décollettent, pour
préserver maintes jupes de mouches de crotte ne
demandant elles-mêmes qu'à monter. On lui indi-
que la chambre qu'habite au troisième étage un
vieillard, ayant accoutumé de représenter en tout
un propriétaire invisible. Les diverses questions
d'usage sur l'âge et l'origine de la propriété sont
adressées poliment à cet homme, dont le visage
exprime la méliance, et l'intérieur une vraie mé-
diocrité, que ne dore pas la moindre poésie; mais,
avant d'y répoHdre, celui-ci veut savoir dans quel
intérêt on les pose. Force est donc à notre en-
voyé de refaire, pour la millième fois, le pros-
pectus de la publication; cependant, au lieu d'étu-
dier, sur la rustique ligure de l'interlocuteur, l'eftét
que produit son discours, il copie sans en avoir
l'air, sur son carnet, des noms, dates et inscrip-
tions, que la décrépitude du badigeon rend dé-
chiffrables, sur un mur sans papier :
Simon, Claude et Marie Mahu, enlumineurs, 1572.
— Germain, ilhiiiiinc. — Sijîvain aime Glorictte à tou-
jours. — Pamieudo, né à Lisbonne le 20 mai 1690. —
Oraiio, jejuniuin, seiiecius, œs triplex. — Loyson, commis
aux aides. — Naissance de Régulas Thomas le 2 prai-
rial au ni et de Pliociou-Decius Thomas le 1-i tri-
RUE BOUTEBRIE. 173
maire an v : signé le citoyen Thomas, employé chez
le citoyen Saugraiu aux réverbères. — Mort à Bailly !
vive Robespierre' vive Cavaignac! — Gagné nn terne
le 10 janvier 1821. — Jean Pruneau^ 2™e de luédeciue.
— Atala. — Adèle Crujot. — Clara Fontaine. — Vive
la Charte ! — Boquillon et Soutou, élèves en phar-
macie. — Jules Clopin, homme de lettres. - Indiana
Soufflard. coloriste. — A bas Cavaignac! vive Barbes!
— Monsieur, finit par dire le vieillard au pro-
pagateur mal compris, je ne lis pas dans ces
livres-là; si mon lils n'était pas huissier h Beau-
gency, il donnerait son avis là-dessus; mais moi!...
J'étais cncoi"e fruitier rue de Kohan, il j acincjans;
par malheui" mon bail allait linii-, je n'ai presque
pas eu d'indemnité.
— Alors, lui dit M. Rousseau, il était superflu,
mon brave, de me faire d'autres objections. • Heu-
reusement la muraille parlait, j'ai écouté. Votre
maison, qu'on a i-eplàtrée il y a ini ou deux siè-
cles, est du temps de Charles IX,
— Diable soit des démolisseurs! reprend le
vieillard, qui croit enfin deviner de quoi il re-
tourne.
— Bonhomme, rassurez-vous. Au lieu d'abattre,
je compte ce qu'on nous a encore fait la gi-âce
d'épargne)'.
— Oh ! que nenni, continue l'autre. Sans les
démolitions. Monsieur, savez-vous que j'aurais
mené une vie très-heureuse? J'ai eu deux avan-
tages qui manquent à bien d'autres, une l'emme
très-sage et un fils homme d'esprit.
— L'un de vos deux bonheurs. Monsieur, sem-
ble en effet très-peu compatible avec l'autre. Mais
la pluie a cessé ; mes renseignements sont pris :
je vous olîre mes salutations.
Rue de Braque, (i)
Liste des propriétaires de cette rue, de 1779 à 1789
(Hôte gtintljc
Les i-eligieux de la Merci.
Mauduit de Tavers.
Nicolaï, ancien premier pré-
sident de la chambre des
comptes.
M"'« Calie}-.
Bournigal, huissier du roi.
(iloté broit :
Le comte de Briqueville.
Le marquis de Ja Grange.
Joly de Fieur}', procureur-
général au parleuieul.
Les Trudaine.
Mlle de Valory.
Pajf't de Juviej.
TJne poterne ^^ervait de limite à la ville, dans
reuceiiite de Philippe-Auguste, à l'endroit où Ar-
noul de Braque, en 1348, lit bàlir la chapelle et
l'hôpital de la Merci, dont il subsiste un éditice,
(lue nous retrouverons en parlant de la rue du
Chaume, et des débris ^ l'un des angles formés
par cette lue et celle de Braque, ha laniille de
ce nom, dont taisait partie Germain Braque, éclie-
vin sous Charles VII, avait sa sépulture à la
Merci ; mais, avant de se nonnner comme elle, la
rue s'était appelée des Boucheries-du-Temi)le, à
cause d'une boucherie qu'en il8i^ y avaient
établie les chevalieis de cet ordre, dont les
droits seigneuriaux étaient encore perrus par
la comnianderie du Temple en 1789. Celte voie
publi(|ue, au surplus, a vieilli sans changer
grand'chose à la disposition extérieure de ses
<leux j'ives depuis la lin du règne de Louis
XIV ; à cette époque, la Ville, par une pro-
{\) Notice éciilc eu 18."iy.
RUE DE BRAQUE. 175
digalité exceptionnelle, entretenait presque une
lanterne par maison, pour éclairer aux habitants
de la rue ; il est vrai que, comme on va voir, la
qualité expliquait le crédit des d^x propriétaires
de ce temps-là.
Girard, procureur-général en la chambre des
comptes, tenait de son père et laissait à sa tille,
la duchesse de Brancas, un hôtel dont il est resté
quelque chose au n" 3; la marquise de Beauvau,
née de Brancas, en héritait ensuite, avant que
Mauduit de Tavers, syndic des contrôleurs oi-
dinaires des guerres, gérât ce bien de ville pour
le compte de son frère, irappé d'interdiction. Le
5 appartenait à la marquise du Luc, femme d'un
lieutenant-général, et ne passait qu'ensuite à Ay-
mard-Jean Nicolaï, marquis de Goussainville, qui
demeurait place Royale.
Le plan de 165!2 nous montre un grand hôtel,
qui vient ensuite et qui se rattache alors à un
j)lus grand, dit séjour des Montmorency ; ce der-
nier donne rue Sainte-Avoye (maintenant du Tem-
ple) ; ses jardins vont toucher ceux de l'hôtel
Novion, impasse Pecquay, et son gigantesque
pourtour englobe d'autres maisons de la rue Sainte-
Avoye, ainsi que l'hôtel Sourdis, rue de Paradis (i).-
En cet hôtel Montmorency est mort le connétable,
après la bataille de Saint-Denis; Henri II, quel-
que temps avant, y rendfiit d'assez fréquentes
visites h cet adversaire des huguenots pour qu'on
le dise ancien logis du roi. Beaucoup de l'im-
mense hôtel et la totalité de son annexe, rue de
Braque, passent, avant la fin du suivant siècle,
entre les mains de Jean-Antoine de Mesmes, (jui les
(1) Maiutenant annexée à la rue des Francs-Bour-
geois.
176 RUE DE BRAQUE.
fait tous deux rétablir postérieurement sur les
dessins de Bulet et de Germain Bertrand.
Bientôt l'illustre magistrat est nommé pi-emier
président et de rAcadémie-Française. Son collè-
gue Déspréaux lui dit : — Je viens vous voir
pour être lelic lé d'avoir un collègue tel que
vous... Mais les bureaux de la banque de Law
sont installés, pour commencer, dans un bâti-
ment du ci-devant séjour Montmorency; le pré-
sident, au nom du parlement, en tait l'objet de
remontrances respectueuses au régent, qui le Ibnt
exiler à Pontoise. Seulement, d'autres sujets de
remontrances ramènent, une lois réintégré, le
président près du clief de l'Etat, qui un jour le
paie d'un gros mot, réponse extra-parlementaire.
— Monseigneur désire-t-il, réplique le magistral,
(lue sa réponse soit enregistrée'/
Or ou appelle |>elii hôtel de Mesmes cette mai-
son (n" 7) ({u'iiabite postérieurement M. de Ver-
gennes, ministre de J.ouis XVI, (pii a lait recon-
naître aux Anglais rindépendance des Etals-Unis.
Les bureaux de la lecelte-générale des linances oc-
cupent à la niénie épo(jue le plus grand des hôtels
de 31esmes, où les remplacent i)eu de temps après
ceux de l'administration des Droits-Réunis, qu'a
créée et organisée le génie du comte Français de
Nantes. Puis cette i>ropriété considérable est divi-
sée par lots. Mais celle de la rue de Braque a été
achetée en 1707 du marquis de 3Iesnies, seigneur
de la ^haussée, maréchal-de-canq), par Kaynat,
receveur-général des rentes de l'Hôtel-de-Ville, cl
Kaynat en a gratitié la veuve du financier Bronod,
sa légataire universelle : elle appartient de nos
jours à M. Ticquet, maire de la commune du
Mesnil.
Du vivant de (iomboust, l'hôtel en regard de
la Merci a nom Baiileul. Le président Bailleu),
RUE DE BRAQUE. 177
seigneur de Valois, y a pour successeur le che-
valier Bailleul, seigneur de Champlàtreux ; puis
l'hôtel passe à Jean Mole, ensuite à Mole de
Champlàtreux, président à mortier. No«^l Boulon,
marquis de Chamilly, on est ajirès cela pio-
priétaire. Gros et grand homme, an dire de Saint-
Simon, hrave et rempli d'honneur, excellent maré-
chal de France, mais d'un esprit au-dessous de
son bâton, peu capable d'inspirer l'amour. Néan-
moins cet ancien lieutenant de Schomberg s'est
épris d'une religieuse assez sensible pour lui
écrire douze lettres mémorables sous le titre de
Lettres d'une Portugaise. Le conseiller l-'lorent
de (iuignonville a trailé ensuite de l'hùtel, et il
a eu pour héritière sa lllle, marquise de la Lni-
zerne, belle-mère du comte GeolïVoy-Cyrus de
Briqueville.
Le numéro suivant n'est qu'une moitié de
l'hôtel que Joseph Le Lièvre, marquis de la
Grange, maréchal-de-camp, gouverneur do Brie-
Comte-Robert, a liéi'ité de son père, grand-con-
seiller, acquéreur des Galland, secrétaire;-! du grand-
conseil. L'autre moitié, par suite d'un partage
devenu détinitil' en 1740, appartient à la sœur
du maréchal-de-camp, femme de Joly de Fleury,
lequel a succédé ;\ d'Aguesseau comme procureur-
général au parlement ; c'est justement à la même
date (|ue notre émineut magistrat, qui a été aussi
sous la Régence meml)re du conseil de conscience,
s'adjoint son hls aîné, en lui assurant la survi-
vance de sa charge et en lui abandonnant son
hôtel de la lue de Braque. En somme, l'archi-
tecture de ces n"' 4 et f» prouve snraijondamment
la communauté d'oi-igine ; leurs escaliers remai--
(juables sont tout pareils; plusieurs plalbnds illustrés
dont l'un (n° 6) est une magnifique peinture de
Lebrun, qui i-eprésente la Justice, font regret-
ter les grisailles disparnes qui décoraient les
178 RUE DE BRAQUE .
pièces voisines. M'*'^ Blanche de Caulaincourt,
veuve du duc de Vicence en 1827, posséda l'un
et l'autre de ces hôtels jumeaux.
Quant aux propriétaires du côté droit de la rue
qui figurent encore dans la petite liste placée en
tète de notre notice, c'étaient : 1° les tuteurs
honoraire et onéraire de (Iharles-Louis et de
Charles-Michel Trudaine, fils du ministre ; 2"
M"'' de Valory, fille d'un lieutenant-général, seigneur
de Bourgneul", dont l'épouse était légataire uni-
verselle de Claude-Louis Aubry, son beau-père,
colonel des dragons de Bellisle, décédé en 1709 ;
8" Charles-François Pajot de Juvisy, seigneur des
Pavillons, gouverneur d'Auch, qui avait eu pour
prédécesseurs au même endroit Michel-Robert Le
Peletier, comte de Saint-Fargeau , conseiller
d'Etat, et Pierre Bruneau, seigneur de Maulevrier.
Il ne nous reste plus à ajouter que, M. de Necker
étant ministre, la famille La Michodière jouissait
d'un des hôtels angulaires de cette rue, dans laquelle
les honneurs d'un cabinet d'histoire naturelle étaient
laits par le comte de Carbury.
Rue de Bretag^ue. (i)
Promenade rétrospective entre les Rues dn Temple,
et Vieille-du- Temple.
René Moreau, savant médecin, cessa de vivre
quelques années avant le cardinal de Mazarin; il
laissait une bibliothèque considérable et différents
écrits en latin, de sa composition, sur la méde-
cine et la chirurgie, qu'il avait pratiquées et
enseignées, outre qu'il avait traduit de l'espagnol
en français un Traité sur le Chocolat, d'Antonio
Calrnonero (Paris, 1643, in-Zt"). Moreau, premier
médecin do la dauphine, tenait de René Moreau
un terrain sur lequel a été bâtie en iG98 l'avanl-
dernière maison de la rue de Rretagne, côté des
numéros impairs. Porte coclière l)ien aristocra-
tique pour le tonnelier Denis, habitant et pro-
priétaire au commencement du règne de Louis
XVI! Sans comptei' qu'il y avait une cour entre
cette porte et le bâtiment, qui maintenant est
celui du fond.
Aux n°' 63 et 61, dont les petites portes et
les façades ont été refaites, se rattache le nom
de Claude Fagot, qui acquit cette propriété des
religieux dits les Enfants-Rouges, en 17rJ4; toute-
fois, si nous remontons cent-huit années plus
haut, nous y trouvons maître Jean de la Rarre,
procureur au grenier-à-sel. Puis vient un rez-de-
chaussée, surélevé d'un étage, où sont les ate-
liers d'une manufacture d'aiguilles, et qui appar-
tint aussi aux Enfants-Rouges ; il ne figure pas,
(1) Notice écrite en 1858.
180 RUR DE BRETAGNE.
comme les propriétés voisines, dans le Papier
terrier de la Cornmanderie du Temple, dressé de
1779 à 1789, par le bailly de Crussol, pour le
duc d^Angoulème, grand-prieur de France, et
cette omission doit signifier qu'il n'était pas
dans la censive du Temple.
Un fronton continue à décorer l'entrée du 57,
maison d'origine nobiliaire, qui en fit deux au
XVII'' siècle et (|ui devint une brasserie en l'an xiii,
du côté le plus procbe du Temple. Elle avait eu
pour maîtres des d'Kntragues, et ceux-là étaient
à demeure ; des Sourdis, alliés aux d'Entragues ;
un comte de Verdon ^t un marquis de Varenne,
fils du seigneur de Verdon-le-Bailly, qui l'avait
achetée, en 17oo, d'un curé du diocèse de Hlià-
lons-sur->rarne. Le Terrier précité en faisait tenir
le propriétaire « vers Orient, à M. le comte de
Gaucourt et d'autre part, à M. Louis-Paul de
Zéneaulme. »
(le comte de Gaucourt, brigadier du roi et
enseigne des gendarmes de sa garde, n'était que
ju'opriétaire du n" SS : il demeurait quai Mala-
quais. Fieubet, marquis de Sivry, avait laissé à sa
fille, M""' de Gaucourt, cette maison, que Fieubet,
iîbancelier de la reine, avait payée en 1680 aux
d'Entragues, et Chevalier, un conseiller d'Etat, avait
clé le vendeur des d'Entragues, cinquante deux ans
aui)aravant. L'ani;ien liùtel dont nous parlons fut
transformé en poste militaire à l'époque où le
Temple servait de prison à Louis XVI ; puis
Aubinot, fournisseur des armées, en tit un magasin
de farine.
La roture, par exemple, peut tout revendiquer
{\\ï 49 et du Ti : celui-ci appartenait à un maître
menuisier, quand celui-Hi fut bâti pour un sellier,
sur terrain aliéné par le même couvent, peu de
temps avant la convocation des Etats-Généraux.
Le quartier n'était pas encore aussi ouvrier qu'il
RUE DE BRETAGNE. 181
présent ; mais des artisans y devenaient proprié-
taires avant que de prendre leur grade en bour-
geoisie pour se retirer des affaires. La population
laborieuse n'avait même pas à passer dans l'enclos
du Temple, lien de franchise, par la fdière de
l'apprentissage et de la maîtrise : la main-d'œuvre
y coûtait moins cher par concurrence. C'était non-
seulement l'un des refuges consacrés aux réfrac-
taires des arts et métiers, mais encore un asile
de liberté, non moins inviolable, pour des débi-
teurs poursuivis : le droit de prise de corps pour
dettes ne pouvait s'y exercer en aucun temps.
Toutes les maisons déjà citées dans la mono-
graphie que nous donnons ici, dépendaient de la
rue de la Corderie, ajoutée de nos jours à celle
de Bretagne. Cette rue longeait un mur du
Temple, citadelle chevaleresque rappelant déjà un
ordre qu'avaient aboli des supplices ; elle devait sa
dénomination aux artisans (|ui, de longue date, y
faisaient du tortis du chanvre. Quand le droit de
justice, rendue au nom des rois, mais souvent à
leur préjudice, passa pour un moment au peuple,
l'heure sonna d'un nouveau martyre juridique, et
l'auguste prisonnier du Temple paya mie dette
qui, protestée trop tard, n'en érigea pas moins
la monarchie en autorité responsable ; son droit
divin changeait de caractère ; les arrhes du sang
répandu rachetaient des droits aliénés par la
Couronne, et elles l'affranchissaient d'exigeantes
associations qu'elle avait beaucoup moins acceptées
par intérêt que par accès de gratitude chevale-
resque. Quant au donjon, geôle royale, c'était le
reste d'une forteresse à laquelle Plîilippe-le-Hardi
et saint Louis avaient contlé la garde de leurs
trésors, et Philippe-le-Bel sa personne. Démolie
en 1811, la tour suprême ne projette plus son
ombre sur cet enclos du Temple, qui mesurait
2u arpens avant Henri IV. Réduit encore une
12
182 RUE DR BRETAfiNE.
fois, reiiclos, dont il reste quelques arbres, vient
de ressusciter eu square, et l'image du vieil édifice
reste le blasou d'un quartier qui n'en porte plus
que le nom.
Le square longe l'ancienne rue de la Cordei'ie ;
c'est une parure plus riante à coup sur que les
quatre bastions, le mur, les créneaux et le fossé qui
fortifiaient ce côté du Temple. La rue de Beauce, à
son tour, est emprisonnée sous des grilles, qui
la réduisent en impasse (i) ; elle a séparé autre-
fois la rue de la Corderie de la rue de Bretagne,
laquelle s'est appelée de Bourgogne, pendant un
temps, dans ce qu'elle a de compris entre les
rues de Saintonge et de Beauce. Aussi bien en
1806 on a classé comme rue Neuve-de-Bretagne
un autre prolongement, appendice ajouté sans
autorisation officielle.
Que si nous poussons plus avant, la rue qui
sous l'ancien régime avait déjà la province bre-
tonne pour marraine, nous en paraît plutôt les
antipodes, sous le rapport de la noblesse. La
plupart des maisons y sont plus roturières que
le long de fancienne corderie ; ce qui n'empêche
pas leur faîte de s'être couronné sous Louis XIII
du rameau traditionnellement inaugurateur des
maçons. Heur otiêrte, Iruit à recevoir. Percée
sur la culture du Temple en l'année 1626, cette
rue de Bretagne proprement dite ne s'est pres-
que pas départie de son aspect des premiers
jours. Le plan de 1754 y montrait bien le marché
et la boucherie des Enfants-Bouges, abrités comme?
de nos jours par leurs trois corps de bâtiment,
en tace de la l'ue de Beaujolais [i) ; seulement
(1) Celte riinlle a oté rendue <lepuis Jors à la liberlf^.
^2) Cette MK^ do Bi^atijolois est dcvcnno celle de
Picardie.
RUE DE BRETAGNE. 183
l'hospice desdits Enfants, fondé en 1554 par Mar-
guerite de Navarre pour les pauvres orphelins,
n'encadre plus ce tableau animé et d'autant plus
parlant que les femmes y dominent.
Si ledit plan ne jetait pas un voile sur tout
le reste de la rue, il pourrait nous y montrer au
coin de celle Vieil le-du-Temple une maison à
M"" de Sensse, fille mineure d'un procureur-tiers
référendaire au parlement, enveloppée pour ainsi
dire dans les plis d'un hôtel qui appartenait h De
la Brosse, marquis de Ponceau, et que tenaient
embrassé trois rues, Yieille-du-Temple, Bretagne
et Saint-Louis (i). Poulleport, fruitier-oranger,
occupait dans le même temps, à l'angle de la rue
Périgueux {'■2}, une maison dont les propriétaires
avaient été avant lui : Déieri, bourgeois de Paris,
Legallois, marchand et bourgeois, Leclercq et
d'abord 3Iathieu, marchand de vin. Ce débitant
l'avait fait élever sur une place, qui mesurait
3 toises, 1 pied 1/2 de façade rue de Bretagne, et
que lui avait cédée Charion, vinaigrier, acquéreur
de Michel Sigon. Or Sigon spéculait par-là sur
un espace bien plus vaste; il en vendit un autre
lot, en l'année 1610, au fameux éditeur Sébastien
Cramoisy, doi?.i nous revoyons la façade, modèle
encore de régularité et d'ornementation bour-
geoise, n" (3.
Le 1 fut hôtel de Tallard; mais il a seuil en
autre rue. Un boucher qui dispose du rez-de-
chaussée de cet immeuble a mis sur sa devan-
ture : Engiish spoken. • Le Marais serait-il donc
las de faire quarantaine avec ses petits rentiers?
(1) Cetie doriiièro porte le nom de Tureinio.
(2; La rue Deljelleynie actuelle se dé<"omposaii na-
guère cil rues de Périgueux, de Limoyes, de l'Ecliaudé
et Neuve-Saint-Francois.
184 RUE DE BRETAGNE.
Il commenco effeclivement à attirer des étrangers,
transfuges de l'élégant faubourg Saint-Honorc :
l'Anglais ne craint les extrémités qu'en fait de
viande de boucherie. Entre le boulevard Beau-
marchais, la place Royale et Saint-.Tacques-la-
Boucherie, bat le cceur d'un ancien Paris, qui
peut revenir îi la mode, bien que ses pulsations,
accélérées outre mesure les jours de révolution
])ar le contact trop fiévreux des faubourgs, puis
ralenties pour de long intervalles, en aient fait
un cœur de province.
Rue de BretoiivHliersi« (i)
La Belle-mere de Fronsac. — Le Baigneur. —
L'Arcade. — Les Breionoilliers. — Le Bal
masqué. — M. de Monimirail. — Le Bureau
des Priviléfjiés. — Les Hydrotliennes. — La
Basse-Cour.
Au milieu du xvir siècle, ce que nous appe-
lons le n" 1 dépendait de l'hôtel d'Astry, d'après
une carte qui n'en montrait pas moins à proxi-
mité les hôtels Bretonvilliers et Lambert, en
regard l'un de l'autre dans la rue Saint-Louis-en-
rile. xVstrée fut une déesse qui n'habita la terre
qu'en l'âge d'or, et VAstrée un roman fameux.
Mais Astry? Faut-il lire Astricï Les noms pro-
pres n'ont jamais moins de deux orthographes.
Damoiselle Marie Coomans d'Astry, ou Gommans
d'Astric, épousa Jean Rouillé, comte de Meslay,
après avoir acquis, tant des créanciers de Louis
Levau, premier architecte du roi, auteur des
pavillons de Flore et de Marsan aux Tuileries,
que de la famille Bretonvilliers, de quoi former
l'hôtel d'Astry. Rouillé de Meslay mourut en
léguant i!25,0'00 livres à l'Académie des sciences,
pour encourager la recherche de la quadrature
du cercle ; son lils, introducteur des ambassa-
deurs, ne laissa pas de postérité, et sa hlle
Marguerite - Thérèse fut d'abord marquise de
Noailles, puis duchesse de Richelieu. Le duc,
déjà marié deux fois, ne donnait pas son nom
à une troisième compagne sans que l'hôtel en
(1) Xolice écrite eu 185y.
186 RUE DE BRETONTILLIERS.
prît sa part. L'escalier h balustrade en chêne du
n" 1 y faisait dès-lors son service ; mais pour
que le n° 3, dont le mur extérieur supporte un
balcon de même âge, ait dépendu de la même
propriété, il faut que peu de temps après il soit
rentré dans la possession des Bretonvilliers;
quant aux u^' 16 et 18 du quai des Balcons, ou
du Dauphin, autrement dit de Béthune, ils étaient
indubitablement de l'hôtel Richelieu. Le duc et le
comte de Noailles héritèrent de la duchesse de Ri-
Richelieu, née Rouillé ; mais elle eut pour légataire
P^ronsac, fils de son second mari. Aussi les
trois sœurs consanguines et utérines du futur
maréchal de Richelieu, dont l'une était à Pôrt-
Royal, n'avaient-elles rien à prétendre dans la
propriété de l'ancien hôtel d'Astry, qui lui ap-
partenait h titre de legs, et dont nous avons
déjà eu II nous entretenu- (juai de Béthune.
Nous avons vu sur le même quai, pour la pre-
mière fois, le baigneur Turquin, qui se trouvait
lui-même locataire du côté que nous tenons de
la rue Bretonvilliers. Il n'était pas le patron que
de l'école de natation qui flottait h la pointe de
l'île ; il avait sous sa direction, outre cela, à
l'autre bout du quai de Béthune, des Bains Chi-
nois, où l'eau chauffée coulait dans chaque bai-
gnoire au prix de 36 sols pour trois personnes,
et de 24 sols pour une seule. A distance à-peu-
près égale entre ces deux établissements de tem-
pérature différente, le domicile du baigneur qui
soufflait le froid et le chaud attenait au bureau
des coches d'Auxerre, dont le service par eau
n'a cessé de se faire qu'après l'avènenioMit de
Napoléon IIL
Des partages de famille n'avaient pas entraîné
la démolition de l'arcade originairement jetée sur
la rue de Bretonvilliers. Le 3, malgré cette ac-
colade, appartenait isolément à Françoise Le
RUù DE BRETONVILLIERS. 18T
Ragois de Bretonvilliers, qui s'était retirée chez
les filles de la Croix, rue de Cliaronne, depuis
la mort de son mari, Aune d'Héruard, chevalier,
conseiller du loi, maître des i-equêtes. M. de la
Mouche, auditeur en la chamhre des comptes,
occupait cette propriété, que l'arcade reliait à
celle de Jean-Baptiste Le Ragois de Saint-Dié,
lieutenant -général au gouvernement de Paris,
IVère de ladite M'"'' d'Héruaitl. Cette autre maison
à trois corps était ensuite donnée en location à
Joly de Menneville, ancien maître des comptes.
Il n'y a même entre les deux immeubles aucune
séparation plus apparente, aujourd'hui que leur
communauté d'origine est loin de s'étendre à
leurs détenteurs. On a pourtant parlé en ce
temps-ci de supprimer l'arcade Bretonvilliers, et,
comme on s'est gardé de dire pourquoi, il l'aut
qu'il y ait en jeu <|uelque intérêt qui n'est pas
celui du public :
,Cel onicle est plus sûr qn" felui de Calclias.
La principale porte par laquelle on entrait à
riiôtel Brelonvilliccs, avant même qu'il y eût di-
vision, la voici au n" 2! Le financier Le Ragois,
intéressé d'Ans les Termes sous Louis XIII, et sei-
gneur de Bretonvilliers, commanda cette demeure
princière 'a Ducerceau. 8a femme, née Acarie,
lut longlemps belle et remai-quable par la fraî-
cheur du ieint; il n'en eut pas tout le profit, s'y
coulentaui d'une part d'intérêt, conune dans les
affaires du roi ; ses richesses lui faisaient, d'ail-
leurs, assez de jaloux sans que les rigueurs de
madame s'en mêlassent. Le premier des Breton-
villiers rendit gorge de la vie en iG4o. Deux ou
trois des Bretonvilliers (|u'il eut pour successeurs
présidèrent en cour des comptes.
Leur hôtel fut pour le moins prêté au prince
Emmanuel de Portugal, qui y donna un bal mas-
188 RUE DE BRETONVILLIERS,
que dans le cours de l'année où mourut Louis
XIV. Le môme soir, une flottille de bateaux tirait
un l'eu d'artilice de gala, et il en retombait une
l)luie d'étincelles, qui avait l'air de propager
l'embrasement dans l'onde frémissante; mais les
gouttes de l'eau n'étaient pas lécondées pai- ces
farmes de feu, dans le lit froid du fleuve, que
les étoiles elles-mêmes clairsemaient aussi de
vains reflets. La superbe terrasse qui encadrait
le jardin mettait les invités du prince aux pre-
mières loges pour se régaler du spectacle, et le
public en profitait dehors. N'y avait-il pas, au
besoin, de quoi mettre à couvert tous les habi-
tants de l'île Saint-Louis dans les bàtiments^ qui
régnaient sur les trois grandes cours de l'hôtel?
Une galerie s'y remarquait, que Bourdon avait
décorée de ses peintures et que Monoyer avait
festonnée de fleurs, de fruits et de corniches à
médaillons en porcelaine historiée. Le tableau de
la Continence de Scipion, par Bourdon, des copies
de Raphaël, faites par Mignard, et des ouvrages
du Poussin, de Vouet et de Silvestre paraient en-
core d'autres pièces.
Le président Bénigne Le Ragois de Bretonvil-
liers épousa une d'Albon, mais postérieurement
au mariage d'un autre président du même nom
avec une Perrault. Or il y eut aussi quai des
Balcons un hôtel Perrault. On ne dédaignait pas
en ce temps-là de se marier porte à porte :
cinquante pas ne suflisent plus, de nos jours,
que pour une rencontre au pistolet. Le président
Perrault, neveu de l'architecte de la colonnade
du Louvre, acquit de La Baume, comte de Saint-
Amour, la baronnie de Montmirail, près Chartres,
qu'il transféra plus tard avec d'autres biens au
prince de Conti, dont la veuve, fille légitimée
de France, le revendit en 1729 à Havet de
Neuilly, un conseiller au parlement. Mais est-ce
RUE DE BRETONVILLIERS. 189
bien du pays chartraiu que venait féodalement la
famille Montmirail qui succéda à celle Breton-
villiers, comme propriétaire de l'hôlel ? Un mar-
quisat de Montmirail fut érigé ailleurs par Mis-
trail, conseiller au parlement de Daupliiné, et il
y eut un marquis de Montmirail, colonel des
cent-suisses, président de l'Académie des sciences,
admirateur passionné de Polybe et de Tacite,
qui lit parler de lui sous Louis XV.
Ce roi était encore mineur quand on installait
à riiôtel Bretonvilliers le bureau des aides, puis
celui, dépendant des Fermes, où s'encaissaient les
droits d'entrée, ci-devant à l'hôtel Gharny. On y appli-
quait en l'année 1775 cette indication otticielle :
« Bureau général pour la distribution dos Papiers et
Parchemins timbres, appelés Formules, à Thôtel Bre-
tonvilliers, ou il y a un garde-magasin et un garde-
général de cette Formule. — Même hôte!, recette pour
les Papiers et Parchemins timbrés à l'extraordinaire,
pour la Généralité de Paris et celle d'Orléans. >•
Le bureau des Privilégiés y prenait le dessus
peu de temps après, et la propriété n'appartenait
pas moins k M. de Montmirail. L'émigi'ation de
ce dernier entraîna le retour de l'immeuble î)
l'Etat, et la Convention, pour répondre favorable-
ment à une demande faite pai- des ouvriers,
permit d'y établir une manufacture d'armes à feu.
Toutefois la vente eut lieu, au profit de la Nation,
le 29 fructidor an ni, et le morcellement en
résulta plus que jamais. L'administration des
Hydruthermes s'installa, après la révolution de
Juillet, au n" 2 de la rue Bretonvilliers, qui fut
depuis exhaussé de deux étages. Le i, où l'hôtel
eut en ses plus beaux jours sa basse-cour, est devenu
un atelier de teinture.
Rue de Buei.
Le Pilori. — Lea Annales de la Porte de Buci.
— Le Médecin- Prêtre. — Evocation de Bour-
geois des xvi% XYli'= et xviii"' Siècles. — Le Théâ-
tre-Illustre. — Le Cabareiier Landelle. — V Hô-
tellerie de Stockholm. — L'Estrade i^atriotique.
— Les Septembriseurs. — Le 'i'i Février.
Jusqu'au xv*" siècle, il fallait être clerc avant
que de passer médecin; mais ou représenta aux
l'ois qu'il était plus convenable à un laïque de
paraître jour et imit au chevet de ses clientes,
et la robe doctorale cessa d'avoir la robe ecclé-
siastique pour doublure. Maître Philippe Lecu-
rieux, cler(î du collège d'Arras et médecin, qui
pouvait célébrer lui-même des messes pour le
repos des âmes (jue son art avait aidé à passer
d'un monde dans l'autre, avait et habitait l'une
des dix maisons de cette rue en l'année 1388.
Ou disait alors : Liiie qui tend dit pilori à la
porte de Buci et elle n'était ouverte ipie depuis
trente-sept ans. Le pilori de 8aiiit-Geruiain-des-
Près lonctionnait en vertu d'une charte accordée
|)ar lMiilii)pe-l(^-Hardi à celte abbaye. Si de pa-
reils instruments de dilTamaliou ne se relèvent
plus, on en rend grâce à de nouveaux sentiments
d'humanité; mais le pilori est remplacé, avec aggra-
vation de peine pour beaucoup de patients, par
les comptçs-rendus judiciaires. Quant à la poite,
Philippe-Auguste n'avait pas attendu qu'elle fût
achevée pour la donner aux mêmes religieux, et
elle était encore Jite de Saint-Germain, précédée
d'une place, surmontée d'un logis et tlanquée de
RUE DE BUCI. 1§1
deux tours le 16 août 13oi2, jour où Simon de
Buci, conseiller du roi, premier président au par-
lement, l'avait prise à bail, moyennant ^20 livres
de rente, plus 6 deniers de cens féodal.
Qui de nous a oublié qu'en 1 il8 la porte de Buci
l'ut livrée par Périnet-le-Clerc aux Boui-guignons?
Le patriotisme dévoyé des Parisiens érigea d'abord
une statue sur le pont Saint-Michel au traître, en
haine des Armagnacs doîit la faction de Bourgo-
gne avait fait deux fois boucherie; mais, à la
rentrée de Charles VII, on jeta bas la statue,
la porte fut murée. Aussi bien ne prenons pas
le change sur la situation de ce monument de
flétrissure ; il ne s'érigeait pas précisément dans
la rue qui partagea au xvi'= siècle sa seconde
dénomination; il était passé le carrefour, entre
la rue Contrescarpe (i) et la cour du Commerce
d'à présent.
François l^' réhabilita en l'année 1359 la poi'te
de Buci, qui se rouvrit, avec un pont-dormant
du côté de la porte de Nesles. Dans les années
suivantes, le bureau de la Ville consentit par
brevet des baux de 60 à 80 ans, ayant pour objet
des terres vagues sur la rue de Buci, à la charge
d'y élever des maisons manables. Les premiers
titulaires de ces emphytéoses avaient noms Jean
de Bernay, Philibert Pourtillot, puis Jean Arnout,
Leconte, Houldec, Garret, Cormillotte, Chapelle,
et j'en passe. Une donation entre vifs mettait au
même temps les chanoines de Sainte-Croix-de-la-
Bretonnerie en possession d'une maison rue de
Buci, au coin de celle des Mauvais-Garçons (Gré-
goire-de-Tours), à la place de Michel Bernard,
prêtre. Le révérend père Pierre Dagneaux, prêtre,
(1) Celte rue Contrescaipc-DauphiDO s'appeJle à l'heure
qu'il est Mazel.
192 RUE DE BUCI.
chanoine régulier, receveur et procureur desdits re-
ligieux, passait reconnaissance de cette maison à
l'abbaye de 8ainl-Germaiii-des-Près en 1687. Le
même angle, ou bien son pendant, était, sous la
Régence, vendu 25,000 livres par Philippe et Pas-
savant aux D""' Jassaud.
La p(>rto monumeutale, comme pour laver elle-
même une tache faite par la trahison, rendit ser-
vice au parti des victimes dans la trop mémo-
rable nuit du 24 août 1572; elle eut le bon
esprit de rester dose devant le duc de Guise,
qui s'acharnait à la poursuite des protestants, et
les haches, .pour avoir raison de cet obstacle,
tirent assez de bruit et prirent assez de temps
pour conseiller la tuile et la faciliter à ceux-là
dont la vie était menacée de si près. Puis, Paris
continuant à rompre ses enceintes, comme la
tète d'un enfant qui grandit, ses bourrelets,
l'ancienne poj'le de Buci fut démolie en 1672.
Le bureau de l'Hôtel-de-Ville en profita pour
l)rendre un plus grand nombre de fermiers par
emphytéose, dits ongagistes; les toits se multi-
plièrent. Mais à l'expiration des baux, ou même
avant, moyennant une indemnité payée aux en-
gagistes par de nouveaux propriétaires, l'abandon
du terrain n'eut plus lieu par contrat de louage,
mais moyennant un prix d'achat déterminé, plus
une redevance annuelle et perpétuelle, non raclie-
table. Puis on vendit sans aucune restriction, h
la requête (h Bertier de Sauvigny, inlendant de
la généralité de Paris, en exécution d'un arrêt
du conseil d'État en date du 9 novembre 1749,
l'emplacement de la porte susnommée et les mai-
sons (|ui avaient lait retour |)ar épuisement de
concession temporaire.
l^eu de temps après la dispai-ition de son mo-
nument patronynii(iue, la rue compte au nombre
de ses propriétaires : M"*^ du Mesnil, à l'enseigne
RUE DE BUCI. 193
des Quati'e-Fils-Aymoiid; Jean Gai-de, à l'image
du Gros-Raisin, ci-devani, au IMed-de-Biclie, deux
ou trois portes après la rue de Bourbon-Guise,
allas Bourbon-le-Château, et Amyot, qui a deux
maisons près le Petit-Marché, en (ace de la bar-
rière des Huissiers. M"*' Anne d'Esperon du
Mesnil est fille majeure. Jean Garde sert en qua-
lité de concierge et de garde-meuble chez S. A. R.
Mademoiselle, souveraine de Dombes, qui réside
au palais d'Orléans (le Luxembourg); sa pro-
priété, qui donne par-derrière sur le jeu de
longue-paume de l'abbaye, plus tard cul-de-sac
de Metz, puis du Guicbet, puis rue de l'Echaudé
appartiendra en 1728 à Laisné, écuyer, sieur de
Beaumarchais, gentilhomme-servant ordinaire du
roi, puis à David Le Bercher, sculpteur des bâ-
timents du roi, et ensuite h sa veuve. Amyot
est principal commis au gros criminel du par-
lement pour les audiences de la chambre du
conseil et du petit-criminel; il habite l'une de
ses maisons.
Le carrefour du Petit-Marché et le carrefour
Buci font la paire aux deux bouts de la rue,
sur le plan de 1714, qui donne îi celle-ci un
total de SI maisons et de 11 lanternes, avec
une boite aux lettres, à l'encoignure de la rue
Bourbon et des étaux de boucherie h celle de
la rue Mazarine. Mais la place du Théâtre-Il-
lustre n'est indiquée sur aucune carte de Paris.
Cherchons-la donc nous-même au n" il de ce
temps-ci, qui appartient à M. Crapelet et paraît
n'avoir pas toujours été séparé du n» d'après. Ils
tiennent h eux deux la place du jeu de paume de la
Croix- Blanche, où de jeunes amateurs jouèrent
la comédie avec Molière. La troupe de ce théâ-
tre, se donnant à lui-môme le brevet de la cé-
lébrité, s'était pourtant improvisée et recrutée de
fils de famille; son succès ne s'élevant pas du
194 RUE DE BUCI.
premier coup h la hauteur de ses prétentions,
elle gagna la province en 1663, sous la direction
du plus illusti^e des siens, pour y donner des
représentations. D'autres acteurs, ceux de l'Opéra-
Comique, retirent plus tard du même jeu de
paume une salle de spectacle à titre provisoire,
leur loge de la foire Saint-Germain ayant été
abattue pour faire place k un marché : ils y
donnaient le 13 février 1725 la première repré-
sentation d'un opéra-comique intitulé ÏAmbigu-
Comiqite, et ce n'est pas la seule pièce nouvelle
qu'ils aient montée dans ce théâtre de hasard.
Nous trouvons aux archives un acte du 31 mars
1742, pai lequel « Louis de Bourbon, comte de
Clermont, prince du sang, abbé commendataire
de l'abbaye royale de Saint Germaindes-Prés,
demeurant en son palais abbatial, cède aux prieur
et religieux, assemblés en leur chapitre au son
de la cloche en la manière accoutumée, une
maison faisant partie de la mense abbatiale, sise
rue de Buci, occupée ci-devant par un potier
d'(U.ain, joignant d'un côté une maison nouvelle-
ment bâtie par le sieur de Jetlonville, contenant
7 toises 1/2 et 17 pieds de terrain, boutique, etc.,
le tout en très-mauvais état. » Lesdites proprié-
tés correspondent maintenant aux chiilies 30, 32
et 34, et lesdits moines ont au moins reconstruit
la première, qui porte des sculptures près du faîte
et qui fait retour sur la rue de l'Echaudé, autre-
fois cul-de-sac du Guichet, en ouvrant sur autre
une voie, celle de Bourbon-lc-Château.
De documents puisés à la môme source il ap-
pert que Hubert, bourgeois de Paris, disposait
de l'un des deux angles de la rue de Seine en
1747 ; que le président Hénault, notre grand
chronologue, s'était rendu adjudicataire de l'autre,
ainsi que de la maison y attenante, cinq ans
plus tôt, et que l'écuyer Robineau, avocat, doc-
RUE DE BTTCI, 195
leur ès-lois, secrétaire du roi, a vendu en 1767
le coin de la rue des Boucheries, maintenant rue
de l'Ecole-de-Médecine, h Duliamel, orfèvre éta-
bli dans une autre maison à lui appartenante rue
de Buci : le contrat de vente y relatif était en-
tériné par Marchai de Sainsey, économe séquestre
des revenus de Tabbaye, dans la mouvance de
laquelle se trouvait, comme tant d'autres, la mai-
son vendue !
Et Landelle ? demandent les meilleurs de nos
lecteurs, sachant que c'est l'instant et le lieu d'en
parlei-. Oîi prenez-vous le cabaret de ce traiteur,
qui servait des dîners de .-J h !â4 livres p.ar tête,
et chez lequel se rencontraient des grands sei-
gneurs avec des beaux-esprits, tels que Gresset,
Crébillon fils et Collé? Landelle ne se bornait pas
à garnir la panse, il paraît l'embonpoint, et il
savait aussi dissimule)' l'opiniâtre maigreur des
gourmands qu'il n'avait pas eu le talent d'engrais-
ser ; il était maître-tailleur en même temps que
cabaretier, à l'époque du moins où sa réputation
allait croissant. Mais il prenait plus largement la
mesure de l'appétit que de veste et culotle. 11
recevait sa double clientelle, vis-à-vis la rue des
Mauvais-Garçons, à l'hôtel de Buci, maison à
porte cochère, comportant par-derrière une autre
maison, et qui avait i)orté l'image de l'Aigle-d'Or.
Deniset, intendant de S. A. S. le comte de Clermont,
a reçu en 1650 les droits et aveux dus par Lan-
delle à la seigneurie abbatiale en raison de cette
propriété, acquise de « haute et puissante dame
Rose, veuve de haut et puissant seigneur Antoine
Portail, seigneur de Vaudreuil, premier président
au parlement et l'un des quarante de l'Académie-
Française.
Sous Louis XIV on avait dîné plus modeste-
ment, dans la même rue, h la Ville-de-Stockholrn,
où pour 15 sols on en voyait la farce, d'après
19G RUE DE BUCI.
un aneien nlnianach. Cette hôtellerie était deve-
nue sous le règne suivant une maison de la
Raquette, appartenant au président Langlois de
la Fortotto, de la cour des comptes, entre une
maison h Béguin et une autre à Giraud, notaire.
Le limonadier Emery tenait déjà en 1783 le
café qui se maintient encore à l'encoignure de
la rue Bourlion. Le cabinet d'histoire naturelle
de M, Berson, près la rue de Seine, avait alors
de la réputation.
Le carrefour Buci a reçu en 1792 le premier
des échafaudages dressés sur la voie publique
pour enrôler, au nom de la Patrie en danger,
des volontaires. Malheureusement il n'est pas
moins constant que le 2 septembre, entre deux
et quatre heures, l'échafaudage patriotique, inter-
ceptant à demi la circulation, ralentit la course
de cinq fiacres portant des prêtres ii la prison
de l'Abbaye, et qu'un des hommes de l'escorte
ayant d'un coup de sabre frappé un prêtre de la
première voiture, il fut préludé de la sorte à
légorgement général des prisonniers. D'une bar-
ricade, au même carrefoui', est parti un autre
signal, avec le premier cri de Vive la République!
jeté par la révolution de 1848. Quels souvenirs
que ceux-là pour une rue du faubourg Saint-
Germain, dans laquelle se retrouvent des maisons
exhaussées du wi'' siècle et même du xv! Elle
faisait déjà l'S, elle était passante et marchande
quand la Ligue y faisait des siennes.
L'Avenue, la Place et la Rue de
Breteull. (i)
V Union, Y Ami de la Religion et quelques au-
tres journaux quotidiens nous ont fait l'honneur
de donner en articles variétés ou cVédilité pari-
sienne plus de la moitié des notices de ce recueil,
alors qu'elles étaient inédites. Par mégarde un
article trop court sur la rue de Breteuil avait
été offert à deux de ces feuilles, qui eurent bien
raison de le refuser,
M. de Riancey fit, d'ailleurs, cette objection : —
Mais la rue de Breteuil, cher collaborateur, est
une avenue ; vous induiriez nos lecteurs en er-
reur.
— C'est une place, prenez-y garde ! se récria,
de son côté, l'abbé Sisson.
Pourquoi méconnaître, en effet, cette imposante
avenue de Breteuil, percée dès 1680, qui se dé-
veloppe derrière les Invalides, entre la place
Vauban et l'extrémité de la rue de Sèvres ? Elle
-a passé gratuitement du Domaine de l'Etat dans
celui de la Ville, sous le règne de Louis-Philippe.
On compte quelques maisons sur ses deux rives;
des murailles k hauteur d'appui y bordent des
(1> Notice écrite en 1858. La rue de Breteuil. depuis
lors élaigie par la démolition des bâtiments immatri-
culés de ses numéros impairs, met présentement
à jour un merveilleux côté de Saint-Martin-dcs-Champs-,
dont la restauration vient d'être faite au proiit des
Arts-et-Métiers, puis une vieille tour, qui doit rester
des l'oitifications dont ce couvent s'était fait une cein-
ture sous le règne de Louis-le-Gros.
13
198 L'AVENUE, LA PLACE
marais plantureusemeiit cultivés ; une faisanderie,
diverses fabriques, un lavoir et un abattoir y
fournissent d'utiles adresses à V Annuaire de
Firmin-Didot. Seulement l'herbe y croît au pied
des arbres, rien de plus n'y est historique.
La placp du même nom, tracée un siècle après
l'allée, forme un cercle ; au centre nous retrou-
vons l'ancien puits de Grenelle, et c'est la pre-
mière fois qu'un puits se transporte ; mais il n'y
a pour nous que de l'eau à boire dans ce pro-
grès de la science.
On a placé à l'époque de l'Empire, d'après la
chronique officielle, sous l'invocation d'un Bre-
teuil ledit boulevard, avec son couronnement.
A ce compte. Napoléon P', qui ne laissait rien
faire que par ses ordres, aurait été, en vérité,
bien bon. Pourquoi dédier cette avenue mili-
taire h un ancien ministre de Louis XVI, qui
ne l'avait pas été de la guerre, et que le
Consulat avait vu revenir pauvrement de l'émigra-
tion royaliste, pour expirer l'année 1807 ?
Les aïeux de cet homme d'Etat n'étant sortis de
l'obscurité que sous les auspices du cardinal Dubois,
inutile d'en chercher un parmi les chevaliers de
Saint-Louis de la première promotion, y prenant
part avec Vauban. Nul Breteuil n'a pu présider à
l'ouverture d'une allée dans le rayonnement majes-
tueux des grandes voies des Invalides, alors que
Louis XIV ouvrait lui-même aux mutilés des
champs de bataille ce palais, dont le dôme doré
s'élevait, comme un autre soleil, bien au-dessus
des arbres plantés autour. C'est dans les premiers
temps du règne suivant, quand s'instituait l'école
militaire, que l'avenue a dû recevoir avec assez
d'honneurs Breteuil, baron de Preuilly, ministre
de la guerre, pour mériter l'adoption qui, avant
ou après, nous paraît déplacée.
Un autre membre de cette famille ministérielle,
ET LA RUE DE BRETEUIL. 199
l'abbé Elisabeth-Théodore Le ïonnellier de Breteuil,
prieur commendataire de Saint-Martin-des-Champs,
chancelier du duc d'Orléans, garde-des-sceaux de
ce prince et chef de son conseil, a servi de
parrain à la rue de Breteuil, tracée vers le même
temps que la place, mais sur le territoire prioral
du patron. Cette ruelle n'est pas droite ; elle n'en
devait paraître que plus spirituelle au bossu, qui
lui octroyait de bonne grâce le droit de partager son
nom, tout en gagnant de la popularité à ce mariage
de convenance.
Sous le n- 4 de cette rue, qui" a été maçonné
légèrement, régnent toujours des caveaux monas-
tiques, également fermés à la diable, qui joignaient
autrefois ceux de Saint-Nicolas-des-Champs. Le
2 et le 4 sont les contemporains du percement
de la rue. Une bicoque de même origine, n" o,
a donné souvent en marâtre une demi-hospitalité
à un poète sans domicile. Charles Moreau, dit
Hégésippe Moreau, lorsqu'il avait erré toute une nuit,
trouvait là le matin, sous la porte d'une chambre
sans papier, la clef d'un maître d'étude, son ami.
Ce dernier avait une maîtresse, circonstance qui
l'empêchait seule de partager durant la nuit avec
l'auteur du Myosotis un maigre lit qui, surtout
en plein jour, avait l'air de demander grâce.
Néanmoins notre vagabond, notre pauvre homme
de talent, quand sa contre-patrouille nocturne
était finie, arrivait rompu de fatigue, houspillé par
le froid, pâle, défait, crotté ou poudreux, mais la
tête fraîche et regorgeant d'idées plus rarement
acerbes que virginales, mélodieuses, colorées
d'azur ; il prenait à son tour la position horizon-
tale au coup de sept heures du matin, pour y
faire le tour du cadran en sens inverse. Après
avoir dîné d'un pareil somme, il soupait de
bière et d'eau-de-vie, le plus souvent, dans quelque
café d'étudiants.
200 L'AVENUE, LA PLACE, ETC.
Au chiffre 11 répond une autre cassine, dont
les fenêtres sont à coulisses. Le 15 dépendait autre-
fois de Saint-Martin-des-Champs, et il ne lait plus
que s'accoter au Conservatoire des Arts-et-Métiers,
qui s'est substitué en 1795 au ci-devant monastère.
Les religieux avaient jeté à cet endroit un pont
pour passer de l'autre côté de la rue, et ce trait-
d'union, qui ressemblait à la voûte au Maire, à
l'arcade Colbert et h l'arcade Bretonvilliers, n'a
disparu que sous le règne de Louis-Philippe. La
maison à laquelle attenait l'un de ses deux piliers est
tombée en même temps que l'arche ;. le n" 8 en
occupe la place et ne fait qu'un avec le 6.
Rues Taillepaiii et Brise iiiiclie. (i)
La mort de Théodose, au x" siècle, laissait la
princesse Pulchérie, sa sœur, maîtresse de l'empire
d'Orient ; celle-ci n'attendit pas le consentement
de Valentinien, empereur d'Occident, pour faire
élire Marcien, qu'elle épousa, et ce mariage donna
plus d'autorité h son règne. Mais la nouvelle impéra-
trice chrétif une avait d'avance fait ses conditions, et
Marcien s'était engagé à respecter la ferme réso-
lution qu'elle avait prise de rester vierge. Ge
régime, qu'on ne saurait adopter que sur parole,
réservait l'iiniocence dotale, au lieu de la mettre
dans la communauté, comme le premier des
acquêts ; il fallait bien des conventions spéciales
pour que le respect dans l'espèce ne pût pas être
taxé de vice rédhibitoire h la première querelle
du nouveau ménage. Convenons pourtant que l'âge
respectif dos conjoints rendait ce mode séparatif
moins délicat h proposer, moins discourtois à
accepter et, de plus en plus facile à observer pour
l'avenir : la mariée était quinquagénaire et l'époux
de son choix l'emportait sur elle de quelques
lustres. Le pape saint Léon écrivit ;i l'impératrice,
en l'an 45iî, pour rendre témoignage des services
qu'elle avait rendus dans l'ancien monde îi ren-
contre des hérésies de Nestorius et d'Eutychès.
L'année suivante, Pulchérie expirait, après avoir
(1) Notice écrite eu 1858. Les deux petites rues qui
eu sont l'objet ne se ressentent depuis d'aucun chan-
gement essentiel à noter, si ce n'est que Ja grille àpt
la rue Taillcpain sur la rue du Cloitre-Saint-Merri
s'cntr'ouvre et s'ouvre, au lieu de rester presque tou-
jours fermée.
202 RUES TAILLEPAIN ET BRISEMICHE.
fondé divers églises, monastères et hôpitaux. L'Eglise
honore la mémoire de cette sainte, dont la fête
est au 10 septembre, et la couronne qui lui reste
est reconnue dans un monde plus vaste que son
empire d'autrefois. Son image a trop voyagé pour
que nous soyons étonné de retrouver à Paris une
maison qui se mit sous son patronage.
C'est le n" 7, dans la ruelle Brisemiche ; mais
la petite porte de cette maison haute donne sur
la ruelle Taillepain. Sa Sainte-Pulchéric portait le
voile et le diadème à l'époque où Corneille fit
une tragédie dont la principale héroïne était le
même personnage. Nous croyons qu'une arcade
aliénait h cet angle et servait de fausse-porte à
la petite rue y aboutissant. La maison, ruche
actuelle de cabinets garnis, était sous la censive
des chevecier^ chanoines et chapitre de Véglise collé-
giale de Saint-Merri.
Les deux ruelles, d'ailleurs, ont fait partie du
Cloître même de cette église, pourtour de maisons
et de terrains encore plus canoniaux d'origine que
les héritages qui se bornaient à relever du iief
capitulaire. Celle Taillepain fut tracée à l'équerre ;
mais deux grilles en tiennent la moitié en clôture.
Ne ferait-on pas mieux d'y supprimer une estam-
pille sur deux et de mettre : Impasse ?
Par contre, la rue Brisemiche était d'abord Je
cul-de-sac Baille-Heu, que le xiv<" siècle vit se
défoncer, puis se prolonger en ligne plus droite
que la rue Taillepain et prendre une dénomination
ejusdem farina:. Sauvai rapporte, dans ses Ayiti-
quités de Paris, qu'un curé de Besons, mort en
1515, s'appelait Etienne Brisemiche, et il regarde
comme possible qu'un des ancêtres de ce curé
ait eu pignon sur la ruelle dont s'agit. Elle com-
portait, du vivant de Sauvai, 5 maisons, chacune
d'elles brandissant sa lanterne ; mais l'importance
RUES TAILLEPAIN ET BRISEMICHE. 203
relative de cette illumination n'a pas éclairé la
question étymologi(iue. Nous ne doutons pas que
les deux rues donnant l'une dans l'autre aient dû
leur confraternité d'appellation à une seule et
même boulangerie. Le grand-panetier de France
pouvait avoir par-lii sa manutention, vers le temps
où Robert de Sarmizelles remplissait ces liantes
fonctions. Seulement il est plus probable que le
chapitre de Saint-Merri y faisait tout bonnement
cuire et distribuer le pain qui se consommait
dans l'étendue du Cloître.
Les habitants de ce quartier, malgré son origine
îi part, ressemblaient trop à tous les autres pour
se contenter du menu de la nourriture spirituelle,
qui ne suffit, d'ailleurs, qu'aux anges. Les cha-
noines se donnaient si peu pour des êtres imma-
tériels qu'ils veillaient eux-mêmes au grain, tout
en demandant à Dieu leur pain quotidien; d'ailleurs,
ils n'entraient pas pour grand'cliose dans la popu-
lation de leur Cloître.
Déjà l'élément féminin ne s'y produisait que
trop en l'année K-)87, puisqu'une ordonnance du
prévôt de Paris expulsait du Cloître, à cette date,
nombre de ribaudes, sur la prière du curé de
Saint-Merri ; mais les bourgeois des rues Brise-
miche, ïaillepain et autres, où le commerce eût
souffert de cet éloignement, formèrent opposition
à l'exécution de l'ordonnance, et le parlement se
prononça contre le prévôt, par son arrêt du 21
janvier 1388. Sous Louis XI encore la rue Brise-
miche, à cause de ses femmes folles ou ivrognesses
de leurs corps, comptait parmi les rues prevôta-
lement soumises à une police dont les autres
étaient exemptes. M. Leroux de Lincy nous blâme
de donner à l'occasion des renseignements de cette
sorte ; mais la galanterie tient autant de place
dans l'histoire de Paris que dans sa vie présente,
et nous répondons aux critiques du plus prude ou
204 RUES TAILLEPAIN ET BRISEMICHE.
du plus jaloux de nos confrères par cet apophthegme
de saint Louis : « Les Parisiens sont souvent
enclins à paillardise et à baguenauderie, mais le
cœur corrige leurs billevesées. »
Depuis lors la rue s'est rangée ; mais elle n'a
grandi qu'en sagesse, et sur plusieurs points encore
elle se contente d'un mètre de largeur. On y
compte deux ou trois fois plus de maisons que
sous Louis XIV, bien que la plupart, à la division
près, soient demeurées ce qu'elles étaient alors.
Deux d'entre elles, qui n'en avaient fait qu'une et
qui donnaient rue du Cloître-Saint-Merri et rue
Brisemiche, appartenaient en 1702 : l'une à Héliot
de Boissy, écuyer, lieutenant pour le roi au
Cbâteau-Trompette de Boi^deaux, et l'autre à Pajot
d'Ardivilliers. La famille Le Clerc de Lesseville
disposait de l'encoignure pareille.
Rue (le la Biicherie. (i)
Les Enseignes. — Les Bàchiers et leurs Succes-
seurs dans la Rue. — Le Contentieux du Domaine
utile de V Abbaye. — Les Ecoles de Médecine.
La rue que voici prend sa source îi la place
Maubert, en face de la rue des Grands-Degrés,
au coin de la rue du Haut-Pavc, et suit un cours
parrallèle k la Seine jusqu'au point où, grossie
par l'aliluent de la rue du Petit-Pont, elle débou-
che sur le quai. Au vi^ siècle elle lut tirée d'un
port aux Bûches, où commençait la rue du
Fouarre, et sa prolongation ne fut possible, à
partir du règne de Louis VIII, que par suite de
la division du clos Mauvoisin, baillé à cens à la
condition d'y bâtir. Or les façades qu'on y longe
ont été plus d'une fois renouvelées, et comment
ne pas être dérouté par les numéros qui ont
succédé aux enseignes, points de repère du moyen-
àge? Lorsque le Petit-Chàtelet servait de limite
à cette rue de la Bùcherie du côté du Petit-Pont,
par-del^ l'Hôtel-Dieu, il pendait h toutes ses
portes de quoi les distinguer déjà l'une de l'autre :
ici un petit Saint-Jean, ou une Notre-Dame, là
un Lion-ferré, l'Ecu-de-France, un Père-Noir, un
Couperet, ou tout simplement une Escouvette, au-
trement dite une Vergette. Chaque maison avait
son image par-devant, et souventes fois un chan-
tier par-derrière, car la rue de la Bùcherie gardait
encore au xvi* siècle ses marchands de bois, qui
passèrent à la Râpée,
(1) Notice écrite en 1858.
206 RUE DE LA BUCHERIE,
Il y en avait eu davantage sur la fin du siè-
cle \m% d'après cet extrait du registre de la Taille :
« Jehan le Batiiilleur, bùchier, Pronele, de Reims.
Mestre Rémy Je charpenlier. Jehan Je charpentier.
GuiJI' Laurent de bûche. Robert Auraz Je bùchier.
Adeleiue famé du feu Thomas au bois. Hemon le Bre-
ton, fournier. Gefroi Je Coislin. bùchier. Guill' Auuel,
bùchier. Alain le Breton, concertant. Thomas de Breban,
bùchier. Denise le Xeveu. Denise Je Breton, bùchier.
Gautier Roussel, mesureur. Grégoire Jolis. Rogier
Hardi, maçon. Le Glois, maçon. Guill' Le Grel, bù-
chier. Jehau Lescujer, son geudre. Jeiian le Breton,
bùchier.
Au temps de Franrois P', on trouvait aussi en
cette rue deux jeux de paume, et en 1674 main-
levée était donnée à M* Henri David d'une saisie
pratiquée sur sa maison et jeu de la Bùcherie,
où pendait un Saint-Louis, par le trésorier du
Domaine utile de la congrégation de Sainte- Gene-
viève, seigneurie censitaire de la plupart des pro-
priétés. Celles du voisinage avaient appartenu ou
appartenaient :. à Ogier, boucher, Herpin, pro-
cureur au Cliàtelet, Chabert, sergent à cheval,
L'EnseignauIt , teinturier, Chevrier, bonnetier ,
Guillaume de Voisins, écuyer, et Delamarre,
doreur de livres ; au chapelain de la chapelle
des Forgets, k l'abbé de Saint-Eloi, de Noyon,
à la fabrique de Saint-Landry et au collège de
la Marche.
Le Chàtelet rendit jusqu'à 36 sentences, à la
requête également des religieux génovéfains, qui
formaient opposition sur des loyers pour sûreté
des arrérages d'une l'ente, et celle-ci leur était due en
raison de la fondation dans leur église d'une cha-
pelle de Saint-3Iaurice. Si bien qu'en 1627 le
trésorier de Sainte-Geneviève ne craignait pas de
s'attaquer à Antoine Duboulay, un procureur au
RUE DE LA BUCHEUIE. 207
parlement, possédant deux maisons, l'une à l'im^ige
de Saint Jean, et l'autre à l'Aigle-d'Or, qui ou-
vrait rue du Fouarre, et faute par Duboulay
d'avoir produit ses titres de propriété, de s'être
fait inscrire au terrier de l'abbaye et d'avoir
acquitté le cens, ledit bien faisait retour au do-
maine de Sainte-Geneviève, dont il s'était détaché
en l'année 1432 h titre d'accensement ; seulement
Boulard, confrère de Duboulay, formait appel de
la sentence. Or tout nous aide à reconnaître
aujourd'hui, dans le n" 21, l'ancien immeuble du
procureur au parlement, détenu par le citoyen
Jacques lors de l'amortissement obligatoire des
redevances ci-devant seigneuriales. Quant k l'hu-
meur processive des seigneui's génovéfains à
l'endroit de notre rue, les gains de cause la
rendaient chronique ; sous Louis XV, ils saisis-
saient encore les revenus de propriétés échues à
l'Hôtel-Dieu, qui enjambait la rue ultérieurement,
en jetant un pont couvert d'une rive à l'autre.
Legoux, sujet de Charles VII et charpentier de
la grande cognée, avait pris du même monastère
h rente perpétuelle plusieurs maisons, rue de la
Bûcherie, notamment un hôtel îi double corps
et à l'enseigne de Saint-Marc, adjacent h une
autre de ses propriétés, et le rachat forcé de
la redevance déterminée en 4450 y incombait,
sous la Convention, aux citoyens Leclerc et
Firmin. Le charpentier accapareur tenait aussi
de l'abbaye, à croix de cens : 1" une masure à
l'angle de la rue des Rats, aujourd'hui de l'Hôtel-
Colbert (i), et c'étaient les débris d'une maison
(1) La rue de ]"Hôfel-Co]bert ouvre actuellement sur
]e quai, où Ja pioche lui a donué plus de largeur
qu'au-delà de la rue de la Biicherie, où elle commen-
(.■ait naguère.
208 RUE DE LA BUCHERIE.
ayant appartenu antérieurement à Geoffroy-le-
ïort, sergent ; 2" une autre bicoque, située au
coin de la place Maubert et que les religieux
s'étaient fait adjuger aux criées du Chhtelet ;
3" une autre encore, contiguë à la précédente
et ayant la même origine, maison qui touchait rue de
la Bùcherie à l'hôlel de la Tèle-Noire, possédé
à cette époque-là par M"" Labouclière. L'image
de la Tête-Noire décorait la porte du 9, dont
toute la ferrure a'escalier et de fenêtres ne
semble remonter actuellement qu'à deux siècles ;
quant aux masures, elles ont été refaites vers
le même temps, j'en atteste le fronton du 7. Un
autre fronton, n" il, est venu ennoblir l'encoi-
gnure de la rue des Rats antérieurement à 1714,
époque où la rue de la Bîicherie alignait 54 mai-
sons et '12 lanternes.
Vis-à-vis avance le 14, angle de l'ancienne
ruelle des Petiis-Degrès (i) : Jaillot voit même
dans cette dernière la ruelle qu'on avait com-
mencé par aliliger de la désignation repous-
sante de Trou-Punais. Dans tous les cas, le
bâtiment dont s'agit a été cédé par Nicole de
Vielfeullay, maître ès-arts, à Courtillier, mar-
chand, en l'année 1429 : il arborait l'image de
Saint-Pierre, il avait un chantier pour dépen-
dance, et le tout confinait d'une part à la maison
dite de Notre-Dame, ])Ourvue également d'un
chantier, de laquelle une vieille porte à clous nous
indique tout au moins la place n'' 16, et d'autre
part aux degi'és qui menaient de notre rue à la
rivière. Douze ans plus tôt le même Vielfeullay,
(1) La rue des Petits-Dcgrès n'avait ])lus de nom;
elle fait maintenant partie de 'la rue du Fouarre. Pour
donner plus de Jarfteur à cette extrémité nouvelle, cm
y a démoli vers 18G4 une maison, qui avait servi de
côrps-de-gardo.
RUE DE LA BUCHERIE. 209
en échange de messes à dire après sa mort,
pour le repos de son âme, avait constitué une
rente au collège de Sorbonne, et une autre de
20 livres parisis h l'abbaye de Sainte-Geneviève,
outre le cens qu'il devait h celle-ci déjà, lesdites
rentes reposant sur une maison rue de la Bù-
clierie, devant l'hôtel de la Couronne.
Le 13 n'a qu'un étage, mais on en a fait deux;
les femmes qui y séjournent se multiplient elles-
mêmes, dans une proportion bien plus large,
dont les galants pressés ont les frais à leur charge.
Au fond du 13., dont le précédent immeuble
a dépendu de fondation, un lavoir fait entendre
son roulement de caquets et son clapotis de coups
de battoir ; on y entre par la rue du Fouarre.
Il occupe une salle spacieuse, où de vieilles
arcades n'ont que partiellement disparu, et pour
charger des hottes de linge mouillé on s'y
appuie à des piliers dont la plupart sont plus
que séculaires. De la cour qui précède, le curieux
voit s'élever la rotonde, terminée en coupole et
soutenue par huit colonnes d'ordre dorique, qui
fut l'amphithéâtre, dans l'ancienne métropole de
la Faculté de médecine de Paris ; il y remar-
que aussi deux frontons, des sculptures de la
Renaissance et deux inscriptions latines, auxquelles
il manque seulement quelques lettres.
Les chartreux avaient vendu dès 1172 à la
-Nation de Picardie, d'où est sortie ladite Faculté,
et qui faisait partie auparavant de celle des
Arts, un terrain dans la rue du Fouarre; mais
il y a eu des écoles de Médecine sur l'un et
l'autre des côtés de ladite rue. On qualifia col-
lège celle qui s'ouvrait neuf ans après l'acquisi-
tion du terrain des chartreux, et une chapelle,
puis une autre, ainsi qu'un jardin affecté à la
botanique médicinale grandirent l'institution, en
210 RUE DE LA BUCHERIE.
élargissant son domaine. Les docteurs-régents y
ajoutaient, en l'année 1617, une maison de la
rue de la Bùclierie, à l'image du Cheval-Blanc,
que les religieux de Sainte-Geneviève avaient
baillée à cens dès 1430, et ils y faisaient élever
l'ampliitliéâtre, restauré aux dépens de Le Masle,
seigneur des Roches, chantre et cHiànoine de
l'église de Paris en l'année 1678, et qu'on a
rétabli encore en 1744.
Les assemblées de la î'aculté avaient lieu ré-
gulièrement dans une salle du premier étage, que
décoraient les portraits des doyens et qui allait
de plain-pied avec une chapelle où tous les sa-
medis se célébrait une grand'messe. C'est aussi
là qu'on procédait à toutes les élections; que la
robe et le bonnet se prenaient en grande cérémo-
nie; qu'on reconnaissait les professeurs, et que
les examens se passaient à l'issue de l'office
religieux du samedi. Les cours étaient faits principa-
lement dans les bâtiments contigus au sanctuaire
doctoral où se prenaient les grades, avant leur
translation rue Saint-Jean-de-Beauvais, dans l'an-
cienne école de Droit. Toutefois il y avait des
jours où l'amphithéâtre régentait, et ce fut même
avec autant de suite que de succès de 1781 à
1785.
Quelques années plus tard, qu'arrive-t-il? Les
baux à rente perpétuelle que les ci-devant reli-
gieux ont consentis sont réduits à l'état de pure
et simple emphytéose; le sol de l'ancien Cheval-
Blanc et les constructions y élevées pour les
écoles de Médecine passent aux Hospices, les-
quels permettent, sous l'Empire, qu'on y ensei-
gne encore l'anatomie. Cette administration
se défait du n" 15 au commencement de la Res-
tauration; M'-'^Boutry, femme d'un ancien notaire,
dispose dudit immeuble depuis 1849.
C'est sans doute h l'autre coin de la rue du
RUE DE LA BUCHERIE. îll
Fouarre que Mignot, receveur des tailles, a
laissé, au milieu du règne de Louis XIV, une
maison à Mignot, trésorier-principal de l'extraor-
dinaire des guerres, et à d'autres héritiers du
même nom, parmi lesquels sans doute figurait
le fameux pâtissier-traiteur, impatiente victime
de Boileau. Une douzaine d'années plus tard,
c'est-îi-dire en 1694, Mignot, boucher de la feue
reine, était propriétaire en cette rue, et Bédé,
écuyer, sieur de Longcourt, l'était aussi, mais
du chef de sa femme, entre la maison dudit
boucher et les écoles de Médecine.
Rue de BuflauU. (i)
M. Lenoir. — M. Buffcmlt. — M. Lejeune. —
Castil-Blaze. — Charles Maurice. — M. Mos-
selmann. — Saintine. — Adolphe Adam. —
Rœderer. — Le Général Gérard.
Par un bail emphytéotique de 99 années, signé
le P'" octobre i77S, Samson-Nicolas Lenoir prend
un vaste terrain, à la condition d'y bâtir, des
religieuses de l'hospice Sainte-Catherine, dont le
fondé de pouvoir est Antoine-François Rossignol,
prêtre et administrateur de l'hospice. L'archevêque
de Paris contresigne au contrat, sans doute comme
titulaire des droits de cens grevant le sol et
pour entérinement seigneurial de la mutation. Du
chapitre de Sainte-Opportune relève toutefois, dix
ans plus tard, une autre suite de places à bâtir,
adjacentes au lot de Lenoir et successivement
adjugées à Pigeot de Carey, un avocat au par-
lement, et h. sa femme, née Boullée. Les deux
spéculateurs de demander ensuite la permission
d'ouvrir une voie nouvelle, en prenant à leur
charge la dépense du premier pavé; le congé
leur en est donné la seconde année du règne de
Louis XVI, et ils obtiennent que la dédicace de
la rue ait lieu au titre de Buftault, par gratitude
d'avoir mené l'affaire à bien par le crédit de
l'échevin de ce nom, chevalier de l'ordre du roi
(!) Notice écrite en 1838. Le prolongement de la
rue Lafayette et celui de Ja ruo Olivier, dite ' après
coup du Cardinal-Fescli, ont lait depuis deux larges
trouées à travers la rue de Buffault,
RUE DE BUFFAULT. 213
et son conseiller en l'Hôtel-de-Ville. Le perce-
ment de la voie isole l'une dft l'autre les deux
propriétés ; la rive gauche est à l'avocat, la rive
droite au concessionnaire des hospitalières de
Sainte-Catherine. Présentez-vous maintenant, bour-
geois friands de parts toutes laites au gâteau!
Buffault, qui n'y gagne que la fève, doit mieux
que cela h M"^*" Duberry, dont le crédit lui a
valu de bonnes positions : elle s'est généreuse-
ment souvenue, quoique favorite royale, d'avoir
fait son apprentissage de modiste aux Traits-
Galants, magasin tenu par la femme de Buflault
dans la rue Saint-Honoré. Le protégé de M'"" Du-
barry est devenu directeur de l'Académie royale de
musique, receveur-général des Domaines et même
prévôt des marchands : sous sa prévôté ont été éche-
vins Jacques Chauchat et Charles Richer, parrains
aussi de deux rues du quartier.
Les héritiers de Carey font crier au Châtelet,
en 1791, les deux maisons n^' 3 et 5, qu'il a
fait construire et qui tiennent au terrain d'en-
coignure loué à M. de Cossé h cette époque ;
dans l'adjudication sont réservés le cens et les
droits seigneuriaux. Mais ia propriété dont il s'agit ne
se divise en deux (jue l'amiée 1844. Celles qui sui-
vent sont, en général, un terrain encore vague à
la mort de Pigeot de Carey.
Le 7 n'a de particulier que de servir d'habi-
tation actuelle à M. Lejeune, rusé chasseur qui,
pour son propre compte et comme prête-nom,
poursuit avec passion son gibier favori : le dé-
biteur solvable. Fossé, barrière, irrigation, aucun
obstacle ne l'arrête dans sa course, et il met ses
chiens sur les dents. Aussi que de malédictions
sur la tête de ce braconnier, qui se passe de
port-d'arme sans être garde-chasse! Pourtant il
a si peu la réputation de tirer sa poudre aux
14
214 RUE DE BUFFâULT.
moineaux que chaque papier timbré qui se si-
gnifie à sa requête relève quelque peu le crédit aux
aboisdu débiteur. Rarement on amisletlairdeLejeune
en défaut. Une fois néanmoins un de ses débi-
teurs avait si mal tourné qu'à l'échéance il fallait pro-
tester les billets de son bordereau au bagne. Le
créancier n'était pas homme k reculer devant le
supplément de frais occasionné par la complication
du peuplant à : le nouveau galérien lui paraissait de
ceux que l'objet de leur condamnation h temps avait
pu enrichir pour l'avenir. Mais, ù l'expiration de sa
peine, le maladroit escalada bientôt le mur d'un
paysan, qui le tua d'un coup de fourche. Le
journal raconta le fait, et M"'" Lejeune en pleura;
heureusement Lejeune vint essuyer ses larmes en
s'écriant : — Nous sommes sauvés ! L'homme
a si mal fini parcequ'il avait manqué de toute
prévoyance; mais, pendant qu'il était galérien, sa
femme légitime a fait fortune, grâce aux libéralités
d'un sénateur dont elle est la maîtresse, et comme
son mariage, faute de contrat, lui impose le
régime de la communauté, la succession du mari
est ouverte.
En 1792, Délaissement, menuisier, s'est rendu
adjudicataire d'un compartiment pour élever le
n° 9, où a cessé de vivre l'an dernier Castil-
Blaze, musicien, auteur dramatique et journaliste.
L'entresol du 19 est à jours d'ouverture cintrée,
et des balustres de pierre garnissent les croisées
du premier ; c'est là que Charles Maurice, homme de
lettres plus érudit que ses écrits ne l'ont fait paraître,
a rédigé son Courrier des Théâtres au commence-
ment du règnede Louis-Philippe. Vers le môme temps
a été édifiée ou refaite la maison qui suit, pour
Mosselmann ; or cet ancien épicier, plusieurs fois
millionnaire, n'a pas craint de servir lui-même
ses maçons, afin que l'œil du maître fût d'accord
avec ses épaules pour se rendre compte du choix
RUE DE BUFFAULT. 215
des matériaux, avant que la main-d'œuvre en
eût fait l'assimiliation. Susse, marchand de bois,
acquéreur de Pigeot de Garey ou de ses hoirs,
a cédé en 1808 à un entrepreneur, appelé Molloy,
de quoi mettre debout le 23, dont un petit jar-
din sépare encore à notre époque les deux corps
de. bâtiment : Saintine, l'auteur de Picciola, y
demeurait en i84S. Le 2o, nain passé géant,
s'est d'abord contenté d'un seul étage, qui depuis
treize ans ne lui vient plus qu'aux genoux.
De l'autre côté de la rue, les propriétaires
sont enclins beaucoup moins aux réparations ;
chaque fois qu'ils vont porter la redevance em-
phytéotique semestrielle au bureau de l'Assistance
publique, administration subrogée dans tous les
droits de l'ancien hospice Sainte-Catherine, ils ont en-
core six mois de moins à demeurer propriétaires. Le
bail n'expire-t-il pas en 1874? Les Hospices re-
prendront, au jour et à l'heure dits, les con-
structions et le terrain, tel que l'a mesuré un
procès-verbal de bornage, dressé en 1770 par
Persard et Payen, architecte-experts, en présence
de Rossignol, pour le côté appartenant à Sainte-
Catherine, et de Pigeot de Carey, pour le côté
où se suivent nos chiffres impairs. La toute-pro-
priété à gauche, l'emphytéose près de son
terme à droite : cette inégalité de conditions
n'explique-t-elle pas assez (Jue les frais d'entre-
tien soient plus épargnés ici que là? Voyez déjii
une masure qu'on a absolument abandonnée,
le n" 18, quoique ce fut l'objet d'un procès
entamé !
Un petit hôtel garni, portant le même nom que
la rue, donne aussi la mesure d'un triste laissez-
aller : Lasciate ogni speranza. Le 30 et le 32,
maison meublée plus consolante, n'ont comme le
précédent, qu'une moitié d'étage ordinaire et un bout
Î16 RUE DE BUFFAULT.
de jardin : ali ! comme on se dépêcherait de bâtir
au fond et de surélever la façade, si ce n'était
pas travailler pour le roi de Prusse! Le 6 his,
logis d'ouvriers, ne compte pas pour se relever
sur son principal locataire, qui est la matrone
de la -maison de tolérance voisine.
La propriété dans laquelle Adolphe Adam, que
nous avions pour ami, a récemment rendu le
dernier soupir, fait exception : elle porte le deuil
en blanc. . On en a même récrépit tous les murs,
redressé les planchers et repavé la cour oblongue,
au moment où le musicien y arrêtait un appar-
tement sur le derrière, et l'on eût dit que c'était
pour lui faire honneur! Ce n" 24 n'est pas le
seul qui ragoùte encore la vue; mais la majorité
des autres fait le contraire. Le 2, que Lenoir a
fait bâtir, garde un premier étage qui se res-
pecte. Les êtres et le balcon du 22 trahissent
l'ancien hôtel particulier. C'est, je crois, la mai-
son qu'occupait en l'an vin Rœderer, qui avait
provoqué aux Etats-Généraux l'abolition des or-
dres monastiques. Il y a de cela trop longtemps
pour que le numérotage soit encore le même :
Rœderer donnait son adresse n" 43.
Le général Gérard a résidé au 26, après avoir
épousé M"«= de Valence, la petite-fille de M"'* de
Genlis. C'était sous la seconde restauration.
Gérard se trouvait sans emploi, bien qu'il eût été
l'un des généraux chargés de présenter au roi
la soumission de l'armée en 1815. On sait que
Louis-Philippe lui a donné depuis le bâton de
maréchal; mais il n'habitait plus alors l'hôtel, où
l'avait remplacé comme locataire le coulisbier
Saucède, patron du passage de ce nom, et qui
a mangé 6 millions dans différentes entreprises.
Cet immeuble, au surplus, n'est jamais sorti de
la famille de son artisan, c'est-à-dire de David,
entrepreneur des bâtiments de l'hospice Beaujon.
Rue de Btiflbii. (i)
Ce qu'il y avait avant la Rue. — MM. de Buf-
fon Père et Fils. — Le Serrurier. — Esquirol
— M. Métivié., — MM. Loizerolles Père et Fils.
— M. Dubief. — Dom Théodore.
Pierre Jubert de Basseville, ingénieur du roi,
a dressé en 1739 un atlas de la censive ou sei-
gneurie directe de l'abbaye royale de Sainte-
Geneviève dans la ville et faubourgs de Paris.
Une chaussée y est seulement tracée entre le
Jardin-du-Roi et des chantiers', marais ou autres
jardins, dont celui-là depuis s'est agrandi, et elle
s'élève au rang de voie pavée sur un plan rec-
tificatif annexé au terrier vingt-six années plus
tard par Rivière, géomètre et arpenteur du roi
en la maîtrise des eaux et forêts au département
de Paris. Vers l'extrémité de cette avenue,
amorce de la rue qui nous occupe, une mai-
son est ouverte au public par Dubois, pâtissier-
traiteur, et il en dépend, outre des marais, un
fourré de bois, aujourd'hui enclavé dans le Jardin-
des-Plantes en face du n" 31 de la rue de Buffon.
Ce bois touche, d'après le plan, aux petites fer-
mes du sieur Plée ; des jardins régnent alentour,
dont le baron de Goulas dispose et qui seront englobés
eux-mêmes par le Jardin-du-Roi. La petite rivière
des Gobelins, aux deux rives bordées de saules,
suit à travers le clos Patouillet une direction
parallèle à la chaussée, qui coupe en deux un
(l) Nolicc écrite en 1858.
218 RUE DE BUFFON.
groupe de marais et de chantiers clairsemé de
maisonnettes. Le premier des chantiers, celui qui
se dessine le plus près de la Seine h gauche,
est mis par la Ville au service des marchands
de bois forains.
Or la maison Dubois n'était rien moins que
l'ancien hôtel Patouillet, et le pâtissier ne jouis-
sait pas de tout le clos de ce nom, qui était
encore à des particuliers en 1663 : Marie-Angé-
lique Dulbur de Nogent, femme du marquis de
Bannes d'Avéjan, maréchal-de-camp, en avait
vendu la meilleure partie à Sardier, plus de
vingt ans auparavant, et le Jardin-des-Plantes
en engloba postérieurement la presque totalité.
Ainsi se perdit un nom de lieu porté de temps
immémorial.
Quant au Jardin-^des-Plantes, Jacques Canaye y
avait reconnu la seigneurie génovéfaine en l'an
1603, et les ancêtres de ce propriétaire de l'hôtel
des Patriarches, maintenant un marché, avaient
été au XV* siècle des teinturiers, rivalisant avec
les Gobelin. Vingt-deux ans plus tard, Philémon
Voisin, secréiaire du roi, avait renouvelé cet
acte de vasselage, bien qu'il parlât de la maison-
jardin royalle des plantes médicinales, contenant
environ vingt-un arpens, y compris la hutte des
Coypeauœ, servant de voirie aux sujets de tah-
baye Saincte-Geneviefve, contenant lesdictes huttes
six arpens, occupé le tout par Antoine Vallot,
premier médecin de Sa Majesté. Ce tout appar-
tenait encore à messire Philémon Voisin; mais
Louis XIII s'en rendit acquéreur l'année 1633 et
ne tarda pas à nommer Guy-Labrosse inten-
dant du Jardin-du-Roi. Du fief Copeau il restait
en dehors la maison-mère et 2 arpens \;2. Malgré
les Tournefort et les Jussieu, la royale école
d'histoire naturelle ne lit florès dans le monde
savant que sous l'intendance de Dufay, qui se
RUE DE BUFFON <?19
montra géomètre, astronome, mécanicien, anato-
miste, chimiste et botaniste îi l'Académie des
sciences, et obtint pour Burton la survivance de
sa place au Jardin-des-Plantes.
Le prince des naturalistes y renouvela l'école
de botanique, acheta l'hôtel de Magny, sur la
rue de Seine, à présent rue Cuvier, pour y cons-
truire le grand amphithéâtre, doubla le jardin
au moyen d'autres acquisitions, y planta de lon-
gues allées et fit de la chaussée une rue, qui
ne se prolongea toutefois jusqu'au bout qu'en
1790, aux dépens d'anciens chemins herbeux du
clos Patouillet. Ce dernier avait été acheté en
1777 par Buffon, en son propre nom, avant de
s'incorporer autrement que de fait au Jardin-
du-Boi. Même transition pour la maison Copeau,
qui appartenait encore à Tassin en 1755, mais
au sujet de la quelle une déclaration censuelle
fut passée à seize années de là par Georges-Louis
Leclerc, écuyer, seigneur de Buffon, et confirmée
en 1778 par Georges-Louis Leclerc, comte de
Buffon. C'était le même intendant, le même écri-
vain qu'avant, mais avec un titre de plus, et il
se mettait pour écrire en grande toilette, soit à
l'hôtel de l'Intendance, que nous revoyons dans
cette rue et dans celle Geoffroy-Saint-Hilaire, soit
au château de Montbard, en Bourgogne. Il n'avait
pas conçu d'un jet tout son plan de régénéra-
tion et d'extension applicable au Jardin-du-Roi :
quel génie, d'ailleurs, est exempt des nouveaux
problêmes à résoudre que lui pose la mise en
œuvre et qui donnent lieu à des reprises! Il
arrive, par exemple, à l'intendant Buffon de céder
en 1781 aux religieux de Saint-Victor, ses voi-
sins, 12,404 toises de ce clos Patouillet dont il
s'est rendu possesseur quatre ans plus tôt, et de
recevoir, en échange, un terrain, qu'il vend an
roi l'année suivante; mais il se ravise en 1787
220 RUE DE BUFFON.
et rachète presque tout le lot dont les victorins
s'étaient arrangés pour sa commodité.
Le fils de Buftbn, à son tour, peu de temps
avant que la Terreur envoyé à l'échafaud cet
héritier d'un nom qui devrait lui servir d'égide,
vend 693 toises de toises de terrain, entre
notre rue et le cours d'eau des Gobelins,
le 5 juin 1792, i\ Mille, serrurier, qui a déjà
acquis de Buffon père un autre lot, sur lequel
il a édifié le iv 23 actuel de la rue de Buf-
fon. Petit homme et bossu, ce Mille! qui n'en
élevait pas moins son métier à la hauteur d'un
art. De lui sont toutes les grilles qui ferment le
Jardin-des-Plantes, ainsi que le pavillon du Bel-
védère, tout en fer et en cuivre, considéré comme
un chef-d'œuvre. Il occupait le n" 37. Quant à
son autre propriété, elle fut réunie dès 1789 à
la maison qui répond au chiffre 25 et dont le
comte de Buffon avait transmis l'emplacement à
Fiat, pharmacien distingué. C'est \h. qu'au com-
mencement de la Révolution Esquirol employa,
le premier, les passions humaines comme agent
curatif des maladies mentales : jusque-là on s'é-
tait borné à enchaîner les fous, lorsqu'on les
jugeait dangereux. De tous les points du monde
on vint consulter ce chef d'une maison d'un nou-
veau genre, à la mémoire duquel s'élève à Cha-
renton un monument, consécration de son initia-
tive et des applications heureuses de son système.
Aussi bien un autre médecin, M. Métivié, attaché
à la Salpétrière comme Esquirol, se montre
depuis 1808 fidèlement attaché au même immeu-
ble; il y a eu pour prédécesseurs M""" de Loi-
zerolles et son fils, dont le nom nous rappelle
un épisode révolutionnaire. On avait arrêté
M. de Loizerolles père, en même temps que
son fils, sous la Terreur, et tous les deux atten-
daient l'heure fatale, à Saint-Lazare, l'avant-veille
RUE DE BUFFON. 221
du 9 thermidor. Un huissier vient h la prison,
avec une liste, et fait l'appel des victimes des-
tinées à l'holocauste du lendemain; le nom est pro-
noncé de LoizeroUes tils, jeune homme de 2!2 ans,
qui dort dans un coin de la salle, et le père se
dépèche de répondre h sa place: — Présent!...
Le greffier en est quitte pour changer sur la liste
l'âge du prisonnier dont la mort va lever l'écrou. L'un
des deux LoizeroUes est, le lendemain malin, au
nombre des malheureux qu'emporte une chaiette
de la Conciergerie à la guillotine ; l'autre, en
gagnant un jour, doit son salut à la chute de
Robespierre.
Les n"' 53, 55, comportent des pavillons de
l'autre siècle, servant de magasin et de logement
à des employés du Jardin. Au reste, les numé-
ros de la rue ne répondent pas tous à l'appel ;
il en est qui s'appliquent, par une ambitieuse
prévoyance de l'administration urbaine, à de sim-
ples places à bâtir.
Il s'y rencontre encore un ou deux jardiniers-
pépiniéristes, autrefois plus nombreux dans ce
quartier avant tout botanique. Le n" 61 a passé,
par exemple, de l'un de ces horticulteurs à un
notable charpentier, M. Dubief, qui depuis 1826
a assemblé des pièces de bois pour toutes les
maisons neuves de sa rue et de bien d'autres
rues. Deux fils de M. Dubief étaient nos condis-
ciples modèles à Sainte-Barbe.
Au n" 73, vis-â-vis de l'ancienne résidence de
Buttbn, loge un savant modeste, dom Théodore.
Le -comte de Saint-Geniès a fait pour ce béné-
dictin, fort érudit dans les sciences naturelles,
les vers qui suivent :
Lorsque la gloire de BuOTon
Obtient de nos respects le tribut légitime,
Nous gardons une part d'estime
Pour son modeste ami, le sage Daubeuton.
222 RUE DE BUFFON.
Leur exemple se renouvelle,
Nous Yoj'ons encor des savants
De cette union fraternelle
Offrir des modèles vivants.
r,e nom de d'Orbigny décore un vaste ouvrage,
Précieux monument d'un travail infini;
Mais, comme le travail, la gloire se partage,
El nous rendons un juste hommage
Au Daubenton de d'Orbigny.
Rue Cadet, (i).
N"' 5, 7, 9, 13, 15, 16, 19, 21, 23, 24, 26, 28, 30.
A Paris, la noblesse qui n'a pas fait ses preuves
avant la Révolution, descend ordinairement des
Halles. Là se réalisent depuis longtemps les
premiers des profits qui permettent à un maraî-
cher économe, laborieux et marié h l'avenant,
d'avoir des descendants qui le renient pour aïeul.
Le chevalier Cadet de Chambine, qui était maire
d'Enghien-Montmorency sous la Restauration,
aurait-il reconnu de gaieté de cœur pour ancêtres
les anciens jardiniers du clos Cadet? Il y avait
toutefois des Cadet déjà en vue au temps de la
Pléiade poétique de la Renaissance, dont pas une
étoile n'a jeté un éclat aussi populaire et aussi
clair. Jacques et Jean Cadet étaient maîtres-jar-
diniers dès le règne de Charles IX au terroir des
Porcherons, où pour passer à la postérité ils
n'ont jamais eu d'autre titre que leurs titres de
propriété, et la famille Saulnier s'est levée aussi
matin pour ramer ses pois près des leurs.
Que de maisons il a poussé dans les marais
arrosés de la sueur des jardiniers Baudin, Saul-
nier et Cadet, depuis que la campagne s'y est con-
vertie en faubourg, puis en quartier de la grand'ville!
La fleur même de la bourgeoisie n'a-t-elle pas
(1) Notice écriie en 1858. La rue Lafayetle commen-
çait encore à la rue du Faubourg-Poisonnière ; depuis
lors elle a traversé de part en ])art Ja rue Cadet, qui
a perdu du coup une quinzaine de maisons, dont quel-
ques-unes seulement sont remplacées par des constructions
neuves.
224 RUE CADET.
quelquefois commencé par en être la gousse, la
plante potagère ? L'esprit d'ordre gagnerait à ce
que bien des familles se souvinssent, par tradition,
d'avoir arrosé, récolté, épluché quantité de
légumes.
En 1670 le jardinier Etienne Pévi^er et sa femme,
Elisabeth Cadet, achetaient de Jean Saulnier et
de Michelle Baudin plusieurs pièces de terre cul-
tivée, dans la censive des cheveder, chanoine et
chapitre de Vesglise collégiale Madame Saincte-
Opportune à Paris, sieurs des\ Percherons, du
fief de Coquatuse, Huran et austres fiefs assis à
la place aux Veaux. M"*" de Lorraine, abbesse
de Montmartre, était aussi dame des Percherons,
mais en partie ; son ressort seigneurial ne s'y
confondait pas avec celui de Sainte-Opportune, dans
lequel se trouvait le clos Cadet. Lorsqu'Anne et
Elisabeth Février furent en possession de l'héri-
tage de leurs père et mère susnommés, elles
avaient des terres mitoyennes avec celles de
Jeanne Cadet, femme de Dufresnoy, tailleur
d'habits.
Mais le clos Cadet proprement dit appartenait
en 1694 à Marie Ranier, épouse de Mathieu de
Montholon,. conseiller au Châtelet. C'était une
petite maison avec trois arpens de marais, clos
de murs ; la face principale en regardait la place
du même nom, par-dessus le mur ou ii travers une
une grille, et la croix Cadet surgissait au même
angle ; mais la porte donnait sur la rue qui prit
le nom dudit Montholon. Ce magistrat y avait
pour tenants Jean Saulnier d'une part, Simon
Brochet d'autre part, et par-derrière étaient 70
perches que lui avaient vendues Anne et Elisabeth
Février. A M. de Montholon appartenait également,
du chef de sa femme, un terrain de 5 arpens
contigu à la propriété locale de labbesse de
Montmartre et à celle de Cagnet; ledit terrain
RUE CADET. 225
longeait la rjie du Faubourg-Poissonnière, alors
Faubourg-Sainte-Anne, entre les rues de Montho-
lon et Bleue. Du clos Cadet avaient dû se déta-
cher l'hôtel et la maison des frères Lecocq dont
nous avons parlé rue Bleue. Mais le chemin
conduisant de la porte Montmartre à Clignancourt
ne sappelait encore comme le clos que par
variante.
A ce chemin aboutissait en 1690 un terrain
d'un arpent et demi qui touchait à l'égoût de la
ville (rue Richer) et que la comtesse de la Mark
tenait de sa mère, marquise de Bougainville.
Dès le commencement du règne de Louis XV
on connaissait la rue Cadet ; mais on disait
encore plus volontiers : rue de la Voirie, à cause
d'un dépôt, d'ailleurs favorable ii la culture des
marais et des jardins du voisinage, qui occupait
l'encoignure de gauche à l'entrée de la rue Roclie-
chouart. Une berge de voirie longeait ce côté
de la rue qui servait à la fois d'avenue et de
déversoir au réceptacle d'immondices. Le pont
des Porcherons était jeté, comme un voile pudique,
sur les embrassements fangeux qui mariaient la
voirie avec l'égout, au bas de l'avenue. Elle était,
avant tout, celle des plaisirs populaires, malgré
les impuretés matérielles dont l'air de la campa-
gne s'y imprégnait. Des guinguettes n'avaient pas
eu peur de s'y ouvrir sur un marché aux Porcs.
L'eau qui suivait sa pente, au pied des cabarets,
était trouble et puante avant même d'en emporter
le trop-plein ; elle n'en donnait que moins envie
au vin de sa mésallier dans les verres. Sans le
fumier, pas un Cadet pour metti'c en plein rapport
le jardin le mieux exposé ! Les jardiniers des
Porcherons fournissaient même des bouquets pour
tant de fêtes, des melons et des fraises à tant de
bonnes tables, des fèves et des salades à tant de
couverts sans nappe que la reconnaissance leur
226 RUE CADET.
faisait un devoir de verser rasade aujc /?/î, dans
les cabarets d'alentour. Mais savez-vous encore,
ô Parisiens contemporains du Casino-Cadet, qui
l'on appelait des fifi ? Leur surnom venait, disait-
on, de ce que les jolies 1111 es refusaient, aux Por-
cherons, de danser avec ces gens-lîi et répondaient
à leurs invitations par des fi tellement dédaigneux
que le nez en ftiisait la moue avec la bouche
sur la figure de ces Parisiennes, encore plus bégueu-
les que celles du Casino. Delamarre parlait d'eux
en son Traité de Police ; il nous suffit d'en citer
le renvoi qui figure dans la table du iv"'* volume :
« Maîtres Fifi, ou maîtres des basses-œuvres ne
cureront les fosses et retraits sans permission de
justice. »
L'odeur prédominante en cette rue a rarement
été, nous en convenons, celle de la poudre îi la
maréchale. Néanmoins le duc de Richelieu y a
eu ses Porcherons, et c'était dans la maison même
dont le Casino-Cadet dépend. Le terrain de M'"^
de la Mark avait été incorporé ou conlinait à
cette vaste propriété, qui fut d'abord un hôtel
de campagne pour le prince de Monaco, avec ses
écuries de l'autre côté de la rue.
La maison et le jardin passèrent, sous la
Régence, \\ un sieur Charpentier, qui pendant
plus de dix années y eut pour locataire le roué
par excellence. Au-dessous venait une bicoque à
Ambroise, gagne-denier, puis le clos affermé par
Montholon à un jardinier. Au dessous : Lemoine,
salpôtrier ; Renault, jardinier; Lecocq; Desmoulins,
sergent de gardes-françaises, non-seulement pro-
priétaire, mais encore occupant, comme s'il n'était
que bourgeois ; un carrossier enhn, au pont. Les
propriétaires du côté opposé étaient en ce temps-lù
Baudin, bourgeois, la veuve Millet et Lemoyne,
oisellier. Le sergent de ladite rue y était-il en
état de service ? Il y avait un peu plus tard, nous
RUE CADET. >* 227
en avons la preuve, un corps-de-garde à l'endroit
où elle s'élargissait en manière de place, et
il se percevait sur ce carrefour des droits
d'entrée en ville à la même époque. Le carrossier
était le locataire ou le successeur des Harel, héri-
tiers de Raoul : ledit Raoul, potier d'étain, avait
bâti sur un terrain acquis de Fontaine, secrétaire
du roi, mais aliéné dès l'année 1601 par le cha-
pitre de Sainte-Opportune au profit de Gellée,
entre la Grange-Batelière et des terres au petit
Hôtel-Dieu (sur la rue du Faubourg-Montmartre).
Si bien que le pont des Porcherons était dit
aussi pont-Raoul.
Pour la rue Rochechouart, elle fut d'abord
chemin de la Croix-Cadet-îi-Clignancourt et des
Porcherons -à-Glignancourt ; la dernière de ces
désignations s'étendit même au chemin de la
Voirie. Mais, en dépit de l'autorité topographi-
que du plan de Turgot, la dénominaiion de Cadet
a commencé à être préférée dès que le chemin
s'est érigé en rue ; ainsi le fond du n" 80, tel
que vous pouvez le voir, se bâtissait pour Magne,
voiturier, en l'an de grâce 1717, sur une place
cultivée en marais, avec permission d'alignement
sur le chemin du Clos-Cadet, dit aussi des
Porcherons-à-Clignancourt . L'amiral Duperré n'était
encore que capitaine de vaisseau lorsque, sous
Louis XVIII, il avait ce domicile. Les n"' 28 et
26 sont des constructions basses du même temps.
Le 24 n'est venu faire sa partie qu'un peu plus
tard dans le concert galant des Porcherons, mais
avec la sourdine de la petite-maison, pendant que
les guinguettes jouaient plus bruyamment le» mêmes
airs.
Disons adieu, en traversant la rue, à l'ancien
manège royal. Tranféré rue Cadet en 1823. il
y succédait à un quartier de cavalerie, qui lui-
même occupait l'ancien hôtel d'un grand seigneur ;
228 RUE CADET.
le comte d'Aure a dirigé, avant Tassinari, cette
école d'équitation, dont la Ville payait, le loyer
et que subventionnait l'État. Sa porte monumentale
et décorée de chevaux, qui rappel ent ceux de
Marly, va disparaître ; la pioche aura raison de ce
qu'à épargné la tlamme il y a treize ans, dans
cette propriété, et l'incendie y paraissait si bien
l'avant-coureur d'une démolition sans réserve que des
tronçons de poutres montrent encore leurs
moignons carbonisés, comme si le feu était
éteint d'hier. Tassinari a transporté l'école près
de là, passage des Deux-Sœurs, où M. Leblanc
donne à son tour des leçons d'équitation et des
chevaux en location. Adieu pareillement à des
masures qui, rue Cadet, touchent l'ancien manège
et ont été logis de maraîchers ! Le tond des n°* 19,
15, 13, dont les constructions remontent seule-
ment" à 1828, repose sur un terrain qui apparte-
nait aux Hospices.
Le 16, qu'a occupé M. André Cottier père,
négociant, et puis le maréchal Clausel, n'est autre
que l'ancien pied-à-teri'e de Richelieu. Bien que
le plan de 1739 ait déjà mis en vue cette pro-
priété, elle garde encore, en les cachant, de
grands arbres plantés par les ordres de M. de
Savary, grand-maître des eaux et forêts de Nor-
mandie, donataire en l'année 1773 de Le Cordier
de Bégars, marquis de la Londe, président à
mortier au parlement de Rouen. Le prince Murât,
propriétaire actuel, ne s'y plaint pas des empié-
tements de la pierre de taille et du moellon; il
les lavorise, au contraire, n'ignorant pas que les
arbres rapportent beaucoup moins. Le Grand-
Orient et le Casino n'occupent pas tout l'immeuble
du prince.
En face, voici, n" 9, l'ancien hôtel du marquis
de Cromont. Ce nom seigneurial n'était-il pas
une contraction de Coqueromont ? Un Coqueromont,
RUE CADET. 229
qui n'avait pour ergot que ses talons rouges,
ne fut-il pas beau-frère du comte de Bermotiville?
Si le propriétaire de cet Lôtel, en 1766, n'était
pas de la même famille, il ne s'en fallait que
d'une lettre; dans un titre censitaire son nom
se présente ainsi: Jules-David Cromot du Bourg.
A sa place, en 1710, avait été Philippe Lemoine.
La salle Pleyel mettait l'immeuble en vue, et la
bonne compagnie en connaissait bien le chemin
quand les concerts qu'on y donnait avaient pour
virtuoses Tulou, Martin, M"'« Malibran, Nourrit,
Ponchard. Des négociants y ont à cette heure
leur comptoir, et la Caisse hypothécaire ses pré-
cieuses archives, registre censuel de Monseigneur
l'argent, auquel tant de propriétaires sont tenus
de rendre plus que foi et hommage. Le 7 a été
édifié, en 1813, sur l'ancien jardin du marquis.
Claude Michelet, écuyer, capitaine des chasses
et garde de la vénerie de Louis XIV, a épousé
M"" Ambroise Hérisson, propriétaire de 2 arpens
1/2 sur le terroir des Porcherons, en la censive
de Sainte-Opportune et grevés d'une petite rente
envers l'hôpital Sainte-Catherine. Jean Baudin,
jardinier, a acheté de cette dame, en 1693, et
revendu ensuite par lots ledit terrain, et ce n'est
pas la seule opération du même genre qu'il ait
faite sur la même ligne, où notre l'ue bordait le
triage des Pointes, d'après le cadastre seigneu-
rial du chapitre de Sainte-Opportune. Baudin le
susnommé était mitoyen avec Philippe Lemoine
pour une propriété comportant deux maisons
et un jardin. Un autre Baudin, jardinier-botaniste
aux Porcherons, était cité en 1783 pour son
cabinet d'histoire naturelle.
De respectables bicoques se retranclient dans
la cour du n° 5, et nous y remarquons une
vacherie, dont le laitage se débitait déjà avant l'a-
vénement de Louis XVL Faut-il que celte, étable
15
230 RUE CADET.
ait la vie' dure pour avoir résisté, sur un point
de Paris devenu si vivant, à la nécessité, de plus
en plus pressante, de réduire les habitations aux
proportions des alvéoles d'une ruche ! Le grand-
père de Guilliet, le nourrisseur actuel, achetait
la propriété dès l'année 1773, et fournissait lui-
même un petit lait réparateur aux roués et aux
filles d'Opéra dont les petits soupers avaient délabré
l'estomac.
Les rue, place et passag^e du Caire, (i)
Du 23 juillet 1798 date l'entrée victorieuse des
troupes françaises au Caire. A la fin de l'autre
siècle remonte aussi la foire du Caire, nom col-
lectif donné pour commencer aux passages et à
la rue du même nom, ouverts à la place du ci-
devant couvent des Filles-Dieu, et principalement
sur le jardin de ces religieuses. La spéculation
en était faite par une compagnie constituée tout
exprès, et le terrain qu'elle exploitait était resté
en dehors de la ville jusq^u'au règne de Charles V.
Un hôpital suburbain y avait été fondé en l'an
1316, et les Filles-Dieu n'en avaient pris posses-
sion qu'après s'être établies dans le faubourg
Saint-Denis, qui resta plus longtemps forain.
Ce monastère devait ii sa seconde installation
la contiguité de la cour des Miracles, ou plutôt
du principal des repaires connus à Paris sous ladite
dénomination. Cette cour, qui fut supprimée à
l'époque de la majorité de Louis XIV, ne con-
sistait plus alors qu'en un très grand cul-de-sac
puant et boueux; il y fourmillait encore des mendiants
et des voleurs, parlant argot et jaloux de con-
server le droit d'asile, dont vint pourtant à bout
la force armée. C'en était fait d'une bohème qui,
depuis Louis XI, avait dégénéré, si tant est que
la lie puisse encore descendre ! Les truands de
la cour des Miracles avaient eu leurs lois et leur
chef, d'après le tableau si chaud de ton que
nous en a donné Victor Hugo, dans son roman
épique : Notre-Dame-de-Paris. Notre bohème à
(1) Notice écrite en 1858.
232 LES RUE, PLACE
nous va moins en guenilles ; mais elle promet
toujours plus qu'elle ne tient : nouvelle façon de
vivre aux dépens du prochain !
Contentons-nous d'une place du Caire moins pit-
toresque assurément que le fut le royaume des
truands et truandes. Les cardeuses de matelas s'y
réunissent chaque jour, en se racontant tout ce
qu'elles savent, et le champ est vaste. Ou ne leur
confie pas uue seule toile h matelas sans qu'il se lève
au moins une chemise devant ces sages-femmes de la
couchette ; elles distinguent la place du mari de
celle de sa femme, rien qu'au tlair, et quand il
arrive à la laine de garder deux empreintes qui
n'en font qu'une, il n'y a pas de danger qu'elles
disent: C'est un ménage! Leurs illusions et leurs
cheveux tombaient déjà lorsque s'est édenté lé
démêloir de ledr jeimesse ; des griffes d'acier y
ont poussé à temps, et la carde, substituée
au peigne, décrasse, démêle, crêpe enfin une che-
lure qui ne craint plus la calvitie. Eu rajeunissant
la litei'ie d'un étudiant ou d'une grisette, d'une
actrice ou d'un vieux garçon, comme elles sou-
pirent ! comme tout leur rappelle un temps où elles
chômaient aussi les fêtes sans carillon, et si mobiles,
de la reucontre, du rendez-vous, du cadeau, des
adieux, du retour ! Plus une cardeuse a l'air d'une
sorcière, mieux elle s'entend h rafraîchir la
couche de la veuve, au sommier semi-mortuaire,
dont elle fait celle d'un autre hymen. Mais, pour
se rajeunir elle-même, il faut qu'elle aille jusqu'à
se comparer aux mascarons, aux sphinx et aux
petits bonshommes égyptiens, ces derniers courant
sur une frise, qui décorent la maison d'en face
et où commence le passage. Ce musée d'un style
exotique s'est inspiré des Pyramides, et des géné-
rations de matelassières, depuis la formation de
la place, vénèrent dans ces hiéroglyphes un symbole
de leur profession, honorée sans doute à Memphis
ET PASSAGE DU CAIRE. 233
de la même façon qu'à Paris ; il suffit que le
sphinx ait la tête et les mains d'une femme,
avec des griffes, pour qu'elles voient une cardeuse
de Tlièbes dans cette image fabuleuse, qui ne leur
paraît plus un monstre.
Le passage du Caire, dont la principale indus-
trie est l'impression lithographique, aurait bien
dû illuminer quand Napoléon III a supprimé l'obli-
gation du timbre pour les circulaires de commerce ;
cette émancipation a enrichi le passage, qui s'en
est montré reconnaissant par des frais d'embellis-
sement. Jusque-là il fallait tenir, en cas de pluie,
les parapluies ouverts dans ses galeries, qiij en
plusieurs endroits manquaient de couverture vitrée.
On y compte plus de numéros que de maisons,
chaque raison de commerce voulant le sien. C'est
au n" 127 qu'un, élégant viveur naufragé, ayant
nom Froment, a fondé un canard, soi-disant journal
de spectacles, pour en faire sa planche de salut,
sous le règne de Louis-Philippe. Notoirement
illettré, il eut pour rédacteur et pour second un
comédien sans engagement, dont la plume s'exerça
dès-lors à la tlatterie : régisseurs, contrôleurs et
directeurs étaient portés aux nues en style quel-
conque par l'acteur qui passait auteur. Celui-ci
n'a pas eu, depuis, d'autre talent ; mais c'en était
assez pour prospérer ; il continue ses platitudes
sur une échelle plus en vue. Celui-là, au contraire,
a misérablement fini, après avoir passé trois ans
à courir après des annonces au rabais et chez
les divers marchands de vin où il avait rendez-
vous, tous les soirs, avec les crieurs de program-
mes qui avaient stationné à la porte des théâtres.
Froment a succombé à une tâche qui, plus tard,
a mieux réussi à quelques-uns de ceux qui, le
pied leste, sans bagage qui les embarrasse, entrent
furtivement dans la presse ou dans le théâtre, par
quelle porte? par celle des claqueurs, des mar-
234 LES RUE, PLACE
chauds de contre-marques et des coureurs d'an-
nonces. Les mendiants de la cour des Miracles
se couvraient jadis de fausses plaies ; les intri-
gants de notre époque n'ont de postiche que les
qualités dont ils se parent, et si vous en voyez
qui réussissent h se faiie prendre pour ce qu'il
ne sont pas, tenez pour assuré que dans
leurs veines il coule encore du sang de ces
mêmes gueux qui montraient autrefois de fausses
ankyloses.
La spécialité commerciale des chapeaux de paille
domine, au contraire, dans la rue du Caire, dont
toutes les maisons ressemblaient d'abord à celles
qui n'ont encore que deux petits étages. Parmi
les maisons exhaussées il y a environ vingt an-
nées, figure le 21, où mourut, le !28 avril 1810,
un modeste vieillard, Gilles Thomassin, qui n'avait
échappé à la mort révolutionnaire qu'à cause de
de la chute subite de Robespierre. L'ancien régime
avait peu de partisans plus enthousiastes que ce
bonhomme, portant jusqu'à la tin un bonnet de
coton sur une coiffure à queue. Le jour où la
corporation des cuisiniers-queux-traiteurs, dont il
était le buraliste, avait été tout-àfait supprimée,
Thomassin avait pour tout de bon désespéré de
son pays. Les statuts de la communauté, objet de
ses regrets amers, dataient du mois de mars
1599 ; à différentes reprises Louis XIII et Louis
XIV les avaient confirmés, et notre homme les
savait par cœur, aussi bien que le nom de tous
les bâtonniers de cette confrérie, dont il n'était
pourtant pas membre ; son ex-bureau était quai
Pelletier. A plus d'une reprise il avait adressé
à l'empereur, par l'entremise d'un aide-de-cuisine
attaché à Cambacérès, une pétition suppliante pour
relever sa chère institution et pour mettre un
frein aux désordres nés de l'anarchie culinaire.
Celte rare persévérance eût fait croire que le feu
ET PASSAGE DU CAIRE. 235
sacré, le génie de cet art l'éclairait ; mais c'était
pour sa propre gloire un culte désintéressé. Etant
jeune il avait échoué, comme aspirant à la maîtrise,
en subissant son examen devant des bacheliers,
maîtres et administrateurs de la confrérie ; il
avait manqué le chef-d'œuvre que l'apprenti^^vait
exécuter sous les yeux mêmes des jurés, et cette
déconvenue, subie k la lueur des fourneaux, avait
relégué le praticien dans les ténèbres de la bureau-
cratie. Pour obtenir la maîtrise sans épreuve, il
eût fallu que Thomassin fût fils de maître et élève
de son père, ou qu'on l'eût agréé comme aide
dans une maison princière.
Rue de la Calandre. {i\
L'Impôt des Calendes. — Le Prieuré de Saint-
Eloi. — Pépin-le-Bref. — Flicoteaux. — Les
Images. — Hôtel de Bourgueil. — Le Coupe-
Gorge. — Dagobert. — Juin 1848. — L'Evêque.
— L'Auberge. — L'Industrie.
Tristes misero vendre calcnâœ,
disait Horace. Les calendes, ces premiers du
mois, étaient chez les Romains jours d'échéance
et de contribution. Du temps de Jules-César, on
appelait à Paris via Kalendaria la rue où se
payait l'impôt : tout autre interprétation étymolo-
gique fait fausse route, bien qu'au xni'= siècle la
rue de la Calandre ait porté, outre son vrai nom,
celui de Rue qui va du Petit-pont à la place
Saint-Michel.
Saint Marcel, évêque de Paris, y était né; c'est
pourquoi,lejour de l'Ascension, le clergé de Notre-
Dame faisait une station au seuil d'une maison qu'on
trouvait la cinquième à droite, en partant d'une
place Saint-Michel, ensuite rue de la Barillerie (:2).
Cette propriété que céda à titre d'échange, en
l'an 1230, le prieur du Temple au chapitre
de Saint-Marcel, est du petit nombre de
celles qui, dans la rue, ont fait place à des con-
structions postérieures au règne de Louis XV.
(1) Notice écrite en 1858. La rue de la Calandre a
disparu depuis; Ja place en est prise par la caserne de
Ja Cité.
(2) Maintenant boulevard du Palais.
RUE DE LA CALANDRE. 237
Parmi les pièces relatives aux biens et héritages
qui s'échelonnaient en face sous Charles VI, nous
remarquons: 1'* un bail fait par les religieux de
Saint-Eloi au profit de Belloyn, pelletier, et il
s'y agissait d'une maison qui tenait du côté de Notre-
Dame à des dépendances de leur prieuré et qui
avait pour vis-ii-vis les jardins du Palais, en
aboutissant par derrière aux galeries et jardins
conventuels; 2" un acte pareil, rendant Lamouroux,
autre pelletier, locataire d'une maison contiguë
à la susdite ; 3" l'acte d'une donation, faite par le
curé de Saint-Merri aux religieux, d'une propriété
assise entre le mur du cloître et celle de Simon,
qui formait angle devant .le Palais. Ces construc-
tions du moyen-âge ont été jetées bas lors de
l'élargissement de la rue de la Barillerie, et rempla-
cées sur un plus petit espace.
Le n" 3!2 actuel, que M. Bosc a fait bien ré-
parer, était l'une des maisons priorales indiquées
plus haut comme adjacentes t^i la location de
Belloyn; elle a servi de résidence h quelques-uns
des successeurs dÉtienne de Senlis, évêque de
Paris, prieur de Saint-ÉIoi, et c'est plus tard, en
1629, qu'ont été mis les barnabites au lieu et
place des religieux de Saint-Éloi. Aucun jour ne
pouvait encore y être pris sur le jardin de la
communauté, en 1541; mais la prohibition, provisoi-
rement levée lors du séjour épiscopal, a per-
mis de faire payer chèrement la même tolérance
aux propriétaires postérieurs, en sus des 30 livres
tournois et 11 deniers de cens dûs à l'arche-
vêque de Paris, qui restait leur seigneur. En
1766, la maison était adjugée par sentence de
licitation h l'un des héritiers de Dehansy, huis-
sier du roi. L'ancienne salle de l'évêque s'y
divise aujourd'hui en quatre pièces. Des vestiges
de peintures, des médaillons curieux, des espa-
gnolettes dédorées, des plaques de contre-cœur
238 RUE DE LA CALANDRE.
de cheminées aux chiffres de François I", de
Henri IV, de Louis XIV, et une vaste cuisine,
qui descend insensiblement du rez-de-chaussée au
sous-sol : telles sont les curiosités de l'immeuble
dans lequel nous voyons l'ancien chef-lieu féodal
de Saint-Eloi.
La belle porte cochère du 30, une Sirène sculptée
en pierre et un balcon semi-circulaire à jolie rampe
de fer, que se passent, comme une bague, comme un
gage d'alliance, deux bâtiments, du côté de
la cour: ne sont-ce pas également des reliques
a conserver? Cette propriété, dans laquelle un
sieur Rousseau forma une belle bibliothèque
vers 1685, avait fait partie d'un séjour de
Pépin-le-Bref, que nous retrouverons rue Saint-
Éloi. Célébrité plus moderne, un prince de
la cuisine regrattière, dont le pays Latin a
constitué lentement l'apanage, faisait emplette de
l'immeuble en l'an xn, le 22 nivôse; c'était Jean-
Nicolas Flicoteaux, traiteur à prix réduits, dont la
réputation dans le quartier des écoles rejaillit, après
lui, sur plus d'un successeur, non moins habile
à substituer aux mets connus des plats n'en ayant
que le nom. Joseph Barrière, bijoutier de la cour,
a possédé de même le n° 28, avant la grande
révolution.
Frappons maintenant à une petite porte dont
les deux battants sont sculptés, n" 31. L'année 1573,
une sentence était rendue par le bailli de la justice
temporelle de Saint-Eloi, qui condamnait Claude
de Héry. graveur, propriétaire de ce logis à l'ensei-
gne du Cheval-blanc, et ci-devant au Mouton, tenant
d'un côté à la Couronne, d'autre part à la Cloche
et par-derrière en vue de la rivière, k payer 4 deniers
parisis de cens h l'évéque, avec quinze années
d'arrérages. En ce temps-là chaque façade mon-
trait une image différente. Il y avait ainsi rue
de la Calandre: le Singe, dont le propriétaire
RUE DE LA CALANDRE. 239
plaidait en 1503 avec les religieux ; le Cygne,
pris à cens en 1443 par Fradin, sergent à che-
val, ayant pour voisins le couvent et un hôtel
ci-devant à Pierre de la Roche; les Trois-Rois,
requis pour le cens par sentence de la prévôté
en 1587 ; la Treille, contiguë aux Trois-Pas de-
Gré; Saint-Martin, qui touchait à une allée de
cinq pieds, débouché réservé en 1480 au jardin
conventuel par Jacques de Cauleir, archevêque
d'Ambrun, prieur commendataire ; l'Écu-de-
France, sur lequel étaient contestés les droits
seigneuriaux de Saint-Éloi, sous Henri II, par la
veuve de Hotman, propriétaire, et par le pro-
cureur du roi, maître au Trésor. Plus tard les
enseignes se rangeaient, là comme dans toutes
les autres rues; il ne leur était plus permis de
pendre sur la tête des passants ; mais on conti-
nuait cl en compter autant que de portes, dans
la rue de la Calandre, au moment de la Révo-
lution, entr'autres le Croissant, le Lasse-Quenet,
la Prison-de-Saint-Crépin, le Cœur-Royal, la Cou-
ronne-d'Or, le Heaume, le Rœuf-Couronné.
Les degrés à rampe de fer jusqu'au second,
puis à balustres de bois, qui desservent le 25,
paraissent presque jeunes dans une rue d'origine
romaine : le pendant ne s'en trouve ni aux arènes
d'Arles ni dans l'exhumation d'Herculanum. Mais
la Cité, cœur de Paris, n'a rien gardé qui ne
soit fort empreint du caractère national. Le
moyen-âge en a fait disparaître toutes les traces
d'une domination dont l'invasion des Francs n'é-
tait venue à bout que par une assimilation reli-
gieuse qui les avait rendus libérateurs. D'ailleurs
la rue de la Calandre avait vu payer aux Césars
trop d'impôts pour vouer un culte au percepteur,
dont le bureau, s'il avait survécu, ne réjouirait
que nos archéologues.
Le 23, qui depuis un siècle appartient h la
240 RUE DE LA CALANDRE.
même famille par-devant, el dont l'arrière-corps
de logis forme un immeuble différent, est pourvu
d'un escalier à vis, dont les marches déprimées
rayonnent dans une cage d'épaisseur gothique : on
lit encore sur la porte le titre (X Hôtel Bourgueil,
Donc les abbés de Bourgueil, près Saumur, y
ont eu leur maison de ville. Leur prédécesseur
Etienne de Bourgueil, professeur de droit à Angers,
puis archevêque de Tours et fondateur d'un col-
lège à Paris, avait autrefois pris part à des
discussions réglées sur les juridictions ecclésias-
tiques, où Philippe de Valois était représenté
par Pierre de Cugnières. L'hôtel de Bourgueil est
longé par la ruelle des Cargaisons, barrée depuis
1825, dont la largeur varie en deçà d'un mètre ;
ce coupe-gorge, qui s'appela aussi rue de la
Femme-Écartelée, était muni en 1714, de deux
lanternes à la clarté desquelles on parvenait à
s'engager dans un cul-de-sac encore moins spa-
cieux.
Va se découvre la seconde porte du n" 19,
qui en a une troisième, quai du Marché-Neuf,
16, où se perpétue la vieille enseigne du Pélican.
La face regardant notre rue est sénile îi rendre
jalouses d'une longévité domestique encore valide,
Jîien des ruines plus monumentales de l'antiquité.
Néanmoins la tradition va un peu loin qui fait de
ce manoir l'un des anciens séjours de Dagobert,
vis-à-vis de la rue de saint Eloi, son compère.
3Iarie-Elisabeth de Nicolaï, veuve du marquis de
la Châtre, et Geneviève Vallier, femme de mes-
sire Le Mayrat, en étaient détentrices, l'année
1631 ; ensuite M"'" Le Mayrat, épouse d'un Pajot
d'Onzembrai, en a disposé, comme le faisait encore
en 1785 la présidente Gaultier de Bessigny, lille
du marquis Joachim Le Mayrat, président à la
cour des comptes. Puis le grand-père de M. Pan-
nier s'est rendu en l'an xni adjudicataire de la
RUE DE LA CALANDRE. 241
maison, dont la toiture, en juin 1848, a servi à
couler des balles : cette place de guerre offrait
d'avantageux la triple issue et les triples caves aux
quelles plus d'un vaincu dut son salut, pendant qu'un
jeune mobile célébrait sa victoire, dans la man-
sarde d'une jeune fille, où il fit un seul pri-
sonnier, qu'elle cacha pendant neuf mois.
Quant au 17, qu'un mur, crénelé d'une grille,
sépare sévèrement d'un bâtiment avec lequel il
faisait d'abord qu'un, il n'a pas eu de rois, mais un
évêque pour premier occupant, dit-on : ses sculp-
tures et ses ferrures, en effet, ne dérogeraient
pas à cette origine distinguée. La maison appar-
tenait à la fabrique de Saint-Germain-le-Vieux depuis
un temps immémorial.
De l'autre côté de la ruelle, Gaspard Moreau
de Verneuil, maître des comptes, était propriétaire
au temps où florissait la présidente ; il y suc-
cédait à son père, Gaston Moreau de Bréville,
sieur de Verneuil, et îi sa mère, Jacqueline Le-
poupet, qui eux-mêmes avaient pris possession
des lieux après la famille Arnouillet. 11 y avait
place pour Leroy-Duvivier entre Moreau de Ver-
neuil et l'aubergiste Confier, dont l'Arche-de-Noé
communiquait par une allée avec les Trois-Rois.
L'Arclie-de-Noé avait appartenu auparavant à M'"* de
la Hogue, née ïoutain, à M'"*= Toutain, née Leva-
seur, h I.evasseur et h Claude de Ferrière, ayant
un tapissier pour locataire. Confier avait, d'autre
part, le nommé George pour plus proche voisin,
et celui-ci M. de la Morillière, après lequel ve-
naient dans le même sens : la veuve d'Aubigny,
Hersandault, le président Portail et le comte
d'Arias.
Pierre de Ravel eut, vers la même époque,
deux maisons, près celle de M'"*' Gaultier de
Bessigny. Toutefois cette dame fut, à un autre
242 RUE DE LA CALANDRE.
moment, en mitoyenneté simultanée avec la fabri-
que de Saint-Germain et avec MM. Sauvage, con-
tigus au marquis de Vaugny.
Notre-Dame pendait à l'un des deux coins de
la rue aux Fèves, lorsque Germain de Montèrent
disposait de l'autre, où il pendait un Saint-Michel,
et qui aliénait à une maison au curé de Saint-
Pierre-des-Arcis. La famille Ancel-Desgranges suc-
céda a ce détenteur et précéda Lemierre, épicier,
qui perdit à la Résolution le droit que lui don-
nait cet immeuble de se qualifier déjà bourgeois de
Paris. Le lapidaire Jacques Tellier avait les deux
corps de logis de Notre-Dame, en 1779. La di-
recte de l'archevêché ne s'étendait qu'à la moitié
de cette propriété ; l'autre moitié en était recon-
nue à la commanderie de Saint-Jean-de-Latran
par un arrêt du grand-conseil, prononcé le 25
mai 1734, Une autre maison appartenait à Jean-
Marie ïiron de Nanteuil, orfèvre-bijoutier du roi,
sous Louis XV et sous Louis XVL Le bureau du
corps des Teinturiers se trouvait alors même
rue ; mais ce n'était pas une raison pour qu'elle
tirât son nom de la machine qui sert à lustrer
les étoffes.
La plupart des maisons s'y trouvaient occupées
aux xvi* et xvn* siècles par des maîtres de tous
corps d'étal, qui ne souffraient sous le même
toit que leur famille et leurs apprentis. Cet isole-
ment n'est plus, rue de la Calandre, que le pro-
pre d'un ou deux cabarets à deux fins, où l'ivresse
du gros vin et de l'eau-de-vie de pomme de terre
coûte mouis bon marché que celle de la chair.
Rue du Canivet. (i)
S'il faut absolument donner de la particule h
cette petite rue, nous préférons au du le de. Il y eut
un Canivet partisan sous Louis XIII, et que l'on
accusa d'avoir accaparé les deniers prélevés sur
les vins à titre de droits d'entrée, pendant le
siège de Corbie, que les Espagnols gardèrent
peu de temps. Ce financier traitait avec l'Etat
pour la ferme des impôts, comme Lefeuve, son
oeau-frère, comme Chabenat, comme Eimery ; il
fut un assez grand personnage pour qu'un hôtel
au moins portât son nom, et cet hôtel pouvait
donner dans la petite rue que nous voyons, ou
l'avoir pour avenue, ou encore l'avoir fait sortir
de ses dépendances. Elle reliait dès 1636 la rue
Pérou à celle des Fossoyeurs (Servandoni). Mais
sa dénomination pourrait aussi provenir du vieux
mot canivet, signifiant petit canif, et faire allu-
sion à la préexistence d'une enseigne de coutelier.
L'article du n'est pas autrement justifié par la
version officielle. Cette hypothèse étymologique
nous inspire, à la vérité, d'autant moins de con-
fiance que la même orthographe, si l'on y lient,
serait mieux commandée par une autre interpré-
tation. Les maçons appellent caniveau une pierre
creusée dans le milieu pour faire écouler l'eau,
et la déclivité du terrain n'a jamais cessé de
rendre insuffisants, en cas de pluie, les ruisseaux
des deux rues perpendiculaires h celle du Canivet.
Etienne Charlet, sieur de Versailles, capitaine
au régiment du roi, donnait en 1670 d'une mai-
Ci) Notice écrite eu 1858.
244 RUE DU CANIVET.
son, sise rue Canivet, 16,o00 livres tournois à
Jacques Sanguin, qui l'avait héritée du président
au parlement de Bretagne Yves Sanguin : le nou-
veau propriétaire y tenait encore d'une part à
un Sanguin, également président, par une petite
maison, et de l'autre côté par-derrière à Guillaume
Sanguin, oncle de ce magistrat. La veuve Edmont,
cinquante deux ans plus tard, vendait ïî4,300 livres
une propriété dans la même rue à Paris de
Montmartel, frère de Pàris-Duverney et de deux
autres linanciers. Les quatre Paris avaient orga-
nisé de concert l'opération du visa, qui rédui-
sait d'un quart la dette de l'Etat à la mort de
Louis XIV. Montmartel, postérieurement garde du
Trésor, puis banquier de la cour, fut fait comte
de Sampigny.
Rien de ces deux mutations, que les Archives
de l'Empire nous révèlent, ne transpirait dans les
souvenirs locaux. Que savent donc les indigènes
actuels de leurs prédécesseurs? Ils ne risquent
rien de nous dire que l'immeuble portant le
chiffre 1 a fait son lit en même temps que la rue :
une petite niche sert de timbre ii cet acte de
naissance sur la façade. Mais sans eux nous ne
saurions guère que la porte bien ferrée du 2
ferme sur Tancienne propriété d'une communauté
religieuse du quartier. Ils regardent le 3 comme
bâti pour le prijice de Beauvau, mais occupé
ensuite par un des membres de cette famille
Breteuil dont la fortune remonte à la faveur du
cardinal Dubois. M. Gocliin, qui est le plus Parisien
des membres de l'Institut et de la Commission
municipale, a disposé, avant M. de Mongeon, de
cet immeuble, dont l'aristocratie déchue nous
impose encore davantage que bien des trains de
maison princiers de ce temps-ci. Toutes les
grandeurs gagnent-elles à être vues de près ?
Rue Cardinale, (i)
Pas de rue Cardinale visible sur les anciens
plans, de Paris qui le plus souvent sont nos gui-
des. Son percement n'en a pas moins eu liea,
quinze années avant la mort de Louis XIV, sur
un terrain dépendant du palais abbatial de Saint-
Germain-des-Prés, sous les auspices de très-haut,
très-puissant et éminentissisme Mgr Guillaume
Egon, landgrave de Furstenberg, cardinal de la
sainte Eglise romaine, évêque et prince de Stras-
bourg, abbé commendataire de la dite abbaye
royale. Ce cardinal restaura le palais abbatial et
y rendit le dernier soupir en 1704: il avait eu sa
maison de campagne à Saint-Germain-en-Laye, en
même temps que sa maison de ville au faubourg
Saint-Germain.
La rue Cardinale tourne, comme une aile de paren-
thèse. Ses maisons ouvrent presque toutes sur
d'autres rues. M. Rousseau, qui a compté ses
portes, n'a pu aller que jusqu'à 2. Rien à tirer
des autres pour notre prudent émissaire, inappris
aux échelles de soie aventureuses.
On lui a pourtant raconté qu'une escalade eut
lieu dans cette rue d'origine monastique, à la
tombée de la nuit, en janvier 1832. L'écrivain
romantique Gustave Drouineau, qui demeurait n" 4,
avait été forcé de ceindre, comme bizet, les buffle-
teries de la garde nationale ; il venait de faire
faction à la porte de sa mairie, sans distraction,
sacrifice suffisant, et il revenait déjà las du voyage ;
il allait retrouver chez lui ses chers livres,
(1) Notice écrite en 18r>8.
16
RUE CARDINALE. 246
ses rêveries de poète, au lieu de passer la nuit
sur le lit de camp patriotique, lorsqu'il enten-
dit tout-à-coup des cris jetés par une jeune
femme. Une fenêtre était entr'ouverte, au pre-
mier des petits étages qui composent le n" 5,
et les clameurs aiguës partaient de là. Emprun-
ter une échelle à son portier, grimper jusqu'à la
fenêtre, le sabre au poing, fut l'affaire d'un instant
pour l'auteur du Manuscrit Vert. Son travestisse-
ment militaire allait enfin servir à quelque chose,
s'il empêchait un mari de battre sa femme, ou
un amant jaloux de se baigner dans le sang de
sa maîtresse. Mais, une fois dans la place, le
bizet chevaleresque se vit lestement éconduit par
un monsieur, en gilet de flanelle, qui à coup sûr
se trouvait dans son droit. — Quel est ce don
Quichotte, dit-il à Drouineau, qui pousse l'imper-
tinence jusqu'à entrer ici par escalade, pour y
voir ma femme qui accouche ? Partez vite, ou je
vous fais descendre sans échelle.
Le 7 et le 9, rue Cardinale, sont de construc-
tion pareille au 5, et cette identité nous étonne
d'autant moins qu'ils ont originairement fait partie
des communs du palais. Toutefois l'aliénation a pu
commencer avec la conversion en rue de ce
chemin intérieur de l'abbaye, qui n'en resta pas
moins dans l'enclos abbatial jusqu'à la Révolution.
Le bourgeois Barré père s'y rendait adjudicataire, en
1754, d'une maison qui était mise en vente sur
licitation entre co-héritiers.
De 1808 à 1814 la rue a porté le nom de
Guntzbourg, en raison du combat livré le 9
octobre 1805.
Rue des Cariiiei^. (i)
Collèges de Laon, de Presles et des Lombards.
Pour faire place à la rue des Ecoles, les n°* 7,
9, 11, 13, 15 et 17, 16, 18, 20, 22 et 24 delà
rue des Carmes vont disparaître. Les locataires
de ces vieux bâtiments ont tous effectué, le 15
du présent mois d'avril 1858, leur déménage-
ment définitif, et la démolition est commencée.
La petite et montueuse rue des Carmes, percée
vers 1250, porta d'abord le nom du Clos-Bruneau,
sur lequel elle s'était ouverte ; mais, lors de
l'avènement des Valois, on l'appelait rue Saint-
Hilaire, parce qu'elle aboutissait à l'église placée
sous cette invocation. Les grands-carmes, dits
aussi les carmes de la place Maubert, s'y établi-
rent en 1318, au point oli se trouvent aujourd'hui
et la rue Basse-des-Carmes et le marché. Ces
(1) Au moment où Vllnion (numéro du 24 avril 1858)
douiiaità ses lecteurs la primeiir de celte notice, Je
vent de la démolition sonfilait avec fracas dans la rue
des Carmes, croisée par la nouvelle rue des Ecoles ;
celle ci, tout en déployant son envereure aux dépens
de l'ancienne, daignait y faire entrer dans son pjumage,
dès le premier duvet, une aile de l'ancienne rue de
Judas. Pareillement, au bas de la rue des Carmes,
celle des Noyers a mué au profit du boulevard Saint-
Germain. Le prolongement de la rue Du Sommerard,
ci-devant des Mathui ins-Saint- Jacques, a ouvert plus
récemment une autre parenthèse dans l'alinéa des
numéros pairs. Tant d'accointances nouvelles imposaient
un abaissement de niveau et un élargissement, dont les
amorces donnent lieu à deux sortes d'inégalités.
248 RUE DES CARMES.
religieux îi manteaux barriolés avaient acheté les
bâtiments du collège de Dace, fondé par un
Danois sous Pb'Mppe-le-Hardi, et ils en revendi-
rent une portion au collège de Laon. Dans la
même rue, au surplus, se tinrent plusieurs écoles
mémorables.
Les numéros impairs, parmi ceux dont le deuil
commencerait pour Fédilité parisienne, si elle en
avait moins à porter du même genre, répondent
à l'ancien édifice du collège de Laon et à ses
dépendances. L'histoire de cet établissement n'est
fixée par aucun des livres vieux ou nouveaux ;
il nous faut recourir, pour en donner le précis,
à ces documents inédits, bonnes fortunes de
l'explorateur, qui sont épars dans les archives
de l'Empire, de l'Université et de la Ville.
Gui, chanoine de Laon et de Saint-Quentin,
trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, applique
dès l'an 1305 à des écoliers pauvres, nés ù Laon,
étudiant à Paris, 2i2 livres parisis de rente sur la
prévôté de Laon ; par cette assignation il rem-
plit, fidèle exécuteur testamentaire, le vœu de
Huard de Courtegis : cette rente doit servir
de première pierre à l'édifice d'un collège de Laon,
que ledit Stuard a eu l'intention de fonder. Un
peuavantlafindu règne de Philippe le-Bel, Gui s'asso-
cie il Raoul de Presles, avocat-secrétaire du roi,
pour ouvrir à la fois, sur le mont Sainte-Geneviève,
deux maisons, fondations distinctes, en dépit de
la vie commune des vingt-huit écoliers de Laon
et de Soissons qui y sont défrayés : la provision,
pour ceux de Laon, consiste en une rente de
100 livres et des maisons rue Saint-Hilaire. Mais
les deux créateurs, qui ont trop présumé de
l'amitié qui les unit en voulant qu'elle fût trans-
missible, séparent les deux collèges, eu l'an
1323 ; ils chargent leur ami Thomas de Marfon-
taine, conseiller de Charles IV, de procéder à un
RUE DES CARMES. 249
partage, et cet arbitre prend conseil du légiste
Pierre de Cugnières. Les boursiers de Laon en
sont réduits d'abord à l'emplacement que plus
tard a occupé le collège de L'sieux ; ceux de
Presles gardent la chapelle et la plupart des
constructions, à condition de servir 24 livres de
rente à l'autre communauté.
Aux termes des statuts, mis en vigueur dans
celle-ci en 1327, et qu'Albert de Laon déclare
d'inspiration divine lorsque deux ans après il les
confirme, les écoliers doivent avoir atteint l'âge
de puberté, être aptes à prendre les degrés de la
faculté des Arts et assez pauvres pour que leur
revenu, soit comme patrimoine, soit comme béné-
fices, n'excède pas 8 livres parisis. Seize bour-
siers, nommés pour sept ans et par l'évêque de
Laon, doivent élire leur principal, ainsi que leurs
procureurs, qui rendront chaque année des comptes.
La nourriture pour chaque élève est évaluée
3 sols parisis par semaine, avec variante faculta-
tive, selon la hausse ou la baisse du prix des
denrées ; la dépense en est suspendue pendant
les vacances, c'est-à-dire de la Saint-Jean à la
Saint-Rémy, excepté pour le principal, le chape-
lain et deux boursiers, commis i\ surveiller les
bien communs.
En mai 1328 meurt Gui de Laon, et des con-
testations s'élèvent entre le collège et la succes-
sion du cardinal de Bruges, dont le défunt a été
l'administrateur. Gérard de Montaigu, autre avocat
du roi, chanoine de Paris et de Reims, exécuteur
des dernières volontés du trésorier de la Sainte-
Chapelle, détermine une transaction ; puis il
parfait l'œuvre du fondateur, en dotant la com-
munauté de l'hôtel du Lion-d'Or, qu'il habite, rue
Saint-Hilaire, près du collège de Dace, dont tout
n'est pas cédé par les carmes aux boursiers de
Laon. Montaigu donne, en outre, 300 livres aux
250 RUE DES CARMES.
seigneurs religieux de Sainte-Geneviève, pour per-
mettre le transfert des écoliers à l'hôtel du Lion-d'Or,
déplacement qui s'effectue en cérémonie le 8 octobre
1340, avec l'approbation de Roger d'Armagnac, évê-
que de Laon. Foulques, évêque de Paris, accorde, le
15 juillet 1342, la permission d'y ouvrir une cha-
pelle. Les bâtiments abandonnés sont dans un si
mauvais état que le cardinal de Dormans, fonda-
teur d'un autre collège, en traite pour 14 livres
de rente. Eh bien, le Lion-d'Or est ce même
édifice que rase à l'heure qu'il est la grande rue
des Ecoles (rue des Carmes, n°' 7, 9 et 11).
L'exemple de Montaigu est suivi par des bien-
faiteurs, pieux ou savants, qui successivement
dotent le collège de Laon, en y fondant des
messes ou des bourses. Parmi ces donateurs nous
remarquons : *
Le principal Jean Blonde!, docteur en théologie : 60
sols parisis de rente (1344).
Le CaroQ, chanoine de Saint-Denis-du-Haut-Pas, qui
crée une bourse en léguant deux maisons (1353).
Adée de Cemy, femme d'un apothicaire : 20 livres
12 sols de rente (135.1).
Jean de Couci, docteur en médecine, chanoine de
Reims et de Laon, ancien boursier, léguant 40 rcahs
et sa bibliothèque au collège, plus 36 livres de rente
pour deux bourses (1364).
L'ancien principal Thomas Froissait de Yoyennes,
docteur en médecine : une maison (1375).
Buisye, pénitencier de l'église de Paris : 56 livres
de rente (1381).
François de Montaigu, qui a pour mandataires posthu-
mes Gérard de Versignj- et Pierre Cramette, lègue 500
livres pour fonder une bourse avec chapellenie, dont
le premier titulaire est le susdit Gérard, qui passe
ensuite principal (1382).
Le même Gérard de Versigny, (:n qualité d'exécuteur
RUE DES CARMES. 251
testamentaire et au nom de Raoul de Rousselot, évêque
de Laon, décédé en J323, approvisionne deux nou-
veaux boursiers, tant artiens que théologiens, et cette
fondation est assise sur la moitié d'une vaste propriété
du testateur, sise rue de la Verrerie (1388).
Escaillart, doyen de l'église de I.aon : 100 francs
d'or il39]).
Raoul de Harbes, docteur en médecine et cbancùne
de Chartres, crée quatre bourses, avec deux maisons
pour assiette, lesquelles sont l'objet d'un procès qui
durera plus d'un siècle et demi (1407).
Motel, chanoine de Noyon, ami de Raoul de
Harbes, consacre 1,000 écus à une bourse chapelaine
(1408).
Landreau, notaire au Chàtelet, gratifie la communauté
d'une propriété à l'enseigne de la Tète-Noire, rue
Saint-Antoine, et de 20 sols de retite sur une maison
rue des Barres, à l'enseigne des Chapelets (1450).
Jeanne, veuve de Noument, avocat aux comptes: 40
sols de rente (1461).
Henri Dufour, bedeau de la nation de Picardie :
même somme (1185).
Desfontaines: 75 livres 11 sols 4 deniers (149S).
Le principal Gobert de TournemeuUe : 4 deniers (1512.)
Roussel, ancien prieur de Saiut-Deuis-de-Poix, crée
par testament une grande et une petite bourse, à la
préseutatioa du prieur de Pois: 2,900 livres tournois
(l.'jSli).
Le principal Jean Berthoul, pour une bourse à la
nomination des maire et échevius de Chaourse, diocèse
de Laon : une maison et des vignes à Arcueil, plus
610 livres tournois (1542).
Jean Villain, graud-chapeiain et procureur des écoliers
de Laon : 3 pièces de tapisserie, 7 volumes de grande
glose et 80 livres (1555).
lie grand-chapelain Pierre Gourdoux : 55 sols tournois
de rente (155/).
Le principal Claude Cardon : 100 livres (1580).
252 RUE DES CARMES.
Le Pot, prieur de Saiat-Mesme, pour une petite
bourse à la collation des prieur et religieux de
l'dbbaye de Saint-Quentin : filO écus d'or, valant 1920
livres.
Chrétien curé de Nantouillet, pour une petite bourse
et un obit : une maison rue des Bernardins, plus 30
livres de rente (1603).
L'ancien principal Jean Boquillart, chanoine de Laon,
nomme le collège et la fabrique de Notre-Dame de
Laon ses légataires universels, pour qu'enfin les
boursiers puissent subvenir à la dépense d'obtention
des degrés rendue obligatoire par les statuts, mais
jusque-là trop lourde pour la plupart: 2,202 livres .5
sols 7 deniers. (1638)
Stupra, prêtre de Notre Dame-des-Vertus, lègue 100
livres au principal, à la charge perpétuelle de faire
apprendre des métiers à des orphelins de son village
(1643)
Le principal Jean Hubert, abbé de Saint-Rémy-lès-
Secs : 1800 livres, pour le revenu en être distribué,
moitié aux enfants pauvres de sa lignée, moitié aux
boursiers malades de Laon (1650J.
Charles de Vendeuil, chanoine de Laon, crée, moyen-
nant 2,000 livres, une petite bourse pour un enfant de
chœur de la cathédrale de Laon, à la charge, pour le
titulaire, d'enseigner le plain-chant aux autres petits-
boursiers.
Tilorier, chanoine de Laon, fonde une petite bour&e
en 1678, puis une grande, cinq ans après, pour des
étudiants de Marie, diocèse de Laon.
Laffilet, capitaine au régiment de Picardie, 300 livres
(1678).
Garbe, docteur-régent de la faculté de Médecine :
4,000 livres (16H7).
Le grand-chapelain Paucet : 300 livres (l<î70).
L'abbé Menguy, exécuteur testamentaire et au nom
de Louis Cousin, président de la cour des Monnaies:
3,800 livres pour 6 bourses (1707).
RUE DES CARMES. 253
Marteau, docteur-régent de la faculté de Médecine :
600 livres (1710).
Ce rappel ne suffit-il pas pour nous initier à
la vie et à la raison d'être des petits collèges
d'autrefois? Ne voit-on pas avec plaisir que
souvent les boursiers, les officiers d'une pédagogie
se gardaient d'oublier, s'ils arrivaient à la fortune,
les bancs oîi ils avaient appris ii s'en passer ou
îi s'en servir noblement ? Outre les principaux du
collège de Laon dont les noms figurent ci-dessijs,
il en est quelques-uns dont fadministration lais-
sait de bons souvenirs à l'université de Paris.
Par exemple : Louis Dubois, aumônier de Louis
XIV ; son successeur, Philippe Dormay, oncle du
capitaine Laflilet susnommé ; Le Comte, qui
gouverna la maison durant la Régence ; David,
dont le commencement du régne de Louis XV
vit la principauté.
La suppression des petits collèges, ordonnée
par le parlement en 1763, n'a renvoyé à Louis-
le-Grand, érigé en chef-lieu des bourses de ces
collèges, que trente boursiers, dont douze théo-
logiens, pour celui de Laon, principal et cbape-
lains compris, au lieu de quarante-quatre, chiffre
où s'élevaient les diverses fondations. Les rentes
ayant subi, depuis quatre siècles, plus d'une réduc-
tion, des économies sur les charges avaient été
indispensables.
Ses vastes bâtiments n'étaient plus occupés
exclusivement par le collège de Laon, au moment
de cette réunion ; il y avait aussi pour locataires des
particuliers. Les élèves passaient dèjîi rue de la
Montagne-Sainte-Geneviève par une seconde issue,
qui faisait presque une rue des cours. Le principal
tirait 1,500 livres du corps de logis du milieu, qu'oc-
cupait encore il y a quelques jours un barbier
qui, tous les dimanches, rasait h peu près mille
mentons, et dont le gigantesque lavabo comportait
251 RUE DES CARMES.
seize cuvettes. Le chef de cetto usine jouissait
d'un jardin qui avait servi à un pensionnat de
jeunes filles. L'occupant des mêmes lieux, sous
l'Empti'e, était un vacher, et la Ville s'en trouvait
d'avance propriétaire, comme pour faciliter tôt ou
tard l'expropriation.
Les trois caduques propriétés qui suivent, et
dont la dernière heure sonne également, n'ont-
elles pas leur pierre à léguer au ilionument que
nous élevons ? Elles tlgurent au nombre des dix-
sept maisons possédées en ville par le collège
de Laon à l'époque de sa fermeture. La première,
placée sous la censive des chanoines de Saint-
Benoît, avait pour enseigne la Corne-de-Cerf ; la
confrérie de Saint-Yves en disposait sous Charles
VII ; elle produisait 71S livres en 1763. La seconde,
grevée d'un cens au profit de Sainte-Geneviève,
répondit à l'image de Saint-Marc et au Nom-de-
Jésus ; construite, comme la précédente, sur les
dépendances du Lion-d'Or, elle était divisée en
deux avant nsi, époque où ses loyers montaient
à 688 livres ; en dépit de la décrépitude de ses
murs, qui était avérée déjà en 1763, elle rappor-
tait encore 653 livres, exploitée en hôtellerie de
bas étage ; l'abbé Fourneau, comme administra-
teur des bourses des collèges supprimés, en
passait bai) à un relieur six ans plus tard. A
la porte de la troisième desdites maisons, laquelle
fait le coin de la sinistre rue du Clos-Bruneau, dite
précédemment de Judas, pendait jadis une Epée-de-
Bois, que remplaça une Sainte-Catherine ; ce n'était
le 17 décembre 1519, jour où le collège de Laon
en donnait 100 pistoles, ce n'était qu'une étable,
avec un lopin de terre par-derrière, en la censive
de Saint-Marcel du côté de la rue des Carmes,
et de Sainte-Geneviève sur la rue de Judas.
Quant au collège de Presles, frère jumeau de
celui de Laon, nous retrouvons n"* 6, 8, 18, 12
RUE DES CARMES. 255
et 44 ses bâtiments, dont la plupart composent
une caserne, en face du marché établi en 1813.
Raoul de Presles fut arrêté par l'ordre de Louis-
le-Hutin, comme complice de Latilly, chancelier
de France ; on ne le reconnut que plus tard
innocent de l'empoisonnement de Philippe-le-Bel, et
Philippe-le-Long l'anoblit, le chargea d'aflaires, en
montrant plus de confiance encore à Jeanne de
Presles, sa parente, dont les royales amours con-
tribuaient du moins à réhabiliter une famille
taxée injustement de régicide. Laon avait vu naître
Raoul. Jeanne de Chastel, sa femme, coopéra
avec lui à la fondation du collège, qui fut aussi
dit de Soissons, et les boursiers lui durent une
maison, placée sous la censive de l'évêque, et
qui n'est plus de nos jours enclavée dans la
même propriété : Chaulet, marchand de vin de la
rue Saint-Jean-de-Beauvais, père de M'"'' Tardu,
propriétaire actuelle, acheta de la Nation en l'an
Yi cet immeuble, maintenant le n" 6. Raoul de
Presles, sieur de Lisy, personnellement donna,
entre autres choses, à sa communauté de treize
boursiers, plus deux chapelains : 1" le bois de
Lisy, près Château-Thierry, dont les héritiers
d'Enguerrand de Couci lui avaient fait hommage ;
2° trois maisons, rue des Carmes. Ce roi lui-même
dont Raoul fut le secrétaire gratifia le collège de
24 arpens de bois. Nous posons donc les jalons
de l'histoire d'un établissement de fondation
royale.
Bernard Hémard, principal de Presles au com-
mencement du xv*' siècle, acquiert de Raoul
Maquerel la terre d'Amigny, tenue en foi et
hommage du sire de Couci, surintendant des finan-
ces de Charles VI, et puis le fief du Mets, rele-
vant du duc d'Orléans, dont Couci est aussi le
chambellan. De ces biens sont dotés le collège ;
mais le bienfaiteur ne veut pas y créer de bourses
256 RUE DES CARMES.
nouvelles ; il se borne à ordonner qu'on prenne
h l'avenir quatre boursiers dans sa famille, ou dans
celle de Godefroid Bouille, ancien principal du
collège, ou bien natifs de Saint-Pierre-de-Vitry,
et il impose à ces quatre étudiants le culte par-
ticulier de la Sainte-Vierge, à laquelle n'est pas
moins dévot Louis XI, qui règne alors.
Jean Pinchard succède aHémard, lorsque l'occu-
pation anglaise a diminué les revenus de la maison
et par suit^ le nombre des boursiers, lacunes
qu'il prend à cœur de remplir ; il meurt le 28
octobre 1470, léguant h la communauté ses meu-
bles, sa bibliothèque et des biens-fonds, dont sept
maisons dans la rue du collège. Au nombre de
celles-ci figurent, les n"' i6, 18, 22 et 24, que
les pioches ont déjà décapités de leur toiture au
moment où j'écris. A la mort de Pinchard, on a
laissé la jouissance viagère de deux de ces corps
de bâtiment, où pendait un Sauvage, h son neveu,
Pierre Pinchard, chanoine de Saint-Cloud ; puis
le médecin Jean Le Reuil les a pris à loyer.
Les deux autres numéros cités ont répondu à
l'image de la Bouteille, puis à celle de l'Etoile ;
■ affermés de même h Le Reuil, ils n'ont plus fait dès-
lors qu'une propriété avec les précédents, en arbo-
rant de concert le Ca^oissant-d'Argent. Le tout a
été loué plus tard par un tailleur, qu'y a trouvé
le bureau d'administration des petits collèges, lors
de leur réunion, sous la grand'maîtrise de Fourneau,
en 1763. Du 26 au 38, toutes les propriétés ont
fait partie du même legs et seigneurialement relevé
de Saint-Marcel. On y a remarqué, presque en
face du 23, la Petite-Caille, baillée à rente en
l'année 1608 à Desjardins, sous la condition de
la rebâtir ; ce tenancier y a établi par-derrière un
jeu de paume, que le collège a repris à lin de
bail.
Un autre principal, Nicole Le Sage, assure qu'il
RUE DES CARMES. 257
lui est dû par la maison, en 1553, la somme de
2,099 livres ; mais il en fait l'abandon par testa-
ment, à la condition que son âme participera aux
prières de ses obligés.
En ce temps-là le collège de Presles et celui
de Beauvais, qui ne sont séparés que par un mur,
se rapprocbent encore plus l'un de l'autre par
une amitié réciproque dont sont animés leurs
élèves ; si bien que le principal de Presles Pierre
Laramée, célèbre sous le nom de Ramus, s'en-
tend avec Omer Talon, principal de Beauvais,
pour qu'une porte soit ouverte entre les deux cours
respectives. Ramus, ancien élève de Navarre, puis
maître de logique h l'Ave-Maria, a commencé par
démontrer qu'Aristote n'est pas inlaillible,. mais en
affichant la même indépendance au point de vue
religieux de la Réforme ;. aussi Antoine de Gouvéa,
barbiste de cette époque, a-t-il dénoncé les ten-
dances impies et séditieuses des écrits et des
leçons de ce maître, auquel Henri II a interdit
l'enseignement de la philosophie. Ramus donne
des leçons de dialectique aux étudiants de Presles,
et ceux de Beauvais en profitent. La Sorbonne,
qui s'émeut du succès de son cours, travaille à
l'expulsion du principal de Presles ; mais le car-
dinal de Lorraine fait rapporter l'arrêt prohibitif,
et Ramus est nommé professeur de philosophie
et d'éloquence au Collège de France, en dépit de
l'université, qu'il menace elle-même d'idées réno-
vatrices. Charles IX, qui a reçu directement la com-
munication d'un plan îi cet égard, ne craint pas
de donner, à Fontainebleau, un asile sûr au maître
incriminé d'avoir enlevé de la chapelle de Presles
toutes les images des saints ; cependant les gou-
véistes forcent la porte du principal, qui n'est pas
cl son poste, s'en prennent k ses livres, n'épar-
gnent même pas ses meubles. Avec la bibliothèque
particulière de Ramus, disparaît celle que Jean
358 RUE DES CARMES.
Péna, son élève, a léguée au collège en 1550
avec une somme de 600 livres pour la fondation
d'une bourse. Tantôt il revient, reprend ses cours ;
tantôt il se réfugie au camp de Condé, ou bien à
Heidelberg, selon que la politique de Catherine de
Médicis élargit ou restreint la tolérance religieuse.
Par malheur, il est rue des Carmes la nuit de
la Saint-Barthélémy, et il se cache dans les
caves du collège ; on l'y poursuit, il veut rache-
ter sa vie ; ranç-on est acceptée, payée, et néan-
moins le poignard fait son œuvre ; le corps de
l'illustre pédagogue est ensuite traîné dans la
boue, et par qui '! par des écoliers.
La principauté de Presles passe de Médard
Bourgeotte à Quentin Hoyau, qui cède en 1616
h Jean Oranger, principal de Beauvais, la direc-
tion de l'exercice des classes pendant sa vie, et
le mur de séparation est jeté bas entre les deux
collèges : leur temporel n'en reste pas moins
distinct. L'an 1640, Oranger résigne les honneurs
de la supériorité générale entre les mains d'Antoine
Moreau, principal de Presles, successeur de
Charles Morel ; à la mort de Moreau, en 1679,
il s'élève des contestations, à l'issue desquelles nos
boursiers cèdent à l'autre communauté une portion de
leur cour et deux corps de logis, où se trouve
leur chapelle, moyennant 2,000 livres, et cette
somme s'ajoute à celle de 4,000, qui a été léguée
par le chanoine Hannecaut, ainsi que ses livres,
pour relever ladite chapelle, avec bibliothèque à
l'étage supérieur ; aux termes du même acte, Beau-
vais se cjiarge seul, pour l'avenir, de l'exercice des
classes. C'est ainsi que l'institution de Raoul de Presles
tombe à l'état de collège dépourvu de plein exer-
cice ; mais le mur de séparation est relevé par la
sollicitude du célèbre RoUin.
Les derniers principaux de Presles que nous
connaissions sont : Louis Levasseur (1693) ; Pierre
RUE DES CARMES. 2r.9
Rabœuf (1705) ; Millet (1713) ; Simon Derveau,
docteur en Sorbonne (1720). Leurs élèves non-bour-
siers payent 3 livres par semaine en temps
ordinaire, et 4 pendant le carême ; mais la four-
niture du vin, du pain, du bois, de la chandelle,
etc., n'est pas comprise dans le prix de la pension.
Un peu avant la suppression de son auto-
nomie (1763), cette pédagogie, dont le domaine
demeurait réduit de ce qu'en avait acheté Beau-
vais, n'avait plus que 1300 livres de revenu
fondamental ; mais il y restait, dans la censive
de l'archevêque, de quoi loger boursiers et chape-
lain, réfectoire, cuisine, etc. En 1781, il y
avait à Louis-le-Grand dix-huit boursiers de Presles,
les biens de cet ancien collège" rapportant alors
11,169 francs. Enhn la Nation vendait aux
enchères, le 3 thermidor an iv, les bâtiments de
l'établissement supprimé.
Autre collège, celui des Lombards, vers le haut
de la rue, à gauche ; 1334, date de sa fondation,
due au cardinal André de Chini. Son édifice tombait
en ruine lorsque deux prêtres irlandais, sous
Louis XIV, le tirent reconstruire. Toutefois ses
bâtiments et sa chapelle, que nous laisse voir la
porte cintrée du 23, furent de nouveau rétablis
sur les dessins de Boscry, vers 1760. Ordre
corinthien, portail, porche elliptique, colonnes et
pilastres ioniques, entablement, fronton brisé, rien
ne manque encore à l'extérieur de cette chapelle, que
les armes de l'abbé de Vaubrun, qui figuraient
dans le tympan. Lorsque l'on eut gratté cet
écusson, les bâtiments furent confisqués sur le
collège des Irlandais, qui en avait fait son annexe.
La restitution de Louis XVIII permet que de nos
jours encore ils appartiennent à la maison des
Irlandais, Anglais et Ecossais réunis ; mais le
tout en est transformé en magasins pour des
libraires-éditeurs.
200 RUE DES CARMES.
Livres en feuilles tenus au frais, à l'ombre de
souvenirs scolastiques, vous gardez un parfum
modeste, mystérieux, que l'assemblage et la reliure
vous feront perdre sous la poussière dissolvante
des rayons de bibliothèque ! Pourquoi faut-il qu'il
se mêle, rue des Carmes, à cette senteur de
passé et d'avenir, l'arôme trop présent du vieux
linge et des habits en loques, pendus k maintes
portes de marchands de chiffons ? Le vestiaire,
lui aussi, se tire à plus d'une édition, tant que
l'étoffe ne fait pas défaut : tel pan de redingotte
usée deviendra casquette des dimanches, et telle
chemise hors d'usage, insuffisante pour un suaire,
sauvera encore plusieurs blessés, une fois effilée
en charpie ; tel morceau de peau fait pitié, qui
a déjà servi de selle, de tablier ou de plastron,
et qui passera gaine ou gant de gendarme, avec
une souplesse qu'envient les immuables clichés
de la typographie.
Rue des Canettes.
Propriétaires de la rue en 1735.
Côté gattcl)c
Cîôté broit :
Le Robours.
Idem.
Mil» Maillard.
De Marie.
Les héritiers Prévost.
M™» de Saint-Georges
Desmont dit Honoré,
Moreau.
Phelippon, maçon.
Les enfants Le Couvreur.
Misochin.
Fromentin, vitrier.
Le M'" de Gambais.
L'abbaye.
L'académie de Vendeuii.
Isabeau, pour une commu-
nauté religieuse.
Les récoilettes de la rue du
Bac.
Ferret.
Caffiéri.
Les héritiers Le Roux.
Drouart-Olivier.
L'abbé Hueren.
M""* Seigneur.
Les religieuses du Précieux-
Sang.
Charlier.
Femme Le Couvreur, épi-
tiière.
L'hospice des Petites-Mai
sons.
Rémy, maître des comptes
Marie-Nicole de Beaumout,
veuve de Brossard, mar-
chand.
Que si nous procédons à un nouvel appel,
il y aura déclaration d'absence pour au moins une
des deux propriétés Le Rebours. En effet, depuis que
la rue du Four a pris du ventre, s'est élargie
sur un seul point, notre rue des Canettes boite de la
jambe droite, dont le pied laisse le pied gauche
en arrière. Le n" 19 d'à présent appartenait,
(1) Notice écrite en 1858.
17
2 62 RUE DES CANETTES.
ainsi qu'une maison contiguë, à la succession
Prévost lorsqu'en 1716 Jean Barbotdit Saint-George,
sergent aux gardes-françaises, en fit l'acquisition,
pour le laisser après lui à sa veuve.
Le 16 et le 18 furent bâtis vers la fin de la
Régence par Phelippon, sur l'emplacement d'un
hôtel dont l'enseigne y est conservée : ce bas-
relief en pierre, qui représente des canes nageant
sur un étang, a valu à la rue Neuve-Saint-Sulpice
de passer définitivement en 1651 rue des Canettes.
Le maître-maçon spéculateur n'avait épargné ni
la pierre de taille, ni le bois, ces matières pre-
mières déjà chères, ni la serrurerie pour garni-
ture, ni la sculpture, faite pour engager des gens de
qualité à se rendre ses locataires ; mais il fut obligé
de vendre à Moreau la plus petite de ses pro-
priétés, pour jouir fort peu d'années de la plus
grande : l'argent qu'il avait emprunté pour bâtir,
grâce à des arrérages montait toujours, et avait
engagé d'avance l'une et l'autre. Dans une des
boutiques qu'on y trouve, M""* Cardinal a fondé
en 1818 un cabinet de' lecture fort digne d'être
promu au rang de bibliothèque des romans ; tous
les ouvrages de ce genre, après avoir fourni
inégalement leur carrière locative, survivent à
leur succès, comme objets de curiosité, dans la
collection-Cardinal, au lieu d'être hiis au pilon :
le chef de cet établissement se regarde comme
le sacristain commis à la garde d'un trésor qui
embarrasserait fort dans une église : le nombre
des reliques y va toujours croissant, en raison
inverse des fidèles ! L'hôtel garni qui fait son
profit de l'enseigne patronymique de la rue, est
aussi l'ancienne maison Ferret, possédée en 1788
par Goguier de Chaligny de Pleine, docteur en
Sorbonne.
Egalement susnommés sont les héritiers Le
Couvreur, et néanmoins la mense abbatiale de
RUE DES CANETTES. 263
Saint-Germaiii-des-Prés était propriétaire de l'immeu-
ble n° 20, qui tenait aux religieuses de la Miséricorde
par-derrière : les Le Couvreur n'en avaient que
l'usufruit, par emphytéose.
Les n"' 24, 26, 28 ne remontent certainement
qu'à la seconde moitié du xvui« siècle. Sur une
portion de leur emplacement s'était élevée une
maison à deux corps, avec jardin, qu'un conseiller
du roi, Denis Lambert, avait eue par échange
en 1658 de Judith Lesacque, veuve de Devaux,
boulaiiger ; la fille du conseiller en avait
lait présent, trente-quatre années après, à M.
Denis de MarsoUier, membre du grand-conseil et
grand-oncle de MarsoUier, l'auteur dramatique ;
M"" MarsoUier l'avait à son tour apporté à son
mari, Louis de Nyers, marquis de Gambais, pre-
mier valet de chambre du roi, gentilhomme ordi-
naire de sa maison, son lieutenant en Franche-
Comté, gouverneur de Limoges, capitaine-con-
cierge du Louvre. Notre rue des Canettes avait
alors pour déversoir la rue du Colombier, et
non la place Saint-Sulpice, dont l'équarrisse-
ment a supprimé un grand hôtel. Les dépendances
de l'hôtel, qui formait pan coupé à cet angle,
remplissaient un côté de la place. C'était l'académie
royale de Jouan ; elle faisait pendant de loin à
celle de Dugard, Académie du Roi, établie au
manège des Tuileries.
Les leçons y étaient données, en 1760 : par M.
de Jouan, écuyer du roi, pour la voltige ; par
M. de Ménil-Hury, maître de mathématiques,
demeurant aux écuries d'Orléans,, rue Vivienne ;
par M. Motet, maître en fait d'armes, logé à
l'académie ; par M. Chartier, maître à danser,
habitant la rue de la Comédie-Française (i), et
(1) Rue de l' Ancienne-Comédie.
264 RUE DES CANETTES.
par M. de Laval, qui venait de la rue Saint-
Honoré, près le Palais-Royal, pour faire faire
aux élèves l'exercice militaire. L'aumônier de la
maison était l'abbé de Lacour. On y prenait
des jeunes gens en demi-pension ; on recevait
même des externes, qui ne venaient qu'à l'heure
des leçons. La pension entière était de 1500
livres par an, et si l'élève avait avec lui un
gouverneur, c'était 700 livres de plus ; un valet
de chambre, 500 livres ; un laquais, 400. Il se
payait, en outre, 200 livres de bienvenue, qu'on
appelait les entrées. Un gentilhomme qui n'avait
pas passé par une école de ce genre n'était, toute sa
vie, qu'un hobereau de campagne.
La même académie avait flori sous la direc-
tion de Vendeuil, au beau milieu du règne de
Louis XIV, et François-Anne de Vendeuil, cheva-
lier, seigneur de Courbevoie et de Stelfaye,
écuyer du roi, succédait lui-même à Desroches.
Roquefort et d'Auricour y étaient écuyers avec
Vendeuil, qui payait le loyer de son académie
de manège aux moines de Saint-Germain-des-Prés.
Les dames de la Miséricorde avaient mis cette abbaye
en possession des lieux à leur place, pour se libérer
de leurs dettes, déjà payées par lesdits religieux,
mais au moyen d'un prêt de 62,835 livres fait
par François d'Argouges. A cette créance s'ajou-
taient 3,000 livres, prêtées par les bernardines du
Précieux-Sang de la rue de Vaugirard à la
mense abbatiale, en 1687, pour réparer et aug-
menter les bâtiments de l'académie, qui n'en
occupa la totalité que pendant m temps.
AprèsM. deJouan,M.deNesmond, frère de l'évêque
de ce nom, et qui avait servi avec honneur dans
la marine, eut pour hôtel l'ancienne académie, qui
ne tarda pas beaucoup à menacer ruine. L'abbaye,
voulant amortir des rentes constituées sur la mense
et dont le capital excédait 300,000 livres, entra à son
RUE DES CANETTES. 265
tour dans la voie des aliénations et céda la propriété
dont nous parlons, moyennant 160,000 livres, h
Jacques Herbert, fermier des coches d'Orléans, qui
la vendit ensuite à Dulau, curé de Saint-Sulpice,
pour la formation de la place.
Revenons maintenant à l'aile gauche. Les
façades y sont encore moins changées que sur
l'autre aile et retrouvent respectivement d'anciens
maîtres dans le tableau produit au début. Celle
qui suit l'hôtel des Canettes a supplanté l'habitation
de Jacques Caffiéri, sculpteur du roi, et de ses fils,
Philippe et Jean-Jacques, qui ont aussi illustré le
nom : l'aïeul de ces derniers, Philippe Caffiéri, avait
lui-même initié leur père aux secrets de leur art,
s'était allié aux grandes familles de Rome, et Mazarin
l'avait appelé en France, Colbert l'avait logé aux
Gobelins. Leur propriétéde la rue des Canettes venait
aux Caffiéri de M"* Rousseau, fllle d'un marchand de
vin de la cour et femme de Caffiéri II ; bâtie pour
Barre, maître-brodeur, elle avait fait partie, comme
sol, d'un grand terrain acheté du prince de Tournon,
comte de Roussillon, grand-sénéchal d'Auvergne,
par les frères Saulier. Jean-Jacques Caffiéri est
l'auteur des bustes de Corneille et de Piron (au
foyer delà Comédie-Franoaise,) deQuinault et de
Lulli (à l'Opéra) ; ses élèves n'étaient pas seuls à
reconnaître le caractère misanthropique du maître ;
ses collègues de l'Académie avaient appris à ne
compter que sur sa mauvaise humeur, et chaque
fois qu'il y avait dans l'urne une seule boule
noire, tous' les autres votants de dire : — C'est le
jeton de présence de Caffiéri !
A la porte du 11, du temps de l'abbé Huerne,
il pendait encore Deux-Épées, et au 19, maison
de M""* Seigneur, un Dauphin ; du 15 avaient fait
bail les religieuses du Précieux-Sang à Miot, chi-
rurgien, et Charlier disposait de la construction
qui vient après, refaite depuis sans perdre sa
266 RUE DES CANETTES.
petite niche. Du 19, avant une épicière, avait été
propriétaire Liennard, brodeur. L'autre coin de la
rue Guisarde avait dejk ses cinq étages sous Louis
XIV ; Dufresne, valet de chambre du duc d'Orléans,
époux d'Elisabeth Branchu, y avait précédé la
même dame Le Couvreur, propriétaire d u premier
coin et épicière. Or il existe encore dans la maison
un magasin d'épiceries. Regnaud-l'Official, autre
brodeur, avait vendu l'an 1658 au Grand-Bureau
des Pauvres, prédécesseur des Petites-Maisons de la
rue de la Chaise, l'immeuble 23. Quant aux
propriétés de Rémy et de la veuve Brossard, dont
le mur tout nu faisait angle où se trouve mainte-
nant la place, elles furent acquises par Languet
de Gergy et Dulau, successivement curés de Saint-
Sulpice.
Le commerce au xyu' siècle était prospère dans
la rue des Canettes, à cause du voisinage de la
foire Saint-Germain : on y trouvait des boulangers,
des ébénistes, des vinaigriers, des traiteurs, des
fourbisseurs d'armes, aussi bien que des gentils-
hommes, beaux cavaliers, des procureurs, des
artistes, des abbés.
Rue €aron. [i]
Caron, maître-général des bâtiments du roi et
des ponts-et-chaussées de France, a dessiné un
premier plan pour l'établissement du marché
Sainte-Catherine, sur l'emplacement du prieuré
royal de la Couture-Sainte-Catherine, au Marais;
mais, par motif d'économie, un plan de Brébion,
architecte, a obtenu la préférence, et l'exécution
a commencé en 1783. Caron. n'en est pas moins
resté le parrain d'une des petites rues qui ser-
vent d'avenues au marché, ouverte la même an-
née sur un terrain acquis par Marchant-Duco-
lombier. Les deux maisons qui la composent ont
le même acte de naissance.
(1). Notiice écrite en 1858.
Rue Carpentier. (i)
Dans un renfoncement qui confine au gymnase
des pompiers de la rue du Vieux-Colombier, une
maison de la rue Carpentier fut saisie en 1743
sur la famille Baudouin de Montorcy et adjugée
en parlement aux Orphelins de la paroisse Saint-
Sulpice, institution de charité fondée depuis soi-
xante-cinq ans dans la rue du Vieux-Colombier
par ÏBasnière de Poussé, curé de Saint-Sulpice.
L'établissement des Orphelins s'incorpora cette
maison, sous la censive de Saint-Germain-des-
Prés, et puis, lorsqu'il fut supprimé, elle se loua
isolément.
Un étage du n" 5, bâtisse non moins étroite
que haute, servait de logement, en l'année 1713,
h Edme Ravaisson, pitancier de V Académie. Cette
profession anormale nous rappelle qu'il y avait
alors dans le quartier deux académies royales
d'équitation : l'une rue des Canettes, vis-à-vis de
la première communauté de Saint-Sulpice, et l'autre
rue de l'Egout, en face de la rue Sainte-Mar-
guerite.
Cette petite rue Carpentier, dont presque toutes
les constructions donnent en même temps sur
d'autres rues, portait déjà sa dénomination sous
la minorité de Louis XIV. Il circulait dès-lors
un écrit révolutionnaire sous ce titre : Tuer un
Tyran nest pas un Crime, et il était attribué a
Carpentier de Marigny, ardent frondeur, auteur
de divers pamphlets contre le cardinal Mazarin.
(1) Notice éerite en 1858.
Rue du Buisson-Saiiit-Louis. (i)
Comme il y a beau jour que les écoliers n'y
font plus l'école buissonnière ! Mais on ne la
fit pas toujours pour s'amuser au lieu d'aller en
classe. Plus de temps encore s'est passé depuis
qu'on ne tient plus en plein air la véritable école
buissonnière, pour se soustraire au droit prélevé
par les chantres sur les petites écoles régulière-
ment rattachées aux églises. Qu'il est loin, d'ail-
leurs, le hallier ! Il s'en faut que la rue y mène.
Elle n'était encore qu'un sentier quand on y
battait les buissons ; les oiseaux ne s'y laissent
plus prendre, et il y a longtemps aussi que les
mains qui ont arraché, le long du chemin, ses
dernières touffes d'arbrisseaux n'ont plus besoin
de feu qui les réchauffe. Néanmoins ce n'est pas
au règne de Louis IX que remonte l'hôpital Saiut-
Louis, dont nous revoyons en passant un bâti-
ment, affecté aux payants, dont le style à la
Henri IV rappelle l'origine de l'établissement. La
rue ne doit la seconde moitié de son nom qu'à
cet hospice voisin.
Elle a gagné en population depuis la révolution
de 1789. Toutefois elle avait, sous Louis XVI, la
troupe d'un théâtre parmi ses habitants, et ce
théâtre était l'arène de la barrière du Combat.
Clientelle romaine par sa profession ! Un boucher
de Paris n'en était pas moins le principal inté-
ressé dans l'entreprise.
Du même temps nous vient le n" 19, cottage
(1) Notice écrite en 1858.
270 RUE DU BUISSON- SAINT-LOUIS.
dont le jardin est sujet à reculement et occupé
par un lampiste. Le 12 aussi, et les tilleuls bien
disposés de son jardin. Cette villa appartenait
naguère à M. Muron, adjoint au maire du I"'
arrondissement; elle avait été la retraite de
M. Haré, avocat, qui avait présenté une ode au
roi Louis XVI, le jour même de son sacre, à
Reims.
Rue Cassette* (i)
MM. Gaume. — M. Barthe. — M. Froelicher. —
M^^ Guyon. — Les Finances d'un Couvent en
1709, puis en 1790. — Les Peintres. — Les
Libraires. — M. Arachequesne . — M. et M"**
de Salvandy. — Le troisième Consul. — Le
Maréchal de Brissac. — Le Concert. — Les
d'Hinnisdal. — Le Rapt sans Ravisseur.
Les héritiers de la marquise de Fiers ont
vendu, vers 1844, l'immeuble n" 4, datant d'un
autre siècle, h M. Gaume, qui a maintenant son
fils pour successeur comme libraire-éditeur. Le
mojen que ce nom ne rappelle pas l'anathème lancé
par l'abbé Gaume, frère de Gaume père, sur la
littérature païenne !
Mais l'école romantique en avait déjà fait autant
à un point de vue différent, et le Dictionnaire de
la Fable n'est pas le vade-mecum, que nous sa-
chions, de l'école réaliste, qui l'emporte aujour-
d'hui en fait de littérature, d'art, de mœurs et de
gouvernement. Quoi de plus réel que l'argent !
Que voyez-vous de fabuleux dans le culte de la
cassette? Tout le paganisme de nos jours est là.
Mais jamais temple n'a desservi cette idolâtrie
(1) Notice écrite en 1858. La rue de Rennes n'allait
alors que de la rue de Vaugirard au boulevard Mont-
Parnasse ; son prolongement est venu écharper la rue
Cassette, au point de faire sauter ses no^ i, 2, S, 4, 5,
6, 7, 8, 10, 12, 14, 15 et 18. Seulement on retrouve dans
le 76 actuel de la rue de Remues presque tout l'an-
cien 8 de l'autre, où sont rebâtis l'ancieH 16 et l'ancien
18, appelés à porter les chiffres 2 et 4.
272 RUE CASSETTE.
dans la rue qu'un hôtel de Cassel, connu sous
François P% a fait nommer par corruption Cassette.
La bicoque du n" 3 n'a jamais eu pour coffre-
fort qu'une tirelire, et que de fois encore n'a-t-il
pas fallu la casser! Le 7, hôtel de M. Barthe,
ancien ministre, président de la cour des comptes,
a été pendant tout un siècle, ainsi que le 5, aux
Rocher de Bazancourt, y succédant eux-mêmes
à des religieuses. De quel couvent ? M. Barthe
l'ignore. Avant la Révolution, une maison qui
changeait de maître apportait toujours au nou-
veau des parchemins, établissant comment et à
quelles dates l'avait prise et quittée chacun de
ses anciens maîtres; mais les nombreux immeu-
bles qui ont fait retour ii l'Etat, pendant le grand
interrègne, en ont reçu des livrets tout neufs,
quelque curieuse que pût être leur histoire, lettre
close pour les ayant-droits de cet auteur hors
ligne. Là en est le n" 8, dont la grande
cour, ombragée de tilleuls, dessert divers corps
de logis. N'était-ce pas le couvent des religieux
de Notre-Dame-de-Saint-Joseph, qui, pour sûr,
habitèrent la rue avant qu'une portion du 8 fût
occupée, au milieu du xvii" siècle, par Marie
Zoccoli, sous-gouvernante des enfants de France,
veuve de Robiecq, baron de Palier, y étant venu
lui-même après les auteurs de ses jours?
Un escalier convenablement ferré tournoie entre
les murs du local actuel d'une imprimerie, le
n" 9, qui appartenait sous Louis XV h. Rissoan,
un pharmacien. Le censier de Saint-Germain-des
Prés mettait, d'ailleurs, au xvii" siècle encore plus
de fournisseurs que plus tard, et jusqu'à des
valets de chambre de grande maison, au nombre
des propriétaires de la rue Cassette. Après la rue
Carpentier venait l'hôtel de Soûl lé, marquis de
Grunenaux et de Martangis, acquéreur du mai^quis
de Birague. Cette propriété a vu naître en 1735
RUE CASSETTE. 273
Convers-Désormeaux, qui a cessé de vivre à
quatre-vingt-cinq ans, doyen des architectes de
Paris, et dont la petite-fille a épousé elle-même
un architecte recommandable, M. Frœlicher. Eton-
nez-vous encore, après cela, de l'excellent état
de conservation d'une maison qui, depuis plus
d'un siècle, appartient à des architectes ! Parfai-
tement clos et couverts y ont été, comme de
juste, le fameux archevêque de Pradt, le géo-
graphe Barbie du Bocage, le baron Feutrier,
pair de France, et Mgr Dupanloup, évêjue d'Or-
léans, représentant du peuple, membre de l'Aca-
démie-Française.
Autre hôtel, n" 17, duquel ont disposé, depuis
le règne de Louis XVI jusqu'à celui de Charles X,
MM. de Langlard, médecins. Le 23, construc-
tion récente, a remplacé la maison de Le Comte
de la Chaussée, capitaine sous Louis XV au Royal-
Bombardiers.
Passons maintenant, si vous voulez, chez les
dames de i'Adoration-Perpétuelle-du-Saint-Sacre-
ment, transférées de la rue Férou à la rue Cas-
sette en 1654, sous les auspices d'Anne d'Autriche,
et dont les chroniqueurs qui nous ont précédé
disent fort peu de chose. Ces rehgieuses béné-
dictines avaient acquis des pères de Saint-Joseph
l'ancien hôtel de Chemilly, petit édifice fort k
l'aise dans ses deux arpens de jardin ; elles ache-
tèrent ensuite des créanciers de Gontier de Longe-
ville, président de la cour des comptes, mais avec
le consentement du débiteur, un autre hôtel con-
sidérable, qui touchait au premier et aux pro-
priétés de M. de Bezemaux, le gouverneur de la
Bastille, de M. Ledoux de Milleville, conseiller,
et de M. de Bourgneuf Leur domaine agrandi
bordait la rue Cassette, vis-à-vis des rues Mézières
et Honoré-Chevalier. Leur chapelle, décorée par
l'Espingola et Plate-Montaigne, se voyait dès qu'on
274 RUB CASSETTE.
franchissait la grande porte; elle s'ouvrait au fond
d'une cour carrée, où s'élevaient trois corps de
logis, sans compter d'autres bâtiments venant
par-derrière. Dans ce couvent, dans cette cha-
pelle, Bossuet confessa madame Guyon, la quié-
tiste, en 1696, après avoir été l'un des juges
provisoires chargés de la faire revenir de ses
subtilités théologiques. Élève de Fénélon et belle-
mère du comte de Vaux, elle était persécutée
comme hérésiarque et traquée de couvent en
bastille depuis huit années ; on venait de la
mettre dans une maison de la rue Vaugirard,
sous la direction de M. de la Chétardié, curé
de Saint-Sulpice, et son procès pendait en cour
de Rome : les dames du Saint-Sacrement donnaient
des soins à cette pénitente, en prêtant leur mo-
nastère à ses dernières entrevues avec l'évêque
de Meaux, qui lit même un séjour à cette occa-
sion dans lés dépendances du couvent. Pourtant
ni l'évêque de Cambrai, ni les ducs de Chevreuse
et de Beauvillier, ni le comte de Vaux n'aban-
donnaient M'"* Guyon, ce qui embarrassa M"" de
Maintenon, portée à se repentir de l'avoir reçue
à Saint-Cyr. Le fils du surintendant Fouquet, dont
la disgrâce rappelle aussi bien des rigueurs,
constitua une petite rente aux religieuses, pour
reconnaître les services qu'elles avaient rendus
à sa belle-mère, depuis que le curé de Saint-
Sulpice était chargé de veiller sur sa personne.
Cette rente figure aux comptes établis en 1709
pour M"'"= Radegonde de Beauvais (en religion,
de la Présentation), prieure du Saint-Sacrement:
le comte de Vaux, le marquis d'O, M. de Moussy,
le marquis de la Trémoille, la marquise de Bres-
sieux, M. de Lancy, le président Lessaulle et
M. Rolland doivent alors au couvent 3,817 livres
de rente. Son revenu se compose, en outre, de
2,393 livres sur la Ville et de 4,660, produit
RUE CASSETTE. S75
de cinq maisons dans le voisinage. Quelques pen-
sions viagères sont payées, en sus, par des
sœurs qui les ont apportées en dot; elles s'élè-
vent à 2,400 livres et sont servies par les per-
sonnes suivantes: Bosc, conseiller d'Etat; M""
Meusnier ; le père de sœur Sainte-Ide, qu'on
appelle M. le président, mais qui n'a pas donné
son nom; M. deSéchelle; Robin; Camuset, avocat;
Fournit, auditeur des comptes, et M. de Lessaulle
(deux autres noms sont peu lisibles). Puis 3,150
livres sont payées annuellement par quelques
pensionnaires : M"'^ Dartigues et sa femme de
cbambre, 1,300 livres, outre le loyer {mais on
est obligé de la nourrir matin et soir de volailles,
de petits-pieds et de desserts); M"* de Tbionville,
400 livres ; trois autres à 300 pour chacune ;
une autre, 250 livres, puis deux autres h raison
de 150. Total du revenu brut, 16,420 livres, et
cette somme, qui paraît modeste, est importante
pour qui se rend compte de la valeur qu'avait
alors l'argent.
Toutefois considérons les charges de la maison,
en cette même année. Tant religieuses, professes
et novices, que pensionnaires, tourières et domes-
tiques : 56 personnes à nourrir. Aussi figure-t-il
au passif 4,275 livres dues à un seul boucher,
788 au rôtisseur, 2,425 à l'épicier, 972 au pâtis-
sier, sans compter les autres fournisseurs. On
ne donne rien au chirurgien, parce qu'il a mis
sa fille depuis lage de sept ans dans la maison,
et elle en a dix-neuf ; mais on compte les visites
du médecin Gollot. Bref, de toutes les dépenses
forcées il résulte, pour les religieuses, un état
de gêne assez sensible. Le couvent, outre ses
dettes courantes, a signé des obligations ou des
billets aux religieux de Fontevrault, à Caboust, à
Maitrot, intendant de la marquise de Lamberty,
à M""» Du Mesnil et à trois pensionnaires, M"^'
276 RUE CASSETTE.
Dartigues, de Vieuxville et de Bécourt : en tout,
14,146 livres. Ces dames du Saint-Sacrement n'en
pensionnent pas moins sur le pied de 2S0 livres
trois religieuses qu'elles ont exilées. Nous n'avons
dressé ce bilan que pour faire connaître de la
vie monastique sous Louis XIV le côté réaliste,
qu'on a généralement laissé dans l'ombre.
M. Lambert de Sainte-Croix, ancien notaire, a
la bonté de nous communiquer des notes sur l'état
de la fortune immobilière de cet établissement reli-
gieux lors de sa suppression. Ce sont deux bor-
dereaux de pièces reçues à titre officiel le 12 avril
1719 par le citoyen Balduc, au nom de la
Nation :
BAUX DES MAISONS
appartenantes aux Dames Religieuses Bénédictines de TAdo-
ration-PerpéiupUe-du-Saint-Sacrement, établie Rue Cassette^
à Paris.
BAUX A VIE.
1° (rue Cassette), à M. L'abbé de St-Simon,
moj-ennant la somme de trois mille livres
par chaque année tant que durera sa jouis-
sance, par Bail passé devant M^ Legrasen
datte du 9 avril 177G 3,000..»..»
20 (rue Cassette), à M. L'abbé du Cusac,
moyennant la somme de sept cent livres par
an et mille livres argent coraplant, passé
devant Me Sauveige le 14 juillet 1783. . . 700..»..»
30 (rue Cassette), à M. Le comte d'Hu-
nolstein, moyennant la somme de quatre
mille livres par au, passé devant M^ Fou-
cault de Pavant le 31 octobre 1787. . . 4,000..»..»
A reporter. 7,7001. .«. .»
RUE CASSETTE. 277
Report. 7,700'..». .»
BAUX A LOYER.
1» (rue Cassette), à M. Bouttart, moyen-
nant la somme de trois cent cinquante livres
par an, passé devant Me Legras le 26 juin
1781 350..>..'>
2° (rue Cassette,) à Mad. La comtesse de
Gravier, moyennant la somme de trois mille
livres par an, passé devant M« Foucault le
19 septembre 1786, cy 3,000..»..»
3° (rue Cassette), à M. Peytouraud, moyen-
nant la somme de quinze cent livres par
an, passé devant M« Foucault le S avril
1788 1,500..>^..»
40 (rue Cassette), à M. Petit-Blée, de la
somme de cinq cent livres par an, passé
devant M» Foucault le 9 mai 1788. . . . 500..>..»
50 (rue Cassette), à M. Le marquis d'Estou-
teville, moyennant la somme de quatre
mille cinq cent livres par an, passé devant
Me Foucault de Pavant le 6 septembre
1788 4,500..»..
6° (rue du Cherche-Midi), Mad. Despart,
moyennant la somme de huit mille livres
par an, passé devant M» Foucault de Pavant.
Cy 8,«00......
7° (pour une ferme dite de Cramillon,
située en la paroisse de Bully, près Neuf-
chatel) au sieur Mesteil, moyennant la somme
de mille livres par an, passé devant M^ Rose,
notaire audit Neufchatel-en-Bray, le 15 mai
1782 l.OOO..»..»
Total. 26,550..»,.»
Reçu les pièces cy-dessus ce 12 avril 1701.
Balduc, chef.
18
278 RUE CASSETTE.
CONTRATS DE RENTES
sur la Ville de Paris appartenantes aux Dames Religieuses
(lu Saint-Sacrement, rue Cassette, faub. St-Germain.
lo coatrat de 375 livres, passé devant
Me Jourdain le 5 avril 1731. M. de la Bou-
traye, payeur 375..»..»
io contrat de ÎOO 1., passé devant ledit M^
Jourdain le 29 mars 1721, et légué à la
communauté par la Sœur Rollin, lors Tou-
rière, pour la profession de Marie-Anne de
La Charlonie, dite Saint-Jean. L'acte de
profession de ladite dame est en date des 26
et 27 septembre 1735. M. Bouillard, payeur. 200..»..»
3° contrat de 125 1., passé devant M^
Desptaces le 17 mai 1721. M. Radix-Chevillon,
payeur 125..»..»
40 autre de 88 1 , réduit à 55, passé devant
Me Jourdain le 22 octobre 1715, enregistré
à l'Hôtel-de-Ville le 23 octobre 1720. M. Nau
de Sainle-Marie, payeur 55.."..»
50 îautre |de 165 1., passé au profit de
Di'e Charlotte Fayette, fille majeure et M''*
Léon Fayette devant Me Dionis le jeune,
notaire, le 13 décembre 1720, cédé et trans-
porté à la communauté par M"" et M"e Fayette
par acte du 15 mai 1741, passé devant M*
Jourdain le 7 novembre, mais qui n'a été
délivré que le deux août 1753. M. Defrance,
payeur 165..»..»
60 autre'de 650 1., passé devant M*^ Desplaces
le 28 novembre 1720. M. Lempereur, payeur. 650..»..»
70 contrat de 100 1., passé devant M^
Desplaces le même jour, 28 novembre 1720.
M. Lempereur, payeur lOO..»..»
8° autre de 8(*7 1., passé devant M^ Jourdain
le 22 novembre 1720. M. Cochin, payeur. 807..»..»
A reporter. 2,477'..»..»
RUE CASSETTE. 279
Report. 2,47/'. .o..»
90 autre du 2G juin 17-21, de 125 1., passé
devant le M* Jourdain. M. Cochiu, payeur. 125..»..»
10° deux autres de 250 1. chacun, passés au
profit de M. Ponlie, citoyen de Milan, *'
devant M" Foucault, notaire, le 9 novembre
1720, et à nous cédés et transportés par les
actes du 27 juin 1727 et lettre de ratifica-
tion en date du 17 juillet 1727, lesdits
actes de transports passés devant M^ Jour-
dain ledit jour, 27 juin 1727. M. Pauchin,
payeur 500..»..»
11» autre de SOO 1., à preudre en un de
1200, passé au profit de Dlle Darlons
devant M» Lormier le 6 septembre 1720 et
à nous transporté par acte passé devant M^
Jourdain le 1er mars 1752, et auquel est
annexé un autre acte passé devant M« Lormier
en datte du 26 octobre 1717 concernant le
testament de M Dominique Darlons. M.
Pauchin, payeur 300..»..»
12° autre de 125 1., passé devant M«
Foucaud au profit de Gedeon Mallet le 8
mars 1721 et reconstitué au profit de Dlle
Marie-Emilie Fauconnier par contrat du .31
octobre 1777, passé devant Me Thirion, et
à nous cédé et transporté par acte du 17
janvier 1778, passé devant M« Legras. M.
Maupetit, payeur 125..»..»
13° autre de 212 1., 8 sols, constitué au profit
de Nicolas Manpin par contrat passé devant
M» Junot le 7 juin 1721 et reconstitué au
profit de Marie-Emilie Fauconnier pur contrat
passé devant M« Thirion le 26 janvier 177G,
et à nous transporté par acte passé devant
Legras le 19 janvier 1778. M. Legras,
payeur. .. . . . ' 212..»8s«.
A reporter. 3,7391. .b8s»
280 RUE CASSETTE.
Report. 3,739'.. »8s»
140 quittance de finance sur la généralité
et Élection de Paris, de 83 1., en date du
31 octobre 1722 et enregistrée au contrôle
général des finances de France le 10 décem-
bre 1722 et registrée au bureau des finances
de Paris le II janvier 1733. Cette rente à
été créée par Éiit du mois d'août 1720. M.
Chauchat, payeur 83..«..»
15° expédition d'une rente de 50 livres,
sur l'ancien clergé, constituée le 17 octobre
1571 à Nicolas Rondeau et réduite à 15 livres.
M. Faucher, payeur 15..>..»
16» autre expédition d'un contrat de 17 1.,
10s réduit à 5 1., et constitué le 7 septem-
bre 1564 à François Buchau. M. Roberge,
payeur 5.. 5..»
Total. 3.842.13..»
Reçu les pièces cy -dessus ce 12 avril 1991.
Baldu®, chef.
De ce couvent il reste en grande partie, aux
n"^ 18, 20, 22 et 24 de la rue Cassette, les bâti-
ments et les jardins, qui furent adjugés aux enchères
du 14 fructidor et du 27 prairial an vi. La comtesse
de Bury jouissait du 18, et la marquise de Chau-
vallon du 20, comme locataires- des religieuses,
au commencement du xyu!*" siècle. L'aéronaute
M"* Blanchard, qui périt en 1820 dans l'exercice
de son art, habita au n° 20 l'ancienne galerie
de la chapelle. Nous revoyons son appartement
quand nous rendons visite au docteur Caltois,
l'archéologue. Le détenteur actuel du 22 est M.
Hersent, de l'Institut. Ce peintre de l'école classi-
que, pour faire le portrait de Louis-Philippe et
de plusieurs membres de sa royale famille, a
RUE CASSETTE. 281
reçu plusieurs visites de ses modèles. M"* Hersent,
qui a ouvert elle-même un atelier pour enseigner
aux dames la peinture, en a confié la direction
à M""* Dénos, une de ses meilleures élèves, et
M. Galimard y succède à M""" Dénos. L'atelier de
cet auteur d'une Léda célèbre domine la place
qu'occupait la chapelle.
Maintenant, qu'est-ce que le 27, de l'autre côté
de la rue? Il ne faisait qu'un autrefois avec le
numéro suivant, où M. Le Glère, éditeur, n'a aucun
loyer Ji payer. Un autre grand libraire, M. Tou-
louse, tient de M. Dufougerais, qui a été rédac-
teur de la Mode, représentant du peuple et avocat,
le n* 33, qui, ainsi que le 31, dépendait de l'an-
cien Noviciat des Jésuites, dont nous avons parlé
rue Bonaparte. Lors de la suppression de l'ordre,
en 1763, M. Alaume de Tril fit l'acquisition de la
propriété, puis il la légua à sa cousine. Un des
hôtels Mole se retrouve ensuite, occupé par
M. Dodun, qui y conserve le magnifique portrait
de Dodun, marquis d'Herbault, contrôleur des
finances, peint par Rigault; toutefois, en 1677,
Antoinette Dollebeau, veuve de Raoul Le Boutin
de Bellevue, donnait ce bâtiment, dont l'escalier
et la rampe sont superbes, ci l'hôpital de Sainte-
Reine, en Bourgogne. Immédiatement après, un
chef d'institution tient ses élèves dans le petit
hôtel Cossé-Brissac, où sont reproduits encore,
dans un cabinet, les traits de plusieurs maîtres
du logis.
Et le 41, sur quelle résidence se repliaient les
battants de sa large porte ? Sur une propriété con-
ventuelle, dit la tradition orale. Mais M. Arache-
quesne, maire de Compiègne, veut bien nous
adresser la liste des locataires notables qu'elle
a comptés depuis la Révolution : Lebrun, consul ;
M. le comte de Montalivet, M. de Vergés, M™'
de Rostopchin, enfin M'i'^ Corneille, qui a dû à
282 RUE CASSETTE.
ce glorieux nom d'être assistée par le Théâtre-
Français et par la reine Amélie.
Que si de gauche nous revenons à droite pour
tout-k-fait, nous en étions au n° 26, où commen-
çait le vaste territoire des carmes de la rue de
Vaugirard. Ces pères, lorsqu'on défendit aux
grandes communautés d'acquérir de nouveaux
terrains, pouvaient se contenter de la place qu'ils
avaient déjà au soleil ; ils en prirent de quoi
faire bâtir l'un après l'autre des hôtels sur la
rue Cassette. Nous allons donc en rencontrer qui
ont une origine commune. Le marquis de Con-
tades a succédé h des carmélites, sous la Res-
tauration, au n" 26. Encore un éditeur notable,
M. Parent-Desbarres, au n" 28, propriété adjugée sous
la première république à la famille de Dubois, pré-
fet de police! Par-derrière c'est une villa, où une
pelouse, des fleurs et des arbres rafraîchissent
agréablement la vue du citadin.
Un académicien, ancien ministre, le comte de
Salvandy, est mort l'année dernière dans la maison
d'après, qui était déjà sienne avant 1830. L'im-
meuble en formait alors deux. Dans les apparte-
mens miroitent des glaces sur un fond de papier
peint, qu'il suffira d'enlever pour qu'elles s'enca-
drent de belles arabesques. M""' de Salvandy, en
faisant recouvrir avec précaution cette décoration,
passée de mode sous le dernier règne, a donné
une nouvelle preuve de bon goût et de prévoyance :
le temps est déjà venu de relever le rideau.
M. de Salvandy avait eu pour prédécesseur un
autre homme littéraire qui, comme lui, avait joué
un rôle politique et participé au pouvoir: c'était
Lebrun, duc de Plaisance. Tendons même une
chaîne à la porte, si vous voulez, comme on fait
en Espagne quand le souverain est entré quelque
part! Napoléon a dîné chez Lebrun. Seulement le
troisième consul était encore le collègue dupre-
RUE CASSETTE. 283
mier, et, en sa qualité de traducteur d'Homère,
il tenait de longs discours, comme les héros de
ce poète, au lieu de venir, de voir et de vaincre
à la fois comme le César des temps modernes.
Il s'agissait rue Cassette, ce jour-là, d'une mesure
à prendre rapidement, au sujet de laquelle l'élo-
quence de l'amphytrion s'était exercée sans con-
clure. — On voit bien, dit Napoléon, que le
consul Lebrun a été de la Constituante ; il en
garde l'idéologie.
Ici commence sur le plan de Paris en 1652
un mur, qui ne finit qu'avec la rue. Mais la spé-
culation immobilière des oarmes est encore loin
de toucher h son terme, et trois hôtels de plus
surgissent bientôt sur la lisière de leur domaine :
de beaux jardins les accompagnent toujours.
Plaise à l'ami lecteur d'en recomiaître un da»s
le n" 38, qui a plus d'une fois chan|fé de nom. Ah !
comme l'on vantait, sous Lousis XÎV, l'eMablement
dorique qui couronnait son édifice, et la commo-
dité de l'habitation, et ses murronHiers, jeunes
alors, et la belle grille en fer séparant la cour
du jardin ! Germain Brice, dans sa Description
de Paris, dit la date de la construction : 1704. Mais
les dispositions architecturales ont été modifiées par
le dernier gouverneur de Paris, M. de Brissac, auteur
du pavillon de gauche, dont le perron a disparu, et
qui menait à la salle des gardes pavée en marbre :
de chaque côté, à la porte de cette salle, il y
avait un grand éteignoir, qui servait à éteindre
les torches que les valets de pied tenaient, le
soir, derrière les voitures-
Dans de Nouveaux Essais sur Paris, mis au
jour en 1781 par Chevalier, dit Du Coudray, je
lis que l'hôtel du maréchal de Brissac avait été
habité par le marquis de Sachet et qu'il y donnait
des concerts superbes vers 1740. Il semblerait
284 RUE CASSETTE.
que des musiciens, ainsi placés entre des carmes
et des bénédictines, devaient rarement sortir des
oratorio ; mais la musique profane avait aussi
ses entrées chez les sœurs: une de leurs pen-
sionnaires chantait alors mieux qu'on ne chan-
tait à l'Opéra, ce qui ne l'empêchait pas de
payer le maximum de la pension, 500 livres, plus
300 pour sa tille de chambre. Il paraît même que
l'on a fait longtemps de la musique chez le
marquis. Un Tableau de Paris publié sans nom
d'auteur en 1763 cite encore le marquis de Sache de
la rue Cassette parmi les amateurs qui donnent
à Paris des concerts réglés.
Lors des massacres de Septembre, le jardin
du ci-devant hôtel du gouverneur a servi de refuge
à l'abbé Potel, vicaire de Saint-Sulpice, échappé
de la prison des Carmes ; mais cet ecclésiastique,
en escaladant la muraille, s'est fait une blessure
au pied, qui l'a estropié pour la vie. Vers 1808
M. d'Hinnisdal a acheté la propriété ; mais M. de
Frémilly, pair de France, en a occupé depuis
une portion, et il y a donné l'hospitalité ci un poëte,
Cordellier-Delanoue. C'est encore le nom de l'hôtel
d'Hinnisdal qui brille au-dessus de la porte.
Des ancêtres de François d'Hinnisdal, fait comte
le 10 février 1723 par l'empereur Charles VI, avaient
figuré aux Croisades ; le baron Jean-Herman d'Hin-
nisdal, seigneur de Ferfay en Artois, brigadier
des armées de Louis XIV, avait épousé en 1714
la fille du marquis de Lillers.
L'un des petits hôtels de cette rue a porté le
n" de section 914 et eu pour locataire, depuis
l'année 1797 jusqu'à l'année 1805 au moins, une
dame dont la vie avait été tissue de malheurs
romanesques. Elle était née en 1762, fille naturelle
du prince de Conti et d'une duchesse aussi riche
que belle ; Versailles et Fontainebleau l'avaient
vue descendre, à l'âge de huit ans, d'une voiture
RUE CASSETTE. 285
h la livrée de son père, ami de Jean-Jacques
Rousseau, et elle devait être légitimée, pourvue
d'un apanage. Mais une institutrice. M""' de Lorme,
d'accord avec la mère, dont la réputation aurait
souffert d'une réparation si éclatante, avait enlevé
la petite fille à onze ans et l'avait cachée à Lons-
le-Saulnier, en faisant croire au prince qu'une
maladie d'enfant lui avait été mortelle. M""* Delorme,
qui se disait sa mère, avait amené sa victime à
Cliâlon-sur-Saone, pour la marier, nubile à peine ;
mais la jeune fille s'y était refusée, en essayant
inutilement de fuir. On l'avait laissée porter le
deuil de Louis XV et puis du prince de Conti,
Il l'abbaye Saint-Antoine, en la gardant toujours
à vue et en interceptant ses lettres au nouveau
roi, h M""* Elisabeth. Son mariage avec un fer-
mier s'était enfin conclu, et à cette occasion la
pension de 12,000 francs, qu'on lui servait, avait
été portée à 25,000. Toutefois, M'"« Delorme ayant
cessé de vivre, sa prétendue fille avait aussitôt
demandé, mais sans succès, que le mariage fut
cassé. Réduite à la misère par la Révolution,
elle avait donné pour vivre jusqu'à des leçons
de mathématiques, avant d'obtenir du Directoire
une pension de 200 francs par mois.
Rue 8ug:er. (i)
Le Cimetière. — Le Collège de Boissi. — Chasse-
bras de Cramailles. — L'Epouse fouettée. — La
Maison du Chapitre.
Le célèbre ministre des rois Louis VI et Louis
VII, dont la maison de ville touchait à Saiat-
Merri, en eut une de campagne sur la terre de
Laas, vignoble qui s'étendait entre la porte de
Nesle, celle de Saint-Germain, les murs de l'uni-
versité et la rue de la Huchette. Néanmoins la
rue qui s'ouvrit près de cette villa, ou sur son
emplacement, fut dite des Sachettes ou des Sache-
tiers, à cause d'un couvent, qui se ferma au
milieu du xiv^ siècle. D'autres effets de couleur
locale la firent appeler ensuite des Deux-Portes
et du Cimetière-Saint-André pendant environ cinq
cents ans. Vers le n" 13, que vous y voyez, est
indiquée sur le plan de Gomboust l'entrée du
cimetière de l'église Saint-André-des-Arts. L'inscrip-
tion municipale en consacra le souvenir, après la
suppression de l'église et de son champ semé de
tombes ; mais sur la demande des habitants, en
l'année 1844, l'estampille se modifia. Elle évoqua
le nom du ministre Suger, abbé de Saint-Denis,
qui par hasard avait été chez lui au milieu de
l'ancienne terre de Laas. Mais, sans cette circons-
tance, nous aurions préféré un autre nom, rappe-
lant une fondation trop peu connue, qui se rattache
plus directement à l'origine de plusieurs immeubles
de la rue.
(1) Notice écrite eu 1861.
RUE SUGÉR. 287
Sous le règne de Jean-le-Bon, le testament nuncu-
patif de Godefroy de Boissi, chanoine de Chartres,
ordonnait d'employer en bonnes œuvres le prix
de son hôtel, à présent le n" 8 ou 12 de la rue,
et de quelques autres maisons, plus un assez
grand nombre de petites rentes, au profit de
pauvres de Paris et de Boissi-le-Sec, près Etampes,
pays natal du donateur. Ses exécuteurs testamen-
taires étaient Etienne Visé de Boissi, clerc du
roi, chanoine de Laon, puis de Saint-Germain-
l'Auxerrois, neveu du défunt ; Guy Lesueur, Jean
Quatre-Deniers et Jacques Vie de Foresta.
A leur diligence est fondé le collège de Boissi
pour sept écoliers, dont un chapelain, avec un
domestique pour les servir, dans la dernière habi-
tation de feu Godefroy. Mais, le jour même où
l'acte y relatif se passe, Etienne Vidé donne de
son chef aux mêmes écoliers, sous la même forme
authentique, son domaine de Nantouillet, ses livres
de droit canonique et civil, un lit garni pour
chacun des boursiers et de nouvelles rentes, ainsi
que trois autres maisons : l'une, rue Saint-André-
des-Arts, qu'il habite et qu'habitait précédemment
son oncle, de qui il la tient ; une autre, dite le
Château-Gaillard et dont l'origine est la même,
sise dans la rue qui nous occupe ; puis une troi-
sième, attenante à la seconde, quoiqu'elle ait son
entrée principale rue des Poitevins. Seulement
ce donateur se réserve la jouissance viagère de
tout ou partie desdits biens mobiliers et immobi-
liers ; c'est pourquoi le nombre des écoliers ne se
trouve que pour l'avenir porté h douze, outre le
principal et le chapelain, aux termes des statuts
approuvés le 7 mars 1358-59 par les recteur,
doyens, procureurs et députés de l'université de
Paris. La collation aux bourses est déférée au
chancelier de cette université et au prieur des
chartreux conjointement ; ils y devront nommer,
888 RUE SUGER.
par préférence, des membres de la famille des
fondateurs, des sujets de Boissi-le-Sec ou des
villages environnants, ou nés sur la paroisse de
Saint-André des-Arts, mais à la condition expresse
que les élus soient pauvres et de basse extrac-
tion, comme les fondateurs : « non nobiles, sed
de humili plèbe et pauperes, sicut nos et prede-
cessores nostri fuimus. » Trois de ces écoliers
étudieront en grammaire, trois en philosophie,
trois en droit canon et trois en théologie ; les
grammairiens devront être en état d'expliquer Donat
et Caton ; tout boursier qui ne travaillera pas
sera exclu ; le Château-Gaillard' est le siège déli-
nitif affecté à l'établissement, dont le local provi-
soire sera donné à bail une fois libre. Au bout
de peu d'années Etienne Vidé cesse de vivre, après
avoir confirmé et complété sa donation en nom-
mant le collège son légataire universel et en char-
geant non-seulement le chapelain de l'établisse-
ment, mais encore le curé de Saint- André-des-Arts,
moyennant une somme de 20 sols parisis, de
dire des messes pour l'oncle et le neveu.
D'autres bienfaiteurs suivent, en divers temps,
l'exemple de Godefroy et d'Etienne. Guillaume de
Melun, archevêque de Sens, abandonne aux bour-
siers en 1364 la terre des Lombards, acquise de
Colinet de Metz deux ans avant, au village de
Rubel, et 45 arpens sis à Vingneuf. Jean Boileau,
chanoine de Thérouanne, lègue une maison rue
des Poitevins, grevée d'une usufruit au profit de
la famille Bréban. Jean Guillard, prêtre et ancien
principal du collège, est resté débiteur de l'établis-
sement ; il acquitte sa dette par l'abandonnement
d'une maison rue des Poitevins, puis il en donne
trois autres sises dans la même rue, en 1417,
à charge de messes à dire dans la chapelle. Benoît
de Maillac exerce la principauté sous le règne de
François \*\ et Charles Dulis, fils d'un avocat-
RUE SUGER. 189
général à la cour des aides, au commencement
du règne de Louis XIII, avec Nicolas de Martineau,
conseiller et aumônier du roi, protonotaire du
Saint-Siège, pour chapelain. Un de leurs succes-
seurs, Gervais Lenoir, sieur de Maulone, fonde
le 17 mars 1655 un lit aux Incurables, k la
nomination du principal de Boissi et du curé
de Saint-André-des-Arts, pour un pauvre du
village de Boissi-le-Sec, ou des environs, ou bien
de la paroisse Saint-André-des-Arts.
Malgré des apports successifs, la fortune de la
communauté pédagogique suit une marche quel-
que peu décroissante : des rentes se sont perdues,
d'autres ont été réduites, et à plusieurs reprises
il a fallu sacrifier une propriété pour subvenir
à l'entretien des autres ; c'est pourquoi le nombre
des boursiers n'a que rarement atteint le chiffre
déterminé par les actes constitutifs. La généalo-
gie des fondateurs est dressée en présence des
collateurs, le 19 juillet 1673, et bien qu'on y
voie figurer seigneurs, gens de robe et militaires,
à côté de marchands, d'artisans et de laboureurs,
tous les membres vivants de cette famille à bran-
ches divergentes sont dans une condition modeste :
« l'un a dételé le matin, l'autre l'après-dîner » cons-
tate le généalogiste. Conformément aux vœux
d'Etienne Vidé, chaque fois qu'il y a une vacance
à remplir, à mérite égal on préfère au pauvre
un plus pauvre. L'œuvre est fortifiée de nouveaux
statuts, fidèles à ce principe, le 16 août 1680 :
les bourses sont réduites provisoiremeut à sept,
y compris celle du principal, qui se nomme aux
voix, ainsi que celle du chapelain, et ces deux
bourses comptent double; la durée des études
est fixée à sept ans, avec faculté de prolongation
pour prendre le degré de licence et puis le bon-
net de docteur. La suppression d'une bourse a
encore lieu pendant le règne de Louis XIV, par
290 RUE SUGER.
mesure d'économie ; heureusement elle se trouve
rétablie, le 9 février 1717, par le legs d'une
rente de 400 livres sur les aides et gabelles, due
au prêtre Guillaume Hodey, qui a été 36 ans
principal. Il est vrai que le testateur impose de
chanter vêpres désormais tous les jours fériés, et
que cette condition porte la communauté à refuser
d'abord l'allocation ; mais une sentence du Châ-
telet rend la charge moins onéreuse et facilite
l'acceptation du legs conditionnel. Par exemple,
le collège refuse absolument, trois ans plus tard,
500 livres de rente attachées par la baronne de
Milleville à une nouvelle fondation de messes,
avec nomination de chapelain réservée à la famille
de la donatrice: ladite fondation est transportée
à la chapelle Saint-Côme, située près des Gor-
deliers.
Le principal est Ghevillard au milieu du xvni^
siècle. Les biens de ville, fermes et rentes du
collège rapportent encore 5,000 livres en 1762,
et ses charges, tant en bourses et messes qu'en
droits de cens et frais ordinaires d'entretien, ne
s'élèvent pas tout-à-fait à cette somme. Néanmoins
les boursiers de Boissi sont déversés, comme
ceux de plus de vingt autres petits collèges de
Paris, à Louis-le-Grand. L'ancien Ghâteau-Gaillard,
qu'ils occupent depuis cinq siècles, est vendu
dès l'année 1764 ii M. Le Juge de Bouzonville
par MM. Gochin, conseiller au parlement, Vallette,
ancien recteur de l'université, et l'abbé Fourneau,
ancien recteur également, tous les trois adminis-
trateurs des biens des petits collèges supprimés.
Un horloger nommé Voisin reçoit le prix du même
immeuble, en l'an IX de la République, des mains
de M. Vivant, père du propriétaire actuel. G'est
le n° 3 de la rue Suger. L'ancienne chapelle du
collège y sert de magasin à un brocheur.
Outre la bibliothèque du collège de Boissi, on
RUE SUGER. 291
citait dans la même rue, avant la fin du xvii^
siècle, la bibliothèque de Chassebras de Cramailles.
L'hôtel de ce particulier, riche également d'une
collection de curiosités d'Italie et du Levant, d'es-
tampes, de monnaies, etc., faut-il le voir dans
le n° 16, où depuis 1818 on fait de l'encre, ou bien
dans le n° 7, qui a porté, dit-on, la dénomination
d'hôtel Serpente? Si le petit musée avait été au
n" 5, qui a conservé des sculptures et une jolie
rampe de fer, ne l'aurait-on pas désigné comme
contigu au collège?
L'une à coup sûr des trois maisons avait été
habitée avant Chassebras de Cramailles par Nicolas
Cotignon, sieur de Chauvry, conseiller au parle-
ment, puis président de la cour des monnaies.
Ce magistrat tenait de son père, secrétaire des^
commandements de la régente Marie de Médicis/
la terre de Chauvry, près de Montmorency. Il avait
épousé une jolie brune, petite femme d'un esprit
vif, née Rambouillet, à laquelle il osa une fois
administrer une correction paternelle pour une
simple désobéissance. Les préliminaires de
cette exécution inusitée annonçant plutôt des
caresses, quelle surprise pour la jeune femme !
Comment désarmer son bourreau ? Inutile de verser
des larmes, qu'il n'aurait pas même vu couler !
Ce qu'elle montrait de bonne grâce parlait encore
mieux en sa faveur, mais hélas ! en pure perte.
Heureusement elle aimait son mari à ne lui en
vouloir que d'infractions à la foi conjugale ; telle
était même sa jalousie qu'elle lui défendait de
mettre les pieds chez sa sœur ! Tallemant des
Réaux, notre grand conteur d'historiettes, avait
épousé cette autre M"" Rambouillet. La prési-
dente Cotignon, une fois veuve, resta dame du
village de Chauvry jusqu'à la majorité de son jeune
fils.
Un immeuble de l'ancienne rue du Cimetière
292 RUE SUGER.
porte actuellement le chiffre 14 sur la place
Saint-André-des-Arts, et ce fut la maison capi-
tulaire de l'église à laquelle succède ladite place.
On y remarque les sculptures admirablement con-
servées de deux mansardes qui donnent sur la
cour.
Rue (les Poitevins, (i)
VHôtel Panekoucke. — L'ancien Bureau du Moni-
teur. — La Maison contiguë. — L'Hospice de
la Paroisse Saint- André-des- Arts,
Comme nous dansions chez ce M. Panckouke,
et quels grands yeux nous ouvrions sur le musée
qu'on appelait son hôtel ! Il avait su y rassem-
bler des souvenirs de tous les âges et de tous
les peuples, en travaillant à la gloire de son temps
et de son pays, dont il réunissait aussi l'aris-
tocratie politique, littéraire et artistique, sans oublier
celle de la jeunesse.
A propos de belles gravures, et de vers encore
plus beaux, Voltaire avait écrit ii M. Panekoucke
père, traducteur de Lucrèce, de l'Arioste et du
Tasse, ce que les nombreux hôtes du fils lui
répétaient : « Je vous aime encore mieux que
tout cela, car vous êtes fort aimables, vous et
madame votre épouse. »
Ce fils avait été secrétaire du Sénat, position
qu'il avait quittée pour prendre la direction du
Moniteur, après son père, et pour se livrer à son
tour aux grandes entreprises d'éditeur qui ne
l'empêchaient pas d'être peintre, ainsi que plu-
sieurs membres de sa famille. Le Dictionnaire des
Sciences Médicales, les Victoires et Conquêtes dés
Français, la Description de VÉgypte et la Biblio-
thèque Latine-Franraise ^ à laquelle l'éditeur colla-
bora comme traducteur, ainsi que son fils, M.
(1) Notice écrite en 1861.
19
294 RUE DES POITEVINS.
Ernest Panckoucke, ont soutenu au xix* siècle la
réputation d'une maison qui avait publié au siècle
précédent les œuvres de Voltaire et de Buffon et
V Encyclopédie Méthodique : le souvenir en a été
consacré par les illustrations d'un des plafonds
de l'hôtel, par des meubles figurant de petits
monuments, par une colonne en albâtre sur le fût
de laquelle on a gravé les noms des auteurs et
des traducteurs de la Bibliothèque Latine et enfin
par quatre médailles. M. Panckoucke, ayant voué
un culte particulier h Tacite, donnait ce nom à une
salle, et puis il publiait en 1839 une Bibliographie,
comprenant 1055 éditions du prince des histo-
riens. La mémoire d'un amour illustre a été honorée
pareillement, dans la salle gothique, par un curieux
monument : un fragment d'une côte d'Héloïse et
un fragment du crâne d'Abélard y sont gardés dans
un reliquaire de bronze. Parmi les peintures
qui décorent les plafonds de diverses pièces, il en
est une attribuée â Rubens et h Jordaens, dans
la plus grande pièce du rez-de chaussée : on y voit
représentés un satyre, une nymphe et trois tigres
jouant avec des enfants. Une P allas domine la
salle voisine, après avoir été l'un des tableaux de
la galerie du cardinal Fesch. D'autres plafonds
sont tout-â-fait modernes ; mais les deux du rez-
de-chaussée revêtent surtout des peintures du xyu!*^
siècle.
L'ancien secrétaire du Sénat n'a personnelle-
ment disposé qu'en 1819 de cette belle propriété,
qui appartenait avant lui à M. Agasse, son beau-
frère, et qui avait été l'hôtel de Mesgrigny, dans
un corps de logis duquel se trouvait déjà instal-
lée la librairie Buisson au moment de la Révolu-
tion. Sous le règne de Louis XV, on appelait la
maison hôtel des Étatsde-Blois. Les -députés des
États de Blois y avaient, à Paris leur lieu de
réunion. M. Panckouke, ayant le tort de croire
RUE DES POITEVINS. 295
que sa maison avait été construite au milieu dudit
règne, a commis la faute d'en convenir dans
une brochure publiée en 1841. Mais un escalier
magistral à cage carrée et, qui plus est, les ba-
lustres de chêne d'un bout d'escalier, au grenier,
datent au moins du xvi''. siècle, qui assista li plus
d'une convocation des États de Blois, et l'hôtel des
États fut aussi un hôtel de Thou à cette époque.
Il avait même pour origine probable le logis des
parrains de la rue Guile-Queux, ainsi dite du
temps de saint Louis, appelée au siècle suivant
la rue Guillard-aux-Poitevins et longtemps distincte
de la ruelle du Pet, qui la prolonge de nos
jours par un crochet jusqu'il la rue Serpente.
L'immeuble qui appartient encore ci la famiBe
Panckoucke, n'est-ce pas tout-à-fait la seule mai-
son de la rue qu'ait pu habiter Chi-istophe de
Thou, père de l'historien, grand'père du conjuré
que le cardinal de R-ichelieu fit périr avec Cinq-
Mars? Ce premier président ne poussait pas
l'austérité trop loin; il fut le premier Parisien
qui se donna le luxe d'un carrosse.
Nous n'ignorons cependant pas qu'en échange
d'une autre maison, assez spacieuse, Christophe
de, Thou donna au collège de Boissi, qui la tenait
d'Etienne Vidé, une rente de 1S3 livres 13 sols 8
deniers sur l'Hôtel-de-Ville, le 4 mars 1559;
nous savons même que ce magistrat, pour parfaire
la constitution de cette rente, avait sacrifié sa
vaisselle d'argent au mois de mai 1554. La famille
de Thou résidait certainement rue des Poitevins
avant la mort de l'historien qui avait joué un
grand rôle dans les événements du règne de
Henri IV, et la bibliothèque de Thou y fut
fondée ; celle-ci fut vendue en 1680 et réunie dans
la suite à la bibliothèque du roi, de laquelle
messire de Thou avait été nommé grand-maître
en 1593. Sylvie de Pierrevive, chancelier de
296 RUE DES POITEVINS.
l'église et de l'université de Paris, et frère Adam
Ogier, humble prieur de la Chartreuse de Paris,
donnèrent leur autorisation, comme supérieurs-
nés du collège de Boissi, à la vente de 16 toises
de terrain, prises sur le jardin du collège, qui
coûtèrent aux De Thou, le 27 août 1613, 480
livres, plus une nouvelle rente de 50 livres sur
l'Hôtel-de-Ville. Cette rente fut rétrocédée en
1654 à Jacques-Auguste de Thou, comte de Meslay,
président au parlement, ambassadeur près dès
Étals-généraux, et ledit frère cadet de la victime
du cardinal constitua en échange une rente sur
son hôtel, rachetable au principal de 800 livres.
Mais cette rente ne reposait en aucune sorte sur
l'hôtel des États-de-Blois, elle était assise sur la
propriété que la famille avait acquise du collège
de Boissi, et divisée en grand et petit hôtel de
Thou, les n°' 6 et 8 d'à présent. Gervais Lenoir,
principal de Boissi, exerça des poursuites en
1669 ; il réclamait des arrérages, il se portait
même opposant h la vente dudit hôtel de Thou,
par suite d'une contestation relative à un jour
de mitoyenneté.
Ces deux maisons appartenaient, un siècle après,
l'une à Guillaume de Panthon, ancien capitaine
au régiment de Piémont, et l'autre au président
de Cotte. Les héritiers Jamard en avaient trois
autres dans la rue à la même époque, et ils
tenaient du Levant au sieur Le Juge, du Couchant
au collège Louis-le-Grand. Dans celle du prési-
dent de Cotte se trouvaient réunis, en 1787, les
bureaux de la Gazette de France, du Mercure
de France, du Journal de Genève et de VEncy-
ciopédie Méthodique : le libraire Panckouke y était
établi. Il y vendait à 50,000, tirage fait en quinze
jours et qui semblait alors prodigieux, le fameux
compte-rendu de Necker, dit conte bleu ù cause
de sa couverture. Il fut également l'éditeur du
RUE DES POITEVINS. 297
Moniteur, et la signature du journal est revenue
sous Louis-Philippe à son petit-fils, neveu et
successeur de M"'* Agasse. Les ttureaux et l'im-
primerie du Moniteur ont occupé un demi-siècle
cette maison de la rue des Poitevins, vendue il
y a six ans par les Panckoucke à M. Capiomont,
constructeur de machines typographiques.
Dans la même rue avait été fondé par Desbois
de Rochefort, dernier curé de Saint-André-des-
Arts, un hospice pour huit malades, desservi par
quatre sœurs, avec une salle d'asile pour des
petites filles, qu'on y nourrissait en leur apprenant
à liler.
Rue IScrpciite. (i)
Hôtel de la Serpent. — Panchoucke. — Le Père
d'Helvctius. — Les de Bures. — Les Raoux. —
Les Collèges. — Catelan. — Hôtels d'Henneval
et du l'illet.
Avant d'habiter l'ancien hôtel des États-de-Blois,
rue des Poitevins, feu 31. Panckoucke demeurait
rue Serpente. De plus, nous croyons que son
père, fils lui-même d'un libraire de Lille qui avait
écrit VArt de desopiler la Raie, y ouvrit le salon
dont l'influence marquait à la fin du règne de
Louis XVJ. 3Lais on se bornait alors à indiquer
le bureau de la Collection des Mémoires jarticu-
liers de VHistoire de France dans cette autre
maison Panckoucke, dont la grande porte cintrée
se retrouve rue Serpente, entre le boulevard
Sébastopol et la rue Hautefeuille, et qu'on appe-
lait de longue date hôtel Serpente. La cour en
est carrée, et l'escalier principal à balustres.
Nous y reconnaissons une portion de l'hôtel que
l'abbé et les religieux de Fécamp entretenaient i»
Paris sous Philippe de Valois, manoir que l'en-
seigne d'une Sirène avait déjà lait dire de la
Ser])ent. La rue de la Serpent, en ce temps-là,
n'allait pas au-delà de la rue Hautefeuille; le
reste s'en nommait rue de la Plàtrière, plus
tard du Battoir.
Le médecin hollandais Helvélius, père du phi-
(1) Notice «crile en 18G1. I/él;irt;isscniei)1 de la nie
qu'eMe concerne entre le boulevard Saint-MicJu'l et Ja
rue Iliiutcfeuille, esi postérieur.
RUE SERPENTE. 299
losoplie, eut sa résidence dans le même hôtel ;
il y distribuait de la poudre émétique pour guérir
la dyssenterie et la colique. Louis XIV fit donner
à cette utile innovateur une gratification de mille
louis pour avoir propagé l'usage de l'ipécacuanha,
racine qu'il mettait en poudre et qui avait paru
en France pour la première fois on 1672.
Les de Bure, autre race de libraires distingués,
occupèrent, sous l'ancien régime, une maison que
. le nouveau boulevard Sébastopol de la rive gauche (i)
a fait tomber. Les Raoux, qui de père en
fils étaient fabricants de cors de chasse, faisaient
face II l'hôtel Serpente.
Etienne de Bourgueil, archevêque de Tours,
avait fondé au xiv siècle le collège de Tours
entre cet hôtel et la rue de la Harpe. Nicolas
Brachet, président aux enquêtes, commissaire député
par le parlement de Paris pour la réformation des
collèges, s'était entendu en 1540 avec Martin Ruzé,
grand-vicaire de Tours, chanoine et chantre de
l'église de Paris, conseiller au parlement, pour
donner de nouveaux statuts à ce collège de la
rue de la Serpent, où il y avait provision pour
six boursiers, outre le principal. Grammaire,
logique, médecine, droit canon et théologie y
faisaient l'objet des études ; mais un titulaire
pouvait quitter l'établissement pour étudier en
droit civil et reprendre ensuite sa bourse. Citons
Geoffroy Larcher, Hardouin Lemasle, Pierre Le-
verrier et Belluot parmi les principaux qui s'y
sont succédé. Chayet, prêtre du diocèse de Sens,
forma en IToO dans le collège, sous les auspices
de la compagnie de Jésus, une congrégation qui
bientôt devint nombreuse et qui ne fut entière-
ment dissipée, comme dépourvue d'autorisation,
qu'au moment de la réunion des petits collèges
(1) A présent boulevard Saint-MiclieJ.
300 RUE SERPENTE.
h Louis-le-Grand. Deux maisons, rue de la Harpe
et rue Percée, appartenaient encore h Tinstitu-
tion ; mais elles étaient grevées de dettes. La
maison du collège et sa chapelle furent données
en location k un maître de pension, puis vendues
par la Nation le 21 août 1793. On ne les a vues
disparaître qu'avec la tête de la rue Serpente,
où l'ordre numérique n'a pas encoreri^eculé depuis
cette décollation.
Le collège de Suède, dont la création remonte
à la même époque, avait été fermé beaucoup
plus tôt : il était vraisemblablement de l'autre
côté de la rue. Le collège Mignon occupait l'angle
de la rue Mignon, comme aura îi le redire la
notice de cette rue.
Dans la ci-devant rue du Battoir nous retrouvons
plusieurs maisons qui ont été de condition; s'il
n'y en avait qu'une, nous y replacerions sans
hésiter la famille d'un gentilhomme dont le nom
est resté au Pré-Catelan dans le Bois de Boulogne :
Catelan succéda, comme capitaine des chasses,
au père de M"'' de Beauvais, que Louis XIV tout
jeune avait aimée.
Rien n'empêche que les Catelan aient eu pour
habitation soit l'hôtel d'Henneval, corps énorme
dont un escalier à vénérable rampe de fer paraît
l'àme, soit l'hôtel du Tillet, contigu à l'hôtel
d'Henneval, et qui avait déjà deux portes au xvn"
siècle, les deux dernières de la rue, côté des
numéros impairs. Du Tillet de Montarmé, briga-
dier des armées du roi, avait la plus grosse
part de cette propriété, etMaynard de Bellefontaine,
son allié, la portion dans laquelle aujourd'hui
encore on s'émerveille de l'état de conservation
d'un charmant escalier à balustres. La lar-
geur modeste en sulhsait au locataire Boinet, qui
était auditeur des comptes au beau milieu du
RUE SERPENTE. 301
règne de Louis XIV, puis à Buisson-Lejeune, un
procureur au parlement, acquéreur de la propriété
en 1770.
Rue Haiitefeiiillo. (i)
XIII'- et XI V- siècles. — La rue Hauteieuillc,
dont on estime que la dénomination provient
d'une haute futaie, fait parler d'elle dès le règne
de saint Louis et se prolonge originairement
jusqu'à l'enceinte de Philippe-Auguste, entre la
porte Saint-Michel et la porte de Buci. Mais les
cordeliers, auxquels on interdit d'ahord d'aller
prendre leurs récréations sous la haute- feuillde,
ne tardent pas à gagner du terrain, à entrer en
possession de l'emplacement où ils étahliront le
réfectoire du couvent, présentant la forme d'une
église, en face de la rue Hautefeuille. Le bas de
la rue s'appelle du Chevet-Saint-André, à
cause de l'église Saint-André-des-Arts, et la mémo
extrémité, si ce n'est un tronçon intermédiaire,
se dit aussi rue de la Barre, en raison d'un lieu
de justice, ou d'une limite de juridiction, ou d'une
barrière comme le droit appartient aux nobles
de la haute volée d'en avoir h leur porte, ou
enfin à cause du logis de Jean de la Barre, avocat.
L'ordre des prémontrés acquiert de Pierre Sarra-
zin, en l'an 'l:2ol2, une maison où se fonde le collège
des Prémontrés, en regard des Cordeliers. Leur
établissement, dans le principe, est encadré et
isolé par quatre rues, celle des Cordeliers, qui
deviendra rue de lÉcole-de-Médecine, celle des
Étuves, qui sera supprimée après avoir fait suite
îi la rue Mignon, celle de l'Archevêque de-Beims
ou du Petit-Paon, dont il subsistera au xix'- siècle
'\) Nmicf? ôcrife en I8r;i. La nie Hautpfeiiillc s'ouvrait
dôs-lois, mais d'un seul côté, au nouveau boulevard Saint-
Germain, qui ne la traverse pas encore.
RUE HAUTEFEUILLE. 303
le cul-de-sac Larrey, et enfin celle Hautefeuille,
qualifiée aussi rue qui va à Saint-André. Il est
])ossible que Pierre Sarrazin demeure propriétaire
de la maison située vis-à-vis du collège, et qu'a-
noblit une tourelle ti l'angle de la rue Pierre-
Sarrazin. On rapporte pourtant au règne de Phi-
lippe de Valois l'existence notoire d'un hôtel de
Forez, qui peut avoir surgi avec ce pavillon, ou
l'avoir englobé, bien que ledit hôtel ait séparé de
la rue Pierre-Sarrazin celle des Deux-Portes,
anéantie par le boulevard Saint-Gerniain. Au même
temps l'hôtel de Fécamp occupe tout l'espace entre
la rue Percée et celle Serpente, avec retour sur
l'une et l'autre (i). Une tourelle, . qui revêtira
intérieurement au xvi* siècle une boiserie sculptée
d'arabesques et de moulures, et pour ornements
extérieurs des Heurs de lys avec une Salamandre,
emblème affectionné de François P'', y restera
voisine des colonnes d'une ancienne chapelle. On
retrouve de nos jours, dans la soupente d'un
entresol, servant de magasin au libraire Cantel,
la corniche d'une de ces colonnes, sur laquelle
sont gravés deux mots : Pax Vitœ.
XVII'' siècle. — L'empoisonneuse dame do
Brinvilliers a pour complice Sainte-Croix, qui
habite l'appartement de l'ancien hôtel de Fécamp
dont la jolie tourelle fait partie. Une quinzaine
d'années après l'exécution de la Brinvilliers, la
bibliothèque de Boucot règne à l'étage supérieur.
En ce temps-là Tucheux, avocat, dispose de deux
maisons situées plus haut, sur la même ligne, et
il a pour tenants d'une part le président Pom-
mereuil, de l'autre l'avocat-général Talon. Sallier,
(1) La rue Porrre-Saint- André u'cst plr.s qu'une im-
passe, qui semble convertie en avenue particulière : elle
enlr'ouvre une porte sur la rue Hautefeuille.
304 RUE HAUTEFEUILLE.
membre du grand-conseil, est propriétaire au
coin de la rue des Poitevins. Madeleine Gobelin,
veuve de Pierre Frogier, a acheté en 1670 une
propriété venant de Claude Frogier, capitaine au
régiment de la reine, entre Beaussan etMonthelon.
De plus, une espèce d'almanacli, publié en l'année
1692, donne rue Hautefeuille les adresses d'un
particulier, riche et homme de goût, nommé
Bonart et de M. de Villevaut, maître des requêtes,
en ajoutant que ce dernier donne entrée chez lui
toutes les après dinées aux sçavans de considéra-
tion, qui tiennent une conférence curieuse sur
tous les sujets qui se prése^itent. Un OU deux de
ces documents regardent très-probablement l'hôtel
dont la façade est décorée de trois tourelles peu
saillantes, au-dessus de la rue Serpente, et dont
la construction, attribuée aux chartreux, a l'air
dé remonter Ji la lin du xV' siècle.
XVIII'' siècle. — Joly de Fleury, magistrat,
demeure sous Louis XV près de la rue des
Deux-Portes, vis-à-vis de Ghauchat, avocat, puis
échevin un peu plus tard. D'autre part, les archives
de l'administration de la Lorraine étant trans-
portées il Paris, immédiatement après la mort
du roi de Pologne Stanislas Leczinski, duc de
Lorraine et de Bar, on les confie à la garde
d'un dépositaire particulier, l'avocat Cochin, qui
habite l'hôtel de Fécamp. Ces papiers quittent
la rue Hautefeuille pour être réunis au dépôt du
Louvre, en vertu d'un décret de l'Assemblée à la
date du 7 août 1790; ils sont maintenant aux
Archives de l'Empire. Dans l'immense dépôt de
documents qui s'est enrichi de ce nouveau trésor
historique, nous mettons la main sur une pièce
qui rapporte à la rue Hautefeuille pour l'année
1784 la série de propriétaires que voici:
Les héritiers de Pommereu, au coin de Ja rue Pierre-
Sarrazin. — M^e I.ebretoo d'Houry, imprimeur, maison
RUE HAUTEFEUILLE. 305
donnant au Nord rue des Deux-Portes. — Deux maisons
au collège Louis-le-Grand, ù l'autre coin de ladite
rue. — Deux à la Chartreuse de Paris, au coin delà
rue Serpente. — De l'autre côté de la rue Haulefeuille :
Tyron de Nanteuil, tenant au Nord, vers la rue du
Battoir, à l'Hôtel-Dieu, et dans le sens contraire au prési-
dent de Murard.
XJX* siècle. — Tissot, beaucoup avant de donner
sa voix, comme académicien, à Dupaty, le rencontre
souvent dans un escalier : ils résident tous deux
au commencement de l'Empire sous le même toit
que le libraire Testu, successeur d'Houry, éditeur
do YAlmanach Impérial, ex-national et ex-royal,
dans la ci-devant habitation de Joly de Fleury.
Le célèbre orientaliste Silvestre de Sacy a son
appartement alors dans la maison aux trois tou-
relles. M. de Bourrienne, ancien camarade de
Bonaparte h l'école de Brienne, avait été le secré-
taire intime du premier-consul et un ami pour
Joséphine; mais il devint l'ennemi de l'empereur
Napoléon : dans ses appartements de la rue Hau-
lefeuille se donnèrent des soirées politiques, dont
les honneurs étaient faits par M'"* de Bou'rrienne,
femme d'esprit. Dès le commencement de la
Révolution, Panckoucke s'était rendu acquéreur
du collège des Prémontrés, pour y emmagasiner
son EncueiopécUe. La chapelle du ci-devant collège
est présentement un café, et le peintre Courbet a
son atelier dans le haut de la maison. M, Desmares,
oculiste distingué, qui depuis peu d'années a
transformé en dispensaire l'ancien hôtel Sallier,
y a remis h jour des peintures séculaires, que
recouvrait le badigeon.
Rue Caiiiuartiii. (i)
N''' 1, 2, 7, 24, 32, 34, 36, 48, 49, 52, So, 66, 67, 68.
Famille noble dès le règne de Charles VI que
celle des Letèvre de Caumartin, alliée à celle de
Créqui, et qui a donné un évèque, membre de
l'Académie-Française, dont le fauteuil a passé à
Moncrif en 1733 ! Antoine-Louis-Franrois de Cau-
martin, marquis de Saint-Ange, comte de Moret,
prévôt des mai'chands de 1778 h 1784, demeu-
rait rue Sainte-Avoye (2) ; il lit autoriser, le 3 juillet
1779, l'ouverture de la rue portant son nom, entre
le rempart et la rue Neuve-des-Mathurins, sur des
terrains acquis des religieux mathurius par Charles
Marin-l)elaiiaye, fermier-général, qui habitait la
rue Vendôme (3). Il y avait déjà sept années que
le président Thiroux d'Arconville, résidant rue
du Grand-Chantier à l'hôtel Gervillier, avait servi
de parrain à la petite rue Thiroux, percée plus
bas que la rue Caumartin aux frais de Sandrier
des Fossés, entrepreneur des bâtiments du roi.
M. de Sainte Croix n'en fit que plus facilement
adopter, en 1780, le tracé d'une petite rue
venant plus bas encore et à la suite des deux
autres ; elle passait au travers d'un marais bien
(1) Notice L'crilti en 1858. La ruo dont elle rionno
J'hisloriquu n'était eacoie traversée lu par la nouvelle
rue Auber ni par le nouveau boiilevaid Ilaussmann,
qui lui ont enlevé pa^ mal de maisons.
(■2) Préseulenient du Temple
1:^1) Présentement Béranger.
RUE CAUMARTIN. 307
cultivé et d'un chemin de ronde qiie les barrières
de la ville avaient dépassée : les édiles ne deman-
dèrent pas mieux que de la placer sous l'invoca-
tion de son auteur. Ces trois tron(;ons de la même
voie, frayée par des habitants du Marais dans
la Chaussée-d'Antin naissante, portent la même
dénomination depuis le 5 mai 1849.
L'architecte Aubert, à lui seul, éleva 28 hôtels
dans ce quartier, que la mode tout d'abord prit
sous sa protection, et notamment deux pavillons,
décorés de ligures en demi-relief, de petits amours,
de médaillons, de cornets, de castagnettes, etc. y
qui se font pendant l'un à l'autre aux angles de
la rue Basse-du-Rempart et de la rue Caumartin.
L'une de ces deux maisons, n° !< garda assez
longtemps une toiture qui rappelait les jardins
suspendus de Babylone ; c'était une terrasse de
120 toises, plantée d'arbustes et parsemée de parterres
de tleurs, avec une pièce d'eau, des rochers,
une cascade et des statues, le tout hérissé de
pyramides et de tronçons de colonnes pour dérober
la vue des tuyaux de cheminée. La surélévation
de l'édifice l'a décapitée de cette plate-forme ; tou-
tefois une ou deux pyramides tiennent encore
embrassée, sur le faîte, la tôle où passe la fumée,
et ces tuyaux communiquaient jadis avec l'appar-
tement de Mirabeau, qui a demeuré au-dessous.
Le 2 était édihé, ainsi que deux autres maisons,
pour le compte d'un riche marseillais, qui avait
traité du terrain ; mais le duc d'Aumont, pj-emier
gentilhomme de la Chambre, en devint bientôt
possesseur. Dominique Le Noir vendait, en 1808,
le môme hôtel au père de M. Dubois de
l'Estang.
La rue Caumartin primitive n'était commune,
quelques années après son ouverture, qu'aux pro-
priétaires se suivant clans cet ordre :
308
RUE CAUMARTIN.
(î?axulj£ :
Delabaye.
X
Les héritiers Cordier.
Mme Hocquart.
Cochois.
Delahaye (pour 9 maisons
ou places à bâtir.)
ÎBroitt ;
Le duc d'Aumont.
Delahaye.
Le C"^ de Bavière, ou le C'e
Desnos.
Delahaj-e.
X.
Le M's de Bras.
Delahaye.
P^lagot.
Id.
Ganguet.
Delahaye.
Durand,
^jine Diisson.
Plus d'un lot attendait encore les maçons, à
cet âge encore tendre de la rue. Pour le marquis
de Calvimont s'ouvrit toute fraiche la bonbon-
nière du 7, petit bôtel, qui plus tard fut le
dernier vaisseau monté par l'amiral Mackau, ancien
ministre de la marine. De même, un maréchal de
France, Dode de la Brunerie, cessa de vivre au n" 24,
qu'habite sa belle-mèie depuis 1820. Le spécula-
teur Delahaye n'avait pas tardé ii céder sou
encoignure de la rue Neuve-des-Mathurins h la
duchesse d'Ancenis. Le marquis de Feuquières,
descendant du vaillant auteur des Mémoires de
la Guerre, était avant la fin du règne de Louis
XVI propriétaire à la place de Pélagot, et M'"*
de Mazades, à celle de Durand, premier angle de
la rue Boudreau. Tous deux habitaient respecti-
vement leur maison : une pièce authentique nous
l'indique. Nous avons, d'autre part, entendu
dire à un ancien beau du premier empire,
M. Bérenger, actuellement juge de paix, que l'un des
premiers occupants du n° 32 fut un conseiller d'Etat,
ancien président des Etats-Généraux, ancien préfet,
dont le tlls est devenu ensuite pair de France, le
baron Mounier.
RUE CAUMARTIN. 309
Le 34 et le 36 faisaient partie d'un autre hôtel
du duc d'Aumont, élevé aussi sur le dessin
d'Aubert, au coin de la rue Neuve-des-Matliurins. On
dit que les premiers équipages remplaçant le cocher
par un jockey h cheval sortaient de chez ce grand
seigneur, qui les mit à la mode plutôt qu'il ne
les inventa. Il en débouchait à coup sûr des rues
de la Chaussée-d'Antin sur le boulevard avant le
siècle dans lequel nous vivons. Comme on parlait
un jour à Mirabeau d'un mari dont le train de
maison devenait élégant et luxueux depuis que
l'amant de sa femme contribuait à la dépense: —
C'est un ménage attelé à la d'Aumont, dit l'auteur
des Lettres à Sophie.
Mais le bâtiment doyen de notre rue Caumartin est,
comme de juste, un legs de la rue Thiroux. Une
manufacture de porcelaine s'établissait au oo avant
la lin du règne de Louis XV, et la France ne
comptait alors qu'un très-petit nombre de pareilles
fabriques.
Une tache d'huile sur un bel habit avertit d'en
éviter d'autres ; l'utilité de la masure qui porte
rue Caumartin le chiffre 49 consiste à tenir tout
prêts plusieurs coupés de remise pour s'en éloi-
gner au plus vite. Cette maison appartint d'abord
aux capucins de la rue Sainte-Croix, dont le
couvent, édifié par Chalgrin, fut transformé par
la Révolution en hospice pour les vénériens et
les galeux, au grand déplaisir des voisins, qui
n'en pensaient que mieux à émigrer. Un peu
plus tard, l'église Saint-Louis-d'Antin partageait
le ci-devant couvent avec le lycée Bonaparte, dont
nous avons écrit séparément l'histoire, et les
Hospices n'en gardaient pas moins la maison de
la rue Thiroux. Les citoyens Cuvillier, Huré et
autres, demeurant rue Sainte-Croix, du côté de
l'hospice, avaient connu propriétaire du n" 52
l'ancien Ijoucher Legendre, conventionnel, qui avait
20
310 RUE CAUMARTIN.
osé coiffer le roi d'un bonnet phrygien le 20
juin 1792. Le citoyen Vézelai était propriétaire
derrière l'hospice, au temps dont nous parlons, et les
deux extrémités de la rue, sur l'autre ligne, apparte-
naient aux citoyens Bourlon et Cramail.
Mais, h droite comme à gauche, il s'était élevé
près de la capucinière, et vers le même temps, des
hôtels tracés sur le papier par le même crayon. M. de
Sainte-Croix avait pendu la crémaillère au n- GT,
où lit un bail Eusèbe Salverte, et qui comporte
un fort joli salon, style Louis XVL L'un des
immeubles en regard avait été hôtel de Cessé.
Sur la ligne de cet hôtel, la porte avant la rue
Joubert avait commencé par s'ouvrir pour M. de
Varanchon, lérmier-général, après lequel la famille
de Saint-Geniès, à titre d'héritière, prit possession
de l'immeuble. Pendant plusieurs années de la
République, M""- de Permont avait occupé l'un
des appartements de la maison, avec sa tille,
sans qu'on eût jugé oppoj'tun de lui présenter des
quittances de loyer ; mais quand la demoiselle fut
devenue la femme du gouverneur de Paris et
duchesse d'Abrantès, une réclamation h ce sujet
arriva jusqu'à elle. Junot, h la rigueur, n'avait
rien à payer des anciennes dettes de sa belle-
mère,^ dont sa femme, M"'« d'Abrantès, s'était
refusée à accepter la succession ; toutefois il ren-
voya les Saint-Geniès à son beau-frère Maldaii,
homme de manières communes, mais honnête
homme, qui ne voulut pas que sa famille fût en
reste de bons procédés avec celle du propriétaire.
Le 66, qu'habita le comte Alexandre de Girardin,
ne tit d'abord qu'une propriété avec le 68, qui
attenait au vieux château du Coq ; le banquier
Aguado y précéda la maréchale Ney, dont les
quatre fds suivaient les cours du collège voisin,
et leur mère, qui recevait beaucoup, voyait com-
munément la reine de Naples, veuve de Murât,
RUE CAUMARTIN. 311
le duc d'Orléans, fils du roi, le général Bertrand,
le maréchal Molitor, Jacques LalTitte, Orfila, le
duc de Monlébello et l'abbé Cœur. Où sont-ils
presque tous ces hôtes qu'avait réunis, non sans
peine, la révolution de Juillet ? Où sont allés
eux-mêmes trois des fils de la maréchale ?
0 livre aux souvenirs, ettleure, n'appuie pas.
Vois vivants, jeunes encore, pleins d'espérance et
pleins d'avenir, tout ce que j'eus de condisciples, de
modèles et de maîtres au lycée Bonaparte, alors
qu'on le nommait collège Bourbon. Il surtlt de
ressusciter dans le cœur de beaucoup d'amis
pour jouir, après la vie, d'une immortalité qui
ressemble à celle de la gloire. Nous espérons,
du moins, faire une petite place dans l'histoire,
cette seconde vie, à des milliers de maisons im-
mobiles. La durée est le plus grand mérite ti
reconnaître dans une maison, grande ou petite,
et ce n'est pas l'en récompenser trop que de
relever en son honneur des souvenirs tombés
avant elle et qui seront comme une àme pour
son corps.
Rue lie la Cerisaie, (i)
Zamet. — La Chatte de Vllôtel Lesdignières. —
Pierre-le-Grand. — il/'"* de Vaudeuil. — Le
Goxiverneur de la Bastille. — Tiion du Tillet.
— Philibert Delcrme. — Les Souterrains. —
Cardillac. — Les Visitandines .
Nous avons déjà indiqué, en parlant de la rue
Beautreillis, où se trouvait l'hôtel de Zamet ; c'est
l'aïeul d'un plus petit hôtel, qui le représente
encore et dont la porte uniquement donne rue
de la Cerisaie. Trop peu de temps après la fin
tragique de Gabrielle d'Estrées, Marie de Médicis
passe quinze jours dans cette maison, où Henri
IV plus d'une fois assemble son conseil. La
mort de ce roi est hâtée par le couteau de
Ravaillac, et la reine, une fois régente, vient
encore dîner chez Zamet, où a été servie la colla-
tion fatale à Gabrielle ; elle y donne ses audiences
les plus courues. Jusqu'à ses derniers jours le
confident de Marie de Médicis se livre corps et
âme aux intrigues de la cour, en menant h bien
une négociation avec MM. d'Épernon et de Guise,
qui la menacent. L'un de ses fils, valeureux officier,
hérite de quelques-unes de ses charges, avant
de passer maréchal-de-camp ; il vend l'hôtel à
Créqui, plus tard connétable.
Or la duché-pairie de Lesdiguières a été érigée,
en même temps que pour le maréchal, propriétaire
(1) Notice écrite on 1858.
RUE DE LA CERISAIE. 3J3
de la terre du même nom, pour son gendre, le sire de
Créqui ; par suite l'hôtel Zamet passe Lesdiguiè-
res. Celte duché-pairie s'éteint le o août 1712 parla
mort d'Alphonse de Blanchefort de Créqui, duc
de Lesdiguières, et c'est alors que le duc de
Villeroi, gendre de Louvois, entre par droit de
succession en possession de la propriété. Mais
jusqu'à la restauration de ce séjour quasi-royal,
([ui n'aura lieu que trente ans après, un petit
monument y consacre les plus chères afteclions
de Paule-Francoise-Marguerite de Gondi, duchesse
de Retz, marquise de Gamache, comtesse de
Joigny, baronne de Mortagne, etc., qu'a épousée
en i67o François-Emmanuel de Bonne de Créqui,
duc de Lesdiguières. Cette dame, qui a fait imprimer,
dix ans avant de mourir, une Histoire de Gondi,
écrite sous ses auspices, a distrait de cette noble
préoccupation une extrême sollicitude pour sa
chatte, qu'elle a fait enterrer avec les mêmes
égards dans un endroit apparent de son jardin,
et son mari n'a pas eu à s'en plaindre, car elle
était quitte envers lui des honneurs tumulaires
depuis l'année 1681 :
Cy gist une chatte jolie.
Sa maîtresse, qui n'aima rien,
L'aima jusques à la folie.
Pourquoi le dire.-* on le voit bien.
Pour continuer les traditions locales de royale
hospitalité, M. de Villeroi, qui de mauvais maréchal
de France est devenu le gouverneur du tout jeune
roi Louis XV, meuble magnifiquement cette rési-
dence, et il y reçoit Pierre-le-Grand en 1717. Les
honneurs de Versailles sont faits par le régent
au czar, que Louis XIV s'est refusé à attirer en
France, et Louis XV enfant lui rend visite dans
l'ancien hôtel Lesdiguières : pour éviter, dans cette
circonstance, les embarras du pas, qu'il ne veut
314 RUE DE LA CERISAIE.
ni prendre ni céder, Pierre-Ie-Grand (rouve un
excellent moyen, c'est de porter dans ses bras le roi
de France.
Le jardin de l'hôtel se réduit considérablement
de 1737 à 1742, et un prolongement y est gagné
par la rue de la Cerisaie, qu'on a percée au
commencement du règne de François l"' sur une
plantation de cerisiers, qui lleurissaient au milieu
des jardins du palais de Saint-Paul. Quant à l'hôtel,
(|ui n'est que rebâti en petit, il ne perd pas son ancien
titre. Le conseiller d'État Drouyn de Vandeuij
lait en 1776 l'acquisition du grand et du pelil
hôtel dits de Lesdiguières, aujourd'hui iv" 12 et 1-4,
rue de la Cerisaie. M""' de Vandeuil n'occupe
que le fond du 12, où elle finit de vivre à 84
ans, la Terreur s'étant contentée de l'enlermer
comme suspecte. M. Landry, maître de pension,
s'est établi, sur le devant, à la tête d'élèves qui
suivent les cours du lycée Charlemagne ; ses lils
transfèrent ensuite dans le rayon du lycée Bona-
parte l'institution, que remplace pour un temps,
rue de la Cerisaie, une pension de demoiselles.
La rue de Lesdiguières n'était encore en 1800
qu'un passage avec ses deux grilles ; elle sillonne,
comme la rue Castex, l'ancien domaine du duc
de Lesdiguières.
De l'incendie suprême de la Bastille il est resté,
au milieu des débris, jusqu'il des flammes sculp-
tées en pierre, qu'a épargnées fraiernellement le
feu, qui venait en aide à la pioche; on peut les
revoir n" 8, sur ur.e terrasse touchant à l'ancien
mur de M. Delaunay. Ce gouvei-neur de la Bas-
tille occupait le n" 6, que vers 1830 on a recons-
truit ; le fond du 8 ne s'est rien ajouté, rien retran-
ché depuis ({u'il n'attient plus au jardin particulier
du gouverneur.
En face de l'hôtel Lesdiguières, quand les pro-
portions s'en restreignii'cnt si fort, celui d'f^vrard
RUE DE LA CERISAIE 315
Titon du Tillet, ancien maître-d'liôtel de la dau-
phine, mère du roi, parut moins petit qu'auparavant.
M. d'Argenville dit bien dans son Voyage Pitto-
resque à Paris, paru en 1752, que ce l'iclie
particulier demeurait rue de Montreuil, et nous par-
lons nous-même d'une folie-Titon à-propos de la rue
des Boulets. Titon, le Mécène de son temps, se taisait
déjà vieux au milieu du XYIIl*" siècle, et l'heure
de la retraite ayant sonné, couvre-feu des amours,
sa petite maison était devenue sa grande : elle
donnait à la l'ois rue de Montreuil et rue des
Boulets. Son hôtel à la ville n'était plus que
son cabinet, une des curiosités de Paris ; mais
à un âge moins avancé il n'avait eu que là son
domicile avoué. En 1731 l'abbé Antonini avait
écrit dans son Mémorial de Paris : « M. Titon
demeure dans une des cours de l'Arsenal. «
Or, près des anciennes cours de l'Arsenal,
aujoui'd'hui place de l'Arsenal, nous trouvons aux
numéros 13, 15 et 17 de la rue de la Cerisaie,
une apparence d'âge en concoi'dance avec l'époque
à la([uelle Titon, prolecteur des lettres, a dû former
son cabinet. Il se composait de quatre pièces
au premier, magistralement ornées de tableaux et
de sculptures; on y remarquait, outre le buste
de Despréaux, par Girardon, ce rnéme groupe du
Parnasse Franç.ais, inventé par Titon, exécuté
par Nicolas Poilly, où Louis XIV préside en
Apollon, et qui se monti'c de nos jours à la
Bibliothèque Impériale.
Un lopin de jardin, un arrière-corps de bâti-
ment superbe, un escalier à vis en pierre massive,
des greniers établis pour servir d'atelier, une
glace qui remonte à l'époque où la fabrication
des glaces commençai i seulement en France, une
serrure de quinze pouces carrés, dont la clef
pèse 1 livre 3/4, voilà ce qui reste, n" 22, de
la maison que Philibeit Delorme s'est bâtie, au
316 RUE DE LA. CERISAIE.
moment même où il tournait une page au grand
livre de rarchitecture. Ne substituait-il pas la Renais-
sance au gothique dans la construction du château
des Tuileries, dont il fut le gouverneur ? En celte
dernière qualité, il lit refuser un jour l'accès du
Jardin à Ronsard, qui se proposait d'y suivre
Catherine de iMëdicis ; le poète, pour s'en venger,
reprocha dans une satire à l'architecte les abbayes
dont il était pourvu et demanda à quoi l'on pen-
sait de crosser ainsi la truelle. Sous la chapelle
de son hôtel, Delorme communiquait, au moyen
de conduits souterrains, avec plusieurs de ses
voisins. Il y avait, en pareil cas, réciprocité de
servitude, mais une sorte d'assurance mutuelle,
qu'on contractait en vue de conjurer des périls
de toutes les sortes. Les intrigues de l'amour et
de l'ambition pouvaient bien abuser du passe par-
tout; mais c'était beaucoup moins la clef des
noirceurs criminelles que des précautions domes-
tiques: l'ennemi, ne fut-il que le feu, pouvait se
présenter en force, par la porte de derrière on
appelait h l'aide ou l'on échappait au danger.
Correspondance mystérieuse, dont les courriers
gagnaient aussi du" temps à éviter les embarras,
les détours de la voie publique ! Maints souterrains
particuliers de cette poste expéditive se croisaient
sous les carrefours.
Mais peu de caves étaient plus compliquées que
celles qui s'entrelaçaient sous le n" 31, lequel
servit de bureau à l'administration du temporel
des céleslins, et puis passa aux Mortemart. Une
ti'appc y faisait surgir, à un signal donné, un
dîner tout servi. Qui sait môme si la gourmandise
était le seul des péchés capitaux appelés à jouer
son rôle sur ce théâtre particulier, si ingénieusement
machiné ?
Le 32, (|ui plus est, a ti'cmpé dans des crimes,
par la complicité du recel, sous Louis XIII. L'or-
RUE DE LA CERISAIE. ;U7
fèvre Cardillac y vendait des bijoux de prix aux
seigneurs de la place Royale, dont les abords
étaient encore déserts, et le soir il mettait un
masque pour s'embusquer, avec des détrousseurs
de profession, sur le cliemin de ses meilleures
pratiques, auxquelles il faisait rendre de lorce la
marchandise qui venait d'être achetée de gré. Ce
héros d'une cause célèbre, qui a fourni le sujet
et le titre d'un drame joué au théâtre de l'Ambigu,
a tini par être tiré à quatre chevau.x. La maison
en a été quitte pour un semblant de pénitence
au couvent des Yisitandines, dont elle a fait partie,
mais à titre de pavillon réservé aux dames pen-
sionnaires, puis livré à de simples locataires.
Ces religieuses, qui portaient régulièrement le titre
de Tilles de la Visitation-de-Sainte-Marie, s'étaient
trouvées à l'étroit dans l'ancien hôtel de Cossé et
s'étaient agrandies par voie d'acquisition aux dépens
de l'hôtel Lesdiguières et du couvent des Célestins.
Leur ancienne chapelle n'est rien moins que le
temple protestant de la rue Saint-Antoine.
Boulc%aiMl Moii^iiiarire. (i)
Frascati. — Le Comte de Mercy. — L' Inspecteur
de Police et sa Maîtresse. , — La Z)"*^ Mars du
XVI 11^ Siècle. — La Manufacture. — Boïeldieu,
— Le Prince Tuffahine.
Le Cours, où des arbres furent plantés en 1676,
se divisa postérieurement en boulevards de divers
noms, et le boulevard Poissonnière fut assez long-
temps dit de Montmartre. Celui (|u'on connaît à
présent sous son ancienne dénomination s'appelait
boulevard Riclielieu.
Il n'y reste plus trace de l'hôtel Lecoulteux,
construit sur le plan de Brongniart ; mais l'en-
seigne d'un café et celle d'un pâtissier rappellent
où lurent le jardin et la maison de jeu Frascati,
transformation de l'hôtel Lecoulteux à l'époque
du Directoire. Garchi, glacier napolitain, avait
fait du jardin un lieu public fort à la mode, dont
la terrasse et les allées, le soir, alternaient l'ombre
et la lumière au moyen de verres de couleur,
au moyen de feux d'artilice tirés les jours de
grande fête. Perrin prit à louage Frascati de
M. du ïhillère, grand-veneui' de l'empereur; il y
transféra celle de ses banques de jeu qui s'ex-
ploitait dans une maison voisine, rue Richelieu,
et puis le Grand-Salon des Etrangers, fondé dans
un hôtel d'Augny que nous retrouverons rueDrouot.
Ce Perrin maria sa lille au neveu de Desaix et
mourut insolvable, après avoir eu seize millions.
(1) Notice écrite en l.^^Gl.
BOULEVARD MONTMARTRE. 319
Savary, ministre de la police, lui avait donné
pour successeur îi la ferme des jeux l'ancien
fabricant d'armes nommé Bernard; mais ce der-
nier, n'ayant pu obtenir de son prédécesseur la
cession du local de Frascati, avait porté de nou-
veau le Salon des Etrangers à l'hôtel d'Augny;
le tapis vert ne refleurit que plus tard à l'angle
de la rue de Richelieu et du boulevard Mont-
martre.
Notre notice de la rue Drouot donne l'historique
de la grande propriété située à l'opposite sur le
boulevard. La maison qu'occupe l'ancien cercle a
été un hôtel Mercy. Le comte de 3Iercy-d'Ar-
genteau, ambassadeur du Saint-Empire, y résida,
comme h l'hôtel d'Augny; il descendait de François
de Mercy, dans lequel Turenne et le grand Condé
eurent, en Allemagne, un si digne adversaire qu'on
grava sur sa tombe cette épitaphe : « Sta, viator,
heroem calcas.
Le jardin de l'hôtel Montmorency, bâti en l'an
1704 sur les dessins de Lassurance, bordait le
boulevard; les regards du passant s'y arrêtaient
sur un kiosque chinois, que M. de Montmorency-
Luxembourg avait fait construire après coup. Le
théâtre des Variétés, le passage des Panoramas
et le prolongement de la rue Vivienne ouvrent
sur les anciennes lini'tes de ce jardin particulier.
Le café de la Porte-Montmartre existait déjà
sous Louis XV : la maison d'encoignure où il
s'est maintenu n'a été depuis que refaite. Ne re-
trouverait-on pas le logement qu'une tille Richard,
dite Emilie, y arrêta au printemps de l'année
1764, deux étages au-dessus du limonadier? Elle
avait quitté brusquement, par une nuit du mois
de mars, Marais, inspecteur de police, avec lequel
elle vivait; mais Brissault, leur ami commun, les
avait remis en i)résence l'un de l'autre, et le
subordonné de M. de Sartines avait subi des
320 BOULEVARD MONTMARTRE.
conditioiia nouvelles qui consacraient l'indépen-
dance d'une maîtresse digne d'un tel amant. Aux
termes de cet arrangement, la Richard logeait
seule et pouvait recevoir qui bon lui semblait,
hommes ou femmes. Deux femmes justement, ses
pareilles, les nommées Martin et Latour, demeu-
raient sous le même toit, et la nouvelle-venue
entrait en tiers dans une affection particulière
.qu'elles avaient l'une pour l'autre.
Le côté droit du boulevard ne tarda pas à
opposer au triumvirat féminin du coin de la rue
Montmartre une héroïne h laquelle reviendrait une
place plus brillante dans les fastes de la galan-
terie. Mais le dédain de la postérité n'est-il pas
dû à cette sorte de gloire ? La femme galante qui
eut pour domicile une des maisons restées debout
entre l'hôtel Mercy et la rue du Faubourg-Montmartre,
portait un nom que sa fille ou sa nièce a rendu
célèbre au théâtre, et il semble que la vie privée
des comédiennes relève elle-même des lumières
de la rampe D'historiettes se compose toute leur
biographie, et il peut en fleurir jusque sur les
rameaux de leur arbre généalogique. La mère de
M"* Mars fut actrice en province, et elle parut
aussi sur le théâtre de la République ; mais on
ne la citait que pour sa beauté. Elle ou sa sœur
fut la D"*^ Mars, née en Provence, qui se fit
quelque temps appeler Salveta.
Cette fille avait débarqué en 1768, jeune et
jolie comme les Amours, chez la D"*' 3Iarquise,
une grosse marseillaise dont nous avons à parler
plus d'une fois ; Cormier de Chamilly, trésorier des
écuries du roi, avait eu soin, sa femme étant jalouse,
de ne donner que peu de notoriété à son intrigue
avec cette recrue, qui n'était plus une débutante,
car elle avait déjii connu, outre Diesbach, ofllcier
suisse, un riche Américain, M. de Carcadeux. Ce
dernier, en renouant avec elle au printemps.
BOULEVARD MONTMARTRE. 321
s'allégeait de 30 louis par mois. Mais que faisait-
elle au temps chaud ? A cette question les échos
du boulevard ne répondent plus en chœur et d'un
seul trait ; la multiplicité des sons, la confusion
des voix, les disparates remplacent l'unisson, et,
au lieu d'une note à la fois, c'est une gamme.
Les relations de la belle provençale sont deve-
nues, à vrai dire, un concert, où dominent les
dissonances, les faux accords, les transactions
inharmoniques de la vénalité. Bien des exécutants
s'y croient virtuoses, tels que le maîlre-d'hôtel du
duc d'Orléans, et M. de la Taste, mouquetaire,
et le notaire Dufresnoy ; ils ne sont que des
instruments !
Aussi bien reste-t-il jamais, dans la chanson
des courtisanes, autre chose de l'amour qu'un
refrain, qui veut être repris en chœur? Le refrain
soupe, il aime la compagnie et craint le tête-c^-
tête, comme un redoublement d'isolement, il dispose
il l'inconstance ou en console, et son autorité, qui
commande la bonne humeur, l'esprit quand même
et la philosophie dans le plaisir, interrompt, réduit
au silence, laisse mourir au pied du mur, dans
ses propres ténèbres, la romance de l'amour, écho
vieilli des sérénades. Vive le chœur des petits-
soupers ! Le Champagne luit pour tout le monde :
maudits soient les amants qui préfèrent y tremper
leurs lèvres dans le verre l'un de l'autre sans
témoins !
Grand souper, par exemple, chez la 1)"'' Laforêt, le
21a'' soir de juillet, et puis partie de vingt-et-un jus-
qu'il deux heures du matin : les D"''" Rey, Marquise et
Mars quittent alors le jeu, mais ne quittent pas les
joueurs, et M. de Sainte-Colombe y gagne ce que perd
M. de la Taste, qui n'est pas là. L'amant trompé se
retire tout-ti-fait, après mille écus de dépense avec
la belle, et Marquise la présente h M. de la Sablière,
qui laisse 25 louis le matin sur le marbre de sa
322 BOULEVARD MONTMARTRE,
cheminée. La volage sait très-bien compter ; par
malheur, elle perd, au mois d'août, un procès de
19,000 livres contre un ancien amant nommé
Nadille, marchand de hl d'or. Des gens de qualité
lui l'ont, à ce propos, des compliments de condo-
léances, en la rencontrant aux Tuileries, et jus-
qu'où ne va pas sa franchise ! — Venez chez moi,
dit-elle, que je me rattrape !
L'année suivante, le prince de Guémenée
donne à Versailles une série de soupers, présidés
par M"* Mars, et l'amphytrion ne s'y vante pas de
tout ce que sa maîtresse lui a fait pa'rtager. Cheld,
chambellan de l'électeur de Cologne, la prend à
ses gages, la délaisse, puis la reprend au milieu
de l'été, son intérim ayant été rempli par Ladaw,
sujet de Catherine IL 3Iilord Binting passe presque
inaperçu.
Mais il en est dilïéremment d'un jeune mous-
quetaire gris ayant nom d'Hérouville : il aime, et
il le prouve en contractaat assez de dettes pour
compromettre son avenir ; par exception, il est
beaucoup aimé. Le père de ce jeune homme, alln
de mettre un terme à des relations ruineuses,
s'entend avec son commandant, et le jeune mous-
quetaire est enfermé, par ordre, à l'Abbaye. Le
lendemain, dimanche. M"'' Mars attend son amant
au Wauxhall. Son cœur bat, chaque fois qu'elle
croit l'apercevoii", et ce n'est jamais qu'une illu-
sion. Gomment fait-elle donc pour s'y tromper ?
Personne ne ressemble que de bien loin à l'être
qu'elle chérit, et qui sait rendre encore plus
d'amour qu'elle ne lui en a prodigué ! Cependant
l'heure avance ; l'inquiétude commence et tout de
suite est au comble : la jalousie flaire une trahison.
Une rivale ? il faut la découvrir, la deviner au besoin
et la punir, avant que le jour éclaire sa perfidie ! Quelle
est la brillante habituée qui ce soir-là manque au
^Yauxhall ? Où demeure-t-elle ? Faites avancer un
BOULEVARD MONTMARTRE. 323
tiacre, qui roulera toute la nuit. Mais un ami
apprend à Mars qu'on a mis en prison, pour
le séparer d'elle, l'amant qu'elle soupçonne d'une
inlidélité, et dans son désespoir elle se trouve
mal. Quatre hommes la portent jusqu'à la voiture ;
elle ne reprend tont-à-lait connaissance qu'en
arrivant au boulevard Montmartre. Tout lui rappelle,
dans son appartement, la tendre allection qui lui
est arrachée, et elle y paye pour la première fois
son tribut de larmes à l'amour. Puis elle change
de meubles et de quartier, avant de reprendre le
cours des galanteries qui laissent son cœur libre.
Quant au lils de famille, on le rend à la liberté :
mais la leçon lui protilera-t-elle ? A quelques années
de là une ligurante, nommée tololte, devient com-
tesse d'Hérouville pour tout de bon.
La manufacture de papiers peints et veloutés
de Robert se trouvait établie, sur le ooulevard,
près de la maison où demeurait la Mars.
L'immortel Boïeldieu, sous la Restauration, habi-
tait le même boulevard, et il y écrivait sa plus
belle partition, la Dame Blanche. Rossini et Carafa,
par une coïncidence fortuite, avaient leurs appar-
tements à cette époque dans la même maison que
Boïeldieu, en d'autres temps ambassade de Turquie
et hôtel du prince Tullakiue.
Ce prince jusse avait pour secrétaire, sous
le règne de Louis-Philippe, M. Georges, qui l'ac-
compagnait presque partout et lui' faisait vis-
à-vis en voiture. A cause d'une infirmité, Tuffa-
kine portait la tête excessivement penchée sur
l'épaule droite; son secrétaire, à force détendre
le cou pour converser avec le prince, et peut-
être aussi par llatterie, contracta le même tic
dans le sens opposé : son épaule gauche fit cous-
sin pour sa tête. Lorsque tous deux marchaient
à pied, et que le bras droit de M. George sou-
tenait le bras gauche du prince, il leur était im-
su BOULEVARD MONTMARTRE.
possible de causer; s'ils changeaient de côté, les
deux têtes se cognaient, et les passants d'en rire.
Le passage Jouffroy, formé en 1845, traverse
l'ancienne habitation de ïuflakîne.
Rue CaH^iiii. (i)
Colbert sut retenii" eu France, eu lui offrant
ses lettres de naturalisation, l'Italien Cassini, dont
les découvertes astronomiques signaient de pareils
titres aux étoiles, en vertu du génie, procuration
du ciel, et ce fut un astre de plus dans la pléiade
Irançaise du grand siècle. Une étoile ne va jamais
seule. Celles des Cassini se suivirent comme une
seconde voie lactée. Jacques Cassini, satellite de
Jean-Dominique, eut lui-même pour petites planètes
les Cassini de Thury, membres aussi de l'académie
des Sciences et directeurs de l'Observatoire, pour
continuer l'orbite décrite de père en fils.
Nous avons revu dans la rue de Babylone, près
de l'hôtel Matignon, un hôtel Cassini. Jacques n'en
habita pas moins, et son père peut-être avant
lui, une maison à jardin dans la rue des Deux-
Anges, qui s'est encore appelée Maillet, sortes
de prénoms qu'on a fait suivre du glorieux nom
de famille qui reste sur l'écriteau ; cette propriété
donnait aussi rue du Faubourg-Saint-Jacques, et
elle avait pour encoignure le bureau des entrées
en ville.
De l'autre côté sont un autre jardin et une
autre maison, bâtie aussi pour un des Cassii.i.
Dans l'une des deux, il y a quelques années,
un maître de pension avait parqué ses élèves.
Mais à l'époque où M'"" Sand écrivait Léiia ot
Valentine, nous eussions vu souvent Jules Sandeau
se promener ou s'asseoir, sous les arbres du jardin,
entre Balzac et M'"'' Sand ; or l'auteur du Docteur
(1) Notice écrite en 1808.
21
S26 RUE CASSINI.
Herheau est resté depuis comme rivé à cet emploi
de trait-d'union par la nature même de son
talent. Les dames du Sacré-Cœur ne sont que
momentanément les locataires de cette villa intra
muros, pendant que leur maison, boulevard des
Invalides, se rétablit de fond en comble.
Rue Giiénég;aiid. (i)
Henri de Guénégaud, ministre et secrétaire d'Etat,
acheta de la princesse Marie de Gonzague de
Clèves, veuve du duc de Nevers, l'hôtel de Nevers,
et il s'y établit, après y avoir fait de grandes
réparations, en quittant le Marais. Le théâtre
particulier de l'hôtel avait servi aux répétitions
de Pomone, le premier des opéras français ; cet
ouvrage, monté par l'abbé Perrin, qui avait écrit
les paroles, par Lambert, auteur de la musique, beau-
père de Lulli, et par le marquis de Sourdac, tous
trois en possession du premier privilège, fut repré-
senté en mars 1671 rue Mazarine, dans une salle
de spectacle substituée h un jeu de paume, et
qui suivit l'exemple de la rue située vis-à-vis en
prenant le nom de Guénégaud. Mais l'hôtel, en
passant par voie d'échange entre les mains de
la princesse de Conti, changea encore de déno-
mination, avant de faire place à l'hôtel des Mon-
naies, dont la première pierre fut posée par l'abbé
Terray.
Des représentations d'un autre genre étaient
données vers le même temps à l'un des angles
de la rue Guénégaud, vis-à-vis du château-Gaillard,
petite tour en encorbellement sur la Seine. Le
fameux Jean Brioché y exploitait son Ihéâti-e de
marionnettes.
Peu d'années après l'ouverture du collège des
Quatre-Nations, l'abbé de la Roque habitait l'une
des maisons appartenant audit collège dans la
(1) Notice écrite en 1861.
■:iiifi RUE GUENEGAUD.
rue Guénégaud: il y avait tous les jeudis chez
cet ecclésiastique une conférence scientifique.
Au n° 12 demeurait M. de Blégny, médecin du
roi, « préposé ci la recherche et vérification des
nouvelles découvertes de la médecine, dit un livret
du temps, et renommé pour les descentes, les
maux vénériens et généralement les maladies
extraordinaires. » Ce praticien tenait ii Popincourt,
dans la rue du même nom, une grande maison
de santé, avec bibliothèque et jardin botanique.
Oh ! alors M. de Blégny semblait marcher de
pair avec Fagon, qui avait le Jardin-des-Plantes
sous sa direction et qui était premier médecin
du roi. Il figurait sur la liste des curieux, c'est-
à-dire des amateurs d'objets d'art et de curiosité,
et il faisait parler de sa bienfaisance, en homme
qui savait déjà, tout comme les intrigants de
nos jours, que c'est pour la publicité la meilleure
forme à revêtir. On s'aperçut trop tard que ce
prince de la science cachait un charlatan, et
plus il avait eu le talent de donner le change,
plus le scandale de sa chute fut honteux. Que
de gens se plaignirent alors d'avoir été les dupes
de ce savant bienfaiteur de l'humanité ! Mais des
victimes encore plus à plaindre se taisaient pour de
bonnes raisons.
Un autre médecin du roi, nommé Daguin, avait
eu en 1667 près du quai, dans la même rue,
son domicile, qui n'était séparé du réservoir d'eaux
à l'usage de M, de Guénégaud que par une maison
tenant l'angle.
Quelle que fût la notoriété de ces confrères
de M. Purgon, il restait après eux dans la rue
Guénégaud un coin encore dépourvu de construc-
tions. Une assez grande place à bâtir s'y adjugea
en 1719, moyennant 24,000 livres, à Jacques Tassy,
sur décret poursuivi à la requête des créanciers unis
de M. de Plancy. Ce débiteur lui-même n'était-
RUE GUENEGAIID. 329
il pas le fils de Pierre de Plancy, apothicaire de
la princesse Henriette de France, reine d'Angleterre?
Dans un hôtel garni de la même rue, par un
beau jour de juin 1762, descendit une Italienne,
la dame Paganini, qui venait de chanter à Londres
l'opéra. Le mari de cette actrice était de la famille
(lu'un virtuose a rendue célèbre depuis lors, et
il accompagnait sa femme, qui était belle, bien
(}u'elle eût atteint quarante ans. C'est la seule
quarantaine, hélas ! que M™'' Paganini imposa à
l'amour d'un seigneur espagnol, le comte de
Cantilane, marquis de Castromonte, ambassadeur
de Naples h Paris. Combien de fois n'oublia-t-elle
pas l'heure à laquelle son mari l'attendait aux
Tuileries, une canne à la main, pour y faire avec elle
un tour de promenade! Les aflaires ne souffraient
en rien des audiences données à la belle par
l'ambassadeur, paresseux chef d'emploi, auquel il
se trouvait bien qu'on eût donné pour doublure
un bon secrétaire, qui n'était autre que l'abbé
Galiaiii, l'économiste et le littérateur. L'ambassadeur
ne faisait rien sans son second. Le secrétaire, qui
plus est, infligea la peine du talion au galant qui
trompait M. Paganini. Mais ce dernier n'en eut
que plus longtemps à croquer le marmot au jardin
des Tuileries !
Plus tard encore l'illustre Condorcet occupait cinq
ou six pièces de l'entresol, k l'hôtel de la Monnaie,
et le député Camus, ancien avocat du clergé,
archiviste de la République, puis garde des Archives
Nationales, un autre logement dans la rue, au
n" 9 ou 17.
hiC» Galeries fin Palaisi^-Royal* (i)
Précis historique des 2V ans for mations du Jardin,
des Galeries, des Spectacles, des Restaurants et
des Maisons de Jeu du Palais-Royal.
L'hôtel de Rambouillet, qui avait appartenu au
connétable d'Armagnac, et l'hôtel de Mercœur
furent démolis pour faire place au palais élevé
par le cardinal de Richelieu, qui supprima égale-
ment les murailles et les fossés de l'enceinte de
Charles V traversant diagonalement l'emplacement
du jardin du palais. Cet emplacement, qui relevait de
trois seigneuries dilîérentes, étaitdu fief Popin, pourla
plus grande partie; du fief du chapitre Saint-Honoré,
dit les Treize-Arpents, pour la plus petite, et dans la
eensive de l'archevêché, pour le reste. Une borne
fut plantée, un an avant la mort du cardinal, et
en présence de son fondé de pouvoirs, pour mar-
quer le point de contact des censives de Saint-
Honoré et de l'archevêché : là se trouve braqué
de nos jours le petit canon sur les bordées duquel
se règlent tant de montres et tant d'horloges !
Toutefois le terrain garda d'abord des inégalités,
dans ce jardin où il y avait un mail, et un manège,
et deux bassins. Le testament du cardinal lit
hommage au roi du palais, qu'Anne d'Autriche
habita, puis la reine d'Angleterre, veuve de Charles
P', et dont Louis XIV constitua la propriété en
apanage à son frère, le duc d'Orléans. Les aca-
démies de peinture et de sculpture y tinrent
(1) Notice écrite ea 1861.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 331
néanmoins leurs séances, mais dans le palais Brion,
pavillon détaché du grand palais sur la rue Richelieu.
Le régent lit ensuite du jardin du Palais-Royal,
en y donnant plus facilement accès, la promenade
de la bonne compagnie. Le fils du régent ordonna
de le retracer entièrement ; alors des statues,
des charmilles taillées en portiques, quatre allées
d'ormes et des quinconces de tilleuls furent disposés
autour des deux bassins et à l'ombre de quelques-
uns des grands marronniers dont Richelieu avait
planté l'allée.
La promenade n'était pas absolument publique,
et pourtant le jardin des Princes, dont le Théâtre-
Français occupe en partie la place, était le seul
dont la maison princière réservât la jouissance à
ses familiers. Les habit^uits de toutes les maisons
qui formaient le pourtour du grand jardin, rue
Richelieu, rue Neuve-des-Pelits-(;hamps, rue Neuve-
des-Bons-Enfants et rue des Bons-Enfants, avaient
le droit de s'y promener jusqu'à une heure du
matin; mais les femmes en manteau de lit, ou
autre déshabillé, et les hommes en veste, robe de
chambre ou bonnet, n'avaient la permission de
s'y montrer que dans la matinée, et encore sans
s'y arrêter. Les domestiques ne pouvaient tra-
verser le jardin que jusqu'à une certaine heure,
et s'y promener que le jour de la fête du roi,
ainsi que le jour de la fête du prince. Le diman-
che, l'affluence était considérable dans les allées
de ce quadrilatère, deux fois plus étendu que de
nos jours et disposé plus agréablement. Les
belles soirées y attiraient surtout une foule élé-
gante, à la sortie de l'Opéra, qui était situé près
de la cour des Fontaines et fermait à dix heures.
Les portiers des propriétés attenantes tiraient
parti de leur clef de communication et ne rece-
vaient pas d'autres gages, en général, que cette
rétribution. Celui de la maison qui formait en-
332 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
coignure du côté de l'hôtel de Toulouse, main-
tenant la Banque, ouvrait aux heures indues,
moyennant un écu, dans les premières années <lu
règne de Louis XVI, et le portier du petit hôtel
Radziwill apostait un commissionnaire, toute la
nuit, pour introduire à son profit les couples,
amis des ténèbres, qui se glissaient dans les bos-
quets. Le lieutenant-de-police n'avait rien à y
voir; de son autorité ne relevait pas l'ancien
inspecteur de police, chevalier de Saint-Louis,
nommé Buot, chargé par le duc d'Orléans, avec
un petit nombre de gardes sous ses ordres, de
réprimer beaucoup trop d'infractions pour qu'il
ne fermât pas les yeux sur quelques-unes.
En l'année 1780 la propriété du palais et de
ses dépendances fut transmise à titre de donation
par le duc d'Orléans à son fils Louis-Philippe-
Joseph, duc de Chartres, qui avait formé le pro-
jet d'y élever aux dépens du jardin un entourage
de portiques, surmontés de bâtiments divisés en
appartements. Ce qui devait être une source de
revenus en même temps qu'un embellissement.
Car il ne faut pas oublier que les constructions
environnantes n'étaient plus toutes d'un aspect fort
décent, nous en pouvons encore juger. Comme
celles-ci perdaient de leur valeur k être séparées
du jardin, les propriétaires contestèrent au prince
le droit de faire bâtir; mais le parlement de
Paris prononça contrairement à leurs prétentions.
Lesdits propriétaires se suivaient dans l'ordre
suivant :
De Maussion, linaucicr, deineurant chaussée d'Ântin,
propriétaire rue Richelieu, près ]e Palais. — La B"»<^ de
Nieuwerkerque, demeurant au Louvre.— Le président
d'Ecquevilly, à Arpajon. — Dalainville, maréchal-des-
logis du roi. — DuquesQoy, grand-maître des eaux et
forêts. - De Bourboulon, trésorier de S. A. R. la comtesse
LES GALERIES DU PALAIS-ROVAL. 333
d"Arlois. — Doclie, rue de l'Echelle- Sainl-Honoré. —
Rousseau de Bel-Air, rue Sainte-Avoyo. — Le président
Sarol, rue de l'Universilé, vis-à-vis la rue de Beau ne.
— Le M's de Péruse-d'Escars, rue des Vieilles-Tuileries.
— Desperre, ancien syndic des perruquiers. — De
l'Epine, demeurant au carrefour aes Quatrc-(Jheniins,
butte Saint-Roch, et Mlle Dionis, rue de la Sour-
dière : 2 maisons. — Vigoureux, épicier-cirier rue Croix-
des-Pelits-Champs : 2 maisons. — Lecomte, secrétaire
du roi. — Leroy, demeurant rue Neuvo-dcs-Pctits-Pères.
— Neveu, architecte, rue du Four- Saint-Germain : 3
maisons. — Jousserand, limonadier: 3 maisons. — Boudel,
maître-maçon, demeurant rue du Four-Sainl-Germain :
2 maisons. — Pv,oger, à Charonne : 2 maisons. — V^
Fortier : 2 maisons. — {Ici twnaiciit 3 maisons sises au
coin de la rue Neuvc-dei-Petiis-Charnps ci ne donnant
pas vue sur le jardin.) — Boitcl, pâtissier, rue Ncuve-
des-Petits-Champs: 2 maisons: — De Laroche, notaire :
3 maisons. — Jardin, architecte, demeurant rue du
Doj'enné : 3 maisons. — Lesin-it, libraire du duc de
Chartres, rue Saint-ïhomas-du-Louvi e. — Le M^-~ de
Talaru, rue Neuve-Saint-Marc, et ^NI""^' V" Dubois: 2
maisons. — Collignon, demeurantà la gramiePoste : -2 mai-
sons.— V^ Saliard: 4 maisons. — Teillagory, maître on fait
d'armes: 2 maisons. — Tourlot, ancien receveur des
finances: 3 maisons. — Lebla''C: 3 maisons. — De
Blainville, ancien secrétaire du roi : 3 maisons, au
coin de la rue Neuve-des-Bons-Enfauts. — Guiraud de
Tallej'rac, maître-maoou, demeurant chaussée d'Antin,
propriétaire rue Neuve-desBons-Enfants. — Legrand.
— Favre. — Bellanger, conseiller au Chàtelet. — Caquet,
chef du bureau des insihuations, demeurant rue Mont-
martre, près la rue Tiquetonne. — Alove, prêtre. —
La pupille de Leteigner, architecte, demeurant rue de
Grenelle. — Léger, ancien procureur, rue du Chantre.
— Dennery. — M^e Duchauffour, demeurant à l'hôtel
Charost, rue Montmartre. — Gaillard, écuyer du roi,
rue Grange-Batelière. — Froment de Charagal, à
334 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
Versailles. — Moreau, architecte du roi et de la Ville,
rue de la Mortellerie. — Deroulet, conseiller au parlement,
rue Sainte-Anne. — Le Mis de Cany. — Aurj-, ancien
avocat. -■• M"e Je Grigny, demeurant au Palais. — M^e
Caquet, chez M. Duchàtcîet. — Le C*e de Carvoisin, rue
de Bourbon. — Le Mi^ de Voyer-d'Argenson, hôtel de la
Chancellerie d'Orléans, rue des Bons-Enfants.
Le 17 juin 1781 lui-eiit signées les lettres-pa-
tentes autorisant le duc de Chartres à aliéner
;2,oOu toises du jardin du Palais Royal, à pi^endre
dans son pourtour. Toulefois, sur les dessins de
l'architecte Louis, auteur du théâtre de Bordeaux,
étaient déjà commencés les travaux de la cons-
truction des galei^ies, dont Berthault tils avait
l'entreprise générale, lorsque la salle de l'Opéra,
déjà incendiée dix-huit années avant, brûla de
nouveau le 8 juin 1781, après une représentation
(ÏOrphée. Pour cette fois le Palais-Royal perdit
tout-à-fait l'Opéra, qui h\i rebâti près la porte
Saint-Martin. En revanche, le prince jeta un peu
plus tard les fondements d'une autre salle de
spectacle sur une portion du jardin des Princes
et de l'ancienne grande galerie, qui occupait un
emplacement destiné par le cardinal de Richelieu
à la construction d^un hôtel pour son petit-neveu.
Ce théâtre ne fut ouvert que postérieurement
encore, sous le nom de théâtre de la Nation.
Seulement Gaillard et d'Orféuille, qui en furent
les directeurs en vertu d'un bail arrêté d'avance,
s'établissaient tout près de là, dans une salle
provisoire en bois, dès le commencement de
1784, à la tête d'une troupe déjà très-connue dans
les foires, où l'avait protégé le lieutenant-de-police
Lenoir, la troupe des Variétés amusantes. Divers
genres étaient exploités; mais ni la comédie à ariettes
ni la tragédie ne se jouait audit théâtre des
Variétés, où se créèrent les Jeannots et les
Pointus, types comi(iues.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 335
D'autres établissements ayant en vue Tamuse-
ment public, qui se groupèrent au Palais-Royal
après la construction des galeries, mais avant la
Révolution, étaient ceux-ci : — Le musée des
Enfants, ouvert en octobre 1785, au-dessus d'un
café et près des Variétés. Son directeur, qui
avait nom Tessier, était probablement le même
qui avait dirigé le théâtre des Elèves-de-l'Opéra,
boulevard du Temple, de 1779 l\ 1784. — Le
spectacle des Pygmées-Français, qui dut faire
concurrence au musée des Enfants et qui avoi-
sinait le passage des Trois-Pavillons. — Le cabinet
de Gurtius, peintre et sculpteur, qui ne dédai-
gnait pas de fabriquer des ligures de cire qu'on
montrait pour 2 sols, proche le café Corazza.
— Le spectacle des Famoccini, où l'Italien Gas-
tagna donnait deux représentations par jour.
Les spectateurs y payaient 1 livre 16 sols dans
les loges. — Les Ombres-Chinoises, tenues par
Séraphin. Ce spectacle mécanique, auquel on
assistait moyennant 12 ou 24 sols, était recom-
mandé à cause de sa moralité aux enfants, aux
demoiselles et aux abbés par le crieur chargé
d'annoncer aux passants chaque représentation,
devant les n"^ 119, 120 et 121 actuels. — Le
Concert-des-Amateurs, salle construite en 1783
à-peu-près à l'extrémité de l'aile gauche des
galeries. Les séances musicales de cette salle
faisaient suite k de brillants concerts qui, pen-
dant douze années, avaient presque rivc.lisé avec
le Concert-Spirituel des Tuileries. — Le théâtre
Beaujolais, fondé dans le même temps et au
bout de la même galerie. Le duo de Chartres en
confia l'entreprise à Gardeur-Lebiun, après une
série de représentations données à un public
d'élite et auxquelles succédaient tout bonnement
les exercices des petits comédiens ordinaires du
comte de Beaujolais, le plus jeune des fds du
33G LKS GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
j)i'iiice. Ces petits comédiens étaient de grandes
marionnettes, auxquelles se substituèrent des
acteurs vivants, qui chantaient ; malheureusement
l'Opéra s'en émut, le théâtre Beaujolais lut rappelé
à l'ordre et ne mit plus en scène que des enfants,
marionnettes sans heelles, pour lesquelles on
recommença à parler et à chanter dans la cou-
lisse. — Enlln le Cirque, construction à demi
souterraine, dominée par une teirasse et présen-
tant à l'inlérieur une arène destinée à des exer-
cices équestres, mais oi! l'on joua la comédie,
où l'on donna des bals et de grands repas : cet
amphithéâtre en sous-sol était pris à l3ail par
Rose de Saint-Pierre, restaurateur. Pourtant le
prince destinait originairement le Cirque à des
fêtes et à des exercices particuliers à sa maison,
comme l'annoneaitune lettre élogieusede Dulaure,
publiée en i787.'
Un ou deux établissements de bains avaient été
créés également par le prince ; on y prenait des
bains-dépilatoires et des douches. Il y avait jusqu'à
une hôtellerie, dite l'hôtel des Bains-de-Son-Al-
tesse-Sérénissime, faisant à-peu -près face au
café Corazza. Sur plusieurs points des clubs
s'étaient formés ; on appelait ainsi tous les cer-
cles à cette époque, mais suitout un, dans le
Palais-Royal, un qui ne portait pas d'autre nom et
dans lequel on ne jouait pas. Le Salon-des-Arts
s'était ouvert en novembre 1784 au-dessus du
café du Caveau, et une assemblée Militaire, com-
posée d'ollîciers supérieurs, près du Salon-des-
Arts. La société Olympique, dont tous les membres
devaient être aftiliés à quelque loge maçonnique,
se trouvait encore plus voisine de la société des
Colons, exclusivement composée d'Américains pos-
sesseurs de biens aux Antilles, et il. y avait en
outre à l'étage supérieur une logé maçonnique:
le tout entre l'hôtel des Bains et les galeries de
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 337
Bois. Le Salon-des-Échecs, installé au-dessus du
café de Foy, était l'académie des joueurs d'échecs;
tout autre jeu était prohibé dans ce cercle ; un
membre nouveau n'y pouvait être admis qu'à
l'unanimité des voix.
Le café de Foy avait été fondé par un ancien
officier de ce nom en 1749, dans une maison de
la rue Richelieu répondant de nos jours au n"
46, et dont l'escalier donnant sur le jardin d'alors
existe encore à l'état de passage entre cette rue
et la rue Beaujolais. Jousserand fut successeur
de Foy ; sa femme obtint du duc d'Orléans, vers
1774, l'autorisation de vendre des glaces dans le
jardin, sans y dresser de tables : la limonade et
les glaces du café étaient servies sur des plateaux,
qu'on plaçait seulement sur des chaises. A la
formation des galeries, Jousserand se rendit lo-
cataire des arcades situées en regard de son
ancien café, qui n'eut qu'à traverser la nouvelle
rue, et à cette location vint s'ajouter celle de
quatre pavillons dans le jardin. À l'étage supé-
rieur se donnaient des concerts, qui ne commen-
çaient pas avant minuit, crainte de déranger les
parties engagées au Salon-des-Échecs.
Aussi bien le Palais-Royal n'était-il pas le lieu
du monde où l'on faisait alors le plus de musique ?
Autant de cercles, autant de salles de concerts.
Le baron de Pudinée, résidant à l'entrée de la
galerie Montpensier, recevait les chanteurs et
chanteuses en vogue, (|u'il accompagnait au clavecin.
Parfois un duo conjugal enchantait la même galerie,
où Cliéron, basse-taille, et M"'" Chéron habitaient
celle des arcades du Palais qui répondait au n"
29. Or Cliéron ne quitta le théâtre qu'en 1808;
mais sa femme, née Dozon, qui avait débuté à
l'Opéra dans l'emploi de M"'^ Saint-Huberti, malgré
ce chef d'emploi, émigra au bras de son amant,
un gentilhomme. Les gluckistes et les piccinistes
338 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
se donnaient rendez-vous au café du Caveau, et
le soir, après le spectacle, quand on avait fermé
les volets derrière lesquels ces habitués s'échauf-
faient dans la querelle d'école à école, il ne fal-
lait rien moins, pour les mettre un instant d'accord,
qu'une romance que leur chantait Garât. Les célèbres
Rameau, Boucher, Piron, Collé, Duclos, Fuzelier
et Crébillon fils avaient été au nombre des fon-
dateurs de la société du Caveau, qui se réunis-
sait chez Dubuisson, et l'établissement de ce
dernier n'avait kii-même ([u'îi peine changé de
place en s'avanrant sous les arcades. A Dubuis-
son succéda Cuisinier, dont la fenmie, veuve en
premières noces d'un médecin, ouvrit fructueu-
sement au café du Caveau une souscription pour
les pauvres, à l'occasion des rigueurs excessives
de l'hiver de 1788.
Comme i-emontant à cette époque, citons encore :
le restaurant Véry, le café de Ghailres, le café
de Valois et l'établissement que Beauvilliers, ancien
chef de cuisine du prince de Condé, ouvrit pri-
mitivement vers le milieu de la galerie de Valois.
Dans une loge de francs-maçons, au-dessus du
café de Valois, se carrait une salle à manger de
60 h 80 couverts. L'origine du magasin de comes-
tibles de Corcellet, autre célébrité gastronomique,
n'est qu'à peine postérieure à la construction des
arcades, et il en est de même pour celui de
Chevet, qui s'établit dans les galeries de Bois.
Ces galeries, au nombre de deux, avaient été élevées
à peu de frais, en attendant la construction pro-
jetée d'une quatrième galerie. On les avait
garnies d'échopes en planches, sous-louées prin-
cipalement à des libraires et à des marchandes
de modes par Romain et G% qui en étaient fermiers.
Une sorte d'almanach de 1787 énumérait ainsi
les arcades où l'industrie avait un caractère par-
ticulier à signaler:
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 339
No 2: Feutre appelé his-bis, qui conserve les lèvres et
empêche les gerçures ùi le gontlement. Prix : 3 liv.
Par le sieur Arnoux.
No 8: Curtius.
N» î) : Magasin d'effets précieux à prix fixe, par Verrier
et C'e.
No 13: Papier fait avec des plantes, écorces et végé-
taux, inventé par le sieur Levrier-Delisle. Volume
in-12 imprimé sur ce papier; prix: 7 liv. 4 sols,
chez le sieur Ha'-douin, libraire.
No 15 : Hôtel de Penthièvre, garui.
No 2] : Magasin de tableaux du sieur Hamond.
No 29 : h' Amour conduit par la Folie, gravé par M. Bonnier,
peintre du roi.
N» 36: Hôtel de Vauban, meublé.
No 40 : Hôtel de Valois.
No 42: Magasin de dessins et d'estampes de Leuoir.
No J4 : Cabinet d'histoire naturelle de M. Adanson, de
l'Académie des sciences.
No 50 : Magasin de la Manufacture des crystaux de
Saint-Cloud, protégée par la reine.
No 65: La Société Olympique.
Nos 72, 75 : b'alles de vente.
No 78 : Les petits comédiens do M. le duc de Beaujolois.
No 87: Magasin de bijoux et diamants à prix fixe.
No 90 : Le café du Caveau.
No 92: Bureau de la souscription des Costumes de
théâtre.
No 93 : Cabinet de physique du sieur Nozeda.
No 98 : Bureaux de MM. Sarlat et C'».
N» 99: Entrepôt de toutes sortes de vins.
No 100 : Hôtel de Moutpensier, meublé.
No 116: Hôtel d'Orléans.
No 123: Hôtel du Parc-Sainte-James.
N" 127 : Les Ombres chinoises, spectacle du sieur
Séraphin.
No 133 : Hôtel de Bèàujolois, garni.
No 137: Hôtel de la Reine.
340 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
N'o 113: Magasin de confiance, à prix fixe.
^I" 107: Bains publics d'e;au des fontaines épuratoires.
No 171 : Société des Colons.
Aussi bien l'exercice de toutes' les professions
n'était pas toléré sous l'ancien régime au Palais-
Royal, et les vidangeurs, par exemple, n'en étaient
pas moins exclus que les femmes galantes par
état, qualifiées alors /îiies du monde. Un marchand et
un artisan dépourvus de maîtrise s'y fussent mis
à l'alnù de poursuites, qu'aurait rendues impos-
sibles leur séjour dans l'enclos de la résidence
d'un prince du sang ; le règlement empêchait
donc de les admettre à titre de locataires dans
le pourtour privilégié. Ce règlement, arrêté par
le prince le 15 septembre i78!2, confiait la police
générale du palais et de ses dépendances à Gardeur-
Lebrun le jeune, en portant au nombre de huit
les gardes placés sous les ordres du nouvel ins-
pecteur. Que si cette police particulière n'avait
pas été bientôt rattachée à la police générale
par les rapports hebdomadaires de Ronesse, le
successeur où le collègue de Gaitleur-Lebrun, son
action n'eût pas été grande. 3Iais nous trouvons
la preuve d'un rapprochement amiable à cet
égard dans une lettre écrite le 20 avril 1784 par
le lieutenant-de-police à l'abbé Beaudeau, et que
voici :
(c Je ne puis que vous remercier. Monsieur, de
la nouvelle assurance \ue vous voulez bien me
donner des intentions de Monseigneur le Duc de
Chartres. L'ordre du Prince pour maintenir dans
les maisons de son palais le même ordre qui
s'observe dans presque tout le surplus de la
ville retiendra quelques locataires qui voulaient
abuser de la faculté du privilège. J'accepte bien
volontiers le parti que vous me proposez d'en-
tendre toutes les semaines M. Ronesse. J'en suis
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 341
convenu avec lui, et vous me trouverez continu-
ellement disposé à concilier tous les égards res-
pectueux dus à Son Altesse Sérénissime avec
l'exercice d'une police qui, pour être bien faite,
doit suivre les règles de l'unité.
J'ai l'honneur d'être, avec autant d'estime que
d'attachement, Monsieur, votre très-humble et
très-obéissant serviteur, Lenoik. »
La surveillance de l'inspecteur était facilitée le
soir, dans les galeries, par le plus brillant éclai-
rage dont on se fît l'idée en ce temps-là. Hon-
douin avait soumissionné l'illumination, à raison
de 50 livres par an pour l'entretien de chaque
réverbère allumé six heures par jour, et il y
avait autant de réverbères que d'arcades, c'est-à-
dire 180.
Si les galeries du Palais-Royal avaient été tout
de suite le réfectoire des gourmets et un bazar,
une loire perpétuelle et une ruche de bureaux
d'esprit, réunis au centre de Paris, elles tirent
un peu plus de façons pour s'en montrer le
lupanar et le brelan. Les lilles du monde y fré-
quentaient, dès le commencement, les promenades
couvertes et découvertes ; mais leurs repaires ne
formaient pas encore, sans solution de continuité,
le couronnement des pilastres corinthiens séparant
les arcades. Avant de permettre qu'elles y fussent
à demeure, sous toutes les mansardes, il fallait
bien souffrir, dans un lieu public, leur passage.
Le soir, ces chauves-souris de l'amour avaient
déjà^ l'air d'être chez elles dans le jardin et les
galeries ; mais leurs ailes membraneuses de mam-
mifères carnassiers ne faisaient qu'y raser le sol,
et il leur était interdit d'accrocher aux murailles,
comme les hirondelles, leurs nids, qui promet-
taient trop souvent la couvée pour que tout n'y
fût pas de leur part imposture. Il leur tall?i\
22
342 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
pour s'élever, en passant, au-dessus du rez-de
chaussée, un galant qui ne craignît pas de leur
donner le bras, dans l'escalier d'un hôtel, où
cette contrebande ne passait que moyennant le
péage d'un demi-louis par heure. Il y avait même
une galerie dans laquelle on faisait payer le même
genre d'hospitalité deux fois plus cher au parti
de l'opposition, dans une ou deux maisons qui
restaient fermées au beau sexe. Proh! pudor. Vln-
sieurs permissions de jeu, accordées antérieure-
ment par M. de Sartines à des femmes, qui
restaient soumises au contrôle de la police, avaient
bien été renouvelées; mais on maintenait leurs
tripots autant que possible dans l'ancien pourtour
du jardin. On jouait chez le comte de Thiard,
écuyer du duc d'Orléans, et un autre tapis vert
s'arrosait d'or au Palais même ; mais les ambas-
sades étrangères, usant du même privilège que
les maisons princières, donnaient pareillement à
jouer sans permission.
Le Palais-Royal fut aussi le premier point de
repère des agitations révolutionnaires. Camille
Desmoulins y mérita, par ses discours, le surnom
de premier apôtre de la liberté, et la prise de
la Bastille fut décidée d'abord au café de Foy.
Plus de clubs encore y avaient pris naissance que
nous n'en avons cités ; toutes ces sociétés venaient
d'être dissoutes par ordonnance, en 1789. N'y en
avait-il pas assez pour jeter les industriels des
galeries, en général, dans le parti du mouvement
quand mênîe? Le prince que la mort de son père
avait fait, ;t son tour, duc d'Orléans était dès-lors
au nombre des malcontents et n'attendait pas pour
se mettre ouvertement de leur parti qu'ils fussent
victorieux ; il allait se faire peuple sous le nom d'E-
galité, en démocratisant par l'application du même
titre un palais que spontanément il avait fait bour-
geois, dix ans plus tôt.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 343
Au Cirque eurent lieu les premières réunions
des Amis-de-la-Constitution, et Bonneville y
fonda le Club-Social, dont l'orateur principal fut
Fauchet. Par malheur les conquêtes de la liberté
n'arrêtaient pas celles de la licence, qui installait
partout des filles de joie, voire même au Cirque,
avec un jeu de passe-dix. Artaud, censeur royal,
écrivait contre le pouvoir des libelles sans signa-
ture, qu'il dénonçait lui-même une fois lancés : il
réunissait pour dîner des beaux-esprits, tels que Cham-
fort, qui était son voisin, l'abbé Delille et Rivarol,
dans un ancien salon du cercle des Échecs, ou au-
dessus, puis il donnait à jouer à de plus riches
invités, dans ses réunions du soir.
Au Perron et aux alentours on se contentait
d'agioter en plein jour. C'était la Bourse. Il paraît
que les coulissiers de l'époque n'avaient pas l'é-
légance de ceux qui, de nos jours, perdraient tous
leurs clients s'ils n'avaient pas au moins l'air
d'être riches. Mercier, dans son Nouveau Paris,
parlait des agioteurs du Palais-Royal en ces
termes : « Leur costume est assez uniforme : c'est
un bonnet à poil à queue de renard Ils sont
en veste, ont des bottes sales, des cheveux
gras..... Ils se tiennent près des tavernes, leurs
repaires, à la porte des théâtres. »
Le directeur du théâtre Beaujolais, ayant fait
de mauvaises affaires, passa avec sa troupe au
boulevard du Temple, dans l'ancienne salle de
Tessier, qu'il appela le théâtre des Variétés-Amu-
santes, et il n'y réussit pas mieux. M""^ Marguerite
Briant de Montansier, directrice des spectacles
de Versailles, de Saint-Cloud et de Fontainebleau,
fit agrandir la salle Beaujolais, et l'ouverture du
théâtre de la Montansier y eut lieu le \^ avril
1790. Il s'y donna des opéras-comiques, des
comédies, des tragédies, et parmi les acteurs qui
débutèrent sur cette scène, auparavant qu'elle
344 I.ES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
s'appelât théâtre du Péristyle-du-Jardin-Égalité,
furent: Baptiste Cadet, que signala surtout la
création du Désespoir de Jocrisse, Damas, M"" Sain-
val et jusqu'à M'"' Mars. La directrice de ce
spectacle avait épousé l'acteur Bourdon-Neuville;
elle habitait le second étage au-dessus du cate
de Chartres, et cet appartement qu'elle conserva
jusqu'à la fin de sa longue vie, agitée constam-
ment par les intrigues, les dettes, les procès ou les
persécutions, communiquait par un couloir avec
son théâtre. Le foyer en fut pendant dix ans
l'un des refuges de la gaieté française et
de l'esprit de conversation ; mais le salon parti-
culier de M"'^^^ 3Iontansier acquit de son côté, dès
les premières années de la Révolution, une im-
portance historique. M. Girault de Saint-Fargeau
en parle comme du véritable pandémonium de
l'époque. « On y a vu rassemblés, dit-il, dans
une même soirée Dugazon et Barras, le père
Duchéne et le duc de Lauzun, Robespierre et
M"*= Maillard, Saint-Georges et Danton, Martainville
et le marquis de Chauvelin, Lays et Marat, Volange
et le duc d'Orléans. Toutes les combinaisons de
l'intrigue ont trouvé place dans ce salon, depuis
les intrigues amoureuses jusqu'aux intrigues poli-
tiques ; on y donnait la même importance à une
nuit de plaisirs qu'à une journée départi; on s'y-
occupait aussi sérieusement des succès de la
petite Mars que des événements du 31 mai ; la
belle M"*" Lillier faisait autant d'impression que
les discours de Vergniaud. Au bout du même
canapé de damas bleu de ciel, usé, tané et dé-
chiré, sur lequel la Montansier arrangeait son
spectacle de la semaine avec Verteuil, son régis-
seur, le comédien Grammont organisait, à l'autre
bout, avec Hébert, l'émeute du lendemain aux
Cordeliers. Dans un coin du salon. Desforges
perdait contre Saint-Georges, à l'impériale, l'argent
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
345
qu'il empruntait à la Montansier sur ses droits
d'auteur de la pièce eu répétition. Une bruyante
table de quinze rassemblait joyeusement après le
spectacle les actrices du tbéàtrc, qui délassaient
par leurs saillies de coulisses tous les coryphées
de la Convention. »
M"'" Montansier et son mari avaient acheté la
salle de spectacle et la maison où ils demeu-
raient, le 1'^' octobre 1790. La presque totalité
des trois galeries avait été aliénée dès la même
année. La plupart des industriels y occupant de
grands locaux avaient été poussés h se rendre
acquéreurs par la crainte que leurs arcades ne
tombassent entre les mains d'un acquéreur peu
disposé il consentir un bail aux mêmes conditions
qu'avant : les premiers locataires n'avaient eu à
payer par an et par arcade, y compris les étages
supérieurs, que 1,200 livres. Nous allons donner
un tableau des pro}3riétaires des arcades en 1791
et rappeler leur prix d'acquisition, en suivant le
même ordre que les numéros d'à présent :
M. d'Orléans , 2 arcades,
louées à Desenue.
Poixmeuu, 4 arcades: 181,499
Ifv. 10 sols.
Corazza, 4 arcades: 186,000
livres.
Gattey, 3arcades: 112,500 liv.
M. d'Orléans, 5 arcades, avec
bail à vie consenti à Beudet,
transporté à Boileau.
M. d'Orléans, 3 arcades,
louées à Lefèvre des
Nouettes.
Lcl'èvre des Nouettes, 3
arcades : 110,000 liv.
De Baran, 4 arcades : 130,000
liv.
M^e de Feriaris, 3 arcades :
163.500 liv.
Orsel. 5 arcades : 234,320 liv.
M. d'Orléans, 3 arcades, lou-
ées à Rivetle.
Huré, 3 arcades : 222,500 liv.
Tis.sot, 4 arcades: 262,500 liv.
Gomand, 7 arcades : 262,500
livres.
Lecomle, 4 arcades.
Février, 5 arcades : 262,500
livres.
Gandron, cessionnaire de
Fauvin, 3 arcades : 187,.'>0()
livres.
Payen, 3 arcades : 167,500 liv
Laiwé, 3 arcades: 123,046 liv.
17 sols, 0 deniers.
Pelletier, cessionnaire de
Descarrières, 3 arcades :
187,500 liv.
De Courville, 3 arcades.
Leltu, 6 arcades : 375,000 liv.
346 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
Thiveau, 4 arcades : 200.000
lirres.
Ducrest, 7 arcades : 437,500
livres.
Berlhellemot, 3 arcades :
127,000 liv.
Jousserand, 7 arcades:253,760
livres.
Prévost, 5 arcades : 140,000
livres.
Bourdon-Neuville et M^e
Montansier, mis en lieu
et place de Gardeur, dé-
possédé, llarcades: 570,000
livres.
Fontaine, 4 arcades : ÎOa.SOO
livres.
•Véry frères, 3 arcades: 19i5, -275
livres.
Cuisinier, 6 arcades : 612,500
livres.
Broudes,3 arcades: 204,492
livres.
Beauvilliers, 3 arcades : 157,
500 livres.
Guénin, 3 arcades : 167,500
livres.
De Pestre, cessionnaire de
Resewski , 9 arcades :
400,000 livres.
Saiffer, ou Scheffer, ou
Chauffert , 3 arcades :
147,440 livres.
Moulhié ou Monthiers, 4
arcades: 150,000 livres.
L^duc, 8 arcades: 335,000 liv.
Denaix, 4 arcades : 250,000
livres.
Rémy, 4 arcades : 248,000
livres.
Les deux tiers des nouveaux acquéreurs se
trouvaient encore redevables, en 1791, d'une
portion du prix d'acquisition, et quelques-uns de
ces débiteurs étaient même en arrière pour le
service des intérêts. A la charge des propriétaires
incombait leur quote-part dans les frais d'illu-
mination et environ i!2 francs par arcade de
redevance annuelle pour le cens.
Le pape, dans la même année, n'était-il pas
brûlé en effigie au jardin du Palais, comme Lafayette
l'année suivante ? Les frères Grammont, tous deux
acteurs au théâtre de la Montansier, n'en restèrent
pas quittes pour si peu. Le conventionnel Le
Peletier de Saint-Fargeau, immédiatement après
avoir voté la mort du roi, fut tué par Paris, ci-
devant garde-du-corps, en sortant de chez
Février, fameux restaurateur, au milieu de la
galerie de Valois.
M"'= Montansier elle-même, qui avait gouverné
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 347
peu de temps le théâtre Louvois, et à laquelle
en voulaient mortellement les acteurs des théâtres
auxquels le sien faisait du tort, resta sous les
verroux pendant dix mois à la petite Force et
dans l'ancien collège du Plessis. Sa salle du
Palais-Egalité, qui était alors le théâtre de la
Montagne, devint, peu de temps après, le spec-
tacle des Variétés, dont la troupe passa en 1806
boulevard Montmartre avec Brunet et Tiercelin.
Quant au théâtre dirigé par d'Orfeuille et Gail-
lard, il s'était transformé en 1791, avec le con-
cours de Talma, de Monvel et de Dugazon, en
Théâtre-Français de la rue Richelieu. Avec beau-
coup moins de succès on joua la comédie, sous
la Constituante, puis sous la Convention, dans
la salle du Cirque, qui devint la proie des flam-
mes pendant la nuit du 25 frimaire an VII. Une
ménagerie s'y trouvait établie, un orang-outang
fut brûlé. Au moyen d'une contribution se défraya
le rétablissement du cœur du jardin sur les débris
de la salle incendiée.
Quelques-uns de nos lecteurs ne s'alarment-ils
pas de n'avoir pas encore vu citer les Frères-
Provençaux dans cette monographie des Galeries ?
Quelle cuisine mérite mieux d'envoyer jusqu'à la
postérité le fumet de sa gloire ! Mais cette maison,
dont la cave était déjà sans seconde sous la
Restauration, avait commencé sur une plus petite
échelle, près des grands salons qu'elle occupe
dans la galerie de Beaujolais. Maneille, Simon et
Barthélémy l'avaient ouverte au premier chant
de la Marseillaise, ou peu s'en faut, et ils n'étaient
ni frères ni provençaux. Au-dessus d'eux logeait
la Bacchant, courtisane déjà descendue au niveau
populaire de la prostitution avant la Révolution,
et dont tout le monde savait au moins le nom ;
elle n'avait pourtant de remarquable que sa che-
velure épaisse et crépue. Le monde avait changé
348 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.'
de lace sang modifier le genre de vie de cette
femme, qui, du haut de sa mansarde, régnait tou-
jours, parce qu'elle y changeait à chaque instant
de courtisans, en ne dédaignant pas de les re-
cruter elle-même dans les galeries de Bois, dites le
Camp des Tdrtares, et dans la galerie vitrée,
dite le Camp des Barbares, faisant suite à celles
de Bois, du côté de la rue Richelieu. Un épisode
du roman de Faubias avait valu leurs surnoms à
ces galeries ; Louvet de Couvray, auteur dudit
ouvrage, y avait ouvert un magasin de librairie,
tenu par sa femme, qu'il appelait sa Lodoïska. Les
librairies Ladvocat, Delaunay et Barba étaient nées
au même endroit, ainsi que le cabinet de lecture
de la Tente, transféré ensuite près du Perron et
tenu par l'éditeur Dumon.
Le canon régulateur du Palais se tirait, sous
la République, de haut de la maison du limo-
nadier Cuisinier, auquel Cambacérès fit obte-
nir, pendant le Consulat, la permission d'éta-
blir une rotonde à la place des tentes sous les-
quelles on mettait des tables. Le café du Caveau,
fréquenté par David le peintre, par Lalande et
d'autres savants, qui souvent venaient s'y asseoir
au coup de sept heures du matin, fut dit café
de la Rotonde. Mais le sous-sol, avec entrée rue
Beaujolais, conserva un établissement, appelé le
caveau du Sauvage, qui ne recevait pas aussi
bonne compagnie. Or, dans un caveau du même
genre, un sauvage de contrebande s'était accou-
plé publiquement avec une femme de son espèce,
spectacle coûtant 24 sols, et des représentants
du peuple s'étaient retrouvés en prison avec le
principal auteur de ces actes cyniques, qui auraient
paru monstreux ci l'époque de la Régence, mais
qui causaient un peu moins d'étonnemeut au temps
où la Justine du marquis de Sade était vendue
ouvertement dans les galeries de Bois.
LES GALERIES DU PALAIS- ROYAL. 349
Le café des Aveugles occupait et occupe encore
un autre sous-sol ; les filles du Palais-Royal s'y re-
layaient toute la soirée, poussant à la consommation,
et une douzaine de quinze-vingts, montés sur une
estrade, faisaient de la musique, avec une femme
qui jouait du cor. Martainville, que ses opinions
anti-républicaines n'empêchaient pas de se mon-
trer partout, rencontra une fois, au caveau des
Aveugles, certains révolutionnaires et sans-culottes,
qui lui offrirent un bol de punch, puis lui
demandèrent une chanson. Pour ne pas
être en reste de politesse, Martainville leur im-
provisa le petit couplet qui va suivre :
Embrassons-nous, cliers Jacobins ;
Longtemps je vous crus des mutins
Et de faux patriotes.
Oublions tout, et désormais
Donnons-nous le baiser de paix :
J'ôterai mes culottes.
Beauvilliers, s'étant vu e:i butte à des persé-
cutions sous la Terreur, avait cessé de restaurer ses
concitoyens. Mais l'inaction lui fut à charge, et il
se rétablit, dans l'une des premières années de
l'Empire, rue Montpensier, à l'endroit où se voit
le passage Potier. En ce temps-là on ne sur-
prenait plus Bonaparte et Barras, dînant ensem-
ble aux Frères-Provençaux ; mais on voyait entrer
au café de Chartres Berchoux, Grimod de la
Reynière et Murât : au café Valois, le comte de
Lauraguais, le marquis de Chauvron, les nota-
bilités du parti royaliste, et- chez Lemblin, au
café Italien, Boïeldieu, Brillât-Savarin, Gambronne,
de Jouy. Le café Corazza, fréquenté par des
Italiens, avait aussi pour habitués Redouté et
ïalma; ce dernier s'asseyait souvent devant une
table, qu'avait affectionnée Napoléon, son protec-
teur, et qu'on montre encore près du poêle :
350 LES GALERIES DU PAL ALS-ROYAL.
Douix, élève de Beauvilliers et ancien maître-
d'iîôtel de Charles X, qu'il a suivi à Holy-Rood,
a fait u'.î restaurant du café Corazza. Barré, direc-
teur du Vaudeville, rarcliitect.3 Célerier, Carie et
Horace Vernet se réunissaient tous les jours,
avec un petit cercle d'amis, au café de Foy ; un beau
soir de 1806, après la fermeture des portes, Horace
Vernet, y prit la palette d'un peintre en bâtiment,
qui donnait une couche aux boiseries, et, grimpé
sur le poêle, il peignit au plafond une hirondelle,
qu'on a conservé>3. J.e poète Lebrun, surnommé
le pindarique, mourut l'année suivante, au second
étage de la maison dudit café de Foy. M'""' Romain,
ia belle limonadière, attirait alors beaucoup de
monde au café des Mille-Colonnes ; elle a Uni
par se faire religieuse. Le café du Mont-Saint-
Bernard, que décoraient des grottes artificielles,
dominait le magasin du confiseur Berthellemot,
qui avait des poètes à ses gages. Fitz-James,
en se donnant le titre de premier ventriloque de
France, exerçait son talent dans un café, et son
rival Borel dans un caveau. Que d'étrangers, au
gousset bien garni, venaient passer une semaine
à Paris, sans sortir du Palais-Royal ! Tout pour-
tant n'y était pas luxe, tant s'en faut! On dînait
déjà pour 2 francs au restaurant Billiotte. En
revanche, un napoléon n'était pas trop pour se
réconforter honnêtement chez Naudet et chez
Robert, ci-devant , cuisinier du fermier-général
Chalandray.
Quant aux maisons de jeu, telles que le Direc-
toire en avait autorisé l'organisation, elles étaient
au nombre de quatre, don! trois dans la galerie
du Lycée ou des Bons-Enfants, dénominations
passagères de la galerie de Valois à l'époque où
la galerie Montpensier s'appelait de Quiberon et
celle de Beaujolais galerie d'Arcole. Mais Perrin
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 351
eut bientôt jusqu'à cinq établissements de ce genre
sous sa direction, rien qu'aux galeries.
On jouait le biribi, le passe-dix et le trente-
et-quarante dans les salons qni n'étaient séparés
des galeries de Bois que par une dizaine d'arca-
des, aile de Valois. Un des onze bureaux de
prêt sur gages desservant le Palais-Royal
planait au-dessus de cette maison de jeu, qui
subsista moins longtemps que les autres. On faisait
en 1807 les grandes parties de trente-et-un au
n" 154 actuel, où de vieilles marquises ne crai-
gnaient pas de se produire, et où se tenaient
aussi des bureaux de prêt. Il n'y avait plus tard
que des tables de roulette et de trente-et-qua-
rante à l'or, c'est-à-dire à vingt francs pour mi-
nimum de mise, dans cet établissement, qui
s'étendait au-dessus de cinq arcades, et dans
lequel tout le monde n'entrait pas ; il fallait être
connu ou présenté, ou muni d'un laissez-passer
demandé îi l'avance, et de bonne compagnie, pour
y avoir accès. Les boiseries sculptées et dorées
d'un des salons du 154 furent transportées, après
la suppression de la ferme-générale des jeux,
dans un des salons qui dépendent du café de
Foy, au premier, et elles y servent encore d'or-
nement. Le 113, au contraire, fut toujours assez
populaire : il n'a exclu que la veste, la blouse et
la casquette. Huit pièces recevaient les pontes,
autour dune table de passe-dix et de six tables
de roulette, où la banque ne dédaignait pas de
tenir trente sous, et où se faisait la partie depuis
dix heures du matin jusqu'à minuit, dans la
région supérieure des arcades 110,111,112,118.
Les plus hardies filles de joie y circulaient en
toilettes de bal, comme dans les galeries de Bois ;
ces femmes étaient tout le luxe du 113, tant que
se prolongea pour la j^rostitution la période ré-
volutionnaire qui lui avait livré jusqu'au Palais,
3f.2 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
avant l'installation du Tribunat. Si elles tentaient
la tortiuie, cotait avec un avantage encoi'e plus
sûr que celui de la banque, pourvu qu elles réus-
sissent à se rattraper d'une perte en taisant la
conquête d'un joueur plus heureux. L'exploitation
du vice sur une plus grande échelle avait lieu
galerie Monlpensier, n'"* 9, iO, 11 et 12. Deux
tapis verts pour \c trente-et-quarante, qui ne
différait guère du trente-et-un des maisons de
jeu, et une table de creps occupaient là trois
grandes pièces, pi'ès desquelles se trouvaient des
salles de trictrac et de billard, ainsi que des
buvettes, où tlanfibait le punch, pour mettre le
vertige l\ la place de l'hésitation, de l'inquiétude
ou du remords des plus timides, et pour désal-
térer les plus ardents. On ne se contentait pas
d'y jouer jusqu'à minuit, devant une galerie de
femmes qui ne venaient pas. uniquement pour le
jeu ; on dansait à l'étage supérieur jusqu'à six
heures du matin, sans que le jeu. souffrit d'inter-
ruption. Au-dessus du bal, qu'on appelait sans
tard le Pince- Cul, la progression continuait
encore, et la débauche n'avait plus qu'à
descendre.
Avant l'achèvement de la galerie d'Orléans,
substituée aux galeries de Bois, deux des maisons
de jeu du Palais-Royal changèrent de place. Celle
qui répondait au plus haut numéro dans la
galerie de Valois fut transférée entre le 127 et
le 134 même galerie, où elle renonça au biribi
et au passe-dix, pour se vouer au trente-et-qua-
ranle et à la roulette. L'établissement de la galerie
parallèle passa au n° 36, où il se conforma, comme
les établissements voisins, à un règlement plus
sévère, qui bamiissait les femmes de ses salons
et transformait les breuvages excitants, dont
on avait trop abusé, en bavaroises et en verres
de bière servis gratuitement aux joueurs.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 353
Le dernier directeur des jeux fut Bénazet, an-
cien avoué de Bordeaux, père du directeur actuel
des jeux de Bade: il succédait à Bernard, dont
les prédécesseurs avaient été Perrin, Clialabre,
Boursault. Des maisons exploitées en dehors du
Palais-Boyal dépendirent aussi de la ferme des
jeux ; il y en eut sous l'intendance de Perrin et
de Bernard non- seulement rue Bichelieu et rue Gran-
ge-Batelière, dans ce qui en est devenu Drouot, mais
encore place du Palais-Royal, place Vendôme, rue
du Bac et rue Daupliine, comme il y en avait
eu rue Saint-André-des-Arts, rue Favart, rue
Quincampoix, boulevard du Temple, et comme la
rue Marivaux eut la sienne postérieurement.
Elles étaient soumises intérieurement à des règle-
mens différents. Les fêtes de Frascati, auxquelles
on conviait principalement les étrangers, furent
officiellement défendues lors de la signature du
dernier bail ; mais une tolérance officieuse permit
de passer outre h l'amendement, et la grande
maison du bout de la rue Richelieu continua à
déployer un !uxe que le Palais-Royal n'avait
jamais connu. On voit encore errer, comme
des âmes en peine, des femmes qui n'ont plus
du tout l'air d'avoir contribué, sous les plus riches
parures, à faire les honneurs de ce dernier
eldorado du vice, et qui toutefois ont été sous
les armes dans l'escadron volant des femmes de
Frascati.
On a reproché à M. de Rambuteau d'avoir donné,
pour la dernière fois, la préférence à M. Bénazet
sur un autre soumissionnaire, M. Renault, de
Lyon, qui offrait à la ville 1,200,000 IV. déplus
par an ; mais le cahier des charges autorisait,
par l'article 24, M. le préfet de la Seine à
choisir l'adjudicataire parmi les concurrents, sans
rendre compte des motifs de sa décision. Indé-
pendamment des conditions de solvabilité, d'apti-
354 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
titude administrative et d'expérience, que tous les
caiididats ne pouvaient pas remplir au même
degré, une autre considération avait encore
son importance. La Chambre des députés, malgré
M. Guizot et d'autres honorables partisans du
statu qiio, voulait la suppression de cette exploi-
tation, qui prolitait avant tout à la Ville ; il fallait
jusqu'à l'heure suprême demeurer sur la défensive,
il fallait ne quitter la place qu'avec les honneurs
de la guerre, autant pour atténuer les récrimina-
tions rétrospectives que pour garder un espoir,
de retour. Et qui donc eût été capable de répondre
aux besoins de la situation avec autaiil de dignité
relative et d'observation des convenances que M.
Bénazet ? Il avait pour premier refait, dans cette
partie engagée sur le tapis parlementaire, le
silence des meilleurs organes de la presse. Est-ce
(|u'un de ses tils ne collaborait pas activement ii
la rédaction du Journal des Débats ? Un savoir-
vivre sans égal mettait le père lui-même fort à
sa place parmi les gens d'esprit, et lui conciliait
gratuitement plus d'égards que tout autre n'eût
réussi à en acheter. On reprochait à la ferme
des jeux d'avoir une police spéciale ; mais l'article
37 ne réservait qu'au préfet de la Seine le pou-
voir d'organiser un service de ce genre en dehors
des attributions de la police proprement dite, qui
était la première à exercer une surveillance active
sur de tels établissements ; ledit article n'avait
sans doute en vue qu'une police administrative,
car il parlait aussi de la ijose, des ajoutés et
des relevés de l)anque, sur lesquels l'autorité
préfectorale gardait son action. La véritable
direction passait bien moins entre les mains de
l'administration temporaire des jeux qu'elle ne
demeurait dans les attributions de l'édilité pari-
sienne. L'Hôtel-de-Ville restait le siège de l'autorité
spirituelle et temporelle quant à ce privilège.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 355
Seulement le fermier des jeux avait bon dos. On
l'accusait de ne mettre en usage que des moyens
de corruption vis-à-vis des représentants de l'intérêt
public et de l'opinion; on lui prêtait une influence
démesurément dispendieuse, qui ne s'arrêtait pas
au seuil de la Chambre des députés ; on en faisait
un marquis de Carabas, dont toutes les poignées
de main cachaient un pot-de-vin. Il n'est donc
pas sans intéi'êt de metti-e en regard quelques
chilï'res rappelant la situation de la ferme-régie
des jeux, et de prouver que M. Bénazet n'exerçait
pas, aux termes de son bail, une puissance dis-
crétionnaire qui lui permît d'enrayer à prix d'or
la circulation de toutes les consciences.
Jetons un coup-d'œil, par exemple, sur les
clauses en .38 articles arrêtées le 27 avril 1827
par l'administration municipale, en ce qui regarde
l'exploitation des jeux pour l'année 1828 et les
suivantes : ces clauses réservent à la Ville les
trois-quarts des bénéfices bruts, en sus du prix
déterminé de la ferme. Avant d'être admis à con-
courir à l'adjudication de la ferme-régie des jeux,
par voie de soumission cachetée, il faut déposer
à l'avance des pièces justificatives pour fixer
l'édilité sur les garanties qu'il est de son devoir
d'exiger des concurrents, puis déposer, à titre de
cautionnement, 500,000 francs à la caisse des
Consignations. Au jour fixé pour l'adjudication, les
soumissions sont reçues à rHôtel-de-Ville en séance
publique, et lues à haute voix par le préfet, qui,
dépouillement fait, proclame l'adjudicataire séance
tenante.
Les bénéfices bruts, d'après les comptes réglés
successivement avec la Ville sont :
1828 1er trimestre. . . 2.607,398 24
• 2e — ... 2,472,9&5 08
.> -30 — ... 2,129,215 99
« 4« - ... '2,147,086 27
9,350,694 .58
356
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
1859
l8r
trimestre.
,i>
2e
—
1)
ae
—
•'
4"
—
1830
1er
trimestre.
«
2e
—
11
■M
—
»>
4e
—
1831
1er
trimestre
»
ie
—
»
4e
—
1832
1er
trimestre.
)i
2e
—
n
3e
—
«
4e
—
1833
1er
trimestre .
D
2«
—
»
He
—
>
4e
—
9,356>94 5S
8,946,819 50
Report. .
2,248,605 60
1,921,399 07
2,281,304 03
■2,494,950 80
2,379,442 46
2,147,303 '02
1,^67,1.39 94
1,846,273 66
1,737 247 56
1,647,713 86
1,943,068 25
2,166,517 66
1,703, -,74 67 \
1,499,091 20 1 f. jj„ Qn„ p^rt
1,437,345 91 «'857,906 60
2.217,694 82 '
2,170,501 42 ^
1,605,269 34
1,914,948 88
1,987 052 55
8,040,161 08
7,484,547 33
• 7,691,272 19
Total des produits bruts. . 48,387,401 82
Il résulte des conditions du bail que la Ville de Paris
alloue au fermier, savoir :
1,500,000 fr. par an pour frais d'exploitation, laquelle
somme doit être prélevée sur les bénéfices, avec la
condition qu'en cas d'insuffissance la dififérence est
supportée par le fermier.
25,000 fr. par an pour les intérêts du cautionnement
de 500,000 fr., laquelle somme doit être également pré-
levée sur les bénéfices ; mais, en cas de perte, la Ville
est tenue de la reconnaître au fermier.
C'est d'après ces bases que les liquidations annuelles
ont successivement lieu avec la Ville de Pans.
Ces liquidations présentent les résultats suivants :
Pru(lui(s bruts. , . .
A déduire :
Prix de la ferme. ti,0bâ,100 »
Frais alloués . 1,500,000 »
Intérêts.. . . ib,000 »
'.t,330.69i oS fir,,r/i.e».
7,580,100 » 1,770,594 58
Perles.
r.ES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
ani
Produits Oruts. . .
A déduire :
Prix de ferme. (i,OoS,iO()
Frais alloues . l,riOO,OÛO.
Intérêts . . . 23,000
. S,'JWi,8«ft m Hhiffices.
7,.'<80,10(J » J,36(i,71<J .10
Perifs.
1830.
Produits bruts. . . . 8,040,101 08
A déduire :
Piix de ferme. O.OriS.lOO » \
Frais alloués. . 1,300,000 » '. 7,;i80,KK) •>
Iiiléréts . . . 25,000 » \
4<10,0CI 10
Produits bruis. . . . 7,494,.'>47 33
A déduire :
Prix de ferme! 6,058,100 » \
Frais alloués . 1,500,000 » | 7,555, llX) >■
liUérêls pr Mém. )
ti0,532 07
Produits bruts. . . . 0,857,900 00
A déduire :
Prix de ferme. 0,055,155 » j
Frais alloués. ; 1,500,000 » ( 7,535,100 »
Intérêts |)i Mém. i
G'.»7,I93 40
Produits bruts. . .
A déduire :
Prix de ferme. 6,055,100
Frais alloués . I,:i00,000
Intérêts . . . 23,000
IS33.
. 7,091,272 10
' 7,380,
100 .. 111,17-i I!),
3,714,347 37 — 737,746 07
li résulte du tableau qui précède que les bénéfices
partageables entre la Ville et le fermier s'élèvent, dans
23
358 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
les années 1828, 1829, 1830 et 1833, à. 3,714,547 fr. 37 c.
Tandis que les pertes restées à la
charge du fermier dans les années
1881 et 183? montent à 757,746 fr. 07 c.
Il est reconnu à la Ville de Paris
pour les 3/4 des bénéfices obtenus dans
les 4 années heureuses 2,785,910 fr. 52 c.
Le 1/4 des bénéfices levenant au
fermier s'élève donc à 928.636 fr. 8'» c.
Dont :
444,144 fr. 65 c. pour l'année 1828.
341,679 88 pour l'année 1829.
115,015 ?H pour l'année 1830.
27,793 04 pour l'année 1833.
928,689 85 de laquelle somme il convient de
déduire les pertes restées k la charge de
l'entreprise :
60,552 fr, C7 c. eu l'année 1831.
697,193 40 en l'année 1832.
Total. 757,746 07
170,890 fr. 78 c. restent en bénéfices, non compris
le boni à prendre, d'après le résultat de l'entreprise, •
sur les frais alloués par la Ville, c'est-à-dire 1,735,814 fr,
99 c. pour l'exercice desdites six années, plus 38,370 fr.
39 c, retenue consentie sur le prix de la ferme pour
indemniser le fermier des jours d'interruption en
juillet et août 1830 et quelques autres bonifications
portant le chiffre des bénéfices à 1,951,558 fr. 21 c.
Seulement il faut retrancher dudit actif les frais de
première organisation, qui sont indépendants des frais
relatifs à l'exploitation journalière de l'entreprise, et
un supplément exifé par la Ville en 1833, s'élevant
ensemble à 429,454 fr. 74 c. Ainsi se trouve réduit
le total des bénéfices du fermage à 1,522,103 fr. 47 c.
Or M. Bénazet, avant de soumissionner, en 1827, a
divisé l'entreprise en huit parts. A chacune de ces
huit parts est afférent le huitième de ladite somme.
LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL. 359
pour tout produit pendant les six années, représentant
ii la fois les intérêts d'un fonds de roulement con-
sidérable et le profit.
Les maisons de jeu ont toutes été fermées pour
les étrennes de l'année 1838. Jusque-là le Palais-
Royal ne se ressentait pas défavorablement, au
point de vue purement commercial, du bannisse-
ment de la prostitution, dont il avait été la métro-
pole avant la constrution de la galerie d'Orléans.
La suppression des roulettes y porta un coup
plus sensible. Depuis lors, plusieurs boulevards
rivalisent avec les galeries pour le luxe des
magasins, et le centre commercial circonscrit par
les galeries s'est agrandi, sans trop se déplacer.
Seulement il est fort douteux que chaque arcade se
loue maintenant 11,000 francs, tout comme en
1823. C'est encore au Palais-Royal que se donnent
rendez-vous les provinciaux, les étrangers, et
principalement sous la rotonde construite par
Habert, reconstruite par Chabrol, vis-à-vis le
passage du Perron. Mais il faudrait au moins
quatre théâtres, faisant appel à des plaisirs
permis, pour encadrer les galeries de ce brillant
quadrilatère et lui rendre l'animation qu'il dut à
toutes les licences. Au lieu de quatre théâtres,
nous n'en voyons que deux.
La Comédie-Française perpétue de son mieux
les plus hautes traditions de l'art, dans la salle
où d'Orfeuille fit débuter Talma, où M"*- Mars fut
longtemps jeune, et où M'"' Rachel, plus prompte-
ment enlevée, laisse un vide d'autant plus grand.
Le théâtre du Palais-Royal défraye la gaieté natio-
nale, depuis le 6 juin 1831, dans la salle de la
Montansier, convertie en café-chantant vers la fin
du premier empire, et puis en spectacle gymnas-
tique, où s'étaient montrés jusqu'à des chiens
savants.
360 LES GALERIES DU PALAIS-ROYAL.
Sur cette scène, que de brillants succès ont
été enlevés à la pointe du couplet par M"*" Déjazet !
Cette éminente actrice avait alors pour domicile
l'étage le plus élevé de plusieurs arcades, presque
au milieu de la galerie Montpensier, ancien loge-
ment de M'"^ Clîéron, et souvent le Louis XV
des Beignets à la Cour y donnait à souper au
plus favorisé de ses sujets, sans avoir pris le
temps de changer de costume. Encore plus au
naturel, M"^ Déjazet a joué sur la scène du Palais-
Royal le rôle de Sophie Arnould. Entre la copie
et le modèle quel air de famille frappant ! Signa-
lons un rapport de plus entre les deux actrices
célèbres. Celle du XVIIP siècle a eu ses fenêtres
sur le même jardin que celle du XIX% le jardin
du Palais-Royal, et de chez elle a été tiré un
feu d'artifice le jour de la naissance du prince
qui a laissé son nom ii la rue et à la galerie de
Valois. Sophie Arnould demeurait rue Neuve-des-
Petits-Champs.
Peu de temps après la révolution de Juillet,
une jolie marchande de cravates brillait au pérys-
tile Valois, n" 187, et parfois la police interve-
nait dans les rassemblements que formait la curio-
sité à la porte de cette marchande. Elle avait
nom Grammatica. Sa mère vend encore du savon
et des pantoufles au même endroit.
Le café de Valois, qui n'en était pas loin, fer-
mait ses portes au put)lic en 1841 : un restaurant
vient de reprendre l'enseigne. Le fameux res-
taurant Véry, dans le comptoir duquel a brillé
une belle juive, devenue ensuite M'"'' Véry, n'est
tombé en déconfiture que depuis un petit nombre
d'années. D'autres établissements du même genre
ont traversé plus heureusement les âges ; à pres-
que tous nous avons accordé une mention dans
la présente notice, mais quelquefois sous des
LES GALERIES DU PALALS ROYAL. 361
dénominations qui ont change. Dans ce dernier
cas s'est trouvé le* cale Hollandais, qui date du
Consulat. Le restaurant de Véfour jeune est moins
ancien d'une vingtaine d'années.
Boulevard des Italien»», (i)
Les Menus- Plaisir s. — Le Dépôt des Gardes-
françaises. — Rossini. — La Comédie- Italienne.
— Les Hôtels, Cafés et Restaurants. — M'"''
Laruette. — il/"" Colombe. — If''" de Saint-
Huherti. — Le Grand-Salon, — Grétry.
Des boulevards du Nord, formés sous Louis
XIV, celui que nous appelons boulevard des
Italiens émargeait encore moins de maisons que
de jardins à la lin du règne suivant. A chacune
des extrémités, du côté des numéros pairs, il y
avait eu d'abord un jeu de boules. L'emplacement
du premier lut conservé par le duc de Choiseul,
après l'aliénation des terrains adjacents, que ce
ministre tenait de Crozat, son beau-père. L'autre
jeu de boules se trouvait occupé par les Menus-
Plaisirs du roi en 1758, d'après le plan de Paris
qu'ont donné Pasquier et Denis. Mais la destina-
tion de cet hôtel dut changer peu de temps après
sa construction à l'angle du chemin de la Grande-
Pinte, future rue de la Chaussée-d'Antin. Le Dépôt
des Gardes-françaises fut établi au même endroit
par le colonel duc de Biron en 1764. De là venait
une dénomination qui fut portée par ledit bou-
levard, concurremment avec celles d'Antin, de
Gaillon et de la Grande-Pinte, peut-être même
de Richelieu, avant qu'il fût question des Italiens
dans ses parages.
Le boulevard du Dépôt touchait pour ainsi dire
à l'hôtel de Gontaut-Biron, édifié à l'encoignure
de la rue Louis-le-Grand et du boulevard des
Capucines. Or le quadrilatère de bâtiments, au-
(1) Notice écrite en 1861.
BOULEVARD DES ITALIENS. 363
jourci'liui divisés, qui sépare la rue du Helder
de la rue de la Chaussée-d'Antin, a encore l'air
d'une jolie caserne ; l'architecture identique des
maisons dont il se compose, les balustres du
premier étage, les jours arqués de l'entre-sol, et
jusqu'aux têtes de Méduse qui décorent une porte
cochère, trahissent le wni*^ siècle et une voca-
tion originaire qui n'est pas celle d'immeuble à
l'aire des rentes. Néanmoins le plan de Jaillol,
qui a paru en 1773, indique une solution de
continuité dans la façade, à l'angle même de la
rue. Une gravure de 1789 montre sur le même
point une grille, que flanque un petit bâtiment
lout-à-fait à l'extrémité du boulevard. Cette estampe
consacre la mémoire d'un engagement, qui eut
lieu le 12 juillet entre le régiment Royal-Allemand
et un détachement de gardes-lrancaises : ceux-ci
sauvaient leur colonel, M. Duchàteiet, de l'effer-
vescence populaire, en combattant avec le peuple.
L'entrée de la caserne, théâtre de cette lutte,
ne garda pas longtemps le même aspect. Louis
XVI, pendant son procès, était promené sous
bonne escorte en tiacre, du Temple à la Con-
vention, par le chemin des boulevards : il remarqua,
pendanf un de ces trajets, que l'éditice avait été
achevé et ne présentait plus que des lignes ré-
gulières. Mais ce perfectionnement, il était dû à
une initiative antérieure, â un plan conçu, arrêté,
pi'esque entièrement exécuté sous l'ancien régime.
L'institution libérale que le colonel du régiment
de Biron y avait l'ondée, méritait, certes, d'ins-
pirer un regret.
Le Dépôt était une école pour l'éducation mili-
taire. On y recevait 150 ou 200 fils de soldats,
auxquels on apprenait à lire, â écrire, à compter,
l'allemand, l'escrime et l'exercice â feu, depuis
l'âge de 10 ans jusqu'à celui de 16 ; les élèves,
qui coûtaient au roi 8 sols par jour, comme les
364 BOULEVARD DES ITALIENS.
gardes, étaient à la nomination du colonel et du
major ; un officier du corps et quatre sergents
exerçaient tout le commandement de l'école;
des caporaux, qui avaient qualité pour aspirer au
grade de sergent, mettaient plusieurs années à
gagner leurs galons en initiant au maniement des
armes les futurs gardes. Toutefois, à 16 ans, les
élèves étaient libres de contracter un engagement,
ou de renoncer à l'état militaire en parfaite
connaissance de cause, non -seulement sans indem-
nité, mais encore sans rappel possible.
La musique des gardes-françaises, dont le corps
était au Dépôt, faisait également des élèves. Elle
linit par y renouer des rapports, qui, h l'origine,
avaient pu être aussi intimes, avec les Menus-
Plaisirs, ou du moins le Conservatoire, école de
chant établie en 1784 dans le même hôtel, au
faubourg Poissonnière. Le Conservatoire se fondit
au commencement de la Révolution avec ladite
école de musique militaire ; il n'était même plus
connu que sous le nom de Musique du Dépôt-des-
Gardes-françaises au moment de son érection en
Institut l'an IL La municipalité de Paris, en mai
1790, avait pris h sa charge le corps de la mu-
sique de la garde nationale, que l'officier Larrette
avait formée avec celle des gardes-françaises. Ce
mélomane fut jeté en prison, parce qu'un de ses
élèves avait joué sur le cor : 0 Richard, ô mon roi!
Mais on le lit sortir de Sainte-Pélagie pour or-
ganiser la musique dans la fête de l'Etre-Suprême.
L'Institut avait été placé rue Saint-Joseph; le
Conservatoire retourna peu de temps après au
faubourg Poissonnière, point de départ des écoles
de chant et de déclamation. L'honneur n'en revient
l)as moins à l'ancien Dépôt des .Gardes-françaises
d'avoir servi de berceau ci l'enseignement de la
musique instrumentale et d'avoir été un moment
le Conservatoire tout entier. La présence de Ros-
BOULEVARD DES ITALIENS. ;h65
sini, locataire d'un appartement au-dessus du
café-restaurant qui s'est mis sous l'invocation
du général Foy, t'ait que l'ancienne école est
maintenant habitée par un des plus grands maîtres
de la musique.
Le théâtre Favart, Jjàti sur l'emplacement de
l'hôtel Ghoiseul, précédemment Crozat, tut ouvert
le 28 avril 1783 pai- la troupe de la Comédie-
Italienne, qui jouait l'opéra-comique, la comédie
à ariettes, et l'on appela boulevard de la Comédie-
Italienne les allées voisines du théâtre; mais le
nom de boulevard d'Antin resta encore à la seconde
moitié du boulevard actuel des Italiens. Sous l'Empire,
Vopera-biiffa commença à être chanté par de
véritables Italiens dans cette salle, après la fusion
de sa troupe française avec celle de Feydeau.
Mais c'est sous la Restauration et au commen-
cement du règne de Louis-Philippe que les Italiens
en firent la première scène lyrique du monde.
Un incendie, en 1838, les déplaça, et l'Opéra-
Comique reprit possession du théâtre restauré.
Nous ne revoyons plus les terrasses des hôtels
de Choiseul, de la Massaye, de Boisfranc, de
Deux-Ponts et d'Antin, dont les jardins faisaient
du l^oulevard un lieu de rafraîchissement pour
le promeneur. Mais comment ne pas reconnaître
le mignon pavillon 'du maréchal de Richelieu,
édifié après la campagne de Hanovre à l'extrémité
du jardin de l'hôtel d'Antin? L'hôtel de Boufllers,
dont l'architecte a été Bonnet, et qu'habitait le
poète Boufllers en revenant du Sénégal, dont il
avait été le gouverneur, s'élève depuis la même
époque â l'angle de la rue Choiseul, et l'hôtel
de. Lévis au coin de la rue Grammont. Celui de
la comtesse de la Massaye faisait pendant à celui
de la comtesse de Boufllers, rue de Choiseul. Le
terrain en provenait du jardin de l'hôtel Choiseul
et avait été aliéné en 1778 par le comte de
366 BOULEVARD DES ITALIENS.
Ghoiseul-Beaupré-Goutliei', colonel de dragons. La
comtesse avait obtenu la permission de faire
mettre une barrière en fer devant son mur, sur
le boulevard, comme les propriétaires dont les
hôtels voisins ouvraient presque tous sur la rue
Neuve-Saint- Augustin.
Rue Richelieu et sur le boulevard a demeuré
le chevalier Lambert; nous retrouvons la maison
d'encoignure où ce banquier forma une galerie
de tableaux. Lambert eut pour voisin un autre
financier plus célèbre, l'abbé ïerray, mais qui
serait encore plus décrié en ce temps-ci qu'à la
fin de sa vie. Car les dettes publiques n'avaient
pas d'ennemi plus déclaré que l'abbé Terray : son
ministère tenta de les amortir à tout prix. L'excès
contraire fait florès aujourd'hui.
Derrière l'autre rangée d'arbres, parmi les
maisons qui surgissent sur d'autres terrains vendus
par la famille Choiseul à Du mont, à Forget, à
Laborde, à Vessu, voici la belle demeure que
s'est donnée sous Louis XVI M. de Bospin, à
l'un des angles de la rue Le Peletier. Un joli
pavillon s'y rattachait, avec perron sur le bou-
levard, et la décoration intérieure d'un salon rond
y subsistait encore dans son éclat quand M. Lupin
père, acquéreur de l'immeuble, consulla Visconti
sur l'opportunité de substituer un pan coupé à
cette parasite rotondité. L'architecte demanda
grâce pour l'encoignure, à cause de son élégance ;
mais il ne put obtenir qu'un sursis : un autre
homme de l'art a détaché le chaton de la bague.
M. Salmon a fait bâtir à l'autre angle de la même
rue, et à la même é^wque, une maison qui de
nos jours appartient à son petit-fils.
L'ancien hôtel d'Aubeterre, qui donne sui' le
boulevard, mais qui ouvre l'ue Laflitte, a perdu,
lui aussi, un pavillon des plus coquets, lorsque
les exigences de la voirie rendirent impossible
BOULEVARD DES ITALIENS. 367
la conservation du perron donnant accès au rez-
de-chaussée. M"'*' Chevalier, stucatrice du feu
roi de Pologne, a inauguré, par l'exposition per-
manente des objets d'art de sa composition, un
des salons actuels de Tortoni.
Au coin de la rue Taitbout, l'architecte Bellan-
ger a dessiné l'hôtel Brancas, dont l'appartement
le plus riche était destiné au comte de Lauraguais.
Les acquéreurs de M""' de Villoulreys, née Van-
derberghe, femme du général Rapp en premières
noces, y ont été, sous Louis XVIII, M. Habert
et M. Lefeuve, grand-oncle et père de l'historio-
graphe dont vous voulez bien suivre les recher-
ches. Puis est venue la marquise d'Hertford. Le
testament de lord Seymour, un des deux fils de
la marquise, a légué récemment l'hôtel à l'Assis-
tance publique, qui en tire un beau revenu.
Malgré lesdites mutations, presque rien n'est
changé pour l'appartement du premier, dont les
Persiennes et les volets ne se sont pas ouverts
souvent depuis leur application. Les Brancas, à
cause de la révolution de 89, et le général Rapp,
à cause de ses campagnes, n'ont pas été des
hôtes constants ; M"'* de Villoutreys, M. Cardon,
M"'« d'Hertford et lord Seymour n'ont fait de ce
logement princier qu'un pied-à-terre, habité rare-
ment. Les croisées en demeurent closes depuis
la vente après décès du riche mobilier de milord.
Le boulevard de Coblentz passa boulevard de
Gand, grâce aux Cent-Jours, et ce nouveau sur-
nom tint tête à la révolution de Juillet ; un vers
d'Auguste Barbier, dans la Curée, le visa sans
l'atteindre ; il n'a été laissé pour mort que sur
le champ de bataille du 24 Février: les bureaux
du National, h feutrée de la rue Le Peletier,
ont chanté son De Profundis, en proclamant de
nouveau la République, excessivement propre à
rappeler l'Empire. Le surnom mémorable de bou-
368 BOULEVARD DES ITALIENS.
levard de Gand n'ira cependant pas à la postérité
comme un souvenir d'exil ou d'oppression, de
protestation ou de défaite, de surprise ou de
châtiment; il rappellera tout uniment la renais-
sance du boulevard des Italiens, qui n'a jamais
été distingué, animé, spirituel, amusant et parisien
avec autant de luxe, avec autant de. belle humeur,
que pendant la Restauration et la quasi-Restau-
ration.
Le café de Paris, établissement sans rival,
qui est tombé, comme tant d'institutions, pour se
faire goûter davantage et regretter, a vécu un peu
plus que le boulevard de Gand ; il était né
quelques années après, dans cet ancien hôtel
Brancas qu'il n'aurait pas quitté pour un empire.
Les traditions du cale de Paris ont peut-être sur-
vécu ailleurs, en ce qui regarde le service ;
mais tout le monde n'osait pas y monter les quelques
marches du perron ; beaucoup d'appelés craignaient
h juste titre d'y paraître déplacés au milieu des
élus. Il suffit, au contraire, pour diner à la
Maison d'or, au café Riche, au café Foy, au café
Anglais, au café Cardinal ou chez Grossetéte,
d'avoir assez d'argent pour en sortir. D'autres
cafés un peu moins restaurants se multiplient
aux alentours, comme sur tous les boulevards.
Le café du Helder, avant de s'établir sur l'em-
placement des anciens Bains-Chinois, dont l'ex-
térieur était plein d'agrément, et près d'une maison
qui survit au grand bazar incendié sous la Res-
tauration, occupait en face de la rue Choiseul le
local du caté Montmorency. Ce dernier tire son
nom, il est vrai, d'un hôtel garni, mais d'un hôtel
garni qui se plaça entre les deux hôtels que les
Montmorency occupèrent boulevard Montmartre et
boulevard des Capucines, au coin de la rue delaChaus-
sée-d'Antin. N'assure-t-on pas, dans maints livres
sur Paris, ([ue, sous le Consulat, Sophie Arnould
BOULEVARD DES ITALIENS. 309
a rendu le dernier soupir précisément au même
endroit, vis-iWis la rue Choiseul ? Nous ne disons
ni oui ni non.
L'enseigne d'un autre café nous rappelle le
séjour de l'illustre Grétry, boulevard des Italiens,
n" 7, en regard de l'établissement qui s'est placé-
sous son invocation. L'auteur de Richard Cœur-
de-Lion mourut dans sa maison de Montmorency,
ancien ermitage de Jean- Jacques Rousseau : i\ ses
dépouilles mortelles, rapportées à Paris, de pom-
peuses funérailles ne firent pas défaut. Sa famille
et Liège, sa ville natale, se disputèrent le cœur du
grand musicien. Toutes les pièces de son mobilier
furent vendues beaucoup plus cher qu'elles ne
lui avaient coûté : Nicolo Isouard acheta son
clavecin ; Boieldieu, sa cartelle ; Berton, la
canne avec laquelle il mai-quait la mesure aux
répétitions.
Une quinzaine d'années plus tard, Hérold occupait
un appartement n" 3, et Panseron, maison du
Grand-Balcon.
D'autres immeubles du boulevard servirent d'habi-
tation à des actrices de la Comédie-Italienne.
M""' Laruette qui, dans sa jeunesse, avait reçu
de brillants hommages, et chez laquelle s'étaient
rencontrés le duc de Nivernais, 31. de Vaugre-
mont et le marquis de Brancas, trois cordons-
bleus, avait eu des relations de plus longue haleine
avec le marquis de Flamarens: elle demeurait
au coin de la rue Marivaux avant la mort de
son mari, acteur qui a laissé son nom ii un em-
ploi, et qui était aussi compositeur. M"*^ Ruggiéri,
dite Colombe, qui était réellement Italienne de
naissance, bien qu'elle jouât l'opéra-comique en
français, habitait le boulevard d'Antin, du même
côté que son théâtre. MM"""' Laruette et Trial
avaient réussi plus vite que cette rivale à la
370 BOULEVARD DES ITALIENS.
Comédie-Italienne ; le succès ne l'empêcha pas de
prendre sa retraite cinq ans après la translation
de son théâtre dans la salle Favart. La Révolu-
tion l'ayant faite pauvre, l'âge et la pauvreté
rendirent méconnaissable cette Colombe, que milord
Mazarin avait ravie à ses parents en 1767, et
que le marquis de Lignerac avait enlevée pour
plusieurs années au théâtre peu de temps après
ses débuts. M"'" de Saint-Huberti, de l'Opéra, qui
s'appelait réellement Antoinette-Cécile Clavel, était
locataire de Salmon. Bien flatteur qui la trouvait
belle ! Elle était assez grande et blonde, mais
assez maigre et de manières provinciales. Cette
grande artiste lyrique ne passionnait son audi-
toire qu'à force de s'identifier avec ses rôles.
Quelqu'un lui faisait compliment du frisson qu'elle
avait donné aux spectateurs â la fin du troisième
acte de Didon : — Celte scène, répondit-elle, m'a
encore plus émue que toute la salle ; dès la
dixième mesure, je me suis sentie morte.
M"'^ de Saint-Huberti assistait un soir au spec-
tacle de la Comédie-Italienne, et le bruit courut
dans la salle qu'elle venait de réconcilier Gluck
avec Piccini : le public s'y montra sensible par
des acclamations reconnaissantes et fit descendre
l'actrice de sa loge pour la couronner sur la
scène.
On en veut encore â Heurtier, l'architecte
primitif du théâtre Favart, de n'avoir pas tourné
sur le boulevard la façade de l'édifice ; mais les
maisons particulières elles-mêmes évitaient autant
que possible d'ouvrir leurs portes sur la promenade :
précaution qui contribua singulièrement à convertir
ce lieu de rendez-vous, aussi commode qu'agréable,
en boulevard par excellence, centre des plaisirs
élégants. Un traiteur fit, dès le principe, le service
du Grand-Salon, que remplacèrent successivement
le café Chrétien, le restaurant Nicolle, puis le café
BOULEVARD DES ITALIENS. 371
du Grand- Balcon. Chrétien, juré au tribunal révo-
lutionnaire, avait pour clientèle, dans son café,
la compagnie des Tape-durs, souteneurs armés
d'un gros bâton qu'ils appelaient par métonymie
la Constitution de Van m. Ces janissaires du comité
de sûreté générale rôdaient principalement sur
le boulevard de Coblentz, nom qu'ils avaient eux-
mêmes donné au boulevard des Italiens, parce
qu'il restait fréquenté, en général, par la bonne
compagnie.
Au commencement de l'Empire, Hardy et M"""
Riche tenaient en face de Nicolle deux grands
cafés, qui devenaient déjà des restaurants. Un
marchand de vin recevait les cochers à la place
du café Anglais, dont la réputation fut bientôt
faite et se consolida surtout quand Chevreuil eut
à y traiter en alliés les officiers de l'armée étrangère.
Cet établissement de luxe vient de s'agrandir des
beaux salons de l'ancienne maison, dite le grand 13,
que la ferme des jeux n'ouvrait rue de Marivaux
qu'à des clients choisis, du temps de M. Bénazet.
Le café Anglais appartient depuis la révolution
de Février à un restaurateur qui servait auparavant
à Bordeaux, près l'église Saint-Dominique, des
dîners à 32 sous, et qui n'a pas changé de dame
de comptoir depuis sa promotion aristocratique à
Paris.
Rue de la Vie^oire. (i)
VAhhé de la Victoire. — Les Marais de Chantereine.
— Desforges. ■ — La Salle Chantereine. —
Adanson. — il/"" Falcon. — M""" Stolz. —
M. Cuisinier. — JH/™*" de Saint-JulUen. — il/"*
Dervieux et ses Antécédents. — Le Théâtre-
Olympique. — Mesmer. — M. Herz. — Cagliostro.
— Les Néothermes. — V Hôtel de la Victoire. —
La C"^-**^ Waleioska.
Un couvent de la Victoire lut londé près de
Senlis en raison de la bataille de Bouvines, gagnée
sur l'Empereur Otlion et ses alliés par Philippe-
Auguste. Louis VIII, fils et successeur de ce roi,
réalisa les promesses de son père, ou confirma
ses donations au profit de ladite abbaye en l'année
1223. L'abbé et les religieux de la Victoire, qui
étaient de l'ordre de Saint-Augustin, eurent de
temps immémorial un jardin, un marais et un
vinier, au-delh de l'égoùt qui lut établi bien pprès,
dans ce qui devint le quartier de la Chaussée-
d'Antin. Cela tenait peu de place entre la ferme
des Matliurins, les Porcherons et la Grange-Bate-
(1) Notice écrite en '1801. Le prolongement de la
rue Lafayelte et celui de la rue Le Peletier, qui se
croisent, n'avaient pas encore fait perdre à la rue
de la Victoire ses nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, .S. 9, 11, 13 et 15,
et une synagogue ne prenait pas encore la place du
44. Les derrières de cette propriété et des rx°^ 46, 48
et 50 ont été supprimés ou conlisqués plus, récemment
encore par le prolongement de la nie Olivier, bientôt
dite du Cardinal-Fesch.
RUE DE LA VICTOIRE. 373
lière ; cela n'avait même pas l'importance du lieu
qui était dit Chantereine dans la même circon-
scription. Toutefois on les disait ensemble marais de la
Victoire lorsque Jacob Duval était l'abbé, c'est-h-
dire au milieu du siècle XVIP, et la ruellette
aux Marais-des-Porclierons, plus tard ruelle des
Postes, puis rue Cbantereine, suivait le même
cours que notre rue de la Victoire, exception faite
du prolongement entre les rues de la Chaussée-
d'Antin et Joubert, qui date de 1847.
Dès l'an 1581 Jean Cadet, un maître-jardinier qui
demeurait rue Montmartre, passait reconnais-
sance au chapitre de Sainte-Opportune pour
un arpent et demi, sis à Chantereine ; il y tenait
à René Contesse, aux héritiers de Desmarais,
aux héritiers de Jacques Cadet et h Jean Boucault.
La même formalité était remplie, six années plus
tard, par la veuve de Thomas Bragelonne, con-
seiller du roi et lieutenant-criminel en la prévôté
de Paris, pour sept quartiers de marais au
même endroit, où ses tenants étaient Thomas
Baudin, Jean Verneau et Gellée: son bien
aboutissait à certaine ruelle qui menait au moulin
des dames de Montmartre. Item Jacques Moreau,
laboureur, à cause de Claude Baudin, sa femme,
héritière de Pierre Baudin, année 1663, pour sa
maison et un marais avec, où il tenait à Colombel
d'une part, à Noël et Louis Moynet de l'autre,
entre la rue aux Marais-des-Porcherons et celle
qui allait du Roule k Saint-Lazare. Hem, à la
même date, Noël et Louis Moynet, jardiniers
demeurant au fauboui^ Saint-Antoine, mitoyens
à Chantereine avec le susnommé et ses co-héritiers
dans la succession dudit Pierre Baudin par repré-
sentation d'Anne Baudin, leur mère. Item, l'abbé
de la Victoire, du même côté de notre rue.
u
374 RUE DE LA VICTOIRE.
Extrait d'un relevé censuel fait pour le côté
opposé en 1738 :
Fille ou femme Mignon, un marais, à l'angle de la rue
du Faubourg-Montmartre. — Martin, jardin de M. Guil-
iàumont. — A. Légué. — N. Brochet. — C. Brière.
— JeanBaudin. — Etienne Baudin. —Héritiers Antoine
Baudin. — Héritiers Marot. — A. Légué. — Veuve
Bourdet. — Denis Cliquet. — Veuve Fromentin. —
Veuve Beaucousin. — A. Brûlé. — G. Hobé. — Veuve
Bourdin. — Bourgeois.
Presque tous ces propriétaires n'avaient encore
que (les marais. Le jardin de M. Ruelle n'était
marqué à l'encoignure de la chaussée Gaillon,
allas d'Antiu, que par le topographe Deharme, en
1766. Mais pour nous il est temps de passer des
haies et des murs aux façades.
L'une des deux maisons qui répondent présen-
tement aux chiffres 63 et 69 lut habitée par
Desforges, qui avait commencé par être acteur.
Il avait débuté aux Italiens, comme amoureux, en
1769, puis on l'avait engagé avec sa femme au
théâtre de Saint-Pétersbourg, où il s'était fait auteur,
et, de retour en France, il avait cessé de payer
de sa personne au théâtre. De ses nombreuses
pièces on joue encore la Femme jalouse et Joconde.
M""-' Desforges se faisait appeler M™'= Philippe,
sur la scène Favart, tant pour se distinguer d'une
homonyme, qu'elle avait dans la même troupe,
que par égard pour son mari, avec lequel elle
ne vivait plus.
Le petit théâtre Ghantereine, qui a été bâti plus
tard par Gromaire, machiniste d^ l'Opéra, occu-
pait une aile de bâtiment, n" 47 : des amateurs
y ont donné des représentations particulières, et
un certain nombre d'élèves s'y sont formés pour
la scène. La salle n'a quitté la place que depuis la
révolution de 1848. Plusieurs historiographes font
RUE DE LA VICTOIRE. 375
mourir dans la même maison, en 1^06, le botaniste
Michel Adanson, à l'âge de 79 ans. Il avait enfin
renoncé, en* se retirant rue Cliantereine, aux
habitudes nomades que lui avaient données de
nombreux voyages. Néanmoins il résida au n^
42, dont il fut le propriétaire, avant de traverser
la rue avec ses meubles et ses collections.
M"* Falcon, de l'Opéra, avait habité le 17 lors-
que M'"« Stolz, du même théâtre, ne craignit pas
d'enménager au 13. Ce numéro n'a plus rien de
néfaste pour qui connaît la belle humeur, le goût
inné et cultivé pour tous les arts, ainsi que l'état de
santé florissant dont y jouit encore M. Cuisinier, après
avoir été le condisciple, à Juilly, du prince Jérôme,
frère de Napoléon P' . Son père, qui tenait le café
de la Rotonde, acquit ledit immeuble du comte
de Clérambault, et la propriété voisine, avec
ouverture rue Chauchat, de la veuve du général
Foy. Les deux maisons avaient été bâties par les
frères Noël, entrepreneurs. Le détenteur actuel,
malgré son âge, est encore un des habitués du
théâtre des Variétés, où il a acheté de l'auteur
dramatique Rochefort père ses entrées à vie. On ne
le voit pas moins au café du même théâtre, où
la plupart des musiciens qui donnent un concert
viennent lui présenter des billets, qu'il est trop
galant homme poui* refuser. Les acteurs font
souvent sa partie de dominos; ils n'entrent jamais
en scène sans le saluer d'un clignement d'œil,
s'ils le voient dans une stalle d'orchestre. Une fois
même, en jouant le 3'"' acte des Saltimbanques,
Hyacinthe s'est écrié, au lieu de vive monsieur le
maire: — Vive monsieur Cuisinier !..., Le spectateur
acclamé n'osa pas, après la chute du rideau, remercier
l'acteur de cette ovation inattendue ; mais c'est
.par pure modestie qu'il eut l'air mécontent d'une
plaisanterie qui" mettait le sceau de la popularité
à sa réputation d'ami des artistes.
376 RUK DE LA VICTOIRE.
L'autre côté de la rue Chantereine vit élever,
sous Louis XV, une petite-maison,, dont nous
croyons reconnaître l'entrée n" 16. M"'" de Saint-
Jullien, femme du receveur-général des rentes
du clergé, y rencontrait le comte de Maillebois.
Cette dame, à laquelle Soubise fit la cour, ne
dédaignait nullement les guinguettes des Porcherons ;
on répandit le bruit qu'elle y couchait, mais
c'était rue Chantereine, et elle s'y sentait plus
libre que chez elle, rue d'Artois (i), de prendre,
entre autres libertés, celle de jurer comme un
soldat aux gardes.
Sur les dessins de Brongniart, en 1774, fut
élevé un véritable hôtel, auquel on refusa cette
qualification tant qu'il fut habité par M"^ Dervieux,
danseuse à l'Opéra. La signification du mot
hôtel impliquait résidence d'une personne de con-
dition. D'ailleurs, il y avait eu cotisation pour
établir la jolie danseuse rue Chantereine, le prince
de Soubise n'ayant contribué que pour une part
à l'acquisition du terrain et d'une maison préexis-
tante en décembre 1770. D'autres protecteurs
succédaient à celui-là, qui, outre l'entrée de jeu
en billets de la Caisse d'escompte et en bijoux,
avait fait 200 louis par mois à M"*^ Dervieux.
Mais puisque nous remontons à l'époque où se
consolida la fortune de cette femme de théâtre,
dont l'esprit l'emportait encore sur le talent, nous
la voyons constamment entourée de ce qu'on
appelait sa troupe dorée.
A l'avant-garde se remarquent : milord Binting,
dont les dépenses excessives alarment Lambert,
son banquier ; le comte Warkowski, largement
mis à contribution avant milord ; le chevalier de
Launay, officier; le maréchal de Richelieu, qui
(1) Ainsi s'appelait Ja rue Laffitte.
RUE DE LA VICTOIRE. 377
reçoit de la belle plus de visites qu'il ne lui en
rend; Murquel de Peyre, qui, pour le jour de
l'an, envoie à son adresse des girandoles ; le
duc de Chartres, un collier de diamants ; le marquis
de Fitz-James, beaucoup moins généreux, mais
encore mieux reçu que son ami le duc de Chartres,
et que fait oublier toutefois un simple maître de
ballet, nommé Laval, la coqueluche des filles d'Opéra !
Est-ce à dire (jue les deux années d'avant aient
laissé M"« Dervieux dans la solitude et dans l'ombre?
D'autres diamants qu'a passés à son cou le prince
de Conti, au mois d'août 1769, ne sont venus
qu'un an après le contrat d'une rente viagère de
2,000 livres, émanant de la même source et con-
stituée au nom de la jeune personne ainsi que
de sa mère. Était-ce là le prix du sacrifice que
la vertu tait, mais ne refait pas ï L'âge de la
fille, quatorze ans à peine, donnait alors à espérer
ce que la mère osait promettre pour la dernièi-e
fois, il est vrai, mais pas précisément pour la
première. Le prince de Coudé s'était levé encore
plus matin que le prince de Conli, et le comte
de Stainville, dont la montre avançait en diable,
n'avait reculé qu'à demi devant la clarté indécise
du crépuscule matinal :
Déjà faurore aux doigts de rose
Ouvrait les portes du soleil.
Aussi bien la petite avait joué, tout au com-
mencement de 1768, le rôle de Colette dans le
Devin du Village, et avec un succès qui avait
mis en vue l'enfant prodige.
La salle de bain et les boudoirs de M'"" Dervieux,
devenue à son apogée l'une des maîtresses du
comte d'Artois, furent décorés en 1789 par l'ar-
chitecte Bellanger, que des circonstances dues à la
Révolution tirent ensuite le mari de cette sédui-
378 RUE DE LA VICTOIRE.
santé pécheresse, qui n'avait plus la possibilité
d'entrer en religion dune autre manière. Le ci-
devant comte Vilain XIIII, noble belge engagé
dans des spéculations financières, prit possession
de la propriété, avant Louis Bonaparte, qui y
laissa sa femme, la reine Hortense. La légation
des Etats-Unis s'y établit ensuite et cela devint
l'hôtel Thouroux. Puis Staub, ancien tailleur, se
rendit acquéreur de l'immeuble. Ce n" 44 ne
portait sous le premier empire que le n" 28 :
il y avait au n" 34 de ce temps-là l'hôtel Basoun,
et à l'angle de la rue Saint-Georges l'hôtel
Henry.
Des chanteurs italiens, qui vinrent à Paris pendant
le Consulat, débutèrent dans la salle du Théâtre-
Olympique, précédemment des Victoires-Nationales
et originairement des Troubadours, dont le n" 46
indique encore les proportions, et derrière laquelle
se trouvait un jardin, qui pendant les entr'actes
servait de foyer. Ce théâtre fut fréquenté par
les femmes les plus élégantes des généraux et
des fournisseurs de l'armée ; d'autres troupes
l'exploitèrent avec moins de succès que les acteurs
de Vopern-buffa. On donna dans la même salle,
devenue vacante, des concerts et des bals, et
une loge maçonnique y était installée vers la fin
de 1806 ; l'Université y fit même la distribution
des prix du Grand-Concours.
A cette hauteur de la rue, avant même que
s'y ouvrît le spectacle des Troubadours, on avait
fait queue â la porte d'un docteur allemand.
Mesmer traita rue Chantereine, aussi bien que
rue du Coq-Héron, par le magnétisme animal
des malades arrivant par chaînes, et le médecin
innovateur prenait â chacun d'eux iO louis par
mois. Le mesmérisme n'était pas encore à la
portée de toutes les bourses. De plus, le marquis
de Lafayette, . le baron de Breteuil, M. d'Eprémenil
RLIK DE LA VICTOIRE. :û9
et d'autres partisans de cette doctrine oHVireiit k
Mesmer 350,000 livres, réunies par souscription,
pour le retenir à Paris.
Immédiatement après le théâtre, venait une
propriété connue avant 89 sous le nom d'hôtel
Gontaut, et que M. Barbet de Jouy vendit, en
1839, h Henri Herz. Celte construction de l'autre
siècle ne sert-elle pas dignement de vestibule Ji la
belle'fsalle de concert qui a surgi des pelouses du
jardin ? M. Herz, cet artiste d'une exécution
brillante, ce maître sûr et ce compositeur,
ressemble de tout près à un écrivain de
premier ordre qui imprimerait lui-même ses
ouvrages par horreur des fautes d'impression. Il
emploie plus de cent ouvriers h la Aibrication de
pianos qui t'ont partie, pour ainsi dire, de son
talent, de sa classe, de son œuvre.
D autre part, ia maison de M. Herz tient à
l'hôtel de M""" de Rigny, antérieurement Basoun,
plus anciennement encore Saint-Chamant, et dessiné
par Rougevin. Là descendit Cagliostro, lors du
premier séjour de ce thaumatuige à Paris, oîi il
se présentait sous les auspices du prince de Rôhan.
La soif des nouveautés, à cette époque, était inextin-
guible. Cagliostro, à défaut de doctrine, avait lui-
même un sac rempli de recettes merveilleuses pour
la guérison des malades.
Les Néothermes, établissement rival des bains de
Tivoli, se fondèrent en 1830, sous le patronage d'une
princesse ; mais une révolution vint exiler la pro-
tectrice avant l'achèvement des travaux prépara-
toires. Cette maison de santé n'en a pas moins
réalisé le projet qu'on avait connu de réunir des
malades de bonne compagnie au cœur de la
Chaussée-d'Antin et de combiner pour eux les
avantages du traitement hydrothérapique le plus
complet avec le plaisii- d'être dans le monde et
380 RUE DE LA VICTOIRE.
dans le meilleur centre de distractions. La
chronique ne doit-elîe pas rendre justice à une
entreprise qui, d'ailleurs, n'a enrichi qui que ce
soit? L'application mesmérique de l'aimant au
traitement des maladies, les élixirs de longue vie
débités par Cagliostro et les Néothermes ont
tour-à-tour attiré le beau monde, qui les mettait
à la mode, dans cette rue. En faut-il davantage
pour bien mériter du Mgh life !
Mais la maison de la Victoire prend part à une
gloire impérissable, qui fait pâlir l'ancienne vogue
du charlatan le plus distingué et de la courtisane
courue par l'élite des galant:^ de son temps. Le
cri victorieux qui retentit, maintenant encore, à
tous les coins de l'ancienne rue Chantereine, est
celui de l'armée d'Italie à Arcole ; mais, à force
d'y prêter l'oreille, nous distinguons l'écho vieilli
de la bataille de Bouvines, qui s'y mêle» sans
détoner. L'abbé de la Victoire avait été propriétaire
du terrain sur lequel fût bâti l'hôtel de la Victoire,
dessiné par Ledoux pour Caritat, marquis de
Condorcet, mathématicien, philosophe, membre
de l'Académie des sciences et de l'Académie-Fran-
caise, député, puis conventionnel. La veuve de
Condorcet, sœur du maréchal de Grouchy, vendit
cette propriété ii Julie Carreau, qui épousa Talma,
et le tragédien illustre y eut ses jours de fête, y reçut
les Girondins, Dumouriez, Bonaparte. Joséphine
Beauharnais en donna 180,000 francs et y devint
M'"" Bonaparte. La substitution officielle du nom
de la maison à celui de la rue eut lieu le 8
nivôse an vi. Le général en chef de l'armée
d'Italie n'avait, depuis quatre ans, que cette rési-
dence en ville quand il y convoqua, un beau
matin, tous les officiers supérieurs de présence
à Paris. Les salons de son hôtel étant trop petits
l)our une telle assemblée, il la harangua du perron.
Le conseil des Anciens venait de l'investir du corn-
RUE DE LA VICTOIRE. 381
mandement de la il'"'' division militaire et de se
transférer k Saint-Cloud, où la séance devait
commencer h midi. Mais, la France étant en
danger, l'insigne l'honneur de la sauver ne reve-
nait-il pas à l'armée ? Le général parlait à des
frères-d'armes, qui s'écrièrent tous : — En
avant !.... Et le 18 Brumaire fut bientôt fait.
Le premier-consul donna au général Lefèvre-
Desnouettes l'hôtel de la Victoire, que plus lard
occupa, au retour de Sainte-Hélène, le général
Bertrand. La Restauration, en mettant au greniei'
la défroque militaire de la République et de
l'Empire, n'avait pas épargné le vocable de cette
rue, tant l'on y voyait peu la dédicace d'une
ancienne abbaye de fondation royale ! Chantereine
avait quelque chose de moins criard et de plus
royaliste ; toutefois le lieu champêtre qui avait
reçu d'abord cette désignation, la devait sans doute
à une chanterelle ou chantereine, oiseau qu'on fait
chanter pour en attirer d'antres.
De ce chantage d'oiseleur a'i chant de la
Victoire on revint en 1830. Le nid du Consulat
eut ensuite pour locataire M. Jacques Coste,
fondateur du journal Le Temps et aéronaute
amateur. M. Gouby, acquéreur de M'"»" Lefèvre-
Desnouettes, fit jeter bas l'édifice de Ledoux en
1860. Que reste-t-il donc du logis qui fut l'anti-
chambre du Luxembourg et des Tuileries pour
une dynastie impériale ? La porte, la loge du
suisse, l'avenue, quelques arbres du jardin et cette
inscription :
In hâc minimâ jam maximus plus quam maxima
concepit.
Où trouver une meilleure place pour la comtesse
Walewska, qui l'avait choisie elle-même, que porte
à porte avec l'hôtel de la Victoire '! Cette dame
polonaise, à laquelle l'empereur avait laissé un
382 RUK DE LA VICTOIRE.
souvenir, qui lui était cher, occupait la maison
appartenant de nos jours à M. Dassier, ancien
membre du cont^eil municipal de Paris. M'"* Valewska
est la mère du ministre du second empire, membre
du conseil privé, qui porte au masculin le même
nom. Le comte de la Bouillerie, ancien ministre, se
remarquait parmi les prédécesseurs de M. Dassier.
Mais la virginité de l'hôtel avait été foulée au.\
pieds par M"'" Guimard ou M"' Duthé. Ces deux
glandes rivales de M""^ Dervieux, outre qu'elles
partageaient beaucoup de ses succès intimes,
îiabitèrent quelque temps sa rue.
Rue Salii<-dt»or;;^e. (i)
Bellanger, architecte du comte d'Artois, prési-
dait d'autant mieux, en 1788, h la construction
du n° 15 de la rue Saint-George, avec fronton,
avec cintres sur les fenêtres, qu'il y travaillait
pour son propre compte. Du même temps et du
même architecte sont deux consiruclions latérales
qui se font pendant réciproque, n" 13 et r:'^ \obis;
mais elles furent édifiées aux frais de M"*^ Dervieux,
dont nous venons de revoir l'hôtel rue de la
Victoire. M. Alphonse de Rothschild, régent de
la Banque, occupe deux de ces propriétés, dont
tout ou partie était l'hôtel Henry en 1813. M. Chaix-
d'Est-Ange, procureur-général, hahite l'autre, oii
cet avocat, transformé en principal organe du
ministère public, dîne, digère et dort à merveille
dans les anciens bureaux du National : journal
qu'on y a supprimé, mais dont le souvenir plane
sur des réquisitoires!
Le n° 38, du dessin de Ledoux, a été établi
pour l'Américain Asten, beau-père du comte d'Ar-
juzon, avec une seconde porte rue Saint-Lazare.
L'ambassadeur de Bade, le chargé d'aftaires du
Danemark, la grand'mère de M. Alphonse de
Rothschild, le général Montholon et le député
Manuel y ont été domiciliés.
(1) Notice écrite en 1861. La rue Saint-Georges, depuis
lors, n'a été lacct.urcie que légèrement par le itrolon-
gement de la rue Lafaj'ette, au point où il traverse la
rue de Provence. Elle a payé plus cher, au milieu
de sou parcours, rélargissemrnt et le prolongement fit-
la rue Olivier, maintenant du Cardinal-Fesch.
384 RUE SAINT- GEORGE.
Quelque trente ans après l'inauguration de cet
hôtel, l'entrepreneur Chéronnet a élevé rue Saint-
George plusieurs maisons ; 22 et 24 sont du nombre.
Ce dernier numéro attient à un asile pour les gar-
çons de caisse, fondé en 1842 par M. Douau,
banquier.
Tourton, Ravel et C'\ avant la tin du règne
de Louis XVI, avaient bâti dans la même rue,
mais vers le bas, notamment le n" 2, qui appartient
encore à M. Oppermann, banquier, dont l'oncle
a vendu le 2 bis, vers 1833, au général de Saint-
Joseph.
La rue Saint- George, qui est née d'un passage
entre les rues Chantercine et Saint-Lazare, n'a
commencé rue de Provence qu'en 1779, grâce à
une trouée pratiquée sur un terrain à la dispo-
sition de Joseph de la Borde, secrétaire des linances,
et elle n'a tîni place Saint-George qu'en 1824,
date de son prolongement sur le sol de la com-
pagnie Dosne, Loignon, Censier et Constantin.
De la même spéculation sur les terrains il reste
à M""' Dosne et à son gendre, M. Thiers, l'em-
placement de leur hôtel au bout de la rue.
Ru« .^loiisieur- le -Prince, [i)
N°^ 4, 12, 22, 23, 37, 49, 58, 60.
En l'année 1670, Bouvard, conseiller du roi, se
rendait acquéreur d'un jeu de longue-paume dit
de Plaisance, qui. longeait la rue des Fossés-
Monsieur-le-Prince et comportait une maison,
le tout situé h Saint-Germain-des-Prés, dans la
censive de cette abbaye. La rue devait la moitié
de son nom aux fossés de l'enceinte parisienne du
xu** siècle, entre les portes Saint-Germain et
Saint-Michel ; l'autre moitié à l'hôtel du prince de
Condé, sur l'emplacement duquel fut bâti l'Odéon
sous le règne de Louis XVL D'après un plan
particulier, dressé en 1753, des, dépendances de
1 hôtel se projetaient au-delà de cette rue, où il en
doit survivre des bâtiments accessoires, comme dans
la rue de Condé. La propriété de Bouvard se
trouvait contiguë au manège du prince, dont
l'hôtel avait une sortie rue des Fossés; un pas-
sage frayé plus bas conduisait à la rue de Condé.
Le n" 23 faisait partie des Cordeliers ; plusieurs
autres maisons sur la même ligne n'avaient pas
d'autre propriétaire que ce couvent. Au collège
d'Harcourt, que remplace le lycée Saint-Louis, il y
avait passaj^e par le n" 49, comme en ce temps-ci.
Plus haut la rue s'appelait, h l'origine, rue des
Francs-Bourgeois-Saint-Michel. Cette dénomination
remontait à l'époque où le Parloir-aux-Bourgeois
(1) Notice écrite en 186], avant que le nouveau bou-
levard Saint-Micbel eût rogné des immeubles à l'eitré*
mité de la rue Monsieur-le-Prince.
38») RUE MON^IEUR-LE-PRINCE.
s'adossait à une lour de l'enceinte de Philippe-
Auguste, construction semi-circulaire qui subsiste
encore par miracle entre la rue des Grès (4) et
le nouveau boulevard. Les deux siècles antérieurs
au nôtre ont rarement distingué la rue des Francs-
Bourgeois de l'autre, que la République a nommée
rue de la Liberté, et le premier empire rue
Monsieur-le-Prince ; on est revenu ensuite à la
division primitive, annulée officiellement le 9 avril
1851.
La maison dont le péi'istyle forme l'angle de la
rue Voltaire, fut construite avant la Révolution
par Vauthier, marchand de tableaux, qui en fit
disposer richement l'intérieur pour un musée par-
ticulier, avec des pièces recevant d'en haut la lumière
favorable aux exhibitions de la peinture. Le
célèbre Antoine Dubois, acquéreur de l'immeuble
en 1816, a laissé son nom ti la rue en escalier
qui le menait à l'Ecôle-de-Médecine, où il faisait
son cours depuis l'an 1790 : cette rue s'appelait
auparavant de l'Observance, comme une ci-devant
maison religieuse qui s'était rattachée à celle des
cordeliers. M. Paul Dubois, doyen de Ja Faculté
de Médecine, tient la place de son père dans
la maison au péristyle.
Un buste de Jean Goujon, flanqué de bas-reliefs
où la sculpture et la peinture sont personnifiées,
illustre un autre seuil, à l'encoignure de la rue
Racine : est-ce à dire que le grand artiste du xvi''
siècle ait personnellement franchi cette porte?
malheureusement non. Le marbrier nommé Sellier
n'a pas édifié cette maison avant 1821; mais il y
voulait réunir dos ateliers d'artistes ; il a pris
une enseigne pour en donner avis, et comme pour
(1) Cette relique si digne du respect de l'édilité pari-
sienue, a été sacrifiée depuis, et la rue des Grès dite
Cujas.
RUE MONSIEUR-LE-PRINCE. 387
éloigner h tout jamais ces Philistins de bourgeois,
qui feraient d'une pièce tout un appartement.
Dernièrement encore nos livraisons y avaient pour
lecteur un maître, élève des grands maîtres, le
classique Aligny, doiit l'atelier vient de se transpor-
ter au palais Saint-Pierre, h Lyon. Depuis
longtemps Aligny sait par cœur l'Italie et surtout
la Grèce, qu'il retrouvera en Provence, h quel-
ques heures de la place des Terreaux.
De l'art pur h la cote des contributions il y a
plus près encore, du moment que l'artiste s'est
mis toul-à-t'ait, dans ses meubles. Hélas ! la seule
consolation que nous puissions donner aux contri-
buables de notre époque consiste à leur montrer
où fonctionnait le bureau général des impositions
de Paris vers la fin de l'ancien régime : rue
Monsieur-le-Prince, 58 et 60. Le vingtième a passé
par \h, encaissé par un roturier de receveur, aux
appointements de la Ville, qui signait pourtant:
Le Seigneur. Pour que des fonctions anoblissent,
il fallait qu elle fussent gratuites en ce temps-là :
âge mesquin! Les titres d'écuyer, péniblement
acquis dans l'échevinage, avaient-ils la valeur de
ces brevets de comte distribués d'un seul coup plus
tard aux membres du Sénat et du Conseil d'Etat,
en bloc, par^dessus le marché de tous leurs gros
traitements? Étonnez-vous, après cela, qu'on veuille
savoir quelque chose de ce qu'un titre de noblesse
a coûté, et îV qui, dans la crainte souventes fois
fondée qu'il y ait lieu d'en rire.
Un des appartements de la maison du receveur
était occupé au même temps par le comédien
Dazincourt, qui jouait les valets de bonne com-
pagnie, et que la reine avait choisi pour lui donner
des leçons de déclamation. Le voisinage du Théâtre-
Français, ouvert le 9 avril 1782 dans la salle
actuelle de l'Odéon, attirait rue Monsieur-le-Prince
bien des acteurs de l'excellente troupe qui donna,
388 RUE MONSIEUR-LE.PRINCE.
après deux années d'installation, le Mariage de
Figaro. Le marquis de V École des Bourgeois, qui
reproduisait dans ce rôle les airs de tête et les
inflexions de voix du maréchal de Richelieu, dont
il avait reçu les conseils, Fleury habitait la
maison attenante au collège d'Harcourt. M"*"
Dugazon, actrice du même théâtre, n'en perdait pas
de vue la façade à colonnes pour peu qu'elle se
mît à sa croisée, n" 37. Larochelle, cet autre
valet de comédie, demeurait au n" 4; son cama-
rade Courville, également.
Rue ^aint-I^azare. (i)
il/"" Mars. — Le Square et Orléans. — Le Duc
de Valentinois. — Les Z)"*"" Saint-Germain. —
M. Eimery. — Julie Candeilie. — La /)""'
Rondeau. — Le Cardinal Fesch . — La Z)"*^ Des-
forges. — VHOtel des Eaux. — Tivoli, - Les
Ruggiéri. — Les deux Châteaux des Porcherons. —
Autres Propriétés de la Rue en divers Temps.
Aucune Célimène et pas môme une Sylvia, soit
au théâtre soit h la ville, ne fera tort au souvenir
qu'ont gardé de M"*' Mars les amateurs qui l'ont
vue, et surtout qui l'ont entendue, dans ces deux
rôles: le charme de son organe y faisait par-
donner à la coquetterie d'être un art, dont personne
autant qu'elle ne connaissait les secrets. Les
perles que roulait sa voix enrichissaient jusqu'il
la prose d'un rhytme, qui aurait pu se noter;
(1) Notice écrite en 1861. Postérieurs sotU : 1° l'ab-
sorption de Ja rue des Trois-Frères par la rue Tailbout
et le prolongement de celle-ci entre les rues Saint-
Lazare et d'Aumale ; 2» la construction de l'église de
la Trinité et la formation d'un squaie devant cette
église, avec une grande place devant le square, tout
cela uux dépens des rues Saint-Lazaie, Blanche, de
Clichy et de la Chaussée-d'Anlin ; :o l'élargissement
de la rue Saint-Lazare, dans la seconde moitié de son
parcours, et la substitution de l'avenue du Cof] au
château d.; ce nom : 4° l'adjonctioM d'une nouvelle
gare à celle que les chemins de i'er de I Ouest avaient
déjà dans cette rue ; ^° le raccourcissement de la rue
de l'Arcade et Je prolongement de celle l'asquier,
naguère de la Madeleine, vis-à-vis de la nouvelle gare ;
C» .'e raccourcissement de la lue du Rocher et l'ou-
verture de la rue de Rome en regard des rues de
l'Arcade et I^asquier.
25
390 RUE SAINT-LAZARE.
elles avaient donc encore plus de prix que les
200,000 francs de diamants qu'on volu rue Saint-
Lazare à l'inimitable actrice. Cette rue lui portait
malheur. Un architecte, qui était des amis de
Châteauneuf, créateur du square d'Orléans, avait
fait de M"« Mars une actionnaire dans cette néfaste
entreprise.
Le square n'a pas cessé d'être une cité ouvrière
à l'usage des gens qui veulent payer cher leur
part d'une cour commune, servi»nt de jardin ;
mais il n'a plus sur la rue Saint-Lazare que la
porte bâtarde du n" 36. Pour y mener la vie de
château, il faudrait un amphytrion, qui, au surplus,
aurait trop d'invités. Ces sortes de caravansérails,
dont les innombrables fenêtres sont braquées les
unes sur les autres et dont tous les appartements
semblent donner sur le même carré, offrent aux
gens de lettres et aux artistes l'avantage de les
mettre en vue; mais il y a de quoi déflorer
l'intérêt qui s'attacherait un jour à la lecture de
leurs mémoires: trop de profanes à la fois n'ont
qu'à se mettre à la croisée pour savoir ce qu'on
fait dans le sanctuaire, ce qu'il y faut pour vivre
d'encens et de sacrifices, quels néophytes sont
le mieux accueillis et à quelle heure s'éteint le
dernier cierge ! Alexandre Dumas, George Sand,
Alphonse Royer, Kalkbrenner et Lablache ne sont
pas les seuls lévites du temple qui aient essuyé
en braves le feu croisé des indiscrétions de la
curiosité, au square d'Orléans. Dantan jeune y
est entré vers l835, dans un appartement encore
chaud du mobilier de l'auteur de Lélia, et il y
forma le cercle des Dominotiers, académie du
double- six et du calembour comparés, qu'il trans-
porta ensuite rue Blanche.
L'illustre comédienne avait acheté du maréchal
Gouvion-Saint-Cyr et habitait en reine du théâtre,
RUE SAINT-LAZARE. 391
ayant sa cour, ses petites et grandes réceptions,
l'ancien hôtel de Bougainville, maintenant au
prince de Wagram, dont 1 entrée principale est
rue Larochefoucauld, avec passage de servitude
rue Saint-Lazare, 56. M"" Mars, que les jeux de
la scène n'empêchaient pas alors d'étudier k ses
risques les combinaisons du hasard, perdit des
sommes importantes h la Bourse. Dans l'idée que
la rue lui portait encore guignon, elle déménagea.
Heureusement elle gagnait toujours h faire la partie
de Marivaux, qui avait inventé, comme à son intention,
les meilleurs /«Ma; de V Amour et du Hasard.
Lft terrain de cet immeuble et de plusieurs
constructions contiguës, élevées pour la plupart
il y a cinquante ans par Constantin et C'^' sur
les rues Saint- Lazare, Larochefoucauld et de la
Tour-des-Dames, qu'on a nommée aussi Bougain-
ville; ce terrain, disons-nous, s'est détaché d'une
grande propriété, l'hôtel Valentinois, dont le jardin
mesurait 5 arpens. Le duc de Valentinois, colonel
du Royal-Cravate, en a fait restaurer l'édihce par
Ledoux (n'' 60). Un cabaret du Sabot-d'or venait
immédiatement après cette aristocratique résidence,
dans la grand'rue des Porcherons, appelée égale-
ment rue d'Argenteuil par-ci, rue Saint-Lazare
par-là, qui ne prenait que de loin la direction
de la ville d'Argenteuil, mais qui menait jusqu'au
clos Saint-Lazare, en passant devant la chapelle
des Porcherons (Notre Dame-de-Lorette). Le général
Montholon, le notaire Jalabert et le duc de
Bassano ont été propriétaires de l'ancien hôtel
Valentinois, avant M. le comte de Chàieauvillars.
En regard, voici bien l'hôtel dessiné en 177^
pour la D"*' Saint- Germain. Cette beauté facile
était 'A la mode depuis quelques années ; elle avait
une sœur pour émule, qui vivait sous le même
toit. L'une des deux mourut du chagrin que lui
causait l'élévation de constructions qui lui étaient,
.192 RUE SAINT-LAZARE.
derrière le jardin, des récréations pour la vue,
en supprimant d'autres jardins, La propriété passa
à M. de Beaumé, ancien président à Douai ; puis
au maréchal Ney. M""" la duchesse de Vicence
en a lait l'acquisition en 1818.
Le bureau d'Eimery, inspecteur de la librairie
du royaume, n'était plus en l'année 1787 aux
abords du pays latin, mais bien rue Saint-Lazare,
n" 48. M. Eimery, qui remplissait aussi les fonctions
de receveur des pensions militaires, expédiait en
province les quartiers de ces rentes, sans frais
pour les destinataires : il était chevalier de Saint-
(iOuis. Même maison demeura plus tard .kilie
Candeille, actrice de la Comédie-Française, qui com-
posa des pièces. Cet auteur de la Belle Fermidre
eut encore plus de maris que de professions : le
second et avant-dernier fut Jean Simons, chef
d'une fabrique de voitures à Bruxelles. Vers 1835,
un des appartements avait M""^ Rondeau pour. loca-
taire. Les yeux bleus de cette courtisane contras-
taient agréablement avec sa brune chevelure. Ses
draps de lit, qui ne supportaient pas le blanchissage,
valaient une robe de bal: ils étaient de satin.
Phis bas, sur la même ligne, l'ancien régime
avait également vu bâtir la maison x\sten, dont
l'entrée principale était rue Saint-Georges. Le
charpentier Guillaume ne se donna qu'en 1796 une
belle demeure à l'encoignure de la rue de Clichy.
Cinq ans après, la maison Lebeau faisait honneur
à l'architecte Moitte, du côté de Guillaume, mais
encore plus haut.
De l'hôtel du cardinal Fesch, ouvrant surtout
rue du Mont-Blanc, autrement dit de la Chaussée-
d'Antin, lit partie le 71, dont la porte servait de
sortie aux voitures lorsqu'il y avait réception
chez cet oncle de l'empereur. On traita même de
Palais-Cardinal la résidence du prélat qui ne
RUE SAINT-I,AZARE. 393
craignit pas de résister à son neveu, dans l'in-
t.érêt de Pie VII, et dont cet anti-uépotisme en-
Iraina tout de suite la disgrâce. La chapelle de
riiôtel est convertie en oratoire protestant, au
n»75.
D'un membre du sacré collège, qui eut le courage
de ses opinions, à une femme de théâtre, qui
manqua vraisemblablement des quatre vertus car-
dinales, il y a loin, mais pas dans une grande
ville. Un prince de l'Eglise et une danseuse y
demeurent souvent porte à porte, malgré les diflé-
rences (juavouent presque la robe rouge de l'un et
la jupe courte de l'autre. Seulement M*"'' Deslbrges
a séjourné dans la rue Saint-Lazare bien avant
le cardinal Fesch. Cette danseuse delà Comédie-
Italienne quittait son théâtre en 1767, parce qu'elle
y eût fait des pas de deux à elle seule, étant
grosse à pleine ceinture. Elle se retira, après
ses couches, dans une chambre garnie en face de
l'ue de Clichy, qu'on qualifiait alors une avenue,
et elle y vécut en grisette avec un extrait de
banquier, petit courtier du change et de l'escompte.
Milord Rochard, qui avait distingué et qui aimait
en secret, depuis deux ans, M'"'' Desforges, était
à Londres; â peine eut-il appris (pie la danseuse
n'avait plus qu'un amant de cœur, il s'embai-qr.a,
dans l'intention de la remettre à tlot. Elle lui
accusa 20,000 francs de dettes, dont il exigea un
état; elle ne parvint à dresser ce mémoire qu'en
s'entendant avec tous ses marchands, qui se fussent
contentés à moins. La balance penchait ainsi de
son côté, sans qu'il y eût besoin des trente louis
destinés à faire bon poids, et qui revinrent tou.s
les mois tant que dura l'occupation anglaise. A
milord succéda M. Duplessis, Américain, puis le
banquier Morin. Le greluchon Gai'nier, danseur à
l'Opéra, fallait-il le compter? Lorsque la Comédie-
Française eut reçu M'"'' Desforges première dan-
:;)94 RUE SAINT-LAZARE.
seuse, celle-ci lit sa rentrée ; elle passa ensuite au
théâtre Favarl.
Que si vous faites venir de l'établissement des
l)ains de Tivoli un panier de bouteilles d'eau-de-
seltz, l'en-tête de la facture vous apprendra que
lesdits bains furent créés en l'année 1799 par
J urine et Triayre. On appelait alors hotel des
Eaux l'édifice carré qui forme le bâtiment
principal et qui s'était érigé dès 1788 sur le
plan de Henry. Bientôt ce grand pavillon fut
affecté h une école des Ponts-et-Chaussées,
berceau de l'école Polytechnique, et l'intendance des
Ponts-et-Chaussées y survivait encore avant que les
bains prissent sa place. Mais l'hôtel ne s'était bâti
que pour servir de maison de campagne au financier
Boulin, dont le magnifique jardin gardait une entrée
]'ue de Clichy.
Ce jardin, qui était déjà une merveille en ré-
putation avant la construction du pavillon, devint
un parc de Tivoli, qui a fait les délices des Parisiens
sous la République, l'Empire et le règne de Louis
XVIII. Les Clichiens se donnèrent rendez-vous
dans ce jardin et y tinrent leur conventicule, avant
le 13 vendémaire, dont ils furent les victimes. Mais
il y eut un autre Tivoli après celui-là, et à toutes
les fêtes y présidèrent comme artificiers, sinon
comme directeurs, les Ruggiéri, qui avaient donné
auparavant des divertissements du même genre
dans un autre jardin du quartier, que depuis on
désigne par esprit de famille comme ses frères
puînés. Avant la Révolution, le jardin Ruggiéri
était situé, d'après M. de Bouge, géographe du
roi, sur l'emplacement actuel de la rue Notre-
Dame-de-Lorette, jusqu'à la lue Larochefoucauld,
avec une porte déjà rue Saint-Lazare. Le spectacle
y était spécialement pyrique et coûtait un écu
par tête aux premières places, moitié prix aux
secondes.
RUE SAINT-LAZARB. 3115
L'Italien Pétronio Ruggiéri et ses trois l'rères
étaient venus à Paris dès 1789, comme artiti-
ciers de la Comédie-Italienne, et le roi les avait
chargés de tirer ses feux d'artifice. En 1745 ils
étaient retournés dans leur pays, pour y passer
dix années, pendant lesquelles une D''"'' Ruggiéri,
plus ou moins femme de théâtre, avait soutenu
l'honneur de la maison par d'autres artifices: les
fusées volantes de sa galanterie avaient jeté de vives
lueurs de crédit. Louis XV, pour reprendre Pétronio
il son service, n'avait pas craint de lui offrir une
manière de château aux Porcherons et 6,000 livres
de pension. Gaétan Ruggiéri, son frère, était
artificier du roi en Angleterre.
On publiait encore en 1807 cette annonce:
« Pierre Ruggiéri, aux Porcherons, donne pendant
la belle saison un spectacle public, prix depuis
6 livres jusqu'à 1 livre 4 sols ». Leïivoli-Routin
pouvait se dire également jardin des Porcherons;
nous estimons pourtant qu'à cette époque il
faisait encore deux avec l'établissement des Rug-
giéri. A Tivoli on avait di'oit, pour 2 francs, à
la promenade, à la danse, aux concerts, aux petits
spectacles, h divers jeux et même à des courses
sur l'eau. Des montagnes russes ne s'y établirent
que sous la Restauration, et alors il y lut donné
un certain nombre de fêtes extraordinaires. Mais
l'afliclie n'avait pas besoin d'annoncer un surcroît
de divertissements pour que tout le monde vint
en grande toilette, et les hommes chaussés
d'escarpins, danseurs ou non. En 1826 on a détruit
ce superbe jardin, pour y tracer des rues, dont
l'une garde son nom; en ce temps-là il n'y avait
encore que des chantiers place Saint-Georges, où
l'on disait aussi, mais par analogie: Ci-gît un
ancien Tivoli !
La célébration des victoires de l'Empire avait
donné lieu à tant de fêtes, dans lesquelles Michel
396 RUE SAINT LAZARE.
Riiggiûi'i trouvait toujours son compte il reproduire
par la pyrotechuie les emblèmes de la gloire,
()u'il n'était pas charmé delà rentrée des Bourbons,
arborant l'étendart de la paix. L'artiticier de l'em-
l)ereur n'en demeura pas moins celui du roi, et
aujourd'liui son neveu porte encore le titre, quasi-
héréditaire, que la lam.ille tient de l'ancien régime.
Mais Michel avait un fds otiicier, qui réellement
donna sa démission et ne reprit du service qu'après
la révolution de Juillet; il passa ensuite en
Egypte, pour être artiticier du vice-roi.
La propriété que le roi avait donnée au fonda-
teur de cette dynastie de génies du feu ne devait
sans doute qu'il ses antécédents l'honneur d'être
traitée de château. La seigneurie de Sainte-
Opportune avait commencé en l'année 1483 à tenir
ses audiences aux Porcherons, dans un endroit
que nous croyons celui-là ; la maison féodale s'y
remarquait encore du temps de Piganiol de la
Force, histoi ien et géographe né en 1673, mort
en 1753.
On ne reconnaissait déjà plus à la lin du
XVH- siècle d'autre château des Porcherons que
celui du Coq. Il appartenait à Lecoq, chevalier
de Saint- Jean-de-Jérusalem, qui le tenait de ses père
et mère et qui avait pour tuteur honoraire son
neveu Lecoq, marquis de la Gaupinière, conseiller
au parlement. Cet hôtel, avec un jardin et un
marais, était sis entre des marais aux mathurins
de Paris et la ferme de l'Hôtel-Dieu: l'égoût de
la ville (rue Saint-jN'icolas-d'Antin) (i) passait
derrière. Un autre Lecoq, maître des requêtes,
avait là les sous-fermiers du tabac pour locataires
;i) La rjjo Saiiit-Nirolas-d'Anlin fait, aujourd'hui iiarlie
de la rue de Provence.
RUE SAINT-LAZARE 397
une trentaine d'années plus tard. La contenance
était alors de 1787 toises. Mais M. Lecoq tenait
h lui-môme sur un point, et il avait, en outre,
des maraîchers pour fermiers dans beaucoup du
terrain qui sé|)arait les rues de Clicliy et du Rocher,
alors deux chemins. L'encoignure de la chaussée
d'Antin, autrement dite Gaillon, où se trouvait le
bureau des droits d'entrée, dépendait de la ferme
de l'Hôtel-Dieu, et 3L Louis avait un marais à
l'autre angle, occupé dans la suite par le cardinal
Fesch. On disait la messe au château, dans une
chapelle, publique les jours de fêle. L'étendue
actuelle de la rue Saint-Lazare se rattachait à
trois paroisses différentes : celle de Montniartre
prenait le côté droit jusqu'à l'avenue de Clichy;
tout ce qui faisait face ressortissait à Saint-
Eustache; la Madeleine embrassait tout le reste
sur les deux rives de la rue, peuplée en général
de jardiniers, de plâtriers et de bourreliers.
Quand le conventionnel Lacroix demeurait en ce
château du Coq, une inscription sur marbre noir
dominait encore la porte :
Cjôtcl (îToq, I3i0.
A cela près, l'hôtel a conservé, mais uniquement
à l'extérieur, son aspect du siècle dernier (n" 99) .
Tout fait craindre malheureusement sa démolition
prochaine.
M'est avis que l'abbesse, dame de Montmartre,
avait eu dans ce château le chef-lieu de sa
seigneurie des Petits-Porchcrons, comme les cha-
noines de Sainte-Opportune avaient féodalement
siégé aux Grands-Porcherons, b l'extrémité de
nôtre rue. Il n'y eut pas toujours communauté
d'audiences pour les justices féodales de Montmarti-e,
de Clignancourt, des Petils-Porcherons et du Fort-
aux-Dames, bien que ces tîefs se trouvassent entre les
S98 RUE SAINT- LAZARE.
mêmes mains seigneurinles. Quelquefois, qui plus
est, l'abbcsse ne dédaigna pas d'ajouter à sou titre
de dame desdits lieux celui de dame de Coq. Les
Porcherons ayant deux seigneuries, l'une siégeait
aux Grands, l'autre aux Petits; mais leurs circons-
criptions s'engageaient l'une dans l'autre sur
toute l'étendue du territoire qu'elles se partageaient
en s'y serrant de près. Haute et puissante princesse
M""" Francoise-Rénée de Loi"rain(\ abbesse de Mont-
martre, est qualifiée dame dudit Montmartre, de
Clignancourt, des Porcherons, du Fort-aux-Dames,
de Coq et autres lieux, dans un état des comptes
que son receveur, l'avocat Thomas Harville. lui rend
de la recette des cens, surcens et rentes seigneuriales
pendant 18 années à partir du l" janvier I600.
On y voit figurer, pour l'année 1663, Gille
Boilean, commis au greffe du parlement, en raison
de bon nombre de quartiers de terre et d'une
maison de campagne à Clignancourt, attenante à
celle du seigneur de l'endroit, entre la grand'rue
et le chemin conduisant de Lachapelle Saint-Denis
à Saint-Ouen. Or le poète de la raison, né dans
une maison de la rue Boileau qui se voit encore (1),
n'a-t-il pas eu pour père Gille Boileau, gretlier
de la grand'chambre au parlement ? Nous recon-
naissons aussi parmi les tributaires qu'eut l'abbaye,
vers le même temps, deux autres parents d'hommes
célèbres: Jehan Androuet du Cerceau, architecte
du roi, pour un arpent et demi de terre à Mont-
martre, chemin de la Cure ou de la Cuve, à
l'image des Trois-Coins (1641); Michel Pigalle,
laboureur, demeurant à Lachapelle-Saint-Denis,
pour un arpent de terre à Clignancourt, chemin
des Poissonniers (1648).
(l) Près de l'ancien hôtel du premier président du
parlement, maintenant la préfecture de Police.
RUE SAINT-LAZARE. 309
A cette époque-l;i un chemin indivis menait
du Roule à Saint-Lazare; la rue que vous voyez
s'est dégagée du chemin, corps d'une longueur
démesurée où elle tenait la place du ventre. Cette
rue n'a pas absorbé, comme simple aliment, tout
ce qui lui a fait une vie, d'abord partagée, en-
'suite propre; il s'est l'orme en elle, faute de
créature i'i son image, une portée de renseigne-
ments historiques, et elle met bas. Quelques petits
manqueraient à la ventrée si nous jetions h l'eau
les notes qui suivent :
157f<. — L'abbé et le couvent de la Victoire ont un
petit bien de campagne, attenant en quelque chose à la
maison des Petits-Porcherons.
1581. — Jacques Cadet, Jean Bouciult et Jean Saulnicr,
maîtres-jardiniers, sont simultanément propriétaires de
marais qui se suivent au lieu dit Chantereine, terroir des
Porcherons, sur le grand chemin du Roule-à-Saint-
Lazare.
1660. — Pierre Baudin, jardinier, laisse au même
endroit des maisons et des marais à Jacques Moreau,
laboureur, et à sa femme, Claude Baudin, ainsi qu'à
Noël et Louis Moynet, jardiniers, fils d'Anne Baudin.
1685. — Dame Marguerite de Barentin, veuve d'Urbain
de Lava], marquis de Boisdauphin et de Sablé, a deux
arpens de marais au lieu dit les Saussayes. faisant le
coin du chemin qui conduit de la ferme de THôtel-Dieu
à la porte Gaillon. Son auteur est Achille Barentin,
conseiller au parlement. Elle tient d'un côté à Jacques
Beudon et par-derriôre à Guillaume Boucher.
1721. — Anne Chatenolle, veuve di Nicolas Boucher,
maître de pension, habite aux Porcherons, grande rue,
une maisoB dont elle e?t propriétaire avec François
Vignon, maître-peintre, et Di'e Marie Boucher, sa femme.
1722. — Très-illustre et très-vertueuso dame M"'e Mar-
guerite de Rochechouart est abbesse de l'abbaye royale
400 RUE SAINT-LAZARE.
de Notre-Dame de Montmartre ; Thérèse Pollot, prieure ;
Marie BoUet, prieure du cl'ùtre; Augélique Levavre,
célerière; Mane-Madoleine Enocq, secrétaire du cha-
pitre: Louise Hinart, portière; Marie Anne Parisou,
dépositaire; Marie-Bonne Duooycr, boursière; Marcel
Venant, greffier et tabellion de la Précodé, haute moyenne
et basse Justice ds Montmarire, CUtinancourt et lieux dé'
pendants.
1792. — Le conventionnel Brissot losc rue Lazare.
Rue Moiitiuartre. (i)
Fastes de la Propriété foncière en cette Rue.
La première porte de la ville qui chevauclia
sur la rue Montmartre n'était qu'ù la hauteur du
11" 15 d'à-présent; elle tomba vers l'au 1380, et
Paris s'étendit jusqu'il l'impasse Saint-Claude (i2).
La porte qu'on jeta bas en 1700 était située près
de i'emphicement de la galerie qui communique
au passage des Panoramas.
A cette dernière date, Philii.pe de Laporte était
propriétaire du n" 15 précité, et il y eut pour
successeur Anjorrant, conseiller au parlement,
puis André Duibur, seigneur de la Noble-Maison
de laNau, gendre d'Anjorrant. Cette propriété avait
fait corps avec l'hôtei Lambesc, ouvrant égale-
ment rue du Jour et rue Plàtrière, maintenant
Jean-Jacques-Rousscau, et qui avait appartenu au
bourgeois Martin Bellet en 1581, à Jean du Trem-
blay en 1574 : trois ans après y était né François
]jeclerc du Tremblay, qui commen(,'a par servir
dans l'armée avec distinction, se lit ensuite ca-
pucin et devint le bras droit du cardinal de
Richelieu sous ce nom, le père Joseph. La famille
Anjorrant. un demi-siècle après, avait M""' Lépinot
pour voisine au n" 13.
Du temps de cette dame, M. Le Pileur de
(1) Notice écrile en 18(51. L'ancien hôtel d'LIzi^s n'a
fait place, rue Moniraarlre, à une nouvelle rue qu'eu
18;0.
(2) Au Jieu de Saint-Claude, c'est maintenant Saint-
Sauveur.
40i RUE MONTMARTRE.
Brévaiincs vendait à Wiltersheim, son créancier,
une portion de Thôlel de Brévannes, dit aussi de
Quatremer, sis de l'autre côté de la rue, et dont la
principale entrée est encore rue Tiquetonne. Le
notaire Momet tenait la maison conliguë de Gai-
pin, trésorier de France; celui-ci avait succédé
à l'avocat Desretz, cessionnaire de Chambon,
commissaire au Cliàlelet, qui avait l'ait bâtir, après
s'être rendu adjudicataire, le 13 août 1533, d'un
tronçon de l'ancien mur de ville. La communauté
des Fripiers, dont les statuts remontaient pareille-
ment au règne de François V'\ avec confirmation
de Louis XIV, disposait du 68, où elle tenait son
bureau; M. de Valcouit, du 3o. Les banquiers
Mallet père et tils étaient établis au 45 ou au 47.
Presque en lace de la rue de la Jussienne, sous
le règne de Louis XIV, grande propriété à la
tamille de ïourville : en disposa indubitablement
le célèbre marin, lils du maréchal-de-camp César
de Tourville. La seconde porte venant après é^ait
celle de l'hôtel Charost, qui passa à M. de Crécy :
un membre de la famille Bethune-Charost, cette
branche de Sully, avait légué au roi 2,500 manus-
crits, une bibliothèque et un musée en 1655.
Puis deux maisons à M. de Laubie. Au second angle
de la rue de Cléry, Gilles du Caroy, maître-d'hôtel du
grand-maître de la maison du roi, était propriétaire
tant en son nom que comme tuteur de Jean du Caroy,
fourrier du corps de la duchesse de Bourgogne,
iils mineur dudit Gilles et de Catherine Gouin, sa
femme. Item, pour la maison attenante. Les deux
suivantes appartenaient : l'une à Antoinette Mouil-
lard, veuve de Charles Dubois, maître-queux du
commun du roi, écuyer-tranchant de la duchesse
d'Enghien, et à Angélique Dubois, leur fille, veuve
de Roydot, capitaine au régiment de Vivarais;
l'autre à Penon, secrétaire du roi.
Du côté opposé, propriété à M. d'Herbecourt,
RUE MONTMARTRE. 403
entre la rue des Vieux-Augustins et le cul-de-sac
Saint-Claude. Sandrin, Brûlé, Casamajoi-, Bovin,
Geoffroi: à ces noms répondaient les maisons sises
de la rue des Fossés-Montmartre (i) ii celle du
Mail.
Dans la nôtre se trouve alors, à l'image de la
Grosse-Tête, un bureau de charrettes, c'est-à-dire
de roulage, pour la Normandie. Une annonce du
temps dit aussi : « Le sieur Cadet, machiniste,
demeure rue Montmartre ; on pourra savoir de
ses nouvelles à la porte Dauphine. »
M. de Saint-Contest habita, sous le règne sui-
vant, le 128 ou l'un des numéros suivants ; il y
entretenait des relations avec M"* de Montansier,
plus de quinze ans avant que cette directrice d'une
troupe d'acteurs de province ouvrît ;i Paris le
théùlre qui a porté son nom. Un des comédiens
de la troupe était fils de l'associé de la Montan-
sier; comme elle lui voulait du bien, il portait
de plus riches habits que M. de Saint-Contest,
qui en faisait les frais. Au reste, la directrice a
épousé son pensionnaire qui, contrairement aux
habitudes reçues, adopta le surnom de sa femme,
née Brunet, pour ne plus s'appeler Bourdon-Neuville
que par-devant notaire.
L'appartement occupé au 130 par Strauss, chef-
d'orchestre des bals de la cour, a été celui de Paësiello,
le compositeur italien, ious le Consulat. Le marquis
de Breuil a demeuré, mais un quart de siècle
plus tôt, au second coin de la rue des Jeûneurs.
MM. Rabuteau, de Chalabre et Fanon, M""' Rousseau
et M. Guichard ont été également propriétaires
entre ladite rue et le boulevard, avant la révolu-
tion de 89. Sur l'autre ligne se suivaient au même
temps les héritiers Larticle, M. et M"'' Cointry,
(1) Maintenant Aboukir.
404 RUE MONTMARTRE.
Richard, Maréchal, Gahold, Nogent, la succession
Forgct, Salgsalt, Jacquet, Gluchavd, l'Hôtel-Dieu,
Mouchard, Caponelle, Eiiguelard, Derbois, Boutron,
Jourdain, Dumas, M'"" .Dunais, Brayanl;, Baudon
d'Anaucourt. \o pelit Rohmd el Duval, depuis la
rue du Mail jusqu'à la rue Notre-Dame-des-Vic-
loires, et Baudon d'Anaucourt n'y avait pas moins de
trois maisons. Dans celle du jeune Roland griffonnait
le secrétariat de Roland, président des requêtes.
Les messagerii's royales avaient dès-lors pour
avenue le cul-de-sac Saint-Pierre.
L'hôtel dont les Montmorency restèrent les
parrains plus longtemps que les Duras, n'a en-
tièrement pei'du que son jardin, puisqu'on en
l'econnaît des bâtiments, convertis en propriétés
de revenu, près du passage des Panoramas. Las-
sui ance en avait dessiné l'édihce principal en 1704,
et la grande porte en faisait face à la rue de
Montmorency. La mesure de cette propriété nous
est donnée par les galeries du passage. On a
élevé le théâtre des Variétés en 1807 sur le jardin
de l'hôtel, qui sur le boulevard disait terrasse.
Mais il y avait déjà des locataires du côté des
l'ues sur la tin de l'ancien régime.
Au n" 155 M. Lenoir-Dubreuil laissait voir ses
tableaux des écoles tlamande et française, dans trois
j)ièces, sur le derrière. Le 158 l'emportait de plus
d'une année sur le 160 : Sébastien de Prépeaux, am-
bassadeur du prince de Spire, avait été propriétaire,
sous Louis XV, de celle des deux maisons^ déjà
bâtie et du terrain de l'autre. L'hôtel D'Uzès, au
172, n'a eu Ledoux que pour restaurateur. Il
portait dès l'année 1739 ce nom, qui lui venait
d'un philanthrope; mais il avait été d'abord la
résidence du marquis de Lhospital, gouverneur de
Toul, mort sans postérité en 1702, à qui sa
veuve avait érigé un monument aux Petits Pères.
Les porteurs d'eau de la fontaine voisine, dont la
RUE MONTMARTRE. 405
Ville vient de supprimer le robinet, ont fait
célébrer dans ladite église, le 17 novembre 1766, une
messe de convalescence, après une maladie du duc
d'Uzès : ils n'auraient, certes, plus la même at-
tention pour M. le préfet de la Seine. La confis-
cation a singulièrement facilité l'installation de
l'administration des Domaines-Nationaux dans cet
bùtel, h l'époque où la rue s'appelait légalement
Mont-Marat, comme les buttes Montmartre : on
y vendait à la criée les autres propriétés qui
avaient tait retour à l'Etat. La Douane a occupé
le même inmeuble, avant les acquéreurs qui ont
le bon goût de s'en montrer les conservateurs et
qui sont MM. Delessert, grands industriels et
banquiers, au nombre desquels toutefois a figuré un
préfet de police et figure un littérateur.
Avant le boulevard, deux autres propriétés sont
sœurs jumelles; un bazar se fait jour derrière
leur façade. Langlois, intendant des finances, a
bâti là, sur un des nombreux lots adjugés parla
Ville à Derbais, son beau-père, ce qu'on appelait
l'hôtel Genlis avant 1ère républicaine. Le jardin
.s'en étendait jusqu'à la rue Saint-Fiacre. M. Lbuil-
lier, contemporain du marquis de Breuil, a été
le propriétaire de cette maison, qui a compté
parmi ses locataires M, de Laborde, ancien fermier-
général, et le président Delhaye, avant M. de
Laborde.
26
Rue Moiiffetar«l
et Avenue des Gobelins. (i)
L'une des Odeurs de Paris, — Les Eglises. —
Le Pont-aux-Tripes. — Les deuos Bourgs. —
Les Boucheries. — Les Enseignes. — Le royal
Séjour — Les Patriarches — Les Dames-de-
la- Miséricorde. — Les Canaye. — L'Enlève-
ment. — Les Corps-de-Garde. — Les Fabri-
ques. — La AI anu facture des Gobelins. — Les
Cabaretiers et les Brasseurs. — Autres Ha-
bitants ou Propriétaires.
Qui devinerait que les savants officiels font
dériver le mot Mouffetard de Mons Cetarius ? De
traduction en corruption, le mont Cétard aurait
fait, à leur sens, apjteler Mouffetard un chemin
qui le traversait en dehors de l'enceinte de Philippe-
Augfuste, et où s'élevait l'église Saint-Marcel. A
ce compte, la Bièvre, les tanneries et les dépôts
de gadoue n'auraient exhalé que postérieurement
le long de ce chemin l'odeur désagréable et per-
nicieuse qui a fait dire: quelle mouffette, quelle
mofette ! Les tanneurs et les gadouards, ces
prédécesseurs des compagnies Domange et Richer,
(1) Notice écrite en 1861. La rue Mouffetard n'était
pas encore aux prises avec le monstre de la démolition
forcée. Aujourd'hui cette rue îinit à la hauteur de l'église
Saint-Médard, où l'élargissement de la rue Censier, le
prolongement de la rue des Feuillantines et de la rue
de l'Abbé-Je-l'Epée et la nouvelle rue Monge se sont
fait jour. La nouvelle avenue des Gobelins absorbe
tout le reste de la rue Mouffetard, où elle n'a laissé
debout, pour se les appliquer, que la manufacture des
Gobelins et quelques maisons venant ensuite.
RUE MOUFFETARD, ETC. 407
ne sont-ils pas en cela les parrains de la rue ?
Sa population toujours croissante l'a assainie, au
cœur du faubourg Saint-Marceau, sans qu'il y ait
encore moyen de prendre ses odeurs particulières
pour des parfums.
L'église, bâtie au xi"^ siècle sur les ruines d'une
chapelle attenante au cimetière de l'évêché de
Paris, avait été le lieu de sépulture de l'évêque
saint Marcel, mort en l'an 436, dont la châsse, à
l'époque des incursions normandes, avait été
portée k l'église métropolitaine. L'évêque de Paris
était le seigneur temporel du bourg de Saint-
Marcel, comme aussi de bien d'autres tiefs et
d'une bonne portion de la Cité ; il avait sous sa
dépendance directe les églises collégiales de
Saint-Marcel, de Sainte-Opportune et de Saint-
Honoré, qui étaient dites les Filles de l'Évêque,
tandis que les églises Saint-Merri, du Saint-
Sépulcre, Saint-Benoît et Saint-Etienne-des-Grès,
comme relevant du chapitre métropolitain, étaient
Filles de Notre-Dame. Aussi bien les chanoines
de Saint-Marcel exerçaient dans le bourg une
juridiction qui empiétait sur le faubourg Saint-
Jacques et sur la montagne Saint-Hilairc, dont
l'église voyait sa cure à la nomination audit chapitre.
Leur justice capitulaire se rattacha ii celle du
Ghàtelet en 1674; mais Colonne Dulac obtint, en
1725, que le chapitre conservât haute justice dans
toute l'étendue du cloître, où avaient séjourné
plusieurs évèques de Paris, et moyenne justice
dans toute la seigneurie. Le bailliage, dont les
audiences ne se tenaient pas â jour tixe, était
près de la collégiale, et par conséquent dans le
cloître, duquel dépendaient et l'église Saint-Martin,
sise place de la Collégiale (i), et le marché aux
(1) De cette place sort une nouvelle rue qui s'appelle
de même.
408 RUE MOUFFETARD
Chevaux. Le séminaire de Saint-Marcel, établi par
Sanciergues, diacre, avec la permission de M. de
Harlay, archevêque de Paris, confirmeeparM.de
Noailles, recevait des jeunes gens se destinant îi
la prêtrise, mais sortant des collèges et qui payaient
pension. L'église, supprimée par la Révolution
et convertie en maison particulière au commen-
cement de l'Empire, faisait face rue MoulTetard ;»
la rue Pierre-Assis (i) : on en revoit des lron(;ons de
colonnes exposés dans la cour du palais des
Beaux-Arts. Le nom de cette église est gardé par
une rue, parallèle à une autre rue qui rappelle
Pierre Lombard, le maUre des sentences, enterré
au milieu du chœur en l'année M64.
La rue Saint-Hippolyte (2), qui donne rue Pierre-
Assis, mais qui a fait coude pour donner aussi rue
Mouffetard, consacre pareillement le souvenir d'une
église : celle-là édifiée en 1158, et dont les bâti-
ments furent aliénés en 1793.
Quant au bourg Saint-Médard, il faisait trait-
d'union entre le bourg Saint-Marcel et la ville. Le
territoire de ces deux anciens bourgs était encore
distinct sous le règne de Louis XY, en ce que la
rue Mouffetard prenait la dénomination de rue du
Faubourg-Saint-Marcel au Pont-aux-Tripes. On
appela Pont-aux-Tripes, et aussi Pont-aux-Biches,
l'emplacement compris entre les rues Censier et
du Fer-à-Moulin, ainsi qu'une ruelle y débouchant.
Ce nom provenait évidemment d'un petit pont à
cheval sur la Bièvre. Le plan de 1714 marquait
précisément une boucherie en cet endroit; toute-
(1) Complètement absorbée par le percement des boule-
vards Arago et de Port- Royal.
(2) La rue Saint-Hippolyte n'est supprimée par la forma-
tion du boulevard Arago qu'entre les rues Pierre-Assis
et Pascal.
ET AVENUE DES GOBELINS. 409
l'ois six autres étaux avaient été placés, un demi-
siècle auparavant, moins près de la rue d'Orléans (i)
(]ue de la rue de l'Epée-de-Bois, et la boucherie
dite des Carneaux aliénait h une maison à l'enseigne
de l'Empereur-Charles, Carolus-Impcrator, dont le
jardin donnait rue des Postes (^2).
De beaux hôtels et jusqu'à des palais avaient fait
contrasle avec les maisons pauvres de l'un et de
l'autre bourg. Le séjour d'une reine Blanche,
•jui n'était pourtant pas la mère de saint Louis ;
un superbe logis d'Orléans, l'hôlel Scipion et l'hôtel
de Clamart laissent encore des souvenirs et des
traces de splendeur au quartier le plus misérable
de lagrand'ville, dernier refuge de la cour des
Miracles.
Les enseignes, ce livre dans lequel chaque maison
eut son alinéa et qui se tira à tant d'éditions,
restent maintenant un ouvrage incomplet. Ce qu'il y
manque de pages fait peine à voir quand on pense
que l'esprit français y a revêtu à coup sûr sa
forme la plus populaire. Oh ! s'il était possible
d'en retrouver un exemplaire complet, de n'importe
quelle année, combien de. grands et petits em-
ployés, dans les bibliothèques publiques, brûleraient
de l'accaparer, pour s'en servir avant tout le
monde! Pas un sujet traité par le ciseau, en saillie
ou en creux; pas une peinture sur le bois ou la
tôle, plaquée contre le mur, arborée ou pendue,
tixe ou se brimbalant au vent, pas une légende
entin qui n'eût sa raison d'être, toujours sautant
aux yeux, ou son secret, curieux à pénétrer !
Aussi ne regardons-nous pas comme un oiseux
rappel d'évoquer les enseignes que la rue Mouffelard
brandissait au milieu du siècle XVIP:
(l)La lue d'Orléans-Saint-Marcel a passé DanbiMiton.
(i) Maintenant Lhomond.
410 RUE MOUFFETARD
Le Tabac-Fleury. — La Véronique. — Les Trois-
Torches. — Les Trois-Saulcières. — Le Renard-Bardé —
Les Rats Gouleux. — Les Quinze-Vingts. — Les Quatre-
Fils-Emond. — Les Quatre-Evangélisles. — Les Quatre-
Termes. — Les Trois-Pucelles. — La Petite-Arbalète. —
Le Porc-Épi. — Les Trois-Poissous. — Le Grand-Saint-
Joseph. — Le Pont-aux-Tripes. — La Pomme-de-Pin. —
Le Pot-d'Etain. — Les Trois-Pigeons — La Ville-de-
Palay. — Le Pnits-Rouge-Virgiual. — Le Petit-Paradis. —
I.e Poing-d'Or-el-la-Main-d'Argent. — La Pantoufle. — Le
Petit-Monde. — Le Petit-Trou. — La Pie. — Le Pied-de-
Biche. -~ Le Plat-d'Argent. — Le Plat-d'Etain. — Les
Pastoureaux. — Les Patriarches. — Le Paradis-Terrestre.
— La Mère-Dieu. — La Lune- — Les Lunettes. — Le Loup.
— La Levrette. — L'Escouvette. — Le Jardin-Saint-Jean.
— Jardin-la-Villette. — L'Image-Saint-Marcel-et-Sainte-
Geneviefve. — La Patère. — L'Image-Saint-Etienne et-
Saint-Marccl. — La Hure-de-Sanglier. — L'Hôtel-du-
Renard. ---Le Heaume.— Le Bon-Haran. — Les Trois-
Haches. — Le Gay. — La Grosse-Armée. — La Gibecière.
Le Moulin. — La Chaire-SaintPierre. — Le Faucheur. —
L'Escu-de-Milan. — L'Escu-d'Orléans. — L'Escu-de-
France. — La Souris. -- L'Escu-d'Escosse. — L'Escu-de-
Bretagne. — LesTrois Déesses. — Le Chàteau-Saint-Ange.
— La Croix-de-Jérusalem. — La Croix-Blanche. — Le
Cœur-Royal. — Cour-d'Albiac. — Saint-Cosme-et-Saint-
Dami°n. — Les Trois-Coulombes. — Le Cygne-de-la-
Croix. — Le Castor-Blanc. — Le Cavalier-François. —
Cbàteau-Landon. — Le Chapcau-Rouge. — Le Chaudron.
• — Le Chevalier-au-Cygne. — Les Armes-de-la-Ville. —
Les Deux-Anges. — L'Arbalètre. — L'Arbre-de-Vie. —
L'Afjnus-Dci. — Les Trois-Barbeaux. — Sainte-Bénigne. —
LaBcrgerie. — LaBoniic Eau. — La Cage.— La Callebassc.
— Le Carolus. — Les Carneaux. — Le Chat-qui-Dort.
Le cai'dinal Berlrand de Chaiiac, patriarche de
Jérusalem, puis Guillaume de Cliauac, eurent au
XIV'' siècle dans la rue Moull'etaid un hôtel, avec
des maisons groupées autour; une portion de celle
ET AVENUE DES GOBELINS. 411
vaste propriété, notamment une maison dite du
Patriarche, passa au collège de Chanac, fondation
due à cette famille. Les écoliers bénéficiaires
n'habitèrent pourtant pas la rue. L'ancien hôtel
Chanac restait celui des Patriarches; il fut au
siècle suivant saisi réellement par les seigneurs
abbé et religieux de Sainte-Geneviève sur Jean de
Grémans, patriarche d'Alexandrie, lequel y avait
succède à Jean Favier. Thibaut Ganaye, teinturier
comme Jean Gobelin, acquit de l'abbaye Sainte-
Geneviève le manoir du Patriai'che, que Jean Ganaye
laissa ensuite à François Ganaye, puis François
à un maître des comptes du même nom que son
prédécesseur.
Non-seulement cette famille entra dans la Réforme,
mais encore un des corps de bâtiment de sa
maison devint, au commencement des guerres de
religion, l'une des écuries de la vache à
Colas, ijw ministre calviniste y prêchait, en l'année
1561, et le prêche fut inlerronqîu par un carillon
si bruyant que la voix de Stentor en eût été
couverte : cette contre-protestation, qui soudain
imposait silence aux disciples de Calvin, descen-
dait avec un fracas inusité du clocher de l'église
voisine. Aucun -sonneur n'avait encore lancé à de
pareilles volées les cloches de Saint-Médard. Les
religionnaires de croire que le curé et bon nombre
de paroissiens prêtaient main-forte h ce carillon-
neur. Mais ils se ruèrent dans l'église presque
vide, et une résistance trop faible ne s'opposa
qu'en pure perte aux dévastations sacrilèges dont
ils se rendirent coupables. Avant peu justice en
l'ut faite itar des représailles rigoureuses: quel-
ques-uns des violateurs furent pendus vis-à-vis de
l'église, et leurs biens employés ii la réparation
du dommage matériel. De plus, le connétable lit
raser le corps de logis où le prêche s'était tenu,
41-^ RUE MOUFFETARl)
et une procession à Saint-Médardllit ordonnée trois
mois après, cérémonie expiatoire.
Philippe de Canaye, sieur de Fresnes, avait été
élevé dans le calvinisme; il se convertit au catho-
licisme et devint ambassadeur, sous Henri IV,
après avoir été conceiller d'Etat sous le règne
précédent. Les six corps de logis, le grand jardin
et les dépendances de l'ancien séjour des Patriarches
appartenaient en 1660 h Jacques de Canaye, en
1698 à Etienne de Canaye et en 1761 h son
homonyme, prêtre, académicien-vétéran. Mais le
maréchal de Biron, sous Louis XVI, était pro-
priétaire de cette maison à grande cour, oli il y
avait marché le mercredi et le vendredi, et qui
est demeurée marché des Patriarches, avec deux
ouvertures sur la rue Mouftétard, du côté dos
chilTres impairs. En regard d'une de ces deux portes
est le passage des Postes, où se prolonge ledit
marché (i).
Plus bas, les lilles de la Miséricorde-de-Jésus
desservaient uu hospice destiné à leur sexe: lei":
communauté, instituée ;\ Gentilly en 1652, avait
été transférée à Paris l'année suivante. A la mort
du poète Scarron, sa veuve se retira pour quelque
temps dans cet établissement religieux et hospitalier,
en qualité de pensionnaire. Quand M. d'Argenson,
lieutenanl-de-police, procéda à l'agrandissement
des bâtiments de la Miséricorde, n'était-ce pas en vue
de taire sa cour ù M""^ de Maintenon ? On dit
pourtant que cette attention du magistrat visait à
racheter une faute, en payant comme la ramjon
d'une jolie novice, transfuge de fraîche date, (|ui
(1) Le Marctié-des-Patriarcties est conservé, mais
complètement dépnçré i>af suite de l'ouverture de la rue
Monge et de l'élargissement de la rue Daubenlon
(d'Orléans).
ET AVENUE DES GOBELINS. 413
l'emplarail M""^ de Tencia clans les affections de
M. d'Argenson.
De telles transactions ne révoltent pas moins
les fanatiques de la liberté individuelle que les
puristes du sentiment religieux ; mais elles n'avaient
lieu çà et là qu'à l'époque où la vie des femmes
était un combat incessant entre l'amour de Dieu
et l'autre amour, une alternative continuelle d'as-
pirations contraires, mais inégales, car-Dieu l'empor-
tait tôt et tard. A.rrivait-il que le devoir se
sacrifiât à la passion, et qu'une jeune fille, destinée
au mariage ou à la profession religieuse, quittât
furtivement la supérieure pour un amant? on
disait que la ru«e triomphait de l'innocence, et la
force de la faiblesse. Mais les enlèvements au
couvent étaient plus difficiles à opérer qu'au sein
de la famille, à moins que la victime et son exécré
ravisseur ne fussent de complicité. Que de fois la
novice ou la jeune pensionnaire, qui avait hésité,
qui avait eu grand'peine à s'affranchir de toutes
les entraves, en s'échappa nt des grilles d'une
(communauté, se sépara plus tard du monde avec
beaucoup moins de regrets, en ne prenant conseil
que d'elle-même, pour enfermer des remords, des
chagrins éternels sous les verrous d'un cloître plus
austère ! Presque toutes les femmes marquantes
du grand siècle, après avoir pu comparer les
désillusions précoces de l'amour aux déceptions
mûries du mariage, i-enoncèrent au monde, elles
aussi, elles surtout, beaucoup avant l'heure suprême :
plus de la moitié de leurs vies se passa en
moyenne au couvent.
De nos jours, le bal du Vieux-Chêne réunit la
jeunesse dansante d'alentour au n" (39, qui appar-
tenait aux dames de la Miséricorde. Mais beaucoup
de leur territoire a été englobé par la caserne
Mouffetard, bâtie sous la Restauration.
Un poste de gaides-franraises veillait en 1714
414 RUE MOUFFETARD
entre la rue Copeau (n et celle d'Ablon, présen-
tement Neuve-Saint-Médarcl. Une Compagnie de
fusiliers de la même garde se troâvait casernée
ensuite du côté opposé à l'église Saint-Marcel et
quelque peu au-delà; cette compagnie occupa,
soit avant, soit après, le n" 86. dont un collège
lut propriétaire. Une maison à l'image de la Fleur-
de-Lys, puis de Sainl-Piorre, apparienait en 1760 à
Bardon, menuisier, dix ans plus tard au bouri^eois
Thibault, en 1770 à Meunier, menuisier, et en 1787
au tapissier Mala: vous la revoyez n" 195. Un
corps-de-garde de pompiers, peu distant de l'im-
passe d'Andrelas (t2), était sous le môme toit qu'une
manutacture de bonneterie, au moment de la
Révolution.
D'autres fabriques s'échelonnaient sur le parcours
de cette rue ouvrière. Moineiy, manufacturier en
drap et teinturier, prédécesseur de Vérité, avait
été établi par arrêt du conseil, en date du 12
septembre 177o, dans une ancienne geôle restant
d'un grand logis de la reine Blanche. La cour
avait abandonne tout-à-coup le royal séjour, à
cause d'un incendie qui avait éclaté au milieu
d'une fête qu'on y donnait au jeune Charles VI.
Et le moyen de ne pas garder s(>uvenance d'un
tel sinistre ! Il avait coûté la vie à plus- d'un
seigneur et jeté dans la raison du prince les premiers
troubles.
Lorsque ce château florissait, l'industrie subur-
baine avait dû se ressentir, aux alentours, de la
dérivation de la Bièvrc, opérée au profit de l'abbaye
Saint-Victor : de cette petite rivière la rue de
Bièvre marque pour nous l'ancienne embouchure.
(1) La rue Copeui osl dev niic Lacopcde.
(2) Impasse enliùremeiit eiiipnriéc par la nouvelie
aveuue des Gob'elins.
ET AVENUE DES GOBELINS. 415
Un moulin, indiqué plus tard auprès du Pont-
aux-Tripes, était ancien sans doute et avait été mû
par l'eau de la Bièvre.
Jean Gobelin doit avoir fondé la célèbre manu-
facture, déjà florissante en l'année 14o0, dans
une maison que deux gros lions décorent, qui fut
ensuite un cabaret de marque, et où se fabri-
quèrent postérieurement des mouchoirs de couleur,
le n" 186. Un peu plus haut, dans le principe,
était la Folie-Gobelin, qu'occupe encore la grr.ndc
manufacture. La célèbre famille de ce nom avait
sa sépulture h l'église Saint-Hippolyte. On sait que
l'érection de l'établissement en manufacture royale
date de Colbert, qui en confia la direction à
l'illustre peintre Lebrun. Jean Gluck, directeur des
Gobelins, acheta la propriété en 1667. Lefeuvre,
qui était chef des ateliers de haute-lisse, contribua
pour une forte part au perfectionnement du travail ;
son exemple fut suivi par Jean Liansen, natif de
Bruges, et par Laurent, qui le secondèrent. Pierre
était directeur des Gobelins sous Louis XVI, et
alors Lenfant et Juliard, peintres du roi, y travail-
laient k demeure.
Le pourtour de l'établissement, à cette époque,
était encore lieu de franchise pour les ouvriers
sans maîtrise. La rue du Faubourg-Saint-Marcel,
dont la seconde moitié avait aussi porté la déno-
mination de rue des Gobelins, commen(;ait à
s'appeler Mouffetard tout de son long. Ce qui
n'empêchait pas la rue Gautier-Renaud, qui faisait
suite, en commençant au coin de la rue Croule-
barbe, de conserver encore sa désignation primitive.
Qui se douterait aujourd'hui que ce quartier des
Gobelins fut une courtille, un groupe de cabarets
en réputation, où les exhalaiï^ons de la lèche-IVite
couvraient celles de la tannerie? On y moulait
pour godailler; la descente n'avait donc jamais lieu
en bon ordre. Le fauboui-g Saint-M;u"cel avait sa
41G RUE M OUF FETARD
Pomine-de-Piii, Limeux beuclion, à l'anglp de la
rue Coiitrcscarpi! (i), el sou Sabot, (|ne IVéqueiUait
Ronsard, avaiil qu'un camp de la jj:oinlVerie plantai
de plus nombreusi's lentes au-delà du Pont-aux-
Tripes Le vin et la bière y coulaient à Ilots,
ainsi que pour cimenler, cwlvo. i)apistes ethuj^uenots,
un accord dont TBdit de Nantes n'avait (piejeté
les londements. Comme aussi Frany.ois Colietet
aimait à passer ce pont-là!
« Entia voici les Gobelius
Où rc.Eîncnt les> ex<'ellens vins
Et les bières délicieuses
Pour les beuveurs et les beuveuses.
Car il est des feiiiTnes aussi
Qui vieniieiit s'égiiyer ici ;
Regarde que de lieux à Ivoire,
El comme uti chœur y l'.iil sa gloire
J)e s'enyvrer gaillardement
Et de se saouler Doblement ;
Icy sont petils corps de garde
Pour y rire avec la gaillarde,
Là seul les ijctils lieux d'honneur
Où s'en va tout bourgoois beuveur.
r.es cabarets d'oii l'on ne bouge,
C'est celuy de la Rose-Rouge,
Du Liou d'Or, du Mouton-Blauc,
Du Dauphin, où le vin est fiam.'.
Du Juste, eu Flameiis, Flauieendcs.
Alleraans avec Allemandes
Et plusieurs autres Elraigers'
S'embarquent >ans aucuns dangers:
\ty l'on trouve toutes choses.
Et tout T flaire comme roses,
(1) La rufc Comrescarpc dont nous parlons ici e.>l
devenue la rue Blaiuville à droite de la rue Mouil'etard,
et le prolongement de la rue du Cardinal-Lemoine à-
gauche.
ET AVENUE DES GOliELINS.
417
Les andouilles, les cervelas,
Les poulets et les chapons gras.
Les grillardos et les saucisses.
Dont le palais craint les épiées,
Car mettant le palais en ieu
On ne scaurail boire pour peu.
Cependant, afin de mieux boire
Et de mieux branler la mâchoire,
Moy-mème je m'en vais là-bas
Faire choix di; quelques bons ])Iats ;
Je scay comme Ion s'accomode,
Et quelle est d'icy la métho.le.
Quand le marché d'abord est fait,
, On n'a plus l'esprit inquiet.
Et l'on ne craint plus à sa honte
Que trop haut un écot ne monte.
Boy donc cependant que jiray,
Et bien-tost je retournera^-.
C'est h en faire venir l'eau à la bouche. Les
Folies-Gobelin, ne le voyez-vous pas ? avaient de
quoi inspirer un poëte de cabaret. On .s'y gorgeail
plus tard de bière à la Brasserie-Française, dont
l'enseigne remplaçait les Quatre-Evangélistes, à un
angle de la rue de i'Arbaléte, pour un logis h deux
grands corps, avec jardin: le second angle portait ure
Arbalète. Il parait môme que quand les brocs de
vin et les poêles h frire cessèrent d'être l'attrait
principal à cette barrière de Paris, la bière n'y
fit que plus largement ses orges. Elles moussait
et faisait sauter elle-même ses bouchons près des
Gobelins, en l'année 1724, chez des brasseurs que
vous pouvez compter dans le relevé ci-dessous :
^ ÎDroitc
après la rue de Lourcine :
De risie, avec un tanneur
pour locataire.
^ (fôauclje
après la rue Cerisier :
Veuve Beauchamp, avant la
rue du Fer à-Moulin.
418
RUE MOUFFETARD, ETC
Jubert, bourgeois,aprôs larue
du Petit-Moine (1).
r.évesque, vitrier du roi.
Barre.
Moirensy, amidonnier.
Le cloître Saint-Marcel :
une des maisons de notre
rue qui en dépendent est
louée à un laboureur.
Julienne, teinturier en gran-
de réputation, après la
rue de la Reine-Blanche
Anenne. brasseur.
Dame Foucault.
Veuve Fleury, marcliandej
de vin.
Caffier.
Dame Chanson, chez laquelle
ebt l(j bureau des entrées,
au premier coin de la rue
des Fossés-St-Marcel (-2).
Thérouh, avec un charron
pour locataire.
Dame Bouvier, avec un frui-
tier pour locataire.
Ousseau. ayant pour loca-
taire un hôtelier, après la
rue du Banquier.
Sandrier, avec un jardinier
pour fermier.
Bricard.
Veuve Bessière, terrain ex-
ploité eu carrière.
Les héritiers Hervier, avec
un meunier pour fermier.
Barillier. menuisier.
Bnne de Beauvais, item.
M. M. de l'église Saint-Mar-
cel, ayant un meunier pour
fermier.
Osmont, mégissier, au coin
de la rue Saint-Hippolyle.
Ramet, brasseur, au coin de
la rue Pierre-Assis.
Uzé, brasseur.
Boscour, bourgeois.
Longchamp, ayant pour loca-
taire un brasseur, au coin
de la rue de Bièvre, au-
trement dite des Gobelins,
et vis-à-vis la rue de la
Reine-Blanche.
Lebrun.
Cousin, brasseur.
Les Gobelins, à l'angle de
la rue Croulebarbe.
Rigault, bourgeois.
Ramé, brasseur, avec un
jardinier pour locataire.
Veuve Guedet.
Dubois.
Berda, carrier
Blondeau.
Véron, à l'angle du chemin
du Moulin des-Près (3).
(1) De la rue du Petit-Moine s'est détaché ce qui
s'appelle maintenact, la rue Vésale entre les rues Scipion
et ue la Collégiale.
(•2) Présentement rue Lebrun.
(3) Le chemin du Moulin -des-Près, qui depuis long-
temps ne débouche plus rue Mouffetard, commence à
l'avenue d'Italie pour finir à la rue du Moulin-des-Près.
Rue Dam,
XAnuÉRE
De la Croix-dii-Roule. (i)
Le buis du dimanche des Rameaux s'accrochait,
par toutes petites pahnes, h une croix, dite du
Roule ; \â croix avait d'al)ord servi à reconnaître
une sente bien modeste, n'ayant pas d'autre signa-
ture, qui, une fois i.ubile, se fit rue, et cette
rue, comme bien des jeunes filles, dont la croix
d'or devient gage d'amour, changea de vocation
peu de temps après. On l'appela rue de Milan, en
1796, à cause de la prise de cette ville. Les
mariages au tambour n'étaient alors pas rares
pour les rues de Paris; mais celui-là fut au nombre
des mariages pour lesquels ne s'abrogea pas la loi
du divorce. La campagne d'Ralie finit avec le règne
de l'empt^reur pour cette rue, qui reprit aussitôt
son nom de baptême.
Que de jardins la bordent encore! Il en est
un, dépendant d'une maison de la rue du Fau-
bourg-Saint-Honoré, qui rappelle une mésaventure,
tempérée il est vrai par de gracieuses réminis-
cences, à un auteur dramatique bien connu. Pour
Eugène Scribe,, chaque fois qu'il passe par-là, un
souvenir aigredoux se réveille, qui le reporte au
(1; Notice éc-ite eu 1859. Le comte Daru, ministre du
premier empire et memïjre de J'Tnstitut, est mort trente
ans plutôt. SoQ fils, également littérateur et homme
d'Etat, n'a aucun titre de plus, mais aucun de moins,
à voir son nom sur l'estampille de l'ancienne rue de
la Croix, dans laquelle on ne se souvient d'avoir vu
passer ni l'uu ni l'autre.
420 ' RUE DARU.
temps où il promettait encore plus qu'il ne donnait,
au théâtre comme à la ville.
M"'' Pauline, des Variétés, que M. Rolet, ci-
devant payeur de la garde impéiiale, avait mise
dans celle bonboimière, pralinée sous l'ancien
régime pour les meims-plaisirs d'un autre gourmet,
s'était pourtant montrée sensible aux propos
tendres du jeune auteur. Le livre des amours se
trouvait ainsi tenu en partie double, au coin de
la rue de la Croix ; mais le comptable, ennemi du
report, voulait s'assurer des mécomptes qui figuraient
à son passif, et il usa d'un moyen de comédie
qui réussit toujours, même à la ville. On appelle
au théâtre cet expédient : une lausse sortie. Bref
des chevaux de poste emportent M. Rolet, par un
jour sombre du mois de janvier, comme si c'était
la saison des voyages.
Pauline et le favorisé, qui croient à une absence
de longue haleine, comme leur tendresse récipro-
que, reviennent ensemble du spectacle, projet
caressé dès la veille, et l'actrice sémillante a tout
fait disparaître des traces de son protecteur; un
grand bain y a contribué, la preuve s'en analyserait
encore dans une baignoire, qui reste pleine d'une
eau parfumée. L'alerte est vive, par conséquent,
lorsqu'on entend grincer dans la serrure la clef
du payeur de la garde. L'amant de cœur n'a qu'à
peine le temps de passer dans la salle de bain ;
il s'y plonge dans l'onde refroidie, tout habillé,
en ramenant sur la baignoire le couvercle qui
témoigne ordinairement du vide. Rolet fait donc
de vaines perquisitions, et Pauline le suit de pièce
en pièce, sous prétexte de lui faire un crime de
ses soupçons, mais en laissant derrière le jaloux une
porte entre baillée sur le jardin.
Après de longs moments d'angoisses, l'infortuné
baigneur sort de la cuve, plus glacé qu'elle, et
de ses habits transformés en éponge l'eau qui
NAGUERE DE LA CROIX-DU-ROULE. 421
dégoutte fait un bruit dangereux, mais qu'assourdit
iieureusement une pluie battante au-dehors. Dans
cet équipage de Triton, il ne réussit pas sans
peine à escalader la muraille; seulement, quand
il met pied à terre, une patrouille de gardes
nationaux, qui le prend pour un malfaiteur, se
met en devoir de l'arrêter. Un parfumeur, qui
commande la patrouille, reconnaît par bonheur
l'essence qu'il a vendue h M"' Pauline, et dont
le fugitif exhale des pieds k la tête l'odeur suave :
cette circonstance donne de la vraisemblance h
ses explications confidentielles. Le rival de M. Rolet
en est donc quitte pour une fluxion de poitrine,
qui le force à garder le lit pendant un mois.
Ses émules au théâtre, ses collaborateurs, moins
heureux que lui en général, se fussent assuré-
ment noyés dans cette cuve d'ambroisie !
27
Rue de Sévij^iié,
NAGUÈRE
Culiure-Saiiite-Catlieriiie. (i)
Le Théâtre du Marais. — Ses Acteurs. — La Loge
de la Rue Bourtihourg . — La Charcuterie Bi-
quette.— Les Pompes-Funèbres. — M. d'Orge-
mont. — UHôtel Carnavalet. — Les Pensions. —
Le 52. — Les Filles-Bleues. — il/'"* de Mont-
morency. — Le Connétable de Clisson. — Etc.
De la croix du Roule à ki culture Saint-Catherine,
quelle enjambée! Deux rues les représentent qui
se font antipode sur la carte de Paris, et pourtant
elles se suivent dans Tordre alphabétique. A Paris,
comme en Suisse, on voyage en zig-zag, tant il y
a de stations à faire! Aussi bien le lecteur se
fatiguerait plutôt d'entrer plusieurs fois de suite
dans le même domaine par des rues diflerentes
que d'aller du faubourg du Roule au Marais, ou
de faire le même trajet en sens inverse.
Le théâtre du Marais, dans la construction
duquel furent utilisés des matériaux de la Bastille
et d'une église, probablement celle Saint-Paul,
était n" il, rue Culture-Sainte-Catherine; dans ses
anciennes loges en baignoires sont coulés aujour-
d'hui de véritables bains. Son premier directeur
fut Beaumarchais, qui l'avait bâti, mais qui aurait
encore moins gagné i^i en continuer lui-même l'ex-
(1) Notice écrite en 1859, avant que la rue prît le
nom du plus illustre de ses hôtes.
RUE DE SEVIGNE, NAGUERE, ETC. 423
ploitation qu'à l'alfermer à un entrepreneur de
spectacles, qui ne le paya pas toujours. L'ouverture
en avait eu lieu le l*"' septembre 1791, par la
Métromanie et Y Epreuve nouvelle; la Mère coupable
y fut représentée pour la première fois le 26
juin de l'année suivante. Parmi les acteurs de la
troupe on distinguait Perlet,Gontliier, Baptiste aîné,
qui se révéla surtout dans Robert, chef de brigands ;
mais d'autres ont renoncé aux pompes du théâtre,
pour se faire libraires, journalistes, bibliothécaires,
costumiers. On raconte que, ramené en ville
par la promulgation du concordat, l'ancien arche-
vêque de Paris fut abordé, le premier jour, par
un homme qu'il avait connu enfant de chœur, \m\s
garyon boucher, et qui profltait de la rencontre
pour implorer l'absolution. — Qu'as-tu fait pendant
la Terreur? lui demanda le vieux prélat, en s'at-
tendant à d'atroces confidences. — J'ai abusé du
désordre général, reprit l'autre la tête basse, pour
jouer un peu la comédie dans une salle à M. de
Beaumarchais. — Dieu soit loué! reprit l'archevê-
que, qui lui promit tous les secours spirituels et
lui donna une gratification, excessivement inespérée.
Des acteurs, voulez-vous passer aux spectateurs?
Ils n'étaient pas toujours nombreux, car le théâtre
ferma deux fois, avant qu'un décret impérial le
supprimât, comme dix-sept autres théâtres. Mais
les traditions dramatiques ne manquaient pas dans
ces parages, qui avaient eu, rue Vieille-du-Temple,
une salle de même nom au xvii'' siècle; bien
plus, la' culture Sainte Catherine avait servi d'em-
placement aux représentations des mystères, sous
Charles V et Charles VI. La bourgeoisie et le
commerce d'avant 89 étaient sédentaires, et aujour-
d'hui encore les honnêtes gens qui vont â pied
n'aiment pas à faire une lieue pour se rendre au
spectacle. Les marchands de la rue Bourtibourg
avaient une loge au théâtre du Marais, et je doute
424 RUE DE SEVIGNE, NAGUÈRE
qu'ils l'aient conservée h l'Odéon ou au Gymnase ;
chaque ménage h son tour jouissait des places
de la loge, et le jour du mari n'était pas celui
de sa femme, l'un des deux gardant la boutique.
On y remarquait surtout M"'*' Riquette, charcutière
de l'Hùtel-de-Ville, au nom de laquelle était faite
cette location collective, et elle avait du charme,
de l'esprit ei de bonnes manières, avec un bout
de toilette, jusque dans son comptoir. Sa maison
de commerce, londée sous Louis XIV, est encore
tenue, rue Bourtibourg, par Gillocque, son gendre.
La notoriété attachée à cette charcuterie Riquette
balançait celle de la maison Grimod, point de
départ des La Reynière, avant que Véro et Dodat
couvrissent leurs premiers jambons d'une gelée
lisse et transparente. Depuis, il faut en convenir,
les diverses préparations de la viande de porc
ont bien dégénéré : elles se présentaient à la fois,
sous des formes variées et nombreuses, sur toute
table bien servie ; maintenant, c'est trop l'aliment
du pauvre.
Pour porter malheur au théâtre dont Beau-
marchais avait été le premier ii désespérer, il y
eut surtout un affreux voisinage, celui des Pom-
pes-funèbres, dont l'administration occupait la
caserne actuelle des pompiers. L'immeuble, siège
de la compagnie des funérailles, avait appartenu
à MM. Pinon de Quincy et de l'Avor, neveux et
légataires de messire Nicolas Pinon, comte de
Villemain, conseiller du roi, premier président du
bureau des finances, gouverneur de Brie-Comte-
Robert ; ce cumulateur de fonctions avait fondé un
lit à l'Hôtel-Dieu, à la collation de sa famille, et
il était mort en 1724. L'hôtel portait uniquement
le nom de l'Avor en 1738, mais il fut confisqué
révolutionnairement sur M. Pinon de Quincy, avec
d'autres maisons qui, avec celle-ci, lui en faisaient
six dans la rue Culture. Son contemporain M.
CULTURE-SAINTfi-CATHERINE. 425
Poullier, ex-intendant de Lyon, avait plusieurs
hôtels et maisons de la même rue.
Un seigneur d'Orgèmont y demeurait lors des
premières campagnes de Louis XIV. Mais le moyen
de croire qu'il descendait de Pierre d'Orgèmont,
que 130 princes et barons élurent chancelier en
présence de Charles V, et qui fut enterré dans
l'église de Sainte-Catherine du-Val-des-Ecoliers,
dont le marché Sainte-Catherine tient la place ! La
postérité mâle de ce personnage historique s'était
éteinte au XV' siècle; comme il avait laissé un
château d'Orgèmont près Lalèrté-Âlais, quelque
nouveau parvenu s'en était probablement lait une
savonnette h vilain (i). La même église, dont le
vaisseau gothique avait sa proue rue Saint-Antoine,
était devenue celle du prieuré de Saintc-Catherine-
de-la-Culture ; elle avait aussi donné la sépulture,
le 15 août loS6, à un président au parlement,
messire Jacques des Ligneries, -^^ue François P'"
tenait en grande estime, et qui soutint au concile
de Trente les libertés de l'Église gallicane.
Ce président avait acquis, douze ans avant, un lot
de la culture Sainte-Catherine, co)icédée au couvent
par Pierre de Brieinie, mais chargée de cens
envers l'abbaye de Saint- Victor, et grâce à Pierre
Lescot, à Jean Bullant, h Jean Goujon, à Ponce,
il s'y était produit un des chefs-d'œuvre de l'archi-
tecture domestique, un des meilleurs exemplaires
de la Renaissance. Au président des Ligneries
était fort attaché le baron François de Kernevenoy,
descendant pai- sa mère de Tarmeguy Duchàtel,
et dont le nom breton, pour s'adoucir, se changea
(1) Ledit château de Pierre d'Orgèmont, garde-des-
sceaux de France au xivc siècle, a été reconstruit sans
perdre son nom. Il apparliont aujourd'hui à M Goupjs
dont le lils a épousé en 1864 M"« Alice Baroche,
lille du garde-des-sceaux, comme pour y renouer la
chaîne des temps.
4-2G RUE DE SEVIGNE, NA-GUERE
en Carnavalet ; Henri II l'avait pour premier
écuyer et le donna pour gouverneur au duc
d'Anjou, son lils, ensuite roi de Pologne, puis de
France. Après avoir suivi pendant dix ans le
futur Henri III, rempli la charge de gouverneur
d'Anjou, de Bourbonnais et de Forez, Carnavalet
l'ut gratifié par Charles IX d'un logement au Louvre
sa vie durant. C'est bien lui qui donna la main
îi la maréchale de Cessé, dame d'honneur d'Elisabeth
d'Autriche, lors de l'entrée solennelle à Paris de
cette reine, femme de Charles IX ; mais il mourut
peu de temps après, et sa veuve, Françoise de
la Baume, resta maîtresse de l'hôtel des Ligne-
ries, quelle ajouta, de son vivant, aux fiefs et
propriétés de son hls, le baron Charles de Carna-
valet. Un siècle de résidence valut à cette famille
l'honneur de laisser à jamais son nom à la maison,
qui ne lui doit pourtant pas toute sa gloire.
Les Carnavalet, il est vrai, ont commandé à
Androuet Ducerceau la Force et la Vigilance^
deux ligures qui, à re\térieur, décorent les tru-
meaux du premier étage, touchant aux pavillons,
et les Quatre Eléments, qui figurent, à l'intérieur,
sur la façade de l'aile gauche. Mais les Quatre
Saisons, la Renommée et les ornements de la
grande porte sont de Jean Goujon, valent mieux
et datent de plus loin.
François 3Iansarl, appelé par d'Agaurry, riche
magistrat du Dauphiné, cessionnaire des Carna-
valet, ajouta une aile droite manquant à l'éditice,
fit remplacer par une rampe en fer le bois sculpté
qui bordait l'escalier d'honneur, et augmenter aussi
de plusieurs figures et de reliefs allégoriques, d'un
mérite moins incontestable, le sculptural trésor de
SCS devanciers. L'ornementation intérieure dut des
avantages plus réels à l'architecte de Louis XIV,
et le jardin un beau bassin de pierre, dont le
jet d'eau était alimenté par la fontaine de Birague.
CULTURE-SAINTE-CATHERINE. 427
< Tt:JJe est, nous dit M. Verdot dans une notice sur
l'hôlel, l'habitation qui fit tant d'envie à Marie de
Rabutin de Chantai, marquise de Sévigné, la femme
la plus spirituelle de la cour du grand roi, mais aussi
la plus difficile à satisfaire, la plus esclave de l'étiquette,
des belles manières et du ton. Avant cet hôtel, elle
en avait chaugé dix fois, comme l'attestent ses lettres,
et aucun n'avait pu lui plaire. Elle avait habité toutes
les rues du Marais; ici c'était le salon, là le jardin,
plus loin le voisinage qui ne convenait pas. Son
rêve, c'était un hôtel de belle apparence, assez vieux
pour être noble, assez moderne pour être élégant et
commode, assez grand pour que sa famille y tînt à
Taise, assez circonscrit pour que son état de maison
n'y parût pas trop mesquin, assez animé pour que la
cour de Louis XIV put 3- entrer dans ses carrosses et
s'y mouvoir avec fracas, assez paisible pour que dans
un s=»iictuaire intime, donnant sur le jardin, la maî-
tresse se recueillit et laissât tomber de sa plume les
lettres les plus élégantes, les plus spirituelles qui
soient au monde. Ce rêve, l'hôtel Carnavalet le
réalisa. »
M'"'' de Sévigné, qui en avait pris possession
en 1677, y laissa les siens après elle. Néanmoins
les traces du séjour de cette femme illustre et de
sa famille se retrouvent encore, à notre époque,
sous les lambris où elle se plut vingt ans. Une
pièce, où deux toiles ovales se font pendant,
n'a-t-elle pas été l'antichambre de l'appartement
de M""' de Grignan ? De belles cheminées de
marbre existent, substituées pour elle et sa mère
aux cheminées liantes du temps de Henri II. Le
salon de l'une et le salon de l'autre, le cabinet
où se mira dans ses œuvres, si claires encore
pour la postérité, le plus charmant . génie épis-
tolaire, sont demeurés à-peu-près intacts. Voici
le balcon de M'"*' de Sévigné, la table de marbre
où elle déjeunait, pendant l'été, à l'ombre d'un
428 RUE DE SEVIGNE, NAGUERE
sycomore, toujours debout; voilà aussi la porte
du jardin, que franchissait le baron de Sévigné
pour aller souper chez Ninon.
Après une telle évocation, comment ne trouve-
rait-on pas bourgeois ce qui reste à dire de la
maison et de la rue ? Que M""' de Lillebonne ait
précédé M""' Sévigné, sous le même toit, c'est un
l)oint à reconnaître ; mais Marot, dans son recueil
des Belles Maisons de Paris, cite SOUS le titre
d'iiôtel d'Argouges cette résidence historique, qui
eut aussi des locataires dans la grande robe. Le
fermier-général Brunet de Rancy en ht l'acquisi-
tion il la fin du wn' siècle ; vint après M. de la Briffé,
intendant de Caen, puis M. Bélanger, secrétaire
d'Etat, et M. Dupré de Saint-Maur, son gendre,
puis la famille de Pommereul, qu'en fit sortir la
Révolution.
La maison ne tarda pas alors à recevoir les
bureaux de la direction de Librairie, à laquelle
fut substituée par Napoléon l'école des Ponts-et-
Ghaussées ; le baron de Prony, un savant mis
k la tète de l'École, y demeura par conséquent.
Cette marée des sciences exactes submergeait, mais
sans les noyer, des souvenirs aristocratiques ;
elle déposait malheureusement, seule alluvion tangi-
ble, une couche de badigeon, dont les reliefs de
Bullant et les statues de Jean Goujon mettront
un siècle -a se désempeser : le conseil de l'École
ne s'apercevait pas qu'il se tenait dans un monu-
ment ! Depuis que la pépinière des ingénieurs est
transplantée ailleurs, une pensiwi du collège Ghar-
lemagne tient sa place, \\* 23 ; 3L Verdot, déjà
nommé, en est le chef actuel (i).
(1) L'administration préfectorale de M. Haussmanii,
après avoir tant fait jiuur dépayser Je» Parisiens, a eu
le bnn esprit d'acheter l'IiôteJ Carnavalet, afin d'y établir
le Musée ]iisiori(jue de la Viile-de-Paris. La restau-
ration de l'hôiel, commencée par J'architecte Parmcn-
tier, est continuée par sou conlrère Laîné.
CULTURE-SATNTE-CATHERINE. 429
Il y avait bien une pension Rolland, vers le
milieu du xvni« siècle, dans la rue Cultuie-Sainte-
Catherine, mais nous ne savons trop à quel degré
de latitude. lijutile d'en chercher vestige au ;29,
où se trouve l'institution Jaull'ret, ancien hôtel
Peletier, qui s'était détaché sous Louis XIV de
l'arsenal de la Ville. Mariou de Lorme y avait
demeuré : avis aux romanciers et auteurs drama-
tiques, car ils n'ont sans doute pas iini d'ex-
ploiter les amours de la belle ! Michel Robert Le
Peletier de Soucy n'y résida qu'après son père,
pour lequel lut créée une place de directeur-
général des Fortifications, et savant homme, sachant
par cœur Tacite, qui se retira octogénaire à
l'abbaye de Saint-Victor. Dans ■celte branche de
la famille Peletier, qui prit aussi le nom de Saint-
Fargeau, fut plusieurs fois le contrôle-général
des finances ; un de ses membres, sous la Régence,
était ministre d'Etat, honoraire de l'académie des
Sciences et l'époux d'une Lamoignon. Puis on les
vit au parlement, fulminant contre les jésuites,
et le conventionnel, leur descendant, qu'on assas-
sina en le prenant pour un autre au Palais-Royal,
lut exposé place Vendôme et rapporté rue Culture-
Sainte-Catherine. Pierre Bulet a refait l'hôtel, pour
l'ancien directeur des Fortifications de France ;
une orangerie s'y remarquait, due aux dessins de
ce même architecle, sobres d'ornements, quoique
superbes.
Le 5:2, dont les rinceaux, les urnes, les masca-
rons et les amours sont du crayon de l'archi-
tecte de Lisle, membre de l'Académie, appartenait
avant 1768 à M. de Flesselles, du chef de sa
femme, Rose-Ursule Frajot, qui le vendit à cette
époque à Anne Labbé, veuve en premières noces
de M. Santeuil, femme ensuite de 31. Dupuis de
Gerville. La famille Oulrequin l'acquit ensuite,
à laquelle succédèrent, le !21 ventôse an m, le
430 RUE DE SEVIGNE, NAGUERE
cilo>eu Jacques-Pierre de Sabardin, ci-devant
baron, et sa femme, Catherine Biolley, épouse de
Charon de Wattronviile, trésorier de France, en
premier lit. Les Sabardin ne s'en sont défaits
qu'en 1840, car M'"« de Pirolle, avec laquelle
M. Fontaine en a traité, était née Sabardin. Par
malheur, cet hôtel, aux yeux des amateurs', porte
le deuil de cin([ statues d'Augier, qui en décoraient le
jardin : Laocoon, Hercule, Flore, Junon et Jupiter.
Le couvent des Filles-Bleues, dont le jardin
n'est pas entièrement disparu, se recoimaît par-
faitement au 25, au 27. La maréchale Josias de
Ë'a'ntzau, qui avait abjuré le luthéranisme, s'y
retira une fois veuve, puis passa en Allemagne
pour y fonder une maison du même ordre, dit
des Annonciades, dont la règle sévère prohibait
l'admission de pensionnaires et ne permettait de
voir les parents qu'une fois l'an. La marquise de
Verneuil et la comtesse de Hameaux, avec l'agré-
ment de Louis XIII, avaient créé la retraite des
Filles-bleues, dont le terrain et les bâtiments avaient
appartenu ^ Jean de Vienne, contrôleur-général
des iinances. Une des filles de ce dernier était
la marquise Tiercelin de Saveuse ; l'autre avait
épousé François de Montmoreiicy-Boutteville, qui
tua en duel le comte de. Thorigny, et quand, par
suite d'infractions nombreuses du même genre
aux édits royaux, la peine capitale eut été pro-
noncée contre son mari, elle fut se jeter, avec
la princesse de Gondé, les duchesses de Montmo-
rency, d'Angoulême et de Venladour, aux pieds
de Louis XIII, que rendait inflexible la volonté
de Richelieu. La date même de l'exécution de
la sentence est postérieure d'une année à l'aliéna-
tion de l'hôtel de Vienne.
Dans cette circonstance pénible, la duchesse
d'Angoulême avait agi en bonne voisine, car le
derrière de sa propre résidence, passée ens'uile
CULTURE-SAINTE-CATHERINE. 431
aux Lamoignon, était aux u"' 17-19, qui depuis
lors ont plusieurs lois cliaugé d'aspect. Le 13,
qui n'a fait que vieillir, fut le séjour de Chavigny,
ministre de Louis XIII. On doit croire, car la rue
est du siècle xiv, que les séjours de Vienne et
de Chavigny remontent jusqu'à l'époque où le
connétable de Clisson y fut assassiné par les
sicaires de Pierre de Craon, et où Charles VI
en personne vint rendre visite au mourant, dans
la boutique d'un boulanger. Qui sait même si le
vieux logis, qui n'a plus de néfaste que son numéro,
ne fut pas le séjour, marqué dans cette rue,
d'une courtisane italienne qui fit grand bruit du
temps de Henri II ? Sur le seuil même, en sortant
de cette maison au point du jour, le cardinal de
Guise faillit avoii' le sort du connétable do
Clisson.
Aussi bien les maisons de la rue sont presque
toutes plusieurs lois séculaires. Le 38 en est
vermoulu ; 40, item ; le 46 brandit une rampe en fer,
dont l'arma vraisemblablement un gentilhomme, et
pourra tenir encore plusieurs campagnes. L'ampleur
d'une autre construction, son jardin, ses rinceaux,
et des sculptures en bois à l'intérieur, méritent
(|u'on rende au n" 26 son titre d'hôtel de Villacerf:
la seigneurie champenoise dudit nom fut apportée
en dot par Marie Le Fèvre à Edouard Colbert
de Saint-Pouange, bien que le marquisat de
Villacerf appartînt à la fille du comte de Bavière,
grand d'Espagne. Bonamy, historiographe de la
Ville, membre de l'académie des Inscriptions,
logeait au milieu du dernier siècle dans la rue
Culture, près celle Neuve-Saintc-Catherinc (i).
(l) Présentement annexée à ]a rue des Francs-Buargcois.
Place Daiipliiiie. (i)
1607. — i6!2o. — 1667. — 1700. — 1785.
— 1788. — 179^. — 1859.
Devant rdligie d'Heiiri IV, aux pieds du^iuel
étaieiil lailos les i)ublieations de paix, se trouvail
l'île du Palais, déiiomiiialioii colleclive donnée
sous Louis XIV à la place Daupliine et à son
encadrement sur les deux quais ainsi que sur
la rue de Harlay. Toutes les maisons qu'on y voit
avaient été élevées sur un terrain de 31:20 toises
1/2, concédé en 1607 par Henri IV à son ami
et téal conseiller et pj'emier président en parlement,
Achille de Harlay, qui avait usé de son crédit
sur les Parisiens pour les détacher de la Ligue.
Cet abandon avait été lait au président à la charge
de bâtir ou faire bâtir, en se conformant au plan
déjà dressé, qui donnait à la place sa foime
triangulaire et aux maisons une construction
symétrique en brique, avec des chaînes de pierre
et des ardoises pour toiture. Le nom de place
(I) Notice écrite en I85t). Le côlé de la place Dauphinc
qui donne aussi rue de Harlay est étage de grosses
l»oulrcs sur ses deux faces, et la préfecture de Police
n*a pas encore ces'^é d'occuper ce tiers Je Ja place à
titre provisoire. L'empiétement administratif qui se
prolonge aurait dû être pour les bàtimens un motif
do réparations de fond eu comble; mais leur mauvais
clat ne persiste que troj) à conlirmei officielieuienl
les menaces dont la place entière a été l'objet. Quand
t)n rendra Paris aux Parisiens, ce qui doit bien arriver
lot ou tard, comment s'y prendront-ils pour se recon-
naître ?
PLACE DAUPHINE. 433
Dauphine venait de Louis XIII, lorsqu'il n'était
que dauphin, et la communii.'ation entre l'Ile-du-
Palais et le Palais avait été pi-atiquée aux dépens
du jardin de Guillaume de Lanioignon, à son
tour premier président.
Lesdites 3120 toises 1,2 avaient été prises tant
sur l'ancien jardin du bailliage du Palais, d'abord
jardin des rois, que sur une place inoccupée,
formée à la fin du xvi* siècle par l'agrégation
bien constante à l'île de la Cité de deux îlols,
lesquels ont donné lieu, comme désignation, îi
une confusion qui n'est pas encore dissipée. La
construction du pont Neuf, commencée sous Henri
III, avait été l'occasion de ce rapprochement arti-
ficiel. Ainsi la petite île aux Bureaux avait disparu,
avec celle aux Juifs, où avaient été brûlés vifs
des condamnés, notamment le dernier grand- maître
des templiers.
Comme il est peu de maisons de la place
auxquelles nous ne puissions restituer leurs ensei-
gnes respectives du temps de Louis XIV, plaise
au lecteur que, pour faire le tour, nous entrions
par le pont Neuf 11 droite !
Qui donc n'y connaît pas l'établissement de
l'ingénieur Chevallier, dont le thermomètre fait
autorité, et dont les instruments d'optique ont
maintenant à se braquer sur plus d'étoiles qu'en
1740, époque de sa fondation? Toutefois la maison
Chevallier, qui de beau-père en gendre est
demeurée héréditaire, n'a quitté la tour de l'Horloge
qu'à l'époque de la formation du Directoire.
L'immeuble qu'elle occupe depuis, se repliant sur
le quai des Orfèvres, a conservé un étage supérieur
dentelé de mansardes antérieures à Mansart. L'en-
seigne y était la Coupe-d'Or, quand Pierre de
Creil, maître des comptes, et Georges de la
Porte-Père, conseiller du roi, se succédèrent comme
propriétaires (1667-1700). La maison contiguë
434 PLACE DàUPHINE.
suivait le même sort, à l'image de Saint- Jérôme.
Le maître des comptes possédait encore celle
d'après, au Soleil-d'Or, aujourd'hui n" 27 ; mais
il y était remplacé, avant la tin du xvii« siècle,
par Gabriel de Lattaignant, seigneur de Grange-
Menant, oncle tout au moins d'un autre Lattaignant,
homme de plaisir, poète et chanoine de Reims.
Sur la façade venant ensuite nous lisons:
Hôtel Henri IV: il y pendait une figure de
Saint-Pierre, alors que Jacques Le Challeux y
tenait à Pierre de Creil. Le 23 répondait au signe
de la Croix-Verte, et la veuve de Nicolas Josse
en disposait, avant le chevalier de Tinville. Comme
il y avait alors beaucoup d'orfèvres dans l'Ihs-du-
Palais, il est évident que Molière, qu'on y rencon-
trait fréquemment, utilisa une réminiscence en
ajoutant un sens piquant à ce que bien d'autres
avaient pu dire : « Vous êtes orfèvre, monsieur
Josse. )) En 1700, M"« Olympe Hardy avait la
Montre, dans le n° 21, et Dumoulin le Saphir-
Bleu, dans le 19, dont la façade, depuis Henri
IV, n'a guère suIdI de modification.
Catherine Letellier, veuvci, Langlois, jouissait du
n^ 17, où pendait une Pomme-d'Orange ; or son
nom de femme nous rappelle que l'échevin Langlois,
qui avait favorisé l'avènement du Béarnais, fut
ensuite comblé de ses bonnes grâces, maître des
requêtes, puis prévôt-des-marchands. Bien des
Langlois étaient groupés, sous le règne du roi-
Soleil, en lace de la statue de son aïeul, comme
pour prolonger la gratitude du leur, qui pouvait
leur avoir transmis une de leurs quatre ou ciniq
propriétés. Néanmoins ces colons de l'Ile-du-Palais
pouvaient être de plusieurs familles : l'un d'eux
se fit connaître comme graveur. Quant à la Pomme-
d'Orange, elle avait passé des mains de Françoise
Chevallier, femme de Georges de la Porte-Père,
dans celles de Françoise Letellier, veuve de Jacques
PLACE DAUPHINE. 435
Diel, écuyer, qui l'avait donnée entre vives à sa
cousine, M™" Langlois. N'est-ce pas la même
enseigne qu'on nommait aussi la Pomme-d'Or?
La forme et la couleur n'avaient rien à y perdre,
et l'abréviation était facile pour la légende. ïhiault
pratiquait l'état de graveur à la Pomme-d'Or.
Passons au 15, qui a gardé ses briques origi-
naires, bien que surchargé d'un étage, et dont
une porte donne quai des Orfèvres, avantage partagé
sans doute par les maisons voisines. Celles qui
n'avaient pas de boutiques se grillaient au rez-
de-cbaussée, pour y former des ateliers, car toute
la place Daupliine retentissait du cliquetis incessant
des petits marteaux de joailliers. Le io et le 18
avaient eu le même propriétaire, au début du
xvif siècle, dans M""' de Béthune, née Georges
de la Porte-Père. L'un de ces deux immeubles,
qui à cette date en formaient trois, arborait l'Ecu-
de-France; les enfants mineurs de feu Gabriel
Langlois et d'Etienne Philips, sa veuve, en avaient
hérité avant 1667; un de ces héritiers en avait
arrangé treize années plus tard Isaac Thuret,
horiogeur. Puis l'orfèvre Delaunay et le capitaine
Cersillier se faisaient presque vis-à-vis en se
louchant, à l'angle de la place auquel nous voici
arrivé.
Les maisons y cessent de longer le quai des
Orfèvres pour suivre la rue de Harlay, sur laquelle
elles prennent ouverture; enfilade de constractions
qu'ont envahies provisoirement les bureaux de la
préfecture de Police. Le capitaine susnommé y
avait pour voisin de droite l'huissier Masson, ii
l'enseigne de la Souche ; puis venait le Cadran,
au président Sévin, y succédant au président Bizet
de la Barroire.
Avant la petite rue qui relie celle de Harlay à
la place, on appelait Croissant-d'Or une grande
habitation h trois façades, qui fit l'objet d'une
436 PLACE DAUPHINE.
déclaration de cens passée devant Plastrier, notaire,
le 2i février 1671, par Jean-Baptiste Poquelin,
comme tuteur du sieur de FavêroUes, qui ne pou-
vait manquer d'être mineur qu'à la condition d'être
interdit. C'est bien réellement 3Iolière, né Poquelin,
qui, sur les dernières années de sa vie, ajoutait
à toutes ses occupations et préoccupations de mari,
de directeur, d'auteur et d'acteur la tutelle de M.
de Faverolles. L'immeuble, ainsi quetous ses pareils,
devait au domaine du roi un sol de cens par toise
de terrain ; il mesurait !^1 toises.
De l'autre côté du petit bras de rue, il se trou-
vait bien en l'année 1700 : les Armes-de-Monsieur,
le Soleil-d'Or, les Armes-de-Mademoiselle et Saint-
Ambroise, reconnaissant pour maîtres Bellanger,
notaire, M""' de Laferrière et la veuve de Cliarles
Poulet, celle-ci tenant la seconde encoignure. Mais
au nom même du fondateur de la place, que ré-
présentaient des neveux appelés comme lui, étaient
encore dix-huit parts de propriétés subdivisées,
montrant dix-huit autres enseignes, en 1667 ; or
nous avons la certitude qu'elles altenaient les
unes aux autres rue de Harlay et place Dauphine ;
par conséquent, nous les revoyons toutes dans ce
qu'occupe l'administration de la police de l'Empire.
Elles ne furent aliénées que par le troisième des
Harlay, qui devint lui-même premier président
en 1689 : habile courtisan, fort instruit, bien que
la gravité toujours tendue du chef se relâchât dans
la dynastie ! Apprenant un jour qu'une plaideuse,
qui redoutait de perdre un procès, n'avait pas
craint de le traiter de vieux singe, il éplucha
bien son dossier ; comme elle avait le bon
droit de son côté, elle n'en gagna que mieux sa
cause, et elle rendit une visite de remercîment
à messire le président, qui l'accueillit avec ces
mots : — Maintenant, madame, vous saurez que
PLACE DAUPHINE. 437
les vieux singes peuvent encore être utiles aux
vieilles guenons.
Cette revue, si nous la poursuivons, attachera
pareillement le nom du marquis de Laterrière au
n"* 10 ; celui d'une dame Bretaut au n" 12, où
veut la tradition qu'Henri IV ait été reçu par son
compère Achille de Harlay. Qui commandait au
n" 14 du vivant de Harlay IIP ? un sieur Philippe
Legros. Qui encore dans l'immeuble subséquent,
devant lequel s'arrêtent tous les jours mille
omnibus pour leurs correspondances, et qui, ainsi
que par prévision, portait l'image du Ciiariot-d'Or ?
demoiselle Denise Langlois, veuve de Georges
Berruyer. Et le 20, n'a-t-il pas été de temps
immémorial habité, comme à cette heure-ci, par
un orfèvre? Le détenteur Desmartrais Figeon,
maître des comptes, y avait une Perle pour
blason.
Mais il est évident, nous le répétons, que la
propriété était plus divisée, place Dauphine, au
grand siècle que dans celui-ci. Son chapelet
d'aujourd'hui ne nous laisse plus aux doigts que
quatre grains, représentés par quatre numéros,
qui jadis s'égrenaient en sept. Trois noces entre
immeubles ont été célébrées sur ce point de
rile-du-Palais, et chaque ménage ensuite n'a fait
qu'un lit. A la Perle tenait, en effet, la Renommée
du sieur ïhuret; à la Renommée, une Paix h partager
entre les hoirs de Jacques Rémy, brodeur. Un prêtre,
Jacques-Claude Laborie, devait à Claude Laborie un
héritage faisant suite, qui communiquait avec le quai
du grand cours de la Seine, et où nous estimons
qu'à présent sont ouveits les bureaux du Droit.
Enhn messire François de Montmorency de Saint-
Héran, capitaine et gouverneur de Fontainebleau,
conjointement avec Nicolas Le Pelletier de la
Houssaye, maître des requêtes, possédaient trois
maisons, qui n'en sont plus que deux. La dernière
28
438 PLACE DAUPHINE.
forme le pavillon qui fait pendant h celui de
l'opticien Chevallier ; l'autre était dite à la
Pucelle.
Peu de temps après que le corps du maréchal
d'Ancre eût été traîné sur une claie jusqu'au pont
Neuf et brûlé devant la statue du roi, le burlesque
Tabarin égayait de ses farces cette entrée de la
place ; il était paillasse au service de Mondor,
débitant de baumes et d'onguents. Comme Paris
avait alors beaucoup moins de ponts qu'à présent,
le pont Neuf se trouvait encore plus passant.
Aussi bien n'a-t-il pas perdu toutes ses gaietés !
La foire Saint-Germain, dont c'était le chemin, y
commençait réellement quand Tabarin y avait
Ses tréteaux, quand Gonin, joueur de gobelets en
réputation, faisait ses tours au terre-plein, quand
Brioché tenait au quai Conti son spectacle de
marionnettes. Ah ! les tilous avaient beau jeu, tant
les badauds se groupaient autour des charlatans,
qui captivaient si bien leur attention ! Où se fussent
plus chantées et plus vendues ces chansons popu-
laires, les ponts-neufs ? La Samaritaine jouait,
grâce à son carillon, d'autres airs, près du quai
de l'Ecole. Le café du Terre-Plein réunissait plus
tard l'astronome Jérôme de Lalande, Rétif de la
Bretonne et Mercier, y devisant le soir au confluent
de trois villes, qui auraient pu se passer de n'en
faire qu'une. L'académie de Peinture et de
Sculpture jouissait en ce temps-lk du loyer de
vingt loges, surélevées à l'aplomb des piles du
pont et exploitées par le commerce ; mais, chaque
jour, de petits marchands dressaient, en outre,
des boutiques portatives, d'une loge à l'autre,
moyennant une rétribution au protit des grands
valets-de-pied du roi.
Les peintres qui n'étaient pas membres de
l'Académie exposaient tous les ans, le jour de la
petite Fête-Dieu, leurs tableaux sur la place
PLACE DAUPHINE. 439
Dauphine. Au milieu s'élevait un reposoir, exu-
bérant de fleurs nouvelles, et l'exhibition de la
voie publique y gagnait un souflle de fraîcheur,
de poésie, d'inspiration divine, que le salon de la
grande exposition se gardait d'exhaler.
Cependant la lecture de Plutarque avait donné
d'héroïques sentiments à la liUe d'un graveur, née
dans l'une des deux dernières maisons que nous
avons vues, et elle était devenue M'"*^ Roland, qui
joua un grand rôle ii la Révolution. Le premier
attroupement dissipé avec effusion de sang avait
eu lieu ù Paris dès le 28 août 1788, à l'occasion
de la disgrâce de M. de Rrienne, et c'était place
Dauphine: la basoche avait donné le branle, en
se livrant à une manifestation politique, pour faire
sa cour à MM. de la grand'chambre, et le cheva-
lier du guet avait chargé. On y dressait, quatre ans
après, l'une des estrades destinées à recevoir les
engagements volontaires dans l'armée, et la place
prenait pour un temps le nom de ïhionville, que les
Autrichiens venaient d'assiéger infructueusement.
De 1802 date la fontaine commémorative de la
mort du général Desaix à Marengo, œuvre de
Perciei; et de Fontaine.
Rue Daiipliiiie.. (i)
Le Pain au Beurre. — Nicolas Carrel. — Les
Augustins. — La Curée. — Le M''' de Mouy. —
Le Micsée- de- Paris. — Le Club des Cordeliers. —
Le Théâtre des Jeunes-Eléves. — M. Rousseau. —
Les Maisons Galleboicrg el Gaudin. — Gabrielle
d'Estrées. — Les Genlis. — La Maison de Jeu. —
L'Armurier. — Lt Mercier. — Les Barhistes. —
Le Mur de Philippe -Auguste. — La Porte
Dauphine. — Etc.
Les petits pains au beurre de la rue Dauphine
jouissent d'une célébrité à poste fixe depuis un
demi-siècle; tous les soirs, après l'heure du bal
el du spectacle, maints danseurs du Prado, maints
spectateurs de l'Odéon, viennent tremper dans un
verre de lait un ou deux de ces gâteaux, bavaroise
du quartier Latin, dans la boutique de Cretaine.
Depuis le quai Conti jusqu'à la maison aux petits
pains, en y ajoutant celle qui suit, l'uniformité
de construction révèle une origine simultanée, et
celle-ci remonte assurément jusqu'à l'ouverture
de la rue.
Protégée par Henri IV, une compagnie, dont
Nicolas Carrel était le chef, acheta en 1606 le
collège ou l'hôtel de l'abbé de Saint-Denis, avec une
ruelle, touchant à l'hôtel de Nevers, et la maison
Chappes, pour 76,500 livres, et se mit en devoir
de percer la voie nouvelle, que croisait l'ancien
mur de ville entre les portes de Nesles et de
Buci. Mais il fallut encore, pour déboucher sur
le pont Neuf, prendre au jardin des Grands-
Ci) Notice éerite en 1859.
RUE DAUPHINE. 441
Auguslins quelque chose que des experts évaluèr(;nt
30,000 livres tournois. Il fut stipulé, eu outre du
prix, que les matériaux de démolition reviendraient à
ces religieux, et qu'il serait établi aux frais du
roi : i° un mur de trois toises de chaque côté
de la rue; 2" deux voûtes souterraines pour mettre
les pères en communication avec des maisons
qui leur appartenaient du côté de l'hôtel de Nevers.
Comme les augustins, néanmoins, se plaignaient
au roi de tout ce dérangement, ainsi que sont
disposés II le faire les expropriés de tous
les temps : — Ventre-saint-gris ! mes pères, dit
Henri IV, les maisons que vous bâtirez sur la
rue nouvelle vaudront mieux que vos choux... Or,
ces fiches de consolation furent mises bientôt sur
le tapis, et la plupart des maisons de la rue
dédiée au tils de Henri IV, notamment entre l'hôtel
de Nevers et le couvent, appartenaient encore
aux augustins dans le siècle dernier.
Presque toutes ces constructions, qui avaient
établi au couvent un assez bon revenu, étaient ou sont
encore à petites portes. Parmi celles qui faisaient
et font exception, se remarque, sur le plan de
1652, certain hôtel de la Curée, plus tard de Mouy,
notre n" 16. Le graveur a écrit: delà Carce; mais
nous croyons que le burin s'est trompé. Sans quoi
l'hôtel de la Curée, signalé par Colletet dans la
rue Dauphine, nous paraîtrait plus à sa place n" 24
et 26 qu'au 16 et au 18. Ne semble-t-il pas, eu
tout cas, que l'hôtel de la Curée fut d'origine un
rendez-vous de chasse, dont le pavillon, avant de
passer hôtel, servit à de franches lippées? La
Curée sonne souvent pour les chasseurs au plat,
et il y en eut de tous les temps, comme dans les
satires de Régnier:
L'im en titre d'oflice exerçoit uu berlati.
L'autre estoit des suivants de madame Lipcc,
El l'autre chevalier de la petite espée.
44-2 RUE DAUPHINE.
Le petit Pré-aux-Clercs s'était étendu, derrière
Nesle, entre les Grands et les Petits-Augustins, et
Ion pouvait encore s'y dire à la campagne le
mercredi, 1' novembre io89, jour où, de bon matin,
le Béarnais fit la prière dans le grand Pré-aux-
Clercs : son armée y campait, avant d'entrer
victorieusement au bourg Saint-Germain et au fau-
bourg Saint-Jacques. A la fin de son règne
'seulement, le petit Pré-aux-Clercs fut entièrement
couvert de constructions.
La porte cintrée dudit 16 a pour le moins pris
la mesure des carrosses du temps de la Fronde, "^
et toutefois le corps de bâtiment sur la rue est
moins ancien que celui du milieu, qui couvre deux
beaux berceaux de caves ; la bâtisse du fond a pris
la place du jardin. En l'an 1666, ladite propriété
fut saisie sur Henri de Lorraine, marquis de
3Iouy, à la requête de Jean Parot, en sa qualité de
tuteur onéraire des enfants mineurs de Lecoigneux,
conseiller au parlement, et l'adjudication se prononça
au profit d'un autre mineur, pupille et neveu de
Gabriel-Nicolas de la Reynie, qui n'était alors que
maître-des-requêtes. Puis une hôtellerie exploita
ce grand local, sans qu'il changeât de nom, et
Louis XIV, dans toute la splendeur de son règne,
n'empêcha pas de publier qu'on dînait rue Dauphine
pour 30 sols, dans un autre hôtel, et pour 15 d
l'hôtel de Mouij, qui devait être un peu parent
des Tuileries. Comment ne pas voir dans Henri
de Lorraine, comte de Mouy, un rejeton de la
famille qui avait donné deux reines à la France
et une à l'Ecosse coup sur coup? Les Rochebrunne
vendaient la même maison, en 1755, à Carré,
marchand-horloger. Mais nous ne savons pas â quelle
époque s'en était détaché le 18, qu'on a refait en
18-26.
Le philologue Court de Gébelin, qui fut censeur
de la librairie, fondait en l'année 1780 dans cette
RUE DAUPHINE. 443
autre moitié du même hôtel une société savante,
le Musée-de-Paris. L'auteur dramatique Cailhava,
qui en était membre, s'y mit à la télé d'une coterie
hostile au fondateur et qui le soupçonnait d'une
mauvaise gestion, h telles enseignes que le lieutenant-
général de police intervint dans le démêlé. Court
de Gébelin, encore en possession du titre de pré-
sident honoraire perpétuel, finit par fermer le
Musée, un jour où la société devait tenir grande
séance. Elle ne se réunit que, plusieurs mois après,
dans les salles du Musée-scientitique de Pilastre
de Rozier, rue Sainte-Avoye (du Temple), sous la
présidence de Cailhava, qui ne rentra au Musée-
de-Paris qu'après la mort de son rival, à la fin
de '178o. La réunion des deux sociétés fut suivie
de transformations, qui laissaient en 1787 le local
de la rue Daupliine à la disposition de la franc-
maçonnerie: la loge des Neuf-Sœurs y avait pour
président le duc d'Orléans.
Le club des Cordeliers tonna dans l'autre l'hôtel
de la même origine, si ce n'est dans les anciennes
salles du Musée, et le tableau desDroits-de-l'Homme,
y décorant le lieu de réunion, fut voiié ])ar Leclerc
quand les citoyens dantonistes, maratistes, héber-
tistes et chaumeltistes, qui composaient la société,
reprochèrent à la Convention et, qui plus est,
aux jacobins, de ne pas s'élever à la hauteur des
grands principes de l'ère nouvelle. Le siège de
ce club avait été aussi une salle de vente, un corps-
de-garde. Au reste, jamais les cordeliers de la Révo-
lution n'eussent consenti ;\ se dire : Nous nous assem-
blons rue Daupliine. Dès le samedi soir, 27 octobre
1792, le conseil-général avait décidé que 82 rues
porteraient le nom des 82 départements et que, de
plus, la rue Daupliine s'appellerait ïliionville,
ainsi que Lille la rue Bourbon, en l'honneur
de deux villes qui venaient d'être, par une héroïque
défense, le boulevard de la Lil3erté.
444 RUE DAUPHINE.
Cailhava n'ouvrit que plusieurs années après,
Il la place du Musée-de-Paris, une école dramati-
que. Dorfeuille en fit le théâtre des Jeunes-Elèves-
de-la-rue-ïhionville, dont Belfort était le directeur
en 1802; Firmin et Virginie Dégazet y commen-
cèrent leur carrière dramatique. Cubières, Pelletier
de Valmeranges et Nogaret eurent des pièces jouées
sur cette scène. Charles 3Iaurice s'y lia, dans les
coulisses, avec Firmin, avant que la femme d'un
fameux coifléur de la rue Vivienne lui avançât,
dans un élan d'amour, les 100,000 francs qui ont
permis au Courrier des Théâtres de lui faire gagner
davantage. Pendant les six premières années du
siècle, on passa tous les genres en revue aux Jeunes-
Eléves, depuis la tragédie jusqu'à la pantomime,
de six heures et demie à dix ; ensuite on n'y joua plus
que la comédie bourgeoise, et puis la salle de
spectacle se convertit en salle de danse.
M. Rousseau, lorsqu'il bat le pavé pour notre
compte, n'a jamais l'heur de recueillir sur les lieux
assez de renseignements inédits pour qu'il soit
superflu de recourir aux Archives. S'il ne revient
jamais bredouille, une fois qu'il s'est mis en chasse
avec un carnet pour carnassière, ce n'est pas faute
d'avoir trouvé plus souvent buisson creux que la bête.
D'après le rapport que nous présente ce mandataire,
le 31 de la rue Dauphine pourrait tirer vanité de
ses ferrures d'un autre ftge; seulement, tout ce qui
n'est pas loyer à percevoir y regarde uniquement
la portière, qui a pris obstinément M. Rousseau,
malgré toutes ses dénégations, pour un agent de
la Salubrité.
De ce côté, les Quatre-Fils-Aymond, maison
^D - majeur^, ^.^^^.. ,.^.v., ^^
procureur. Sur la même ligne, Clément de Barville,
RUE DAUPIIINE. 445
conseiller aux aides, avait vendu l'année précédente
à Bâillon, écuyer, premier valet-de-chambre de
la reine, une propriété provenant de Gandin, secré-
taire du roi, aïeul dudit Barville, et tenant d'une
part à l'hôtel d'Espagne, de l'autre à la maison
de Fontenelle, par-derrière aux Augustins. Le
spirituel auteur d-es Entretiens sur la Pluralité des
Mondes n'avait encore que 94 ans, et il ne mourut
que centenaire; mais rien ne garantit que le
Fontenelle de cette rue lût le membre de l'académie
des Sciences et de l'Académie-Françaisc.
Les portes qui se suivent ne se ressemblent
pas toujours ; celles qui se regardent, encore moins.
De la bienveillance éclairée du propriétaire du
;24-26, M. Rousseau tient assez de notes, que
confirment nos propres recherches, pour aider à
l'éclaircissement d'un point capital de riiistoire de
la rue Dauphine. Le 3 de la petite rue d'Anjou (i)
communiquait jadis avec cette maison, d'apparence
seigneuriale, qui fut fune de celles où Gabrielle
d'Estrées reçut les visites de Henri IV. La galanterie
inaugurait alors, comme aujourd'hui, les quartiers
neufs de la bonne ville. Le roi, d'ailleurs, con-
descendait il changer fréquemment le théâtre de
ses rendez-vous, à s'initier aux souterrains des
moines, à en compliquer même les issues, ne fût-ce
que pour se dérober aux tentatives d'assassinat qui
pouvaient en trouver la clef. On travaillait au
pont Neuf avant que fût percée la rue ; elle trouva
également tout fait ce nouveau nid pour de royales
amours, qui s'y cachaient II la faveur des jardins de
Nevers, de Saint-Denis, des Augustins, derrière
l'ancien mur de Paris, sur lequel ne tardèrent plus à se
mettre à cheval d'autres constructions. L'édiîice était
de pierres et de briques, avec un bel escalier de bois,
•qui s'affaissait entre la cour et le jardin, où l'on
(1) A-présent rue de Nesles-
446 RUE DAUPHINE.
n'y montait plus stuis crainte, quand s'en est accompli
le sacrifice. Le niveau du jardin demeure inférieur
de 2 mètres 50 ii celui de la rue.
De cet hôtel, au XVII*' siècle, les Genlis avaient
t'ait le leur, et il avait été payé 108,000 livres par
M""" Navarre h Pierre Drulard de Genlis, en l'année
1718. Chez ce dernier on avait joué en société le
lansqu(!net, le pharaon, le brelan, la dupe ou la
bassette. Des tables de roulette et de trente-et-
quarante succédèrent, dans les mêmes appartements,
à la caisse et aux bureaux du banquier Gastinel,
sous le premier empire, et elles faisaient la partie
du public. Il y avait même tous les soirs, pour
en aviser les passants, un employé de faction à
la porte. Cette maison de jeu était auparavant
dans la rue Saint-André-des-Arts. Elle faisait face,
rue Dauphine, au magasin d'un armurier, qui se
contentait de montrer aux perdants, en tenant sa
vitrine éclairée le plus tard possible, de quoi
prendre leur suprême revanche.
Une montre beaucoup plus pacifique était celle
d'un mercier, qui, dans le même immeuble, tenait
l'angle de la rue d'Anjou, à l'enseigne du Père-
de-Famille. Ce magasin, sous le règne, de Louis XV,
était des plus achalandés; il n'avait plus le même
avantage quand, de nos j('urs, M. Beau prit le
fonds, pour en relever le commerce. Les titres
de propriété sont maintenant dans le secrétaire
de cet ancien locataire.
Du temps où il descendait des voyageurs îi
l'hôtel de Mouy, la même rue comptait d'autres
hôtelleries, celle d'Anjou, celle de Flandre, celle
de la Ville-de-Bordeaux. Nous y avons dîné dans
un hôtel d'Espagne, si peu castillan qu'il devait
avoir pris le temps de s'acclimater: ne datait-il
pas du XVIIP siècle? Je crois que l'hôtel d'Aubus-
son, bureau des voitures de Fontenay-aux-Boses,
fut primitivement d'Anjou; mais je sais par moi-
RUE DAUPHINE. 447
même qu'il s'appela Dauphine.' Un groupe d'élèves
de Sainte-Barbe, que venait d'armer bacheliers
M. Cousin, se distribua sous Louis-Philippe, à ma
parfaite connaissance, dans les chambres garnies
de cette maison, déjà fort décrépite. Les cham-
pignons qu'y faisait sauter l'hôte avaient dû pousser
sous ses lits, qu'on ne se contentait pas toujours
de partager avec d'imperceptibles sauteuses, trop
vigilantes, qui semblaient ne s'étonner de rien,
bien qu'elles descendissent en droite ligne des
puces d'un cloître ou d'un chapitre. Ces étudiants
d'un genre à part, qui sont presque tous aujourd'hui
des mieux placés, observaient les convenances
dehors, mais se débraillaient si volontiers, dans
leurs réunions à domicile, que le maître de l'hôtel
profita des vacances pour changer tous ses loca-
taires. — Je vous louerai mes chambres trente francs,
dit-il à d'autres étudiants, mais h la condition que
vous découcherez.
Il y avait dès-lors onze années que le passage
Dauphine occupait la place d'un café et d'un jardin
s'y rattachant. Mais à deux pas, n"34, nous
revoyons un Coq, servant d'enseigne depuis un
siècle à la boutique d'un coutelier. Nous y re-
trouvons, qui plus est, une portion de l'enceinte de
Philippe-Auguste, dont dé}>end une tour, avec ses
meurtrières et l'empreinte d'un moulin de défense,
propre à faire pleuvoir des nuées de projectiles
sur des assaillants; mais ce mur de deux mètres
d'épaisseur venait jadis à fleur-de-terre douze
pieds plus bas qu'à-présent. Le bureau de Nicolas
Carrel, lors de la formation de la rue, altenait à
ce reste de fortification; puis ce fut un hôtel,
précédé d'une cour d'honneur, ii Jérôme de Lhuil-
lier, procureur-général en la chambre des comptes.
Le même magistrat obtint du bureau de la Ville,
à des conditions peu onéreuses, la concession
d'une allée haute, qui régnait sur le mur d'enceinte
418 RUE DAUPHIXË.
et menait à la rue de Nevers, puis il la condamna
au moyen de deux portes. Un jui^ement du même
bureau ratifia le transport du bail à Guillaume de Bail",
le 10 septembre 1613, en ce qui touchait de près le
même hôtel, dont il était le nouveau propriétaire ;
mais Lhuillier possédait encore une propriété con-
tiguë et se réservait, par une des deux portes, un
passage de sept pieds de largeur sur ledit mur;
de plus, il se faisait autoriser, le 6 mars 1614,
à établir des marches pour l'escalader tout-àfait
et se rendre sans détour « dans la rue au-derrière
de la rue Dauphine, proche l'égout d'icelle sortant
au travers du mur de la ville, le long de la
maison du sieur de la Gazai ». Le deuxième hôtel
fut vendu, en 1633, ii Martineau par les héritiers
de Lhuillier, parmi lesquels se trouvait Moreau,
prcvôt-des-marchands, époux d'une demoiselle
Lhuillier, et les droits concédés passèrent à l'ac-
quéreur, qui paya, à son tour, les 2 sols 6 deniers par
an dont le bien demeurait chargé. On ne transforma
que vers 1770 en simple maison de rapport l'hôtel
(jui ne s'est pas encore séparé de la tour du
XH* siècle.
A Saluste Dorelli, qui avait acheté de Simon
Goursin deux lots de terrain venant du duc de
Nevers, on avait voulu vendre plus chèrement le
simple droit d'avancer son logis sur la muraille
urbaine ; mais Dufour, son neveu et légataire,
put faire dégrever sa maison, en 1650, de 60 sols
tournois dus au domaine de la Ville. Gette immu-
nité trouvait sa double raison d'être dans une
obligation, passée devant notaire en 1639, où
Dorelli et Dufour s'engageaient h payer 3 livres de
rente à Edme Ravière, lequel s'était chargé
d'édifier la porte Dauphine, en devenant par
traité propriétaire de divers pans de la muraille
et de quelques places dans le l'ossé. Mais une
inscription, visible au n" 44 de la rue Dauphine,
RUE DAUPHINE. 449
nous rappelle que cette porte qui gênait la circula-
tion, fut rasée dès l'année 1672 :
Dn règne de Louis-Ie-Grand, em Paiinée
IIDCLiIlVII, la Porte Daii|tliiue, qui estoit eu
eet endroit, a esté déni*lie par Tordre de
Mlll. les Prêvo!!»t des marchanda et Eisciievins,
et la présente in»»eription apposée en exéeution
de Farresiit du conseil du xxiHi septembre audit
an, pour marquer le lieu où esfoit cette porte
et servir ce que de raison.
Que si Ravière eut le désagrément d'assister
au spectacle de la destruction de son ouvrage,
il gardait, pour s'en consoler, plus d'une
bonne propriété. Toutefois il ne disposait pas de
l'hôtel, répondant de nos jours au n° 41, dont
la splendeur passée reste attestée par une belle
rampe d'escalier et la ferrure d'un balcon sur
la cour : ce n'est pas que les indices y man-
quent d'une construction antérieure à l'époque où
vivait Boucher, auteur de jolis dessus-de-porles
qui en ont été retirés. L'une des maisons que
retenait Ravièr'e se rapprochait pour sûr de la rue
Contrescarpe (i) et séparait une propriété au
sieur Vervin d'une autre à la dame Mesnard.
Sur la même ligne, le duc de Nevers avait
vendu directement, dès l607, ù Claude Garlin,
une place sur laquelle la Ville l'avait empêché de
bâtir durant une vingtaine d'années, dans l'inten-
tion d'y ouvrir un passage entre la rue Dauphine
et la porte de Buci. Le parlement et le bureau
de la Ville étaient en désaccord sur ce projet;
mais le différend finit par s'accommoder, gi-àce h
un nouvel alignement donné aux héritiers de Garlin
par le maître-des-œuvres de l'édilité parisienne,
(1) La rue Contrescarpe-Dauphine est devenue la rue
Mazet.
450 RUE DAUPHINE.
et grâce aussi h la cession qui leur était faite de
32 toises en longueur, sur 8 de largeur, ii prendre
sur l'ancienne enceinte citadine, ainsi que sur
son marchepied, tout auprès de la contrescarpe,
moyennant deux livres de revenu.
Les 42, 44, 46 sont d'une architecture trop
sans-façon, percés de jours trop inégaux, emman-
chés sur des escaliers trop à pic, trop essoufflés
enfin par les deux siècles qui ont couru devant leurs
portes, pour ne pas rehausser encore l'apparence
valide, vigoureuse d'une maison voisine, qui se
tient mieux en selle. Elle est pourtant à cheval
sur la rue Mazarine depuis le commencement du
règne de Louis XV, et l'étrier lui a été tenu par
l'architecte Desmaisons, lequel affectionnait les
encoignures.
Près du pont Neuf demeurait, au contraire, le
dentiste Lejeune, en 1683, et sa devise était :
Au-plus-Expert. Le comte de Milly avait, cent
ans plus tard, un cabinet d'histoire naturelle en
réputation dans l'une des plus belles maisons de
la rue Dauphine.
Rue Oreiiier-siir-rEau. (i)
En l'année 1241, quelques maisons groupées entre
l'église Sainl-Gervais el la rivière ont été données
aux templiers par Garnier ou Guernier, non propre
dont le populaire a fait ensuite par corruption
Grenier, et, à cela près, la petite rue dans laquelle
se trouvaient les nraisons du donateur est restée
sa filleule. Néanmoins on disait encore en 1257 :
rue André-sur-l'Eau. Elle figurait dans les comptes
relevés de la taille, pour l'an 1391, sous le nom
de Garnier-sur-l'Eau, et deux contribuables y étaient
signalés, Jacob de Marcilli, Raulin Petit: le premier
pour une maison « qui l'ust aux Nonneardierre,
depuis aux moines de PruUy, depuis à Jacques
Lenoble, tenant à la maison du coin de ladicte
rue de vers Seine;» le second, « d'austre part de
ladicte rue, maison à apentis. »
Dans la même rue, au-dessus d'une porte, on
a vu pendre un Cygne-percé-d'un-Dard, sous le
règne de François I"''. N'était-ce pas la flatterie,
plutôt que le hasard, qui reproduisait cet emblème ?
La reine Claude l'avait adopté et il se profile en
ronde-bosse, avec le chiffre couronné de cette prin-
cesse, avec l'hermine et le bouquet de lis qui
rappellent aussi la candeur de son âme, sur des
médaillons qu'on remarque depuis lors au château
de Blois. A l'emblème royal s'attachait cette devise:
Candida candidis. Plusieurs savants vont encore
nous reprocher de ne rien vouloir faire comme
(1) Notice écrite en 18G4. La rue Grenicr-sur-l'Eau
donne depuis lors un démenti au proverbe : <■ Comme
on fait son lit ou se couche. » Elle allait tomber lour-
dement dans une ruelle, biou plus large et profonde
que l'espace laissé par elle entre sa vieille couchette
et la muraille, où des bornes tenaient à peine, quand
un escalier est venu à son scicours. L'escalier retient
la moitié de l'ancien lit, comme si c'était le baldatjuiu
du nouveau.
452 RUE GRENIER SUR-L'EAU.
eux, qui donnent de ces deux mots une traduction
bien différente de la nôtre. « Blanche, disent-ils,
parmi les blanches, » et nous comprenons, quant à
nous : Le blxnc sied aux candides.
En mars 1577, Henri III établissait par édit une
communauté nouvelle des Marchands-de-vin, dont
les statuts ont été confirmés par Henri IV, Louis
XIII et Louis XIV. Sous le dernier de ces rois,
les marchands de vin eurent le siège de leur cor-
poration dans la rue Grenier-sur-l'Eau, au-dessus
d'une cour de passage, formant ruelle, dont parle
Sauvai, et qui menait à la rue aux Bretons. Leurs
gardes et maîtres jouissaient des mômes privilèges
que ceux des six corps de marchands, et ils pou-
vaient remplir, par conséquent, les charges muni-
cipales et consulaires. Les armoiries qu'ils avaient
obtenues en l'année 16ÎÎ9 comportaient principale-
ment un navire à bannière de France, qui flottait
entouré de six petites nets, et une grappe de raisin
en chef, sur champ d'azui". Au moment de la
Révolution, le droit de réception ne s'élevait plus
qu'à 600 livres, et le brevet d'apprentissage îw'l 2:
le bureau se trouvait alors rue de la Poterie.
Vers le même temps était propriétaire un serrurier,
qui s'appelait Prévost, à l'un des coins de la rue
Geoffroy-l'Asnier, et deux maisons qui se touchaient,
du même côlé de la rue Grenier-sur-l'Eau, mais
au milieu, appartenaient à Tristant, colonel au
régiment de Boulonnais.
En cette ruelle du xin*" siècle, coupée en deux
par la rue du Pont-Louis-Philippe, et qu'un nouvel
al'gnement appelle à devenir presque aussi large
qiij longue, la moitié des souvenirs que nous
venons d'évoquer s'appliquent à des maisons encore
debout. Des écoles municipales de garçons et de
filles ne sont que depuis 1830 au n" !2, antérieure-
ment occupé par les sœurs qui tiennent d'autres
écoles rue Fauconnier.
Rue Ciiviei*. (i)
L'Abbaye Saint-Victor. — Les Nouveaux- Convertis .
— Leur Cuisinier. — Les deux Ruelles. — UHôtel
Magny. — Les Marchands de Bois. — Le Jardin-
du-Roi. — V Etat-Major du Muséum.
« Rue derrière les murs de Saint-Victor, »
telle était, en l'an 1552, la dénomination de la
rue dite ensuite du Ponceau, puis de Seine, puis
Cuvier. En effet, le mur des victorins longeait
cette voie publique à droite, comme la bordent
de nos jours à gauche les maisons du Jardin-des-
Plantes, et un ponceau était jeté sur la Bièvre,
au milieu de la rue, quand cette petite rivière
traversait encore l'enclos de l'abbaye.
Un temps fut où toutes les maisons de la rue,
qui ifen avait alors que du côté opposé audit
monastère de Saint-Victor, appartenaient au sémi-
naire des Nouveaux-Convertis, comme le dit M.
Deleuze, dans son Histoire et Description du
Muséum d'Histoire Naturelle. Pierre-François de
Riencourt était alors supérieur et recteur de cet
établissement, fondé dans la Cité par le capucin
Hyacinthe de Paris, puis transféré là. L'institution
avait pris pour modèle celle des Nouvelles-Catho-
liques ; elle n'avait reçu l'approbation de l'arche-
vêque de Paris, du pape et du roi, qu'à la condition
de s'en tenir au séculier et de ne pouvoir jamais
.se convertir en maison de profession religieuse.
Quant aux propriétés que cette œuvre avait
réunies dans la rue dont nous vous faisons les
(i; Notice écrite en 1859.
39
451 RUE CUVIER.
honneurs, elles étaient, antérieurement à leur sorte
d'entrée en religion :
Le Chapeau-Royal, à M^e de Beaufort; le Rabot, à
Marie Deffila, veuve de Jacques Violle : la Douce-Vie,
à la même dame, y succédant à Antoine VouUeraior,
et un hôtel, avec chapelle et grand jardin, vendu en
1»>56 par Thibault, sieur de Ja Boissière, à Cyrus de
Viiliers de la Fuyo, conseiller du roi, évêque de
Périgueux, directeur de la Congrégation, et à Antoine
Barillon, cheva'ier, seigneur de Magny et de Morangin,
conseiller du roi.
Deux autres maisons, acquises pour faire partie
de ce collège d'abjuration protestante, qui n'eut
de raison d'être que jusqu'à la révocation de l'Edit
de Nantes, s'élevaient dans la ruelle du Tondeur,
plus rationnellement qualitiée du Cochon. Celle-ci
rampait le long de l'hôtel et donnait par une
porte chartière sur le Jardin-des-Plantes du roi,
après avoir servi d'avenue à un dépôt municipal
d'immondices. ,
Antoine Valiot, premier médecin du roi, avait
fait bâlir dans une ruelle parallèle et dans celle-
là, qu'avait habitée après lui l'abbé Valiot, avec
ses frères. Or l'abbé Fagon occupait, du temps
de Riencourt, dans la rue du Tondeur, une des
maisons Valiot, qui n'avait pas été englobée avec
les autres. Une autre enfin et son jardin avaient
par-là pour propriétaire Jean Dubois, maître-cuisi-
nier de l'établissement religieux et du Jardin-des-
Plantes.
La seconde ruelle devait la dénomination de
Jean-de-Cambray à l'acquéreur qu'y avaient eu
l'abbé et les religieux de Saint-Victor par contrat
du 28 juillet 1546. Jean de Cambray avait laissé à son
fils le grand logis et le jardin, tenant d'un côté
RUE CUVIER. 455
au rû de la Bièvre, et qu'eurent à leur disposition :
Claude Hubert, puis sa veuve, puis Etienne de
Meuve, puis sa veuve, puis leur 111 s, puis Margue-
rite-Hélène de Meuve, veuve du marquis des
Réaulx, puis le marquis Foucault de Magny. Ce
dernier, bien qu'il tût antiquaire et littérateur,
se distingua dans l'administration, comme intendant
de diverses généralités, et ne se vit qu'ensuite appelé
à Paris ; le roi l'y fit conseiller d'Etat, et Madame,
chef de son conseil. Ayant obtenu l'érection en
marquisat de la terre de Magny, acquise en
Normandie, ce premier marquis de sa famille
mourut rue de Seine-Saint- Victor, en 1721. Son
fils servit, non sans éclat, dans les armées. Leur
propriété, contiguë au Jardin-du-Roi, ne se bornait
pas à celle de Jean de Cambray, qu'ils avaient
accolée à un hôtel construit rue de Seine, sur
le plan de Bullet, une vingtaine d'années après
la fondation des Nouveaux-Convertis. Cet autre
hôtel avait appartenu à M. de Vaiivray en 1708,
à M. Voulions en 1707, à M. Chomel en 1701,
îi l'abbé Le Pileur vers 1690 et à Jean Debray
auparavant. M. de Vauvray lui-même y avait ajouté
un cottage, dont les héritiers de M'"'' La lieyne
avaient re(;u le prix. Les Magny, non contents-
de cette nouvelle agglomération, augmentèrent les
dépendances deieur propriété, en acquérant encore :
et un autre jardin, qui provenait de Jean Debray, et
les Trois-Visages, maison et jardin dont ne se
défit pas avant 1740 Dubuisson, maitre-maçon,
successeur de Turpin,*qui l'était de Philippe Leduc,
et jusqu'à la propriété du traiteur Jean Dubois,
dont les Iburneaux se rallumèrent sans encombre à peu
de distance. La marquise de Fresnoy était locataire
de l'avocat Langlois, dès 17o4, dans l'une des
anciennes propriétés de la Propagation-de-la-Foi.
Deux années plus tôt, Pierre Angot, mnître-char-
pcnlicr, avait fait bâtir une maison de l'autre côté
456 KUE CUVIER.
de la rue, au coin de celle Saint-Victor (i), sur
une place que l'abbaye de Sainte-Geneviève avait
baillée à cens. Au nombre des voisins de Magny,
d'Angot et de M""' de Fresnoy, étaient des marchands
de bois à ces enseignes : Saint-Pierre, Saint-Louis,
le Chêne-Vert, Saint-François, la Providence.
Buffon obtint en 1787 que tout l'hôtel Magny
fût acheté par le roi et incorporé à son Jardin-
des-Plantes. Le principal pavillon de ce groupe
vous est encore facile ii distinguer, lorsque vous
entrez au Jardin par le n° 57 de la rue Cuvier :
ledit bâtiment ceint pour diadème un fronton,
comme s'il voulait toujours tenir son rang. Le
prince des naturalistes installa Daubenton et Lacé-
pède à l'ancien hôtel de 3Iagny. Lacépède n'était
encore que sous-démonstrateur ; Buffon lui légua,
en mourant, son héritage scientifique. Daubenton
était professeur d'histoire naturelle au Collège
de France et d'économie rurale à Alfoi-t, garde
et démonstrateur du cabinet d'histoire naturelle,
avant la mort de son illustre ami et collaborateur.
Le ci-devant hôtel no s'en trouvait pas moins
une maison d'éducation au commencement de la
Bévolution, et parmi les élèves de cet établisse-
'ment en bonne réputation, que patronnaient sans
doute les savants ses voisins, figura le jeune
Défriche, plus tard célèbre sous le nom de baron
Desgenettes. La Convention transforma le ci-devant
Jardin-du Roi en école publique, dite Muséum
d'histoire naturelle ; Daubenton y fut pourvu de
la chaire de minéralogie, et c'est alors qu'il se
fixa dans le pavillon au fronton. Les honneurs
qui n'avaient pas manqué à la vie politique de
Lacépède s'étendirent moins vite au "sieillard que
l'élude de la nature lui avait donné pour émule et
(1) De ce côté la rue Saint-Viclor s'appelle aujourd'hui
Linnée.
RUE CUVIfiR. 457
qui cessa de vivre peu de temps après sa nomi-
nation de sénateur.
Fourcroy, qui garda vingt-cinq ans la chaire
de chimie à laquelle BulVon l'avait no'Timé en
1784, séjourna également h l'hôtel Magny pendant
un certain temps, comme deux autres notabilités :
André Thouin, fils du jardinier en chef, devenu
professeur de culture, grand voyageur, auteur de
livres estimés, et Bosc, inspecteur des pépinières
de France. Ce dernier occupait le bâtiment qu'on
trouve à droite en entrant dans la cour, et qui
s'était substitué aux moulins du nommé Léger,
riverains de la Bièvre. L'autre construction, celle
de gauche, abrita l'abbé Hai^iy, physicien distingué,
membre de l'ancienne académie des Sciences.
Quant au fameux Brongniart, ex-apothicaire de
Louis XVI, pharmacien militaire en même temps
que professeur, il ne profita pas personnellement
de son appartement sous le même toit que l'abbé ;
mais il y installa son frère.
La porte du 43, qui rivalise de haute mine
avec celle du 57, ne vous aide-t-elle pas h recon-
naître l'ancien purgatoire de l'apostasie ? Ce n'est
pourtant qu'une des maisons dont se composa la
belle hôtellerie de la conversion. Ah ! si Dubois
nourrissait aussi bien les cathécumèiies que le
recteur les logeait, cela valait évidemment une
messe. La pilule des prêches protestants se dorait
ailleurs pour d'autres néophytes, mais moins bien.
Les tiacres ont eu leur régie dans l'hôtel qui avait
dû être la résidence du recteur de la communauté.
Puis le grand bureau des fiacres s'est converti
lui-même en un magasin h farine. La cour de la
ci devant régie, où figure encore de nos jours
un très-populaire mammifère de l'ordre des cétacés,
lui a dû le nom de cour de la Baleine. L'exten-
sion du Jardin-des-Plantes a érigé cet immeuble,
avec tous ceux qui lui forment une ceinture, en
488 RUE CUVIER.
colonie d'une classe de savants dont les travaux
font de cette ville h part la métropole des
sciences naturelles, et dont les noms acquièrent
lentement leur gloire. Plus un naturaliste se
sent vieillir, plus il utilise les moments, dans la
crainte des loisirs forcés, et sa seule retraite est
la mort. On a eu bien raison de donner le nom
de l'un d'eux, choisi dans les illustres, à la rue
qu'ils habitent le plus volontiers.
Où demeure M. Cordier, c'est-à-dire n" 33,
demeurait Faujas de Saint-Fond, éminent géologue,
dont le fils fut maréchal-de-camp. Le 13, dont
dépendait le 17, a gardé une porte cintrée,
contemporaine sans doute de Calvin. Georges
Toscan, bibliothécaire du Muséum, ex-rédacteur
de la Décade philosophique, était propriétaire du
i3, où vécut ensuite Laugier et où se retrouve
M. Duméril, qui des pieds à la tête est encore vert,
bien qu'il ait tàté le pouls, comme médecin, à
cinq générations de la famille de l'auteur du
présent recueil, et que Toscan l'ait connu en 1797
chef des travaux anatomiques à rEcole-de-3Iédecine.
Les murs déjà séniles du \\ attenaient en ce
temps-là à des chantiers, qu'a englobés le
Jardin depuis; un marchand de vin y tenait table
ouverte.
Enfin M. Antoine-Laurent de Jussieu, ce membre
d'une famille féconde en naturalistes connus, fut
le premier savant qui s'établit au n'' 61, lors de
la constitution du Muséum, en 1793. C'était l'une
des maisons de la rue de Seine annexées au Jardin-
des-Plantes à cette époque, qui vit aussi y amener
la ménagerie de Versailles. Entre ce n'^" 61, qui
avait été le plus peuplé des bâtiments de l'établisse-
ment religieux, et le n" o7, se reconnaît l'ancienne
chapelle de la communauté; on allait dernièrement
en taire un logis de portier, quand la mort du prince
Charles Bonaparte, qui devait, pour suivre ses goûts
RUK CUVIER. 459
bien marqués de naturali'^le, se lixer aux Nouveaux-
Couverlis, est venue imposer un deuil à la
science cl laisser la cliapcUe liislori'iuc au statu quo
de niat^asin.
La Rue de Jotiy
et les «leiix rues Percée, (i)
De 1404 à 1864.
« Le duc de Berry, aux termes d'un contrat d'échange
en date du 22 juin 1401, cesde au duc d'Orléans son
hostel des Tournelles assis prez du Chastel ou Bastide
de Saincl-Antoine, lequel hoslel fust paravant à Pierre
d'Orgemont, jadis chancellier de France, et depuis
à Pierre d'Orgemont, son fils, évesque de Paris, joignant
d'une part aux hoirs feu Braulard, maison en laquelle
demeure présenclement Jean Thibaut, et à l'hostel et
jardin qui fusrent à Nicole de Rincé et depuis à Pierre
de Giac, d'austre aux maisons de Guillaume Petit-Sainct,
aboutissant par-devant sur la rue Saincl-Antoine et par-
derrière à la cousture Saincte-Catherine. Et en contre-
échange ledict duc d'Orléans cesde audict duc de
Berry son hostel qui fust à Hugues Aubriot, prévost
de Paris, et depuis à Pierre de Giac, tenant d'une
part à la ruelle nommée la rue Percée, par laquelle
on va de la rue de Jouy à la grant'rue Sainct-Antoine,
d'austre part aux murs de l'ancienne closture de la
ville, aboutissant par-devant à la rue de Jouy et par-
derrière aux hostels qui fusrent à Pierre de Montigny
et à Pierre d'Orgemont, et depuis à Guillaume d'Or-
gemont, son fils, et à un hostel nommé la Pomme-de-
Pin, appartenant à Jacques Guérard, et à l'hostel de
Jean Chanteprime qui joinct auidicts murs. »
Quoique d'une naissance obscure, Hugues Aubriot
était devenu surintendant des finances, puis capi-
(1) Notice écrit-^î en 18G4.
LA RUE DE JOUY, ETC. 411
taine de la ville de Paris, autrement dit prévôt
de Taris. Il avait posé, le 12 avril 1369,. la première
pierre de la Bastille, forteresse destinée ;'i couvrir
de sa protection le royal liôtel de Saint-Paul,
contre les incursions des Bourguignons et des
Anglais ; mais la Bastille s'était montrée bientôt
d'une ingratitude sans pareille, en servant de prison
à Aubriot, que l'université de Paris accusait de
presque tous les crimes. En 1383, le roi avait
donné l'ancien hôtel de ce prévôt, ainsi que l'ancien
mur de la ville compris entre la rue Saint-Antoine
et le jardin dudit hôtel, îi Pierre de Giac,. chan-
celier de France. La même propriété était connue
sous le nom de maison des Marmouzets quand
le duc d'Orléans en disposait. Le duc de Berri,
frère de Charles V, la donna, dès qu'il en fut le
maître, au surintendant Jean de Montaigu. Cinq
ans après, pour ce dernier, le sablier de la faveur
était vide et ne devait plus se remplir : le prévôt
Pierre des Essarts, créature du duc de Bourgogne,
arrêtait près la porte Saint-Victor, en plein jour,
Jean de Montaigu, qui eut la tête tranchée. Guil-
laume, duc de Bavière, tint le même hôtel de
Charles VI, avant que ce roi en gratifiât Jean
de Bourgogne, duc de Brabant, contre l'occupation
duquel se pourvut Louis de Bavière, comme
héritier de Guillaume. Morcellement de la propriété
au commencement du xvi'^ siècle. Acquisition d'une
dernière part d'icelle, en l'année 1629, moyen-
nant 105,000 livres, par les jésuites, pour l'agran-
dissement de leur maison professe, ouvrant prin-
cipalement rue Saint-Antoine. Plus d'un mur se
reconnaîtrait de l'ancien hôtel d'Aubriot, tant
dans la ruelle vénérable qui n'était, de son temps,
ni plus ni moins Percée, que dans le passage
Charlemagne et dans la rue du môme nom, qui
lit partie de la rue de Jouy. On sait que le lycée
Charlemagne occupe, depuis sa création, le ci-
4G2 LA RUE DE JOUY
devant séminaire dans lequel Louis XV, par lettres-
patentes du 2;> mai 1767, avait donné aux jésuites
exilés pour successeurs les chanoines réguliers
de Sainte-Catlierine-du-Val-des-Écoliers.
Cette rue Percée cache si peu qu'elle existait
déjà au xui'' siècle! Qui oserait dire qu'elle n'a
rien conservé, non-seulement du logis prévôtal,
mais encore des hôtels de Jouy et de Chaalis,
dont notre rue de Jouy n'a certainement plus pierre
sur pierre? L'abbaye de Chaalis, de l'ordre de
Cîteaux, s'était formée sous les auspices de Louls-
le-Gros, dans un domaine offert, près de Senlis,
par Guillaume de Senlis, seigneur de Chantilly et
grand-bouleiller de France : saint Guillaume de
Corbeil, archevêque de Bourges, avait été lui-même
abbé de Chaalis. Les religieux et l'abbé de cette
maison eurent pendant quelque temps une succursale
urbaine dans la rue à VAhhé de Joity. Du même
ordre, l'abbaye de Jouy devait sa fondation en
1124 près de Provins, dans la forêt de Jouy, à
deux gentilshommes du canton, Pierre de Castel
et Milon de Naudé. La propriété entretenue par
les religieux de Jouy, dans la rue qui portait ce
nom, ne fut aliénée qu'en 16b8 par Pierre de
Bellièvre, abbé commendataire. La rue de Jouy,
à cette date, se prolongeait encore jusqu'à l'em-
placement de la poterne Saint-Paul, qui avait fait
corps avec l'enceinte de Philippe-Auguste. Cette
poterne n'avait donné son nom que passagèrement et
partiellement à ladite rue, de laquelle est sortie
ensuite, mais pour n'y plus rentrer, la rue des
Prêtres-Saint-Paul, convertie en rue Charlemagne
depuis l'ouverture du lycée.
En revanche, demandez l'ancien hôtel d'Aumont,
et le n" 7 de la rue de Jouy s'empressera de ré-
pondre: Présent! La pharmacie centrale de France
y remplace la pension Petit, qui elle-même succédait
à la mairie du lv= arrondissement. L'administration
ET LES DEUX RUES PERCEE. 463
de celle pharmacie est purement civiFt; et libre;
elle se propose rapprovisionncment de toutes les
pharmacies, bien qu'elle ait pour clients des corps
constitués, tels que la garde municipale. Un l'ameux
linancier, l'abbé Terray, a occupé le même hôtel,
auquel se rattachait le n" 5 ; ce ministre de Louis XV
était en même temps propriétaire à l'angle do la
rue de Fourcy et il y avait en ce temps-Ki dans
hi rue un hôtel de la Croix-d'Or, tenu par Lanoise.
Un siècle s'était déjà passé depuis que François
Mansart, le vieux et le grand dos deux Mansart,
avait dessiné l'hôtel d'Aumont, et depuis que
Lebrun l'avait illustré d'un plafond, YApothéose
de RomulKs, plus stable que la Vénus ù demi
couchée d'Auguier, qui était l'honneur du jardin.
Le premier occupant se trouvait un duc d'Aumont,
que sa majorité précoce, comme celle des rois,
avait fait colonel de cavalerie à l'Age de iO ans,
capitaine des gardes à 16, Vie bien remplie pourtant
que la vie de ce duc, qui a servi avec honneur et gou-
verné le Boulonnais ! Sa mort date de 1704,
et il s'était entouré à Paris d'un si grand nombre
de curiosités et de meubles précieux, qu'il a fallu
plusieurs mois pour les vendre publiquement dans
ses appartements. Un autre curieux, qui demeurait
aussi rue de Jouy, M. du Plessis, était cité dans
l'almanach de 169J ou 1692.
X l'hôtel adjacent on prend moins garde ; toutefois
il paraît quelque peu plus ancien que l'autre.
N'a-t-il pas partagé le nom de Henri de Fourcy,
qui était prévôt-des-marchands de 1684 à 1692,
avec un cul-de-sac qui survivait à la rue de
l'Aviron, antérieurement ruelle Hélie-Annot? Ce
cul-de-sac, bien que déjà donné à M. de Fourcy,
subsista encore quelque temps, comme cour ouverte
à tout le monde; sa place était entre les n*"' 9
et il, où il n'en reste plus de traces. En revanche,
la rue de Fourcj -Saint-Antoine, qui eut le même
464 LA RUE DE JOUY
prévôt-dcs-marcliands pour parrain, est encore
pleine de vie.
La cour Guépine, qualifiée impasse sur une plaque
au coin de la rue de Jouy, nous remet en mémoire
(|u'un bourg de la Guespine avoisinait la porte
Baudet, sous le règne de Louis IX.
Le n" 12 de cette rue dépendait de l'hôtel de
Beauvais, situé dans la rue Saint-Antoine (i).
A l'époque où ledit hôtel appartenait au comte
d'Eck, 31, de Bligny était propriétaire, au milieu
de la rue Percée, d'une maison plus que séculaire.
Elle s'était détachée pour sur d'un des premiers
hôtels dont fait mention la présente notice.
Une toute autre rue Percée, dite Percée-Saint-
André, n'est plus même une impasse depuis qu'une
porte en bois la bouche sur la rue Hautefeuille,
au pied d'une jolie tourelle: l'autre issue en est
condamnée par un immeuble du boulevard Sébas-
topol. Cette ruelle, qu'on connaissait déjà comme
viens Perforatus, donnait encore rue de la Harpe
avant le percement dudit boulevard.
3Iignot, le plus célèbre des pâtissiers-traiteurs,
avait sa boutique rue de la Harpe, vis-à-vis de
la rue Percée, dans la seconde moitié du grand
siècle. Ses charges de maitre-queux de la maison
du roi et d'écuyer de la bouche de la reine
l'avaient-elles préservé de ce qui ferait actuelle-
ment le sujet de poursuites en diffamation ? Depuis
que les menaces de la loi imposent aux journaux
et aux livres plus de respect pour l'industrie du
restaurateur que pour le sacerdoce et même la
législature, combien d'abus croissent et se perpé-
tuent, au détriment de la sérénité, quand ce n'est
(1) De ce cotp la rue Sainl-.lntoine s'appelle main-
tenant Francois-Miron.
ET LES DEUX RUES PERCEE. 465
pas (le la santé publique. Le vin ordinaire est
devenu, dans tant de restaurants, si extraordi-
naire qu'on le noyé prudemment dans l'eau gazeuse,
au lieu d'y noyer ses ennuis. C'en est l'ait du
gril et de la broche, par-dessus le marché, si
la critique reste plus longtemps bâillonnée ! Mignot
avait beau se plaindre à M. Deflita, le lieutenant-
criminel, et à M. de Riants, le procureur du roi,
les satires de Boileau n'en continuaient pas moins
à le traiter d'empoisonneur, . vengeant ainsi de
mauvaises digestions, qui de nos jours resteraient
impunies. De guerre lasse, que fit Mignot? 11
servit d'excellents biscuits, qui n'auraient jamais
vu le jour sans la polémique culinaire qui finit,
par faire sa fortune : ces biscuits étaient enveloppés
dans une réponse de l'abbé Cotin aux violentes,
mais utiles critiques de Boileau.
Rue Payeuiic. (i)
il/'"'' de Séoigné. — il/'"*^ de Maintenon. — L'Arsenal
de la Ville. . — Le Duc du Lude. — M. de
MaMppjm. — Les Religieuses. — M. Rouillé. — Le
Comédien Floridor. — Marion Delorme. — La
Famille Le Peletier. — Les d'Argouges. — La Z)'-***
de Chàtillon. — M. Hocqitart.
Cette rue du Marais, si vous lui demandez quel
fut l'apogée de sa fortune, vous ramène aussitôt
en plein xvii^ siècle. Attendez-vous donc à de grands
noms. M""" de Sévigné par-ci et M""' de Maintenon
par-là : le moyen de mieux commencer! Les derrières
du célèbre hôtel Carnavalet, où s'écrivaient des
lettres plus célèbres encore, se trouvaient d'un
côté de la rue ; de l'autre, une des habitations de la
femme illustre qui, dans le même siècle, devait
le plus changer de place. Que M""' de Maintenon,
avant de porter ce nom de cour, en ait été réduite
aux charités de la paroisse Saint-Eustache, et
qu'elle soit sortie de cet état précaire par des
expédients encore moins avouables, Saint-Siiiion
ne se fait pas faute de le dire; mais convient-il
d'en croire ce grand ennemi de M'"" de Maintenon ?
Croire, au contraire, Scarron assez cul- de-jatte
pour que sa veuve ait pu écrire un jour à d'Au-
bigné, son frère : « Je n'étais pas mariée », serait-
ce donner dans moins d'invraisemblance ? Un poète
burlesque se marier en buste: chasteté absolue
singulièrement placée entre l'hymen et la boulïbn-
(1) Notice écrite en 18(34.
RUE PAYENNE. 467
nerie! A l'hôtel du Lude, rue Payenne, l'i.itéressante
protégée appelée à devenir une si haute protectrice,
n'était pas loin de la chambre jaune que la belle
et spirituelle Ninon de Lenclos, à ce qu'on ose dire,
lui aurait prêtée en cachette, lorsqu'elle avait le
plus sa fortune à taire ; mais on sait que Ninon
refusait pour elle-même le plus petit cadeau, en
ennemie déclarée de l'amour intéressé !
La famille de Deslandes-Payen, ami de Scarron,
pouvait avoir tenu cette rue sur les fonts baptis-
maux de l'édilité parisienne. Toutefois on l'avait
dite Payelle, Parelle et de Guyenne, avant l'année
1636. Au siècle précédent, Henri II avait demandé h
la Ville certaines granges, b. l'usage de l'artillerie, qui
avaient été prêtées h François I'-'' en 1533, et il
avait offert un dédommagement, sans le déterminer
lui-même; les édiles, par délibération du 10 mars
1550, avaient choisi une grange et un terrain de
la culture Sainte-Catherine, que le roi avait achetés,
pour établir l'Arsenal de la Ville, et celui-ci avait
été construit, par conséquent, entre les rues
Payenne et Culture-Sainte-Catherine, près celle du
Parc-Royal. François Trudaine, sieur de Monceaux
près Ville l'Evêque-Saint-Georges, résidait h. côté
en l'an 1582. Que si nous remontons encore plus
haut le cours des âges, nous voyons que Jean
Payen, écuyer, avait une maison dans le voisinage
des Tournelles, sous le règne de Charles VI : elle
était vraisemblablement rue Culture et rue Saint-
Antoine.
Henri de Daillon, comte du Lude, grand-maître
de l'artillerie de France, fait duc en 1675, puis
premier gentilhomme de la chambre, gouverneur
des châteaux de Saint-Germain et de Versailles,
n'avait pas, en ces qualités, à jouer un mince
personnage, et néanmoins il amusait souvent de
ses bons mots la galerie : il fut l'un des adorateurs
de M""» de Sévigné. Le plan de Bulet, achevé en
468 RUE PAYENNE.
rannée 1707, indiquait encore la place de l'hôtel
du Ludc aux n"' 11 et 13 d'iVprésent, bien que
depuis dix-sept ans déjî» il n'y eût plus de duc
du même nom. Le comté du Lude avait successi-
vement passé £u maréchal de Roquelaure, dont
la mère était une Daillon, et au duc de Rohan-
Ghabot, dont la mère avait hérité du maréchal de
Roquelaure; l'hôtel avait suivi plus ou moins
longtemps le "même sort que cette terre. Un plan
de 1728 marquait l'hôtel Maupeou au même endroit.
M"'" de Sévigné et M'"« de Grignan, h l'hôtel
Garnavalet, avaient immédiatement pour voisines,
dans la rue Payenne aussi bien que dans la rue
Gulture-Sainte-Catherine, les annonciades célestes,
ou fdles bleues, couvent fondé par la marquise
de Verneuil en \G±2, et dont l'église avait un
maître-autel magniriquemenl décoré de V Annoncia-
tion du Poussin.
Gette inscription topographique de Gomboust :
Religieuses de la Nativité de Jésus, et cette autre
de Bulet: M. Rouillé^ sont remplacées le long de
notre rue par les premiers chilIVes impairs. Ré-
formées sous le titre de iîlles de la Nativité-de-
Jésus, les petites cordelières de l'ordre de Sainte-
Claire venaient du faubourg Saint-Marcel; elles
quittèrent pour la rue de Grenelle-Saitit-Germain,
en 1687, celle où leur succéda M. Rouillé. Ce
procureur-général en la chambre des comptes,
nonmié ensuite l'un des directeurs des finances,
nous est représenté par Saint-Simon, non comme
un bourru bienfaisant, mais comme un bourru
débauché. Quand le duc deXoailles fut obligé de
s'effacer. Rouillé se retira volontairement des
affaires, avec une pension de l,iJOO livres : était-
ce là un acte de brusquerie qui rapportât de quoi
nourrir des vices? Il en avait, par malheur,
défrayé aux dépens de l'Etat s'il était ce môme
financier Rouillé qu'on avait condamné en 1706
RUE PAY1-:NN1:. 4U9
il la restitution de 117,000 livres. Sur le théâtre
machiné de Tancienne cour, comme les chan-
gements à vue s'opéraient bien ! Tout n'y procédant
que par cabale, quel acteur n'avait pas ses jours
pour êtresifïlé?
Le Roman comique de Scarron nous montre assez
que les tréteaux véritables mettent encore moins
à l'abri des disgrâces le comédien de prolession.
Fioridor, qui en avait mené la vie nomade, s'ap-
pelait réellement Josias de Soûlas, sieur de
Prinefosse; il avait essayé de la profession des
armes, avant que de servir en province de bilboquet
à la fortune dramatique, et par bonheur il était
parvenu â se faire goûter du public parisien dans
les premiers rôles de la comédie et de la tragédie.
Ce notable' comédien portail le titre d'écuyer, à
la ville; il y demeurait rue Payenne, non loin du
théâtre du Marais, où avait commencé sa répula-
tion. 3Iais c'est à l'hôtel de Bourgogne que Fioridor
et ses confrères de la troupe royale donnèrent
en spectacle gratis une des premières représen-
tations de Stilicon, ouvrage de Thomas Corneille,
et un ballet. La ;¥i<5e /(isi;or?gue de Loret, chroni-
queur en vers, rendait compte de celte solemiité :
Fioridor et ses compagnons,
Sans estre incitez, ny semons,
Que par la véritable joj-e
Que dans le cœur la paix envoyé,
l'our réjouir grands et petits,
.Jeudi récitèrent gratis
Une de leuis Pièct'S rjojivelles
Des plus graves et des plus belles,
Qu'ils liront suivie d'un Balet
Gui, divertissant et folet;
Contribuans, de bonne giàcc.
Aux plaizirs de la pojiu'ace
Par celle générozité,
30
470 RUE PAYENNE.
Autrement libéralité,
Qui fui une évidente marque
De leur zèle pour le Mouaique.
Les principaux « compagnons « de Floridor,
dans cette circonstance mémorable, n'étaient rien
moins que Baron père, M"'' Béjard, les époux
Brécourt et les époux Champmeslé, qui eurent,
ainsi que lui, l'insigne honneur de servir d'inter-
prètes au grand Corneille, :^ i\Ioliôre, à Racine.
De tels comédiens ne méritaient-ils pas d'avoir
un théâtre bien à eux? Leurs représentations
d'alors alternaient avec celles d'une troupe italienne,
que Mazarin avait installée à l'hôtel de Bourgogne,
et ces farceurs de Scaramouche, Mezetin et Pan-
talon y donnaient l'hospitalité au tragique Stilicon.
Plus tard, la réunion des comédiens français de
l'hôtel de Bourgogne avec ceux de la troupe du
Marais et de la troupe de Molière, à laquelle la
mort venait d''enlever son directeur illustre, eut
lieu dans une salle neuve, au bout de la rue
Guénégaud. Un genre nouveau de comédie italienne
continuait à exploiter, mais sans fjartage, la scène
où s'étaient joués le Cid, Andromaque, Phèdre et
tant d'autres chefs-d'œuvre! En 1697, la repré-
sentation de la Fausse Prude, pièce dont l'héroïne
ressemblait trop à M'"" de Maintenon, flt fermer,
par ordre du roi, la salle de l'hôtel de Bourgogne,
à laquelle il ne fut permis de rouvrir ses portes
qu'après la mort de Louis XIV.
Parmi les membres du conseil de régence
ligurait Michel Le Peletier de Soucy, directeur-
général des fortilications, membre du conseil des
finances, du conseil d'Etat et de l'académie des
Belles-lettres, qui, âgé de quatre-vingts ans, se
retira à l'abbaye de Saint-Vicior. Son hôtel occu-
pait la place de cet Arsenal de la Ville dont nous
avons parlé un peu plus haut, et il y avait été
précédé par Marion Delorme, cette autre étoile
RUE PAYENNE. 471
de la pléiade des lemmes illustres du xvii« siècle.
Le Peletier des Forts, comte de Saint-Fargeau, fils de
M. de Soucy, époux deM"'' de Lamoignon et grand-
père du conventionnel Le Peletier de Saint-Fargeau,
ci-devant seigneur de Ménilmonlant, fit partie de
l'académie des Sciences et fut contrôleur-général,
après cela ministre d Etal. L'ancienne résidence de
celte famille sert maintenant de siège principal
h l'administration du Factage-parisien.
De l'hôtel d'Argouges il survit, môme rue, le
n" 3.
La duchesse douairière de Chàtillon, propriétaire
de l'hôtel de Maupeou, antérieurement du Lude,
y tenait encore, sous la lin du règne de Louis XV,
il M. d'Argouges, d'une part, à M. d'Hérault, d'autre
part. Sa belle maison fut acquise, en 1783, par
M""' Hocquart, femme du procureur-général à la
cour des aides. Celui-ci, ou quelqu'un des siens,
remplissait, quelques années plus tard, les mêmes
fonctions à la cour des comptes, d'après un livre
d'adresses ne signalant plus, rue Payenne, que
l'hôtel et les bureaux de M. Hocquart.
Rue du llauro, liupa^.*$o de Clairiaiix
et Passag^e de la Réunion, (i)
V Assignation cCil y a cent Ans. — Mesdames de
Montmartre. — Anciens Propriétaires. — Saint-
Julien- des-Ménëtrier s . — Le Pont sans Eau. —
L'Abbaye de Rigny. — Les Moines de Clairvaux.
— La Poterne. — Le Cul-de-sac des Anglais. —
La Rue enchaînée. — La Section de la Réunion. —
Le Passage. — Le Citoyen Possoz.
» L'an mil-sept-cent-soixante-dix le treize janvier à la
Requête de Mesdames les abbesse prieure et religieuses
de l'abbaye Royalle de Montmartre dames du for-aux-
Dames à Paiis et autres lieux pour lesquelles domicile
est élu en leur dite abbaye j'ai Nicolas François Simon
premier huissier ordinaire du Roy en son Bailliage du
Palais à Paris y dcmeurahl rue Montmartre jjaroisse Saint-
Eustache soussigné donné assignation à la D"e Giroux
propriétaire au lieu du sieur Louis Giroux d'une maison
rue cour du Maure la première après celle du coin
tenant d'une part à la D^'e Cotelle d'autre aux représen-
tants du sieur Bernard par-derrière sur les maisons de
l'abbaye de Rigny et par devant sur laditte rue cour du
Maure étant ladite maison en la censive des dittes Dames
de Montmartre à cause de leur seigneurie do for-aux-
Dames et vers elles chargée de deux derniers obol
tournois de cens par chacun an en la dite maison et
domicile de la ditle D^'e Giroux parlant à sa personne ainsi
(1 ) Notice écrite en 1864. Voir celle que nous avons
déjà consacrée à la rue Branlômi? et à la rue du
Maure.
RUE DU MAURE, IMP. DE CLAIRVAUX, ETC. 47J
qu'elle nt'a dit rire à compiiroir à la huilaiiie à l'au-
dience et pardevant monsieur Je Bailly du for-aux-D.'mcs
transféré à Monlinartro et messieurs les ofliciers tenant
ledit sicf,'0 cour exîérieure de la ditte abbaj'e pour se
voir condamner à payer aux dites dames en deniers
ou quittances vingt neuf années échues le jour de saint
Denis dernier d'arrérages de cens dus sur la ditle
maison à raison de deux deniers obol tournois par
chacun an exhiber les titres de propriété de la dite
maison et passer déclaration aux diiles Dames payer
les droits de lods et ventes et amendes suivant la cou-
tume sinon et faute de ce faire que la ditle maison
sera et demeurera réunie au domaine de laditlc abbaye
dont elle sortie sans préjudice d'autres droits le tout
avec dépens déclarant que maître Pierre Georges Brunet
procureur audit bailliage demeurant rue des Martirs
à Montmartre occupera pour les dittcs dames et j'ai à
la ditle D"s Giroux et parlant comme dessus laissé copie
par extrait des lettres patentes du mois d'avril mil
six cent soixante seize et arrest d'enregistrement d'ycelles
du premier avril mil six cent soixante dix-sept et du
présent exploit — Simon — Covlrolle à rarix le \ii jann'er
1770 — DuvAL «
Ainsi pai'lait ua exploit, doiU le style élait rendu sin-
gulièrement iiKligeslopai'rabsciicc complète depoiiits
etde virgules. Acedétail près, la saisie reste immuable
dans ses expi^essions, (luelles que soient les inno-
vations introduites dans le style de l'ameublement,
dans celui de l'arcliitecturc! Parmi les religieuses
^ la requête desquelles l'acte d'huissier menaçait
d'expropriation M"'' Giroux, on ne distinguait qu'à
l'abbaye celles-ci :
Marie-Louife de Monimcrency-Laval, ahhesse : Hen-
riette P.irry prieure; Marie-Catherine d'Entra^ues,
prieure du cloître; Mario-Madeleine Dur^l, portière;
Marie-Madeleine Botentuit, rélcrière ; Catherine-Louise
474 RUE DU xMAURE, IMPASSE DE CLAIRVAUX
Narcis, secrétaire. du chapitre : Maric-Calhcrinc Lcm:iire,
dépositaire.
Louis Giroux avait été mitoyen, dans la rue
du Maure, avec Justin du Châtelier et avec les
héritiers de François Besnard, procureur au par-
lement. La maison desdits héritiers touchait d'autre
part et par-derrière h un jardin et à une maison
(jui tous les deux apparte?iaient aux abbé et re-
ligieux de Rigny, de Reigny ou d'Erigny. Ces
derniers avaient eu aussi un jeu de paume, dont
s'était détachée la maison de Justin du Châtelier,
rue du Maure et rue Saint-Martin. Sur la même
ligne, au coin de la rue Beaubourg, un ancien
contrôleur des rentes provinciales d'Orléans, nommé
Cournier, eut Jacques Lefeuve, bourgeois de Paris,
pour acquéreur, vers l'époque où cessa de vivre
Louis XIV.
Jean Richard, secrétaire du roi, qui avait fait
bâtir vis-à-vis de Cournier, y tenait par-derrière
à Philippe de Flexelles, propriétaire dans la rue
des Petits-Champs, dont on vient de faire la rue
Brantôme. Le quatrième angle était occupé par la
petite église Saint-Julien-des Ménétriers, que rem-
place en façade sur la rue Saint-Martin le n" 168,
qui monte cavalièrement en croupe sur notre
petite rue du Maure. S'en faut-il de beaucoup que
cette chevauchée traditionnelle dure depuis trois
siècles? Robert Rouelle, conseiller au parlement,
qui se trouvait locataire ii long bail au coin de
la rue Saint-Martin, acheta 60 livres, en 1568, de
la confrérie des Joueurs-de-violon, gouverneurs
de l'hôpital des Ménétriers, le droit d'ajouter h son
logis une pièce attenante au jubé de leur église,
en bâtissant au-dessus de la ruelle, et depuis lors
il y régnait un pont.
Le monastère de Rigny, du vivant de maître
Robert Rouelle, avait pour succursale, pour maison
de ville, une portion de l'ancienne succursale du
ET PASSAGE DE LA REUNION. 475
moiiaslùre de Clairvaux, et à l'entrée de cet hôtel
monacal il pendait une Croixd'or sur la rue Saint-
3Iarlin. Il s'y retrouve do nos jours une impasse
de Clairvaux, entre les n"^ 178 et 180. Cette abbaye
de Rigny, fille de Clairvaux, ordre de Cîteaux,
était siluée près Yermanton, dans le diocèse
d'Auxerre; l'abbé commendataire en retirait par
an de 6 h 8,000 livres, au xvui" siècle. L'abbaye
de Clairvaux était beaucoup plus riche et chef-
d'ordre de la filiation de Cîteaux. Quant à la pro-
priété dans laquelle les moines de Rigny succé-
daient il ceux de Clairvaux, elle avait une porte
sur la rue du Maure, qui s'était dite rue Palée
au xiv= siècle (probablement à cause de Jean Palée,
fondateur de l'hôpital de la Trinité) et ensuite rue
Saint-Julien, puis de la Poterne ou Fausse-Poterne.
Ladite maison conventuelle touchait aussi à l'im-
passe des Anglais, dénommée Cul-de-Sac-sans-Tête
en 1260 et 'Petit-Cul-de Sac-près-la-Poterne en
1370. La poterne ou fausse porte Nicolas-Huidelon
ou Hidron se rattachait h l'enceinte urbaine de
Philippe-Auguste, et alors le cul-de-sac tenait d'une
part à ce mur, d'autre part à un jeu de paume.
Sous le règne de Henri IV on connaissait déjà
la rue ou cour du Maure, et pourtant, sous le
règne suivant, on l'appelait aussi des Anglais. Le
plan de Gomboust, qui est venu ensuite, ferait
croire îi une origine sépulcrale i)ar sa façon d'écrire :
vue de la Cour-des-Morts. Mais de nouveau s'oriente
l'orthographe, |)lus d'un demi-siècle apics, sur le
plan de Laçai lie, où se lit: rue de la Cour-des-
Mores.
Il y eut même plusieurs cours dépendant de
ladite rue, et le prévôt de Paris Antoine Duprat
autorisa, en 15o9, la fermeture de celle-ci aux
doux bouts, celles-là étant devenues toutes les
nuits des repaires de filous, dont les bourgeois
voisins se plaignaient fort. L'une de ces cours fut
d7(j RUE DU MAURE, IMP. DE CLAIRYAUX, ETC.
absorbée plus tard par le passage de la Réunion,
qui se formait sous les auspices de la section du
même nom. Ladite Réunion, qui plus est, n'avait-
clle pas pour chcl-licu, rue du Maure, n" 6, l'ancien
hôtel de Rigny, que les moines de Rigny avaient
cédé avec ses dépendances, en 1788, à Hussenol,
marchand de dentelles, moyennant une rente fon-
cière et non rachctable de 8,000 livres? Le citoyen
Possoz s'établissait, peu de temps après, marchand
de mousselines en gros, dans le passage.
Rue (lu Ponecau. fil
Pendant la Révolution, la section des Aniis-de-
la-Patrie, dans le quartier de la Porte-Denis, devint
la section du Ponceau, parce que son point de
repère était dans la rue du Ponceau. Cette voie
publique descendait elle-même en ligne transversale
d'un égout. On y avait couvert, *dès I6O0, l'égout
sur lequel était jeté le ponceau dit de Saint-Denis,
et la rue elle-même avait été tracée celte année-
là aux dépens de François Miron, messire le pvévôt-
des-marchands, qui s'y trouvait propriétaire. Les
eaux sales passaient depuis lors sous cette rue,
en la croisant, et c'est sur la même ligne que de
nos jours elle a livré passage au boulevard Sé-
bastopol. Tout près delà, les mêmes eaux n'étaient
pas plus à découvert: elles passaient sous le
boulevard Saint-Denis, quand les remparts furent
plantés en boulevards.
L'escalier de l'égout séparait, à vrai dire, de la
rue du Ponceau celle nommée des Égouts; mais
ou prenait volontiers sous Louis XV, comme sous
Louis XVI, l'une pour l'autre ces deux rues, qui
avaient été réunies et se réunirent de nouveau,
avant d'être encore séparées nominativement. Gom-
(1) Notice -écrite eu 1864. La nouvelle rue de Palestre,,
le boulevard Sébastopol et le j)roloi)gement de la rue
du Caire absorbent actuellement plus des deux tiers
de l'ancienne rue du Ponceau; mais la moitié de ce
qu'elle y a perdu était annexée à la rue Nolre-Dame-
de-Nazareth avant que Ja rue du Caire se prolongeât.
Celle de Palestro, pour si contemporaine qu'elle soit
de la campagne de Crimée, a pour no :J7 un ancien
immeuble de la rue du Ponceau.
4T8 RUE DU TONCEAU.
boList en marquail-il plus (ruiic, au milieu du xvii«
siècle, entre les rues Saint-Denis et Saint-Martin,
et ne l'appelait il pas « des Esgouts»? Telle était
en tous points Ui rue du Ponceau, alors qu'un
décret impérial du 29 septembre 1834 en fit sauter
plus de la moitié, h distance égale des deux bouts.
Si la rue des Égouts avait fait lit h part du côté
de Saint-Marlin-des-Champs, quand il y avait eu
divorce, l'autre avait eu l'air d'en pleurer avec la
fontaine du Ponceau, Ji l'angle de la rue Saint-
Denis, vis-ci-vis . la villa des tilles de Sainte-
Catherine, qui n'était habitée que quatre mois sur
douze par €es hospitalières.
Au-dessus de l'escalier de l'égout, un passage
communiquait de la rue des Égouts h la rue Neuve-
Saint-Denis, présentement Blondel ; un autre, qui
ouvrait plus bas, menait de la rue du Ponceau à
la cour du Roi-Francois, qui forme aujourd'hui
rue Saint-Denis le n" 358. Entre ces deux passages,
d'après un plan de Paris, les derrières de l'hôtel
de Milly donnaient du même côté sur la rue du
Ponceau, et puis ceux de la communauté des tilles
de Saint-Chaumont, un peu plus près de l'escalier.
Les sept premières maisons en parlant de la
fontaine, et toujours sur la même ligne, appartinrent
il Tuillier, perruquier, sous Louis XV. Les mar-
chands bourgeois de Paris avaient tous en ce
temps-lii un cheval, un domestique et une servante
pour le moins; mais nous ne savions pas qu'un
pareil train de maison Tût compatible avec l'état
de perruquier. Il est vrai que Tuillier accommodait
parfois les plus grands seigneurs de son temps, soit à
Paris, soit k Versailles, et qu'il avait, partant, son rang
;\ tenir. Quel était ce monsieur, tiré h quatre
épingles et parfumé comme un bouquet de jasmin,
qu'on voyait si souvent, au Cours-la-Reine, passer
sur un cheval l'ouan cavecé dte noir? — Beau cava-
lier! murm'jrait une gi'iselte, l'y remarquant pour
RUt: DU PONCE AU-. HD
la pi'emière ibis, et qui le trouvait d'autant plus
Il son goût qu'elle n'avait pas encore de mobilier.
— Puali ! s'écriait de plus loin un habitué, voilà
l'odeur du croquant de perruquier qu'on reconnaît
tous les jours par ici, les yeux fermés!
Du côté opposé h celui des maisons du bourgeois-
pcrru(iuier, se tenaient le bureau-général et le
dépôt de l'éclairage public. L'enlrepreneoi- de
l'illumination de la ville et des faubourgs de Paris,
sous Louis XVI, était M. Tourtille Saugrain.
L'invention du réverbère, cette lampe à rétle(;teur
pour éclairer les rues, avait été récompensée d'un
prix proposé par M. de Sartines, lieutenant-de-
police, et décerné par l'académie des Sciences.
On avait donc substitué, en 1769, aux vieilles
lanternes de M. de la Reynie, les nouvelles de sou
successeur; mais on ne s'était pas encore décidé
à allumer les jours do lune. Ces jours-là n'avaient
pas de nuit, dans l'almanacli des lieutenants-de-
police. Lorsque la lune faisait mal son servicQ,
n'était-ce pas fête pour les amours cachées? Les
réverbères clair-semés à la porte des commissaires
luisaient assez, par exception, pour mettre les vo-
leurs sur leurs gardes au passage de la patrouille.
Par malheur les petits-soupers étaient suivis, dans les
faubourgs, d'autres rencontres plus fâcheuses pour
le guet, qu'on punissait alors de ses indiscrétions
réitérées, en le rossant d'importance après boire.
A cette époque la rue du Ponceau pienait, im-
médiatement après les maisons deTuillier, un sens
parallèle à la rue Saint-Denis; puis elle reprenait
la perpendiculaire dans l'axe de la rue des Égouts.
De celle-ci nous reste près delà moitié, entre
le boulevard Sébastopol et la rue Saint-Martin;
seulement on vient de l'ajouter à la rue Notre-
Dame-de-Nnzareth. La maison Cerveau y fut bâtie
en l'an X à l'angle de la rue Saint-Martin, et le
département des Estampes en gaide le plan originel,
4^0 RUE D(i poncp:au
h la Bibliolhôquo Impériale: une belle boutique,
avec .sa devanture, est ce qu'on y remarque, et elle
na pu nionis faire que d'avoir pour deslinaire
un contiseur.
Rue de Turbig^o. (i]
Cette voie, née à peine, n'a encore pour histoire
qu'un nom de guerre glorieusement attaché à une
campagne récente, et sous de tels auspices elle
ira loin, appelée îi relier en ligne transversale les
Halles au houlevard du Prince- Eugène. Mais déjà
elle englobe deux rues, dont les maisons viennent
de tomber dru, sans qu'on en ait dit un seul mot.
Deux de celles-ci, échappées par miracle h cet
abatis imprévu, regardent passer l'alignement nou-
veau, qui les relègue dans un angle rentrant.
La première de ces maisons, naguère 10, rue
du Grand-Hurleur, répond pour le moment au
chiffre 37 dans la rue neuve.
La propriété contiguë, qui doit à une moindre
élévation et h deux mansardes d'avant Mansart sa
physionomie beaucoup plus pittoresque, dépend
depuis plusieurs siècles de l'auberge du Chariot-
d'Or, dont la façade sur la rue Grenéta a changé
depuis peu d'aspect et d'alignement. Des rouliers,
comme par le passé, descendent au Chariot-d'Or ;
mais aucun des autres voyageurs n'y est plus amené
par le coche dont le bureau et les écuries se
trouvaient dans l'hôtellerie même. Le public a
également fait son deuil d'un passage libre à travers
les cours du Chariot-d'Or.
Un sieur Garguille, qui n'était pas le farceur
Gautier-Garguille, notabilité des temps héroïques
de notre théâtre, mais qui n'en bouflbnna pas
moins contre l'église, comme les parpaillots du
(1) Notice écrite en 18G4.
482 RUE DE TURBIGO.
è
xix" siècle, ce Garguille-là demeurait au xv dans
une rue de Huleu, dite également du Pet, qui n'est
pas autre que celle du Grand-Hurleur. Il s'amenda,
après avoir donné scandaleusement dans le liber-
tinage, et entra dans la confrérie du Saint-Esprit,
fondée à l'hôpital de ce nom. Une (bis reçu dans
cette compagnie, on donnait ordinairement ù tous
les confrères un repas de corps. Garguille fit bien
les choses, et qui sait, je vous prie, si ce ne fut
pas au Chariot-d'Or? Mais il se plut ensuite à se
dire membre de la confrérie aux Goulus, sobriquet
qui resta à cette compagnie.
Des 37 maisons que comptait, à la fin du xvii«
siècle, ladite rue du Grand-Hurleur, il y en avait
une appartenant Ix l'église Saint-Jacques-de-l'Hôpilal,
et qui touchait à la rue Saint-Martin, du côté
opposé à celui de l'auberge. Puis venaient trois
ou quatre maisons ù Grenier, grellier des consigna-
tions; une autre ensuite à un payeur de rentes,
frère de ce grellier.
Dans la rue du Pelit-Hurleur, sur la même
ligne, cl l'angle delà rue Bourg l'Abbé, l'archevêque
de Paris, comme propriétaire, était suivi par le
sieur de Santeuil, qui n'avait pas moins de quatre
maisons. Vis-à-vis, c'est-ii-dire à droite en allant
de la rue Bourg-l'Abbé (i) à la rue Saint-Denis,
Aubry disposait de deux propriétés ; la veuve Gau-
tier, de deux autres ; Santeuil, déjà nommé, des
deux dernières.
Les rues du Grand et du Petit-Hurleur avaient
porté d'autres dénominations, moins difliciles peut-
être à expliquer, mais qui ne méritent pas plus
de regrets. Le pseudonyme de rue Sallée fut ap-
(I) La place de la défunte rue Bourg-l'Abbé reste
indiquée par le passage de ce nom, qui y donnait du
côté de la rue de Palestro.
RUE DE TURBIGO. 483
pliqué à la plus petite, qui tenait à la rue Saint-
Denis : le plan de Lacaille en l'ait foi. Il est probable
que la salle, cbeflieu de la juridiction de l'abbé
de Saint-Martin-des-Cliamps, avait été dans cette
voie publique, dite en conséquence rueSallée, et
qui se trouvait, du reste, au beau milieu de l'ancien
bourg de l'Abbé.
L'autre rue, sur le plan de Gomboust, se nomme
exclusivement du Pet. La préfecture de la Seine
a décemment lait de n'en pas réveiller le souvenir,
dans son remaniement des inscriptions municipales,
et toutefois cette dénomination pouvait avoir une
origine en odeur de saine morale. Dans son Instruc-
tion à ses filles, le cbevalier de la Tour a raconté
ceci:
« Geoffroi de Laiigres avoit coutume de s'informer,
quand il estoit en campagne, à qui apparlenoient les
chasleaux qu'il voyoit ; et quand ou lui montroit le
chasteau d'une dame de mauvaise réputation, il se seroit
destourné d'une demi-heure pour y aller: foisoit un pet
à la porte et escrivoit dessus avec de la craye, iing
pet, ung pet. »
Ce Geoffroi de Langres exprimait son mépris
autrement que bien des moralistes. Un autre Geoffroi
était porté ii prendre, d'après Ronsard, la même
chose tout différemment, afin de se montrer cour-
tisan à tout prix:
Si i'Empereui foisoit un pet,
Geoffroi dit oit qu'il sent la rose,
Et le sénat aspireroit ....
A l'honneur de prouver la chose.
Avant de porter celui de ses surnoms qui est le
moins de bonne compagnie, la rue de Huleu fut
connue, voire même en l'année 1^253.
Rues «li^ Laiicry
et Grîmige-aii.v-Kelles. (i)
La Rue de Lancry d VAge de treize Ansi. — Le
Théâtre de Lécluse. - L" Vauxhall. — La Mairie
et les Belles. — Le Marais et la Grange. —
La Confrérie des Jardiniers. - La Censive de
Sainte- Opi^rr tune .
Étaient propriétaires dans la rue de Lancry,
tout au commeiicemenl de la Révolution :
a 6aucl)e ^ ï?roitc
Lancrj', au coin de la nie
de Bondy.
Idem, an coin de la rue
Sainl-Nicolas.
Moreaii, autre angle de ladite
rue,
Lanciy, tenant par-derrière
au curé tie l'église Saiut-
Laurent et à Lefebvro de
Caumar'in.
Borneaux, au coin de la rue
des Marais et tenant par-
deriière au curédeSauit-
I.aurenl.
ladite
Lécluso, au coin de 1
de Bondy.
Le premier président.
Lancry.
M'"e Ferrand.
Lancry, au eoin de lii
Saint-Nicolas.
lîiolte, autre angl<
rue,
Lancrj".
Goupy.
Lavieille.
Lancry.
Le curé de l'église Saint-
Laurent, au coin de la rue
des Marais.
Lécluse, que sous rancieii régime on appelait
sieur de l'Ecluse, avait été directeur de spectacle.
[]) Notice écrite en 18^4. Un nouveau boulevard,
celui de Magenta, ne traversait pas encore la rue de
Lancry, où il a l'ait sauter une dizaine de maisons.
RUES DE LANCRY, ETC. 485
et sa salle, d'une dimension restreinte, avait pris
la place d'une caserne de gardes-françaises, à
l'encoignure de la rue de Bondy. M. Girault de
Saint-Fargeau écrivait en 184o:
«A côté du théâtre de Torré un sieur de l'Écluse fit
bâtir, en 1779, un petit théâtre en bois, qui ouvrit le
12 avril par le Juç/ement de Paris, et auquel l'Ecluse
donna le nom de Théâtre des Variétés amusantes. Plus
tard ce théâtre ne put se soutenir et fut démoli. Vers.
1789 de nouveaux administrateurs firent reconstruire
une jolie salle, petite et commode, qui reçut le nom
de Théâtre français, comique et lyrique : on y jouait la
comédie, l'opéra et des drames, dont quelques-uns
obtinrent du succès; mais sa destinée était d'attirer la
foule par de grandes niaiseries : Les battus payent
l'amende, où le célèbre Volanges jouait Jeannot, eurent
un succès prodigieux. Beffroy de Rigny, plus connu
sous le nom du cousin Jacques, y fit représenter Ni-
rodème dans la Lune, qui eut, de 1790 à 179'', trois cent-
soixante représentations; ce fut Juillet, devenu depuis
une des gloires de l'Opéra-Comique, qui créa le rôle
de Nicodème. Vers 1795 ou 1796 ce théâtre prit le nom
de Théâtre des jeunes artistes. Désaugiers y débuta et y
donna ses premières pièces, et Lepeintre aîné, aujour-
d'hui un de nos meilleurs comédiens, s'y fit remarquer
dans les rôles d'Arlequin. Parmi les autres comédiens
qui depuis se firent un nom, nous citerons encore
Monrose, Lepeintre jeune, Lafont, notre célèbre
violoniste, qui débuta dans le rôle de Rose d'amour,
M'oe Vautrin, M"e Galathée, M. Elomire, etc., etc.
Martainviîle y fit jouer les Assemblées primaire.i et le
Concert de la rue Feydeau, et Brazier y fit représenter
Caroline de LicJilfield et la Jardinière dt Vincennes. Le
théâtre des Jeunes-Artistes fut supprimé par le décret
du 9 août 1807 et transformé en une maison particu-
lière, oîi sont établis aujourd'hui les ateliers de M. Joc-
ker, fabricant d'insti unients de matliématiques. "
31
486 RUES DE LANCRY
Les sieurs Lancry et Lollot avaient été autorisés,
par des lettres-patentes en date du :22 novembre
1776, à ouvrir une rue nouvelle entre la rue de
Bondy et celle Saint-Nicolas, présentement du
Château-d'Eau. Un hôtel, h l'angle de celle-ci,
était debout l'année suivante, et Lancry, à peine
installé dans ledit hôtel, obtenait le droit de pro-
longer sa rue jusqu'à la rue des Marais. Pourtant
on n'y. comptait encore, en 1789, que quatre
maisons, ou guère plus: une à Goupy, une à
Moreau, le théâtre de Lécluse et l'hôtel du patron
de la rue, qui n'a été jeté bas qu'en 1860 ou
1861.
Le premier président, qui avait du terrain près
du théâtre, était M. d'Aligre; son hôtel ouvrait
rue de Bondy. Le terrain du curé de Saint-Laurent
ne donnait que par une pointe sur la rue de Lancry,
au bout, même côté ; mais il s'étendait par-derrière
entre la rue des Marais et la rue Saint-Nicolas.
De l'autre côté, Lancry avait acquis l'ancien em-
placement du Vauxhall, sur lequel avait été prise
la première moitié de la rue elle-même : Lancry
y tenait par-derrière, et sur la rue de Bondy, à
la famille de Saint-Cont, st, laquelle avait là son
hôtel, et par-derrière également, mais près de la
rue Saint-Nicolas, au marquis de Villers.
L'artiticier Torré avait fondé, en 1761, dans la
rue de Bondy, son Vauxhall, qui était d'abord un
théâtre de pantomime, où la pyrotechnie jouait un
rôle capital, notamment dans cette pièce : Les
Forges de Vuicain. On avait bientôt permis à Torré
d'y donner des fêtes foraines, dans lesquelles se
jouaient des farces et se chantaient des ariettes.
La chanson et la danse étant de bon conseil, tous
les plaisirs ne finissaient pas là. Les rendez-vous
bourgeois, comme disaient nos pères, suivaient
de près la plupart des renconti^es qu'on avait
faites au Vauxhall, où l'intérêt ne disputait pas
ET GRANGE-AUX-BELLES. 487
toujours à l'amour une proie de bonne volonté.
En 1769, les dispositions de rétablissement furent
modifiées par une icconstruction, et c'est proba-
blement alors qu'il changea de maître et de place.
Nous croyons qu'il était déjà dans la rue Samson,
à main gauche, entre les rues Saint-Nicolas et des
Marais, quand on le qualifia Vauxhall-d'Été. Les
Fêtes de Tempe y avaient de la vogue en 1782.
Une salle de bal, qui natïlche actuellement ni
autant d'ambition ni autant de littérature, se trouve
dans la rue de la Douane, qui continue la rue
Samson; mais c'est au moins la quatrième étape
d'un voyage en zig-zag autour du Chàteau-d'Eau,
poui' le Vauxhall, qui donnait ii danser précé-
demment boulevard Saint-Martin, 13.
A la rue de Lancry faisait suite le chemin de
la Grange-aux-Belles, érigé en rue du même nom
l'an 1783, entre les rues des Marais et des Récollets.
La mairie du v arrondissement y siégeait au
moment de la Restauration. Nombre de belles n'en
continuaient pas moins à contracter tout simplement
des mariages de grange, et surtout dans la rue de
Lancry, qui devait k la proximité des théâtres du
boulevard sa population prédominante d'auteurs
dramatiques et d'acteurs, d'actrices et d'ouvreuses
de loges. On y a même vu, n" 33, un théâtre
d'élèves, ayant reçu d'un peintre en bâtiment sa
dénomination de salle Génard. Puis cette rue s'est
prolongée, en 18o2, aux dépens de la rue Grange-
aux-Belles, qui depuis lors la continue toujours,
mais plus haut, c'est-à-dire depuis le quai Jemmapes
jusqu'à la ci-devant barrière du Combat, en ab-
sorbant l'ancienne rue de l'Hôpital-Saint-Louis.
Au lieu dit Grange-aux Pelles, puis Grange-aux-
Beiles par enjolivement, trois arpons et un tierceau
do marais appartenaient en 1714 à damoiselle Anne
de la Londe, veuve do Jean-Eustache Taitbout,
conseiller du roi, juge au Châtelet ; à Marie-Anne-
488 RUES DE LANCRY
Elisabeth Taitbout, veuve de Copineau, procureur
au parlement, et à Jean-Eustache Taitbout, mineur
sous la tutelle de Jean-Etienne Taitbout.
D'autres quartiers de terre au même endroit
avaient, quelque trente ans auparavant, des tenants
et aboutissants que nous allons faire connaître,
en même temps que les propriétaires. Denis de
Mauroy, écuyer, seigneur de la Madeleine: un
marais, tenant d'une part à Philippe Levesque,
d'autre part h une ruelle menant à l'hôpital Saint-
Louis, et d'uîi bout à Michel Frémyn, trésorier
de France, d'autre bout à une ruelle conduisant
à la rue de Carême-Prenant, plus anciennement
appelée les fossés de Sainte-Opportune et plus
récemment rue Bichat. Le même, comme héritier
de son frère, Antoine de Mauroy, abbé de Saint-
Vincent h Bourg-sur-Mer : marais, tenant d'une part
aux hoirs de Fiacre Legrand, d'autre part à la
fabrique de Saint-Nicolas-des-Champs, d'un bout h
Jean Cobret, d'autre bout h la grande ruelle des
Marais. La confrérie de Saint-Fiacre, établie en
l'église Saint-Nicolas-des-Champs: un quartier de
marais, tenant à Boy vin, avocat, à Lebret, mari
de Geneviève Convin, aux héritiers de Jacques
Himet aussi et à Touri i, tout en aboutissant à
la fabrique Saint-Nicolas d'un côté et aux fossés
de Sainte-Opportune de l'autre côté.
Les jardiniers en charge de la confrérie de
Saint-Fiacre, au printemps de l'année 1685, étaient
Martin Hémery, maître-jardinier-fleuriste, rue et
faubourg Saint-Victor, vis-à-vis l'abbaye; Jacques
Legendre, id., au faubourg Saint- Antoine ; Laurent
de la Chambre, id., chemin des Poissonniers,
proche la Nouvelle-France, et Jean Cloud, id., à
la porte Gaillon, proche la Ville-l'Evêque. Le maître-
jardinier Pierre Giroust avait légué à cette confrérie
ledit marais, sis sur le terroir de la Courtille, au
lieu dit la Grange-au-Pelé ou aux Pellées, et la
ET GRANGE-AUX-BELLES. 489
délivrance du legs, l'aile par Isabcaii, veuve du
testateur, datait de l'an 1477,
Or, on a appelé pelée une mesure de bois mort.
Mais pellée est maintenant encore la forme la plus
correcte, bien que la moins usitée, des mots pelletée
et pelierée. Nous pensons donc, sans en être bien
sûr, que lors de la formation des fossés dits la
ceinture de Sainte-Opportune, ou bien lors de la
formation de l'égout longeant la rue Saint-Nicolas,
la terre déblayée, les gravois et les pelles furent
l'objet d'un dépôt, dans une grange située entre
lesdits fossés et ledit égout. Cette grange aux
Pellées et aux Pelles devait être établie tout
près de l'impasse Sainte-Opportune, qui donne
maintenant rue de Lancry, et elle était certaine-
ment placée, avec ses dépendances, dans la censive
du chapitre de Sainte-Opportune.
Rue des Mart,yri§. (i)
Les Guinguettes. — La Brasserie. — Les Petites-
Maisons. — La Maîtresse du Duc d'Orléans. —
M. de Malesherhes.
La rue des Martyrs n'a pas toujours été distinguée
de la rue du Faubourg-Montmartre, qu'on a été
jusqu'à confondre elle-même avec la rue Mont-
martre. Qui plus est, le chemin des Martyrs, dé-
nomination collective d'un âge plus reculé,
commençait près la rue du Jour à la fm du xn«
siècle; il n'a reculé que par étapes, et il n'a
battu en retraite qu'en laissant son nom à une rue,
située, comme on disait alors, aux Porcherons.
Des guinguettes s'étaient groupées autour de la
chapelle des Porcherons, remplacée en 1646 par
une église Notre-Dame-de-Loretle, voisine de l'église
actuelle. Le lieu s'appelait des Porcherons. Mais
le souvenir des supplices dont les buttes Mont-
martre avaient été le théâtre à l'époque des
persécutions du christianisme, ce souvenir ne fut
pas consacré sans variante par le nom du chemin
ou de la rue des Martyrs, que le plan de Lacaille
qualifiait chemin de Montmartre, en y marquant
au bas la place des commis chargés de percevoir
les droits d'entrée en ville. On essaya aussi d'une
désignation exclusivement sépulcrale, de 1793 à
(1) Notice écrite en 1861.
RUE DES MARTYRS. 491
1806, en disant: rue et barrière du Champ-du-
Repos.
Comment ton ombre, ô Ramponneau, n'en aurait-
elle pas frémi? La plus éhontée des guinguette»
aurait-elle pu tenir sous cette enseigne? Tous les
buveurs n'y regardent pas de si près; il en est
de philosophes, qui veulent des cabarets à la porte
du cimetière et qui aiment à y prendre, le verre
en main, l'air du bureau de l'autre monde. Mais
il n'y a pas de fille, pas de femme qui choisisse,
pour jeter son bonnet par-dessus les moulins de
Montmartre, l'avenue dans laquelle les fournisseurs
de pierres et d'ornements tumulaires exposent
obstinément leur marchandise. Il est vrai que les
Ramponneau de l'ancien régime avaient fait de
meilleures affaires îi la Courtille qu'aux Porcherons,
petits ou grands, où ils n'étaient venus qu'après.
La rue des Martyrs a vu naître et mourir des
établissements moins connus, mais rivaux de ceux
des Ramponneau.
Les charmilles du Rœuf-Rouge sont rappelées
par un jardin, derrière le n" 12, construction
moderne qui remplace une maisonnette : M. Hittorf,
le savant architecte, chez lequel on arrive par la
rue Lamartine, ici et iii succède à son beau-père,
M. Lepère, également architecte, l'un des auteurs
de la colonne Vendôme (i). Le Lion-d'Argent était
au n" 16. Riccoli a versé h boire et fait danser
dans les salles rapetissées d'un restaurant, dit du
Faisan-Doré depuis 1843. Autant d'établissements
pareils s'échelonnaient aux Porcherons, où la bonne
fortune souriait lestement au plus mince commis ;
(1) M. Hiltorff n'est plus, ni sa demeure, qui fait
place à la rue nouvelle Hippolyte-Lebas, du côté de
celle des Martyrs.
492 RUE DES MARTYRS.
autant les crémeries se suivent de nos jours, dans
les mêmes parages, et l'on y fait directement
crédit aux danseuses qui brillent dans d'autres bals
publics. Les gaietés de Paris ne se contentaient
pas là d'un lieu de rendez-vous; elles fondaient
le quartier des Martyrs, bien avant l'annexe Bréda,
où la moindre grisette s'est érigée en femme
entretenue, avec entreteneur ou sans. La foire
Saint-Germain, la foire Saint-Laurent, la Courtille,
la Râpée, le Vauxhall et le Colisée ont-ils jamais
fait aux Porcberons une concurrence bien dan-
gereuse? Nulle part les plaisirs n'étaient pris toute
l'année avec le même entrain, dans le siècle où
l'on s'amusait le plus, le XVIIP.
Notre brasserie de la rue des Martyrs, que fré-
quentent surtout des peintres et des gens de lettres,
passe pour un refuge agréable, pour un abri contre
le décorum, pour le cercle de la bohème, moins
soucieux que tous les autres cercles, et l'esprit
satirique y daube, en général, l'ancien régime; mais
cet eldorado de la jeunesse en belle humeur, en verve'
et en déshabillé, il eût paru infiniment moins gai
quand florissaient les Porcherons : telle devait être
la réunion des gens du guet, lorsqu'on venait de
les rosser. La bière elle-même en ce temps-là
moussait, en envoyant des bouchons au plafond,
une excitation au cerveau; maintenant c'est une
eau dormante, plus ou moins jaune, une potion
dont on se gorge, un lavement dont on abuse, et
qui n'aspire qu'à descendre.
Il y avait aussi rue des Martyrs ce qu'on appelait
alors des petites-maisons. Nous en reconnaissons
deux toutes petites, au n*' 77. Plusieurs autres for-
maient groupe entre les n"' 21 et 29, vaste propriété
divisée par M'"* Hélène vers 1830. Une de ces
maisons pourvues de jardins a été habitée par le
poète Déranger et son ami, le député Manuel,
RUE DES MARTYRS. 493
puis par M. de Lawœstine, avant que M. Gaillard,
juge au tribunal de commerce, y substituât les
remises de son hôtel.
Dans cette rue précisément le duc de la Tjémoille,
sous le rèejne de Louis XV, avait un pied-ii-terre
pour ses galanteries; le 28 décembre 1762, il y
donnait à souper à MM. de Froulay, d'Étampes,
de Vieuville et de Valençay, ainsi qu'aux I)"'^*
Lozanges, Saint-Martin, Ledoux et Buart, figurantes
Il l'Opéra.
Au même corps de ballet appartenait la D"" Mar-
quise, à demeure rue des Martyrs deux ans auparavant.
Elle avait déjà des relations avec le duc d'Orléans,
père de Philippe-Égalité, et elle mit au monde
un garçon, qu'il fut question de légitimer. Les
avis du conseil que le prince assembla ii deux
repi-ises, pour en délibérer, lurent partagés : l'abbé
de Breteuil, chancelier de sa maison, était favora-
ble au projet ; mais le prince de Conti parlait
contre avec énergie. Aussi bien le duc d'Orléans
n'était pas sûr que l'enfant ne ressemblât pas au
jeune marquis de Villeroi. Mais au commencement
du mois de mars suivant, il annonça à toute sa
cour la seconde grossesse de sa maîtresse. Mar-
quise fut surprise à Bagnolet, pendant l'été, par
les douleurs de l'enfantement; elle accoucha de
deux enfants, différents par le sexe, mais tous
deux assez délicats pour qu'on jugeât prudent de
les baptiser sur-le-champ, en l'absence du prince.
M. le curé de Bagnolet demanda quel était le
père au parrain et â la marraine, qui n'osèrent
pas le nommer, et le baptême fut retardé. Quant
aux deux enfants, ils vécurent ; l'un est la souche
d'une famille peu estimable, mais assez haut placée.
Que l'auréole d'un souvenir différent couronne
la notice qui va tlnir ! Guillaume de Lamoignon-
Malesherbes, ministre d'État, qui avait réuni auprès
494 RUE DES MARTYRS.
de lui un curieux cabinet d'histoire naturelle, a
habité la rue dont il s'agit : ce courageux défenseur
de Louis XVI a subi le même sort que le roi, peu
de temps après. Son hôtel reste, dans une cité
Malesherbes, qui ouvre sur la rue des Martyrs, et
une maison qui vient après dépendait de ïa pro-
priété.
Rues Pig;allei, Larocliefoueaulcl et de
la Toiii*-fles-iDaiiiei!i. (i)
La Poste-aux-Chevavx. — Les Amis- Réunis. —
1^"" Raucourt. — La Z)"*' Adeline. — Bellanger.
— jH/nic BoursauU. — tV/'"* Scribe — La Hue en
Deuil. — Pigaîle. — Volney. — AI. de Laroche fou-
cauld. — UAbhesse. — Picot. — M. de Laporte. —
Fortia d'Urban. — Baudin. — M. de Sancy. —
Le Prince deWagram. — il/"* Mars. — Bougain-
ville. — Le Moulin. — M. Baillot. — ^""
Duchesnois. — La, Z)"*^ Ozi. — Horace Vernet. —
Paul Delaroche. — Talma. — Grisier.
Glic-clac! voici lu Poste-aux Chevaux. Mais celte
institution du roi Louis XI a perdu toute son
importance depuis la création des chemins de ter.
La Poste-aux-Chevaux fait des déménagements ;
ses postillons se cachent sous des blouses de
roulier. Pourtant des chevaux de poste s'atleilent
encore à des voilures découvertes, les jours de
course aux environs de Paris, ou de grandes eaux
à Versailles, quelquefois même les jours de car-
naval, et alors reparait le costume traditionnel :
chapeau de cuir, vesie à parements rouges, plaque
en cuivre sur la poitrine, boutons blancs non moins
astiqués, culotte verte ou jaune en peau, bottes
énormes et petit fouet ii manche pomponné. Cbc-
clac, clic-clac! Piétons, garde à vous; cet équipage
a mené loin plus que n'ira jamais la vapeur ; il a franchi
encore plus de montagnes que la mine n'en fera
(1) Notice écrite eu 1801.
496 RUES PIGA[,LE. L AROCHEFOUCAULD
sauter, el (|uaiid il a versé des voyageurs, il est
resté près d'eux jusqu'à la guérisoii des contusions
et des blessures, au iicu de .l'uir comme une
locomotive, qui ne s'arrête pas pour si peu. Clic-
clac! Il vint un jour où l'aristocratie n'osait plus
se poudrer les cheveux; mais combien de fois
le postillon, quand il entraînait ses berlines, lui
montra-t-il encore avec orgueil la queue qui
blanchissait son dos, en y battant la mesure du
galop de sa monture! Clic-clac!
La Poste-aux-Chevaux piaffait rue Contrescarpe-
Dauphine, avant la Révolution; un bureau pour la
délivrance des passeports y demeurait ouvert, môme
la nuit; Lanchère de la Grandière, bisaïeul maternel
de MM. Dailly frères, était déjà maître-de-poste,
en vertu d'un brevet signé le 16 août 1786. Or
depuis le môme temps le bureau de la direction-
générale des postes aux Chevaux du royaume était
rue Neuve-des-Mathurins; on y prenait également
des passeports, mais seulement pendant la journée ;
le duc de Polignac avait la charge de directeur-
général, dont la survivance était promise au marquis
de Polignac. Le fils et successeur de Lanchère
ne resta pas longtemps rue Contrescarpe; il était
place Saint-Germain-des-Près lorsqu'il donna sa
hlle et son établissement, en 1814, ;i M. Dailly,
père des maîtres-de-poste actuels. C'est en aoi!it
1830 que M. Dailly s'installa rue Pigalle, dans un
hôtel auquel il venait d'ajouter des constructions
aux dépens d'un jardin. M. Schikler, vendeur,
n'avait pas habité cette propriété, dans laquelle
des bureaux déjà avaient été placés sous Louis
XVL Hersant-Destouches, intendant-général de la
maison et finances de la comtesse d'Artois, avait
quitté la rue Saint-Marc, en 1787, pour établir en
cet endroit son administration, sa résidence et sa
galerie de tableaux flamands et hollandais, de por-
celaines et de bi'onzes.
ET DE LA TOUR-DES-DAMES. 497
A cette époque la loge maçonnique des Amis-
Réunis se trouvait au 34. De plus, une maison
dont nous croyons revoii' et le jardin et d'autres
restes, li l'angle de la i-ue de Laval, servait
d'habitation h M"" Rr.ucourt. Cinq ans avant on
avait joué Henriette, et l'auteur de cette comédie
en trois actes était la belle et imposante tragé-
dienne à laquelle Dorât s'adressait en ces termes :
Toi, la plus belle des Didons !
Adeline Ruggiéri, née à Venise, qui avait une
sœur aînée, Colombe Ruggiéri, attachée comme elle
îi la Comédie-Italienne, pendit la crémaillère en
1788 dans un petit hôtel de cette rue, élevé ù son
intention sur le dessin de Rellanger: on y remar-
quait un boudoir en stuc. Figurante et danseuse
à l'Opéra dès l'âge le plus tendre, Adeline avait
été mise dans ses premiers meubles par M. de
Selle, conseiller honoraire au parlement, et elle
avait vécu un 'certain temps avec ce prolecteur
d'un âge respectable. La D"'-' Rouscarel ahiée avait
été pourtant son chaperon et l'avait i)résentée au
duc de Chartres, avec la protection de M. de
Fitzjames; puis toutes deux avaient suivi la cour
en novembre {\ Fontainebleau, où la meilleure
conquête d'Adeline lui avait attaché pour un mois
le comte de Roze, avant qu'elle se retournât du
côté de l'ancien magistrat. Des succès de ce genre
avaient sans doute ralenti, au point de vue du
talent, ses progrès, car elle n'avait cessé d'être
considérée comme débutante, à son théâtre, qu'en
1779. Adeline est morte â Versailles en 1841.
Une autre maison avait été bâtie au même temps
parle même Rellanger, né en 1744 et prénommé
François-Joseph, qui l'habita. Il était premier ar-
chitecte du comte d'Artois ; la Révolution ne le
priva que de sa liberté, qui lui lut même rendue.
Mais la captivité l'avait remis en rapport avec
498 RUES PIGALIJ:., L AROCHEFOUCAULD
Tune des princesses de la galai.terie qu'il avait
eues pour elieiUes, M"" Dervieux, comme lui prison-
nière, et cette infortune partagée les avait rapprochés
au point qu'il se mariaient en so.tant. Peu de
jours avant la mort de Louis XYIÏ, un commissaire
de la Commune dessinait le portrait du jeune
martyr, dans la prison du Temple, et ce commis-
saire n'était autre que Bellanger, d'après lequel
Beaumont fit du portrait un buste en marbre. Il
prit l'initiative, en 1814, du rétablissement par
souscription de la statue de Henri IV sur le
Pont- Neuf. Le comte d'Artois avait refait Bellanger
intendant de ses bâtiments.
Henri, confrère de Bellanger, édifia pour M.
Vassal (et l'on nous dit aussi M. Vassate), en 4790,
une maison de plus grande importance, qui nous
a tout l'air de répondre aux ir' 19, 21 et 28. Mais,
outre les immeubles qui nous rappellent M"*-' Rau-
court, les Amis-Réunis et le chevalier Destouches,
il en est au moins cinq dont la création remonte
ii-peu-près h la même époque: deux seulement
ont appartenu à Bellanger et à Adeline. Le 27 a
été laissé par M'"'" Boursault, veuve de l'ancien
fermier des jeux, k sa lille, M""-' de Rubempré. Le
10 n'a que peu d'importance; la veuve d'Eugène
Scribe en dispose, ainsi que de l'hôtel moderne
qui vient après, et dans lequel dernièrement le
célèbre auteur dramatique a rendu le dernier soupir.
Le 17 peut passer pour la plus ancienne
des maisons encore debout qui aient été bâties
dans le temps où la rue Pigalle s'appellait Royale,
c'est-à-dire depuis l'année 1772 jusqu'à la Répu-
blique. On avait même qualifié cette rue chemin
de Montmartre, tout comme la rue des Martyrs,
et pendant que celle-ci broyait du noir, comme
rue du Champ-du-Repos, celle-là, itérativement
prise de l'esprit d'imitation, portait le même deuil,
comme rue du Champ-d'Asiîe, en attendant que
ET DE LA TOUR -DES-DAMES. 490
l'ail XI la fit Pigalle. D'aucuns rapportent qu'elle
était habitée h cette époque par M^'" Pigalle,
parentes de l'artiste moit sous l'ancien régime.
Seulement le sculpteur illustre avait épousé à un
âge avancé sa propre nièce, et aucun enfant n'était
né de ce mariage. Si Pigalle avait demeuré per-
sonnellement rue Royale, comme on le lit dans
plusieurs livres, c'était probablement au 17.
On croit aussi que la rue Larochefoucauld se
dédia à l'auteur des Maximes, vers le même temps
que l'autre à Pigalle; mais tout le monde n'abonde
pas dans ce sens. Paris chez Soi, en cherchant
ti son tour quel lut le parrain de cette rue, penche
pour un vieux M. de Larochefoucauld, qui y demeurait
à une époque encore moins éloignée. La rue se
mêle en eflét, depuis lors, d'être sentencieuse et
de faire la personne de bon sens. A l'intérieur du
n" 2o, dont la façade, quoique peu grandiose, est
ornée d'une statue et de deux lustres, on lit:
« L'an 1802, le voyageur VoIr:ey, devenu sénateur, peu
confiaut en Ja fortune, a bâti celle petite maison, plus
gran Je que ses désirs. «
Chassebœuf de Volney, constituant, avait dédié
11 l'Assemblée son ouvrage. Les Ruines, sans qu'il
y eût intention ironique de sa part ; il n'eût pourtant
quitté, sans le 9 Thermidor, la prison que pour
l'échafaud. Sa participation au succès du 18 Brumaire
l'a fait ensuite sénateur et comte de l'Empire.
Mais n'ayons pas trop l'air de croire qu'il se soit
toujours contenté de son habitation de la rue
Larochefoucauld : il a donné plus tard la préférence
à un grand hôtel de la rue de Vaugirard. Mort
pair-de-France en 1820, il avait épousé dix ans
plus tôt sa cousine, M"'^ de Chassebœuf.
Faut-il penser, décidément, que l'histoire des
rues de Paris est plus malaisée à écrire que la
biographie des grands hommes? Je suis, Dieu me
500 RUES PIGALLE, LAROCHEFOUCAULD
pardonne, le premier qui publie que la rue Laroche-
tbucauld se forma sur le domaine de l'abbaye de
Montmartre, M""" Catherine de Larochefoucauld-
Cousage étant abbesse. Le monastère de Saint-
Jean-Baptiste-de-Buxo, près Orléans, l'avait pour
abbesse quand elle fut nommée en l'année 1737
à Montmartre, où elle gouverna vingt-cinq ans.
La pierre tombale sous laquelle reposait cette
supérieure fut enlevée et sciée en deux au moment
de la Révolution; elle sert aujourd'hui de degré
collatéral à chacun dés angles du maître-autel,
dans l'église paroissiale de Montmartre. Le bas de
la rue qui nous rappelle cette abbesse n'était, avant
elle, qu'une ruelle de la ïour-des-Dames.
Une maison décorée de bas-reliefs, qui fait pen-
dant à celle de Volney depuis au moins trente
ans, a été bâtie pour Picot; l'éminent peintre y
est toujours.
Arnaud de Laporte, intendant- général de la mari-
ne, avait été ministre ; il vivait, auparavant de passer
en Espagne, dans cette rue, alors qu'y donnait
l'une des portes de l'ancien château des Percherons,
consacré â des amusements pyrotechniques par
l'artificier Ruggiéri. Louis XVI a rappelé M. de
Laporte, pour le faire intendant de la liste civile
en 1790, et deux années après l'éprouvé confident
payait de la vie son dévouement à une cause perdue.
La résidence de M. de Laporte n'est plus recon-
naissable au n" 23, hôtel neuf remplaçant un hôtel
délabré ; pas beaucoup plus au n° 19, bien que
l'ancien ministre en ait joui.
Aussi bien un hôtel de la rue Larouchefoucauld
se trouve porté â l'avoir de la rue d'Aumale, depuis
le percement de cette dernière rue ; il appartient
l\ M. le comte François Clary, cousin de l'empereur.
Le marquis de Fortiad'Urban, membre de l'Institut,
y a cessé de vivre dans sa quatre-vingt-huitième
année, le 4 août 1843. Parmi les écrits iniiom-
ET DE LA TOUR-DES-DAMES. 501
J3rables de cet auteur figure une brochure, que
nous avons vainement cherché h consulter, et dont
voici le titre : Recueil den titres de liropriété d'une
maison et terrain situés au faubourg Montmartre.
(In-42, avec plan, 1809.)
Un autre littérateur, le marquis de Custine, se
rendait acquéreur en 1834 du n" 12, où la maréchale
Ney avait passé quelques années, et qu'avait fait
construire la famille de Nicolas Baudin, marin et
botaniste, mort en 1803. Certaine avenue Baudin
a relié la rue à une avenue Saint-Georges, donnant
rue Saint-Lazare. Le n" 6 fut acheté sous la Restau-
ration par la. mère de M. de Sancy, propriétaire
actuel.
Vis-iVvis se montre l'hôtel du prince de Wagram,
précédemment à M"'' Mars et d'abord à Bougainville,
propriété qui ouvre sur chacune des rues qu'em-
brasse cette notice ternaire. Celle des trois rues qui
sert de trait-d'union aux deux autres, a été Bougain-
ville ; mais à cette désignation momentanée a succédé
celle de la Tour-des-I)ames, qui prenait racine plus
avant dans les traditions locales.
Dès le xv' siècle le moulin-à-vent de ce
nom appartenait aux dames de Montmartre, ayant
pour abbesse Agnès Desjardins. Claude de Beau-
villier, sous Henri IV, portait la crosse au même
monastère quand le nommé Martin Levignard, de
la paroisse Saint-Laurent, devint meunier de la
Tour-des- Dames en vertu d'un nouveau bail. Mais
l'abbesse M'"'' de Bellefond n'affermait plus, en
l'année 1717, à Pierre Langlois, marchand de
chevaux, que la tour et la maison où le moulin avait
joué des ailes. La tour n'a été détruite qu'en 1822,
et dans ses murs épais on a trouvé une petite
provision de vin, mis en bouteilles du temps de
Henri IV : trop de vieillesse l'avait décomposé. Un
chemin faisait cercle autour du moulin seigneurial,
dont on retrouverait la place dans un hôtel primi-
32
RUES PIGALLE, LAROCHEFOUCAULD, ETC. 50-2
tivement destiné au prince Paul de Wurtemberg,
mais achevé pour M. Baillot, pair-de-France, ayant
pour fille M'"'' de Béhague, et maintenant à
M. Lestapis.
Ne s'étonne-t-on pas qu'une rue aussi courte et
aussi peu passante regorge déjà de souvenirs? Nous
les trouvons, quant à nous, trop modernes, comme
s'ils vieillissaient plus lentement que nous: qu'ils
n'aillent pourtant pas se perdre! Si le n° 1 n'a
pas su bien garder les diamants de M"* Mars,
c'est que les rues tranquilles attirent les voleurs ;
mais à quelque chose il est bon que la police y
soit mal faite, puisque M"« Duchesnois a caché
au n° 3, pendant et après les Cent-Jours, des
victimes désignées tour-à-tour aux vengeances de
l'un et de l'autre parti. Cette rivale de M"« Georges
a retiré chez elle la mère de Lavalette; elle a
tenté de sauver Labédoyère. Le même toit, trente
ans plus tard, abritait la D"'' Ozi, femme de théâtre.
Immédiatement après viennent deux maisons
habitées par Horace Vernet, puis par son gendre,
Paul Delaroche, lequel y a fermé les yeux. Un
autre grand artiste s'est éteint au n" 9 en 1826 :
Talma. Enfin celui de tous les maîtres-d'armes dont
on aura le plus parlé, G lisier, demeurait au n° 12
sous Louis- Philippe.
Rue du Koclier. (i)
Le Duc de Chartres. — Les Moulins. — Les
Cabarets. — Les Petites-Maisons. — La Barrière.
— Joseph Bonaparte. — M'"^ Lœtitia. — Gouvion-
Saint-Cyr. — V Amour à trois — Lucien Bona-
parte. — Le Cimetière de la Révolution. — Voyer-
d'Argenson.
Le duc de Chai'ti-es, celui qui prit plus tard
le nom de Philippe-Egalité, avait sa petite maison
rue du Rocher, ou rue des Errancis, dans le fau-
bourg dit de la Petite-Pologne. Le prince transféra
rue de Valois-du-Roule (2) l'iiôtelleriede ses plaisirs,
pendant que le cra>on de Carmontel faisait surgir,
comme par enchantement, toutes les merveilles des
Folies-de-Chartres, dont le parc de Monceaux,
quoique réduit de beaucoup, donne encore une idée.
A cette époque la rue du Rocher allait seulement
jusqu'à la rue de la Bienfaisance, et le reste
(1) Notice écrite en 1801. La rue qu'elle étudie
prend racine moins bas depuis que la nouvelle rue
de Rome, en poussant à la même place, lui a coupé
l'herbe sous le pied. Elles ont, d'ailleurs, pour tige
commune un espace laissé libre, à l'entrée d'une nouvelle
gare. Un carrefour s'est formé plus haut, au point
où cette rue du Rochrr leucontre celles de Vienne,
de la Bienfaisance et de Stockohu. Plus hau' encore,
d'autres démolitions et l'établissement d'un viaduc font
passer sous la môme rue celle de Madrid, qu'aborde
près du pont celle Portails. Et là ne finit pas le réseau
des percements de fraiche date. Ou a donné sur la
gauche un prolongement à la rue de Naples, naguère
de Hambourg; on a ouvert à droite une rue Larribo,
(2) Actuellement rue de Monceaux.
504 RUE DU ROCHER.
s'appelait des Errancis, des Estropiés en français
plus moderne. Les deux rues, en effet, ne répon-
dirent pas au même nom avant l'année 4807.
Au commencement du règne de Louis XV, ce n'était
encore qu'un chemin, qui serpentait entre les trois
moulins Boute-à-Feu, des Prunes et de la Marmite.
Le cabaret de la Grande-Pinte, aussi nommé de
la Petite-Pologne, se trouvait encore à une certaine
distance, puisque c'était rue du Roule-à-Saint-
Lazare, en regard de la chaussée d'Antin. Mais il
ne manquait pas d'autres pintes au cœur de la
Petite-Pologne, et des commis ne furent pas plus tôt
apostés dans une voiture roulante, au bas de la
rue qui nous occupe, que le sobriquet du quartier
suburbain passait à la barrière.
Sous le même roi, mais plus tard, la barrière de la
Petite-Pologne attenait, rue du Rocher, à un demi-
arpentdont J. Offroy était propriétaire. A. Brûlé avait
un arpent au-dessus, puis Gabriel FrançoisetGayenne
la moitié d'un chacun.
Avant la lin du règne suivant, la finance avait
à sa disposition dans la rue autant de maisons de
de plaisance qu'il y avait eu de moulins, et l'une
des trois était probablement celle dont le prince
avait joui. Le premier de ces petits hôtels, n" 26,
appartint certainement aux héritiers du fermier-
général Varanchon de Saint-Geniès, . lequel avait
eu pour allié M. de Chalut, son confrère. De la
seconde propriété, numérotée 30, quoique pour-
vue d'une entrée nouvelle par la rue de Vienne,
M. Riant est propriétaire, et les tranchées du
chemin de fer ont fait de cette maison, vue par-
derrière, un belvéder très-élevé. La troisième, qui
répond au chiffre 59 ou 61, fut la résidence de
Joseph Bonaparte et, à un autre moment, celle
de sa mère. M""" Laetitia. Joseph, bien qu'il eût
pour lui-même peu d'ambition, fut deux fois roi,
RUE DU ROCHER. 505
et ne fallut-il pas aussi que Napoléon imposât à
Madame-Mère la tyrannie d'une représentation
auguste'.' Jusque-là La?titia n'avait consenti h changer
que d'appartement ; tous les honneurs que l'em-
pereur lui lit rendre ne l'empêchaient pas de
raisonner en mère prévoyante et de rester amie
de la simplicité: — Qui donc, disait-elle, qui donc
sait si je ne serai pas obligée de procurer du pain
aux rois mes hls?
Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, qui habita plus
tard l'hôtel, se rappelait lui-même, étant ministre,
l'époque de ses obscurs débuts, en qualité de
comédien-amateur, dans la salle que Beaumarchais
avait fait construire au Marais. Une des pensions
dont les élèves suivent les cours du lycée Bonaparte,
occupe maintenant le local, qui semble expier, en
vouant son âge mûr à l'instruction et à la mo-
ralisation d'une nouvelle génération, les gaillardises
dont s'est rendue complice, en les cachant, sa
première jeunesse à lui-même. Cette petite-maison
d'un tinancier de l'ancien régime avait commencé
par se mettre sur la conscience pis encore : un
amour à trois, dans lequel pas un n'était dupe!
Elle avait été bâtie en 1772 aux frais de deux
danseuses, pensionnaires du roi, Marie-Marguerite
de Libessart et Marie-Anne-Josèphe de Libessart,
sous la conduite de Bandieri de Laval, maître-des-
ballets du roi et maître â danser des enfants de
France, qui vivait avec ces deux sœurs, d'tes
Grandis k l'Opéra.
Le sieur Fontaine de Tréville tenait une autre
pension, dès l'année 1787, dans la rue des Errancis,
où s'élevaient encore peu de maisons. La rue du
Rocher, plus peuplée, avait déjà vu édifier le n" 28,
où une pension encore est installée depuis la
Restauration. Ce fut l'hôtel de Lucien Bonapaiie,
que M'"' Ltetitia parut souvent préférer à ses frères,
et avec lequel, à diflerentes reprises, elle mena
506 RUE DU ROCHER
vie commune. Lucien a demeuré toutefois Grande-
rue-Verte, avant de prêter les mains avec tant
d'opportunité, comme président du conseil des
Cinq-Cents, au coup-d'État qui anéantissait la
représentation nationale. D'autres vues que celles
de Napoléon lui ont fait dire, le lendemain du 18
Brumaire: — La liberté est née dans le jeu de
paume de Versailles; elle vient de se consolider
dans l'orangerie de Saint- Cloud.
La liberté, la liberté! Eh ! n'avait-elle pas entassé
assez de corps décapités, dans un clos converti
en voirie révolu tioimaire, au bout de la rue?
Philippe-Egalité y avait été inhumé, à l'extrémité
du cimetière qui se trouvait improvisé entre sa
petite-maison et ses grandes Folies-de-Chartres.
A l'entrée, au contraire, du côté de la rue, étaient
enfouis les restes de Maximilien Robespierre, et
la mort séparait rarement les suppliciés qui avaient
fait partie de la même fournée; on avait donc
creusé deux ou trois fosses pour y jeter, près du
fameux tribun: Robespierre le jeune, Couthon et
Saint-Just, conventionnels; Dumas, président du
tribunal révolutionnaire, Gombeau, substitut de
l'accusateur public ; Payan, agent de la Commune;
Vivier, président des jacobins; Henriot, chef de la
force armée de Paris ; Lavalette, général ; Lescot-
Fleuriot, maire de Paris: Simon, cordonnier,
geôlier du Temple, membre de la Commune de
Paris, et dix autres membres de ladite Commune,
également mis hors la loi par la Convention dans
la séance du 9 thermidor. Un an auparavant, le
cimetière avait reçu les dépouilles sanglantes de
Charlotte Corday; mais le iDOurreau, avant de les
abandonner au fossoyeur, avait publiquement
souffleté le visage encore chaud de l'héroïque vic-
time, qui en avait rougi pour la dernière fois.
Le terrain planté d'arbres qui a si bien servi de
-déversoir h la guillotine de la place de la Concorde,
RUE DU ROCHER. 507
appartient à M. Anspacli et à M. de Gipierre,
après avoir été la propriété du marquis d'Aligre.
La plus grande portion en est occupée, depuis
longtemps déjà, par une guinguette, où l'on danse
tout l'été. Seulement l'entrée de ce jardin public
n'est plus rue du Rocher: des constructions nou-
velles ont supprimé une porte; il en reste une
autre rue de Valois, n°81.
L'orateur libéral Voyer-d'Argenson était domicilié
rue du Rocher sous Louis-Philippe; il y mourut,
quelques années après le républicain Michel Buo-
narotti, auquel il avait donné l'hospitalité et qui
avait conspiré avec Babeuf contre le Directoire.
Rue De^cartes. (d)
De l'ancien collège de Navarre, dont nous parlons
dans la notice- de la rue Clovis, la chapelle est
restée debout et fait partie des bâtimens de l'école
Polytechnique. La voilà, bien en vue, au n" 9,
rue Descartes! Un petit magasin de cottrets et
de charbon occupe le premier plan dans la déco-
ration dont ce vieil édifice tient la toile de fond.
Quel théâtre que ce Paris! Faut-il qu'un décor
soit mal fait pour n'y servir qu'à une seule pièce
et ne pas rester lui-même au répertoire ! Il s'en
faut, au surplus, que le collège de Navarre soit
tombé comme une mauvaise pièce: il a longtemps
remporté des succès. On a même distingué de
ses restes ce qui avait été aussi le collège de Boncourt,
fondé au wv siècle et dans lequel Jodelle avait
fait jouer ses premières pièces, en présence de
Henri II. Beaucoup de nos lecteurs en ont pu
voir le bâtiment, servant d'abord de siège, rue
Descartes, à l'administration de l'Ecole ; mais
d'autres constructions l'ont remplacé ; Boncourt a
donc fini par disparaître, comme le collège de
ïournay, son voisin, qui remontait à l'année 1283 :
l'un et l'autre, dès le règne de Louis XIII, avaient
été réunis à Navarre.
Entre le 15 et le 17 aboutissait encore la rue
Clopin, avant que les élèves de Laplace et de
Prony eussent pris possession des trois collèges
d'autrefois. Les boursiers de ceux-ci avaient été
propriétaires d'un certain nombre de maisons dans
la rue, dont les plus importantes sont encore le
(1) Notice écrite en 18S9.
RUE DESCARTE^. 509
16 et le 18; il y a plus, cet immeuble qui a
dû plus d'une fois changer de face, au-dessous
de l'impasse Clopin, appartenait en premier lieu
aux comtes de Bar, mitoyens avec les écoliers de
Boncourt dans la première moitié du siècle xni.
L'abbaye de Sainte-Geneviève avait donné à cens,
dans le principe, les ir' 27, 29 et 31, et pro-
bablement beaucoup d'autres.
Mais cette rue qui serpente n'a jamais décrit
une ligne plus brisée que de notre temps. L'une
et l'autre "de ses deux rives sont héiissées de
promontoires ; l'alignement ancien s'y débat plu-
sieurs fois avec le nouveau : c'est plutôt une scie
qu'un reptile.
Depuis 4250 jusqu'en 1809, elle s'est appi lée
rue Bordet, comme la porte qui s'élevait à son
extrémité, et dont fut jeté bas en 1683 l'éditii c
flanqué de tours, avec pont de bois et pont-levis.
Bien que les dépouilles mortelles de Descartes
eussent été rapportées de Slockolm à Paris par
le chevalier de Torlon, ambassadeur de Louis XIV,
au commencement de l'année 1667, et déposées
dans l'église Sainte-Geneviève d'alors ; bien que
les cendres du philosophe savant eussent été
transférées au Panthéon l'an ii, puis le 3 vendémiaire
an vni au musée des Monuments-Français, la topo-
graphie de Paris, à laquelle il manquait une rue
décorée de ce nom, ne devint cartésienne que
sous Napoléon L'. L'odyssée des cendres de
Descartes fut encore reprise en 1819 ; l'église
Saint-Germain-des-Prés les recédait en grande pompe
le 26 février.
Fin du tome second.
TABLfc DES MATIÈRES
contenues dans le tome second, (i)
Pages.
Rue de Bondy. 5
Rue des Bons-Enfants. 14
Rue du Bon-Puits. 29
Rue Boucher. 32
Rues Trudon et Boudreau. 37
Rue des Boulangers. 40
Rue des Boulets. 44
Rue du Bouloi. 48
Rue d'Aboukir, naguère rue Bourbon- Villeneuve, 59
Rue Bourbon -le-Château, 69
Quai Bourbon. 72
Rue et impasse des Bourdonnais. 85
Rue Grenéta. 104
Rue aux Ours. 107
Rue Brantôme, naguère des Petit Champs-Saint-
Mariin, et rue du Maure. 110
Rue des Prêcheurs. 120
Rue Neuve-Saint-Merri. 123
Rue du Roule. 129
(1) Une table par ordre alphabétique vient après
Ue-ci. Voir la Table Gniérale à la lin du dernier
ce
volume.
— 511 —
Rue Guérin-Boisseau.
Rue des Vieilles-Eluves-Saint-Honoré et rue
Pages.
133
Sauvai, naguère des Vieilles-Etuvos Saint-
Martin.
135
Rue du Hasard.
139
Rue Bourg-l'Abbé, dont le reste est maintenant
absorbé par la nouvelle rue Palestre.
Rue de Bourgogne.
143
150
Rue des Bourguignons, dont le reste est mainte-
nant absorbé par le nouveau boulevard de
Port-Royal.
Rue Bourtibourg.
Rue Boutebrie.
157
164
169
Rue de Braque.
Rue de Bretagne.
Rue de Bretonvilliers.
174
179
185
Rue de Buci.
190
Avenue, place et rue de Breteuil,.
197
Rues Taillepain et Brisemiche.
Rue de la Bûcherie.
201
205
Rue de Buffault.
212
Rue de BufFon.
217
Rue Cadet.
223
Rue, place et passage du Caire.
Rue de la Calandre.
231
236
Rue Canivet.
243
Rue Cardinale.
Rue des Carmes.
245
247
Rue des Canettes.
261
Rue Caron.
268
Rue du Buisson-Si-Louis.
269
— 512 —
Pages.
Rue Cassette. 271
Rue Suger. 286
Rue des Poitevins. 293
Rue Surpente. 298
Rue Hautefeuille. 302
Rue Caumariin. 306
Rue de la Cerisaie. 312
Boulevard Montmartre. 318
Rue Cassini. 325
Rue Guénégaud. 327
Galeries du Palais-Royal. 330
Boulevard des Italiens. 362
Rue de la Victoire. 372
Rue Saint-George. 383
Rue Monsieur-le-Prince. 385
Rue Saint-Lazare. 389
Rue Montmartre 401
Rue Mouffeiard et avenue des Gobelins, 406
Rue Daru, naguère de la Croix-du-Roule. 419
Rue Sévigné, naguère Culture-Sainie-Catherine. 422
Place Dauphine. 432
Rue Dauphine. 440
Rue Grenier-sur-l'Eau. 451
Rue Cuvier, 453
La Rue de Jouy et les deux rues Percée. 460
Rue Pajenne. 466
Rue du Maure, impasse de Clairvaux et passage
de la Réunion. 472
Rue du Ponceau, 477
Rue de Turbigo. 481
Rues de Lancry et Grangc-aux-Belles. 484
- 5i;i —
Pages.
Rue des Martyrs. ' 490
Rues Pigaile, Larochefoucauld et de la Tour-des-
Daraes. 405
Rne du Rocher. 503
Rue Descartes. 508
Table des matières contenues dans le tome second. 510
Ici. par ordre alphabétique. 514
iïabU par orbve alpljabétiquc
pour le même tome.
Pages*
Aboukir. (rue d') 56
Bondy. (rue de) 5
Bons-Enfauts. (rue des) 14
Bon-Puits, (rue du) 29
Boucher, (rue) 32
Boudreau. (rue) * 37
Boulanger.^, (rue des) 40
Boulets, (rue des) 44
Bouloi. (rue du) 48
Bourbon-Villeneuve, (rtie) 59
Bourbon-le-Chàteau. (rup) 69
Bourbon, (quai de) 72
Bourdonnais, (rue et impassf des) 85
Bourgl'Abbé. (rue) 143
Bo'irgogne. (rue de) 150
Bourguignons, (rue des) 157
Bourtibourg. (rue) , 164
Boulebrie. (rue) 169
Brantôme, (rue de) 110
Braque, (rue de) 174-
Bretagne, (rue de) 179
Breteuil. (avenue, place et ru^- de) 197
Brisemiche. (rue) 201
Buci. (rue de) 190
Bùcherie. (rue de la) ' 205
Buffault. (rue de) 212
Buffon. (rue de) 217
Buissou-Saint-Louis. (rue du) 269
Cadet, (rue) 223
Caire, (rue, place et passage du) 231
Calandre, (rue de la) 2o6
Canettes, (rue des) 2(31
Canivet. (rue du) 243
— 515 —
Pages.
Cardinale, (rue) 245
Caron. (rue) 267
Carpentier. (rue) ' 268
Carmes, (rue des) . 247
Cassette, (ru.») 271
Cassiui. (rue) ^25
Caiimartin. (vne) 300
Cerisaie, (rue de lu) 312
Clairvaux. (impasse de) 472
Croix-du-Roiile. (ruejde la) 419
Culture-Sainto-Catherine. (rue) 422
Cuvier. (rue) 458
Daru. (rue) 419
Dauphine. (place) 432
Dauphine. (rue) 440
Descartes, (rue) 508
Gcbelins. (avenir des) 406
Grange-aux-Belles. (rue) 484
Grenéta. (rue) 104
Grenier-sur-l'Eau (rue) 451
Guérin-Boisseau. (rue) 133
Guéuégaud. (rue) 327
Hasard, (rue du) 139
Hautefeuille. (rue) 302
Italiens, iboulevard des) 362
Jouy, (rue de) 460
Lancry. (rue de) 484
Martyrs, (rue des) 490
Maure, (rue du) 110
Même rue. _ 472
Monsieur-le-Prince. (rue) 385
Montmartre, (boulevard) 318
Montmartre, (rue) 401
Mouffetard. (rue) 406
Neuve-Saint-Merri. (rue) 123
Ours, (rue aux) 107
Palais-Royal. (Galeries du) 330
— 516 -
l>»ges.
Palestro. (lue de) 143
Payenne. (rue) 46G
Percée, (les deux ru^s) '• 460
Petits-Cbanips-S.iint-Martin, (rue des) 110
Pigalle. (rue) '195
Poitevins, (rue des) 29.3
Ponceau. (rue dul 477
Port-Royal, (boulevard de) 157
Prêcheurs, (rue des) 120
Réunion, (passage de la) 472
Larochefoucauld. (rue) 495
Rocher, (rue du) 503
Roule, (rue du) 12Ô'
Saint-Lazare, (rue) 389
Saint-George, (rue) 383
Sauvai, (rue) 135
Serpente, (rue) « 298
Sévigné. (rue de) 422
Suger. (rue) a 286
J'aillepain. (rue) 201
Tour-des-Damfcs. frue de la) 495
Tiirbigo. (rue de) 481
Tr'idon. (rue) 37
Vicoire. (rue de ia) 372
Vieilles-Etuves-Sa:nt-Honoré. (rue des) 135
Vieil! es-Eluves-Sdiut-Martin. (rue îles) 135
FiX DES TABLES DU TÛME SECOND.
UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARY
Los Angeles
This book is DUE on the last date stamped below.
NQPIIONE
-R
-Nt\NAlS
■ETOnHwr
iï APRl8l98f
MAR 2 8 1987
Il
3 1158 01178 8378
UC SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY
A 000 118 036 3
.4 » O.^J> ,
^'" U^^
' "'• n
s
> 'i^H
> >>'
^ >
s
'XsV